Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Martine Filleul, M. Jacques Grosperrin.
2. Financement de la sécurité sociale pour 2023. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Adoption, par scrutin public solennel n° 51, du projet de loi, modifié.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées
Suspension et reprise de la séance
3. Établissement d’une paix durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution
PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 52, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Situation et perspectives des collectivités territoriales. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains
Mme Cécile Cukierman ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales ; Mme Cécile Cukierman.
M. Pascal Martin ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Stéphane Ravier ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Jean-Yves Roux ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Rémy Pointereau ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Franck Menonville ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Guy Benarroche ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales ; M. Guy Benarroche.
Mme Patricia Schillinger ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Éric Kerrouche ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Bernard Delcros ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales ; M. Bernard Delcros ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée.
M. Arnaud Bazin ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
Mme Victoire Jasmin ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Jean-Marc Boyer ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Jean-Claude Tissot ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Fabien Genet ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales ; M. Fabien Genet.
M. Cédric Vial ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Bruno Rojouan ; Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.
M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
6. Soutien aux édiles victimes d’agression. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Soutien aux édiles victimes d’agression. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 4 de M. Patrick Kanner. – Retrait.
Amendement n° 6 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 13 de M. Guy Benarroche. – Devenu sans objet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 3 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.
Amendement n° 1 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.
Amendement n° 20 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 22 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 21 de la commission. – Adoption de l’amendement modifié l’intitulé.
Adoption, par scrutin public n° 53, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
9. Modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi
Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er et 2 (nouveau) – Adoption.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Martine Filleul,
M. Jacques Grosperrin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Financement de la sécurité sociale pour 2023
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, de financement de la sécurité sociale pour 2023 (projet n° 96, rapport n° 99, avis n° 98).
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Sénat a entamé il y a huit jours l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, troisième PLFSS depuis l’émergence de la pandémie de covid-19.
Pour la première fois, l’an prochain, le seuil symbolique des 600 milliards d’euros devait être dépassé, en incluant 240 milliards d’euros dédiés à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) – un niveau historique, en progression de 3,7 % par rapport à 2022.
Ce budget, lors de sa planification, traduisait le choix d’un système de santé renforcé et empreint de justice pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et de nos professionnels de santé.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale – vous le rappeliez lundi dernier, monsieur le ministre – était un texte d’engagement et d’investissement pour notre système de santé, une première pierre à l’effort de refondation.
Très concrètement, pour les Français qui nous écoutent, ce projet de loi, dans sa version originelle, permettait de trouver plus facilement un médecin traitant, d’attendre moins longtemps aux urgences, de trouver une aide à domicile pour son parent âgé ou en situation de handicap, de bénéficier d’un mode d’accueil pour son enfant, d’être mieux soutenu en tant que famille monoparentale et, enfin, d’effectuer plus facilement ses déclarations Urssaf en tant qu’entrepreneur.
J’aimerais revenir sur deux mesures phares proposées dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
La première est le renforcement du virage préventif, qui trouve une traduction concrète dans la mise en place des rendez-vous de prévention aux âges clés – 20-25 ans, 40-45 ans et 60-65 ans – et dans l’accès facilité à la contraception d’urgence pour les femmes majeures, sans oublier la simplification de l’accès à la vaccination par la multiplication des opportunités vaccinales.
La seconde mesure phare est l’amélioration de la prise en charge des modes d’accueil du jeune enfant, qui permet de répondre aux besoins des familles monoparentales pour les enfants de plus de 6 ans, mais aussi de diminuer le coût du recours à une assistante maternelle pour les parents.
Pour autant, la majorité du Sénat n’a pas été convaincue par ce PLFSS. Si 18 amendements du Gouvernement ont été adoptés au cours de l’examen de ce texte, l’adoption de 96 amendements du rapporteur a contribué à améliorer le projet de loi, mais aussi à en modifier la portée.
Nous avons pu apprécier le professionnalisme de la majorité sénatoriale, qui a rétabli les deux premières parties du PLFSS pour 2023, mais aussi nous réjouir pour nos aînés, entre autres, de l’adoption de l’amendement du Gouvernement n° 1141, visant à majorer la compensation versée aux départements au titre des revalorisations prévues dans le cadre de l’avenant 43 à la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile et du complément de traitement indiciaire pour les services d’aide à domicile de la fonction publique territoriale.
Nous avons également pu nous réjouir de l’adoption de l’amendement gouvernemental n° 943, qui vient transformer le système d’information des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
La stratégie d’harmonisation de 2015 a fortement contribué au déploiement d’une première phase de coordination des pratiques professionnelles, à l’automatisation des échanges avec les partenaires des MDPH, à la mise en œuvre de projets structurants, ainsi qu’à la mise à disposition et à la fiabilisation d’indicateurs de pilotage.
Mais ce modèle a atteint ses limites, et il est désormais temps de basculer vers un système d’information unique pour les MDPH.
Enfin, notre groupe et les nombreux Français qui peinent à accéder aux soins peuvent se réjouir de deux améliorations.
La première tient à l’adoption de l’amendement n° 894 rectifié. Par celle-ci, est étendue la condition de durée minimale d’exercice dans un cadre autre que des missions d’intérimaire pour les professionnels de santé mis à disposition auprès d’un établissement de santé en France dans le cadre d’un contrat conclu par une entreprise de travail temporaire établie à l’étranger.
La seconde amélioration réside dans l’ajout par voie d’amendement de l’article 24 quater. Celui-ci prévoit l’expérimentation, pour une durée de trois ans, du versement aux médecins, en complément de la rémunération à l’activité, d’un forfait financé par le fonds d’intervention régional.
Ce forfait permettra de couvrir les frais associés aux sujétions liées aux consultations effectuées dans les zones sous-dotées. Cela semble évident, mais notons que, pour garantir la diversité des territoires investis dans ce dispositif ainsi que leur représentativité, il est précisé qu’au moins l’un des territoires ultramarins y prendra part, ces derniers rencontrant des difficultés accrues d’accès aux soins.
Malheureusement, cette liste non exhaustive d’amélioration ne peut compenser la suppression incompréhensible de l’article relatif à l’Ondam, ou encore la suppression de la dispense du ticket modérateur pour les consultations de prévention postérieures à 25 ans.
Depuis plus de cinq ans, la majorité sénatoriale souhaite introduire par voie d’amendement une réforme paramétrique du régime des retraites. Or la clé du système est fondée sur le pilier de la solidarité intergénérationnelle, c’est-à-dire sur notre régime de répartition.
Le Gouvernement s’est engagé, pour réformer ce régime, à lancer une grande concertation, qui doit tenir compte d’un ensemble de paramètres sociétaux : pénibilité, carrières interrompues, égalité femmes-hommes, travail des seniors.
Tenter de résoudre les faiblesses de notre système en cherchant en priorité son équilibre financier est une approche limitative. Les propositions du rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, René-Paul Savary, sont intéressantes, mais elles reviennent à inverser le calendrier qui est déjà lancé.
Pourquoi vouloir décider avant d’écouter les riches propositions issues d’un dialogue social ?
M. Marc-Philippe Daubresse. Cela fait dix ans qu’on étudie cette réforme !
M. Martin Lévrier. Telle est la différence entre ce que le Sénat veut intégrer dans le PLFSS et notre vision du dialogue nécessaire à une véritable réforme.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, compte tenu de tous les éléments précédemment cités, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce budget de la sécurité sociale, que nous qualifiions de « peu ambitieux » lors de la discussion générale, est resté plutôt fidèle à cette appréciation.
Je rappelle que c’est la première fois qu’un PLFSS arrive au Sénat après une procédure de 49.3. Notre chambre sera donc la seule à débattre de ce texte de bout en bout. Mais le 49.3 rend nos délibérations incertaines, puisque le Gouvernement aura à lui seul la charge d’écrire le texte définitif. Le rôle du Parlement en est de facto réduit.
Par ailleurs, le régime des irrecevabilités a encore restreint le débat, dans des proportions que nous jugeons excessives. Nous ne pourrons continuer dans cette voie à l’avenir.
Enfin, la semaine a produit des débats parfois éloignés de la réalité légistique. En introduisant des articles sans lien direct avec une loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a contribué à égarer le sens du texte ; nous le déplorons.
Il devient urgent de présenter un projet de loi de santé, qui tire les leçons de la pandémie et fixe l’engagement des collectivités territoriales dans ce domaine.
Sur le fond, concernant la trajectoire financière, les inquiétudes que nous avions exprimées face à vos choix n’ont pas reçu de réponse claire. Vous présentez un budget social largement en déficit malgré nos propositions en matière de recettes, tout en n’investissant pas suffisamment dans notre système de soins, du moins pas à la hauteur des besoins.
Concernant les exonérations fiscales, nous continuerons de faire des propositions utiles, appuyées sur des études telles que celle du Conseil d’analyse économique, pour supprimer les exonérations coûteuses et inutiles pour l’emploi. L’amendement que nous avons débattu dans cet hémicycle a suscité de riches débats. Nous espérons qu’à l’avenir nous parviendrons à un consensus sur la question dans cette chambre. Il y va de la pérennisation du financement de notre sécurité sociale.
Pis – les professionnels de santé ont du mal à le croire –, l’Ondam est au-dessous de l’inflation. Que les choses soient dites : en cette année de régression de l’épidémie, mais pas de fin de l’épidémie de covid-19, vous faites des économies sur le système de santé.
Le Gouvernement a, certes, porté la progression de l’Ondam à 5,5 % en 2022 par voie d’amendement, et celle du budget des hôpitaux à 3,7 % en 2023. Bien que ces augmentations soient louables, elles sont inférieures à l’inflation, dont je rappelle qu’elle est évaluée entre 6,2 % et 6,5 % cette année, et autour de 5 % en 2023.
Certaines mesures sont positives, bien sûr, comme dans tout PLFSS.
Je pense, par exemple, au dispositif d’exonération lié à l’emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi (TO-DE), qui serait pérennisé grâce à l’adoption de nos amendements.
Je pense aussi aux deux heures de soutien dédié à l’accompagnement et au lien social pour les personnes éligibles à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
Je pense enfin au remboursement sans ordonnance du dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) et à la mise en place de consultations de prévention à différents âges de la vie.
Mais le texte ne prévoit rien pour répondre à l’urgence de l’affaissement de notre système hospitalier. Il ne comporte aucune réflexion sur l’Ondam, dont la construction doit être revue en profondeur.
En dépit des propos du ministre de la santé et de la prévention, le Gouvernement s’en tient à une stricte politique de l’offre, au lieu d’entamer la conversion vers une politique des besoins en santé du pays. Le rendez-vous avec la prévention reste ainsi largement esquivé.
Les prédécesseures de M. Braun, Marisol Touraine et Agnès Buzyn, avaient trouvé un consensus sur le tabac pour en réduire la consommation. Alors que son portefeuille s’étend désormais à la prévention, qu’attend M. Braun pour agir plus fortement ?
Nous nous réjouissons que ce soit le Sénat qui ait rétabli la version initiale du texte concernant le tabac à chauffer. Celle-ci n’est certes pas révolutionnaire, mais elle a le mérite d’avoir un impact.
À l’avenir, il serait préférable que le ministre chargé des comptes publics évite de se rendre au congrès des buralistes avant de défendre le PLFSS dans cet hémicycle…
Nous avons le devoir de protéger la jeunesse. C’est pourquoi nous accueillons avec bienveillance les propositions du Gouvernement pour interdire les cigarettes électroniques jetables, ou puffs.
Nous souhaitons que les produits mêlant des arômes à l’alcool ou au tabac soient, eux aussi, progressivement interdits.
Bien que notre amendement visant à aligner la fiscalité de l’alcool sur l’inflation n’ait pas été adopté, je me réjouis de l’avis courageux qu’il a reçu de la rapporteure générale et de la commission.
De même, je salue l’adoption par le Sénat de la taxe sur les prémix à base de bière et de sucre.
Ces votes sont d’autant plus importants que le Gouvernement n’a pas proposé grand-chose en la matière. Même constat sur la santé environnementale, dont les conséquences sur notre système de soins font pourtant consensus.
Concernant la branche autonomie, je note un manque de cadre, d’objectifs et de dispositifs, qui démontre malheureusement une volonté politique trop faible.
Il n’y a toujours pas de loi relative à l’autonomie et au grand âge. C’est un renoncement. Devons-nous nous satisfaire de cette branche à déficit ? Le Gouvernement renonce-t-il à toute ambition forte en la matière ?
Enfin, ce PLFSS a bien failli contenir une réforme des retraites. Celle-ci est en discussion et nous aurons bientôt, semble-t-il, l’occasion d’en débattre.
Comment approuver un budget de la sécurité sociale en décalage avec l’état de notre système de soins et qui poursuit l’esquive sur l’autonomie et le grand âge ? Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le rejettera.
Depuis six ans, le chef de l’État n’a toujours pas donné de réelle impulsion à notre système social. L’an dernier, j’avais dédié notre vote à l’hôpital public. Cette année, à cette tribune, c’est au personnel soignant que je le dédie.
En 2020, les soignants étaient épuisés, mais fiers d’avoir accompli leur devoir face à la violente épidémie qui nous avait frappés. En 2022, ils sont épuisés et lassés des conditions de travail ou d’exercice qui se dégradent sans cesse. Ils sont au cœur d’un service public essentiel et précieux : nous leur confions l’état de santé de nos concitoyens.
Madame, monsieur les ministres, vous entamez votre première année au sein de grands ministères. Je vous souhaite de porter les thématiques de santé publique, d’accès et de qualité des soins.
Démarquez-vous de cette logique comptable et de la mainmise de Bercy sur nos politiques de santé. À défaut, vos propos volontaires resteront des mots, et nos soignants, eux, renonceront de plus en plus. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – MM. Éric Bocquet et Fabien Gay applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen de ce budget de la sécurité sociale pour 2023. Jugeant ce texte insincère et injuste, nous avions déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Après une semaine de débats, le bilan est toujours négatif, d’autant que la majorité sénatoriale l’a alourdi.
Si nous nous réjouissons notamment de l’annulation du transfert à l’Urssaf du recouvrement des cotisations au titre de l’Agirc-Arrco, de la suppression du transfert de charges de 2 milliards d’euros de la branche maladie à la branche famille et du rétablissement de la compensation des exonérations de cotisations de la prime de partage de la valeur, ces modifications ne permettent pas de revenir sur l’équilibre global du PLFSS pour 2023.
Le Gouvernement prévoit une progression des dépenses de la branche assurance maladie de seulement 3,7 %, quand il faudrait que celle-ci soit de 4 % pour tenir compte uniquement de l’évolution naturelle des dépenses de santé.
Chacune et chacun le sait ici : la hausse de 4,1 % du budget des hôpitaux demeure au-dessous du niveau de l’inflation, estimée par la Banque de France à 4,7 % pour 2023. Les affirmations d’autosatisfaction du ministre Attal n’y changent rien. C’est la première fois que l’Ondam est inférieur à l’inflation. C’est d’autant plus grave que certaines estimations prévoient une inflation à 6 %, ce qui revient à réaliser entre 1 et 2 milliards d’euros de coupes drastiques aux dépens de l’hôpital public.
Ainsi, vous allez une fois encore réduire les dépenses des hôpitaux, ce qui va entraîner des fermetures de lits d’hospitalisation, de services et d’hôpitaux de proximité dans tous les territoires.
Comment ne pas être en colère, révolté de constater que le groupe Les Républicains et le Gouvernement sont incapables de faire l’autocritique de l’échec des politiques de réduction des dépenses de santé ? (M. François Bonhomme proteste.) Cela fait trente ans que notre système de santé est gangrené par votre logique libérale mortifère !
Nous en voyons les résultats : des décennies de coupes budgétaires ont imposé un travail de plus en plus pénible à l’hôpital ; des organisations maltraitantes qui usent les personnels et dégradent la qualité des soins.
Les personnels du secteur de la santé et du médico-social sont pourtant profondément attachés au service public et à la qualité de la prise en charge des patientes et des patients. Mais après une période aussi éreintante que la covid-19 et les sacrifices personnels que ces professionnels ont consentis, l’absence de reconnaissance du Gouvernement a fait déborder le vase.
Désormais, même les plus convaincus du sens de l’intérêt général quittent le navire, parce qu’ils ont le sentiment d’être en contradiction avec leurs valeurs lorsque, faute de lits et de personnel suffisant, ils réalisent un tri des malades et laissent des heures entières des personnes âgées sur les brancards.
Comme le souligne le collectif Inter-Hôpitaux dans une tribune publiée dans Le Monde il y a quelques jours, « cette dégradation de la situation hospitalière risque d’aboutir à la disparition de pans entiers d’activités et de savoir-faire, dont l’hôpital public est le seul opérateur. La crise de la pédiatrie aujourd’hui préfigure ce qui arrivera demain pour l’ensemble de l’hôpital public ».
Face à cette situation, le Gouvernement et la droite sénatoriale préfèrent maintenir les internes une année supplémentaire en stage dans des cabinets médicaux ou dans des hôpitaux pour cacher la misère, plutôt que de financer la santé à la hauteur des besoins.
Cette situation n’est pourtant pas inexorable, et il n’est pas utopiste de trouver les 5 milliards d’euros nécessaires au recrutement de 100 000 professionnels et à la valorisation des métiers de l’hôpital.
Le Gouvernement aurait pu décider, par exemple, de ne pas créer 5 milliards d’euros supplémentaires d’exonérations de cotisations sociales pour 2023, ou encore de financer les 18 milliards de dépenses liées au covid-19 plutôt que de les faire peser sur le budget de la sécurité sociale.
Cette volonté politique vous fait défaut, car elle va à l’encontre de votre projet politique de recul social. Si vous ne l’avez pas fait, c’est parce que vous voulez déstructurer l’hôpital public au profit du privé et fixer un panier de soins minimaliste au-delà duquel la prise en charge sera assurantielle.
Tout au long de l’examen de ce PLFSS, nous avons pu constater un accord de fond entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale : ils ont rejeté de concert tous nos amendements sur de nouvelles recettes, refusant notamment de supprimer les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires ou de revenir sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui pèse lourdement sur le budget de la sécurité sociale.
La droite sénatoriale a même ajouté de nouvelles exonérations de cotisations sociales pour les médecins retraités qui continuent d’exercer.
Surtout, vous avez adopté l’amendement n° 102 rectifié, visant à reculer l’âge de départ à la retraite à 64 ans et à allonger la durée de cotisation à 43 annuités. Infondée, injuste, une telle disposition va à l’encontre de l’aspiration des 70 % de Françaises et de Français qui défendent une retraite à 60 ans pour toutes et tous.
Vous avez le mérite de la constance, mes chers collègues ; le Gouvernement s’apprête à vous emboîter le pas, annonçant la présentation d’une réforme similaire, tout aussi rétrograde, en janvier prochain.
La proximité idéologique de la majorité sénatoriale avec le Gouvernement a frisé la duplicité (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), notamment, mes chers collègues, lorsque vous avez refusé d’adopter un certain nombre d’amendements visant à appliquer les préconisations de la mission d’information sénatoriale sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), afin de réguler le fonctionnement de ces derniers.
Ce PLFSS pour 2023 est un rendez-vous manqué pour les personnels hospitaliers, qui attendaient des mesures en rupture avec les choix antérieurs afin d’améliorer leurs conditions de travail.
C’est un rendez-vous manqué pour la médecine de ville, les centres de santé, les personnels des Ehpad, les aides à domicile et toutes celles et tous ceux qui prennent soin.
Mais c’est aussi un rendez-vous manqué pour reprendre la main sur la maîtrise publique de la production de médicaments. Madame, monsieur les ministres, la semaine dernière, j’ai remis au ministre de la santé et de la prévention, François Braun, notre proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des dispositifs médicaux. L’heure est à agir en ce sens, car nous ne sommes pas au bout des ruptures de stock.
J’ai été alertée par l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament sur les risques de pénurie d’un antibiotique courant. Une telle pénurie frappe déjà les États-Unis. Or comme vous le savez bien, il peut y avoir un effet domino sur l’ensemble des antibiotiques.
Quelles mesures allez-vous prendre à court, moyen et long termes pour combattre ce phénomène structurel ? Pourquoi refuser de tirer les enseignements de la crise de la covid-19 ? Pourquoi vous obstinez-vous à poursuivre et à amplifier les mêmes politiques, dont l’échec est patent ?
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qui ont défendu un autre projet de société que le vôtre pendant tous les débats, voteront contre ce PLFSS pour 2023. (Marques de mécontentement sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.) Mes chers collègues, il n’y a que la vérité qui blesse ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat et M. Guillaume Chevrollier applaudissent également.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, avant d’aborder ce PLFSS, son contenu, ses forces et ses faiblesses, je souhaite souligner sa forte portée symbolique.
Je le dis sans réserve : la qualité de nos débats – sans être d’accord sur tout –, entre les groupes, mais aussi avec les ministres, honore la République.
Sur le terrain, dans l’opinion et même dans la sphère médiatique, les éloges sur nos travaux fleurissent.
Mme Laurence Cohen. Que d’autosatisfaction !
M. Olivier Henno. Entendez-vous les mêmes remarques que moi, mes chers collègues ? « Les débats au Sénat sont plus intéressants à suivre que ceux de l’Assemblée nationale. » « Vous travaillez bien, au Sénat. » « Heureusement qu’il y a le Sénat. »
Ces remarques ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont fondées, et même méritées.
L’examen du PLFSS est l’occasion de souligner la place, le rôle et la responsabilité du Sénat au moment précis où le cocktail fait d’une majorité relative et de groupes extrémistes et populistes puissants fragilise l’Assemblée nationale.
Oui, mes chers collègues, c’est le moment du Sénat ! La majorité sénatoriale est parfaitement à la hauteur de ses responsabilités. En cette période si particulière – permettez-moi de le constater –, le groupe Union Centriste et son président Hervé Marseille ont toute leur place en son sein.
En tant que chef de file du groupe Union Centriste sur ce PLFSS, je peux témoigner que le Sénat a trouvé toute sa place dans le monde parlementaire post-cumul et post-loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique.
Celles et ceux qui ont emprunté la dialectique du « nouveau monde » pour nous ringardiser, en justifiant parfois en chuchotant notre disparition programmée, sont à présent les premiers à vanter nos mérites. Prenons ce bénéfice, chers collègues !
Les sénateurs ne se contentent pas, comme je l’ai parfois entendu de manière pernicieuse à l’époque, de rencontrer les maires comme les visiteurs médicaux rencontraient autrefois les médecins. (Sourires.) Non, les sénateurs ne se contentent pas de faire des relations publiques auprès des élus pour assurer leur réélection.
Bien sûr, les sénatrices et les sénateurs représentent les territoires et les collectivités territoriales, et, au premier rang, les hussards de la République que sont les maires.
Mais ils sont mieux que cela : des législateurs à part entière, qui font la loi animés par l’intérêt général et le bien commun. Pour preuve, si certains regardent parfois de l’autre côté de l’Atlantique pour justifier une modification de notre Constitution, nous, sénateurs, nous ne devons pas regarder vers les États-Unis pour trouver des arguments en faveur du bicamérisme. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales approuve.) Ces arguments, ces fondements, nous les trouvons ici et maintenant.
Pardonnez-moi ce propos un peu long, mes chers collègues, mais je l’avais sur le cœur.
Je souhaite à présent mettre en avant le travail de la commission des affaires sociales, en particulier de sa présidente, Catherine Deroche, et de la rapporteure générale, Élisabeth Doineau.
J’avais salué l’année dernière votre première fois réussie, madame la rapporteure générale. La seconde fut également de très bonne facture.
Madame, monsieur les ministres, vous accordez une importance particulière à une meilleure prévention et proposez la mise en place de rendez-vous de prévention. Nous saluons cette proposition, mais, avec Jocelyne Guidez, nous considérons qu’il s’agit d’une mise de départ, car la prévention ne peut se résumer à trois rendez-vous dans la vie d’une personne.
Vous donnez la priorité au « vieillir à domicile ». Le virage domiciliaire est une priorité et nous le soutenons. Mais, en l’espèce, les moyens d’accompagnement tels que l’APA ne sont plus soutenables pour les départements. Avec Valérie Létard, nous appelons de nos vœux une réforme des concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Dans cette attente, le Sénat, sur l’initiative du groupe Union Centriste, a adopté un amendement tendant à accélérer le déploiement des deux heures de temps social prévues dans le texte tant pour les personnels des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) que pour les bénéficiaires de l’APA. Surtout, l’adoption de cet amendement permet de limiter la part de dépenses à la charge des départements au titre de l’APA.
Sur cette question comme sur tant d’autres, il n’est plus acceptable que l’État décide et que les collectivités locales doivent se contenter de payer.
J’en viens au volet familial.
Le refus par le Gouvernement de revaloriser de moitié l’allocation de soutien familial en faveur des parents isolés est l’une des rares lueurs de ce PLFSS pour la branche famille.
Pour le reste, le transfert à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) de la charge des indemnités journalières de congé postnatal ne trouvait aucune justification. Une telle mesure démontre le manque d’ambition du Gouvernement en matière de politique familiale et le refus de revenir à l’universalité des allocations familiales, qui passe par la suppression de leur modulation.
Pour nous, la politique familiale n’est pas une politique sociale : c’est bien une politique familiale.
Il convient d’ailleurs de s’atteler à la création de places de crèches – nous en avons discuté, monsieur le ministre. C’est une attente des familles, mais aussi une mesure indispensable pour assurer l’égalité hommes-femmes et accroître l’employabilité.
Enfin, je veux insister sur deux mesures qui améliorent amplement ce PLFSS.
La première est l’annulation du transfert à l’Urssaf des cotisations de retraite complémentaire de l’Agirc-Arrco. La défense du paritarisme est dans l’ADN du groupe Union Centriste et dans celui de la majorité sénatoriale. Nous sommes les défenseurs du dialogue social, non par dogmatisme, mais parce que les retraites Agirc-Arrco sont bien gérées par les partenaires sociaux.
La seconde mesure, importante, est celle qui porte sur les retraites. Elle démontre notre volonté de préserver le modèle français redistributif en maîtrisant la part des redistributions sociales.
Pour conclure, j’aborderai une question qui me tient à cœur. Notre système de santé est en train de craquer – je le dis haut et fort. Il souffre au moins autant du manque de moyens que de la suradministration ou de la surbureaucratisation, un mal bien français. (Murmures sur les travées du groupe SER.)
Je prendrai un dernier exemple. Conscients de la pénurie de médecins que connaît notre pays, nous avons voté à l’unanimité la fin du numerus clausus. Malheureusement, les conséquences de cette décision sont décevantes et ses effets se font attendre. Nous n’allons former que 13 % de médecins supplémentaires ; c’est ridicule ! À qui la faute ? À l’administration, au Conseil national de l’ordre des médecins, aux doyens des facultés ? Peu importe ! Une chose est sûre cependant : il est impossible d’en rester là, sous peine de voir la pénurie de médecins d’aujourd’hui s’aggraver demain et après-demain.
Le système est à ce point absurde que nos étudiants les plus brillants sont contraints de se rendre en Roumanie afin d’y être formés, pour revenir exercer en France à la fin de leurs études. Comment comprendre qu’un grand pays comme la France serait moins capable que la Roumanie, ou d’autres pays, de faire évoluer, dans l’intérêt de tous, son système de formation ?
Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera ce PLFSS, mais nous voulions, au travers de cette intervention, témoigner de la fragilité de notre système de santé et de l’urgence de débattre d’une grande loi Santé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, notre système de santé est très fragile et ce PLFSS, que nous votons aujourd’hui, en est l’illustration.
La responsabilité de la situation actuelle, dramatique dans certains domaines, ne peut être uniquement imputée au Gouvernement en place. L’ensemble des gouvernements qui se sont succédé depuis plus de vingt ans sont responsables des difficultés que nous rencontrons.
L’exemple le plus flagrant est celui de la pénurie de médecins et des véritables déserts médicaux qui se créent. Ainsi, même dans les grandes villes, il est impossible de trouver des médecins spécialistes dans de nombreux domaines, comme les ophtalmologistes. Tous nos concitoyens sont concernés.
Le Gouvernement ne peut évidemment pas rattraper en un jour ce qui n’a pas été accompli jusqu’ici, mais encore faudrait-il que des mesures fortes aillent dans le bon sens.
Deux sujets sont particulièrement sensibles.
Le premier a trait à la pénurie de personnels médicaux dans les hôpitaux, notamment d’infirmières et d’aides-soignantes. Cette pénurie s’explique essentiellement par le fait que, depuis des années, ces personnels sont sous-payés : ils n’ont pas obtenu la juste reconnaissance financière de leur mérite, de leur travail et de leur diplôme. Certes, des difficultés financières existent au niveau national. Cependant, au lieu de débloquer des financements en faveur de certains domaines, peut-être aurait-il été plus pertinent de les consacrer à résorber ce manque d’effectifs.
Le second sujet est relatif au nombre de médecins. Alors que j’étais député, ce problème me paraissait déjà complètement aberrant. Les « grands penseurs » des ministères avaient estimé que, pour résorber le déficit de la sécurité sociale, le nombre des médecins devait être réduit. Le raisonnement aurait pu être poussé encore plus loin et aboutir à la suppression des médecins, ce qui aurait engendré davantage d’économies encore… C’était complètement aberrant !
Ce qui est grave, c’est qu’il a fallu des décennies – pas des années, des décennies ! – pour se rendre compte qu’on allait droit dans le mur : et on s’est pris le mur ! Il serait donc pertinent que le Gouvernement prenne des mesures adéquates, nettement plus volontaristes, afin d’augmenter les effectifs d’étudiants en médecine dans les universités et de pouvoir, éventuellement, créer des centres hospitaliers universitaires (CHU) supplémentaires.
M. le président. Il faut penser à conclure. (Marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, dans ce domaine, vous auriez certainement pu faire preuve d’un peu plus d’attention à l’égard des diverses sollicitations qui vous ont été adressées.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’examen du PLFSS devrait être une consultation programmée, avec un rendez-vous retenu depuis longtemps. Cependant, en raison d’amendements éruptifs, déposés le jour même ou le soir pour le lendemain, en conséquence dépourvus d’avis de la commission, nous nous sommes nous-mêmes parfois retrouvés en « consultation d’urgence ».
Pourtant, chacun s’accorde à reconnaître que la prévention serait la réponse la plus adaptée aux maux dont souffrent les finances de la sécurité sociale.
Certes, nous saluons la réduction du déficit, convaincus que la maladie de la dette n’a pas un bon pronostic. Cependant, ce PLFSS relève davantage d’une compression exercée afin de contenir une hémorragie que d’une prise en charge globale de la maladie. Les quelques très bons amendements émanant du groupe RDSE ne sont que des pansements appliqués sur une plaie encore trop béante.
C’est d’une loi de programmation globale que le secteur sanitaire et la protection sociale ont besoin. Vous nous parlez du Conseil national de la refondation (CNR) ; mais à l’instar de la loi d’approbation des comptes devant être déposée avant le 1er juin, la thérapie est insuffisante.
Quel traitement est-il alors proposé ?
Nous saluons la mise en place des rendez-vous de prévention aux moments charnières de la vie, à 25 ans, 45 ans et 65 ans. Une consultation de prévention supplémentaire lors de l’inscription en études supérieures devrait également être envisagée. Il s’agit, en effet, d’un moment où la santé physique et psychique de certains étudiants est inquiétante.
Nous attendons avec impatience la tenue d’une conférence nationale des générations et de l’autonomie, qui doit réunir les acteurs de la politique de soutien à l’autonomie, avec une mission prospective de documentation des données démographiques, médicales et socioéconomiques du vieillissement et de la dépendance.
Mme la présidente de la commission s’est aussi engagée à conduire une mission en réponse à l’amendement, dont le premier signataire est Stéphane Artano, ayant trait au handicap psychique.
Le groupe RDSE n’a pas voté l’amendement de notre collègue René-Paul Savary, relatif au recul des droits à la retraite. Les partenaires sociaux se sont enfin réunis autour de la table ; ce serait leur envoyer un mauvais signal. Faisons-leur confiance !
Le président Emmanuel Macron a mis cette réforme à l’ordre du jour. Le groupe RDSE est conscient de la nécessité de réformer notre système de retraite. Nous espérons que cela se fera au moyen d’un accord avec les partenaires sociaux dans le cadre du projet de loi attendu en 2023.
J’émets un regret au sujet des infirmiers en pratique avancée (IPA). En effet, l’évolution des techniques et l’exercice de la médecine générale auront besoin de ces personnels, pas uniquement pour répondre à la démographie médicale. Dans dix ans, les pratiques auront évolué sous les effets de l’intelligence artificielle et de la robotique. Les transferts de tâches seront nécessaires pour redonner du temps d’analyse et de synthèse aux généralistes.
La quatrième année du troisième cycle des études de médecine générale, destinée à former aux pratiques médicales de terrain, est nécessaire. Sa finalité ne doit pas être l’envoi de médecins débutants afin de peupler les déserts médicaux. Il s’agit avant tout d’une année de formation dédiée à la spécialité de médecine générale, comme il en existe pour toutes les autres spécialités. Elle engendrera naturellement du temps médical dans les déserts médicaux.
Cette année devrait aussi pouvoir s’exercer à mi-temps au sein d’un hôpital de proximité. Le mode d’exercice mixte ville-hôpital est, en effet, recherché par de futurs médecins et utile pour nos territoires. Notre amendement sur ce point a, hélas, été rejeté.
Les futurs médecins doivent échapper au conventionnement sélectif punitif. Il est sage de laisser émerger, des discussions conventionnelles, des solutions consensuelles afin de repeupler les déserts médicaux, grâce à des temps dédiés dans les zones sous-denses, mais proposés à l’ensemble des praticiens.
Les exonérations de cotisations de retraite des médecins, cumulant emploi et retraite, dans le but de répondre à l’actuelle carence médicale sont d’ailleurs une démarche que nous soutenons. Cela doit être non pas une solution de long terme, mais une réponse conjoncturelle, en attendant les effets du numerus apertus et des partages de tâches.
La même raison justifie l’autorisation de signer des certificats de décès accordée aux infirmiers. Le groupe RDSE avait présenté plusieurs amendements, mais l’épidémie d’irrecevabilités prononcées au titre d’article 40 de la Constitution – comme je l’ai déjà dit – s’est abattue sur nos amendements et les a écartés.
La contamination financière du monde médical peut aussi fortement nous inquiéter : les cliniques ne sont plus les outils de travail des professionnels de santé, mais se révèlent des investissements financiers qui doivent devenir très rentables pour satisfaire les actionnaires.
Après les cliniques et les laboratoires, les centres de santé deviennent la proie de cette marchandisation de la médecine. Des pressions y sont exercées sur les professionnels salariés incités à prescrire, ce qui constitue ainsi un système coûteux pour les finances de la sécurité sociale. Il en est de même des réseaux de santé, comme les secteurs de l’optique et dentaire pour l’instant. C’est une perte de liberté des professionnels et des patients. Notre collègue Alain Milon l’a très bien expliqué : avec les complémentaires santé n’existent ni de participation selon ses moyens ni de prestations selon ses besoins.
Il faut s’interroger, sans tabou, sur une sécurité sociale universelle plus juste et moins coûteuse, et les complémentaires doivent devenir des supplémentaires.
La gouvernance des hôpitaux doit être revue, tout comme l’omnipotence administrative, dont les effets iatrogènes peuvent être mesurés, et les décisions ainsi que l’organisation doivent être décentralisées en fonction des territoires.
Enfin, je poursuis mon combat pour une évolution vers un équilibre entre la part Beveridge et le système bismarckien de sécurité sociale : que la vieillesse et les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) soient financés par ceux qui travaillent ; mais que la santé, la famille et la dépendance le soient grâce aux nouvelles répartitions de richesse de la société au travers de la contribution sociale généralisée (CSG), de l’impôt ou de la TVA sociale.
En diminuant les charges pesant sur les salaires, les travailleurs seront mieux rémunérés et les charges des entreprises, qui les emploient, allégées.
Emmanuel Macron avait engagé ce mouvement au début de son précédent mandat ; nous encourageons le Gouvernement à aller plus loin. Malgré quelques avancées intéressantes et l’adoption de nos amendements, notre groupe se partagera équitablement entre abstentions et votes contre le recul de l’âge de la retraite introduit par amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Didier Rambaud et Joël Bigot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Billon, Sonia de La Provôté et Valérie Létard applaudissent également.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, au terme de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, force est de constater que, vingt-six ans après la première édition de ce texte, le contrôle démocratique des finances sociales – et des 600 milliards d’euros de dépenses publiques qu’elles représentent – reste un chantier en cours. La loi organique du 14 mars dernier avait pour objectif d’y contribuer, mais ses apports sont limités.
Certes, pour la première fois, nous avons obtenu le montant des dotations des agences sanitaires financées par l’assurance maladie. Faut-il rappeler cependant que nous en disposions de manière détaillée, lorsque ces mêmes agences étaient financées par le budget de l’État ?
Pour la première fois également, nous avons obtenu, quelques heures avant le vote sur l’article qui lui est consacré, le montant des différents sous-objectifs de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, au million d’euros près. Pas plus cependant.
Avec un montant de quelque 240 milliards d’euros, l’Ondam ne peut pas rester plus longtemps une telle boîte noire. C’est ce que nous avons voulu manifester en le rejetant, tout en précisant, dans le texte, les conditions dans lesquelles le Gouvernement devrait revenir devant le Parlement en cas de dérapage.
Nous sommes un peu las de devoir quémander des chiffres qui nous sont pourtant dus.
Une fois ce PLFSS voté, je vous demande donc, madame, monsieur les ministres, d’engager avec nous un travail très opérationnel sur la mise en œuvre, pour le moins parcellaire, de la loi organique, s’agissant des informations qui nous sont communiquées.
Deuxième chantier d’importance, le financement de la sécurité sociale n’a pas davantage gagné en clarté cette année.
La commission conteste, chaque année, le calibrage du transfert de la branche des accidents du travail au titre de la sous-déclaration.
Mme Pascale Gruny. Tout à fait !
Mme Catherine Deroche. De la même manière, si l’on peut comprendre l’intérêt de ne pas creuser durablement les déficits d’une branche, alors que d’autres sont en excédent, comment concevoir de faire porter à la branche famille 60 % du coût des congés maternité, alors que les indemnités journalières resteront bien versées, en totalité, par la branche maladie ?
Avec cette mesure, on touche à une forme de raffinement technocratique qui caractérise parfois ce texte, mais qui confine, dans le cas d’espèce, à l’absurdité. Le congé post-accouchement n’est pas plus que la grossesse un mode de garde, mais il relève bien de la santé ! Par conséquent, nous avons rejeté ce transfert.
Cette année encore, nous n’avons pas échappé à des débats de fiscalité sectorielle. À titre personnel, je suis favorable au transfert à l’État de cet inventaire à la Prévert de taxations diverses n’ayant qu’un lointain rapport avec la protection sociale. Cela nous ferait gagner un temps précieux en nous épargnant des délibérations sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), les bières ou certaines substances, dont l’illégalité même, empêche à l’évidence de les taxer.
À force d’être illisible, le financement de la sécurité sociale pourrait en devenir illégitime aux yeux de nos concitoyens. Le financement des solidarités n’est pas l’affaire des seuls spécialistes. La place des complémentaires notamment, dont nous avons pérennisé la taxation, doit ainsi être clarifiée.
Troisième chantier d’importance, l’avenir.
Avant la crise sanitaire, la sécurité sociale peinait à retrouver l’équilibre. Pour ses deux principaux postes de dépenses, la maladie et la retraite, les déficits sont structurels. Ils tiennent pour une large part au vieillissement de la population. Une population qui vieillit voit croître ses besoins en transferts sociaux, tandis que les générations les plus jeunes sont moins nombreuses pour les financer et sont confrontées à leurs propres besoins.
Nous sommes fiers de notre modèle solidaire de protection sociale et nous avons raison. Cependant, la démographie le met singulièrement à l’épreuve, au risque, si nous ne faisons rien, de sa remise en cause.
Nous avons voulu apporter des réponses concrètes sur la démographie médicale, l’intérim, les biologistes ou encore les téléconsultations. Nous espérons qu’elles seront reprises, tout comme le régime social des rachats de jours de RTT ou la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE).
Préparer l’avenir, c’est aussi l’objet de l’amendement de René-Paul Savary sur les retraites.
M. Philippe Bas. Très bon amendement !
Mme Catherine Deroche. Nous ne pouvons pas passer plus de temps à la retraite, alors que les générations pour les financer sont plus réduites, sans affecter la confiance des plus jeunes dans la solidité du pacte qui consiste à leur offrir, le moment venu, la garantie que la solidarité nationale sera bien présente pour eux aussi.
La pérennité de notre modèle social suppose de le réformer, de façon continue, pour l’adapter aux mutations de la société et à l’évolution de ses besoins. S’agissant des retraites complémentaires Agirc-Arrco, le Sénat s’est aussi inquiété de la pérennité de ce modèle et a supprimé le recouvrement par l’Urssaf.
À cet égard, même si je n’élude pas celle de l’emploi des seniors, la question des retraites peut finalement paraître assez simple, une affaire de paramètres…
Celle de la dépendance est, en revanche, devant nous. À l’horizon de quelques années, les besoins connaîtront une augmentation très importante et les conditions d’un accompagnement digne des plus âgés ne sont pas en place.
Il nous manque en particulier toutes les phases intermédiaires entre le domicile et l’établissement, dont les bases sont à peine posées.
Comment rendre solvables des personnes ayant besoin de l’accompagnement d’un tiers, tout en vivant elles-mêmes de revenus de transfert ? Notre commission avait proposé qu’une assurance se développe sans tarder, car la dépendance est bien un risque et non une fatalité. Ce sera l’objet de la conférence nationale des générations et de l’autonomie, que nous avons souhaité instituer.
Ces différents constats de carence nous ont conduits à rejeter la trajectoire proposée par l’annexe B, qui ne dessine en rien une stratégie, bien qu’elle intègre une réforme des retraites, mais dont les paramètres sont inconnus.
Permettez-moi, pour conclure, même si j’interviens au nom de mon groupe, de saluer une nouvelle fois le travail des rapporteurs de la commission, qui, malgré des conditions particulièrement dégradées, ont su nous proposer des axes structurants pour l’examen de ce texte.
C’est grâce à leur travail que le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme chaque année, fut l’objet de discussions importantes. L’examen de ce texte traduit l’équilibre financier donné à notre sécurité sociale. Les orientations que nous impulsons cette année répondent à de nombreux besoins de nos citoyens.
Je salue le travail effectué, au sein de la commission des affaires sociales, par notre rapporteure générale et nos rapporteurs. Je me félicite de la richesse des échanges en séance publique.
Alors que nous faisons encore face à des tensions dans de nombreux secteurs de la santé, je souhaite remercier l’ensemble des soignants pour leur engagement et leur travail quotidien au plus près des Français.
Les soins et l’offre de soins sont essentiels et doivent être répartis sur l’ensemble du territoire afin que chacun puisse en bénéficier. C’est notre objectif absolu. Il en est de même de la prévention, point sur lequel j’aimerais particulièrement revenir.
Je pense que nous devons poursuivre nos efforts dans ce domaine. L’information des Français, la formation des professionnels et les dépistages permettent d’éviter des situations qui pourraient s’aggraver rapidement. Les trois consultations préventives à des âges clés de la vie sont un bon moyen de répondre à cet objectif.
La prévention est essentielle pour la protection de nos enfants ; j’y suis très attachée. Il faut la développer afin de lutter contre les différentes formes d’addictions auxquelles les jeunes sont confrontés. Les tiers-lieux sont d’ailleurs une piste intéressante afin d’approcher certaines personnes en milieu rural ou dans des quartiers des villes.
Je profite de l’occasion de parler de prévention pour évoquer celle de la perte d’autonomie. Nous avons entendu les promesses faites et les évolutions entérinées. Il faut se concentrer sur les emplois dans ce secteur : c’est indispensable.
La dépendance progressera entre 2020 et 2030 : selon les prévisions, 200 000 personnes supplémentaires seront concernées. Mon collègue Daniel Chasseing a évoqué un objectif de 50 000 emplois dans ce secteur. Nous devons poursuivre nos efforts.
Revenir sur la perte d’autonomie me permet de mettre en lumière les personnes accompagnantes.
Les aidants sont précieux et consacrent une grande partie de leur vie à l’aide d’un parent. Leur engagement, souvent source de sacrifices, doit être salué. Je me félicite donc de l’adoption de l’amendement concernant l’ouverture de plusieurs activités des Ehpad à certaines personnes sujettes à des troubles cognitifs. Cet accueil de jour sera bénéfique aux personnes non résidentes, aussi bien pour favoriser leur maintien à domicile que pour soutenir les aidants. Même si cela est déjà possible, il importait de clarifier la situation.
De nombreuses autres avancées figurent dans ce PLFSS et auront un impact positif – j’en suis sûre – sur nos territoires.
L’ouverture de la prescription et de l’administration des vaccins à davantage de personnels de santé, comme les pharmaciens, les infirmières ou encore les sages-femmes, est une bonne chose.
Concernant les pharmaciens, et plus largement le sujet des médicaments, je me félicite de l’adoption de l’amendement ayant trait à la sécurisation de la filière de la vente en gros de médicaments : sujet ô combien crucial !
Au début du mois d’octobre, j’ai alerté le Gouvernement sur l’existence d’une pénurie des médicaments en France. Les tensions sur certains médicaments – les antidiabétiques, les anticancéreux ou encore ceux qui luttent contre l’hypertension – ne doivent pas persister. Une réorganisation structurelle, comme évoquée par le ministre, est nécessaire. Notre groupe est très engagé sur ce sujet.
Autres avancées notables : la pilule du lendemain, gratuite pour toutes les femmes, sans ordonnance, ou encore le dépistage des infections sexuellement transmissibles, afin d’éviter leur propagation, des grossesses extra-utérines et des malformations.
Deux sujets sont encore en suspens.
À l’article 23, nous avons préféré la rédaction figurant dans la proposition de loi, examinée et votée au Sénat, relative à l’année supplémentaire en internat de médecine. Je sais le bruit et les oppositions que ce sujet provoque. La rémunération, versée lors de cette année supplémentaire, est prévue par voie réglementaire. Elle doit être suffisante.
Ce sujet me permet d’aborder celui des déserts médicaux. L’article voté ne suffira malheureusement pas à résoudre le problème. L’offre de formation doit aussi être revue. À ce titre, j’ai pu, madame la ministre, vous poser une question le mois dernier, vous qui êtes chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
La formation doit être pensée au plus près de nos territoires. En Seine-et-Marne, nous disposons de l’exemple efficace de l’antenne de l’université Paris-Est Créteil à Melun. Les étudiants, je le rappelle, s’installent très souvent dans les lieux où ils ont effectué leurs études. Ce genre de pratique doit faire partie du panel des solutions envisagées afin de lutter contre le manque d’offre de soins et de personnels soignants au sein de nos territoires.
Le second sujet en suspens est celui de la téléconsultation, désormais réellement installée dans nos habitudes, particulièrement depuis le début de la pandémie de covid-19. Nous sommes parvenus à certains équilibres, mais il reste encore du travail.
Ce sujet est passionnant pour l’évolution de la médecine : nous allons au-devant d’innovations qui nous permettront de progresser encore davantage. Attention cependant, tout ne peut pas se faire en télémédecine.
Je terminerai en évoquant l’importante réforme des retraites. Le travail est en cours et nous attendons l’arrivée rapide d’un texte ; nous espérons une proposition de réforme dans les prochaines semaines. Si cela n’était pas le cas, notre groupe prendrait ses responsabilités. L’avenir des Français en dépend.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale marque des avancées importantes, même si de nombreux points restent en suspens. Malgré tout, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce premier PLFSS du deuxième quinquennat aurait dû enfin tracer les lignes d’une stratégie ambitieuse et au long cours, tenant compte des enseignements de la crise sanitaire, en faveur d’une politique sociale et sanitaire à la hauteur des enjeux.
Tel n’est toujours pas le cas et nous ne pouvons que déplorer votre impéritie.
Avant la pandémie, en 2019, des milliers de chefs de service vous alertaient et menaçaient de quitter l’hôpital en raison de l’incapacité de garantir des services de qualité.
En 2022, une épidémie de bronchiolite, saisonnière, prévisible, conduit à déclencher le plan Orsan (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles), prévu pour des situations exceptionnelles, imprévisibles. Cela se traduit par des rappels de personnels, des transferts de bébés, des déprogrammations d’interventions, des retards de diagnostic, des pertes de chances et du tri.
Oui, du tri ! En 2022, en France, alors que l’épidémie est comparable à celle de 2012. Cependant, depuis cette date, l’hôpital public a continué de s’effondrer. Or lui seul assure la pédiatrie.
Ce qui est un scandale, monsieur le ministre, ce n’est pas que les soignants parlent de tri, c’est de les obliger à en faire ! Qu’avez-vous fait pour la pédiatrie depuis cinq ans ? Le Gouvernement refuse de fixer un Ondam à la hauteur des enjeux, mais il débloque 400 millions pour passer l’hiver quand le scandale enfin éclate : cela ne fait pas une politique de santé.
Cette gestion nourrira les démissions, une fois l’urgence passée. Nous le réaffirmons, seule une vraie perspective pluriannuelle peut donner du sens au nouvel effort que vous demandez au personnel hospitalier épuisé.
Vous avez fermé des lits, supprimé des postes, planifié une gestion du personnel fondée sur des heures supplémentaires et des primes plutôt que sur des embauches et des revalorisations pérennes, et provoqué souffrance au travail, départs et suicides.
Comme en matière d’inaction climatique, vous faites l’objet d’une action en justice visant à faire reconnaître la responsabilité de l’État dans la situation de l’hôpital public. Nous trouvons indécente la satisfaction du ministre des comptes publics s’agissant du niveau de l’Ondam.
Votre aveuglement devient dangereux.
En refusant de rechercher des ressources ou en les asséchant par des exonérations et des exemptions d’assiettes non compensées, les dépenses publiques seront – avec vous – toujours contraintes face à des besoins en progression. Vous préférerez systématiquement le calcul comptable aux défis sanitaire et social.
Ainsi, vous multipliez les mesures d’exonération de cotisations sociales, dont la part non compensée est en hausse. La Commission des comptes de la sécurité sociale note ainsi que « les crédits affectés par l’État au titre de la compensation des exonérations seraient inférieurs de 4,3 milliards au coût global des mesures sur 2022 ». Ces milliards volés au budget de la sécurité sociale représentent plus de dix fois votre rallonge pour la pédiatrie !
Nous nous réjouissons donc que l’amendement tendant à revenir sur la non-compensation des exonérations de partage de la valeur ait été approuvé sur l’ensemble des travées du Sénat, après l’avoir été pareillement à l’Assemblée nationale. Oserez-vous y revenir par un prochain 49.3, au mépris des deux chambres ?
De manière générale, la trajectoire financière présentée a fait l’objet de nombreuses critiques. Elle trace l’horizon de pressions sur les dépenses publiques, notamment sur les retraites.
Sur ce dernier point, nous devons marquer, une fois encore, notre opposition à la disposition introduite pour reculer l’âge de départ, là aussi avec les mêmes points aveugles sur la question des recettes, sur les politiques d’intensification du travail, de pénibilité et d’éviction des salariés les plus âgés, insuffisamment productifs et trop coûteux pour le capital, car, si la moitié des seniors sont hors de l’emploi au moment de la retraite, 47 % le sont pour cause de licenciement.
À l’insuffisance de l’Ondam répondent les maigres ressources allouées à la branche autonomie.
Nous ne reviendrons pas sur le coupable retard pris dans la prévention de la perte d’autonomie. Les mesures qui y sont attachées ne provoqueront pas le nécessaire choc d’attractivité, qui permettrait d’ouvrir enfin les 93 000 postes supplémentaires d’ici à deux ans pour les seuls Ehpad et autant pour le soutien à domicile associatif, qui attend les mesures spécifiques du Ségur pour mettre fin à un sous-effectif alarmant.
Sur les autres enjeux, le texte se montre aussi insuffisant : alors que plus de 3 millions de personnes vivent dans un désert médical, le Gouvernement refuse d’envisager les premières mesures structurelles à même de desserrer la pénurie à court terme.
La quatrième année d’internat ne peut être au service de la régulation, elle ne peut se justifier que pour la professionnalisation.
D’autres pistes restent inexplorées. Les études de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent qu’il faut mettre l’accent sur la diversité sociale et géographique des étudiants en médecine, en favorisant l’inscription d’étudiants originaires de zones sous-denses, notamment rurales, et en déconcentrant l’enseignement. C’est ce que nous avons proposé, en vain.
Si le Gouvernement régule enfin la télémédecine, il ne peut s’empêcher un nouvel effet de loupe sur les arrêts maladie.
Nous approuvons la suppression par le Sénat du transfert de charges de la branche maladie vers la branche famille. D’autant que nous avons souligné le caractère restrictif des mesures présentées en faveur de la famille, limitées aux familles monoparentales. De fait, le texte oublie certains foyers modestes. Rappelons que la pauvreté touche un enfant sur cinq.
Il faut affecter une partie des excédents pour rouvrir les embauches nécessaires à la Cnaf, revaloriser le congé parental pour en faire non plus une trappe aux femmes pauvres, mais un choix partagé par les deux parents.
Pour le moment, quatre enfants sur dix ne bénéficient pas d’un mode d’accueil. Si nous pouvons saluer la prolongation jusqu’à 12 ans du complément de libre choix du mode de garde (CMG), ainsi que les dispositions pour prévenir la récidive des impayés des assistantes maternelles, il reste que nous manquons ici l’occasion de relancer une politique au profit des familles et des femmes.
Car, à la source des inégalités entre les femmes et les hommes, on trouve souvent des carrières interrompues, des temps partiels subis pour s’occuper d’enfants à qui aucun autre mode de garde n’est offert.
Je conclurai en soulignant que ce PLFSS pour 2023 sonne de nouveau comme un rendez-vous manqué. Ce manque de vision stratégique, au moment où l’hôpital public traverse crise sur crise et alors que la lutte contre la pauvreté marque le pas, explique le vote contre du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi, modifié, de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Ce scrutin de droit, en application de l’article 59 du règlement, est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 51 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 295 |
Pour l’adoption | 193 |
Contre | 102 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je souhaite remercier la Haute Assemblée pour la qualité des débats que nous avons eus, sur les branches autonomie et famille en particulier.
Je salue l’esprit constructif de la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et des rapporteurs Philippe Mouiller et Olivier Henno, avec lesquels le dialogue a été, dès le premier jour, franc, ouvert et constructif.
Au-delà, j’ai été heureux de constater l’engagement, sur ces sujets si importants, de l’enfance au grand âge, en passant par le handicap, de sénatrices et de sénateurs siégeant sur l’ensemble des travées.
Le texte qui vous avait été présenté était, dès le départ, très ambitieux : 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour la branche autonomie et 1,6 milliard pour la branche famille. Il a été progressivement enrichi à l’Assemblée nationale puis ici.
Le texte issu de vos travaux n’est pas exactement celui qui vous avait été transmis : sur bien des points, il a été modifié et enrichi. Nos désaccords ont été marqués sur certains sujets et je sais ne pas avoir toujours réussi à vous convaincre du bien-fondé des avis du Gouvernement sur les amendements que vous nous présentiez. Même si beaucoup d’entre eux étaient intéressants, ils n’avaient pas forcément, à mon sens, leur place dans la loi.
Je retiens surtout une véritable convergence de vues sur les grands enjeux.
D’une part, garantir à nos aînés des conditions de vie à domicile ou en établissement dignes, sécurisantes, avec le soutien de professionnels en nombre suffisant.
D’autre part, adapter les outils de notre politique familiale aux besoins et aux attentes des familles, avec une attention particulière pour les plus fragiles, les familles monoparentales.
En tant que chambre des collectivités, le Sénat, comme je m’y attendais, a été très attentif aux questions de compétences et de financement des politiques décentralisées.
Vous l’avez rappelé, monsieur Henno, nous avons eu l’occasion de longuement discuter, par exemple, des concours de la CNSA. Pour ma part, je me satisfais de l’adoption de l’amendement du Gouvernement tendant à rehausser le plafond du concours dédié à l’accompagnement financier des revalorisations salariales des aides à domicile. Il symbolise le dialogue de qualité que nous avons su construire avec l’Assemblée des départements de France, dont je salue de nouveau son président, François Sauvadet.
Je sais que les questions relatives à la situation financière des établissements et services du grand âge ont aussi retenu votre attention. À ce titre, je suis très heureux de vous signaler la publication, hier, du décret sur le bouclier tarifaire, dans lequel figurent bien les Ehpad.
Je salue d’ailleurs la sénatrice Laurence Muller-Bronn, avec laquelle nous avions eu l’occasion de travailler sur ce sujet dès cet été. (Très bien ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
S’agissant de la branche famille, je ne doute pas que vous serez nombreux à suivre avec attention, ces prochaines années, le déploiement des grandes réformes engagées par le Gouvernement. Je tiens à signaler en particulier celle qui porte sur le complément de libre choix du mode de garde, structurante et directement utile à de nombreux foyers, mais également la création du service public de la petite enfance – et je sais que vous serez particulièrement attentifs à ce que les collectivités y soient associées.
Pour conclure, je veux saluer de nouveau, comme je l’ai fait dès le premier jour des débats, l’action de tous les professionnels du soin, de tous les professionnels du lien, dont nous reconnaissons tous le rôle décisif.
Ce texte est également pour eux, puisqu’il finance par exemple la trajectoire de recrutement de 50 000 professionnels supplémentaires dans le secteur médico-social, en Ehpad, au cours des prochaines années.
Bien sûr, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce PLFSS n’épuise pas le débat sur les sujets d’actualité. Je serai heureux de continuer à en discuter avec eux, mais également avec vous, dans le cadre du volet « bien vieillir » du Conseil national de la refondation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Alain Cazabonne et Henri Cabanel ainsi que Mme Laurence Muller-Bronn applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je vous prie d’excuser l’absence de François Braun, retenu à l’Assemblée nationale par la séance de questions au Gouvernement.
Je vous remercie de la richesse des échanges que nous avons eus sur ce texte essentiel pour protéger nos concitoyens au quotidien. Nous ne sommes pas toujours tombés d’accord, comme l’a dit Jean-Christophe Combe, mais je crois que, comme l’ont fait un grand nombre d’entre vous, nous pouvons collectivement saluer la qualité des débats et l’esprit d’écoute et de responsabilité qui a prévalu tout au long de la semaine.
Le Gouvernement regrette bien sûr la suppression de l’Ondam pour 2023. Cela ne correspond ni à la réalité ni à la politique ambitieuse que souhaite mener le Gouvernement dans le prolongement de l’action menée depuis 2017.
L’Ondam 2023, c’est 53 milliards de plus qu’en 2017, avec un budget de 244 milliards pour la partie santé !
Je tiens à le souligner, ce projet de loi, c’est d’abord celui de la défense de l’hôpital : pour la deuxième année consécutive, aucune économie ne lui est demandée.
Ce PLFSS amorce également un véritable virage préventif avec, parmi d’autres mesures, les rendez-vous de la prévention aux âges clés de la vie, l’élargissement de la vaccination par d’autres professionnels, mais aussi la prise en charge du dépistage des infections sexuellement transmissibles.
Il prévoit aussi des mesures concrètes pour lutter contre les déserts médicaux et pour avancer vers la société du bien vieillir chez soi.
Le Sénat a porté des exigences fortes pour favoriser la transparence dans les Ehpad et renforcer nos dispositifs de lutte contre les fraudes. Nous avons pu diverger sur les moyens, mais le Gouvernement partage pleinement ces ambitions.
Je le répète, ma conviction est que ce PLFSS porte une ligne claire, celle de la défense des préoccupations essentielles de nos concitoyens : plus de prévention, un accès renforcé aux soins, un système plus juste et plus éthique. C’est une première pierre de la politique de refondation que nous voulons engager avec la volonté – c’est notre horizon – de répondre à tous les besoins de santé de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDSE.)
M. le président. Je souhaite remercier à mon tour Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, ainsi que Corinne Imbert, Pascale Gruny, René-Paul Savary, Olivier Henno et Philippe Mouiller, rapporteurs pour les différentes branches de la sécurité sociale, et Christian Klinger, rapporteur pour avis de la commission des finances.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Établissement d’une paix durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution visant à appliquer des sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Christian Cambon, Mme Éliane Assassi, MM. Patrick Kanner, Hervé Marseille et Gilbert-Luc Devinaz (proposition n° 3) (demande du président du Sénat).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Guidez et M. Alain Cazabonne applaudissent également.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette nouvelle résolution que nous vous proposons d’adopter fait écho à celle que nous avions déjà adoptée voilà très précisément deux ans. En effet, il y a deux ans, nous avions adopté une résolution pour la paix en Arménie et pour condamner l’agression contre le Haut-Karabagh commise par les Azéris, avec le soutien turc. Et, déjà, celle-ci avait fait l’objet d’un soutien transpartisan, cosignée par plusieurs présidents de groupe.
De fait, pour commencer mon intervention, je veux saluer ceux d’entre eux qui ont cosigné la présente proposition de résolution, ainsi que le président Christian Cambon et Gilbert-Luc Devinaz, président du groupe d’amitié France-Arménie, qui y ont également apposé leur signature.
Si cette démarche revêtait et revêt toujours une dimension transpartisane, cela signifie bien que l’enjeu que sous-tend cette résolution dépasse les clivages habituels. Faut-il le rappeler, sont en jeu tout à la fois les intérêts français et nos propres principes et valeurs. Des liens humains et d’amitié multiséculaires unissent nos deux peuples, sans oublier nos liens culturels : c’est à Erevan, en Arménie, que s’est tenu, en 2018, un grand sommet de la francophonie.
Si nous avions pris, voilà deux ans, cette initiative, c’est tout simplement parce que, déjà, nous n’avions pas confiance dans l’accord de paix signé le 10 novembre 2020. Malheureusement, les faits nous ont donné raison puisque, profitant de la guerre en Ukraine, l’Azerbaïdjan a attaqué non seulement le Haut-Karabagh, mais aussi, et surtout, l’Arménie sur son sol même, ce qui est beaucoup plus grave.
Comme il y a deux ans et, si j’ose dire, comme à l’habitude, malheureusement, les chancelleries ont protesté mollement, par pure forme. Comme à l’habitude, malheureusement, des crimes de guerre, documentés, ont été commis, sans qu’aucune sanction soit prise.
Monsieur le ministre, je n’ai rien contre vous, et j’ai beaucoup de considération pour le commerce extérieur de mon pays, mais, franchement, quelle signification le Gouvernement donne-t-il à cette résolution, à la cause de l’Arménie, en déléguant, pour en débattre, le ministre chargé du commerce extérieur ?
Je regrette – et je ne suis pas le seul ici – cette légèreté, et même cette désinvolture. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
Bien sûr, une mission d’observation a été dépêchée, mais le temps n’est plus à observer : il est désormais à décider ; le temps n’est plus à protester : il est à sanctionner, et c’est précisément ce que nous proposons par cette résolution, pour ne pas laisser seule l’Arménie face à son malheur.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Nous seulement tout abandon ferait peser sur nous un sentiment de honte, mais, plus encore, il devrait nous inspirer un sentiment de crainte, et même de peur.
Et là, je veux dire qu’il y a deux poids, deux mesures : la Russie viole le droit international, viole la souveraineté de l’Ukraine, viole le droit de la guerre et est, à ce titre, justement condamnée et sanctionnée ; en revanche, rien de tel pour l’Azerbaïdjan, rien de tel pour la Turquie !
Des crimes de guerre ont été commis en Ukraine, mais également en Arménie. Dans un cas, ces crimes font l’objet de poursuites ; dans l’autre, rien ne se passe.
Mes chers collègues, ce « deux poids, deux mesures » est une véritable honte ! Qu’est-ce que cela signifie ? Que la souveraineté de l’Arménie vaudrait moins que celle de l’Ukraine ? Que les vies arméniennes valent moins que les vies ukrainiennes ? Que les souffrances des uns valent moins que les souffrances des autres ? Bien sûr que non !
Pis encore, lorsque la présidente de la Commission européenne s’est rendue à Bakou pour signer un accord gazier, alors que le gaz russe est frappé de sanctions, où étaient les belles âmes et les grandes consciences pour protester ?
Finalement, pourquoi ce silence ? C’est un scandale moral que seules peuvent justifier à la fois une forme de cynisme et une forme de relativisme de la part d’une Europe oublieuse de ses valeurs, de ses principes, oublieuse aussi de ses propres racines.
Mes chers collègues, si ce sentiment de honte nous est étranger, alors peut-être qu’un sentiment de crainte, de peur, pourrait nous saisir. Quel est-il, ce sentiment ? On le voit bien, le contexte, l’équilibre géopolitique de l’Europe est ébranlé par l’impérialisme russe sur son flanc Est. Eh bien, demain, ce même équilibre géopolitique pourrait l’être aussi par un autre impérialisme, celui de la Turquie, cette fois-ci sur son flanc Sud.
Que ferons-nous alors ? Car, là encore, n’en doutez pas un seul instant, ce conflit n’est pas un conflit local : il s’inscrit dans une stratégie turque globale visant à reconstituer un grand ensemble néo-ottoman, un ensemble panturc. C’est d’ailleurs ce que dit et répète à l’envi – il suffit de l’écouter – le président de la Turquie, M. Erdogan, quand il déclare que, si l’Azerbaïdjan et la Turquie sont deux États, ils constituent en réalité une seule et même nation. Je le répète, ce n’est pas moi qui le dis, c’est M. Erdogan !
Ce plan qu’il déroule avec son allié azéri comprend trois étapes : d’abord, attaquer le Haut-Karabagh, pour tenter de le vider de sa population, d’en effacer toute trace d’arménité ; ensuite, transpercer de part en part l’Arménie grâce à un couloir qui relierait le Nakhitchevan, en territoire azéri, à la Turquie ; enfin, effacer de la carte de l’Europe la nation, le peuple et l’État arméniens.
Ce qui fait la singularité tragique de l’Arménie, c’est que son peuple porte à jamais la marque indélébile du génocide.
Que voulons-nous faire ? Quels choix s’offrent à nous ? Devant quelle alternative sommes-nous placés ?
Le premier choix serait de ne pas choisir, de ne rien faire, comme à l’habitude. Ce serait un choix funeste, ce serait en réalité, comme l’avait dit un jour Churchill, le choix du déshonneur et de la défaite : du déshonneur, parce que nous ne serions pas à la hauteur de nos principes, pas à la hauteur de notre histoire ; de la défaite, parce que, face à la Turquie et à l’Azerbaïdjan, qui ne raisonnent qu’en termes de rapport de force, que croyez-vous qu’il arrivera demain en Méditerranée orientale ? Voyez ce qui se passe avec la Grèce ! Car cet espace géographique concerne l’Europe non seulement comme continent, mais également en tant qu’Union européenne. C’est la raison pour laquelle je parle non seulement de déshonneur, mais aussi d’une probable défaite, demain.
Il existe un autre chemin, celui du courage, que nous vous invitons à suivre avec le vote de cette proposition de résolution. Emprunter ce chemin, c’est montrer à l’Arménie notre solidarité plutôt que notre passivité, notre fermeté plutôt que de laisser aller les choses comme nous les avons souvent laissées aller.
Bien entendu, cette réaction doit aller de pair avec l’adoption de sanctions, par exemple le gel des avoirs des dirigeants, notamment azéris, ou un embargo sur le pétrole et le gaz. Mais, monsieur le ministre, ces sanctions doivent également s’accompagner d’une action diplomatique et politique résolue de la France, notre pays, en raison notamment de ses liens d’amitié avec l’Arménie.
D’abord, tous les prisonniers arméniens doivent être rapatriés sur le sol arménien. Ensuite, il faut convoquer le Conseil de sécurité des Nations unies pour que soit saisie la Cour pénale internationale et que les crimes de guerre ne restent pas impunis. Par ailleurs, la France doit agir diplomatiquement en faveur de la création non pas d’une force d’observation – ces deux mots sont antinomiques –, mais plutôt d’une mission d’interposition sur le sol du Haut-Karabagh et de l’Arménie. Enfin, et ce n’est pas le moins important, la France doit aider les Arméniens en leur fournissant des armes défensives.
Mes chers collègues, pour conclure, je veux rappeler que, grâce à Jacques Chirac, la France est le premier pays à avoir reconnu le génocide arménien, et, monsieur le président, c’est au Sénat qu’avait été votée en première lecture, voilà vingt ans, la loi relative à cette reconnaissance.
Il y a deux ans, le Sénat a été la première assemblée parlementaire d’Europe et du monde à voter, à l’unanimité moins une voix, une résolution similaire à celle-ci, un signal autant qu’un geste à l’attention du peuple arménien.
Aujourd’hui, l’Arménie appelle de nouveau la France à son secours. Soyons fidèles à ce sentiment d’amitié, à notre histoire, à nos principes, à ce lien multiséculaire qui nous unit à ce grand peuple d’Arménie, peuple courageux d’une petite nation, mais une grande nation sentinelle d’une belle civilisation. Les liens qui nous unissent à ce pays ont traversé les générations, ont traversé les siècles ; ils tiennent tout autant par notre amitié que par ce que nous représentons les uns pour les autres. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER, INDEP et CRCE. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution a une première vertu, que vient d’ailleurs de rappeler le président Retailleau : outre la possibilité qui nous est offerte ici de débattre et de réaffirmer les positions qui sont les nôtres pour aller vers une paix durable, elle nous permet d’apporter un soutien sans faille aux peuples en souffrance, aux peuples qui ploient sous le joug de la guerre et du nationalisme.
Nous n’exprimerons jamais assez notre totale solidarité à la population arménienne, comme le font depuis toujours les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, population victime du conflit de 2020, qui a fait plus de 6 500 morts, et des dernières escalades meurtrières.
Je saisis d’ailleurs cette occasion pour saluer l’action inlassable de notre collègue Gilbert-Luc Devinaz à la tête du groupe d’amitié France-Arménie. (Applaudissements.)
Ce peuple qui a tant souffert doit voir revenir tous les éloignés dans leurs foyers : nous appelons à la libération et au rapatriement immédiats et inconditionnels de tous les prisonniers de guerre arméniens.
Du territoire de l’Arménie et du couloir de Latchin, nous demandons le retrait immédiat et inconditionnel, sur leurs positions initiales, des forces azéries et de leurs alliés.
Les autorités azéries et l’ensemble de leurs partenaires dans la région doivent respecter l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Arménie. Les engagements internationaux existent : ils doivent être suivis d’effet.
À l’évidence, le cadre de sécurité dans lequel est entrée l’Arménie depuis le cessez-le-feu lui assure un faux-semblant de sécurité : il n’a échappé à personne que l’Azerbaïdjan a tenté de maximiser ses gains territoriaux.
Le statu quo n’est pas possible. Ainsi, nous ne pouvons que regarder avec intérêt les premières évolutions que l’on a pu constater ces dernières semaines.
Nous, parlementaires, avons tout notre rôle à jouer pour contribuer à réduire les tensions.
Votée le 25 novembre 2020, au lendemain du voyage accompli par M. le président du Sénat, lors duquel un certain nombre d’entre vous avaient pu l’accompagner, notre précédente résolution soulignait déjà la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. Elle a été un élément de soutien très apprécié par le peuple et les autorités arméniens.
Nous nous sommes exprimés avec détermination en faveur d’un règlement pacifique du conflit : aujourd’hui, il semble que notre fermeté ait eu quelques effets. Cette contribution a peut-être permis de sensibiliser le Président de la République française lui-même.
De même, en réunissant à la fin du mois d’octobre dernier les deux parties à Sotchi, autour de la table, pour qu’elles se parlent et avancent ensemble vers une résolution pacifique du conflit, l’on a accompli un nouveau pas dans le sens voulu.
Pour autant, il convient de rester attentif. Ce conflit ne peut être l’otage de l’instabilité dans le Caucase et des stratégies développées par les grandes puissances régionales.
Nous l’avons constaté : la médiation russe de la force d’interposition de l’Organisation du traité de la sécurité collective (OTSC) n’est plus en mesure de stabiliser le conflit à moyen ou à long terme.
Monsieur le ministre, la France, au sein de l’Union européenne, doit jouer son rôle. Le Président de la République a évolué sur ce dossier : tant mieux. Mais il doit bouger encore plus vite, et l’Europe avec lui.
L’Union européenne doit adopter sa propre stratégie à propos du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en soumettant les achats de gaz à l’Azerbaïdjan au respect du droit international.
Le Gouvernement doit amplifier ses initiatives permettant de garantir la sécurité des populations arméniennes et de l’Arménie, dans ses frontières internationalement reconnues. Pour cela, il doit agir au plus haut niveau, car il est impératif de constituer une force de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Par exemple, il faut saluer l’initiative de l’Arménie lorsqu’elle propose une zone démilitarisée au Karabagh et à sa frontière avec l’Azerbaïdjan.
À plus long terme, l’Union européenne doit inclure le conflit arménien dans le cadre de la gestion des tensions régionales, dans un périmètre plus large. Les déflagrations de cette région, qui s’étendent de l’Europe orientale à l’Asie centrale, sont susceptibles d’avoir des répercussions sur des États voisins de l’Union européenne qui lui sont ou lui seront liés un jour par des partenariats.
Mes chers collègues, en défendant cette proposition de résolution, nous manifestons notre soutien à un règlement pacifique du conflit, au maintien des principes de la démocratie et de l’État de droit chez les deux belligérants, qui – faut-il le rappeler – sont membres du Conseil de l’Europe, organe garant et promoteur de ces valeurs dans une Europe élargie.
Tout doit être mis en œuvre pour que l’Azerbaïdjan s’engage plus avant dans un processus de négociation par la voie diplomatique.
Il est temps de revenir à la raison et de retrouver la voie du dialogue. Il est temps de satisfaire l’Arménie et les Arméniens dans leur volonté d’une paix juste. Il est temps d’aboutir, enfin, à l’établissement d’une paix durable dans cette région du monde. Soyons-en convaincus : avec cette proposition de résolution, nous y prenons un peu notre part. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en septembre dernier, une délégation du Sénat a été reçue à Erevan par les autorités arméniennes ; à cette occasion, notre collègue et ami le député Vladimir Vardanyan, président du groupe d’amitié Arménie-France, nous a dit, les larmes aux yeux, sa terreur de ne pouvoir éviter à son peuple un second génocide.
En octobre 2019, nous étions tous les deux dans la clairière du Mont-Valérien, là même où Missak Manouchian fut fusillé par les Allemands le 21 février 1944. Missak Manouchian a donné sa vie pour la liberté de la France. Que sommes-nous prêts à donner à l’Arménie pour sa liberté ?
Du 27 septembre au 10 novembre 2020, la République d’Artsakh a subi l’invasion militaire de l’Azerbaïdjan, aidé par la Turquie et renforcé par des groupes djihadistes venant de Libye et de Syrie. La Turquie a ainsi participé, au moins indirectement, à un conflit de haute intensité selon une doctrine et des processus militaires qu’elle a appris au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan).
Ce sont les mêmes tactiques que l’Ukraine utilise aujourd’hui avec succès contre l’invasion russe. Ainsi, les drones turcs Bayraktar TB2, employés par l’Ukraine, sont également mobilisés par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Israël fournit aussi des drones aux deux armées.
La République d’Artsakh et l’Arménie ont été totalement dépassées par l’ampleur et la violence de ce conflit d’un nouveau genre. Elles n’ont dû leur survie qu’à la mansuétude de la Russie, qui voulait démontrer, en 2020, que la sécurité du Caucase ne dépendait que d’elle.
C’est sans aucun doute le désastre militaire de l’armée russe en Ukraine qui pousse aujourd’hui l’Azerbaïdjan à profiter de son avantage pour imposer par la force à l’Arménie un redécoupage des frontières internationales à son profit.
Son objectif stratégique est connu. Il consiste à établir une continuité territoriale avec sa République autonome exclavée du Nakhitchevan en annexant un corridor le long de la frontière entre l’Arménie et l’Iran. Cette ambition n’est qu’une déclinaison régionale du grand projet panturquiste de constitution d’un espace politique unifié d’Istanbul à Bichkek, au Kirghizistan.
Mme Valérie Boyer. Exactement !
M. Pierre Ouzoulias. En octobre dernier, la France, par la voix de son Président, a explicitement caractérisé les agressions de l’Azerbaïdjan comme une violation des frontières arméniennes reconnues par le droit international. Il est affligeant qu’en juillet la présidente de la Commission européenne se soit rendue à Bakou pour sceller un accord énergétique avec l’Azerbaïdjan,…
M. Christian Cambon. C’est une honte !
M. Pierre Ouzoulias. … qualifié de partenaire de confiance.
M. Christian Cambon. Scandaleux !
M. Pierre Ouzoulias. L’Azerbaïdjan exporte plus de pétrole qu’il n’en produit et vend sans doute à l’Europe une partie du pétrole qu’il reçoit de la Russie.
M. Stéphane Le Rudulier. Eh oui !
M. Pierre Ouzoulias. Ce pays s’est aussi engagé à doubler ses exportations de gaz vers l’Europe ; or le principal champ gazier azéri est notamment exploité par la compagnie russe Lukoil.
Nous sommes prêts à oublier tous nos principes moraux quand il s’agit d’assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe et singulièrement ceux de l’Allemagne.
Depuis plus d’un siècle, l’Arménie est le miroir de nos lâchetés, de nos hypocrisies et de nos trahisons.
M. Bruno Belin. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Aussi, nous sommes très favorables à cette proposition de résolution, qui demande notamment au Gouvernement de mobiliser sa diplomatie pour obtenir de l’Union européenne un embargo sur le pétrole et le gaz provenant d’Azerbaïdjan.
Mais, au-delà, comment assurer durablement la survie de l’Arménie ? De nombreux Arméniens pensent trouver leur sécurité sous la tutelle russe et le catholicos de l’Église apostolique arménienne vient de recevoir de Vladimir Poutine les insignes de l’ordre de l’Honneur.
Le soutien de la Russie s’est déjà révélé défaillant par le passé. Aujourd’hui, son intérêt stratégique est de prolonger ce conflit pour maintenir l’Arménie dans un état de subordination et faire valoir cette protection relative dans une négociation plus ample. De nouveau, les conflits ukrainien et arménien sont liés.
Pour aider durablement l’Arménie, il revient à la France et à l’Europe de poser les bases d’un nouveau multilatéralisme à l’échelle du continent européen et de son proche environnement.
Cette réflexion ne peut éluder les problèmes posés par nos relations avec la Turquie et ceux de son projet expansionniste. Son appartenance à l’Otan ne justifie pas l’abdication collective de l’Europe face à l’agression turque contre l’Arménie. Elle ne justifie pas davantage les manœuvres de la Turquie contre la Grèce et l’occupation militaire d’une partie du territoire de la République de Chypre.
Mme Valérie Boyer. Exactement !
M. Pierre Ouzoulias. Avant d’être fusillé, Missak Manouchian écrivait à sa femme : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. » Aujourd’hui, le peuple arménien nous demande de rester fidèles aux combats de la France pour la liberté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay.
M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2020, plusieurs semaines de combats ont déchiré l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Plus de 6 500 personnes ont alors été tuées.
Les armes se sont tues à la suite d’un cessez-le-feu publié le 10 novembre 2020. Des affrontements sporadiques ont eu lieu au cours de l’année 2021. Plus récemment, dans la nuit du 12 au 13 septembre dernier, le cessez-le-feu a de nouveau été rompu. L’Azerbaïdjan a envoyé des troupes sur le territoire arménien, où elles se sont installées : il s’agissait, selon Bakou, d’une réponse à des provocations arméniennes. Le bilan est tout de même de 286 morts et, malheureusement, ces affrontements de septembre – les plus violents depuis 2020 – ne s’apparentent pas à des incidents isolés.
La semaine dernière, les deux pays se sont encore accusés mutuellement de bombardements frontaliers.
Au nom du groupe Union Centriste, je condamne le recours à la force, qui ne peut être un outil de résolution des différends entre États. C’est tout particulièrement vrai lorsqu’ils appartiennent aux mêmes instances internationales, comme l’Arménie et l’Azerbaïdjan, membres du Conseil de l’Europe, du Partenariat oriental de l’Union européenne et, en vertu d’une adhésion plus récente, de la Communauté politique européenne.
Pour retrouver le chemin de la paix, l’intégrité territoriale de l’Arménie doit être respectée et préservée. L’Azerbaïdjan doit donc se retirer du territoire arménien, conformément à l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020 ainsi qu’à la déclaration d’Alma-Ata de 1991.
Les deux États doivent respecter leurs engagements internationaux et s’atteler à négocier rapidement un accord de paix durable conforme à ces engagements, lequel devra bien sûr être respecté.
Monsieur le ministre, le 6 octobre dernier, lors du sommet de Prague et de la première réunion de la Communauté politique européenne, un premier pas a été franchi en faveur d’un dialogue entre les deux États. A été décidé l’envoi d’une mission civile en Arménie, le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan, afin d’établir une confiance mutuelle entre les deux pays et de contribuer à la délimitation de frontières pérennes entre les deux belligérants. Quels sont les premiers retours de cette mission, placée sous l’égide de l’Union européenne ?
L’Union européenne veut jouer un rôle de médiateur dans le règlement de ce conflit. Elle est, en même temps, soumise à de forts enjeux stratégiques en matière d’autonomie énergétique : c’est la conséquence directe de la guerre en Ukraine et des sanctions imposées à la Russie.
L’Union européenne a d’ailleurs signé cet été un nouveau partenariat énergétique avec l’Azerbaïdjan, renforçant ainsi ses relations bilatérales avec ce pays. Dès lors, comment être certain qu’elle pourra jouer son rôle d’arbitre sans être contrainte par d’éventuelles pressions ?
J’attire également votre attention sur la préservation du patrimoine du Haut-Karabagh. Cette région constitue l’un des berceaux de l’humanité et elle est en péril.
Dans un rapport relatif au Haut-Karabagh, travail dont je salue la qualité, notre assemblée alertait déjà en juillet 2021 quant au risque de destruction du « petit patrimoine », témoin de l’empreinte arménienne de la région.
La communauté internationale et la France ne sauraient cautionner la politique de destruction du patrimoine culturel et religieux arménien, visant à effacer toute trace de la culture arménienne.
Le Sénat s’est toujours tenu aux côtés de l’Arménie : en témoignent les différentes résolutions transpartisanes examinées dans cet hémicycle. Dans leur grande majorité, les élus de notre groupe voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
(M. Alain Richard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, face à l’agression scandaleuse dont l’Arménie est victime, l’inaction des États-Unis, de l’Union européenne et de la France a été et est tout à fait lamentable.
C’est pourquoi la proposition de résolution qui nous est soumise est véritablement la bienvenue. Mais il ne faut pas seulement mettre en cause le dictateur Aliyev, qui préside l’Azerbaïdjan. Il faut aussi – et je dirais même surtout – mettre en cause le Turc Erdogan, qui sème la zizanie un peu partout autour de son pays. Il s’en prend à la Grèce, il s’en prend aux Kurdes et intervient en Syrie, pays qu’il occupe en partie. Bien entendu, il n’a jamais accepté de reconnaître le génocide de 1915. Il ne l’a jamais désavoué et on peut même dire qu’il l’a approuvé. Il ne serait certainement pas mécontent de perpétrer un second génocide arménien et – pourquoi pas ? – un troisième génocide, en s’en prenant aux Kurdes.
Si l’on compare la situation de l’Ukraine à celle de l’Arménie, l’attitude de l’Otan et de l’Union européenne paraît tout à fait discriminatoire envers ce second pays. On a par exemple exclu la Russie du Conseil de l’Europe ; en revanche, on s’est bien gardé d’exclure la Turquie de l’Otan ; on n’a pas non plus exclu la Turquie et l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe. Cela veut donc dire que l’on approuve leur action.
Pis encore, on a fait entrer la Turquie et l’Azerbaïdjan dans la Communauté politique européenne. Pourquoi le Turc Erdogan et son complice d’Azerbaïdjan se gêneraient-ils, si nos États cautionnent leurs exactions, les crimes de guerre qu’ils commettent et leur volonté de détruire l’Arménie ?
Nous avons même doublé – c’est un comble ! – nos achats de gaz naturel à l’Azerbaïdjan : ce faisant, on remercie ce pays de commettre des crimes de guerre, de s’associer à la Turquie pour essayer de faire disparaître l’Arménie.
L’Union européenne est véritablement en dessous de tout. Dans cette affaire, le gouvernement français est lui aussi en dessous de tout : de temps en temps, on prononce quelques belles paroles, mais on ne fait rien.
Quand on compare ce qui a été fait en Ukraine et ce qui est fait en Arménie, on se dit : manifestement, la France ou tout au moins le gouvernement français cautionne ; l’Union européenne cautionne. On va rendre visite au dictateur d’Azerbaïdjan ; on le remercie : pourquoi se gênerait-il ?
C’est honteux. Tous les crimes de guerre commis par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie engagent la responsabilité morale des dirigeants de l’Union européenne et des différents États européens, dont la France !
M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 novembre dernier, à Toulon, le Président de la République présentait la nouvelle revue stratégique nationale. Il soulignait à cette occasion : « L’agression contre l’Ukraine risque de préfigurer de plus vastes réalités géopolitiques à l’avenir, que nous n’avons nulle raison d’accepter avec fatalisme et que nous n’entendons pas subir avec passivité. »
Dans cet esprit, la proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui nous invite à ne pas accepter la fatalité d’un conflit qui, s’il touche au premier chef l’Arménie et l’Azerbaïdjan, résulte également d’un jeu d’influence entre la Russie et la Turquie.
Ces deux pays – on le sait – ont des ambitions dans le Caucase, région stratégique qui relie la mer Caspienne à la mer Noire.
J’ajoute que l’on ne saurait nier la dimension européenne de l’Arménie, fruit de divers liens d’amitié et d’une proximité culturelle qui ont toujours conduit la France à porter un regard des plus attentifs à la situation de ce pays.
De la première guerre remportée en 1994 par les Arméniens à celle dite « des 44 jours », de l’automne 2020, gagnée cette fois-ci par l’Azerbaïdjan, le bilan humain est tragique.
Les exactions commises, notamment, par les soldats azéris contre des Arméniens renvoient au douloureux souvenir du génocide arménien de 1915.
Ces crimes ne devront pas rester impunis. En outre, ils ne devront certainement pas être documentés par Bakou, comme l’a demandé le porte-parole de la Commission européenne au sujet d’une vidéo mettant en scène des soldats violentés et assassinés.
En septembre dernier, les hostilités ont repris une nouvelle fois, malgré l’accord tripartite obtenu en 2020 sous l’égide de Moscou. L’Azerbaïdjan a-t-il profité des difficultés de la Russie en Ukraine pour lancer l’offensive ? Peut-être ; mais la réalité, c’est aussi que le Président Aliyev, fort d’une armée soutenue matériellement par la Turquie et alimentée par des drones israéliens, souhaitait depuis plusieurs mois voir de nouveau posée la question des frontières et celle du statut du Haut-Karabagh.
En parallèle, à Bakou, on s’est souvent enorgueilli des quatre résolutions adoptées par l’ONU en 1993, rappelant l’inviolabilité des frontières de l’Azerbaïdjan.
Dans ce climat – il faut le reconnaître –, les quatre rencontres organisées à Bruxelles depuis 2021, comme celle du 6 octobre dernier à Prague, lors du premier sommet de la Communauté politique européenne, ont échoué.
Toutefois, il ne faut pas renoncer. Comme nous y invite cette proposition de résolution, nous devons tout mettre en œuvre pour faire respecter le cessez-le-feu du 9 novembre 2020.
Le couloir de Latchin doit être sécurisé et redevenir le pont qu’il était entre l’Arménie et le Haut-Karabagh.
En revanche, gardons-nous de donner à cette guerre des ressorts religieux : une telle interprétation ne saurait traduire une réalité géographique complexe héritée d’une histoire ancienne. Il n’y a pas de croisade islamiste, mais il y a certainement des velléités de conquête ou de reconquête territoriale. Le conflit du Haut-Karabagh est en effet le fruit d’un découpage opéré par les Britanniques, dont les problèmes n’ont pas été résolus par la Conférence de la paix de 1919. C’est là une faille que les Soviétiques ont exploitée par la suite.
Toutes ces difficultés passées et présentes ne doivent pas décourager la communauté internationale ; nous devons garder notre objectif de paix dans cette zone du Caucase Sud, d’autant que l’Arménie se dit prête à avancer des propositions. Elle vient de le faire avec son projet de zone démilitarisée.
Le RDSE soutient le Gouvernement et le chef de l’État dans leur recherche d’une issue diplomatique, que ce soit avec l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU ou de l’Union européenne, le tout dans un souci d’équilibre entre les deux parties.
Dans ce contexte, le RDSE est naturellement sensible à la situation de l’Artsakh. En toile de fond, notre soutien aux Ukrainiens nous impose le même devoir moral à l’égard des Arméniens victimes des attaques azéries.
Une grande partie des membres de notre groupe voteront donc en faveur de cette proposition de résolution. D’autres s’abstiendront, considérant que la France doit avant tout jouer un rôle d’arbitre : c’est d’ailleurs souvent ce que l’on attend d’elle. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une nouvelle fois avec émotion, inquiétude et même colère que je prends la parole dans cet hémicycle.
Le 29 janvier 2001, le président Chirac promulguait la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 ; onze ans plus tard, la Haute Assemblée votait le texte que je défendais à l’Assemblée nationale pour assurer la pénalisation du négationnisme.
Reconnaître un crime de génocide, c’est rouvrir les pages sombres de notre histoire commune, qu’il s’agisse des Arméniens massacrés ou de l’industrialisation de la mort, avec comme objectif l’anéantissement d’un peuple. C’est redécouvrir la passivité mondiale face à des régimes sanguinaires et même génocidaires.
Ces souvenirs auraient dû nous imposer une plus grande vigilance, pour que plus aucun peuple ne subisse ces horreurs, pour que les victimes de cette haine soient définitivement protégées.
À cet égard, je tiens à saluer la diplomatie parlementaire. En 2020, sous l’égide de Gérard Larcher, de Bruno Retailleau et de tous les présidents de groupe de cette assemblée, nous avons voté la reconnaissance de l’Artsakh.
En effet, dès septembre 2020, les Arméniens ont dû de nouveau compter leurs morts, les corps mutilés par les bombes au phosphore et les bombes à fragmentation au Haut-Karabagh, lors d’une guerre asymétrique qui a fait tant de morts.
Malgré nos alertes, malgré les votes des deux assemblées, malgré les cris des Arméniens, notre gouvernement a préféré la neutralité ; il prouve encore aujourd’hui sa passivité, comme l’a souligné le président Retailleau.
Pendant la guerre des 44 jours, le ministre des affaires étrangères prônait la neutralité. Aujourd’hui, il semble indifférent à l’appel du Sénat. À quoi cela sert-il de proclamer, le 24 avril, une journée nationale pour se cantonner aujourd’hui dans la neutralité ? Soyons cohérents.
La communauté internationale s’est elle aussi réfugiée dans le mutisme et la passivité, tandis qu’à Bakou, le 10 décembre 2020, le président Erdogan rendait hommage à Enver Pacha, ministre de la Guerre en 1915 et architecte du génocide, en s’engageant à poursuivre son œuvre ; comme si le drame des Arméniens devait encore se répéter.
Désormais, face à la passivité de la communauté internationale, pleinement mobilisée, à juste titre, par l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, s’attaque non plus à l’Artsakh, mais à la République souveraine d’Arménie.
Plus de 200 personnes, soldats arméniens et civils, ont été massacrées en quelques heures, s’ajoutant aux plus de 6 500 morts déplorés lors de la guerre des 44 jours, en 2020. Les crimes de guerre sont fièrement exhibés sur la toile par des militaires azerbaïdjanais se filmant dans leurs œuvres de viol, de torture et de démembrement.
Toujours la même barbarie, toujours les mêmes crimes, toujours la même passivité des démocraties occidentales et, surtout, européennes : si l’histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel. Ces crimes de guerre doivent être punis.
Ne nous y trompons pas : nous sommes bien face à une nouvelle guerre de conquête aux portes de l’Europe.
Bien sûr, depuis la chute de l’Union soviétique, se pose la question du statut de la région de l’Artsakh, territoire dont la majorité arménienne vit sous la menace permanente du nettoyage ethnique, des injures, des incursions et des opérations de terreur. Mais désormais s’y ajoute la question des frontières de la République d’Arménie.
En effet, le président autocrate Ilham Aliyev ne se contente plus de massacrer les Arméniens de l’Artsakh : il attaque le territoire de l’Arménie, État reconnu par la communauté internationale. L’Institut Lemkin pour la prévention des génocides a d’ailleurs lancé, il y a un mois, sa troisième alerte en moins d’un an.
Cette barbarie s’inscrit dans la logique génocidaire, bien présente dans le Caucase.
N’oublions pas l’arménophobie et le racisme d’État pratiqué par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie, lequel n’a pas vocation à s’arrêter aux frontières de ce pays.
N’oublions pas que l’Europe aussi est menacée, notamment la Grèce et Chypre, occupée depuis 1974 par la Turquie. C’est précisément là qu’Aliyev et Erdogan ont fêté leur sombre victoire de 2020.
Ilham Aliyev a toujours déclaré vouloir chasser « ces chiens d’Arméniens », qu’Erdogan appelle quant à lui « les restes de l’épée », par allusion au génocide de 1915.
Alors, demandons-nous pourquoi l’Europe, qui refuse à juste titre toute compromission avec la Russie dans la guerre en Ukraine, se contente d’être spectatrice de la guerre en Arménie. La vie des Arméniens vaut-elle moins que celle des Ukrainiens ?
Rappelons-le : fin juillet, Aliyev a obtenu un blanc-seing de la Commission européenne sous la forme d’un accord gazier prévoyant le doublement des livraisons de gaz à l’Europe. Ursula von der Leyen voit d’ailleurs en Aliyev un « partenaire fiable et sur lequel on peut compter ». Quelle indécence ! J’invite la présidente de la Commission à se rendre, comme nous, sur les tombes de nos alliés arméniens et de leurs enfants massacrés.
L’Azerbaïdjan est dirigé depuis plus de trente ans par le clan Aliyev, qui pratique la diplomatie de la menace et qui est à la tête de la caviar connection. Ce pays, qui enferme volontiers les journalistes, a comme ami un membre de l’Otan, à savoir la Turquie ; de quel droit l’invite-t-on à la table des négociations, malgré le sang que ses dirigeants ont sur les mains ?
Mes chers collègues, cette guerre témoigne de la lâcheté des nations occidentales, qui, s’abritant derrière le principe de neutralité, n’ont jamais clairement défendu la position de l’Arménie.
Comment a-t-on pu abandonner cette terre emblématique des chrétiens d’Orient, qui essaient d’y survivre au milieu d’un environnement hostile ?
Au nom des valeurs qui sont les nôtres et pour lesquelles nous défendons l’Ukraine, il faut sauver l’Arménie.
Notre tradition universaliste et humaniste de défense des droits de l’homme, de lutte contre les discriminations et de protection des libertés fondamentales exige que nous, parlementaires, soutenions les Arméniens.
Aussi, je vous invite à voter massivement cette proposition de résolution, au-delà de tous nos clivages politiques.
Souvenons-nous de l’Évangile selon Saint-Luc : « S’ils se taisent, les pierres crieront. »
Aujourd’hui, les églises d’Arménie sont détruites l’une après l’autre. Les traces de la culture arménienne sont systématiquement effacées.
Nous ne pouvons pas laisser les Arméniens dans leur solitude. Il faut geler les avoirs azerbaïdjanais. Il faut exiger des sanctions contre l’Azerbaïdjan. Soyons au rendez-vous de l’histoire au lieu de verser des larmes de crocodile : après, il sera trop tard. Préservons l’honneur de la France en étant aux côtés des Arméniens : les liens qui nous unissent sont vieux de plusieurs siècles !
Votons et agissons pour que les Arméniens puissent enfin vivre libres, en paix et en sécurité sur leurs terres : nous n’avons que trop tardé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman et M. Gilbert-Luc Devinaz applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis un mois seulement, les canons se sont arrêtés. La rivalité entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan remonte à plus d’un siècle. En 1992 s’est constitué le groupe de Minsk afin de trouver par la négociation une solution politique au conflit. Comment pouvons-nous accepter que, après trente années, les problèmes de la délimitation des frontières et du déminage des territoires ne soient toujours pas réglés ? La paix ne peut pas reposer sur un statu quo, au risque que les hostilités reprennent. L’accord de cessez-le-feu de 1994 le démontre. « Paix trompeuse nuit plus que guerre ouverte ».
La proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui a pour objectif de rétablir une paix durable, objectif que nous partageons. Comment optimiser nos chances de l’atteindre ? Le multilatéralisme et la négociation politique sont incontournables pour aboutir à des avancées solides et résoudre définitivement ce conflit. La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et membre de l’OSCE, peut-elle agir unilatéralement et aller à l’encontre des obligations internationales auxquelles elle est tenue, en particulier la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays ?
Notre pays doit œuvrer à ce que l’Azerbaïdjan et l’Arménie reconnaissent mutuellement la souveraineté politique et géographique, ainsi que l’inviolabilité des frontières internationales de chacun, conformément à la Charte des Nations unies. C’est exactement l’objet de la réunion quadripartite entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la France et l’Union européenne qui s’est tenue le 7 octobre dernier à Prague. À cet égard, nous devons saluer l’initiative du président Macron.
Cette rencontre a permis des avancées sur la délimitation des frontières entre les deux pays. Il a été convenu de mettre en place une mission civile de l’Union européenne le long de la frontière pour une durée de deux mois. Cette mission a commencé il y a une semaine. Il me paraît donc prématuré de prendre position avant d’en connaître les conclusions officielles.
En attendant, la France doit poursuivre son action afin de faire converger les points de vue, en toute neutralité et impartialité, comme elle l’a fait lucidement et discrètement entre Israël et le Liban – les deux pays, en guerre depuis quatre-vingts ans, ont récemment signé un accord historique sur la délimitation de leurs frontières. Ce n’est pas la position de tous les acteurs. À cet égard, le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan, pour des raisons idéologiques et stratégiques, et son implication dans les agressions ne font que compliquer la situation, déjà conflictuelle.
De même, il nous semble indispensable que le retour des populations déplacées par les combats et la libération des prisonniers de guerre puissent se faire en toute sécurité sous la supervision des Nations unies. À cet effet, nous demandons que les forces de maintien de la paix de l’ONU soient déployées tout le long de la frontière et dans les zones disputées, en remplacement des forces russes, qui ont échoué dans leur mission, convenue lors de l’accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020.
Bien sûr, les auteurs des atrocités et des crimes de guerre doivent être jugés devant une juridiction internationale. La France et l’Union européenne doivent multiplier leurs pressions en ce sens, car, jusqu’à présent, ni l’Arménie ni l’Azerbaïdjan ne reconnaissent la Cour pénale internationale, ce qui empêche la création d’un tribunal spécial dans les meilleurs délais, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de résolution. L’unanimité du Conseil de sécurité étant requise, il convient de s’interroger sur la position qu’adoptera la Russie, étant donné qu’elle s’est déjà opposée à un tel tribunal sur la question syrienne.
La culture arménienne est considérée comme l’une des plus anciennes au monde ; la société azerbaïdjanaise est multiethnique, multireligieuse et multiculturelle. Nous devons respecter l’identité de chaque peuple. La paix se construit dans l’acceptation de l’autre. Notre rôle est de promouvoir des valeurs de paix et de fraternité, qui permettront aux Arméniens et aux Azéris de renouer entre eux des relations qui n’existent malheureusement plus aujourd’hui. Nous devons éviter d’alimenter des haines en ouvrant la voie à la compréhension mutuelle.
En ce sens, je ne suis pas certain que cette proposition de résolution, en éloignant la France de la médiation, serve les intérêts de l’Arménie.
M. Bruno Retailleau. Moi, j’en suis certain !
M. Joël Guerriau. Mon cher collègue, nous pouvons ne pas partager la même opinion.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui vise à mettre fin à un conflit complexe. Or le manque d’impartialité risque de compromettre notre position de médiateur et notre légitimité auprès de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie.
Je ne suis pas certain non plus que cela serve les intérêts du premier ministre Nikol Pachinian, car il fait face à des manifestants qui se sentiront soutenus par la France, accentuant ainsi le risque d’une reprise des hostilités tout en freinant les négociations en cours.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires n’aura pas une position commune sur ce texte, mais chacun de ses membres votera selon ses convictions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui sur l’initiative de Bruno Retailleau s’inscrit dans le contexte de la rupture par l’Azerbaïdjan du cessez-le-feu signé le 10 novembre 2020 en vue de mettre fin aux opérations militaires dans le Haut-Karabagh.
De même que nous avons dénoncé l’invasion du Haut-Karabagh par l’armée azérie, de même nous condamnons les affrontements frontaliers déclenchés aux mois d’août et septembre derniers par les forces militaires azéries, qui ont fait 286 victimes.
En outre, l’Azerbaïdjan devra vraisemblablement répondre devant les tribunaux internationaux de probables crimes de guerre commis contre les soldats arméniens. Une enquête internationale doit être diligentée sans délai pour qualifier ces exactions.
Nous réitérons notre soutien inconditionnel au peuple arménien dont la nation, le territoire et la culture doivent impérativement être préservés. Le peuple arménien doit être garanti dans son droit à vivre en paix et en sécurité. Dans cette perspective, nous partageons les mots forts du Président de la République, qui a rappelé que la France ne lâcherait jamais l’Arménie.
La reprise de ce conflit territorial, vieux de trois décennies, moins de deux ans après la fin de la guerre de 2020, est une nouvelle conséquence des déstabilisations géopolitiques provoquées par l’invasion russe en Ukraine. Ainsi, comme à leur habitude, l’Azerbaïdjan et la Turquie tentent, par tous les moyens, de profiter de la guerre en Europe pour pousser leurs avantages.
Ainsi, l’Azerbaïdjan a profité de la rupture de fourniture de gaz russe aux pays européens pour proposer ses services, ce qui a conduit à la signature, le 18 juillet dernier, d’un accord, entre Bruxelles et Bakou, visant à doubler les importations de gaz azéri dans l’Union. Cet accord a été dénoncé par des parlementaires français de tous bords politiques, dont les écologistes, mais l’Union européenne, toute à la question de l’approvisionnement en hydrocarbures, transfère sa dépendance d’une dictature impérialiste à l’autre… Tant que nous ne nous serons pas engagés massivement pour sortir des hydrocarbures, l’autonomie stratégique du continent demeurera une chimère.
Pourtant, dans le contexte géopolitique actuel, la Russie, fragilisée militairement et isolée diplomatiquement, ne peut demeurer le seul garant de la paix dans le Sud-Caucase. Il faut que la communauté internationale, par le biais des Nations unies plutôt que par celui du groupe de Minsk – dévitalisé – prenne les dispositions nécessaires pour garantir l’effectivité du cessez-le-feu et la construction d’une paix durable dans le Haut-Karabagh. Si la nécessité l’impose et si la cohabitation avec la force d’interposition russe est possible, alors il faudra déployer une force de maintien de la paix internationale sous égide onusienne.
Il n’est pas imaginable – et c’est toute la difficulté de la période – d’envisager une quelconque intervention dans la région sans composer avec la Russie de Vladimir Poutine. Si une première médiation, entreprise par les États-Unis et l’Union européenne le 2 octobre dernier, a permis la libération de dix-sept prisonniers arméniens, c’est un sommet tripartite, organisé par la Russie, qui a débouché sur un engagement de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie à « ne pas recourir à la force », avant que les États-Unis ne tentent de reprendre la main au moyen d’une réunion des ministres des affaires étrangères, le 7 novembre 2022.
Cette construction d’un traité de paix, encore fragile, comme l’illustrent les échanges de tirs la semaine dernière, intervenant, qui plus est, dans un contexte international extrêmement troublé, doit être encouragée par tous les moyens. La pacification de la région est une nécessité vitale pour l’Arménie, qui ne paraît pas en mesure de faire face à un regain des tensions militaires.
Cela étant, si le groupe écologiste partage de nombreuses demandes de la présente proposition, il ne juge pas opportun d’inviter le gouvernement français à renforcer « les capacités de défense de l’Arménie ». Il juge même paradoxal de faire figurer une telle demande dans une résolution « visant à établir une paix durable ». Comment la France, membre du groupe de Minsk, pourrait-elle jouer un quelconque rôle de médiateur dans la région, si elle devenait ainsi partie prenante au conflit ?
Si la France doit jouer aux Nations unies un rôle moteur – ce que nous appelons de nos vœux sur toutes les travées –, pour que la communauté internationale tout entière garantisse la paix dans le Sud-Caucase – et ainsi la préservation de la République d’Arménie –, alors elle ne peut pas jouer une autre partition que celle de la diplomatie.
Pour permettre à la France de revenir dans le jeu diplomatique, il nous a semblé pertinent que le Gouvernement reconnaisse la République d’Artsakh afin qu’il s’en serve comme un levier de négociation pour obtenir rapidement un statut juridique reconnu à l’échelle internationale, pérenne et protecteur pour le Haut-Karabagh.
Aussi, nous avions signé et voté la précédente proposition de résolution sénatoriale de 2020. Pour ces mêmes raisons précisément, nous nous abstiendrons de voter la présente proposition de résolution, qui ne nous semble pas compatible avec le rôle que doit jouer la France dans l’effort de construction d’une paix durable, seule à même de protéger durablement et effectivement l’Arménie et son peuple. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le conflit qui oppose la République d’Arménie et la République d’Azerbaïdjan s’inscrit dans la durée, puisque plusieurs épisodes de violences ont eu lieu depuis la proclamation de l’indépendance du Haut-Karabagh en 1991.
La présente proposition de résolution vise, à son alinéa 17, à pousser le Gouvernement à agir pour faire respecter le cessez-le-feu du 9 novembre 2020. Plus largement, elle vise, à l’alinéa 22, à faire appliquer « les réponses les plus fermes » contre l’Azerbaïdjan. Enfin – et ce dernier point doit requérir toute notre attention –, elle réaffirme, à l’alinéa 27, la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. Cette proposition de résolution fait plus que demander le simple retrait des troupes azéries, car elle soulève également les sujets du rapatriement des prisonniers de guerre, à l’alinéa 19, et de l’élimination des discriminations raciales, à l’alinéa 20.
Le Président de la République a eu samedi dernier un échange téléphonique avec son homologue azerbaïdjanais, à l’issue duquel les deux dirigeants ont souhaité « maintenir une étroite coordination ». Il s’entretiendra également avec le premier ministre arménien en marge du sommet de la francophonie à Djerba le 19 novembre prochain. La voie du dialogue permet d’avancer de façon concrète avec les deux parties. Il faut rappeler cette échéance et privilégier le dialogue entre dirigeants.
La France souhaite s’inscrire dans une position de conciliation des intérêts et permettre le dialogue constructif entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Les deux États ont discuté à Washington, le lundi 7 novembre dernier, sous l’égide des États-Unis, quelques heures après de nouveaux bombardements frontaliers, dans un conflit qui a fait des centaines de morts ces derniers mois. La France a « souhaité maintenir une étroite coordination dans le sillage du sommet de Prague », qui avait réuni le 6 octobre dernier, en marge de la première réunion de la Communauté politique européenne, le président Aliyev et le premier ministre Pachinian.
Le Président de la République a « salué l’effet stabilisateur de la mission civile de l’Union européenne le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan ». Le déploiement de cette mission avait été décidé lors du sommet de Prague. Le Président de la République a également réaffirmé « la pleine disposition de la France à accompagner le processus de normalisation des relations entre les deux pays, et à œuvrer pour une solution politique dans la région qui puisse permettre à la paix de s’installer durablement ».
Il est vrai que l’Azerbaïdjan a rompu le cessez-le-feu conclu le 9 novembre 2020 avec l’Arménie à deux reprises – une première fois au début du mois d’août et, plus récemment, dans la nuit du 12 au 13 septembre 2022. Ce faisant, l’Azerbaïdjan a fait le choix de l’emploi de la force plutôt que de la voie diplomatique pour négocier avec l’Arménie les conditions d’une paix durable au Haut-Karabagh.
Il est faux de dire que la France demeure inactive, puisque, à la suite de cette nouvelle offensive, elle a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU, qu’elle présidait alors, de se réunir. Avec le soutien de la Turquie, l’Azerbaïdjan a contraint l’Arménie à abandonner la route existante par le couloir de Latchin – étroite bande de cinq kilomètres qui relie le Haut-Karabagh à l’Arménie.
Le Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a appelé à la retenue. Il faut veiller à ne pas mettre en échec les négociations engagées à Bruxelles entre les deux parties, sous l’égide de l’Union européenne, depuis quelques mois.
S’il est vrai que nous importons beaucoup de gaz d’Azerbaïdjan depuis le début de la guerre en Ukraine, cet intérêt économique ne doit pas être retenu comme le déterminant majeur de l’action de la France, pays des droits de l’homme, qui a toujours su prendre et tenir des engagements courageux. Une résolution réglera-t-elle plus efficacement le conflit que la diplomatie entre nos représentants ? La question est ouverte.
Le groupe RDPI n’a pas cosigné cette proposition de résolution. Avec mes collègues, nous sommes hautement préoccupés par la situation dans le Haut-Karabagh et nous condamnons fermement les graves incidents survenus dernièrement dans le secteur du couloir de Latchin.
Nous partageons nombre des constats de cette proposition de résolution, dans laquelle est réaffirmée « la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh ». Toutefois, le groupe RDPI estime qu’une telle reconnaissance ôterait à la France la possibilité de jouer un rôle de médiation en vue de l’établissement d’une paix durable. Bien entendu, notre groupe appelle au cessez-le-feu, au repli des forces azéries et au respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie.
Au vu de ces éléments factuels, mais aussi stratégiques, la majorité du groupe RDPI a décidé d’opter pour une abstention constructive. Elle ne nie pas l’urgence, mais elle émet de sérieux et profonds doutes sur l’opportunité d’une telle proposition de résolution. C’est sa position constante – c’est également celle du Quai d’Orsay – et elle s’inscrit dans la continuité de celle de novembre 2020 sur la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh.
Néanmoins, certains collègues de notre groupe – en toute liberté et en fonction de l’appréciation de chacun – voteront en faveur de cette proposition de résolution. (MM. Frédéric Marchand et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diplomatie parlementaire est précieuse. Elle permet à des élus de discuter en toute bienveillance et de partager leurs espoirs, leurs doutes et leurs angoisses.
Le groupe d’amitié France-Arménie du Sénat, que j’ai l’honneur de présider, et qui est l’un des plus actifs de la Haute Assemblée, grâce à l’engagement de tous ses membres, entretient avec son homologue de l’Assemblée nationale arménienne des relations suivies et empreintes d’une profonde et réciproque fraternité.
Nos amis députés arméniens nous ont livré avec une grande franchise leurs réflexions sur la situation de leurs pays, parce qu’ils ont confiance en nous. À plusieurs reprises par le passé – et notamment en 2019 –, ils nous ont alertés sur les risques d’une agression militaire. Leurs craintes étaient fondées, nous les avons relayées auprès des autorités françaises, mais elles n’ont pas été entendues.
Lors de notre dernière rencontre à Erevan, en septembre dernier – je remercie ici Brigitte Devésa, Étienne Blanc et Pierre Ouzoulias de leur présence et de leur engagement – nous avons, tous les quatre, été bouleversés par leur désespoir et leur désespérance. Abandonnée par la Russie, oubliée par l’Union européenne et meurtrie par le voyage de la présidente de la Commission européenne à Bakou, l’Arménie leur semblait perdue.
J’évoquerai trois de nos échanges. Dans le premier, ils ont demandé d’imposer à l’Azerbaïdjan de retourner à ses positions du 9 novembre 2020. Dans le deuxième, ils ont souhaité qu’une force d’interposition sécurise la frontière de l’Arménie avec l’Azerbaïdjan. Dans le troisième, ils ont réclamé que l’on donne les moyens à l’Arménie d’assurer la sécurisation de ses frontières.
La proposition de résolution qui nous réunit aujourd’hui n’est pas un pamphlet contre l’Azerbaïdjan ou un éloge de l’Arménie. Il s’agit de défendre la paix et nos valeurs démocratiques. Nous participons à des groupes d’amitié, non pas pour le plaisir de découvrir de nouveaux pays ou de les visiter, mais pour œuvrer au renforcement des liens qui nous unissent et attester des difficultés qu’ils traversent.
C’est donc avec une certaine solennité et le devoir moral de témoigner du sentiment d’urgence absolue qui occupe les esprits de nos collègues parlementaires que je m’adresse aux trente-neuf membres du groupe d’amitié France-Arménie, à l’ensemble de notre assemblée et, bien sûr, au gouvernement français. L’Arménie a besoin de nous, de notre attention et de notre soutien !
Mes chers collègues, sachez que même dans le plus petit village d’Arménie, notre dernière résolution a été entendue et reçue avec espoir. Dans les décombres d’une petite maison de la campagne de l’Artsakh en décembre 2020, où j’ai été accueilli avec ce qu’il restait – quelques pommes et du pain –, un homme m’a dit à propos de la résolution du Sénat : « La France pense encore à nous, nous vivons encore ! »
Non, jamais une résolution parlementaire ne consolera la souffrance des familles des disparus ! Jamais elle ne fera oublier la désolation des cimetières où les visages de soldats – si jeunes – sont gravés sur les tombes. Jamais elle ne ramènera l’allégresse dans ces vignes et ces vergers ravagés par la guerre. Jamais elle ne séchera les larmes de ces populations chassées des terres de leurs ancêtres. Jamais elle ne ramènera dans son foyer le jeune qui a donné sa vie pour que triomphe dans cette partie du monde la démocratie !
Mes chers collègues, soyons certains que dans toute l’Arménie le vote de notre Sénat est attendu comme un message d’espoir par un peuple tant de fois meurtri par les catastrophes de l’histoire et qui aspire – encore plus aujourd’hui – à vivre en paix pour poursuivre son destin sur et dans ses terres. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, GEST et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne.
M. Alain Cazabonne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord je tiens à remercier les présidents Retailleau et Cambon d’avoir pris l’initiative de cette proposition de résolution, ainsi que le président Marseille, qui apporte, par sa cosignature, le soutien de notre groupe.
Au fur et à mesure de notre débat, nous sommes amenés à répéter certaines choses, mais il n’est pas inutile, je crois, de réitérer une fois de plus notre attachement à l’Arménie, pour donner ainsi plus de force à notre proposition de résolution.
Le Sénat a toujours été au rendez-vous lorsqu’il s’est agi de défendre l’Arménie et les Arméniens – je pense notamment à notre vote à la quasi-unanimité de la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh en 2020. Deux ans après la signature du cessez-le-feu conclu entre Bakou et Erevan, le conflit n’est toujours pas résolu et la situation reste extrêmement tendue. Alors que les regards du monde entier demeurent rivés sur le conflit ukrainien, il est urgent d’agir dans la région du Sud-Caucase. Dans la nuit du 12 au 13 septembre dernier – cela a été rappelé –, l’agression de l’armée azérie a causé la mort de quelque 286 Arméniens.
Pourtant, plusieurs négociations ont été ouvertes pour résoudre ce conflit, mais elles ont limité, hélas ! l’efficacité de l’action internationale, car elles n’étaient pas coordonnées. Du côté russe, le 31 octobre dernier, Vladimir Poutine a réuni à Sotchi le président Aliyev et le premier ministre Pachinian pour essayer – sans grand espoir – de contenir l’escalade. Du côté de Washington, la semaine dernière, Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, a réuni les ministres des affaires étrangères des belligérants. Du côté européen, Charles Michel et Emmanuel Macron ont été à l’initiative d’une mission d’observation qui a conclu naturellement que l’Azerbaïdjan avait mené des attaques agressives contre l’Arménie.
La particularité de ce conflit est que les puissances cherchent à se poser en médiatrices, mais en faisant primer la concurrence sur la collaboration, alors même que les Occidentaux ont su s’unir face au conflit ukrainien pour prendre des décisions et des sanctions communes. Il devient nécessaire que la communauté internationale prenne ses responsabilités pour que la paix puisse revenir dans cette partie du Caucase.
Je comprends très bien que la position des Européens à l’égard de Bakou soit pour le moins délicate. Alors que le Kremlin nous a fermé les robinets de gaz, nous nous sommes tournés vers l’Azerbaïdjan, de manière à trouver l’énergie qui nous sera nécessaire pour nous chauffer cet hiver. Bruno Retailleau a d’ailleurs écrit récemment un livre – je l’ai beaucoup apprécié – évoquant le risque de manquer de « lumière » cet hiver…
Dès lors, pourquoi y a-t-il deux poids, deux mesures à l’égard du régime totalitaire d’Ilham Aliyev ? Après l’Ukraine et l’Arménie, allons-nous créer une jurisprudence d’annexion dans l’indifférence ? Pour reprendre une célèbre citation, « c’est pire qu’un crime, c’est une faute ». Ce qui vaut pour la Russie ne vaut-il pas également pour l’Azerbaïdjan ? Les efforts de sobriété que nous nous imposons pour rendre efficientes nos sanctions ne peuvent-ils pas s’appliquer aussi au régime azéri ?
En 2020, des milliers d’Arméniens ont péri lors de la guerre du Haut-Karabagh. Allons-nous laisser ce conflit s’enliser ainsi ? Nous devons prendre nos responsabilités, et vite ! La France a toujours été aux côtés des Arméniens, pris en étau entre la Turquie et l’Azerbaïdjan. Si nous n’agissons pas, nous serons coupables et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
Ainsi, le groupe Union Centriste votera, dans sa très grande majorité, cette proposition de résolution, qui vous invite, monsieur le ministre, notamment en son alinéa 27, à tout mettre en œuvre pour que l’Azerbaïdjan s’engage instamment dans un processus de négociation diplomatique, afin d’aboutir à l’établissement d’une paix durable dans le Sud-Caucase. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de résolution, le Sénat honore un engagement ancien de la France en faveur de la protection des pays et des communautés chrétiennes du monde, qui aujourd’hui font, hélas ! l’objet de persécutions.
Les rapports entre la France et l’Arménie s’inscrivent dans cette longue histoire que Charles de Gaulle résumait par ces mots simples : « Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »
Pourquoi donc protéger l’Arménie ? D’abord parce que c’est une démocratie dans un océan de dictatures violentes : la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Iran – pays frontaliers de l’Arménie – violent les droits humains fondamentaux, qui sont le socle même de notre civilisation. Épuration ethnique, génocide, instrumentalisation de la justice, violence, voilà leurs outils quotidiens d’exercice du pouvoir ! Mais l’Arménie, elle, n’est pas dans ce camp-là, il s’en faut. C’est la raison pour laquelle il faut protéger cette si petite démocratie dans cette région du Caucase.
Ensuite, il faut protéger l’Arménie parce qu’elle est une victime. Protéger une victime, c’est d’abord et avant tout désigner son agresseur, l’Azerbaïdjan, qui s’en prend aujourd’hui à l’Arménie et ne fait pas dans la demi-mesure : massacres, exécutions sommaires, démembrements de cadavres, viols, rétentions et tortures de prisonniers. Tout cela nous a été décrit lorsque nous étions à Erevan, voilà quelques semaines : ce sont des méthodes communes aux dictateurs !
Rien de tout cela n’a été épargné ni au petit peuple arménien ni à son armée, qui n’a du reste pas été protégée par les lois de la guerre inscrites dans la convention de Genève. L’inhumanité du président Aliyev l’a conduit à exposer dans un parc de Bakou les trophées sanglants, les casques et les vêtements de ces jeunes Arméniens, des gamins de 20 ans massacrés par l’armée d’Azerbaïdjan – victorieuse parce que dotée, par la Turquie, de drones, d’artilleries et d’armes modernes. On peut être un simple supplétif et se prendre pour un héros.
Enfin, il nous faut protéger l’Arménie, car elle est devenue le jouet d’une rivalité géopolitique qui se dessine dans la région entre la Russie et la Turquie, la seconde considérant que l’Arménie contrarie un panturquisme assumé, quand la première tente de conserver, au sein d’une ancienne république soviétique, une influence qui s’évanouit.
Mais protéger l’Arménie, c’est aussi nous protéger nous-mêmes face au fondamentalisme d’un islam politique totalitaire qui nie l’altérité, élimine ce qui ne lui est pas semblable. La France doit alors être du côté de l’altérité, du respect des différences, de la protection des minorités, tout cela sous couvert de la défense de la liberté de penser, de croire ou, tout simplement, de la liberté de vivre.
Oui, ce que vit aujourd’hui l’Arménie, c’est ce que nous pourrions être appelés, demain, à connaître, si nous ne défendons pas ces valeurs universelles auxquelles nous croyons.
Cette proposition de résolution contient trois réponses à une question que j’ai posée au Gouvernement le 5 octobre dernier.
Elle propose, d’abord, de désavouer la Commission européenne, qui, sous le nom de Mme von der Leyen, a signé un accord indigne, honteux, avec l’Azerbaïdjan pour s’assurer de livraisons de gaz et de pétrole. La France ne peut pas accepter que soit sacrifiée la liberté du peuple arménien pour préserver son confort hivernal. En cela, la proposition d’embargo sur le gaz et le pétrole est sans doute une réponse à la hauteur des crimes qui ont été commis par l’Azerbaïdjan.
Cette résolution vous exhorte, ensuite, monsieur le ministre, à renforcer les capacités défensives de l’Arménie en lui fournissant les armes nécessaires à sa protection. Il est temps, sur ce sujet, de passer de la parole aux actes pour protéger ce territoire, que l’on sait si fragile.
Enfin, et c’est la demande la plus pressante de l’Arménie, de son président et de son premier ministre, que nous avons rencontrés à Erevan, avec le président du groupe interparlementaire d’amitié France-Arménie, Gilbert-Luc Devinaz, à la fin du mois de septembre : il faut que la France profite de la présidence française du Conseil de sécurité pour mettre en place la force d’interposition tant attendue. Elle garantira la souveraineté de l’Arménie sur son territoire et ses frontières, la liberté de son peuple et l’intégrité des Arméniens du Haut-Karabakh, une République que le Gouvernement français serait bien inspiré de reconnaître enfin.
Alors, oui, en votant cette proposition de résolution, la France s’honorera en protégeant le peuple arménien, qui n’attend d’elle qu’une chose : une œuvre de paix. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dignité d’un peuple réside avant tout dans sa souveraineté et le respect de l’intangibilité de ses frontières. Le peuple arménien en est la parfaite illustration.
Ce peuple, d’un courage exemplaire, se bat seul, isolé du reste du monde, dans une forme d’indifférence, contre une coalition azérie-turque et ses mercenaires djihadistes, qui bombardent des civils et massacrent des soldats désarmés.
Oui, l’Arménie est en danger de mort. Il est de notre responsabilité première de la secourir, de la protéger, et notre inaction dans ce domaine est purement inacceptable et suicidaire.
L’histoire des hommes, c’est d’abord et avant tout l’histoire des civilisations, et celles-ci, par essence, peuvent être mortelles. Or le peuple arménien, premier État chrétien du monde, appartient plus qu’aucun autre à notre civilisation et partage nos racines judéo-chrétiennes.
Nous avons aujourd’hui, comme Bruno Retailleau l’a clairement dit, la désagréable impression qu’est appliqué le fameux « deux poids, deux mesures », insupportable dans le cadre de la politique étrangère de l’Europe, mais également de la part de la France.
Nous avons infligé d’énormes sanctions à la Russie après son agression de l’Ukraine – il fallait bien évidemment le faire –, jusqu’à renoncer à nous alimenter en gaz russe. Mais, mes chers collègues, qu’avons-nous fait concrètement pour nos amis arméniens ? En réalité, disons-le, assumons-le : pas grand-chose !
Nous nous sommes contentés, jusqu’à présent, de simples communiqués de protestation, de badge à la boutonnière, qui, malheureusement, n’ont eu aucun effet chez les agresseurs, qui sont véritablement dans une logique non pas d’apaisement, mais d’épuration ethnique, entamée avec le génocide de 1915.
Pis encore, Mme von der Leyen s’est rendue en personne à Bakou pour célébrer en grande pompe un nouvel accord gazier prévoyant le doublement des importations de gaz en provenance de l’Azerbaïdjan. C’est purement immoral et abject !
Y aurait-il une hiérarchie dans les conflits ? Bruno Retailleau nous a interrogés sur le sujet : le sang et les larmes des Arméniens valent-ils moins que ceux des Ukrainiens ?
Notre politique étrangère ne peut être à géométrie variable. Il y va de la crédibilité de la France, ce vieux pays dont la voix singulière vient du fond des âges.
Choisir comme fournisseur de gaz l’Azerbaïdjan pour pallier le manque d’approvisionnement russe est non seulement une preuve de renoncement à nos valeurs, mais aussi, et surtout, une immense faute géopolitique, car cet accord renforce de facto le régime autocratique, dictatorial d’Aliyev.
De surcroît, cette décision européenne alimente l’ambition impérialiste de M. Erdogan, qu’il déploie depuis plusieurs années, à travers notamment une stratégie de déstabilisation internationale.
Pour conclure, mes chers collègues, la question qui se pose, en fait, à travers cette proposition de résolution, est de savoir si l’Europe et la France sont prêtes à accepter, à leurs portes, un nouvel empire ottoman, plus islamique que jamais, un nouveau tyran qui, du Caucase à la Méditerranée, imposerait ses visions.
En quelque sorte, est-on prêt à accepter pour quelques mégawattheures la disparition d’un peuple qui nous supplie à genoux de l’aider ? Qui oserait répondre par l’affirmative à cette interrogation ?
Nous vous proposons, par cette proposition de résolution, d’envoyer un message clair et fort, de répondre non à cette question, avec la plus grande fermeté, et de défendre l’identité et la souveraineté d’un État. Il y va de notre civilisation, de notre culture et de nos racines. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui accompagne actuellement le Président de la République au G20 en Indonésie. C’est donc le ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères qui portera la parole du Gouvernement.
La proposition de résolution qui est débattue aujourd’hui devant votre assemblée porte sur un enjeu particulièrement important pour la France, pour l’Europe, et prend une acuité particulière après l’agression russe en Ukraine, au mépris de tous les principes du droit international.
D’ailleurs, à l’heure où je vous parle, l’Ukraine subit une vague de bombardements massifs, visiblement sans précédent par son intensité, et touchant les infrastructures énergétiques de plusieurs villes d’Ukraine.
La guerre, qui est revenue en Europe par l’agression russe, n’est pas sans conséquence dans la région du Caucase, qu’elle contribue à déstabiliser. Elle n’est pas sans conséquence pour l’Arménie, qui en subit le contrecoup face au défaut de légitimité d’une Russie guerrière pour se poser en faiseur de paix.
Ce contexte porteur de risques d’embrasement nous conduit à redoubler d’efforts pour œuvrer à des solutions permettant une paix et une stabilité durables dans le Caucase.
La première condition de cette stabilité, et pour que les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan puissent progresser, est le strict respect du cessez-le-feu et le renoncement au recours à la force pour régler les différends.
Lors des très graves affrontements qui sont survenus à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan les 13 et 14 septembre, la France s’est immédiatement mobilisée.
Le Président de la République a été en contact avec le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et avec le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, et a appelé à l’arrêt des combats, au respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie et à un retrait des positions occupées par l’Azerbaïdjan.
Nous avons aussi réuni le Conseil de sécurité sous présidence française à deux reprises, les 15 et 16 septembre, pour marquer la même exigence.
Nous avons aussi obtenu l’envoi d’une mission d’évaluation de l’OSCE du côté arménien de la frontière.
Aujourd’hui, c’est l’intégrité territoriale de l’Arménie qui est en jeu et qui doit être défendue. Il n’y aura pas de solution durable sans respect des principes du droit international.
Aussi, l’un des objectifs majeurs du Président de la République, lorsqu’il a réuni à Prague, aux côtés de Charles Michel, le premier ministre Pachinian et le président Aliyev, a été que les deux pays confirment leur attachement à la Charte des Nations unies et à la déclaration d’Alma-Ata de 1991, par laquelle ils reconnaissaient mutuellement leur intégrité territoriale et leur souveraineté.
L’autre résultat majeur de la réunion de Prague a été la mise en place d’une mission civile de l’Union européenne le long de la frontière, avec laquelle l’Azerbaïdjan a accepté de coopérer. Cette mission s’est déployée dès le lendemain du sommet de Prague pour une durée de deux mois. L’objectif de cette mission est d’établir la confiance et, par ses rapports, de contribuer aux commissions de délimitation des frontières. Son déploiement a déjà contribué à une diminution significative des incidents et des tensions.
Saluons l’extrême célérité avec laquelle l’Union européenne a été en mesure de déployer ses observateurs.
Et c’est à Prague, enfin, qu’a eu lieu la rencontre historique entre le premier ministre Pachinian et le président turc Recep Erdogan, grâce à l’intermédiation du Président de la République, Emmanuel Macron.
La France n’a pas non plus ménagé ses efforts en faveur de la libération des prisonniers de guerre arméniens. Grâce aux interventions conjuguées de la France, de l’Union européenne et des États-Unis, trois libérations successives de prisonniers sont intervenues cette année. Nous continuons d’appeler à ce que tous les prisonniers – je dis bien tous ! – soient remis en liberté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
La France est donc pleinement mobilisée dans ses efforts de médiation aux côtés de l’Union européenne, mais aussi des États-Unis, afin de parvenir à des solutions négociées sur l’ensemble des questions en suspens.
Lors d’une réunion le 7 novembre à Washington, une première session de négociations s’est tenue entre les parties sur un projet de traité de paix. Nous les encourageons à poursuivre ces négociations de bonne foi, ainsi que celles sur la délimitation de la frontière.
Notre rôle est de faciliter ces pourparlers et d’essayer de contribuer à un climat de confiance, et non de prendre des mesures de rétorsion à l’égard d’une partie, au risque de renforcer les hostilités. Il existe aujourd’hui une opportunité pour parvenir à la paix, qui doit être saisie.
Ce que nous demande aujourd’hui l’Arménie, c’est de continuer à être un médiateur actif sur tous ces sujets. C’est le message que le ministre arménien des affaires étrangères m’a donné la semaine dernière – dans mon bureau – et qui guide notre action.
La France continuera également d’œuvrer au règlement de la question du Haut-Karabakh, qui demeure en suspens. Là encore, je vous invite à bien écouter ce que dit le gouvernement arménien et ce que m’a répété le ministre Ararat Mirzoyan : « La question du Haut-Karabakh n’est pas une question de territoire, mais de droit. Si, dans le passé, nous placions la question du statut au fondement, en faisant dériver de lui les garanties de sécurité et les droits, désormais, nous plaçons les garanties de sécurité et les droits à la base, en en faisant découler le statut. »
Ces propos courageux, tenus par le premier ministre Pachinian devant le Parlement arménien le 13 avril dernier, ont ouvert un espace de négociations, visant à définir le contenu de ces droits et de ces garanties.
La France soutient cette approche, car il ne lui appartient pas de prétendre mieux savoir que le gouvernement arménien ce qui est dans l’intérêt de l’Arménie. Il nous appartient de contribuer avec nos partenaires à l’émergence de solutions dans lesquelles nous puissions avoir confiance. Il s’agit de garantir à la population arménienne du Haut-Karabakh qu’elle pourra continuer d’y vivre dans la sécurité et d’y jouir de tous ses droits. C’est ainsi que nous serons utiles et solidaires de l’Arménie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, aucun pays, sur la scène internationale, ne fait davantage que la France pour soutenir l’Arménie.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
M. Olivier Becht, ministre délégué. Nous le faisons par fidélité à nos valeurs, à notre histoire, et par amitié avec le peuple arménien. C’est notre devoir, notre honneur, notre fierté. C’est aussi notre combat pour la paix.
Je puis vous assurer que nous poursuivrons nos efforts de médiation jusqu’à l’instauration d’une paix durable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Joël Bigot applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à appliquer des sanctions à l’encontre de l’azerbaïdjan et exiger son retrait immédiat du territoire arménien, à faire respecter l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, et favoriser toute initiative visant à établir une paix durable entre les deux pays
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu le traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949,
Vu la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 4 janvier 1969,
Vu la résolution 60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies du 16 septembre 2005 sur la responsabilité de protéger,
Vu l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020,
Vu la résolution (2020-2021) n° 26 portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh adoptée par le Sénat le 25 novembre 2020,
Considérant que les agressions répétées des forces militaires azéries au Haut-Karabagh et dans les régions du Sud et Sud-Est de l’Arménie constituent une violation de la souveraineté de cet État et des accords de cessez-le-feu conclus entre les deux parties ;
Considérant que les rapports de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe et du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU (CERD) attestent de l’impossibilité des populations arméniennes à vivre librement en Azerbaïdjan ;
Considérant que la sécurité et la liberté des populations arméniennes vivant dans le Haut-Karabagh ne sont pas garanties par la République d’Azerbaïdjan ;
Considérant que le conflit du Haut-Karabagh et celui entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie se déroulent dans une région particulièrement instable, proche de l’Union européenne, et comportent un risque d’escalade impliquant potentiellement des puissances régionales ;
Considérant que les pourparlers de paix sous l’égide de l’Union européenne subissent les conséquences du conflit entre la Russie et l’Ukraine et des enjeux stratégiques liés à l’autonomie énergétique de l’Union européenne ;
Considérant les efforts déployés depuis 1994 par la France, dans le cadre du Groupe de Minsk dont elle assure la co-présidence aux côtés de la Russie et des États-Unis, pour aboutir à une solution pacifique dans le conflit du Haut-Karabagh ; considérant l’impact du conflit ukrainien sur la faculté du Groupe de Minsk à remplir sa mission ; considérant par ailleurs que ce processus est durablement entravé par le recours de l’Azerbaïdjan à la solution militaire ;
Considérant les condamnations de la communauté internationale et la réunion en urgence du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations unies à la demande de la France qui le préside ;
Condamne fermement les nouvelles agressions militaires de l’Azerbaïdjan perpétrées au début du mois d’août 2022 dans le couloir de Latchin reliant l’Arménie à la capitale du Haut-Karabagh, Stepanakert, et réitérées les 13 et 14 septembre 2022 contre les régions Sud et Sud-Est du territoire de la République d’Arménie, en violation de sa souveraineté, des accords internationaux et de la Charte des Nations unies ;
Demande le retrait immédiat et inconditionnel, sur leurs positions initiales, des forces azéries et de leurs alliés du territoire souverain de l’Arménie et du couloir de Latchin, dont la sécurité et le statut inchangé doivent être assurés, selon les termes de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 ;
Demande, pour l’avenir, le respect par les autorités azéries et l’ensemble de leurs partenaires dans la région, en particulier la Turquie, de l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Arménie en accord avec leurs obligations et engagements internationaux ;
Appelle à la libération et au rapatriement immédiats et inconditionnels de tous les prisonniers de guerre arméniens ;
Condamne les violations par l’Azerbaïdjan de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 4 janvier 1969 et demande le respect par les autorités azéries des accords et conventions internationales visant à assurer la sécurité des populations arméniennes et leur droit à vivre en paix et en liberté, le droit au retour des populations déplacées ainsi que la préservation du patrimoine culturel et religieux arménien ;
Invite le Gouvernement à œuvrer avec détermination pour que le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations unies saisisse la Cour pénale internationale au sujet de l’agression de l’Azerbaïdjan sur le territoire souverain de la République d’Arménie, y compris pour enquêter sur les crimes de masses et les crimes de guerre ;
Invite le Gouvernement à tirer toutes les conséquences diplomatiques et économiques de ces nouvelles agressions, et à envisager, avec ses partenaires européens, les réponses les plus fermes appropriées – y compris la saisie des avoirs des dirigeants azerbaïdjanais et un embargo sur les importations de gaz et de pétrole d’Azerbaïdjan – pour sanctionner l’agression militaire menée par les forces azéries sur le territoire de la République d’Arménie, en violation de sa souveraineté ;
Invite le Gouvernement à envisager la mise en place d’un bureau humanitaire au Haut-Karabagh ;
Invite le Gouvernement à manifester par tous moyens le soutien de la France à l’Arménie, en envisageant en particulier le renforcement des capacités de défense de l’Arménie en vue d’assurer son intégrité territoriale ;
Invite le Gouvernement à prendre sans délai toute initiative permettant de garantir la sécurité des populations arméniennes et de l’Arménie, dans ses frontières internationalement reconnues, et à demander à cette fin le déploiement d’une force d’interposition placée sous l’égide de la communauté internationale ;
Réaffirme la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh et à faire de cette reconnaissance un instrument de négociations en vue de l’établissement d’une paix durable ;
Invite le Gouvernement à tout mettre en œuvre pour que l’Azerbaïdjan s’engage instamment et pacifiquement dans un processus de négociation par la voie diplomatique, afin d’aboutir à l’établissement d’une paix durable dans le Caucase Sud.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 52 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Pour l’adoption | 295 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur des travées des groupes LR, UC, RDPI, INDEP et SER.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Lors du scrutin public n° 48 sur l’amendement n° 102 rectifié, j’ai été enregistré comme ayant voté pour, alors que je souhaitais voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Situation et perspectives des collectivités territoriales
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la situation et les perspectives des collectivités territoriales.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « je souhaite accompagner, encourager les initiatives, supprimer les verrous encore trop nombreux qui contraignent les territoires dans leur souhait de s’organiser mieux, en vue d’une action publique plus efficace.
« Cette liberté sera laissée aux élus locaux, en lien avec les représentants de l’État aussi, pour expérimenter de nouvelles politiques publiques, de nouvelles organisations des services publics, mais aussi pour innover en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et pour définir notre territoire de demain. »
Ces propos, madame la ministre, je les emprunte au Président de la République. Ils datent d’il y a cinq ans. Ils ont été prononcés ici même, au Sénat, lors du lancement de la Conférence nationale des territoires. La suite, malheureusement, nous la connaissons…
Six mois plus tard, on nous soumettait les premiers contrats de Cahors. Un an plus tard, nous constations avec un grand désarroi la fin de la Conférence nationale des territoires, fruit de l’ire des élus locaux, des maires, des présidents de département ou de région.
Examinons à présent le bilan législatif. Il se compose essentiellement de deux textes : la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui, selon les dires du ministre Sébastien Lecornu lui-même, visait à corriger les irritants de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), et la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), dont l’ambition décentralisatrice reste, de l’avis de tous, très modeste.
Vous conviendrez que le vent de liberté et de décentralisation que ces deux textes ont fait souffler n’a pas de quoi nous décoiffer…
Vous pourrez juger mes propos excessifs. Ils le seraient si le Sénat, dans son ensemble, n’avait pas été, tout au long de cette période, force de proposition. Il a ainsi formulé cinquante propositions sous l’égide du président Gérard Larcher, voté certains textes, comme la loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, alerté sur les difficultés budgétaires de nos collectivités. Récemment, nous vous avons sensibilisé, lors de son examen, sur les contraintes que la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets allait faire peser sur l’ensemble de nos communes, quand bien même nous pouvions partager certains de ses objectifs.
Madame la ministre, le début de ce quinquennat, comme celui du précédent, nous laissait espérer des lendemains plus heureux. Les premières déclarations du Président de la République, réaffirmant une volonté décentralisatrice, les mots que Mme la Première ministre a tenus ici même à cette tribune, nous rappelant qu’il était nécessaire d’engager un combat pour les territoires afin de mieux entendre la voix des départements, des régions et de l’ensemble des élus locaux, sont malheureusement, après quelques semaines, restés lettre morte.
Il semble que les lendemains que l’on nous annonçait chantants seront finalement plus douloureux que prévu…
Ainsi, voilà encore quelques semaines, après que nous eûmes tous répété à l’envi que nous pouvions être fiers des 35 000 maires de France, qui n’ont cessé de tenir la barre durant la période compliquée du covid-19, qui ont permis de juguler l’épidémie et de dépasser ce qui nous a d’abord paru indépassable, ces maires auxquels nous devons beaucoup, nous avons entendu Mme la Première ministre réaffirmer le besoin de renforcer le lien entre les présidents d’intercommunalité et les préfets… Si nous soutenons ici la dynamique intercommunale, nous considérons que c’est tout de même faire offense à ces maires, qui n’ont jamais cessé d’œuvrer et à qui nous devons tant, mes chers collègues ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
C’est aussi rester sourd et muet face à nos préoccupations. J’ai interrogé le ministre Christophe Béchu il y a une semaine sur ce qu’il pensait du récent rapport de la Cour des comptes, qui préconise de verser la dotation globale de fonctionnement aux intercommunalités. J’espère, madame la ministre, que vous aurez l’occasion de répondre à cette question, parce qu’elle suscite de véritables inquiétudes sur l’ensemble des travées de cet hémicycle !
Que devons-nous faire ? Malheureusement, nous ne sommes pas non plus rassurés par ce qui se profile dans le projet de loi de finances. Je pense au filet de sécurité, dans lequel beaucoup de maires se sont déjà pris les pieds, considérant qu’il n’apportera qu’une aide très partielle et sommaire, voire qu’il contient des dispositifs bien trop complexes et pas du tout à la hauteur des enjeux financiers. Je pense encore aux amortisseurs sur l’énergie, dont tout le monde a encore convenu, lors de l’audition de Christophe Béchu la semaine dernière, qu’ils étaient bien compliqués compte tenu des enjeux et des montagnes qui se dressent désormais devant l’ensemble des maires de France.
Madame la ministre, une urgence absolue frappe nos territoires. Cette augmentation du coût des énergies et cette situation financière que constate chacun des 35 000 maires de France deviennent des inquiétudes majeures pour nos collectivités et, plus encore, pour le pays tout entier.
Nous le savons, sans la commande publique, l’année 2023 et les années suivantes seront douloureuses pour notre pays. Il faut impérativement agir, et d’abord sur les problèmes financiers. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), les aides limitées, une certaine manière de rogner sur les marges des collectivités, le retour des contrats de Cahors : tout cela n’est pas de nature à nous rassurer.
Le Sénat, en responsabilité, prendra toute sa part de cette démarche pour faire œuvre utile. Nous avancerons des propositions concrètes, comme nous le ferons dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation. Nous serons au rendez-vous des territoires, au rendez-vous de ceux qui président aux destinées de nos communes. En effet, il nous faut les entendre, plus que jamais, si nous souhaitons que nos territoires ne connaissent pas le pire d’ici à quelques semaines ou à quelques mois.
Nous nous mobiliserons dans le cadre de ce projet de loi de finances pour garantir que les dispositifs tels que le filet de sécurité et l’amortisseur sur l’énergie apportent une aide réelle et ne rendent pas plus complexe, une fois de plus, un système qui l’est déjà bien assez.
Nous prendrons nos responsabilités, mais nous attendons, madame la ministre, que le Gouvernement prenne enfin les siennes, en se mettant à la hauteur des enjeux auxquels nos collectivités sont confrontées.
Je le dis avec gravité et solennité : ce débat, que je remercie le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à l’ordre du jour du Sénat, marque le commencement d’un processus qui se poursuivra lors de l’examen du projet de loi de finances. Je forme le vœu qu’il permette enfin d’aborder, durant ce quinquennat, les questions de décentralisation et de déconcentration.
Nous avons besoin de l’État territorial, mais aussi de la différenciation, car les situations diffèrent dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Détraigne et Franck Menonville, ainsi que Mme Cécile Cukierman, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Mathieu Darnaud, je suis heureuse d’être parmi vous aujourd’hui pour prendre part à ce débat sur la situation et les perspectives des collectivités territoriales dans notre pays, débat organisé à la demande du groupe Les Républicains.
Je ne vous apprends rien : les collectivités traversent un moment déterminant, parce que notre politique à destination des territoires pour ce nouveau mandat se dessine maintenant et parce qu’elles doivent affronter des défis inédits en raison de l’inflation à 5,5 %, selon l’Insee, et de la hausse du coût de l’énergie.
Face à cette situation, notre gouvernement a agi sans tarder, pour les aider dans l’urgence, mais aussi pour qu’elles maintiennent leurs capacités d’investissement, en particulier en faveur de la transition écologique.
Nous n’avons pas construit ces mesures dans un exercice solitaire. Conformément à notre engagement, nous n’avons cessé d’échanger avec les associations d’élus, pour tenir compte de leurs remontées de terrain et de leurs propositions. L’État est donc au rendez-vous en termes de moyens comme de méthode.
Je présenterai notre action au service des collectivités tout d’abord sur le plan financier, ensuite pour ce qui a trait aux projets d’aménagement de ces dernières et enfin en matière de protection et de valorisation du statut des élus locaux.
Sur le plan financier, pour apprécier l’engagement que porte le projet de loi de finances pour 2023, je mettrai en avant trois volets de mesures.
Le premier volet est l’aide concrète apportée aux collectivités face à l’inflation. Grâce au filet de sécurité, 1,5 milliard d’euros sont mobilisés pour l’ensemble des collectivités fragilisées par l’augmentation des dépenses d’énergies. Il faut ajouter à ce montant les moyens dédiés au bouclier tarifaire, ainsi qu’à « l’amortisseur électricité », soit plus de 1 milliard d’euros, qui conduiront à alléger les charges liées à la hausse de l’électricité pour toutes les collectivités.
Le deuxième volet est la hausse inédite depuis treize ans de la dotation globale de fonctionnement (DGF), d’un montant de 320 millions d’euros, dont 200 millions d’euros pour la dotation de solidarité rurale (DSR). Cela permet à 95 % des communes de voir leurs dotations maintenues ou augmentées.
Ce renforcement de la DGF est couplé à la pérennisation de l’ensemble des dotations d’investissement – dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), dotation politique de la ville (DPV) et dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) –, qui atteignent un montant de près de 2 milliards d’euros, comme l’année précédente.
Enfin, le troisième volet de mesures est la mobilisation du fonds vert de 2 milliards d’euros, intégralement dédié aux projets de transition portés par les élus locaux.
Ces dispositifs ont été amendés, modifiés et perfectionnés à l’Assemblée nationale pour être adaptés aux besoins des collectivités. Vous aurez l’occasion de les améliorer encore dans le cadre de votre examen du texte, j’imagine. Notre volonté de dialogue est sincère.
Parmi les perspectives des collectivités territoriales se trouvent également les programmes d’appui que nous mettons en œuvre depuis le précédent quinquennat. Nous poursuivrons en ce sens. J’ai en particulier à l’esprit Action cœur de ville et Petites Villes de demain, qui permettent de redynamiser les centres urbains des villes moyennes et des petites villes lauréates et pour lesquels 6 milliards d’euros ont déjà été mobilisés.
Je viens de finaliser l’acte II d’Action cœur de ville, pour accentuer encore son élan, avec la volonté de soutenir davantage des projets de valorisation liés à la transition écologique.
J’ai réuni il y a quelques semaines l’ensemble des partenaires financiers – Action Logement, la Banque des territoires et l’Agence nationale de l’habitat (Anah) –, lesquels seront bien sûr au rendez-vous. Ils se sont déjà d’ores et déjà engagés sur des montants aussi élevés que ceux qu’ils avaient consacrés à la première phase. Nous aurons donc l’occasion d’annoncer plus en détail dans les prochains jours le lancement de cette nouvelle étape.
S’agissant de Petites Villes de demain, j’ai missionné les équipes de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), pour qu’elles préparent une feuille de route enrichie, afin de rendre ce programme plus opérationnel et de l’orienter davantage vers la transition énergétique. Notre objectif est aussi d’élargir encore le cercle de nos partenaires.
Plus largement, nous poursuivrons dans la dynamique de l’agenda rural, au sein duquel s’inscrivent ces deux mesures. Celui-ci a permis d’améliorer concrètement la qualité de vie de nos concitoyens dans les communes rurales, en particulier en matière de proximité des services publics, avec les espaces France Services. Il en existe déjà plus de 2 400 dans tout le pays ; il y en aura 2 600 à la fin de l’année.
Pour accentuer encore cette couverture, Stanislas Guerini et moi-même avons annoncé le lancement d’une nouvelle une vague de labellisations, avec l’objectif de créer 140 nouveaux espaces en 2023. En outre, le Président de la République a annoncé la réouverture de six sous-préfectures.
Cette liste de programmes d’appui n’est pas exhaustive, mais il me semble important de souligner la continuité de notre action, ainsi que notre exigence de méthode.
Dans l’ensemble de ces dispositifs, l’État se fait en effet accompagnateur et non prescripteur, au service des projets portés par les élus locaux, car notre but est une plus grande efficacité au bénéfice de tous. Nous les améliorons à la lumière des retours d’expérience, et vous êtes d’ailleurs nombreux à contribuer à cette démarche.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les élus locaux, ces fins connaisseurs de nos territoires, placés au plus près de nos concitoyens, doivent être soutenus. Ils sont les premiers acteurs de nos politiques publiques. C’est pourquoi nous défendons de nombreuses mesures visant à faciliter leur action.
Ainsi, concernant la délivrance des titres sécurisés, le projet de loi de finances inclut un nouveau plan d’urgence d’un coût total de 20 millions d’euros. Il s’agit, tout d’abord, d’inciter à la connexion à des plateformes numériques de prise de rendez-vous, pour limiter les rendez-vous multiples. Ensuite, nous augmentons la part forfaitaire de 8 500 euros à 9 000 euros pour encourager l’installation de nouveaux dispositifs de recueil. Enfin, nous instaurons deux tranches de part variable, afin de favoriser la performance ; ainsi, cette part atteindrait 12 000 euros par dispositif de recueil.
Nous mettons également en place le remboursement forfaitisé des frais de garde des élus, une mesure qui facilitera grandement la vie quotidienne des intéressés. Il leur suffira de déposer un dossier de remboursement des frais réels.
Plus largement, nous poursuivons l’application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, avec, par exemple, la décentralisation de 10 000 kilomètres de routes nationales confiées aux départements, aux métropoles et, à titre expérimental, aux régions.
Je termine en saluant la proposition de loi déposée par la sénatrice Delattre et rapportée par la sénatrice Di Folco, qui sera examinée tout à l’heure. Ce texte permettra de renforcer considérablement la protection des élus locaux en donnant aux différentes associations d’élus le droit de se constituer partie civile. Il s’agit d’une avancée supplémentaire pour garantir aux élus locaux un exercice serein de leur mandat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement s’engage résolument aux côtés des élus locaux et des collectivités.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, ce qui motive ma question peut être résumé par ces mots : « Vous avez rejeté les contrats de Cahors ? Eh bien, vous en aurez encore ! »
En utilisant le 49.3, vous vous permettez d’imposer de façon cavalière, sans discussion préalable, l’encadrement renforcé des dépenses de fonctionnement pour un certain nombre de collectivités territoriales.
Cet encadrement des dépenses de fonctionnement porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et le remet en cause.
La saison 2 de ces contrats de Cahors, dont nous avions tous appelé à sortir, vise en réalité à rendre ces dispositifs plus contraignants et à cibler davantage de collectivités territoriales.
Pourtant, cet été – ce n’est pas si loin ! –, le Sénat avait rejeté à la quasi-unanimité, après l’intervention des différents groupes, un tel rétablissement. Ma collègue Céline Brulin avait alors évoqué un « pacte de défiance », que vous vouliez imposer aux élus locaux.
Madame la ministre, souhaitez-vous ordonner la conclusion de ces nouveaux contrats ou, au contraire, instaurer un véritable dialogue pour construire les réponses indispensables pour aujourd’hui comme pour demain et, ainsi, développer les territoires de notre République ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, il est vrai que le Gouvernement a fait le choix de réintroduire ce pacte de confiance dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, sous la forme d’un rapport au Parlement.
Néanmoins, ce n’est en rien comparable au pacte de Cahors (M. Mathieu Darnaud proteste.), auquel je m’étais, moi aussi, opposée.
Il s’agit simplement d’un dispositif qui concerne les groupes de collectivités par strates – régions, départements, communes – et qui joue la confiance. Pour autant, si quelque collectivité venait à déraper, il reviendrait au préfet d’appeler son attention. Il n’est donc pas question de faire signer ou d’engager chaque collectivité nominativement, comme cela avait été fait durant le précédent quinquennat.
Pourquoi avons-nous fait ce choix ? Les acteurs publics – l’État comme les collectivités territoriales – doivent participer à l’effort commun pour rétablir les comptes de la Nation. Il y va de la crédibilité de notre pays vis-à-vis de l’Union européenne et des institutions qui achètent la dette française.
Il est donc nécessaire que le Gouvernement et le Parlement montrent clairement qu’ils font cet effort. C’est le sens des trajectoires budgétaires qui sont inscrites en loi de programmation des finances publiques.
Le pacte de confiance est-il le meilleur outil pour cela ? Il est, à mon sens, bien plus responsabilisant pour les collectivités que les mécanismes précédents. Je rappelle, à ce titre, que sous le mandat de François Hollande l’État avait autoritairement baissé la DGF de plus de 11 milliards d’euros en guise de trajectoire.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Eh oui !
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Pour autant, ce pacte peut évidemment être amélioré, et le rôle des collectivités dans cet effort pourrait se manifester autrement. Je suis ouverte au dialogue et je compte sur la sagesse du Sénat pour formuler des propositions.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, personne ne connaît ici les conditions dans lesquelles la discussion du projet de loi de finances s’achèvera. Je forme le vœu, à mon tour, que vous entendiez ce que dira le Sénat au sujet des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, je le répète, nous avons besoin d’un véritable pacte de confiance, et certainement pas d’un 49.3 à l’encontre des territoires ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pascal Martin. Madame la ministre, lors du séminaire gouvernemental de rentrée, la Première ministre a fixé une feuille de route pour chaque ministre. Sur celle qui s’adresse à votre ministère, on peut lire que le Gouvernement entend « repenser et simplifier le millefeuille territorial par la mise en place du conseiller territorial ».
Chacun sait ici de quoi il est question : certains d’entre nous parce qu’ils étaient déjà sénateurs en 2010, lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales, dite RCT, acte de naissance du conseiller territorial, d’autres – c’est mon cas –, parce qu’ils étaient alors élus locaux, donc concernés par cette réforme.
En 2022, le conseiller territorial que le Gouvernement souhaite ressusciter sera-t-il le même qu’en 2010 ? C’est très peu probable, car, entre-temps, la réforme de la carte régionale est passée par là. Fut-elle bonne ou mauvaise ? Alsaciens et Normands n’apporteraient sans doute pas la même réponse à cette question,…
Mme Nathalie Goulet. C’est sûr !
M. Pascal Martin. … laquelle ne se pose plus véritablement : nous devons seulement faire avec.
Or la taille des régions a son importance dans la mise en place d’un élu ayant vocation à siéger à la fois au conseil départemental et au conseil régional.
La région Normandie, qui m’est particulièrement chère, ne compte pas moins de 262 élus départementaux. Avec le conseiller territorial version 2023, ces 262 élus constitueraient-ils le nouvel effectif du conseil régional, qui n’a aujourd’hui que 102 membres ? Ce sont des questions de cet ordre qui se posent aujourd’hui lorsque l’on évoque le conseiller territorial, et je n’aborde même pas le sujet essentiel du mode de scrutin.
Mes questions sont donc simples, madame la ministre. À quoi ressemblerait concrètement le conseiller territorial que vous appelez de vos vœux ? À quelle échéance envisagez-vous une telle réforme ? Enfin, la Première ministre évoque l’idée de « simplifier le millefeuille territorial ». Ce nouveau conseiller territorial annonce-t-il la disparition à terme d’un niveau de collectivité, comme certains le craignaient en 2010 ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Pascal Martin, vous m’interrogez sur le conseiller territorial.
J’ai malheureusement participé à la fin du projet mis en place durant le mandat de Nicolas Sarkozy. Sans revenir trop longuement sur l’histoire de cette réforme, il est vrai que le Président de la République l’a retenue comme l’un des leviers en vue d’une meilleure organisation territoriale, ainsi que d’une meilleure lisibilité des interlocuteurs de nos concitoyens au sein des assemblées.
Votre question contient presque une partie de sa réponse : vous admettez avec moi que les évolutions territoriales que l’on connaît depuis 2014 ont considérablement modifié le paysage institutionnel de notre pays.
Il me semble nécessaire, en conservant le principe d’un conseiller unique partagé entre le département et la région, de réévaluer le format de conseiller l’aune de cette nouvelle donne. Nous n’aurons pas le choix. Cette question sera le sujet des concertations qui sont annoncées pour 2023 et dont l’organisation et le calendrier seront précisés prochainement.
Rassurez-vous : si votre crainte porte sur l’avenir des conseillers départementaux, le conseiller territorial ne marquera pas la fin des départements. Notre ambition est au contraire de permettre au territoire de recevoir de meilleurs services publics de la part des collectivités départementales et régionales et aux élus d’être des liens mieux identifiés par leurs concitoyens.
Notre projet fera l’objet de réflexions et de discussions avec les élus, et je ne doute pas que le Sénat aura à cœur de participer à cette mission. Là encore, je compte sur vos propositions.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la ministre, pour les collectivités territoriales, la crise n’est pas une surprise. Elles subissent les erreurs des gouvernements dans la politique énergétique, leur soumission aux diktats de l’Union européenne et leur incapacité à miser sur une décentralisation effective.
Arrêt programmé des centrales nucléaires, obligation pour EDF de racheter plus cher l’électricité qu’elle a vendue, sanctions contre la Russie mettant en difficulté les ménages français : à la roulette de l’idéologie, c’est le Gouvernement qui joue et les collectivités qui perdent et qui paient.
Les maires ne font plus de choix ; ils sont contraints en tout et cherchent des solutions de sauve-qui-peut. Ils ne veulent pas augmenter les impôts et sont dès lors obligés de geler leurs investissements et de réduire leurs dépenses de fonctionnement.
Dans les Bouches-du-Rhône, on ferme les piscines à Cabriès ; à Salon-de-Provence, les bassins extérieurs, ainsi que les serres municipales et le musée pour l’hiver. Le choix est fait d’éteindre l’éclairage public au cœur de la nuit dans de nombreuses communes ; c’est un blackout communal contraint, avant qu’il ne soit subi et soudain.
À Sénas, les crèches, la gestion des espaces vert et les cantines sont en régie municipale, et l’on réfléchit à ne pas conserver la totalité du personnel. Les autres échelons de collectivités étant aussi touchés, les communes ne peuvent plus compter sur leur concours. Par exemple, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, il n’y a plus assez d’aides de la région pour financer des équipements et des constructions, car la facture du chauffage des lycées est passée de 17 millions d’euros à 100 millions d’euros.
Les solutions se trouveront dans une décentralisation de la fiscalité et dans un retour du consentement à l’impôt par la démocratie de proximité. Cette crise est un révélateur de la traversée du désert des collectivités depuis des années, comme la crise du covid-19 a mis à nu un hôpital rongé par l’austérité unilatérale.
Je n’ai rien entendu dans vos propos, madame la ministre, qui annoncerait une prise de conscience de l’État : rien sur le retour à une souveraineté nationale qui protège, rien sur une baisse des coûteuses et inutiles dépenses publiques de l’État.
Aussi, quelle est votre stratégie à moyen terme pour permettre l’autonomie fiscale des collectivités et pour sauver les services de proximité par une véritable décentralisation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, de nombreuses avancées prouvent que, si des difficultés se font en effet jour, des réponses ont été apportées par le Gouvernement. Par exemple, notre majorité a augmenté la DGF de 320 millions d’euros – du jamais vu depuis treize ans, j’y insiste. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je pourrais également évoquer les différents mécanismes de soutien face à l’inflation, l’amélioration du dispositif de compensation de la CVAE, d’ailleurs à la demande des associations d’élus, ou encore le renforcement de la dotation de biodiversité.
Toutes les collectivités seront éligibles à l’amortisseur électricité annoncé par la Première ministre, et 1 milliard d’euros seront pris en charge par l’État à ce titre. Les collectivités les plus fragiles pourront bénéficier du filet de sécurité sur leurs dépenses d’énergie, représentant une aide de 1,5 milliard d’euros assumée par l’État, en plus des 430 millions d’euros de 2022.
Enfin, les marges préservées devront permettre aux collectivités d’investir. Là aussi, l’État est présent à leurs côtés avec une dotation classique de 2 milliards d’euros pour les investissements, qui est doublée grâce aux 2 milliards d’euros du fonds vert.
Quant au nouvel acte de décentralisation, le Président de la République a fixé son cap le 10 octobre dernier. Sa volonté est claire : allier compétences, moyens et responsabilités.
Le format et le calendrier des réflexions et de la nécessaire concertation seront précisés. Un cadre existe déjà pour échanger sur les sujets structurants de notre action commune, à savoir le Conseil national de la refondation (CNR). Ce rôle sera également assumé par la commission transpartisane sur les institutions, annoncée par le Président de la République.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, beaucoup d’entre nous connaissent l’adage : « Là où l’on trouve de grands pouvoirs, on trouve de grandes responsabilités ». L’inverse est-il vrai ? Là où se trouvent de grandes responsabilités, trouve-t-on de grands pouvoirs ?
L’adaptation au changement climatique et la sécurisation des populations face à ces risques répétés et mortifères constituent l’un des plus grands défis auxquels nos collectivités devront faire face ensemble.
Dans ce contexte, les communautés de communes rurales et de montagne qui disposent de nombreux linéaires d’eau susceptibles de déborder ont, depuis le 1er janvier 2018, la grande responsabilité de la prévention des inondations en exerçant la compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
Ces établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont, comme toutes les collectivités locales, touchés de plein fouet par l’inflation. Ils prennent en charge l’augmentation du point d’indice de nos fonctionnaires et font face à des factures énergétiques salées.
Or les plus petites d’entre elles ne disposent pas d’une surface financière suffisante pour assumer pleinement la responsabilité de la compétence Gemapi, alors que les investissements nécessaires sont immenses et croissants. La taxe Gemapi, instaurée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite Maptam, repose sur ces seules collectivités, quand l’ensemble du bassin bénéficie de l’entretien des cours d’eau en amont.
Madame la ministre, l’entretien nécessaire des ouvrages et la sécurisation des personnes et des biens passent aujourd’hui au second plan, faute de capacités d’investissement de ces EPCI. Pis encore, le risque est aujourd’hui certainement minoré.
Rappelons que l’article 56 de la loi Maptam prévoit le transfert dès 2024 de l’entretien des ouvrages de prévention des inondations aux autorités « gemapiennes ».
Le rapport de la Cour des comptes sur les finances locales et la situation financière des intercommunalités du 26 octobre dernier est éclairant. Il promeut une meilleure répartition des ressources entre les collectivités, notamment au travers d’un renforcement de la péréquation horizontale.
La loi 3DS, a ouvert le champ de la différenciation territoriale. Il est temps d’y ajouter celui de la solidarité.
Madame la ministre, quand allez-vous proposer une réforme du financement du risque d’inondation lié aux cours d’eau prévoyant un véritable partage de la responsabilité ? Comptez-vous repousser le transfert de responsabilité prévu pour 2024 par la loi Maptam ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, depuis 2018, les EPCI à fiscalité propre exercent la compétence Gemapi et doivent, à ce titre, gérer les ouvrages de protection contre les inondations.
Dans une période transitoire, qui doit donner aux acteurs le temps de s’organiser, l’État gère certains ouvrages jusqu’en 2024. Le transfert prévu représentera indéniablement un investissement important pour les collectivités, mais plusieurs outils financiers sont déployés pour accompagner ces dernières.
Ainsi, le fonds de prévention des risques naturels majeurs appuie jusqu’en 2027 les études et les travaux sur les anciennes digues de l’État. La taxe Gemapi permet en outre de prélever jusqu’à 40 euros par habitant.
Ensuite, 2 milliards d’euros sont disponibles au titre des financements des agences de l’eau et du dispositif Aqua Prêt, géré par la Caisse des dépôts.
Enfin, la loi 3DS rend possible une expérimentation destinée à mieux associer les établissements publics territoriaux de bassin à cette politique par des financements dédiés ; elle permet en outre aux EPCI de se regrouper dans des structures dédiées, afin d’atteindre la bonne échelle de gestion hydrographique.
L’État accompagne donc les collectivités dans ce transfert de compétence. Les moyens et les capacités financières ouvertes à cet effet sont importants, tout comme les leviers de gouvernance.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Madame la ministre, conformément à l’article 24 de la Constitution, nous sommes les représentants des collectivités territoriales.
Aussi, soucieux de respecter la Constitution, je me fais l’écho de nos territoires, particulièrement de nos communes, et, en l’espèce, de celles de mon département. En effet, elles sont nombreuses à avoir récemment délibéré sur les conséquences de la crise financière et économique, qui fragilise leur budget, et je partage bien évidemment leurs inquiétudes.
Je me propose de vous présenter quelques-unes de leurs revendications, qui vous paraîtront peut-être mineures, mais qui sont importantes, dans l’espoir que vous les entendiez et que vous leur apportiez des solutions.
Elles demandent ainsi de repousser après le vote du budget primitif la date limite de candidature à la DETR et à la DSIL. Cela permettrait aux communes et aux intercommunalités de disposer de plus de temps pour échanger avec les services de l’État et, d’une certaine manière, pour appréhender l’ensemble des projets éligibles. Je souhaite avoir votre avis sur ce sujet.
Ces communes réclament également, et je souscris pleinement à cette requête, l’instauration d’une commission d’élus pour la DSIL, calquée sur celle qui existe pour la DETR. Pouvez-vous faire droit à cette demande ?
Quant au fonds vert, on est tenté de dire, en lisant la présentation de ce dispositif : « Ne tirez pas sur le pianiste, il fait de son mieux » (Sourires.), mais le fonctionnement de ce fonds suscite des interrogations. L’enveloppe de 1,5 milliard d’euros a-t-elle été constituée pour une période de plusieurs années ou s’agit-il d’un montant annuel ? Peut-on espérer que ce fonds soit fléché vers les contrats de transition écologique et vers les projets liés à l’eau et à l’assainissement ?
Enfin, nos communes cherchent à comprendre le changement de calcul de la DSR. Naguère encore, on tenait compte du nombre de kilomètres de voirie pour la déterminer, mais ce n’est plus le cas. Pourquoi ?
Voilà des questions claires et pragmatiques. J’attends des réponses du même calibre ! (M. Franck Menonville applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Rémy Pointereau, votre intervention comporte beaucoup de questions. Je vais essayer d’y répondre au mieux, dans le temps qui m’est imparti.
Je suis défavorable à l’institution d’une commission pour la DSIL calquée sur le modèle de celle de la DETR. Contrairement à cette dernière, dont la gouvernance est largement décentralisée, la DSIL finance des priorités nationales. Décentraliser la gouvernance de cette dotation conduirait donc à diluer la cohérence et l’efficacité des politiques publiques sous-jacentes.
Par ailleurs, depuis 2018, les efforts importants consentis par le Gouvernement pour améliorer la transparence de la DSIL ont largement renforcé la capacité du Parlement à assurer sa mission de contrôle.
Le calendrier de dépôt des candidatures pour obtenir une subvention au titre de la DETR relève de l’organisation locale. Les préfets sont les mieux à même d’adapter aux circonstances locales les procédures d’appel à projets, en lien avec les commissions DETR, qui sont consultées sur les règlements départementaux.
Quant au fonds vert, il bénéficiera d’une gestion souple, proche des territoires, sans appel à projets ni à manifestation d’intérêt. Les crédits seront délégués au préfet du département, les enveloppes seront fongibles et les financements orientés vers des projets locaux soutenus par les élus. Le Fonds pourra financer un certain nombre de politiques publiques, notamment la rénovation énergétique des bâtiments ou encore le renouvellement de l’éclairage public.
Il me semble que j’ai répondu à toutes vos interrogations, monsieur le sénateur.
M. Rémy Pointereau. Mais quid de la DSR ?
M. le président. Il faudra revenir, mon cher collègue, car le temps de parole de Mme la ministre déléguée est épuisé.
Mme Nathalie Goulet. Faites une question orale, monsieur Pointereau !
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. La flambée des prix de l’énergie inquiète beaucoup les élus locaux. Ces derniers me prennent chaque jour à témoin de leurs difficultés à respecter leur budget et à garantir le bon fonctionnement des services publics.
En effet, partout en France, depuis le début de la crise, les élus rivalisent d’ingéniosité pour trouver de nouvelles solutions leur permettant d’éviter d’augmenter les impôts tout en maintenant les investissements. Certains ont d’ores et déjà réduit l’éclairage public et les plages horaires d’ouverture des bâtiments communaux, immobilisé une partie de leur parc de véhicules destiné aux agents ou diminué certains services. Néanmoins, les solutions commencent à manquer, et nombre de collectivités vertueuses se retrouvent aujourd’hui dans une situation grave.
Voilà trois semaines, il a été annoncé un déblocage de 2,5 milliards d’euros au profit des collectivités. Toutefois, des questions demeurent quant à son application et à son articulation avec les dispositifs existants.
À titre d’exemple, dans le département dont je suis élu, pour la commune de Verdun, dont le marché de fournitures arrive à échéance le 31 décembre prochain, le prix du mégawattheure passerait, selon les dernières simulations, de 49 euros à 400 euros. L’augmentation de la facture énergétique qui en résulterait s’élèverait à plus de 3 millions d’euros.
Pour Bar-le-Duc et son agglomération, cela représenterait plus de 2 millions d’euros. Toutes les collectivités sont concernées, cela a été dit, et l’ensemble du bloc communal est fortement affecté. C’est intenable !
Les communes doivent fournir un service public de proximité. Elles ont également un rôle crucial en matière de développement économique, puisqu’elles assument plus de 70 % des investissements publics dans notre pays. Cette capacité d’investissement, si précieuse pour les entreprises de nos territoires, est aujourd’hui menacée.
Madame la ministre, pouvez-vous rassurer les élus et nous-mêmes, en précisant vos ambitions et votre calendrier en matière d’accompagnement des collectivités qui sont exclues de l’actuel bouclier tarifaire ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Franck Menonville. Je souhaite vivement que vos dispositifs soient simples d’accès.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Franck Menonville, vous m’interrogez sur le soutien de l’État face à la hausse des prix de l’énergie pour les collectivités qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire.
La hausse du tarif d’électricité pour les communes qui relèvent du tarif réglementé de vente – cela concerne celles dont le budget ne dépasse pas 2 millions d’euros et dont le personnel n’excède pas 10 agents – est plafonnée à 15 %.
Pour les autres, le Gouvernement instaure, au travers du PLF pour 2023, un amortisseur électricité. De quoi s’agira-t-il concrètement ? L’État prendra en charge la moitié de la facture des collectivités, sans condition de richesse, quand le tarif appliqué, hors accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), sera supérieur à 325 euros par mégawattheure, jusqu’à un plafond de 800 euros par mégawattheure. Cela devrait résoudre, je pense, le problème de la collectivité que vous avez mentionnée, dont le tarif s’élevait à 400 euros.
Ensuite, pour les collectivités fragilisées par cette hausse, le filet de sécurité sera reconduit en 2023. Concrètement, si l’épargne brute de la collectivité se dégrade et si la hausse attendue des recettes fiscales ne permet pas d’absorber la hausse des dépenses d’énergies, l’État versera une compensation à la collectivité.
Le coût combiné de l’amortisseur et du filet est estimé à 2,5 milliards d’euros.
Enfin, la dotation globale de fonctionnement augmentera, pour la première fois depuis treize ans, ce qui maintiendra ou accroîtra les dotations de 95 % des communes.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Depuis mon élection au Sénat, j’ai pris toute la mesure de la place de notre chambre, représentante des territoires, au sein des institutions.
La situation des collectivités est au cœur de notre contrôle de l’action gouvernementale, que ce soit au travers de ce débat ou de la délégation aux collectivités territoriales, dont je salue la présidente Françoise Gatel, ou encore lors de l’étude de chaque proposition ou projet de loi.
Toutefois, madame la ministre, qu’en est-il de votre gouvernement, qui met souvent en avant la concertation et la coconstruction avec notre chambre, représentative des territoires ?
La loi 3DS, défendue par l’exécutif lors du précédent quinquennat, est si peu novatrice, particulièrement pour ce qui a trait à la démocratie participative, que le Gouvernement nous annonce, de nouveau, pour l’année prochaine – mais cette fois, c’est la bonne, promis-craché, pour de vrai ! –, une réelle refonte de la territorialisation administrative de notre pays.
Vous connaissez les demandes : ramener les compétences au plus près du terrain et réviser les pouvoirs réglementaires des maires – besoin maintes fois exprimé, même avant la crise des « gilets jaunes » –, qui aspirent à une plus grande liberté dans l’exercice de ces compétences.
Ces demandes restent parfois, et même souvent, trop peu entendues. Je pense particulièrement à la volonté des édiles, élus préférés de nos concitoyens, que soit garantie leur capacité à financer leurs compétences sans dépendre de tours de table interminables avec les autres collectivités et en ayant une vision dépassant l’année à venir.
La demande simple consistant à appliquer le principe « qui commande paie » n’est malheureusement pas satisfaite à ce jour, pour tout un tas de raisons. La redondance des couches administratives, la politisation des moyens financiers alloués, l’inadéquation constante des dotations de l’État et la baisse des ressources fiscales locales limitent tous les jours la capacité de bonne gestion de nos communes.
Je souhaite donc savoir si, enfin, dans l’organisation territoriale administrative à venir, des éléments de réflexion ou de concertation sont sur la table, programmés ou prévus, afin de progresser vers une plus grande autonomie de financement des compétences propres, actuelles ou à venir, des collectivités.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Guy Benarroche, vous m’interrogez sur la pérennité du financement des compétences nouvellement exercées par les collectivités et sur le modèle des finances locales, en lien avec le récent rapport de la Cour des comptes, transmis au Sénat.
Vous le savez, le transfert de compétences de l’État vers les collectivités territoriales s’accompagne de ressources pérennes équivalentes ; c’est une obligation constitutionnelle.
Le transfert de ressources fiscales dynamiques, comme la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), est souvent privilégié. C’est également ce choix qui a été réalisé lors de la suppression d’impôts locaux : la suppression de la taxe d’habitation communale a été accompagnée du transfert du même montant de taxe foncière ; la suppression de la CVAE s’accompagnera d’un transfert de TVA dynamique.
Vous le voyez, nous avons la volonté de laisser aux collectivités des marges financières et de garantir leur autonomie.
Fallait-il aller plus loin et revoir substantiellement le financement des collectivités territoriales ? Le rapport de la Cour des comptes propose plusieurs scénarios à cet égard. L’un d’entre eux consiste à pousser le curseur du financement par les subventions au maximum ; un autre consiste à faire l’inverse.
Je reste donc évidemment à l’écoute des propositions du Sénat, qui seront sans aucun doute nourries de ce rapport.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour la réplique.
M. Guy Benarroche. On peut constater, dans le PLF qui va arriver au Sénat, une disparité flagrante entre les services demandés aux communes et les compensations qui leur sont accordées, comme la dotation forfaitaire titres sécurisés. Celle-ci, quoiqu’elle soit en augmentation en n+1, ne reflète pas le coût de la mise en œuvre du service liée à la hausse des demandes des usagers.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Face aux crises successives, les Français ont pu compter sur leurs élus locaux. Durant la crise sanitaire, ces derniers ont su, chacun à son échelon de compétence, faire la démonstration de leur détermination à garantir la santé et la sécurité de leurs concitoyens.
Toutefois, ces circonstances extrêmes ont également mis l’accent sur la complexité de notre millefeuille administratif et ont ravivé la question de notre organisation territoriale. L’enchevêtrement des compétences nuit en effet à la bonne compréhension par les citoyens de l’action publique, les en éloigne et constitue, in fine, un frein à l’efficacité de l’action.
Parallèlement, la constitution des grandes régions, en éloignant des territoires la prise des décisions, semble entrer en contradiction avec le besoin de proximité mis en lumière par la crise sanitaire.
Dans son discours de politique générale, la Première ministre a souhaité donner plus de poids aux élus locaux, de lisibilité à leurs compétences et de cohérence à leur action. Elle n’excluait pas, pour y parvenir, d’instaurer un conseiller territorial.
En Alsace, la mise en œuvre d’un tel conseiller aurait tout son sens. Véritable laboratoire de l’innovation territoriale depuis les premières lois de décentralisation, l’Alsace fait aussi figure de précurseur de la différenciation chère au Président de la République, puisqu’elle a créé la Collectivité européenne d’Alsace.
Le Gouvernement serait-il prêt à engager une réflexion sur la mise en œuvre de ce conseiller territorial dans le territoire alsacien ? À titre expérimental, avant son éventuelle extension au reste du territoire, ce conseiller exercerait, dans le périmètre alsacien, les compétences de la Collectivité européenne d’Alsace et de la région.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, vous m’interrogez sur la mise en place du conseiller territorial et, plus particulièrement, sur son application à la Communauté européenne d’Alsace, dans la région Grand Est.
Comme je l’indiquais précédemment au sénateur Martin, le conseiller territorial peut en effet conduire, selon son principe initial, à une plus grande proximité et à une plus grande complémentarité entre les départements et les régions. Il faut donc explorer cette piste d’organisation, afin que nos concitoyens gagnent en lisibilité, les collectivités en efficacité d’action et les élus en visibilité.
Des concertations seront conduites au cours de l’année 2023 avec les parties prenantes. Le Gouvernement a la volonté d’associer les territoires à cette réflexion importante pour notre organisation institutionnelle. Le calendrier et le format de cette concertation annoncée par la Première ministre seront précisés très prochainement.
L’Alsace et le Grand Est seront, au même titre que l’ensemble des départements et régions, pris en compte dans cette réflexion. Toutefois, l’objectif du Gouvernement est de mener une réflexion d’ensemble, et, à ce stade, aucune expérimentation n’est prévue.
Cela étant, je retiens votre proposition ; nous allons l’étudier.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Le droit à la formation des élus locaux est une condition du bon exercice des mandats, donc de l’action publique. C’est aussi une condition de la démocratisation des fonctions électives, dans un contexte de technicisation du gouvernement local.
La formation des élus locaux a connu des réformes : certaines utiles, d’autres guidées par la maîtrise des coûts. L’exercice de ce droit reste fragile, en raison de l’obligation de passer par la plateforme en ligne Mon compte élu, service inadapté qui a été mis en place en janvier 2022, sans aucune mesure transitoire et sans possibilité de communiquer avec une personne physique.
Le 25 octobre dernier, l’exercice s’est encore durci, avec la mise en place d’une authentification numérique renforcée, via FranceConnect+, pour accéder à Mon compte élu. Cette procédure découle de la réforme du compte personnel de formation (CPF) visant à lutter contre la fraude, mais elle représente un véritable parcours du combattant numérique pour des élus qui sont seuls face à leur écran. Certains d’entre eux ont déjà dû abandonner leur formation, faute de parvenir à créer leur nouvelle identité numérique…
Alors qu’un préavis avait été demandé, ce basculement a finalement eu lieu sans information préalable des élus locaux et sans délai, symptôme supplémentaire de la défiance existant entre l’État et les collectivités.
Depuis lors, le ministère a tenté d’apporter des solutions, mais la « plateformisation » du droit individuel à la formation des élus locaux (Dife) n’a pas entraîné de simplification et l’illectronisme ou les zones blanches constituent des facteurs aggravants. Le non-recours pourrait ainsi devenir la règle et priver les élus du bénéfice de la formation.
Après deux années de « surmobilisation » du Dife, le système de formation connaît une crise, en dépit de l’enjeu important de massification de la formation. Le rapport de gestion de la Cour des comptes dénombre 32 000 formations financées en 2021, contre 4 029 de janvier à fin août 2022…
Madame la ministre, qu’entendez-vous faire pour faciliter la formation des élus locaux ? Quelles améliorations envisagez-vous d’apporter à Mon compte élu, pour que ce service soit un service adapté et que les organismes de formation puissent accompagner les élus ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Kerrouche, c’est vrai, voilà près d’un an, le régime de formation des élus a connu une réforme d’ampleur ; il sera bientôt temps d’en tirer le bilan. Toutefois, les mesures prises ont d’ores et déjà permis de rétablir financièrement le système et d’aboutir à une modernisation des pratiques.
La plateforme Mon compte élu permet de mieux informer les élus, qui disposent dorénavant de l’ensemble des offres de formation, et de dématérialiser les procédures.
Tout dernièrement, il a fallu renforcer les mécanismes d’identification en ligne et, c’est vrai, il est désormais nécessaire de se connecter via FranceConnect+. Cette mesure était nécessaire pour éviter les fraudes à l’identité, dont le nombre allait croissant. Qui, dans cette enceinte, n’a pas été contacté par SMS ou par téléphone sur ce sujet ?
Mes services ont fait en sorte que l’accès à la formation des élus locaux ne soit pas restreint par ces nouvelles mesures. Nous sommes conscients du risque de fracture numérique qui peut exister dans ce domaine, comme, d’ailleurs, auprès de tous les publics.
C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place un accompagnement spécifique des élus. Des téléconseillers ont été recrutés pour assister ces derniers dans leurs démarches, et La Poste offre désormais un service d’accompagnement, dans les bureaux de poste, dans les maisons France Services ou à domicile.
Nos contacts avec les associations d’élus et le secteur de la formation sont réguliers, afin d’entendre les difficultés qui pourraient se faire jour et d’améliorer les choses là où c’est nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Depuis quarante ans, des lois successives ont modifié en profondeur l’organisation territoriale des collectivités et les relations entre celles-ci et l’État. Ces lois ont connu leurs réussites, mais aussi, parfois, leurs échecs, liés à des erreurs d’échelle ou à des rigidités faisant obstacle à la bonne marche des territoires.
Dans le cadre de la loi NOTRe, on a clairement entendu donner la prépondérance au couple intercommunalité-région. Néanmoins, la récente crise sanitaire a rappelé à chacun que, sans remettre en cause le rôle essentiel de ces échelons territoriaux, la commune et le département constituaient bien des piliers indispensables pour répondre aux besoins de la population, dans la proximité.
Le Président de la République a annoncé un « nouveau chapitre de la décentralisation », tout en précisant : « La décentralisation, ce n’est pas de donner une compétence sans transférer la dynamique de financement qui va avec et les responsabilités, [ainsi que le pouvoir normatif] qui vont avec. »
Madame la ministre, sans préjuger des résultats de la concertation que vous avez annoncée et du travail conduit par le Sénat sous l’autorité du président Larcher, pouvez-vous nous exposer votre vision et celle du Gouvernement sur ce nouveau chapitre de la décentralisation annoncé par le Président de la République ? Comment verriez-vous vous-même cette nouvelle étape ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Bernard Delcros, vos questions sur le nouvel acte de décentralisation annoncé par le Président de la République sont nombreuses, mais il me semble difficile d’y apporter des réponses avant même que n’aient eu lieu les concertations et le dialogue avec les parties prenantes.
Le premier principe directeur qui s’impose est notre volonté d’apporter aux Français un service public meilleur, plus efficace, plus adapté à leurs besoins réels et sur l’ensemble du territoire. Nous devons cela à nos concitoyens.
La réflexion sur la décentralisation sera également guidée par le cap fixé par le Président de la République le 10 octobre dernier : la décentralisation doit allier les responsabilités, le pouvoir normatif et un financement dynamique. Il faut aller au bout de la logique et ne pas rester au milieu du gué, sinon nous courrons le risque de répondre imparfaitement aux attentes de nos concitoyens.
Ce travail doit être une œuvre collective. Tel est le sens de la commission transpartisane qui sera prochainement instituée. J’imagine que les sénateurs y prendront toute leur part. C’est également la dynamique enclenchée par le Conseil national de la refondation et ses déclinaisons territoriales et thématiques.
Les élus, ainsi que leurs associations, sont pleinement associés à ces travaux. Le Gouvernement y tient, surtout sur ces sujets potentiellement structurants pour notre organisation territoriale. La concertation est le fil conducteur de notre action, et ce partenariat avec les élus est incontournable, essentiel.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.
M. Bernard Delcros. Madame la ministre, vous le savez, les élus locaux n’espèrent pas un big-bang territorial ; ils ont des attentes précises.
Le futur texte devra absolument répondre à leurs préoccupations : une plus grande souplesse dans la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, une différenciation accrue, notamment par rapport aux normes souvent coûteuses et inadaptées aux petites collectivités, un renforcement des échelons de proximité et des services de l’État dans les départements, et bien sûr des moyens financiers permettant aux territoires d’avancer et de réaliser leurs projets.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. En tant qu’élue locale, même si je ne suis plus maire, je partage votre analyse en faveur de la proximité, de la lisibilité et de la simplification.
Aussi, donnons tout son sens à la loi 3DS, avec une application territorialisée, qui permettra d’avancer au plus près des attentes des différents territoires, parce qu’il ne se passe pas la même chose dans les Bouches-du-Rhône et dans le Nord ou le Pas-de-Calais. Si l’on utilise bien la loi 3DS, on pourra enregistrer des avancées, dans l’intérêt des territoires.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la soutenabilité des finances départementales.
Cette soutenabilité est aujourd’hui rendue possible par des efforts de gestion poussés au bout de leur logique, non sans sacrifice, et par des recettes post-covid qui sont certes dynamiques, mais de façon tout à fait conjoncturelle.
Alors que, d’une part, ce gouvernement décide, après d’autres, de prendre des mesures entraînant une augmentation des dépenses des départements – revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) et du point d’indice, augmentations salariales diverses ou encore prime de feu – et que, d’autre part, le contexte économique se dégrade, avec notamment la hausse du prix de l’énergie et des matières premières, l’augmentation des taux d’intérêt fait peser une lourde menace sur une recette stratégique pour nombre de départements : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
Par ailleurs, il est établi que le marché de l’immobilier est cyclique et que les départements sont exposés aux évolutions de l’économie de façon procyclique.
Ainsi voit-on se profiler le redoutable effet de ciseaux bien connu, alors que les départements sont privés de tout levier fiscal pour affronter des difficultés que l’on espère conjoncturelles, comme ils ont pu le faire à la suite de la crise financière de 2008-2009.
Pourtant, les départements ont un rôle de cohésion nationale de première importance, au travers notamment de leur politique sociale et éducative, mais également des défis de la transition énergétique et du vieillissement de la population. Ils participent également au dynamisme de l’investissement public dans les territoires.
L’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, supprimé par le Sénat, illustrait malheureusement l’attitude regrettable du Gouvernement à l’égard des départements, car il mettait en place un système de surveillance et de sanctions en cas d’augmentation des dépenses de fonctionnement.
Je souhaite donc vous demander, madame la ministre, comment vous comptez sécuriser plutôt que fragiliser les finances départementales. Êtes-vous favorable à une loi de finances entièrement consacrée aux finances locales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Arnaud Bazin, vous m’interrogez sur la capacité financière des départements à faire face aux défis des années à venir.
Je tiens tout d’abord à saluer la bonne gestion financière des conseils départementaux, qui a permis à ces collectivités de commencer l’année 2022 dans une situation globalement positive.
En effet, au 1er janvier dernier, la capacité moyenne de désendettement des départements s’élevait à trois ans, en incluant pourtant le cas de Paris, où ce ratio s’élève – oserai-je le dire ? – à vingt et un ans… Cette situation a permis aux départements d’affronter le choc de 2022. Nous avons en outre constaté la poursuite de l’augmentation des DMTO et une forte hausse de la TVA.
Face à cela, les réformes structurelles lancées lors du quinquennat précédent et poursuivies sous le quinquennat en cours ont conduit à une amélioration du marché du travail, donc à une baisse du nombre d’allocataires du RSA. Cela représente autant de dépenses en moins pour les départements, même si les données fournies sont relatives au début de l’année 2022.
Peut-on pour autant affirmer que l’État n’a rien fait pour les départements ? Évidemment non.
La loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 a consacré 120 millions d’euros à la compensation de la revalorisation du RSA pour les départements, et, pour ce qui concerne l’année 2023, ces derniers seront éligibles aux mesures prises contre la hausse des prix de l’énergie : l’amortisseur électricité s’appliquera automatiquement à leur facture d’électricité et le filet de sécurité sera étendu aux départements et aux régions, contrairement à ce qui s’est passé en 2022.
De manière plus spécifique, 160 millions d’euros du budget de la sécurité civile seront consacrés au financement des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), comme le Président de la République l’a annoncé la semaine dernière.
Ainsi, vous le voyez, les départements ne seront pas laissés pour compte, ce qui est d’ailleurs normal s’agissant d’une collectivité de proximité, au service des concitoyens.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. En cette période budgétaire, il est indispensable de rappeler le rôle essentiel des collectivités pour nos concitoyens, quel que soit l’échelon.
Le contexte international de crise et son corollaire, l’augmentation des prix, notamment des matières premières et de l’énergie, affectent considérablement le budget des collectivités locales, dans l’Hexagone et outre-mer. Un rapport du Sénat, paru le 27 juillet 2022, mesure l’ampleur des conséquences de la crise énergétique pour les finances locales.
Selon l’Association des petites villes de France, l’augmentation des prix de l’énergie s’élève à plus de 50 %, ce qui affecte directement les dépenses locales. D’après l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, ces hausses varient de 30 % à 300 %, selon les communes. Pour sa part, Intercommunalités de France estime que la facture énergétique des trois quarts des intercommunalités a doublé, triplé, voire, dans certains cas, quadruplé.
En ce qui me concerne, je considère qu’il est indispensable de prendre en compte les augmentations de prix que connaissent les différentes collectivités, particulièrement celles qui sont situées en outre-mer. À ce titre, il est également nécessaire et fondamental de valoriser le potentiel du mix énergétique en outre-mer.
En outre, il est proposé dans le rapport sénatorial l’institution d’un bouclier énergétique.
À cet effet, trois pistes sont suggérées : premièrement, la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement pour toutes les collectivités, fondée sur l’indexation sur l’inflation : deuxièmement, le retour à des tarifs réglementés de vente de l’électricité au bénéfice de toutes les collectivités, quelle que soit leur taille ; troisièmement, et enfin, le relèvement du plafond de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui amortit la volatilité du marché.
Madame la ministre, sur la base de ces différentes propositions, quelles mesures comptez-vous prendre pour permettre aux collectivités de poursuivre leurs politiques et, surtout, d’affronter les difficultés qu’elles rencontrent face à la crise énergétique et financière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Madame la sénatrice Victoire Jasmin, vous m’interrogez sur la différenciation des territoires dans la prise en compte des hausses des coûts de l’énergie.
Face à l’augmentation de telles dépenses, plusieurs outils complémentaires sont disponibles. Naturellement, tous les territoires y sont éligibles, y compris dans les départements et régions d’outre-mer (Drom).
Parmi ces outils figurent les filets de sécurité de 2022 et de 2023. Le bouclier tarifaire, bien sûr, en est un autre ; les communes ultramarines, à ce titre, bénéficient toutes du tarif réglementé de vente.
En matière de recettes, les communes ultramarines profiteront également de la hausse de la DGF en 2023, laquelle sera renforcée par rapport à l’Hexagone du fait de l’augmentation de la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre-mer (Dacom).
En effet, conformément au projet de loi de finances, 2023 sera l’année d’achèvement du rattrapage de la Dacom. Ce rattrapage, estimé à 62 millions d’euros, a été entamé en 2020 ; il s’effectue par l’augmentation chaque année de la DGF à destination des Drom. Dans le PLF pour 2023, il est prévu que la Dacom soit augmentée d’environ 26 millions d’euros, soit 16 millions d’euros correspondant à cet effort de rattrapage et 10 millions d’euros à la progression automatique des dotations.
Tel est le complément d’information que je voulais vous apporter, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la ministre, les communes et les intercommunalités doivent faire face à une situation sans précédent. Mais j’ai l’impression que nous ne partageons pas les mêmes chiffres…
L’inflation, estimée à 5,5 %, atteint son niveau le plus haut depuis 1985. L’augmentation du point d’indice de 3,5 %, mesure nécessaire pour les agents territoriaux, représente 2,3 milliards d’euros. La baisse des dotations se poursuit avec le gel de la DGF depuis 2017. Et, depuis 2014, la baisse cumulée des dotations aux collectivités représente 46 milliards d’euros, ce qui a conduit à l’effondrement des investissements.
À cela s’ajoutent, dans le projet de loi de finances pour 2023, la suppression de la CVAE et le fameux pacte de confiance, lequel encadre les dépenses d’un grand nombre de communes.
Face aux conséquences de la crise économique, il est essentiel, pour maintenir l’offre de services à la population, ainsi que le pouvoir d’achat des ménages, de garantir la stabilité, en euros constants, des ressources locales. Avec une croissance annoncée à 1 % en 2023, l’urgence est de soutenir l’investissement public local, en particulier en accompagnant la transition écologique des transports et des logements.
Dans ce contexte, je partage la volonté de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) d’indexer la DGF sur l’inflation prévue pour 2023.
L’objectif est d’éviter une nouvelle réduction d’un montant de 800 millions d’euros des finances du bloc communal, de maintenir l’indexation des bases fiscales, de revoir les modalités de la suppression de la CVAE, de renoncer à tout dispositif d’encadrement de l’action locale de sorte à éviter une perte de 15 milliards d’euros, de réintégrer des opérations d’aménagement dans l’assiette du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), et de rénover les procédures d’attribution de la DETR et de la DSIL, afin que les élus prennent une part plus active dans les décisions.
Madame la ministre, quelles mesures proposez-vous pour redonner de la lisibilité, de l’efficacité et de la confiance aux maires et aux présidents d’intercommunalités, assurant ainsi l’autonomie fiscale et la libre administration des collectivités locales et territoriales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Boyer, je tiens d’emblée à vous indiquer qu’il n’y a pas de gel de la DGF. Pas du tout ! J’ai clairement annoncé aux différents sénateurs qui m’ont interrogée qu’une dotation de 320 millions d’euros était inscrite dans le projet de loi de finances. Au minimum, elle sera stable ; au maximum, elle représentera une augmentation de crédits pour les collectivités.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire, la DGF n’a pas connu de baisse, depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macon, contrairement à ce qui avait été le cas au cours du mandat de M. Hollande.
En outre, la suppression de la CVAE a été décalée et étalée sur deux années, à la demande des présidents d’associations d’élus, avec lesquels j’ai débattu de ce point. Elle s’accompagnera d’une compensation à destination des collectivités concernées, à savoir le bloc communal et les départements.
Cette compensation a fait l’objet d’échanges très constructifs avec les nombreux présidents d’associations d’élus. De fait, nous avons abouti à une solution qui leur convenait, c’est-à-dire une part dynamique de la TVA. Une telle solution permettra de rendre la compensation proportionnelle à l’arrivée d’entreprises au sein des territoires qui continuent à investir et à accueillir des activités.
Conformément à une autre demande des associations, nous prévoyons une compensation à l’euro près de cette part dynamique de la TVA, sur une période de référence suffisamment large pour lisser la volatilité de la CVAE, tout en prenant en compte l’année 2023. Cette année, l’État ne conservera pas un seul euro de la CVAE qui aurait dû être reversée en 2023. Je le répète : les collectivités ne connaîtront pas d’année blanche.
À la demande, je le précise, de l’ADF, l’Assemblée des départements de France, la CVAE sera territorialisée pour le bloc communal, selon un principe simple : une collectivité qui accueille plus d’entreprises aura plus de TVA. Pour ce qui concerne les départements, la CVAE sera forfaitisée.
L’autonomie des collectivités ne s’en trouve pas réduite. Le système de CVAE nationale, répartie selon des critères de territorialisation, est remplacé par un autre impôt national, et non par une dotation. Je rappelle que les taux de la CVAE ne pouvaient être modifiés ; à ce titre, je considère qu’elle relevait de la dotation.
La compensation, vous le voyez, nous semble juste et équilibrée. Elle répond à la méthode de travail que j’appelle de mes vœux entre les associations d’élus et le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Nous débattons aujourd’hui de la situation et des perspectives des collectivités territoriales. Elles sont particulièrement sombres, et les décisions gouvernementales que nous avons à examiner dans le cadre du projet de loi de finances ne sont guère porteuses d’éclaircies.
L’État a besoin de collectivités fortes, innovantes et réactives, tant pour répondre aux besoins du quotidien que pour relever les grands défis qui sont devant nous.
D’ailleurs, les élus locaux ont été en première ligne pendant la crise du covid-19. Au lendemain des confinements, ils ont encore répondu présent quand il fallait relancer l’économie par l’investissement. De même, face à la crise écologique, les collectivités sont fortement attendues. Les besoins d’investissements pour le climat sont estimés à 12 milliards d’euros par an jusqu’en 2030.
Enfin, il ne faut pas oublier leur rôle fondamental, jour après jour, pour faire vivre la cohésion sociale et l’engagement citoyen.
Les élus doivent répondre à ces injonctions avec des budgets toujours plus contraints. Outre l’explosion des prix de l’énergie, la hausse des prix des matières premières pèse sur leurs finances. De plus, l’inflation alimentaire se répercute fortement sur la restauration collective ; pour la seule restauration scolaire, le surcoût est estimé à 648 millions d’euros.
Dans de telles conditions, la suppression de services et d’emplois s’impose dans un nombre croissant de collectivités comme la seule solution pour boucler leur prochain budget. Aussi, l’État devrait déployer des mesures pour protéger les collectivités, comme il a su le faire pour préserver les entreprises face au covid-19.
Pourtant, de manière incompréhensible, vous aggravez une telle situation, madame la ministre, par la poursuite du désarmement fiscal des collectivités au travers de la suppression de la CVAE.
Après la taxe d’habitation, vous supprimeriez ainsi l’une des dernières recettes dynamiques des collectivités. Non seulement vous affaibliriez encore l’autonomie financière de ces dernières, mais vous décideriez de priver le pays d’une recette de 8 milliards d’euros, au moment même où vous appelez chacun à un effort de maîtrise des finances publiques.
Vous vous étiez félicitée, notamment dans cet hémicycle, d’une méthode renouvelée dans l’élaboration du volet territorial du PLF, passant par une démarche de coconstruction avec les associations d’élus. Une telle démarche est louable. Pourtant, il semble que le budget qui en ressort ne tient pas compte des principales attentes exprimées par les élus locaux.
Au-delà des moyens nécessaires pour fonctionner, les collectivités ont besoin d’une vraie relation de confiance avec l’État et d’une autonomie financière préservée. Plusieurs mesures de ce PLF tournent clairement le dos à cette attente légitime.
Aussi, qu’a retenu le Gouvernement de la concertation menée ? Vous a-t-elle conduit à de véritables inflexions ? Pourquoi avoir passé outre certains points fondamentaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Jean-Claude Tissot, la méthode du Gouvernement, vous venez de le rappeler, c’est celle de la concertation avec les élus locaux et leurs associations.
En réponse aux questions qui m’ont été posées, j’ai déjà eu l’occasion de parler des échanges que nous avons eus avec les présidents d’associations, lesquels ont quelque peu modifié les dispositions financières inscrites dans le projet de loi de finances.
À titre d’exemple, je citerai le décalage de la suppression de la CVAE, étalée sur deux ans, ou la suppression, à ce jour, de la compensation de la taxe d’aménagement. Je pense également au décalage sur deux ans de la taxe sur les locaux commerciaux, permettant de continuer les études d’impact dans les communes.
En somme, des infléchissements tout à fait notables ont été obtenus par les associations. Toutefois, même si nous l’étalons sur deux ans, la CVAE, vous le comprendrez, sera bien supprimée ; le Président de la République s’étant engagé sur ce point durant sa campagne, il a l’intention de tenir sa promesse, comme cela a été le cas pour la suppression de la taxe d’habitation.
Néanmoins, le Gouvernement, on peut le dire, s’est fortement mobilisé à l’occasion des congrès d’associations d’élus. J’ai moi-même participé à plusieurs de ces congrès – presque dix ! –, au cours desquels j’ai dialogué avec les présents. Et nous avons abouti, ensemble, à diverses propositions. Nous nous retrouverons d’ailleurs de nouveau la semaine prochaine, à l’occasion du Congrès des maires.
Aucun transfert de compétences et de responsabilités ne se fait à l’heure actuelle sans concertation ou sans dialogue avec les associations d’élus. Bien sûr, les conditions financières sont centrales. Aussi, je vous confirme ce que j’ai exposé précédemment à votre collègue le sénateur Benarroche : les transferts de compétences ont toujours été financés par l’État, dans le respect de l’autonomie financière des collectivités.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Nous avons, à mon sens, mis en place une méthode s’appliquant à la question des finances locales : écoute, concertation et coconstruction avec les associations d’élus. Plusieurs semaines avant la présentation du PLF en conseil des ministres, nous les avons reçus, Christophe Béchu, Gabriel Attal et moi-même, à plusieurs reprises. Le calendrier a permis de prendre en compte leurs retours.
Cette concertation s’est poursuivie lors de l’examen parlementaire, l’Assemblée nationale ayant présenté de nombreux amendements dont nous avons tenu compte.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet.
M. Fabien Genet. Madame la ministre, vous connaissez le proverbe : il n’y a pas d’amour sans preuve d’amour… Aussi, je vous propose d’offrir une preuve d’amour aux collectivités territoriales, en matière d’ordures ménagères. (Sourires.)
Les ordures ménagères pèsent pour près de 20 milliards d’euros dans le budget de nos collectivités locales. Ces budgets annexes sont actuellement victimes de l’explosion des coûts de l’énergie et de l’inflation.
En conséquence, les taxes et redevances d’enlèvement des ordures ménagères payées par les usagers augmentent fortement, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens.
À ces augmentations conjoncturelles s’ajoute l’aggravation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Cette taxe s’alourdit au fil des années, selon une trajectoire pensée pour inciter collectivités et usagers à moins enfouir et moins incinérer.
On peut comprendre et partager un tel objectif. Néanmoins, madame la ministre, votre collègue Mme Couillard reconnaissait devant la commission du développement durable du Sénat, la semaine dernière, que la nouvelle filière de déchets du bâtiment ne serait en place que d’ici à un an ou deux seulement, admettant, par là même, le retard pris dans la mise en place de ces filières à responsabilité élargie des producteurs. Dans l’attente, les déchets demeurent et sont ainsi soumis à la TGAP.
Au regard de ces retards qui ne sont imputables ni aux collectivités ni aux usagers, il paraît plus cohérent et plus juste de décaler d’un an la prochaine aggravation de la TGAP, prévue pour 2023, le temps que des solutions de substitution soient mises en place.
Madame la ministre, êtes-vous prête à défendre le gel en 2023 de la TGAP à son niveau de 2022 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Genet, ce dossier – je ne dis pas cela pour me défausser – est suivi par la secrétaire d’État Bérangère Couillard. Cependant, je connais bien le problème, sachant quel poids représente actuellement la TGAP dans les finances des collectivités territoriales qui gèrent les déchets.
De fait, le but de cette hausse de la TGAP était en quelque sorte de presser l’épée dans les reins des collectivités pour améliorer les projets de traitement de déchets et éviter, vous l’avez dit vous-même, la mise en décharge ou l’incinération.
Pour chaque sujet, et celui-ci ne fait pas exception, nous agissons en concertation, en essayant de donner à nos interlocuteurs le plus de visibilité possible. La trajectoire d’augmentation progressive jusqu’en 2025 avait été annoncée dès 2018, si je ne me trompe, pour permettre aux acteurs de s’organiser.
En outre, l’État soutient financièrement les projets de valorisation des déchets des collectivités, pour un montant de 80 millions d’euros en 2021. La baisse de la TVA sur la valorisation des déchets, elle aussi, permet aux collectivités de faire des économies. Plus encore, le fonds Économie circulaire de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) représentera en 2023 un apport de 45 millions d’euros. Enfin, le fonds vert annoncé par la Première ministre sera ouvert aux projets des collectivités pour la collecte des biodéchets.
Cela dit, je comprends vos interrogations. Je sais d’ailleurs que Bérangère Couillard est en contact avec les associations qui représentent les collectivités pour trouver des solutions consensuelles. En échangeant avec les collectivités et ma collègue, je m’assurerai que ce dialogue soit constructif et fructueux.
Ainsi, nous verrons si nous pouvons ouvrir le débat sur un gel momentané de cette augmentation de la TGAP.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. Je prends cette ouverture, sinon comme une preuve d’amour, du moins comme un signe d’espoir. (Sourires.)
Madame la ministre, à la suite de votre réponse, j’insisterai sur un point : le retard dans la mise en place des solutions de substitution n’est le fait ni des collectivités ni des usagers. Au contraire, ces derniers sont ceux qui, à l’heure actuelle, payent ces augmentations de taxes et de redevances.
Pour 2023, au regard de l’inflation et des problèmes de pouvoir d’achat, un tel gel serait vraiment un très bon signal envoyé aux usagers. Les collectivités sont persuadées qu’il faut trouver des solutions pour moins incinérer et moins enfouir.
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial.
M. Cédric Vial. Puisque le débat porte sur l’avenir des collectivités territoriales, je me pencherai sur les mairies, qui constituent l’échelon de base de notre système démocratique, en revenant sur le rôle qu’elles joueront à l’avenir, selon vous, madame la ministre.
Nos concitoyens ont progressivement perdu confiance dans le pouvoir national. Si, demain, ils venaient à perdre également confiance dans leurs élus locaux, alors tout notre système démocratique serait en danger.
Les communes résistent malgré un environnement institutionnel devenu hostile.
Premièrement, la perte d’autonomie fiscale est notable : tout d’abord, les impôts économiques ont été supprimés ; ensuite, ce fut la taxe d’habitation ; enfin, c’est le tour de la CVAE ou de la taxe d’aménagement.
Deuxièmement, une perte d’autonomie d’action est perceptible. Les actes de contractualisation se multiplient : contrats de Cahors, contrats de relance et de transition écologique (CRTE)… Se multiplient également les financements fléchés.
Troisièmement, la perte de contrôle est visible. La surréglementation empêche ou ralentit presque toute action. De plus, une multiplicité d’agences ou de structures participe à chaque décision, les rendant toujours plus complexes et difficiles à prendre. Les injonctions sont sans cesse plus fortes et contradictoires, résultant – je ne prends que quelques exemples récents – de la loi NOTRe ou de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN).
Quatrièmement, la perte de confiance est manifeste. La confiance est liée à la proximité, à l’efficacité et à la réactivité des élus locaux. Les gens ne comprennent pas que, la plupart du temps, leur maire – cet élu qu’ils ont choisi – n’ait pas les moyens d’agir autant qu’auparavant. Cependant, les comités de communes concentrent, en parallèle, de plus en plus de pouvoirs, sans forcément offrir les contreparties démocratiques adéquates.
Cinquièmement, une perte de légitimité de l’action publique en découle. Ce ne devrait pas être la moindre de nos préoccupations. Alors que l’on parle de couple maire-préfet, voire de couple président d’intercommunalité-préfet, j’aimerais entendre parler de couple maire-habitant. Dans une démocratie, ceux qui décident sont ceux qui ont été choisis par le peuple ; mais les élus ne décideront bientôt de plus rien.
Madame la ministre, êtes-vous prête à redonner un pouvoir d’agir plus important aux maires, ainsi que les moyens afférents ? Êtes-vous prête à leur rendre de la confiance ? C’est à ce prix que nous réconcilierons les Français avec l’action publique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Vial, le terme que j’emploierai pour répondre à votre question sera celui de complémentarité. En effet, il ne faut jamais opposer l’exercice intercommunal et – j’insiste sur ce terme – la légitimité communale.
Il suffit d’être élu local pour se rendre compte qu’intercommunalité est synonyme de partenariat, revenant à faire ensemble ce que les communes ne peuvent plus faire seules. Cela nécessite des mutualisations en matière de moyens.
Cette approche me semble indispensable pour relever les défis d’échelle qui dépassent parfois le cadre et les moyens d’une municipalité agissant seule. Elle est peut-être encore imparfaitement comprise par nos concitoyens, qui considèrent quant à eux que leur maire est responsable de tout et qu’il demeure l’acteur principal, puisqu’ils ont voté directement pour lui.
Dans ma feuille de route, monsieur le sénateur, je tiendrai toujours compte de l’échelon communal. En effet, c’est un échelon de proximité, le maire et son équipe municipale étant des interlocuteurs privilégiés du fait de leur élection au suffrage universel direct.
Pour avoir moi-même été maire pendant vingt et un ans, je mesure combien il est important de conforter les rôles et les responsabilités des maires, mais aussi de leur donner les moyens d’agir pour garantir les services publics de proximité et l’aménagement de leur territoire.
Lorsque je présidais l’ANCT, j’ai valorisé divers programmes d’appui, tels qu’Action cœur de ville ou Petites Villes de demain (PVD). Le maire est toujours placé au cœur de ces dispositifs. Je mesure combien les programmes publics doivent leur réussite à leurs élus de proximité.
Malgré tout, en raison de moyens qui, quelquefois, font défaut à l’échelon des plus petites communes, nous avons actuellement besoin d’une coopération renforcée entre communes et intercommunalité.
Quoi qu’il en soit, sachez que, pour ce qui me concerne, je souhaite conforter les élus locaux, notamment les maires, pour qu’ils exercent leur mandat dans les meilleures conditions.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.
M. Bruno Rojouan. Tel est le cas dans cet hémicycle, ce soir.
Depuis plusieurs années, les collectivités doivent faire face à des charges de plus en plus élevées, bien souvent dues à des facteurs externes sur lesquelles elles n’ont aucune maîtrise. Ces derniers mois, par exemple, la revalorisation par l’État du point d’indice de la fonction publique, la hausse de l’inflation ou l’explosion du coût de l’énergie ont fait flamber les dépenses des communes.
Face à ces nouvelles contraintes budgétaires, peu de collectivités parviennent à dégager les montants suffisants pour mettre en œuvre leurs programmes d’investissement.
Bien souvent, les seuls projets qui peuvent être financés par les communes sont ceux qui sont éligibles à des cofinancements de l’État, au travers de subventions ou de portages financiers ; pensons à la DETR, dont l’attribution se fait à la discrétion du préfet. En conséquence, sans l’aval de l’État, il devient de plus en plus difficile pour un maire de mettre en œuvre un projet pour sa commune.
Ces mécanismes de plus en plus présents dans la vie communale conduisent à s’interroger sur le fonctionnement de nos institutions et sur le respect de l’esprit de l’article 72 de la Constitution garantissant la libre administration des collectivités.
Cette mise sous tutelle déguisée est dure à vivre pour les élus locaux. Ils perdent peu à peu leur pouvoir décisionnaire dans un grand mouvement de recentralisation qui ne dit pas son nom.
Aussi, madame la ministre, envisagez-vous de desserrer l’étau qui pèse sur les collectivités en rehaussant suffisamment la DGF et en l’indexant sur l’inflation, afin de leur redonner des marges de manœuvre ?
Prendrez-vous réellement la voie d’une décentralisation accrue, en faisant confiance à nos territoires et en permettant aux collectivités de retrouver et d’exercer pleinement leur rôle au sein de la République ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Bruno Rojouan, vous m’interrogez sur les marges de manœuvre des collectivités et l’indexation de la DGF.
Je le répète, il n’y aura pas cette année de désindexation, pour des raisons financières évidentes et pour que le Gouvernement puisse respecter la trajectoire qu’il s’est fixée.
Au risque, peut-être, de vous surprendre, je veux tordre le cou à cette idée de perte de l’autonomie financière. Le taux d’autonomie financière des collectivités a augmenté depuis vingt ans. Entre 2003 et 2020, il est passé de 59 % à 75 % pour les départements, de 41 % à presque 74 % pour les régions ; l’augmentation est de dix points pour le bloc communal.
Je le répète également, la préservation de l’autonomie des collectivités a été prise en compte dans la compensation de la suppression de la CVAE. Les recettes fiscales perdues ont été remplacées par d’autres recettes fiscales du même montant et de même nature.
La boussole du Gouvernement est véritablement la préservation des marges de manœuvre financières des collectivités. Pour cette raison, un ensemble de mécanismes de boucliers, de filets et d’amortisseurs a été mis en place. La DGF, je le répète, est augmentée de tout de même 320 millions d’euros, pour la première fois depuis treize ans. Les dotations d’investissement sont maintenues au même montant que l’année dernière, à savoir 2 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 2 milliards d’euros du fonds vert.
Par conséquent, il me semble que les collectivités ont matière à investir. Aucun appel à projets national ni appel à manifestation d’intérêt n’aura lieu : ce sera aux collectivités d’agir et de proposer au préfet de leur département ou de leur région les projets qu’elles voudraient mettre en œuvre. Vous pourrez le rappeler aux collectivités de votre territoire.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelles sont les attentes des élus locaux, qui traduisent celles, majoritaires, de nos concitoyens ? C’est d’accéder à un pacte de responsabilité et de confiance, pour faire émerger le clair de l’obscur et dénouer le nœud gordien permettant de boucler leur budget.
Cela passe, bien sûr, par un retour de l’autorité et par une meilleure reconnaissance du travail, mais aussi par une nouvelle approche territoriale.
Cela ne peut reposer que sur une grande démarche décentralisatrice bâtie sur les principes de subsidiarité, de liberté et de responsabilité, établissant que chaque niveau décide de ce qu’il fait et de ce qu’il renvoie à celui du dessus, et qu’il le fasse de manière libre, dans un cadre défini, c’est-à-dire dans un cadre contractuel assis sur l’autonomie financière.
Rappelons à ce titre que le niveau de la dépense publique locale est bien inférieur en France à ce qu’il est dans les autres pays européens : 19 % contre 40 %.
La situation des collectivités dans notre pays est contrastée. Fruit de l’histoire et de la géographie, des richesses et des initiatives, des gestions passées et en cours, la collectivité est toujours responsable. J’en veux pour preuve les efforts continus pour répondre aux exigences de gestion, notamment à la règle d’or qui s’impose à elle. J’en veux également pour preuve les adaptations continues pour répondre aux attentes du quotidien en matière de services publics et d’infrastructures, de cadre de vie et de fierté locale, mais aussi pour préparer l’avenir de nos territoires et renforcer leur attractivité, dans le respect des caractéristiques propres à chacun.
Les perspectives sont souvent empreintes d’inquiétudes, de perte de sens, de découragement face à la bureaucratie, à l’éloignement, au manque d’écoute et de représentation et à l’explosion des dépenses énergétiques. Mais elles sont aussi pleines d’envie, de volonté, d’un formidable engagement quotidien au service des autres, que je veux saluer.
Beaucoup se sentent aujourd’hui « dépossédés » : ni en situation d’agir face à des contraintes administratives fortes et aveugles, ni en situation de faire, car leurs moyens sont comptés, ni en situation de véritablement décider face à une complexité croissante, à une intercommunalité à la gouvernance non encore adulte et à un État contraignant.
En fait, notre décentralisation est pour l’essentiel administrative et non politique. On a confié des tâches aux élus et aux collectivités, mais on leur a rarement donné les moyens juridiques et financiers d’y répondre en autonomie et en responsabilité.
Les attentes qui pourraient devenir des perspectives sont orientées dans quatre directions, que je n’aurai pas le temps de développer ici, mais que j’évoquerai brièvement.
Premièrement, il convient de faire preuve de bon sens et de confier aux collectivités locales tout ce qui relève de la vie quotidienne.
Deuxièmement, il est nécessaire de préserver et de développer les biens communs, ce qui nécessite d’investir massivement dans les infrastructures, dans le respect de l’environnement.
Troisièmement, il faut garantir à chacun le bien-être : cela consiste à réinvestir nos territoires par les services publics de proximité et, d’abord, ceux de la sécurité, de l’éducation et de la santé.
Quatrièmement, et enfin, donnons à tous les justes moyens d’agir, en réinterrogeant le mode de financement des collectivités territoriales.
Les priorités sont de débureaucratiser, de réenraciner et bien sûr de simplifier, en limitant pour cela l’administration administrante. Il s’agit aussi de garder un pays équipé, d’irriguer, d’engager ou de poursuivre une grande politique du numérique, de l’énergie et de l’eau, d’investir massivement dans les infrastructures telles que les routes et les voies ferrées, ainsi que dans le très haut débit et la téléphonie mobile. Cela passe par une réelle capacité d’autofinancement des collectivités territoriales, laquelle est bien mise à mal aujourd’hui.
Cela nécessite de faire preuve de courage, en garantissant la traçabilité de l’argent public, pour rendre la dépense efficace et redonner un espoir à chacun. La refonte de la procédure des marchés publics, dont chacun voit bien aujourd’hui combien elle est inflationniste, serait un véritable signe pour garantir l’investissement.
Un horizon pourrait être ouvert par une réforme constitutionnelle donnant une liberté normative aux territoires, par extension de l’article 73 de la Constitution. Quelle belle perspective s’ouvrirait à chacun si ce texte ne s’appliquait plus aux seules collectivités d’outre-mer, mais à l’ensemble du territoire, ouvrant enfin la voie à l’indispensable différenciation !
Enfin, en matière de financement des collectivités territoriales, ce sont les libertés locales, la lisibilité, la justesse et la subsidiarité qui doivent primer. Pour cela, nous devons ouvrir ce chantier sans tabou, car, en dépit d’un consensus sur le diagnostic, les propositions de réformes, qui doivent garantir l’autonomie et la lisibilité pour les collectivités locales, ne sont pas évidentes.
Mon collègue Mathieu Darnaud l’a rappelé, le Sénat a déjà beaucoup travaillé sur ces sujets, et il continue de le faire.
Sur l’initiative de notre président Gérard Larcher, un groupe de travail s’active pour nourrir les projets du Président de la République en matière institutionnelle et territoriale, avec, comme pilier majeur, la commune. Soyez certains que notre groupe sera au rendez-vous des attentes pour redonner des perspectives. C’est une urgente exigence démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation et les perspectives des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Soutien aux édiles victimes d’agression
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (proposition n° 631 [2021-2022], texte de la commission n° 108, rapport n° 107).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le 5 août 2019, un homme était mortellement renversé par un fourgon qui déposait illégalement des gravats sur le bord de la route : nous nous souvenons tous de Jean-Mathieu Michel, maire de la commune de Signes, dans le Var, élu depuis plus de trente ans.
Nous avions tous été émus et affectés par cette nouvelle terrible. Ce qui débouchait sur des incivilités voilà encore quelques années donnait désormais lieu à un drame.
Le Sénat, par l’intermédiaire de la commission des lois, présidée à l’époque par Philippe Bas, avait lancé une consultation nationale. Son rapport sur les menaces et les agressions auxquelles sont confrontés les maires est venu confirmer par des chiffres ce que chacun pressentait : 92 % des élus consultés et ayant répondu disaient avoir été victimes d’incivilités, d’injures, de menaces ou d’agressions physiques.
Trois années plus tard, rien n’indique une amélioration de la situation, tant pour les maires, considérés pourtant comme « les élus préférés des Français » que pour les autres dépositaires de l’autorité publique ou de fonctions électives.
J’ai une pensée particulière pour mes élus girondins : Philippe Bécheau, maire de Saint-Philippe-d’Aiguille, agressé le 5 août 2020 ; Cédric Gerbeau, maire de Saint-Macaire, agressé le 8 décembre 2021 ; Kilian Alliot, conseiller municipal de Sainte-Eulalie âgé de 25 ans, agressé le 16 décembre 2021 ; Patrick Gomez, maire de Sadirac, menacé voilà quelques semaines ; et tous les autres, trop nombreux pour que je les cite ici.
Pour l’année 2021, les statistiques nationales dénombrent plus de mille agressions d’élus, allant du courriel de menace à l’attaque physique, soit une hausse de 50 % par rapport aux années précédentes, alors même que, nous le savons, peu d’élus portent plainte. Ce chiffre est donc bien en deçà de la réalité.
Nous en venons même à former les élus pour prévenir les débordements lors d’échanges difficiles avec nos concitoyens. Maires et adjoints sont en effet les premières cibles de la violence, car ils interviennent, en proximité, sur des sujets souvent liés à des troubles de voisinage, à l’alcoolisation sur la voie publique, au tapage nocturne ou diurne, aux problèmes liés aux règles d’urbanisme, à la circulation routière ou encore aux violences intrafamiliales.
Toutefois, au-delà de ces motifs concrets, l’augmentation des agressions est aussi l’expression d’un phénomène plus profond. Dans son rapport d’information Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer, rédigé au nom de la mission d’information « Culture citoyenne », notre collègue Henri Cabanel a souligné combien « la distance entre les citoyens et le pouvoir politique s’accroît ».
Il écrit ainsi que « la capacité des institutions à trouver des solutions face à la crise actuelle, économique et sociale, est régulièrement mise en doute. » Ainsi, certains semblent désormais considérer que la soumission à une norme commune ne va plus de soi, ce qui justifie toutes sortes de comportements.
Qu’il y ait une forme de désenchantement envers le politique depuis plusieurs années, nous pouvons l’entendre. Il est de notre responsabilité de tout mettre en œuvre pour inverser cette tendance et y remédier.
En revanche, nous ne pouvons plus accepter d’être conciliants à l’égard des agresseurs de ceux qui se dévouent à la vie démocratique de leur collectivité. Nous ne devons plus pardonner au nom de je ne sais quel sentiment de culpabilité ou de la responsabilité coûte que coûte. Nous devons toutes et tous faire preuve d’une intransigeance intégrale.
Il s’agit de l’essence même du contrat social, tel que l’ont imaginé les Lumières, de Hobbes à Rousseau. La brutalité la plus primitive ne saurait être admise comme une réponse légitime dans une société républicaine.
Malheureusement, cette banalisation de la violence, nous l’avons encore observée ces derniers jours, dans un média. Le parlementaire Louis Boyard a fait l’objet de nombreuses insultes. Si je suis loin de partager toutes ses idées, je veux lui dire mon soutien dans sa démarche judiciaire. Rien ne justifie un tel acharnement. Et, ce qui est plus grave encore, ces images contribuent à renforcer l’impunité avec laquelle des concitoyens s’en prennent aux élus locaux.
Alors, bien sûr, il existe déjà des mécanismes spécifiques pour répondre aux besoins concrets de la protection des élus. Le droit pénal permet de tenir compte de la qualité des victimes, selon qu’elles sont dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif.
Ainsi, une simple insulte peut être qualifiée d’outrage sur une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, plutôt que d’injure.
De même, la commission de faits au préjudice d’un élu constitue une circonstance aggravante, dès lors que la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur de l’infraction et que les faits sont commis en raison de ses fonctions. C’est pourquoi il nous faut rappeler aux élus de bien décliner leurs fonctions électives lorsqu’ils interviennent auprès de personnes issues ou non de leur commune.
Cependant, au-delà du droit strict, se pose surtout la question concrète de la réponse dans les tribunaux. C’est dans ce cadre qu’existent, selon moi, des carences.
Dans de trop nombreux cas, malgré la récurrence des faits et leur gravité, nous observons que la poursuite judiciaire n’aboutit pas souvent. Une telle situation a constitué le déclencheur de la proposition de loi que nous étudions ce soir. Elle a été cosignée par 95 de mes collègues sénateurs, que je remercie ; Éric Gold, qui avait déposé un texte en la matière, l’a également cosignée.
Le Gouvernement a d’ailleurs conscience de cette carence, puisque, dans une circulaire du 7 septembre 2020, vous avez, monsieur le garde des sceaux, procédé à un rappel auprès des procureurs.
D’une part, vous leur avez enjoint de toujours veiller à retenir des qualifications pénales applicables prenant en compte la qualité des victimes, lorsqu’elles sont dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif.
D’autre part, vous avez insisté sur un point qui mène à l’objet même de ma proposition de loi, à savoir une réponse pénale systématique et rapide, apportée par les parquets. (M. le garde des sceaux acquiesce.)
En effet, nous avons pu constater que seulement une poignée d’agressions verbales et physiques envers les élus de la République donnait lieu à des suites judiciaires, lesquelles sont donc loin d’être systématiques. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)
Dans les rares situations où une procédure judiciaire est enclenchée, on enregistre un très faible nombre de condamnations, même en cas d’agression physique. Dans la plupart des cas, les plaintes sont soit classées sans suite ou ne font l’objet d’aucune suite pénale, même pas d’un rappel à la loi ou de mesures d’éloignement du territoire de la commune.
Il y a donc urgence à proposer que les élus victimes soient mieux soutenus dans l’engagement d’une procédure pénale, afin que justice leur soit rendue.
Pour cela, j’ai considéré, en travaillant avec l’Association des maires de France, que les associations d’élus étaient les plus à même d’épauler leurs édiles dans une bataille judiciaire, car elles sont capables de mettre à disposition leur expertise, ainsi que leurs ressources.
C’est pourquoi cette proposition de loi entend permettre aux différentes associations nationales d’élus, au premier rang desquelles l’AMF, l’Association des maires de France, l’ADF, l’Assemblée des départements de France, et Régions de France, sans oublier l’AMRF, l’Association des maires ruraux de France, de se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout élu qui aurait donné préalablement son accord.
Actuellement, le droit en vigueur, au travers de l’article 2-19 du code de procédure pénale, ne permet qu’aux associations départementales affiliées à l’Association des maires de France d’intervenir pour les seuls élus municipaux. Je considère qu’il est impératif d’élargir ce dispositif aux associations nationales et à nos institutions, pour couvrir l’accompagnement de l’ensemble des élus, qu’ils soient locaux, départementaux, régionaux, nationaux ou européens.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Nathalie Delattre. Le dispositif que je propose ne vise pas seulement les agressions physiques ; il permet également qu’une association nationale d’élus intervienne en cas de dégradation d’un bien d’un élu ou lorsque la victime est l’un de ses proches.
Il prévoit aussi l’incrimination de l’exposition délibérée des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens. Il s’agit d’avancées majeures, attendues depuis des mois par les élus.
Je veux saluer l’excellent travail de Mme le rapporteur, Catherine Di Folco, et des services du Sénat. Je remercie l’implication de tous nos collègues qui ont, en commission des lois, proposé des améliorations notables.
Je veux également dire, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, le travail intelligent de coconstruction que nous avons mené avec vous-mêmes et vos services, dans l’écoute et le respect de ma proposition de loi initiale, pour aboutir non seulement à une rédaction conjointe de qualité, mais aussi, et surtout, à ce qui nous tient tous ici à cœur, à savoir l’efficacité de la loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à l’examen du Sénat s’inscrit dans la continuité de l’action menée par notre assemblée depuis déjà de nombreuses années. Je rappelle à cet égard les travaux réalisés par la commission des lois qui avaient conduit aux préconisations de son Plan d’action pour une plus grande sécurité des maires, en octobre 2019.
Le texte qui nous est soumis répond également à une demande de l’AMF et rejoint les engagements pris par le Gouvernement en matière de protection des élus, notamment lors de la première version de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Il est important, je crois, de rappeler brièvement l’objet de l’article 2-19 du code de procédure pénale, que l’article 1er de la proposition de loi vise à modifier. Il s’agit, à l’origine, d’une initiative sénatoriale portée par nos anciens collègues Dinah Derycke et Michel Charasse en 1999.
Mme Nathalie Goulet. Ah, Charasse ! (Sourires.)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Son objet était de permettre aux associations départementales de maires de se porter partie civile en cas d’agression d’un élu.
La plupart des associations départementales de maires interviennent, en effet, en appui financier, que ce soit pour payer les frais d’avocat ou les frais de justice, notamment la consignation au moment de la constitution de partie civile. Il était donc cohérent que ces associations puissent obtenir compensation en justice.
Il me semble important de relever que la rédaction actuelle de l’article 2-19 vise les « instances introduites » par les élus. Seules, donc, sont concernées les affaires qui arrivent devant une juridiction. La constitution de partie civile dans le cadre de l’article 2-19 ne peut forcer à l’engagement de poursuites ou à l’instruction, et nous ne revenons pas sur ce point.
L’Association des maires de France a, depuis vingt ans et tout particulièrement ces dernières années, développé son soutien aux élus victimes. Elle se substitue aux associations départementales lorsque cela est nécessaire. Elle a mis en place plusieurs dispositifs concrets d’assistance aux élus au cours des dernières années.
L’inclusion de l’AMF paraît donc cohérente avec la possibilité, déjà ouverte pour les associations départementales de maires qui lui sont affiliées, de se porter partie civile. À notre connaissance, aucune autre association n’a mis en place de dispositif de ce type, à la fois adapté et discret.
La volonté de Nathalie Delattre d’inclure, avec leur accord, l’ADF et Régions de France dans ce dispositif découle plus du souhait de permettre un soutien aux élus départementaux et régionaux et d’étendre ainsi à l’ensemble des élus locaux la faculté existant pour les maires.
Nous n’avons donc pas souhaité, au stade de l’examen de ce texte par la commission, étendre au-delà de ces associations la possibilité de se porter partie civile, dans un souci d’efficacité et afin d’éviter toute concurrence entre associations et toute pression sur les élus.
Nous avons en revanche accepté l’amendement présenté par notre collègue Stéphane Le Rudulier et plusieurs autres de nos collègues, initialement déposé par Françoise Gatel, visant à permettre aux collectivités territoriales et aux assemblées parlementaires de se porter partie civile en cas d’agression de l’un de leurs membres. Si la jurisprudence avait déjà admis une telle possibilité pour les assemblées, elle ne l’avait pas fait pour les collectivités, ce qui pouvait sembler incohérent.
Depuis la réunion de commission de la semaine dernière, nous avons poursuivi nos échanges avec le Gouvernement. L’esprit de compromis a finalement prévalu, et je tiens à saluer Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et son cabinet, qui ont proposé in fine une rédaction se rapprochant au mieux de l’objet premier de la proposition de loi et acceptée par la Chancellerie.
La commission des lois a, en conséquence de cet accord, adopté un amendement qui vise à permettre à toutes les associations d’élus bénéficiant d’une ancienneté suffisante et répondant à des garanties statutaires et d’affiliation à une association nationale de se porter partie civile.
Nous avons cependant tenu à reconnaître le rôle et l’implication de l’Association des maires de France dans la défense des élus municipaux. L’AMF, ADF et Régions de France restent donc expressément nommées, respectant ainsi l’esprit initial de la proposition de loi de Mme Delattre.
Cet amendement tend également à réunir les articles 1er et 2 de la proposition de loi au sein d’un article unique, ce qui permet d’harmoniser les champs d’infraction et les personnes concernées, mais aussi de garantir la qualité juridique des termes employés.
Nous sommes donc parvenus sur ce texte, me semble-t-il, à une solution susceptible de satisfaire une large majorité des acteurs.
Cette proposition de loi apporte des réponses concrètes à certains dysfonctionnements dans l’accompagnement des élus et contribue à un exercice plus serein des mandats territoriaux et nationaux. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, nous souhaitons qu’elle soit inscrite prochainement à l’ordre du jour des débats de l’Assemblée nationale et espérons qu’elle sera votée conforme, afin d’entrer en vigueur dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, madame Nathalie Delattre, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de vous retrouver ce soir pour examiner la proposition de loi de votre collègue, Mme Nathalie Delattre, dans le temps réservé au groupe RDSE.
Les parlementaires et les élus locaux sont, par leur engagement et le mandat qu’ils détiennent, les représentants de la démocratie nationale et locale. Ils occupent une place fondamentale dans le fonctionnement de nos institutions et, je tiens à le dire une nouvelle fois, toute atteinte à leur encontre, quelle qu’en soit la forme, constitue également une atteinte au pacte républicain. S’en prendre à un élu, c’est s’en prendre à la République.
Ainsi que j’avais eu l’honneur de le souligner le 22 février 2022 lors de mon audition devant la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, le Gouvernement avait décidé, à la suite d’un intense travail avec M. Richard Ferrand, de permettre, dans un futur projet de loi, à la commune de se constituer partie civile, de même que l’Assemblée nationale ou le Sénat en cas d’infraction commise contre l’un de leurs membres.
Cela faisait suite à une violente agression qui avait touché le député Romain Grau à Perpignan, provoquant une vague d’indignation tout à fait légitime dans le pays.
Au-delà de l’élu, nous avions également envisagé une telle possibilité en cas d’infraction commise contre sa famille, à laquelle on s’en prend parfois en raison de son lien avec l’élu.
Je me réjouis donc de la proposition de loi que votre assemblée examine aujourd’hui. Dans la rédaction adoptée par votre commission des lois, elle rejoint un certain nombre de nos réflexions qu’il est indispensable de mettre en œuvre.
Malheureusement, les violences contre nos élus ne sont pas encore suffisamment endiguées. Depuis l’élection du Président de la République, nous recensons 509 affaires signalées d’atteintes aux élus ayant fait l’objet d’une transmission à la Direction des affaires criminelles et des grâces.
Ces atteintes font désormais l’objet d’un suivi statistique très précis, conformément aux instructions que j’ai données. En effet, en réponse à une question au Gouvernement de Mme Françoise Gatel l’année dernière, je m’étais engagé à obtenir des remontées fiables des parquets concernant les atteintes aux élus, dont j’ai fait l’une des priorités de ma politique pénale.
Je suis donc en mesure de vous indiquer que, au total, 61 % des affaires concernent des faits d’atteinte aux personnes. Ce taux atteint même 80 % lorsque la victime est un maire.
Néanmoins, le fatalisme en la matière n’est pas et ne sera jamais de mise, et j’agis, avec ma collègue Caroline Cayeux, dont je veux ici saluer l’engagement, à nos niveaux respectifs, pour garantir une réponse pénale ferme, systématique et rapide.
Depuis mon arrivée place Vendôme, j’ai cherché à tout mettre en œuvre pour combattre, ou du moins mieux réprimer, les atteintes dont font l’objet nos élus. Car, disons les choses, la justice intervient quand il est trop tard, quand le mal est fait. Et je ne choquerai personne si je vous avoue penser qu’une partie non négligeable de la solution réside dans l’éducation des jeunes générations et l’apprentissage ou, plutôt, le réapprentissage collectif du respect élémentaire que nous devons à nos institutions.
Toutefois, au-delà du civisme, il est de notre responsabilité à tous de ne pas banaliser ces actes insupportables et de les dénoncer, tous ensemble, pour ce qu’ils sont, à savoir des atteintes au pacte républicain.
Si la justice ne peut réellement agir en amont, elle doit en revanche être très ferme, très efficace et très rapide en aval. Tel est mon rôle et celui de mon ministère, et nous l’avons, depuis deux ans et demi, pris à bras-le-corps.
Par une circulaire du 7 septembre 2020, soit moins de deux mois après ma prise de fonctions, j’ai souhaité réaffirmer avec force l’importance qui s’attache à la mise en œuvre d’une politique pénale empreinte de volontarisme, de fermeté, de célérité et d’un suivi judiciaire renforcé des procédures pénales concernant les élus, afin qu’ils soient soutenus dans leur action quotidienne et qu’ils puissent la poursuivre sereinement.
J’ai ainsi demandé aux parquets une réponse pénale rapide et systématique, en privilégiant les déferrements et, pour les faits les plus graves, la comparution immédiate. De même, un magistrat de chaque parquet a été désigné pour être l’interlocuteur privilégié des élus du ressort.
Dans la circulaire du 15 décembre 2020 relative à la mise en œuvre de la justice de proximité, j’ai demandé que soient réaffirmés le développement et l’approfondissement des relations partenariales avec les collectivités locales, le tissu associatif et les acteurs de terrain, afin de renforcer le dialogue institutionnel avec les collectivités locales et les maires.
Voilà près d’un an, lors du Congrès des maires de France du 17 novembre 2021, j’annonçais à cet effet la création d’un groupe de travail visant à améliorer les relations entre les maires et l’institution judiciaire.
Ce groupe de travail a rendu son rapport le 8 mars dernier, avec trente recommandations opérationnelles, parmi lesquelles j’en retiens plus particulièrement cinq sur le sujet qui nous préoccupe : améliorer la connaissance par les magistrats du ministère public de l’organisation des collectivités territoriales du ressort ; construire un partenariat avec les maires ; améliorer le dialogue entre les magistrats du ministère public et les maires ; accompagner le maire dans l’exercice de ses prérogatives en lien avec la justice ; enfin, développer la formation croisée des maires, des magistrats et de leurs collaborateurs.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ces préconisations entrent déjà, pour la plupart d’entre elles, dans les instructions de politique pénale générale que j’avais délivré aux parquets généraux dès mon arrivée au Gouvernement.
Enfin, à l’occasion de la nouvelle circulaire de politique pénale générale du 20 septembre dernier, j’ai demandé avec force aux parquets de poursuivre le renforcement des échanges avec les élus, en premier lieu avec les maires et les présidents des conseils départementaux.
La liste de ces actions, et de tous les champs d’intervention concernés, résume le défi qui est le nôtre, celui d’apporter à ce problème une réponse pénale ferme, efficace et rapide.
Oui, la route est longue, mais les choses peu à peu évoluent. Jugez-en par vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs : 100 % des 203 suspects poursuivis pour des faits de violences contre des élus ont fait l’objet d’une réponse pénale, et une poursuite a été engagée dans 92 % des cas. Quelque 114 condamnations ont été prononcées à ce jour, et une peine de prison l’a été dans 78 % des cas ; ce taux s’élève même à 81 % pour les cas d’atteinte aux personnes.
Au-delà de la réponse pénale, il nous faut accompagner au mieux les élus victimes d’agression et les soutenir dans leur action judiciaire, en étant à leurs côtés tout au long de la procédure. Tel est le but de votre proposition de loi, madame la sénatrice Delattre, et je partage totalement cet objectif.
Ce texte améliore les dispositions de l’article 2-19 du code de procédure pénale, qui, dans sa rédaction actuelle, n’autorise la constitution de partie civile qu’aux seules associations départementales affiliées à l’AMF, pour la défense des seuls élus municipaux et pour des infractions limitativement énumérées.
Il élargit en particulier la faculté de se constituer partie civile à d’autres associations d’élus représentant divers échelons territoriaux : outre l’Association des maires de France pour les élus municipaux, l’Assemblée des départements de France pour les élus départementaux et Régions de France pour les élus régionaux.
Par ailleurs, cette proposition de loi reprend les dispositions précédemment mentionnées qui permettent aux assemblées d’élus elles-mêmes, ainsi qu’aux collectivités, de se constituer partie civile, y compris si la victime est un proche de l’élu. J’insiste à dessein sur ce point, car, si l’on dénombre, au 15 septembre 2022, quelque 509 affaires d’atteinte aux élus, ces affaires ont concerné 860 victimes au total. Il est donc urgent de protéger nos élus, mais également les membres de leur famille.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je salue l’esprit de responsabilité qui a prévalu autour de cette initiative et les synergies qui se sont créées entre le Sénat et le Gouvernement dans le cadre de la préparation de nos débats. En effet, à l’unisson de Mme le rapporteur, que je remercie de son travail de grande qualité,…
M. André Reichardt. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … nous avons déposé un amendement visant à affiner la rédaction du texte. Voilà un exemple clair de la volonté de coconstruction législative qui doit guider notre action sur un sujet aussi crucial.
Cet amendement a pour objet, dans un souci de simplification, de lisibilité et de cohérence, de regrouper les dispositions permettant la constitution de partie civile des associations d’élus, qui sont désormais mieux définies et de manière plus équitable. Ainsi se trouve en particulier garantie la constitutionnalité du texte ; c’est bien le moins, me direz-vous !
En effet, la nouvelle formulation proposée permet à toute association d’élus de rayonnement national, reconnue d’utilité publique ou dont l’ancienneté est suffisante, de se constituer partie civile aux côtés de nos édiles.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le principe constitutionnel d’égalité devant la loi rendait difficile, vous me l’accorderez, la désignation d’une seule association nationale, au détriment d’autres associations tout aussi respectables et légitimes.
M. André Reichardt. Bien sûr !
Mme Nathalie Goulet. Excellent !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La disposition que nous vous soumettrons a aussi le mérite, en harmonisant diverses rédactions, d’étendre le champ des infractions dont les élus sont victimes et pour lesquelles les associations d’élus et les collectivités peuvent se constituer partie civile.
Un tel regroupement permet de viser les mêmes infractions qui nous intéressent, à savoir tous les crimes et délits contre les personnes et contre les biens, certaines atteintes aux dépositaires de l’autorité publique et tous les délits de presse, dans une formulation claire et lisible pour tous les professionnels du droit. Il uniformise de surcroît la définition des proches des élus, en englobant à dessein les personnes vivant sous le même toit que l’élu, qui sont elles aussi, malheureusement, victimes d’agressions.
Je le répète, les infractions commises contre les élus constituent à la fois des infractions contre leurs personnes et des atteintes à notre démocratie. Notre droit doit en tenir compte, en permettant que les élus soient officiellement soutenus au cours de la procédure pénale.
En matière de lutte contre les atteintes aux élus, la volonté du Gouvernement a toujours trouvé au Sénat un accueil favorable et dans votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, un partenaire fiable, souvent moteur, qui a toujours été au rendez-vous des divers textes et hausses de budgets proposés.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce soir, c’est le Gouvernement qui répond favorablement à une initiative du Sénat, en apportant un clair soutien à cette proposition de loi. Celle-ci est indispensable pour mieux accompagner nos élus et dire encore et toujours, à l’unisson : on ne touche pas aux élus de la République ! (Vifs applaudissements sur l’ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la sénatrice Delattre, madame le rapporteur Di Folco, mesdames, messieurs les sénateurs, la protection des élus est une priorité que tous ici nous partageons ; en la matière, je tiens en particulier à saluer l’action de M. le garde des sceaux.
Ces dernières années, nombre d’agressions, souvent médiatisées, ont servi d’alerte quant à l’exposition que consentent les titulaires de mandats électifs dans l’exercice de leurs fonctions. Il ne se passe pas une semaine sans que j’aie un contact avec un élu victime d’agression.
Depuis le début de l’année, on dénombre une centaine de procédures, M. le garde des sceaux en a parlé : des procédures pour atteinte à l’encontre d’élus sont engagées chaque mois, concernant tous types d’atteinte, outrages, dégradations, menaces, violences. Derrière ces chiffres, n’oublions pas que des personnes engagées sont touchées et des vies perturbées. Malgré tout ce qui est fait pour lutter contre ce phénomène, son ampleur reste trop importante. Face à cette situation qui ne laisse pas de m’inquiéter, je me mobilise.
C’est pourquoi mon ministère et le Gouvernement dans son ensemble soutiennent inconditionnellement la proposition de loi de la sénatrice Nathalie Delattre, que Catherine Di Folco a été chargée de rapporter au nom de la commission des lois.
Mes services et moi-même avons travaillé main dans la main avec le Sénat et le ministère de la justice. En témoigne d’ailleurs notre présence commune, ce soir, avec M. le garde des sceaux : nous voulions que ce texte soit le plus efficace et le plus robuste possible, et cela avec pour unique but d’apporter aux élus la protection dont ils peuvent avoir besoin et qu’ils méritent. Il y va d’une exigence républicaine envers celles et ceux à qui nous devons tant, qui s’engagent pour le mandat qui leur est confié démocratiquement.
Je vous remercie, mesdames les sénatrices, de votre initiative, qui est soutenue de façon transpartisane par nombre de vos collègues. Je remercie également le groupe du RDSE, qui a inscrit l’examen de ce texte dans sa niche parlementaire.
Le Gouvernement avait souhaité porter une disposition en ce sens dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Cela n’a pu se faire, mais notre résolution demeure inchangée. Nous sommes donc heureux de soutenir cette proposition de loi sénatoriale.
Ce texte vise à ce que, demain, les associations d’élus, telles l’AMF, l’ADF ou Régions de France, puissent se porter partie civile aux côtés des élus municipaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux ou des membres les plus proches de leur famille. À l’heure actuelle, en effet, ces élus renoncent trop souvent à engager des procédures, faute de temps, mais aussi faute de moyens. Il faut que des structures qualifiées, équipées, puissent les accompagner en justice, afin qu’ils obtiennent la réparation qui leur est due lorsqu’ils ont été victimes d’une agression.
Cette position, que l’AMF aussi défendait, se concrétise aujourd’hui au Sénat, dont on dit parfois qu’il est la maison des maires…
Mme Nathalie Goulet. Il l’est !
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. … ou la chambre des collectivités.
Les maires sont aux avant-postes, vigies de nos territoires, acteurs incontournables de notre vie quotidienne de citoyens et de responsables publics. Il faut bel et bien qu’ils soient mieux protégés, comme doivent l’être l’ensemble de nos élus – conseillers départementaux et régionaux, mais aussi parlementaires.
Le texte proposé va plus loin que les dispositions actuellement en vigueur, en ouvrant la possibilité aux associations nationales de se porter partie civile. Cette prérogative était jusqu’à présent réservée aux associations départementales des maires et s’agissant des seuls élus communaux.
Si j’emploie le terme « possibilité », c’est que tout cela doit se faire dans le libre choix des acteurs : liberté des élus victimes d’agression de porter plainte et de demander le soutien de leur association d’affiliation, liberté des mêmes associations de soutenir les élus dans le respect de leurs capacités.
L’élargissement du champ des associations concernées par la proposition de loi rejoint le souhait du Gouvernement ; je note qu’il fait consensus, puisque Mme le rapporteur le défend et que plusieurs amendements transpartisans ont été déposés en ce sens.
Si le texte va plus loin que le droit existant, c’est aussi en ce qu’il prend acte des nouveaux risques rencontrés par les élus. Dans le texte dont nous débattons, les élus peuvent être protégés contre toute diffusion d’informations visant à les mettre en danger. Les évolutions sociétales font malheureusement que les coordonnées des élus, leur adresse personnelle ou professionnelle ou toute autre donnée personnelle peuvent circuler facilement en ligne. Cette situation les expose évidemment à de nouveaux risques.
Le champ des infractions s’étendrait aussi aux atteintes aux biens des élus. Cette mesure est nécessaire, comme l’illustre tristement le cas de l’incendie, en septembre dernier, du cabinet médical du maire de Saint-Pierre-des-Corps.
Les proches des élus peuvent également être victimes d’agression. Aussi nous a-t-il semblé nécessaire d’étendre cette faculté de se porter partie civile à de tels cas d’agression d’un proche.
Fût-il adopté, le texte aujourd’hui débattu conférerait donc une nouvelle dimension à la protection des élus. Le Gouvernement y est d’autant plus favorable qu’il s’est mobilisé ces dernières années pour améliorer ladite protection.
Depuis la loi de 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité, qui fut portée par Sébastien Lecornu, l’ensemble des communes sont tenues de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de leur obligation de protection fonctionnelle.
La loi prévoit également que, dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’État ; près de 32 000 communes françaises bénéficient actuellement de cette mesure.
En septembre 2020, la coopération entre les acteurs de la sécurité et de la justice était renforcée : les préfets signalent désormais systématiquement au parquet les faits dont les élus sont victimes et qui sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. Quant aux réponses pénales, elles vont dans le sens d’une plus grande sévérité et d’une plus grande fermeté, M. le garde des sceaux l’a rappelé.
Vous le voyez, nous sommes au rendez-vous. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat au Sénat est une étape capitale : il doit être un début.
Je souhaite que cette proposition de loi sorte de son examen en séance publique forte d’un soutien de votre part aussi large que possible. Je lui souhaite aussi une postérité à l’Assemblée nationale, afin que nos élus puissent bénéficier d’une meilleure protection dans l’exercice de leur mandat ; leur engagement nous oblige.
Mesdames les sénatrices, le Gouvernement soutiendra la proposition de loi dont vous êtes respectivement l’auteure et le rapporteur tout au long de son chemin parlementaire, tout comme il agit constamment et résolument aux côtés des élus, depuis cinq ans, pour leur permettre d’exercer leur mandat dans la plus grande sérénité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Soutien aux édiles victimes d’agression
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier Nathalie Delattre et le groupe du RDSE de cette proposition de loi. En 2022, il est quelque peu regrettable, reconnaissons-le, qu’il faille une loi pour protéger les élus…
Les édiles ne sont plus à l’abri des violences les plus graves. Le président Larcher a l’habitude de dire que les élus locaux et les maires sont « à portée d’engueulade » ; d’accord pour les engueulades, mais les violences physiques et les agressions sont bien sûr tout à fait inacceptables ! Nous avons tous en tête la mort du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, le 5 août 2019. Philippe Bas, alors président de la commission des lois, avait dans la foulée organisé une consultation et rédigé un rapport extrêmement intéressant sur les menaces et les agressions auxquelles sont confrontés les maires.
Nous sommes d’accord avec ce qu’a dit Mme Delattre en présentant sa proposition de loi. Nous sommes d’accord également avec ce qu’a indiqué Mme le rapporteur, et nous approuvons les annonces faites par M. le garde des sceaux et par Mme la ministre Cayeux.
Je veux néanmoins citer quelques témoignages tirés du rapport fait par Philippe Bas en 2019 : « tentative de meurtre » ; « tentative d’étranglement » ; « tentative d’homicide à la hache » ; « agression au couteau de cuisine » ; « un maire pris à partie et bousculé avec force contre un mur » ; « agression avec fourche à deux dents pointée sur le ventre » ; « agression physique en mairie » ; « coups de poing ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de quatre jours »… « Pour être intervenu sur une nuisance sonore, j’ai été agrippé par la personne qui voulait me casser la gueule », rapporte encore un édile. Un autre raconte : « Un automobiliste roulant à contresens, je lui ai indiqué son incivilité : deux coups de poing dans la figure ».
On est très loin de « l’engueulade » ! Et je passe sur les centaines de pneus crevés, les voitures brûlées, les maisons incendiées ou taguées, les clôtures détruites… Bref, ce rapport de Philippe Bas de décembre 2019 est absolument effrayant. Cette triste réalité touche l’ensemble des territoires, et les zones rurales n’y font pas exception.
La période de la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver la situation, et les derniers chiffres sont peu encourageants : les agressions physiques contre les élus ont augmenté de 47 % au cours des onze premiers mois de l’année 2021, par rapport à la même période de l’année précédente.
Aujourd’hui, nous améliorons la protection des élus. J’allais vous demander, monsieur le garde des sceaux, d’être plus vigilant quant à l’accueil que reçoivent les maires qui cherchent à porter plainte, les édiles étant nombreux à déplorer les classements sans suite, une justice bien trop lente et des sanctions inexistantes. Mais vous m’avez enlevé les mots de la bouche, devançant ma demande,…
Mme Nathalie Goulet. … en indiquant que vous aviez, par circulaire, donné des instructions en ce sens. Il revient maintenant aux parquets de faire le nécessaire s’agissant d’un sujet éminemment important.
On dit que les maires sont les élus préférés des Français ; il n’en reste pas moins vrai que le climat de violence qui sévit partout ne les épargne pas. Pour toutes ces raisons, il est indispensable de voter la proposition de loi présentée par Mme Delattre et par le groupe du RDSE, qu’il convient de féliciter et de remercier.
Tout en espérant que la navette conduira à l’adoption du texte par l’Assemblée nationale dans des délais relativement courts, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin : l’élargissement proposé des dispositions de l’article 2-19 du code de procédure pénale ne permettra pas aux associations de contraindre le parquet à engager des poursuites (M. le garde des sceaux le conteste.) – ce n’est de toute façon pas envisageable, j’en ai bien conscience.
Si du moins, monsieur le garde des sceaux, vous avez donné des instructions pour que l’accueil des plaignants et les modalités de l’action judiciaire soient améliorés, c’est déjà un pas très important qui est franchi. Je note d’ailleurs que la quasi-totalité des souhaits qui avaient été émis par Philippe Bas dans son rapport a été satisfaite.
C’est donc avec enthousiasme que le groupe Union Centriste votera cette excellente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – Mme le rapporteur et M. André Reichardt applaudissent également.)
Mme Nathalie Delattre. Merci !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Éric Gold. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre, cosignée par tous les membres du RDSE et inscrite à l’ordre du jour de notre premier espace réservé de l’année, a pour objet de s’attaquer à une réalité malheureusement vécue par un nombre croissant d’élus.
Plus de 1 000 agressions ont été recensées en 2021 contre des personnes titulaires d’un mandat électif, en majorité des maires et des adjoints, probablement parce que, vitrines de notre République, ils sont en première ligne.
Au Sénat, chambre des territoires, ce phénomène d’ampleur croissante est malheureusement bien connu. Chacun d’entre nous peut citer le cas d’un élu victime d’agression ; pour certains, même, l’histoire est personnelle et le traumatisme vivace.
Je pense, pour ce qui est de mon département, au maire de Lussat, roué de coups, le matin même de l’ouverture du Congrès des maires, par un automobiliste à qui il demandait de rouler moins vite. Je pense aussi à la maire de Valbeleix, qui, lors d’une cérémonie, a reçu des menaces de mort pour une histoire de conflit de voisinage, ou à deux autres maires du département, qui ont vu leur maison personnelle taguée d’insultes et de menaces et leur famille plongée dans un état de stress et d’insécurité intolérable.
Il n’est pas un jour sans que celles et ceux sur qui repose le bon fonctionnement de nos institutions subissent une défiance qui s’exprime trop souvent par la violence. Dans certaines communes, il n’est même plus rare que tel ou tel membre de la famille d’un élu fasse lui aussi l’objet d’incivilités, de menaces et de violences, du simple fait d’être son conjoint ou sa conjointe, son fils, sa fille, son père ou sa mère.
Il semble que l’on ait enfin pris la mesure de la dégradation des conditions d’exercice des mandats. Le constat est unanime, et certaines dispositions ont même été adoptées en conséquence. Mais la réalité demeure inacceptable et appelle à des actions supplémentaires.
La proposition de loi de Nathalie Delattre prévoit ainsi de répondre à une demande de l’Association des maires de France, qui souhaite étendre la possibilité, déjà accordée à ses antennes départementales, de se constituer partie civile au pénal pour soutenir, avec l’accord de celui-ci, un élu victime d’agression. Le champ des infractions concernées serait également étendu, afin de mieux prendre en compte la diversité des situations vécues sur le terrain.
Rappelons que, d’après la consultation lancée par le Sénat en 2019, les agressions d’élus sont très peu nombreuses à faire l’objet d’une plainte, et encore moins nombreuses à donner lieu à une condamnation. Le manque d’accompagnement est un frein majeur identifié par les élus, notamment dans les plus petites communes.
Les associations d’élus, qui disposent de l’expertise et des ressources nécessaires, semblent bel et bien les mieux placées pour épauler ceux qui souhaitent porter plainte et exercer tous les droits reconnus à la partie civile du point de vue de l’accès au dossier et du soutien global apporté à la victime.
Il semble donc justifié d’étendre le champ de cette possibilité, pour donner plus de poids aux procédures enclenchées, pour permettre à l’AMF de recouvrer les sommes engagées dans le cadre de la défense des élus agressés et pour inciter les autres associations d’élus à mettre en place des accompagnements ciblés analogues.
Faisant le constat que le service public s’apparente, pour une part croissante de la population, à un simple bien de consommation courante, j’avais souhaité renforcer la législation en déposant, en 2019, une proposition de loi visant à lutter contre les incivilités, menaces et violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public.
Je déclinerai une partie des mesures de ce texte au travers de trois amendements, dont l’adoption pourrait utilement compléter les dispositions dont nous débattons ce soir.
L’absence d’action forte face à de telles situations accroît évidemment le sentiment d’abandon et de découragement que ressentent les élus, notamment en zone rurale, où la réponse est insuffisante en matière de constatation des infractions, de conduite des enquêtes, de durée des procédures et de délai de rendu des décisions.
Les débats qui vont suivre nous permettront, je l’espère, d’améliorer la situation de ceux qui sont dans l’attente légitime d’une solution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Joël Guerriau et Guy Benarroche applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, comment commencer cette intervention sans remercier très chaleureusement notre collègue Nathalie Delattre d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi ?
Ce texte s’inscrit dans la continuité de diverses initiatives adoptées dans le passé, notamment par le Sénat, lesquelles ont considérablement renforcé la protection des élus en cas d’agression. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que l’article 2-19 du code de procédure pénale, dont la proposition de loi vise à prévoir une nouvelle rédaction du premier alinéa, est issu d’un amendement sénatorial voté dans le cadre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Toutefois, dans le contexte actuel d’augmentation des agressions contre les maires et plus généralement contre les élus, la proposition de loi de Nathalie Delattre est venue judicieusement « boucher les trous dans la raquette », comme on dit.
Dans sa version initiale, d’une part, elle a étendu la possibilité de se porter partie civile en cas d’agression d’un élu local à trois associations nationales représentant les différents niveaux de collectivités territoriales – l’AMF, l’ADF et Régions de France –, et, d’autre part et surtout, elle a élargi les motifs pour lesquels ces associations pourront désormais se porter partie civile.
Ainsi, aux cas d’injures, d’outrages, de diffamations, de menaces ou de coups et blessures déjà visés par le code de procédure pénale s’ajouteront judicieusement les destructions, dégradations ou détériorations de biens et la divulgation d’informations dans le but de nuire à une personne, exposant cette dernière à un risque.
En outre, ces infractions seraient prises en compte non plus seulement lorsqu’elles visent des élus investis d’une fonction exécutive, mais également lorsqu’elles concernent des membres de conseils municipaux ou de conseils départementaux et régionaux. Elles pourront même concerner non seulement l’élu lui-même, mais également un membre de sa famille, lorsque c’est en fait l’élu qui est visé en raison de son mandat ou de sa fonction.
On le voit, mes chers collègues, ces élargissements paraissaient bienvenus, car ils sont particulièrement circonscrits et cohérents. On aurait d’ailleurs pu s’arrêter là, mais la commission des lois en a décidé autrement, en enrichissant tout d’abord le texte par des amendements de nos collègues Patrick Kanner et Stéphane Le Rudulier.
M. Kanner a en effet souhaité étendre les infractions au titre desquelles la constitution de partie civile est possible, en prenant également en compte les actes d’intimidation et de harcèlement, les violations de domicile et les atteintes volontaires à la vie. Quant à M. Le Rudulier, il a souhaité permettre aux assemblées parlementaires et aux collectivités territoriales de se porter également partie civile en cas d’agression de leurs membres ou de leurs proches. Désormais, les trous dans la raquette paraissent bel et bien bouchés.
Pour autant, nous étions quelques-uns au sein de la commission des lois à nous demander pourquoi cette possibilité de se porter partie civile n’avait été élargie qu’aux seules trois associations nationales citées.
D’autres associations nationales ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux des élus auraient également pu intervenir légitimement à cet égard. Il n’y avait d’ailleurs aucun risque particulier à élargir de la sorte le champ des parties civiles, aucune procédure ne pouvant être engagée sans l’accord de la victime : le nouvel article 2-19 du code de procédure pénale, pas plus que l’ancien, ne permettra aux associations de contraindre le parquet à engager des poursuites.
Lors de sa réunion d’aujourd’hui, avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi et après concertation avec le Gouvernement, la commission a décidé de faire droit à cette sollicitation et de proposer un texte qui, à mon sens, peut largement faire consensus dans cet hémicycle.
Pour ma part, je le voterai avec enthousiasme, en saluant tout particulièrement la coconstruction qui a présidé à son élaboration. (M. le garde des sceaux opine.) Il ne s’agit pas d’un événement si banal, mes chers collègues ; il illustre l’attachement tout particulier du Sénat aux élus locaux.
Je formulerai, enfin, un dernier vœu : je souhaite que ce texte contribue, à terme, au moins un peu, à réduire, voire à supprimer les intolérables agressions dont les élus sont victimes dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je ne puis m’empêcher à mon tour, à titre liminaire, de rappeler à cette tribune le dévouement inlassable des élus locaux, notamment des élus municipaux, qui sont au service de nos concitoyens et qui assurent le bon fonctionnement de nos territoires.
Synonyme d’écoute et de proximité, l’élu local, en œuvrant dans l’intérêt général, fait vivre la démocratie au quotidien. Il agit pour la République avec courage et loyauté. Or, depuis plusieurs années déjà, sur l’ensemble de notre territoire, nous constatons une multiplication des atteintes physiques ou verbales auxquelles les élus locaux sont confrontés dans l’exercice de leur mandat. Selon moi, la moindre attaque doit être prise en considération.
Pour illustrer mes propos, je citerai une affaire récente, qui a eu lieu dans mon département. M. Bruno Debray, maire de Sion-les-Mines, une commune de moins de 2 000 habitants, a été interpellé par une habitante lui signalant l’agression d’un petit chien attaché à une poussette par deux gros chiens. Sans une intervention rapide, la situation aurait pu être dramatique.
Le maire rencontre le lendemain la propriétaire des chiens, pour lui demander très poliment de bien vouloir tenir à l’avenir ses animaux en laisse. Que n’avait-il pas fait ! Averti de cette demande, le mari furieux se rend à la mairie, s’introduit dans le bureau du maire et l’insulte. Le maire, bien évidemment, porte plainte, mais l’affaire est jugée sans suite. Quelque temps plus tard, le même individu agresse la coiffeuse de la commune pour se faire rembourser une coupe de cheveux jugée non réussie sur ses enfants. Que peut bien faire le maire ? Isolé, il se sent impuissant dans l’exercice de son mandat et dans sa capacité à faire respecter son autorité. Voilà pourquoi aucun des incidents venant affaiblir l’autorité du maire ne doit être traité à la légère !
Bien sûr, nous gardons tous ici en mémoire, comme l’a rappelé Nathalie Goulet, la tragédie de Signes, en août 2019, dans laquelle le maire, Jean-Mathieu Michel, a brutalement perdu la vie, renversé par une camionnette alors qu’il venait empêcher un dépôt sauvage de gravats.
Face à la recrudescence de ces agissements d’individus défiant l’autorité de la puissance publique, agissements que notre République ne saurait tolérer, nous devons mieux soutenir les élus locaux.
C’est pourquoi l’initiative de notre collègue Nathalie Delattre est la bienvenue. Elle offre la possibilité aux différentes associations nationales d’élus de se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout édile qui aurait donné préalablement son accord en cas d’agression ou de harcèlement, mais aussi en cas d’infraction, d’exposition délibérée à un risque grave par révélation d’informations privées, de dégradation d’un de ses biens ou lorsque la victime est l’un de ses proches.
En Loire-Atlantique, la maire de Vue est régulièrement harcelée en public devant son conseil municipal par l’ancien maire de la commune ; c’est un cas que nous n’arrivons pas à régler. Peut-être y parviendrons-nous à présent.
Cette initiative est également pertinente, car elle s’attache à mentionner expressément que les associations d’élus peuvent accompagner tous les élus victimes, même ceux qui ne sont pas investis de fonctions particulières.
Des apports opportuns ont permis d’enrichir la proposition de loi lors de son examen en commission. Je me réjouis ainsi que la liste des infractions au titre desquelles la constitution de partie civile est possible ait pu être élargie aux actes d’intimidation, de harcèlement et de violation de domicile, ainsi qu’aux atteintes volontaires à la vie avec l’accord des ayants droit de la victime.
Je me félicite également de la possibilité qui a été donnée aux assemblées parlementaires et aux collectivités territoriales de se porter partie civile en cas d’agression d’un de leurs membres ou de ses proches.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Joël Guerriau. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, tous nos élus, dont la mission est de servir le citoyen et d’agir pour la République, méritent d’être mieux soutenus en cas d’agression grâce à l’engagement d’une procédure pénale, afin que justice leur soit rendue. Tel est l’objectif de cette proposition de loi.
C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires la votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n’aura échappé à personne que notre société se polarise, que les tensions se sont exacerbées et que les élus font fréquemment l’objet d’une colère souvent mal placée et de violences toujours injustifiées.
Selon les chiffres du ministère de l’intérieur publiés en janvier 2021, les violences physiques contre les élus ont augmenté de 47 % sur les onze premiers mois de 2021 : quelque 1 180 élus sont concernés, dont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints. Si les maires restent les élus préférés de nos concitoyens, ancrés dans la réalité et la connaissance de leurs territoires, ils sont comme le veut, hélas, trop souvent le dicton, « à portée de baffes »…
Encore une fois, ni la frustration de l’incompréhension de décisions personnelles ni la fatigue parfois devant la complexité et la lenteur de certaines administrations ne sauraient justifier une quelconque violence à l’égard des élus de notre pays. Plus de 300 plaintes pour « menaces de mort » ont été déposées et plusieurs sources rapportent une hausse de ces violences. Ces élus, qui continuent, malgré les difficultés – c’est une litote –, à se mettre au service des autres méritent une protection.
Certes, de récents textes ont déjà accru cette protection. La présente proposition de loi s’inscrit dans cette démarche, et c’est heureux. Mais permettez-moi quelques remarques. Ce n’est pas le premier texte qui m’interroge sur la volonté d’ultraspécialisation selon les victimes. C’est peut-être naïf de ma part, mais il est important de le répéter : l’égalité devant la loi et la perception de l’égalité devant la loi sont le fondement de notre société démocratique.
Je ne reviens pas sur le besoin de condamner les agressions de manière spécifique pour les représentants des citoyens, les représentants de l’État, les personnes chargées d’une mission de service public, mais j’aurais du mal à justifier auprès de nos concitoyens et même de nos électeurs que l’agression de la famille d’un élu doive recevoir une sanction plus sévère que celle de toute autre famille.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ils sont plus exposés !
M. Guy Benarroche. Je ne vous ferai même pas l’offense de souligner l’impraticabilité de cette notion de « famille », dont la définition légale pourrait poser des problèmes, par exemple en termes d’égalité, entre les édiles mariés, en concubinage non déclaré, avec des enfants, enfants de conjoints, etc.
L’amendement déposé par Mme le rapporteur de la commission des lois ne tend pas à arranger les choses en ajoutant la notion de « personne vivant habituellement à son domicile ». Pardonnez cet exemple trivial, mais seraient alors concernés la nounou de la concubine du neveu hébergé ou le jardinier à demeure de la belle-mère du concubin de sa fille ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas fréquent !
M. Guy Benarroche. Nous comprenons et entendons le sentiment de lassitude des élus agressés, qui demandent plus de sévérité, mais la solution ne se trouve pas forcément dans l’aggravation des délits sanctionnés de manière plus importante ou dans l’extension d’une « plus grande protection » aux personnes relevant de la sphère privée des élus.
L’insuffisance des moyens humains et matériels de la justice, responsable souvent de sa lenteur, reste structurelle et profonde. Elle appelle un accroissement substantiel des budgets : il s’agit d’augmenter le nombre de magistrats et de greffiers pour pallier ces dysfonctionnements.
Pour autant, nous accueillons favorablement l’idée d’élargir la protection à l’ensemble des élus. Il est aussi essentiel de mieux accompagner les élus, et nous partageons la pertinence de la constitution comme partie civile des associations d’élus. Leur intérêt à agir est déjà reconnu au niveau de leurs filiales locales ; il apparaît opportun d’élargir cette action aux associations nationales.
Nous défendrons deux amendements, l’un afin de mieux prendre en compte les outrages sexistes, l’autre pour élargir la possibilité de se constituer partie civile au-delà des grandes associations nationales comme l’Association des maires de France. Ce dernier désir semble partagé sur plusieurs travées, puisque de nombreux amendements ont été déposés en ce sens.
L’idée d’un monopole de l’accompagnement ou de l’intérêt à agir nous paraît problématique, sans déjuger la qualité de l’AMF.
Voilà, mes chers collègues, notre sentiment profond et nos inquiétudes réelles sur un sujet essentiel, mais dont tout débordement s’apparentant à une volonté de justice corporatiste serait nuisible et contre-productive dans l’ambition d’une meilleure protection des élus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Guylène Pantel et M. Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en septembre 2021, l’hôtel de ville de Koungou dans mon département a été la cible d’un incendie volontaire après des manifestations contre la destruction d’un bidonville.
Un mois plus tard, les véhicules du maire d’Ouangani, de sa femme et d’un autre élu de la municipalité ont connu le même sort. Plus récemment, le maire de Bandrélé a fait l’objet de plusieurs menaces de mort.
D’après les chiffres du ministère de l’intérieur publiés en janvier 2022, plus de 1 100 élus, majoritairement des maires ou leurs adjoints, ont subi des agressions, et 400 outrages ont été recensés.
Lors du congrès de l’AMF de novembre 2021, le Président de la République rappelait la nécessité d’être « intraitable face au retour et à l’augmentation de la violence » envers les élus et particulièrement les maires, dépositaires de l’autorité publique. Le chef de l’État avait estimé que « la sanction devait être décisive par devoir envers nos élus ».
La proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre, que nous examinons aujourd’hui, s’inscrit dans cet état d’esprit, en apportant une réponse à une demande de l’AMF de se porter partie civile lors d’agressions d’élus. Initialement composée d’un article unique, elle a été enrichie lors de son examen par notre commission des lois.
Ainsi, les principales associations nationales d’élus – AMF, AMRF, ADF et Régions de France – pourront se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout édile de l’Hexagone et des outre-mer qui aurait donné préalablement son accord, notamment en cas de dégradation d’un de ses biens, d’agression, d’acte d’intimidation, de harcèlement et de violation de domicile. Ses proches pourront également en bénéficier.
Je me permets de saluer la rédaction de compromis qui a été trouvée sur l’article 1er entre notre rapporteur et le Gouvernement.
En outre, la divulgation d’informations dans le but de nuire à une personne, adoptée dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République, constituera une infraction.
Les assemblées parlementaires, les collectivités territoriales et le Parlement européen auront la possibilité de se porter partie civile en cas d’agression de l’un de leurs membres ou de ses proches.
Enfin, grâce au travail réalisé par notre rapporteur, ce texte s’appliquera en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna.
Le présent texte viendra étoffer les actions d’ores et déjà menées par le Gouvernement, notamment par le ministère de la justice, avec la direction des affaires criminelles et des grâces, ainsi que par le ministère chargé des collectivités territoriales.
Je pense à la circulaire du 7 septembre 2020 adressée aux parquets mettant en œuvre une politique pénale ferme, ou encore à celle du 15 décembre 2020 relative à la mise en œuvre de la justice de proximité pénale, pour une justice plus proche des partenaires locaux.
Je pense également à l’article 104 de la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui est venu renforcer la protection juridique et la formation des élus locaux face aux violences et aux incivilités.
Enfin, je salue l’initiative du Sénat de mettre en place une formation organisée par la direction générale de la police nationale (DGPN) sur la sensibilisation des sénateurs à la gestion des comportements agressifs et à la désescalade des conflits. En tant que vigies des territoires, nous pourrons, grâce à cela, accompagner et aider nos élus face aux agressions.
Les élus de la République doivent être protégés dans l’exercice de leurs fonctions et dans leur vie privée. Nous devons les accompagner et renforcer la réponse pénale.
C’est pourquoi le groupe RDPI votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objectif de soutenir les élus dans les démarches judiciaires qu’ils peuvent engager à la suite de violences commises contre eux. Elle permettra aux associations d’élus de les accompagner dans ces démarches au pénal.
On ne peut que saluer cette initiative portée par notre collègue Nathalie Delattre, car les élus sont très régulièrement la cible d’attaques, dont la violence s’intensifie d’année en d’année.
Je pense ici particulièrement aux maires, qui semblent être au centre de nombreuses revendications de nos concitoyens et qui représentent la grande majorité des victimes. Je ne puis que citer à mon tour la terrible attaque commise contre le maire de Signes, mortellement renversé par un véhicule, qui nous a tous marqués.
La violence dont les élus municipaux font l’objet peut s’expliquer par leur rôle de premier plan dans la vie des Français : ils exercent des responsabilités et prennent des décisions pas toujours populaires, qui affectent directement le quotidien de leurs administrés, et leur visibilité les rend facilement identifiables. Comme l’un de mes collègues l’a souligné à juste titre, ils sont « à portée de baffes ».
Dès lors, ils cristallisent les critiques, les revendications et peuvent faire l’objet, dans les cas les plus graves, d’agressions. Ces actes, nous devons les condamner, tous sans exception, car la violence n’est jamais la solution. Pour cela, la justice doit être saisie, mais les élus ont besoin de soutien, de moyens et de ressources. Certaines associations d’élus possèdent ces ressources et peuvent apporter un accompagnement bienvenu en pareilles circonstances.
La rédaction initiale de cette proposition de loi prévoyait que seules l’AMF, l’ADF et Régions de France pouvaient se constituer partie civile. Je reconnais évidemment le travail de ces trois grandes associations, mais il me semble que chaque élu doit pouvoir se faire représenter par l’association qu’il juge la plus adaptée pour défendre ses intérêts. J’ai donc déposé un amendement en commission pour élargir le champ des associations concernées à toutes celles qui le prévoient et qui sont régulièrement enregistrées, mais il a été rejeté.
Peut-être ai-je eu raison trop tôt ? Une semaine plus tard, le Gouvernement semble avoir entendu mon appel et a souhaité que Mme le rapporteur dépose un amendement dont les dispositions vont dans le même sens que le mien. Nous en discuterons tout à l’heure, mais je m’en réjouis !
Le champ des infractions visées doit être le plus large possible, car nos élus sont la cible d’attaques physiques contre leurs biens ou à leur encontre directe, mais aussi d’attaques verbales. Un amendement a été intégré en ce sens dans la proposition de loi, ce que je salue.
Mes chers collègues, un point d’actualité nous a tous marqués, voire choqués, me semble-t-il. L’exemple de Louis Boyard, député de La France insoumise insulté par Cyril Hanouna, est le dernier en date, mais il est ô combien révélateur de la « vulgarisation » de notre audiovisuel. (Murmures sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Il ne faut pas aller dans ces émissions !
M. Patrick Kanner. L’escalade d’absurdités et de violence à laquelle nous avons assisté lors de cette séquence n’a existé que pour répondre à cette soif de la petite phrase qui fait le buzz, ce qui n’est digne ni de la classe politique ni de la classe journalistique.
Mme Françoise Gatel. Quand on cherche, on trouve !
M. Patrick Kanner. Je ne puis que regretter que tout soit érigé en polémique pour que l’on en parle. À ce petit jeu, auquel les politiques ne devraient pas se prêter,…
Mme Françoise Gatel. Exactement !
M. Patrick Kanner. … les gagnants sont toujours les mêmes : ce sont les extrêmes.
Notre discussion du jour porte sur une proposition d’amélioration de l’accompagnement des élus lorsqu’ils décident d’engager des poursuites contre les auteurs de l’agression. On ne peut qu’y souscrire. D’ailleurs, le calendrier nous y invite : quelle belle occasion à une semaine du Congrès des maires !
Les élus locaux jouent un rôle essentiel dans notre pays, ils sont actuellement plus de 500 000 à exercer un mandat local, à nous représenter et à défendre l’intérêt général au travers de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques publiques, lorsqu’on leur en donne les moyens.
J’ouvre ici une parenthèse qui devrait faire consensus : les élus locaux, particulièrement les maires, se sentent actuellement fragilisés dans l’exercice de leur mandat, car on leur en demande toujours plus avec toujours moins de moyens. Ils sont inquiets de l’augmentation de leurs charges fixes du fait de l’inflation. Ils sont préoccupés par la suppression de certaines dotations.
Dans le cadre du projet de loi de finances, nous pourrons bientôt répondre à leurs légitimes inquiétudes. Il faut des recettes pour que les budgets d’investissement et de fonctionnement puissent exister, afin, notamment, de mettre en place les projets souhaités par nos concitoyens. Lorsque les élus ne peuvent agir, cela participe de la fragilisation de leur image. Je le dis au Gouvernement : il existe une grande inquiétude, qui s’exprimera à l’occasion du Congrès des maires de France.
Mes chers collègues, l’action des élus locaux irrigue l’ensemble de notre vie quotidienne. Elle doit être respectée. Sans élu, aucune organisation de notre société n’est possible. En cas de violence, il faut mettre à leur disposition toutes les ressources qui pourraient les aider dans la défense de leurs intérêts.
Vous l’aurez compris, mon groupe votera cette proposition de loi, enrichie par nos débats à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée vise à permettre aux différentes associations nationales d’élus de se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout édile qui aurait donné préalablement son accord.
Les élus, plus spécifiquement les élus locaux, sont les premiers contacts de nos concitoyens avec l’autorité publique.
Aujourd’hui, l’article 2-19 du code de procédure pénale n’autorise l’action des associations qu’en cas de faits commis contre l’élu « à raison de ses fonctions » particulières, et non de son mandat. La proposition de loi que nous examinons est sur ce point utile et égalitaire. En effet, grâce à son apport, les associations d’élus pourront accompagner tous les élus victimes de harcèlement ou d’agression, même ceux qui ne sont pas investis de fonctions particulières. C’est en cela qu’elle nous semble pertinente.
Néanmoins, nous ne pouvons l’ignorer, le climat politique, économique et social actuel est tendu. Notre société va mal ; de plus en plus d’hommes et de femmes sont inquiets et en colère contre les responsables politiques. Dans ce contexte, nous ne pouvons faire l’autruche. Un élu incarne des idées, des prises de position, des revendications. Nous sommes dans une démocratie, et il est tout à fait sain de ne pas faire l’unanimité.
Pour autant, cette nécessaire opposition dans le débat d’idées ne doit pas justifier une attaque personnelle, physique ou verbale. C’est bien parce qu’un mandat expose personnellement l’élu que cette proposition de loi est à notre sens objective.
Si la qualité d’élu est depuis longtemps une circonstance aggravante pour plusieurs infractions, il convient également de se soucier de l’accompagnement des élus victimes tout au long d’une procédure devant le juge pénal.
Cet accompagnement ne sera pas exorbitant du droit commun, nos concitoyens victimes pouvant également être soutenus dans leurs procédures pénales par des associations à but non lucratif. Il est donc adéquat, pour répondre à cette attente d’accompagnement, d’étendre le champ des associations susceptibles de se constituer partie civile.
Au-delà du soutien à l’élu lui-même, nous considérons qu’une telle action participe de la lutte en faveur d’un exercice serein des mandats locaux, donc au bon fonctionnement des assemblées locales. Un élu ne doit pas craindre pour sa personne dans l’exercice de son mandat. Le risque d’une agression ne doit pas être dissuasif dans l’expression de ses opinions politiques ; à défaut, l’existence même de la démocratie pourrait être compromise.
En droit pénal général, le fait qu’une personne chargée d’une mission de service public, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, soit victime d’une infraction constitue une circonstance aggravante pour la majorité des infractions contre les personnes. Cette aggravation des peines permet une réponse pénale satisfaisante en cas d’agression.
Aujourd’hui, le propos est celui non pas de l’efficacité de la justice, mais de l’accompagnement de l’élu, qui, en tant que personne, peut être traumatisé à la suite d’une agression. Or aucun citoyen ne doit être isolé dans une procédure pénale qui pourrait le dépasser. L’enjeu sous-jacent est de garantir le droit des élus à la liberté d’expression.
L’exercice de nos mandats ne saurait être un motif de crainte. Le débat politique ne doit pas être vecteur de violence. L’art du débat doit être respecté en toute décence.
Permettre aux associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression est utile à un exercice serein des mandats électoraux. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos sera redondant, mais, si cela va sans dire, cela va encore mieux en le martelant…
La proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression a donc été inscrite à notre ordre du jour, et c’est tout à fait heureux.
Au travers de cette inscription à l’ordre du jour, nous voulons tous ici redire notre mobilisation sur le sujet. En effet, en tant que représentants des élus locaux, nous sommes les témoins des violences que peuvent subir au quotidien les maires et les élus de nos territoires. Puisque les orateurs précédents ont fait état de leur liste, voici la mienne : dans les communes de Lapalud, Oppède, Caderousse, Vaugines, Castellet-en-Luberon et Sainte-Cécile-les-Vignes, des élus ont été récemment victimes d’agressions. Mais cette liste pourrait être plus longue si l’on y intégrait les affaires passées.
Aujourd’hui, les agressions sont d’une violence inouïe : injures, menaces de mort, agressions physiques. Elles sont de plus en plus fréquentes et touchent l’ensemble des communes, quelles que soient leur taille et celle du territoire où elles se trouvent. Il y a des agressions physiques, mais aussi – on n’y insistera jamais assez – celles que l’on subit sur les réseaux sociaux, où l’on se fait souvent agresser via de faux profils, lesquels viennent parfois de l’étranger. On peut véritablement parler de « cyberharcèlement des élus ».
Dans son rapport de 2019, Philippe Bas avait très bien mis en lumière cette situation. Les élus attendent donc que nous posions des actes forts et immédiats, surtout si nous souhaitons qu’il y ait encore des candidats lors des prochaines élections municipales…
Force est de constater que le dépôt de plainte à la suite d’une agression est loin d’être systématique, particulièrement dans les petites communes, ce qui traduit une véritable autocensure, le souci de ne pas envenimer les choses, la volonté de privilégier le dialogue et, de manière plus préoccupante, la peur de représailles ou le sentiment que le dépôt de plainte est trop rarement suivi d’effets.
Trop souvent encore, les maires et les élus se sentent seuls face à ces agressions. Ils préfèrent se taire et faire comme si cela n’était jamais arrivé, en espérant ainsi oublier le traumatisme.
Or nous sommes tous ici collectivement convaincus qu’il ne faut rien laisser passer et que le dépôt de plainte doit être systématique. Ces édiles, corvéables à merci dans leurs communes, méritent d’être davantage soutenus lors de l’engagement d’une procédure pénale, pour que justice leur soit rendue. Les associations d’élus, y compris celles des élus ruraux, semblent être les mieux placées pour leur apporter ce soutien.
Par conséquent, l’adoption de cette proposition de loi permettant aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile constituera un signe fort envoyé à tous les élus du territoire. Nous avançons, peu à peu.
Vous-même, monsieur le garde des sceaux, publiez des circulaires invitant notamment les parquets à mettre en œuvre une politique pénale ferme et diligente pour réprimer les actes commis à l’encontre des élus locaux, ainsi qu’un suivi judiciaire et un renforcement des procédures pénales. Il faudra aussi que les juges s’approprient et intériorisent tous ces textes et s’habituent à voir des élus dans les salles d’audience.
Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, de prendre à bras-le-corps ce sujet. Nous serons à vos côtés pour défendre la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI. – M. Jérôme Durain applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, « à portée de baffe », tels sont les mots que répète souvent mon maire, Jean Leonetti, au sujet des élus. Si j’ai souhaité intervenir sur ce sujet, comme vous tous ici présents, c’est pour dire tout haut ce que certains avouent tout bas !
En cette année 2022, ce sont 956 élus qui ont été pris pour cible en France entre le 1er janvier et le 9 mai, soit en moins de six mois. Combien seront-ils à la fin de l’année ?
Ces chiffres sont en nette augmentation, puisqu’ils sont déjà aussi élevés que ceux de 2021, année où l’on enregistrait déjà une hausse de 40 % des violences envers les élus par rapport à 2020. À cette époque – faut-il le rappeler ? –, nos collectivités territoriales et nos élus locaux étaient plus que jamais mobilisés pour la gestion de la crise sanitaire. Pourtant, paradoxalement, pas moins de 80 % des victimes sont des élus municipaux. Ce pourcentage invite à la réflexion, puisque les maires restent les élus en qui les Français ont le plus confiance.
La proximité physique ne doit pas ouvrir un quelconque droit à la violence gratuite. Chaque intimidation vise, en tout état de cause, à ce que les élus ne se sentent plus libres d’agir en leur âme et conscience.
Ces chiffres doivent nous alerter collectivement : nous, parlementaires, ainsi que le Gouvernement et l’ensemble des Français.
La forte recrudescence de la violence envers les édiles est actée, obligeant l’AMF à créer, en octobre 2020, un observatoire des agressions envers les élus. Mais il y a plus alarmant : l’AMF a formé récemment 15 000 maires et adjoints, avec l’aide des formateurs du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), à la gestion des menaces et des situations de crise. Quand un maire reçoit une formation du GIGN ou du Raid, cela veut dire que le pays ne va pas très bien !
L’excellent rapport d’information de notre collègue Philippe Bas…
M. Philippe Bas. Merci !
Mme Alexandra Borchio Fontimp. … mettait d’ores et déjà cette triste réalité en lumière : un faible niveau de plaintes, associé à un très faible niveau de condamnations.
Cette violence progresse, plus globalement, à l’encontre de l’ensemble des détenteurs de l’autorité en France. Ce dénigrement de l’autorité est au demeurant très inquiétant, l’abstention électorale étant à mon sens l’une des manifestations de cette crise civique des plus criantes.
Si cette violence est difficile à comprendre, elle est – c’est certain – impossible à tolérer.
Il y a pis encore : c’est souvent par pudeur, mais aussi par peur de voir les menaces s’intensifier, que certains élus préfèrent se taire sur le fait que leur permanence a une nouvelle fois été vandalisée, sur l’énième insulte reçue en pleine rue, sur la violence graduelle de ceux qu’ils servent au quotidien. Enfin, ils se taisent pour ne pas déranger, pour ne pas être pointés du doigt et stigmatisés.
Un drame est toujours possible, nous le savons. Aussi, ne banalisons pas ces incivilités qui peuvent conduire au pire ! C’est pourquoi je soutiens ce texte défendu par notre collègue Nathalie Delattre, qui vise à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour accompagner au pénal tout édile qui aurait donné préalablement son accord.
Enrichi par le travail de la commission des lois, cette proposition de loi répond aux attentes des élus victimes de harcèlement ou d’agression, qui méritent d’être mieux soutenus, pour que justice leur soit rendue ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression
Article 1er
L’article 2-19 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« L’Association des maires de France et toute association départementale des maires qui lui est affiliée dont les statuts ont été déposés depuis au moins cinq ans peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile dans toute instance introduite par un élu municipal pour injure, outrage, diffamation, menace ou acte d’intimidation, violences, harcèlement, exposition à un risque dans les conditions prévues à l’article 223-1-1 du code pénal, destructions, dégradations ou détériorations de bien, violation de domicile commis, en raison de ses fonctions ou de son mandat, à son encontre ou à l’encontre d’un membre de sa famille. L’Assemblée des Départements de France peut exercer ces mêmes droits pour les élus départementaux et Régions de France pour les élus régionaux, territoriaux et de l’Assemblée de Corse. » ;
1° bis (nouveau) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les associations mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent également exercer les droits reconnus à la partie civile en cas d’atteinte volontaire à la vie d’un élu commise en raison de ses fonctions ou de son mandat. » ;
1° ter (nouveau) Le troisième alinéa est complété par les mots : « ou, si la victime est décédée du fait d’une atteinte volontaire à la vie en raison de ses fonctions ou de son mandat, de ses ayants droit. » ;
2° Au dernier alinéa, les mots : « l’association mentionnée » sont remplacés par les mots : « les associations mentionnées ».
Mme la présidente. Je suis saisie de quinze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 19 est présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission.
L’amendement n° 23 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
1° Le premier et le deuxième alinéas sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :
« En cas d’infractions prévues par les livres II ou III du code pénal ou par le chapitre III du titre III du livre IV du même code ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse commises à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public en raison de ses fonctions ou de son mandat, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile, si l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée, et avec l’accord de cette dernière ou, si celle-ci est décédée, de ses ayants droit :
« 1° Pour les élus municipaux, l’Association des maires de France, toute association nationale, reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, et, sous les mêmes conditions, toute association départementale qui lui est affiliée ;
« 2° Pour les élus départementaux, l’Assemblée des départements de France ainsi que toute association nationale, reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, et, sous les mêmes conditions, toute association qui lui est affiliée ;
« 3° Pour les élus régionaux, territoriaux et de l’Assemblée de Corse, Régions de France ainsi que toute association nationale, reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, et, sous les mêmes conditions, toute association qui lui est affiliée ;
« 4° Au titre d’un de ses membres, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Parlement européen ou la collectivité territoriale concernée.
« Il en est de même lorsque ces infractions sont commises sur le conjoint ou le concubin de l’élu ou le partenaire lié à celui-ci par un pacte civil de solidarité, les ascendants ou les descendants en ligne directe de celui-ci ou sur toute autre personne vivant habituellement à son domicile, en raison des fonctions exercées par l’élu ou de son mandat. » ;
La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 19.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cet amendement vise à proposer une nouvelle rédaction de l’article 1er.
Issu du dialogue mené avec le Gouvernement, cette proposition de loi tend à permettre à toutes les associations d’élus bénéficiant d’une ancienneté suffisante de se porter partie civile, tout en reconnaissant le rôle et l’implication de l’AMF dans la défense des élus municipaux. Ce dernier point n’était pas tout à fait perceptible, monsieur Kanner, dans l’amendement que vous aviez présenté en commission, puisque vous y faisiez fi, alors, de cette association.
Cette rédaction paraît cohérente avec l’intention de l’auteure de la proposition de loi. Elle respecte l’esprit initial de ce texte, ce qui compte beaucoup pour moi, tout autant que l’intention des auteurs des amendements adoptés en commission sur l’article 1er.
Par ailleurs, la commission a accepté d’inclure le Parlement européen – en l’occurrence, les députés européens de nationalité française et les députés étrangers victimes d’une agression en France – parmi les assemblées susceptibles de se porter partie civile lorsque l’un de leurs membres est agressé.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 23.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne surprendrai personne en disant que je suis totalement en phase avec Mme le rapporteur.
Ces deux amendements identiques visent aussi à rappeler qu’il était constitutionnellement risqué de permettre à une seule association de se constituer partie civile. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause ce que l’AMF représente pour de nombreux élus ; personne n’a l’intention de la malmener, mais ne pas considérer les autres associations revenait, j’y insiste, à prendre un véritable risque constitutionnel.
Ces amendements identiques ont par ailleurs le mérite d’harmoniser et d’étendre le champ des infractions dont les élus sont victimes.
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par MM. Kanner et Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
1° Première phrase
Remplacer les mots :
L’Association des maires de France et toute association départementale des maires qui lui est affiliée dont les statuts ont été déposés depuis au moins cinq ans peuvent
par les mots :
Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans qui se propose, par ses statuts, de défendre et représenter les intérêts matériels et moraux des élus locaux peut
et le mot :
municipal
par le mot :
local
2° Seconde phrase
Supprimer cette phrase.
II. – Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Nous savons, comme les collègues qui présentent les amendements suivants faisant l’objet de cette discussion commune, que l’adoption des amendements identiques nos 19 et 23 aurait pour conséquence de faire tomber tous les autres. Nous avons donc bien compris la démarche engagée, laquelle, quoi qu’en dise Mme le rapporteur, va dans notre sens.
Il est vrai que l’amendement que j’avais porté au nom de mon groupe ne mentionnait aucune association, car nous estimions que les associations dûment déclarées et ayant plus de cinq années d’existence pouvaient légitimement revendiquer la possibilité de défendre leurs élus, quels qu’ils soient.
L’AMF, l’ADF et Régions de France sont encore mentionnées dans l’amendement de Mme le rapporteur, sans qu’il soit fait mention des autres associations. Nous pensions, pour notre part, qu’il aurait été plus simple de faire référence à toutes les associations d’élus, même si, je le sais, tel n’était pas tout à fait le sens du texte initial de Mme Delattre. Cette simplification aurait permis d’éviter toute forme de concurrence entre les secteurs associatifs, à laquelle nous allons, de fait, contribuer.
Pour autant, nous adopterons l’amendement présenté par Mme Di Folco : ses dispositions nous semblent aller globalement dans la direction que nous souhaitions indiquer lorsque nous avons présenté notre amendement en commission.
Mme la présidente. Les dix amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 5 rectifié bis est présenté par M. Delcros, Mme Vermeillet et MM. Canévet et Détraigne.
L’amendement n° 7 rectifié bis est présenté par Mme Noël, M. Laménie, Mme Thomas, M. Perrin, Mme Muller-Bronn, MM. Pointereau, Rietmann, Paccaud, Houpert, B. Fournier, Anglars, Bascher, Regnard et Savin, Mmes Richer et Joseph, M. Chatillon, Mmes Drexler, Micouleau et F. Gerbaud, MM. Paul, Joyandet et Pellevat, Mme Puissat, M. Rapin, Mme Dumont, M. Bouchet, Mme Estrosi Sassone, M. J.B. Blanc, Mme Lopez, M. Belin, Mme Belrhiti, M. Lefèvre et Mme Raimond-Pavero.
L’amendement n° 9 est présenté par M. J.M. Boyer.
L’amendement n° 10 rectifié quater est présenté par M. Mizzon, Mmes Sollogoub et Vérien, M. Maurey, Mme Guidez, M. Kern, Mme N. Goulet, MM. Louault, Bonnecarrère, Laugier, Masson, Bonneau, Calvet et Saury, Mmes Gatel et Saint-Pé, M. Henno, Mme Billon, MM. J.M. Arnaud, Duffourg, Cigolotti et Frassa et Mmes Dindar, Gacquerre, Herzog et Chain-Larché.
L’amendement n° 11 est présenté par M. Longeot.
L’amendement n° 12 rectifié ter est présenté par MM. Menonville, Wattebled, Guerriau, Decool et Chasseing, Mmes Paoli-Gagin et Mélot et MM. Lagourgue et A. Marc.
L’amendement n° 14 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
L’amendement n° 15 est présenté par M. Ravier.
L’amendement n° 16 est présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 18 est présenté par Mme Havet.
Ces dix amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
L’Association des maires de France et toute association départementale des maires qui lui
sont remplacés par les mots :
Les associations nationales représentatives des maires ainsi que toute association départementale qui leur
La parole est à M. Bernard Delcros, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. Bernard Delcros. Le présent amendement vise à étendre à l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et aux associations départementales qui lui sont affiliées les droits qui sont ouverts par la présente proposition de loi aux autres associations nationales représentatives d’élus.
Cela dit, je voterai les amendements identiques nos 19 et 23, qui ont pour objet d’élargir cette possibilité à d’autres associations d’élus.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié bis.
M. Marc Laménie. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 9 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié quater.
M. Jean-Marie Mizzon. Il est également défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 11 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Dany Wattebled, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié ter.
M. Dany Wattebled. Il est défendu !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 14.
M. Guy Benarroche. Nous soutenons ces amendements identiques à cause des mots suivants, qui figurent au 4° des amendements de la commission et du Gouvernement : « Il en est de même lorsque ces infractions sont commises […] sur toute autre personne vivant habituellement à son domicile ».
Ces termes vagues et flous peuvent donner lieu à de nombreuses exagérations, voire à des manipulations, nous semble-t-il. En l’absence de ces mots, j’aurais volontiers voté les amendements identiques nos 19 et 23, même s’ils tendent à mentionner ADF et Régions de France.
Mme la présidente. L’amendement n° 15 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 16.
Mme Cécile Cukierman. Nous avons tous évoqué, avec force et sincérité, les expériences que nous vivons dans nos départements et la difficulté d’être élu local. Si nous sommes nombreux à déposer le même amendement, ce n’est pas pour faire durer le plaisir ! En fait, nous devons, en toute humilité, nous garder d’opposer les uns aux autres. L’agression envers un édile, quel qu’il soit – élu local, national ou européen –, est indigne.
Mme le rapporteur propose une formulation qui, je l’espère, fera consensus. Mais nous devons veiller à deux éléments.
Tout d’abord, une agression dont est victime un élu local ne saurait être source d’interprétation et servir à justifier l’existence de telle ou telle structure. Nous devons rester vigilants sur ce point.
Ensuite, si le débat politique a ses forces et ses faiblesses, nous ne devons pas renvoyer devant la justice ce qui relève du débat contradictoire et démocratique, lequel est parfois virulent.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 18.
Mme Nadège Havet. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
supprimer les mots :
qui lui est affiliée
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il est également défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
outrage,
insérer les mots :
outrage sexiste,
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Le présent amendement a pour objet d’inclure l’outrage sexiste, inscrit à l’article 621-1 du code pénal, dans la liste des agressions et violences commises sur les élus pouvant donner droit à la constitution de partie civile des associations nationales d’élus.
Nous visons, au travers de cet amendement, les réflexions sur le physique, la suspicion d’illégitimité et les commentaires haineux liés au genre.
J’ouvre à cet égard une parenthèse. Participant avec les Verts de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) à la réunion portant sur le contrat de planification territoriale écologique passé entre la Première ministre et le président du conseil régional, j’ai constaté qu’étaient montés sur scène pour signer ce contrat 19 élus : 17 hommes et 2 femmes. Rien n’est donc réglé, contrairement à ce que l’on entend dire !
Le sexisme perdure en politique, et il est important d’offrir toutes les garanties de protection aux femmes politiques qui subissent ces agressions. Le réseau Élues locales a notamment révélé, en 2021, que plus de 74 % des femmes élues locales subissaient des comportements et des remarques sexistes dans le cadre de l’exercice de leur mandat.
Le cybersexisme à l’encontre des femmes politiques est également en nette augmentation. Elles sont exposées à des formes de violences amplifiées en ligne, en raison de leur genre ou de leur orientation sexuelle. Ces violences dissuadent des femmes de s’engager durablement en politique. Pour ces raisons, il est nécessaire d’aider les femmes élues qui souhaitent engager des procédures judiciaires. Il faut que les associations nationales d’élus les accompagnent tout au long de leur parcours judiciaire.
Même si cela vous semble redondant, il me semble utile de mentionner clairement l’outrage sexiste.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Mon avis est bien sûr favorable sur l’amendement n° 23 du Gouvernement, identique à celui de la commission : il s’agit d’une coproduction fructueuse.
En ce qui concerne l’amendement n° 4, l’avis de la commission est défavorable, puisqu’il est satisfait par les amendements identiques nos 19 et 23.
Je demande le retrait des amendements identiques nos 5 rectifié bis, 7 rectifié bis, 10 rectifié quater, 12 rectifié ter, 14, 16 et 18, qui seraient satisfaits par nos deux amendements identiques précités.
Je demande également le retrait de l’amendement n° 6, pour la même raison.
S’agissant de l’amendement n° 13 présenté par M. Benarroche, qui vise les outrages sexistes, je rappelle que, au travers de son amendement n° 19, la commission a fait le choix de ne pas établir de liste des infractions, afin que le texte soit le plus large et le plus clair possible. L’inclusion nominale d’une infraction ne nous paraît pas souhaitable. Pourquoi viser les outrages sexistes et pas d’autres formes d’outrage ?
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Je tiens à saluer l’esprit de responsabilité des sénateurs et les synergies qui se sont établies entre le Sénat et le Gouvernement.
Les amendements identiques présentés par Mme le rapporteur et par le Gouvernement ont été rédigés de concert. Notre avis est donc évidemment favorable sur l’amendement n° 19.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 4, présenté par le président Kanner, je précise que la mention de l’AMF ne crée pas de rupture d’égalité, d’autant qu’elle figure dans le code de procédure pénale depuis qu’elle y a été introduite par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Notre critère de décision est l’efficacité. L’AMRF pourra-t-elle soutenir les élus victimes en se constituant partie civile ? La réponse est oui.
Je demande donc le retrait de cet amendement, au profit des amendements identiques de la commission et du Gouvernement.
Les sept amendements identiques suivants étant satisfaits par les amendements nos 19 et 23, j’en demande également le retrait, même si je partage la volonté de leurs auteurs d’étendre la possibilité de se constituer partie civile.
Je sollicite enfin le retrait des amendements nos 6, et 13.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Je n’étais pas opposée par principe au fait de mentionner l’ensemble des associations d’élus.
Je souhaite remercier l’AMF, l’ADF et Régions de France, qui ont travaillé avec moi depuis le début sur cette proposition de loi, un texte que nous avons amélioré grâce à Mme le rapporteur et au Gouvernement. Telle est l’utilité des niches parlementaires et du travail approfondi que nous effectuons au sein de nos commissions !
Je salue le travail de coconstruction mené avec le Gouvernement et l’élégance de Mme le rapporteur, qui a bien voulu me demander mon avis, en tant qu’auteure de la proposition de loi, avant de déposer son amendement.
Je suis d’accord avec toutes les améliorations que nous avons apportées, ensemble, quel que soit le groupe du Sénat auquel nous appartenons. J’espère qu’elles seront défendues avec la même force et la même conviction à l’Assemblée nationale, au nom de l’efficacité de la loi et pour que justice soit rendue à nos élus.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter les amendements identiques nos 19 et 23.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je vais retirer mon amendement n° 4, qui est globalement satisfait par les amendements identiques de la commission et du Gouvernement. Permettez-moi néanmoins de souligner une petite originalité desdits amendements.
La proposition de loi de Mme Nathalie Delattre, sauf erreur de ma part, visait en premier lieu à protéger les élus locaux. Or, au 4° de l’amendement de la commission, cette protection est étendue aux membres du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Parlement européen.
Si vous voulez être efficaces, mes chers collègues, n’oubliez pas les membres de la troisième chambre de la République, le Conseil économique, social et environnemental (Cese),…
M. Patrick Kanner. … ou les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui, eux, sont élus !
Étendre la protection prévue dans un texte dont l’objectif initial était de défendre les élus locaux pourra susciter des interrogations. Je tenais à le faire remarquer.
Cela dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 est retiré.
La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Je souhaite soutenir l’amendement n° 13 de mon collègue Guy Benarroche.
Mes chers collègues, pardonnez-moi pour la violence des propos que je vais citer : il ne s’agit pas de mes mots, ce sont des extraits des messages que je reçois quotidiennement via les réseaux sociaux : « Grosse pute » ; « Pute woke » ; « Retourne à la cuisine, connasse » ; « Retourne sucer de l’enturbanné, connasse islamo-gaucho » ; « Connasse de laïcarde de Lesbos » – vous le voyez, c’est assez équilibré ! – ; « T’as un problème avec la religion chrétienne ? » ; « Ferme ta gueule, écologiste de merde » ; « Les gens comme toi, vous êtes cuits, vos têtes seront sur des piques » ; « Mange-merde que tu es, tu chies là où tu manges » – là, je comprends moins… – ; « Les gens comme moi n’attendent qu’une chose : le signal pour faire la peau aux gens comme toi »… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez sans doute eu envie de me couper, madame la présidente, et je vous comprends. C’est inacceptable et, comme toutes et tous ici, je considère que ces propos sont intolérables. Pourtant, ce n’est qu’un infime échantillon des insultes et des menaces que je reçois quotidiennement, notamment sur les réseaux sociaux. Et je suis très loin d’être la seule !
Oui, quand on est une femme en politique aujourd’hui, on se fait harceler dès que l’on existe un peu – exagérément, selon certains – dans l’espace public. Cela pose un problème démocratique, parce que cela conduit de nombreuses femmes à s’autocensurer et à disparaître des réseaux sociaux, par peur pour leur vie ou pour se protéger mentalement, et parce que les femmes élues, qui sont déjà minoritaires partout, sont moins visibles et audibles à cause de ces violences.
J’entends très bien que vous considériez l’inscription dans la loi de l’outrage envers un ou une élue comme étant, sur le plan juridique, suffisante. Mais, vous venez de l’entendre, cet outrage est spécifique tant par sa violence et sa fréquence que par sa nature même, qui est d’être le fruit de la domination patriarcale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Voilà pourquoi je vous demande de voter cet amendement porté par le groupe écologiste, visant à inclure les spécificités de l’outrage sexiste dans la liste des agressions et violences dont vous entendez, au travers de cette proposition de loi, protéger les élus.
M. Guy Benarroche. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je me rallierai bien entendu à l’avis de Mme le rapporteur de la commission des lois, et retirerai donc l’amendement n° 7 rectifié bis.
Je souhaite néanmoins dire quelques mots de l’amendement n° 13, qu’a présenté M. Benarroche et que l’on peut comprendre.
Le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes est réellement d’actualité, et l’on peut partager ces préoccupations, surtout lorsque l’on est membre, comme moi, de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Pour autant, il y a eu tout de même une évolution au sein des conseils municipaux, départementaux et régionaux : la place des femmes y est importante, tout comme au Sénat, où nous avons des collègues sénatrices de très grande qualité. (Exclamations amusées. – Mmes Françoise Gatel et Nathalie Delattre applaudissent.) Je le dis sincèrement !
Cette évolution est positive, même si, il faut le dire, l’égalité n’est pas encore complète.
Je salue l’initiative de notre collègue Nathalie Delattre, ainsi que le travail de concertation qui a été réalisé sur ce sujet. Beaucoup critiquent les élus, de tous niveaux ; or ceux qui le font parlent bien souvent sans savoir et sans connaître toutes les formes d’agressivité et de violence dont les édiles sont victimes, et qui ont été soulignées.
Le combat permanent et collectif contre les violences mérite d’être respecté et reconnu ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Cela dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je vais peut-être casser l’ambiance, mais j’assume… À toujours vouloir détailler et faire des listes à la Prévert, on bascule dans des excès que nous voudrions pourtant empêcher. (M. Philippe Bas approuve.)
Je partage votre indignation, ma chère collègue Mélanie Vogel, quant aux propos que vous venez de rapporter. Ces mots relèvent d’une attaque personnelle à l’égard d’une sénatrice. Face à cela, il y a deux solutions.
La première est le combat politique. Quand nous allons au combat, nous donnons des coups et, par conséquent, nous acceptons d’en recevoir.
La seconde est de considérer, ma chère collègue, qu’il s’agit d’une attaque personnelle, injustifiée dans le cadre de l’exercice de votre mandat, et alors il faut porter plainte.
Toutefois, ce ne peut pas être l’un ou l’autre ! Je vous le dis, il n’est pas possible d’alterner, selon ce qui nous arrange, entre dénoncer nos accusateurs et se servir de ceux qui chantent nos louanges.
Oui, il est difficile de faire aujourd’hui de la politique dans une société fracturée, dans laquelle la violence n’a jamais été aussi forte, car nous sommes inévitablement les catalyseurs de cette violence !
Je m’emporte, mais nous vivons toutes et tous des situations similaires. Chacun d’entre nous a un rapport différent aux réseaux sociaux, parce que nous gérons différemment la violence qui peut s’y exercer. Ce que je ressens à un moment donné pourrait être vécu comme un non-événement par un autre.
Les propos que vous rapportez sont violents. Je pourrais aussi vous raconter mon histoire, et vous dire que j’ai davantage souffert en arrivant ici d’avoir été une jeune sénatrice qu’une femme sénatrice… À chacun sa vie !
Sachons raison garder. S’il s’agit d’une attaque personnelle contre un élu, la justice est là, et les associations d’élus doivent être au rendez-vous. En revanche, si cette attaque appartient au champ et au combat politiques, alors l’arène démocratique nous est ouverte : affrontons-nous, menons nos combats et ne renonçons jamais à nos idéaux ! (Vifs applaudissements.)
M. Philippe Bas. Tout à fait !
M. François-Noël Buffet, président de la commission de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Notre débat est extrêmement important, parce que, grâce à Nathalie Delattre, que je remercie, nous revenons sur un sujet qui nous a déjà fort occupés lors de l’examen de la loi Engagement et proximité : l’attaque physique d’élus dans l’exercice ordinaire de leur fonction normale, qui est de porter la voix de la loi. Nous évoquons aussi bien sûr aujourd’hui d’autres violences à l’égard des élus.
Je félicite Cécile Cukierman de son intervention, passionnée, certes, mais très juste. Nous pourrions dresser la liste des mots haineux et insupportables que nous recevons les uns et les autres via les réseaux sociaux et qui ne sont pas acceptables, comme ceux que vous avez évoqués, madame Vogel, même s’ils relèvent d’un autre registre.
Néanmoins, Cécile Cukierman a raison, nous devons nous en tenir au sujet dont nous parlons, celui de l’outrage, qui recouvre l’outrage sexiste, mais également l’outrage racial.
Mme Françoise Gatel. J’aimerais en effet que l’on parle tout autant du second que du premier.
La rédaction générique proposée par Catherine Di Folco apporte une réponse dans laquelle, je le crois, chacun peut se retrouver. Le reste relève du combat politique, et nous pouvons porter plainte pour diffamation.
Ma chère collègue, je compatis à ce que vous vivez. Je le redis, si nous mettions en commun les commentaires que nous recevons sur les réseaux sociaux, nous pourrions faire un florilège de plaisanteries de très mauvais goût ou haineuses. Tout cela relève d’abord, selon moi, de la dérive des réseaux sociaux.
J’aurai un dernier mot pour Patrick Kanner. Mon cher collègue, j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour vous, mais je suis en total désaccord avec votre propos sur l’émission de M. Hanouna – je regrette même de prononcer son nom, mais il existe et il fait de la télévision.
J’ai regardé l’émission dont vous avez parlé lors de la discussion générale, et je n’en ai pas la même analyse que vous. Quand on est provocateur et que l’on va chercher les coups, on en reçoit, y compris des coups maladroits ou impardonnables. Je ne pense pas que l’on puisse comparer ce qui s’est passé au cours de cette émission avec ce que le maire de Signes ou d’autres ont vécu : c’est d’une autre nature. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.
Mme Lana Tetuanui. Je me félicite de la rédaction du nouvel article 3, qui rend applicables aux trois collectivités du Pacifique les dispositions de cette proposition de loi.
En revanche, madame le rapporteur, monsieur le ministre, j’aimerais, pour ma parfaite compréhension, savoir pourquoi, dans vos amendements, vous avez précisé « l’Assemblée de Corse » dans le 3° sur les élus régionaux et territoriaux. Quid des élus de l’Assemblée de Polynésie française, du Congrès de Nouvelle-Calédonie et de l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ?
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, je comprends, votre légitime inquiétude sur ce point. Mais nous n’avons pas oublié d’élus. Soyez rassurée, ceux que vous avez cités, qui ne sont pas métropolitains, sont pris en considération dans le texte : aucun élu n’est exclu.
Mme Lana Tetuanui. Pourquoi alors cette rédaction ?
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. L’ajout a été fait sur la suggestion de Régions de France, car l’Assemblée de Corse est un cas spécifique. La mention « élus territoriaux » recouvre quant à elle justement les élus de vos territoires.
Ne vous faites aucun souci, ma chère collègue : l’énumération est complète. Faites-nous confiance !
Mme la présidente. Monsieur Delcros, l’amendement n° 5 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Bernard Delcros. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié bis est retiré.
Monsieur Mizzon, l’amendement n° 10 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Marie Mizzon. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 10 rectifié quater est retiré.
Monsieur Wattebled, l’amendement n° 12 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Dany Wattebled. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 12 rectifié ter est retiré.
Monsieur Benarroche, l’amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Guy Benarroche. Oui, madame la présidente, je le maintiens, de même que l’amendement n° 13.
Mme la présidente. Madame Cukierman, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?
Mme Cécile Cukierman. Non, je le retire, madame la présidente. C’est la sagesse sénatoriale ! (Sourires.)
Mme la présidente. L’amendement n° 16 est retiré.
Madame Havet, l’amendement n° 18 est-il maintenu ?
Mme Nadège Havet. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 18 est retiré.
Madame Goulet, l’amendement n° 6 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 6 est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 et 23.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 14 et 13 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Gold, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Bilhac, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 85 du code de procédure pénale, après le mot : « délit », sont insérés les mots : « sur une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, ».
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Nous avons tous partagé le constat suivant lors de la discussion générale : le phénomène des violences à l’égard des élus, qui grandit, est hélas trop bien connu des maires et des personnels municipaux.
Or ils se retrouvent souvent seuls à devoir faire face, d’une part, à un nombre grandissant d’infractions, et, d’autre part, à des agressions, menaces, intimidations, insultes et injures qui les touchent dans l’exercice ou du fait de leurs fonctions, mais qui affectent également les membres de leur famille.
Pour apporter une réponse à ce problème, j’avais déposé une proposition de loi visant à lutter contre les incivilités, menaces et violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public. Elle avait pour objet de renforcer la réponse pénale en cas d’agression d’élus ou de dépositaires de l’autorité publique.
Les amendements que j’ai déposés visent à compléter la proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre.
Ce premier amendement vise l’article 85 du code de procédure pénale, qui définit les conditions dans lesquelles une personne peut se constituer partie civile. Nous proposons d’y ajouter une dérogation, pour que les conditions de recevabilité d’une constitution de partie civile, notamment le délai de trois mois, ne s’appliquent pas aux personnes dépositaires de l’autorité publique.
Cette nouvelle disposition permettra aux victimes de faire ouvrir une instruction sans tarder.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir que les agressions contre les élus pourront permettre la constitution immédiate de partie civile.
Je rappelle que, pour toutes les victimes, cette constitution n’est possible qu’en cas de refus d’engager des poursuites ou après trois mois. Des exceptions sont déjà prévues, notamment pour les crimes et les infractions commises lors des élections.
Il ne paraît pas nécessaire d’aller au-delà, au risque de faire des élus des victimes à part, ce qui n’est pas du tout la volonté de l’auteure de la proposition de loi.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il ne s’agit pas de faire des élus une catégorie particulière. Néanmoins, je comprends parfaitement le sens de votre amendement, monsieur le sénateur. Vous pensez rendre le dispositif plus efficace, mais nous allons dans le même temps perdre en réactivité et en rapidité.
Je l’ai dit lors de la discussion générale, un certain nombre de directives ont été données pour que toutes les infractions concernant les élus soient traitées très rapidement. Mettre en branle immédiatement l’instruction par le truchement d’une plainte avec constitution de partie civile, c’est ajouter de la lourdeur. Nous risquons donc de perdre le bénéfice d’une enquête qui est parfois ultrarapide.
Dans le cadre d’une infraction flagrante, les constatations immédiates peuvent être faites en quelques heures : si le parquet est saisi, il fait preuve de diligence, et les choses vont très vite. La constitution de partie civile nécessite quant à elle une consignation et la désignation d’un juge d’instruction ; elle fait aussi courir le risque d’une disparition de la preuve.
Si je comprends parfaitement, je le redis, le sens de votre amendement et si je vous suis sur le principe, il me semble en revanche que votre proposition ne permettrait pas, en pratique, d’aller vers ce que vous souhaitez, c’est-à-dire une répression plus rapide ou davantage de fluidité, car nous perdrions sur ces deux points. Je crois même qu’elle ajouterait un risque de dépérissement de la preuve.
Nous partageons votre objectif, comme nous l’avons tous démontré en travaillant de concert. Néanmoins, monsieur le sénateur, je vous incite – je ne puis naturellement pas employer l’impératif lorsque je m’adresse à vous ! – à bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Gold, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?
M. Éric Gold. J’ai entendu les arguments de Mme le rapporteur et de M. le garde des sceaux et je retire donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Gold, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Fialaire et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Bilhac, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 465-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il en va de même lorsque la victime est une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission. »
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Avec cet amendement, qui est dans le même esprit que le précédent et qui recevra certainement les mêmes avis, il s’agit de nuancer le principe de l’aménagement des peines en s’assurant que, en cas de jugement aboutissant à une peine d’emprisonnement, le juge puisse prononcer un mandat de dépôt contre le coupable, même si ce dernier fait appel, afin que la peine s’applique sans délai.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Les dispositions de cet amendement posent plusieurs questions, mais celui-ci paraît satisfait dans son esprit par l’article 397-4 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, il tend à revenir sur le principe de l’aménagement des peines de moins d’un an, ce qui ne paraît pas du tout souhaitable.
La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, « obligatoire » et « mandat de dépôt » sont des mots, des concepts et des principes qui ne vont pas ensemble, même si, là encore, je comprends parfaitement le sens de votre amendement.
Aujourd’hui, le tribunal correctionnel peut décerner un mandat de dépôt contre le prévenu qui comparaît libre s’il prononce une peine d’emprisonnement d’au moins un an ou en cas de récidive, quelle que soit la durée de la peine. S’il prononce une peine d’au moins six mois, il peut décerner un mandat de dépôt à effet différé. Voilà ce que prévoient les textes.
Aller au-delà serait déraisonnable. Comme la raison est notre boussole dans le cadre de l’examen de ce texte, de la même façon que précédemment, je vous propose de retirer cet amendement ; sinon, le Gouvernement se verra dans l’obligation de vous dire qu’il y est défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Gold, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. Éric Gold. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Gold, Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Fialaire et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Bilhac, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le dernier alinéa de l’article 395 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, en cas d’infraction sur une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, le procureur de la République, par dérogation à l’article 40-1, est tenu de traduire le prévenu sur-le-champ devant le tribunal lorsque les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas du présent article sont remplies. Il en va de même en cas d’infraction commise sur le conjoint, un enfant, un parent, un frère ou une sœur d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou sur une personne investie d’un mandat électif public si l’infraction était motivée par cette qualité. »
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Toujours dans le même esprit, ce dernier amendement a pour objet de prévoir une traduction du prévenu sur-le-champ en cas d’infraction commise sur une personne dépositaire de l’autorité publique ou sur un membre de sa famille.
Je ne vois pas, dans ce cas de figure, ce qui justifie que le parquet dispose d’une marge de manœuvre, d’autant que le garde des sceaux a fait part, dans sa circulaire du 7 septembre 2020, de la nécessité d’une réponse pénale systématique et rapide.
Aussi, pourquoi ne pas prévoir ce point dans la loi, ce que permettrait l’adoption de mon amendement ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir la comparution immédiate dans tous les cas de flagrant délit d’agression d’un dépositaire de l’autorité publique ou de ses proches.
En l’état du droit, il s’agit effectivement d’une faculté pour le procureur. L’adoption de cet amendement rendrait la comparution immédiate obligatoire. Mais l’appréciation portée par le procureur nous semble importante pour la qualité des poursuites. Cette mesure pourrait dès lors nuire à la qualité de la réponse pénale.
Vous venez de le dire, monsieur Gold, vous souhaitez une réponse rapide. Pour ce faire, nous pensons que la réponse se trouve dans l’application de la circulaire du garde des sceaux, que vous avez signalée, laquelle demande aux procureurs d’agir systématiquement et rapidement.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Dussé-je lutter contre ma modestie naturelle, monsieur le sénateur, je pense que la circulaire est largement suffisante.
Là encore, on comprend le sens de votre amendement : il faut aller vite, il ne faut pas perdre de temps, il faut une réponse immédiate et efficace – c’est notre vœu commun. Mais de là à contraindre par un texte le procureur de la République à ne plus avoir de choix, il y a une distance qui me paraît excessive.
Je vous demande encore une fois de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi je me verrais contraint, avec tristesse, de vous indiquer que le Gouvernement y est défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Gold, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Éric Gold. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Article 2 (nouveau)
Après l’article 2-25 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-26 ainsi rédigé :
« Art. 2-26. – En cas de crimes ou délits prévus aux livres II ou III du code pénal ou au chapitre III du titre III du livre IV du même code commis à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électoral public dans l’exercice ou du fait de ses fonctions et alors que la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur, le Sénat, l’Assemblée nationale ou la collectivité territoriale dont est membre cet élu peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne ces infractions si l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.
« Le premier alinéa du présent article s’applique également pour les mêmes infractions commises à l’encontre du conjoint ou du concubin de l’élu, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de ses ascendants ou ses descendants en ligne directe ou de toute autre personne vivant habituellement à son domicile, lorsque l’infraction est commise en raison des fonctions exercées par l’élu. »
Mme la présidente. L’amendement n° 20, présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Il s’agit de supprimer l’article 2, dont l’ensemble du dispositif a été intégré à l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. Je voudrais revenir sur les amendements déposés par mon collègue Éric Gold.
Je comprends tout à fait la démarche qui est la sienne et la réponse qui lui a été faite, mais, dans des cas beaucoup trop nombreux, la réponse aux agresseurs n’a pas été assez rapide.
Dans mon département, comme dans d’autres d’ailleurs, nous pouvons citer des cas pour lesquels la réponse à des agressions sur des élus a traîné pendant six mois, un an, voire deux ans… Vous avez évoqué le risque d’un alourdissement et d’un retardement des procédures, mais il faut donner des consignes aux procureurs pour que les choses aillent plus vite.
Au cours d’une réunion récente de l’association des maires de mon département, un certain nombre d’élus se sont plaints de la lenteur des procédures en cas d’agression contre les élus. Il faut prendre conscience du problème. Je sais que les procédures existent déjà, mais les choses doivent aller plus vite. On voit d’ailleurs que dans certaines situations – je ne serai pas plus précis –, la réponse pénale est très rapide…
Mme la présidente. En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3 (nouveau)
Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
Mme la présidente. L’amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression
par les mots :
assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression
La parole est à M. le garde des sceaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L’amendement n° 21, présenté par Mme Di Folco, au nom de la commission, est ainsi libellé :
1° Après le mot :
permettre
insérer les mots :
aux assemblées d’élus et
2° Remplacer les mots :
un édile
par les mots :
une personne investie d’un mandat électif public
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination, qui vise à mettre le titre de la proposition de loi en adéquation avec la réécriture du texte.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis favorable à cet amendement, mais je souhaiterais dire un mot, madame la présidente, si vous m’y autorisez.
Je veux rassurer tout le monde. Nous nous sommes félicités d’avoir travaillé ensemble – le Sénat, le Gouvernement, Mme le rapporteur et Mme Delattre – sur ce texte. Nous avons eu raison de le faire, et je constate que, au-delà des divergences politiques ou politiciennes, nous pouvons aborder certains sujets de façon transpartisane, ce dont je me réjouis également.
Au-delà de notre volonté commune d’aller de l’avant, j’ai pris un certain nombre de mesures que j’ai évoquées précédemment. Nous avons notamment envoyé des contractuels dans toutes les juridictions, et je voudrais vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que de nombreux procureurs ont souhaité dédier un contractuel aux élus. Certains tribunaux ont créé une ligne téléphonique ou une boîte mail spécifique.
Ces contractuels dédiés – il s’agit parfois d’un substitut, parfois du procureur lui-même – rencontrent les élus. J’ai été frappé de constater qu’un jeune élu de la région de Dijon ne savait pas ce qu’impliquait pour un maire de devenir officier de police judiciaire. Ces réunions entre élus et procureurs ont donc lieu, et le dispositif fonctionne plutôt bien, parce que les magistrats du parquet sont très investis dans cette mission que j’ai souhaité renforcer.
Pour autant, il y a, comme on le dit en employant une métaphore sportive, quelques « trous dans la raquette ». De temps à autre, des élus viennent me dire qu’ils n’ont jamais rencontré le procureur ou ne savent pas qui est le contractuel dédié.
J’ai un exemple très précis en tête, celui du maire d’une petite commune – je ne dirai pas laquelle –, qui a accepté la construction d’un établissement pénitentiaire sur son territoire, ce qui n’est pas rien quand on connaît les réticences de nos compatriotes à voir ce type d’établissement s’implanter près de chez eux. Lors d’une visite dans sa mairie, autour d’un café qu’il m’a gentiment offert, il m’a dit qu’il ne connaissait pas le procureur…
Comme vous le savez – mais certains l’oublient parfois –, il m’est interdit de donner des directives individuelles aux procureurs ; en revanche, je puis rappeler les termes d’une circulaire comminatoire.
Lors des questions d’actualité au Gouvernement, vous venez souvent, les uns et les autres, me dire que certains maires de vos territoires rencontrent des difficultés. N’hésitez pas à le faire, car la Chancellerie est ouverte aux élus. Bien sûr, je suis moins proche que vous des maires, mais certains d’entre eux me parlent de problèmes qu’il faut prendre en considération et régler. Comment faire ? Ce n’est pas très compliqué : il faut rappeler au procureur général les termes de ma circulaire et lui demander de veiller à ce qu’elle soit mise en œuvre.
D’ailleurs, lors du prochain salon des maires qui se tiendra dans quelques jours, il y aura pour la première fois un stand du ministère de la justice en face du stand du ministère de l’intérieur. (Mme Nathalie Goulet opine.) Symboliquement, c’est extrêmement important !
En plus de ce que nous faisons dans le cadre de l’évolution normative, il y a donc les bonnes pratiques. Je puis vous assurer que les magistrats du parquet sont tout à fait investis auprès des élus, même s’ils ont parfois quelques hésitations, pour le dire de façon euphémique et ne heurter personne, ou quelques tergiversations…
Je le répète, le garde des sceaux, et c’est son rôle, intervient alors pour leur rappeler de prêter une attention et un soin particuliers aux élus, car ils sont la République. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi libellé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Je dirai un mot pour remercier une dernière fois tous ceux qui ont participé à la rédaction de ce compromis, notamment Mme le rapporteur et les membres du Gouvernement. Qu’ils soient encore remerciés de ce travail coconstruit !
Madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, je vous demande de parrainer cette proposition de loi auprès de l’Assemblée nationale. Nous la ferons défendre par nos élus là-bas, mais nous comptons sur vous pour porter la parole du Sénat auprès des députés, afin que le texte puisse être examiné et entrer en vigueur le plus vite possible.
Encore une fois, les élus réclament depuis longtemps ce texte, qui permet simplement de rendre justice.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. Vous pouvez compter sur nous, madame Delattre, madame le rapporteur.
Je vais veiller, avec M. le garde des sceaux, à ce que l’un des groupes de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale assume la présentation de ce texte, à l’occasion, par exemple, d’une niche parlementaire, afin que cette proposition de loi suive son parcours législatif. Comptez sur nous !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Cela a été rappelé par de nombreux collègues, nous vivons dans une société nerveuse et agressive, où toute personne porteuse d’une autorité peut être à un moment attaquée. Il en est ainsi des élus et, comme chacun, j’ai une pensée particulière pour les élus locaux. Je remercie de nouveau Nathalie Delattre et ses collègues de nous permettre d’aller au-delà de ce que nous avons fait dans la loi Engagement et proximité.
Je me souviens du jour où nous avons appris le décès du maire de Signes : quel choc violent que de nous rendre compte soudain qu’un élu pouvait mourir dans l’exercice normal de ses fonctions, un jour ordinaire !
Je voudrais, monsieur le garde des sceaux, vous rendre hommage. À la suite de la loi Engagement et proximité, il y a eu un silence, même si un changement de gouvernement était intervenu. Or, s’il est important de voter la loi, il est tout aussi important de s’assurer de son suivi. Il se trouve que, à l’époque, je vous ai écrit, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, pour savoir ce que devenait la loi que nous avions votée. Vous avez répondu en adressant des circulaires aux procureurs.
Je vous avais également invité à présenter devant la délégation le bilan de votre action. Mes chers collègues, je vous invite à demander au garde des sceaux ce qui a été fait pour chacun de vos départements, car il avait fourni une fiche à chaque membre de la délégation.
Je salue ce qui a été décidé dans cette proposition de loi pour améliorer le rendu de justice à la suite de l’agression d’un élu. En outre, je souligne tout ce que vous avez fait, monsieur le garde des sceaux, pour qu’il y ait aujourd’hui, dans de nombreux territoires, un dialogue normal et naturel entre les procureurs et les maires, alors que les premiers ignoraient les seconds et que ceux-ci avaient parfois peur des procureurs.
Vous avez également évoqué l’ensemble des moyens que vous avez mis à disposition, auxquels s’ajoute la mobilisation des associations d’élus pour la formation.
C’est terrible et tragique, mais aujourd’hui, les élus doivent être préparés à vivre des situations difficiles et à se retrouver confrontés à des agressions fortes.
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Françoise Gatel. Je remercie encore une fois nos collègues pour cette proposition de loi. Je vous remercie également, monsieur le garde des sceaux, et je vous invite à continuer de nous fournir des fiches de suivi, car celles-ci sont très précieuses.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je souhaite à mon tour remercier Nathalie Delattre et me réjouir des progrès accomplis depuis les tragédies de 2018-2019 grâce au rapport de Philippe Bas, à la loi Engagement de proximité et à vos engagements – Françoise Gatel les rappelait à l’instant –, monsieur le garde des sceaux.
S’il convient d’œuvrer dans la durée auprès des élus, on ne réglera véritablement ces difficultés qu’en luttant contre les actes de violence et de délinquance, et contre les incivilités en général.
Il est également nécessaire de mener un travail de prévention auprès des maires, qui sont les élus de proximité dans nos territoires. Nous sommes très attachés à nos édiles et je crois que ce qui s’est passé ce soir dans cet hémicycle est de nature à les rassurer sur l’accompagnement dont ils bénéficient, de la part non seulement des parlementaires, mais aussi du Gouvernement, pour la poursuite sereine du mandat qu’ils exercent.
Nous avons besoin de nos maires : ils assurent le maillage de la France, et ils sont le premier échelon de la démocratie.
Depuis plusieurs années, grâce à l’investissement de Françoise Gatel, de Philippe Bas et à votre engagement, monsieur le garde des sceaux, j’estime que nous avons fait du très bon travail et que celui-ci est utile à l’exercice serein d’une mission indispensable pour la République.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Chacun connaît l’adage : « Nécessité fait loi ». Malheureusement, cette proposition de loi se révèle nécessaire.
Je tiens donc à remercier notre collègue Nathalie Delattre, auteure de ce texte, ainsi que le groupe RDSE, qui l’a inscrit à l’ordre du jour dans le cadre de sa niche.
Je tiens également à saluer l’avancée de la commission ouvrant la possibilité pour les assemblées parlementaires, le Parlement européen et les collectivités territoriales de se porter partie civile en cas d’agression d’un de leurs membres ou de ses proches. Face à ce fléau intolérable, chacun doit pouvoir prendre sa part.
Les chiffres ahurissants de la recrudescence des violences à l’endroit des élus ont été rappelés. L’écrasante majorité des agressions sont perpétrées à l’encontre de maires et d’adjoints au maire. Ces derniers sont en première ligne face au déchaînement de colère de certains de leurs concitoyens. Leur courage et leur pugnacité invitent tout un chacun au respect.
Puisque le sentiment d’impunité contribue à augmenter la violence verbale et physique, la question des délais d’instruction et de la traduction des prévenus est centrale. Face à ces violences, les élus s’inquiètent et appréhendent d’exercer leurs pouvoirs de police avec le peu de moyens dont ils disposent.
Il est de notre devoir de les soutenir non seulement en cas d’agression, mais également au quotidien, avant que le pire se produise. C’est pourquoi, avec mon collègue du Nord Jean-Pierre Decool, nous proposons depuis plusieurs mois, dans tous les arrondissements de notre département, des réunions visant à aider les élus locaux à se saisir des moyens qui existent pour réagir face aux incivilités et aux comportements violents.
Ces réunions sont organisées en coopération avec les préfectures, les procureurs de la République, les gendarmeries et les commissariats.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera bien évidemment ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Mizzon. Je remercie à mon tour Nathalie Delattre, dont je salue l’initiative.
Toutefois, mes chers collègues, la plus belle des lois ne produira aucun effet si on ne lui en donne pas les moyens.
Le Sénat et le Gouvernement ont travaillé de concert pour parvenir à ce résultat. Il appartient désormais au Gouvernement de poursuivre dans cette voie.
Monsieur le garde des sceaux, vous évoquiez précédemment l’exemple d’un maire du secteur de Dijon qui ne connaissait pas le procureur. Je puis témoigner que de nombreux maires sont dans le même cas.
Les procureurs sont souvent très occupés et ils n’ont pas le temps de prendre attache avec les maires. Je forme le vœu que demain, maires et procureurs puissent échanger plus souvent.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Cette proposition de loi visant à soutenir les édiles victimes d’agression est nécessaire, utile et salutaire. Prétendre le contraire reviendrait à se voiler la face.
Dans notre société de plus en plus violente, la bienveillance et le respect des êtres humains – cela vaut non seulement dans le cas des élus, mais aussi dans celui des migrants et de l’accueil qui leur est fait – deviennent aléatoires, voire surprenants. Cette évolution est en partie imputable aux réseaux sociaux – nous l’avons évoqué.
Dans ce contexte, toute avancée permettant de venir en aide aux personnes qui sont victimes de violences et d’agressions ne peut être que salutaire.
J’ai fait part de nos réserves sur la méthode. Celles-ci tiennent à une sorte d’ultra-spécialisation de la justice qui consiste à adapter les règles en fonction des victimes ou d’une catégorie de victimes. Le mot « corporatisme » que j’ai employé est peut-être un peu fort, mais il exprime notre refus que des processus ou des règlements soient adaptés spécifiquement à une catégorie de personnes, fût-elle particulièrement visée.
Néanmoins, nous comprenons la nécessité de protéger les élus et les représentants de la Nation et de les aider dans leurs démarches, comme le prévoit ce texte.
Pour cette raison, et parce que nous souhaitons que cette proposition de loi soit adoptée à l’unanimité, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la votera.
Je me permets de revenir sur une dernière réserve : l’élargissement du périmètre à toutes les personnes vivant sous le même toit nous paraît excessivement aléatoire.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : proposition de loi visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 53 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 344 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité. (Applaudissements.)
9
ModalitÉs d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, la discussion de la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 647, texte de la commission n° 110, rapport n° 109).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je le dis sans détour : cette proposition de loi a tout d’un texte aride, strictement juridique et procédural. Elle ne soulèvera sûrement pas les foules. (Sourires.)
Cependant, elle tend à réparer un rouage non négligeable de notre institution judiciaire, puisqu’elle modifie l’article 367 du code de procédure pénale afin de clarifier les conditions dans lesquelles l’arrêt rendu par la cour d’assises peut valoir titre de détention.
En effet, cet article a fait l’objet d’une réécriture il y a un an par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, plus spécifiquement par son article 6 comportant diverses dispositions relatives à la cour d’assises.
L’une de ces dispositions prévoit d’abandonner l’obligation, pour la cour, de décerner un mandat de dépôt à l’encontre de l’accusé ayant comparu libre, lorsque celui-ci est condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à dix ans.
À défaut de cette obligation, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoit que si l’accusé est condamné à une peine de réclusion criminelle, l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention sans qu’il faille décerner un mandat de dépôt spécialement motivé.
Pour obtenir ce résultat, il a fallu réécrire l’article 367 du code de procédure pénale. En toute transparence, cet article est difficile à lire, et il l’est encore plus pour qui n’est pas juriste. Toutefois, c’est dans sa réécriture que se trouve le nœud du problème. Je m’efforcerai donc d’être le plus synthétique possible, mes chers collègues.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 367 prévoit d’abord qu’une personne condamnée à une autre peine que la prison n’est évidemment pas incarcérée, non plus qu’une personne condamnée à une peine de prison déjà couverte par la durée de sa détention provisoire.
Cet article prévoit ensuite qu’une personne condamnée à plus de dix ans de prison, c’est-à-dire à une peine de réclusion criminelle, se verra immédiatement incarcérée à la suite du jugement, qu’elle soit détenue au moment de la décision ou non.
Il prévoit enfin qu’une personne condamnée à moins de dix ans de prison, si elle n’est pas détenue au moment du jugement, pourra se voir délivrer un mandat de dépôt directement par la cour d’assises, et ainsi être incarcérée dès le jour du jugement.
Tels sont les trois seuls cas visés par le texte. Or un autre a été oublié : celui d’une personne détenue au jour du jugement et condamnée à une peine de prison de moins de dix ans.
Ce détail a échappé aux députés, aux sénateurs, aux membres du Gouvernement et à l’ensemble de nos collaborateurs. Et comme – vous vous en doutez – je ne lis pas chaque matin les revues d’actualité juridique de droit pénal, c’est un article d’un journal satirique paraissant le mercredi, que le général de Gaulle appelait « Le Volatile », à savoir Le Canard enchaîné, en date du 27 avril 2022, qui m’a mis la puce à l’oreille. (Sourires.)
Quelle est la conséquence d’un tel oubli légistique ? Elle peut être radicale, puisqu’elle peut entraîner la libération d’une personne condamnée à une peine de détention. Le groupe du RDSE est certes favorable à la liberté, mais il y a des cas où celle-ci n’est, hélas ! plus possible. (Sourires.)
Le Gouvernement a remédié à cette bévue en prenant le décret du 25 février 2022 portant application de l’article 367 du code de procédure pénale. Ce décret règle la difficulté en autorisant expressément la cour d’assises à délivrer un mandat de dépôt lorsqu’une personne est condamnée à moins de dix ans de prison, quelle que soit sa situation au jour de la condamnation.
Cependant, je n’apprendrai à personne la teneur de l’article 34 de la Constitution : « la loi fixe les règles concernant […] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l’amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ».
On ne peut donc pas remédier à cette carence de la loi par un décret, sauf à prendre le risque que celui-ci soit déclaré inconstitutionnel et légitimement annulé par le juge administratif.
La détermination des conditions dans lesquelles l’arrêt rendu par la cour d’assises peut valoir titre de détention relève du domaine législatif.
Le groupe du RDSE étant attaché à ce que la lettre de la Constitution soit respectée, je vous propose d’adopter cette proposition de loi, que notre rapporteure Maryse Carrère a améliorée en simplifiant encore sa rédaction pour que notre droit soit lisible et efficace.
Avant de lui laisser la parole, je souhaite dire un dernier mot sur la cause réelle et profonde qui justifie que nous examinions ce texte. Au-delà des questions de mandat de dépôt, de comparution et de réclusion criminelle, l’autre sujet en jeu est celui de l’inflation législative et de la surcharge du calendrier parlementaire.
Nous indiquons souvent dans cet hémicycle qu’il est de plus en plus difficile de bien écrire la loi. Les procédures accélérées n’ont plus rien d’exceptionnel. Pour ne prendre qu’un exemple, qui se souvient encore que le délai normal entre l’examen d’un texte en commission et en séance publique est, non pas d’une semaine comme c’est désormais toujours le cas, mais bien de deux semaines ? La dérogation est devenue la règle.
Dans ces conditions, les amendements sont rédigés trop rapidement et les articles examinés sans repos. Voilà comment, dans un texte comprenant soixante articles, une telle erreur a pu être commise. Elle est peut-être due à un défaut de vigilance de notre part, mais elle est certainement aussi la conséquence d’une tendance qui jusqu’au mois de juin dernier, était particulièrement flagrante.
Nous examinons trop de textes, ces derniers sont trop longs et ils sont traités dans des délais toujours trop courts. C’est aussi de cela qu’il est question au travers de cette proposition de loi.
J’espère que nous l’adopterons et je forme le souhait que nous n’ayons pas à nous réunir trop souvent pour apporter ce type de correction. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER. – Mme Marie Mercier et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
Mme Maryse Carrère, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le président Jean-Claude Requier et plusieurs membres du groupe du RDSE porte sur un sujet assez technique puisqu’elle concerne les règles d’incarcération d’un accusé condamné par la cour d’assises, tant que l’arrêt n’est pas définitif, dans l’attente d’un appel ou d’un pourvoi en cassation.
Cette proposition de loi vise plus précisément à corriger une malfaçon législative figurant à l’article 367 du code de procédure pénale dans un souci de sécurité juridique.
Cette malfaçon s’est produite à l’occasion de l’examen, l’année dernière, du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. L’Assemblée nationale a adopté un amendement, présenté comme rédactionnel, qui est à l’origine de la difficulté que je vous exposerai dans un instant.
Lors de l’examen du texte au Sénat, nous n’avons pas bien mesuré la portée de cet amendement, passé relativement inaperçu au milieu de dispositions plus substantielles que contenait le projet de loi.
Depuis 2011, l’article 367 du code de procédure pénale prévoit que l’arrêt de la cour d’assises condamnant l’accusé à une peine privative de liberté vaut titre de détention. S’il est condamné, l’accusé est donc incarcéré à l’issue de l’audience sans qu’il soit nécessaire de décerner un mandat de dépôt, à moins bien sûr que la durée de la peine soit déjà couverte par la détention provisoire.
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a assoupli le principe selon lequel l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention afin de tenir compte de la situation des personnes qui comparaissent libres devant la cour d’assises et qui ne sont finalement condamnées qu’à une peine correctionnelle.
Pour ces personnes, une incarcération systématique à l’issue de l’audience n’apparaît pas forcément nécessaire. Dans cette hypothèse, la loi a donc prévu que l’incarcération ne serait plus automatique et elle a laissé le soin à la cour d’assises de décerner un mandat de dépôt si celle-ci estime que les éléments du dossier justifient une mesure particulière de sûreté.
Dans l’hypothèse où l’accusé comparaît détenu, il était en revanche envisagé de maintenir le principe selon lequel l’arrêt vaut titre de détention. Si l’accusé a été placé en détention provisoire, il paraît en effet logique de l’incarcérer à l’issue de l’audience s’il est condamné à une peine privative de liberté.
Le problème tient à la modification introduite par l’Assemblée nationale, qui a restreint l’application de ce principe à l’hypothèse d’une condamnation à une peine de réclusion criminelle. Plus rien n’est prévu, en revanche, dans le cas où l’accusé qui comparaissait détenu est condamné à une peine d’emprisonnement de nature correctionnelle, c’est-à-dire à une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement.
Une lecture littérale de l’article 367 du code de procédure pénale pourrait conduire à libérer l’accusé qui était jusqu’alors placé en détention provisoire, alors que celui-ci vient d’être condamné à une peine de prison ferme. Une telle solution n’est ni cohérente ni conforme à l’intention du législateur.
D’après les informations que j’ai recueillies au cours des auditions, cette malfaçon législative n’a pas entraîné à ce jour de conséquence fâcheuse. Aucune libération inopportune n’est à déplorer, et aucun contentieux contestant une mesure d’incarcération n’a été recensé.
Le 25 février dernier, le Gouvernement a pris un décret qui a clarifié les règles applicables, en rappelant que l’accusé qui est détenu au moment où l’arrêt est rendu et qui est condamné à une peine d’emprisonnement ferme doit être incarcéré.
Cette disposition est cependant fragile juridiquement, puisque la procédure pénale relève en principe du domaine de la loi.
C’est la raison pour laquelle je vous invite à adopter la proposition de loi que nous examinons ce soir, en espérant que celle-ci sera inscrite rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
J’indique pour terminer que la commission des lois a adopté, en accord avec l’auteur de la proposition de loi, deux amendements.
Le premier vise à proposer une rédaction plus concise du texte. Les auteurs de la proposition de loi s’étaient inspirés de la rédaction du décret, qui énumère de manière très pédagogique toutes les hypothèses pouvant être rencontrées. Il nous a semblé préférable d’apporter une correction plus ponctuelle afin d’éviter que la loi ne soit redondante avec le décret.
Le second amendement tend à encadrer l’application du texte outre-mer.
Sous des dehors techniques, vous aurez compris, mes chers collègues, que ce texte a un objectif concret, puisqu’il s’agit d’éviter que des personnes condamnées, potentiellement dangereuses, ne soient remises en liberté de manière intempestive.
Je ne doute pas qu’il recevra pour cette raison un large soutien sur toutes les travées de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – Mme Agnès Canayer et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la procédure de jugement des crimes par la cour d’assises présente – nous le savons tous – une importance toute particulière en raison non seulement de la gravité des faits sur lesquels la cour doit se prononcer, mais également des conséquences de cette décision pour les justiciables, qu’ils soient accusés ou victimes.
Cette procédure doit donc être aussi satisfaisante et juste que possible.
C’est la raison pour laquelle la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, que j’ai eu l’honneur de porter dans un esprit de coconstruction avec le Sénat et votre commission des lois, monsieur le président François-Noël Buffet, a modifié en profondeur les règles relatives au jugement des crimes par la cour d’assises.
L’objectif était de rendre ces règles plus cohérentes, d’assouplir les modalités de composition de la cour d’assises, de simplifier le déroulement des audiences, de renforcer le rôle du jury populaire et d’accroître les possibilités d’individualisation des sanctions prononcées.
Par ma profession, mon expérience et mes convictions – vous le savez –, je suis extrêmement attaché au respect de la souveraineté populaire du jury.
C’est également grâce à cette loi que le président de la cour d’assises, à l’occasion de son rapport introductif à l’ouverture des débats, expose désormais les éléments à charge et à décharge, non pas tels qu’ils sont mentionnés dans la décision de renvoi, mais tels qu’ils résultent de l’information.
C’est enfin grâce à cette loi qu’ont été modifiées les règles relatives à l’incarcération à l’audience de l’accusé condamné, prévues par l’article 367 du code de procédure pénale, afin de renforcer l’individualisation des décisions rendues par la cour.
Auparavant, l’incarcération d’une personne qui comparaissait libre était automatique, y compris lorsqu’elle était condamnée à une peine inférieure à dix années d’emprisonnement, et alors même que l’accusé pouvait faire appel de la décision, ou, en appel, former un pourvoi en cassation.
Désormais, si l’accusé est libre au moment où l’arrêt est rendu et qu’il est condamné à une peine d’emprisonnement, par exemple, pour une durée d’un ou deux ans, la cour doit, par décision spéciale et motivée, décider ou non – c’est là tout l’intérêt de cette évolution – de décerner un mandat de dépôt.
La cour doit donc se pencher spécifiquement sur la question de savoir si l’incarcération automatique de l’accusé, alors qu’il comparaît libre à l’audience, laquelle se tient souvent plusieurs années après les faits, est nécessaire. Cela peut être, par exemple, dans le cas où l’accusé a respecté à la lettre son contrôle judiciaire.
Cette évolution renforce l’œuvre de justice, en donnant les moyens à la cour d’apprécier au cas par cas si l’incarcération immédiate du condamné est nécessaire, si elle permet de le sanctionner à la juste hauteur et si elle permet de favoriser sa réinsertion, car – je le rappelle – la peine doit impérativement répondre à ces objectifs.
Toutefois, à la suite de modifications apportées lors de la discussion parlementaire, le texte définitivement adopté comportait une ambiguïté puisqu’il ne traitait pas de la question des accusés détenus, condamnés pour crime ou délit à une peine d’emprisonnement.
J’ai complété la partie réglementaire du code de procédure pénale par un décret du 25 février 2022, qui a levé cette ambiguïté en indiquant que pour les accusés détenus, il n’était pas nécessaire de décerner un titre de détention. Ainsi, si l’accusé comparaissant détenu devant la cour est condamné à une peine d’emprisonnement, l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention.
Toutefois, il est pertinent que cette ambiguïté soit aussi levée par la loi, comme le prévoit le présent texte du président Requier – je supposais qu’il avait été alerté du problème par des praticiens de la cour d’assises, mais en réalité il l’a été grâce à un hebdomadaire que nous sommes très nombreux à lire. (Sourires.)
L’article 1er de cette proposition de loi modifie ainsi l’article 367 du code de procédure pénale afin de clarifier l’hypothèse de l’accusé détenu, condamné à une peine d’emprisonnement par la cour d’assises. Il prévoit que ce dernier doit demeurer détenu après sa condamnation – tel est d’ailleurs l’esprit du texte.
Le Gouvernement est d’accord avec l’évolution normative que vous proposez. Je tiens donc à remercier chaleureusement le président Requier de sa vigilance, ainsi que l’ensemble du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Pour conclure, je tiens également à saluer le travail d’amélioration rédactionnelle mené par Mme la rapporteure Carrère sur cette disposition, qui permet d’aboutir à un texte plus concis, mettant davantage en valeur la modification apportée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Agnès Canayer et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord saluer la vigilance aiguë dont a fait preuve le président Jean-Claude Requier sur un sujet qui, malgré sa technicité, n’en reste pas moins important.
Je n’entrerai pas dans les détails de sa complexité ; tout a déjà été dit, avec une grande virtuosité juridique, tant par l’auteur de la proposition de loi que par notre rapporteure, Maryse Carrère.
M. Philippe Bas. Quelle chance !
M. Jean-Yves Roux. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a modifié l’article 367 du code de procédure pénale. Ainsi a-t-elle fait évoluer, une nouvelle fois, les conditions d’incarcération ou de libération des personnes jugées par une cour d’assises, en particulier celles dans lesquelles l’arrêt rendu par la cour d’assises peut valoir titre de détention.
Au cours de cette réécriture, un oubli rédactionnel aux conséquences potentiellement graves a été décelé, ce qui nous rappelle que la procédure pénale n’est pas une affaire technocratique. Cet oubli concerne le cas où la personne jugée par la cour d’assises est déjà en détention et se voit condamnée à une peine d’emprisonnement inférieure à dix ans.
Il est donc nécessaire de reformuler une partie de l’article 367 du code de procédure pénale afin que la cour d’assises puisse, par décision spéciale et motivée, décider de décerner mandat de dépôt, lorsque l’accusé est détenu au moment du prononcé de l’arrêt et est condamné pour crime à une peine d’emprisonnement ferme, sans pour autant que la peine prononcée constitue une peine de réclusion criminelle.
Je salue la rédaction adoptée par la commission des lois, qui s’inscrit dans l’esprit du texte initial, tout en lui offrant plus de simplicité et de lisibilité.
Cette solution s’inspire du décret du 25 février 2022 portant application de l’article 367 du code de procédure pénale, que le Gouvernement avait adopté afin de pallier ce vide législatif.
Comme cela a été souligné, ce dispositif actuellement en vigueur risque d’être frappé d’inconstitutionnalité, puisqu’il ne respecte pas la définition des domaines de compétence respectifs du législateur et du pouvoir réglementaire, issue des articles 34 et 37 de la Constitution.
Heureusement, à ce jour, aucun recours direct ou indirect n’a été formé contre le décret. Néanmoins, nous ne saurions laisser le droit dans un tel état de précarité. Naturellement, le groupe RDSE est favorable à l’adoption du dispositif législatif proposé.
Il apparaît donc essentiel que cette proposition de loi arrive au terme de la navette parlementaire, durant les prochaines semaines, afin d’éviter toute déconvenue.
Enfin, pour faire écho aux propos introductifs du président Requier, je veux, à mon tour, souligner que nous sommes confrontés à l’une des conséquences de l’encombrement du calendrier parlementaire. Les lois sont trop nombreuses, trop longues, parfois bavardes ou redondantes. Le rythme parlementaire nous conduit à mal travailler sur des dispositifs, certes techniques, mais non dépourvus d’implications concrètes.
Les conditions qui ont conduit à la rédaction de ce texte n’illustrent, hélas ! que trop bien les effets de cette méthode.
Cette situation rappelle, dans un autre registre, les mesures successives sur l’élection des juges consulaires, un texte venant corriger l’autre. Sur ce sujet aussi, le Sénat s’est montré vigilant, grâce à la mobilisation de notre collègue Nathalie Goulet.
En conclusion – vous l’aurez compris –, le groupe RDSE votera, sans réserve, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues,…
M. Philippe Bas. Très bien ! (Sourires.)
Mme Agnès Canayer. … si « la loi n’a plus tous les droits », comme le souligne la juriste Mireille Delmas-Marty, elle a néanmoins une utilité et une place certaines au sein du droit, consacrées par l’article 34 de la Constitution.
Le droit a besoin de la loi et surtout d’une loi claire, intelligible et réfléchie. Le législateur a donc une grande responsabilité, celle de faire de bonnes lois. Tel est aussi l’objet de l’examen de ce texte.
La proposition de loi, présentée par le président Jean-Claude Requier et douze de nos collègues, complète les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises.
Surtout, cette proposition de loi corrige une malfaçon, introduite à l’Assemblée nationale, dans la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont mon collègue Philippe Bonnecarrère et moi-même étions les rapporteurs.
En effet, cette loi ne prévoyait pas le cas où un accusé détenu, est condamné par la cour d’assises à une peine inférieure à la réclusion criminelle, soit moins de dix ans d’emprisonnement ; il aurait alors fallu que la cour puisse décerner un mandat de dépôt afin de l’incarcérer immédiatement.
Cette omission dans la loi signifiait qu’un condamné pouvait être remis en liberté immédiatement après le rendu du jugement.
Pour clarifier la situation, le ministère de la justice a comblé cette carence en prenant le décret du 25 février 2022, solution temporaire et fragile.
Si l’on peut saluer cette tentative réglementaire, il fallait une disposition législative, en vertu de l’article 34 de la Constitution, pour réparer cet oubli. En effet, seul le législateur peut jeter des bases solides et apporter une solution pérenne, qui comble cette lacune.
Aussi la proposition de loi que nous examinons reprend-elle l’esprit du décret précédemment cité, mais dans une volonté de simplification, nourrie par une rédaction concise et claire. En effet, la rapporteure de la commission des lois, Mme Maryse Carrère, a tenu à clarifier le texte afin de le rendre plus accessible. C’est ainsi que la proposition de loi modifie le code de procédure pénale.
Si nous pouvons nous féliciter d’être parvenus à résoudre, une fois pour toutes, par la bonne voie législative, cette carence regrettable, il n’en reste pas moins que nous devons aussi nous interroger sur les raisons qui nous conduisent à nous réunir, une fois encore, à une heure tardive, pour combler l’un de ces trous dans la raquette qui résultent de lois établies dans la précipitation.
En effet, l’urgence ne permet pas d’apprécier les conséquences réelles des mesures adoptées, comme on aurait pu le faire en menant au préalable une véritable étude d’impact. C’est uniquement lors de leur application effective qu’apparaissent les erreurs législatives.
L’inadéquation avec la pratique est aussi souvent due – nous le savons – à l’enchevêtrement complexe des règles. La justice pénale en est, en France, une parfaite illustration.
Depuis plusieurs années, le Sénat déplore la complexification des lois, des codes et des procédures, ainsi que l’inflation normative et législative. En effet, lorsque la loi devient bavarde, l’essentiel disparaît au profit de l’accessoire. (M. le garde des sceaux approuve.)
La superposition des textes juridiques, sans aucune refonte globale, contribue elle aussi à l’opacité des règles. Le chantier de la simplification de la procédure pénale reste un véritable serpent de mer. Les États généraux de la justice ont mis l’accent, avec acuité, sur la nécessaire refonte du code de procédure pénale devenu peu praticable. En effet, entre 2008 et 2022, le nombre des articles de la partie législative de ce code est passé de 1 722 à 2 403.
En conséquence, je forme le vœu que cette réforme essentielle de la procédure pénale puisse être engagée. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que les délais de jugement des crimes sont toujours proches de cinquante mois.
Mon groupe votera donc en faveur de cette utile proposition de loi du président Jean-Claude Requier, largement améliorée par la rapporteure Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 2021, sur 32 000 affaires suivies par des juges d’instruction, 1 700 arrêts ont été prononcés par les cours d’assises à la suite d’un procès, pour environ 2 800 auteurs de faits mis en accusation.
Les affaires portées devant une cour d’assises ne représentent qu’une part minoritaire de la totalité des affaires pénales. Toutefois, elles concernent les infractions les plus graves de notre droit. La procédure relative à ces affaires se doit d’être irréprochable.
La proposition de loi que nous examinons porte sur les dispositions de l’article 367 du code de procédure pénale qui règlent le sort de l’accusé une fois que la cour d’assises a rendu son arrêt.
Par souci de simplification, une loi de 2011 prévoyait que l’arrêt de la cour d’assises valait titre de détention, sans que celle-ci ait besoin de décerner un mandat de dépôt.
Alors que la loi du 22 décembre dernier visait à apporter plus de nuances à ce principe, ceux qui en ont examiné le texte ont, sans le vouloir, laissé subsister un vide juridique s’agissant des hypothèses dans lesquelles l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention.
En effet, un cas a été omis : celui où l’accusé, détenu au moment où l’arrêt est rendu, est condamné à une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement. Heureusement, cette situation ne s’est jamais présentée – mes collègues l’ont rappelé.
C’est pourquoi, pour éviter des libérations inopportunes, le décret du 25 février dernier a remédié à cet oubli. Cependant, en vertu de l’article 34 de la Constitution, les règles de procédure pénale doivent être fixées par la loi. La proposition de loi reprend donc toutes les hypothèses visées dans ce décret.
Cette initiative est essentielle à plusieurs égards Tout d’abord, la loi pénale doit être précise et prévisible, chacun étant en droit de savoir à quoi il s’expose et dans quelles conditions.
Ensuite, dans une démocratie, l’existence d’un lien de confiance entre la société et la justice est indispensable. Or, pour les victimes, comme pour l’ensemble des citoyens, il serait inconcevable qu’un détenu condamné à une peine d’emprisonnement soit remis en liberté, même de façon temporaire, en raison de lacunes rédactionnelles ou législatives.
En outre, la rédaction simplifiée du texte de la commission complète parfaitement les dispositions du décret pris par le pouvoir exécutif.
Enfin, il semble tout à fait légitime d’appliquer ces mesures en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
Avant de conclure, je tiens à saluer la qualité des travaux de la rapporteure et à remercier le président Requier pour cette initiative.
Ainsi, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie l’auteur de cette proposition de loi, qui à l’époque de la concentration des médias, continue de soutenir la presse indépendante en la lisant ; je remercie également Mme la rapporteure pour ses explications limpides qui ont éclairé notre regard sur un sujet important et très particulier.
Nous voilà donc devant un texte qui n’a d’anodin que la simplicité de son objectif et qui relève – et révèle – plusieurs aspects cruciaux de notre système.
Il s’agit – disons-le clairement –, comme l’a rappelé la rapporteure, de corriger une « malfaçon législative ».
L’enfer est pavé de bonnes intentions. On pourrait aussi dire qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Ces adages, trop souvent répétés, trouvent pourtant corps dans notre processus décisionnel.
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a permis la mise en œuvre des recommandations issues d’un rapport de 2008, préconisant une simplification des modalités d’incarcération ou de libération, à la suite du prononcé de l’arrêt des cours d’assises.
Vous connaissez ma méfiance – je ne suis pas seul dans ce cas – envers le terme de « simplification » qui sert parfois de prétexte, dans les modifications apportées à notre système pénal, à la mise à l’écart d’un juge ou à une restriction des droits de la défense.
Mais, ici, la simplification ne peut – et ne pouvait – que faire l’unanimité, dès lors qu’elle s’exprime ainsi : la décision de la cour d’assises et du tribunal correctionnel vaut titre de détention.
Pourtant, la mise en œuvre de cette possibilité, à savoir que la décision de la cour soit considérée comme nécessaire et suffisante s’agissant de l’incarcération d’un justiciable condamné, a souffert d’une erreur rédactionnelle, puisque l’on en a limité le champ au cas d’une condamnation criminelle sans l’appliquer à celui d’une peine correctionnelle. Or errare humanum est, perserverare diabolicum. L’erreur est humaine, mais persévérer dans son erreur est plus problématique.
M. Philippe Bas. Merci pour la traduction ! (Sourires.)
M. Guy Benarroche. Pour corriger cette difficulté, le Gouvernement a publié un décret. Comment a-t-on pu croire, monsieur le garde des sceaux, que l’on pouvait clarifier la situation par un simple décret ? Vous nous en avez expliqué les raisons (M. le garde des sceaux le confirme.), mais l’un des fondements de notre société est que, en matière de droit pénal, les règles sont fixées par la loi et par les représentants du peuple.
Toute l’acceptabilité du droit pénal et de sa procédure s’enracine dans le fait que la loi est votée par des pairs, puis que l’on est jugé par ses pairs via des jurés populaires dans les cours d’assises. Ce principe risque d’ailleurs d’être mis à mal par la généralisation des cours criminelles départementales, objet d’un rapport qui vient de vous être remis par le comité d’évaluation et de suivi où siègent des parlementaires, dont Maryse Carrère et moi-même.
Je sais combien le Président de la République et ses gouvernements successifs sont friands de légiférer par ordonnances et la multiplication inquiétante de celles-ci fait l’objet d’un suivi justifié par la Haute Assemblée. Toutefois, la procédure pénale relève bien, selon l’article 34 de la Constitution, du domaine de la loi.
Je profite de cette intervention pour encourager le Gouvernement à concentrer son action sur la publication des décrets nécessaires à la bonne application de la loi et ce, quel que soit le texte voté par le Parlement.
Afin d’éviter tout recours visant à contester une incarcération au motif d’absence de base légale, le groupe RDSE – que je remercie – a inscrit l’examen de ce texte, dans le cadre de sa niche parlementaire. Nous le voterons de manière unanime afin de corriger l’erreur initiale introduite dans un précédent texte de loi, à laquelle nous avons tous contribué, ainsi que celle du Gouvernement dans sa tentative de réparation inadaptée au travers d’un décret.
Le groupe GEST votera donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous l’avez rappelé, cher président Requier, l’objet de cette proposition de loi est simple, mais n’en reste pas moins essentiel, puisque le texte corrige une malfaçon issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Celle-ci n’avait rétabli l’obligation pour la cour d’assises de décerner un mandat de dépôt, à effet immédiat ou différé, que lorsque l’accusé comparaissait libre et qu’il était condamné à une peine d’emprisonnement ferme, laissant un vide s’agissant des accusés comparaissant détenus.
Un décret du 25 février 2022 portant application de l’article 367 du code de procédure pénale palliait cette incongruité, afin d’éviter que certains accusés ne soient remis en liberté par les juridictions, en prévoyant le cas dans lequel l’accusé comparaissait détenu et était condamné à une peine d’emprisonnement ferme.
La commission des lois a, par la voix de sa rapporteure Mme Maryse Carrère, retenu une rédaction plus concise pour préciser que l’arrêt vaudra titre de détention, lorsque l’accusé est condamné à une peine de réclusion criminelle, ou s’il comparaît détenu devant la cour d’assises. Ces dispositions seront également étendues à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Le groupe RDPI votera donc la proposition de loi ainsi modifiée.
L’examen de ce texte démontre une nouvelle fois que le législateur n’est pas infaillible. Je suis moi-même intervenu, il y a tout juste un mois, en tant que rapporteur d’une proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, dont l’objet était de réparer des malfaçons législatives introduites par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, du 22 mai 2019, à l’occasion de la réforme du régime électoral de ces juges.
Ce n’est finalement qu’une illustration supplémentaire des limites de la procédure accélérée et de notre propension à légiférer dans l’urgence, elles-mêmes induites par la densité de nos travaux.
Compte tenu de l’ordre du jour chargé du Parlement, peut-être serait-il opportun d’envisager de regrouper au sein d’un seul et même texte des corrections comme celles-ci.
Enfin, nonobstant la malfaçon législative qu’elle renfermait, je tiens à souligner – rapidement, rassurez-vous – les avancées de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Je pense notamment aux procès filmés, aux enquêtes préliminaires limitées à deux ans, au secret professionnel des avocats ou encore à la généralisation des cours criminelles au 1er janvier 2023, qui sont en expérimentation dans quinze départements depuis septembre 2019.
Je suis conscient de la réticence que cette dernière mesure suscite chez certains, étant moi-même très attaché à la persistance des jurés populaires, qui sont l’expression de la participation des citoyens à la justice.
Néanmoins, je rappelle que les réformes des cours d’assises ont toujours été réalisées avec parcimonie – c’est la quatrième en vingt ans – et que la mise en place de ces cours a déjà permis l’abaissement du taux d’appel, la réduction du délai d’audiencement ainsi que d’éviter que certains crimes sexuels ne soient correctionnalisés.
En outre, les jurés populaires subsisteront au sein des cours d’assises traditionnelles, pour toutes les infractions punies de plus de vingt ans de réclusion criminelle, ainsi qu’en appel.
Si l’on se réfère aux crédits alloués à la justice ces trois dernières années, je ne vous ferai pas offense, monsieur le garde des sceaux, en vous disant que sans moyens, tant pour ce qui est des magistrats et du personnel judiciaire qui mènent ces audiences qu’en matière de locaux pour les accueillir, ces cours criminelles n’auront qu’une utilité relative sinon nulle. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie Jean-Claude Requier d’avoir identifié – que ce soit par le biais d’un « canard déchaîné » ou d’un conseiller juridique, peu importe ! (Sourires.) – ce dysfonctionnement qui nous a contraints à une torsion du système durant plusieurs mois.
En effet, constitutionnellement, la détermination des peines relève du domaine de la loi, selon l’article 34, le domaine du règlement étant défini par l’article 37 – mes collègues l’ont rappelé à de multiples reprises. Or, dans ce cas précis, aucune disposition législative suffisante n’existe.
Actuellement, le cas d’un accusé, déjà détenu, condamné à une peine d’emprisonnement, qui par définition ne peut pas excéder dix ans, est réglé par décret, selon un procédé que je qualifierai d’« aléatoire », d’un point de vue constitutionnel.
Cette solution palliative ne fait que masquer un défaut et n’existe que pour éviter que certains mandats de dépôt ne soient privés de fondement légal. Il est d’ailleurs prévu de reprendre dans la loi le dispositif existant, défini par le décret du 25 février 2022 pris par vos soins, monsieur le garde des sceaux.
L’objet de notre discussion n’est donc pas le fond, mais la forme, car on ne saurait se satisfaire de cette méthode, qui ne respecte pas les dispositions de notre Constitution.
En l’espèce, cette situation – qu’on ne peut que regretter – nous contraint à avoir un débat qui n’en est pas un, puisque personne sur ces travées ne remet en cause le respect des définitions des domaines législatif et réglementaire.
En effet, priver une personne d’une liberté publique, en l’occurrence celle d’aller et venir, ne peut relever que du domaine de la loi. N’en déplaise à certains, le domaine du pouvoir réglementaire est heureusement circonscrit. Tout ne peut pas être réglé par voie d’ordonnances et de décrets.
Toutefois, je profite de cette intervention pour vous faire part d’un sentiment – également évoqué par d’autres collègues – quant à la fabrique de la loi. Le vide juridique qui nous occupe aujourd’hui a été créé par les modifications apportées au code de procédure pénale par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
À l’époque, les débats ne nous ont pas permis d’identifier cette situation, qui relève donc d’un oubli. Sans gloser sur les raisons qui l’expliquent, le manque de temps que l’on invoque souvent est à mes yeux essentiellement dû à une pratique devenue la norme. Depuis plusieurs années, l’examen de la majorité des projets et propositions de loi par le Parlement est soumis à la procédure accélérée. Or celle-ci, que l’on a appelée « procédure d’urgence » jusqu’en 2008, avait vocation, comme le terme initial l’indiquait, à n’être utilisée qu’exceptionnellement, en cas d’urgence.
Sa transformation en « procédure accélérée » est révélatrice de l’objectif visé pendant le quinquennat de son créateur, M. Sarkozy : son utilisation n’était plus liée à l’urgence, mais à la volonté d’écourter les débats. Sa banalisation participe de l’affaiblissement du Parlement, puisqu’elle abrège le débat parlementaire.
Cette pratique a pu aussi être utilisée par des gouvernements auxquels j’ai appartenu. Mea culpa ! (Mme Françoise Gatel s’en amuse.)
Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République, en a même fait un argument de campagne en 2017, indiquant dans son programme qu’il ferait de la procédure accélérée « la procédure par défaut de l’examen des textes législatifs afin d’accélérer le travail parlementaire ». Cette promesse de campagne a été manifestement tenue. Pourtant, tout juste intronisé, fort d’une majorité de soutien très large à l’Assemblée nationale – à l’époque – et disposant de tous les instruments du parlementarisme rationalisé pour mener à bien ses réformes, le Président de la République, Emmanuel Macron, n’avait pas besoin d’accélérer le temps de la délibération parlementaire.
En l’espèce, le temps d’examen nous a manqué, de sorte que, si j’étais cynique ou facétieux, je dirais que nous devons aujourd’hui prendre le temps d’examiner une proposition de loi, qui ne fait que corriger les effets d’un manque de temps.
Alors, prenons le temps de la réflexion, mes chers collègues, interrogeons-nous sur la manière dont nous souhaitons travailler. Ne confondons pas l’urgence d’une situation et l’empressement de nos gouvernants, car in fine la qualité de nos travaux en pâtit.
Comme le disait le professeur de droit constitutionnel, Guy Carcassonne, que nous sommes nombreux à avoir connu, « pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement » – à condition bien sûr de lui laisser le temps de travailler. (Mme Françoise Gatel apprécie la référence.)
Vous l’aurez compris, nous souscrivons au rétablissement prévu dans cette proposition de loi et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à l’unanimité, votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’irai à l’essentiel, sans pour autant tomber dans la caricature. La précision apportée par la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises est intéressante. Comme cela a été abondamment rappelé, celle-ci permet de clarifier les dispositions de l’article 367 du code de procédure pénale, dont la rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire restait lacunaire.
Je ne rouvrirai pas le débat sur la meilleure manière de faire la loi, mais je rappelle qu’à l’époque, le groupe CRCE s’était opposé à la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Bien que nous puissions envisager la pertinence d’un mandat de dépôt dans les cas les plus graves, tels que ceux relevant de la cour d’assises, notre groupe se doit d’être cohérent.
C’est pourquoi, tenant compte de notre opposition à la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire en 2021 et de notre engagement à mettre fin à la surpopulation carcérale, dont témoigne la proposition de loi déposée par notre collègue, la présidente Assassi, en septembre 2022, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Lana Tetuanui. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, le Parlement votait, en 2011, la simplification des modalités d’incarcération des accusés jugés par la cour d’assises. La condamnation à une peine privative de liberté, supérieure à la durée de la détention provisoire subie, pouvait alors valoir titre de détention de l’accusé.
En 2021, le Parlement s’est de nouveau penché sur cette question. Le législateur a introduit une exception dans l’hypothèse où l’accusé comparaissait libre et était condamné à une peine correctionnelle. Malheureusement, cette modification, opérée à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, a introduit une erreur rédactionnelle en modifiant les modalités d’incarcération prévues par le code de procédure pénale. L’article 367 de ce même code précise que l’arrêt de la cour d’assises vaut titre de détention « si l’accusé est condamné à une peine de réclusion criminelle », écartant ainsi l’hypothèse où l’accusé comparaît détenu et est condamné à une peine d’emprisonnement inférieure à dix ans.
La rédaction actuelle de l’article 367 du code de procédure pénale entraînerait – malheureusement ! – la remise en liberté d’un accusé placé en détention provisoire avant l’audience, lorsqu’il est condamné à une peine d’emprisonnement ferme. Il est donc nécessaire d’adapter notre droit.
Un décret du Gouvernement, pris en février dernier, a tenté de clarifier les règles applicables à cette situation en précisant chaque cas pouvant être rencontré par la cour d’assises. L’arrêt de la cour d’assises vaut ainsi titre de détention si l’accusé comparaît détenu et qu’il est condamné à une peine d’emprisonnement inférieure à la réclusion criminelle. Cependant, bien que le décret ait probablement paré au plus pressé en tentant de lever l’ambiguïté qui s’était glissée dans l’article 367 du code de procédure pénale, les mesures relatives à la procédure pénale relèvent constitutionnellement du domaine de la loi. Ce décret ne pouvait donc régler durablement ce problème de droit.
La proposition de loi que nous examinons ce soir – ou plutôt ce matin ! – a pour objet d’intégrer dans la loi les dispositions prises par le décret du Gouvernement. Elle vise à corriger la malfaçon législative, introduite à l’article 367 du code de procédure pénale lors de sa dernière réforme. Elle précise les mesures applicables lorsque l’accusé est condamné par la cour d’assises, non à une peine de réclusion criminelle, mais à une peine d’emprisonnement ferme.
La commission des lois a adopté deux amendements, présentés par Mme la rapporteure, tendant à introduire des modifications d’ordre rédactionnel afin de simplifier la lecture du texte. En effet, la rédaction initiale comprenait de multiples similitudes avec un article figurant déjà dans la partie réglementaire du code.
Cette redondance et l’allongement de l’article 367 du code de procédure pénale auraient pu prêter à confusion quant aux intentions des auteurs de la proposition de loi Les modifications introduites par la commission ont abouti à une rédaction plus brève pour une clarification ponctuelle de l’article.
Enfin, il est prévu que les précisions apportées aux dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises soient appliquées dans les collectivités de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, concernées par le principe de spécialité législative.
Il était indispensable de corriger rapidement cette erreur pour le bon fonctionnement de nos institutions judiciaires. C’est donc, sans surprise, que le groupe UC votera en faveur de cette proposition de loi, telle qu’issue des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDPI et GEST.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises
Article 1er
Au deuxième alinéa de l’article 367 du code de procédure pénale, après le mot : « criminelle », sont insérés les mots : « ou s’il comparaît détenu devant la cour d’assises ».
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ». – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 16 novembre 2022 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2022 (texte n° 113, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 16 novembre 2022, à zéro heure quinze.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER