C. LE CIBLAGE DU FINANCEMENT SUR DES « POLITIQUES SECTORIELLES »
Au travers de l'orientation de leur politique d'investissement, la police et la gendarmerie traduisent également de nouvelles préoccupations et la montée en puissance de nouvelles formes de délinquance. A cet égard, trois champs méritent une attention particulière : la lutte contre la délinquance environnementale, la cybercriminalité et les ZSP. Comme en matière de formation et de prévention, l'effort d'investissement se mesure ici non seulement en crédits consentis mais aussi à l'aune de l'engagement humain . Son importance tient au moins tout autant à la mobilisation et au redéploiement d'effectifs qu'aux montants financiers en jeu.
1. La lutte contre la délinquance environnementale : un investissement surtout en effectifs
a) La progression de cette criminalité
La délinquance environnementale constitue un type de criminalité en extension au cours de la période récente. Du point de vue statistique, la police de l'environnement recouvre deux index de l'état 4001 : l'index 79 pour les atteintes à l'environnement et l'index 80 s'agissant de la chasse et de la pêche.
Entre 2007 et 2012, le nombre de faits constatés par l'ensemble des services de police et des unités de la gendarmerie pour des atteintes à l'environnement a fortement augmenté : + 20,1 % en passant de 3 193 faits en 2007 à 3 836 en 2012 (soit 643 faits supplémentaires). Cette tendance à la hausse s'est poursuivie au cours des cinq premiers mois de l'année 2013 (+ 4,1 %).
Eu égard à la répartition des zones de compétence respectives de la police (zones urbaines) et de la gendarmerie (zones rurales et péri-urbaines) sur le territoire, c'est la gendarmerie qui est principalement concernée par ce type de criminalité . Elle a enregistré près de 89 % des faits en 2012, tout comme au cours des cinq premiers mois de l'année 2013.
Le nombre de personnes mises en cause pour ces faits est en progression de + 6,8 % entre 2007 et 2012 (soit 261 personnes supplémentaires mises en cause en six ans) et de + 7,6 % au cours des cinq premiers mois de l'année 2013 (107 personnes supplémentaires mises en cause).
Anticipant la circulaire ministérielle du 28 janvier 2013 relative à la stratégie et aux orientations en matière de lutte contre la délinquance pour l'année 2013, des travaux ont été engagés depuis le second semestre de l'année 2012. Ils ont abouti à la mise en oeuvre, en avril 2013, d'une nouvelle présentation des statistiques de la délinquance et des outils de pilotage des services de police et des unités de gendarmerie.
Cette nouvelle présentation des statistiques de la délinquance repose désormais sur quatorze agrégats, dont un agrégat dédié aux atteintes à la santé et à l'environnement . Celui-ci comprend six index de l'état 4001 en recensant :
- les atteintes à l'environnement ;
- le domaine de la chasse et de la pêche ;
- les destructions, les cruautés et les autres délits envers les animaux ;
- les infractions au droit de l'urbanisme et de la construction, dont l'installation sur un terrain sans titre et en réunion ;
- les fraudes alimentaires et les infractions à l'hygiène ;
- les autres délits contre la santé publique et la réglementation des professions médicales.
Recommandation n° 13 : fiabiliser dans le temps les nouveaux états statistiques rendant compte de la délinquance environnementale, afin d'orienter au plus juste les futurs investissements consacrés à la lutte contre cette criminalité. |
b) L'organisation des services en réseau
La lutte contre la délinquance environnementale s'articule autour, d'une part, d'un maillage territorial dense en réseau , et, d'autre part, de quelques structures centrales.
Au niveau national, la police et la gendarmerie sont dotées depuis 2004 d'un office spécialisé : l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) , rattaché à la sous-direction de la police judiciaire de la gendarmerie nationale. Cet office a vocation à s'intéresser à l'ensemble du contentieux découlant des atteintes portées à l'environnement et à la santé publique. A ce titre, il centralise le renseignement et assiste le cas échéant les services locaux. L'office est composé de trente-neuf gendarmes et de trois policiers 28 ( * ) .
