B. À MOYEN TERME, ÉLABORER DES MODES VERTUEUX DE FINANCEMENT POUR LA MAINTENANCE ET LA RÉNOVATION DE L'IMMOBILIER UNIVERSITAIRE
En sus des inflexions détaillées supra , un changement de paradigme dans la gestion du patrimoine immobilier parait actuellement indispensable. Dans un environnement en pleine mutation, l'enseignement supérieur doit mener de front plusieurs transitions : transition numérique, transition énergétique et écologique, transition économique, transformation des campus en territoires d'innovation au service de l'attractivité des territoires, etc.
Pour le rapporteur, il faut désormais privilégier une approche globale, permettant d'améliorer simultanément l'état du bâti, sa situation énergétique et son adéquation fonctionnelle, afin de faciliter l'émergence des campus de demain .
En pratique, deux leviers complémentaires pourraient être actionnés :
- le développement de la valorisation pour ouvrir l'université sur son environnement socio-économique tout en dégageant des ressources récurrentes pour l'entretien et l'exploitation du bâti ;
- l'élaboration d'un vaste plan de financement de rénovation globale du patrimoine universitaire, permettant de réduire la facture énergétique à moyen terme et de préfigurer les campus du XXI ème siècle.
1. Ouvrir l'université sur son environnement socio-économique par le biais de la valorisation : dégager des ressources récurrentes pour l'entretien et l'exploitation
La valorisation du patrimoine universitaire constitue un des principaux leviers dont disposent les établissements pour bâtir les campus du XXI ème siècle - c'est-à-dire des lieux ouverts sur le monde, attractifs pour différents types d'acteurs, et offrant toute une palette de services aux étudiants - tout en développant leurs ressources propres.
En ce sens, elle participe d'une dynamique particulièrement vertueuse, qui doit être encouragée.
Ainsi, des mutualisations sont à envisager entre les différents établissements d'enseignement supérieur situés sur un même territoire, afin de rationaliser les surfaces tout en développant les échanges transdisciplinaires.
Des synergies peuvent également être trouvées avec les collectivités territoriales à la faveur des dernières évolutions législatives , les politiques d'enseignement supérieur présentant pour ces dernières un intérêt sous l'angle de l'aménagement du territoire et de l'attractivité. La valorisation doit permettre une meilleure intégration de l'université dans la ville, avec pour corollaire une diversification des offres de services (logement, restauration, etc.) aux étudiants, ainsi qu'une mutualisation des équipements (installations sportives, espaces de travail, bibliothèques, etc.).
À cet égard, le rapporteur a pris connaissance avec un grand intérêt des initiatives de Cergy Paris Université pour dialoguer avec l'ensemble des parties prenantes présentes sur le territoire du campus . L'Université a ainsi créé en 2017 une l'Association CY Campus International, réunissant des représentants du département, de la communauté d'agglomération, des villes de Cergy, Pontoise et Neuville, de la région Ile-de-France, de la Caisse des dépôts et consignations et de la préfecture du Val d'Oise, afin d'évoquer et planifier de concert l'aménagement du campus dans la ville. Les membres de l'association ont ainsi pu choisir collectivement un certain nombre de priorités (logement, sport, restauration), chaque acteur restant compétent pour réaliser ses propres travaux.
Dans la mesure où elle permet de faire émerger une vision commune de l'aménagement du territoire, incluant les bâtiments universitaires, cette démarche renforce l'ouverture du campus sur son environnement proche. Elle rend possible, à terme, une mutualisation des locaux et participe donc à la valorisation du bâti universitaire.
Cet exemple de « bonne pratique » demeure cependant encore isolé, la collaboration dans un cadre associatif revêtant par une définition une portée limitée.
Il serait pourtant judicieux de créer un cadre juridique permettant une réelle gouvernance partagée, de sorte que les établissements publics d'enseignement supérieur puissent participer dans la durée aux orientations prises sur les aménagements et les activités entreprises sur leur territoire d'implantation , ainsi qu'au pilotage des opérations qui les concernent .
Dans ce contexte, le rapporteur serait favorable à l'ouverture du capital des sociétés publiques locales (SPL) aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel . En effet, ces sociétés sont régies par le droit privé, et bénéficient donc du cadre juridique applicable aux sociétés commerciales (recrutement de personnels de droit privé, capacité d`endettement, etc.) ; la participation d'une université au capital d'une SPL lui permettrait donc notamment de contracter « in house » avec cette société, pour lui confier des missions sans être contraintes par le calendrier et les coûts induits par les procédures de publicité et de mise en concurrence.
Recommandation n° 8 : permettre l'ouverture du capital des sociétés publiques locales aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.
Des partenariats peuvent enfin être noués avec le monde économique , afin de renforcer les transferts de technologie, l'entrepreneuriat étudiant et l'insertion professionnelle des jeunes diplômés . Plusieurs universités ont ainsi développé des espaces de co-working accueillant les personnels et les entrepreneurs extérieurs, des lieux de convergence interdisciplinaires, ou des espaces d'incubation. Tel est notamment le cas du bâtiment Pyxis de l'Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), qui a été construit pour accueillir les services dédiés aux étudiants (direction des études et de la vie universitaire, service universitaire d'action culturelle, service de l'entrepreneuriat étudiant) et comprend notamment un espace d'incubation.
Le rapporteur note, enfin, que ces opérations de valorisation ont habituellement pour conséquence de rendre un immeuble éligible à la taxe foncière - quand bien même seuls certains étages du bâtiment sont valorisés, y compris sur une période de temps restreinte. Le montant annuel de la taxe foncière se révélant souvent supérieur à la recette elle-même, il pourrait être opportun de réfléchir à un mode de calcul dérogatoire du montant de cette taxe, tenant compte du niveau des recettes perçues par l'université .
Recommandation n° 9 : mettre à l'étude un mode de calcul dérogatoire de la taxe foncière pour les universités, tenant compte du niveau de recettes perçues dans le cadre des activités de valorisation.
2. Initier un vaste plan d'investissement pour la rénovation globale du parc universitaire : réduire la facture énergétique pour préfigurer les campus du XXIème siècle
Ces dernières années, la France s'est dotée d'objectifs ambitieux en matière de transition énergétique, par le biais d'engagements internationaux, européens et nationaux contraignants.
Notre pays a en effet joué un rôle majeur dans la signature de l'Accord de Paris le 12 décembre 2015, dans lequel 195 États se sont engagés à maintenir la hausse de la température mondiale à 1,5 °C d'ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels et à atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Au niveau européen, le Règlement établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique 30 ( * ) , adopté en juillet 2021, transforme en obligation contraignante l'engagement politique du pacte vert européen, stipulant que l'UE deviendrait neutre sur le plan climatique d'ici 2050 .
Enfin, sur le plan national, en application du décret tertiaire 31 ( * ) , les locaux universitaires courants sont tenus de réduire leur consommation énergétique de 40 % d'ici à 2030 32 ( * ) , 50 % d'ici 2040 et 60 % d'ici 2050 .
Si le rapporteur salue bien évidemment les engagements pris par la France, il relève également l'ampleur des progrès à accomplir et la faiblesse des moyens déployés jusqu'à présent . Partant, un sursaut est indispensable, pour faire de la transition énergétique du bâti universitaire une priorité stratégique.
Or, la plupart des initiatives des établissements dans ce domaine finissent inexorablement par buter sur l'épineuse question du financement de cet effort de rénovation .
A court terme, les marges de progression sont réelles pour les universités , ce d'autant que des modes de financement novateurs ont été développés ces dernières années . Ainsi, certains travaux de rénovation énergétique, peu coûteux et caractérisés par un temps de retour relativement court, de l'ordre de quelques années, peuvent ainsi être réalisés dans le contexte des conventions Intracting déployées par la Caisse des dépôts et consignations - Banques des territoires.
Le dispositif d'Intracting
Le dispositif d' Intracting , lancé en 2015, vise à encourager la mise en place d'un modèle économique vertueux pour l'efficacité énergétique du patrimoine immobilier.
En pratique, l'université définit un programme de travaux et d'actions de performance énergétique à gains rapides visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments publics. Ces travaux sont financés par le biais d'une avance remboursable octroyée par la CDC (il s'agit en pratique d'un prêt, assorti d'un taux annualisé effectif global à 2 % ramené à 0,25 % dans le contexte de la crise sanitaire).
Les économies d'énergie ainsi réalisées sont affectées, prioritairement, au remboursement de l'avance consentie par la CDC à l'université. Après remboursement de celle-ci, un dispositif interne à l'université permet de réaffecter les « non-dépenses de fonctionnement » en dépenses d'investissement pour de nouveaux travaux d'efficacité énergétique.
Le dispositif fait l'objet d'un suivi régulier, assuré par les équipes territoriales de la CDC et le siège, permettant notamment de faire évoluer la convention en fonction des enjeux opérationnels auxquels sont confrontées les universités.
À ce stade, le dispositif Intracting concerne 10 établissements, pour 1,3 million de mètres carrés de surface, soit près de 10 % du parc immobilier universitaire appartenant à l'État. Les travaux d'efficacité énergétique projetés représentent 15,9 millions d'euros, la CDC ayant consenti 7,8 millions d'euros d'avance remboursable.
Selon une première estimation, ces travaux devraient générer 56 Gigawattheure d'économies sur 10 ans, soit une économie cumulée d'environ 15,7 millions d'euros. Selon les informations transmises au rapporteur, l'investissement moyen, de l'ordre, de 15 euros par mètre carré, génèrerait 10 % de gain sur les consommations énergétiques.
Source : commission des finances
Ce dispositif participe d'un cercle particulièrement vertueux, puisqu'il responsabilise les universités et incite les équipes dirigeantes à initier des travaux de rénovation énergétique . En effet, l' intracting vise in fine à décloisonner les dépenses de fonctionnement et d'investissement, en démontrant qu'il faut investir pour économiser. En pratique, il incombe aux différents services gestionnaires immobiliers - à savoir ceux qui planifient les investissements et ceux qui gèrent les frais de fonctionnement - de dialoguer et de contractualiser entre eux , en s'accordant sur un projet commun. L' intracting fait ainsi évoluer les universités dans leur manière d'appréhender les problématiques énergétiques et immobilières.
La mise en place de ces conventions entraîne également une professionnalisation des équipes , avec notamment le recrutement de profils techniques comme les économes des flux. Cette montée en compétence est doublement bénéfique pour les établissements, leur permettant de planifier des projets de rénovation plus ambitieux, tout en engendrant la mise en place effective de politiques de maitrise énergétique.
L' intracting constitue ainsi une première étape, permettant une prise de conscience des universités : l'inaction en matière de transition énergétique a un coût, et à l'inverse, l'investissement peut se révéler rentable.
Il serait ainsi judicieux d'encourager les universités à avoir plus largement recours aux conventions d'intracting pour financer leurs travaux de rénovation énergétique - seule une dizaine d'universités ayant jusqu'à présent conclu de telles conventions.
Néanmoins, étant donné son calibrage et sa finalité - à savoir, financer des travaux peu coûteux permettant des gains rapides en termes d'économie d'énergie - ce dispositif est inadapté à la réalisation d'opérations de plus grande ampleur , coûteuses et caractérisées par un retour sur investissement particulièrement long . Or, les engagements pris par la France en matière de transition énergétique, de même que l'état général de l'immobilier universitaire et l'évolution des usages rendent ces dernières inévitables.
La question du financement de ces travaux se heurte cependant aux écueils évoqués précédemment, à savoir la difficulté pour les établissements de dégager des ressources permettant de rembourser un prêt auprès des acteurs institutionnels et l'impossibilité de s'endetter auprès du secteur privé.
Pour sortir de cette impasse budgétaire, il n'existe donc qu'une solution : consentir rapidement un investissement massif en faveur du bâti universitaire. C'est notamment la conclusion à laquelle est parvenue la CPU, dans le cadre de ses travaux sur le Programme efficacité énergétique dans les campus à horizon 2030 (PEEC 2030).
Le programme PEEC 2030
Le Programme efficacité énergétique dans les campus à horizon 2030 (PEEC 2030) a été élaboré à partir de 2016 et lancé en 2019 par un groupe de travail constitué de la CPU et de dix établissements pilotes 33 ( * ) .
Pour ce faire, le groupe de travail animé par la CPU a oeuvré à la définition d'un cadre méthodologique, associé à un outil de prospective financière, pour définir les conditions d'un modèle économique soutenable pour les établissements.
Un programme pilote décrivant les leviers d'une transition réussie a ensuite été conçu, sur la base des projets élaborés par les universités associées à la démarche. À l'échelle des 10 établissements engagés, l'opération pilote représente 580 000 m² soit environ 10% des surfaces du parc universitaire des 10 établissements.
Les économies annuelles de coût total de service aux bâtiments générées sont de l'ordre de 13 millions d'euros par an ; elles comprennent les économies liées à la réduction de la facture énergétique, aux économies d'exploitation - maintenance et de GER, et aux surfaces libérées (économies factures et maintenance, frais annexes, ainsi que valorisation du foncier).
La consommation du projet pilote est réduite de près de 53 Gigawattheure par an soit 50% par rapport à la consommation initiale ; le projet pilote permet d'économiser 9000 tonnes CO2 par an, soit 60% de moins par rapport aux émissions initiales.
Le budget global de l'opération serait ainsi de 860 millions d'euros.
Source : commission des finances à partir des réponses écrites de la CPU
L'ambition de ce programme pilote était de démontrer que les économies réalisées sur 25 ans permettaient de financer, à hauteur d'environ 50 %, les travaux de rénovation énergétique . Les établissements n'étant cependant pas en mesure de prendre en charge les 50 % restant, ni d'avancer le coût des opérations dans l'attente d'économies futures, la mise en oeuvre de ce projet supposerait un investissement conséquent de l'État.
Le programme PEEC 2030 ne concerne cependant, à ce stade, qu'un petit nombre d'établissements. Pour le rapporteur, il serait ainsi souhaitable de réfléchir à un plan d'investissement plus ambitieux et plus global, associant l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur, pour financer une rénovation globale de l'immobilier universitaire .
Ce plan pourrait s'échelonner sur plusieurs années, à l'instar de l'opération Campus, afin de s'inscrire dans une réflexion globale sur les enjeux du campus de demain, en termes d'attractivité, de responsabilité sociétale, d'ancrage territorial, d'innovation ou encore de digitalisation. Il permettrait ainsi de réduire, à terme, la facture énergétique dans les établissements d'enseignement supérieur, tout en améliorant l'adéquation fonctionnelle du bâti universitaire dans un environnement en pleine mutation.
L'élaboration d'un tel plan s'inscrirait dans la continuité des efforts déployés dans le cadre de France Relance : à la dotation de 1,2 milliard d'euros pour la réalisation de gains rapides succèderait une dotation plus importante pour la réalisation de gains différés.
Pour le rapporteur, il est impératif que ce plan massif se concrétise dans un délai court, puisqu'en matière d'immobilier, comme de transition énergétique, l'inaction a un coût . Des dépenses engagées rapidement permettront de réaliser des économies rapidement, et donc de réduire la facture globale. A l'inverse, le report de ces investissements inéluctables se traduira inévitablement par d'importants surcoûts.
Pour s'inscrire dans une démarche vertueuse, enfin, ce plan doit avoir pour corollaire une amélioration notable de la gestion de leur patrimoine par les universités . Il serait par exemple envisageable de conditionner l'octroi des financements à la sanctuarisation, pour les années à venir, d'une enveloppe dédiée à la gestion et l'entretien du patrimoine rénové.
Recommandation n° 10 : lancer un vaste plan « Transition Campus » de rénovation globale de l'immobilier universitaire, afin de réduire la facture énergétique des établissements et de préfigurer les campus du XXI ème siècle.
* 30 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil, en date du 30 juin 2021, établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) no 401/2009 et (UE) 2018/1999 («loi européenne sur le climat»), publié au JOUE le 9 juillet 2021.
* 31 Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire.
* 32 Base 2010.
* 33 Aix-Marseille, Angers, Clermont-Auvergne, Grenoble Université, Haute-Alsace, Lorraine, Lyon Université, Nantes, Paris-Nanterre, Rennes 1.