C. LA RÉFORME DE LA CONTRIBUTION AU SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ : BUDGÉTISATION, SÉCURISATION JURIDIQUE ET COUVERTURE ANNONCÉE DES CHARGES FUTURES PAR LA FISCALITÉ SUR LE CARBONE
Pour mémoire, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), acquittée par tous les consommateurs finals d'électricité, finance principalement les mesures de soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, la péréquation tarifaire avec les zones non interconnectées et le tarif social de l'électricité .
Or, sous l'effet, pour l'essentiel, de la montée en puissance du poste « énergies renouvelables » qui représente désormais plus de 60 % des coûts 66 ( * ) , les charges de service public couvertes par la CSPE ont explosé depuis sa création, passant d'1,4 milliard en 2003 à 7 milliards d'euros attendus en 2016 , auxquels il faut encore ajouter le défaut de compensation à l'égard d'EDF pour 2014 (2,8 milliards d'euros), soit au total 9,8 milliards d'euros . À défaut d'arrêté ministériel, le montant de la CSPE atteindra, au 1 er janvier 2016, 22,5 euros par MWh 67 ( * ) , soit environ 16 % de la facture d'un client résidentiel moyen .
Selon les calculs de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), les charges devraient continuer à croître régulièrement dans les années à venir pour atteindre un montant cumulé de près de 100 milliards d'euros entre 2014 et 2025 , date à laquelle la CSPE nécessaire à la couverture des charges annuelles, estimée à 10,9 milliards d'euros, devrait atteindre environ 30 euros par MWh, soit près du quart de la facture d'un consommateur moyen .
Enfin, la CSPE finance aujourd'hui, sans aucune lisibilité, des charges très disparates 68 ( * ) tout en échappant à tout contrôle du Parlement .
Pour toutes ces raisons, le Sénat avait proposé, lors de l'examen de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, une véritable réforme de la CSPE assise sur deux principes : un vote annuel du Parlement en loi de finance s, pour en renforcer la maîtrise et le contrôle démocratique, et un recentrage sur le seul soutien aux énergies renouvelables , les autres charges devant être financées, conformément à leur finalité, par des ressources budgétaires. Cette réforme n'avait cependant pas été conservée par dans le texte définitif, le Gouvernement indiquant qu'une mission avait été confiée sur le sujet à l'Inspection générale des finances (IGF) 69 ( * ) et prenant l'engagement de réformer la CSPE , sur la base de ces travaux, « dans la prochaine loi de finances ».
La réforme promise, qui ne figurait pas dans le texte initial du présent projet de loi, a été intégrée dans le projet de loi de finances rectificative pour 2015 et devrait être inscrite par coordination, au cours de l'examen parlementaire, dans le projet de loi de finances pour 2016 . Elle se décline en deux volets qui valident rétrospectivement l'analyse du Sénat :
- la budgétisation de la CSPE , d'une part, « afin d'assurer un meilleur contrôle des charges et une plus grande transparence sur l'emploi de ces crédits » 70 ( * ) ;
- la sécurisation juridique du dispositif , d'autre part, « pour assurer sa conformité avec le droit de l'Union européenne », en basculant la CSPE sur le mécanisme de l'accise sur l'électricité, l'actuelle taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) 71 ( * ) , dont l'assiette sera élargie.
Dans la maquette budgétaire proposée 72 ( * ) , les charges aujourd'hui financées par la CSPE seraient réparties selon leur finalité entre :
- un nouveau programme budgétaire « Service public de l'énergie » au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », retraçant les charges ne relevant pas directement de la transition énergétique et « sans lien direct par nature avec les recettes issues de la fiscalité énergétique » : péréquation tarifaire, dispositions sociales, soutien à la cogénération, budget du Médiateur national de l'énergie et charges d'intérêt résultant du défaut de compensation aux opérateurs des charges de service public, auxquelles s'ajouterait la nouvelle « compensation carbone » au profit des industries électro-intensives ( cf. supra ) ;
- un compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » abondé par les recettes de la fiscalité énergétique au sein duquel seraient inscrites, dans un premier programme « Soutien à la transition énergétique », les dépenses de soutien aux énergies renouvelables électriques - obligation d'achat, appels d'offres et complément de rémunération -, à l'injection de biométhane et au développement de l'effacement de consommation électrique , et, dans un second programme « Engagements financiers liés à la transition énergétique », le remboursement progressif de la dette contractée à l'égard d'EDF au titre de la non-couverture intégrale des charges de service public par la CSPE.
Même si elle devra faire l'objet d'une analyse plus détaillée 73 ( * ) , la distinction ainsi opérée entre, d'une part, des charges récurrentes à caractère essentiellement « budgétaire » et, d'autre part, des dépenses dynamiques individualisées au sein d'un compte d'affectation spéciale a le mérite d'apporter de la clarté .
Second volet de la réforme 74 ( * ) , le basculement de la CSPE vers la TICFE , elle-même rebaptisée « CSPE » 75 ( * ) , conduit à élargir l'assiette de la TICFE aux consommations sous toutes les puissances souscrites, comme la CSPE actuelle, et à relever son taux au niveau de celui prévu pour la CSPE en 2016, soit 22,5 euros par MWh. Dans ce cadre, les dispositifs de plafonnement de la CSPE en faveur des industries grandes consommatrices sont transformés en tarifs réduits de « nouvelle » CSPE : 0,5 euro par MWh pour les entreprises hyper-électro-intensives et de 2 à 7,5 euros par MWh pour les sites ou entreprises électro-intensifs en fonction de leur consommation rapportée à la valeur ajoutée produite. À cet égard, il importera de vérifier que ces nouvelles modalités préservent la compétitivité des entreprises concernées .
Ainsi, si la réforme proposée répond dès à présent, en première analyse, à quelques-uns des principaux écueils de l'actuelle CSPE - manque de lisibilité, absence de contrôle démocratique et risque important de contentieux communautaire -, elle renvoie à 2017 la question de l'élargissement de son assiette pour financer le développement des énergies renouvelables électriques . En 2016, la charge pèsera encore exclusivement sur les seuls consommateurs finals d'électricité mais au-delà, le Gouvernement s'est engagé à « stabiliser le niveau de la fiscalité de l'électricité », les charges futures devant être couvertes par l'augmentation de la composante carbone des taxes intérieures de consommation.
Selon les explications données par le secrétaire d'État au budget lors de la présentation du collectif à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a en effet jugé préférable de financer « le stock » des soutiens passés sur l'électricité et le « flux » des soutiens à venir sur une assiette plus large , considérant qu'un élargissement de l'assiette sur l'ensemble des engagements pris aurait été « un bouleversement trop brutal ». Votre rapporteur pour avis attend désormais que cet engagement soit tenu car il apparaît légitime que les énergies carbonées contribuent à la décarbonation de l'économie , et ce même si la question de la compensation du relèvement de la composante carbone demeure posée.
* 66 67 % des charges prévisionnelles au titre de 2016 (dont 39 % pour le photovoltaïque et 17 % pour l'éolien), contre 20 % pour la péréquation tarifaire, 8 % pour le soutien à la cogénération et 5 % pour les dispositions sociales. Source : délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 15 octobre 2015.
* 67 Contre un montant théorique de 27,05 euros par MWh pour assurer la couverture de l'ensemble des charges.
* 68 Ce qui pose clairement la question de sa compatibilité avec le droit communautaire.
* 69 Dont votre rapporteur pour avis regrette vivement, comme le rapporteur spécial de la commission des finances, qu'il ne lui ait pas été transmis malgré ses nombreuses demandes.
* 70 Exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2015.
* 71 Instaurée par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité dans le cadre de la mise en conformité des taxes sur l'électricité avec le droit communautaire, la TICFE est due sur la quantité d'électricité d'une puissance souscrite supérieure à 250 kVA (tarifs verts). Son taux est fixé à 0,5 euros par MWh, soit le taux minimum exigé par le droit communautaire. Les redevables sont les fournisseurs d'électricité - qui la répercutent à leurs clients - et les entreprises qui produisent de l'électricité pour leurs propres besoins. Des exonérations sont cependant prévues pour certains usages (métallurgie, transport ferroviaire, compensation des pertes des gestionnaires de réseaux, etc.) ainsi que pour les entreprises électro-intensives. En 2014, le produit de la TICFE s'est élevé à 61,3 millions d'euros.
* 72 Art. 3 du projet de loi de finances rectificative pour 2015.
* 73 On peut notamment s'interroger sur la répartition proposée entre les intérêts et la dette liée à l'absence de compensation intégrale des charges de service public, ou sur le fait que les dépenses de soutien à l'effacement soient logées dans le compte d'affectation spéciale alors qu'elles visent au moins autant à faire des économies d'énergie (comme le soutien à la cogénération retracé lui dans le programme budgétaire) qu'à aider à la gestion de la pointe et à accompagner le développement des énergies renouvelables intermittentes.
* 74 Art. 11 du projet de loi de finances rectificative pour 2015 qui procède aussi au relèvement de la composante carbone pour 2017 ainsi qu'à la poursuite du rapprochement de la fiscalité sur le gazole et sur l'essence en 2017.
* 75 Un basculement similaire de la contribution au tarif spécial de solidarité du gaz (CTSSG) et de la contribution biométhane sur la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) est prévu.