B. LA FLOTTE DE TRANSPORT MILITAIRE.
1. Le besoin en matière de transport militaire : projection et manoeuvre tactique.
La
projection
permet l'engagement rapide de nos moyens
militaires sur un théâtre extérieur quelle que soit sa
distance, afin de défendre les intérêts français et
alliés, d'assurer le respect de nos accords de défense ou de
participer à des opérations internationales. La capacité
de transport qui répond à ce besoin doit être
immédiate et adaptée au volume et au type des moyens
projetés, le rayon d'action doit être suffisant. Cette
capacité ne peut reposer que sur un parc d'aéronefs militaires
aux caractéristiques spécifiques, instantanément
utilisables quelles que soient les circonstances et permettant dans certains
cas d'atteindre les zones inaccessibles par d'autres moyens. Depuis de
nombreuses années, l'expérience acquise par l'armée de
l'air dans ce domaine n'est plus à démontrer. La gestion de
crises en Europe ou en Afrique, la participation de la France aux
opérations multinationales de rétablissement ou de maintien de la
paix, mais également sa participation en dehors du cadre militaire
à des missions d'assistance humanitaire ont fait appel
régulièrement aux moyens de projection de l'armée de l'air.
La
manoeuvre tactique
quant à elle, se cantonne à
l'intérieur du théâtre d'opérations. Elle vise
à l'engagement au contact direct des troupes adverses par
aéroportage ou aérolargage. Elle peut faire suite à une
phase de projection si cet engagement intrathéâtre se situe sur un
théâtre extérieur, comme c'est le cas dans la
majorité de nos interventions en Afrique. La manoeuvre tactique suppose
l'emploi d'appareils dotés de capacités opérationnelles
spécifiques : parachutage, poser d'assaut, vol autonome et discret
à basse altitude, aptitude à pratiquer des terrains sommairement
aménagés ou à survivre en zone de menace.
Pour répondre au besoin de projection comme à celui de manoeuvre
tactique, l'armée de l'air dispose d'une flotte en partie vieillissante
dont il convient de faire "l'état des lieux".
2. Les moyens du transport militaire en 1997.
Le commandement de la force aérienne de projection
(CFAP) met en oeuvre une flotte de 148 avions de 11 types différents et
93 hélicoptères de 6 types différents. Il convient d'en
retenir principalement :
le C 160 Transall
, de fabrication franco-allemande, appareil cargo de
base du CFAP qui en détient 67. Les 20 derniers mis en service en 1981
sont de nouvelle génération. Ils disposent de la capacité
de ravitaillement en vol, ce qui augmente leur rayon d'action.
Excellent appareil tactique, le C 160 Transall présente de remarquables
capacités d'aéroportage sur pistes sommaires et
d'aérolargage sur les théâtres d'opérations. Sa
faible motorisation limite par contre ses capacités logistiques sur
grande distance.
Prévu, pour être maintenu en service au delà de 2003, il
bénéficie actuellement d'une opération de
rénovation de son avionique et du système de navigation qui
répond tout à la fois aux nouvelles exigences de la circulation
aérienne et au souci d'une meilleure efficacité du poste de
pilotage. Le chantier de rénovation, ouvert à l'AIA de
Clermont-Ferrand touche à sa fin. L'armée de l'air recevra en
1998 14 Transall rénovés, 88 millions de francs de crédit
de paiement sont inscrits au budget 98 pour cette opération.
Le C 130 Hercules
, fabriqué aux Etats-Unis par Loockheed, a
été livré en 14 exemplaires. Cargo tactique polyvalent,
bien motorisé, il possède des performances logistiques
supérieures à celle du Transall. Son gabarit de soute est
cependant inférieur à celui du Transall ce qui le rend encore
moins adapté à l'emport des principaux matériels
militaires en cours d'acquisition (NH90, Tigre, SAMP/T, VBCI).
La flotte de transport logistique
est composée aujourd'hui de
deux DC8 72 (fin de vie vers 2010), un DC8 55 (retiré du service en
1998) et deux Airbus A 310 (fin de vie vers 2025) qui répondent aux
principaux besoins de transport interthéâtre à longue
distance. Le complément éventuel est obtenu par recours à
l'affrètement à la demande.
Les hélicoptères
sont répartis au sein
d'unités constituées et de détachements permanents ou
temporaires.
Les opérations du Koweït puis de Bosnie ont mis en lumière
le problème à la fois humain et médiatique de la
récupération des pilotes de combat tombés en terrain
hostile. L'armée de l'air recevra en 1998 un hélicoptère
spécialisé pour cette mission, le COUGAR RESCO (Rescue Combat),
premier exemplaire d'une série de quatre. Le projet de budget 98
prévoit la commande de 2 exemplaires et inscrit 19 millions de francs en
crédit de paiement.
Appareils en dotation en 1997
Forces aériennes de projection |
|
- C 160 |
67 |
- C 130 |
14 |
- CN 235 |
8 |
- Nord 262 |
18 |
- Twin otter |
10 |
- A 310-300 |
2 |
- DC 8 |
3 |
- Falcon 900 |
2 |
- Falcon 50 |
4 |
- Mystère 20 |
4 |
- Paris MS 760 |
13 |
- TBM 700 |
12 |
TOTAL FAP |
157 |
3. Le renouvellement de la flotte tactique, une échéance inéluctable.
- L'avion de transport futur (ATF) : un programme
européen adapté aux besoins.
Le retrait de service des 47 C160 Transall de première
génération interviendra à partir de 2004. Pour cette
raison, mais également à cause du constat que la flotte actuelle
de Transall et Hercules ne satisfait pas le besoin de projection dans sa
globalité, l'armée de l'air a exprimé dès 1984 le
besoin d'un avion de transport militaire moderne qui conserverait les bonnes
capacités tactique du Transall. Ses capacités logistiques
devraient permettre de répondre à un besoin nouveau : la
projection de matériels lourds et volumineux que la flotte actuelle est
incapable d'emporter.
Ce besoin s'est avéré correspondre à celui de 7 autres
pays européens, comme le prévoit le tableau ci-aprés :
Pays |
Besoin |
Echéance |
Allemagne |
75 |
2008 |
France |
50 |
2004 |
Royaume-Uni |
45 |
2003 |
Espagne |
36 |
2008 |
Italie |
44 |
2008 |
Portugal |
6 à 9 |
2010 |
Belgique |
12 |
2010 |
Turquie |
20 à 26 |
2007 |
Des experts de ces huit nations ont étudié la
faisabilité d'un programme d'avion de transport futur ATF-FLA (Future
large aircraft) qui répondrait au besoin opérationnel commun. La
fiche de caractéristiques militaires de l'ATF ou ESR (European Staff
Requirement) est désormais achevée et signée par les huit
pays.
Les principales spécifications retenues sont les suivantes :
- aptitude aux terrains sommaires,
- dimension de soute (4 m de large) suffisante pour le transport des futurs
équipements de l'armée de terre (voir tableau ci-dessous),
- couple charge utile - rayon d'action permettant de transporter 25 tonnes sur
3700 km ou 17 tonnes sur 5500 km,
- vitesse de croisière permettant à l'ATF d'effectuer une
rotation en moins de 24 heures sur un terrain situé à 5500 km,
- autonomie de chargement et de déchargement permettant de s'affranchir
des infrastructures aéroportuaires.
Une organisation industrielle a également été retenue par
les 8 pays. Elle est fondée sur la création d'une filiale
d'Airbus Industrie : Airbus Military Company (AMC) ce qui permettra d'utiliser
les structures et les centres existants et de générer ainsi des
économies.
L'estimation du coût pour la France de l'acquisition de 50 avions est de
28,65 milliards de francs, auxquels s'ajouteraient les frais financiers de
l'emprunt nécessaire au financement de la part de l'Etat dans le
développement. Le coût total du programme serait dans ce cas de
32,6 milliards de francs. Le prix unitaire de série serait de 596 MF en
prenant en compte l'amortissement de la totalité du développement
et les frais financiers correspondants.
Ce coût est à comparer à celui d'une flotte
équivalente, soit achetée " sur étagère "
aux Etats-Unis composée de 48 C 130 J et de 5 C 17, soit achetée
à l'Ukraine sous la forme d'Antonov 70 auxquels il serait
nécessaire de faire subir une mise à niveau "occidentale".
Il semble que les conclusions du rapport intérimaire établi en
juillet 1997 par M. Pierre Lelong à la demande du gouvernement
aboutissent aux trois éléments suivants :
- une confirmation du besoin exprimé par l'armée de l'Air d'un
renouvellement de sa flotte de transport à hauteur de 50 appareils
à partir de 2005 ;
- une confirmation de l'avantage présenté par l'ATF par rapport
à l'offre américaine combinant C17-C130J compte tenu du
coût respectif, à court et à long termes, des deux
solutions et également des capacités d'emport de l'ATF, largement
mieux adaptées pour des matériels de première intervention
(blindés légers, artillerie, hélicoptères ...) ;
- l'abandon du recours -un temps envisagé- à la formule de
l'Etablissement public industriel et commercial qui aurait permis de recueillir
les financements bancaires nécessaires au développement. On se
dirigerait vers un financement sur la durée de la programmation -en
réalité 1999-2002 soit 4 années- à hauteur de 2,2
milliards de francs pour la période, provenant en partie de ressources
prélevées sur l'enveloppe programmation -sans doute par
redéploiement (un milliard de francs), en partie par une
procédure d'avances de l'Etat actionnaire d'Aerospatiale (500 millions
de francs), enfin 700 millions de francs provenant directement des industriels
-essentiellement Aerospatiale.
L'échéancier des flux financiers liés au
déroulement du programme ATF est décrit dans le tableau
ci-aprés :
ATF / Evaluation des flux financiers pour la France
Votre rapporteur entend attirer à nouveau l'attention non seulement sur les qualités opérationnelles de l'ATF -elles sont désormais connues-, mais aussi sur les avancées décisives qu'il permettrait pour un projet industriel européen, pour une réelle interopérabilité et pour une gestion conjointe d'une flotte identique -comme en témoigne déjà la coopération fructueuse entre le commandement de la Force aérienne de projection et le Lufttransportkommando allemand à travers les Transall et les C 130 qui équipent les deux armées.
Dates clés du programme
1993-1995 |
Etudes de faisabilité |
Février 1996 |
Décision française de ne pas financer le développement |
2ème semestre 96 |
Signature de l'ESR par les chefs d'état-major |
17 juin 1997 |
6 pays (France, Allemagne,
Grande-Bretagne, Ialie, Espagne,
Turquie) se déclarent prêts à envoyer un appel d'offre
(RFP) à l'industrie.
|
Septembre 1997 |
Accord sur les principes de
coopération
|
Fin 97-début 98 |
Lancement de la PLA (Pre-Launch Activities) dont l'objectif est de permettre à l'industrie de répondre à l'appel d'offres en s'engageant sur des performances, des délais et des coûts. |
Fin 98 |
Offre de l'industrie |
Mi-99 |
Accord intergouvernemental
liant les
Etats entre eux
|
Fin 2004 |
Première livraison correspondant au début du retrait du service des Transall |
- L'hypothèse de l'Antonov 70
A côté de la proposition américaine, la possibilité
s'est à nouveau fait jour de recourir à l'offre russo-ukrainienne
de l'Antonov 70. De fait, cet appareil semble répondre à bien des
spécifications requises par l'armée de l'Air : capacité de
la soute, capacité d'atterrissages sur terrains sommaires...
Le développement du programme AN-70, initié dès 1985, a
subi le contrecoup de l'effondrement de l'Union soviétique pour laquelle
il était conçu, puis d'un accident survenu au premier prototype
en 1995. Un nouveau prototype a été conçu depuis qui fait
l'objet d'essais en vol depuis le 24 avril 1997.
En dépit de la réelle proximité de performances des deux
appareils -ATF et AN70-, ce dernier souffre de plusieurs handicaps, au regard
des critères et des normes mis en avant par les armées de l'Air
occidentales. En particulier, l'endurance des moteurs, l'avionique, certaines
spécificités concernant le chargement (hauteur du plancher) ou
l'aérolargage, devraient toutes faire l'objet d'une mise aux normes
européennes.
Caractéristiques comparées de l'Antonov 70 et de l'ATF*
Propulsion |
Antonov 70
|
ATF
|
Masse à vide |
65T |
59T |
Masse maximale au décollage |
123T |
111T |
Charge maximale |
35T |
32T |
Vitesse maximale |
720km/h |
720km/h |
Soute :
|
4 m
|
4 m
|
Equipage de conduite |
5
|
2 pilotes
|
Ravitaillement en vol |
non |
oui |
Commandes vol
|
électriques
|
électriques
|
Distance
décollage/atterrissage
|
|
|
* Sous réserve de ce que les caractéristiques
décrites dans la colonne Antonov 70, provenant du constructeur, n'ont
qu'un caractère indicatif.
Si d'aventure la voie offerte par l'Antonov 70 devait faire l'objet d'une
exploration approfondie, ce que souhaitent à l'évidence nos
partenaires allemands, on peut s'interroger sur les modalités de
coopération du constructeur russo-ukrainien avec AMC. S'agira-t-il d'un
partenaire nouveau -sachant que le constructeur russo-ukrainien a
écarté à deux reprises dans le passé une telle
proposition, ou bien réduira-t-on l'ambition industrielle que
représente aujourd'hui l'ATF à la seule mise aux normes
occidentales de l'AN-70 ? Quelle serait, dans les deux hypothèses, la
réaction des autres participants au projet d'Avion de transport futur ?
Au demeurant, il est clair que l'option de l'Antonov-70 répond
également à des préoccupations politiques qui ont leur
légitimité : associer la Russie et l'Ukraine à l'Europe
occidentale pour la production d'un appareil de transport militaire, à
l'heure où l'OTAN définit par ailleurs de nouvelles relations
avec ces pays constitue un geste qui n'est pas sans signification. N'est-il pas
toutefois, ou trop tôt ou trop tard, pour engager, dans une relative
urgence -les premiers appareils devraient être opérationnels
dès 2004 pour la France, voire 2003 pour la Grande-Bretagne- une
coopération avec un partenaire totalement nouveau à la culture
industrielle si différente, en risquant de compromettre le
résultat d'années de travail effectué en commun entre
Européens ?