Rapport n° 21 (2013-2014) de M. Alain ANZIANI et Mme Virginie KLÈS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 octobre 2013
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. DE LARGES POINTS D'ACCORD SUR LA
NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE
FISCALE ET LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
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II. LA PERSISTANCE DE DIVERGENCES IMPORTANTES ENTRE
LES DEUX ASSEMBLÉES SUR DES QUESTIONS METTANT EN JEU L'EFFICACITÉ
DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE OU CERTAINS GRANDS PRINCIPES DE NOTRE
DROIT
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A. L'ARCHITECTURE JUDICIAIRE EN MATIÈRE DE
DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
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B. DES DIVERGENCES PORTANT SUR L'ÉQUILIBRE
DES DROITS DANS LES PROCÉDURES FISCALES ET DOUANIÈRES
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C. DES DIVERGENCES PORTANT SUR L'ÉQUILIBRE
DES DROITS DANS LES PROCÉDURES PÉNALES
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D. LA QUESTION DE L'ÉTENDUE DE LA PROTECTION
DES « LANCEURS D'ALERTE »
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A. L'ARCHITECTURE JUDICIAIRE EN MATIÈRE DE
DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
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III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION POUR LA
NOUVELLE LECTURE
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I. DE LARGES POINTS D'ACCORD SUR LA
NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE
FISCALE ET LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
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EXAMEN EN COMMISSION
N° 21
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2013 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière , et sur le projet de loi organique, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE, relatif au procureur de la République financier ,
Par M. Alain ANZIANI et Mme Virginie KLÈS,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir le(s) numéro(s) :
Première lecture : 1011 , 1019 , 1125 , 1130, 1131 , T.A. 163 et 164
Nouvelle lecture : 789 , 1343 , 1348, 1349 , T.A. 210 et 211 |
Première lecture : 690 , 691 , 730 , 738 , 739, 741 , T.A. 198 et 199 (2012-2013)
Commission mixte paritaire : 789 ( 2012 - 2013 )
Nouvelle lecture : 854 , 855 (2012-2013), 2 , 22 et 24 (2013-2014) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISLa commission des lois, réunie le mercredi 2 octobre 2013 sous la présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président , a procédé à l' examen, en nouvelle lecture , du rapport de M. Alain Anziani sur le projet de loi n° 855 (2012-2013) relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière , et du rapport de Mme Virginie Klès sur le projet de loi organique n° 854 (2012-2013) relatif à l' institution d'un procureur de la République financier , adoptés par l'Assemblée nationale, et a établi les textes présentés par la commission sur ce projet de loi et ce projet de loi organique. M. Alain Anziani, rapporteur du projet de loi, a souligné qu'en dépit de larges convergences de vue entre les deux assemblées sur la nécessité de renforcer les outils de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, des divergences persistaient. Ainsi, la création d'un procureur de la République financier a-t-elle été rejetée par le Sénat en première lecture. Au-delà, d'autres problèmes demeurent : le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment, l'étendue de la protection accordée aux « lanceurs d'alerte », l'utilisation de preuves illicites au soutien de procédures administratives, l'instauration d'un délai de prescription dérogatoire au droit commun en matière de fraude fiscale, notamment. Sur sa proposition, la commission des lois a adopté les dispositions du projet de loi créant un procureur de la République financier. Sur les autres points, elle est, en revanche, revenue à la position qu'elle avait soutenue en première lecture en adoptant sept amendements de son rapporteur, tendant à supprimer les dispositions relatives au blanchiment (article 2 bis ) et à l'allongement du délai de prescription du délit de fraude fiscale (article 11 sexies ), à mieux encadrer la protection des « lanceurs d'alerte » (article 9 septies ), à restreindre l'usage des preuves illicites, seules celles transmises par l'autorité judiciaire devant être acceptées (article 10 et 10 ter ), à demander au Gouvernement d'informer le Parlement sur les « signalements article 40 » effectués par l'administration fiscale (article 3 ter ), enfin à introduire une procédure de règlement des conflits de compétence entre le procureur de la République financier et les autres procureurs de la République (article 15). Sur la proposition de Mme Virginie Klès, rapporteur du projet de loi organique, la commission des lois a adopté le projet de loi organique instituant un procureur de la République financier dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié et le projet de loi organique sans modification. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Après l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est tenue le 23 juillet dernier, le Sénat est invité à se prononcer en nouvelle lecture sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ainsi que sur le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier, qui ont tous deux été soumis au Parlement selon la procédure accélérée.
Ces deux textes, dont le contenu a été très substantiellement enrichi au cours des débats parlementaires (le projet de loi ordinaire est ainsi passé de 21 à 80 articles entre son dépôt sur le Bureau de l'Assemblée nationale et son adoption par le Sénat), ont été examinés et adoptés en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale le 17 septembre dernier.
L'échec de la CMP, motivé par des divergences sur certaines dispositions majeures (en particulier la création d'un procureur de la République financier, qui explique le rejet par le Sénat du projet de loi organique prévoyant sa création), ne doit toutefois pas occulter l'existence de nombreux points d'accord et une volonté partagée par les deux assemblées de mieux lutter contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ainsi, 30 articles ont été adoptés en des termes identiques par les deux chambres dès la première lecture. De même, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a adopté dans les mêmes termes 14 articles modifiés ou insérés par le Sénat.
A ce stade de leur examen, 36 articles du projet de loi ordinaire demeurent en discussion , ainsi que le projet de loi organique , rejeté par le Sénat en première lecture. Certains d'entre eux n'ont fait l'objet que de modifications techniques ou formelles de la part de l'Assemblée nationale.
En revanche, outre des désaccords sur des dispositions techniques en matière fiscale, sur lesquelles la commission des finances, ayant reçu délégation au fond de votre commission, sera amenée à se prononcer 1 ( * ) , les divergences importantes ayant conduit à l'échec de la CMP persistent en grande partie .
Ainsi, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli la création du procureur de la République financier , que votre commission avait soutenue en première lecture. En outre, contre la position du Sénat (mais en accord avec votre commission des lois), elle a confirmé qu'elle jugeait opportun de permettre aux associations engagées dans la lutte contre les atteintes à la probité de se constituer partie civile devant les juridictions pénales . Elle a également souhaité conférer une protection maximale aux « lanceurs d'alerte » et donner une acception très large aux dispositions pénales relatives au blanchiment. Elle a en outre ouvert très largement la possibilité de recourir à des preuves illicites . Enfin, elle a confirmé son attachement à l'établissement d'un délai de prescription pénale dérogatoire au droit commun en matière de fraude fiscale .
I. DE LARGES POINTS D'ACCORD SUR LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE ET LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Initialement axé sur le renforcement des moyens et procédures judiciaires de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière, le projet de loi ordinaire a connu une inflexion importante avec l'adoption, à l'Assemblée nationale puis au Sénat, d'un nombre important de dispositions éparses tendant, dans des domaines divers, à renforcer les pouvoirs des administrations fiscales et douanières de façon à les doter de la capacité de mieux détecter et de mieux sanctionner la fraude.
A. UN ACCORD SUR 30 ARTICLES DU PROJET DE LOI EN PREMIÈRE LECTURE
Dès la première lecture, le Sénat a donné son accord à l'adoption de 30 articles.
S'agissant des dispositions relatives aux moyens dont est dotée l'autorité judiciaire pour mieux lutter contre la fraude, les points d'accord ont notamment porté sur :
- l'accroissement significatif du montant des amendes pénales encourues par les personnes morales ou pour un certain nombre d'atteintes à la probité ( articles 1 er ter A et 1 er quater ) et sur la création d'une circonstance aggravante applicable au délit d'abus de biens social ( article 9 ter ) ;
- l'extension du mécanisme d'exemption ou de réduction de peine applicable aux « repentis » en matière de blanchiment, de corruption et de trafic d'influence ( article 1 er ter ) ;
- l'extension du champ de compétence des officiers fiscaux judiciaires aux faits de blanchiment de fraude fiscale ( article 2 ), sur l'ajout de l'association de malfaiteurs à la liste des infractions que le service national de la douane judiciaire peut rechercher et constater ( article 9 quinquies ) ainsi que sur la possibilité pour le service national de la douane judiciaire de recourir aux logiciels de rapprochement judiciaire ( article 9 sexies ) ;
- l'adaptation et le renforcement du régime des saisies et des confiscations en matière pénale ( articles 4, 5, 6, 6 bis , 7, 8 et 9 ) ;
- enfin, sur l'allongement du délai de contestation de la transmission universelle du patrimoine ( article 9 bis ).
Le Sénat a également donné son accord à un certain nombre de dispositions, figurant dans le projet de loi initial ou insérées par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer les pouvoirs des administrations fiscale et douanière :
- alourdissement des pénalités applicables en cas de non-respect des obligations de déclaration de trusts par leur administrateur ( article 3 bis C ) ;
- autorisation donnée aux agents des services fiscaux de copier des fichiers informatiques dont ils sont amenés à constater l'existence lors de la procédure de contrôle inopiné ( article 3 bis E ) ;
- définition des conditions dans lesquelles l'administration fiscale peut transiger ( article 3 bis F ) ;
- composition de comité du contentieux fiscal, douanier et des changes ( article 3 quater ) ;
- augmentation des sanctions encourues en cas de non-respect par les établissements bancaires de leurs obligations de déclaration concernant les comptes répertoriés dans FICOBA ( article 3 quinquies ) ;
- possibilité pour l'administration fiscale d'opérer des saisies simplifiées en vue du recouvrement des créances publiques sur les sommes rachetables d'un contrat d'assurance-vie ( article 11 ) ;
- encadrement plus restrictif des dispositions permettant à un entrepreneur de rendre insaisissables ses droits sur sa résidence principale ( article 11 bis A ) ;
- possibilité pour l'administration fiscale de déposer plusieurs plaintes connexes auprès d'un même parquet ( article 11 bis E ) ;
- allongement du délai de prescription de l'action en recouvrement pour les redevables établis dans des pays avec lesquels la France n'a pas d'accord en la matière ( article 11 bis F ) ;
- exclusion du bénéfice de certains délais dérogatoires lorsque les éventuels bénéficiaires se livrent à des activités occultes ( article 11 ter ) ;
- exclusion du bénéfice des dispositions encadrant le délai de réponse de l'administration aux observations du contribuable des personnes morales et sociétés en participation à l'actif desquelles sont inscrits des titres de placement ou de participation pour un montant d'au moins égal à 7,6 millions d'euros ( article 11 quater ) ;
- extension à l'or, aux jetons, plaques et tickets de casinos représentant un montant de plus de 10 000 euros de l'obligation de déclaration à l'administration des douanes en cas de transfert ( article 11 septies ) ;
- possibilité d'inscrire sur la liste des États non coopératifs en matière fiscale les États qui refusent de s'engager dans le transfert automatique des données bancaires ( article 11 nonies ).
B. L'ADOPTION EN NOUVELLE LECTURE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE DE 14 ARTICLES MODIFIÉS OU INSÉRÉS PAR LE SÉNAT
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a souscrit à une large partie des modifications ou nouvelles dispositions proposées par le Sénat. 14 articles ont ainsi été adoptés conformes par nos collègues députés. Il s'agit notamment :
- de l'allongement de la durée maximale de la peine complémentaire d'interdiction de gérer une société lorsqu'elle est encourue de façon temporaire ( article 1 er bis A ) ;
- de la possibilité ouverte au juge de prononcer, à l'encontre d'une personne morale, une peine d'amende proportionnelle au chiffre d'affaires de l'entreprise. Cette disposition, insérée par l'Assemblée nationale, avait fait l'objet de précisions de la part de votre commission en première lecture ( article 1 er bis ) ;
- de la composition de la commission des infractions fiscales (CIF) - dispositions que le Sénat avait remaniées sur proposition de notre collègue François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances ( article 3 bis D ), et de la transmission au Gouvernement et au Parlement du rapport annuel de cette commission ( article 3 bis ) ;
- des dispositions relatives à la coopération entre les bureaux européens de recouvrement des avoirs criminels ( article 9 bis A ) ;
- de la possibilité, introduite sur proposition de votre rapporteur, de reprendre une instruction après l'échec d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ( article 9 septies A ) ;
- de la création d'une obligation de transmission de documentation sur les prix de transfert à l'occasion de chaque déclaration d'impôt sur les sociétés ( article 11 bis D ) ;
- de la simplification du délai de recours en matière de contestation d'imposition ( article 11 bis G ) ;
- de la possibilité pour les douanes de retenir des documents en cas de manquement à l'obligation de déclaration de transfert transfrontalier de capitaux ( article 11 octies A ) ;
- du renforcement de la sanction du défaut de production de la déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune en cas d'actifs dissimulés à l'étranger ( article 11 duodecies ) ;
- enfin, du renforcement des sanctions applicables en cas de manquement des entreprises à leurs obligations déclaratives ( article 11 terdecies ).
L'Assemblée nationale s'est également ralliée à la position de notre assemblée sur la suppression de l'article 9 quater , qui proposait d'inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation s'agissant du délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées - proposition que le Sénat avait jugé prématuré d'insérer dans le code de procédure pénale sans en avoir évalué au préalable les conséquences.
C. DES PRÉCISIONS OU CLARIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE
Sur les 36 articles du projet de loi restant en discussion, un certain nombre procède de modifications ou d'améliorations rédactionnelles apportées par les deux chambres au cours de la navette parlementaire et dont l'adoption ne soulève pas, à ce stade de l'examen du texte, de difficultés.
Ainsi, à l'article 3 , qui vise, d'une part, à élargir le champ du délit de fraude fiscale aggravée, et, d'autre part, à permettre d'appliquer aux auteurs de ce délit le mécanisme de réduction de peine prévu pour les « repentis », l'Assemblée nationale a supprimé une restriction, issue d'un amendement de notre collègue Jacques Mézard, tendant à limiter le champ du délit de fraude fiscale aggravée à la détention de comptes bancaires à l'étranger non déclarés. En séance publique, votre rapporteur avait fait valoir que cette précision n'était pas utile, dans la mesure où seuls étaient visés par l'article 3 les faits visant à éluder l'impôt et, de ce fait, les sommes n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration auprès de l'administration fiscale.
À l'article 3 bis B , qui est relatif à la création d'un registre public des trusts, le Sénat avait, sur proposition de votre rapporteur, estimé que l'ensemble des modalités de création d'un registre public des trusts pourraient être fixées par voie réglementaire, comme c'est le cas actuellement en matière de fiducies (article 2020 du code civil). En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a souhaité reprendre son texte et ainsi encadrer les marges de manoeuvre du pouvoir réglementaire dans la création de ce registre. Elle a toutefois supprimé les dispositions prévoyant que ce registre pourrait être consulté librement sur demande.
L'Assemblée nationale a par ailleurs proposé une nouvelle rédaction de l'article 9 septies C , inséré par le Sénat à l'initiative de notre collègue Thierry Foucaud et qui vise à mieux informer le Parlement sur la mise en oeuvre des conventions de coopération judiciaire signées par la France en matière de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.
À l'article 11 bis C , qui concerne la possibilité de sanctionner par une amende le refus de fournir à l'administration fiscale des copies de documents, elle a précisé que l'amende infligée, si elle dépasse les 10 000 euros, ne pourrait pas aller au-delà de 1% du chiffre d'affaires ou des recettes brutes annuelles de l'entreprise.
Enfin, l'Assemblée nationale n'a apporté que des modifications ou précisions rédactionnelles aux articles 3 bis A , relatif à la lutte contre les « carrousels de TVA », 3 sexies , relatif aux logiciels de comptabilité, 9 octies , relatif à l'assistance du service central de prévention de la corruption (SCPC), 11 bis B , relatif à l'emploi de personnes qualifiées par l'administration des douanes, 11 bis , relatif aux « perquisitions informatiques » réalisées par des agents des douanes, 11 quinquies , qui instaure un droit de communication reposant sur l'ACPR et l'AMF, 11 decies , relatif à l'examen des relevés de compte des contribuables ayant omis de déclarer des comptes bancaires à l'étranger, et 11 undecies , relatif à l'allongement des délais de reprise de l'administration fiscale en cas d'évasion fiscale.
II. LA PERSISTANCE DE DIVERGENCES IMPORTANTES ENTRE LES DEUX ASSEMBLÉES SUR DES QUESTIONS METTANT EN JEU L'EFFICACITÉ DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE OU CERTAINS GRANDS PRINCIPES DE NOTRE DROIT
En dépit de ces nombreux points d'accord, des divergences importantes demeurent entre nos deux assemblées sur plusieurs dispositions majeures du projet de loi.
