B. DES INTERROGATIONS PERSISTANTES

Le rapport préparatoire transmis à votre rapporteur spécial insiste à plusieurs reprises sur l'abondance de travaux et d'échanges nourris ayant abouti à la décision de construire l' André-Malraux 38 ( * ) . Nonobstant cette importante mobilisation, plusieurs questions demeurent.

1. Des solutions alternatives trop rapidement écartées ?

Plusieurs solutions alternatives existaient à la construction d'un nouvel équipement, parmi lesquelles la reconversion de bateaux existants, l'utilisation de bâtiments d'autres administrations d'Etat ou la construction d'un simple bateau côtier assortie de la location ponctuelle d'un navire océanographique auprès de prestataires privés. Ces solutions ont toutes été écartées par le ministère.

a) Le recours aux prestataires privés

Le rapport consacré à l' André-Malraux consacre des développements à la possibilité de louer un navire. Les raisons qui ont conduit à écarter cette option sont de deux ordres.

En premier lieu, la rareté des navires disponibles exige de planifier leur utilisation et n'est donc pas compatible avec la nécessité d'intervenir fréquemment, et parfois en urgence, sur certains sites. Ainsi, « les unités de petit tonnage disponibles sur le marché et aptes à épauler des opérations archéologiques sous-marines brillent en premier lieu par leur absence. En outre, les bateaux de travail de moins de 500 UMS susceptibles d'être ponctuellement aménagés en support de plongée scientifique ne sont eux-mêmes pas légion en Europe » 39 ( * ) . Par ailleurs, une location « ne permettrait toujours pas d'assurer tout au long de l'année la présence de l'Etat dans la gestion administrative et scientifique des biens culturels maritimes. Sorti des périodes de location obligatoirement programmées avec beaucoup d'anticipation et une nécessaire rigueur, de quels moyens disposerait en effet (le DRASSM) pour réaliser en urgence l'expertise d'un site récemment pillé ou soudainement découvert et immédiatement menacé ? » 40 ( * ) .

En second lieu, les navires à louer sont chers . Le rapport estime le coût de la location entre « 10 000 et 15 000 euros par jour pour un navire bien équipé d'une trentaine de mètres » 41 ( * ) . Cette évaluation s'appuie sur le prix facturé par la société COMEX à l'Agence des aires marines protégées dans le cadre d'un contrat de location de longue durée du navire Minibex , au demeurant très proche de l' André-Malraux . Selon M. L'Hour, l'agence loue le Minibex depuis deux ans, à raison de cent jours fermes d'opération par an, pour près de 13 500 euros hors taxe par jour. Une extrapolation de ces tarifs aux besoins annuels du DRASSM représenterait « plus de 40 % du coût global de construction de l' André-Malraux » et 15 à 25 fois ce coût sur toute la durée de vie du futur navire. Ces tarifs seraient enfin, selon le directeur du DRASSM, hors de portée des moyens budgétaires du département . Ces comparaisons ont été soumises à l'analyse des représentants de la société COMEX. Ces derniers ont confirmé le montant facturé à l'Agence des aires marines protégées 42 ( * ) , tout en estimant la comparaison avec le DRASSM « totalement hors sujet » . En effet, selon la COMEX, les besoins en équipements pour les missions de l'Agence des aires marines protégées sont très différents de ceux utilisés pour des missions archéologiques 43 ( * ) et interdisent toute comparaison de cette nature.

Par ailleurs, les comparaisons de coûts proposées supposent, pour être pertinentes, que le DRASSM ait besoin, 200 jours par an, d'un navire océanographique. Or, sur ces 200 jours, tous ne correspondent pas à des opérations archéologiques en haute mer, sur épaves profondes, et concernent également des fouilles conduites près des côtes , qui nécessitent des moyens plus légers. Dans ce cas, une solution alternative consiste à posséder un bateau côtier mobilisable en permanence et à louer un bateau océanographique pour des missions lointaines ponctuelles 44 ( * ) .

Ces éléments ne justifient donc pas totalement qu'ait été écarté un recours épisodique à la location d'un navire perfectionné, assorti de la construction d'un navire côtier plus léger et moins coûteux.

b) Le rachat et la reconversion d'équipements existants

Une seconde option explorée par le DRASSM a consisté en la reconversion d'un navire d'occasion . Une fois encore, cette hypothèse a été écartée, au motif que les navires à vendre, correspondant au cahier des charges retenu, étaient très rares . Selon le rapport, « dans cette catégorie des navires de charge ou de travail de moins de 500 UMS, on ne trouvait en 2006, 2007 que des unités très âgées , dont le coût de remise en état et de refonte décourageaient par avance l'acquisition, ou des navires de pêche en activité, majoritairement des chalutiers hauturiers et semi-hauturiers de 25 à 40 mètres, puisque thoniers et palangriers s'extraient généralement par leurs dimensions et leurs tonnages de notre coeur de cible » 45 ( * ) . Le projet André-Malraux serait, en quelque sorte, intervenu trop tard, ne pouvant ainsi profiter des nombreuses reconversions de navires suscitées par la crise du secteur de la pêche.

Cette analyse n'est pas partagée par les représentants du ministère chargé de la mer entendus par votre rapporteur spécial . M. Michel Peltier, directeur adjoint du cabinet du cabinet de Chantal Jouanno et ancien conseiller « mer » au cabinet de Jean-Louis Borloo, a ainsi rappelé que, dans le cadre des restrictions communautaires et internationales pesant sur la pêche au thon rouge, des plans de sortie de flotte ont été mis en oeuvre par plusieurs Etats, dont la France.

Quand bien même il reconnaît l'existence d'un gisement de thoniers senneurs, le DRASSM estime que la transformation d'un tel navire serait, pour satisfaire au cahier des charges de l' André-Malraux , extrêmement onéreuse .

On observe pourtant que ces équipements possèdent déjà des systèmes de levage et de mise à l'eau, ainsi que de vastes plateformes qui semblent adaptés aux besoins d'une activité sous-marine. Selon le ministère chargé de la mer, la reconversion d'un thonier est estimée à environ 300 000 euros et des services de l'Etat tels que la délégation générale à l'armement et l'administration des phares et balises utilisent de tels thoniers reconvertis pour leurs besoins propres. La COMEX a indiqué à votre rapporteur spécial avoir envisagé une telle acquisition pour ses activités. Ses représentants ont précisé que le cabinet Mauric - ayant conçu l' André-Malraux - leur avait suggéré de racheter les navires Provence-Côte-d'Azur-2 ou Geneviève-2 46 ( * ) en mai 2009 et de les modifier pour les adapter aux besoins de leurs opérations.

2. Une décision en marge des démarches de mutualisation des moyens de l'Etat en mer

Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), l'Etat s'efforce aujourd'hui de mutualiser ses moyens d'intervention en mer , notamment à travers une fonction garde côtes créée par le décret n° 2010-834 du 22 juillet 2010 ( cf . encadré). Selon le livre bleu de décembre 2009, cette démarche vise à faire progresser la capacité des administrations à travailler ensemble, en améliorant les procédures communes et les réseaux d'information et de communication, ainsi qu'à favoriser toutes les mutualisations pertinentes susceptibles d'améliorer le maintien en condition des moyens navals et aériens relevant de ministères différents. Dans ce cadre, « l'acquisition de vecteurs nouveaux (qui) serait envisagée pour répondre à une fonction nouvelle ne doit pas entraîner la création d'une flotte supplémentaire » .

Des politiques prioritaires, une réponse unique : la fonction garde-côtes

Les décisions adoptées par le comité interministériel de la mer du 8 décembre 2009 constituent un ensemble cohérent. Est mis en place un comité directeur de la fonction garde-côtes , placé sous l'autorité du Premier ministre, présidé par le secrétaire général de la mer et constitué des responsables des services agissant en mer (...). Le mandat du comité directeur est ainsi fixé : 1) faire progresser la capacité des administrations à travailler ensemble , en améliorant les procédures communes et les réseaux d'information et de communication ; 2) rechercher et favoriser toutes les mutualisations pertinentes susceptibles d'améliorer le maintien en condition des moyens navals et aériens relevant de ministères différents. A terme, ces mutualisations devront aller jusqu'à la mise en oeuvre et le soutien en service communs ; 3) rechercher toutes les synergies possibles au sein du réseau des centres opérationnels dans le respect des prérogatives et des exigences de conduite de l'action de chacun ; 4) en s'appuyant sur le réseau existant des écoles et centres de formation des différentes administrations, rechercher l'accroissement de la capacité du personnel à opérer dans des cadres communs , de façon coordonnée ou intégrée. Favoriser la possibilité de constituer des équipes d'agents spécialisés de différentes administrations, chaque fois qu'une plus value résultant de cette mixité aura été identifiée au regard de la nature de la mission considérée ; 5) donner son avis sur le schéma directeur des moyens qui sera présenté au ministre chargé de la mer et validé par le Gouvernement.

Une liste des priorités pour l'action de l'Etat en mer est établie. Au nombre de 5 ou 6, donc en nombre limité, ces priorités exprimeront les ambitions de l'Etat autour desquelles se concentreront les moyens et les modalités d'action. (...) A partir de ces priorités parfois assorties d'un véritable cahier des charges quantifié, définissant l'effet à atteindre, sera dessiné le format global de la fonction garde-côtes. La stratégie nationale définit la tâche à accomplir : « en fonction de priorités définies par le gouvernement après consultation du ministre chargé de la mer, le format souhaitable des moyens destinés à intervenir en mer sera traduit dans un schéma directeur. Ce schéma directeur élaboré et entretenu par le Secrétariat général de la mer devra reposer sur une appréciation réaliste des besoins, et tout particulièrement des besoins nouveaux nés de la prise en compte de réglementations nouvelles, notamment les directives européennes destinées à mieux protéger le milieu marin. Il se traduira par l'établissement d'un format cible défini en moyens génériques, assortis d'une disponibilité opérationnelle allouée pour les tâches communes ne relevant pas de la mission de l'administration d'appartenance, et d'une répartition géographique idéale ». (...)

Le dernier point concerne la visibilité internationale de notre organisation que nous entendons renforcer par l'action du centre opérationnel de la fonction garde-côtes dont la création a été décidée par le comité interministériel de la mer. Ce centre tiendra à jour en permanence une situation maritime de référence. Placé sous l'autorité du Premier ministre et du secrétaire général de la mer par délégation, et donc interministériel, il sera constitué d'officiers des douanes, des affaires maritimes, de la police aux frontières, de la marine nationale, de la gendarmerie et de la sécurité civile. Il aura trois missions. La première sera d'assurer en permanence l'information du Gouvernement. Face à un évènement majeur, il devra également alimenter les centres de gestion de crises gouvernementaux en informations maritimes. Ensuite, deuxième mission, ce centre opérationnel observera le trafic maritime coopératif ou non coopératif, procédera à son analyse et en évaluera les évolutions sur le moyen ou long terme. Il permettra ainsi d'anticiper les redéploiements nécessaires de notre dispositif. La troisième mission sera d'être le point d'entrée de notre coopération avec d'autres états. Cette visibilité est très importante comme cela a déjà été dit. Les préfets maritimes et les divers centres opérationnels continueront à commander et diriger sur le terrain.

Source : Secrétariat général de la Mer

a) Une conception très spécifique de la mutualisation

Bien que son implication dans les instances de coordination interministérielle consacrées à la mer soit parfois jugée insuffisante par le directeur du DRASSM lui-même 47 ( * ) , la création de la fonction garde-côtes n'était pas ignorée du ministère de la culture et de la communication .

Le rapport de M. L'Hour indique, ainsi, que l' André-Malraux devra être « multi-missions et savoir se prêter à un grand nombre de recherches sous-marines, de sorte qu'il puisse, d'une part s'adapter aisément à l'évolution du métier, d'autre part satisfaire aux besoins d'autres organismes que le DRASSM » 48 ( * ) . L'inscription du DRASSM dans le cadre plus général de l'action de l'Etat en mer est également réaffirmée, le département se définissant comme un « interlocuteur permanent et souvent privilégié » 49 ( * ) du Secrétariat général de la mer et des ministères oeuvrant à la mer. Dans cette optique, il est « évident que le nouveau bâtiment (...) aura aussi un rôle à jouer dans l'organisation de la fonction garde-côtes souhaitée par le Gouvernement » 50 ( * ) .

Nonobstant ces positions de principe, la conception précise que se fait le DRASSM de la mutualisation des moyens semble restrictive . Il est ainsi indiqué, dans le rapport consacré au nouveau bateau, que « l'action de l'Etat en mer, dont participe le DRASSM, doit, si elle veut être crédible, pouvoir disposer à tout instant d'un moyen de projection maritime » . Cet impératif doit donc conduire à « renoncer à la location ou à une pseudo mise en commun de moyens dont on voit vite qu'elle est impossible à gérer et encore moins à garantir pour des organismes réclamant à tout moment de pouvoir intervenir à la mer » 51 ( * ) .

Il semble ensuite que, pour le DRASSM, la « vraie mutualisation » consiste « à monter en commun des projets sur des zones maritimes où l'on a des préoccupations de recherche communes et pour lesquelles on recourt à une logistique similaire. En se prêtant à cette mutualisation, le propriétaire et armateur du bateau tire ainsi profit de l'action symbiotique tout en conservant des droits spécifiques qu'il peut naturellement monnayer de diverses manières, soit en espèces sonnantes et trébuchantes, soit dans le cadre d'une négociation générale touchant au fonctionnement général du bateau . La mise à disposition d'un équipage de relève peut d'ailleurs être l'enjeu d'un tel accord » 52 ( * ) .

Enfin, la mutualisation de l' André-Malraux sera d'autant plus aisée que d'autres administrations ou organismes se doteront de sister-ships de la même facture. Selon le rapport de M. L'Hour « la mutualisation de l' André Malraux en Méditerranée pourrait offrir, en contrepartie, au DRASSM, des plages d'utilisation des sister-ships de son bâtiment travaillant au Ponant ou en outre-mer ».

Votre rapporteur spécial en déduit :

1) que le DRASSM souscrit à la mutualisation des moyens d'intervention de l'Etat en mer, à condition de disposer de moyens propres et, le cas échéant, d'en monnayer le concours ;

2) que cette mutualisation emporte, idéalement, la multiplication de navires jumeaux de l' André-Malraux , dont on comprend difficilement comment elle s'articule avec l'objectif global d'économies qui sous-tend la démarche de rationalisation des moyens de l'Etat en mer.

b) Une décision vraisemblablement unilatérale, une utilisation forcément mutualisée

La construction d'un nouveau navire 53 ( * ) n'apparaissant donc pas d'emblée congruente avec la volonté de rationaliser les moyens de l'Etat en mer, votre rapporteur spécial s'est efforcé de savoir si le projet André-Malraux avait résulté d'une décision concertée .

Interrogés sur ce point, les représentants du ministère de la culture et de la communication relèvent que la construction de l' André-Malraux a fait l'objet d'une décision du Grenelle de la Mer . Il est exact que la décision n° 100 54 ( * ) préconise de « faire de la France le fer de lance d'un système international de gestion des épaves » et de « renforcer les moyens (un navire) et humains (postes d'archéologues) de l'Etat (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) afin de faire face à l'extension de la protection des biens culturels maritimes au plateau continental, à l'accroissement exponentiel des sollicitations du service dans les territoires ultramarins et à l'échelle internationale ». Le Grenelle de la Mer s'étant déroulé entre avril 2009 et avril 2010, et les réflexions sur la construction du nouveau navire datant au moins de 2006, le Grenelle de la Mer est en quelque sorte venu « consacrer » ce projet du ministère de la culture. Un examen plus minutieux montre néanmoins que le comité interministériel de la mer au cours duquel les orientations du Grenelle de la mer ont été formellement adoptées s'est tenu le 8 décembre 2009, alors même que la décision de construire l' André-Malraux a été annoncée par le ministère de la culture un mois plus tôt, soit le 30 octobre 2009 .

Entendu par votre rapporteur spécial, M. Jean-François Tallec, secrétaire général de la mer, a indiqué avoir écrit au directeur du DRASSM le 12 février 2010 (soit plus de trois mois après l'arbitrage rendu par le ministre de la culture et de la communication) afin de manifester son intérêt pour le projet, de rappeler la création d'une fonction garde côtes-et d'aborder avec le DRASSM la question d'une utilisation mutualisée du futur navire . Au terme d'une réunion avec les représentants du DRASSM tenue le 4 mars 2010, le Secrétaire général de la mer a estimé que le futur navire du DRASSM pourrait relever de la fonction garde-côtes, et notamment au titre de la lutte contre le trafic de biens culturels maritimes, et qu'il devrait faire l'objet d'une utilisation mutualisée, sous réserve de coopérations concrètes à construire.

Au total, votre rapporteur spécial a acquis la conviction que le ministère de la culture et de la communication a conçu et arrêté son projet en marge des réflexions gouvernementales sur la mutualisation des moyens de l'Etat en mer . Il faut lui donner acte que ce projet est ancien , alors que les initiatives tendant à la création d'une fonction garde-côtes n'ont été réellement menées que dans le courant de 2009 et formalisées sous forme de décret qu'en 2010. Le DRASSM a alors indiqué que son futur navire s'inscrirait dans ce nouveau schéma, conviction louable que les travaux conduits au nom de votre commission des finances ont probablement contribué à forger...

En tout état de cause, votre rapporteur spécial s'est fait confirmer par le Secrétaire général de la mer que l'intégration de l' André-Malraux à la fonction garde-côtes, son utilisation mutualisée et son concours à la conduite d'une politique maritime intégrée n'étaient pas conditionnés au bon vouloir du DRASSM ou à la disponibilité du navire hors missions archéologiques, et qu'il « n'était pas question que le bateau échappe » à cette démarche.

3. Un financement budgétaire dès 2009, mais une autorisation parlementaire fin 2011

Les estimations financières transmises à votre rapporteur spécial faisaient état d'un coût hors taxe 55 ( * ) avant négociation de 6 125 900 euros pour le navire et de 822 000 euros pour d'éventuelles options ( cf . tableau).


Estimation budgétaire au 10 janvier 2010

* Budget estimatif pour coque, carlingages, cloisonnement, vaigrage, revêtement, peintures, installations et accessoires de coque, électricité, eau douce eau de mer et incendie, hydraulique et gazole, ventilation réfrigération, propulsion autre que moteurs, aménagements et mobilier.

Source : réponses au questionnaire.

a) Des coûts à consolider

Hors coût de construction, l' André-Malraux suscitera des coûts de fonctionnement et de personnel . Selon le rapport préparatoire, « la charge financière liée au fonctionnement du nouveau bateau peut être estimée entre 300 000 et 350 000 euros 56 ( * ) par an, pour un navire maintenu en capacité opérationnelle entre 9 et 11 mois par an, soit 270 à 320 jours de campagne offshore » 57 ( * ) . S'agissant des éventuels équipements complémentaires que nécessitera une utilisation de l' André-Malraux au maximum de ses potentialités, le DRASSM possède d'ores et déjà un submersible 58 ( * ) Achille , un magnétomètre 59 ( * ) et un sonar 60 ( * ) . Selon les réponses au questionnaire, le département souhaiterait acquérir :

1) « à court terme un compresseur air-nitrox afin de permettre au personnel du département de plonger au nitrox, mélange gazeux dont l'usage ajoute un coefficient de sécurité non négligeable aux interventions hyperbares » , pour un coût de 45 000 euros ;

2) « à court ou moyen terme (...) un treuil avec enrouleur de câble électroporteur qui faciliterait la mise en oeuvre des sonar et magnétomètre du département » , pour un coût estimé à 54 000 euros ;

3) « à moyen ou long terme, (...) un sondeur multifaisceaux, mais le principe d'une telle acquisition reste pour l'heure à l'état de pure hypothèse » .

Se pose enfin la question des compétences à réunir pour piloter l' André-Malraux et pour utiliser, le cas échéant, les équipements submersibles dont il serait assorti 61 ( * ) . Le rapport 62 ( * ) indique que l'équipage sera constitué de trois hommes en navigation de troisième catégorie, porté ponctuellement à quatre lors des navigations en deuxième catégorie. Ce renfort sera assuré par un membre du DRASSM ou d'une équipe de fouille « ayant la compétence du travail à la mer » . Les hommes en question seront mobilisés au sein du personnel actuel du DRASSM , de manière à « ne plus être tributaire (...) de la mise à disposition d'un équipage, à titre gracieux, ou par affrètement auprès d'une entreprise privée » 63 ( * ) . Les postes de capitaine et de second seront ainsi occupés par deux agents du département, titulaires ou futurs titulaires du brevet de patron de navigation côtière.

Seul un mécanicien devrait donc être recruté, par contrat à durée déterminée de trois ans, parmi les anciens mécaniciens de la Marine nationale ou parmi les retraités de l'ENIM renonçant à faire valoir leur statut de cotisant à cette caisse. Selon le rapport préparatoire, ces ressources humaines devraient satisfaire « l'essentiel des besoins opérationnels du DRASSM » , et pourraient être complétées par des personnels de « certains partenaires naturels » du département, avec qui des « contacts informels » ont été pris.

Quel que soit le montant total des coûts complémentaires associés au projet, il conviendra que le DRASSM y pourvoie à moyens constants.

b) Des démarches de mécénat « tombées à l'eau »

Selon les informations dont dispose votre rapporteur spécial, le financement du projet sera intégralement imputé sur le budget de l'Etat .

Pourtant, le bilan d'activités 2007-2008 du département faisait état (page 70), de soutiens financiers possibles de la part de sociétés telles que Total, Areva, Gaz de France, d'autres « grands du CAC 40 » et de partenaires institutionnels (région PACA et ville de Marseille). Le DRASSM envisageait, en 2007, même le concours de mécènes avec un certain optimisme : « Compte tenu de la nature et du coût du projet, de son impact qui se fera sentir pendant plusieurs décennies, de l'ancienneté du lien qui unit le DRASSM à quelques grands groupes industriels et des spécificités de l'archéologie sous-marine (recherche maritime et offshore, esprit pionnier, fort engagement des personnels, grande réputation internationale, intérêt persistant du public, excellente audience des médias...), l'hypothèse d'un mécénat lourd ne semble pas un rêve inaccessible » 64 ( * ) .

De surcroît, Renaud Donnedieu de Vabres et Christine Albanel avaient, en qualité de ministres de la culture, souhaité que des financements extérieurs soient mobilisés. Selon les réponses au questionnaire, « dès l'amorce du projet, en février 2007, et au regard de la bonne image de marque de l'archéologie sous-marine, M. Donnedieu de Vabres, alors ministre de la culture, avait souhaité que soit prospectée la voie du mécénat pour construire le remplaçant de L'Archéonaute . D'autant que le ministère mobilisait déjà à l'époque d'importants crédits pour financer la construction de la nouvelle implantation du DRASSM à l'Estaque . (...). Nommée ministre de la culture le 18 mai 2007, Mme Albanel s'est également tenue régulièrement informée du projet. Lors de l'inauguration de la nouvelle implantation du Drassm à l'Estaque, le 22 janvier 2009, Mme Albanel a annoncé dans son discours que son ministère entendait financer à hauteur au moins du tiers le budget de construction du nouveau bateau tout en rappelant son souhait de voir encore prospecter les voies du mécénat ».

Les recherches de mécènes se sont, au total, révélées infructueuses. Selon le directeur du DRASSM, les refus successifs ont pu tenir à la survenue de la crise économique ou aux choix stratégiques des entreprises :

« - l'entreprise observe que les activités de ce département participent stricto sensu des fonctions régaliennes de l'Etat ; elle ne comprend donc pas qu'on la sollicite et considère que la construction du navire devrait être financée sur fonds publics ;

« - l'entreprise est à la recherche d'actions immédiates de communication (grande fouille sous-marine médiatisée par exemple) mais n'éprouve guère d'intérêt à capitaliser pendant plusieurs décennies sur l'image du navire du DRASSM, dont le rôle est d'abord d'assurer au quotidien la gestion administrative et scientifique des patrimoines immergés » .

Faute de mécènes, les représentants du ministère de la culture ont néanmoins indiqué que le financement du fonctionnement du navire pourrait reposer en partie sur des ressources issues de la mise en location du navire . Outre le fait qu'il n'entre guère dans la vocation d'une administration d'Etat de concurrencer des prestataires privés sur leur propre terrain, cette hypothèse ne semble pas soulever l'enthousiasme du directeur du DRASSM, qui souligne que « si la location de l' André-Malraux relève de facto du domaine du possible, on tient cependant à rappeler en préambule que la location n'est en aucun cas la finalité première de la construction de ce navire d'Etat » .

c) Des modalités de budgétisation contestables

Selon les réponses au questionnaire budgétaire pour 2011, 8 577 210,28 euros d'autorisations d'engagement ont d'ores et déjà été affectées en engagées 65 ( * ) . Les paiements se limitent, pour l'heure, à 428 860,51 euros et la direction du budget a confirmé à votre rapporteur spécial que la plupart des crédits de paiement nécessaires à cet investissement n'avaient pas encore été ouverts en loi de finances.

Selon les informations obtenues auprès du contrôleur budgétaire et comptable ministériel, les autorisations d'engagement destinées au projet André-Malraux ont été mobilisées par redéploiement de crédits initialement dédiés aux centres de conservation et d'études archéologiques et à des dépenses consécutives aux « Etats généraux de l'outre-mer ». S'agissant des crédits de paiement et toujours par redéploiement , 302 725,07 euros été mandatés à la signature du marché et 1 286 581,54 euros ont été versés, qui correspondent à la phase 1 du projet. Par conséquent, le lancement du projet et son financement n'ont été, pour l'heure, retracés ni dans les projets annuels de performances, ni dans les rapports annuels de performances soumis au Parlement .

Le solde des crédits de paiement nécessaires, soit 5,61 millions d'euros , devrait quant à lui être ouvert dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012 , ainsi qu'il en a été décidé au cours des conférences de budgétisation présidant à l'élaboration du budget triennal 2011-2013.

Ce montage financier appelle plusieurs observations.

Que le financement de l' André-Malraux s'opère par redéploiement de crédits, dans le cadre des plafonds votés par le Parlement, ne pose pas de problème en soi. Il s'agit de l'application pure et simple du principe de responsabilisation des gestionnaires promu par la LOLF. On aurait néanmoins pu s'attendre à ce que de tels redéploiements soient retracés dans les rapports annuels de performances annexés au projet de loi de règlement pour 2009, dans la mesure où ils intéressent le financement d'un équipement lourd, dont l'exploitation génèrera des coûts durables.

Que la budgétisation du projet ait ensuite été opérée sur la base d'un montant de CP inférieur à celui des AE n'est pas non plus de nature à surprendre, et il en va ainsi de la plupart des projets d'investissement.

Il est en revanche critiquable que la couverture d'autorisations d'engagement rendues disponibles par redéploiement ne soit pas, par homothétie, couverte par des crédits de paiement eux-mêmes obtenus par redéploiement . En l'espèce, le ministère de la culture a lancé le projet André-Malraux sur la base d'AE disponibles en 2009, a procédé aux premiers paiements au moyen de CP également redéployés, mais ne « présentera la facture » définitive qu'en 2012, année où le Parlement sera prié d'ouvrir les 5,61 millions d'euros de crédits de paiement « frais », nécessaires pour solder une opération sur laquelle les documents budgétaires seront restés muets trois années durant . On comprend aisément que si tous les ministères procédaient de la sorte, la justification au premier euro des crédits et le principe de responsabilisation des gestionnaires seraient vidés de leur sens.

Dans ces conditions, et compte tenu des nombreuses réserves exposées ci-avant quant à l'opportunité du projet, il apparaît de bonne gestion d'encourager le ministère de la culture et de la communication à financer intégralement le nouveau navire par redéploiement de crédits, en n'ouvrant aucune dotation complémentaire à ce titre en 2012.


* 38 Selon ce rapport, le projet a suscité « la rédaction de dizaines de notes, de centaines de pages, de milliers d'e-mails adressés tant à la tutelle qu'à des bureaux d'études, des mécènes potentiels ou des équipementiers navals. Il a pareillement exigé des centaines de réunions, d'appels téléphoniques, de déplacements, de visites techniques et de consultations de tous ordres, tant en France qu'à l'étranger. Il a évidemment conduit aussi à des centaines de propositions logistiques, de calculs de stabilité, de devis de poids, de retours d'expériences, de confrontations, passionnantes et passionnées, entre les besoins exprimés et leurs solutions techniques. Il s'est enfin peaufiné au cours de longues discussions où la fameuse quadrature du cercle fut longtemps tutoyée sans qu'elle ne puisse jamais, naturellement, trouver sa solution. De tous ces contacts, sereins ou fiévreux, résultent aujourd'hui un cahier très nourri de spécifications techniques et des dizaines de plans cotés qui ont été soumis à leur tour à la torture de l'examen avant d'être définitivement validés par l'équipe-projet » .

* 39 Rapport de Michel L'Hour, page 19.

* 40 Rapport de Michel L'Hour, page 20.

* 41 Rapport de Michel L'Hour, page 19.

* 42 La COMEX souligne toutefois qu'il ne s'agit aucunement d'une location sur 2 ans à raison de 100 jours fermes par an, mais d'une mission de 100 jours, répartis sur 18 mois.

* 43 Les coûts facturés à l'Agence des aires marines protégées comprennent la mise à disposition du navire (carburant compris), de l'équipe navigante et technique, de sonars géophysiques grande profondeur, d'équipements de bathymétrie 3D haute résolution, du sous-marin REMORA 2000 équipé de caméras haute résolution et d'outils de prélèvements spécifiques, du ROV Super Achille lui aussi équipé de caméras haute-résolution et de systèmes de prises d'échantillons. Le contrat comprend notamment le traitement des données géophysiques et des données vidéos qui, outre l'onéreux matériel de cartographie et de traitement des données acquises nécessite une équipe d'ingénieurs dédiée.

* 44 Par ailleurs, 200 jours au large semblent constituer une estimation haute, compte tenu notamment des aléas météorologiques.

* 45 Rapport de Michel L'Hour, page 21.

* 46 De dimensions similaires à l' André-Malraux .

* 47 Michel L'Hour regrette ainsi, dans son rapport « la non-représentation du MCC au sein du SGMer ou son absence lors du dernier CIMER... L'action du DRASSM, en novembre dernier, lors des réunions de préparation de ce CIMER ne peut en effet pallier le silence opposé par la tutelle aux rapports de ce département sur les travaux du CIMER et à ses demandes de mandat précis. »

* 48 Rapport de Michel L'Hour, page 24.

* 49 Rapport de Michel L'Hour, page 25.

* 50 Rapport de Michel L'Hour, page 25.

* 51 Rapport de Michel L'Hour, page 21.

* 52 Rapport de Michel L'Hour, page 24.

* 53 On observe que le DRASSM ne considère par l' André-Malraux comme un navire nouveau « puisqu'il ne fait que remplacer un vieux navire désarmé » (Rapport de M. L'Hour).

* 54 Relevé de décisions du Grenelle de la Mer.

* 55 Le rapport de M. L'Hour indique qu'une demande spécifique de détaxe a été remise au ministre du budget.

* 56 Le coût de fonctionnement et d'entretien annualisé du navire a été estimé, en année pleine, à 241 000 euros. L'équipage de base, soit un commandant, un commandant en second et un mécanicien 3000 KW sera prélevé sur les effectifs ordinaires du DRASSM. Le coût en titre 2 de cet équipage est estimé à 110 K€, soit un total de 351 000 euros annuel.

* 57 Rapport de Michel L'Hour, page 26.

* 58 Acheté à la société Comex Pro en août 1996, il s'agit d'un « Achille M4 » qui peut atteindre la profondeur de 400 mètres. Il a travaillé en rade de Villefranche-sur-Mer et sur toutes les épaves profondes expertisées par le DRASSM, soit pour effectuer des reconnaissances avant de procéder à des plongées humaines, soit pour surveiller les plongeurs du DRASSM en opération. Il a également participé à deux des trois missions conduites par le DRASSM sur les épaves de Lapérouse à Vanikoro, dans le Pacifique sud. Depuis que L'Archéonaute a été retiré du service actif, le ROV du DRASSM n'est pratiquement plus opérationnel puisque ce département ne dispose plus du support surface capable de le mettre en opération.

* 59 Ce « poisson » tracté qui enregistre toutes les déformations du champ magnétique terrestre a été acquis par le DRASSM en mars 2009. Il a été utilisé en 2009 pendant toute la campagne d'inventaire des épaves des Iles Eparses, en océan Indien, ainsi que lors de plusieurs campagnes de prospection et de carte archéologique menées par le DRASSM sur les côtes du Morbihan, des Côtes d'Armor et d'Ille-et-Vilaine.

* 60 Le poisson remorqué Klein 3900 a été acheté en décembre 2009 afin de répondre aux besoins de toutes les opérations de détection électronique conduites par le DRASSM dans le cadre de la carte archéologique nationale. Tracté au-dessus du fond, il permet de relever, par ombre portée, tout ce qui dépasse du sol sous-marin et parfois même d'analyser visuellement la nature des vestiges découverts. Il a déjà participé à plusieurs missions en mer d'Iroise, en Manche et lors d'expérimentations en Méditerranée.

* 61 Sur ce second point, les réponses au questionnaire indiquent que « le DRASSM a pour règle de n'acheter que les équipements qu'il sait pouvoir mettre en oeuvre ou dont il peut acquérir aisément et à moindre coût la maîtrise. Le DRASSM dispose ainsi, en interne, de toutes les compétences nécessaires pour assurer l'exploitation des équipements ».

* 62 Rapport de Michel L'Hour, note 21, page 17.

* 63 Rapport de Michel L'Hour, page 24.

* 64 Annexe au bilan d'activité 2006-2007, pages 70-71.

* 65 Ce montant diffère sensiblement de la prévision hors taxes mentionnée plus haut, mais votre rapporteur spécial ne dispose pas de sa décomposition fine.

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