TRAVAUX DE LA COMMISSION : AUDITION PUBLIQUE SUR LES CONDITIONS DE VENTE PAR L'IMPRIMERIE NATIONALE, PUIS DE RACHAT PAR L'ETAT, DE L'IMMEUBLE DU 27-29 RUE DE LA CONVENTION
COMMISSION DES FINANCES, DU CONTRÔLE BUDGETAIRE ET DES COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION
____
Présidence de M. Jean Arthuis, président.
____
2 ème séance du mercredi 17 octobre 2007
____
La séance est ouverte à 11 h 20
____
ORDRE DU JOUR
• Audition de MM. Jean-Luc Vialla, ancien président-directeur général de l'Imprimerie nationale, Xavier Hürstel, sous-directeur à la direction du budget, Jean-Yves Leclercq, sous directeur à l'Agence des participations de l'Etat , Philippe Dumas, inspecteur général des finances, Dominique Lamiot, directeur général de la comptabilité publique, Eric Sasson, dirigeant de Carlyle Real Estate Advisors SARL et Christopher Finn, dirigeant du fonds européen de Carlyle dans l'immobilier (CEREP) , sur les conditions de cession, puis de rachat, de l'immeuble de l'Imprimerie nationale, rue de la Convention.
COMPTE-RENDU
M. le président - Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, nous organisons ce matin une audition publique sur les conditions de vente par l'imprimerie nationale, puis de rachat par l'Etat, de l'immeuble de la rue de la Convention, appelé parfois « immeuble Gutenberg ». Cet immeuble est destiné à abriter un des deux sites parisiens du ministère des affaires étrangères.
Notre commission a toujours été très attentive aux conditions dans lesquelles est géré le patrimoine immobilier de l'Etat et aux progrès à accomplir. Nous avons ainsi souhaité récemment que le projet de maison de la francophonie situé avenue de Ségur soit revu, afin que ce dossier voit le jour dans des conditions financières plus favorables pour l'Etat.
S'agissant de l'immeuble de l'Imprimerie nationale, nous avons été surpris lors de l'audition de M. Bernard Kouchner, le 17 juillet 2007, par l'écart entre le prix de cession et le prix de rachat par l'État. Nous avons donc souhaité mener des investigations supplémentaires, conduites en ce qui concerne l'opération de rachat par le Quai d'Orsay, travaux menés par notre rapporteur spécial Adrien Gouteyron.
Il demeure néanmoins des interrogations multiples sur ce dossier de vente, puis de rachat d'un même immeuble par la puissance publique. Il nous importe de savoir si les opérations immobilières de la puissance publique ont bien été anticipées ou si, dans ce domaine, l'Etat a pu agir par une succession d'improvisations.
C'est pourquoi nous nous félicitons qu'un rapport de l'inspection générale des finances ait été réalisé sur ce dossier. Dès que le document nous a été transmis, notre commission a souhaité organiser une audition publique mettant en présence tous les acteurs, à savoir :
- M. Jean-Luc Vialla, ancien président directeur général de l'Imprimerie nationale, ainsi que MM. Xavier Hürstel, sous-directeur à la direction du budget, Jean-Yves Leclercq, sous-directeur à l'agence des participations de l'Etat ;
- MM. Eric Sasson, dirigeant de Carlyle Real Estate Advisors SARL et Christopher Finn, dirigeant du fonds européen de Carlyle dans l'immobilier (CEREP);
- M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine ;
- MM. Jean-Marie Bruno, chef du service des affaires immobilières du ministère des affaires étrangères et européennes et Stéphane Romatet, ancien chef de ce service ;
- enfin, M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, auteur de ce fameux rapport sur l'immeuble de la rue de la Convention et M. Dominique Lamiot, directeur général de la comptabilité publique.
Je vous rappelle au préalable quelques éléments qui nous amènent à nous interroger sur le processus de décision au sein de l'Etat :
- la vente par l'Imprimerie nationale de l'immeuble « Gutenberg » au groupe Carlyle s'est déroulée entre la fin de l'année 2000 et le 31 janvier 2006, en ce qui concerne la signature de l'acte authentique. Le prix de la transaction s'est établi à 85 millions d'euros auquel s'ajoute une clause de complément de prix ;
- le rachat par le Quai d'Orsay du même immeuble, au même groupe Carlyle, s'est déroulé entre l'automne 2006 et le 18 juin 2007 pour la signature de l'acte authentique. Mais le processus décisionnel de recherche d'un nouveau site parisien pour le Quai d'Orsay avait commencé dès l'été 2004. Le prix de rachat hors taxes de l'immeuble est de 325 millions d'euros.
Par souci de clarté, je vous propose que nous organisions notre audition en quatre phases successives qui suivent la chronologie des opérations, à savoir :
- les conditions de la vente de l'immeuble par l'Imprimerie nationale, qui intervenait dans un contexte de crise de cette société ;
- les conditions du rachat de l'immeuble « Gutenberg » réaménagé par le groupe Carlyle au prix de travaux dont l'évaluation varie selon les sources ;
- le niveau de la plus-value réalisée par le groupe Carlyle afin de savoir si celle-ci correspond à une perte d'opportunité pour l'Etat. Cette perte d'opportunité budgétaire se doublera-t-elle en outre d'une perte d'opportunité en matière fiscale, puisqu'il semble que la plus-value réalisée par Carlyle ne serait taxée ni en France, ni au Luxembourg, en raison de l'existence de ce que certains appellent un « trou » dans la convention fiscale franco-luxembourgeoise, objet d'un réaménagement par un traité ratifié il y a quelques semaines ?
- Les raisons pour lesquelles il n'a pas été possible de faire coïncider, au sein de l'Etat, l'opération de vente de l'Imprimerie nationale avec la décision de localisation du Quai d'Orsay, en conduisant une société privée à jouer l'intermédiaire entre ces deux dossiers et à réaliser une plus-value que l'Etat aurait peut-être pu garder pour lui.
Sur chacun de ces points, je donnerai d'abord la parole aux personnes auditionnées pour des explications les plus synthétiques possibles, avant de solliciter les questions des membres de notre commission ainsi que ceux de la commission des affaires économiques et des affaires étrangères, à commencer par Bernard Angels, Thierry Foucaud, Paul Girod et Adrien Gouteyron qui seront, s'ils le veulent bien, nos rapporteurs sur ce sujet.
Premier point : les conditions de la vente de l'immeuble par l'Imprimerie nationale. Quelques questions sur la vente : comment a-t-on pu vendre le bâtiment de l'imprimerie nationale au prix de 85 millions d'euros alors que d'une part, un avis du service des Domaines ordinairement prudent, en date du 10 avril 2002, avait évalué le bien à 95 millions d'euros et qu'un premier appel d'offres avait recueilli trois propositions d'achat pour un montant supérieur à 93 millions d'euros ?
En lisant le rapport de l'inspection générale des finances, on a le sentiment que l'Imprimerie nationale souhaitait prendre son temps pour vendre dans les meilleures conditions, tandis que ses tutelles de la direction générale du trésor et de la politique économique ainsi que de la direction du budget ont peut-être souhaité accélérer la vente.
En outre, la clause de complément de prix, qui apparaît a priori comme une bonne idée, a-t-elle été négociée au mieux ? Dans ce contexte, Carlyle a-t-il eu le sentiment de faire une bonne affaire à ce prix ou d'acquérir au prix du marché ?
Enfin, pourquoi y a-t-il eu un tel délai de 31 mois entre la promesse de vente -19 juin 2003- et l'acte de vente authentique -31 janvier 2006 ?
M. Jean-Luc Vialla - Je vais revenir sur l'ensemble du processus.
Pourquoi ai-je décidé et proposé au conseil d'administration la vente de cet immeuble fin 2000 ? Cet immeuble était dans un très mauvais état. Nous avions entre 20 et 30 millions d'euros de travaux, en particulier sur la toiture.
Cet immeuble était une charge considérable pour l'entreprise ; il avait été construit un siècle auparavant pour 3.000 personnes et il n'y avait plus que 500 personnes à l'intérieur. Il pesait donc sur les coûts d'une entreprise déjà en très mauvaise situation.
Il était fonctionnellement inutilisable pour une entreprise moderne puisqu'il comptait quatre niveaux ; or, aujourd'hui, une imprimerie, c'est un seul plateau.
Pour le redressement, il était essentiel que, très vite, nous construisions une nouvelle usine. C'est ainsi que j'ai trouvé assez vite le site de Choisy pour transférer les activités de cette usine et en profiter pour restructurer l'ensemble avec un plan social et un plan stratégique.
Nous avons alors lancé une procédure assez lourde. Je peux peut-être le regretter dans la mesure où, alors que nous étions une entreprise, nous aurions pu faire les choses de façon extrêmement souple mais nous étions encore dans la sphère publique et j'ai pris le choix d'une procédure pratiquement publique, avec un appel d'offre quasiment de marché public.
Nous avons lancé cette procédure qui nous a amené à recevoir plus de 50 offres très variables. A ce stade, toutes les offres supérieures à 100 millions d'euros n'étaient pas acceptables, sauf une.
Cette affaire était très visible. Ce bâtiment est connu de tous les Parisiens et de tous les habitants du XVème ; il était susceptible d'être classé et je crois qu'il a été inscrit ultérieurement à l'inventaire supplémentaire. La mairie de Paris suivait son avenir de très près. La préfète de Paris a organisé des réunions quasiment mensuelles sur le sujet où tous les élus concernés, les différents maires adjoints -logement, culture, patrimoine, etc.- pouvaient s'exprimer. Cette opération était soumise à une contrainte d'ambiance très globale.
Nous avons eu 3 offres de plus de 100 millions d'euros. La plus élevée était celle de Kaufman et Broad et d'Ikea. Mme Hidalgo, première maire adjoint de Paris et élue du XVème arrondissement, m'a très clairement dit que cette offre était inacceptable pour des raisons d'urbanisme commercial.
Une autre offre consistait à construire une tour qui aurait dépassé le périmètre de l'Imprimerie nationale ; le permis de construire n'aurait jamais été accepté.
La troisième offre supérieure à 100 millions d'euros était celle d'ING et de SARI. Cette offre a été retirée brusquement, fin 2002, à la demande de la maison mère, ING Pays-Bas, qui anticipait une forte baisse de l'immobilier de bureaux en France, à partir de 2003. Cette baisse était à l'époque déjà quelque peu enclenchée.
Cette anticipation de baisse a été confirmée au début de 2003. En fonction de la situation de trésorerie de l'Imprimerie nationale, nous négociions avec un certain nombre de banques, pour choisir en fin de compte Crédit agricole Indosuez. L'anticipation a été confirmée par un cabinet, DTZ, qui a donné une estimation dont le point moyen était situé à 85 millions d'euros.
Tout ce processus trop long a donc été marqué par un risque et une constatation de baisse du montant des offres qui a fait que, d'une certaine façon, l'offre de Carlyle, dans la dernière phase des négociations, a été considérée comme une opportunité. Dans cette dernière phase, nous n'avions plus que 3 offres, celle de Carlyle, une offre d'Unibail qui était inférieure et une offre d'UBS et d'un investisseur américain, également était très nettement inférieure.
Au moment de la décision finale, début 2003, nous avons choisi ce qui nous apparaissait la meilleure offre et nous avons eu une discussion très musclée avec Carlyle, qui a failli achopper sur 2 points : la clause de complément de prix, qui a en fin de compte abouti à un complément de prix de 18 millions d'euros et le fait que j'ai exigé que l'Etat puisse revenir sur cette vente dans les 2 ou 3 mois suivant la signature de la promesse.
C'est une illustration du caractère particulier de cette opération : il y a eu en permanence des interférences extérieures qui pouvaient remettre en cause l'opération. En mai 2003, alors que je quittais l'Imprimerie nationale pour la Cour des comptes, une mission confiée à Jean Gauthier, ancien directeur général des affaires culturelles de la ville de Paris, envisageait le regroupement de l'ensemble des services de la francophonie dans cet immeuble. Le Président Abdou Diouf est d'ailleurs venu, au moment où nous signions avec Carlyle, visiter cet immeuble. Il était de ma responsabilité de laisser ouverte cette possibilité -qui n'a pas prospéré.
Beaucoup d'autres projets auraient pu remettre en cause cette opération ; la mairie de Paris a très longtemps envisagé d'y faire des logements sociaux. Cela m'avait été confirmé par le directeur de cabinet du maire.
M. le président - Vous étiez président de l'imprimerie nationale ; vous aviez à vendre cet immeuble et vous aviez le sentiment de ne pas être très à l'aise pour piloter cette opération.
M. Jean-Luc Vialla - J'en assume la totale responsabilité. Il y a eu un certain nombre d'interférences qui était normale pour un bien aussi spécifique. Il y a peu d'immeubles industriels à vendre dans Paris. Il était extrêmement dégradé mais constitue un quadrilatère sans aucun voisin.
Autre offre intéressante, qui était trop basse mais significative de ce qu'aurait pu devenir ce dossier ; celle de M6, avec qui nous avons discuté le plus longtemps, qui souhaitait y regrouper la totalité de ses services.
Ils n'ont jamais souhaité aller au-delà de 72 millions d'euros. Ils m'ont confirmé il y a 2 semaines qu'ils ne seraient jamais allés au-dessus parce que leurs conseils valorisaient ce bâtiment, à ce moment-là, à cette valeur.
Nous avions également un contact avec Lagardère Active, qui souhaitait regrouper l'ensemble de ses activités audiovisuelles à cet endroit -mais cela ne s'est jamais concrétisé par une offre.
M. le président - Du côté du budget, comment voyait-on l'opération à l'époque ?
M. Xavier Hürstel - Je laisserai l'agence des participations de l'Etat (APE) s'exprimer d'abord. Les problèmes de l'Imprimerie nationale de l'époque étaient avant tout des problèmes financiers globaux, en particulier sur son compte de résultats et c'est l'APE qui avait le leader de la tutelle.
M. le président - L'Agence venait de naître à l'époque.
M. Jean-Yves Leclercq - Je suis accompagné de Thierry Francq, mon prédécesseur, qui était à l'époque également administrateur de l'Imprimerie nationale ; il pourra répondre à des questions plus spécifiques sur le contexte.
Avant d'évoquer les conditions précises de la vente, je voudrais faire un rappel sur le contexte dans lequel elle s'est inscrite.
L'entreprise traversait en 2003 une situation extrêmement difficile qui aurait pu la conduire, si l'Etat n'était pas intervenu, au dépôt de bilan. L'Etat a dû lui accorder, dès la fin 2003, début 2004, une aide au sauvetage, puis une aide à la restructuration dans le cadre d'un plan de redressement dont la cession de l'immeuble était un des éléments majeurs, par ailleurs exigé par la Commission européenne dans le cadre de ce plan.
L'année 2002 s'était terminée sur un résultat d'exploitation négatif de - 40 millions d'euros, comparé à un chiffre d'affaires de l'ordre de 200 millions d'euros. Le résultat net avait terminé à - 47 millions d'euros. La situation a continué à se dégrader très violemment en 2003, suite notamment à la perte du contrat de l'annuaire des pages jaunes. L'entreprise a terminé l'année avec un résultat net de - 105 millions d'euros et des capitaux propres négatifs.
Dès le premier semestre 2003, les besoins en trésorerie de l'Imprimerie nationale sont devenus importants, de l'ordre de 4 millions d'euros de consommation de trésorerie par mois. L'entreprise était alors incapable d'y faire face, d'où la recherche auprès d'un certain nombre d'établissements bancaires de prêts-relais début 2003, recherche qui s'est avérée dans un premier temps difficile car la plupart des banques rechignaient à lui prêter dans le contexte qu'elle traversait.
Dans ce cadre, la cession de l'immeuble était, du point de vue de la société et de son actionnaire, un impératif et même une mesure de bonne gestion, nécessaire à sa survie. Le prêt que l'entreprise a fini par obtenir avec promesse d'affectation hypothécaire de la part de Calyon au printemps 2003 n'aurait jamais pu être remboursé si ce bien n'avait pas été vendu au même moment.
J'en viens au fond du rapport. Comme le souligne M. Dumas, il subsiste un certain nombre de divergences d'appréciation entre le rapporteur et la tutelle, à l'époque la direction du Trésor, aujourd'hui l'APE.
Deux points me paraissent devoir être soulignés dans ce rapport. Le premier confirme que le processus de vente a été mené par l'Imprimerie nationale dans le cadre d'un appel d'offres très large qui a permis un appel généralisé au marché et de faire émerger ce que nous considérons aujourd'hui comme un prix de marché.
Le fait qu'ING ait retiré son offre à 94 millions d'euros témoigne bien du fait qu'entre les premières offres et le moment où la promesse de vente s'est conclue, le marché était orienté à la baisse. C'était également l'avis des conseils spécialisés en immobilier de l'Imprimerie nationale, les cabinets Auguste Thouard et Bourdais, qui avaient recommandé à l'entreprise d'accélérer cette opération pour cristalliser le prix.
Comme l'a souligné M. Vialla, l'entreprise a obtenu une clause de retour à meilleure fortune. Au total, l'entreprise s'en sort avec un produit de cession de 103 millions d'euros, que l'on peut comparer avantageusement, me semble-t-il, à l'estimation des Domaines de 95 millions d'euros ou à l'offre d'ING qui a été retirée.
En second lieu, le rapport dit que la plus-value enregistrée par Carlyle a résulté quasi intégralement de la hausse des prix de l'immobilier parisien pendant la période écoulée entre la signature de la promesse de vente et le rachat de l'immeuble par le ministère des affaires étrangères en 2007.
Le rapport porte néanmoins un certain nombre de critiques sur l'action de l'entreprise et de la tutelle, que je ne partage pas totalement pour certaines.
Elle estime tout d'abord que si le changement d'affectation de locaux d'activité en locaux de bureaux avait été obtenu par l'Imprimerie nationale préalablement à la vente, l'entreprise aurait pu dégager un produit de cession supérieur.
Ce n'est pas mon avis pour une raison simple : la promesse spécifiait précisément le nombre de mètres carrés de bureaux associés au projet immobilier et la validité de cette promesse de vente était elle-même conditionnée à l'obtention administrative, auprès de la mairie de Paris, d'un agrément permettant d'obtenir exactement ce nombre de mètres carrés de bureaux.
M. le président - C'est donc la mairie de Paris qui conditionnait le prix.
M. Jean-Yves Leclercq - En effet...
M. le président - Qui négociait avec la mairie de Paris ? Carlyle, le ministère ou l'Imprimerie nationale ?
M. Jean-Luc Vialla - Cela dépend de ce que l'on met derrière le mot de « négociation ». Personnellement, j'étais en contact avec les élus concernés, l'administration de la ville et la préfecture pour éviter ce qui aurait véritablement fait baisser le prix, c'est-à-dire un classement ou un projet avec des logements sociaux ou l'idée défendue vivement par la mairie du XVème et les élus du XVème -que je peux comprendre en tant que citoyen mais pas en tant que vendeur- d'installer des services publics de proximité sur une partie du bâtiment.
La négociation, en termes de droit de l'urbanisme, était conduite par l'ensemble des acheteurs potentiels, qui allaient tous dans les services techniques pour négocier leur projet de permis de construire, ce que l'Imprimerie nationale aurait été totalement incapable de faire si elle avait conduit ce projet. Nous n'avions pas les moyens techniques, ni le personnel, ni les moyens financiers de recruter et de financer le montage d'un projet de cette nature.
M. le président - Est-ce que l'on peut dire que c'est plus facile de fixer le prix quand on sait ce que l'on peut construire, compte tenu de l'état du marché et des besoins de la ville, plutôt que de laisser l'acquéreur potentiel négocier avec la mairie de Paris pour définir ce qu'il va faire, le prix étant fonction de la nature des immeubles qui vont être aménagés à la place de l'Imprimerie nationale ?
M. Jean-Luc Vialla - Les offres étaient liées à une hypothèse de capacité de construction et d'aménagement de bureaux. La visibilité sur le nombre de mètres carrés -qui doit être de 22.000 dans mon souvenir...
M. le président - C'était stabilisé ?
M. Jean-Luc Vialla - Ce n'était pas stabilisé juridiquement mais le niveau de l'ensemble des projets était extrêmement proche.
M. Jean-Yves Leclercq - C'était une condition suspensive de la vente. La vente ne se serait pas dénouée si Carlyle n'avait pas obtenu l'autorisation administrative correspondante. Nous avons constaté qu'il n'a pas obtenu, dans le cadre de sa négociation avec la mairie de Paris, plus de mètres carrés de bureaux que ce qui était convenu dans la promesse de vente. Autrement dit, il n'y a pas eu, à notre sens, d'enrichissement sans cause.
En second lieu, le rapport met l'accent sur le long délai qui s'est écoulé entre la signature de la promesse et sa matérialisation avec l'acte de vente en 2006.
Ce délai a été prolongé à plusieurs reprises, en raison des difficultés pratiques pour l'Imprimerie nationale à organiser son déménagement.
L'Imprimerie nationale, à cette époque, avait lancé la construction d'une usine nouvelle à Choisy, qui n'était pas achevée et dans laquelle une partie des activités de la rue de la Convention devaient migrer. Elle devait également, dans le cadre de sa restructuration, transférer une partie des activités fiduciaires, ainsi que d'autres, vers le site de Douai.
Dans le cadre de la négociation du plan de restructuration avec les organisations syndicales, ces dernières ont bloqué le transfert des machines jusqu'à la fin de la négociation sociale. Autrement dit, en termes pratiques, l'Imprimerie nationale ne pouvait déménager plus tôt, ce qui a conduit de fait à différer pendant un certain temps la matérialisation de la promesse.
Ceci étant, la clause de retour à meilleure fortune a permis à l'Imprimerie nationale de récupérer un produit de cession significativement supérieur à l'estimation des Domaines.
M. le président - La clause de retour à meilleure fortune est une clause de révision du prix si l'acquéreur réalise une plus-value ?
M. Jean-Yves Leclercq - C'est une clause d'intéressement à la progression du marché immobilier, assortie d'un seuil de déclenchement.
M. le président - Avez-vous le sentiment que cette clause était conforme à l'intérêt de l'Etat, telle qu'elle a été transcrite ?
M. Jean-Yves Leclercq - Je laisserai M. Vialla répondre sur ce point. Cette clause n'existait pas dans l'offre initiale de Carlyle. Elle a été obtenue a posteriori. C'était une négociation entre l'acheteur et le vendeur. Il n'y avait aucune obligation que cette clause soit insérée.
Une négociation nécessite d'arriver à une transaction gagnant-gagnant pour les deux parties. Pour l'Etat, cette clause était mieux que rien, sachant que l'offre initiale de Carlyle n'en comportait pas.
M. le président - Dans son principe, cette clause était de dire que si l'acquéreur revendait dans un délai rapproché et constatait une plus-value, une fraction revenait on complément de prix.
M. Jean-Luc Vialla - Je me souviens très bien de la négociation de cette clause, un soir de fin avril 2003, qui a été le dernier point d'achoppement de la négociation avec Carlyle, qui souhaitait la retirer. Or, c'était pour moi, étant donné les incertitudes sur l'évolution du marché, une condition sine qua non de la négociation.
S'agissant du délai...
M. le président - Ce sont les négations sociales qui ont tout bloqué ?
M. Jean-Luc Vialla - Il y a plusieurs éléments, dont en effet la négociation sociale.
M. le président - Elle a duré combien de temps ?
M. Jean-Luc Vialla - J'avais quitté l'Imprimerie nationale à ce moment-là mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y avait pas seulement la discussion sociale avec le syndicat du livre, qui était forcément difficile, mais également les travaux de dépollution, qui étaient considérables.
Cette usine, qui a été construite à la fin du XIXème siècle, à un moment où les réglementations environnementales étaient assez faibles, avait pollué la nappe phréatique sous le XVème arrondissement dans des conditions considérables. Les travaux de dépollution ont été bien supérieurs à ce que l'on attendait.
Par ailleurs, il y a eu le délai de construction de la nouvelle usine de Choisy. Cette usine, parmi beaucoup d'autres choses, imprime les feuilles des passeports français. Il ne devait y avoir aucune rupture dans l'activité.
L'entreprise a donc eu à gérer l'ensemble de ces trois contraintes.
M. Philippe Dumas - Je crois qu'il y a une grande convergence entre les diverses parties prenantes à l'opération dont nous parlons et le regard que moi-même, quelques années plus tard, j'ai porté sur cette opération. Cette convergence, selon moi, porte fondamentalement sur trois éléments.
La première -mon rapport ne se fait pas faute de le rappeler- est la situation économique, financière et sociale très délabrée, à la limite du dépôt de bilan, dans laquelle se trouvait à l'époque l'Imprimerie nationale et qui justifiait de toute évidence de sa part et de la part de l'Etat des mesures de redressement. Parmi elles figurait la cession de l'immeuble de la rue de la Convention. Je signale qu'au prix de cession finalement consenti et par rapport aux valeurs comptables de l'immeuble dans les écritures de l'Imprimerie nationale, cette dernière, quand elle a vendu à Carlyle -c'était l'objet en partie recherché- a réalisé une plus-value non négligeable.
Second élément, que mon rapport souligne abondamment, même si, sur certains points, il y a des divergences d'appréciation, il faut le dire et le redire : la procédure de cession utilisée par l'Imprimerie nationale a été tout à fait transparente, alors qu'elle n'y était pas tenue en tant que société anonyme, même d'Etat. Les modalités de cette procédure sont d'ailleurs celles que l'Etat s'applique à lui-même désormais, notamment depuis les dernières années, sous la houlette de France Domaine.
L'appel d'offres a été largement ouvert : 58 groupes sont venus visiter ou ont manifesté leur intérêt, 19 candidats se sont dégagés, le lot final étant constitué de 3 candidats dont a émergé Carlyle.
D'autre part, les Domaines avaient fait une évaluation qui n'était pas obligatoire mais qui, rétrospectivement, était très opportune. De même, des conseils professionnels avaient aussi entouré la procédure. Une commission d'ouverture des plis a été constituée ; par tamis successifs, si l'on va jusqu'à la phase ultime où Carlyle a émergé, c'est bien, à la fin des fins, telles que les choses étaient au milieu 2003, le mieux-disant qu'il l'a emporté.
Enfin, si sur le prix de vente on peut, dans une fourchette relativement limitée malgré tout, débattre et discuter, il n'en demeure pas moins que l'essentiel de la plus-value réalisée par Carlyle est fondamentalement dû à l'évolution constatée des prix de l'immobilier d'entreprise, notamment de bureaux, sur le marché parisien entre 2003 et 2006-2007.
Il n'y a pas d'indice très spécifique à cela mais les éléments d'information que j'ai recueillis, à titre d'ordre de grandeur, donnent une multiplication des prix par deux environ, voire plus pour ce qui concerne les locaux dits d'activité, pendant cette période.
Cela étant, deux points peuvent apporter un regard différent de celui que les intervenants précédents ont porté sur cette affaire.
En premier lieu, dans les circonstances de l'époque -et tout en ayant bien en tête que la procédure a été transparente et sélective- aurait-on pu espérer obtenir un prix supérieur à 85 millions d'euros ? Il est toujours plus facile de porter un jugement rétrospectiif sur ce rapport que lorsqu'on est amené à conduire une négociation dont M. Vialla nous a dit qu'elle a été sérieuse et même rude.
Néanmoins, un élément objectif d'appréciation est à rappeler : dans l'évaluation officieuse de 95 millions d'euros donnée par les Domaines -il est vrai quelque 6 mois environ avant l'opération- il était précisé que celle-ci s'entendait à affectation des surfaces inchangée.
Second élément : jusqu'au retrait du lauréat de l'été 2002, ING, qui s'est récusé parce qu'il avait mis lui-même une condition suspensive qui était l'accord de son comité d'investissement, les prix dégagés par l'appel d'offres dans cette phase tournaient à un niveau assez proche de celui de l'évaluation domaniale.
Troisième élément : on voit bien que le marché a augmenté ensuite et s'inscrivait dans une tendance de moyen terme haussière.
Sur le point de savoir -c'est un débat d'experts rétrospectif- si les conditions conjoncturelles de marché de l'époque étaient, quant à elles, orientées à la baisse comme cela a été dit ou étaient plutôt stables, les éléments d'information qui ont été portés à ma connaissance faisaient état de l'avis des conseils, qui allaient dans ce sens. Mais cet avis, rétrospectivement, m'a paru assis essentiellement sur une considération que je pense exacte, à savoir que les valeurs locatives étaient en train de baisser. Mais, entre valeur locative et valeur vénale, il peut y avoir un écart assez substantiel, notamment compte tenu du fait que, pendant toute cette période, le taux de rendement de l'immobilier de bureaux n'a cessé de baisser, passant de 7-7,25 % environ à 4-4,5 % aujourd'hui.
Pouvait-on inférer de la baisse des valeurs locatives, qui était probablement assez avérée, que les valeurs vénales étaient en train de baisser ? C'est l'analyse qui a été faite par les conseils. Mais il n'y avait pas dans les termes de comparaison fournis -du moins n'en a-t-on pas porté à ma connaissance- des opérations de cession importantes qui auraient pu attester du fait que les prix étaient à ce moment-là conjoncturellement orientés à la baisse. Telle est la raison du sentiment que j'ai exprimé.
Si l'on doit avoir un regret rétrospectif, c'est plutôt que la promesse de vente n'ait pas été retardée de 18 mois à 2 ans ; à ce moment-là, elle serait intervenue dans un marché haussier qui aurait certainement permis de dégager un prix plus élevé.
J'ai bien entendu -et je crois qu'il faut les écouter avec intérêt- toutes les raisons qui ont amené à sécuriser le prix ; au fond, l'Imprimerie nationale et l'Etat ont adopté une stratégie de sécurisation du prix consistant à fixer celui-ci ne varietur -et surtout ne varietur à la baisse- ainsi qu'une clause de révision de prix dont je n'ai pas parlé mais dont il faut redire un mot.
Cette clause, on peut se demander si elle aurait pu ou non être plus large mais, quoi qu'il en soit, elle a rapporté 18 millions d'euros de plus à l'Imprimerie nationale et il faut la saluer. D'ailleurs, dans les recommandations que j'ai formulées dans le rapport, j'ai proposé d'en faire un usage plus général. L'Etat lui-même a commencé, dans un certain nombre de cas, à utiliser ce genre de clause.
M. le président - Le prix de vente est donc de 85 plus 18, soit 103 ?
M. Philippe Dumas - Absolument.
M. Dominique Lamiot - Vous avez parlé, Monsieur le Président, d'évaluations systématiquement prudentes de France Domaine. Les Domaines évaluent à ce qu'ils croient être le juste prix ; ils n'essaient pas de faire des estimations en-dessous de ce qu'ils croient être le prix. Dans le cas particulier, force est de reconnaître que l'on était sur un bien très spécifique, avec peu d'exemples permettant une comparabilité. On a observé que le cabinet Auguste Thouard, sollicité par l'Imprimerie nationale, avait formulé une estimation d'un autre montant.
Au-delà de cette opération, l'Etat qui, comme vous le savez, a engagé une politique de dynamisation de son patrimoine immobilier pour toutes les opérations significatives, fait appel à des opérateurs extérieurs pour l'aider dans ses estimations, au-delà de l'expertise qui nous est propre et que nous entendons bien conserver. Effectivement, dans certains cas peut-être, notre estimation interne apparaîtra comme prudente ; dans d'autres, on constatera l'inverse.
M. le président - Suggérez-vous bien des clauses d'intéressement ?
M. Dominique Lamiot - Oui, nous entendons les systématiser.
M. le président - Les représentants de Carlyle peuvent peut-être brièvement ajouter leur propre témoignage...
M. Eric Sesson - Je veux tout d'abord commencer par nous présenter. Merci de nous donner l'occasion de nous expliquer.
Je vous présente, à ma droite, M. Christopher Finn, qui est l'investisseur dans cette transaction. M. Christopher Finn est le gérant des fonds de Carlyle Immobilier. C'est en particulier le gérant du fonds qui a investi dans cet immeuble.
Pour ma part, je suis président de la société de conseil Carlyle Real Estate Advisor Europe. Nous sommes le conseil semi-exclusif de ces fonds en Europe.
M. le président - Existe-t-il un fonds pour chaque investissement ?
M. Eric Sasson - Pas pour chaque investissement...
M. le président - Y a-t-il des fonds souverains ? Nous avions ce matin une communication sur les liquidités mondiales et nous voulions savoir d'où venaient les capitaux.
M. Eric Sasson - Je laisserai Christopher Finn parler des fonds souverains. Notre responsabilité est de trouver les opportunités, de les évaluer, de faire des recommandations de prix, un peu comme France Domaine pour l'Etat.
M. le président - Où sont domiciliés vos fonds ?
M. Eric Sasson - Si vous me le permettez, je me tourne vers Christopher Finn...
M. Christopher Finn - Mon nom est Christopher Finn. Je suis citoyen britannique et américain. Je suis désolé, mais je ne parle pas bien le français.
(A sa demande, M. Christopher Finn est autorisé à s'exprimer en anglais ; M. Eric Sasson traduit ses propos).
M. Eric Sasson - Christopher Finn dit que ce fonds fait partie de 3 fonds européens et de 9 fonds mondiaux en immobilier domiciliés au Luxembourg.
L'équipe de Christopher Finn est basée au Luxembourg. Ce fonds qui a investi en particulier dans l'Imprimerie nationale a investi aussi dans environ 300 immeubles en Europe.
Il existe 6 Carlyle Real Estate Advisor dans 6 régions d'Europe.
Ce fonds représente un peu plus de 2 milliards d'euros.
70 % des investisseurs de ce fonds sont européens ; ce sont plutôt des fonds de pension ou des assureurs.
CalPERS, qui est le fonds de pension des retraités californiens, a été globalement le premier investisseur dans Carlyle.
M. le président - S'agissant des conditions d'achat, vous avez donc négocié...
M. Eric Sasson - Je pense que tout a été dit par M. Vialla et les différentes intervenants. Il s'agissait d'un appel d'offres classique et les gens se sont battus jusqu'au bout pour avoir le meilleur prix.
M. le président - La parole est aux rapporteurs spéciaux.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial - Pourquoi l'offre de Kaufman n'a-t-elle pas été retenue ?
M. Jean-Luc Vialla - L'offre de Kaufman and Broad consistait à créer un magasin IKEA à la place de l'Imprimerie nationale. Or, il y avait un veto total de la mairie de Paris. Kaufman and Broad s'est retiré immédiatement et a refait une offre classique, dont le prix n'était pas intéressant pour des bureaux.
L'offre de 106 millions d'euros que nous avons reçue était celle d'un magasin IKEA qui, évidemment, dans le XVème arrondissement, posait des problèmes de concurrence évidents.
M. Adrien Gouteyron - Je suis frappé par les prévisions faites par les cabinets sur le marché et son évolution prévisible. J'ai bien retenu l'explication et la distinction entre le prix locatif et le prix de vente, le premier commençant à baisser alors que le second continuait à monter mais il est assez surprenant qu'il y ait eu une telle erreur dans les appréciations faites à ce moment-là -mais c'est une remarque de quelqu'un qui n'est pas expert en immobilier.
M. Jean-Luc Vialla - Il est vrai que le décalage est considérable mais je rappelle que nos conseils étaient intéressés à la vente et que leur intérêt était que le prix de vente soit le plus élevé.
Second point : s'agissant de la référence à la valeur locative ou à la valeur vénale, ce bien était tellement spécifique -cela doit faire des décennies que l'on n'a pas vendu un bâtiment industriel à l'intérieur de Paris- que nous n'avions aucune référence en termes de valeur vénale. La seule référence objective que nous avions était la valeur locative des bureaux qui auraient été faits à la place de ce bâtiment industriel ; or, la valeur locative était à la baisse à ce moment-là. C'est vrai, cette baisse a été brève et suivie d'un retournement considérable du marché. Nous avons commis une erreur collective d'appréciation sur le futur du marché.
M. Bernard Angels, rapporteur spécial - Bien que l'Imprimerie nationale ait été une société anonyme, quel était le rôle exact de la direction du budget ? A l'époque, il fallait limiter les dégâts, il y avait des pertes abyssales. Je pense que la direction du budget a poussé à la vente. Y a-t-il des écrits à ce sujet pendant cette période ?
M. le président - Est-ce le budget ou l'APE ?
M. Bernard Angels - Ce n'est pas clair. Je préfère parler du budget. Cela englobe tout le monde.
M. Xavier Hürstel - L'APE venait d'être créée ; l'Imprimerie nationale, étant société, avait vocation à être suivie par l'APE de manière plus poussée que ce que fait traditionnellement la direction du budget qui suit les établissements publics, plus directement subventionnés.
La direction du budget était membre du conseil d'administration...
M. le président - Situations très confortables pour ceux qui les assument !
M. Xavier Hürstel - ... Qui sont les mêmes pour l'ensemble des fonctionnaires qui y sont représentés.
M. le président - Ce n'est pas évident !
M. Xavier Hürstel - La direction du budget, au conseil d'administration de l'imprimerie nationale, se concerte avec l'APE avant chaque conseil d'administration sur les positions à tenir et le suivi de l'entreprise.
S'agissant des faits évoqués, notre appréciation a été identique à celle de l'APE, même si notre vision part avant tout des risques que peut faire peser l'avenir de l'Imprimerie nationale sur le budget de l'Etat ou sur les finances publiques.
La situation financière de l'Imprimerie nationale étant à l'époque extrêmement tendue, la viabilité de l'entreprise n'étant pas assurée, la solution présentée par le président de l'Imprimerie nationale nous a semblé, comme à l'APE, la meilleure et la seule possible.
M. Bernard Angels - Au-delà de cette vente, cette politique de mise sur le marché de biens immobiliers de l'Etat a finalement conduit à essayer de vendre vite plutôt que bien -mais c'est là une réflexion personnelle !
Pourquoi n'y a-t-il eu aucun acompte versé en 2003 ?
Par ailleurs, 31 mois se sont écoulés avant que les premières royalties n'entrent dans vos caisses ; avez-vous prévu, à un moment de la vente, un temps dans votre analyse ? Il y a avait des problèmes sociaux, des problèmes de démontage. Y avait-il des prévisions de livraison de cet immeuble ?
En fait, il s'est agi de 31 mois de portage de fonds et vous avez dû, pendant ce temps, emprunter pour essayer d'avoir une trésorerie !
M. Jean-Luc Vialla - S'il n'y a eu aucun acompte, c'est qu'aucune offre sur les 58 ne le proposait ! Les seuls cas auraient été des offres sans aucune condition suspensive ; il y a eu des offres sans condition suspensive, avec un achat immédiat mais, à ce moment-là, il aurait fallu que nous louions le bâtiment, qui était 4 à 5 fois trop grand pour nous, durant deux ans, ce qui aurait été d'une absurdité totale. Cela nous aurait coûté beaucoup plus cher que le prêt que nous avons fait auprès de CAI.
M. Bernard Angels - Y avait-il dans votre plan de charge une prévision de travaux ou de libération des locaux ?
M. Jean-Luc Vialla - Dans mon souvenir, l'usine de Choisy devait être livrée fin 2004 ; je crois qu'elle l'a été en fait fin 2005. Il y a donc eu un décalage des travaux ; j'avais quitté l'entreprise en mai 2003 mais, comme je l'ai dit, il y a eu les problèmes sociaux et environnementaux.
M. Jean-Yves Leclercq - On dit que les tutelles ont poussé à vendre plus vite, le cas échéant au détriment de l'entreprise. C'est effectivement une appréciation que l'on peut porter a posteriori compte tenu de l'observation du marché ; à l'inverse, je pense que le sentiment du conseil d'administration et des tutelles, au vu des recommandations des conseils, était que le marché était orienté à la baisse.
La situation de l'entreprise étant très dégradée, on nous aurait fortement reproché d'avoir tardé à prendre cette décision en spéculant sur l'avenir.
M. le président - Ce n'est pas commode d'anticiper le mouvement qui se dessine !
M. Adrien Gouteyron - S'agissant de la clause de retour à meilleure fortune, de qui est venue l'initiative ?
M. Jean-Luc Vialla - C'est une initiative strictement personnelle.
M. Adrien Gouteyron - La négociation a porté sur le seuil de déclenchement et sur la répartition. Cela paraît-il normal ? Ce sont les conditions habituelles ?
M. Jean-Luc Vialla - J'avais demandé une clause de 50 %. Je me souviens très bien d'une discussion particulièrement vive avec M. Sasson. Il devait être à peu près minuit, avenue Kléber, une nuit de fin avril. Nous étions au bord de la rupture. C'est le point sur lequel on a le plus achoppé.
M. le président - Quelle était la teneur de la clause ?
M. Jean-Luc Vialla - Elle était en fonction de l'évolution de la valeur locative.
M. le président - On prenait donc l'évolution de l'indice de la valeur locative, on l'appliquait à la valeur de 85 millions d'euros et on en répartissait un tiers au profit du vendeur, deux-tiers étant gardés par l'acheteur.
M. Jean-Luc Vialla - Je n'ai pas vu cette clause depuis plus de 4 ans. Je n'en ai donc pas de souvenir.
M. Adrien Gouteyron - Les administrations n'ont pas suggéré de faire jouer cette clause. Cela s'est passé entre l'Imprimerie nationale et l'acheteur...
M. Jean-Yves Leclercq - Au contraire, les administrations se sont réjouies de l'obtention de cette clause qui n'était pas gagnée d'avance !
M. Paul Girod, rapporteur spécial - Il y a quelque chose que je ne comprends pas bien : il n'y a pas l'ombre d'un acompte versé par l'acheteur au vendeur ! Y avait-il une clause qui permettait au vendeur de se dégager en cours de route ? On se trouve, avant la signature de l'acte authentique, dans une situation particulière ! J'ai rarement vu une promesse de vente sans acompte et un acte authentique intervenir 3 ans après !
M. le président - Monsieur Vialla, vous n'étiez pas là pour signer la promesse de vente puisque vous êtes parti pour la Cour des comptes fin avril 2003...
M. le président - Non, j'ai paraphé un projet.
M. le président - Pas mal de temps s'est donc écoulé entre le moment où vous conveniez des clauses et le moment où la promesse de vente a été signée. Beaucoup de temps s'est par ailleurs écoulé entre la promesse de vente et l'acte d'authentique.
M. Jean-Luc Vialla - Je crois qu'il n'y a eu que quelques semaines entre mon départ et la promesse de vente.
M. le président - Oui, puisque elle a été signée le 19 juin.
M. Jean-Luc Vialla - Dans toutes ces opérations, il y a des clauses suspensives très importantes : droit de préemption de la ville de Paris, qui aurait pu tout interrompre, ou obtention du permis de construire, dépollution...
Le niveau de pollution était tel que l'opération aurait très bien pu capoter s'il y avait eu besoin de travaux de dépollution qui demandent des années. C'est d'ailleurs bien ce qui est arrivé dans les faits car, si j'ai bien compris, les travaux de dépollution ont duré plus de 2 ans.
Ces clauses suspensives empêchent une résolution effective immédiate à la signature, comme pour la vente d'un bien plus ordinaire.
M. Jean-Yves Leclercq - En revanche, je pense qu'il faut signaler que, contrairement aux autres offres, celle-ci comportait une clause pénale : si l'acheteur ne dénouait pas la transaction après la réalisation de toutes les conditions suspensives, une garantie à première demande de 4 millions d'euros restait à sa charge s'il décidait de se retirer du bien alors que l'Imprimerie nationale avait fait son travail.
M. le président - La parole est aux commissaires.
M. Charles Guené - Chacun comprend qu'on est mal à l'aise entre l'urgence qui sous-tendait l'opération et les modalités de règlement du prix. A ce sujet, j'aimerais savoir si toutes les clauses et les paramètres étaient dans la promesse de vente qui a été signée ou si la clause de partage de la plus-value a été signée plus tard.
M. Jean-Luc Vialla - Elle a été négociée an avril 2003 et figurait dans le projet que j'ai paraphé à ce moment-là ; elle figure explicitement dans la promesse signée dans le courant du mois de juin 2003 par mon successeur. Il n'y a eu aucun décalage dans la négociation. C'était un élément clé de celle-ci.
M. Charles Guené - Au niveau arrêté, 65-35 ?
M. Jean-Luc Vialla - Je n'ai pas eu connaissance d'une modification ultérieure.
M. Joël Bourdin - Dans la présentation faite par M. Vialla, la mairie de Paris est présente à tout moment et derrière tous les partenaires. Les acheteurs potentiels étaient eux-mêmes en rapport, pour des questions d'urbanisme, avec la mairie de Paris. L'immeuble est de qualité exceptionnelle du fait de son emplacement. N'a-t-il jamais été question que la mairie de Paris exerce son droit de préemption ?
M. Jean-Luc Vialla - Le droit de préemption de la mairie à toujours été présent comme un élément de la négociation.
La société d'aménagement du XVème arrondissement, présidée par Mme Hidalgo, nous a annoncé une offre qui n'est jamais arrivée -je crois qu'ils n'ont pas trouvé le financement nécessaire- mais la mairie de Paris a eu plusieurs projets qui auraient pu s'intercaler à l'intérieur d'un projet plus global.
Mise à part une idée qui est restée vague d'une cité des métiers pour l'artisanat, il n'y a jamais véritablement eu de projet du type installation culturelle ou ensemble de logements sociaux véritablement avancé.
M. Joël Bourdin - La mairie était donc présente mais pas intéressée.
M. Jean-Luc Vialla - Elle était intéressée mais souhaitait plutôt obtenir éventuellement à l'intérieur de l'immeuble des mètres carrés correspondant à des prestations de services publics de proximité plutôt que de prendre à sa charge la totalité de l'opération.
M. le président - A-t-elle demandé à Carlyle des aménagements à caractère social ?
M. Eric Sasson - Il y a un grand bâtiment central et deux bâtiments plus petits de 400 m² ; ils avaient demandé que l'un d'eux leur soit rétrocédé pour en faire une crèche ou quelque chose d'autre. C'est une obligation que l'on a retranscrite à l'acheteur.
M. le président - La concession de la crèche sera donc un supplément au prix ?
M. Eric Sasson - Non...
M. Dumas - On peut s'étonner rétrospectivement que cet immeuble n'ait pas été remis, alloué ou revendu à l'époque à un service public. Il faut rappeler que beaucoup de visites ont été le fait de services publics à l'époque : le rectorat de Paris, la ville de Paris, les J.O., l'université de Paris, la région Ile-de-France étaient venus voir et n'ont pas donné suite parce que c'était un très grand immeuble, de nature industrielle, qui posait des problèmes de dépollution, etc.
L'hypothèse dans laquelle les lieux auraient été occupés par un service public n'a donc pas été occultée.
M. le président - La question était de savoir si la ville de Paris était désireuse de s'approprier cet immeuble pour une opération urbaine à vocation publique ou pour des constructions privées.
Mme Marie-France Beaufils - Je voudrais tout d'abord rappeler qu'au nom du groupe CRC, nous avions demandé une commission d'enquête sur les transactions sur ce sujet. Je trouve donc intéressant que l'on puisse faire partie de cette commission, même si une audition et une commission d'enquête n'ont pas tout à fait le même impact...
M. le président - On va gagner du temps !
Mme Marie-France Beaufils - Vous avez dit que l'immobilier était incertain et ne garantissait pas des prix de location plus importants après transformation d'un bien en bureaux -en tout cas, c'est ce que j'ai compris. Toutefois, on voit bien que cet immobilier reprend ensuite très vite, avec une forte évolution.
Je voudrais savoir si, dans le travail que vous avez mené, vous avez évalué les coûts que vous alliez avoir à supporter en termes de dépollution avant la vente. Vous avez en effet parlé d'une nappe phréatique fortement dégradée ; vous avez fait des travaux dans ce domaine. Vous réalisez la vente à un prix inférieur à l'estimation des Domaines et vous devez en plus supporter la dépollution du bien. Finalement, qu'est-il vraiment resté à l'Imprimerie nationale ? On est dessous des 85 millions dont on parlait, même si on ajoute les 18 !
M. Jean-Luc Vialla - Je n'ai pas connaissance du coût de dépollution ; celle-ci a en effet été réalisée après mon départ. Je me souviens d'évaluations comprises entre 1 et 2 millions d'euros -mais je ne puis vous le garantir.
Dans tous les cas, cette dépollution aurait dû être faite même si n'étions pas partis car la situation était inacceptable.
M. Philippe Dumas - Le coût de la dépollution a été de 1,7 million d'euros.
M. Adrien Gouteyron - Supporté par l'Imprimerie nationale ?
M. Jean-Luc Vialla - Oui. Il y avait également des problèmes d'amiante.
M. le président - Cela s'ajoute au prix de revient de la vente, si j'ose dire.
Nous allons en rester là pour les conditions de l'achat. Il s'agissait de la première séquence de cette audition. Merci, Messieurs, pour toutes ces précisions.
A posteriori, il est toujours facile de dire que l'on aurait pu vendre plus cher. On a compris néanmoins que la procédure avait été assez transparente. Chacun a fait ce qu'il a pu dans les conditions optimales du moment, étant entendu qu'il aurait mieux valu attendre que le marché se retourne et que l'idée que l'on se faisait de la tendance à la hausse se précise.
En fait, on n'aurait probablement jamais parlé des conditions de la vente s'il n'y avait pas eu le rachat de cet ensemble par l'Etat, en 2006, à un prix significativement supérieur à celui payé par Carlyle.
On comprend bien qu'il y a eu beaucoup de travaux, de peine et d'intelligence ; on vend en 2002-2003, on signe la vente effective en 2006 mais, en 2006, on va signer aussi la promesse de rachat par l'Etat, puisqu'il fallait reloger le ministère des affaires étrangères.
Nous voudrions donc que vous nous précisiez comment cela s'est passé, quelles sont les raisons qui ont conduit le Quai d'Orsay à retenir cet immeuble alors même que la recherche d'un nouveau site était antérieure.
Pourquoi le calendrier d'achat s'est-il brusquement accéléré au cours du premier trimestre 2007 ? Ceci n'a-t-il pas conduit à renforcer la position de Carlyle dans la négociation quand l'acheteur manifeste une intention d'aboutir rapidement ? Cela n'a-t-il pas pesé sur le prix ?
Le Président du conseil de l'immobilier de l'Etat a écrit le 23 mars 2007 au Premier ministre pour exprimer ses préoccupations sur les conditions de la vente. Pourquoi n'a-t-il pas reçu de réponse ?
France Domaine avait évalué l'immeuble à 300 millions d'euros mais il a finalement été négocié pour le Quai d'Orsay à 325 millions d'euros. Peut-on, dans une négociation immobilière, à la fois être celui qui évalue le prix de l'immeuble et celui qui le négocie ?
Enfin, le Quai d'Orsay finance cette opération par la cession d'autres immeubles : dans quelles conditions ces autres immeubles ont-ils été cédés ? Apparemment, c'est bien l'Etat qui va investir. Où en est-on ? L'immeuble est-il payé ? Peut-on l'occuper ?
M. Stéphane Romatet - Pourquoi cette affaire ? Le ministre des affaires étrangères est à la recherche, depuis 20 ans, d'une solution de regroupement de ses services. Nous sommes aujourd'hui répartis sur une dizaine de sites, dans des conditions de localisation qui ne sont pas optimales -c'est le moins que l'on puisse dire- d'improductivité administrative du fait de l'éparpillement de nos services et de coûts additionnels dus à cette dispersion.
Le ministère a dû vivre, dans des conditions parfois un peu difficiles, deux échecs de son projet de regroupement. Le premier remonte à 1993, lorsqu'est décidée la construction d'un centre de conférences international Quai Branly, là où se trouve aujourd'hui le musée des arts premiers.
A ce moment, l'Etat met en vente aux enchères l'immeuble de l'avenue Kléber. Les enchères sont interrompues car la vente intervient au moment où le marché immobilier parisien se retourne brutalement. Le projet est abandonné.
En 2004, le ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, décide de reprendre ce projet de manière plus ambitieuse en envisageant un regroupement sur un site unique de l'ensemble des services du ministère, sur un foncier à identifier, à Paris et dans le cadre d'une opération à monter en maîtrise d'ouvrage public. En réalité, l'Etat construit donc pour son propre compte.
Un site est identifié, après bien des recherches, celui de l'hôpital Saint-Vincent de Paul. En raison d'un manque d'accord entre la ville de Paris et l'Etat sur la destination de ce site, ce projet ne peut voir le jour. Il est abandonné en 2005.
En 2006, nouvelle impulsion donnée à la politique immobilière de l'Etat. Le chef de l'Etat prononce ses voeux devant les corps constitués, annonce une nouvelle politique immobilière, la mise en place de France Domaine, l'Etat propriétaire, etc. A ce moment, le Gouvernement est à la recherche d'une opération immobilière d'une certaine envergure qui permettrait de donner une traduction à ces nouvelles orientations de la politique immobilière.
Le ministère des affaires étrangères est candidat à une opération de regroupement. L'offre rencontre sa propre demande et nous décidons, avec nos collègues du ministère des finances, de recherche ensemble une solution de regroupement des services du ministère des affaires étrangères.
Le cadrage de cette opération nous est très nettement tracé par l'autorité politique. Il s'agit de faire appel au marché. L'Etat -j'insiste sur ce point- est à la recherche d'une formule d'acquisition pour une raison très simple : on estime que le ministère des affaires étrangères sera probablement une structure assez pérenne dans l'appareil d'Etat. C'est donc un besoin immobilier durable.
Deuxième raison : le budget de fonctionnement des affaires étrangères lui interdira de supporter des coûts locatifs élevés.
Troisième raison : un calcul immobilier qui aurait consisté à vendre des actifs de grande valeur pour les réinvestir en loyers de long terme n'aurait pas été un bon calcul patrimonial pour l'Etat. A ce moment est prise la décision de demander à l'Etat, donc à France Domaine et au ministère des affaires étrangères, de rechercher une formule d'acquisition.
Autre élément : le mandat qui nous est donné est de rechercher une opération totalement autofinancée par l'Etat, sans appel à des contributions budgétaires, cette opération devant entièrement s'autofinancer par la vente des immeubles amenés à être libérés par le ministère des affaires étrangères dans le cadre de son opération de regroupement.
Troisième élément : cette opération doit être exemplaire pour les finances publiques ; par la vente de ses immeubles, le ministère des affaires étrangères doit contribuer, selon la fameuse règle des 15 %, au désendettement de l'Etat, grâce à une part de ses produits de cession.
Enfin, cette opération immobilière doit conduire le ministère des affaires étrangères à s'installer dans les nouvelles normes qui sont celles de la politique immobilière de l'Etat, avec des ratios de m 2 par agent maîtrisés, un immeuble disposant d'un certain niveau de qualité environnementale et, d'une manière plus générale, d'une excellente performance immobilière.
C'est donc dans ces conditions, en liaison avec nos collègues de France Domaine, que le ministère des affaires étrangères se met en chasse, au printemps 2006, d'une solution de relogement et fait appel au marché.
A la suite d'étapes parfaitement décrites dans le rapport de M. Dumas et sur la base d'un cahier des charges précis, l'immeuble doit pouvoir accueillir 1.500 agents, soit environ 25 à 30.000 m2 -offre rare pour une superficie de ce type.
Deuxième nécessité : nous porter acquéreurs d'un immeuble qui soit indépendant pour des raisons évidentes de sécurité, compte tenu de la nature de l'activité publique au sein de cet immeuble, également apte à pouvoir disposer de salles de réunions suffisantes pour se substituer au centre de conférences international de l'avenue Kléber.
Le troisième élément du cahier des charges est un critère d'accessibilité par rapport au Quai d'Orsay, puisqu'il est décidé que l'Etat conservera l'implantation historique du Quai d'Orsay pour le ministère des affaires étrangères.
C'est en vertu de ces éléments que l'on se met en recherche d'un immeuble à Paris ; grâce à une procédure dans laquelle nous nous sommes fait assister d'un conseil, plusieurs formules immobilières nous sont présentées, débouchant ensuite sur l'engagement d'une négociation avec Carlyle pour l'acquisition de l'Imprimerie nationale.
M. le président - Voilà une démarche dynamique et déterminée !
Finalement, vous allez vendre des immeubles à une époque où les prix du marché sont relativement élevés.
M. Stéphane Romatet - Effectivement.
Pour répondre à vos questions, pourquoi avoir retenu cet immeuble ? Il correspondait parfaitement au cahier des charges fixé.
Pourquoi une accélération du calendrier au premier semestre 2007 ? Il y a eu incontestablement une volonté du pouvoir politique de cette époque de conduire à son terme cette opération. Daniel Dubost et moi-même avons assisté à de très nombreuses réunions interministérielles. C'est un projet qui était suivi à très haut niveau dans l'appareil d'Etat et nous avons senti une volonté très ferme de conclure cette opération de sorte qu'elle puisse illustrer une opération de regroupement avec ses bénéfices attendus en termes de rationalité administrative et d'économies budgétaires. Nous avons d'ailleurs subi une pression de la part de nos cabinets et du cabinet du Premier ministre.
Comment céder les autres immeubles ? A quelles conditions cela a-t-il été fait ? Nous entendions, comme nous le conseillaient tous les opérateurs immobiliers, nous dépêcher dans la mise en vente de nos immeubles compte tenu du point haut atteint par le marché immobilier parisien et de la valeur exceptionnelle que représentait l'actif de l'avenue Kléber. Nous avons d'ailleurs eu un intérêt extraordinaire du marché.
M. le président - Vous rappelez-vous le prix de vente de l'avenue Kléber ?
M. Stéphane Romatet - 404 millions d'euros, alors que cet immeuble avait été estimé par le service des Domaines quelques mois auparavant à 185 millions d'euros.
M. le président - Avez-vous vendu d'autres immeubles ?
M. Stéphane Romatet - Nous sommes en train de vendre la rue Monsieur, ancien siège du ministère de la coopération.
M. le président - Est-ce fait ?
M. Daniel Dubost - Deux immeubles sont aujourd'hui vendus : l'un est dans les emprises de l'Assemblée nationale, rue de l'université et a représenté 9,9 millions d'euros; le deuxième est le centre de conférences auquel il a été fait allusion et le troisième est celui de la rue Monsieur, pour lequel les candidats devaient avoir déposé une proposition à la fin du mois dernier. Nous avons reçues ces propositions. Elles se situent au-delà de la valeur domaniale. Il appartient au ministre de donner une suite aux propositions qu'il a reçues pour l'immeuble de la rue Monsieur. A cet instant, la décision n'est pas prise.
M. le président - Lorsque vous additionner toutes les valeurs probables de vente de tous ces immeubles, à quel montant arrivez-vous ?
M. Stéphane Romatet - D'ores et déjà, avec la simple vente de l'avenue Kléber, l'opération s'autofinance. L'opération de vente de la rue Monsieur permettra d'améliorer le rendement financier de l'opération pour permettre notamment le paiement de la contribution au désendettement, le paiement de la fiscalité associée au projet et de quelques travaux d'adaptation de cet immeuble. Cet immeuble nous est vendu par Carlyle entièrement restructuré mais nu ; nous avons repris l'engagement d'ouvrir cet immeuble à un service social de proximité.
M. le président - Est-ce vous qui allez le gérer ?
M. Stéphane Romatet - Nous devons, du fait de la législation du travail, ouvrir un dispensaire sur ce site ; nous envisageons de proposer à la mairie du XV ème d'ouvrir ce dispensaire à la population riveraine.
M. le président - A ce stade, Monsieur Lamiot, vous dites : « Cela vaut 300 millions d'euros » et voilà que le Quai d'Orsay va payer 325 d'euros, transgressant en quelque sorte vos recommandations...
M. Dominique Lamiot - Je voudrais revenir un instant sur ce qu'est une évaluation domaniale. Est-elle prudente et dans le marché ? C'est une évaluation d'experts qui, à chaque instant, estiment faire leur travail de la meilleure façon qui soit. J'en veux pour preuve le fait que, lorsqu'on on rapproche les évaluations domaniales de la moyenne des offres qui sont déposées à l'occasion de ces ventes, on se rend compte que l'évaluation domaniale correspond assez strictement à la moyenne des offres déposées.
On a souvent pu observer sur les grosses opérations passées qu'il y avait une assez forte dispersion en plus et en moins ; on pouvait avoir un paquet d'offres sur un prix, l'acquéreur final se distinguant assez substantiellement par le prix qu'il était prêt à mettre sur la table par rapport aux autres.
Effectivement, les Domaines, à l'époque, ont dit : « Pour nous, ce bien peut être estimé à 300 millions d'euros ».
Par ailleurs, nous nous sommes quand même entourés d'expertises privées. Pour des montants de ce type, on ne s'en tient pas nécessairement là. Un cabinet a donc été mandaté pour évaluer de manière indépendante le prix des différents immeubles que le ministère des affaires étrangères avait retenu dans le cadre de cette belle opération immobilière pour l'Etat. L'évaluation faite par ce cabinet était de 345 millions d'euros, assez supérieure à celle que nos propres collaborateurs avaient réalisée.
Avant de revenir sur l'opération qui nous occupe ce matin, je voudrais répondre à votre question : n'y a-t-il pas une bizarrerie à ce que France Domaine soit à la fois juge et partie, le bras qui conduit la négociation financière et celui qui réalise les estimations ?
Ma réponse serait de dire qu'on ne se limite pas à nos évaluations internes. On en fait faire pour toutes les grosses opérations et on va les systématiser. Il ne faut pas que l'arbre cache la forêt, même si c'est l'arbre qui rapporte le plus. On a sur le territoire des centaines d'évaluateurs qui, au quotidien, dans chaque département, réalisent des évaluations. Ce que je serais tenté de suggérer -et je trouve que, de ce point de vue, le rapport de Philippe Dumas nous est utile- c'est qu'on se détermine sur un seuil au-delà duquel il y ait systématiquement des évaluations externes mais qu'en revanche, pour le tout-venant, on s'appuie sur les collaborateurs du Domaine et qu'on s'en tienne là -sauf opération très spécifique.
M. le président - Ne vous êtes-vous pas posé la question à propos du fait d'acheter 4 fois plus cher ?
M. Dominique Lamiot - On n'a pas exactement acheté 4 fois plus cher ! Et ce que l'on achète n'est pas du tout ce que l'on a vendu ! Bien évidemment, nous nous sommes posé cette question. D'ailleurs, le rapport de l'IGF que vous avez entre les mains se la pose.
Deux ou trois types de réponses peuvent être apportées : soit on y va sans aucun état d'âme -ce n'est pas du tout ce qu'on a fait- soit on se l'interdit systématiquement. Ce pourrait être une politique de prudence mais s'il y a une belle opération immobilière à faire pour l'Etat en 2006 ou en 2007, faut-il se l'interdire ?
M. le président - Cela a été courageux car vous saviez que vous auriez à rendre des comptes !
M. Dominique Lamiot - Cela ne nous avait pas échappé ! Dès lors que, comme je le crois et comme le dit le rapport, tout cela a été fait dans les conditions les plus rigoureuses, pourquoi nous interdirions-nous de faire une belle opération même si, entre temps, le marché de l'immobilier a subi une forte hausse des prix ? Il y avait une volonté politique évidente d'avancer sur ce dossier parce que c'était un bon dossier. Si on avait eu le sentiment qu'on était en train de fourvoyer le contribuable, nous ne l'aurions pas fait, a fortiori dans ce contexte !
S'agissant du prix, je conviens que 325 est plus cher que 300 ; si on avait acheté à 250 plutôt qu'à 325, on s'en serait mieux porté collectivement mais une négociation se conduit à deux. Nous avions cette estimation privée à 345 ; on a fait une offre à 305 ; puis on est passé à 310, puis à 315. Le vendeur refusait. C'est ainsi que les choses nous ont permis de conclure à 325.
M. Eric Sasson - M. Finn dit que nos investisseurs nous payent pour prendre des risques.
Ils prennent des risques parfois différents de ce qu'ils font actuellement eux-mêmes en direct dans l'immobilier.
Tous ces investisseurs, assureurs et fonds de pension achète en général des immeubles loués et collectent le loyer.
Ici, il s'agit d'un type de risque complètement différent. On a acheté un immeuble qui n'existait pas et qui n'avait pas de locataires. On a à peu près mis autant d'argent dans le prix d'achat de l'immeuble.
On a pris un risque pour essayer de rendre cet immeuble attractif au moment de la vente -et un risque de marché.
Quant on a investi, nous ne pensions pas que le marché monterait aussi vite.
Si vous le permettez, je voudrais apporter un complément d'information du point de vue du prestataire de service. Quand vous avez abordé le premier sujet, on a parlé d'un objet industriel, en piteux état, pollué. On a investi 100 millions d'euros, travaillé de façon très proche avec les bâtiments de France qui ont regardé tout, approuvé tout, y compris les fenêtres. On a travaillé avec Art et charpente, l'architecte, Bouygues Entreprise. C'était un chantier énorme. Ce n'est plus du tout le même objet que celui qui a été vendu quelques années auparavant.
M. le président - C'est un risque qui a bien tourné. L'autre aspect positif, c'est que la conjoncture ayant tourné, le ministère a pu vendre beaucoup plus cher la rue Kléber. Les intérêts de l'Etat n'ont donc pas été trop éprouvés.
S'il y a une plus-value globale du fait des ventes, c'est quand même le budget qui va en tirer profit, tout en laissant une fraction à la disposition du ministère au titre de l'intéressement. Vu du budget, comment était-ce analysé ? Etait-ce payé trop cher ? Etait-ce une bonne opération ?
M. Xavier Hürstel - Si plus-value il y a, une bonne partie ira au désendettement. C'est le but du fonctionnement du compte d'affectation spéciale (CAS) immobilier sur lequel l'opération se fait et dont le responsable de programme est Daniel Dubost. L'opération globale a été suivie par le budget ; elle a été très vite suivie en interministériel. C'est une opération qui est passée plusieurs fois en réunion interministérielle à Matignon sur les grands principes.
Le rôle de la direction du budget a surtout été de voir dans quelle mesure on avait une opération qui tenait la route et qui pouvait être financée sur le CAS immobilier, même si le rôle de la direction du budget est indirect, puisque le gestionnaire du CAS est France Domaine.
S'agissant de la valeur de l'immeuble, la séparation des métiers au sein du ministère des finances fait que la négociation étant conduite par France Domaine, nous ne sommes pas informés de l'état des négociations, jour après jour, pour des raisons de confidentialité et de réactivité. Nous sommes informés de la conclusion finale de la négociation.
La validation du fait que, budgétairement, sur le CAS immobilier, les produits de cession attendus peuvent permettre de couvrir la vente en maintenant une part pour le désendettement de l'Etat est quelque chose sur lequel France Domaine nous a consultés et que nous avons pu valider, les produits de cession attendus couvrant amplement cette vente.
Confirmation, donc, par France Domaine de la vente, confirmation pas France Domaine du prix. Pour nous, il y a plus que couverture sur le CAS immobilier, avec une participation au désendettement. On est conforme à la charte de gestion du CAS immobilier, conforme aux arbitrages du cabinet du Premier ministre. Notre marge d'appréciation se limite donc à constater la plus-value.
M. Adrien Gouteyron - Vous avez dit que le montant des travaux était de l'ordre de 100 millions d'euros, c'est bien cela ?
M. le président - C'est l'équivalent du prix d'achat !
M. Adrien Gouteyron - A quel moment est intervenu le classement de l'immeuble ou son inscription ?
M. Eric Sasson - L'immeuble n'est pas classé.
M. Jean-Luc Vialla - La situation est un peu plus complexe. Il n'est pas juridiquement classé ; les bâtiments de France nous ont dit pendant des années qu'il allait être classé. L'architecte souhaitait classer la façade et les chaids -les toits en verre, qui sont évidemment exceptionnels dans Paris. Après mon départ, je crois que l'immeuble a été inscrit mais c'est à vérifier. De toute façon, la mairie nous a toujours dit que l'immeuble serait traité comme s'il était classé.
Par ailleurs, il est dans le périmètre d'une église qui est juste en face qui est elle-même classée. Cela fait beaucoup de contraintes.
M. Eric Sasson - En effet, il n'est pas classé mais il a été traité comme immeuble classé puisqu'on a travaillé avec les bâtiments de France de façon très régulière, par exemple sur les détails des fenêtres et les éléments les plus précis de l'immeuble.
M. Adrien Gouteyron - Monsieur Romatet, a-t-on une idée du prix de la revente de Kléber ?
M. Stéphane Romatet - L'acquéreur de Kléber est un fonds qatariote du Qatar, un fonds souverain qui prépare l'après pétrole et qui investit dans un certain nombre d'actifs qui sont identifiés comme des actifs de valeur pour l'avenir. Il n'y a pas eu de cession d'immeuble. On nous a indiqué que c'était un reclassement d'actifs au sein de la famille du Qatar qui s'est portée acquéreur. La société Barwa a revendu cet actif à sa maison mère, afin de réaliser une plus-value comptable faciale de 55 millions d'euros et alourdir ainsi les actifs de la société holding.
M. le président - Avez-vous prévu une clause d'intéressement ?
M. Daniel Dubost - L'acte conclu ne comporte pas cette clause d'intéressement mais le bien n'a pas été revendu. On en a la certitude par le biais de la conservation des hypothèques et la publicité foncière.
M. le président - Il s'agit peut-être d'une société civile immobilière et ce sont les actions de la société qui ont été vendues à un tiers.
M. Daniel Dubost - Les actions de la société ont été vendues par le groupe acquéreur Barwa à sa société mère.
M. le président - Ce n'est pas tellement conforme aux prescriptions du droit fiscal français. Il suffirait que tous les biens immobiliers soient dans des coquilles sociétaires pour échapper à tous les droits d'enregistrement et à pratiquement tous les impôts.
M. Daniel Dubost - L'information que nous avons provient de la presse. Si vous vouliez connaître les intentions de notre acquéreur, vous pourriez éventuellement l'inviter. Je ne peux que vous répercuter ce qui a été dit par la presse et par les conseils de l'acquéreur auprès desquels nous nous sommes enquis.
En l'occurrence, le bien semble avoir été acquis auprès de l'Etat au-delà d'une valeur raisonnable de marché, faisant porter un risque à la société qui l'a acquis et qui était cotée sur la bourse de Doha.
Pour ne pas subir les critiques quant aux prix excessif mis par Barwa, les actions de la société ont été replacées auprès d'une société mère qui n'est pas cotée et qui dépend directement du prince du Qatar. Cette perte, de ce point de vue, n'a pas de conséquences pour la société.
M. le président - N'avez-vous pas été tenté de faire figurer une clause d'intéressement, compte tenu de l'expérience initiée par M. Vialla lors de la première opération ? Vous avez dit que vous essayez maintenant de le faire à chaque fois.
M. Daniel Dubost - Nous le ferons effectivement pour les opérations futures.
M. le président - Là, il n'y en a donc pas. Vous l'avez vendu tellement cher la première fois que cela ne vous est pas venu à l'esprit !
M. Daniel Dubost - Nous l'avons en effet vendu tellement cher...
M. le président - Vous vous êtes dit : « Ils vont mettre une clause de participation aux pertes éventuelles s'il y a rétrocession ».
M. Daniel Dubost - En outre, face à nous, il y a de vrais candidats qui ont des obligations. Il y a un écart de prix très important entre le premier et le second.
M. Adrien Gouteyron - Le montant des travaux prévus dans l'immeuble a-t-il été estimé ?
M. Stéphane Romatet - Cette vente est une vente en état de futur achèvement. Nous sommes propriétaires au fur et à mesure de la réalisation des travaux par le groupe Carlyle. Carlyle, selon les termes de l'acte de vente signé le 18 juin 2007, nous cède un immeuble aménagé dans les conditions qui figurent à la notice descriptive adossée à cet acte de vente. Cet immeuble nous est remis nu, comme tout immeuble mis sur le marché dans la cadre de l'immobilier professionnel. Il appartient donc à l'occupant de réaliser des travaux de câblage, de courant fort / courant faible, des travaux de cloisonnement que nous voulons d'ailleurs minimum et des travaux très spécifiques au ministère des affaires étrangères, qui sont des travaux de sécurisation de ce site.
Nous sommes en train de passer un marché public pour choisir le maître d'oeuvre qui réalisera ces travaux dont je ne peux pas vous donner l'estimation à ce jour -mais nous veillerons à ce qu'ils coûtent le minimum.
M. le président - Vous n'avez aucune idée de ce qu'ils vont coûter ?
M. Stéphane Romatet - C'est un immeuble qui fait environ 30.000 m2. Cette opération de regroupement est la plus grosse opération immobilière faite par l'Etat depuis le transfert des services du ministère des finances de la rue de Rivoli vers Bercy. Nous estimons les travaux dans une fourchette entre 500 et 1.000 euros du m2 maximum. Le contrat de maîtrise d'oeuvre est en cours de définition.
M. Jean-Marie Bruno - Les opérations immobilières du ministère des affaires étrangères s'exécutent aujourd'hui dans le cadre d'un contrat de modernisation conclu entre les ministres des affaires étrangères et du budget qui prévoit que l'essentiel des opérations sont financées sur produits de cession.
M. le président - Ce n'est pas parce que ce sont des produits de cession que vous devez tout dépenser !
M. Jean-Marie Bruno - Ce que je veux dire, c'est que cela ne se fait pas sur crédits budgétaires. Ce sont des opérations qui ne font donc pas peur à la direction du budget.
M. le président - C'est donc une débudgétisation ?
M. Xavier Hürstel - C'est un point dont nous discutons avec le Quai d'Orsay.
Il existe avec le ministère un contrat pluriannuel qui est intéressant puisqu'il lui donne de la visibilité pour faire des opérations. Etant donné la charte de gestion du CAS, on discute et on discutera avec les affaires étrangères pour savoir à quel moment des travaux peuvent relever du CAS parce qu'ils augmentent l'actif de l'Etat et à quel moment des travaux ne relèvent pas du CAS parce qu'il s'agit de choses courantes.
M. le président - Comment allez-vous traiter les cessions du Quai d'Orsay ?
M. Xavier Hürstel - Les cessions du Quai vont toutes au CAS immobilier.
M. Daniel Dubost - En effet, ce n'est pas parce qu'on a le produit de cession qu'il faut dépenser l'argent. C'est une préoccupation que vous aviez déjà exprimée lors d'une précédente audition et nous prenons un grand soin de veiller à son application.
Pour ce qui est des produits de cession de plus de 2 millions d'euros, je vous assure que les administrations n'en disposent pas. Ce n'est que lorsqu'elles ont produit un dossier de remploi montrant la performance immobilière de leur projet que nous mettons à leur disposition les fonds permettant de procéder à l'opération.
C'est parce que le projet du ministère des affaires étrangères était intéressant compte tenu de l'écart qu'il peut y avoir entre le produit de cession et les produit de remploi que nous avons mis les sommes à disposition. Ce n'est pas un guichet ouvert permettant de dépenser à hauteur des résultats que nous obtiendrions !
M. le président - Nous n'étions pas inquiets, à vrai dire !
M. Paul Girod - Les 20 millions d'euros sont un peu trop parallèles avec les 18 de complément de prix de tout à l'heure pour qu'on ne se pose pas quelques questions annexes -mais ce n'est pas le fond du problème.
Le fond du problème vient du fait que la substance même du bâtiment a été estimée convenable par les affaires étrangères et qu'au départ les plans étaient orientés vers une location des bureaux. Comment se fait-il qu'un immeuble qui avait été conçu pour la location de bureaux tombe si bien dans les desiderata des affaires étrangères pour un système unique ? Il y a là quelque chose que je ne comprends pas très bien !
M. Eric Sasson - Je vais vous faire une réponse immobilière pure : la réponse est non ! Pour une société immobilière qui travaille avec un cabinet d'architectes, l'idée est de rendre l'immeuble le plus divisible possible afin qu'on puisse le louer à un, deux ou trois. Le louer ou le vendre est finalement un acte de capital ou de propriété et non un acte d'occupation.
M. Paul Girod - Ma question s'adresse au ministère des affaires étrangères : voilà un immeuble conçu pour être divisé et que vous trouvez adapté à une utilisation unique ! Où est le lien ?
M. Stéphane Romatet - Cet immeuble -on peut faire circuler des plans- est un immeuble non divisé.
M. le président - C'est une enveloppe...
(MM. Eric Sasson et Christopher Finn présentent des photographies du site).
M. le président - C'est divisible mais si ce n'est pas divisé, ce n'est pas un problème.
Y avait-il d'autres acheteurs éventuels ?
M. Eric Sasson - Il y a toujours eu des gens intéressés ; le ministère s'est inscrit dans un courant où il y a eu beaucoup de sociétés de télécommunication ou de télévision qui voulaient soit acheter, soit louer. M. Vialla en a cité quelques-unes qui sont revenues après. On a eu à peu près au même moment deux ou trois autres offres d'achat. J'ai bien sur transmis tout cela à l'équipe de M. Finn pour qu'elle décide.
M. Bernard Angels - Le travail de France Domaine est très difficile ; quand on a affaire à des équipes du niveau de Carlyle, ce n'est pas si simple.
Par ailleurs, quand il s'agit d'entités publiques autres que l'Etat, le rôle de France Domaine est finalement assez limité. A ma connaissance, vous ne pouvez pas vous attardez sur les conditions de publicités ou de mise en concurrence, vous n'avez pas à apprécier les délais d'exécution des opérations ni leur timing, ni même les modalités de règlement du prix.
Ne faudrait-il pas renforcer rapidement le rôle de France Domaine -ce serait la tâche des parlementaires- pour lui donner plus de force ?
M. Dominique Lamiot - Le renforcement de France Domaine est en cours. La dynamisation de la politique immobilière de l'Etat, au regard de l'ensemble des opérations évoquées ce matin, a été enclenché avec force en 2006 et en 2007. La chronologie est bien connue de tous. Nous nous entourons de plus en plus de spécialistes des marchés pour nous épauler dans les évaluations ou pour tout autre compartiment sur Paris, s'agissant des grosses opérations qui ont été conduites, mais aussi dans les départements.
Faut-il aller plus loin ? Sûrement ! Il y a une question probablement implicite que vous n'avez pas exprimée : est-ce que pour la négociation financière conduite ici, aurions-nous besoin d'un conseil sous quelque forme que ce soit.
On sait bien, à la fois pour des raisons d'efficacité et de confidentialité, qu'à un certain moment dans ce type d'opération, tout se concentre sur un très petit nombre d'individus. Faire appel à des expertises plus larges et à des conseils, qui arrivent avec une méthodologie certes rodée mais un peu lourde, n'est pas forcément plus efficace.
L'idée de renforcer progressivement France Domaine est séduisante et nous la retenons. Quant à mieux faire en matière de négociation financière, j'ai du mal à trouver les points d'application.
M. Daniel Dubost - L'imprimerie nationale a déjà, par le passé, eu recours à des conseils de renom. Ils n'ont pas anticipé de manière particulière la façon dont le marché allait évoluer. Je ne dis pas qu'ils ont commis une erreur à l'époque mais ils se sont trompés comme les autres !
Aurions-nous été plus efficaces dans la négociation financière que nous avons conduite et en serions-nous restés au prix initial de 305 millions d'euros ? Je ne suis pas capable de répondre. Après avoir mis l'énergie qui nous apparaissait nécessaire pendant trois mois pour essayer de ne pas aller trop au-delà, je pense que non !
Mme Marie-France Beaufils - Vous nous avez dit que vous aviez cherché d'autres endroits pour installer l'ensemble des activités du ministère. Or, l'une de ces périodes correspond au moment où la promesse de vente a été signée entre l'Imprimerie nationale et Carlyle mais n'a pas encore produit ses effets. Pourquoi ne vous êtes-vous pas intéressé à ce bien à cette époque, alors que vous saviez qu'il était en vente ? Si on ajoute les 85 millions d'euros de la vente aux 100 millions d'euros de travaux, même avec le dédit, vous vous seriez retrouvés avec quelque chose de nettement moins élevé !
En second lieu, par qui êtes-vous accompagnés pour suivre l'évolution des biens de l'Etat ? Avez-vous une vision du devenir du bien pour pouvoir en estimer la rentabilité ? Si tel n'est pas le cas, la pertinence du coût est alors difficile à approcher.
M. Stéphane Romatet - En 2004, le schéma d'implantation du ministre des affaires étrangères, tel qu'il était porté de manière extrêmement volontariste par le ministre Barnier, n'était pas celui-là : il s'agissait d'un regroupement total de tous les services, Quai d'Orsay inclus, sur une emprise foncière à trouver. Il s'agissait de 60.000 m2 à l'époque. Nous n'étions pas sur le schéma d'une répartition du ministère sur deux sites, option qui nous a été commandée début 2006.
M. Daniel Dubost - Au moment de l'opération de vente, le cadre législatif avait changé. Aujourd'hui, il existe un droit de priorité des collectivités locales avec, associé à ce droit, une évaluation pour laquelle les Domaines s'engagent. La collectivité locale a le droit de faire suite ou non à ce prix.
Lorsque la collectivité locale n'a pas donné suite au droit de priorité et que les candidats font une proposition, si celle-ci se situe en deçà de l'évaluation domaniale, nous ne donnons pas suite. Nous ne bradons pas le patrimoine en deçà de l'évaluation domaniale et nous déclarons l'appel d'offres sans suite. Cela s'est déjà produit dans un certain nombre de cas.
Quelle est la stratégie de l'Etat à l'égard de ses différents immeubles ? Dans le cadre de la dynamisation du patrimoine immobilier, l'une des décisions prises par M. Copé a consisté à faire en sorte que les administrations centrales, dans une première étape, se dotent de schémas prévisionnels de stratégie immobilière dans lesquels ils doivent situer une cible à l'horizon de quelques années.
L'objectif consiste à clarifier la stratégie ; les opérations immobilières ensuite réalisées doivent naturellement être cohérentes avec cette perspective stratégique.
Mme Marie-France Beaufils - Avez-vous pris des dispositions pour mieux apprécier le devenir d'un bien ? Ici, on voit qu'un bien transformé avec 100 millions d'euros de travaux a une rentabilité décuplée !
M. Daniel Dubost - Nous laissons le soin aux candidats acquéreurs de faire la meilleure proposition. S'il y a autant d'écart entre les différentes propositions, c'est bien parce qu'ils ont des projets de remploi fondamentalement différents.
M. le président - Si le marché s'était retourné, cela ne se serait pas passé ainsi !
M. Philippe Dallier - On s'est longuement félicité -et à juste titre- de la présence opportune de la clause de retour à meilleure fortune qui a rapporté 18 millions d'euros mais j'ai cru lire dans le rapport qu'il y aurait eu une contrepartie pour le ministère, puisqu'on serait passé de 305 à 325 au bout du compte, du fait que Carlyle devait payer les 18 millions d'euros supplémentaires. Peut-on entendre France Domaine sur ce point ?
M. Daniel Dubost - La négociation n'avait pas abouti à 305. Le vendeur nous disait qu'il avait une clause de rachat qui ne lui permettait pas d'avoir le prix net qu'il entendait ressortir. Ce prix ne lui convenait donc pas. Nous sommes allés jusqu'où nous estimions pouvoir aller en limitant les frais que l'Etat acquéreur devait payer à 1 million d'euros, dernier point de la négociation financière sur ce sujet, alors que ceux-ci sont bien supérieurs.
Oui, il y a donc forcément un lien, puisqu'il a été fait par l'acquéreur, entre ce complément que nous avons apporté et le coût du versement de la clause d'intéressement au bénéfice de la société Imprimerie nationale.
M. le président - Nous en venons à la séquence du traitement fiscal de la plus-value. Les opérations d'achat et de vente sont-elles complètement bouclées ? A-t-on réglé l'ensemble des dépenses ? Carlyle a a-t-il maintenant une connaissance précise du montant de la plus-value ?
S'agissant de la question fiscale, l'article 244 bis A du code général des impôts sur les plus-values réalisées par les sociétés fiscalement domiciliées hors de France à l'occasion de la cession d'immeubles situés en France prévoit une imposition de 33,3 %.
Mais le fonds Carlyle serait situé au Luxembourg ? Dans ce cas, quel est le texte qui s'applique : la convention fiscale du 1er avril 1958 ou l'avenant à cette convention signé le 24 novembre 2006 et ratifié par le Sénat ? Dans le premier cas, comme le montre un rapport Gouteyron sur le sujet, un conflit d'interprétation entre un arrêt du conseil d'Etat du 18 mars 1994 et la cour d'appel du Luxembourg conduit à une double exonération de la plus-value et donc à une évasion fiscale significative.
Mais ce « trou luxembourgeois » ne vaut que pour les sociétés n'ayant pas d'établissement stable en France : est-ce le cas de Carlyle ? Votre présence en France crée-t-elle présomption d'un établissement stable ou bien est-ce la double exonération qui s'applique ? Quelle est votre vision des conséquences fiscales de cette opération ?
M. Eric Sasson - M. Finn dit qu'en 2001, ils ont établi, en toute transparence légale et en toute clarté fiscale, une structure au Luxembourg.
Cette structure, comme d'autres structures immobilières paneuropéennes, est propriétaire de tous les actifs dans les 9 pays dont il a parlé auparavant.
Ces immeubles ont été achetés par son équipe avec l'aide des conseils locaux.
Le traitement fiscal dépend du rapport entre le Luxembourg et le pays où l'investissement est fait.
Le « trou luxembourgeois » que vous décriviez tout à l'heure existe de manière presque identique en Angleterre -mais ce n'est pas valable pour tous les pays d'Europe.
M. le président - Qu'est-ce qui vous a amené à choisir le Luxembourg ? Pour des raisons fiscales ?
M. Eric Sasson - C'est l'endroit préféré des fonds d'investissement immobilier.
M. le président - Ceci doit nous inciter à une réflexion sur la construction européenne et la coordination fiscale ! Au fond, il s'agit d'une double exonération !
M. Eric Sasson - M. Finn dit que cela dépend ensuite du traitement fiscal du fonds au-dessus.
M. le président - Si on fait des opérations de cette nature, il vaut mieux les faire depuis le Luxembourg, mais ceci va changer en application de l'avenant au traité fiscal. Il vient d'ère ratifié...
M. Adrien Gouteyron - Le Sénat l'a ratifié mais, à ma connaissance, l'Assemblée nationale ne l'a pas encore voté.
M. le président - Ce sont les affaires étrangères qui s'occupent de l'ordre du jour. Autrement dit, l'inertie dans la ratification coûte une trentaine de millions !
M. Stéphane Romatet - Effectivement, le ministère des affaires étrangères a la responsabilité de conduire devant le Parlement la ratification de l'ensemble des conventions internationales, même s'il n'a pas la responsabilité d'en assurer la négociation, qui relève des administrations compétentes.
M. le président - Pourquoi M. Bruno Parent a-t-il mis autant de temps à négocier l'avenant et à le faire aboutir ?
M. Dominique Lamiot - Il n'y a aucun allongement spécifique de la durée de négociation.
M. Stéphane Romatet - Pour la bonne information de votre commission, les dates sont les suivantes : l'avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise a été paraphé par l'ambassadeur de France et le ministre des finances du Luxembourg en juillet 2006. La signature formelle a eu lieu le 24 novembre 2006 à Luxembourg.
M. le président - Pourrait-il y avoir un contentieux sur cette affaire ?
M. Stéphane Romatet - Le Conseil d'Etat a pris du temps pour examiner cet avenant. Son avis date du 13 mars 2007. Ce projet a aussitôt été soumis à l'ordre du jour des assemblées parlementaires. Il a été ratifié par le Sénat le 22 mars 2007 et a dû être ratifié par l'Assemblée nationale le 25 septembre dernier.
M. le président - Quel est le droit qui s'applique ici ? L'acte formel de vente de l'immeuble date de 2006. Sur le plan fiscal quel est le fait générateur : la vente ou le paiement ? On ne sait pas ? Normalement, c'est la vente alors que pour les cessions d'actions, c'est au moment de la livraison.
Monsieur Finn, quel est votre sentiment ? Que vous disent vos conseillers fiscaux ? Vous disent-ils que vous paierez un impôt ou que vous aller y échapper ?
M. Eric Sasson - M. Finn dit qu'il ne sait pas.
M. Adrien Gouteyron - Comment Carlyle interprète-t-il la nation d'établissement stable ? Si on peut effectivement considérer que le fonds a un établissement stable en France, il est soumis à l'impôt. Y a-t-il un établissement stable de Carlyle en France ?
Dans les établissements stables, on prend également en compte les chantiers de longue durée. Qu'en pensez-vous ?
M. Eric Sasson - M. Finn dit que, partout en Europe et dans le monde, ils prennent des avis experts dans chaque juridiction mais la décision est la leur.
M. le président - Monsieur Dumas a peut-être un avis sur ces questions...
M. Philippe Dumas - Je n'ai pas d'opinion concernant le cas particulier. Sur le plan général, la divergence d'interprétation de la convention franco-luxembourgeoise qui aboutit dans certains cas à une non-imposition est bien connue du Parlement et notamment du Sénat. De nombreuses questions écrites ont été posées sur ce sujet et il y a été répondu au J.O. On les trouve sur Internet sans problème.
Pour le reste, c'est une question d'appréciation de la matérialité des faits et ce n'est pas mon rôle de porter une appréciation sur ce point. Je n'en ai d'ailleurs pas la possibilité juridique.
M. le président - Il me semble que l'audition ait répondu à notre souhait d'éclairer les conditions dans lesquelles, à un moment donné, l'Imprimerie nationale s'est portée venderesse d'un bien immobilier important. Vous avez répondu à toutes les questions.
Le marché est le marché et, un jour, on décide. Peut-être que plus tard, cela aurait été moins cher -ou plus cher.
A un moment donné, le ministère des affaires étrangères a assumé une nouvelle volonté en matière immobilière. Nous avions été nombreux à dénoncer les carences de la gestion immobilière du Quai d'Orsay, qui apparaissait très chaotique et à certains égards inconséquente. Il y a eu une impulsion. L'élément positif dans les deux opérations est que ce qui s'est vendu concomitant s'est vendu quand même beaucoup plus cher, notamment Kléber. On ne sait d'ailleurs plus très bien où sont les prix du marché. C'est la problématique des surliquidités mondiales venant de fonds souverains ou d'autres sources qui donnent aux prix une tendance à la limite du raisonnable. C'est bien pour l'opération qui nous préoccupe.
Sur le plan fiscal, nous appliquons le droit. Cette double exonération, à laquelle il est porté remède un peu tardivement, va sans doute vous permettre de réaliser une belle opération : elle a été intelligemment menée et, au surplus, vous échapperez peut-être à la plus-value !
Mme Marie-France Beaufils - Il est dommage qu'elle n'ait pas pu être intégrée à la négociation !
M. le président - C'est un autre aspect du dossier !
Vous nous avez aidés, Messieurs, à comprendre comment cette opération s'est nouée et dénouée. Il me semble que cela vaut commission d'enquête.
Mme Marie-France Beaufils - On verra plus précisément.
M. le président - Je ne vois pas ce que l'on aurait appris de plus ; au moins aura-t-on pu répondre en temps réel. Ceci a été hautement facilité par les travaux de l'inspecteur général Dumas, qui a rappelé et synthétisé cette opération. Je crois que le contrôle est bien la seconde nature du Parlement.
Merci, Messieurs.
Etes-vous d'accord pour le dépôt d'un rapport d'information ? Je pense qu'il serait judicieux qu'il soit signé par les rapporteurs spéciaux, MM. Gouteyron, Girod, Angels et Foucaud -ou Marie-France Beaufils.
Il en est ainsi décidé.
(La séance est levée à 13 h 40)
Le Président,