Sommaire
dispositif « défense 2eme chance »
Question de M. Michel Houel. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; M. Michel Houel.
ravages causés par la consommation d'alcool et de cannabis par les jeunes
Question de M. Adrien Gouteyron. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; M. Adrien Gouteyron.
prévention de l'alcoolisation des jeunes
Question de Mme Anne-Marie Payet. - Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; Anne-Marie Payet.
Question de M. Philippe Nogrix. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; M. Philippe Nogrix.
Pénurie de chirurgiens-dentistes en milieu rural
Question de M. Dominique Mortemousque. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; M. Dominique Mortemousque.
développement de l'énergie éolienne
Question de Mme Nicole Bricq. - Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; Nicole Bricq.
enlèvement international d'enfants : droit de garde et droit de visite transfrontière
Question de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; Joëlle Garriaud-Maylam.
devenir de l'entreprise areva t & d à montrouge
Question de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
financement des infrastructures communes de génie civil pour les lignes de télécommunications
Question de M. Simon Sutour. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Simon Sutour.
Question de M. Gérard Delfau. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Georges Mouly, en remplacement de M. Gérard Delfau.
baisse des crédits du fonds social européen
Question de M. Jean-Pierre Bel. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Jean-Pierre Bel.
mise en place d'un plan de modernisation sanitaire dans la filière foie gras
Question de M. Alain Milon. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Alain Milon.
situation des emplois vie scolaire
Question de M. Robert Hue. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Robert Hue.
dysfonctionnements des services d'urgence
Question de M. Claude Biwer. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Claude Biwer.
primes de mobilité pédagogique dans les établissements publics scientifiques et technologiques
Question de M. Henri Revol. - MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme ; Henri Revol.
prise en charge des frais de transport des personnes handicapées
Question de M. Philippe Leroy. - Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Philippe Leroy.
situation des entreprises adaptées
Question de M. Georges Mouly. - Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Georges Mouly.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
3. Éloge funèbre de Serge Vinçon, sénateur du Cher
MM. le président, François Fillon, Premier ministre.
Suspension et reprise de la séance
4. Titre XV de la Constitution. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
Motion tendant à demander un référendum
MM. le président, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Suspension et reprise de la séance
M. le président de la commission, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Luc Mélenchon, Michel Charasse, Michel Dreyfus-Schmidt. - Rejet, par scrutin public, de la recevabilité de la motion.
5. Article 11 de la Constitution. - Demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle
6. Titre XV de la Constitution. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle
Discussion générale : M. François Fillon, Premier ministre ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes ; Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois.
7. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Moldavie
8. Titre XV de la Constitution. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle
Discussion générale (suite) : MM. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne ; Jean-Pierre Bel, Jean-Pierre Raffarin, Robert Bret, Nicolas Alfonsi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Titre XV de la Constitution. - Suite de la discussion et adoption conforme d'un projet de loi constitutionnelle
Discussion générale (suite) : MM. Yves Pozzo di Borgo, Bruno Retailleau, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Pierre Bernard-Reymond, André Lardeux, Robert del Picchia, Jacques Blanc.
Clôture de la discussion générale.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Motion no 1 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; le secrétaire d'État. - Rejet par scrutin public.
Motion no 2 de M. Jean-Luc Mélenchon. - MM. Jean-Luc Mélenchon, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet par scrutin public.
Demande de renvoi à la commission
Motion n°20 de M. Robert Bret. - MM. Robert Bret, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Rejet par scrutin public.
Organisation de la suite de la discussion
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le président de la commission des lois, le secrétaire d'État.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement n° 5 rectifié bis de M. François Marc. - MM. François Marc, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Roland Courteau, Michel Charasse, Jacques Muller, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Alfonsi, Philippe Richert - Rejet par scrutin public.
Amendements nos 6 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 3 de M. Michel Charasse, 8, 10, 12, 14, 16 et 18 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Michel Charasse, Robert Bret, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait de l'amendement n° 3 ; rejet des amendements nos 6, 8, 10, 12, 14, 16 et 18.
Adoption de l'article.
MM. Charles Josselin, le rapporteur, Jean-Luc Mélenchon.
Amendements nos 7 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 4 de M. Michel Charasse, 9, 11, 13, 15, 17 et 19 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Retrait de l'amendement n° 4 ; rejet des amendements nos 7, 9, 11, 13, 15, 17 et 19.
Adoption de l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery.
Adoption conforme, par scrutin public, du projet de loi constitutionnelle.
11. Article 11 de la Constitution. - Rejet d'une demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la demande ; MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.
Rejet, par scrutin public, de la demande de discussion immédiate.
12. Transmission d'une proposition de loi
13. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
15. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Questions orales
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
dispositif « défense 2eme chance »
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 129, transmise à M. le ministre de la défense.
M. Michel Houel. Madame la ministre, le dispositif « Défense 2eme chance », lancé durant l'été 2005 et piloté par l'Établissement public d'insertion de la défense, l'EPIDe, vise à favoriser l'insertion professionnelle des jeunes de dix-huit à vingt et un ans rencontrant des difficultés scolaires et sociales, grâce à une formation comportementale, scolaire et professionnelle dispensée en internat. L'EPIDe fait appel, à des anciens militaires recrutés pour l'encadrement et l'enseignement civique, mais aussi à des enseignants de l'éducation nationale, ainsi qu'à des formateurs extérieurs.
Près de 60 000 jeunes sont identifiés chaque année comme étant dans une situation proche de la marginalisation. Dans l'objectif de remettre ces jeunes sur le chemin de l'emploi, ce projet innovant et prometteur prévoyait l'accueil de 20 000 volontaires dans cinquante centres à la fin de l'année 2007.
Deux ans après le début de l'expérimentation du dispositif, chacun s'accorde à reconnaître son intérêt et l'enjeu social de première importance auquel il répond. Les premières générations de volontaires ont obtenu des résultats qui montrent toute la pertinence de ce dispositif d'insertion : 95 % ont obtenu le certificat de formation générale, 80 % ont obtenu un certificat de qualification professionnelle, 90 % ont trouvé un emploi ou intégré une formation classique de type certificat d'aptitude professionnelle ou une formation en alternance dans des secteurs comme le bâtiment, les travaux publics, la restauration, le transport ou la sécurité.
Les entreprises de ces secteurs d'activité ont besoin de recruter, mais elles n'ont pas le temps d'insérer socialement un jeune éprouvé par la vie. Ce dispositif constitue donc le chaînon manquant dans l'intégration de ces publics, car passer d'une non-activité à une activité régulière n'est pas chose facile. Ainsi, madame la ministre, dans ma commune, qui comprend une zone d'activité, les chefs d'entreprises qui ne parviennent pas à recruter du personnel vont, sur mon initiative, rencontrer le directeur du centre de mon département.
Malgré ces constats encourageants, seuls vingt-deux centres sont ouverts aujourd'hui et n'accueillent que 1 850 jeunes pour une capacité totale de 2 500 places.
Ma déception est d'autant plus forte que le premier centre de ce type a ouvert ses portes en septembre 2005 dans mon département, à Montry, dans les anciens locaux du Centre régional d'éducation populaire et de sport, le CREPS. Le succès de Montry a d'ailleurs rendu nécessaire la création d'une antenne dans une commune proche, à La Haute-Maison.
Je souhaite donc savoir quelles suites seront données au dispositif « Défense 2eme chance », sachant qu'il apparaît comme une évidence que le succès de ce programme dépend de la reconnaissance de son utilité par l'ensemble des parties prenantes, de la mobilisation indispensable des acteurs économiques et des moyens que nous pouvons y consacrer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur Houel, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de M. le ministre de la défense, qui assiste aux obsèques des trois gendarmes décédés tragiquement vendredi dernier.
Vous avez attiré l'attention de M. le ministre de la défense sur l'importance du dispositif « Défense 2eme chance ». Ce dispositif, vous l'avez rappelé, existe depuis un peu plus de deux années, l'ouverture du premier centre datant du mois de septembre 2005. Il est organisé sous la tutelle du ministère de la défense et du ministère de l'économie, des finances et de l'emploi.
Le ministère de la défense apporte un soutien en actifs immobiliers et met à disposition des personnels et des moyens matériels. À ce jour, il a consenti des cessions immobilières pour plus de 60 millions d'euros et d'autres cessions de terrains sont à l'étude.
Le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi apporte une subvention constituant l'essentiel du budget de fonctionnement de l'établissement public. L'effort budgétaire pour 2008 traduit la priorité gouvernementale. Les crédits de l'EPIDe sont en augmentation de 30 % et s'élèvent à 94 millions d'euros, notamment grâce à une première participation du ministère du logement et de la ville.
Vos préoccupations en matière de reconnaissance du dispositif et d'implication de tous les acteurs rejoignent exactement celles du Gouvernement. Depuis son arrivée, Hervé Morin, vous l'avez rappelé, s'est efforcé de recentrer le dispositif sur son coeur de métier : l'insertion professionnelle des jeunes majeurs entre dix-huit et vingt et un ans. Le ministère de la défense a ainsi considérablement renforcé sa coopération avec le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, qui partage la tutelle de ce dispositif.
Le ministère de la défense souhaite également étendre cette tutelle au ministère du logement et de la ville afin que tous les ministères concernés soient étroitement associés aux principales orientations à donner à ce dispositif.
Vous le constatez, la mobilisation est globale. Tout le Gouvernement est mobilisé en faveur d'une méthode d'insertion qui, peu à peu, porte ses fruits : le taux d'insertion est flatteur pour les centres les plus anciens, la notoriété du dispositif est grandissante, de plus en plus de jeunes se portent volontaires sur la recommandation d'anciens sortis des centres.
Après deux années de montée en puissance, il s'agit à présent d'organiser la pérennisation et le développement maîtrisé de ce formidable outil d'insertion professionnelle. Sous l'impulsion du ministre de la défense, l'ensemble des parties prenantes gouvernementales élaborera au printemps prochain un contrat d'objectifs et de moyens offrant pour la première fois à ce dispositif une visibilité stratégique sur cinq ans.
En vous transmettant cette réponse au nom de mon collègue Hervé Morin, monsieur le sénateur, la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports que je suis tient à souligner l'engagement global du Gouvernement en faveur de notre jeunesse. Le dispositif « Défense 2eme chance » en est un témoignage, mais il y en a d'autres, portés par le ministère de l'éducation nationale, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le ministère du logement et de la ville, ainsi, bien entendu, que mon ministère, sur les questions liées spécifiquement à la jeunesse, mais également à la santé et à l'éducation par le sport.
Ce dispositif constitue véritablement une action interministérielle. Le ministère de la santé, de la jeunesse et des sports jouera pleinement son rôle, ainsi que l'ensemble de mes collègues du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Madame la ministre, le fervent défenseur du dispositif « Défense 2eme chance » que je suis vous remercie de votre réponse très encourageante.
Si l'arrivée dans nos petites communes de 200 jeunes en structuration en provenance de banlieues difficiles a au début inquiété les maires, il faut reconnaître que tout se passe très bien. C'est un fait exceptionnel, car seulement 5 % des jeunes quittent le dispositif, ce qui est marginal. Il faut donc poursuivre cet effort. On a trop tendance dans notre pays à parler de ce qui ne va pas bien. Quand un dispositif fonctionne bien, il faut le dire !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C'est vrai !
ravages causés par la consommation d'alcool et de cannabis par les jeunes
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron, auteur de la question n° 109, adressée à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
M. Adrien Gouteyron. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur une certaine pratique de consommation d'alcool qui devient, pour de nombreux jeunes, un véritable fléau. Il s'agit non pas d'excès ponctuels, mais d'un phénomène d'alcoolisation lié, comme le souligne l'association de prévention en alcoologie et en addictologie de mon département, à des pratiques addictives de toutes sortes, comme la consommation de cannabis.
Je souhaite tout particulièrement évoquer les ravages dus à l'alcoolisation massive de certains adolescents. Si l'usage du cannabis est aujourd'hui dans la ligne de mire des politiques de santé publique, l'alcoolisme des jeunes ne me paraît pas suffisamment pris en compte et combattu.
Pour reprendre les termes du constat alarmant fait par cette association, « un phénomène de banalisation de l'alcool est en train de toucher les jeunes qui boivent à n'en plus pouvoir ». Ce phénomène, on le sait, nous vient des pays scandinaves, qui pratiquent le binge drinking. Cette pratique, qui consiste à consommer une quantité considérable d'alcool en un court laps de temps pour obtenir une ivresse rapide, a parfois des conséquences dramatiques.
Nous avons tous en tête le drame des deux lycéennes d'Abbeville qui ont été retrouvées dans le coma dans les toilettes de leur établissement scolaire, après avoir, à l'heure du petit-déjeuner, consommé plusieurs verres de vodka.
Le rapport de l'Académie nationale de médecine, livré l'automne dernier, est très préoccupant : selon une enquête, un pourcentage significatif des adolescents de dix-sept ans avouent s'être adonnés au binge drinking dix fois au moins au cours des trente derniers jours.
Loin de moi l'idée de stigmatiser la fête ! En revanche, il faut dénoncer un phénomène qui tend à associer la fête à une consommation excessive et brutale d'alcool. Les conséquences, sur lesquelles je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sont ravageuses.
Frédérique Gardien, dans un excellent ouvrage : L'alcoolisme adolescent, en finir avec le déni, pointe du doigt le fait que, trop souvent aujourd'hui, on ne souhaite pas reconnaître l'alcoolisme comme un risque potentiel à l'adolescence, et souligne également que cette recherche de la défonce est le signe d'un mal-être profond chez les adolescents, qui veulent ainsi échapper à la réalité.
Je pense que le Gouvernement se préoccupe de cette question, mais je souhaite que vous nous en disiez un peu plus ce matin, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, la consommation d'alcool et de cannabis par les jeunes, sur laquelle vous m'interrogez, est un sujet qui me tient tout particulièrement à coeur.
Globalement, et il n'est pas inutile de le rappeler, la consommation de boissons alcoolisées est en baisse en France, et ce même parmi les jeunes de moins de vingt-cinq ans.
Pour autant, cette situation est loin d'être satisfaisante, puisque 9 % à 10 % des jeunes Français âgés de dix-huit ans à vingt-cinq ans présentent les signes d'une consommation problématique d'alcool. De plus, et vous l'avez très bien souligné, les ivresses alcooliques sont en hausse parmi les plus jeunes.
S'agissant du cannabis, la tendance à la consommation est maintenant à la stagnation, voire à une légère baisse, après une augmentation entre 2000 et 2002. En revanche, le niveau de l'usage régulier est stable et on constate que la part des usages quotidiens s'est accrue.
Ces tendances ont été confirmées par l'Académie nationale de médecine pour la consommation d'alcool, puis, récemment, par l'Académie nationale de pharmacie pour la consommation de cannabis.
Afin de lutter contre de tels phénomènes, des consultations mises en place en 2004 à destination des jeunes consommateurs de cannabis s'ouvriront aux jeunes en difficulté avec l'alcool, en particulier à ceux qui sont confrontés à des problématiques d'ivresse massive.
Ces consultations se dérouleront dans les centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA, structures issues de la fusion entre les centres de cure ambulatoire en alcoologie et les centres spécialisés de soins aux toxicomanes depuis la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 et un décret du 14 mai 2007, qui en définit les missions.
Cessant d'être centrés sur un produit et traitant l'ensemble des addictions, les CSAPA se révéleront particulièrement adaptés à la prise en charge des polyconsommations, associant drogues licites et illicites.
Cette amélioration de la prise en charge comprendra également l'offre de soins hospitalière, qui sera réorganisée, en particulier avec la création de services et de pôles d'addictologie spécifiques. En outre, la formation des professionnels sera renforcée, notamment par la création d'une filière addictologie au cours de la formation médicale.
Par ailleurs, l'articulation entre le secteur sanitaire et le système judicaire est importante. La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance réorganise le système des injonctions thérapeutiques, qui peut désormais être mobilisé à tous les stades de la procédure pénale.
Améliorer la prise en charge globale des jeunes est nécessaire, mais pas suffisant. Diminuer l'accessibilité au produit est également indispensable.
La législation relative à la vente d'alcool aux mineurs de plus de seize ans est complexe et obsolète. Si ces derniers ont interdiction de consommer des alcools forts, c'est-à-dire les boissons des troisième, quatrième et cinquième groupes, dans les bars, ils peuvent les acheter en toute légalité dans les grandes surfaces et les épiceries. Inversement, ils peuvent consommer de la bière ou du vin dans les bars ou les cafés. Or nous savons que les ivresses massives des jeunes sont surtout liées à l'achat de boissons alcoolisées dans les grandes surfaces.
Il convient également, et vous l'avez souligné, de réfléchir aux nouveaux modes d'alcoolisation - je pense notamment au phénomène que l'on appelle le « binge drinking » - et de s'interroger sur les campagnes de prévention et d'information du public, qui sont plus centrées sur des consommations d'alcool de convivialité. Avant, ces pratiques étaient la norme ; aujourd'hui, nous assistons à des changements sociétaux. Parfois, l'objectif est non plus simplement de boire dans une ambiance festive, mais bien de s'alcooliser massivement pour obtenir une sorte de « shoot » qui amène très rapidement à l'ivresse.
Aussi, face à de tels changements du mode de consommation et à ce qui demeure un véritable problème de santé publique, je présenterai très prochainement un certain nombre de mesures destinées à mieux protéger notre jeunesse contre le phénomène des alcoolisations massives.
Le moment venu, la représentation nationale, donc la Haute Assemblée, sera amenée à se prononcer sur cet important sujet.
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Le Gouvernement a une conscience très aiguë des phénomènes sociaux et des nouvelles modalités que prennent certains types d'addiction.
Les dispositifs que vous venez de décrire sont intéressants. Je me réjouis surtout des mesures nouvelles que vous avez annoncées et qui permettront, j'en suis persuadé, d'améliorer une situation intolérable.
Toutefois, madame la ministre, l'alcoolisation des jeunes est le signe d'une forme de malaise de la jeunesse, que nous devons également essayer de dissiper. Certes, c'est beaucoup plus difficile. Mais je crois que c'est le devoir d'un Gouvernement de s'en préoccuper. (Mme la ministre acquiesce.)
prévention de l'alcoolisation des jeunes
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 117, adressée à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la ministre, ma question, qui rejoint celle de mon collègue Adrien Gouteyron, concerne les recommandations formulées par l'Académie nationale de médecine contre l'alcoolisation des jeunes.
S'il est vrai que la consommation de boissons alcoolisées diminue régulièrement dans notre pays depuis quarante ans -vous venez de le préciser, madame la ministre -, l'alcool représente néanmoins la deuxième cause de mortalité évitable, après le tabac, dans la population, et la première chez les jeunes. Ainsi, l'intoxication alcoolique aiguë séduit les jeunes à un âge de plus en plus précoce.
En outre, grâce à la neuro-imagerie, une étude récente a démontré que la consommation d'alcool à un âge très précoce provoque une diminution de la matière grise dans plusieurs zones cérébrales. Devant un constat aussi alarmant, il est vraiment urgent de mettre en place des mesures de prévention adaptées à ce public.
Dans ce contexte, l'Académie nationale de médecine a formulé un certain nombre de recommandations que je trouve des plus pertinentes et qui sont articulées autour deux axes principaux : restreindre l'accessibilité aux boissons alcooliques et modifier la réglementation existante. Voici ses principales propositions.
D'abord, appliquer strictement l'interdiction de vente aux mineurs, notamment en simplifiant les textes législatifs et réglementaires en la matière, afin de faciliter leur mise en oeuvre.
Ensuite, interdire à toute heure la vente de boissons alcoolisées dans les stations-service.
Interdire également la vente et la consommation de boissons alcooliques dans toutes les manifestations sportives.
Enfin, ramener le taux d'alcoolémie légale au volant à 0,2 gramme par litre pour les conducteurs de véhicules à moteur titulaires d'un permis de conduire probatoire.
Je souhaiterais également vous proposer d'ajouter à cette liste l'interdiction totale pour les restaurants d'entreprise de servir des boissons alcoolisées quelles qu'elles soient, car les jeunes qui arrivent dans l'entreprise doivent souvent subir un rite initiatique et boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont des hommes, des vrais. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Pour ce faire, il faudrait modifier l'article L. 232-2 du code du travail, qui proscrit toutes les boissons alcoolisées dans l'entreprise, sauf « le vin, la bière, le cidre, le poiré, l'hydromel non additionnés d'alcool ».
Outre son rôle bien connu dans l'accidentalité routière, en particulier, le mésusage de l'alcool serait également impliqué dans 40 % à 50 % des homicides, dans 26 % à 39 % des agressions sexuelles ou physiques et dans 20 % des accidents du travail.
Nous ne devons pas oublier que le premier objectif de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique est de faire passer la consommation annuelle d'alcool par habitant de 10,7 litres par an à 8,5 litres par an. Pour l'atteindre, des messages de prévention et d'information sont nécessaires.
C'est pourquoi, madame la ministre, je vous demande de bien vouloir m'indiquer les suites que vous entendez réserver aux propositions formulées par l'Académie nationale de médecine, ainsi que les mesures que vous souhaitez adopter pour faire baisser la consommation d'alcool dans notre pays.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, je vous remercie, car il n'est pas inutile d'avoir aujourd'hui deux questions sur l'alcoolisme des jeunes et, plus généralement, sur l'alcoolisme dans notre pays, étant donné le défi que cela représente en termes de santé publique.
Comme vous l'avez rappelé, d'un point de vue quantitatif, la consommation d'alcool reste stable parmi les nouvelles générations - elle est même en légère régression -, mais les modes d'alcoolisation ont changé et les ivresses alcooliques sont en hausse. Entre 2003 et 2005, les différentes enquêtes de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies montrent une nette augmentation de la fréquence des ivresses, phénomène dont les conséquences en termes d'accidents de la route sont d'ailleurs dramatiques.
Ainsi, les maires qui doivent annoncer aux familles le dimanche matin la mort de leur enfant savent ce qu'il en est et le drame que cela représente. Ceux et celles d'entre nous qui ont eu à le faire en ont gardé un impérissable souvenir.
Plus de la moitié des jeunes de dix-sept ans déclarent avoir été ivres au cours de leur vie. Près de la moitié l'ont été au cours des douze mois précédents, et un sur dix au moins dix fois au cours de cette période.
Cette forme d'intoxication alcoolique aiguë massive peut notamment entraîner des comas éthyliques parfois mortels. Certains ont été signalés dès l'âge de douze ans. De récentes informations ont très justement suscité l'émotion.
La gravité des problèmes d'addiction chez les jeunes est majorée par les polyconsommations. Pour endiguer ce phénomène, il n'y a pas une mesure efficace, mais il existe toute une série d'actions synergiques. Celles qui sont proposées dans le rapport du professeur Roger Nordmann de l'Académie nationale de médecine - vous y avez fait allusion, madame la sénatrice - me paraissent répondre aux nouveaux modes de consommation des jeunes et au problème de l'accroissement de la violence routière liée à la prise de boissons alcoolisées.
Madame Payet, les mesures coercitives que vous avez recommandées, et que j'approuve, ne prendront leur sens qu'accompagnées d'un meilleur suivi des jeunes ayant des difficultés avec l'alcool. Les CSAPA, dont je parlais à M. Gouteyron à l'instant et qui ouvriront des consultations pour les jeunes consommateurs, notamment pour ceux qui ont des problèmes d'ivresses aiguës, pourront assurer ce suivi.
En prenant en charge les différentes addictions, les CSAPA permettront également un traitement plus adéquat des polyconsommations. Nous le savons bien, quand on est « accro », on l'est en général à plusieurs types de drogues licites ou illicites.
Toutefois, évoquer l'alcoolisme des jeunes ne doit pas occulter la consommation de populations plus âgées, voire celle des seniors, qui, liée à la solitude, est trop souvent oubliée, car méconnue.
J'ai l'intention de proposer un certain nombre de mesures très prochainement. Les propositions de l'Académie nationale de médecine y tiendront une part importante.
Je compte revenir les présenter devant la représentation nationale très prochainement. Certaines de ces dispositions viseront plus spécifiquement à lutter contre l'alcoolisation des jeunes. D'autres porteront sur l'offre, dont la réduction devrait nous aider à réduire la consommation d'alcool pur par habitant.
Vous l'avez rappelé, madame la sénatrice, l'alcoolisme se situe au deuxième rang des morts évitables en France. Si les chiffres de la santé sont bons dans notre pays, celui de 100 000 morts évitables est mauvais. Il faut donc promouvoir une véritable politique de santé publique, avec de la prévention et du dépistage. Cela donne tout son sens aux grandes réformes de santé que je veux engager.
Nous voyons également bien l'intérêt de régionaliser toutes ces politiques de santé - vous êtes sénatrice de la Réunion - et de les adapter aux réalités du terrain.
C'est pourquoi je souhaite confier des missions aux agences régionales de santé, afin de mener des politiques de santé publique adaptées. Cela prendra tout son sens dans la lutte que nous souhaitons mener contre l'alcoolisme, en particulier chez les jeunes.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la ministre, je vous remercie de toutes ces précisions.
À travers votre réponse, j'ai bien senti votre détermination à lutter contre ce problème.
Pour ma part, lors de l'examen du projet de loi relatif à la politique de santé publique, j'ai également fait voter des amendements qui tendaient à sensibiliser les jeunes sur le problème particulier du syndrome d'alcoolisation foetale. Il s'agissait d'inclure systématiquement ce thème dans les campagnes de prévention. Si elles sont de plus en plus nombreuses, on a tendance encore à occulter le sujet.
Certes, ce n'est pas le cas à la Réunion, mais, en l'occurrence, il s'agit plutôt de campagnes menées par des associations. En revanche, dans les campagnes organisées par les organismes d'État, le thème est malheureusement occulté.
Madame la ministre, nous allons organiser cette année le grand colloque international sur le thème du syndrome d'alcoolisation foetale que nous n'avions malheureusement pas pu réaliser l'année dernière, comme prévu. Nous comptons sur votre présence.
J'attends tout particulièrement les mesures que vous venez d'annoncer en faveur des jeunes.
Avenir des drones
M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix, auteur de la question n° 125, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie d'excuser mon retard, dû à des problèmes de signalisation à la SNCF. Je déplore l'absence de M. le ministre de la défense, même si j'en comprends la raison. Lors des questions orales, il est tout de même sympathique d'avoir le ministre en face de soi, mais je me contenterai de la réponse de Mme la ministre avec beaucoup de plaisir. (Sourires.)
L'entrée en service des trois appareils de reconnaissance du Système intérimaire de drones moyenne altitude longue endurance, dit SIDM, est retardée mois après mois, semestre après semestre, depuis le mois de mai 2006, date initialement prévue par vos services pour le début de son utilisation opérationnelle.
Ces appareils, sans présence humaine à bord, sont réalisés par la société EADS à partir d'un appareil de type Eagle produit par une société israélienne. La commande initiale du ministère français de la défense remonte au 16 août 2001 ! Cette commande visait à éviter la rupture capacitaire des moyens de surveillance de notre espace aérien, alors assurée par des drones Hunter, devenus trop coûteux à maintenir en vol à partir de la fin de 2004. Que d'années passent !
Je vous rappelle que des manifestations importantes comme le G8 d'Évian, en juin 2003, ou les cérémonies du soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie, en mai 2004, ont été sécurisées par la surveillance aérienne assurée par les drones Hunter.
À l'heure où quasiment tous les pays, occidentaux ou non, dotés d'une armée de qualité n'engagent leurs forces sur un champ de bataille qu'appuyées par des drones de reconnaissance, et sans revenir sur les nombreux aléas qui n'ont pas permis la mise à disposition prévue en mai 2006, il me semble discerner aujourd'hui une absence de volonté de notre pays de posséder une telle capacité de surveillance par des drones MALE. Ce renoncement semble remonter à l'échec du projet EuroMALE, conçu par la France pour réaliser un appareil de ce type en coopération européenne.
Nous apprenons incidemment que des industriels français développent des projets comme l'Advanced UAV en Allemagne. Mais ni le niveau de développement, ni l'engagement financier de ces projets ne sont clairement identifiés, sans parler de l'échéance de leur mise à disposition, ni du nombre d'appareils qu'il est envisagé de commander.
M. le ministre connaît mon attachement à doter nos armées de moyens de surveillance et de communications susceptibles de préserver nos forces sur le terrain, moyens qui sont à usage dual, puisqu'ils permettent aussi aux autorités civiles de surveiller des manifestations d'ampleur. Il faut que M. le ministre nous donne des éclairages précis sur sa volonté de doter notre pays d'une telle capacité.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord à excuser le ministre de la défense retenu, comme je l'ai dit tout à l'heure, aux obsèques des trois gendarmes décédés tragiquement vendredi dernier.
L'essor des technologies d'aéronefs sans pilote a donné naissance à plusieurs familles de drones aux applications variées, en fonction de leur vitesse, de leur altitude de vol et de leur endurance. Du mini-drone issu de l'aéromodélisme au drone endurant de la taille d'un avion de tourisme, toutes ces familles exploitent les atouts majeurs que constituent la réduction des risques humains et la permanence sur zone.
C'est ainsi que les systèmes de drones de surveillance ont pris une place importante dans notre dispositif de maîtrise de l'information sur les théâtres d'opération : l'analyse des images recueillies par leurs capteurs optique, infrarouge ou radar offre une aide précieuse à la décision.
Depuis plus d'une décennie, l'armée française met en oeuvre de tels systèmes dont les capacités s'améliorent significativement au fil des générations de matériels.
Si l'on met de côté les drones de combat, qui font l'objet d'une démarche de coopération européenne ambitieuse avec le démonstrateur Neuron, les programmes en cours se rangent en deux catégories : les drones tactiques et les drones endurants.
Votre question, monsieur le sénateur, porte sur les drones endurants et plus précisément sur le programme actuel, à savoir le Système intérimaire de drones moyenne altitude longue endurance, le SIDM, d'une part, et sur le programme futur Moyenne altitude longue endurance, dit « MALE », d'autre part.
Il est exact, monsieur le sénateur, que l'industriel a pris du retard dans la mise au point du SIDM. Composé de trois drones et d'un segment sol, le SIDM est actuellement testé au Centre d'expériences aériennes militaires de Mont-de Marsan, où il a fait son premier vol le 20 décembre dernier. La formation des futurs utilisateurs débutera en février, et la livraison à l'armée de l'air est prévue à l'été 2008.
Au-delà du SIDM, le programme MALE prépare la prochaine génération de drones endurants. L'objectif est d'apporter une plus grande capacité de surveillance de théâtre, avec des drones plus performants et plus nombreux.
Le projet de démonstrateur technologique « EuroMALE », annoncé lors du salon Eurosatory de 2004, n'a pas vu le jour faute d'avoir pu réunir trois partenaires majeurs afin d'en supporter le coût.
La société EADS a proposé une autre solution de nature à répondre aux besoins opérationnels de la France, de l'Allemagne et de l'Espagne.
Nos trois pays ont signé un arrangement technique en juillet 2007, afin d'approfondir la faisabilité de ce projet, et le contrat d'études a été notifié à la société EADS en décembre 2007.
L'engagement financier de la France est d'environ 20 millions d'euros, identique à celui de ses deux partenaires.
Voilà, monsieur le sénateur, la réponse que je souhaitais apporter, au nom de mon collègue Hervé Morin.
M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Je dois vous faire part de ma déception, car la description des technologies ne peut me satisfaire.
Je constate que nous avons de plus en plus d'hommes engagés sur le terrain. Aujourd'hui, avec les technologies qui sont mises en oeuvre sur le champ de bataille, il est nécessaire de n'engager nos troupes que lorsque nous savons ce qui se passe de l'autre côté de la ligne de démarcation.
Or, depuis maintenant quatre années, nous n'avons plus les moyens d'assurer la sécurité de l'engagement de nos troupes. Le retard pris dans un programme comme celui-là, qui pourrait très bien être inclus dans les investissements de nos armées, montre que nous n'avons pas su prendre les bonnes décisions.
Est-ce la faute de la DGA, des ministres successifs ? Il faut absolument que nous obtenions des réponses à ce sujet. Je vous demande de faire part de mon inquiétude à M. le ministre de la défense.
Pénurie de chirurgiens-dentistes en milieu rural
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque, auteur de la question n° 137, adressée à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
M. Dominique Mortemousque. Je tenais à attirer votre attention, madame la ministre, sur la pénurie des chirurgiens-dentistes en milieu rural. Selon une étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la DREES, le nombre de chirurgiens-dentistes en exercice, à ce jour de 40 300, diminuerait dans les années à venir pour arriver à un seuil de 27 000 en 2030.
Cette crise est de plus en plus sévère en milieu rural, où d'ores et déjà certains chirurgiens-dentistes ne trouvent pas de successeurs et ferment leur cabinet à leur départ à la retraite.
En conséquence, je vous demande quelles mesures vous entendez prendre pour éviter une pénurie de chirurgiens-dentistes, plus particulièrement en milieu rural.
J'ajouterai qu'en milieu rural personne n'est hostile à l'habilitation de personnes qui ne viennent pas de la métropole française. Je peux vous citer le cas d'un dentiste algérien qui n'a pas été admis par la commission ad hoc. L'examen qu'il avait passé a été annulé après la mise en cause de l'organisation des épreuves.
J'aimerais que vous puissiez nous rassurer en la matière, madame la ministre, parce que ce sont des raisons de déstabilisation pour le milieu rural.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Je réponds avec grand plaisir à M. Dominique Mortemousque, sénateur de la Dordogne, qui appelle l'attention du Gouvernement sur les problèmes de pénurie de l'offre de soins, qui sont très graves dans certains secteurs ruraux, mais également urbains,...
Mme Nicole Bricq. Tout à fait !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. ...et qui ne vont pas s'améliorer.
Les projections élaborées et publiées récemment par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la DREES, indiquent une diminution rapide, de plus d'un tiers en vingt-cinq ans, du nombre de chirurgiens-dentistes. Le numerus clausus de la profession a été fixé jusqu'en 2007 à 977 entrées en études dentaires. Sans correction de celui-ci, la densité de chirurgiens-dentistes passerait de 65 pour 100 000 habitants en 2006 à 40 pour 100 000 habitants en 2030.
J'ai donc proposé de remonter progressivement le numerus clausus pour atteindre un nombre de 1 300 chirurgiens-dentistes admis en première année d'ici à cinq ans, ce qui correspondrait à une augmentation de 33 % du nombre d'étudiants en première année par rapport au numerus clausus actuel.
Le numerus clausus de 2008 a d'ores et déjà été porté à 1 047 étudiants admis en deuxième année, soit une augmentation de 70 places. Leur répartition sur le territoire doit tenir compte des disparités régionales, mais aussi des capacités de formation de chaque unité de formation et de recherche. C'est déjà un premier outil d'aménagement du territoire.
On retrouve pour la répartition régionale les mêmes disparités que pour les médecins, avec une forte densité à Paris, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, dans le Sud-Ouest, et une faible densité dans le Nord-Pas-de-Calais et en Lorraine.
Tous les secteurs de la Dordogne ne sont sans doute pas concernés, monsieur le sénateur. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il convient d'exprimer les disparités et les évaluations des zones sous-denses et sur-denses beaucoup plus finement qu'au niveau régional. Une région bien dotée peut très bien avoir un canton périurbain ou rural mal doté.
La situation de la démographie des départements ruraux ou, d'une manière générale, des zones les moins bien desservies appelle une vigilance particulière.
C'est précisément le but de l'un des volets très importants de la politique de réforme de santé que je mène. Les états généraux de l'organisation de la santé, pilotés par Annie Podeur et par le professeur Yvon Berland, permettent d'aborder les questions relatives à la répartition des professionnels de santé sur le territoire.
J'étais moi-même à Rennes vendredi dernier pour faire la synthèse des travaux, avec des professionnels de santé, des associations d'usagers, des responsables de l'assurance maladie, des élus locaux. Les premières conclusions de cette journée d'échanges, qui fait suite à plus d'une centaine d'auditions, nous permettent de retenir toutes sortes de solutions, de préconisations et de nombreux points de convergence.
Pour répondre à votre question, nous en tiendrons compte avec les doyens pour la répartition des étudiants dans les différentes facultés d'odontologie.
Enfin, parallèlement à ces mesures, un programme est en cours d'élaboration pour renforcer les capacités de formation des unités de formation et de recherche en odontologie.
Pour ce qui concerne le cas particulier du praticien étranger que vous avez évoqué, cet examen a été annulé parce qu'il ne présentait pas les caractères de régularité requis. Il n'y avait donc aucune mesure spécifique à l'encontre de tel ou tel candidat, mais plutôt la volonté de respecter un certain nombre de règles.
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque.
M. Dominique Mortemousque. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de la précision avec laquelle vous avez répondu à la question que je vous ai posée, en évoquant chaque point aussi bien sur le long terme que sur le court terme.
Les élus se sont servi des outils que leur offre la loi d'aménagement du territoire afin de pouvoir rendre attractif l'exercice des professions médicales en milieu rural. Ils ont ainsi mis en place des maisons de santé et faciliter l'accès aux soins. Un proverbe dit : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Cela relevait donc de nos responsabilités. (Sourires.)
Il est également important, comme vous l'avez très justement dit, de faire du « cousu main » territoire par territoire, car les difficultés sont à géométrie variable. Ce matin, j'ai donc pu une nouvelle fois constater votre fine analyse du territoire.
C'est avec plaisir que j'ai écouté vos propos et c'est avec bonheur que vous serez accueillie en Périgord quand vous vous y rendrez. (Nouveaux Sourires.)
développement de l'énergie éolienne
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la question n° 118, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.
Mme Nicole Bricq. Madame la ministre, je sais que le sujet des énergies renouvelables ne vous est pas tout à fait étranger, même s'il n'entre plus aujourd'hui directement dans vos compétences.
Le Président de la République s'est engagé à « faire de la France le leader des énergies renouvelables, au-delà de l'objectif européen de 20 % de notre consommation d'énergie en 2020 ». Mais, dans mon département - j'ai également pu le constater dans d'autres départements -, les administrations concernées, par exemple les préfectures, ne semblent pas avoir pris en main les questions correspondant à cette ambition proclamée par Nicolas Sarkozy à la suite du Grenelle de l'environnement, en particulier pour ce qui est du développement de l'énergie éolienne.
Il faut savoir que les zones de développement de l'éolien, les ZDE, se heurtent à de nombreuses difficultés dans plusieurs départements. La confusion règne sur le plan local !
Des dossiers soigneusement préparés par des élus locaux dans le cadre du dispositif de concertation prévu par la réglementation sur les ZDE, souvent avec l'aval d'une majorité des habitants concernés, sont rejetés malgré plusieurs années de travail préparatoire.
Les recommandations techniques changent ou s'empilent à une vitesse bien plus élevée que celle qui correspond à l'élaboration et à la réalisation d'une zone de développement de l'éolien.
La durée d'instruction de l'étude d'impact pour obtenir le permis de construire dépasse largement les délais réglementaires atteignant dans de nombreux départements souvent plus de deux années.
Dans mon département de Seine-et-Marne, compte tenu de la méthodologie préconisée par les services préfectoraux et de la cartographie qui en découle, le développement de l'éolien s'annonce minimal. Pourtant, ce département s'étend sur la moitié de la région d'Île-de-France, première région consommatrice d'électricité, et accueille ainsi une grande part du potentiel éolien francilien.
Dans un tel contexte, il semble difficile que la France atteigne ses objectifs de production d'énergies renouvelables.
Pour ces raisons, locales et nationales, j'aimerais savoir si l'État va prendre ses responsabilités dans le développement de l'éolien et si des prescriptions précises seront envoyées aux préfets en ce sens.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, ma première intervention en tant que ministre de l'écologie et du développement durable en 2002 avait eu lieu ici même, au Sénat, dans le cadre d'un texte relatif à l'implantation des éoliennes. C'est donc avec un très grand plaisir que je répondrai à votre question, mais, cette fois-ci, au nom de M. Jean-Louis Borloo.
Le Grenelle de l'environnement a arrêté, lors des tables rondes du mercredi 24 et du jeudi 25 octobre 2007, la mise en place de plusieurs programmes sur les thèmes de l'énergie, du changement climatique, de la préservation de la biodiversité ainsi que de la prévention des effets de la pollution sur la santé. L'ambition a été affichée d'augmenter de 20 millions de tonnes équivalent pétrole la production d'énergie renouvelable en 2020 et d'atteindre une proportion d'au moins 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.
Parmi toutes les énergies renouvelables productrices d'électricité, l'énergie éolienne est celle qui présente le plus grand potentiel de développement à court terme.
La puissance éolienne installée en métropole s'élevait à la fin de 2007 à plus de 2 000 mégawatts, soit trois fois plus qu'en 2005. La France est devenue le troisième pays européen en termes de marché annuel.
Selon la dernière enquête réalisée par le ministère de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, qui couvre la période du 1er février 2006 au 1er février 2007, environ 300 permis de construire ont été délivrés, ce qui représente une puissance de 1 500 mégawatts environ. À cela s'ajoutent 900 demandes de permis qui étaient en cours d'instruction par les services de l'État pour une puissance de plus de 5 000 mégawatts. Ces chiffres encourageants montrent qu'une dynamique pérenne de l'éolien a été installée en France.
Pour le département de Seine-et-Marne, 8 projets totalisant 40 mégawatts déposés entre le 1er février 2006 et le 1er février 2007 étaient en cours d'instruction au 1er février 2007. Il est à noter qu'aucun permis de construire n'a été refusé au cours de cette période.
Bien évidemment, le développement de l'énergie éolienne doit être maîtrisé, avec le souci constant du respect des milieux naturels, des paysages, du patrimoine et du cadre de vie. Faute de respecter ces conditions, le développement de l'énergie éolienne se heurterait à l'hostilité de nos concitoyens et s'en trouverait compromis.
Madame la sénatrice, je transmettrai à M. Jean-Louis Borloo vos observations, qui, si j'ai bien compris, relèvent non pas d'une remise en cause de la réglementation, mais plutôt du souhait que celle-ci soit appliquée sans tarder et sans se réfugier derrière des arguties.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Je ne partage pas du tout le diagnostic qui vient d'être posé. Je ne pense pas que l'on puisse parler de dynamique de l'éolien, au contraire !
Il s'agit certainement de l'énergie renouvelable la plus difficile à mettre à oeuvre. Tout d'abord, il faut convaincre les habitants et les élus. Ensuite, une fois que toutes les conditions sont réunies, on se heurte à des prescriptions confuses : les préfets n'appliquent pas la réglementation de la même manière d'un département à l'autre. Je demande donc au Gouvernement de prescrire des recommandations très claires afin que ce choix politique soit enfin mis en oeuvre.
Tout le monde le sait, l'énergie éolienne peut représenter à terme 15 % de l'énergie électrique dans notre pays. Or nous sommes très en retard en la matière. La France se fait d'ailleurs régulièrement tancer par la Commission européenne, et cela a encore été le cas très récemment.
Pour ma part, je pense qu'il y a une sorte de consensus négatif contre cette énergie. Elle pourrait parfaitement se développer sur nos territoires. Qui plus est, ce serait une source de revenus pour les collectivités locales.
J'ai visité des champs d'éoliennes dans l'Aisne, à peine à une cinquantaine de kilomètres de mon département. Or tout le monde en était satisfait, aussi bien les élus, qui trouvaient là une ressource non négligeable pour leurs finances locales, que leurs administrés, qui bénéficient indirectement des retombées grâce à une pression fiscale moindre. Et leur environnement n'en est pas détruit pour autant !
Sans une volonté politique et des prescriptions claires des services de l'État, nous aurons du mal à faire décoller cette énergie.
enlèvement international d'enfants : droit de garde et droit de visite transfrontière
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la question n° 105, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cette question, que j'ai déposée il y a plus de quatre mois, s'adressait effectivement à Mme la garde des sceaux. Or j'ai appris hier qu'elle ne pourrait pas être présente ce matin. Je le regrette beaucoup. Néanmoins, je reste confiante dans la réponse que me communiquera Mme Bachelot-Narquin, dont j'apprécie beaucoup la compétence et dont je connais l'intérêt pour ces sujets.
Les enlèvements ou déplacements internationaux d'enfants avec a fortiori aucun accès pour l'un des parents à l'enfant enlevé sont un problème récurrent très grave qui ne cesse de s'accroître. Malheureusement, l'application des conventions multilatérales censées régler ces situations s'avère souvent inefficace, ce qui constitue un véritable mépris des droits de l'enfant tels que reconnus par l'ONU.
La convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants - avec 80 États contractants -, qui vise au retour des enfants déplacés et au respect des droits de garde et de visite, n'atteint pas toujours son objectif, comme l'a souligné la commission spéciale de la conférence de La Haye, qui s'est réunie en novembre 2006.
Malgré l'obligation qui est faite aux autorités centrales des États contractants, le droit de visite transfrontière visé à l'article 21 n'est pas toujours assuré. Beaucoup de nos compatriotes, notamment des femmes, dans l'incapacité d'assumer les frais très élevés de justice dans certains pays comme les États-Unis, ne bénéficient pas de l'assistance juridique et juridictionnelle telle qu'inscrite à l'article 25.
La barrière de la langue et la complexité des systèmes juridiques étrangers motivent souvent le retour d'un parent avec ses enfants dans son pays où il pense de bonne foi pouvoir mieux se défendre. L'État peut-il accepter de renvoyer un enfant dans un pays requérant son retour sans avoir en échange la garantie que le parent français pourra s'y défendre et y exercer son droit de visite de manière effective ?
Avec l'entrée en vigueur, en mars 2005, du règlement européen relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, dit « Bruxelles II bis », l'application directe d'ordonnances de justice d'un État membre dans un autre État membre peut s'avérer catastrophique lorsque les décisions sont prises unilatéralement, dans le secret et en l'absence de tout débat contradictoire. En Allemagne, par exemple, les décisions du juge administratif local, le Jugendamt, sont applicables directement au parent étranger sans qu'il n'ait été procédé à son audition.
D'autres difficultés proviennent de la diversité des approches en droit de la famille : certains États n'admettent pas le principe de l'autorité parentale conjointe ou ne reconnaissent pas la filiation au père d'un enfant né hors mariage. En matière de recouvrement de pensions alimentaires, n'est-il pas choquant que nos tribunaux acceptent l'exequatur sans tenir compte du fait que le parent débiteur en raison de l'obstruction de l'autre parent est empêché d'exercer son droit de visite par le parent en ayant la garde ?
Madame la ministre, face à ces situations douloureuses, quelles dispositions le Gouvernement a-t-il prises ou envisage-t-il de prendre ? Des mesures comme l'octroi d'une aide juridictionnelle aux parents dans l'incapacité financière de défendre leurs droits à l'étranger, l'utilisation de vidéoconférences pour ceux qui n'ont pas les moyens de se déplacer devant des juridictions étrangères - j'ai mentionné tout à l'heure les États-Unis - la formation des juges en droit international de la famille à l'École nationale de la magistrature et la nomination dans toutes les cours d'appel d'un magistrat compétent en matière de déplacements internationaux d'enfants paraissent indispensables.
Alors que la France vient de ratifier la convention de La Haye de 1996, ne conviendrait-il pas que nos tribunaux prennent mieux en compte l'intérêt supérieur de l'enfant en s'assurant, avant de rendre leurs décisions, que le contact d'un enfant avec ses deux parents sera effectif, notamment par l'usage d'un véritable droit de visite transfrontière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, si pleine d'humanité. Derrière les problèmes techniques que vous évoquez se trouvent des familles, des enfants qui souffrent. Vous en avez parlé avec beaucoup de délicatesse et une grande connaissance.
Vous soulevez une question importante, qui concerne les enfants des familles binationales et qui se traduit très souvent par des situations dramatiques. La ministre de la justice, Mme Rachida Dati, y est particulièrement attentive et, comme moi, très sensibilisée.
Ces situations sont juridiquement très complexes, car elles font intervenir, comme vous l'avez dit, des législations différentes.
Il y a déjà eu des avancées ; vous les avez évoquées.
C'est la convention de La Haye qui lie la France depuis 1983. Elle vise à assurer le retour d'un enfant illicitement déplacé au lieu de sa résidence habituelle. Elle protège le droit de visite du parent avec lequel l'enfant ne vit pas habituellement. Elle permet d'organiser l'exercice effectif de ce droit.
C'est pourquoi il est important qu'un bilan régulier soit fait de son fonctionnement pour que les autorités des États soient alertées en cas de dysfonctionnement.
Cette convention a été complétée pour l'Union européenne par un règlement de 2003, appelé « Bruxelles 2 bis ». Ce texte n'avait pas pour objet de modifier le droit de la famille applicable au sein de chaque État membre. Il établit des règles de compétence des juridictions en matière de droit familial.
Enfin est intervenue la convention de La Haye de 1996 sur la responsabilité parentale et la protection des enfants.
La loi autorisant sa ratification a été adoptée. Elle n'est pas encore expressément ratifiée, car il s'agit d'une matière entrant dans le droit communautaire. La France est dans l'attente de la décision de la Commission. Tout sera mis en oeuvre, dans son application, pour que l'intérêt de l'enfant soit pris en compte et que les droits de visite soient respectés.
Les textes le rappellent pour les juridictions françaises, mais nous ne pouvons pas nous opposer à des décisions prises par les juridictions d'autres États alors que nous nous sommes engagés à les reconnaître.
Le Gouvernement a conscience qu'il faut aller plus loin et plus vite.
Tout d'abord, le parent dont l'enfant est victime d'un déplacement peut solliciter, dans l'autre État, l'assistance d'un avocat. Dans ce domaine, de nombreuses conventions facilitent l'accès international à la justice.
La France est signataire de près de cinquante conventions bilatérales. Elle est aussi partie à plusieurs conventions multilatérales et aux accords européens issus d'une directive de 2003.
À chacun de ses déplacements à l'étranger, la ministre de la justice, garde des sceaux, s'entretient des déplacements illicites d'enfants avec mes homologues étrangers. Elle l'a fait au Maroc et en Algérie notamment, afin d'évoquer des cas très douloureux dont le ministère de la justice avait été saisi.
Enfin, vous avez raison de souligner, madame la sénatrice, l'importance du droit international dans la formation des magistrats.
Des sessions de formation continue sont organisées par l'École nationale de la magistrature. Il faut aussi renforcer la dimension internationale de la formation des élèves magistrats.
Vous avez, madame la sénatrice, indiqué un certain nombre de pistes de réflexions. Vous avez fait des propositions très concrètes. Bien entendu, je les transmettrai à ma collègue Mme Rachida Dati pour qu'elle les examine et qu'elle détermine la suite à leur donner.
Vous le voyez, ces préoccupations sont déjà prises en compte. Le Gouvernement s'attachera à les promouvoir au cours de la prochaine présidence française de l'Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui témoigne de votre attachement personnel à ces questions et à la résolution de ces cas extrêmement difficiles.
Je vous sais gré, également, de transmettre mes propositions à Mme la garde des sceaux.
À l'occasion de sa présidence de l'Union européenne, la France pourrait, effectivement, apporter beaucoup. Nous avons vraiment un travail à faire sur ces sujets. Une initiative française qui consisterait, par exemple, en une évaluation de tous ces problèmes, pour établir ensuite le bilan de l'ensemble des cas difficiles sur le plan européen, serait utile.
Il serait également bon de mettre en place des initiatives pour que les choses se passent dans la transparence et qu'il y ait une certaine harmonisation de nos juridictions en matière de garde et de droit des enfants.
Certains pays ont des dispositions très anciennes. Il y existe des obstacles liés à la nature de leur droit interne. Cependant, madame la ministre, comme vous l'avez dit, il faut absolument que le droit des enfants soit le premier élément pris en considération. Le droit d'un enfant à ses deux parents doit aller bien au-delà des intérêts nationaux et des juridictions internes.
devenir de l'entreprise areva t & d à montrouge
M. le président. La parole est Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 140, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je regrette l'absence de Mme Christine Lagarde. J'espère que ce n'est pas une marque de désintérêt de sa part pour ce sujet très important !
Monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, depuis le 10 janvier, 90 % des salariés de l'usine AREVA T & D à Montrouge sont en grève. Ils protestent contre la décision d'AREVA de fermer ce site spécialisé dans la fabrication de transformateurs à haute tension.
La direction met en avant des pertes opérationnelles de plus de 11 millions d'euros. Pourtant, le groupe AREVA se porte bien. Son chiffre d'affaires est en hausse de plus de 10 milliards d'euros en 2006.
Il s'agit d'une augmentation liée, essentiellement, à la hausse des cours de l'uranium et à la forte progression de l'activité de transmission et de distribution, celle-là même qui nous intéresse aujourd'hui.
Le pôle de transmission et de distribution a signé de fructueux contrats au Qatar, en Lybie, en Chine, en Arabie saoudite et, tout récemment, en Inde.
Au même moment, les quatre-vingt-neuf salariés d'AREVA-Montrouge vont être laissés sur le carreau.
Cette fermeture constituera un terrible gâchis humain et industriel.
Ce sera un gâchis humain, car les perspectives de reclassement pour les salariés s'avèrent difficiles, voire impossibles ; du fait de la pyramide des âges, de l'absence de politique de formation et de la situation de désindustrialisation de la région parisienne.
Après la fermeture de Montrouge, il n'y aura plus de site de fabrication de ce type en France. Les salariés s'inquiètent donc.
Par ailleurs, cette fermeture aura des répercussions locales. Ainsi, sur le seul site d'AREVA-Montrouge, 109 entreprises extérieures interviennent.
Après le départ de Schlumberger, d'Orange et d'Ela Medical, Montrouge sera bientôt un désert industriel, au point que les commerçants de la ville, les habitants et, depuis peu, le maire sont solidaires des grévistes !
Il s'agit également d'un gâchis industriel très inquiétant.
Le marché du transport d'électricité en Europe a de beaux jours devant lui, notamment en France.
Or, avec cette fermeture, AREVA prive EDF d'un laboratoire de haute tension comprenant les équipements et l'expertise d'un service de recherche et de développement de haut niveau nécessaires à la surveillance et à la maintenance de l'important parc installé, donc à la pérennité et à la sécurité du transport de l'énergie.
Le parc actuel comporte de nombreux transformateurs de mesure anciens, pour lesquels l'absence de surveillance peut entraîner la défaillance, voire, à l'extrême, l'explosion !
On ne peut que comprendre la réaction des salariés d'occuper l'usine. Cette occupation a duré treize jours, jusqu'à ce que la direction assigne trente et un grévistes en justice. Cette procédure d'intimidation ne visait, en fait, qu'à obtenir la fin de l'occupation. C'est chose faite depuis mardi dernier.
Un médiateur a été nommé, et je viens d'apprendre qu'il a décidé de se retirer.
La grève continue, la direction émettant toujours des propositions a minima sur le reclassement et le dédommagement des salariés.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d'État, quelles garanties l'État, actionnaire à 91 % d'AREVA, compte apporter aux salariés pour que la direction accepte de mener de réelles négociations.
Permettez-moi également de rappeler les engagements pris par Anne Lauvergeon en décembre dernier devant des députés. Elle a affirmé : « AREVA ne laisse jamais personne sur le bord du chemin et met tout en oeuvre [...] pour que chaque salarié retrouve un travail. »
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Madame le sénateur, vous avez appelé l'attention de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sur la situation de l'établissement AREVA T & D à Montrouge, dont les salariés sont en grève depuis le début du mois de janvier. Elle m'a chargé de vous présenter ses excuses pour son absence et de vous répondre à sa place.
La société AREVA T & D, qui a en charge le pôle de transmission et de distribution du groupe, a annoncé en septembre 2007 son intention de fermer le site de Montrouge, qui emploie quatre-vingt-neuf salariés, à compter du 31 août 2008. En effet, ses résultats sont négatifs depuis plusieurs années, malgré un effort important de ses salariés, ce qui démontre, aux yeux de la direction d'AREVA, l'absence durable de rentabilité du site.
À la suite de l'annonce de l'engagement de la procédure de fermeture par la direction d'AREVA le 11 janvier dernier, les salariés ont décidé de bloquer le site en exigeant le retrait de ce projet.
L'usine de Montrouge avait déjà connu un conflit social au mois de novembre 2007, avec blocage du site.
Les négociations locales informelles avec l'appui des pouvoirs publics n'ont pas permis de trouver une réponse aux revendications des salariés, notamment sur le niveau des mesures de reclassement et le montant de l'indemnité de licenciement proposé par la direction.
Une délégation des salariés, accompagnée de Mme la députée Marie-Hélène Amiable, a été reçue au cabinet de Christine Lagarde le 23 janvier dernier. Cette réunion a permis de renouer le dialogue entre les parties. Elle a eu pour effet immédiat l'annulation de la procédure de référé engagée par l'entreprise pour libérer l'accès au site, le déblocage de l'usine et la reprise des négociations le lendemain sous la médiation du directeur départemental du travail et de l'emploi.
Les négociations se poursuivent et le Gouvernement, dont l'intervention a contribué à renouer le dialogue entre les parties, espère que ces dernières trouveront maintenant rapidement un accord pour élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi équilibré permettant le retour à l'emploi de l'ensemble des salariés dont le poste est supprimé à la suite de la décision de fermeture du site.
Je vous prie de croire, madame le sénateur, que Christine Lagarde se tient personnellement et quotidiennement informée par ses conseillers de l'évolution de ce dossier, et que le Gouvernement est totalement mobilisé.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je tiens à ajouter quelques mots pour réagir à la réponse de M. le secrétaire d'État et pour insister sur les conséquences de la décision d'AREVA.
Il s'agit d'une situation assez classique qui aura, malheureusement, des répercussions sur le plan humain, en raison de l'état de la pyramide des âges que j'ai évoqué, mais aussi de la non-anticipation de la restructuration, via un plan de formation de salariés très spécialisés, et du non-investissement à Montrouge. Tous ces éléments risquent d'empêcher ces personnels - quatre-vingt-neuf employés - de retrouver du travail.
Je tiens également à rappeler qu'il n'y aura plus aucun site de ce type en France et à insister sur le cynisme avec lequel on a obligé ces salariés hautement qualifiés à former des ingénieurs pour d'autres sites. Tout cela, bien évidemment, pour répondre à la sacro-sainte exigence de baisse du coût du travail !
Cette fermeture aura également des répercussions sur le plan industriel. Elle cache, en fait, une délocalisation orchestrée de la production en Allemagne, où AREVA a acquis Ritz Haute Tension, qui fabrique les mêmes produits. Reste à savoir si cette usine parviendra au même degré de certification, et donc de sécurité, pour les objets produits !
Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, pour justifier cette décision, AREVA invoque des raisons économiques et la petitesse du site.
Or, ainsi que vous l'avez souligné, un plan de redressement a été mis en place, qui a porté ses fruits puisqu'en un an les pertes sont passées de 1 million à 123 000 euros. J'insiste sur le fait que les salariés s'y sont particulièrement investis.
Je rappelle que, parallèlement, AREVA n'hésite pas à engloutir des sommes importantes pour ses investissements à l'étranger.
Je souligne également que le cabinet d'expertise comptable Secafi Alpha, mandaté par le comité d'entreprise, avait relevé des lacunes surprenantes, notamment l'absence de chiffrage du coût global prévisionnel du projet de liquidation du site. C'est pourquoi je pense que, lorsqu'on invoque des pertes, il faut tout prendre en compte.
Enfin, je me demande si la décision de fermer le site de Montrouge n'a pas été prise a priori, en faisant l'hypothèse de la rentabilité du projet sans en apporter la démonstration comme l'exige le livre IV du code du travail.
On doit s'interroger également, au final, sur le coût social pour la collectivité de la mise au chômage probable de salariés. Cela pose, une nouvelle fois, la responsabilité sociale de certains grands groupes à l'image d'AREVA, entreprise publique qui plus est !
Je sais que, cet après-midi, les négociations doivent reprendre. Je vous invite, monsieur le secrétaire d'État, à intervenir auprès de la direction d'AREVA pour que ces négociations aboutissent, et ce dans le sens de celles qui ont eu lieu précédemment sur le site de Saint-Ouen.
financement des infrastructures communes de génie civil pour les lignes de télécommunications
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, auteur de la question n° 128, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.
M. Simon Sutour. Dans le courant de l'année 2007, l'État s'est désengagé du financement des infrastructures communes de génie civil pour l'enfouissement des lignes de télécommunications.
Dans le département du Gard, comme dans plusieurs autres départements, l'enfouissement de réseaux de distribution d'électricité s'effectue en coordination avec les réseaux de télécommunications placés sur appuis communs, dans le cadre d'une convention signée entre le syndicat à cadre départemental d'électricité du Gard, le conseil général et France Télécom pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 2224-35 du code général des collectivités territoriales.
Le suivi de cette convention, dans le cadre d'un comité ad hoc associant les membres du bureau syndical, des représentants du conseil général et de l'opérateur de télécommunications, a permis jusqu'à présent de trouver des solutions ponctuelles aux difficultés résultant de l'application de cette convention.
Pour autant, les retards fréquents constatés dans l'enfouissement des câbles par nos collectivités adhérentes influent sur le cadre de vie des administrés et risquent de pénaliser les maîtres d'ouvrage des travaux d'électrification rurale dans la gestion de leurs crédits assujettis à des contraintes de consommation des subventions dans des délais stricts.
France Télécom, sous la maîtrise d'ouvrage duquel sont réalisés les travaux de câblage, devrait adapter ses moyens humains et budgétaires à la charge de travail résultant de l'effort des collectivités et de leurs partenaires financiers que sont le fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, et EDF.
De plus, le récent désengagement de l'État dans le financement des infrastructures communes de génie civil fait reposer sur les communes une part croissante de leur financement.
L'article 30 de la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie dispose qu'un arrêté des ministres chargés des communications électroniques et de l'énergie déterminant la proportion des coûts de terrassement pris en charge par l'opérateur de communications électroniques devra être pris au plus tard six mois après la publication de la présente loi.
Cet arrêté qui permettrait de compenser, à tout le moins partiellement, le désengagement de l'État n'a toujours pas été publié alors que la loi a, elle, été publiée au Journal officiel le 8 décembre 2006 !
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, si le Gouvernement compte faire accélérer le processus réglementaire qui permettrait de pallier le désengagement de l'État en matière de financement des travaux de génie civil de télécommunications.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur Sutour, les retards que vous signalez dans l'enfouissement des câbles résultent selon vous d'une inadaptation des moyens humains et budgétaires mis en oeuvre par France Télécom pour réaliser ces travaux.
S'agissant du premier élément, à savoir les moyens humains que l'opérateur mobilise, je répondrai que ceux-ci relèvent de sa seule responsabilité, dès lors qu'il respecte les obligations qui lui incombent.
Pour ce qui est des moyens financiers, le code général des collectivités territoriales, dans son article L. 2224-35, énumère les catégories de coûts pris en charge par un opérateur lorsqu'une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération compétent prend l'initiative de remplacer par une ligne souterraine une ligne aérienne sur laquelle cet opérateur a été autorisé à installer un ouvrage aérien non radioélectrique.
La loi renvoie ainsi à une convention conclue entre la collectivité ou l'établissement public de coopération et l'opérateur la fixation de la participation financière de celui-ci.
Un accord passé entre France Télécom, l'Association des maires de France et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies sur l'enfouissement coordonné des réseaux d'électricité et de communications électroniques propose aux collectivités publiques un modèle de convention afin de faciliter et d'accélérer l'enfouissement coordonné des réseaux.
La mise en oeuvre de cette convention a cependant soulevé un certain nombre de difficultés, en particulier concernant le partage des coûts de terrassement, en raison de divergences d'interprétation de la loi.
Une disposition législative a donc modifié cet article pour ce qui est des coûts de terrassement et prévoit effectivement qu'un arrêté des ministres chargés des communications électroniques et de l'énergie détermine la proportion des coûts pris en charge par l'opérateur des communications électroniques.
Cet arrêté, en cours d'élaboration, fait actuellement l'objet de concertations avec les différents acteurs concernés. La ministre de l'économie et des finances, Mme Christine Lagarde, veillera à ce qu'il soit publié prochainement, après consultation de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la commission parlementaire compétente dans ce domaine, la commission consultative des réseaux et services de communications électroniques.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse.
Vous nous avez rappelé un certain nombre d'éléments que, bien évidemment, nous connaissions mais, pour ma part, je tiens à revenir sur l'arrêté. En effet, au moment où l'on parle de revaloriser le rôle du Parlement, il ne faut pas oublier que l'application de la loi par le Gouvernement est la première manifestation du respect de ce rôle.
La loi prévoit qu'un arrêté doit être pris dans les six mois après la promulgation de la loi. Alors que celle-ci a été promulguée le 8 décembre 2006 - nous sommes donc largement au-delà du délai prescrit -, vous m'expliquez que cet arrêté va prochainement être publié mais qu'il est encore en cours d'élaboration.
Je vous remercie de nous laisser entrevoir une perspective de publication, qui ne serait finalement que le respect de la loi. En l'occurrence, ce respect de la loi aurait des conséquences très importantes pour l'ensemble de nos collectivités territoriales. Tant que cet arrêté ne sera pas pris, les communes seront dans l'incertitude quant au niveau des financements qui seront apportés pour l'enfouissement de ces réseaux.
Je souhaite donc que cet arrêté, qui est prévu par la loi, soit publié prochainement et que les paroles que vous venez de prononcer se traduisent enfin dans la réalité.
banalisation du livret a
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, en remplacement de M. Gérard Delfau, auteur de la question n° 134, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, vous me permettrez, en la circonstance, d'être la voix de mon excellent collègue et ami Gérard Delfau, qui m'a demandé ce matin de le remplacer.
M. Delfau souhaite en effet attirer l'attention de Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi sur l'ultimatum de la Commission européenne concernant la banalisation du livret A.
Symbole de la collecte de l'épargne populaire, le livret A compte 45 millions de titulaires. Il constitue, pour certains, le seul outil financier dont ils disposent encore. Ses vertus sont nombreuses : il représente la sécurité pour ses bénéficiaires, qui n'ont jamais été spoliés depuis 1884 ; il est peu coûteux pour les finances publiques ; ses fonds financent la construction du logement social grâce à une gestion sécurisée par la Caisse des dépôts.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne doit pas céder aux pressions de la concurrence européenne. Si le livret A était laissé aux mains du secteur bancaire privé, non seulement ses fonds seraient siphonnés et transférés vers des placements plus rentables, mais la principale source de financement de la construction de logement social se réduirait comme une peau de chagrin, alors que la demande n'a jamais été aussi forte et l'opinion publique aussi mobilisée en la matière.
Concrètement, que vont devenir les mesures du plan Borloo, dont le financement repose à 80 % sur le livret A, l'engagement à produire le double de logements sociaux ou encore le programme national de rénovation urbaine ?
N'oublions pas non plus La Poste, distributeur historique du livret A - 15 % de son chiffre d'affaires -, qui assoit sur cette activité le financement de son réseau en zone rurale et dans les quartiers sensibles. Le Gouvernement a-t-il décidé de fermer des milliers de bureaux de poste ?
Enfin, dernier aspect préoccupant : la centralisation des fonds par la Caisse des dépôts qui en gère l'affectation pour le logement social va-t-elle disparaître au profit des banques privées et de leurs actionnaires ?
Pour toutes ces raisons, M. Delfau estime que la banalisation du livret A serait lourde de conséquences sociales et d'injustice pour la majorité des Français. C'est pourquoi il en appelle à une politique du logement social ambitieuse et respectueuse de l'intérêt général contre la seule logique du profit et de la libre concurrence, et demande au Gouvernement quelles mesures il compte prendre pour répondre à la Commission européenne concernant le livret A.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le sénateur, le Premier ministre a publié à la fin de décembre le rapport que lui a remis Michel Camdessus et dans lequel sont proposées des évolutions du livret A.
Ce rapport intervient alors que la Commission européenne a demandé à la France de mettre fin aux dispositions législatives qui réservent la distribution du livret A à La Poste, aux caisses d'épargne et au Crédit mutuel.
Le constat y est fait que le système actuel du livret A s'essouffle. Il ne permet plus aujourd'hui d'offrir au logement social un financement bon marché. Partant de ce constat, Michel Camdessus propose au Gouvernement un certain nombre d'orientations.
D'abord, il observe que la généralisation de la distribution du livret A demandée par la Commission serait l'occasion de diffuser plus largement un produit d'épargne populaire, comme vous l'avez rappelé, auquel les Français sont très attachés. Voilà qui serait bon pour nos concitoyens.
II remarque ensuite que cette évolution constitue une occasion de réduire le coût de financement du logement social tout en préservant l'accessibilité bancaire de tous les Français. Michel Camdessus propose en réalité de transformer la demande de la Commission en une chance pour le financement du logement social et l'accessibilité bancaire.
Michel Camdessus affirme également que les mesures qu'il propose permettraient à terme de réduire de 1 milliard à 2 milliards d'euros par an les coûts de financement pour le logement social. Vous le savez, le Gouvernement est fermement décidé à s'attaquer à la pénurie de logement. Le Président de la République l'a encore rappelé dans son discours de Vandoeuvre-lès-Nancy en réaffirmant sa détermination à permettre la construction de 500 000 nouveaux logements par an, dont 120 000 logements sociaux.
C'est la raison pour laquelle nous devons faire preuve d'audace et examiner attentivement les propositions de Michel Camdessus, qui peuvent contribuer puissamment à soutenir la politique du Gouvernement.
M. Camdessus nous dit que le maintien du statu quo serait défavorable au logement social. Le Gouvernement a donc décidé d'étudier les pistes de réflexion contenues dans ce rapport ; il présentera ensuite des propositions et procédera à une consultation très large. Si une réforme du livret A peut être une chance pour le logement social, nous saisirons cette occasion !
Le Président de la République a posé des conditions à la généralisation de la distribution du livret A, qui constituent les lignes rouges que se fixe le Gouvernement : une réforme du livret A devra tout d'abord contribuer à améliorer les conditions de financement du logement social ; elle devra ensuite garantir la mission d'accessibilité bancaire aujourd'hui remplie par le livret A ; enfin, elle ne devra pas remettre en cause les équilibres financiers des établissements qui distribuent le livret A.
S'agissant du rôle de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, qui est aujourd'hui, vous le savez, un acteur pivot du financement du logement social, le Gouvernement souhaite le préserver. À la fin du mois de décembre 2007, Christine Lagarde a rencontré, 360 cadres de la CDC pour leur témoigner de la confiance du Gouvernement et leur communiquer ses attentes en la matière. Elle a été très claire : la réforme du livret A est une chance pour le logement social, nous devons la saisir collectivement.
Comme dans toute réforme, monsieur le sénateur, des curseurs devront être fixés. Le Gouvernement sera ouvert au dialogue avec la Caisse des dépôts et consignations, notamment la commission de surveillance, ainsi qu'avec l'ensemble des acteurs concernés, pour que cette réforme soit la plus efficace possible au regard des objectifs que je vous ai décrits.
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Je tiens à vous remercier de votre réponse, monsieur le ministre, ainsi que des précisions que vous avez apportées. Je me garderai d'exprimer la pensée de mon collègue Gérard Delfau, qui ne manquera pas de réagir à la lecture de votre réponse.
Pour ce qui me concerne, j'ai noté que le logement social restait une des priorités du Gouvernement et qu'il en va de même pour l'accessibilité bancaire. J'ai surtout retenu que le Gouvernement se livrerait à un examen attentif du rapport de Michel Camdessus et que consultation et dialogue sont inscrits à son programme, si vous me permettez l'expression !
baisse des crédits du fonds social européen
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, auteur de la question n° 136, adressée à Mme la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le secrétaire d'État, je voulais attirer l'attention de madame la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi sur la baisse des crédits du Fonds social européen, le FSE.
Ces dotations, attribuées pour financer les actions d'insertion dans le cadre d'une subvention globale, sont notamment gérées par les conseils généraux au travers du plan départemental d'insertion. Depuis le 1er juillet 2007, une nouvelle programmation des crédits est engagée pour la période 2007-2013 ; elle traduit une réduction de 40 % du montant total des crédits alloués aux départements.
Vous le savez, cette enveloppe financière présente deux volets, l'un destiné aux bénéficiaires relevant des plans locaux pour l'insertion et l'emploi, les PLIE, essentiellement les communautés d'agglomérations, et l'autre destiné aux bénéficiaires relevant du plan départemental d'insertion, le PDI. Dès lors, face au refus de globaliser les crédits venant abonder ces deux volets et en l'absence d'une définition de critères de répartition plus équitables pour les territoires ruraux, ces derniers se trouvent aujourd'hui extrêmement défavorisés, alors même qu'ils doivent faire face à des charges très lourdes, comme la reconversion de bassins en crise.
Je peux en témoigner directement puisque, dans le département de l'Ariège, dont je suis l'élu, la subvention globale s'établit ainsi à 2 millions d'euros pour six ans, ce qui représente une baisse de 52 % par rapport à la programmation précédente.
Ces diminutions drastiques - on pourrait même parler de coupes franches -, ne sont pas sans conséquences pour tous les acteurs de l'insertion. Ainsi, la baisse des crédits pour les structures d'insertion par l'activité économique, qui jouent un rôle essentiel, engendre une situation financière extrêmement compliquée et met en péril à la fois l'ensemble des missions et l'emploi direct. La situation est identique pour les « lieux ressources », les entreprises d'insertion ou les associations intermédiaires, ces dernières bénéficiant exclusivement des crédits du Fonds social européen.
Ainsi, au moment où toutes ces structures, notamment les structures d'insertion par l'activité économique, voient leur efficacité unanimement reconnue sur le terrain de la lutte contre l'exclusion et où elles se voient confier l'intégration professionnelle des salariés en difficulté, l'État ne compense pas la perte des crédits. Par cette décision, le Gouvernement laisse en quelque sorte les départements assumer seuls leurs responsabilités ; c'est le cas en Ariège, puisque les crédits alloués aux différentes structures sont maintenus par le conseil général.
Mais le département ne peut pas tout faire tout seul. Fort de ce constat, je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, quelles dispositions vous comptez prendre pour, d'une part, rétablir une répartition plus équitable des crédits entre les territoires et, d'autre part, faire en sorte que les différents acteurs de l'insertion, en situation difficile, aient des raisons d'espérer.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le sénateur, compte tenu de l'élargissement de l'Union européenne, l'enveloppe du Fonds social européen, le FSE, dont disposera la France pour la prochaine programmation sur la période 2007-2013 est en réduction de 27,34 % par rapport à la programmation précédente. En tant qu'élus, nous nous devons d'intégrer cette donnée, quel que soit notre niveau de responsabilité, national, régional ou local.
Dans ce contexte, compte tenu du rôle essentiel joué par le secteur de l'insertion dans la lutte contre le chômage, le Gouvernement a demandé aux préfets de région, chargés d'établir la programmation des crédits du FSE, de faire du soutien à l'insertion par l'activité économique une priorité dans chaque région.
Au titre de la période 2007-2013, les préfets ont programmé 183 millions d'euros de crédits directement destinés à des structures d'insertion par l'activité économique, auxquels il convient d'ajouter, au niveau national, 21 millions d'euros, c'est-à-dire 3 millions d'euros par an, pour le financement des têtes de réseau de l'insertion par l'activité économique, l'IAE. De plus, les préfets ont été autorisés à programmer, au cours des années 2007 et 2008, des actions financées sur les reliquats de crédits de la programmation 2000-2006, notamment au profit des structures d'insertion.
Outre ces montants, il convient également de prendre en compte la possibilité offerte aux conseils généraux et aux plans locaux pour l'insertion et l'emploi de financer des structures d'insertion par l'activité économique sur les subventions globales qu'ils gèrent. Le Gouvernement ayant inscrit les plans locaux pour l'insertion et l'emploi au titre des priorités à retenir dans toutes les régions, les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ont programmé, pour ce dispositif, 454 millions d'euros sur la période 2007-2013.
Le Gouvernement, vous le savez, est particulièrement attaché à ce que les structures d'insertion par l'activité économique puissent conduire leurs actions dans les meilleures conditions. Au cours des dernières années, ce secteur a connu une augmentation substantielle de ses moyens. Ainsi, dans le cadre du plan de cohésion sociale, les crédits consacrés par l'État à l'IAE sont passés de 179 millions d'euros en 2005 à 197 millions d'euros en 2008 ; l'aide à l'accompagnement dans les associations intermédiaires a été plus que doublée pour atteindre 13 millions d'euros ; le Fonds départemental d'insertion, qui permet notamment de soutenir la création ou le développement des structures, a vu, lui aussi, sa dotation plus que doubler, avec 21 millions d'euros.
Je vous rappelle également que l'aide à l'accompagnement dans les chantiers d'insertion, qui n'existait pas, a été créée et que cette ligne budgétaire est dotée de 24 millions d'euros.
De plus, dans le cadre de la programmation des contrats aidés pour 2008, madame Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, a annoncé devant les acteurs de l'insertion par l'activité économique, lors du conseil national du 29 novembre 2007, que les volumes de contrats aidés pour ce secteur seraient maintenus en 2008 à leur niveau de 2007.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est effectivement soucieux de permettre au secteur de l'insertion par l'activité économique de mener à bien ses missions. Une réflexion sur la modernisation des financements est actuellement menée par les services du ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, avec les acteurs du secteur, pour asseoir les engagements financiers du Gouvernement sur des éléments objectifs d'appréciation. Vous savez, par ailleurs, que les travaux menés dans le cadre du « Grenelle de l'insertion » pourront aboutir à des propositions visant à réformer le modèle économique des structures d'insertion par l'activité économique.
Monsieur Bel, le Gouvernement a bien pris en compte la nouvelle donne du FSE et maintient sa priorité dans le secteur de l'insertion par l'activité économique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le secrétaire d'État, j'entends bien ce que vous dites, mais je n'en vois pas la traduction sur le terrain. Vous reprenez les annonces du Gouvernement en citant des chiffres, mais, croyez-le, lorsqu'un département comme l'Ariège, économiquement fragile puisqu'il ne dispose que de mono-activités - le textile, l'aluminium, les papeteries - toutes en grande difficulté, doit affronter une baisse des crédits du FSE de 52 %, les conséquences sociales sont très lourdes !
Je vous ai bien écouté, mais je sais qu'aujourd'hui la mission locale de l'Ariège se trouve contrainte de procéder à cinq suppressions de postes liées à la baisse des crédits du FSE. Les structures d'insertion par l'activité économique, qui relèvent de la compétence de l'État, vont, elles aussi, subir des suppressions d'emplois du fait de ces baisses de crédits.
La différence est grande, monsieur le secrétaire d'État, entre les chiffres affichés et la réalité vécue par nos concitoyens sur le terrain, dans un département comme le mien. Dans ce domaine, le Gouvernement n'assume pas ses responsabilités !
mise en place d'un plan de modernisation sanitaire dans la filière foie gras
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, auteur de la question n° 114, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Alain Milon. Monsieur le secrétaire d'État, l'ensemble de la filière foie gras a mis en oeuvre une charte de progrès sanitaire qui impose des pratiques toujours plus exigeantes pour les éleveurs. Les palmipèdes élevés en plein air sont plus vulnérables que d'autres animaux face au risque de l'influenza aviaire.
Afin de se placer dans une logique de prévention, il serait indispensable de mettre en place un plan de modernisation sanitaire permettant à la filière d'évoluer vers de meilleures pratiques et, ainsi, de prévenir au mieux les risques.
Les investissements concernés sont nombreux et utiles. Ils nécessitent l'acquisition d'un sas sanitaire, d'un bac d'équarrissage, d'une enceinte réfrigérée pour le stockage des cadavres ; l'isolement de l'élevage, la protection et les clôtures, la délimitation du site d'élevage et l'interdiction d'accès sans autorisation ; des abris et la mise en place de moyens d'abreuvement pour éviter les flaques autour des abreuvoirs ; des matériels de désinfection ; la mise en oeuvre d'un plan de circulation des véhicules et une réglementation de la circulation de personnes.
Ce plan requiert un investissement financier estimé à 5 000 euros par élevage ; 3 000 élevages sont concernés, ce qui représente une somme de 15 millions d'euros. La filière s'engage à prendre à sa charge 60 % des dépenses et souhaite que l'État et les régions concernées aident les éleveurs à hauteur de 40 %. Des enveloppes sont prévues dans le cadre des contrats de plan. En cas d'insuffisance, elles offriraient à l'État la possibilité de débloquer une aide exceptionnelle dont le montant s'élèverait à 2 millions d'euros par an pendant trois ans. Une fois le plan validé, les mesures préconisées seraient mises en place systématiquement, grâce à l'adoption d'un accord interprofessionnel.
Au regard de l'enjeu essentiel que représente ce plan de modernisation pour la filière foie gras et de la somme modeste à engager par l'État, je souhaiterais connaître votre point de vue, monsieur le secrétaire d'État, et savoir si le Gouvernement envisage d'allouer ce budget afin de venir en aide à cette filière, dans le cadre de son plan de modernisation.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser mon collègue Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, qui m'a demandé de répondre à sa place à la question importante que vous avez soulevée concernant la filière « foie gras ».
L'obligation d'une déclaration des foyers d'influenza aviaire faiblement pathogènes en élevage avicole implique une forte probabilité de détection de tels foyers dans les élevages de palmipèdes, particulièrement sensibles à ce virus.
Le plan de modernisation sanitaire proposé, consistant en des mesures de biosécurité appliquées dans les élevages en plein air, est une initiative qui montre que la filière a la volonté de mettre en oeuvre de façon tout à fait concrète une charte de progrès sanitaire et s'engage résolument dans une logique de prévention et de précaution au regard des risques que fait courir la menace de l'influenza aviaire et des recommandations complémentaires issues de l'évaluation du risque concernant ce type d'élevages.
La mise en oeuvre de ce plan de maîtrise sanitaire des élevages par le biais d'un plan de modernisation suppose une véritable mobilisation de la filière « palmipèdes à foie gras ». Mon collègue Michel Barnier m'a demandé de vous assurer que les pouvoirs publics sont désireux de soutenir cet effort.
Ce plan permet en effet de faire évoluer cette filière vers de meilleures pratiques sanitaires et favorisera la diminution de la présence des souches faiblement pathogènes en aviculture. C'est la raison pour laquelle il a été décidé, en 2008, de mobiliser, au travers du budget de l'Office de l'élevage, une enveloppe de 1,5 million d'euros pour soutenir les premiers investissements engagés par la filière. C'est là, me semble-t-il, un message adressé par la collectivité à l'ensemble des acteurs d'une filière qui a bien compris la nécessité d'anticiper dans ce domaine.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je puis vous communiquer au nom de M. Barnier.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État. J'ai été entendu, ainsi que la filière, et c'est ce qu'il fallait !
situation des emplois vie scolaire
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, auteur de la question n° 133, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Robert Hue. Je souhaite revenir aujourd'hui sur un sujet qui nous préoccupe beaucoup à l'heure actuelle : l'avenir des contrats emploi vie scolaire.
Ces contrats ont été créés, je le rappelle, en remplacement des emplois-jeunes, dans le cadre de la loi de programmation pour la cohésion sociale.
Depuis le 15 décembre dernier, les contrats arrivés à terme ne sont pas renouvelés, et tout recrutement est dorénavant suspendu, sauf dans le cas de l'aide aux élèves handicapés et de l'assistance administrative aux directeurs d'école.
Ces contrats, qui avaient pour objet d'être des tremplins vers l'emploi, ont été proposés, précisément, à des personnes en recherche d'emploi.
Malgré la faible rémunération prévue, je puis témoigner que les agents concernés, grâce à leur motivation et à leur travail, ont mis en oeuvre des actions pédagogiques utiles, efficaces et dynamiques. Elles sont d'ailleurs saluées unanimement par toute la communauté éducative, ainsi que par les parents d'élèves.
Or voilà que, à la suite de la décision du Gouvernement de supprimer purement et simplement ces contrats, tous les efforts engagés depuis dix ans s'arrêtent brusquement. Dans le Val-d'Oise, ce sont plus de 500 emplois qui se trouvent brutalement supprimés, y compris dans les collèges « ambition réussite », où les emplois vie scolaire ont largement fait la preuve de leur utilité.
Par ailleurs, et contrairement à ce que le Gouvernement prétend, aucune proposition de reclassement n'a été adressée aux intéressés.
Le ministre de l'éducation nationale a affirmé le 16 janvier dernier, à l'Assemblée nationale, qu'un contrat aidé n'a pas vocation à être pérennisé, mais qu'il constitue une première étape vers l'insertion. En outre, M. Darcos a indiqué, en réponse à un courrier que je lui avais adressé et dans lequel, déjà, je lui faisais part de mon inquiétude, qu'une synergie entre les services de l'inspection académique, l'Agence nationale pour l'emploi et les services des Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, les ASSEDIC, permettrait une réinsertion de ces personnes par le biais d'un suivi et d'une formation. La possibilité d'effectuer un bilan de compétences a été évoquée.
Toutefois, aucun des échanges que j'ai eus avec les personnels concernés ne permet de corroborer ces affirmations. De quelle réinsertion parle-t-on ? Les élus, les personnels et les parents d'élèves sont scandalisés par de telles méthodes, et les écoles sont déstabilisées par ces suppressions d'emplois. L'important investissement humain et matériel consenti est totalement gâché par l'incohérence de cette décision.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, de me préciser quels sont exactement les engagements que compte prendre le Gouvernement pour garantir la scolarisation et la réussite de tous les élèves, et dans quelles conditions sera assuré le suivi de leur mise en oeuvre, auquel je veillerai.
Personnellement, je demande le maintien des emplois vie scolaire et leur transformation en des emplois plus qualifiés et pérennes, pour permettre un accueil dans de meilleures conditions des enfants handicapés et pour accompagner les équipes pédagogiques dans leurs activités.
M. Georges Mouly. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le sénateur, M. Xavier Darcos m'a chargé de vous demander de bien vouloir excuser son absence et de vous transmettre un certain nombre d'éléments de réponse à la question que vous avez posée sur les contrats d'accompagnement dans l'emploi et les contrats d'avenir.
Les contrats d'accompagnement dans l'emploi et les contrats d'avenir ont été créés dans le cadre de la loi de programmation pour la cohésion sociale, en remplacement des contrats emploi-solidarité et des contrats emplois consolidés. Il s'agit de nouveaux contrats aidés, regroupés sous l'appellation « emplois vie scolaire » au sein du ministère de l'éducation nationale.
Le Gouvernement, mettant en application les orientations de la politique de l'emploi arrêtées dans la loi de finances initiale de 2008, a, au-delà de la réduction du nombre d'emplois aidés, prévu le maintien des personnels exerçant les fonctions d'assistant administratif d'un directeur d'école ou d'accompagnateur d'élèves handicapés qui n'ont pas retrouvé un emploi de droit commun et qui en font la demande. En cas de départ volontaire des personnels en poste, il est donc prévu de les remplacer. Les contrats aidés des personnels exerçant ces fonctions qui sont arrivés à terme courant décembre 2007 ont donc vocation à être renouvelés, lorsque le droit le permet et dans les conditions précitées.
Le Gouvernement se soucie bien évidemment de remplir ses obligations d'employeur, et l'éducation nationale permet à ces personnels sous contrats aidés de bénéficier d'un ensemble d'actions d'accompagnement vers l'insertion, par le biais de formations à la micro-informatique, à l'accompagnement scolaire, à la psychologie de l'enfant et de l'adolescent, à la préparation aux concours de professeur des écoles et aux concours administratifs, mais aussi grâce aux dispositifs de validation des acquis de l'expérience.
En effet, les services déconcentrés de l'éducation nationale, tels les inspections académiques ou les rectorats, les établissements scolaires et les groupements d'établissements, les GRETA, proposent de manière active de telles actions à l'intention de ces personnels, durant le temps de travail ou hors de celui-ci.
L'éducation nationale coopère en outre étroitement avec les services publics de l'emploi, tels que l'ANPE, les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, les ASSEDIC, qui s'efforcent de proposer à chaque bénéficiaire de contrat aidé des prestations d'accompagnement renforcé dans l'emploi : aides à la définition du projet professionnel, bilans de compétences approfondis ou entretiens individuels de diagnostic organisés par l'ANPE.
Pour renforcer encore ces dispositifs et assurer la diffusion des bonnes pratiques, une convention entre l'éducation nationale et le service public de l'emploi est en cours d'élaboration, afin d'améliorer l'information des intéressés sur les dispositifs qui existent ou qui peuvent être développés localement pour répondre à leurs attentes.
Telle est la situation actuelle, que M. Darcos m'a demandé de vous décrire, s'agissant des contrats d'accompagnement dans l'emploi et des contrats d'avenir.
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous étonnerai probablement pas en vous disant que vous ne m'avez pas du tout convaincu !
En effet, entre les annonces de M. Darcos et les faits, il y a une marge, que dis-je, un fossé ! En réalité, vous parlez de manière générale, et moi de manière concrète.
Comme vous l'avez vous-même indiqué, certains personnels ont vu leur contrat suspendu en décembre dernier. Or ils n'ont toujours pas été remplacés. Imaginez ce que cela peut signifier pour des enseignants, pour des élèves qui, en janvier, n'ont pas retrouvé dans leur classe cette aide précieuse ! Imaginez ce que cela va impliquer en termes de retards scolaires supplémentaires !
Ainsi, dans ma ville, il existe une zone urbaine sensible. Les écoles concernées ont perdu en partie le bénéfice d'un système éducatif qui leur apportait beaucoup. Je confirme donc, monsieur le secrétaire d'État, l'incohérence de la décision gouvernementale. C'est un mauvais coup porté à l'ensemble du système éducatif. Cette décision va se traduire, pour des milliers d'élèves, par de mauvaises conditions de scolarité, avec les conséquences que l'on sait à terme. À l'heure où je vous parle, l'État n'a pas rempli son contrat, puisque les personnels en question n'ont pas été remplacés, alors même que ce remplacement était une question majeure.
D'ailleurs, pourquoi ne pas avoir assuré la pérennité de ces emplois si utiles ? Je le redis, l'attitude du Gouvernement est incohérente. Ce sont de telles décisions qui conduisent l'opinion publique à prendre ses distances avec la politique qu'il mène en matière de questions sociales.
dysfonctionnements des services d'urgence
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 53, adressée à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
M. Claude Biwer. Une thèse de doctorat d'État présentée en 2007 par un ancien colonel de sapeurs-pompiers lorrain met en exergue un certain nombre de dysfonctionnements des services d'urgence français : délais d'intervention à « géométrie variable », appels téléphoniques au « 15 » ou au « 18 » qui n'aboutissent pas, effectifs et matériels insuffisants, coordination déplorable avec les services d'aide médicale urgente, les SAMU. Je n'évoquerai ici que pour mémoire la difficulté supplémentaire d'établir une communication par téléphone portable à partir d'une zone « grise » ou « blanche »...
Ainsi, malgré les réels efforts accomplis par les départements et les communes en faveur du renouvellement du matériel des sapeurs-pompiers, malgré le professionnalisme et le dévouement de ces derniers, unanimement reconnus par la population, l'organisation des secours pose problème. Cela se traduit d'ailleurs par une augmentation du nombre de procédures pénales engagées à ce titre, qui est passé de 19 en 1996 à 621 en 2006.
La thèse du colonel Schmauch souligne l'existence d'un certain nombre de difficultés récurrentes : le délai d'attente pour obtenir une communication téléphonique avec le centre régulateur du « 15 », qui provoque souvent de l'insatisfaction ; les temps d'intervention, qui peuvent être plus ou moins longs suivant que le sinistre ou l'accident se produit la nuit, le week-end ou en zone rurale, du fait de l'éloignement du centre de secours ; l'équipement en matériels des sapeurs-pompiers - si les textes étaient véritablement appliqués, il faudrait doubler le nombre d'engins ; l'âge des matériels, certains étant en service depuis en moyenne vingt ans ; les effectifs, car bien que la France compte 200 000 volontaires, 38 000 professionnels et 12 000 militaires, ces derniers affectés à Paris et à Marseille, la densité des sapeurs-pompiers aux cent kilomètres carrés n'est que de 49 dans notre pays, alors qu'elle est de 346 en Allemagne ; la mauvaise coordination entre sapeurs-pompiers et SAMU, puisqu'il semble que le « bleu » et le « blanc » ne s'accordent pas toujours très bien ; l'obligation, pour les sapeurs-pompiers, de transférer tout appel pour une urgence médicale vers le centre « 15 », qui entraîne souvent des délais d'attente supplémentaires pour la victime et des incompréhensions, voire des cafouillages, entre les services ; l'insuffisance de la permanence des soins assurée par les médecins libéraux, surtout en zones rurales, décrite par un récent rapport comme aléatoire, instable et fragile, ce qui conduit à un engorgement, la nuit, des systèmes d'urgence et de la chaîne des secours.
Le directeur de la sécurité civile a cru devoir indiquer que les observations formulées par le colonel Schmauch étaient « dépassées ». Si j'en juge par le manifeste adopté par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France à la fin du mois de septembre dernier, qui fait état d'une « profonde dégradation de la situation au détriment des victimes et d'une augmentation des délais d'intervention », je crains que ce ne soit pas le cas.
Je crois pour ma part que, s'il doit y avoir une régulation médicale préalable à tout départ de secours, le doute devrait profiter à la victime. Dans ces conditions, pourquoi ne pas accorder une plus grande autonomie aux sapeurs-pompiers, comme c'était le cas avant la mise en place des centres 15 ?
Enfin, nous ne pourrons pas plus longtemps faire l'économie de l'application d'objectifs de performance très stricts au niveau tant des appels que des délais d'intervention. La plupart de nos voisins européens y sont arrivés : ainsi, en Angleterre, il faut moins de trois secondes pour répondre à 90 % des appels d'urgence ; en Allemagne, chaque citoyen doit pouvoir être atteint par une ambulance en moins de huit minutes.
Je ne vois pas pour quelle raison nous ne pourrions pas aboutir aux mêmes résultats en France, car il en va tout de même de la vie de nos concitoyens.
J'espère pouvoir être rassuré sur le sujet.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme Michèle Alliot-Marie. Elle m'a chargé de vous répondre sur ce sujet qui, en tant qu'élu rural d'un département voisin du vôtre, me préoccupe aussi.
Cette question importante, qui a déjà été posée à plusieurs reprises au sein de votre hémicycle, mérite une réponse franche.
Le Gouvernement va revoir l'organisation du secours à la personne, en instaurant une collaboration entre les différents acteurs, ainsi que l'a annoncé le Président de la République lors de la cérémonie de clôture du 114e congrès national des sapeurs-pompiers, le 29 septembre dernier.
En matière de secours à la personne, les services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, ont effectué 2,5 millions d'interventions en 2006, soit 70 % de leur activité opérationnelle, avec un taux de croissance de 7 % par rapport à l'année précédente.
Ces missions impliquent des relations permanentes entre les différents acteurs, en premier lieu les services d'aide médicale urgente, les SAMU. Leur médicalisation a permis de diminuer de 30 % la mortalité des urgences vitales ces dernières années. Ces progrès sont le fruit de tous les acteurs du secteur de l'urgence.
Notre objectif commun est clair : il faut mieux organiser, mutualiser davantage les moyens, mieux coordonner pour gagner en qualité, de façon que chacun soit encore plus opérationnel au service de nos concitoyens. C'est dans cet esprit que le ministre de l'intérieur a installé, le 16 novembre 2007, avec le ministre de la santé un comité quadripartite regroupant les deux administrations de tutelle, ainsi que les urgentistes et les sapeurs-pompiers. La mission de ce groupe est d'élaborer les procédures partagées et les instructions qui permettront cette évolution.
Ainsi, la coordination régionale entre les SDIS et les SAMU se concrétisera, dès 2008, par un rapprochement systématique des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques et des schémas régionaux pour l'organisation des urgences médicales et du secours à personnes. Mme Michelle Alliot-Marie a signé le 31 décembre dernier, avec Roselyne Bachelot, une circulaire en ce sens.
Pour faire face à une augmentation sans précédent des demandes d'interventions, il est nécessaire de repenser les modes opératoires de réception des appels au « 15 » et au « 18 » et l'interconnexion entre les différentes structures. La coopération opérationnelle entre les SDIS et les SAMU sera améliorée grâce aux technologies de l'information, qui facilitent les échanges de données en temps réel.
Dès 2008, la mise en service d'outils de radiocommunications numériques partagés sera développée.
Pour une utilisation plus rationnelle des ressources, une expérimentation sera lancée également en 2008. L'objectif sera d'envoyer le plus rapidement possible une équipe auprès de la victime pour évaluer, sous le contrôle du centre « 15 », la réponse médicale la plus appropriée. Un comité de suivi évaluera l'efficience de ce système de réponse graduée pour valider une éventuelle généralisation nationale du dispositif, qui interviendrait en 2009.
Grâce au dévouement des sapeurs-pompiers et des personnels médicaux des SAMU, auxquels le Gouvernement veut une nouvelle fois rendre hommage, nos concitoyens bénéficient d'un système de secours efficace sur l'ensemble de notre territoire.
Ce système peut et doit être amélioré pour s'adapter aux besoins actuels, liés notamment aux enjeux démographiques. C'est l'engagement que prend le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de vos propos rassurants, car ils correspondent à ce que je souhaitais entendre ! Ils sont en tout cas porteurs d'espoir puisqu'ils semblent manifester une volonté forte du Gouvernement d'aller dans le sens souhaité par de nombreux élus. Je me réjouis qu'il en soit ainsi.
Il est toutefois un point que je n'ai pas évoqué lors de la présentation de ma question et sur lequel je souhaite attirer l'attention : lorsque quelqu'un appelle le centre « 15 », il serait bon qu'il ait fait quelques études médicales parce qu'il lui est presque demandé d'établir le diagnostic. Il lui est en effet posé de telles questions avant que la décision d'intervenir ou non soit prise qu'il faudrait être un professionnel pour pouvoir y répondre ! Nous devons donc veiller à développer la faculté d'écoute et de compréhension chez ceux qui reçoivent les appels de telle sorte que l'efficacité soit au bout du chemin.
primes de mobilité pédagogique dans les établissements publics scientifiques et technologiques
M. le président. La parole est à M. Henri Revol, auteur de la question n° 135, adressée à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Henri Revol. Madame la ministre, tout d'abord, je vous remercie d'avoir accepté de répondre si vite à ma question et d'être aujourd'hui au Sénat alors que votre emploi du temps est bien chargé avec la mise en oeuvre des lois sur la recherche et sur les universités, et cela au lendemain de la remise du rapport Attali. Ma question est d'ailleurs à l'intersection de vos deux préoccupations de l'instant : la recherche et l'université. Alors que la fluidité des passages entre recherche et enseignement apparaît comme une nécessité, la complexité des pratiques et des textes conduit souvent à une viscosité certaine.
Je n'entrerai pas dans le détail des mesures déjà prises pour moduler les quotas d'heures d'enseignement, harmoniser les primes et les statuts, valoriser les cursus et évaluer les performances. Mais je souhaiterais connaître, madame la ministre, votre vision d'ensemble de ce dossier, en particulier sur un point précis, qui est souvent évoqué par les personnalités que nous avons l'occasion d'auditionner à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : l'extension du champ d'application du décret du 11 octobre 2001.
Ce décret permet d'octroyer une prime de mobilité pédagogique aux directeurs de recherche des établissements publics scientifiques et technologiques, les EPST, qui s'engagent à assurer un enseignement dans un établissement d'enseignement supérieur. En revanche, il exclut de son champ d'application les chargés de recherche et les ingénieurs de recherche de ces EPST. Je vous remercie de me faire connaître, madame la ministre, si vous entendez procéder à une extension du champ d'application du décret dans un avenir proche.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je partage entièrement l'objectif qui sous-tend votre question : je crois comme vous, en effet, à la nécessité de fluidifier les passages entre le monde de la recherche et celui de l'enseignement supérieur.
D'une part, la richesse de notre système de recherche repose sur les synergies que développent chercheurs et enseignants-chercheurs travaillant côte à côte dans des unités mixtes de recherche.
D'autre part, la qualité de l'enseignement supérieur est fondée sur l'adossement des formations à la recherche. Il importe ainsi que les chercheurs puissent, s'ils le souhaitent, faire bénéficier les étudiants de leur expertise, sachant qu'eux-mêmes retireront, à n'en pas douter, des éléments de réflexion supplémentaires de leurs échanges avec les étudiants.
Le décret du 11 octobre 2001, que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, en octroyant une prime de mobilité pédagogique aux directeurs de recherche, les incite à développer une activité d'enseignement.
Ce dispositif constitue une première étape dont l'extension aux chargés de recherche et ingénieurs de recherche revêt un intérêt certain.
La modification du décret de 2001 avait été envisagée en ce sens, mais elle n'avait pas tout à fait abouti, car toute modification d'un régime indemnitaire implique d'en mesurer l'ensemble des incidences, y compris reconventionnelles, dans les corps comparables. De surcroît, la réflexion avait été conduite dans un contexte bien différent de la situation actuelle, avant notamment le vote de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilité des universités.
Cette loi fait en effet des personnels des organismes de recherche travaillant dans des laboratoires liés à l'université, des membres à part entière de la communauté universitaire. Ils sont électeurs ou éligibles dans les collèges correspondants, qu'ils soient directeurs, chargés de recherche ou ingénieurs, respectivement au même titre que les enseignants-chercheurs ou que les personnels ingénieurs de recherche et formation.
De plus, bénéficiant des compétences élargies, les universités auront la possibilité de fixer les principes d'une politique de primes et de dispositifs d'intéressement, qui pourront, dans certains cas, être versés aux personnels des organismes de recherche exerçant des activités d'enseignement ou des responsabilités diverses dans l'université.
Cette possibilité est symétrique de celle donnée aux organismes de recherche d'attribuer l'indemnité spécifique pour fonctions d'intérêt collectif, appelée l'ISFIC, aux enseignants-chercheurs directeurs de laboratoires.
En effet, la participation des chercheurs à l'enseignement est, avec l'accueil des enseignants-chercheurs en délégation dans les EPST, un des éléments du partenariat global entre l'organisme de recherche et l'université dont le groupe présidé par l'ancien ministre François d'Aubert doit préciser les contours, tandis que les travaux menés par la commission présidée par Rémy Schwartz sur l'avenir des personnels de l'université devraient permettre de formuler des propositions en matière de mobilité et d'évolution des régimes indemnitaires.
Je souhaite que les deux dispositifs croisés, accueil des enseignants-chercheurs en délégation et participation des chercheurs à l'enseignement, facilitent la modulation du service des enseignants-chercheurs, et en particulier l'allégement du service des jeunes enseignants-chercheurs, disposition novatrice également inscrite dans la loi du 10 août 2007.
C'est dans cet esprit qu'est d'ailleurs intervenu hier le Président de la République à Orsay, lorsqu'il a évoqué une piste de réflexion concernant un double rattachement des jeunes personnels recrutés dans les organismes de recherche et dans les universités.
En effet, aujourd'hui, un jeune docteur reçu en même temps au CNRS et dans une université doit faire un choix cornélien : soit choisir une carrière de chercheur et se priver du contact avec les étudiants et avec l'enseignement ; soit choisir une carrière d'enseignant-chercheur et consacrer beaucoup de temps à l'enseignement, au risque de perdre une partie de ses capacités à faire une recherche de haut niveau, faute de temps et de liberté d'esprit.
Je crois qu'il est de notre devoir de trouver une voie nouvelle qui permette de concilier dans le temps les aspirations et les compétences, tout en préservant les besoins des institutions.
Un double rattachement à un organisme de recherche et à un établissement d'enseignement supérieur pour une durée donnée permettrait effectivement de proposer une modulation dans le temps de l'activité des jeunes chercheurs recrutés au bénéfice de tous, et je vous propose de travailler en ce sens.
C'est dans ce cadre global, cohérent et renouvelé, que pourra être mise en oeuvre avec efficacité la refonte du décret de 2001.
M. le président. La parole est à M. Henri Revol.
M. Henri Revol. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse encourageante, qui ne m'étonne guère ! Je connais en effet votre forte implication pour faire évoluer la recherche et l'enseignement supérieur de notre pays et nous donner les moyens - enfin ! - que ces deux milieux travaillent la main dans la main, pour leur profit commun.
Permettez-moi de vous féliciter de votre engagement, qui se situe d'ailleurs dans la droite ligne des grandes orientations qu'a données hier le Président de la République.
Votre réponse apaisera les doléances que nous recueillons souvent en tant que membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, puisque, comme vous le savez, nous avons établi des parrainages au sein de l'office entre parlementaires - députés et sénateurs - et chercheurs. Je suis heureux que le Gouvernement puisse prendre en compte ce type de revendications que nous entendons lors de nos visites dans les laboratoires, et y apporter - bientôt, je l'espère - des solutions concrètes.
prise en charge des frais de transport des personnes handicapées
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy, auteur de la question n° 131, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de la solidarité.
M. Philippe Leroy. Madame la ministre, ma question porte sur les frais de transport des personnes handicapées.
Le décret du 5 février 2007 a mis à la charge de la prestation de compensation du handicap en établissement, versée par le canal d'organismes proches des départements, les frais de transport des personnes handicapées, selon des modalités qui n'ont pas du tout été précisées. Jusqu'à présent -la situation est aujourd'hui incertaine -, ces frais de transport étaient financés par les caisses primaires d'assurance maladie, les CPAM, soit sur la base d'une prescription médicale individuelle, soit par intégration dans les budgets de fonctionnement des établissements d'accueil des personnes handicapées, notamment les établissements et services d'aide par le travail, les ESAT, des établissements d'éducation spécialisée et des maisons d'accueil spécialisées, les MAS.
Tout allait bien jusqu'à la parution de ce décret, qui pose de telles questions sur le financement que, dès le mois d'avril 2007, Philippe Bas, alors ministre de la santé et des solidarités, avait demandé aux caisses d'assurance maladie de ne pas cesser de prendre en charge ces frais de transport.
Le problème est toujours posé, madame la ministre. Aujourd'hui, la Moselle ainsi que d'autres départements étudient comment ces frais de transport peuvent être pris en compte par la prestation de compensation du handicap Or nous nous apercevons que la loi et les règlements permettent de ne prendre en charge que les surcoûts liés au handicap, et cela dans la limite d'un plafond, et non pas le transport total.
Cette configuration conduirait, dans certains cas, les familles à supporter désormais des charges annuelles de transport s'élevant jusqu'à mille euros par mois, ce qui est considérable et impossible à assumer.
Par ailleurs - et c'est un facteur aggravant -, nombre d'établissements qui accueillent des personnes handicapées sont menacés par les caisses primaires d'assurance maladie et redoutent de voir la sécurité sociale supprimer sa dotation budgétaire qui leur permettait, jusqu'à présent, d'organiser ces transports.
Face à cette difficulté, nous sommes doublement pris en étau. D'une part, les familles risquent de devoir supporter des surcoûts, d'autre part, les établissements seront prochainement confrontés à des problèmes budgétaires. C'est pourquoi tous se tournent vers les départements et cherchent la solution dans la prestation de compensation du handicap. Celle-ci est opposable - et c'est une bonne chose - : sa mise en place constitue un grand progrès dans la prise en charge des personnes handicapées, même si, pour le moment, de telles modalités d'application n'ont pas été prévues.
En effet, il n'était absolument pas question que la sécurité sociale se désengage totalement du système et transfère aux départements l'intégralité des frais qu'elle supportait jusqu'alors.
Un groupe de travail, composé de représentants qualifiés, a été mis en place par le ministre de la santé et des solidarités précédent. Il devrait avancer des propositions et définir, enfin, les conditions de financement des frais de transport des personnes handicapées vers les établissements.
Madame la ministre, je souhaite connaître les orientations formulées par ce groupe de travail, savoir si des moyens financiers sont dégagés pour assurer cette prise en charge des frais de transport, et être informé de l'état d'avancement de la réflexion sur cette question.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité attirer l'attention de Mme Valérie Létard sur la prise en charge des frais de transport des personnes handicapées vers les établissements qui les accueillent.
C'est un sujet qui mobilise toute l'attention du Gouvernement, car il prend une importance croissante, en raison non seulement de la diversification des modes de prise en charge, notamment en accueil de jour, mais aussi du souhait des personnes handicapées accueillies en établissements de continuer de cultiver les liens familiaux. Or, le domicile familial est parfois éloigné de l'établissement.
Jusqu'au mois de février 2007, ce sont effectivement les caisses primaires d'assurance maladie qui assuraient la prise en charge des frais de transport des personnes handicapées accueillies en maisons d'accueil spécialisées et en foyers d'accueil médicalisés.
La création de la prestation de compensation du handicap, la PCH, en établissement a bouleversé ce dispositif. En effet, les personnes handicapées peuvent désormais bénéficier de la prise en charge de leurs frais de transports par la PCH, dans la limite de 12 000 euros par période de cinq ans, avec la possibilité, sur décision du conseil général, d'aller au-delà de ce montant. En conséquence, les CPAM ont décidé de se retirer de ce financement.
Pour éviter les ruptures brutales de prise en charge, le Gouvernement a obtenu de la Caisse nationale d'assurance maladie qu'elle adresse une instruction à son réseau, afin que les caisses primaires assurent une transition en attendant l'ouverture des droits à la PCH pour chaque personne concernée. Il assure également un suivi des cas individuels qui lui sont signalés, en demandant aux CPAM et aux maisons départementales des personnes handicapées de se mettre d'accord sur un partage des prises en charge.
Le Gouvernement est toutefois conscient que la PCH ne permet pas de répondre à l'intégralité de la problématique des frais de transport des personnes handicapées : n'intervenant que dans le cadre de réponses individuelles, le recours exclusif à un financement par la prestation de compensation du handicap limite les possibilités d'organiser l'offre de service et, ainsi, de réguler les dépenses.
Pour apporter une solution plus définitive à cette question, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail piloté par la direction générale de l'action sociale et chargé d'étudier différentes pistes, notamment la possibilité d'intégrer ces frais de transports dans le budget des établissements eux-mêmes, comme c'est le cas dans les établissements pour personnes âgées.
En tout état de cause, le dispositif définitif devra tenir compte de la situation particulière des personnes qui n'ont pas opté pour la PCH et de celle des personnes dont l'état de santé impose le recours à un transport médicalisé.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est pleinement conscient des enjeux que vous avez soulevés et travaille à apporter la meilleure réponse possible aux personnes handicapées, en lien avec les associations qui les représentent.
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Madame la ministre, j'ai le plaisir de constater que le Gouvernement et les départements posent exactement le même diagnostic. Vos propos confirment, d'ailleurs, que nous sommes parfaitement d'accord. Au moins ne perdrons-nous pas de temps à définir le problème !
La véritable question qui se pose aujourd'hui est de savoir comment financer les frais de transport des personnes handicapées si les caisses primaires d'assurance maladie, qui assumaient jusqu'à présent cette charge, se désengagent.
En effet, le financement existait, et il n'était pas du tout prévu que les caisses primaires d'assurance maladie se retirent du système ! Pour une fois, ce n'est pas l'État qui transfère directement des charges aux départements, ce sont les caisses de sécurité sociale qui profitent d'une aubaine pour « repasser le mistigri » aux départements !
Le groupe de travail se réunit et il lui faut poursuivre la réflexion sur le financement de ces frais de transport. Quand on est d'accord sur la définition du problème, les solutions sont généralement faciles à trouver !
situation des entreprises adaptées
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 132, adressée à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
M. Georges Mouly. Comme chacun le sait, les entreprises adaptées contribuent à l'accès à l'emploi des personnes handicapées. Il est donc aujourd'hui de première urgence de veiller à développer ces entreprises dans le cadre des missions définies par la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, afin de sauvegarder les 20 000 emplois de salariés handicapés, et pérenniser leur place originale entre l'entreprise classique et la structure médico-sociale au service de l'insertion professionnelle et sociale des personnes handicapées.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, m'a tout récemment fait savoir que les décisions qui ont été adoptées, pour le secteur, dans la loi de finances pour 2008 - suppression de 387 postes aidés par rapport à 2007, montant pour la subvention spécifique qui n'a pas évolué depuis 2002, effectif de référence inférieur au nombre de postes aidés -, étaient fondées sur un constat de sous-consommation des crédits votés pour 2007.
