Sommaire
Présidence de M. Pierre Laurent
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert, M. Jean-Claude Tissot.
2. Respect des principes de la République. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois
Article additionnel après l’article 12
Amendement n° 296 de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 599 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 614 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Amendement n° 403 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
Amendement n° 297 de Mme Nathalie Goulet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 615 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 12 ter
Amendement n° 55 rectifié de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 295 rectifié ter de M. Claude Kern. – Adoption.
Amendement n° 588 rectifié quater de M. Claude Kern. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 12 quinquies (supprimé)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois
Amendement n° 548 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 637 du Gouvernement. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 354 de M. Sébastien Meurant. – Non soutenu.
Amendement n° 412 rectifié bis de M. Franck Menonville. – Retrait.
Amendement n° 497 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 14
Amendement n° 661 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 540 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 314 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
Amendement n° 662 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 483 rectifié bis de Mme Michelle Meunier. – Rejet.
Amendement n° 544 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Adoption.
Amendement n° 462 rectifié bis de M. Hussein Bourgi. – Rejet.
Amendement n° 498 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 464 rectifié bis de Mme Michelle Meunier. – Rejet.
Amendement n° 517 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 16 bis A
Amendement n° 170 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 171 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 172 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 174 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 556 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Adoption de l’amendement rétablissant l’article.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 16 ter B
Amendement n° 481 rectifié bis de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.
Amendement n° 465 rectifié bis de Mme Michelle Meunier. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 499 de M. Stéphane Ravier. – Retrait.
Amendement n° 177 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 255 rectifié de M. Christian Bilhac. – Rectification.
Amendement n° 255 rectifié bis de M. Christian Bilhac. – Adoption.
Amendement n° 175 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 176 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 663 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 315 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 168 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 166 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Amendement n° 167 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 17
Amendement n° 484 rectifié bis de Mme Marie-Pierre Monier. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
4. Respect des principes de la République. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Demande de réserve après l’article 55 de l’article 31 et des amendements portant articles additionnels après les articles 30 et 31. – M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois ; M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. – La réserve est ordonnée.
Amendements identiques nos 316 de Mme Esther Benbassa et 555 rectifié de Mme Éliane Assassi
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Article 18 (suite) :
Amendement n° 371 de M. Sébastien Meurant. – Non soutenu.
Amendement n° 419 rectifié de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 657 du Gouvernement. – Retrait.
Amendement n° 664 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 136 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 18
Amendement n° 137 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Articles 18 bis A et 18 bis – Adoption.
Amendement n° 638 du Gouvernement. – Devenu sans objet.
Amendement n° 609 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 19
Amendement n° 179 rectifié bis de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Amendement n° 420 rectifié de Mme Michelle Meunier. – Rejet.
Amendement n° 500 rectifié de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 169 rectifié bis de Mme Valérie Boyer. – Rejet.
Articles 19 bis A et 19 bis B (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 317 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 424 rectifié de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 598 rectifié de M. Michel Savin. – Rejet.
Amendement n° 435 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Retrait.
Amendement n° 436 de M. David Assouline. – Devenu sans objet.
Amendement n° 665 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 434 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 601 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Amendement n° 535 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 437 de M. David Assouline. – Rejet.
Amendement n° 438 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Adoption.
Amendement n° 602 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Amendement n° 439 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.
Amendement n° 603 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Amendement n° 257 rectifié de M. Christian Bilhac. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Article 19 ter A (nouveau) – Adoption.
Article 19 ter (supprimé) (réservé)
Amendement n° 666 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 422 rectifié de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Laurent
vice-président
Secrétaires :
Mme Corinne Imbert,
M. Jean-Claude Tissot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Respect des principes de la République
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République (projet n° 369, texte de la commission n° 455 rectifié, rapport n° 454, avis nos 448 et 450).
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour un rappel au règlement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce rappel au règlement porte sur l’organisation de nos débats.
Hier, à la reprise de la séance en fin d’après-midi, le président de la commission des lois a demandé – cela a été accepté – la réserve des articles délégués à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication jusqu’à mardi prochain, quatorze heures trente.
Dans un élan positif – c’est toujours mon état d’esprit ! –, j’avais indiqué, quelques secondes auparavant, que nous n’y voyions pas d’inconvénient. Après quelques brefs instants de réflexion, j’ai compris que, en réalité, cette demande de report avait pour unique vocation de permettre au président Retailleau d’être présent au moment du débat sur l’instruction en famille (IEF).
Hier, le président Bas, avec la cruauté délicieuse que nous lui connaissons, avait qualifié l’un des articles et ce texte en général de « tigre de papier ». Il est vrai que la droite essaye ici de donner quelques couleurs à ce tigre… Mais, là où le président Retailleau parlait de lutte contre le salafisme en indiquant qu’« on allait voir ce qu’on allait voir », le bilan est, pour l’instant, assez maigre, et même consternant.
Votre évolution sur ce texte, mes chers collègues de droite, a consisté à instaurer des règles concernant le burkini et les accompagnateurs scolaires. Maigre butin ! Évidemment, j’imagine que l’instruction en famille permettra au groupe Les Républicains de faire feu de tout bois et de rattraper, en fin d’examen de ce texte, ce que vous espériez obtenir sur l’ensemble.
Je suggère donc, madame Di Folco que, désormais, la conférence des présidents prenne l’attache du président Retailleau aux fins de consulter son agenda, et ce dans le but de ne pas désorganiser nos débats.
Nous avons déjà mesuré quelle était l’influence du président Retailleau sur la commission des lois, lequel a fait en sorte que l’article 45 ne soit finalement pas opposé à certains amendements, précisément pour permettre à celui qu’il comptait déposer de prospérer ! Et ces manifestations d’influence sont régulières.
Très bien ! Nous débattrons donc mardi à quatorze heures trente de ces articles, ce dont nous avons d’ailleurs informé nos collègues.
Néanmoins, je le répète, je suggère à la commission des lois et, surtout, à la conférence des présidents de vérifier préalablement si les convenances du président Retailleau permettent le déroulé de l’ordre du jour sans désorganiser nos travaux.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux bien que chacun ait sa liberté de parole et puisse dire tout ce qu’il souhaite, mais j’aime autant que les choses correspondent à la vérité.
La vérité est celle que j’ai exprimée hier après-midi devant vous, à savoir que c’est sur mon initiative que j’ai proposé au président du Sénat ainsi qu’aux collègues de siéger ce matin, cet après-midi, mais pas ce soir. La raison en est simple : nous avons encore du temps, la semaine prochaine, pour continuer de discuter ce texte.
À cela s’ajoute une raison de fond.
Le président Lafon et moi-même ne souhaitions pas entamer, éventuellement aujourd’hui en toute fin d’après-midi, l’examen de la partie du texte déléguée à la commission de la culture. Cette partie est importante et nous souhaitons avoir un débat cohérent qui ne soit pas coupé. C’est la seule et unique raison.
Je me permets, mes chers collègues, de vous dire que, lorsque je vous ai avertis de cela, vous m’avez dit que j’avais raison. Nous nous sommes donc organisés en conséquence, et pour cette raison-là, et, me semble-t-il, à la satisfaction de tout le monde. Sans autre forme d’arrière-pensées.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre Ier, à un amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 12.
TITRE Ier (suite)
GARANTIR LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE ET DES EXIGENCES MINIMALES DE LA VIE EN SOCIÉTÉ
Chapitre Ier (suite)
Dispositions relatives au service public
Article additionnel après l’article 12
M. le président. L’amendement n° 296, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant état de l’application des dispositions de l’article L. 14-A du livre des procédures fiscales.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, vous avez dit en substance : « Pas un euro pour les ennemis de la République ! » Il y a différentes façons d’éviter de leur donner un euro, en particulier en ayant les moyens de contrôler les euros qui ont été donnés !
Or, sur toutes les travées, nous avons demandé, hier, un rapport sur la procédure spécifique de contrôle sur place des organismes délivrant des reçus prévue à l’article L. 14 du livre des procédures fiscales. Je sais que le Sénat est défavorable à cette demande de rapport, mais je voudrais tout de même vous rappeler les éléments de langage du rapporteur général du budget dans son avis.
Il explique très clairement que, d’une part, nous sommes un des seuls pays au monde – cela fait partie de notre singularité – à ne pas demander un accord préalable à toute déduction fiscale, d’autre part, que le nombre de contrôles est très insuffisant, voire inexistant. Le rapporteur général avait d’ailleurs porté le même jugement pour le budget de 2017.
Nous sommes donc en train de voter un certain nombre de dispositifs qui marcheront ou non, et dont on ne connaît absolument pas l’effectivité.
Comme c’est le premier amendement du matin, je rappelle pour ceux qui n’étaient pas là hier que, dans une annexe au projet de loi de finances pour 2021 – c’est-à-dire le « jaune budgétaire » concernant les associations – figurent en pages 11, 12 et 13 les déductions fiscales qui leur sont accordées. On y trouve la liste des dégrèvements, mon cher collègue Gay, ainsi que les dépenses fiscales que représentent les dons faits aux associations par les entreprises et les particuliers.
L’addition est tout de même salée, puisqu’elle se monte à 3 000 783 000 euros pour 2017, 2 000 729 000 euros pour 2020 et 2,713 milliards d’euros pour 2021.
Le minimum, vis-à-vis du Parlement, est de lui permettre de savoir combien de contrôles ont été effectués. Je ne crois pas que ce soit excessif ni que ce soit insignifiant, bien au contraire.
Madame la ministre, voter des dispositifs sans qu’on puisse les contrôler, c’est donner de l’argent aux ennemis de la République.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Avis défavorable, pas uniquement parce qu’il s’agit d’une demande de rapport, mais parce que vous le demandez six mois après le vote de la loi. Or nous avons décalé d’un an la mise en place du système, ce qui fait que nous n’aurions rien à contrôler dans six mois.
Pour autant, on ne va pas refaire le débat d’hier soir ; nous sommes bien d’accord : il faudra nécessairement disposer de moyens pour rendre cette loi applicable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. C’est un avis défavorable, d’une part, parce qu’il s’agit d’une demande de rapport, d’autre part, pour toutes les raisons que nous avons indiquées hier.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Au lieu de six mois, indiquons vingt-quatre mois, ce qui réglera la question du report de l’application de cet amendement. Quoi qu’il en soit, je maintiens celui-ci, car il n’y a aucune raison que le Parlement ne soit pas informé du nombre de contrôles effectués sur ces dispositifs.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cela reste une demande de rapport…
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 296.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 12 bis A (nouveau)
I. – Le 1° de l’article 706-160 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans ce cadre, l’agence peut mettre à disposition, au bénéfice d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou inscrites au registre des associations en application du code civil local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, déclarées depuis trois ans au moins et dont l’ensemble des activités entre dans le champ du b du 1 de l’article 200 du code général des impôts ainsi que d’associations et de fondations reconnues d’utilité publique et d’organismes mentionnés à l’article L. 365-2 du code de la construction et de l’habitation, le cas échéant à titre gratuit, un bien immobilier dont la propriété a été transférée à l’État, dans les conditions et selon des modalités définies par décret ; ».
II. – La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L’amendement n° 599, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Richard, Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Cet amendement de suppression n’est pas un amendement de désapprobation sur le fond. En effet, la disposition visée par l’article 12 bis A, reprise d’une proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations dont la navette n’a pas encore abouti, est très bienvenue et attendue par le secteur associatif.
Elle est si bienvenue et attendue que notre groupe l’a justement introduite, il y a quelques semaines, sur amendement de notre collègue Alain Richard au sein de la proposition de loi Justice de proximité et réponse pénale, que le Sénat a adoptée définitivement, hier matin, dans une rédaction simplifiée à la marge.
Il apparaît donc que l’article 12 bis A est satisfait et introduirait, qui plus est, une ambiguïté au regard des différences de forme qui peuvent exister entre les deux rédactions. Nous proposons donc de supprimer l’article 12 bis A.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. C’est un avis favorable. Nous avions effectivement introduit cette disposition dans ce texte pour le cas où elle ne serait pas adoptée dans l’autre proposition de loi. Or la commission mixte paritaire a été conclusive.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 12 bis A est supprimé.
Article 12 bis
I. – Après l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, il est inséré un article 6 bis ainsi rédigé :
« Art. 6 bis. – I. – Toute association mentionnée au second alinéa de l’article 4-1 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat bénéficiant directement ou indirectement d’avantages ou de ressources versés en numéraire ou consentis en nature par un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France est tenue d’établir ses comptes conformément à un règlement de l’Autorité des normes comptables, qui prévoit notamment la tenue d’un état séparé de ces avantages et ressources.
« Les avantages et ressources soumis à l’obligation prévue au premier alinéa du présent I sont notamment les apports en fonds propres, les prêts, les subventions, les dons manuels, les mécénats de compétences, les prêts de main-d’œuvre, les dépôts, les titres de créance, les échanges, cessions ou transferts de créances et les contributions volontaires, qu’ils soient réalisés par ou sans l’intermédiaire d’un établissement de crédit, d’un établissement de monnaie électronique, d’un établissement de paiement ou d’un organisme ou service mentionné à l’article L. 518-1 du code monétaire et financier.
« II. – Les avantages et ressources soumis à l’obligation mentionnée au I du présent article sont les suivants :
« 1° Les avantages et ressources apportés directement à l’association bénéficiaire ;
« 2° Les avantages et ressources apportés à toute association ou à toute société sous contrôle exclusif, sous contrôle conjoint ou sous influence notable de l’association bénéficiaire, au sens des II et III de l’article L. 233-16 et de l’article L. 233-17-2 du code de commerce ;
« 3° Les avantages et ressources apportés à toute entité structurée ou organisée de telle manière que son activité est en fait exercée pour le compte de l’association bénéficiaire ou de toute association ou société mentionnée au 2° du présent II ;
« 4° Les avantages et ressources apportés aux associations, sociétés ou entités mentionnées aux 1° à 3° par l’intermédiaire d’une personne morale ou d’une fiducie, sous contrôle exclusif, sous contrôle conjoint ou sous influence notable d’un État étranger ou d’une personne morale étrangère ou de tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ;
« 5° Les avantages et ressources apportés aux associations, sociétés ou entités mentionnées aux mêmes 1° à 3° par l’intermédiaire d’une personne morale, d’une fiducie ou d’une personne physique de telle manière qu’ils le sont en fait pour le compte d’un État étranger, d’une personne morale étrangère, de tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou d’une personne physique non résidente en France.
« Les fiducies et personnes morales de droit français mentionnées aux 2° à 5° assurent la certification de leurs comptes dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, sans préjudice de l’application de l’article 4-1 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 précitée.
« III. – Le non-respect des obligations prévues au présent article est puni d’une amende de 3 750 €, dont le montant peut être porté au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction. Les personnes physiques ou morales coupables de cette infraction encourent également, dans les conditions prévues à l’article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation de la valeur des avantages et ressources concernés.
« Le fait, pour un dirigeant, un administrateur ou un fiduciaire, de ne pas respecter l’obligation mentionnée au dernier alinéa du II du présent article est puni de 9 000 € d’amende.
« IV. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article, en particulier les conditions dans lesquelles les organismes, entités, personnes et dispositifs mentionnés au II doivent assurer la certification de leurs comptes, notamment le montant des avantages et ressources à compter duquel s’applique l’obligation de certification. »
II. – (Non modifié) La première phrase de l’article 18 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est complétée par les mots : « , à l’exception de l’article 6 bis ».
III (nouveau). – Le troisième alinéa de l’article L. 612-4 du code de commerce est complété par les mots : « ou assuré la publicité de leurs comptes annuels et du rapport du commissaire aux comptes ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 614 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 1 et 2
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
« I. – Après l’article 4-1 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, il est inséré un article 4-… ainsi rédigé :
« Art. 4-…. – I. – À l’exception des associations mentionnées aux articles 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et à l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes, les associations mentionnées au second alinéa de l’article 4-1 de la présente loi bénéficiant directement ou indirectement d’avantages ou de ressources versés en numéraire ou consentis en nature par un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France tiennent un état séparé de ces avantages et ressources. Cet état séparé, dont les modalités sont précisées par un règlement de l’Autorité des normes comptables, est intégré à l’annexe des comptes annuels.
II. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
titres de créance, les échanges, cessions ou transferts de créances
par le mot :
libéralités
III. – Alinéa 10
Remplacer les mots :
loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 précitée
par les mots :
présente loi
IV. – Alinéa 11
Après les mots :
au quart de la somme
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
des avantages et ressources non inscrits dans l’état séparé mentionné au premier alinéa du I du présent article.
V. – Alinéa 13
Remplacer les mots :
organismes, entités, personnes et dispositifs mentionnés au
par les mots :
fiducies ou personnes morales mentionnées au dernier alinéa du
VI. – Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. – L’article L. 612-4 du code de commerce est ainsi modifié :
VII. – Alinéa 15, au début
1° Remplacer la mention :
III
par la mention :
1°
2° Supprimer les mots :
de l’article L. 612-4 du code de commerce
VIII. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
2° À la première phrase du dernier alinéa, après le mot : « intéressé », sont insérés les mots : « ou du représentant de l’État dans le département du siège de l’association ».
La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. Le présent amendement s’inscrit en cohérence avec les modifications opérées en commission. Outre des précisions rédactionnelles, il a pour objet de renforcer l’effectivité du contrôle des financements étrangers prévus pour les associations au-delà d’un certain seuil, en permettant au préfet de saisir le juge afin qu’il puisse, si nécessaire, enjoindre aux associations de publier leurs comptes.
Par ailleurs, il vise à intégrer la disposition créée à la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat plutôt qu’au sein de la loi de 1901, afin de ne pas créer de confusion sur le champ d’application du contrôle.
M. le président. L’amendement n° 403 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mmes M. Carrère et Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
qui prévoit notamment la tenue d’un état séparé de ces avantages et ressources
par une phrase ainsi rédigée :
. En outre, elles établissent un état séparé de ces avantages et ressources qui fait l’objet d’une attestation par un commissaire aux comptes
II. – Alinéa 13
1° Après le mot :
particulier
insérer les mots :
le montant des avantages et ressources à compter duquel s’applique l’obligation d’attestation mentionnée au I, ainsi que
2° Supprimer les mots :
avantages et
La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Il est heureux que les associations existent en si grand nombre dans notre pays. Cependant, nous ne devons jamais détourner le regard des ressources financières qui les alimentent. Les possibilités de contrôle des finances des associations doivent être étendues et améliorées, avec un focus tout particulier sur les ressources provenant des pays étrangers.
Pour ce faire, l’état de ces fonds étrangers devrait faire l’objet d’un document à bien distinguer des comptes annuels des associations. À partir de ce document, le commissaire aux comptes effectuerait des attestations de type « ressources provenant de l’étranger » ou bien « avantages fournis par une personne étrangère », qu’il s’agisse d’une mission de certification légale ou d’une mission ponctuelle auprès d’une association. Cela permettrait de faire la lumière sur l’origine des fonds, vertueux ou suspects, des associations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. L’amendement n° 614 rectifié vise à permettre au préfet de saisir le juge afin qu’il enjoigne aux associations soumises à cette obligation et ne s’y étant pas conformées de publier leurs comptes. Il nous paraît effectivement judicieux de prévoir, légalement, cette possibilité. L’avis est donc favorable.
S’agissant de l’amendement n° 403 rectifié qui tend à remplacer la certification des comptes par une simple attestation, je rappelle qu’un tel document n’induit pas les mêmes obligations vis-à-vis de Tracfin, l’objectif étant de contrôler les fonds étrangers. L’avis est donc défavorable sur ce deuxième amendement.
Nous avons bien compris que le sujet des commissaires aux comptes était un sujet délicat. Nous l’aborderons un peu plus tard, la commission ayant exprimé sa préférence pour des missions ad hoc dans le but de mieux circonscrire le champ, notamment en cas de don unique, pour ne pas plomber les associations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement a émis un avis favorable sur l’amendement n° 614 rectifié. Nous pensons que son apport est essentiel et, comme M. le sénateur l’a rappelé, la commission des lois a voulu renforcer l’effectivité de cet article en sanctionnant d’une amende de 9 000 euros le non-respect de l’obligation de publication des comptes.
Renforcer cette obligation en permettant au préfet de saisir le juge nous paraît une mesure très opérante.
S’agissant de l’amendement n° 403 rectifié, nous le considérons comme satisfait. Mme Delattre propose en effet d’assujettir l’état séparé des avantages et ressources à une obligation d’attestation par le commissaire aux comptes. Le dispositif prévu à l’article 12 bis va, d’ores et déjà, bien au-delà dans les exigences. En conséquence, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. Stéphane Artano. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 403 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 614 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 297, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
transferts de créances
insérer les mots :
, les parts de société civile immobilière
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Nous sommes dans le chapitre des avantages et ressources soumis aux obligations parmi lesquels je voudrais insérer les parts de société civile immobilière (SCI).
Un transfert d’immeuble, on voit bien de quoi il s’agit. En revanche, un transfert de parts de SCI est beaucoup plus discret. Je propose donc d’assujettir ces opérations au même type de contrôle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. L’avis de la commission est favorable. Il nous semble effectivement qu’il s’agit d’un complément utile à l’énumération des différents avantages concernés par cette déclaration.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice, nous considérons que cet amendement est déjà satisfait.
En effet, l’énumération visée à cet article porte sur les opérations juridiques constituant un avantage ou une ressource et justifiant, ainsi, une obligation de déclaration à l’autorité administrative. De fait, il ne s’agit pas de viser tous les types de biens – meubles, immeubles, sommes d’argent, parts sociales ou prêts de main-d’œuvre – sur lesquels peut porter l’opération juridique qui constituerait un avantage ou une ressource.
Par ailleurs, nous souhaitons indiquer que les parts sociales ne constituent pas, en tant que telles, un avantage, puisque le don de parts sociales l’est et que les dons sont déjà bien mentionnés dans la liste. C’est donc une demande de retrait.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je maintiens mon amendement. Ce qui va sans le dire va encore mieux en le disant !
M. le président. Je m’en doutais… (Sourires.)
Je mets aux voix l’amendement n° 297.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 12 bis, modifié.
(L’article 12 bis est adopté.)
Article 12 ter
Le VI de l’article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le fonds de dotation qui reçoit directement ou indirectement des avantages ou ressources mentionnés au second alinéa du I et au II de l’article 6 bis de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, versés en numéraire ou consentis en nature par un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France est tenu d’établir ses comptes conformément à un règlement de l’Autorité des normes comptables, qui prévoit notamment la tenue d’un état séparé de ces avantages et ressources. » ;
2° (nouveau) Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, la référence : « au premier alinéa » est remplacée par la référence : « aux deux premiers alinéas » ;
b) Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Le non-respect des obligations prévues au deuxième alinéa du présent VI est puni d’une amende de 3 750 euros, dont le montant peut être porté au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction. Les personnes physiques ou morales coupables de cette infraction encourent également, dans les conditions prévues à l’article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation de la valeur des avantages et ressources concernés. »
M. le président. L’amendement n° 615 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les dispositions de l’article 4-2 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat sont applicables aux fonds de dotation bénéficiant directement ou indirectement d’avantages ou de ressources versés en numéraire ou consentis en nature par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France. » ;
II. – Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. La commission des lois a utilement aligné le régime de contrôle des financements étrangers des fonds de dotation sur celui qui est prévu par le projet de loi pour les associations loi 1901 bénéficiant de plus de 153 000 euros de dons.
En continuité, ainsi que dans un souci de cohérence et de lisibilité, nous proposons d’opérer, au sein de l’article 12 ter relatif aux fonds de dotation, un renvoi aux dispositions de la loi de 1987 sur le mécénat, dans laquelle notre précédent amendement à l’article 12 bis visait à introduire des dispositions relatives au contrôle des financements étrangers des associations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. L’avis est favorable sur cet amendement, qui s’inscrit dans la continuité de l’action de la commission. Je rappelle que l’Assemblée nationale avait voulu imposer aux fonds de dotation les obligations incombant aux associations cultuelles ; nous les avons alignées sur celles qui s’appliquent aux obligations des associations loi 1901.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 12 ter, modifié.
(L’article 12 ter est adopté.)
Article additionnel après l’article 12 ter
M. le président. L’amendement n° 55 rectifié n’est pas soutenu.
Article 12 quater
I. – Le troisième alinéa de l’article 21 du code civil local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle est ainsi rédigé :
« Les registres des associations et les registres des associations coopératives de droit local sont tenus sous forme électronique, dans les conditions définies aux articles 1366 et 1367 du code civil. »
II (nouveau). – Le registre des associations inscrites dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle est tenu, sous le contrôle du juge, par le greffe du tribunal judiciaire, selon un modèle fixé par arrêté du ministre de la justice.
III (nouveau). – Le I entre en vigueur à une date fixée par arrêté, et au plus tard le 1er janvier 2023.
M. le président. L’amendement n° 295 rectifié ter, présenté par MM. Kern et Haye, Mme Muller-Bronn, MM. Fernique et Masson, Mme Herzog, MM. Klinger et Reichardt et Mmes Drexler, Schalck et Schillinger, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
, et sont rendus accessibles sous cette forme dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Cet article, s’il fixe la tenue obligatoire sous forme électronique du registre des associations régies par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, n’en prévoit pas clairement l’accès en ligne. Cet amendement le précise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. L’avis est défavorable. Le déploiement d’un registre numérisé des associations inscrites en Alsace-Moselle appelle des travaux sur ses contours.
En revanche, il nous semble qu’une telle accessibilité en ligne de ces registres mériterait une expertise complémentaire à mener à la fois en lien avec les instances locales, mais aussi en interministériel. En effet, un registre des associations contient des données personnelles de ses membres. Il est, par conséquent, indispensable que nous puissions analyser la portée des données à rendre accessibles pour garantir le respect de la vie privée et du secret professionnel et bancaire, compte tenu des activités exercées par certaines associations de droit local.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je ne connais pas grand-chose au droit local, néanmoins tous nos collègues mosellans et alsaciens ont signé cet amendement. Je pense qu’on peut leur faire confiance. (Sourires.)
Mme Sabine Drexler. Je le confirme !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. En l’occurrence, ce dispositif s’applique déjà, dans la « vieille France », aux associations loi 1901. C’est donc parce que cela va dans le sens d’une uniformisation du droit national que la commission a émis un avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 588 rectifié quater, présenté par MM. Kern et Haye, Mme Muller-Bronn, MM. Fernique et Masson, Mme Herzog, MM. Klinger et Reichardt et Mmes Drexler, Schalck et Schillinger, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
arrêté
insérer les mots :
qui prévoit également la dématérialisation des formalités incombant aux associations
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. La modernisation du registre des associations et associations coopératives d’Alsace et de Moselle, dont la tenue systématique sous forme électronique est prévue par cet article, ne prévoit pas la dématérialisation des formalités leur incombant.
Pour le moment, toutes les démarches liées à la vie statutaire d’une association de droit local se font encore par courrier postal, ce qui crée une certaine iniquité entre les associations de droit local et les associations loi 1901.
Or ces fonctionnalités étant particulièrement importantes pour les associations de droit local, cet amendement vise à leur mise en œuvre effective.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 12 quater, modifié.
(L’article 12 quater est adopté.)
Article 12 quinquies
(Supprimé)
Chapitre III
Dispositions relatives au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Nous abordons le chapitre III, qui porte sur le respect des droits des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Permettez-moi d’indiquer, de manière générale, la position de la commission en la matière.
La commission n’a pas adopté l’article 13, qui tend à rétablir un droit de prélèvement compensatoire sur les biens situés en France au profit d’enfants qui ne bénéficieraient pas d’une réserve successorale en application d’une loi étrangère.
À ses yeux, cet article ne présente qu’une faible plus-value au regard du droit existant, qui permet déjà de protéger les femmes contre des droits étrangers discriminants, ainsi qu’en raison du faible nombre de situations auxquelles il pourrait trouver à s’appliquer. Il aurait, en revanche, des effets évidents dans le cadre des successions internationales soumises au droit anglo-saxon, alors que ces droits ne sont pas connus pour être discriminants envers les femmes.
Toutefois, la commission a approuvé les articles 14 et 15, qui visent à renforcer la lutte contre la polygamie, comportement qui, naturellement, n’a pas sa place sur notre territoire.
Nous affirmons clairement que vivre en état de polygamie en France doit faire obstacle au séjour.
Dans le même esprit, nous proposons d’adopter un amendement de M. Roger Karoutchi, qui permettrait, en totale cohérence avec l’objet du projet de loi, de faire obstacle à la délivrance d’un document de séjour lorsqu’un étranger a manifesté « un rejet des principes de la République ».
Notre commission s’est prononcée en faveur de l’interdiction et de la pénalisation de l’établissement, par les professionnels de santé, de certificat de virginité, objet de l’article 16. La commission a précisé dans le texte que les professionnels de santé devraient expressément informer leurs patientes de l’interdiction de cette pratique.
Elle a également adopté l’article 16 ter relatif au délit d’incitation et de contrainte à se soumettre à un examen de virginité, voté par les députés, pour poursuivre les « commanditaires » appartenant à l’entourage de la jeune fille – parents, futur mari, future belle-fille.
Pour compléter le dispositif de lutte contre les tests de virginité, la commission a créé un délit spécifique visant toute personne qui procéderait à ces tests, et non pas les seuls professionnels de santé, étant précisé que les poursuites pour viol ou agression sexuelle devaient être privilégiées si les éléments constitutifs de ces infractions devaient être réunis.
La commission a également conforté le dispositif de lutte contre l’excision en prévoyant une meilleure proportionnalité de la peine en cas d’incitation et de contrainte exercée sur une mineure pour qu’elle se soumette à ces mutilations sexuelles.
Enfin, elle a renforcé le dispositif de signalement des mariages forcés ou frauduleux en prévoyant la constitution d’une base de données nationale recensant l’ensemble des décisions d’opposition et de sursis prononcées par le parquet, afin d’éviter que les futurs époux n’ayant pu se marier dans une commune ne « tentent leur chance » dans une autre commune ou à l’étranger.
Voilà de quelle façon la commission des lois a abordé ce chapitre III.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 548 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le chapitre III du titre II du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 913 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne connaît aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants, situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. » ;
2° L’article 921 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible. »
II. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication de la présente loi. Elles s’appliquent aux successions ouvertes à compter de leur entrée en vigueur, y compris si des libéralités ont été consenties par le défunt avant cette entrée en vigueur.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Il apparaît très clairement, à la lecture du rapport, que la commission des lois s’en est prise non pas au dispositif proposé par le Gouvernement, mais au concept même de mécanisme réservataire.
Les rapporteures y indiquent qu’elle porterait atteinte à la liberté individuelle et à la propriété privée, serait une entrave à la circulation de capital ou au développement de la philanthropie, ne prendrait pas en compte des familles recomposées. La cible serait manquée du fait de l’exonération de ce qu’elles appellent « les pays de droit musulman » et de l’application au détriment des pays anglo-saxons – États-Unis, Angleterre, Canada ou Australie.
Sur ce dernier point, et sur le fait que les pays occidentaux ne connaîtraient pas d’inégalités entre les sexes lors des successions, il est heureux que les inégalités sociales entre les enfants puissent être résorbées par ce mécanisme.
Sur l’égale protection entre les héritiers sur une partie de la succession, vous connaissez la position du groupe CRCE. Nous soutenons ces dispositions, qui constituent, certes, une entrave à la libre circulation du capital, mais, surtout, l’une des garanties possibles du respect de l’égalité entre les sexes.
Le droit français ne vient pas s’immiscer de manière impudique dans la vie des familles. Au contraire, c’est parce que l’on connaît rarement l’intention d’un légataire, parce que « le testateur habile sait taire ou travestir la cause de sa préférence coupable » que la réserve héréditaire permet de ne pas s’encombrer de telle ou telle interprétation. L’égalité est proclamée sans interprétation. Elle est de droit et effective.
En 2020, la Banque mondiale a mis à disposition un jeu de données qui met au jour que, dans 43 pays, les fils et les filles n’ont pas les mêmes droits de succession quand il s’agit d’hériter des biens de leurs parents. Dans 44 pays, les conjoints survivants n’ont pas les mêmes droits pour hériter des biens de leur époux décédé.
Même si nous regrettons que cet article s’applique uniquement lorsque la loi étrangère ne prévoit aucun mécanisme réservataire, il constitue une avancée. Il faut le rétablir.
M. le président. L’amendement n° 637, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le chapitre III du titre II du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 913 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants, situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. » ;
2° L’article 921 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires d’un héritier sont susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible. »
II. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication de la présente loi. Elles s’appliquent aux successions ouvertes à compter de leur entrée en vigueur, y compris si des libéralités ont été consenties par le défunt avant cette entrée en vigueur.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La commission des lois a supprimé l’article 13 du présent projet de loi, qui avait été voté en l’état par l’Assemblée nationale. Elle estime, en effet, que le texte n’apporte pas de réelle plus-value par rapport à l’état du droit actuel.
Permettez-moi de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne partageons pas son point de vue.
Par exemple, un père ou une mère de famille peut actuellement décider de déshériter ses enfants si la loi étrangère applicable à sa succession le permet. Il ou elle peut, par exemple, décider de tout laisser à son fils, et rien à sa fille, déshériter des enfants nés d’une précédente union ou des enfants dits « adultérins », etc. Ces enfants ne sont pas protégés.
Le présent amendement vise non seulement à combler ce vide juridique, qui permet des discriminations potentielles, mais aussi à rendre la protection tout à fait concrète et effective.
Grâce à cette disposition, l’enfant déshérité pourra récupérer sa part de réserve sur les biens situés en France directement devant le notaire, à l’occasion du partage, sans avoir à recourir au juge – je me permets d’insister sur ce point, qui est important.
Je ne vous apprendrai évidemment pas que, dans de nombreux pays du monde, les femmes et les enfants dits « naturels » ou « illégitimes » ne sont pas protégés par la réserve héréditaire : ils sont souvent déshérités sur le fondement de pratiques coutumières.
Mesdames les rapporteures, je sais que vous craignez que la disposition ne s’applique aussi aux lois anglo-saxonnes, qui ne connaissent pas non plus la réserve héréditaire. Très sincèrement, je ne vois pas de raison de les en exclure si des discriminations entre enfants sont aussi faites par les testateurs dans ces pays.
Je veux néanmoins préciser que les pays anglo-saxons connaissent eux aussi, dans une certaine mesure, des mécanismes protecteurs des enfants. Les Anglais ont, par exemple, les Family Provisions, qui permettent à l’enfant mineur ou à l’enfant dans le besoin de réclamer une part de la succession. Ainsi, si l’enfant est déjà protégé dans les faits par le droit étranger, le droit de prélèvement ne jouera pas en France.
Notre amendement tend en effet à préciser, contrairement à la rédaction initiale, que la loi étrangère ne doit permettre aucun mécanisme réservataire. Il autorise ainsi une appréciation concrète et factuelle de la loi étrangère, qui permet de vérifier si l’enfant est protégé ou non dans les cas d’espèce.
Enfin, votre commission a supprimé l’obligation d’information renforcée des héritiers réservataires qui avait été mise à la charge du notaire.
Le Gouvernement propose également de la rétablir, afin que les enfants puissent exercer leur droit en pleine connaissance de cause et à l’abri des pressions familiales. Nous considérons qu’il est inadmissible qu’en 2021, en France, des filles soient déshéritées parce qu’elles sont des filles et que certains veuillent appliquer des lois coutumières au mépris des lois de la République.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je veux préciser avant toute chose que la commission, contrairement à ce qui est soutenu par les auteurs de l’amendement n° 548 rectifié, n’a pas critiqué la réserve héréditaire en affirmant, en particulier, qu’elle nuisait à la circulation des capitaux ou au développement de la philanthropie. Nous avons tout simplement rappelé, dans notre rapport, les termes du débat et les critiques qui sont régulièrement faites à la réserve héréditaire.
Nous nous sommes également appuyés sur les conclusions du groupe de travail qui avait été missionné par l’ancien garde des sceaux, Nicole Belloubet, lequel a conclu à la nécessité de préserver la réserve héréditaire des enfants.
Pourquoi avons-nous supprimé cet article ? Pas parce que nous contestons le bien-fondé de la réserve héréditaire, mais parce que nous avons estimé que les femmes étaient déjà protégées contre les discriminations les plus flagrantes imposées, par exemple, par la règle de tafadol, applicable dans la plupart des pays musulmans, tels que le Maroc, l’Algérie et l’Égypte.
Au reste, à bien regarder cet article, nous sommes sûrs qu’il va s’appliquer dans des pays de droit anglo-saxon, comme cela a été rappelé. Nous sommes moins certains qu’il s’appliquera véritablement dans les successions soumises aux lois de pays de droit musulman, qui sont évidemment ceux qui sont visés par le texte, car, dans ces pays, la liberté successorale est très encadrée : c’est généralement la loi qui règle les successions.
Dans ces conditions, nous avons estimé que cet article n’avait pas sa place dans le texte en discussion. De fait, selon nous, il manque sa cible.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur les deux amendements, qui visent au rétablissement de l’article 13 dans ce texte de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 548 rectifié ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme nous l’avons exprimé en commission, nous sommes totalement favorables au rétablissement de l’article 13, qui est très important.
Madame la rapporteure, j’ai bien entendu vos explications sur la réserve héréditaire, mais je ne vous ai pas entendu parler des enfants.
Il est vrai que la suppression de cet article nous donne le sentiment que c’est le principe même de la réserve héréditaire qui vous pose problème. Cela nous inquiète, parce que, je le répète, s’il faut protéger les femmes, il faut aussi protéger les enfants. C’est cette avancée considérable de notre droit que nous voulons préserver, raison pour laquelle nous soutiendrons ces deux amendements, dont j’ai l’impression, d’ailleurs, qu’ils sont identiques – je n’ai pas réussi à trouver ce qui les différenciait.
M. le président. En conséquence, l’article 13 demeure supprimé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas brillant !
Article 14
I. – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est ainsi modifié :
1° La section 2 du chapitre II du titre Ier du livre IV est ainsi modifiée :
a) L’intitulé est ainsi rédigé : « Réserves liées à l’ordre public et à la polygamie » ;
b) Il est ajouté un article L. 412-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-6. – Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger qui vit en France en état de polygamie. Tout document de séjour détenu par un étranger dans une telle situation est retiré. » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 423-1, à la première phrase de l’article L. 423-2, à l’article L. 423-7 et au premier alinéa des articles L. 423-10 et L. 423-23, les mots : « ne vivant pas en état de polygamie, » sont supprimés ;
3° À la fin du premier alinéa de l’article L. 432-3, les mots : « à un étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d’un tel étranger » sont remplacés par les mots : « aux conjoints d’un étranger qui vit en France en état de polygamie » ;
4° Au premier alinéa des articles L. 435-1 et L. 435-2, les mots : « ne vivant pas en état de polygamie » sont supprimés ;
5° L’article L. 611-3 est ainsi modifié :
a) Au 5°, les mots : « ne vivant pas en état de polygamie » sont supprimés ;
b) Au 7°, les mots : « , ne vivant pas en état de polygamie, » sont supprimés ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 2° à 8° peut faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 611-1 s’il vit en France en état de polygamie. » ;
6° L’article L. 631-2 est ainsi modifié :
a) Au 1°, les mots : « , ne vivant pas en état de polygamie, » sont supprimés ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie. » ;
7° L’article L. 631-3 est ainsi modifié :
a) Aux 3° et 4°, les mots : « , ne vivant pas en état de polygamie, » sont supprimés ;
b) Après le 5°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au présent article, l’étranger mentionné aux 1° à 5° peut faire l’objet d’une décision d’expulsion s’il vit en France en état de polygamie. »
M. le président. L’amendement n° 354 n’est pas soutenu.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 69 rectifié est présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Marie, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 605 est présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La situation du conjoint d’un étranger mentionné au premier alinéa du présent article fait l’objet d’un examen individuel. Pour statuer sur son droit au séjour, l’autorité administrative tient compte du caractère non consenti de la situation de polygamie. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour présenter l’amendement n° 69 rectifié.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Les dispositions de l’article 14 portent sur la polygamie.
Bien évidemment, il ne fait aucun doute que l’ensemble des membres de l’hémicycle condamnent la polygamie. Nous souhaitons évidemment en protéger les victimes.
C’est pourquoi nous proposons de rétablir la précision de l’article 14 qui a été supprimée. Cette garantie est essentielle pour la protection des femmes victimes de polygamie.
M. le président. La parole est à M. Abdallah Hassani, pour présenter l’amendement n° 605.
M. Abdallah Hassani. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ces deux amendements tendent à rétablir une précision supprimée par la commission.
La mention expresse de l’examen individuel de la situation du conjoint étranger polygame est parfaitement inutile, puisqu’il est d’ores et déjà prévu que tout étranger a droit à l’examen individuel de sa situation. Cette règle est un principe général du droit.
Elle vaut quelle que soit la situation de la personne et quel que soit l’objet, y compris donc, la polygamie, qui n’est pas toujours consentie, mais qui peut parfois l’être.
En tout cas, la commission ne souhaite pas rétablir ce qu’elle a supprimé, raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 69 rectifié et 605.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 412 rectifié bis, présenté par MM. Menonville, Chasseing et Médevielle, Mme Mélot, MM. Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Wattebled, Verzelen et Capus, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après l’article L. 423-23, il est inséré un article L. 423-… ainsi rédigé :
« Art. L. 423-…. - Le titre de séjour en cours de validité des étrangers condamnés à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans est systématiquement retiré par l’autorité administrative, sauf décision contraire spécialement motivée. » ;
La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Cet amendement, qui a été déposé par notre collègue Franck Menonville, tend à prévoir que le titre de séjour d’un étranger ayant été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans sera systématiquement retiré par l’autorité administrative, sauf décision contraire dûment motivée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement tend à prévoir le retrait systématique du titre de séjour pour l’étranger condamné à trois ans de prison, sauf décision contraire de l’administration.
Je veux simplement rappeler qu’un certain nombre de dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) permettent déjà de retirer un titre de séjour lorsqu’un étranger présente une menace pour l’ordre public ou a été condamné pour certains crimes et délits.
La commission sollicite donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. Pierre-Jean Verzelen. Je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 412 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 497, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéas 13, 17 et 21
Remplacer les mots :
peut faire
par le mot :
fait
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. L’article 147 du code civil dispose : « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier » Cela me semble assez normal !
Le présent amendement a pour objet de rendre automatique l’expulsion du territoire français d’un étranger qui ne respecterait pas cette disposition. Sinon s’installera une situation anarchique, en plus d’être immorale, favorisant un engrenage séparatiste.
La polygamie est un état de vie contraire à notre droit. Elle occasionne par ailleurs de nombreuses situations de fraude aux prestations sociales. Il faudra réformer les organismes de la Caisse nationale d’allocations familiales pour que les contrôles des situations puissent être plus efficaces lorsque l’on soupçonne que des droits ont été indûment versés pour cause de polygamie.
Difficile à constater tant la frontière avec la vie privée est ténue, la polygamie, dès qu’elle est avérée, doit faire l’objet d’un rejet sans concession. Il convient donc de prendre à bras-le-corps des décisions pour l’éradiquer.
En ce bicentenaire de la mort de l’empereur, rendons un premier hommage à Napoléon Ier en combattant ceux qui piétinent sans vergogne son code civil !
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter cet amendement visant à l’expulsion des étrangers en situation de polygamie. Je suis certain et convaincu que les sénatrices qui ont manifesté encore hier soir leur attachement aux droits des femmes, notamment sur les travées de gauche, apporteront leur soutien à cet amendement !
M. Patrick Kanner. Pas si sûr… (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Bien évidemment, monsieur le sénateur, nous combattons tous la polygamie.
Toutefois, il est parfois assez compliqué de lutter contre ce phénomène, d’abord parce que nous ne disposons pas de chiffres à son sujet : on ne connaît pas le nombre de familles polygames en France. C’est un vrai sujet.
Vous rappelez qu’un mariage doit être annulé pour en permettre un autre. Cette règle paraît évidente, sauf que, dans la réalité, on ne connaît pas les situations de polygamie : on ne sait pas si le mari n’a pas déjà deux ou trois autres femmes. C’est compliqué.
Nous avons émis un avis défavorable sur votre amendement, non que, sur le fond, nous soyons favorables à la polygamie, mais parce qu’il faut laisser à l’autorité administrative le soin d’apprécier toutes les situations lors de la délivrance ou du renouvellement des titres de séjour : c’est aujourd’hui le seul moyen de vérifier un certain nombre de choses. Prévoir l’éloignement automatique du territoire français pour les étrangers vivant en France est tout simplement inapplicable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Pardonnez-moi, mais, si l’on ne s’attaque pas à des situations au prétexte qu’elles sont compliquées, que faisons-nous ici ? Nous siégeons dans cet hémicycle pour prendre des mesures, faire la loi, la modifier, l’inventer, la créer pour répondre à des situations nouvelles, même complexes !
En l’occurrence, il s’agit d’éradiquer une situation qui nous a été imposée par une politique d’immigration. Nous avons importé des problèmes, notamment celui de la polygamie, qui n’existaient pas chez nous.
Il est vrai que ce problème nouveau est compliqué, mais, si nous ne prenons pas aujourd’hui les mesures légales pour nous en débarrasser un jour, nous n’en verrons jamais la fin.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je sais que de nombreux citoyens suivent le débat qui a lieu au Sénat en ce moment, et je me dis que quelqu’un qui n’aurait pas suivi les débats précédents et qui entendrait M. le sénateur Ravier se dirait qu’il a raison, que l’on ne fait rien contre la polygamie et se demanderait pourquoi.
Je veux donc rappeler que nous sommes en train de débattre d’un projet de loi du Gouvernement et que c’est celui-ci qui a proposé de légiférer davantage pour mieux protéger les femmes face aux situations de polygamie. Comme Mme la rapporteure l’a très bien rappelé à M. Ravier, lorsque l’on fait la loi, il faut prévoir des dispositifs opérants et efficaces.
Oui, je suis la première personne à vouloir lutter contre la polygamie, puisque c’est moi qui ai proposé que l’on améliore la loi sur ce sujet.
Au reste, je crois que nous sommes tous d’accord ici pour dire qu’il faut lutter contre la polygamie, mais il faut le faire de manière opérante, efficace et dans le respect des règles, notamment constitutionnelles, et non pas simplement en lançant des anathèmes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l’article 14.
(L’article 14 est adopté.)
Article additionnel après l’article 14
M. le président. L’amendement n° 293 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi, Allizard, Anglars, Babary, Bacci, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc et J.B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonne et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux et J.M. Boyer, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Burgoa, Cadec, Calvet et Cambon, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize et Charon, Mme Chauvin, M. Chevrollier, Mme de Cidrac, MM. Courtial, Cuypers, Dallier, Darnaud et del Picchia, Mmes Demas, Deroche, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas et Dumont, M. Duplomb, Mme Estrosi Sassone, MM. Favreau, B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, M. Grand, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert et Hugonet, Mmes Imbert et Joseph, M. Klinger, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre, de Legge, Le Gleut, H. Leroy et Le Rudulier, Mmes Lherbier, Lopez et Malet, M. Meurant, Mme Micouleau, MM. Milon et Mouiller, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Paccaud, Panunzi, Paul, Pellevat, Pemezec et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Procaccia, Puissat et Raimond-Pavero, MM. Regnard et Retailleau, Mme Richer, MM. Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido, Sol, Somon et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon, MM. C. Vial et Vogel, Mmes Bourrat et L. Darcos, M. Daubresse, Mme Di Folco, M. Husson, Mme Primas et MM. Segouin, Bonhomme et Rapin, est ainsi libellé :
Après l’article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est ainsi modifié :
1° À l’article L. 412-5, après les mots : « ordre public », sont insérés les mots : « ou qu’il est établi qu’il a manifesté un rejet des principes de la République » ;
2° Les articles L. 432-1 et L. 432-4 sont complétés par les mots : « ou s’il est établi qu’il a manifesté un rejet des principes de la République ».
La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Cet amendement de Roger Karoutchi, qui a été cosigné par nombre de nos collègues, est plein de bon sens, ce qui ne nous surprend pas de sa part.
Il vise à renforcer la lutte contre le séparatisme en faisant obstacle à la délivrance et au renouvellement des titres de séjour des individus dont il est établi qu’ils ont manifestement exprimé un rejet des valeurs de la République, ces principes mêmes que le titre du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui appelle à protéger et qui justifient un renforcement des efforts dans la lutte contre la polygamie.
Le Ceseda comprend déjà à divers endroits une réserve à la délivrance des titres de séjour, relative aux menaces pour l’ordre public.
Les auteurs de cet amendement proposent très simplement de prolonger celle-ci en l’étendant aux situations des personnes ayant exprimé de manière indéniable leur rejet des principes républicains. Cela donnera aux autorités préfectorales et au juge les outils nécessaires pour agir dans les cas où une personne a, par ses actions ou par ses paroles, manifestement choisi de se désolidariser radicalement des valeurs de notre République.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement tend à permettre que le rejet des principes de la République fasse obstacle à la délivrance d’un titre de séjour ou d’une carte de résident.
Nous sommes en plein dans le sujet dont nous débattons depuis mardi, puisque ce texte a comme objectif essentiel de faire en sorte que les principes de la République puissent être respectés là où il n’est pas vérifié qu’ils le sont.
Dans cet état d’esprit, nous avons émis un avis favorable sur cet amendement, qui est totalement cohérent avec cet objectif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous souscrivons complètement aux objectifs proposés.
Nous partageons notamment l’absolue nécessité de défendre les principes et les valeurs de la République – c’est comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, l’objet du présent projet de loi.
Vous proposez d’introduire dans le Ceseda une disposition qui permette, au même titre que les menaces d’ordre public, une réserve à la délivrance du titre de séjour aux personnes qui ont exprimé leur rejet des principes républicains.
Je veux d’abord dire que c’est ce que le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et moi-même essayons de mettre en œuvre de manière systématique.
En ce qui concerne le texte de loi, ce n’est pas, à notre humble avis, la question de la caractérisation des valeurs de la République qui se pose. Je ne fais pas partie des gens qui disent que les valeurs de la République ne veulent rien dire. On sait les caractériser. En revanche, caractériser le degré de rejet des valeurs de la République nous semble difficile.
Le vote de cet amendement pourrait nous exposer à un risque constitutionnel, sur lequel je souhaite attirer votre attention. Cependant, je répète que, sur le fond, nous sommes en phase avec votre proposition.
Par conséquent, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je n’ai pas cosigné cet amendement, mais je partage son objectif et je le voterai. J’espère que la commission mixte paritaire trouvera un accord à son sujet.
Je veux simplement attirer votre attention, pour la suite des échanges, sur une ou deux questions qui se posent. Qui établit que la personne concernée a manifesté un rejet des principes de la République ? Dans quel cadre ? Ces points méritent à mon avis d’être clarifiés pour que la mesure soit incontestable.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Il n’y a pas, dans le droit relatif à l’entrée et au séjour des étrangers en France, de droit au renouvellement d’un titre de séjour. Le renouvellement est un acte discrétionnaire : il ne peut pas être pris pour des motifs étrangers à l’intérêt général, mais personne ne peut se prévaloir d’un droit à rester en France à l’expiration de son titre de séjour.
Il s’agit ici de prévoir que, comme un motif d’ordre public, un rejet expressément formulé des principes de la République justifie le non-renouvellement d’un titre de séjour. C’est tout de même bien le moins.
À cet égard, je regrette la tiédeur du Gouvernement, qui se borne à s’en remettre à la sagesse du Sénat.
La mesure proposée est simple. Pour ma part, je voterai avec enthousiasme cet amendement, que j’ai d’ailleurs cosigné. (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça aide ! (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, je ne peux pas ne pas réagir à vos propos, car c’est la première fois que, sur ce sujet, on qualifie de « tiède » un propos ou un avis du Gouvernement, singulièrement de ma part.
Au contraire, sur la défense des valeurs de la République, le reproche qui nous est adressé par une majorité de personnes est que nous allons loin, que nous sommes durs et volontaristes. Que l’on soit ou non d’accord avec nous, je crois que personne ne nous dénie cela.
Notre avis de sagesse n’est pas inspiré par une raison de fond. On n’est pas à moitié ou de façon tiède pour ou contre les valeurs de la République. Nous le réaffirmons de façon très claire, dans la poursuite du discours tenu par le Président de la République aux Mureaux.
Je répète que je veux simplement attirer votre attention sur la constitutionnalité du dispositif. Je déplore d’avoir à être celle qui rappelle le cadre et les règles de droit, notamment constitutionnelles, mais leur respect nous importe également – je sais à quel point il en est de même pour vous.
C’est ce qui justifie notre réserve et c’est pour cela que nous nous en remettons à la sagesse des sénateurs et des sénatrices. C’est à vous qu’il appartient de prendre la décision, avec tout ce qu’elle implique !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Une chose est claire dans cet excellent amendement, dont la simple mention du nom de l’auteur aurait pu suffire à ce qu’il fût adopté (Sourires.) : c’est l’idée selon laquelle la République française doit se séparer de qui voudrait s’en séparer.
M. Stéphane Piednoir. C’est beau comme l’Antique !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est intéressant de voir comment l’objectif et le cadre juridique peuvent se télescoper sur ce sujet.
Comme l’a rappelé Mme la ministre, le droit des étrangers est extraordinairement complexe et sophistiqué.
Contrairement à ce qu’affirme Philippe Bas, il existe bien une possibilité de renouvellement « de plein droit » d’un titre de séjour – en l’occurrence la carte de résident de dix ans –, même si des exceptions sont possibles.
Si l’on comprend l’objectif de cet amendement, auquel on peut éventuellement souscrire, son contour juridique est totalement imprécis. Or l’imprécision peut conduire à l’arbitraire. On peut être favorable à la libre appréciation de l’administration, mais se pose un problème de constitutionnalité qui est très embêtant.
Pour notre part, nous sommes partagés. Je ne dis pas que nous sommes divisés. Au demeurant, nos effectifs d’aujourd’hui rendraient cette situation improbable… (Sourires.) Cela dit, si je suis partisane de l’autodérision, être présent dans l’hémicycle quand on siège dans l’opposition est quasiment…
M. Patrick Kanner. Un sacerdoce ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Un sacerdoce, en effet !
Je pense que nous allons nous abstenir sur cet amendement. En effet, nous souscrivons à l’objectif, mais le dispositif nous paraît juridiquement instable et ne nous semble pas de nature à fonctionner. J’ignore ce qu’il en adviendrait en cas de saisine du Conseil constitutionnel.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 14.
Article 14 bis A (nouveau)
Le premier alinéa de l’article 433-20 du code pénal est ainsi modifié :
1° La seconde occurrence du mot : « un » est remplacée par le mot : « deux » ;
2° Le nombre : « 45 000 » est remplacé par le nombre : « 75 000 ».
M. le président. L’amendement n° 661, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Les mots : « d’un an » sont remplacés par les mots : « de deux ans »
La parole est à Mme la rapporteure.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 14 bis A, modifié.
(L’article 14 bis A est adopté.)
Article 14 bis
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 66 rectifié est présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Marie, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 313 est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 539 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après le mot : « conjugales », sont insérés les mots : « ou a été victime de pratiques de polygamie ».
La parole est à M. Patrick Kanner, pour présenter l’amendement n° 66 rectifié.
M. Patrick Kanner. Je présente cet amendement au nom de notre collègue Jean-Yves Leconte, qui est confiné.
Nous considérons que les femmes faisant l’objet d’un mariage polygame sont d’abord et avant tout des victimes. Nous pensons donc que l’Assemblée nationale a eu raison d’étendre le bénéfice du renouvellement automatique du titre de séjour, déjà prévu pour les personnes victimes de violences conjugales et familiales, aux victimes de la polygamie si cette pratique est objectivement constatée. L’automaticité serait liée au constat de la polygamie.
Il nous semble inopportun que la commission ait balayé d’un revers de main cette disposition, qui vise, dans l’immense majorité des cas, à protéger les femmes. Ne pas renouveler le titre de séjour dans ce cadre constituerait, pour elles, une double peine.
C’est pourquoi nous souhaitons le rétablissement de l’article 14 bis.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 313.
Mme Raymonde Poncet Monge. Il existerait entre 16 000 et 20 000 familles en situation de polygamie, selon les chiffres de l’ONG GAMS, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants, soit un chiffre identique à celui qui avait été avancé par un rapport de la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, publié en 2006.
Ce chiffre peut paraître important. Mais comparons-le au nombre de mariages célébrés en France ces dernières années : 234 000 en 2018, 224 000 en 2019 et 148 000 en 2020, cette diminution étant bien évidemment due à la crise sanitaire.
Par cette comparaison, il s’agit de montrer à quel point la pratique de la polygamie est minime. Si nous comprenons l’opposition qu’elle soulève à juste titre, nous ne saurions accepter que ce soit les femmes, principales victimes de cette pratique, qui en payent le prix.
Cet article tend en effet à revenir, et c’est là le problème, sur le renouvellement automatique de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » délivrée à l’étrangère conjointe d’un Français polygame.
Les auteurs de cet amendement estiment qu’il est utile de préserver la protection que constitue le titre de séjour des femmes soumises, parfois à leur insu, à la polygamie, dans la mesure où elles en sont les principales victimes. Il ne convient donc pas de leur faire subir les conséquences de l’action illégale de leur conjoint.
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour présenter l’amendement n° 539 rectifié.
M. Jérémy Bacchi. Cet amendement vise à rétablir l’article 14 bis, introduit par voie d’amendement par notre collègue députée communiste Marie-George Buffet.
Cet article tend à modifier l’article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, afin de reconnaître la polygamie comme une pratique subie par les femmes étrangères mariées de force et de leur accorder le renouvellement automatique de leur titre de séjour.
La droite sénatoriale a supprimé en commission cet article au prétexte que le renouvellement automatique de la carte de séjour « vie privée et familiale » pour les personnes victimes de pratiques de polygamie serait inopportun.
En réalité, ce qui est inopportun, c’est le sort des femmes étrangères victimes de mariages forcés, qui perdent actuellement leur carte de résident lorsque leur mari est condamné pour polygamie. Cette double peine des femmes est inopportune.
Nous refusons l’automaticité de la perte des titres de séjour. La polygamie constitue une oppression des femmes que nous jugeons intolérable dans la République. Dès lors, nous devons accueillir les victimes et les protéger plutôt que de les expulser. Tel était le sens de l’amendement de notre collègue Marie- George Buffet, que nous défendons ici, au Sénat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je ne reviendrai pas sur le fait que nous nous rejoignons pour condamner la polygamie. Nous sommes tous dans une opposition forte à ce système moyenâgeux et archaïque et à la conception qu’il implique s’agissant des femmes.
Partant de là, il convient simplement d’examiner à quoi servent un certain nombre d’articles prévus dans ce texte de loi.
Je le rappelle, cet article, introduit par l’Assemblée nationale, concerne le renouvellement de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » délivrée à l’étranger conjoint de Français. Déjà, quand on est français, on respecte la loi : la polygamie n’est pas autorisée sur notre territoire, en particulier, j’y insiste, quand on est français.
Comme cela existe déjà pour les victimes de violences conjugales, cet article vise à neutraliser la condition tenant au maintien de la vie commune pour le conjoint d’un Français, lorsque l’étranger a été victime de pratiques de polygamie. Dans ce cas, l’autorité administrative ne pourrait procéder au retrait du titre et devrait en accorder le renouvellement. C’est ce principe de renouvellement automatique que la commission des lois n’a pas souhaité maintenir.
À nos yeux, ce dispositif n’est pas opérationnel, car il vise des femmes étrangères qui vivent avec un conjoint français. Or, comme je l’ai rappelé, il y a des règles qui s’appliquent à tous, et en particulier aux Français. Aujourd’hui, chaque situation est étudiée par les services des préfectures dans le cadre du renouvellement du titre de séjour.
Nous ne sommes donc pas favorables à un renouvellement automatique de ces titres de séjour. C’est la raison pour laquelle la commission est défavorable à ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 66 rectifié, 313 et 539.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 14 bis reste supprimé.
Article 15
(Non modifié)
I. – Le paragraphe 4 de la sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est complété par un article L. 161-23-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 161-23-1 A. – Sous réserve des engagements internationaux de la France, une pension de réversion au titre de tout régime de retraite de base et complémentaire, légal ou rendu légalement obligatoire, ne peut être versée qu’à un seul conjoint survivant. En cas de pluralité de conjoints survivants, la pension de réversion est versée au conjoint survivant de l’assuré décédé dont le mariage a été contracté, dans le respect des dispositions de l’article 147 du code civil, à la date la plus ancienne.
« Le conjoint divorcé n’est susceptible de bénéficier d’un droit à pension de réversion, sous réserve qu’il remplisse les conditions prévues par le régime dont il relève, que si le mariage a été contracté dans le respect des dispositions du même article 147 à la date la plus ancienne ou au titre de la durée du mariage au cours de laquelle il était le seul conjoint de l’assuré décédé et en proportion de cette durée, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
« Le présent article n’est pas applicable aux mariages déclarés nuls mentionnés à l’article 201 du code civil. Dans ce cas, la pension de réversion est partagée entre les conjoints survivants, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État. »
II. – Les dispositions du présent article s’appliquent aux pensions de réversion prenant effet à compter de la publication de la présente loi.
M. le président. L’amendement n° 540, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cohen, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent, Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Madame la ministre, devant la commission des lois du Sénat, vous avez affirmé : « Nous considérons donc que les pratiques dites “coutumières” telles que les mariages forcés, la polygamie, la discrimination en matière d’héritage et les certificats ou tests de virginité n’ont pas leur place en France. »
Nous sommes également opposés à ces pratiques, car nous estimons qu’elles remettent en cause l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment le droit à disposer de son corps.
Vous avez fait état, madame la ministre, de 200 000 femmes mariées de force sur le territoire national en 2020. Il convient donc non pas de sanctionner les femmes victimes de polygamie en les privant de la pension de réversion de leur mari, mais au contraire de s’attaquer véritablement au problème et de lutter contre la polygamie.
Le texte ne prévoit aucune protection pour les femmes ayant épousé sous la contrainte un mari qui s’est avéré, par la suite, polygame.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer l’article 15, qui tend à limiter de droit la réversion à un seul conjoint non divorcé.
Ce dispositif est destiné à assurer l’égalité entre les femmes et les hommes et à faire prévaloir l’ordre public français. Il prévoit des garanties, il prend en compte les conjoints de bonne foi qui auront droit, dans tous les cas, à la pension. Par ailleurs, les conjoints qui n’auront plus droit à la pension de réversion auront accès, comme tout un chacun, aux prestations sociales universelles.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car il ne souhaite pas supprimer l’article 15.
Il considère en effet que cet article est réellement protecteur pour les femmes, puisqu’il tend à protéger les femmes victimes de la polygamie. Il vise à préserver les droits de la première conjointe survivante en lui épargnant le partage de sa pension de réversion avec une autre femme mariée dans une situation de polygamie.
Pour ce qui concerne les femmes ayant subi une situation de polygamie qu’elles ignoraient, l’adoption de cet article permettra de faire annuler le mariage, en faisant reconnaître par le juge son caractère putatif.
À cet égard, j’évoquerai une situation tout à fait concrète, rapportée par de nombreuses associations, notamment le GAMS et Regards de femmes. On fait venir une jeune femme, qui pense qu’elle va se marier et vivre un conte de fées. À l’aéroport, elle rencontre monsieur, mais aussi sa première, voire sa deuxième femme. Elle comprend alors que sa vie ne sera pas conforme à celle qu’on lui avait promise.
Il est important d’avoir connaissance de cette réalité concrète et de mieux protéger ces femmes. L’adoption de cet article leur donnera un droit à pension de réversion, sans remettre en cause les effets du mariage antérieurs à son annulation.
Cet amendement alerte à juste titre sur le cas des mariages contraints ou forcés contre lesquels ce projet de loi prévoit de lutter et que nous évoquerons tout à l’heure. Des dispositions contre ces mariages sont prévues à l’article 17 du texte.
Selon moi, l’adoption de l’article 15 permettra de mieux protéger les femmes. Le Gouvernement est donc défavorable à sa suppression.
M. le président. Je mets aux voix l’article 15.
(L’article 15 est adopté.)
Article 15 bis
Après l’article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 513-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 513-2. – Les organismes débiteurs des prestations familiales avisent le procureur de la République des situations susceptibles de relever du délit mentionné à l’article 433-20 du code pénal. »
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, sur l’article.
M. Stéphane Le Rudulier. Je me fais le porte-parole de ma collègue Valérie Boyer, qui souhaitait exprimer solennellement toute sa satisfaction concernant l’article 15 bis.
En effet, à ses yeux, la polygamie est une situation matrimoniale qui n’est pas conforme à la législation française. La polygamie donne aux hommes tous les droits et aux femmes, tous les devoirs. La représentation nationale ne pouvait rester insensible à cet abus de vulnérabilité que constitue la polygamie de fait s’exerçant sur notre territoire.
Malgré son interdiction, la polygamie continue d’exister dans notre pays, et il semble que les autorités et les pouvoirs publics français soient quelque peu impuissants à l’évaluer, à la contrôler, voire à la maîtriser. Les services de préfecture, qui sont en première ligne, sont bien en peine de fournir un chiffre quelconque quand on les interroge sur un phénomène qui leur échappe.
Aussi Mme Boyer tient-elle à remercier la commission des lois d’avoir voté son amendement visant à introduire cet article 15 bis, lequel prévoit expressément que les caisses d’allocations familiales avisent le procureur de la République de situations susceptibles de relever de cette infraction pénale.
Les caisses d’allocations familiales ont alloué, en 2019, à plus de deux millions de foyers la prestation d’accueil du jeune enfant et à près de cinq millions de foyers les allocations familiales. Il était donc important qu’elles aient l’obligation d’aviser le procureur des situations de polygamie.
M. le président. L’amendement n° 314, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Le présent article a pour objet d’attribuer un nouveau rôle aux organismes débiteurs des prestations familiales : il s’agit d’aviser les procureurs de la République des situations familiales susceptibles de relever de la polygamie. Ils sortiraient ainsi de leur rôle !
Je le répète, la polygamie, aussi condamnable soit-elle, est une pratique très peu répandue en France. Comment revenir, au prétexte de lutter contre ce phénomène, à quelque chose qui s’apparenterait à de la délation ?
Les caisses d’allocations familiales (CAF) ne sont aucunement investies du rôle d’enquêter dans la vie intime et sexuelle des couples. Leur mission première est le versement de revenus, telles les prestations familiales ou les prestations sociales pour le compte de collectivités publiques, et la mise en œuvre d’une action sociale destinée aux allocataires.
Une telle intrusion dans la vie intime des familles par un organisme comme la caisse d’allocations familiales est liberticide. Elle porterait une atteinte manifeste aux principes de notre République que ce projet de loi prétend renforcer.
La France, comme toutes les sociétés démocratiques en Europe, est tenue au respect de la vie privée et familiale des individus, comme le prévoient les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans ces conditions, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de cet article inadmissible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. L’article 15 bis a été introduit par la commission. Il vise à prévoir expressément que les caisses d’allocations familiales avisent le procureur de la République des situations susceptibles de relever du délit de polygamie.
Il faut savoir ce qu’on veut ! Si l’on veut lutter contre la polygamie, qui est quelque chose de monstrueux, il faut prendre des outils pour le faire ! Le fait de dénoncer des situations de polygamie n’est pas liberticide ! Il s’agit simplement de protéger les femmes qui subissent de telles situations.
Je suis étonnée d’une attaque aussi violente contre une mesure qui vise simplement à faire disparaître ce phénomène. Cela n’a rien à voir avec le fait d’enquêter sur la vie privée des gens. Simplement, à un moment donné, lorsque les organismes qui allouent les prestations sociales ont des doutes sur la situation des familles, il paraît important de ne pas se contenter d’avoir des doutes et d’adopter des mesures efficaces.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice, initialement, après les discussions interministérielles, j’avais prévu d’émettre un avis de sagesse sur cet amendement. Toutefois, au vu de l’exposé des motifs, j’y suis défavorable.
Tout d’abord, je suis très choquée d’entendre le mot « délation », alors que nous parlons de protection. Une telle attitude est tout à fait contre-productive. Je vous le rappelle, nous incitons tout un chacun, en période de confinement, à appeler le 119 pour protéger les enfants qui subissent des violences ou des négligences. Il s’agit non pas de délation, mais de protection, qui sauve parfois la vie des enfants.
On dit aux témoins de violences conjugales qu’il faut appeler le 3919 ou le 17. Si on leur parle de délation, personne n’entendra ni ne dira plus rien. Et on laissera les femmes et les enfants dans des situations difficiles, voire dramatiques.
Je ne peux donc accepter de tels propos !
Par ailleurs, je suis étonnée d’entendre dire dans cet hémicycle qu’il serait liberticide de faire respecter la loi ! Je ne crois pas qu’il soit liberticide de vouloir que les femmes ne soient plus brimées ; je ne crois pas qu’il soit liberticide de demander le respect des lois de la République. L’ensemble de ce projet de loi va d’ailleurs en ce sens. Je ne crois pas qu’il soit liberticide de demander le respect des droits des femmes.
S’agissant du signalement, sortons du manichéisme ! Comme s’il y avait les gentils polygames et les méchants et liberticides services sociaux et procureurs ! La situation est tout de même un peu plus subtile ! Les signalements de la CAF et l’action du procureur permettent souvent de rediriger les femmes vers des associations, de mettre en place des accompagnements sociaux et psychologiques et, parfois, de sauver les femmes de situations de polygamie auxquelles elles n’ont pas consenti.
Mon avis de sagesse est donc devenu très défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiens l’article introduit par Valérie Boyer et ses collègues. Je suis donc hostile à cet amendement de suppression.
Je suis heureuse qu’à cette occasion nous puissions évoquer les enfants. J’ai failli intervenir sur les amendements identiques tendant à rétablir l’article 14 bis. En effet, si le père est français et que la mère a été expulsée, que faisons-nous des enfants ? Pour de telles situations, je ne suis pas sûre que nous ayons réglé le problème.
De ce point de vue, ces amendements, qui semblaient pertinents, me posaient problème.
Je souhaite donc que l’article 15 bis soit maintenu. À la suite de la ministre, qui a fait une réponse tout à fait pertinente, je souhaite également que le signalement puisse être fait par les services de l’éducation nationale. Ce sont eux qui sont confrontés à ces cas de polygamie. Quand plusieurs enfants portent le même nom, habitent au même endroit et ont un mois ou deux de différence d’âge, c’est forcément qu’il y a eu plusieurs ventres pour les porter.
Madame la ministre, vous avez très justement parlé de signalement et non pas de délation. Vous avez très subtilement expliqué votre position, que je partage complètement. Toutefois, il convient sans doute de sensibiliser les services de l’éducation nationale, qui feront remonter les cas. Cela nous donnera une idée statistique de la situation. Quoi qu’il en soit, qu’il y ait un cas ou cent, ils sont parfaitement intolérables.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je ne vois pas bien la différence entre un inspecteur de la CAF contrôlant un parent isolé, dans le cadre de l’allocation pour parent isolé, intégrée dans la loi créant le RSA (revenu de solidarité active), et un inspecteur de la CAF contrôlant une situation de polygamie.
Les inspecteurs de la CAF contrôleront et saisiront, en tant que de besoin, les tribunaux administratifs des affaires de sécurité sociale et le procureur de la République.
Pour autant, excusez mon ignorance, je ne vois pas ce que ces dispositions apportent par rapport à l’article 40 du code de procédure pénale.
M. le président. Je mets aux voix l’article 15 bis.
(L’article 15 bis est adopté.)
Article 16
Le titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1110-2, il est inséré un article L. 1110-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-2-1. – Un professionnel de santé ne peut établir de certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne.
« Le professionnel de santé sollicité pour établir un certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne doit informer la patiente concernée de l’interdiction de cette pratique. » ;
2° Le chapitre V est complété par des articles L. 1115-3 et L. 1115-4 ainsi rédigés :
« Art. L. 1115-3. – L’établissement d’un certificat en méconnaissance de l’article L. 1110-2-1 est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« Art. L. 1115-4. – (Supprimé) ». ».
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Pour ce qui concerne les certificats de virginité, je crois que nous sommes toutes et tous d’accord, ce qui n’est pas si fréquent en matière de défense des droits des femmes.
Ces certificats symbolisent à eux seuls la domination masculine sur le corps des femmes, la sacralisation d’une prétendue pureté à réserver à l’homme promis. Cette injonction faite à certaines jeunes filles est une véritable violence que nous ne pouvons que dénoncer. C’est bien de violence qu’on parle : une violence psychologique, une pression insupportable, qui alimente la peur chez de nombreuses jeunes filles, y compris de représailles.
Les témoignages de professionnels, dont celui de Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, sont très éclairants. Elle explique très bien que délivrer ces certificats, sans bien évidemment pratiquer de tests, peut sauver la vie de jeunes femmes. En outre, les médecins peuvent s’appuyer sur l’Ordre des médecins, qui interdit déjà cette pratique, pour entamer un dialogue.
