Sommaire

Présidence de M. Pierre Laurent

Secrétaires :

MM. Pierre Cuypers, Loïc Hervé.

1. Procès-verbal

2. Ticket restaurant étudiant. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi

M. Jean Hingray, rapporteur de la commission de la culture

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

M. Bernard Fialaire

M. Pierre Ouzoulias

Mme Sabine Van Heghe

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Monique de Marco

M. Julien Bargeton

Mme Annick Billon

M. Stéphane Piednoir

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de Mme Sabine Van Heghe. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 2 (supprimé)

Article 3

Amendement n° 2 de Mme Sabine Van Heghe. – Retrait.

Adoption de l’article.

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

3. Nommer les enfants nés sans vie. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Éliane Assassi

Mme Annick Billon

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Esther Benbassa

M. Xavier Iacovelli

Mme Maryse Carrère

M. Marc Laménie

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l’article unique

Amendement n° 3 rectifié bis de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.

Article unique

Amendements identiques nos 1 rectifié de Mme Esther Benbassa et 2 rectifié de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

4. Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains

M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité

Débat interactif

M. Jean-Pierre Moga ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

Mme Martine Filleul ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Martine Filleul.

M. Bruno Rojouan ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

Mme Vanina Paoli-Gagin ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Vanina Paoli-Gagin.

M. Daniel Salmon ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Daniel Salmon.

Mme Nadège Havet ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Nadège Havet.

M. Jean-Claude Requier ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

Mme Michelle Gréaume ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

M. Jean-Marie Mizzon ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Jean-Marie Mizzon.

Mme Angèle Préville ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Angèle Préville.

M. Yves Bouloux ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

M. Franck Montaugé ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Franck Montaugé.

M. Jérôme Bascher ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Guillaume Chevrollier ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

M. Serge Babary ; M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

Conclusion du débat

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

5. Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Rémi Féraud

Mme Christine Lavarde

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Julien Bargeton

M. Jean-Claude Requier

M. Éric Bocquet

M. Vincent Delahaye

M. Claude Raynal

M. Jérôme Bascher

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

6. Organisation des travaux

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Laurent

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Discussion générale (suite)

Ticket restaurant étudiant

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine Levi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 422, texte de la commission n° 657, rapport n° 656).

Mes chers collègues, je vous informe que, en raison d’un incident technique, seules certaines caméras de l’hémicycle filment nos débats.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Encore un coup de l’UNEF ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Article 1er

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous cache pas ma grande satisfaction de me tenir devant vous, aujourd’hui, pour l’examen de ma proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant.

Ma satisfaction est double. Tout d’abord, il s’agit de ma première proposition de loi depuis le début de mon mandat de sénateur. Ensuite, sans préjuger de l’issue du vote de tout à l’heure, cette proposition de loi aura de toute façon le mérite de pointer du doigt les inégalités du système de restauration étudiante dans notre pays, qui pénalisent de très nombreux jeunes.

Permettez-moi de revenir brièvement sur la genèse de cette proposition de loi.

Tout d’abord, comme nombre d’entre vous, depuis un an et demi, j’ai été extrêmement sollicité par des étudiants en détresse, en tant que premier adjoint de la ville de Montauban, dans un premier temps, puis, depuis octobre dernier, en tant que sénateur.

Les témoignages de dizaines d’étudiants dont la situation financière est catastrophique, qui n’arrivent parfois plus à manger à leur faim et qui garnissent les files d’attente des Restos du cœur m’ont particulièrement affecté. Ces images et ces situations de détresse ne sont pas tolérables dans notre pays en 2021.

Nombre de familles, notamment celles de la classe moyenne, éprouvent les plus grandes difficultés pour subvenir aux besoins de leurs enfants dans le cadre de leurs études.

Pourtant, en France, a priori, nous n’avons pas à nous plaindre de notre politique d’aide et d’accompagnement, plutôt efficace et généreuse : les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les Crous, qui offrent bourses, logements étudiants et restauration universitaire apportent une réponse plutôt performante. Peu de pays disposent d’un système aussi développé.

Cependant, souvent, les effets de seuils font qu’un étudiant issu de la classe moyenne s’entendra dire : « Désolé, monsieur, vous ne bénéficiez pas de telle ou telle aide. » Ces étudiants prétendument « trop riches » sont finalement les victimes collatérales des critères d’attributions, mais, pour eux, les fins de mois sont aussi difficiles.

Dans d’autres situations, à ces effets de seuils s’ajoute l’absence de Crous. Que l’on ne voit dans mes propos aucune critique, mais simplement un constat. Les Crous ne peuvent d’ailleurs raisonnablement être présents sur l’ensemble des villes ou des sites où sont dispensées des formations d’enseignement supérieur. Les Crous font le choix de couvrir en priorité – c’est tout à fait compréhensible –, les campus universitaires.

Néanmoins, l’enseignement supérieur dans notre pays ne se résume pas aux seules universités. Bien d’autres acteurs existent : les brevets de technicien supérieur, les BTS, les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs, les écoles d’infirmières, les classes préparatoires et bien d’autres encore.

Mes chers collègues, dans vos départements, vous avez certainement des formations dispensées dans des petites communes ou loin des sites universitaires majeurs. Il y a fort à parier que les Crous ne proposent pas de services de restauration à ces endroits.

Dès lors, doit-on se satisfaire du fait que des centaines de milliers d’étudiants ne bénéficient pas d’un service de restauration, car le Crous n’est pas en mesure de leur proposer ? À ce titre, le passage du repas dans les restaurants du Crous à 1 euro a été une très bonne chose, qui a permis à de très nombreux étudiants de préserver leur pouvoir d’achat. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et je salue cette initiative du Gouvernement.

Pour autant, la problématique reste la même lorsqu’il n’y a pas de restaurant universitaire dans la commune où l’on étudie, mais également lorsque ces établissements ne sont pas ouverts le soir ou le week-end. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation, qui exclut tant d’étudiants de cette aide qui leur est pourtant due.

Tel est, mes chers collègues, le sens de cette proposition de loi. Elle n’est en aucun cas une attaque contre les Crous, comme certains ont voulu le faire croire avec mauvaise foi. Ce texte permet tout simplement de combler les trous dans la raquette de l’offre actuelle des Crous et de pallier des inégalités.

En pratique, comment se traduirait ce ticket restaurant étudiant ? Il serait inspiré du modèle du ticket restaurant des entreprises, qui a fait ses preuves depuis des décennies. Qui, aujourd’hui, remettrait en cause ce système, qui apporte un véritable gain de pouvoir d’achat à des millions de salariés ?

Le ticket restaurant étudiant serait acheté 3,30 euros par l’étudiant, soit le même prix qu’un repas de restaurant universitaire avant la période de covid-19. Par l’intermédiaire du Crous, l’État financerait également 3,30 euros, de la même façon qu’il finance la moitié du prix du repas dans les restaurants universitaires.

S’est posée la question de la territorialisation ou non de la mesure. Comme le rapporteur vous l’expliquera tout à l’heure, cela nous a paru être la meilleure chose, afin de limiter l’accès au ticket restaurant étudiant à ceux qui ne bénéficient pas de restauration universitaire à proximité.

Permettez-moi de prendre un exemple simple de territorialisation, ici, sous nos yeux : nos collaborateurs. Ceux qui exercent au Palais du Luxembourg ont accès au restaurant des collaborateurs du 36, rue de Vaugirard à un tarif préférentiel. Leurs collègues en circonscription bénéficient, eux, de tickets restaurants, car ils n’ont pas accès aux restaurants d’entreprise. C’est une question d’équité, et cela fonctionne très bien.

La question du coût a pu se poser, et elle est légitime, mes chers collègues, car nous sommes tous des élus responsables. Néanmoins, avant d’aborder le coût, il est important de parler du devoir moral que nous avons envers les étudiants, qui représentent l’avenir de notre pays. Nombre d’entre eux souffraient de la précarité bien avant la crise sanitaire ; d’autres l’ont découvert depuis un an et demi.

Il est de notre responsabilité, en tant que responsables politiques, de leur apporter des solutions. C’est ce que fait ce texte. Sera-t-il suffisant pour régler la problématique de la précarité étudiante ? Non, mais il apporte déjà une réponse.

S’agissant du coût, pouvons-nous nous satisfaire d’une analyse tronquée en se disant que cela va créer un surcoût pour les Crous ? Assurément non. Car si tous les étudiants n’ayant pas accès à un restaurant universitaire pouvaient s’y rendre, les Crous seraient bien obligés de les accepter. Pensez-vous vraiment que nous pourrions leur répondre : « Désolé, mais cela va coûter cher à l’État » ?

Ne faisons pas une économie sur un droit qui n’est tout simplement pas exercé, alors que de très nombreux étudiants subissent cet état de fait.

Nous avons entendu, ici et là, des estimations fantaisistes du coût de cette mesure : 2, voire 4 milliards d’euros. Toujours plus, pour essayer de discréditer ce projet. Je pose tout simplement la question à ces organisations : qu’avez-vous fait pour régler la situation des étudiants qui ne bénéficient pas des services du Crous ? N’étiez-vous pas majoritaires pendant toutes ces années ? Ou peut-être que les étudiants en écoles de commerce, écoles d’ingénieurs, BTS ou classes préparatoires ne vous intéressent tout simplement pas.

Au-delà de l’estimation du coût de cette mesure, je suis de ceux qui pensent que, sur certains sujets, nous ne pouvons avoir une vision uniquement comptable. Les étudiants ne le comprendraient pas, et je pense qu’ils auraient tout à fait raison.

Je le demande aux responsables des Crous et à vous, madame la ministre : que jugez-vous le plus coûteux ? Ouvrir un restaurant universitaire pour cinquante étudiants en BTS dans une petite ville ou leur permettre de bénéficier d’un ticket restaurant étudiant ?

Il est important de se poser cette question. J’espère, madame la ministre, que ce projet saura vous séduire et retiendra toute votre attention, comme il a retenu l’attention de plus de quatre-vingts sénateurs, en dépassant les clivages politiques.

Les étudiants ont souffert depuis plus d’un an et demi, et, pour beaucoup, ils souffrent malheureusement encore de cette précarité. Nous leur devons cette innovation sociale et cette équité, car il s’agit bien là d’une innovation sociale et non d’un gadget.

Les étudiants s’approprieront rapidement ce ticket restaurant, avec un grand sens des responsabilités. Ils n’iront pas s’acheter des sandwichs ou de la junk food midi et soir, contrairement aux arguments de nos détracteurs, car il sera tout à fait possible de manger équilibré avec un ticket restaurant étudiant, comme il est tout à fait possible de manger déséquilibré dans un restaurant universitaire. Cessons d’infantiliser les étudiants ! Ils valent bien mieux que cela.

Mes chers collègues, pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, pour le devoir moral que nous avons envers les étudiants, qui n’ont vraiment pas été épargnés depuis le début de la crise du covid-19, je vous propose une avancée sociale en votant, à l’issue de nos débats, en faveur de la création d’un ticket restaurant étudiant.

J’espère que ce texte, s’il est voté au Sénat, sera étudié rapidement à l’Assemblée nationale. Je remercie à ce propos la députée Anne-Laure Blin, qui a déposé une proposition de loi similaire à l’Assemblée nationale, et avec qui j’ai beaucoup échangé. Je la remercie d’ailleurs de sa présence ce matin.

Je remercie aussi chaleureusement mes collègues du groupe Union Centriste d’avoir collégialement sélectionné ma proposition de loi dans notre espace réservé.

Ce texte ne doit pas rester dans un tiroir. Il doit permettre au plus vite d’offrir du pouvoir d’achat aux étudiants. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour eux ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Hingray, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Pierre-Antoine Levi vient de le démontrer avec beaucoup de force et de vigueur, cette proposition de loi entend redonner du pouvoir d’achat, sur le plan alimentaire, aux étudiants durement éprouvés par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

Face à l’aggravation de leur précarité, le Gouvernement a abaissé le tarif du ticket de restaurant universitaire à 1 euro, d’abord pour les étudiants boursiers, puis pour tous les étudiants. Cette mesure, que nous saluons, est bien sûr bénéfique, mais constitue-t-elle la panacée ? Assurément non.

Premièrement, elle ne fait qu’amplifier le problème de l’accès aux structures de restauration universitaire, puisqu’en sont de facto exclus les étudiants éloignés des grands campus et des centres-villes. Nombre d’entre nous avons été alertés, dans nos départements, sur cette inégalité d’accès entre étudiants.

Deuxièmement, le ticket à 1 euro ne constitue pas un modèle économique viable sur le long terme, sachant que la préparation d’un repas en restaurant universitaire coûte de sept à huit fois ce tarif.

Troisièmement, cette mesure a été conçue pour répondre à une situation d’urgence. Or, à ce jour, le ministère n’est pas en mesure de nous dire si elle sera prolongée, ni même si le périmètre de ses bénéficiaires est susceptible d’évoluer. Il y a toutes les raisons de penser qu’elle ne constituera pas une solution pérenne pour notre système de restauration.

C’est dans ce contexte pour le moins incertain que s’inscrit cette proposition de loi. Quel en était l’objectif initial ? Il s’agissait de permettre à tous les étudiants, quels que soient leur statut social, leur établissement de rattachement, leur situation géographique ou le moment de la journée ou de l’année, d’acheter un repas ou de faire des courses alimentaires à tarif social.

Cette portée universelle a suscité des inquiétudes, certaines fondées, d’autres moins, ainsi que des prises de position, certaines mesurées, d’autres plus caricaturales.

Je ne puis ainsi laisser dire que le but aurait été de « mettre en concurrence » le réseau des œuvres universitaires avec les acteurs de la restauration privée. Nous savons tous le rôle structurant que jouent les Crous et les efforts d’adaptation qu’ils ont accomplis depuis une dizaine d’années pour mieux répondre aux attentes des étudiants. Le ticket restaurant ne remet pas cela en cause : il entend élargir l’offre de restauration et donner davantage de souplesse aux étudiants, qui pourront choisir d’aller au restaurant universitaire, de prendre leur repas à l’extérieur ou de cuisiner chez eux.

Je ne puis non plus laisser dire que la création d’un ticket restaurant jetterait les étudiants dans les bras des fast-foods. Ne les infantilisons pas. Ils peuvent parfaitement vouloir faire leurs courses dans des supérettes pour consommer des produits que l’on ne trouve pas forcément dans la restauration collective. Qui plus est, le risque de « malbouffe » peut tout à fait être limité par des moyens techniques qui encadreraient l’utilisation d’un ticket restaurant étudiant dématérialisé.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité dépasser ces clivages et, après avoir entendu toutes les parties, dressé un bilan bénéfice-risque le plus complet possible. À la lumière de celui-ci, il nous est apparu nécessaire d’ajuster le dispositif initial en le centrant sur la problématique de l’accès à la restauration universitaire, qui, nous le voyons bien dans nos territoires, constitue la principale pierre d’achoppement.

Les 801 points de vente gérés par les Crous ne sont, en effet, pas répartis de manière homogène. L’existence de « zones blanches », comme pour la couverture en réseau de téléphonie mobile, place les étudiants concernés dans une situation d’inégalité d’accès au service public de la restauration universitaire.

Les étudiants de ces territoires sous-dotés en infrastructures sont, d’ailleurs, aujourd’hui, dans l’impossibilité de bénéficier du ticket de restaurant universitaire à 1 euro. C’est pourquoi la commission a proposé de cibler le dispositif du ticket restaurant sur les étudiants éloignés des structures de restauration universitaire.

Ces étudiants pourront ainsi bénéficier d’un ticket à tarif social pour se restaurer ou faire des achats alimentaires auprès d’établissements conventionnés avec les acteurs territoriaux de la vie étudiante, qu’il s’agisse des établissements d’enseignement supérieur, des Crous ou des collectivités.

Ce ciblage de la mesure, qui fait du ticket restaurant une offre complémentaire à celle de la restauration universitaire, permet, en outre, d’écarter tout risque de déstabilisation du réseau des œuvres.

En posant le principe d’un ticket restaurant étudiant territorialisé, la commission exprime ainsi la nécessité d’offrir à nos étudiants un enseignement supérieur de proximité, notamment en premier cycle, qui ne soit pas cantonné aux grands pôles universitaires traditionnels, avec les prestations d’accompagnement qui vont avec.

La création d’un ticket restaurant étudiant réservé à ceux d’entre eux qui sont isolés mettrait fin à cette profonde inégalité territoriale. À l’instar de ce qui existe dans des pays comme l’Angleterre ou la Suède, cette mesure est donc une solution de substitution pertinente, techniquement bien acceptée par les principaux acteurs concernés.

Le Gouvernement est donc désormais prévenu et ne peut plus détourner le regard face à cette jeunesse qui souffre et qui attend des solutions concrètes et immédiates pour aller de l’avant. C’est désormais chose faite avec le ticket restaurant universitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, permettez-moi de saluer l’initiative prise par le groupe Union Centriste de nous permettre de débattre de cette proposition de loi, dont le premier mérite est d’aborder clairement la question de la précarité alimentaire de certains étudiants.

Cet enjeu n’est pas apparu avec la crise sanitaire, mais force est de constater que celle-ci l’a rendu plus prégnant que jamais.

Nous connaissons tous l’engrenage qui a conduit à cette situation. La perte des emplois étudiants, la suspension des stages rémunérés ou le soutien familial parfois bridé par des difficultés économiques ont fortement entamé les moyens de subsistance de certains étudiants.

Ni la communauté universitaire ni le Gouvernement n’ont attendu que les problématiques de vie étudiante soient un sujet d’opinion publique pour agir. Dès le mois de mars 2020, les établissements d’enseignement supérieur ont mobilisé le produit de la contribution vie étudiante et de campus pour apporter de l’aide à leurs étudiants, y compris de l’aide alimentaire.

De nombreuses initiatives solidaires ont été lancées par les associations étudiantes, avec le soutien financier du Gouvernement, telles que la confection de paniers-repas ou la distribution de colis alimentaires. Les liens ont été resserrés entre les acteurs associatifs, les Crous et les établissements d’enseignement supérieur, au bénéfice des étudiants.

Tout en soutenant ces initiatives, le Gouvernement a, dans le même temps, déployé un arsenal de mesures pour faire refluer la précarité : versement d’aides exceptionnelles, doublement des aides d’urgence, revalorisation des bourses sur critères sociaux, prolongation du droit à bourses en fonction des incidences de la crise sur le cursus, réexamen des situations sociales pour adapter en fonction le niveau des bourses, gel des frais d’inscription, gel des loyers des logements des Crous, création de 20 000 emplois étudiants, mise en place de distributeurs de protections périodiques gratuites, entre autres.

L’instauration du ticket de restauration universitaire à 1 euro pour les boursiers à la rentrée, étendue en janvier dernier à tous les étudiants, boursiers, non boursiers ou étudiants internationaux, et pour deux repas par jour, est emblématique de cet engagement gouvernemental pour la jeunesse. Il est tout aussi emblématique de la mobilisation des Crous et de leurs personnels, que je veux ici remercier infiniment de leur engagement sans faille.

Ils ont fait preuve d’une réactivité et d’une adaptation remarquables pour assurer le déploiement effectif de la mesure, pour proposer de nouveaux services, tels que la vente à emporter, la livraison ou le click and collect, et pour rouvrir leurs restaurants aux étudiants en respectant des protocoles sanitaires parfois très exigeants.

Il faut se rendre compte de ce que cela veut dire de mettre en œuvre, en un week-end, le ticket restaurant universitaire à 1 euro pour tous les étudiants, de déplacer les structures mobiles en bas des cités universitaires, de changer en profondeur la chaîne de production pour délivrer des plats à emporter.

C’est tout à l’honneur de ce service public, qui a été au rendez-vous de cette crise. À ce jour, plus de 10 millions de repas à 1 euro ont été servis, ce qui est inédit. Aucun autre pays européen ne s’est à ce point engagé au service de ses étudiants.

Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. À l’heure où la vie revient partout sur notre territoire, il est plus que jamais nécessaire de tirer collectivement toutes les leçons de l’année écoulée, pour améliorer durablement les conditions de vie étudiante, consubstantielles à la réussite académique et, finalement, à l’émancipation de chacun.

Mon ministère porte ce dossier depuis le début de ce quinquennat, mais cette crise a permis à de nombreux acteurs de considérer l’étudiant dans sa globalité : cette approche globale du jeune et d’un parcours étudiant coordonné est bien le maître mot de la politique d’accompagnement que nous menons. À chaque instant, nous devons considérer l’étudiant comme un jeune adulte.

Les actions de soutien aux étudiants mises en œuvre par le Gouvernement, les établissements d’enseignement supérieur, les Crous, les collectivités territoriales ou le tissu associatif témoignent que la vie étudiante n’est pas un supplément d’âme. Le bien-être étudiant est un objet politique de premier plan, au cœur de l’action de mon ministère.

C’est pourquoi je salue l’initiative du Sénat, qui a su s’emparer, depuis quelques mois, de la question de la précarité étudiante. Il l’a fait au travers de la proposition de loi dont nous débattons ce matin, mais également par la mission d’information sénatoriale sur les conditions de vie étudiante, qui mène ses travaux depuis plus de six mois et qui, j’en suis vaincue, nourrira utilement les réflexions que nous menons sur ce sujet.

C’est bien cette démarche globale, qui envisage la vie étudiante sous l’ensemble de ses facettes, avant, pendant comme après la crise sanitaire, que nous devons mener ensemble.

Par la proposition de loi que nous examinons ce matin, vous avez souhaité, je crois, répondre à un double enjeu.

Le premier est celui de l’adaptation de la restauration à la vie étudiante. Nous partageons tous, ici, la conviction que ce dont nos étudiants ont aujourd’hui besoin, c’est d’une alimentation de qualité, dans un cadre en phase avec leurs habitudes, leurs contraintes et leurs aspirations.

En somme, une offre de restauration qui soit gage de santé, de bien-être et de réussite. Cette approche globale est précisément celle qui est portée par les Crous, lesquels ont fait des efforts considérables, ces dernières années, pour moderniser, adapter et diversifier leur offre. Les étudiants ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils sont 80 % à la plébisciter et que, avant la crise, l’activité des restaurants universitaires augmentait en moyenne de 5 % chaque année.

Aujourd’hui, prendre son repas dans un restaurant universitaire signifie avoir accès à un repas complet et équilibré, confectionné avec des produits de qualité dans une démarche de développement durable.

C’est également avoir le choix entre des menus végétariens et une cuisine plus traditionnelle, entre s’attabler ou se restaurer plus rapidement.

C’est surtout retrouver ce lien social qui a fait si cruellement défaut à nos étudiants cette année. Autrement dit, l’offre des Crous va bien au-delà de la simple restauration, pour se prolonger en un véritable accompagnement social, en un lieu faiseur de lien, qui constitue, à part entière, un facteur de réussite dans le parcours de formation.

Je sais – cela a d’ailleurs été rappelé – que vous reconnaissez pleinement la valeur ajoutée des Crous et que vous êtes soucieux de ne pas déséquilibrer un service public de qualité, qui mobilise des agents très investis.

Le véritable enjeu, et c’est un point qui est revenu lors de l’examen du texte en commission, est bien celui de l’égalité d’accès à une restauration universitaire.

Avec plus de 750 implantations réparties dans 221 villes, les Crous maillent déjà l’essentiel du territoire. Sur les 2,8 millions d’étudiants accueillis dans l’enseignement supérieur, quelque 2,3 millions ont au moins un restaurant universitaire dans leur environnement immédiat.

La restauration universitaire n’est pas le privilège des grands sites universitaires : dans 190 sites supplémentaires, le réseau des œuvres a noué des partenariats avec les collectivités et les associations, pour apporter une offre de restauration dédiée aux étudiants.

C’est considérable et, pourtant, il est nécessaire d’en faire plus, car, comme vous le soulignez, il subsiste encore des zones blanches, notamment dans certains territoires isolés. Ne négligeons pas non plus la pression étudiante dans certaines grandes villes ou certaines régions, qui peut susciter des problèmes.

Je tiens à être tout à fait claire s’agissant de la position du Gouvernement. Cette proposition de loi pose des questions centrales, et je salue le travail réalisé par la commission et le rapporteur. La commission a souhaité mieux cibler le dispositif, mais il nous faut poursuivre le travail pour construire une solution globale aux disparités territoriales très justement pointées par votre proposition de loi, monsieur le sénateur Levi.

Pour gommer ces disparités, sans pour autant renoncer à la garantie d’une restauration de qualité, je crois qu’il nous faut mobiliser tous les leviers disponibles, en fonction des réalités locales, avec pour boussole la nécessité de construire une offre accessible de repas équilibré ouverte à l’ensemble des étudiants, quel que soit leur lieu d’études.

En l’état, je ne suis pas convaincue que le ticket restaurant étudiant constitue, à lui seul, une réponse suffisante, mais il doit pouvoir s’inscrire comme un outil envisageable dans le cadre d’une solution plus globale, lorsqu’il n’est pas possible de construire une offre sociale assumée directement par l’État ou assurée avec le soutien des collectivités et des associations.

En premier lieu, il n’existe pas, à ce jour, d’offre de titre de paiements réglementés permettant d’ajouter au forfait de 6,60 euros le complément indispensable pour s’offrir un repas complet et équilibré. Ce sera peut-être le cas si les entreprises se positionnent clairement, mais il faudra du temps pour cela.

Par ailleurs, bien que le dispositif issu des travaux de la commission permette déjà de mieux cibler la mesure, son coût resterait considérable, sans, pour autant, garantir l’équité sociale entre les étudiants pouvant s’offrir un repas complet au-delà du forfait et ceux qui ne peuvent se le permettre.

Pour moi, la réponse doit s’écrire prioritairement au travers de partenariats construits localement avec les collectivités. Elle se trouve dans des dispositifs qui existent déjà et qui ont fait leurs preuves.

Dans les zones dépourvues de restaurants universitaires, les Crous ont mis en place des politiques d’agrément et de conventionnement, qui permettent aux étudiants de bénéficier des structures de restauration, telles que les cantines administratives, scolaires ou hospitalières, soumises aux mêmes exigences de qualité de service public.

Accompagnons ce développement : Dieppe, Draguignan, Guéret, Mende, Morlaix, Saint-Lô, Vienne sont des villes pour lesquelles le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le Cnous, et l’ensemble des Crous sont prêts à engager les discussions avec les collectivités, en vue de solutions concrètes à l’horizon des prochains mois.

Avant la rentrée de 2022, nous pouvons réussir à répondre aux attentes de l’ensemble des territoires encore trop éloignés de la restauration universitaire, et je suis prête à m’y engager avec vous. En novembre dernier, le Sénat a adopté, sur l’initiative de la sénatrice Laure Darcos, le principe, dans le cadre de la loi de la programmation de la recherche, d’une contractualisation entre les sites universitaires et les collectivités, qui, d’ores et déjà, associe les Crous.

En engageant cette nouvelle vague de contractualisation, nous permettrons aux acteurs territoriaux de répondre à l’exigence d’équité territoriale.

Comme je vous l’ai rappelé, ces partenariats permettent aujourd’hui d’apporter des solutions dans près de 190 sites universitaires isolés. À ce jour, près d’une quinzaine relève encore de ces zones blanches, mais je suis convaincue que nous disposons déjà des leviers permettant de répondre à leurs attentes.

Pour faciliter cette démarche, il pourrait être utile de déverrouiller, au bénéfice des collectivités et des associations, l’accès de ces partenaires à la centrale d’achat nationale du Cnous, qui est la clé de l’offre de produits alimentaires, à la fois qualitative et à tarif attractif, des restaurants universitaires. Nous le ferons bien évidemment, partout où c’est nécessaire.

J’ajoute que ce sujet demande un grand renfort de concertation avec les organisations représentatives des étudiants. Les deux principales, que sont la Fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, et l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, ont pris position clairement, mais je ne doute pas qu’il soit possible de trouver un point d’équilibre à travers la définition d’un objectif de couverture complète de l’ensemble des sites universitaires, en renforçant les outils dont nous disposons déjà à cette fin.

Ce que nous visons, au fond, c’est non pas seulement que nos étudiants mangent à leur faim, mais qu’ils gagnent en autonomie et en pouvoir d’agir. Ce que nous voulons leur offrir n’est pas seulement un quotidien digne, mais bien des conditions de vie favorables à leur réussite et à leur émancipation.

C’est pourquoi cette question de la lutte contre la précarité alimentaire doit être intégrée dans une vision globale de l’accompagnement social des étudiants et articulée à la réforme des bourses sur critères sociaux sur laquelle nous sommes en train de travailler.

La précarité étudiante est l’un des grands défis des mois à venir. Elle est aussi une opportunité pour changer notre regard sur les étudiants et penser enfin la singularité de ce statut. J’ai toute confiance en notre capacité à la saisir ensemble.

Nous aurons l’occasion de prolonger le débat lors de l’examen des amendements. Toujours est-il que le travail reste devant nous, à la fois parce que ce texte est perfectible et parce que nous disposons d’ores et déjà des outils permettant de couvrir les dernières zones blanches de notre territoire à l’horizon des prochains mois. (M. Julien Bargeton et Mme Maryse Carrère applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a profondément aggravé la précarité étudiante : troubles psychologiques, perte de revenus d’appoint, décrochage scolaire… Les conséquences sont nombreuses et jettent les étudiants dans des situations matérielles difficiles.

L’été dernier, le Gouvernement a pris une mesure essentielle d’accompagnement des étudiants en mettant en œuvre des repas à 1 euro dans les restaurants universitaires, pour les étudiants boursiers d’abord.

Cependant, les auteurs de la proposition de la loi, dont mes collègues du groupe RDSE Véronique Guillotin et André Guiol sont cosignataires, soulignent à juste titre que cette décision s’avère inégalitaire à l’usage, en ce qu’elle exclut de fait les étudiants boursiers éloignés des grands campus et des centres-villes, et donc du système de restauration des Crous.

Pour autant, l’instauration d’un ticket restaurant étudiant disponible à tout moment, pour tous les étudiants, que proposaient les auteurs de ce texte était certainement mal adaptée et trop large. En effet, les Crous auraient alors dû faire face à la concurrence de la restauration privée avec de moindres financements.

En outre, ce dispositif ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de lutte contre la précarité étudiante, tant il est difficile de trouver un repas complet et équilibré pour 6,60 euros.

La commission a utilement procédé à des modifications pour centrer la proposition de loi sur la problématique de l’accès à la restauration universitaire. En effet, faute d’une répartition homogène des restaurants universitaires, l’existence de « zones blanches » place certains étudiants en situation d’inégalité d’accès au service public du Crous. Ces étudiants de territoires sous-dotés en infrastructures sont ainsi dans l’impossibilité de bénéficier des tarifs sociaux.

La commission a resserré le dispositif, dont le coût budgétaire initial, évalué entre 2 et 3 milliards d’euros annuels, rendait insoutenable la proposition. Désormais, le ticket sera territorialisé et proposé aux seuls étudiants éloignés des structures de restauration universitaire, lesquels pourront bénéficier d’un ticket à tarif social pour se restaurer ou faire des achats alimentaires auprès d’établissements conventionnés – nous souhaiterions d’ailleurs, madame la ministre, connaître les modalités de ce conventionnement.

Ce ticket restaurant étudiant constituera une offre complémentaire de celle de la restauration universitaire. Cette solution permet aussi d’écarter tout risque de déstabilisation de la situation financière, déjà très délicate, des Crous.

Dans le même temps, ce dispositif créera un cercle vertueux avec les acteurs locaux de la restauration, qui en auront particulièrement besoin au moment où leur activité reprend.

Le groupe RDSE, comme je l’ai souligné, est favorable à cette innovation qui ira dans le sens d’un meilleur service aux étudiants. Nous voterons ce texte avec enthousiasme.

Pour autant, il sera nécessaire d’aller plus loin à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, en pérennisant le repas à 1 euro qui constitue une mesure sociale fondamentale à destination des étudiants précaires.

Il faudra alors trouver de nouvelles sources de financement, sauf à déséquilibrer totalement les budgets et les capacités d’investissement des Crous. Cette situation risque d’affecter toutes leurs autres missions – logement, accompagnement social, accès à la santé ou à la culture –, autant de secteurs prioritaires pour les conditions de vie des étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je partage l’émotion collective qui s’est manifestée dans cet hémicycle. Un grand pays comme le nôtre ne peut accepter qu’une partie de sa jeunesse estudiantine souffre de la faim et soit contrainte de trouver sa pitance auprès des associations caritatives.

Cette crise n’est pas seulement la conséquence d’une situation qui a privé les étudiants d’une partie de leurs ressources. Elle est le symptôme, aggravé par la pandémie, d’une augmentation continue et ancienne de la précarité étudiante. Le Sénat a souhaité en analyser précisément les causes et les conséquences dans le cadre d’une mission d’information – vous m’avez fait l’honneur, mes chers collègues, de me confier la présidence de cette mission et je vous en remercie.

Les images des longues files d’attente des étudiants devant les soupes populaires ne doivent pas faire oublier la mobilisation absolument exemplaire du réseau des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires. Nous devons saluer collectivement l’extrême mobilisation de tous leurs agents qui ont su, dans des circonstances très difficiles, adapter en permanence leurs services à des normes sanitaires très changeantes pour offrir aux étudiants, dans les restaurants universitaires, des repas, un accueil et un peu de chaleur humaine. L’action des Crous dans les résidences universitaires a été aussi d’un grand secours et a certainement permis d’éviter de nombreux drames.

L’abaissement du tarif du repas à l’euro symbolique, d’abord pour les boursiers puis pour l’ensemble des étudiants, fut une mesure de salubrité et d’humanité absolument nécessaire. Elle doit être pérennisée.

Aussi, madame la ministre, vous devez nous donner céans l’assurance que la charge budgétaire supplémentaire imposée au réseau des Crous sera compensée dans le projet de loi de finances rectificative, qui sera soumis au Sénat prochainement, et que le coût de la prolongation de cette mesure sera intégré au budget 2022.

Néanmoins, il est incontestable que le réseau des Crous, malgré ses 400 restaurants, ne peut apporter une offre de restauration à tous les étudiants sur l’ensemble du territoire. Pratiquement, il n’est pas raisonnable de demander la création de restaurants dans des communes où la densité d’étudiants est trop faible pour assurer ce service. Je pense, par exemple, aux 175 étudiants de l’antenne de l’université de Perpignan à Mende, en Lozère. En l’occurrence, il serait nécessaire que le Crous passe une convention avec une collectivité pour permettre à ces 175 étudiants d’accéder à la restauration collective disponible à Mende.

C’est à ces deux conditions – absence d’une offre du Crous et accès des étudiants à la restauration collective des organismes publics – que nous considérons que cette proposition de loi est susceptible de contribuer à l’extension du service public de la restauration universitaire, avec l’aide des collectivités.

La crise pandémique a montré que l’action coordonnée des Crous et des collectivités était essentielle pour renforcer les services offerts aux étudiants. Madame la ministre, il faut que vous donniez au réseau des Crous les moyens budgétaires d’un développement de sa politique d’agrément avec les collectivités et les organismes publics pour qu’il puisse assurer le service public de la restauration universitaire sur l’ensemble du territoire national.

Pour reprendre mon exemple, madame la ministre, il n’appartient qu’à vous que les 175 étudiants de Mende puissent accéder à un service de restauration collective d’un organisme public, dès la rentrée prochaine. Sur ce dernier point, je crois que vous nous avez donné votre accord ; je vous en remercie. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sabine Van Heghe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux remercier nos collègues du groupe Union Centriste de nous proposer l’examen de cette proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant et saluer la qualité du travail de notre rapporteur.

J’ai d’abord accueilli plutôt favorablement la perspective offerte par ce texte. En effet, les étudiants n’ont pas tous accès à la restauration universitaire. Cette proposition de loi peut donc paraître frappée au coin du bon sens, car l’utilisation d’un ticket restaurant est simple, souple et peut sembler correspondre aux habitudes des jeunes.

Cependant, plus nous avons travaillé sur le sujet et moins nous avons été convaincus. Les travaux menés en commission la semaine dernière ont encore affermi notre conviction. Beaucoup d’étudiants, par la voix de leurs représentants, s’opposent à cette proposition de loi, évoquant même une « fausse bonne idée » – expression que je peux faire mienne.

Même si les questions budgétaires sont très peu évoquées dans ce texte, l’instauration de ces titres restaurant représenterait un investissement important, dépassant le milliard d’euros par an. Où va aller l’argent ainsi investi ? Le texte est très flou, mais il est à craindre que ce soit dans les enseignes de restauration rapide. Il s’agit donc, manifestement, autant – sinon plus – d’un soutien au secteur privé que d’une aide aux étudiants, conduisant à terme à un affaiblissement du service public des Crous, ce qui pénaliserait les étudiantes et les étudiants les plus précaires.

Quitte à faire un investissement important en direction des étudiants, pourquoi ne pas les soutenir directement à travers une aide financière de 1,5 milliard d’euros qu’ils réclament ? Elle permettrait de lutter plus efficacement contre la pauvreté étudiante qui s’accroît. Je rappelle que les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à l’extension du RSA aux 18-25 ans, en particulier en ces périodes très difficiles de crise sanitaire.

Les tickets restaurant peuvent également être le vecteur d’une certaine « malbouffe », la solution étant d’avoir recours à la restauration rapide et à ses qualités nutritionnelles souvent discutables…

Cette proposition de loi fait aussi l’impasse sur les enjeux budgétaires, renvoyant presque tout au pouvoir réglementaire. L’exposé des motifs évoque une valeur du ticket restaurant de 6,60 euros, avec une prise en charge pour les étudiants de 3,30 euros. Qui de l’État ou des collectivités territoriales prendra en charge le complément ? C’est le grand flou ; un flou qui peut faire craindre aux collectivités territoriales un nouvel alourdissement de leurs charges.

En outre, 3,30 euros à la charge des étudiants, c’est beaucoup. Les plus précaires ne pourront s’acquitter de cette somme. Et pourquoi paieraient-ils 3,30 euros, alors que le prix du restaurant universitaire est actuellement de 1 euro, sauf à présupposer que cette mesure bienvenue s’arrête ? Or il faudrait au contraire aider à la pérenniser.

Durant encore de très longs mois, les étudiants vont subir de plein fouet les conséquences économiques de cette crise sanitaire sans précédent, notamment en termes de logement et d’emplois étudiants. Leurs difficultés ne se limitent malheureusement pas à la nourriture, elles sont protéiformes et nécessitent – je le répète – une aide financière directe.

Je crains que l’éventuelle création de tickets restaurant pour les étudiants n’affaiblisse, au bénéfice du privé, les restaurants universitaires, dont la mission n’est pas seulement de nourrir les étudiants de manière équilibrée, ce qu’ils font plutôt bien d’ailleurs. Ils ont aussi une importante mission de socialisation et de repérage des élèves en difficultés ou en décrochage.

La restauration représente environ 30 % du chiffre d’affaires des Crous. Les priver d’une part de cette activité risque de mettre à mal leurs autres missions : logement, aides sociales, culture…

Je veux rappeler que la dotation budgétaire annuelle des Crous s’élève à seulement 10 % du coût prévisionnel de la création des tickets restaurant pour les étudiants : 367 millions d’euros pour 2021, hors crédits supplémentaires du plan de relance pour compenser la baisse à 1 euro du ticket de resto U. Les risques de fermeture de sites, de licenciement de personnels et de baisse de prestations sont donc très importants.

Cette proposition de loi met en avant des solutions inspirées par l’ultralibéralisme économique, l’individualisme et le repli sur la sphère privée. L’alternative consisterait à augmenter les moyens du réseau des œuvres, ce qui permettrait de multiplier les conventions et les partenariats avec les collectivités pour généraliser, à terme, l’accès à la restauration de tous les étudiants sur tous les territoires.

Les modifications apportées par la commission la semaine dernière, sur l’initiative de notre rapporteur, ne nous rassurent malheureusement pas. La restriction du bénéfice du dispositif aux seuls étudiants éloignés des restaurants universitaires introduit un critère uniquement géographique et non social et n’apporte pas davantage de garanties sur les financeurs, les conditions d’entrée dans le dispositif et le tarif du ticket.

Certes, ces nouvelles dispositions diminuent le coût de la mesure, mais les risques d’une prise en charge, par des financements publics, d’une alternative privée non accessible à tous perdurent, au détriment du service public de restauration universitaire et au risque d’un manque à gagner pour ce dernier.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, notamment le flou qui entoure la rédaction de ce texte, les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposeront à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, et à l’heure où nous espérons pouvoir sortir de la crise sanitaire que nous subissons depuis des mois, plus personne n’ignore les difficultés économiques et la précarité auxquelles sont confrontés les étudiants.

Au travers de nos auditions, dans le cadre de la mission d’information sur les conditions de la vie étudiante en France, nous avons constaté combien la crise sanitaire a eu un effet de loupe sur les difficultés économiques structurelles du monde étudiant.

D’après les données de l’Observatoire de la vie étudiante, 56 % des étudiants ont souffert de difficultés dans la gestion de leurs dépenses alimentaires durant le premier confinement. Plus inquiétant encore, un quart d’entre eux n’a pas été en mesure de manger à sa faim, contre seulement 6 % avant la pandémie.

Les files d’attente qui s’allongent devant les épiceries sociales et solidaires des campus témoignent de l’aggravation dramatique de la précarité alimentaire. Au-delà de cette difficulté, la question de l’adaptation de l’offre alimentaire à la vie étudiante se pose.

Devant cette situation d’urgence, la proposition de M. Levi de créer un ticket restaurant est une solution bienvenue pour les étudiants privés d’un accès à la restauration universitaire. Je tiens également à remercier le rapporteur, M. Hingray, de son travail fourni.

Certes, le ticket de resto U à 1 euro est une initiative louable, qui a permis de faire face à l’urgence de la crise. Mais ce dispositif n’est pas viable sur le plan budgétaire et n’a pas vocation à être pérennisé. De plus, il ne résout pas le problème de l’inégalité territoriale dans l’accès aux restaurants universitaires.

À l’inverse, le ticket restaurant étudiant présente l’avantage d’élargir la cadre géographique de la restauration étudiante aux territoires les plus reculés. Toutefois, il ne doit pas avoir pour conséquence de précipiter ses bénéficiaires vers les modes de restauration rapide, au détriment de leur santé.

De la même manière, il ne faut pas négliger la difficulté, en termes d’avance de trésorerie, qu’induirait la délivrance de tickets restaurant par lots à des étudiants qui ne sont souvent pas en mesure d’avancer une somme importante ni le coût difficilement soutenable du dispositif initial, évalué entre 2 et 3 milliards d’euros.

Enfin, il ne saurait s’agir de mettre en concurrence les Crous avec les opérateurs privés. Lieux emblématiques de la vie estudiantine, les Crous rivalisent d’efforts depuis de nombreuses années pour adapter leur offre à l’évolution des besoins.

C’est la raison pour laquelle je soutiens la disposition proposée par M. le rapporteur, et adoptée en commission, qui circonscrit le dispositif du ticket restaurant aux étudiants trop éloignés des structures de restauration universitaire. Plus cohérente sur le plan budgétaire, cette modification permet de réaffirmer le caractère complémentaire de la mesure et de répondre au problème des zones blanches, sans pour autant déstabiliser l’écosystème des œuvres universitaires et scolaires.

Avant de conclure, je souhaiterais saluer le formidable travail accompli par de nombreuses associations d’aide alimentaire durant la crise sanitaire, qu’il s’agisse des Restos du cœur, de Linkee ou d’autres, dont les bénévoles ont distribué plus de 40 000 paniers-repas gratuits aux étudiants franciliens depuis le mois d’octobre dernier. Ces acteurs représentent un soutien de taille à l’heure de voler au secours des plus démunis.

En adoptant cette proposition de loi, le Sénat prouvera que leurs efforts n’ont pas été vains et que la représentation nationale a pris la mesure des difficultés rencontrées par une partie de la jeunesse de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à créer un ticket restaurant étudiant, valable dans les restaurants et supermarchés conventionnés. D’une valeur de 6 à 7 euros, ces titres seraient financés par l’État avec un reste à charge pour l’étudiant de 3,30 euros.

Ce dispositif permettrait de réduire les dépenses alimentaires des étudiants et de lutter contre la précarité des jeunes, particulièrement touchés par la crise sanitaire.

En effet, la disparition d’un grand nombre d’emplois étudiants et de contrats d’intérim et l’annulation de nombreux stages rémunérés ont plongé des milliers d’étudiants dans une situation de grande fragilité financière.

Un dispositif similaire, mais temporaire, a été mis en place sur l’initiative, que nous avons saluée, du ministère de l’enseignement supérieur dans le cadre d’un programme d’aide d’urgence, en complément des repas à 1 euro dans les restos U.

Je partage pleinement les objectifs de cette proposition de loi, raison pour laquelle je l’avais cosignée. Toutefois, le dispositif initial appelle un certain nombre de réserves.

Tout d’abord, l’absence de ciblage du dispositif risque de concurrencer les restaurants universitaires et de fragiliser le modèle économique des Crous, dont 30 % des ressources reposent sur la restauration.

Par ailleurs, la distribution de tickets restaurant à l’ensemble de la population étudiante coûterait, comme cela a déjà été souligné, pas moins de 3 milliards d’euros à l’État.

Pour ces raisons, la commission a fait le choix de cibler le dispositif sur les étudiants situés en zone blanche et n’ayant pas accès aux restaurants universitaires, qui proposent des repas équilibrés deux fois par jour à 1 euro. J’adhère pleinement à cet ajustement.

Au-delà de la réponse apportée à la précarité alimentaire des étudiants, cette proposition de loi pose la question du maillage territorial des établissements supérieurs et de l’égalité d’accès de nos étudiants aux dispositifs d’accompagnement.

En effet, l’enseignement supérieur ne compte pas uniquement des universités, il compte aussi des établissements de proximité, parfois éloignés des grands centres urbains. La décentralisation des études supérieures nécessite une décentralisation des prestations d’accompagnement, dont l’accès à l’alimentation est une composante essentielle.

Le ticket restaurant de proximité est une réponse adaptée aux besoins de ces étudiants. Il ne s’agit pas de concurrencer les repas à 1 euro proposés par les Crous, mais de compléter ce dispositif, précisément dans les zones reculées dont les Crous sont absents.

Cette mesure s’inscrit pleinement dans le bouquet d’actions menées par le Gouvernement, bien en amont de la crise, pour améliorer les conditions de vie des étudiants. Je pense notamment à la suppression de la cotisation de sécurité sociale depuis 2018, à l’augmentation des bourses sur critères sociaux, à leur versement anticipé depuis 2020 et au plan de construction de 60 000 logements étudiants supplémentaires d’ici à 2022.

Nous soutenons ces actions indispensables, mais nous souhaitons que le Gouvernement s’engage encore davantage pour permettre à l’ensemble de nos étudiants, quel que soit leur lieu d’étude, de bénéficier des meilleures conditions de vie possible.

Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la précarité étudiante ne fait que s’aggraver depuis des années : le coût des études augmente et le logement représente les deux tiers du budget.

Si 36 % des étudiants ont touché des bourses en 2019-2020, ces dernières ne permettent souvent pas de vivre sans travailler à côté. Or le cumul entre études et emplois est la première cause d’échec à l’université.

Au sortir de la crise sanitaire, le constat est d’autant plus frappant : la situation économique des étudiants s’est dégradée. Selon un sondage de la Fondation Abbé-Pierre, 20 % des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2020. La moitié des étudiants a également rapporté des difficultés à payer repas et loyer.

Aussi, je ne peux que saluer l’intention de notre collègue et auteur de cette proposition de loi, M. Levi, qui a voulu répondre aux difficultés alimentaires et d’accès à une structure de restauration collective. Mais cette proposition de loi me semble être une fausse bonne idée et elle n’est pas à la hauteur des attentes des étudiants.

Tout d’abord, le montant du ticket est trop faible pour garantir l’accès à une restauration équilibrée, avec des produits de qualité. Nous courons ainsi le risque de favoriser les chaînes de restauration rapide, qui ne sont saines ni pour notre santé ni pour notre environnement.

Il est primordial de proposer une solution en accord avec les besoins et les attentes des étudiants. Et ce d’autant plus qu’une enquête de satisfaction du Cnous, menée en 2019, a fait ressortir que 59 % des étudiants se rendaient dans les restaurants universitaires pour avoir accès à des repas sains et équilibrés. Les Crous font des efforts considérables pour proposer une alimentation variée et équilibrée. Ils se sont engagés à renforcer une offre bio et végétarienne.

Par ailleurs, les missions des Crous ne se limitent pas à distribuer des repas. Ce sont des lieux de sociabilité et d’échange, qui permettent d’identifier les étudiants les plus fragiles et de les accompagner tout au long de leurs études.

Avec cette mesure, l’État devra effectuer des dépenses publiques pour permettre aux étudiants de consommer dans le privé, sans les avantages ni l’accompagnement qu’un établissement du Crous pourrait garantir.

Dans sa première mouture, cette proposition de loi mettait en danger le fonctionnement des restaurants universitaires, et par extension celui des Crous. Monsieur le rapporteur, lors des auditions, vous avez entendu les critiques des syndicats étudiants et des Crous et proposé de limiter le champ de cette mesure aux zones blanches. Mais cela ne règle pas tous les problèmes que risquent d’engendrer ces tickets restaurant.

Or d’autres solutions sont possibles. On pourrait ainsi déployer le réseau des restaurants universitaires dans les zones blanches, élargir les horaires en soirées et week-ends et permettre aux Crous de conclure et de renforcer des partenariats avec des collectivités, des associations ou divers établissements – lycées, hôpitaux, Ehpad…

On pourrait également pérenniser le repas à 1 euro, mesure rapide et efficace qui a permis de limiter l’insécurité alimentaire pendant la crise du covid-19.

Mieux encore, il existe une mesure simple pour régler en grande partie les difficultés financières et les inégalités entre étudiants. Il s’agit du revenu universel d’autonomie pour tous les jeunes, idée évoquée en 2019 par le Gouvernement. Malheureusement, c’est encore un espoir d’avancée sociale que ce gouvernement aura déçu.

Vous l’aurez compris, et pour toutes les raisons que j’ai invoquées, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a un objectif louable, que nous partageons tous : lutter contre la précarité alimentaire des étudiants.

Le texte met en avant un certain nombre d’insuffisances et de difficultés, notamment l’éloignement géographique de certains étudiants qui ne peuvent pas avoir accès à un restaurant universitaire, les plages d’ouverture parfois insuffisantes, les files d’attente dissuasives ou l’aspiration à de nouveaux modes de consommation. Le monde change et les étudiants sont demandeurs de davantage de flexibilité.

Si cette proposition de loi met utilement en avant des manques et des besoins, le groupe RDPI ne partage pas entièrement la solution proposée.

En effet, il existe déjà un service public, les Crous, qu’il faut conforter, renforcer, et non fragiliser. Ces derniers ont joué un rôle essentiel dans la mise en place des deux repas par jour à 1 euro, d’abord pour les boursiers puis pour les autres étudiants. Les Crous sont également un lieu important de socialisation et de rencontre pour les étudiants.

Par ailleurs, les émetteurs de tickets restaurant classiques nous ont fait remarquer qu’ils avaient déjà distribué en 2020, à la demande de votre ministère, madame la ministre, des tickets restaurant à des étudiants en détresse sociale. Les choses s’étaient très bien passées.

Sans que cela constitue un obstacle dirimant, il faut aussi noter que deux grandes organisations syndicales, l’UNEF et la FAGE, ne sont pas très favorables à ce dispositif. S’il ne faut pas prendre pour argent comptant, de manière générale, les positions des syndicats, on dit aussi qu’il faut savoir s’appuyer sur les corps intermédiaires… (Sourires au banc des commissions.) Ne balayons pas leurs arguments d’un revers de main, mais ne collons pas non plus à leur position.

Ces organisations insistent sur le fait qu’il faut continuer d’améliorer la qualité de la restauration collective. Il ne faudrait pas que les dispositions de ce texte remettent en cause un mouvement déjà en œuvre, qui consiste à renforcer les dimensions collective et qualitative de la restauration universitaire.

Ce sont des raisons qui plaident contre le vote de ce texte par notre groupe. Reconnaissons-le, la commission a substantiellement modifié le dispositif, qui paraît désormais mieux ciblé : autant la première version soulevait de grandes difficultés, autant celle-ci cible mieux les étudiants qui auraient besoin de tickets restaurant. Qui plus est, elle s’avère d’un coût moindre, même s’il est difficile de prévoir le montant exact de la mesure, puisque ces tickets sont utilisés à la demande.

Peut-être conviendrait-il de poursuivre la concertation, afin d’affiner encore plus le dispositif. Le rapporteur et l’auteur du texte ont d’ores et déjà mené un travail intéressant. Sans doute une étape supplémentaire est-elle encore nécessaire. Dans cette attente, le groupe RDPI s’abstiendra, de façon positive, sur ce texte. (M. le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le logement, les dépenses d’alimentation constituent la principale charge des étudiants.

En fonction de leurs moyens financiers et des charges fixes auxquelles ils ne peuvent se soustraire, parmi lesquelles figurent notamment les frais de téléphonie et d’internet, les achats de nourriture, essentiels par définition, deviennent une variable d’ajustement qui se traduit souvent par de petites quantités et une mauvaise qualité, ou bien rien !

Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire que nous avons vécue n’ont en rien arrangé la situation des étudiants. Cette crise a accentué les inégalités au sein de cette population très hétérogène, affectant tout particulièrement les étudiants ne bénéficiant pas d’un soutien financier familial et/ou exerçant une activité rémunérée pour subvenir à leurs besoins.

Les confinements successifs et la fermeture des restaurants universitaires les ont souvent privés d’un repas équilibré par jour. Un quart des étudiants dont les difficultés financières se sont aggravées pendant le confinement ont déclaré ne pas toujours avoir pu manger à leur faim pour des raisons financières.

La hausse de la fréquentation des épiceries sociales et solidaires dans les campus et l’affluence constatée lors des distributions de colis alimentaires organisées par les acteurs associatifs témoignent de l’aggravation du phénomène de précarité étudiante qui préexistait à la crise.

Le 25 janvier dernier, le Gouvernement a mis en place le repas à 1 euro pour tous les étudiants, qu’ils soient boursiers ou non. Si nous avons salué cette mesure, force est de constater qu’il existe, un peu à l’image de la cartographie des réseaux téléphoniques, des « zones blanches ». Une part trop significative d’étudiants est exclue de ce dispositif. Comme mon collègue Pierre-Antoine Levi, auteur de ce texte, aime à le rappeler, les étudiants peuvent télétravailler, mais ils ne peuvent pas « télémanger » !

Nous avons tous, dans nos circonscriptions, des territoires sous-dotés en structures de restauration universitaire. En Vendée, par exemple, la faculté d’Angers propose une formation pour les L3 située aux Sables-d’Olonne ; le Crous le plus proche est à 30 kilomètres, à La Roche-sur-Yon, ce qui rend impossible toute restauration universitaire pour ce type d’étudiants.

Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi au service de ces derniers : elle vise à améliorer leurs conditions d’accès à une restauration au tarif étudiant. Comment ? En dupliquant un dispositif social accessible aux salariés, c’est-à-dire en créant un ticket restaurant à destination des étudiants, qui leur permettra d’accéder à une offre de restauration de proximité à moindre coût.

Cette idée n’est pas nouvelle, mon jeune (Sourires.) collègue Jean Hingray la défendait déjà sur les bancs de l’université, avant de la porter dans notre assemblée. Au regard des conséquences de la crise sanitaire, une telle mesure devient urgente.

Ce ticket restaurant permettra un élargissement du cadre de la restauration étudiante à la fois géographique et temporel. De nombreux Crous, en effet, n’ouvrent que pendant la pause méridienne et seulement quelques mois dans l’année. Ce dispositif donnera également plus de souplesse aux étudiants, qui pourront utiliser ces tickets au restaurant ou bien pour faire leurs courses et cuisiner chez eux.

L’amendement proposé par le rapporteur lors de l’examen du texte par la commission, que nous avons adopté, a permis de réajuster le dispositif qui se concentre uniquement, désormais, sur les étudiants éloignés de toute structure. Je ne doute pas du fait que les étudiants qui assistent aujourd’hui à notre séance partagent cette perspective !

Une telle clarification permet de contrer les abus éventuels. Elle s’inscrit dans une démarche d’offre complémentaire et non concurrentielle avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires, évitant ainsi tout risque de déstabilisation de ce dernier.

Pour conclure, je souhaite saluer notre collègue Pierre-Antoine Levi, auteur de cette proposition de loi, ainsi que le rapporteur Jean Hingray, pour leurs travaux précis et efficaces au service de l’amélioration des conditions de vie de nos étudiants, lourdement affectés par la crise sanitaire et trop souvent oubliés ces derniers mois.

Le groupe Union Centriste votera unanimement cette proposition de loi. Madame la ministre, entendez l’appel des étudiants éloignés des sites ! Ils sont aujourd’hui dans les tribunes, et je les salue. Ce texte pourrait aboutir rapidement, si vous vous en saisissez. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la détresse dans laquelle se trouvent plongés bon nombre d’étudiants depuis le début de la crise sanitaire que nous traversons s’est singulièrement illustrée par les images de longues files d’attente occasionnées par la distribution de repas gratuits.

Ce phénomène, certes largement conjoncturel, a mis en exergue les difficultés matérielles rencontrées par les étudiants, dont la vie est loin d’être un long fleuve tranquille. Se nourrir, au même titre que se loger, ressemble pour certains à un véritable parcours du combattant, dans lequel on cherche plus des mesures palliatives qu’un confort idéal. C’est une situation dans laquelle on se satisfait de conditions juste acceptables pour poursuivre ses études.

Au travers de la proposition de loi déposée au Sénat par Pierre-Antoine Levi et à l’Assemblée nationale par ma collègue du Maine-et-Loire Anne-Laure Blin, il s’agit de prendre en considération la précarité alimentaire, dont souffrent certains étudiants, et de proposer, pour l’estomper, une mesure de ticket restaurant, dont chacun connaît le fonctionnement pour les salariés du secteur privé.

Comment adapter un tel dispositif au public estudiantin ? La question n’est pas si simple, et je veux saluer le travail de M. le rapporteur, Jean Hingray, qui, tout au long des auditions qu’il a menées, a bien mesuré les écueils, les difficultés d’application et les impacts d’une telle mesure.

Une instauration généralisée des tickets restaurant pour tous les étudiants, quel que soit le campus fréquenté, comportait à mon sens un potentiel risque de déstabilisation du réseau des Crous qui, rappelons-le, a la charge à la fois des restaurants et des résidences universitaires.

Mon dernier rapport budgétaire mettait en lumière les pertes financières des Crous, qui sont concentrées sur la partie restauration. De plus, de nouvelles exigences en matière d’approvisionnements locaux et en aliments bio, liées notamment à l’application de la loi Égalim, engendreront un surcoût non négligeable. Il me semble par conséquent délicat de les solliciter davantage sans une augmentation de la subvention pour charges de service public. Nous pourrons avoir ce débat lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

Cependant, il reste les fameuses zones blanches évoquées par M. le rapporteur, soit, pour l’essentiel, les antennes universitaires non pourvues de resto U, où chacun doit se débrouiller pour accéder à une alimentation à un tarif raisonnable et, si possible, équilibrée.

Je félicite M. le rapporteur d’avoir trouvé, via un amendement largement adopté par la commission, une nouvelle rédaction de l’article 1er qui introduit une judicieuse territorialisation de la mesure. Le décret d’application devra préciser les modalités de mise en œuvre de ce ticket restaurant étudiant, notamment son périmètre et son usage.

Il subsiste toutefois, semble-t-il, quelques interrogations, voire certains griefs contre cette initiative législative. C’est bien connu, quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu’il a la rage…

J’estime ainsi que le coût de la mesure est largement surévalué. La subvention de 3,30 euros par repas ne saurait être multipliée par le nombre d’étudiants – quasiment 2,8 millions – et le nombre de repas que compte une année universitaire. D’une part, la territorialisation évoquée précédemment réduit considérablement « l’assiette », si je puis dire. D’autre part, les habitudes des étudiants sont diverses, et une étude montre que moins d’un étudiant sur deux fréquente les restaurants universitaires. Rappelons-le également, comme pour les salariés du secteur privé, il s’agit d’une possibilité que chaque étudiant exercera à sa guise – il n’y a donc rien de systématique.

Par ailleurs, la mesure est considérée par certains comme une faveur, dont il conviendrait de faire le procès, accordée aux chaînes de restauration rapide, comme si chaque étudiant, muni de son ticket restaurant dûment acquis, achètera et avalera, jour après jour, son hamburger favori, sans aucune considération diététique. Curieusement, il n’a pas été mis en avant que ces tickets pourraient aussi être utilisés chez les restaurateurs, qui souffrent depuis maintenant dix-huit mois.

Je rappelle que nous parlons ici de jeunes adultes, régulièrement sensibilisés à la problématique de l’alimentation et de ses conséquences sur leur santé, de jeunes gens dotés d’une certaine capacité à avoir une attitude responsable.

Si je reprends cet argument, faudrait-il envisager que toute mesure d’aide sociale, des allocations logement au RSA, en passant par les indemnités chômage, soit accompagnée d’un mode d’emploi, d’un règlement pour son usage, voire d’un conseiller délivrant les autorisations de décaissement ? Je ne souscris évidemment pas à une telle vision de mise sous tutelle.

Pour les raisons que je viens d’invoquer, les sénateurs du groupe Les Républicains ont choisi de faire confiance à ce dispositif novateur et aux étudiants pour son usage. Par conséquent, ils voteront pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Article 2

Article 1er

Le chapitre Ier du titre II du livre III du code de l’éducation est complété par un article L. 821-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 821-5. – Le ticket restaurant étudiant est un titre spécial de paiement remis aux étudiants n’ayant pas accès à une structure de restauration universitaire pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie le prix d’un repas consommé ou acheté auprès d’un organisme ayant conventionné, sur le territoire considéré, avec les établissements d’enseignement supérieur, les collectivités territoriales ou le réseau des œuvres universitaires et scolaires.

« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Van Heghe et S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, MM. Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Van Heghe. La mise en place d’un ticket restaurant universitaire, même restreint au bénéfice des seuls étudiants éloignés des centres universitaires, permettra à l’initiative privée de se substituer partiellement au service public de restauration universitaire, tout en bénéficiant de financements publics.

La mise en place de ce ticket risque d’entraîner une diminution de la fréquentation des restaurants universitaires et, donc, une baisse de leurs moyens, qui sera lourde de conséquences sociales et sur la pérennité de leur réseau.

Le dispositif est en outre extrêmement flou quant aux financeurs et à leur participation respective dans le dispositif. Il ne présente aucune garantie d’exigence de qualité nutritive des repas accessibles grâce au ticket. Ce dernier ne sera vraisemblablement pas accessible aux étudiants les plus précaires, puisqu’il apparaît, à la lecture de l’exposé des motifs de la proposition de loi, qu’une part non négligeable restera à la charge des destinataires.

Il aurait été préférable de rediriger les fonds publics prévus pour financer ce ticket restaurant étudiant vers le renforcement des aides sociales.

Par conséquent, nous demandons la suppression de l’article 1er.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean Hingray, rapporteur. La commission est bien entendu défavorable à cet amendement.

Pour répondre à votre intervention à la tribune, ainsi qu’à nos échanges en commission, madame la sénatrice, j’aurais préféré, au lieu de cet amendement de suppression, un amendement prévoyant la mise en place d’un critère social. Si vous teniez à ce critère, nous aurions pu en discuter, voire y être favorables.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Je profite de l’opportunité qui m’est donnée pour remercier l’ensemble des sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, de leur hommage appuyé, auquel je m’associe, aux Cnous et aux Crous, et à leurs agents, qui seront très sensibles à la reconnaissance du rôle essentiel qu’ils jouent auprès de nos étudiants.

Je veux également remercier l’auteur du texte et le rapporteur de la commission d’avoir mis un coup de projecteur sur ce sujet, qui est bien réel. Je salue, enfin, la très grande qualité des débats.

Plus précisément sur cet amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Article 3

Article 2

(Supprimé)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3

I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Van Heghe et S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, MM. Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Van Heghe. Cet amendement de coordination n’ayant plus de raison d’être, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.

Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant.

(La proposition de loi est adoptée.)  (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
Discussion générale (suite)

Nommer les enfants nés sans vie

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Mme Anne Catherine Loisier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 189, texte de la commission n° 655, rapport n° 654).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
Article additionnel avant l'article unique - Amendement n° 3 rectifié bis

Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est le fruit de rencontres et d’échanges avec des familles durement éprouvées par la perte d’un enfant né sans vie. Je salue celles qui sont présentes ce matin en tribune.

Ce texte vise à donner un nom de famille à ces enfants afin d’accompagner le deuil des parents et de figer ainsi dans la loi les premiers éléments d’une reconnaissance sociale. La disposition proposée n’emporte pas de droits supplémentaires, mais elle permet aux familles comme à tous les professionnels qui les accompagnent dans ces moments si pénibles, les sages-femmes, le personnel médical et les agents de l’état civil, des services funéraires, mais aussi des caisses d’allocations familiales ou de la Mutualité sociale agricole, de s’appuyer sur un cadre juridique à même – je l’espère – de faire évoluer les pratiques et de résorber les trop nombreuses inégalités territoriales constatées.

Je voudrais ici remercier les juristes et les sociologues que j’ai sollicités pour qu’ils m’éclairent dans la compréhension de ce dossier. Je salue le travail d’analyse et de sensibilisation qu’ils réalisent sur ce sujet délicat. J’attire d’ailleurs l’attention de ceux qui ne le connaîtraient pas sur le rapport Périsens (périnatalité, statuts, enregistrement, statistiques), publié en juin 2019 dans le cadre de la mission de recherche « Droit et justice ».

En matière de reconnaissance des enfants sans vie, la situation est bel et bien préoccupante. Leur nombre est estimé à 8 000 par an, mais leur recensement est difficilement fiable puisque certains parents choisissent, semble-t-il, de ne pas faire enregistrer leurs enfants.

En l’absence de personnalité juridique, la loi ne reconnaît pas socialement ces enfants, pas plus qu’elle ne reconnaît le deuil périnatal.

Nous entendons franchir ce pas, en permettant aux parents qui le souhaitent d’attribuer un nom de famille à ces enfants et en inscrivant dans la loi la possibilité de choisir un prénom. Cette dernière faculté est reconnue aux parents par un texte normatif, la circulaire du 19 juin 2009, aux termes de laquelle « un ou des prénoms peuvent être donnés à l’enfant sans vie, si les parents en expriment le désir », mais elle n’est jusqu’à présent pas prévue à l’article 79-1, alinéa 2, du code civil. J’ajoute que l’ouverture d’une telle possibilité se ferait sans créer de personnalité juridique ni de lien de filiation.

La disposition que nous soumettons au débat a été formulée sous forme de recommandation, dès 2005, par le Médiateur de la République.

La situation des enfants nés sans vie pose de nombreuses questions qui restent en suspens d’un point de vue juridique : au motif qu’il n’a pas de personnalité juridique, l’enfant né sans vie doit-il être juridiquement considéré comme l’enfant de personne ? Pourquoi ne pas attribuer un nom et un lien de filiation à un enfant né sans vie, alors qu’il peut être inscrit sur le livret de famille et se voir attribuer un prénom ? Qui porte un prénom sans avoir de nom ?

Inversement, malgré la non-reconnaissance d’un lien de filiation, l’acte d’enfant sans vie doit énoncer l’identité des père et mère en application de l’article 79-1 du code civil.

Il y a là autant de questions auxquelles cette proposition de loi ne répond que partiellement.

En ce sens, elle constitue à mes yeux une étape dans la prise de conscience juridique de ces situations, mais également dans l’organisation d’un accompagnement des familles qui reste à construire.

Je remercie notre rapporteur, Marie Mercier, pour le travail d’ajustement qu’elle a accompli, ainsi que mes collègues pour leurs propositions, en particulier l’amendement visant à ce que soit remis chaque année au Parlement un rapport sur la protection sociale à laquelle ont droit les parents d’enfants nés sans vie.

Ces dispositions constituent de réelles avancées sur le chemin de la reconnaissance des enfants nés sans vie et de l’accompagnement social du deuil des familles.

Ces nom et prénom individualisent l’enfant, lui accordent une place « officielle » dans la famille et dans son histoire, l’affirment aux yeux de l’administration, des services publics et des différents acteurs qui accompagnent la famille. Supports mémoriels et de deuil essentiels pour la famille, ils représentent un pas supplémentaire vers la reconnaissance sociétale de cette épreuve.

Ils permettront, je l’espère, d’avancer encore, à l’avenir, vers une plus grande considération sociale et surtout, monsieur le garde des sceaux, vers une meilleure uniformisation du traitement de ces situations et de l’accompagnement des familles sur l’ensemble du territoire.

Tels sont les objets de cette proposition de loi que vous me permettrez de qualifier d’humaniste et que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier est volontairement très circonscrit : il s’agit de donner un nom aux enfants nés sans vie pour mieux accompagner les familles qui subissent un deuil périnatal. C’est cela, tout cela, mais rien que cela qui nous occupe ce matin.

La notion d’enfant sans vie est une notion juridique issue de l’article 6 de la loi du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales, qui a distingué les enfants sans vie des enfants nés vivants et viables, dotés, eux, d’une personnalité juridique.

Bien que les enfants sans vie ne se voient reconnaître aucune personnalité juridique, le législateur a fait le choix d’accompagner les parents dans leur deuil, en permettant l’enregistrement de ces enfants à l’état civil.

L’acte d’enfant sans vie est directement inscrit dans le registre des décès. Il s’agit, pour les parents, d’un acte optionnel qui n’est soumis à aucun délai particulier, contrairement à l’acte de naissance qui doit être établi dans les cinq jours après l’accouchement.

Les parents sont désignés, dans l’acte, sous l’appellation de « père » et « mère », ce qui peut sembler paradoxal puisque l’enfant, n’ayant pas de personnalité juridique, n’a pas de filiation. Nous aurons un débat tout à l’heure sur cette notion de « père » et « mère » ; le sujet n’est pas là et cette question ne doit pas compliquer l’examen de la présente proposition de loi.

L’inscription à l’état civil vient ici donner l’apparence d’une existence juridique et l’apparence d’une filiation, bien que celles-ci ne soient en réalité que mémorielles. Il y va d’« un accompagnement bienveillant » par le droit, selon l’expression utilisée par un universitaire que nous avons auditionné, une sorte d’« accommodement raisonnable » du droit.

Depuis 2008, l’acte d’enfant sans vie est conditionné à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère, que celui-ci ait eu lieu de manière spontanée ou ait été provoqué pour raison médicale, selon un modèle défini par arrêté du ministre de la santé.

N’ouvrent pas la possibilité d’un tel certificat d’accouchement, et donc d’une inscription à l’état civil, les interruptions de grossesse du premier trimestre, c’est-à-dire les interruptions spontanées précoces – les fausses couches – et les interruptions volontaires de grossesse. Je précise qu’auparavant une circulaire imposait aux officiers de l’état civil d’appliquer les seuils de viabilité reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit un poids de 500 grammes ou une aménorrhée de vingt-deux semaines. Mais la Cour de cassation, par trois arrêts du 6 février 2008, a jugé qu’une simple circulaire ne pouvait limiter les droits des parents ni ajouter au texte des conditions qu’il ne prévoit pas. C’est donc désormais aux médecins qu’il revient de constater s’il y a eu ou non accouchement.

Depuis 2008, les couples non mariés dont le premier enfant est mort-né ou non viable peuvent également se faire délivrer un livret de famille par l’officier de l’état civil afin d’y inscrire leur enfant, ce qui n’était possible auparavant que pour les couples mariés ou ayant déjà un enfant.

Une circulaire du 19 juin 2009 a ensuite reconnu aux parents le droit de choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie. Les parents peuvent également organiser des funérailles et bénéficier de certains droits sociaux tels que les congés de maternité et de paternité ou le congé de deuil.

L’auteure de cette proposition de loi veut autoriser l’inscription de l’enfant sans vie à l’état civil sous un nom. Elle souhaite par ailleurs inscrire dans la loi, et non plus dans une simple circulaire, la possibilité de lui donner un prénom.

L’intention de l’auteure est de limiter la portée de l’attribution d’un nom au seul acte d’enfant sans vie, afin d’éviter tout effet de bord potentiellement indésirable. La rédaction proposée précise à cette fin que l’acte d’enfant sans vie « emporte uniquement modification de l’état civil de l’enfant ».

La question qui se pose à nous est celle de savoir si nous souhaitons aller plus loin dans la reconnaissance de l’enfant sans vie. Les parents peuvent déjà inscrire leur enfant à l’état civil sous un prénom, l’inscrire sur leur livret de famille et organiser pour lui des funérailles. Faut-il leur accorder le droit supplémentaire de lui donner un nom ?

Oui, a répondu la commission des lois. Elle a estimé qu’il était légitime d’aller au bout du processus d’identification de l’enfant mort-né ou non viable pour mieux l’inscrire dans l’histoire familiale et matérialiser symboliquement le lien de filiation du père, ce dernier n’ayant pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère, qui a accouché.

Par ailleurs, donner un nom en plus du prénom rendrait plus cohérente la reconnaissance symbolique de l’enfant sans vie et procéderait de la même logique compassionnelle que celle qui présida à la création par le législateur de l’article 79-1 du code civil en 1993. Les familles ne comprennent pas « l’entre-deux » actuel, en vertu duquel on peut choisir un prénom, mais pas un nom.

Toutefois – c’est un point important –, la commission a souhaité inscrire expressément dans le texte le caractère symbolique de ce pas supplémentaire. Il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à la reconnaissance d’une personnalité juridique à l’enfant sans vie via l’attribution de prénoms et d’un nom.

Le prénom et le nom sont des attributs de la personnalité juridique. C’est parce qu’il y a personnalité juridique que la personne peut avoir un prénom et un nom, puis une filiation, et ainsi entrer en ligne de succession.

À l’inverse, si le législateur décide de donner un prénom et un nom à une personne dépourvue de personnalité juridique, cette attribution lui confère-t-elle de facto une personnalité juridique ? Les professeurs de droit que j’ai entendus ont estimé que non. En droit français, seul le fait d’être né vivant et viable confère la personnalité juridique.

Néanmoins, pour éviter tout risque de construction prétorienne et dans la mesure où l’auteure de la proposition de loi s’était déjà engagée dans cette voie, la commission a ajouté la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Ainsi se trouverait expressément écarté tout éventuel effet, en matière de filiation et de succession notamment, sans qu’il soit fait mention, comme initialement proposé, d’un « état civil » dont l’enfant sans vie est dépourvu, car – je vous le rappelle – il n’a pas de personnalité juridique.

Compte tenu de la valeur simplement mémorielle de l’acte d’enfant sans vie, cette mention écarterait également l’application de l’alinéa 3 de l’article 311–21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille – « le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs » –, ce qui n’empêcherait évidemment pas les parents de choisir le même nom de famille pour leurs enfants nés postérieurement.

Enfin, conformément à la volonté initiale de l’auteure, la rédaction adoptée par la commission marque de manière plus claire le caractère optionnel de l’attribution d’un ou de prénoms et d’un nom à l’enfant sans vie. Par ailleurs, elle précise les modalités du choix du nom par les parents.

Au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier, ainsi modifiée avec son assentiment.

Je veux le répéter encore : il s’agit simplement d’offrir un accompagnement à ces familles qui sont et resteront pour toujours pleines de larmes. Aidons-les un tout petit peu dans ce deuil impossible qu’est le deuil de l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2020, 740 000 naissances ont eu lieu dans notre pays.

Parfois, hélas, le chagrin est au rendez-vous d’un événement qui se voulait heureux. Je pense bien sûr à la peine des parents et des familles qui ne pourront pas entendre le premier cri de cet enfant attendu, né sans vie. L’année dernière, 8 747 actes d’enfant sans vie ont été dressés. Derrière ce chiffre se cachent des douleurs immenses. Ce deuil nécessite un accompagnement et beaucoup d’empathie de notre part.

Aujourd’hui, un acte juridique permet de reconnaître cet enfant : c’est l’acte d’enfant sans vie, créé par la loi du 8 janvier 1993 relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant.

L’article 79-1 du code civil distingue ainsi deux hypothèses.

Lorsque le certificat d’accouchement atteste que l’enfant est né vivant et viable, mais que celui-ci décède avant l’établissement de l’acte de naissance, l’officier d’état civil dresse simultanément un acte de naissance et un acte de décès. L’enfant qui est né vivant et viable, même s’il n’a vécu que quelques instants, a été une personne avec tous les attributs de la personnalité juridique.

Au contraire, lorsqu’il n’est pas attesté par le certificat d’accouchement que l’enfant est né vivant et viable, un acte d’enfant sans vie peut être établi. Cet acte est enregistré seulement sur les registres de décès. L’enfant sans vie peut recevoir un prénom et être inscrit sur le livret de famille avec indication du nom de ses père et mère, alors même que la filiation n’est pas juridiquement établie.

Ceux que la loi désigne comme « enfants sans vie » sont, d’une part, les enfants qu’on appelait jadis « mort-nés » et, d’autre part, les enfants décédés peu après la naissance, car ils n’étaient pas viables.

Avec votre proposition de loi, madame la sénatrice Loisier, vous souhaitez donner un nom de famille aux enfants sans vie pour accompagner le deuil des parents.

Je veux saluer la grande humanité de votre démarche ; je partage avec vous l’objectif visant à mieux prendre en compte la situation des familles touchées par de tels drames. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour nous tous, notamment pour le Gouvernement. L’implication de chacun est nécessaire pour accompagner ces familles à la hauteur de leur souffrance.

Je tiens à exprimer ici devant vous une pensée chaleureuse et particulière à l’attention de l’ensemble des familles qui ont été frappées par la douleur de la perte d’un enfant né sans vie. L’épreuve immense qu’elles traversent mérite toute notre attention ; nous nous devons de le leur dire.

Votre proposition de loi, madame la sénatrice Loisier, fait œuvre utile en ce qu’elle permet de poser le débat et de faire connaître des situations trop souvent ignorées.

J’entends être au rendez-vous des demandes légitimes qui s’expriment en faveur d’un traitement digne et respectueux des enfants nés sans vie et de leurs familles.

Je veux vous assurer que le ministère de la justice, le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l’intérieur, ainsi que le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, s’emploient avec détermination à améliorer l’accompagnement des familles. Il s’agit de répondre à leur demande légitime d’un traitement digne et respectueux des enfants nés sans vie. Or, à cette demande, plusieurs réponses ont été apportées, dont je voudrais faire le bref rappel devant vous.

Tout d’abord, pour les familles qui le souhaitent, l’inscription dans l’histoire familiale des enfants nés sans vie est déjà possible.

Cette inscription passe en premier lieu, comme je l’ai dit, par l’établissement d’un acte officiel : l’acte d’enfant sans vie. Elle passe aussi par la mention du prénom de l’enfant dans un livret de famille remis aux parents, à leur demande, par l’officier d’état civil, et qui porte la mention des parents. Elle passe également par l’organisation de funérailles à la demande de la famille. Les communes peuvent d’ailleurs autoriser des funérailles, même en l’absence d’acte d’enfant sans vie.

Le travail mémoriel peut en outre se traduire par l’apposition d’un prénom, mais aussi d’un nom de famille, sur la sépulture. En effet, le code général des collectivités territoriales n’impose pas que l’identité gravée sur le monument funéraire soit strictement identique aux données de l’état civil. Les titulaires de la concession funéraire peuvent demander une inscription différente.

À notre connaissance, la mise en œuvre de l’article 79-1 du code civil ne donne lieu à aucune difficulté d’application, pour les officiers de l’état civil comme pour les professionnels de santé ou pour les communes – et je tiens à vous assurer que le Gouvernement est vigilant sur ce point.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les instructions qui ont été données vont dans le sens d’une appréhension des situations empreinte d’humanité. Les professionnels qui sont amenés à intervenir y sont évidemment sensibilisés.

Ensuite, l’accompagnement des familles a été renforcé. Des recommandations générales concernant la prise en charge du deuil périnatal ont été définies par la Haute Autorité de santé. En complément, certains réseaux de santé périnatale ont travaillé à la définition de recommandations régionales permettant d’harmoniser l’accompagnement du parcours de deuil.

Tous les efforts sont donc faits pour proposer à la famille un accompagnement individualisé et pour lui délivrer l’intégralité des informations nécessaires en matière d’investigations cliniques complémentaires, de procédures administratives, de droits aux prestations sociales ou aux congés parentaux, d’inscription à l’état civil ou d’obsèques.

Enfin, le droit actuel tient compte de toutes les sensibilités. En effet, chacun est libre de faire établir un acte d’enfant sans vie. Chacun est libre de donner un prénom à l’enfant. Chacun est libre d’organiser des funérailles ou de s’en remettre aux établissements de santé. Chacun est libre d’associer au prénom un nom sur la sépulture.

Faut-il aller plus loin et introduire dans le code civil la possibilité d’inscrire à l’état civil un nom de famille ? Cette proposition, dont je comprends et respecte les motivations, me conduit à émettre deux réserves, mesurées, que je voudrais partager avec vous.

La première est qu’une telle inscription peut être de nature à rigidifier les règles applicables en matière d’état civil. En effet, le cadre actuel, dans sa souplesse, permet à chacun de faire son deuil comme il l’entend face à l’épreuve terrible que constitue la perte de l’enfant tant attendu. Car je ne crois pas qu’il y ait une seule façon de faire son deuil. Certains souhaitent oublier ; ceux-là aussi doivent être pris en compte.

La seconde concerne le code civil et le droit des personnes : le risque existe d’un déplacement des équilibres acquis.

La proposition qui consiste à introduire dans le code civil la possibilité de donner un nom à l’enfant né sans vie pose une difficulté juridique : comment justifier que le nom soit dévolu sans qu’une filiation soit établie ? Et comment donner à l’enfant un nom à l’état civil, en lui déniant toute personnalité juridique ?

J’ai bien sûr relevé que les travaux de la commission menés par la rapporteure Marie Mercier, que je tiens à remercier pour son implication, avaient permis de préciser le texte, garantissant que les nouvelles propositions de rédaction ne consacrent pas la personnalité juridique de l’enfant, ce qui emporterait des conséquences très importantes en matière civile, en particulier en termes de dévolution successorale.

Les travaux de la commission sont de nature à encadrer la portée de ce texte, ou plutôt, ce qui peut d’ailleurs paraître paradoxal, à lui ôter sa pleine efficacité juridique ; mais – je souhaite y insister – le nom de famille est un attribut de la personnalité juridique et seules les personnes ont un nom de famille.

Or l’enfant sans vie n’a pas de personnalité juridique. Aussi son statut juridique ne relève-t-il pas du domaine de la loi et du code civil. Le rattachement dans la loi d’éléments de l’état civil à l’enfant sans vie est de nature à faire naître des incertitudes et de la confusion quant au cadre juridique applicable.

Ces équilibres, vous le savez, sont particulièrement sensibles et toujours fragiles ; il nous faut n’y toucher que d’une main des plus tremblantes – le cœur a ses raisons que la raison juridique ne connaît pas forcément. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Marie Mercier, rapporteur. Merci !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 1993, l’article 79-1 du code civil définit le cadre juridique applicable aux enfants nés sans vie ou non viables, qui les distingue des enfants nés vivants et viables, dotés d’une personnalité juridique. Ce même article permet aux parents de demander l’établissement d’un acte d’enfant sans vie.

Deux décrets, en 2008, ainsi qu’une circulaire, en 2009, sont venus compléter le dispositif, conditionnant notamment l’établissement d’un acte d’enfant sans vie à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère, que celui-ci ait été spontané ou provoqué pour raison médicale.

L’autrice de cette proposition de loi a souhaité aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie et dans la reconnaissance de ses parents, en autorisant l’inscription d’un nom dans l’acte d’enfant sans vie.

La commission a abondé en ce sens : donner un nom à ces enfants rend plus cohérente leur reconnaissance symbolique, selon la même logique compassionnelle que le législateur a entendu faire prévaloir en 1993 à l’attention des parents, une précision importante étant dans le même temps apportée selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Tout éventuel effet, en matière de filiation et de succession notamment, est ainsi écarté, ne s’agissant que d’une reconnaissance de filiation symbolique, et non juridique.

Cet apport à notre droit civil reste donc de l’ordre du symbole et doit être vu comme un accompagnement bienveillant des familles endeuillées – c’est à elles que nous pensons. Tout en ne bénéficiant toujours d’aucune personnalité juridique, l’enfant sans vie apparaîtra désormais nommé sur l’acte d’enfant sans vie et dans le livret de famille des parents.

Cette reconnaissance d’une filiation symbolique est bienvenue. La désignation des parents étant prévue depuis 1993, il s’agit en effet de reconnaître la réciprocité du lien : s’il y a un père et une mère, il y a un fils ou une fille.

C’est également à cette solution qu’invite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a en effet estimé, dans un arrêt du 2 juin 2005, que le refus d’admettre l’existence d’un lien de filiation entre un parent et un enfant mort-né constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale.

Cependant, d’un point de vue sanitaire et « progressiste », je me permets d’insister : conserver cet apport au niveau du symbole, comme l’a précisé Mme la rapporteure, est primordial pour éviter toute éventuelle remise en cause de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) via la reconnaissance d’une personnalité juridique à l’enfant sans vie. L’IVG comme l’interruption spontanée précoce de grossesse, en tant qu’interruptions intervenant au premier trimestre, sont d’ailleurs expressément exclues du dispositif depuis le décret de 2008 précédemment évoqué.

De la même façon, il me semble qu’il faut se méfier des arguments à tendance quelque peu « réactionnaire », tel que celui de la commission consistant à justifier ce texte par la nécessité de « matérialiser symboliquement le lien de filiation du père qui n’a pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère ». Cette vision patriarcale de la filiation est paradoxale compte tenu des modalités de choix du nom définies dans le texte et précisées dans le rapport de la commission : qu’en est-il si seul le nom de la mère est choisi ? Qu’en est-il si les parents se contentent, dans le cas d’un premier enfant, d’un acte d’enfant sans vie sans demander de livret de famille ? Qu’en est-il des parents homosexuels ? Ceux-ci n’ont pas moins besoin que les parents hétérosexuels d’un accompagnement face à la douleur que représente la mort d’un nourrisson.

Le droit de la filiation évolue ; prenons-le en compte dans tous les textes que nous élaborons.

Quoi qu’il en soit, et sous réserve de ces quelques remarques, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste partage la lettre de ce texte et votera pour son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre collègue Anne-Catherine Loisier, dont je tiens à saluer l’initiative, nous invite à débattre d’une proposition de loi visant à nommer les enfants mort-nés. Ce texte permet de clarifier le statut des enfants nés sans vie, qui demeure ambigu, et ainsi d’accompagner le deuil des parents.

L’année dernière a vu la naissance de 8 747 enfants mort-nés – quelle antinomie ! Autant de familles, donc, ont subi cette épreuve. L’adoption de cette proposition de loi permettrait d’accorder à l’enfant né sans vie une reconnaissance mémorielle, en donnant la possibilité aux parents de lui donner un nom. Une telle recommandation a d’ailleurs été formulée dès 2005 par le Médiateur de la République.

La possibilité de donner un nom à l’enfant mort-né existe déjà dans de nombreux pays tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande ou les Pays-Bas.

Le droit positif français, en revanche, ne permet pas la reconnaissance d’un lien de filiation avec un enfant né sans vie. L’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie, si l’enfant est mort-né ou est né vivant, mais non viable et décédé avant la déclaration de naissance.

Cet acte d’enfant sans vie doit énoncer l’identité des père et mère ; ceux-ci ont le droit d’attribuer à l’enfant des prénoms qui peuvent être mentionnés, à leur demande, sur le livret de famille.

La possibilité de donner un nom à l’enfant sans vie est la continuité de tout ce processus législatif et réglementaire, comme l’ont rappelé les orateurs précédents.

L’objectif premier de cette proposition de loi reste donc de compléter la reconnaissance symbolique de l’enfant, en lui accordant un nom et en l’inscrivant dans l’acte d’enfant sans vie. Cela permet d’aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie, en renforçant sa reconnaissance par ses parents.

Cette attribution a une portée limitée dans la mesure où elle n’entraîne aucun effet indésirable, en particulier sur le plan successoral, fiscal ou social. D’où le choix de la commission d’écrire expressément, à la fin de la deuxième phrase du second alinéa de l’article 79-1 du code civil, le fait que « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ».

Notre collègue Anne-Catherine Loisier a clairement spécifié, au moment de déposer cette proposition de loi, que le fait de nommer l’enfant sans vie n’entraînerait aucun droit supplémentaire, aucune filiation et aucune reconnaissance de la personnalité juridique.

La proposition de Mme la rapporteure, suivie par la commission des lois, vise à préciser cette inscription, tout en sécurisant son caractère symbolique. Elle vient détailler la mention du nom de cette manière : « soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux ».

L’enfant mort-né peut ainsi s’inscrire de manière plus complète dans l’histoire familiale. Cette reconnaissance participe d’une logique compassionnelle et vient renforcer cette intention déjà promue par le législateur à l’occasion de la création de l’article 79-1 du code civil en 1993.

Je tiens à remercier une fois encore, au nom du groupe Union Centriste, notre rapporteure, Marie Mercier, pour l’écoute et l’implication qui ont été les siennes sur un sujet qui n’est pas facile.

Dans l’intérêt des familles, ce sujet ayant largement fait consensus et permettant une reconnaissance mémorielle à caractère purement symbolique, je ne doute pas que la Haute Assemblée adoptera cette proposition de loi.

Il s’agit de prendre en compte les souffrances de ces familles endeuillées ; cette proposition, empreinte d’humanité, est une réponse pour mieux les accompagner. Je remercie notre collègue Anne-Catherine Loisier d’avoir permis au Sénat de débattre de ce sujet qui est grave, ainsi que Mme la rapporteure qui nous a proposé d’améliorer la rédaction de ce texte.

Le groupe Union Centriste votera donc le texte issu des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie et Mme le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, parfois, le Parlement fait œuvre d’humanisme. C’est incontestablement le cas aujourd’hui.

Chacun l’a souligné, l’ambition de cette proposition de loi est non pas de faire une révolution juridique, mais bien de prendre en compte une situation. Il s’agit de poursuivre un travail, entamé depuis maintenant une trentaine d’années, de prise en compte de la douleur des parents par la reconnaissance de la naissance de l’enfant.

Nombre de mes collègues l’ont rappelé, ce travail a commencé en 1993, puis a été poursuivi en 2005 et en 2009. Peu à peu, grâce à l’inscription dans des documents officiels, la reconnaissance de l’existence d’un enfant mort-né a été rendue possible.

Certes, comme en attestent les chiffres évoqués tout à l’heure, nul ne connaît exactement le nombre d’enfants concernés par ces dispositifs, car aucune obligation n’est faite aux parents – et c’est sans doute bien ainsi – de s’engager dans la démarche ayant vocation à inscrire officiellement dans l’histoire familiale la naissance de cet enfant.

Le garde des sceaux et Mme la rapporteure l’ont souligné, les situations sont diverses. Il peut s’agir d’enfants nés sans vie, appelés autrefois mort-nés, ou d’enfants qui vivent quelques heures et décèdent avant le délai permettant leur déclaration à l’état civil. Il peut aussi s’agir d’enfants décédés dans le ventre de leur mère, d’où la nécessité de se montrer vigilant et de bien cantonner cette démarche à des enfants qui auraient pu, en raison de la durée de la grossesse, naître si tout s’était passé dans des conditions favorables.

Il me semble, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que la démarche proposée par ce texte complète ce travail et honore le Sénat. J’espère d’ailleurs que l’Assemblée nationale se saisira de cette proposition de loi pour la mener jusqu’au terme de son parcours législatif.

Nous avons eu un débat sur l’existence ou non, la nécessité ou non, de la personnalité juridique. Le problème est, en réalité, très complexe. On pourrait penser que, puisque l’enfant est décédé, la personnalité juridique disparaît. Mais il a semblé nécessaire de le préciser, ce qui est sans doute mieux pour bien marquer le caractère symbolique de cette démarche.

Mon groupe a déposé deux amendements. L’un d’entre eux a été évoqué par l’auteure de la proposition et tend – c’est le format du débat parlementaire qui l’impose – à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’accompagnement proposé aux parents et sur sa mise en œuvre.

Depuis désormais plusieurs années, les parents bénéficient d’un certain nombre de droits en termes de congés, de fiscalité, de prime, etc. Il est possible que la mise en œuvre de ces dispositifs soit hétérogène sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, la question de la formation et de l’accompagnement des soignants n’est pas évoquée. Or quiconque a pu parler avec les soignants sait que c’est pour eux quelque chose de très particulier : ils sont certes formés à cette problématique depuis maintenant un certain nombre d’années, mais c’est néanmoins un sujet qui nécessite une grande vigilance.

C’est en ce sens qu’il nous a semblé intéressant de demander que le Parlement soit informé, afin qu’il puisse s’assurer que le Gouvernement reste attentif à la mise en œuvre de cet accompagnement qui est nécessaire aussi bien pour les parents que pour les soignants.

Le second amendement que nous avons déposé a vocation à remplacer dans l’article du code civil que cette proposition de loi vise à modifier les mots « père » et « mère » par le terme de « parents », conformément aux évolutions législatives de ces dernières années. D’ailleurs, d’autres articles du code civil utilisent le terme de « parents », sans recourir spécifiquement à l’expression de « père et mère ». Il serait problématique de revenir sur ce changement de terminologie qui vise à tenir compte de la diversité des situations. Qui pourrait considérer qu’une famille homoparentale souffre moins qu’une famille hétéroparentale de la perte d’un enfant ?

De ce point de vue, et afin d’éviter toute critique sur la façon dont le Sénat appréhende les évolutions de la forme des familles et du droit, il nous a semblé sain de mettre en phase avec ces évolutions les dispositions législatives concernées par les modifications qui sont aujourd’hui proposées.

Au-delà de ces deux modifications, que nous proposons d’introduire dans le texte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à cette proposition de loi. Certes, elle peut sembler relativement limitée dans son objet, mais elle constitue une étape supplémentaire pour accompagner la souffrance des parents et des familles. C’est en ce sens que nous lui manifesterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, jusqu’à récemment, les enfants nés sans vie étaient très souvent qualifiés de « pièces anatomiques », de « déchets hospitaliers », de « produits innommés » ou encore de « débris humains ». En tant que tels, ils étaient incinérés dans les services hospitaliers ad hoc, avec les autres pièces opératoires.

Dans le contexte de la perte d’un enfant, de telles formules, de telles classifications, ainsi que les procédures en découlant, étaient psychologiquement traumatisantes et ajoutaient à la douleur incommensurable des parents.

Prendre en compte la réalité d’une existence – même in utero, fugitive, elle est porteuse de l’espérance d’un couple –, est une démarche nécessaire, d’autant que nous avons très tôt au cours de la grossesse la possibilité technique d’avoir une représentation de la vie du fœtus, qu’elle soit visuelle ou sonore. L’interruption de cette vie en est ressentie encore plus douloureusement, et le travail de deuil est plus que jamais indispensable.

Aussi, en complétant la reconnaissance mémorielle de ces enfants nés sans vie, l’initiative de notre collègue Anne-Catherine Loisier est sensible et honorable.

Au cours de ces dernières années, beaucoup a été fait pour mieux prendre en compte la détresse de ces parents venant de perdre un enfant mort-né ou non viable.

Tout d’abord, la loi du 8 janvier 1993 a donné un cadre juridique à ces enfants. Elle permet aux parents d’obtenir un acte d’enfant sans vie qui figure dans le registre des décès.

Ensuite, deux décrets du 20 août 2008 ont apporté des précisions : l’un prévoit que l’acte d’enfant sans vie est conditionné à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère ; l’autre autorise les couples non mariés dont le premier enfant est né sans vie à faire inscrire celui-ci dans un livret de famille.

L’année suivante, la circulaire du 19 juin 2009 a permis aux parents de donner un ou plusieurs prénoms à leur enfant mort-né ou non viable.

L’établissement d’un acte d’enfant sans vie reconnaît aux parents la possibilité de faire jouer à l’état civil un rôle symbolique : désormais, il existe une trace de l’existence de leur enfant et une individualisation de celui-ci par l’attribution d’un ou de plusieurs prénoms.

Surtout, l’établissement d’un acte d’enfant sans vie permet aux parents de réclamer à l’établissement de santé, dans les dix jours de l’accouchement, le corps de leur enfant décédé et d’en obtenir la remise afin d’organiser, s’ils le souhaitent, des obsèques. Il donne aussi accès à certains droits sociaux, comme l’attribution d’un congé de maternité et de paternité.

La proposition de loi que nous examinons constitue une étape supplémentaire dans ce processus de reconnaissance symbolique de l’enfant mort-né ou non viable, en permettant de porter sur l’acte d’enfant sans vie le nom de l’enfant.

Il s’agirait d’une simple faculté offerte aux parents confrontés à un deuil périnatal, et non d’une obligation. L’attribution de ce nom serait limitée au seul acte d’enfant sans vie. Elle ne créerait donc aucune filiation. Elle ne reconnaîtrait aucune personnalité juridique à l’enfant mort-né ou non viable.

C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires est favorable à cette évolution dans la reconnaissance mémorielle de l’enfant sans vie et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie et Mme Maryse Carrère applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, devenir parent est un long processus. Il s’initie à la rencontre de deux personnes, qui décident de s’aimer, de construire ensemble, de faire famille. Ce processus est plein de réflexion, d’enthousiasme, de moments où l’on se projette, de doutes parfois aussi.

Devenir parent, c’est également comprendre la belle responsabilité qui nous incombe d’aimer inconditionnellement son enfant, avant même qu’il ne vienne au monde. Car devenir parent, c’est avant tout dévouer à un être autre une partie de son avenir, de ses projets, une partie de soi, et ce tout au long de sa vie.

Alors, perdre un enfant n’est jamais une épreuve vécue sans une grande souffrance. Et perdre son enfant avant qu’il ne vienne au monde ne rend pas la douleur moins forte ; cela ne change pas non plus le fait que l’on est déjà son parent.

En France, chaque année, ce sont 8 000 familles qui sont confrontées à la naissance d’un enfant sans vie.

La situation actuelle de notre droit est la suivante : conformément au deuxième alinéa de l’article 79-1 du code civil, l’enfant né sans vie n’acquiert pas la personnalité juridique. De ce fait, il peut recevoir un prénom, mais il n’y a ni filiation ni nom de famille, car il n’y a pas établissement d’un acte de naissance.

Je salue alors la visée de cette proposition de loi, qui entend aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie et dans la reconnaissance de ses parents.

L’inscription d’un nom dans l’acte d’enfant sans vie, en plus des mentions déjà prévues au deuxième alinéa de l’article 79-1 du code civil, est d’une valeur symbolique forte pour ces parents et pour ces 8 000 familles françaises touchées chaque année par le drame.

Comme en Allemagne, au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas ou en Suisse, où un nom peut déjà être attribué à l’enfant né sans vie, le choix est ici fait de donner l’apparence d’un lien de filiation par la voie mémorielle, sans accorder de droits supplémentaires.

Ainsi que je l’ai souligné en introduction, devenir parent est un long processus. C’est le roman familial qui débute. Il s’agit maintenant d’inscrire l’enfant né sans vie dans l’histoire familiale et de matérialiser symboliquement le lien de filiation avec ses parents.

La proposition de loi que nous étudions touche à l’affect et à l’humain. Il s’agit d’un texte qui vise à apporter un peu de paix, là où la douleur prévaut.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient cette proposition de loi et votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Michelle Meunier et Mme le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, prendre en compte la douleur d’une famille en lui permettant de faire son deuil, tel est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier que nous examinons aujourd’hui.

C’est un objet pleinement légitime et important, qui a d’ailleurs justifié plusieurs évolutions du droit applicable aux situations d’enfants sans vie afin de mieux accompagner le deuil des parents.

Ainsi, depuis 2008, et à la suite d’arrêts de la Cour de cassation, l’acte d’enfant sans vie est établi sur production d’un certificat attestant de l’accouchement de la mère, sans condition de seuil de viabilité du fœtus.

Surtout, aux termes d’une circulaire du 19 juin 2009, il est possible de donner à cet enfant un prénom. Toutefois, il ne peut lui être donné de nom de famille ni lui être reconnu de filiation, ces deux éléments constituant des attributs de la personnalité juridique qui résulte elle-même du fait d’être né vivant et viable.

Cela a été dit, la proposition de loi vise à aller plus loin que le droit en vigueur, en permettant aux parents de donner un nom à l’enfant dans l’acte d’enfant sans vie.

Comme en témoignent les réactions d’une partie de la doctrine aux arrêts de 2008, mais également les précautions prises par l’auteure, puis par Mme la rapporteure, tout l’enjeu consiste à trouver un équilibre entre les principes juridiques, notamment ceux qui sont relatifs à la personnalité juridique de l’enfant.

À cet égard, l’auteure de la proposition de loi précise, dans l’exposé des motifs, que le seul effet recherché est la modification de l’état civil de l’enfant et qu’il ne s’agit pas d’accorder de droits supplémentaires.

Dans l’objectif de lever les incertitudes qui subsistaient, la commission des lois, sur l’initiative de Mme la rapporteure, Marie Mercier, a réécrit l’article unique afin d’y mentionner expressément que « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ».

Cette démarche bienvenue de Mme la rapporteure tendait à rechercher un équilibre entre l’objectif de la proposition de loi et la nécessité de ne pas induire d’effets de bord et de ne pas remettre en cause les principes du droit civil concernant la personnalité juridique.

Certes, la nouvelle écriture de l’article unique vise à aller au bout du processus d’identification de l’enfant sans vie dans la continuité des évolutions antérieures, pour mieux inscrire celui-ci dans l’histoire familiale.

Toutefois, nous nous interrogeons sur la portée de la mention générale et indéterminée d’un « nom », ainsi que de la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique » : est-elle suffisante pour éviter les effets de bord, comme entend utilement le faire Mme la rapporteure ?

L’objectif de cette proposition de loi, à savoir accompagner les parents d’enfant sans vie dans leur deuil, est bien sûr partagé par les membres du groupe RDPI.

Le rôle de l’État est bel et bien, ici, de soutenir et de mieux accompagner les familles, en simplifiant les démarches administratives et en facilitant l’accès à un suivi psychologique pour celles qui sont confrontées au deuil d’un enfant.

C’est d’ailleurs le sens de l’annonce faite par Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, et Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, du lancement d’un plan d’action en la matière ; le groupe RDPI y sera particulièrement attentif.

L’importance du sujet et la souffrance des familles qui sont confrontées à de telles situations impliquent de dépasser le champ exclusivement symbolique, même s’il est aussi nécessaire.

Pour toutes ces raisons, et saluant les objectifs de ce texte, ainsi que la recherche d’équilibre par Mme la rapporteure, les membres présents du groupe RDPI voteront cette proposition de loi, même si certaines interrogations subsistent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger et Mme le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, certains sujets sont lourds à traiter autant qu’ils sont nécessaires. Nous modifions quelques mots dans une loi et, derrière eux, se trouvent des situations familiales tragiques. Ainsi, certains parents sont confrontés au décès de leur enfant avant que sa naissance n’ait été déclarée.

Derrière la mort d’un enfant, nous découvrons alors un tabou de notre langage qui ne sait pas nommer la situation de ces parents dont les enfants décèdent, tout simplement parce qu’elle est inacceptable et que devoir faire le deuil d’un enfant est toujours une injustice.

C’est pourquoi toute mesure susceptible d’accompagner les parents dans ce drame doit être envisagée. Je salue donc le travail engagé tant par l’auteure de cette proposition de loi, notre collègue Anne-Catherine Loisier, que par notre rapporteure, Marie Mercier.

L’élaboration de ce texte suit jusqu’à présent un cheminement exemplaire.

D’abord, il s’agit d’une bonne initiative. Cela fait déjà plusieurs années que la difficulté a été soulevée. Je pense aux débats qui ont eu lieu à la fin des années 2000, sous l’impulsion du Médiateur de la République, desquels sont ressorties différentes jurisprudences, ainsi qu’une série de décrets, débouchant notamment sur la reconnaissance du droit à un congé de paternité, ainsi que sur une simplification du statut de l’enfant né sans vie. Le Sénat avait d’ailleurs participé à ce mouvement, en publiant à ce sujet une étude de législation comparée, laquelle est encore à ce jour particulièrement éclairante.

Plus de dix ans après, cette nouvelle proposition permettrait donc d’inscrire expressément dans la loi que l’acte d’enfant sans vie établi par l’officier d’état civil comportera non seulement le prénom de l’enfant, mais également son nom. Je veux vraiment saluer cette mesure en ce qu’elle poursuit l’objectif de renforcer encore davantage l’individualisation de l’enfant en vue d’aider les parents dans leur deuil.

Ensuite, les ajustements faits par la commission des lois sont d’autant plus bienvenus qu’ils sont respectueux des intentions initiales de l’auteure du texte. Ainsi, sur l’initiative de notre rapporteure, Marie Mercier, un amendement a été adopté : il vise notamment à préciser que le choix demeure laissé aux parents de donner ou non un ou des prénoms et un nom à leur enfant sans vie, sans que cela soit une mention obligatoire. Toujours dans un esprit de liberté, le nom choisi pourra être celui du père ou de la mère ou les deux accolés.

Il faut saluer cette modification qui permet à cette disposition de répondre parfaitement à son objectif, en offrant une liberté aux parents sans qu’ils ne soient jamais contraints. Chacun fait son deuil suivant un cheminement singulier et il nous incombe de le respecter.

Ces modifications soulèvent néanmoins certaines interrogations : fallait-il par exemple parler de père et de mère ou utiliser plutôt le terme de parents, plus générique, donc plus à même de saisir chaque situation familiale ?

Cette réserve n’enlevant rien à l’intérêt de cette proposition, le groupe du RDSE se prononcera, à l’unanimité, en sa faveur. (Mme Annick Billon et Mme le rapporteur applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie sincèrement Anne-Catherine Loisier, auteure de cette proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie. C’est un sujet hautement sensible, à forte valeur humaniste, comme elle l’a rappelé dans son intervention liminaire.

Je salue également le travail de la commission des lois, qui a fait évoluer la rédaction du texte. Le volet humain a été privilégié grâce à un travail de qualité mené en concertation avec les familles, durement éprouvées, des juristes et de nombreux autres intervenants.

La commission, qui nous a également fourni un utile document de synthèse, a estimé qu’il convenait de compléter la reconnaissance mémorielle de l’enfant né sans vie, en accordant aux parents le droit de lui donner un nom et en inscrivant dans le code civil la possibilité, déjà ouverte en pratique, de lui donner un prénom. Elle a ainsi adopté cette proposition de loi, tout en modifiant la rédaction de son article unique.

L’acte d’enfant sans vie accompagne le deuil des parents par l’inscription mémorielle à l’état civil. Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué des chiffres qui nous interpellent : 740 000 naissances sont enregistrées dans nos communes par les officiers d’état civil, auxquelles viennent s’ajouter 8 747 actes d’enfants sans vie – ce chiffre doit nous rappeler la profonde épreuve vécue par les parents et familles concernés.

Depuis la loi du 8 janvier 1993, lorsque l’enfant n’est malheureusement pas né vivant ou viable, les parents peuvent demander l’établissement d’un acte d’enfant sans vie qui est inscrit dans le registre des décès. Deux décrets du 20 août 2008 et une circulaire du 19 juin 2009 ont complété le dispositif pour reconnaître aux parents le droit de pouvoir choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie.

Jusque-là, le lien de filiation n’est pas reconnu faute de personnalité juridique. Cette proposition de loi vise à compléter la reconnaissance symbolique de l’enfant, en lui accordant un nom, tout en limitant la portée de cette attribution au seul acte d’enfant sans vie.

La commission des lois est intervenue pour sécuriser le caractère purement symbolique de l’inscription du nom. Il s’agit avant tout d’identifier et reconnaître l’enfant mort-né ou non viable pour l’inscrire dans l’histoire de la famille – le volet mémorial est ici fondamental – et de matérialiser le lien de filiation du père, qui n’a pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère.

Compte tenu de la qualité de cette proposition de loi, qui recueille un consensus et a le mérite d’aider des parents et familles durement éprouvés, le groupe Les Républicains soutiendra avec force et conviction ce texte aux fortes valeurs humanistes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bernard Bonne et Mme le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
Article unique (début)

Article additionnel avant l’article unique

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mmes de La Gontrie et Meunier, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Avant l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur la protection sociale auxquels des parents d’enfants nés sans vie, tels que le congé maternité et le congé paternité, les arrêts de travail, l’allocation forfaitaire versée en cas de décès d’un enfant, la prime à la naissance ou encore le nombre de parts reconnus lors de la déclaration de revenus. Ce rapport devra également informer des mesures mises en place en faveur de l’accompagnement des parents.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’ai présenté cet amendement dans mon intervention en discussion générale. Je laisse maintenant le Sénat l’approuver…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Sans surprise, puisqu’il s’agit d’une demande de rapport, l’avis est défavorable, d’autant que nous avons d’autres moyens de contrôle.

Cependant, j’entends bien la demande qui est faite. En effet, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment d’homogénéité dans la mise en œuvre des dispositifs, bien que les droits sociaux existent. Je laisse M. le garde des sceaux vous répondre sur ce point.

Sur la question de la prise en charge des funérailles, la situation n’est pas identique d’une commune à l’autre. Là encore, il y a des choses à faire.

Je tiens à le dire : quoi que l’on fasse, les mots « enfant sans vie » ne vont pas bien ensemble. Les familles qui le désirent doivent pouvoir être accompagnées sur ce chemin douloureux. L’intérêt de la proposition de loi, et j’en remercie encore Anne-Catherine Loisier, c’est qu’elle nous a permis de débattre de ce sujet. Malheureusement, dans ces situations, le silence est le linceul des tout-petits. Les familles doivent être aidées.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice de La Gontrie, vous le savez, il n’est pas de texte sur lequel le Gouvernement n’est pas saisi d’une telle demande.

Vous exercez un droit de contrôle, bien légitime, du travail de l’exécutif ; il résulte des dispositions de l’article 24 de la Constitution. Cela nous paraît amplement suffisant.

Par ailleurs, si vous souhaitez que la liste des droits vous soit communiquée, nous la tenons évidemment à votre disposition.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.

Mme Anne-Catherine Loisier. Je comprends la démarche de Mme de La Gontrie, parce que j’ai pu, dans le cadre de mes échanges avec les acteurs qui suivent ce type de situations, mesurer combien l’information – cela a été dit – circule mal et combien elle est hétérogène sur l’ensemble du territoire.

Il est important, monsieur le garde des sceaux, qu’un effort supplémentaire soit fait pour que l’information soit diffusée dans tous les services, auprès de l’ensemble des agents, notamment de l’État et des collectivités locales, qui sont confrontés à des situations souvent difficiles pour eux-mêmes.

Même si je comprends la position, que je vais suivre, de Mme la rapporteure, je voudrais insister sur la nécessité de collecter les informations et de suivre la manière dont l’accompagnement est fait sur le terrain.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel avant l'article unique - Amendement n° 3 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
Article unique (fin)

Article unique

Après la deuxième phrase du second alinéa de l’article 79-1 du code civil, sont insérées deux phrases ainsi rédigées : « Peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant, ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 1 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

L’amendement n° 2 rectifié est présenté par Mmes de La Gontrie et Meunier, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces amendements sont ainsi libellés :

I. – Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

…. – À la deuxième phrase du second alinéa de l’article 79-1 du code civil, les mots : « des père et mère » sont remplacés par les mots : « du ou des parents ».

II. – Remplacer les mots :

des père et mère

par les mots :

du ou des parents

et les mots :

du père, soit le nom de la mère

par les mots :

du parent, de l’un des parents

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié.

Mme Esther Benbassa. « De son père ou de sa mère », « des père et mère » : comme cela a été souligné lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, notre droit, du code civil au code de la santé publique, tend souvent à ignorer la diversité des modèles familiaux. Les nombreuses occurrences de ces termes genrés ne correspondent plus à l’image de notre société.

Mes chers collègues, si le modèle unique de la famille constituée d’un père et d’une mère est certes toujours fortement majoritaire, il n’en est pas moins vrai que les modèles de familles évoluent et que le droit ne saurait les exclure.

Les familles homoparentales existent. Pour cette raison, elles méritent d’être « validées » dans nos textes juridiques. Je l’ai dit lors de la discussion générale, il s’agit d’un texte qui touche à l’affect et à l’humain. Cette proposition de loi vise, au-delà de la cohérence des normes, à apporter un peu de paix, là où apparaît de la douleur. N’invisibilisons pas une partie des familles de France, n’invisibilisons pas leurs souffrances !

Concevons la nouvelle possibilité que nous offrons aux parents d’enfants nés sans vie de manière inclusive, pour y intégrer les familles homoparentales. Englobons tous les types de familles qui existent dans notre société, afin de leur donner non seulement une existence juridique tangible, mais également une légitimité sociale non négligeable.

C’est l’objet de cet amendement qui vise à remplacer les termes de père et mère par la notion plus neutre de parents.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié.

Mme Michelle Meunier. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être présenté. Comme Mme de La Gontrie l’a dit lors de la discussion générale, il convient de tirer les conséquences des évolutions législatives récentes et de tenir compte de la diversité familiale.

Cet amendement traduit une volonté d’égalité sociale entre toutes les formes de famille et de respect des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination devant le service public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Mes chers collègues, vous le savez, je suis moi aussi très sensibilisée aux évolutions sociétales et je me suis tout de suite posé la question du remplacement des termes « père » et « mère » par le mot « parent ». Finalement, j’ai préféré maintenir sur ce point la rédaction actuelle de l’article 79-1 du code civil.

Pour les parents, cette douleur sans fin, profonde, intime, est une douleur qui, de toute façon, durera toujours et ne s’effacera jamais tout au long des années. C’est davantage cette question qui est en jeu ici.

Je rappelle que la procréation médicalement assistée (PMA) n’est pas encore autorisée en France pour les couples de femmes. Surtout, ce n’est pas notre débat du jour ; aujourd’hui, il s’agit d’accompagner le deuil périnatal.

Le projet de loi relatif à la bioéthique est encore en discussion ; il est inscrit à notre ordre du jour pour le 24 juin prochain. Il comprend, à son article 31, une disposition permettant une mise en cohérence du code civil par ordonnances, une fois que la loi sera adoptée – l’article 79-1 pourra donc être réécrit à cette occasion.

C’est pourquoi je vous propose de nous en tenir aux jolis mots de père et mère.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mesdames les sénatrices, je suis comme vous sensible et profondément attaché à l’égalité entre les familles, qu’elles soient homoparentales, hétéroparentales ou monoparentales.

Le code civil fait de très nombreuses mentions aux pères et aux mères, sans que cela pose de problème particulier. Vous vous souvenez sans doute qu’au moment de l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, le législateur avait envisagé de remplacer les mots « père » et « mère » par celui de « parents ». Néanmoins, comme la notion de parentalité est plus extensive, il y avait finalement renoncé.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs tranché cette question le 17 mai 2013, en jugeant que les termes de « père » et « mère » ne posaient pas problème, dès lors que l’égalité entre tous les enfants était proclamée à l’article 6-1 du code civil.

Par ailleurs, dès que la loi relative à la bioéthique sera votée et promulguée, les dispositions réglementaires seront adaptées afin de reproduire pour les enfants nés sans vie dans des couples de femmes ce que cette proposition de loi permettra, si elle est adoptée. Il sera dès lors possible d’établir un acte d’enfant sans vie avec les deux mères et de le mentionner sur le livret de famille.

En l’état, je suis défavorable à ces amendements pour les raisons que je viens d’expliciter.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’imagine donc que le Sénat va rejeter cette demande et qu’encore une fois, il va faire une distinction, défavorable aux secondes, entre les familles hétéroparentales et les familles homoparentales, avec des prétextes que je n’ai d’ailleurs absolument pas compris. Vous nous dites qu’il y aura bientôt une loi sur la PMA pour toutes, mais ce n’est pas le sujet !

Mme Esther Benbassa. Exactement !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous parlons de parents qui forment des familles de toutes configurations.

Pour notre part, comme je l’ai dit en commission, si le Sénat refusait cette modification, ce serait la confirmation qu’il considère que les familles homoparentales n’ont pas droit à la même considération que les familles hétéroparentales et que leur deuil n’est pas le même. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme le rapporteur et des sénateurs du groupe UC protestent.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je rejoins la position de Mme de La Gontrie sur ces amendements.

Madame la rapporteure, pardonnez-moi, mais la loi relative à la bioéthique qui – je l’espère – ouvrira la PMA à toutes n’a rien à voir avec le contenu de ces amendements, qui ont un champ beaucoup plus large : M. le garde des sceaux l’a évoqué, toutes les familles sont concernées, qu’elles soient monoparentales, homoparentales ou hétéroparentales. Je ne comprends donc pas votre position.

Je m’adresse à ceux qui ont rédigé cette proposition de loi : puisque ce texte – cela a été dit – a une portée plus symbolique que juridique, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout du symbole, en utilisant le mot « parents » à la place de « père et mère » ?

Je voterai donc ces amendements.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Je réfléchis à votre propos, madame la rapporteure. Vous avez évoqué le fait que les mots de père et mère étaient « jolis », mais, dans un couple homosexuel, il y a deux pères ou deux mères… Ces mots ne disparaîtraient pas, si l’on utilisait le terme « parents » dans le code civil. Je ne vois pas ce que votre réponse a à voir avec cette proposition de loi.

Vous êtes pour les « jolis » mots, mais des couples qui ne sont pas hétérosexuels voudraient simplement exister. Le Sénat va rejeter ces amendements pour des raisons que, moi non plus, je ne comprends pas, et il laisse une partie de la société en dehors des textes. Il faudrait tout de même répondre à cet argument. (Mme le rapporteur et M. le garde des sceaux protestent.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je le dis très simplement à Mme de La Gontrie, je n’accepte pas de subir l’anathème qu’elle vient de jeter sur chacun ou chacune d’entre nous, et sur le Sénat en général.

Je n’accepte pas de l’entendre dire que nous aurions une appréciation différente de la douleur selon la situation familiale.

Madame, je ne l’accepte pas et je peux vous dire que je suis profondément choqué à titre personnel.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je ne vous demande pas de commenter mon propos, je vous explique simplement que je n’accepte pas ce que vous dites.

Je fais mien, s’il en est d’accord, l’argumentaire du garde des sceaux qui me paraît, d’un point de vue juridique, parfaitement clair et précis. Il a notamment indiqué que, dans le projet de loi relatif à la bioéthique…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela n’a rien à voir !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. … qui va être voté – ne trompons personne, nous savons tous qu’il le sera ! –, une disposition spécifique réglera le problème pour l’ensemble de nos codes et textes.

Madame, je le redis, votre propos n’est absolument pas acceptable.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote.

Mme Anne-Catherine Loisier. J’entends les problèmes soulevés par mes collègues, et je les en remercie, car cela permet de clarifier la situation : M. le garde des sceaux et M. le président de la commission des lois viennent de le dire, il n’y a pas de traitement différencié, même en préservant l’appellation « père et mère », et une uniformisation du droit aura lieu, si nécessaire, à l’issue de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique.

Mme Annick Billon. Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Bien sûr !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié et 2 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie.

(La proposition de loi est adoptée à lunanimité.)  (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Maryse Carrère et Vanina Paoli-Gagin ainsi que M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie
 

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Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande.

M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qui nous réunit autour de ce débat est ô combien importante, et je l’étendrai du reste aux centres-bourgs. Il s’agit d’un véritable enjeu de société qui doit dépasser les clivages politiques. C’est pour cette raison que notre assemblée s’en est emparée dès le mois de mai 2017.

Le constat dressé par le rapport que j’ai rendu conjointement avec notre ancien collègue Martial Bourquin était sans appel : « nos cœurs de ville et de bourg se meurent » !

De nombreuses villes comptent plus de 20 % de vacance commerciale, jusqu’à 30 % dans des villes comme Calais. Au total, nous avions recensé près de 700 villes et plusieurs centaines de bourgs pôles de centralité en grande difficulté.

Ce constat alarmant avait débouché sur un Pacte national pour la redynamisation des centres-villes et centres-bourgs issu d’une proposition de loi. Nous avions voulu prendre le problème à la racine, à la différence du programme gouvernemental Action cœur de ville, qui était concentré sur le volet financier.

Monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas, et il n’y aura pas, de solution à l’échelle de l’enjeu qui ne soit pas structurelle et/ou systémique.

Douze des trente dispositions issues de notre initiative sont désormais en vigueur, car elles ont été inscrites dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN. Je suis particulièrement attaché à leur suivi, et c’est essentiellement dans cet esprit que s’inscrira mon intervention.

S’agissant de la gouvernance des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), nous avions, par un amendement devenu article 163 de la loi ÉLAN, modifié leur composition afin qu’elles permettent aux représentants du tissu économique et commercial, à savoir les membres des chambres de commerce et d’industrie (CCI), des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) et des chambres d’agriculture, d’y siéger. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous confirmer que la composition de l’ensemble des CDAC a bien été mise à jour en ce sens ?

Sur le système de régulation des implantations commerciales, nous avions rénové en profondeur le mécanisme, en faisant en sorte que l’autorisation d’implantation soit conditionnée à l’absence d’impact négatif sur le tissu économique et commercial existant, notamment en centre-ville. Pour cela, le demandeur de l’implantation commerciale doit produire une analyse d’impact du projet réalisée par un organisme indépendant habilité par le préfet.

Êtes-vous en mesure de nous dresser un bilan de ces dispositions ? Vous êtes-vous assuré de leurs effets sur les centres-villes, en particulier les centres-bourgs ?

Sur ce même volet, nous avions aussi renforcé les pouvoirs du préfet, en lui permettant de s’assurer de la remise en état des surfaces commerciales abandonnées pour éviter la prolifération des friches.

De même, nous avons attribué au préfet le pouvoir de prononcer un moratoire sur les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale, sur requête motivée d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ou de communes signataires d’une convention d’opération de revitalisation de territoire (ORT). Pouvez-vous nous faire un état des lieux de l’usage de cette compétence ?

Avec la levée des compensations financières liées aux restrictions sanitaires se posera la question de la survie de nombreux petits commerces qui sont majoritaires dans les centres-villes et centres-bourgs.

C’est une autre dimension qui vient s’ajouter au sujet qui nous occupe et qui rend plus que nécessaire l’encadrement des implantations commerciales dans les prochains mois, pour éviter que ces dernières ne viennent « tuer à petit feu » le commerce de centre-ville et que la crise sanitaire ne joue un effet accélérateur, car malgré tous nos efforts la dévitalisation continue…

Permettez-moi de me référer, pour illustrer mon propos, à la situation de la ville de Bourges qui malheureusement est loin d’être un cas isolé. On y constate un phénomène que je qualifie de « désertion commerciale en centre-ville » et qui marque bien la polarisation des implantations commerciales en dehors des cœurs de ville.

À Bourges, la FNAC joue en effet un véritable rôle de locomotive commerciale pour les commerces du centre. Or sa direction souhaite désormais déserter le cœur de ville pour rejoindre un centre commercial implanté en dehors. Ce changement de fusil d’épaule m’interpelle, car j’avais autrefois auditionné le directeur stratégique du groupe FNAC, lequel tenait à souligner le rôle sociétal de cette enseigne dans la redynamisation d’un cœur de ville.

C’est pourquoi j’estime qu’il est urgent que nous conduisions une réflexion afin de trouver un mécanisme de régulation pour ces grandes enseignes implantées dans un centre-ville qui décident du jour au lendemain de le quitter au profit de la périphérie, parfois à cause de loyers trop élevés, parfois à cause d’une fiscalité trop importante en cœur de ville, parfois à cause d’une absence de logique urbaine qui prive le centre-ville de parking.

D’autres pistes permettraient de bonifier ces cœurs de ville et de bourgs. Elles peuvent trouver appui sur les dispositifs d’accompagnement à la rénovation de logement.

Je pense bien évidemment aux dispositifs Pinel-Denormandie et Denormandie dans l’ancien qui permettent de bénéficier d’exonérations et de réductions d’impôts locaux pour la rénovation d’un bien d’habitation. Pourquoi ne pas étendre ces dispositifs à la rénovation de locaux commerciaux implantés en centre-ville, afin de les embellir et attirer davantage les consommateurs ?

Enfin, il n’est pas possible d’étudier la question de la revitalisation des centres-villes sans traiter du sujet du commerce non physique.

Nous savons tous que les grandes entreprises de commerce électronique bénéficient de conditions fiscales iniques par rapport aux entreprises de commerce physique.

La pandémie de la covid-19 est venue renforcer cette distorsion de concurrence, en troquant les activités physiques par des alternatives en ligne. Jusqu’à présent, nous avons mené de nombreux travaux pour tenter de rééquilibrer la concurrence entre ces deux formes de commerce. Nos réflexions ont souvent traité, avec plus ou moins de réussite, du volet fiscal : projet de taxe sur les livraisons, assujettissement des entrepôts à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom)…

Néanmoins, nous avons oublié au préalable de soumettre l’implantation des entrepôts de ces géants du e-commerce à l’avis des CDAC. Je rappelle que les membres de ces dernières sont des acteurs de terrain : ils sont les mieux placés pour juger des conséquences sur le commerce existant de l’arrivée d’un entrepôt qui sert non pas uniquement à l’entreposage, mais aussi à la vente par livraison. Ces entrepôts ne pourraient-ils pas être installés en priorité sur des friches en vue de leur réhabilitation ?

Voilà la série de questions et de réflexions dont il m’importait de vous faire part, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de représenter le Gouvernement aujourd’hui pour évoquer avec vous la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, qui est au cœur de l’action que nous menons, avec Jacqueline Gourault, au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Le thème de ce débat recoupe largement les enjeux de ma mission en tant que secrétaire d’État à la ruralité. La géographie comme l’histoire doivent nous inciter à ne pas opposer la ruralité et la ville, mais – bien au contraire – à en penser les complémentarités. Le monde rural est en effet structuré par les villes et bourgs qui en constituent l’armature et irriguent les territoires environnants.

Les centralités ont traversé, vous l’avez souligné dans le rapport que vous avez élaboré en 2017, monsieur le sénateur Pointereau, de vraies difficultés durant les décennies qui viennent de s’écouler.

Le commerce, qui était au cœur de vos discussions, en est probablement le marqueur le plus visible et le plus emblématique. Je ne citerai pas trop de chiffres, car vous les connaissez et que nous pourrons en discuter ensemble durant le débat, mais permettez-moi de mettre en évidence plusieurs phénomènes.

Le commerce de détail a connu un recul net depuis le début des années 1990, avec une baisse de 3 % par an par exemple du nombre de boucheries et de 1,5 % pour les boulangeries ; la vacance commerciale en centre-ville est passée de 7 % à 12 % entre 2008 et 2019. Parallèlement, le nombre de surfaces commerciales en périphérie a augmenté, pour atteindre environ 1 800 zones aujourd’hui.

Ce phénomène est le résultat d’une multitude de facteurs, notamment du déplacement des habitants eux-mêmes des centres-villes vers la périphérie, de la démocratisation de la voiture et d’évolutions sociales profondes – baisse du temps consacré au parcours d’achat et paupérisation.

Il résulte également de l’existence d’importants déficits pour les opérations d’aménagement urbain des centres-villes : étant donné les coûts de rénovation des bâtiments, l’équilibre économique, qu’il s’agisse d’exploitation de logements ou de locaux commerciaux, n’est généralement pas assuré. Cela justifie pleinement l’intervention de la puissance publique et la structuration d’un écosystème reposant sur l’économie mixte.

La dévitalisation des centres-villes est un enjeu écologique, social et culturel, voire de civilisation – c’est un point très important.

C’est un enjeu écologique, car le développement des surfaces commerciales de périphérie conduit, comme l’étalement pavillonnaire, à l’artificialisation de surfaces agricoles ou naturelles. Alors que nous faisons de la lutte contre l’artificialisation des sols l’une des déclinaisons majeures de notre politique de préservation de la biodiversité, nous ne pouvons pas faire l’impasse d’une vraie réflexion sur la densification des centralités et leur revitalisation, notamment commerciale.

C’est un enjeu social, car les centres-villes et centres-bourgs constituent des lieux de rencontres où l’on peut efficacement lutter contre l’isolement, notamment celui qui touche nos personnes âgées.

C’est, enfin, un enjeu culturel, car la civilisation européenne s’est bâtie, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque fordiste, en passant par la Renaissance, sur le modèle de la ville. Nous ne devons pas y renoncer à l’heure où nos concitoyens nous demandent davantage de proximité et un renforcement du lien social.

Le Gouvernement a, je le crois, pris le problème à bras le corps.

Dès 2018, sur la base de constats qui recoupent ceux que vous faisiez, monsieur le sénateur, dans le cadre de votre proposition de loi, le programme Action cœur de ville a été lancé. Ciblant 222 villes moyennes, il se singularise par son caractère interministériel et transversal. Près de la moitié des 5 milliards d’euros prévus dans le cadre du programme ont déjà été engagés, et ce malgré la crise sanitaire, ce qui démontre toute la pertinence de cette initiative.

Ce programme d’actions s’adosse aux ORT, prévues dans la loi ÉLAN, qui offrent une large palette d’outils juridiques et fiscaux visant à favoriser la revitalisation des centres-villes : dispense d’autorisation commerciale et possibilité de suspension des projets situés dans les zones périphériques ; accès prioritaire aux aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ; éligibilité au dispositif Denormandie dans l’ancien ; renforcement du droit de préemption urbain et pour les locaux artisanaux.

Conscient de l’importance de toutes les centralités, cette logique a été déclinée dans le programme Petites Villes de demain, que nous avons lancé le 1er octobre dernier, destiné aux villes de moins de 20 000 habitants fragilisées dans l’exercice de leur fonction de centralité. C’est un plan d’action qui vise à soutenir les élus dans la réalisation de leurs projets. Pleinement intégrée à l’agenda rural, cette démarche se décline rapidement dans les territoires. J’en veux pour preuve la signature de plus de 500 conventions d’adhésion sur quelque 1 600 villes sélectionnées – elles l’ont été sans aucun plancher en termes de nombre d’habitants.

Cette ferme volonté de soutenir les centralités ne s’est pas arrêtée à la mise en œuvre de programmes incitatifs. Comme je l’avais évoqué en 2018, le Gouvernement a décidé en septembre 2020 d’un moratoire sur les surfaces commerciales de périphérie, en deux temps.

Il a tout d’abord enjoint aux préfets de saisir la Commission nationale de l’aménagement commercial (CNAC), lorsqu’un projet ayant reçu un avis positif de la CDAC entraîne une artificialisation des sols.

Il a ensuite posé, à l’article 52 du projet de loi Climat et résilience, un principe d’interdiction des nouvelles surfaces commerciales ayant pour effet d’artificialiser les sols.

À la faveur de la relance, le Gouvernement a de nouveau manifesté sa volonté d’œuvrer résolument en faveur de l’attractivité des centres-villes. C’est aussi une manière de lutter concrètement contre l’artificialisation des sols.

Comme le montre un rapport récent, il nous faudrait 500 millions d’euros par an, pendant de nombreuses années, pour résorber l’intégralité des verrues urbaines.

C’est pourquoi nous avons créé le fonds Friches, doté initialement de 300 millions d’euros, et récemment abondé à hauteur de 350 millions conformément à l’annonce faite par le Premier ministre le 17 mai dernier.

Le fonds de restructuration des locaux d’activité, en lien avec le programme « 100 foncières » de la Banque des territoires, va permettre de réhabiliter quelque 6 000 commerces sur l’ensemble du territoire, en finançant le déficit des opérations.

Ces politiques très concrètes prennent tout leur sens dans le cadre de la politique de « réarmement des territoires » menée par le Gouvernement, et sur laquelle je souhaite insister.

Avec la délocalisation de services d’administration centrale dans des villes moyennes, la mise en place des maisons France Services, l’engagement de créer 2 500 postes dans les services déconcentrés ou encore la lutte contre la désertification médicale, nous réorientons des ressources, mais aussi des femmes et des hommes vers les territoires. Ce mouvement est indispensable à la revitalisation des centres-villes.

Cette dynamique de renforcement de l’attractivité des centralités sera poursuivie dans le projet de loi 4D, notamment via deux dispositions : d’une part, la possibilité de conclure plusieurs opérations de revitalisation de territoire (ORT) sur le territoire d’un même EPCI, ce qui facilitera l’accès au dispositif pour les petites communes ; d’autre part, le renforcement du droit de préemption des biens sans maître – le délai pour la mise en œuvre de ce droit devrait passer de 30 ans à 10 ans. Ces mesures figuraient déjà dans une proposition de loi votée par le Sénat il y a peu.

Je voudrais également remercier très sincèrement les services et le cabinet du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, mais aussi les services de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), en particulier le préfet Rollon Mouchel-Blaisot et Juliette Auricoste, qui se sont mobilisés pour préparer ce débat et qui m’accompagnent dans l’hémicycle aujourd’hui. Ils œuvrent au quotidien pour traduire sur le terrain les politiques publiques et les valeurs qui les sous-tendent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons une même volonté de défendre nos centres-bourgs et centres-villes, et cette volonté n’est absolument pas motivée par une quelconque méfiance à l’encontre d’évolutions en cours. Tout au contraire, la promotion des centres-villes et des centres-bourgs est l’une des voies qu’il nous faut emprunter pour atteindre nos objectifs environnementaux et d’équité entre les territoires.

Je développerai bien évidemment de nouveaux points au fur et à mesure des réponses que j’apporterai à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs. Cela me permettra aussi de répondre plus précisément aux questions que vous m’avez déjà posées, monsieur le sénateur Pointereau.

Je précise simplement, pour conclure, que cinq communes ont déjà fait usage de la fameuse possibilité offerte par les conventions ORT s’agissant des surfaces commerciales de périphérie : Blois, Saint-Dié, Montargis, Moulins et Limoges.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Pierre Moga.

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat me tient particulièrement à cœur pour deux raisons.

J’ai tout d’abord été rapporteur de la proposition de loi de Martial Bourquin et Rémy Pointereau portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, un texte de qualité qui avait réuni plus de 230 sénateurs autour d’une boîte à outils de 31 articles constituant une bouffée d’oxygène pour nos élus locaux et nos petites villes.

Ensuite, l’enjeu de la revitalisation me semble majeur. Les conséquences des ruptures d’égalité entre territoires sont dévastatrices, avec un sentiment de déclassement, voire parfois d’abandon, qui fracture notre socle républicain. Mais elles sont aussi l’occasion d’espoirs renouvelés et d’initiatives innovantes qui permettent aux élus locaux de faire de leur territoire de véritables laboratoires de l’action publique.

Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, plus encore que les financements, la question de l’ingénierie est essentielle : quelles orientations prendra la réforme du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), prévue par ordonnance dans le projet de loi 4D afin de renforcer son rôle d’expertise et d’assistance ?

Alors que les articles 21 et 26 de la proposition de loi sénatoriale portaient respectivement sur l’implantation d’activités commerciales et la lutte contre l’artificialisation des terres, dans quelle mesure les articles 47 à 52 du projet de loi Climat et résilience, dont l’examen débute lundi prochain dans notre assemblée, apportent-ils des réponses concrètes, et non de nouvelles menaces pour la revitalisation de nos territoires ruraux ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Moga, je vous remercie de votre question, qui permet, si j’ose dire, de prendre le débat par le bon bout, à savoir le besoin de développer des projets de revitalisation globaux et cohérents. En effet – vous l’avez dit, et j’ai souvent évoqué ce sujet devant votre assemblée –, le premier besoin porte sur l’ingénierie.

C’est d’ailleurs ce qui a présidé à la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, dans la ligne de l’une des dispositions de votre proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Les questions d’ingénierie irriguent l’ensemble des programmes de l’ANCT. Je citerai notamment le programme Petites Villes de demain (PVD), qui permet d’ores et déjà à une centaine de territoires de bénéficier de l’appui d’un chef de projet – ils seront 600 d’ici à la fin de l’année.

Le projet de loi 4D, que je porterai ici même avec Jacqueline Gourault au début du mois de juillet, renforcera encore cette ingénierie, en facilitant l’accès des collectivités à l’expertise du Cerema. Cette disposition me semble extrêmement importante. Les collectivités pourront faire appel au Cerema en in house, sans mise en concurrence, ce qui permettra d’accélérer les projets, mais aussi de passer des marchés sur mesure en fonction des besoins des collectivités. À ce stade, une ordonnance est prévue, car cette évolution nécessite de réaliser un véritable travail d’orfèvre, notamment en termes de gouvernance. Il s’agit simplement de renforcer la sécurité juridique du dispositif, et donc, en bout de chaîne, celle des marchés passés par les collectivités locales. Le recours à une ordonnance permettra au Conseil d’État d’examiner le texte et de le sécuriser.

Le projet de loi Climat et résilience vient poser une pierre supplémentaire sur l’édifice de revitalisation des centres-villes. Il consacre l’objectif de diviser par deux la consommation d’espace dans les dix prochaines années et veille à ce que cet objectif soit décliné dans chaque territoire. La philosophie de ce texte consiste à allier développement économique et transition écologique. Les articles sur le commerce illustrent cette complémentarité. Le projet de loi vise ainsi à interdire toute création de commerces en périphérie, dès lors qu’elle aurait pour conséquence une artificialisation des sols, ce qui permettra de conforter le commerce de centre-ville.

M. le président. Gardez-en un peu pour la réponse suivante, monsieur le secrétaire d’État !

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat. Je conclus, monsieur le président !

Il sera toutefois encore possible d’artificialiser dans certaines conditions, si les besoins du territoire le justifient.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, 60 % des villes ont connu une fermeture de 70 % à 90 % de leurs commerces pendant la crise sanitaire. Malheureusement, avec les faillites annoncées, la crise économique fait craindre une nouvelle vague de formation de friches en ville, qu’elles soient commerciales ou industrielles.

On sait l’impact négatif de ces friches sur l’économie d’une commune : non seulement elles enlaidissent le paysage, mais elles stigmatisent aussi les territoires, en freinant les nouvelles implantations et en engendrant souvent une baisse de fréquentation des centres-villes, ce qui provoque la fermeture d’autres commerces.

Si, face aux très nombreuses sollicitations, l’augmentation du fonds Friches, annoncé par votre gouvernement, est à saluer, se pose aussi la question du maintien de ces aides au-delà de la période de relance. En effet, sans subventions publiques, la plupart des projets de réhabilitation seraient tués dans l’œuf. Votre gouvernement compte-t-il pérenniser ces fonds ?

Les procédures de réponse aux appels d’offres s’avèrent complexes pour les petites collectivités qui ne bénéficient pas des ressources humaines et techniques suffisantes.

De même, l’empilement des procédures et autorisations constitue un frein important à la réalisation des opérations, notamment pour l’exercice des droits de préemption et d’expropriation par les collectivités. Ces procédures nécessitent une ingénierie juridique pérenne et beaucoup d’entre elles n’en disposent pas.

Quelles réponses le Gouvernement apporte-t-il à ces problématiques pour rendre efficace le recours aux aides, permettre aux collectivités de mettre en œuvre des projets de réhabilitation et lutter contre les friches en ville ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Filleul, comme vous le soulignez, le Gouvernement a mis en place de nombreux leviers complémentaires pour lutter contre les friches, à commencer par le programme Action cœur de ville, qui vise à lutter contre la vacance commerciale et à renforcer l’attractivité des centres-villes grâce à une intervention intégrée sur le commerce, l’habitat, les espaces publics et les activités économiques.

La lutte contre les friches, c’est bien entendu la vocation du fonds Friches, dont le Premier ministre a récemment annoncé le doublement, avec 650 millions d’euros mobilisés. C’est aussi la vocation du fonds pour la revitalisation des cellules commerciales, doté de 60 millions d’euros, qui vise à rénover ces commerces et à faciliter l’installation de repreneurs. La Banque des territoires a également mobilisé 800 millions d’euros pour constituer des foncières commerciales qui doivent permettre de gérer ces commerces dans la durée et de développer une véritable politique d’animation et de diversité commerciale dans les centres-villes.

Mais la réussite de ces outils et leur mobilisation effective au profit de toutes les communes, y compris les plus petites, repose en effet sur un appui fort en ingénierie. Je partage pleinement ce point de vue. Toutes les communes ne bénéficient pas de l’expertise et des moyens nécessaires pour porter les projets, et c’est la raison d’être de l’ANCT.

Les retours d’expérience du programme Action cœur de ville démontrent qu’il faut déployer des moyens d’ingénierie dans la durée, et pas seulement au coup par coup. Nous avons donc prévu des chefs de projet pour accompagner dans la durée les communes qui ont intégré le programme Petites Villes de demain. Cent communes sont d’ores et déjà accompagnées ; elles seront six cents d’ici à la fin de l’année. L’État finance fortement le recours à ces chefs de projet, à hauteur de 75 %, avec un plafond à 45 000 euros. En complément, la Banque des territoires et l’ANCT mettent plus ponctuellement à disposition des moyens d’ingénierie sur des sujets pointus. La multiplication des procédures à suivre pour porter un projet et assurer sa sécurité juridique nécessite régulièrement un appui juridique que nous pouvons mettre à disposition, au cas par cas, en fonction des besoins formulés dans les territoires.

Permettez-moi enfin de citer la rénovation thermique des bâtiments des collectivités, pour laquelle le plan de relance prévoit un milliard d’euros. Ma priorité était de faire en sorte qu’un maximum de petites communes puisse en bénéficier.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Je partage votre constat et votre diagnostic, monsieur le secrétaire d’État. La ville est vraiment un enjeu social, culturel et économique de taille. Néanmoins, vos réponses ne me semblent pas à la hauteur, qu’il s’agisse des sommes engagées ou de l’ingénierie. Le compte n’y est pas !

Pour l’heure, l’ANCT ne permet qu’un accompagnement ponctuel, au coup par coup. J’ai vraiment la nostalgie de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca), qui apportait un soutien pérenne aux collectivités.

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.

M. Bruno Rojouan. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’enjeu de la rénovation des centres dans les petites communes.

La problématique de dégradation du bâti était déjà mentionnée dans le rapport d’information du Sénat de 2017. La rénovation est un levier déterminant pour l’attractivité de nos communes, mais elle se heurte à une difficulté majeure, essentiellement d’ordre financier.

Très souvent, les bailleurs et promoteurs font le choix de construire en périphérie, sur un terrain vierge, plutôt que de rénover dans le centre. Mais au fond, comment leur en vouloir ? En raison des caractéristiques du foncier et des éventuelles mauvaises surprises que réserve l’ancien, les travaux de rénovation sont souvent écartés pour leur coût trop élevé et incertain.

Cette réalité se vérifie aisément dans l’Allier, mon département, et plus généralement dans la ruralité, qui ne dispose pas des incitations juridiques et financières pour enclencher cette rénovation, pourtant nécessaire.

Des dispositions ont certes été prises avec les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain, mais, pour ne vous donner qu’un exemple, le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de mon département me confiait récemment que les frais de notaire sont multipliés par sept pour la rénovation du foncier bâti en centre-ville, comparativement à la construction en périphérie… Cette charge est dissuasive, autant pour les collectivités que pour les particuliers.

Nous avons tout intérêt à exploiter le levier de la rénovation. Votre gouvernement entend fixer, au travers du projet de loi Climat et résilience, un objectif de zéro artificialisation nette des sols. Donnez aux communes les moyens de le respecter !

Ma question est donc simple, monsieur le secrétaire d’État : comment comptez-vous mieux prendre en compte les spécificités de la ruralité pour permettre aux petites communes de restructurer leurs centres-bourgs grâce à des dispositifs plus favorables ? (M. Yves Bouloux applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Rojouan, je partage votre avis sur la nécessité d’encourager au maximum la rénovation des centres-bourgs, un objectif qui se trouve à la croisée de tous les enjeux du moment. Elle présente une dimension écologique, car il faut limiter l’artificialisation des sols qui porte atteinte à la biodiversité et à nos paysages ; elle permet aussi de revitaliser des centres anciens qui comportent souvent beaucoup de logements vacants, ce qui entraîne la disparition des commerces et des services, et vice-versa…

Le Gouvernement est mobilisé en ce sens depuis quatre ans au travers des programmes de l’ANCT, notamment Petites Villes de demain qui concerne 1 600 communes, dont plus de la moitié a moins de 3 500 habitants. Nous avons aussi lancé les opérations de revitalisation de territoire, qui peuvent bénéficier à l’ensemble des communes d’une intercommunalité et leur permettre d’être éligibles au dispositif Denormandie dans l’ancien, un dispositif d’investissement locatif pour les ménages qui achètent un bien pour le rénover. En avril 2021, 252 ORT avaient été signées, dont 68 pluricommunales, au bénéfice de 411 communes. Par ailleurs, 436 communes supplémentaires ont formulé le souhait de rejoindre le dispositif.

Il convient vraiment, selon moi, de généraliser la signature d’ORT dans les communes rurales. Le programme PVD va y contribuer, de même que le projet de loi 4D, qui devrait permettre de signer plusieurs ORT dans une même intercommunalité, ce qui n’est pas possible aujourd’hui.

Les communes pourront aussi récupérer plus facilement des biens abandonnés en cœur de ville, comme je le disais, pour porter leur rénovation au travers d’établissements fonciers ou de sociétés d’économie mixte (SEM) locales.

De plus, les programmes de l’ANCT permettent d’encourager, avec l’appui de l’ANAH, une véritable stratégie de rénovation des logements qui passe par la mise en place de programmes d’intérêt général ou d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat qui visent à mieux financer les travaux de rénovation et à accompagner les ménages à l’échelle d’une intercommunalité ou d’un département.

Les aides à la rénovation thermique sont également renforcées dans le cadre du plan de relance, avec 2 milliards d’euros supplémentaires pour MaPrimeRénov’, et nous avons créé le fonds Friches, doté de 650 millions d’euros, qui permet de financer les déficits d’opération de rénovation dans les cœurs de ville et de bourg.

S’agissant des frais de notaire, je comprends votre remarque, même si ces derniers restent limités. Le marché du logement de ces territoires souffre malheureusement d’une désaffection, les prix d’achat sont donc modérés. Par ailleurs, quand vous procédez à la rénovation globale d’un logement, les frais de notaire sont réduits.

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, je me permets d’inciter vos collaborateurs à écourter quelque peu les éléments de réponse qu’ils vous préparent plutôt que de vous forcer à parler à ce rythme effréné…

La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de nos territoires ruraux, les centres-villes ou centres-bourgs sont le cœur battant de nos petites communes. Leur revitalisation est une question de survie. Le seul résultat acceptable pour nos concitoyens est de réussir à redynamiser structurellement la ruralité. Dans ce cadre, le programme Petites Villes de demain est un outil clé de transition, au sens large.

La crise que nous traversons – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – doit être transformée en accélérateur de toutes les transitions afin de décupler notre capacité d’évolution vers des changements vertueux. C’est d’autant plus vrai en milieu rural, où la vitalité dépendra nécessairement de ces changements. Nous sommes tenus, à cet égard, d’élaborer des stratégies et des politiques cohérentes.

S’agissant du volet écologique et énergétique de cette redynamisation, l’une des solutions passera, me semble-t-il, par la massification de l’autoconsommation à l’échelle des petites villes.

Dans le Grand Est, en particulier dans l’Aube, des initiatives permettent de déployer des systèmes qui combinent production d’énergie, stockage et interconnexion pour mutualiser la production et la consommation d’énergie verte entre pairs. Grâce à cette alliance entre production d’énergie vertueuse, efficacité énergétique et réseaux intelligents, il est possible d’offrir un surcroît de pouvoir d’achat aux ménages via une réduction de leur facture énergétique. La production excédentaire peut bénéficier, en outre, aux ménages les plus précaires. Cette écocircularité s’intègre à la stratégie de redynamisation, car ses résultats sont à la fois écologiques, économiques et sociaux.

Monsieur le secrétaire d’État, est-il imaginable de systématiser le déploiement de ce type de dispositifs vertueux pour accélérer la revitalisation des centres-bourgs dans les petites communes ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, avec les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, nous ne proposons pas une solution générique ou une démarche uniforme. Au contraire, c’est à partir du projet élaboré par les élus, des besoins et des enjeux de chaque territoire que nous définissons collectivement les meilleures réponses opérationnelles à apporter.

L’échange entre pairs sera par ailleurs favorisé au sein du club des Petites Villes de demain, en coconstruction tout au long de ce premier semestre afin qu’il colle au mieux aux besoins des collectivités.

Les premières rencontres nationales digitales organisées le 22 avril dernier ont rassemblé plus de 1200 participants. En 2021, 11 webinaires ont été organisés, mettant en valeur 24 communes PVD et suivis par 2 800 participants. Les outils d’information sont déjà en place, une infolettre mensuelle est adressée à plus de 4 800 personnes et les réseaux sociaux complètent l’offre qui sera présentée à la rentrée pour renforcer les échanges entre pairs autour de clubs thématiques et l’articulation avec les équipes régionales et départementales d’animation.

En ce qui concerne les réseaux d’énergie intelligents, de nombreuses innovations locales démontrent la pertinence de ces approches dans certains territoires. Loin d’être une mesure gadget, ce levier est intéressant, lorsqu’il s’intègre dans une stratégie plus globale. C’est là que le soutien à l’ingénierie prend tout son sens, pour bâtir une stratégie. C’est aussi l’orientation du programme d’investissements d’avenir (PIA) Démonstrateurs de la ville durable, qui soutient les démarches innovantes dans une approche intégrée.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Je vous remercie de cette réponse très étayée, monsieur le secrétaire d’État. J’en ferai part aux maires qui m’ont saisie de ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le secrétaire d’État, la crise sanitaire et les confinements successifs ont redonné aux villes moyennes une certaine attractivité. Ce constat est bien sûr très positif, car les nouveaux enjeux d’aménagement du territoire appellent à réinvestir nos villes moyennes et nos villages et à désengorger les métropoles.

Mais cet attrait nouveau pour les villes à taille humaine ne remet pas en cause la tendance de fond : une progressive dévitalisation de nombreux centres-villes et centres-bourgs. Cette tendance, à l’œuvre depuis plusieurs années, induit la disparition des commerces, des logements et des services de proximité. Nous saluons bien entendu les plans Action cœur de ville et Petites Villes de demain, lancés en 2018. Ils traitent la surface sans s’attaquer au cœur du problème, mais ils permettent malgré tout de freiner cette tendance générale.

Depuis des décennies, nos petites villes et nos villes moyennes étaient complètement sorties des radars des politiques publiques, contribuant à créer un sentiment d’abandon et de désespérance pour leurs habitants.

Aujourd’hui, nous sommes une majorité à dire stop à ce qui a été le modèle dominant de ces dernières décennies : étalement urbain et anarchie commerciale périphérique. Ce sont les principaux déterminants de la dévitalisation des centres-villes.

Le phénomène s’aggrave avec, depuis quelques années, l’implantation d’entrepôts de e-commerce démesurés, auxquels ne s’applique aucune contrainte particulière.

Oui, le modèle Amazon continue de défigurer nos territoires. Il est destructeur pour le tissu économique et social, pour nos commerces de proximité, pour l’emploi local, la biodiversité et le climat.

L’étude de l’ancien secrétaire d’État au numérique, Mounir Mahjoubi, le souligne : Amazon détruit plus d’emplois qu’il n’en crée. Au moment où la puissance publique investit 5 milliards d’euros sur cinq ans dans le programme Action cœur de ville, le Gouvernement continue de refuser de réguler le secteur du e-commerce. Aucune taxe sur les bénéfices exceptionnels d’Amazon n’a été votée. Quant au moratoire sur les plateformes de commerce en ligne, il a été abandonné…

Rarement le double discours de l’exécutif aura été aussi palpable. Quand le Gouvernement mettra-t-il fin à cette contradiction notoire ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Salmon, tout à l’heure, je suis revenu sur les raisons qui expliquent, sur le long terme, la baisse du commerce de détail. Avouez que celle-ci n’est pas vraiment nouvelle…

Vous relevez aussi, après M. Pointereau, la concurrence du e-commerce. Avec 112 milliards d’euros de chiffre d’affaires, contre 84 milliards d’euros il y a trois ans, le e-commerce représente 13,4 % du commerce de détail en 2021 contre 9,8 % en 2019.

Il est donc primordial de conduire des politiques publiques efficaces qui intègrent cette dimension, comme vous l’avait d’ailleurs dit feu Vanik Berberian, lorsque vous l’aviez interrogé : « Il faut partir de ce qu’est la société aujourd’hui et des nouveaux modes de consommation. »

On l’a vu durant la crise sanitaire : parfois, le commerce digital est aussi une chance. Il a notamment permis à des commerçants de proximité d’élargir leur zone de chalandise.

Nous avons décidé d’accompagner cette évolution dans le cadre des programmes de l’ANCT et du plan de relance, en intégrant une aide de 20 000 euros de la Banque des territoires pour soutenir la création de plateformes digitales locales. Le plan d’aide à la digitalisation des commerces, qui a été lancé en décembre 2020, conforte ces démarches collectives par un soutien individuel.

S’agissant de la régulation du e-commerce, le projet de loi Climat et résilience contient des mesures. Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) pourront définir des secteurs d’implantation privilégiée. L’artificialisation des sols sera également évaluée préalablement à l’implantation d’entrepôts de e-commerce à travers les dossiers liés aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Je comprends que ces mesures puissent vous paraître insuffisantes, monsieur le sénateur, mais je crois qu’elles répondent vraiment aux besoins d’équilibre de la société sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.

M. Daniel Salmon. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Mes propos sont toutefois corroborés par le dernier rapport de France Stratégie paru en mars dernier : le e-commerce, Amazon en particulier, détruit de nombreux emplois !

Pourtant, chaque fois que nous interpelons le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, sur le sujet, il désamorce toute velléité de contrôle, en nous parlant de « psychose française sur Amazon »…

Il faut pourtant regarder les choses en face ! On ne peut pas essayer de lutter d’un côté, et presque encourager de l’autre. Nous devons conduire une politique volontariste pour faire en sorte que, demain, l’argent investi dans les centres-villes ne soit pas perdu à cause d’une concurrence complètement déloyale.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà peu, nous étions encore formatés pour concentrer et développer les métropoles – c’était notre logiciel de pensée. Ces dernières années, nous avons constaté, et même soutenu parfois, des transferts massifs d’activités économiques, universitaires ou encore médicales vers nos plus grandes agglomérations, au détriment de nos zones plus « périphériques ».

Ce logiciel de pensée est aujourd’hui bouleversé. De nombreux urbains font part de leur volonté de s’installer en zone rurale ou périurbaine, provoquant une envolée des transactions immobilières.

Le projet de loi Climat et résilience, que le Sénat examinera à partir de la semaine prochaine, pose le principe « zéro artificialisation nette » d’ici à 2050. Un changement de paradigme s’impose à nous : « refaire la ville sur la ville ». La revitalisation des centres-villes et le développement de nos communes périphériques passeront par la densification de nos centralités. Le Gouvernement a bien saisi ces enjeux.

Le dispositif Petites Villes de demain, très apprécié de l’ensemble des élus locaux, fait partie des actions engagées en faveur de nos collectivités. Les services déconcentrés de l’État répondent présents, ils jouent un rôle de facilitateurs, s’adaptant à des réalités territoriales plurielles. Il faut le souligner.

Des montages originaux sont déclinés dans le Finistère, notamment dans le pays des Abers, récemment lauréat de ce dispositif.

Dans ce contexte global, la reconquête des friches constitue un enjeu majeur, notamment pour répondre aux objectifs croisés de maîtrise de l’étalement urbain et de revitalisation. Le déploiement du fonds de recyclage des friches a connu un engouement très important, au point que son enveloppe a été doublée.

Une évaluation des nombreuses externalités positives générées par ce fonds est-elle envisagée ? En fonction de cette évaluation, ne serait-il pas souhaitable de renforcer massivement et prioritairement cet outil ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, chère Nadège, le plan France Relance a permis la création du fonds Friches, doté de 300 millions d’euros, grâce au retour d’expérience du programme Action cœur de ville. Cela a été l’occasion de mettre en lumière que, dans les 222 villes du programme, des dizaines de projets de requalification lourde étaient prêts à démarrer, mais que, en dépit des aides existantes, ils étaient bloqués, compte tenu de l’atonie des marchés qui fragilisait leur équilibre économique.

Ces requalifications sont indispensables, car elles changent bien souvent le regard porté sur un cœur de ville et lui permettent de retrouver une véritable attractivité. C’est la raison pour laquelle nous avions soutenu, avec Jacqueline Gourault et Emmanuelle Wargon, la création de ce fonds.

Les premiers chiffres provisoires dont je dispose montrent que près de 70 % des projets sont le fait de collectivités engagées dans des programmes de l’ANCT, ce qui correspond à 180 millions d’euros sur les 300 millions d’euros initiaux. Cela a été un véritable succès, avec 1,5 milliard d’euros de projets remontés pour 300 millions d’euros engagés.

Bien entendu, tous les projets n’étaient pas éligibles, mais la dynamique est là. Devant ce succès, le Premier ministre a annoncé un abondement de 350 millions d’euros voilà quelques semaines, et nous réfléchissons – je m’adresse aussi à madame la sénatrice Filleul à qui je n’ai pas pu répondre complètement en deux minutes – à la pérennisation du fonds pour l’après-2022. Des travaux sont en cours à cette fin et je souhaitais apporter cette réponse aux deux sénatrices qui m’ont interrogé sur ce sujet.

Nous avons mis en place un suivi très étroit de l’emploi de ce fonds, qui fera, bien entendu, l’objet d’un bilan. C’est indispensable à la fois pour le pérenniser et, sans doute, pour en améliorer le contenu.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour la réplique.

Mme Nadège Havet. Je veux seulement adresser mes remerciements à M. le secrétaire d’État pour sa réponse.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Mon groupe est de longue date un défenseur passionné des territoires, en particulier des territoires ruraux, et de leurs représentants. Je sais que c’est aussi une préoccupation du Gouvernement et du Président de la République, comme en témoignent les visites organisées ces derniers jours dans nos départements, et dans le mien en particulier, avec des arrêts à Saint-Cirq-Lapopie, Martel et Cahors.

En 2018, le RDSE a été à l’origine de la loi portant création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Celle-ci a pour mission de conseiller et soutenir les collectivités territoriales dans la conception et la mise en œuvre de leurs projets, notamment en matière d’accès aux services publics et de revitalisation commerciale et artisanale des centres-bourgs et des centres-villes.

Le programme Action cœur de ville vise à améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes – 222 ont été retenues –, et à conforter le rôle moteur de ces villes dans le développement du territoire. Il est doté d’un budget de 5 milliards d’euros sur cinq ans.

Par ailleurs, le programme Petites Villes de demain, lancé en octobre dernier, tend à accompagner les projets locaux de revitalisation des villes de moins de 20 000 habitants exerçant un rôle de centralité. Il est, quant à lui, doté d’un budget de 3 milliards d’euros sur six ans, soit jusqu’en 2026.

Toutefois, ces budgets n’apparaissent pas suffisants au regard des enjeux auxquels les acteurs locaux doivent faire face. Déjà en difficulté avant la crise sanitaire, de nombreuses activités de ces villes petites et moyennes ont été affectées par les restrictions. Or cela concerne plus ou moins directement le cadre de vie d’une majorité de la population française.

Dans le cadre du second plan de relance annoncé par le ministre de l’économie, comment le Gouvernement souhaite-t-il renforcer les financements en la matière, pour mieux équilibrer à la fois les moyens des différents programmes et l’enveloppe globale qui leur est destinée ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Requier, cher Jean-Claude, avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires qui a été créé, je le concède bien volontiers, un peu par votre groupe, et les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, France Services et Territoires d’industrie, c’est la première fois qu’un gouvernement déploie une action aussi concentrée sur des zones en déprise pour les revitaliser en activant l’intégralité des leviers : la rénovation de l’habitat, la réimplantation des commerces et des services publics, la relocalisation d’activités économiques, notamment industrielles, l’amélioration des espaces publics et du cadre de vie.

Les moyens sont considérables, comme vous l’avez souligné : 5 milliards d’euros pour Action cœur de ville, dont presque la moitié a été engagée à la fin mars 2021, et 50 000 logements rénovés ; 3 milliards d’euros pour le programme Petites Villes de demain, qui vient d’être lancé. Les crédits sont disponibles et ils sont, à l’heure actuelle, très loin d’être tous consommés. L’enjeu, c’est donc d’abord de les engager, bien évidemment, pour éviter de les perdre.

Sans attendre, ils ont été complétés, grâce à France Relance notamment : 2 milliards d’euros pour la rénovation thermique des logements des particuliers via MaPrimeRénov’ ; 60 millions d’euros de fonds de rénovation et de restructuration des locaux d’activité ; 800 millions d’euros de fonds propres et 6 millions d’euros d’ingénierie pour la constitution de 100 foncières en vue de la création de 6 000 commerces d’ici à 2025, sous l’égide de la Banque des territoires ; 650 millions d’euros pour le fonds Friches, dont nous parlions à l’instant. Ce dernier, j’y insiste, permet d’apporter une subvention complémentaire pour des projets qui, en dépit des aides existantes, ne trouvaient pas d’équilibre économique. C’est tout à fait considérable et c’est un changement complet de paradigme par rapport à ce qui pouvait exister, puisqu’il tient compte de l’atonie du marché. Les premiers chiffres provisoires dont je dispose démontrent que 70 % de ces crédits ont bénéficié à des collectivités engagées dans les programmes de l’ANCT. Devant ce succès, il y a eu un surabondement du fonds. Je le répète, les moyens sont là ; l’enjeu, c’est vraiment de les mobiliser.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le secrétaire d’État, alors que le programme Action cœur de ville ne vise que 222 villes moyennes, des centaines de centres-villes et centre-bourgs sont concernés par l’éloignement des commerces et services, la dégradation du logement et le départ de leurs habitants. Les enjeux sont d’autant plus forts aujourd’hui avec l’impact de la crise sanitaire et économique.

Revitaliser implique nécessairement de recréer du lien social, un rapport de proximité entre les citoyens, les élus et l’État, dont la présence doit se faire sentir partout et de manière égale pour toutes et tous.

La métropolisation a fait péricliter des zones de vie au profit de zones périphériques, dénaturant nos paysages et faisant concurrence à nos commerçants. À cela se sont ajoutés la réorganisation et le recul des services de l’État sur l’ensemble du territoire.

En se retirant des territoires les plus ruraux, l’État n’assure plus l’impératif de proximité. Par exemple, depuis 2013, quelque 535 trésoreries et 75 services des impôts ont été supprimés, et 40 % des maternités ont fermé en vingt ans. Dans mon département du Nord, 64 trésoreries supplémentaires devront être fermées d’ici à 2024. Et nous savons tous que les postes supprimés ne sont jamais compensés.

Dans une récente enquête intitulée Les Filles du coin : vivre et grandir en milieu rural, la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy décrit l’impact de l’éloignement et de l’absence des services publics sur les jeunes filles de milieu populaire en zone rurale. Celles-ci se trouvent confrontées à l’injonction sociale au départ vers les métropoles, car, dans leur village, elles ne se sentent pas prioritaires dans les politiques publiques. Que leur répondez-vous ?

Les maisons France Services imposent aux collectivités une prise en charge financière excessive, alors qu’elles assurent de nombreuses démarches de l’administration d’État. Comment justifier de telles inégalités territoriales, conséquences de ce désengagement ?

L’aménagement du territoire est vu comme une politique de soutien aux projets proposés par certains acteurs locaux, en compétition pour obtenir le précieux sésame financier, et non plus comme un réel accompagnement d’ingénierie territoriale. Comment comptez-vous améliorer l’accessibilité et la lisibilité des moyens mis à la disposition des petites collectivités ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Gréaume, vous avez raison de souligner que le programme Action cœur de ville ne concernait que 222 villes moyennes à l’origine, alors que la dévitalisation en touche beaucoup d’autres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle a été créé le programme Petites Villes de demain, qui concerne 1 623 villes à ce jour, réparties sur l’ensemble du territoire. Ces dernières se voient proposer un accompagnement très renforcé sur les thématiques prioritaires pour les élus : sécurité, patrimoine, commerce, habitat.

Finalement, j’ai envie de dire que vous validez notre méthode, celle du partenariat et de l’interministériel. C’est la fin du travail en silo, qui a toujours posé des problèmes en matière de politiques publiques et d’administration.

Sur les fermetures de services publics dans les territoires ruraux, ce gouvernement est quand même à l’origine d’une inflexion – la première depuis de nombreuses années – dans la dynamique de baisse des effectifs dans ces territoires. Cette volonté d’y réarmer l’État a d’ailleurs été réaffirmée par le Premier ministre lors du comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 5 février dernier, et elle se manifeste par la création de 2 500 emplois dans les services déconcentrés de l’État, ainsi que par la délocalisation de certains services d’administration centrale.

La réforme de la DGFiP que vous avez évoquée in fine a donné plus de stabilité au service public en sortant d’une logique de baisse au coup par coup pour privilégier des conventions départementales avec engagement de ne pas modifier les implantations durant six ans. Cependant, je vais examiner de plus près les questions de remise des dépôts aux comptables publics dans un certain nombre de secteurs où la confusion entre La Poste et La Banque postale pose parfois quelques problèmes.

Vous m’interrogez également sur la priorité que nous devons donner à la jeunesse, notamment aux jeunes filles, en milieu rural. J’ai justement décidé de m’investir particulièrement sur ces thématiques, qui ne figuraient pas dans l’Agenda rural. La jeunesse y était, mais de manière marginale, et l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les droits des jeunes LGBT en milieu rural étaient absents.

Nous avons donc fait un maximum de choses dans le cadre de cette politique, et je vous rappelle que nous avons créé des volontaires territoriaux en administration (VTA), des étudiants de niveau bac+2 au minimum, qui sont aujourd’hui les collaborateurs des collectivités territoriales dans le monde rural.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la revitalisation des centres-villes est un sujet majeur, dont le Sénat, défenseur des territoires, s’est déjà emparé tant de fois. Hélas, le constat dressé hier est toujours d’actualité.

Dans presque tous nos territoires, les centres-villes ont été progressivement désertés au profit de zones périurbaines, qui offrent davantage de commodités : parkings spacieux et gratuits, proximité des grandes surfaces, logements neufs, loyers moins élevés, prix de l’immobilier plus abordables. Bref, aujourd’hui encore, beaucoup de nos concitoyens continuent à opter pour des périphéries, car ils y trouvent davantage de facilités.

Pour autant, nos territoires ont tous une capacité de réaction, sinon d’adaptation, remarquable.

Ainsi, la ville de Thionville, en Moselle, a entrepris un chantier d’ampleur de revitalisation de son cœur, rassemblant élus, représentants de la société civile, professionnels et institutionnels, au premier rang desquels l’État. Ensemble, ils ont mené une réflexion et défini un plan d’action.

Cependant, la mise en œuvre du projet se heurte à une complexité technique réelle s’agissant de la lisibilité des modalités financières. Ainsi, pour chacune des quelque 80 opérations retenues, il est nécessaire de remobiliser l’ingénierie technique et financière afin d’obtenir les financements des différents partenaires, ce qui, convenez-en, est chronophage et coûteux.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous d’apporter au dispositif existant, trop lourd, trop technique et trop complexe, des éléments de simplification ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Mizzon, nous partageons tous ce constat, rappelé par le sénateur Pointereau, et que j’ai moi-même évoqué dans mon propos liminaire.

Franchement, depuis le début du quinquennat, nous n’avons eu de cesse de nous atteler à ce problème. Nos réflexions sont nourries, d’ailleurs, par des contributions d’élus, souvent inquiets, que ce soit au Sénat ou dans les associations d’élus.

Dès 2018, le lancement du programme Action cœur de ville, adossé à l’opération de revitalisation de territoire, a permis de donner corps à la transversalité, que tous les acteurs appellent de leurs vœux. En effet, comme nous le savons tous, on ne peut pas appréhender, par exemple, la vacance commerciale sans prendre en compte l’habitat, les mobilités ou encore la vie culturelle. Le dynamisme des centralités, par essence, pose un problème multifactoriel, et la réponse ne peut être que collective et ambitieuse. Sur les 5 milliards d’euros du programme, je le répète, près de 50 % des crédits ont déjà été engagés. C’est le signe que, malgré la crise sanitaire, les programmes de revitalisation se sont poursuivis, comme à Thionville, exemple que vous avez évoqué.

Vous soulignez la complexité du montage de ces projets. Je suis d’accord avec vous, mais, en centre-ville, il y a souvent des bâtiments classés, évidemment proches les uns des autres, ce qui entraîne des difficultés.

C’est pour soutenir les plus petites centralités que l’ANCT a déployé une offre d’ingénierie, qui est justement adaptée. Le soutien de l’ex-Épareca, qui est maintenant intégré dans l’ANCT, est désormais ouvert aux territoires en ORT, alors qu’il était jusqu’à présent réservé aux quartiers prioritaires de la politique de la ville.

En outre, à la faveur du plan de relance, et pour faciliter la lutte contre la vacance commerciale, le Gouvernement a mobilisé 60 millions d’euros pour financer les déficits des opérations de réhabilitation de 6 000 commerces. Ce fonds de restructuration des locaux d’activité (RLA), opéré par l’ANCT, s’intègre au programme des 100 foncières de la Banque des territoires.

Monsieur le sénateur, vous le constatez, nous sommes pleinement mobilisés, en lien avec la Banque des territoires, pour que ces opérations de centre-ville, menées notamment par des managers de centre-ville, puissent être efficaces sur les territoires que vous citez.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.

M. Jean-Marie Mizzon. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. On voit bien que la simplification reste un exercice complexe, mais votre gouvernement a de l’ambition à cet égard, puisqu’il a même inscrit ce mot dans le titre d’un projet de loi que nous allons prochainement examiner.

Seulement, la simplification ne doit pas être mise à l’honneur que le temps d’un débat. Elle doit être une préoccupation de tous les instants. Il s’agit, certes, de procédures concernant de nombreux acteurs, mais celles-ci doivent être nettement simplifiées sous l’impulsion de l’État.

Puisqu’il me reste un peu de temps, et pour prolonger les propos du président de séance, qui faisait référence à la longueur des fiches qui vous sont parfois remises, je dirai que, si les journalistes écrivaient comme certains hauts fonctionnaires, croyez-moi, il ne se vendrait plus du tout de journaux, tellement c’est inintelligible !

M. le président. Ne nous engageons pas dans ce débat ! (Sourires.)

La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Monsieur le secrétaire d’État, trop nombreuses sont, dans notre pays, les petites villes rurales en perte de « substance », c’est-à-dire d’attractivité, comme on dit aujourd’hui pour résumer une situation qui s’est sédimentée au fil des années et des fermetures des administrations, services publics et commerces.

Malheureusement, il est à craindre que la pandémie n’aggrave cet état de fait, vu l’irruption puissante du commerce et de la restauration virtuels, induisant des habitudes de consommations fatales à ce qui est l’essence même de la ville, sa pulsion de vie.

Les villes seront des communautés vivantes ou ne seront plus ! La ville, c’est du collectif, c’est l’échange, le partage, des liens, des rencontres. Elle doit être conçue pour tous, dans le respect de tous, et ainsi donner envie d’y venir ou d’y rester.

Or les attentes de nos concitoyens ont bien changé, parce que le monde a changé très vite. Il faut inventer des solutions alternatives : au « tout-voiture », car nous devons diminuer les émissions de gaz à effet de serre ; au « tout-béton », car nous devons réduire les îlots de chaleur et favoriser la biodiversité ; et, maintenant, au « tout-numérique », pour garder tout son sens à la ville.

Comme le disait le philosophe Robert Maggiori, ce week-end dans Libération : « Une ville, si elle est vidée de ces fonctions, n’est plus qu’un squelette mécanique absurde. »

La ville ne doit-elle pas être pensée dans sa globalité et sa complexité ? Le modèle des métropoles a vécu. Anticiper l’avenir, c’est prévoir les possibles dans les petites villes rurales. Or nous sommes pour l’instant bien loin du compte, car, quand il n’y a plus ni école, ni médecin, ni poste, ni perception, ni même magasin de vêtements, quand le dernier petit filet de vie est en train de se tarir, comment redonner vie à ces coquilles quasiment vides, alors que l’avenir se jouera probablement là ?

Les défis auxquels doivent répondre les élus sont colossaux, et les solutions ne sont ni simples ni évidentes. Il faut certainement aborder les problèmes au cas par cas.

Comment, monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous de tenir compte par anticipation de ces nouvelles réalités pour accompagner et aider les maires face à cet enjeu vital pour leur commune ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Préville, votre question est très large et appelle des références philosophiques. Elle me permet en tout cas de parler d’un certain nombre de sujets.

Tout d’abord, je le pense fondamentalement, parmi les objets juridiques les plus importants figure la possibilité pour les petites intercommunalités de se saisir des dispositions de la loi d’orientation des mobilités pour faire en sorte que les problématiques de transport qu’elles rencontrent puissent être résolues au plus près, ce qui n’était pas forcément le cas à partir d’un espace régional. L’application de ces textes autorisera un certain nombre d’avancées.

Par ailleurs, je pense qu’il y a le bon côté et le mauvais côté de la numérisation. S’agissant des commerces, la pandémie a accéléré un phénomène qui était en cours, mais dans des proportions inédites et avec très peu de visibilité collective. C’est une transformation qui a justifié une action forte dans le plan de relance, parmi beaucoup de mesures qui ont été mises en place pour soutenir les commerces en difficulté et agir immédiatement sous forme de subventions ou d’exonérations. L’outil numérique s’est révélé incontournable, dès lors que se développe également le changement de paradigme dans la ruralité. Il s’agit d’abandonner des recettes importantes provenant des opérateurs pour faire en sorte que les pylônes du « New Deal mobile » irriguent au maximum nos campagnes.

Comme le disait un de vos collègues, le numérique peut être quelque chose d’abominable, parce que de grands groupes essayent de capter toute la richesse sur un territoire, mais cela peut être aussi une solution de proximité, au niveau local. C’est ce que nous essayons de favoriser. La ministre Jacqueline Gourault parle très souvent de « cousu main », et c’est vraiment le terme qui convient. Nous avons eu des retours d’expérience sur des mises en réseau qui ont été extrêmement profitables, les relations entre ville et campagne s’en trouvant améliorées, notamment en matière de production de biens, alimentaires en particulier. Je crois que c’est dans ces politiques-là que la ruralité gagnera.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.

Mme Angèle Préville. Monsieur le secrétaire d’État, j’y insiste, la grande nouveauté, c’est l’irruption du virtuel dans nos vies d’une façon très accentuée, ce qui nécessiterait sans doute des actions volontaristes très fortes et un train de dispositifs. On ne peut tout de même pas faire comme si rien n’allait changer, alors que nos villes, nos petites villes sont déjà touchées, avec l’hémorragie, déjà décrite vingt fois dans cet hémicycle, de leur centre vers leur périphérie. Les enjeux sont vitaux pour nos communes. Où est l’âme des villes ? On doit se préoccuper de cela.

M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. Monsieur le secrétaire d’État, le constat du manque d’attractivité des centres-villes n’est pas nouveau, et il n’existe pas de recette universelle pour leur revitalisation. Chaque ville, chaque territoire a sa spécificité.

S’adapter aux besoins et aux réalités des territoires, telles est l’ambition des plans Action cœur de ville et Petites Villes de demain.

Le premier a été lancé en 2017, quelque 222 villes étant retenues pour un budget de 5 milliards d’euros sur cinq ans. Le second date de 2020 : il concerne 1 600 communes, pour un budget de 3 milliards d’euros sur six ans.

Dans mon département de la Vienne, deux communes, Poitiers et Châtellerault, font partie du plan Action cœur de ville et 14 communes de l’opération Petites Villes de demain.

Tous les élus du territoire avec lesquels je me suis entretenu s’accordent pour saluer l’accompagnement de l’État en matière de financement des besoins d’ingénierie. Concernant la réalisation du plan Action cœur de ville, les élus doutent en revanche de la faisabilité de l’ensemble des projets d’ici à 2022. Il sera important de tenir compte des conséquences économiques de la crise sanitaire. Le plan sera-t-il reconduit ?

S’agissant du plan Petites Villes de demain, les élus s’inquiètent de la lenteur de mise en œuvre du processus de contractualisation, mais aussi de son financement. Disposeront-ils des moyens financiers permettant la réalisation de l’ensemble des projets retenus avant 2026 ?

Monsieur le secrétaire d’État, il faut surtout souligner la nécessité d’envisager cette revitalisation dans une stratégie globale de maintien des services publics et des mobilités. En effet, à quoi sert de revitaliser un centre-ville s’il n’y a plus de bureau de poste, de médecin, de centre des impôts ou encore d’accès ferroviaire ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Bouloux, vous avez salué les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, qui permettent déjà de mener à bien un projet global, de manière transversale : l’habitat, le commerce, le développement économique, la mobilité, le digital, l’espace public, le patrimoine, le paysage, les services et la culture.

Vous m’interrogez pour savoir si ces programmes auront un lendemain, mais il y aura plus qu’un lendemain, puisque ce sont des programmes d’ingénierie qui ont été mis en place pour plusieurs années. Quand Jacqueline Gourault et moi-même avons lancé Petites Villes de demain, le 1er octobre 2020 à Barentin, nous avons bien précisé qu’il s’agissait d’ingénierie, à hauteur de 3 milliards d’euros au total, en additionnant ce qui relève de l’État, de l’ANCT et de nos partenaires, comme la Banques des territoires. C’est considérable ! Nous avons surtout précisé qu’il s’agissait de s’inscrire dans la durée, sans quoi tout cela n’aurait pas vraiment de sens.

J’ai déjà indiqué le niveau des sommes déjà engagées dans ce programme, et souligné que l’accélération se poursuivait : malgré la pandémie, malgré la crise, les collectivités ont répondu très positivement.

Il y a peut-être des retards de-ci de-là, parce qu’un chef de projet n’a pas pu être recruté. Il faut dire que cela n’est pas toujours facile. C’est la raison pour laquelle nous avons essayé de faire le maximum de publicité à un certain nombre de dispositifs, y compris, d’ailleurs, au volontariat territorial en administration, de sorte que l’offre et la demande puissent se rencontrer de manière pertinente, sur des postes parfois très complexes.

En tout cas, soyez assuré d’une chose, monsieur le sénateur : l’ensemble des programmes que nous avons engagés dans ce cadre seront pérennes. Les financements seront là sur la durée, tels qu’ils ont été prévus dès le départ. Ils seront de surcroît analysés pour trouver la meilleure façon de bâtir la ruralité de demain.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Monsieur le secrétaire d’État, en 2015, Auch et le Grand Auch entraient dans la politique de la ville. Pour la première fois en France, la ruralité intégrait cette politique nationale de solidarité.

Dans ce cadre, je proposais alors une politique de peuplement pensée à l’échelle de l’unité urbaine et intégrant le centre historique de la ville d’Auch. Cependant, ce n’est qu’au bout de six ans, après avoir signé la convention, que nous sommes entrés dans la phase « travaux », enfin tangible pour les habitants du quartier.

Plus de six ans ! Trouvez-vous cela normal ? Moi non !

Je peux vous dire qu’aujourd’hui, du point de vue des collectivités, le passage de l’Épareca à l’ANCT ne nous apparaît pas comme un facteur de souplesse accrue dans la gestion, par exemple, du déplacement du centre commercial du quartier du Garros.

L’opération Action cœur de ville a, en revanche, été bienvenue dans la stratégie urbaine globale que j’évoquais en début de propos. Elle nous a permis de faciliter la réhabilitation de logements inoccupés depuis longtemps et je voulais ici souligner ce point très positif.

Toutefois, à Auch comme dans le cœur historique de nombreuses villes anciennes, les contraintes de réhabilitation sont souvent insurmontables pour les propriétaires et la collectivité à cause des règles de protection du patrimoine.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les pistes de progrès de l’ANCT pour accroître sa réactivité et mieux coordonner ses interventions sur les projets complexes, qui nécessitent de s’appuyer sur les collectivités, en prise, elles, avec la réalité ?

Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour que la réhabilitation en masse des logements anciens soit plus facile ?

À l’heure du « zéro artificialisation nette », la densification passe par la simplification des règles actuellement en vigueur dans les zones protégées des centres anciens.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Montaugé, l’amélioration du cadre de vie en général, dans nos centres-villes et nos centres-bourgs, est un enjeu de la revitalisation des territoires. Vous avez raison, ces centres ont souvent un caractère patrimonial fortement marqué, et il faut le préserver. C’est aussi un facteur clé d’attractivité. Lorsque l’on est dans un centre ancien qui fait l’objet de mesures de classement, on doit fait appel à un certain nombre d’expertises complémentaires, ce qui peut apparaître très long.

Ces projets sont complexes, parce qu’il faut veiller à conserver la qualité paysagère, la qualité architecturale, et cela peut être vécu comme une contrainte. Pour autant, les moyens de l’Épareca, dont je parlais tout à l’heure, qui sont localisés à Lille, Lyon, Paris et Marseille, ont été conservés au sein de l’ANCT et ils sont de nature à répondre aux demandes d’expertise et de facilitation dans les centres anciens.

Les règles d’intervention, qui étaient déjà assouplies dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), l’ont été également hors QPV, notamment dans les ORT.

Je crois très sincèrement que, aujourd’hui, nous avons intérêt à déminer les problèmes en amont, pour éviter que des projets ne soient bloqués en aval, au moment d’obtenir des permis de construire. C’est justement la mission de l’ensemble des partenaires de l’ANCT, et de l’ANCT elle-même, avec les diagnostics de territoire.

Vous le savez, pour obtenir un permis de construire, il vaut mieux aller voir l’architecte des bâtiments de France avant le dépôt de la demande, pour que le projet s’intègre bien, plutôt que de discuter après. C’est dans cet esprit qu’il faut travailler.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Pour le premier point, nous sommes prêts à échanger avec l’ANCT pour que la gestion des projets, si ce n’est leur gouvernance, s’améliore. Je crois qu’il y a matière à travailler. Il faut laisser du temps au temps pour progresser collectivement, mais pas trop de temps quand même, dès lors que l’action est engagée.

Pour le second point, je vais être très concret. Sauf exception, il faut nous laisser garder les façades des immeubles anciens et reconstruire en totalité derrière des appartements aux normes et standards d’aujourd’hui.

Merci de faire en sorte de le permettre ! Le projet de loi 3DS pourrait être un vecteur, au titre de la simplification, pour plus d’efficacité au service de l’intérêt général et de nos concitoyens. C’est sur ce terrain que je voulais vous amener, monsieur le secrétaire d’État, mais vous n’y êtes pas venu…

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat. Je ne pouvais pas le deviner !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le secrétaire d’État, les centres-villes, 5 milliards d’euros sur cinq ans ; les petites villes moyennes de demain, 3 milliards d’euros sur six ans ; il manque les charmants villages d’autrefois, avec 1,5 milliard d’euros sur douze ans…

Plus sérieusement, nous le savons très bien, et vous l’avez dit, à l’instar de mes collègues Yves Bouloux et Franck Montaugé, ces projets prennent du temps, plus de temps qu’il n’en faut pour les annoncer. Cela relève un peu du marketing, et on ne peut le reprocher à personne. J’y insiste, comme vous, il est important de s’inscrire dans la durée sur ces projets. Mais qui va prendre en compte tous les freins à surmonter pour sortir ces opérations ? Il y a urgence dans beaucoup de quartiers et de centres-villes qui dépérissent, donc le temps que l’on gagnera ici et là à lever des entraves sera bénéfique.

Je veux vous poser une deuxième question, qui me vient parce que personne n’en parle alors qu’il s’agit d’un sujet clé : les parkings. Quand vous êtes dans une petite ville, personne ne parle jamais des parkings, parce que ce n’est pas rentable d’en faire ! Or il existe un énorme déficit en la matière : lorsque vous voulez avoir une zone de chalandise suffisante, pour les petits commerces de bouche, par exemple, il est nécessaire d’avoir des parkings, parce que vous ne ferez pas ce type de courses à trottinette, notamment à Briançon !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Pour ce qui est de Briançon, monsieur le sénateur, on y rencontre peut-être des problèmes de parking, mais il faut dire que la pente importante et les gargouilles où l’eau coule au milieu des rues ne permettent pas forcément de faire stationner, voire circuler, des véhicules dans un tel centre ancien !

Plus largement, les parkings peuvent connaître des déficits marqués, notamment pendant l’épidémie de covid-19. Quand il s’agit de services publics industriels et commerciaux (SPIC), l’État va compenser ces déficits ; de ce point de vue, je dirai que les prospectives dont j’ai connaissance sur un certain nombre d’affaires de ce type sont assez intéressantes.

Vous avez raison, monsieur le sénateur : les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain sont faits pour vivre et évoluer tout en étant rapides. Ce n’est donc pas un hasard si l’on trouve beaucoup d’avenants à ces programmes : on se rend parfois compte qu’ils contenaient de fausses bonnes idées, ou des idées qui s’avèrent impossibles à réaliser, par exemple pour des raisons foncières. Le fait que ces programmes s’inscrivent dans la durée lève déjà, en soi, un certain nombre d’obstacles. Quant au fait que toutes ces actions soient liées à des opérations de revitalisation du territoire, il est de nature à nous permettre d’être particulièrement performants dans un certain nombre de domaines.

Sur ces questions de parkings, monsieur le sénateur, je suis bien d’accord avec vous ! Ainsi, je me promenais récemment dans l’une des « petites villes de demain », en Savoie, en attendant mon train. Eh bien, j’ai été étonné de constater une absence totale de parking face à la gare de Moûtiers, la ville en question. Je me suis dit que, lorsque je signerais la convention Petite Ville de demain, ce serait la première chose dont je parlerais avec le maire de cette commune !

Vous n’ignorez pas qu’on peut tout à fait mobiliser la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) sur des projets comme ceux-là ; c’est justement ce qui les rend intéressants. Seulement, il faut tout de même faire attention au problème de l’imperméabilisation des sols, qui peut représenter un frein à ces projets. (M. Jérôme Bascher opine.) Il nous faut trouver des solutions en amont pour que tout cela soit intégré dans des projets plus globaux. En tout cas, vous avez raison : le parking en centre-ville peut être un problème si l’on veut revitaliser le commerce.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, la dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs apparaît désormais comme une préoccupation de premier ordre, ce dont témoigne la constante et inquiétante progression de la vacance commerciale.

Cette fragilisation des centres-villes et des centres-bourgs est le produit de plusieurs facteurs bien connus et identifiés aujourd’hui. Citons au passage la dégradation du bâti intérieur et extérieur, les difficultés d’accès et de stationnement que Jérôme Bascher vient d’évoquer, la baisse de la population du centre et sa paupérisation, la fuite des équipements attractifs et des services du quotidien, ou encore la concurrence des grandes surfaces en périphérie.

Monsieur le secrétaire d’État, pour limiter précisément l’implantation de grands centres commerciaux en périphérie de nos villes, ce qui apporterait une aide utile à la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, ne pensez-vous pas qu’il serait bon, comme le suggérait Rémy Pointereau, de réintégrer les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat au sein des CDAC en tant que membres à part entière et non pas seulement en tant que personnes qualifiées, comme c’est le cas actuellement ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Hugonet, vous m’offrez l’occasion de répondre à la fois à votre question et à celle que me posait auparavant M. le sénateur Pointereau.

Les ouvertures de commerces sont soumises au dispositif des autorisations d’exploitation commerciale dès lors que la surface prévue dépasse 1 000 mètres carrés. Ce dispositif vise à permettre un aménagement du territoire intelligent, avec des projets de territoire qui soient cohérents entre les communes et les intercommunalités concernées, notamment en matière de surfaces commerciales.

Vous m’interrogez plus particulièrement sur la problématique des CDAC. Jusqu’à présent, les chambres de commerce et d’industrie ainsi que les chambres de métiers et de l’artisanat étaient représentées dans ces commissions. Le problème qui s’est posé est que cette représentation n’est pas conforme au droit européen. Nous avons été mis en demeure de modifier cet état de fait, car les acteurs économiques seraient juge et partie dans cette affaire, ce qui pourrait s’avérer défavorable à la concurrence et au principe de libre installation. Je n’exprime pas là mon sentiment personnel, mais la réalité du droit européen.

Pour autant, depuis quatre ans, le Gouvernement s’est mobilisé pour lutter contre l’implantation en périphérie de commerces qui nuiraient à la vitalité du centre-ville. C’est vraiment l’enjeu des ORT et, notamment, des dispositions adoptées au sein de la loi ÉLAN du 23 novembre 2018, qui permettent de faciliter l’implantation de commerces dans les centres-villes en les exonérant d’autorisation d’exploitation commerciale. On a aussi conféré au préfet le pouvoir de suspendre, pendant trois ans, les autorisations d’exploitation commerciale en périphérie à la demande du maire.

Au 26 avril dernier, 252 ORT avaient été signées ; 436 communes ont fait l’objet de telles opérations. Comme je le précisais tout à l’heure à M. Pointereau, 5 projets ont fait l’objet d’une suspension d’autorisation d’exploitation commerciale à ce titre. Cela dit, il faut aussi que des volontés politiques municipales marquées se manifestent – il faut dire les choses telles qu’elles sont ! – pour que cela se produise.

Enfin, depuis septembre 2020, un véritable moratoire se met en place, en cohérence avec les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Vous allez en outre découvrir à l’article 52 du projet de loi Climat et résilience les éléments complémentaires que j’ai évoqués en ouverture de mon exposé.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, je suis frappé de ce que l’on entend dans cet hémicycle chaque fois qu’une telle question est soulevée : la référence à la législation européenne !

Puisque vous êtes membre du Gouvernement, je compte sur vous, entre autres, pour indiquer au Président de la République l’urgence absolue de bien faire comprendre à nos concitoyens le nombre de sujets sur lesquels la législation européenne prend le pas sur la démocratie française et sur l’expression du peuple. Dans ce domaine comme dans d’autres, cela sera extrêmement dangereux dans les temps à venir !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez dit, la dévitalisation de nos centres-villes recouvre de nombreux enjeux écologiques et sociaux.

On ne peut que saluer le nouveau programme Petites Villes de demain et ses mesures, qui vont dans le bon sens. Les petites communes en ont besoin, elles requièrent un soutien tant financier qu’en matière d’ingénierie pour réaliser leurs projets. Nous connaissons tous la situation de nos communes : elles se sentent de plus en plus dépossédées de compétences et de moyens. On a réduit leurs compétences alors que les finances des collectivités territoriales sont pourtant plus exemplaires que celles de l’État, à en juger par la dette : celle des collectivités représente moins de 10 % de la dette publique globale ; celle de l’État, plus de 80 %, et elle dérape !

Les élus locaux sont demandeurs de plus de coordination et, surtout, de plus de simplification. Il faut vraiment simplifier la tuyauterie budgétaire pour que les milliards d’euros du plan de relance ne soient pas de simples effets d’annonce, mais qu’il y ait des concrétisations dans les territoires.

Le plan Action cœur de ville de 2019 donnait la priorité aux villes moyennes ; certaines communes rurales en étaient exclues, ce qui était fort regrettable, notamment pour les territoires comptant beaucoup de communes de moins de 500 habitants.

Alors, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la limite pour la prise en compte des projets par le plan Petites Villes de demain ? Plusieurs communes de mon département ne sont pas jugées assez désertifiées pour bénéficier d’une aide à la redynamisation, alors même qu’elles ont de beaux projets et sont vraiment attractives, a fortiori depuis la crise sanitaire.

Les contrats territoriaux de relance et de transition écologique (CRTE) ont vocation à intégrer les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, et à regrouper les démarches contractuelles existantes, au nombre desquelles figurent les opérations de revitalisation de territoire.

Les élus seront très attentifs à ce que l’empilement de ces programmes et dispositifs n’aboutisse pas, en fin de compte, à déshabiller l’un pour habiller l’autre ! Il nous faut une vraie vigilance en la matière.

Les élus sont également inquiets d’une éventuelle deuxième saison du contrat de Cahors, qui reviendrait sur des financements annoncés et créerait des contraintes supplémentaires. (M. Jérôme Bascher applaudit.)

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Chevrollier, vous mettez l’accent sur les critères qui ont présidé au choix des bourgs-centres, notamment dans le programme Petites Villes de demain.

Rappelons que pour être une petite ville de demain, il faut deux choses : avoir une fonction de centralité et présenter des signes de fragilité. L’appréciation de ce second point peut être subjective, bien évidemment, mais c’est bien le principe général qui a été retenu. Il est important de souligner l’absence totale de plancher de population : dans certains départements extrêmement ruraux, on est descendu jusqu’à 220 habitants, parce que c’était la seule centralité appréciable au milieu d’un ensemble de communes rurales dont vous connaissez comme moi le type général : la mairie d’un côté, l’église en face et un ensemble de fermes. La centralité n’est pas forcément évidente !

Évidemment, tout cela peut conduire à une certaine subjectivité de l’appréciation, mais quelque chose d’extrêmement objectif a été globalement mis en œuvre dans les territoires que j’ai visités. Peut-être y a-t-il un cas particulier dans la Mayenne dont je n’ai pas eu connaissance !

Les communes qui ne sont pas intégrées à ces programmes sont soutenues par des moyens classiques d’intervention de l’État, de manière renforcée sous le présent gouvernement, en particulier dans le cadre du plan France Relance. Je veux en prendre deux exemples.

Premièrement, l’ANCT, créée le 1er janvier 2020, en complément des programmes qu’elle met en œuvre, soutient en ingénierie les collectivités qui en font la demande auprès des préfets de département ; ce dispositif sur mesure a permis à l’agence d’accompagner, depuis sa création, 513 projets, dont 91 projets de revitalisation commerciale ou artisanale.

Deuxièmement, l’ensemble des collectivités peut solliciter un soutien de l’État pour ses commerces, par exemple, dans le cadre du plan France Relance. Cela peut se traduire par une aide directe aux commerces, mais aussi par le financement des managers de commerces, à hauteur de 20 000 euros pendant deux ans, ou encore d’un diagnostic de la situation commerciale.

En somme, le simple fait de ne pas être retenu dans un dispositif donné n’exclut pas de bénéficier d’un certain nombre de financements publics, notamment dans le cadre des crédits déconcentrés du plan France Relance.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary.

M. Serge Babary. Monsieur le secrétaire d’État, ce débat sur la revitalisation peut paraître récurrent, notamment parce que les politiques publiques se succèdent, mais que leurs résultats ne sont pas toujours suffisants, adaptés ou pérennes.

En outre, la crise sanitaire a joué un rôle d’électrochoc, renforçant le désir de proximité et de commodité, ainsi que la recherche de sens dans l’acte de consommer, pour de nombreux citoyens.

Face à ces évolutions, plusieurs grandes enseignes ont su développer de nouveaux formats de proximité afin de réinvestir les centres-villes. Elles contribuent, avec l’ensemble des commerçants et des artisans, à attirer la population et à animer les communes.

Mais pérenniser ces évolutions suppose d’aider ces enseignes à relever les défis de logistique urbaine, du fait de la nécessité de réapprovisionner parfois plusieurs fois par jour les magasins. Ils ont besoin de lieux d’entreposage ! Il faut donc sortir du paradoxe actuel qu’entraîne la conjugaison des nouvelles attentes des consommateurs avec l’objectif de zéro artificialisation des sols, dont une trop stricte application pourrait entraver les démarches de proximité.

On assiste aussi à des initiatives telles que des magasins éphémères, qui sont malheureusement freinées par des règles juridiques inadaptées.

Quant aux derniers commerces des petits bourgs, dont une partie seulement des activités a été interdite administrativement pendant les confinements – tel est le cas des épiceries-cafés –, ils ne perçoivent pas d’aides et sont en grande difficulté. Alors que les élus locaux se battent pour les maintenir, il est plus qu’urgent de trouver une solution !

Le Gouvernement pourrait s’appuyer sur le réseau des chambres de commerce et d’industrie pour instruire les dossiers, puisqu’il semble que les préfectures ne peuvent pas s’en charger.

Les logiques d’aménagement du territoire doivent être encouragées et non entravées par les politiques publiques. Outre que les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain ne concernent qu’un nombre limité de communes, ils ne suffiront pas à redonner du dynamisme à nos villes.

Alors, quelle nouvelle politique de revitalisation des centres-villes nous proposez-vous pour l’après-crise, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Babary, je partage tout à fait votre position sur la combinaison entre commerce digital et commerce physique comme moyen d’attirer de nouveaux consommateurs et de sauver les commerces de centre-ville en étendant la zone de chalandise.

Cet enjeu a bien été pris en compte par le Gouvernement, qui a mis en œuvre avec la Banque des territoires un système de soutien à ces plateformes numériques. Un plan de soutien spécifique à la digitalisation des commerces a été également lancé en novembre : il comporte notamment un chèque de 500 euros, surnommé « chèque France Num », destiné à aider les TPE, catégorie à laquelle un grand nombre de commerces de centre-ville appartiennent, à acquérir des solutions de vente à distance.

Vous évoquez également la question des commerçants en multiactivité qui sont passés entre les mailles du fonds de solidarité, car ils n’ont pas perdu 50 % de leur chiffre d’affaires. C’est un sujet que je connais bien : dans les Alpes, la multiactivité est quand même assez fréquente ! Ce point a bien été traité par mon collègue Alain Griset, ministre délégué chargé des PME, qui a annoncé que ces entreprises bénéficieraient d’une aide à la prise en charge d’une partie de leurs coûts fixes.

Dans le cadre de la crise sanitaire et du plan de relance, on a déjà sensiblement renforcé les outils qui sont mis en œuvre dans le cadre des programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, qui donnent aujourd’hui de bons résultats sur le terrain et doivent être, à mon sens, véritablement pérennisés et consolidés pour jouer pleinement le rôle qui leur était initialement dévolu. Les villes qui bénéficient de ces programmes peuvent en outre bénéficier du fonds Friches, du fonds de restructuration des locaux d’activité et des différents outils budgétaires et fiscaux du plan France Relance.

Enfin, vous m’avez posé une question très particulière sur la problématique des magasins éphémères. J’avoue ne pouvoir vous apporter une réponse maintenant, mais j’interrogerai sur ce point mes collègues de Bercy afin de vous apporter la réponse la plus précise possible.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de remercier l’ensemble des intervenants, ainsi que le groupe Les Républicains, à l’initiative de ce débat particulièrement important pour nos territoires en ces temps de crise. Je veux aussi rappeler le rôle moteur du Sénat comme force de proposition sur l’ensemble de cette problématique ; fort heureusement, ses idées sont souvent reprises par le Gouvernement, qui les met en œuvre aujourd’hui.

La question des opérations de revitalisation exige une vision et une action structurelles et transversales sur de nombreux domaines comme le commerce, l’habitat, le numérique, les mobilités, la culture, ou encore les services publics. Y répondre nécessite d’actionner des leviers pragmatiques et facilitateurs, tels que la simplification normative, ainsi que de mettre en œuvre des solutions fiscales et de financement innovantes et souples, mobilisant tous les interlocuteurs du secteur.

Je souhaite donc profiter de mon passage à cette tribune pour féliciter et saluer l’ensemble de mes collègues sénateurs qui, par leurs réflexions et travaux convergents, ont activement participé à façonner le paysage actuel. Je pense bien sûr à Hervé Maurey, Rémy Pointereau et Martial Bourquin, mais aussi à Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud pour leur proposition de loi, sans oublier le groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes piloté par les délégations aux collectivités territoriales et aux entreprises présidées respectivement par Françoise Gatel et Serge Babary.

Nos travaux ont permis de mettre en avant la nécessité d’une offre d’ingénierie solide et d’une maîtrise du foncier par des procédures d’urbanisme moins lourdes. Il convient aussi de rééquilibrer les rapports vis-à-vis de la grande distribution et du commerce en ligne, de décloisonner les actions d’aménagement, mais de relocaliser les services publics, d’amorcer le retour des investisseurs privés, comme cela a notamment été le cas autour de projets du type « 1 000 cafés », de réfléchir à une fiscalité innovante visant à favoriser l’implantation d’activités en centre-ville, en plus de l’ANCT, et enfin de mettre en place des modes alternatifs de mobilité, sans oublier les parkings, chers à Jérôme Bascher !

En effet, ce n’est qu’en fédérant les énergies existantes dans une logique de complémentarité innovante, souple, pragmatique et cohérente que la politique publique destinée à redynamiser les centres-villes et centres-bourgs sera efficacement garantie.

Les initiatives du Gouvernement en ce sens sont autant de signaux positifs à l’endroit de territoires longtemps demeurés les oubliés des politiques d’un État qui s’est par trop souvent inscrit dans un tropisme métropolitain.

Je salue notamment les ORT, les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, mais aussi, au sein du plan de relance, le fonds Friches de 300 millions d’euros qui permettra de réhabiliter certaines friches industrielles en agglomération, comme l’a souligné noter collègue Martine Filleul. Le rôle et l’efficacité de l’ANCT sont aujourd’hui d’autant plus importants qu’elle va prendre part au pilotage de ces fonds ; je tiens à ce propos à saluer l’action de son directeur général Yves Le Breton et de son équipe.

Mais il reste du travail à accomplir, comme l’a souligné notre collègue Franck Montaugé. Certains points doivent encore retenir notre vigilance pour être améliorés, voire corrigés.

Comme l’Association des maires de France a pu le souligner, il faut s’assurer, au sein des CRTE qui intègrent tous ces dispositifs, que les aides financières versées ne le soient pas au détriment des aides déjà attribuées à des collectivités non retenues. Notre collègue Guillaume Chevrollier a attiré notre attention sur ce point.

Attention également, au sein de ces CRTE, à une légère incohérence quant au financement des offres d’ingénierie : il ne serait pas pris en charge, alors qu’il l’est dans les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain.

De même, les différentes temporalités doivent être alignées dans le sens de la durée d’un mandat pour être efficaces.

Reste la problématique de la multiplicité des appels à projets, souvent compliqués, sélectifs et à l’appréhension malheureusement rebutante pour certains territoires.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Enfin, je voudrais insister sur le rôle charnière que doivent jouer la concertation avec l’ensemble des acteurs, la souplesse et l’intelligence de déploiement pour coller au « sur-mesure » dont les territoires ont besoin. C’est primordial !

À ce titre, il serait important de mettre en exergue une polyvalence des chefs de projet, une approche pragmatique de mutualisation, ainsi qu’un recours privilégié au nouveau dispositif des volontaires territoriaux en administration, qui vous est cher, monsieur le secrétaire d’État.

Pour conclure, en alliant le beau et l’agréable à vivre, il ne faut pas oublier le rôle sociétal et culturel des centres-villes et centres-bourgs, qui doivent aussi pouvoir bénéficier des innovations fiscales et des aides au financement, leviers indispensables à toute réussite. Il faut donc agir collectivement, efficacement et de manière synchronisée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante et une, est reprise à seize heures cinquante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

5

Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ?

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? »

Dans le débat, la parole est à M Pascal Savoldelli, pour le groupe auteur de la demande. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Constitution de 1958 a créé un déséquilibre entre un pouvoir exécutif renforcé, dominé par un Président de la République aux pouvoirs considérables, légitimé par l’élection au suffrage universel direct, d’une part, et un pouvoir législatif aux compétences réduites, d’autre part.

Ce déséquilibre démocratique dénoncé par certains, dont nous, dès le début, s’est considérablement renforcé au cours des années. Ce que l’on a appelé « hyperprésidentialisation » du temps de Nicolas Sarkozy ou aujourd’hui encore avec Emmanuel Macron est la conséquence d’un régime qui donne la clé du pouvoir au chef de l’État, qui a en particulier la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale.

Au fil des années, les pouvoirs du Parlement ont été réduits, rabotés et – c’est le maître mot – « rationalisés ». Qui, ici, ne constate pas cet affaiblissement continu ? Qui d’entre nous, sur l’ensemble de nos travées, ne s’en plaint pas ?

Le Président du Sénat lui-même s’est élevé contre la révision constitutionnelle proposée en 2018 par Emmanuel Macron, qui, entre autres méfaits constitutionnels, remettait en cause la navette parlementaire elle-même.

Le « cœur du métier parlementaire », selon Gérard Larcher, est le travail législatif. Mais peut-il en être autrement lorsqu’il s’agit de l’élaboration du budget de notre pays ? La loi de finances, c’est la clé de voûte de l’action de l’État ; c’est le texte qui détermine la politique de la Nation.

Or l’évolution du débat budgétaire au Parlement et la déchéance des députés et des sénateurs de leur pouvoir d’influer sur le projet de loi de finances présenté par le Gouvernement sont le symbole de la relégation de nos assemblées.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Pascal Savoldelli. Depuis vingt ans, depuis l’édiction et la mise en œuvre de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, à laquelle s’ajoutent restrictions constitutionnelles et réglementaires du droit d’intervention en la matière, on peut constater la faiblesse de notre pouvoir d’intervention en matière budgétaire : il est temps, grand temps de le faire !

C’est une question démocratique fondamentale. Redonner confiance dans l’action politique, dans le débat politique, c’est inverser le cours des choses pour que nos concitoyennes et nos concitoyens n’observent plus, jour après jour, l’impuissance de ceux qu’ils ont élus à peser sur l’évolution de la société.

La diminution des pouvoirs du Parlement en matière budgétaire est strictement parallèle au renforcement des contraintes imposées par l’Union européenne et ce que j’appelle volontiers son « bras armé », la Commission européenne, dont notre peuple ne perçoit justement pas le fondement démocratique. Nous sommes au cœur du débat sur la souveraineté populaire.

Lorsque nous parvenons à vous imposer, si j’ose dire, monsieur le ministre, un débat sur ces questions, votre réponse est sans appel : ça ne se décide pas à notre échelle, dans notre hémicycle. Le maître mot depuis vingt ans est celui-ci : ce n’est pas « eurocompatible » !

Les taux du prélèvement injuste qu’est la TVA sont encadrés par des règles européennes : on n’y touche pas !

La baisse de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés de 8 points serait une obligation dans une économie mondialisée : on n’y touche pas !

La taxe sur les transactions financières, qui rassemble désormais largement les partisans d’une plus grande justice fiscale, relève d’une négociation européenne. Ce n’est pas pour nous : on n’y touche pas !

« Si vous agissez, nous dit-on, c’est la fuite des capitaux ! » Emmanuel Macron lui-même a fixé la ligne : « Est-ce qu’on peut massivement taper les gros contribuables, idée qu’on adore chez nous ? On peut le faire, mais les gros s’en vont. » Ce chantage à la fuite des premiers de cordée débouche sur une impossibilité à modifier tant l’impôt sur le revenu que l’impôt sur les sociétés pour améliorer leur progressivité. Là non plus, on n’y touche plus !

Comme le développera mon collègue Éric Bocquet, le droit d’intervention sur les lois de finances a connu une réduction drastique. Le droit d’amendement y est réduit à sa portion congrue sous la pression de l’article 40 de la Constitution, que nous proposons d’abroger, ou pour le moins d’assouplir, et de la LOLF. Ces outils accompagnent inexorablement la montée en puissance des autorités européennes en dehors d’un contrôle démocratique réel et permanent.

Quand nous commençons à examiner le projet de loi de finances, il a déjà été validé par la Commission européenne. Le Haut Conseil des finances publiques et la Cour des comptes ont vérifié s’il ne sortait pas des clous de ladite programmation des finances publiques, qui établit la conformité de notre politique budgétaire aux objectifs financiers, économiques et sociaux de la Commission européenne.

Oui, je l’affirme, la déferlante d’irrecevabilités, notre réduction du temps de parole en la matière et l’étroitesse de la marge de manœuvre résultent de choix fondamentaux qui, selon nous, posent un problème démocratique grave.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est dans une démarche critique, mais aussi constructive, que nous avons de l’ambition.

Réhabiliter les prérogatives du Parlement en matière budgétaire exige bien entendu des réformes structurelles lourdes, extrêmement lourdes. Il faudrait changer l’Europe, changer notre Constitution et changer notre règlement.

Nous avons engagé un travail, avec nos collègues députés, pour livrer un contre-projet à la réforme dite « de modernisation des finances publiques » qui rassemble de La République En Marche jusqu’aux Républicains à l’Assemblée nationale. Nous vous opposerons un projet d’abord focalisé sur la planification des besoins de la Nation et fondé sur la démocratisation de la procédure budgétaire.

Nous refusons l’idée qu’une loi de programmation consiste seulement à sanctionner les parlementaires et les ministères dépensiers, pris dans des comptes d’apothicaires, toujours corsetés par la lancinante et persistante musique de la dette.

Même si certains ici aspirent à voir inscrire une « règle d’or » dans la Constitution,…

M. Pascal Savoldelli. … nous mettons en avant une planification des nécessités de notre pays. Dans cette perspective, ce ne serait plus le niveau des dépenses qui serait pris en compte, mais son degré d’utilité sociale…

M. Gérard Longuet. Et comment le définirez-vous ?

M. Pascal Savoldelli. … et sa capacité à donner aux citoyennes et aux citoyens les moyens dont ils ont besoin pour transformer l’économie, la décarboner, la réindustrialiser, la rapprocher du consommateur, la rendre résiliente et redistributive. Voilà les défis qu’une programmation pluriannuelle cohérente nous permettra de relever !

Je vous l’ai dit, le peuple doit retrouver confiance dans les décisions politiques à caractère budgétaire et fiscal. Pour lui en donner l’occasion, il nous faut réorganiser les règles budgétaires, condition indispensable pour recréer du consentement.

Le Conseil constitutionnel, en 2006, s’est trouvé obligé de censurer un article qui créait un plafonnement des avantages fiscaux. Pour quelle raison ? La règle fiscale ainsi votée par le Parlement n’était pas compréhensible et risquait de léser les contribuables.

Il nous faudra clarifier le périmètre des missions, intégrer toutes les formes de dépenses et tracer les crédits par politiques publiques. Une fois accomplie cette indispensable simplification, il nous faudra consulter les citoyens et ne pas les laisser aux portes du Parlement subir, pendant cinq ans, les orientations fiscales et budgétaires décidées par la majorité présidentielle.

Contrairement à la révision constitutionnelle avortée d’Emmanuel Macron, qui refusait cette possibilité, nous n’excluons pas que les contribuables puissent décider par référendum des grandes problématiques fiscales. Ils pourraient être consultés lors de l’examen des lois de programmation, sur une ou plusieurs thématiques, par le biais d’une plateforme numérique populaire. Je verse cette réflexion au débat.

Parce qu’une idée minoritaire peut devenir majoritaire, les propositions sur la fiscalité que nous présentions sortent renforcées par toute forme d’expression citoyenne et nous engagent à continuer de les défendre dans l’hémicycle. Je pense notamment à l’augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières et à un élargissement de son assiette pour allouer cet argent à la transition écologique.

Toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la défense des droits du Parlement peuvent s’atteler à la tâche. Nous vous y invitons, avec solennité, car c’est bien l’avenir de la démocratie qui est en jeu.

En conclusion, revenons à la lettre de l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dévoyé successivement par la Constitution de la Ve République, puis par la LOLF, qui a scellé notre impuissance collective. Nous ne nous y résignons pas.

En somme, deux projets sont envisagés : l’un réclame plus de rigueur budgétaire et plus d’économies,…

M. Pascal Savoldelli. … l’autre prône plus de service public, plus de participation citoyenne, plus d’efficacité et plus de Parlement.

Monsieur le ministre, quand pensez-vous instaurer un véritable droit d’initiative parlementaire en matière financière, par considération pour nos débats dans cet hémicycle ? Quelles mesures nouvelles, favorables à des pratiques respectueuses de nos prérogatives parlementaires sur le budget, pourriez-vous encourager ?

Enfin, je veux remercier l’ensemble de nos collègues ici présents de leur attention ; j’espère que nos échanges permettront de rénover la pratique parlementaire dans l’élaboration et l’examen des lois de finances. Il y va de la confiance dans la politique et dans notre avenir commun ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Monsieur le président, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe CRCE, nous discutons aujourd’hui de la place du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances (PLF).

Si cette question s’inscrit dans un débat plus large sur le rôle de nos assemblées dans la construction des politiques publiques, je veux profiter de cette prise de parole pour faire quelques observations sur notre rôle de parlementaires, lors des discussions budgétaires, ou plutôt sur nos marges de manœuvre très réduites.

Sans verser dans la critique facile de la technocratie, force est de constater que cette dernière conserve une certaine prévalence sur le politique, en particulier dans le domaine des lois de finances. Nul besoin d’en rajouter : chacun connaît le poids de Bercy dans notre pays, quel que soit le gouvernement en place.

Certes, le passage de l’ordonnance du 2 janvier 1959 à la LOLF de 2001 était porteur d’évolutions ; sans doute les choses se sont-elles améliorées avec le vote de nos budgets au premier euro. Mais les dispositions mêmes de la LOLF contraignent beaucoup l’initiative des parlementaires. Le principe de la fongibilité asymétrique, par exemple, limite très fortement leurs marges de manœuvre. Il conduit, de fait, à réserver au Gouvernement le véritable choix des orientations budgétaires – vous en conviendrez sûrement, monsieur le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. C’est vrai !

M. Rémi Féraud. Ces règles, cumulées avec l’article 40 de la Constitution, d’une part, et la définition relativement limitative du domaine des lois de finances, d’autre part, rendent le travail parlementaire très contraint.

Je veux évoquer une limite forte au rôle des parlementaires, illustrée récemment par le report de près de 40 milliards d’euros de crédits de 2020 à 2021. En effet, nous ne votons qu’une autorisation de dépense, que le Gouvernement demeure parfaitement libre de ne pas engager entièrement. Il ne se prive d’ailleurs pas de le faire, lorsqu’il le juge opportun, et sans véritablement consulter le Parlement.

C’est là un point qu’il convient de souligner et qui devrait nous pousser, à mon humble avis, à donner beaucoup plus d’importance, chaque année, à la discussion de la loi de règlement.

M. Gérard Longuet. Exactement !

M. Rémi Féraud. Le débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur le plan de relance, cet automne, a bien montré les limites de notre rôle. C’était uniquement parce que des crédits très importants étaient inscrits au sein de la mission « Plan de relance » que, d’une manière exceptionnelle, nous avons pu faire preuve d’initiative.

Mais, même dans ce cadre, nous ne sommes pas vraiment parvenus à faire bouger les choses… L’étude du plan de relance a certes permis la tenue de débats de fond sur les moyens mis en œuvre pour sortir de la crise, mais, à montant égal de crédits budgétaires, cela n’a pu avoir de conséquences réelles sur la mission adoptée, même au Sénat.

J’en viens maintenant à l’accès à l’information. L’ennemi de l’analyse et de la décision politiques n’est pas le manque d’informations mais, en l’occurrence, le trop-plein d’informations.

La proposition de loi organique présentée à l’Assemblée nationale par Laurent Saint-Martin et Éric Woerth, relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dresse le même constat. Les milliers de pages que constituent le projet de loi, les rapports budgétaires, les jaunes, bleus, oranges et autres questionnaires budgétaires rendent parfois difficile la vision politique pour les parlementaires, sans parler de la transparence et de l’accès à l’information pour les citoyens. Mais les propositions formulées ne sont pas suffisantes, car elles restent très techniques, là où l’enjeu est politique.

Quant au rapport Arthuis, il recommande d’appliquer des critères financiers très stricts que nous ne pouvons pas approuver, surtout dans le contexte actuel et au moment où le pacte de stabilité européen est suspendu. La tentation d’un pacte de stabilité français est réelle, mais le mettre en place serait un non-sens tant démocratique qu’économique ; le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne pourrait que s’y opposer.

Nos débats déjà fort contraints doivent-ils l’être davantage, en ajoutant de nouvelles règles limitatives sur les déficits et la dette publique ? Pourquoi cette volonté, que l’on sent poindre jusqu’au sein du Gouvernement, de clore dès à présent le grand débat sur la dette publique, alors que, au contraire, le contexte économique et social nécessite de le prolonger et de l’approfondir, ainsi que de faire émerger de nouvelles solutions ?

Mes chers collègues, le débat qui nous anime aujourd’hui est propre à la Ve République et au parlementarisme rationalisé, mais il a pris encore plus d’acuité eu égard à la pratique constatée sous ce quinquennat. Si nous devons réduire un déficit, c’est bien le déficit démocratique de nos institutions, dans leur pratique actuelle. La crise que nous traversons, qui remet en cause notre modèle, et les échéances électorales de 2022 n’en sont-elles pas l’occasion ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, comme l’a affirmé Pascal Savoldelli, l’idée générale qui sous-tend ce débat est que le rôle du Parlement, plus précisément du Sénat, serait restreint dans l’élaboration des lois de finances. C’est vrai si l’on s’en tient à l’actualité. Mais le Parlement conserve tout de même un rôle – je veux vous le démontrer.

Historiquement, le rôle du Parlement dans l’élaboration des lois de finances a toujours existé et il a été en quelque sorte consacré par la LOLF. En effet, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans ses articles XIII, XIV et XV, affirme l’idée que la Nation, par sa représentation parlementaire, a le droit de consentir les impôts, d’en constater la nécessité et d’en suivre l’emploi, ainsi que de demander des comptes à son administration.

Cependant, dans la pratique, on remarque un effacement du Parlement au profit du Gouvernement, comme le constatait déjà Christian Poncelet en 2001, à l’occasion d’un colloque organisé au Sénat sur le thème de l’évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire.

Pour le président Poncelet, cet effacement serait dû au fait majoritaire, lequel conduit à « une étroite harmonie de pensée entre le gouvernement en place et la majorité des députés qui le soutiennent ». Dès lors, il s’interrogeait sur la capacité de l’Assemblée nationale à contrôler l’action budgétaire du Gouvernement. Mais, en miroir, il pensait que le Sénat avait un rôle spécifique à jouer dans le contrôle budgétaire, à savoir de vérifier l’adéquation des moyens budgétaires aux besoins de l’action de l’État.

La promulgation de la LOLF, le 1er août 2001, a réaffirmé le rôle historique du Parlement dans l’élaboration des lois de finances. Ce texte consacre l’information du Parlement : justification par le Gouvernement de ses dépenses dès le premier euro ou encore organisation des dépenses par mission, avec des objectifs précis pouvant faire l’objet d’un contrôle.

Mais il faudra attendre la loi organique du 15 avril 2009 pour que les articles des projets de loi de finances fassent l’objet d’évaluations publiées. Ces dernières sont formalisées et chaque rubrique doit être remplie « avec le plus grand soin », selon les termes d’une circulaire de juin 2009, ce qui n’est pas toujours le cas lorsqu’on les examine dans le détail.

Si l’on se fie à l’actualité, le Parlement a, en pratique, un rôle assez limité. C’est ce que l’opinion publique et, peut-être aussi, les sénateurs ont ressenti quinze ans après l’entrée en vigueur de la LOLF.

Dans un éditorial de décembre 2020, j’écrivais : « Il s’agit de mon troisième PLF, duquel se dégage l’impression forte de voir rejouer la même mauvaise pièce que les années précédentes. Un Sénat constructif, des débats riches, des amendements adoptés à l’unanimité, puis… plus rien. »

Si l’on considère strictement le périmètre des lois de finances, la majorité des amendements adoptés par le Sénat sont supprimés en nouvelle lecture. Lors de l’examen du PLF pour 2021, quelque 600 amendements avaient été votés par le Sénat ; l’Assemblée nationale avait repris intégralement 147 d’entre eux ; mais il s’agissait essentiellement d’amendements rédactionnels.

Sur le fond, il reste assez peu des apports du Sénat. C’est notamment pour cette raison qu’il n’y a pas de nouvelle lecture du PLF au sein de notre hémicycle, puisque l’on constate des désaccords qui ne pourraient pas être surmontés.

Ce rôle limité du Parlement dans l’opinion publique tient sans doute au fait que certains ministres sont absents lors de l’examen du PLF, en général, et de ses crédits budgétaires, en particulier. Cette critique ne s’adresse pas à vous, monsieur le ministre ; je l’ai déjà affirmé à plusieurs reprises, nous étions heureux de vous voir venir débattre régulièrement avec nous.

Comme l’a rappelé Rémi Féraud, l’initiative parlementaire est fortement encadrée par la Constitution. Au-delà de son article 40, que nous connaissons tous, son article 42 prévoit que le texte présenté en séance publique est non pas le texte de la commission, mais celui du Gouvernement. Tel n’était pas le cas sous les IIIe et IVe Républiques.

Si la révision constitutionnelle de 2008 a bien élargi les pouvoirs du Parlement, c’est le cas pour tous les textes, excepté ceux qui présentent un caractère financier. L’article 47 de la Constitution, quant à lui, encadre le temps de travail du Parlement en ce qu’il limite à 70 jours le délai qui lui est accordé pour voter le projet de loi de finances.

Je voudrais terminer par une note positive en évoquant le rôle d’aiguillon que joue le Parlement, tout particulièrement le Sénat, dans la mise en œuvre de la politique.

Le précédent rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, se plaisait à dire que le Sénat a souvent raison trop tôt. Plusieurs exemples peuvent illustrer son propos.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, Jean-François Husson, alors simple sénateur de Meurthe-et-Moselle, avait anticipé le futur mouvement des « gilets jaunes », en évoquant le précédent mouvement des « bonnets rouges ». Pascal Perrineau explique cela par le fait que les sénateurs entretiennent des liens très étroits avec leur territoire, ce qui leur donne une capacité à sentir comment les choses peuvent évoluer.

La lutte contre la fraude à la TVA est un autre exemple. Lors de l’examen du PLF pour 2020, je vous faisais remarquer, à cette tribune, que le Sénat l’avait adoptée dans le PLF pour 2019, que l’Assemblée nationale avait rejeté les propositions faites par la commission des finances en la matière, pour finalement les retenir un an plus tard.

Dernier exemple : le dispositif de carry back. Nous l’avions voté ici l’an dernier, lors de la discussion des projets de loi de finances rectificatives, et nous y serons confrontés de nouveau quand nous examinerons le projet de loi de finances pour 2022.

Tous ces exemples peuvent donner aux citoyens le sentiment d’une perte de temps dans la mise en place de ces différentes réformes. Au-delà de la séance publique, le véritable travail des parlementaires, c’est le contrôle du Gouvernement, qui s’effectue tout au long de l’année.

Nous déplorons que trop peu de temps soit consacré à l’examen de la loi de règlement, alors qu’il nous permet de critiquer certaines dérives. Ne retombons pas dans les travers du début du siècle précédent : il a fallu attendre 1936 pour que les comptes de l’exercice de l’année 1915 soient formellement adoptés.

M. Jérôme Bascher. Il y a eu une petite guerre entre-temps…

Mme Christine Lavarde. Pour l’ensemble de ces raisons, nous suivrons avec attention les propositions visant à faire évoluer le cadre de discussion des lois de finances, mais tout n’est pas à jeter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le retour des beaux jours et l’assouplissement des mesures sanitaires, nous serions tentés de croire que la crise est déjà derrière nous. Du point de vue économique, la prévision de croissance à 5 % pour l’année 2021 pourrait nous conforter dans cette idée. Mais c’est, bien sûr, un effet de perspective, car cette croissance dynamique ne nous permettra pas de retrouver le niveau de richesse que nous connaissions avant la crise.

Or tant que notre dette demeurera si élevée, à hauteur de 120 % du PIB, notre situation financière restera très préoccupante. Une fois de plus, nous comptons sur nos enfants pour qu’ils payent, demain, les dépenses que nous engageons aujourd’hui.

Aussi, le sujet de ce débat peut, de prime abord, sembler anecdotique eu égard aux enjeux financiers. Nous allons discuter de la méthode pour élaborer le budget, alors qu’il faudrait discuter de la stratégie pour réduire notre dette publique. Mais il n’en est rien : la question n’est pas anecdotique, puisqu’il s’agit précisément de déterminer qui peut élaborer cette stratégie de réduction de notre dette publique, et par quelle voie nous devons agir dans ce sens.

Quelle est la portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? Elle est minime – ce seul adjectif suffit à répondre à la question. Il sera intéressant de recueillir les points de vue des différents groupes, mais je crains que nous ne tombions tous d’accord. C’est un comble, car c’est l’une des missions premières et essentielles du Parlement que de voter le budget et de contrôler son exécution.

Il en va de la loi de finances comme des autres textes législatifs, c’est une réalité : 80 % des textes adoptés par le Parlement sont d’initiative gouvernementale. En clair, le Gouvernement prend les initiatives, le Parlement les valide. Dans ce processus de validation, le Sénat, des deux chambres, joue le rôle le plus ingrat. La Haute Assemblée se contente, dans les faits, d’un rôle d’amendement et l’Assemblée nationale a tout loisir de détricoter le travail que nous effectuons chaque année avec sérieux.

J’insiste : le Sénat, chaque année, accomplit ce travail avec sérieux, bien qu’il s’agisse essentiellement de déposer des amendements. Il le conduit même parfois avec trop de sérieux, en durcissant les contraintes qui s’imposent à lui.

L’article 40 de la Constitution, le mieux connu de notre assemblée, est ici en cause. Il dispose que les amendements des parlementaires « ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

La conséquence, c’est l’augmentation drastique du coût du tabac, avec le recours désormais proverbial à la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

C’est une voie de facilité à laquelle nous cédons, bien souvent par commodité légistique, en gageant nos propositions, sans engager de réflexion de fond sur cette limitation. Au demeurant, c’est moins l’article 40 de la Constitution qui limite notre travail que l’interprétation qui en est faite. Bien souvent, les raisons qui conduisent notre excellente commission des finances à l’appliquer demeurent impénétrables aux sénateurs, dont les propositions sont tues.

Cette application très stricte de l’article 40 laisse craindre que le Sénat ne bride lui-même ses propres initiatives. Or je pense l’avoir bien démontré : notre position dans le processus d’élaboration de la loi ne nous autorise pas vraiment à pécher par excès de zèle.

Bien sûr, comme le disait déjà Frédéric Bastiat il y a plus d’un siècle, rien n’est plus facile pour les représentants que de voter une dépense et rien ne leur est plus difficile que de voter une recette. C’est une réalité que nous ne pouvons ignorer.

Mais c’est précisément parce que nous connaissons cette réalité que nous nous devons d’engager une stratégie ambitieuse de réduction du déficit. Dès lors, notre travail d’amendement ne risquera pas de nous entraîner sur des chemins que nous ne comptons pas emprunter.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE de ce débat ; celui-ci est certes assez confidentiel, mais il n’en est pas moins fondamental pour la démocratie, la République et l’État.

En démocratie, c’est le Parlement qui vote l’impôt, qui donne l’autorisation budgétaire. C’est là une condition essentielle de la transparence, de la confiance, du consentement à l’impôt. La question est essentielle, nous devons donc y revenir régulièrement.

La Ve République avait pour objectif de mettre au pas le parlementarisme au nom de l’efficacité et de la stabilité. Aujourd’hui, on peut douter de la réussite sur ces deux points… En tout cas, l’affaiblissement du Parlement est palpable.

De nos jours, le rôle du Parlement dans la construction budgétaire est marginal – je le déplore ! Les événements de ces dernières années devraient nous faire tirer d’amères leçons.

Nous avons été nombreux, ici, à tirer la sonnette d’alarme et à vous avertir que la transition écologique devrait être réalisée dans la justice, notamment dans la justice fiscale. Quelques jours après ces avertissements, dont témoigne le compte rendu de nos débats, les « gilets jaunes » occupaient les ronds-points. Résultat : la violence sociale, l’austérité budgétaire et l’injustice des choix censés nous orienter vers la transition écologique.

Le Parlement sert de caisse de résonnance à ce qui se passe dans notre société. En tant qu’élus, nous sommes proches des territoires, nombre de personnes nous parlent de la réalité sociale… Nous gagnerions à être davantage écoutés !

Je n’évoquerai pas les nombreuses propositions qui ont été votées au Sénat, qu’il s’agisse de celles d’Albéric de Montgolfier ou de celles d’Éric Bocquet, sur la lutte contre l’évasion fiscale. De loi de finances en loi de finances, elles ont souvent été votées à l’unanimité, mais rarement mises en œuvre.

La LOLF est à réinterroger. Véritable constitution financière de l’État, elle régit toutes les étapes de construction et de suivi de notre budget. Il est vrai qu’elle facilite la lisibilité des dépenses de l’État, mais elle met aussi en place une logique de performance qui produit de nombreux effets pervers. La performance s’oppose au bon fonctionnement des services publics, car elle se mesure non pas à l’aune de l’utilité sociale, mais via des indicateurs le plus souvent quantitatifs.

Le rôle du Parlement est donc marginal ; la LOLF n’aide pas à le rendre plus important et les perspectives que l’on nous présente sont extrêmement dangereuses. C’est un effacement de la démocratie qui s’annonce encore si certaines propositions, notamment celles du rapport Arthuis, venaient à être appliquées.

Quel avenir nous promet-on au lendemain de la crise sanitaire ? Depuis des mois, nous alertons sur le fait que le retour de la contrainte budgétaire serait une grave erreur. Les discours alarmistes sur la dette publique et les déficits se multiplient et cherchent à enfermer le débat dans une alternative simpliste : d’un côté, les dépensiers et les irréalistes ; de l’autre, les responsables. Mais ces derniers, en réalité, ont pour seule proposition le retour d’une « règle d’or ».

Tel est le sens des conclusions du comité Arthuis et de la proposition de loi conjointe déposée par Éric Woerth et Laurent Saint-Martin – le premier est issu de la droite parlementaire, l’autre de la majorité présidentielle.

Le rapport Arthuis suggère ainsi de définir une norme de dépenses sur cinq ans, qui contraindrait les autorisations budgétaires du Parlement. Derrière le masque de la pluriannualité se cache le serpent de mer du verrouillage budgétaire…

Le débat politique est essentiel : non, les questions budgétaires ne sont pas des questions techniques ! Ne dépolitisons pas le budget : le dépolitiser, c’est expliquer qu’il n’y a pas de choix politique, mais simplement les contraintes de la nécessité. Cela ne fonctionne pas !

Et les règles d’or, sous toutes leurs formes, sont autant de camisoles de force pour les parlementaires. Cela a pour conséquence d’agrandir le fossé entre la démocratie représentative et les citoyens.

Au contraire, un débat économique et budgétaire est plus que jamais nécessaire : retour à l’austérité ou investissement dans l’avenir ? Allons-nous refaire les mêmes erreurs qu’en 2010, celles qui ont enfermé notre continent dans l’impasse de l’austérité, alors que l’on vit aujourd’hui partout les conséquences politiques de la tragédie des inégalités et de l’inaction climatique ?

Nous pensons qu’il faut refonder notre constitution financière, débattre d’une réforme de la LOLF. Cela doit se faire à partir de l’axe majeur politique et scientifique que nous voyons tous se déployer sous nos yeux, en ce début de XXIe siècle : l’anthropocène. Nous ne sommes pas des irréalistes ; au contraire, le réalisme est de notre côté. Nous devons réfléchir à nos discussions budgétaires à l’aune de cet enjeu, y compris avec une traduction très claire de l’empreinte environnementale dans les constructions budgétaires.

Cela impose donc de renforcer le contrôle parlementaire et de débattre, mais jamais d’étouffer les enjeux sous un masque technocratique…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Sophie Taillé-Polian. L’écologie est consubstantielle à la justice sociale et à la démocratie. Pour cela, un débat parlementaire plus important, et de meilleure qualité, serait une force. (M. Rémi Féraud applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions budgétaires sont au fondement du Parlement, de son existence même. C’est sur les sujets budgétaires que sont nées les démocraties parlementaires.

En 1215, avec la Grande Charte, Jean sans Terre fut obligé de demander au Grand Conseil d’approuver sa politique fiscale. En 1776, l’opposition des colons britanniques – No taxation without representation – déboucha sur la Révolution américaine. En 1789, si les états généraux furent convoqués, c’est en raison de la banqueroute de l’État ; il fallait financer les guerres et donc lever de nouveaux impôts. Les états généraux se rassemblèrent, mais la représentation refusa de quitter la salle des Menus Plaisirs. On connaît la suite…

Depuis la Révolution, et surtout après la Restauration, le Parlement a pris un rôle considérable dans la gestion des finances publiques, que la Ve République a entendu modérer.

Sous la IIIRépublique, les majorités ne parvenaient plus à voter les budgets. Christine Lavarde l’a rappelé : il a fallu attendre 1936 pour que la loi de règlement de 1915 soit votée ! Il était sans cesse fait recours aux décrets-lois tant le Parlement avait peine à voter les budgets et, parce qu’elles les construisaient de fait, les commissions des finances étaient devenues très puissantes – cela a de quoi faire rêver certains d’entre nous.

La IVe République, quant à elle, fonctionnait par douzièmes provisoires, car le Parlement ne parvenait pas non plus à voter les budgets. Cela a fini par devenir problématique à la fin du régime, compte tenu du coût des guerres coloniales.

La Ve République est ainsi venue rationaliser le parlementarisme. L’une des illustrations principales de cette rationalisation est la loi de finances, plus précisément le fait que son examen soit enserré dans des délais. Le vote est également encadré, notamment sur les charges.

Dès lors, le rôle du Parlement a été considérablement réduit. La LOLF est plutôt venue renforcer ce rôle et améliorer la portée de l’autorisation parlementaire. La charge s’entend de la mission, ce qui permet donc de jouer sur la répartition des crédits à l’intérieur des missions – ce n’est pas sans difficulté, car il faut diminuer les crédits d’un programme pour augmenter ceux d’un autre. En outre, la LOLF a encadré un certain nombre de mécanismes réglementaires qui restreignaient la portée de l’autorisation parlementaire, notamment sur les décrets d’avance.

Je ne partage pas ce qui a été dit sur la pratique du gouvernement actuel.

Premièrement, les réserves de précaution ont été considérablement réduites. Or cette pratique, qui consiste à faire voter des crédits qui ne sont pas utilisés ensuite, constitue déjà un dévoiement de l’autorisation parlementaire.

Par ailleurs, les décrets d’avance ne sont plus utilisés que pour des cas de crise, notamment la crise récente. Sinon, ils ont été jusqu’à présent très limités sous ce quinquennat.

Enfin, on a considérablement réduit le nombre de dispositions fiscales dans la loi de règlement ; elle n’en comprend plus, sauf exception. Il faut poursuivre dans cette voie.

À partir du moment où l’on veut aller plus loin et sortir de la célèbre formule du président Edgar Faure sur les débats budgétaires, « litanie, liturgie, léthargie », cette belle allitération qui signifiait que tout cela était un peu répétitif et que l’on entendait la même chose chaque année, il faudrait donner un peu de tonus démocratique au débat budgétaire parlementaire.

Enfin, pour respecter l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » et qui pose le contrôle citoyen, deux options s’offrent à nous.

La première option consiste à sortir de la Ve République afin qu’une autre Constitution donne un autre rôle au Parlement. Toutefois, il s’agit là d’un autre débat qui dépasse le cadre de celui qui nous réunit aujourd’hui : c’est une option politique, globale, structurelle.

La seconde option consiste à chercher à améliorer nos institutions actuelles. Dans leur rapport d’information, MM. Saint-Martin et Woerth mettent de nombreuses pistes sur la table, qui ne portent pas seulement sur les questions de la dette ou de l’encadrement de la dépense. D’intéressantes propositions sont formulées. Ainsi, le collectif budgétaire ne pourrait plus contenir de dispositions fiscales, sauf si celles-ci concernent uniquement l’année en cours. Le nombre d’indicateurs pourrait également être harmonisé, pour plus de simplicité.

Il nous faut également réfléchir à la question de l’évaluation, notamment par un rapprochement des commissions des finances et des commissions des affaires sociales sur la question des recettes. Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous examinons des éléments correspondant à la fiscalité des ménages ou des sociétés que nous revoyons lors de la discussion du projet de loi de finances, notamment parce qu’il y a, pour les particuliers, d’un côté, la CSG, de l’autre, l’impôt sur le revenu et, pour les entreprises, d’un côté, l’impôt sur les sociétés, de l’autre, les prélèvements sociaux.

Ne pourrait-on imaginer un débat budgétaire qui porterait d’abord sur les recettes et qui lierait à cette occasion la dimension sociale et la dimension fiscale du budget ? Ne pourrait-on également imaginer une commission d’évaluation mixte, réunissant des membres des commissions des affaires sociales et des commissions des finances, qui permettrait là aussi de donner un peu de « peps » à la loi de règlement ?

Si des pistes sont sur la table, n’oublions pas que la démocratie, c’est que la majorité vote des budgets sur lesquels elle a été élue et sur lesquels les Français attendent des résultats. Cela n’empêche évidemment pas d’améliorer la transparence et la lisibilité démocratique en faveur des citoyens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat. C’est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire et il est certain que nous ne l’épuiserons pas aujourd’hui.

Chacun le sait, le vote annuel du budget est la raison d’être du Parlement. Sans remonter jusqu’à la Magna Carta anglaise de 1215 – Julien Bargeton vient de le faire ! (Sourires) –, l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

L’objectif de la loi de finances est d’abord de lever l’impôt, outil de puissance publique par excellence, afin de fournir les recettes nécessaires pour mener les politiques publiques. C’est l’objet de la première partie du projet de loi de finances, dont l’article 1er, symbolique, rappelle chaque année le principe du consentement à l’impôt. Il y aurait sans doute là aussi un débat de fond à mener un jour.

Après le vote des recettes, le Parlement se prononce sur les crédits qu’il veut bien accorder au Gouvernement. Cette autorisation n’est pas automatique, comme en témoigne chaque année le rejet de plusieurs missions budgétaires par le Sénat – pour des raisons parfois quelque peu politiques, il est vrai.

Comme, dans notre système institutionnel, l’Assemblée nationale a le dernier mot et se soumet au fait majoritaire, nous n’avons que très rarement connu, sous la Ve République, une situation où le Parlement aurait rejeté tout ou partie du budget proposé par l’exécutif. On peut néanmoins se remémorer les dissensions de la majorité RPR-UDF en 1979, ayant conduit au rejet de la partie recettes par l’Assemblée nationale.

M. Jean-Claude Requier. Malgré tout, la Constitution prévoit toujours la possibilité de reconduire les budgets ministériels à l’identique. Pas de shutdown possible en France, contrairement aux États-Unis !

Je concentrerai mon propos sur l’exercice du droit d’amendement lors de la discussion du projet de loi de finances, qui reste le cœur de l’action des parlementaires, malgré l’ensemble des contraintes procédurales particulières à ce type de texte.

Contrairement à ce qui se passe avec les autres textes, et c’est une différence importante, le droit d’amendement en commission n’existe pas, la révision constitutionnelle de 2008 ayant maintenu une forme de privilège gouvernemental en la matière que les délais constitutionnels d’examen très resserrés ne justifient pas pleinement.

Surtout, le droit d’amendement est encadré par l’article 40 de la Constitution et par la LOLF, qui sont implacables et dont l’interprétation est parfois bien obscure. Si le contrôle de la recevabilité financière des amendements des parlementaires n’est pas nouveau, la différence de marge de manœuvre avec l’exécutif, qui peut déposer des amendements à tout moment et n’est pas soumis à la règle de l’équilibre des recettes et des dépenses, devient de plus en plus injustifiable.

Sur l’application de l’article 40, on a pu regretter un manque de clarté, voire une approche trop restrictive par le passé, sachant que la déclaration d’irrecevabilité n’est pas susceptible de recours. Je retiens en particulier les amendements sur les ressources affectées ou bien l’aggravation hypothétique de charges au-delà de l’année visée par le projet de loi de finances. Je pense aussi à l’utilisation de l’irrecevabilité comme moyen commode de réduire ex ante le nombre d’amendements à discuter.

En fait, tout concourt à donner une liberté d’action minimale aux parlementaires. Espérons néanmoins que l’assouplissement récent observé dans la pratique de la commission des finances dans ce domaine soit durable.

Les limitations pratiques du droit d’amendement des parlementaires lors de l’examen des projets de loi de finances se manifestent aussi par un déséquilibre entre la première partie, où les amendements sont nombreux et créatifs, et les crédits de la seconde partie où le Parlement ne peut, en vertu de la LOLF, que modifier à la marge la répartition des crédits budgétaires au sein d’une même mission, mais non entre deux missions distinctes. En d’autres termes, là encore, notre marge de manœuvre est réduite à la portion congrue par le mécanisme très artificiel de la fongibilité asymétrique des crédits, comme le désignent les spécialistes.

Il faut néanmoins, à ce stade, saluer les travaux menés en 2019 par nos collègues de l’Assemblée nationale dans le cadre de la mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la Milolf. Le rapport d’information remis par Laurent Saint-Martin recommandait notamment d’associer plus étroitement le Parlement à l’élaboration de la stratégie budgétaire. C’est un début.

La meilleure association des parlementaires au processus budgétaire pourrait, en retour, contribuer à une plus grande responsabilisation dans l’usage que nous faisons du droit d’amendement. Pour le dire simplement, il s’agit de donner la priorité à la qualité sur la quantité, et à la véritable proposition sur l’amendement d’appel ou sur celui demandant un rapport pour contourner l’article 40.

Telles sont les quelques rapides remarques que l’on peut formuler sur le rôle du Parlement dans l’élaboration des lois de finances.

Je remercie encore une fois le groupe CRCE de ce débat très intéressant, même si, parce qu’il clôt notre semaine de travaux parlementaires, il est de fait condamné à être confidentiel. (M. Marc Laménie applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons repris nos travaux cet après-midi avec un débat sur la nécessaire revitalisation des centres-villes. Nous vous invitons désormais à vous pencher sur la nécessaire revitalisation du débat budgétaire ! (Sourires.) Julien Bargeton a parlé de la nécessité de lui redonner du tonus, nous voulons y contribuer.

« Peut-on encore considérer que le vote du budget par le Parlement relève d’un acte démocratique lorsque l’on connaît la marge de manœuvre dont il dispose ? » C’est la question rhétorique que se pose Jean-François Kerléo dans un article intitulé « Plaidoyer en faveur d’une réforme de l’article 40 de la Constitution ». La réponse est bien sûr négative. Il faut expliquer à nos concitoyens que leurs parlementaires ne peuvent que très difficilement modifier les ressources publiques et augmenter les dépenses.

Au fur et à mesure, grâce à une forme de résistance, tout en tentant de ne pas trop disconvenir au Conseil constitutionnel, les élus du Parlement ont essayé de se ménager quelques marges de manœuvre. Malgré cela, lors de l’examen du budget, nous ne pouvons toujours pas proposer de créer une dépense publique, ni même d’accroître une dépense qui nous est soumise, sauf à la « gager ».

M. Vincent Delahaye. Heureusement !

M. Éric Bocquet. Cela revient par exemple à prendre 100 millions d’euros au programme « Handicap et dépendance » pour créditer d’autant le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes ».

M. Julien Bargeton. C’est vrai !

M. Éric Bocquet. Cette illustration atteste qu’en réalité nous ne disposons d’aucune réelle initiative sans tomber dans les incohérences, voire les fautes politiques.

Comme l’a fort bien expliqué Pascal Savoldelli, les faiblesses budgétaires du Parlement sont à la fois la cause et la conséquence du rapport totalement disproportionné entre les prérogatives de l’exécutif et les siennes. Au moment de l’avènement de la Ve République, Paul Reynaud, ancien président du Conseil, avait livré la prophétie suivante : « Les parlementaires vont devenir des économes devant un gouvernement dépensier. » La route était tracée !

Les parlementaires eux-mêmes, y compris des architectes de la LOLF, se sont opposés à la réduction de leurs moyens d’expression. La tribune des présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, MM. Migaud et Arthuis, publiée en 2008, est un appel à la libération du droit d’amendement par la suppression de l’article 40 de la Constitution ; nous nous en souvenons.

Il est intéressant de montrer que Jean Arthuis faisait à l’époque confiance à « la responsabilité des élus » pour gouverner les finances publiques. Ayant remis récemment un rapport au Gouvernement pour rappeler l’importance de mener une politique austéritaire, nous ne pouvons que regretter qu’il ait oublié la parole de liberté qu’il portait alors dans les colonnes du Monde.

M. Éric Bocquet. L’article 40 de la Constitution contribue à un affaiblissement des prérogatives du Parlement non seulement pour ce qu’elles sont, mais aussi pour leurs effets sur les finances publiques. Comme l’expliquaient les deux anciens présidents, « l’article 40 est donc devenu à bien des égards une “machine à créer de la dépense fiscale”. Il accrédite au surplus l’idée dangereuse selon laquelle, en matière de déficit public, la dépense fiscale n’aurait pas le même impact que la dépense budgétaire ».

Pour réagir et formuler des propositions, pour remédier à la crise économique et sociale déjà bien installée, il ne reste donc aux parlementaires qu’à retrancher de l’impôt à ceux qui le payent. C’est un cercle vicieux, infernal, qui participe au démantèlement de l’État. Cette règle constitutionnelle produit des effets dévastateurs sur le niveau des ressources du budget général.

Cette entrave vient s’additionner au carcan des règles européennes qui consacrent le Parlement dans un rôle d’observateur des décisions bruxelloises. Nous ne sommes plus souverains dans la définition des taux de la principale recette de l’État, la TVA. Lorsque l’Union européenne ne produit pas de règle contraignante, on lui délègue le soin de valider notre politique économique sur laquelle nous, parlementaires, ne sommes guère consultés. Cette même Europe s’imposerait comme la seule échelle pertinente de toutes les politiques fiscales. Pouvons-nous, devons-nous nous résigner à cette voie de fait ? La question se pose.

Il est grand temps pour le Parlement de restaurer sa capacité d’initiative, pour que le peuple et ses représentants puissent proposer des idées nouvelles et participer à un renouveau de la gouvernance des finances publiques.

Nous pouvons, nous devons restaurer la possibilité de présenter des alternatives budgétaires par la présentation d’amendements en séance publique, comme cela était le cas voilà quelques années.

Nous pouvons alléger considérablement la procédure des irrecevabilités financières. C’est de notre compétence : nous pouvons le faire dès demain, il suffit de le décider ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir demandé l’organisation de ce débat sur un sujet important, puisque l’argent est le nerf de la guerre. Il est normal que, en tant que parlementaires, nous puissions nous interroger sur notre rôle dans la perception de l’argent de l’État et de son utilisation.

J’avoue être toutefois surpris par l’intitulé de ce débat. Pour moi, il va de soi que l’élaboration du projet de loi de finances revient au Gouvernement, avant le Parlement. À la limite, d’ailleurs, plus que le Gouvernement, c’est l’administration qui décide et qui nous adresse ses propositions de textes budgétaires. (M. le ministre délégué fait un signe de dénégation.) L’historien Frédéric Tristram a en effet montré que le poids prépondérant de l’administration fiscale dans le processus de décision a souvent pour effet de briser les velléités réformatrices du pouvoir exécutif et, bien sûr, du Parlement.

Quoi qu’il en soit, le rôle du Parlement n’est pas tant d’élaborer le projet de loi de finances que de l’adapter, de l’adopter s’il le souhaite et de le contrôler avec rigueur. Pour ma part, j’aime bien ce terme de rigueur.

M. Pascal Savoldelli. Ça, c’est sûr ! (Sourires.)

M. Vincent Delahaye. Je voudrais le rappeler à Sophie Taillé-Polian, car l’on ne peut pas gérer l’argent public autrement que d’une façon rigoureuse. (M. Éric Bocquet sexclame.)

Cela a été rappelé, en son temps, le président Poncelet ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait : « Le contrôle budgétaire, tel que je le conçois, est moins un contrôle de la régularité budgétaire qu’un contrôle de l’opportunité budgétaire, c’est-à-dire une vérification de l’adéquation des moyens budgétaires aux besoins de l’action de l’État. »

M. Éric Bocquet. Et Gérard Larcher, alors ?

M. Vincent Delahaye. Il est normal qu’un gouvernement élabore un budget conforme aux besoins de la politique pour laquelle il a été désigné. Le rôle du Parlement, quant à lui, est de traduire et de matérialiser le consentement du peuple souverain au vote du budget, notamment en son volet fiscal. « Pas de taxation sans représentation », dit l’adage fondateur des démocraties libérales. En France, celui-ci trouve son prolongement dans l’article XIV de la Déclaration de 1789 que je ne rappelle pas.

La lecture de ces dispositions à valeur constitutionnelle nous confie non le rôle d’élaborer le budget, mais bien plutôt celui de l’adapter aux évolutions des volontés du contribuable, plus largement de nos concitoyens, en plus de le contrôler.

Notre rôle de sages de la République devrait ainsi se traduire par celui de bons gestionnaires, maniant l’argent des Français en bons pères et mères de famille. Des biais pourraient être corrigés en s’appuyant sur les exemples étrangers. Ainsi, en Allemagne, le processus part de la recette : c’est elle qui détermine le budget. En France, Bercy arrête d’abord les dépenses et, compte tenu des recettes attendues, en déduit le montant du déficit ; voilà un biais nettement défavorable à une bonne et saine gestion publique.

Certes, l’article 40 de la Constitution nous oblige à faire preuve d’une certaine responsabilité et je ne m’en plains pas, contrairement à certains de nos collègues ! En effet, cet article nous contraint à ne pas aggraver une charge ou à ne pas réduire une recette. C’est là le bon côté du parlementarisme rationalisé. La contrepartie de cette discipline devrait se trouver dans la possibilité de disposer de véritables moyens de contrôle, comme le préconisait le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Didier Migaud, lors du vote de la LOLF.

Si la confiance n’exclut pas le contrôle, le manque de moyens peut, lui, aboutir à l’exclusion du contrôle. Ce manque de moyens se retrouve à plusieurs niveaux.

Selon moi, nous manquons d’abord d’informations. Paradoxalement, nous croulons sous les informations, mais les informations de base nous manquent assez souvent. J’ai par exemple mis plus d’un an à obtenir, grâce à la commission des finances que je tiens à remercier, le montant des dépenses protocolaires et de communication des différents ministères depuis le début du quinquennat. C’est une donnée intéressante, d’autant que ces dépenses atteignent 1,5 milliard d’euros, période de covid comprise.

M. Jérôme Bascher. Tout de même…

M. Vincent Delahaye. Par ailleurs, nous ne dialoguons qu’insuffisamment avec le Gouvernement, monsieur le ministre. Ce n’est pas que vous ne veniez pas souvent au Sénat, mais les débats parlementaires comme celui qui nous réunit aujourd’hui ne nous permettent d’échanger qu’insuffisamment.

Il est également à regretter que nous soyons trop peu, voire très rarement suivis lorsque nous proposons des ajustements. Lorsque nos amendements sont adoptés, ils sont quasi systématiquement mis au pilon par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. À de trop rares exceptions près, seuls des amendements de pure forme ou des aménagements purement techniques, donc marginaux, échappent à l’automatisme de cette sentence.

Conscients de la permanence de ce courroux, les sénateurs devraient plutôt profiter de l’examen du budget pour construire un véritable contre-budget, même si c’est difficile, au lieu de se bercer de l’illusion que leurs amendements pourraient finalement prospérer. Ce serait d’autant plus approprié que la Haute Assemblée est censée représenter la sagesse dans nos institutions. Nous serions fort avisés de proposer des budgets bien plus équilibrés, c’est-à-dire moins dépensiers et donc plus soutenables pour les contribuables.

Je tiens à rappeler ici qu’il n’existe pas plus d’argent magique qu’il n’existe d’argent public : il n’existe que l’argent des contribuables, que nous nous devons de gérer avec prudence et rigueur.

À ce manque d’informations s’ajoute aussi un manque d’échanges. Nous sommes chaque fois mis au pied du mur en découvrant, au début du mois de septembre, les premiers arbitrages par voie de presse. Ce fut le cas par exemple lors de la suppression de la taxe d’habitation. À propos, qu’a fait le Gouvernement des préconisations de notre groupe de travail sur la suppression de la taxe d’habitation ? Peu de choses…

Le Gouvernement serait pourtant parfois bien avisé de suivre nos conseils. La taxe dite carbone, élément déclencheur de la crise des « gilets jaunes », pour laquelle nous avions préalablement formulé des propositions d’apaisement, fut là pour le démontrer.

Nous manquons enfin cruellement de temps pour contrôler le budget. Chaque année, nous dénonçons le manque de temps concédé dans le calendrier à l’examen du projet de loi de règlement, qui correspond en réalité aux réalisations. Nous consacrons beaucoup de temps au budget, c’est-à-dire au virtuel, et pas beaucoup au réel…

Dans cet examen des comptes publics, le Parlement n’est en fait malheureusement qu’une chambre d’enregistrement. Pour y remédier, j’ai déjà formulé une proposition que je réitère aujourd’hui : réduisons de deux mois le délai dont dispose l’État pour clôturer ses comptes ; passons de fin juin à fin avril. Pour y arriver, réduisons ce délai de quinze jours par an pendant quatre ans. Je sais que la démarche a déjà été entreprise, mais il faut la poursuivre. Rien ne justifie que les sociétés arrivent à clôturer leurs comptes rapidement et que l’État n’y parvienne pas.

Le dépôt à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi organique relative à la mise en œuvre de la LOLF devrait, je l’espère, nous permettre d’avoir un nouveau débat sur le sujet et de réviser en profondeur le calendrier budgétaire.

Des parlements bien informés et compétents sont à même de doter leur pays de lois et de politiques cohérentes et d’assurer ainsi un contrôle démocratique légitime sur les politiques et les actions de l’exécutif.

Je partage les propos qui ont été tenus : redonnons du tonus démocratique à nos interventions budgétaires ! Nous en avons besoin. Ce travail collectif, nous devons l’entreprendre. Pour ma part, j’y suis prêt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.

M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à première vue, le débat qui nous réunit aujourd’hui sur l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances pourrait surprendre, puisque, en vertu de la Constitution et contrairement aux lois ordinaires, les lois de finances résultent nécessairement d’une initiative gouvernementale.

En outre, les initiatives parlementaires sont fortement contraintes par les règles de recevabilité financière issues de l’article 40 de la Constitution, même si cet article n’a en moyenne d’incidence que sur 4 % des amendements proposés dans le cadre des lois de finances. À titre d’illustration, en vertu de l’article 7 de la LOLF, seule une disposition d’initiative gouvernementale peut créer une mission budgétaire.

La procédure elle-même est strictement encadrée par l’article 47 de la Constitution, en particulier en termes de délais, par rapport à l’importance de ces textes. Le Sénat ne dispose que de vingt jours en séance publique, contre quarante pour l’Assemblée nationale. En l’état, cela ne peut que conduire à une rationalisation du débat parlementaire toujours mal vécue par le Sénat.

Étendre l’influence du Parlement dans l’élaboration des lois de finances nécessiterait de lui donner des moyens constitutionnels et organiques dont il ne dispose pas aujourd’hui, notamment en ce qui concerne la recevabilité financière et organique de ses initiatives. C’est le premier constat.

Au-delà, la question qui nous est posée est celle de la prise en compte des initiatives parlementaires par le Gouvernement dans les textes financiers qu’il présente et dans leur version définitivement adoptée.

Pour ce qui concerne le domaine fiscal, les parlementaires interviennent régulièrement par voie d’amendements et ceux-ci peuvent très directement inspirer le projet du Gouvernement ou le texte définitivement adopté. Le rapporteur général a pris l’exemple récent du carry back pour les entreprises. Ce dispositif, proposé par la majorité sénatoriale, a initialement été refusé par le Gouvernement au cours de l’année 2020, avant qu’il ne nous propose désormais de le prolonger dans le projet de loi de finances rectificative.

Il en va de l’intervention du Parlement dans ce domaine comme dans les autres : sa prise en compte dépend avant tout de l’adhésion de la majorité gouvernementale. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a, à cet égard, déposé de nombreuses propositions de loi ces dernières années. Il appartient dès lors au Gouvernement de s’en saisir et de les faire siennes s’il le souhaite !

Pour ce qui concerne les dépenses, en raison des règles de recevabilité financière sur lesquelles je pense qu’il faudra revenir, il est indiscutable que l’intervention du Parlement est plus strictement encadrée, voire entravée, cela a été souligné. Il n’en reste pas moins que, tout au long de l’année – et pas seulement au printemps –, les parlementaires, en particulier les rapporteurs spéciaux, formulent de nombreuses recommandations. Philippe Dallier vient par exemple de publier un rapport d’information dénonçant les insuffisances des crédits de l’hébergement d’urgence et le Gouvernement a décidé d’abonder ces crédits de 700 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Récemment, Bernard Delcros a souligné le manque d’ambition du plan de lutte contre les algues vertes, Thierry Cozic et Frédérique Espagnac ont analysé l’évolution du réseau de la direction générale du Trésor à l’étranger. Je pourrais multiplier les exemples.

Au-delà de ce que le Gouvernement pourra reprendre de sa propre initiative, il nous appartient de déposer les amendements correspondants sur les missions budgétaires concernées. Le nombre d’amendements déposés sur le projet de loi de finances ou sur les collectifs de l’année passée en témoigne, même si nous pouvons tous ensemble regretter de ne pas être davantage entendus.

L’organisation du débat d’orientation des finances publiques à une date tardive et l’absence d’informations sur le détail des crédits par mission budgétaire montrent que le Gouvernement ne peut, ou ne veut pas, dévoiler trop tôt ses propres arbitrages.

Malgré ses faiblesses, l’amendement relatif aux crédits reste le seul outil permettant de soumettre réellement au débat et au vote démocratique un choix budgétaire. Il est à cet égard bien plus pertinent que la procédure récemment utilisée du décret d’avance, qui ne laisse au Parlement que la possibilité d’émettre un avis, non contraignant pour le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, moi, j’aime la Constitution du général de Gaulle, j’aime la Constitution de la Ve République ! Je constate que Julien Bargeton y vient aussi. Encore un effort… (Sourires.)

Je sais que tout bon sénateur a sur sa table de nuit l’ouvrage de référence sur l’article 40 de la Constitution, le rapport d’information rédigé par mon illustre prédécesseur comme sénateur de l’Oise, Philippe Marini. (M. Éric Bocquet rit.) Cet article nous contraint en effet bien souvent, mais on peut l’admettre. Ce qui pose toutefois problème ici, au Sénat, monsieur le ministre, c’est que le projet de loi de finances qui, comme n’importe quel texte, commence par être examiné par une assemblée, en l’occurrence l’Assemblée nationale, nous parvient avec beaucoup plus d’articles que le texte initial, et je ne parle évidemment pas des articles d’initiative gouvernementale qui fleurissent au fur et à mesure !

S’il n’y a plus de décrets d’avance, ce dont nous pouvons tous nous féliciter, j’invite Julien Bargeton à regarder l’historique de la réserve de précaution, que je connais bien pour avoir fait le premier budget « lolfien ». J’ai donc quelques idées des variations saisonnières…

M. Julien Bargeton. Jusqu’à 8 % !

M. Jérôme Bascher. Que le Gouvernement dépose sans cesse de nouveaux amendements au cours de la discussion parlementaire met aussi à mal la discussion parlementaire. Ce n’est pas toujours le fait de notre droit d’amendement.

Il est évidemment normal que le Gouvernement puisse le faire, mais il faut des limites, ce que la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques n’ont pas manqué de souligner cette année, et par deux fois.

Les délais pour examiner les projets de loi de finances et un certain nombre de propositions sont plus que contraints. Le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, s’en est encore ému dernièrement s’agissant du projet de loi de finances rectificative que vous nous soumettrez bientôt, monsieur le ministre, et qui est actuellement examiné en commission à l’Assemblée nationale. Le Haut Conseil des finances publiques n’a pas eu les moyens de procéder à une évaluation : ce texte lui semblerait globalement « pas mal ». Or on attend de lui une appréciation plus précise. Je peux moi-même en dire autant (Sourires), mais cela n’a aucun sens !

Pour que le Parlement puisse s’exprimer de façon éclairée, il importe que les instances qui ont été créées démocratiquement soient respectées. C’est important. J’invite évidemment tous les parlementaires à respecter l’article 40 de la Constitution, à respecter les compétences que nous avons déléguées à l’Union européenne. Certes, on peut le regretter et demander à le discuter et à le changer, mais les textes sont ainsi et il ne sert à rien de taper du pied.

Pour ma part, j’aime beaucoup l’idée de la règle d’or et je suis sûr que Vincent Delahaye pourrait me rejoindre sur ce point. Quel paradoxe aujourd’hui ! Qui s’est rendu compte que, en 2020, la sécurité sociale a une dette plus importante que celle des collectivités locales. La dette de fonctionnement et de notre bien-être quotidien est supérieure à nos investissements, non seulement pour l’État – on le sait depuis bien longtemps ! –, mais également dans les autres domaines. Voilà où nous en sommes et ce n’est pas la faute du Parlement, monsieur le ministre !

Certes, il y a eu la crise liée à la covid-19, il ne faut pas l’occulter, mais cette situation est le résultat de dizaines d’années de pratiques budgétaires marquées par la défiance du Gouvernement envers le Parlement, comme par celle de Bercy à l’égard des ministères dits dépensiers.

J’ai autrefois occupé la place où se trouvent aujourd’hui vos collaborateurs, monsieur le ministre, et je suis maintenant membre de la commission des finances. J’ai donc été des deux côtés et je vois bien que rien n’a changé depuis un quart de siècle. C’est pour cela que le déficit, en 2021, est le plus élevé de l’après-guerre !

Le déficit s’explique donc non pas par la défiance envers le Parlement et par l’article 40 de la Constitution, mais par l’absence de courage politique et de confiance. La LOLF reposait aussi sur la confiance dans le responsable de programme.

M. Jérôme Bascher. Or, aujourd’hui, les marges de manœuvre s’étant réduites comme peau de chagrin, il n’y a en vérité plus de gestion. Le responsable de programme est désormais un petit comptable et non plus un gestionnaire de politique publique. On a trahi l’esprit de la LOLF, sur lequel Alain Lambert et Didier Migaud avaient pourtant réussi à rassembler.

L’évaluation fiscale, monsieur le ministre, est un sujet majeur. De nombreuses mesures sont prises, les parlementaires déposent beaucoup d’amendements, on constate parfois quelques errements – nous y avons notre part –, mais nous ne disposons pas d’informations pour effectuer des évaluations. La direction de la législation fiscale est d’ailleurs la seule qui parvienne à peu près à comprendre le fonctionnement des impôts, ce qui fait que nous ne prenons pas la juste mesure de ces questions, pas plus, bien souvent, que le Gouvernement lui-même, d’ailleurs. Il y a là un véritable oubli de ce que doivent être l’impôt et l’évaluation de l’impôt.

Le Haut Conseil des finances publiques, je l’ai dit, est un outil utile. Pourquoi ne pas étendre son rôle à la dette, en effet ? Je ne pense pas en revanche que multiplier le nombre de ses cadres soit de bonne politique. Je le dis comme je le pense, et mon propos n’engage que moi, pas mon groupe.

Enfin, le Gouvernement devrait prendre en compte, tout comme l’Assemblée nationale et le 139 rue de Bercy, le souci qu’a le Sénat, qui n’a pas le dernier mot sur ces questions, de parvenir à l’unanimité. De bonnes idées permettent parfois d’éviter de lourdes dépenses. Combien de petites économies ont-elles été réalisées, sur la base de calculs à très court terme, avant d’engendrer des dépenses plus lourdes à long terme, ce qui n’est pas un progrès pour notre économie ?

Monsieur le ministre, vous qui avez été un éminent parlementaire, je vous le dis : nous gagnerions à nous écouter davantage et à travailler un peu plus ensemble. À la fin, c’est le Parlement qui vote. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre de la portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration des projets de loi de finances, ce sujet étant d’actualité, puisque votre assemblée examinera dans quelques jours un projet de loi de finances rectificative.

Je remercie les sénateurs du groupe CRCE de nous donner l’occasion d’échanger sur cette importante question. C’est là un volet primordial de l’équilibre des pouvoirs qui caractérise notre constitution. Les différentes interventions ont montré la diversité des approches, des appréciations sur le rôle du Parlement, sur le poids de son intervention et finalement sur la portée de l’autorisation parlementaire.

Historiquement, ce sont les articles 34 et 47 de la Constitution qui définissent le rôle du Parlement et du Gouvernement en matière de lois de finances. Michel Debré, lors de son discours devant le Conseil d’État le 27 août 1958, en précisait le sens : « La loi, le budget et toutes les affaires qui sont de la compétence du Parlement ne sont pas, pour le Parlement, un monopole. L’intervention des assemblées est un contrôle et une garantie. Il ne faut pas, cependant, qu’un gouvernement accapare les travaux des assemblées au point que l’opposition ne puisse plus manifester sa présence. Si elle ne doit pas pouvoir faire obstruction, elle doit pouvoir interroger. » Ainsi, s’il est du ressort du Gouvernement de proposer un texte initial, avec son équilibre propre, c’est bien le Parlement qui l’amende, le vote, le rejette parfois, et contrôle son exécution.

Il revient donc au Gouvernement, et plus précisément au ministre chargé des finances, de préparer le budget. Le projet de loi de finances que le Gouvernement présente au Parlement doit être la traduction budgétaire d’une politique qui a sa cohérence.

Par l’exercice de leur droit d’amendement et par le vote, les parlementaires modifient cet équilibre, plus ou moins radicalement, que ce soit en matière fiscale ou en matière budgétaire. Et c’est bien normal, puisque c’est devant le Parlement que le Gouvernement est responsable.

Cependant, il a souvent été reproché à la VRépublique de restreindre la discussion budgétaire pour le Parlement à la caricaturale formule évoquée par le président Edgar Faure et rappelée par le sénateur Bargeton. Pourtant, historiquement, les parlements tirent leur raison d’être de l’autorisation de l’impôt, et donc du contrôle des finances de l’État, acte régalien s’il en est, au fondement de tout État moderne.

Au fil du temps, et sur l’initiative du Parlement lui-même, ses pouvoirs se sont progressivement étendus. C’est la LOLF, abondamment évoquée, à juste titre, qui a été le dernier, voire le principal outil d’émancipation, en confortant grandement l’autorisation parlementaire en matière budgétaire.

L’exercice du droit d’amendement parlementaire a été facilité par la possibilité de déposer des amendements de crédits sans qu’ils contreviennent à l’article 40 de la Constitution, lequel n’a jamais été modifié depuis 1958. Les positions des présidents des commissions des finances successifs ont aussi permis d’examiner et de débattre de propositions parlementaires, sachant que la notion même de gage est parfois réduite à sa plus simple expression.

Le nombre d’amendements déposés dans les deux chambres en première lecture est ainsi passé de 1 845 lors de l’examen du PLF pour 2006, année d’entrée en vigueur de la LOLF, à 4 719 lors de celui du PLF pour 2019, soit une multiplication par plus de deux. Cela démontre, s’il en était besoin, que le droit d’amendement est garanti.

Les pouvoirs des commissions des finances ont été étendus, leurs présidents, les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux disposant de nouvelles possibilités de contrôler l’exécutif.

Alain Lambert, ancien président de la commission des finances du Sénat, résumait ainsi l’esprit de cette loi, dont il était l’un des grands instigateurs : « Le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une ardente obligation sans laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées. »

Condition d’un contrôle efficace, l’accès à l’information budgétaire s’est par ailleurs considérablement amélioré, grâce à la LOLF, mais aussi aux technologies de l’information et de la communication. En matière budgétaire comme ailleurs, l’information est une forme de pouvoir, nous le savons.

Par ailleurs, la procédure entourant l’adoption des lois de financement de la sécurité sociale donne au Parlement un pouvoir et une vision sur un large champ de la dépense publique. Elle remet en perspective les travaux sur la loi de finances, leur inscription dans les finances publiques en général et leur articulation avec le modèle de protection sociale.

Aujourd’hui, une attention plus grande encore est accordée à la bonne information des parlementaires en amont de l’examen du projet de loi de finances.

De nombreuses annexes – j’ai entendu qu’elles pouvaient être parfois difficiles ou trop nombreuses – sont jointes à son dépôt, telles que les bleus et les jaunes budgétaires, que vous connaissez bien, ou encore l’annexe sur l’évaluation des voies et moyens, ou les documents de politique transversale, utiles pour éclairer les orientations d’une politique menée par le Gouvernement au travers de différents ministères. Une annexe présentant l’ensemble des évaluations préalables des mesures du PLF l’accompagne également, en application de la révision constitutionnelle de juillet 2008 et de la loi organique du 15 avril 2009.

En théorie, le Parlement est d’ailleurs associé à l’élaboration du PLF dès l’été. Tel était l’objet de la création du débat d’orientation des finances publiques, organisé généralement au mois de juillet, après la discussion en première lecture du projet de loi de règlement de l’exercice précédent. Ce débat doit permettre aux parlementaires de prendre connaissance des premières orientations budgétaires que le Gouvernement présente et de la maquette budgétaire qu’il envisage.

En théorie toujours, c’est lors de ce débat que les parlementaires peuvent se prononcer sur l’architecture du budget de l’État, sur le dispositif de performance, tant les objectifs que les indicateurs, ainsi que sur les moyens alloués aux ministères. En pratique, on observe que les débats portent davantage sur la trajectoire des finances publiques que sur le budget de l’État. Cela plaide d’ailleurs pour une réflexion sur l’avenir du débat d’orientation des finances publiques, qui sera très certainement au cœur des débats relatifs à la réforme de la gouvernance des finances publiques.

La loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a elle aussi permis de renforcer les pouvoirs budgétaires du Parlement en prévoyant que ce dernier se prononce sur une trajectoire pluriannuelle des finances publiques.

Les améliorations que ces évolutions organiques et que la pratique ont permises ne sont pas invisibles.

Dans son rapport de 2018 sur les systèmes budgétaires, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a souligné la réussite des réformes ambitieuses menées en faveur de l’autonomie des gestionnaires publics et la qualité de l’élaboration de la politique budgétaire. En particulier, le rapport souligne l’excellente qualité de la documentation mise à la disposition des parlementaires. La France est l’un des rares pays de l’OCDE où la performance budgétaire fait l’objet d’un examen annuel par des instances indépendantes, en l’espèce la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques.

Ainsi, ces vingt dernières années ont permis d’aller dans le sens d’une meilleure implication du Parlement dans l’élaboration des lois de finances.

Notre gouvernement est tout particulièrement attaché à poursuivre cette démarche et à étendre les dispositions et les principes établissant l’autorisation et le contrôle parlementaires en matière budgétaire.

En particulier, le Gouvernement a apporté des innovations, importantes à mes yeux, dans la transparence et la sincérité du budget, souvent avec l’aide des parlementaires. Ainsi, le premier budget vert a bénéficié du travail de la députée Bénédicte Peyrol, lors de la présentation du PLF pour 2021. La lisibilité apportée par cette pratique, aujourd’hui unique au monde, qui consiste à distinguer les dépenses vertes et mixtes selon leur impact environnemental, est aussi un exercice démocratique du Gouvernement, à la faveur d’une participation étendue du Parlement. De fait, cet exercice améliore considérablement l’information des citoyens et de leurs représentants, lesquels peuvent exercer leur droit d’amendement en étant pleinement éclairés sur les enjeux environnementaux.

L’objectif, qui motive jusqu’à ce débat aujourd’hui, est de rendre le budget toujours plus sincère et d’honorer l’autorisation parlementaire en matière budgétaire plus qu’elle ne l’a été ces trois dernières décennies.

Cette « sincérisation » consiste à proposer au Parlement un budget avec des financements bien calibrés par rapport aux besoins, en l’état des informations disponibles. Le travail réalisé depuis 2017 est, à cet égard, unanimement reconnu, que ce soit par le Sénat – j’en veux pour preuve les propos tenus par le précédent rapporteur général – ou par la Cour des comptes.

De même, le Gouvernement a évité autant que possible de procéder à l’ouverture et à l’annulation de crédits par décrets d’avance, préférant un usage systématique des projets de loi de finances rectificative. Trop souvent, les décrets d’avance n’ont été qu’un moyen commode de pallier l’insuffisante sincérité des programmations initiales. (M. Jérôme Bascher sexclame.)

M. Julien Bargeton. C’est vrai !

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Il aura fallu l’urgence de la troisième vague de l’épidémie et l’imminence du collectif budgétaire pour nous décider à recourir de nouveau aux décrets d’avance, cette fois dans le respect de la lettre et de l’esprit de la LOLF.

Enfin, dans la même veine, je rappelle que le niveau de mise en réserve des crédits est passé de 8 % à 3 % entre 2017 et 2019. Autant de preuves, s’il en fallait, d’une gestion fine et sérieuse du budget, permise notamment par la responsabilisation des gestionnaires de programme.

Tous ces efforts permettent de respecter complètement les droits du Parlement en matière budgétaire, ce qui contribue à en étendre la portée.

Je tiens à souligner toute la considération du Gouvernement pour le travail des parlementaires, toujours très mobilisés, plus encore dans le cadre de la crise économique et sanitaire que nous traversons.

C’est aussi en pleine crise sanitaire que le Gouvernement a pris le soin d’anticiper le calendrier de dépôt du projet de loi de règlement, effort entamé en 2018, en présentant ce texte au conseil des ministres en même temps que le programme de stabilité et en le déposant avec deux semaines d’avance au Parlement, le 14 avril dernier. Cette anticipation contribue, nous en sommes convaincus, au chaînage vertueux auquel ont concouru le Parlement, la Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques et les administrations. Ce chaînage a nettement amélioré la sincérité du budget et facilité l’exercice par le Parlement de sa mission d’évaluation des politiques publiques.

Le Gouvernement suit évidemment avec beaucoup d’attention plusieurs propositions émanant des deux chambres pour améliorer la gouvernance de nos finances publiques. Je ne veux pas ici trancher des débats qui pourraient avoir lieu au cours des semaines ou des mois à venir ni donner l’impression que nous nous approprions le travail de députés et de sénateurs qui réfléchissent depuis de longs mois à la façon dont notre système budgétaire est pensé.

En tant que ministre attaché à sa fonction et à son ancien mandat de parlementaire, je tiens à souligner qu’il est sain et indispensable que le Parlement contrôle l’action du Gouvernement en matière budgétaire, que le rôle du Haut Conseil des finances publiques, s’il devait être valorisé, permettra aussi aux parlementaires de disposer d’informations et de données garantissant la sincérité du débat, que l’évaluation de l’utilité sociale d’une dépense passe notamment par celle de sa performance et que notre volonté, que vous partagez, d’avoir une vision pluriannuelle de l’évolution des finances publiques contribue à la fois à la sincérité, à la lisibilité et à la clarté d’une politique budgétaire.

Un nouveau souffle a été donné au contrôle de l’exécution et à l’évaluation des politiques publiques depuis plusieurs années, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Je ne peux que voir d’un œil bienveillant les initiatives consistant à approfondir les droits budgétaires du Parlement tout en répondant à la nécessité de prendre en compte les enjeux actuels.

Pour terminer, je remercie de nouveau le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat et l’ensemble des intervenants, qui, par leur diversité, y ont contribué de manière utile. Je ne doute pas que, lors des prochains débats sur les propositions de loi organique en matière de finances publiques, nous aurons de nouveau, en ayant à l’esprit nos échanges d’aujourd’hui, à nous repencher sur ces questions. Il nous reviendra d’y apporter des réponses en faisant le pari à la fois d’une meilleure efficacité et d’une plus grande clarté des débats budgétaires au cours des prochaines années, et finalement d’un esprit plus démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? »

6

Organisation des travaux

M. le président. Mes chers collègues, pour l’organisation de la discussion générale sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, au regard de l’ampleur de ce texte, nous pourrions accorder un temps de parole de douze minutes à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et un temps de parole de dix minutes à la commission des affaires économiques, à laquelle 125 articles du texte ont été délégués au fond.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 14 juin 2021 :

À seize heures et le soir :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte de la commission n° 667, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER