Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
2. Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
3. Questions d’actualité au Gouvernement
Mme Pascale Gruny ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports ; Mme Pascale Gruny.
menaces de l’iran contre la france
Mme Nathalie Goulet ; Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe ; Mme Nathalie Goulet.
réforme des retraites dans la fonction publique
M. Pascal Savoldelli ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ; M. Pascal Savoldelli.
établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
M. Michel Dagbert ; M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
M. Patrick Kanner ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Patrick Kanner.
situation financière des services départementaux d’incendie et de secours
M. Jean-Yves Roux ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer.
fin de l’enseignement de la technologie au lycée
Mme Monique de Marco ; M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Vanina Paoli-Gagin ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Vanina Paoli-Gagin.
publication des chiffres de l’immigration
Mme Béatrice Gosselin ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer ; Mme Béatrice Gosselin.
pollution par des billes de plastique du littoral atlantique
Mme Angèle Préville ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Angèle Préville.
publication des chiffres de la délinquance
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
rachat d’orpea et avenir de la dépendance
M. Jean-Michel Arnaud ; M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées ; M. Jean-Michel Arnaud.
aides aux collectivités locales face à la hausse des coûts de l’énergie
M. André Reichardt ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
rapport de la fondation abbé pierre
M. Denis Bouad ; M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement ; M. Denis Bouad.
interdiction des courses landaises et camarguaises
M. Laurent Burgoa ; Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture ; M. Laurent Burgoa.
volet transport des contrats de plan entre l’état et les régions
M. Laurent Lafon ; M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Suspension et reprise de la séance
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Candidatures à deux missions d’information
6. Candidatures à deux commissions spéciales
7. Candidature à une mission d’information
8. Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée
Adoption, par scrutin public n° 117, de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
9. Droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse. – Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle
Discussion générale :
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Clôture de la discussion générale.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio
Suspension et reprise de la séance
10. Communication d’avis sur des projets de nominations
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
11. Mise au point au sujet d’un vote
12. Retraite de base des non-salariés agricoles. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 3 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 de M. Gérard Lahellec. – Retrait.
Article 2 (suppression maintenue)
Adoption définitive de la proposition dans le texte de la commission.
13. Ordre du jour
Nomination de membres de deux missions d’information
Nomination de membres de deux commissions spéciales
Nomination d’un membre d’une mission d’information
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine
(M. Gérard Larcher, président du Sénat, et M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine, font leur entrée dans la salle des séances. – Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président de la Rada, mes chers collègues, monsieur l’ambassadeur d’Ukraine en France, la guerre ! Il y a un an, presque jour pour jour, ce mot terrible, que l’on croyait banni du continent européen, a résonné de nouveau en Europe.
Il ne s’agit pas d’une guerre allégorique, de celles que l’on déclare de façon galvaudée dans une situation d’adversité. Il s’agit bien d’une guerre réelle, d’une guerre d’agression, dans toute sa brutalité.
À vrai dire, la guerre n’était pas chose nouvelle en ce 24 février 2022. Votre peuple, monsieur le président de la Rada, connaît la guerre depuis 2014, depuis l’agression de la Russie et l’occupation d’une partie de l’Ukraine, il y a neuf années déjà, même si ces derniers mois furent d’une intensité rarement égalée.
Ce qui a changé, à partir du 24 février 2022, ce fut la mobilisation, inédite, des soutiens de l’Ukraine dans le monde, au sein de l’Union européenne et en France, depuis le sommet de l’État jusqu’aux simples citoyens, sans oublier nos collectivités territoriales.
En effet, il faut le reconnaître avec lucidité : en 2014 et dans les années qui suivirent, à l’exception des Ukrainiens, agressés, et de quelques pays européens, nous n’avions pas pris, collectivement, la véritable mesure de ce qui se produisait sur le sol de l’Ukraine et du danger représenté par l’impérialisme russe.
Ce passé, fait d’irrésolutions, est désormais derrière nous. Votre cause est devenue la nôtre, parce que nous savons que l’Union européenne ne sera pas en paix si la Russie est victorieuse en Ukraine.
Nous n’avons qu’un objectif, et un seul : que demain l’Ukraine soit libérée !
La fermeté de l’engagement des pays qui vous soutiennent, dont la France, fait ses preuves. La décision de notre pays de livrer des chars AMX 10 RC, comme des canons Caesar, puis la décision par d’autres États de livrer des chars lourds ont constitué un tournant supplémentaire dans la détermination collective à vous soutenir.
Cet engagement est appelé à perdurer et à ne pas faiblir. Nous formons le vœu que la France, dans le cadre d’une aide militaire cohérente et concertée avec ses partenaires, continue d’apporter une contribution substantielle à votre système de défense, pour mieux protéger les populations civiles et vos installations stratégiques, et pour vous aider à résister et à reconquérir le territoire de l’Ukraine internationalement reconnu.
« Risque d’escalade », entend-on ? Cette interrogation est légitime. Mais quelle est l’autre solution laissée par la Russie ? Ce n’est pas l’Ukraine qui nous contraint à livrer toujours plus de matériel, c’est la poursuite de l’agression et des exactions russes qui nous l’imposent !
La France et l’Union européenne, à la différence de l’Ukraine, ne sont pas en guerre contre la Russie, mais les autorités russes ont bel et bien désigné comme leur adversaire « l’Occident », pour reprendre leur propre terme.
Dans ces circonstances, l’Ukraine doit être en capacité non seulement de résister, mais aussi de prendre l’avantage stratégique. Nous devons l’y aider.
Monsieur le président, il y a six mois, en juillet 2022, vous m’aviez accueilli, ainsi qu’une délégation de sénateurs, dans l’enceinte de la Rada et vous m’aviez donné l’occasion de prononcer un discours en séance plénière, devant tous les parlementaires.
Mes chers collègues, peut-on se figurer un parlement réuni régulièrement sous la menace permanente des alertes à l’approche de missiles destructeurs ? Tel est le quotidien de nos collègues parlementaires de la Rada.
En résistant, les Ukrainiens démontrent que l’héroïsme n’est pas la vertu des causes désespérées.
Je souhaite, mes chers collègues, que nous nous levions pour rendre hommage au courage de nos collègues parlementaires de la Rada, ainsi qu’à celui de tous les Ukrainiens, et que nous les applaudissions. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent avec force.)
Le 7 février prochain, le Sénat débattra d’un projet de résolution en soutien à votre pays qui dépasse les clivages politiques et qui, je l’espère, recueillera les plus larges suffrages.
Le projet de résolution ne se contente pas de répéter les résolutions précédentes : il fait sien le plan de paix présenté par le président Zelensky lors du sommet du G20, le 15 novembre 2022 : la souveraineté de l’Ukraine sur l’ensemble de son territoire n’est pas négociable. La Crimée ou le Donbass n’ont qu’une vocation : être ukrainiens.
Surtout, le projet de résolution du Sénat insiste sur l’impératif de justice, afin que les criminels qui, au nom de la Russie, commettent des exactions et des crimes de guerre, persécutent et exécutent des civils sachent qu’ils ne bénéficieront d’aucune impunité, parce que l’impunité ouvre la voie aux plus grands crimes et à la manipulation de l’histoire. En témoigne la négation persistante par les autorités russes de ce qu’il conviendrait de reconnaître comme le génocide de l’Holodomor, en 1932 et 1933.
Monsieur le président de la Rada de l’Ukraine, mes chers collègues, le moment que nous partageons aujourd’hui est exceptionnel, sinon inédit. Si le président Zelensky s’est exprimé le 23 mars 2022 en visioconférence devant le parlement français, jamais l’hémicycle du Sénat n’a accueilli le président du parlement d’un pays en guerre.
Cela fait même plus de vingt ans – la dernière fois, c’était en 2003 – qu’aucun président d’une assemblée d’un pays étranger ne s’est exprimé à cette tribune, qui sera vôtre dans quelques instants, monsieur le président de la Rada.
Seuls le président du Bundesrat allemand et la présidente du Parlement européen ont eu, par le passé, cette occasion. C’est dire la dimension européenne qui est conférée à cette tribune. C’est dire le degré d’amitié et de confiance que le Sénat témoigne à la Rada et à son président.
Oui, vraiment, vive l’Ukraine, vive la République et vive la France ! (Très vifs applaudissements.)
La parole est à M. le président de la Rada de l’Ukraine.
M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada de l’Ukraine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, c’est pour moi un honneur insigne que de me trouver au Sénat de la République française, pour vous adresser les paroles de l’Ukraine en proie aux flammes.
Depuis cette haute tribune du Sénat parleront aujourd’hui des millions d’Ukrainiens qui vivent l’agression la plus insensée et la plus terrible depuis la Seconde Guerre mondiale. Je veux que vous entendiez leurs voix épuisées, malheureuses, mais invaincues.
Parmi elles, vous entendrez les voix de Boutcha et Borodianka, premières localités à recevoir l’ennemi à vingt kilomètres de Kyïv, et à l’arrêter.
Je veux aussi que vous entendiez les voix de Marioupol et d’Azovstal invaincues, d’Odessa, si proche des Français, et de Bakhmout et de Soledar, où nos militaires tiennent jusqu’au bout de leur vie, parce qu’ils protègent leur terre.
Parmi ces voix, vous entendrez aussi celles qui appelaient à l’aide dans l’immeuble détruit par un missile russe à Dnipro, où, le 14 janvier dernier, ont péri 46 Ukrainiens, tandis qu’une centaine d’autres étaient blessés.
Je vous remercie encore une fois, cher Gérard Larcher, ainsi que les membres de la délégation que vous présidiez et qui s’est rendue en Ukraine en juillet 2022 ; vous en êtes revenus transformés, comme vous l’aviez dit à l’époque. C’était un acte de courage, la marque des vrais amis. Votre discours inspiré au parlement ukrainien a été entendu par toute l’Ukraine et discuté longtemps et passionnément par les parlementaires, les militaires au front et tous ceux qui les soutiennent à l’arrière.
Nous avons entendu dans ce discours l’esprit invaincu de la France, celui des Parisiens libres qui, il y a deux cent trente ans, sont partis à l’assaut de la Bastille. Aujourd’hui, c’est notre tour, Ukrainiens, de prendre notre Bastille. Nous sommes en train de créer la grande nation ukrainienne qui a entamé un combat épuisant pour sa liberté, pour son développement et pour son avenir.
Je suis heureux de constater que, dans cette confrontation civilisationnelle, le peuple français est à nos côtés. À vous, ses représentants, je voudrais exprimer toute ma reconnaissance. (M. le président de la Rada de l’Ukraine applaudit l’assemblée. – Mmes et MM. les Sénateurs l’applaudissent en retour.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes-vous demandé pourquoi on nous tue ? On nous tue uniquement parce que, tout comme vous, nous aimons notre terre ; parce que, tout comme vous, nous respectons notre histoire millénaire ; parce que, tout comme vous, nous chérissons notre langue.
Vous êtes-vous demandé comment on nous tue ? On nous tue, cyniquement, avec toutes les armes disponibles : les missiles balistiques, les drones kamikazes ; on nous tue par le froid et l’obscurité, en détruisant les infrastructures énergétiques critiques.
Vous êtes-vous demandé qui nous tue ? Celui qui, sous couvert d’une « opération militaire spéciale », a lancé cette invasion à grande échelle, celui qui rêve de restaurer l’empire russe ou l’Union soviétique, celui qui fait fi du droit international et des normes de coexistence pacifique. C’est sur son ordre que nous sommes tués par ceux qui, hier encore, nous juraient être nos frères.
« L’opération militaire spéciale » en Ukraine, telle que la qualifie l’agresseur, n’est que la couverture cynique d’une invasion de l’Occident que seule notre victoire pourra arrêter.
Chers amis, notre voie est non pas de déposer les armes, mais de riposter et de défendre notre terre. L’Ukraine est devenue le bouclier qui protège l’Europe et l’ensemble du monde civilisé.
L’ennemi cruel sème la mort et la destruction. Il produit des fake news qui font reposer la responsabilité de ses crimes, collectivement, sur l’Occident. Ne cédons pas à la désinformation de Moscou, qui a des racines historiques profondes : nous avons tous en mémoire les faux villages de Potemkine qui induisirent en erreur l’impératrice Catherine II. Deux cents ans plus tard, le même procédé a été utilisé pour persuader le monde entier que les tragédies d’Irpin et de Boutcha n’avaient pas eu lieu, que c’était du théâtre et que les images filmées sur place ne montraient que des acteurs.
J’ai aussi en mémoire un exemple éloquent datant des années 1930, au moment où Staline tuait les Ukrainiens par la famine. Un document d’archives de l’époque montre l’arrivée en Ukraine du président Édouard Herriot. Or celui-ci n’a rien vu de la famine, car on ne lui a fait visiter que des villages et des kolkhozes prospères…
Nous ne pourrons vaincre qu’ensemble, car l’envahisseur ne s’arrêtera pas à l’Ukraine dans son entreprise d’expansion du monde russe. Peu importe comment il le fera, par les armes ou par l’idéologie. La bête se présente aujourd’hui comme un agneau, mais elle aspire toujours à tuer et à s’emparer de nouveaux territoires.
Chers amis, un grand penseur français, René Descartes, a dit en son temps que, si l’on nommait les choses clairement et distinctement, la moitié des erreurs de l’humanité serait évitée. Je vous demande donc d’appeler les choses par leur nom en désignant la Fédération de Russie comme un État terroriste. Je demande au Sénat de soutenir cette décision, déjà adoptée par le Parlement européen, par les assemblées parlementaires du Conseil de l’Europe et de l’Otan, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, ainsi que par les parlements et gouvernements de plusieurs pays.
Je salue également la solidarité dont vous faites preuve en réclamant la création d’un tribunal spécial pour traduire devant la justice les auteurs de crimes de guerre. Seule l’absence d’impunité, principe suprême de la justice, rendra impossible la reproduction de ces crimes à l’avenir. Tant que la Russie continuera son agression et ne se retirera pas du territoire ukrainien, elle n’aura sa place ni parmi les pays du G7 et du G20 ni aux jeux Olympiques de 2024 à Paris.
Prenant conscience de l’ampleur de l’agression, la France a soutenu la résolution de l’ONU sur le mécanisme de compensation des dommages causés à l’Ukraine. Je vous remercie aussi, une nouvelle fois, de votre leadership dans l’octroi d’armes à l’Ukraine, qui nous aidera à nous défendre et, par conséquent, à vaincre.
De nombreux pays ont suivi votre exemple et nous aident. Nous obtiendrons bientôt les chars si nécessaires à l’Ukraine. Nous espérons que la France sera le premier pays à nous livrer des avions modernes.
Vos Caesar, vos Crotale, vos systèmes de lance-roquettes unitaires, dits LRU, vos chars légers AMX 10 RC ont déjà fait leurs preuves sur le champ de bataille, en nous aidant à contenir efficacement l’ennemi. Mais notre priorité reste d’obtenir des avions, des blindés lourds et des moyens de défense anti-aérienne et anti-missiles, pour avoir la supériorité au sol et fermer le ciel au-dessus de l’Ukraine.
Nous sommes un peuple pacifique et, même face à cette agression militaire, nous pensons toujours à la paix – une paix stable, car nous n’avons pas besoin de ce qui ne nous appartient pas : nous ne faisons que défendre ce qui est à nous. C’est pourquoi le président Zelensky a proposé un plan de paix en dix points pour mettre fin à la guerre.
Chers amis, aidez-nous à créer une nouvelle architecture puissante de sécurité européenne et mondiale, qui ne se fasse pas au prix de reculades et de compromis dont nos enfants et nos petits-enfants auraient honte.
Nous avons besoin de garanties de sécurité solides, comme l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’Otan. Depuis cette tribune, j’appelle ces organisations à nous accueillir sans hésitation parmi leurs membres, à nous recevoir comme une famille reçoit un guerrier de retour après une lutte terrible, un guerrier qui a protégé sa famille, sa terre et notre avenir européen commun.
Nous sommes profondément reconnaissants à la France de nous avoir octroyé le statut de candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Car, en mars 2022, au sommet de Versailles, c’est bien la France qui a fait évoluer les choses, deux semaines après le dépôt de la candidature ukrainienne. Les dirigeants de l’Union européenne ont alors décidé que l’Ukraine en deviendrait membre, quelle que soit l’évolution des événements.
Comme l’a écrit en substance Honoré de Balzac, qui, comme vous le savez, avait trouvé l’amour en Ukraine (Sourires.), pour atteindre un objectif, il faut d’abord se diriger vers lui. En tant que président du parlement ukrainien, je puis vous assurer que nous y travaillons, en mettant en œuvre les réformes et les lois nécessaires. Nous sommes parfaitement conscients que l’entrée dans l’Union européenne n’est pas un processus simple.
Ainsi, le président, le parlement et le gouvernement ukrainiens appliquent une politique de tolérance zéro à l’égard de la corruption. Nous avons assisté, durant ces dernières années, à des démissions et des arrestations de fonctionnaires peu scrupuleux. Le front anti-corruption poursuit son travail, et les perquisitions continuent. Ceux, fonctionnaires et anciens fonctionnaires, qui n’ont toujours pas compris que l’Ukraine était un pays européen et démocratique doivent en répondre devant la justice. C’est la première campagne anti-corruption massive depuis trente ans.
Nous souhaitons satisfaire le plus rapidement possible aux sept exigences formulées par la Commission européenne pour entamer les négociations d’adhésion pleine et entière à l’Union européenne. Je suis convaincu que nos efforts communs aboutiront : l’Ukraine peut et doit avoir le statut de membre.
Nous comptons également sur le soutien amical de la France pour accélérer l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, alors que le prochain sommet de l’Alliance atlantique aura lieu les 11 et 12 juillet 2023. L’Ukraine ne peut pas rester en dehors de la communauté euro-atlantique.
Chers amis, il n’y a pas de mots assez forts pour vous exprimer notre reconnaissance d’avoir accueilli en France plus de 100 000 de nos concitoyens, qui sont aussi de futurs citoyens de l’Union européenne.
Je vous remercie de la sollicitude dont vous avez fait preuve pour nos enfants, qui ont été accueillis dans vos écoles, ainsi que pour leurs mères : vous les avez traités comme s’ils appartenaient à votre peuple. L’histoire a donné à nos deux nations et à nos deux cultures plus d’une occasion de rapprochement ; en voilà une nouvelle.
Je tiens à évoquer l’événement historique qu’est l’Holodomor. À la suite des agissements criminels du gouvernement de Staline, des millions d’Ukrainiens ont péri lors de cette famine.
La reconnaissance par la France de cet épisode en tant que génocide du peuple ukrainien sera un signal fort et important. Les événements de 1932 et 1933 confirment que, comme le régime stalinien à l’époque, le pouvoir poutinien n’aspire aujourd’hui qu’à détruire l’identité ukrainienne.
Je vous appelle donc à voter le projet de résolution déposé en ce sens par les sénatrices Joëlle Garriaud-Maylam, présidente de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, et Nadia Sollogoub, présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine au Sénat.
Monsieur le président, l’été dernier, depuis la tribune du parlement ukrainien, vous aviez déclaré que l’âme et l’idéal humain de l’Europe étaient incarnés, aujourd’hui, par le peuple ukrainien. « Pour notre liberté, nous donnerons nos âmes et nos corps, / Et prouverons, frères, que nous sommes de la lignée des Cosaques », dit notre hymne national. La liberté est notre idéal ; vivre dans la grande famille européenne aussi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sans aucun doute, nous atteindrons notre objectif ; sans aucun doute, nous vaincrons, car la vérité est de notre côté ; sans aucun doute, nous reconstruirons une Ukraine libre et indépendante. Ne manquons pas cette chance historique.
Gloire à l’Ukraine, et vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
M. Gérard Larcher, président du Sénat. Je vous remercie, monsieur le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat, ainsi que sur notre site internet.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles de notre assemblée : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
grèves et service minimum
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.
Madame la Première ministre, depuis une semaine, la mobilisation sociale contre la réforme des retraites paralyse notre pays, ce qui provoque une nouvelle fois l’exaspération de nos compatriotes dépendant des transports publics.
Comme d’habitude, ce sont les Français les plus fragiles qui sont pénalisés, ceux qui ne peuvent pas se permettre de prendre des jours de congé ou de télétravailler et qui n’ont d’autre solution de transport que le train, le bus ou le métro.
Il n’est pas acceptable qu’une minorité de Français prenne ainsi en otage les salariés qui veulent travailler (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.), mais aussi nos artisans et commerçants déjà lourdement affectés par les crises sanitaire et énergétique. Si le droit de grève est garanti par la Constitution, il n’est pas pour autant un droit de blocage de tout un pays.
Bien que la loi de 2007 ait organisé l’information des usagers en cas de grève, elle n’a pas permis d’aboutir à un service minimum garanti.
C’est ce qui a conduit le Sénat à adopter, le 4 février 2020, une proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau, qui permet enfin de limiter le droit de grève si cela se révèle nécessaire pour garantir un service minimal. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. David Assouline. Interdisez donc le droit de grève pendant que vous y êtes !
Mme Pascale Gruny. Madame la Première ministre, ne croyez-vous pas qu’il est grand temps de reprendre ce texte à votre compte et de le faire adopter dans les meilleurs délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. Mes chers collègues, j’appelle chacun d’entre vous au calme et vous prie d’éviter tout charivari.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Madame Gruny, comme vous, je veux penser aux nombreux Français qui, ces derniers jours, et à plusieurs occasions, ont, hélas ! douloureusement vécu les perturbations dans nos transports publics. Ils sont parfois empêchés de retrouver leur famille, d’aller travailler et d’exercer un certain nombre d’activités essentielles. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe SER.)
Nous nous devons d’agir en suivant, à chaque fois, deux orientations extrêmement claires : tout d’abord, évidemment, le respect de nos grands principes, notamment le droit de grève qui, vous le savez, est inscrit dans notre Constitution et garanti par elle ; ensuite, bien sûr, de la manière la plus concrète et pratique possible, l’intérêt des usagers.
C’est pourquoi, en la matière, il est essentiel de ne pas se payer de slogans et d’apporter des réponses extrêmement efficaces, précises et concrètes.
La mise en place d’un service minimum s’inscrit dans des réflexions anciennes. La réalité est que, si on définissait ce dernier en pourcentage de service, on ne répondrait pas au problème que vous soulevez.
En effet, la définition d’un seuil de service extrêmement élevé serait sans doute jugée inconstitutionnelle, puisqu’elle porterait une atteinte disproportionnée au droit de grève garanti par notre loi fondamentale.
Avec la définition d’un pourcentage de service trop bas, le dispositif ne serait pas efficace, parce que, même en cas de mobilisation très importante, et bien que de nombreux Français soient pénalisés, plus de 50 % du service reste assuré. Nous en avons vu l’illustration avec les contrôleurs de la SNCF à Noël dernier – heureusement, d’ailleurs !
Dans l’esprit de la loi de 2007, il faut que nous examinions – c’est la réflexion que nous avons engagée sous l’autorité de la Première ministre – toutes les réponses concrètes, efficaces et complémentaires possibles.
Un certain nombre de ces réponses sont entre les mains de nos entreprises publiques. Nous avons du reste d’ores et déjà demandé aux dirigeants de ces grandes entreprises de veiller à ce que la mobilisation interne soit renforcée : cela nécessite de l’organisation et de l’anticipation, puisqu’il faut parfois que les agents détiennent une habilitation de sécurité pour exercer certaines fonctions dans nos transports publics. Mais il s’agit d’une réponse que nous devons et que nous pouvons apporter dans les semaines et les mois qui viennent.
Toujours dans cet esprit, nous pourrions réfléchir aux délais de prévenance de quarante-huit heures qui ont été instaurés par la loi de 2007 et qui pourraient faire l’objet d’un débat. Nous pourrions travailler collectivement aux modalités de leur extension.
M. le président. Monsieur le ministre, votre temps de parole est écoulé !
La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. J’entends bien vos propos, monsieur le ministre, mais, depuis 2020, nous aurions eu tout le temps de travailler ensemble sur ce sujet. J’ai été le rapporteur de la proposition de loi que j’évoquais et je puis vous dire que nous avons formulé des propositions.
Sachez aussi que nous avons évidemment une solution à chacune des réserves que vous venez d’émettre. Nous vous demandons d’adopter des mesures fermes, parce que notre pays en a besoin, notamment son économie.
On ne peut pas laisser les travailleurs être pénalisés. Certes, il y a des gens dans la rue, mais il y a aussi ceux qui restent chez eux : peut-être ne peuvent-ils pas faire grève, peut-être, surtout, ont-ils besoin de travailler ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. David Assouline. Cela fait un siècle que vous dites cela !
Mme Pascale Gruny. C’est à eux qu’il faut penser, toujours dans leur intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes nombreux sur toutes les travées à avoir soutenu la révolution en Iran, notamment en parrainant des prisonniers torturés, violés, condamnés sans avocat ou encore pendus.
Depuis plusieurs semaines, l’Iran menace la France et les soutiens de la révolution. Massi Kamari, refugiée politique menacée en France, a vu ses parents également menacés en Iran. Masih Alinejad, emblématique résistante reçue par le Président de la République, a récemment échappé de justesse à un attentat aux États-Unis. Je pense également à Salman Rushdie.
La menace est gravissime. Un grand hebdomadaire, que vous avez peut-être lu, a titré : « Pourquoi l’Iran cible la France » – c’est tout de même assez inquiétant !
Le général iranien Hossein Salami a prévenu : « Les musulmans se vengeront. Vous arrêterez les assaillants, mais les morts, eux, ne reviendront pas. » Quant au ministre des affaires étrangères iranien, il a déclaré : « Nous ne permettrons pas au gouvernement français de dépasser les limites. » Il ne se demande pas en revanche si l’Iran a dépassé les siennes !
J’ajoute que les gardiens de la révolution ont leur milice à l’étranger et une branche armée capable d’agir partout dans le monde.
Enfin, ce week-end, les frappes israéliennes contre les usines de drones à Ispahan sont venues interférer et font évidemment craindre une escalade. Sans compter que, si l’on prend en considération les accords de défense entre l’Iran et le Qatar, ainsi que les rôles de la Russie et de la Chine, la situation risque de dégénérer.
Notre sécurité est clairement menacée. Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, ma question est simple : quelles mesures entendez-vous prendre ou avez-vous déjà prises pour protéger les Français ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’Europe.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice Goulet, nous partageons votre constat et votre préoccupation concernant l’Iran, d’abord en raison de la montée des tensions dans la région, bien sûr, ensuite à cause de la répression qui se poursuit dans ce pays à l’encontre des manifestants, enfin pour toutes les raisons et les menaces que vous venez de mentionner.
Nous répondons en Européens, en prévoyant des sanctions pour accompagner les revendications légitimes des Iraniennes et des Iraniens et garantir qu’il n’y aura aucune impunité pour les auteurs de la répression et de ces menaces.
Comme vous le savez, quatre trains de sanctions européennes ont été mis en place : 78 individus et 27 entités ont été sanctionnés, dont plusieurs ministres et hauts responsables des gardiens de la révolution.
De plus, les conclusions du dernier Conseil européen vont nous permettre d’agir, puisqu’elles couvrent l’ensemble des opérations de déstabilisation iraniennes, y compris les prises d’otages.
Les sanctions prises à l’encontre de personnalités européennes participent du même aveuglement que celui dont fait preuve le régime iranien lorsqu’il s’enferme dans le déni ou la rhétorique complotiste et mène une politique scandaleuse d’otages d’État. Il n’y a évidemment aucune comparaison possible entre les sanctions prises par les Iraniens et celles qui sont adoptées par l’Union européenne.
Vous pouvez compter sur nous pour continuer d’encourager le dialogue dans cette région troublée et, bien évidemment, pour protéger les ressortissants visés.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Votre réponse est un peu décevante, madame la secrétaire d’État.
L’Iran est un État terroriste : nous voudrions que les gardiens de la révolution soient inscrits sur la liste des organisations terroristes. Comme si financer le Hezbollah, attaquer des ambassades ou fournir des drones à la Russie – nous venons d’entendre le président de la Rada de l’Ukraine – n’était pas suffisant pour que l’on les y mette ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Les jeunes Iraniens meurent en prison, mais, aujourd’hui, M. Borrell ne veut rien faire. Nous aurons la guerre et, d’ores et déjà, nous avons le déshonneur ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, SER et CRCE.)
réforme des retraites dans la fonction publique
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre Dussopt, mes chers collègues, le ministre de la transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini, qui n’a pas pu être présent aujourd’hui, a envoyé il y a quelques jours par mail une vidéo.
Il y vantait les bienfaits de la réforme des retraites de ce gouvernement, qui, pourtant, ne cesse de perdre en popularité, même en son sein.
De très nombreux fonctionnaires ont été choqués de recevoir sur leur adresse mail personnelle, via la direction générale des finances publiques, une telle vidéo de propagande.
Monsieur le ministre, estimez-vous qu’il est démocratiquement légitime et éthiquement justifié de diffuser une telle vidéo de commercialisation d’une réforme résolument « non négociable » ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le sénateur Savoldelli, vous m’interrogez sur la réforme des retraites et sur son application dans la fonction publique. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. Hussein Bourgi. Non, sur la vidéo !
M. Rachid Temal. Répondez à la question !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser M. le ministre s’exprimer !
M. Olivier Dussopt, ministre. Laissez-moi aller au bout de ma réponse et vous verrez que je répondrai à toutes vos interrogations.
Je tiens tout d’abord à vous indiquer que le ministre de la transformation et de la fonction publiques a jugé pertinent d’expliquer aux fonctionnaires quelles étaient les dispositions figurant dans cette réforme. Je pense à cet égard qu’il s’agit d’un exercice de transparence qui est utile.
Sur le fond, ensuite, que recouvre cette réforme et en quoi cela concerne-t-il les fonctionnaires ?
De fait, comme l’ensemble des actifs en France, ceux-ci sont concernés par le relèvement progressif de deux ans de l’âge de départ à la retraite. En parallèle, nous avons la volonté de maintenir les spécificités du régime de retraite de la fonction publique, c’est-à-dire un mode de calcul des pensions sur les six derniers mois d’activité, en précisant d’emblée que le taux de remplacement n’est pas plus élevé dans le système public que dans le système privé, ainsi que le bénéfice de la catégorie active.
M. Jean-Luc Fichet. Ce n’est pas la question !
M. Olivier Dussopt, ministre. Ce point est important. Comme vous le savez, le Gouvernement veut faire en sorte que les agents publics relevant de la catégorie active, qui auraient commencé leur carrière dans ces corps d’emplois avec un statut de contractuel, puissent voir leurs années de service effectuées en tant que contractuels prises en compte dans le calcul de leur service actif, de sorte qu’ils bénéficient d’un départ anticipé.
Nous voulons aussi mettre en place la portabilité de cette catégorie active des agents publics, afin qu’un surveillant pénitentiaire ou un officier de police puisse bénéficier des mêmes droits, qu’il ait travaillé trente ans dans ces deux corps ou trente ans dans un seul.
M. Hussein Bourgi. Hors sujet !
M. Olivier Dussopt, ministre. Je vous sens nerveux, messieurs les sénateurs, particulièrement sur les travées du groupe socialiste…
Si vous vous interrogez sur cette réforme des retraites, faites d’abord le tri entre les propositions de votre premier secrétaire et celles de votre premier secrétaire délégué ! (Protestations sur les travées du groupe SER. – M. Xavier Iacovelli applaudit.)
M. Hussein Bourgi. Un peu d’éthique, un peu de vérité !
M. Olivier Dussopt, ministre. S’agissant de la catégorie active, monsieur le sénateur, sachez que la suppression de la clause d’achèvement est aussi au programme – bon nombre d’agents publics l’attendent.
Enfin, permettez-moi de conclure mon propos en soulignant que nous allons aussi étendre la retraite progressive aux agents publics, ce qui, vous en conviendrez, est également attendu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, j’obtiendrai malgré tout une réponse, et vous le savez bien, puisque la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a été saisie au sujet de cette vidéo, à la suite de nombreuses plaintes. Ma question est donc sérieuse et mérite une réponse.
Sur le fond, vous continuez à défendre votre réforme irresponsable et impopulaire, comme si elle était déjà votée. Vous vous croyez tout permis : cela se voit dans la vidéo, tout comme dans les déclarations d’Élisabeth Borne, qui nous explique que les 64 ans ne sont pas négociables.
Mais écoutez l’opinion publique ! La rue vous a parlé encore hier. Des millions de personnes sont sorties manifester contre votre réforme injuste.
Le message est clair, madame la Première ministre, monsieur le ministre : votre gouvernement aura beau communiquer, multiplier les éléments de langage et utiliser ce que j’appelle un « yoyo » antidémocratique – à savoir les articles 49.3 et 47-1 de la Constitution et, pourquoi pas, les ordonnances –, les jeunes, les femmes, les travailleurs et les retraités ne seront pas dupes !
Dans cette vidéo, M. Guerini appelait toute la Nation et les agents des fonctions publiques à « un effort collectif ». Je vous demande à mon tour, avec solennité et esprit de responsabilité, d’admettre votre erreur et de retirer cette réforme qui ne fait que des perdants et dont personne ne veut. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Michel Dagbert. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
Elle intervient un an après le début de l’affaire dite Orpea et les révélations sur la face cachée de certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), tirées du livre de Victor Castanet. Beaucoup se sont alors émus des pratiques scandaleuses dénoncées dans cet ouvrage.
Le Gouvernement avait quant à lui réagi, notamment par l’intermédiaire de la ministre déléguée chargée de l’autonomie de l’époque, Brigitte Bourguignon, qui avait diligenté une enquête administrative de l’inspection générale des affaires sociales (Igas), ainsi qu’une enquête financière.
Aujourd’hui, la prise de contrôle d’Orpea par la Caisse des dépôts et consignations vient d’être officialisée. Celle-ci devenant l’actionnaire majoritaire, c’est désormais l’État qui est aux manettes,…
M. Jérôme Bascher. Non, ce n’est pas du tout ça !
M. Michel Dagbert. … et nous ne pouvons qu’espérer des répercussions positives sur le fonctionnement de ces établissements.
Au-delà, c’est l’ensemble des métiers du social et du médico-social, qu’il s’agisse de la prise en charge des personnes âgées, des personnes handicapées, des adultes qui connaissent des difficultés sociales ou de la protection de l’enfance qui sont soumis à une double pression, monsieur le ministre.
En effet, d’une part, ils doivent répondre aux exigences bien légitimes des usagers et de leurs familles quant à la qualité des prestations fournies, d’autre part, ils sont confrontés aux impératifs budgétaires, qui prennent parfois la forme d’injonctions émanant de leurs employeurs privés ou semi-publics.
Cette double exigence explique en grande partie la perte d’attractivité de ces emplois et les difficultés de recrutement qu’ils rencontrent actuellement. À titre d’exemple, les instituts de formation nous indiquent que 30 % des étudiants arrêtent avant la fin de leur cursus.
Je vous sais, monsieur le ministre, très attentif aux travaux et préconisations émises par le Haut Conseil du travail social dans ses différents rapports. Je ne doute pas de l’intérêt que vous portez à la fois aux professionnels concernés et aux personnes dont ils ont la charge.
Pourriez-vous dès lors nous indiquer les dispositions que vous comptez prendre pour que les professionnels du médico-social puissent rester les acteurs de la bienveillance à l’égard des plus faibles d’entre nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Dagbert, je vous remercie de votre question.
L’investissement de la Caisse des dépôts et consignations, mais aussi d’autres acteurs, notamment du secteur de l’assurance, qui a été annoncé aujourd’hui, est un signal positif pour le groupe Orpea, qui va pouvoir ainsi accélérer sa transformation.
Il s’agit d’une bonne nouvelle – nous souhaitions cette opération –, à la fois pour l’emploi, pour le secteur et surtout pour le bien-être des salariés, des résidents et de l’ensemble des familles.
M. Hussein Bourgi. Surtout pour le bien-être des actionnaires !
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Vous le savez, il s’agit aussi d’un marqueur fort de l’engagement de l’État dans le secteur du grand âge.
Je le rappelle, c’est sous l’impulsion du Président de la République que, en 2020, le Gouvernement a créé la cinquième branche de la sécurité sociale, la branche autonomie,… (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une coquille vide !
M. Jean-Christophe Combe, ministre. … qui sera dotée de 9 milliards d’euros supplémentaires tout au long de ce quinquennat.
Cette somme servira à accélérer le recrutement dans les Ehpad, à augmenter les salaires, à améliorer la qualité de vie au travail de toutes celles et de tous ceux qui s’engagent dans ce secteur, à transformer l’offre pour qu’il y ait davantage de prises en charge à domicile, davantage d’Ehpad modernisés, des établissements plus ouverts et plus « verts ». Enfin, elle financera un plan inédit de lutte contre la maltraitance dans ce secteur.
Pour ce faire, nous aurons besoin de tout le monde, c’est-à-dire d’un secteur associatif sans doute plus innovant, d’un secteur public plus efficace et d’un secteur privé exemplaire.
Comme vous l’avez rappelé, l’enjeu majeur auquel nous devons répondre aujourd’hui est celui de l’attractivité des métiers. C’est une question complexe, à laquelle, vous vous en doutez, nous ne pouvons pas apporter de réponses simples.
C’est pourquoi nous avons fait le choix de formuler un certain nombre de propositions et de prendre des mesures complémentaires, qui forment un plan permettant de répondre à l’urgence.
Je pense notamment à la valorisation des « faisant fonction » dans les établissements, à l’augmentation des salaires prévue par le Ségur de la santé – 183 euros supplémentaires pour tous les soignants et personnels du secteur éducatif –, à la promotion de la validation des acquis de l’expérience dans tous les établissements ou à l’amélioration de l’organisation du travail à domicile au travers des deux heures supplémentaires.
Toutes ces dispositions nous permettront d’atteindre notre objectif de recruter 50 000 soignants supplémentaires dans le secteur.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Il s’agit d’un objectif ambitieux, mais on n’est jamais assez ambitieux lorsqu’il s’agit du bien-être de nos parents. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, pour la quatrième semaine consécutive, nous vous interrogeons sur la réforme des retraites. Et je crains que, pour la quatrième fois consécutive, vous ne persistiez…
Il y a dix jours, le ministre Dussopt déclarait que cette réforme était destinée à « rétablir un maximum d’égalité ». Hier, il nous a dit que, sans ce texte, nous assisterions à une baisse de 20 % du niveau moyen des pensions des retraités.
Vous-même, madame la Première ministre, défendez cette réforme en l’inscrivant dans une démarche de défense du modèle social français. Mme Brigitte Macron, pour sa part, a affirmé qu’elle était nécessaire pour assurer une retraite aux jeunes. Pendant ce temps, le Président de la République la juge « indispensable quand on se compare à l’Europe ».
Bref, mes chers collègues : une réforme idéale, la mère de toutes les réformes ! Alors, que demande le peuple ?
Eh bien, le peuple vous a donné hier dans la rue, toutes générations et tous territoires confondus, une éclatante réponse. Il ne veut pas de votre réforme, de ce nouvel impôt sur la vie que vous défendez avec obstination, quoi qu’il en coûte.
Ce que nous savons, c’est que le « rendement financier » – pour reprendre votre expression, madame la Première ministre – de votre réforme sert à faire des économies sur le dos des ouvriers et des employés, qu’ils soient issus des classes populaires ou des classes moyennes.
Mais ne pouvez-vous pas faire ces économies ailleurs et éviter de prendre aux Français les plus modestes ?
Ce que nous savons, c’est que vous voulez offrir au Président de la République « sa » grande réforme. J’en suis désolé, mais nous n’avons cure de l’ambition personnelle d’Emmanuel Macron. Il y a d’autres priorités quand la fracture sociale s’aggrave, quand l’inflation rogne le pouvoir d’achat des petits salaires, quand des étudiants, des salariés pauvres et des personnes âgées font la queue devant les soupes populaires.
Écoutez les Français et répondez à ma question : quand retirerez-vous votre réforme des retraites ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Jean-Marc Todeschini. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président Kanner, il y a selon moi des principes essentiels en politique : dire la réalité aux Français sans tordre les chiffres, sans vendre d’illusions et sans relayer des contrevérités. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. François Patriat. Très bien !
M. Rachid Temal. Comme ceux que relaie Franck Riester ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Aujourd’hui, le nombre d’actifs qui cotisent diminue par rapport au nombre de retraités : c’est un fait. Dans les années 1950, il y avait quatre actifs pour un retraité. Ils n’étaient plus que deux au début des années 2000. Aujourd’hui, il n’y a plus que 1,7 actif pour un pensionné, et l’on sait que ce chiffre continue de diminuer.
M. Jean-Marc Todeschini. Faites payer les entreprises !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Cela, ce n’est pas une opinion politique, monsieur le président Kanner. C’est une réalité démographique, qui menace notre système de retraite par répartition. (Marques de scepticisme sur les travées des groupes SER et CRCE.)
De ce fait, notre système de retraite sera en déficit dans les prochaines années, et ce déficit va s’aggraver. Là encore, ce n’est pas moi qui le dis ou mon gouvernement qui le décrète : c’est un fait partagé par le Conseil d’orientation des retraites (COR) ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. David Assouline. Il dit au contraire qu’il n’y avait pas d’urgence à réformer !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je vous le rappelle : aucun scénario du COR ne prévoit l’équilibre de notre système en 2030. D’ici à dix ans, ce sont près de 150 milliards d’euros de déficit que nous cumulerons et que nous laisserons à notre jeunesse si nous ne faisons rien. (Mêmes mouvements.)
M. Rachid Temal. Et vous supprimez la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) !
M. Jean-Marc Todeschini. Vous prenez sur les pauvres !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est la raison pour laquelle le Premier président de la Cour des comptes a déclaré la semaine dernière que notre système de retraite n’était pas soutenable en l’état et qu’une réforme était indispensable.
Voilà pour les faits, monsieur le président Kanner. Passons maintenant aux conséquences.
Ce dont nous avons discuté avec les organisations patronales, les organisations syndicales et les différents groupes parlementaires, c’est de l’avenir de notre système de retraite par répartition, en travaillant progressivement plus longtemps.
M. Jean-Marc Todeschini. Les syndicats ne sont pas d’accord !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est ce qu’ont fait tous nos voisins européens. (Nouvelles marques de scepticisme sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Michelle Gréaume. Pas tous !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C’est aussi le choix que des majorités de droite et de gauche ont fait avant nous.
Je vous rappelle, monsieur le président Kanner, que vous avez vous-même, avec le parti socialiste, soutenu la réforme de Mme Touraine, qui allait exactement dans le même sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Vous avez changé d’avis, monsieur Kanner… (Vives protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. C’est vous qui avez changé d’avis et qui avez retourné votre veste !
M. le président. Mes chers collègues, si vous ne laissez pas Mme la Première ministre s’exprimer jusqu’au bout, je doute que M. Kanner puisse ensuite répliquer !
M. Philippe Pemezec. La gauche parle à la gauche…
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Vous avez changé d’avis, disais-je, et c’est votre droit. Mais que proposez-vous ?
Pour financer notre modèle social et pour combler ce déficit, il n’y a que deux autres options. Soit vous voulez baisser les pensions et vous pénaliserez ainsi les petites retraites et les classes moyennes, en les privant du fruit du travail d’une vie (Protestations sur les travées du groupe SER.),…
M. Hussein Bourgi. Mensonge !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … soit vous voulez augmenter drastiquement les cotisations et les impôts pesant sur les salaires ou pénalisant les artisans, les TPE, les PME et tous ceux qui font notre vie économique, brisant ainsi la dynamique de l’emploi.
Monsieur le président Kanner, puisque nous partageons une volonté commune de vérité, exposez-nous la solution de rechange que vous proposez aux Français : la baisse du pouvoir d’achat ou la hausse du chômage ?
M. Jean-Marc Todeschini. Démagogie !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, notre projet est animé par une seule volonté : assurer l’avenir de notre système de retraite par répartition.
Nous portons un projet qui permet le retour à l’équilibre en 2030, en travaillant progressivement plus longtemps. Je mesure ce que cela représente pour de nombreux Français, et je sais que nous ne sommes pas tous égaux devant le travail.
C’est pourquoi nous avons veillé à répartir l’effort le plus équitablement possible, notamment en tenant compte de la situation de ceux qui ont commencé à travailler tôt ou qui ont un métier difficile.
Je veux aussi le souligner : les femmes partiront en moyenne plus tôt à la retraite que les hommes, alors que c’est le contraire aujourd’hui.
M. David Assouline. Ce n’est pas ce que dit Franck Riester !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Enfin, cette réforme permettra d’augmenter les plus petites pensions des futurs retraités comme des retraités actuels. Nous pourrions peut-être au moins nous retrouver sur ce point, puisqu’il était défendu par votre candidate à l’élection présidentielle…
Bien sûr, nous entendons les inquiétudes et les doutes. Nous sommes prêts à enrichir le texte,…
M. Vincent Éblé. Il faut le retirer, pas l’enrichir !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … et je ne doute pas que le Parlement y contribuera. Nous travaillerons avec tous ceux qui partagent notre volonté de préserver notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, votre réponse est inéquitable, puisque vous ne demandez aucun effort aux plus aisés de nos concitoyens. C’est votre choix : vous êtes manifestement la Première ministre des plus riches ! (Exclamations sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
M. François Patriat. C’est honteux !
M. Patrick Kanner. Je tiens à vous faire part de ces propos que j’ai entendus dans une manifestation hier : « Nous ne sommes pas des feignants ; nous voulons juste profiter un peu du fruit de notre travail avant de mourir. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. N’importe quoi…
M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, écoutez ce message et sortez de votre équation comptable. Ayez un peu de bienveillance vis-à-vis des Français : de grâce, retirez votre réforme ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Rachid Temal. Très juste !
situation financière des services départementaux d’incendie et de secours
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, rappelons-nous : au mois de juillet 2022, nos sapeurs-pompiers se sont engagés pour lutter contre des incendies dévastateurs.
Nous étions très nombreux alors à constater combien l’action des 251 900 pompiers professionnels et volontaires, mobilisés nuit et jour, nous était indispensable.
En ce début d’année, c’est pourtant le revers de la médaille dans nos territoires, sans médiatisation particulière et dans sa réalité la plus crue.
Aujourd’hui, nos services départementaux d’incendie et de secours, notamment ceux des territoires ruraux, ploient sous le poids financier des charges accumulées et des responsabilités qui leur incombent, ainsi que de celles qui ne leur incombent pas d’ailleurs, sans disposer de ressources suffisantes pour réaliser leurs missions.
Mes chers collègues, nos pompiers font plus que jamais face aux conséquences du réchauffement climatique – incendies, inondations, éboulements –, et cela ne s’arrêtera pas. Dans les déserts médicaux, ils assurent, de plus en plus, des soins de premiers secours, parcourant des kilomètres, ce qui coûte très cher ; cela ne s’arrêtera pas, non plus, de sitôt.
Bien sûr, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires interviennent avec le courage et le dévouement qui les caractérisent. Mais jusqu’à quand et dans quelles conditions ?
En effet, l’inflation et la crise énergétique sont passées par là, gelant la capacité d’action de notre sécurité civile. Des communes et des départements, qui sont des contributeurs des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), n’arrivent pas à régler les factures exceptionnelles et à assumer les nouvelles charges de personnels non compensées. Ils ne parviennent plus à investir pour disposer d’un matériel à un niveau acceptable.
Au-delà de ces difficultés conjoncturelles majeures, pour lesquelles nous demandons à l’État d’intervenir, nombre d’élus membres des Sdis dressent le constat d’un modèle de financement qui n’est plus adapté aux charges croissantes de nos sapeurs-pompiers. Or, en matière de sécurité civile, tout défaut d’investissement ne pardonne pas.
Monsieur le ministre de l’intérieur, « Sauver ou périr », telle est la devise de nos sapeurs-pompiers. Pour aider les Sdis fortement fragilisés, réformer les modes de financement et promouvoir plus de péréquation entre les Sdis au nom de la solidarité nationale, quelle sera la vôtre ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur, je ne reviens pas sur le constat que vous avez dressé et que le Gouvernement partage. Il est tellement vrai que la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite Matras, prévoyait qu’un audit de notre système de sécurité civile et de son financement serait organisé par le Gouvernement.
Ce rapport m’a été remis. Je l’ai rendu public et transmis aux élus, aux Sdis et aux organisations de sapeurs-pompiers professionnels, ainsi qu’aux organisations de sapeurs-pompiers volontaires. Comme vous, je remercie les pompiers du travail extrêmement difficile qu’ils ont effectué cet été, mais qu’ils réalisent aussi tout au long de l’année.
Quel est le contenu de ce rapport ?
Premièrement, il s’intéresse à la part des différentes sources de financement des Sdis. Je constate, ce que personne ne dit jamais, que l’État finance le fonctionnement des Sdis, alors que ces services ont été décentralisés depuis 2001, à hauteur d’un quart.
Deuxièmement, ce rapport pointe un certain nombre de difficultés de financement, notamment s’agissant de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA), jadis imaginée pour contribuer au financement des Sdis. Cette taxe est à la fois très dynamique et mal répartie. En outre, certains départements, vous le savez, ne la reversent pas intégralement à la collectivité sui generis qu’est le Sdis.
Troisièmement, il existe un sujet entre, d’un côté, des départements pauvres ou qui affrontent des feux de forêt – parfois, ce sont les deux à la fois –, ou encore qui manquent de médecins, et, de l’autre, des départements plus riches, où le nombre de feux de forêt est moindre et celui des médecins plus important.
Cela pose la question du financement de l’État : celui-ci y est prêt et le Président de la République a déjà fait un certain nombre d’annonces. Le rapport d’Hubert Falco nous fournira également des éléments, afin d’aider davantage les Sdis.
Cela pose également la question du travail de la sécurité civile face au réchauffement climatique, avec sa dimension aérienne qui est très importante.
Enfin, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur, cela pose la question de la péréquation entre les Sdis.
En tout cas, le Gouvernement est à votre disposition pour avancer sur ces sujets et, dans le cadre de la prochaine loi de finances, pour mettre fin à ces difficultés. Il veut aussi soutenir les nombreuses propositions de loi, émanant de toutes les travées de cet hémicycle, qui prévoient un travail considérable s’agissant de la prévention des risques.
Nous sommes prêts à vous accompagner. (MM. François Patriat et Alain Richard applaudissent.)
fin de l’enseignement de la technologie au lycée
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Monique de Marco. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Avez-vous entendu parler du robot ChatGPT ? Ce fameux logiciel d’intelligence artificielle suscite de vives réactions et de nombreuses dérives. J’ai d’ailleurs testé ce robot pour cette question. (Sourires.)
L’intelligence artificielle peut être un formidable outil si elle est correctement utilisée. Et quoi de mieux que des cours de technologie dès la classe de sixième pour former nos enfants à ces nouvelles technologies ?
Pourtant, vous ne semblez pas être du même avis, monsieur le ministre, puisque, le 12 janvier dernier, vous avez annoncé, par voie de presse, la suppression de la technologie en sixième, au collège.
Cette annonce brutale a été un coup de tonnerre pour la communauté enseignante. Cette décision verticale n’a été ni présentée, ni discutée, ni concertée. Elle traduit une méconnaissance totale des enjeux du XXIe siècle. En effet, pour réussir la transition écologique qui s’impose à nous, la France a de plus en plus besoin d’une jeunesse ouverte aux sciences et aux technologies.
Les méthodes d’apprentissage, propres aux disciplines expérimentales, développent l’esprit critique, stimulent la créativité et contribuent à la lutte contre le décrochage scolaire.
Cette suppression serait guidée par des choix budgétaires, sans aucune considération pédagogique. Vous souhaitez renforcer l’accompagnement des élèves en mathématiques et en français, mais sans investir dans l’école de la République.
Puisque vous n’avez pas fait de concertation, et afin de susciter votre intérêt pour cette matière, j’ai donc choisi d’interroger ChatGPT pour formuler ma question.
Voici sa réponse : « Le Gouvernement peut-il détailler les motivations et les conséquences prévues de la suppression de la technologie en sixième ? Comment cela impactera les compétences futures des jeunes dans un monde de plus en plus numérique ? »
M. Bernard Jomier. Excellent !
Mme Monique de Marco. L’être humain que je suis souhaite ajouter les questions suivantes : quel calendrier s’agissant d’une information officielle et cadrée est-il prévu ? Qui assurera réellement le soutien annoncé en français et en mathématique et dans quelles conditions ? Quel avenir pour la technologie ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mmes Esther Benbassa, Laurence Cohen et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice de Marco, je n’ai pas besoin de l’intelligence artificielle pour vous répondre. (Murmures ironiques sur des travées des groupes GEST et SER.)
L’école de la République ne peut laisser de côté entre un quart et un tiers des élèves de sixième qui ont des difficultés, possiblement insurmontables, en français et en mathématiques. Comme je l’ai annoncé, lors de la rentrée 2023, des sessions de soutien ou d’approfondissement auront lieu dans ces deux disciplines fondamentales et seront mises en place pour les élèves de sixième.
Pour assurer ces sessions, sans alourdir les horaires de classe des élèves de sixième, nous allons concentrer l’enseignement de technologie sur les classes de cinquième, de quatrième et de troisième.
Dans ce cadre, la technologie sera confortée, madame la sénatrice. Je suis donc très clair : il n’y a ni suppression de la technologie au collège ni relégation de cette discipline.
Au contraire, nous devons faire en sorte que cette discipline soit revalorisée, afin qu’elle suscite des vocations pour le numérique, pour les sciences de l’ingénieur et pour la voie professionnelle et qu’elle participe à l’équilibre entre filles et garçons.
Concernant les professeurs de technologie, leurs situations personnelles seront préservées et ils bénéficieront, en vue de l’adaptation des programmes de cinquième, de quatrième et de troisième, d’une formation que je souhaite diplômante pour l’année 2023-2024.
Tout cela est actuellement discuté avec les associations de professeurs de technologie. C’est à ces conditions que nous allons améliorer le niveau de nos élèves, et c’est aussi à cette condition que la technologie verra sa place confortée au collège. Car telle est bien mon intention. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
fonds vert
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
« Une partie de la solution est dans les territoires », avez-vous déclaré, monsieur le ministre. Je ne puis être davantage en accord avec vous ! Octroyer 2 milliards d’euros, via le fonds vert, afin de répondre aux besoins des territoires en matière de transition écologique est une décision de bon sens. L’écologie de proximité, l’écologie de l’action, est déterminante pour la réussite de nos objectifs. Nos forces et notre dynamisme pour la transformation se trouvent dans nos territoires.
Nos élus locaux sont les acteurs majeurs et les pivots du dispositif. Ils connaissent parfaitement les attentes, les projets et les évolutions de leurs territoires. Pour transformer l’essai, ils doivent être accompagnés d’une offre d’ingénierie solide. C’est décisif pour être en capacité de « délivrer », monsieur le ministre.
Toutefois, certains projets ne semblent pas entrer dans le cadre actuel de votre fonds. Pour ma part, j’ai lancé, avec le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) Othe-Armance dans l’Aube, sur deux intercommunalités, un projet de boucle énergétique rurale qui serait une première en France, en ruralité.
Il s’agit de combiner production d’énergie verte, flexibilité et stockage, pour créer un circuit court de consommation d’électricité et réduire les coûts de l’énergie.
Ce projet d’autoconsommation collective a vocation à hybrider différents types de bâti ; il concerne le privé et le public et, pour ce dernier, à la fois l’État et les collectivités. Or ce projet n’entre dans aucune case. Il a pourtant le mérite de soulever l’enthousiasme de nos concitoyens en zone rurale et, monsieur le ministre, de redonner de l’espérance.
Outre qu’elle répond concrètement, selon un mode collaboratif, à des questions très prégnantes, cette initiative auboise n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Monsieur le ministre, comment le fonds vert peut-il intégrer ces innovations locales ? Quelle souplesse prévoyez-vous s’agissant de son déploiement ? Envisagez-vous d’ouvrir ce fonds plus largement ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDPI. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vendredi dernier, les formulaires de demandes de financement du fonds vert ont été mis en ligne. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Six jours plus tard – j’ai fait le décompte avant de rejoindre cet hémicycle –, quelque 1 800 collectivités ont déposé un dossier.
On peut collectivement s’en réjouir, car c’est d’abord la preuve de la volonté des collectivités territoriales de se saisir de la transition écologique et de la faire vivre – personne n’en doutait, me semble-t-il –, de manière concrète et tangible, en accompagnant nos concitoyens.
Les demandes les plus nombreuses concernent la rénovation thermique des bâtiments et celle de l’éclairage public. Cependant, toutes les lignes du fonds vert, qu’elles aient trait au littoral, à la montagne ou à la renaturation, font l’objet de demandes.
Votre question porte, en dehors des quatorze cas qui ont été identifiés comme étant des portes d’entrée naturelles, sur les boucles locales énergétiques. Celles-ci bénéficient d’ores et déjà de deux types de financements, hors fonds vert.
Le premier, qui n’est pas forcément le plus simple, mais qui est puissant, relève des certificats d’économies d’énergie (C2E). Le second est le fonds de chaleur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui a d’ailleurs été porté, dans cet hémicycle, à plus d’un demi-milliard d’euros.
Parallèlement, les boucles énergétiques sont soutenues, dans le cadre des zones industrielles bas-carbone, notamment par le ministère de l’industrie, afin de faire profiter de ces actions le tissu des entreprises situées à proximité des industriels qui décarbonent leur activité.
Je vous invite à étudier précisément avec l’Ademe la façon de favoriser des projets pilotes de boucles énergétiques locales. Je suis à votre disposition pour vous accompagner, car ce type de modèle permet de montrer à nos concitoyens qu’il existe une écologie de progrès, concrète et bonne à la fois pour le climat, le pouvoir d’achat et l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous allons examiner ces dispositifs.
publication des chiffres de l’immigration
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
En 2022, le nombre de titres de séjour, autorisant à résider et à travailler en France, a augmenté de plus de 17 % par rapport à son niveau de 2021. Ainsi, plus de 320 000 titres ont été délivrés, contre un peu plus de 277 000 en 2019, qui est la dernière référence significative avant la pandémie.
Jamais la France n’a attribué autant de titres de séjour et accueilli autant de demandeurs d’asile, alors qu’elle peine toujours à expulser les illégaux qui vivent sur son territoire.
Cette situation, difficilement tenable, témoigne de l’incroyable pression migratoire qui s’exerce sur notre pays. En effet, comme vous le savez, on dénombre près de 700 000 clandestins sur le sol national.
Ces chiffres sont en total décalage avec le discours offensif de votre gouvernement sur la question des expulsions de clandestins.
Si vous privilégiez la qualité sur la quantité en reconduisant prioritairement les délinquants et les terroristes étrangers sortant de prison, il n’en reste pas moins que les procédures d’éloignement, recensées par vos services, sont au nombre de 19 425 pour l’année 2022. Et ce chiffre reste en deçà de celui d’avant la crise sanitaire : M. Castaner avait ordonné presque 24 000 reconductions à la frontière en 2019 !
Résultat, il y a un quart d’expulsions en moins par rapport à 2019, et cela correspond à moins de 3 % du nombre des personnes qui se trouvent en situation irrégulière sur le sol français.
La maîtrise des flux migratoires doit imposer de reconduire effectivement les immigrés illégaux, pour accueillir les ayants droit dans les meilleures conditions. Cela suppose des intentions fermes et des actes clairs.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : qu’attendez-vous pour mettre fin à cette situation insoutenable pour notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Madame la sénatrice, nous pouvons être d’accord sur un certain nombre de constats, sinon sur tous. Ainsi, la comparaison avec l’année 2019 me paraît un peu biaisée.
Vous avez raison de dire que la demande d’asile explose. C’est d’ailleurs le cas partout en Europe, avec une augmentation de plus de 60 % des demandes d’asile en 2022, contre une progression de « seulement » 30 % en France.
Cependant, en 2019, nous avions des relations convenables avec l’Afghanistan et le Mali. Les premiers demandeurs d’asile en France et en Europe sont les Afghans, que nous ne pouvons évidemment pas reconduire – et je ne parle pas des Iraniens. Il m’a été parfois reproché d’avoir fait un certain nombre de reconnaissances avec la Syrie ou avec l’Iran, par exemple.
Cependant, vous avez parfaitement raison, le nombre de titres de séjour augmente. Nous pensons que la politique du Gouvernement est la bonne, puisque, pour la première fois, leur nombre progresse au titre du travail et stagne s’agissant du regroupement familial.
Le problème de la France est que le regroupement familial est trop important et que l’immigration de travail est trop peu importante, contrairement à l’Allemagne par exemple.
Vous avez également raison au sujet des éloignements.
Je vous remercie d’avoir remarqué que le nombre de personnes radicalisées, criminelles ou délinquantes dans les expulsions a doublé, avec plus de 3 000 étrangers délinquants expulsés l’année dernière, contre 1 500 en 2019. Cependant, vous avez raison, ces 15 % d’augmentation ne sont pas suffisants.
Dès lors, qu’attendons-nous ? Précisément de débattre avec les parlementaires du projet de loi que j’ai justement eu l’honneur de présenter en conseil des ministres ce matin.
Il faut libérer le droit. Ainsi, de deux ans à deux ans et demi sont parfois nécessaires pour obtenir une décision de justice définitive autorisant une expulsion. Entre-temps, les personnes concernées par ces décisions auront peut-être eu un enfant sur le territoire de la République, travaillé illégalement ou déposé d’autres demandes de titres de séjour.
Il faut absolument mettre fin à ces détournements de procédures. Il faut pouvoir expulser des personnes, en relevant les protections juridiques – la fin de la fin de la double peine –, et c’est ce que nous proposons.
Il faut évidemment avoir un discours extrêmement clair s’agissant de l’intégration, des valeurs de la République et de la langue, mais aussi à l’égard des États d’immigration.
Oui, madame la sénatrice, nous partageons le constat. Nous pensons que, pour les Français, un texte fort permettant au ministre de l’intérieur d’expulser plus rapidement ces personnes est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Ce projet de loi est certes en cours de préparation, mais les Français s’inquiètent de la montée en puissance des immigrés. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Une politique d’immigration claire et ferme permettra de mieux accueillir les personnes qui peuvent venir sur le territoire français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
pollution par des billes de plastique du littoral atlantique
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. C’est la marée blanche de trop ! Cette pollution plastique irréversible et fatale à la biodiversité est malheureusement récurrente sur nos plages. Depuis le mois de décembre dernier, la côte atlantique est polluée par des granulés de plastiques industriels.
Les Sables-d’Olonne, Pornic, le département du Finistère, les régions Pays de la Loire et Bretagne ont porté plainte contre X.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre : « Nous pouvons être fiers d’être le pays au monde le plus ambitieux en matière de lutte contre ces granulés. »
Je vous remercie, monsieur le ministre, de reconnaître notre travail parlementaire, puisque c’est grâce à un amendement que j’ai défendu (Exclamations sur les travées des groupes RDSE et RDPI.), lors de l’examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite Agec, que les entreprises doivent adopter des procédures prévenant la dispersion des granulés.
Cependant, monsieur le ministre, l’amendement voté au Sénat était bien plus contraignant, puisqu’il visait à obliger les entreprises à déclarer les pertes et les fuites de granulés.
Malheureusement, votre majorité à l’Assemblée nationale avait raboté le dispositif. Lors de la commission mixte paritaire, alors que j’insistais, on m’opposait l’engagement volontaire de la plasturgie.
N’étant pas du genre à m’avouer vaincue, j’ai récidivé par le biais d’une proposition de loi, adoptée une fois encore à l’unanimité au Sénat, inscrivant à l’article 1er, de nouveau, l’obligation pour les entreprises de déclarer les pertes et les fuites de granulés de plastique. Je remercie d’ailleurs mes collègues de leur confiance.
Par conséquent, monsieur le ministre, vous disposez d’un véhicule législatif pour une action très concrète.
Toutefois, la France n’est pas la seule concernée. Le naufrage du porte-conteneurs X-Press Pearl en 2021, au large du Sri Lanka, a sans doute provoqué la plus grande marée blanche qu’on ait jamais connue. Vous pouvez aussi œuvrer à l’échelon international à la création d’un fonds d’indemnisation, à l’instar de celui qui existe pour les marées noires, le Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (Fipol).
La production plastique est en croissance exponentielle. Porter plainte, c’est un peu court, monsieur le ministre ! N’est-il pas temps d’encadrer davantage cette production ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Préville, je vous remercie, tout d’abord, de votre question. Je voudrais également saluer le sénateur Joël Guerriau, qui, en nous alertant sur ce sujet il y a déjà quinze jours, a permis d’accroître la vigilance en la matière. Par ailleurs, un dépôt de plainte, signé par Hervé Berville et moi-même, a été rendu effectif le vendredi suivant les questions d’actualité au Gouvernement au Sénat.
Par la suite, la situation que vous décrivez s’est étendue aux côtes de la Manche et à une partie des côtes flamandes, à l’occasion du week-end, puisque cette fameuse marée blanche a commencé au niveau de la Vendée et de la Loire-Atlantique. Cela renforce la présomption selon laquelle un conteneur en serait à l’origine, en raison de la traînée suscitée.
J’ai eu l’occasion de le rappeler, primo, nous ne nous avouons pas vaincus, secundo, la loi Agec, quelle que soit l’appréciation portée sur le degré de vigilance qu’elle permet, n’est effective que depuis le 1er janvier 2022. Sa première année d’application vient de s’achever. J’ai annoncé que les rapports d’audits attendus, portant sur cette première année d’application et détaillés site par site, seront publiés, afin que nous nous assurions de l’effectivité totale de ce dispositif.
La suite aura lieu à la fin du mois de mai prochain, à Paris. Il s’agira d’obtenir, dans le cadre du futur traité sur l’élimination de la pollution par les plastiques, que ces granulés de plastiques industriels (GPI) soient mieux encadrés à une échelle mondiale. En effet, un certain nombre d’enquêtes ont révélé que ce phénomène se produisait, avec une ampleur encore plus importante, dans d’autres pays et sur d’autres continents, montrant ainsi l’étendue de ce fléau.
Nous partageons donc votre indignation et votre volonté d’agir. Nous souscrivons surtout à la volonté de disposer d’un cadre international contraignant, en attendant de mesurer si les premières dispositions prises à l’échelle nationale sont suffisantes ou s’il convient de les renforcer, un an après leur mise en œuvre. (MM. François Patriat et Alain Richard applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Toutefois, je vous ai demandé si ma proposition de loi, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, pouvait être votée, puisqu’elle prévoit un cadre beaucoup plus contraignant pour ces granulés de plastiques. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
publication des chiffres de la délinquance
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Monsieur le ministre, le 8 décembre dernier, dans un entretien à la presse, vous annonciez, avec fierté, une baisse de la délinquance. Je vous cite : « Une baisse timide, mais une baisse quand même. » Or, hier, paraissaient les chiffres de la délinquance dans notre pays : violences sexuelles, + 11 % ; coups et blessures, + 14 % ; cambriolages + 11 % ; vols de véhicules, + 9 %.
Avec 879 victimes de crimes en 2022, nous sommes désormais face au niveau le plus élevé depuis trente ans. Ces chiffres ne proviennent ni de Libération ni de L’Humanité. Ce sont les chiffres officiels de votre ministère, et nul ne pourra donc les contester.
Cependant, derrière ces chiffres, il y a des réalités. Des Françaises et des Français vivent dans la peur. L’insécurité est devenue une triste réalité, qui n’a cessé de croître pendant les quinquennats d’Emmanuel Macron.
Mon département de Lot-et-Garonne, à l’image des autres, souffre cruellement de cette politique. Le quotidien de nos forces de l’ordre est extrêmement difficile : manque de moyens humains et de matériel, découragement – le mot est faible –, absence de réponse pénale, voyous qui font la loi partout et qui n’ont peur de rien ni de personne.
Mme Martine Filleul. C’est nuancé !
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Oui, les policiers et les gendarmes font ce qu’ils peuvent, mais encore faudrait-il des condamnations fortes.
M. Vincent Éblé. Ah…
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Vous ne pouvez pas sans cesse renvoyer la faute sur vos prédécesseurs. L’insécurité, monsieur le ministre, n’est pas une fatalité. Elle est le résultat d’un manque de courage et d’une absence de volonté politique.
Monsieur le ministre, face à cette délinquance explosive, le Gouvernement est-il vraiment en capacité de protéger les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, puisque la justice, selon vous, n’est pas au rendez-vous de ses obligations, je vais me faire un plaisir de répondre à cette question adressée à l’origine au ministre de l’intérieur.
Tout d’abord, évoquer les questions de délinquance en deux minutes est une gageure.
M. Jérôme Bascher. Mais c’est l’exercice !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quelle est la part du confinement dans l’augmentation, ou éventuellement dans la diminution, de certaines infractions ? Quelle est la part de la libération de la parole dans celle des violences intrafamiliales ?
Plus de forces de l’ordre, c’est aussi plus de faits constatés sur la voie publique (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) et, d’une certaine façon, une augmentation de la délinquance. Je me permets de vous le dire !
M. Vincent Segouin. Il fallait oser !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les escroqueries ont augmenté, mais nous avons mis en place la plateforme Thésée (Traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries), qui permet de mieux les appréhender.
Madame la sénatrice, durant cette période, le taux de poursuite a progressé de 13 %. Les peines de prison ferme en matière correctionnelle sont passées, en moyenne, de 6,7 mois à 8,3 mois entre 2017 et 2022. La justice n’est donc pas laxiste ; elle est au rendez-vous des obligations qui sont les siennes.
M. Jérôme Bascher. Donc tout va bien ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Une fois encore, parler de la délinquance en deux minutes est une véritable gageure. Ce sujet mérite de plus amples explications. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. C’est en effet une façon de voir les choses, monsieur le garde des sceaux, mais ce n’est pas celle des Français.
Pierre Dac disait : « Certaines personnes jouent aux échecs, d’autres les collectionnent. » (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est navrant de reconnaître que le Président de la République est davantage collectionneur que joueur. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Duffourg et Stéphane Ravier applaudissent également.)
rachat d’orpea et avenir de la dépendance
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Nous avons appris ce matin, par voie de presse, que l’accord en vue de la prise de contrôle du groupe Orpea par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) avait été finalisé cette nuit. La CDC détiendra désormais 50,2 % du capital.
Cette manœuvre scelle la volonté de la puissance publique de sauver un groupe privé à la dérive. Une telle opération intervient en réaction à l’un des plus grands scandales sanitaires, déclenché par la parution du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet.
Toutefois, le tableau d’ensemble ainsi dessiné soulève des interrogations. D’un côté, l’État use d’un puissant instrument financier pour sauver un grand groupe à but lucratif. De l’autre, une majorité des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics et à but non lucratif souffrent d’un manque de moyens humains et financiers, partout en France.
Les questions, monsieur le ministre, sont donc simples : quelle est la vision du Gouvernement s’agissant de la dépendance de nos aînés ?
Plus précisément, au vu du vieillissement de la population et de l’accroissement des besoins en matière de dépendance, que comptez-vous faire afin d’empêcher que les logiques de marchés et la pression d’actionnaires avides ne l’emportent sur la satisfaction de l’intérêt général ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Michelle Meunier et M. Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Arnaud, la semaine dernière, je répondais à une question de votre collègue, Mme la sénatrice Michelle Meunier, en détaillant ce qui avait été réalisé par l’État depuis l’éclatement du scandale Orpea.
Vous le constatez, chaque semaine, la situation évolue. J’en ai parlé précédemment et je ne commenterai pas davantage une opération financière en cours, même si nous ne pouvons que nous en réjouir. En effet, l’État accueille très favorablement cette nouvelle. Cela permettra d’accélérer la transformation du groupe Orpea et d’aller dans le bon sens.
Cependant, le groupe Orpea n’est pas le seul concerné, vous l’avez rappelé. En tant que ministre de l’autonomie, j’ai la responsabilité de renforcer la confiance des Français dans leurs Ehpad et de transformer ce secteur pour préparer notre pays au vieillissement de sa population.
Cela passe tout d’abord, je l’ai aussi indiqué précédemment, par des soignants plus nombreux, mieux rémunérés, mieux reconnus dans leur engagement et bénéficiant de meilleures conditions de travail, ce qui suppose d’investir davantage.
Cela passe ensuite par des familles et des résidents rassurés. D’où une accélération de la transformation de l’offre et une intensification des contrôles – je le rappelle, tous les Ehpad seront contrôlés d’ici à la fin de l’année 2024. La mise en place, pour la première fois, d’un grand plan de lutte contre la maltraitance des personnes âgées contribue également à atteindre cet objectif.
Enfin, nous poussons les investisseurs à prendre davantage en compte l’intérêt général. C’est un point important : j’ai toujours affirmé que le rendement économique devait être mis au service du progrès humain, en particulier dans ce secteur.
J’attends de ces investisseurs qu’ils fassent désormais la démonstration de leur exemplarité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. J’entends votre réponse, monsieur le ministre, mais elle ne me satisfait que partiellement.
Le contribuable met 1 milliard d’euros sur la table pour sauver un groupe à la dérive, qui facturait des prix de journée démentiels aux seules fins de rémunérer son actionnariat… Se satisfaire de cette situation, c’est imaginer que l’État est, non plus un État protecteur ou un État providence, mais un État brancardier. Il intervient sous la pression suscitée par une enquête journalistique !
Vous nous dites avoir tenu compte du résultat et entendu les messages que la dérive de ce groupe a suscités. Je vous mets au défi, d’une part, de relancer une véritable politique en direction des personnes âgées et d’élaborer une loi sur la dépendance digne de ce nom, d’autre part, d’accélérer et d’amplifier le contrôle sur les établissements à but lucratif.
L’argent ne doit pas être l’élément moteur de l’accompagnement de nos aînés. Cette situation est inacceptable, et je crois nécessaire qu’il y ait une réaction forte de l’État pour protéger nos plus vulnérables. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – M. André Guiol applaudit également.)
aides aux collectivités locales face à la hausse des coûts de l’énergie
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Plusieurs fois, monsieur le ministre, nous vous avons interpellé dans cette enceinte sur les graves difficultés entraînées par la hausse des coûts de l’énergie à la fois pour les particuliers, les entreprises et les collectivités locales.
Permettez-moi aujourd’hui de revenir plus particulièrement sur ses conséquences pour les communes. Celles-ci ont bien entendu engagé, pour la plupart d’entre elles au moins, différents plans de sobriété énergétique dès l’année dernière. Mais, si les effets commencent tout doucement à se faire sentir, ils restent naturellement minimes par rapport à l’impact exorbitant des charges d’énergie sur les budgets ou projets de budget pour 2023.
Par ailleurs, alors que les communes supportent entièrement les nouveaux prix du gaz, le bouclier tarifaire – pour certaines –, l’amortisseur électricité et le filet de sécurité ne suffisent pas au maintien des équilibres financiers précédents. En effet, l’explosion des coûts de l’énergie, outre ses conséquences directes, a bien des effets induits sur d’autres postes des budgets communaux ; je pense, entre autres, à la hausse des tarifs des contrats de maintenance ou des prestations de service.
Ainsi, il n’est pas rare que, de ce seul fait, l’augmentation des dépenses de fonctionnement d’une année sur l’autre dans la préparation du budget pour 2023 soit de l’ordre de 20 % et rende impossible le vote d’un budget à l’équilibre.
Monsieur le ministre, il convient de tout faire pour accompagner mieux encore ces collectivités locales en 2023. J’ai, à cet égard, deux propositions à vous présenter.
Ne pensez-vous pas qu’il serait utile de prononcer une suspension temporaire, pour 2023, du prélèvement annuel que subissent un grand nombre de communes de notre pays pour insuffisance de logements sociaux, tel que le prévoit l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU ? (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) J’ai bien dit « suspension », mes chers collègues…
Par ailleurs, du fait de la hausse du coût de l’énergie, le montant de la TVA sur ces factures s’envole à due proportion, alors que les collectivités locales ne peuvent pas récupérer cette taxe. Comment leur éviter cette double peine ? Allez-vous leur faire profiter en retour des sommes ainsi perçues ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Reichardt, face à l’explosion des factures énergétiques, certains dispositifs ont été mis en place – je n’y reviens pas en détail – : le bouclier pour les plus petites structures ; l’amortisseur pour les autres ; au cœur de l’été 2022, les filets de sécurité, instaurés avec le concours actif de la majorité sénatoriale, pour ce qui concerne tant son montant que ses contours ; enfin, l’octroi de 1,5 milliard d’euros dans le cadre de la loi de finances, et des conditions assouplies sur la baisse de l’épargne ou la porte d’entrée du dispositif.
Nous sommes au tout début de l’année. Les chiffres dont nous disposons sur l’épargne et les dépôts auprès du Trésor au 31 décembre dernier, que je considère comme non-signifiants, montrent plutôt une progression des crédits. Mais, à ce stade, il est impossible de les détourer par strates de collectivités et toutes, on le sait, ne seront pas touchées de la même manière.
Par ailleurs, nous ne voyons pas encore véritablement les effets du filet de sécurité, puisque nous sommes dans les premières semaines du dispositif.
Des demandes ont certes été déposées, au titre de l’année 2022, par plus de 4 000 collectivités, déclenchant plus de 100 millions d’euros de décaissements. Mais nous ne savons pas dans quelle mesure le montant de 1,5 milliard d’euros qui est aujourd’hui sur la table sera utilisé.
Ma priorité, c’est que l’on connaisse rapidement la réalité de la consommation prévisionnelle du filet de sécurité, pour savoir si celui-ci a été correctement dimensionné.
Vous formulez des propositions, monsieur Reichardt. Elles ont le mérite de témoigner d’un esprit de coconstruction.
Toutefois, j’ai un peu de mal à comprendre la première sur la suspension du prélèvement au titre de l’article 55 de la loi SRU, lié à la carence de logement social. En effet, on se retrouverait à aider les communes ayant moins de 25 % de logements sociaux et ayant un rattrapage à réaliser, et non les autres. Il serait tout de même surprenant de récompenser la carence, et non pas les communes qui se sont efforcées de faire une partie du chemin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout à fait !
M. Christophe Béchu, ministre. Ma proposition à ce stade est donc simple : examinons si le filet de sécurité est effectif et s’il convient de le modifier, avant d’envisager de nouvelles propositions. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Denis Bouad. La Fondation Abbé Pierre a présenté ce matin son vingt-huitième rapport sur l’état du mal-logement en France.
Les femmes en sont les premières victimes. Les mères célibataires, dont un tiers sont pauvres, vivent souvent dans des logements précaires et sous-dimensionnés.
Pour les Français modestes, et même pour les Français de condition moyenne, le parc locatif privé est totalement inaccessible. Aucun territoire de notre pays n’est épargné. Du fait de l’insuffisance des réponses publiques pour rendre le logement abordable, plus de 12 millions de Françaises et de Français se trouvent aujourd’hui fragilisés.
Comme vous le savez, mes chers collègues, les aides au logement et le logement social, à travers le prélèvement sur la réduction de loyer de solidarité (RLS) et la hausse de la TVA, ont été au cours des dernières années la cible d’économies budgétaires de la part de l’État. La conséquence en est une production HLM au plus bas, avec moins de 85 000 logements construits en 2022, soit une diminution de 30 % par rapport à 2017. Désormais, 2,3 millions de ménages sont en attente d’un logement social.
Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez mis des moyens sur l’hébergement d’urgence. Pour autant, l’ouverture de places d’hébergement ne suffit pas à définir une politique globale du logement. L’accompagnement social de la politique du logement reste insuffisant, les parcours résidentiels sont à l’arrêt et la précarité énergétique s’accroît.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : face au constat de la Fondation Abbé Pierre, toujours plus douloureux chaque année, comptez-vous changer le cap de la politique du logement du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville et du logement.
M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. Vous avez raison, monsieur le sénateur Bouad, le rapport de la Fondation Abbé Pierre a été présenté ce matin ; comme tous les ans, j’ai assisté à cette présentation pour échanger et faire valoir la réalité de l’action du Gouvernement.
Oui, il y a des mal-logés en France et, oui, nous nous battons tous chaque jour pour que cette situation ne dure pas !
Le Gouvernement, vous l’avez dit, s’est engagé sur le sujet et a maintenu les places en hébergement d’urgence. Le précédent gouvernement, surtout, avait lancé le plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme.
Ce plan, visant à la sortie de la précarité, de la rue et de l’hébergement d’urgence, est une réussite majeure. Grâce à lui, ce sont 440 000 personnes qui, sorties de la rue et des hébergements d’urgence, ont trouvé un logement, soit une progression de 200 000 personnes en comparaison avec le quinquennat de François Hollande.
Ce matin, en conseil des ministres, avant d’aller à la Fondation Abbé Pierre, à la demande du Président de la République et de la Première ministre, j’ai présenté le futur plan pour le logement d’abord. Ce sera une priorité du Gouvernement que de faire aussi bien et de continuer à accompagner les plus fragiles et les plus précaires.
Cela étant, vous avez raison, monsieur le sénateur, pour pouvoir réussir cette politique du logement, il faut construire plus là où il y en a le plus besoin. Il faut tenir nos engagements sur les questions des passoires énergétiques, de la lutte contre l’habitat insalubre et de la réhabilitation des copropriétés dégradées.
Ce sont autant de sujets que le Gouvernement, sous la houlette de la Première ministre, a souhaité soumettre au débat dans le cadre du volet logement du Conseil national de la refondation, auquel participe Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, et que je coanime avec Véronique Bédague.
Je puis vous assurer que nous formulerons des propositions à la hauteur des besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour la réplique.
M. Denis Bouad. Monsieur le ministre, j’entends vos réponses et je sais l’effort que vous faites. Mais il y a un manque cruel de logement social dans ce pays !
Vous le savez comme moi, du fait des prélèvements que vous leur avez imposés au travers de la RLS, les bailleurs sociaux n’ont plus aujourd’hui les moyens de construire des logements. Vous le savez également très bien, quand 70 % des gens sont éligibles au logement social dans notre pays, ce dont il est question, c’est bien du pouvoir d’achat que vous leur donnez.
À propos du logement social, vous avez vous-même employé le terme de « bombe sociale de demain ». Aussi, monsieur le ministre, lancez un plan Marshall pour ce secteur ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
interdiction des courses landaises et camarguaises
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. La Fédération française de la course camarguaise est placée sous la tutelle du ministère des sports. Or, après les corridas, ce sont maintenant nos traditions camarguaises qui sont menacées !
En effet, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, une cinquantaine d’élus animalistes ou écologistes, dont 11 sont membres du conseil municipal de Montpellier, ont mis le feu à la Camargue et à la Petite Camargue. Ils militent pour l’abolition des lâchers de taureaux dans nos rues, la suppression de l’utilisation d’un crochet lors des courses camarguaises, mais aussi l’interdiction des ferrades et de l’escoussure.
Nos festivités camarguaises représentent, au-delà d’un enjeu économique certain, une question culturelle importante pour de nombreuses communes dans les départements du Gard, mais aussi de l’Hérault, des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse.
Avant le grand rassemblement en faveur de nos traditions camarguaises prévu le 11 février prochain à Montpellier, ma question est double. Quelle est la position du Gouvernement face à ces menaces ? Et apporte-t-il son franc soutien à nos traditions ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Burgoa, je ne vais pas pouvoir en deux minutes embrasser toutes les dimensions soulevées par votre question, d’autant que, en tant que ministre de la culture, je pensais vous répondre sur le dossier d’inscription au patrimoine immatériel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) des courses camarguaises et de toutes les traditions qui y sont associées ! (Sourires.)
Vous n’en avez pas parlé, mais je tiens moi, en tant que ministre de la culture, à vous en parler. J’en profite pour saluer le travail qui a été réalisé, en 2021, par les sénatrices Catherine Dumas et Marie-Pierre Monier sur le patrimoine culturel immatériel. Tout cela est bien lié à votre intervention, puisque ce patrimoine culturel immatériel comprend les pratiques, les représentations, les expressions, les connaissances et les savoir-faire, mais aussi tous les instruments, les objets, les artefacts et les espaces culturels qui leur sont associés.
Récemment, nous avons obtenu l’inscription des savoir-faire de la baguette de pain. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Pour ou contre la baguette de pain ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous en sommes très fiers. De nombreux dossiers nous parviennent tous les jours, qui nous intéressent également. Cela montre la richesse et la diversité des traditions locales appartenant au patrimoine français.
Je veux donc citer d’autres dossiers importants : le carnaval de Guyane, le Biou d’Arbois – fête annuelle vitivinicole dans le Jura (Nouvelles exclamations ironiques sur les mêmes travées.) –, les couvreurs zingueurs de Paris, l’Ori Tahiti – une pratique polynésienne culturelle et sociale très importante –, les Jeux floraux de Toulouse, qui sont des joutes poétiques vieilles de 700 ans… (Mêmes mouvements.)
M. Bruno Retailleau. Pour ou contre les Jeux floraux de Toulouse ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. C’est l’occasion d’évoquer tous ces dossiers, mesdames, messieurs les sénateurs, et la richesse du patrimoine culturel immatériel français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Daniel Laurent. Démission !
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.
M. Laurent Burgoa. Madame la ministre de la culture, je ne vous en veux pas, mais je regrette que la ministre de tutelle de la Fédération française de la course camarguaise, à savoir Mme la ministre des sports, n’ait pas daigné répondre. Les gens de la bouvine apprécieront…
Mes chers collègues, en 1926, à la demande du marquis Folco de Baroncelli, le peintre Hermann-Paul a représenté la nation camarguaise au travers de sa désormais célèbre croix camarguaise. Celle-ci évoque nos gardians et nos pêcheurs. Elle incarne trois vertus : la foi, la charité et l’espérance. Eh bien, le peuple de Camargue espère que ses traditions perdureront, malgré les attaques des « anti-tout » ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Hussein Bourgi, Stéphane Ravier et Sebastien Pla applaudissent également.)
M. François Bonhomme. Olé !
M. le président. Je vous remercie, mes chers collègues, de ne pas transformer cet hémicycle en arène ! (Sourires.)
volet transport des contrats de plan entre l’état et les régions
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste.
M. Laurent Lafon. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Les contrats de plan État-région (CPER) symbolisent l’indispensable travail commun entre conseils régionaux et État. Après quarante ans d’existence, ils ont fait la preuve de leur utilité pour l’aménagement de notre territoire et la définition conjointe des investissements publics nécessaires.
À ce jour, tous les CPER 2021-2027 ont été signés, mais sans les volets mobilité – je rappelle que, dans les CPER précédents, ceux-ci représentaient environ 60 % des crédits concernés.
Pour reprendre l’expression de Jacqueline Gourault, le volet transport a été « encapsulé », afin de tenir compte des grandes difficultés de financement des projets en cours et ne pas empêcher les avancées sur d’autres thématiques. Si des avenants ont été signés pour débloquer des crédits en 2021 et 2022, ils ne portaient évidemment que sur des projets inscrits dans les CPER 2015-2020.
Ma question fera écho à un appel lancé par les quinze présidents de région dans une tribune du journal Le Monde datant de quelques semaines. Ceux-ci en appelaient à un New Deal ferroviaire et soulignaient l’importance des contrats de plan pour y parvenir.
Nous sommes le 1er février 2023. Les régions sont prêtes à travailler et signer ces volets mobilité, mais elles n’ont aucune indication sur le calendrier prévu par l’État.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer la méthode que vous souhaitez mettre en œuvre et, surtout, le calendrier de signature de ces volets mobilité ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Vous avez raison, monsieur le sénateur Lafon, de souligner l’importance de cet outil de programmation, issu de la décentralisation entre l’État et les régions, que sont les contrats de plan État-région. Ces derniers existent depuis quatre décennies environ et, comme vous l’avez rappelé, il a été choisi, voilà deux ans, de prévoir une discussion spécifique sur leur volet mobilité.
Il y a urgence, je le sais, et l’impatience est compréhensible.
Pendant les années 2021 et 2022, nous avons continué à financer les projets. L’État a été au rendez-vous, et il l’est encore en ce début d’année 2023, pour poursuivre les efforts et éviter toute année blanche en matière de financement de nos infrastructures.
Nous nous étions engagés, sous l’autorité de Mme la Première ministre, à attendre le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, afin d’être en cohérence avec la nouvelle programmation globale des infrastructures qui sera proposée et mise en œuvre dans les mois à venir.
Pour être précis, dans les prochaines semaines, sans doute au cours du mois de février, nous adresserons aux préfets de région, pour ce qui concerne l’État, des mandats qui permettront d’engager très concrètement la négociation des volets mobilité pour la période 2023-2027 avec chacune des régions.
L’objectif que nous allons nous fixer, si la négociation le permet – nous allons en discuter avec Régions de France, mais je pense que c’est un objectif à la fois souhaité et réaliste –, sera d’aboutir sur ces volets d’ici à l’été.
À cette réponse sur la méthode et sur le calendrier, je voudrais ajouter un mot sur le fond, même si nous avons encore un certain nombre de points à clarifier avec les régions.
Évidemment, ces CPER devront s’adapter à une nouvelle réalité et à une urgence climatique encore plus grande. Le chapitre concernant le transport ferroviaire sera donc absolument crucial : il faudra augmenter la part de ce transport dans la nouvelle génération de contrats.
Les autres modes de transport, notamment la route sous l’angle de sa décarbonation, ne seront pas privés de crédits – c’est indispensable pour beaucoup de territoires –, mais cette priorité devra apparaître très clairement dans les contrats de plan État-région.
La Première ministre porte également un second souhait, que nous avons évoqué, notamment, avec Carole Delga. Au-delà des infrastructures, la signature de ces volets doit permettre de fixer des politiques intermodales et, plus largement, de report modal avec l’ensemble des régions, mais aussi d’associer à cette négociation les échelons intercommunal et départemental, afin de bien préparer cette génération très attendue de contrats 2023-2027.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 8 février, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Lors du scrutin n° 113 du 31 janvier 2023 portant sur l’ensemble du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, mon collègue Bernard Delcros souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Candidatures à deux missions d’information
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème : « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement. »
En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème : « Le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique. »
En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Candidatures à deux commissions spéciales
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-sept membres des commissions spéciales sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, et sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires.
En application de l’article 8 bis, alinéa 3, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes politiques ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Candidature à une mission d’information
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la mission d’information sur le développement d’une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, présentée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 105, texte de la commission n° 282, rapport n° 281).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mi-janvier, il y a quinze jours, dans l’État de New York, les infirmières ont déclenché un mouvement qui fut massif. En quelques jours, elles ont eu gain de cause : elles ont obtenu des ratios de soignants par patient.
Il n’y a pas que la France qui, soumise à des contraintes budgétaires, a voulu résoudre celles-ci en réduisant le nombre de soignants au lit des malades dans ses hôpitaux.
Conjuguée à la stagnation des rémunérations – stagnation qui, les années passant, s’est transformée en baisse –, cette ligne politique visait à contenir les budgets des hôpitaux en actionnant la contrainte du premier poste de dépense, la masse salariale.
L’effet fut le même partout : les soignants, mal payés et surchargés de travail, ont commencé à quitter l’hôpital.
Si nous voulons rendre à l’hôpital public son attractivité, nous devons répondre à deux problématiques principales : celle des rémunérations, en prenant en compte le travail de nuit et le week-end, et celle de la charge de travail, élément fondamental de la qualité de vie au travail pour les soignants, et de la qualité et de la sécurité des soins pour les malades.
Le Ségur a apporté des réponses à la première question. Il doit d’ailleurs être complété, car trop d’insuffisances et trop d’injustices subsistent. Mais la question des rémunérations ne peut à elle seule maintenir ou ramener à l’hôpital des soignants fatigués, lassés de la dégradation des conditions d’exercice de leur mission.
Ces soignants, nous les avons longuement écoutés dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont Catherine Deroche était rapporteure.
Nous avons entendu leur colère face à la perte de sens de leur métier. Ils aiment ce dernier et se consacrent à leur travail, mais ils ne veulent pas rentrer chez eux le soir en ayant parfois le sentiment d’avoir été maltraitants par manque de temps, ce temps qui est si précieux dès lors que l’on ne veut pas résumer le soin à des actes techniques, mais respecter en lui les dimensions relationnelle et humaine.
L’unanimité de ce constat était frappante et nous nous devons d’y apporter une réponse. Nous pouvons du reste en identifier la cause : celle-ci tient au nombre de soignants par patient, qui a été réduit au fil des années.
Il faut inverser cette évolution qui sape les fondements des métiers du soin en portant atteinte à leurs valeurs. Il faut revenir à un nombre de soignants par patient plus élevé.
À l’étranger, de nombreux pays ont établi des ratios, souvent de six à dix patients par infirmier, avec comme résultat démontré une amélioration de la qualité des soins, une diminution du nombre de complications, un raccourcissement des hospitalisations, un abaissement du nombre d’infections nosocomiales et d’erreurs médicamenteuses.
Un effet positif en termes de dépenses est même relevé à moyen terme, car l’augmentation des effectifs est plus que compensée par les coûts évités grâce à la diminution du nombre de complications et des durées d’hospitalisation.
En France, les ratios existent déjà. Ils ne sont réglementaires que pour certaines activités de soins, mais dans la réalité, dans le quotidien, ils sont omniprésents.
Les budgets de tous les hôpitaux, les projets de restructuration de tous les hôpitaux, intègrent des ratios de douze à quinze patients par infirmière quand la moyenne des pays comparables est plutôt de six à dix.
En réalité, tout le monde édicte des ratios, mais le législateur, lui, devrait rester silencieux quand ceux-ci sont devenus un puissant facteur de démotivation des soignants, car fondés sur des critères financiers, car déconnectés de la qualité des soins ?
Les travaux préparatoires à notre délibération, et en particulier les nombreuses auditions menées par la rapporteure Laurence Rossignol, que je remercie et dont je salue l’important travail, ont révélé l’unanimité des organisations professionnelles et des syndicats de soignants à ce sujet.
Des infirmières aux kinésithérapeutes, des sages-femmes aux médecins, tous demandent l’adoption de ce dispositif et le présentent même souvent comme indispensable pour stopper le départ des soignants de l’hôpital.
Je veux croire que notre assemblée saura répondre à cette demande.
Et d’autant plus largement que le texte adopté par la commission des affaires sociales a intégré les remarques constructives d’un certain nombre d’acteurs sur la nécessaire progressivité des ratios et sur leur adaptation aux spécificités des établissements et des spécialités.
Karl Popper, en son temps, a théorisé la nécessité que nous affrontons d’une formule : il faut une règle du jeu et il faut du jeu dans la règle. Nous ne devons abandonner aucun des termes de cette juste position. La souplesse, oui ; le renoncement, non.
Aucun motif technocratique ne peut justifier le refus de ratios conformes aux enjeux de qualité et de sécurité des soins quand ceux qui les refusent appliquent sans état d’âme des ratios financiers insupportables pour les soignants.
Mes chers collègues, des lits – beaucoup de lits – sont aujourd’hui fermés faute de soignants. Une enquête de l’agence pour l’emploi des soignants menée en 2022 auprès des intérimaires montre que les critères principaux amenant à la décision de quitter l’hôpital et qui pourraient amener à y retourner concernent non pas la rémunération, mais l’adaptation des plannings et un ratio infirmier/patient cohérent.
Dans son rapport du 17 novembre 2022 – il est donc tout récent – sur les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé, le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) confirme que le lien entre les ratios de personnel, la qualité et la sécurité des soins est étayé par la littérature.
Alors, mes chers collègues, je sais l’engagement de chacun et de chacune dans notre assemblée pour que nos hôpitaux de proximité, les centres hospitaliers, universitaires ou non, de nos territoires retrouvent leur attractivité et répondent au mieux aux besoins de santé de nos populations.
La mesure que je vous propose aujourd’hui, que la commission des affaires sociales vous propose aujourd’hui, est un élément de réponse fondamental attendu par les soignants.
Le Sénat, en adoptant ce texte, enverra deux signaux majeurs.
Un premier signal aux soignants, pour leur dire que nous les avons écoutés et entendus et que nous prenons nos responsabilités pour que le sens de leur métier soit respecté, pour que qualité et sécurité des soins soient la règle.
Un second signal au Gouvernement, auquel nous demandons de fonder ses décisions à venir sur une véritable approche de santé, non pas en niant la nécessité de choix budgétaires, mais en posant la qualité et la sécurité des soins en déterminant de ces choix.
L’heure est non plus aux paroles, mais aux actes. Nous pouvons, nous devons prendre soin de nos hôpitaux et de leurs soignants. Je vous appelle à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Catherine Belrhiti, MM. Bernard Fialaire et Marc Laménie, ainsi que Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs années que, dans cet hémicycle, nous discutons de la situation de l’hôpital.
Il ne s’agit pas d’une révélation que le Sénat aurait eue à l’occasion de la pandémie de covid-19 : notre commission des affaires sociales se rappelle particulièrement l’automne 2019 et les discussions pour le moins heurtées relatives au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, sur fond de grève des urgences et d’annonces présidentielles inopinées.
Cependant, malgré l’attention continue portée par les sénateurs à la situation de l’hôpital, malgré la constitution d’une commission d’enquête qui a mené un travail fouillé et formulé des recommandations adoptées à la quasi-unanimité, l’action du Gouvernement au service du redressement de l’hôpital peine à trouver l’élan nécessaire – j’espère que vous appréciez l’euphémisme, mes chers collègues.
Quelle est la réalité de l’hôpital aujourd’hui, dans le contexte de crise générale que traverse notre système de santé ?
Les soignants sont épuisés. Épuisés de ne plus pouvoir exercer leur métier dans des conditions décentes ; épuisés de devoir assurer des gardes de nuit et de week-end plus nombreuses faute d’effectifs en nombre suffisant ; épuisés de voir les équipes se déliter, constatant le départ de ceux qui renoncent et le recrutement d’intérimaires qui fragilise encore plus leurs services.
Le Ségur, bien que nécessaire, n’a pas répondu à l’ensemble des enjeux. L’hôpital est fragilisé, les équipes au bord de la rupture, et en 2022, l’activité n’a toujours pas retrouvé des niveaux comparables à ceux d’avant la pandémie.
Le rapport de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France s’intitulait Hôpital : sortir des urgences. Tel est l’enjeu principal auquel nous devons répondre.
Dans les services, cela suppose de redonner du temps aux soignants et, partant, aux soins.
La rapporteure de la commission d’enquête et présidente de la commission des affaires sociales Catherine Deroche appelait à établir des standards capacitaires. Accompagnés des recrutements adéquats, ces derniers devaient garantir aux équipes soignantes d’être en nombre suffisant pour faire face à la charge de soins, et ainsi retrouver des conditions d’exercice convenables.
C’est cette recommandation que Bernard Jomier, qui présidait cette fameuse commission d’enquête, a entendu traduire par la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Son principe est simple : établir un nombre minimal de soignants par patient hospitalisé. Celui-ci peut être désigné par les termes « standard » ou « référentiel » : nous avons finalement retenu le mot « ratio ».
La commission des affaires sociales – je m’en réjouis – a souscrit au dispositif proposé, qu’elle a amendé sur mon initiative.
L’intention est claire : la commission entend s’adresser aux soignants et leur garantir une restauration de leur qualité de vie au travail et de leurs conditions d’exercice.
Ces ratios sont-ils le bon moyen pour y parvenir ? Nous avons de bonnes raisons de le penser. Sont-ils le seul moyen ? Nous ne le prétendons nullement.
Des expériences étrangères – je pense en particulier à la Californie ou au Queensland en Australie – suffisamment documentées montrent des effets positifs très clairs liés à la mise en œuvre de ratios de soignants.
Amélioration de la durée moyenne de séjour, baisse de la mortalité ou encore des réadmissions : l’instauration de ratios a des effets favorables en matière de santé publique.
Ce n’est du reste pas une surprise. La Haute Autorité de santé constatait en décembre une corrélation reconnue par la littérature entre l’effectif médical et le pronostic des patients.
Parallèlement, l’instauration de ratios a des effets tout aussi clairs sur la qualité de vie au travail du personnel soignant : augmentation de l’attractivité, baisse des situations d’épuisement ou de burn-out, soit précisément ce à quoi nous voulons œuvrer.
Pour la commission, rétablir l’attractivité et offrir des conditions décentes d’exercice aux soignants sont des conditions nécessaires pour reconstituer les effectifs et renforcer les équipes.
Ce sont les conditions indispensables pour faire revenir les soignants qui ont quitté l’hôpital et pour prévenir de nouveaux départs.
M. le ministre de la santé et de la prévention avait déclaré qu’il ne fallait prendre en la matière de mesures ni « brutales » ni « uniformes ».
Le texte issu des travaux de la commission n’est ni « brutal » ni « uniforme » – je ne doute pas que vous saurez le reconnaître, madame la ministre.
Il n’est pas uniforme, d’abord, car les ratios de qualité que la proposition de loi vise à créer tiennent compte des différentes activités et spécialités hospitalières. Il n’est pas question de fixer une jauge aveugle et unique, par exemple pour la pédiatrie et la cardiologie. Nous souhaitons que les ratios répondent aux besoins différenciés et – cela est précisé dans le texte – à l’évaluation de la charge en soins.
Certains estiment que ces ratios sont complexes à définir, et qu’il est préférable de travailler sur la prise en compte de la charge en soins au quotidien, service par service.
Lors des auditions, j’ai beaucoup entendu parler de la « magie » de la charge en soins. Pourquoi cela n’a-t-il jamais été fait ? Voilà trente ans que le sujet est soulevé, et on peine encore à se doter d’outils susceptibles de répondre à ce besoin d’évaluation sans créer de charge supplémentaire.
Grâce à la présente proposition de loi, ces outils deviendront une priorité et ils seront enfin définis.
Ces dispositions ne sont pas uniformes, ensuite, car nous sommes allés plus loin en commission, en prévoyant également des distinctions selon la spécialisation et la taille de l’établissement. À situation différente, traitement différent : un service de centre hospitalier universitaire (CHU) avec des surspécialités n’a pas les mêmes besoins qu’un centre hospitalier régional (CHR) dont les unités traitent des patients qui requièrent des soins en moyenne moins complexes.
De même, attachée à respecter le rôle des soignants de terrain, la commission a prévu qu’une fois ces ratios établis, les commissions médicales et de soins infirmiers devraient s’en saisir.
Le texte prévoit ainsi que ces dernières approuvent l’organisation des soins dans un établissement au regard des ratios fixés. Nous prenons donc en compte les situations particulières, et nous laissons aux soignants la latitude nécessaire dans la définition de leur maquette organisationnelle.
Ces dispositions, par ailleurs, ne sont pas brutales. Comme je l’ai précisé lors des travaux de la commission et dans mon rapport, les ratios doivent s’entendre, non pas comme des couperets, mais bien comme des « fourchettes ». Si le mot ne figure pas dans le texte, l’intention y est, et je ne doute pas que l’on veille toujours à prendre en considération l’intention du législateur.
La commission a également ménagé une entrée en vigueur progressive du dispositif. Il va de soi que les ratios ne s’appliqueront pas dès le 1er juillet 2023. Personne n’y croirait, et prétendre cela possible serait au mieux un vœu pieux, au pire un mensonge irresponsable – on ne peut pas nous soupçonner de cela.
La commission a veillé à garantir la crédibilité du dispositif. Elle a prévu que la mission de référentiel donnée à la Haute Autorité de santé prenne effet au plus tard au 31 décembre 2024. À l’issue de celle-ci, le Gouvernement disposera d’un délai de deux ans pour établir les ratios de référence, fixés par voie réglementaire.
Cette progressivité tient à la nécessité d’évaluer finement les besoins, mais aussi, et surtout, d’engager de manière réaliste les recrutements nécessaires.
La commission a, en responsabilité, souligné la distinction entre les ratios de sécurité qui existent déjà aujourd’hui et les nouveaux ratios, établis en vue de garantir la qualité des soins et des conditions d’exercice des soignants.
Les ratios qui existent aujourd’hui au nom de la sécurité des patients sont prévus par décret et constituent des conditions requises pour le fonctionnement des établissements. Dès lors qu’ils ne sont plus respectés, la capacité d’accueil est restreinte.
Ces ratios s’appliquent dans les services de néonatologie, de réanimation néonatale, de traitement des grands brûlés, de réanimation, de soins intensifs et de prise en charge de l’insuffisance rénale chronique. Les secteurs de naissance et les unités de traitement du cancer sont également soumis à des exigences du même ordre.
À ratios différents, conséquences différentes : les ratios de qualité n’entraîneront pas ipso facto de fermetures de lits. Le fonctionnement des services sera assuré pendant une durée déterminée, mais l’agence régionale de santé (ARS) sera informée de l’état des effectifs.
Les ratios de qualité visent à rétablir les capacités hospitalières par la confiance et par les effectifs. Les fermetures de lits découlent de la situation actuelle de l’hôpital ; l’adoption de notre proposition de loi n’en entraînerait pas de nouvelles.
Vous le constatez, madame la ministre, mes chers collègues, il n’est donc point question de rigidité. C’est un changement d’approche qui est proposé : sortir des ratios de performances qui ont fragilisé l’hôpital pour bâtir des ratios de qualité.
Je tiens à souligner pour conclure que la commission des affaires sociales n’oublie pas la nécessité de travailler sur d’autres enjeux directement liés à l’attractivité des métiers et aux conditions de travail, notamment le recrutement.
Faut-il évoquer la suppression de l’examen de motivation dans Parcoursup ? De nombreux soignants que nous avons entendus dans le cadre de la préparation de ce texte ont évoqué les difficultés et les dysfonctionnements qu’ils déplorent dans le recrutement des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), et le choix d’une maquette qui fragilise les conditions de formation.
Ils ont également pointé, parmi les causes des difficultés de recrutement à l’hôpital, les problèmes d’accès au logement dans les grandes métropoles.
La commission croit à la nécessité de ce dispositif et elle a entendu le message des soignants : médecins, sages-femmes, infirmiers et paramédicaux sont unanimes.
C’est en responsabilité que la commission vous invite à adopter cette proposition de loi, mes chers collègues. Je suis convaincue que ce texte n’est certes qu’une première étape, une brique, mais que celle-ci est indispensable. S’engage avec cette proposition de loi ce que je qualifierai de « loi de programmation », c’est-à-dire une loi qui voit plus loin et qui doit déterminer les moyens à venir.
J’espère que notre assemblée adoptera ce texte à la large majorité qu’il mérite, et je souhaite que l’Assemblée nationale et le Gouvernement poursuivent ensuite le travail sérieux engagé par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mmes Laurence Cohen et Évelyne Perrot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons aujourd’hui d’un objectif partagé par le Gouvernement et sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Face aux tensions auxquelles sont confrontés certains de nos services hospitaliers, en tant que responsables politiques, nous partageons un même sens du devoir.
Ce devoir consiste, selon les termes de l’exposé des motifs du texte proposé par le sénateur Jomier, que je remercie d’ouvrir ce débat, à « offrir un cadre de travail décent et bientraitant aux professionnels de santé » et à « permettre une prise en charge des patients conforme aux exigences de qualité et de sécurité des soins ».
La proposition de loi dont nous débattons a pour objet d’instituer pour chaque spécialité et type d’activité de soins un ratio minimal de soignants par lit. Plus précisément, elle prévoit de fixer et de faire établir sur le plan national par la Haute Autorité de santé un nombre minimal obligatoire d’infirmiers et d’aides-soignants de jour et de nuit présents au chevet des patients.
Si l’intention qui a présidé à l’élaboration de ce texte est tout à fait légitime, son adoption risquerait de nuire à l’objectif fixé, et finalement d’affaiblir la réponse aux besoins de santé de nos concitoyens. (Mme Émilienne Poumirol le conteste.)
Lors de son discours de vœux aux acteurs de la santé, le Président de la République a réaffirmé avec conviction que notre méthode pour parvenir à redonner du sens et de l’efficacité au travail des soignants et pour combattre les effets de l’érosion de la démographie médicale consiste à travailler à de meilleures organisations collectives pour favoriser la cohésion de la communauté hospitalière.
Cela suppose de donner plus de liberté d’organisation et de permettre plus d’agilité, pour que chaque service ait la capacité d’adapter son fonctionnement en temps réel aux besoins rencontrés.
Notre objectif est ainsi d’établir un modèle dans lequel les solutions se construisent localement à partir de la charge en soins constatée et des leviers disponibles pour y répondre.
C’est pour cela qu’avec François Braun, nous insistons sur la place du service, qu’il faut conforter et renforcer au cœur de l’hôpital. C’est bien cet échelon qu’il convient d’investir pour réinsuffler de la souplesse et retrouver de la pertinence dans des organisations du temps de travail construites avec les soignants.
L’établissement de ratios fixes sur une base nationale par la Haute Autorité de santé est à l’opposé de cette méthode.
Même en raisonnant par spécialité, même en raisonnant par type d’activité, les besoins de chaque service ne seront jamais les mêmes au même moment, non plus que les capacités et les leviers disponibles, qui diffèrent en fonction des établissements et de leurs spécificités.
Notre réponse ne doit pas consister à standardiser des effectifs ; elle doit au contraire s’efforcer de mieux allouer les ressources humaines afin de les déployer au bon endroit, au bon moment.
J’insiste sur ce terme « ressources », qui prend naturellement en compte le nombre des soignants, mais aussi leurs compétences et leur expertise.
Il ne s’agit pas de résoudre une équation. Trop longtemps, il a été reproché aux hôpitaux d’avoir une gestion trop normée, fondée sur des tableurs Excel.
Nous parviendrons à répondre aux besoins, non pas avec des tableurs Excel, mais en nous appuyant sur une évaluation au cas par cas de la charge en soins et du niveau de ressources adapté à cette charge en soins.
Cela suppose aussi de laisser les ajustements spécifiques à la main de ceux qui connaissent le mieux les besoins et les capacités de leurs équipes à y répondre. Le binôme chef de service-cadre de santé est à ce titre fondamental. Il nous faut le soutenir.
Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous voulons réaffirmer la confiance que nous avons dans ce binôme managérial dans le cadre de la transformation de l’hôpital que nous menons.
Nous souhaitons en effet que les chefs de service et les cadres de santé puissent pleinement se saisir de leur mission de garants de la qualité des soins et de la stabilité des collectifs de leur service.
Nous pensons que les managers doivent non pas organiser des cadences et un travail à flux tendu, mais bâtir de nouveaux modèles de développement plus souples, plus adaptés aux contraintes et plus participatifs.
Cette confiance, cette marge d’action et cette liberté d’organisation sont essentielles pour que chacun se sente mieux reconnu et valorisé dans son travail. Nous savons qu’un soignant qui se sent bien est un soignant qui soigne mieux.
C’est aussi un enjeu important de fidélisation des professionnels, pour que les carrières à l’hôpital public retrouvent des perspectives et toute leur attractivité.
C’est de cette manière que nous agirons réellement pour satisfaire à cette double exigence de réponse locale aux besoins des patients et de garanties quant à la qualité de vie des soignants.
Il ne s’agit pas de trouver des chemins détournés pour ignorer ou éviter de traiter les problèmes. Oui, certains services sont confrontés à une situation d’insuffisance chronique de personnel. Oui, le manque de soignants est une réalité dans certains services et dans certains modes d’exercice, pour le travail de nuit notamment.
Nous devons prendre le sujet à bras-le-corps avec pragmatisme. Nous avons le devoir de trouver les moyens d’y faire face, à très court terme.
Toutefois, même si des ratios étaient mis en place avec les meilleures intentions du monde, la question ne se réglerait pas en les « décrétant » dans la loi.
François Braun et moi-même restons fidèles à nos convictions : la coercition n’est pas un mode de résolution des problèmes dans les territoires.
Dans la mise en adéquation des effectifs avec la réalité des besoins, nous en appelons également à la responsabilité de chacun, c’est-à-dire à la responsabilisation des directions, qui doivent donner des outils adaptés aux équipes, et à la responsabilisation des équipes de terrain pour se saisir de ces outils.
Je parlais de combattre les effets de la diminution de la démographie médicale et des difficultés d’attractivité des métiers de la santé. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés à très court terme, car c’est l’urgence.
C’est un travail que nous menons parallèlement et de manière complémentaire aux efforts structurels que nous avons engagés pour nous attaquer aux causes de l’érosion de la ressource soignante et augmenter durablement le nombre des professionnels de santé.
Notre objectif – nous l’avons rappelé lors de nos vœux aux forces vives, lundi – est de former plus de soignants et de les former mieux.
Je pense bien sûr à la suppression du numerus clausus pour les médecins.
Je pense au travail que nous menons avec les régions pour remplir des objectifs quantitatifs et qualitatifs de formation de nouveaux infirmiers et infirmières au sein de cursus rénovés et sécurisés.
Je pense à la libération des voies d’accès aux métiers du soin, au développement de l’apprentissage, à la validation des acquis de l’expérience (VAE), aux contrats d’engagement et de service public, dont le nombre va augmenter.
Je pense aussi aux travaux que nous menons pour améliorer le quotidien des soignants et mieux prendre en compte la pénibilité : l’extension de la prime d’exercice en soins critiques que nous avons déjà décidée pour reconnaître la mobilisation de tous les soignants de ces services ; les mesures dédiées au travail de nuit prises depuis l’été, car, si l’hôpital ne peut jamais s’arrêter, nous constatons que cet effort ne va plus de soi aujourd’hui ; la mobilisation dans les territoires des leviers locaux d’attractivité afin de faciliter la vie quotidienne de nos soignants, qu’il s’agisse de leur logement, de leur transport, de leur stationnement ou de la garde de leurs enfants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, notre politique est globale. Elle est à la croisée des nécessités urgentes et des chantiers de plus long terme. Elle nous permet à la fois de rénover le mode de fonctionnement de nos services hospitaliers à court terme et de travailler à sécuriser leurs effectifs sur le long terme.
J’indiquais qu’inscrire des ratios dans la loi ne réglerait en rien les deux problématiques conjointes susvisées. Je crois même que leur rigidité intrinsèque serait de nature à aggraver les problèmes qu’ils entendent résoudre.
En effet, une fois les ratios établis, plusieurs questions très concrètes émergeraient d’emblée. Que se passe-t-il, par exemple, si l’hôpital n’arrive pas à recruter suffisamment pour respecter les ratios imposés par la loi ?
Je l’affirme : établir des ratios conduira inévitablement à des réorganisations de l’offre de soins, avec des effets collatéraux nécessitant des rappels de personnel, des fermetures de lits et, dans les cas les plus difficiles, des fermetures de services.
Mme Laurence Cohen. Il faut plus de moyens ! (Mme Émilienne Poumirol et M. Bernard Jomier acquiescent.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, en tant qu’élus de terrain, vous avez pleine conscience de ces réalités locales. Vous êtes nombreux à nous alerter, à nous écrire, à nous interpeller sur la situation de certains services de proximité dans vos territoires.
Si la plupart des services ont tenu face aux tensions de notre système de santé cet été comme cet hiver, c’est parce que les soignants se sont mobilisés avec le soutien des ARS pour y faire face et adapter leur fonctionnement.
Ils ont su trouver des solutions managériales pour reconfigurer leurs organisations, travailler avec la médecine de ville pour désengorger les hôpitaux et mobiliser le territoire en appui au fonctionnement des établissements.
Si des ratios rigides avaient été en place, de nombreux hôpitaux locaux et services de proximité seraient aujourd’hui fermés, avec des conséquences très dures en termes de prise en charge.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Il y a déjà des fermetures !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. À l’instar des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, les chantiers que nous avons ouverts, et que j’ai mentionnés, doivent venir soulager ces tensions, mais c’est dans un cadre managérial ouvert et flexible, basé sur l’évaluation de la charge en soins réelle, que doivent se décliner ces changements et se déployer les nouveaux soignants que nous formons en ce moment même.
Ensuite, les ratios posent des questions éthiques et juridiques majeures.
Que faire quand un patient se présente et que sa prise en charge n’entre pas dans la fraction soigné/soignant préétablie ? Que se passe-t-il si un hôpital décide de prendre en charge un patient alors qu’il ne respecte pas les ratios inscrits dans la loi ?
Notre mission est bien d’assurer la continuité des prises en charge, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour cela, il faut pouvoir s’adapter aux situations afin de proposer la solution la plus efficace et la plus sûre aux malades qui doivent être pris en charge.
Imposer mécaniquement des ratios fragiliserait la sécurité juridique des établissements.
Il faut se rendre compte que c’est la responsabilité de l’hôpital et de sa direction qui serait directement mise en cause pour tout fonctionnement en deçà des mesures fixées par la loi, y compris en cas d’absentéisme imprévu.
Enfin, je constate que le dispositif juridique envisagé aujourd’hui ne s’applique qu’aux établissements de santé assurant des missions de service public. Alors que nous nous appliquons par ailleurs à décloisonner notre système de santé, en imposant la rigidité de ratios à notre hôpital, le texte aggraverait les iniquités et disparités entre public et privé, que nous combattons justement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement est défavorable à l’article unique de la proposition de loi que nous examinons.
Cette position ne correspond en rien à un renoncement ou à une hésitation à prendre une position de fermeté. Jamais nous ne reculerons devant des mesures nécessaires pour améliorer l’accès aux soins et conforter les effectifs nécessaires aux lits des patients.
Cette position est un choix assumé, car nous ne croyons pas à la coercition, à la centralisation et au modèle unique. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Cette position n’est pas un refus. Nous nous inscrivons plutôt dans une politique globale, qui est de tout faire pour redonner confiance à nos professionnels et leur redonner envie de s’engager à l’hôpital. Il s’agit aussi de sécuriser les collectifs de travail en luttant contre l’intérim cannibale. Nous souhaitons enfin donner les moyens aux acteurs de proximité, à celles et ceux qui soignent au quotidien, de travailler en fonction de leurs besoins et de leurs contraintes, en leur laissant la marge de manœuvre nécessaire pour cela. (M. Laurent Burgoa ironise.)
Cette position, c’est celle de la confiance envers les professionnels de santé, une confiance, je le répète, qui sera accompagnée par le Gouvernement, dans le cadre de la réforme hospitalière et de l’effort inédit de formation que nous menons.
Cette position, c’est aussi de vous dire : le travail est pleinement engagé !
Cette proposition de loi est légitime dans ses objectifs. Il nous faut œuvrer ensemble à une meilleure évaluation des charges de travail de nos soignants, à redonner du temps aux professionnels de santé, pour que nos précieuses ressources humaines soient en adéquation avec les besoins des patients et au service de la santé de la population.
Associons nos communautés soignantes ; faisons confiance au terrain, en sa capacité à trouver et à coconstruire des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai écouté avec attention les interventions des orateurs qui m’ont précédé et j’avoue être partagé, à l’image des membres de notre groupe.
Je ne doute pas de la bonne intention de l’auteur de cette proposition de loi, et je comprends aussi parfaitement pourquoi elle est discutée dans cet hémicycle. Notre présidente, Catherine Deroche, l’a rappelé en commission : ce texte résulte en partie des conclusions de la commission d’enquête sur l’hôpital, qui a constaté – ce que nous savions – la dégradation de notre système hospitalier et l’extrême lassitude de nos soignants.
Pour ce qui me concerne, ce sera un « oui, mais ».
Oui, car la crise de la covid-19 a été éreintante pour nos soignants, et nombre d’entre eux ont été surmenés. Si cette proposition de loi va dans le bon sens, elle s’inscrit dans un climat toujours aussi tendu dans la communauté médicale. Aujourd’hui, en cas de survenue d’un accident médical, par exemple du fait d’un manque de personnel, avec une demande de dommages et intérêts du patient, le juge pourra retenir la responsabilité de l’établissement de santé s’il estime que le nombre d’infirmiers présents n’était pas adapté aux contraintes de service et que ce défaut d’organisation a été à l’origine d’un préjudice pour le patient.
Il est donc nécessaire de réformer et d’anticiper. Cette proposition de loi se base notamment sur des expériences étrangères menées en Australie, en Californie, avec des résultats parfois significatifs sur la qualité des soins et le bien-être au travail du personnel soignant.
Par parenthèse, mes chers collègues, il y a quelque chose de terrible à évoquer des exemples étrangers pour chercher à améliorer notre système de santé. Je ne pense pas que cela aurait été le cas voilà quelques années.
Comme l’analyse la rapporteure, le texte doit être vu comme une loi de programmation. Il n’est donc pas réaliste de prévoir une mise en œuvre du dispositif proposé en seulement quelques mois, ne serait-ce qu’en raison du temps nécessaire au recrutement, à la formation et au financement des postes.
Si cette proposition de loi laisse jusqu’au 31 décembre 2024 à la Haute Autorité de santé pour définir ces ratios en vue d’une application réglementaire à compter du 1er janvier 2027, il ne faut pas se tromper sur la nécessité d’une réforme dans le système hospitalier.
L’attractivité, la rémunération, le bien-être sont des sujets à travailler en profondeur, car ils sont aujourd’hui le cœur d’un système de santé qui s’essouffle. Aujourd’hui, selon plusieurs organisations, près de 10 % des emplois infirmiers ne sont pas pourvus.
L’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé suffira-t-elle à résoudre à court terme la pénurie de personnel ? Je n’en suis pas sûr du tout.
J’en viens donc au « mais » du « oui, mais ».
Pour pallier le manque de professionnels soignants disponibles sur le marché du travail, il faut avoir à l’esprit que les soignants ont surtout besoin, au-delà d’une bonne rémunération, de conditions de travail qui leur permettent de se sentir utiles et de s’épanouir en toute confiance.
Parce que les ratios s’apprécient souvent beaucoup plus sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif, ils apparaissent comme une réponse approximative.
D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas, et la défiance à l’égard de notre système de santé s’est installée.
Plus largement, mes chers collègues, je veux vous faire partager quelques interrogations.
Je ne pense pas que le remède aux maux de notre système de santé réside dans la multiplicité des initiatives législatives ou parlementaires. Je vous ai déjà fait part de cette réflexion lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, au mois de novembre dernier. J’ai même parfois l’impression que toutes ces initiatives, toujours bien intentionnées, certes, finissent par stresser le système et désespérer les soignants.
Nos doutes sur cette proposition de loi concernent aussi le principe même des ratios. Le mot ratio fait penser à « rationnement », ce qui fait écho à la notion de pénurie, mais c’est rarement le remède à la pénurie.
En vérité, notre système de santé, autrefois une fierté française, est aujourd’hui en grande souffrance et dans une extrême fragilité. Je crois beaucoup plus à une grande loi Santé qui remettrait tout à plat et viendrait redonner du sens au travail de nos soignants.
Le sens du travail est d’ailleurs une question clé pour la société française d’aujourd’hui, y compris sur la question des retraites. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Enfin, il y a un grand risque à mettre le doigt dans l’engrenage de la société de ratios. Des ratios pour les soignants ; demain, des ratios pour les enseignants,…
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Cela existe déjà !
M. Olivier Henno. … pour la police, et pourquoi pas pour les services publics, y compris municipaux ? Et là, bon courage !
Pour ma part, je le répète, j’y vois un grand risque.
Pour conclure, je dirai que la question abordée par cette proposition de loi est une bonne question, car le Ségur de la santé n’a pas résolu le malaise de l’hôpital. En revanche, notre groupe a un vrai doute sur la pertinence de la réponse. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à établir des ratios de patients par soignant dans les hôpitaux publics et les établissements privés à but non lucratif. Elle entend ainsi apporter une réponse aux difficultés de l’hôpital en instaurant, d’une part, une base légale claire aux ratios de sécurité déjà existants dans certains services – réanimation, soins continus –, et en créant, d’autre part, des ratios dits « qualitatifs », décrits par notre rapporteure, Laurence Rossignol, comme des fourchettes cibles à atteindre en fonction des contextes locaux.
Mes chers collègues, l’hôpital va mal ! Les soignants le quittent et des lits ferment. On ne compte plus les exemples de patients restés vingt-quatre, quarante-huit heures sur des brancards dans les couloirs des urgences ; on ne compte plus les témoignages de patients qui ont parfois le sentiment d’avoir été maltraités.
Oui, le système actuel est maltraitant, pour les patients comme pour les soignants, alors que l’humain est au cœur de leur vocation. Et il doit revenir au cœur de leur pratique !
Pour cela, c’est certain, il faut plus d’effectifs dans les services. C’est l’un des vœux exprimés par le Président de la République au début de janvier. Personne ne le contredira sur ce point, car la situation pénalise tout le monde.
Tout d’abord, les patients font face à des risques accrus : infections nosocomiales et réadmissions plus fréquentes, voire mortalité plus élevée.
Ensuite, les soignants doivent, eux, gérer de plus en plus de patients en étant de moins en moins nombreux, ce qui aboutit à une perte de sens, des arrêts maladie et des démissions en pagaille.
Les soignants réclament avant tout une amélioration de leurs conditions de travail, et notamment plus de temps consacré au patient. Aussi, l’intention de nos collègues à l’origine de la proposition de loi est louable, et nous souscrivons évidemment aux objectifs visés, à savoir améliorer l’accueil des patients et les conditions de travail des soignants.
Pour autant, de nombreuses questions se posent quant à son efficacité et des doutes apparaissent.
D’abord, il y a la crainte de voir davantage de services fermer faute de parvenir à atteindre ces nouveaux ratios. La rapporteure a évoqué un délai de trois jours pour alerter l’agence régionale de santé en cas d’incapacité à satisfaire les ratios qualitatifs. Trois jours, et ensuite ? L’ARS devra-t-elle aider l’établissement à trouver une solution ou devra-t-elle lui imposer de fermer des lits ? Comment l’ARS pourrait-elle trouver des soignants quand les responsables de l’établissement n’y parviennent pas ? Les hôpitaux ne seront-ils pas tentés de recourir davantage à l’intérim, alors que nous tentons, vainement pour l’heure, de mettre un coup d’arrêt à ces pratiques ?
Malheureusement, les soignants n’apparaîtront pas d’un coup de baguette magique. Aujourd’hui, les établissements veulent recruter, mais il n’y a pas de candidats. C’est pourquoi nous devons former davantage de personnes et, en même temps, améliorer l’attractivité des métiers. C’est un chantier urgent, à mener notamment avec les régions, pour augmenter le nombre de places de formation dans les Ifsi, redonner du sens au métier, réfléchir sur la validation des acquis de l’expérience, développer la voie de l’alternance, qui est encore insuffisamment utilisée, et revoir le financement des formations dans le cadre d’un parcours professionnel.
Ensuite, améliorer la qualité de vie au travail, c’est aussi revoir le financement et l’organisation des hôpitaux. Si le Ségur de la santé n’a pas été le déclencheur espéré, il y a urgence à réformer la tarification à l’activité (T2A) et à sortir des indicateurs comme la réduction de la durée moyenne de séjour, par exemple.
À mon sens, sans une vision à 360 degrés, qui exige de sortir d’une accumulation de différents projets et propositions, même s’ils ont tous un intérêt certain, cette proposition de loi risque d’être incantatoire. J’entends l’importance d’envoyer un signal positif aux soignants, mais je crois encore plus à la nécessité d’être efficace. On ne peut plus vendre du rêve aux patients et aux soignants.
Vous l’aurez compris, si nous partageons l’intention louable de ce texte, une partie du groupe RDSE reste sceptique sur ses effets réels. Aussi, une bonne partie de ses membres s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le dévouement des soignants, dans le contexte d’un fonctionnement dit « normal » des établissements de santé et des hôpitaux après une crise sanitaire terrible, est exemplaire. Outre la profonde reconnaissance de la Nation, ils doivent également recevoir un soutien renforcé.
Le rapport de la commission d’enquête sur l’hôpital et le système de santé, réalisé à la demande du groupe Les Républicains par notre collègue Catherine Deroche, nous y invitait déjà voilà moins d’un an, à partir d’un état des lieux précis et de recommandations concrètes.
La proportionnalité des moyens hospitaliers était déjà au centre des préoccupations, compte tenu de l’évolution des défis de la santé et du système de soins.
Parmi les préconisations formulées, l’amélioration des capacités d’accueil des services d’urgence devait retenir toute notre attention.
Aujourd’hui, la conversion d’une de ces recommandations en proposition de loi nous oblige.
Le taux d’encadrement des patients, la définition de standards capacitaires et l’utilisation d’indicateurs fiables pour soutenir nos hôpitaux doivent être renforcés.
En premier lieu, ces avancées conditionnent un meilleur pilotage de nos politiques de santé. Il s’agit d’un impératif pour préciser les besoins des hôpitaux et pouvoir leur affecter les moyens les plus utiles.
Les derniers textes financiers et budgétaires ont notamment permis de préserver les budgets hospitaliers de toute économie malvenue. Une rallonge de 1,1 milliard d’euros a également été décidée pour soutenir les hôpitaux.
Afin de permettre une bonne exécution budgétaire et une pleine efficacité de nos politiques de santé, il est nécessaire de disposer d’indicateurs fiables, que la présente proposition de loi contribue utilement à déterminer.
En deuxième lieu, il importe que la situation et les seuils concernant l’activité hospitalière se traduisent par des objectifs réalistes.
Je veux insister sur ce point, car il a fait l’objet de la plus grande attention et du meilleur engagement du groupe Les Républicains en commission.
D’une part, la fixation de ratios minimaux, notamment entre le nombre de soignants et le nombre de lits ouverts, exprime concrètement le souci d’un accueil rationalisé des patients jusque dans les services d’urgence. Un tel ratio doit inclure les personnels de santé effectivement disponibles pour les patients, des infirmiers jusqu’aux aides-soignants.
D’autre part, ces ratios doivent être encore plus réalistes. Les fixer de manière aveugle dans tous les services en période de pénurie reviendrait à rompre en pratique les promesses de soutien formulées dans les différents textes que nous avons votés.
Le groupe Les Républicains s’est donc attaché à adapter ces seuils, non seulement pour garantir qu’ils ne sont pas illusoires et qu’ils sont effectivement applicables au sein des hôpitaux, mais surtout pour lier ces objectifs à une croissance des moyens hospitaliers sur les années à venir.
C’est la raison pour laquelle les ratios feront l’objet d’une double adaptation.
Ils pourront tout d’abord être modulés pour tenir compte des circonstances locales liées à la population, aux effectifs des hôpitaux et aux moyens disponibles.
Ils seront, plus encore, lissés sur les années à venir, selon une politique de santé réaliste, soucieuse d’accompagner ensemble les patients, les soignants et les établissements.
Les amendements adoptés en commissions doivent être à cet égard salués.
En dernier lieu, ces ratios constituent plus que des conditions d’application de notre politique de santé et de renforcement de nos établissements hospitaliers. Ils portent également une forte charge symbolique pour nos soignants, nos chefs de service et d’établissement. Ils apportent la première pierre au soutien de nos hôpitaux.
Les professionnels de santé, nous en avons conscience, sont mus par une vocation à accomplir un service public qui ne doit pas être synonyme de sacrifice permanent pour ceux qui l’assument au quotidien. Leurs conditions de travail doivent être attentivement préservées et plus renforcées que jamais, comme tous les travaux parlementaires le montrent.
Ce sera le cas avec ce texte, qui ne s’accompagnera en pratique d’aucun affaiblissement du service hospitalier et d’aucune fermeture de lits, comme notre collègue rapporteure, Laurence Rossignol, l’a déjà démontré.
Préciser l’équilibre entre le nombre de soignants et leurs patients contribuera, dans notre service public hospitalier, à l’amélioration qualitative des soins, au bénéfice tant des premiers que des seconds, avec, en parallèle, l’augmentation des moyens dont bénéficieront hôpitaux et établissements de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la pandémie que nous avons connue en 2020 a permis de mettre en lumière les difficultés majeures que rencontrent les soignants à l’hôpital. Ces difficultés étaient déjà bien présentes avant la crise : manque de personnel, rappel pendant les jours de repos, épuisement.
La crise de la covid-19 n’a fait qu’aggraver ces problèmes et beaucoup de soignants ont ainsi choisi de quitter leur profession pour changer de voie. Ces départs dégradent encore davantage les conditions de travail de ceux qui restent, faisant courir le risque de départs en cascade.
Le Ségur de la santé a permis de revaloriser leurs rémunérations – il était important de le faire –, mais cela n’a malheureusement pas suffi à endiguer les départs ni à augmenter le nombre de soignants présents auprès des patients. Parfois, les postes financés ne sont pas pourvus.
Cette proposition de loi vise à établir et à garantir un ratio minimal de soignants par nombre de lits ouverts dans les services hospitaliers ou pour les activités ambulatoires, afin d’assurer aux patients une prise en charge de qualité et de bonnes conditions de travail aux soignants.
Aujourd’hui, de tels ratios existent, mais seulement pour certains services – réanimation, néonatologie, soins intensifs, etc. Or un nombre minimum de personnels soignants est nécessaire, quel que soit le service.
Les aides-soignants doivent avoir le temps nécessaire pour effectuer des changes, des soins de peau, mais aussi pour porter de l’intérêt aux patients et dialoguer avec eux. Prendre soin, ce n’est pas seulement faire des soins, c’est aussi considérer le patient comme une personne qui doit être écoutée et informée.
Pour les infirmiers et infirmières, il s’agit de ne pas réaliser les soins au pas de course, d’avoir le temps nécessaire pour observer dans la journée l’évolution de l’état général du patient en fonction de sa pathologie.
Les soignants aiment leur métier. Ils prodiguent des soins, mais aussi de l’écoute et de la bienveillance. Or ils sont souvent découragés par l’impossibilité d’effectuer correctement leur travail à cause d’une charge trop lourde et d’un manque de temps.
Malgré les augmentations du Ségur, ces métiers ne sont pas attractifs à cause des cadences trop élevées. La fidélisation du personnel tient aussi à la qualité des conditions de travail. Nous devons donc former beaucoup plus de soignants.
Bien sûr, le terme « ratio » peut faire peur, car il fait penser à des règles uniformes, strictes, qui ne tiennent pas compte de la réalité propre à chaque établissement. Cette proposition de loi ne doit certainement pas conduire à fermer des lits ni des services. Ces ratios devront donc être appliqués avec souplesse, pour une bonne prise en charge des malades.
Le texte prévoit justement d’associer les commissions médicales d’établissement et les commissions des soins infirmiers, qui seront chargées d’approuver l’organisation des soins en fonction des ratios en tenant compte des contraintes de l’établissement.
L’application de ce texte aurait également tout son sens dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), où le personnel est insuffisant pour prendre en charge décemment nos aînés devenus très dépendants, une situation qui va s’aggraver nettement d’ici à 2030.
Nous attendons donc avec impatience la mise en œuvre du plan Grand Âge, avec les 50 000 emplois supplémentaires annoncés par le Président de la République, ce qui ferait passer le taux d’encadrement des soignants de 0,3 à 0,4 par pensionnaire, soit environ cinq emplois de plus par Ehpad. Ce plan est aussi très attendu par les familles et les personnels de ces établissements.
En attendant, nous sommes favorables à cette proposition de loi, qui a pour but d’éviter l’épuisement et le découragement du personnel, d’améliorer la prise en charge globale des patients par plus d’écoute et de surveillance, et ainsi de rendre de nouveau attractif ce très beau métier de soignant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous les avons applaudis depuis nos fenêtres ! Après des années de rationnement, les soignants exigent une perspective de sortie de la crise traversée par l’hôpital public.
Le spectre de la dégradation des conditions de travail est vaste : heures supplémentaires subies, travail morcelé, pressé, compressé, vétusté des équipements, ballottement de service en service afin de pallier le manque de personnel.
À rebours d’une situation qui empire, cette proposition de loi se veut aussi un signal envoyé aux soignants. Elle ouvre une fenêtre sur un horizon attendu d’effectifs suffisants dans chaque service. Les ratios de soignants permettent d’améliorer tant la sécurité et la qualité des soins que la qualité de vie au travail. Ils sont une partie de la solution.
Ils empêchent de faire des effectifs la variable d’ajustement des contraintes budgétaires et limitent les changements incessants d’affectation des professionnels qui gaspillent leur spécialisation, défont les collectifs et produisent souffrance et perte de sens.
Dans une lettre ouverte datant de 2022, le collège de la Haute Autorité de santé a souligné « l’importance d’équipes stables partageant une culture commune de qualité et de sécurité des soins ».
Pour autant, les résultats positifs imputés aux ratios, études internationales à l’appui, sont toujours corrélés, donc subordonnés à l’augmentation des effectifs soignants.
Le présent texte prévoit un mécanisme d’alerte en cas de constatation d’une incapacité à respecter les ratios qualitatifs au-delà d’une durée de trois jours. Que se passera-t-il ensuite ? Qui aura la responsabilité de sortir de l’injonction paradoxale ?
Des ratios qualitatifs officieux existent déjà et ils ne sont pas appliqués, ni par les soignants ni par les directeurs d’établissement, pour de profondes raisons structurelles.
La distinction introduite entre « ratios de qualité » et « ratios de sécurité » démontre la difficulté de l’équation et de son application.
La sécurité des patients et la qualité des soins sont imbriquées, et, en l’état du système de santé, les garanties devraient relever d’une grande loi.
Les fédérations hospitalières craignent qu’une équation impossible de plus ne soit imposée au secteur public et au secteur privé non lucratif. En l’état, la crainte de fermetures de lits ou de services n’est pas à négliger, d’autant que l’absentéisme se stabilise à un niveau plus élevé qu’avant la crise sanitaire.
Par conséquent, si nous soutenons l’instauration de ratios dans le secteur sanitaire et appelons à son extension dans le champ médico-social, nous estimons fondamental que cette mesure soit corrélée à une traduction budgétaire forte, notamment à travers un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) enfin défini à partir des besoins de soins et de qualité de vie au travail des soignants. Il faut enfin qu’elle suive un calendrier réaliste afin de pouvoir recruter, former et augmenter les salaires.
Plus globalement, la fixation de quotas devra prendre place dans une grande loi Santé, une loi très attendue, car c’est le seul moyen de donner tout son sens et toute son efficience à ces propositions indéniablement positives, tout en maîtrisant les effets collatéraux préjudiciables qui expliquent certaines des réticences que cette mesure suscite.
Après les avoir applaudis, nous répondrons à leur appel ! Afin d’envoyer un signal fort de soutien aux soignants, qui réclament majoritairement l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Abdallah Hassani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment ne pas partager le souhait de réduire la charge des personnels soignants, que l’on sait épuisés, d’inciter ces derniers à rester dans nos hôpitaux ou de faire revenir ceux qui les ont quittés ?
Le texte qui nous est soumis vise aussi à assurer une prise en charge de qualité à nos concitoyens grâce à un encadrement adéquat. Nous partageons ce but, mais est-ce le meilleur chemin ? Présenté comme souple, il risque plutôt de rigidifier l’organisation au sein des hôpitaux, là où, justement, nous nous efforçons de créer de l’agilité pour aller au plus proche des besoins territoriaux.
Des ratios de sécurité existent déjà pour certains services, mais, faute des conditions prévues, les capacités d’accueil sont suspendues ou réduites. Ces principes seraient actés dans la loi, alors qu’ils sont, jusqu’à présent, d’ordre réglementaire. Le président du Sénat parlait il y a peu de « sobriété législative ». Pourquoi inscrire dans la loi une mesure qui relève bien davantage du décret ?
Le texte propose de créer d’autres ratios, dits « de qualité », sur la base des recommandations de la Haute Autorité de santé. Une révision aurait lieu tous les cinq ans. Le non-respect des ratios qualitatifs au-delà de trois jours serait signalé à l’ARS. Que ferait-on, alors ? Quelles seraient les responsabilités pour les établissements ne parvenant pas à atteindre ces ratios ? L’insécurité juridique d’un tel dispositif et les risques pour la pérennité des services sont à noter.
Censé devenir une loi de programmation, ce texte serait appliqué en deux temps. N’est-ce pas faire peser une inquiétude sur les acteurs à court terme ?
Alors, oui, je l’ai dit, nous partageons tous la volonté de proposer des solutions aux soignants, mais ce qu’ils souhaitent, à mon sens, ce sont des engagements concrets plutôt que des rigidités à long terme.
Je pense aux revalorisations du Ségur, aux mesures de compensation de la pénibilité, notamment pour le travail de nuit, prises depuis l’été dernier, ou encore aux 19 milliards d’euros d’investissements dans la santé.
En tout cas, je peux vous assurer qu’à Mayotte, l’hôpital connaît un manque considérable de soignants. L’activité, sous pression, exerce toujours de fortes tensions au regard des capacités. Je crains que ces ratios ne soient pas la réponse adéquate au regard de l’ampleur de la tâche.
Ce texte, dont les intentions sont certes louables, ne peut donc pas, en tout état de cause, représenter une réponse globale aux défis à relever. Il pourrait plutôt complexifier notre système de santé, et conduire ainsi à un résultat inverse à celui qui est recherché. C’est pourquoi le groupe RDPI s’abstiendra. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à établir un ratio minimum de soignants par patient au sein des services de l’hôpital public.
Le constat, nous le connaissons et nous le partageons : fermetures de services, annulations d’opérations programmées, démissions dans le personnel soignant, etc. L’hôpital public et ses effectifs sont depuis des années en souffrance et, je dirai même, en détresse.
Les périodes de crise et de tensions dans les services hospitaliers se succèdent, et le Ségur de la santé, qui a certes permis une revalorisation salariale, apparaît comme une réponse insuffisante face à l’ampleur des difficultés que rencontre l’hôpital.
En effet, plus encore que le trop faible niveau de rémunération, ce sont les conditions de travail dégradées et le manque de temps médical auprès des patients – que dénoncent les soignants – qui entraînent le départ des professionnels. Ainsi, près de 10 % des postes d’infirmière ne sont pas pourvus à l’heure actuelle.
Et pour cause ! Ce sont à l’heure actuelle les contraintes budgétaires et non les besoins en soins qui déterminent le nombre d’infirmières dans les services et la composition de l’équipe de soins.
Pourtant, nous le savons, les infirmiers et les aides-soignants jouent un rôle essentiel dans la qualité des soins. Les études scientifiques le montrent : la mortalité des patients augmente dès qu’une infirmière doit s’occuper de plus de six patients. Or, dans nos hôpitaux, une infirmière est, dans la plupart des services, chargée de quinze patients en journée et de vingt-quatre la nuit !
Il paraît donc indispensable de repenser l’organisation du travail à l’hôpital, de changer le paradigme de l’Ondam et de garantir un nombre suffisant de professionnels de santé par patient.
Tel est l’objet du texte que nous présentons : assurer à la fois une prise en charge de qualité pour les patients et de bonnes conditions de vie au travail pour les soignants. Il permettra de redonner de l’attractivité et du sens au travail de l’ensemble des personnels.
Cette proposition de loi est le fruit de plusieurs années de travail, d’auditions et de concertations avec les membres du personnel hospitalier, en particulier avec le collectif Inter-hôpitaux dans le cadre du référendum d’initiative partagée visé par la proposition de loi de programmation pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité. Je remercie notre collègue Bernard Jomier de présenter aujourd’hui ce texte.
Notre proposition de loi, par laquelle nous ne prétendons pas, bien sûr, résoudre l’ensemble des difficultés de l’hôpital, représente une réelle avancée. Ainsi, elle fixe un objectif de rétablissement d’effectifs suffisants auprès des patients, et elle tend à charger la HAS de définir par spécialité et par type d’activité un ratio minimal de soignants par lit ouvert, ou, pour les activités ambulatoires, par nombre de passages.
Au cours des auditions menées par notre rapporteure Laurence Rossignol, nous avons entendu, d’une part, l’approbation et l’espoir soulevé pour l’ensemble des soignants – ces derniers sont infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, médecins, etc. –, d’autre part, les interrogations des directions hospitalières. Cela a amené notre rapporteure à modifier l’article unique en précisant les modalités et le calendrier de l’entrée en vigueur des mesures.
Le texte est pensé comme une loi de programmation : il définit une cible à atteindre grâce à une entrée en vigueur progressive des dispositions. Cela permettra ainsi d’évaluer au plus près la charge de soins des différents postes, charge qui, nous l’avons entendu et compris, dépend de nombreux facteurs, non seulement dans les différentes spécialités, mais aussi dans les différents territoires, parfois même en fonction de l’architecture des bâtiments.
Nous avons l’expérience des politiques de ratios infirmiers par patient dans les services où ces ratios sont obligatoires. Des expérimentations ont été réalisées en Australie et aux États-Unis. Elles ont montré qu’il existait un lien certain entre l’augmentation de la dotation en infirmières et la diminution de la durée du séjour, des réadmissions, de la morbidité, des erreurs médicales, et, même, des démissions dans le personnel infirmier.
Oui, cette mesure sera coûteuse et nécessitera un fort investissement de l’État, mais les études scientifiques le montrent : à moyen et long termes, augmenter les effectifs du personnel soignant constitue un investissement positif sur le plan financier.
En effet, selon l’expérimentation australienne, si engager un nombre suffisant d’infirmières a représenté un coût total de 33 millions de dollars sur deux ans, cela a permis d’éviter en coût des réadmissions et de durée de séjour une dépense de 69 millions de dollars.
Instituer des ratios de soignants en fonction du nombre de patients a donc, nous le voyons, un triple bénéfice : pour la santé et la sécurité des patients, pour redonner une qualité de vie au personnel soignant et du sens à son travail, pour faire des économies en coûts évités à moyen et long termes.
Encore une fois, le choix à faire aujourd’hui est politique : ou bien nous investissons dans l’hôpital public et le service public de la santé pour garantir une prise en charge de qualité à chacun, ou bien nous laissons la loi du marché et la rentabilité décider de la santé des Français.
Nous vous proposons d’agir réellement pour garantir l’avenir du service public. Cette mesure, madame la ministre, ne relève nullement de la coercition ; elle représente un travail tenant compte, à la suite de concertations, des différentes contraintes que vous évoquiez. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier la rapporteure Laurence Rossignol du travail qu’elle a mené sur cette proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Notre collègue Bernard Jomier, à l’initiative de ce texte, reprend ici une revendication défendue par des collectifs de membres du personnel soignant depuis plusieurs années.
En France, il existe déjà des ratios de soignants par patient dans des services très spécifiques tels que le bloc opératoire, la réanimation et la dialyse. Instaurer des ratios pour chaque spécialité et activité de soins permettrait une amélioration des conditions de travail et contribuerait à rendre les métiers un peu plus attractifs pour les personnels. Ce serait également la garantie d’une meilleure prise en charge des patients.
La politique de réduction des dépenses de santé et de non-recrutement de personnel hospitalier a mécaniquement entraîné une augmentation du nombre de patients sous la responsabilité des soignants.
On le sait, l’une des causes majeures des difficultés de recrutement et de la fuite de personnels soignants, en particulier infirmiers, est, plus encore que la faiblesse des salaires, l’augmentation de la charge de travail due au manque d’effectifs. Cette question est d’autant plus importante qu’une étude, parue dans la revue scientifique The Lancet, a démontré qu’améliorer le ratio de soignants par patient diminuait la mortalité, les réadmissions et la durée de séjour.
L’idée d’instaurer des quotas est donc fort séduisante. Malheureusement, mes chers collègues, cette proposition de loi ne présente pas que des avantages.
En effet, dans le contexte actuel de pénurie, cette proposition risque plutôt de produire des effets pervers. Sans recrutement supplémentaire, et à moyens constants, mettre en place des seuils minimums induit forcément de prendre des effectifs dans tel service pour renforcer tel autre. En d’autres termes, cela revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Nous avons été alertés par des soignantes et des soignants qui s’inquiètent d’une possible concurrence entre les services pour obtenir des ratios plus importants. Ils craignent, en quelque sorte, de voir s’ouvrir une guerre entre chefs de service. En l’état actuel des choses, ce dispositif peut donc contribuer à accélérer la fermeture de lits, voire à remettre en cause les 35 heures.
Pour ces raisons, nous estimons que l’instauration de ratios de soignants par soigné doit aller de pair avec une hausse massive des moyens alloués à l’hôpital. Madame la ministre, vous vous êtes bien gardée de vous engager sur ce terrain. En effet, vous avez fait l’éloge des personnels, affirmé qu’il fallait améliorer les conditions de travail, mais, actuellement, le Gouvernement n’entend pas les revendications des soignants, et n’y répond pas.
Mme Laurence Cohen. Dans une tribune parue dans Le Monde, la sociologue Dominique Méda estimait que la mise en place de tels ratios nécessiterait l’embauche de 100 000 infirmières et infirmiers supplémentaires, pour un coût de 5 milliards d’euros. Madame la ministre, la balle est dans votre camp !
Tout en reconnaissant les contraintes imposées dans la rédaction des propositions de loi, nous regrettons que celle-ci ne cible pas des sources de financement, comme la suppression des 75 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales.
Enfin, nous regrettons le choix de ne pas associer les organisations syndicales à la définition des besoins permettant de fixer, aux côtés de la Haute Autorité de santé et de la commission médicale d’établissement, ces ratios.
Par conséquent, la proposition de loi du groupe socialiste, dont nous partageons l’objectif, s’arrête, en quelque sorte, au milieu du gué, faisant courir le risque d’accompagner les politiques de réduction du nombre de lits. Pour cette raison, le groupe CRCE s’abstiendra, même si le texte me semble un appel que le Gouvernement doit entendre. Ce débat est donc le bienvenu.
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ne peut ignorer le profond malaise qui touche le monde médical : en témoigne la crise des vocations que ce dernier traverse, celle-là même qui frappe également le corps enseignant. On ne choisit pas cette voie professionnelle par hasard, et c’est heureux ! Il s’agit bien d’une vocation, mais celle-ci ne doit pas devenir un véritable sacerdoce.
L’enjeu actuel est de s’assurer que nos hôpitaux puissent disposer de ressources suffisantes afin de garantir une qualité de soins optimale et de bien meilleures conditions de travail aux soignants.
En effet, ces dernières années, les hospitalisations conventionnelles ont progressivement été remplacées par des prises en charge ambulatoires. De fait, les patients désormais hospitalisés doivent se voir consacrer plus de temps, car les soins qu’ils demandent sont plus complexes et les pathologies plus lourdes.
Il s’agit alors d’adapter les effectifs à cette évolution, et je tiens à remercier personnellement le président de la commission médicale d’établissement (CME) du centre hospitalier universitaire de Nîmes de m’avoir sensibilisé à cet enjeu.
Si des ratios sont déjà fixés par décret et sont mentionnés dans le code de la santé publique, notamment en réanimation ou en unités de soins intensifs, dans la plupart des autres services, il n’y a pas de règles en bonne et due forme qui fixent un nombre de soignants par patient. Il convenait de clarifier les choses et de préciser l’articulation des ratios existants, dits de sécurité, avec ces nouveaux ratios de qualité, non moins importants : de cette qualité, évidemment, découle une plus grande sécurité pour les patients.
La définition de ces nouveaux ratios serait confiée à la Haute Autorité de santé. Elle les définirait par spécialité et par type d’activité de soin hospitalier, afin de pouvoir répondre le plus précisément possible aux différents besoins. Il était important pour nous de valoriser une approche de terrain aux prises avec les réalités des établissements.
Après lecture de la proposition de loi de notre collègue Bernard Jomier, nous avons veillé à ne pas entraver davantage le mode de fonctionnement de nos hôpitaux : je pense aux petites structures présentant, vous le savez, un grand intérêt pour nos territoires. Dès lors, en commission des affaires sociales – je tiens à remercier tant le travail de sa présidente que celui de Mme le rapporteur –, nous avons garanti aux hôpitaux une capacité d’adaptation en fonction des différentes spécialités et spécificités locales, parfois tout simplement liées à des contraintes architecturales. Précisons tout de même que ces adaptations devront obtenir l’approbation des commissions médicales d’établissement et des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT).
La mise à jour de ces ratios est d’ores et déjà prévue, tous les cinq ans, ainsi qu’une procédure de signalement à l’agence régionale de santé, en cas d’incapacité prolongée de trois jours à les respecter, afin de permettre une connaissance plus fine de la situation de nos hôpitaux.
À l’issue du travail de la commission, nous avons ainsi considéré qu’un équilibre avait été trouvé – préoccupation chère à notre institution ! – et répondait aux préconisations du rapport Hôpital : sortir des urgences, issu de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France.
En 2023, en France, il est regrettable que des lits soient fermés faute de personnel. Nous ne pouvons l’accepter et, si la mise en place d’un ratio de soignants par patient permet indéniablement d’offrir de meilleures conditions de travail, encore faut-il – en les revalorisant – que ces métiers deviennent plus attractifs. Sans cela, je le crains, ces emplois resteront non pourvus et ces nouveaux ratios intenables, d’où la progressivité voulue dans la mise en œuvre de cette proposition de loi.
Rappelons que des effectifs suffisants permettent de remplacer plus facilement les absences, ou encore de favoriser la formation en permettant un bien meilleur encadrement des plus jeunes. C’est aussi cela l’intérêt de cette proposition de loi ; c’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains votera en sa faveur.
Pour conclure, comme certains de nos concitoyens qui, à l’issue d’une hospitalisation, se trouvent très admiratifs des soignants et reconnaissants à leur égard, l’État, souvent au milieu d’une crise sanitaire, déclare beaucoup d’amour aux soignants. Pourtant, ces belles déclarations sont très peu suivies d’effets. Alors, madame la ministre, à l’approche de la Saint-Valentin, permettez-moi de vous rappeler qu’en politique, comme en amour, il n’y a que les actes qui comptent ! (Sourires.) – (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
Article unique
I. – Après le 4° de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 4° bis ainsi rédigé :
« 4° bis Établir, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants, par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, de nature à garantir la qualité et la sécurité des soins ; ».
I bis (nouveau). – Le chapitre IV du titre II du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique est complété par des articles L. 6124-2 à L. 6124-5 ainsi rédigés :
« Art. L. 6124-2. – Pour des raisons de sécurité, certaines activités de soins peuvent être soumises à des conditions de fonctionnement particulières requises pour l’accueil de patients. Celles-ci sont fixées par décret pour une période maximale de cinq ans.
« Art. L. 6124-3. – En vue de garantir la qualité des soins et des conditions d’exercice, il est défini, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires.
« Le ratio prévu au premier alinéa est établi par décret, pris après l’avis de la Haute Autorité de santé, pour une période maximale de cinq ans. Il tient compte de la charge de soins liée à l’activité et peut distinguer les besoins spécifiques à la spécialisation et à la taille de l’établissement.
« Art. L. 6124-4. – Dans les établissements assurant le service public hospitalier au sens du chapitre II du présent titre, l’organisation des soins propre aux services de l’établissement au regard des ratios définis en application de l’article L. 6124-3 est soumise pour approbation aux commissions médicales et chargées des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques.
« Art. L. 6124-5. – Dans les établissements assurant le service public hospitalier au sens du chapitre II du présent titre, lorsqu’il est constaté pour une unité de soins que les ratios définis à l’article L. 6124-2 ne peuvent être respectés pendant une durée supérieure à trois jours, le chef d’établissement en informe le directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétent.
II et III. – (Supprimés)
IV (nouveau). – A. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret et, au plus tard, le 31 décembre 2024.
B. – Le II entre en vigueur le 1er janvier 2027. –
M. le président. Sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je n’ai été saisi d’aucun amendement.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. En l’absence d’amendements, je veux indiquer comment la commission a travaillé sur ce texte.
Je remercie Bernard Jomier de cette proposition de loi, qui reprend en effet l’une des préconisations du rapport Hôpital : sortir des urgences, issu de la commission d’enquête Hôpital, même si celle-ci est formulée dans des termes un peu différents.
Je partage votre avis, madame la ministre : ce texte ne représente pas la solution miracle. Il faut employer de nombreux leviers pour parvenir à résoudre le malaise présent à l’hôpital, et celui-ci en est un.
À l’origine, le groupe Les Républicains avait exprimé une crainte quant aux moyens pour imposer de tels ratios en pleine pénurie de personnel. Je remercie la rapporteure et Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi, d’avoir tenu compte de ces remarques et d’avoir proposé une modulation selon les besoins spécifiques à la spécialisation et à la taille de l’établissement, au regard des exigences de qualité et de sécurité. Plus encore, je leur sais gré d’avoir prévu un délai suffisamment long pour la mise en place des mesures.
Madame la ministre, vous nous avez assuré que vous alliez apporter de nombreuses réponses. C’est formidable : les ratios, en 2027, ne poseront donc aucun problème !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. En effet, tant de soignants seront restés ou revenus à l’hôpital que les effectifs par patient se situeront dans une fourchette satisfaisante…
Mes chers collègues, je vous invite vraiment à voter ce texte, même s’il ne représente qu’une solution modeste par rapport à un mal-être croissant. Laurent Burgoa l’a dit, tout comme Rémi Salomon, de l’hôpital Necker-Enfants malades, président de la conférence des présidents de CME des CHU : les soignants attendent ce texte.
Nous envoyons un signal, qui est aussi un aiguillon pour que le Gouvernement aille dans le même sens, de façon que les soignants ne courent plus dans tous les sens, n’arrivent plus stressés à l’hôpital ou ne le quittent plus, en assurant une meilleure qualité de soins aux patients dont les affections sont de plus en plus lourdes, chroniques ou polypathologiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je remercie les orateurs des différents groupes, qui ont porté un premier message faisant consensus : nous devons écouter la demande unanime des soignants. Je salue celles et ceux qui, parmi ces derniers, sont aujourd’hui en tribune et nous écoutent. En effet, les soignants demandent unanimement ce dispositif, comme nous l’avons constaté à l’occasion des auditions.
Je salue également les différents groupes, notamment ceux de la majorité sénatoriale, et en particulier la présidente de la commission. Tous se sont engagés dans un vrai dialogue afin que cette proposition ne soit ni « brutale » ni « uniforme », pour reprendre les mots du ministre François Braun que citait Laurence Rossignol. Nous avons répondu à la demande du ministre !
En effet, la rapporteure et la présidente de la commission ont démontré que ce texte n’était ni « brutal » – deux ans sont accordés pour établir les référentiels, deux ans de plus pour les appliquer – ni « uniforme », puisque les référentiels se traduiront – cela est clairement énoncé dans le texte – par la fixation de fourchettes au sein de chaque établissement, en fonction de ses caractéristiques et de ses spécialités.
Je regrette dès lors, madame la ministre, que vous restiez fermée à notre proposition. Le parlementarisme, dans cette enceinte particulièrement, est l’acceptation de la discussion, sans camper, dans ses réponses, sur la même déclaration de principe, à savoir que la proposition ne doit être ni « brutale » ni « uniforme ».
Convenons tous qu’aucune mesure ne suffira, seule, à répondre aux difficultés de nos hôpitaux. Cependant, convenons que celle que nous vous proposons est massivement réclamée par les soignants et que fermer la porte à une disposition qui a fait ses preuves dans beaucoup d’autres pays revient à se priver d’une réponse réelle. À l’heure où je vous parle, les soignants, malheureusement, continuent à quitter nos hôpitaux : il faut inverser ce mouvement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Je rebondis sur les propos qui viennent d’être tenus, à la fois par Mme la présidente de la commission des affaires sociales et par notre collègue Bernard Jomier, sur les difficultés du monde soignant, sur la pénurie, sur les solutions qui peuvent être trouvées pour y faire face.
Je voudrais interroger Mme la ministre sur une loi bien connue, mais pas appliquée : la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite Rist. Cette loi visait à plafonner la rémunération des intérimaires dans le système hospitalier public. Elle devait entrer en application avant les élections, mais tel n’a pas été le cas – ceci expliquant peut-être cela.
Sa mise en œuvre déstabiliserait vraisemblablement un ensemble de services médicaux recourant massivement à l’intérim. Pour cette raison, elle doit, le cas échéant, s’appliquer uniformément, ce qui exige d’avoir le courage de prévenir les élus des difficultés potentielles, et de s’organiser avec les ARS pour pouvoir faire face à cette déstabilisation.
Dès lors, ma question est la suivante : une date est-elle arrêtée pour l’entrée en application du texte ? Nous laissera-t-elle le temps d’organiser dans les territoires la mise en œuvre de cette mesure qui peut avoir de graves répercussions sur nos hôpitaux ? Je vous remercie, madame la ministre, de votre éventuelle réponse.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, vous ne pouvez pas nous affirmer que les lits se ferment par manque de soignants, alors que ces derniers, depuis longtemps, crient haut et fort leur mal-être. Actuellement, il manque des soignants dans nos services publics parce que les intéressés partent dans le privé, notamment à l’étranger, par exemple en Belgique.
Les soignants parlent de leur mal-être ; nous le connaissons. Comme l’ont dit tous mes collègues, leurs agendas sont surchargés. Certains sont appelés pendant leurs vacances à revenir chez eux, ne bénéficiant pas d’un emploi du temps fixe. Il faut le savoir.
Les soignants ont appris un métier nécessitant l’écoute et l’aide au plus près des patients. À l’heure actuelle, ils ne sont plus en mesure de passer du temps avec ces derniers parce qu’ils n’ont plus de temps pour quoi que ce soit. Ils assurent eux-mêmes mettre en danger la vie des patients !
L’étude de 2016 de la Haute Autorité de santé Qualité de vie au travail et qualité des soins l’indique : plus la charge de travail est élevée, plus les conséquences sont négatives pour les patients, faisant courir un risque d’erreur de raisonnement et pouvant compromettre la qualité du service.
Nous le crions haut et fort depuis longtemps : la charge de travail est trop élevée. Il faut des embauches, madame la ministre ! Dans cet hémicycle, il y a peu, on nous a assuré que, dans le public, un relais serait opéré par les médecins traitants, comme si ce n’était pas grave… Sauf que les médecins traitants eux-mêmes n’en peuvent plus ! C’est pour cette raison qu’ils se rassemblent et qu’ils manifestent.
Madame la ministre, nous lançons un appel : il faut embaucher. C’est la seule solution !
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.
Mme Marie Mercier. Lorsque nous avons travaillé au sein de la commission d’enquête Hôpital, nous avons sorti un rapport d’information dont le titre était : Hôpital : sortir des urgences. Nous avions hésité avec un autre titre : L’hôpital en affection de longue durée (ALD)…
Il est vrai que nous avons toujours bien posé les diagnostics. Nous avons pris des photographies de la situation, fait des constatations. Pourtant, chaque fois, nous butions sur les solutions à proposer. Je félicite vraiment notre collègue d’avoir proposé une solution innovante. La contrainte suscite l’imagination !
Pour rebondir sur les propos précédents d’une collègue, nous souffrons également d’une médecine extrêmement administrative. Autrefois, dans les couloirs d’un hôpital, on voyait beaucoup de chariots de médicaments ; à présent, on voit des personnes avec des dossiers sous le bras qui filent à une nouvelle réunion de concertation, afin de voir comment s’organiser en mettant en place une autre organisation et une autre réunion…
Dans ce titre, je trouve intéressant le mot « soignants » : le diagnostic et le soin sont notre métier. Voilà ce que nous devons faire : prendre soin de nos patients, c’est-à-dire, mes chers collègues, de vous tous, qui êtes des patients en devenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.
Mme Sonia de La Provôté. Je m’associe également aux félicitations qui ont été adressées aux auteurs de ce texte.
La méthode des quotas est utilisée depuis fort longtemps par l’administration sanitaire pour supprimer des lits, et, en fonction du nombre de lits, supprimer des postes d’infirmier et de soignant, par exemple dans les hôpitaux. Il n’y a pas, d’un côté, des quotas utiles, lorsqu’ils relèvent de la bonne gestion, c’est-à-dire de dépenses moindres – c’est ainsi que l’on entend, depuis des années, la bonne administration sanitaire ! – et, de l’autre, des quotas inutiles, fixant des ratios de présence des soignants auprès des patients, libérant du temps pour les soins.
J’estime que cette proposition de loi a le mérite de remettre, d’une certaine manière, le soin au milieu de l’hôpital. Le plus bel hôpital de la terre ne sera rien sans soignants de qualité, sans prévoir pour ces derniers un temps suffisant passé auprès des patients. Cette proposition de loi remettra peut-être un peu d’humain dans un secteur des soins bien mal en point depuis de nombreuses années. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Je souhaite seulement rendre hommage à la proposition de loi de notre collègue Jomier. Je visitais vendredi l’établissement Paul-Brousse de l’AP-HP, situé dans mon département ; j’ai pu alors demander aux chefs de service et aux soignants que j’ai rencontrés ce qu’ils attendaient, à ce stade, des parlementaires. Deux chefs de service m’ont répondu : « Voter la proposition de loi Jomier. »
Au fond, c’est un hommage qu’ils nous rendent, mais c’est surtout l’expression de leur attente des moyens nécessaires à l’exercice de leur mission dans des conditions acceptables. Je respecterai donc leur injonction, même si c’était déjà mon choix, au préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour explication de vote.
Mme Corinne Imbert. Comme cela a été dit, cette proposition de loi est issue des travaux de la commission d’enquête demandée par notre groupe, dont Catherine Deroche était rapporteure et Bernard Jomier président. Je tiens à saluer le travail qui a alors été fait.
À un moment où l’hôpital n’a jamais été aussi fragile, où, après trois années de pandémie, les professionnels de santé sont épuisés, où nous n’avons jamais autant parlé d’attractivité des métiers et pas seulement dans le domaine de la santé, quel est le message essentiel derrière cette proposition de loi ?
La présidente Catherine Deroche l’a rappelé : le professeur Rémi Salomon, président de la CME de l’AP-HP, parle de ce texte comme d’un signal nécessaire à destination des soignants. L’enjeu est de stopper le départ des soignants de l’hôpital et de mettre un terme à la fermeture de lits, faute de personnel, y compris dans les services de soins palliatifs.
En effet, Michelle Meunier, Christine Bonfanti-Dossat et moi-même organisions hier une table ronde pour entendre diverses associations, au cours de laquelle il nous a été assuré que des lits sont fermés, y compris dans les services de soins palliatifs. Vous imaginez bien le drame, à la fois pour les patients et pour les familles. Ce sont ces situations que nous ne supportons plus.
Comme Catherine Deroche, je remercie la rapporteure d’avoir étalé dans le temps l’application de cette proposition de loi afin de la rendre plus réaliste. Je remercie également le Gouvernement de l’écoute qu’il accordera à cette proposition et du travail qu’il mènera afin que ces dispositions deviennent réalité et que des lits ne soient plus fermés, ce qui est insupportable pour tous les patients et soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Pour répondre à la question sur les dispositions de la loi Rist relatives à l’intérim, elles entreront en vigueur le 3 avril 2023.
Le travail en amont a été fait avec les ARS et les directeurs d’hôpital. Quant au travail préparatoire, il est en train de se faire, en concertation, bien sûr, avec les élus. Consigne a été donnée en ce sens aux ARS.
Madame Imbert, vous venez de le dire, il est insupportable que les lits ferment. Nous le savons tous. Pourquoi sont-ils fermés ? Parce qu’il n’y a pas plus de personnel soignant !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Et pourquoi n’y a-t-il plus de soignants ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Ce n’est pas parce que les ratios seront appliqués que les personnels reviendront. Nous en sommes intimement convaincus, il faut prendre soin des patients avec les effectifs suffisants, au bon endroit, au pied du lit du patient. Et ce personnel doit être formé.
Permettre aux soignants de revenir travailler à l’hôpital, tel est l’enjeu auquel nous devons faire face, qu’il s’agisse de la qualité de vie au travail, de la flexibilité à l’échelle du service, de l’autonomie, de la liberté et de la confiance.
Si nous partageons la philosophie du travail mené par votre commission, madame la présidente, travail que je salue, nous n’apportons pas tout à fait la même réponse.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 117 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 272 |
Pour l’adoption | 256 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse
Adoption d’une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (proposition n° 143, résultat des travaux de la commission n° 284, rapport n° 283).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier.
Ce texte n’est pas encore abouti – le rapport de la commission des lois du Sénat ne manque d’ailleurs pas de le relever –, mais il est le fruit d’un travail constructif et transpartisan entre les nombreux groupes politiques de la chambre basse. Je veux d’ailleurs saluer ici les présidentes de groupe Aurore Bergé et Mathilde Panot.
Depuis l’arrêt rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des États-Unis, six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées sur les bureaux des assemblées. Six propositions, six visions différentes, et de beaux débats passés, présents et à venir devant vos deux assemblées.
L’importance des initiatives parlementaires dans cette matière démontre que le revirement de jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis a eu l’effet, chez nous, d’un électrochoc. Nous devons veiller à ce que la solidité de nos institutions se maintienne à l’épreuve du temps et à ce que ce droit, chèrement conquis, de chaque femme à disposer de son corps, soit préservé.
Disons-le, en la matière, nous ne partons pas de rien et il ne faut pas mésestimer l’œuvre du Conseil constitutionnel.
Celui-ci, depuis sa décision du 27 juin 2001, reconnaît en effet que le droit à l’IVG résulte de « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
Mais il s’agit à présent d’aller plus loin et de conférer un fondement constitutionnel autonome à l’interruption volontaire de grossesse en l’érigeant explicitement, au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en liberté fondamentale.
Pour toutes ces raisons, je persiste et je signe, le Gouvernement soutiendra toutes les initiatives parlementaires qui viseraient à constitutionnaliser le droit à l’IVG.
À ceux qui opposent à cette initiative parlementaire que le droit à l’avortement n’est pas menacé en France, je réponds ceci : n’attendons pas qu’il soit trop tard pour le défendre. Le droit des femmes à disposer de leur corps doit être inaliénable.
En 1975, Simone Veil expliquait que l’objectif du gouvernement était de créer « une loi réellement applicable, […] dissuasive, […] protectrice ». Le législateur, au travers de nombreux textes successifs, a atteint ces objectifs.
Mais l’objectif que nous visons aujourd’hui est autre. Il s’agit à présent de protéger ce droit en l’élevant au plus haut rang de la hiérarchie des normes, à savoir notre Constitution.
Ce faisant, nous donnerions à voir à toutes les femmes – je répète, toutes les femmes – qu’elles ont le choix, que celui-ci leur appartient, et qu’elles sont soutenues par la société tout entière dans ce choix.
Car, oui, les exemples étrangers partout dans le monde nous le démontrent, une démocratie digne de ce nom ne peut exister sans l’émancipation totale de la moitié de sa population !
J’appelle votre attention sur la nécessité de ne pas se tromper de débat. J’entends évidemment la commission des lois lorsqu’elle pointe qu’une telle inscription ne résoudrait pas les difficultés concrètes d’accès à l’IVG, qui peuvent se rencontrer sur le terrain. Le Gouvernement, notamment mes collègues François Braun et Isabelle Rome, est pleinement engagé pour rendre ce droit le plus effectif, concrètement, sur le terrain.
Mais il s’agit là de deux sujets différents : d’une part, l’effectivité d’un droit, d’autre part, sa protection juridique.
Si les modalités d’exercice du droit à l’interruption volontaire de grossesse doivent pouvoir continuer à être encadrées par le législateur, car il s’agit du niveau normatif le plus adapté pour le faire, le droit à l’interruption volontaire de grossesse lui-même ne doit pas être entravé, restreint ou, pis, aboli. Une garantie constitutionnelle peut nous l’assurer pour l’avenir.
Et ce pour une raison que j’avais évoquée devant vous au mois d’octobre dernier : constitutionnaliser le droit à l’IVG, c’est s’assurer que ceux qui auraient ce néfaste projet ne puissent le faire sans l’accord du Sénat. Oui, inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution, c’est garantir que le Sénat aura le dernier mot pour protéger celui-ci, comme il en a en déjà protégé tant d’autres, dans la noble mission qui est la sienne.
Vous l’aurez compris, tout comme la commission, le Gouvernement n’a pas changé d’avis : il est, lui, favorable à l’inscription du droit à l’IVG dans notre Constitution.
J’en viens maintenant au sujet qui est sans doute le plus complexe, comme en témoignent les nombreuses versions et amendements déposés dans les deux chambres : je veux bien sûr parler de l’emplacement et de la rédaction de cette inscription. (M. Philippe Bas acquiesce.)
Je le dis d’emblée, il nous faut faire montre de la plus grande humilité relativement à ces deux questions. Nul ne détient la vérité révélée et les propositions méritent toutes d’être examinées pour les avantages qu’elles contiennent, aussi bien que pour les réserves qu’elles entraînent.
L’emplacement de ce droit au sein de la Constitution n’est pas une question purement symbolique. C’est avant tout une question juridique. Or, je l’ai déjà dit, il ne faut toucher à notre Constitution, selon la formule désormais consacrée, que d’une main tremblante.
La commission des lois ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a relevé qu’une telle disposition devait trouver sa place dans notre Constitution, pour s’y fondre, au risque, sinon, de la fragiliser.
Le choix de cet emplacement sera également la traduction de la portée que le Parlement a voulu lui assigner. Il participera directement à donner tout son sens à la reconnaissance de ce droit.
À cet égard, M. le sénateur Philippe Bas a déposé un amendement ayant pour objet, outre qu’il propose une rédaction alternative, de placer la reconnaissance de ce droit à l’article 34 de la Constitution.
Je l’ai dit, cette proposition, comme les précédentes, mérite un examen attentif.
Sans déflorer les débats que nous aurons dans quelques instants, et malgré le fait, monsieur le sénateur, que, comme à votre habitude, vous ayez pesé chaque mot au trébuchet, la rédaction que vous proposez soulève plusieurs interrogations. Elle renvoie en effet entièrement au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les femmes peuvent recourir à l’interruption volontaire de grossesse.
C’est, très exactement, l’état de notre droit.
Vous le savez, il résulte déjà de l’article 34 de la Constitution qu’il revient au seul législateur de prévoir les garanties, tout comme les limites, du droit à l’avortement.
C’est ce qu’il a fait encore récemment, par la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, ce dont, par ailleurs, je me réjouis.
J’entends votre argument : cet alinéa, en faisant référence à cette liberté qu’il revient à la loi d’organiser, consacrerait implicitement cette liberté au niveau constitutionnel. Le doute subsiste sur la réalité de cet effet.
Je comprends et partage par ailleurs votre souci de laisser une certaine marge de manœuvre au législateur : il est en effet souhaitable que les conditions dans lesquelles le droit à l’avortement s’exerce puissent évoluer avec le temps.
L’Assemblée nationale a, quant à elle, retenu la création d’un nouvel article 66-2. Cet emplacement a été choisi par les députés afin de donner une chance supplémentaire au texte d’être voté par le Sénat, puisque vous aviez rejeté, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques semaines plus tôt, la proposition de loi de votre collègue Mélanie Vogel, qui proposait le même emplacement. Le sujet reste donc ouvert sur ce point.
Par ailleurs se pose bien évidemment la question de la rédaction de cette inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Là encore, et à plus forte raison, il nous faut être humbles face à la tâche. Chaque mot doit bien évidemment être réfléchi, pesé, justifié. Et il ne s’agit pas là d’une entreprise très aisée.
Après le refus net du Sénat de constitutionnaliser le droit à la contraception, l’Assemblée nationale a fait un premier pas. Elle a ainsi renoncé, par son vote, à l’inscription du droit à la contraception dans la Constitution, recentrant ainsi la proposition sur la constitutionnalisation de l’IVG.
Pour motiver son refus, la commission des lois a, à son tour, relevé, à bon droit, les risques d’une rédaction inaboutie ou inadaptée.
Les termes retenus d’« effectivité et d’égal accès » semblent ainsi ouvrir un nouveau débat. Il est vrai, comme je l’ai indiqué devant l’Assemblée nationale, qu’une rédaction inadaptée pourrait conduire à consacrer un accès sans aucune condition à l’interruption volontaire de grossesse, par exemple à des IVG réalisées bien au-delà de la limite légale en vigueur.
Une écriture mal jaugée pourrait également se révéler trop rigide et empêcher une adaptation possible du dispositif actuel, si celle-ci était nécessaire, comme cela a été le cas lors de l’adoption de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, laquelle a permis l’allongement du délai légal de recours à l’IVG de douze semaines à quatorze semaines.
Vous l’avez compris, la tâche est ardue, mais la volonté est claire.
Le Parlement se mobilise comme jamais auparavant pour consacrer le droit à l’IVG dans la Constitution.
Le Gouvernement est venu, devant chaque assemblée, soutenir les initiatives, d’où qu’elles émanent, en participant aux débats, dans le rôle qui est le sien.
La navette parlementaire fait son œuvre, car je crois comprendre que l’Assemblée nationale a pris acte du premier refus du Sénat et vous présente une version prenant en compte un certain nombre de craintes.
Comme je vous l’ai dit, toutes les craintes ne sont pas levées, car l’œuvre est complexe. Mais l’espoir est permis, l’espoir que le Parlement, avec l’appui du Gouvernement, poursuive ses travaux pour trouver un accord. Il y va du droit des femmes à disposer de leur corps. Cela seul devrait suffire à nous convaincre tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE et UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne faire ni plaisir ni tort, mais faire la loi, tel est notre mandat. Notre responsabilité de législateur est d’élaborer une norme avec une certaine hauteur, retenue et maîtrise, a fortiori quand celle-ci tend à réviser la Constitution.
Le 24 novembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté un texte porté par la présidente du groupe La France insoumise (LFI) visant, de nouveau, à inscrire dans la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Aujourd’hui, il est soumis à notre examen.
Il tend à introduire un nouvel article 66-2 au sein du titre VIII consacré à l’autorité judiciaire, article selon lequel « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».
La question n’est donc pas de savoir si nous sommes pour ou contre l’IVG. Ne nous laissons pas enfermer dans une lecture simpliste, binaire et, parfois, manichéenne.
La véritable question qui nous est posée est la suivante : faut-il réviser la Constitution pour y inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse ? Faut-il modifier la norme supérieure pour reconnaître la liberté pour toute femme de mettre fin à sa grossesse ?
Nous pensons que, même si l’opinion publique est forte, cette idée est une fausse bonne idée. En effet, si les députés ont supprimé la référence à la contraception, cette évolution n’est pas de nature à lever les doutes, déjà émis par le Sénat, sur la pertinence de la constitutionnalisation du droit à l’IVG.
Le 19 octobre dernier, notre assemblée a rejeté une proposition de loi similaire présentée par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. La majorité sénatoriale avait déjà jugé que la protection juridique du droit à l’IVG était très solide.
Comme vous le savez, l’IVG est inscrite à l’article L. 2212-1 du code de la santé publique, selon lequel « la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l’interruption de sa grossesse […] ».
La liberté de la femme d’avorter est, aujourd’hui, pleinement protégée par la loi du 17 janvier 1975 portée par Simone Veil, loi qui fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique, et à laquelle le Sénat s’est toujours montré fortement attaché.
L’accès à l’IVG n’a jamais cessé d’être conforté par le législateur : allongements successifs des délais, élargissement des praticiens pratiquant des IVG, amélioration de la prise en charge financière, suppression du critère de « situation de détresse » ou encore du délai de réflexion préalable.
Certes, le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré de droit constitutionnel à l’avortement, mais il l’a toujours jugé conforme à la Constitution, les quatre fois où il s’est prononcé sur le sujet : en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016.
Le Conseil constitutionnel, peu importe le contexte ou l’époque, n’a donc jamais remis en question ce droit fondamental des femmes.
Depuis sa décision du 27 juin 2001, il rattache le droit à l’IVG au principe général de la liberté de la femme découlant de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qu’il concilie avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.
La jurisprudence établie du Conseil constitutionnel offre d’ores et déjà une protection forte de cette liberté de la femme.
Dès lors, existe-t-il un réel danger de remise en cause de l’IVG en France ? Aucun groupe politique n’a jamais indiqué vouloir remettre en cause ce principe : il n’est donc pas crédible de soutenir que ce droit est menacé en France, de la même manière qu’aux États-Unis ou dans d’autres pays de l’Union européenne.
À cet égard, la situation institutionnelle de la France n’est en rien comparable à celle des États-Unis. Dire le contraire, c’est méconnaître la réalité profonde de la décision de la Cour suprême du 24 juin 2022, Dobbs v. Jackson, qui a renvoyé aux États fédérés la compétence pour légiférer sur l’avortement.
En France, la situation est radicalement différente. Notre République est une et indivisible. Le législateur national dispose ainsi d’une plénitude de compétences et les lois sont les mêmes pour tous.
En définitive, le dispositif « anti-Trump » envisagé par cette proposition de révision constitutionnelle n’a pas lieu d’être en France.
Je préfère donc rester fidèle aux conclusions rendues par le comité présidé par Simone Veil, en décembre 2008, qui avait recommandé de ne pas modifier le préambule ni d’intégrer dans la Constitution « des dispositions de portée purement symbolique ». Car ce n’est pas un symbole qui résoudra l’accès effectif à l’interruption volontaire de grossesse.
Je m’indigne, tout comme vous, des difficultés que rencontrent certaines femmes pour interrompre leur grossesse. Il est profondément inacceptable que des femmes qui souhaitent recourir à l’IVG ne puissent le faire dans de bonnes conditions, en particulier dans certains territoires.
Mais est-ce que la constitutionnalisation résoudra ce problème ? Malheureusement non, une telle voie est illusoire.
L’accès effectif à l’IVG en France impose des moyens supplémentaires pour le planning familial, impose l’accès à un médecin dans tous les territoires, impose le développement des mesures de prévention auprès des jeunes, impose un ensemble de mesures concrètes, d’ordre réglementaire ou législatif, mais en aucun cas de nature constitutionnelle.
Il est clair, par ailleurs, que la Constitution du 4 octobre 1958 n’a jamais été conçue pour qu’y soient intégrées toutes les déclinaisons des droits et libertés énoncés de manière générale dans son préambule.
Pourquoi, dès lors, se limiter à l’IVG et ne pas constitutionnaliser d’autres manifestations de la liberté, qui n’ont pas non plus, en tant que telles, valeur constitutionnelle ? Pourquoi ne pas inscrire dans le dur tous les droits et libertés reconnus par le Conseil constitutionnel ? Pourquoi ne pas inscrire demain tous les droits liés à la bioéthique ou à la fin de vie ? Parce que notre Constitution ne doit pas être un catalogue de droits au contenu limité.
Enfin, mes chers collègues, ce débat sur la constitutionnalisation n’est pas aujourd’hui abouti. La proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons, tout comme les multiples initiatives législatives, soulève l’épineuse question de la manière de réviser la Constitution.
La difficulté de trouver une place pertinente parmi les dispositions constitutionnelles témoigne de l’absence de cohérence de la proposition de révision avec le texte de la Constitution.
Son intégration au sein du titre VIII relatif à l’autorité judiciaire, juste après l’abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre.
Les propositions d’inscription à l’article 34, qui détermine le domaine de la loi, ou à l’article 1er, qualifié d’« âme de la Constitution » par le doyen Carbonnier, ne sont pas plus satisfaisantes. Cette diversité démontre qu’il n’y a pas de place naturelle, dans la Constitution, où inscrire ce droit fondamental pour toute femme de mettre fin à sa grossesse.
En outre, la formulation proposée – « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’IVG » – laisse entendre que son accès pourrait être inconditionnel. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions, comme pour toutes les libertés publiques : l’avortement ne saurait être un droit absolu, sans limites.
Enfin, je réitère les mêmes réserves de procédure qu’en octobre dernier : il convient d’avoir un débat serein sur les « mérites » d’une constitutionnalisation de l’IVG. Si ceux-ci étaient réellement démontrés, l’introduction dans la Constitution devrait suivre la voie d’un projet de loi constitutionnelle afin d’éviter de mettre au cœur de l’actualité, par un référendum, un sujet sur lequel il n’y a pas de débat public.
Pour toutes ces raisons, étant très attachée au droit à l’interruption volontaire de grossesse, composante de la liberté de la femme, je vous invite à ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot et MM. Philippe Bonnecarrère et Pascal Martin applaudissent également.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Ravier, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat s’oppose à l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (n° 143, 2022-2023).
La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la motion.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si je vous présente cette motion de rejet, c’est pour repousser de nouveau un texte inutile et dangereux visant à constitutionnaliser le droit à l’avortement.
Je commencerai par citer un rapport sur l’inflation normative remis la semaine dernière par nos collègues Françoise Gatel et Rémy Pointereau. Même s’il concerne les normes applicables aux collectivités territoriales, leur propos peut tout à fait être élargi à notre sujet.
En effet, écrivent-ils, il existe « une croyance quasi mystique dans la norme miraculeuse, qui protégerait voire guérirait ». Et d’ajouter : « quand ils ne savent pas répondre à une question, qu’ils veulent répondre à une “émotion” ou qu’ils manquent de moyens financiers, les pouvoirs publics cèdent volontiers à la création de la norme “magique” ».
Ces remarques sur la qualité du droit trouvent une pertinence toute particulière quand il s’agit de réviser la Constitution. Ils décrivent parfaitement bien l’exercice de communication et d’agitation auquel la majorité des députés s’est soumise et que la Haute Assemblée est sommée de pratiquer à son tour.
Si tant est que cette révision soit adoptée, qu’aurez-vous changé au quotidien des femmes de France ? Rien !
Pourquoi, alors, s’opposer à ce texte, me direz-vous, mes chers collègues ? Parce que son inutilité modifie l’esprit de la Constitution : l’État de droit se transforme en tas de droits.
Mme Laurence Cohen. Oh là là…
M. Éric Kerrouche. Qu’y connaît-il à l’État de droit ?
M. Stéphane Ravier. Dès lors que le pouvoir constituant s’introduit dans la chambre à coucher, les revendications privées prennent le pas sur le bien commun. La res publica cède le pas à la res privata. La République devient la « Réprivée », c’est-à-dire l’anarchie et la fin de la société !
De surcroît, en refusant de rejeter ce texte de révision, vous multipliez les normes à valeur constitutionnelle contradictoires et renforcez les pouvoirs d’arbitrage des juges, au détriment du Parlement, donc de la démocratie.
Si je me permets de défendre ce point de vue devant vous, c’est avec d’autant plus de vigueur et d’honnêteté que je le fais sans aucun intérêt électoral, mais avec le souci de l’intérêt général.
On ne joue pas avec les textes juridiques sans conséquence politique.
La loi Veil a dépénalisé l’avortement voilà quarante-huit ans. Vous souhaitez aujourd’hui en travestir l’esprit, en l’établissant comme un objectif de société.
Contrairement à ce que vous affirmez, l’avortement n’est pas menacé en France ;…
Mme Laurence Rossignol. Il l’est, par vous !
M. Stéphane Ravier. … ce droit a même été renforcé. Le pays ne s’est pas mis en grève générale, hier, pour l’interdire !
En revanche, la natalité, elle, est réellement menacée : elle est à son niveau le plus bas depuis l’après-guerre. Si la vitalité de notre pays, la main-d’œuvre des « métiers en tension » ou les cotisants du système de retraite par répartition font défaut, c’est évidemment qu’ils se cachent parmi les dix millions d’avortements pratiqués depuis quarante-huit ans. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
L’ère des conséquences est venue. Sachons tirer les enseignements qui s’imposent avec le sens des responsabilités !
M. Antoine Lefèvre. Et de la mesure !
M. Stéphane Ravier. Je vous propose donc, mes chers collègues, de couper court à cette instrumentalisation de la Constitution, en rejetant dès à présent ce texte inconséquent et idéologique présenté, dois-je le rappeler, par La France insoumise.
Mme Laurence Cohen. Pour le Front national, c’est la cerise sur le gâteau !
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, contre la motion.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons évidemment contre cette motion.
Comme le disait Victor Hugo, qui siégea ici même, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Et votre prise de parole, monsieur le sénateur Ravier, est une contribution, à votre corps défendant bien sûr, en faveur d’un renforcement du droit à l’IVG – c’est précisément ce qui est proposé dans ce texte.
J’ai relu le propos que vous avez tenu dans cet hémicycle en octobre dernier dans le cadre de l’examen d’un texte analogue issu d’une démarche transpartisane, alors engagée sur l’initiative de notre collègue Mélanie Vogel. Au début, on pourrait croire qu’il s’agit pour vous de prendre position contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Mais, très vite, on s’interroge : pourquoi refuser d’en discuter en déposant une question préalable ?
Pour ma part, je crois qu’il est important d’inscrire ce droit à l’IVG dans la Constitution, car – M. le garde des sceaux, notamment, l’a rappelé – il est beaucoup plus difficile de modifier la Constitution que la loi, cette dernière pouvant être défaite en quelques mois par une nouvelle majorité.
On peut certes diverger sur les moyens de renforcer ce droit ; mais pourquoi n’en discuterait-on pas ? Pourquoi, par cette question préalable, refuser le débat ?
Et voilà que le fond remonte à la surface, monsieur le sénateur : vous en venez au fait. Vous parlez d’« attaques envers la vie », de contribution à « l’hiver démographique français », et j’en passe !
Aucun pays n’est jamais à l’abri d’une majorité politique porteuse des idées que vous défendez – les Français nous en préservent… –, susceptible d’abroger les dispositions autorisant l’avortement et la contraception ou d’en restreindre considérablement l’accès.
Je veux conclure, mes chers collègues, en saluant l’ensemble de ceux qui, ici, sur toutes les travées, de gauche, de droite, du centre, se battent depuis des décennies pour protéger et renforcer ce droit des femmes à disposer de leur corps. En ce domaine, nous serons toujours ensemble face à l’extrême droite.
Pour cette raison, je vous appelle à rejeter la présente motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et GEST et sur des travées du groupe UC. – Mmes Laurence Cohen et Elsa Schalck applaudissent également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur cette motion.
Ce débat de fond et d’importance concerne notre norme suprême, la Constitution. Des divergences existent et il faut que toutes les idées s’expriment, que toutes les convictions puissent être entendues.
Il doit donc être mené à son terme : en aucun cas nous ne saurions l’évacuer par le vote d’une telle motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Chacun peut apprécier la nuance avec laquelle s’exprime le sénateur Ravier ; c’est même sa marque de fabrique, d’une certaine façon.
Il y a là un débat sociétal extrêmement important.
J’ai une petite divergence avec vous, madame la rapporteure : vous dites que le droit à l’avortement n’est pas menacé dans notre pays. Mais, aux États-Unis, quand il a été permis aux femmes d’avorter, personne ne pouvait imaginer qu’un jour les amis de M. Trump viendraient remettre en cause ce droit fondamental.
Au fond, constitutionnaliser ce droit, c’est assurer l’avenir. Bien sûr, la menace n’est pas immédiate ; on la trouve plutôt du côté des quelques-uns qui, n’étant en réalité pas très favorables à ce droit, l’expriment par prétérition – vous savez, monsieur le sénateur Ravier : dire les choses sans les dire tout en les disant.
Quant à votre tirade sur « l’État de droit » et « les tas de droits », elle est digne de l’Almanach Vermot…
M. Stéphane Ravier. C’est de Guy Carcassonne : rendons à César ce qui appartient à César !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On sait ce que vous pensez de l’État de droit : vous ne vous privez jamais de l’exprimer.
J’ajoute que votre compagnon de route – le dernier, pas l’avant-dernière – est favorable à une mise au pas du Conseil constitutionnel, qui représente justement l’État de droit ; il l’a dit tout à fait clairement durant la campagne présidentielle. (M. Stéphane Ravier le conteste.)
Je dois encore vous dire une toute dernière chose : savez-vous ce qui vient d’être mis en place en Hongrie pour les femmes qui souhaitent avorter ? On les contraint à écouter les battements de cœur du fœtus qu’elles portent en elles. Ce n’est rien d’autre qu’une torture psychologique !
M. Stéphane Ravier. Nous sommes en France !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce sont vos amis, monsieur Ravier, je vous le rappelle : M. Orbán est votre ami. (M. Stéphane Ravier proteste.)
Il n’y a pas péril en la demeure, madame la rapporteure, mais sait-on jamais ! Il vaut donc mieux que ce droit soit inscrit dans la Constitution :…
M. Stéphane Ravier. Ça changerait quoi ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … ce serait un merveilleux message qui serait ainsi adressé à l’ensemble des femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST et SER et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, dois-je comprendre que l’avis du Gouvernement est défavorable sur la motion n° 2 ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Absolument, monsieur le président ! Vous aviez bien compris.
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle à toutes fins utiles que, si cette proposition de loi n’était pas votée dans le temps imparti à cette niche, c’est-à-dire à vingt heures quarante-cinq, l’examen en serait suspendu et renvoyé au prochain espace réservé au groupe SER, dans plusieurs semaines.
Je mets aux voix la motion n° 2 tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l’adoption | 1 |
Contre | 344 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa. (M. Daniel Breuiller et Mme Raymonde Poncet Monge applaudissent.)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd’hui a été rejeté en commission mercredi dernier, trois jours après l’organisation d’une manifestation « pour la vie » à Paris. Rien de nouveau sous le soleil sénatorial : un texte similaire avait déjà été rejeté en octobre dernier.
Si le recours à l’avortement est protégé en France par la loi Veil du 17 janvier 1975, il ne bénéficie pas pour autant de la protection la plus forte qu’offre notre droit. Sanctuariser, en le faisant entrer dans la Constitution, ce droit fondamental de la femme à disposer de son corps le mettrait à l’abri des tempêtes politiques françaises.
Souvenons-nous de ce qui s’est passé dans des pays de l’est de l’Europe, comme la Pologne ou la Hongrie, et dans une grande démocratie, les États-Unis, sous la pression des conservateurs. L’Italie risque à son tour de s’engager dans cette voie de la régression.
Notre collègue Philippe Bas a proposé une nouvelle rédaction de la formule retenue par l’Assemblée nationale, en substituant à la notion de « droit d’accès à l’IVG » celle de « liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », liberté déjà reconnue, selon lui, par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001.
Mais, dans ce cas, quoi de neuf ? La question se pose d’autant plus que « liberté » n’est pas « droit » ; or le recours à l’IVG doit être traité comme un droit effectif, ainsi que le préconisait un rapport d’information réalisé en 2020 par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale.
Combien de temps encore devrons-nous nous battre pour une reconnaissance pleine et entière du droit des femmes à disposer de leur corps, à choisir leur maternité ? Les hommes choisissent bien leur paternité et jouissent bien du droit de reconnaître ou non leur enfant… Pourquoi vouloir toujours, ouvertement ou indirectement, contrôler la sexualité des femmes ?
Si cette navette parlementaire devait échouer au Sénat, il serait opportun que l’exécutif, faisant preuve de courage, se saisisse de la présente proposition de loi constitutionnelle pour en faire un projet de loi.
De surcroît, seul ce véhicule législatif permettrait d’éviter la case du référendum, très périlleuse dans le contexte politique actuel, au cas où les deux chambres se mettraient d’accord sur un texte ; à moins, bien sûr – je ne l’espère pas –, que le but inavoué de l’exécutif soit de faire traîner les choses ou de les rendre difficiles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen et Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chacun a en tête la volte-face historique de la Cour suprême américaine, qui est venue rappeler combien l’accès à l’avortement demeure très inégal et fragile dans le monde.
Nous retrouvons donc aujourd’hui un texte que notre assemblée avait – hélas ! – rejeté au mois d’octobre dernier. C’est une bonne chose qu’il nous soit soumis de nouveau, même dans une version épurée, pour ainsi dire, puisqu’il n’y est plus question de la contraception, seulement de l’IVG.
Pour autant, je regrette que, malgré cette réécriture, le texte n’ait pas été amélioré d’un point de vue formel. Un tel sujet aurait mérité de ne pas être pollué par des questions de formalisme juridique…
Si nous sommes attachés à la défense de l’IVG comme liberté pour les femmes et pour les hommes qui les accompagnent, nous sommes également attachés à notre Constitution comme texte fondamental et précieux. Chacun connaît ici la formule de Montesquieu : on ne touche à la Constitution que d’une main tremblante.
De toute évidence, le choix de placer cette disposition dans un chapitre consacré à l’autorité judiciaire ne saurait convenir. L’article 34 aurait paru plus opportun, en tout cas moins inapproprié.
J’ai également entendu certains arguments qui ne m’ont pas convaincu : « nous sommes en France et non aux États-Unis », plaident ceux qui nient la tendance mondiale et européenne à une forme de recul des droits et des libertés fondamentales des femmes. Au contraire : si d’autres reculent, soyons fiers de montrer le chemin inverse, le chemin qui refuse la régression !
Par ailleurs, avance-t-on, la constitutionnalisation serait illusoire, parce qu’elle ne résoudrait pas les problèmes d’accès à l’IVG. Évidemment ! Mais à quoi faudrait-il s’attendre ? Une telle remarque, tout compte fait, vaut pour l’ensemble des droits consacrés par le bloc de constitutionnalité.
Pensons, par exemple, aux libertés de conscience, de réunion, d’expression, de la presse. Chacune de ces libertés a été consacrée, sans que cette consécration résolve à elle seule la question de l’accès.
Les problèmes d’accès et de réalisation concrète ne sont globalement pas des problèmes constitutionnels : c’est au législateur et au pouvoir réglementaire de les régler.
Notre Constitution doit afficher des principes, des valeurs et des objectifs. Elle indique la finalité de notre droit, celle à laquelle il ne saurait déroger.
De toute évidence, la garantie donnée à la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse trouvera sa place dans un tel corpus. Et il me semble trop précaire de se limiter à la seule interprétation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel.
Pour reprendre les mots de notre collègue Stéphane Artano, un revirement de jurisprudence et d’interprétation serait trop simple à justifier : on nous expliquerait que l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sur lequel le Conseil appuie sa jurisprudence, ne se réfère, au sens strict comme au sens historique, ni à l’IVG ni à la contraception.
C’est au fond ce qui est arrivé aux États-Unis et c’est ce contre quoi nous devons nous prémunir.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE, dans sa majorité, votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST et sur des travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen et Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’extrême pertinence et la vigueur de la présentation du rapport de la commission des lois par Mme Agnès Canayer. Elle justifie amplement notre refus de voter ce texte.
Je reprendrai seulement quelques-uns des arguments qu’elle a énoncés, en m’attachant au texte de cette proposition de loi constitutionnelle.
Je ne m’attarderai pas sur le fait qu’elle n’est pas rédigée en français ; j’ai cru comprendre qu’il n’y avait là qu’un détail : on peut faire des fautes de grammaire dans la Constitution, semble-t-il, sans que personne s’en émeuve. (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Philippe Bas. Quoi qu’il en soit, la rédaction proposée ne définit pas ce qu’est le droit à l’interruption volontaire de grossesse, le présente comme un absolu, une sorte de créance sur la société, et ne prévoit de garanties par le législateur que pour son « effectivité », qui relève plutôt de l’organisation du système de santé, et pour son « égal accès », qui est naturellement une mesure sociale tout à fait estimable, mais qui n’est pas au cœur du débat.
Ce qui est au cœur du débat, en revanche, c’est la substance de ce droit indéfini à l’interruption volontaire de grossesse que les auteurs de cette proposition de loi prétendent vouloir reconnaître.
Comme M. le garde des sceaux l’a suggéré dans son intervention, l’idée que ce droit serait illimité, le mettant à part de toutes les autres libertés constitutionnelles, n’est pas exclue par la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Et il nous semble que l’on ne peut reconnaître un droit ou une liberté sans en prévoir aussi les conditions, c’est-à-dire les limites. C’est précisément ce qui fait l’équilibre de la loi Veil : jusqu’à l’achèvement d’un certain délai, c’est la liberté de la femme qui prévaut ; après l’achèvement de ce délai, c’est la protection de l’enfant à naître, dont je m’étonne que personne n’ait parlé.
Cet équilibre fondamental, c’est celui qui, précisément, a fait accepter la loi Veil par la société française depuis près de cinquante ans ; c’est celui qui justifie que se soit nouée une forme de consensus autour du droit à l’interruption volontaire de grossesse tel qu’il a été défini par la loi Veil, nonobstant les quelques réformes qui l’ont fait évoluer au cours du temps.
La question qui se pose à nous est la suivante : est-il pertinent d’inscrire une liberté ou un droit dans la Constitution ? Je réponds que tel est déjà le cas : l’article 1er y fait figurer l’égalité devant la loi et le respect de toutes les croyances ; on y a ajouté la reconnaissance des libertés locales, via l’organisation décentralisée de la République, et l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. On a décidé également que nul ne peut être condamné à la peine de mort.
La Constitution est donc bien un lieu qui permet d’accueillir des libertés que le pouvoir constituant, qui est souverain et auquel on ne peut assigner aucune limite, veut voir consacrer.
Je vous soumets, mes chers collègues, une contre-proposition au texte qui nous est présenté.
Cette contre-proposition vise à garantir l’équilibre de la loi Veil : elle reprend l’énoncé d’une liberté qui a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juin 2001 et elle consolide cette liberté. Mais elle prévoit aussi que le législateur en détermine les conditions, donc les limites, comme l’a prévu la loi Veil.
Ma conviction est que l’on ne peut pas sortir de cette équation : il n’y a pas de droit absolu ; il y a une liberté déjà reconnue et que nous pouvons écrire dans la Constitution, mais à la condition que soient conciliés les droits de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après l’achèvement d’un certain délai.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit tout à l’heure, rappelant une formule célèbre, qu’il ne fallait toucher à la Constitution que d’une main tremblante. Les vôtres, de mains, sont restées dans vos poches ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. le garde des sceaux proteste.)
Il me semble qu’il y aurait quelque intérêt, puisque, en la matière vous savez vous montrer critique, à voir quelle rédaction le Gouvernement pourrait nous soumettre, après avis du Conseil d’État, pour engager un processus qui aurait de meilleures chances d’aboutir.
Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol. Très bien !
M. Philippe Bas. Vous restez sur le banc de touche, libre à vous ! C’est un confort que nous ne voulons pas vous donner durablement, car le verrou du Sénat peut être levé et vous serez alors mis face à vos responsabilités. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a été adopté à l’Assemblée nationale à une très large majorité. Il vise à faire de l’IVG un droit constitutionnel. Sa rédaction était initialement identique à celle du texte rejeté par notre chambre en octobre dernier. Les députés l’ont modifiée lors de l’examen en séance publique, afin d’en favoriser l’adoption.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires considère que toute femme doit avoir la possibilité d’interrompre sa grossesse lorsqu’elle le décide, dans le cadre du régime établi par la loi.
Ce régime, comme bien d’autres, est le fruit d’un équilibre délicat, qui concilie, en l’espèce, la liberté de la mère, d’une part, et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, d’autre part.
Certaines évolutions législatives étrangères font craindre un recul des libertés. Un revirement de jurisprudence de la Cour suprême américaine a ainsi rendu aux États fédérés de ce pays le choix d’interdire ou d’autoriser l’interruption volontaire de grossesse ; il s’agit d’un retour en arrière manifeste.
Plus proche de nous, la législation a été durcie en Pologne et en Hongrie, où l’IVG a vu son accès fortement réduit – elle reste d’ailleurs interdite à Malte. Les reculs de cette liberté se traduisent par des poursuites pénales, tant pour la mère que pour le médecin. Comme nos concitoyens, ces évolutions nous inquiètent.
Dans notre pays, l’interruption volontaire de grossesse n’est pas, à l’heure actuelle, politiquement menacée. Les délais légaux ont ainsi été récemment portés de douze à quatorze semaines de grossesse. Aucun parti politique de l’arc républicain ne plaide pour la remise en cause de l’IVG.
Cependant, ce qui menace l’IVG, c’est bien davantage le manque de moyens et de médecins, qui transforme cette intervention en parcours de la combattante.
Le Gouvernement s’est dit favorable à la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Si cette proposition de loi venait à être votée en termes identiques par les deux chambres, il faudrait encore la soumettre à un référendum pour que la Constitution soit modifiée.
Nous avons cru comprendre que l’idée d’organiser un tel référendum n’était pas sans susciter quelques réserves, y compris, d’ailleurs, parmi les auteurs de la proposition de loi.
Dans ces conditions, il sera difficile d’expliquer pourquoi l’Assemblée nationale et le Sénat auront débattu longuement et à plusieurs reprises d’une éventuelle constitutionnalisation sans que ces débats aient en rien amélioré l’accès de nos concitoyennes à l’IVG.
Nous l’avons dit, notre groupe est très attaché aux libertés individuelles, notamment à la liberté d’interrompre une grossesse.
Nous souhaitons également que nos concitoyennes bénéficient d’avancées concrètes. À cet égard, il nous semble nécessaire de densifier l’offre de soins sur notre territoire. Le problème des déserts médicaux est bien connu de notre assemblée ; il a de graves conséquences, notamment en matière d’accès à l’IVG.
Il conviendrait également d’améliorer, tout au long de leur parcours, l’accompagnement des femmes décidant d’avorter, notamment pour la gestion des délais. Trop de femmes sont encore contraintes de se rendre à l’étranger pour avorter.
Que ces femmes soient mineures ou non, qu’elles aient été victimes d’agression ou non, l’interruption volontaire de grossesse est toujours une épreuve. Il est de notre devoir d’accompagner au mieux les femmes qui y ont recours.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont unanimement favorables à la liberté d’avorter. Certains s’interrogent sur l’intérêt de son inscription dans la Constitution. Chacun votera donc selon ses convictions. En ce qui me concerne, je ne prendrai pas part au vote, car les termes de la loi Veil me paraissent suffisamment équilibrés.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous nous prononçons aujourd’hui de nouveau sur l’introduction du droit à l’IVG dans la Constitution, je souhaite d’abord saluer le travail de l’Assemblée nationale – ce vote qui a rendu si fiers les Françaises et les Français – et le sens de l’intérêt général qui a été celui de Mathilde Panot, d’Aurore Bergé et de toutes celles et tous ceux qui, à gauche comme à droite, ont su se rassembler autour d’un impératif bien plus grand que nos désaccords politiques.
La loi Veil, que tant d’entre nous ont évoquée ici, et dont il sera encore question au cours du débat, point de départ de l’accès des femmes au droit à l’avortement en France, a nécessité, comme tant d’autres victoires politiques, la réunion de trois éléments.
Le premier est la mobilisation des féministes qui, comme toujours, des années durant et depuis des décennies, ont battu le pavé et mis leur vie en danger pour sauver tant d’autres de l’horreur et pour imposer la reconnaissance de ce dû le plus fondamental, celui que nous avons à disposer de nos corps, à contrôler notre fécondité et, plus largement, à maîtriser nos vies.
Le deuxième élément est la détermination et la responsabilité de la gauche, une gauche qui a su, à un moment donné de l’histoire et quand bien même la loi Veil était loin, bien loin, de notre idéal rendre possible l’imparfaite, mais nécessaire victoire.
Le troisième élément – et c’est profondément de cela, au fond, dont il est question aujourd’hui – est la dignité d’une certaine partie de la droite qui, en dépit des pressions, du conservatisme et de l’idéologie violemment sexiste et misogyne qui pétrissaient alors une bonne partie de ses rangs, s’est alliée à un combat dont aucun digne représentant de la Nation ne pouvait continuer à freiner l’aboutissement.
Nous sommes, aujourd’hui, dans une situation foncièrement similaire.
Parce qu’elle est tant attachée à ce qui constitue l’une des conditions les plus fondamentales de l’égal accès à la citoyenneté, la population française, à hauteur de 86 %, souhaite voir le droit à l’IVG entrer dans la Constitution.
Parmi ces 86 % se trouvent nombre de vos filles, de vos petites-filles et de leurs amis. Ce sont toutes celles et tous ceux qui savent dans leur chair que, quand il s’agit d’IVG, aucune protection n’est superflue et qu’il vaut toujours mieux trembler d’une main pour protéger des droits que se tétaniser pour refuser de le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Pas pour le symbole ou l’esthétique, mais en raison de la responsabilité immense conférée par la conscience aiguë que nous avons des menaces qui planent toujours sur les droits des femmes et de la force de ce message d’espérance que la France peut aujourd’hui envoyer au monde entier.
Si la France n’est pas un pays magique, protégé de la marche du monde, immunisé contre les reculs, elle est aujourd’hui un pays tout particulier.
Un pays que regardent non pas seulement les Américaines, mais aussi les Polonaises, les Maltaises, les Hongroises, les Allemandes, les Italiennes, les Iraniennes, les Chiliennes.
Un pays qui peut, dans cette période si sombre pour les droits des femmes, tracer enfin un chemin d’espoir et de progrès.
Je ne sais pas, mes chers collègues, combien d’entre vous choisiront tel ou tel camp. Mais je sais profondément une chose, comme beaucoup le savent ici intimement : ceux qui voteront aujourd’hui en faveur de l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution n’auront jamais honte de leur vote,… (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Les autres non plus !
Mme Mélanie Vogel. … notamment quand viendra le jour où, grâce à ce texte, le Conseil constitutionnel censurera une loi attaquant le droit à l’IVG. D’autres auront alors tout le mal du monde à expliquer à leurs petites-filles qu’ils ont tout fait pour ne pas les protéger ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Pour ce qui nous concerne, comme dans tous les moments de bascule de l’histoire, nous saurons toujours où est notre responsabilité. Nous sommes prêtes et prêts à voter un texte qui, même s’il devait ne pas nous satisfaire pleinement à l’issue de nos débats, permettrait de poursuivre l’avancée de notre pays vers cette grande victoire : protéger un droit avant qu’il ne soit menacé. Car, quand tel sera le cas, il sera trop tard pour agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 19 octobre dernier, le Sénat rejetait la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Mélanie Vogel visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Outre les arguments avancés lors de ces débats, sur lesquels je ne reviendrai pas, nous retiendrons de ce vote le signal malheureux envoyé à nos concitoyens, particulièrement aux femmes.
Ne soyons pas sourds à leur demande : ils nous regardent.
Aujourd’hui, le droit à l’IVG est remis en cause dans le monde : c’est un fait. Depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade, treize États américains ont rendu l’avortement illégal et cinq en ont limité l’accès – et cela en moins d’un an ! Au sein même de l’Union européenne, les menaces qui pèsent sur ce droit sont visibles. Pour reprendre l’exemple cité par M. le garde des sceaux, en Hongrie, on oblige désormais les femmes qui souhaitent avorter à écouter le cœur du fœtus.
Il est donc légitime de s’interroger sur l’avenir en France du droit à l’IVG.
Comme à l’occasion de la Marche pour la vie du 22 janvier dernier ou du récent colloque anti-IVG parrainé par notre malheureux collègue Stéphane Ravier, …
M. Stéphane Ravier. Pourquoi malheureux ?
M. Xavier Iacovelli. … les militants anti-avortement continuent d’utiliser tous les moyens pour diffuser leur idéologie rétrograde et pernicieuse.
Vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, un droit n’est jamais acquis – l’histoire nous le prouve –, surtout quand il bénéficie aux femmes ou aux enfants.
Malgré cela, en dépit des solides arguments avancés, nous n’avons pas réussi à obtenir une majorité en octobre dernier pour protéger et garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse, en l’inscrivant dans notre Constitution.
Qu’attendons-nous, mes chers collègues ?
Ne nous trompons pas de débat : il s’agit bien ici d’empêcher un retour en arrière qui suscite la crainte d’un bon nombre de nos concitoyens. Nous avons de nouveau l’occasion de voter en ce sens, saisissons-la !
En constitutionnalisant le droit à l’IVG, notre pays ferait œuvre de pionnier en la matière. Ne sous-estimons pas la puissante portée symbolique d’un tel acte vis-à-vis de l’Occident.
Fidèle à sa vocation universaliste, la France enverrait un message fort aux pays où le droit à l’avortement est bafoué ou inexistant. Elle défend vigoureusement sur la scène internationale les droits des femmes ; alors, allons plus loin !
Je tiens à saluer notre collègue Philippe Bas qui, dans un esprit constructif, propose de réécrire l’article unique dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Bien que son amendement prévoie que la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse, il ne consacre pas pour autant le droit à l’IVG comme un droit autonome.
Pour aller plus loin, mes chers collègues, j’ai déposé un sous-amendement dont l’adoption constituerait, selon moi, une avancée rédactionnelle significative, notamment en faisant apparaître les notions d’effectivité et de libre accès à ce droit.
Rien ne s’oppose au rehaussement du niveau de protection du droit à l’IVG. La Constitution, par référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946, et au travers de ses articles 1er et 66-1, reconnaît d’ores et déjà une série de droits et libertés fondamentaux.
Contrairement à ce vous affirmez, madame la rapporteur, l’inscription dans notre loi fondamentale d’un droit garanti depuis près de cinquante ans ne semble pas constituer un « changement de nature de la Constitution dommageable ».
Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à considérer que la constitutionnalisation du droit à l’IVG serait parfaitement compatible avec notre tradition juridique.
C’est pourquoi une large majorité de sénateurs du groupe RDPI soutiendra ce texte, au nom des droits des femmes, de leur droit à disposer de leur corps et tout simplement au nom de leur liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe GEST. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Voilà ce que déclarait Simone de Beauvoir il y a un demi-siècle.
Rappelons-nous le long chemin parcouru, la lutte âpre et parfois violente que les femmes ont menée pour obtenir, par la première loi Veil du 17 janvier 1975, la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse.
N’oublions pas toutes ces femmes criminalisées pour avoir avorté ou pour avoir aidé d’autres à le faire. N’oublions pas toutes celles qui sont mortes faute d’avoir eu accès à des conditions dignes pour pratiquer un avortement. La constitutionnalisation de l’IVG s’inscrit dans cette longue histoire des luttes des femmes pour leurs droits.
Cela a été rappelé, notre Constitution est la règle la plus élevée de l’ordre juridique, elle organise notre vie institutionnelle, mais elle définit aussi les valeurs et principes qui fondent la communauté politique ; elle traduit notre contrat social.
Pour le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, « l’égalité de genre impose […] de tenir compte des besoins de santé des femmes, qui diffèrent de ceux des hommes ». Si ce principe avait été connu des rédacteurs du préambule de la Constitution de 1946, son article 3 qui garantit aux femmes des droits égaux à ceux des hommes aurait consacré la liberté reproductive spécifique des femmes.
La liberté reproductive des femmes est la condition de l’égalité entre les sexes et doit figurer à ce titre dans le texte qui fonde notre communauté.
Ce serait notre fierté et notre honneur que d’être le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution le droit des femmes à disposer de leur corps.
Ce combat, mené par la gauche depuis longtemps, est aujourd’hui partagé par plus de 80 % des Français, qui y sont favorables, toutes convictions politiques et religieuses confondues.
Pourtant, certains pensent qu’il serait inutile de protéger le droit à l’IVG au motif que la législation actuelle le protégerait déjà suffisamment. Mais, comme l’a dit précédemment le garde des sceaux, ne sera-t-il pas alors trop tard pour légiférer si des forces rétrogrades prennent le pouvoir et décident de s’attaquer à ce droit ?
N’avez-vous pas vu les manifestations hostiles au droit à l’avortement qui se sont tenues au cours des derniers mois, notamment dans les rues de Paris il y a quelques jours, rassemblant plusieurs milliers de personnes ?
D’autres affirment que le droit à l’IVG serait déjà garanti constitutionnellement au titre des libertés fondamentales : cela résulte, selon nous, d’une incompréhension. Si le Conseil constitutionnel n’a pas conclu à une inconstitutionnalité depuis sa décision initiale sur la loi Veil en 1975, puis pour chacune de ses modifications législatives, il n’a cependant jamais formellement reconnu l’IVG comme un droit fondamental.
Ces lois ont été validées au motif qu’elles respectaient un équilibre entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration de 1789, mais sans conférer pour autant une protection autonome au droit à l’IVG. La constitutionnalisation de l’IVG conférerait évidemment à ce droit une protection plus forte.
Certains avancent que cela ne résoudrait pas l’effectivité de l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi la rédaction proposée dans ce texte mentionne explicitement ce point.
Mais pourquoi opposer la constitutionnalisation de l’IVG et la question de son accès ? Ne pourrait-on pas, à la fois, améliorer l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire et donner une protection supplémentaire à ce droit, en le constitutionnalisant ?
D’autres qualifient d’inutile cette constitutionnalisation au motif qu’il n’existerait aucun risque de remise en cause de ce droit dans notre pays, alors que nous assistons à un tel mouvement en Europe et aux États-Unis. Dire cela, c’est penser que la France serait une sorte d’îlot protecteur et protégé dans une Europe et un monde qui, concernant l’ensemble des droits fondamentaux, vacillent.
Avec le même raisonnement, nous aurions dû nous opposer à la constitutionnalisation de l’abolition de la peine de mort, puisque les engagements internationaux de la France rendaient ce retour en arrière impossible.
J’ajouterai un mot, enfin, sur la proposition de notre collègue Philippe Bas qui s’engage dans cette constitutionnalisation avec une rédaction différente, qu’il nous a détaillée.
Cette rédaction présente selon nous deux faiblesses.
Tout d’abord, elle n’est pas conforme au dispositif retenu à l’Assemblée nationale et ne permet pas à ce stade de vote conforme de la proposition de loi constitutionnelle.
Ensuite, le terme retenu est « liberté », au lieu de « droit ». Or, je le dis à M. Bas comme à vous tous, mes chers collègues, l’IVG n’est pas seulement une liberté ; pour nous, c’est un droit. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Pour autant, la rédaction proposée par notre collègue a pour vertu de s’engager sur le chemin de la constitutionnalisation. Au fond, rappelons-nous que la première loi Veil n’a pu être adoptée que grâce à un travail transpartisan et à la participation des groupes de gauche, qui avaient accepté de larges concessions.
Considérons cette démarche lancée par Philippe Bas comme un appel au consensus et à la construction transpartisane. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la soutiendra : elle est positive, même si elle est imparfaite.
Monsieur le garde des sceaux, je reprendrai à mon compte les propos de Philippe Bas. Vous avez fait état d’une analyse très fournie et intéressante, mais nous avons envie de vous voir concrétiser cette analyse dans une rédaction qui serait celle du Gouvernement. Nous vous donnons rendez-vous à cette fin !
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce soir, je le dis solennellement, mes chers collègues, le Sénat a rendez-vous avec son histoire, avec l’histoire du droit des femmes. Celles-ci vous attendent ; ne les décevez pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Gisèle Halimi affirmait déjà en 1973 : « Il y a dans le droit d’avortement de la femme une revendication élémentaire, physique, de liberté. »
Plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont dit que ce droit existait et qu’il était reconnu depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, à la suite des mobilisations de femmes, d’associations féministes, de syndicalistes et de partis politiques progressistes. Alors, pourquoi vouloir le faire entrer dans la Constitution ?
Il est indéniable qu’en 2023 l’avortement continue de rencontrer une opposition certaine, que nous vivons également dans cet hémicycle. Quand il s’agit de faire progresser les droits des femmes, des voix s’élèvent toujours pour exiger de les encadrer, voire de les limiter, surtout lorsqu’il s’agit de la liberté d’avoir ou non un enfant ! Cette situation se retrouve en France, en Europe et dans le monde.
En plus de ces blocages idéologiques, j’ai déjà eu l’occasion de décrire, ici même, les embûches matérielles qui entravent le droit à l’avortement dans notre pays : fermeture des centres de contraception et d’interruption volontaire de grossesse, manque de personnels pratiquant l’IVG, tarification à l’activité, double clause de conscience…
Les femmes les plus touchées par ces embûches sont évidemment les femmes précaires, qui laissent passer le délai légal et n’ont pas la possibilité d’aller à l’étranger. C’est une petite musique que l’on connaît bien et qui présente quelques similitudes avec les années 1970 !
J’espère donc que le Sénat va se saisir, cette fois-ci, de la présente proposition de loi pour consolider ce droit à l’IVG si chèrement acquis. Le constitutionnaliser est une opportunité qu’il faut saisir.
En effet, si le Conseil constitutionnel a toujours jugé les lois relatives à l’interruption volontaire de grossesse conformes à la Constitution, il n’a pour autant jamais consacré ce droit sous la forme d’un droit fondamental. Ainsi, l’IVG ne bénéficie que d’une protection législative, et non constitutionnelle. Aujourd’hui, une loi qui porterait atteinte au droit à l’IVG ne serait pas censurée.
Mes chers collègues, la volonté de constitutionnaliser le droit à l’avortement n’est pas nouvelle. Elle ne date pas de la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022. Cela fait onze ans, depuis 2012, que le parti communiste porte cette idée et le groupe CRCE a déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017.
Nous le répétons, et comme nous l’avions soutenu récemment lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Mélanie Vogel, dont nous étions cosignataires, il est grand temps de conférer à l’interruption volontaire de grossesse le statut de droit fondamental et de l’inscrire dans la Constitution afin de s’assurer que l’accès à l’IVG ne puisse être affaibli, voire supprimé, par des dispositions législatives.
Pour y parvenir, il faut émettre un vote conforme sur la proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale, ce qui, au vu du rapport de force, semble quelque peu incertain.
Néanmoins, depuis octobre dernier et le rejet au Sénat d’une première proposition de loi constitutionnelle, les débats traversant la société ont peut-être contribué à faire évoluer certaines positions. C’est ainsi que notre collègue Philippe Bas souhaite faire bouger les lignes : il a déposé un amendement qui porte sur l’article 34 de la Constitution, comme le défendait le groupe CRCE.
Les termes de cet amendement – « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » – nous posent question et nous inquiètent quant à la possible latitude laissée au législateur de revenir sur certaines avancées, notamment en raison de la substitution du mot « droit » par le mot « liberté ».
Cela étant, nous sommes conscients que ledit amendement, s’il était adopté, représenterait une ouverture permettant à la proposition de loi constitutionnelle de poursuivre son parcours législatif.
Notre groupe ne fera donc rien pour bloquer un tant soit peu ce texte, mais nous souhaitons, si l’amendement était voté, qu’il soit rédigé de manière différente, en incluant le mot « droit » – pour nous, c’est un point extrêmement important.
Mes chers collègues, comme nous y invitent les associations féministes, dont certaines sont ici présentes et que je salue, soyons le premier pays garantissant le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.
Je fais mien l’appel d’Osez le féminisme ! d’octobre dernier : « Nous appelons la France à être pionnière dans la protection du droit à l’avortement, en devenant le premier pays à constitutionnaliser ce droit fondamental, donnant ainsi un message d’espoir pour les femmes de ce monde qui se battent pour leurs droits et pour le respect de leur corps et de leur santé. » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir afin d’examiner, pour la deuxième fois en trois mois – sans compter les nombreux textes déposés sur les bureaux respectifs de nos deux assemblées –, une nouvelle proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse.
Sur l’initiative de notre collègue députée Mathilde Panot, ce texte, après avoir été réécrit, fut adopté par l’Assemblée nationale en première lecture à une très large majorité le 24 novembre 2021.
Quelques semaines auparavant, la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Mélanie Vogel nous était présentée. Elle prévoyait, outre l’interruption volontaire de grossesse, d’inscrire également dans le « marbre » constitutionnel la garantie du droit à la contraception.
Je tiens à remercier notre rapporteur, Agnès Canayer, qui, dans la continuité de son précédent rapport, a de nouveau fait preuve d’une grande sagesse dans la manière d’aborder ce sujet délicat, à la fois politique et sociétal, renvoyant aux convictions intimes et à l’histoire de chacun et chacune d’entre nous.
La genèse de cette multiplication de textes, c’est bien évidemment l’actualité américaine ou plutôt l’actualité d’une juridiction, la Cour suprême des États-Unis. C’est cette actualité qui nous conduit à examiner en si peu de temps deux propositions de loi ayant le même objectif.
En effet, le 24 juin 2022, l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization venait opérer une modification de l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973. Ce dernier avait fondé une protection fédérale, sous le contrôle de la Cour suprême, du droit à l’avortement sur le fondement du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, lequel dispose notamment qu’aucun État « ne privera quiconque de la vie, de la liberté ou de la propriété, sans procédure légale régulière ». Désormais, il appartient à chaque État fédéré américain de légiférer sur l’interdiction ou non du recours à l’interruption volontaire de grossesse.
Ai-je besoin, mes chers collègues, de vous rappeler la première partie de l’article 1er de notre Constitution ? « La France est une République indivisible […] » : cela signifie que notre pays n’est pas une fédération, que le législateur national dispose d’une plénitude de compétences et que les lois sont les mêmes pour l’ensemble de nos concitoyens, partout sur le territoire national. Je ne vois donc là aucune comparaison possible avec le texte de la Constitution américaine.
Comme notre rapporteur nous l’a rappelé en commission des lois, notre arsenal juridique est suffisamment solide concernant l’IVG. En témoigne la loi du 17 janvier 1975 portée par Simone Veil, alors ministre de la santé, relative à l’interruption volontaire de la grossesse. Ses dispositions n’ont jamais cessé d’être renforcées par le législateur – allongements successifs des délais, élargissement des praticiens pouvant pratiquer des IVG, etc. – et confortées par le juge constitutionnel.
Au-delà de cette intégration pleine et entière dans notre patrimoine juridique, auquel le Sénat est fortement attaché, force est de constater aujourd’hui qu’aucun parti, y compris aux extrêmes de l’échiquier politique, n’a jamais appelé à remettre en cause le principe de l’IVG. On peut d’ailleurs en trouver une illustration dans le vote de l’Assemblée nationale, le 24 novembre : pas moins de 38 députés du groupe Rassemblement national ont voté l’inscription de ce droit dans la Constitution. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Avant de constitutionnaliser un tel droit, je pense qu’il est nécessaire de regarder la façon dont il est mis en œuvre sur le terrain, au quotidien. Malheureusement, à l’heure de la désertification médicale, l’accès à l’IVG est rendu parfois très difficile pour un certain nombre de femmes sur le territoire national.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, à laquelle je m’honore d’appartenir, avait déjà souligné, sur l’initiative de sa présidente Annick Billon, ce problème d’effectivité dans un rapport d’information de 2015 intitulé Femmes et santé : les enjeux d’aujourd’hui.
Insister aujourd’hui, en constitutionnalisant ce droit, sur « l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse », comme le prévoit l’article unique de cette proposition de loi, s’apparenterait à un leurre. En effet, sept ans après la publication de ce rapport d’information de la délégation, la situation n’a guère évolué.
Je dirai, avant de conclure, un mot d’ordre procédural sur l’amendement proposé par notre collègue Philippe Bas. Je l’ai souligné en commission, si cet amendement qui prévoit une nouvelle rédaction et une imputation différente dans la Constitution ne change rien en termes de procédure parlementaire, une proposition de loi constitutionnelle adoptée dans des termes conformes par les deux chambres conduirait le Président de la République à convoquer un référendum, ou pas. Il n’y a pas d’autre issue possible pour cette discussion parlementaire !
Le groupe Union Centriste pratique la liberté de vote de manière générale, a fortiori sur des sujets dits de société. Ainsi, certains de ses membres soutiendront ce texte, comme ils l’ont fait pour la proposition de loi de Mélanie Vogel, quand d’autres s’abstiendront ou ne prendront pas part au vote, mais la plupart voteront contre l’amendement de Philippe Bas et contre la rédaction issue de l’Assemblée nationale, suivant en cela l’avis de la commission des lois du Sénat. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après l’examen en octobre dernier de la proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Mélanie Vogel, nous voilà de nouveau réunis pour débattre de la question de la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse.
Je tiens à préciser que le débat d’aujourd’hui doit être uniquement centré sur cette question : l’inscription ou pas du droit à l’IVG dans la Constitution.
Là où certains seraient tentés d’opposer progressistes vertueux et conservateurs arriérés, je veux rappeler, afin d’éviter certains raccourcis qui ne seraient pas dignes de la qualité des débats devant prévaloir au sein de cet hémicycle, que l’interruption volontaire de grossesse a été votée grâce à la loi Veil pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, président de droite. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Lorsque cette thématique est arrivée dans le débat public, j’ai tenté de me poser objectivement les bonnes questions afin d’obtenir des réponses qui dépassent le simple réflexe partisan. Quel est le rôle de la Constitution ? Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est-il en danger dans notre pays ? L’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution représente-t-elle une véritable protection supplémentaire dans la défense de ce droit ?
Tout d’abord, je pense que le rôle fondamental de la Constitution est de donner la philosophie générale – j’insiste sur ce dernier terme – qui doit présider à la direction de notre pays : forme de l’État, organisation des institutions, règles de production des normes, interactions entre les différents pouvoirs. Je ne crois pas que son rôle soit d’être bavarde, car paradoxalement cela risquerait de l’affaiblir.
Si l’on tombe dans un inventaire à la Prévert de l’ensemble des droits auxquels peuvent prétendre nos concitoyens, alors le risque d’insatisfaction permanente nous guette. Nous devons, au contraire, être les garants de la Constitution.
M. Max Brisson. Exact !
Mme Corinne Imbert. Ensuite, je suis toujours étonnée de voir certains débats venus d’outre-Atlantique prendre une place si importante au sein de l’actualité française.
Instinctivement, ma philosophie gaulliste m’enjoint de ne point céder aux sirènes de l’actualité court-termiste et je ne peux que regretter ce phénomène de transposition de débats qui n’ont bien souvent pas lieu d’être dans notre pays. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Max Brisson opinent.)
Quelqu’un dans cet hémicycle peut-il réellement affirmer que le droit à l’IVG se trouve aujourd’hui menacé dans notre pays ? Peut-on comparer une société où la lutte contre l’IVG est un marqueur politique fort à une Nation où aucun des douze candidats à la dernière élection présidentielle ne s’est prononcé en faveur d’un rétrécissement du droit à l’IVG ? Les réponses, mes chers collègues, vous les connaissez.
Enfin, très attachée au droit à l’IVG et à la protection de l’enfant à naître, je me suis imaginé un scénario catastrophe dans lequel une poignée de personnes hostiles à l’interruption volontaire de grossesse prendraient le pouvoir par la force et souhaiteraient abolir ce droit durement acquis. Pensez-vous sérieusement que la Constitution empêcherait quoi que ce soit ?
Non, la Constitution ne pourra alors plus rien pour le droit à l’IVG, comme elle ne pourra plus rien pour les libertés publiques, pour la liberté de la presse ou pour la liberté de conscience. Le XXe siècle européen est rempli d’exemples de pays qui ont connu un recul des droits fondamentaux à la suite de l’arrivée au pouvoir de régimes autoritaires. Comment croire que l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution renforcera ce droit ?
Je crois que le débat que nous avons aujourd’hui traduit un phénomène bien plus important qui mine le rôle du politique dans notre pays : le recul progressif de la capacité à agir sur le réel. Des exemples de combat pour les droits des femmes, il en existe pléthore, et nous savons que, malgré une amélioration considérable de la place des femmes dans notre pays, le chemin est encore long.
Nous préférons débattre d’un sujet qui n’en est plus un, dans lequel certains voient une opportunité de se placer du bon côté du récit, de « faire l’actualité », comme disent les communicants.
Mes chers collègues, je pense qu’une partie de la classe politique s’est offert une publicité avec ce texte,…
M. Xavier Iacovelli. Pas de mépris !
Mme Corinne Imbert. … mais que cet écran de fumée n’a d’équivalence que l’incapacité à se saisir des thématiques du réel. La posture est facile, faire montre de bons sentiments l’est aussi. Il est bien plus difficile de mener à bien des réformes ambitieuses qui ont un impact sur le quotidien de nos concitoyens. C’est l’éternel débat de la prévalence du fond ou de la forme, mais l’histoire n’est pas dupe.
Pour toutes ces raisons et parce que nous croyons à la prévalence du fond sur la forme, le groupe Les Républicains votera dans sa très grande majorité contre cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse
Article unique
Le titre VIII de la Constitution est complété par un article 66-2 ainsi rédigé :
« Art. 66-2. – La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. »
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.
Mme Hélène Conway-Mouret. Ma circonscription mondiale m’amène à constater sur le terrain, quand je vais à la rencontre des associations féministes, que le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en question, quand il n’est pas menacé, y compris dans des pays démocratiques – nous avons cité la Pologne et les États-Unis, mais il y en a de nombreux autres.
Si ce droit semble acquis en France aujourd’hui, je ne peux que citer cette phrase de Benoîte Groult : « À toutes celles qui vivent dans l’illusion que l’égalité est acquise […], je voudrais dire que rien n’est plus précaire que les droits des femmes. »
Nous avons l’avantage de vivre dans un pays dans lequel l’égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans la Constitution et où les femmes sont libres de disposer de leur corps, même si, à cause d’un manque de moyens médicaux, 3 000 à 4 000 Françaises sont forcées de se rendre à l’étranger chaque année, car « hors délais ». Eh oui, l’IVG continue d’être un combat !
Ce droit concerne également les Françaises vivant à l’étranger. Pour la première fois, le budget 2023 du ministère de l’Europe et des affaires étrangères consacre une ligne budgétaire à nos compatriotes vivant dans des pays où elles n’ont pas accès à l’IVG afin qu’elles puissent la pratiquer en France. Il convient désormais que l’État accélère le déploiement de ce dispositif d’accompagnement, voire de rapatriement, et clarifie les conditions d’accès à ce droit fondamental afin que la protection consulaire inclue l’assistance à l’IVG.
Enfin, faut-il rappeler que 81 % des Français sont favorables à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, selon un sondage réalisé en juillet 2022 ?
Alors, mes chers collègues, pour celles et ceux qui ne sont pas encore convaincus, soyons en phase avec les attentes de nos compatriotes et surtout ne ratons pas l’occasion de confirmer l’exemplarité de la Constitution française en matière de droits fondamentaux et de protection des libertés individuelles.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite réaffirmer avec force devant vous ma position personnelle sur la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons ce soir.
Ce droit à l’IVG a été inscrit dans la loi grâce à la force de l’engagement d’une femme, Simone Veil, en 1975. Je voterai cette proposition de loi constitutionnelle, comme j’ai voté en faveur du texte de notre collègue Mélanie Vogel à l’automne dernier.
J’entends les contestations de mes collègues qui dénoncent l’inscription dans la Constitution d’un droit qui ne serait aujourd’hui pas menacé. Qui peut le certifier ? Pas moi !
J’entends les opposants à l’IVG qui profitent de ce débat pour s’opposer à ce droit, voire qui nous intimident ou nous menacent.
Parce que l’IVG doit demeurer un droit fondamental pour les femmes, inscrivons-le dans la Constitution !
Je voterai ce texte, tout en étant consciente qu’il ne constitue pas une fin en soi. Le vote d’aujourd’hui est une étape, un signe envoyé à toutes les femmes et au Gouvernement.
N’oublions cependant pas que graver l’IVG dans notre Constitution n’aura de légitimité que si son accès demeure garanti partout sur notre territoire pour toutes les femmes – nous pouvons nous accorder, je le crois, sur cela. Actuellement, il ne l’est toujours pas. Ce vote nous oblige à y remédier au plus vite. C’est un impératif de santé publique face à un délit de non-assistance à femme en danger.
Au-delà des rédactions proposées, la question qui nous est posée ce soir, mes chers collègues, est simple : souhaitons-nous consolider ce droit à l’IVG ? Ma réponse est oui ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDPI, GEST et SER. – Mmes Elsa Schalck et Anne Ventalon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, sur l’article.
Mme Elsa Schalck. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question qui nous est posée par ce texte est la suivante : voulons-nous apporter une garantie constitutionnelle au droit à l’interruption volontaire de grossesse ?
À titre personnel, je le souhaite et je voterai aujourd’hui, comme en octobre dernier, pour la constitutionnalisation de cette liberté fondamentale pour les femmes.
Pourquoi ? Parce que la Constitution est notre texte à valeur suprême ; elle est le socle commun des valeurs et des libertés fondamentales de notre société, celles auxquelles nous ne devons pas déroger.
Inscrire l’IVG dans la Constitution, c’est inscrire ce droit fondamental au sommet de notre hiérarchie des normes, c’est sacraliser un droit qui a fait l’objet de très nombreux combats pour faire partie de notre patrimoine juridique fondamental.
À l’heure où les droits des femmes en général et le droit à l’avortement en particulier, peuvent faire l’objet de reculs dans des pays pas si lointains, et même si la situation américaine n’est pas comparable à la nôtre, j’ai la conviction qu’il est pertinent de conférer la plus haute protection à ce droit. Les droits des femmes nécessitent notre constante vigilance, notre mobilisation et notre action de chaque instant.
L’absence actuelle de remise en cause de l’IVG dans notre pays ne saurait nous exonérer de tout faire pour protéger et garantir, dès aujourd’hui, ce droit auquel nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDPI, GEST et SER. – Mmes Else Joseph et Anne Ventalon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, sur l’article.
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’avoue que j’ai quelques difficultés à reconnaître le Sénat dans les débats qui nous animent et qui nous animeront peut-être encore longtemps, puisque pas moins de six propositions de loi ont été déposées sur ce sujet…
J’ai des difficultés à reconnaître notre assemblée, parce que nous nous vantons souvent d’une certaine sagesse sénatoriale. Or je ne la vois pas ici, car en réalité nous réagissons, comme de vulgaires tabloïds, à un événement qui ne nous concerne pas et ne nous regarde pas : une décision de la Cour suprême des États-Unis qui n’a aucun impact sur la France, de la même façon que notre vote n’en aura aucun sur les États-Unis. Cette situation me paraît assez surprenante !
Je suis également étonnée, car nous avons l’habitude de faire preuve d’une certaine objectivité. Or j’entends que nous débattons de l’IVG comme si c’était le sujet de cette discussion et comme si une menace pesait vraiment en France sur cette liberté des femmes.
Mes chers collègues, vous savez que cela n’est pas le cas ; vous savez que nous ne discutons pas de l’IVG et que, même si l’on brandit assez facilement la menace de l’extrême droite qui pourrait nous priver de cette liberté, ses élus ont majoritairement voté, à l’Assemblée nationale, pour la constitutionnalisation de l’IVG. Là encore, nous manquons d’objectivité.
Généralement, nos débats sont empreints d’une certaine rigueur juridique. Aujourd’hui, j’entends parler de la Constitution comme si c’était un fourre-tout dans lequel nous pourrions inscrire tout ce qui nous tient à cœur, et qui serait alors protégé comme dans un coffre-fort.
Là encore, vous savez que c’est faux. La Constitution est l’ensemble des règles qui régissent nos institutions : elle n’est pas intangible, puisque nous l’avons modifiée vingt-quatre fois depuis 1958. La liberté dont nous débattons aujourd’hui n’a probablement pas grand-chose à y faire, même si le Conseil constitutionnel a indiqué qu’elle découlait d’une liberté déjà prévue dans la Constitution, la liberté des femmes. (Marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
Enfin, j’ai l’habitude ici d’un certain respect. Or j’entends que certains auraient des positions dignes et d’autres, non. Nous avons toujours des positions dignes dans cet hémicycle ; elles sont diverses, mais elles doivent pouvoir être acceptées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe SER.)
Pour ma part, je ne voterai pas ce texte.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. Yan Chantrel. C’est du sabotage !
M. le président. Mes chers collègues, c’est à moi qu’il revient de gérer les temps de parole.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, je m’étais inscrite pour intervenir sur cet article, car j’ai évidemment des réflexions à partager sur cette question.
Mais je vois la liste des demandes de parole, qui ne cesse de s’allonger. Certains collègues qui se sont exprimés lors de la discussion générale demandent même, de nouveau, la parole. Après ces interventions sera débattu l’amendement de Philippe Bas qui donnera lieu, lui aussi, à des explications de vote… Or tout doit s’arrêter à vingt heures quarante-cinq !
Je ne voudrais pas que le Sénat, qui s’est déjà fait remarquer au mois d’octobre dernier pour son vote hostile à la constitutionnalisation du droit à l’IVG, le soit aujourd’hui pour une manœuvre de procédure qui consisterait à faire durer le débat afin que nous ne puissions voter aujourd’hui ni l’amendement de Philippe Bas ni le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et sur des travées des groupes GEST et RDSE. – Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)
Ce n’est pas la première fois que nous discutons de l’IVG ou de sa constitutionnalisation et je passe mon tour de parole pour permettre au vote d’avoir lieu dans le temps imparti. (Mêmes mouvements.)
Rappel au règlement
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, mes chers collègues, après ce que je viens d’entendre, j’aimerais rappeler comment sont organisés les travaux parlementaires.
Le groupe socialiste dispose d’un ordre du jour réservé de quatre heures et il a choisi d’y inscrire deux textes.
Nous débattons de quatre rédactions différentes de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Nous avons le droit de disposer du temps nécessaire pour débattre de ces différentes rédactions qui touchent au texte fondamental de la République française.
Je ne peux donc accepter un tel procès d’intention ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, j’aimerais que le débat continue de se dérouler de façon sereine et je ne fais qu’appliquer le règlement du Sénat.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Article unique (suite)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, sur l’article.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne cherche pas à faire durer le débat, mais celui-ci est suffisamment important pour que chacun puisse s’exprimer.
Je voudrais faire trois observations rapides.
Première observation, nous avons eu précédemment un débat sur le point de savoir s’il s’agissait de conforter un droit ou d’afficher un symbole. En ce qui me concerne, je pense que la Constitution n’est pas un symbole : c’est un texte sérieux dans lequel les libertés sont évoquées. Certains souhaitent y inscrire la liberté d’avorter. Demain, pourquoi pas la fin de vie ou la procréation médicalement assistée (PMA) ? Je ne pense pas que la Constitution soit l’endroit où il faille inscrire ces questions sociétales.
Deuxième observation, vous nous appelez, monsieur le garde des sceaux, même si vous ne l’avez pas dit très clairement, à voter conforme ce texte afin de pouvoir avancer sur le sujet et organiser un référendum.
Mais le Gouvernement souhaite-t-il vraiment organiser aujourd’hui un référendum ? Êtes-vous certain que ce soit le moment le plus propice pour tenir un débat apaisé sur une question aussi grave que celle-là ?
Enfin, troisième observation, j’ai cru comprendre que le Président de la République voulait à tout prix attacher son nom à une modification de la Constitution et qu’il concoctait donc une réforme constitutionnelle. Ne pensez-vous pas, monsieur le garde des sceaux, qu’il serait préférable d’avoir une vision globale et d’éviter de réviser la Constitution en fonction des aléas de l’actualité, fût-elle américaine ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sur l’article.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ne nous trompons pas de débat, mes chers collègues ! Il n’est pas question ici de remettre en cause des droits ouverts par la loi Veil ; il s’agit de savoir s’il est pertinent pour nous, parlementaires français, de nous emparer d’une problématique qui s’est en réalité posée au sein de la société américaine, avec toutes ses spécificités, et non dans notre pays. Personnellement, je pense que non.
Je voudrais m’adresser à toutes les femmes qui nous regardent aujourd’hui pour leur dire que le recours à l’IVG n’est absolument pas remis en cause en France, puisqu’il s’agit de l’un de nos droits fondamentaux.
La position constante du Conseil constitutionnel sur ce sujet est extrêmement protectrice. Le recours à l’IVG découle de la liberté de la femme, tirée de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Inscrire un tel dispositif dans la Constitution, quelle que soit la rédaction choisie, n’aurait qu’une conséquence : fragiliser le recours à l’IVG.
Il n’est pas souhaitable d’attiser des peurs fondées sur la situation d’autres pays. Compte tenu du climat déjà particulièrement anxiogène que connaissent nos concitoyens, il me semble inutile d’en rajouter.
Pour l’ensemble de ces raisons, comme de nombreux collègues qui sont à mes côtés au sein du groupe Les Républicains, je m’opposerai à cette proposition de loi constitutionnelle, en cohérence avec mon vote il y a quelques semaines.
M. Xavier Iacovelli. Quelle surprise !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Et je précise que je n’aurai pas honte de mon vote ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, sur l’article.
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’habitude de m’exprimer sur ces sujets de société. En l’espèce, j’ai l’impression qu’on veut légiférer de manière symbolique et au cas où… Or ce n’est pas le rôle du législateur.
D’ailleurs, qu’est-ce qu’un symbole ? La question n’est pas simple d’un point de vue étymologique. Le symbole est un fait évoquant par une correspondance analogique, formelle, naturelle ou culturelle quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir.
Mes chers collègues, en toute honnêteté, croyez-vous vraiment que la protection du droit à l’IVG, que je défends de toute mon âme, est absente ou impossible à percevoir ?
Le Conseil constitutionnel a, dès 1975, validé la loi sur l’IVG en soulignant que son article 1er, qui énonce le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, doit pouvoir connaître des limites – soit, précisément, ce droit à l’IVG que nous revendiquons. Vingt-six ans plus tard, le Conseil a renforcé encore la protection de ce droit.
Les femmes n’ont pas besoin de symboles et elles n’en veulent pas. Elles veulent des moyens, des plannings familiaux, des médecins.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
Mme Marie Mercier. Nous voulons une éducation sexuelle digne de ce nom et un accompagnement psychologique. On parle de la liberté de la femme à avorter. Êtes-vous sûrs, mes chers collègues, que quelquefois la femme n’avorte pas, parce que son compagnon lui a demandé de le faire et qu’elle s’y sent obligée ? (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Il faut accompagner les femmes, les aider. Nous devons nous attacher à cet objectif, plutôt qu’à inscrire une disposition dans la Constitution : ce n’est pas cela qui nous aidera. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat, sur l’article.
Mme Toine Bourrat. Mes chers collègues, la baisse de confiance accordée par nos concitoyens à la classe politique en général et à l’exécutif en particulier nous oblige.
Sans cesse rappelée par les baromètres d’opinion, cette confiance abîmée, qui confine parfois à la défiance, est souvent le fruit des incohérences que nos concitoyens identifient dans les discours tenus par leurs représentants. Elle nous oblige parce que la politique, c’est d’abord des convictions.
Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l’IVG le 12 octobre 2022 en commission des lois du Sénat.
Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l’IVG le 19 octobre 2022 en séance publique au Sénat.
Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l’IVG le 25 janvier 2023 en commission des lois du Sénat.
Je ferai donc preuve de cohérence et voterai contre la constitutionnalisation de l’IVG ce soir en séance publique.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, sur l’article.
Mme Catherine Di Folco. Depuis le début de nos débats, j’ai écouté avec attention chaque orateur, quelles que soient les travées de cet hémicycle sur lesquelles il siège. Le sujet principal qui semble nous occuper est celui de la constitutionnalisation.
Mes chers collègues, je vous le dis comme je le pense : je crois que nous nous fourvoyons. Le mot que nous devrions retenir aujourd’hui et sur lequel nous devons à nos concitoyens de concentrer tous nos efforts est, de mon point de vue, celui d’« effectivité ».
Dire qu’une norme juridique est effective, c’est dire qu’elle existe dans la réalité et qu’elle est appliquée dans les faits. Cette acception classique de l’éminent doyen Carbonnier dans un article précurseur de 1958 renvoie à une application effective des normes. Nous sommes favorables à l’effectivité du recours à l’IVG, mais cette effectivité ne se limite pas à l’application d’une règle : elle doit aussi recouvrir une dimension symbolique.
Or, comme le doyen Favoreu l’énonçait, si le législateur peut abroger certaines des règles qui protègent ou favorisent l’exercice de droits fondamentaux, il ne pourrait pas le faire au point que ces droits n’aient plus d’effectivité.
Dès lors, ne nous trompons pas quant à la question juridique qui nous est posée ! Faut-il ajouter à notre texte fondamental une disposition déclarative ? Je ne le crois pas, et je n’en ai pas honte, madame Vogel. Ou faut-il agir concrètement en faveur de l’accès effectif de toutes les femmes à l’IVG ? J’en suis persuadée et je mets le Gouvernement face à ses obligations en la matière. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, sur l’article.
M. Loïc Hervé. Je m’exprime ici à titre personnel, et non plus au nom du groupe Union Centriste comme dans mon intervention dans la discussion générale.
La question que nous examinons soulève plusieurs débats : celui de l’influence internationale sur nos discussions intérieures, celui de l’opportunité d’une référence à l’IVG dans la Constitution et le débat juridique.
Dans mon rappel au règlement, j’évoquais les quatre rédactions proposées : celle de Mme Vogel, la rédaction initiale de Mme Panot, celle de l’Assemblée nationale et celle proposée par Philippe Bas, dont nous débattrons tout à l’heure.
Le tout est encadré par des délais contraints, avec un deuxième véhicule législatif qui est une proposition de loi, ce qui signifie qu’il n’y a eu ni étude d’impact, ni passage du texte devant le Conseil d’État, ni débat en droit.
Par ailleurs, nous le savons tous, la procédure n’ira pas à son terme, puisque la seule issue est le référendum.
Avec quatre rédactions et une issue hypothétique qui est celle du référendum, les défenseurs de l’IVG imaginent-ils une seconde ce que représenterait un débat sur une question sociétale de cette ampleur dans l’état actuel de la société française ?
Je pose la question, parce que nous avons arrêté de faire du droit dans cette maison pour parler de sujets politiques. Je suis hostile à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, mais si on devait imaginer de le faire, il faudrait s’interroger sur la qualité du droit que l’on écrit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est vrai qu’il vaut mieux parler du PLUi du Bas-Chablais !
M. Loïc Hervé. Nous sommes des législateurs : on parle là de la qualité de la Constitution pour les années qui viennent ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Une loi se fait et se défait. Une Constitution, cela ne se défait pas aussi simplement !
Plusieurs sénateurs des groupes SER et GEST. C’est justement la raison pour laquelle il faut inscrire l’IVG dans la Constitution !
M. Loïc Hervé. Nous sommes en train d’improviser, mes chers collègues ! C’est ce que je voulais rappeler en cet instant. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, pour le moment, la discussion est sereine, il ne sert à rien de l’envenimer. Il reste trente-cinq minutes de débat, et je souhaite qu’il se tienne dans le calme.
La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Merci, monsieur le président, de ce préalable.
Bien entendu, il n’y a pas, d’un côté, le camp de la dignité et, de l’autre, celui de l’indignité. Nos démocraties s’abîment quand le débat public est réduit à une polarisation, à un échange de condamnations et d’accusations. On doit pouvoir débattre, quelles que soient les opinions des uns ou des autres.
Notre assemblée ne doit pas fonctionner sous la pression de telle ou telle partie de l’opinion publique. Nous devons légiférer de façon rationnelle et raisonnable.
Cette proposition de loi constitutionnelle est-elle rationnelle ? Je ne le crois pas, parce que l’existence du droit à l’IVG – et je remercie Agnès Canayer, notre rapporteur, de l’avoir bien démontré – n’est menacée en France par aucune formation politique. Le Conseil constitutionnel a, en quelque sorte, constitutionnalisé le droit à l’IVG,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Non, justement !
M. Bruno Retailleau. … puisqu’il a indiqué, dans plusieurs décisions, qu’il constituait un élément de la liberté fondamentale de la femme.
Cette proposition de loi constitutionnelle est-elle raisonnable ?
Est-il raisonnable, mes chers collègues, d’importer dans notre pays déjà si fracturé les débats qui divisent la société américaine ? Est-il raisonnable de vouloir un référendum sur un tel sujet, monsieur le garde des sceaux ? Vous savez pertinemment que, pour que le texte aboutisse, il faudra en passer par là.
M. Éric Kerrouche. Et alors ?
M. Bruno Retailleau. Enfin, est-il raisonnable de vouloir constitutionnaliser à tout va ?
Dominique de Legge l’a très bien dit, ce pourrait être demain, par exemple, le droit au suicide assisté ou la PMA pour toutes. Pourquoi ces droits seraient-ils de portée inférieure à l’IVG ? Pourquoi ne devrions-nous pas les constitutionnaliser aussi demain ?
La Constitution de la Ve République n’est pas faite pour adresser des messages symboliques au monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère et Alain Duffourg applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, sur l’article.
M. Stéphane Ravier. Je l’ai dit et répété, j’ai même organisé un colloque ici même au Sénat pour le démontrer – et j’en ai d’ailleurs été très heureux –, la constitutionnalisation du droit à l’IVG est inutile et dangereuse.
Elle est inutile, car il n’y a pas de sujet chez nous en France : le droit à l’IVG n’est pas menacé.
Alors pourquoi cette proposition ? Pourquoi cette obsession de la gauche ?
La principale raison en est la frustration, la frustration politique.
(Dans l’une des tribunes du public, plusieurs jeunes femmes se lèvent et scandent : « Protégez l’IVG ! ». Elles sont évacuées par les huissiers.)
M. Stéphane Ravier. Si jeunes et déjà idéologiquement contaminées… (Brouhaha.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures onze, est reprise à vingt heures douze.)
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, nous saurons qui a invité ces personnes : telle est la règle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Je vous rappelle que l’article 91 du règlement du Sénat prévoit que le public admis dans les tribunes se tient assis, découvert et en silence et que toute personne donnant des marques d’approbation ou d’improbation est exclue sur-le-champ.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Stéphane Ravier. Je reprends donc mon propos, après l’interruption de ces agitées.
La loi de dépénalisation de 1975 a été pensée, rédigée et proposée par une ministre de droite, Simone Veil, soutenue par une majorité, un gouvernement et un président de la République de droite.
Depuis quarante-huit ans, la gauche ne l’a toujours pas digéré, elle rumine, elle enrage d’avoir été dépossédée de ce qui lui revenait idéologiquement de droit, au même titre que l’abolition de la peine de mort.
Elle a saisi une actualité tronquée venue d’outre-Atlantique pour, à grands coups d’agit-prop, comme l’a si justement qualifié l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, tenter d’imposer son hold-up politique. Comptant sur la faiblesse de ses opposants, qui s’est effectivement révélée à l’Assemblée nationale, elle souhaite récupérer son patrimoine idéologique.
Mais je vous mets en garde, mes chers collègues de droite : nous sommes en face d’une gauche française minée par son fanatisme, qui la poussera à exiger toujours plus de vous. Après la constitutionnalisation de l’IVG, ce sera la constitutionnalisation de la fin de vie et de l’euthanasie.
Si vous posez un genou à terre, elle exigera que vous posiez le second. Après que vous aurez posé le second, elle exigera que vous vous mettiez à plat ventre. Si vous vous mettez à plat ventre, elle vous fera ramper. Ce sont des fanatiques, ils n’en ont jamais assez !
M. le président. Veuillez conclure !
M. Stéphane Ravier. Alors je vous invite à rester debout, forts et fiers de votre vote. J’en appelle à votre courage et à votre esprit de résistance. Ne lâchez rien ! (Marques d’impatience et d’exaspération sur les travées des groupes SER et GEST.) Notre vote nous engage tous… (M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l’article.
M. Philippe Bonnecarrère. Mes chers collègues, je propose que nous oubliions l’incident auquel nous venons d’assister.
M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas possible !
M. Philippe Bonnecarrère. Il est bien évident qu’il dessert la cause que ses auteurs voudraient défendre et, même si je ne souscris pas aux arguments de ceux qui soutiennent cette proposition de loi, je suis trop respectueux de l’importance que revêt le sujet pour que notre appréciation se fonde sur ce type d’incident.
Trois réserves justifient le vote négatif de la majorité du groupe UC sur cet article.
La première, vous le comprendrez, concerne notre Constitution. Elle est le socle qui nous a permis de faire face à des moments difficiles et c’est un élément de stabilité.
La Constitution, c’est d’abord le fonctionnement de nos institutions. Si, ce soir, nous faisions évoluer la Constitution vers un recueil de dispositions sociétales, je crois que nous ouvririons la porte à certaines difficultés et que nous ne rendrions pas service au fonctionnement de notre système.
La deuxième réserve tient au fait que la société française est déjà assez troublée. Des suggestions de référendum fusent sur d’autres sujets et je vous trouve bien « joueurs » d’envisager d’en passer par cette voie sur celui-ci.
Comme troisième réserve, alors que certains d’entre vous ont rappelé que les dispositions de la Cour suprême américaine ne nous concernent ni de près ni de loin, j’appelle votre attention sur le fait que, si vous raisonnez en considérant que notre système parlementaire pourrait être, demain, complètement renversé et que le Conseil constitutionnel pourrait revenir sur sa jurisprudence de 2001, un tel défaut de confiance tant dans le Parlement que dans le Conseil constitutionnel témoignerait d’un problème majeur dans notre société. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article.
Mme Françoise Gatel. Le sujet dont nous parlons est éminemment important : il s’agissait dans un premier temps de permettre l’effectivité d’un droit, puis nous avons fait un pas de côté pour répondre à une question portant sur la capacité de notre pays à faire respecter le droit à l’IVG, droit qui a été porté par une femme appartenant à la même famille politique que les membres du groupe Union Centriste.
Je regrette que, au sein de cet hémicycle, nous oubliions parfois que nous sommes dans un lieu de raison, un lieu de fabrique de la loi, un lieu d’opinions et de libertés. Je soutiens en tout point les propos qui ont été tenus par Mme le rapporteur, dont le discours est parfaitement rigoureux et factuel.
En outre, je trouve fort inconvenant que l’on ose évoquer ici, même si ce n’est pas dit clairement, mais par allusion ou sous-entendu, le fait qu’il y aurait le camp des bien-pensants et celui des conservateurs, qui seraient peut-être aussi des mécréants. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio applaudit.)
Enfin, malgré tout le respect que j’ai pour nos collègues socialistes, et je sais l’importance qu’ils accordent à ce sujet, je refuse que, si à l’issue de son examen cette proposition de loi n’était pas votée, parce que le délai imparti n’aurait pas été respecté, la responsabilité en incombe à ceux qui se seront exprimés – ils en ont le droit ! Il appartient à chaque groupe, quand il dispose d’une niche parlementaire, de choisir ses sujets, en tenant compte du temps qui est fixé à celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Bas, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »
La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Je vous propose d’effacer totalement la proposition qui nous vient de l’Assemblée nationale pour écrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».
C’est une formule que l’on retrouve fréquemment dans l’énoncé des libertés constitutionnelles. Elle permet de préserver l’équilibre de la loi Veil et je me réjouis que, sur toutes les travées, on ait manifesté un si fort attachement à cette loi.
Elle permet aussi au législateur de ne pas abdiquer ses droits en faveur du pouvoir constituant, car la loi Veil pourra continuer d’évoluer. Vous savez que, si elle avait été cristallisée dans la Constitution, aucune évolution n’aurait été possible, y compris celles des dernières années.
Grâce à cet amendement, le sujet reste d’ordre législatif, mais s’il y avait un changement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse serait préservée.
Je ne crois à aucun moment à une telle évolution jurisprudentielle, raison pour laquelle je reconnais bien volontiers que cette garantie réelle est aussi virtuelle.
Toutefois, pour le cas où il y aurait une telle inflexion de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, je ne vois pas pourquoi nous nous priverions de l’avantage d’avoir inscrit dans le marbre de la Constitution une liberté qui est déjà reconnue comme une liberté de rang constitutionnel par le Conseil constitutionnel, et cela depuis plus de vingt ans, liberté à laquelle nous sommes tous profondément attachés. (Mme Elsa Schalck et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement qui vise à modifier entièrement et considérablement la proposition de loi est contraire à la position qui a été votée par le Sénat en octobre dernier et nous souhaitons rester cohérents.
Nous considérons que la loi Veil qui autorise l’avortement en France est une garantie forte pour les femmes et qu’il n’y a pas lieu de la constitutionnaliser, alors qu’il n’y a aucune remise en cause de l’IVG en France aujourd’hui.
À supposer que cet amendement, comme l’indique l’auteur, ne change rien à l’existant, la question se pose alors de savoir à quoi il sert.
Nous sommes opposés à la constitutionnalisation pour le symbole, car la commission des lois s’est toujours élevée contre un droit qui serait strictement « expressif ».
En réalité, sur le fond – l’auteur le reconnaît –, cet amendement n’ajoute rien au droit positif, puisque l’article 34 de la Constitution prévoit déjà que la loi détermine des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, ce qui intègre bien évidemment le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
De plus – je le redis –, il est important que la Constitution de 1958 ne soit pas un catalogue de droits et de libertés qui en changerait la nature. Ce catalogue serait sans fin : on pourrait y ajouter la liberté de la femme, celle du mariage, celle d’entreprendre et bien d’autres encore.
Ensuite, Simone Veil avait elle-même dit – je le rappelle de nouveau – qu’on ne constitutionnalisait pas pour le symbole, mais simplement pour ajouter un droit nouveau, ce qui n’est pas le cas avec cet amendement.
En outre, si l’on considère qu’il est véritablement nécessaire de constitutionnaliser et de consacrer la jurisprudence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne l’interruption volontaire de grossesse, alors, mes chers collègues, il manque une partie du raisonnement, puisque l’amendement ne fait pas expressément référence à la nécessaire conciliation avec la sauvegarde du principe de dignité de la personne humaine. Pourtant, le Conseil constitutionnel concilie toujours ce principe avec la liberté pour la femme de mettre fin à sa grossesse.
Enfin, dernier argument, je répète que nous sommes dans le cadre d’une proposition de loi et que cette procédure imposerait le recours au référendum. Or engager un référendum sur ce sujet ne serait absolument pas responsable.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le questeur Philippe Bas, vous disiez précédemment que j’avais les mains dans les poches ; je dois vous rappeler que non seulement je n’ai pas les mains dans les poches, mais que je n’ai pas non plus la langue dans ma poche. (Sourires.)
J’ai répété à de nombreuses reprises que le Gouvernement soutiendrait les initiatives parlementaires, de sorte que je trouve assez singulier d’entendre de votre bouche – je vous le dis avec beaucoup de sympathie – que vous auriez besoin d’une impulsion gouvernementale, vous qui vous faites si souvent l’ardent défenseur du parlementarisme et de ses initiatives pour la plupart – pour ne pas dire toutes – heureuses.
Pas moins de six textes ont été présentés et, avec la Première ministre, nous avons dit que non seulement nous les examinerions, mais aussi que nous les soutiendrions.
M. Loïc Hervé. Jusqu’au référendum ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Laissez le travail parlementaire se terminer, monsieur Hervé ! Nul n’ignore le principe de la navette.
M. Loïc Hervé. Il y a une Constitution, en France !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour le reste, je salue votre proposition, monsieur Bas, qui démontre à l’évidence – pour ne pas dire, comme toujours – votre volonté de parvenir à une écriture de compromis.
Je conserve toutefois un petit doute, comme je l’ai déjà dit, car il me semble que la rédaction que vous proposez reflète en fait l’état du droit.
Au regard de cet amendement qui fait un pas vers le compromis, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Max Brisson. Quelle hypocrisie !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Le débat porte d’abord sur l’amendement déposé par le questeur Bas, la position du Gouvernement étant une question dont nous pourrons discuter ensuite.
En ce qui concerne le groupe socialiste et aussi – mes collègues le diront, si le délai d’examen le permet – tous ceux qui ont soutenu la proposition de loi déposée par Mélanie Vogel au mois d’octobre dernier, nous voterons l’amendement de Philippe Bas.
Je voudrais dire à ceux qui pensent que la Constitution n’est pas faite pour être un catalogue que le droit à l’IVG n’est pas n’importe quelle liberté. Si nous en parlons aujourd’hui, c’est bien parce qu’il s’agit de la liberté et du droit des femmes que tous les gouvernements illibéraux remettent systématiquement en cause. Ceux qui disent qu’il n’y a pas de danger pour demain sont bien optimistes, mes chers collègues. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Écoutez ce que nous dit le sénateur Ravier ! Écoutez la forme et le fond de son intervention ! Qui d’entre nous peut dire que M. Ravier représente un courant politique qui ne ferait que 1,5 % des voix dans le pays ? M. Ravier représente un courant politique dont on sait très bien qu’il peut un jour gouverner ce pays.
Par conséquent, voter un amendement qui vise à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes d’accéder à l’avortement, c’est envoyer un signal non pas aux jeunes gens qui manifestaient il y a dix jours pour demander au Sénat de ne pas voter la constitutionnalisation, mais à tous les progressistes qui veulent la constitutionnalisation de l’IVG, c’est-à-dire 81 % des Français.
Notre vote montrera à qui nous parlons : aux adversaires de l’IVG ou à ceux qui promeuvent les droits des femmes. (Vives protestations sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Les seuls qui nous demandent de ne pas voter la constitutionnalisation, les seuls qui manifestent pour cela, ce sont les adversaires de l’IVG. C’est à eux qu’il faut dire non !
Nous voterons cet amendement, parce que nous défendons le droit des femmes et leur liberté. Aucune femme ne peut en être privée. Tel est le sens de l’amendement de Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il est tout de même troublant de constater que, dès que l’on aborde le sujet de l’interruption volontaire de grossesse, le débat devient passionné et tumultueux. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier proteste également.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. La faute à qui ?
Mme Laurence Cohen. Mes chers collègues, écoutez mes arguments au lieu de vociférer ! Je n’ai encore rien dit. Vous ne pouvez donc pas savoir si vous allez vous inscrire pour ou contre ce que j’avancerai. Jusqu’à présent, je n’ai fait que constater que le débat était houleux, et c’est un fait.
Pour ce qui est de l’amendement de M. Bas, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, j’y vois un signe positif, parce qu’il pourrait permettre au Sénat, rassemblé, d’affirmer la nécessité de constitutionnaliser ce droit, et cela même si, avec l’ensemble de mon groupe, je considère que le mot « liberté » est insuffisant, car l’interruption volontaire de grossesse n’est pas seulement une liberté, mais aussi un droit chèrement acquis. Nous aurions donc souhaité que les deux termes soient mentionnés.
Je vous invite aussi à réfléchir : pourquoi, quand il s’agit du droit à l’interruption volontaire de grossesse, est-il toujours indispensable de faire des compromis et de l’encadrer, voire de dire – je l’ai entendu et, là encore, c’est un fait – que l’on ne peut pas mettre n’importe quoi dans la Constitution ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Entendez ce que nous demandons ! Nous souhaitons que ce droit soit considéré comme un droit fondamental parce qu’il l’est pour les femmes, qui sont des êtres majeurs à égalité avec les hommes dans ce pays et dans le monde, de sorte qu’elles doivent pouvoir décider d’avoir une grossesse ou pas, quand elles le souhaitent. Pour moi et pour l’ensemble de mon groupe, c’est un droit fondamental !
Il me semble, au regard de ce qui se passe dans le pays, que des collègues sur les travées d’autres groupes politiques peuvent souscrire à notre position. Je vous encourage donc à réfléchir et à voter l’amendement de M. Bas. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. La situation est assez curieuse : Mme Cohen votera cet amendement, tout en étant en désaccord avec ses termes, et moi, je ne le voterai pas, tout en considérant qu’il constitue une amélioration par rapport à la rédaction initiale.
M. Patrick Kanner. Faites un beau geste !
Mme Muriel Jourda. Cet amendement me paraît en effet plus précis juridiquement, car un droit et une liberté ne sont pas tout à fait la même chose. Or, même si je ne dispose pas du temps nécessaire pour retracer la genèse de cette liberté qu’est l’IVG, il s’agit bien d’une liberté et non pas d’un droit. On peut donc au moins reconnaître comme mérite à l’amendement de Philippe Bas le fait de dire exactement ce que sont les choses.
Toutefois, je reprendrai l’argumentation de Mme le rapporteur, même si je le fais de manière beaucoup plus rapide. La liberté pour les femmes de pouvoir recourir à l’avortement découle d’une liberté déjà constitutionnellement reconnue et nous ne pouvons pas inscrire dans la Constitution toutes les libertés qui en découlent, sauf à en faire un code parfaitement inutilisable et qui ne remplirait plus la fonction à laquelle il est destiné.
Enfin, je voudrais rappeler – je l’ai déjà fait, mais manifestement il faut le répéter – que nous ne nous partageons pas ici entre partisans de l’IVG et opposants à l’IVG, comme je l’ai entendu dire. On peut parfaitement ne pas voter ce texte et être tout à fait favorable à la liberté des femmes de recourir à l’IVG.
Bien évidemment, on peut dire que les droits et les libertés ne sont jamais acquis – c’est exact. Mais il faut tout de même être sérieux : depuis 1975, les parlementaires – quelle que soit leur opinion sur la question, car il y a des parlementaires qui sont opposés à l’IVG et ils en ont le droit – n’ont jamais déposé un quelconque texte pour revenir sur la loi Veil. Les modifications qui lui ont été apportées – elles sont au nombre de sept – ont toujours rendu plus aisé l’exercice de cette liberté.
Arrêtons donc de nous faire peur avec des choses qui n’existent pas ! Aujourd’hui, rien n’est menacé et il est inutile de faire entrer dans la loi fondamentale une liberté qui n’a rien à y faire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. En préambule, et alors que certains ont cherché à opposer des camps, je voudrais dire qu’il n’y a pas d’un côté les spécialistes du droit et de la Constitution, qui seraient contre la constitutionnalisation, et de l’autre ceux qui seraient complètement hors sujet. Nous, qui sommes pour la constitutionnalisation, nous avons également la responsabilité pleine et entière de l’écriture de la loi.
Je remercie notre collègue Philippe Bas de cette rédaction de compromis qui pourrait nous rassembler et nous permettre d’avancer sur le chemin de la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Il s’agit pour moi non d’un symbole, mais de la protection d’un droit fondamental.
Je voterai, bien entendu, cet amendement de compromis, parce que personne ne peut garantir aujourd’hui que le droit à l’IVG n’est pas menacé. Certes, je ne peux pas vous dire qu’il l’est, mais vous ne pouvez pas non plus me dire qu’il ne l’est pas. D’ailleurs, la passion qui s’est parfois déchaînée dans les débats ce soir et certains des arguments qui ont été avancés le démontrent.
Je voterai donc cet amendement qui vise à garantir un droit fondamental pour les femmes dans la Constitution. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote. (Protestations.)
M. Stéphane Ravier. Merci de votre accueil chaleureux !
Monsieur le sénateur Philippe Bas, je suis étonné à plusieurs égards par votre amendement.
Tout d’abord, il est étonnant venant d’un gaulliste : vous souhaitez participer à l’horizontalisation de la Constitution, qui est un texte de verticalité gaullienne, minant ainsi l’intérêt général qui avait présidé à sa rédaction. Vous contribuez à découdre notre contrat social et vous appuyez cette manie dangereuse d’en faire un self-service normatif.
Il l’est ensuite venant d’un opposant aux inutilités constitutionnelles : vous disiez en juin 2018 que l’introduction d’une mention à l’environnement à l’article 1er de la Constitution n’était « pas une question de numérotation, car cela ne change rien à ce que dit déjà la charte de l’environnement ». Ici non plus, ce n’est pas une question de numérotation et votre rédaction ne change rien à ce que dit la loi en vigueur.
Il l’est également venant d’un sénateur attaché au rôle du Parlement : vous choisissez de nous déposséder un peu plus de notre pouvoir de décision au profit d’un juge constitutionnel.
Il l’est encore venant d’un proche collaborateur de Simone Veil : vous prétendez soutenir l’esprit de sa loi qui était une dépénalisation. Or, en l’inscrivant sur la clé de voûte de notre édifice normatif, vous assumez de l’ériger en panacée sociétale.
Enfin, il l’est venant d’un élu de droite – je crois… – : vous validez, comme on l’a encore vu aujourd’hui dans les tribunes, l’initiative d’agit-prop de l’extrême gauche qui ne cherche qu’à procéder sur le dos de la Constitution à une OPA, une « opération politique sur l’avortement ».
Mes chers collègues, à votre tour ne tombez pas dans ce piège électoral ! Soyez fermes dans vos convictions, sinon – je l’ai déjà dit – jusqu’où irons-nous ? J’espère que vos votes d’automne ne se seront pas envolés sous l’action du vent mauvais venant de la gauche et que vous serez amenés, à la lumière des quelques paradoxes que je viens de soulever, à rejeter cet amendement, prélude au rejet du texte.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je veux simplement rappeler un point de droit. L’article 34 de la Constitution dans lequel l’amendement de notre collègue s’insère… (Mme Laurence Rossignol marque son impatience.) Je peux faire durer le débat, madame Rossignol, avec beaucoup de plaisir. Ce n’est pas mon objectif, mais je peux le faire, si vous le souhaitez, sans aucune difficulté.
Je disais donc que l’article 34 a pour vocation première de répartir les compétences du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. C’est sa seule vocation. Il résulte du fait que, sous la IVe République, les pouvoirs n’étaient pas clairement définis, ce qui a entraîné de l’instabilité, de sorte que le constituant de 1958 a voulu clarifier les choses.
Par conséquent, l’inscription de cet amendement à cet endroit précis de la Constitution ne changera rien. Il n’aura pas, en tout cas, l’effet juridique que certains souhaitent, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel continuera de s’appliquer.
Voilà simplement ce que je voulais dire pour que chacun ait bien conscience des enjeux.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. J’avoue que la position du garde des sceaux me laisse sur ma faim, si je peux m’exprimer ainsi. Il représente le Gouvernement et l’on aurait été content de savoir ce que comptait faire celui-ci, si l’amendement de M. Bas était adopté ou si, dans le cas contraire, le texte initial était adopté.
En effet, monsieur le garde des sceaux, nous avons été un certain nombre à vous interroger sur les intentions du Gouvernement et le calendrier envisagé et pour savoir s’il était opportun d’organiser un référendum dans le contexte actuel. Or vous ne nous avez pas répondu ; je le regrette, parce que ces questions mériteraient un éclaircissement.
En tout cas, un certain nombre de mes collègues seraient contents de savoir ce que compte faire le Gouvernement. Davantage que de nous dire que vous soutenez l’initiative, nous aimerions savoir comment vous allez le faire.
Ensuite, malgré tout le respect que je porte à notre collègue Philippe Bas, qui est un fin juriste, j’avoue que j’ai du mal à discerner ce qu’apporterait dans la Constitution la formule qui consiste à dire que la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de mettre fin à sa grossesse, car c’est déjà le cas. Par conséquent, qu’est-ce que cette formule apporte, sinon d’introduire un alinéa supplémentaire où figure non pas le terme d’« IVG », mais celui de « fin de grossesse » ?
Il faut le dire clairement : en réalité, la proposition de Philippe Bas ne change rien, il le reconnaît d’ailleurs lui-même. Je ne vois pas l’intérêt d’adopter quelque chose qui ne change rien… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur des travées du groupe SER.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. N’en déplaise à certains, je vais reprendre la parole, parce que je suis attristée par le tour que prennent nos débats.
Nous examinons un texte sur la constitutionnalisation de l’IVG et nous finissons par avoir un débat de fond sur l’IVG, certains voulant absolument nous entraîner dans une dialectique selon laquelle il y aurait d’un côté les gentils, ceux qui sont pour l’IVG, de l’autre, les méchants, ceux qui sont contre l’IVG. Or ce n’est pas le débat d’aujourd’hui, je le répète.
Je fais partie d’une génération qui dit merci à Simone Veil et je n’ai de leçon à recevoir d’aucun camp, quel qu’il soit. Nous avons tous eu nos combats ; nous avons tous eu nos engagements. Aujourd’hui, personne ne remet en cause l’IVG. On veut nous emmener vers un autre débat que celui de ce texte. Je suis désolée de dire à certains de nos collègues que ce n’est pas digne du Sénat. (Mme Muriel Jourda et M. Rémy Pointereau applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote. (Fortes marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
M. Loïc Hervé. J’entends ce que disent mes collègues sur l’opposition entre les spécialistes de la Constitution et ceux qui ne le seraient pas. Moi, en règle générale, je doute avant de décider et je n’ai aucune certitude. Depuis le début, ce débat me fait réfléchir et me fait cheminer.
Ce dont je suis sûr, c’est que, si l’on doit changer la rédaction de notre Constitution, que ce soit le choix du législateur constituant ou celui du peuple, dans le cas où le Président de la République convoquerait un référendum, chaque mot doit être pesé au trébuchet.
Or on en est à la quatrième rédaction et la référence explicite à l’IVG ne figure même plus dans l’amendement de Philippe Bas qui vise à modifier l’article 34 de la Constitution.
Certains d’entre nous veulent tellement qu’il y ait une référence à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution qu’ils sont prêts à accepter n’importe quelle rédaction.
Cette quatrième rédaction a été présentée comme une rédaction de compromis, mais j’aimerais savoir entre qui se fait ce compromis – normalement un compromis engage des personnes qui ont des avis différents.
Cette rédaction qui ne parle même plus d’« interruption volontaire de grossesse » pose une vraie difficulté. Je voterai contre, car si l’amendement de Philippe Bas était adopté, l’article unique serait ainsi rédigé et cela emporterait adoption de la proposition de loi. Monsieur le président, il me semble qu’il serait bon de rappeler ce point avant le vote.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Marques d’impatience sur les travées du groupe SER. )
M. Bruno Retailleau. Premièrement, je veux dire à tous nos collègues que, si l’amendement de Philippe Bas était adopté, il vaudrait adoption de l’ensemble de la proposition de loi. Je me rends compte que tous ne sont pas informés de cet élément de procédure.
Deuxièmement, si le garde des sceaux a des doutes, j’ai une certitude : cela a été dit à plusieurs reprises, l’amendement de Philippe Bas est superfétatoire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On peut le voter alors !
M. Bruno Retailleau. Sinon, pourquoi aurions-nous débattu, dans cet hémicycle, de propositions de loi visant à insérer l’IVG dans la Constitution ?
Troisièmement, je ne vois strictement aucune raison de modifier le vote que nous avons déjà émis à l’automne dernier et de procéder à un revirement. En politique, la constance et la cohérence sont vertus.
J’ai entendu prononcer les mots de « signal » et de « symbole », mais je considère que la politique doit être d’abord liée au réel. Méfions-nous, mes chers collègues, car à force de la déconnecter du réel, les Français se déconnecteront ensuite de la politique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, GEST et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – Mmes Anne Ventalon et Elsa Schalck applaudissent également.)
En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle, constituée de l’article unique ainsi rédigé, est adoptée.
10
Communication d’avis sur des projets de nominations
M. le président. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et à celles de l’article 65 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis défavorable, d’une part, à la nomination de Mme Élisabeth Guigou – 2 voix pour, 29 voix contre – et, d’autre part, à celle de M. Patrick Titiun – 6 voix pour, 20 voix contre – aux fonctions de membres du Conseil supérieur de la magistrature.
Conformément aux mêmes dispositions, la commission des lois a également émis un avis favorable à la nomination de Mme Dominique Lottin – 22 voix pour, 7 voix contre – et un avis défavorable à celle de M. Patrick Wajsman – 11 voix pour, 12 voix contre – aux fonctions de membre du Conseil supérieur la magistrature.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Lors du scrutin public n° 117, mon collègue Fabien Genet souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
12
Retraite de base des non-salariés agricoles
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses (proposition n° 166, texte de la commission n° 277, rapport n° 276).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être devant vous ce soir pour l’examen de la proposition de loi relative au régime de retraite des non-salariés agricoles, déposée à l’Assemblée nationale par le député Julien Dive.
Nous avons su, grâce à la discussion, poser les bases d’un consensus républicain avec les différents groupes de l’Assemblée nationale, ainsi qu’avec l’auteur de ce texte, ce qui a conduit à son adoption à l’unanimité par vos collègues députés le 1er décembre dernier.
L’adoption conforme de la proposition de loi par votre commission des affaires sociales le 23 janvier dernier permet de prolonger et de renforcer ce consensus, qui nous amène à aborder le débat d’aujourd’hui – et je ne peux évidemment y voir qu’un bon présage pour l’adoption définitive de ce texte.
Je tiens à souligner que les attentes en matière de retraites agricoles sont nombreuses et légitimes. Elles répondent à la volonté de voir nos agriculteurs et nos agricultrices vivre dignement à la retraite, après des années de labeur consacrées à nourrir les autres.
C’est la raison pour laquelle, au-delà du texte qui nous réunit, j’ai pris la question des retraites agricoles à bras-le-corps tout au long de la concertation que nous avons menée lors de la préparation de la réforme des retraites, dont vous connaissez maintenant les résultats. Ainsi, outre les partenaires sociaux interprofessionnels, j’ai associé la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) à l’ensemble des discussions, et nous avons naturellement échangé sur ce sujet des vingt-cinq meilleures années d’assurance.
Je connais également l’attention que porte le ministre de l’agriculture à cette question et je suis convaincu que, si la réforme est juste, c’est aussi grâce à une meilleure prise en compte des spécificités agricoles.
Avant d’entrer dans le détail de la proposition de loi, je souhaiterais replacer cette initiative dans son contexte.
L’attention portée aux retraites agricoles ne date évidemment pas de cette législature. Depuis vingt ans, les réformes et les propositions se sont succédé pour améliorer la situation des retraités agricoles et revaloriser les petites pensions.
L’objectif a toujours été le même : concilier prise en compte des spécificités agricoles et convergence vers les autres régimes.
L’équation n’a pas changé, mais nous avons, à chaque fois, su la résoudre collectivement : il y a près de vingt ans, en créant la retraite complémentaire des exploitants agricoles ; il y a bientôt dix ans, en créant la garantie de retraite minimale pour les chefs d’exploitation, dans le cadre de la réforme alors défendue par Marisol Touraine ; et, plus récemment encore, grâce aux deux lois Chassaigne, qui portent le nom de leur auteur et qui ont permis de revaloriser de manière inédite les pensions des chefs d’exploitation agricole et de leurs conjoints, c’est-à-dire, la plupart du temps, de leurs conjointes.
Ces conquêtes agricoles nous ont rappelé que le consensus ne se décrète pas, mais qu’il se construit. Beaucoup d’entre vous étaient déjà présents sur les bancs du Parlement lors de l’examen des futures lois Chassaigne. Ils se souviennent que les dernières avancées ont été longuement mûries à partir de 2016, faisant l’objet d’une concertation avec l’ensemble des syndicats agricoles ainsi que de discussions avec les représentants des retraités – je pense notamment à l’Association nationale des retraités agricoles de France (Anraf) – et d’un long travail avec les opérateurs, en premier lieu le réseau des mutualités sociales agricoles (MSA) et les services de l’État.
Pas à pas, nous avons su collectivement préparer et financer ces mesures de revalorisation, qui ont finalement été votées par l’ensemble des groupes parlementaires, avec le soutien de la majorité et du Gouvernement.
Ces revalorisations ont produit des effets concrets. Au total, les deux lois les plus récentes, adoptées durant le précédent quinquennat, ont permis de revaloriser les pensions de plus de 330 000 anciens agriculteurs, soit 30 % des retraités de droit direct du régime. Le gain est significatif, puisque les pensions ont augmenté en moyenne d’environ 100 euros par mois, ce dont nous pouvons tous nous féliciter.
Cela signifie-t-il pour autant que la totalité du chemin a été parcourue ? Je ne le crois pas.
Le régime de retraite des non-salariés agricoles est devenu profondément complexe, additionnant les strates de pension et multipliant les paramètres. La sédimentation du régime agricole nuit aujourd’hui à la lisibilité du système, donc à la confiance qu’il doit inspirer, notamment aux jeunes générations d’agriculteurs. Quelle que soit notre appartenance politique, nous le constatons tous dans nos circonscriptions, dans nos départements.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’examen de cette proposition de loi. Porter le principe d’un calcul des retraites agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années est en apparence consensuel. Toutefois, comme souvent, je l’ai souligné à l’Assemblée nationale et je le redis ici, le diable est dans les détails.
Les débats en commission des affaires sociales, sous l’autorité de Mme la présidente Deroche, ont permis de soulever un certain nombre de questions, dont celle de la meilleure manière de concilier un calcul sur le fondement des vingt-cinq meilleures années et la protection d’un système devenu très redistributif depuis les lois Chassaigne 1 et 2, celle des solutions à envisager pour permettre l’application d’un système par annuités dans le cadre d’un régime par points ou encore celle de l’entrée en vigueur de la mesure, dernier point qui a suscité de nombreux débats.
Je suis satisfait que les indications de la MSA aient été prises en compte, en particulier le renvoi de la mise en œuvre de ce texte à 2026 plutôt qu’en 2024. Ce délai reste très ambitieux : il faudra une mobilisation collective pour avancer de manière concrète et efficace.
Je souhaite désormais – j’espère que le Parlement partage ce vœu – que nous puissions apporter des réponses à ces nombreuses questions. C’est tout le sens du texte soumis à l’examen de votre assemblée aujourd’hui.
La mission qui verra le jour, si cette proposition de loi est définitivement adoptée à l’issue de nos débats, devra définir dans un délai, lui aussi ambitieux, de trois mois les scénarios permettant d’atteindre l’objectif de transformation du système.
Nous devrons veiller collectivement à ne pas remettre en cause les droits acquis et à ne pas fragiliser des carrières linéaires qui ne bénéficieraient pas de cette mesure.
Aussi, au moment d’engager la discussion, je veux poser, avec l’appui de Mme le rapporteur et des différents groupes du Sénat et, au-delà, avec l’ensemble des parlementaires, les bases d’un consensus que je souhaite le plus large possible.
Nos agriculteurs et nos agricultrices, plus largement les Français et les Françaises, nous attendent sur cet horizon de justice sociale.
Marche après marche, réforme après réforme, nous trouvons ensemble les chemins d’un compromis républicain, qui a su si bien s’illustrer par le passé en matière de retraites agricoles et qui s’illustrera de nouveau ce soir. J’espère que nous franchirons un nouveau pas pour davantage d’égalité et de reconnaissance des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE. – Mme Kristina Pluchet, MM. Alain Duffourg, Marc Laménie et Jean-Claude Tissot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà deux ans, notre assemblée adoptait la loi Chassaigne 2, qui a permis de fixer la pension minimale de base des conjoints collaborateurs et des aides familiaux d’agriculteurs au même niveau que celle des chefs d’exploitation.
Un an plus tôt, nous avions déjà voté la loi Chassaigne 1, qui relevait de 75 % à 85 % du Smic la garantie de pension des chefs d’exploitation justifiant d’une carrière complète accomplie en cette qualité.
La présente proposition de loi, déposée par le groupe Les Républicains et votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 1er décembre dernier, constitue donc la troisième pierre que la Nation doit apporter à l’édifice de sa reconnaissance envers un monde agricole en grande souffrance et pourtant si essentiel à la grandeur de la France.
Le mode de calcul des pensions de nos agriculteurs, il faut bien le dire, est particulièrement illisible. À une pension forfaitaire de 312 euros par mois pour une carrière complète s’ajoute une pension proportionnelle calculée dans le cadre d’un système hybride fonctionnant par points, mais intégrant nombre de paramètres des régimes par annuités, notamment en matière d’âge d’ouverture des droits, de durée d’assurance, de surcote et de décote et de revalorisation des pensions.
La pension de base des assurés ayant atteint le taux plein est ensuite portée, au travers de la pension majorée de référence (PMR), à un montant minimum de 748 euros par mois, soit le montant du minimum contributif majoré des régimes alignés.
Vient ensuite la pension de retraite complémentaire, également exprimée en points. Les seuls chefs d’exploitation justifiant de la durée de cotisation requise pour l’obtention d’une pension à taux plein, dont au moins dix-sept années et demie au régime des non-salariés agricoles, bénéficient d’un complément différentiel, le CDRCO (complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire), qui porte le montant global de la pension de l’assuré jusqu’à 85 % pour une carrière complète accomplie en qualité de chef d’exploitation. J’espère que vous suivez ! (Sourires.)
Malgré l’accumulation des dispositifs de pension minimale, force est de constater que la plupart des agriculteurs perçoivent encore des pensions très faibles, en moyenne inférieures de 700 euros par mois à celles de l’ensemble des retraités de droit direct. Les polypensionnés, qui représentent plus de 80 % des assurés du régime, perçoivent des pensions généralement supérieures à celles des monopensionnés.
Comment cette situation s’explique-t-elle ? Assez logiquement, elle résulte de la faiblesse des revenus professionnels des agriculteurs. Je rappelle à cet égard que près des deux tiers d’entre eux ne parviennent pas à atteindre le niveau du Smic annuel. Leur effort contributif s’en trouve donc nécessairement amenuisé par rapport à celui des salariés ou des artisans et commerçants, dont les taux de cotisation sont supérieurs.
Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur l’opportunité de maintenir une des spécificités du régime des non-salariés agricoles en matière de calcul des pensions, à savoir son fonctionnement par points, qui fait reposer le montant de la pension sur l’ensemble de la carrière, tandis que celle des ressortissants des régimes alignés, qui résulte d’un système par annuités, est calculée sur le fondement des seules vingt-cinq meilleures années de la carrière.
En effet, il s’agit, avec le régime des professionnels libéraux, dont les affiliés ne connaissent généralement pas les mêmes difficultés financières, du seul régime de base à fonctionner de la sorte.
Fort heureusement, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) s’est déjà penchée sur le sujet voilà plus de dix ans. Son rapport, bien que devenu en partie obsolète compte tenu, entre autres, des multiples revalorisations des minima de pension intervenues depuis sa publication, nous éclaire suffisamment sur ce scénario.
Il ressort de ces travaux que l’instauration d’un régime par annuités favoriserait les retraités les moins modestes au détriment des plus fragiles.
En effet, la bascule impliquerait l’abandon du barème d’attribution des points actuellement en vigueur au profit d’un mode de calcul fondé sur l’application d’un taux au revenu annuel moyen des vingt-cinq meilleures années. Or ce barème est particulièrement redistributif et très protecteur pour les assurés situés en bas de l’échelle des revenus.
À moins qu’ils ne bénéficient de la PMR, qui leur assure un taux de remplacement supérieur à 50 %, les assurés aux revenus inférieurs à 12 500 euros par an verraient leurs droits diminuer, tandis que les agriculteurs aux revenus plus élevés bénéficieraient d’un taux de remplacement supérieur au taux plein de 50 % appliqué dans les régimes alignés.
De plus, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux ne seraient plus en mesure de valider quatre trimestres par an, comme le leur permet leur assiette de cotisation actuelle, si les règles de validation des trimestres des régimes alignés leur étaient appliquées. Il en résulterait une diminution de leur durée de cotisation et, dans certains cas, la perte du bénéfice de la PMR. Ce n’est pas le sens que nous voulons donner à cette réforme.
Nous préconisons donc de retenir la solution identifiée par l’Igas comme la mieux à même de limiter le nombre de perdants, à savoir l’application de la règle des vingt-cinq meilleures années, tout en conservant un fonctionnement par points. Concrètement, il s’agirait de calculer la moyenne annuelle des points acquis au cours des vingt-cinq meilleures années et de l’appliquer à chaque année de la carrière, comme si l’assuré avait obtenu ce même nombre de points chaque année du début à la fin de son activité.
Sous réserve d’une réactualisation nécessaire des travaux réalisés voilà dix ans, les retraités du régime agricole pourraient voir leur pension augmenter de près de cinquante euros par mois en moyenne. Le coût de la réforme pourrait atteindre jusqu’à 470 millions d’euros à l’horizon 2030, mais sans doute bien moins en réalité du fait des différentes réformes des minima de pension des retraités agricoles menées en 2014, en 2020 et en 2021, qui ont absorbé une partie du coût évalué en 2012.
Quoi qu’il en soit, le régime a les moyens d’assumer une telle charge : en maintenant la part de ses ressources, actuellement supportée par la solidarité nationale, son excédent devrait approcher les 800 millions d’euros en 2026.
L’année 2026 est précisément l’horizon auquel le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, fixe l’objectif de mise en œuvre d’un mode de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années. De fait, la MSA n’était techniquement pas en mesure de mettre en œuvre un tel changement avant cette date.
Aux termes de la proposition de loi, il reviendrait au Gouvernement de déterminer par décret les paramètres exacts du nouveau mode de calcul des pensions.
Il devra, à cet effet, remettre au Parlement, dans un délai de trois mois, un rapport présentant les options possibles et celle qu’il envisage de retenir, tout en indiquant les dispositions législatives et réglementaires qu’il conviendra de modifier pour permettre son application, en évaluant ses conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l’équilibre financier du régime, et en proposant des mesures de redistribution et de simplification.
Il serait opportun, dans ce cadre, de choisir une montée en charge progressive, de façon à éviter de léser les assurés partis à la retraite juste avant l’entrée en vigueur de la réforme.
En outre, le rehaussement de l’effort contributif des assurés, notamment des conjoints collaborateurs, aux fins d’assurer la validation de quatre trimestres par an, mais également des exploitants les moins modestes, doit être envisagé. Les organisations syndicales en ont pleinement conscience et se disent prêtes à y réfléchir.
Nous souhaitons également que le mode de calcul de la PMR, notamment en ce qui concerne la prise en compte des pensions de réversion, ainsi que le plafond de revenus qui lui est applicable soient alignés sur ceux du minimum contributif, dans une logique d’équité. Nous y serons attentifs.
Mes chers collègues, le texte qui vous est soumis est-il parfait ? Bien évidemment, non : j’estime qu’il n’encadre pas de façon pleinement satisfaisante le rôle confié au Gouvernement de définir les paramètres exacts de la réforme. En outre, le délai de trois mois prévu pour la réalisation d’un travail d’évaluation et la formulation de propositions aussi complexes est largement insuffisant. J’ajoute qu’il n’est pas optimal de se prononcer sans évaluation récente et précise des effets et du coût d’une réforme de cette ampleur.
La commission aurait aimé vous proposer des amendements contribuant à remédier à ces lacunes. Cela aurait toutefois entraîné le renvoi du texte à l’Assemblée nationale, sans garantie d’un nouvel examen ni d’une adoption définitive.
Pleinement consciente de l’importance symbolique de cette grande marque de soutien national à ces femmes et à ces hommes auxquels nous sommes tous redevables, la commission a donc jugé préférable de sécuriser les avancées acquises de haute lutte et vous invite à adopter la proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.
Tous les écoliers de France connaissent par cœur le trop célèbre mot de Sully : « le labourage et le pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée. » (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Bravo !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Pour que l’agriculture demeure à jamais la fierté des Français, adressons aujourd’hui à ceux qui nous nourrissent l’hommage de notre gratitude et de notre considération. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain d’une forte mobilisation contre la réforme des retraites, permettez-moi tout d’abord – comment pourrait-il en être autrement ? – d’avoir une pensée pour les agricultrices et les agriculteurs de notre pays qui travaillent si dur chaque jour pour des pensions souvent très faibles encore.
M. François Bonhomme. C’est vrai !
Mme Cécile Cukierman. La proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains nous rappelle les difficultés actuelles du monde agricole, confronté aux lois du marché et à des distributeurs qui ne permettent pas toujours aux agriculteurs de vivre correctement de leur travail.
Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, plusieurs avancées ont été enregistrées ces dernières années, sous l’impulsion, en particulier, de notre collègue député – mon ami – André Chassaigne.
Ainsi, en 2021, la pension minimale des agriculteurs est passée de 75 % à 85 % du Smic, ce qui a permis une augmentation de 120 euros net par mois pour une carrière agricole complète.
En 2022, comme l’a souligné Mme la rapporteure, une seconde loi a permis d’étendre aux conjoints agricoles le bénéfice de cette mesure. Or 97 % de ces conjoints sont des femmes, dont la pension moyenne était de 600 euros par mois. Désormais, les aides familiaux et les conjoints collaborateurs touchent la même retraite minimale que les exploitants agricoles.
La présente proposition de loi permettrait d’ajouter une strate supplémentaire de protection pour les agriculteurs, en prenant en compte les seules vingt-cinq meilleures années d’assurance.
Le régime de retraite agricole s’est établi sur la base de taux de cotisations bas, souvent justifiés par l’accumulation d’un capital professionnel et d’un patrimoine qui permettaient, pour une part, de garantir un niveau de vie décent. Malheureusement, ce système ne fonctionne plus notamment en raison de la survenance d’aléas climatiques, des variations des cours des produits alimentaires et des crises sectorielles dont souffre l’agriculture.
D’autant que ce système paraît injuste vis-à-vis des autres professions, comme les travailleurs indépendants, par exemple, dont le régime se fonde sur la prise en considération des vingt-cinq meilleures années.
L’adaptation du mode de calcul des retraites des non-salariés agricoles soulève donc un enjeu de justice et d’équité.
La proposition de loi reprend à ce titre une revendication portée depuis des années par les organisations syndicales agricoles.
Lors de la réforme des retraites de 2010, l’inspection générale des affaires sociales avait été saisie pour envisager les conséquences de l’adoption d’un mode de calcul des pensions en fonction des vingt-cinq meilleures années. C’était il y a treize ans…
Le rapport de l’Igas était nuancé, dans la mesure où il concluait qu’une telle réforme améliorerait certes le niveau des pensions des non-salariés agricoles, mais essentiellement les plus élevées d’entre elles, comme l’a souligné Mme la rapporteure.
Par conséquent, garantir à nos agriculteurs de meilleures conditions de vie et de retraite exigerait in fine une remise à plat de l’ensemble du système de retraite agricole.
Aux termes du présent texte, monsieur le ministre, nous laissons certes la main au Gouvernement pour modifier les paramètres de calcul des retraites agricoles, mais nous resterons vigilants. Il faut veiller à ce que l’objectif initial des auteurs de la proposition de loi soit bien satisfait.
En définitive, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera ce texte malgré les réserves que je viens d’émettre : il s’agit d’envoyer un signal positif de justice et de reconnaissance à nos agricultrices et à nos agriculteurs.
Permettez-moi d’ajouter, monsieur le ministre, avec une pointe d’espièglerie tout amicale, après vous avoir entendu présenter la recette miracle ayant permis d’avancer sur le sujet des retraites agricoles, c’est-à-dire, selon vous, le fait de savoir prendre du temps, de travailler collectivement et d’associer les uns et les autres à chaque étape de la rédaction d’un texte pour parvenir à un vote unanime, que cette belle recette devrait figurer dans nos livres de cuisine…
Mme Cécile Cukierman. … et que vous devriez en tirer des enseignements dans les jours et les semaines à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet des retraites agricoles a toujours été extrêmement sensible et revient, depuis plusieurs années, au cœur de nos débats.
En effet, la faiblesse des revenus des agriculteurs retraités, chefs d’exploitation ou conjoints collaborateurs, pour des carrières que nous savons tous particulièrement dures, exigeantes et pénibles, est choquante.
À l’heure où la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations dans le milieu agricole sont devenus des enjeux nationaux de tout premier ordre, il n’est plus acceptable que les non-salariés agricoles perçoivent une pension moyenne inférieure de 700 euros par mois à celle de l’ensemble des retraités.
Leur pension de retraite est actuellement établie selon un schéma spécifique, somme d’un empilement de pensions qui se sont ajoutées les unes aux autres au fil des évolutions législatives tentant de remédier à cette criante injustice.
Comme souvent dans notre pays, le résultat est d’une complexité inégalée et presque inutile, puisque ces retraités ne perçoivent toujours pas des pensions dignes de leur carrière professionnelle.
Il nous est proposé aujourd’hui de faire converger le mode de calcul des retraites des agriculteurs et celui des salariés et des indépendants, en le faisant reposer sur les vingt-cinq meilleures années d’assurance.
Cette disposition semble d’autant plus pertinente que les exploitants sont soumis, plus encore que d’autres professionnels, aux aléas de la nature. Elle est logique à condition de ne pénaliser aucun cotisant et donc sous la réserve d’en mesurer les effets en amont. À ces conditions, elle emporte l’adhésion des sénateurs centristes, dont mon collègue Alain Duffourg et moi-même portons la voix.
Ce texte est bienvenu. Il s’inscrit dans la suite de la loi Chassaigne de 2021, qui constituait une belle avancée, mais qui avait aussi fait l’objet d’une récupération politique assez discutable : le Gouvernement affirmait haut et fort avoir revalorisé les retraites agricoles, ce qui était faux.
Les retraites agricoles n’ont pas augmenté. Depuis l’adoption de ce texte, aucun retraité agricole, chef d’exploitation, ne devrait percevoir moins de 85 % du Smic. Or nombre d’entre eux sont polypensionnés, car ils ont dû mener plusieurs activités simultanément pour gagner leur vie. Et si le montant de l’ensemble de leurs pensions atteint le seuil de 85 % du Smic, la retraite agricole n’est pas éligible au complément différentiel de points de retraite complémentaire – en clair, elle ne varie pas d’un centime !
Tout cela a engendré une immense confusion chez les retraités de l’agriculture, beaucoup de frustration et un sentiment d’abandon, alors qu’il fallait au contraire redonner de l’attractivité aux carrières agricoles.
Celles-ci doivent désormais être pensées d’un point de vue structurel. S’il a fallu, par le passé, compenser des défauts de cotisations, il faut maintenant un système juste et adapté afin d’éviter que les aléas, inhérents au travail avec le vivant, ne pénalisent la sortie d’activité.
Nous sommes à la croisée des chemins, entre les calculs en points et les calculs en trimestres, pour des travailleurs qui relèvent souvent simultanément de plusieurs régimes et qui se perdent dans ces méandres mathématiques.
Nous atteignons les limites du système en constatant que les retraités de l’agriculture ayant obtenu une retraite complète pour pénibilité ou handicap, donc des points supplémentaires liés à leur situation de santé, ne sont pas éligibles aux dispositions de la loi Chassaigne, qui exigent une carrière complète calculée en trimestres.
Monsieur le ministre, je me permets donc d’attirer votre attention sur la situation de ces exploitants. Il y a un besoin urgent de réforme et nous sommes à votre disposition pour y travailler ensemble, notamment lors de l’examen du prochain projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Je vous confirme notre plein et entier soutien au vote conforme d’un texte qui permet tout simplement de prouver à nos agriculteurs que nous les considérons comme des chefs d’entreprise comme les autres. Ce n’est que justice et il est grand temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, onze ans ! Voilà onze ans que la profession attend un signe fort, à savoir le passage aux vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites des non-salariés agricoles.
La présente proposition de loi n’est donc que la réparation d’une injustice que la profession dénonce depuis des décennies. À ce titre, elle est essentielle.
Alors que le régime général s’applique à l’ensemble des salariés et des indépendants, les agriculteurs non-salariés, c’est-à-dire les chefs d’exploitation, les collaborateurs d’exploitation, leurs conjoints ou les aides familiaux, se voient appliquer un calcul portant sur l’intégralité de leur carrière.
C’est la dernière profession en France dans ce cas et c’est une double peine quand on connaît la rudesse du métier : mesdames, messieurs les sénateurs, je peux vous le confirmer, la terre est basse !
Depuis la publication, en mars 2012, d’un rapport destiné à identifier les conséquences et les préalables d’un passage au calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années, et malgré l’engagement réitéré de la profession, « le sujet a […] été laissé en friche et sa mise en œuvre n’a cessé d’être repoussée de réforme des retraites en réforme des retraites », comme le souligne le député Julien Dive, rapporteur à l’Assemblée nationale sur cette proposition de loi, que je tiens à remercier.
Le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est historiquement construit en marge du régime général de la sécurité sociale et il nous faut collectivement réparer ce désavantage. Car oui, il y a bien désavantage, puisque ce mode de calcul engendre une différence flagrante d’indemnités : 1 150 euros brut en moyenne pour les non-salariés agricoles contre 1 500 euros brut en moyenne pour l’ensemble des retraités, soit 350 euros d’injustice ! On ne le répétera jamais assez !
Les nombreux témoignages que Françoise Férat et moi-même avons recueillis dans le cadre de notre rapport d’information sur les suicides en agriculture illustrent combien le fait de ne pouvoir bénéficier d’une pension suffisante alimente un désarroi profond. Les agriculteurs « ont besoin d’un minimum retraite, pour que leur travail, leur passion, qui n’est pas toujours rémunératrice, ait une finalité qui ne soit pas dramatique ».
Le député André Chassaigne, qu’il en soit remercié, a récemment fait évoluer les retraites agricoles. La loi du 3 juillet 2020 a ainsi porté la pension agricole minimale à 85 % du Smic, avant que la loi du 17 décembre 2021 n’étende le bénéfice de cette mesure aux retraites des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.
Toutefois, au-delà du revenu des agriculteurs, de nombreux autres enjeux méritent d’être envisagés, à commencer par l’attractivité du métier.
Alors que la taille des exploitations a augmenté en France depuis quarante ans, la part des agriculteurs exploitants dans l’emploi a fortement diminué, passant de 7,1 % en 1982 à 1,5 % en 2019. Quand on sait que près des trois quarts des agriculteurs exploitants n’employaient aucun salarié en 2019, le constat est grave. D’autant que l’agriculture est au centre de nombreux autres enjeux essentiels – souveraineté alimentaire, santé publique, maintien des paysages, emplois non délocalisables…
Comment inciter les jeunes à choisir ce métier aux revenus faibles, soumis à des aléas climatiques, sanitaires et économiques et ouvrant droit à une retraite injuste ? N’oublions pas que plus de la moitié de nos agriculteurs ont plus de 50 ans.
En séance publique, à l’Assemblée nationale, le député Julien Dive a déposé un amendement visant à proposer une nouvelle rédaction de l’article 1er, estimant que la version initiale aurait pu conduire à aligner le régime des non-salariés agricoles sur le régime général par la suppression du régime à points.
L’entrée en vigueur du dispositif a été reportée à 2026 pour permettre à la MSA d’adapter son système d’information.
Adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en décembre dernier, je suis persuadé que ce texte fera également l’unanimité au Sénat. Nous devons envoyer un signal fort de solidarité envers la profession et communiquer enfin sur un point positif. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des sénateurs de mon groupe voteront cette proposition de loi.
Même si notre discussion est peu audible dans un contexte de réforme des retraites, les agriculteurs attendent que ce dernier rempart tombe. Il y va, vous l’avez compris, de l’avenir de notre agriculture, bien au-delà du seul aspect social intéressant nos paysans retraités. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du groupe UC. – M. Serge Mérillou applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Kristina Pluchet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon intervention mon collègue de Haute-Loire, Laurent Duplomb, qui ne peut prendre la parole ce soir en raison d’un malheureux contretemps.
Produits laitiers, fruits et légumes, viande, céréales et légumineuses, voilà quelques produits de première nécessité que chaque Français trouve chaque jour sur sa table grâce à nos agriculteurs, qui travaillent dur pour nous procurer la nourriture made in France que nous consommons toute l’année.
Ces produits de qualité, nous les devons entre autres au travail de Jacky, éleveur laitier, ou de Régis, éleveur de porcs, qui, à raison de soixante-dix heures à cent cinq heures de travail par semaine, sept jours sur sept, touchent aujourd’hui respectivement 1 027 euros et 926 euros mensuels de retraite.
Tous ces travailleurs sans relâche, que je connais personnellement, ont nourri les Français bien souvent 365 jours par an, avec des congés quasi inexistants. Le service rendu, vous en conviendrez, mes chers collègues, au-delà de la richesse produite, est inestimable. En sommes-nous suffisamment conscients et reconnaissants ?
À l’heure où notre souveraineté alimentaire donne des signes d’inquiétude, où il nous faut encourager ceux qui consacrent leur vie à ce métier fondamental, quel sort notre société réserve-t-elle aux travailleurs de la terre ? Au regard des montants de retraite que je viens de citer, il n’est pas glorieux !
Certes, le système de retraite des non-salariés agricoles est un montage complexe, fruit de compromis historiques successifs reposant sur des bases de calcul qui ont évolué au cours du temps. Cependant, comment faire perdurer un décompte aussi obsolète ?
Comment justifier la prise en compte de l’intégralité de leur carrière, alors qu’ils sont les premiers confrontés à des aléas climatiques et sanitaires, à un début de carrière en tant qu’aide familial comptabilisé comme un revenu zéro et à une première année d’installation blanche ? Et cela alors que la majorité des Français bénéficient de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années. Mettre fin à cette inégalité de traitement nous honorerait, mes chers collègues.
Si le principe de cette réforme ne saurait trouver d’opposants parmi nous, sa mise en œuvre n’est en revanche pas si simple et requiert prudence, finesse juridique et délais d’évaluation.
Prudence, car il convient de bien peser les conséquences de cette réforme pour qu’elle ne puisse en aucun cas se révéler défavorable aux agriculteurs.
Finesse juridique, car il s’agit d’une articulation subtile entre la loi, qui détermine l’architecture duale du système de retraite de base des agriculteurs, et le règlement, qui prévoit son mode de calcul et son fonctionnement à points.
Délais d’évaluation enfin, car cette réforme mettra fortement à contribution les services de la MSA pour retracer toutes les carrières et nécessitera une analyse rigoureuse des situations ainsi que des conditions exigibles en fonction des différents statuts, afin d’aboutir, je l’espère, à un nouveau mode de calcul pertinent.
Voilà l’objet du consensus qui s’est dégagé de la rédaction votée à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une position sage, que nous devons tenir, malgré nos tentations d’améliorer le texte, si nous voulons aider les agriculteurs et mettre fin dans un avenir proche à ce mode de calcul dépassé de leur pension.
Ne pouvant juger de l’issue de la future réforme des retraites, il convient d’aller au bout de cette proposition de loi et de tenir notre cap, afin de réparer l’injustice faite depuis trop longtemps aux agriculteurs. Aussi, mes chers collègues, dans un esprit de responsabilité, parce qu’ils nous nourrissent et qu’ils méritent toute notre reconnaissance, je voterai bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, SER et CRCE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, par les temps qui courent, un texte comprenant le mot « retraite » dans son intitulé, mais permettant de débattre dans le calme, dans un climat de consensus et même d’unanimité, à l’Assemblée nationale, cela ne va pas forcément de soi.
Si cela a été rendu possible, c’est parce que cette proposition de loi s’inscrit dans un travail de fond, un travail collectif, conduit par le député Julien Dive et par Mme le rapporteur Pascale Gruny, et parce que le groupe Les Républicains a décidé d’inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi, sur son temps réservé, dans des délais très courts.
Ce texte s’inscrit dans la suite des lois Chassaigne 1 et 2, qui ont amélioré les petites retraites des agriculteurs puis celles des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.
Cette proposition de loi vise à une meilleure prise en compte de la retraite des agriculteurs. Il s’agit d’une mesure d’équité, d’une reconnaissance méritée, qui reflète la réalité du métier d’agriculteur.
Celui qui vous parle est fils d’agriculteurs et sait qu’il existe autant de formes d’agriculture que d’agriculteurs. Elles varient selon la taille de la ferme, selon le type d’exploitation – céréales ou élevage –, selon l’organisation familiale, selon l’appartenance ou non à un groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec)…
Ce métier est également soumis à de nombreux aléas : sécheresses, gelées, inondations, parfois les trois la même année, avec des conséquences fortes sur les rendements et donc sur les revenus. Les agriculteurs sont ensuite exposés aux variations quotidiennes et importantes des cours des marchés. Beaucoup disent qu’ils sont confrontés à la mondialisation. Prenons l’exemple du blé : depuis trois ans, le cours de vente s’inscrit dans un rapport de un à trois ! Pour acheter des semences, des produits alimentaires pour le bétail, la situation est identique : les agriculteurs sont confrontés aux mêmes variations et se retrouvent pris entre deux feux.
Tous les ans, vous produisez le même travail, avec la même passion et la même envie de bien faire, et vos revenus varient sous l’effet de tous ces facteurs. C’est la raison pour laquelle la prise en compte des vingt-cinq meilleures années dans le calcul de la retraite correspond à la réalité du métier.
Aux aléas impossibles à maîtriser, s’ajoutent le cadre et l’organisation du métier, c’est-à-dire ce qui relève de la politique. C’est ce dont nous parlons ce soir.
Si vous le permettez, je ferai un parallèle avec le nucléaire. Voilà une quinzaine d’années, nous étions les meilleurs, en avance sur tout le monde, avec la production la plus sûre et la plus propre. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe GEST.) Si nous n’avions pas fait de mauvais choix politiques, nous serions autosuffisants, exportateurs et nous produirions à un meilleur coût. S’agissant de l’agriculture, nous sommes peut-être en train de prendre le même chemin depuis quelques années.
Nous sommes toujours la première puissance agricole européenne et l’une des plus grandes puissances agricoles mondiales, certainement la plus sûre en termes de sécurité alimentaire et la plus vertueuse en termes écologiques. Mais si nous continuons à vouloir laver plus blanc que blanc, sans demander les mêmes efforts aux autres, nous produirons moins et importerons plus, y compris des produits utilisant des intrants que nous interdisons chez nous. Voilà quel risque nous faisons courir à notre agriculture !
Ces dernières années, les crises que nous avons traversées nous ont enseigné que la souveraineté et l’indépendance pharmaceutique, militaire, énergétique et bien évidemment alimentaire sont des enjeux de société.
Cette proposition de loi constitue une mesure concrète de soutien en faveur des agriculteurs et de l’avenir de ce métier, raison pour laquelle tous les élus de mon groupe la voteront.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte de mobilisation inédite contre la réforme des retraites, cette proposition de loi nous rappelle, à l’inverse, les nombreux chantiers menés pour améliorer les régimes, en l’occurrence celui des non-salariés agricoles.
Améliorée par les lois Chassaigne, même si des effets de seuil et des situations d’exclusion des dispositifs persistent, la situation générale demeure difficile pour une grande partie des retraités du régime.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le régime des non-salariés agricoles verse les retraites les plus faibles de France : la pension moyenne de droit direct du secteur, hors réversion, s’élève à 800 euros contre 1 509 euros en moyenne pour l’ensemble des Français.
Selon le rapport de l’Assemblée nationale, un agriculteur ayant validé l’ensemble de ses droits ne touchait, fin 2020, qu’une retraite de 880 euros par mois, quand un retraité du régime général bénéficiait d’une retraite de 1 810 euros.
Toutefois, ces deux systèmes étant difficilement comparables, nous préférons nous référer aux régimes de retraite des indépendants, comme le soulignait très justement l’inspection générale des affaires sociales en 2012.
Dès lors, si l’on compare la situation des monopensionnés de droit direct à carrière complète du régime MSA à celle des retraités de la sécurité sociale des indépendants (SSI) – qui concerne notamment les artisans – à carrière complète, l’écart s’amenuise, mais continue d’exister : la pension moyenne versée par la SSI s’élevait ainsi à 1 320 euros en 2019 selon la Drees.
Longtemps, cette situation relative était tolérée au prétexte, ou par la promesse, d’une compensation par la valorisation de l’exploitation lors de sa transmission. Ce système comportait des biais, dont celui de contraindre les nouveaux exploitants à s’endetter dans un contexte de crise moins propice à toute compensation et protection.
En effet, le système de subventionnement de la politique agricole commune (PAC) incite constamment à l’agrandissement et à s’équiper toujours davantage, dans le cadre d’un modèle productiviste et d’un calcul de court terme de réduction de l’assiette de revenus et des cotisations afférentes, tout en subissant la baisse tendancielle des prix du marché ainsi que l’accaparement de la valeur ajoutée par les transformateurs et la grande distribution. Les agriculteurs ont ainsi vu croître leurs difficultés, leur taux d’endettement atteignant 41 % en 2019, selon le ministère de l’agriculture.
Le remboursement d’emprunts représente parfois, comme pour les éleveurs de bovins, la moitié du solde de l’exploitant, ce qui explique en partie la faiblesse des revenus d’un grand nombre d’agriculteurs, étranglés et piégés par ce modèle agricole promu par la filière.
S’y ajoutent la multiplication et la gravité des aléas climatiques : selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les pertes de récoltes liées aux sécheresses et aux canicules ont triplé ces cinquante dernières années en Europe. La situation ne peut que s’aggraver, d’autant que le modèle n’est absolument pas remis en question. Dans cette fuite en avant, nous continuons de prôner des solutions de court terme qui ne font que reporter une partie des problèmes – je pense, par exemple, aux mégabassines ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Selon un rapport du ministère de l’agriculture, « en trente ans, le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40 % en France en euros constants ». Dans ces conditions, il est urgent d’améliorer le système de retraite.
Le changement de calcul des pensions sur les vingt-cinq meilleures années constitue une avancée. Pour autant, nous devons mener une étude sur les potentiels effets de bord pour les plus petites retraites, comme l’avait déjà souligné l’Igas en 2012.
Avec ce nouveau calcul, le régime, qui serait déficitaire sans la solidarité des autres régimes du fait du déséquilibre démographique, de la faiblesse des revenus et des stratégies d’évitement de cotisations déjà évoquées, aura besoin de nouveaux financements.
Il est probable que le calcul sur les vingt-cinq meilleures années favorise, de façon très différenciée, les plus hauts revenus par rapport aux paysans qui ont eu une carrière plate et qui ont cotisé au niveau de l’assiette minimale. Pour ceux-là, une augmentation de l’effort contributif sans amélioration des droits n’en ferait pas seulement des « non-gagnants », mais peut-être même, à terme, des perdants.
Aussi, il convient de s’assurer que le rapport prévu à l’article 1er de la proposition de loi étudiera les paramètres et le mode de calcul permettant d’améliorer sensiblement les pensions des non-salariés agricoles aux revenus les plus faibles et aux carrières parfois incomplètes.
Notre vote en faveur de cette proposition de loi s’accompagne de cette vigilance, afin que les transformations législatives ou réglementaires qui s’ensuivront profitent à tous et que le système gagne enfin en lisibilité, en justice et en solidarité pour renouer avec l’attractivité des métiers agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le calcul de la retraite des non-salariés agricoles est un sujet qui préoccupe les acteurs de la filière depuis plusieurs mois. Ils nous ont alertés à diverses reprises, avec le sentiment de faire face à une injustice depuis de trop nombreuses années.
Selon la MSA, 48 % des actifs agricoles pourront faire valoir leurs droits à la retraite d’ici à dix ans. Face à ce défi démographique sans précédent pour l’agriculture française, il était temps d’apporter une réponse à cette injustice.
Créé en 1952, le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est historiquement construit en marge du régime général de la sécurité sociale. À ce jour, il reste le seul régime à ne pas avoir été aligné sur le mode de calcul de la moyenne des vingt-cinq années de carrière les plus rémunératrices depuis l’intégration des artisans et des commerçants dans le régime général de la sécurité sociale en 1973. Comment un agriculteur peut-il se satisfaire d’une telle situation ?
En 2016, la France comptait 1,3 million d’anciens agriculteurs non-salariés, dont 56 % de femmes, pour une retraite moyenne de 900 euros brut par mois.
Alors que la pension moyenne de l’ensemble des retraités s’établissait à 1 430 euros brut mensuels sur cette même période, celle des anciens exploitants agricoles apparaît très nettement insuffisante, loin de la moyenne des retraités.
Par ailleurs, le faible montant des retraites agricoles renforce les inégalités territoriales en engendrant davantage de pauvreté dans les espaces ruraux, où un retraité sur quatre était un ancien agriculteur en 2017.
Mes chers collègues, vous le savez tous, être chef d’exploitation agricole exige une capacité de travail hors normes, une abnégation sans pareille pour se lever à n’importe quelle heure et une pugnacité remarquable face aux aléas et caprices climatiques.
La demande des agriculteurs est donc parfaitement audible. C’est la raison pour laquelle mes collègues Bernard Buis, Patricia Schillinger, Jean-Baptiste Lemoyne et moi-même avons souhaité présenter un amendement en ce sens, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, à l’automne dernier, jugé à l’époque irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Je me réjouis donc que nous examinions cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 1er décembre dernier.
L’objectif de ce texte est clair : faire converger le régime de retraite des agriculteurs et ceux des salariés et des indépendants au travers du calcul de la pension sur les vingt-cinq années civiles d’assurance les plus avantageuses.
Toutefois, pourquoi ne pas prendre en compte les vingt-cinq meilleures années de revenus ?
Comme vous l’avez souligné, madame la rapporteure, le système d’information de la MSA conserve l’historique des assiettes de cotisations pendant huit ans au maximum. Or reconstituer le revenu moyen des années antérieures sur la base des points attribués reviendrait à mettre en place une nouvelle injustice.
Comme vous l’indiquez dans votre rapport, madame Gruny, trente points sont accordés indistinctement à des assurés dont les revenus diffèrent de plus de 7 000 euros par an. Autrement dit, un revenu de 14 000 euros procurerait autant de points qu’un revenu de 7 000 euros.
Par ailleurs, un rapport de l’Igas démontrait déjà, en 2012, que le passage d’un régime par points à un régime par annuités favoriserait les pensions les plus élevées au détriment des plus modestes. Un tel régime ne permettrait donc pas d’apporter une réponse juste et convenable.
Dans le cadre d’un système par points, appliquer la règle des vingt-cinq meilleures années reviendrait à identifier les vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses. Comment y parvenir ? En calculant le nombre annuel moyen de points obtenus au cours de ces années et en l’appliquant à chaque année de la carrière de l’assuré, dans la limite de la durée d’assurance requise pour une pension à taux plein.
En résumé, le montant de la pension correspondra donc au produit d’un nombre total de points, calculé selon une méthode basée sur la valeur du point.
Un accord a été trouvé sur une réécriture de l’article 1er et un mode de calcul qui tienne compte des vingt-cinq années civiles d’assurance les plus avantageuses et non plus des vingt-cinq meilleures années de revenu, avec un alignement sur le régime général à compter du 1er janvier 2026, délai nécessaire pour assurer la mise en œuvre du nouveau dispositif.
En adoptant les lois Chassaigne, le Parlement a permis de revaloriser les petites pensions agricoles de plus de 100 euros par mois en moyenne pour 340 000 retraités. Il est temps désormais de voter en faveur d’une nouvelle méthode de calcul pour que l’ensemble des salariés non agricoles puissent percevoir une retraite plus juste.
Dans le contexte politique actuel, que chacune et chacun connaît, je pense que le vote de notre assemblée enverra un signal plus que positif.
Le groupe RDPI votera donc pour cette proposition de loi, symbole d’une reconnaissance attendue par toute une profession, qui fait la fierté de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, nous ne pouvons qu’être favorables à la présente proposition de loi relative à la mise en place du calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles sur les vingt-cinq meilleures années, dès 2026. Chacun connaît en effet leur situation, bien détaillée par les précédents orateurs ; je n’y reviendrai donc pas.
Si les auteurs de ce texte veulent légitimement mettre fin à cette injustice, cette proposition de loi relève cependant d’un exercice paradoxal : l’objectif est limpide et nécessaire, mais les voies à emprunter pour l’atteindre sont tortueuses et susceptibles d’ajouter de la complexité à un régime de retraite déjà peu lisible.
Notre collègue Raymonde Poncet Monge a d’ailleurs évoqué, lors de nos travaux, un rapport de l’Igas de 2012 qui illustre le défi que se donne la présente proposition de loi. Ses auteurs y soulignent que « l’on ne peut considérer de façon isolée une règle d’un régime de retraite sans examiner l’ensemble des règles de ce régime : un alignement limité à une règle n’est pas une garantie d’équité et peut, au contraire, être inéquitable si certaines règles sont introduites sans d’autres qui constituent leur contrepartie. Si le régime des non-salariés agricoles doit être réformé, cette réforme ne devrait donc pas porter sur la seule règle du calcul sur les vingt-cinq meilleures années, mais sur la globalité du régime ».
Notre projet de changer la règle de calcul des pensions agricoles porte donc en creux une très grande ambition.
Le régime des non-salariés agricoles est en effet une machine complexe, qui a pour caractéristiques, d’une part, de reposer sur un système de points, d’autre part, de se composer d’une retraite de base ainsi que d’une ou de plusieurs retraites complémentaires, à leur tour éventuellement complétées d’une épargne retraite collective ou individuelle.
Cette complexité a une histoire. Éric Rance rappelait en 2002, dans son article La protection sociale des exploitants agricoles en mutation, que c’était la loi du 10 juillet 1952 qui avait instauré un véritable régime d’assurance vieillesse pour les agriculteurs. Il y soulignait toutefois que « le système n’a[vait] été conçu que dans un objectif de protection sociale minimale pour éviter autant que possible le prélèvement sur les revenus agricoles. »
À cette époque, le système en question ne comportait « qu’une seule prestation, l’allocation de vieillesse agricole, d’un montant uniforme, et égal à la moitié de l’allocation aux vieux travailleurs salariés ».
Nous parlons donc d’un régime social agricole en proie, dès ses origines, à une tension entre assurance privée et assurance sociale.
Nous travaillons aujourd’hui à résoudre cette tension : les professions agricoles sont des parties prenantes actives et indispensables à l’aménagement de leur régime de retraite, de manière à ce qu’il évolue vers les mêmes principes que le régime général.
Malgré l’objectif partagé par les parlementaires et les retraités, actuels et futurs, du monde agricole, beaucoup reste à faire pour que la situation nous semble satisfaisante. Si les lois Chassaigne nous ont permis d’avancer en ce sens, c’est leur acquis que le présent texte veut encore améliorer.
L’apport de ces lois est effectivement considérable pour ce qu’elles ont permis d’inscrire coup sur coup dans le marbre.
En 2020, la première loi Chassaigne revalorise le complément différentiel de retraite complémentaire des chefs d’exploitation à hauteur de 85 % du Smic net agricole. Elle concerne les anciens chefs d’exploitation ayant une carrière complète.
En 2021, la deuxième loi Chassaigne porte revalorisation de 100 euros en moyenne par mois des plus petites retraites agricoles, des retraites des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.
Toutefois, ces textes ont perdu de leur portée avec l’écrêtement introduit par amendement gouvernemental lors des débats de 2020 et par les décrets d’application.
L’histoire avait certes mal débuté. Dès mai 2018, le Gouvernement refusait de voter l’amendement d’André Chassaigne visant à faire passer la retraite agricole minimale à 85 % du Smic, au prétexte que cela devait être traité dans la réforme globale des retraites. Ce fut le premier des nombreux actes d’obstruction de l’exécutif sur cette réforme.
L’amendement du Gouvernement à la première loi Chassaigne de 2020 disposait que « les retraités qui touchent déjà au moins 85 % du Smic ne puissent pas prétendre à un tel complément ». Son adoption a eu pour conséquence de subordonner le complément prévu au fait d’avoir demandé l’ensemble de ses droits à retraite, avec un écrêtement opéré en fonction du montant de retraite, tous régimes cumulés.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : partout en France, nos retraités agricoles ont reçu de la MSA des relevés de pension, dont certains ont parfois suscité des déceptions.
J’ai moi-même été saisie par un ancien exploitant agricole. Il m’a indiqué ne bénéficier que d’une augmentation très modeste, car le calcul prend en compte ses bonifications pour enfant. Après avoir espéré atteindre une pension de retraite enfin digne, il a acté qu’il ne recevrait pas plus de 940 euros net de pension par mois. Pour lui, la plus-value de la réforme s’est limitée à un gain de 7,44 euros !
Ces multiples problématiques posées par le régime des retraites agricoles se manifestent aussi pour les polypensionnés. Michaël Zemmour souligne, dans son livre sur la protection sociale, que leur situation « est souvent désavantageuse (parfois fortement) car elle conduit à prendre en compte dans le calcul d’une partie de la retraite – celle du premier régime auquel on a été affilié – des années de début de carrière, relativement mal payées, et qui auraient été exclues du calcul si les personnes avaient passé toute leur carrière dans le même régime ».
Au vu de ces complexités, nous nous inquiétons pour la définition des modalités de calcul des pensions de retraite agricole sur la base des vingt-cinq meilleures années que prévoit la présente proposition de loi.
L’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement disposant qu’un rapport serait remis dans un délai de trois mois au Parlement permettra peut-être d’y voir plus clair et de surmonter l’obstacle technique et législatif, même si, comme notre rapporteure l’a souligné, les délais paraissent courts pour un dossier aussi complexe.
Ce rapport présentera, par exemple, les scenarii envisagés, les dispositions législatives et réglementaires à modifier, les conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l’équilibre financier du régime…
Creusant ce sillon, l’amendement par lequel notre collègue Raymonde Poncet Monge nous propose une amélioration dudit rapport va dans le bon sens. Il s’agit d’y intégrer des critères visant à favoriser la correction d’une partie des défauts du régime des retraites agricoles, mais aussi de parer les effets pervers que pourrait avoir le calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années porté par le présent texte.
Évaluant en 2012 les modalités d’une réforme semblable à celle-ci, l’Igas signalait notamment ses potentiels effets anti-redistributifs : les retraités les plus aisés risquaient ainsi de bénéficier de la solidarité des moins bien lotis, lesquels, eux, cotiseraient en vain.
Associer un rapport au passage à la méthode de calcul sur la base des vingt-cinq meilleures années est une réponse intéressante pour éviter de tels écueils.
Nous voterons cette proposition de loi, en espérant que les travaux complémentaires attendus permettront une application juste. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duffourg. (M. Michel Canévet applaudit.)
M. Alain Duffourg. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois, l’intitulé du portefeuille de l’agriculture s’accompagne de la notion de « souveraineté alimentaire ». Que la Nation se montre reconnaissante envers ses agriculteurs, qui la nourrissent depuis plusieurs années tout en percevant des revenus insuffisants et de maigres retraites, revêt une importance particulière.
Il a fallu attendre les lois Chassaigne pour que la retraite des exploitants agricoles soit portée à 85 % du Smic et que celle des conjoints collaborateurs et des aides familiaux soit rehaussée.
La présente proposition de loi, issue de l’Assemblée nationale, tend à établir un calcul de la retraite en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, ce qui me paraît tout à fait justifié, d’autant que les agriculteurs attendent cette réforme depuis une dizaine d’années.
Il y a effectivement lieu de compenser la baisse des revenus et des retraites, eu égard à leur situation. Dans mon département du Gers, département agricole, comme chacun le sait, les agriculteurs ont subi au cours des années récentes de nombreux dommages : influenza aviaire, dépeuplement des élevages, gel, sécheresse, grêle… Tous ces aléas ont fortement perturbé leur pouvoir d’achat.
Il faut savoir aussi que la main-d’œuvre totale a baissé de 22 % en dix ans et le nombre de chefs d’exploitation de 13 %. À cela s’ajoutent d’importants défis climatiques et énergétiques ainsi que des difficultés en matière de transmission des exploitations.
Alors que la pension moyenne des Français s’élève à 1 500 euros, les agriculteurs arrivent à peine à 800 euros, soit en dessous du seuil de pauvreté ! Ces derniers travaillent pourtant cinquante-quatre heures par semaine en moyenne, et 90 % d’entre eux le week-end. À ce jour, il faut payer les retraites de 1,3 million d’anciens agriculteurs.
Mon groupe soutient bien évidemment cette réforme, qui s’appliquera à compter du 1er janvier 2026, pour répondre à la demande de la MSA, et votera cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les retraites agricoles sont une problématique importante, dont nous discutons depuis de nombreuses années déjà.
Pour mémoire, le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est construit en marge du régime général de la sécurité sociale.
Créé en 1952, le régime de base comporte deux niveaux : un dispositif forfaitaire – l’assurance vieillesse individuelle – et un dispositif proportionnel – l’assurance vieillesse agricole. Cette pension de retraite proportionnelle fonctionne sur un principe d’acquisition de points cotisés, dont le mécanisme diffère selon le statut de l’assuré.
Je vous perds ?… C’est normal ! Le régime agricole est incompréhensible, en total décalage avec la réalité et d’une grande complexité, qui n’est en rien justifiée par les spécificités du monde agricole.
Les agriculteurs sont désormais les derniers à voir leur retraite calculée sur l’intégralité de la carrière. Ce mode de calcul est une double peine pour celui qui ne peut faire autrement que subir les aléas climatiques et sanitaires et qui subit, en sus, les conséquences de ces aléas dans le calcul de sa retraite.
Rappelons que la retraite des indépendants se calcule sur les vingt-cinq meilleures années et celle des fonctionnaires sur leurs six derniers mois d’activité.
Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de repousser la demande légitime des agriculteurs de voir le calcul de leur retraite fondé sur les seules vingt-cinq meilleures années de leur carrière. En 2021, au salon de l’agriculture, le Président de la République estimait impossible de revaloriser ces pensions de retraite.
Non, les agriculteurs ne sont pas des actifs de seconde zone !
La première loi Chassaigne prévoyait la revalorisation des pensions de retraite agricole à hauteur de 85 % du Smic agricole, soit 1 045 euros net. La seconde effectuait un pas supplémentaire afin de revaloriser les pensions de retraite des conjoints et aides familiaux – frères, sœurs et enfants – des exploitants agricoles.
Aujourd’hui, permettons aux jeunes agriculteurs qui s’installent d’avoir des perspectives meilleures ! Faisons cesser cette injustice qui veut qu’une disposition bénéficiant à la quasi-totalité des retraités de notre pays soit refusée aux agriculteurs, alors même que ceux-ci cumulent déjà des difficultés tout au long de leur carrière.
Pour mémoire, les agriculteurs sont les actifs travaillant le plus, avec cinquante-quatre heures de travail par semaine en moyenne ; neuf sur dix travaillent le week-end et les deux tiers d’entre eux ne partent pas plus de trois jours consécutifs par an en vacances. Cherchez l’erreur !
Cherchons encore l’erreur, quand on sait que cette même injustice induit une différence de 930 euros entre les retraites des agriculteurs et celles des retraités du régime général : 1 810 euros brut de pension pour les seconds, dès lors qu’ils ont travaillé toute leur vie et validé l’ensemble de leurs droits ; 880 euros brut pour les premiers, dans la même situation.
Les agriculteurs se retrouvent donc sous le seuil de pauvreté, après une carrière complète passée à nous nourrir.
Alors que 50 % des actifs agricoles prendront leur retraite dans les dix ans, sachons rendre ce secteur plus attractif. La question du renouvellement des générations en agriculture est en effet essentielle.
Nos collègues Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou, dans leur remarquable rapport d’information sur la compétitivité de la ferme France, dressent un constat terrible sur la lente érosion de notre agriculture. Certes, la balance commerciale est encore excédentaire de 8 milliards d’euros en 2021, mais pour combien de temps ?…
En vingt ans, la France est passée du deuxième au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles. Nous sommes l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. Plus inquiétant, en trente ans, plus de 57 % des exploitations ont disparu. Les surfaces agricoles utiles se réduisent et les investissements sont en berne, sans compter les difficultés liées à la transmission des terres et des exploitations.
Il nous faut rendre attractifs les métiers de l’agriculture. Ce soir, nous en avons rappelé les difficultés ; reconnaissons aussi que ce sont des métiers indispensables, merveilleux, porteurs de sens et d’avenir.
Oui, ces métiers demandent des efforts, mais ils sont passionnants et nos agriculteurs font notre alimentation, en nous vendant des produits de très grande qualité.
La guerre en Ukraine nous le rappelle tous les jours depuis bientôt un an : nous avons besoin d’une souveraineté alimentaire solide et effective, laquelle passe notamment par une politique de protection de ceux qui nous nourrissent, par la revalorisation de leur métier et de leur retraite. Ce soir, sachons protéger les sortants et donnons des garanties aux entrants ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SER. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants et me féliciter de l’unanimité qui, à l’écoute de chacun d’entre eux, semble se dégager.
Elle nous permettra d’avancer et d’affronter les difficultés techniques évoquées par beaucoup. Ces difficultés existent bel et bien, nous les connaissons. Nous aurons beaucoup à faire dans les prochains mois, à la fois pour rendre le rapport qui sera dû au Parlement et pour mettre en œuvre le dispositif arrêté.
Mme la sénatrice Nadia Sollogoub m’a interpellé sur un des aspects des lois Chassaigne : effectivement, pour bénéficier de la garantie prévue, les agriculteurs doivent disposer d’une carrière complète. Or il arrive malheureusement que certains d’entre eux soient contraints d’interrompre leur carrière et de partir à la retraite plus tôt, du fait d’une inaptitude physique ou d’une incapacité constatée par un praticien médical.
Dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale portant réforme des retraites, et que je pense avoir l’occasion de vous présenter dans quelques semaines, nous prévoyons de réparer cette difficulté en considérant comme complète la carrière des exploitants agricoles contraints de l’interrompre quelque temps avant son terme du fait d’une incapacité ou d’une inaptitude physique. Cela permettra d’élargir le bénéfice de la loi à 45 000 exploitants supplémentaires, contraints d’arrêter plus tôt leur carrière pour raisons de santé.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses
Article 1er
(Non modifié)
I. – Après l’article L. 732-24 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 732-24-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 732-24-1. – I. – La Nation se fixe pour objectif de déterminer, à compter du 1er janvier 2026, le montant de la pension de base des non-salariés des professions agricoles en fonction des vingt-cinq années civiles d’assurance les plus avantageuses.
« II. – Les modalités d’application du I sont définies par décret en Conseil d’État. »
II. – Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport précisant les modalités de mise en œuvre de l’article L. 732-24-1 du code rural et de la pêche maritime dans le respect des spécificités du régime d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles et de la garantie du niveau des pensions et des droits acquis.
Le rapport prévu au premier alinéa du présent II présente notamment :
1° Le détail des scénarios envisagés et des paramètres retenus pour l’application de l’article L. 732-24-1 du code rural et de la pêche maritime ainsi que, le cas échéant, les dispositions législatives et réglementaires qu’il convient de modifier ;
2° Les conséquences sur les cotisations dues par les assurés du régime d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles, sur le montant des pensions dont ils bénéficient ainsi que sur l’équilibre financier du régime et les modalités de son financement, en évaluant l’opportunité d’une entrée en vigueur progressive de la réforme ainsi que la possibilité d’un rapprochement des taux des cotisations d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles de ceux du régime général ;
3° Les mesures permettant de renforcer les dispositifs de redistribution ;
4° Les mesures permettant d’améliorer la lisibilité du régime d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, sur l’article.
Mme Gisèle Jourda. Je m’exprime avec beaucoup d’émotion, tant fut longue la marche qui nous conduit aujourd’hui à réparer une injustice.
Nos collègues ont développé tous les argumentaires techniques – je n’y reviendrai pas. Je veux toutefois insister sur le fond : certes, le système mis en place pour l’agriculture n’a pas été aligné sur le système général, mais pourquoi en avoir freiné la remise à plat pendant des décennies, toujours avec les mêmes arguments ? Sénatrice depuis 2014, j’ai déjà assisté à des discussions sur ce sujet, dans ce même hémicycle, en 2018, en 2020… Nous sommes en 2023 !
Le climat de travail semble enfin propice pour faire avancer les choses. J’y insiste, il ne s’agit que de réparer une injustice, de corriger une iniquité. Or j’entends que ce pas positif serait freiné par des difficultés techniques. Je peux comprendre que la MSA en rencontre, mais on évoque une mise en œuvre en 2026 d’un texte dont nous discutons en février 2023 : trois ans, c’est bien long !
Eu égard à la volonté parlementaire qui s’exprime aujourd’hui, dans le sillon de la volonté transcrite dans les deux lois Chassaigne, peut-être faudrait-il donner le coup de collier nécessaire pour soulager les agriculteurs qui attendent. En effet, il y a les futurs retraités agricoles, ceux des années à venir, mais il y a aussi les agriculteurs qui vont déposer leur dossier de demande de retraite demain ou dans les mois prochains. Pour eux, rien ne va changer !
Par conséquent, autant je salue la démarche que nous menons et je suis heureuse de contribuer positivement à ce vote, autant je suis extrêmement dubitative sur la volonté de différer cette réforme et d’attendre trois ans pour la mettre en application.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Je salue l’initiative de nos collègues députés du groupe Les Républicains pour cette proposition de loi adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, ainsi que le travail de la commission des affaires sociales, de sa rapporteure et de l’ensemble des collègues, sous l’autorité de la présidente Catherine Deroche.
Les orateurs ont tous rappelé la faiblesse des pensions de retraite agricoles et la complexité du dispositif. Ce texte est surtout un message de reconnaissance adressé aux agriculteurs pour leur engagement : même si ce sont des passionnés, leur métier est très difficile et soumis à beaucoup de contraintes et d’aléas climatiques, sanitaires et économiques. À cet égard, je citerai cet extrait du rapport indiquant que « les non-salariés agricoles perçoivent une pension moyenne inférieure de 700 euros par mois à celle de l’ensemble des retraités ».
Cette réforme visant à calculer la retraite de base des travailleurs non-salariés agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années de revenu était attendue par le monde agricole, dans la lignée des deux lois Chassaigne de 2020 et 2021. C’est un soutien important apporté au monde rural, aux exploitants, à leurs épouses et à leurs familles.
Je tiens également à souligner le travail commun mené avec la MSA et l’ensemble des partenaires.
Équité, justice et, de nouveau, message de respect et de reconnaissance adressé au monde agricole : pour ces raisons, je voterai naturellement cet article unique et la proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Il s’agit du troisième texte portant sur les retraites agricoles que nous examinons depuis 2020.
Il faut bien évidemment se féliciter des avancées obtenues – relèvement des retraites des anciens chefs d’exploitation agricole et hausse des petites retraites des conjoints collaborateurs d’agriculteurs. J’ai d’ailleurs une pensée particulière pour l’ensemble du travail réalisé par notre collègue député André Chassaigne.
Toutefois, il faut aussi s’interroger sur le rythme particulièrement lent de ces évolutions.
Alors que l’écart du niveau de retraite entre un agriculteur et un retraité du régime général atteint 930 euros pour des carrières complètes, ce passage à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années pour les retraites des non-salariés agricoles est une bonne chose. Mais n’oublions pas pour autant qu’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur ce passage était prêt depuis mars 2012 et qu’il a totalement été laissé de côté !
Comme l’a souligné Gisèle Jourda, la date d’entrée en vigueur de cette réforme, fixée au 1er janvier 2026, pose aussi question. Le Gouvernement et les administrations agissent un peu plus rapidement lorsqu’il s’agit de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) !
Bien évidemment, comme l’a rappelé ma collègue Monique Lubin, nous soutiendrons ce texte, qui va dans le bon sens. Nous serons vigilants quant à son application, particulièrement en ce qui concerne les potentiels effets pervers d’une telle réforme sur les petits revenus et sur les personnes ne bénéficiant pas des minima de pension agricole – carrière incomplète ou polypensionnés. La remise d’un rapport par le Gouvernement, prévu à l’article 1er, sera le bienvenu pour mener ce travail.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, sur l’article.
Mme Frédérique Espagnac. La France compte aujourd’hui 1,3 million de retraités anciens non-salariés agricoles, lesquels bénéficient d’une retraite moyenne de 1 150 euros brut, soit environ 800 euros net, montant bien inférieur à la pension moyenne des autres assurés, qui s’élève à 1 500 euros brut environ.
Cette proposition de loi a pour ambition de faire cesser l’injuste mode de calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles. Exploitants agricoles, aides familiaux, collaborateurs, tous voient leur retraite calculée sur la totalité de leur carrière : une situation bien singulière, qui ne concerne qu’eux.
Les lois Chassaigne ont été gages de progrès significatifs, avec la garantie d’un niveau minimum de pension de 1 035 euros, soit 85 % du Smic net agricole. Si j’osais, je dirais que c’est le bon sens paysan qui dictait ces mesures ! Ce même bon sens paysan doit nous mener aujourd’hui à aligner le mode de calcul des retraites des non-salariés agricoles sur le régime de base, en prenant en compte les vingt-cinq meilleures années de leur carrière.
À l’heure où le débat sur les retraites occupe la totalité de l’espace médiatique, il est un sujet connexe que l’on ne peut passer sous silence : les non-salariés agricoles œuvrant chaque jour pour nourrir nos compatriotes, dont la pénibilité du travail est incontestable, pâtissent de revenus trop bas. Sans une augmentation significative de leurs revenus d’activité, leurs pensions de retraite resteront beaucoup trop faibles.
Ce texte n’est pas exhaustif. Il est donc imparfait, nous en convenons. Il doit toutefois être un vecteur de progrès social pour le monde paysan, raison pour laquelle il récoltera nos suffrages.
Deux questions d’importance subsistent.
La première concerne la date d’entrée en vigueur, déjà évoquée par certains de mes collègues. Le délai de trois ans est beaucoup trop long, notamment pour ceux qui déposent aujourd’hui des dossiers de retraite.
La seconde porte sur les pensions des compagnes d’agriculteurs déjà à la retraite qui, elles, ne peuvent justifier de vingt-cinq années de cotisations ou qui n’ont quasiment pas du tout cotisé. Nous devrons remettre l’ouvrage sur le métier pour ces femmes.
Cette réforme est attendue de longue date, mais nous serons vigilants sur sa mise en œuvre, qui devra préserver les retraites des plus faibles. Nous y comptons !
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Salmon, Parigi, Labbé, Gontard, Fernique et Dossus, Mme de Marco et M. Dantec, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
1° Remplacer le mot :
trois
par le mot :
six
2° Après le mot :
loi,
insérer les mots :
après consultation de l’ensemble des parties prenantes,
II. – Alinéa 5 :
Après les mots :
présent II
insérer les mots :
étudie les paramètres choisis pour l’application du même article L. 732-24-1 en considérant particulièrement les scénarios qui permettent à une large majorité d’assurés de voir leur pension revalorisée et permettent une revalorisation significative des pensions les plus faibles. À ce titre, il
III. – Alinéa 6 :
Après le mot :
retenus
insérer les mots :
, précisés par des simulations chiffrées pour les différentes catégories d’assurées,
IV. – Alinéa 8 :
Compléter cet alinéa par les mots :
, notamment afin de revaloriser les pensions agricoles les plus faibles : des non-salariés des professions agricoles aux revenus les plus faibles, des non-salariés des professions agricoles ayant exercé sous un statut autre que chef d’exploitation, que ce soit en tant que conjoint collaborateur, ou aide familial, des non-salariés des professions agricoles ne bénéficiant pas d’une carrière complète, des non-salariés des professions agricoles concernés par les dispositifs d’écrêtement à 85 % du Smic, qui les prive de différents mécanismes de bonification, et des non-salariés des professions agricoles polypensionnés. Les mesures proposées prendront spécifiquement en compte l’amélioration des droits des assurés qui ne bénéficient pas des minima de pensions ;
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement vise à s’assurer que seront examinées, dans le rapport remis par le Gouvernement, l’ensemble des situations des pensionnés, et ce afin de mesurer l’effet redistributif de la loi et de ne pas laisser les inégalités se creuser par une progression des hautes pensions sans bénéfice pour les plus petites, voire les moyennes.
Un rapport de l’Igas a effectivement montré que cette réforme pouvait favoriser les plus hauts revenus, sans améliorer les petites et moyennes retraites agricoles, même après les lois Chassaigne.
Selon les paramètres et le financement retenus, elle pourrait aboutir à une dégradation de la solidarité du régime au détriment des paysans ayant de faibles revenus, notamment via une augmentation de cotisations, un accroissement peut-être nécessaire de l’effort contributif, mais sans amélioration de certaines pensions.
Le fonctionnement des retraites agricoles étant complexe, la modification d’un paramètre isolé ne va pas sans poser de problèmes, comme indiqué dans le rapport de l’Igas, et n’apporte aucune garantie sur son résultat ni sur son impact différencié.
Nous devons au monde agricole la certitude que cette réforme ne pénalisera personne et qu’elle permettra de corriger un certain nombre de dysfonctionnements. Je pense notamment aux femmes qui n’ont pas de carrière complète ou qui ne bénéficient pas toujours de la majoration pour enfants, aux paysans qui doivent transmettre leur exploitation avant d’avoir obtenu tous leurs trimestres ou encore aux polypensionnés.
Cette proposition de loi doit apporter davantage de garanties, en particulier à travers des simulations chiffrées montrant son impact en termes de solidarité et d’effet redistributif. En ce sens, le délai de remise du rapport devrait être porté à six mois, afin de garantir, en plus d’une analyse précise des modifications à conduire, la consultation approfondie de l’ensemble des parties prenantes lors de l’élaboration de cette étude.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Cet amendement tend à compléter les dispositions relatives au rapport d’évaluation de la présente réforme qui devra être remis au Parlement par le Gouvernement.
Il vise ainsi à doubler le délai de trois mois accordé au Gouvernement pour réaliser ce travail d’analyse et de prospective et à instaurer le principe d’une consultation de l’ensemble des parties prenantes.
Je conviens – je l’ai d’ailleurs signalé, et nous l’avions constaté ensemble en commission – que le délai de trois mois est un peu court.
Cet amendement vise également à appeler l’attention du Gouvernement lors de l’élaboration du rapport susvisé sur les pensions agricoles les plus faibles, notamment sur celles des assurés ne bénéficiant pas de minima de pension.
Je rappelle que la préservation des acquis issus de l’examen du texte à l’Assemblée nationale exige un vote conforme de notre assemblée.
De plus, bien que la proposition de loi n’encadre pas suffisamment la compétence confiée au Gouvernement pour ce qui concerne la détermination des modalités de son application, le texte précise d’ores et déjà que le Gouvernement devra proposer des mesures permettant de renforcer la redistribution en faveur des plus fragiles au sein du régime de retraite de base des non-salariés agricoles – ce que souhaitent les auteurs de cet amendement.
Enfin, dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, le Gouvernement propose plusieurs mesures susceptibles d’améliorer la situation des retraités dont la carrière est incomplète, telles que l’assouplissement des critères d’éligibilité au CDRCO, l’attribution de points de retraite complémentaire gratuits pour les assurés ayant validé des trimestres au régime de base des non-salariés agricoles avant la création du régime complémentaire ou son extension à leur catégorie professionnelle, ou encore le relèvement de 39 000 à 100 000 euros du seuil de récupération sur succession des sommes versées au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Je note à ce propos que, depuis 2011, le capital agricole est exclu de cette récupération sur succession.
Monsieur le ministre, par son amendement, notre collègue invite le Gouvernement à se concentrer sur les points soulevés dans le rapport qu’il élaborera. Pour les raisons que j’ai indiquées, je demande toutefois son retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Quel beau métier que le vôtre, monsieur le ministre ! Vous devrez en trois mois vous efforcer de gommer la complexité d’un régime qui a été bâti au fil des ans et qui se compose d’une partie forfaitaire professionnelle, d’un PMR, d’un CDRCO… Un intéressant travail vous attend !
Notre collègue Raymonde Poncet Monge a mis le doigt sur un certain nombre de difficultés. Il faut s’assurer qu’il n’y ait pas de perdants, même si le régime de retraite des non-salariés agricoles met déjà en œuvre, par l’attribution de trente points aux plus modestes, une véritable solidarité.
Or, s’il n’y a pas de perdants, il n’y aura donc que des gagnants. Autrement dit, il faudra trouver des recettes nouvelles pour financer des charges nouvelles.
J’estime que le calcul de l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG) des agriculteurs doit être aligné sur celui des salariés. La diminution de ces prélèvements compensera ainsi la hausse des cotisations, ces dernières présentant par ailleurs l’avantage d’ouvrir des droits.
En tout état de cause, il convient d’estimer dans un délai relativement contraint l’ampleur de l’effort de solidarité nationale qui sera nécessaire. Je vous souhaite bon courage, monsieur le ministre.
Je note par ailleurs que, voilà cinq ans, vous nous vendiez un système universel par points en disant tout le mal que vous pensiez des annuités. Or vous êtes aujourd’hui en accord avec un texte qui prévoit de transformer des points en annuités ! Je tenais à souligner cette évolution… (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Comme vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, cet amendement avait pour objet de concentrer l’attention du Gouvernement sur les situations que j’ai pointées, afin que les non-gagnants de cette réforme n’en soient pas les perdants du fait de l’effort contributif qu’elle emportera.
En ce qui concerne le relèvement à 100 000 euros du seuil de récupération sur succession des sommes versées au titre de l’Aspa, j’espère que la réforme sera retirée, ce qui permettra d’éviter les écueils d’une telle disposition.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Madame Poncet Monge, je partage votre préoccupation pour la préservation des acquis et le renforcement du caractère redistributif du régime de retraite des non-salariés agricoles.
J’ai eu l’occasion de l’indiquer à l’Assemblée nationale, et si je n’ai pas insisté sur ce point ce soir, soyez assurée que nous tiendrons compte des éléments que vous avez pointés, y compris si votre amendement n’est pas adopté.
Par ailleurs, monsieur Savary, pour vous retourner votre clin d’œil, il se trouve que mon plan de charge est assez léger pour les trois mois qui viennent. J’aurai donc le temps d’avancer dans l’élaboration de ce rapport. (Sourires.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Je retire l’amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 3 est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Lahellec, Mmes Cukierman, Apourceau-Poly, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatrième alinéa de l’article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées au présent I pour lesquelles il est reconnu une incapacité permanente au sens de l’article L. 732-18-3 bénéficient d’un complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, dès lors qu’elles remplissent les conditions leur permettant de prétendre à une pension à taux plein du régime d’assurance vieillesse de base des personnes non salariées des professions agricoles et qu’elles justifient d’une période minimale d’assurance accomplie en qualité de chef d’exploitation ou d’entreprise agricole, à titre exclusif ou principal. »
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Il s’agit d’un amendement de justice sociale. Depuis les lois Chassaigne, des personnes mises à la retraite à 60 ans pour cause d’accident, de handicap ou d’invalidité sont exclues des dispositifs de revalorisation.
Nous considérons que ces personnes doivent être traitées comme des retraités de plein droit et qu’elles ne doivent donc pas être exclues de ces dispositifs.
Avant de décider de l’éventuel retrait de cet amendement, je souhaite connaître les avis de la commission et du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Cet amendement vise à assouplir les critères d’éligibilité au complément différentiel de points de retraite complémentaire des non-salariés agricoles en remplaçant la condition de durée d’assurance par une condition de liquidation à taux plein.
Dans la mesure où le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 comporte une disposition de même nature, je vous propose, mon cher collègue, d’examiner cette question dans le cadre de la réforme des retraites à venir et d’adopter le présent texte sans modification.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Comme je l’ai indiqué à Mme la sénatrice Sollogoub, cette disposition est prévue dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Je suis conscient, monsieur le sénateur, que vous préféreriez que nous retirions ce dernier texte et que nous intégrions cette disposition à la présente proposition de loi. (Sourires.) Soyez toutefois assuré que si vous souteniez cette même disposition lors de l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, je n’en tirerais aucune conclusion quant à votre position sur l’intégralité du texte. (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour explication de vote.
M. Gérard Lahellec. Notre souci d’un vote conforme me conduit à retirer cet amendement.
Nous saurons toutefois apprécier, le moment venu – je tiens à vous rassurer, monsieur le ministre (Sourires.) –, s’il y a lieu de voter cette disposition dans le cadre d’un autre véhicule législatif.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 est retiré.
Article 2
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Je souhaite remercier l’ensemble de mes collègues. Par ce texte, nous envoyons un message fort à nos agriculteurs, qui attendaient cette réforme.
Monsieur le ministre, je vous souhaite bon courage pour l’élaboration du rapport que nous attendons dans trois mois, afin de rendre ces avancées effectives. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Didier Rambaud applaudit également.)
13
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 2 février 2023 :
De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :
(Ordre du jour réservé au GEST)
Proposition de loi visant à renforcer l’action des collectivités territoriales en matière de politique du logement, présentée par M. Ronan Dantec et plusieurs de ses collègues (texte n° 217, 2022-2023) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale (texte n° 356, 2021-2022)
À l’issue de l’espace réservé au GEST et, éventuellement, le soir :
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (texte de la commission n° 279, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)
nomination de membres de deux missions d’information
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, les listes des candidatures préalablement publiées sont ratifiées.
Mission d’information sur le thème « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement »
M. Jean Bacci, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Daniel Breuiller, Alain Cadec, Thierry Cozic, Mathieu Darnaud, Louis-Jean de Nicolaÿ, Hervé Gillé, Éric Gold, Ludovic Haye, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-François Longeot, Pierre Médevielle, Mme Sylviane Noël, M. Cyril Pellevat, Mmes Évelyne Perrot, Kristina Pluchet, M. Rémy Pointereau, Mmes Sylvie Robert, Marie-Claude Varaillas.
Mission d’information sur le thème « le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique »
M. Jean-Baptiste Blanc, Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Toine Bourrat, M. Max Brisson, Mmes Céline Brulin, Marie Arlette Carlotti, M. Yan Chantrel, Mme Véronique Del Fabro, MM. Gilbert Favreau, Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Mmes Jocelyne Guidez, Nadège Havet, Christine Herzog, M. Xavier Iacovelli, Mme Else Joseph, M. Jean-Yves Leconte, Mmes Monique de Marco, Colette Mélot, M. Jean-Marie Mizzon, Mme Marie-Pierre Monier, M. Jean Paul Prince, Mme Anne Ventalon.
nomination de membres de deux commissions spéciales
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, les listes des candidatures préalablement publiées sont ratifiées.
Commission spéciale sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie
MM. Jean Bacci, Bruno Belin, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Hussein Bourgi, Bernard Buis, Laurent Burgoa, Alain Cazabonne, Mme Marta de Cidrac, M. Olivier Cigolotti, Mmes Nathalie Delattre, Patricia Demas, Brigitte Devésa, Françoise Dumont, MM. Jean-Luc Fichet, Fabien Gay, Hervé Gillé, Daniel Gremillet, André Guiol, Mmes Laurence Harribey, Nadège Havet, Else Joseph, Gisèle Jourda, Florence Lassarade, M. Jacques Le Nay, Mmes Anne-Catherine Loisier, Monique de Marco, M. Pascal Martin, Mmes Laurence Muller-Bronn, Vanina Paoli-Gagin, Kristina Pluchet, Angèle Préville, Marie Pierre Richer, M. Olivier Rietmann, Mmes Patricia Schillinger, Anne Ventalon, Marie-Claude Varaillas et M. Jean Pierre Vogel.
Commission spéciale sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires
M. Jean-Claude Anglars, Mme Viviane Artigalas, MM. Philippe Bas, Joël Bigot, Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Jean Marc Boyer, Emmanuel Capus, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Dagbert, Ronan Dantec, Mmes Frédérique Espagnac, Françoise Gatel, MM. Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret, Joël Guerriau, Jean-Raymond Hugonet, Patrice Joly, Éric Kerrouche, Mme Sonia de La Provôté, M. Stéphane Le Rudulier, Mmes Valérie Létard, Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-François Longeot, Frédéric Marchand, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Mmes Angèle Préville, Daphné Ract-Madoux, MM. Didier Rambaud, Christian Redon-Sarrazy, Bruno Rojouan, Stéphane Sautarel, Mmes Elsa Schalck, Marie-Claude Varaillas et M. Cédric Vial.
nomination d’un membre d’une mission d’information
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la mission d’information sur le thème « Le développement d’une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert ».
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Vincent Segouin est proclamé membre de la mission d’information sur le thème « Le développement d’une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert », en remplacement de Mme Laurence Muller-Bronn, démissionnaire.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER