Sommaire
Présidence de M. Alain Richard
Secrétaires :
Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
2. Lutte contre la fraude au compte personnel de formation. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Mélanie Vogel. – Rejet.
Articles 2, 2 bis, 3 et 4 – Adoption.
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
3. Mise au point au sujet de votes
Suspension et reprise de la séance
4. Création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance
Clôture de la discussion générale.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois
Rejet de l’article unique de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
5. Mise au point au sujet de votes
6. Lutte contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure de la commission de la culture
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Annick Billon. – Retrait.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Annick Billon. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article 3 (suppression maintenue)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
7. Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi
Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée
Amendement n° 8 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 7 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 13 de Mme Émilienne Poumirol. – Adoption.
Rejet, par scrutin public n° 98, de l’article modifié.
Article 2 – Rejet par scrutin public n° 99.
Article 3 – Rejet par scrutin public n° 100.
Article 4 – Rejet par scrutin public n° 101.
Amendement n° 14 de M. Patrice Joly. – Rejet par scrutin public n° 102.
Amendement n° 15 de M. Patrice Joly. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Rejet.
Rejet, par scrutin public n° 103, de l’article
M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales
Rejet, par scrutin public n° 104, de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Richard
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie Mercier,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Lutte contre la fraude au compte personnel de formation
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires (proposition n° 32, texte de la commission n° 156, rapport n° 155).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le groupe RDPI, notamment le sénateur Martin Lévrier, d’avoir inscrit l’examen de cette proposition de loi à son ordre du jour réservé.
Je tiens également à saluer le travail effectué par Catherine Fabre : elle s’était saisie avec détermination de cette question au cours du quinquennat précédent et avait déposé une proposition de loi, qui a constitué le socle sur lequel le présent texte a été bâti.
Je suis donc très heureuse, en tant que ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, de soutenir aujourd’hui cette proposition de loi.
Lutter contre les abus et la fraude au compte personnel de formation (CPF) est un objectif qui doit tous nous réunir. C’est dans cette perspective que les députés ont adopté ce texte à l’unanimité, avec le soutien du Gouvernement. Je suis certaine qu’il suscitera de nouveau un très large consensus sur les travées de cette assemblée.
Je reviendrai tout d’abord sur le contexte d’examen de cette proposition de loi, qui est une réponse ferme aux détournements du compte personnel de formation.
Le CPF fête cette année ses trois ans : ce dispositif a rencontré un succès populaire incontestable auprès des Français. Près de 95 % des actifs connaissent cet outil et environ 20 % d’entre eux ont ouvert leurs droits depuis sa création en 2019. Autant mobilisé par les femmes que par les hommes, il est davantage utilisé par les employés et les ouvriers que par les cadres. Indéniablement, le CPF a véritablement facilité et démocratisé l’accès à la formation.
Le CPF est à tous les carrefours de la vie professionnelle des Françaises et des Français. Il est l’outil qu’ils peuvent mobiliser dans tous les moments charnières de leur vie : pour préparer leur parcours professionnel, se former à la création d’entreprise ou encore faire un bilan de compétences, etc.
Cependant, le succès massif du CPF a également ouvert la porte à des pratiques commerciales agressives, voire abusives. Ces dérives consistent souvent à forcer les individus à acheter des formations contre leur gré ou de manière insuffisamment réfléchie. Elles se traduisent par des appels, l’envoi de SMS ou de courriels intempestifs de la part de centres d’appels ou d’organismes de formation. Ces arnaques véhiculent bien souvent des informations erronées sur les droits de l’individu et sur l’objectif réel de l’organisme.
Les fautes graves, telles que l’usurpation d’identité ou le détournement des droits du compte personnel de formation, font l’objet d’un contrôle accru par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Le préjudice financier lié aux pratiques abusives ou frauduleuses est évalué à 43 millions d’euros en 2021, une somme qui a été multipliée par cinq en un an.
Outre le préjudice financier qu’il entraîne, ce démarchage agressif entame la confiance des utilisateurs et nuit à l’image de l’outil. Il appelle donc une réponse ferme. Le Gouvernement a agi pour mettre un terme à ces pratiques, qui mettent en péril la lisibilité et la crédibilité du dispositif.
Un renforcement du niveau de sécurité de la plateforme « Mon compte formation » a d’abord été mis en place le 25 octobre dernier. Tout achat de formation est désormais sécurisé via le nouveau service « FranceConnect+ ». Ce service propose une authentification renforcée, via l’application d’identification numérique de La Poste.
Cette authentification renforcée permet de limiter les risques d’usurpation d’identité. Il s’agit d’un changement notable en termes d’usage pour les Français. Le réseau de La Poste et les maisons France Services sont mobilisés pour accompagner les Français dans ces démarches.
Avant même cette nouvelle phase de sécurisation technique, des actions de contrôle accru avaient déjà été menées pour améliorer la qualité de l’offre de formation.
Le Gouvernement a en effet engagé des mesures de régulation du secteur pour faire monter en qualité l’offre accessible sur la plateforme Mon compte formation. Je pense notamment à l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier, du label Qualiopi visant à renforcer l’exigence de qualité pour les organismes de formation, qui sont aujourd’hui près de 17 000 sur la plateforme, contre 24 000 environ auparavant.
Un travail particulièrement exigeant a également été mené sur le renouvellement du répertoire spécifique (RS), qui a conduit à éliminer deux tiers des certifications, dont l’intérêt pour l’évolution professionnelle des actifs n’était plus démontré.
Enfin, il y a quelques mois, à la demande de l’État, c’est l’intégralité de l’offre portant sur la création et la reprise d’entreprise qui a été revue par la Caisse des dépôts et consignations : près de 60 % des offres ont ainsi été déréférencées, car elles étaient apparues non conformes.
Aujourd’hui, plus personne ne peut dire que le compte personnel de formation rime avec formation de loisir. Nous nous sommes donné les moyens de proposer un catalogue de formations utiles pour l’emploi, la professionnalisation et la montée en compétences des actifs de notre pays.
Il nous faut donc à présent œuvrer pour éradiquer de la plateforme la fraude et le démarchage abusif.
Cette proposition de loi vient donc renforcer plus encore l’arsenal de régulation.
Son article 3 prévoit ainsi une procédure de vérification des organismes de formation qui demandent à être enregistrés sur la plateforme. L’objectif est de garantir aux titulaires de compte que les organismes et la formation suivie remplissent bien tous les deux les critères d’éligibilité au compte personnel de formation. Cette procédure permettra en outre de garantir la qualité et l’honorabilité des organismes de formation inscrits sur la plateforme, qui devront être à jour de leurs obligations sociales et fiscales.
L’article 4 de la proposition de loi, introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, prévoit quant à lui une étape supplémentaire afin que les sous-traitants soient eux aussi soumis aux mêmes exigences que l’organisme de formation donneur d’ordre.
Soyons clairs sur ce sujet : il ne s’agit pas d’interdire la sous-traitance ni d’entraver la liberté de commerce ; mais nous constatons aujourd’hui que certains organismes de formation, pourtant référencés sur la plateforme, proposent seulement ce que l’on appelle « un portage Qualiopi ».
Je le dis clairement : ces organismes de formation agissent comme de véritables sociétés écrans. Ils savent que la Caisse des dépôts et consignations ne peut ni identifier ni contrôler les sous-traitants. Cet angle mort est donc un nid à fraudes potentiel. Pareille pratique n’est plus admissible et doit être régulée.
Cette étape a ainsi pour objectif d’assainir toute la chaîne de valeur, en rendant les organismes de formation transparents et responsables à l’égard de leurs sous-traitants.
L’article 4 prévoit qu’un décret sera pris, en concertation avec les représentants du secteur de la formation professionnelle, pour préciser les modalités d’application de la disposition. Cette concertation a déjà démarré, sous l’égide de mon cabinet, depuis plusieurs semaines maintenant.
Je tiens ici à rassurer les professionnels du secteur de la formation, en particulier les formateurs indépendants. Une attention toute particulière sera portée aux formateurs individuels, acteurs essentiels de la formation professionnelle. En effet, nous ne pouvons décemment pas leur imposer les mêmes exigences qu’aux organismes de formation, qui occupent l’ensemble de la chaîne de la formation et qui dégagent un chiffre d’affaires important.
Notre objectif est de protéger les citoyens qui souhaitent souscrire à une formation via leur compte personnel de formation, en leur permettant de vérifier à qui ils ont affaire et de s’assurer de la qualité de l’organisme formateur.
Je veux redire ici toute la détermination du Gouvernement à empêcher tout détournement du droit fondamental d’accès à la formation.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous donnera des leviers efficaces pour mieux lutter contre les abus et les fraudes au CPF, pour mieux les prévenir et les sanctionner. Elle va en effet permettre d’interdire le démarchage abusif et de sanctionner plus efficacement ceux qui le pratiquent, y compris sur les réseaux sociaux.
Nous ne pourrons que nous satisfaire de voir disparaître de tels abus : il n’y aura plus d’influenceurs promettant monts et merveilles, tablettes et smartphones ; plus de messages inacceptables incitant au recours au CPF pour mieux le détourner de sa fonction initiale et l’instrumentaliser. Les amendes seront en effet très dissuasives : elles pourront atteindre 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
À la suite de publications illicites par plusieurs influenceurs concernant des offres au titre du CPF, la Caisse des dépôts et consignations a également saisi un cabinet d’avocat pour adresser des mises en demeure aux individus concernés.
Un bon nombre d’entre eux y a d’ores et déjà répondu en s’engageant sur trois points : l’arrêt de toute publicité en lien avec le CPF ; la mise à disposition de documents des sociétés avec qui ils étaient en lien, afin de permettre des enquêtes et, le cas échéant, le dépôt de plainte ; la publication sur leurs réseaux sociaux d’un message rectificatif.
La proposition de loi, à son article 2, va également donner les moyens aux services de partager les informations dont ils disposent pour mieux conduire la lutte contre la fraude.
J’insiste sur la nécessaire coordination entre les services de l’État et les opérateurs : elle est absolument indispensable pour resserrer les mailles du filet, vérifier les identités des suspects, contrôler les habilitations à former, traquer les fausses domiciliations, etc. Nous devons en effet impérativement croiser les fichiers et les informations pour lutter efficacement contre les fraudeurs, les traquer et les arrêter.
Ce texte a pour objet de donner aux services de l’État, à la Caisse des dépôts et consignations ou encore à Tracfin plus de moyens pour identifier les fraudeurs et ne laisser aucun délit impuni.
L’article 2 bis vise à renforcer les pouvoirs de la Caisse des dépôts et consignations, en lui accordant la capacité de recouvrer plus rapidement les sommes indûment perçues. Ce pouvoir d’intervention directe et rapide, sans saisine préalable de la juridiction administrative, améliorera l’efficacité de la lutte contre l’évasion des fonds en cas de fraude.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, nous pouvons nous satisfaire du travail collectivement réalisé sur ce sujet transpartisan et véritablement d’intérêt général.
Notre responsabilité est de protéger le CPF pour le bien de nos concitoyens. Protéger le CPF, c’est protéger la capacité des Français à se former ; c’est protéger une application qui fait désormais partie de leur vie quotidienne ; c’est protéger un droit qu’ils se sont approprié massivement, grâce à la désintermédiation permise par cette application.
Le CPF, rappelons-le, a rendu plus réelle et plus tangible la liberté de chacune et de chacun de choisir son avenir professionnel et de maîtriser son parcours de vie.
En interdisant le démarchage abusif et en luttant mieux contre les fraudes, nous redonnerons toutes ses marges de manœuvre au CPF et nous permettrons à tous les actifs d’être en mesure de réussir leurs transitions professionnelles.
Nous devrons prochainement mettre en œuvre de nouvelles mesures de régulation afin que le CPF soit mieux ciblé sur les besoins réels de l’économie, c’est-à-dire sur les métiers en tension ou les métiers d’avenir. Je mènerai une réflexion sur ce sujet en concertation avec les partenaires sociaux, que je reçois aujourd’hui, afin qu’ils nous présentent, à Olivier Dussopt et moi, la synthèse de leurs travaux paritaires.
Je tiens encore une fois à remercier l’ensemble des parlementaires qui se sont saisis de cette proposition de loi pour donner corps à la protection du droit à la formation. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a introduit une réforme audacieuse du compte personnel de formation, qui a permis une démocratisation de l’accès à la formation professionnelle au bénéfice de chaque actif.
La monétisation du CPF et le lancement du service dématérialisé Mon compte formation lui ont donné une nouvelle dimension : environ 2,1 millions de dossiers de formation ont ainsi été financés en 2021, contre près de 1 million en 2020 et 500 000 en 2019, soit un doublement chaque année. Grâce à un mode d’alimentation favorable aux temps partiels, la réforme a également permis un rééquilibrage du recours au CPF entre les hommes et les femmes. Les actifs âgés de moins de 40 ans et les publics peu diplômés sont également plus représentés parmi ses bénéficiaires.
Toutefois, cette réforme a aussi une face sombre : avec 19 millions de profils activés sur Mon compte formation, elle a ouvert une brèche dans laquelle divers acteurs peu scrupuleux se sont engouffrés pour se livrer à des pratiques frauduleuses.
La fraude au CPF prend des formes diverses, qui vont de pratiques commerciales agressives à la validation d’entrées en formation fictives ou inéligibles à un financement par le dispositif. Les titulaires de compte sont, selon les cas, victimes ou complices de ces abus.
La Caisse des dépôts et consignations (CDC) évalue à 40 millions d’euros au bas mot le préjudice financier lié à ces pratiques. Ce montant reste peu élevé au regard des dépenses totales occasionnées par le dispositif, qui se sont élevées à 2,85 milliards d’euros en 2021. La situation pourrait néanmoins s’aggraver en l’absence d’actions rapides et fermes pour faire cesser ces agissements. De plus, au-delà de leur impact financier, ces pratiques nuisent à l’image du CPF et, plus généralement, à celle de l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par les députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et Thomas Mesnier, et adoptée par l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier, vise donc à rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre ces abus. Je salue à cette occasion Catherine Fabre, qui était à l’initiative de la première proposition de loi en ce sens, et je la remercie de sa présence en tribune aujourd’hui.
Depuis le lancement de Mon compte formation en novembre 2019, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du CPF, coopèrent en matière de lutte contre la fraude. Leurs efforts se sont amplifiés depuis 2021 en raison de l’aggravation du phénomène.
Ainsi, des mesures fortes ont récemment été prises dans le but de tarir les sources de la fraude. Depuis le 25 octobre dernier, afin de prévenir les usurpations d’identité et les utilisations frauduleuses de comptes, l’accès des utilisateurs à la plateforme a été sécurisé par la mise en place de la solution FranceConnect+.
En alourdissant le processus de connexion, cette mesure a eu des effets immédiats, même s’il convient de veiller à ce qu’elle ne conduise pas à exclure les personnes en difficulté avec le numérique.
Le volet contentieux de l’action de la Caisse des dépôts et consignations commence lui aussi à porter ses fruits : une première condamnation pour fraude au CPF d’un organisme qui avait organisé de fausses sessions de formation a été prononcée le 20 septembre dernier à Saint-Omer. Il reste néanmoins des obstacles législatifs à lever pour permettre à ces actions de produire tous leurs effets.
En matière de démarchage téléphonique, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a mis en place un régime d’opposition en prévoyant la possibilité de s’inscrire gratuitement sur la liste Bloctel. Ce régime a été renforcé par la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, qui a rendu obligatoire la consultation par les centres d’appels de la liste d’opposition et alourdi les sanctions applicables. Pour les courriers électroniques et les SMS, un régime de consentement préalable et explicite s’applique.
Ces dispositifs n’ont pas empêché la prolifération de pratiques agressives de démarchage relatif au CPF. Le téléphone est le principal vecteur de prise de contact entre les organismes de formation et les titulaires de compte, mais ce n’est pas le seul.
Face à ce constat, l’article 1er de la proposition de loi prévoit l’interdiction de la prospection commerciale des titulaires d’un CPF par téléphone, par SMS, par courriel ou sur les réseaux sociaux, visant à collecter leurs données à caractère personnel ou à conclure des contrats portant sur des actions de formation, sauf si la sollicitation intervient dans le cadre d’une action de formation en cours et présentant un lien direct avec son objet.
Afin de contrôler le respect de ces dispositions, l’article 1er habilite les agents de la DGCCRF à rechercher et à constater ces infractions et prévoit des sanctions administratives d’un montant maximal de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale.
Cette mesure stricte n’empêchera pas les organismes de formation de communiquer, mais elle permettra de faire cesser le démarchage abusif en clarifiant les règles. Elle aidera également les actifs à prendre des décisions réfléchies sur l’utilisation de leur CPF et sur leur avenir professionnel.
La proposition de loi vise par ailleurs à renforcer les moyens d’action de la Caisse des dépôts et consignations face à la fraude. À cette fin, elle donne une base légale à la communication d’informations entre les acteurs concernés.
L’article 2 prévoit ainsi que la Caisse des dépôts et consignations, France Compétences, les services de l’État chargés de la répression des fraudes et les services chargés des contrôles de la formation professionnelle, mais aussi les organismes financeurs, les organismes délivrant la certification Qualiopi et les ministères ou organismes propriétaires de certifications professionnelles peuvent échanger tous documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur accomplissement.
Cet article autorise également la cellule de renseignement financier nationale Tracfin à transmettre des informations à la Caisse des dépôts et consignations, ainsi qu’à l’Agence de services et de paiement. La sécurisation juridique de ces échanges d’informations permettra de faire gagner un temps précieux à la CDC pour l’accomplissement de sa mission de lutte contre la fraude.
L’article 2 bis, inséré à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, donne à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de mettre en œuvre un recouvrement forcé des sommes indûment versées à un organisme de formation. À cet effet, le directeur général de la CDC pourra délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du prestataire devant la juridiction compétente, comportera tous les effets d’un jugement. En outre, lorsqu’elle constatera la mobilisation par le titulaire d’un CPF de droits indus ou une utilisation contraire à la réglementation, la Caisse des dépôts et consignations pourra procéder au recouvrement de l’indu par retenue sur les droits inscrits ou sur les droits futurs du titulaire.
Comme le prévoit l’article 2, les agents de la CDC pourront obtenir de l’administration fiscale les informations contenues dans le fichier des comptes bancaires, le Ficoba. En outre, la Caisse pourra recevoir de l’administration fiscale communication de tous les documents ou renseignements nécessaires aux contrôles préalables au paiement des sommes dues, ainsi qu’à la reprise et au recouvrement des sommes indûment versées au titre du CPF.
L’article 3 inscrit dans la loi les conditions du référencement des organismes de formation sur Mon compte formation, ce qui permettra de fonder le refus par la CDC de référencer un organisme qui ne remplirait pas ces conditions. Il sera notamment vérifié que l’organisme propose des formations éligibles à un financement au titre du CPF, qu’il dispose de la certification qualité Qualiopi, qu’il respecte les prescriptions de la législation fiscale et sociale et qu’il satisfait aux conditions générales d’utilisation.
La Caisse des dépôts et consignations pourrait procéder à la même vérification pour les organismes de formation déjà référencés sur la plateforme avant la promulgation de la loi. Afin d’assurer l’opérationnalité de la mesure, des échanges de données pourraient être organisés entre la CDC, les Urssaf et l’administration fiscale.
Afin de mettre fin à certaines dérives de nature à tromper les titulaires de CPF, l’article 4 encadre le recours à des sous-traitants en soumettant ces derniers aux mêmes obligations que les donneurs d’ordre.
Cette dernière mesure appelle une vigilance particulière. Appliquée indistinctement à tous les sous-traitants, notamment aux travailleurs indépendants et aux microentrepreneurs, elle pourrait mettre en péril une partie du secteur. Le décret en Conseil d’État devra bien préciser la portée de ces obligations selon le degré d’implication dans l’exécution des actions de formation et la nature du prestataire concerné.
Madame la ministre, nous comptons sur vous pour faire appliquer ces dispositions avec discernement et en bonne intelligence avec les représentants du secteur de la formation professionnelle. Votre propos liminaire démontre votre volonté d’aller dans ce sens.
Mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale a déjà eu un effet psychologique. Il s’agit aujourd’hui de ne pas laisser cet effet se dissiper et de ne pas retarder l’entrée en vigueur de ce texte utile et attendu.
Je vous invite donc, au nom de la commission des affaires sociales, à adopter sans modification cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos concitoyens subissent depuis des mois des campagnes massives de démarchage téléphonique concernant le compte personnel de formation. Ces appels incessants ont pour objectif, tantôt de s’enquérir du solde de leur compte, tantôt de les inciter lourdement à souscrire à des formations plus ou moins sérieuses, pour ne pas dire douteuses.
Le compte personnel de formation est un formidable outil au service de nos concitoyens, de leurs compétences et de leur productivité. Depuis 2015, il permet aux Français qui le souhaitent de financer des formations continues, grâce à leurs cotisations. Que ce soit pour se perfectionner dans leur emploi actuel ou pour se reconvertir dans une autre voie professionnelle, les Français s’en sont largement emparés.
Rançon du succès, à mesure que le nombre de formations continues dispensées augmentait, le nombre de fraudes s’est, lui, multiplié. Dans le flot de sollicitations que nos concitoyens reçoivent, de nombreuses offres ne sont pas légitimes. Poussés à conclure des contrats de formation, beaucoup ont constaté que la qualité n’était pas au rendez-vous. Pis, certaines formations ne sont tout simplement pas dispensées, les fraudeurs se contentant d’encaisser l’argent.
Dans un secteur qui est en train de devenir un véritable Far West, il nous faut donc légiférer. C’est tout l’objet de la proposition de loi portée par notre collègue Martin Lévrier.
Voté à l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, ce texte prévoit plusieurs mesures de bon sens.
Il pose tout d’abord le principe de l’interdiction de tout démarchage relatif au compte personnel de formation. J’étais ce matin au téléphone avec un élu local, le maire de Nozay, qui me disait que toute son équipe municipale, sans exception, avait été appelée et incitée à s’inscrire à une formation qui n’avait pas de sens.
Bien entendu, cette interdiction ne s’oppose pas à ce que le bénéficiaire d’une formation souscrite soit contacté par l’organisme pour les besoins de cette formation.
Ensuite, cette proposition de loi met fin à une pratique problématique à bien des égards. Le portage Qualiopi pouvait s’apparenter à un détournement de certification qualité. Une société certifiée pouvait permettre à une société qui n’en était pas une de bénéficier de sa certification. Désormais, sous-traitants ou non, les organismes de formation auront l’obligation d’être référencés auprès de la plateforme Mon compte formation.
En plus de cette obligation, les organismes de formation devront produire des justificatifs attestant du sérieux et de la qualité des formations dispensées.
Enfin, les instances chargées de la lutte contre la fraude voient leurs capacités de coopération renforcées. En échangeant leurs informations, elles seront plus efficaces dans leur mission. Nos concitoyens ne seront plus importunés et auront accès à des formations de qualité. Le renforcement du contrôle du compte personnel de formation permettra de mettre un coup d’arrêt à la fraude qui se développe.
Un consensus se dessine sur ce texte. Nous souhaitons que cette proposition de loi équilibrée soit adoptée le plus rapidement possible afin que nos concitoyens puissent bénéficier au plus tôt de ses effets.
L’ensemble du groupe Les Indépendants votera donc en faveur de cette excellente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les Françaises et les Français reçoivent en moyenne cinq appels non désirés chaque semaine.
Le dernier rapport de Tracfin fait état d’une augmentation des fraudes téléphoniques détectées d’environ 450 % en un an, cette hausse étant en grande partie due aux fraudes au compte personnel de formation.
C’est évidemment insupportable : personne ne veut recevoir des appels et des SMS de manière intempestive, dont la plupart sont des arnaques. Cette situation a conduit à l’émergence d’un consensus transpartisan pour lutter contre ces fraudes.
Le problème, ce sont évidemment les arnaques – le groupe écologiste votera évidemment cette proposition de loi –, mais il ne faut pas oublier l’environnement qui les fait prospérer. La monétarisation du CPF, la conversion des heures en euros ainsi que la désintermédiation via Mon compte formation ont favorisé le développement d’un marché mal régulé et le montage de fraudes contre lesquelles nous travaillons aujourd’hui.
Les écologistes se sont toujours opposés aux modifications qui produisent ce genre d’effets délétères. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut aller plus loin et regarder l’environnement général qui rend les abus possibles.
Interdire les fraudes et le démarchage abusif sur un seul sujet à la fois ne change pas le problème de fond, puisque le problème se pose chaque fois qu’un nouveau marché se saisit de la possibilité de frauder. Les outils proposés par l’État, comme Bloctel, sont malheureusement peu efficaces.
En réalité, le démarchage téléphonique abusif est en général la forme la plus visible des conséquences de la vente de nos données personnelles et du manque de contrôle de la publicité.
Le règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis 2018, n’impose le consentement préalable de la citoyenne et du citoyen que pour la prospection commerciale automatisée, c’est-à-dire via les courriels, les SMS ou les télécopies. Les appels téléphoniques sont donc rendus possibles par cette faille, alors même qu’ils peuvent être autant, voire plus intrusifs encore qu’un SMS.
Alors, que faire ?
Comme souvent, nous pourrions nous inspirer de nos voisins européens. L’Allemagne, l’Autriche, la Lituanie et la République tchèque ont fait le choix du opt-in pour les appels commerciaux : le démarchage commercial par téléphone n’est autorisé que si la personne a explicitement donné son accord. On inverse donc le principe actuel et on épargne les nuisances à des millions de personnes.
Dans cette lignée, je défendrai deux amendements visant à interdire le démarchage téléphonique commercial non consenti dans tous les domaines de prospection commerciale, pas seulement pour le CPF, et à mettre en place un registre d’autorisation des appels afin d’inverser la charge de la preuve, si je puis dire.
Je conclurai en rappelant que cette proposition de loi ne doit pas nous faire perdre de vue non seulement l’indispensable protection de nos données personnelles, mais également la nécessaire transformation du droit à la formation. Il s’agit d’adapter le monde du travail à l’inévitable tournant écologique.
Le Gouvernement prend un virage antisocial en prévoyant d’allonger la durée de cotisation pour obtenir une retraite décente, en rabotant le revenu de solidarité active (RSA), etc.
Le mot d’ordre, c’est travailler plus, précariser pour obliger chacune et chacun à prendre n’importe quel emploi, quitte à être en moins bonne santé. Travailler plus pour toujours produire plus, en pleine catastrophe écologique, n’est pourtant pas logique !
Nous, écologistes, pensons que la formation doit être un outil pensé au service de la transformation écologique de notre économie. Il faudrait donc instaurer un droit à la formation pour se reconvertir, intégré au compte professionnel de la prévention (C2P) et spécifiquement dédié aux métiers en transition.
Il faudrait aussi que le droit à la formation tienne compte de l’importance de former les individus tout au long de leur vie, pas seulement dans une optique de professionnalisation au sens strict du terme, mais pour permettre à chacune et à chacun d’apprendre, de s’enrichir de connaissances sur différents sujets d’intérêt général, de progresser dans la compréhension du monde, même si ce n’est pas formellement rattaché à un élément de carrière quantifiable à un instant T.
Tout cela participe de la construction d’une société plus ouverte, plus riche, plus intelligente, et dans laquelle je crois qu’il ferait meilleur vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Joël Guerriau et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fraude au compte personnel de formation (CPF) a très fortement augmenté en 2021.
En un an, le nombre de notes transmises à l’autorité judiciaire par Tracfin a triplé et le montant total des enjeux financiers correspondants a quintuplé pour atteindre plus de 43 millions d’euros.
Afin de mieux lutter contre ces pratiques commerciales, plusieurs initiatives parlementaires ont été prises ces derniers mois. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, et qui est en passe d’aboutir, ce qui est une excellente nouvelle, a été déposée par les groupes MoDem, Renaissance et Horizons.
Elle reprend les dispositions du texte de l’ancienne députée de Gironde, Mme Catherine Fabre, présente ce matin en tribune et que je salue. Les trois auteurs, nos collègues députés Bruno Fuchs, Sylvain Maillard et Thomas Mesnier rappellent à juste titre dans l’exposé des motifs que, si le CPF rencontre un succès remarquable, celui-ci s’accompagne de pratiques commerciales agressives, parfois abusives, visant à pousser les individus à acheter des formations contre leur gré : c’est inacceptable.
Ces agissements, que nous sommes très nombreux à subir, parfois quasi quotidiennement, prennent la forme d’appels, de SMS, de courriels, de la part de centres d’appels ou d’organismes de formation. À cette occasion sont souvent diffusées des informations erronées non seulement sur les droits à la formation de l’individu, mais aussi sur l’objet réel recherché par l’organisme. Le temps de la régulation est donc bienvenu.
La semaine dernière, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté à l’unanimité et sans modification cette proposition de loi. Cette validation fait suite à celle des députés, début octobre, là encore à l’unanimité.
Nous devons adopter définitivement ce texte, car ce phénomène regrettable, qui touche des milliers d’entre nous, rend plus que nécessaire le renforcement des dispositions en vigueur. C’est la raison pour laquelle notre groupe a souhaité inscrire cette proposition de loi dans son espace réservé de fin d’année.
Notre rapporteur, Martin Lévrier, qui est intervenu à plusieurs reprises sur ce sujet, l’a justement rappelé : lutte contre la fraude et amélioration de la qualité de la formation professionnelle forment un continuum. Si ce texte n’épuise pas le sujet des ajustements à apporter au CPF, il s’agit d’une première réponse importante.
Le dispositif que nous nous apprêtons à voter vise tout d’abord à interdire le démarchage par téléphone, par SMS et par courriel des organismes de formation en vue de lutter contre la fraude au CPF. Pour ce faire, les auteurs de cette proposition de loi proposent d’inscrire cette interdiction et dans le code de la consommation, sur le modèle du dispositif MaPrimeRénov’, et dans le code du travail, dès lors que ce démarchage n’a pas lieu dans le cadre d’une prestation en cours entre un individu et un organisme de formation.
Ils entendent également renforcer les capacités d’action de la Caisse des dépôts et consignations en matière de lutte contre les fraudes et en facilitant les possibilités de recouvrement des sommes indûment perçues.
Ce dispositif tend également à encadrer le recours à la sous-traitance par les organismes de formation intervenant sur la plateforme Mon compte formation.
Sur ce dernier point, monsieur le rapporteur, en réponse à l’inquiétude d’une partie des acteurs du marché de la formation, vous avez alerté le Gouvernement sur la situation des personnes ayant le statut d’autoentrepreneurs, qui auront toutes les difficultés à remplir les critères de la certification qualité Qualiopi. C’est pourquoi il est prévu que la déclinaison de cette disposition soit prise par décret, ce qui permettra une meilleure adaptation aux spécificités de chacun.
Si ce texte est adopté sans modification, sa promulgation devra intervenir rapidement pour qu’il puisse entrer en application dès le début de l’année 2023. Nous sommes, je le crois, très attendus sur ce point.
Madame la ministre, vous avez justement rappelé qu’« il est de notre devoir de dépolluer les pratiques illégales qui créent indûment de la dépense, ternissent l’image du compte personnel de formation et dépossèdent le titulaire de son libre arbitre ». Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour mémoire, le compte personnel de formation a été créé par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Il est entré en vigueur en 2015, en remplacement du droit individuel à la formation.
L’objet du CPF était de rendre son efficacité à l’appareil de formation professionnelle initialement organisé par la loi Delors de 1971, qui a institué la possibilité pour le salarié de bénéficier, sur son initiative, d’un congé de formation rémunéré. Il s’agissait également d’obliger les entreprises de plus de dix salariés à participer au financement des actions de formation.
S’inscrivant dans cette continuité, la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, votée sous majorité socialiste en 2014, a donc permis de jeter les bases d’une véritable sécurité sociale professionnelle.
Elle a en effet mis en place le compte personnel d’activité, qui regroupe les droits du salarié avec le compte personnel de formation, le compte de prévention de la pénibilité et le compte engagement citoyen.
On sait le sort réservé par l’actuel gouvernement à ces acquis sociaux, alors que nous avions, par la loi de 2014, renforcé la place des partenaires sociaux en faisant de la formation professionnelle un élément central du dialogue social. Nous rappelions également notre attachement au mouvement de décentralisation de la formation professionnelle vers les régions.
En 2018, lors des discussions engagées ici même sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous dénoncions un texte qui allait fragiliser l’édifice que nous avions construit. Le projet de loi présenté par la ministre du travail d’alors devait en effet prétendument constituer un volet « sécurité des transitions professionnelles » en contrepartie des ordonnances Travail visant à « fluidifier » le marché du travail, auxquelles nous étions et demeurons foncièrement opposés.
En tout état de cause, le compte n’y était pas. Nous n’avons pu que constater qu’il s’agissait de la première réforme de la formation professionnelle qui ne fasse pas consensus depuis 1971. Elle a abouti à une véritable recentralisation.
Dans une logique qui porte la marque de fabrique de l’actuel Président de la République et de ses ministres, le Gouvernement s’est en effet assis sur la démocratie sociale en instaurant la monétisation du compte personnel de formation, en dépit du rejet unanime de cette évolution par les partenaires sociaux.
En monétisant le CPF, en supprimant les intermédiaires et en imposant le recours à une plateforme numérique, la majorité disait vouloir libérer les salariés et leur offrir plus de droits. Nous nous inquiétions de la pérennité des financements du CPF et des risques induits par la désintermédiation et la monétisation : il semble que nous ayons eu raison !
Concernant les enjeux du financement, le rapport d’information relatif à France Compétences publié en juin 2022 par trois sénateurs, dont notre collègue Corinne Féret, corapporteure de la mission à l’origine de ce document, souligne que les besoins de financement n’ont pas été anticipés. Ainsi, France Compétences, établissement public chargé du financement et de la régulation de la formation professionnelle, pourrait afficher un déficit de 5,9 milliards d’euros en 2022 !
Le problème de la fraude au CPF, sujet de la présente proposition de loi, était également en germe dans la loi de 2018. Le résultat est connu : entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, les signalements de SMS indésirables ont été multipliés par quatorze ; les déclarations de soupçon liées à une potentielle fraude au CPF ont été multipliées par onze ; 32 400 signalements ont été effectués auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), gestionnaire du dispositif, au premier semestre 2022. Le préjudice estimé dans le cadre des plaintes pénales déposées par la CDC entre mars 2020 et mai 2022 s’élève à 27 millions d’euros. Les fraudes détectées par Tracfin sont passées de 8 millions d’euros en 2020 à 43 millions d’euros en 2021, soit une augmentation de l’ordre de 450 % !
Les propositions portées par le présent texte sont nécessaires et consensuelles ; nous y souscrivons, bien sûr.
L’article 1er interdit toute prospection commerciale des titulaires d’un CPF par voie téléphonique, par SMS, mais aussi par courrier électronique ou en ligne sur un service de réseaux sociaux.
Dans le but de permettre le contrôle effectif de l’interdiction du démarchage des titulaires du CPF, l’article 2 étend les pouvoirs des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour les habiliter à rechercher et à constater les infractions ou les manquements à cette interdiction.
L’article 2 bis, introduit en séance publique à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, met de nouveaux outils à disposition de la CDC pour faciliter le recouvrement des fonds versés de manière indue ou à la suite d’une fraude du titulaire du CPF.
L’article 3 prévoit d’imposer aux organismes de formation d’adresser à la Caisse des dépôts et consignations une demande de référencement sur la plateforme Mon compte formation.
L’article 4, également introduit en séance publique à l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement, tend à étendre aux sous-traitants certaines des obligations liées au référencement des organismes de formation sur la plateforme Mon compte formation. Actuellement, lorsqu’un organisme de formation a recours à un sous-traitant pour effectuer les actions de formation proposées sur son catalogue, ce dernier n’est pas soumis aux conditions générales d’utilisation.
Nous souscrivons à ces nécessaires corrections. Toutefois, à l’instar de l’ensemble des concitoyens de notre pays, nous sommes fatigués de naviguer d’usines à gaz en usines à gaz. Le démantèlement de la démocratie sociale par le Gouvernement et les choix dommageables qu’il opère en matière de droit du travail ont des conséquences que nous commençons à peine à réparer.
En raison de son caractère bien particulier, nous voterons en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires a été adoptée à l’unanimité le 6 octobre 2022, en première lecture, à l’Assemblée nationale. Elle vise à mettre fin au démarchage incessant et intempestif émanant d’organismes parfois fictifs.
La création du compte personnel de formation, couplée à la monétisation des heures de formation, a entraîné l’émergence d’un démarchage agressif, avec son lot de fraudes. Pas un jour ne passe sans sa cohorte de SMS, d’appels ou de mails invitant à utiliser son crédit CPF.
Cette situation insupportable pour nos concitoyens s’explique évidemment par la loi Pénicaud de 2018, qui a transformé un dispositif comptabilisant des heures de formation en un montant financier à utiliser. Il est d’ailleurs difficilement acceptable que l’ancienne ministre du travail, à l’origine du big-bang de la formation professionnelle de 2018, s’apprête à entrer au conseil d’administration de Galileo Global Education, énorme groupe d’enseignement supérieur privé et acteur majeur de la formation initiale et continue.
Toujours est-il que l’interdiction de la prospection commerciale des titulaires d’un compte personnel de formation, assortie de sanctions pour les entreprises contrevenantes, est une bonne nouvelle.
Il est regrettable qu’il ait fallu attendre quatre ans pour s’attaquer à ce fléau et doter de prérogatives de contrôle les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
La montée en puissance du CPF s’est accompagnée d’une hausse massive des fraudes et des tentatives de fraude. Entre 2020 et 2021, le nombre de déclarations de soupçon liées à une fraude potentielle au CPF a été multiplié par onze et celui des dossiers transmis à la justice par Tracfin, par trois.
Nous avons, d’un côté, des organismes fictifs, qui ont des pratiques frauduleuses, de l’autre, des organismes réels, qui effectuent du démarchage agressif. L’opprobre est jeté sur l’ensemble des organismes de formation, y compris ceux qui ne sont pas dans l’illégalité. Espérons que le référencement des organismes de formation sur le portail numérique Mon compte formation permettra de faire le tri entre les organismes sérieux et les autres.
Je voudrais profiter de mon intervention pour alerter sur la présence d’organismes de formation aux pratiques sectaires, qui piègent des salariés utilisant leur compte personnel de formation. Dans son dernier rapport d’activité, la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) fait état d’une augmentation globale des dérives sectaires, avec un record de 4 020 saisines en 2021 et une hausse de 86 % entre 2015 et 2021.
Les formations de coaching, de techniques de vente, de développement personnel ou de techniques de soins non reconnues font l’objet d’un nombre très important de signalements. Face à ses dérives, il nous faut renforcer la formation permanente des agents chargés du contrôle.
Enfin, je voudrais souligner que l’examen de cette proposition de loi se fait dans un contexte de restriction de l’accès à la formation professionnelle après que le Gouvernement a instauré un reste à charge.
En effet, le projet de loi de finances pour 2023, que nous avons adopté mardi dernier en première lecture, va contraindre les salariés à prendre en charge 20 % à 30 % du coût de leur formation. Cette remise en cause du droit à la formation, qui pénalisera en premier lieu les salariés les plus modestes et les privés d’emplois, est évidemment inacceptable. Nous défendons une formation professionnelle accessible tout au long de la vie aux travailleurs et aux privés d’emplois, intégralement financée par les entreprises.
Nonobstant cette disposition, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Mmes Véronique Guillotin et Marie-Pierre Richer applaudissent.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé le compte personnel de formation, créé en 2014. Le principe d’un droit à la formation comptabilisé en heures a ainsi été remplacé par une monétisation en euros.
Sur le site du ministère de l’économie et des finances, des chiffres s’affichent en gros caractères : au 30 septembre 2021, 38,8 millions de titulaires d’un compte personnel de formation ; montant moyen de 1 500 euros par CPF ; 2,86 millions de dossiers acceptés entre novembre 2019 et fin septembre 2021… N’importe quel malfaisant pas très malin a alors vite fait de comprendre, par une soustraction et une multiplication, qu’environ 36 millions de salariés n’ont pas mobilisé leurs 1 500 euros de CPF et qu’il y avait là une source gigantesque d’arnaque… ce qui n’a pas manqué pas de se produire ! Ce sont même des malfaisants très malins qui ont sauté sur l’aubaine.
Les premières fraudes furent relativement simples : fausses formations, fausses identités… Malgré le renforcement des dispositifs de contrôle, Tracfin a constaté en 2021 une persistance, voire un renforcement, de la fraude, qui s’adapte au fur et à mesure des tentatives de sécurisation.
Désormais, on constate des inscriptions fictives à des formations non suivies, un démarchage agressif et même des incitations aux inscriptions au travers d’offres de cadeaux. Derrière ces pratiques se cachent des réseaux de criminalité organisée, dont des affairistes déjà connus dans le cadre de fraudes aux certificats d’économies d’énergie et qui ont mis la main sur le dispositif.
Plusieurs dossiers ont donné lieu à des saisies pénales effectives pour un total de 3,5 millions d’euros. Parmi les vingt dossiers transmis, dix mettent en lumière des réseaux de fraudeurs particulièrement structurés et rattachés à des groupes criminels organisés.
Voici un exemple réel. La société A, spécialisée dans la formation continue d’adultes, créée en septembre 2020 par M. X, qui la dirige, n’emploie aucun salarié et reçoit plus de 8 millions d’euros de la Caisse des dépôts et consignations au titre du CPF sur la base de fausses attestations de stagiaires. Une part importante de ces sommes est transférée à des personnes physiques et morales liées à M. X, dont des sociétés actives dans le secteur du BTP ou celui du conseil, pour 1 million d’euros, à une association présidée par le frère de M. X, pour 3 millions d’euros, et à deux membres de la famille de M. X pour 200 000 euros. Une partie des fonds versés sur le compte de l’association est notamment utilisée pour l’achat de véhicules ou de montres de luxe par le frère de M. X. Enfin, 300 000 euros ont été transférés à des personnes physiques enregistrées comme stagiaires de la société A ayant initialement sollicité le paiement du CPF.
Au cours de l’année 2021, la Caisse des dépôts et consignations a mis fin aux versements à la société A en raison de graves soupçons de fraude. Plus de 2 millions d’euros d’avoirs ont finalement pu être saisis et confisqués par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), mais 6 millions se sont potentiellement évadés !
C’est pourquoi, sans hésiter et sans état d’âme, et afin de rendre impossibles ces pratiques de démarchage dans les meilleurs délais, nous voterons conforme le texte qui nous est proposé aujourd’hui.
Il faut que cette situation cesse au plus vite : il s’agit non pas de mettre en place des procédures dématérialisées plus complexes, mais de réussir à bloquer l’accès aux numéros des bénéficiaires. En effet, ce sont non pas les personnes déjà éloignées du numérique qu’il faut écarter, mais bien les bandits financiers.
Devant ce constat de fraude exponentielle, l’article 1er du texte tend à interdire la prospection commerciale des titulaires de CPF, sauf sollicitation explicite dans le cadre d’une action de formation en cours.
Voilà qui est très bien, mais la vraie question est de savoir comment les acteurs du grand banditisme ont libre accès à ces fichiers. Face à la circulation de nos informations personnelles dans tous les clouds du monde, reste-t-il une possibilité de verrouillage ? Car, faute d’agir sur la sécurité des fichiers, après s’être fait arnaquer hier sur les dossiers d’isolation, aujourd’hui sur les dossiers de formation, l’État et les citoyens se feront arnaquer demain sur d’autres dossiers. Et ce sera toujours plus juteux, plus organisé, plus efficace et de plus grande ampleur !
L’article 2 prône le contrôle par l’échange et le croisement d’informations entre les services, ce qui semble de pur bon sens, sinon élémentaire. C’est du fonctionnement des services en silo que naissent et prospèrent les supercheries les plus énormes. Les outils informatiques auraient dû permettre depuis longtemps le recoupement systématique des données – et dans tant de domaines ! Ce dispositif mériterait d’être généralisé.
Vous aurez compris que cette proposition de loi va dans le bon sens, mais qu’elle intervient – comme toujours, hélas ! – a posteriori, alors que l’on a été débordé et que le torrent semble bien difficile à contenir.
Je pose à cette occasion la question des moyens du contrôle et de son coût. J’imagine et j’espère que tout est calibré à la hauteur de l’enjeu. Mais ne répondez pas ici, des oreilles malhonnêtes pourraient écouter… (Sourires.)
Voilà quelques mois, lors de l’examen de la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, nous avions décidé de ne pas aller au-delà du dispositif Bloctel, qui permet théoriquement de se protéger, afin de respecter des milliers d’emplois de salariés honnêtes. Nous sommes aujourd’hui dans un autre cas de figure : l’interdiction du démarchage au compte CPF ne contrariera que des opérations frauduleuses. Alors, allons-y ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le compte personnel de formation a fait l’objet d’une réforme en 2018, dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
L’objectif, que nous partagions, était de rendre les droits à la formation plus lisibles et plus accessibles, en créant notamment une plateforme internet sur laquelle chaque personne pourrait connaître le montant de ses droits – désormais visibles en euros –, choisir et payer directement sa formation, sans intermédiation.
Lancée à la fin de 2019, la plateforme Mon compte formation a permis l’activation de 19 millions de profils et l’augmentation très nette du nombre d’entrants en formation dans toutes les catégories professionnelles, ce qui est à souligner. Les femmes, plus souvent à temps partiel, bénéficient de l’alignement des droits, avec un compte alimenté de 500 euros par an pour tous les salariés effectuant au moins un mi-temps, et 800 euros pour les moins qualifiés ou en situation en handicap.
Cette réforme, que nous jugions souhaitable à l’époque et dont nous constatons aujourd’hui le succès, a rendu les Français plus libres d’évoluer professionnellement. Nous savons à quel point la question de la formation est centrale dans la recherche de l’adéquation entre les profils des demandeurs d’emploi et les offres présentes sur le marché du travail.
Mais tout changement entraîne des effets de bord et nous sommes en plein dedans : la montée en puissance du CPF s’est en effet accompagnée d’une hausse massive des fraudes, des tentatives de fraude, ainsi que d’un harcèlement par appels téléphoniques, par SMS, par courriels ou par démarchages sur les réseaux sociaux, comme l’ont souligné les orateurs précédents.
Le phénomène a pris une ampleur considérable depuis plusieurs mois – je crois que beaucoup d’entre nous peuvent le confirmer pour l’avoir également subi. Au-delà des pratiques commerciales agressives, voire abusives, des informations erronées sont véhiculées, induisant en erreur les titulaires des comptes ou les poussant à acheter des formations contre leur gré.
C’est aujourd’hui une nuisance réelle, qui a envahi le quotidien des Français et qui met en péril la crédibilité du dispositif et du secteur de la formation professionnelle.
Tracfin évalue la fraude à 43 millions d’euros en 2021. Nous devons y mettre un terme au plus vite. Cette proposition de loi, nécessaire et bienvenue, vise à rappeler que le CPF est un outil destiné à ceux qui le détiennent et non aux organismes de formation. Les Français doivent impérativement garder la main sur leurs droits.
Les dispositifs jusqu’ici mis en place pour contrôler la qualité des formations et sanctionner les manquements et les fraudes n’ont malheureusement pas permis de lever toutes les difficultés. Il s’agit donc de mettre en place des barrages filtrants, afin de compliquer les contournements du dispositif, à défaut de pouvoir totalement les supprimer.
Pour ce faire, cinq solutions concrètes ont été retenues.
Premièrement : l’interdiction, avec amendes dissuasives, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, de toute prospection commerciale visant les titulaires d’un CPF, à l’exception des sollicitations intervenant dans le cadre de prestations en cours.
Deuxièmement : la sécurisation de l’échange d’informations entre les acteurs mobilisés dans la lutte contre la fraude au CPF.
Troisièmement : le renforcement des pouvoirs de recouvrement des indus de la Caisse des dépôts et consignations.
Quatrièmement : le renforcement des modalités de contrôle du référencement des organismes de formation sur Mon compte formation.
Cinquièmement, enfin : l’encadrement du recours à la sous-traitance des organismes de formation pour imposer aux sous-traitants les mêmes exigences et donner à la Caisse des dépôts et consignations les moyens de contrôle, de vérification et d’intervention adéquats.
Des ajustements sont nécessaires et les solutions proposées ici semblent consensuelles. Cette proposition de loi a été adoptée voilà quelques semaines à l’Assemblée nationale ; si nous l’adoptons à notre tour sans modification – et nous avons bien entendu le message (Sourires.) –, elle pourra s’appliquer sans délai. Pour cette raison, pour que ces nuisances cessent au plus vite, le groupe du RDSE votera en faveur de ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, utilisable par tous, tout au long de la vie active, y compris en période de chômage, le compte personnel de formation est au moins un succès quantitatif avec un doublement des effectifs chaque année, 500 000 formations demandées en 2019, plus de 1 million en 2020 et plus de 2 millions en 2021.
Toutefois, si la monétisation du CPF a favorisé sa démocratisation, elle a également eu des effets pervers avec une fraude en tout genre et des démarchages abusifs.
Dans le sillage du CPF, un lot de pratiques douteuses, incontrôlables et incontrôlées sont apparues : usurpations d’identité et détournements des droits, nuisances par des appels et sollicitations intempestives.
Le CPF, qui pèse pour 2,7 milliards d’euros de dépenses, soit un cinquième du budget de France Compétences, attire désormais une délinquance économique organisée, comme le démontrent les 440 enquêtes ouvertes par le service central de renseignement criminel de la gendarmerie.
La recrudescence atteint même des sommets : selon la cellule de renseignement financier nationale Tracfin, l’année 2021 a été marquée par la plus forte hausse de faux organismes détectés avec un préjudice cumulé de 43,2 millions d’euros après démarchage téléphonique ou en ligne, soit une multiplication par six de la fraude en seulement un an.
Force est donc de constater que le récent guide de prévention contre les arnaques publié par le ministère de l’économie et des finances n’aura pas été efficace, non plus que les timides campagnes de sensibilisation. L’action du Parlement est donc pleinement nécessaire pour endiguer ce phénomène.
Pourtant, dès 2018, le Sénat avait à la fois mis en garde et exprimé des réserves sur la monétisation et la désintermédiation du CPF.
Le Gouvernement avait déclaré qu’il s’agissait d’un « pari ». Si celui-ci a permis à un plus large public d’accéder à la formation, il a aussi occasionné des dérives que l’on s’efforce de traiter au travers du présent texte.
Cette proposition de loi est donc la bienvenue afin de contrer des pratiques qui siphonnent des crédits destinés à la formation professionnelle, un programme déjà difficilement pilotable compte tenu des rallonges budgétaires répétées et votées à France Compétences en lois de finances. Le CPF n’a par conséquent pas un seul euro à perdre !
Face à la fraude, les pouvoirs publics ne sont pourtant pas restés inactifs. Je tiens à saluer plus particulièrement le travail des forces de l’ordre, qui, grâce à des enquêtes minutieuses et complexes, ont réussi à démanteler plusieurs réseaux de faux organismes au cours des dernières semaines, dont un dans les Alpes-Maritimes, à Cannes-Mandelieu, pour un préjudice de 8,2 millions d’euros.
Cette proposition de loi permettra non seulement d’en finir avec ces escroqueries, mais aussi de restaurer l’image dégradée du CPF, lequel, faute de réponse adaptée, perd en visibilité.
En effet, bon nombre de Français ne prennent plus les appels ou textos au sérieux, risquant ainsi de se détourner de leur CPF, pourtant essentiel au cours de leur carrière professionnelle.
À l’avenir, la question du financement des formations sera aussi un enjeu de nature à réduire la fraude, tout particulièrement celle qui est consentie par des actifs dans le cadre de la revente de codes d’accès CPF.
Comme l’a proposé et voté le Sénat le 28 novembre dernier, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2023, instaurer un plafonnement de prise en charge par le CPF du coût de certaines formations serait de nature à sécuriser le CPF au travers d’un mécanisme de régulation.
J’espère ainsi que l’amendement adopté au Sénat, accueilli par un avis de sagesse du Gouvernement, obtiendra votre soutien, madame la ministre, une fois le 49.3 de nouveau dégainé à l’Assemblée nationale.
Ce qui est vrai pour le budget de la sécurité sociale l’est aussi pour la formation : ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Si nous voulons que les salariés participent plus activement non seulement à la lutte contre la fraude, mais aussi à leur parcours professionnel, sans se contenter de répondre à un appel ou à un message leur signalant qu’ils ont du crédit sur leur CPF, il faudra en passer par un reste à charge encadré, sans pour autant en faire une barrière tarifaire.
Cette piste avait d’ailleurs été mise en lumière par l’excellent rapport de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et vous-même, monsieur le rapporteur.
Enfin, en matière de prévention contre la fraude, l’arsenal de la Caisse des dépôts et consignations contient les « conditions générales d’utilisation » (CGU), auxquelles doivent se conformer les 44 000 organismes de formation, dont certaines start-up innovantes, essentiellement digitales. Plusieurs de ces organismes qui ont dynamisé le secteur m’ont fait part d’une rigidité dans la mise à jour des conditions générales d’utilisation et de délais très courts pour s’y conformer, avec un risque juridique contractuel pour les formations proposées.
Cette question ne relevant pas du domaine de la loi, je n’ai finalement pas déposé d’amendement visant à laisser aux organismes un délai minimal de mise à jour des CGU. Toutefois, je tiens à vous signaler, madame la ministre, que bon nombre d’entre eux sont inquiets.
De l’aveu même du rapport de la commission des affaires sociales, les CGU ont été modifiées à plusieurs reprises, mais la mise à jour demande un important travail juridique que ces organismes ne sont pas tous en mesure de fournir, puisque ce n’est pas leur cœur de métier.
À ce titre, l’article 3 inscrit dans la loi les conditions du référencement des formations sur Mon compte formation et établit un contrôle des formations éligibles au financement CPF, au travers de la certification qualité Qualiopi, de la législation fiscale, de la sécurité sociale, mais aussi de la satisfaction aux CGU établies par la Caisse des dépôts et consignations. Pouvez-vous rassurer ces organismes sur ce point précis ?
Il serait regrettable qu’un excès de règles contraignantes succède à un excès de simplification. Ces organismes souhaiteraient donc que la Caisse des dépôts et consignations fasse preuve de plus de souplesse.
Pour conclure, le groupe Les Républicains votera ce texte en l’état, les dispositifs proposés permettant de rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre les abus de fraude au CPF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur et M. François Patriat applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires
Article 1er
(Non modifié)
I. – Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Après le 30° de l’article L. 511-7, il est inséré un 31° ainsi rédigé :
« 31° De l’article L. 6323-8-1 du code du travail. »
II. – Après l’article L. 6323-8 du code du travail, il est inséré un article L. 6323-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 6323-8-1. – Est interdite toute prospection commerciale des titulaires d’un compte personnel de formation, par voie téléphonique, par message provenant d’un service de communications interpersonnelles, par courrier électronique ou sur un service de réseaux sociaux en ligne visant à :
« 1° Collecter leurs données à caractère personnel, notamment le montant des droits inscrits sur le compte mentionné au premier alinéa du présent article et leurs données d’identification permettant d’accéder au service dématérialisé mentionné au I de l’article L. 6323-8 ;
« 2° Conclure des contrats portant sur des actions mentionnées à l’article L. 6323-6, à l’exception des sollicitations intervenant dans le cadre d’une action en cours et présentant un lien direct avec l’objet de celle-ci.
« Tout manquement au présent article est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale. Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation. »
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, sur l’article.
Mme Corinne Imbert. J’interviendrai rapidement, comme je l’ai fait la semaine dernière en commission.
Ce texte constitue une avancée importante pour lutter contre les arnaques en lien avec le compte personnel de formation. J’ai bien compris, comme nombre d’entre nous, l’importance d’adopter ce texte conforme, et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas déposé d’amendement.
Le démarchage abusif lié au CPF peut concerner non seulement le téléphone et les réseaux sociaux, mais aussi les plateformes internet, par deux biais : les publicités entre les vidéos et à l’intérieur des vidéos elles-mêmes, qui font parfois la promotion de formations susceptibles d’être financées par le CPF, et les influenceurs, qui font croire que, avec telle ou telle formation, vous deviendrez un expert en placements financiers et gagnerez beaucoup d’argent. Je caricature à peine !
Je souhaitais donc simplement alerter sur ce point. Bien évidemment, cette proposition de loi est bienvenue et je la voterai évidemment comme l’ensemble de mon groupe. Toutefois, je ne voudrais pas que le texte présente des failles. Après le vote de ce texte et la publication des décrets d’application, il conviendra de rester très vigilant, pour éviter que certains escrocs ne profitent de certaines brèches, failles et autres trous dans la raquette.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Madame la sénatrice, nous partageons la même détermination à lutter également contre ce type de dérives.
Permettez-moi de rappeler ce que j’évoquais dans le cadre de la discussion générale voilà quelques instants. La Caisse des dépôts et consignations, opérateur du CPF, a adressé des mises en demeure par voie d’avocat, auxquelles un bon nombre de destinataires ont répondu.
Ces mises en demeure concernent trois axes : premièrement, l’arrêt de toute publicité en lien avec le CPF, que nous avons déjà pu constater assez largement ; deuxièmement, la mise à disposition de documents émanant de ces sociétés, pour poursuivre des enquêtes et effectuer, le cas échéant, des dépôts de plainte ; troisièmement, la diffusion de messages rectificatifs sur les réseaux sociaux des personnes concernées, afin d’informer sur la quasi-illégalité de la pratique.
La Caisse des dépôts et consignations a également mené plusieurs actions pour faire cesser ces pratiques commerciales trompeuses. Elle s’est rapprochée de Meta France pour tenter d’obtenir non seulement la suppression a posteriori des publications dont elle a connaissance, mais aussi la mise en place d’un mécanisme de filtrage a priori des contenus illégaux.
Par ailleurs, elle s’est rapprochée des grandes agences d’influenceurs pour les alerter sur le sujet. Cette démarche a eu un effet positif, puisque les influenceurs de ces agences ont diffusé, dès le dimanche 13 novembre, un message attirant l’attention des followers sur les arnaques au CPF.
Bien évidemment, nous poursuivrons les échanges avec ces acteurs, parce que nous sommes, comme vous, convaincus que ce type de pratiques doit absolument cesser.
Nous chercherons à poursuivre nos travaux avec Meta France, afin de fermer complètement les comptes proposant des offres illicites.
Je le rappelle, le Gouvernement doit rencontrer demain les différents acteurs, afin de renforcer le message concernant notre détermination à lutter contre ce type d’usage.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article.
M. Olivier Cadic. Cette proposition de loi destinée à lutter contre les fraudes au compte personnel de formation est très attendue, car elle porte sur un sujet d’une actualité accrue et qui a pris une dimension internationale.
J’ai été sensibilisé à un aspect particulier de ces escroqueries par un conseiller des Français établis aux Émirats arabes unis, qui m’a recommandé de prendre attache avec Mme Christelle Coiffier, que je tiens à saluer ici pour son action de lanceuse d’alerte.
Conseillère à Pôle emploi, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations, elle s’est rendu compte de ce que font certains influenceurs, partis à Dubaï pour tirer profit de l’image positive de cet émirat, afin, littéralement, de vendre du rêve. Argent facilement gagné et soleil toute l’année, ils représentent, pour de nombreuses personnes, un modèle, ce qui leur permet de faire la promotion de formations « bidon ». Certains font même la promotion de formations éphémères pour devenir influenceurs !
Confrontée à la détresse de chercheurs d’emploi dont le crédit de formation était épuisé à force d’avoir couru après ces mirages, Mme Coiffier a décidé d’alerter, en prenant sur son temps libre, sur les arnaques au CPF montées par ces influenceurs. Elle a reçu le soutien de Stéphane Vojetta, député de la 5e circonscription des Français établis hors de France.
La proposition de loi qui nous est présentée doit être accompagnée d’une prise de conscience de cette dimension internationale, car elle va malheureusement de pair avec l’impunité des escrocs.
Bruno Le Maire, qui a souvent mis en garde les influenceurs sur leur mode opératoire, a annoncé une table ronde dans quelques jours pour réguler ces pratiques. Cela va dans le bon sens, tout comme cette initiative parlementaire que je soutiens. (Mmes Nadia Sollogoub et Colette Mélot applaudissent.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L’article L. 221-16 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-16. – La prospection commerciale par voie téléphonique n’est autorisée que dans le cadre des sollicitations ayant un rapport direct avec l’objet d’un contrat en cours ou si le professionnel a reçu le consentement du consommateur au sens du 11 de l’article 4 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, et dans les conditions mentionnées à l’article 7 du même règlement. »
2° Les articles L. 223-1 à L. 223-7 sont abrogés.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement, dont l’objet est simple, vise à compléter le dispositif prévu par le texte, pour instaurer un principe général d’interdiction du démarchage téléphonique commercial non consenti.
La loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux a interdit le démarchage téléphonique commercial pour l’isolation des logements et les travaux d’installation de production d’énergie renouvelable. Un an plus tard, la loi du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement a procédé à une régulation de ces mêmes pratiques pour les seuls distributeurs d’assurance.
En réalité, le démarchage commercial non consenti saoule tout le monde, quel que soit le sujet ! Nous proposons donc de l’interdire en général.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L’article L. 221-16 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-16. – Sans préjudice des dispositions de l’article L. 221-12, le professionnel qui contacte un consommateur inscrit sur la liste d’autorisation mentionnée à l’article L. 223-4 par téléphone en vue de conclure un contrat portant sur la vente d’un bien ou sur la fourniture d’un service indique au début de la conversation, de manière claire, précise et compréhensible, son identité, le cas échéant l’identité de la personne pour le compte de laquelle il effectue cet appel et la nature commerciale de celui-ci.
« À la suite d’un démarchage par téléphone, le professionnel adresse au consommateur, sur papier ou sur support durable, une confirmation de l’offre qu’il a faite et reprenant toutes les informations prévues à l’article L. 221-5.
« Le consommateur n’est engagé par cette offre qu’après l’avoir signée et acceptée sur support durable. » ;
2° À l’intitulé du chapitre III du titre II du livre II, le mot : « Opposition » est remplacé par le mot « Autorisation » ;
3° L’article L. 223-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 223-1. – La prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique est interdite à l’exception des sollicitations effectuées auprès des personnes inscrites gratuitement à une liste d’autorisation au démarchage téléphonique ou lorsque la sollicitation intervient dans le cadre d’une relation contractuelle existante à la date de l’appel et dont le sujet a un lien direct avec l’objet du contrat souscrit.
« Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d’équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d’économies d’énergie ou de la production d’énergies renouvelables est interdite à l’exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours au sens du deuxième alinéa du présent article.
« L’alinéa précédent s’applique également aux sollicitations adressées aux personnes inscrites sur la liste d’autorisation au démarchage téléphonique.
« Tout professionnel saisit, directement ou par le biais d’un tiers agissant pour son compte, l’organisme mentionné à l’article L. 223-4 aux fins de s’assurer de la conformité de ses fichiers de prospection commerciale avec la liste d’autorisation au démarchage téléphonique :
« 1° Au moins une fois par mois s’il exerce à titre habituel une activité de démarchage téléphonique ;
« 2° Avant toute campagne de démarchage téléphonique dans les autres cas.
« Un décret, pris après avis du Conseil national de la consommation, détermine les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels la prospection commerciale par voie téléphonique peut avoir lieu, lorsqu’elle est autorisée en application du premier alinéa du présent article.
« Le professionnel mentionné au quatrième alinéa respecte un code de bonnes pratiques qui détermine les règles déontologiques applicables au démarchage téléphonique. Ce code de bonnes pratiques, rendu public, est élaboré par les professionnels opérant dans le secteur de la prospection commerciale par voie téléphonique. Il est, en tant que de besoin, précisé par décret.
« Tout professionnel ayant tiré profit de sollicitations commerciales de consommateurs réalisées par voie téléphonique en violation des dispositions du présent article est présumé responsable du non-respect de ces dispositions, sauf s’il démontre qu’il n’est pas à l’origine de leur violation.
« Tout contrat conclu avec un consommateur à la suite d’un démarchage téléphonique réalisé en violation des dispositions du présent article est nul.
« Tout recueil du consentement à être démarché par voie téléphonique lors de la conclusion d’un contrat est nul. » ;
4° L’article L. 223-2 est abrogé ;
5° À l’article L. 223-3, les mots : « inscrits sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique » sont remplacés par les mots : « non-inscrits sur la liste d’autorisation au démarchage téléphonique ».
II. - Le présent article entre en vigueur le 1er juin 2024.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Il existe actuellement une présomption de consentement au démarchage commercial. Mais on peut s’inscrire sur une liste pour refuser ce démarchage.
Par cet amendement, il s’agit de passer à une logique inverse, en instaurant une présomption de non-consentement au démarchage commercial, tout en prévoyant la possibilité de s’inscrire dans un registre pour signifier son accord au démarchage. Sinon, il ne serait pas possible d’être démarché.
Il convient donc d’inverser la logique. Plusieurs pays européens l’ont fait, c’est ce qu’on appelle l’opt-in. Cela fonctionne bien et soulage des millions de personnes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Martin Lévrier, rapporteur. Ces deux amendements concernent l’encadrement légal du démarchage téléphonique en général. En conséquence, leur portée dépasse de très loin le simple sujet du CPF, que nous étudions aujourd’hui.
Ces amendements visent à remplacer l’actuel régime d’opposition au démarchage téléphonique, matérialisé par le dispositif Bloctel, par un régime d’autorisation préalable.
L’amendement n° 1 prévoit qu’un professionnel doit avoir obtenu le consentement exprès du prospect avant de pouvoir le démarcher par téléphone.
Quant à l’amendement n° 2 rectifié, il prévoit que seules sont autorisées les sollicitations effectuées auprès des personnes inscrites sur la liste d’autorisation du démarchage téléphonique.
Je le rappelle, l’encadrement du démarchage téléphonique a déjà été renforcé, voilà deux ans, par la loi du 24 juillet 2020, qui a complété le régime d’opposition au démarchage téléphonique, en imposant notamment aux professionnels qui contactent un consommateur par téléphone de lui indiquer qu’il peut s’inscrire gratuitement sur Bloctel.
Par ailleurs, avant toute opération de démarchage téléphonique, l’entreprise doit s’assurer auprès de Bloctel que les consommateurs qu’elle entend prospecter ne sont pas inscrits sur la liste d’opposition. La loi a ainsi alourdi les sanctions applicables en cas d’abus.
En outre, certaines dispositions de cette loi ne sont pas encore entrées en application, comme la limitation du démarchage téléphonique à certaines plages horaires.
Je propose donc de nous en tenir à un dispositif ciblé sur le démarchage lié au CPF, qui pourra ainsi entrer en application immédiatement. Il conviendra de faire, le moment venu, un bilan plus général des effets de la loi de 2020, afin d’y apporter d’éventuelles modifications.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – La section 2 du chapitre III du titre III du livre III de la sixième partie du code du travail est complétée par un article L. 6333-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 6333-7-1. – La Caisse des dépôts et consignations, les services de l’État chargés de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et ceux chargés des contrôles de la formation professionnelle mentionnés au chapitre Ier du titre VI du présent livre, les organismes financeurs mentionnés à l’article L. 6316-1, les organismes certificateurs et les instances de labellisation mentionnés à l’article L. 6316-2, les ministères et organismes certificateurs mentionnés à l’article L. 6113-2 et France compétences peuvent échanger, spontanément ou sur demande, tous documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur exercice. »
II. – Après le 6° de l’article L. 561-31 du code monétaire et financier, sont insérés des 6° bis et 6° ter ainsi rédigés :
« 6° bis À la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre de ses missions de lutte contre la fraude ;
« 6° ter À l’Agence de services et de paiement ; ».
III. – Après l’article L. 8271-5-1 du code du travail, il est inséré un article L. 8271-5-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 8271-5-2. – Les agents de contrôle mentionnés au 1° de l’article L. 8271-1-2 peuvent transmettre aux agents de la Caisse des dépôts et consignations tous renseignements et documents utiles à l’accomplissement par ces derniers des missions prévues à l’article L. 6323-9 confiées à cet organisme.
« Les agents de la Caisse des dépôts et consignations peuvent transmettre aux agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 tous renseignements et documents utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal. »
IV. – Le II de la section II du chapitre III du titre II du livre des procédures fiscales est complété par un article L. 135 ZO ainsi rédigé :
« Art. L. 135 ZO. – I. – Pour la gestion des fonds mentionnés aux articles L. 6131-4 et L. 6333-6 du code du travail et à l’article L. 1621-4 du code général des collectivités territoriales, la Caisse des dépôts et consignations peut, sur sa demande, recevoir de l’administration fiscale les informations, contenues dans le fichier tenu en application de l’article 1649 A du code général des impôts et nécessaires aux contrôles préalables au paiement des sommes dues ainsi qu’à la reprise et au recouvrement des sommes indûment versées.
« II. – La Caisse des dépôts et consignations peut recevoir de l’administration fiscale, spontanément ou sur demande, communication de tous documents ou renseignements nécessaires aux contrôles préalables au paiement des sommes dues ainsi qu’à la reprise et au recouvrement des sommes indûment versées au titre du compte personnel de formation. » – (Adopté.)
Article 2 bis
(Non modifié)
Le chapitre III du titre II du livre III de la sixième partie du code du travail est complété par des sections 7 et 8 ainsi rédigées :
« Section 7
« Modalités de remboursement des sommes indues
« Art. L. 6323-44. – Pour le remboursement des sommes indûment versées par la Caisse des dépôts et consignations, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations peut délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du prestataire mentionné à l’article L. 6351-1 devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d’un jugement.
« Art. L. 6323-45. – Lorsqu’elle constate la mobilisation par le titulaire du compte personnel de formation de droits indus ou une mobilisation par celui-ci des droits en violation de la réglementation ou des conditions générales d’utilisation du service dématérialisé, la Caisse des dépôts et consignations peut procéder au recouvrement de l’indu par retenue sur les droits inscrits ou sur ceux faisant l’objet d’une inscription ultérieure sur le compte.
« Section 8
« Dispositions d’application
« Art. L. 6323-46. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent chapitre. » – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – La section 1 du chapitre III du titre II du livre III de la sixième partie du code du travail est complétée par un article L. 6323-9-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 6323-9-1. – Les prestataires mentionnés à l’article L. 6351-1 adressent à la Caisse des dépôts et consignations une demande de référencement sur le service dématérialisé mentionné à l’article L. 6323-9.
« Ces prestataires sont référencés sur le service dématérialisé à condition :
« 1° D’être enregistrés dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre Ier du titre V du présent livre et de justifier du respect des obligations mentionnées aux articles L. 6352-1, L. 6352-2, L. 6352-6 et L. 6352-11 ;
« 2° De satisfaire aux conditions d’exercice dans le cadre du service dématérialisé, notamment à celles liées à l’éligibilité des actions prévues à l’article L. 6323-6 et à celles liées à la détention des autorisations et certifications nécessaires, dont celles mentionnées à l’article L. 6316-1 du présent code et à l’article L. 1221-3 du code général des collectivités territoriales, ainsi que des habilitations délivrées par les ministères et organismes certificateurs mentionnés à l’article L. 6113-2 du présent code ;
« 3° De respecter les prescriptions de la législation fiscale et de sécurité sociale ;
« 4° D’avoir produit toutes les pièces justificatives requises ;
« 5° De satisfaire aux conditions prévues par les conditions générales d’utilisation du service dématérialisé prévues à l’article L. 6323-9.
« La Caisse des dépôts et consignations peut refuser de référencer le prestataire qui, au cours des deux années précédentes, a fait l’objet d’une sanction du fait d’un manquement à ses obligations contractuelles prévues par ces conditions générales d’utilisation.
« Lorsque les conditions de référencement mentionnées au présent article cessent d’être remplies, la Caisse des dépôts et consignations procède au déréférencement du prestataire.
« Pour l’application du 3° du présent article, des traitements automatisés de données peuvent être organisés entre la Caisse des dépôts et consignations, les organismes de sécurité sociale chargés du recouvrement des cotisations et contributions de sécurité sociale et l’administration fiscale.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de mise en œuvre du présent article. »
II. – Le neuvième alinéa de l’article L. 6323-9-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, s’applique aux prestataires déjà référencés sur le service dématérialisé mentionné au I de l’article L. 6323-8 du code du travail à la date de publication de la présente loi. – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
La section 1 du chapitre III du titre II du livre III de la sixième partie du code du travail est complétée par un article L. 6323-9-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 6323-9-2. – Le prestataire mentionné à l’article L. 6351-1 peut confier à un sous-traitant, par contrat et sous sa responsabilité, l’exécution des actions mentionnées à l’article L. 6323-6, dans des conditions définies par voie réglementaire. Le sous-traitant doit avoir préalablement procédé à la déclaration prévue à l’article L. 6351-1 et justifier du respect des conditions mentionnées aux 1° à 3° et 5° de l’article L. 6323-9-1.
« Lorsqu’une ou plusieurs des conditions mentionnées aux 1° à 3° et 5° de l’article L. 6323-9-1 cessent d’être remplies par le sous-traitant, la Caisse des dépôts et consignations, après avoir mis en demeure le prestataire mentionné au premier alinéa du présent article selon des modalités fixées par voie réglementaire, procède au déréférencement du prestataire.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de mise en œuvre du présent article. » – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
3
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Lors des scrutins publics nos 95 et 96, je souhaitais m’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures quarante-six.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant, présentée par M. Xavier Iacovelli et plusieurs de ses collègues (proposition n° 870 rectifié [2021-2022], résultat des travaux de la commission n° 152, rapport n° 151).
Dans la discussion générale, la parole est à Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi.
M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au moment où nous entamons en séance l’examen de cette proposition de loi visant à créer, dans notre assemblée, une délégation aux droits de l’enfant, je reconnais bien volontiers une certaine émotion.
En effet, pendant trop longtemps, nous avons cessé, collectivement, de voir les enfants comme des sujets de droit à part entière. Nous avons refusé d’admettre que les problématiques qui les touchaient étaient diverses et englobaient, finalement, l’ensemble de nos politiques publiques.
En outre, je sais que cette délégation aux droits de l’enfant est attendue de longue date – plus de vingt ans ! – par l’ensemble des acteurs.
À cet égard, permettez-moi de remercier les associations, collectifs et toutes les personnalités engagées qui nous regardent aujourd’hui et qui œuvrent sans relâche pour que les droits des enfants soient davantage reconnus et protégés et qui, publiquement, ont fait le choix de soutenir cette proposition de loi.
Le constat est simple : de nombreux défis doivent être relevés pour assurer le respect des droits de l’enfant.
Si je me félicite de la récente création d’une délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale, il n’est pas question pour nous de jouer sur le mimétisme.
Depuis 2018, avec un certain nombre d’entre vous, sur toutes les travées, nous avons décidé la création d’un groupe informel pour travailler sur la question de la protection de l’enfance, le Sénat se devant d’avoir une entité dédiée aux questions de l’enfance.
J’avais également demandé, en 2020, la création d’un groupe d’études au sein de la commission des affaires sociales auprès de sa présidente. Malheureusement, nous avons, une nouvelle fois, essuyé un refus.
Soyons tout à fait honnêtes, notre détermination à travailler sur les questions liées à l’enfance ne date pas de cette proposition de loi. Déjà, en février 2003, l’Assemblée nationale avait adopté, à l’unanimité, une proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants, présentée par le président du groupe UMP de l’époque, Jacques Barrot. Or ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
En 2009, notre collègue du groupe LR, Joëlle Garriaud-Maylam, avait déposé au Sénat cette même proposition de loi tendant à la création de délégations aux droits de l’enfant.
Notre rapporteure générale du budget de la sécurité sociale, Élisabeth Doineau, avait également proposé la création de cette délégation. Plus récemment, Mme Assassi et le groupe CRCE ont déposé, en 2019, un texte en vue de la création d’une telle délégation.
Vous le voyez donc, chers collègues la question de l’enfance rassemble, au-delà de nos étiquettes, et traverse même le temps.
Le texte que je vous présente aujourd’hui le démontre une fois encore. Fait suffisamment rare pour être souligné, il est cosigné par plusieurs sénatrices et sénateurs, de tous les groupes : des LR au CRCE, en passant par le RDSE et les groupes centriste, écologiste et socialiste. Toutes les sensibilités de notre chambre sont représentées.
Nous aurions pu penser que cet arc républicain suffirait à assurer le succès de cette proposition de loi. Toutefois, nous le savons, ce n’est jamais aussi simple au Sénat !
J’entends les réticences de Mme la rapporteure concernant la multiplication des délégations ou des groupes d’études, étant d’ailleurs moi-même pour la rationalisation. Je les entends d’ailleurs d’autant plus que ce sont les mêmes depuis vingt ans.
Ce sont les mêmes arguments qui ont justifié en 2003, en 2009, en 2019 et en 2022 le refus de créer de nouvelles délégations et de nouveaux groupes d’études.
Pourtant, mes chers collègues, je me suis penché sur les délégations dont nous disposons à l’heure actuelle. Si nous mettons de côté l’Opecst, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983 par la loi, ou la délégation aux droits des femmes, créée en 1999, également par la loi, nous avons, depuis 2007, créé cinq délégations : en 2007, la délégation au renseignement ; en 2009, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ; encore en 2009, la délégation à la prospective ; en 2011, la délégation aux outre-mer ; en 2014, la dernière mais pas la moindre, la délégation aux entreprises, créée par le bureau du Sénat.
En vingt ans, il n’a jamais été le moment de créer une délégation aux droits de l’enfant. Pourtant, notre chambre a continué à créer légitimement un certain nombre de délégations utiles au travail parlementaire.
Mais la question de l’enfance n’est pas une question annexe. L’enfance, par sa diversité, par l’éventail des thématiques qu’elle regroupe, est en elle-même un sujet majeur. Oui, mes chers collègues, les droits de l’enfant ne sont pas un sujet mineur.
Sommes-nous capables de considérer les droits des enfants comme une priorité de nos politiques publiques et, donc, par définition, comme un sujet transversal dans notre institution ?
Madame la rapporteure nous indiquera sans nul doute tous les travaux que notre chambre a menés sur le sujet de l’enfance. Elle aura raison, nous avons beaucoup travaillé sur l’enfance.
Toutefois, selon moi, nos travaux sur l’enfance doivent non plus fonctionner en silo, mais de façon transversale auprès des commissions permanentes.
Il ne s’agit pas, comme certains le dénoncent, d’une proposition exclusivement symbolique. Certes, il existe une dimension symbolique, puisque la création d’une délégation aux droits de l’enfant enverrait un signal fort au monde de l’enfance, qui demande cette création depuis plus de vingt ans. À l’inverse, le refus de créer cette délégation enverrait à l’opinion publique un message catastrophique sur la chambre haute.
Au-delà de cette portée symbolique, il y a un enjeu beaucoup plus fort. Les délégations ont le temps de travailler sur le fond, d’alimenter, par des auditions, par des rapports, les travaux des parlementaires et des commissions, en vue de mieux légiférer sur la base de rapports d’expertise.
Par ailleurs, outre les dimensions symbolique et utile d’une telle délégation, il faut rappeler que, pour ce qui concerne l’enfance, les départements sont chefs de file, dans le cadre d’une politique décentralisée.
Il est souhaitable que le Sénat, chambre des territoires et représentant des collectivités, s’intéresse à ce sujet et s’empare fortement de cette politique.
Je souhaiterais d’ailleurs prendre l’exemple de la délégation aux droits des femmes, qui effectue un travail remarquable, à l’image de son dernier rapport sur la pornographie.
Mme Laurence Rossignol. C’est vrai !
M. Xavier Iacovelli. Cette délégation fonctionne bien, grâce à l’apport de réflexions et de travaux. Finalement, elle alimente la réflexion du Parlement et de l’exécutif pour mieux légiférer.
Voilà trente-trois ans, mes chers collègues, la France ratifiait la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui nous obligeait à placer l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur de nos politiques publiques.
Car les enfants ne sont pas seulement de petits êtres qu’il nous faut protéger. Ce sont des sujets de droit à part entière. Certes, depuis 1990, de nombreuses réformes législatives ont été adoptées en vue de mettre notre droit en conformité avec cette convention. Parmi ces réformes figurent, notamment, la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, la loi de Philippe Bas du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, la loi du 14 mars 2016 de Laurence Rossignol, qui s’appuyait sur les travaux de Michelle Meunier, ou encore la loi du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires et, pour finir, la loi portée par le gouvernement actuel en février 2022.
Beaucoup a été fait, mais le constat actuel reste alarmant. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté ; 25 % des SDF de moins de 25 ans ont connu un parcours à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ; 70 % des jeunes de l’ASE n’obtiennent aucun diplôme.
Les enfants sont les victimes directes ou indirectes des violences intrafamiliales ou encore de l’inceste, ce qui témoigne du lien entre violence et santé. Par ailleurs, 500 enfants de moins de 6 mois sont victimes chaque année du syndrome du bébé secoué, par manque de prévention auprès des parents ou des tiers gardiens ; 75 % des survivants ont des séquelles physiques ou mentales irréversibles.
En outre, 50 000 enfants sont victimes, chaque année, de violences physiques et psychologiques, et près de 100 000 enfants ne sont pas scolarisés. En France, 15 % des jeunes connaissent un épisode dépressif caractérisé entre 16 et 25 ans. Ces envies suicidaires, qui malheureusement se concrétisent parfois, ont augmenté de 20 % depuis la crise sanitaire. Le suicide est d’ailleurs la deuxième cause de mortalité pour les 10-25 ans
S’agissant des violences numériques, les enfants sont souvent la proie d’agresseurs ultraprésents sur les réseaux sociaux, ce qui pose la question sous-jacente du harcèlement.
Je pense également aux problèmes de malnutrition ou d’obésité. Et 400 000 enfants porteurs de handicap sont scolarisés, avec le défi de l’inclusion ; ce dernier n’est jamais un long fleuve tranquille mais il peut, malgré tout, permettre de vraies réussites
Je pense aussi aux inégalités sur le plan de la scolarité, du sport et de la culture, en particulier pour ceux qui sont en situation de handicap.
Nous pouvons également évoquer les enlèvements parentaux à l’étranger. Je le sais, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à être sollicités et interpellés par les parents victimes restés en France.
Il y a aussi le sujet des mineurs non accompagnés et l’impact sur les départements de leur augmentation ces dernières années.
Permettez-moi également de rappeler un chiffre glaçant, mentionné en commission des affaires sociales, alors même – preuve de la transversalité de la question de l’enfance – que le sujet concernerait davantage la commission des lois : tous les cinq jours, un enfant est tué par l’un de ses parents, selon le dernier rapport de l’Unicef.
Mes chers collègues, il existe bien d’autres sujets relatifs à l’enfance, car la question des droits de l’enfant est intrinsèque. Pourtant, ces sujets sont traités indépendamment dans les différentes commissions qui composent le Sénat.
Donnons un cadre institutionnel aux parlementaires engagés sur cette cause. Comme je vous le disais, il s’agit d’un moment important, car attendu.
Il est attendu depuis vingt ans par les associations, par les parlementaires, par les professionnels, par les enfants eux-mêmes et par l’opinion publique.
La place de l’enfant doit être au cœur de notre société, parce que le Sénat ne peut pas se détourner d’un travail de fond qui touche directement nos territoires. Je sais que nous avons tous envie de rentrer, ce soir, dans nos circonscriptions respectives avec la satisfaction d’avoir été utiles pour notre pays.
Mes chers collègues, je connais tous vos engagements en faveur des droits de l’enfant, que ce soit ici, à Paris, dans vos territoires, en Europe ou à l’international, au sein de la Haute Assemblée ou à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
C’est pourquoi, aujourd’hui, faisons ensemble le choix de nous tenir du côté de l’amélioration de la condition des enfants. Parce que les droits de l’enfant ne sont pas de droits mineurs, je vous invite, mes chers collègues, à soutenir la création de ces délégations aux droits des enfants. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe Les Républicains)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Juin 2022 : rapport d’information sur la lutte contre l’obésité.
Octobre 2021 : audition de M. Jean-Marc Sauvé, président de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église ; proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu ; projet de loi relatif à la protection des enfants.
Septembre 2021 : audition de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé chargé de l’enfance et des familles.
Mai 2021 : proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote.
Décembre 2020 : audition de M. Adrien Taquet.
5 février 2020 : stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance et audition de M. Adrien Taquet.
Février 2022 : rapport d’information établissant le bilan des mesures éducatives du quinquennat ; proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire.
Juin 2020 : proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.
Juillet 2022 : audition de Mme Claire Hédon.
Février 2022 : proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.
Janvier 2022 : proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire
Octobre 2021 : proposition de loi visant à réformer l’adoption.
Mars 2021 : audition de Mme Claire Hédon.
Janvier 2021 : projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de justice pénale des mineurs ; proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.
Juin 2020 : audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits ; proposition de loi visant à protéger les victimes des violences conjugales.
Avril 2020 : audition de M. Jacques Toubon.
Janvier et février 2020 : cycle d’auditions sur le nouveau code de justice pénale des mineurs.
Janvier 2022 : proposition de loi visant à encourager l’usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à internet.
Voilà pour les travaux des commissions des affaires sociales, des lois et des affaires économiques.
J’en viens maintenant aux travaux de la délégation aux droits des femmes.
Septembre 2022 : rapport d’information sur l’industrie de la pornographie.
Juin 2022 : table ronde sur la régulation de l’accès aux contenus pornographiques en ligne.
Avril 2022 : table ronde sur la protection des mineurs face aux contenus pornographiques.
Décembre 2021 : audition de M. Adrien Taquet.
Novembre 2021 : table ronde sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan ; audition de Mme Catherine Champrenault et de M. Gilles Charbonnier, magistrats.
Avril et novembre 2020 : audition de M. Adrien Taquet
Juillet 2020 : rapport d’information sur le bilan de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille.
Je terminerai par les travaux communs des commissions permanentes
Septembre 2022 : rapport d’information Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive.
Septembre 2021 : rapport d’information Mineurs non accompagnés, jeunes en errance
Février 2020 : rapport d’information Sur l’obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà une liste sans doute fastidieuse, mais non exhaustive, des travaux que les sénateurs ont menés depuis trois ans sur la situation des enfants.
Pourquoi avoir retenu cette durée de trois ans ? Parce que, voilà trois ans, notre collègue Éliane Assassi déposait une proposition de loi rédigée dans des termes similaires à celle que nous examinons aujourd’hui et visant à créer une délégation aux droits des enfants.
Ce texte, dont j’étais déjà le rapporteur, avait été rejeté par le Sénat, sur proposition de la commission des lois.
Pourquoi cette énumération ? Parce que – chacun l’aura compris aux propos de notre collègue Xavier Iacovelli, qui présente aujourd’hui une proposition de loi similaire – l’avis de la commission des lois a été de nouveau défavorable.
Et je ne voudrais pas que cet avis défavorable soit interprété comme un signal défavorable quant à l’intérêt du Sénat pour cette question des droits de l’enfant.
M. Xavier Iacovelli. C’est loupé !
Mme Laurence Rossignol. Il faut assumer !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je crois avoir démontré, par cette énumération, que les sénateurs travaillent fréquemment sur ce sujet de la situation des enfants. Malgré l’absence de délégation, nous y travaillons souvent de façon transversale, et nous allons continuer de le faire : bientôt, pour ne citer que cet exemple, une étude va être menée par les délégations aux droits des femmes et aux outre-mer sur la parentalité outre-mer.
Je n’adhère certes pas au propos de Clemenceau en vertu duquel pour enterrer un problème il faut créer une commission. Reste que la création d’une telle délégation ne résoudra aucun problème, nous le savons – vous ne dites d’ailleurs pas le contraire, mes chers collègues –, ne serait-ce que parce que, contrairement aux commissions législatives, les délégations n’ont pas de pouvoir législatif.
Mme Laurence Rossignol. Et les autres délégations, à quoi servent-elles, dans ce cas ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Si cette proposition de loi n’a pas pour objet de faire travailler les sénateurs sur la situation des enfants, puisque nous le faisons déjà ; si elle n’a pas pour objet de nous faire travailler de façon transversale, puisque nous le faisons déjà ; et si elle n’a pas pour objet de résoudre une quelconque difficulté, puisque la délégation ainsi créée ne posséderait pas de pouvoir législatif, alors à quoi sert-elle ?
Mme Laurence Rossignol et M. Michel Dagbert. Il faut les supprimer toutes, alors ?
Mme Laurence Cohen. Et la délégation aux entreprises ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Elle sert tout simplement à proposer une organisation différente du travail du Sénat.
Nous l’avions déjà établi voilà trois ans, lorsque nous avions examiné la proposition de loi d’Éliane Assassi, et personne ne s’y était trompé. La représentante du Gouvernement avait d’ailleurs, à l’époque, émis un avis très clair : « La décision de créer une délégation parlementaire étant un sujet éminemment parlementaire, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. » Et je vois mal quelle autre position pourrait adopter le Gouvernement sur une telle affaire…
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s’agit donc d’un sujet relatif à l’organisation de nos travaux. Or, en la matière, nous pouvons nous appuyer sur des précédents et, en particulier, sur un rapport de 2015, établi par Roger Karoutchi et Alain Richard, sur les méthodes de travail du Sénat. Parmi les propositions formulées dans ce rapport, on trouve, précisément, l’arrêt de la polysynodie, c’est-à-dire de la multiplication des instances parlementaires, qui apporte plus de dispersion que d’efficacité.
Mme Laurence Rossignol. Ta, ta, ta !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ce rapport avait été déposé devant le bureau du Sénat, car, en réalité, l’organe chargé de l’organisation des travaux parlementaires, c’est le bureau. D’ailleurs, l’Assemblée nationale, qui vient de créer une délégation aux droits des enfants, l’a fait non pas dans l’hémicycle, mais par une décision de la conférence des présidents, qui est l’organe d’organisation des travaux de l’Assemblée nationale.
Mme Laurence Rossignol. Et donc ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Cette jurisprudence, qui est constante depuis 2015, n’a pas été remise en cause par le bureau ; j’invite donc ceux de nos collègues qui jugeraient nécessaire la création d’une telle délégation à en référer au bureau…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce serait plus démocratique ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. … afin, le cas échéant, de renverser cette position qui, je l’ai dit, fut adoptée unanimement en 2015 et n’a pas été modifiée depuis lors.
Demander au bureau d’examiner cette proposition de création d’une délégation, laquelle serait un nouvel organe de travail parlementaire, permettrait, me semble-t-il, de remettre à sa place ce débat,…
Mme Laurence Cohen. En quoi serait-il plus démocratique de passer par le bureau ? Je ne comprends pas…
Mme Muriel Jourda, rapporteur. … car, ne nous y trompons pas, nous parlons bien là d’organisation du travail et non de la situation des enfants ni de l’intérêt que porte le Sénat à ladite situation. Pour ce qui est de l’intérêt du Sénat, en effet – l’énumération à laquelle j’ai procédé le démontre –, il a toujours été indéfectible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à remercier le sénateur Xavier Iacovelli pour son engagement sans faille sur les sujets de l’enfance. (M. Michel Dagbert applaudit.) Je tiens aussi à remercier tous les signataires de cette proposition de loi, qui nous permettent une nouvelle fois – et je m’en réjouis – d’évoquer les droits des enfants et, plus largement, la politique de l’enfance devant la Haute Assemblée.
Beaucoup a été fait au cours du précédent quinquennat, avec en point d’orgue la loi du 7 février 2022. Je tiens ici à saluer le travail du Sénat sur ce texte, ainsi que tous les travaux que vous avez rappelés, madame la rapporteure.
Beaucoup a été fait, disais-je, mais il reste beaucoup à faire, et les chiffres que vous avez cités, monsieur le sénateur, nous rappellent une triste réalité. Je n’en retiens qu’un : un enfant meurt tous les cinq jours dans le cadre familial, sous les coups de ses parents ou de proches. Ce chiffre doit évidemment nous interpeller. Ce chiffre, et tous les autres, est terrible.
Malgré les moyens humains et financiers mobilisés en faveur de la politique de l’enfance, malgré les très nombreux acteurs engagés sur le terrain – départements, associations, professionnels de tous horizons –, les droits fondamentaux de nos enfants sont encore fragiles : leur droit à la sécurité, leur droit à la santé, leur droit au bien-être, au logement ou encore à l’éducation ne sont toujours pas garantis dans notre pays.
Face à ce constat, nous devons inlassablement débattre, échanger, réfléchir, agir, quelles que soient nos appartenances partisanes, quels que soient nos champs de compétences.
À chaque politique publique menée, à chaque texte voté, nous, femmes et hommes politiques adultes, devons faire l’effort d’intégrer cette dimension : les droits de l’enfant, de nos enfants, sont-ils pris en compte ?
L’année prochaine, l’Organisation des Nations unies évaluera la France au regard des exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant. Nous devrons être à la hauteur : le pays des droits de l’homme et des droits de la femme doit démontrer qu’il est aussi celui des droits de l’enfant !
La mobilisation de tous est donc une nécessité et, dirai-je même, une urgence.
Vous le savez, l’engagement du Gouvernement est très fort ; le Président de la République a souhaité faire de l’enfance et de sa protection des sujets prioritaires de ce quinquennat.
Cette priorité a été récemment au cœur du premier comité interministériel à l’enfance, au lendemain de la Journée internationale des droits de l’enfant.
Avec la Première ministre et les nombreux ministres concernés, nous avons déterminé cinq chantiers prioritaires et une quarantaine de mesures dont il m’appartiendra de coordonner la mise en œuvre. Je tiens ici à vous en présenter quelques-unes.
La première des priorités, c’est bien sûr la lutte contre les violences faites aux enfants. Dès l’année prochaine, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, créera un office de police judiciaire spécialisé. Cette création sera assortie de la publication par le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, d’une circulaire de politique pénale.
Le deuxième chantier prioritaire est celui de la santé, y compris la santé mentale, de nos enfants. Il s’agit, sur le terrain – vous le savez –, d’un sujet de grande préoccupation, qui apparaît dans chacun de mes échanges, avec les présidents des départements notamment. Le ministre de la santé, François Braun, a lancé, hier, les très attendues Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, qui permettront, au printemps, de définir des orientations.
Troisième priorité : le numérique. Partout où sont nos enfants, nous devons les protéger, notamment, donc, sur internet. La loi Studer visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet entrera en vigueur dans les prochaines semaines. À cette occasion, nous lancerons, avec Jean-Noël Barrot, une campagne de communication pour accompagner les parents dans cette si complexe parentalité numérique.
Au-delà de l’engagement de tous les ministres – je sais que vous y serez sensibles, mesdames, messieurs les sénateurs –, il nous faut renforcer notre action aux côtés des départements pour que soit facilité l’accès à tous les dispositifs de droit commun pour les enfants les plus fragiles, notamment les enfants en situation de handicap et ceux de la protection de l’enfance.
L’État doit en effet être plus fort aux côtés des départements et des acteurs de terrain : il doit les accompagner financièrement par le biais des contractualisations, mais aussi renforcer, via les préfets, la coordination de l’ensemble des administrations et des services de l’État sur les sujets de l’enfance.
La loi du 7 février 2022 a donné aux départements la possibilité d’expérimenter l’institution d’un comité départemental pour la protection de l’enfance, qui, sous l’égide du préfet et du président du conseil départemental, peut réunir l’ensemble des acteurs engagés, la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), l’éducation nationale, la santé, les directions territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse, en présence de l’autorité judiciaire.
Je crois beaucoup à la mise en place de ces comités départementaux, qui correspondent à un réel besoin de terrain, pour améliorer la stratégie de l’offre, les contrôles et, évidemment – tel est l’enjeu –, la qualité des parcours des enfants, notamment ceux dont la situation est la plus complexe.
Ce constat est largement confirmé par mes échanges avec les élus et les acteurs locaux. Je tiens donc à lancer cette expérimentation dès le mois de janvier prochain.
Je souhaite par ailleurs souligner combien les parlementaires sont, eux aussi, très engagés sur les sujets de l’enfance ; ce débat en est une manifestation évidente, je l’ai dit. Depuis ma prise de fonction, voilà six mois, j’ai pu le constater à maintes reprises, lors des débats parlementaires, au Sénat comme à l’Assemblée nationale – ainsi, récemment, lors de l’examen du projet de loi de finances –, mais également à l’occasion des nombreux rendez-vous que j’ai avec vous et de mes déplacements sur le terrain.
L’Assemblée nationale a fait le choix de créer, en septembre, une délégation parlementaire aux droits des enfants.
Comme vous le savez, j’ai salué la création de cette délégation : si aucun ministre n’a le monopole de l’enfance, et pas plus moi qu’un autre, il en est de même des commissions parlementaires. Le sujet de l’enfance peut et même doit en effet être abordé dans plusieurs commissions : la commission des affaires sociales, naturellement, mais aussi la commission des lois, ou encore la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Les droits de l’enfant sont partout ; mener la transition énergétique, n’est-ce pas, avant tout, préparer l’avenir de nos enfants ?
Ce sujet, faire des droits de l’enfant l’affaire de tous, mettre toutes les politiques à hauteur d’enfant, me tient pleinement à cœur ; je veille, tant au sein du Gouvernement que sur le terrain, à favoriser les échanges entre les acteurs dans un souci permanent de partage de l’information et d’efficacité. Au sein du Sénat, la délégation aux droits des femmes, dont je salue la présidente et les membres, joue par exemple un rôle précieux en ce sens. Son rapport récent sur la pornographie l’a fortement démontré, et je m’appuie régulièrement sur ses travaux.
Toutefois, je l’ai d’ailleurs dit aussi à l’Assemblée nationale, et je le répète au Sénat, la création d’une délégation relève de l’organisation interne du Parlement. Je ne peux donc que m’en remettre, quant à cette initiative, à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je veux profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour exprimer à nouveau ma volonté de travailler avec vous toutes et vous tous, et ce quelle que soit la décision que vous prendrez à l’issue de l’examen de ce texte. Je sais que, quel que soit votre vote, chacune de vos commissions sera d’autant plus attentive à intégrer à ses travaux la question des droits des enfants que ce débat aura eu lieu.
En cette matière, je le sais, nous sommes toutes et tous pleinement engagés ; s’il est un sujet qui doit nous rassembler, c’est bien celui de l’avenir de nos enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et CRCE. – Mmes Colette Mélot et Laurence Rossignol applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est assez simple : un grand nombre de sénateurs et de sénatrices de tous les groupes, ou presque, souhaiteraient, comme les députés, travailler sur la question des droits de l’enfant au sein d’une délégation dédiée.
Qui juge utile la création d’une telle instance votera pour cette proposition de loi ; qui pense que cela ne sert à rien votera contre. (Mme Corinne Imbert et M. Bernard Bonne s’exclament.)
Je vais tenter de vous expliquer pourquoi l’existence d’une telle délégation serait utile et pourquoi les écologistes voteront – évidemment – ce texte.
La demande de création d’une délégation sénatoriale aux droits de l’enfant est une demande de longue date des associations qui, dans ce pays, travaillent sur la question de l’enfance, et fait l’objet d’un soutien transpartisan au Sénat.
Pourquoi ?
Parce que la situation des droits de l’enfant, en France, n’est pas glorieuse…
Inceste, pédocriminalité, violences, santé physique et mentale, pauvreté, alimentation, sport, handicap et inclusion, éducation, questions pénales : il y a tant de sujets qui doivent être examinés du point de vue spécifique des enfants !
Je voudrais prendre un exemple, celui de l’inceste. Les victimes sont au nombre de 160 000 chaque année, soit en moyenne deux enfants par classe. L’inceste est un phénomène massif auquel, à ce jour, aucune politique publique n’a su répondre. Il faut regarder les choses en face : on ne sait pas gérer, on ne sait pas faire. Le nombre d’incestes, en France, ne diminue pas.
Et si l’on ne sait pas faire, c’est en partie parce qu’on ne part jamais du point de vue des enfants victimes.
On dit, par exemple, qu’il faut que les enfants parlent, mais on ne prend pas en compte le contexte qui fait que les enfants ne parlent pas, le système qu’est l’inceste, ses logiques propres et les logiques qui président à son omerta sociale, ni les conséquences qu’emporte le fait de parler, pour les enfants ou pour les adultes.
Et on insiste sur la réponse pénale.
Le problème, et c’est terrible, c’est que la perspective de la prison n’empêche pas les incestes et que la prison n’empêche pas les récidives – on aimerait tellement que ce soit si simple…
Aussi, faute de partir du point de vue des enfants concernés, on construit des politiques publiques qui gèrent l’existant : des victimes brisées, d’un côté, et des violeurs, de l’autre ; on fait parler les uns et on emprisonne – parfois – les autres. Mais on ne fait pas baisser le nombre d’incestes en France.
Ma conviction est que l’on ne pourra jamais construire une politique publique satisfaisante si l’on ne part pas du point de vue des enfants chaque fois qu’ils sont concernés.
Et c’est précisément ce qu’une délégation permet.
La création d’une délégation parlementaire spécifiquement chargée d’un sujet permet de se concentrer sur un point de vue qui, à défaut, parce qu’il est noyé parmi d’autres, n’est au fond jamais pris en compte.
Une telle instance permet de creuser des sujets spécifiques, via un travail d’information, d’enquête et de recherche, au-delà du travail législatif ; l’activité des délégations déjà existantes en témoigne.
Toutes les raisons semblent donc réunies pour nous prononcer favorablement sur cette proposition de loi. Pourtant, la commission des lois s’y oppose, au motif que le sujet dont il est question est déjà traité ailleurs, notamment par la délégation aux droits des femmes.
Mais, précisément, c’est un problème ! Beaucoup d’enfants ne sont pas de futures femmes et il n’y a pas que les femmes qui ont des enfants… On s’accordera donc à dire qu’il n’y a pas nécessairement un grand lien entre ces deux sujets.
Par ailleurs, nous dit-on, un travail de commission continuera bien sûr d’être effectué sur les sujets de l’enfance par les commissions des affaires sociales, des lois, de la culture, de l’éducation et de la communication. Mais tant que ce travail reste éparpillé ici et là, nous manquons d’un espace politique de travail dont la perspective première soit l’intérêt de l’enfant et dont l’objet soit de réfléchir depuis ce point de vue aux différentes politiques publiques.
Un autre argument nous est opposé : il ne faut pas multiplier les délégations. Admettons… Mais le Sénat n’a-t-il pas créé en 2014 une délégation aux entreprises ? C’est très bien : je n’ai rien contre cette délégation, je suis sûre que le travail qu’elle abat est d’une grande importance. Doit-on comprendre, néanmoins, que ce qui est vrai pour les entreprises – il faut les étudier de manière transversale, en dehors des commissions permanentes, sous peine qu’elles soient l’angle mort des politiques publiques – ne le serait pas pour les enfants ? Cela n’est pas très sérieux… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. François Patriat et Michel Dagbert applaudissent également.)
Alors que nos collègues de l’Assemblée nationale se sont dotés d’une délégation aux droits des enfants, l’adoption de cette proposition de loi participerait à montrer que la volonté du Sénat n’est pas de perpétuellement s’opposer à toutes les avancées sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli prévoit d’inscrire dans la loi la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Ses signataires font le constat, largement partagé sur nos travées comme dans la société civile, que de nombreux défis restent à relever pour assurer le respect des droits de l’enfant dans notre pays.
Ce n’est pas la première fois que des initiatives législatives sont prises en ce sens. En 2003, l’Assemblée nationale se saisissait déjà de cette question en adoptant, sans toutefois qu’elle prospère, une proposition de loi de Jacques Barrot et de Dominique Paillé.
Plus récemment, en 2019, une proposition de loi du groupe CRCE était rejetée par le Sénat qui, suivant l’avis de la commission des lois, avait estimé que notre chambre se saisissait déjà pleinement de ces sujets et était en mesure de veiller efficacement au respect des droits de l’enfant.
Si, depuis lors, la position de la commission n’a pas changé, comme l’atteste l’avis défavorable émis par la rapporteure, le contexte politique, lui, n’est plus tout à fait le même.
Je ne reviendrai pas sur les mesures qui ont été prises par l’actuelle majorité, et encore tout récemment par la Première ministre – vous venez de les évoquer, madame la secrétaire d’État.
Je rappellerai seulement, faisant mien l’un des constats d’Unicef France, que la persistance d’inégalités tant sociales que territoriales, dont pâtissent en particulier les quartiers prioritaires de la ville et les territoires d’outre-mer, empêche un trop grand nombre d’enfants d’avoir accès à l’école et aux services de santé ou de protection.
Vous savez, mes chers collègues, mon attachement à ce sujet.
Les arguments qui plaident en faveur de la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant sont nombreux.
Créer une délégation, c’est créer un cadre pour des travaux approfondis et transversaux sur des questions jusqu’alors inexplorées ou abordées de façon parcellaire. Je pense notamment, en l’espèce, à la santé mentale des enfants ou à la pauvreté infantile, sujets sur lesquels il nous faut avancer.
C’est aussi offrir une visibilité supplémentaire aux travaux du Sénat. L’écho médiatique dont ont récemment bénéficié les rapports de la délégation aux droits des femmes est là pour le prouver.
La création d’une délégation aux droits de l’enfant au Sénat faciliterait par ailleurs les échanges avec l’Assemblée nationale et avec le Parlement européen, et permettrait un meilleur suivi de l’application des lois.
Un tel organe alimenterait enfin la réflexion du Gouvernement – dans le respect, bien sûr, de la séparation des pouvoirs –, en vue, notamment, de la transmission du rapport périodique de la France au Comité des droits de l’enfant des Nations unies.
Ce sont ces arguments, et ceux qui ont été avancés par notre collègue Xavier Iacovelli, qui ont présidé à la création, en septembre dernier, d’une délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale.
Les auteurs de ce texte proposent au Sénat d’imiter l’Assemblée via l’inscription dans la loi de cette initiative parlementaire. Naturellement, le groupe RDPI votera pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Cathy Apourceau-Poly, Laurence Cohen, Michelle Meunier, Maryse Carrère et Véronique Guillotin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa et M. Xavier Iacovelli applaudissent également.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous lire quelques phrases ; je ne vous dirai qu’ensuite de quoi elles sont issues : « L’article 43 de la Constitution établit au demeurant la compétence des commissions pour l’examen des projets et propositions de loi. Cependant, la fragmentation des compétences illustre le caractère transversal de la question de l’égalité des droits. Elle peut entraîner un défaut préjudiciable de vision globale et constituer un obstacle […]. L’examen de textes successifs par différentes commissions peut ne pas pleinement permettre d’intégrer l’objectif d’égalité entre les sexes. »
Madame Jourda, l’extrait dont je viens de donner lecture est issu du rapport fait en 1999 par la commission des lois du Sénat sur un texte qui n’était certes pas une décision du bureau, mais bien une proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes, laquelle fut adoptée par notre assemblée. Il semble que parfois la commission des lois varie…
Vous avez, madame la rapporteure, égrené les différents travaux législatifs du Sénat qui ont concerné les enfants. En réalité, je n’ai pas compris ce que vous vouliez démontrer : que le Sénat examine les textes relatifs aux enfants déposés sur son bureau ? Mais c’est bien le moins ! Que parfois le Sénat va même jusqu’à proposer des évolutions législatives ? Derechef, c’est bien le moins : c’est notre travail !
Vous avez abondamment cité les rapports de la délégation aux droits des femmes. Je n’en espérais pas tant ! Justement, la délégation aux droits des femmes, à laquelle je participe depuis que je suis sénatrice, aimerait bien ne plus être chargée aussi de la question des enfants ! Voyez-vous, l’égalité entre les femmes et les hommes signifie aussi émanciper les femmes de la charge mentale qui consiste pour elles à s’occuper seules des enfants ; et cela vaut aussi pour les délégations parlementaires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Nous ne voulons plus de ça !
Voilà exactement quatre-vingt-dix-huit ans, la Société des Nations adoptait la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant. J’imagine que, si leurs auteurs assistaient à nos travaux aujourd’hui, ils seraient stupéfaits d’observer que l’idée d’une délégation aux droits de l’enfant, au Sénat, en 2022, rencontre toujours autant d’opposition et d’incompréhension – j’ai presque envie de parler d’ignorance. (Mmes Victoire Jasmin, Michelle Meunier, Émilienne Poumirol et Esther Benbassa applaudissent.)
Votre propos, madame la rapporteure, n’est pas un simple propos de forme. Je ne suis pas une petite poulette de l’année (Sourires.) : voilà longtemps que j’ai compris que les débats de forme cachent des oppositions de fond ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Michel Dagbert. Tout à fait !
Mme Laurence Rossignol. La question n’est pas celle de l’organisation de nos travaux ; elle est de savoir si vous êtes ou non d’accord pour que le sujet des droits de l’enfant soit traité de manière permanente par notre assemblée.
Mon sentiment est que vous ne savez pas ce que c’est que les droits de l’enfant, en réalité : les droits de l’enfant, ce sont avant tout les besoins de l’enfant, dans leurs multiples dimensions, et les politiques publiques qui vont garantir son bon développement, tant sur le plan social que sur le plan individuel, tout en lui permettant de vivre pleinement ce temps privilégié qu’est le temps de l’enfance.
Créer une délégation aux droits de l’enfant, c’est affirmer la cohérence d’une stratégie globale pour l’enfance, une stratégie décloisonnée, dont l’objectif est la mise en œuvre de politiques publiques favorables au développement de l’enfant dans ses cinq dimensions – développement physique, développement affectif, développement intellectuel, développement moteur, développement social – et dans le respect de ses droits. Les droits de l’enfant découlent de ses besoins fondamentaux.
Créer une délégation aux droits de l’enfant, ici, au Sénat, c’est nous doter d’une capacité d’expertise et ainsi nous donner les moyens d’agir au plus près des réalités que vivent les enfants et leurs familles. Et c’est anticiper, pour nous y adapter, les transformations familiales.
Je sais que les transformations familiales ont un peu tendance à électriser cette assemblée et à créer des réactions pour le moins tendues. Pour autant, elles existent, et ce n’est pas ici que l’on décide des transformations familiales : ici, on ne fait que les accompagner et garantir qu’elles respectent le principe d’égalité entre les membres de la famille ainsi que les droits de l’enfant. C’est cela, notre travail : ce n’est pas de nous opposer aux transformations familiales, sociétales, économiques, qui sont à l’œuvre.
Créer une délégation aux droits de l’enfant, c’est aussi décloisonner les politiques publiques. À l’heure actuelle, les politiques de l’enfance sont sectionnées : éducation, politique familiale, sport, santé. Or, justement, compte tenu du caractère multidimensionnel de son développement, les besoins et les droits de l’enfant nécessitent une approche panoramique. Un enfant, c’est la combinaison de différentes sphères de vie.
Je sais que, là encore, je vais choquer : on aimerait tellement que l’enfant ne soit que l’objet de sa famille, que seuls la famille et les parents puissent avoir la main sur le développement d’un enfant. Mais tel n’est pas le cas ! Un enfant est la combinaison de multiples dimensions : relations aux parents, vie à la maison, dans la ville, dans la nature, loisirs, sport, culture, citoyenneté, protection contre les violences sexistes et sexuelles, contre les écrans, contre la pauvreté. C’est tout cela, la politique des droits de l’enfant !
Et c’est tout cela dont nous voulons traiter, nous, sénatrices et sénateurs modernes, accompagnant un mouvement lancé voilà cent ans à la Société des Nations. Nous voulons pouvoir apporter notre capacité d’expertise : nous sommes, nous, parlementaires, le chaînon manquant entre les associations et les politiques publiques.
C’est la première fois que je vous entends, mes chers collègues, dire qu’en fin de compte le Parlement doit se dessaisir d’un sujet ou d’une compétence en le laissant soit à la société civile soit au Gouvernement. Non : nous voulons une délégation aux droits de l’enfant ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI. – Mmes Esther Benbassa et Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « [l]’enfant a le droit au respect de sa dignité et de son amour-propre […], [a]u respect pour chaque minute qui passe », comme l’écrivait le célèbre pédiatre polonais Janusz Korczak, inspirateur et précurseur de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Le groupe CRCE, par son engagement constant en faveur des droits de l’enfant, s’inscrit dans une telle conception. Rappelons qu’en France c’est par la loi du 9 avril 1996 que le Parlement français décide de faire du 20 novembre la Journée nationale des droits de l’enfant, initiative issue d’une proposition de loi des sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen adoptée à l’unanimité le 14 octobre 1995.
Aussi soutenons-nous la proposition de loi de notre collègue Xavier Iacovelli visant à créer une délégation parlementaire aux droits de l’enfant (M. Michel Dagbert applaudit.), en souhaitant très franchement, mes chers collègues, qu’elle ne subisse pas le même sort que celle, identique, de notre groupe, qui fut rejetée ici même le 20 novembre 2019.
Pourquoi examiner à nouveau une telle proposition de loi ? Tout simplement parce que, trente-trois ans après l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant, ceux-ci ne sont pas toujours respectés en France. Dans notre pays, un enfant sur cinq – soit près de 3 millions d’enfants – vit sous le seuil de pauvreté. En vingt ans, la proportion des enfants de moins de 18 ans vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 16 % à 20 %. Des dizaines de milliers d’entre eux vivent et dorment dans la rue.
Nous ne pouvons ignorer non plus les inégalités en matière de santé, de logement, d’accès à l’éducation ou aux loisirs, qui demeurent considérables. Je ne peux ici qu’exprimer mon inquiétude et celle de mon groupe concernant des enfants étrangers, nés en France ou arrivés, seuls ou avec leurs parents, en provenance de l’étranger, qui vivent des situations particulièrement difficiles, contraints à une vie précaire, placés en centre de rétention, expulsés avec leurs parents.
Je tiens d’ailleurs à dénoncer le manque d’action de l’État face à la situation de ces mineurs qui, vivant dans un campement à Ivry-sur-Seine, sont installés depuis quelques jours devant le Conseil d’État. Le fait qu’ils soient étrangers ne peut en aucune façon expliquer ou, pis, justifier cette situation intolérable et profondément inhumaine. Nous ne sommes pas dans la France de Zola ; nous sommes au XXIe siècle, mes chers collègues : réveillons-nous, c’est inhumain !
En matière de justice, on assiste à un durcissement pénal depuis l’entrée en vigueur, le 30 septembre 2021, du nouveau code de la justice pénale des mineurs, qui remet profondément en cause l’ordonnance de 1945 et la primauté des mesures éducatives – un enfant est un enfant.
Pour toutes ces raisons, nous devons agir. Le Parlement doit être à l’initiative d’une veille et d’un contrôle plus assidus en ce qui concerne le respect des droits des enfants.
À l’heure des scandales qui éclatent sur les violences intrafamiliales, les agressions sexuelles, les incestes, nous devons ici, au Sénat, montrer une détermination sans faille afin de créer les conditions d’un travail rigoureux sur les droits des enfants. C’est ce qu’ont fait, fort à propos, nos collègues de l’Assemblée nationale le 13 septembre 2022.
Examiner des propositions de loi ou des projets de loi en bénéficiant du travail spécifique d’une délégation ne peut que constituer un plus. Je le mesure clairement avec la délégation aux droits des femmes, laquelle apporte une plus-value et une expertise, sans empiéter sur le travail des commissions saisies au fond. Le propre d’une délégation n’est-il pas, précisément, de traiter de sujets transversaux ?
Je ne partage donc pas les arguments de Mme la rapporteure sur la rationalisation des structures ou sur le renvoi de la décision au bureau du Sénat. C’est fuir ses responsabilités et c’est donner une image rétrograde de notre assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDPI.)
La France, pays des droits de l’homme, doit se montrer exemplaire en matière d’effectivité des droits des enfants et de leur enrichissement. La protection de l’enfance est un enjeu primordial que nous partageons sur toutes les travées, ainsi qu’avec le Gouvernement. Une délégation aux droits de l’enfant serait un signal fort envoyé aux associations, aux enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE), à toutes les actrices et à tous les acteurs impliqués sur cette question et qui veulent être entendus. Nous voterons donc cette proposition de loi. J’espère que nos collègues hésitants nous suivront ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, certaines interventions passionnées, voire enflammées, nous font revivre les rédactions de notre enfance sur le thème du cœur et de la raison. Nous venons d’entendre les voix du cœur, mais il existe aussi la voix de la raison. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Nous ne sommes que des femmes, dominées par l’émotion…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Incroyable !
M. Philippe Bonnecarrère. Nous avons bien compris, depuis l’intervention de Mme la rapporteure, que les voix de la raison sont moins appréciées que celles du cœur…
De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Bien évidemment, les droits de l’enfant ne font pas débat dans cet hémicycle.
Mme Laurence Rossignol. Il n’y a jamais de débat !
M. Philippe Bonnecarrère. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, notre préoccupation unanime est la même à l’égard des droits des enfants. Pour le dire franchement, il n’y aurait pas, d’un côté, les conservateurs et, de l’autre, les modernistes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme Laurence Cohen. Si !
M. Philippe Bonnecarrère. Reste la question de savoir comment traiter les sujets pour que l’action publique soit la plus efficace possible. Deux options s’offrent à nous en ce qui concerne les travaux parlementaires : soit on les flèche vers une délégation spécifique au-delà des groupes d’études éventuels ; soit l’on considère que l’organisation parlementaire grâce à sa structure et à l’existence de commissions susceptibles de traiter du sujet a déjà son efficacité. Les deux positions peuvent effectivement se valoir.
Mme Vogel a parlé d’éparpillement ; pour ma part, je parlerai plutôt d’émiettement. Afin de ne pas éparpiller, nous disait-elle, le sujet entre les différentes commissions, nous avons besoin d’une délégation. Mais il y a un revers à chaque médaille : en créant une délégation sur tous les sujets transversaux, nous tombons cette fois dans l’émiettement puisque nous émiettons l’action parlementaire entre les différentes structures.
Mes chers collègues, nous pouvons nous parler en vérité : vous savez parfaitement qu’entre les débats dans l’hémicycle et le travail en commission ou en délégation, nous courons tous après notre agenda. Je ne suis donc pas certain que la multiplication des délégations soit une bonne réponse : il y a des limites à l’exercice…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Supprimons la délégation à la prospective…
M. Philippe Bonnecarrère. Plus particulièrement, j’ai tendance à me méfier – je l’assume complètement – des effets d’affichage.
Mme Cohen a terminé son propos en disant qu’il fallait envoyer des signaux. Cette idée que la vie publique passerait par l’envoi de signaux ou l’organisation de journées mondiales de ceci ou de cela ne me semble pas pertinente !
C’est une logique d’émotion ou de communication. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous avons ce débat au moment où il est question d’inscrire toutes les normes juridiques dans notre Constitution. À quel moment est-on dans l’action publique ? À quel moment est-on dans l’affichage ? Faisons attention à ne pas tomber dans l’abus…
C’est la raison pour laquelle la majorité du groupe Union Centriste ne soutiendra pas la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant, même si certains parmi nous en approuvent depuis le début l’idée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L’émotion sans doute ?…
Mme Laurence Rossignol. Il s’agit peut-être de femmes ?
M. Philippe Bonnecarrère. Les propos de Mme Jourda ou les miens plaidant en faveur d’une méthode de travail efficace et rationnelle ne devraient pas poser trop de difficultés au sein de notre assemblée. Le rapport fait au nom de la commission des lois ne fait-il pas état d’une note du bureau nous demandant, sur la base d’un rapport d’Alain Richard, notre actuel président de séance, d’« éviter la dispersion des sénateurs et donc la multiplication, la polysynodie des structures » ? Quoi qu’il en soit, au-delà des débats au sujet de la polysynodie au début de la Régence de Louis XV, je ne suis pas certain que l’usage d’un tel lexique soit suffisant à répondre à nos préoccupations… (Sourires.)
Plus sérieusement, notre assemblée mène de nombreux travaux et assure un contrôle soutenu sur les sujets les plus variés. Je ne comprends donc pas les critiques émises par plusieurs intervenants. M. Théophile a indiqué il y a quelques minutes que nous devrions avoir un meilleur suivi de l’application des lois dans le domaine des droits des enfants. Vous savez bien, mes chers collègues, qu’il s’agit là d’une de nos préoccupations majeures : cela vaut pour la question des droits des enfants comme pour tous les autres sujets !
Je ne crois pas que notre assemblée ait à rougir de son travail continu – dont la meilleure preuve est la multiplicité des travaux réalisés – ni de sa capacité à assurer la transversalité. Au bout du bout, chacun prendra, bien sûr, ses responsabilités.
Mmes Laurence Cohen et Laurence Rossignol. Votre temps de parole est écoulé !
M. Philippe Bonnecarrère. Effectivement, je vous prie de bien vouloir m’en excuser, j’arrête donc là mes remarques… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen. Sans doute le cœur aura-t-il pris le pas sur la raison ?
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant se heurte une nouvelle fois au refus d’un grand nombre de nos collègues de la commission des lois.
Les raisons que celle-ci invoque, vous m’excuserez, sont peu argumentées. Comme en 2019, vous justifiez le rejet de ce texte par des considérations relatives à la méthode du travail parlementaire.
Nous avons été élus pour porter la voix de nos concitoyens et de nos collectivités. Les services de l’aide sociale à l’enfance sont saturés et manquent de moyens pour agir.
Par exemple, en novembre 2021, un nourrisson âgé de seulement 13 mois est décédé, battu à mort par ses parents alors même qu’il faisait l’objet d’un signalement et qu’il bénéficiait d’une mesure de protection de l’enfance. Ce drame aurait pu être évité.
Je pourrais vous citer tellement de tragédies liées à l’inceste et à la maltraitance qui se finissent ou par un suicide ou par un coup mortel. En l’occurrence, la responsabilité de l’État est immense.
Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) met en évidence un enchaînement de circonstances défavorables et de défaillances profondes dans le système de l’ASE.
En plus de son dernier rapport accablant, la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, s’est saisie, le 15 novembre dernier, de la situation alarmante et préoccupante des mineurs placés dans le Nord et la Somme. Les juges des enfants de ces départements ont alerté sur le manque de places en foyer, les placements non exécutés et les mesures d’assistance éducative non prises en charge, avec des délais excédant les six mois. Une véritable rupture s’opère entre les enfants laissés pour compte et l’État largement désengagé.
La Défenseure des droits l’affirme : la protection de l’enfance n’est plus dûment assurée dans certains territoires. Selon la Fondation Abbé Pierre, un quart des personnes sans domicile fixe (SDF) aujourd’hui sont d’anciens enfants placés.
Vous voudriez alors nous faire croire qu’il n’est ni légitime, ni efficace, ni cohérent de créer cette délégation parlementaire aux droits de l’enfant ? Que ce soit dans les domaines de l’éducation, de la santé, notamment depuis l’épisode de covid, de la justice et de la protection de l’environnement, les enfants ont une place à part entière dans nos politiques publiques !
Engageons-nous réellement dans cette cause et créons enfin cette délégation, qui serait une fenêtre ouverte du Parlement pour y faire entrer l’enfant, un organe d’action et de propositions. Je voterai cette proposition de loi et je remercie son auteur, M. Iacovelli. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a quelques jours, lors de l’examen du budget, j’ai eu l’occasion de mettre l’accent sur certaines difficultés auxquelles étaient confrontés les services gravitant autour de l’accompagnement de l’enfance : surcharge de travail, manque de moyen et de personnel, engagement de plus en plus important face à des situations de plus en plus complexes et douloureuses.
La protection de l’enfance demande autant de persévérance que de patience. Qu’il me soit donc permis de rendre hommage à ceux qui s’y dévouent, souvent pour des salaires modestes et des emplois du temps éreintants.
Je remercie Xavier Iacovelli de son initiative. Elle doit nous maintenir en alerte. On pourrait considérer que, sur la forme, cette proposition de loi soulève une difficulté, d’autant que notre groupe n’est pas toujours favorable à l’inflation législative.
Certes, comme à l’Assemblée nationale, l’objectif visé au travers de ce texte pourrait être atteint autrement que par une loi. Notre conférence des présidents pourrait se charger elle-même de la création d’une délégation aux droits des enfants. Mais, à défaut, il fallait trouver un moyen de l’alerter. C’est ce que permet cette proposition de loi.
S’agissant du fond maintenant, il est légitime de s’interroger sur la nécessité d’une telle délégation.
Qui, dans cet hémicycle, ne serait pas favorable à ce que nous portions une attention particulière à la question des droits de l’enfant ? Évidemment, personne !
Loin de nous l’idée de renier tout le travail qui a été réalisé ces dernières années. Il va de soi que la définition de l’intérêt de l’enfant peut varier d’un esprit à l’autre, mais sur les sujets les plus fondamentaux, nous savons être unanimes.
Je pense, par exemple, à la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, portée par notre collègue Annick Billon. Chacun se souvient d’ailleurs de l’injuste traitement médiatique dont ce texte avait fait l’objet. Il est pourtant clair aujourd’hui que le Sénat avait été à l’origine d’une avancée significative dans la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, même s’il reste encore des progrès à accomplir.
Pour revenir au texte du jour, notre rapporteure l’a souligné, le Sénat défend déjà, et ce depuis longtemps, les droits et l’intégrité des enfants, comme nos nombreux travaux en témoignent – notre rapporteure a dressé une liste non exhaustive des rapports et auditions de ces dernières années. Ce point ne fait l’objet d’aucun débat : c’est un sujet sur lequel nous travaillons.
Toutefois, malgré ces éléments, je n’irai pas dans le sens de notre commission. D’ailleurs, quelques membres du groupe RDSE ont également cosigné cette proposition de loi.
En effet, puisque c’est un sujet majeur, plutôt que de multiplier les initiatives et d’éparpiller nos réflexions, pourquoi ne pas structurer cet ensemble au sein d’une même instance, à savoir une délégation aux droits des enfants ?
Personne ici ne dira que les autres délégations déjà instituées manquent d’utilité et de légitimité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quoique…
Mme Maryse Carrère. Elles permettent d’offrir des réponses et des analyses transversales, marquées par la spécialité et l’expertise sur une thématique, qu’il s’agisse de la décentralisation, de l’égalité des chances, des entreprises ou de l’outre-mer. Elles sont aussi des lieux de dialogue et d’analyses prospectives de grande qualité, qui viennent nourrir nos travaux législatifs. Pourquoi alors ne pas créer une délégation aux droits des enfants ? Je n’ai aucun doute sur le fait que cette nouvelle délégation trouverait ici toute sa place. Aussi, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne.
M. Bernard Bonne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de la Journée nationale des droits de l’enfant le 20 novembre dernier, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) a publié des chiffres alarmants : en France, un enfant est tué par l’un de ses parents tous les cinq jours en moyenne.
L’association l’Enfant Bleu a, pour sa part, constaté une augmentation de 45 % des appels de victimes ou de témoins de maltraitances sur des enfants entre 2019 et 2022.
Ainsi, force est de constater que, si la France progresse en matière de protection des enfants, elle n’a pas encore réussi à éradiquer les violences faites à leur encontre ni à faire respecter leurs droits.
Quelque 3 millions d’enfants vivent en France sous le seuil de pauvreté, et les inégalités en matière de santé, de logement, d’accès à l’éducation ou aux loisirs demeurent bien trop importantes.
S’ajoutent à cela de nouvelles formes de violences, physiques, mais aussi morales, telles que le harcèlement, la maltraitance, la pédophilie, l’exploitation sexuelle, dans le cadre familial bien souvent, mais aussi – et de plus en plus – dans le cadre scolaire ou médico-social.
La situation est encore bien plus dramatique dans le monde : la guerre, la misère et la pauvreté, les inégalités et le changement climatique mettent en péril la vie de millions d’enfants.
Ayons, mes chers collègues, en tête ces données très préoccupantes alors que nous examinons aujourd’hui la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants.
Plusieurs collègues l’ont rappelé, c’est la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) adoptée par les Nations unies le 20 novembre 1989 et que la France a ratifiée en août 1990 qui garantit les droits interdépendants et inaliénables des enfants.
Le texte vise la protection spécifique de l’enfant en tant que sujet de droit à part entière. Sont ainsi pris en considération le caractère vulnérable et la nécessité de développement de l’enfant. Il a ainsi droit à une identité, à la santé, à l’éducation, à une vie de famille, à un niveau de vie suffisant. Il a le droit d’être protégé de la violence, de s’exprimer, d’être protégé de la guerre, d’être protégé de l’exploitation. Il a le droit de jouer et d’avoir des loisirs.
Trois protocoles facultatifs entrés en vigueur en 2014 et en 2022 ont complété cet instrument. Ils concernent notamment l’implication des enfants dans les conflits armés et mettent l’accent sur la nécessité de les protéger contre leur recrutement. Ils visent également à lutter contre la vente d’enfants, la prostitution et la pornographie les mettant en scène.
Pour en revenir au texte que nous examinons aujourd’hui, je rappellerai tout d’abord que ce n’est pas la première fois qu’une telle proposition de loi est déposée sur le bureau des assemblées, et parfois examinée. En 2003 déjà, un texte similaire avait été adopté à l’Assemblée nationale, mais il n’avait jamais été examiné au Sénat.
La proposition de loi que présente notre collègue Xavier Iacovelli reprend le texte d’une proposition de loi déposée en 2018 par notre collègue Éliane Assassi, qui avait été examinée et rejetée en séance le 20 novembre 2019. La rapporteure en était déjà notre collègue Muriel Jourda. Je regrette qu’une concertation au sein de la commission des affaires sociales n’ait pas eu lieu avant le dépôt de cette proposition de loi,…
M. Xavier Iacovelli. On en parle depuis 2020 !
M. Bernard Bonne. … d’autant que nous pouvons légitimement nous interroger sur la nécessité de passer par un texte de loi.
En effet, la création de délégations touche à l’organisation interne des travaux dans chaque assemblée. Il n’est donc pas nécessaire de légiférer sur de telles dispositions. Laissons les membres du bureau décider de la création ou non de cette délégation : c’est leur rôle.
Il est vrai que la question des droits de l’enfant est un sujet transversal, qui concerne de nombreux domaines tels que l’éducation, la santé, la justice, la gouvernance.
Vous le savez, j’ai été l’an passé rapporteur de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Nous avions constaté le manque d’efficience de cette politique de protection au regard des moyens qui lui sont consacrés et nous avions fait des propositions très concrètes.
Certes, cette loi porte sur la protection des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance, mais au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites, tous les acteurs rencontrés, particulièrement ceux qui agissent auprès des enfants, ont souligné leur attachement à la mise en place d’une veille pérenne et indépendante sur la question de l’élaboration, de l’évaluation et du suivi des politiques publiques en faveur des droits des enfants.
Je comprends qu’après la création au sein de l’Assemblée nationale d’une délégation aux droits des enfants ces associations demandent que le Sénat en fasse de même. En effet, une délégation aux droits de l’enfant a été créée à l’Assemblée nationale le 13 septembre dernier sur décision de la conférence des présidents.
Néanmoins, force est de constater que les sujets sur lesquels cette délégation souhaite se pencher ont largement été traités par le Sénat. Je ne les listerai pas tous ici. Certains ont été examinés par la commission des affaires sociales, d’autres par la commission de la culture, la commission des lois, la commission des affaires économiques, mais aussi par la délégation aux droits des femmes.
Ainsi, dans le droit fil de la révision constitutionnelle de 2008, c’est bien via ses commissions permanentes que le Sénat exerce son pouvoir de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Il n’est peut-être pas utile de multiplier les structures – le travail parlementaire ne s’en trouvera pas plus efficace –, mais il convient que nos commissions, particulièrement la commission des affaires sociales, continuent de se saisir de ces questions.
En effet, de nouvelles formes de violences concomitantes avec les usages de nos sociétés apparaissent. Mme la Défenseure des droits et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ont récemment souligné l’urgence qu’il y avait à protéger les enfants des dangers du numérique.
Je souhaite également que nous puissions, peut-être via la création d’une mission d’information, étudier la réalité de l’application des lois de 2007, de 2016 et de 2022 relatives à la protection de l’enfant, qui ne sont pas également mises en œuvre sur l’ensemble du territoire. Or je sais, madame la secrétaire d’État, que vous y êtes très attachée. (Mme Laurence Rossignol signale que le temps de parole de l’orateur est écoulé.)
Mes chers collègues, une société qui ne sait pas protéger ses enfants dans un monde apaisé et rassurant est une société qui transige avec ses valeurs les plus fondamentales. (Mme Corinne Imbert applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de cet hémicycle, notre intérêt pour les droits de l’enfant est unanime.
Notre volonté d’offrir à tous les enfants les moyens de construire leur avenir demeure inaltérable et notre devoir d’éradiquer le fléau des violences qui leur sont faites, quelles que soient les formes qu’elles peuvent revêtir, est indéfectible.
Pourtant, en France et dans le monde, les problématiques liées à l’enfance sont toujours d’une actualité brûlante, et nombreux sont les défis qui restent à relever, comme l’amélioration de la situation des enfants atteints d’un handicap ou du sort des enfants migrants.
Aussi, parce que la protection de l’enfant et son intérêt supérieur doivent être une préoccupation permanente du législateur, l’initiative de notre collègue Xavier Iacovelli mérite d’être saluée. Je félicite le groupe RDPI d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour.
M. Xavier Iacovelli. Merci !
Mme Colette Mélot. Comme son titre l’indique, ce texte a pour objectif de constituer une délégation parlementaire aux droits de l’enfant.
L’article unique vise à instituer, en premier lieu, dans chaque assemblée, une délégation parlementaire aux droits de l’enfant de trente-six membres, choisis à la représentation proportionnelle des groupes.
En deuxième lieu, il vise à charger ces délégations d’assurer le suivi de la politique des droits de l’enfant et tend à leur permettre d’être saisies de projets ou de propositions de loi sur demande du bureau, d’une commission, d’un président de groupe ou de leur propre initiative.
En troisième lieu, il vise à prévoir la remise d’un rapport d’activité annuel comprenant, le cas échéant, des « propositions d’amélioration de la législation et de la réglementation ».
Enfin, il tend à donner la possibilité à la délégation de l’Assemblée nationale et à celle du Sénat de décider de tenir des réunions communes.
Une proposition de loi identique avait déjà été examinée au Sénat une première fois, en 2019, et avait été repoussée. Or, depuis le 13 septembre dernier, l’Assemblée nationale s’est dotée d’une délégation aux droits des enfants composée de trente-six députés. Cet élément nouveau nous incite à revoir notre position de 2019.
La création d’un équivalent au Sénat permettrait, au cours de réunions menées conjointement, de faire bénéficier la question des droits de l’enfant de l’expertise des sénateurs, notamment à la lumière du rôle majeur que les collectivités territoriales jouent en faveur de l’enfance. Je pense, notamment, au département, chef de file des politiques sociales et de la protection de l’enfance. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Mme Michelle Meunier. Très bien !
Mme Colette Mélot. Par ailleurs, une délégation aux droits de l’enfant pourrait avoir un angle d’approche différent de celui des commissions permanentes, qui effectuent un remarquable travail légistique.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant faciliterait une démarche plus transversale pour traiter efficacement les multiples problématiques.
Elle aurait aussi le mérite d’améliorer la connaissance des droits de l’enfant par les pouvoirs publics tout en donnant davantage de visibilité à ces droits.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe Les Indépendants - République et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE et SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le savons, l’enfer peut être pavé de bonnes intentions. (Mme Laurence Rossignol s’exclame.)
Aussi, je crois utile de rappeler que la création d’une délégation relève usuellement d’une simple décision du bureau. Je crois également bon de souligner que la loi du 15 juin 2009 – ce n’est si lointain – avait supprimé pas moins de cinq délégations dans un souci de rationalisation des travaux parlementaires.
M. Xavier Iacovelli. Nous en avons recréé trois depuis…
M. Laurent Burgoa. À vrai dire, cette proposition est surtout révélatrice de ce que pourrait devenir notre vie parlementaire.
Mme Laurence Rossignol. Nous parlons d’enfants là…
M. Laurent Burgoa. Disons-le, nous ne manquons pas d’outils pour nous emparer des enjeux de notre société. Il y a, bien sûr, les propositions de loi et les amendements, mais il y a aussi les commissions d’enquête et les rapports d’information.
Plutôt que de nous saisir de l’un de ces instruments, nous discutons aujourd’hui, à cette heure, de la création d’une délégation. Ne vaudrait-il pas mieux débattre de solutions concrètes à des difficultés précises ? (Protestations à gauche.)
M. Xavier Iacovelli. Il s’agit de notre espace réservé !
M. Laurent Burgoa. J’ai bien conscience que cette proposition de loi vise, d’une certaine manière, à se donner le beau rôle. Mais n’oublions pas, par exemple, que la commission des lois et la commission des affaires sociales, à travers un rapport d’information conjoint dont j’étais le corapporteur, ont déjà pu pleinement s’investir sur le sort des mineurs non accompagnés et formuler de nombreuses propositions. C’est la preuve que le travail transversal sur des problématiques précises existe déjà, fort heureusement ! (Mme Laurence Rossignol s’exclame.)
En somme, je ne crois pas qu’émietter le travail parlementaire le rendra plus pertinent. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le penser puisque le groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat avait recommandé, en 2015, d’éviter une division trop importante de notre champ de travail.
En créant cette délégation, on se ferait plaisir, on communiquerait, mais concrètement rien ne changerait. Or, c’est tout l’objet de mon propos, le Parlement – au vu du niveau d’abstention lors des dernières élections – est attendu sur cette question de la traduction de son travail dans le quotidien des Français.
Le travail parlementaire est reconnu pour sa qualité – c’est à mon sens indéniable –, mais les Français, comme l’auteur de cette proposition peut-être, sont las de voir nos rapports ne pas être pris en considération par un pouvoir exécutif qui pense être le seul à avoir les solutions aux problèmes et qui croit connaître tout sur tout !
Admettons-le, c’est difficile à vivre lorsque l’on est dans l’opposition, mais je ne doute pas que le Gouvernement entende parfois raison sur des dispositifs que nous l’encouragerions à mettre en place.
Je milite donc pour un Sénat qui persiste à être véritablement force de proposition plutôt que pour un Sénat qui se renfermerait sur lui-même (M. Xavier Iacovelli proteste.) et qui, à l’instar de notre administration, s’égarerait dans une succession de comités Théodule, perdant ainsi en souplesse.
Pour ces raisons, mes chers collègues, comme une grande majorité du groupe Les Républicains, je ne voterai pas cette proposition de loi.
Mme Laurence Rossignol. Il y en a donc quelques-uns qui vont la voter !
M. Laurent Burgoa. Ce vote, madame Rossignol, n’est pas dirigé contre le droit de l’enfant. Je souhaiterais que certains dans cet hémicycle ne le réduisent pas à une position caricaturale : comme nos travaux sénatoriaux le démontrent, nous défendons au contraire tous les jours les droits des enfants ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant
Article unique
L’article 6 quater de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est ainsi rétabli :
« Art. 6 quater. – I. – Il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation parlementaire aux droits de l’enfant. Chacune de ces délégations compte trente-six membres.
« II. – Les membres des délégations sont désignés en leur sein par chacune des deux assemblées de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes parlementaires et équilibrée des hommes et des femmes ainsi que des commissions permanentes.
« La délégation de l’Assemblée nationale est désignée au début de la législature pour la durée de celle-ci.
« La délégation du Sénat est désignée après chaque renouvellement partiel de cette assemblée.
« III. – Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des commissions chargées des affaires européennes, les délégations parlementaires aux droits de l’enfant ont pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits de l’enfant. En ce domaine, elles assurent le suivi de l’application des lois.
« En outre, les délégations parlementaires aux droits de l’enfant peuvent être saisies sur les projets ou propositions de loi par :
« 1° Le Bureau de l’une ou l’autre assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d’un président de groupe ;
« 2° Une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation.
« Enfin, les délégations peuvent être saisies par les commissions chargées des affaires européennes sur les textes soumis aux assemblées en application de l’article 88-4 de la Constitution.
« Elles demandent à entendre les ministres. Le Gouvernement leur communique les informations utiles et les documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
« IV. – Les délégations établissent, sur les questions dont elles sont saisies, des rapports comportant des recommandations qui sont déposés sur le bureau de l’assemblée dont elles relèvent et transmis aux commissions parlementaires compétentes ainsi qu’aux commissions chargées des affaires européennes. Ces rapports sont rendus publics.
« Elles établissent en outre, chaque année, un rapport public dressant le bilan de leur activité et comportant, le cas échéant, des propositions d’amélioration de la législation et de la réglementation dans leurs domaines de compétence.
« V. – Chaque délégation organise la publicité de ses travaux dans les conditions définies par le règlement de chaque assemblée. La délégation de l’Assemblée nationale et celle du Sénat peuvent décider de tenir des réunions conjointes.
« VI. – Les délégations établissent leur règlement intérieur. »
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Si j’ai bien suivi les débats, il existe une délégation aux droits des femmes, une délégation aux entreprises, une délégation aux collectivités territoriales, et d’autres encore. Cela signifie que le bureau du Sénat a jugé, à un moment donné, que ces délégations étaient utiles pour mener des réflexions sur ces sujets.
Les droits de l’enfant, quant à eux, ne méritent-ils pas une délégation ? N’y a-t-il pas urgence à agir dans ce domaine et à s’emparer de ces problématiques ?
La liste des nombreux travaux égrenés par la rapporteure montre qu’il existe un intérêt du Sénat pour ces sujets. L’excellent plaidoyer de Bernard Bonne en faveur des droits de l’enfant en témoigne également.
Si cette proposition de loi peut être le véhicule permettant de lever les freins posés par le bureau du Sénat pour ce qui concerne les droits de l’enfant, alors je voterai ce texte, et j’incite tous ceux qui veulent s’emparer de sujets sociétaux au sein de cet hémicycle à faire de même. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je prends la parole pour répéter quelques éléments que j’ai déjà exposés en commission des lois.
À chaque fois qu’un débat a eu lieu dans notre pays au cours des derniers mois ou des dernières années, qu’il porte sur le mariage pour tous, sur l’adoption ou sur la procréation médicalement assistée (PMA), les représentants de la majorité sénatoriale ont systématiquement mis en avant l’intérêt supérieur de l’enfant.
Tout d’abord, je tiens à regretter l’absence aujourd’hui dans l’hémicycle de nos collègues de la majorité sénatoriale, alors même que nous débattons, au travers de cette proposition de loi, de l’intérêt supérieur de l’enfant ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI.)
Ensuite, je rappelle qu’il y a au sein de notre Haute Assemblée des délégations, notamment aux entreprises et à la prospective, et que ce serait faire injure à la commission des affaires économiques de laisser à penser qu’avant la création de ces délégations, personne ne travaillait ici sur les entreprises ou sur la prospective ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDPI.)
Je ne partage donc pas du tout l’argument défendu par Mme la rapporteure. Le fait que les commissions permanentes travaillent sur un sujet n’interdit en aucune façon au Sénat de créer une délégation spécifique !
Enfin, rendez-vous est pris. Dans quelques mois ou quelques années, une ou un membre de la majorité sénatoriale déposera peut-être une proposition de loi similaire à celle qui est aujourd’hui discutée, en la reprenant à son compte… Les conditions seront alors réunies pour réparer l’erreur que nous allons commettre aujourd’hui si la majorité d’entre nous vote contre ce texte de Xavier Iacovelli, que je remercie d’avoir pris cette initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Je voterai avec enthousiasme, cette proposition de loi ! J’ajouterai un point aux propos qui viennent d’être tenus.
Dans nos territoires, à la fin des inaugurations ou des rencontres autour de l’enfance ou de la petite enfance, on entend souvent citer ce proverbe africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant. » Ces mots saluent et soulignent le partenariat, la coopération, le travail en commun et les regards croisés des différents acteurs qui interviennent sur le terrain.
Aussi, je ne comprends pas, et ne trouve pas digne de sa part, que notre Haute Assemblée rate le rendez-vous proposé aujourd’hui au travers du texte de Xavier Iacovelli. Je le regrette et le déplore ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Alors que je venais d’être nouvellement élu au Sénat, je me souviens d’avoir interrogé en 2015 la secrétaire d’État chargée de la famille d’alors, notre collègue Laurence Rossignol. Le petit Bastien venait de mourir, après avoir été mis dans le lave-linge par son père, sur le mode « essorage ». Comme nous toutes et nous tous, j’avais été profondément bouleversé par ce drame, qui mettait en lumière les carences d’un système ayant failli à sauver un enfant d’une mort atroce.
Je sais, comme vous, qu’il existe beaucoup d’autres Bastien et que nous peinons à recenser tous ces infanticides, car il faudrait autopsier tous les bébés morts prématurément de façon inexpliquée.
La maltraitance des enfants ne s’arrête pas à nos frontières. À l’étranger, les familles françaises échappent parfois à la protection de l’enfance. Certains enfants perdent quelquefois tout contact avec l’un de leurs parents, comme nous l’avons souvent observé au Japon par exemple, grâce au travail de notre ancien collègue Richard Yung.
Les consulats ne peuvent évidemment pas, faute de moyens et de formation, être le prolongement de l’aide sociale à l’enfance. L’aide aux victimes de violences, notamment familiales, se développe néanmoins petit à petit.
C’est à sa capacité à protéger les plus faibles que l’on reconnaît une société civilisée. Avant d’agir, il faut connaître et mesurer l’ampleur du problème, et le système mis en place pour y faire face.
La création d’une délégation aux droits de l’enfant, qui consacrera ses travaux à améliorer la protection des enfants, me semble impérieuse. Je salue cette initiative de notre collègue Xavier Iacovelli, que je remercie d’avoir cité la précédente proposition de loi sur le sujet, présentée par Joëlle Garriaud-Maylam, laquelle représente comme moi les Français établis hors de France.
Je voterai donc cette proposition de loi avec le même enthousiasme que certains de nos collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tous ceux qui ont pris la parole pour soutenir cette proposition de loi, et reprends à mon compte les propos d’Hussein Bourgi, de Michelle Meunier et d’Olivier Cadic, auxquels je souscris complètement.
Pardonnez-moi d’évoquer ce point alors que la discussion est relativement cordiale, mais je veux revenir sur le mépris que certains orateurs ont manifesté en parlant d’« affichage » ou de « proposition du cœur »…
Or il s’agit, au contraire, d’une proposition de loi de raison. Je le dis en m’appuyant sur l’argumentaire de la rapporteure, qui a dressé la liste des travaux sur le sujet, qu’il s’agisse d’auditions et de rapports, lesquels – je le rappelle – n’ont pas valeur de loi. Le nombre de ces travaux montre que nous avons besoin de réfléchir de façon coordonnée et transversale.
Point n’est donc besoin de faire preuve de mépris…
M. Philippe Bonnecarrère. Il n’y a aucun mépris !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. C’est insupportable !
M. Xavier Iacovelli. … et de dénaturer les travaux et les initiatives parlementaires. Mais peut-être est-ce de votre part, mes chers collègues, une façon d’afficher votre malaise, ce que je peux comprendre…
J’ai aussi entendu évoquer, dans cet hémicycle et dans les couloirs du Sénat, l’argument de la temporalité, sous la forme suivante : « On ne va tout de même pas créer une délégation à neuf mois du renouvellement sénatorial… »
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Qui a dit ça ?
M. Xavier Iacovelli. Car figurez-vous que l’on pourrait s’en servir alors même qu’elle est portée par l’opposition sénatoriale !
Pourquoi ne pas prendre ici l’engagement de créer cette délégation, même si cela ne doit prendre effet qu’en septembre ou octobre 2023 ? Je n’y vois, pour ma part, aucun inconvénient tant que je suis assuré que cette création sera effective. Mais nous ne devons pas être freinés par un problème de calendrier : nous parlons là de droits de l’enfant et non pas d’une question électorale et partisane ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et CRCE.)
Notre collègue Bernard Bonne, qui a malheureusement quitté l’hémicycle, disait lors de son intervention que l’on pourrait créer un groupe d’études dans le cadre de la commission des affaires sociales. Très bien ! Mais j’avais fait cette demande en 2020, et cela m’avait été refusé !
On peut toujours avoir ce débat de façon répétée, mais si chacune de nos propositions se heurte à un refus, il ne faut pas s’étonner que l’on recoure ensuite à la voie législative pour tenter de les faire aboutir.
J’espère que les consignes de vote seront respectées, car j’ai reçu de nombreuses marques de soutien, en provenance de tous les groupes – y compris ceux de la majorité sénatoriale –, et je remercie ceux qui me les ont adressées. Je comprends qu’il soit difficile pour certains d’entre nous d’être présents dans l’hémicycle, mais j’insiste sur le fait que nombre de nos collègues soutiennent la proposition de loi.
J’invite donc tous les sénateurs présents et tous ceux qui ont reçu des délégations à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Mme la rapporteure et les représentants du groupe Les Républicains nous ont invités à parler non pas des droits de l’enfant, mais du fonctionnement du Sénat. C’est donc de ce sujet que je vais vous parler, m’étant suffisamment exprimée sur la proposition de création d’une délégation aux droits de l’enfant.
À la fin de la discussion générale sur ce texte, nous étions trente-quatre sénateurs en séance. Sur ce nombre, vingt-neuf sont favorables à cette proposition de loi, et trois ou quatre y sont hostiles.
Sur les huit groupes du Sénat, six sont favorables à cette proposition de loi, un groupe est partagé, et un groupe y est majoritairement défavorable.
Or, du fait des modalités du vote par scrutin public, et en dépit des chiffres que je viens de donner, il est possible que cette proposition de loi soit rejetée dans quelques instants !
Puisque vous voulez parler du fonctionnement du Sénat, je vous suggère de réfléchir à ce beau sujet : le respect du vote au Sénat ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.
Mme Nassimah Dindar. Je voterai pour cette proposition de loi, à laquelle je suis très favorable.
En effet, les départements eux-mêmes attendent que nous travaillions sur ce sujet.
À La Réunion, l’université vient d’organiser, en collaboration avec le conseil départemental et des représentants des associations de la zone de l’océan Indien, notamment de Mayotte, un grand colloque sur les droits de l’enfant, lors duquel des chiffres très alarmants – en particulier sur la scolarité des enfants, sur les méconnaissances des mères et sur les grossesses précoces – ont été communiqués. Vous comprendrez donc que je sois favorable, à titre personnel, à ce texte.
Mais, pour avoir parlé avec bon nombre de mes collègues du groupe centriste, je veux dire à mon ami Xavier Iacovelli qu’il n’y a pas de mépris de leur part. Ce qu’ils critiquent dans ce texte, lorsqu’ils ont prévu de voter contre ou de s’abstenir, c’est sa forme plus que le fond. Je tenais à me faire l’écho de ces échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je remercie Mme Dindar, dont le propos correspond à peu près à ce que je voulais dire.
Lorsque l’on parle de mépris manifesté par la majorité sénatoriale…
M. Xavier Iacovelli. Non, par les orateurs de la majorité sénatoriale !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. C’est ce que vous avez dit ! Or, cela, on ne peut pas l’entendre, pas plus que l’argument selon lequel, la forme cachant le fond, nous nous désintéresserions de la protection des enfants…
M. Xavier Iacovelli. Je parlais des orateurs ! (Mme le rapporteur proteste.)
Mme Laurence Rossignol. Et en plus, vous n’étiez pas présent dans l’hémicycle !
M. Xavier Iacovelli. Écoutez les discours, c’était bien du mépris !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je n’étais pas présent dans l’hémicycle en début de séance, et je m’en excuse. Mais il a été dit, ici, que la forme cachait le fond…
Mme Laurence Rossignol. C’est moi qui l’ai dit, et je le maintiens !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. … et on a laissé entendre par ailleurs que les sénateurs de la majorité sénatoriale se fichaient – pour faire court – de l’intérêt des enfants.
Mme Laurence Rossignol. Regardez les travées de la majorité !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Or le nombre de travaux consacrés par le Sénat à ce sujet a été rappelé. Le dernier d’entre eux, relatif aux agressions sexuelles sur mineurs, a fait l’objet d’un travail très important de la commission des lois, laquelle a réfléchi à l’amélioration des droits de la défense des enfants, ce qui est une bonne chose.
Mme Laurence Rossignol. Pourquoi êtes-vous sur la défensive ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je ne suis pas sur la défensive, madame la ministre Rossignol,…
Mme Laurence Rossignol. Je ne suis plus ministre !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. … mais je n’aime pas les procès d’intention ! (M. Laurent Burgoa acquiesce.)
Mme Laurence Rossignol. Regardez vos travées !
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. On peut avoir des divergences, mais les procès d’intention sont selon moi inacceptables ; c’était simplement ce que je voulais vous dire. Cela vaut pour ce débat comme pour d’autres.
Ce texte n’est peut-être pas le bon véhicule législatif, l’on peut en discuter, mais la discussion est ouverte sur le fond.
M. Xavier Iacovelli. Prenez un engagement !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant de la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 97 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 178 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Les sénateurs des groupes RDPI, SER et CRCE protestent, car les résultats annoncés oralement par le président de séance ne sont pas ceux qui sont affichés sur les écrans situés dans l’hémicycle.)
Mes chers collègues, concernant les résultats du scrutin, ce sont ceux que je viens d’annoncer qui font foi !
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, lors du scrutin n° 97 de ce jour, portant sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits de l’enfant, ma collègue Mme Denise Saint-Pé et moi-même souhaitions nous abstenir, et non pas voter contre.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
6
Lutte contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation (proposition n° 379 [2021-2022], texte de la commission n° 172, rapport n° 171).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’heure où je m’exprime devant vous, ce sont 430 000 élèves en situation de handicap qui sont scolarisés à l’école de la République dans des classes dites « ordinaires ». Leurs effectifs connaissent une croissance de 6 % à 10 % par an.
C’est, avant toute chose, une grande source de satisfaction, pour ces enfants d’abord, qui sont bien à la place qui est la leur, c’est-à-dire sur les bancs d’une école, mais aussi pour celles et ceux qui les accompagnent et travaillent avec eux à construire leur autonomie.
Et c’est, ensuite, une réussite due à la mobilisation de tous, en particulier de l’État depuis plus de dix-sept ans, soit depuis le vote de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il s’agit bel et bien d’une école inclusive, telle qu’elle a été voulue par le Président de la République et mise en place lors de son premier quinquennat.
Le Gouvernement engage aujourd’hui des moyens importants et croissants pour accueillir les élèves en situation de handicap dans de bonnes conditions.
Il mobilise plus de 132 000 accompagnants d’élève en situation de handicap, les fameux AESH. À la rentrée 2022, 4 000 nouveaux AESH ont été recrutés, et 4 000 de plus sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2023.
Le nombre de ces accompagnants est ainsi en augmentation constante. Il a augmenté de 50 % entre 2017 et 2022. Il y a aujourd’hui un AESH pour huit enseignants, ce qui fait que ce métier est devenu, en quelques années, le deuxième métier de l’éducation nationale en termes d’effectifs. Il faut prendre la mesure de ce que signifie une telle évolution.
C’est précisément la philosophie de la proposition de loi discutée aujourd’hui, qui vise à contribuer à l’amélioration du système d’inclusion scolaire en renforçant la stabilité professionnelle des accompagnants et accompagnantes des élèves en situation de handicap.
L’enjeu de ce texte est simple, madame la rapporteure : il s’agit de rendre ce métier plus attractif en faisant en sorte qu’il ne soit plus un métier précaire. Je vous le dis sans détour : je partage avec vous cette ambition.
Avant d’en venir à votre proposition de loi, je tiens à rappeler que cette préoccupation s’est traduite dans les actes depuis 2017. De nombreuses mesures ont été mises en place pour améliorer l’attractivité du métier d’AESH et ses conditions d’exercice : le recrutement en contrat à durée déterminée (CDD) d’une durée minimale de trois ans ; l’accès au contrat à durée indéterminée (CDI) au bout de six ans d’exercice ; la mise en place d’une formation de prise de poste de soixante heures ; l’accès au droit à la formation professionnelle et aux prestations d’action sociale ; la création d’une grille indiciaire, afin d’automatiser leur avancement ; enfin, la création de la fonction de « référent AESH », afin d’appuyer leur exercice professionnel par des pairs expérimentés.
Le Gouvernement entend aujourd’hui poursuivre cette politique continue de consolidation de ces emplois, en prenant des mesures fortes sur leur rémunération.
Ainsi, dans le cadre des crédits de la mission « Enseignement scolaire », que vous avez adoptés la semaine dernière, le Gouvernement a soutenu des amendements qui permettront une augmentation salariale nette de 10 % de tous les AESH, dès le 1er septembre 2023. Une enveloppe supplémentaire de 80 millions d’euros sera ainsi consacrée à cette revalorisation en 2023.
Cette revalorisation s’ajoutera à l’extension aux AESH et aux assistants d’éducation (AED) des primes REP (réseau d’éducation prioritaire) et REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcé), prévue par le projet de loi de finances et qui correspond à une enveloppe de 74 millions d’euros.
Si ces mesures sont adoptées définitivement, nous serons également en capacité de renforcer notablement l’investissement de l’État dans la formation de ces personnels, sujet auquel le Sénat est particulièrement attentif.
Les dispositions prévues dans votre proposition de loi permettent d’avancer sur deux points importants.
Le premier est la situation sociale des AESH, qui s’améliorera : le CDI présente l’avantage de sécuriser les personnes dans leur emploi. Grâce à cette proposition, les AESH auront désormais accès au CDI après un contrat de trois ans, contre six ans actuellement, ce qui était effectivement trop long pour la perspective de stabilité que nous leur devons.
Second point : cette amélioration des conditions d’emploi rendra ce métier plus attractif. C’est déterminant à un moment où nous rencontrons des difficultés à recruter et à fidéliser dans ce métier essentiel à l’autonomie des élèves en situation de handicap.
Ce progrès est réel, concret, applicable rapidement sur le terrain, et surtout attendu par les personnes concernées.
Par ailleurs, je tiens à apporter une précision supplémentaire, concernant les dispositions prévues initialement pour lutter contre la précarité des assistants d’éducation, et maintenues dans le texte que nous examinons aujourd’hui. Je veux vous dire qu’elles sont d’ores et déjà satisfaites.
En effet, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire prévoit déjà un CDI obligatoire pour les AED au bout de six ans, et le décret qui en prévoit les modalités a été publié le 9 août 2022. Compte tenu de sa date de publication, il n’a pas pu encore produire tous ses effets au moment de la rentrée 2022, mais ce sera bien le cas à la prochaine rentrée. En outre, les primes REP et REP+ leur sont également accordées dans le projet de loi de finances.
Je veux, pour conclure, revenir sur la question des modes d’accompagnement des élèves en situation de handicap à l’école, pour rappeler que l’aide humaine qu’apportent les AESH doit être inscrite dans un cadre plus large.
Les élèves en situation de handicap doivent être scolarisés. C’est un droit, ce n’est pas une option. Et nous devons leur fournir les moyens d’accompagnement adéquats pour que notre école soit pleinement inclusive. Les AESH sont à cet égard des personnels essentiels, irremplaçables pour notre école pour tous. Nous entendons bien l’affirmer haut et fort en travaillant à l’amélioration de leurs conditions d’exercice de ce métier.
Mais il faut rappeler aussi l’esprit de la loi de 2005, avec cette idée cardinale de l’adaptation à chaque situation de handicap. Or tous les élèves n’ont pas besoin du même type d’aide pour apprendre et progresser vers l’autonomie. En outre, parmi celles et ceux qui en ont besoin, tous n’ont pas besoin d’un accompagnement individuel.
Par conséquent, la croissance continue du nombre d’AESH ne peut pas et ne doit pas être la seule réponse aux besoins d’accompagnement des élèves à l’école.
Il est nécessaire de progresser sur les autres moyens d’accompagner efficacement les élèves en fonction de leurs besoins, notamment par l’usage d’outils numériques et à travers l’évolution des méthodes pédagogiques et la formation des enseignants. Il faut aussi que nous avancions sur l’organisation administrative pertinente pour conduire cette politique.
C’est dans cette optique que s’est ouverte, dans la foulée du comité interministériel du handicap (CIH) du 6 octobre dernier, une phase de concertation et de réflexion avec les acteurs de l’école inclusive.
Cette réflexion associe les départements et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), car il est nécessaire de repenser l’ensemble du processus d’évaluation des besoins des élèves et de notification des aides nécessaires. Cette concertation, à laquelle des parlementaires sont associés, aboutira dans le cadre de la Conférence nationale du handicap (CNH) que le Président de la République convoquera au printemps 2023.
Je veux redire, pour conclure, que la stabilité professionnelle des AESH, ainsi que leurs conditions de revenus, sont déterminantes pour la qualité et l’effectivité de la scolarisation des enfants en situation de handicap. De cela dépendent aussi l’attractivité de leur métier et, donc, sa pérennité. Agir est essentiel pour le bien-être de ces personnels, mais aussi pour celui des élèves.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement est donc favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est la deuxième fois en quelques mois que notre commission se penche sur la situation des accompagnants d’élèves en situation de handicap, personnels qui sont les chevilles ouvrières de l’école inclusive.
En février dernier, mes collègues Annick Billon, Max Brisson et moi-même, dans le cadre de la mission d’information que nous avons menée sur le bilan des mesures éducatives du précédent quinquennat, lancions une première alerte sur leurs conditions d’emploi et de travail.
Aujourd’hui, l’examen de cette proposition de loi, dont je salue l’auteure, l’ancienne députée Michèle Victory, nous offre l’opportunité de tirer une seconde fois la sonnette d’alarme, mais aussi et surtout de faire avancer la législation.
Reconnaissons d’emblée que la situation des 132 000 AESH, dont 93 % sont des femmes, n’est ni acceptable ni digne de l’école de la République. Un mot suffit à la caractériser : précarité. Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, notre collègue Max Brisson a très justement qualifié cette précarité d’« institutionnalisée ».
Les causes et les manifestations de cette précarité sont nombreuses.
Il y a, d’abord, les conditions de recrutement : plus de 80 % des AESH exercent dans le cadre d’un CDD, contre moins de 20 % en CDI.
Il faut citer, ensuite, les conditions d’emploi : seulement 2 % des AESH disposent d’un emploi à temps complet, la quotité de travail moyenne n’étant que de 62 %. Ce temps incomplet subi contraint les AESH à cumuler d’autres « petits » contrats pour prétendre à un niveau de revenus plus décent.
J’en viens aux conditions de rémunération : sous l’effet cumulatif du temps incomplet imposé et d’une grille indiciaire concentrée à des niveaux proches du Smic, la rémunération mensuelle moyenne d’un AESH n’est que de 850 euros net. L’État rémunère donc en deçà du seuil de pauvreté ses professionnels de l’école inclusive.
Il y a enfin les conditions de formation, dont les lacunes, tant lors de la prise de poste qu’en cours d’exercice, laissent souvent les AESH démunis, lorsqu’ils ne sont pas contraints de s’autoformer !
À ce cumul de précarités viennent s’ajouter des conditions de travail qui, de l’avis unanime non seulement des AESH, mais aussi d’autres acteurs de l’école inclusive, n’ont cessé de se dégrader depuis quelques années.
La généralisation des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) a assurément marqué un tournant dans leur aggravation.
Au regard du premier bilan que j’en dresse dans mon rapport, trois correctifs me paraissent devoir rapidement être apportés : mettre un terme aux dérives d’une gestion de la ressource humaine basée sur la flexibilité ; replacer la qualité de l’accompagnement au cœur du dispositif ; renforcer le cadrage national pour assurer plus d’harmonisation entre les territoires.
Aujourd’hui, être AESH dans le cadre d’un Pial, c’est être soumis à une très grande flexibilité : affectation dans plusieurs établissements, ce qui entraîne de nombreux déplacements dont les frais ne sont pas toujours pris en charge ; changements fréquents et non concertés d’emploi du temps et d’affectation ; prise en charge simultanée de plusieurs enfants ; accomplissement de tâches ne faisant pas partie des missions ; droits à la pause méridienne et au fractionnement des jours de congé non respectés.
Je me dois d’illustrer ce tableau, pour le moins édifiant, par les mots des intéressés eux-mêmes : « Des conditions de travail déshumanisées » ; « Sentiment d’être du sous-personnel » ; « AESH sous-payés et corvéables » ; « AESH toujours relégués en dernier ».
Malgré l’absence de reconnaissance et la perte de sens que ces professionnels dénoncent, nombre d’entre eux ont le courage de continuer. Qu’est-ce qui les fait tenir ? La réponse tient en ces deux citations : « AESH, c’est un beau métier » et « Sans AESH, il n’y a pas d’école inclusive », nous ont-ils dit.
Alors que le métier d’AESH n’a jamais été aussi peu attractif, le paradoxe veut que, dans le même temps, les besoins d’accompagnement des élèves en situation de handicap croissent à une vitesse très soutenue.
Depuis 2017, les notifications d’aide humaine des MDPH augmentent de 11 % par an, soit un rythme près de deux fois supérieur à celui des notifications de reconnaissance du handicap. Cette tendance à la systématisation de l’aide humaine est un sujet qui appelle une réflexion conjointe de l’éducation nationale et des départements. Plus largement, nos échanges en commission ont montré que la prise en charge de l’enfant dans sa globalité, à la fois sur le temps scolaire et sur le temps périscolaire, pose la question du partage des responsabilités. Notre commission entend bien l’approfondir dans le cadre de ses prochains travaux de contrôle.
Bien que les effectifs d’AESH aient progressé de 35 % sur les cinq dernières années et qu’ils continuent d’augmenter, l’école inclusive n’est pas encore une réalité pour tous les élèves en situation de handicap : certains s’étant vu notifier une aide humaine ne sont toujours pas accompagnés ; d’autres pâtissent d’un nombre d’heures d’accompagnement inférieur à celui qui leur a été notifié ; d’autres encore voient leurs besoins non couverts par la quotité fixée.
Cette carence de l’éducation nationale explique que certaines familles en arrivent à rechercher par elles-mêmes, ou par le biais d’associations, des AESH dits « privés ». Un nouveau marché de l’accompagnement privé est en train de se développer, même s’il est encore difficilement quantifiable. Cette évolution provoque une rupture d’égalité dans l’accompagnement du handicap, et renforce les inégalités sociales.
J’en viens, en quelques mots, à la situation des 65 000 assistants d’éducation, également confrontés à des conditions d’emploi et de travail précaires. Au moment de la création de cette fonction, l’idée était d’en faire un tremplin pour une éventuelle future carrière dans l’éducation nationale, par le biais des concours de conseiller principal d’éducation ou de professeur. Force est cependant de constater qu’aujourd’hui le taux de réussite des AED à ces concours n’est que de 15 % et que les étudiants représentent 30 % des effectifs, alors que les premiers étaient censés être majoritaires.
Se pose dès lors la question du devenir professionnel des AED. Faut-il professionnaliser cette fonction pour permettre à ceux qui le souhaitent de continuer à l’exercer et d’en faire un véritable métier ? Ou faut-il conserver sa nature première et mieux garantir ses débouchés vers d’autres emplois ?
Ce débat de fond mériterait, madame la ministre, un travail de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. En attendant, nous ne pouvons que constater et déplorer la grande précarité qui caractérise aussi les conditions d’emploi et de travail des AED : rémunération au niveau du Smic ; grille indiciaire inexistante ; pluralité d’affectations ; absence de formation et de perspective professionnelle.
Face à l’ampleur des enjeux que je viens de décrire, pour partie communs à ces deux catégories d’agents, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui se veut comme une première étape, nécessairement modeste, vers une amélioration de leurs conditions d’emploi et une reconnaissance du service qu’ils rendent à l’école inclusive.
Son article 1er ouvre la possibilité de recruter en CDI les AESH ayant exercé pendant trois à six ans, soit potentiellement à l’issue d’un seul CDD contre deux actuellement exigés par la loi pour une école de la confiance.
Alors que la très grande majorité des AESH enchaînent aujourd’hui les contrats courts, synonymes d’instabilité, d’incertitude et de précarité, cette accélération de la possibilité de « CDIsation » est gage de stabilité de l’emploi, de sécurisation du parcours professionnel et de reconnaissance professionnelle. Elle est aussi une étape importante dans la professionnalisation du métier d’AESH et dans la construction de son attractivité.
Notre commission a eu un débat sur la durée de la condition d’exercice exigée pour pouvoir prétendre à une « CDIsation ». Où placer le curseur ? À trois ans, comme l’a proposé l’Assemblée nationale, ce qui, selon certains collègues, laisserait le temps d’évaluer les compétences professionnelles et permettrait de ne pas rigidifier le système ? Pourquoi pas plus tôt, dans la mesure où il s’agit d’une possibilité et non d’une obligation qui permettrait aux AESH ayant fait leurs preuves au bout d’un an de se projeter plus rapidement dans une carrière stable ?
Nous nous sommes en tout cas tous retrouvés sur la nécessité de garantir l’effectivité de la formation initiale des AESH, condition sine qua non de leur montée en compétences et de leur professionnalisation. Notre commission a par ailleurs pleinement conscience que si la « CDIsation » accélérée constitue une première avancée pour les AESH, le chemin qu’il reste à parcourir pour améliorer leur statut et leurs conditions de travail est encore long.
C’est pourquoi nous appelons collectivement le Gouvernement à lancer sans plus tarder une réforme structurelle des conditions d’emploi des AESH dans le cadre de « l’acte II de l’école inclusive ».
Nous estimons que plusieurs sujets, relevant principalement du niveau réglementaire, nécessitent d’être travaillés : la quotité de travail dans le but de permettre aux AESH qui le souhaitent de travailler à temps complet ; l’articulation entre le temps scolaire et le temps périscolaire ; l’augmentation du niveau de rémunération qui passe impérativement par une revalorisation de la grille indiciaire ; l’application effective de la réglementation de l’éducation nationale en matière de remboursement des frais de transport ; le renforcement de la formation et sa prise en charge financière ; la révision du fonctionnement des Pial afin de remédier aux dérives constatées et d’harmoniser les pratiques entre les territoires.
J’en viens à l’article 2 de la proposition de loi. Celui-ci ouvre aux AED ayant exercé pendant six ans en CDD le bénéfice du recrutement en CDI en cas de poursuite de leur mission.
Cette disposition, votée par l’Assemblée nationale le 20 janvier dernier, a entre-temps été satisfaite par l’article 10 de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Elle y a été introduite par le Sénat, lors de l’examen du texte en première lecture, à la suite de l’adoption d’un amendement présenté par notre collègue Toine Bourrat.
Pour éviter une redondance inutile, il conviendrait de la supprimer, ce que, sur ma proposition, la commission n’a pas souhaité faire. En effet, des remontées de terrain font état de réticences de la part de rectorats et de chefs d’établissement à « CDIser » les AED après six ans de service. Sur la cible de 5 000 « CDIsations » visées, seules 1 000 seraient effectives.
Même si le décret d’application, publié le 9 août dernier, ne présente pas d’ambiguïté, une circulaire ministérielle serait peut-être nécessaire pour inciter les rectorats et les chefs d’établissement à se saisir de cette disposition.
Nous attendons donc, madame la ministre, une réaffirmation du principe posé par la loi du 2 mars dernier et un engagement de la part du Gouvernement à veiller à son application effective sur le terrain.
Tel est le contenu des deux articles qui composent cette proposition de loi, que notre commission a adoptée à l’unanimité sans modification.
J’émets le souhait que nos débats permettent de confirmer notre consensus autour de ce premier pas en faveur des AESH, mais qu’ils ouvrent aussi la voie à des avancées supplémentaires dans un avenir très proche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et LR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Samantha Cazebonne.
Mme Samantha Cazebonne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les accompagnants d’élèves en situation de handicap et les assistants d’éducation sont des pièces maîtresses, des piliers de l’école inclusive.
Cependant, ces pièces maîtresses sont aujourd’hui des pièces précaires dont la fragilité menace la solidité de cet édifice magnifique, de cette fierté républicaine qu’est l’école inclusive. J’entends par « école inclusive » la mise en œuvre de l’idée que le droit à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, est un droit fondamental.
Nous connaissons tous ici ces chiffres sans équivoque qui témoignent de la précarité de ces deux métiers. Plus de 80 % des AESH exercent dans le cadre d’un CDD et seulement 2 % d’entre eux disposent d’un emploi à temps complet. S’agissant de leur rémunération moyenne, elle se situe autour de 850 euros net par mois. Quant aux AED, ils sont aussi recrutés par CDD, sont rémunérés au niveau du Smic et demeurent une profession au devenir incertain.
Ces chiffres sont d’autant plus regrettables que ces personnes, qui sont pour la grande majorité des femmes, aiment leur métier. Elles aiment accompagner, quotidiennement, les 400 000 élèves en situation de handicap que compte notre pays. À ce titre, nombre d’AESH, lorsqu’on les interroge sur leurs motivations à exercer ce métier, évoquent une forme de vocation.
Le Gouvernement a beaucoup investi en faveur de l’école inclusive depuis cinq ans puisque le budget dédié à cette dernière a augmenté de 66 % par rapport à 2017.
Par ailleurs, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a déjà amorcé la reconnaissance légitime des AESH : ces derniers ont été reconnus comme des membres à part entière de l’équipe éducative et peuvent désormais participer aux réunions de suivi de la scolarisation des élèves en situation de handicap.
En outre, c’est cette même loi qui a rendu possible leur « CDIsation » au bout de six ans de service. Et c’est encore elle qui a permis que des AED inscrits dans une formation préparant aux concours des métiers de l’enseignement et de l’éducation puissent exercer de véritables fonctions pédagogiques, comme le font les personnels enseignants.
Enfin, le budget présenté par le Gouvernement pour l’année 2023, que nous venons de voter, finance la création de 4 000 postes d’AESH et une augmentation de 10 % de leur rémunération. Le ministre a également annoncé que la prime REP et REP+ serait étendue aux personnels exerçant en réseau d’éducation prioritaire dans les premier et second degrés.
Alors, en ouvrant la possibilité de recruter les AESH en CDI à l’issue d’un seul CDD et en confirmant la possibilité de « CDIsation » des AED, cette proposition de loi poursuit l’indispensable réforme de ces professions. Mais il faudra aller plus loin et engager une réflexion approfondie sur l’amélioration du statut et des conditions d’emploi des AESH. Je pense évidemment au sujet de la rémunération, mais aussi au renforcement de la formation, à l’articulation entre le temps scolaire et le temps périscolaire et, bien sûr, à la « CDIsation » des AESH au bout d’un an.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI est très favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord saluer la qualité du travail mené par notre rapporteure, Marie-Pierre Monier, qui s’est trouvé confirmé par l’adoption de cette proposition de loi à l’unanimité en commission jeudi dernier.
La « CDIsation » des accompagnants et accompagnantes des élèves en situation de handicap à l’issue d’un seul CDD, contre deux aujourd’hui, permise par l’article 1er de ce texte, est évidemment indispensable. Nous savons que les 132 000 AESH jouent un rôle fondamental dans l’école inclusive pour assurer dans les meilleures conditions la scolarisation des élèves en grande difficulté, dans tous les établissements d’enseignement. Combien d’enfants seraient en échec total sans ce soutien de qualité et indispensable ?
Le CDI est la norme dans notre pays et permet de se projeter dans l’avenir avec la possibilité de se loger, d’emprunter. Rappelons qu’actuellement seulement 20 % des AESH exercent dans le cadre d’un CDI.
Ces personnels ne bénéficient pas de la reconnaissance qu’ils méritent. Leur rémunération est très faible – en moyenne de 850 euros par mois, ce qui est sous le seuil de pauvreté – et leurs conditions de travail sont difficiles : temps incomplet subi ; affectations de dernière minute, parfois dans plusieurs écoles avec des frais de déplacement importants peu pris en charge ; et, pour certains, le droit à la pause méridienne non respecté.
Les AESH souffrent également d’un manque de formation, et il arrive que certains se forment sur leurs propres deniers ou même que ce soient leurs parents qui financent ces formations !
Du fait de ces multiples difficultés, on observe des phénomènes de démission de l’ordre de 10 %, et ce au bout de deux ou trois ans seulement.
Le Gouvernement ne prévoit pas de créer suffisamment de postes d’AESH – 4 000 seulement pour 2023 –, alors même que l’augmentation de prescription d’aide humaine pour 2020 et 2021 est de 12 %. Sur la même période, le nombre d’AESH n’a augmenté que de 5 %. Attention donc aux recours à des AESH « privés », et donc à la rupture d’égalité !
Il est primordial et urgent que le Gouvernement sorte de la précarité ces 132 000 accompagnants, qui sont essentiels pour la réussite de l’école inclusive et dont le nombre est amené à croître dans les années à venir. Ainsi, nous soutenons la demande de la rapporteure d’une réforme structurelle des conditions d’emplois des AESH, dans le cadre de l’acte II de l’école inclusive, récemment annoncé par M. le ministre de l’éducation nationale.
Les sénateurs socialistes avaient déposé de nombreux amendements dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour aller au-delà de la « CDIsation » et améliorer les conditions de vie et d’exercice des AESH : 20 millions d’euros supplémentaires pour revaloriser les salaires ; alignement du montant des primes REP et REP+ des AESH sur les autres personnels de l’éducation nationale ; ouverture de 10 270 postes supplémentaires au lieu des 4 000 prévus par le PLF.
Nous attendions là un signal du ministre de l’éducation nationale, mais nous nous sommes malheureusement heurtés au veto de la majorité sénatoriale et du Gouvernement.
De la même manière, M. le ministre nous avait assuré que le Gouvernement était favorable à une « CDIsation » au bout d’un an. Je m’étonne qu’aucune initiative de sa part en ce sens ne se concrétise par le dépôt d’un amendement du Gouvernement sur la proposition de loi dont nous débattons !
Ce texte entend aussi mettre l’accent sur la situation des 65 000 assistants d’éducation. Leur « CDIsation », prévue à l’article 2 de la proposition de loi, a été permise, grâce à un vote du Sénat, par la loi visant à lutter contre le harcèlement scolaire et le décret du 9 août 2022. Il semble cependant que certains recteurs ou chefs d’établissement y soient réticents, et que seul un cinquième des AED susceptibles d’être « CDIser » l’aient effectivement été. D’où l’importance que le Gouvernement réaffirme le principe, et surtout l’obligation, de la « CDIsation » des AED après six ans d’exercice.
Les missions des AED sont très polyvalentes et leurs conditions de travail également difficiles : rémunération insuffisante, différents lieux d’affectation, absence de formation.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient donc la demande de notre rapporteure pour que le Gouvernement engage une concertation avec l’ensemble des parties prenantes sur le devenir professionnel des assistants d’éducation.
Nous avions déposé des amendements au PLF pour 2023 visant à un alignement des primes REP et REP+ et la mise au même niveau de rémunération des AED de l’enseignement agricole et de l’enseignement général. Nous regrettons que ces amendements aient été, eux aussi, rejetés en séance le 1er décembre dernier par la majorité sénatoriale avec l’accord du Gouvernement.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne résoudra pas tout. Le chemin est encore long pour sortir ces personnels de la précarité, mais elle est un premier pas.
Le groupe des sénateurs socialistes, écologistes et républicains votera donc avec enthousiasme et lucidité cette proposition de loi, qui doit aussi être vue comme un appel au Gouvernement, à qui nous demandons solennellement d’agir vite et fort sur ces enjeux primordiaux pour l’avenir de nos enfants et pour l’accession à l’emploi des personnels concernés, dans des conditions dignes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de loi présentée par nos collègues socialistes que Marie-Pierre Monier a pris l’initiative de mettre à l’ordre du jour, ici, au Sénat.
Nous la voterons en regrettant que les députés de la majorité présidentielle, épaulés par ceux du groupe Les Républicains, en aient limité la portée.
Nous la voterons en ayant à l’esprit tout le chemin qui reste à parcourir pour que les AESH bénéficient d’une rémunération, d’une formation et d’un statut dignes, afin que l’école inclusive devienne une réalité pour tous.
Trop d’enfants, trop de familles, restent en effet encore sans solution. Longtemps, c’est le manque de moyens accordés aux académies pour recruter qui en a été la principale cause. Aujourd’hui, des postes créés ne sont pas pourvus. C’est le cas dans mon département de la Seine-Maritime, comme dans bien d’autres. Les conditions statutaires, les conditions de travail et de rémunération offertes aux AESH en sont directement la cause.
Or, je le rappelle, l’inclusion et l’accompagnement des élèves en situation de handicap constituent une obligation de résultat pour l’État.
Dans ce contexte, ouvrir la possibilité de recruter les AESH en CDI au bout d’un CDD de trois ans plutôt qu’au bout de six ans présente une avancée qu’il faut saisir.
Mais soyons lucides sur le fait que cela n’est qu’une possibilité et qu’elle ne mettra pas fin à la précarité qu’elles – car ce sont, vous le savez, des femmes à plus de 90 % – connaissent.
Depuis l’été dernier, cette possibilité est ouverte pour le recrutement des AED au bout de six ans de CDI. Force est de constater qu’elle n’a pas tenu toutes ses promesses puisque, comme cela a été rappelé, seuls 1 000 d’entre eux sur les 5 000 envisagés ont été « CDIsés ». Et l’on peut craindre que les AESH connaissent malheureusement la même situation.
Tout en adoptant cette proposition de loi, nous devons donc travailler à améliorer encore, et très nettement, leur sort. C’est indispensable pour garantir l’accueil d’enfants et de jeunes en situation de handicap dans le milieu scolaire.
Pouvons-nous accepter que la deuxième profession en termes d’effectifs au sein de l’éducation nationale soit rémunérée sous le seuil de pauvreté ?
Après avoir été condamné, à la suite d’une décision du Conseil d’État concernant les AED, le Gouvernement a décidé d’octroyer des primes REP et REP+ aux AESH, à compter du 1er janvier prochain. Mais elles sont inférieures à celles des autres personnels de l’éducation. Et la rémunération des AESH restera plus faible que le seuil de pauvreté, y compris après l’augmentation de 10 % qui leur est promise pour la rentrée 2023.
La mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les fameux Pial, qui répondent à une logique de mutualisation des moyens entre établissements, censés accroître leur temps de travail – essentiellement des temps partiels subis –, n’a pas amélioré leur situation. Au contraire !
Quant à leur formation, elle doit, elle aussi, être développée si l’on veut professionnaliser les AESH et leur donner toutes les compétences nécessaires à l’accueil d’enfants aux situations et aux besoins très divers.
À l’aube de l’acte II de l’école inclusive, annoncé par le ministre de l’éducation nationale, alors que se pose la question de l’accompagnement des enfants en situation de handicap en classe, mais également durant toutes leurs activités d’enfants, il nous semble urgent de mettre sur la table l’intégration des AESH à la fonction publique.
Ce statut, qu’il convient de moderniser plutôt que de détériorer, permet en effet des passerelles entre collectivités et État. Il pourrait former le creuset qui nous permettrait de répondre aux besoins que nous identifions, et de créer le cadre national nécessaire pour faire face aux disparités de situations que nous connaissons d’un département à l’autre.
Il permettrait aussi de mieux intégrer les AESH aux équipes éducatives, dont ils font à nos yeux pleinement partie, afin d’accompagner enfants et jeunes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme la rapporteure et M. Bernard Fialaire applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objectif de lutter contre la précarité de deux catégories de personnels de l’éducation nationale : les accompagnants d’élèves en situation de handicap et les assistants d’éducation.
À la rentrée dernière, l’éducation nationale recensait 132 000 AESH, dont 93 % de femmes. Les AESH et les AED n’ont pas tout à fait les mêmes missions, mais les uns comme les autres sont confrontés à des conditions de travail extrêmement précaires.
Parmi les causes de cette précarité, je citerai : les conditions de recrutement – 80 % sont recrutés en CDD – ; le temps partiel – seuls 2 % des AESH disposent d’un emploi à temps plein ; pour la majorité d’entre eux, ce temps partiel est un temps partiel subi, obligeant certains à cumuler plusieurs emplois – ; la rémunération, qui n’est en moyenne que de 850 euros mensuels ; et la formation. Sur ce dernier point, soixante heures de formation sont actuellement prévues par les textes. Ces heures, qui peuvent être effectuées en présentiel ou à distance, s’apparentent cependant plus à une boîte à outils.
La formation, initiale comme continue, fait donc défaut, ce qui peut contraindre les AESH à s’autoformer. Dans certains cas, ce sont même les familles des enfants accompagnés qui payent une formation. Cela n’est pas acceptable : c’est pourquoi j’ai déposé deux amendements concernant leur formation.
Ces amendements sont avant tout des amendements d’appel qui doivent permettre d’entamer un échange avec vous, madame la ministre. Les discussions que nous avons eues lors de l’examen du projet de loi de finances, et plus particulièrement lors de celui de la mission « Enseignement scolaire », ne nous ont pas satisfaits – le mot est faible.
Affectations dans différents établissements du territoire du Pial de rattachement, accompagnement simultané de plusieurs enfants présentant souvent des pathologies différentes, frais de déplacement qui ne sont pas pris en charge ou même parfois accomplissement de tâches qui ne font pas partie des missions de ces personnels : lors des différentes auditions auxquelles j’ai pu assister avec Mme la rapporteure, le constat a souvent été le même.
Des conditions de travail de plus en plus dégradées viennent s’ajouter à la précarité de l’emploi, ce qui mène de plus en plus à des arrêts maladie à répétition ou même à des démissions.
En dix ans, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en classe ordinaire a connu une augmentation de 60 % dans le primaire et de 150 % dans le secondaire. Pour faire face à cette hausse, 4 000 AESH supplémentaires ont été recrutés et des efforts budgétaires substantiels ont été réalisés. Malgré cette hausse bienvenue, force est de constater que de nombreux élèves en situation de handicap ne sont pas, ou mal, accompagnés.
Face à cette situation, cela a été dit, les familles qui le peuvent en viennent à recourir à des AESH privés, ce qui crée – vous en conviendrez, madame la ministre – une vraie rupture d’égalité au sein de notre école.
Pour les AED, les conditions de travail sont tout aussi précaires. Si cette fonction, dont le statut n’a pas évolué depuis 2003, a été pensée à ses débuts pour les étudiants, l’âge moyen des assistants d’éducation est aujourd’hui de 30 ans, et nombreux sont ceux qui ont à leur charge une famille.
Ces dernières années, beaucoup d’entre eux ont démontré une volonté de se professionnaliser et de sécuriser leur parcours sur le long terme. À ce stade, ils n’ont pourtant pas la possibilité d’accéder à un CDI. Ils sont pourtant essentiels au bon fonctionnement de nos établissements et à la lutte contre le harcèlement scolaire, par exemple.
Mes chers collègues, ce texte marque une étape dans la lutte contre la précarité des métiers d’AESH et d’AED, mais ce n’est qu’une première étape. Trop de dispositions relèvent du domaine réglementaire, ce qui ne nous permet pas d’activer véritablement les leviers nécessaires pour faire évoluer leur situation.
L’éducation nationale doit entamer un travail de fond pour permettre une évolution, plus que nécessaire, des conditions de travail de ces chevilles ouvrières de l’école inclusive.
M. le ministre de l’éducation nationale a annoncé un acte II de l’école inclusive lors de sa dernière audition devant la commission de la culture du Sénat. Nous nous en réjouissons et suivrons avec attention les travaux qui seront menés sur ces problématiques.
Avant de conclure, je voudrais saluer le travail précis et de qualité de notre rapporteure Marie-Pierre Monier sur ce texte qui, je l’espère, permettra d’ouvrir une véritable réflexion sur ces métiers essentiels.
Enfin, la création d’une mission d’information sur les modalités de financement et la mise à disposition d’AESH sur le temps de la pause méridienne et d’accueil périscolaire, autres points de difficulté importants, apportera peut-être des réponses complémentaires à cette reconnaissance. Nous serons très attentifs à ses conclusions.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera avec enthousiasme ce texte, en espérant qu’il sera le point de départ d’une vraie évolution pour les AESH et les AED. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en politique, la vertu est de mettre en cohérence son éthique de conviction et son éthique de responsabilité.
En soutenant l’adoption conforme, c’est-à-dire sans amendement, de cette proposition de loi, nous sacrifions un peu de notre esprit de responsabilité pour faire progresser la condition des accompagnants d’élèves en situation de handicap.
Puisqu’une unanimité de sagesse choisit la voie du petit pas, du compromis, plutôt que la quête du grand soir, vous comprendrez que le groupe RDSE se joindra à la légendaire modération sénatoriale. (Sourires.)
Comme nous ne reviendrons pas sur la forme du texte, j’exprimerai quelques réflexions sur le fond.
L’intégration scolaire des enfants porteurs de handicaps est une belle et noble idée. L’accompagnement de ces enfants par des AESH et des AED est également une belle intention.
L’école inclusive permet à ces enfants de progresser, de s’épanouir, à d’autres de s’enrichir, en côtoyant les différences et en les intégrant.
Dans certains cas, elle offre également des activités enrichissantes à temps partiel, parfois à temps complet, à des accompagnants qui n’avaient pas forcément envisagé de les exercer, lesquels perçoivent ainsi un complément de revenu familial utile et qui a du sens.
Pourtant, je sais que tout n’est pas toujours aussi idyllique, et que la précarité de ces emplois et la lourdeur des tâches peuvent mettre en souffrance celles et ceux qui les subissent.
De fait, le balancier de l’école inclusive a peut-être trop penché dans un sens. Certains handicaps sont trop lourds pour l’inclusion scolaire, même accompagnée au mieux. Ils mettent en souffrance l’enfant, l’accompagnant, les autres enfants de la classe et les enseignants.
Ce remarquable dispositif d’inclusion ne convient pas à tous les handicaps. Les associations de familles d’enfants porteurs de handicaps nous alertent, madame la ministre, sur le besoin de places supplémentaires en institut médico-éducatif (IME), structure qui répond davantage aux besoins de handicaps plus lourds.
Une bonne orientation en IME, grâce à des places d’accueil disponibles, ou une inclusion à l’école, pour les handicaps compatibles, nous permettront de répondre à cette souffrance induite. Nous rendrons humainement supportable la tâche des accompagnants scolaires.
Enfin, j’en profite pour plaider en faveur de la prise en main des AESH et des AED par les départements, au travers de leur MDPH, pour une gestion cohérente et de proximité du handicap par leurs services médico-sociaux, lesquels assurent déjà le dépistage et l’accompagnement social des familles.
C’est un des domaines dont il faut « délester » l’éducation nationale, qui doit être plus ouverte aux collaborations avec les collectivités locales en fonction de leurs compétences. C’est un autre chantier qu’il ne faut pas oublier.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner la proposition de loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation.
Comme cela a été indiqué, il s’agit de permettre aux AESH d’être recrutés en CDI au terme de leur premier CDD de trois ans, et aux assistants d’éducation ayant exercé pendant six ans leur activité d’être recrutés dans le cadre d’un CDI.
En 2022, on comptait plus de 135 000 AESH et environ 61 000 AED. La même année, le nombre d’enfants en situation de handicap accueillis en milieu ordinaire était de plus de 400 000.
Il faut souligner l’effort financier et l’effort de recrutement de l’éducation nationale ; les moyens sont importants. Pourtant, il existe un très fort décalage entre l’objectif annoncé par le Gouvernement sur l’inclusion scolaire et les résultats sur le terrain, un trop grand décalage entre l’augmentation des moyens humains et financiers en faveur de l’accompagnement des élèves en situation de handicap et le nombre croissant d’enfants dont les besoins ne sont pas, ou mal, couverts.
La promesse faite aux familles concernées par le handicap ne peut être tenue dans ces conditions.
Partout dans nos territoires, on rencontre heureusement des situations satisfaisantes grâce à des efforts ayant porté leurs fruits. Toutefois, de trop nombreux jeunes ne peuvent bénéficier de l’accompagnement humain dont ils ont besoin, faute de budget ou de personnel disponible.
De plus, les conditions de travail et le statut même d’AESH restent précaires, et trop peu attractifs. Par manque d’heures de travail, lesquelles se limitent en général à vingt-quatre heures par semaine, le niveau de rémunération est très faible. Il s’élève à environ 850 euros net par mois, même si une évolution est attendue dans les mois qui viennent.
Les AESH ne bénéficient pas toujours d’une formation adaptée et sont, souvent, mal intégrés à la communauté éducative.
À cela s’ajoute un point essentiel : des problèmes de dialogue entre l’éducation nationale, le médico-social et les MDPH. Ils entraînent des situations difficiles pour les accompagnants et les enfants suivis.
Dans mon département, j’ai eu connaissance de nombreux exemples d’AESH qui découvrent une semaine avant la rentrée scolaire le ou les établissements dans lesquels ils seront affectés, le nom de l’enfant en situation de handicap qu’ils suivront, et, surtout, la nature du handicap de l’enfant.
Dans ce contexte, comment une personne, quelle que soit sa bonne volonté, peut-elle accompagner de façon satisfaisante, sans formation ni préparation, un jeune autiste, puis, l’année suivante, un enfant scolarisé dans une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) ?
En complément, la loi pour une école de la confiance a mis en place les Pial. Cette nouvelle organisation du travail des AESH devait permettre de mieux répartir et coordonner leurs interventions en fonction des besoins et de l’emploi du temps des élèves en question.
Néanmoins, la réalité est tout autre. En effet, dans de nombreux départements, ces pôles gèrent plutôt la pénurie de moyens.
Quel bilan, madame la ministre, pouvez-vous établir de la réforme qui a installé les Pial sur tous les territoires ? L’idée d’un principe général de coordination était bonne, mais le manque de moyens détourne ces structures de leur mission.
Malgré la bonne volonté des pouvoirs publics, le système n’est pas pleinement satisfaisant, entraînant, comme cela a été souligné, un manque d’attractivité du métier d’AESH, des situations sociales difficiles, et un accompagnement des enfants en situation de handicap imparfait.
Une véritable réforme s’impose ; son objectif principal devra être de placer le parcours de l’enfant au centre du dispositif. On ne peut résumer la situation en se contentant d’affirmer que les établissements et instituts sont la bonne réponse à apporter alors que les moyens sont insuffisants. Il faut une analyse globale du parcours de vie de l’enfant.
Des questions se posent : l’éducation nationale est-elle actuellement le meilleur gestionnaire de l’inclusion scolaire, ou ne faut-il pas s’appuyer davantage sur le médico-social ? Comment améliorer le dialogue entre ces deux mondes ? Ils ont tout de même en commun l’intérêt de l’enfant accompagné. Comment améliorer l’organisation sur le terrain, et mettre en place un statut professionnel satisfaisant pour les AESH ? Comment rendre, en somme, ce métier attractif ?
De nombreuses questions dont la réponse à l’heure actuelle demeure en suspens.
Concernant la proposition de loi que nous examinons, notre groupe politique s’est beaucoup interrogé sur le vote à exprimer, car voter favorablement risquerait d’inscrire dans le marbre et ainsi valider la situation précaire de ces agents de l’éducation nationale.
Cela risque d’être un moyen de pérenniser un système qui, pour l’instant, est défaillant.
Malgré cela, pour envoyer un signe positif aux agents, dont nous reconnaissons la qualité du travail, nous voterons en faveur de cette proposition de loi, tout en exprimant un vœu fondamental : la mise en place d’une véritable réforme de l’inclusion scolaire.
Nous partageons cet objectif avec les auteurs du texte actuel. Les moyens doivent être mis sur la table, car les résultats attendus ne sont pour l’instant pas satisfaisants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’école inclusive vise à assurer une scolarisation de qualité pour tous les élèves de la maternelle au lycée, partout et pour tous.
Cette belle ambition fait partie des priorités annoncées par le Président de la République pour le mandat en cours. Les accompagnants d’élèves en situation de handicap sont les pierres angulaires de la bonne intégration des élèves porteurs de handicap, raison d’être de l’école inclusive.
Pourtant, ces accompagnants vivent actuellement dans une situation de grande précarité. Cela n’est pas acceptable.
En moyenne, les AESH perçoivent un salaire moyen de 850 euros par mois, en deçà du seuil de pauvreté. Cette rémunération est évidemment insuffisante pour vivre décemment, et les oblige, parfois, à cumuler d’autres emplois à temps partiel. Le contexte inflationniste accentue la gravité de la situation et nous engage à agir.
Le 20 janvier 2022, la proposition de loi pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale. Jeudi dernier, le 1er décembre, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a également adopté le texte à l’unanimité. Je salue l’approche collégiale et transpartisane dont le Parlement a fait preuve.
L’article 1er ouvre la possibilité de recruter en contrat à durée indéterminée les AESH après trois ans d’exercice, c’est-à-dire à l’issue d’un seul contrat à durée déterminée. Par ce texte, nous déposons une première pierre pour l’amélioration des conditions de travail des accompagnants. Cette avancée est modeste, certes, mais elle va dans le bon sens.
Une contribution du Sénat à la loi visant à combattre le harcèlement scolaire a déjà permis de « CDIser » les assistants d’éducation à la suite de deux CDD.
Pourtant, certains chefs d’établissement refusent encore de mettre en pratique cette avancée sociale, comme le prouvent les remontées de terrain. Le vote de cette proposition de loi réaffirmera, je l’espère, ce dispositif pour endiguer la précarité dont souffrent les assistants d’éducation.
Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une revalorisation salariale, mais aussi la création de 4 000 nouveaux postes d’AESH à la rentrée scolaire 2023. L’augmentation des effectifs est une bonne chose, tant les besoins sont en augmentation constante.
À ce jour, 44 % des élèves en situation de handicap ne bénéficient pas d’un accompagnement humain, pourtant essentiel pour les assister dans les pratiques quotidiennes, le travail scolaire et les activités relationnelles. Derrière ce taux abstrait, des milliers de jeunes sont privés de la présence d’un accompagnant à leurs côtés.
Pour autant, ces mesures ne peuvent nous satisfaire tant les enjeux sont immenses en matière d’amélioration des conditions de travail, de développement du recours aux temps plein et de rémunération. La grande disparité des situations observées en fonction des territoires nous interpelle, et souligne l’urgence de l’harmonisation des pratiques.
Enfin, la question de l’accès à la formation est essentielle, tant pour les AESH eux-mêmes que pour les jeunes en situation de handicap nécessitant un accompagnement spécifique.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. Il appelle à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Cette proposition de loi doit marquer le lancement d’un débat d’ampleur sur l’accueil des enfants en situation de handicap à l’école. À ce titre, nous serons attentifs aux travaux prévus en amont de la Conférence nationale du handicap, annoncée pour le printemps 2023. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE.)
M. Joël Guerriau. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. La situation des accompagnants d’élèves en situation de handicap dans notre pays est un scandale absolu. Je le répète : absolu.
Plus de 130 000 femmes, la profession étant féminine à 93 %, exercent une mission indispensable auprès des enfants en situation de handicap. Sans leur travail, ces élèves ne pourraient pas suivre une scolarité comme les autres. Nous parlons donc ici de ce qui relève de l’essentiel, du non négociable, de quelque chose de vital pour notre pacte républicain.
Bien qu’elles œuvrent au service d’une politique indispensable, pour une école ouverte à toutes et tous, ces assistantes sont méprisées par l’État employeur. Comme bon nombre de travailleuses et de travailleurs essentiels, les AESH exercent leur mission dans des conditions indignes. Leur salaire moyen se situe autour de 800 ou 850 euros par mois, bien en dessous de tous les seuils de pauvreté, relatifs ou absolus.
Cette faible rémunération est en grande partie due à une incapacité systémique de ces femmes à travailler à temps plein. L’organisation du travail, notamment parce que les Pial recouvrent des aires trop importantes, ce qui les contraint ces personnels à une mobilité importante, ne permet pas d’atteindre les 35 heures. En moyenne, les AESH passent 24 heures par semaine auprès de leurs élèves. Le reste du temps, elles le passent sur les routes. Seulement 2 % des AESH sont à temps complet – 2 % !
Leur statut, ou plutôt l’absence de statut, est devenu un enjeu de premier ordre. Quelque 80 % des AESH accumulent les CDD, ce qui les plonge dans une grande précarité subie.
Si nous ajoutons à cela une faible formation, souvent une exclusion de l’équipe pédagogique et des incertitudes bureaucratiques pour savoir qui de l’État ou des collectivités doit prendre en charge les temps périscolaires, voilà réunies toutes les conditions pour saper, pour décourager, à petit feu, une profession tout entière.
Ce n’est pas du catastrophisme, car le système actuel des AESH nous montre de premiers signes d’effondrement. On compte dans notre pays deux fois plus d’enfants en situation de handicap ayant besoin d’une aide humaine que d’AESH. Dès lors, ces enfants se retrouvent bien souvent sans solution, à tel point que les familles qui le peuvent ont désormais recours à des AESH privés pour pallier les manques. Cette rupture d’égalité est insupportable, symptomatique de l’urgence de la situation.
Vient ensuite la question des AED. Si leur situation est moins critique que celle des AESH, elle doit aussi nous alerter.
Cette profession était pensée au départ comme une première immersion dans la communauté éducative pour des jeunes qui auraient vocation à se présenter ensuite aux concours de conseiller principal d’éducation (CPE) ou de professeur. Or, à l’heure actuelle, seuls 15 % des AED s’engagent dans cette voie ; moins d’un tiers sont des étudiants. Par conséquent, il s’agit de personnes pour qui être AED devient peu à peu le métier alors que la profession est tout aussi précaire que celle des AESH.
Voilà comment l’on traite à présent le personnel de l’éducation nationale. Dès lors, que faire ?
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’attaque à un premier problème : le statut. Certes, elle s’y attaque à la marge, mais ce n’est pas la faute de ses auteurs.
Revenons en décembre 2021 : le groupe socialiste, à l’Assemblée nationale, dépose un texte prévoyant le recrutement des AESH en CDI, avec un coefficient de pondération de 1,2 pour reconnaître le temps de préparation. Pour les AED, il est prévu une possibilité de recrutement en CDI, et une obligation de les recruter sous ce type de contrat au bout de six ans ; un taux d’encadrement minimal est également arrêté. Pour les AESH et AED, il est enfin prévu l’accès aux primes accordées aux agents travaillant dans les REP ainsi qu’aux primes REP+.
Le texte qui arrive aujourd’hui devant nous a été largement vidé de sa substance après son passage à l’Assemblée, la faute à une majorité présidentielle, très large à l’époque, qui trouvait que le texte allait trop loin.
Le texte actuel prévoit seulement que les AESH peuvent être recrutés en CDI dès la fin de leur premier contrat de trois ans, et que les AED peuvent être recrutés sous ce même type de contrat au bout de six ans. Toutes les dispositions relatives à l’encadrement et à la pondération sont supprimées. Comble de l’ironie au sujet des AED : l’article ne change strictement rien à la législation. Nous en venons simplement à espérer une confirmation du droit actuel par la ministre en séance… Drôle de façon de légiférer, ou plutôt de ne pas légiférer.
Oui, le groupe écologiste votera en faveur de ce texte, car nous saluons chaque pas en avant, nous profitons de chaque avancée, si infime soit-elle, pour améliorer le sort des personnels de l’éducation. En revanche, nous regrettons très vivement les manœuvres politiques menées pour le vider de sa substance. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Nous vivons dans un pays, la France, souvent tenté par la division, accoutumé à la polémique. Pourtant, un sujet fait consensus : le droit fondamental à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap.
Depuis la loi de 2005, adoptée sous l’impulsion de Jacques Chirac, la prise en compte du handicap, sa prise en charge et son accompagnement sont désormais des priorités nationales et des défis pour chacun et chacune d’entre nous.
Depuis 2013, le principe de l’inclusion scolaire pour tous les enfants, sans aucune distinction, figure à l’article 1er du code de l’éducation.
D’énormes progrès ont été faits depuis ces dates. Pourtant, nous sommes encore loin d’être arrivés au bout du chemin.
Cette proposition de loi, déposée sur l’initiative du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation a été adoptée la semaine dernière à l’unanimité par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, sans aucune modification.
Elle ne constitue probablement pas une grande avancée, mais elle est un premier pas dans la bonne direction. Elle est aussi un message positif envoyé en direction des AESH, qui travaillent au quotidien dans des conditions difficiles à l’accompagnement des enfants en situation de handicap.
C’est pourquoi les élus du groupe Les Républicains et apparentés voteront en sa faveur, comme, je l’espère, l’ensemble des membres de notre assemblée.
Nous souhaitons aussi que ce texte soit voté conforme, afin qu’il puisse rapidement être mis en œuvre. En effet, la tentation de l’amender, que nous avons tous eue, à un moment ou à un autre, le condamnerait, en vérité, à se perdre dans une nouvelle navette parlementaire, à l’issue lointaine et incertaine.
Je remercie particulièrement notre collègue Marie-Pierre Monier, rapporteure de ce texte, pour le travail et les échanges qui ont été les nôtres lors des auditions auxquelles j’ai eu le plaisir de participer. Elles nous ont permis d’approfondir le sujet, en allant bien au-delà du texte qui nous rassemble aujourd’hui.
Par ailleurs, j’aurai l’honneur dans les prochaines semaines de prolonger ce travail au sein d’une mission spécifique que je mènerai au nom de la commission de la culture. Je remercie donc au passage le président Laurent Lafon et mon collègue Max Brisson pour leur confiance.
Notre pays compte actuellement 430 000 enfants scolarisés reconnus en situation de handicap. Ce chiffre a quadruplé durant les vingt dernières années. Ils représentent environ 3,5 % de l’ensemble des effectifs scolaires, soit, en moyenne, un enfant par classe.
Le ministère de l’éducation nationale emploie 130 000 AESH, faisant d’eux, après les enseignants, le deuxième métier le plus important relevant ce ministère. J’utilise le mot « métier » à dessein, car il est grand temps, justement, de faire de ces missions d’AESH un véritable métier.
Il est temps de passer d’une logique purement quantitative à une approche plus qualitative. Il est temps, madame la ministre, de mettre enfin de la justice, de l’ordre et de l’organisation dans l’accompagnement des enfants et des adolescents concernés.
N’oublions pas que, au cœur de ce débat, l’objectif visé est la réussite de la scolarisation des enfants en situation de handicap. Pour cela, l’aide humaine est essentielle et nécessaire.
Néanmoins, elle ne doit pas être l’unique réponse pour garantir l’inclusivité de l’école. D’autres solutions et moyens supplémentaires sont nécessaires pour que l’environnement pédagogique permette cette inclusion scolaire : adapter le matériel pédagogique, les espaces d’enseignement, mais aussi la pédagogie elle-même, améliorer la formation des enseignants.
De plus, mon collègue Philippe Mouiller l’a rappelé, le lien avec le secteur médico-social est incontournable. Il constitue probablement une condition sine qua non de la réussite de cet accompagnement dans les années futures.
Au sujet de l’accompagnement humain, il n’est pas concevable de poursuivre dans la voie actuelle, avec un système complexe, flou, sans véritable cadre national pour le recrutement des agents ou l’affectation auprès des enfants. La différenciation est trop faible pour adapter les agents à l’accompagnement collectif ou individualisé nécessaire au suivi de chaque enfant.
Nous ne pouvons poursuivre avec un système qui s’appuie sur des agents désormais très nombreux, mais qui sont insuffisamment accompagnés pour se professionnaliser et être mieux formés. Ils se retrouvent, dans une énorme proportion, enfermés dans une situation de précarité indigne de l’État.
L’accélération de la « CDIsation » permettra de donner un peu plus de stabilité et d’accorder un début de reconnaissance. Il reste encore de nombreuses autres questions en suspens, particulièrement depuis que le Conseil d’État – à la demande du ministère de l’éducation nationale, rappelons-le – a scindé l’organisation du temps scolaire et du temps périscolaire entre l’État et les collectivités, revenant sur la règle, qui semblait acquise jusqu’ici, selon laquelle tout ce qui concourt à l’inclusion scolaire est de la compétence de l’État. Cette décision a été lourde de conséquences, pour les collectivités comme pour les AESH.
Du reste, j’ai appris ce matin fort opportunément par le ministre de l’éducation nationale qu’une circulaire allait, dans les tout prochains jours, être signée afin de permettre la prise en charge des AESH par un employeur unique ; ils bénéficieront ainsi d’un seul contrat. Plusieurs problèmes seront ainsi réglés.
Les collectivités attendent fortement cette décision. Nous étions nombreux à espérer cette avancée. Toutefois, il est nécessaire, à présent, de mettre sur le métier la réforme de la professionnalisation des AESH. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Toine Bourrat applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation
Article 1er
(Non modifié)
L’article L. 917-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « peuvent être » sont remplacés par le mot : « sont » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « peuvent également être » sont remplacés par les mots : « sont également » ;
3° Le sixième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un décret définit les conditions dans lesquelles, lorsque l’État conclut un nouveau contrat avec une personne ayant exercé pendant trois à six ans en qualité d’accompagnant des élèves en situation de handicap en vue de poursuivre ses missions, le contrat peut être à durée indéterminée. » ;
4° (Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article.
Mme Françoise Gatel. Je salue cette initiative : le sujet est important, et même essentiel. À cet égard, je remercie le président Laurent Lafon et Max Brisson, ainsi que Cédric Vial, d’avoir accepté cette mission qui vient d’être à l’instant évoquée.
Je reviens sur la réflexion menée à l’occasion de la discussion de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, au sujet de l’efficacité de l’action publique. De fait, le sujet dont nous parlons relève d’une chaîne de décisions dont la mise en œuvre est inopérante.
La décision d’accompagnement d’un enfant handicapé relève – je le rappelle – de la MDPH. Cette dernière la signifie à l’éducation nationale, qui, à tout moment de l’année, sollicite des crédits auprès de l’agence régionale de santé (ARS) compétente. Pourtant, les communes se retrouvent dans un vide sidéral, car elles ne disposent pas des ressources pour payer les AESH, pour des raisons diverses et variées.
Il faut améliorer l’organisation du système, professionnaliser et sécuriser tant ces assistants remarquables que les enseignants, afin de rendre la profession plus attractive. Ces mesures le permettent.
Toutefois, j’aimerais que l’on poursuive la réflexion en envisageant un transfert de compétences – sous réserve, naturellement, du volontariat et d’un transfert de moyens – aux seuls départements, à titre expérimental, afin de créer des services mutualisés mis à disposition de l’éducation nationale et des communes.
Chacun d’entre nous connaît la situation des communes éloignées des villes qui sont contraintes de trouver pour l’heure du déjeuner, c’est-à-dire une heure et demie, des AESH afin d’accompagner les enfants. Cela ne relève même pas du miracle, c’est simplement impossible !
Je vous remercie à nouveau, monsieur le président Lafon, d’avoir ouvert la réflexion ; nous creusons des pistes de notre côté. Nous continuerons en ce sens dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation que le président Larcher a réuni.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.
M. Daniel Salmon. Je salue également cette proposition de loi, mais je voudrais faire un pas de côté. Depuis des années, on constate une explosion du nombre de dossiers déposés sur le bureau des MDPH, mais aussi une explosion des cas de troubles du comportement et de l’apprentissage.
Les études s’empilent. Les responsabilités sont plurielles, mais deux responsables ressortent particulièrement parmi tous ceux que nous connaissons : d’une part, le temps passé devant les écrans, d’autre part, les perturbateurs endocriniens.
Si nous ne traitons pas de cette explosion des cas, nous ne nous en sortirons pas. Certes, nous cherchons actuellement à équilibrer le budget, car tout cela a un coût, mais je propose que les responsables de ces perturbations soient également les payeurs. Instaurons des taxes sur ces causes d’altération de la santé mentale de nos enfants.
La situation actuelle relève de la maltraitance envers les AESH, les AED, les enfants et les parents, laquelle est palpable. Il faut en sortir, et, pour cela, il va falloir un budget important, mais aussi traiter le problème à la source. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, sur l’article.
M. Philippe Mouiller. Je reviens brièvement sur le propos de M. Salmon. Sans m’attarder sur ses motivations, je relèverai seulement un détail : si, au cours de nos débats au Sénat, nous considérons le handicap comme la conséquence d’autre chose, une maladie, alors, dans ce cas, il faudra tout revoir et tout refaire !
Je tenais à le préciser. Le handicap peut résulter d’une maladie, mais il relève avant tout de situations données. L’inclusion, c’est l’intégration de cette différence et non pas celle d’une simple maladie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Billon, M. Lafon, Mme de La Provôté, MM. Hingray, Kern, Laugier et Levi et Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce décret précise les conditions dans lesquelles les accompagnants des élèves en situation de handicap, recrutés sur contrat à durée indéterminée, bénéficient d’une formation continue répondant aux objectifs fixés dans le cahier des charges national susmentionné.
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. J’ai évoqué cet amendement d’appel, comme d’autres intervenants, au cours de la discussion générale.
Il tend à insister sur la formation, qu’elle soit initiale ou continue. À ce titre, nous avons constaté au cours de nos auditions, tout comme vous, madame la rapporteure, que certains départements sont exemplaires, quand d’autres mettent en œuvre une formation à géométrie très variable.
La « CDIsation » est importante ; c’est même un pas essentiel, nous l’avons tous reconnu, vers la reconnaissance de ce métier. Néanmoins, à long terme, nous ne pouvons concevoir cette « CDIsation » sans une formation solide, obligatoire et efficace, qu’elle soit initiale ou continue. La « CDIsation » ne fera pas tout en matière de reconnaissance de ce métier essentiel.
Monsieur le président Lafon, nous avons discuté en commission. Je connais la position de la rapporteure sur l’amendement. Nous partageons le même constat ; nous sommes tous d’accord pour faire le premier pas vers les AESH, mais il n’est pas suffisant.
Madame la ministre, j’attends de savoir ce que sera l’acte II : qu’allez-vous proposer à la suite de ce texte ? Comme le disait Céline Brulin au cours de la discussion générale, tous les amendements au projet de loi de finances qui apportaient des améliorations pour les AESH ont été balayés d’un revers de main. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. À partir du moment où l’on « CDIse », il est vrai qu’une formation est nécessaire. Au cours de nos auditions, nous nous sommes rendu compte que, d’un département à l’autre, les formations mises en place n’étaient pas les mêmes ; je le confirme.
Néanmoins, cette nécessité de formation est déjà inscrite dans la loi. Le bénéfice d’actions de formation continue est formulé dans l’article L. 917-1 du code de l’éducation.
Le problème n’est pas tant l’absence de règles de niveau législatif que les difficultés qu’on rencontre pour les appliquer sur le terrain. Il revient aux services académiques de veiller à l’effectivité de l’accès des AESH à la formation continue, en particulier aux modules de formation spécifiques à l’accompagnement des élèves en situation de handicap, prévus dans les plans académiques et départementaux de formation.
Cet amendement, madame la ministre, est pour ses auteurs l’occasion de mettre en garde sur la nécessité de garantir véritablement l’efficacité des formations.
Néanmoins, ma chère collègue, je vous demanderai le retrait de cet amendement. Le cas échéant, l’avis serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour vous remercier de la richesse de notre débat, qui a montré que nous étions unanimes à considérer les AESH comme des personnels précieux.
Nous devons donc conforter leur statut – il doit leur permettre d’accomplir plus sereinement leurs missions – et renforcer l’attractivité de leur métier qui est si important pour que les enfants en situation de handicap accèdent à l’autonomie.
Je veux aussi vous confirmer que nous avons lancé la préparation de la conférence nationale du handicap et que des groupes de travail se réunissent, y compris au sein du ministère de l’éducation nationale, notamment pour amorcer le deuxième acte de l’école inclusive.
Des parlementaires participent à ces groupes de travail et je les encourage à vous transmettre des informations au sujet de nos réunions.
Nous sommes pleinement mobilisés pour rapprocher le médico-social de l’éducation nationale ; je crois que c’est un élément important pour nous faire avancer sur la voie de l’école inclusive.
Nous avons déjà bien avancé et nous pouvons nous réjouir du fait que 2,5 fois plus d’enfants en situation de handicap entrent aujourd’hui dans le secondaire, ce qui montre que les élèves qui entrent en primaire poursuivent leur scolarité. D’ailleurs, le nombre de ces enfants qui passent le brevet des collèges et le baccalauréat augmente de manière importante.
Par conséquent, il me semble que l’école inclusive est déjà une réussite, même si elle reste imparfaite et que nous devons poursuivre nos efforts inlassablement. Pour nous améliorer encore, nous devrons peut-être avoir une organisation différente.
Avant de répondre plus directement à Mme Billon, je le redis, nous sommes très mobilisés et nous avons besoin de vous pour faire progresser l’école inclusive.
En ce qui concerne la question de la formation soulevée par cet amendement, c’est évidemment un sujet essentiel tant pour les AESH que pour les enseignants et l’ensemble des agents qui travaillent dans les écoles, y compris les agents des collectivités locales. Chacun doit être sensibilisé au handicap et à la façon de se comporter avec ces enfants et de prendre en charge les différentes situations qui peuvent se présenter.
Les AESH bénéficient de soixante heures de formation au moment de leur prise de poste et le code de l’éducation prévoit qu’ils peuvent suivre des formations continues – Mme la rapporteure en a parlé.
Il est très important que ces agents soient formés – je pense à la formation initiale comme à la formation continue. L’accès à cette dernière doit être renforcé et effectif et celle-ci doit avoir lieu au bon moment. Nous aurions aussi intérêt à ce que certaines de ces formations se fassent en commun avec les enseignants pour améliorer l’intégration des AESH dans les équipes éducatives.
Vous le voyez, je partage les préoccupations qui ont été évoquées. Sachez que le ministère de l’éducation nationale travaille sur ce sujet.
Pour autant, je demande le retrait de cet amendement, parce que les mesures en vigueur permettent déjà de préparer les AESH à leur entrée dans le métier et de développer ensuite leurs compétences. Cela est clairement inscrit dans le code de l’éducation.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Le sujet de la formation est évidemment important ; nous en avons tous conscience.
Madame la ministre, je voudrais attirer votre attention sur trois points et je souhaiterais que vous en fassiez part au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Tout d’abord, la formation des enseignants doit changer d’échelle, puisqu’en raison de la massification de l’inclusion ils seront tous confrontés à un moment ou à un autre à la présence d’enfants en situation de handicap.
Ensuite, alors que les collectivités locales sont elles-mêmes dans l’obligation d’embaucher du personnel pour accompagner ces enfants, les agents concernés des collectivités doivent eux aussi bénéficier de formations. Aujourd’hui, la fonction publique territoriale ne prévoit pas de statut pour ces agents – on les recrute en fait comme adjoints techniques ou adjoints d’animation – et il faut que les formations organisées par l’éducation nationale leur soient ouvertes. Certains rectorats le font, mais pas tous. Surtout, les élus et les agents ne reçoivent pas vraiment d’informations à ce sujet ; ils ne sont donc pas au courant.
Enfin, la formation à la prise de poste reste très variable selon les endroits et elle arrive souvent trop tardivement, puisqu’elle doit simplement être dispensée durant la première année.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. Absolument !
M. Cédric Vial. On envoie donc des AESH devant des élèves sans aucune formation.
Si nous voulons professionnaliser ce métier, il faut une formation initiale préalable à la prise de poste. Il faut aussi développer la formation continue et l’adapter aux différentes situations de handicap que vont rencontrer les AESH.
J’insiste, en conclusion, sur l’importance de communiquer auprès des collectivités locales sur les formations dispensées par l’éducation nationale.
Mme la présidente. Madame Billon, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
Mme Annick Billon. Non, je vais le retirer, madame la présidente.
Comme le disait à l’instant Cédric Vial, il ne peut y avoir professionnalisation sans formation. Or nos auditions ont montré que les dispositions inscrites au code de l’éducation sont appliquées de manière très inégale selon les territoires – on pourrait même dire que c’est à géométrie variable ! De plus, le code parle d’une formation « spécifique », ce qui n’est pas suffisamment précis.
Et la situation est la même pour la formation initiale comme pour la formation continue, où les disparités sont très fortes. C’est pourquoi nous resterons mobilisés sur ce sujet.
Vous avez pu entendre, madame la ministre, que nous partageons tous ici les mêmes constats, quels que soient les groupes auxquels nous appartenons, ainsi que le combat pour un acte II de l’école inclusive.
La mission d’information de la commission de la culture, à laquelle j’ai participé avec Marie-Pierre Monier et Max Brisson, a fait des propositions. Emparez-vous, madame la ministre, de tout le travail que le Sénat a déjà réalisé ! Les constats ont été dressés ; nul besoin de prendre encore des mois pour avancer concrètement !
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Billon, M. Lafon, Mme de La Provôté, MM. Hingray, Kern, Laugier et Levi et Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du cinquième alinéa, après les mots : « formation spécifique », sont insérés les mots : « , initiale et continue, ».
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Cet amendement va dans le même sens que le précédent et je vais le retirer, madame la présidente, pour gagner du temps. Beaucoup de collègues, y compris Mme la rapporteure, auraient aimé déposer des amendements sur ce texte et nous sommes tous un peu frustrés. Nous devons malheureusement accepter d’avancer à petits pas… (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article L. 916-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « peuvent être » sont remplacés par le mot : « sont » ;
2° (Supprimé)
3° Le cinquième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un décret définit les conditions dans lesquelles l’État peut conclure un contrat à durée indéterminée avec une personne ayant exercé pendant six ans en qualité d’assistant d’éducation, en vue de poursuivre ses missions. » ;
4° et 5° (Supprimés) – (Adopté.)
Article 3
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Je voudrais d’abord remercier notre rapporteure, Marie-Pierre Monier, de son travail extrêmement rigoureux sur cette proposition de loi. Elle a organisé des auditions particulièrement intéressantes.
Je voudrais également remercier tous nos collègues qui se sont exprimés et grâce auxquels nous nous dirigeons vers un vote conforme – nous ne pouvons que nous en féliciter. J’ai d’ailleurs une pensée pour Michèle Victory, l’auteure de ce texte.
Cette proposition de loi est un premier pas qu’il faut saluer. Son adoption nous engage à continuer de travailler sur les questions de statut, de rémunération, d’organisation ou encore, chère Annick Billon, de formation.
C’est aussi une marque de reconnaissance pour ces professionnels qui contribuent au quotidien à l’école inclusive : ils accompagnent les enfants, ils rassurent les parents, ils épaulent les enseignants.
Nous avons senti que le ministre de l’éducation nationale voulait aller plus loin. Nous nous en félicitons, mais malheureusement il n’a guère donné de signes d’ouverture, singulièrement pendant l’examen du projet de finances, puisque beaucoup de nos amendements portant sur les AESH ont été rejetés.
Madame la ministre, si le Gouvernement veut aller plus loin, il faut qu’il le montre, et très vite ! En tout cas, le Sénat va continuer à travailler sur ces questions.
Cette proposition de loi, je le répète, est un premier pas, mais je crois que c’est une belle étape et je veux tous vous en remercier, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je voudrais d’abord exprimer ma satisfaction à l’idée que le Sénat vote cette proposition de loi – ce sera le cas dans quelques instants et, je l’espère, à l’unanimité.
Naturellement, nous sommes tous un peu frustrés, puisque nous n’avons pas pu l’enrichir par nos amendements, mais l’esprit de responsabilité nous pousse à voter ce texte conforme, même si nous aurions souhaité aller au-delà.
Je précise – c’est une parenthèse – qu’il ne faudrait pas que cela devienne une habitude. La navette parlementaire doit garder tout son sens, y compris dans le contexte particulier que vit l’Assemblée nationale en ce moment, et l’initiative sénatoriale ne doit pas être freinée par ces circonstances.
Je voudrais saluer le travail réalisé par notre rapporteure, Marie-Pierre Monier. Le constat qu’elle a dressé a réuni tous les membres de la commission comme du Sénat. Or ce constat est inquiétant : des efforts ont été faits – je ne les nie pas – par l’État, en particulier par l’éducation nationale, en termes de nombre d’AESH et d’organisation ; pourtant, celle-ci reste imparfaite et le résultat n’est pas encore satisfaisant pour les familles et les enfants.
Le résultat n’est pas non plus satisfaisant pour le personnel, en particulier pour les AESH eux-mêmes.
Nous devons donc continuer de travailler avec l’État sur ce sujet ; c’est l’objectif de la mission que nous avons confiée à Cédric Vial.
Nous connaissons les forces et les faiblesses de l’éducation nationale. Nous connaissons cette capacité à monter en puissance et à gérer 130 000 agents. Nous connaissons aussi ses faiblesses, notamment les disparités qui existent d’un territoire à l’autre, d’un département à l’autre – c’est un point qui ressortait clairement du constat dressé par Marie-Pierre Monier et sur lequel nous serons très attentifs, madame la ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Mme Victoire Jasmin. J’ai une pensée, à cet instant, pour les familles, car nous parlons bien d’elles ici. Et c’est aussi pour elles que je souhaite que nous allions plus loin.
C’est la loi du 11 février 2005 qui a fixé le principe de l’inclusion en milieu scolaire ordinaire, mais beaucoup d’enfants ne peuvent toujours pas aller à l’école en l’absence de réponse adaptée à leur situation. Il est vrai qu’il existe une grande diversité de handicaps. Nous devons donc continuer de travailler pour répondre à toutes les familles.
Nous allons adopter aujourd’hui une avancée, mais beaucoup de questions posées par les AESH ne trouvent toujours pas de réponses. Comme le disait Annick Billon, la loi prévoit un certain nombre de choses, mais tout cela n’est pas toujours appliqué sur le terrain. Il n’y a pas vraiment eu d’évaluation et nous avons besoin d’un référentiel métier qui couvre l’intégralité des handicaps.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Le groupe Union Centriste votera la proposition de loi. C’est une première reconnaissance pour les AESH et les AED, qui seront peut-être ainsi davantage intégrés dans les équipes éducatives. Ils y ont toute leur place, ce qui n’est pas forcément bien le cas aujourd’hui.
J’ai souhaité insister sur la question de la formation, parce que celle-ci est essentielle lorsqu’on doit accompagner des élèves en situation de handicap – ils méritent une attention particulière et cela ne s’improvise pas ! C’est encore plus vrai, lorsqu’on doit accompagner des enfants dont les handicaps sont différents.
Je voudrais aussi revenir sur la féminisation de ces professions. La délégation du Sénat aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a organisé des auditions sur les femmes et le travail et les études montrent que, lorsqu’une profession se féminise, les conditions de travail et de rémunération se dégradent.
En outre, dans ces métiers, beaucoup de femmes sont dans des situations difficiles et s’occupent seules de leurs enfants, alors même que les salaires qu’elles perçoivent ne permettent pas de faire vivre une famille. Ce n’est pas notre rapporteure, qui est très engagée dans les travaux de notre délégation, qui me contredira.
Je voudrais aussi revenir sur ce que disait précédemment notre collègue Françoise Gatel au sujet de la décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020. Un chef d’établissement m’a adressé un message sur la question de la pause méridienne, en m’interpellant sur la situation des établissements privés sous contrat, qui ne pourront bénéficier de l’assistance des collectivités, rendue nécessaire par cette décision : ils devront peut-être favoriser des solutions différentes qui ne seront pas satisfaisantes en termes d’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.
M. Cédric Vial. Le groupe Les Républicains est très heureux de l’adoption – probable – de ce texte déposé par nos collègues socialistes. C’est l’honneur du Sénat de montrer qu’un tel sujet d’intérêt général peut dépasser le cadre partisan et tous nous rassembler.
Au-delà de son caractère juridique, ce texte est aussi, d’une certaine façon, une « carte postale » que nous adressons aux AESH pour leur dire que nous avons conscience du problème et que nous pensons à eux.
Pour autant, madame la ministre, le problème reste entier et nombre de sujets doivent encore être réglés : le statut, la formation, l’accompagnement global, le lien avec le médico-social et les MDPH, etc.
Il n’est pas possible de gérer plus de 130 000 agents sans une organisation robuste, un cadre national ou un référentiel métier. Nous devrons absolument reparler de ces sujets.
Nous n’échapperons pas non plus à la question, pas seulement sémantique, soulevée tout à l’heure par notre collègue Philippe Mouiller : le rôle des AESH est-il d’accompagner la scolarité ou le handicap ? Répondre à cette question a des conséquences juridiques en termes de responsabilité et de professionnalisation.
Nous devons débattre de toutes ces questions et trouver des solutions. Au fond, nous devons savoir quel accompagnement nous voulons pour les enfants en situation de handicap dans une école inclusive. (M. Philippe Mouiller et Mme Françoise Gatel applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Je voudrais à mon tour confirmer que le groupe CRCE va voter ce texte.
La situation des AESH doit être considérablement améliorée et, pour cela, nous devons aller au-delà de cette proposition de loi. Ce sont des sujets que nous abordons régulièrement en commission et je suis heureuse de voir qu’ils intéressent aussi d’autres collègues.
Je partage ce qui a été dit sur la nécessité d’une formation initiale comme d’une formation continue. Ces formations doivent aussi impliquer les enseignants afin que les AESH soient partie intégrante de la communauté éducative et reconnus comme tels.
Je voudrais aussi évoquer la question des rémunérations. Madame la ministre, vous avez dit que les AESH constituaient maintenant la deuxième profession de l’éducation nationale en termes d’effectifs. Il n’est pas concevable que ces agents soient rémunérés en dessous du seuil de pauvreté, ce qui est le cas même en prenant en compte les mesures de revalorisation qui ont été prises !
Enfin, je voudrais insister sur la réalité du processus de « CDIsation ». On constate en effet, je le redis, que les choses ne sont pas aussi claires pour les AED : certes, le décret n’a été publié qu’au mois d’août, si bien qu’il était certainement difficile de l’appliquer dès la rentrée, mais le fait est que peu d’entre eux ont obtenu un CDI à ce jour. J’appelle donc le Gouvernement à la mobilisation et à adresser des consignes claires pour que la « CDIsation » se mette effectivement en place sur le terrain.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à lutter contre la précarité des accompagnants d’élèves en situation de handicap et des assistants d’éducation.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) - (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Équité territoriale face aux déserts médicaux et accès à la santé pour tous
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l’accès à la santé pour tous, présentée par Mmes Émilienne Poumirol, Annie Le Houerou et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 68, résultat des travaux de la commission n° 158, rapport n° 157).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme Émilienne Poumirol, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je présente aujourd’hui devant vous la proposition de loi que j’ai déposée avec ma collègue Annie Le Houerou et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l’accès à la santé pour tous.
« Déserts médicaux » : cette expression est aujourd’hui sur toutes les lèvres et au cœur des préoccupations de tous les Français. Nous connaissons les constats, je n’y reviendrai que succinctement, mais certaines réalités méritent néanmoins d’être rappelées.
Aujourd’hui, 11 % des Français, soit 6 millions de personnes, n’ont pas de médecin traitant ; parmi elles, c’est essentiel, 657 000 personnes sont en affection de longue durée. En outre, 72 % de la population française vit en zone sous-dense.
Et cette situation, nous le savons, va de se détériorer dans les années à venir. La projection des effectifs, établie par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé, fait état d’une diminution des effectifs jusqu’en 2024 et un retour au niveau actuel, donc insatisfaisant, seulement à l’horizon de l’année 2030.
Ce contexte est d’autant plus préoccupant que la croissance démographique et le vieillissement de la population induisent une hausse toujours plus importante des besoins en santé.
Je le dis en préambule, ce texte n’a pas vocation, à lui seul, à résoudre l’ensemble des difficultés d’accès aux soins dans notre pays.
La France connaît une pénurie profonde de médecins, spécialistes comme généralistes. Les gouvernements successifs, soutenus par les syndicats et l’ordre des médecins, ont adopté, dans une volonté de réduire les coûts de la santé, une politique de diminution de l’offre.
Ainsi, dans les années 1970, nous formions 10 000 médecins par an, puis 3 500 dans les années 1990. Nous en formons aujourd’hui 8 500.
Nous avons voté un numerus apertus dont l’efficacité, faute de moyens supplémentaires donnés aux universités, pose aujourd’hui question : à ce jour, l’augmentation réelle du nombre d’étudiants admis en deuxième année est à peine de 10 % !
Nos politiques de santé, tout comme les études en médecine, sont hospitalo-centrées et nous ont amenés à négliger les politiques publiques, notamment celles envers les territoires ruraux.
Aujourd’hui, les médecins sont issus des classes sociales supérieures et des métropoles. Ce manque de mixité sociale et territoriale nuit à une répartition plus équilibrée sur les territoires.
Nous avons organisé beaucoup d’auditions et rencontré nombre d’acteurs de terrain. Face à cette problématique multifactorielle, nous avons conscience qu’il n’existe pas de réponse simpliste, facile ou miracle, mais que la réponse repose sur un ensemble de mesures coordonnées qui permettront d’améliorer de façon pérenne l’accès aux soins.
Nous sommes convaincus qu’une réponse au problème des déserts médicaux doit reposer sur un équilibre entre tous les acteurs, c’est-à-dire les médecins, les étudiants, les collectivités territoriales, qui, chacun à leur niveau, sont impliqués dans la santé des Français.
La mise en place d’une année de professionnalisation en autonomie supervisée réalisée obligatoirement en zone sous-dense répond à la double ambition d’une meilleure reconnaissance de la spécialité de médecine générale et de la lutte contre les déserts médicaux.
Cette mesure permettrait de déployer rapidement 3 500 à 4 000 jeunes médecins généralistes dans les zones sous-denses, soit en moyenne 35 à 40 par département.
Nous avons entendu les craintes exprimées par les étudiants, mais je veux les rassurer : nous souhaitons respecter les jeunes médecins et leurs problématiques de vie. Nous voulons aussi qu’ils soient rémunérés à hauteur de ce qu’ils méritent.
Cette année de professionnalisation ne sera donc pas un simple stage. Ses modalités de mise en œuvre, dont la rémunération spécifique, seront négociées – j’insiste bien sur ce terme –, avec toutes les parties prenantes, et en particulier les organisations syndicales des étudiants de troisième cycle.
Il est primordial, pour assurer l’effectivité de cette mesure, qu’il y ait un réel intérêt pédagogique, tant sur la formation médicale elle-même que sur les modalités pratiques d’installation. Aussi, cette année sera accomplie avec un encadrement renforcé, assuré par des médecins maîtres de stage universitaire.
Cette proposition s’articule autour des départements, échelon le plus approprié, selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, pour organiser la réponse en santé dans les territoires.
Les étudiants choisiront leur futur lieu d’exercice sur une liste départementale établie par une commission d’affectation et d’accompagnement à l’exercice de l’année de professionnalisation. Celle-ci sera composée de représentants des universités, de l’ordre départemental des médecins, de l’ARS, ainsi que des élus locaux.
Les départements, comme c’est déjà le cas dans les Pyrénées-Atlantiques, avec Présence médicale 64, pourraient également gérer les conditions matérielles d’accueil des étudiants, ainsi que l’accompagnement dans l’installation définitive des jeunes médecins sur leur territoire.
L’exercice de la médecine a évolué et les jeunes médecins aspirent à un exercice en lien avec d’autres professionnels de santé. Néanmoins, aujourd’hui encore, un tiers des médecins généralistes exerce de manière isolée. Ce chiffre, bien loin des ambitions de « Ma santé 2022, un engagement collectif », nous amène donc à proposer de rendre l’exercice coordonné obligatoire dès 2026.
Aussi, l’article 2 de notre proposition de loi définit une nouvelle organisation de soins centrée sur un partage des tâches entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé, au travers de protocoles dûment établis par l’ensemble de l’équipe traitante.
Cette équipe traitante sera coordonnée par un médecin généraliste, responsable du diagnostic et de la prescription, et devra être la plus inclusive possible. Elle devra également être renforcée par des assistants médicaux et des infirmiers de pratique avancée.
L’exercice coordonné dans des équipes de soins primaires devra être le plus souple possible et pourra prendre la forme d’une simple convention d’équipe de soins primaires, ou, d’une manière plus complexe, d’une maison de santé pluriprofessionnelle, voire d’un centre de santé.
Ainsi, le partage des tâches permettra de dégager du temps médical en priorité pour les patients sans médecin traitant ou en affection longue durée (ALD) à ce jour. C’est essentiel à nos yeux.
L’exercice coordonné permet, en outre, une diversification de l’activité médicale : exercice mixte avec un temps partiel en libéral et un temps partiel salarié dans un hôpital de proximité, dans la recherche ou la prévention institutionnelle, type protection maternelle et infantile (PMI), par exemple. Cette perspective est de nature à attirer les jeunes.
Pour répondre aux besoins en santé des territoires, nous proposons également, avec l’article 3, de rétablir l’obligation de garde pour les médecins libéraux.
Depuis 2002 et la décision du ministre Jean-François Mattei de supprimer l’obligation déontologique de garde individuelle, on observe une érosion de la permanence des soins. Le volontariat n’est pas suffisant pour répondre à la demande. Malgré les revalorisations financières régulières de l’astreinte, seuls 38 % des médecins, toujours les mêmes, participaient, en 2021, à la permanence des soins ambulatoires (PDSA).
Pendant les horaires de fermeture des cabinets médicaux, en particulier après vingt heures ou le week-end, nos concitoyens n’ont comme seule ressource que d’aller à l’hôpital, et cette situation participe à l’engorgement des urgences hospitalières.
Face au désarroi de la population, qui se sent délaissée, il nous est apparu indispensable de réinstaurer une obligation de garde par bassin de vie pour assurer la continuité de l’accès aux soins. Cette mission sera assurée en collaboration avec les établissements de santé et en concertation avec les professionnels.
Depuis de nombreuses années, les différents contrats d’aide à l’installation ont été multipliés. Pourtant, malgré les sommes considérables mises en jeu, le résultat n’est pas à la hauteur. Il nous semble donc indispensable de mettre en place aujourd’hui une mesure forte de régulation à l’installation.
Il s’agit d’étendre aux médecins libéraux un dispositif qui existe déjà pour plusieurs autres professionnels de santé – sages-femmes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes.
La Drees confirme que ce type de dispositif apporte des résultats ailleurs dans le monde, par exemple au Canada.
Dans des zones définies par les ARS en concertation avec les syndicats médicaux, et dans lesquelles existe un excédent en matière d’offre de soins, un nouveau médecin libéral ne pourra s’installer en étant conventionné avec l’assurance maladie que lorsqu’un médecin libéral de la même zone cessera son activité.
Loin de remettre en cause la liberté d’installation, cette mesure a pour objectif de préparer l’avenir en orientant l’installation des médecins en fonction des besoins des territoires lorsque la démographie de la profession le permettra. En effet, aujourd’hui, au regard de la pénurie et du nombre de médecins partant à la retraite dans les cinq ans, cette règle sera très peu contraignante et n’entraînera pas, comme certains le prédisent, des vagues de déconventionnement.
Enfin, l’article 5 vise à rééquilibrer les conditions d’assujettissement aux cotisations sociales, les garanties de revenu et l’aide à l’installation : ces mesures doivent bénéficier de la même manière à la médecine salariée et à la médecine libérale. Les centres de santé sont souvent gérés et financés par les collectivités ou la Mutualité française et il convient de soutenir leur action en faveur de l’accès aux soins.
Je conclurai en rappelant notre responsabilité collective.
Comment pouvons-nous accepter le renoncement aux soins de nos concitoyens et la perte de chance que cela représente ? Comment accepter de renier notre promesse républicaine, le droit fondamental à la protection de la santé et l’égal accès aux soins ? Il s’agit d’un enjeu de santé publique et il est de notre devoir de trouver des solutions.
L’effondrement de notre système de soins, malgré l’implication de tous nos soignants, mérite une grande loi Santé. Celle-ci ne semble pas être à votre agenda, madame la ministre, ni même dans vos ambitions. À défaut, nous vous proposons un texte volontariste, pragmatique et rapidement opérationnel, répondant à la préoccupation majeure des Français. Mes chers collègues, si vous partagez nos propositions ambitieuses, je vous demande de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l’examen, dans son espace réservé, de la proposition de loi que nous avons déposée, avec notre collègue Émilienne Poumirol, et visant à lutter contre la désertification médicale de nos territoires. Le constat est connu et abondamment documenté : je n’y reviendrai donc que brièvement.
Notre pays connaît de graves difficultés de démographie médicale, qui sont appelées à perdurer une décennie, le temps nécessaire à la suppression du numerus clausus de produire des effets, et à la condition que le Gouvernement donne réellement les moyens aux universités pour assurer ces formations.
Les soins de premier recours sont particulièrement affectés. La France a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021, quand elle gagnait 2,5 millions d’habitants. Sur la même période, l’âge moyen de la population française a augmenté de deux ans, tandis que la prévalence des maladies chroniques s’est accrue de plus de deux points.
L’inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire exacerbe encore davantage la difficulté. Les données, récemment mises à jour par la Drees, montrent que les 10 % de la population les moins bien dotés ont accès en moyenne à une consultation médicale et demie par an et par habitant, contre une moyenne nationale de 3,4 consultations.
La qualification du territoire par les ARS retient que 72 % de la population vit en zone sous-dense.
Il serait inutile de disserter ici sur les causes de cette situation et les raisons d’un tel défaut d’anticipation par les pouvoirs publics et les médecins eux-mêmes. La responsabilité est partagée.
Il convient plutôt de trouver des solutions pour garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire, dans l’attente d’un retour à meilleure fortune en 2030. C’est à cet indispensable édifice collectif que la présente proposition de loi entend contribuer.
L’article 1er prévoit une année de professionnalisation à l’issue du diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale afin de bien préparer les médecins à l’exercice de la médecine de ville. Contrairement aux propositions déjà discutées voilà quelques semaines sur ces travées, c’est non pas une année de stage, mais une année complémentaire d’exercice médical qui est ici proposée. Elle sera assortie de conditions spécifiques visant à garantir son efficacité, notamment par des conditions de rémunération négociées.
Afin de garantir l’effectivité du dispositif, cette année d’exercice en autonomie progressive sera réalisée à l’issue du troisième cycle, obligatoirement en zone sous-dense. Il nous faut, sur ce point, tenir un discours de franchise et assumer de demander aux diplômés une contribution à l’effort collectif pour améliorer l’accès aux soins dans nos territoires.
Pour favoriser la construction de projets personnels, les jeunes médecins pourront librement choisir leur affectation sur des listes départementales établies en coordination entre les professionnels de santé, les autorités de santé et les élus. Ces derniers doivent pleinement être reconnus dans ce rôle et prendre leur part en créant des conditions d’accueil de qualité sur leur territoire pour répondre aux besoins de logement, d’accompagnement familial et personnel. C’est à cette condition que le dispositif favorisera l’installation.
En contrepartie, nous souhaitons que cette année de professionnalisation enrichisse véritablement le parcours des étudiants et valorise justement l’effort demandé. Les jeunes médecins bénéficieront d’un statut spécifique défini par décret, après négociation avec les organisations syndicales. Nous souhaitons qu’il se distingue nettement des statuts d’interne et de docteur junior, et qu’il donne accès à une rémunération attractive.
L’article 2 impose la constitution d’équipes de soins primaires (ESP) avec d’autres professionnels pour l’exercice de la médecine générale à compter de 2026. Il s’agit là de favoriser la coordination entre les professionnels de santé de premier recours et l’élaboration de projets de santé répondant aux besoins d’un territoire.
Ce dispositif n’a connu depuis 2016 qu’un succès limité : seules 220 ESP, en cours ou en projet, sont recensées par le ministère. Pourtant, l’exercice coordonné constitue un outil indispensable non seulement pour structurer le parcours de soins, mais aussi pour améliorer l’offre sur un territoire. Il accroît en effet l’attractivité de l’exercice en ville, surtout pour les jeunes médecins qui ne souhaitent plus s’installer de manière isolée.
La tendance est réelle ; il s’agit de l’amplifier pour gagner du temps.
Pour mieux répondre aux attentes des professionnels, le texte conforte les ESP dans leur vocation de dispositif souple, complémentaire des maisons de santé, centres de santé ou communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en prévoyant que les équipes pourront reposer sur une simple convention conclue entre les professionnels.
L’article 3 rétablit une obligation, pour les médecins, de participer à la permanence des soins ambulatoires lorsque la continuité de ce service public l’exige.
Le principe du volontariat individuel, qui prévaut depuis la suppression de l’obligation de garde au début des années 2000, ne permet plus d’assurer aujourd’hui une couverture satisfaisante de l’ensemble de nos territoires par la PDSA. Dans un contexte de démographie médicale déclinante et de désengagement, il faut le dire, de certains professionnels, il conduit également à concentrer l’effort sur les médecins volontaires. En 2021, d’après le ministère, seuls 38 % des médecins en moyenne participaient à la permanence. Là encore, les inégalités se creusent entre les territoires. Le Conseil national de l’ordre des médecins fait état, chaque année, de la progression des zones blanches et révèle que certains territoires ne sont plus couverts en soirée ou les week-ends.
Or la continuité de la PDSA est indispensable pour améliorer la prise en charge des patients comme pour désengorger les services d’urgence hospitaliers, dont l’embolie a encore été crainte l’été dernier. C’est d’ailleurs encore le cas à l’approche des fêtes de fin d’année.
C’est pourquoi le texte vise à renforcer la responsabilité collective des médecins en consacrant une obligation de continuité de la permanence, sans rétablir pour autant un mécanisme disproportionné et rigide de contrainte individuelle. Ainsi, il ne conduit pas à imposer une obligation de garde à chaque médecin sans évaluation préalable des besoins, notamment en nuit profonde. Il appartiendra, au contraire, aux agences régionales de santé, en lien avec l’ordre des médecins et les représentants des professionnels, de mesurer les besoins en soins non programmés pendant les horaires de fermeture des cabinets, de définir en conséquence la permanence nécessaire et, lorsque la continuité du service le justifie, d’appliquer l’obligation dans chaque territoire.
L’article 4 met en place un conventionnement sélectif dans les zones surdotées médicalement, de sorte qu’un médecin ne pourra être conventionné que si un praticien déjà installé cesse son activité.
Permettez-moi de répondre à quelques arguments régulièrement avancés pour refuser ce dispositif.
D’une part, nul ne prétend que ce mécanisme de conventionnement constituera le remède miracle pour orienter d’urgence les médecins vers les territoires les plus sous-dotés. Le dispositif s’insère dans un ensemble de mesures incitatives et évite surtout que les déséquilibres territoriaux ne s’accroissent davantage.
D’autre part, il convient de récuser les récriminations quant à une coercition excessive. Bien au contraire, les nombreux départs à la retraite à venir rendront ce dispositif rarement limitatif dans un premier temps. Il ne découragera nullement les vocations médicales et les exercices conventionnés. En revanche, l’application de ce conventionnement conditionnel est de bonne politique publique. Elle anticipe le dynamisme attendu de la démographie médicale et prépare ainsi une installation équilibrée des promotions d’internes plus importantes.
Enfin, l’article 5 propose que la distinction entre l’exercice libéral, d’une part, et l’exercice salarié en centre de santé, d’autre part, ne puisse suffire à fonder des différences dans l’octroi des aides conventionnelles visant à encourager l’installation des professionnels ou le maintien de leur activité dans des zones sous-dotées.
Les conventions entre l’assurance maladie et les professionnels prévoient toutes sortes de contrats incitatifs aux paramètres variables. Il ressort de ce paysage confus que les aides ne sont pas systématiquement défavorables aux centres de santé. Cependant, les contrats d’aide à l’installation des médecins sont clairement plus avantageux pour les médecins libéraux que pour les postes salariés en centres de santé. Nous proposons donc de mettre fin à cette inégalité de traitement, puisque les centres de santé concourent également, aux côtés de la médecine libérale, à l’accès aux soins de premier recours dans les zones sous-dotées.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à titre personnel, je suis favorable à cette proposition de loi. Le texte prend acte de la pénurie de médecins et propose d’atténuer ses effets. Il demande, pour cela, des efforts proportionnés aux étudiants comme aux médecins, et favorise l’indispensable coopération avec les autres professionnels de santé.
C’est seulement par les efforts conjugués, dans chaque territoire, des pouvoirs publics, des professionnels de santé, mais aussi, dans une certaine mesure, des patients, que nous pourrons préserver l’accès aux soins partout, sans concurrence néfaste entre collectivités ou entre professionnels de santé.
La commission des affaires sociales n’a toutefois pas adopté la proposition de loi. C’est donc le texte initialement déposé que nous nous apprêtons à examiner aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la Haute Assemblée examine cet après-midi une proposition de loi portant plusieurs mesures de lutte contre les déserts médicaux.
À l’Assemblée nationale comme au Sénat, les initiatives parlementaires se multiplient pour trouver des solutions face à cet enjeu clé pour nos concitoyens qu’est l’accès aux soins. Le premier des besoins, le plus essentiel peut-être, est celui de l’accès pour tous et partout à la santé.
Avant d’être ministre, je reste une professionnelle de santé et, tous les jours jusqu’à ma nomination, j’ai pu constater, comme vous, les difficultés rencontrées par les Françaises et les Français pour avoir accès à un médecin et se soigner correctement.
Permettez-moi d’ailleurs d’être un peu taquine en regrettant que le gouvernement de François Hollande n’ait pas jugé bon de supprimer le numerus clausus entre 2012 et 2017. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Nous l’avons augmenté !
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Regardez les chiffres !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Nous aurions gagné un temps précieux, que nous n’avons plus aujourd’hui, pour mieux anticiper les évolutions de la démographie médicale. J’y insiste, peut-être que ceux qui prônent aujourd’hui l’obligation, et qui étaient aux manettes entre 2012 et 2017, auraient pu le proposer.
La situation, vous la connaissez, elle est préoccupante : 6 millions de patients, dont plus de 650 000 en ALD, sont sans médecin traitant ; 87 % du territoire français est aujourd’hui considéré comme une zone de sous-densité médicale ; les délais d’attente ne cessent de s’allonger. On constate enfin une crise des vocations et une perte de sens chez de nombreux personnels soignants.
Devant cette situation, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’est aggravée avec la crise sanitaire, le PLFSS pour 2023 apporte des premières réponses, dont une qui a recueilli l’assentiment de votre assemblée : l’allongement à quatre ans du diplôme d’études spécialisés de médecine générale.
Nous partageons donc pleinement votre volonté d’agir.
Cependant, sur le fond, le Gouvernement regrette les mesures de coercition prévues dans cette proposition de loi.
L’obligation n’est pas la bonne solution. Nos voisins européens qui l’ont fait en reviennent. Réguler le vide n’apportera rien, et je ne crois pas que nous donnerons envie en obligeant.
Ainsi, l’article 1er de cette proposition prévoit que les étudiants réalisent, à l’issue du troisième cycle des études de médecine, une année de professionnalisation obligatoirement en zone sous-dense. Nous partageons la volonté de mettre en place une quatrième année de professionnalisation, mais nous divergeons sur la philosophie. Nous souhaitons plutôt inciter les étudiants en médecine à s’installer volontairement dans les territoires sous-dotés. C’est tout l’objet de la création de cette quatrième année de médecine générale dans le PLFSS, dont le Parlement vient d’achever l’examen. L’objectif est bien de donner confiance dans l’exercice ambulatoire, y compris en zone sous-dotée.
La mission que le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, et moi-même avons lancée sur la création d’une quatrième année de médecine générale a précisément pour objectif de travailler aux nouvelles modalités pédagogiques et aux règles de répartition des terrains de stage et des praticiens maîtres de stage universitaires. Il s’agit bien de favoriser une affectation dans les territoires et zones sous-denses.
Les dispositions prévues à l’article 2 visent à rendre obligatoire l’exercice libéral de la médecine générale de premier recours sous la forme d’équipes de soins primaires, lesquelles pourront prendre la forme d’une convention entre professionnels de santé.
Là encore, le Gouvernement n’est pas favorable à l’obligation. Le risque est de ne pas réellement engager les professionnels dans un projet collaboratif, en rendant cette reconnaissance uniquement administrative.
Cependant, l’encouragement à l’exercice coordonné sous toutes ses formes, sur l’initiative des personnels de santé eux-mêmes, est bien une priorité du Gouvernement.
Depuis mon entrée en fonction, en juillet dernier, j’ai souhaité rencontrer, lors de mes déplacements sur le terrain, les professionnels de santé qui ont fait le choix d’un exercice coordonné au travers d’une communauté professionnelle territoriale de santé ou d’une maison de santé pluridisciplinaire.
J’ai ainsi découvert des structures qui fonctionnent bien, mais aussi d’autres qui connaissent plus de difficultés. Toutes sont différentes, mais les structures qui fonctionnent bien, et c’est heureusement la grande majorité, sont celles où les professionnels sont pleinement à l’initiative.
De même, instaurer, comme le prévoit l’article 3, une obligation à la permanence des soins en ambulatoire ne nous paraît pas adapté. C’est vrai, le taux de couverture en PDSA varie selon les territoires, mais il n’est pas directement lié au caractère sous-dense des zones. En effet, dans les zones sous-dotées, les médecins participent le plus souvent à la PDSA.
Cette disparité pose la question de l’équité entre médecins, ceux qui sont installés en zones moins dotées assurant nécessairement plus de gardes que les autres. Or la réintroduction de l’obligation individuelle de PDSA ne réglerait pas cette difficulté.
Le principe de responsabilité collective introduit par amendement gouvernemental dans le PLFSS pour 2023 nous semble préférable à un retour à l’obligation individuelle.
L’article 4 prévoit de subordonner le conventionnement d’un médecin dans les zones surdotées médicalement à la condition qu’un médecin déjà installé cesse son activité.
Le Gouvernement n’y est pas non plus favorable.
Alors que la négociation conventionnelle est en cours, nous n’entendons pas limiter de façon unilatérale la liberté de conventionnement des médecins en fonction de leur zone d’installation.
Enfin, je ne vous suis pas sur le bien-fondé de l’article 5, même si je partage le constat, que vous avez souligné dans votre rapport, madame la rapporteure, sur la multiplicité des aides à l’installation, dont le nombre et les paramètres peuvent être source de confusion pour les jeunes professionnels.
C’est bien dans cette perspective que le PLFSS pour 2023 porte la création des guichets uniques d’accompagnement à l’installation des professionnels de santé, ainsi qu’une simplification des aides données aux professionnels qui s’installeront.
J’en viens à la différence de traitement, que vous regrettez, entre centres de santé et médecine libérale.
Ces aides conventionnelles fournies aux centres de santé existent et relèvent des négociations entre les représentants des centres de santé et l’assurance maladie. Aujourd’hui, les premiers peuvent être aidés pour financer jusqu’à trois médecins ETP, à condition que le centre installé dans la zone sous-dotée reste ouvert pendant cinq ans et participe à la PDSA.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous ayons ce débat cet après-midi. Les défis et les attentes sur ce sujet sont immenses. Nous avons un devoir collectif d’agir, tous ensemble, dans un esprit de responsabilité et d’engagement pour apporter des réponses concrètes et opérantes aux besoins de nos concitoyens.
Pour autant, et je conclurai par là, l’instauration de mesures coercitives n’est pas la solution. C’est bien en partant des initiatives du terrain, avec la mobilisation de l’ensemble des acteurs, et non pas contre eux, que nous réussirons.
Madame la sénatrice Poumirol, je tiens à vous rassurer sur l’ambition de répondre aux besoins de santé que porte, tout comme vous, le Gouvernement.
M. Patrick Kanner. On n’est pas rassuré du tout !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Plus qu’une ambition, c’est un devoir, auquel nous nous attelons activement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Véronique Guillotin et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, portée par nos collègues Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou, est le fruit du travail des sénateurs du groupe socialiste depuis plusieurs années maintenant.
Nous avons déjà présenté certaines de ces dispositions dans le cadre du débat parlementaire, au cours de l’examen de textes et de propositions du Gouvernement et d’autres groupes politiques qui nous ont semblé apporter des réponses insuffisantes à un problème de plus en plus aigu.
Nous sommes confrontés à une crise profonde et durable concernant l’accès aux médecins, généralistes aussi bien que spécialistes.
Nous l’avons rappelé lors de précédentes discussions : dans les années 1970, 10 000 médecins, toutes spécialités confondues, étaient formés par an, ce chiffre tombant à moins de 4 000 en 2004, dont 2 000 médecins généralistes, pour remonter entre 8 000 et 9 000, dont 4 000 généralistes, de 2011 à 2016, avant une nouvelle baisse en dessous de 3 400 de 2017 à 2021 pour les généralistes, alors que la progression était continue pour les autres spécialités sur cette même période.
En 2022, nous formons 9 024 médecins, dont 3 634 généralistes. C’est donc une réduction de 67,5 % en cinquante ans ! Dans ce laps de temps, notre population est passée de 50 millions à plus de 65 millions d’habitants, soit une augmentation de 21 %, avec, de surcroît, la montée en puissance des problématiques du vieillissement, de l’autonomie et de la dépendance.
Avec les départs à la retraite des baby-boomers, le chemin parfois long pour les médecins diplômés avant de pouvoir s’installer dans les territoires, les tensions liées aux multiples difficultés des secteurs du médico-social et de la santé, sans oublier les dix ans nécessaires pour former un médecin, nous avons là tous les ingrédients d’une situation critique. Et nous en voyons les effets dans nos territoires, que ce soit à Canenx-et-Réaut, Retjons ou Cère, dans les Landes, à Moncontour, Bourbriac ou au Mené, dans les Côtes-d’Armor, ou à Antichan-de-Frontignes, Aurin ou Bax, en Haute-Garonne, mais je pense que vous pourriez tous me citer des communes de vos départements. Pourtant, les élus locaux font des efforts considérables en la matière.
L’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 n’aura pas offert de réponse satisfaisante à ce problème. Elle crée une quatrième année d’études pour les médecins généralistes, sans rémunération prévue, mais cette mesure reste très floue. Dès son annonce, elle a eu des effets délétères, puisqu’un étudiant en médecine sur trois a pensé arrêter ses études dans les dernières semaines, selon une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).
Parfois, le remède est pire que le mal : nous avons besoin de tout sauf d’une crise des vocations chez les futurs médecins.
La France entre, en tout état de cause, dans une période dans laquelle tout le territoire est ou sera en situation d’insuffisance chronique en matière de démographie médicale. Le pays pâtit des manques des politiques de l’État que tous paient aujourd’hui.
D’abord, nos concitoyens, qui sont confrontés à la situation angoissante de ne pas être assurés de trouver les rendez-vous médicaux dont ils ont besoin, au prix de pertes de chances de guérison et d’une grande dégradation de leur qualité de vie.
Ensuite, les médecins eux-mêmes, qui voient les listes de patients à suivre s’allonger et ont plus que jamais besoin d’accompagnement pour assurer leur mission.
Enfin, les élus locaux, qui multiplient les projets, les innovations et les offres pour attirer les médecins sur leurs territoires et les amener à s’y installer durablement pour assurer la permanence des soins.
Chacun de nous dans cet hémicycle, chacun de nos territoires est, ou, pour les plus chanceux, sera concerné. La situation exige de nous des réponses qui apportent des améliorations sur les court, moyen et long termes, des réponses qui ne fassent pas plus de mal que de bien.
Les sénateurs du groupe socialiste ont travaillé à partir des situations que nous constations sur nos territoires, souvent alertés par ces vigies de la santé publique que sont aussi les élus. Nous avons auditionné les associations d’élus, l’État, les représentants des médecins et les syndicats de jeunes médecins.
Nous avons œuvré avec la conviction qu’il est aujourd’hui impératif de conjuguer une meilleure professionnalisation des médecins avec l’apport de temps médical dans nos territoires sous-dotés. C’est pourquoi nous avons investi à la fois le cadre pédagogique et l’apport de santé publique, comme le soulignait dans cet hémicycle notre collègue Bernard Jomier.
L’une de nos propositions phares présentées dans cette proposition de loi est en effet l’année de professionnalisation, dont nous avons déjà abondamment parlé. Elle a plusieurs avantages, au nombre desquels la reconnaissance et la rémunération à sa juste valeur de la contribution qui est demandée aux futurs jeunes médecins.
Une telle année de professionnalisation permet également de mieux prendre en compte leurs problématiques de vie, en associant aux universités les collectivités territoriales, qui sont mieux à même de leur garantir des conditions matérielles adaptées en matière de logement, de transport et de vie quotidienne.
Cette proposition de loi, si elle était adoptée, ne résoudrait pas à elle seule à la crise des déserts médicaux, mais elle apporterait des solutions opérationnelles qui se verraient tout de suite dans les territoires. Elle aurait le précieux avantage de permettre le déploiement très rapide de 4 000 jeunes médecins généralistes, soit en moyenne 40 médecins par département.
Notre texte contient aussi, grâce au travail de notre collègue Patrice Joly, un article consacré aux conditions de l’exercice libéral et de l’exercice salarié.
Notre proposition de loi a par ailleurs pour objet de mettre en place une organisation du parcours de soins facilitant la prise en charge de chaque patient, dans chaque territoire. Cela serait rendu possible par le gain de temps médical obtenu grâce à une meilleure coordination entre les professionnels de proximité. Cette nouvelle organisation permettrait de dégager du temps médical en priorité pour les patients sans médecin traitant ou subissant une affection de longue durée.
Notre texte rétablit également l’obligation de garde pour les médecins libéraux, afin de permettre la permanence des soins. Pour mémoire, c’est un dispositif de prise en charge aux horaires de fermeture des cabinets libéraux. Depuis la suppression de cette obligation en 2002, on observe une dégradation du service rendu. Le volontariat ne suffit plus pour répondre à la demande.
La voie que nous ouvrons ainsi nous semble susceptible d’apporter des réponses d’ores et déjà concrètes, efficaces et pragmatiques au problème des déserts médicaux, qui nous taraude tous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux avant tout remercier ici nos collègues Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou, ainsi que l’ensemble du groupe socialiste d’avoir déposé cette proposition de loi, qui vise à réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins. Ces dernières ne cessent de se creuser dans notre pays.
Nous avons plusieurs fois eu l’occasion de débattre du problème, tout dernièrement lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Contrairement aux membres du groupe Les Républicains et au Gouvernement, qui proposent d’instaurer une dixième année d’études de médecine devant s’effectuer en stage dans un désert médical, les auteurs du présent texte souhaitent instaurer une année de professionnalisation obligatoire dans ces mêmes déserts médicaux.
Il s’agit non pas d’une simple incitation à effectuer un stage dans un désert médical, mais d’une véritable année de professionnalisation, encadrée par un maître de stage universitaire et rémunérée à hauteur de 3 500 euros bruts par mois.
Par ailleurs, aux termes de la proposition de loi, les modalités de mise en œuvre du dispositif devront faire l’objet de discussions avec les organisations syndicales des étudiants de médecine générale. Une telle concertation était absente des propositions du groupe LR et du Gouvernement.
Face au manque de médecins généralistes, cette proposition de loi met en place une organisation coordonnée du parcours de soins de premier recours.
Nous ne pouvons pas rester dans une situation où 6 millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, y compris des malades en affection de longue durée, se trouvent sans médecin traitant. Les équipes de soins primaires proposées ici sont une solution pour les actes de premier recours.
Par ailleurs, la proposition de loi rétablit l’obligation de garde pour les médecins libéraux, supprimée par le décret Mattei du 15 septembre 2003, et étend l’obligation de permanence des soins des établissements publics de santé aux médecins libéraux lorsque l’offre de soins du territoire de santé l’exige, notamment dans des disciplines comme l’ophtalmologie ou la radiologie.
C’est exactement ce que notre groupe défend depuis 2019, quand nous avons déposé notre proposition de loi portant mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux.
De la même manière, nous convenons de la nécessité de réguler l’installation des médecins dans les zones surdenses, comme cela existe pour d’autres professionnels de santé, notamment les pharmaciens, les infirmières, les chirurgiens-dentistes et les orthophonistes.
Enfin, la proposition de loi revient sur les disparités existantes entre maisons et centres de santé en matière de fiscalité, de cotisations sociales, de garanties de revenu et d’aides à l’installation.
Il est en effet inacceptable que l’aide financière accordée à l’installation des médecins libéraux et des maisons de santé soit de 50 000 euros, tandis qu’un centre de santé bénéficie d’une aide financière de seulement 30 000 euros.
Je le rappelle, à la différence des maisons de santé pluriprofessionnelles, les centres de santé sont gérés par des organismes publics ou privés à but non lucratif, et garantissent un accès aux soins de proximité sans dépassements d’honoraires et sans avances de frais. Surtout, les professionnels y exercent leur activité de manière salariée, ce qui répond à une aspiration grandissante des jeunes médecins.
En conclusion, la proposition de loi, qui reprend de nombreuses mesures défendues par notre groupe depuis de nombreuses années, va dans le bon sens.
À ces mesures d’urgence, il conviendrait d’ajouter la suppression du numerus apertus et une augmentation des moyens des universités, de manière à former davantage de médecins. Il faut, par conséquent, une politique ambitieuse pour consolider et améliorer notre système de santé et de protection sociale. Mais c’est au Gouvernement de prendre la main !
En attendant, nous voterons évidemment cette proposition de loi.
Je profite de l’occasion, madame la ministre, pour vous alerter de vive voix, après avoir adressé un courrier au ministre de la santé, sur la situation des hôpitaux de Saint-Maurice, où l’agence régionale de santé et la direction ont prévu une opération immobilière de grande ampleur. Alors que psychiatrie et pédopsychiatrie sont en grande difficulté, mon collègue Pascal Savoldelli et moi-même craignons que ce projet purement spéculatif ne porte un coup fatal à la qualité de la prise en charge des patients. Je vous appelle donc à intervenir afin que la direction revoie sa copie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Élisabeth Doineau, qui est souffrante, m’a demandé de porter sa voix dans notre hémicycle.
L’accès aux soins est l’un des principaux sujets de préoccupation des Français. Aussi, il est naturel que les parlementaires se saisissent de cette problématique et tentent d’apporter des réponses par le biais de propositions de loi. Celles-ci se multiplient. C’est la preuve que nous avons à cœur de répondre aux difficultés rencontrées en la matière par nos concitoyens sur tous les territoires.
Le constat est largement partagé. De nombreux rapports ont été publiés ces dernières années et les statistiques produites par diverses institutions, comme la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé, permettent de saisir en toute connaissance de cause l’ampleur des difficultés.
Deux raisons principales à cette situation doivent cependant être rappelées : d’une part, le manque d’anticipation des pouvoirs politiques face au vieillissement de la population ; d’autre part, le changement de la pratique médicale, les jeunes médecins souhaitant légitimement aménager leur temps de travail pour une meilleure vie familiale. D’un côté, davantage de temps médical est requis, pour plus de polypathologies ; de l’autre, on dispose de moins de temps médical par praticien.
Les auteurs de cette proposition de loi tentent de répondre au problème de la désertification médicale. Je veux à mon tour tenter d’expliquer pourquoi les solutions envisagées ne sont pas les bonnes et elles auraient même des conséquences préjudiciables pour notre système de santé et pour toute une profession.
Je me permettrai de ne pas commenter l’article 1er, car nous avons largement débattu de questions similaires ces dernières semaines, en particulier à l’occasion de l’examen du PLFSS pour 2023.
Je ne suis pas opposée à l’article 2 sur le fond, puisque je suis favorable à l’accélération du développement de la coordination entre les professionnels et du travail pluridisciplinaire ; je soutiens en particulier la pratique en équipe de soins primaires. Cependant, cette dernière ne peut pas tout simplement se décréter ! Elle nécessite la participation active des principaux concernés. C’est d’ailleurs ce que l’on observe dans la plupart des MSP, voire sur un plus large périmètre quand il existe une CPTS. Cela demande du temps, de la volonté et beaucoup d’investissement de la part de tous les professionnels de santé, des paramédicaux jusqu’aux professionnels du secteur médico-social.
L’article 3 soulève le sujet essentiel de la permanence des soins ambulatoires. Celle-ci recule fortement, ce qui accroît les tensions sur les services d’urgence hospitaliers.
Néanmoins, obliger les professionnels à assurer la permanence des soins dans un contexte de pénurie contribue à accélérer leur épuisement, dès lors que les rotations sont de plus en plus fréquentes faute de relais. Prenons donc garde à ne pas apporter une réponse plus néfaste que le problème initial !
L’article 4 pose le principe d’une arrivée pour un départ en matière de conventionnement dans les zones surdotées. De l’aveu même de Mme la rapporteure, une telle mesure ne s’appliquerait qu’à la marge.
J’en viens à l’article 5. Certes, il est difficile de s’y retrouver dans le maquis des aides. Mais aligner les aides apportées aux centres de santé sur celles dont bénéficient les MSP reviendrait à encourager encore plus le salariat. Or les chiffres nous montrent que cette tendance est déjà prégnante. Je ne suis pas opposée à la pratique médicale salariée dans l’absolu, mais elle diminue en moyenne d’un tiers le temps médical par rapport à l’exercice libéral. Attention à ne pas accélérer davantage le phénomène !
Après ce réquisitoire, vous pourriez être tentés, mes chers collègues, de me rétorquer que la critique est aisée, mais que l’art est difficile. Alors, quelles solutions apporter ?
Je suis persuadée que nous avons déjà un arsenal d’outils, mais que le plus difficile est de les mettre en œuvre.
Il est ainsi possible de dégager du temps médical en recrutant des assistants médicaux et en répartissant le parcours de soins entre des médecins et d’autres professionnels de santé, notamment des infirmiers en pratique avancée (IPA).
Le partage des tâches est logique et indispensable, parce que nous devons penser à l’échelle des équipes traitantes ; il l’est aussi, parce que la montée en compétences de certains professionnels de santé permet de répartir les prises en charge ; il l’est enfin, parce que la coordination des soins, la complexité de certaines situations et la notion même de « parcours » l’imposent.
La télémédecine est un autre outil qui a prouvé, pendant la crise sanitaire, combien il pouvait être utile lorsqu’il est bien encadré.
Je crois également en la territorialisation des politiques de santé. À chaque territoire ses spécificités ! Il conviendrait sans doute de déterminer quelle collectivité doit être chargée de l’accès aux soins. L’échelon le plus pertinent est le département. Celui-ci pourrait déployer avec l’ARS des brigades de coordination et d’ingénierie pour accompagner les élus et les professionnels de santé sur le territoire.
Je souhaite aborder deux autres points.
D’une part, nous ne pouvons pas rester sourds aux demandes des médecins quant à la revalorisation du tarif des consultations, qui est l’un des plus faibles d’Europe.
D’autre part, si le PLFSS pour 2023 impulse un premier virage en faveur de la prévention, un chantier énorme s’ouvre à nous, d’une alimentation plus saine à une activité sportive régulière, en passant par une réduction des conduites addictives. Plus de prévention, c’est vivre en meilleure santé ; c’est donc moins de besoin de temps médical.
Améliorer l’offre en santé ne peut pas se résumer à traiter de la médecine de ville. Il faut une refonte globale et graduée entre la ville et l’hôpital.
Le Gouvernement a lancé les travaux du volet santé du Conseil national de la refondation. Attendons ses conclusions et les actions qui en découleront.
Pour conclure, je crois qu’il convient d’assumer un discours de vérité. Nous savons que la prochaine décennie sera encore difficile. La régulation est une coercition qui ne dit pas son nom ; elle ne répondra pas à la pénurie. À l’inverse, la coopération peut nous aider à passer ce cap difficile.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe Union Centriste ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi dressent un constat qui est partagé sur toutes les travées de l’hémicycle.
Nous observons en effet depuis plusieurs années un recul de l’accès aux soins et un déclin de la permanence des soins. Ce sont des sujets de préoccupation, voire d’inquiétude grandissante pour les élus, les patients et les professionnels de santé.
Les chiffres le confirment. En vingt ans, nous avons perdu 18 % de généralistes et 9 % de spécialistes. Un bon nombre de médecins partiront à la retraite, alors que les besoins liés au vieillissement de la population et à la prévalence des maladies chroniques augmentent et que les jeunes médecins, comme d’ailleurs le reste de la population, sont désireux – c’est légitime – de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle. Nous sommes donc face à un problème de pénurie bien plus que de répartition.
Cette pénurie a été instaurée dès le début des années 1980 à des fins avouées de régulation des dépenses de santé. Il fallait boucher le trou de la sécurité sociale, comme en témoigne le slogan des années 1990 : « La sécurité sociale, c’est bien ; en abuser, ça craint ! » Tous les gouvernements, de droite et de gauche, ont poursuivi cette approche mortifère pendant plus de deux décennies. Voilà la principale raison de la situation que patients et professionnels subissent au quotidien.
L’augmentation du numerus clausus, puis sa transformation en numerus apertus, décidées tardivement, ne porteront leurs fruits que dans une bonne dizaine d’années. À ce propos, madame la ministre, pourriez-vous nous donner des chiffres précis sur le nombre d’étudiants en médecine, notamment en médecine générale, ayant entamé leurs études ces dernières années ? Combien de médecins supplémentaires pouvons-nous espérer pour 2030 ? Seront-ils en nombre suffisant pour faire face aux enjeux qui nous attendent demain ?
Face à la pénurie, la proposition de loi que nous examinons propose une fois encore de renforcer les contraintes et les obligations : à l’article 1er, stage obligatoire dans les déserts médicaux ; à l’article 2, obligation de création d’équipes de soins primaires ; à l’article 3, obligation de garde ; à l’article 4, régulation à l’installation.
Or nous devons tous prendre conscience qu’aujourd’hui, la médecine générale n’est plus attractive. Cela n’est pas assez dit, me semble-t-il. J’en veux pour preuve qu’elle est l’avant-dernière spécialité choisie aux épreuves classantes nationales (ECN). Les raisons en sont multiples, entre les contraintes administratives et la charge de travail grandissante. En outre, les perspectives de carrière sont limitées : fini l’accès aux métiers d’urgentiste et de gériatre ; finis les diplômes universitaires d’angiologie ou de médecine esthétique, qui permettaient de diversifier le métier. Enfin, le stage libre a été retiré des stages autonomes en soins primaires ambulatoires supervisés (Saspas) ; la quatrième année a encore failli être limitée à la pratique ambulatoire.
Les tentatives, nombreuses et répétées, de renforcer les obligations pour compenser plusieurs décennies de politiques publiques de santé défaillantes ne réconcilieront pas les jeunes avec l’exercice de la médecine générale. Les professionnels font face à des conditions de travail suffisamment dégradées ; je ne crois pas qu’il faille les aggraver encore en faisant peser davantage de contraintes sur ceux qui tiennent, tant bien que mal, notre système de santé à bout de bras. C’est avec eux, et non contre eux, que les solutions seront trouvées, notamment dans le cadre des négociations conventionnelles avec l’assurance maladie qui se tiennent en ce moment. Dans le cadre de ces dernières, il faut miser sur la responsabilité collective, notamment pour la permanence des soins ambulatoires.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne croyons pas que les mesures proposées dans ce texte puissent résoudre nos problèmes.
En période de crise et de pénurie, en attendant que le numerus apertus produise ses effets, nous devons au contraire serrer les rangs, instaurer la confiance, laisser le terrain s’organiser, comme il a su le faire pendant la crise du covid, décharger les professionnels des tâches administratives, valoriser et respecter leur travail, lever les freins et accélérer le déploiement d’outils déjà existants, qu’il s’agisse des MSP ou de toutes les autres formes d’exercice coordonné. Il faudra aussi assouplir les règles de cumul emploi-retraite, avoir recours aux assistants médicaux et aux IPA, ou encore déployer la télémédecine, voire encourager le partage de tâches, pour in fine donner envie aux jeunes de s’engager dans cette voie. Ce n’est, selon moi, qu’à ce prix que nous pourrons améliorer l’accès aux soins partout et pour tous.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme Corinne Imbert applaudit également.)
M. Bernard Fialaire. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens en lieu et place de mon collègue Jean-Claude Anglars, sénateur de l’Aveyron.
La désertification médicale n’est pas un problème récent. Environ 30 % de la population vit dans un désert médical, chiffre qu’il faudrait encore préciser selon les spécialités. Les constats sont connus et ont été rappelés ; je ne reviendrai donc pas sur le sujet.
Dans le contexte actuel, où la question de la juste rémunération de l’acte se pose de manière accrue, et alors que la désertification médicale ne concerne désormais plus seulement la médecine générale et qu’il devient nécessaire de réfléchir aux inégalités d’accès aux spécialistes et à d’autres praticiens, cette proposition de loi ravive des débats que nous avons déjà eus au Sénat, mais n’aborde pas de nouveaux sujets.
L’instauration d’une année de professionnalisation obligatoire dans les déserts médicaux pour les médecins généralistes en fin de formation renvoie à des débats très actuels, de même que l’objectif d’une meilleure reconnaissance de la spécialité de médecine générale.
Par ailleurs, l’idée d’une départementalisation des affectations mériterait d’être étudiée à l’avenir pour lutter contre les déserts médicaux, même si le cadre géographique des centres hospitaliers universitaires (CHU) est évidemment plutôt la région qui les entoure.
Cependant, cette proposition de loi comporte des éléments insatisfaisants ; je veux en pointer plusieurs.
D’abord, contrairement à la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale, que notre assemblée a adoptée le 18 octobre dernier, celle que nous examinons aujourd’hui ne prévoit pas de faire de la médecine générale une spécialité à part entière.
Ensuite, si l’obligation de garde pour les médecins libéraux peut constituer un facteur de désengorgement des urgences médicales, il ne me semble pas nécessaire de devancer, voire de supplanter les discussions en cours entre la profession et les autorités de tutelle.
Par ailleurs, nous avons déjà discuté lors de l’examen du PLFSS pour 2023 du dispositif de régulation à l’installation proposé, ainsi que de celui de rééquilibrage des cotisations sociales, des garanties de revenus et de l’aide à l’installation entre médecins libéraux et salariés, et nous les avons rejetés, pour des raisons pertinentes.
Plus largement, cette proposition de loi, comme d’autres, tend à s’inspirer plus ou moins directement des solutions trouvées dans certains territoires. Il y a des enseignements à tirer des expériences locales.
Dans cette perspective, je veux évoquer les facteurs de la réussite de la politique d’attractivité expérimentée en Aveyron depuis 2010 pour inciter les médecins généralistes à s’y installer. Dans ce département rural du Massif central, caractérisé par un vieillissement de la population et un éloignement des urgences et des hôpitaux, la permanence des soins de proximité et du maillage territorial de médecine générale était un préalable essentiel pour penser le problème de manière globale à l’échelle d’un territoire.
À cette fin, avec le concours du conseil de l’ordre des médecins, de l’université située sur le campus de Rangueil et de l’ARS départementale, nous avons développé l’accueil des stagiaires pour faciliter l’implantation sur le territoire. Nous nous sommes montrés précurseurs par le choix d’une organisation collective en maisons de santé pluridisciplinaire et en réseaux de santé.
L’efficacité de cette organisation et son succès auprès des professionnels ont conduit à la labellisation du territoire en communauté professionnelle territoriale de santé : la première CPTS en Occitanie est peut-être parmi les premières en France.
Il est nécessaire de répondre aux envies et aux besoins des jeunes praticiens, qui ne veulent plus être isolés. Le partage des tâches et la coordination avec les autres praticiens sont au cœur des nouvelles pratiques visant à favoriser l’installation sur le territoire.
Le développement des stages en Aveyron et le statut du médecin maître de stage ont favorisé la transmission des pratiques et l’installation de jeunes médecins. La formation de médecin sapeur-pompier, destinée aux internes, a aussi renforcé l’intégration.
Enfin, le succès de la lutte contre les déserts médicaux repose sur un accompagnement concret de l’installation.
Quatorze ans après les premières mesures prises en Aveyron, 9 % de l’effectif des internes y restent à l’issue de leur stage, contre 1 % en moyenne pour les territoires ruraux. Depuis 2011, il y a eu 105 installations de médecins généralistes pour 107 départs, soit un renouvellement presque complet de l’effectif.
Certes, l’Aveyron est beau. Mais cela ne suffit pas à expliquer une telle réussite ! (Sourires.) Celle-ci repose plus certainement sur la mise en place d’écosystèmes qui font émerger les conditions favorables à l’intégration de nouveaux praticiens.
Pour conclure, il me semble que cette proposition de loi arrive à la fois trop tôt, parce que la concertation entre les professionnels de santé et les pouvoirs publics, dont nous avons parlé, est toujours en cours, et trop tard, parce qu’elle fait écho à des débats que nous avons déjà eus.
Comme mes collègues du groupe LR, je voterai donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat examine ce soir un nouveau texte visant à lutter contre les déserts médicaux.
Le texte a le même objectif que la proposition de loi de Bruno Retailleau, objectif que l’on retrouve dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Cette proposition de loi arrive donc, si l’on peut dire, à contretemps. Pourtant, le problème qu’elle soulève reste entier. Une autre initiative transpartisane vient d’être présentée à l’Assemblée nationale. Le Parlement reste mobilisé, et notre groupe considère qu’il est important que le Sénat puisse débattre de ces enjeux, qui affectent tout particulièrement nos territoires ruraux. Je veux donc remercier notre collègue Émilienne Poumirol.
Le déficit chronique de médecins en France est le résultat de plusieurs décennies d’inaction. Le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus va dans le bon sens, mais ce n’est pas assez rapide.
L’article 1er du texte ajoute une année de professionnalisation au cursus de formation des étudiants en médecine générale. Cette année devrait être effectuée dans un désert médical, en pratique ambulatoire, auprès d’un maître de stage universitaire.
Cela va dans le bon sens. Je crains pour ma part que le fait d’imposer l’encadrement du stagiaire par un maître de stage universitaire ne soit parfois contre-productif. En effet, il pourrait être difficile de trouver partout de tels maîtres de stage, surtout dans certains départements éloignés des CHU. C’est pourquoi je défendrai deux amendements tendant à assouplir ces conditions, en prévoyant la possibilité de réaliser cette année ou, à tout le moins, un semestre, auprès d’un médecin traitant référent.
L’exposé des motifs de la proposition de loi indique que les étudiants pourront toucher 3 500 euros nets par mois. J’avais proposé pour ma part une rémunération équivalente à dix consultations par jour, soit 5 000 euros par mois. Cela revient peu ou prou à la même chose, une fois les frais de transport pris en compte. Enfin, je tiens à dire que l’organisation prévue, en lien avec le conseil départemental, me paraît pertinente. Le département est la collectivité de proximité la plus adaptée, les conseillers départementaux sont proches des maires et connaissent la réalité du territoire.
L’article 2 encourage la coordination entre les professionnels. Nous ne pouvons qu’y être favorables. Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) la favorisent déjà.
L’article 3 rétablit l’obligation de garde pour les médecins libéraux. Notre groupe sait que cette mesure est contraignante et peut nuire à l’attractivité du statut. Cependant, elle nous paraît nécessaire pour garantir l’accès aux soins partout en France. Le recours aux CPTS nous semble à cet égard pertinent.
L’article 4 instaure un conventionnement sélectif, en prévoyant qu’un médecin libéral ne peut pas être conventionné en zone dense, sauf si l’un de ses confrères déjà installés cède sa place. Nous sommes favorables à cette mesure, qui répond à un besoin exprimé par de nombreux élus des territoires ruraux.
En revanche, l’article 5 du texte pose problème. Il prévoit une égalité de traitement, en matière d’aides publiques, entre médecins libéraux et médecins salariés. Or les conditions d’exercice des médecins salariés et libéraux ne sont pas les mêmes.
Il faut être clair : les médecins salariés ne peuvent pas garantir une offre de soins complète sur l’ensemble du territoire. Il existe trop de contraintes d’organisation liées au droit du travail. Le salariat répond peut-être aux aspirations de certains jeunes médecins – c’est possible à l’hôpital, où il y a plus de médecins –, mais les médecins libéraux prodiguent plus de présence et de soins que les médecins salariés. Ils sont donc les plus à même de lutter contre les déserts médicaux. Je rappelle que ce sont eux qui gèrent, avec les paramédicaux, les maisons de santé dans un cadre associatif. C’est pourquoi je présenterai un amendement de suppression de l’article 5.
Cette proposition de loi a le mérite de remettre dans le débat un sujet d’extrême importance pour la cohésion territoriale et sociale de notre pays. Notre groupe déterminera son vote sur le texte en fonction des ajustements qui auront été retenus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est la deuxième fois en quelques mois que nous débattons du sujet prégnant des zones sous-denses. Cela témoigne de l’urgence de la situation et du manque de réponse à la hauteur de la part du Gouvernement.
Le constat est connu et s’aggrave. Un médecin sur deux ne prend plus de nouveaux patients, alors que 660 000 personnes souffrant d’une affection de longue durée n’ont pas de médecin traitant. Le fait que ce problème affecte presque toute la France ne doit pas masquer l’aggravation des disparités entre territoires. Ainsi, 30 % de la population vit dans une zone d’intervention prioritaire, c’est-à-dire une zone fortement tendue.
Les territoires ruraux sont particulièrement touchés, car ils subissent à la fois le non-remplacement des médecins et la fermeture d’hôpitaux de proximité, de services d’urgence, ou de maternités. En conséquence, selon la Drees, 60 % des habitants de territoires ruraux connaissent des difficultés d’accès à un médecin généraliste et 6 millions de personnes se retrouvent sans médecin traitant. Cela affecte particulièrement les jeunes, mais aussi les plus pauvres et les plus isolés.
Devant un tel creusement des inégalités territoriales, nous avons le devoir d’agir, et d’agir vite, car la fin du numerus clausus, pour autant qu’elle soit suffisante, ne portera pas ses fruits avant une décennie. Cela oblige à gérer le moyen terme, au travers, par exemple, de mesures plus contraignantes de planification de l’offre, comme il est proposé dans le texte.
En effet, jusqu’à présent, les mesures d’incitation financière se sont soldées par des échecs. En outre, comme la Cour des comptes l’a relevé, elles ont plutôt provoqué des effets d’aubaine pour des médecins qui exerçaient déjà en zone sous-dense.
Face à cela, le Gouvernement ne propose que des demi-mesures.
C’est le cas de la dixième année d’études introduite dans le PLFSS pour 2023. Certes, plusieurs études concluent qu’un stage long dans une zone sous-dotée pourrait encourager certains médecins à s’y installer. Mais qui peut croire qu’il s’agit là d’une solution suffisante ?
Pour notre part, nous estimons plutôt que le premier cycle devrait être raccourci. Il est donc dommage qu’une dixième année soit ajoutée sans refonte de l’ensemble des cycles. En tout état de cause, la volonté que cette année soit accomplie prioritairement dans une zone sous-dense ne peut s’entendre que si des mesures de régulations s’appliquant à tous les professionnels, et non pas seulement aux jeunes médecins entrants, sont prises parallèlement.
Nous sommes donc assez favorables à d’autres mesures de régulation équilibrant l’effort.
Ainsi, nous soutenons l’idée, exprimée dans ce texte, de conditionner le conventionnement des médecins, dans les zones surdotées, au remplacement à l’identique de médecins déjà installés sur le territoire de vie-santé concerné, afin de ne pas accroître encore les inégalités, à l’instar de ce qui se fait pour de multiples autres professions de santé.
Nous soutenons aussi la disposition rétablissant, par la responsabilité collective, l’obligation de participer à la permanence des soins ambulatoires. En effet, aujourd’hui, seulement 38 % des médecins y participent, contre 67 % voilà sept ans. Cette proportion ne cesse de baisser. S’y ajoutent de fortes disparités territoriales. Voilà le résultat du laisser-faire et de l’appel au seul volontariat.
Mais ces mesures doivent s’inscrire dans des réformes structurelles, qui engagent le long terme.
En l’occurrence, la solution pour réduire les déserts médicaux passe aussi par la décentralisation des premières années d’exercice de la médecine, comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – cela a été amorcé timidement en France –, et par la diversification des étudiants.
En effet, selon la méta-analyse de la Drees, l’origine géographique et sociale des étudiants ressort dans tous les pays comme un déterminant majeur du choix d’installation. Ainsi, être originaire d’une zone rurale accroît l’intérêt d’exercer en zone rurale, souvent sous-dense.
Parallèlement aux réformes structurelles que nous appelons de nos vœux, le texte propose dès maintenant des solutions de régulation. Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront donc en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chercher désespérément un rendez-vous médical, devoir se rendre aux urgences, faute de médecin disponible… Nous avons, pour beaucoup d’entre nous, vécu ces moments de désolation face à un système de santé imparfait.
Lorsque l’accès aux soins devient un parcours du combattant, il faut agir. Comment parvenir demain à faire en sorte que chacun puisse avoir rapidement accès à un médecin proche de chez lui ?
Les propositions sont multiples. Face à cet éventail de choix, il faut trouver un juste équilibre. Entre coercition et laisser-faire, entre incitation et obligation, entre belles idées et réalité, les choses sont plus complexes.
Le texte qui nous est soumis relève d’une vision très coercitive. Quatre articles créent des obligations : obliger les médecins généralistes à réaliser leur année de professionnalisation en zones sous-dotées ; obliger une organisation des professionnels de santé en équipe de soins primaire, à partir de 2026 ; obliger les médecins libéraux à réaliser des gardes ; obliger, d’une certaine manière, les médecins libéraux à s’installer dans des zones précises…
Ces obligations comportent plusieurs risques : d’abord, celui que nos futures générations de médecins ne privilégient l’exercice salarié plutôt que l’exercice libéral ; ensuite, celui d’une fuite des professionnels de santé vers l’étranger, où les propositions ne manquent pas ; enfin, celui du surmenage pour les médecins libéraux qui se plieront à ces obligations, car ils seront submergés sous les demandes avant les effets de la suppression du numerus clausus.
Mais il n’est pas acceptable que nos concitoyens ne parviennent pas, dans certaines zones, à trouver un médecin disponible en soirée et soient forcés de se rendre aux urgences, parfois loin de chez eux, pour des raisons qui n’en sont pas.
Il n’est pas non plus acceptable que certains de nos territoires se voient privés de médecins et que nos concitoyens se retrouvent esseulés face à des pathologies complexes. En effet, 11 % des Français de plus de 17 ans n’ont pas de médecin traitant et 1,6 million de Français renoncent chaque année à des soins médicaux.
Il nous faut donc évidemment répondre à cette situation, sans perdre de vue que, comme l’a montré une étude du CHU de Clermont-Ferrand voilà quelques années, près de 45 % des médecins généralistes français exerçant en libéral étaient en situation de burn-out.
Aller contre la volonté des médecins ne me semble pas le plus productif.
Pour faire face à une telle situation, des mesures fortes ont déjà été prises : la suppression du numerus clausus ; l’exonération des cotisations de retraite pour les médecins libéraux en cumul emploi-retraite pour 2023 ; la notion d’une responsabilité collective de participation à la permanence des soins, qui a été étendue aux chirurgiens-dentistes, aux infirmiers diplômés d’État (IDE) et aux sages-femmes ; l’expérimentation visant à permettre des consultations de médecins généralistes et spécialistes en zones sous-dotées.
Je crois qu’il faut laisser le temps à ces nouvelles mesures de prendre effet. Si la responsabilité collective ne suffisait pas, le rétablissement des gardes obligatoires s’imposerait. Mais donnons d’abord le temps à la concertation.
Nous pourrions par exemple demander que les gardes soient effectuées de cinq heures à minuit – passé cette heure, il s’agit d’urgences absolues –, mieux rémunérées, les hôpitaux envoyant les week-ends des médecins ou des internes en zones sous-dotées.
Plusieurs autres pistes de réflexion ont été proposées par nos collègues Patricia Schillinger et Philippe Mouiller dans leur rapport d’information : renforcer les liens entre les collectivités et les facultés de médecine, utiliser davantage les outils de télémédecine ou encore accélérer le déploiement des contrats locaux de santé. Sans faire office de solution unique, ces mesures pourraient constituer des outils pour favoriser l’égal accès aux soins.
La concertation me semble être la voie à privilégier.
C’est tout l’objet des CNR territoriaux santé en cours. J’étais moi-même présent la semaine dernière à celui de Dijon. En échangeant avec des professionnels de santé, nous voyons bien que nous souhaitons tous une amélioration de l’accès aux soins, une meilleure répartition entre la médecine de ville et l’hôpital et une plus grande coordination entre les professionnels.
L’objectif étant partagé, il nous semble préférable de chercher ensemble des solutions grâce à la concertation, sans décourager les médecins libéraux.
Mes chers collègues, compte tenu du fait que le texte est trop contraignant et que, pour notre part, nous retenons uniquement la possibilité de restaurer un système de gardes obligatoires, nous nous abstiendrons. (Mme Samantha Cazebonne applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et garantir l’accès à la santé pour tous.
Le sujet fait régulièrement l’objet de propositions de loi, de rapports et de diverses questions sur l’initiative des sénatrices et sénateurs, et il a occupé une partie de nos débats lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, l’accès aux soins demeure un sujet de préoccupation essentiel pour nos concitoyens et nos élus locaux.
La réalité, nous la connaissons tous au sein de cet hémicycle ; nous partageons les constats. Le manque de médecins généralistes ne touche plus seulement nos campagnes ; il concerne également de grands centres urbains. Urbains ou ruraux, nous sommes tous concernés.
Les raisons qui ont conduit à une telle situation sont multiples. Le problème est plus complexe qu’il n’y paraît.
Les élus locaux se sentent désarmés et nos compatriotes demeurent dans le désarroi le plus total lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés en matière d’accès aux soins.
Toutefois, peut-être n’en serions-nous pas à discuter de la création d’une année de professionnalisation pour les médecins généralistes en fin de formation si le Gouvernement avait pris le décret d’application de la disposition, inscrite dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, instaurant au moins six mois en troisième année d’internat de médecine générale en autonomie supervisée auprès d’un médecin généraliste en zone sous dense.
Le décret d’application n’a jamais été pris malgré les promesses des ministres. Dont acte. Mais notre système de santé est déjà suffisamment mis à mal, y compris sur le plan éthique – je vous renvoie à l’avis 140 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui vient juste d’être publié –, pour rendre acceptable ce défaut d’application d’une loi.
Je souhaite que le Gouvernement prenne la mesure de l’insuffisance, en particulier sur les sujets et les textes relatifs à la santé.
L’article 1er du texte proposé par nos collègues instaure une année de professionnalisation à la suite du troisième cycle de médecine générale.
Loin d’être opposée à une telle mesure, la majorité sénatoriale a adopté au mois d’octobre dernier la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale, afin de lutter contre les déserts médicaux, déposée par Bruno Retailleau. Celle-ci prévoit que le troisième cycle de médecine générale sera d’au moins quatre années, comme l’ensemble des autres spécialités. Nous privilégierons cette rédaction, plus solide sur le plan législatif, même si les objectifs des deux propositions de loi peuvent se rejoindre.
L’article 3 rétablit l’obligation de garde pour les médecins libéraux. L’article 4 étend à ces derniers un dispositif de régulation à l’installation.
Notre famille politique est historiquement attachée au caractère libéral de la médecine de ville. Si la notion de zones surdotées a pu s’appliquer par le passé, elle apparaît dépassée et illusoire en 2022.
Alors que le temps médical est compté, nous ne sommes pas certains des éventuels bénéfices d’une telle mesure. Au contraire, ses effets collatéraux nous semblent largement sous-estimés, notamment en matière d’attractivité pour la médecine générale.
De surcroît, à l’heure où des négociations conventionnelles se sont ouvertes entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins pour une durée de six mois, il apparaît primordial de garantir la sérénité de ce dialogue, au cours duquel – je n’en doute pas – les points soulevés aux articles 3 et 4 seront discutés.
Le vote unilatéral au Sénat d’une mesure coercitive à l’installation serait un mauvais signal. Nous préférons attendre les conclusions des négociations conventionnelles.
L’article 5 concerne les centres de santé. Nous estimons que les médecins libéraux et les médecins salariés ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Ils ne doivent donc pas être aidés de la même manière.
En réalité, les centres de santé ne sont pas la solution idéale. Certains ne parviennent même pas à recruter autant de médecins que l’objectif qu’ils s’étaient fixé. De plus, une aide à un médecin salarié ne doit pas être une subvention déguisée à un centre de santé, même si nous reconnaissons qu’ils sont souvent déficitaires au début de leur fonctionnement.
Enfin, je tiens à rappeler que la majorité sénatoriale travaille depuis des années sur ces questions. De nombreuses mesures sont régulièrement évoquées lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale et des différents textes en rapport avec la santé : favoriser le cumul emploi-retraite, simplifier les démarches administratives pour dégager du temps médical ou encore favoriser l’exercice pluridisciplinaire.
Ainsi, nous sommes force de propositions, loin de tout dogmatisme, faisant toujours preuve du bon sens qui caractérise la Haute Assemblée. Aussi continuons-nous de plaider en faveur d’une nouvelle loi santé, afin de repenser plus globalement l’accès aux soins dans notre pays, en concertation avec les différents acteurs de santé, dont, bien entendu, les médecins.
Pour toutes ces raisons, et bien que partageant certains constats et objectifs des auteurs de la proposition de loi, le groupe Les Républicains ne la votera pas. Une accumulation de textes ne semble pas pertinente. Faisons confiance aux négociations conventionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Fialaire applaudissent également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l’accès à la santé pour tous
Article 1er
Le premier alinéa du II de l’article L. 632-2 du code de l’éducation est remplacé par dix alinéas ainsi rédigés :
« II. – Le troisième cycle de médecine générale est suivi d’une année de professionnalisation lors de laquelle les étudiants exercent des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, avec pour objectif de parvenir progressivement à une pratique professionnelle autonome. Ils exercent en pratique ambulatoire auprès d’un maître de stage universitaire, dans l’un des territoires mentionnés au 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique.
« Leurs conditions matérielles d’exercice sont fixées par décret, après négociation avec les organisations syndicales des étudiants de troisième cycle des études de médecine générale.
« Les étudiants choisissent leur futur lieu d’exercice sur une liste départementale fixée par une commission départementale d’affectation et d’accompagnement à l’exercice de l’année de professionnalisation. Elle est composée :
« 1° D’un représentant de l’unité de formation et de recherche de médecine correspondante ;
« 2° Du directeur de délégation départementale de l’agence régionale de santé ;
« 3° D’un représentant du conseil départemental ;
« 4° D’un représentant du conseil départemental de l’Ordre des médecins ;
« 5° Un représentant départemental de l’union régionale des professionnels de santé ;
« 6° Un représentant départemental de l’Association des Maires de France.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent II. »
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tenais à prendre la parole pour évoquer l’amendement que j’ai déposé sur l’article 1er, mais qui a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Je regrette une telle décision : un maire peut affecter son personnel sur d’autres missions sans aggraver la charge publique. Il me semble important que le sujet soit évoqué.
En matière de lutte contre les déserts médicaux, les principaux fantassins sont les élus locaux ; les maires sont en première ligne. Or tous ne sont pas logés à la même enseigne. Certains tentent de pallier l’incurie par des incitations financières substantielles. Une commune propose même 50 000 euros de prime à l’installation de nouveaux médecins.
Un département voisin du mien est engagé dans une expérimentation de salariat des médecins qui représente un investissement de 90 000 euros comprenant la prise en charge des factures, un secrétariat médical et un salaire. Ce n’est plus de la médecine libérale. L’État met même à disposition des assistants médicaux depuis la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Le maire de Grand-Fort-Philippe, M. Sony Clinquart, qui est présent en tribune et que je salue, a pris ses fonctions en 2020. Afin de pouvoir maintenir une maison médicale dans sa commune, il a décidé dans l’urgence de mettre à disposition deux agents communaux pour réaliser des tâches administratives et soulager les médecins, et ce pendant huit mois. L’intention était louable. Mais, à cause de maladresses commises dans le processus, cet élu a été lourdement condamné pour détournement de fonds à une triple peine : un an d’inéligibilité, une lourde amende et l’inscription au casier judiciaire.
L’amendement que j’avais déposé visait ainsi à ouvrir un débat sur la possibilité de mettre des agents de mairie à la disposition de cabinets médicaux ou de maisons de santé, comme cela se pratique pour les bureaux de poste communaux.
Souvenez-vous : en 1990, afin de maintenir les services postaux dans tous les territoires, le Parlement avait confié à La Poste une mission de contribution à l’aménagement du territoire. Il faudrait faire de même pour les cabinets médicaux et les maisons médicales.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, voilà quelques instants, vous avez eu des mots peu agréables à l’égard du président Hollande en rappelant ce que vous estimez être son bilan en matière d’accès aux soins. Je n’aurai donc pas des mots très agréables non plus à votre égard ou, en tout cas, à l’égard de l’exécutif.
Au mois de novembre 2021, j’avais demandé à M. Castex quand allait sortir le fameux décret d’application que Corinne Imbert a évoqué à l’instant. Il m’avait alors répondu : « au printemps prochain », c’est-à-dire au printemps 2022.
Pouvez-vous nous éclairer sur cette incurie gouvernementale manifeste, qui conduit à ce que la loi ne puisse pas être appliquée dans de bonnes conditions ?
Si je vous pose cette question, c’est parce que vous avez décidé dans le PLFSS d’instaurer une quatrième année d’études pour les internes en médecine générale, en affectant les étudiants dans des zones sous-denses. Or plusieurs mesures réglementaires sont nécessaires à l’application de ce texte, adopté via l’article 49.3 de la Constitution.
Vous connaissez l’expression populaire : chat échaudé craint l’eau froide. Ne sommes-nous pas là dans une forme d’enfumage de la représentation parlementaire au travers de mesures réglementaires que nous attendrons pendant des mois, voire des années ?
Il est très important d’avoir votre éclairage, madame la ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, sur l’article.
M. Jean-Luc Fichet. Il y a les déserts médicaux, et il y a les travées désertiques de la droite sénatoriale, qui n’est apparemment pas très intéressée par le sujet. Pourtant, cela fait de nombreuses années qu’elle est censée traiter le sujet, si j’ai bien compris ce qu’a indiqué Mme Imbert.
Le résultat, c’est que rien n’avance. Je dirais même que l’on recule. Aujourd’hui, l’offre de soins dans les territoires se restreint. Cela devient un vrai problème.
La question doit également être appréhendée du côté des médecins et des professionnels. Nous respectons bien évidemment profondément la profession libérale. Pour autant, d’autres possibilités existent. Nous voyons bien que la demande change ; nos administrés ont besoin d’une médecine différente, plus pointue. Nous sollicitons donc les professionnels de santé pour qu’ils y répondent.
Je souhaite évoquer les maires, en particulier ruraux. On ne parle pas des contraintes qui pèsent sur eux, notamment en matière d’investissement. Ils n’ont aucune visibilité.
Depuis des années, on prend des mesurettes, à défaut du vrai projet de santé qui nous avait été promis. Depuis six ans que vous êtes au pouvoir, vous n’avez esquissé aucun geste en ce sens, vous n’avez fait preuve d’aucune ambition et vous n’avez apporté aucune réponse.
Je tiens donc à féliciter Mme la rapporteure Le Houerou de son travail sur un texte mesuré, équilibré et conçu de manière à pouvoir avancer tranquillement sur le sujet et répondre aux besoins des Français en matière de santé.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, sur l’article.
M. Jean-Jacques Lozach. Madame la ministre, vous avez qualifié la situation en matière d’offre de soins de « préoccupante ». C’est vraiment un euphémisme : la situation n’est pas préoccupante ; elle est dramatique ! Elle l’est d’ores et déjà pour 87 % du territoire national et pour 6 millions de nos concitoyens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Selon les projections qui sont faites sur une très grande partie des territoires de notre pays, la situation ne va pas cesser de se dégrader dans les prochaines années.
Dans beaucoup de territoires, le solde entre les médecins généralistes qui s’installent et ceux qui partent, pour des raisons diverses, vers d’autres régions est d’ores et déjà négatif.
Il va donc falloir prendre des mesures fortes, audacieuses, ambitieuses, et ne plus se contenter de demi-mesures, faute de quoi la situation n’ira qu’en se dégradant.
Nous pouvons dresser un premier bilan des dispositions incitatives. Nous les connaissons… Nous voyons bien ce qui se passe dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), qui représentent tout de même plus de 15 000 communes dans notre pays : cela ne fonctionne pas ! Dans ces ZRR, lorsqu’on propose à un médecin 50 000 euros et une exonération fiscale totale pendant cinq ans pour qu’il s’installe, ce sont tout de même des mesures incitatives très fortes ! Malgré cela, la situation continue de se dégrader.
De manière plus générale, compte tenu de l’urgence des urgences que constitue l’offre de soins – c’est la préoccupation numéro un de nos concitoyens dans les territoires –, la question de la crédibilité de l’action et de la parole publique se pose. Si nous sommes incapables de satisfaire ce besoin fondamental qu’est le respect du droit à la santé, nous ne serons pas crédibles.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, sur l’article.
M. Patrice Joly. Sur les quatre amendements que j’avais déposés, deux ont été retenus et deux ont été déclarés irrecevables.
Le premier de mes amendements non retenus visait à supprimer le forfait patient urgences (FPU). Je considérais que le sujet avait un lien avec celui de la désertification médicale.
En effet, dans de nombreux territoires, plusieurs millions de Français n’ont pas de médecin référent et n’ont ainsi pas d’autre solution que d’aller aux urgences pour se faire soigner. Ils sont donc sanctionnés par la défaillance du système de santé, qui les empêche de trouver un médecin référent.
Le second amendement déclaré irrecevable portait sur l’intérim médical, qui est, selon moi, insatisfaisant. En effet, il épuise financièrement nos établissements et ne permet pas de faire fonctionner les équipes de santé de manière cohérente, l’engagement d’un intérimaire ne pouvant pas être le même que celui d’un agent permanent.
En limitant la possibilité et la durée pendant laquelle il est possible d’exercer son activité médicale par intérim, nous pourrions favoriser une meilleure répartition des médecins sur le territoire et encourager les installations définitives dans certains établissements.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Lors de la discussion générale, Mme Guillotin m’a interrogée sur les chiffres. Pour la rentrée 2022, quelque 3 388 postes d’internes en médecine générale ont été ouverts. En 2027, ce sera 4 635 postes, soit une augmentation de 26 %.
Par ailleurs, nous travaillons bien sur l’anticipation. Nous construisons un modèle démographique prenant en compte la pyramide des âges, mais pas seulement, car ce critère ne suffit plus. En effet, le mode d’exercice a beaucoup changé ; le temps médical et le temps de travail ont évolué.
Nous travaillons sur un modèle différent grâce à un transfert de tâches et à l’arrivée du numérique. Nous sommes bien dans une phase d’anticipation, pas seulement pour la médecine générale, mais pour toutes les professions de santé. Comme vous le savez, nous manquons aussi d’aides-soignants et d’infirmiers. Ce sera l’enjeu du groupe de travail de l’un des CNR nationaux qui seront lancés très prochainement.
Le ministère dont j’ai l’honneur d’avoir la charge a pour mission – c’est dans son intitulé – l’organisation territoriale. Je me trouvais lundi en Aveyron, où j’ai pu constater la situation que vous avez décrite. La nouvelle méthode souhaitée par le Président de la République et la Première ministre est de partir des territoires et de travailler avec eux pour apporter des réponses.
C’est ce changement de méthode que nous voulons promouvoir. Je réalise de nombreux déplacements en ce moment. Au travers des CNR, qui sont en train de se dérouler, nous voyons des propositions émaner de chaque territoire. Elles peuvent d’ailleurs être adaptées à d’autres.
Nous accompagnerons rapidement ceux qui formulent des propositions et nous mettrons à leur disposition, dans cette fameuse grande boîte à outils, des solutions innovantes et intéressantes qui proviennent d’autres territoires.
L’idée est bien de partir de chaque territoire pour faire remonter des propositions, plutôt que de prendre des décisions unilatérales s’appliquant à tous. Ce que j’ai vu à Saint-Georges-de-Luzençon ne pourrait pas être appliqué en Île-de-France, qui est, je le rappelle, le plus grand désert médical de France.
Monsieur Wattebled, nous sommes en train d’expertiser la mesure envisagée dans votre amendement déclaré irrecevable avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Peut-être pourrait-on effectivement donner aux maires la possibilité de mettre à disposition du personnel dans les maisons médicales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.) Expertiser ne veut pas dire promettre d’appliquer. Mais nous avons lancé l’expertise.
Je rappelle à ceux qui déplorent l’absence de projet de loi sur la santé l’existence de Ma santé 2022.
La situation est tellement préoccupante que je ne cesse de dire que nous sommes dans le mur. La France est, pour 87 % de son territoire, un désert médical. Or, précisément parce que nous sommes dans le mur, nous sommes convaincus que c’est bien ensemble, et avec les élus locaux, les professionnels de santé et les usagers – il ne faut pas les oublier –, que nous trouverons des réponses. Celles-ci passeront à la fois par la coordination entre les professionnels de santé et par la coopération entre les élus, les professionnels de santé et les usagers, et non par de la coercition. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Grand, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Malhuret et Louault, Mme Perrot, M. Bonhomme et Mme Dumont, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après le mot :
universitaire
insérer les mots :
pendant un semestre et auprès d’un médecin traitant pendant l’autre semestre de l’année de professionnalisation
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. L’année de professionnalisation prévue dans la proposition de loi constitue un moyen efficace pour lutter contre les déserts médicaux.
Toutefois, dans sa rédaction actuelle, le texte prévoit que cette année soit effectuée auprès d’un maître de stage universitaire. Or, dans les territoires ruraux, certains médecins qui ont beaucoup de clientèle n’auront peut-être pas les moyens ou le temps d’aller se former comme maîtres de stage.
Cet amendement vise donc à prévoir que le stage puisse être réalisé pendant six mois avec un maître de stage, puis pendant six mois avec un médecin traitant, qui serait le médecin référent.
La dixième année d’études médicales intervient après trois ans d’internat, auxquels on ajoute une quatrième année d’études. Le médecin junior pourrait déjà, si cette quatrième année n’existait pas, effectuer des remplacements.
Je propose donc de raccourcir à six mois la période de stage avec un maître de stage et d’ouvrir la possibilité, les six derniers mois, d’exercer avec un médecin traitant, qui serait le médecin référent. Cela permettrait, d’une part, de soulager ce dernier, d’autre part, de favoriser une éventuelle association par la suite.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Grand, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Malhuret et Louault, Mmes Perrot et F. Gerbaud, M. Bonhomme, Mme Dumont et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après le mot :
universitaire
insérer les mots :
ou d’un médecin traitant
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Cet amendement vise à permettre à un médecin traitant d’encadrer la professionnalisation pendant un an. Mais je soutiens plutôt l’amendement n° 8 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. Le statut de maître de stage universitaire nous paraît très important. Il suppose une formation préalable à l’agrément et permet d’assurer la qualité de l’encadrement des jeunes médecins en année de professionnalisation.
De plus, le nombre de maîtres de stage universitaires a beaucoup augmenté ces dernières années, et il continue de croître, grâce aux efforts conjugués des universitaires et des collectivités.
Par ailleurs, il ne paraît pas souhaitable de scinder l’année de professionnalisation en deux semestres auprès de deux praticiens distincts. Un exercice long est préférable pour favoriser tant l’autonomie progressive du jeune médecin que son installation dans le territoire.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le Gouvernement, qui est particulièrement vigilant sur la qualité de l’encadrement pédagogique des futurs professionnels de santé, émet un avis défavorable sur ces deux amendements, pour les mêmes raisons que la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je ne soutiendrai pas non plus les amendements de Daniel Chasseing, car je pense qu’il faut faire attention au message que l’on envoie aux jeunes médecins. Ces derniers nous demandent, si nous leur imposons de faire une année de plus, d’être encadrés par un maître de stage universitaire.
Je nous appelle d’ailleurs à prendre garde à ne pas brutaliser les jeunes médecins à chaque disposition que nous adoptons. Les internes sont en souffrance ; ils nous le disent sans cesse. Cela ne se passe pas bien dans les hôpitaux, et c’est récurrent : ils sont soumis à des rythmes très élevés.
De plus, leur rémunération pour remplir une fonction essentielle n’est pas satisfaisante. Ce qui est problématique dans le texte du Gouvernement comme dans la proposition de loi, adoptée par la majorité sénatoriale, de Bruno Retailleau, c’est le fait de considérer qu’il s’agit d’une quatrième année d’internat, donc avec la rémunération d’un interne.
Dire qu’il s’agit d’une année non pas d’internat, mais de professionnalisation ouvre la voie à une rémunération plus élevée et plus juste. C’est la raison pour laquelle je défends cet article 1er.
Madame la ministre, le rôle des maires ne se définit pas en expertisant un amendement. Il faut modifier les compétences dans la loi. Or les occasions n’ont pas manqué. Je pense notamment à l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS).
À chaque fois, le Gouvernement a refusé d’étendre la compétence des maires en la matière. S’il l’avait fait, ces derniers n’auraient pas les problèmes qui ont été rappelés par notre collègue. J’appelle donc à ce que l’on reconnaisse dans la loi le rôle des collectivités territoriales en matière de santé.
Enfin, madame la ministre, vous poursuivez largement une politique de l’offre reposant sur la restriction du nombre de soignants formés, puisque l’Ondam de soins de ville augmente deux fois moins vite que le niveau des prix et que la hausse de l’Ondam hospitalier est également inférieure à l’inflation.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je suis d’accord avec Bernard Jomier : ces praticiens ne doivent pas être rémunérés comme des internes. C’est pourquoi je proposais dix consultations par jour, c’est-à-dire 5 000 euros par mois. C’est indispensable si nous voulons un dispositif efficace en milieu rural, où les médecins ont plus de 60 ans, ont une patientèle énorme et ne voudront pas être maîtres de stage.
Autrefois, on faisait des remplacements dès l’internat. Attendre la dixième année serait excessif. Nous pourrions donc permettre, au cours des six derniers mois, qu’un médecin traitant soit médecin référent d’un interne, qui viendrait l’aider et serait, en quelque sorte, un médecin remplaçant. Le médecin référent serait là au cas où le médecin junior rencontre un problème ou a besoin d’un avis pour aiguiller au mieux son malade.
Je pense que ce serait une bonne idée. Mais, comme on me dit que c’est mal, je retire mes deux amendements, madame la présidente.
Mme la présidente. Les amendements nos 8 rectifié et 7 rectifié sont retirés.
L’amendement n° 13, présenté par Mmes Poumirol, Le Houerou et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne, Féret, Jasmin, Meunier, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer les mots :
départemental de l’Association des maires de France
par les mots :
des communes du département
La parole est à Mme Émilienne Poumirol.
Mme Émilienne Poumirol. Nous avions d’abord prévu de faire siéger des membres de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) au sein de la commission départementale chargée de gérer l’affectation et l’aide à l’installation. Mais il existe d’autres associations de maires, comme l’Association des maires ruraux de France (AMRF).
Il nous paraît donc préférable, d’un point de vue rédactionnel, de mentionner les « communes du département » plutôt que le représentant de l’AMF.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. La commission ayant rejeté le texte, elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.
À titre personnel, je crois qu’il serait souhaitable qu’un représentant des communes du département participe aux commissions départementales. Les collectivités territoriales jouent un rôle important dans l’accueil des étudiants stagiaires et, plus largement, dans les politiques d’attractivité visant à favoriser l’installation des médecins.
L’amendement tend à substituer au représentant de l’AMF, mentionné dans le texte, un représentant des communes. Certains maires qui s’investissent sur la question sont membres, par exemple, de l’AMRF. Ils pourraient participer à cette commission départementale. Il faut être le plus ouvert possible.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Cet amendement vise à prévoir que la commission d’affectation et d’accompagnement à l’exercice de l’année de professionnalisation, qui serait chargée de fixer dans chaque département la liste des futurs médecins généralistes et leurs lieux d’exercice, compte un représentant des communes du département au lieu d’un représentant départemental de l’AMF.
À mon sens, il n’y a pas de différence entre ce que vous proposez et ce qui figure dans le texte initial. L’AMF représente en effet chaque commune du département, et son représentant départemental est en mesure de représenter les communes du département. De plus, afin d’organiser la mise en œuvre de la quatrième année d’internat de médecine générale, une mission a été confiée par le Gouvernement à quatre personnalités qualifiées. Elle a auditionné les représentants des principales associations représentatives des collectivités territoriales.
Cet amendement est donc satisfait. J’en demande le retrait. À défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 293 |
Pour l’adoption | 97 |
Contre | 196 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
L’article L. 1411-11-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après la première occurrence du mot : « santé », la fin de la seconde phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « , d’une maison de santé ou d’une convention entre professionnels de santé de soins de premier recours dont au moins un médecin généraliste de premier recours. » ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À compter du 1er janvier 2026, l’exercice libéral de la médecine générale de premier recours est organisé sous la forme d’équipes de soins primaires. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 297 |
Pour l’adoption | 99 |
Contre | 198 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 3
La première phrase du premier alinéa de l’article L. 6314-1 du code de la santé publique est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « La mission de service public de permanence des soins est assurée, en collaboration avec les établissements de santé et en concertation avec les professionnels de santé, le cas échéant regroupés sous la forme d’une communauté professionnelle territoriale de santé, par les médecins mentionnés à l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, dans le cadre de leur activité libérale, et aux articles L. 162-5-10 et L. 162-32-1 du même code, dans les conditions définies à l’article L. 1435-5 du présent code, de manière obligatoire si la continuité du service public l’exige. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent alinéa. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 100 :
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Pour l’adoption | 142 |
Contre | 173 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 4
Après le 20° de l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 20° bis ainsi rédigé :
« 20° bis Dans les zones définies au 2° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique par les agences régionales de santé en concertation avec les organisations syndicales représentatives des médecins au plan national dans lesquelles est constaté un excédent en matière d’offre de soins, les conditions du conventionnement à l’assurance maladie de tout nouveau médecin libéral sous réserve de la cessation d’activité libérale concomitante d’un médecin exerçant dans la même zone. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent 20° bis ; ».
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 101 :
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Pour l’adoption | 120 |
Contre | 195 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Après l’article 4
Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par M. P. Joly, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article L. 4131-6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4131-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4131-6-…. – La signature par un médecin, généraliste ou spécialiste, installé dans une zone caractérisée par une offre de soins particulièrement élevée au sens du 2° de l’article L. 1434-4, d’une convention prévue par l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale est subordonnée à l’exercice préalable de son activité, pendant au moins douze mois en équivalent temps plein dans une zone autre que celles évoquées aux 1° et 2° de l’article L. 1434-4 du présent code. Cette durée peut être accomplie, selon le choix du médecin, de manière continue ou par intermittence et à un rythme qu’il détermine.
« Dans l’une des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4 cette durée est réduite à six mois. Cette durée peut être accomplie, selon le choix du médecin, de manière continue ou par intermittence et à un rythme qu’il détermine. Le cas échéant, la période accomplie dans cette zone est prise en compte pour le calcul de la durée mentionnée au premier alinéa si le médecin concerné s’installe ultérieurement dans une zone relevant du 2° de l’article L. 1434-4.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
II. – Les dispositions du I ne sont pas applicables aux médecins qui, à la date de publication de la présente loi, remplissaient les conditions mentionnées au I de l’article L. 632-2 du code de l’éducation.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Cet amendement a pour objet de faciliter et de renforcer l’accès aux soins. C’est une urgence dans les territoires.
Les conséquences de la difficulté d’accéder aux soins sont dramatiques. Dans les territoires, la fréquence des consultations médicales est deux fois plus faible que la moyenne nationale. Résultat, l’espérance de vie y est plus faible – certes, ce n’est évidemment pas la seule raison – de quatre ans à cinq ans. En fait, si l’on ajoute à cette inégalité territoriale les inégalités sociales, l’espérance de vie peut même être plus faible de treize ans. C’est inacceptable !
Il nous faut aujourd’hui gérer la pénurie. La situation actuelle dans les territoires crée une insécurité totale pour la population, en particulier là où elle est vieillissante, donc avec le besoin de soins que vous connaissez, et dans les territoires ruraux.
Notre proposition n’est pas conçue contre les étudiants ou les médecins qui viennent d’être formés. Il s’agit non pas d’une coercition – soyons attentifs aux mots qui sont employés –, mais plutôt d’une démarche de régulation.
Les mesures incitatives, qui sont nombreuses et très avantageuses, ne sont pas suffisantes. Il faut aller au-delà.
C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à demander aux étudiants formés souhaitant exercer leur activité dans une zone surdotée de s’installer d’abord dans une zone normale pendant douze mois, fractionnables sur une durée de trois ans pour prendre en compte d’éventuelles contraintes familiales. Ils viendraient y effectuer des présences médicales d’un jour ou un jour et demi par semaine, par exemple. Cela permet de se constituer une patientèle et de la suivre, et n’empêche pas d’exercer en même temps dans les zones métropolitaines denses, ni d’organiser une vie de famille ou de prendre en compte les contraintes d’un conjoint. Ces douze mois seraient réduits à six mois dans les zones sous-dotées, c’est-à-dire les déserts médicaux.
Mme la présidente. L’amendement n° 15, présenté par M. P. Joly, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article L. 4131-6, il est inséré un article L. 4131-6-… ainsi rédigé :
« Art. L. 4131-6-…. – L’exercice de la médecine à tout autre titre que ceux mentionnés à l’article L. 4131-6 est subordonné à l’exercice préalable de la médecine générale, pendant six mois en équivalent temps plein, dans l’une des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4. Cette durée doit être accomplie de manière continue dès l’obtention du diplôme.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
II. – Les dispositions du I ne sont pas applicables aux médecins qui, à la date de publication de la présente loi, remplissaient les conditions mentionnées au I de l’article L. 632-2 du code de l’éducation.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Cet amendement tend à prévoir que les étudiants formés souhaitant exercer la médecine non pas devant des patients, mais, par exemple, en laboratoire devraient pratiquer pendant six mois dans un territoire sous-doté à la sortie de leur formation avant d’exercer leur activité professionnelle.
Actuellement, selon des modalités de calcul que l’on peine à maîtriser et qui, à mon avis, mériteraient d’être révisées, il est considéré que 13 % de notre territoire est en zone surdotée. La réalité est que nous souffrons d’une pénurie. Si l’on calcule une moyenne de présence médicale par rapport à la population, compte comme zones surdotées tout territoire où la présence médicale est supérieure à la moyenne, et comme zone sous-dotée tout territoire où elle est inférieure à la moyenne nationale. Nous devons revoir ces méthodes, car la pénurie durera encore au moins une dizaine d’années.
Il faut y apporter des réponses de long terme et sortir des définitions théoriques de ce qui constitue un encadrement satisfaisant de la population sur le plan médical.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. L’amendement n° 14 tend à proposer un mécanisme plus contraignant que le conventionnement prévu à l’article 4. Cela n’éviterait pas la surconcentration des médecins en zones surdotées et ne permettrait donc pas une répartition équilibrée des professionnels sur le territoire. La commission en demande donc le retrait. À défaut, l’avis serait défavorable.
L’amendement n° 15 vise à résorber la pénurie de médecins généralistes dans les zones en difficulté, mais la méthode employée ne me semble pas tout à fait convaincante. Elle supposerait en effet que la médecine générale puisse exercer « au pied levé ». Or il s’agit bien d’une spécialité en soi, à laquelle les internes en médecine générale sont formés. Il ne serait pas opportun de créer des médecins généralistes contre leur gré ou sans formation spécifique adaptée. La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Avis défavorable sur l’amendement n° 14, qui vise à conditionner le conventionnement en zones surdotées à un exercice préalable équivalent à au moins douze mois en ETP sur trois ans en zone que l’auteur qualifie de « normale ». Mais la contrainte à l’installation n’est pas la solution. Introduire une telle coercition conduirait inéluctablement un grand nombre de médecins à retarder leur installation ou à s’orienter vers des solutions de contournement. Cela risquerait d’aggraver encore les problèmes d’accès aux soins. Les résultats très mitigés des dispositifs de conventionnement coercitif mis en œuvre en Allemagne, par exemple, montrent bien les limites de ce type de mesures.
Par ailleurs, il est difficile d’identifier des zones surdenses pour les médecins, en particulier généralistes, car les difficultés démographiques affectent aujourd’hui la quasi-totalité du pays, puisque 87 % du territoire français est en désert médical.
En outre, dans les zones moins sous-dotées, les projections démographiques annoncent souvent qu’un nombre important de médecins partiront à la retraite dans les cinq prochaines années.
L’avis du Gouvernement est également défavorable sur l’amendement n° 15, ayant pour objet de mettre en place une obligation générale d’exercice en médecine générale pour l’ensemble des nouveaux diplômés qui n’exerceraient pas devant des patients. Une telle généralisation reviendrait à nier la spécificité de la médecine générale. Tout interne de médecine n’est pas directement au contact d’un patient au cours de sa formation initiale. Je pense par exemple aux étudiants en santé publique, dont la formation vise à leur donner une approche collective des problèmes de santé, et à les rendre capables d’apporter une expertise médicale aux questions posées en termes de santé des populations et de contribuer à l’argumentation des politiques sanitaires. Par ailleurs, nous n’entendons pas contraindre la liberté d’installation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. J’entends dire que les zones sous-denses représenteraient 87 % du territoire national.
Mais la Drees, organisme scientifique sérieux, montre bien qu’il y a une gradation dans la densité médicale. Elle indique notamment que 30 % du territoire compte comme zone d’intervention prioritaire. En deuxième niveau figurent les zones d’action complémentaire, qui couvrent plus de 40 % du territoire. En somme, les trois quarts du territoire nécessitent des actions prioritaires ou complémentaires. C’est donc un quart qui reste, et non 13 %. Veillons à l’équité territoriale, pour que les inégalités ne s’approfondissent pas. Cela implique de ne pas minimiser les gradations, pour agir d’abord dans les zones les moins bien loties.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 14.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 102 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 276 |
Pour l’adoption | 7 |
Contre | 269 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 15.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 5
Le 4° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « La distinction entre l’exercice à titre libéral ou en centre de santé ne peut en elle-même fonder de différences dans l’octroi des aides attribuées aux praticiens en application du présent 4° ; ».
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Grand, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Malhuret et Louault, Mmes Perrot et F. Gerbaud, M. Bonhomme et Mme Dumont, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. L’article 5 pose le problème d’une égalité de traitement entre les médecins libéraux et les médecins salariés en matière d’aide publique.
Compte tenu des particularités de chacun des modes d’exercice, cette égalité n’est pas juste. Les médecins libéraux prennent des risques : ils vont s’installer dans une maison de santé pluridisciplinaire, ils paient une secrétaire, ils versent un loyer à la commune ou à la communauté de communes, et ils gèrent en association la maison de santé.
Il s’agit non pas de hiérarchiser les modes d’exercice, mais simplement de reconnaître que les statuts sont différents. Le volume de travail des médecins libéraux permet de prodiguer davantage de soins que celui des médecins salariés.
Le salariat répond aux aspirations de nombreux médecins. Il convient à l’hôpital, où les médecins sont nombreux et où les horaires, notamment aux urgences, sont précis. Mais la médecine libérale est chargée de résoudre les difficultés d’accès aux soins, tout particulièrement en zone rurale. Il faut donc encourager les médecins qui prennent des risques pour s’y installer et y accomplissent un volume horaire important.
C’est pourquoi mon amendement n° 6 tend à supprimer l’article 5.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Annie Le Houerou, rapporteure. La commission a malheureusement émis un avis favorable sur cet amendement, qui vise à supprimer l’article 5. Elle a considéré que les modes d’exercice libéral et salarié avaient leurs singularités, pouvant fonder une distinction dans l’octroi des aides.
Les contrats incitatifs prévoient déjà des montants et des modalités différents. Pour un praticien travaillant à temps plein en zone sous-dotée, l’aide est de 50 000 euros pour un exercice en libéral contre 30 000 euros pour le premier ETP au sein d’un centre de santé. Les porteurs d’un projet de centre de santé prennent aussi un risque.
À titre personnel, je considère que l’exercice salarié de la médecine contribue aux soins de premier recours au même titre que l’exercice libéral. Il est donc normal que les aides ne soient pas discriminantes et qu’elles incitent équitablement à travailler dans les zones sous-denses.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Avis favorable. L’un des enjeux aujourd’hui est de répondre aux aspirations des jeunes médecins, qui peuvent être différentes dans les choix du mode d’exercice, salariat ou libéral. Je souscris à l’argument selon lequel il n’y a pas de hiérarchisation des modes d’exercice.
Des dispositions conventionnelles régies par le code de la sécurité sociale prévoient bien une transposition des dispositions de la convention nationale médicale aux centres de santé. Le contrat d’aide à l’installation des centres de santé médicaux polyvalents est une transposition à l’identique du contrat d’aide à l’installation accessible aux médecins s’installant en libéral.
Ainsi, à condition de maintenir le centre de santé pendant cinq ans dans la zone sous-dotée et de participer à la permanence des soins ambulatoires, ce centre peut bénéficier de 30 000 euros par ETP de médecin généraliste salarié.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.
M. Patrice Joly. J’avais cru comprendre que certains collègues étaient pour la liberté. L’article 5 vise justement à favoriser un choix libre en garantissant que les avantages soient les mêmes, que l’on s’installe comme libéral ou comme salarié d’un centre de santé. Il me semblerait cohérent d’organiser une forme de neutralité dans l’accompagnement de l’installation si nous voulons encourager les jeunes médecins à s’installer dans les territoires en manque de professionnels de santé. Ils pourront ainsi choisir ce qui leur convient le mieux, au regard à la fois de leurs envies professionnelles et de leur choix personnel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Lorsque nous avons rédigé cet article, nous avons en effet pensé à la liberté d’installation, qui est un principe important. Il nous semblait anormal qu’il y ait une discrimination entre l’exercice libéral et l’exercice en centres de santé. Les deux sont complémentaires ; il n’est évidemment pas question de les opposer. Nous devons permettre à chaque jeune médecin de choisir l’exercice qui lui paraît le plus intéressant en fonction de ses envies ou de ses goûts particuliers.
Or la discrimination est importante, puisqu’en centre de santé, l’aide, de 30 000 euros pour le premier ETP, n’est plus que de 20 000 euros pour le second, et s’arrête après le troisième médecin. Dans une maison de santé pluriprofessionnelle en zone sous-dotée, elle est de 50 000 euros, quel que soit le nombre de médecins installés. Le différentiel est donc important. Nous proposons de le supprimer pour offrir une véritable liberté de choix à nos jeunes étudiants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. La liberté d’installation, quel que soit le style d’exercice retenu, me paraît très importante.
Ne méconnaissons pas l’activité des centres de santé. Ceux-ci attirent les jeunes médecins, qui aiment travailler en équipe et apprécient le statut de salarié, sans dépassement d’honoraires, mais sans tâches de gestion ; c’est un peu comme à l’hôpital.
Ne pas voir cette appétence, c’est ne pas encourager les jeunes médecins à s’installer là où ils le souhaitent. Or il est de plus en plus difficile de recruter des médecins, y compris dans les centres de santé. Ne mettons donc pas des bâtons supplémentaires dans les roues au nom d’une conception idéalisée de l’exercice libéral.
Nous devons encourager chaque mode d’exercice sans discrimination : seul en cabinet, en maison de santé ou en centre de santé. Ainsi, nous obtiendrons un vrai maillage dans nos territoires, qui en ont tous besoin. Gommons donc les discriminations existantes, car nous devons faire face à une situation d’urgence absolue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Autant l’on peut entendre que les médecins libéraux prennent des risques, notamment en termes d’engagement de capital, autant il est quelque peu choquant de dire qu’ils consentent des sacrifices que les médecins salariés, voire hospitaliers ne consentent pas.
Vous dites que le volume de travail des médecins libéraux est supérieur. C’est un fait. Mais vous en tirez la conclusion que seule la médecine libérale est aujourd’hui en mesure de résoudre les difficultés d’accès aux soins.
Revenons à la réalité. Voyez d’ailleurs le titre de la présente proposition de loi : pas plus qu’une autre, la médecine libérale n’assure spontanément l’équité territoriale. Elle laisse prospérer des zones de plus en plus désertées par les médecins libéraux, tandis que l’offre de médecins conventionnés en secteur 1 diminue.
Je vous renvoie à d’autres expériences, qui répondent à l’aspiration croissante des médecins, quel que soit leur statut, à la réduction de leur temps de travail.
Certains territoires n’hésitent pas à faciliter l’ouverture de centres de santé. C’est le cas du département de Saône-et-Loire, qui est parvenu à attirer 70 médecins de statut salarié.
Rien n’empêche ces soignants – d’ailleurs, ils le font – de travailler en heures supplémentaires et, en conséquence, de prodiguer autant de soins que les médecins libéraux.
C’est en particulier le cas des nouveaux médecins, qui ne travaillent pas comme autrefois. Il ne faut donc pas considérer le nouvel exercice salarié à travers le prisme des anciens médecins libéraux.
Cette démarche issue des territoires montre bien que la solution passe aussi par les médecins salariés.
Que l’on exerce en libéral ou en salarié, la spécialité de médecine générale relève des mêmes motivations et doit faire l’objet des mêmes attentions.
Si notre objectif est de lutter sérieusement contre les déserts médicaux, toutes les solutions doivent être envisagées, en octroyant le même niveau d’aide aux médecins salariés et aux médecins libéraux.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je n’ai rien contre les médecins salariés. Je suis pour la liberté d’installation.
Mme Laurence Cohen. Nous aussi !
M. Daniel Chasseing. Par mon amendement, je souhaite ni plus ni moins favoriser l’installation des médecins libéraux.
Un médecin libéral qui s’installe dans une maison de santé ne compte pas ses heures.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas le même salaire !
Mme Véronique Guillotin. Il n’y a pas de salaire !
M. Daniel Chasseing. Je retire le mot « sacrifice », mais je répète que le médecin en maison de santé ne compte pas ses heures. Il s’occupe, en plus, de la gestion, de la coordination des soins et de l’association regroupant les professionnels paramédicaux.
Il faut encourager les médecins qui veulent s’investir dans les maisons de santé. Les centres de santé peuvent être situés en ville et les départements peuvent créer des centres de santé, afin d’attirer les médecins qui manquent.
J’approuve tout à fait cette démarche. Cependant, vous souhaitez que la dotation publique soit la même pour tous, libéraux comme salariés. Je ne suis pas d’accord. Je souhaite, par mon amendement, maintenir la différenciation qui existe actuellement.
Je suis favorable aux propositions du Gouvernement visant à favoriser l’installation des médecins libéraux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Je suis favorable à cet amendement. On ne peut pas comparer une installation libérale avec un exercice salarié, dans lequel la concurrence n’existe pas.
Les centres de santé ont leur raison d’être et les aides incitatives ont pour objet d’attirer les médecins libéraux dans les territoires sous-denses.
Il existe également des aides en faveur des centres de santé et on ne peut pas dire qu’ils ne soient pas soutenus. En tout cas, dans ma région, l’agence régionale de santé est présente quand se montent des centres de santé ou des centres mutualistes.
On ne saurait accorder une aide strictement identique aux médecins salariés et libéraux par souci d’équité. L’exercice est différent : les premiers intègrent une structure, puis gèrent leurs contrats et leurs heures, là où les seconds s’installent avec leur matériel et leur équipement et subissent des charges plus lourdes.
Les deux modes d’exercice ne sont pas antinomiques, mais on ne peut pas les comparer. C’est pourquoi je voterai l’amendement de Daniel Chasseing. (M. Bernard Fialaire applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je partage la préoccupation de mes collègues qui souhaitent – c’était le sens de l’amendement de Patrice Joly – un traitement égalitaire des médecins, quel que soit leur mode d’exercice. Le mode d’exercice est aussi un choix de vie ; il faut le respecter.
J’attire l’attention sur le fait que les aides doivent être discutées – les discussions ont d’ailleurs commencé – dans le cadre des négociations sur la nouvelle convention.
Il faut revoir le système, car, si les aides ne sont pas totalement inefficaces, la manière dont elles sont attribuées – cela a été souligné – ne les rend pas les plus efficientes possible.
Par ailleurs, le destinataire de l’aide est un paramètre important. Ce n’est pas la même chose si l’aide est perçue directement par le professionnel de santé ou par la structure dans laquelle il exerce.
J’attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de prendre des mesures contre certains centres de santé qui se développent et qui n’ont rien de sympathique.
Mme Laurence Cohen. Absolument !
M. Bernard Jomier. Ces centres pratiquent l’optimisation des aides, en s’inspirant de ce que font certains grands groupes privés.
Mme Laurence Cohen. C’est du low cost !
M. Bernard Jomier. En effet ! Nous connaissons ces pratiques. Il y a des champions qui se sont fait une spécialité de collecter les aides et de les optimiser pour développer leurs bénéfices à l’arrivée. Cela ne se sert ni la qualité des soins ni la qualité d’exercice des professionnels de santé concernés.
Nous devons affronter ces problèmes. On peut reprocher à l’amendement de ne pas être parfait sur ce point – quel amendement l’est ? –, mais il a le mérite de poser le problème.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, vous nous expliquez qu’il faut partir de la demande des médecins. Je suis assez d’accord. Mais les médecins demandent aujourd’hui à pouvoir exercer dans le domaine du salariat.
M. Jean-Luc Fichet. Il faut prendre en compte cette réalité. Vous nous expliquez que les médecins libéraux sont épuisés, qu’ils ont des charges très lourdes ou encore qu’ils ne sont pas assez payés. Mais vous indiquez aussi qu’ils pourraient continuer à exercer plusieurs années, bien au-delà de la retraite, dans ces conditions difficiles. Ne seraient-ils plus épuisés ?
Quand on vous présente une autre solution qui permettrait de diversifier l’offre au travers des centres de santé à la condition que les aides soient équitables, vous nous répondez que les choses sont différentes, que les centres de santé disposent d’autres moyens et qu’ils ne nécessitent pas autant de financements que l’installation en libéral.
Je trouve qu’il y a des contradictions dans vos explications.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 103 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Pour l’adoption | 95 |
Contre | 213 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 6
I. – Les conséquences financières résultant pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – Les conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article 6.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, si l’article 6 n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les six articles qui la composent auraient été rejetés. Aucune explication de vote sur l’ensemble du texte ne pourrait donc être admise.
Je vous invite donc à prendre la parole maintenant, si vous souhaitez vous exprimer sur ce texte.
La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.
Mme Angèle Préville. Puisqu’il ne restera rien de ce texte, je souhaite à tout le moins exprimer ma déception.
Tout le monde l’a dit : nous sommes face à une situation désastreuse, que nous n’avions pas connue depuis bien longtemps. J’ignore d’ailleurs à quelle date il faudrait remonter pour trouver de semblables difficultés d’accès aux soins.
Chaque Français est confronté à la difficulté d’accéder aux soins normalement. Je vous le dis en tant qu’élue d’un territoire rural : les Français ne comprennent pas ce qui est en train de se passer. Ils ne comprennent pas que nous n’agissions pas et qu’il y ait tant de difficultés à résoudre un tel problème.
Je souhaitais également vous interroger sur ce qui est fait pour améliorer la situation. Je voudrais notamment vous demander si les moyens déployés dans les facultés de médecine – je pense au nombre de places ouvertes, de salles, d’amphis, de laboratoires – sont suffisants.
Permet-on aujourd’hui à chaque étudiant désireux de devenir médecin d’étudier ? L’accès aux études de médecine a-t-il été facilité ? Combien d’enfants d’agriculteurs et d’ouvriers peuvent devenir médecins actuellement ? Les choses ont-elles changé ces dernières années ?
Vous avez indiqué qu’il revenait aux territoires de s’organiser. Les élus consacrent beaucoup de temps et d’énergie pour bricoler des solutions sans savoir où cela les mènera ni si leurs solutions seront efficaces. À mon sens, il n’est pas acceptable de dire tout simplement que les territoires doivent s’organiser.
Pour terminer, il a beaucoup été question de coercition. Je ne sais si j’oserai parler de devoir ou d’obligation, sachant qu’un étudiant en médecine coûte à l’État, je crois, 20 000 euros. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la ministre déléguée le conteste également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme Émilienne Poumirol. Je voudrais également souligner ma déception.
Le travail qui a été mené sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’est fondé sur des auditions à répétition, auxquelles nous sommes nombreux à avoir participé.
Je pensais que nous aurions là une occasion de discuter ensemble de ce problème majeur, qui touche notre pays et qui inquiète très fortement – vous le savez bien, puisque la chambre haute représente les collectivités territoriales – les élus locaux et nos concitoyens.
Or l’usage de la technique du scrutin public systématique à chaque article a permis, malgré de très faibles effectifs – un ou deux sénateurs présents en séance –, au groupe Les Républicains d’emporter le vote. La présence n’est pas obligatoire pour les scrutins publics.
Pire : nous n’avons pas pu discuter.
Madame la ministre, vous avez affirmé que nos propositions étaient contraignantes.
À l’article 1er, la contrainte n’est pas plus importante que celle que vous avez intégrée, dans le droit fil de la proposition de loi déposée par M. Retailleau, dans l’article 23 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Vous imposez un stage rémunéré comme un stage d’internat, alors que nous parlons d’une rémunération à négocier avec les internes.
Dans notre article 2, nous parlons d’un exercice coordonné, et non d’une obligation. Je vous rappelle que l’ordre national des médecins s’est prononcé récemment pour instaurer une obligation dès 2026. Nous ne sommes pas plus coercitifs que lui.
Depuis quatre ou cinq ans, l’exercice coordonné est favorisé. Malheureusement, nous attendons encore et toujours des résultats. À ce jour, à peine 220 équipes de soins primaires (ESP) ont été montées en France. C’est trop peu.
Dans l’article 3, relatif à la PDSA, nous ne parlons pas de garde individuelle. Nous demandons que l’on mène une concertation avec les ARS et les CPTS pour définir des zones de garde qui soient intéressantes pour tout le monde.
Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.
La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Tous les sénateurs représentant des territoires ruraux constatent des difficultés. Malheureusement, le numerus clausus a été supprimé bien trop tard. Les problèmes ne se résoudront pas du jour au lendemain et dureront au moins jusqu’en 2030.
J’étais en accord avec la plupart des articles de la proposition de loi. Il est en effet préférable de viser non pas les internes, mais des docteurs juniors, avec des salaires beaucoup plus élevés.
Comme je souhaite que les médecins libéraux soient plus nombreux, j’avais proposé une rémunération de 5 000 euros.
La coordination prévue à l’article 2 me semble également très pertinente. De toute manière, les maisons de santé favorisent la coordination. Il faut donc aller dans ce sens.
Nous devons aussi – c’est possible – favoriser l’accès aux soins non programmés dans les CPTS.
Mme Laurence Cohen. Arrêtons les petits pas ! Soyons audacieux !
M. Daniel Chasseing. Par ailleurs, les professionnels doivent accepter qu’il y ait des gardes à faire. Cela me paraît tout à fait normal.
Mme Laurence Cohen. On attend, on attend…
M. Daniel Chasseing. Je suis également favorable au conventionnement sélectif prévu à l’article 4.
Mais je suis en désaccord sur l’article 5. Si je n’ai rien contre les centres de santé ni contre les médecins salariés, je souhaite que l’on favorise les médecins qui s’installent en libéral.
Mme Laurence Cohen. C’est déjà le cas !
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales. Je remercie Mme la rapporteure, ainsi que les auteurs de ce texte pour les travaux réalisés. Nous avons lu le rapport. Il sera source d’inspiration pour les débats futurs.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article 6.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 104 :
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 203 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les six articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au dimanche 13 novembre 2022 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente :
Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (procédure accélérée ; texte de la commission n° 187, 2022-2023).
À dix-sept heures trente :
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, relative à la politique de l’immigration.
Éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (procédure accélérée ; texte de la commission n° 187, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER