ANNEXE 1 : CONTRIBUTION DES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL AU NOM DU GROUPE SOCIALISTE, APPARENTÉS ET RATTACHÉS
1-Historique
Après la deuxième guerre mondiale, l'Europe doit faire face à une grave crise alimentaire car ses niveaux de production ont chuté de près d'un tiers . A ses débuts, la politique agricole commune (PAC) se fixe donc comme objectif de garantir l'approvisionnement en denrées alimentaires de base, à des prix abordables, de tous les citoyens européens. Cet objectif est rapidement atteint grâce à la mise en place d'aides à la production (garantie de prix élevés) et d'aides à la restructuration (aides à l'investissement et à la modernisation du matériel agricole). La PAC créée par le traité de Rome en 1957 et mise en place en 1962 a par ailleurs permis d'engager la construction européenne au niveau politique.
L'orientation presque uniquement productiviste de cette politique européenne a cependant abouti à une situation de surproduction généralisée, à une spécialisation à outrance de certaines régions, à une concentration des exploitations et enfin, à une contraction de la main d'oeuvre. Les excédents ont été stockés puis détruits ou écoulés sur les marchés mondiaux grâce aux restitutions à l'exportation ce qui a largement contribué à déséquilibrer les économies des pays en voie de développement. Le coût de la PAC pour le budget communautaire a de fait explosé et les conséquences en termes de désertification des zones rurales se sont faites sérieusement ressentir. Il a fallu attendre 1984 pour que des modalités de maîtrise de l'offre et de régulation des marchés soient proposées et que les dépenses agricoles soient plafonnées.
Malheureusement au même moment, le paradigme libéral du marché tout puissant s'est imposé dans les instances internationales sous l'impulsion des États-Unis, ce qui a contraint l'Europe à orienter sa politique agricole vers le marché et le libre échange . Les négociations commerciales menées dans le cadre du GATT puis de l'OMC ont de fait fortement influencé l'idéologie des réformes de la PAC depuis 1992 : introduction puis généralisation du découplage des aides, élimination progressive de tous les instruments d'intervention publique sur les marchés, abandon des outils de gestion de l'offre...
Résultat, la PAC apparaît de moins en moins légitime aux yeux des consommateurs puisque les aides sont déconnectées de la production et sont réparties de façon très inégale entre les agriculteurs (20% des agriculteurs reçoivent 80% des aides) et sont souvent fondées comme en France, sur une période de référence de plus en plus éloignée.
La PAC est aussi de plus en plus illisible du fait d'une flexibilité toujours plus grande laissée aux États membres annonçant ainsi les prémices d'une renationalisation, d'une concurrence de plus en plus vive au sein de l'Union et de la multiplication des outils de réorientation des aides entre les deux piliers et au sein du premier pilier, sans que la structure globale de la PAC ne soit jamais remise en question.
Enfin, elle paraît inefficace puisque les revenus des agriculteurs européens ne cessent de diminuer, que les crises sanitaires et les crises agricoles se multiplient et que la sécurité alimentaire au niveau mondial est loin d'être assurée, en témoignent les nombreuses émeutes de la faim dans les pays en développement lors de la crise de 2007-2008. Notons également que la crise de la vache folle de la fin des années 90, a sérieusement marqué les esprits et mis à mal la confiance que les consommateurs pouvaient avoir dans le modèle agricole européen.
La France en tant que principal contributeur au budget européen (le deuxième en valeur nette) et en tant que premier bénéficiaire de la PAC a toujours été moteur des orientations de la PAC. Elle porte donc une grande partie de la responsabilité de ses échecs. Pour sauver la PAC et trouver un écho auprès de ses partenaires européens, la France doit parvenir à renouveler sa vision de l'agriculture européenne, voire son paradigme, qui ne peut se réduire à la simple défense des intérêts acquis.
2-Pourquoi maintenir une PAC ?
Face à la pensée néolibérale omniprésente dans les grandes institutions européennes (UE) et internationales (OMC, OCDE...) qui voudrait assimiler l'activité de production agricole à n'importe quelle autre activité économique répondant à la loi de l'offre et de la demande, il nous semble au contraire essentiel de réaffirmer la spécificité de l'agriculture dans l'économie et plus largement dans la société, et son rôle dans la gestion des nouveaux défis.
L'agriculture produit un bien essentiel à la survie de l'homme, l'alimentation. Or ces dernières années ont montré que le libre fonctionnement du marché conjugué à des aléas climatiques récurrents mais non prévisibles, et à une financiarisation de l'économie aux conséquences imprévisibles, provoquaient une volatilité chronique des cours des produits agricoles très risquée pour la sécurité alimentaire mondiale . Les signaux du marché étant incompréhensibles et/ou impossibles à satisfaire du fait de l'inélasticité de la production agricole, l'Union européenne a la responsabilité de changer d'orientation et de mener une politique publique agricole et alimentaire forte, lui permettant de maintenir ses capacités de production et préserver la fonction nourricière de notre agriculture.
Principale activité économique dans les zones rurales, l'agriculture permet également l'ancrage des hommes dans les territoires, parfois défavorisés , et participe ainsi de l'identité et de la cohésion sociale et territoriale des régions . Or aujourd'hui de nombreux agriculteurs européens, qui ne parviennent pas à vivre de leur activité, envisagent de l'abandonner. Le revenu des agriculteurs a ainsi stagné ces dix dernières années, pour chuter en 2009. De manière générale, le revenu par habitant dans les zones rurales dans l'Union est de 50% plus bas que dans les zones urbaines.
L'agriculture dessine enfin des paysages et transforme la nature, ce qui lui donne une responsabilité particulière en matière de protection de l'environnement et de changement climatique, mais également une sujétion forte aux aléas naturels.
Elle se situe ainsi au carrefour d'enjeux multiples, à la fois économiques, alimentaires, sanitaires, environnementaux, sociaux et territoriaux et les pouvoirs publics ne peuvent et ne doivent l'appréhender que comme telle. Pour toutes ces raisons , il n'y a pas d'agriculture durable sans régulation , et ce n'est pas un hasard si la PAC a été l'une des politiques fondatrices du projet européen.
L'Europe est aujourd'hui à un tournant . Dans un monde marqué par la spéculation sur les matières agricoles devenues des valeurs refuge, l'accroissement de la demande alimentaire (de près de 70% en 2050), l'émergence de nouvelles puissances agricoles, les crises sanitaires et la détérioration de l'environnement, les objectifs de la PAC fixés dans le Traité restent totalement pertinents à nos yeux : sécurité et indépendance alimentaires, maîtrise des prix pour les consommateurs, garantie d'un revenu équitable pour les agriculteurs, stabilisation des marchés et accroissement de la compétitivité (que nous entendons comme la recherche de qualité). Plus que jamais, nous avons besoin de la PAC.
3-Quelle réforme pour le groupe socialiste, apparentés et rattachés du Sénat ?
Nous voulons tout d'abord une PAC plus équitable et plus efficace .
Nous défendons l'instauration d'un paiement direct minimum pour l'ensemble des agriculteurs afin de préserver les petites exploitations et le plafonnement des paiements les plus élevés.
Nous sommes également convaincus de la nécessité d'une répartition plus égalitaire des aides entre toutes les filières et donc entre tous les agriculteurs. Elle permettra de pérenniser l'existence de certaines zones de productions défavorisées et de certaines filières et aussi de préserver la diversité des différents terroirs européens. Cela implique bien sûr en France l'abandon des références historiques et une certaine solidarité entre les différents bassins de production. Une phase de transition assez longue sera vraisemblablement nécessaire pour faire accepter cette répartition et éviter les chocs économiques. Cette réorientation ne pourra réussir qu'accompagnée d'un ciblage des aides au profit des agriculteurs actifs avec une production réelle , et d'une modulation des aides en fonction de la main d'oeuvre des exploitations, de leurs efforts environnementaux et également des handicaps naturels auxquels elles font face. Il sera important de prévoir des possibilités de recouplage des aides en fonction de la production uniquement pour certains secteurs fragiles. Concernant la nouvelle clef de répartition entre États membres, nous sommes attachés au principe de solidarité qui sous-tend la construction européenne mais nous avons conscience que la convergence des aides agricoles ne sera possible que sur le long terme et dans le cadre d'un budget conséquent.
Les négociations qui débutent sur les perspectives financières pour 2014-2020, risquent toutefois de se limiter à la seule mise en place de politiques d'austérité, consacrant ainsi une vision court-termiste et défaitiste face aux potentialités qu'offrirait un véritable budget européen. Les socialistes réclament au contraire de nouveaux outils de financement pour l'UE afin de permettre le déploiement de politiques publiques à la hauteur des enjeux, que sont la croissance, l'emploi et la cohésion au niveau européen.
Nous défendons une PAC permettant à l'activité agricole d'être durable et de jouer son rôle dans la cohésion économique, sociale et territoriale européenne.
Les emplois directs liés à l'agriculture ne représentent plus que 4,2% de la population active contre 8% il y a dix ans mais c'est souvent la dernière activité présente dans les zones rurales les plus reculées. Il faut d'ailleurs avoir conscience que beaucoup d'emplois indirects sont liés à l'activité agricole , qu'il s'agisse des emplois en amont par exemple dans l'industrie du machinisme agricole et surtout en aval dans l'industrie agro-alimentaire (abattage, découpe, transformation) ou même dans le commerce de détail et l'artisanat. Cette activité permet donc bien souvent de maintenir un tissu économique et social vivant dans les zones rurales. Or sans soutiens directs ou sans aides à la modernisation, beaucoup d'agriculteurs ne pourront continuer leur activité.
Toutefois, la politique de développement rural doit aussi permettre le développement d'activités non agricoles afin d'améliorer la qualité de vie des habitants et rendre possible l'installation de nouvelles populations. Elle doit cependant s'articuler avec les fonds structurels qui ont largement déserté les zones rurales pour les grands centres urbains du fait de leur fléchage sur la compétitivité et l'innovation. Si aucune mise en cohérence de la PAC et de la politique de cohésion n'est possible, et/ou si la politique de cohésion devient l'instrument de financement privilégié de la stratégie UE 2020, il faudra alors envisager d'inscrire l'objectif de développement rural non agricole dans la politique de cohésion.
La PAC doit aussi permettre d'assurer un certain équilibre territorial et un maintien de l'activité agricole sur tout le territoire, dans les zones les moins accessibles, dans les zones les plus productives mais aussi en milieu périurbain. L'étalement urbain et la pression foncière font disparaître de nombreuses exploitations de maraîchage qui sont pourtant nécessaire à l'approvisionnement local des villes. Des mesures spécifiques seront donc nécessaires. Quant aux zones défavorisées ou caractérisées par des handicaps naturels, qui n'ont pas d'alternatives à l'activité agricole, elles sont souvent à l'origine de produits de qualité dont l'identité et la typicité sont appréciées par les consommateurs et appartiennent à notre patrimoine culturel. Il nous faut donc les promouvoir, sinon les préserver.
Enfin, nous souhaitons souligner que l'avenir de l'activité agricole est intimement lié à la préservation des ressources naturelles et aux efforts environnementaux des agriculteurs . Rappelons que la capacité productive de l'activité agricole dépend par exemple de la qualité des sols et donc de l'assolement des cultures, ou même de l'accès à l'eau pour l'irrigation. Le respect de normes environnementales élevées permet aussi à nos agriculteurs de différencier leurs productions des produits importés et donc peut justifier des prix plus élevés. Préserver les ressources naturelles présente donc un intérêt évident pour l'agriculture.
Par ailleurs, de façon indirecte, l'agriculteur rend des services environnementaux aux citoyens . Ces aménités positives sont très diverses : il s'agit de la fourniture de paysages et d'espaces ouverts propres aux activités récréatives, de la préservation de la biodiversité par le maintien d'habitats permettant la reproduction d'espèces animales parfois en danger, du captage de carbone par les prairies permanentes, de la production d'eau via l'entretien des tourbières... Nous estimons que ces efforts environnementaux ne peuvent être déconnectés de l'acte de production et que l'éco-conditionnalité des aides doit être maintenue. Mais nous estimons aussi qu'il est important de passer de la logique de sanction en cas de non respect des règles environnementales de base à une logique positive de valorisation des efforts supplémentaires réalisés par certains agriculteurs par des paiements additionnels dans le cadre d'un engagement contractualisé . Pour que cette orientation environnementale soit un succès, il est important que les normes environnementales et la proportion du budget qui y serait consacrée soient définies au niveau européen. Le verdissement de la PAC ne saurait justifier une quelconque renationalisation de celle-ci.
Nous souhaitons enfin que la PAC devienne une politique agricole et alimentaire commune.
La question de la régulation des marchés est ainsi intimement liée à la définition d'une nouvelle ambition alimentaire dans l'UE et dans le monde.
Au niveau européen , nous prônons un nouveau modèle de régulation des marchés agricoles. La PAC doit en effet (re)devenir une véritable politique de gestion des marchés et des risques et mettre en place un système intégré, flexible et réactif de mesures préventives et curatives en cas de crise (mécanismes de régulation des volumes, stockage, système d'aide alimentaire au profit des plus démunis, création d'un fonds de stabilisation des marchés public-privés, contractualisation au sein de la filière avec encadrement de la puissance publique, création d'une ligne de réserve budgétaire spécifique en cas de crise). De même, elle doit viser un meilleur partage de la valeur ajoutée au profit des agriculteurs, l'organisation des filières et des producteurs, et se départir d'une vision dogmatique et contre-productive des règles de la concurrence libre et non faussée. Nous considérons que la compétitivité agricole au XXI ème siècle passe par la priorité donnée à la qualité (normes sanitaires et environnementales élevées, traçabilité des denrées alimentaires, meilleure information des consommateurs, fléchage des aides vers les productions de qualité) , à la diversité des produits et à des circuits courts. Enfin, dans une Europe à 27 aux fortes disparités de développement, le principe d'unité du marché comme celui de loyauté en matière de concurrence ne peuvent être pleinement réalisés sans une convergence des conditions sociales et fiscales des secteurs agricoles des États membres .
Au niveau mondial, nous réclamons l'instauration du « juste échange » en lieu et place du libre échange pour le bénéfice des pays du Nord et du Sud. Aujourd'hui, un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde et les perspectives dressées par les institutions internationales, au premier rang desquelles la FAO, sont inquiétantes. Malgré les promesses, les objectifs du millénaire pour le développement sont loin d'être atteints et les écarts de développement n'ont fait que s'accroître ces dernières années. Favoriser le commerce mondial et les cultures d'exportation n'a ainsi pas permis de répondre à la demande alimentaire mondiale et a de plus déstructuré les équilibres régionaux fragiles qui pouvaient exister dans le Sud. Nous considérons le droit des peuples à se nourrir comme une exigence supérieure à toute considération commerciale . La relocalisation des productions agricoles consiste à revendiquer la primauté d'une agriculture assurant la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et aussi l'équilibre social et environnemental des territoires. La réforme de la PAC ne peut donc être envisagée sans une réforme de l'Organisation Mondiale du Commerce afin qu'un véritable système mondial de régulation émerge. Les échanges doivent prendre en compte les facteurs non commerciaux ou facteurs dits légitimes comme le droit du travail, les normes sanitaires et les normes environnementales. Il faut donc renforcer la préférence communautaire mais sur des bases renouvelées, et non y renoncer . L'Union européenne pourrait par exemple instaurer des « écluses tarifaires » qui s'appliqueraient sur les marchandises dont les modes de production ne respectent pas les normes pratiquées sur son territoire. Il est aussi de la responsabilité de l'Union européenne d'encourager la communauté internationale à garantir durablement la constitution de stocks et l'organisation de la sécurité des approvisionnements tout en régulant le fonctionnement des marchés agricoles (encadrement des marchés à terme des matières premières voire interdiction de la spéculation sur les produits alimentaires de première nécessité).
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Le groupe socialiste, apparentés et rattachés du Sénat est favorable à une réforme globale de la PAC conditionnant des aides par paliers selon des critères lisibles et renouvelés définis au niveau européen, prenant en compte le caractère multifonctionnel et donc singulier de l'agriculture (1 er niveau : paiement de base découplé et conditionnel, avec un plafond maximal, 2 ème niveau : paiement lié aux handicaps naturels, 3 ème niveau : paiement point vert ou pour les régions sensibles sur le plan environnemental).
Le scénario envisagé par la Commission européenne qui rompt avec le statu quo tout en maintenant une politique publique forte pourrait nous satisfaire même s'il suscite de nombreuses interrogations notamment dans sa mise en oeuvre. Selon nous, l'engagement des agriculteurs envers l'Union européenne, l'État et les collectivités territoriales doit être contractuel. Mais il doit également être réciproque et permettre d'assurer une visibilité à l'agriculteur à moyen et long termes.
Face au démantèlement de la PAC conduite ces dernières années par nos gouvernements, nous réclamons une nouvelle ambition européenne pour l'agriculture, qui se traduise par de nouveaux outils de régulation des marchés, par la valorisation de la fonction alimentaire et environnementale de la PAC, et enfin par la préservation du principe de solidarité entre agriculteurs, entre régions et entre États membres. L'avenir de nos territoires en dépend.