(2) L'articulation entre l'administration fiscale et la justice pénale
L'autorité judiciaire a été dotée d'outils pour renforcer le niveau de répression pénale de l'évasion fiscale avec le soutien des services d'enquête spécialisés relevant du ministère de l'Intérieur.
En effet, la justice s'est engagée, depuis une dizaine d'années, dans une démarche générale de spécialisation . S'agissant de la lutte contre la délinquance organisée économique et financière, elle s'est organisée en juridictions interrégionales spécialisées , les JIRS . Ces juridictions, qui sont au nombre de huit , rassemblent à la fois des magistrats spécialisés du parquet, des juges d'instruction spécialisés et des services d'enquête spécialisés. Des équipes d'enquêteurs composés de gendarmes, de policiers et de douaniers, ainsi que de membres de l'inspection du travail et de l'administration fiscale -les groupes d'intervention régionaux (GIR) - sont mises à leur disposition dans le cadre des enquêtes économiques et financières. En outre, les juridictions peuvent s'appuyer sur des assistants spécialisés issus de l'administration fiscale ou des douanes et placés auprès des magistrats, parquetiers ou juges d'instruction.
Juridiquement, en matière de fraude fiscale, l'autorité judiciaire ne peut pas s'autosaisir : elle est tributaire de l'initiative de l'administration fiscale après autorisation par la Commission des infractions fiscales (CIF). Comme l'a fait observer Mme Maryvonne Caillibotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice et des libertés, ce filtrage déroge au fonctionnement classique de la justice française . Le principe d'opportunité des poursuites et les pouvoirs normalement dévolus au parquet subissent ainsi une limitation importante en matière fiscale, ces facultés pouvant par ailleurs poser un problème de transparence, dans la mesure où les choix entrepris peuvent, à tort ou à raison prêter au soupçon sans qu'aucune disposition n'existe pour les apaiser suffisamment.
Depuis 2008, la jurisprudence dite Talmon de la Cour de cassation a admis qu'un fraudeur pouvait être judiciairement poursuivi et condamné du chef de blanchiment de fraude fiscale, alors même qu'aucune poursuite administrative n'avait été engagée pour fraude fiscale. En pratique, le filtrage préalable du ministre du budget peut donc être « court - circuité » et la fraude fiscale directement appréhendée au niveau judiciaire à travers le blanchiment dont elle a fait l'objet.
Sur le plan répressif, cette jurisprudence a deux conséquences. D'une part, l'autonomie de l'infraction de blanchiment est désormais reconnue . D'autre part, sur le plan procédural, il devient possible d'ouvrir une enquête de flagrance, ce qui n'est, en pratique, jamais réalisable en matière de fraude fiscale compte tenu de la saisine tardive de la justice. Or, l'ouverture d'une enquête de flagrance permet de réduire les risques de déperdition des preuves ou de collusion. En outre, la flagrance offre des pouvoirs d'enquête qui rendent la répression plus efficace .
Mme Maryvonne Caillibotte a signalé que cette jurisprudence « n'avait pas été facilement acceptée par l'administration fiscale qui a pu la considérer comme une remise en cause de son « monopole » » , d'autant que le délit de blanchiment est assez facile à caractériser, peut-être même plus que la fraude fiscale, dans certains cas.
En pratique, l'administration fiscale signale à la justice pénale environ mille affaires par an et le nombre des condamnations est sensiblement comparable. En 2010, l'administration fiscale lui a transmis 1 043 dossiers et 1 348 condamnations ont été prononcées, en incluant celles qui ont sanctionné la non-justification de ressources, l'escroquerie ou le blanchiment.
Inversement, la répression pénale des faits de blanchiment doit normalement conduire la justice à transmettre un certain nombre d'informations à l'administration fiscale afin de fiscaliser des revenus d'origine occulte.