Avis n° 162 (2013-2014) de M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 novembre 2013

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N° 162

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2013

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2014 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME II

ASILE

Par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 1395 , 1428 à 1435 et T.A. 239

Sénat : 155 et 156 (annexe n° 16 ) (2013-2014)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, mardi 12 novembre 2013, la commission des lois du Sénat, réunie le mercredi 13 novembre 2013 sous la présidence de M. Patrice Gélard , vice-président, a examiné, sur le rapport pour avis de M. Jean-Pierre Sueur 1 ( * ) , les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2014 à la politique de l'asile .

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis, a d'abord souligné le maintien des crédits consacrés à l'asile par le programme n° 303 « Immigration et asile » ainsi que par le programme n° 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », en légère augmentation de 0,6 % par rapport aux crédits ouverts en 2013. Il a ainsi relevé deux éléments positifs. En premier lieu, l'effort de réduction des délais de traitement des demandes d'asile se poursuit grâce à l'augmentation de la subvention accordée à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, lui permettant de recruter dix officiers de protection supplémentaires, ainsi que la hausse des crédits alloués à la Cour nationale du droit d'asile. Le rapporteur pour avis a d'ailleurs salué les efforts de rapprochement et d'harmonisation des jurisprudences entrepris par les deux institutions, ainsi que les démarches de réforme interne de chacune d'entre elles. En second lieu, la création de 2 000 places supplémentaires en centres d'accueil pour les demandeurs d'asile répond à un besoin réel face à la saturation du dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile.

Pour autant, M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis, a indiqué que certaines questions restaient en suspens. Au premier chef, il s'est interrogé sur le réalisme de la baisse des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et à l'allocation temporaire d'attente en compensation des efforts évoqués précédemment, dans un contexte d'accélération de la hausse de la demande d'asile. Il a en outre rappelé le débat existant sur la liste des pays d'origine sûrs. Il s'est également fait l'écho des interrogations relatives aux délais non comptabilisés de la durée de traitement de la demande d'asile, en particulier en amont même du dépôt des demandes.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis, a conclu qu'il s'agissait là d'un budget de transition, dans l'attente de la réforme à venir du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile, qui ne tenait pas compte des difficultés induites par la transposition des directives européennes, tout particulièrement de la directive « procédure ». Il a enfin rappelé la nécessité d'une coopération et d'une coordination européennes en matière d'asile.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'asile par les programmes n°303 : « Immigration et asile » et n°165 : « Conseil d'État et autres juridictions administratives » du projet de loi de finances pour 2014.

Mesdames, Messieurs,

Pour la troisième année consécutive, votre commission des lois consacre un avis budgétaire à la politique de l'asile, distinct de l'examen des crédits alloués à la politique de l'immigration. Bien que ces deux politiques fassent l'objet d'une seule et même mission dans la maquette budgétaire retenue par le Gouvernement, votre commission estime en effet que ces deux politiques relèvent de logiques différentes. Si légitime et nécessaire qu'apparaisse la définition d'une politique de l'immigration, elle ne saurait être confondue avec la mise en oeuvre des principes fondamentaux et des droits garantis par notre Constitution et les engagements internationaux souscrits par la France que constitue la politique de l'asile.

La politique de l'asile est en effet inscrite dans le socle de nos principes républicains. Depuis la Révolution, la République française reconnaît le droit d'asile et accueille « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté », comme l'énonce le quatrième alinéa de la Constitution du 27 octobre 1946. À ce titre, la France est partie à la convention de Genève de juillet 1951 ainsi qu'à la convention européenne des droits de l'homme.

Après avoir dénoncé il y a deux ans la sous-budgétisation chronique des crédits nécessaires à l'accueil des demandeurs d'asile entraînant la saturation des dispositifs d'accueil et d'hébergement, votre commission avait salué l'an passé l'effort de sincérité mené par le nouveau Gouvernement ainsi que son engagement courageux en faveur de la garantie du droit d'asile.

Si les crédits consacrés à la politique de l'asile dans le projet de loi de finances pour 2014 traduisent la poursuite des efforts entrepris par le Gouvernement, le contexte budgétaire contraint ainsi que l'accroissement de la demande d'asile laissent craindre une nouvelle détérioration des comptes de la politique de l'asile en cours d'exécution du budget.

I. UN BUDGET, REFLET DE LA VOLONTÉ DU GOUVERNEMENT DE RÉPONDRE AUX ENJEUX PROPRES À LA POLITIQUE DE L'ASILE

En 2014, les crédits consacrés à l'exercice du droit d'asile par le programme n° 303 : « Immigration et asile », au titre de l'action n° 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile », augmenteront de 0,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2013, passant de 501,14 millions d'euros à 503,73 millions d'euros (hors fonds de concours et attribution de produits), en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement.

Dans le même temps, les crédits consacrés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par le programme n° 165 : « Conseil d'État et autres juridictions administratives » augmenteront de près de 3 %, passant de 21,6 millions à 22,23 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit un retour aux montants inscrits en loi de finances pour 2012.

Au total, les crédits alloués à la politique de l'asile s'élèveront donc en 2014 à 526 millions d'euros , soit une hausse de 0,6% par rapport aux crédits ouverts en 2013.

Les efforts consentis l'an passé au titre de la politique de l'asile apparaissent ainsi comme confortés. Dans un contexte de forte contrainte budgétaire, le maintien des crédits alloués à la politique de l'asile doit être souligné.

A. LA POURSUITE DE L'EFFORT DE RÉDUCTION DES DÉLAIS DE TRAITEMENT DES DEMANDES

Un même constat est largement partagé : la longueur des délais de traitement de la demande d'asile se traduit par ce qui est souvent considéré - à tort ou à raison - comme un détournement de cette procédure à des fins d'immigration économique. En effet, la durée de séjour constitue un critère important de régularisation ultérieure et rend difficile la mise en oeuvre de mesures d'éloignement en cas de refus d'octroi d'une protection internationale. Outre des coûts importants pour le budget, il en résulte non seulement le développement de logiques de filière d'immigration irrégulière, mais aussi, et surtout, une moindre qualité de prise en charge des demandeurs d'asile ayant vocation à accéder au statut de réfugié.

C'est pourquoi l'objectif de réduction des délais de traitement des demandes est au coeur de la programmation budgétaire de ces dernières années. Cela passe par l'affectation de moyens supplémentaires à l'OFPRA et à la CNDA, ainsi que par une amélioration de leur fonctionnement interne et de l'articulation de l'un avec l'autre.

1. L'affectation de moyens supplémentaires à l'OFPRA et à la CNDA
a) L'OFPRA : des moyens supplémentaires en appui d'une réforme du fonctionnement

Créé en 1952, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est un établissement public administratif de l'État placé, depuis le 15 novembre 2010, sous la tutelle du ministre de l'intérieur. Il est chargé, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, de l'instruction de l'ensemble des demandes d'asile formulées auprès des autorités françaises : asile conventionnel et constitutionnel, qui emportent reconnaissance du statut de réfugié et délivrance d'une carte de résident, et protection subsidiaire, qui ouvre droit à la délivrance d'une carte de séjour temporaire.

Son financement est assuré presque intégralement par une subvention pour charges de service public versée par le ministère de l'intérieur. Pour 2014, cette subvention augmente de 5,9 % pour atteindre 39,3 millions d'euros .

Cette augmentation devrait couvrir la hausse des coûts de fonctionnement liée à l'accroissement de l'activité de l'établissement, essentiellement des frais postaux et des frais d'interprétariat. À titre indicatif, en 2012, 82 % des auditions des demandeurs d'asile devant l'OFPRA étaient assurées avec le concours d'un interprète pour un montant de 3,2 millions d'euros. L'interprétariat a d'ailleurs fait l'objet de nouveaux marchés publics communs à l'OFPRA et à la CNDA, conclus dans le cadre d'un groupement de commandes, dont le directeur général de l'OFPRA est coordonnateur. Couvrant une centaine de langues, regroupées dans vingt lots, ce sont des marchés à bons de commandes, correspondant, en moyenne, à 1 350 vacations (prestations d'une demi-journée d'interprétariat) mensuelles réalisées à l'Office, pour un montant de 280 000 €.

La hausse de la subvention devrait toutefois couvrir principalement les dépenses induites par le relèvement du plafond d'emplois de 10 officiers de protection supplémentaires , portant l'effectif sous plafond de 465 à 475 ETPT en 2014, ainsi que par l'extension en année pleine des recrutements opérés en 2013. En effet, dans un contexte de hausse persistante de la demande d'asile, l'OFPRA a vu depuis 2011 le nombre de ses personnels s'accroître. Ces 10 nouveaux postes d'officiers de protection s'ajoutent notamment aux 7 emplois d'agent instructeur créés en 2012 et aux 10 ouverts en 2013.

La hausse de la subvention devrait en particulier permettre à l'OFPRA de poursuivre sa politique de lutte contre la précarité. Après avoir revalorisé le régime indemnitaire de ses agents titulaires et contractuels pour l'aligner sur celui des personnels des services déconcentrés du ministère de l'intérieur d'Île-de-France au cours de l'année 2012, l'OFPRA s'emploie à pérenniser certains contrats à durée déterminée en en allongeant la durée ou en les transformant en contrat à durée indéterminée, conformément au dispositif de déprécarisation prévu par la loi du 12 mars 2012. Il prévoit ainsi pour 2014 la titularisation de 10 agents de catégorie A pour un montant de 0,15 million d'euros.

Cette politique de déprécarisation vise à fidéliser les personnels de cet établissement qui souffre encore aujourd'hui d'un taux de rotation élevé, particulièrement parmi les officiers de protection : en 2013, l'OFPRA a ainsi enregistré le départ de 40 officiers pour 50 entrants. Or la stabilisation des effectifs est essentielle pour améliorer l'efficacité de l'établissement : l'OFPRA a en effet estimé que le recrutement et la formation de nouveaux agents en remplacement des 29 agents instructeurs, dont un tiers avait moins de 18 mois d'ancienneté, ayant quitté l'Office durant les dix premiers mois de l'année 2012 avait entraîné un déficit de 3 000 décisions 2 ( * ) .

L'octroi de ces moyens supplémentaires s'inscrit dans une démarche contractualisée avec le ministère visant à améliorer la qualité du service rendu par l'OFPRA. Faisant suite à un contrat d'objectifs et de moyens de trois ans signé en décembre 2008 et prolongé par avenant jusqu'au 31 décembre 2012, un contrat d'objectif et de performance (COP) pour les années 2013-2015 a été signé le 3 septembre 2013.

Ce COP s'inscrit dans les objectifs fixés par le président de la République puis précisés par le ministre de l'intérieur pour un traitement global de la demande d'asile en 9 mois (3 mois pour l'OFPRA et 6 mois pour la CNDA). Il fixe également les orientations stratégiques de l'établissement pour les trois années à venir et repose en grande partie sur la mise en oeuvre à partir du 1 er septembre 2013 du plan d'action pour la réforme de l'OFPRA tout en anticipant la transposition des directives « Procédures » et « Qualification ». Pour les années 2013-2015, la stratégie de l'OFPRA se décline en cinq objectifs majeurs :

- garantir dans des délais de traitement réduits, une réponse de qualité à la demande d'asile ;

- réformer les méthodes de travail et moderniser l'instruction de la demande d'asile ;

- améliorer le service rendu aux demandeurs d'asile et aux personnes protégées ;

- optimiser la gestion de l'établissement ;

- valoriser l'expertise de l'OFPRA.

Lors de son audition par votre rapporteur, M Pascal Brice, directeur général de l'OFPRA, a indiqué que le plan d'action pour la réforme de l'établissement avait été approuvé par les syndicats au mois de mai 2013. Ce plan d'action vise à renforcer les moyens de protection là où ils sont nécessaires tout en conservant le niveau d'exigence et de rigueur de l'instruction des demandes. Cela se traduit en particulier par l'envoi en région d'équipes pour des durées limitées, comme cela a été expérimenté en juillet à Lyon ou en octobre à Metz. Cela consiste également en la mutualisation du traitement de la demande d'asile entre les quatre divisions géographiques afin de ne pas laisser une division submergée par l'afflux de demandeurs provenant d'un pays ou d'une région.

Ces pistes de réforme devraient contribuer à améliorer l'efficacité de l'Office afin de réduire les délais de traitement parallèlement à la mise en oeuvre des moyens supplémentaires.

b) La CNDA : la poursuite de l'accroissement de la capacité de jugement

Rattachée pour sa gestion depuis le 1 er janvier 2009 au Conseil d'État, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est la juridiction administrative spécialisée chargée de l'instruction des recours contre les décisions de l'OFPRA.

Les crédits de titre 2 qui lui sont alloués figurent à l'action 7 du programme 165 : « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Ces crédits connaîtront en 2014 une augmentation de près de 3 % pour renouer avec les montants inscrits en loi de finances initiale pour 2012, soit 22,23 millions d'euros . Cette progression des crédits de rémunération correspond à la création de 8 EPTP .

Cette augmentation des crédits de titre 2 est la traduction du plan d'action mis en oeuvre depuis 2011 visant à accroître de manière significative la capacité de jugement de la Cour afin de réduire ses délais de jugement. Cet effort, qui a permis de porter les effectifs de la juridiction de 223 ETPT en 2009 à 349 ETPT en 2014, a d'ores et déjà produit des effets tangibles : malgré une hausse régulière et importante des entrées de près de 14 % entre 2011 et 2012 pour atteindre 36 362 recours, la Cour a rendu 37 350 jugements en 2012, soit 56 % de plus qu'en 2010 alors que dans le même temps les délais de jugement étaient de 8 mois et 7 jours en 2012, contre 15 mois deux ans auparavant. Le nouveau renforcement de la capacité de jugement devrait permettre d'atteindre l'objectif cible de 6 mois fixé pour 2015.

Si le renforcement de ses effectifs est bienvenu, il pose toutefois la question du recrutement par la Cour de personnels qualifiés, en particulier de rapporteurs à l'instruction. On doit en effet noter que pour faire face à l'accroissement de ses activités tout en respectant ses objectifs de délais de jugement, la Cour a procédé au recrutement d'un grand nombre d'agents contractuels depuis 2011.

Par ailleurs, la juridiction est placée devant la nécessité de poursuivre sa professionnalisation. À cet égard, son rattachement au Conseil d'État a été bénéfique sur plusieurs plans.

En premier lieu, il a coïncidé avec la nomination de présidents permanents. Magistrats des ordres administratif et judiciaire placés sous l'autorité du président de la Cour, ils sont désormais au nombre de 12. La majorité des magistrats - 90 - demeure toutefois des magistrats vacataires nommés soit parmi les membres du Conseil d'État ou du corps des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, soit parmi les magistrats judiciaires, soit enfin parmi les magistrats de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes. Le rééquilibrage entre permanents et vacataires faciliterait l'harmonisation de la jurisprudence entre les différentes formations de jugement.

En second lieu, à la suite des travaux d'un groupe de travail mis en place par le Vice-président du Conseil d'État en 2011 sous la présidence de M. Christian Vigouroux, la réflexion sur les procédures applicables devant la Cour a donné lieu au décret n° 2013-751 du 16 août 2013, dont les dispositions entreront progressivement en vigueur jusqu'au 1 er février 2015.

De l'avis des personnes entendues par votre rapporteur, les moyens alloués à l'OFPRA et à la CNDA par le projet de loi de finances pour 2014 devraient permettre à ces deux institutions de remplir les objectifs qui leur ont été assignés en termes de réduction des délais de traitement des demandes .

Délais moyens d'examen des demandes d'asile
par l'OFPRA et par la CNDA

2011 (réalisation)

2012 (réalisation)

2013 (prévision actualisée)

2014 (prévision)

2015 (cible)

Délai de traitement d'un dossier par l'OFPRA

174 jours

186 jours

173 jours

132 jours

90 jours

Délai prévisible moyen de jugement

9 mois et 5 jours

8 mois et 7 jours

7 mois et 8 jours

6 mois et 15 jours

6 mois

Source : projets annuels de performance des programmes n°303 et n°165

c) Une autre piste pour l''accélération du traitement des demandes d'asile : le rapprochement des jurisprudences de l'OFPRA et de la CNDA

L'un des facteurs explicatifs de la longueur du traitement des demandes d'asile réside dans le taux très important de recours devant la CNDA à l'encontre des décisions de l'OFPRA. En 2012, le taux de recours contre les décisions négatives de l'OFPRA a atteint 87,3 % , soit deux points de plus qu'en 2011. Au cours du premier semestre 2013 ce taux atteint un niveau sans précédent : 94,8 %.

Ce taux de recours s'explique en grande partie par le taux relativement important d'annulation des décisions de l'OFPRA par la CNDA. Ainsi la France présente-t-elle la particularité suivante : si elle se situe dans la moyenne européenne s'agissant du taux global d'octroi de protections (environ 25 % des demandeurs d'asile en Europe se voient accorder le statut de réfugié ou le bénéfice d'une protection subsidiaire), la majorité des statuts de réfugié et des protections subsidiaires accordés depuis 2005 par la France le sont par décision de la Cour nationale du droit d'asile, non de l'OFPRA .

Toutefois, pour la première fois, au terme du premier semestre de l'année 2013, cette proportion s'est inversée, 52,5 % des décisions d'admission relevant de l'OFPRA . Ce renversement de tendance résulte de la baisse continue du taux d'annulation de la CNDA et d'une hausse du taux d'accord de l'OFPRA.

Statuts de réfugiés et protections subsidiaires accordés par la France

Nombre d'accords par l'OFPRA

Nombre d'accords suite à annulations prononcées par la CNDA

Nombre total de personnes reconnues bénéficiaires d'une protection

Part des protections accordées par la CNDA

2004

6 358

4 934

11 208

44,02 %

2005

4 184

9 586

13 770

69,62 %

2006

2 929

4 425

7 354

60,17 %

2007

3 401

5 380

8 781

61,27 %

2008

5 153

6 288

11 441

54,96 %

2009

5 048

5 325

10 373

51,34 %

2010

5 096

5 244

10 340

50,72 %

2011

4 630

6 072

10 702

56,74 %

2012

4 348

5 628

9 976

56,42 %

6 mois 2013

2 752

2 485

5 237

47,45 %

Source : Direction générale des étrangers en France (DGEF)

Plusieurs explications peuvent être avancées pour comprendre cette situation atypique. Tout d'abord, la CNDA est une juridiction de plein contentieux qui se prononce sur l'ensemble des éléments de fait et de droit du dossier, y compris postérieurs à la décision de l'OFPRA. Les délais d'instruction qui s'étendent sur plusieurs mois permettent aux requérants de produire devant la juridiction de nouveaux éléments susceptibles de justifier une protection. Certains avancent en outre comme hypothèse une stratégie d'évitement de l'OFPRA par la rétention d'information à ce stade. De même, l'assistance d'un avocat lors de la procédure devant la CNDA peut également avoir une incidence, le taux d'assistance étant supérieur à 88 % en 2012

En tout état de cause, on observe de réelles divergences d'appréciation entre les deux organes, qui agissent comme des incitations à déposer des recours et conduisent à l'allongement du traitement des demandes d'asile .

Pour y remédier, l'OFPRA a engagé un travail en interne visant à mieux intégrer la jurisprudence de la CNDA, avec laquelle il procède en outre à des échanges afin de minimiser les divergences de doctrine. Les deux instances ont par ailleurs décidé de partager leurs analyses sur les situations des pays d'origine, l'appréciation des faits personnels demeurant du ressort de chaque institution. À cet effet, une collaboration entre les services documentaires de la CNDA et de l'OFPRA s'est instaurée sur la base d'une convention relative à la transmission d'informations. Cette convention prévoit, d'une part, la possibilité pour la CNDA de partager les informations inscrites sur le nouveau logiciel documentaire de l'OFPRA connecté au portail européen depuis juin 2012. Elle dispose, d'autre part, que la CNDA transmettra à l'OFPRA toute étude d'ensemble reflétant la position jurisprudentielle de la CNDA sur une question de droit ou sur l'analyse de la situation dans un pays d'origine. Votre rapporteur se félicite que l'une des propositions formulées par nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa dans leur rapport d'information relatif au droit d'asile ait ainsi trouvé une traduction concrète 3 ( * ) .

Enfin, des missions de recueil d'informations dans les pays d'origine, associant des officiers de protection et des représentants de la CNDA ont été organisées, à l'instar des missions menées en 2013 en Albanie, en République démocratique du Congo et en Angola.

2. La modification du régime de l'aide juridictionnelle devant la CNDA

Comme devant toute juridiction, les demandeurs d'asile formant un recours devant la CNDA peuvent bénéficier de l'assistance d'un avocat, désigné le cas échéant au titre de l'aide juridictionnelle. Depuis la suppression de la condition d'entrée régulière sur le territoire pour l'octroi de l'aide juridictionnelle par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, tous les requérants peuvent y prétendre lorsqu'ils justifient de ressources insuffisantes.

En 2012, le bureau d'aide juridictionnelle de la CNDA a enregistré 21 206 demandes, soit 26 % de plus qu'en 2011, et rendu 21 969 décisions, en progression de 19 % par rapport à 2011. Les demandes ont été admises dans 79,2 % des cas - contre 81 % en 2011 -, seuls le dépassement des conditions de ressources, l'irrecevabilité manifeste du recours ou le non-respect des délais de la demande d'aide juridictionnelle depuis l'introduction par la loi de finances pour 2011 d'un régime de forclusion, pouvant motiver le rejet d'une demande d'aide juridictionnelle.

Près de la moitié des avocats présents devant la Cour l'étaient au titre de l'aide juridictionnelle, la part des requérants assistés d'un avocat étant de 88,5 % en 2012.

Face aux difficultés d'enrôlement résultant du nombre insuffisant d'avocats inscrits sur les listes établies par les bâtonniers, le Gouvernement avait annoncé l'an passé sa décision de revaloriser la rétribution au titre de l'aide juridictionnelle afin de la rendre plus incitative. Le décret n° 2013-525 du 20 juin 2013 a donc doublé le montant de l'aide juridictionnelle, le faisant passer de 8 unités de valeur (UV) à 16, soit plus de 360 € .

Bien que la CNDA dispose d'un bureau d'aide juridictionnelle propre, les crédits qui lui sont affectés figurent à l'action 1 du programme 101 : « Accès au droit et à la justice » de la mission « Justice ». Ces crédits ne sont toutefois pas ventilés selon les bureaux d'aide juridictionnelle.

Le décret du 20 juin 2013 a, en outre, apporté d'autres modifications substantielles au régime de l'aide juridictionnelle devant la CNDA.

En premier lieu, il a substitué à la production de documents établissant le niveau des ressources du requérant, une déclaration sur l'honneur attestant qu'il ne dispose pas en France ou en provenance de l'étranger, de ressources d'un montant supérieur aux seuils fixés par la loi. Cette déclaration sur l'honneur est de nature à accélérer le traitement des demandes d'aide juridictionnelle.

En second lieu, le décret du 20 juin 2013 a mis un terme au monopole des barreaux du ressort des cours d'appel de Paris et Versailles pour établir des listes d'avocats susceptibles d'intervenir au titre de l'aide juridictionnelle devant la Cour. Il a en effet étendu à tous les barreaux de France métropolitaine et d'outre-mer la possibilité de désigner des avocats volontaires pour intervenir au titre de l'aide juridictionnelle. Cette disposition devrait permettre de rapprocher les avocats des requérants domiciliés en dehors de la région Île-de-France, et contribuer à fluidifier l'enrôlement des dossiers.

Par ailleurs, l'ordonnance n° 2012-395 du 23 mars 2012 a étendu l'application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique à Mayotte. Une Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) a été mise en place localement. Lors de la mission foraine de la CNDA dans ce département en 2012, des avocats mahorais ont donc pu intervenir au titre de l'aide juridictionnelle. Le nombre des affaires à juger a néanmoins nécessité le concours d'autres avocats désignés au titre de l'aide juridictionnelle, notamment des barreaux de La Réunion.

B. UN RÉÉQUILIBRAGE DU PARC D'HÉBERGEMENT DES DEMANDEURS D'ASILE EN FAVEUR DES CADA

Une demande d'asile étant d'autant plus rapidement traitée qu'elle est bien formulée, la réduction des délais de traitement de la demande d'asile passe également par l'amélioration de l'accompagnement des demandeurs d'asile via leur prise en charge dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) plutôt que par les dispositifs d'hébergement d'urgence.

1. Le consensus sur la nécessité d'un tel rééquilibrage

En principe, tout demandeur d'asile en procédure normale doit, tout au long de la procédure d'examen de sa demande (devant l'OFPRA et, le cas échéant, devant la CNDA), se voir proposer une place d'hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) . Conformément à l'article L. 348-2 du code de l'action sociale et des familles, ces établissements offrent aux demandeurs une prestation complète, incluant l'accueil, l'hébergement ainsi que l'accompagnement social et administratif.

Les demandeurs d'asile en procédure normale qui n'ont pas obtenu d'hébergement en CADA sont en principe éligibles à l'allocation temporaire d'attente (ATA) ainsi qu'à un hébergement d'urgence dans une structure réservée aux demandeurs d'asile , à l'instar des demandeurs d'asile ne remplissant pas les conditions pour accéder aux CADA (demandeurs d'asile en procédure prioritaire et étrangers en attente d'une réadmission dans un autre État-membre de l'Union européenne au titre du mécanisme « Dublin II »). Faute de places cependant, ils peuvent être accueillis à l'hôtel soit au titre de l'hébergement d'urgence spécialisé financé par le programme 303, soit au titre de l'hébergement généraliste, en particulier le « 115 », financé par le programme 177 : « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables », de la mission « Égalité des territoires, logement et ville ». Ils doivent également pouvoir bénéficier du soutien administratif d'une plateforme d'accueil pour demandeurs d'asile .

Malgré le quadruplement de la capacité de places en CADA, passée de 5 282 places au 1 er janvier 2001 à 21 410 places au 31 décembre 2010, seule une minorité des demandeurs d'asile en procédure normale a accès à un hébergement en CADA, du fait de l'engorgement du dispositif. Si ceux-ci sont occupés à 98,5 % au 30 juin 2013, ils n'accueillent en réalité que 37 % de demandeurs d'asile en cours de procédure selon les prévisions actualisées pour 2013. D'autres populations ont effectivement droit à un hébergement en CADA : d'une part, les bénéficiaires de protection internationale pendant une durée de 3 mois renouvelable une fois, soit six mois, après la notification de la décision positive, et, d'autre part, les déboutés, pour une durée maximale d'un mois après la notification de la décision négative. Les gestionnaires de CADA soulignent cependant unanimement l'impossibilité d'imposer aux réfugiés et aux déboutés de quitter les CADA en l'absence de solutions alternatives de logement.

Structure de la population hébergée en CADA au 30 juin 2013

RÉGIONS

Capacité agréée

Places occupées

Part de demandeurs d'asile en CADA

Taux de présence indue de réfugiés

Taux de présence indue de déboutés

Alsace

1174

1178

81,3 %

0,9 %

2,5 %

Aquitaine

734

726

92,0 %

0,8 %

1,2 %

Auvergne

537

524

85,9 %

0,0 %

0,0 %

Bourgogne

921

919

70,3 %

4,2 %

8,4 %

Bretagne

928

925

83,1 %

0,0 %

9,8 %

Centre

1281

1178

80,1 %

1,4 %

10,2 %

Champagne-Ardenne

699

691

81,9 %

1,4 %

10,6 %

Franche-Comté

540

535

73,8 %

1,9 %

16,6 %

Île-de-France

3531

3443

83,4 %

3,1 %

2,0 %

Languedoc

561

545

65,9 %

5,0 %

14,7 %

Limousin

229

228

92,5 %

0,0 %

0,0 %

Lorraine

1013

1026

69,2 %

1,3 %

21,6 %

Midi

826

821

83,4 %

1,3 %

5,4 %

Nord-Pas-De-Calais

537

544

80,1 %

0,9 %

9,9 %

Basse-Normandie

511

499

73,7 %

0,2 %

4,4 %

Haute-Normandie

940

919

73,2 %

1,3 %

16,4 %

Pays de la Loire

1173

1174

71,5 %

3,0 %

13,1 %

Picardie

919

890

75,5 %

1,1 %

13,6 %

Poitou-Charentes

440

446

82,5 %

1,6 %

8,1 %

Paca

1384

1397

64,5 %

13,4 %

13,2 %

Rhône-Alpes

2532

2486

86,9 %

1,0 %

1,2 %

Total

21410

21094

78,9 %

2,5 %

7,9 %

Source : OFII

Or, ainsi que le constate le rapport des inspections générales sur l'hébergement et la prise en charge financières des demandeurs d'asile d'avril 2013 4 ( * ) , les personnes hébergées en CADA font l'objet d'un meilleur accompagnement lors de la procédure de demande d'asile et ont en conséquence davantage de chances, à situation égale, de bénéficier d'une protection internationale .

En outre, d'un point de vue budgétaire, l'hébergement en CADA est moins coûteux que l'hébergement d'urgence couplé à l'allocation temporaire d'attente . La démarche de rationalisation engagée par le secrétariat général à l'immigration et à l'intégration, à la suite de la mise en place d'un référentiel de coût en 2011-2012, a en effet abouti à réduire à 24 € par jour le coût moyen d'une place en CADA en 2014. Le coût d'une place d'hébergement d'urgence dans le dispositif déconcentré s'élevant en moyenne à 16,50 € par jour - il varie en réalité selon que l'hébergement est effectué dans une structure collective ou en hôtel - et le montant de l'ATA étant estimé à 11,37 € par jour, hors frais de dossier, ce mode de prise en charge revient en 2014 à 27,87 € par jour. Il faut en outre noter qu'à ce montant s'ajoute le coût de l'accompagnement social des demandeurs d'asile assuré par les plateformes d'accueil placées depuis le 1 er janvier 2010 sous l'égide de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui en assure la coordination et le financement. À titre indicatif, en 2012, les moyens budgétaires affectés au réseau des plateformes associatives se sont élevés à 10,8 millions d'euros, 61 % étant à la charge de l'OFII, les 3,9 millions d'euros restant ayant été financés par les crédits du Fonds européen pour les réfugiés (FER).

Pour toutes ces raisons, l'ensemble des acteurs conclut à la nécessité de rééquilibrer le parc d'hébergement des demandeurs d'asile au profit des CADA , conclusion à laquelle votre rapporteur avait déjà abouti dans son rapport l'année dernière.

2. La mise en oeuvre du plan de création de 4 000 places en CADA d'ici 2015

À l'occasion de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale des 10 et 11 décembre 2012, le Premier ministre a annoncé la création de 4 000 places en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) en 2013 et 2014 , portant la capacité d'accueil totale du parc à 25 410 places. Les dernières créations de places en CADA dataient de 2010.

À cet effet, les crédits relatifs au financement du dispositif de CADA progresseront de 7,5 % en 2014 pour atteindre 213,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement. Ces crédits permettront, d'une part, de financer le parc existant composé de 23 410 places en CADA réparties sur 270 centres, auxquelles s'ajoutent 246 places de centres de transit et les 33 places du centre d'accueil et d'orientation des mineurs isolés demandeurs d'asile (CAOMIDA), soit un total de 25 689 places. Selon l'engagement pris, d'autre part, une enveloppe complémentaire de 6,3 millions d'euros sera allouée à la création des 2 000 nouvelles places en 2014.

Dans un premier temps en effet, il avait été envisagé de créer 2 000 nouvelles places dès le 1 er juillet 2013, puis 1 000 supplémentaires au 1 er décembre 2013, enfin les 1 000 restantes au cours de second semestre 2014 5 ( * ) . Ce sont finalement 2 000 places qui auront été créées en 2013 à la suite d'un premier appel à projets. Un deuxième appel à projets pour ouvrir 1 000 places en avril 2014 est en cours. Après cette deuxième tranche, une troisième sera organisée en vue d'une ouverture de places en CADA fin 2014.

Ce plan de création de 4 000 places en CADA n'est cependant qu'une première étape. En effet, le rapport des inspections générales fixe comme « objectif cible » un parc de 35 000 places en CADA à l'horizon 2019.

Parmi les critères de sélection des projets retenus par les orientations ministérielles figurent des priorités géographiques . Le Gouvernement a en effet vu dans ces créations de nouvelles places l'occasion de déconcentrer le parc existant, de manière à rééquilibrer l'offre d'hébergement sur le territoire et favoriser ainsi un système de péréquation nationale de la prise en charge des demandeurs d'asile. La quasi-totalité des projets présentés dans des territoires moins soumis aux pressions des flux, tels que la Basse-Normandie, la Champagne-Ardenne, le Limousin, et la région Poitou-Charentes, a ainsi été retenue. La sélection a également permis de retenir un nombre significatif de projets en Aquitaine, en Auvergne, en Bourgogne, en Bretagne, dans le Centre, en Languedoc-Roussillon, en Midi-Pyrénées, en Pays-de-Loire et en Provence-Alpes-Côte d'Azur.

La recherche d'une meilleure répartition sur le territoire de l'hébergement des demandeurs d'asile ne peut qu'être saluée dans un contexte de tensions grandissantes autour de la question de l'accueil des étrangers.

II. UN BUDGET D'ATTENTE DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE CONTRAINT AVANT UNE RÉFORME DU DISPOSITIF DE L'ASILE

Si les efforts budgétaires consentis pour améliorer la fluidité du dispositif d'hébergement en CADA par la réduction des délais de traitement des demandes d'asile sont réels, ils se font toutefois à enveloppe budgétaire quasi-constante, alors même que l'augmentation de la demande d'asile et les réformes à venir du dispositif national d'asile laissent augurer des dérapages lors de l'exécution du budget au cours de l'exercice 2014.

A. UN DÉRAPAGE PRÉVISIBLE EN EXÉCUTION

Pour consensuels que soient l'augmentation des moyens financiers et humains de l'OFPRA et la transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CADA, ces efforts se font au détriment de postes budgétaires dont la sous-dotation chronique a été dénoncée à maintes reprises par le passé.

1. Des efforts consentis au détriment de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et de l'allocation temporaire d'attente

Les crédits alloués à la garantie du droit d'asile au sein du programme 303 « Immigration et asile » n'augmentant que de 0,5 % par rapport à l'an passé ; la progression de 7,5 % du financement des CADA et de 5,9 % de la subvention à l'OFPRA est donc gagée sur les autres postes budgétaires de l'action.

a) La baisse du nombre de places d'hébergement d'urgence

Ainsi, la dotation pour l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) baissera de 7,7 % par rapport à la loi de finances pour 2013, pour s'établir à 115,4 millions d'euros, la capacité d'hébergement se réduisant à 19 410 places contre près de 22 000 en 2013, dispositifs national et déconcentré confondus.

L'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile repose en effet sur deux dispositifs distincts :

- un dispositif à gestion nationale de 2 160 places, géré par la société d'économie mixte Adoma, visant essentiellement à désengorger les régions les plus soumises à la pression des flux, en particulier la région d'Île-de-France, qui accueillent plus de 45 % des demandeurs d'asile. Les demandeurs hébergés dans ce dispositif bénéficient également d'un accompagnement administratif. 11,5 millions d'euros lui sont affectés en 2014, le coût d'une place étant estimé à 16,23 € par jour ;

- un dispositif déconcentré géré par les préfets pour financer l'hébergement d'urgence en hôtel ou en structures collectives et dont la capacité évolue en fonction de la demande d'asile et de la fluidité des occupations en CADA. Le coût d'une place est estimé à 16,50 € pour 17 250 places, soit une dotation en 2014 de 103,9 millions d'euros.

Le dispositif d'HUDA a une triple vocation :

- héberger les demandeurs d'asile en procédure prioritaire ou en procédure « Dublin II » qui ne peuvent être accueillis en CADA ;

- parer aux incertitudes quant à la demande d'hébergement ;

- tenir compte des délais nécessaires à l'adéquation entre l'offre de places disponibles et les besoins des demandeurs d'asile primo-arrivants.

Si la dotation du dispositif national reste stable par rapport à 2013, le dispositif déconcentré connaîtra une réduction de ses crédits d'une dizaine de millions d'euros. Or, les dépenses consacrées à l'HUDA constituent le poste le plus volatil du budget consacré à l'asile, ces dépenses ayant connu une hausse de plus de 90 % entre 2009 et 2012 .

Comparaison entre prévisions en loi de finances
et consommation des crédits consacrés à l'HUDA

Prévision en LFI
en millions d'euros

Exécution
en millions d'euros

Pourcentage
d'évolution

2006

40

103,7

+ 159,25 %

2007

40

57,1

+ 42,75 %

2008

35,3

53,1

+ 50,42 %

2009

30

72,4

+ 141,33 %

2010

30

112,1

+ 273,67 %

2011

40

134,3

+ 235,75 %

2012

90,9

135

+ 48,51 %

Source : Direction générale des étrangers en France (DGEF)

En dépit de l'effort de sincérité budgétaire unanimement salué l'année passée en la matière, il semblerait que les crédits consommés en 2013 au titre de l'hébergement d'urgence aient atteint 142,5 millions d'euros contre une prévision de 125 millions d'euros en loi de finances initiale.

b) La baisse des crédits consacrés à l'allocation temporaire d'attente

Quant aux crédits destinés au financement de l'allocation temporaire d'attente (ATA) , ils connaîtront une baisse de 3,6 % par rapport à la loi de finances pour 2013 : les 135 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances pour 2014 permettront le versement de cette allocation, revalorisée de 1,5 % pour atteindre le montant de 11,37 € par jour, à environ 31 760 bénéficiaires pour une durée moyenne de versement de 12 mois.

Là encore, le risque d'un dépassement des dotations est important eu égard à ce qui a pu être observé précédemment.

Comparaison entre prévisions en loi de finances
et consommation des crédits consacrés à l'ATA

Prévision en LFI
en millions d'euros

Exécution
en millions d'euros

Pourcentage
d'évolution

2006

129

79

- 38,76 %

2007

38

47,1

+ 23,95 %

2008

28

50,3

+ 79,64  %

2009

30

68,4

+ 128,00 %

2010

52,8

105

+ 98,86 %

2011

54

157,8

+ 192,22 %

2012

89,7

149,8

+ 67,00 %

Source : Direction générale des étrangers en France (DGEF)

Au surplus, la jurisprudence récente relative à l'éligibilité des demandeurs d'asile à l'ATA laisse présager une augmentation du nombre de bénéficiaires. En effet, après avoir annulé les dispositions excluant du bénéfice de l'ATA les demandeurs d'asile en procédure prioritaire et ceux ayant sollicité le réexamen de leur demande, par deux arrêts des 16 juin 2008 et 7 avril 2011, le Conseil d'État a tiré les conséquences de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 septembre 2012. Par un arrêt du 17 avril 2013, il a ainsi également annulé les dispositions de la même circulaire du 3 novembre 2009 qui excluaient du bénéfice de l'ATA les demandeurs d'asile en attente de transfert dans un autre État-membre au titre du mécanisme « Dublin II ». Des modifications législatives et réglementaires devront traduire dans les textes ces différents arrêts du Conseil d'État qui produisent d'ores et déjà des effets budgétaires.

Au mois de décembre 2012, une mission a été confiée à l'inspection générale de l'administration, à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale des affaires sociales par les ministres de l'intérieur, du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances en charge du budget, portant sur les dispositifs de prise en charge des demandeurs d'asile afin de conduire un audit de la gestion de l'allocation temporaire d'attente.

Cette mission a rendu son rapport en avril 2013 6 ( * ) . Elle a conclu que des économies budgétaires substantielles pouvaient être obtenues à court terme par la réformation de pratiques de gestion qui génèrent actuellement des indus. Elle a également formulée plusieurs recommandations pour assurer le financement durable de l'ATA :

- exclure du bénéfice de l'ATA les demandeurs d'asile qui refuseraient, si un dispositif national d'orientation géographique des demandeurs d'asile est mis en place, une place d'hébergement proposée dans ce cadre ;

- fixer un délai limite pour le dépôt d'une demande d'asile après l'entrée sur le territoire au-delà duquel le versement de l'ATA serait, sauf exception, refusé ;

- refuser, sauf exception, le bénéfice de l'ATA à partir du troisième examen d'une demande d'asile déposée par un même demandeur.

c) Le problème de phasage avec la création des places de CADA supplémentaires

Dans l'équation présentée par le Gouvernement, la baisse des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et à l'ATA est à placer en regard, d'une part, des gains de productivité attendus de l'augmentation des effectifs de l'OFPRA et, d'autre part, de l'accroissement de la capacité d'accueil en CADA. En outre, d'autres gisements de ressources sont espérés à la suite des conclusions du rapport de la mission des inspections générales en cours d'expertise par le Gouvernement.

Si les associations entendues par votre rapporteur soutiennent le transfert des crédits consacrés au dispositif subsidiaire de l'HUDA vers le dispositif principal des CADA, elles expriment néanmoins des inquiétudes concernant le phasage de ce transfert au cours de l'exercice 2014. La création des 1 000 dernières places supplémentaires budgétées n'est en effet prévue qu'au 1 er décembre 2014, alors même que la réduction du nombre de places d'HUDA sera effective dès le 1 er janvier de la même année. Il faut noter de surcroît qu'étant donné le manque de fluidité de l'hébergement en CADA, seul le dispositif de l'HUDA permet de faire face efficacement en cas de hausse brutale de la demande d'asile.

Par ailleurs, à défaut de places dans le dispositif d'hébergement d'urgence dédié aux demandeurs d'asile, ces derniers sont contraints de se reporter sur le dispositif d'hébergement d'urgence généraliste. Ainsi, le rapport des inspections générales précité fait état d'une enquête de la direction générale de la cohésion sociale conduite en 2009, selon laquelle 6 % des places du dispositif d'hébergement d'urgence généraliste seraient occupées par des demandeurs d'asile en cours de procédure, cette proportion ayant atteint 9 % dans le Rhône en période hivernale.

Conformément au principe d'inconditionnalité de l'accueil, le dispositif d'hébergement généraliste ne saurait refuser des demandeurs d'asile. Toutefois, cette situation est problématique à deux égards. En premier lieu, elle conduit à faire assumer par le programme 177 : « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Égalité des territoires, logement et ville », la prise en charge de personnes relevant de la responsabilité du ministre de l'intérieur. En second lieu, ainsi que cela a déjà été indiqué, les demandeurs d'asile hébergés dans le dispositif de droit commun ne peuvent bénéficier de l'accompagnement administratif et social nécessaire au bon traitement de leur demande d'asile.

2. Une nouvelle accélération de l'augmentation de la demande d'asile

La faible progression des crédits consacrés à l'asile est également à mettre en regard avec la croissance actuelle de la demande d'asile.

Les crédits mobilisés par l'action : « Garantie de l'exercice du droit d'asile » sont tributaires de l'évolution du nombre de demandeurs d'asile présents sur notre territoire. Ce nombre varie très fortement d'une année à l'autre. Ainsi, entre 2004 et 2008, la demande de protection internationale globale a suivi une évolution à la baisse, allant même jusqu'à diminuer de 33,6 % entre 2005 et 2006. Depuis 2008 toutefois, cette tendance s'est inversée, la demande de protection ayant augmenté de 19,9 % entre 2007 et 2008, puis de 11,9 % en 2009 par rapport à l'année antérieure, de 10 % en 2010, de 8,7 % en 2011 et de 7,2 % en 2012.

À l'issue du premier semestre 2013, l'évolution à la hausse de la demande d'asile s'accélère de nouveau. Une hausse de 10,8 % par rapport à 2012 est enregistrée depuis le début de l'année. Cette évolution à la hausse est principalement le résultat d'une augmentation des primo-demandeurs (+ 14,5 %) ainsi que des mineurs accompagnants (+ 8,1 %), par rapport au premier semestre 2012. Par ailleurs, seules les demandes en réexamen sont en baisse (- 6,3 %). Pourtant, le Gouvernement a indiqué au rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », avoir retenu une hypothèse d'évolution de la demande de 5 % dans le cadre de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2014 .

Évolution des demandes d'asile enregistrées par l'OFPRA

Premières demandes

Mineurs accompagnants

Demandes de réexamen

Total des demandes d'asile soumises à l'OFPRA

2004

50 547

7 998

7 069

65 614

2005

42 578

7 155

9 488

59 221

2006

26 269

4 479

8 584

39 332

2007

23 804

5 583

6 133

35 520

2008

27 063

8 341

7 195

42 599

2009

33 235

8 883

5 568

47 686

2010

36 931

11 143

4 688

52 762

2011

40 464

11 683

5 190

57 337

2012

41 254

6 213

14 001

61 468

1 er semestre 2013

22 601

3 036

6 720

32 357

Source : Direction générale des étrangers en France (DGEF)

De manière générale, on peut regretter le sous-dimensionnement du dispositif d'accueil français.

En effet, si l'évolution fluctuante de la demande d'asile est souvent mise en avant pour expliquer la sous-adaptation de notre dispositif d'accueil aux flux des demandes, il n'est pas inutile de rappeler que le volume de la demande d'asile formulée en France depuis 2008 n'est en rien exceptionnel et qu'il demeure en tout état de cause inférieur aux flux constatés en 2003 et 2004, années au cours desquelles le nombre de demandes s'est élevé successivement à 61 993 et 65 614.

La demande d'asile se révélant ainsi essentiellement cyclique , il serait grand temps de prendre en compte cet état de fait dans la réflexion sur l'évolution de notre dispositif d'accueil.

Par ailleurs, si la demande d'asile dépend très largement de données géopolitiques sur lesquelles la France n'a aucune prise, on a pu observer au cours de ces dernières années les conséquences de modifications apportées à la liste des pays d'origine sûrs (POS) sur l'évolution de la part de certaines nationalités dans la demande d'asile . Ainsi l'inscription sur cette liste du Bangladesh et de l'Arménie en décembre 2011 avait-elle entraîné une baisse respective de 71 % et de 42 % de ces flux en 2012 ; le retrait du Bangladesh de la liste par décision du Conseil d'État en date du 4 mars 2013 a depuis lors suscité une reprise de la demande d'asile issue de ce pays qui occupe aujourd'hui la cinquième place dans la liste des pays d'origine en termes de demandes d'asile à l'issue du premier semestre de l'année. Le même phénomène avait pu être constaté à la suite du retrait de l'Albanie et du Kosovo par décision du Conseil d'État du 26 mars 2012 qui avait entraîné une reprise de ces demandes dès le second semestre 2012.

Ces éléments donnent assurément à réfléchir dans le cadre d'une révision du dispositif de l'accueil des demandeurs d'asile.

3. Une question en suspens : les délais non comptabilisés

Enfin, certaines questions semblent éludées par le projet de loi de finances pour 2014 alors même qu'elles ont un impact réel sur la qualité et le coût de l'accueil des demandeurs d'asile.

a) En amont de la procédure de demande d'asile, la question du premier accueil

Les objectifs fixés par le projet annuel de performance mettent ainsi l'accent sur la réduction des délais de traitement de la demande d'asile. Cela conduit le Gouvernement à s'intéresser, en aval de la procédure d'asile, au sort des bénéficiaires d'une protection internationale et des déboutés, dans la mesure où leur maintien dans le dispositif d'hébergement en CADA contribue à l'embolie de celui-ci.

En revanche, la question du premier accueil des demandeurs d'asile , avant même leur entrée dans le dispositif d'accueil, est à peine abordée. Pourtant, l'ensemble des acteurs du secteur s'accorde à dénoncer la longueur des délais pour obtenir le premier rendez-vous en préfecture afin de se voir délivrer l'autorisation provisoire de séjour (APS) nécessaire au dépôt d'une demande d'asile auprès de l'OFPRA . Le délai théorique de délivrance de l'APS est fixé à 15 jours par l'article R. 472-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. Dans les faits, ce délai s'avère beaucoup plus long : selon une enquête réalisée en 2012 par la Coordination française pour le droit d'asile, citée par le rapport des inspections générales, le délai moyen d'obtention serait de l'ordre de 30 jours et pourrait atteindre plus de sept mois dans certains points d'accueil comme à Paris.

Ces délais excessifs emportent comme conséquence l'irrégularité du séjour des demandeurs d'asile susceptibles à tout moment de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Ils aboutissent également à empêcher les demandeurs d'asile d'accéder au dispositif d'accueil, entraînant le report de la charge financière afférente du programme 303 au programme 177 qui finance le dispositif d'hébergement d'urgence généraliste (cf. supra ).

Les associations en charge des plateformes d'accueil s'inquiètent, par ailleurs, de l'avenir du financement de ce premier accueil. Les plateformes d'accueil voient en effet une partie importante de leur financement provenir du Fonds européen pour les réfugiés (FER). Ce dernier ayant été créé pour la période 2008-2013, il prendra fin prochainement. Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit donc de rattacher à l'action « Garantie du droit d'asile » le reliquat des programmes 2011 et 2012, soit un peu plus de 7 millions d'euros. Un nouveau Fonds asile et migration (FAM) devrait prendre le relai du FER pour la période 2014-2020 ; cependant, aucun appel d'offres n'ayant eu lieu pour le moment, les associations craignent un défaut de financement pour l'exercice 2014.

b) Les « délais cachés » du traitement de la demande d'asile

À ce premier délai non comptabilisé s'ajoutent les « délais cachés », selon l'expression retenue par le rapport des inspections générales. Les délais moyens calculés par l'OFPRA et la CNDA ne prennent pas en compte certains délais interstitiels :

- le délai entre le dépôt de la demande d'asile par le demandeur et son enregistrement par l'OFPRA ;

- le délai de notification de la décision de l'OFPRA ;

- le délai entre la notification de la décision de l'OFPRA au demandeur et l'enregistrement de son recours à la CNDA, qui peut s'avérer d'autant plus élevé du fait du traitement d'une demande d'aide juridictionnelle ;

- le délai de notification de la CNDA.

Ainsi, plus de trois-quarts des dossiers connaîtraient une durée de traitement moyenne de 19,5 mois. Cette durée s'élèverait à plus de 2 ans et 7 mois en cas de demande de réexamen et de recours sur réexamen.

Les associations ont particulièrement appelé l'attention de votre rapporteur sur le délai d'instruction des demandes d'aide juridictionnelle, d'autant plus surprenant que celle-ci est accordée dans près de 80 % des cas. À cet égard, il faut espérer que la substitution d'une déclaration sur l'honneur à la production de documents établissant le niveau des ressources du requérant par le décret n° 2013-525 du 20 juin 2013 accélèrera effectivement les délais de traitement.

L'ensemble de ces éléments met en évidence, s'il en était besoin, la nécessité d'une réflexion globale sur la refonte du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile.

B. UN BUDGET DE TRANSITION AVANT UNE RÉFORME INDISPENSABLE DU DISPOSITIF D'ASILE

La discussion des crédits consacrés à la politique de l'asile dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 intervient alors que s'achève la concertation sur l'asile lancée le 15 juillet 2013 par le ministre de l'intérieur.

Sous l'égide de nos collègues Valérie Létard , sénatrice, et Jean-Louis Touraine, député, le comité de concertation sur la réforme de l'asile , composé des acteurs du secteur - représentants de l'État, élus et associations - a été chargé de formuler des propositions sur quatre thèmes :

- l'évolution des procédures d'asile,

- l'accueil, l'orientation et l'accompagnement des demandeurs d'asile,

- l'hébergement des demandeurs d'asile,

- l'insertion des bénéficiaires d'une protection internationale (accueil, emploi, logement, formation).

Les conclusions de cette concertation serviront de base au futur projet de loi de réforme de l'asile annoncé par le Gouvernement, qui transposera également le « paquet asile » adopté par le Parlement européen et le Conseil le 26 juin 2013.

1. L'adoption du « paquet asile » en juin 2013

Depuis le Conseil européen de Tampere en octobre 1999, l'Union européenne s'emploie à construire un régime commun de l'asile . L'harmonisation des cadres juridiques des États membres a conduit à l'adoption de trois directives tendant à définir des normes minimales en matière :

- de statut des réfugiés (directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 dite « qualification ») ;

- de procédures de traitement des demandes d'asile, en vue d'assurer un accès à la protection internationale dans des conditions équivalentes dans toute l'Union européenne (directive 2005/85/CE du Conseil du 1 er décembre 2005 dite « procédure ») ;

- de conditions d'accueil, afin de garantir des standards minimaux pour l'accueil des demandeurs d'asile, incluant le logement, l'éducation et la santé (directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 dite « accueil »).

a) Le « paquet asile »

Le Pacte européen, repris par le Programme de Stockholm, prévoyait d'instaurer, au plus tard en 2012, une procédure d'asile unique comportant des garanties communes et d'adopter des statuts uniformes pour les réfugiés comme pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire . Cela a conduit la Commission européenne à présenter en décembre 2008, une proposition de refonte de la directive « accueil », puis, en octobre 2009, deux propositions visant à la refonte des directives « procédure » et « qualification ».

• La directive « qualification »

Adopté le 13 décembre 2011, le texte de refonte de cette directive (2011/95/UE) devra être transposé d'ici la fin de l'année 2013. Le nouveau texte emporte un certain nombre d'avancées pour les demandeurs d'asile et les réfugiés, s'agissant en particulier de l' élargissement de la notion de famille au-delà de la famille nucléaire , ce qui permettra aux parents d'un mineur non marié de bénéficier de la protection qui lui a été accordée. Il prévoit également une meilleure prise en compte du besoin de protection lié au genre et à l'orientation sexuelle ouvrant droit, sur ce fondement, à une protection au titre de la convention de Genève. De plus, les droits accordés aux réfugiés et aux bénéficiaires d'une protection subsidiaire seront alignés en ce qui concerne l'accès à l'emploi et aux soins de santé. Par ailleurs, la période de validité du titre de séjour délivré au bénéficiaire d'une protection subsidiaire lors du renouvellement du titre, qui était fixée à un an par le texte en vigueur, sera allongée à deux années.

• La directive « accueil »

Adopté le 26 juin 2013, le texte issu de la refonte de cette directive (2013/33/EU) relève et harmonise les normes d'accueil des demandeurs de protection internationale , notamment pour les personnes vulnérables qui ont des besoins particuliers en matière d'accueil. Ce texte tend à approfondir les droits et garanties offerts aux demandeurs d'asile à quatre titres. Ainsi :

- le placement en rétention des demandeurs d'asile , effectué soit par l'autorité administrative soit par l'autorité judiciaire, sera conditionné à un contrôle juridictionnel accéléré ;

- les conditions matérielles d'accueil seront améliorées et établies en fonction des niveaux existants pour les ressortissants nationaux dans l'État membre concerné ;

- les besoins particuliers des personnes vulnérables seront évalués et pris en compte afin d'améliorer leur accueil ;

- l' assistance et la représentation juridique gratuites seront renforcées, les demandeurs de protection internationale disposant du droit d'accès à un recours effectif pour attaquer des décisions relatives à l'octroi, au retrait ou à la limitation des avantages et des décisions portant sur le séjour et la liberté de circulation.

• La directive « procédure »

Adoptée le 26 juin 2013, la refonte de la directive « procédure » (2013/32/UE) prévoit :

- l' encadrement des délais d'examen de la demande : une période initiale de six mois est établie, assortie d'une prolongation éventuelle de 9 mois pour les cas complexes ;

- des améliorations s'agissant de la qualité de la procédure et en particulier des conditions de l'entretien avec le demandeur : présence de l'avocat, enregistrement audio ou vidéo de l'entretien admissible comme élément de preuve en appel ; examinateur et interprète de même sexe que le demandeur si le motif de protection le justifie ;

- la prise en compte des besoins procéduraux des personnes vulnérables tels que les mineurs non accompagnés et les victimes de torture qui pourront être exclus des procédures « accélérées » ;

- pour les mineurs isolés, la possibilité d'appliquer la procédure d'asile « à la frontière » dans des conditions particulièrement encadrées ;

- un approfondissement des garanties en matière d'information du demandeur et une amélioration de l'assistance juridique en première et en seconde instance .

b) Les craintes exprimées sur les délais de traitement de la demande d'asile au regard des nouvelles obligations découlant des directives

La transposition à venir de ces directives, qui doit intervenir pour les deux dernières avant le 20 juillet 2015, va entraîner une révision en profondeur de notre dispositif d'accueil des demandeurs d'asile, en particulier la directive « procédure ».

L'impact de cette dernière sur les délais de traitement des demandes d'asile devrait être important , en particulier ses dispositions prévoyant l'assistance par un conseil de son choix lors de l'entretien personnel et l'enregistrement de cet entretien.

Le directeur général de l'OFPRA a ainsi indiqué à votre rapporteur qu'au regard des expériences étrangères, une diminution du nombre de dossiers traités dans un temps déterminé était à anticiper au moment même où le renfort en effectifs d'officiers de protection laissait espérer d'atteindre l'objectif cible du traitement de 412 à 420 dossiers par an d'ici 2015.

Le secrétaire général de la CNDA a, pour sa part, appelé l'attention de votre rapporteur sur les conséquences des choix qui seront effectués pour la transposition de certaines dispositions sur l'organisation de la juridiction . Ainsi, le choix d'un enregistrement audio plutôt que d'un compte-rendu écrit poserait la question de la valeur probante devant la Cour de cette nouvelle pièce et avec elle, celle d'une modification de la nature du contentieux des recours portés devant elle.

2. La nécessité d'une meilleure coopération européenne en matière d'asile

Si l'harmonisation des cadres juridiques en matière d'asile au niveau européen est souhaitable, elle ne suffira probablement pas à remédier aux difficultés nées d'un défaut de coopération entre les États-membres. La multiplication des naufrages de navires transportant notamment des demandeurs d'asile en mer Méditerranée, dont Lampedusa est devenu le tragique symbole, témoigne de l'impérative nécessité d'agir à l'échelle européenne et non nationale en ce domaine.

À cet égard, une mise en oeuvre effective par l'ensemble de nos partenaires européens du système « Dublin II » via l'alimentation de la base EURODAC qui recense les empreintes digitales des demandeurs d'asile aux fins d'identification, permettrait probablement de vider certaines querelles et favoriserait la coopération.

Par ailleurs, l'établissement d'une liste des pays d'origine sûrs commune à l'ensemble des États-membres permettrait de renforcer la crédibilité et l'efficacité de la notion même de pays d'origine sûrs sur laquelle se fonde le recours à la procédure prioritaire pour l'examen des demandes d'asile des ressortissants de certains pays. Cette proposition, formulée par nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa dans leur rapport d'information relatif au droit d'asile, reprenait l'article 29 de la directive « procédure » 7 ( * ) . Une telle mesure participerait assurément d'une meilleure acceptation du recours à la procédure prioritaire sur ce fondement.

* *

*

Au bénéfice de ces observations, votre commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'asile par le projet de loi de finances pour 2014.

ANNEXE - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

M. Luc Derepas, secrétaire général

M. Rémy-Charles Marion, chef du service de l'administration générale et des finances

Mme Pascale Legendre , adjointe au chef du service de l'asile

Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA)

M. Pascal Brice , directeur général

Cour nationale du droit d'asile (CNDA)

M. Pascal Girault , secrétaire général

Mme Anne Redondo, secrétaire général adjointe

France Terre d'Asile

M. Pierre Henry , directeur général

Forum Réfugiés

M. Jean-François Ploquin , directeur général

Coordination française pour le droit d'asile (CFDA)

M. Gérard Sadik , coordonnateur national Cimade

M. Christophe Lévy , secrétaire général groupe « accueil et solidarité »

Table ronde « accueil et hébergement des demandeurs d'asile »

ADOMA

M. Philippe Pourcel , directeur délégué

M Alexis Hadzopoulos chef de service - département hébergement

COALLIA

M. Djamel Cheridi , représentant de l'association COALLIA

CROIX-ROUGE FRANCAISE

Mme Juliette Laganier, déléguée nationale lutte contre l'exclusion/ déléguée nationale Enfance-Famille

FÉDÉRATION NATIONALE DES ASSOCIATIONS D'ACCUEIL ET DE RÉINSERTION SOCIALE (FNARS)

M. Florent Gueguen , directeur général

Mme Marion Lignac , chargée de mission

SAMU SOCIAL DE PARIS

M. Thomas Marie , directeur général adjoint


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 Source : rapport d'activité de l'Office français des réfugiés et des apatrides pour 2012.

* 3 Cf. proposition n° 4 du rapport d'information fait par MM. Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa au nom de la commission des lois sur la procédure de demande d'asile (n° 130, 2012-2013) http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-130-notice.html

* 4 Rapport sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile établi par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration, avril 2013, p. 17.

* 5 Cf. addendum à la circulaire NOR INTV1239047 du 9 novembre 2012, en date du 21 janvier 2013.

* 6 Rapport sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile établi par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration.

* 7 Cf. proposition n° 18 du rapport d'information fait par MM. Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa au nom de la commission des lois sur la procédure de demande d'asile (n° 130, 2012-2013) http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-130-notice.html

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