D'ailleurs, comme il me le confirmait, « une réflexion s'est engagée en 2007 associant les organismes gestionnaires des entreprises adaptées sur les éventuelles évolutions de critères d'attribution de la subvention spécifique, ce qui devrait permettre à terme une gestion optimale des crédits qui sont alloués en vue d'accompagner au mieux ces entreprises dans leur développement ». Il ajoutait alors : « Vous pouvez donc compter sur la détermination du Gouvernement pour poursuivre la mise en oeuvre du plan de soutien et de modernisation aux entreprises adaptées lancé en 2006. »
C'est mon cas et je salue les efforts du Gouvernement et sa détermination. Néanmoins, madame la ministre, permettez-moi de souligner qu'une logique purement comptable ne correspond pas forcément aux réalités de l'entreprise adaptée : cet arrêt brutal de l'effort budgétaire en faveur de ces structures les fragilise et met en péril l'un des outils de première importance de l'insertion des personnes handicapées.
Le développement des entreprises adaptées est entravé par un système pervers, lié au contingentement des aides au poste ; ce n'est pas la première fois que l'on insiste sur cet aspect. En effet, ce dispositif manque de souplesse et contraint les entreprises à lier leur activité au niveau de l'aide accordée, ce qui limite leur développement et leur recrutement. Force est de constater que la consommation des aides au poste ne peut être atteinte, notamment à cause de la non-prise en compte du salarié malade, de la lenteur des procédures administratives, de l'impossibilité de modulation du contingentement, de préconisations supplémentaires des services déconcentrés dans tel ou tel département...
Tous ces freins représentent un risque économique pour le développement des entreprises adaptées qui sont attachées, en leur qualité d'entreprises à part entière reconnues par la loi, aux missions que leur a confiées le législateur pour favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées et apporter une valeur sociale ajoutée.
De surcroît, une étude comparative menée par l'Union nationale des entreprises adaptées, destinée à mesurer le rapport entre l'effort budgétaire de la collectivité nationale au profit d'un demandeur d'emploi handicapé et celui qui est consenti pour un salarié handicapé en entreprise adaptée, démontre sans ambiguïté que l'effort budgétaire public en direction de l'entreprise adaptée est nettement moins important : de 8 100 euros à plus de 11 000 euros par an pour le demandeur d'emploi contre 3 700 euros versés pour un salarié en entreprise adaptée !
Cette comparaison, purement financière, ne doit cependant pas occulter les valeurs portées par le secteur de l'entreprise adaptée, qui privilégient l'intégration et l'épanouissement des salariés handicapés. Bien au contraire !
L'État a tout à gagner en accompagnant le développement des entreprises adaptées, qui sont prêtes à relever le défi de la lutte contre le chômage des personnes handicapées en créant des emplois économiquement viables et socialement rentables, pourvu qu'elles disposent d'un cadre réglementaire et des moyens adaptés à leurs missions. C'est en ce sens que leur association représentative a élaboré une série de propositions relatives, notamment, à une évolution du dispositif de l'aide au poste et à une modernisation du mécanisme de la subvention spécifique.
Je suis certain que ces propositions ont été communiquées au Gouvernement ; elles ne s'inscrivent pas dans une logique de financement en libre service, mais mettent l'accent sur la nécessité d'intégrer les exigences de l'entreprise adaptée dont le recrutement est lié, comme pour toute autre entreprise, à ses performances, à son activité et à sa capacité de conquérir de nouveaux marchés, ce qui, convenons-en, n'est pas facile.
J'aimerais donc savoir, madame la ministre, dans quelle mesure cette intéressante contribution de l'Union nationale peut être intégrée aux réflexions engagées par le Gouvernement avec les responsables de ce secteur.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est très attaché à l'existence des entreprises adaptées, qui permettent de donner un véritable emploi rémunéré, dans des conditions de droit commun, à des personnes handicapées dont l'efficience réduite ne permettrait pas le recrutement par une entreprise ordinaire.
La loi du 11 février 2005 avait d'ailleurs pour objet de conforter leurs missions - vous l'avez souligné - et de rendre plus prévisibles leurs ressources, en fixant, dans un avenant annuel à leur convention d'agrément, le nombre d'aides au poste dont elles sont susceptibles de bénéficier pour l'emploi de leurs salariés handicapés.
Pour l'année 2008, l'engagement de l'État vis-à-vis de ces entreprises demeure fort. L'enveloppe de crédits a été maintenue au même niveau qu'en 2007 et permettra de financer 19 625 aides au poste. Ce nombre est supérieur à celui des aides au poste qui ont été réellement consommées en 2007.
Ces marges de manoeuvre vont pouvoir être mieux utilisées car le CNASEA, qui gère le versement de ces aides, a désormais mis en place un suivi mensuel de leur consommation. Les redéploiements nécessaires pourront donc être opérés au cours de l'année 2008, s'il s'avère que des départements ou des régions ne consomment pas la totalité de leurs crédits.
Ce faisant, nous pourrons financer les projets de création et de développement des entreprises adaptées.
Comme vous, le Gouvernement partage le souhait des associations gestionnaires de réfléchir à l'assouplissement des contraintes liées au contingentement, afin de ne pas freiner le développement économique des entreprises adaptées. À ce titre, une plus grande souplesse de leurs modalités de recrutement peut être envisagée ; en lien avec les entreprises adaptées elles-mêmes, la notion d'efficience réduite, qui préside à leurs règles de recrutement, pourra être clarifiée, comme le suggère d'ailleurs l'excellent rapport du délégué interministériel aux personnes handicapées.
Par ailleurs, le Gouvernement est très attaché à la subvention spécifique, car elle est le signe sensible de son engagement au côté des entreprises adaptées, dans le cadre du plan de soutien et de modernisation de ce secteur lancé depuis 2006.
Pour l'année 2008, l'enveloppe a été fixée à 42 millions d'euros. Ces crédits doivent être affectés de la façon la plus utile possible afin d'accompagner au mieux les entreprises adaptées dans leur développement, ou dans leur redressement pour celles qui connaissent des difficultés. Pour y parvenir, une réflexion sur les critères d'attribution de cette subvention va donc être engagée.
Le Gouvernement n'oublie pas non plus qu'il a sa part de responsabilité dans le développement de l'activité des entreprises adaptées, à travers la commande publique qui peut leur être adressée. Ainsi, certains marchés ou certains lots d'un marché peuvent désormais être réservés à ces entreprises ou à des établissements et services d'aide par le travail.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, le soutien du Gouvernement aux entreprises adaptées reste fort et attentif.
M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly. Madame la ministre, je vous remercie de la réponse que vous venez de m'apporter, au nom du Gouvernement. Depuis le vote de la loi de 2005, je n'ai jamais douté de la volonté de ce dernier d'agir en faveur des personnes handicapées, quel que soit le domaine dans lequel il intervient ; dans le secteur du travail, je pense aux ESSAD ou encore aux entreprises adaptées.
Mais, à l'heure actuelle, ces entreprises connaissent les problèmes que je me suis permis de dénoncer. Cela étant, je sais que je ne suis pas le seul à m'intéresser à cette question, que je m'efforcerai de suivre à l'avenir, comme je l'ai fait jusqu'à maintenant.
J'ai bien noté les quelques pistes de réflexion que vous avez avancées. Vous avez évoqué le suivi mensuel de la consommation des crédits affectés aux aides au poste, ainsi que d'éventuels redéploiements, si nécessaire. Vous avez également envisagé un certain assouplissement et vous jugez utile de préciser concrètement la notion d'efficience réduite, ce qui n'est pas facile. Vous avez également mentionné la commande publique. Tous ces éléments peuvent aider les entreprises adaptées.
Je ne manquerai pas de suivre l'évolution du dossier et je ne doute pas que la volonté du Gouvernement lui permette d'aller dans le bon sens.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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éloge funèbre de Serge Vinçon, sénateur du Cher
M. le président. Un éminent collègue que beaucoup d'entre nous appréciaient particulièrement nous a quittés dans les derniers jours de l'année 2007. (M. le Premier ministre, Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Serge Vinçon, sénateur du Cher et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de notre Haute Assemblée, est mort le 16 décembre dernier.
C'est peu de dire que, toutes et tous, nous avons ressenti, à l'annonce de son décès, une grande douleur, une profonde tristesse et une extrême affliction.
Serge Vinçon a été emporté dans la force de l'âge, au faîte d'une carrière qui était loin d'être achevée.
Vous me pardonnerez de penser aussi, en cet instant, aux trois gendarmes morts tragiquement alors qu'ils accomplissaient leur devoir, et que nous avons enterrés ce matin.
La mort de Serge Vinçon a mis un terme brutal et prématuré à un parcours sans fautes ni failles.
Son dernier combat, il l'a livré voilà un an, après l'accident cardiovasculaire qui l'avait brutalement atteint, nous plongeant déjà dans la consternation, à quelques jours des fêtes de fin d'année.
Serge Vinçon était un homme doté d'une force morale peu commune. Il a puisé jusqu'au bout, jusqu'à son dernier souffle, dans cette formidable énergie qui l'a toujours habité le courage infini de faire face aux lourdes responsabilités que lui avaient confiées ses concitoyens et ses collègues du Sénat, qui l'estimaient tant.
Serge Vinçon était aussi un grand serviteur de la personne humaine, unanimement respecté, au parcours exceptionnel et à l'engagement républicain exemplaire, un homme à la fidélité inaltérable, aux convictions intransigeantes, à l'engagement passionné.
Né à Bourges il y a moins de cinquante-neuf ans, au coeur même de ce département du Cher qu'il aimait tant, Serge Vinçon était l'aîné d'une famille de neuf enfants. Il revendiquait ses origines modestes et y était demeuré profondément fidèle.
Professeur au collège de Saint-Amand-Montrond, il se fera très vite remarquer pour ses qualités pédagogiques et sera unanimement apprécié et aimé de ses élèves comme de ses collègues.
Très tôt, il manifeste aussi un goût aigu pour les affaires publiques.
Élu une première fois en 1977 conseiller municipal de la capitale du Boischaut, il en deviendra maire en 1983, à trente-quatre ans.
Il sera réélu sans discontinuer jusqu'à ce que la vie le quitte. Son attachement indéfectible à sa ville ne sera jamais démenti et c'est pour distinguer son action dynamique que lui sera notamment remise, en 1995, une « Marianne d'or » à la mairie de Saint-Amand-Montrond.
Parallèlement, presque naturellement, Serge Vinçon deviendra président de l'association des maires du Cher en 1995. En 2001, il sera distingué du titre de président de Ville et Métiers d'Art, avant de devenir, l'année suivante, président de l'association homologue européenne.
Passionné par sa ville, Serge Vinçon le fut aussi par son département du Cher.
Élu sénateur en septembre 1989, il sait, dès son arrivée au sein de la Haute Assemblée, se faire apprécier de tous. Qui ne se souvient de son extrême courtoisie, de son attention aux autres, de la finesse de son intelligence et du respect qu'il apportait aux opinions de chacune et de chacun ?
Approfondissant encore son implication locale, Serge Vinçon fut élu, en 1992, conseiller général du canton de Saint-Amand-Montrond. Réélu en 1998, il présida alors aux destinées de l'assemblée départementale jusqu'en 2001. Il y déploya l'efficacité qui est très vite devenue sa marque, en faveur de l'aménagement du territoire et du développement économique de son département. Il fut toujours soucieux de mettre en valeur l'histoire et la richesse culturelle de ce département central dans lequel, dit-on, « battent puissamment les trois coeurs de la France ».
Auditeur de la quarante-septième session de l'Institut des hautes études de défense nationale en 1994-1995, il cultiva un intérêt jamais démenti pour les questions de défense. À ce titre, il fut désigné, en 1995, au Rassemblement pour la République, secrétaire national chargé de la défense, puis, en 1996, président fondateur de l'association Diplomatie et Défense.
Il fut aussi, à partir de 1993, rapporteur pour avis du budget des forces terrestres au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Une nouvelle page de son activité parlementaire s'écrivit alors.
Dès février 1996, il fut élu au bureau de cette même commission, à laquelle il allait montrer tant d'attachement.
Réélu au Sénat en 1998, il fut porté à la fois aux fonctions de vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense et de secrétaire national chargé des affaires européennes du Rassemblement pour la République. Dans ces nouvelles responsabilités, Serge Vinçon suscitera l'estime de tous par la pertinence de ses analyses, mais aussi par ses qualités humaines incomparables.
Continuant à remplir ses différents mandats, il décida en mars 2001 de ne pas se représenter à la présidence du conseil général du Cher, afin de privilégier le lien direct avec ses chers administrés saint-amandois. Ces derniers lui manifesteront sans réserve leur confiance en le renouvelant, encore une fois, à la tête de la commune.
Fort de ce parcours exemplaire, Serge Vinçon fut alors désigné par ses pairs aux fonctions de vice-président du Sénat. Chacun, dans cet hémicycle, se souvient de son doigté, de sa compétence et de son savoir-faire, et - pourquoi ne pas le dire ? - de sa gentillesse dans la conduite, parfois délicate, de nos débats.
La douce et talentueuse autorité dont Serge Vinçon fit preuve dans ces fonctions, puis, plus tard, à la tête de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, révélait à l'évidence une facette de sa personnalité : un homme profondément cultivé, subtil, à l'intelligence aiguisée, et qui aimait les autres sans faire de distinctions selon les fonctions ou les grades.
Parallèlement à son engagement politique, Serge Vinçon avait montré, dès son adolescence, une réelle passion pour la poésie et l'écriture. Sa réserve naturelle l'avait conduit à ne révéler que tardivement ce jardin secret. Il aura attendu l'an 2000 pour publier son premier recueil, intitulé Proésie, craignant jusqu'au dernier instant de se révéler sous un jour singulier. Il nous fit parfois, au Sénat, le plaisir de quelques démonstrations de son talent, rosissant, chaque fois, sous les compliments, comme un débutant.
« L'art est un jeu. Tant pis pour celui qui s'en fait un devoir », écrivait Max Jacob. Il est vrai que la poésie était pour Serge Vinçon, comme il l'avouait lui-même, l'achèvement de sa liberté de pensée, la soupape par laquelle il exprimait ses émotions les plus profondes.
Sa ville de Saint-Amand-Montrond fut l'objet constant de son inspiration, allant jusqu'à la mise en musique d'une de ses poésies.
En 2004, élu de la région Centre, Serge Vinçon démissionnera de son mandat, en application de la loi sur le cumul des mandats, mais il réalisera alors son voeu le plus cher en étant élu, en octobre de la même année, président de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il ne cessera alors d'être ce président plein de finesse, compétent, dynamique, assidu et efficace, que tous ici ont apprécié.
Assurant parallèlement la présidence active de groupes d'amitié, avec la Slovénie et avec la Jordanie, Serge Vinçon portait haut les couleurs du Sénat et ne dédaignait pas de porter aussi haut son engagement au service d'une certaine idée de la grandeur de notre nation.
C'est dans cet esprit qu'il prit une part active à la réforme du service national et à la professionnalisation de nos forces armées.
Serge Vinçon était de ces hommes publics chaleureux, toujours bienveillants et sachant s'intéresser à chacun, un homme d'une absolue fidélité envers les siens, d'une réelle authenticité dans l'engagement : double exigence qui s'impose, oui, qui s'impose à chacune et à chacun d'entre nous et qui demeure, sans aucun doute, la qualité éminente des grands serviteurs de la République.
Serge Vinçon restera pour tous une référence. Jusqu'au bout, jusqu'à l'extrémité de ses forces, jusqu'à ses derniers jours, il poursuivit sa tâche.
Il avait insisté, en juillet dernier, pour que la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont il était membre, se réunisse au Sénat, ce lieu où il apporta, avec modestie et efficacité, sa contribution personnelle à la démonstration permanente qu'il est une enceinte privilégiée de la réflexion et de la sagesse.
Ainsi fut Serge Vinçon, notre collègue, notre ami. Ce fils de la République en fut un serviteur éminent. S'il fit honneur au Sénat, à son département et à sa ville, il fut aussi l'honneur de la République.
À ses collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, unanimement touchés par la disparition de leur cher président, j'exprime toute la compassion du Sénat.
À ses collègues du groupe de l'UMP, cruellement éprouvé par la disparition, en moins d'un an, de quatre des siens, j'adresse mes sentiments de vive et profonde sympathie.
À son épouse, Bernadette, à sa fille, Maud, à ses parents et à tous ses proches qui vivent intensément la douleur de la séparation d'un être aimé, je tiens à dire combien nous partageons leur chagrin. Qu'ils soient assurés que, dans ces murs, la figure, la voix et le souvenir de Serge Vinçon resteront présents, à la mesure de l'homme d'exception qu'il fut.
Que Serge Vinçon repose en paix !
Je vous invite maintenant, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à observer une minute de silence en mémoire de notre collègue. (M. le Premier ministre, Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Fillon, Premier ministre. Madame, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est une tribune. Les hommes y existent d'abord par leur voix. Nous n'entendrons plus celle de Serge Vinçon.
Cette voix qui, je m'en souviens, se mêla à plusieurs reprises à la mienne lors de combats politiques communs, cette voix qui parlait avec douceur des Français, mais avec fermeté de la France, cette voix s'est éteinte le 16 décembre dernier.
Au moment de rendre hommage au sénateur du Cher, ancien vice-président du Sénat, j'ai relu quelques-unes de ses dernières interventions. J'ai retrouvé dans leur ton tout ce qui nous rendait Serge Vinçon si précieux, et qui, je m'empresse de l'ajouter, le rendait si utile à la France.
La justesse des termes, signe d'une connaissance exacte et, pour ainsi dire méticuleuse, des dossiers ; l'équilibre de la réflexion, indice de sa probité intellectuelle ; la parfaite courtoisie de l'homme, reflet de son élégance tranquille : tout cela recommandait le sénateur Vinçon à l'estime de tous.
Propriété des termes, équilibre des parties, ces qualités étaient d'abord celles de l'enseignant. Serge Vinçon avait su en faire celles de l'élu.
Le professeur de lettres était devenu maire de Saint-Amand-Montrond en 1983, président du conseil général du Cher en 1998, président de la commission de la défense, des affaires étrangères et des forces armées du Sénat en 2004.
Cette trajectoire récompensait l'homme de convictions et de rassemblement qu'il était.
Au sein de la commission de la défense, sa maîtrise des dossiers l'avait imposé comme l'un des plus brillants avocats de l'ambition stratégique et militaire française.
Serge Vinçon voulait une défense réactive, dotée de la doctrine et des équipements les plus modernes et les plus adaptés aux conditions géopolitiques. Il avait, je m'en souviens, oeuvré de manière décidée en faveur de la professionnalisation des armées.
Dans ce combat déjà ancien, j'avais trouvé en lui l'appui d'une conviction libre et éclairée.
Bourbonnais, Berry, Boischaut : Serge Vinçon avait son territoire aux confins de ces vieux pays français. Il en connaissait presque chaque famille, chaque paysage. Son amour de la nation trouvait là ses sources.
Pour Saint-Amand-Montrond, sa ville, il avait composé des poèmes. Reconnaissons la sincérité de l'homme à cette attention inattendue. Nous avons tous l'amour de nos territoires ; Serge Vinçon, homme de lettres, homme de coeur, avait pris le temps de l'exprimer, à sa manière attachante. En consacrant une Cité de l'or à la tradition locale de l'orfèvrerie, il avait montré que le raffinement, la richesse et le rêve existent au coeur des pays les plus discrets.
Serge Vinçon obéissait à la rigueur de ses mandats sans étouffer la sensibilité de son tempérament. Son engagement politique n'altérait pas la tempérance de ses jugements, ne rompait jamais le fil de son humanisme.
Il avait le sens des responsabilités historiques, la conscience profonde de ce que chaque homme doit à sa ville, à sa terre et à son pays.
Il honorait cette assemblée de son dévouement et de sa droiture.
Sa hauteur morale et intellectuelle était mise au service d'une certaine idée de la France. Je serai fidèle à son souvenir si j'ai pu rappeler en quelques mots tout ce que la République lui doit.
Au nom du Gouvernement, mais aussi en mon nom personnel, j'adresse à sa famille et à ses proches le témoignage de notre affection.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de vous associer personnellement et au nom du Gouvernement à la tristesse qui est la nôtre.
Mes chers collègues, conformément à notre tradition, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants en signe de deuil.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.
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Titre XV de la Constitution
Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (nos 170, 175).
Motion tendant à demander un référendum
M. le président. J'informe le Sénat que, en application de l'article 67 du règlement, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat présente une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.
Ce n'est pas la première fois qu'une motion tendant à renvoyer un projet de loi au référendum est déposée sur le bureau de notre assemblée, mais c'est la première fois qu'une telle motion concerne un projet de loi de révision constitutionnelle, dont la procédure d'adoption est prévue par l'article 89 de la Constitution.
Certes, il est arrivé que l'article 11 de la Constitution, auquel renvoie notre règlement, ait pu être utilisé pour réviser la Constitution, mais il s'agit d'un point de droit controversé sur lequel il me paraît préférable, avant de constater la recevabilité de cette motion, de consulter la commission des lois.
Je propose donc de suspendre la séance pour laisser le temps à celle-ci de donner son avis sur ce point.
Monsieur le président de la commission des lois, de combien de temps souhaitez-vous disposer pour examiner la recevabilité de la motion ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Quinze minutes au moins me paraissent nécessaires. Mais nous sommes à vos ordres, monsieur le président !
M. Jean-Luc Mélenchon. À quoi bon réunir la commission avant de savoir si la motion est recevable ? Vérifions d'abord cela : nous gagnerons du temps !
M. le président. C'est justement l'objet de la réunion de la commission.
M. Robert Bret. Nous tiendrons bon, monsieur le président !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. le président de la commission des lois, pour faire part des conclusions de la commission sur la motion déposée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois La commission des lois a examiné cette motion.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et elle s'est prononcée grâce à des pouvoirs donnés par des absents ! C'est une honte !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle a constaté, d'une part, que le projet de loi dont le Sénat est saisi était, non un projet de loi simple, mais un projet de loi constitutionnelle et, d'autre part, qu'il nous était soumis dans le cadre de la procédure de l'article 89 de la Constitution, sur l'initiative du Président de la République, non dans le cadre de la procédure de l'article 11.
Pour ces deux motifs, la commission des lois estime que la motion tendant à soumettre à référendum ce projet de loi est irrecevable.
M. le président. Le Sénat va se prononcer sur la recevabilité de cette motion référendaire.
J'indique d'ores et déjà que j'ai été saisi par M. Henri de Raincourt, au nom du groupe UMP, d'une demande de scrutin public.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ferai d'abord observer que le bureau du Sénat aurait, en principe, dû être saisi pour se prononcer sur la recevabilité de cette motion.
En tout état de cause, la décision appartient à notre assemblée tout entière et non à la commission des lois, qui a d'ailleurs statué avec des pouvoirs d'emblée suspects puisque ceux qui les ont donnés ne savaient pas qu'elle allait se réunir. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.)
Nous avons déposé, en vertu de l'article 67 de notre règlement, une motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi constitutionnelle dont nous devons débattre aujourd'hui.
L'article 67 indique que seuls les textes portant sur les matières définies à l'article 11 de la Constitution relèvent de ce type de motion.
Avec les cosignataires de cette motion, j'affirme que notre demande est légitime, et cela pour deux raisons.
Premièrement, un débat doctrinal existe depuis les deux précédents de 1962 et 1969, dates auxquelles deux projets de loi portant révision de la Constitution ont été soumis au référendum par le général de Gaulle.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non, ce ne sont pas des précédents puisque ces révisions s'appuyaient sur l'article 11, qui a d'ailleurs été modifié depuis !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu'on conteste ou non le bien-fondé du recours, à l'époque, à l'article 11, ces précédents existent et, dès lors, soumettre au référendum ce projet de révision est juridiquement acceptable.
MM. Pierre Avril et Jean Gicquel, dans leur ouvrage de référence sur le droit parlementaire, le confirment : « L'application de l'article 89 de la Constitution n'est pas exclusive en matière de révision, comme l'a montré le précédent de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962, dont les articles 1er et 2 révisent les articles 6 et 7 de la Constitution en instituant l'élection au suffrage universel du Président de la République. Adoptée suivant la procédure de l'article 11 de la Constitution par le référendum du 28 octobre 1962, cette loi avait naturellement été soustraite à l'élaboration parlementaire. »
Rien n'empêche une mise en oeuvre de l'article 11 sur une révision constitutionnelle. Certains pourraient tenter de s'opposer à cette démarche, ce que fait apparemment la majorité de la commission des lois, en indiquant que l'article 11 s'appliquerait aux seuls projets de loi, excluant de son champ les lois organiques et constitutionnelles.
Là encore, si le doute peut exister, la doctrine est claire. MM. Prélot et Boulouis, dans leur ouvrage Institutions politiques et droit constitutionnel, sont explicites : « L'article 11 mentionne ?tout projet de loi?. Or cette formule englobe bien les projets de loi de révision comme les autres. Il ne pourrait en être autrement que si une exclusion particulière était indiquée. Tel n'est pas le cas. »
J'ajouterai que le fait que nous soyons dans une procédure globale de ratification, dont la révision est l'un des éléments au titre de l'article 54 de la Constitution, légitime plus encore notre démarche.
Notre deuxième argument, une fois la recevabilité juridique démontrée, est plus politique.
Je vous rappelle que l'article 89 de la Constitution pose le principe du référendum pour le vote d'une révision de la Constitution.
C'est le Président de la République, et lui seul, qui décide de s'interposer entre le Parlement et le peuple pour clôturer la discussion en convoquant le Parlement en Congrès.
Contrairement à ce qui est prétendu, il n'est pas valorisant pour les assemblées de supplanter le peuple. Affirmer les droits du Parlement, c'est lui permettre de répondre à la démarche du Président de la République en se déclarant en quelque sorte incompétent et en renvoyant la décision au peuple.
À l'heure où l'on parle beaucoup des droits du Parlement, n'est-ce pas un point fondamental que de permettre aux parlementaires de ne pas accomplir un déni de démocratie en ne validant pas définitivement une révision de la Constitution que le peuple avait, de fait, censurée deux ans auparavant ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non ! Le peuple n'a rien censuré !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous estimons donc que, politiquement et juridiquement, cette motion tendant à soumettre le présent projet de révision constitutionnelle est pleinement recevable et doit être maintenant discutée par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous entamons en cet instant un débat qui n'est ni secondaire ni médiocre : nous allons traiter de l'avenir politique du continent européen et de la place particulière de notre patrie républicaine en son sein.
Je crois que l'importance du sujet mérite de la délicatesse dans l'écoute des arguments qui vont être présentés.
Enfin quoi ! Notre assemblée ne se prévaut-elle pas souvent de sa sagesse, de la distance qu'elle met à l'égard des passions ? Et voilà que, au moment où s'amorce la discussion sur l'une des questions clés du débat - il s'agit, ni plus ni moins, de la méthode ! -, est convoquée de manière impromptue une commission qui, bien sûr, a toute légitimité à donner son avis, mais dont nous savons tous qu'elle n'est pas l'organe qui aurait dû se prononcer sur la recevabilité de cette motion : c'est le bureau du Sénat qui aurait dû le faire.
Et elle tranche, alors qu'elle vient d'être convoquée à l'instant même, en votant avec des procurations !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et alors ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Comment pouvons-nous croire que les collègues absents avaient eu la prescience de la question qui allait leur être posée cet après-midi au point d'avoir signé des pouvoirs pour trancher à leur place ? (Fortes manifestations d'approbation et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
MM. Jean-Pierre Michel et Michel Dreyfus-Schmidt. C'est scandaleux !
M. Marcel Rainaud. C'est lamentable !
M. Jean-Pierre Raffarin. N'exagérons rien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Personne ne peut le croire ! Ce sont des facéties que l'on croyait réservées à des assemblées moins constitutionnelles que les nôtres...
Nous allons en fait devoir répondre à deux questions de fond.
M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Mélenchon, mais je tiens à préciser, pour la clarté du débat, que les pouvoirs dont disposaient certains de nos collègues ont été déposés ce matin. Par conséquent, les intéressés ne savaient pas que ce débat aurait lieu à l'ouverture de cette discussion. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. On vous l'avait bien dit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est contraire au règlement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous remercie de cette précision, monsieur le président. J'ai presque le sentiment qu'elle vient à l'appui de ma démonstration !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Bien sûr !
M. Jean-Luc Mélenchon. En effet, nos collègues, ce matin, ne pouvaient pas savoir pour quoi ils donnaient pouvoir, par définition. Merci de l'avoir précisé !
M. Jean-Pierre Michel. Tout mandat impératif est nul !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous savons tous que deux questions nous sont posées.
La première porte sur l'appréciation que nous portons, en conscience, librement, sur le contenu du traité.
La seconde concerne la façon de trancher.
Cette seconde question n'est pas purement formelle. Elle touche à l'idée qu'on se fait, non seulement du fonctionnement de la démocratie française, mais, plus généralement, de la crise que traverse l'Union politique européenne, qui est d'abord une crise de confiance des peuples, quelle que soit l'analyse qu'on fasse des racines de cette crise.
Car enfin, cela éclate aux yeux de tous ! C'est ce qui explique pourquoi, de manière folle, les gouvernements signataires ont pu décider que faisait partie de la méthode du traité le fait que l'on ne consulterait nulle part les peuples par référendum !
Et l'on a pu voir la Slovénie, présidant pour la première fois l'Union européenne, donner des leçons au Portugal, démocratie confirmée, pour qu'il n'organise pas un référendum !
Quant aux électeurs roumains, appelés pour la première fois à désigner leurs représentants au Parlement européen, ils ont été plus de 70 % à s'abstenir. C'est bien la preuve d'une crise immense de la démocratie sur ce continent...
M. Robert Bret. Déficit démocratique !
M. Jean-Luc Mélenchon. ...et la première des réponses que l'on devrait apporter, c'est de tout faire pour y augmenter la force de la démocratie !
Certes, nous pouvons être minoritaires. Vous pouvez ne pas nous suivre dans nos arguments. Vous pouvez considérer que nous nous trompons, qu'il convient de ratifier ce traité par la voie parlementaire, et cette argumentation a d'ailleurs sa dignité. Mais que l'on ne nous cloue pas la bouche avec des procédés aussi artificiels que ceux que vous utilisez ! Nous voulons pouvoir parler...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous aurez tout le temps de le faire !
M. Jean-Luc Mélenchon. ...et dire qu'en cette matière nous croyons que, conformément à notre histoire la plus profonde et à nos traditions, il n'est d'autre souverain que le peuple, qui s'est déjà prononcé sur ce même sujet...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !
M. Jean-Luc Mélenchon. ...et à qui, toujours plus durs et entêtés, vous annoncez par vos méthodes brutales que vous entendez le priver de son droit à la parole !
Voilà ce qui est en cause et il me coûte de devoir dire, car j'ai beaucoup de respect pour le président de la commission des lois, que le procédé utilisé est misérable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, sans vouloir aborder le fond d'un débat qui peut nous diviser...
M. Josselin de Rohan. Surtout vous ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Robert Bret. Ne parlez pas trop vite !
M. Robert Hue. Pas de leçon !
M. Michel Charasse. Vous savez, en matière de division...
Plusieurs sénateurs socialistes. Combien de divisions ?... (Sourires.)
M. Michel Charasse. Oui : combien de divisions ?
Donc, sans vouloir aborder le fond, je pense, monsieur le président, que nous touchons, avec cette affaire de recevabilité - et je m'en tiendrai à ça - à un point particulièrement sensible et délicat s'agissant du sujet qui nous occupe et des procédures constitutionnelles qui peuvent être mises en oeuvre.
J'aurais préféré, moi aussi, que ce soit le bureau qui soit appelé à trancher. Mais, après tout, vous avez choisi de consulter la commission des lois, elle a donné un avis : ne chipotons pas...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas elle qui tranche !
M. Michel Charasse. ...puisque vous allez tout à l'heure, monsieur le président, demander au Sénat de se prononcer sur la recevabilité,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Michel Charasse. ... et que toute autre manière de faire aurait été un coup de force contre la libre décision de cette assemblée. Donc, je vous donne volontiers acte de cette demande.
Mais le problème, c'est que, pour la première fois depuis longtemps, le Sénat nous suggère de revenir sur la doctrine fondamentale selon laquelle la révision constitutionnelle peut emprunter soit la voie de l'article 11 soit celle de l'article 89.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux !
M. Michel Charasse. Je vous ai écouté, monsieur le président de la commission des lois, et je parle sans pouvoirs ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Gautier. Mais avec conviction !
M. Michel Charasse. Par conséquent, vous pouvez m'écouter !
L'article 11 de la Constitution dit que peut être soumis au référendum « tout projet de loi » : il ne précise pas constitutionnelle ou ordinaire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !
M. Michel Charasse. J'ajoute que, quand on lit l'article 89, on s'aperçoit que, si le « projet de loi constitutionnelle » existe en pratique, il ne figure pas dans cet article, qui ne parle que de « projet ou proposition de révision ».
C'est pour des raisons purement pratiques qu'on a pris l'habitude d'appeler ces textes « projets de loi constitutionnelle » pour les distinguer des projets de loi ordinaire, dont l'initiative appartient au Premier ministre, alors que, pour les projets de révision, appelés donc par commodité « projets de loi constitutionnelle », l'initiative appartient au président de la République.
Les autorités constitutionnelles n'avaient, avant 1962, qu'une seule solution, la voie de l'article 89, pour modifier la Constitution - en tout cas, c'est ce qu'ont toujours pensé les rédacteurs et les commentateurs de la Constitution de 1958. Jusqu'au jour où le général de Gaulle a décidé qu'un projet de loi ordinaire - puisque les projets de loi constitutionnelle, ça n'existe pas - dont il n'était pas formellement l'auteur serait, sur proposition du Gouvernement et par la voie de l'article 11, soumis au référendum pour modifier une disposition de la Constitution, et non des moindres : l'élection du Président de la République au suffrage direct.
La doctrine s'est divisée. Cette assemblée, sous l'autorité du président Monnerville, s'est très vivement opposée au Président de la République,...
M. Jean-Michel Baylet. La forfaiture !
M. Michel Charasse. ... mais il se trouve que les Français ont adopté par un référendum de l'article 11 et ont ainsi validé sans contestation possible la procédure choisie par le général de Gaulle. Aussi, lorsqu'en 1969 le général de Gaulle a engagé, à nouveau en vertu de l'article 11, un processus référendaire pour réformer les règles constitutionnelles concernant le Sénat et les régions, il n'y a plus eu de controverse sur la question du choix entre l'article 11 et l'article 89.
J'en veux pour preuve qu'un président que j'ai aimé et servi, et qui, en 1962, n'a pas été le dernier à s'opposer à la procédure alors choisie par le général de Gaulle, a dit et a écrit dans la revue Pouvoirs en avril 1988 que, dès lors que le peuple français avait validé la procédure de l'article 11, il fallait admettre qu'il y avait bien deux procédures, celle de l'article 11 et celle de l'article 89.
M. Louis Mermaz. Exact !
M. Michel Charasse. Il a seulement ajouté qu'il considérait que seules des questions simples pouvaient être posées par référendum de l'article 11 car, lorsqu'il y avait un texte ou des questions complexes, il était préférable que le vote référendaire soit éclairé préalablement par un débat parlementaire à l'Assemblée nationale et au Sénat, comme le veut l'article 89.
Donc, mes chers collègues, la République a le choix entre deux procédures : soit l'article 89, si l'on veut un débat préalable dans les deux chambres ; soit l'article 11, comme l'a décidé le général de Gaulle à deux reprises.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Une fois !
M. Michel Charasse. La seule différence, c'est que, pour l'article 11, le président n'a l'initiative que s'il est saisi d'une proposition référendaire par le Gouvernement ou le Parlement, alors que, pour l'article 89, il décide librement, sans que personne ne lui demande rien, s'il choisira, après débat parlementaire, le Congrès ou le référendum.
Mes chers collègues, je conclus : cette procédure de l'article 11 a été validée par le peuple et l'on ne voit pas ce qui, littéralement, dans la Constitution, dès lors qu'aucun de ses articles ne parle de « projet de loi constitutionnelle », pourrait conduire à considérer que seuls les projets de loi ordinaires peuvent être soumis au référendum de l'article 11, d'autant plus que par deux fois la pratique, validée par le peuple, a dit le contraire.
Alors, mes chers collègues, faire décider aujourd'hui par le Sénat- et par cette seule assemblée - que seul l'article 89 peut être employé pour une révision de la Constitution, c'est une manière indirecte de remettre en cause - et, monsieur le président, il doit quand même y avoir quelques gaullistes encore présents dans cet hémicycle,...
Un sénateur socialiste. Ce n'est pas sûr...
M. Michel Charasse. ... j'en vois, et je les sais sincères ! -, la doctrine du père de la Constitution qu'est le général de Gaulle et la sanction donnée par la souveraineté nationale en 1962.
M. Jean-Michel Baylet. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Michel Charasse. C'est la raison pour laquelle opposer l'irrecevabilité constitue un retour en arrière insupportable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, on nous parle d'améliorer les relations entre l'exécutif et le législatif, de changer les méthodes du Sénat... Billevesées !
Rien de tout ça, au contraire, et je tiens à protester, une fois de plus, contre les méthodes employées, qui sont indignes, non seulement du Sénat, mais de la démocratie !
Depuis des années, je répète que le règlement de notre assemblée prévoit que, pour les décisions prises en commission, un membre de la commission considérée ne peut donner pouvoir que s'il est en mission ou s'il est malade, et depuis des années je demande que cette règle s'applique !
Or la majorité viole cette règle tous les jours. Les commissions sont organisées de telle manière qu'il y a toujours des pouvoirs pour les membres de la majorité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et parfois pour ceux de l'opposition !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cette situation est tout à fait scandaleuse. Et que l'on ne prétende pas que l'on va changer les choses !
Au Sénat, décidément, il n'y a que les absents qui décident. Cela a été le cas tout à l'heure en commission puisqu'il y a eu, grâce aux pouvoirs préparés, quatorze voix d'un côté, alors qu'il n'y avait que huit présents de ce côté-là, ce qui signifie en vérité que nous, membres de l'opposition, nous étions en majorité...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'y avait que cinq pouvoirs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non ! Quatorze contre huit...
M. Charles Gautier. Huit présents et quatorze virtuels !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De même, a été demandé dans cet hémicycle il y a un instant un scrutin public, ce qui signifie que, une fois de plus, ce sont les absents qui décideront !
On peut parler du général de Gaulle, de sa Constitution et de précédents, mais croyez-vous, mes chers collègues, que c'est cela, la démocratie ? Sûrement pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la recevabilité de la motion.
Je rappelle que je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 71 :
Nombre de votants | 325 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l'adoption | 119 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas retenu la recevabilité de la motion référendaire.
M. Jean-Luc Mélenchon. Où sont les 203 qui ont voté contre ?
M. Yannick Bodin. Vive les absents !
5
article 11 de la Constitution
Demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. En application de l'article 30 du règlement, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat demande la discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle présentée par elle-même ainsi que MM. Robert Bret, Jean-Luc Mélenchon, Charles Gautier, Jean Desessard et Mme Alima Boumediene-Thiery visant à compléter l'article 11 de la Constitution par un alinéa tendant à ce que la ratification d'un traité contenant des dispositions similaires à celles d'un traité rejeté fasse l'objet de consultation et soit soumise à référendum.
La demande de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat est signée par au moins trente sénateurs.
Conformément au quatrième alinéa de l'article 30 du règlement, il va être procédé à l'appel nominal des signataires.
Huissier, veuillez procéder à l'appel nominal.
(Répondent à l'appel de leur nom les signataires suivants : Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Guy Fischer, Mme Éliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Robert Bret, Jean-Claude Danglot, Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade, MM. Bernard Vera, Jean-François Voguet, Jean-Luc Mélenchon, Charles Gautier, André Lejeune, Mme Bariza Khiari, MM. Michel Charasse, Marcel Rainaud, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Pierre-Yves Collombat, Jean-Pierre Michel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mmes Josette Durrieu, Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean Desessard).
M. le président. La présence d'au moins trente signataires ayant été constatée, il va être procédé à l'affichage de la demande de discussion immédiate sur laquelle le Sénat sera appelé à statuer, conformément à l'article 30 du règlement, à la fin de l'ordre du jour prioritaire de la présente séance.
La demande va être communiquée sur-le-champ au Gouvernement.
La règle veut que le débat sur cette demande de discussion ne puisse intervenir qu'après la fin de l'examen en séance publique du ou des textes inscrits à l'ordre du jour. Toutefois, la tradition constante du Sénat est d'interpréter l'article 30 du règlement comme permettant l'examen de la demande de discussion immédiate à la fin de la séance publique au cours de laquelle elle a été formulée. Nous débattrons donc de cette demande à la fin de la séance d'aujourd'hui.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il vous faudra être présents, chers collègues !
6
Titre XV de la Constitution
Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà soixante ans qu'en France, avec détermination et constance, l'intérêt national épouse l'ambition européenne ; soixante ans que la passion française trouve dans l'aventure européenne son horizon, son aboutissement, l'élargissement de ses perspectives aux dimensions plus vastes de notre continent ; soixante ans que le rêve européen reçoit de l'initiative française ses élans et ses caps.
Soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est plus qu'une ambition, plus qu'une aventure, plus qu'un rêve : elle est cette réalisation commune à laquelle vingt-sept pays libres se sont joints pour s'accorder mutuellement les garanties de la paix et partager les réussites de l'intégration économique et monétaire.
Gouvernements de gauche ou de droite, de l'Ouest ou de l'Est, tous ont bâti notre maison commune, qui est sans équivalent au monde. L'entreprise européenne est inédite, radicalement nouvelle. Nulle part ailleurs un tel défi n'a été lancé : unir un continent ravagé par des siècles de guerres et d'hostilité ; créer un ensemble continental cohérent, quand les anciens empires européens avaient laissé le souvenir de tant de luttes ; construire les moyens d'agir collectivement, tout en préservant les spécificités nationales, si chèrement acquises.
La construction européenne est en train de réussir ce pari que beaucoup jugeaient insensé. L'Union européenne a beaucoup de compétences, beaucoup de pouvoirs, mais sa force ne vient ni de la contrainte armée ni de la domination d'une coalition d'États sur les autres.
Sa force, c'est la libre volonté d'union qui joint ses États membres. Les élargissements successifs en sont la preuve éclatante.
Sa force, c'est son mode de décision démocratique, que ce soit au Conseil ou au Parlement européen, et ce caractère démocratique est notablement renforcé par le traité de Lisbonne.
Sa force, c'est la synthèse entre les institutions démocratiques de l'Union et l'identité préservée des États membres, synthèse que le traité de Lisbonne réaffirme clairement.
La seule vraie force de contrainte qui régisse l'Union, c'est le respect du droit, pierre angulaire de la construction européenne. Le règne du droit démocratiquement élaboré a remplacé en Europe celui de la violence comme moyen de contrainte ultime. C'est un progrès fondamental, qui fait de l'Europe une vraie terre de civilisation, ainsi qu'un exemple pour d'autres régions du monde.
C'est afin de saluer le rôle du droit européen que j'ai profité de ma rencontre avec Jean-Claude Juncker, vendredi dernier, à Luxembourg, pour accomplir la première visite d'un Premier ministre français auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.
Constatons-le une fois de plus, avec une reconnaissance particulière pour ceux dont le courage a précédé et préparé nos efforts : devant cet exceptionnel objet de fierté qu'est l'Europe, les hésitations, les lenteurs, les réticences ont toujours cédé le pas. Ils doivent continuer de le faire aujourd'hui.
Faut-il le rappeler, j'ai été moi-même opposé au traité de Maastricht, un texte imparfait, dans lequel les avancées économiques de la construction ne recevaient pas, selon moi, une contrepartie politique suffisante. Je n'ai pas été le seul à redouter l'avènement d'une Europe boiteuse, incapable de gouverner comme il l'aurait fallu l'intégration économique poussée qu'elle se promettait d'atteindre.
J'ai constaté depuis lors, comme beaucoup d'autres, que mes craintes n'étaient pas infondées. Aujourd'hui, le traité de Lisbonne leur répond et les apaise. À l'heure où l'accueil des anciens pays de l'Est exige une adaptation de nos procédures, il clarifie le fonctionnement politique de l'Europe et il en renforce opportunément les structures.
Encore cette satisfaction institutionnelle n'est-elle pas la seule raison de mon intervention : d'autres motifs relèvent de mon sentiment intime, et je sais qu'ils parlent aux Français.
Dans le projet européen converge, mesdames, messieurs les sénateurs, l'essentiel de nos héritages culturels et humains. L'expérience démocratique, universitaire, scientifique et industrielle : autant de domaines dans lesquels l'histoire a donné à nos pays le privilège d'une fertilité séculaire !
Nous sommes - vous, moi, Français, Européens - les détenteurs d'un grand patrimoine intellectuel, artistique, philosophique et institutionnel commun. De Londres à Athènes, de Madrid à Varsovie, nous sommes les héritiers de cet espace à la fois charnel et imaginaire où nos manières de vivre et de penser s'enracinent.
Je vous livre cette conviction personnelle, telle qu'elle m'a toujours guidé : plus le XXIe siècle se révèlera secoué de tensions nouvelles, travaillé par le déplacement des lignes de partage, tiraillé de conflits, plus grande nous apparaîtra la valeur de l'espace d'équilibre européen !
Au service de cet idéal de progrès et de rayonnement, le Président de la République a réclamé la constitution d'un groupe de réflexion, capable de projeter sur l'avenir les traits de notre projet européen. Le Conseil européen de décembre 2007 a décidé la création du groupe « Horizon 2020-2030 », présidé par Felipe Gonzales.
Ce groupe veut poser sans détour les questions que l'Europe adresse à notre génération, et dont la réflexion institutionnelle ne doit pas faire oublier la primauté. Quel modèle de société voulons-nous pour l'Union ? Quelle identité ? Quelles frontières ? Quelle civilisation désirons-nous construire ensemble ? Mesdames, messieurs les sénateurs, ces grandes interrogations coïncident avec l'étape institutionnelle que nous devons franchir aujourd'hui.
Avec le traité de Lisbonne, la France reprend la main en Europe, et c'est l'Europe elle-même qui se trouve relancée. Il y a quelques mois seulement, sous le coup de notre hésitation, l'Europe marquait un temps d'arrêt. Le double « non » français et néerlandais l'entravait. L'inquiétude et le doute tournaient tous les regards vers nous. Pourquoi ? Parce que nous les éprouvions nous-mêmes.
Nicolas Sarkozy a pesé de toute sa volonté pour que soit dépassée cette querelle franco-française qui s'est révélée sans issue. Il a compris que les partisans du « non » et ceux du « oui », s'ils ne s'accordaient pas sur une même idée de l'Europe, partageaient le même désir de la voir avancer. Il s'est alors efforcé de transcender les clivages qui, en divisant la France, immobilisaient l'Europe.
Il s'est engagé, pendant la campagne présidentielle, à ce qu'aboutissent, rapidement, nos points de consensus. Sa promesse était réaliste, transparente. Elle a été invariable : négocier un nouveau traité, plus simple, qui concrétise les avancées institutionnelles urgentes, tout en prenant acte des craintes exprimées par le « non » majoritaire ; une fois ce traité négocié, le faire valider le plus rapidement possible par le Parlement.
Tout au long de sa campagne, Nicolas Sarkozy a énoncé à haute voix sa stratégie pour l'Europe. Personne - je dis bien « personne » ! - ne peut lui reprocher d'être resté fidèle à ce qu'il avait dit, fidèle à ce qu'il a fait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
C'est fort de la confiance que les Français lui ont accordée...
M. Robert Bret. Elle est en baisse !
M. François Fillon, Premier ministre. ...que le Président de la République, en coordination avec Mme Angela Merkel, alors présidente de l'Union européenne, a négocié le traité nouveau. Et c'est fort de cette même volonté que nous allons faire aujourd'hui un pas essentiel vers sa ratification.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, convenons que le Président de la République, en prenant la mesure des craintes françaises, a fait tomber devant nous la plupart des obstacles à ce vote.
Le premier obstacle était la nature même du texte. La notion de constitution paraissait redoutable, elle a disparu. Le traité de Lisbonne complète et affine les traités existants. Il respecte le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, rebaptisé traité sur le fonctionnement de l'Union, sans se placer au-dessus d'eux. Les symboles constitutionnels ont disparu.
Le deuxième obstacle était la concurrence libre et non faussée, dont le texte de 2005 faisait un objectif pour l'Europe. Le texte actuel la replace au rang plus juste de « moyen » du dynamisme économique.
Le troisième obstacle, effacé lui aussi, était l'incertitude sur le rôle des parlements nationaux. Le traité de Lisbonne le renforce dans des proportions tout à fait remarquables. Pour la première fois, grâce au contrôle de subsidiarité, un traité européen vous ouvre la possibilité de peser sur les propositions de la Commission.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Robert del Picchia. Bravo !
M. François Fillon, Premier ministre. Conformément au désir des Français, le même traité renforce le rôle et les compétences des États et des collectivités territoriales. Il précise et éclaire leurs prérogatives. Il indique ainsi, explicitement, que la sécurité nationale reste « de la seule responsabilité de chaque État membre ». Pour préserver les services publics, auxquels nos concitoyens sont attachés et il le rappelle régulièrement, le rôle déterminant des autorités nationales, régionales et locales dans leur organisation se voit désormais garanti.
Enfin, et c'est là le principal motif d'optimisme, le traité de Lisbonne assure à l'Europe des moyens d'action renouvelés.
Je suis convaincu que les Français, dans leur majorité, ne se défient pas d'une Europe qui bouge, qui décide et qui intervient. Ce qu'ils redoutent, c'est exactement le contraire : c'est une Europe inerte, pesante, engoncée dans des procédures qui la ralentissent et la condamnent à l'impuissance.
Le traité de Lisbonne éloigne cette menace par plusieurs dispositions.
Le choix d'un président du Conseil européen, élu pour deux ans et demi renouvelables, va conférer à l'institution politique suprême un visage et une stabilité.
La nomination d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, jouissant de moyens renforcés, permettra à l'Union de développer une véritable politique extérieure commune.
Le nouveau traité ouvre la possibilité, pour un groupe d'États, de créer des coopérations structurées dotées de pouvoirs larges. Il crée, pour la défense européenne, ce cadre d'action dont les crises régionales rappellent régulièrement la nécessité.
Le traité instaure un processus de décision plus démocratique et plus efficace. Il élargit le champ de la majorité qualifiée, mesure de bon sens pour permettre de surmonter les blocages que la règle du consensus occasionnait inévitablement, dans une Europe plus vaste et plus nombreuse.
Au Conseil, les pays les plus peuplés, comme la France, seront favorisés par le choix de la double majorité comme mode de vote. Le Parlement européen verra ses pouvoirs renforcés.
Ce sont là les gages d'un progrès de la vie démocratique en Europe.
Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, le traité de Lisbonne ne s'arrête pas à ces dispositions institutionnelles.
Pour coordonner nos politiques économiques, il institutionnalise l'Eurogroupe et lui confère un pouvoir de décision.
La question énergétique s'annonce, avec le problème environnemental, comme l'un des grands défis du siècle prochain. Pour le relever, le nouveau traité instaure le principe essentiel de la solidarité entre États membres. Il offre au Conseil la possibilité d'adopter les mesures nécessaires, en cas de difficulté d'approvisionnement énergétique.
Chaque pays possède, en matière sociale, ses approches, ses traditions et ses exigences. Pour qu'elles soient reconnues de manière respectueuse, les partenaires sociaux se voient confirmés dans leurs missions. Le traité de Lisbonne instaure une clause sociale générale, de portée très large. Aux termes de cette clause, l'Union devra prendre les exigences sociales en compte dans l'ensemble de ses politiques. Par ce biais, je tiens à le répéter devant vous, la pérennité de nos services publics reçoit de l'Europe une garantie exceptionnelle, la plus forte depuis les prémices de notre engagement communautaire. (M. Jean-Patrick Courtois applaudit.)
Tous ici, nous avons redit notre détermination à faire de l'Europe un vaste espace de liberté, de sécurité et de justice. Pour y parvenir, le traité de Lisbonne améliore la manière dont peuvent être traités, à l'échelon européen, des sujets comme l'immigration, légale ou illégale, et le rapprochement des législations pénales. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontalière, le traité attribue à Eurojust des moyens plus importants. Il prévoit la possibilité de créer un parquet européen.
Il dote enfin l'Union d'une charte des droits fondamentaux jouissant d'une valeur juridique égale à celle des traités.
Acceptons-en les promesses : le traité de Lisbonne apparaît aujourd'hui comme une chance unique de réconcilier la prudence légitime des Français avec leur ambition européenne. Après le référendum, on nous a expliqué qu'il existait une France du « oui » et une France du « non » ; qu'une partie du pays résistait à la poursuite de la construction communautaire ; que deux camps, aux frontières nettes, se dressaient l'un contre l'autre.
La vérité, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est qu'il n'existe qu'une seule France, qu'elle souhaite jouer tout son rôle dans la construction européenne...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'en savez rien, vous ne consultez pas le peuple !
M. François Fillon, Premier ministre. ...et que si elle a pu faire preuve de beaucoup de circonspection devant les manières d'y parvenir, elle tient, avec le traité de Lisbonne, une réelle occasion d'accomplir sa volonté selon ses voeux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la dernière décennie, jalonnée de querelles, aura été pour les institutions européennes et pour ceux qui espèrent en elles une décennie d'épreuves.
Nous avons connu le traité d'Amsterdam, qui, à peine signé, était aussitôt remis en question. Nous avons connu le débat entre fédéralistes et partisans d'une Europe intergouvernementale. Au terme de ce débat, nous avons connu le traité de Nice, délicat à négocier, et le projet constitutionnel européen, impossible à conclure.
Nous avons eu plus que notre part de lassitude et de conflit. Aujourd'hui, avec le traité de Lisbonne, plus réaliste, centré sur des équilibres plus respectueux du dessein français, une part du rêve original revit, une part de la ferveur initiale redevient possible.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Le rôle et les compétences des États membres sont réaffirmés, par-delà les inquiétudes. Les moyens d'action de l'Union sont confortés, par-delà toute impuissance. La parole est rendue à l'essentiel, c'est-à-dire à l'expression de nos priorités politiques.
La présidence française du second semestre 2008 va jouir d'une faveur marquée : elle aura la possibilité de recentrer sur ces priorités un débat trop longtemps confisqué par les questions institutionnelles. Elle aura la possibilité d'agir.
Que demandent les citoyens européens aujourd'hui ? Ils demandent une lutte efficace contre le réchauffement de la planète ; une politique énergétique axée sur la sécurité des approvisionnements ; une véritable politique commune de l'immigration, dont le chef du gouvernement espagnol a appuyé l'idée voilà quelques semaines à Paris ; une politique européenne de défense enfin digne de ce nom ; des mesures particulièrement vigilantes de stabilisation et de transparence pour les marchés financiers ; enfin, le lancement d'une revue générale des politiques européennes, de leur efficacité et de leur coût, analogue à la revue générale des politiques publiques que mon gouvernement mène en France.
Entre ces priorités politiques européennes et nous, il n'y a plus que l'adhésion au traité de Lisbonne. Pour nous consacrer de manière durable à la préparation de l'avenir, pour mettre en oeuvre les choix les plus clairs des Français, il n'y a plus qu'un texte à ratifier.
La France, future présidente, sera largement responsable de la mise en oeuvre technique et politique du traité au 1er janvier 2009. Pour jouer dans l'Europe le rôle de moteur et de référence auquel elle prétend, elle se doit de ratifier ce traité le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Michel Mercier applaudit également.)
Le Président de la République a décidé en conséquence de saisir le Conseil constitutionnel dès le lendemain du Conseil européen de Lisbonne, avant même d'amorcer les procédures de ratification.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 20 décembre dernier. Sa décision a conduit à la rédaction du projet de loi qui va vous être présenté par Mme le garde des sceaux et par M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Ce projet de loi constitue la première étape, indispensable, à la ratification du traité de Lisbonne par la France. Il dépose entre vos mains, mesdames, messieurs les sénateurs, de larges espérances : celles de la France, qui croit à son avenir européen, celles de l'Europe, qui guette l'impulsion française avec une attention extrême. Je veux croire que le Sénat sera l'interprète de cette double espérance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - M. Georges Mouly applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté est le préalable à la ratification du traité de Lisbonne. Ce traité, le Premier ministre vous l'a dit, est ambitieux. Il est nécessaire.
La procédure de ratification doit respecter deux étapes. Nous devons commencer par réviser notre Constitution. Il faut la rendre compatible avec certaines dispositions du nouveau traité. Le Parlement sera ensuite amené à se prononcer sur un projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne.
C'est la première étape qui nous occupe aujourd'hui.
Dans sa décision en date du 20 décembre 2007, le Conseil constitutionnel a relevé dans le traité des dispositions qui appellent une révision de notre Constitution. Votre collègue, rapporteur de la commission des lois, M. Patrice Gélard, l'a excellemment montré dans son rapport.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il s'agit tout d'abord des dispositions concernant les compétences et le fonctionnement de l'Union.
Le Conseil constitutionnel a identifié les stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l'Union européenne. Ces transferts ont pour effet d'affecter les conditions d'exercice de la souveraineté nationale.
Le Conseil constitutionnel avait fait les mêmes constatations en 1992 pour le traité de Maastricht et en 1997 pour le traité d'Amsterdam.
Ces nouveaux transferts concernent par exemple la coopération judiciaire en matière pénale. Ils concernent aussi la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne.
Une seconde série de stipulations rend nécessaire une modification de notre Constitution. Elle concerne les nouvelles prérogatives reconnues aux parlements nationaux.
La première prérogative, c'est la faculté pour les parlements nationaux, et donc pour le parlement français, de s'opposer à une décision du Conseil européen mettant en oeuvre une procédure de révision simplifiée des traités.
La deuxième prérogative, ce sont les pouvoirs reconnus à chaque assemblée parlementaire dans le cadre du contrôle du respect du principe de subsidiarité. Cette prérogative permet à une majorité de parlements nationaux de s'opposer à une proposition de la Commission qui empiète sur les compétences des États membres.
La troisième prérogative, c'est la possibilité, pour le parlement national et en droit de la famille, de s'opposer au recours à la clause passerelle. Cette procédure permet, si le Conseil l'accepte à l'unanimité, de passer d'une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire. Les parlements nationaux pourront s'y opposer.
Ces possibilités nouvelles renforcent les pouvoirs du Parlement. Elles nous amènent à compléter la Constitution.
Cette révision constitutionnelle est donc techniquement nécessaire.
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis est un dispositif en trois temps. L'Assemblée nationale l'a approuvé en première lecture le 16 janvier dernier, sans lui apporter de modification.
Le premier temps, c'est d'engager la procédure de ratification du traité. C'est l'objet de l'article 1er. Il est d'application immédiate. Il lève les obstacles constitutionnels à la ratification du traité de Lisbonne.
Le deuxième temps, c'est de modifier le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences du traité de Lisbonne. C'est l'objet de l'article 2.
Ces dispositions ne deviendront applicables qu'à l'entrée en vigueur du traité.
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne entrainera des changements de forme, puisque le titre XV de la Constitution sera désormais intitulé « De l'Union européenne », car le traité de Lisbonne unifie les trois piliers de l'Union européenne issus du traité de Maastricht.
Le traité substitue également l'Union européenne à la Communauté européenne. Ces changements terminologiques provoquent des modifications des articles 88-1, 88-2, 88-4 et 88-5 de la Constitution.
L'entrée en vigueur du traité de Lisbonne entrainera également des changements de fond.
La nouvelle rédaction de l'article 88-1 inscrit dans la Constitution de façon pérenne le consentement du constituant aux transferts de compétence prévus par les traités, tels qu'ils résultent du traité de Lisbonne.
Deux articles nouveaux sont ensuite ajoutés au titre XV. Ils permettront au Parlement français d'exercer les prérogatives nouvelles qui lui sont reconnues par le traité de Lisbonne.
Le premier, l'article 88-6, concerne le respect du principe de subsidiarité. Les assemblées parlementaires en seront les garants. Si une assemblée estime que ce principe a été méconnu, elle pourra adresser aux institutions européennes un avis motivé dans un délai de huit semaines. Elle pourra également déférer à la Cour de justice de l'Union européenne l'acte qui lui paraît contraire au principe de subsidiarité. Ce recours devra être formé dans un délai de deux mois.
Le second article nouveau, l'article 88-7, concerne la modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne. En effet, le traité permet aux Parlements nationaux de s'opposer à une décision des institutions de l'Union de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée dans différents domaines. Ce droit d'opposition devra être exprimé dans les six mois suivant la transmission de la proposition.
Le troisième temps du projet de loi, c'est de supprimer les références au traité constitutionnel, puisque celui-ci est devenu sans objet. C'est le but de l'article 3 du projet de loi constitutionnelle. Les références supprimées sont celles qui figurent aux articles 3 et 4 de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.
Voilà l'équilibre général du texte que je vous présente aujourd'hui.
Comme vous le voyez, le Gouvernement s'est strictement limité à l'objectif de permettre une ratification rapide du traité de Lisbonne.
Les relations entre les institutions européennes et nos institutions, ainsi que la construction européenne elle-même, soulèvent - je le sais bien - de nombreuses questions constitutionnelles.
Dans son rapport, le sénateur Patrice Gélard a soulevé certaines de ces questions. Elles revêtent une importance évidente. Mais ces questions seront débattues en leur temps, lorsque nous examinerons la révision constitutionnelle issue des travaux du comité présidé par Édouard Balladur.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour l'heure, nous en sommes non pas à faire évoluer nos institutions, mais à permettre la modernisation des institutions européennes. C'est l'objectif primordial. Nous ne devons pas en dévier.
Le présent projet de loi ouvre la voie à une avancée fondamentale de la construction de l'Europe. Ne la retardons pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de vous l'indiquer Mme le garde des sceaux, le Conseil constitutionnel, dans une décision en date du 20 décembre 2007, a estimé qu'une révision de la Constitution était nécessaire avant la ratification du traité de Lisbonne. Il a également précisé que le traité de Lisbonne était différent du traité constitutionnel, ce qui justifie une nouvelle analyse de ses dispositions.
Les travaux de la commission des lois, dont je remercie le président et le rapporteur, M. Patrice Gélard, ont également parfaitement exposé les enjeux de notre débat.
Le traité de Lisbonne est le fruit d'une volonté politique collective pour apporter une solution à un problème inédit : deux États membres fondateurs de l'Europe ont, par la voie d'un référendum, rejeté le traité établissant une constitution pour l'Europe.
Le blocage n'a pas été immédiat. En effet, dix-huit États membres, représentant 56 % de la population européenne, avaient approuvé le traité constitutionnel. Deux autres l'ont encore approuvé après ces deux « non ». Six mois plus tard, le 26 janvier 2007, vingt États se sont réunis à Madrid pour demander la poursuite de la ratification du traité constitutionnel. Pour la première fois dans l'histoire de la Communauté européenne et de son union, l'Europe se réunissait sans la France, et, qui plus est, pour débattre de son avenir.
À cette époque, certains ont cru à une impasse du projet européen, qui se serait enlisé dans une alternative impossible entre élargissement et approfondissement. Toutefois, quelle que soit sa sensibilité, chacun sentait bien qu'une union forte de vingt-sept États ne pouvait en rester aux traités existants et à leur seule vocation économique.
Avec le traité de Nice, l'Union européenne ne peut pas affronter les défis internationaux ou globaux, tout simplement parce qu'elle n'a pas révisé ses règles de fonctionnement. Or notre première attente, la première attente de nos enfants, de ceux qui, en 2005, ont dit « oui » ou « non », c'est que l'Europe prenne enfin sa place dans le monde, à la hauteur de sa puissance économique.
Il faut qu'elle puisse mieux incarner ce qu'elle est, ce qu'elle a toujours été, ce qu'elle devient à vingt-sept : une véritable civilisation reposant sur des valeurs communes et partagées,...
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ...comme l'avait justement anticipé l'un de mes prédécesseurs ici présent dès 1976.
Comment faire vivre ce projet alors que la présidence du Conseil tourne toutes les vingt-six semaines et que, dans nombre de domaines, un seul État peut bloquer les décisions ? L'addition des volontés ne fonctionne pas, parce que la règle de l'unanimité entrave la prise de décision.
Comment faire partager un tel projet lorsque, au-delà de ces blocages, le fonctionnement de l'Union n'est pas assez démocratique : les citoyens ne sont pas associés, le Parlement européen n'a que des pouvoirs limités, les Parlements nationaux ne jouent qu'un rôle trop modeste et la démographie est mal prise en compte ?
Il est donc urgent de changer ce cadre si nous voulons une Europe vivante, active, influente et, surtout, capable de remplir les missions qui lui sont confiées.
La première des missions de l'Union, la promotion de la paix, ne peut être réalisée sans que les États se donnent clairement pour objectif la prévention des conflits et sans qu'ils s'engagent ensemble à développer leurs capacités de défense.
L'autre mission essentielle de l'Union européenne est de relever les défis globaux du xxie siècle pour mieux défendre ses citoyens et leurs intérêts.
Ces intérêts et ces défis, quels sont-ils dans un proche avenir ?
Ce sont la gestion des migrations, le changement climatique, la nouvelle donne énergétique, la solidarité face aux grandes catastrophes et, bien sûr, la lutte contre le terrorisme.
Dans ces domaines, ce que les Européens ne feront pas ensemble, personne ne le fera pour eux et dans leur intérêt. Et il est urgent d'agir, urgent pour l'Europe de donner l'exemple. Il est donc impératif de disposer de moyens juridiques nouveaux.
Le traité de Lisbonne dote l'Union de ces moyens, par l'extension de la majorité qualifiée, la création d'une présidence stable du Conseil, la mise en place d'un Haut représentant et d'un service européen d'action extérieure, l'établissement d'une coopération structurée en matière de défense et la reconnaissance de nouvelles bases juridiques pour l'énergie et la lutte contre le changement climatique. C'est une véritable clarification institutionnelle, comme l'a rappelé M. le Premier ministre.
Mais il apporte également une réponse aux préoccupations soulevées par nos concitoyens. Il promeut des valeurs nouvelles, plus solidaires. L'Europe a pour objectif de protéger les citoyens dans la mondialisation. En revanche, la « concurrence libre et non faussée » ne figure plus parmi les finalités de l'action européenne.
La France pourra garantir l'accès aux services publics sur tout notre territoire à un prix abordable sans se heurter aux règles de concurrence ou du marché intérieur.
La représentation nationale pourra se prononcer sur les projets européens et veiller au respect des compétences entre les États et l'Union européenne à travers le contrôle de la subsidiarité.
Pour la première fois, les Parlements nationaux contribueront à la prise de décision européenne et seront les gardiens de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres. Ce traité est donc plus démocratique, comme l'a souligné M. le Premier ministre.
Ce traité est donc le premier à avoir été signé par les vingt-sept États membres, le premier à avoir fait l'objet d'un accord en dépassant les clivages anciens, entre États plus ou moins peuplés, entre nouveaux et anciens États membres, entre pays ayant dit « oui » et pays ayant dit « non », et ce grâce à l'initiative du Président de la République et au travail remarquable des présidences allemande et portugaise.
Par ailleurs, compte tenu de l'abandon de la démarche constitutionnelle, ce traité sera ratifié par la voie parlementaire dans vingt-six États membres, et notamment les Pays-Bas. La seule exception est l'Irlande, dont la constitution ne permet pas d'emprunter cette voie pour approuver un traité européen.
L'engagement de la France dans une procédure de ratification parlementaire était fondamental pour nos partenaires, car il a donné enfin de la crédibilité à la perspective d'un autre traité pour l'Europe et a permis d'en définir le contenu en tenant compte des propositions françaises.
Le traité ne résume bien entendu pas le projet européen. C'est clair. Mais il crée une dynamique nouvelle, et c'est sa principale vertu.
Déjà, la Hongrie a ratifié le traité, et près d'une vingtaine d'États membres s'apprêtent à le faire dès le premier semestre de l'année 2008. Il est symbolique que les premières ratifications soient venues d'anciens pays du bloc de l'Est et de ceux qui ont cru que leur liberté se trouvait au sein de l'Union européenne.
Déjà, le Danemark manifeste son souhait d'entrer de plain-pied dans la construction européenne et d'abandonner ses protocoles, qui le placent à la marge de certaines politiques de l'Union.
Pour notre part, nous aborderons notre présidence le 1er juillet prochain avec une dynamique nouvelle, avec un bon traité, qui pose les jalons sur la voie d'une Union européenne plus démocratique, plus forte et tournée vers l'avenir.
Enfin, comme M. le Premier ministre l'a souligné, ce traité nous permet aussi de clore un débat institutionnel qui n'avait pas été résolu depuis les années quatre-vingt-dix et de nous consacrer à l'essentiel,...
M. Jean-Pierre Raffarin. Exact !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ...c'est-à-dire aux projets politiques que nous voulons porter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le traité permet de développer de vraies politiques de la défense, du développement durable, de l'énergie, de croissance plus solide grâce à un nouvel espace de recherche et de formation, et de gestion des mouvements migratoires.
Mais le traité n'en définit pas le contenu. C'est aux dirigeants européens, au Parlement et aux citoyens, qui disposeront d'un pouvoir d'initiative, qu'il appartient d'en décider.
Notre présidence du Conseil de l'Union européenne en sera l'occasion. Bien entendu, notre présidence ne pourra pas tout faire. Mais elle ouvrira la voie pour qu'une nouvelle page soit écrite après le cinquantième anniversaire de l'Europe. Après s'être construite elle-même, l'Europe doit aujourd'hui trouver sa place dans le monde. Grâce à cette révision et à ce traité, elle en a aujourd'hui la possibilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle que nous devons examiner aujourd'hui ne doit pas nous étonner.
En effet, il a beaucoup de points communs avec celui que nous avions adopté en 2005.
M. Robert Bret. C'est du « Canada Dry » !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En outre, ce texte se conforme strictement à la décision du Conseil constitutionnel.
Sur ce point, permettez-moi de formuler un regret. Le Conseil constitutionnel a un peu tendance à ne pas suffisamment motiver ses décisions s'agissant des incompatibilités avec la Constitution. À l'avenir, ses motivations devraient, me semble-t-il, être plus précises.
Le texte ne contient rien de plus, rien de moins que ce que le Conseil constitutionnel préconisait. C'est aussi la raison pour laquelle la révision que nous entamons aujourd'hui ne va pas aussi loin que celle qui avait été engagée en 2005.
Autre élément, le texte du Gouvernement a été adopté sans modifications par l'Assemblée nationale. Aucun amendement n'a été adopté. Là encore, je voudrais exprimer un regret.
J'ai néanmoins découvert qu'il existait, en dehors des parlementaires et du Gouvernement, une autre autorité qui a le droit d'amendement. Cette autorité, c'est le bureau de la séance de l'Assemblée nationale, qui s'est permis d'ajouter trois amendements, sans vote naturellement, pour des raisons qui sont difficilement explicables, en remplaçant l'expression « À l'article... » par « Dans l'article... ».
M. René Garrec. C'est moins élégant !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cette modification me paraît complètement inopérante : je demanderai au service de la séance du Sénat de bien vouloir rétablir le texte original, lequel était mieux rédigé que le texte qui nous est parvenu de l'Assemblée nationale, corrigé par le service de la séance.
M. le président. Allons, allons.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui, il faut dire les choses telles qu'elles sont !
Une précision s'impose cependant : il ne s'agit nullement aujourd'hui de ratifier le traité. Celui-ci sera ratifié ultérieurement, si nous modifions la Constitution - il faut le préciser, car j'ai l'impression, après les débats que nous avons eus tout à l'heure, que certains ne l'avaient pas compris. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment, nous sommes trop bêtes !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous sommes là simplement pour réviser la Constitution et pour permettre éventuellement la ratification du traité. Cela signifie qu'il n'y a dans le texte qui nous est proposé aujourd'hui ni débordement, ni ajout, ni complément au texte initial, parce que le seul but de ce texte est de permettre la ratification, et rien d'autre.
Permettez-moi d'exprimer trois regrets, et un regret d'ordre général.
Le regret général, c'est qu'à chaque fois que l'on ratifie un traité, nous sommes quasiment obligés de modifier la Constitution. Certains pays ont adopté des formules qui leur permettent de ne pas avoir à modifier à chaque fois leur constitution : c'est le cas, par exemple, du Portugal, qui a des dispositions beaucoup plus générales. C'est la raison pour laquelle, dans mon rapport, j'ai repris les propositions du professeur Joël Rideau, qui éviteraient une modification de la Constitution à chaque adoption d'un nouveau traité, avec des garde-fous néanmoins.
J'en viens à mes trois regrets.
Le premier, c'est le maintien de l'obligation du référendum pour l'admission de nouveaux États au sein de l'Union européenne, parce que nous ne savons pas utiliser le référendum dans notre pays. En France, nous utilisons toujours le référendum, non pas pour adopter un texte ou adopter une décision, mais pour sanctionner ou pas le Gouvernement. Ce n'est pas un référendum : c'est un plébiscite. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Le référendum, c'est le vote d'un texte, ce n'est pas autre chose.
M. Jean-Luc Mélenchon. Dites-le aux Français !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne vous laissez pas distraire !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je craindrais, par exemple, que l'entrée de la Norvège au sein de l'Union européenne ne soit refusée parce que le Gouvernement ou tel ministre aurait déplu à l'opinion publique.
Mme Alima Boumediene-Thiery. En fait, ça dépend pour qui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Personnellement, je pense qu'une formule permettrait de conjuguer à la fois le référendum et la possibilité de l'utiliser plus souvent : ce serait d'établir, comme dans près de la moitié des pays européens, un seuil de 50 % de votants en deçà duquel le référendum est inopérant - je ferme la parenthèse.
Les ministres nous ont donné l'assurance qu'au moment de la révision constitutionnelle, qui devrait intervenir au printemps, nous pourrions reprendre cette question du référendum obligatoire pour l'entrée de nouveaux États : nous sommes en effet le seul pays européen à admettre cette procédure.
M. Charles Gautier. C'est vous qui l'avez demandé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez soutenu cette disposition l'année dernière, monsieur le rapporteur !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Et alors ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est incroyable !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous pourrons donc revoir cette disposition le moment venu, au printemps.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel bon constitutionnaliste... C'est effrayant !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne nous en veut pas, c'est déjà ça !
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le rapporteur, continuez !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Le deuxième regret, c'est le maintien de la règle de la réciprocité dans le principe du vote des ressortissants européens aux élections locales.
M. Charles Gautier. Ce ne sont pas des regrets, ce sont des remords !
M. Patrice Gélard, rapporteur. La réciprocité n'est plus nécessaire puisque les ressortissants européens ont tous le droit de vote aux élections locales ; c'est automatique. Nous pourrons corriger cette situation, là encore, au moment de la révision constitutionnelle du printemps.
Le troisième regret a trait à un problème de terminologie juridique.
Dans le texte de la Constitution, on utilise le vocabulaire habituel des traités européens, c'est-à-dire un mélange d'anglais, de français et d'allemand qui n'a pas de précision juridique.
Or nous avons adopté, dans les traités précédents et dans le traité de Lisbonne, un texte qui n'a pas de valeur juridique pertinente : c'est l'acte législatif européen, qui est défini non pas sur le fond mais par la forme. Nous aurons donc des actes législatifs européens de nature réglementaire. Le problème est simple : certains lecteurs de la Constitution risquent de faire la confusion entre l'acte législatif européen et l'acte législatif français, qui ne sont pas toujours de même nature.
Ces regrets étant exprimés, j'en viens au fond du texte. Celui-ci compte trois articles, dont un article tout à fait important, et deux articles de coordination.
L'article 1er, c'est celui qui permet la ratification du traité de façon générale. Le Parlement sera naturellement libre de le ratifier ou non, selon la procédure engagée par le chef de l'État.
Il faut également noter l'autorisation de remplacer partout la mention de la Communauté européenne par celle de l'Union européenne.
C'est à l'article 2, le plus important, que sont mises en place les différentes innovations ou transformations de notre Constitution.
Tout d'abord, comme l'a souligné avec talent Mme le garde des sceaux, le texte proposé pour l'article 88-1 est la disposition générale applicable à tous.
Le texte proposé pour l'article 88-2 concerne le mandat d'arrêt européen. On pouvait penser que l'article 88-1 suffisait, mais l'article 88-2 permettrait de tenir compte des éventuelles modifications ultérieures concernant l'application du mandat d'arrêt européen. Par conséquent, je ne suis pas opposé à cet article.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier le 3°, qui fait référence aux actes législatifs européens dont il est question à l'article 88-4 ; ce sont des dispositions formelles, ainsi que le 4°.
Les textes proposés pour les articles 88-6 et 88-7, en revanche, mettent en place de nouveaux droits pour le Parlement, et nous devons nous en féliciter. Mme le garde des sceaux nous a présenté ces nouveaux droits.
L'article 88-6 dispose le droit pour chacune des chambres du Parlement de présenter un avis motivé sur l'application du principe de subsidiarité et de former un recours auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.
Aux termes de l'article 88-7, les deux chambres pourront, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques, s'opposer à ce que les règles de la majorité soient modifiées. Nous sommes donc face à un véritable droit de veto reconnu à chaque parlement européen.
Qu'il me soit permis, monsieur le président, à propos de ces articles 88-6 et 88-7 de la Constitution, de souhaiter très rapidement la refonte de notre règlement, afin de permettre la veille nécessaire à leur application. Celle-ci pourrait être confiée à un comité des affaires européennes, c'est-à-dire à l'heure actuelle à la Délégation pour l'Union européenne, qui serait, comme cela se produit dans un grand nombre de pays européens, l'organe chargé de surveiller en permanence ce qui se passe à Bruxelles et à Strasbourg. (M. Robert del Picchia applaudit.)
Ces remarques étant faites, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi constitutionnelle tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
7
souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Moldavie
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Parlement de Moldavie, conduite par son président M. Marian Lupu, et présente à Paris à l'invitation du Sénat. (Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes, MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Les relations interparlementaires entre nos deux pays sont très actives. Elles apportent une remarquable contribution au renforcement de nos relations bilatérales comme en témoigne le choix qui vient d'être fait du Sénat, en liaison avec l'Assemblée nationale et le Parlement hongrois, pour assister le Parlement moldave dans le renforcement de ses capacités administratives.
J'en profite pour saluer notre collègue Mme Josette Durrieu, présidente active du groupe interparlementaire d'amitié France-Moldavie du Sénat.
Je forme le voeu que ce séjour permette d'approfondir et de renforcer nos relations avec ce pays qui est profondément attaché à la culture européenne et à la défense de la francophonie et de la diversité culturelle.
Je joins à ce salut cordial exprimé par le Sénat l'expression de ma considération personnelle pour le Président Lupu, dont j'admire notamment la maitrise exceptionnelle de notre langue. (Applaudissements.)
8
Titre XV de la Constitution
Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, jusqu'à présent, la question du référendum a tenu, dans une partie de la classe politique française, une grande place dans le débat sur le traité de Lisbonne. Une place trop grande, à mon avis, car soumettre ou non un traité au référendum, rappelons-le, est une prérogative du Président de la République. Or le Président de la République, je le souligne à mon tour, s'est clairement prononcé, avant son élection, pour une ratification par la voie parlementaire. Ce choix était d'autant plus significatif que tous les autres candidats, sans exception, étaient favorables à un référendum.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La question a donc été tranchée l'année dernière par le vote du 6 mai, confirmé par le vote du 17 juin.
M. Adrien Gouteyron. C'est clair !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n'est pas un blanc-seing !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Nous ne sommes pas devant un problème de légitimité.
D'ailleurs, chacun peut le constater, il n'y a pas dans les profondeurs du pays, comme aurait dit le général de Gaulle, un appel pressant à un nouveau référendum. Ainsi, la question ne se pose, à mon avis, ni en droit ni en fait.
M. Robert Bret. C'est 70 % de la population dans les enquêtes d'opinion !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Venons-en au projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis.
La décision de non-conformité qui a été rendue par le Conseil constitutionnel est dans la lignée de ses précédentes décisions sur le même sujet.
Quel est le raisonnement du Conseil ? Le traité de Lisbonne transfère de nouvelles compétences à l'Union, essentiellement en matière de justice et d'affaires intérieures ; il change les modalités d'exercice de certaines des compétences transférées, en étendant à de nombreux domaines la procédure où le Conseil décide à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen ; il contient également des clauses particulières permettant de modifier certaines règles sans passer par la procédure de révision ordinaire. Ainsi, comme le souligne le Conseil constitutionnel, le nouveau traité affecte « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » et appelle donc une révision constitutionnelle.
Nous sommes là dans une parfaite continuité avec les cinq précédentes décisions concernant la révision des traités européens.
De même, le projet de loi constitutionnelle s'en tient, comme ses prédécesseurs, à la révision strictement nécessaire pour permettre l'approbation du traité précis sur lequel le Conseil constitutionnel a été consulté.
Comme l'a rappelé le doyen Gélard, d'autres pays membres procèdent différemment : ils ont inséré dans leur Constitution une clause européenne de portée générale et n'ont pas, de ce fait, à réviser leur Constitution aussi souvent que nous.
Faudrait-il s'inspirer de cet exemple ? Je ne le crois pas. Bien sûr, notre procédure est plus compliquée, forcément plus lente. C'eût été un beau symbole que la France soit la première à ratifier le traité de Lisbonne, mais notre procédure comportait trop d'étapes pour que ce soit possible. Nous serons donc le deuxième pays à le faire.
Mais là n'est pas l'essentiel. En visant à chaque fois les transferts de compétences tels qu'ils sont organisés par un traité précis, nous nous obligeons à examiner dans toutes ses conséquences chaque étape de la construction européenne. Nous prenons la pleine mesure des enjeux sans éluder aucune question de droit. En outre, nous nous prononçons selon la procédure parlementaire la plus exigeante, impliquant l'accord des deux assemblées et la majorité des trois cinquièmes du Congrès. De cette manière, on ne peut nous reprocher de faire avancer l'Europe en tapinois !
On aurait également pu concevoir que le projet de révision soit l'occasion de prendre en compte les propositions de la commission Balladur concernant le titre XV de la Constitution. Mais le risque aurait été grand que le débat se focalise sur l'obligation de référendum pour toute nouvelle adhésion, avec le risque d'introduire une confusion dans l'opinion, car le traité de Lisbonne n'a rien à voir avec la question des élargissements futurs. Il me semble donc que l'approche retenue pour le projet de révision constitutionnelle doit être approuvée.
Cependant, une conséquence de cette approche est que le jugement porté sur le projet de révision dépend avant tout, qu'on le veuille ou non, du jugement porté sur le traité. Comme la révision ne sert qu'à permettre la ratification d'un traité bien précis, c'est en fonction de ce traité que chacun de nous va se prononcer en réalité. Pourtant, nous devons essayer de ne pas anticiper sur l'examen du traité lui-même. Une chose après l'autre...
Je voudrais donc seulement rappeler que ce texte trouve en grande partie sa source dans la Convention sur l'avenir de l'Europe où le Sénat était représenté par Robert Badinter et moi-même. Je constate d'ailleurs que l'on y retrouve un certain nombre des préoccupations que nous avons essayé, avec d'autres, de faire valoir au fil des ans.
Je citerai d'abord les droits fondamentaux.
Nous souhaitions que les principes reconnus par la Charte des droits fondamentaux soient inscrits dans le droit primaire de l'Union. C'était ce que prévoyait le traité constitutionnel. Sous une autre forme, le traité de Lisbonne parvient au même résultat. En particulier, de nombreux droits sociaux seront ainsi reconnus par l'Union : le droit à l'éducation, le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise, la protection en cas de licenciement injustifié... Ces droits seront garantis par les juges nationaux et européens. Par ce biais, nous verrons progresser l'harmonisation sociale en Europe, qui est si souhaitable.
M. Jean-Luc Mélenchon. Non, c'est interdit par le texte ! Ne dites pas des choses qui ne sont pas !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Vous pourrez vous exprimer tout à l'heure, mon cher collègue !
Je citerai ensuite la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, que vous avez rappelée, madame le garde des sceaux.
Face au développement de la délinquance internationale, on ne peut admettre que les États membres réagissent en ordre dispersé. Mais, dans le même temps, pour renforcer la confiance mutuelle qui est le fondement de la coopération judiciaire et policière, il faut des normes communes et des instruments communs. Sur ce point, le nouveau traité fera sauter le verrou de la décision à l'unanimité, qui, trop souvent, a conduit à des demi-mesures.
Désormais, le Conseil des ministres décidera dans presque tous les cas à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen. De plus, l'attribution à l'Union de la personnalité juridique lui permettra de conclure des accords internationaux en matière de coopération policière et judiciaire. L'Union aura enfin les outils nécessaires pour conduire une action efficace dans ces domaines.
Une autre préoccupation que nous avons mise en avant était l'association des parlements nationaux, thème sur lequel le Sénat insiste depuis longtemps.
Les avancées dans ce domaine sont également très importantes. C'est d'ailleurs l'un des aspects qui rendent aujourd'hui nécessaire une révision de notre Constitution. Les parlements nationaux - on n'insistera jamais assez sur ce point - deviennent des acteurs de la construction européenne.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Le Sénat va donc devenir l'un des acteurs de la construction européenne. Certes, c'est déjà le cas, mais cette action sera d'une autre nature et d'une autre ampleur.
Le rôle des Parlements ne sera plus seulement de contrôler l'action européenne de leurs gouvernements, comme nous le faisons, mais si mal. Ils interviendront dans le processus de décision européen lui-même pour veiller à ce que l'Union respecte le fameux principe de subsidiarité et réponde ainsi à une préoccupation qui est s'exprimée à l'occasion du dernier référendum : l'Europe en fait trop ou le fait mal.
C'est une responsabilité importante, car si nous parvenons à recentrer l'action de l'Union vers les domaines où elle est vraiment nécessaire, nous aurons fait un pas important vers la réconciliation de l'Europe avec les citoyens.
Enfin, une autre préoccupation que nous avons cherché à faire valoir était l'exigence de souplesse.
Tout le monde aspire à tourner enfin la page du débat institutionnel. Tout le monde espère que nous n'aurons plus de traité sur ce sujet avant longtemps. Afin que cela soit possible, il faut que les traités contiennent une marge d'évolution, j'allais dire une souplesse, sans avoir à relancer toute la mécanique des conférences intergouvernementales. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.) C'est bien ce que réalise le traité de Lisbonne, et ce par plusieurs moyens : clause de flexibilité pour l'étendue des compétences de l'Union, « clauses passerelles », notamment pour introduire le vote à la majorité qualifiée, plus grande facilité de recourir aux « coopérations renforcées », en particulier dans votre domaine, madame le garde des sceaux, possibilité d'adapter les règles concernant la composition de la Commission et du Parlement européen.
Les quelques thèmes que j'ai évoqués sont là pour montrer que le traité de Lisbonne repose sur un héritage de plusieurs années de débats où notre assemblée a apporté sa pierre.
Plus généralement, ce traité me paraît réussir une large synthèse. Bien des courants politiques en Europe, c'est le cas sur toutes nos travées ici, ont contribué à la construction de l'Union, n'est pas, monsieur Mauroy ? Dans notre pays, chacun à leur manière, les démocrates-chrétiens, les libéraux, les socialistes et les gaullistes ont apporté une contribution. Tous sont pour quelque chose dans les équilibres du nouveau texte. Dans le même temps, le traité de Lisbonne sera un trait d'union entre anciens et nouveaux États membres, puisque, pour la première fois, tous, les Vingt-Sept, auront participé aux décisions sur un pied de complète égalité.
Sur cette base, nous pourrons enfin tourner la page institutionnelle et nous concentrer sur le contenu des politiques communes ainsi que sur les grandes questions comme la croissance et l'emploi, le développement durable ou l'élargissement. La présidence française, vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, devra être une étape dans ce recentrage, en même temps qu'elle verra - espérons-le - l'achèvement du processus de ratification.
Mais nous ne devons pas oublier les leçons des référendums en France et aux Pays-Bas. C'est en montrant qu'elle est efficace, qu'elle donne des résultats correspondant aux attentes des citoyens que la construction européenne retrouvera un soutien plus large et plus solide. Plus tôt nous sortirons du débat institutionnel, plus tôt nous pourrons passer aux autres questions qui préoccupent nos concitoyens.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est, me semble-t-il, un grand argument pour approuver aujourd'hui la révision constitutionnelle et ratifier demain le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, près de cinquante ans après sa création, l'Europe n'a jamais autant passionné, mais j'ai aussi envie de dire qu'elle n'a jamais autant divisé. La raison en est peut-être tout simplement que chacun voudrait l'Europe à son image. Pour la droite, l'Europe se doit d'être libérale ; pour la gauche, elle doit être de gauche. Rien de plus logique à condition d'ajouter que l'Europe est ce que nous en faisons, ou plutôt ce que les peuples décident d'en faire.
C'est dans le débat politique, c'est dans la confrontation des idées que se font les majorités, celles qui déterminent les orientations à donner aux politiques européennes. Si l'on n'a pas compris cela, je pense que l'on saisit mal le sens de la construction européenne, ou alors il peut y avoir une contradiction avec l'idéal européen, qui n'est autre que l'ambition de bâtir « une communauté de destin » entre les peuples qui y participent. Cette communauté de destin est l'un des plus grands projets politiques jamais entrepris.
À cette histoire, les socialistes ont fortement contribué et j'aimerais ici réaffirmer l'engagement européen des socialistes français, de tous les socialistes français.
À l'image de la construction européenne, fruit d'un compromis entre des projets politiques et institutionnels différents, le traité de Lisbonne permet d'avancer sans nous satisfaire complètement. Il renoue avec la tradition des « petits pas », celle de modifications partielles des traités existants, difficilement intelligibles pour les citoyens.
Soyons vigilants, car toute une série de dérogations permettent aux États membres de s'affranchir des dispositions du traité. C'est le cas notamment dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et en ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux. Il faudra donc s'assurer que cette souplesse ne se réalise pas au détriment des droits, de la sécurité juridique et de l'égalité entre les citoyens européens.
Nous regrettons également l'absence d'harmonisation en matière sociale et fiscale, tout comme nous restons sur notre faim quant à une véritable réorientation de la gouvernance de la zone euro en faveur de la croissance et de l'emploi, dont la crise financière et bancaire, qui reste toujours sous-estimée par le Gouvernement, nous rappelle l'urgence et la nécessité.
Pour autant, ce traité comporte un certain nombre d'avancées qui nous paraissent essentielles pour le fonctionnement de l'Union européenne et ses compétences : la création d'une présidence stable de l'Union, la création d'un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, l'adoption d'un protocole sur les services publics, une référence à des nouveaux défis tels que la solidarité énergétique ou le changement climatique, ou encore la procédure de contrôle renforcé des Parlements nationaux.
J'aimerais insister sur ce dernier point, car il me semble tout à fait primordial que la représentation nationale s'implique davantage dans le contrôle et le suivi des politiques européennes.
M. Hubert Haenel. Ça c'est vrai !
M. Jean-Pierre Bel. Celles-ci sont désormais des enjeux de politique nationale, et pour que les citoyens s'approprient la construction européenne, il faudra que le Parlement fasse de même en exerçant pleinement ses nouvelles prérogatives en matière de contrôle de subsidiarité vis-à-vis de la Commission et du Gouvernement.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jean-Pierre Bel. Le contrôle politique de l'action du Gouvernement à Bruxelles doit également donner l'occasion aux assemblées de discuter plus régulièrement et en amont des positions que le Gouvernement va défendre au sein du Conseil des ministres. Mes chers collègues, il n'est pas normal que nous soyons consultés seulement la veille des conseils européens, alors que les arbitrages sont bien souvent déjà rendus. Ce renforcement du droit de regard de la représentation nationale s'inscrit d'ailleurs dans la logique du renforcement des pouvoirs du Parlement, qui me semble être une proposition acceptée aujourd'hui par tous. Nous attendons qu'elle débouche sur une vraie concrétisation.
Parce qu'il n'y a pas de temps à perdre dans un contexte mondial inquiétant, parce que nous n'avons pas le droit de pratiquer la politique de l'autruche ou de nous en remettre à des lendemains incertains, parce qu'il faut donner une perspective de sortie à la crise politique de l'Europe, nous sommes favorables au traité de Lisbonne et voterons en faveur de la ratification du traité,...
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jean-Pierre Bel. ...comme l'ensemble des partis socialistes d'Europe.
J'aimerais cependant souligner que cet engagement des socialistes pour l'Europe se double d'une ambition, celle de réaliser une Europe du progrès social, et d'une exigence, celle de construire une Europe des citoyens.
Si la construction européenne est un succès indéniable pour la paix du continent, il n'en demeure pas moins que le désenchantement des citoyens face au projet européen montre qu'elle a aujourd'hui besoin d'un nouvel élan, d'un nouveau projet et, surtout, d'une nouvelle méthode.
Ce n'est pas véritablement une avancée que d'éviter de soumettre la ratification du traité de Lisbonne au peuple français alors que ce dernier, cela a été dit plusieurs fois, avait rejeté le traité constitutionnel européen en 2005. C'est au contraire un mauvais service à lui rendre, ou plutôt à ne pas lui rendre.
Qu'on ait été pour le « oui » ou pour le « non » en 2005, il est une leçon indéniable : la participation active des citoyens aux orientations de la construction européenne est devenue un impératif démocratique.
Or le chef de l'État escamote le débat après le référendum de 2005. C'est un jeu dangereux, pour l'engagement européen de la France et des Français, dont il portera la responsabilité.
Il n'est plus possible de continuer à parler d'Europe seulement tous les trois ou quatre ans à l'occasion de la révision d'un traité. L'Union européenne est une réalité quotidienne, qui façonne notre pays.
À vouloir passer en force, les antagonismes trop longtemps tus se cristallisent, sans pour autant faire progresser le projet européen.
Dans ce contexte, notre position sur le projet de révision constitutionnelle exprime cette ambition et cette exigence. Nous nous retrouvons aujourd'hui pour répondre non pas à une question qui porte sur la ratification du traité, mais à une question simple : acceptez-vous de modifier la Constitution pour permettre la ratification ultérieure du traité de Lisbonne ?
Pour cela, il me semble incohérent de répondre négativement à un préalable incontournable au débat sur la ratification du traité.
Nous ne pourrions, en effet, être favorables au traité et contre la révision de la Constitution, qui, si elle était refusée, empêcherait, d'une part, tout recours au référendum ou, d'autre part, tout examen par voie parlementaire.
Les deux procédures de révision constitutionnelle, parlementaire ou référendaire, ne sont pas substituables, interchangeables. Si l'une échoue, l'autre ne peut être utilisée. Cela signerait donc l'interruption du processus de ratification.
Qui peut croire que le Président de la République, malgré ce que j'ai entendu ce soir, accepterait de s'accommoder de la Constitution, en organisant un référendum sur la ratification sans révision préalable ? Qui peut croire à un référendum qui ne porterait que sur la révision constitutionnelle ?
À l'inverse, nous ne pouvons pas non plus donner un blanc-seing à la méthode choisie par Nicolas Sarkozy tout au long de ce processus. Nous avons durant toute la campagne pour l'élection présidentielle - ai-je besoin de le rappeler ? - défendu la voie référendaire pour la ratification. On ne peut, en effet, ignorer l'ampleur du débat de 2005 et faire tout pour qu'il n'existe plus.
Les socialistes s'opposent à la décision frileuse du chef de l'État de recourir à la ratification du traité par voie parlementaire et marqueront leur désaccord en s'abstenant sur la révision constitutionnelle.
C'est pour nous la seule façon d'être en cohérence avec nos idées. C'est pour nous la seule manière d'exiger un débat démocratique sans mettre en péril le traité, de défendre la forme autant que le fond.
Enfin, j'aimerais rappeler que, au-delà des dispositions juridiques du traité, ce qui comptera, en définitive, ce sera la volonté politique de mettre en oeuvre toutes ces dispositions pour faire avancer le projet européen. Car l'aventure européenne est une aventure politique. L'Europe peut être de droite comme elle pourra être demain, je l'espère, de gauche.
Les socialistes ont un message pour l'Europe, un projet alternatif à celui prôné par la droite de ce pays : directive sur les services publics, augmentation du budget communautaire, véritable gouvernement économique européen, politique d'investissements publics dans les infrastructures et la recherche. Nous défendons ces initiatives chaque jour dans les instances européennes.
La France prendra la présidence de l'Union européenne le 1er juillet de cette année. Mes chers collègues, si je puis me le permettre, je demande solennellement au Gouvernement d'engager une véritable délibération collective sur ces questions, par exemple en défendant l'idée d'une directive horizontale sur les services publics en Europe ou en proposant un réel renforcement de la gouvernance de la zone euro et la modification des critères du pacte de stabilité et de croissance.
Les socialistes seront mobilisés pour faire progresser leurs idées et démontrer aux Français que, au-delà des traités, une autre Europe est possible, pas forcément celle qui serait à l'image de la politique menée par Nicolas Sarkozy.
En deux mots, nous ne voulons pas d'une Europe purement intergouvernementale, d'une Europe sécuritaire et néolibérale, d'une Europe des élites contre le peuple. Mais nous aspirons à une Europe démocratique, s'appuyant sur la délibération et l'adhésion des peuples, une Europe solidaire et de progrès social.
Mes chers collègues, ce traité permettra à l'Europe de continuer à avancer vers cette « communauté de destin » qui fonde le rêve européen. Toutefois, nous devons être exigeants, car ce rêve ne sera plus si l'Europe n'apporte pas l'espérance, la perspective de débat et de progrès.
Nous sommes devant un défi immense mais fondateur : réconcilier les citoyens et le projet européen. En d'autres termes, nous devons faire en sorte que le citoyen n'ait plus peur de l'Europe et que l'Europe n'ait plus peur du regard des citoyens.
Il y va de notre responsabilité, de notre conception de la démocratie, mais aussi de notre avenir commun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président du Sénat, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous venons de saluer la mémoire de notre collègue Serge Vinçon, qui restera pour l'ensemble de ses amis l'exemple même de la gentillesse, de la compétence et de la probité, je souhaite rappeler qu'il y a bientôt dix ans, au début du mois de février 1998, nous quittait un collègue qui fut un grand Français et un grand Européen, je veux parler de Maurice Schumann.
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. Porte-parole de la France libre aux côtés du général de Gaulle, fondateur et président du Mouvement républicain populaire, Maurice Schumann était aussi l'ardent défenseur de l'amitié franco-allemande et le promoteur exigeant de la construction européenne.
Il était profondément gaulliste, ardemment Européen, passionnément Français.
L'UMP est fière de ses grands européens, mais elle sait aussi qu'elle doit partager cet héritage avec tous ceux qui ont agi avec tous les présidents de la ve République - il serait injuste de ma part de ne pas saluer ici l'action de Jacques Chirac -, mais aussi toutes celles et tous ceux qui, avec Pierre Pflimlin, Raymond Barre, Jacques Delors ou Simone Veil, ont marqué l'Europe de « leur cicatrice ».
Malgré ces engagements pluralistes, l'Europe s'est progressivement éloignée de ses peuples. Un immense silence a accompagné l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Union, un profond doute s'est exprimé pour le traité de Maastricht et, puisqu'il n'avait pas été entendu comme un avertissement, en 2005, ce doute s'est fait refus.
Dans une démocratie, ce ne sont pas les électeurs qui ont tort, ce sont les candidats ou les projets qui ne sont pas toujours à la hauteur des espoirs qu'ils suscitent !
C'est pourquoi il appartient à chacun d'entre nous de se remettre en cause pour essayer, là où il se trouve, d'apporter des réponses nouvelles à l'avenir de notre continent.
Chers collègues, je vous parle ici avec la sincérité de mon expérience. Le résultat du référendum de 2005, je l'ai vu, très tôt, avec une immense tristesse, inscrit dans l'évolution continue de la déception populaire à l'égard de l'Europe. On peut dire honnêtement que les causes sont multiples : la question de la Turquie, la réforme des retraites, la cassure au sein du PS, les délocalisations, la directive Bolkestein. Tout cela a sans doute compté.
Mais mon sentiment profond est que les Français ont dit tout haut ce que les peuples européens, qui n'ont pas été consultés par référendum, pensaient tout bas. Je crois, en effet, que la contestation est venue, cette fois, de certains pro-européens eux-mêmes.
Je veux dire que le vote des antieuropéens n'auraient pas suffit. Après le « non » néerlandais, j'ai été convaincu de cette analyse par Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, quand il m'a appris que les jeunes Luxembourgeois avaient voté massivement « non » au référendum du Grand-duché. Comment des jeunes, nés « trilingues », ne connaissant pas le chômage et vivant au coeur de l'Europe peuvent-ils dire « non » à leur avenir ? Ils ne sont pas anti-européens, ils sont sans doute - il nous faut y réfléchir - pour une Europe différente.
Pour la première fois, massivement, les Européens se sont divisés, et une grande partie d'entre eux ont rejoint les anti-européens. Là, je crois est notre erreur, nous nous sommes trompés de message. En plaçant le débat européen sur le terrain constitutionnel, nous avons donné le sentiment que notre projet n'était qu'institutionnel.
Nous avons parlé du moteur quand les peuples nous demandaient de parler de la destination. Les eurocrates nous ont égarés en nous faisant croire que la mécanique c'était de la politique. On nous demandait des projets et nous débattions des structures.
Pour beaucoup d'Européens, l'Europe existe aujourd'hui, le débat traditionnel sur la construction est maintenant dépassé.
La question n'est plus la paix en Europe, mais ce que doit faire l'Europe pour la paix du monde. La question n'est plus la monnaie unique, mais comment l'Europe protège-t-elle sa monnaie pour mieux défendre ses entreprises ? La question n'est plus de multiplier les échanges de jeunes, mais comment améliorer le classement mondial de nos universités ? La question n'est plus « l'Europe, oui ou non ? », mais comment rendre le projet européen, fort, juste et moderne ?
Le Président de la République française a entendu ces messages populaires.
Il a proposé un traité qui, à la fois, débloque la gouvernance européenne et clôt le débat institutionnel.
Il a replacé la question du travail au coeur du projet européen en s'engageant pour que l'emploi en Europe redevienne prioritaire dans la gouvernance économique et monétaire de l'Union.
Il a relancé l'Europe de la défense et, simultanément, il a construit une relation apaisée avec les États-Unis, notamment à propos de l'OTAN.
Il a donné une nouvelle perspective à l'Europe, un nouvel horizon, avec le projet d'Union pour la Méditerranée.
L'espoir européen redevient possible.
Le traité de Lisbonne n'est pas un traité « au rabais », cela a été dit. Au contraire, à bien des égards, il est même plus abouti que ne l'était le traité constitutionnel. Il apporte des réponses précises, à la fois à ceux qui ont voté « non » et à ceux qui souhaitaient que l'Europe aille de l'avant.
Le vote des Français ne pouvait être ignoré.
L'UMP est trop attachée au principe de subsidiarité et à l'existence des États-nations pour mésestimer cette inquiétude qui existe à l'égard de la construction européenne et qui nuit, évidemment, à son avenir. Le traité de Lisbonne apporte donc des réponses concrètes à la crainte manifestée par certains de voir surgir un « super État » européen.
Ce traité renonce, en particulier, à reprendre tous les attributs caractéristiques d'un État pour désigner les institutions européennes. On ne parle plus de « Constitution », mais de « traité ». Le terme de « ministre des affaires étrangères de l'Union » a été abandonné comme celui de « lois européennes ». Les symboles même de l'Europe, comme le drapeau et l'hymne, ne sont plus mentionnés dans le traité ; je souhaite cependant qu'ils restent très présents dans nos pratiques.
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Raffarin. Dans le même ordre d'idées, la Charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le corps même du nouveau traité et, comme le faisait remarquer tout à l'heure le président Hubert Haenel, si tout cela change peu juridiquement, cela change beaucoup politiquement.
La Constitution européenne était considérée, selon les cas, comme un point d'arrivée pour les « euroréalistes », ou comme un point de départ pour les plus fédéralistes. Le traité de Lisbonne clôt le débat institutionnel pour longtemps.
Ce nouveau traité comporte de nombreuses garanties afin que l'Union européenne ne s'écarte pas de sa mission. L'Union européenne dispose, en effet, de compétences d'attribution qui doivent être exercées de manière stricte. Elle n'a pas la compétence de sa compétence, comme le terme « constitution » pouvait, à tort, le faire croire.
Par ailleurs, le principe de subsidiarité est réaffirmé, l'Union n'est légitime pour intervenir que pour autant qu'elle est mieux à même d'agir que les États membres.
Bien entendu, les mécanismes prévus par le traité constitutionnel pour mieux contrôler l'exercice des compétences de l'Union européenne ont été maintenus.
Je pense à la procédure dite du « carton jaune », qui permet aux parlements nationaux de demander à la Commission européenne de revoir un projet qu'ils jugent contraire à la subsidiarité, et à la procédure dite du « carton rouge », qui leur permet de saisir la Cour de justice après l'adoption d'un texte.
Non seulement le traité de Lisbonne conserve ces avancées, mais il les complète par une troisième procédure dite du « carton orange », qui permet à une majorité de parlements nationaux d'obtenir - et c'est important - l'interruption de la discussion sur un texte au nom du respect du principe de subsidiarité.
En instaurant ainsi cette véritable « question préalable » à l'encontre d'un texte qui outrepasserait les compétences de la Commission européenne, le traité de Lisbonne renforce le contrôle politique - et donc démocratique - de la construction européenne.
Pour le Sénat, le traité de Lisbonne constitue une exceptionnelle avancée.
Jusqu'à présent, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, le Sénat était, comme l'Assemblée nationale, destinataire des projets ou propositions d'actes comportant des dispositions de nature législative. Le Gouvernement, qui pouvait lui soumettre d'autres textes, aura d'autres possibilités, et le Sénat aura également d'autres opportunités. Les pouvoirs du Sénat étaient limités, jusqu'à ce jour, puisqu'il ne pouvait adopter que des résolutions.
Avec le traité de Lisbonne et les modifications qu'il nous est proposé d'apporter à la Constitution, les attributions du Sénat se trouvent substantiellement renforcées.
Le nouvel article 88-6 prévoit que le Sénat peut « émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité », c'est-à-dire sur un projet qui nous paraîtrait en dissonance avec le principe de subsidiarité.
Par ailleurs, le Sénat pourra « former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité ».
Enfin, concernant la procédure de révision simplifiée, le nouvel article 88-7 de la Constitution prévoit qu'il appartiendra à l'Assemblée nationale et au Sénat d'adopter, le cas échéant, une motion en termes identiques pour s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne au titre de la révision simplifiée des traités ou de la coopération civile.
Mes chers collègues, vous le voyez, le traité de Lisbonne est une avancée en matière de renforcement des garanties démocratiques.
Il en est de même de la question de l'élargissement de l'Union, qui a constitué un autre motif d'inquiétude. Là encore, le traité de Lisbonne apporte des améliorations notables, puisqu'il introduit une référence aux fameux critères d'adhésion adoptés en 1993.
À cet égard, le groupe UMP, et le doyen Gélard l'a dit, ne peut que saluer le choix du Gouvernement de ne pas ouvrir, à l'occasion de cette révision constitutionnelle, des débats sans rapport avec le traité, à l'image de l'avenir du débat sur l'article 88-5 relatif aux conditions d'approbation des futures adhésions à l'Union.
C'est là une marque de sagesse, comme l'a dit M. Patrice Gélard, le rapporteur de la commission des lois. Qu'il me permette d'exprimer mon avis : gardons l'arme référendaire tant qu'avec la Turquie on n'aura pas substitué un projet de partenariat privilégié à l'actuel processus d'adhésion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Le traité de Lisbonne ne change pas substantiellement la nature de l'Union européenne, comme avait pu le faire le traité de Maastricht en 1992 ou le traité constitutionnel. Il s'apparente davantage à l'Acte unique, au traité d'Amsterdam ou au traité de Nice, qui ont tous fait l'objet d'une ratification parlementaire.
C'est pourquoi l'UMP considère que la ratification de ce traité, tout comme la modification constitutionnelle qui doit la précéder en vertu de la décision du Conseil constitutionnel, ne nécessite pas de convoquer un référendum.
Au demeurant, comme l'a observé, là encore, le président Hubert Haenel, il convient de rappeler que Nicolas Sarkozy a toujours été très clair, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, sur son intention de faire adopter le traité simplifié par voie parlementaire. Je reconnais que le président Jean-Pierre Bel a dit clairement que, dans le débat présidentiel, sur ces sujets, nos positions étaient contraires. Le peuple a arbitré. Les Français se sont prononcés en toute connaissance de cause.
L'urgence pour la France n'est donc pas aujourd'hui de rouvrir un débat sur l'avenir de l'Europe ni de revenir sur le choix de 2005. Dès l'année prochaine, les Français auront l'occasion de se prononcer, lors des élections européennes. Faisons du rendez-vous de 2009 un grand débat politique ! S'il y a des élections à politiser, je souhaite que ce soient les élections européennes, parce que ce sont elles qui influenceront le cours de l'organisation des institutions telles qu'elles seront mises en application par le traité de Lisbonne.
L'urgence pour la France est de retrouver toute sa place dans l'Union européenne, en montrant qu'elle est exemplaire, c'est-à-dire en ratifiant vite ce traité.
Dans un monde dangereux, nous avons besoin des avancées que prévoit le traité en faveur d'Europol et d'Eurojust. Nous avons également besoin de faire progresser la politique étrangère et de sécurité commune, comme le prévoit le traité.
Enfin, nous avons un besoin urgent d'une gouvernance économique et sociale renforcée. J'observe, à cet égard, que le traité apporte des garanties concernant les services d'intérêt général, qui ont suscité un grand débat en 2005, et qui répondent aux attentes actuelles de la société française.
L'Europe du traité de Lisbonne, mes chers collègues, est plus sociale que celle de l'Acte unique de 1986, plus démocratique que celle du traité de Maastricht de 1992, et plus efficace, bien sûr, que celle du traité de Nice de 2001. Cette Europe n'est certes pas parfaite, mais elle représente un progrès.
Je vous parle directement, très simplement, mais avec une profonde conviction, qui est pour moi une exigence : si je n'avais qu'une idée à retenir, qu'un message à transmettre de mon expérience de trois ans à Matignon, je dirai que j'ai trouvé la France trop souvent avec les volets clos.
On a parfois le sentiment que le monde entre chez nous par inadvertance, malgré nous. On a quelquefois le sentiment que, par l'ignorance ou par l'arrogance, on va s'imposer au monde. Mais ni l'ignorance ni l'arrogance ne nous aident à vivre le monde.
La croissance à deux chiffres de la Chine, la montée de l'intelligence indienne, la balkanisation du monde et ses innombrables conflits régionaux, la mondialisation du terrorisme... tout devient inquiétant, même les bonnes nouvelles. Quand la Chine s'éloigne du communisme et s'engage dans le monde pour la diversité culturelle, certaines voix expriment leur crainte. Pourtant, le danger le plus grand, pour moi, est celui d'une Chine repliée sur son nationalisme, plutôt qu'une Chine ouverte et interdépendante du monde. (M Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
Aujourd'hui, deux véhicules sont lancés à toute vitesse l'un contre l'autre : d'un côté, « la globalisation économique », cette mondialisation qui se veut totale et qui se vit comme la fin de l'histoire ; de l'autre, « la diversité culturelle », qui voit la planète comme un monde multipolaire dans lequel les forces préfèrent l'équilibre à la domination. Plus les deux véhicules se rapprocheront, plus le débat se réduira au dialogue entre la Chine et les États-Unis.
La France ne peut rester spectatrice de l'histoire qui s'écrit sous ses yeux, elle, dont la vocation universelle est de parler à tout le monde, comme l'a encore dit récemment le Président de la République.
C'est en inspirant l'Europe de sa vision de l'histoire que la France mène son combat de civilisation. Parce que la France et l'Europe ont inventé « l'humanisme de la diversité », le monde a besoin d'elles pour assurer son équilibre, pour assurer sa survie.
L'Europe est née pour la paix des siens, son destin est maintenant la paix de tous. Elle seule peut éviter le choc qui se prépare. L'Europe a construit le message que le monde attend : c'est dans le respect de la diversité que se lève l'unité.
Chers collègues, cet enjeu est géant, ne soyons pas minuscules. Approuver ou rejeter, c'est, certes, la responsabilité de chacun de nous. Le choix est respectable, mais, face à l'histoire, le silence, le boycott, l'indifférence seraient coupables.
En concluant, je pense à Helmut Kohl, qui a réussi à rassembler les deux Allemagnes terriblement divisées par des idéologies meurtrières. Il citait souvent cette espérance : « Lorsque l'esprit européen arpente les sentiers de l'histoire, il faut l'attraper par les bords de sa chemise. ».
Le groupe UMP sera donc positivement présent à ce rendez-vous de la France en Europe. (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner un texte dont l'importance est fondamentale pour l'avenir de la France et de la construction européenne.
Le projet de loi constitutionnelle présenté à notre assemblée fait suite à la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2007, par laquelle il jugeait que la ratification du traité de Lisbonne, signé le 13 décembre dernier, devait être précédée d'une révision de la Constitution française.
La décision du Conseil constitutionnel appelle donc l'intervention du pouvoir constituant pour lever la déclaration d'inconstitutionnalité. On aurait pu légitimement penser, conformément au principe posé par le deuxième alinéa de l'article 89 de la Constitution française, que c'est le peuple qui se prononcerait sur le texte par référendum.
Le deuxième alinéa de l'article 89 dispose en effet : « Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. ».
On aurait même pu envisager pour relancer la construction européenne et pour que l'Union européenne « suscite à nouveau l'enthousiasme de nos concitoyens », selon les mots prononcés par Nicolas Sarkozy le 8 septembre 2006 à Bruxelles, de coupler la révision de notre Constitution et la ratification du traité de Lisbonne dans le cadre d'un seul et même référendum.
On le sait, ce n'est pas l'option retenue par le Président de la République, qui a décidé de contourner le peuple et de recourir à la voie parlementaire, aussi bien pour faire adopter le présent projet de loi modifiant notre Constitution que pour obtenir l'autorisation de ratification du traité de Lisbonne. C'est certainement ce que le Premier ministre appelait tout à l'heure « transcender les clivages »...
Tel est donc l'enseignement tiré du « non » français de 2005 : le peuple ayant manifesté un vif intérêt pour la construction européenne et ayant, en toute connaissance de cause, rejeté le traité constitutionnel, il faut aujourd'hui le contourner, l'écarter de la construction européenne pour adopter une copie de la défunte « Constitution européenne ».
En tout état de cause, la procédure choisie subtilise ce projet de loi à la réflexion citoyenne et alimente le déficit démocratique qui gangrène la construction européenne.
On nous rétorquera bien entendu que les « interprètes de la souveraineté nationale » ont tout autant de légitimité à se prononcer pour la France et pour l'Union européenne. Mais c'est oublier qu'en 2005 ce que les parlementaires validaient à 90 % au Congrès à Versailles, le peuple le rejetait quelques mois plus tard à 55 %.
Ce décalage entre la volonté populaire et ses représentants doit être pris en compte. Aussi réaffirmons-nous que seul le peuple, notre peuple, peut défaire ce qu'il a fait !
Ensuite, le Gouvernement fait valoir que le traité de Lisbonne est différent du traité établissant une constitution pour l'Europe.
Votre Gouvernement, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, prétend qu'il s'agit d'un « traité simplifié [...] tenant compte des fortes craintes exprimées par le ?non? majoritaire ». Raison de plus, mes chers collègues, pour le soumettre au référendum ! Mais, vous le savez bien, tel n'est pas le cas.
Au-delà de la méthode intergouvernementale choisie pour l'élaboration du traité, marquée - comme vous le savez aussi, monsieur le secrétaire d'État - par des marchandages interétatiques au détriment de l'idée d'un intérêt général de l'Union, le contenu même du traité ne répond pas aux attentes de la majorité de nos concitoyens.
Le traité de Lisbonne amende les traités existants : le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne. Le candidat Sarkozy avait annoncé, pendant la campagne pour l'élection présidentielle, qu'il ferait ratifier par la voie parlementaire un « mini-traité » ou un « traité simplifié » qui prendrait en considération les attentes des Français ayant rejeté le traité établissant une constitution pour l'Europe.
Or, le nouveau traité, qui compte plus de 250 pages, n'est pas un « mini-traité ». Ce texte qui empile les amendements aux traités en vigueur avec des modifications d'articles renvoyant elles-mêmes à d'autres articles n'est pas non plus un « traité simplifié ». Vous le savez comme moi, le traité de Lisbonne est tout simplement illisible pour les non-spécialistes. L'ambition initiale de simplification a bel et bien été écartée. L'illisibilité du traité rend ainsi impossible tout débat citoyen - en tout cas, c'est le but recherché !
Plus précisément, comme tous les observateurs peuvent le constater, le traité de Lisbonne reprend, en règle générale, le contenu du traité constitutionnel.
Certes, le terme « constitution » a été abandonné, de même que la référence aux symboles comme l'hymne ou le drapeau, mais le déficit démocratique et l'orientation libérale de toutes les politiques européennes demeurent intacts. D'un point de vue institutionnel, rien n'est fait pour combler le déficit démocratique de l'Union.
Le statut et la fonction de la Banque centrale européenne, par exemple, demeurent fondés sur le principe d'indépendance politique à l'égard des États. Son statut et ses missions confortent son choix d'une politique fondée sur la lutte contre l'inflation et le respect du pacte de stabilité. Ce choix s'inscrit en totale contradiction avec les déclarations de Nicolas Sarkozy qui disait notamment, le 21 février 2007 pendant la campagne électorale, vouloir « une Europe où la politique monétaire ait pour objectifs la croissance et l'emploi et pas seulement l'inflation ».
La Banque centrale européenne restera guidée par les exigences dogmatiques d'un euro fort au service des marchés financiers, contre l'emploi et la croissance réelle. La Banque centrale européenne, en poursuivant son objectif de stabilité des prix, poursuit son cycle de resserrement monétaire, qui se traduit principalement par des taux directeurs élevés par rapport à des taux très faibles de croissance réelle.
Même s'ils ont tenté de minimiser l'incidence de l'aggravation de la crise financière américaine sur l'économie de la zone euro, les ministres européens des finances n'ont pu éviter d'annoncer une prochaine révision significative à la baisse de la croissance économique dans la zone euro pour 2008. Rien n'indique donc que la Banque centrale européenne reverra ses taux à la baisse. Les conséquences risquent d'être dramatiques pour les pays de la zone euro déjà étouffés par ces taux d'intérêt élevés.
En outre, en dépit du mécontentement grandissant et de la méfiance des citoyens à l'égard de la question sociale, de leurs plaintes sur le passage à l'euro qui a fait perdre le sens de la mesure et permis une valse des étiquettes sur les produits de grande consommation notamment, aucune réorientation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne n'a été engagée. Les agitations du Président de la République n'y ont rien changé : il avait promis de donner des « coups de boutoir » sur l'approche européenne des dossiers financiers, nous les attendons toujours...
Si les souhaits des Français avaient été effectivement entendus, le traité de Lisbonne aurait instauré un contrôle politique de la Banque centrale européenne par les Parlements européen et nationaux et une politique monétaire sélective, au service de la réalisation d'objectifs chiffrés et contraignants en termes d'emploi. Les taux d'intérêt de la Banque centrale européenne baisseraient d'autant plus que les crédits qu'elle refinance serviraient à des investissements programmant plus d'emplois et de formation ; les taux seraient relevés pour les crédits servant à financer des opérations financières ou spéculatives. L'actualité illustre l'urgence d'une telle mesure.
Malheureusement, force est de constater que rien n'a changé. Les institutions européennes n'ont pas été réformées, elles n'ont pas été démocratisées non plus. Les pouvoirs seront toujours concentrés dans les instances non élues, comme la Commission européenne ou encore la Cour de justice des communautés européennes qui détient, je vous le rappelle, une part essentielle du pouvoir législatif dans l'Union européenne et, par voie de conséquence, dans chacun des États membres. À la différence de nos juridictions, cette Cour statue pour l'avenir par dispositions générales et opposables à tous, comme la loi elle-même.
Si le traité de Lisbonne, comme le traité établissant une constitution pour l'Europe, semble à première vue amorcer une évolution positive concernant les parlements nationaux, à y regarder de plus près, on constate que les prérogatives reconnues aux parlements sont absolument insuffisantes.
Sans entrer dans le détail, rappelons, tout d'abord, que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution n'ont aucun caractère contraignant, monsieur Raffarin. Ensuite, concernant l'évolution relative à l'application du principe de subsidiarité, le protocole n° 2 annexé au traité de Lisbonne ne fait pas des parlements nationaux les nouveaux garants du respect du principe de subsidiarité, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, n'est-ce pas, Hubert Haenel ? De plus, le pouvoir reconnu aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée n'est qu'un pouvoir d'empêchement relatif et ne constitue en aucun cas un pouvoir de proposition.
Enfin, le traité de Lisbonne ne change rien non plus au contenu des politiques économiques et sociales européennes. Le nouveau traité reconduit, contrairement aux déclarations de Nicolas Sarkozy, la « concurrence libre et non faussée ». Car, si cette mention ne figure plus parmi les objectifs de l'Union, elle est reprise dans un protocole annexé au traité qui a la même valeur juridique contraignante que le traité proprement dit. Le principe de la « concurrence libre et non faussée » reste donc la référence de toutes les politiques. Les services publics restent soumis aux règles de la concurrence - article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Prétendre avoir fait un geste fort en faisant disparaître cette mention de la concurrence des objectifs de l'Union ne constitue rien de moins qu'une simulation d'acte politique, un simulacre de rupture.
Par ailleurs, certains d'entre nous l'ont évoqué, la Charte des droits fondamentaux adoptée en 2000, qui faisait partie intégrante du traité constitutionnel européen, a été retirée du corps du texte : quel beau symbole ! Certes, comme le précise l'article 6 du traité sur l'Union européenne, dans sa nouvelle rédaction, elle « a la même valeur juridique que les traités », mais un protocole annexé au traité prévoit que la Charte n'est pas applicable à la Pologne ou au Royaume-Uni, ce qui est fort regrettable !
D'autre part, il est rappelé à l'article 6-1 du traité sur l'Union européenne, dans sa nouvelle rédaction, que « les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union ». De plus, la version de la Charte qui sera retenue est celle qui figure dans l'ancien projet de traité constitutionnel, dont on sait qu'elle vide certains articles de toute substance. C'est ainsi que les droits et libertés inscrits dans la Charte des droits fondamentaux sont restreints ou mis purement et simplement à l'écart. Voilà le prétendu nouveau traité que le Président de la République veut faire ratifier sans la participation du peuple !
Non, les mandataires que nous sommes n'ont pas le droit de bafouer la volonté directement et clairement exprimée par leurs mandants ! Les parlementaires ont le pouvoir de faire respecter la volonté du peuple et d'imposer le référendum, en votant contre cette révision de notre Constitution.
Oui, chaque parlementaire est aujourd'hui placé devant ses responsabilités ! Chers collègues, le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne ne sera certainement pas résorbé en contournant le peuple. C'est pourquoi les membres du groupe CRC et moi-même voterons contre ce projet de loi constitutionnelle. J'invite mes collègues soucieux de faire respecter la démocratie dans notre pays à faire de même ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a trois ans, le Parlement adoptait un projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, en vue de permettre la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe.
Cette loi est restée lettre morte après la victoire du « non » au référendum. Elle disparaît aujourd'hui avec le nouveau projet de loi constitutionnelle soumis à notre approbation, qui modifie de nouveau le titre XV de la Constitution.
Pour la clarté du débat, ce projet appelle des considérations distinctes relatives au traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 et à son contenu, à la décision rendue le 20 décembre 2007 par le Conseil constitutionnel et à la procédure de ratification de ce traité par la voie parlementaire, retenue par le Président de la République.
Le traité de Lisbonne simplifie, dans la mesure du possible, et améliore, par rapport au droit antérieur - c'est-à-dire par rapport au traité de Nice -, les règles de fonctionnement de l'Union européenne, afin de les adapter à la situation nouvelle qui résulte, notamment, de l'élargissement de l'Union à vingt-sept membres.
Il procède ainsi à une nouvelle pondération des droits de vote des États membres, plus proche des réalités démographiques ; il permet, dans certains domaines, la substitution progressive d'une règle majoritaire à la règle de l'unanimité ; il dote l'Union d'un président du Conseil durable et d'un Haut représentant unique pour les affaires étrangères ; il renforce les coopérations entre États membres dans les domaines de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme, des contrôles aux frontières ainsi que dans le domaine judiciaire, notamment en matière pénale ; il s'efforce également de rendre le fonctionnement de l'Union européenne plus démocratique, en associant davantage le Parlement européen et les parlements nationaux au processus d'adoption ou au contrôle des actes européens, en particulier au regard du principe de subsidiarité.
À ces différents égards, après l'échec du traité constitutionnel du 29 octobre 2004, désormais caduc, le traité de Lisbonne apparaît comme une chance à saisir pour les vingt-sept États membres qui l'ont signé et il mérite d'être ratifié.
Deuxième considération : la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2007 doit être rappelée. Par cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé que l'autorisation de ratifier le traité de Lisbonne nécessitait, au préalable, une révision constitutionnelle. Bien entendu, cette décision n'a pas pour conséquence une obligation absolue de révision constitutionnelle. La révision n'est un préalable nécessaire que si, comme nous le pensons, l'approbation de ce traité apparaît souhaitable.
Cette approbation appelle une révision pour deux séries de raisons.
D'une part, le traité de Lisbonne transfère des compétences affectant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans des matières nouvelles - par exemple, dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile ou pénale - ou encore, il modifie les modalités d'exercice de compétences déjà transférées dans des conditions affectant la souveraineté nationale - par exemple, en attribuant un nouveau pouvoir de décision au Parlement européen ou en substituant, dans certaines conditions, une règle de majorité qualifiée à la règle de l'unanimité au sein du Conseil européen.
D'autre part, et c'est plus rare, le traité reconnaît aux Parlements nationaux des prérogatives qu'aucune disposition constitutionnelle ne leur attribue jusqu'à présent. La révision doit, pour ainsi dire, combler un vide en donnant au Parlement ce pouvoir. Il en va ainsi des stipulations permettant au Parlement d'intervenir, fût-ce par un avis, pour veiller à limiter les interventions de l'Union européenne lorsque les objectifs qu'elle poursuit pourraient être atteints par les États membres.
Pour ce qui concerne l'essentiel, les transferts de compétences, la Constitution ne comporte pas, comme vous le savez, de clause générale autorisant une fois pour toutes les transferts de compétences opérés au bénéfice de l'Union européenne - nous y sommes, monsieur le doyen Gélard !
L'adoption d'une telle clause - que le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Édouard Balladur, n'a d'ailleurs pas recommandée - ouvrirait un débat inutile et incertain à nos yeux.
Notre procédure d'approbation des traités européens, qui fait intervenir périodiquement le pouvoir constituant, peut apparaître à certains égards excessivement complexe, mais elle constitue une garantie protectrice de la souveraineté nationale.
Il est par conséquent inévitable que le pouvoir constituant, déjà appelé à plusieurs reprises à tirer les conséquences de la construction européenne, notamment en 2005, dans le cadre du traité constitutionnel, soit conduit à modifier à plusieurs reprises les mêmes dispositions. C'est notamment ce qui explique que le Sénat soit invité aujourd'hui, au travers de la rédaction présentée dans le projet de loi en discussion pour l'article 88-2 de la Constitution, à s'y reprendre à deux fois s'agissant des règles applicables au mandat d'arrêt européen, domaine dans lequel, le Gouvernement en conviendra, la nécessité de la révision ne s'imposait pas d'évidence.
Enfin, une troisième considération tient à l'intention, manifestée clairement et de longue date par le Président de la République, de soumettre à la représentation nationale plutôt qu'au référendum le projet de loi autorisant la ratification du traité dit simplifié.
Cette considération ne peut toutefois nous arrêter, à condition du moins de ne pas confondre la procédure de ratification du traité et la révision constitutionnelle qui en est le préalable.
En réalité, le refus du peuple souverain d'approuver, lors du référendum du 29 mai 2005, le traité constitutionnel du 19 octobre 2004 n'implique en rien que le projet de révision constitutionnelle soit soumis au référendum. Rappelons, à cet égard, que la révision constitutionnelle du 1er mars 2005, intervenue en vue de l'approbation de la constitution européenne, a été adoptée par le Congrès.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh voilà ! On ne peut pas mieux dire !
M. Nicolas Alfonsi. Ainsi, aucune règle de parallélisme des formes ne s'impose, et la voie par laquelle sera approuvé le traité de Lisbonne, référendaire ou parlementaire, est à vrai dire indifférente par rapport au débat qui nous occupe aujourd'hui.
Du reste, même s'il reprend - pourquoi le cacher ? - nombre des dispositions du traité constitutionnel, notamment l'essentiel des dispositions institutionnelles figurant aux titres Ier et II de ce dernier, le traité de Lisbonne ne reprend pas les mêmes objectifs et constitue incontestablement un nouveau traité pour faire repartir une Europe en panne.
Mes chers collègues, depuis plus de trente ans, le Sénat et le Congrès avec lui ont toujours accepté de lever les obstacles constitutionnels à la construction européenne : création d'un grand marché intérieur européen avec l'Acte unique, création d'une monnaie commune avec l'euro, élargissement après la chute du mur de Berlin. Gardons à l'esprit que la construction européenne a été et demeure un gage de paix, de prospérité, de liberté.
Le groupe du Rassemblement démocratique social et européen, s'il veut rester lui-même, ne peut qu'être profondément européen. S'il est un domaine où la diversité des sensibilités qui s'y expriment disparaît pour faire place à une profonde unité, c'est bien celui de l'Europe, puisqu'elle est sa raison d'être.
Sans doute, beaucoup d'entre nous auraient souhaité que l'on suive la voie référendaire pour la ratification du traité. Cela nous aurait fait faire l'économie d'un nouveau débat dans quelques jours. Mais, nous le répétons avec force, le projet de loi constitutionnelle est neutre par rapport à ces considérations.
Comment pourrait-on prétendre être favorable à cette ratification, quelles qu'en soient les modalités, si elle devait être rendue impossible faute d'approbation par le Congrès du projet de loi qui nous est soumis, à la suite des recommandations du Conseil constitutionnel ? Le principe de réalité, auquel notre groupe est attaché, nous conduit à ne pas courir le risque d'un nouveau rejet, même si le texte est imparfait et que beaucoup de questions restent sans réponse. Je pense notamment ici à l'indispensable gouvernance économique de l'Europe, qui devrait être notre priorité à l'heure de la mondialisation, à la remise en cause des critères d'adhésion, trop larges à mes yeux, établis à Copenhague, à l'extension indéfinie de nos frontières par un élargissement incontrôlé.
J'ajoute que si le Président de la République, en étroite collaboration avec les responsables de l'Europe, notamment Mme Angela Merkel, n'avait pas pris l'initiative d'une relance, nous serions encore dans l'attente d'un plan « B », cet objet non identifié qui semble n'avoir été livré à l'opinion, par les partisans aujourd'hui sans voix du rejet du traité établissant une Constitution pour l'Europe, que pour encourager nos compatriotes à voter massivement « non » lors du référendum de 2005.
C'est pour éviter de nouvelles rechutes et donner un nouvel élan à l'Europe que notre groupe votera à l'unanimité le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Michèle André.)
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour le pouvoir d'achat est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
10
Titre XV de la Constitution
Suite de la discussion et adoption conforme d'un projet de loi constitutionnelle
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la relance de la construction européenne est, sans aucun doute, l'une des plus importantes réalisations à mettre au crédit de l'action du Président de la République depuis son élection.
L'engagement historique de la famille politique que je représente en faveur de l'intégration européenne n'est un secret pour personne. Le non français au référendum du 29 mai 2005 nous a meurtris et a conduit l'Europe à une impasse ; le Président de la République, autant par son volontarisme que par son habileté, est parvenu à sortir l'Europe de cette impasse.
À la suite à la dernière élection présidentielle, la famille centriste s'est retrouvée divisée. Ceux qui ont rejoint la majorité présidentielle, parmi lesquels figurent les membres du groupe UC-UDF, ont été confortés dans leur choix par l'action du Président de la République en matière européenne. Je le salue d'autant plus solennellement qu'une mise en perspective montre que nous ne pouvons plus nous permettre d'hésiter et de piétiner. Les grands ensembles mondiaux que sont le Brésil, l'Inde et, plus encore, la Chine, se sont mis en place à une vitesse incroyable.
Rappelez-vous que, lors du débat sur le référendum en 2005, un rapport de la CIA prévoyait que la Chine serait peut-être en 2020-2025 la deuxième puissance économique mondiale. Trois ans plus tard, elle est déjà parvenue à la troisième place. Face à la mise en place à marche forcée de ces grands blocs, l'Europe n'a plus le choix. Sans énergie, sans défense, fragile, sans institutions, elle doit avancer si elle veut continuer de peser sur la scène internationale. Elle pourra le faire grâce au traité de Lisbonne.
Bien sûr, en tant que théologiens de l'Europe, nous regrettons l'abandon des symboles : le drapeau, l'hymne et la devise ont été bannis des textes fondateurs. C'est dommage ! De même, les mots ont un sens. Comment ne pas regretter que les termes de loi et de loi-cadre ne remplacent pas ceux de règlement et directive, trompeurs et inappropriés, notamment au regard de la terminologie juridique française ? La primauté explicite de l'ordre juridique communautaire était, à notre avis, d'autant plus nécessaire que la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne la rend bien réelle.
De même, comment ne pas regretter que la Charte des droits fondamentaux disparaisse de l'acte fondateur pour ne plus y figurer qu'implicitement, par un renvoi ? Laissez ces regrets à nous qui sommes les théologiens de l'Europe.
Mais tout cela est finalement de bien faible poids comparé à toutes les avancées positives.
En faisant seulement preuve de réalisme et de pragmatisme, pragmatisme que les pères fondateurs de l'Europe, Robert Schuman en tête, ont toujours préconisé, nous pourrions dire qu'il faut adopter le traité de Lisbonne parce qu'il permet à l'Europe de repartir et parce qu'il redonne vigueur à un processus de décision.
Mais nous n'adhérons pas au traité de Lisbonne seulement par pragmatisme et par réalisme : nous adhérons parce que ce texte est porteur d'avancées significatives - elles ont déjà été soulignées par d'autres orateurs, mais que je souhaite les rappeler - par rapport aux traités en vigueur et, singulièrement, au traité de Nice. De plus, il fait de l'Union une entité infiniment plus sociale, humaniste et démocratique. Avec ce texte, les objectifs de l'Union deviennent explicitement beaucoup plus sociaux et humanistes qu'ils ne l'étaient auparavant ; je fais allusion, en particulier, à l'ajout au nombre des objectifs de l'Union de « la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, la justice sociale, la solidarité entre les générations, la protection des droits de l'enfant ».
L'Europe ne peut plus être simplement une pure construction économique : avec le traité de Lisbonne, la vision de l'Europe comme un simple marché économique est dépassée.
Dans le même ordre d'idées, la Charte des droits fondamentaux reçoit enfin une valeur contraignante.
De même, le renforcement substantiel des pouvoirs du Parlement européen démocratise considérablement l'Union européenne. La généralisation de la codécision et l'augmentation des pouvoirs budgétaires du Parlement européen avec la suppression des notions de dépenses obligatoires et non obligatoires sont d'énormes avancées.
Sur le plan institutionnel, je ne peux également que saluer la reconnaissance du Conseil européen et l'élargissement du vote à la majorité qualifiée.
En matière d'affaires extérieures, les deux personnalités qu'étaient le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et le commissaire européen chargé des relations extérieures sont remplacées par un unique Haut représentant qui parlera sur la scène internationale au nom de l'Europe. Rappelez-vous à quel point nous étions ridicules lorsqu'il s'agissait de savoir s'il fallait s'adresser à Mme Ferrero-Waldner ou à M. Solana et qu'au final on estimait qu'il valait mieux que ce soit à Mme Ferrero-Waldner parce qu'elle disposait d'une ligne budgétaire plus importante.
Quant à l'élargissement du rôle de la Cour de justice des communautés européennes, il ne peut être analysé que comme un progrès de l'état de droit européen.
Toujours au chapitre institutionnel, en tant que membre du Sénat, assemblée représentative de nos territoires, je ne peux que réserver une mention spéciale à l'élargissement de la capacité d'action du Comité des régions. Il aura désormais la possibilité de saisir la Cour de justice pour contester la conformité d'un acte au principe de subsidiarité et pour sauvegarder ses propres prérogatives.
Ainsi, les actes fondateurs de l'Union gagneront, grâce au traité de Lisbonne, en démocratie.
L'Union verra ses moyens d'action renforcés dans de nombreux domaines grâce à l'une des principales avancées du traité de Lisbonne - l'Union européenne est dotée de la personnalité juridique - et grâce aux clauses de flexibilité prévues pour l'extension de ses compétences.
Les compétences de l'Union sont aussi approfondies dans des domaines non négligeables. Au nombre de ceux-ci, il en est un qui, comme vous le savez, me tient particulièrement à coeur en tant que membre de la commission des affaires étrangères et du groupe UC-UDF : c'est celui de la défense. Compte tenu du contexte international très incertain, de la fragilité de l'Europe face à sa défense, et de l'inflexion de la politique américaine, le développement d'une défense européenne autonome et digne de ce nom est à nos yeux une priorité plus que jamais urgente. Nous savons que tel est l'objectif du Président de la République.
Or, en matière de défense, le traité de Lisbonne comporte des avancées notables.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Yves Pozzo di Borgo. La politique étrangère et de sécurité commune est profondément réformée par la mise en place d'une présidence stable du Conseil européen, par la création du Haut représentant de l'Union et par l'attribution de la personnalité juridique à l'Union.
Le traité prévoit un développement significatif de la politique de sécurité et de défense commune, avec un élargissement des missions, une clause très importante de défense mutuelle, une clause de solidarité antiterroriste, le lancement d'une forme de coopération renforcée sui generis - la « coopération structurée permanente » -, et la création d'une agence d'armement, l'Agence européenne de défense, qui a déjà été mise en place par anticipation. Pour un coût de 40 millions d'euros, je peux vous dire que cette agence est d'une efficacité extraordinaire et qu'elle ne demande qu'à être développée.
Mais ce traité ne comporte pas des avancées positives uniquement au regard des traités en vigueur : il nous paraît meilleur que le texte constitutionnel sur des points non négligeables.
Nous ne pouvons que très vivement saluer la place que ce texte accorde enfin aux représentations nationales. Les parlements auront désormais un vrai rôle à jouer dans la construction communautaire au travers du contrôle de subsidiarité, pour lequel leur sont accordés de véritables moyens d'action.
J'exprimerai tout de même un seul regret concernant spécifiquement le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis ; j'entre un peu dans le débat juridique, monsieur Gélard !
La rédaction proposée pour l'article 88-1 ne rompt pas avec la technique juridique employée lors des révisions constitutionnelles préalables aux ratifications des traités de Maastricht et d'Amsterdam consistant à n'autoriser que les seuls transferts de compétences induits par la ratification desdits traités. Nous aurions préféré, pour éviter la multiplication des révisions constitutionnelles ponctuelles, que soit prévue une clause générale autorisant par avance tous les transferts de souveraineté requis par la construction européenne. Tel n'a pas été le cas. Tant pis ! Espérons que ce sera pour la prochaine fois !
Il reste la critique du choix de la voie parlementaire pour la ratification du traité, critique qui, curieusement, émane très souvent de ceux qui se plaignent de l'affaiblissement du Parlement.
La représentation nationale représente tout le peuple français et parle en son nom. C'est l'essence même de la démocratie. Arrêtons, parlementaires que nous sommes, de douter de nous-mêmes ! Nous sommes la France, et nous prenons des décisions pour les Français qui nous ont mandatés.
Lors de la campagne pour l'élection présidentielle - dernière élection majeure du pays -, Nicolas Sarkozy a toujours dit qu'il procéderait par la voie parlementaire. Les Français l'ont entendu, et l'ont choisi pour cinq ans.
Ainsi, vous l'aurez compris, notre groupe est pleinement favorable au traité de Lisbonne en lui-même, au processus de ratification engagé, et bien sûr à la modification du titre XV de la Constitution, objet de ce débat, même si l'importance du sujet nous a obligés à dépasser les arguments essentiellement juridiques pour redonner vie à la politique européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle est la première étape de la ratification du traité de Lisbonne et nous pouvons difficilement séparer les deux étapes.
La question de principe essentielle qui se pose, au-delà même du contenu juridique du traité, c'est celle du choix du Congrès plutôt que celle du référendum, après le rejet massif par les Français du traité établissant une Constitution pour l'Europe le 29 mai 2005.
Or il est clair, et plus encore sous la Ve République, qu'une décision référendaire est d'essence supérieure à une décision parlementaire, parce qu'il s'agit de l'expression la plus directe de la volonté générale.
C'est d'ailleurs en partant de ce postulat que, pendant la campagne présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy envisageait le recours à la procédure parlementaire uniquement pour un traité qui serait, comme il l'avait alors écrit et déclaré, substantiellement différent sur deux points essentiels : il devait s'agir d'un texte simple - mini-traité ou traité simplifié - ne reprenant que les dispositions n'ayant pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire, donc d'une sorte de compromis ou de synthèse entre le oui et le non.
Cette position était juridiquement fondée et politiquement légitime. C'est donc à l'aune de ces deux critères qu'il faut examiner le traité de Lisbonne.
En premier lieu, s'agit-il d'un traité simplifié ?
Tout d'abord, jamais l'élaboration d'un traité ne s'est faite avec aussi peu de transparence. Il n'a été organisé aucune consultation des parlements nationaux, dont aucun des représentants n'aura été associé aux travaux de la présidence allemande.
Ensuite, il faut avoir une bonne dose d'humour pour prétendre qu'avec plus de 250 pages il s'agirait d'un traité simplifié. Ce texte est encore moins lisible que le projet constitutionnel qu'on a éclaté en mille morceaux pour les disperser et les loger dans les traités existants, lesquels, du coup, changent profondément de nature pour pourvoir avaler, digérer et intégrer la première et la troisième partie du projet constitutionnel.
Ce n'est plus un mini-traité, c'est un maxi-traité. Ce n'est pas non plus un traité simplifié, c'est un traité complexifié, et qui malmène au passage un principe essentiel, celui de la sécurité juridique : les normes édictées doivent être claires et intelligibles.
En second lieu, le traité de Lisbonne permet-il de réconcilier le oui et le non ? Bien sûr que non ! Du reste, avez-vous entendu beaucoup de partisans du non, de droite comme de gauche, affirmer qu'ils se retrouvaient dans ce texte ? Cela n'a rien d'étonnant. Ainsi, le groupe Open Europe a réalisé un minutieux travail d'analyse qui révèle que seules dix dispositions diffèrent sur le fond des deux cent cinquante propositions du traité constitutionnel.
Surtout, les points de désaccord entre le oui et le non subsistent toujours. Je n'en citerai que quatre.
Le principe de primauté du droit européen, y compris sur la Constitution, n'est pas inscrit dans le corps du traité, mais la déclaration n° 27 consacre définitivement la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes : aucun doute ne subsiste !
Le principe de concurrence libre et non-faussée n'est plus un objectif de l'Union européenne, mais il est réaffirmé dans le protocole n° 6, qui a la même portée en droit que le traité.
M. Roland Courteau. C'est vrai !
M. Bruno Retailleau. La Charte des droits fondamentaux, qui ouvre grand la porte à tous les communautarismes - lesquels s'y engouffreront rapidement -, fait certes l'objet d'une déclaration séparée, mais l'article 6 du traité sur l'Union européenne, dans sa nouvelle rédaction, fait le lien en lui conférant « la même valeur juridique que le traité ». Du reste, en matière de champ d'application au droit de l'Union européenne ou au droit national, c'est encore le juge européen qui fera ce que bon lui semblera : le Conseil constitutionnel, à n'en pas douter, s'inclinera.
Enfin, les transferts de compétences sont plus nombreux que la Constitution ne le prévoyait, dans des domaines régaliens comme la justice ou l'immigration. Ce n'est donc pas une Europe subsidiaire que l'on construit ; c'est une Europe concentrée sur des sujets où les États seuls seraient impuissants et où l'Europe serait nécessaire. C'est donc une Europe qui va se mêler de tout.
Mes chers collègues, que pèse la nouvelle procédure de contrôle de subsidiarité dont on parle tant dans cette enceinte face à ces transferts massifs de compétences, qui, bientôt, échapperont à la souveraineté du Parlement ?
En réalité, le traité de Lisbonne ne peut pas être une synthèse entre le oui et le non dans la mesure où c'est bien la défunte Constitution que l'on ressuscite. Vous le savez et d'autres, d'ailleurs, ne s'en cachent pas, d'Angela Merkel à José Luis Zapatero, en passant par Jean-Claude Juncker ou même Valéry Giscard d'Estaing qui, bon connaisseur de l'ancien traité constitutionnel, déclare : « Le texte des articles du traité constitutionnel est donc à peu près inchangé [...]. On est évidemment loin de la simplification. [...] Quel est l'intérêt de cette subtile manoeuvre ? D'abord et avant tout d'échapper à la contrainte du recours au référendum... ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'aime pas le traité simplifié !
M. Bruno Retailleau. Le référendum n'aura donc servi à rien et le Parlement s'apprête à désavouer le peuple. D'ailleurs, l'excellent constitutionnaliste Didier Mauss l'a rappelé récemment dans une tribune très intéressante. (M. Hubert Haenel proteste.) Ce n'est ni un dangereux gauchiste ni un dangereux souverainiste !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sa position est beaucoup plus nuancée que vous le dîtes, mon cher collègue !
M. Bruno Retailleau. Il l'a dit !
Voilà qui n'est pas de nature à renforcer la confiance des Français dans leurs institutions, ni dans l'Europe telle que vous la faites, sans les peuples. Si je comprends bien, vous estimez que, pour que cette Europe progresse, il faut tenir le peuple à l'écart. C'est une bien curieuse conception de la démocratie !
Finalement, ce fameux déficit démocratique qu'il est toujours de bon ton de déplorer n'est ni un hasard ni un simple dysfonctionnement ; il est même une condition de cette construction particulière. Jacques Delors, à Strasbourg, en 1999, reconnaissait d'ailleurs avec clairvoyance et avec un certain courage que l'Europe s'était constituée sous l'égide d'un « despotisme doux et éclairé », moderne en somme !
Non, le traité de Lisbonne n'est certainement pas une simple étape intermédiaire. Il constitue une étape décisive dans la mise en place d'une quasi-structure étatique fédérale, dotée de la personnalité juridique, qui acquiert au fil des traités la faculté de déterminer son propre champ d'intervention, c'est-à-dire ce que l'on appelle la compétence de la compétence, grâce à la clause de flexibilité inscrite à l'article 308, aux clauses passerelles, et surtout grâce aux juges de la Cour de justice des Communautés européennes. Combinée avec la règle de la décision à la majorité et celle de la primauté du droit européen, c'est elle qui donne sa pleine-puissance constitutionnelle et fédérale au traité.
L'option fédérale est une opinion parfaitement respectable. Encore faut-il l'assumer devant le peuple et le dire tout haut, au lieu de s'en cacher.
Mes chers collègues, j'ai la conviction que vous prenez un risque majeur, celui d'une perte du sens civique, du sens collectif, au moment même où l'individu et ses intérêts prennent trop souvent la place du citoyen et de ses idéaux, comme l'a écrit Dominique Schnapper dans un très bon livre. Il faut en effet du temps, beaucoup de temps, pour créer une unité politique et pour que chacun accepte de dépasser sa singularité dans une longue chaîne de solidarité qui nous permet de vivre ensemble. D'ailleurs, ce n'est sans doute pas un hasard que le non soit venu des Français, peuple éminemment politique s'il en est, c'est-à-dire de la France qui est la nation qui jouit de la plus ancienne conscience d'elle-même.
L'Europe peut-elle devenir une nation, une véritable unité politique ? À vingt-sept États membres et plus, rien n'est moins sûr ! Il faudra beaucoup plus que cette construction juridique pour créer un véritable sentiment d'appartenance, qui est la véritable condition d'une démocratie européenne. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes amenés aujourd'hui à nous prononcer sur le projet de loi constitutionnelle permettant la ratification du traité de Lisbonne. Le vote qui conclura ce débat devrait, à mon sens, être le seul incombant aux parlementaires sur cette question.
Il est normal que le Parlement se prononce sur les aspects techniques d'une modification de la Constitution. Néanmoins, la dévolution au peuple du choix de modifier la Constitution et de ratifier le traité de Lisbonne doit être considérée comme un impératif.
En effet, aucune raison valable ne s'oppose à ce que le peuple se prononce directement sur ces deux questions distinctes. Souhaitez-vous une modification de la Constitution ? Souhaitez-vous ratifier le traité de Lisbonne ? Les Verts pensent que ces deux points auraient dû faire l'objet d'un référendum.
Comme l'a souligné M. le rapporteur, nous sommes ici pour traiter de la première question relative à la modification constitutionnelle, nécessaire pour la ratification du traité européen modifié.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Aussi ne parlerai-je que de cette problématique, sans entrer dans le contenu du traité de Lisbonne, même s'il y aurait beaucoup à dire sur celui-ci.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le moment viendra !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Concernant la révision de la Constitution, l'article 89 précise que le recours au référendum est le principe et la réunion du Congrès l'exception.
Ce préalable n'est pas une faveur donnée au peuple : il est un droit constitutionnellement garanti. Malheureusement pour le peuple français, le Président de la République est sur le point de spolier ce droit.
Tout constitutionnaliste nous le confirme : le droit d'option du Président de la République n'est pas discrétionnaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si, il l'est !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Absolument !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La révision de la Constitution est un acte grave. Lorsqu'elle a pour effet d'entamer les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, de transfert de la souveraineté, il revient au peuple de décider ce qu'il consent comme concession et ce qu'il considère comme le noyau intangible de la Constitution.
De la même manière, tout projet de loi ayant pour effet de porter atteinte aux conditions primordiales d'exercice de la souveraineté devrait faire l'objet d'une ratification par le peuple.
L'article 3 de la Constitution le prévoit dans son premier alinéa : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Il est bien précisé « et », et non pas « ou » !
Dans cet article, la théorie de la souveraineté nationale, chère à Sieyès, côtoie celle de la souveraineté populaire, chère à Rousseau. La première confère au Parlement le droit d'exercer la souveraineté, la seconde attribue au peuple le soin de l'exercer directement, par la voie du référendum.
Il fut une époque, sous la Ve République et particulièrement en 1969, où le référendum avait un sens : à lui seul, il pouvait défaire le pouvoir.
Comprenez bien, chers collègues, que le peuple ne veut pas légiférer. Il souhaite seulement pouvoir s'exprimer sur des questions touchant à l'essence de la souveraineté.
En 2005, la révision de la Constitution a été votée dans la perspective de la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Or, quelques mois après, les Français ont décidé par référendum de refuser ce texte. Pourtant, la Constitution avait été révisée par le Congrès, mais la coquille est restée vide en raison du non qui l'avait emporté.
Beaucoup avaient cru que le peuple suivrait. Il ne l'a pas fait ! Est-ce un désaveu ? Je ne le pense pas : il s'agit de la marche normale de la démocratie.
En votant contre le projet de traité européen, pour les besoins duquel la majorité parlementaire avait modifié la Constitution, le peuple nous a donné un signal : ce que la majorité exprime au Parlement, ce n'est pas forcément ce qui est exprimé par la majorité du peuple. Il aurait fallu en tenir compte.
Depuis presque trois ans, notre loi fondamentale, pierre angulaire de notre système juridique, contient des dispositions qui ne servent plus à rien. Elles vont être supprimées par ce projet de loi constitutionnelle, mais leur existence est un symbole à lui tout seul : elle nous rappelle que le peuple est maître de son destin démocratique. Si sa volonté a été respectée en 2005, elle est sur le point d'être bafouée par la réunion du Congrès le 4 février prochain !
Je vous rappelle que, selon un dernier sondage, 75 % des Français souhaitent que le traité de Lisbonne soit ratifié par voie référendaire. Or ces citoyens sont de tout bord politique. Favorables ou non au contenu de ce traité, ils veulent s'exprimer !
Ces Français, que nous ne faisons que représenter, sont les premiers destinataires du traité de Lisbonne. Nous ne pouvons donc pas nous substituer à eux : la majorité qualifiée qui siège au Congrès ne peut se substituer à ces 75 % de Français, pas plus que la majorité simple qui adoptera la loi de ratification du traité de Lisbonne.
Puisqu'en 2005 le choix du référendum avait été fait, le principe du parallélisme des formes impose aujourd'hui que ce nouveau traité soit ratifié par le peuple, quelle qu'en soit l'issue. Nous ne devons pas craindre l'expression démocratique.
Les élus Verts estiment que si l'on souhaite vraiment édifier une Europe des peuples, ce sont les peuples d'Europe eux-mêmes qui doivent définir dans quelle mesure ils souhaitent y prendre part.
Dans une Europe où le déficit démocratique est trop souvent reconnu et déploré depuis longtemps, nous avons une occasion unique de montrer que la France donne l'exemple d'une démocratie respectueuse de la volonté de son peuple, courageuse et audacieuse. En choisissant de convoquer le Congrès, le Président de la République commet un hold-up démocratique, une imposture morale et politique.
M. Jacques Blanc. Ce n'est pas possible d'entendre cela !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La volonté du peuple de pouvoir s'exprimer directement est aujourd'hui bafouée. Pourquoi tant de mépris ? La crédibilité du chef de l'État serait-elle en jeu ?
Pourquoi ce refus obstiné du référendum, alors que M. Sarkozy, lorsqu'il était étudiant, avait présenté un mémoire de DEA sur le référendum du 27 avril 1969 ? Notre président a-t-il peur de subir le même destin que le général de Gaulle ?
Pourquoi tant de mépris pour l'expression populaire de la part d'un homme qui, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, défendait le recours au référendum pour le défunt traité constitutionnel européen ?
Je souhaite citer les propos tenus par M. le Président de la République, alors qu'il était ministre, au cours d'un conseil national de l'UMP le 9 mai 2004 : « l'Europe doit être au service des peuples [...] Mais l'Europe ne peut pas se construire sans les peuples [...] la souveraineté c'est le peuple. À chaque grande étape de l'intégration européenne il faut donc solliciter l'avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple.
« Si nous croyons au projet européen comme j'y crois, alors nous ne devons pas craindre la confrontation populaire. [...]
« Je le dis comme je le pense, simplement. Je ne vois pas comment il serait possible de dire aux Français que la Constitution européenne est un acte majeur et d'en tirer la conséquence qu'elle doit être adoptée entre parlementaires, sans que l'on prenne la peine de solliciter directement l'avis des Français. »
Il concluait par ces mots : « J'appartiens à la famille gaulliste qui - à tort ou à raison - a toujours considéré le référendum populaire comme l'une des expressions les plus abouties de la démocratie ».
Aujourd'hui, le Président de la République oublie ses propres déclarations. Il bafoue non seulement la volonté du peuple, mais également les idées de sa propre famille politique. Pourquoi ce changement significatif ? Il n'y a aucune raison à cela, si ce n'est que le choix de la ratification parlementaire est en l'espèce un choix strictement personnel du Président de la République, et non un choix pour les Français et pour la France.
D'ailleurs, tout le monde consent à dire que le Président de la République a porté ce traité comme son propre enfant depuis le début. Il lui a même donné plusieurs noms - mini- traité, traité simplifié -, avant que la conférence intergouvernementale ne lui en attribue un d'office. Il l'a porté devant nous, comme si nous étions le conseil de famille de la construction européenne.
Il en a fait une affaire personnelle, alors que ce traité concerne tous les Français. Ce sont eux qui doivent décider directement ; ce sont eux les parents de la démocratie.
La voie de la ratification parlementaire est un déni de souveraineté ; l'absence de référendum nie le droit du peuple français de décider de la construction européenne. Le Président de la République, en faisant ce choix, condamne les Français à être les parents pauvres de la construction européenne. Il condamne le peuple français, relégué au rang de spectateur muselé, à perdre la maîtrise de sa liberté démocratique.
Que pensera ce peuple de France, à qui l'on retire le droit de se prononcer, d'un Gouvernement et d'un Président de la République qui bafouent ainsi leur volonté ?
Pour certains, présents dans cet hémicycle, la question serait tranchée depuis les élections présidentielles. En effet, puisque le candidat Nicolas Sarkozy évoquait déjà, dans son programme électoral, le recours à la voie parlementaire pour la ratification du traité de Lisbonne, en votant pour lui, les Français auraient également voté pour le recours à la ratification parlementaire ! (M. Jacques Blanc s'exclame.) Je regrette, mais cet argument est nul et non avenu.
M. Jacques Blanc. Ah bon ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Une élection ne donne pas au Président de la République un blanc-seing sur le contenu de sa politique,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois Il y a tout de même de grands engagements !
Mme Alima Boumediene-Thiery. ...notamment en matière européenne Les Français auraient-ils eux-mêmes renoncé à leur souveraineté en élisant M. Sarkozy à la magistrature suprême ? La question de la construction européenne est trop importante pour qu'on évacue le recours au référendum par une telle construction mentale et politicienne.
II faut l'avouer : le Président de la République a engagé sa crédibilité auprès des partenaires européens pour une ratification du traité de Lisbonne. Le choix du Congrès n'est pas un choix pour les Français : il est un choix contre eux, pour seulement permettre au chef de l'État de garder bonne figure auprès de nos partenaires européens. Si le traité était refusé par référendum, toute la confiance dont le peuple a investi Nicolas Sarkozy en l'élisant s'évanouirait.
Est-ce pour éviter ce désaveu hypothétique que le Président de la République contourne le référendum au profit d'un Congrès au sein duquel il sait disposer d'une majorité suffisante ?
M. Jacques Blanc. Le peuple a tranché !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Le choix de recourir à une ratification parlementaire d'un traité ne doit jamais être un instrument stratégique ou une ruse politique pour censurer la voix du peuple ; il doit être conforme à la volonté du peuple.
Enfin, ne nous trompons pas de combat : que l'on ait soutenu ou non le traité établissant une constitution pour l'Europe, le TCE, en 2005, que l'on soit pour ou contre les modifications apportés dans le traité de Lisbonne, il ne s'agit pas, aujourd'hui, de se prononcer pour ou contre le traité européen. Là n'est pas la question !
Pour nous les Verts, il s'agit de défendre la légitimité du recours au référendum, afin de redonner la parole au peuple français sur ce qui engage notre pays pour de longues décennies. Nous n'avons pas été élus pour priver le peuple de sa souveraineté ! La volonté du peuple est simple : le choix du référendum pour la révision de la Constitution et pour la ratification du traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la ministre, ne m'en veuillez pas si, anticipant quelque peu sur le calendrier, je m'exprime dès aujourd'hui devant vous sur le fond du traité de Lisbonne plus que sur la réforme constitutionnelle qui rendra sa ratification possible.
M. Charles Gautier. Ce n'est pas le sujet !
M. Pierre Bernard-Reymond. Je voudrais le faire, d'abord, en tirant les leçons de l'échec du référendum de 2005, ensuite, en m'interrogeant sur les conditions du succès de la mise en place de la réforme institutionnelle et, enfin, en m'exprimant sur les perspectives à long terme de l'Union européenne, qui, avec ce traité, a certes éclairci son propre horizon, mais se trouve confrontée à un monde où dominent plus que jamais l'incertitude et le risque.
Il faut en effet revenir sur le projet de traité constitutionnel refusé par nos compatriotes en 2005, car des leçons doivent être retenues de cet épisode.
La construction de l'Europe avait été, jusque-là, un processus pragmatique, bien adapté à une visibilité à moyen terme qui s'élaborait par des traités successifs. Chacun d'eux prenait en compte de façon réaliste les évolutions récentes, identifiait les besoins à satisfaire, les inscrivait dans le marbre et éclairait le proche avenir, dans la perspective du traité suivant.
Proposer une constitution pour l'Europe rompait avec cette méthode et présentait l'ambition de figer définitivement le cadre dans lequel évoluerait désormais un processus qui est pourtant loin d'être achevé.
Ce caractère solennel et irrémédiable a d'autant plus inquiété certains de nos concitoyens qu'ils ont aussi voulu y voir un choix définitif en faveur d'un certain type de société qu'ils récusent, alors qu'il ne s'agissait que de prendre en compte l'acquis communautaire, dans un ensemble cohérent, et de fournir un nouveau cadre institutionnel, permettant à l'Europe des Vingt-Sept de fonctionner.
Revenir à la construction européenne par l'élaboration d'un traité tous les six ou sept ans est la bonne méthode. Si l'on considère un jour que cette construction est définitivement achevée, alors peut-être pourra-t-on penser à une constitution, mais le moment n'est pas venu.
Le choix d'une ratification de forme référendaire a encore contribué à solenniser l'acte et a permis d'ouvrir un débat qui n'avait que de lointaines références avec la question européenne.
Le référendum a par ailleurs encouragé des approches strictement politiciennes, notamment de la part des auteurs d'un prétendu plan B, qui n'a jamais existé.
Donc, la bonne méthode, ce sont des traités, pas de constitution, et des ratifications parlementaires chaque fois que la complexité des textes expose le référendum à des réponses qui n'ont rien à voir avec la question posée.
J'espère également, madame la ministre, que, dans une prochaine réforme constitutionnelle, le Gouvernement reviendra sur l'obligation de recourir au référendum pour la ratification de l'entrée de nouveaux membres.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Pierre Bernard-Reymond. De même, s'il est très utile que des sages s'interrogent sur l'avenir à long terme de l'Europe, qu'ils se gardent bien de vouloir en dessiner dès maintenant un contenu trop précis et surtout des contours, autrement dit des frontières, définitifs.
Où en seront dans vingt ans la Turquie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie et même bientôt la Serbie, après l'indépendance du Kosovo ? Nul ne peut le dire ! Au demeurant, l'Europe peut avancer sans répondre aujourd'hui à ces questions.
C'est en respectant ces règles que l'Europe a pu se sortir de ce mauvais pas, grâce au dynamisme de notre Président de la République, au travail de Mme la Chancelière d'Allemagne et à la volonté partagée de la plupart des membres de l'Union.
Espérons que tous les pays, y compris l'Irlande, tenue de procéder à un référendum et qui ferait bien de l'organiser après les vingt-six autres ratifications, permettront la mise en oeuvre de ce traité en 2008 ou, au plus tard, avant les élections au Parlement européen.
Le deuxième point de mon intervention concerne la mise en oeuvre de ce traité, en particulier de sa partie institutionnelle.
Le traité de Lisbonne met en scène cinq grands personnages à la tête de l'Union, à savoir le président de l'Union, qui va enfin donner une voix et un visage à l'Europe, le président de la Commission, le président du pays qui assurera la gestion semestrielle de l'Union, le Haut représentant, le président du Parlement.
Certes, leurs relations de pouvoir seront réglées par les textes des traités, mais nous savons bien aussi que de leur entente personnelle et de celle de leurs plus proches collaborateurs dépendra le bon fonctionnement des institutions.
Des réunions régulières informelles de ce quintette paraissent indispensables pour assurer une bonne gouvernance de l'Union...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sera simple !
M. Pierre Bernard-Reymond. ...sous la conduite de son président. J'espère que ce dernier, pour être pleinement représentatif, sera issu d'un pays fondateur, membre de la zone euro et de l'espace Schengen.
M. Charles Gautier. Il faut le dire à Nicolas Sarkozy !
M. Pierre Bernard-Reymond. En revanche, pour le poste absolument stratégique et de première importance que doit être celui du Haut représentant, on pourrait se référer à la longue et excellente tradition diplomatique de nos amis anglo-saxons pour souhaiter la désignation d'une personnalité de dimension internationale, capable de s'imposer à l'intérieur dans la formulation d'une politique étrangère que nous espérons de plus en plus commune, et d'agir avec efficacité dans tous les secteurs de la vie internationale.
M. Jacques Blanc. Pourquoi pas !
M. Pierre Bernard-Reymond. Certes, le titre de ministre des affaires étrangères aurait mieux correspondu au niveau et au profil souhaité, mais c'est précisément celui à qui je pense pour ce poste qui n'en a pas voulu...
Au-delà de ces questions institutionnelles et de ces désignations qui devront être marquées par le souci de choisir les meilleurs au lieu de résulter d'un processus de négociations et de marchandages - on peut toujours rêver ! -, nous ne pouvons que nous féliciter des autres avancées que marque le traité, en particulier l'amélioration de la capacité de décision, le rôle accru des parlements nationaux et européens, le contrôle de la subsidiarité, qui font du traité de Lisbonne un texte équilibré et porteur de progrès pour la construction démocratique de l'Union.
De ce point de vue aussi, le traité de Lisbonne aura vraiment libéré l'avenir européen.
Une fois l'horizon éclairci, les ratifications acquises et les responsables désignés, l'Europe pourra repartir du bon pied, douze ans, tout de même, après la conférence de Turin, qui marqua le début du processus de réforme.
Ce sera un moment privilégié pour réaffirmer le sens profond de la construction européenne, sa vocation et son ambition.
L'Europe est d'abord un projet de civilisation. Je ne me sens autorisé à utiliser cette formule que parce que je l'ai écrite dans un article en 1996. En effet, l'objet de la construction européenne ne s'arrête pas à la création d'un marché unique, lui-même simple partie de plus en plus indifférenciée de l'espace économique mondial.
Nous croyons à la force des valeurs dans une société qui place l'homme au centre de toute chose. La recherche de la paix, le respect des droits de l'homme, la défense des libertés, la démocratie pluraliste, le développement de nos entités culturelles, mais aussi la solidarité, les notions de service public, de coopération et de mutualisme contribuent à faire de nos sociétés des communautés singulières, que nous voulons préserver et développer en les modernisant.
Mais pour être une civilisation, l'Europe doit être aussi une puissance.
Nous n'imaginons pas qu'à l'heure de la mondialisation l'Europe puisse se réfugier dans une attitude de neutralité ou se contenter de jouer le rôle d'une puissance régionale, car nous devons défendre nos valeurs et nos intérêts et assurer leur promotion dans le monde.
Nous ne pensons pas qu'il soit bon que la société internationale soit livrée aux seules forces du marché et de la mondialisation. L'Europe ne doit pas être le cheval de Troie de cette mondialisation, mais elle ne peut pas être non plus un simple rempart contre elle.
D'une façon plus réaliste, en matière monétaire, sociale et environnementale - il s'agit là des trois domaines essentiels du dumping mondial - nous devons nous rapprocher des pays émergents pour « civiliser » avec eux les forces qui déterminent la société internationale et dont l'accélération, certainement trop brutale, crée des drames aussi bien chez eux que chez nous.
Pour toutes ces raisons, nous ne nous contenterons pas d'organiser un espace : nous voulons bâtir une puissance.
À cet égard, le renforcement de notre puissance économique par la relance de la stratégie de Lisbonne, l'élaboration d'une diplomatie commune, par exemple, en créant, dans le cadre de la Commission et sous l'autorité du Haut représentant, un centre d'analyse et de propositions pour la politique étrangère, ainsi que, par ailleurs, la construction d'une réelle politique de défense et la promotion, dans le cadre de l'ONU, d'une enceinte de négociations pour toutes les questions de développement durable, apparaissent aujourd'hui essentielles.
Pour organiser cette puissance, l'Europe doit devenir une fédération.
Il s'agit non pas de forger une « fédération-Léviathan » qui ferait de l'Europe un État-nation, mais, au contraire, d'organiser une fédération décentralisée, fondée sur la subsidiarité et le respect de nos identités. Toutefois, cette fédération doit être dotée d'une structure de pouvoir qui lui permette d'agir et de réagir avec l'efficacité nécessaire.
Un État unitaire européen ne correspond pas aux aspirations du rassemblement de vieilles nations que nous représentons. Au contraire, nous sommes persuadés que nos diversités géographiques, historiques et culturelles constituent un formidable atout dans la compétition mondiale qui fait rage ; aussi pensons-nous que cette fédération doit prendre la forme d'une communauté de nations.
Jusqu'ici, les relations entre les peuples se sont développées selon deux modes essentiels, l'impérialisme et le nationalisme, qui ne sont pas satisfaisants au regard de nos propres valeurs. Ce que nous visons, avec la construction de l'Europe, n'est rien moins que l'invention d'un nouveau mode de relations entre les peuples : une Communauté fondée sur la libre adhésion, la démocratie et le respect des identités culturelles de chacun.
Ainsi notre ambition pour l'Europe pourrait-elle être précisée : un projet de civilisation servi par une puissance organisée sur le mode du fédéralisme décentralisé et qui constitue une communauté de nations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il nous est proposé de modifier notre Constitution, ce pour la dix-septième fois au cours des quinze dernières années.
Les difficultés que nous éprouvons pour nous y retrouver dans ce patchwork seront encore accentuées par les modifications annoncées, modifications qui se révéleront d'ailleurs certainement inutiles, si, comme cela n'est que trop probable, le traité de Lisbonne est ratifié, puisqu'il a pour objet de faire disparaître la souveraineté du peuple français.
Les partisans de l'abandon s'offusquent en qualifiant l'attitude de ceux qui pensent comme moi de souverainisme, croyant, en vertu d'un penchant bien français, la déconsidérer. Si cette position est minoritaire dans certaines sphères bien pensantes, est-on sûr qu'elle le soit dans nos quartiers et dans nos campagnes ?
Pour ce qui me concerne, je n'ai pas vu, dans le texte du traité, non plus que dans les commentaires lénifiants qui l'accompagnent, de motifs à reconsidérer ma position : comme en 2005, c'est toujours non !
Il est trop facile d'opposer l'argument de paresse intellectuelle consistant à dire que les adversaires de la ratification sont contre l'Europe. Il n'y a rien de plus faux. Ce sont du reste des affirmations de ce genre qui ont contribué, en 2005, à affaiblir les positions du oui, au point qu'il fut minoritaire, car elles laissaient entendre que les partisans de la ratification n'avaient pas d'autres arguments.
Ce qui nous différencie, ce n'est pas de croire ou non en la nécessité d'une construction européenne ; ce sont nos conceptions respectives de ladite construction européenne et la façon dont, les uns et les autres, nous entendons la réaliser.
Je regrette évidemment que l'on ne recoure pas à la procédure référendaire. Bien sûr, la procédure suivie est conforme à la Constitution, mais est-elle légitime ? Je ne le crois pas !
Une fois de plus, on adresse aux citoyens, à propos de l'Europe, des messages négatifs - « Circulez, il n'y a rien à voir ! », « Cause toujours, tu m'intéresses ! » - comme si ces questions étaient hors de leur portée. Je les crois, au contraire, parfaitement aptes à comprendre : si les tenants et les aboutissants du traité, avec leurs points forts et leurs points faibles, avec les avantages que la France peut en espérer, leur étaient expliqués clairement, ils pourraient éventuellement voter oui.
Le meilleur moyen de « remettre la France en Europe », selon la très discutable formule employée, est de donner la parole au peuple plutôt que de le faire de façon contestable, en catimini, dans le secret des cabinets et le clair-obscur des cours de justice. On est fondé à parler d'une conspiration du silence pour imposer le culte du fédéralisme.
On préfère continuer à construire l'Europe sans les peuples, voire contre les peuples et les États qui les représentent.
Évidemment, les potentats qui règnent dans l'ombre à Bruxelles se méfient, car, quand on donne la parole aux peuples, ceux-ci posent des questions et peuvent exiger que la copie soit revue. Pourtant, comme le déclarait en 1962 le général de Gaulle, la voie du référendum s'impose parce que c'est la plus démocratique. Cela éviterait la quasi-clandestinité de la ratification. En réalité, les promoteurs du texte ont tout simplement peur du peuple.
L'utilisation du référendum serait plus conforme à l'article 3 de la Constitution et plus en harmonie aussi avec les conclusions de la commission Balladur sur le rôle accru qu'elle souhaite donner aux citoyens dans le fonctionnement de nos institutions.
Quand on voit ce qui se passe à propos des traités précédents, on peut craindre que, dans quelque temps, les thuriféraires du traité n'en disent pis que pendre et tentent même de s'affranchir de certaines de ses contraintes, mais ce sera trop tard.
À cet égard, l'exemple le plus caricatural est notre attitude vis-à-vis du traité de Maastricht, de la monnaie unique et du rôle de la Banque centrale : « Avons-nous déjà oublié le franc fort à tout prix qui nous a coûté cher en emplois, en pouvoir d'achat, en déficits et en endettement public pour que nous nous sentions obligés de recommencer, alors même que nous n'avons plus à gérer la réunification allemande et la marche vers l'euro ? Être un Européen conséquent, c'est admettre les grands principes de la concurrence comme fondement du marché unique, mais c'est refuser que le droit européen de la concurrence laisse les entreprises européennes à la merci des prédateurs du monde entier. » ; ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Président de la République.
J'avoue ne pas comprendre : on ne peut pas, d'un côté, remettre en cause les politiques européennes et, de l'autre, nous demander de réduire encore plus les marges de manoeuvre de la France vis-à-vis des instances européennes qui, conformément aux traités, mettent en oeuvre ces politiques.
De deux choses l'une : ou bien on s'aligne, et on le dit aux Français, ce qui est le sens du traité de Lisbonne ; ou bien on le refuse, et on a le courage de proposer une construction de l'Europe plus conforme à l'avenir de la France et de l'Europe.
Il est d'ailleurs à noter que nous n'avons guère respecté les critères fixés par le traité de Maastricht depuis que le peuple français l'a approuvé.
Que dire également de notre attitude vis-à-vis de certaines règlementations, comme les quotas, qui, si on l'a bien compris, ne sont que l'application des politiques que les gouvernements français successifs ont approuvées à Bruxelles ? C'est regretter des effets dont on a chéri les causes.
Il est vrai aussi que l'on attend toujours la réalisation des promesses mirifiques de 1992 sur l'Europe sociale. M. Védrine a d'ailleurs déclaré : « Le terme d'Europe fédérale et sociale est un oxymore. » Je crois qu'il parle d'or en la circonstance.
Les questions que l'on peut se poser à propos du traité de Lisbonne sont les suivantes : y a-t-il eu simplification, et le traité est-il allégé ? S'il y a un changement par rapport à 2005, a-t-on tenu compte de l'avis des peuples ? La réponse à ces deux questions est non.
Je note d'ailleurs la discrétion, voire la pudeur dont ont fait preuve les rédacteurs de l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle sur les raisons qui ont nécessité l'élaboration de ce projet de loi. Une telle réserve est quasiment un aveu : « Cachez ce texte qu'on ne saurait montrer aux citoyens ! »
En effet, il ne s'agit pas d'un traité simplifié. Un document qui s'étend sur 287 pages, comprend plus de 400 articles, est complété de 65 annexes, de 13 protocoles additionnels, ne saurait mériter ce qualificatif,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr !
M. André Lardeux. ... sauf par abus de langage.
Est-ce un mini-traité par rapport à la maxi-Constitution de 2005 ? Non plus, puisqu'il reprend quasi intégralement feu la Constitution : elle est écrite sous une autre forme, après que d'obscures et absconses modifications des 3 000 pages des traités existants ont été opérées. La Constitution est morte, mais vive la Constitution ! On se croirait au jeu de bonneteau.
Ce texte est un avatar de la Constitution, une Constitution bis, comme beaucoup de ses auteurs l'ont honnêtement reconnu.
Ainsi, Mme Angela Merkel a déclaré : « La substance de la Constitution est maintenue. »
M. Anders Fogh Rasmussen, Premier ministre danois, a affirmé : « Ce qui est positif c'est (...) que les éléments symboliques aient été retirés et que ce qui a réellement de l'importance - le coeur - soit resté. »
M. José Luis Zapatero a dit : « Nous n'avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution. »
M. Bertie Ahern, Premier ministre de la République d'Irlande, a déclaré : « 90 % [de la Constitution] sont toujours là... ces changements n'ont apporté aucune modification spectaculaire à l'accord de 2004. »
Comme l'a fait remarquer un professeur de droit analysant le texte : « Les modifications de forme et de fond sont de nature psychologique ! C'est pour faire avaler la pilule ! »
C'est en effet le sosie de la Constitution, comme le laissent à penser les propos tenus par M. Giscard d'Estaing, qui est un expert confirmé du sujet, le 26 octobre dernier : « les propositions institutionnelles - les seules qui comptaient pour les conventionnels - se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs. »
On ne peut pas être plus clair : le flacon n'est pas le même, mais le contenu n'a pas changé (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.) ; c'est moins ronflant, mais c'est plus habile. Le texte est simplement devenu incompréhensible aux non-juristes, offrant ainsi un exemple parfait du fossé entre les citoyens et les eurocrates.
Les mêmes quatre éléments fondamentaux sont toujours là : la personnalité juridique, c'est-à-dire la pleine capacité pour l'Union de signer des traités, notamment, la supériorité des textes européens sur les textes nationaux, une politique extérieure autonome, enfin, un système de décision indépendant avec de considérables transferts de souveraineté.
Ce texte est donc bien une Constitution, comme le souligne le député européen M. Bourlanges : « Toute la Constitution est là ! Il n'y manque rien ! »
La personnalité juridique est accordée à l'Union : c'est le point cardinal du fédéralisme. Bien sûr, on a fait en sorte que l'affirmation soit plus discrète, mais il y a malgré tout de plus en plus d'abandons de souveraineté.
La Commission pourra se mêler de tout ; rien ne lui échappera : droit de la famille, code civil, maintien de l'ordre public, etc.
Il faudra d'ailleurs en tirer les conclusions en supprimant bon nombre de ministères français : l'agriculture, l'environnement, les transports, et la liste n'est pas terminée.
Les parlements nationaux, eux aussi, seront devenus parfaitement inutiles.
M. Jacques Blanc. Ils sont renforcés !
M. André Lardeux. Le droit de pétition est reconnu aux citoyens s'ils estiment qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire, mais pas aux parlements, qui ont obtenu des miettes par ailleurs.
La souveraineté nationale n'est pas limitée, elle est bel et bien abolie.
La supériorité des textes européens sur les textes nationaux est plus que jamais affirmée dans un protocole additionnel rappelant la jurisprudence de la Cour de justice, dont les pouvoirs demeurent exorbitants. Cette affirmation n'était même pas nécessaire, comme le démontre l'arrêt de la Cour rendu le 18 décembre dernier aux dépens des syndicats suédois.
Ainsi, le fameux principe de concurrence libre et non faussée qu'on nous dit avoir fait sortir par la porte rentre « illico » par la fenêtre.
Les textes antérieurs conféraient aux États le droit de se retrancher derrière la protection des exigences de leurs constitutions respectives. Cette protection a disparu.
La primauté du droit de l'Union - ce n'est même plus le droit communautaire ! -, sorte de nouvel Être suprême devant lequel il faut se prosterner, amène à une situation curieuse : en principe, au moins en France, la justice est rendue au nom du peuple ; désormais, au nom de qui sera-t-elle rendue ?
La politique extérieure est confiée à un Haut représentant, qui sera aussi vice-président de la Commission européenne. Selon l'expression que le Président de la République a employée le 20 juin dernier, ce sera « un ministre des relations extérieures sans le nom ». Cela a le mérite de la clarté et nous permettra de supprimer le poste de M. Kouchner et de quelques autres qui ne seront plus que des excellences superflues... (Mme Rachida Dati, garde des sceaux, et M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État, s'exclament.)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. C'est n'importe quoi !
M. André Lardeux. On nous dit que la référence à l'OTAN disparaît, mais, dans la mesure où l'on renvoie au traité de Maastricht, la disposition est plus que jamais valable : ce n'est qu'un tour de passe-passe de plus.
Le système de décision est encore plus indépendant, avec une quantité considérable de transferts de souveraineté, avec une présidence stable de l'Union pendant deux ans et demi, voire cinq ans. Le comble serait que celle-ci soit attribuée à un représentant du pays le moins européen.
Les décisions seront désormais très majoritairement prises à la majorité qualifiée. Quelques pays, cependant, réussissent à s'exonérer de ces contraintes pour certaines dispositions, mais pas le nôtre.
La trouvaille la plus remarquable est celle qui développe les clauses dites « passerelles », lesquelles court-circuitent le pouvoir constituant des États. On en ajoute une grande quantité. Ainsi, il n'y aura à l'avenir même plus besoin de traité pour passer de l'unanimité à la majorité qualifiée. Par conséquent, les peuples n'y verront plus rien du tout : passez muscade !
La clause passerelle de flexibilité sur le contenu des compétences permettra absolument tout et constitue quasiment un coup de force.
La charte des droits fondamentaux annexée, dont certains pays se sont aussi exonérés - mais pas la France ! - est plus vaste que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle sera juridiquement contraignante et permettra éventuellement de nous imposer ce que nous ne voulons pas.
Notre déclaration des droits, nos lois de bioéthique, notre code de la famille seront remis en cause. Nous pourrons gagner du temps puisqu'il sera inutile que nous en débattions dans cet hémicycle.
Nous pouvons craindre que certaines dispositions ne soient utilisées contre les États pour arriver à un fédéralisme des régions d'Europe. Ainsi l'Europe sera-t-elle transformée en une « poussière d'entités », ce qui est à la fois porteur de très gros risques et tout à fait contraire à nos traditions républicaines.
Nous aurions également aimé trouver dans le texte une définition de l'Europe que l'on veut nous imposer : la liste des membres, qui figurait dans le traité de Nice, a, bien sûr, disparu.
C'est l'un des drames de l'Europe, souligné ainsi par l'historien Elie Barnavi : « Et l'un des drames de l'Europe est précisément qu'elle ne sait pas se donner des frontières physiques, car elle est incapable de se donner des frontières mentales. Elle ne sait pas définir un "eux" et un "nous". Cette frontière entre "eux" et "nous" n'est pas forcément hostile, ni imperméable, (...) mais pour être amicale et poreuse, il faut d'abord qu'elle existe. »
L'exemple le plus emblématique est la question de la Turquie. Lors de la dernière campagne électorale, on nous avait laissé entendre que la France s'opposerait à l'extension de la négociation. On attend toujours, puisque, pour l'instant, chaque étape franchie par la Commission a été avalisée.
L'entrée de la Turquie serait secondaire si l'Europe n'était destinée qu'à être un vaste marché selon le souhait des utilitaristes et mercantilistes Anglo-Saxons. Mais si elle doit être une entité politique supranationale, cela mérite débat et non pas le silence qui nous est imposé. D'autant que beaucoup de pays, notamment à l'Est, sont favorables à cette entrée, dans la mesure où, à leurs yeux, elle permettrait bien sûr, en toute logique, une extension à des pays comme l'Ukraine, la Biélorussie et quelques autres, lesquels ont certes de nombreux titres à faire valoir.
Pour l'instant, l'obligation du référendum pour une éventuelle adhésion est maintenue dans notre Constitution - je sais que c'est très provisoire ! -, ce qui souligne le paradoxe suivant : pour instituer l'Europe, il n'y a pas besoin de référendum, mais, pour y entrer, il en faut un. Cela permet de penser que, si l'on n'a pas osé le faire, cela viendra très certainement lors des prochaines révisions.
Vous l'avez compris, si je suis pour l'Europe, c'est non pas pour un système fédéral supranational, mais pour une Europe confédération, association d'États-nations.
Les Français sont majoritairement pour l'Europe, mais ils veulent une Europe réelle, où ils demeurent maîtres de leur destin, et non une Europe abstraite, dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.
Or le traité dont on nous demande d'autoriser la ratification n'est pas un traité ordinaire, comme ceux d'Amsterdam ou de Nice. Il représente un saut qualitatif, puisque l'Union est dotée de l'essentiel des attributions ordinairement dévolues aux États, dans le cadre d'un système de plus en plus opaque duquel il est, en pratique, impossible de se retirer.
Sans doute un État souverain peut-il utiliser sa souveraineté pour l'aliéner irréversiblement, ce qui masque cette pratique de la formalité d'incessantes révisions constitutionnelles : face à cela, nous tombons dans le syndrome de Stockholm, où la victime d'un enlèvement trouve son ravisseur de plus en plus sympathique, au point d'épouser sa cause.
Dans l'indifférence générale, mais voulue, on met en place une nouvelle légitimité, « a-nationale », indépendante du pouvoir souverain de la nation, ce qui signe l'acte de décès de notre souveraineté puisque la Constitution française ne sera plus qu'une variable d'ajustement et un règlement de procédure.
C'est amplement suffisant pour que je vote contre la révision constitutionnelle qui nous est présentée et contre la ratification du traité que l'on nous proposera la semaine prochaine. (M. Bruno Retailleau, Mme Josiane Mathon-Poinat et M. Robert Bret applaudissent.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai souhaité intervenir pour apporter dans ce débat ma toute petite pierre - je serais tenté de dire mon caillou ! (Mais non ! sur les travées de l'UMP.) - à cette réflexion sur la révision constitutionnelle faisant suite au traité de Lisbonne. Cela étant, les éléments que je vais vous donner diffèrent quelque peu de ceux de mes précédents collègues.
Avant toute chose, vous le savez, mais je me permets de vous le rappeler, je siège dans cette assemblée pour représenter les quelque 2 millions de Français résidant hors de France, dont un million en Europe, lesquels sont donc directement concernés par la réussite du traité de Lisbonne.
Pour eux, réussite signifie entrée en vigueur. Pas seulement parce que le traité de Lisbonne consacrera des avancées démocratiques importantes et nouvelles au bénéfice des citoyens et des parlements nationaux. (M. Jean-Luc Mélenchon s'esclaffe.) Pas seulement parce qu'il permettra à l'Union européenne de sortir, par le haut, de la crise de confiance dans laquelle elle est plongée depuis les référendums français et néerlandais.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est ça ! À bas la France !
M. Robert del Picchia. Mon cher collègue, je ne vous ai pas interrompu ; je vous demande de faire de même !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'ai pas encore pris la parole !
M. Robert del Picchia. Pour la petite histoire, permettez-moi de vous rappeler que, si les Français ont rejeté le premier traité par référendum, ceux qui résident hors de France ont dit oui à 84 %.
M. Robert Bret. C'est sûr, on n'a pas pu débattre avec eux !
M. Robert del Picchia. Ce pourcentage rend inutile tout commentaire.
Nos compatriotes qui vivent à l'étranger, notamment en Europe, comme c'est mon cas, ont mal vécu cette période d'incertitude institutionnelle, se sentant en tant que Français quelque peu responsables de la situation. Et pourtant, eux avaient fait le bon choix !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les pauvres !
M. Jean-Luc Mélenchon. Quel bon choix !
M. Robert del Picchia. Aujourd'hui, nous avons donc à nous prononcer sur un texte qui permettra la révision de la Constitution et qui entraînera plus tard la ratification par le Parlement dudit traité européen.
Ce traité n'est pas de même nature que l'ancien « traité constitutionnel » défunt, car celui-ci, rappelons-le, changeait la nature même de la Constitution européenne. Faisant table rase des anciens traités, il proposait pratiquement une Constitution pour l'Europe.
Or tel n'est pas le cas aujourd'hui avec le nouveau traité. Voilà donc aussi une raison de choisir de le ratifier par la voie parlementaire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est facile !
M. Robert del Picchia. C'est d'ailleurs conforme à l'engagement du Président de la République, qui l'avait prévu, annoncé et même carrément mis sur la table pendant sa campagne. Comme l'a souligné Hubert Haenel, 53 % des Français ont voté pour lui et approuvaient donc cette méthode de ratification.
En outre, mes chers collègues, il y a une certaine urgence à faire ratifier le traité de Lisbonne par les Vingt-Sept, car il importe qu'il puisse entrer en vigueur au 1er janvier 2009, pour s'appliquer non seulement à l'investiture de la future Commission européenne, mais aussi et surtout aux élections européennes de juin 2009.
À ce sujet, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, j'espère que, d'ici là, le Parlement aura voté une loi pour permettre aux 2 millions de Français résidant à l'étranger, dont, je le répète, 1 million en Europe, de voter à ces élections européennes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Monsieur le secrétaire d'État, si nous aurons bien sûr l'occasion, comme je l'espère, d'en débattre à l'occasion d'un projet de loi ou d'une proposition de loi, je souhaite revenir sur les inquiétudes que vous avez exprimées à propos de ce que pourraient penser nos partenaires européens des deux sièges de députés susceptibles d'être récupérés et accordés aux Français de l'étranger.
Cela fait suite à la proposition d'Alain Lamassoure : au lieu de six sièges, on n'en perdrait que quatre, les deux restants étant donc destinés aux Français de l'étranger. Il y a peut-être une solution : intégrer ces deux sièges dans la huitième circonscription, qui s'intitulerait alors « DOM-TOM et Français de l'étranger », et les pourvoir, bien sûr, à la proportionnelle.
M. Jean-Luc Mélenchon. Non mais ça ne va pas ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chacun fait son marché !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est la huitième section du « bon choix » !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La section des « bons citoyens » !
M. Robert del Picchia. Je le répète, il faut faire vite. C'est pourquoi le Président de la République a engagé la procédure de ratification le jour même de la signature du traité en saisissant immédiatement le Conseil constitutionnel. Il importe aujourd'hui de franchir cette étape, en inscrivant dans notre Constitution les avancées du traité de Lisbonne.
Mes chers collègues, en 1979, lors de son discours d'intronisation en qualité de présidente du Parlement européen, Mme Simone Veil avait rappelé que tous les États constituant à l'époque la Communauté européenne étaient confrontés à trois défis majeurs : la paix, la liberté et le bien-être.
Le défi de la paix a été relevé par les pères fondateurs et cette réalité, inédite dans l'histoire de notre continent, constitue aujourd'hui un bien exceptionnel, que personne ne songe à remettre en cause.
Le défi de la liberté s'est d'abord caractérisé par l'intégration des jeunes démocraties du Sud, puis par la chute du Mur de Berlin et l'élargissement à l'Europe de l'Est. Aujourd'hui, l'Europe est un îlot de liberté envié dans le monde entier.
Le troisième défi est celui du bien-être, c'est-à-dire, finalement, celui du niveau de vie des populations soumises, de manière de plus en plus forte, à la mondialisation et aux changements. Comme ce fut le cas pour les deux premiers, nous ne pourrons relever efficacement ce défi que par une action commune et solidaire ; le traité de Lisbonne nous en donnera peut-être l'occasion.
Mes chers collègues, voilà quelques jours, j'étais en compagnie d'un signataire d'un traité européen, et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit du traité de Rome, le traité fondateur. Vous l'avez deviné, je veux parler de Maurice Faure, dernier signataire vivant.
Cinquante ans après, son enthousiasme n'a pas fléchi. Au contraire, il est convaincu du rôle essentiel de l'Europe dans le monde actuel, avec la mondialisation de l'économie et de la politique. Voici ce qu'il m'a dit en substance : notre seule chance est d'affirmer notre Europe ; ne nous arrêtons pas aux modalités de ratification et mettons en place le traité, pour avancer.
À la question qui lui a été posée de savoir quelle était finalement, selon lui, la signification du pouvoir, il nous a répondu, après réflexion : le pouvoir, c'est quand on l'a. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)
M. Robert Bret. La Palice ! Vous avez bien fait d'intervenir !
M. Robert del Picchia. Nous avons aujourd'hui le pouvoir d'avancer et de modifier la construction de l'Europe en révisant la Constitution. Alors, faisons-le !
M. Robert del Picchia. Car il ne faudrait pas que Sophocle ait eu raison lorsqu'il disait : « Les peuples n'apprennent pas dans les livres mais dans les larmes ». Ne pleurons pas sur l'Europe ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Bravo !
M. Jean-Pierre Raffarin. Quel talent !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai souhaité intervenir ce soir parce que ce texte est la démonstration du pas formidable que nous avons franchi dans notre pays grâce à l'action du Président de la République (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe) et du Gouvernement. Cela nous a permis de sortir de l'impasse et de créer un nouvel élan pour la France et pour l'Europe.
M. Roland Courteau. Brosse à reluire !
M. Jacques Blanc. C'est un événement politique majeur.
Le Président de la République a eu le courage, comme candidat, de s'engager, alors que tous les autres plaidaient pour un référendum. Il n'a donc pris personne de court. Il a indiqué clairement sa position.
M. Robert Bret. Et il a perdu huit points dans les sondages !
M. Jacques Blanc. Il a réussi à changer nos propres mentalités. Là est peut-être la vraie rupture, car nous sommes sortis d'une situation dans laquelle un certain nombre d'entre nous n'avaient peut-être pas encore saisi ce que l'Europe est devenue. En effet, parmi les partisans du non, on retrouve des personnalités fortes.
M. Jean-Pierre Raffarin a évoqué le souvenir de Maurice Schumann et des fondateurs de l'Europe, qui pensaient construire un petit groupe, une fédération regroupant six pays ou un peu plus. Ils n'ont pas réalisé à l'époque que, dès l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Union, l'Europe franchissait une étape nouvelle.
Aujourd'hui, la Communauté européenne regroupe vingt-sept membres. Comment ne pas mesurer, dans ces conditions, l'exigence d'une modification des modalités de gouvernance et des traités ?
Le traité de Nice, certes imparfait, a tout de même permis de répondre à l'attente angoissée des pays victimes des accords de Yalta, que le système communiste avait écrasés, privant leur jeunesse de toute perspective d'épanouissement ! Pouvait-on laisser ces pays de côté ?
Le traité de Nice leur a permis d'entrer dans l'Union européenne. Mais il est vrai qu'à ce moment-là on s'est heurté à l'impossibilité d'aller plus loin dans l'organisation de cette Union. Le référendum a permis d'exprimer et de révéler des opinions divergentes.
Aujourd'hui, c'est le miracle de la démocratie dans notre pays !
Un sénateur socialiste. Ah oui ?
M. Robert Bret. On a sorti un lapin d'un chapeau !
M. Jacques Blanc. On est sortis du système oui-non et une perspective nouvelle s'ouvre devant nous.
Lorsqu'on écoute les uns et les autres, on constate que certains restent crispés sur des positions auxquelles ils ne croient pas. Le message de ceux qui souhaitent bloquer le processus ne trouve plus d'écho parmi le peuple de France. Au contraire, une espérance se fait jour grâce à la France, mais aussi grâce au Président de la République, au Gouvernement, à Mme Merkel, à nos amis du Portugal et aux représentants des vingt-sept pays membres, qui ont été capables de se retrouver non plus autour d'une Constitution, mais autour d'un traité.
Ce traité nous oblige à modifier la Constitution, et c'est ce que nous allons faire. Nous pourrons ensuite ratifier le traité de Lisbonne et faire la démonstration, auprès des Françaises et des Français, qu'il existe une nouvelle modernité !
Nous devons aborder la question de l'Europe non plus en nous enfermant dans le problème des institutions, comme l'a dit Jean-Pierre Raffarin, mais en considérant les différentes actions dont l'Europe est porteuse et dont bénéficiera, notamment, la jeunesse de France. Nous sommes tous mobilisés, par exemple, dans la lutte pour le développement durable, pour la réduction des émissions de CO2.
N'est-il pas significatif qu'ait lieu aujourd'hui même, à Londres, une réunion entre les représentants de la France, de l'Italie, de l'Angleterre, de l'Allemagne et le président de la Commission, afin de tenter de trouver des solutions aux problèmes financiers qui se posent sur le plan mondial ?
N'est-ce pas la démonstration que l'approche voulue par la France, approche qui va conduire la Grande-Bretagne à ratifier le traité par la voie parlementaire, est une révolution culturelle ?
Nous allons enfin pouvoir parler de l'Europe en évoquant des perspectives d'actions importantes tant pour notre société, la défense de notre civilisation, l'emploi, la dimension sociale, ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais non !
M. Jacques Blanc. ... que pour la qualité de la vie, pour nos agriculteurs et la cohésion territoriale ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat sourit.)
M. Robert Bret. Il n'y croit pas lui-même !
M. Jacques Blanc. Nous allons pouvoir parler des vrais sujets ! Nous nous apercevrons que le traité de Lisbonne permettra aux pays membres de l'Union européenne, mais également aux pays qui désirent établir entre eux des coopérations renforcées, de répondre aux attentes des femmes et des hommes d'Europe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout va très bien, madame la Marquise !
M. Jacques Blanc. Au lieu de nous replier sur nous-mêmes et d'avoir peur des États-Unis, de la Chine, de l'Inde ou d'autres puissances, ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Georges Frêche !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous serons enfermés dans l'Europe comme dans une forteresse !
M. Jacques Blanc. ...nous ferons enfin la démonstration qu'il est possible, une fois libérés d'un certain nombre d'angoisses, de contribuer à la mise en place d'une nouvelle organisation du monde et à l'émergence de nouvelles espérances chez les femmes et les hommes du monde entier.
Nous vivons ce soir un grand moment, qui va nous permettre de franchir l'étape définitive de la signature du traité de Lisbonne. Il fait suite aux remarquables travaux de la commission des lois ...
M. Josselin de Rohan. Excellent rapport !
M. Jacques Blanc. ... et à la réflexion approfondie menée par la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
J'entendais tout à l'heure l'un de nos collègues dire que les parlements nationaux deviendront inutiles. Or ce traité, mes chers collègues, et c'est ce qui rend ces modifications constitutionnelles nécessaires, confère au Parlement des pouvoirs nouveaux d'intervention ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Parfaitement ! Notamment s'agissant du contrôle de la subsidiarité !
M. Jean-Luc Mélenchon. Lisez-nous le passage !
M. Jacques Blanc. Je peux vous le citer ! Désormais, mon cher collègue, nous serons saisis automatiquement des projets et des textes européens.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne dites pas « désormais » ! C'est déjà le cas !
M. Jacques Blanc. En outre, sur ces textes, nous avons la possibilité de saisir la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle en était déjà saisie !
M. Jacques Blanc. Je souhaiterais d'ailleurs que nous reprenions demain la proposition de la commission Balladur tendant à faire bénéficier cette délégation d'une reconnaissance supplémentaire quant à son rôle de contrôle de la subsidiarité.
Vous avez eu raison, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, de réduire strictement la modification constitutionnelle aux exigences rappelées par le Conseil constitutionnel afin de permettre la ratification du traité.
J'espère que nous pourrons, lors d'une future révision constitutionnelle, examiner d'autres propositions, comme celles de M. Balladur portant sur la transformation de la délégation en comité (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.) ou sur la suppression de l'exigence d'un référendum.
J'ajoute, et ce sera ma conclusion, que nous ne pouvons pas tout mélanger. Ainsi, les défenseurs des langues régionales n'ont peut-être pas tort, mais ce n'est pas le moment de débattre d'un tel sujet.
M. Roland Courteau. Ce n'est jamais le moment !
M. Roger Romani. Nous ne sommes pas pour les langues régionales ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc. On ne peut pas l'aborder à l'occasion de cette modification constitutionnelle. C'est donc une erreur fondamentale ! Mais il ne faut pas prétendre, parce que l'on ne veut pas évoquer cette question aujourd'hui, que tout le monde est opposé aux avancées dans le domaine des langues régionales.
Nous disposons à présent d'un texte précis, et je crois que nous pouvons suivre l'avis de la commission.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est sûr !
M. Jacques Blanc. Nous devons voter ce texte avec enthousiasme afin que naisse, demain, une nouvelle espérance pour toutes les générations et pour que vive l'Union européenne ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Raffarin, je vous remercie de votre remarquable intervention. Nous devons rendre le projet européen fort, juste et moderne. Oui, le traité apporte des réponses certaines aux craintes qui se sont exprimées en 2005, il renforce les pouvoirs des parlements et le contrôle démocratique, il précise les critères de l'élargissement de l'Union européenne et il améliore les traités existants, sans modifier la nature de la construction européenne. Le Gouvernement souhaite que cette Europe plus forte soit un facteur de paix dans le monde.
Monsieur Bel, je regrette que vous vous absteniez sur un sujet aussi essentiel. Vous avez indiqué que l'important, désormais, c'était la volonté politique de faire progresser l'Europe. Réviser la Constitution aujourd'hui, c'est permettre la ratification du traité de Lisbonne pour relancer la construction européenne.
Monsieur Jacques Blanc, vous avez eu raison de rappeler cet ordre logique.
Monsieur Bret, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que le peuple est « contourné ». Le Président de la République a été très clair lors de la campagne présidentielle et les Français lui ont fait confiance très majoritairement pour renégocier un traité qui tienne compte de leurs aspirations et pour le faire ratifier rapidement, en passant par la voie parlementaire, comme il l'avait indiqué.
À cet égard, vous avez eu raison, monsieur Pozzo di Borgo, de souligner que la légitimité des parlementaires était aussi forte que celle du peuple se prononçant par la voie du référendum.
Monsieur Alfonsi, ce traité est effectivement une chance pour une Europe à Vingt-Sept.
Vous avez évoqué, à l'instar de Patrice Gélard, l'idée d'introduire une clause générale de compétence dans notre Constitution. Nous n'avons pas fait ce choix, car une révision constitutionnelle suppose la réunion d'une majorité des trois cinquièmes au Congrès, majorité plus forte que celle qui est nécessaire pour autoriser la ratification du traité. Il s'agit d'un gage supplémentaire de démocratie à chaque étape de la construction européenne.
Madame Boumediene-Thiery, vous avez invoqué l'article 3 de la Constitution. Je ne fais pas la même lecture que vous de cet article. Celui-ci met les représentants du peuple et les référendums au même niveau. Le traité de Lisbonne est de même nature que le traité d'Amsterdam, qui a été ratifié sans référendum.
Enfin, comme vous l'avez indiqué, monsieur del Picchia, il y a urgence à ratifier le traité de Lisbonne.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Je remercie M. Raffarin, M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur, ainsi que l'ensemble des orateurs de leurs interventions, qui ont contribué à éclairer les enjeux de notre débat d'aujourd'hui, dans ses aspects juridiques et européens.
Je répondrai brièvement sur plusieurs points.
Le Sénat a choisi de concentrer ses débats sur le projet de loi constitutionnelle, qui se borne au strict nécessaire pour permettre la ratification du traité de Lisbonne.
J'ai bien écouté les propositions de M. Gélard, rapporteur, et de M. Pozzo di Borgo, ainsi que les commentaires de M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, de M. Raffarin et de M. Alfonsi. En effet, l'équilibre interne de nos institutions et la façon dont nous menons le débat européen en France méritent un débat à part entière dans le cadre de la réforme sur les institutions, indépendamment du processus de ratification du traité.
Je voudrais ensuite marquer mon accord avec l'idée exprimée par Jean-Pierre Bel : il ne faut pas discuter des projets européens seulement lorsqu'on ratifie un nouveau traité. Mais nous pourrons le faire davantage avec le mécanisme renforcé de contrôle de la subsidiarité.
Nous avons surtout devant nous deux occasions exceptionnelles de parler non pas des institutions, mais de vrais projets politiques concrets pour l'Europe : d'une part, la présidence française de l'Union européenne et, d'autre part, les élections européennes qui la suivront de peu. M. Robert del Picchia y a également fait allusion et j'ai bien noté sa proposition relative à la représentation des Français de l'étranger.
En outre, le poids de ces élections sera renforcé dans la désignation du président de la Commission européenne qui prendra ses fonctions en novembre 2009.
Je ne reviendrai pas sur la question du recours ou non au référendum. Je soulignerai simplement, pour compléter les propos de Mme le garde des sceaux, que ce n'est pas là une exception française. Les autres États membres ont suivi avec attention ce débat, car il définissait la possibilité de rédiger à vingt-sept un nouveau traité qui tienne compte des oui et des non. C'est aussi un choix européen dans le mode de ratification, car vingt-cinq autres États ratifieront ce traité par la voie parlementaire.
M. Michel Charasse. L'Europe n'a pas à choisir le mode de ratification !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
Je répondrai à M. Retailleau qu'il s'agit d'un traité simplifié dans sa structure, beaucoup moins long que l'ancien traité. Mais cela reste un traité. Il a sans doute été plus débattu que d'autres sur le plan politique, notamment compte tenu des débats qui ont présidé à son élaboration.
Ce traité modifie les traités existants. Le traité de Maastricht faisait figure d'exception, car il créait de fond en comble une politique nouvelle pour l'Europe, se substituant complètement aux politiques monétaires nationales et ayant une incidence directe sur la vie quotidienne des Français, à savoir la création de l'euro en remplacement du franc.
M. Michel Charasse. Les Français l'ont approuvé, et le président Mitterrand ne s'était pas dégonflé !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Tel n'est pas le cas du traité de Lisbonne, qui apporte au contraire des contrepoids à la politique monétaire unique en permettant la création d'un gouvernement économique avec l'Eurogroupe et une meilleure représentation des intérêts de la zone euro dans les enceintes financières internationales. M. Bret, M. Bel et M. Alfonsi, ne peuvent, à mon sens, que s'en réjouir.
J'ai entendu les interrogations de chacun sur ce traité, mais je constate que la balance est très largement positive.
Je ne reviendrai pas sur les avancées soulignées par MM. Haenel, Bernard-Reymond, del Picchia, Pozzo di Borgo, Raffarin, Bel et Alfonsi.
Le point sur lequel, après un certain nombre d'entre vous, je voudrais insister parce qu'il est trop souvent méconnu concerne les avancées sociales contenues dans ce traité, notamment la lutte contre les discriminations et les exclusions sociales.
Comme M. Raffarin l'a justement relevé, c'est, depuis 1985, le traité qui comporte le plus d'avancées sur le plan social et sur le plan démocratique.
En réponse à MM. Retailleau et Lardeux, je rappelle la différence, soulignée par toutes les analyses juridiques, qui existe entre le fait de figurer au sein des objectifs de l'Union, ce qui était le cas de la concurrence libre et non faussée, et le fait d'être un simple moyen.
Contrairement à ce qui a été indiqué, les transferts de compétences à la majorité qualifiée sont un gage d'efficacité, notamment pour la coopération judiciaire. Comment lutter contre le terrorisme et l'insécurité, comment protéger nos concitoyens si un seul État peut bloquer les décisions ? La majorité qualifiée est une avancée fondamentale de ce traité.
Pour moi, c'est un bon traité, porteur d'un nouvel élan, comme l'a souligné Jacques Blanc. Il ne nous exonère pas de la responsabilité de porter des projets européens qui peuvent être bénéfiques pour l'ensemble des Français. Je rejoins M. Pierre Bernard-Reymond pour dire que ce traité est équilibré, qu'il est un gage de progrès. Nos débats doivent, pour l'essentiel, porter sur le contenu et l'orientation des politiques qui seront développées à partir de cette base. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale modifiant le titre XV de la Constitution (n° 170, 2007-2008).
.Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si le peuple ne convient pas, peut-être faut-il le changer...
Le 29 mai 2005, le peuple français a refusé la ratification du Traité constitutionnel européen par 54,67 % des suffrages exprimés. Ce vote n'était pas un vote de circonstance. Il résultait d'un vaste débat national, sans doute sans précédent, sur l'Europe, sa construction, sa politique.
Le peuple a dit non à cette Europe fondée sur la seule loi du marché et au fonctionnement démocratique déficient.
Contrariant par là le vote des parlementaires qui l'avaient approuvé à 93 %, le peuple a tenu bon ; il a réfuté non seulement un projet, mais aussi et surtout, une réalité vécue, celle de l'Europe de la flexibilité et du dumping social, de la détérioration des services publics, de la libre circulation des capitaux et des emplois, mais non des hommes.
Le peuple a constaté que, depuis le traité de Maastricht, la construction européenne creusait le déficit démocratique et sacralisait le marché financier au détriment de toute politique de croissance au service de l'emploi.
Les votes successifs des Français, le 29 mai 2005, puis des Néerlandais, ont rendu caduc le Traité constitutionnel, mais ils n'ont pas été suivis de la réorientation exigée et nécessaire.
Les dirigeants européens ont mis à profit ces deux années pour tenter de faire oublier leur échec et cherché le moyen de passer outre le choix d'une partie des peuples de l'Europe.
Candidat, M. Sarkozy s'est présenté comme le héraut d'un nouveau départ pour l'Europe, tirant les leçons des référendums français et néerlandais et du mécontentement croissant de l'ensemble des peuples européens qui, d'ailleurs, exigent un référendum sur le traité de Lisbonne : 76 % des personnes en Allemagne, 75 % au Royaume-Uni, 72 % en Italie, 65 % en Espagne et 71 % en France.
Nicolas Sarkozy, lors de son principal discours de candidat sur l'Europe à Strasbourg le 21 février 2007, annonçait déjà ce tour de passe-passe. Comme il a été beaucoup cité pour justifier l'absence de référendum, je tiens à rappeler ses termes exacts :
« Je veux que l'Europe redevienne un projet. Je veux remettre la volonté politique au coeur de l'Europe. Je veux que l'on refasse l'Europe des politiques communes plutôt qu'une Europe sans politique.
« Les Français ont dit non à la Constitution européenne parce qu'ils avaient le sentiment que l'Europe ne les protégeait plus et qu'elle faisait d'eux, non des acteurs, mais des victimes de la mondialisation.
« La conséquence de ce qui s'est passé, c'est qu'avant de refonder politiquement l'Europe nous devons la refonder économiquement et socialement. Dans la situation actuelle, l'ambition de tous les Européens devrait être de redéfinir les principes et les règles de l'Union économique et monétaire, en les inscrivant dans cette dimension humaniste et sociale qui fait aujourd'hui tant défaut à l'Europe. La priorité doit désormais être donnée à la croissance et à l'emploi. »
Après une longue diatribe contre l'actuelle Europe, le futur Président de la République concluait : « Je proposerai à nos partenaires de nous mettre d'accord sur un traité simplifié qui reprendra les dispositions du projet de Traité constitutionnel nécessaires pour que l'Europe puisse se remettre en marche, qui n'aient pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire. Ce traité simplifié de nature institutionnelle sera soumis par ratification au Parlement. »
Voilà ce dont vous vous prévalez pour refuser le référendum ! Cette citation était nécessaire pour rétablir l'exactitude des propos du candidat Sarkozy.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une véritable manipulation, très dangereuse pour la démocratie : le traité de Lisbonne est identique, dans son contenu, au Traité constitutionnel rejeté en 2005.
Sa présentation est, certes, différente : il s'agit de modifications des traités antérieurs et non plus d'un texte homogène. Cependant, comme le Traité constitutionnel, il aborde l'ensemble de la politique européenne, et pas seulement les questions institutionnelles. Toute la politique économique et sociale, la politique de défense, la politique étrangère et la politique de sécurité sont concernées.
M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, reconnaît cette similitude dans son rapport du 8 novembre 2007 : « Le Traité de Lisbonne reprend en règle générale le contenu du Traité constitutionnel, même si c'est dans une forme complètement différente. » La lecture de votre rapport, monsieur Haenel, est édifiante tant l'énumération des différences entre les deux traités est succincte !
Permettez-moi encore une citation : « L'institution d'une dernière trouvaille consiste à vouloir conserver une partie des innovations du Traité constitutionnel et à les camoufler en les faisant éclater en plusieurs textes. Les dispositions les plus innovantes feraient l'objet de simples amendements aux traités de Maastricht et de Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées dans un traité devenu incolore ou inodore. »
C'est un spécialiste, M. Valéry Giscard d'Estaing, vous l'avez reconnu, qui, dès le 14 juin 2007, pressentait ainsi l'opération à venir. Plus récemment, il se bornait à constater que 98 % de son « bébé», « sa » Constitution, étaient repris par le traité de Lisbonne.
Exemple emblématique : la référence à l'article 3 du Traité constitutionnel à la libre concurrence non faussée aurait disparu à la demande de M. Sarkozy quand il était encore candidat. Or il n'en est rien, nous l'avons vérifié, puisque, à l'article 4, c'est « l'économie de marché où la concurrence est libre » qui surgit. Le protocole n° 6 rappelle que le marché intérieur comprend « un système garantissant que la concurrence est non faussée ».
Tous les observateurs non tenus par un engagement ministériel ou électif à l'égard de M. Sarkozy reconnaissent cette réalité.
D'ailleurs, on dit aux Espagnols, qui, à l'époque, ont voté oui - mais sans guère de débats - lors du référendum sur le Traité constitutionnel, que ce n'est pas la peine qu'ils se prononcent à nouveau par référendum, car le traité est le même. Vérité d'un côté des Pyrénées, erreur au-delà...
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Conseil constitutionnel, par les termes de sa décision du 20 mai 2007, admet la similitude. L'attestent les renvois systématiques à sa décision de 2004 sur le Traité constitutionnel européen, effectués au nom de cette similitude.
Évoquant, sur un site officiel, la question essentielle des transferts de compétences, les membres du Conseil constitutionnel indiquent : « Le traité de Lisbonne ne transfère pas à l'Union, par rapport au Traité constitutionnel européen, d'autres compétences intervenant dans des matières régaliennes nouvelles. Ils ne retirent par ailleurs aucune matière transférée par le TCE. L'amalgame fait en 2004 demeure entièrement valable. Pour autant, il existe des différences de rédaction entre le traité de Lisbonne et le TCE. » Vous voyez comme c'est subtil !
Aussi les juges constitutionnels tentent-ils de se dédouaner en se réfugiant derrière leur décision de 2004.
Pourtant, et c'est un premier motif d'irrecevabilité, nous estimons que le Conseil Constitutionnel, au regard de sa jurisprudence antérieure, aurait dû se déclarer incompétent.
Par une décision du 6 novembre 1962, reprise sur le principe par celle du 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel s'est en effet déclaré incompétent en matière de loi référendaire.
Deux constitutionnalistes commentaient ainsi ces décisions : « Le fait capital est que la haute juridiction a cru pouvoir déduire de l'ensemble des dispositions constitutionnelles qu'elle n'avait reçu mission que d'assurer la régulation de l'expression ? indirecte ? de la souveraineté nationale par les représentants et non de l'expression ? directe ? par les peuples. Selon ses propres termes, le Conseil constitutionnel se refuse à juger les lois qui, ? adoptées par le peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale?. »
Un simple raisonnement a contrario paraît s'imposer. Le Conseil constitutionnel n'aurait pas dû se prononcer sur des dispositions qu'il reconnaît lui-même comme similaires. Il établit systématiquement la référence des nouveaux articles aux anciens articles du TCE, qui ont été repoussés par « l'expression directe de la souveraineté nationale, cette souveraineté populaire qui effraie tant les puissants d'Europe, par référendum. »
Je demande d'ailleurs au président de la commission des lois de s'exprimer avec précision sur ce point. Peut-être consultera-t-il les éminents constitutionnalistes ; je pense à M. Gélard, qui, ici même, en 2005, déclarait : « Il est sans doute dommage qu'à chaque étape de la construction européenne nous n'ayons pas toujours, par le passé, utilisé le référendum. ». Là, ce n'est pas d'un côté à l'autre des Pyrénées, c'est d'une année sur l'autre !
Deuxième motif d'irrecevabilité : nous estimons que le Conseil constitutionnel a omis, comme en 2004, ou même en 1992, un certain nombre d'incompatibilités entre le traité de Lisbonne et la Constitution - je parle évidemment ici de la nôtre, celle de la République française -, incompatibilités que le Gouvernement aurait dû prendre en compte.
J'insiste sur le caractère profondément antidémocratique de la méthode choisie : le Conseil constitutionnel, organe non élu, fixe le cadre - il l'a fait en moins d'une semaine cette fois-ci - de la révision constitutionnelle. Il serait le seul juge, bien sûr, de la compatibilité avec ce que le Conseil constitutionnel lui-même dénomme « l'identité constitutionnelle française ».
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, le Parlement existe ! Le peuple est nié ; faut-il également bâillonner le Parlement ?
Nous estimons qu'un certain nombre d'autres motifs d'inconstitutionnalité existent, et qu'il faudrait en débattre.
L'article 42-2 du traité de Lisbonne est, selon nous, contraire à la Constitution. Cet article subordonne la politique de sécurité et de défense commune à l'OTAN. De fait, l'article 3 de la Constitution de 1958, qui affirme la souveraineté nationale, devrait être modifié en conséquence.
L'article 106 du traité, qui soumet les services publics aux règles de concurrence, est, de fait, en contradiction avec le Préambule de la Constitution de 1946, qui, dans son alinéa 9, évoque les monopoles de fait de certains services publics.
Et, en cette période où la restauration d'un contrôle politique sur la finance apparaît si nécessaire, que dire de l'article 282, qui consacre l'indépendance de la Banque centrale européenne ? Il est, lui aussi, en contradiction flagrante avec le principe de souveraineté nationale en la matière.
Je rappelle que ce principe englobe la souveraineté populaire : l'article 3 de la Constitution la place bien au même rang que celle de la nation.
L'article 48 du traité, qui concerne les clauses dites « passerelles » permettant aux autorités européennes, sans consultation des parlements nationaux, de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée dans certains domaines, exige une adaptation plus explicite de notre Constitution.
Enfin, et ce débat n'est pas le moindre, la référence aux fondements religieux de l'Europe dans les premières lignes du traité mériterait un débat précis sur la compatibilité entre une telle référence, lourde de conséquences, et le caractère laïque de notre République.
Il n'y a pas de mots anodins dans un tel texte. La référence, si manifeste, au religieux pourra d'ailleurs engendrer un important contentieux sur ce thème devant la Cour de justice européenne, dont les jugements auront autorité sur les droits nationaux.
À la lecture de cette énumération, qui pourrait être complétée, vient forcément à l'esprit une question : la construction européenne dans le cadre de ce « traité constitutionnel bis » qui cache son nom respecte-t-elle la « forme républicaine du Gouvernement » ? C'est là un troisième motif d'irrecevabilité. Le cinquième alinéa de l'article 89 de la Constitution dispose en effet expressément qu'une révision ne peut comprendre des dispositions qui portent atteinte à ce principe fondateur ; c'est le Conseil constitutionnel qui, dans le cadre des décisions relatives au traité de Maastricht, a fixé ces limites.
Or, monsieur le secrétaire d'État, alors que la politique économique et monétaire est décidée ailleurs par des oligarques qui n'obéissent qu'au seul dogme du marché, alors que des transferts massifs de souveraineté sont engagés sur le plan de la justice et de la sécurité, ou encore du fait de la mise sous tutelle progressive de l'OTAN, alors que le pouvoir de faire la loi européenne, qui s'impose à la loi nationale, est en réalité entre les mains d'une Commission sans légitimité démocratique, la « forme républicaine du Gouvernement » est-elle préservée ? Mes chers collègues, il est temps de se poser cette question essentielle pour l'avenir de notre peuple, mais aussi des peuples européens dans leur ensemble.
Nous savons bien qu'un certain modèle démocratique est en crise, sous la pression d'une mondialisation financière en pleine expansion anarchique. Les derniers soubresauts boursiers doivent servir d'avertissement. Le peuple doit s'exprimer et ses représentants doivent l'aider à le faire, et non pas l'en empêcher.
J'estime donc, avec de nombreux parlementaires, que cette révision constitutionnelle n'a pas lieu d'être : le peuple a le droit de changer d'avis, mais il n'appartient pas au Parlement de changer l'avis du peuple.
Enfin, dernier motif d'irrecevabilité, la souveraineté populaire qu'établit, je le rappelle, l'article 3 de la Constitution est bafouée par le passage en force de dispositions internationales déjà repoussées par référendum.
Comme le rappelait M. Vidalies, député socialiste qui s'est prononcé pour un nouveau référendum, ni l'article 11 ni l'article 89 de la Constitution ne prévoient de disposition concernant l'échec d'un référendum proposé par l'exécutif. Pourquoi ? Parce que l'évidence s'impose : la voix du peuple doit être respectée sans ambiguïté aucune !
D'ailleurs, en 1946 et en 1969, s'agissant des deux référendums à l'occasion desquels le peuple a été consulté sur des projets de textes, qu'il a refusés - ces référendums n'étaient donc pas des plébiscites -, les résultats ont été suivis d'effets puisque les gouvernements en cause en ont tiré immédiatement les conséquences.
Ce serait donc la première fois de notre histoire qu'il ne serait pas tenu compte de la réponse du peuple exprimée lors d'un référendum. En quelque sorte, la droite aime les plébiscites, elles détestent les référendums... (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Gautier. Il y a du vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'estime donc avec mon groupe que ce projet de loi constitutionnelle est irrecevable en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La motion qui nous est présentée tend à opposer l'exception d'irrecevabilité à l'examen du projet de loi constitutionnelle.
Cette exception serait motivée par le fait que le Conseil constitutionnel n'aurait pas pleinement accompli la mission qu'il tiendrait de la Constitution elle-même d'examiner si un traité est contraire ou non à celle-ci.
Par l'article 54 de la Constitution, le constituant a fait du Conseil constitutionnel l'interprète ultime et authentique tant de la Constitution que du traité international concerné. Il conditionne même la ratification d'un traité à l'absence de contrariété de ce dernier à la Constitution et, logiquement, prévoit que la Constitution doit être révisée pour lever une contrariété éventuelle.
La motivation à laquelle recourt la motion revient donc à contester la légitimité du Conseil constitutionnel et de sa jurisprudence. Mais elle ne saurait s'appuyer sur aucune considération de nature constitutionnelle.
Au contraire, la procédure de l'article 54 est pleinement respectée : le projet de loi constitutionnelle est en effet une réponse point par point à la décision du Conseil constitutionnel et a pour objet de lever l'ensemble des contrariétés avec notre Constitution relevées par le Conseil constitutionnel.
En outre, et surtout, le principe même de l'exception d'irrecevabilité est de « faire reconnaître que le texte en discussion est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire ». Il suffit de rappeler que le constituant est souverain et qu'il n'existe en France aucun principe de valeur supra-constitutionnelle.
En conséquence, l'exception n'est pas fondée et votre commission émet un avis défavorable à la motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l'avis défavorable de la commission que vient d'exprimer le doyen Patrice Gélard, qui d'ailleurs m'a enseigné le droit et qu'il me serait difficile de ne pas suivre...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je regrette qu'il ne me l'ait pas enseigné...
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Comme vous le voyez, madame Borvo Cohen-Seat, je ne m'en porte pas plus mal !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est tout de même pas la vérité révélée !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Non, mais nous sommes là pour parler du droit, et, selon nous, cette exception d'irrecevabilité n'est pas fondée, car, comme l'a excellemment exposé le M. Gélard, le projet de loi constitutionnelle que nous examinons a précisément pour objet de réviser la Constitution.
Au surplus, les motifs que vous avez développés ne peuvent pas recueillir notre assentiment puisqu'ils remettent en cause par eux-mêmes la décision du Conseil constitutionnel. Or, comme vous le savez, les décisions de cette juridiction s'imposent aux pouvoirs publics.
Quant au fond du traité, je n'y reviens pas, car nous avons déjà longuement débattu et souligné les avancées sociales et démocratiques qu'il permet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 72 :
Nombre de votants | 246 |
Nombre de suffrages exprimés | 246 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 124 |
Pour l'adoption | 37 |
Contre | 209 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Mélenchon, d'une motion n°2 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3 du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 170, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minute, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, auteur de la motion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour modifier la Constitution parce que c'est la condition de la ratification du traité de Lisbonne.
M. Robert del Picchia. C'est exact !
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour ma part, je m'oppose au traité de Lisbonne, mais je m'expliquerai seulement sur sa constitutionnelle.
En toute franchise, j'ai l'intention, avec d'autres, de faire tout ce qui est en mon pouvoir et d'user de toute ma force de conviction afin de réunir une minorité des deux cinquièmes au Congrès du Parlement à Versailles, de sorte que la réforme de la Constitution soit rejetée et que le Président de la République n'ait d'autre issue, pour faire ratifier le traité, que de provoquer un référendum.
C'est parce que je suis partisan du référendum, et pour nulle autre raison, que je m'oppose à la modification de la Constitution. Non pas, comme d'aucuns l'ont sournoisement insinué, que nous établirions une hiérarchie, tout à fait aberrante pour un parlementaire entre, d'une part, la légitimité du Parlement, et d'autre part, celle du suffrage populaire quand il s'exprime à travers le référendum. Non ! C'est parce que nous posons un diagnostic sur l'état de la construction de l'union politique de l'Europe que nous refusons la révision constitutionnelle !
Selon nous, en effet, l'Europe, dans son état actuel, avec vingt-sept pays membres, est surtout malade d'un manque de démocratie et d'une insuffisance d'implication populaire. Voilà le fond du problème ! Vouloir le référendum, c'est vouloir commencer à guérir l'Europe en impliquant le peuple dans sa construction.
Ici, la forme, c'est le fond. La forme à laquelle nous aspirons est, si vous me permettez l'expression, conforme au génie des Français. À cette tribune, comme dans les médias et partout ailleurs, il est d'usage qu'on bée d'admiration devant la moindre coutume locale, mais il est de bon goût de dénigrer la participation particulière des Français à l'histoire universelle, sur un point précis qui fait leur identité : la République !
Je le rappelle, la méthode républicaine, l'inspiration issue du courant des Lumières, c'est l'idée, toute simple, qu'un peuple ne se forme pas par les communautés qui le constituent, par les religions qui le traversent, par les langues qui le partagent, mais que seule la communauté légale formée par l'ensemble des citoyens lui permet de définir un intérêt général. Et là où l'on peut définir un intérêt général, il y a un peuple et des institutions démocratiques ; c'est tout le contraire de ce que nous avons sous les yeux.
À cet impératif, d'aucuns ici opposent un premier mandat que nous aurions reçu. Celui-ci nous viendrait du peuple français lui-même qui, en désignant M. Nicolas Sarkozy comme Président de la République, aurait de ce fait avalisé la totalité de ses propositions.
Certes, il est tout à fait légitime que le gagnant de cette élection applique le programme qu'il a proposé aux Français -ce point n'est pas en discussion entre nous.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout de même !
M. Jean-Luc Mélenchon. Toutefois, je ferai deux remarques. Tout d'abord, la République n'est pas suspendue entre deux élections présidentielles et, par conséquent, les droits démocratiques de discussion et d'inversion des décisions prises antérieurement restent ouverts. Ensuite, le Président de la République a pris l'engagement de passer par la voie parlementaire, non pas à propos du traité de Lisbonne en particulier, mais de façon générale et en se référant à des normes d'appréciation qu'il avait lui-même fixées et auxquelles nous pouvons nous référer pour apprécier sa décision actuelle.
Premièrement, le texte soumis au Parlement devait être un mini-traité. Or, mes chers collègues, vous admettrez, après tout ce que vous avez entendu, que tel n'est pas le cas, puisque le traité de Lisbonne est plus long que le texte précédent. Deuxièmement, ce traité ne devait concerner que les questions institutionnelles. Or, s'il est vrai qu'il reprend exactement toutes les dispositions de cette nature qui figuraient dans le précédent traité constitutionnel, la moitié de ses articles, soit 198 sur 356, évoquent non pas les institutions, mais le contenu des politiques et modifient les précédents traités européens sur des questions de fond, comme la politique économique et la politique sociale, entre autres.
Par conséquent, aucun des critères que le Président de la République avait invoqués pour justifier le passage par la voie parlementaire au lieu du référendum ne se trouve satisfait.
Au demeurant, le Président de la République devrait en être le premier juge, puisque lui-même, nous l'avons rappelé, avait affirmé à de nombreuses reprises que l'on ne saurait construire un dispositif constitutionnel aussi complexe que celui de l'Union européenne sans aller à la rencontre du peuple souverain et sans lui demander son avis.
Par conséquent, il n'est pas vrai, selon moi, que nous aurions reçu de l'élection présidentielle un mandat sur ce traité et sur la manière de le ratifier. Le premier mandat que nous avons, c'est le peuple qui nous l'a donné, en mai 2005. Il est contenu dans le « non ». Car c'est bien le même texte qui revient aujourd'hui devant nous !
Qu'avez-vous fait de ce mandat ? Je ne m'adresse pas ici à vous, mes chers collègues, mais à celui qui avait pris l'initiative de convoquer le référendum de 2005. Qu'en a-t-il fait ? Rien ! Il a laissé faire, alors que son devoir eût été, après que le peuple français a voté « non », de retirer la signature de la France du précédent traité constitutionnel. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Josselin de Rohan. On ne retire pas comme cela sa signature d'un traité ! Vous ne connaissez pas le droit !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, on n'aurait pas laissé des peuples ratifier les uns après les autres ce traité par voie parlementaire, pour ensuite en tirer argument afin d'exiger des Français et des Néerlandais qu'ils cèdent ! Cet abandon du mandat de 2005 a été une forfaiture et nous a conduits à un véritable encerclement. (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Josselin de Rohan. Le terme de forfaiture est trop fort !
M. Jean-Luc Mélenchon. Non, mon cher collègue. Il est fort, mais il n'est pas trop fort ! Car une forfaiture désigne l'acte par lequel quelqu'un se soustrait aux obligations de sa charge.
M. Josselin de Rohan. Alors le mot est inexact !
M. Jean-Luc Mélenchon. Quand le peuple français vote « non », le titulaire de la charge présidentielle a pour mission de faire en sorte que cette décision soit respectée. Or ce n'est pas ce qui s'est passé.
M. Josselin de Rohan. C'est faux !
M. Roger Romani. Respectez M. Chirac, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mes chers collègues, je formule une appréciation politique. Si vous voulez m'interrompre, il vous faut l'autorisation de Mme la présidente !
Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est tellement vrai que nous avons assisté à ce spectacle incroyable : dix-huit pays se sont réunis à Madrid pour faire la leçon aux Français et aux Néerlandais et expliquer qu'en toute hypothèse le traité s'appliquerait. Avez-vous oublié ce moment ? Pas moi ! J'ai eu mal alors pour ma patrie républicaine, qui ne méritait pas d'être traitée de la sorte ni de recevoir ces leçons.
M. Josselin de Rohan. Quelle arrogance !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et puisque nous parlons de référendums, je rappellerai qu'à trois occasions seulement le peuple français a répondu « non » à la question qui lui était posée, et que sa décision a toujours eu des conséquences politiques immédiates.
À la Libération, tout d'abord, après qu'eut été rejetée la Constitution proposée, une nouvelle assemblée constituante a tout de suite été convoquée et les Français ont voté de nouveau.
M. Michel Charasse. C'est exact !
M. Jean-Luc Mélenchon. En 1969, ensuite, les Français ont répondu « non » au référendum proposé par le général de Gaulle, qui s'en est allé le lendemain.
Aujourd'hui, c'est la première fois que le peuple vote « non » et qu'il ne se passe strictement rien ensuite - sauf que l'on vient narguer ceux qui ont fait valoir leur droit démocratique de s'opposer à une décision gouvernementale, en leur demandant où est passé leur « plan B ». Mais nous n'avons jamais eu de « plan B » ; il s'agit d'une invention des partisans du « oui » ! (Protestations sur les travées de l'UMP. - Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.)
M. Josselin de Rohan. Comment osez-vous dire cela ? C'est votre ami Fabius qui en a parlé !
M. Robert Bret. Non, c'est vous !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'étais en aucun cas en état, pas davantage que mes collègues de l'opposition, d'ailleurs, de proposer un « plan B », car ce n'est pas nous qui exercions les responsabilités de l'État et qui détenions la majorité au sein de la représentation nationale, c'était le président Chirac et vous !
Il ne pouvait y avoir de « plan B » que s'il était proposé par la France ou un autre pays européen, et nous n'étions pas en situation de le faire. Votre procès est donc injuste, sournois et souvent fielleux !
M. Robert Bret. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Vos propos sont non seulement emphatiques, mais complètement faux !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous n'avez retenu du référendum de 2005 qu'une seule leçon : en 2005, onze référendums étaient prévus en Europe ; cette année, sur le même texte, il n'y en a pas un seul ! Et quand un peuple décide que, peut-être, il va en discuter, il est réprimandé ! Ainsi, on a vu la Slovénie, un pays récemment entré dans l'Union européenne et qui préside celle-ci pour la première fois, faire les gros yeux au Portugal, lui adresser une admonestation publique et lui demander pourquoi il envisage un référendum alors que ce n'était pas prévu. Voilà la seule leçon qui a été tirée !
M. Josselin de Rohan. Y aurait-il des sous-pays ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Mais la France avait des engagements antérieurs au « non » de 2005 ! Elle devait respecter le traité de Maastricht, qu'elle avait signé. L'Union européenne, cela existe ! Respectez les autres États membres !
M. Robert Bret. Et vous, respectez le peuple !
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur Raffarin, je vous donne raison sur un point : il faut penser grand, et en lien avec les autres peuples d'Europe. Parlons-en !
Ce n'est pas la première fois que l'on veut faire l'union politique de l'Europe ; maintes tentatives ont eu lieu dans le passé. En remontant aux époques les plus lointaines, on peut ainsi évoquer les Romains (Marques d'ironie sur les travées de l'UMP)., les Barbares, puis, de manière plus civilisée, les Capétiens, les Habsbourg, qui ont bien failli parvenir à leurs fins, le Saint Empire romain germanique, enfin nous, les Français : lorsque nous avons rompu les chaînes du vieux monde avec la Révolution de 1789 et que la « contrainte extérieure » s'est présentée chez nous, armée jusqu'aux dents, pour nous faire changer d'avis, nous avons franchi les frontières et nous sommes passés chez les autres. Nous aussi avons souhaité faire l'Europe, mais l'Europe napoléonienne.
Les nazis ont voulu en faire autant, ...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il ne manquait plus que cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... mais il s'agit là d'un souvenir que tous, ici, nous abominons.
Après la Grande Guerre et la Seconde Guerre mondiale, nous avons commencé un nouveau processus d'unification ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Avec succès !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... qui doit être mis en perspective car, en réalité, plusieurs Europe ont été mises en place depuis cette date.
On ne peut pas dire, en effet, que l'Europe de la Communauté européenne du charbon et de l'acier soit la même que celle, avortée, de la Communauté européenne de défense, ou que l'Europe des Six, des Sept, des Douze, des Seize, puis des Vingt-Sept !
À chaque étape de l'élargissement, l'augmentation du nombre des États membres fait franchir des seuils qui modifient la nature du projet politique. En outre, les circonstances ne sont pas les mêmes, entre la période antérieure à la chute du mur de Berlin, quand l'Europe était coupée en deux, et celle qui a suivi. Nous devons avoir à l'esprit tous ces éléments.
Qu'ont en commun toutes ces expériences qui ont échoué avant la tentative actuelle ? Non pas d'avoir manqué au respect de la diversité - les Habsbourg la respectaient très bien, le Saint Empire romain germanique parfaitement -, mais, à chaque fois, de s'être passées de l'avis du peuple !
On ne peut pas constituer un ensemble politique dans lequel quatre cents millions d'individus accepteraient de se soumettre et de reconnaître comme un principe d'autorité légitime une décision prise pour eux, sans qu'ils y aient pris part. Ne pas le comprendre, c'est ne pas comprendre que la crise dans laquelle nous sommes entrés ne peut finir que dans le fracas.
Le modèle européen d'aujourd'hui nie la souveraineté populaire. Mes chers collègues, je vous le dis à regret, pour avoir été de ceux qui ont voté « oui » à Maastricht et qui ont adhéré pleinement à l'idée que l'Union européenne constituait une construction politique singulière : avec le passage à vingt-sept États membres, après le traité de Nice, nous avons changé de monde ! Et nous ne réglons pas le problème de la transition démocratique de l'Europe, nous mettons en place un système institutionnel aussi verrouillé que l'était la précédente Constitution, et qui interdirait toute évolution.
M. Jacques Blanc. C'est pourquoi il faut adopter le traité !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mes chers collègues, j'ai entendu ici d'innombrables voeux pieux et d'enthousiastes actes d'adhésion à l'Europe. Que n'a-t-on dit ? Demain devait venir l'harmonisation sociale et la lutte contre le dumping fiscal ; après-demain, la limitation de cette circulation des capitaux qui ruine la planète. Mais tout cela est spécifiquement interdit par le texte du traité de Lisbonne ! - je ne développerai pas davantage ce point, car je veux non pas entrer dans le contenu du traité, mais en rester à la question de la forme démocratique.
Oui, le décrochage démocratique est patent. Les peuples qui viennent d'adhérer à l'Union européenne ont battu des records d'abstention lors des dernières élections européennes -les derniers à se prononcer, c'est-à-dire les Roumains, se sont abstenus à plus de 70 % !
M. Josselin de Rohan. Il est vrai que, quand vos amis étaient au pouvoir, ils votaient à 99 % !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que voulez-vous dire, monsieur de Rohan ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Comment n'êtes-vous pas sensibles à cet aspect ?
Les Roumains sont-ils moins Européens que nous ou, plutôt, n'ont-ils pas compris que la construction européenne était totalement extérieure à leurs préoccupations et à leurs revendications démocratiques initiales, qui ont fondé la Roumanie nouvelle ?
Un point m'intrigue : pourquoi cet acharnement à nous dénigrer, à nous humilier, à nous clouer le bec - car nous en sommes là ? Les Français ne sont-ils pas dignes d'un beau et grand débat public ? Certes, nous discutons dans nos assemblées parlementaires, et c'est heureux. Mais ne pourrions-nous pas le faire avec le public ? N'est-il pas possible de discuter du fond de ce traité au grand jour et devant tous ?
Car qui a raison, entre ceux qui prétendent que le traité interdit telle ou telle politique et ceux qui affirment le contraire ? Comment peut-on savoir ce que contient ce texte, sinon par un grand débat démocratique et contradictoire ? Pourquoi vouloir l'empêcher ? Vous n'êtes d'ailleurs pas seuls en cause : je trouve lamentable l'attitude des médias, qui se préoccupent moins du fond que des querelles entre les personnes.
Pourquoi ne voulez-vous pas d'un référendum ?
M. Robert Bret. C'est vrai, pourquoi ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Il doit bien y avoir une raison ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
On nous reproche, à nous, d'établir une hiérarchie, mais vous aussi, vous en établissez une !
Alors, pourquoi ne voulez-vous pas d'un référendum ?
M. Robert Bret. Parce qu'ils ont voté Sarkozy !
M. Josselin de Rohan. Pourquoi en faudrait-il un ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Je viens de l'expliquer, mon cher collègue ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'êtes que les représentants du peuple élus au suffrage indirect !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je l'ai expliqué pendant dix minutes : organiser un référendum, c'est commencer à régler la question de l'implication populaire dans la construction européenne. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
M. Robert del Picchia. Vous l'avez mal expliqué parce que je n'ai pas compris !
Un sénateur de l'UMP. Et le Parlement ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais personne ne discute la légitimité de la représentation nationale ! Je le répète : un référendum permettrait de commencer à régler le problème de la crise démocratique.
Laissez-moi vous dire pourquoi vous ne voulez pas de référendum : c'est parce que vous en connaissez le résultat ! S'il en avait la possibilité, le Président de la République - vous savez comment il est ! - ne manquerait pas de solliciter du peuple français une nouvelle marque d'amour !
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Mélenchon.
M. Charles Gautier. Ni de remords !
M. Jean-Luc Mélenchon. Souhaitez que, face à la crise financière qui déferle, (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame), quand les Français vous demanderont si l'Europe est en mesure de nous aider, vous pourrez répondre autre chose que : « Non, car le texte que nous venons de voter prévoit qu'il ne doit être mis aucune limite à la libre circulation des capitaux ».
Souhaitez que, lorsque l'on vous demandera ce qu'il est possible de faire pour empêcher le dumping social, si l'Europe va se doter de normes sociales communes, vous aurez autre chose à répondre que : « Non, car le texte que nous venons d'adopter interdit l'harmonisation sociale (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit), fiscale et environnementale. (Protestations sur les travées de l'UMP).
M. Josselin de Rohan. Vous racontez n'importe quoi !
M. Jean-Luc Mélenchon. Non, je ne raconte pas n'importe quoi !
M. Robert del Picchia. Vous n'avez pas le droit de dire n'importe quoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils méprisent le peuple et ils méprisent les parlementaires !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne raconte pas n'importe quoi et je vous prie de respecter ma parole ! Je peux vous citer les passages du texte où il est question de ces sujets. (M. Josselin de Rohan proteste.)
Monsieur de Rohan, je vous mets au défi de débattre publiquement avec moi de cette question. Nous comparerons alors nos arguments. Je ne dis pas que vous dites n'importe quoi ; vous soutenez un point de vue, j'en soutiens un autre ! Ne méprisez pas notre argumentation ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
La question de la souveraineté populaire est ancienne sur notre continent. Nous, Français, nous la connaissons et nous pouvons en parler mieux que d'autres parce qu'elle a fondé notre démocratie et notre République. Elle est à l'origine du partage entre droite et gauche, au moment où le ci-devant Capet prétendait partager dans la salle les élus entre partisans du droit de véto - c'est-à-dire le droit pour un de suspendre la décision de tous, comme on nous propose de le faire aujourd'hui - et partisans de la souveraineté populaire. C'est ce jour-là, à l'occasion de ce vote, que la droite et la gauche ont vu le jour. C'est une vieille histoire ! Mais sachez-le, rien n'empêchera la souveraineté des peuples européens de s'affirmer un jour ou l'autre, et le plus tôt sera le mieux !
La crise de la démocratie européenne n'est pas celle d'une superstructure lointaine, un simple inconvénient passager, extérieur à notre quotidien ; c'est la crise de notre propre démocratie !
Mes chers collègues, est-il raisonnable du point de vue européen d'accepter que, demain, l'initiative des lois appartienne à la Commission, quand n'y siégeront ni les Français ni les Allemands, parfois ni les uns ni les autres en même temps, comme cela se produira du fait du tourniquet prévu ? Est-il normal que 80 % des mesures qui s'appliqueront aux Français soient décidées dans de telles conditions ?
L'autorité de la Commission sera-t-elle légitime alors que les deux peuples les plus nombreux en seront écartés ? Allez-vous tenter de nous démonter que oui, monsieur Jouyet ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Mon propos ne se veut pas nationaliste. Je souhaite simplement dire que la représentation des peuples et la démocratie, pour un peuple, cela existe, comme un impératif et non comme une faveur ! Il n'y a pas d'autres racines au consentement à l'autorité dans une démocratie que la certitude que la décision est légitime ; or, la décision n'est pas légitime quand elle n'est pas le fait du peuple. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je me vois contraint de dire à M. Mélenchon qu'il n'a pas du tout défendu sa motion tendant à opposer la question préalable ! (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.) Il a attaqué non pas la révision constitutionnelle, que nous examinons, mais le contenu même du traité, ainsi que ses modalités de ratification.
J'émets donc un avis défavorable sur cette motion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas très respectueux !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais si !
M. Jean-Luc Mélenchon. J'ai tout de même passé un quart d'heure à avancer des arguments !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Vous n'en avez avancé aucun !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne savez pas ce qu'est une motion tendant à opposer la question préalable ! (M. le rapporteur proteste.) Répondez-moi sur le fond au moins !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Robert Bret. Il n'a pas d'avis !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. M. Mélenchon n'a effectivement pas abordé la révision constitutionnelle en tant que telle. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Contrairement à ce que vous pensez, j'ai écouté attentivement M. Mélenchon, que j'ai trouvé très intéressant, et je suis prêt à débattre avec lui du fond du traité. Mais ce n'est pas le propos d'aujourd'hui ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n'y aura pas de débat sur le respect de la démocratie !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Arrêtez de donner des leçons ! Vos arguments ne tiennent pas debout !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 76 :
Nombre de votants | 245 |
Nombre de suffrages exprimés | 245 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 123 |
Pour l'adoption | 37 |
Contre | 208 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie par M. Bret, Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°20 tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 170, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.
M. Robert Bret. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le dépôt par l'opposition sénatoriale de cette motion tendant au renvoi en commission n'est pas un acte de procédure, encore moins une manoeuvre dilatoire pour refuser un débat que nous appelons de nos voeux.
Depuis des semaines, notre démarche vise à donner la parole aux Françaises et aux Français : la motion référendaire tendait à permettre la mise en oeuvre par le Parlement de l'article 11 de la Constitution, qui organise le référendum. La motion, si le Sénat l'avait adoptée, aurait dû être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées.
Permettez-moi de vous rappeler le contenu de l'article 11 de la Constitution : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur les réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »
La commission des lois aurait dû se pencher, monsieur Hyest, sur la question de l'organisation, ou non, d'un référendum.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle l'a fait !
M. Robert Bret. Une chose est sûre : le traité de Lisbonne, comme le traité constitutionnel européen, est bel et bien susceptible d'avoir des conséquences sur le fonctionnement des institutions. Il peut donc être soumis à référendum. C'est une possibilité juridique, mais également une exigence politique, monsieur Hyest.
Par référendum en date du 29 mai 2005, le peuple français a massivement refusé la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Par cet acte de souveraineté, le peuple a clairement signifié, de manière la plus forte qui soit, son rejet de l'Europe libérale consacrée par ce texte. Il a refusé une conception marchande de l'Europe. Pour autant, ce refus ne remet pas en cause l'adhésion populaire à l'aventure européenne.
Confrontés à leur échec; les dirigeants européens ont décidé de relancer l'Union européenne en contournant les peuples. Les États membres ont tout orchestré sans consulter ni informer les citoyens européens !
Pour la première fois dans l'histoire des révisions des traités, la conférence intergouvernementale a été non pas chargée d'élaborer les modifications du nouveau traité, mais de retranscrire les principes et règles arrêtés par les chefs d'État et de gouvernement réunis lors du Conseil européen de Bruxelles les 21 et 22 juin 2007.
Le traité de Lisbonne doit passer coûte que coûte et à n'importe quel prix démocratique ! Telle est l'idée commune à tous les tenants de la constitution européenne et de son prolongement, qui voient là un moyen de prendre leur revanche sur le peuple !
Comment ne pas se rappeler que l'argument d'une Europe plus démocratique avait été avancé pour faire accepter la Constitution européenne ? Même la méthode conventionnelle est passée à la trappe, au nom de calculs politiques fondés sur le postulat d'une opposition de principe entre l'Europe et les peuples.
Après l'échec de la constitution européenne, les gouvernements ont décidé d'abandonner l'expérience mise en place pour l'élaboration du traité constitutionnel européen. En l'occurrence, on s'en souvient, une « Convention sur l'avenir de l'Europe » avait élaboré le projet de constitution européenne. L'originalité de la méthode conventionnelle résidait dans sa mixité organique et dans la participation majoritaire des membres des parlements nationaux et européen.
La constitution européenne prévoyait même, et c'était un élément positif, que sa révision solennelle devrait passer par la convocation d'une convention du même acabit.
Hélas ! au lieu de garder l'un des rares éléments appréciables de la constitution européenne (Marques d'ironie sur les travées de l'UMP), les gouvernements ont préféré, dans un geste de défiance à l'endroit de leur peuple respectif, fermer cette parenthèse au parfum démocratique pour reprendre les formules qui font le malheur de la construction européenne, c'est-à-dire le secret, l'opacité et la technocratie.
Les dirigeants européens ont donc opté pour le retour de la méthode intergouvernementale et adopté le traité de Lisbonne dans le cadre de négociations à huis clos, sans représentation des institutions démocratiques que sont les parlements.
Le 13 décembre 2007, les vingt-sept États membres ont signé le traité de Lisbonne sur l'Union européenne.
Ne vous en déplaise, selon le numéro 24 de la revue Cahiers du Conseil constitutionnel, « un nombre important de dispositions de 2007 reprennent celles de 2004 »
Certes, comme le précise le Conseil constitutionnel, le traité de Lisbonne est un traité formellement différent du précédent.
Comme je l'ai rappelé à l'occasion de la discussion générale, contrairement au traité constitutionnel, qui visait à remplacer les traités actuels par un texte unique et à s'y substituer, le nouveau traité amende les traités existants, c'est-à-dire le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne.
Outre le terme de « constitution », l'accessoire est écarté, mais le principal demeure !
Le traité de Lisbonne est un concentré de la Constitution européenne. Sur le fond, on retrouve le noyau dur du projet constitutionnel, autrement dit les bases d'une Europe libérale et concurrentielle.
Par exemple, si la référence à « la concurrence libre et non faussée » n'apparaît plus dans le corps du traité, elle est reprise dans un protocole annexe de même valeur juridique que le traité.
S'agissant des politiques de l'Union, qui faisaient l'objet de la troisième partie dans l'ancien texte, le traité de Lisbonne ne les mentionne pas. Elles demeurent donc inchangées.
La commission des lois et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont refusé d'admettre cette réalité évidente. Pourtant, monsieur Hyest, à mon sens, l'objet de la commission des lois n'est pas seulement d'obéir aveuglément au Président de la République.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !
M. Robert Bret. D'ailleurs, cela ne correspond pas véritablement, me semble-t-il, à ce à quoi vous nous avez habitués ! Le devoir de la commission des lois est de mener un travail législatif sérieux et responsable. C'est ce que nous demandons.
Le choix de la ratification par la voie parlementaire est un choix éminemment politique, qui exprime un manque de courage. Vous ne voulez pas soumettre la question directement au peuple. Le traité a été conçu pour éviter des référendums, mais, surtout, pour ne pas avoir à expliquer son contenu. Le refus d'organiser un référendum correspond à la volonté de soustraire ce texte au débat public.
Pourtant, à la lecture de la Constitution française, on aurait pensé que le recours au référendum allait de soi pour une telle question.
En effet, si, selon l'article 53 de la Constitution, la procédure normale de ratification d'un traité relève du Parlement, aux termes de l'article 11, le Président de la République peut demander l'accord du suffrage universel s'agissant de la ratification d'« un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». C'était le cas pour le traité constitutionnel européen. C'est évidemment le cas pour le traité de Lisbonne, puisque ce dernier reprend les principales dispositions novatrices prévues par le traité constitutionnel de 2004.
On aurait donc pu légitimement s'attendre à l'organisation d'un référendum pour ratifier le traité de Lisbonne. Subtiliser ce traité au débat citoyen ne va certainement pas dans le sens d'une réappropriation du projet européen par le peuple. C'est très inquiétant, surtout lorsque l'on sait que la construction européenne souffre d'un déficit démocratique originel.
Chacun doit bien comprendre que l'utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l'expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi, une nouvelle fois, instrumentalisé par l'exécutif.
Pourtant, pour se revendiquer de la démocratie, il faut que le peuple soit susceptible d'avoir le dernier mot.
Il va sans dire que les mandataires n'ont pas le droit moral de violer la volonté directement et clairement exprimée par les mandants. Le Conseil constitutionnel lui-même, en se déclarant incompétent pour contrôler les lois référendaires, qui sont l'expression directe de la souveraineté nationale, reconnaît que la loi référendaire est d'une essence supérieure à la loi parlementaire (M. le président de la commission des lois exprime son étonnement) et que l'on ne peut pas les mettre sur le même plan.
D'ailleurs, à quoi servirait-il logiquement de soumettre un projet de loi au peuple si le Parlement pouvait aussitôt ignorer et piétiner la volonté populaire ?
Dans ces conditions, que l'on soit favorable ou défavorable au traité, peut-on passer outre la décision du peuple du mois de mai 2005 en l'annulant par un vote du Parlement ? Pour reprendre l'expression de Didier Maus, président de l'Association française de droit constitutionnel, le Parlement peut-il « désavouer le peuple » ?
L'organisation d'un nouveau référendum est une exigence démocratique majeure pour notre pays. À partir du moment où le traité de Lisbonne n'est pas substantiellement différent du traité établissant une constitution pour l'Europe, passer outre la volonté des électeurs aurait de dramatiques conséquences que votre gouvernement ne semble pas mesurer.
D'une part, si le traité est ratifié sans les peuples, à l'avenir, il risque d'y avoir un accroissement de la défiance des électeurs à l'égard de leur système politique et constitutionnel.
D'autre part, cela amplifiera le fossé béant qui existe entre les spécialistes et les peuples. La construction européenne renoncera pour de bon à toute légitimité démocratique.
L'enjeu est donc d'importance ! Au regard des nouveaux éléments que nous avons apportés dans le débat, nous demandons le renvoi en commission.
La surdité est mauvaise conseillère en politique. Monsieur le président de la commission des lois, nous estimons que le Sénat peut encore se ressaisir. Le débat peut repartir sur des bases saines, mais il faut pour cela abandonner l'a priori...
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Robert Bret. ... selon lequel le traité doit être ratifié coûte que coûte, fût-ce au détriment de l'idéal républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les deux motions précédentes ont remporté un grand succès d'estime.
M. Jean Desessard. C'est pour cela qu'il faut un référendum !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Puisque vous êtes si sûrs de vous, pourquoi avez-vous peur du référendum ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas la question !
Monsieur Bret, vous avez déposé une motion tendant au renvoi en commission. Fort bien ! Simplement, je vous rappelle que nous avons auditionné des experts, des professeurs d'université et des ministres, et que nous avons eu un débat extrêmement fourni en commission. Nous avons retenu tous les arguments. Le travail a été effectué.
Ce matin même, nous nous sommes de nouveau réunis pour examiner des amendements, dont les auteurs étaient d'ailleurs absents... (Sourires sur les travées de l'UMP.) Je n'y suis pour rien !
En fait, comme à l'accoutumée, nous avons fait notre travail. Je ne vois pas pourquoi il y aurait lieu de renvoyer l'examen du projet de loi constitutionnelle en commission. Cela serait strictement inutile, puisque nous n'avons rien à apporter de plus.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour ma part, je trouve paradoxale l'attitude de certains collègues qui souhaitent un référendum sur le traité de Lisbonne.
Que je sache, pour que le traité puisse éventuellement être soumis à référendum, il faut d'abord que l'on ait procédé à la révision constitutionnelle. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Or, en vous opposant à cette révision constitutionnelle, vous l'empêchez ! (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
Quel serait le sens d'un rejet du projet de loi constitutionnelle ? Cela signifierait que la France, malgré ses engagements, ne respecterait pas sa signature et ne soumettrait pas le traité au Parlement...
M. Jean-Pierre Raffarin. Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais non !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si, monsieur Mélenchon ! Je suis désolé. Il faut resituer les éléments dans leur contexte et faire preuve d'une certaine cohérence.
Par ailleurs, s'agissant des arguments que vous avez avancés, monsieur Bret, nous n'avons pas vérifié les conclusions du Conseil constitutionnel, mais je vous renvoie à l'article 53 de la Constitution : quand un traité est contraire à la Constitution, il faut d'abord modifier la loi fondamentale.
En réalité, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes et communistes, vos arguments sur le traité ne sont qu'un écran de fumée, parce que vous êtes divisés et incapables de parvenir à une position commune sur ce sujet difficile.
M. Charles Gautier. Nous ne sommes pas les seuls !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut avancer et reconstruire ce qui a été arrêté à un moment donné.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, mais le reconstruire autrement !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En quelque sorte, votre argumentation, c'est le chien qui se mord la queue ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Bien entendu, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant au renvoi en commission.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'avez pas répondu à la question : comment le Parlement peut-il remettre en cause l'avis du peuple ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais nous ne remettons pas en cause l'avis du peuple !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si ! (Brouhaha.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 20, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 74 :
Nombre de votants | 241 |
Nombre de suffrages exprimés | 240 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 121 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 206 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous allons passer à la discussion des articles.
Organisation de la suite de la discussion
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, pourrions-nous avoir une idée de l'heure à laquelle nous lèverons cette séance ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela dépend de vous !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, si j'en crois la dernière conférence des présidents, nous devions poursuivre la discussion sur le projet de loi constitutionnelle demain à partir de quinze heures.
Or je vois que vous avez décidé de prolonger cette séance. J'ignore qui est à l'origine de ce fait, mais il y a bien une modification de l'ordre du jour.
Par conséquent, je souhaiterais en connaître les raisons et savoir jusqu'à quelle heure nous allons siéger.
M. Michel Charasse. Le président de la commission des lois veut se venger ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois La conférence des présidents avait prévu, éventuellement, la suite du débat demain, à quinze heures.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas écrit « éventuellement » !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous considérons que, compte tenu de ce qui reste en débat, nous pouvons continuer et terminer l'examen du texte ce soir ; c'est déjà arrivé.
M. Michel Charasse. Il faut consulter le Sénat !
Mme la présidente. Qu'en pense le Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Il est à la disposition de la Haute Assemblée : si vous voulez poursuivre le débat, nous le poursuivons.
Mme la présidente. Je consulte le Sénat.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, décide de poursuivre la discussion.)
Mme la présidente. Nous passons donc à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Marc, Bel, Auban et Courteau, Mmes Y. Boyer, Bricq et Campion, MM. C. Gautier et Gillot, Mmes Herviaux et Jarraud-Vergnolle, MM. Josselin, Journet, Le Pensec, Lise, Miquel, Muller, Pastor, Piras et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur et Sutour, Mme Voynet, MM. Cazeau et S. Larcher et Mme Alquier, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe. »
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vous le savez, de nombreuses langues minoritaires régionales sont aujourd'hui en péril dans notre pays. Nous constatons malheureusement une baisse considérable du nombre de locuteurs de ces langues, que ce soit l'occitan, le basque, le breton, l'alsacien et bien d'autres.
Il s'agit d'un problème très important, mes chers collègues. D'ailleurs, le 2 février 2003, le Président de la République de l'époque, Jacques Chirac, avait évoqué l'importance d'une mobilisation pour enrayer la disparition des langues dans le monde, lors des Rencontres internationales des organisations professionnelles de la culture.
D'après les chiffres qui avaient été évoqués, la moitié des langues auraient disparu dans un demi-siècle, ce qui était jugé comme une perte incommensurable. Face à la montée en puissance de la langue anglaise, en Asie et partout dans le monde, d'ici à quelques décennies, j'imagine que c'est sur le sort du français que nous devrons nous pencher.
C'est au regard de ce constat qu'un certain nombre d'entre nous ont manifesté, depuis quelques années, la volonté de préserver ce patrimoine. Si nous voulons consolider les dispositifs éducatifs de transmission et donner un signe de la détermination de la puissance publique en ce sens, la signature de la Charte européenne des langues régionales peut se révéler particulièrement probante et incitative.
C'est dans cet esprit que cet amendement a été proposé. La référence que nous devons avoir à l'esprit, c'est la signature par la France, en mai 1999, des articles de cette charte déclarés conformes à la Constitution, comme le gouvernement Jospin l'avait, à l'époque, proposé.
Nous pensons qu'une mise à jour de la Constitution permettrait aujourd'hui de remédier à cet état de fait et constituerait une bonne solution.
L'amendement que nous défendons vise donc à compléter l'article 53 de la Constitution par les mots : « Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe ».
Il ne s'agit pas d'une remise en cause de notre langue nationale, cela va de soi. Cet amendement ne peut en aucun cas constituer une menace pour la langue française. Nous avons d'ailleurs souhaité que soit réaffirmé, au travers de cet amendement, notre attachement à l'unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale.
Je tiens également à rappeler que, au moment de la signature de la Charte, d'autres précautions avaient été prises dans ce sens par Lionel Jospin, alors Premier ministre, au nom de notre pays. La déclaration de la France précisait ainsi que la Charte serait ratifiée « dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l'emploi du terme de ?groupes? de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires ».
Mes chers collègues, ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la reconnaissance officielle de notre diversité culturelle et linguistique. Cette question est traitée à l'échelle de l'Europe de manière régulière depuis une quinzaine d'années, et les avancées pour la reconnaissance de la pluralité culturelle au sein des États européens sont avant tout vécues comme des avancées démocratiques. Pourquoi cela ne serait-il pas le cas en France ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Parce que c'est nous !
M. François Marc. La démarche qui est la nôtre depuis maintenant six ans est légitimée par le péril constaté, et il importe que des garanties puissent être apportées par la signature de cette charte. C'est la raison pour laquelle, depuis six ans, à chacune des modifications constitutionnelles, nous avons proposé que la France s'engage dans cette voie.
À chaque fois, on nous a répondu que ce n'était pas le moment, qu'il ne fallait pas inscrire cette disposition dans le texte, que le Gouvernement allait prendre des initiatives. Rien n'ayant été fait depuis, nous renouvelons notre démarche.
À notre sens, la reconnaissance de ces héritages culturels et linguistiques doit s'accompagner de la réfutation de toute forme de communautarisme. Je pense, d'ailleurs, que cette reconnaissance a vocation à constituer un véritable rempart contre toute dérive de cette sorte. Celle-ci intervient, en effet, comme un remède à l'humiliation qui est encore très fortement ressentie par certains et qui pourrait favoriser un repli communautaire contre lequel nous luttons.
Il est donc temps que le Parlement puisse enfin traiter sereinement de cette question et reconnaisse l'existence de véritables droits culturels. À travers l'amendement que nous défendons, il peut le faire dans le respect des principes républicains fondamentaux et de notre unité nationale.
M. Charles Josselin. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le dire en breton !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement n'est pas une nouveauté pour nous, puisqu'il est déposé à l'occasion de chaque révision constitutionnelle. À chaque fois, nous sommes obligés d'utiliser les mêmes arguments pour dire que nous ne pouvons pas, en l'état actuel, ratifier la proposition qui nous est faite.
En effet, dans sa décision du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe, le Conseil constitutionnel a conclu à l'incompatibilité de la Charte avec la Constitution, tout en indiquant qu'aucun des trente-neuf engagements que la France avait prévu de souscrire n'était contraire à notre texte fondamental.
Cette décision n'empêche donc pas de reconnaître aux langues régionales leur place dans le patrimoine culturel national, dans le cadre des principes constitutionnels. Ainsi, un peu plus de 250 000 élèves de l'enseignement secondaire suivent-ils actuellement des cours de langues régionales. Par ailleurs, une place accrue a été faite à ces langues dans l'enseignement supérieur comme dans le service public de l'audiovisuel.
En revanche, la ratification de la Charte remettrait en cause certains principes fondamentaux. Le Conseil constitutionnel a ainsi relevé : d'une part, qu'en conférant des droits spécifiques à des «groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires », à l'intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, la Charte portait atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ;...
M. Jean-Luc Mélenchon. Excellent !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ...d'autre part, que ses dispositions étaient également contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, dans la mesure où elles tendaient à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français, non seulement dans la vie privée, mais également dans la vie publique, à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives ainsi que les services publics.
Un tel choix mérite, par conséquent, un examen plus important. Le projet de loi a uniquement pour objet de permettre la ratification du traité de Lisbonne. N'ouvrons pas ici un débat qui doit être approfondi. Nous pourrons peut-être revoir cette question lorsque nous étudierons la révision constitutionnelle globale, au printemps prochain.
En attendant, la commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet d'autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui a été signée le 7 mai 1999. Or, tel n'est pas l'objet de la révision constitutionnelle ni celui du texte que nous vous présentons aujourd'hui, qui est de permettre de relancer l'Europe.
Le Gouvernement n'entend pas, pour l'instant, rouvrir le débat sur les langues régionales. Nous aurons l'occasion d'examiner à nouveau cette question lors de la révision constitutionnelle qui suivra les travaux du comité présidé par Édouard Balladur. Le Premier ministre s'y est d'ailleurs engagé à l'occasion de la présentation du même amendement à l'Assemblée nationale.
Je veux néanmoins dire que notre droit ne fait pas obstacle à la reconnaissance des langues régionales, puisque l'État prend en charge l'enseignement de ces langues au sein des établissements scolaires, notamment, et dans l'enseignement supérieur. Aller au-delà, ce serait reconnaître un droit à l'utilisation d'une langue régionale pour accomplir des actes administratifs, pour se défendre devant une juridiction, ce qui poserait de vraies questions.
Vous savez que ce sujet n'est pas consensuel et il ne doit pas compromettre la relance de l'Europe. C'est pourquoi, en contrepartie du débat que nous aurons au moment de la révision constitutionnelle, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, François Marc a eu raison d'insister : on ne cesse de nous dire que ce n'est pas le moment, que nous en discuterons plus tard... Bref, ce n'est jamais le moment d'adopter des dispositions qui permettraient enfin à la République française de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe !
Aujourd'hui, l'occasion nous est donnée d'avancer enfin et de lever l'obstacle constitutionnel ; je vous demande de la saisir. Je rappelle que le Président de la République nous a invités à nous enrichir de notre diversité, à la reconnaître et à la favoriser. Les langues régionales sont, convenons-en, l'un des éléments de cette diversité. N'oublions pas qu'elles font partie de notre culture, de notre histoire, de notre patrimoine et que, faute de reconnaissance officielle, elles sont peu à peu menacées.
Alors, madame la présidente, en cette année proclamée par l'ONU « année internationale des langues », il serait bon que nous tous, ici, mettions enfin en accord les discours et les actes.
M. Nicolas Alfonsi. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Madame le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois qu'autour de cette affaire des langues, il y a un très gros malentendu.
M. Charles Gautier. C'est possible ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Il y a un très gros malentendu dans la mesure où, si on veut ratifier la Charte des langues régionales dont nos collègues ont parlé à l'instant, il n'y a aucun inconvénient à le faire et il n'est nul besoin de modifier la Constitution pour cela, dès lors qu'on ne ratifie pas celles des dispositions rappelées par M. Gélard tout à l'heure, qui ont été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999, n'a déclaré contraires à la Constitution qu'une partie du préambule de la Charte, l'article 1 a partie 5, l'article 1 b et l'article 7 paragraphes 1 et 4.
Et il a déclaré que les autres dispositions n'étaient pas contraires en ajoutant d'ailleurs qu'elles se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales.
Ce sont donc ces seuls articles qui font problème et ils font problème parce que le Conseil constitutionnel a dit qu'ils portaient atteinte, comme M. Gélard l'a rappelé, aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français.
Or, mes chers collègues, et je fais appel à la science juridique du doyen Gélard, alors que, conformément à l'article 54 de la Constitution, lorsque le Conseil constitutionnel déclare qu'un traité n'est pas conforme, nous ne pouvons autoriser sa ratification ou son approbation qu'après révision de la Constitution ; alors que, depuis 1958, dans toutes ses décisions concernant des traités et accords internationaux, le Conseil constitutionnel a toujours indiqué qu'un traité non conforme ne pouvait être ratifié qu'après révision de la Constitution - c'est la traduction littérale de l'article 54 dans le dispositif de l'article 1er des décisions du Conseil constitutionnel sur les traités contraires- cette fois-ci en revanche le Conseil a dit, pour la première et unique fois à ma connaissance : la Charte européenne comporte des clauses contraires à la Constitution. Et il n'a pas ajouté comme d'habitude : « il faut préalablement réviser la Constitution ». Pour une raison très simple : quand on touche à l'indivisibilité de la République, à l'égalité devant la loi et au principe d'unicité du peuple français, on touche à la République dont la forme ne peut faire l'objet d'aucune révision.
M. Roger Romani. Très bien !
M. Michel Charasse. Par conséquent, comme je ne pense pas que mes amis socialistes, que je connais et que j'aime bien à tous égards, aient l'intention de remettre en cause la République, rien n'interdit à certains d'entre nous, ou même à la commission des lois, de prendre une initiative autorisant la ratification de la charte, parce qu'une proposition de loi peut le faire, en celles de ces dispositions qui n'ont pas été déclarées contraires par le Conseil constitutionnel et qui ne concernent pas les trois séries de dispositions non révisables de la Constitution.
M. Charles Josselin. Très bien !
M. Michel Charasse. Au lieu d'écrire, chers amis, « Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier », si vous aviez écrit « peut ratifier celles des dispositions de la Charte qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 », il n'y aurait pas de problème.
M. Ivan Renar. Déposez un sous-amendement !
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, je pense qu'il faut que la commission des lois nous aide à sortir de cet imbroglio pour qu'on ne se retrouve pas régulièrement avec ce débat récurrent qui fait que nos collègues qui sont légitimement attachés aux langues régionales ont l'impression qu'on ne veut rien faire alors qu'on a les moyens de faire. Il faut qu'on trouve la solution pour nous permettre de passer à travers les gouttes en préservant la République dans ses fondements institutionnels les plus précieux, les plus anciens, tout en avançant dans le domaine qui intéresse nos collègues en ce qui concerne les langues régionales.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.
M. Jacques Muller. Bonsoir à tous, salü binander !
Les langues et cultures régionales sont celles que l'on qualifie de langues minoritaires, mais elles font partie du patrimoine vivant de la France et de l'Europe.
Loin de faire concurrence à la langue française, de porter atteinte à notre identité, l'alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole, ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Lequel ?
M. Jacques Muller. ... le flamand et les autres langues régionales complètent, renforcent et enrichissent cette identité. En ce domaine, force est de reconnaître que notre pays s'est construit au long des siècles à travers la négation, voire la répression de ces langues et de ces cultures ainsi que de ceux qui les pratiquaient ; négation, répression fondées sur un universalisme resté abstrait et un jacobinisme dogmatique.
M. Jacques Muller. Heureusement, dans de nombreuses régions, des actions se multiplient, des initiatives se créent afin de favoriser et de développer l'usage des langues régionales.
Loin d'être reconnues comme l'expression d'un repli identitaire, contrairement à ce que certains affirment de manière péremptoire, nos langues régionales sont en réalité un vecteur d'enracinement et de cohésion sociale. L'identité nationale n'est pas une réalité univoque et homogène, un monolithe. Elle est au contraire une réalité multiple, complexe et vivante. La France reste cependant l'un des rares pays de l'Union européenne, avec l'Italie, à ne pas avoir ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le 7 mai 1999.
Lors des débats à l'Assemblée nationale, le 15 janvier 2008, Mme la garde des sceaux s'est engagée à ce qu'un débat parlementaire ait lieu sur « la délicate question des langues régionales ». Cette question reste délicate, mais pour qui et pourquoi ?
En janvier 2005, le Gouvernement avait déjà pris un tel engagement, mais nous n'avons toujours rien vu venir. Or il est indispensable que l'on cesse de reporter en permanence le débat sur ce sujet et que le Gouvernement prenne ses responsabilités.
Même si le Conseil constitutionnel a considéré, le 15 juin 1999, que la Charte européenne comportait des clauses contraires à la Constitution, cet obstacle peut être levé. Je propose donc que nous sous-amendions l'amendement n° 5 rectifié bis afin d'intégrer les remarques constructives de notre collègue Michel Charasse.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n'est pas possible !
M. Jacques Muller. Il ne faut plus attendre, car on a perdu assez de temps, mer an jetzt z'viel zit verlora. Allons-y !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. J'interviens pour préciser que je ne voterai pas cet amendement et pour dissiper un malentendu.
Être hostile à la Charte ne signifie pas être opposé à la pratique des langues régionales. Qu'il soit dit pour l'honneur de notre patrie républicaine qu'il n'est interdit à personne en France de s'exprimer dans la langue de son choix aussi bien en famille qu'en public.
M. André Trillard. Sauf ici !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il n'est également interdit à personne de jouer la musique de son choix, de créer des festivals régionaux et de pratiquer librement ce qui lui semble conforme à ce qu'il croit et à ce qu'il chérit. Il faut le rappeler : personne n'est réprimé en France pour cette raison !
Si la dispute porte sur l'application de l'ensemble de la Charte, comme le prévoit cet amendement, alors nous butons sur une difficulté constitutionnelle. J'ajoute que cette difficulté est non pas de la technique juridique, mais de nature philosophique.
M. Roger Romani. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour des raisons philosophiques, les Français sont en effet fondamentalement opposés à ce que des groupes de locuteurs aient des droits particuliers. Ce ne sont pas des « jacobins dogmatiques », mais tout simplement des républicains !
Qu'est-ce que la France ? La France n'est pas décrite par une définition essentialiste ni par la conjugaison des diversités qui la composent. La France est la communauté légale une et indivisible qui fait que, entre la loi et la personne, il n'y a pas d'intermédiaire.
Nous sommes tous partis prenantes de la définition de la loi : elle s'applique à tous, car décidée par tous. Quiconque intercale une communauté crée des droits particuliers pour ses membres et rompt l'unité et l'indivisibilité constitutionnelles de la République. De ces droits particuliers, nous ne voulons pas ! Nos collègues doivent entendre ce raisonnement et non pas mépriser ceux qui l'expriment en les réduisant à je ne sais quel rôle d'oppresseur.
Je tiens à mettre en avant deux arguments.
Tout d'abord, s'il s'agit de n'appliquer que les dispositions qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution, il faut savoir qu'un grand nombre d'entre elles ont été mises en oeuvre avant même l'adoption de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon. Par exemple, c'est l'État républicain qui finance les postes pour l'enseignement de ces langues dans les régions où elles se pratiquent.
M. Roger Romani. Hélas !
M. Jean-Luc Mélenchon. On peut toujours considérer que l'on n'en fait pas assez, mais c'est un autre débat. En tout cas, cela prouve que ces mesures existent déjà.
Ensuite, on aborde souvent le sujet des langues régionales sans vraiment définir ces dernières. Heureusement, sinon on s'exposerait à des difficultés considérables !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon. J'attends que l'on me dise quel créole on compte enseigner sachant qu'il en existe sept ou huit différents...
Quant à la langue bretonne - en fait, il y en a cinq, et toutes respectables -, admirable en bien des points, nous ne saurions la confondre avec le manuel qui concentre son apprentissage, car je ne pense pas que quelqu'un ici ait l'intention d'en défendre son auteur, qui fut condamné à mort par contumace pour fait de collaboration, dont notamment la production de cette « langue » avec un financement de l'occupant nazi. Cessons également de ne voir que des Bretons bretonnant alors qu'un grand nombre d'entre eux n'ont pas d'attache particulière avec cette bataille et se sentent suffisamment Français tout en étant Bretons.
Cette difficulté n'est pas la seule.
L'ancien ministre délégué à la formation professionnelle auprès du ministère de l'éducation nationale que je suis ajoutera ceci : ces langues doivent en outre répondre à la modernité, ce qui n'est pas toujours le cas. Car s'il s'agit seulement de dire allumetti pour allumette ou fusei pour fusée, leurs locuteurs sont mal partis dans l'ère moderne ! Dans le vocabulaire technique, ces transpositions n'existent pas. C'est donc par un artifice que l'on fait comme si tout était réglé en exigeant, sans autres précisions, l'application de la Charte des langues.
Moi, je donne mon opinion, et je ne méprise par celle des autres. Je ne traite pas de communautaristes mes amis qui, eux, me traitent de jacobin intransigeant. Certes, Jacobin, je le suis, et intransigeant est un pléonasme. (Rires sur les travées de l'UMP.)
À vouloir créer l'obligation de témoigner en langue régionale, de disposer d'un traducteur dans un tribunal, de traduire tous les formulaires administratifs en différentes langues régionales, comme le prévoit la Charte, je crains que l'on ne crée une difficulté absolument inextricable, sans compter que je ne vois pas en quoi cela serait un rempart au communautarisme. Ce serait le contraire !
Je vous en prie, ne confondons pas la République française, libre, une et indivisible avec ces pays où l'on réprime les locuteurs qui ne parlent pas la langue officielle.
Le français est une langue de liberté qui a été instituée par les rois. À partir du moment où elle a été enseignée, ceux qui vivaient dans tel ou tel recoin du pays pouvaient se déplacer et être compris partout. Ils pouvaient ainsi échapper à la mainmise de ceux qui les auraient dominés uniquement parce qu'ils n'étaient pas capables de s'exprimer dans la langue des autres.
La langue française n'a rien à craindre de la concurrence. C'est la langue de la liberté et ce n'est pas du tout son problème. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Mes chers collègues, je suis perplexe. Pour ma part, je parlais corse, ma langue maternelle, avant de connaître l'imparfait du subjonctif, que je maîtrise d'ailleurs difficilement. (Sourires.)
Les arguments qui viennent d'être avancés par Michel Charasse, s'ils me conduisent sans doute à adopter la position qu'il suggère, ne m'interdisent pas de demander aux auteurs de l'amendement comment ils comptent concilier le respect du premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français, avec la multitude de dispositions de la Charte, qui sont complexes et dont beaucoup, M. Mélenchon l'a rappelé, sont déjà appliquées.
Je me trouve donc face à une contradiction. Si je devais laisser parler mon coeur, je voterai des deux mains la ratification de la Charte. Mais, dans le même temps, je m'interroge sur les difficultés que cette ratification pourrait provoquer dans certaines régions.
Quand on lit l'article 9 relatif à la justice, on comprend les raisons qui ont poussé le Conseil constitutionnel à adopter sa décision. Car on imagine aisément les difficultés qui surgiraient devant des tribunaux si on exigeait des documents en langue régionale.
M. Charles Gautier. Il y a des interprètes !
M. Nicolas Alfonsi. C'est vrai, mais on invoquera des affidavits, comme s'il s'agissait de traduire une langue étrangère telle l'anglais ou le russe.
Il y a, notamment, dans l'article « Justice » et dans l'article « Autorités administratives et services publics » toute une série de dispositions qui apparaissent clairement en contradiction avec l'article 2. On ne voit pas, en effet, dans quel domaine la langue française pourrait, en vertu de l'article 2, s'appliquer, sinon a priori, dans la vie administrative et judiciaire, d'où ma perplexité.
Il me semble, finalement, que la solution viendrait peut-être d'une initiative législative qui consisterait à extraire des quarante, cinquante ou soixante points extrêmement complexes qui sont contenus dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires la partie qui pourrait nous intéresser, nous permettant ainsi de trouver un accord général.
En tout état de cause, il me semble que les auteurs de l'amendement nous rendraient un grand service en le retirant.
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. On peut dire beaucoup sur l'histoire de France et sur l'histoire des langues dans notre pays.
Un sénateur socialiste. Des contrevérités !
M. François Marc. Certes, et on en a encore entendu un certain nombre ce soir !
La réalité du débat, aujourd'hui, est que les langues régionales ou minoritaires sont en train de disparaître dans notre pays.
J'ai indiqué, tout à l'heure, que les prévisions faites par l'UNESCO et par un certain nombre d'organisations internationales laissaient apparaître que la moitié des langues allaient disparaître dans le monde au cours des trente prochaines années. Nous sommes pris dans cette spirale, et c'est à cela que les auteurs de l'amendement font référence.
Dans nos régions, aujourd'hui, il y a au plus - j'insiste sur ce point à l'intention de certains de mes collègues qui viennent d'intervenir - 2 % des enfants qui apprennent à devenir des locuteurs réguliers de la langue régionale.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n'est pas vrai en Corse !
M. François Marc. Dire que l'unité de la République serait en danger parce que 2 % des enfants apprendraient une langue régionale de manière à préserver un patrimoine linguistique, c'est aller un peu loin !
En outre, la déclaration de la France - sous le gouvernement Jospin, auquel appartenaient certains de nos collègues ici présents - qui précisait que l'on pouvait ratifier la Charte, prenait, bien entendu, des précautions. Il était indiqué qu'il s'agissait non de viser à la reconnaissance ou à la protection de minorités, mais simplement de promouvoir un patrimoine linguistique.
Par conséquent, on peut raisonnablement penser que l'adoption de cette charte renforcera la consolidation des dispositifs de préservation de nos langues régionales.
C'est dans cet esprit que nous souhaitions, aujourd'hui, que la Haute Assemblée puisse faire avancer les choses. J'ai bien compris, madame la ministre, que vous vous engagiez à organiser dans les prochains mois un débat sur cette question, qui nous paraît essentielle, mais j'aimerais que vous nous le confirmiez de nouveau. Un débat approfondi sur ce sujet serait préférable au dépôt en séance d'un amendement qui demande, sans doute, à être réexaminé.
Si cette proposition était confirmée et suivie d'effets, ce serait une bonne solution pour essayer véritablement d'avancer. Car nous avons trop attendu. Cela fait six ans que nous recevons ce type de réponse : ce n'est pas le moment, c'est trop tôt, on verra plus tard. !
En tout état de cause, votre engagement nous conforterait dans l'idée que nous pourrons peut-être, dans les mois à venir, aboutir à une solution acceptable pour tous. Si vous acceptez, madame la ministre, de le confirmer, je suis prêt à retirer cet amendement.
Plusieurs sénateurs socialistes. Non !
Mme la présidente. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je confirme les propos que j'ai tenus en réponse à la présentation de cet amendement : un débat sera organisé lors de la révision constitutionnelle issue des travaux du comité présidé par M. Balladur.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Richert, pour explication de vote.
M. Philippe Richert. À la suite de l'intervention de notre collègue M. Muller, je veux dire que je suis un fervent défenseur de nos langues régionales - chez nous, nous l'appelons « le dialecte » et cela ne nous pose pas de problème de l'appeler ainsi !
Comme M. Alfonsi, je parlais le dialecte, alsacien pour moi, avant d'apprendre le français. Mes trois enfants ont suivi la même voie. Avant d'être une affaire du pays, apprendre une langue régionale ou minoritaire est d'abord une affaire familiale. À cet égard, nombre de ceux qui donnent des leçons n'ont jamais appris à leurs enfants à parler le dialecte ou la langue régionale !
Au point où nous en sommes, ma préoccupation, aujourd'hui, est de faire en sorte que nous puissions, demain, aller plus loin sur l'Europe grâce ce texte. Je suis un fervent partisan du traité de Lisbonne et je ne voudrais pas que l'on « pollue » le débat.
Certes, je le répète, je suis également un fervent partisan des langues régionales. Ma collectivité, le conseil général du Bas-Rhin, est très engagée, avec le Haut-Rhin et avec la région Alsace, pour promouvoir l'apprentissage de cette langue régionale, y compris dans sa forme écrite qui est l'allemand. Néanmoins, un tel débat n'a pas nécessairement sa place ce soir.
Je souhaite, en ce qui me concerne, que, au-delà du ministère de la justice, on associe à cette réflexion à venir le ministère de l'éducation nationale ; j'ai eu l'occasion d'en parler avec Xavier Darcos récemment.
Quoi qu'il en soit, ce sujet mérite une vraie discussion et il serait préférable, ce soir, d'en rester à ce qui est le coeur de notre débat. C'est pourquoi je suis davantage enclin à voter ce soir en faveur de ce qui nous a été proposé initialement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. Monsieur Marc, l'amendement n° 5 rectifié bis est-il maintenu ?
M. François Marc. Le groupe des signataires souhaite qu'il le soit.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié bis.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 75 :
Nombre de votants | 259 |
Nombre de suffrages exprimés | 251 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 126 |
Pour l'adoption | 29 |
Contre | 222 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 1er
Le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :
« Elle peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007. »
Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 6, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Pour mémoire, je rappelle qu'en 2005 le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution comportait un article 1er complétant l'article 88-1 de la Constitution par un second alinéa prévoyant que la République « peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004 ».
On nous avait dit, à l'époque, que la généralité de cette formule avait pour but de lever l'ensemble des obstacles juridiques à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Il nous avait également été précisé que, lorsque ce traité constitutionnel entrerait en vigueur, l'article 3 de la loi du 1er mars 2005 ayant prévu une réécriture complète du titre XV de la Constitution, les dispositions de cet article s'appliqueraient.
À ce moment-là, la possibilité que le peuple français se prononce contre la Constitution européenne n'avait pas été envisagée une seule seconde ! Tout avait été validé par avance par le Gouvernement !
Pourtant - faut-il le rappeler ? -, le peuple français, par le référendum du 29 mai 2005, a clairement et massivement exprimé son refus de voir entrer en vigueur un traité établissant une constitution pour l'Europe.
Après la victoire du « non » au référendum, qu'est-il advenu de l'article 1er du projet de loi constitutionnelle de 2005 ? Eh bien, comme nous l'avions prévu, il est resté inscrit dans la Constitution française, devenant lettre morte.
Oui, cet article est resté inscrit dans notre Constitution et nous voici aujourd'hui réunis pour adopter un nouveau projet de révision constitutionnelle dont l'article 1er prévoit de remplacer les dispositions du second alinéa de l'article 88-1.
Que signifie cette procédure, qui aurait pu être évitée par la notification expresse de l'inapplicabilité de l'article 1er en cas de rejet de la ratification Ne s'agissait-il pas, sous couvert de cohérence juridique, de valider par avance une disposition non acceptée par le peuple et, par conséquent, de passer outre la souveraineté nationale ?
À l'heure où nous sommes réunis pour nous prononcer sur un nouveau projet de loi constitutionnelle, il est bien regrettable de constater que le même schéma a été retenu : l'article 1er du projet de loi, qui modifie le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution, reprend en effet la même méthode qu'en 2005 en prévoyant que la République « peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne [...] signé le 13 décembre 2007 ».
Il s'agit ici, comme en 2005, de faire valider par avance le traité de Lisbonne. Cette fois-ci, aucun risque n'a été pris. Le Président de la République a décidé de contourner le peuple et d'instrumentaliser une nouvelle fois le Parlement. C'est tout simplement inacceptable !
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de supprimer l'article 1er.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
I. Rédiger comme suit le début du texte proposé par cet article pour le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : « Sous les réserves d'interprétation résultant des décisions du Conseil constitutionnel n° 2004-505 DC et n° 2007-560 DC des 19 novembre 2004 et 20 décembre 2007, elle peut...II. Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout acte européen qui méconnaît les décisions précitées du Conseil constitutionnel est nul et de nul effet à l'égard de la France. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Madame le président, la présentation de l'amendement n° 3 vaudra également pour l'amendement n° 4, puisqu'ils ont le même objet et le même dispositif qui concernent les articles 1er et 2 du projet de loi constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel, les 19 novembre 2004 sur le précédent traité repoussé par le peuple et le 20 décembre dernier sur le traité de Lisbonne, a estimé que, dans la mesure où le traité sera loyalement et strictement appliqué conformément à son texte même, éclairé notamment par les explications du présidium de la Convention de 2004, les principes de la République française ne seront pas remis en cause et ne sont pas susceptibles de l'être.
Les dispositions, pour prendre quelques exemples, qui reconnaissent le communautarisme à travers les minorités et les églises - je parle notamment de la charte des droits - et qui suppriment toute limite et condition à la pratique des cultes, ne peuvent comporter, selon le Conseil constitutionnel, aucune incidence pour la République française laïque et indivisible.
Le Conseil, sur ce point, n'a donc pas recommandé de révision : au demeurant, une révision aurait été impossible, puisqu'il s'agit de l'essence même de la République et que l'article 89 de la Constitution interdit de réviser la République.
Malgré les réserves exprimées par le Conseil constitutionnel et les conclusions qu'il en tire, qui sont plutôt rassurantes, la République n'est, hélas ! pourtant pas à l'abri de toute atteinte. Si l'on peut raisonnablement penser que les responsables européens qui siègent dans les institutions de l'Union européenne respecteront les principes de la République française, personne ne peut dire ce que feront les juges de Luxembourg ou ceux de Strasbourg compétents en ce qui concerne la Convention européenne des droits de l'homme. On les connaît peu ou pas attachés à la République française exception en Europe, et on peut dire qu'ils y sont même plutôt franchement opposés ; ils ne sont pas toujours très laïques, tant s'en faut, ils sont souvent communautaristes, bref, j'en passe et des meilleures !
Il est donc tout à fait nécessaire, pour éviter de se trouver un jour dans une situation qui constituerait un « vice de consentement » puisque nous aurions approuvé naïvement une révision constitutionnelle, puis un traité - la semaine prochaine - censé être conforme à la Constitution - et une juridiction européenne dirait plus tard subitement le contraire - et pour ne pas avoir à appliquer des règles non approuvées par le peuple français ou ses représentants, de préciser que, en ce qui la concerne, la France ne peut participer à l'Union européenne et adhérer au nouveau traité que dans les conditions et limites posées par les décisions du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 et du 20 décembre 2007.
C'est ce qu'on appelle une réserve d'interprétation. Je propose d'inscrire cette réserve d'interprétation dans la Constitution et de préciser que le traité s'applique sous toutes les réserves émises par le Conseil constitutionnel et dans le cadre strict de la présente révision que ne porte aucune atteinte à la République.
Je signale au passage à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes qu'il y a peu de temps le président du groupe libéral du Parlement européen, qui est un Anglais, a de nouveau dit que, une fois le traité voté, la laïcité en France et la loi sur le voile disparaîtraient puisqu'elles ne seraient plus conformes au traité. C'est vous dire dans quel état d'esprit se trouvent ceux qui rêvent de « tordre le cou » à ce qui fait l'originalité de République à la française.
Donc, cette réserve d'interprétation, je propose de l'ajouter à la Constitution, pour que nous soyons garantis de tous côtés contre quelque raid que ce soit contre la République.
J'avais fait exactement la même proposition lorsque nous avons examiné le traité de 2005, finalement repoussé par le peuple français. À l'époque, monsieur le secrétaire d'État, votre prédécesseur m'avait dit : « La France visera la décision du Conseil Constitutionnel, le moment venu, dans le projet de ratification ». Je crois que c'était M. Barnier et l'on peut évidemment retrouver ses déclarations au Journal officiel.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai, je m'en souviens !
M. Michel Charasse. Je suis prêt à ne pas insister ce soir sur ces deux amendements, puisque je les reprendrai la semaine prochaine sur le traité lui-même. Mais si le Gouvernement voulait bien nous donner l'assurance que les réserves d'interprétation nécessaires seront bien présentées par la France, nous serions complètement à l'abri et rassurés.
J'ajoute que ce n'est pas un précédent puisqu'en 1977 - nos collègues gaullistes s'en rappellent certainement - lorsqu'il a fallu ratifier le traité européen sur l'élection du Parlement au suffrage direct, la majorité de l'époque, à l'Assemblée nationale et au Sénat, avait suivi. Les parlementaires ont alors, dans la loi de ratification, précisé clairement que le Parlement européen n'appartenait pas à l'ordre institutionnel français et ils ont complété sur ce point, pour la première fois, l'article habituel et bref autorisant la ratification d'un traité, et ajouté un article 2 qui encadre strictement la portée de l'engagement souscrit par la France. Ces dispositions figurent d'ailleurs intégralement dans « Pouvoirs publics », qui est à notre disposition sous le bureau du président de séance.
Voilà les raisons qui motivent ces deux amendements. Il est indispensable et essentiel que la France présente les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel et dise très clairement que tout acte européen qui méconnaît les décisions précitées du Conseil est nul et de nul effet à l'égard de la France, pour que nous n'ayons pas, demain, une mauvaise surprise, non pas sans doute à cause du Parlement, non pas sans doute à cause de la Commission, non pas sans doute à cause du Conseil des ministres ou du Conseil européen, mais vraisemblablement en raison d'une jurisprudence émanant de juges étrangers qui n'ont pas - c'est le moins qu'on puisse dire - la même fibre républicaine que le peuple. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. L'Union européenne voudrait, semble-t-il, définir progressivement une politique de sécurité et de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune. Cela est notamment énoncé dans le préambule du traité sur l'Union ainsi que dans l'article 24.1 du traité de l'Union européenne.
Mais, pour définir une politique de sécurité et de défense commune digne de ce nom, il serait grand temps de lever toute ambiguïté concernant la position de l'Union européenne vis-à-vis de l'OTAN.
En effet, si l'Europe veut réellement se doter d'une politique de défense commune, elle doit, une fois pour toutes, s'affirmer sans référence à l'OTAN, se défaire de son statut subordonné au sein de l'OTAN.
Or, le traité de Lisbonne, comme les précédents, par des formules alambiquées, s'efforce de dire une chose et son contraire, de mettre en avant la défense européenne tout en proclamant la nécessaire compatibilité avec l'OTAN.
C'est ce qui ressort clairement du premier paragraphe de l'article 24 et du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne.
Le premier paragraphe de l'article 24 dispose : « La compétence de l'Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ».
Au contraire, le deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 prévoit que « La politique de l'Union (...) respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres, qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'OTAN, et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ».
L'ambiguïté demeure donc !
Pis, sans savoir quelle sera la politique de l'OTAN dans l'avenir, on s'engage les yeux fermés à ne jamais avoir de politique en rupture avec elle.
Les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne, qui subordonnent la politique de sécurité et de défense commune à l'OTAN, contreviennent au principe affirmé à l'article 3 de la Constitution française selon lequel : «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
En effet, l'affirmation d'une allégeance à l'OTAN sans consulter le peuple ou ses représentants est contraire à l'article 3 de la Constitution française.
Enfin, à la lecture de telles dispositions, qui figuraient déjà dans le traité établissant une constitution pour l'Europe et qui avaient suscité de vives critiques en 2005, on ne peut que déplorer le manque d'ambition d'une autonomie politique de l'Europe et son attachement à son statut subordonné au sein de l'OTAN sous commandement américain.
Aux termes de ces explications, je vous invite à voter cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 10, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne prévoient que « Les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. »
Il est également écrit : « L'Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement - l'Agence européenne de défense - identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires. »
Ces dispositions sont très claires : il s'agit de demander toujours plus de mobilisation, toujours plus d'argent pour la fabrication des armes.
Il est inquiétant de constater que le seul domaine où le traité de Lisbonne, comme le traité établissant une Constitution pour l'Europe, encourage les États à augmenter leurs dépenses publiques est le budget militaire. C'est le seul secteur. Il n'y a aucune perspective de convergence vers le haut des systèmes de protection sociale, mais la militarisation croissante de l'Union européenne est bel et bien prévue.
Il est donc affligeant de constater que l'Europe a choisi de se laisser entraîner par les États-Unis dans la spirale infernale de l'augmentation des capacités militaires. L'Union européenne, pour peser sur la scène internationale, aurait pu faire le choix de privilégier les autres dimensions que recouvre la notion de sécurité telles que la coopération ou le développement, ou encore la préservation de l'environnement.
Mais, malheureusement, au sein de l'Union européenne aussi, l'après-11 septembre 2001 et l'instauration d'un nouvel ordre mondial répressif sur fond de discours va-t-en-guerre ont entraîné une formidable relance des initiatives sur les capacités militaires.
Nous considérons que cette orientation prévue au deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne porte atteinte à la liberté de choix et à l'indépendance d'action du pays dans un assujettissement organisé à la politique des États-Unis. C'est un chemin dangereux que les dirigeants européens et votre gouvernement veulent faire prendre à notre pays et à l'Europe dans son ensemble.
Les dispositions de cet article, qui poussent à la course aux armements, contreviennent à l'alinéa 15 du préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 selon lequel « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix. »
Nous considérons que la France et ses partenaires européens ont besoin de définir ensemble les cadres et les politiques indispensables pour le progrès de la sécurité internationale, pour s'engager dans la voie du désarmement, pour contribuer à la résolution négociée des conflits dans le respect des principes et des objectifs de la Charte des Nations unies, dans le rejet des politiques de puissance et le respect du multilatéralisme.
Or les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne sont contraires à l'objectif de défense de la paix et à son corollaire, l'engagement vers la voie du réarmement. C'est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, de voter cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions du paragraphe 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Cet amendement porte sur le recours aux « clauses passerelles ». Les dispositions du paragraphe 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne prévoient le recours à ces clauses.
Une « clause passerelle » permet, si le Conseil européen le décide à l'unanimité et après l'approbation d'une majorité des membres du Parlement européen, d'adopter une décision autorisant le Conseil des ministres à statuer à la majorité qualifiée dans un domaine qui nécessitait jusqu'alors l'unanimité et/ou à statuer selon la procédure législative ordinaire dans un domaine jusqu'alors soumis à une procédure législative spéciale.
Il est dit que ces « dispositions passerelles » concourent à la simplification du fonctionnement de l'Union européenne en permettant de dépasser les risques de blocage liés à l'unanimité et que l'opposition à cette procédure est permise, le cas échéant, par le pouvoir accordé aux parlements nationaux. Mais, à y regarder de plus près, on remarque que le recours aux « clauses passerelles » ne confère pas un véritable pouvoir d'opposition aux parlements nationaux.
L'article 48, paragraphe 7, alinéa 3, du traité sur l'Union européenne prévoit que la décision du recours à une « clause passerelle » est « transmise aux parlements nationaux » et que la décision ne peut être adoptée « en cas d'opposition d'un parlement national, notifiée dans un délai de six mois après cette transmission ».
Le pouvoir reconnu aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée n'est donc qu'un pouvoir d'empêchement relatif et n'est en aucun cas un pouvoir de proposition.
L'opposition ne peut être exprimée que par le parlement national, c'est-à-dire, dans le cas de la France, par une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui donne au Sénat un droit de veto quand la majorité de l'Assemblée nationale n'est pas de la même couleur politique.
En outre, certains articles qui prévoient le recours à une « clause passerelle » n'évoquent pas la transmission aux parlements. Il en est ainsi, par exemple, de l'article 31, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité commune. On peut en conclure que, dans cette matière, la transmission aux parlements n'est pas nécessaire, ce qui relativise d'autant plus leur pouvoir d'opposition.
Or, selon nous, le recours à ces « clauses passerelles » exigerait une consultation des Françaises et des Français, en conformité avec l'article 3 de la Constitution française de 1958.
C'est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à voter cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Lors de notre intervention dans la discussion générale et lors de la défense de l'exception d'irrecevabilité, nous avons défendu l'idée qu'un certain nombre d'articles du traité de Lisbonne n'étaient pas conformes à la Constitution.
Je compléterai ce constat en ajoutant que ce qui a mobilisé les Français dans leur rejet du traité constitutionnel est bien l'inquiétude qu'ils éprouvaient relativement au sort des services publics, inquiétude fondée sur leur expérience en matière de libéralisation des services publics depuis seize ans. Cette question agite d'autres peuples dans d'autres pays.
Il est évident que la conception des services publics que nous continuons de défendre en France, en conformité avec le préambule de la Constitution de 1946, ne saurait être remise en cause par le traité de Lisbonne - ni par les précédents, d'ailleurs ! Mais nous en sommes aujourd'hui aux corrections apportées aux dispositions refusées par notre peuple en 2005 et, puisque d'autres États membres, notamment le Royaume-Uni, appliquent les dispositions des traités « à la carte », nous vous proposons, mes chers collègues, de décider que les dispositions de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui soumettent les services publics aux règles de la concurrence, sont contraires à la conception française du service public et qu'elles ne s'appliquent pas à la France.
Mme la présidente. L'amendement n° 16, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions de l'article 282 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'appliquent dans le respect de l'article 3 de la Constitution.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. L'article 282 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne confirme le principe de l'indépendance de la Banque centrale européenne. Par cet amendement, nous souhaitons souligner que ce principe d'indépendance doit être concilié avec le principe de souveraineté formulé à l'article 3 de la Constitution française de 1958.
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, la participation de la France à l'Union européenne s'effectue dans le respect du principe de laïcité posé à l'article 1er de la Constitution.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Par cet amendement, nous proposons que la participation de la France à l'Union européenne s'effectue dans le respect du principe de laïcité, reconnu par la Constitution de notre pays dans son article 1er.
Le traité de Lisbonne, dès son préambule, diverge de la conception française de la laïcité en se référant explicitement à l'histoire religieuse comme élément fondateur de l'Europe. Cette référence, d'entrée de jeu, n'est pas anodine.
Comment ne pas faire le lien entre cette pétition de principe et le « retour du religieux » annoncé par le Président de la République ? Celui-ci tente d'aligner la France sur des États européens qui accordent aux Églises un rôle officiel de partenaire de l'État, et ce afin, à terme, de remettre en cause la séparation des Églises et de l'État. Le Président de la République propose d'ailleurs de faire entrer les forces religieuses au Conseil économique et social...
M. Michel Charasse. Qui ne sert à rien, heureusement ! Vous imaginez l'archevêque de Paris, le Grand rabbin...
Mme Josiane Mathon-Poinat. M. Sarkozy est très loin du général de Gaulle, qui déclarait en 1958 : « Vous dites que la France est catholique, mais la République est laïque. »
Au nom de la « rupture » et de la modernité, Nicolas Sarkozy a donc réouvert ce débat complexe, aux conséquences potentiellement graves pour l'avenir de notre pays mais aussi pour le maintien du pacte républicain, dont la laïcité est la garantie suprême.
Comment ne pas lire le préambule du traité de Lisbonne en se rappelant les propos tenus par M. Sarkozy à Rome - je les cite bien qu'il me soit quelque peu douloureux de les répéter : « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes. [...] Un homme qui croit, c'est un homme qui espère. Et l'intérêt de la République, c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent. [...] J'appelle de mes voeux l'avènement d'une laïcité positive [...] qui ne considère pas que les religions sont un danger mais plutôt un atout. [...] Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ».
Comment donc ne pas interpréter ces propos, qui me heurtent et heurtent ma liberté de conscience, comme une charge contre la loi de 1905 et contre la laïcité. Dans ce domaine, la « rupture » de M. Sarkozy, c'est la rupture avec le pacte républicain.
À Riyad, le Président de la République allait plus loin encore : « C'est peut-être dans le religieux que ce qu'il y a d'universel dans les civilisations est le plus fort. »
M. Sarkozy citait également André Malraux, en reprenant la formule célèbre selon laquelle le xxie siècle « sera religieux ou ne sera pas ». En prononçant cette phrase, fort connue par ailleurs, il semblait vouloir lui conférer une portée absolue. Pour ma part, je ne pourrai que paraphraser l'ancien ministre de la culture pour dire que la République, au xxie siècle, sera laïque ou ne sera pas !
Cet amendement n'est donc pas conjoncturel, mais exprime une rébellion face aux menaces réelles qui pèsent sur la laïcité.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je traiterai cette première série d'amendements portant sur l'article 1er en même temps que la série d'amendements relatifs à l'article 2, de façon à ne pas me répéter, puisque ce sont les mêmes amendements.
L'amendement n° 6 est un amendement de suppression. Par là même, il est contraire à la politique de la commission des lois, par conséquent je ne puis qu'émettre un avis défavorable.
Les amendements nos 3, 8, 10, 12, 14, 16 et 18 posent un certain nombre de problèmes, notamment un problème de fond par rapport à notre conception du droit international : les réserves d'interprétation peuvent exister en droit international, mais elles doivent être formulées avant la signature du traité...
M. Michel Charasse. Non ! Avant la ratification !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Une fois le traité signé, on ne peut pas revenir sur les engagements pris. C'est la raison pour laquelle je ne pourrai pas donner un avis favorable à cette série d'amendements.
M. Michel Charasse. Puis-je vous interrompre, monsieur le rapporteur ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je vous en prie !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
M. Michel Charasse. Je ne suis pas de votre avis, monsieur le rapporteur. Vous avez raison quand vous dites qu'il n'est pas possible d'émettre des réserves d'interprétation une fois le traité ratifié et appliqué. (M. le rapporteur proteste.) Mais les réserves d'interprétation peuvent toujours être exprimées jusqu'au dépôt des instruments de ratification. Sinon, nous ne nous serions pas trouvés, à plusieurs reprises dans les années 1970, dans l'obligation de dire que nous allions appliquer, par exemple, telle disposition de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme que nous n'avions pas acceptée à l'époque.
Par exemple, lorsque la France a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, elle a formulé une réserve et refusé le recours individuel. Cette réserve a été levée par la suite, sous la présidence intérimaire du président Poher, après la mort du président Pompidou. Or, cette réserve n'avait pas été formulée au moment de la signature, mais de la ratification.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'était prévu ! Le traité le permettait !
M. Michel Charasse. Sous cette réserve concernant les réserves, monsieur le rapporteur, je vous rejoins sur les autres points.
M. Patrice Gélard, rapporteur. J'ajoute cependant que les réserves d'interprétation doivent être prévues, au moment de la signature, par le traité lui-même,...
M. Michel Charasse. Non !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... sinon on ne peut pas ajouter des réserves. Il est impossible de modifier unilatéralement un traité.
M. Michel Charasse. On ne modifie rien ! On indique simplement que, pour la France, telle disposition s'interprète de telle manière !
Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Quoi qu'il en soit, j'estime que ces réserves, telles qu'elles sont rédigées, n'ont pas leur place dans la Constitution. Cette observation vaut pour votre amendement, monsieur Charasse, mais aussi pour la série d'amendements qui suit et qui repose sur la même conception des réserves d'interprétation.
Après ces considérations générales, j'en viendrai à des observations plus détaillées.
S'agissant de l'amendement n° 8, je rappelle que les dispositions qu'il remet en cause ne sont pas introduites par le traité de Lisbonne et qu'elles sont d'ores et déjà en vigueur. En outre, elles n'obligent la France à rien. Par conséquent, l'avis de la commission est défavorable.
L'amendement n° 10 porte sur l'Agence européenne de défense. Il introduit également une réserve d'interprétation, je ne développerai donc pas à nouveau mes arguments.
L'amendement n° 12 est un peu différent : il vise à exclure l'application de la procédure de révision simplifiée prévue par l'alinéa 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne, tel que modifié par le traité de Lisbonne. Comme il a déjà été indiqué, il n'est pas envisageable de prévoir des réserves unilatérales après la négociation du traité.
Au demeurant, sur le fond, cet amendement est inutile, puisque l'objet de l'article 88-7 de la Constitution, tel qu'il est prévu par le projet de loi constitutionnelle, permet justement d'organiser un droit d'opposition, qui est en fait un véritable droit de veto accordé au Parlement français, et donne satisfaction, par conséquent, aux préoccupations exprimées par les auteurs de l'amendement n° 12. Je demanderai donc à ces derniers de retirer leur proposition,...
M. Robert Bret. Pas question !
M. Patrice Gélard, rapporteur... sinon j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement n° 14 vise à exclure l'application, en droit français, de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif aux services publics. Là encore, c'est une réserve d'interprétation ; je ne reviendrai donc pas sur ce que j'ai déjà dit.
En fait, le traité de Lisbonne est plus favorable à la conception française du service public que ne l'est actuellement le droit communautaire. Un protocole annexé à ce traité reconnaît en effet explicitement, pour la première fois, « le rôle essentiel et le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d'intérêt économique général, d'une manière qui réponde aux besoins des utilisateurs ; la diversité des services d'intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison des situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ; un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs. »
Par conséquent, dans une certaine mesure, vous avez satisfaction avec cet élargissement de la reconnaissance de notre conception du service public. Si cet amendement devait ne pas être retiré, la commission émettrait, bien entendu, un avis défavorable.
L'amendement n° 16 vise les dispositions relatives à l'indépendance de la Banque centrale européenne.
Le problème est que la rédaction de cet amendement est loin d'être claire, puisqu'il est écrit que « les dispositions de l'article 282 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'appliquent dans le respect de l'article 3 de la Constitution ». On ne sait pas très bien quelle est la portée juridique concrète de cet amendement.
De surcroît, il s'agit, une fois encore, d'une réserve d'interprétation.
Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.
Enfin, l'amendement n° 18 a trait au respect du principe de laïcité.
Je dois dire que le Conseil constitutionnel, qui a lu l'ensemble du traité, n'a pas éprouvé de craintes à cet égard. Le préambule du traité ne comporte d'ailleurs qu'une simple référence à l'héritage religieux de l'Europe, quel qu'il soit, chrétien, musulman, juif...
M. Charles Gautier. N'exagérons pas !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Par conséquent, le Conseil constitutionnel n'a pas estimé qu'il y avait là une menace particulière pour la laïcité. Je le suis sur ce point également et émets un avis défavorable sur l'amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. M. Gélard a déjà dit beaucoup de choses.
S'agissant de l'amendement n° 6, je répète que l'article 1er du texte ne valide pas par avance le traité de Lisbonne. Il a pour objet de réviser la Constitution pour permettre la ratification de ce traité.
Comme l'a justement rappelé M. Hyest, sans cette procédure préalable, aucun débat ne pourrait se tenir sur le traité de Lisbonne lui-même. L'autorisation de ratifier ce traité sera soumise au vote de la représentation nationale. Le débat aura lieu le 7 février prochain.
J'ajoute que, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, notre organisation institutionnelle place sur un pied d'égalité la ratification parlementaire et la ratification référendaire.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
En ce qui concerne l'amendement n° 3 de M. Charasse, le Conseil constitutionnel, comme cela a été relevé, s'est prononcé, dans ses décisions du 19 novembre 2004 et du 20 décembre 2007, sur les stipulations du traité de Lisbonne qui rendent nécessaire la révision préalable de notre Constitution. Il a considéré que seules sont concernées celles qui sont de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale et celles qui définissent les prérogatives nouvelles accordées aux parlements nationaux. Il a, en revanche, estimé que les dispositions relatives aux droits fondamentaux de l'Union européenne n'appelaient pas de révision constitutionnelle.
L'article 6 du traité sur l'Union européenne précise bien que les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l'homme font partie du droit de l'Union européenne, tel qu'il résulte des traditions constitutionnelles communes aux États membres. La même réserve figure à l'article 52 de la charte des droits fondamentaux. Ces droits doivent être interprétés en harmonie avec les traditions constitutionnelles communes aux États membres.
Par conséquent, les craintes invoquées par M. Charasse ne nous paraissent pas fondées, étant entendu que les propos de M. Graham Watson sur la laïcité n'engagent que lui. Cette personne a certainement des qualités, mais n'est pas le meilleur connaisseur du droit français à cet égard.
En outre, comme cela a été indiqué par M. Gélard, les réserves doivent être faites, en ce qui concerne les traités communautaires, au moment de la signature. C'est un usage qui a été reconnu par la convention de Vienne sur le droit des traités.
Par ailleurs, ainsi que je l'ai souligné, l'article 52 préserve les constitutions nationales. Comme l'a également fait observer M. Gélard, le Conseil constitutionnel n'a pas considéré que ces dispositions faisaient courir un risque à notre Constitution.
Enfin, je n'ai pas trouvé trace - mais peut-être ai-je mal cherché - des déclarations qui auraient été faites par M. Barnier lors de son intervention du 16 février 2005.
M. Michel Charasse. Je vous ferai passer leur retranscription pour la semaine prochaine !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Je vous en remercie, monsieur le sénateur !
Quoi qu'il en soit, il ne nous paraît pas nécessaire, dans ces conditions, d'insérer une réserve d'interprétation résultant des décisions du Conseil constitutionnel ni de prévoir dans la Constitution que tout acte européen qui méconnaîtrait les décisions du Conseil constitutionnel serait nul et de nul effet à l'égard de la France.
Pour ces raisons, je souhaiterais que M. Charasse puisse retirer son amendement. À défaut, nous préconiserions son rejet.
En ce qui concerne l'amendement n° 8, il n'a pas, en soi, de lien direct avec le projet de loi constitutionnelle ni avec le traité de Lisbonne, comme l'a remarqué M. Gélard. L'obligation d'appliquer les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne n'est pas une nouveauté introduite dans le cadre du traité de Lisbonne, puisque ces dispositions sont issues du traité de Nice : aucune modification n'est intervenue.
Sur le plan politique et sur le plan opérationnel, je dirai, pour être complet, que la politique européenne de sécurité et de défense s'est construite de façon non contradictoire avec l'OTAN. Cela est normal, puisque vingt et un des États membres de l'Union européenne sont également membres de l'OTAN. La France exerce d'ailleurs actuellement, dans le cadre de cette organisation, le commandement de la KFOR au Kosovo. Des arrangements entre les deux organisations garantissent l'autonomie de décision pour chacune d'entre elles.
Pour ces raisons de fond, nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
En ce qui concerne l'amendement n° 10, il nous paraît quelque peu contradictoire avec l'amendement précédent, car pour construire une Europe de la défense garantissant une autonomie de son action et la paix sur le continent européen, il est indispensable que les États membres accroissent leur capacité militaire. L'Union européenne s'est dotée d'une capacité opérationnelle autonome, à la fois civile et militaire, ce qu'illustrent les opérations qui ont été conduites dans les Balkans, au Moyen-Orient, en Afrique et en Afghanistan.
C'est également dans ce cadre que le Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne a décidé hier le lancement d'une nouvelle opération de sauvetage et de stabilisation dans le contexte de la crise au Darfour, afin de protéger les populations civiles.
Comme vous le savez, le traité prévoit la mise en place d'une coopération structurée, élargit les missions de l'Union européenne, notamment en matière de désarmement, de prévention des conflits et de stabilisation à la fin de ces conflits.
Ces mesures ne pourront être prises sans notre consentement, puisque le traité prévoit qu'elles devront l'être à l'unanimité.
Par conséquent, nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
En ce qui concerne l'amendement n° 12, les dispositions en cause visent à permettre au Conseil européen, composé des chefs d'État et de gouvernement, d'autoriser le Conseil à statuer à la majorité qualifiée au lieu de l'unanimité. Cette autorisation devra être donnée à l'unanimité. Elle ne pourra pas concerner les décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.
Le Conseil européen pourra, de la même manière, décider d'adopter la procédure législative ordinaire, qui repose sur la règle de la majorité qualifiée, au lieu d'une procédure spéciale.
Enfin, comme l'a souligné M. Gélard, il suffira de l'opposition d'un parlement national, exprimée dans un délai de six mois après la transmission des initiatives qui seront prises en la matière par le Conseil européen, pour faire obstacle à la décision. Compte tenu de cette garantie forte offerte aux parlements nationaux, ce mécanisme ne saurait être considéré comme méconnaissant l'article 3 de la Constitution.
En conséquence, le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement.
En ce qui concerne l'amendement n° 14 relatif à l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux services publics, il prévoit que les règles de concurrence ne s'appliqueront aux entreprises chargées de la gestion des services d'intérêt économique général que dans la mesure où elles ne feront pas échec à l'accomplissement de leurs missions.
Vous savez, madame Borvo, que l'article 345 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que les traités n'ont pas à préjuger le régime de propriété des entreprises dans les États membres. Comme l'a également souligné le rapporteur de la commission des lois, il y a, dans le traité de Lisbonne, une innovation concernant le protocole sur les services publics, selon laquelle les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser des services non économiques d'intérêt général.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
En ce qui concerne l'amendement n° 16, j'indiquerai que l'indépendance de la Banque centrale européenne ne constitue pas une nouveauté introduite par le biais du traité de Lisbonne, puisque l'article 108 du traité instituant la Communauté européenne définit et encadre cette indépendance. Ce principe n'est en rien contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion, dans le cadre de l'examen d'autres traités, de statuer sur ce point.
À mon sens, le traité de Lisbonne consacre plutôt, dans ce domaine, une avancée, puisqu'il reconnaît l'existence de l'Eurogroupe et le dote d'une présidence stable. Il permettra aux États de la zone euro de prendre seuls les décisions qui les concernent directement. Enfin, il tend à renforcer la visibilité internationale de la zone euro, notamment dans ses relations avec ses principaux partenaires sur le plan monétaire : les États-Unis, la Chine et le Japon.
Pour ces raisons, à défaut d'un retrait de cet amendement, nous émettrons un avis défavorable.
Enfin, en ce qui concerne l'amendement n° 18, il ne nous paraît pas utile, outre les raisons de fond qui ont été évoquées par M. Gélard, puisque le Conseil constitutionnel n'a pas considéré que le nouveau préambule du traité sur l'Union européenne était contraire à la Constitution, en particulier au principe de laïcité, qui figure à son article 1er.
M. Michel Charasse. Il ne reste plus qu'à prier !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Prions !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Au demeurant, il convient de rappeler que l'article 4 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union européenne respecte l'égalité des États membres devant les traités, ainsi que leur identité nationale inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et constitutionnelles. La nôtre comprend la laïcité.
M. Michel Charasse. La fille aînée de l'Église !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Pour toutes ces raisons, nous serions défavorables à cet amendement, s'il devait ne pas être retiré.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai tenu à poser la question des réserves aujourd'hui, pour les raisons que j'ai exposées tout à l'heure.
Pour gagner du temps à cette heure tardive, je retire les deux amendements que j'avais déposés aux articles 1er et 2. Mais je les reprendrai la semaine prochaine quand nous examinerons le projet de loi autorisant la ratification du traité parce que, en réalité, mes suggestions doivent figurer dans le projet de loi d'autorisation pour l'élection du Parlement européen. Je renvoie les ministres à la lecture de ce texte. C'est d'ailleurs ce que m'avait dit à l'époque M. Barnier, la décision du Conseil constitutionnel sera visée dans la loi d'autorisation du traité comme en 1977.
Mme la présidente. Les amendements nos 3 et 4 sont retirés.
Je mets aux voix l'amendement n° 6.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
À compter de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007, le titre XV de la Constitution est ainsi modifié :
1° Il est intitulé : « De l'Union européenne » ;
2° Les articles 88-1 et 88-2 sont remplacés par les dispositions suivantes :
« Art. 88-1. - La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.
« Art. 88-2. - La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne. » ;
3° Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 88-4, les mots : « les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative » sont remplacés par les mots : « les projets d'actes législatifs européens ainsi que les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi » ;
4° Dans l'article 88-5, les mots : « et aux Communautés européennes » sont supprimés ;
5° Après l'article 88-5, sont ajoutés deux articles 88-6 et 88-7 ainsi rédigés :
« Art. 88-6. - L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. L'avis est adressé par le président de l'assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. Le Gouvernement en est informé.
« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.
« À ces fins, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée.
« Art. 88-7. - Par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne dans les cas prévus, au titre de la révision simplifiée des traités ou de la coopération judiciaire civile, par le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Josselin, sur l'article.
M. Charles Josselin. En dépit de l'heure tardive, je voudrais évoquer les dispositions de l'article 2 qui concernent le rôle des parlements nationaux, question à laquelle j'ai consacré de nombreux efforts.
J'ai eu l'honneur de présider pendant huit ans la délégation de l'Assemblée nationale aux Communautés européennes. À l'époque, nous avions déploré l'extrême difficulté pour le Parlement d'avoir connaissance de documents qui étaient déjà à la disposition du Gouvernement. J'avais même déposé une proposition de loi - qui a d'ailleurs été adoptée - pour obliger le Gouvernement à nous communiquer à temps ces informations.
M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes a insisté, devant la commission des lois, sur le rôle de lien entre démocratie européenne et démocratie nationale que les parlements nationaux seraient appelés à jouer, notamment avec le contrôle de la subsidiarité. Il affirme que le lien est établi. Mais la liaison va-t-elle se faire ? Je voulais soulever cette question à l'occasion de la discussion de cet article, en rappelant l'extraordinaire exigence que représente pour le parlement national ce rôle de surveillance du respect de la subsidiarité.
Les délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat font l'essentiel de ce travail, mais il faudra qu'elles disposent de moyens à la mesure de cette responsabilité. Les équipes en place font du bon travail, mais les choses sont singulièrement compliquées par une législation européenne qui, d'une part, ne cesse de se densifier et de se techniciser, et qui, d'autre part, enjambe allégrement la frontière entre domaine législatif et domaine règlementaire.
Il faudra aussi que les parlementaires soient présents. Je ne peux - hélas ! - que constater qu'il en va de même à la délégation du Sénat comme à celle de l'Assemblée nationale il y a quelques années : nombreux sont ceux qui veulent en faire partie, mais peu sont ceux qui s'y investissent.
Il faudra aussi développer la coopération interparlementaire - la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des parlements de l'Union européenne, que nous avons créée en son temps, peut certainement y contribuer -, mais aussi la coopération avec le Parlement européen. Je regrette que les occasions de rencontre entre parlementaires nationaux et européens soient rares. Des initiatives en ce sens doivent-elles être prises par l'Assemblée nationale et le Sénat ou par le Gouvernement ? En tout cas, cette absence de relations est extrêmement préjudiciable.
Enfin, il faudra que le Gouvernement ait la volonté d'entretenir un dialogue constant avec le Parlement, et plus particulièrement avec ses délégations. L'implication du Parlement - et je m'adresse à mon collègue Jean-Luc Mélenchon -, c'est aussi l'implication du peuple au travers de ses représentants. Elle est largement dépendante de la bonne application de la règle européenne et de sa transposition dans le droit national. C'est parce que le Parlement est trop souvent totalement absent du vote mais surtout de la préparation de la norme européenne qu'il est si difficile ensuite de la transposer.
Le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Gouvernement a l'obligation de transmettre les actes législatifs européens et les autres propositions lorsqu'ils sont présentés devant le Conseil. Mais, monsieur le secrétaire d'État, c'est déjà trop tard ! Au moment où les projets arrivent au conseil des ministres, l'affaire est bouclée. Il faut que nous anticipions sur la préparation de ces textes. Nous y sommes prêts, et une relation de confiance, je le répète, solide entre Parlement et Gouvernement devrait nous aider à jouer ce rôle. Nous devons gagner du temps et être prévenus au moins en même temps que les lobbyistes de Bruxelles.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Josselin, je suis d'accord avec vous pour l'essentiel. La question des parlements nationaux a été abordée par mon collègue Jean-Claude Peyronnet et moi-même dans deux rapports d'information dont les conclusions ont été intégralement reprises par le comité Balladur. Ce sujet sera vraisemblablement de nouveau évoqué lors du débat qui se tiendra au printemps prochain.
Mme la présidente. J'ajoute que la conférence des présidents a porté une attention toute particulière, à deux reprises, à ces rapports qui présentent un grand intérêt.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je donne très volontiers acte à mon collègue Charles Josselin que l'implication des parlements dans le débat européen est effectivement l'une des formes de l'implication populaire.
Je n'ai peut-être pas très bien compris, ou quelque chose m'aura échappé, mais j'ai un doute sur la nouveauté que constituerait ce contrôle plus étroit du principe de subsidiarité par les parlements nationaux. M. Karoutchi nous a effectivement ici récemment affirmé, sans que nous puissions le contredire, qu'un grand progrès avait été effectué.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un droit de veto est même prévu.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous allez peut-être nous le prouver, monsieur le président de la commission. Ma lecture n'est pas la même.
Selon moi, le contrôle s'exerce de la manière suivante : il faut que neufs parlements concluent que le principe de subsidiarité est mis en cause. Une fois leurs observations déposées, la Commission peut maintenir, modifier, ou amender la disposition en question.
Aurais-je mal compris ? Le contrôle est-il plus important ? Mais si ce n'est que cela, je regrette, mais ce n'est vraiment pas grand-chose ! Ces neuf États finissent par s'accorder sur une position qui porte uniquement sur le non-respect du principe de subsidiarité, car, sur le contenu du texte, le droit d'amendement des parlements nationaux est toujours égal à zéro.
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 7, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
L'amendement n° 9, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
L'amendement n° 11, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe 3 de l'article 42 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
L'amendement n° 13, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions du paragraphe 7 de l'article 48 du traité sur l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
L'amendement n° 15, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'appliquent pas à la France.
L'amendement n° 17, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, les dispositions de l'article 282 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'appliquent dans le respect de l'article 3 de la Constitution.
L'amendement n° 19, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le 2° de cet article pour l'article 88-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Cependant, la participation de la France à l'Union européenne s'effectue dans le respect du principe de laïcité posé à l'article 1er de la Constitution.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils sont défendus.
Mme la présidente. La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.
Je mets aux voix l'amendement n° 7.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
La loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution est ainsi modifiée :
1° L'article 3 est abrogé ;
2° Dans l'article 4, les mots : «, dans sa rédaction en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe, et l'article 88-7 » sont supprimés, et les mots : « ne sont pas applicables » sont remplacés par les mots : « n'est pas applicable ».
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, je donne la parole à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais rappeler en quelques mots la position des sénateurs Verts sur ce texte.
Réaffirmant notre ambition d'une Europe véritablement sociale et environnementale, en phase avec l'aspiration des citoyens, nous avions initialement rêvé d'une consultation européenne, qui aurait donné sens à un projet validé, ou non, en commun, puis attendu l'organisation d'un référendum en France.
Aujourd'hui, nous dénonçons avec la plus grande fermeté la manoeuvre par laquelle l'étape démocratique que constitue la modification constitutionnelle devient pour le Président de la République et sa majorité le moyen de refuser au peuple de s'exprimer librement.
Après le rejet de la Constitution européenne exprimé en 2005 et l'élaboration d'un nouveau traité, il aurait été démocratiquement normal et cohérent de consulter à nouveau ces mêmes citoyens. C'est un manque de courage politique et un déni démocratique qu'exprime M. Nicolas Sarkozy en recourant à la simple consultation des deux assemblées.
Les abstentions de Dominique Voynet, Marie-Christine Blandin et Jacques Muller marquent leur refus de prendre position sur cette étape du processus. Les « non » de Jean Desessard et de moi-même expriment le nôtre de la manoeuvre du Gouvernement. Nos cinq votes, dans leur diversité, vous disent combien une construction européenne qui ne se fait qu'au sommet perd en qualité et éloigne la confiance.
Nous continuerons notre lutte commune pour un grand espace démocratique, respectueux des droits humains et de la diversité culturelle, attentif aux ressources naturelles, à la justice planétaire, sociale et environnementale, et garant de la paix.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 76 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 258 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 130 |
Pour l'adoption | 210 |
Contre | 48 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi constitutionnelle est adopté dans les mêmes termes qu'à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
11
Article 11 de la Constitution
Rejet d'une demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que, en application de l'article 30, alinéas 1 et 4, du règlement du Sénat, Mme la présidente Nicole Borvo Cohen-Seat, par demande signée d'au moins trente sénateurs, a demandé la discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, Jean-Luc Mélenchon, Charles Gautier, Jean Desessard et Mme Alima Boumediene-Thiery, visant à compléter l'article 11 de la Constitution par un alinéa tendant à ce que la ratification d'un traité contenant des dispositions similaires à celles d'un traité rejeté fasse l'objet de consultation et soit soumise à référendum.
En conséquence, je vais appeler le Sénat à statuer sur la demande de discussion immédiate.
Je rappelle que, en application de l'alinéa 6 de l'article 30 du règlement, le débat engagé sur cette demande « ne peut jamais porter sur le fond ».
Ont seuls droit à la parole l'auteur de la demande, un orateur contre, le président ou le rapporteur de la commission, et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la demande.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cet après-midi même, vous avez déclaré irrecevable le débat sur la motion référendaire que nous avons déposée. Pourtant, cela aurait été un gain de temps, puisque cela nous aurait permis de discuter l'opportunité de consulter le peuple sur le traité de Lisbonne.
Votre refus nous a conduits à déposer cette proposition de loi constitutionnelle, qui, je vous le rappelle, a déjà été examinée à l'Assemblée nationale et a été approuvée par 140 députés contre 176.
Cette proposition de loi constitutionnelle porte non pas sur le traité de Lisbonne, mais sur le respect de la parole du peuple : elle interroge donc nos principes démocratiques. Pour vous opposer aux raisonnements que nous avons développés afin de justifier le dépôt de cette motion référendaire, vous avez été contraints, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, d'avancer quatre arguments principaux que je résumerai ainsi.
Premièrement, le traité de Lisbonne est différent du traité instituant une Constitution pour l'Europe.
Deuxièmement, en votant majoritairement pour Nicolas Sarkozy en 2007, les Français ont de facto approuvé par avance qu'un futur traité européen ne soit pas soumis à référendum, puisque le candidat l'avait annoncé.
Troisièmement, ceux qui réclament le référendum ne veulent pas faire avancer l'Europe.
Quatrièmement, les partisans de la voie référendaire contestent la légitimité du Parlement, voire mettent en cause les institutions de la République.
Madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, les représentants du peuple que nous sommes ont des devoirs envers celui-ci.
Je ne reviendrai pas en détail sur l'argumentation déployée, car nous avons déjà tenté d'y répondre, notamment à grand renfort de citations.
En ce qui concerne le premier point, je rappellerai que le débat de 2005 a porté exclusivement sur le fond et que, de ce point de vue d'ailleurs, les deux traités sont identiques.
Pour ce qui est du deuxième point, nous avons fait observer que le candidat à la présidence de la République s'était en quelque sorte réclamé d'un « mini-traité », qui ne concernait que le fonctionnement de l'Union européenne, mais pas du tout d'un traité similaire à celui qui a été rejeté par le peuple.
Sur le troisième point, sans doute n'avons pas répondu de manière suffisante, alors qu'il se rapporte précisément à l'objet de cette proposition de loi. Ma question est la suivante : qui fera avancer l'Europe et pour qui ? Pensez-vous un seul instant que l'Europe ait un avenir si elle se construit contre le peuple ? Le bonheur des peuples malgré eux, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Personne ne peut accepter ce genre de proposition !
Le peuple français est très majoritairement favorable à l'Europe, pour peu que celle-ci démontre à la fois son efficacité sociale et économique face à une mondialisation des capitaux sans foi ni loi - ce qui n'est pas encore le cas -, son efficacité diplomatique face aux désordres et aux horreurs du monde, notamment dans les rapports Nord-Sud, et son efficacité face aux enjeux écologiques. Nous ne constatons rien de tout cela aujourd'hui et c'est bien la raison pour laquelle le peuple a du mal à saisir le bien-fondé de l'Europe à laquelle on lui demande d'adhérer. Il est vrai que les politiques européennes menées actuellement laissent à désirer et sont souvent sujettes à critiques.
S'agissant du quatrième point, qui est le plus important du point de vue de la proposition de loi constitutionnelle que nous vous soumettons, puisqu'il sous-entend que nous contesterions la légitimité du Parlement, il prête à sourire. En effet, vous inversez les facteurs. Permettez-moi de les remettre dans le bon ordre.
Tout d'abord, le Parlement tire sa légitimité du peuple, et non l'inverse. Ensuite, nous ne méconnaissons pas l'article 3 de la Constitution, qui met sur un pied d'égalité l'exercice de la souveraineté par le peuple - c'est le référendum - et par ses représentants. Mais cet article n'en dit pas moins que la souveraineté nationale appartient au peuple et que, héritage de Rousseau dont se revendiquent les démocrates, la volonté générale ne peut s'aliéner. Or le peuple ayant exprimé sa volonté sur une question en 2005, ses représentants ne peuvent le désavouer sur le même sujet.
Il est vrai que la Constitution de la Ve République ne prévoit pas que le peuple puisse être contredit par une autre voie lorsqu'il a été préalablement consulté par référendum. Mais cette lacune est en elle-même significative : comment imaginer le contraire ? D'ailleurs, quand, en 1946, le peuple a rejeté le premier projet de Constitution ou quand, en 1969, il a refusé le projet de réforme du Sénat et des territoires, les gouvernements en place en ont immédiatement tiré les conséquences.
Or, le 29 mai 2005, rien n'a changé. Au lieu de prendre acte du résultat référendaire, vous entendez ratifier le même projet sans consulter le peuple. Voilà une façon assez étrange et pour le moins inacceptable de répondre à la volonté populaire !
Les parlementaires, ceux du oui comme ceux du non, s'apprêtent à commettre un déni de démocratie sans précédent. Nous devons d'autant plus réfléchir à ce que nous faisons que, quelques semaines avant le rejet très large du traité constitutionnel par le peuple, le Parlement avait approuvé le texte à 93 %.
Vouloir échapper à l'expression du peuple par le biais de l'expression du Parlement ne renforce pas le rôle de ce dernier, n'en déplaise à ce que d'aucuns ont pu prétendre. Au contraire, cela revient à renforcer le fossé entre le peuple et ses institutions et représentants.
Certes, le peuple peut changer d'avis sur la politique européenne, sur le contenu du traité, comme sur d'autres questions, mais il ne peut « être changé » d'avis par ses représentants.
C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi constitutionnelle complète, puisqu'il en est apparemment besoin, notre Constitution. Elle a pour objet de rendre obligatoire le recours au référendum pour l'adoption des lois qui contiennent des dispositions précédemment rejetées par référendum, afin d'éviter ce déni de démocratie qui n'honore pas les représentants du peuple !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La procédure de discussion immédiate ne nous semble pas appropriée...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ... à l'examen du texte qui tend à modifier la Constitution, même si elle est toujours juridiquement possible.
Je ne porterai pas de jugement sur le fond de cette proposition de loi constitutionnelle, puisque le débat ne s'y prête pas. Il n'en reste pas moins que vouloir faire passer une disposition qui ne peut être examinée par la commission saisie au fond et qui met à mal l'égalité inscrite par l'article 3 de la Constitution entre exercice de la souveraineté nationale par la représentation nationale et exercice de cette souveraineté par voie référendaire me paraît un peu gros. Car c'est cela que vous proposez !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas du tout !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le changement profond susceptible d'être introduit par cette proposition de loi constitutionnelle, que vous défendez à la suite de vos collègues de l'Assemblée nationale, pour atteindre un objectif à très court terme - faire obstacle à une ratification par la voie parlementaire du traité de Lisbonne, dont la nature politique, symbolique et juridique est bien différente de celle du traité établissant une Constitution pour l'Europe -, mériterait un examen attentif auquel nous ne pouvons procéder.
En outre, cette proposition de loi constitutionnelle vise des « dispositions analogues ou similaires ». Une telle rédaction est de nature à plonger les juristes dans des abîmes de perplexité ! (M. le secrétaire d'État acquiesce.) Ou bien c'est identique, ou bien cela ne l'est pas, mais ce ne peut être les deux à la fois ! Vous avez cherché à prouver que les deux traités étaient identiques. Or si sur certains points ils le sont, sur d'autres, ce n'est guère le cas.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Raison de plus !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De surcroît, selon moi, une telle démarche ne serait pas applicable.
Je vous rappelle, ma chère collègue, que, lors de la révision plus générale de la Constitution, le recours au référendum pourrait très bien faire l'objet de propositions.
De surcroît, au lieu de soumettre à la Haute Assemblée une motion référendaire, puis une proposition de loi constitutionnelle, vous auriez pu déposer un amendement au projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, inscrit aujourd'hui à l'ordre du jour du Sénat et que nous venons d'adopter. Nous aurions pu alors discuter au fond de votre proposition. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
Pour toutes ces raisons, la commission des lois propose le rejet de la demande de discussion immédiate.
Mme la présidente. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je partage totalement les arguments et les observations formulés par M. Hyest. Nous venons de débattre du projet de loi constitutionnelle qui devrait être définitivement adopté en Congrès le 4 février prochain.
Certes, le Gouvernement n'a pas la maîtrise de l'ordre du jour réservé du Sénat. Il ne souhaite cependant pas l'inscription à cet ordre du jour de la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise. Les débats l'ont bien montré : nous devons procéder rapidement à la ratification du traité de Lisbonne qui doit passer par la voie parlementaire.
En tout état de cause, la Constitution n'est pas un texte dont on modifie les équilibres au gré des circonstances et des traités. Dans notre tradition, il n'a jamais existé de hiérarchie entre la souveraineté parlementaire et la souveraineté populaire. Tenons-nous en à ce grand principe. Le Gouvernement ne souhaite donc pas la discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle.
Mme la présidente. Je mets aux voix la demande de discussion immédiate.
Je suis saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC et, l'autre, du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 77 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 118 |
Contre | 207 |
Le Sénat n'a pas adopté la demande de discussion immédiate.
12
Transmission d'une proposition de loi
Mme la présidente. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale par la mise en conformité du code général des collectivités territoriales avec le règlement communautaire relatif à un groupement européen de coopération territoriale.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 182, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
13
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
Mme la présidente. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Position commune du Conseil 2008/.../PESC du concernant des mesures restrictives à l'encontre du Liberia.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3761 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet d'action commune du Conseil relative à la mission de l'Union européenne à l'appui de la réforme du secteur de la sécurité en République de Guinée-Bissao (RSSUE Bissao).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3762 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet d'action commune du Conseil concernant la mission état de droit de l'Union européenne au Kosovo.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3763 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil renouvelant et renforçant les mesures restrictives instituées à l'encontre de la Birmanie/du Myanmar et abrogeant le règlement (CE) n° 817/2006.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3764 et distribué.
14
Dépôt de rapports
Mme la présidente. J'ai reçu de M. Nicolas About, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour le pouvoir d'achat.
Le rapport sera imprimé sous le n° 180 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean Bizet un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée) (n° 149, 2007-2008).
Le rapport sera imprimé sous le n° 181 et distribué.
15
ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 30 janvier 2008 à quinze heures et le soir :
Discussion du projet de loi (n° 158, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Rapport (n° 174, 2007-2008) de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 30 janvier 2008, à deux heures cinquante.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD