Proposition de loi Sortir la France du piège du narcotrafic

Direction de la Séance

N°271

29 janvier 2025

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 254 , 253 )


AMENDEMENT

C Favorable
G Favorable
Adopté

présenté par

Le Gouvernement


ARTICLE 16

Consulter le texte de l'article ^

Alinéas 13 à 27

Rédiger ainsi ces alinéas:

« 3° L’article 706-104 est ainsi rétabli :

« Art. 706-104. – I. – Lorsque la divulgation de certaines informations relatives à la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête nécessaires à la manifestation de la vérité, mentionnées aux sections 5 et 6 du présent chapitre est de nature soit à mettre en danger la sécurité d’agents infiltrés, de collaborateurs de justice, de témoins protégés au titre des articles 706-57 et 706-58 ou des proches de ces personnes, soit à porter une atteinte grave et irrémédiable à la possibilité de déployer à l’avenir les mêmes techniques, les  informations suivantes peuvent faire l’objet d’un procès-verbal distinct  :

« 1° La date, l’horaire ou le lieu de mise en œuvre ou de retrait des techniques spéciales d’enquête ;

« 2° Leurs caractéristiques de fonctionnement ou leurs méthodes d’exécution ;

« 3° Les modalités de leur installation ou de leur retrait et les informations permettant d'identifier une personne ayant concouru à ladite installation ou audit retrait du dispositif technique.

« Lorsque la date de mise en œuvre d’une technique spéciale d’enquête figure dans un procès-verbal distinct, son déploiement est réputé avoir débuté à la date de l’autorisation donnée en application du II du présent article.

« Les procès-verbaux dressés en application du présent article doivent comporter, à peine de nullité, toute indication permettant d’identifier les personnes visées par la technique concernée ainsi que d’apprécier le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité.

« Les informations recueillies à l’occasion de la mise en œuvre d’une technique dans les conditions prévues au présent I font l’objet d’un procès-verbal distinct, elles ne peuvent figurer au dossier de la procédure et ne constituent pas, en elles-mêmes, des preuves ayant un quelconque caractère incriminant. Elles font l’objet d’un procès-verbal distinct.

« II. – L’autorisation de recourir à un procès-verbal distinct est sollicitée, avant tout déploiement de la technique correspondante, par requête du procureur de la République ou du juge d’instruction auprès du juge des libertés et de la détention. La requête expose les raisons impérieuses qui s’opposent à ce que ces informations soient versées au dossier.

« Le juge des libertés et de la détention se prononce par une ordonnance versée au dossier pénal.

« Le juge des libertés et de la détention peut, à tout moment, décider qu’il ne soit plus fait recours à un procès-verbal distinct. Dans ce cas, le magistrat en charge de l’enquête ou de l’instruction peut décider que la mise en œuvre de la technique faisant l’objet d’un tel procès-verbal est interrompue sans délai, ou que l’ensemble de procès-verbaux sera versé au dossier de la procédure.

« Dès la fin de la mise en œuvre de la technique le procès-verbal distinct et l’ordonnance du juge des libertés et de la détention sont transmis à la chambre de l’instruction qui en assure le contrôle dans les conditions prévues à l’article 206. Sans préjudice du cas prévu au deuxième alinéa du même article 206, elle peut décider de verser au dossier les éléments indispensables à la manifestation de la vérité. Sa décision est transmise au procureur de la République ou au juge d’instruction et versée au dossier de la procédure ; à l’exception des éléments dont le versement au dossier a été décidé par la chambre de l’instruction, cette décision ne fait pas mention des éléments inscrits au procès-verbal distinct. 

« III. - Lorsqu’il entend procéder à un acte d’enquête ultérieur sur le fondement d’éléments recueillis dans les conditions mentionnées au I, l’officier de police judiciaire inscrit dans un procès-verbal celles des informations qui doivent être corroborées par cet acte d’enquête.

« Ce procès-verbal est versé au dossier pénal.

« IV. - La personne mise en examen ou le témoin assisté peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu des opérations réalisées, contester, devant le président de la chambre de l’instruction, le recours à la procédure prévue au présent article. S’il estime que les opérations n’ont pas été réalisées de façon régulière, le président de la chambre de l’instruction ordonne l’annulation des techniques spéciales d’enquêtes.

« Lorsqu’il estime que les conditions prévues au I n’étaient pas remplies ou que la connaissance de ces informations n'est plus susceptible de compromettre les finalités mentionnées au I, il peut également ordonner le versement de tout ou partie des informations figurant au procès-verbal distinct au dossier de procédure. 

« Le président de la chambre de l'instruction statue par décision motivée, qui n'est pas susceptible de recours, au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le procès-verbal mentionné au I.

« V. – Le procès-verbal distinct est accessible à tout moment, au cours de l’enquête ou de l’instruction, au procureur de la République ou au juge d’instruction, aux officiers de police judiciaire requis ou commis par celui-ci ainsi qu’au juge des libertés et de la détention ayant autorisé le recours à ce procédé.

« La divulgation des indications figurant dans le procès-verbal distinct est passible des peines prévues à l’article 413-13 du code pénal. 

« Art. 706-104-1. – Par dérogation aux dispositions de l’article 706-104, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut autoriser, à titre exceptionnel et par décision spécialement motivée, que les éléments recueillis dans les conditions prévues à l’article 706-104 soient versés au dossier de la procédure lorsque la connaissance de ces éléments est absolument nécessaire à la manifestation de la vérité en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction et que la divulgation des informations mentionnées au  I de l’article 706-104 présente un risque excessivement grave pour la vie ou l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes.

« La personne concernée peut, dans les dix jours à compter de la notification de la décision du juge des libertés et de la détention rendue en application du premier alinéa, contester, devant le président de la chambre de l’instruction, le recours à la procédure prévue au même I.

« S'il estime que les opérations n'ont pas été réalisées de façon régulière ou que les conditions prévues au même I n’étaient pas remplies, le président de la chambre de l’instruction ordonne leur annulation. Toutefois, s'il estime que la connaissance de ces informations n'est plus susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, des membres de sa famille ou de ses proches, il peut également ordonner le versement au dossier du procès-verbal et de la requête mentionnés respectivement au I et au II de l’article 706-104. Le président de la chambre de l’instruction statue par décision motivée, qui n'est pas susceptible de recours, au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le procès-verbal et la requête précités. »

Objet

L’intuition des auteurs de la proposition de loi est capitale, et doit être soutenue. Le dossier distinct de la procédure est un mécanisme qui existe déjà dans notre droit, dans le cadre des témoignages anonymes (l'article 706-58 du code de procédure pénale). Il est également prévu chez nos voisins belges.

Il présente l'avantage d’écarter du dossier de procédure :

les méthodes de pose et le fonctionnement de certaines techniques spéciales d’enquête(TSE), lorsque leur divulgation priverait ces procédés de tout leur intérêt opérationnel, à l’avenir

les données qui permettent d’identifier une personne qui en a facilité la mise en place, dès lors que cela fait courir un risque pour son intégrité physique ou sa vie. C’est le cas par exemple d’un tiers qui, sans être mis en cause ni témoin, donne un renseignement sur l’emplacement d’un véhicule ou d’un appartement conspiratif, et la fenêtre temporelle pendant laquelle la pose du dispositif sera possible. La déductibilité aisée de sa participation pourrait par exemple l’exposer à des représailles gravissimes.

Pour autant, le Conseil constitutionnel a encadré l’utilisation de ce dossier distinct en ce qui concerne les actes d’enquête en procédure pénale (décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014) en considérant qu’il n’est pas possible d’utiliser des éléments incriminants recueillis lors d’une technique pour laquelle les modalités de pose sont dans un dossier distinct et restent en dehors du dossier contradictoire.

C’est dans ce cadre contraint qu’il nous revient désormais de faire progresser les capacités des enquêteurs pour faire face au crime organisé.

Le présent amendement propose d’adapter sur certains points les dispositions issues de la Commission à cette contrainte constitutionnelle, pour trouver une voie de passage entre l’intention de la Commission d’enquête, le besoin des enquêteurs et le cadre fixé par le Conseil constitutionnel. Il développe un mécanisme gradué d’atteinte au principe du contradictoire, et la possibilité d’utiliser des éléments recueillis dans le cadre de cette technique, sous réserves de fortes garanties pour la personne mise en cause.

En résumé, la philosophie de cette proposition est la suivante :

prévoir la possibilité de mettre en œuvre des techniques spéciales d’enquête dont les modalités de pose ne sont pas versées au contradictoire. Ces techniques auront alors pour seule fonction d’orienter l’enquête en générant ultérieurement des actes d’enquêtes qui seront, eux, contradictoires et incriminant. Dans ce cas, les seuls éléments recueillis au moyen de techniques figurant au dossier distinct et justifiant ces actes d’enquête sont versés au dossier de procédure.

En cas d’intérêt exceptionnel pour la manifestation de la vérité et d’impossibilité de révéler la méthode d’obtention de la preuve sans mettre en jeu la vie ou l’intégrité physique d’une personne, une faculté est ouverte pour mettre dans le dossier contradictoire les éléments de fond recueillis, sans révéler la méthode.

 

En premier lieu, l’amendement modifie à la marge le champ des données susceptibles d’être occultées, pour y ajouter explicitement le fait que l’objectif est de protéger l’anonymat de ceux qui ont concourus à l’installation de la technique spéciale d’enquête.

En second lieu, il introduit le mécanisme permettant de fonder sur le résultat de la TSE des « actes rebonds » c’est-à-dire de nouvelles investigations dont les résultats permettront d’incriminer. C’est la conséquence du caractère non-incriminant des données issues de la TSE, comme exigé par le Conseil constitutionnel.

Cette méthode correspond à la pratique actuelle du renseignement anonyme : la Cour de cassation a, dans de multiples arrêts, validé la possibilité pour les enquêteurs d’utiliser des renseignements anonymes, mais en limite la portée probatoire : ces éléments ne peuvent pas fonder, en eux-mêmes, d’autres mesure qu’une ouverture ou une poursuite d’enquête préliminaire et doivent être corroborés par d’autres éléments ou confortés par des vérifications (Cass CRIM 31-05-2005 n° 04-50.033). Pour autant, les renseignements recueillis par l’enquêteur dont la source n’est pas mentionnée sont licites et peuvent figurer au dossier de la procédure, notamment lorsqu’ils sont issus de personne ayant gardé l’anonymat (Cass, CRIM 6 octobre 2015 N° 15-82.247 ).

Dans le présent cas, les éléments issus de la TSE et mentionnés dans le PV, sans être incriminants en eux même pourront servir à soutenir des demandes d’autres TSE.

En troisième lieu, lorsqu’un élément recueilli à l’occasion d’une technique spéciale d’enquête permet de recueillir des éléments :

- Absolument indispensables à la manifestation de la vérité,

et que la révélation des éléments liés à la pose de la TSE feraient encourir un risque excessivement grave pour l’intégrité ou la vie d’une personne,

alors dans ce cas, les informations de la TSE peuvent être versées au dossier et débattues lors de l’audience, à l’exclusion des éléments liés à la pose figurant dans le dossier distinct.

Sur ce troisième volet, un exemple concret serait celui d’un véhicule qui fait l’objet d’une technique spéciale d’enquête de sonorisation, dans le cadre d’un trafic de drogue. Si une personne a permis la mise en place de cette technique et que sa participation était révélée, elle risquerait de lourdes représailles. Mais si le véhicule sert ensuite à la commission d’un assassinat dans le cadre d’un règlement de compte, et que la seule preuve disponible est issue de la technique spéciale d’enquête dont les éléments de pose sont occultés, les éléments recueillis seront absolument indispensables à la manifestation de la vérité dans le dossier d’assassinat, mais la révélation des modalités de pose mettrait en danger une autre vie.

En quatrième lieu, il reprend les dispositions proposées par la Commission qui prévoient le contrôle du recours à cette procédure par la Chambre de l’instruction.