Proposition de loi Sortir la France du piège du narcotrafic

Direction de la Séance

N°244

27 janvier 2025

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 254 , 253 )


AMENDEMENT

C Défavorable
G  
Retiré

présenté par

Le Gouvernement


ARTICLE 16

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Rédiger ainsi cet article :

Avant l'article 706-105 du code de procédure pénale, sont ajoutés deux articles 706-104 et 706-104-1 ainsi rédigés :

« Art. 706-104. – I.  Lorsque dans une enquête ou une instruction relative à l'une des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-73-1, et lorsque la connaissance de ces informations est susceptible soit de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, des membres de sa famille ou de ses proches, soit de dévoiler des techniques ou méthodes opérationnelles de nature à porter une atteinte grave et irrémédiable à la possibilité de les utiliser à l’avenir, le juge des libertés et de la détention, saisi à tout moment par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que n'apparaissent pas dans le dossier de la procédure :

« 1° Les informations relatives à la date, l’heure et le lieu de la mise en place des dispositifs techniques d’enquête mentionnées à la section 6 du présent chapitre ;

« 2° Les informations relatives aux méthodes de mise en œuvre, d’installation et de retrait de ceux-ci ;

« 3° Les informations permettant d'identifier une personne ayant concouru à l'installation ou au retrait du dispositif technique mentionné à ce même chapitre.

« La requête mentionnée au premier alinéa expose les raisons impérieuses qui s’opposent à ce que ces informations soient versées au débat contradictoire. La décision du juge des libertés et de la détention est jointe au dossier de la procédure. Les informations mentionnées aux 1° à 3° du premier alinéa sont inscrites dans un autre procès-verbal, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête prévue au premier alinéa. Ces informations sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal judiciaire.

« II. - Les éléments recueillis à l’occasion d’une technique mise en œuvre dans les conditions prévues au I ne peuvent figurer au dossier de la procédure et ne constituent pas, en eux-mêmes, des preuves ayant un quelconque caractère incriminant. 

« Lorsqu’il entend procéder à un acte d’enquête ultérieur sur le fondement d’éléments recueillis dans les conditions précisées au I, l’officier de police judiciaire qui met en œuvre la technique dresse un procès-verbal de renseignement mentionnant les informations devant être corroborées par cet acte d’enquête.

« Art. 706-104-1. – Par dérogation aux dispositions de l’article 706-104, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut autoriser, à titre exceptionnel et par décision spécialement motivée, que les éléments recueillis dans les conditions prévues à l’article 706-104 soient versés au dossier de la procédure lorsque la connaissance de ces éléments est absolument nécessaire à la manifestation de la vérité en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction et que la divulgation des informations mentionnées aux 1°, 2° et 3° du premier alinéa de l’article 706-104 présente un risque excessivement grave pour la vie ou l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes.

« La personne concernée peut, dans les dix jours à compter de la notification de la décision du juge des libertés et de la détention rendue en application du premier alinéa, contester, devant le président de la chambre de l’instruction, le recours à la procédure prévue à ce même article. S'il estime que les opérations n'ont pas été réalisées de façon régulière ou que les conditions prévues au premier alinéa ne sont pas remplies, le président de la chambre de l’instruction ordonne leur annulation. Toutefois, s'il estime que la connaissance de ces informations n'est pas ou n'est plus susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique d'une personne, des membres de sa famille ou de ses proches, il peut également ordonner le versement au dossier de la requête et du procès-verbal mentionnés au dernier alinéa du même article. Le président de la chambre de l’instruction statue par décision motivée, qui n'est pas susceptible de recours, au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le dossier mentionné au même alinéa. »

Objet

L’intuition des auteurs de la proposition de loi est capitale, et doit être soutenue. Le dossier distinct de la procédure est un mécanisme qui existe déjà dans notre droit, dans le cadre des témoignages anonymes (l'article 706-58 du code de procédure pénale). Il est également prévu chez nos voisins belges Il présente l'avantage de préserver du contradictoire, et donc du risque d'une divulgation qui priverait ces procédés de tout leur intérêt opérationnel, certains éléments limitativement énumérés relatifs à la pose et au retrait de certains outils

Pour autant, le Conseil constitutionnel  en encadré l’utilisation de ce dossier distinct en ce qui concerne les actes d’enquête en procédure pénale (décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014) en considérant qu’il n’est pas, en l’état, possible d’utiliser des éléments incriminants recueillis lors d’une technique pour laquelle les modalités de pose sont dans un dossier distinct et restent en dehors du dossier contradictoire.

C’est dans ce cadre contraint qu’il nous revient désormais de faire progresser les capacités des enquêteurs pour faire face au crime organisé, cadre contraint que la proposition de loi, dans sa version actuelle, ne prend assez en compte, notamment en ne précisant pas suffisamment le sort des éléments recueillis aux moyens de techniques figurant dans le dossier distinct. Cette ambigüité pourrait conduire le Conseil à considérer que des éléments de fond peuvent servir de preuve dans le procès pénal, sans garanties supplémentaires. Il existe donc un risque de censure.

Le présent amendement propose donc une voie de passage entre l’intention des sénateurs, le besoin des forces opérationnelles et le cadre fixé par le Conseil constitutionnel. Il développe un mécanisme gradué d’atteinte au principe du contradictoire, et la possibilité d’utiliser des éléments recueillis dans le cadre de cette technique, sous réserves de fortes garanties pour la personne mise en cause.

En résumé, la philosophie de cette mesure est la suivante : prévoir la possibilité de mettre en œuvre des techniques spéciales d’enquête dont les modalités de pose ne sont pas versées au contradictoire. Ces techniques auront alors pour seule fonction d’orienter l’enquête en générant ultérieurement des actes d’enquêtes qui seront, eux, contradictoires et incriminant. Dans ce cas, les éléments recueillis au moyen de techniques figurant au dossier distinct et justifiant ces actes d’enquête sont versés au dossier de procédure.

En cas d’intérêt exceptionnel pour la manifestation de la vérité et d’impossibilité de révéler la méthode d’obtention de la preuve sans mettre en danger une ou plusieurs vies, une faculté est ouverte pour mettre dans le contradictoire les éléments de fond recueillis, sans révéler la méthode.

Dans un premier temps, l’amendement prévoit la possibilité, sous le contrôle d’un juge, de placer dans un dossier distinct de la procédure trois catégories d’informations : 

1)     celles relatives à la date, l’heure et le lieu de la mise en place des dispositifs techniques ;

2)     celles relatives aux méthodes de mise en œuvre, d’installation et de retrait de ceux-ci ;

3)     et celles permettant d'identifier une personne ayant concouru à l'installation ou au retrait du dispositif technique

Ce dossier distinct ne peut être constitué que lorsque la révélation de ces éléments fait naitre un risque pour la sécurité des personnes ou pour la possibilité d’utiliser, à l’avenir, les mêmes méthodes de pose.  C’est le cas par exemple d’un tiers qui, sans être mis en cause ni témoin, donne un renseignement sur l’emplacement d’un véhicule ou d’un appartement conspiratif, et la fenêtre temporelle pendant laquelle la pose du dispositif sera possible.

La contrepartie est que les éléments de fond recueillis dans ce cadre sont exclus également du dossier et ne peuvent pas servir de preuve, sur le modèle de ce que la proposition de loi prévoyait de façon insuffisamment précise.

Dans un second temps, l’amendement prévoit que de tels éléments de fond peuvent être relatés dans un procès-verbal appelé « de renseignement ». Cette méthode correspond à la pratique actuelle du renseignement anonyme : la Cour de cassation a, dans de multiples arrêts, validé la possibilité pour les enquêteurs d’utiliser des renseignements anonymes, mais en limite la portée probatoire : ces éléments ne peuvent pas fonder, en eux-mêmes, d’autres mesure qu’une ouverture ou une poursuite d’enquête préliminaire et doivent être corroborés par d’autres éléments ou confortés par des vérifications (Cass CRIM 31-05-2005 n° 04-50.033). Pour autant, les renseignements recueillis par l’enquêteur dont la source n’est pas mentionnée sont licites et peuvent figurer au dossier de la procédure, notamment lorsqu’ils sont issus de personne ayant gardé l’anonymat (Cass, CRIM 6 octobre 2015 N° 15-82.247 ).

Par analogie, l’amendement présenté permet à l’enquêteur d’extraire de la technique spéciale d’enquête un PV de renseignement qui n’a pas, en lui-même, de valeur probante, mais expliquera les actes subséquents qui seront organisés pour corroborer l’information.

Dans un troisième temps, lorsque les éléments figurant dans le dossier distinct sont absolument nécessaires à la manifestation de la vérité mais leur révélation compromet la sécurité d’une personne, la mesure proposée permet d’utiliser, dans le dossier de la procédure et en tant que preuves incriminantes, des éléments recueillis à l’occasion d’une technique spéciale d’enquête ayant fait l’objet d’un dossier distinct : les éléments doivent être « absolument nécessaire à la manifestation de la vérité » et la révélation des méthodes de mise en œuvre de la technique doit présenter « un risque excessivement grave pour la vie ou l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes ».

Sur ce troisième volet, l’exemple concret du terrain est celui d’un véhicule qui fait l’objet d’une technique spéciale d’enquête de sonorisation, dans le cadre d’un trafic de drogue. Si une personne a permis la mise en place de cette technique et que sa participation était révélée, elle risquerait de lourdes représailles. Mais si le véhicule sert ensuite à la commission d’un assassinat dans le cadre d’un règlement de compte, et que la seule preuve disponible est issue de la technique spéciale d’enquête « cachée », les élément recueillis seront absolument indispensables à la manifestation de la vérité dans le dossier d’assassinat, mais la révélation des modalités de pose mettrait en danger une autre vie.

Dans un tel cas, l’amendement présenté permet d’utiliser, dans le dossier contradictoire, les éléments recueillis, sans révéler la méthode de pose de la technique spéciale d’enquête.