Interviennent également, au niveau national et en tant que de besoin, l'IRCGN, la cellule nationale nucléaire radiologique biologique chimique (C2NRBC) pour la sécurisation des interventions en milieu contaminé, le centre national de formation à la police judiciaire (CNFPJ) pour la formation des « enquêteurs atteintes à l'environnement et à la santé publique » (EAESP) et des « référents atteintes à l'environnement et à la santé publique » (RAESP), ainsi que le centre de production multimédia de la gendarmerie nationale (CPMGN) de Limoges pour la mise à jour documentaire.
Au niveau territorial , la police s'appuie sur les brigades de contrôle technique (BTC) 29 ( * ) . La gendarmerie, quant à elle, dispose du réseau territorial des EAESP (au nombre de 154) et des RAESP (au nombre de 196). Ces personnels sont répartis au sein des sections et des brigades de recherches, ainsi que dans les unités territoriales de la gendarmerie.
Au total, l'investissement en matière de lutte contre la délinquance environnementale repose essentiellement sur un investissement humain, et plus précisément encore sur un investissement « en gendarmes » .
c) Les équipements spécifiques
Au-delà du constat précédent, des investissements concernant des équipements et des matériels spécifiques peuvent cependant être recensés.
Depuis 1995, la gendarmerie a en effet mis en place des lots de mallettes de prélèvement des eaux polluées au sein des compagnies de gendarmerie départementale et fluviales, des écoles de sous-officier et du centre national d'instruction nautique de la gendarmerie (CNING). L'objectif est d'améliorer l'efficacité de son action dans le domaine de la prévention et de la répression des infractions liée à l'environnement.
Par ailleurs, l'OCLAESP, la C2NRBC, la cellule d'enquête des voies navigables (CEVN) ainsi que les pelotons de sûreté maritime et portuaire de la gendarmerie maritime se sont dotés ces dernières années de matériels spécialisés en matière de détection, de protection et de prévention NRBC . En cas d'urgence, il peut également être fait appel aux moyens spécialisés des pelotons de surveillance et protection de la gendarmerie (PSPG) et des escadrons de gendarmerie mobile (EGM) « zonaux » à capacité NRBC.
2. La cybercriminalité : une réponse à fort contenu technologique
a) L'articulation de plusieurs composantes opérationnelles
Face aux développements d'Internet, des réseaux sociaux et des fraudes via l'usurpation d'identité , la lutte contre la cybercriminalité est progressivement devenue une priorité pour la police et la gendarmerie. Elle requière un dispositif opérationnel intégré spécifique, avec des personnels particulièrement formés et des outils adaptés.
Actuellement, le dispositif de lutte contre la cybercriminalité s'appuie sur plusieurs composantes :
- au niveau ministériel : la composante mixte « police-gendarmerie » participe à la plateforme nationale des signalements Internet (PHAROS) 30 ( * ) , implantée au sein de l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) ;
- au niveau central : une composante d'expertise (avec 14 militaires du département informatique de l'IRCGN) se combine à une composante d'investigations et de coordination (reposant sur 23 militaires de la division de lutte contre la cybercriminalité du service technique de recherches judiciaires et de documentation, abritant le centre national d'analyse des images de pédopornographie ) ;
- au niveau local : 200 enquêteurs (départementaux et régionaux) en nouvelles technologies numériques (NTECH) et 400 correspondants locaux (C-NTECH).
b) La mise en service d'infrastructures adaptées
Doter les services afin de lutter à armes égales avec les cybercriminels nécessite tout d'abord la mise en service d'infrastructures adaptées, répondant aux besoins.
La mise en place de la plateforme PHAROS d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements remonte au 1 er janvier 2009 pour un investissement initial de 100 000 euros .
L'investissement consacré par l'OCLCTIC sur la période allant de 2007 à 2012 s'élève à 90 000 euros .
Plus largement, sur la même période, la police judiciaire a consommé 1,3 million d'euros de crédits d'investissement consacrés aux moyens de la lutte contre la cybercriminalité.
c) L'équipement des enquêteurs
L'équipement des investigateurs en cybercriminalité (ICC) se décline sur trois niveaux .
Le premier niveau concerne les « mallettes ICC » . Ces mallettes contiennent le matériel minimum indispensable permettant aux enquêteurs de mener à bien leurs investigations. Ce matériel individuel et transportable est essentiellement composé d'un ordinateur portable puissant, de bloqueurs en écriture permettant de préserver l'intégrité des pièces à conviction numériques analysées, de progiciels d'investigation destinés à rechercher et à récupérer des données effacées ou non sur des supports numériques, ainsi que d'un outillage spécifique destiné au démontage des différents matériels informatiques (ordinateurs fixes, portables, tablettes tactiles...).
Le second niveau concerne les stations d'analyse fixes . Il s'agit là d'un matériel mutualisé au sein d'un service spécialisé. Il vise les mêmes objectifs que les mallettes ICC mais avec une puissance plus importante permettant de traiter davantage de données dans le même laps de temps, en permettant notamment l'usage de progiciels plus puissants.
Le troisième niveau concerne les serveurs SARE (serveur d'analyse et de recherche électronique). Ce niveau d'équipement ne concerne toutefois que de très rares services spécialisés dans l'investigation cybercriminelle et ayant à traiter dans le temps d'une garde à vue de très importants volumes de données se comptant en téraoctets. Il permet notamment à plusieurs enquêteurs de travailler simultanément sur le même support numérique.
En 2011, 2,1 millions d'euros ont été investis afin d'acheter 104 mallettes ICC, 41 stations d'analyse fixes et 5 SARE. En 2012, ont été achetées 60 mallettes ICC et 7 stations d'analyse pour un coût de 618 000 euros . Ce moindre investissement s'explique par le nombre plus restreint d'ICC qu'il restait à équiper.
3. Les zones de sécurité prioritaires (ZSP) : le redéploiement de moyens
a) Le lien avec la population repensé
A la suite de son installation en 2012, le Gouvernement a souhaité ouvrir un nouveau chapitre dans le domaine des relations entre la police et la gendarmerie, d'une part, et la population, d'autre part. Cette volonté s'est traduite par la création de quinze ZSP dès septembre 2012 .
Les principes fondateurs des ZSP Selon la circulaire NOR INTK 1229197 J du 30 juillet 2012 du ministre de l'intérieur, Manuel Valls, les ZSP ont vocation à « répondre, au plus près, aux préoccupations de nos concitoyens, souvent parmi les plus démunis, confrontés dans des quartiers urbains ou des territoires ruraux à la délinquance, à la violence et aux trafics de toutes sortes qui sapent les fondements même de notre société et mettent en péril le lien social ». L'ambition est de notamment de juguler « l'économie souterraine, les trafics de stupéfiants et d'armes, les violences, les cambriolages, les regroupements dans les parties communes d'immeubles d'habitation, les nuisances de voie publique et autres incivilités ». Le projet annuel de performances (PAP) de la mission « Sécurité » pour 2013 précise l'organisation des ZSP : « Dispositif souple et adaptable, les zones de sécurité prioritaires s'organiseront autour : « - d'un accroissement de la présence policière : patrouilles spécifiques, associées, le cas échéant, au renfort, en sécurisation, des forces mobiles de la police nationale ; « - d'une coordination renforcée de l'ensemble des forces de sécurité compétentes sur le territoire concerné : services de voie publique, services d'investigation et de renseignement ; « - de la désignation d'interlocuteurs privilégiés auprès de la population, les délégués police-population, et d'un référent pour chaque ZSP s'impliquant dans le dialogue avec les partenaires de l'action de sécurité publique ; « - d'actions de prévention de la délinquance ciblées autour de la prévention de la récidive grâce à l'emploi du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). « Le pilotage du dispositif sera réalisé en lien étroit avec l'autorité judicaire, les élus locaux et la population . ». |
En termes d' organisation , deux structures locales sont mises en place : une « cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure » et une « cellule de coordination opérationnelle du partenariat ».
En outre, certaines actions relevant de la politique de la ville « pourront utilement être harmonisées ou coordonnées pour compléter l'action menée dans les ZSP, notamment en matière de prévention de la délinquance » .
b) La création de 61 zones au total
La première vague de création des ZSP a eu lieu en septembre 2012. Elle a été suivie par une seconde vague entre novembre 2012 et avril 2013. Au total, ce sont 61 zones qui ont ainsi été créées.
Parmi elles, 47 relèvent de la compétence de la police et cinq sont mixtes entre la police et la gendarmerie.
La carte ci-après retrace les deux vagues de déploiement.
Source : DGPN
c) Le très faible impact sur les investissements
A ce stade, la création des ZSP occasionne principalement des besoins sur le périmètre budgétaire du fonctionnement courant des deux forces de sécurité intérieure .
En effet, dans le cas de la gendarmerie plus particulièrement, le renforcement en militaires de ces unités génère une hausse du besoin immobilier pour assurer à la fois le logement des gendarmes nouvellement affectés et offrir un espace de travail adapté. Ce nouveau besoin peut parfois dépasser les capacités des casernes existantes. Il est alors satisfait par le recours au secteur locatif pour les logements ( via des prises à bail de logements à proximité immédiate des casernes) et le déclassement de logements en locaux de service technique pour répondre aux besoins supplémentaires d'espaces de travail. A titre d'exemple et concernant la ZSP de Fameck (en Moselle), les locaux de service techniques ont été complétés par la location d'une structure modulaire.
Toujours pour la gendarmerie, la mise en oeuvre des ZSP représente à ce jour 200 000 euros d'équipements en systèmes de communication mis à disposition de quatre régions de gendarmerie.
Par ailleurs, depuis le mois de mars 2013, les effectifs de la sécurité publique affectés en ZSP expérimentent pour une durée de six mois le port de caméras-piétons . Ces caméras sont dotées d'un grand angle et d'un objectif orientable, permettent la captation de l'image et du son lors des interventions de police de jour comme de nuit 31 ( * ) . Au total, 165 caméras ont été acquises avec leurs harnais spécifiques (nécessaire au port des caméras sur l'uniforme). Le coût de ce dispositif s'élève à 135 008 euros pour les caméras et 10 118 euros pour les harnais.
Aucun autre moyen matériel supplémentaire n'a été attribué aux ZSP, les personnels envoyés en renfort disposant déjà de leur propre équipement individuel .
Au total, la création de ces zones s'est donc essentiellement effectuée par redéploiement d'effectifs et la définition de nouveaux objectifs. En revanche, l'impact sur les investissements est resté extrêmement limité .
* 28 Un agent de l'office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) y est également détaché.
* 29 Au nombre encore de dix-sept, les BCT des directions départementales de la sécurité publique (DDSP) ont relevé, en 2012, 4 400 contraventions liées aux contrôles de la pollution atmosphérique et sonore des véhicules. Toutefois, ces unités, sous l'effet de la mise en place du contrôle technique et de la possibilité pour les forces de sécurité d'effectuer des contrôles sans appareil de mesure, sont progressivement fermées.
* 30 Cf. supra .
* 31 Autorisée sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, elles peuvent sous certaines conditions être utilisées dans les lieux privés, à l'exception des domiciles. Leur mise en action est laissée à la discrétion du policier et se fait en fonction des circonstances et du comportement des tiers.