B. UNE AVANCÉE SOCIALE CONFORME AUX ÉVOLUTIONS DE LA FAMILLE ET DE LA SOCIÉTÉ

L'ouverture du mariage aux couples homosexuels n'est pas seulement légitime, possible et souhaitable. Elle est aussi nécessaire, pour deux raisons.

Elle rend enfin le droit qui organise notre société conforme aux évolutions que celle-ci a connues.

Elle garantit aux familles homoparentales la même protection et la même reconnaissance sociale que la loi accorde aujourd'hui aux familles constituée autour d'un père et d'une mère.

1. Le sens du mariage a évolué

Ainsi qu'on l'a vu précédemment, le projet de loi est parfois dénoncé, par ses opposants, en raison de la dénaturation de l'institution du mariage qu'il réaliserait.

Mais, n'est-ce pas renverser l'ordre des choses ? Car, le texte proposé sanctionne plutôt l'évolution de l'institution elle-même, qui s'est abstraite du modèle cristallisé pendant plusieurs siècles sur lequel elle reposait, pour revenir aux principes de liberté et d'universalité qui la caractérisaient à l'origine, incarnant plus la protection que se donnent les deux époux, que le seul modèle de filiation possible.

a) Une institution qui a évolué avec notre société

« Une affirmation de la liberté de l'homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c'est, pour l'ordre terrestre, l'essentiel du message français », rappelait le doyen Jean Carbonnier dans un célèbre article, « Terre et Ciel dans le droit français du mariage » 13 ( * ) .

Cette affirmation, qui renoue avec l'esprit consensualiste du droit romain du mariage, s'est trouvée confirmée par l'article 7 de la Constitution du 3 septembre 1791, qui disposait : « La loi ne considère le mariage que comme contrat civil ». L'article 146 du code civil, inchangé depuis 1804, en porte encore aujourd'hui la marque, puisqu'il établit qu'« il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement ».

Cet esprit de liberté s'appuie sur l'universalisme de l'accès au mariage : tout citoyen majeur peut y prétendre. La Révolution a ici opéré une rupture avec le mariage religieux de l'Ancien régime 14 ( * ) et confirmé l'égalité de tous devant le mariage.

En consacrant la liberté de mariage et en la rattachant à la liberté personnelle découlant des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 15 ( * ) , le Conseil constitutionnel manifeste qu'elle a partie lié avec l'universalisme républicain.

L'évolution du mariage vers plus de liberté et d'égalité s'est poursuivie au dix-neuvième siècle, puis au vingtième.

Cette évolution est passée, pour le divorce, de son abrogation 16 ( * ) à son rétablissement 17 ( * ) , jusqu'aux lois de 1975 et de 2004 ouvrant plus largement les possibilités de divorce.

Surtout, elle s'est manifestée dans la fin du monopole du mariage pour l'établissement de la filiation. La loi du 3 janvier 1972, inspirée par le doyen Carbonnier, a engagé l'abolition de la distinction entre les enfants légitimes, adultérins et naturels, qui s'est achevée avec l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.

Parallèlement, les formes de conjugalité ont évoluées : s'il reste une référence majoritaire, le mariage n'est plus la seule union possible. Une étude de l'Insee montre qu'en 2011, en France métropolitaine, sur 32 millions de personnes majeures déclarant être en couple, 72 % (23,2 millions) sont mariées et partagent la même résidence que leur conjoint, 22,6 % (7,2 millions) sont en union libre et 4,3 % (1,4 million) sont pacsées 18 ( * ) .

Cette évolution des conjugalités s'est répercutée sur les filiations : depuis 2006, il naît plus d'enfants hors mariage qu'au sein du mariage. Selon des chiffres provisoires, les naissances hors mariages représenteraient, en 2012, 56,6 % des naissances totales 19 ( * ) .

Lors de son audition par votre commission, Mme Irène Théry, sociologue, directrice d'études à l'école des hautes études en sciences sociales a retracé ces évolutions du droit de la filiation, faisant valoir que « le modèle matrimonial de filiation a été remis en cause par le principe d'égalité des enfants, qui efface l'opposition entre filiation légitime et naturelle, entre honneur et honte, qui organisait le paysage social ; mais aussi par le principe de codirection masculine-féminine, et par le développement des droits des enfants ». Elle en a conclu que, « dans ce contexte, on comprend les nouvelles revendications des parents homosexuels [...] Désormais, se dessine un droit commun de la filiation, devant lequel tous les enfants sont égaux, quels que soient leurs parents. Cette unicité du droit de la filiation n'empêche pas la pluralité des sources de la filiation ».

Il n'est dès lors plus possible, pour l'ensemble de ces raisons, de considérer le mariage comme l'unique institution de la filiation, indissociable de la filiation biologique .

Dès 1950, le doyen Carbonnier, estimait d'ailleurs, dans son article précité que « n otre droit matrimonial n'est pas biologique, il est psychologique, et il est conséquent avec lui-même en persistant, malgré l'exemple pressant du droit fiscal ou social, à ne pas faire du mariage sans enfant un mariage de seconde zone. [...] Le mariage puise tellement sa fin en lui-même, et en dehors du ciment charnel des enfants, que la loi n'a pas vu de contradiction à faire de lui le fondement de cette filiation purement psychologique qu'est la légitimation adoptive 20 ( * ) . La légitimation adoptive est une spiritualisation de plus du mariage ». Et le doyen concluait son développement en affirmant : « notre droit matrimonial ne se dément pas : son génie, son démon, c'est la liberté ».

Le sens du mariage a évolué, exprimant avec plus d'intensité ses ressorts libéraux et égalitaires. Le texte qui vous est soumis s'inscrit dans cette dynamique, qu'il accompagne plus qu'il ne l'engage. L'institution du mariage a ainsi sensiblement changé de sens et de but : elle n'est plus un mécanisme de légitimation sociale des familles, mais la garantie de leur protection.

b) La forme la plus élevée de protection que peuvent s'accorder deux personnes qui s'aiment

Chacun investit le mariage d'une signification qui lui est propre et emprunte à ses convictions religieuses, philosophiques ou civiles.

Mais quelle que soit le sens qu'on lui donne, le mariage n'est jamais moins que le plus haut degré de protection juridique que peuvent se vouer librement deux personnes qui s'aiment .

Cette protection transparaît à chaque moment du mariage : lors de sa célébration, par la garantie contre les vices du consentement ; lors de la vie commune, à travers les droits et devoirs des époux, notamment ceux d'assistance et de respect ; à son terme, soit par la protection apportée au conjoint survivant, soit par l'assurance qu'un juge examinera les conditions du divorce et garantira un traitement équitable de chacun.

Surtout, cette protection dont profitent les époux est aussi celle dont bénéficieront les enfants, car il est de leur intérêt que chacun de leurs parents soit suffisamment protégé. Elle se manifestera, notamment, par le fait qu'un juge se prononcera obligatoirement, en cas de séparation, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Ainsi compris, rien ne peut justifier de tenir encore à l'écart de la protection de la loi, les familles homoparentales qui souhaiteraient se placer sous son égide.


* 13 Jean Carbonnier, « Terre et Ciel dans le droit français du mariage » in Le droit privé français au milieu du XXe siècle, Études offertes à Georges Ripert , tome I, 1950, p. 327.

* 14 Sur l'exclusion, notamment des comédiens et les difficultés faites à la reconnaissance du mariage des protestants à partir de la révocation de l'Édit de Nantes en 1685, cf. Jean Claude Bologne, Histoire du mariage en Occident, Pluriel, 1997, p. 303-314.

* 15 CC, 2003-484 DC, 20 novembre 2003, cons. 94, Rec. p. 438.

* 16 Le 8 mai 1816.

* 17 Par la loi du 27 juillet 1884.

* 18 « Le couple dans tous ses états : Non-cohabitation, conjoints de même sexe, Pacs... », Insee Première, n° 1435, février 2013.

* 19 Chiffres Insee, http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon02231 .

* 20 La légitimation adoptive était, avant la réforme de 1966, l'institution qui préfigurait l'adoption plénière (note de votre rapporteur).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page