S'agissant de la matière purement fiscale, l'Assemblée nationale a supprimé plusieurs articles insérés par le Sénat en première lecture : il s'agit en particulier des articles 10 quinquies A , relatif aux « aviseurs » des douanes et à la possibilité de les rémunérer, 11 bis AA , qui vise à contraindre les grandes entreprises à fournir la comptabilité analytique de leurs implantations dans chaque État ou territoire, 11 bis DA , qui vise à assouplir la définition de l'abus de droit en matière fiscale, et 11 decies A , relatif à la fiscalisation des « marges arrière » des distributeurs. Votre commission des lois a souhaité confier à la commission des finances le soin d'examiner au fond ces dispositions qui relèvent naturellement de sa compétence.
S'agissant des autres articles, sept points font l'objet d'un réel désaccord entre les deux chambres : outre l'opportunité de créer un procureur de la République financier (articles 13 à 20 bis ) , ces désaccords portent pour l'essentiel sur la possibilité reconnue aux associations d'agir en justice en matière de délinquance économique et financière (article 1 er ) , sur l'extension des dispositions pénales relatives au blanchiment (article 2 bis ) , sur le champ de la protection des « lanceurs d'alerte » (article 9 septies ) , sur la possibilité d'utiliser des preuves d'origine illicite au soutien de procédures fiscales ou douanières ( articles 10 à 10 quater ), sur la question de l'assujettissement des CARPA aux mécanismes de lutte contre le blanchiment prévus par le code monétaire et financier ( article 10 quinquies ), et , enfin , sur l'opportunité d'instaurer un délai de prescription pénal dérogatoire au droit commun en matière de fraude fiscale (article 11 sexies ) .
A. L'ARCHITECTURE JUDICIAIRE EN MATIÈRE DE DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
1. La réorganisation des juridictions intervenant en matière économique et financière et la création d'un procureur de la République financier
• Le projet de loi ordinaire
En première lecture, votre commission avait adopté les articles 13 à 20 bis du projet de loi supprimant les pôles économiques et financiers, renforçant les juridictions interrégionales (JIRS) spécialisées en matière économique et financière et instaurant un procureur de la République financier .
Toutefois, en séance publique, contre l'avis de vos rapporteurs, le Sénat a adopté des amendements de nos collègues Jacques Mézard, Jean-Jacques Hyest et Michel Mercier, aboutissant à une toute autre architecture de la justice économique et financière .
En effet, supprimant les dispositions relatives au procureur de la République financier, ces modifications avaient pour effet d'étendre à l'ensemble du territoire national la compétence du tribunal de grande instance et du parquet de Paris en matière économique et financière ( articles 13, 15 bis , 16, 17, 19, 20 bis ), comme en matière de lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, la suppression de l'article 16 conduisait non seulement à celle des dispositions relatives aux assistants spécialisés du nouveau procureur de la République financier mais aussi à la suppression de l'extension des techniques spéciales d'enquête en matière de criminalité financière, prévue par le projet de loi et renforcée par les députés.
Dès lors, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli le texte qu'elle avait adopté en première lecture , prévoyant l'instauration d'un procureur de la République financier et la possibilité d'utiliser les techniques spéciales d'enquête en matière économique et financière.
Toutefois, en première lecture, le Sénat avait également adopté plusieurs amendements du Gouvernement, ne remettant pas en cause l'instauration du procureur financier mais proposant des améliorations au dispositif initialement proposé. L'Assemblée nationale a conservé plusieurs de ces dispositions. Il en est ainsi de :
- l'obligation de consulter la commission restreinte de l'assemblée des magistrats du siège des tribunaux de grande instance siège de JIRS, préalablement à la désignation par le premier président de la cour d'appel des juges d'instruction et des magistrats des formations de jugement amenés à connaître des dossiers relevant de cette juridiction. Pour les magistrats du parquet, la désignation de ceux chargés des infractions relevant de la JIRS est confiée au procureur général, après avis du procureur de la République ( article 13 ) ;
- la possibilité de maintenir des pôles économiques et financiers dans le ressort de certaines cours d'appel lorsque la situation locale le justifie, comme par exemple en Corse ( article 13 ) ;
- l'introduction de modalités spécifiques pour désigner, au sein du tribunal de grande instance de Paris, les juges d'instruction et les magistrats du siège chargés d'instruire ou de juger les infractions relevant du procureur de la République financier, ainsi que, au sein de la cour d'appel de Paris, les magistrats du siège et du parquet chargés du jugement en appel de ces affaires : ces modalités sont similaires à celles prévues par l'article 13 pour les JIRS ( article 15 ) ;
- l'instauration d'un délai avant l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la nouvelle organisation judiciaire prévue par le projet de loi, afin de permettre au Gouvernement de prendre les mesures de réorganisation nécessaires. Ainsi, le Gouvernement fixera par décret, au plus tard le 1 er février 2014, cette entrée en vigueur ( article 22 ).
En revanche, l'Assemblée nationale n'a pas repris la procédure de règlement des éventuels conflits de compétence entre parquets sur l'attribution d'une affaire économique et financière, que votre commission avait introduite à l'initiative de votre rapporteur à l'article 15 , avant la suppression de ce dernier en séance publique.
• Le projet de loi organique
Du fait du rejet en première lecture par le Sénat du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier, l'Assemblée nationale l'a examiné dans sa version votée par les députés en première lecture.
Par cohérence avec le rétablissement des articles du projet de loi portant création du procureur de la République financier, elle a ainsi adopté sans modification l'article 1 er , qui a pour objet d'appliquer au procureur de la République financier la même règle de limitation de la durée de l'exercice des fonctions que celle applicable à tout procureur de la République, soit une limitation à sept ans. Lors de son examen par le Sénat, cet article avait été supprimé, sur l'initiative conjointe de MM. Jean-Jacques Hyest et Michel Mercier et contre l'avis de vos rapporteurs.
Par ailleurs, ayant approuvé les dispositions, introduites dans le projet de loi ordinaire au Sénat à l'initiative du Gouvernement, visant à assurer une spécialisation des magistrats instructeurs chargés des affaires relevant du procureur de la République financier et des JIRS, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 2 du projet de loi organique . Celui-ci, introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale en première lecture, prévoyait en effet une autre procédure, plus lourde, de désignation par décret du président de la République des juges d'instruction en charge des affaires financières.
2. La question de la mise en mouvement de l'action publique par des associations engagées dans la lutte contre les atteintes à la probité
En première lecture, votre commission avait approuvé sans réserve les dispositions de l'article 1 er du projet de loi, qui tend à autoriser les associations engagées dans la lutte contre les atteintes à la probité à se constituer partie civile devant les juridictions pénales et à leur permettre, de cette façon, de mettre en mouvement l'action publique. Votre commission avait salué ces dispositions, jugeant qu'elles contribueraient à renforcer les possibilités d'action de la justice en matière de lutte contre la corruption et contre certaines formes, aujourd'hui très insuffisamment poursuivies, de délinquance économique et financière.
C'est donc contre son avis que le Sénat, en séance publique, a supprimé cet article, à l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest. Ce dernier avait notamment craint que ces dispositions ne conduisent à des utilisations abusives dans un contexte politique et à une forme de « privatisation de l'action publique ».
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a, à l'initiative de sa commission des lois, rétabli l'article 1 er , rappelant que celui-ci « permettra de contrebalancer l'éventuelle inaction du ministère public, cause de suspicions à l'égard de la réelle volonté de la justice et du Gouvernement de voir les faits de corruption effectivement poursuivis et sanctionnés, en particulier lorsqu'ils concernent des élus » 2 ( * ) .
B. DES DIVERGENCES PORTANT SUR L'ÉQUILIBRE DES DROITS DANS LES PROCÉDURES FISCALES ET DOUANIÈRES
1. L'utilisation d'informations d'origine illicite
En première lecture, votre commission avait rétabli le texte du Gouvernement concernant la possibilité pour les administrations des finances et des douanes de se fonder sur des éléments d'origine illicite pour lancer des procédures fiscales ou douanières ou des perquisitions.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli son texte, ouvrant ainsi un champ beaucoup plus large à l'administration pour l'utilisation d'informations d'origine illicite ( articles 10, 10 bis , 10 ter , 10 quater ).
Toutefois, l'Assemblée nationale a maintenu les garanties supplémentaires introduites par votre commission en matière de perquisitions au domicile ou dans les locaux professionnels des avocats ( articles 10 bis et 10 quater ).
2. L'exonération des CARPA de la déclaration de soupçon pour les procédures juridictionnelles
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a supprimé en séance publique l'article 10 quinquies , introduit par un amendement du député Pascal Cherki en première lecture et qui prévoyait un assujettissement des caisses de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) au dispositif de la déclaration de soupçon prévue par le code monétaire et financier.
En première lecture, votre commission avait approuvé cette disposition, qu'elle avait toutefois encadrée davantage en prévoyant que les CARPA, comme c'est déjà le cas pour les avocats, n'auraient pas à déclarer les opérations en lien avec des procédures juridictionnelles ou des activités de conseil juridique.
C. DES DIVERGENCES PORTANT SUR L'ÉQUILIBRE DES DROITS DANS LES PROCÉDURES PÉNALES
1. L'extension de la définition du délit de blanchiment
En première lecture, l'Assemblée nationale avait, sur proposition conjointe de MM. Nicolas Sansu et Nicolas Dupont-Aignan, inséré un nouvel article 2 bis tendant à élargir le champ de l'infraction de blanchiment. Aux termes de ces dispositions, aurait constitué un blanchiment « le fait de dissimuler ou de déguiser, ou d'aider à dissimuler ou à déguiser, l'origine de biens ou de revenus dont la preuve n'a pas été apportée qu'ils ne sont pas illicites ».
Sur proposition de votre rapporteur, votre commission avait supprimé cet article, observant qu'en procédant à un renversement total de la charge de la preuve, ces dispositions auraient contraint toute personne à apporter la preuve de l'origine licite de biens ou de revenus, indépendamment de toute autre infraction sous-jacente. Votre commission avait ainsi jugé que la constitutionnalité de cet article était douteuse, notamment au regard du principe de respect de la présomption d'innocence.
En séance publique, le Sénat avait confirmé cette position, insérant toutefois dans l'article 2 bis , à l'initiative de notre collègue Éric Bocquet, des dispositions tendant à élever le quantum d'amende encouru en matière de blanchiment.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des lois et de son rapporteur, a réintroduit des dispositions relatives au délit de blanchiment, supprimant au passage celles introduites par le Sénat s'agissant des quantums d'amende encourus pour ce délit.
Toutefois, à la différence des dispositions introduites en première lecture, les modifications apportées par l'Assemblée nationale visent à insérer dans le code pénal une disposition interprétative , tendant à prévoir que, pour l'application de l'article 324-1 du code pénal relatif au blanchiment, « les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».
Pour le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Yann Galut, « l'article adopté par la Commission soumettra à l'obligation de prouver la licéité de l'origine de biens ou revenus les personnes réalisant des opérations financières dont « les conditions matérielles, juridiques ou financières (...) ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus » [...].
« Afin de garantir la conformité de ce dispositif avec les normes à valeur constitutionnelle et, en particulier, le principe de la présomption d'innocence garanti par les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, ce renversement de la charge de la preuve est subordonné à une condition préalable, liée aux conditions de réalisation de l'opération, dont il faudra établir qu'elles ont pour finalité de rendre opaque l'opération en cause, sans avoir de justification économique. Il permettra de mieux appréhender les montages juridiques et financiers dont la complexité n'est manifestement qu'un moyen d'éviter la traçabilité des flux et d'en dissimuler l'origine.
« Le service de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins, dit TRACFIN, et les enquêteurs judiciaires décèlent en effet des montages juridiques et financiers mettant en relation des personnes morales d'une durée de vie souvent limitée, avec des gérants de paille ou des identités invérifiables en France ou à l'étranger, montages dans lesquels circulent parfois des flux financiers massifs, sans justification économique.
« Cependant, il est souvent très difficile de faire le lien entre les sommes manipulées dans ces montages et le produit de délits et de crimes. C'est d'ailleurs bien l'objectif des délinquants les mieux organisés, voire de ceux qui se spécialisent et investissent dans l'activité de blanchiment, pour donner une apparence d'économie légale à des flux illégaux. De ce fait, les condamnations pour blanchiment par les juridictions restent extrêmement limitées.
« L'article adopté par la commission des Lois permettra, dans l'hypothèse où les circuits financiers sont inutilement complexes ou sans rationalité économique, de renverser la charge de la preuve, en obligeant le mis en cause à apporter la preuve de l'origine licite des sommes en jeu. Le nouvel article 324-1-1 du code pénal ne modifie pas les éléments constitutifs de l'infraction de blanchiment, mais apporte un assouplissement nécessaire au régime de la preuve, dans le respect des principes constitutionnels » 3 ( * ) .
2. L'instauration d'un délai de prescription dérogatoire en matière de fraude fiscale
En première lecture, l'Assemblée nationale avait inséré un nouvel article 11 sexies , sur proposition de sa commission des lois, tendant à faire passer de trois à six ans le délai de prescription applicable au délit de fraude fiscale.
À l'initiative de votre rapporteur, votre commission des lois avait supprimé cet article, observant que cette disposition ne s'appliquerait qu'à la fraude fiscale elle-même et non à d'autres délits connexes, ce qui serait susceptible de soulever des difficultés en matière de poursuites lorsque certaines infractions révélées par la fraude fiscale ne peuvent plus être poursuivies car prescrites. En outre, votre commission avait réaffirmé son attachement au maintien d'une certaine cohérence dans les régimes de prescription.
Dans un premier temps, la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est ralliée à cette position, maintenant la suppression de l'article 11 sexies .
Ce dernier a toutefois été rétabli lors de l'examen du texte en séance publique, à l'initiative de M. Eric Alauzet, avec l'avis favorable du Gouvernement, et malgré l'avis défavorable de la rapporteure de la commission des finances, Mme Sandrine Mazetier.
3. Une meilleure collaboration entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire
En première lecture, votre commission avait proposé d'assouplir le « verrou de Bercy » et de permettre à l'autorité judiciaire de poursuivre plus facilement les faits de fraude fiscale complexe sans être tenue par une plainte préalable de l'administration, mais elle n'a pas été suivie par le Sénat.
Sur proposition de votre rapporteur, elle avait également souhaité que l'administration fiscale rende compte, désormais, à la représentation nationale du nombre d'infractions (autres que celles concernant la fraude fiscale) qu'elle signale à l'autorité judiciaire en application de l'article 40 du code de procédure pénale. L'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions, insérées à l'article 3 ter .
D. LA QUESTION DE L'ÉTENDUE DE LA PROTECTION DES « LANCEURS D'ALERTE »
Enfin, un dernier sujet de divergence entre nos deux assemblées a trait à l'étendue de la protection dont devraient bénéficier les « lanceurs d'alerte ».
En première lecture, le Sénat avait très largement approuvé l'introduction par l'Assemblée nationale de dispositions visant à protéger de toute sanction ou discrimination dont elle pourrait faire l'objet dans le cadre de son emploi une personne qui relaterait des faits constitutifs d'une infraction pénale.
Toutefois, dans un souci de sécurité juridique et d'équilibre du droit, votre commission, à l'initiative de son rapporteur, avait encadré le dispositif proposé :
- d'une part, prenant exemple sur l'article 40 du code de procédure pénale, votre commission en avait restreint le champ au signalement des seuls « crimes et délits », excluant les faits constitutifs d'une contravention du champ du dispositif ;
- d'autre part, elle avait jugé que seules les personnes signalant des faits aux « autorités judiciaires ou administratives » devraient être protégées, estimant peu opportun, en revanche, d'offrir une telle protection à une personne qui aurait préféré s'adresser aux médias ou à une entreprise concurrente, par exemple.
Votre commission avait également supprimé du texte la mention selon laquelle « toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit », jugeant que le droit actuel en disposait déjà ainsi et qu'il n'était pas utile d'introduire une redondance dans notre législation.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a souscrit à la limitation du champ de la protection au signalement des seuls « crimes et délits ». En revanche, elle a rétabli son texte sur les deux autres points. Le rapporteur de la commission des lois, M. Yann Galut, a ainsi fait valoir que « la limitation de l'application du dispositif à un témoignage auprès des autorités judiciaires ou administratives est apparue trop restrictive à votre rapporteur, qui considère que les lanceurs d'alerte doivent être protégés y compris s'ils se sont adressés à un média, sous réserve que soit remplie la condition de bonne foi du témoignage prévue par l'article 9 septies. Votre rapporteur estime également que la mention « Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit », si elle n'est effectivement pas utile dans le code du travail, est en revanche nécessaire dans la loi du 13 juillet 1983 précitée, afin d'assurer la pleine effectivité de la protection des fonctionnaires lanceurs d'alerte » 4 ( * ) .
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION POUR LA NOUVELLE LECTURE
Les dispositions relatives à l'organisation des juridictions et à l'instauration d'un procureur de la République financier, d'une part, et à la faculté reconnue aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile, d'autre part, avaient été supprimées par le Sénat en première lecture contre l'avis de votre commission des lois. Cette dernière se félicite donc que l'Assemblée nationale les ait rétablies en nouvelle lecture - sous réserve des dispositions introduites à l'article 15 par un amendement de votre rapporteur et relatives à la résolution des conflits de compétence qui pourraient s'élever entre le procureur de la République financier et d'autres procureurs de la République, que les députés n'ont pas reprises. Votre commission les a donc rétablies en adoptant un amendement de votre rapporteur.
En revanche, votre commission des lois a souhaité réaffirmer sa position sur un certain nombre de points qui lui paraissent importants.
Sur proposition de votre rapporteur, votre commission a de nouveau supprimé l'article 2 bis , relatif à la caractérisation du délit de blanchiment. Sans doute la disposition interprétative adoptée en nouvelle lecture par les députés constitue-t-elle une amélioration par rapport au texte proposé en première lecture par l'Assemblée nationale pour cet article.
Néanmoins, votre commission estime que, même ainsi rédigé, cet article 2 bis continue à soulever des interrogations, notamment en ce qu'il dissocie fortement les éléments constitutifs du délit de blanchiment du crime ou du délit sous-jacent. Procédant toujours à un renversement - certes encadré - de la charge de la preuve, cette disposition ne paraît, en outre, pas justifiée par une jurisprudence excessivement restrictive des juridictions pénales.
En tout état de cause, les conditions de poursuite et de sanction du délit de blanchiment devraient faire l'objet d'un examen global et cohérent - ce que le Parlement sera amené à faire dans le cadre de la transposition de la « quatrième directive blanchiment », actuellement en cours d'élaboration.
À l'article 3 ter , votre commission a par ailleurs rétabli l'obligation pour le Gouvernement de rendre compte à la représentation nationale des signalements effectués par les agents de l'administration fiscale auprès du procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale . Cette demande, introduite par le Sénat, a été supprimée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture sur proposition de Mme Sandrine Mazetier, qui a fait valoir que « se pose la question du contrôle hiérarchique qui pourrait être exercé sur les personnes à l'origine d'un tel signalement : le recensement dans un rapport risque d'accroître ce contrôle et de réduire le nombre de signalements, à l'opposé de l'objectif visé ».
Votre commission ne saurait souscrire à ces arguments, observant, d'une part, que la question des modalités de signalement font l'objet d'une abondante jurisprudence, et, d'autre part, que les signalements effectués sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale constituent une obligation - et non une faculté - pour tout agent public qui ne saurait, dès lors, faire l'objet d'une quelconque pression ni même sanction de la part de son administration pour avoir porté à la connaissance du procureur de la République des faits constitutifs d'un crime ou d'un délit dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
S'agissant de l'étendue de la protection offerte aux « lanceurs d'alerte » ( article 9 septies ), votre commission est également revenue à la position qu'elle avait soutenue en première lecture.
Il lui paraît en effet que seule l'autorité judiciaire , informée le cas échéant par la police ou la gendarmerie, par une autre administration sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ou par une plainte ou un signalement de toute personne intéressée, a compétence pour rechercher, poursuivre et sanctionner les manquements à la loi pénale. Étendre la protection des « lanceurs d'alerte » aux signalements effectués auprès de personnes privées serait peut-être excessif, le seul recours à la « bonne foi » du lanceur d'alerte n'étant sans doute pas suffisant pour s'assurer, en toutes hypothèses, de l'équilibre du dispositif instauré.
Au demeurant, votre commission observe que le dispositif de protection des « lanceurs d'alerte » en matière de conflit d'intérêts retenu par le Parlement dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, actuellement soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, énumère de façon restrictive les personnes auxquelles le signalement peut être effectué.
Aussi, sur proposition de son rapporteur, a-t-elle précisé de nouveau qu'en matière de crimes et délits, cette protection ne vaudrait que lorsque le signalement est effectué auprès des autorités judiciaires ou administratives .
Sur les preuves illicites ( articles 10 et 10 ter ), votre commission a, de nouveau, rétabli le texte initial du projet de loi, prévoyant que seules les preuves transmises à l'administration fiscale ou aux douanes par l'autorité judiciaire ou par des autorités d'autres pays pouvaient légitimement être utilisées à l'appui d'une procédure de redressement ou d'une perquisition.
Enfin, votre commission a de nouveau supprimé l'article 11 sexies qui tend à faire passer de trois à six ans le délai de prescription du délit de fraude fiscale, confirmant également sur ce point sa position de première lecture.
*
* *
Votre commission a adopté le projet de loi ordinaire ainsi modifié et le projet de loi organique sans modification.
EXAMEN EN COMMISSION
M. Alain Anziani , rapporteur. - Nous examinons, en nouvelle lecture, le projet de loi de lutte contre la fraude fiscale. L'Assemblée nationale avait adopté un texte que nous avions profondément modifié ; en particulier, le Sénat avait refusé la création d'un procureur de la République financier. D'autres divergences ont été examinées en CMP : le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment, la protection des lanceurs d'alerte, les preuves illicites, le délai de prescription en matière de fraude fiscale. Je vous proposerai, sur plusieurs de ces points, de réaffirmer notre position.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 11 supprime l'article 2 bis introduit par l'Assemblée nationale, qui renverse la charge de la preuve en matière de blanchiment. Selon la première version de cette disposition, il appartenait aux personnes de justifier la provenance des sommes d'argent dont elles disposent, à défaut de quoi aurait pu être retenue contre elles une présomption de délit de blanchiment. Le Sénat a supprimé cet article, qu'il a considéré contraire à la Constitution. L'Assemblée nationale a finalement adopté une rédaction différente en nouvelle lecture : il s'agit désormais d'une disposition interprétative, destinée à guider le juge. Néanmoins, une vieille dame qui garderait, en liquide, ses économies chez elle, sans se souvenir de leur origine, doit-elle être soupçonnée de blanchiment ? Cet article continue de poser des problèmes : je vous en propose donc la suppression.
L'amendement n° 11 est adopté.
M. Alain Anziani , rapporteur . - L'article 3 ter prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur le traitement, par la direction générale des finances publiques, des faits communiqués par la Chancellerie. Soit, mais il faut prévoir une information symétrique ! L'amendement n° 13 prévoit que le rapport comportera également le nombre de signalements réalisés par Bercy à la Chancellerie, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. C'est un retour à une demande que nous avions faite en première lecture.
L'amendement n° 13 est adopté.
M. Alain Anziani , rapporteur. - L'Assemblée nationale a retenu une définition très large de la protection des lanceurs d'alerte, l'étendant à ceux qui s'adressent à la presse ou aux entreprises concurrentes par exemple. Le Sénat est partisan d'une protection plus restrictive. L'amendement n° 14 limite ainsi la protection des lanceurs d'alerte aux seuls cas où l'intéressé a porté des faits à la connaissance des autorités administratives ou judiciaires. D'ailleurs, seules ces dernières sont à même de lancer une procédure judiciaire !
L'amendement n° 14 est adopté.
M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 9 vise à revenir à la rédaction initiale du projet de loi s'agissant des preuves illicites, en rétablissant le filtre de l'autorité judiciaire ou de l'assistance administrative internationale.
L'amendement n° 9 est adopté.
M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 10 vise le même objet, concernant les douanes.
L'amendement n° 10 est adopté.
M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 15 supprime l'article 11 sexies , qui porte le délai de prescription du délit de fraude fiscale de trois à six ans. Conformément à la tradition de notre commission, je vous propose d'en rester à trois ans et de ne pas instaurer un délai de prescription spécifique à ce délit. D'autant que le délai en matière de blanchiment de fraude fiscale resterait à trois ans.
M. André Reichardt . - Très bien !
L'amendement n° 15 est adopté.
M. Michel Mercier . - L'amendement n° 1 est de coordination avec mes amendements supprimant le procureur de la République financier, objet juridique non identifié.
M. Alain Anziani , rapporteur . - Avis défavorable. La création du procureur de la République financier constitue la clef de voûte du projet de loi.
L'amendement n° 1 n'est pas adopté.
M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 12 confie au procureur général près la cour d'appel de Paris l'autorité pour résoudre les conflits de compétence éventuels entre le nouveau parquet financier et les autres parquets. Mieux vaut retenir cette procédure d'arbitrage formalisée que s'en remettre au dialogue des procureurs, qui pourrait dans certains cas durer longtemps.
M. Michel Mercier . - Cet amendement donne un pouvoir hiérarchique de fait au procureur général de Paris ; c'est une innovation car l'initiative de l'action publique appartient aux procureurs de la République, non au procureur général. Que devient leur indépendance ?
M. Alain Anziani , rapporteur . - Cet amendement ne donne pas autorité sur le fond au procureur général : il s'agit seulement d'arbitrage en cas de conflit de compétences.
M. Michel Mercier . - Cela revient au même. Pour arbitrer il faut d'abord qualifier l'infraction.
L'amendement n° 12 est adopté.
L'amendement n° 2 tombe.
Article additionnel après l'article 15
L'amendement n° 3 n'est pas adopté.
Article 16
L'amendement n° 4 n'est pas adopté.
Article 17
L'amendement n° 5 n'est pas adopté.
Article 19
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Article 20
L'amendement n° 7 n'est pas adopté.
Article 20 bis
L'amendement n° 8 n'est pas adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 2 bis
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
11 |
Suppression |
Adopté |
Article 3 ter
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
13 |
Information du Parlement sur les signalements « article 40 » de la DGFIP |
Adopté |
Article 9 septies
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
14 |
Précision de l'étendue de la protection |
Adopté |
Article 10
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
9 |
Restriction du champ des informations recevables |
Adopté |
Article 10 ter
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
10 |
Restriction du champ des informations recevables |
Adopté |
Article 11 sexies
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
15 |
Suppression |
Adopté |
Article 14
|
|||
M. MERCIER |
1 |
Coordination avec
|
Rejeté |
Article 15
|
|||
M. ANZIANI, rapporteur |
12 |
Introduction d'une procédure de règlement
|
Adopté |
M. MERCIER |
2 |
Suppression du procureur
|
Tombé |
Article(s) additionnel(s) après Article 15 |
|||
M. MERCIER |
3 |
Coordination avec
|
Rejeté |
Article 16
|
|||
M. MERCIER |
4 |
Coordination avec
|
Rejeté |
Article
17
|
|||
M. MERCIER |
5 |
Coordination avec
|
Rejeté |
Article 19
|
|||
M. MERCIER |
6 |
Coordination avec
|
Rejeté |
Article 20
|
|||
M. MERCIER |
7 |
Coordination avec
|
Rejeté |
Article 20 bis
|
|||
M. MERCIER |
8 |
Coordination avec
|
Rejeté |
La commission examine ensuite, en nouvelle lecture, le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 854 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au procureur de la République financier (procédure accélérée).
Mme Virginie Klès , rapporteure . - Mon propos sera bref. Nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier. Je propose d'approuver le rétablissement par l'Assemblée nationale de l'article 1 er . Quant à l'article 2, il n'a plus lieu d'être, une procédure spécifique de désignation des juges d'instruction a été introduite dans le projet de loi ordinaire.
La commission adopte le projet de loi organique sans modification.
* 1 Il s'agit des articles 3 sexies, 10 quinquies A, 11 bis AA, 11 bis DA, 11 decies A, 11 decies, 11 undecies et 11 quinquies.
* 2 Rapport n°1348 et 1349 de nouvelle lecture de M. Yann Galut, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, septembre 2013, page 18.
* 3 Rapport précité, pages 23-24.
* 4 Rapport précité, page 39.