Prévoir dans la loi l’interdiction de ces certificats, avec pénalisation des praticiennes et des praticiens, risque d’avoir plusieurs effets pervers. Cela pourra mettre à mal un lien qui se crée entre la jeune fille et le professionnel, permettant d’évoquer d’autres problèmes plus larges : l’intimité, la prévention et la santé sexuelle. Cela reviendra à fermer la porte de ces cabinets et à ouvrir celle d’individus non médecins qui réaliseront ces certificats.
En effet, ne soyons pas naïfs ! Il y aura des contournements de cette interdiction, même si j’ai bien noté que l’article 16 ter vise à pénaliser la réalisation d’examens. Je crains le développement de filières clandestines sur lesquelles nous aurons du mal à avoir une visibilité ou une maîtrise.
Sur des sujets aussi sensibles, il nous faut écouter les professionnels. Personne ne réclame l’inscription dans la loi d’une pratique déjà interdite par ailleurs. Surtout, tout le monde dénonce la pénalisation des médecins.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice, je suis en profond désaccord avec votre argumentaire. Permettez-moi de vous expliquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement veut agir contre les certificats de virginité.
Tout d’abord, je suis très attaché à un principe assez peu courant dans la vie politique, ce que je déplore, celui des accords toltèques, selon lesquels il convient de parler non pas de façon générale et empirique, mais de façon personnelle. Je suis donc toujours très étonnée quand j’entends dire « tout le monde » ou « personne ».
Je ne crois pas que personne ne demande l’interdiction des certificats de virginité, comme vous venez de le dire, madame la sénatrice. Au contraire ! Nous écoutons les professionnels. Considérez les prises de position, depuis des mois, de l’ordre des médecins ou, depuis des années, de l’OMS, qui demande que le monde entier adopte des lois pénalisant cette pratique barbare, antique et indigne des certificats et des tests de virginité.
Certes, une gynécologue, sans aucun doute éminente, n’est pas d’accord. Si sa parole doit être entendue, celle de la présidente de l’Ordre des gynécologues, de la présidente du Syndicat des gynécologues, des centaines de gynécologues et de sages-femmes qui ont signé des pétitions, et des associations de femmes et de jeunes filles vivant dans des quartiers difficiles, qui sont aux prises avec la contrainte sociale, la norme, du certificat de virginité, doit également l’être.
Comme la France a dit « non » à l’excision voilà des années, elle doit dire non au certificat de virginité. À l’époque, certains disaient qu’il ne fallait pas interdire l’excision, au risque de voir se développer la pratique d’exciseuses hors des cabinets médicaux.
Fort heureusement, le gouvernement de l’époque, que je félicite – il me semble que cela se passait sous la présidence de Jacques Chirac –, a tenu bon. Sinon, c’était la porte ouverte à tous les relativismes ! On aurait réfléchi à des excisions propres, effectuées dans des cabinets ! C’est la même chose pour ce qui concerne le certificat de virginité.
Je suis en profond désaccord avec l’argument de Mme Ghada Hatem, que je respecte en tant que personne. Elle nous dit qu’elle veut pouvoir donner des certificats de virginité pour sauver la vie des filles. Quelle inversion des valeurs ! Que se produira-t-il quand la jeune fille rentrera chez elle avec sa petite enveloppe et son petit certificat de virginité à l’intérieur ? Elle épousera une personne qui a choisi comme acte fondateur du mariage, une institution dans laquelle on est censé s’engager en termes de respect, de secours et d’assistance mutuelle, la vérification de la virginité de la femme, dans le cadre d’un examen invasif. Et cette vérification donne lieu à un certificat, comme on le ferait pour un cheval dont on examinerait les dents. Si elle est bien vierge, on daignera l’épouser !
Je trouve tout cela scandaleux. Je pense que la jeune fille qui rentre chez elle avec son certificat de virginité n’a pas la vie sauve. Elle n’entre pas dans un mariage respectueux et elle n’est pas protégée par son certificat de virginité, bien au contraire ! Car on l’envoie épouser une personne qui a exigé un tel certificat. Elle sera donc aux prises avec des pressions terribles. On peut gager que sa dignité de femme ne sera pas particulièrement respectée le reste de sa vie, s’il a fallu ce petit papier, ce certificat de virginité.
Je préfère que la République soit courageuse et qu’elle dise clairement ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Dans la République française, je souhaite donc que les certificats de virginité ne soient pas permis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains. – M. David Assouline applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 662, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne doit informer
par :
tel certificat informe
et le mot :
patiente
par le mot :
personne
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 483 rectifié bis, présenté par Mmes Meunier, Monier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
et la renseigne sur les organismes judiciaires et associatifs qu’elle peut contacter
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. En commission des lois, les socialistes ont soutenu l’interdiction d’établir un certificat de virginité. Un amendement visant à renforcer l’information de la jeune fille ou femme a été en partie adopté. Ces mesures obligent le professionnel de santé à informer la patiente concernée de l’interdiction de cette pratique.
Nous souhaitons néanmoins compléter la protection que notre société doit à ces femmes contraintes par leur entourage de se soumettre à ces pratiques visant à établir leur virginité. Selon nous, l’accompagnement doit inclure également l’orientation de la femme vers les organismes judiciaires et associatifs spécialisés.
Le seul rappel de l’interdiction n’est pas de nature à protéger suffisamment la jeune femme des risques qu’elle encourt. L’approche complémentaire des organismes associatifs ou judiciaires permet de déconstruire l’exigence de virginité et les présupposés patriarcaux que nous combattons.
M. le président. L’amendement n° 544 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Il lui remet à cet effet un document expliquant que la loi de la République interdit cette pratique. Le professionnel de santé a également pour obligation d’informer cette même personne des organismes spécialisés dans la défense des droits des femmes qu’elle peut contacter.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement, bien qu’il soit rédigé différemment de celui qui vient d’être défendu par notre collègue Marie-Pierre Monier, va dans le même sens.
Si je peux rejoindre, madame la ministre, votre vigueur et votre rigueur sur les certificats de virginité, il ne suffira pas, me semble-t-il, d’inscrire leur interdiction dans la loi, en « se lavant les mains », pour utiliser des termes un peu crus, de ce qui peut se passer ensuite.
L’article prévoit l’interdiction de ces certificats, le professionnel de santé étant tenu d’informer la personne de cette interdiction. Selon nous, il convient également d’orienter les femmes vers des associations qui peuvent les accompagner.
Des expériences sont menées, notamment en Île-de-France, et peuvent être considérées avec intérêt. Car un certain nombre de femmes peuvent être fragilisées, voire en danger, si un certificat de virginité leur est refusé. Nous ne pouvons donc pas inscrire cette interdiction dans la loi sans nous préoccuper de ce qui se passe ensuite. Des mesures d’accompagnement doivent être prévues. Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Informer une jeune femme ou une jeune fille quant à l’existence d’associations fait partie du lien logique entre un médecin et sa patiente, lequel veut que ce professionnel oriente celle-ci s’il y a des démarches à faire. Cela me paraît naturel et il n’est pas besoin de l’inscrire dans la loi.
Si le médecin pense qu’il y a un risque de violences physiques ou psychologiques à l’encontre d’une jeune femme mineure, il peut tout à fait – et les médecins le font – alerter la cellule du recueil des informations préoccupantes (CRIP) du département. C’est inscrit à l’article 226-14 du code pénal.
Pour les jeunes femmes majeures, il y a une nuance : il faut recueillir son accord. Si celle-ci a peur, par exemple, elle peut tout à fait donner son accord pour que le médecin fasse un signalement auprès du procureur de la République. À titre personnel, je connais de tels cas dans ma ville : les médecins ne laissent pas repartir les jeunes filles avec des sentiments de crainte ou de peur.
Ces amendements, en mentionnant la seule information à transmettre, pourraient laisser penser a contrario qu’il s’agit de la seule initiative à prendre.
Par ailleurs, comme l’a rappelé Mme la ministre, les ordres de professionnels de santé ont déjà pris de telles initiatives.
Compte tenu des dispositifs existants, il faut faire confiance aux médecins, et faire en sorte que se construise un lien entre une jeune femme et son médecin.
L’avis est donc défavorable sur les deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous sommes d’accord sur le fond, c’est-à-dire sur le fait que le médecin doit informer la jeune femme et ne pas la laisser repartir simplement sur un refus. Au demeurant, il me semble que de nombreux médecins font déjà cela.
Nous avons commencé à travailler avec différentes organisations, notamment avec la Fédération nationale GAMS, qui fédère des associations luttant contre les mutilations sexuelles féminines et les mariages forcés, pour éditer des guides à la destination des élus, pour les aider sur la question des mariages forcés, mais aussi pour les médecins afin que ceux-ci soient mieux outillés en la matière.
Cela étant dit, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire d’aller autant dans le détail en inscrivant dans la loi l’obligation pour le médecin d’informer la patiente au cours de la consultation.
L’avis est défavorable, car nous pensons que la loi n’est pas ici le bon vecteur. Mais, encore une fois, nous sommes d’accord sur le fond.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Ces amendements nous donnent l’occasion d’approfondir davantage ce questionnement.
Je me réjouis, sans en être étonnée, de la défense par Mme la ministre des droits des femmes et de l’intégrité de leur corps. Nous avons déjà eu des débats avec elle sur ce sujet et il n’y a aucune ambiguïté à cet égard : soyons clairs, je n’ai pas dit lors de ma dernière intervention que je soutenais les certificats de virginité ; je voulais simplement attirer l’attention sur la pénalisation prévue des praticiens et sur ses conséquences.
Je suis d’accord pour que nous ne raisonnions pas tout en blanc, tout en noir ou tout en gris, et je me réjouis, là aussi, que Mme la ministre soit plus dialecticienne que cela. Pour autant, j’ai entendu l’argument selon lequel il faudrait s’appuyer sur le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof), dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne défend pas toujours des positions progressistes. Les choses sont effectivement plus nuancées…
Ce qui m’importe, c’est d’accompagner ces jeunes femmes qui sont en détresse. Il me semble important non pas de restaurer, mais d’approfondir le lien qu’elles peuvent avoir avec leur médecin.
L’objet des amendements qui ont été présentés est justement de dire qu’elles doivent être accompagnées et guidées vers des associations qui prendront la relève et jugeront du degré de danger qui pèse sur elles. Je pense que nous devons, ensemble, y réfléchir.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Je soutiens, outre celui que j’ai présenté, l’amendement n° 544 rectifié de Mme Assassi.
Il a été question de Mme Ghada Hatem : lorsque nous l’avons auditionnée, elle a précisé qu’on lui adressait davantage de demandes pour réparer des hymens que pour établir des certificats de virginité.
Il est vrai que nous sommes tous d’accord pour poser un interdit clair, qui soit écrit : non au certificat de virginité !
Il faut, bien sûr, accompagner ces jeunes femmes. Mais, si l’on y réfléchit bien, que fait-on pour les prévenir ?
Je ne suis pas intervenue dans le débat précédent sur la polygamie, mais c’est le même sujet. Que fait-on vraiment dans notre société, quels textes et quelle prévention envisage-t-on à cet égard ?
En essayant de réparer un mal, je le dis souvent, on ne fait que mettre un pansement, alors qu’il faudrait vraiment travailler sur ce mal. Cela signifie qu’il faut donner des moyens à l’école, par exemple pour organiser des cours d’éducation à la sexualité. Vous me direz que j’y reviens encore. Oui, car ces formations ne sont pas efficientes dans nos écoles !
Nous sommes donc d’accord sur le fond, mais ce qu’il faudrait faire avant tout, c’est donner des moyens efficaces pour la prévention et la déconstruction des stéréotypes de genre.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Mme Ghada Hatem, obstétricienne et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, a une position que je n’approuve pas, certes, mais il y a un autre volet dans ce qu’elle dit. Elle assume pleinement le fait de délivrer des certificats de virginité, ce qu’elle fait rarement et dans des circonstances très particulières. Elle explique : « Quand je vois que la femme qui est en face de moi a des ressources, qu’elle peut s’en sortir sans cela, je refuse de délivrer ce certificat. Je lui fais de la pédagogie, je lui parle des droits des femmes, des combats des générations précédentes pour que les femmes puissent disposer de leur corps. Mais dans certains cas, pour les très jeunes femmes notamment, ma priorité est d’abord de les protéger. Et si la délivrance d’un certificat de virginité est le seul moyen, je le fais et je l’assume. »
Elle évoque aussi les dangers qui pèsent sur ces jeunes femmes, qui peuvent être renvoyées au bled si le mariage est rompu à cause de l’absence de certificat de virginité.
On ne peut pas demander à l’école de tout faire ! Quand rien ne va, c’est toujours l’école qui doit pallier… Or il faudrait quatorze heures d’enseignement sur ces sujets. Il existe d’autres moyens : je considère, pour ma part, que l’on peut afficher un document dans les mairies, organiser des réunions, d’autant que le nombre de filles qui demandent un certificat de virginité est tout de même très réduit.
Peut-être pourrait-on prévoir, par voie d’amendement, d’inscrire dans cet article que ces jeunes femmes doivent bénéficier d’une formation, de même que leurs parents, puisque ce sont eux qui les poussent à faire cette demande afin de pouvoir les marier et se débarrasser d’une bouche à nourrir. Lorsqu’on est pauvre, on a d’autres stratégies sociales…
Cette question des certificats de virginité n’est pas anodine. Nous, femmes modernes et féministes, nous sommes contre ce certificat. Mais réfléchissons aux différents aspects avant de prendre une décision !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout d’abord, je veux dire que nous partageons totalement le plaidoyer de la ministre sur ce sujet absolument majeur. De ce fait, nous avons déposé, à l’instar du groupe CRCE, des amendements qui visent à compléter le texte. Mais j’ai entendu que la rapporteure n’y était pas favorable.
Il faut bien concevoir les circonstances. On dit que les médecins peuvent d’ores et déjà, aujourd’hui, orienter les jeunes femmes. Peut-être. Il nous a cependant semblé utile de prévoir une quasi-obligation d’orienter celles-ci vers les organismes qui peuvent les aider.
Il nous a également semblé important – j’évoque en l’occurrence l’amendement présenté par Mme Assassi – qu’il leur soit remis un document précisant que la loi interdit cette pratique, car faire cela c’est les protéger.
Que se passe-t-il lorsqu’une jeune femme demande à un médecin de procéder à ce type d’examen et de lui délivrer un certificat de virginité ? Plaçons-nous dans l’hypothèse où le médecin oppose un refus, en expliquant ou pas ses raisons selon qu’il a le temps ou non. Quid du retour à la maison ?
Il nous semble absolument fondamental qu’un document soit remis afin que cette jeune femme soit protégée si elle ne revient pas avec le certificat attendu par sa famille. Car, très souvent, ce n’est pas elle qui demande ce document, mais son futur conjoint, son père, etc.
Encore une fois, et j’en appelle à Mme la ministre, qui est très engagée sur ces sujets, je pense qu’il est important de prévoir un dispositif complet. Ce n’est pas du bavardage. Puisque la France décide d’inscrire dans son droit l’interdiction de cette pratique, il faut que la jeune femme puisse vraiment s’en prévaloir, y compris auprès de ceux qui, dans sa famille, lui demandent un certificat de virginité.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la sénatrice Benbassa, je ne répondrai pas à votre explication de vote. Vos propos ont en effet été déjà tenus précédemment, sous une autre forme, par une autre sénatrice, à laquelle j’ai répondu longuement et qui vient de me répondre à son tour. Cet échange a donc déjà eu lieu, et je ne redévelopperai pas mon argumentaire par respect pour les personnes qui étaient présentes.
Je suis choquée d’entendre une personne telle que vous, féministe et engagée, dire que nous sommes des femmes modernes et féministes, et donc opposées aux certificats de virginité, mais qu’il existe des jeunes filles, moins modernes ou moins féministes que nous, qu’il ne faudrait pas protéger. (Mme Esther Benbassa proteste.) C’est ce que vous avez dit, madame la sénatrice, ou en tout cas ce que j’ai compris de votre intervention ! Ces propos, vous les avez d’ailleurs exprimés dans le passé sur le même sujet. Je serais ravie d’être démentie…
Tout ce que vous venez d’expliquer revient à faire du relativisme. Vous relativisez les droits des femmes ! Vous considérez qu’il y a des droits pour des femmes modernes, non exposées à la question des certificats de virginité, et pas pour d’autres, au nom d’une forme de relativisme culturel, de l’existence d’une tradition qu’il faudrait comprendre : ces femmes ne seraient pas prêtes à entrer dans cette modernité féministe et il ne faudrait pas les protéger de ladite tradition. (Mme Esther Benbassa proteste vivement.) C’est exactement ce que vous avez dit !
Par ailleurs, au sujet du Syngof, je tiens à dire que l’on ne peut pas disqualifier des personnes qui émettent un avis en fonction de la position qu’elles ont prise sur d’autres sujets.
Je rappelle que Mme Ghada Hatem, pour laquelle j’ai beaucoup de respect, n’était pas favorable au fait que nous légiférions contre le harcèlement de rue, et elle n’était pas la seule. Et quand j’ai dit que je voulais agir contre les violences gynécologiques et obstétricales, elle a appelé, à la radio, à ma démission. Rien de moins ! C’était il y a trois ans et demi.
Depuis lors, de nombreux collectifs se sont montés pour agir contre les violences gynécologiques et obstétricales. Maintenant que ce sujet est devenu davantage « grand public », Mme Ghada Hatem est revenue sur sa position en disant qu’il fallait effectivement mieux protéger les jeunes femmes. Je souhaite qu’elle change également d’avis sur le certificat de virginité !
Je comprends qu’il puisse exister une volonté de s’opposer, par nature, au Gouvernement lorsqu’on fait de la politique. Mais je crois qu’il faut aussi rassembler les synergies.
Lorsque les associations de terrain, mais aussi l’Organisation mondiale de la santé, que l’on ne peut pas soupçonner de n’être pas en phase avec les droits des femmes, le Syngof et l’Ordre des gynécologues, qui sont deux organisations différentes, et l’Ordre des médecins appellent à légiférer partout dans le monde sur les certificats de virginité, il est opportun de les écouter, à défaut d’écouter les jeunes femmes.
Enfin, je rappelle que la France a une responsabilité dans le monde : lorsqu’elle légifère, d’autres pays la regardent et s’en inspirent.
C’est le cas de la diplomatie féministe portée par notre pays. À l’occasion du Forum Génération Égalité organisé par ONU Femmes et coprésidé par la France et le Mexique, et lors du G7, la France a décidé qu’un conseil consultatif remettrait la liste des meilleures lois, susceptibles d’inspirer d’autres lois partout dans le monde. Plusieurs pays se sont prononcés à cet égard, disant qu’ils considéraient avec beaucoup d’intérêt le travail mené par la France.
Pour ce qui concerne la remise d’un document par le médecin, permettez-moi de vous faire part de mon étonnement. On nous disait hier, au sujet du contrat d’engagement républicain, que celui-ci ne changerait rien. Et, en l’occurrence, ce document-ci aurait une grande importance ?
À mon humble avis, une telle mesure ne relève pas de la loi. Il est évidemment salutaire qu’un médecin remette un tel document ; voilà pourquoi nous élaborons avec la Fédération nationale GAMS, que nous avons missionnée à cette fin, un guide que ces professionnels pourront donner aux jeunes femmes. Mais détailler dans la loi ce qui doit être expliqué lors de la consultation, par le médecin à sa patiente, ce n’est pas forcément opérant.
Je ne vous apprendrai rien, madame la sénatrice, en vous disant que la discussion, l’échange et la consultation sont plus efficaces que la simple remise d’un document, laquelle peut donner le sentiment que l’on se dédouane, sans aborder les sujets. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, comme beaucoup d’entre nous ici, je suis totalement favorable à l’interdiction des certificats de virginité.
Ma boussole sur ce dossier, c’est le professeur Israël Nisand. Celui-ci a très clairement expliqué que ces certificats devaient être interdits, et que les médecins devaient encourir une sanction en cas de non-respect de cette interdiction, mais aussi expliquer à leurs patientes qu’ils ne pouvaient pas y déroger.
Par ailleurs, je plaide pour la remise d’un document par le médecin à la patiente. Non, madame la ministre, ce n’est pas superfétatoire ! J’en veux pour preuve que la loi oblige à informer les victimes des endroits où elles peuvent obtenir des informations, notamment les associations d’aide aux victimes.
Bien sûr, toutes les femmes qui demandent un certificat de virginité ne sont pas forcément des victimes, mais il y a des moments où l’information est fondamentale.
Je reprendrai l’argumentaire de Marie-Pierre de La Gontrie : pour que la jeune fille puisse expliquer à sa famille que le fait de revenir sans ce certificat n’est pas lié à sa mauvaise volonté, elle doit pouvoir disposer d’un document clair. Cela n’empêche pas le dialogue avec le médecin ! La remise d’un document ne veut pas dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » L’un et l’autre vont de pair.
À l’étape où nous en sommes parvenus, c’est-à-dire la généralisation effective de l’interdit sur le territoire national, ces dispositions, dans leur ensemble, paraissent indispensables.
Mme Esther Benbassa. Je demande la parole, monsieur le président. Je ne peux laisser Mme Schiappa déformer mes propos !
M. le président. Je suis désolée, ma chère collègue, mais vous avez déjà expliqué votre vote. C’est la même règle pour tous et je n’ai pas le pouvoir de la modifier.
Je mets aux voix l’amendement n° 483 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 544 rectifié.
(L’amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Les personnes qui étaient en séance l’ont adopté : 16 voix pour, 15 voix contre.
L’amendement n° 462 rectifié bis, présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, M. Sueur, Mmes Monier et Meunier, M. Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-2-…. – Un professionnel de santé alerte le procureur de la République lorsqu’une demande lui est faite afin d’établir une attestation aux fins d’attester la virginité d’une personne.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 226-14 du code pénal dispose que le secret professionnel n’est pas applicable « au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République […] les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ».
Il dispose également : « Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire […]. »
Cette disposition, introduite par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, est à saluer. Elle est cependant insuffisante, notamment pour protéger les femmes majeures.
Dans une étude du Quotidien du médecin réalisée en 2019 auprès de 431 participants, 29 % des médecins interrogés ont affirmé avoir déjà été sollicités pour délivrer un certificat de virginité. Ces professionnels de santé ont rapporté que, dans bien des cas, cette demande n’émanait aucunement de la patiente, mais de son futur conjoint, de la famille de la patiente ou de la future belle-famille de celle-ci.
Les phénomènes d’emprise et de pression sociale dans ces situations ne sauraient être négligés. Étant sous influence, la patiente n’est souvent pas en mesure de consentir à ce que son médecin alerte le procureur de la République, sans pour autant qu’elle soit considérée en « incapacité physique ou psychique », comme cela est prévu à l’article 226-14 du code pénal.
Conscient de l’ascendant que peut avoir l’entourage de sa patiente sur celle-ci, le professionnel de santé doit pouvoir lui porter secours en toute circonstance. Le présent amendement vise donc à faire des professionnels de santé des lanceurs d’alerte, en leur permettant de saisir le procureur de la République lorsqu’il leur est demandé de réaliser un certificat aux fins d’attester la virginité d’une femme.
Par ce biais, le procureur de la République en sera informé et pourra prendre des mesures de protection au bénéfice de la femme, mener une enquête et diligenter d’éventuelles poursuites à l’encontre de ceux qui ont été à l’initiative de la demande du certificat de virginité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement a pour objectif d’obliger le médecin sollicité pour établir un certificat de virginité à alerter le procureur de la République, même sans l’accord de sa patiente.
Très sincèrement, une telle disposition ne pourrait que fragiliser le lien entre un médecin et sa patiente, c’est-à-dire une jeune femme ou une jeune fille qui vient lui parler d’un sujet qui n’est pas simple. Dès lors que celle-ci saura qu’un signalement peut être fait auprès du procureur de la République sans son accord, le risque est qu’elle s’oriente vers un professionnel de santé qui n’est pas médecin et dont l’approche de la situation sera différente.
La commission a émis un avis totalement défavorable sur cet amendement, qui est de nature à fragiliser grandement le lien entre le médecin et ces jeunes femmes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous considérons que les débats sur la levée du secret professionnel ont eu lieu dans le cadre de la loi qui a suivi le Grenelle des violences conjugales.
Vous le savez, ces débats ont été nourris, intenses et accompagnés d’une grande consultation avec les professionnels de santé. Ils ont permis d’aboutir à la rédaction suivante, que vous avez adoptée : lorsqu’il y a un danger imminent pour la vie de la patiente, il peut être procédé à un signalement. C’est une très bonne chose.
Le signalement auprès du procureur de la République d’un certain nombre de faits mettant en péril la situation des femmes est une possibilité. Il est important de nous en tenir là, car l’équilibre qui a été trouvé est, à mon sens, suffisamment efficace.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je souhaite répondre à Mme la ministre.
Madame, vous êtes simpliste : pour vous, le monde, c’est oui ou non ! Cela ne marche pas comme ça… Les choses sont bien plus compliquées ; il existe, entre autres, des traditions culturelles, mais je n’entrerai pas dans les détails…
Je n’ai pas dit que j’étais moderne et féministe et que les autres femmes ne l’étaient pas ! Votre façon d’expliquer les choses consiste à attaquer les autres ; c’est votre façon de faire, très bien.
Je vous respecte, mais vous devez aussi respecter ma parole parce que je n’ai absolument pas tenu les propos que vous m’avez prêtés. Dont acte, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. C’est une mise en cause personnelle !
Je vous renvoie à ce que je disais précédemment à propos des accords toltèques et de la parole impeccable. Vous dites : « toujours », « jamais », « personne », « vous attaquez tout le temps les autres »… Cette mise en en cause personnelle n’apporte rien à la qualité des débats, je me permets de vous le dire, madame la sénatrice. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 462 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 498, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-2-…. – Une personne physique ou morale non professionnel de santé ayant établi un certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne, est coupable des crimes et délits prévus à l’article 441-7 du code pénal. » ;
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. L’article 16, quelque peu naïf, que nous examinons, ne prend en compte que les professionnels de santé qui rédigeraient des certificats de virginité, c’est-à-dire des personnes bénéficiant d’un titre officiel.
Cependant, lesdits certificats de virginité ne sont pas, pour la plupart, délivrés par des professionnels de santé. La réalité de notre pays tiers-mondisé oblige à élargir le dispositif prévu par ce projet de loi.
Aujourd’hui, en France, des pseudo-médecins, des usurpateurs de titres officiels ou des référents communautaires, comme des figures cultuelles, sont sollicités pour attester de la virginité d’une personne avec ou contre son gré. On entend peu les pseudo-féministes autoproclamées, adeptes des combats idéologiques, comme l’écriture inclusive, sur ces sujets qui sont une réalité dans notre pays ! La dignité des femmes est pourtant bafouée par l’établissement de tels certificats, que l’on n’exige jamais des hommes.
C’est la culture exogène de l’islamisme importé par l’immigration sur notre sol, contraire à nos modes de vie, qui fait des femmes des suspectes. Il est loin l’amour courtois de notre belle culture française !
Le présent amendement prévoit que la simple délivrance des certificats constitue un acte de faux, par lequel un individu, même non professionnel, commet un double délit consistant, d’une part, à établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts, et, d’autre part, à faire usage d’une attestation ou d’un certificat inexact ou falsifié. Or ces délits sont répréhensibles, aux termes de l’article 441-7 du code pénal.
Il faut mettre un terme à ces pratiques communautaristes étrangères en inscrivant, par la voie de cet amendement que je vous invite à adopter, un interdit clair, pour un professionnel ou un non-professionnel, de délivrer un certificat de virginité.
M. le président. L’amendement n° 464 rectifié bis, présenté par Mmes Meunier, Monier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 1115-…. – Toute personne, non membre du corps médical, réalisant un examen avec pénétration visant à établir la virginité de la victime se rend coupable de viol et encourt la peine prévue à l’article 222-23 du code pénal.
« Toute personne, non membre du corps médical, réalisant un examen sans pénétration visant à établir la virginité de la victime se rend coupable d’agression sexuelle et encourt la peine prévue à l’article 222-22 du même code et, si l’agression est commise sur un mineur de quinze ans ou une personne vulnérable, la peine prévue à l’article 222-29 dudit code.
« Toute personne informée de la réalisation d’un tel acte en vue d’établir un certificat de virginité et qui ne dénonce pas sa réalisation aux autorités encourt la peine pour non-dénonciation de crime ou de délit prévue aux articles 434-1 à 434-4 du même code. »
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. L’Assemblée nationale a créé un nouvel article L. 1115-4 du code de la santé publique, qui pénalise l’examen visant à établir la virginité. Il assimile cet examen à un viol s’il a donné lieu à pénétration ou à agression sexuelle.
Les rapporteures de la commission des lois ont écarté cette qualification pénale pour des motivations qui nous posent problème. Il a notamment été rappelé que l’élément constitutif de l’acte par violence, contrainte, menace ou surprise, ne pouvait être établi, du fait du consentement de la jeune fille ou de la femme.
Selon nous, il n’est pas envisageable d’interroger le consentement d’une personne qui a grandi, qui a été éduquée, et dont l’avenir dépend de la soumission à des pratiques culturelles et à des normes sociales familiales.
La jeune femme se trouvant dans cette situation est dans une position d’emprise telle qu’elle ne peut que consentir à ces rites. Parfois même, il arrive que certaines femmes consentent à un mariage forcé pour quitter le carcan familial, et pour retrouver un nouveau carcan conjugal guère plus permissif.
Nous souhaitons que l’on cesse d’interroger le libre arbitre de ces jeunes femmes. L’assimilation de l’examen de virginité à un viol ou à une agression sexuelle revient à formaliser l’interdit clair de cette pratique rétrograde.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission a fait un choix différent de celui qu’a présenté M. Ravier dans son amendement n° 498. Elle a créé à l’article 16 ter un délit spécifique sur lequel nous reviendrons.
L’avis est donc défavorable.
Les auteurs de l’amendement n° 464 rectifié bis souhaitent revenir sur le texte de la commission et rétablir celui qui est issu des travaux de l’Assemblée nationale. Il semble que nous ayons les mêmes intentions, mais que nous y parvenions différemment.
La solution proposée par la commission est juridiquement plus robuste et plus large puisque seraient concernés les professionnels comme les non-professionnels.
En effet, si l’examen de virginité est considéré comme illégitime – et même moyenâgeux, selon moi –, alors la différence de traitement entre les professionnels et les non-professionnels n’est pas fondée et constitue une rupture d’égalité.
Une lecture a contrario pourrait même conduire à ne pas pouvoir poursuivre pour viol ou agression sexuelle un médecin qui procéderait à des examens d’ordre gynécologique sans aucun motif médical. Cela n’empêcherait pas les médecins de vérifier si l’hymen d’une victime d’agression sexuelle a été rompu, l’examen visant alors à attester des violences subies.
La solution que la commission propose est la suivante. Un médecin ou un non-médecin qui pratique un test de virginité sur une jeune fille obligée de s’y soumettre par son entourage commet un viol ou une agression sexuelle, selon qu’il y a ou non pénétration, en application du droit existant – il n’y a pas besoin de changer la loi. Un médecin ou non-médecin qui pratique un examen de virginité sur une jeune fille qui s’y soumet sans pression de son entourage ni menace ni violence est coupable du nouveau délit créé à l’article 16 ter, que j’ai déjà évoqué, et encourt des peines fortes de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, la peine étant aggravée si c’est une mineure.
À aucun moment, nous n’avons soutenu que « la victime à qui l’on somme d’attester de sa virginité pourrait consentir à un tel examen ». Si elle est contrainte, alors c’est un viol ou une agression sexuelle et les dispositions du code pénal qui existent déjà s’appliquent.
Mais il faut aussi prendre en compte les jeunes filles qui ont tellement intégré la valorisation de la virginité qu’elles sont demandeuses de ces examens, parfois pour faire taire des rumeurs ou pour se soumettre à des pressions. Ces situations existent, des associations et des médecins nous l’ont dit !
Sur la base de l’ensemble de ces arguments et des réflexions que nous avons entendues lors de nos auditions, nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. En ce qui concerne l’amendement de M. Ravier, l’avis est défavorable.
Nous partageons évidemment la préoccupation de pénaliser toute personne qui délivrera un certificat de virginité, y compris les non-professionnels de santé, mais les situations évoquées par M. Ravier relèvent déjà de l’exercice illégal de la médecine, voire d’ailleurs dans certains cas de l’escroquerie ou de l’usurpation de titres qui sont déjà punies par la loi.
J’ai fait, par exemple, cette semaine un signalement au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à la suite d’une émission qui présentait les certificats et les tests de virginité comme normaux, comme une sorte d’obligation avant le mariage quand on appartient à certains « groupes communautaires ».
Sur le fond, nous souhaitons bien sûr interdire la délivrance de tout certificat de virginité. Mais, en droit, nous considérons que l’inscription de cette interdiction dans la loi est superfétatoire, la situation étant d’ores et déjà répréhensible dans les conditions fixées à l’article 441-7 du code pénal.
Pour ce qui concerne l’amendement de Mme Meunier, qui tend à assimiler à une agression sexuelle ou à un viol le fait d’obliger une personne à subir un examen pour attester de sa virginité, nous estimons que tout examen de virginité qui est fait par une pénétration – pardonnez-moi d’entrer dans des détails techniques – peut déjà être considéré comme un viol. En effet, en droit, le viol est défini une pénétration obtenue sous la menace, les violences, la contrainte, la surprise, etc. La disposition proposée nous semble donc, là aussi, superfétatoire.
Par ailleurs, nous craignons qu’en faisant figurer dans la loi un tel niveau de détail, cet amendement ne conduise à fragiliser la qualification juridique d’autres situations pouvant être considérées comme des viols. En effet, certains pourraient arguer du fait que la situation est explicitement détaillée dans le cas que nous évoquons, alors que, dans d’autres cas, il n’y a pas de liste exhaustive des faits pouvant être caractérisés comme des viols.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la ministre, j’ai entendu votre avis sur l’amendement de Mme Meunier, et je comprends que nous sommes d’accord sur le fond mais pas sur les modalités qui ont été proposées.
Contrairement à vous, j’estime que les critères constitutifs du viol peuvent être interrogés. Nous avons eu ce débat cent fois dans l’hémicycle, lorsque nous avons discuté des violences conjugales, des violences sexuelles sur mineurs, etc. Je veux parler de la question du consentement. Si nous avons proposé cette disposition à cet endroit du texte, c’est justement pour fermer la porte à l’interprétation juridique qui préside à la constitution de l’infraction de viol. En effet, la contrainte doit être caractérisée – on voit bien qu’il n’y a là ni surprise ni violence… –, tout comme le consentement de la victime.
La question est donc plus importante qu’elle n’en a l’air. Cet amendement n’est pas symbolique : il permet de nommer les choses. Je le redis, nous avons déjà débattu de ce sujet lorsque nous avons évoqué ici de manière très engagée des violences faites aux femmes ou des violences sur mineurs.
Je vous encourage, mes chers collègues, à voter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris votre propos, madame la sénatrice, aussi voulais-je rappeler rapidement que la définition du viol dans le code pénal inclut bien la pénétration obtenue sous la contrainte, sous la menace, ou sous la surprise.
S’il y a donc contrainte, menace ou surprise – la demande de certificat de virginité est faite sous la contrainte –, le viol est caractérisé.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 464 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 517, présenté par Mmes Assassi et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent, Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, est ainsi libellé :
Alinéas 5 et 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je serai rapide car cet amendement ne fait que concrétiser la position de notre groupe sur la discussion que nous venons d’avoir. Nous sommes opposés aux certificats de virginité ; en revanche, nous ne souhaitons pas de pénalisation des médecins et des professionnels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous avons effectivement, ma chère collègue, déjà commencé à débattre de cet amendement qui tend à supprimer la pénalisation des certificats de virginité.
La commission est favorable à la pénalisation, car elle permet de conforter le principe d’interdiction. Mme la ministre a rappelé la situation que nous avons connue s’agissant de l’excision : ce fut la même chose, chacun a dû prendre sa part. Les médecins, quels qu’ils soient et quels que soient les territoires dans lesquels ils travaillent, doivent aujourd’hui participer à la lutte contre la délivrance de ces certificats. Je peux vous dire que, pour des femmes, comme moi, qui ont assisté à un certain nombre d’évolutions de la société, il paraît nécessaire qu’en France, au XXIe siècle, nous nous opposions sans relâche à de telles pratiques.
Nous sommes donc totalement défavorables à l’amendement. Quand la loi sera claire, quand elle établira ce qui est interdit, elle ne pourra qu’aider ces jeunes filles, qui vont comprendre, et faire comprendre à leur entourage, que la France les protège de pratiques d’un autre monde. Cela permettra aussi à des médecins qui se font parfois une clientèle sur ces questions de se remettre dans la droite ligne de la loi.
Dans la lutte contre les déviances, contre tout ce qui ne cadre pas avec la République, chacun à sa place doit y prendre part, y compris les médecins.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je n’ai rien de plus à ajouter, monsieur le président !
L’avis est le même.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. Cet article est très important, et nous avons eu un débat courageux sur un sujet qui a l’air moyenâgeux, comme l’a dit Mme la rapporteure, ou d’un autre temps, sauf peut-être à la cour d’Angleterre si l’on en croit les gazettes.
En tout cas, une chose est sûre : il va falloir, madame la ministre – c’est la raison pour laquelle j’ai voté l’amendement n° 544 rectifié, comme je l’avais déjà fait en commission –, que l’information circule de façon très large, dans le milieu médical comme dans celui des associations, et pas seulement les associations de femmes.
Remettre un document à une patiente en lui expliquant que la France ne délivre pas de certificat de virginité permet aussi d’éviter le nomadisme médical, qui pousse une femme, si un médecin a refusé de lui établir ce certificat, à aller consulter ailleurs. Le principe doit être tout à fait clair et lisible.
Mme la rapporteure a qualifié le sujet de moyenâgeux, mais il est tout de même invraisemblable qu’en 2021 en France on soit obligé de passer une matinée à régler ce problème qui aurait dû l’être depuis longtemps. C’est donc une bonne chose que cela figure dans le texte.
M. le président. Je mets aux voix l’article 16, modifié.
(L’article 16 est adopté.)
Article 16 bis A
Le premier alinéa de l’article 227-24-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept » ;
2° Le nombre : « 75 000 » est remplacé par le nombre : « 100 000 ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 16 bis A
M. le président. L’amendement n° 170 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary et H. Leroy, Mme de Cidrac et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre Ier du titre IX du livre Ier du code civil est complété par un article 371-… ainsi rédigé :
« Art. 371-…. – Une mineure faisant face à un risque de mutilation sexuelle et quittant le territoire national sans être accompagnée d’un titulaire de l’autorité parentale est munie d’un certificat de non excision.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Il s’agit d’un amendement de ma collègue Valérie Boyer. En France, des petites filles et des adolescentes risquent d’être excisées lors de séjours dans des pays où la pratique se perpétue et dont leurs familles sont originaires.
Depuis le 15 janvier 2017, les mineurs souhaitant quitter le territoire national seuls ou n’étant pas accompagnés du titulaire de l’autorité parentale doivent disposer d’une autorisation.
L’objet de cet amendement est d’adjoindre à cette autorisation un certificat de non-excision pour tout enfant qui quitte le territoire sans être accompagné d’un titulaire de l’autorité parentale. Un décret du Conseil d’État pourrait déterminer les conditions d’application de cette disposition.
Il conviendrait également d’envisager un examen médical avant le départ et dès le retour de l’enfant mineur sur le territoire français. Ainsi, si le médecin ne constate aucune mutilation, le certificat pourrait être remis aux représentants légaux de la mineure ; si, a contrario, le médecin constate une mutilation, le certificat sera directement transmis pour signalement au procureur de la République.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous sommes ici tous d’accord pour dire que l’excision est une monstruosité. Je voudrais d’ailleurs rappeler que Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin avaient rendu, pour la délégation aux droits des femmes, un rapport sur ce sujet important à la suite d’un extraordinaire travail. Vous avez dû, madame la ministre, le recevoir. Ce rapport très riche comportait un certain nombre de recommandations, apportait des précisions et fixait des objectifs. Le sujet nous tient à cœur.
Néanmoins, l’amendement pose quelques problèmes, raison pour laquelle, même s’il est important d’attirer l’attention de notre commission et du Sénat sur ce sujet, nous y serons défavorables.
D’abord, en pratique, je ne vois pas comment le dispositif proposé pourrait être mis en place. Car il faudrait vérifier, à la fois, que les petites filles qui quittent notre pays ne sont pas excisées et si elles ne l’ont pas été à leur retour en France.
Par ailleurs, quels pays viser ? Je suppose que notre collègue qui a déposé cet amendement pensait plutôt aux pays d’Afrique subsaharienne. Mais, malheureusement, l’excision ne concerne pas seulement ces pays.
Je le redis, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut protéger les petites filles, que l’excision est une monstruosité, mais, sincèrement, cet amendement n’est absolument pas opérationnel. Je vous proposerai donc, mon cher collègue, de le retirer, même si vous avez bien fait de soulever le problème de l’excision des petites filles.
Pour compléter mon propos, et parce que nous en avons débattu au sein de la commission, je veux évoquer l’extraordinaire travail fait par les ONG dans les pays d’origine pour que ceux-ci interdisent l’excision. On constate que des pays ont avancé sur la question : depuis quelques années, certains l’ont interdit. Cela ne règle pas tout, car nous savons que ces traditions moyenâgeuses ne s’arrêtent pas du jour au lendemain.
Nous devons faire en sorte de régler le problème partout, avec toutes les bonnes volontés.
Je propose donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis que Mme la rapporteure.
Un important travail de coopération est mené par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en ce moment notamment avec le Forum Génération Égalité. Avec le Président de la République, nous nous sommes rendus au Tchad, au Burkina Faso et dans plusieurs pays qui travaillent avec la France pour éradiquer l’excision et ce qu’ils appellent les « pratiques néfastes ».
Nous partageons donc votre combat.
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 170 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Non, au vu des arguments avancés par Mme la rapporteure et Mme la ministre, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 170 rectifié est retiré.
L’amendement n° 171 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary et H. Leroy, Mme Bourrat et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le titre II du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« Prévention des actes contraires à la dignité de la femme
« Art. L. 2123-…. – Lorsqu’un médecin ou une sage-femme constate à l’occasion d’un examen médical qu’une femme enceinte a subi une mutilation de nature sexuelle, il remet à celle-ci un document intitulé “Charte de protection de l’intégrité génitale de la femme”.
« Ce document présente le droit applicable en matière de protection du corps humain, notamment l’interdiction de toute forme de mutilation prévue à l’article 222-9 du code pénal, ainsi que les risques sanitaires encourus à l’occasion d’une mutilation génitale.
« Le contenu de ce document et les modalités de sa remise à la personne intéressée sont précisés par arrêté du ministre chargé de la santé. »
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Dans certaines maternités, des équipes médico-chirurgicales se sont mises en place pour prendre en charge les femmes victimes de mutilations comme l’excision.
Ces initiatives permettent d’accompagner et de sensibiliser les patientes en abordant tous les aspects de prévention, de conseil, de soutien et d’information, avec un rappel du cadre législatif français.
Lorsqu’un médecin ou une sage-femme constate à l’occasion d’un examen médical qu’une parturiente a subi une mutilation de nature sexuelle, le praticien de santé devrait pouvoir remettre à celle-ci une « charte de protection de l’intégrité génitale de la femme ».
Ce document présenterait le droit applicable en matière de protection du corps humain, notamment l’interdiction de toute forme de mutilation prévue par le code pénal, ainsi que les risques sanitaires encourus à l’occasion d’une mutilation génitale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Il s’agit d’une question importante. Notre collègue Valérie Boyer signale d’ailleurs qu’il existe déjà à Marseille des initiatives de ce type, ce qui est une bonne chose. Des réponses différentes peuvent être apportées selon l’endroit où nous vivons dans notre pays.
Je précise, mon cher collègue, que les informations que vous souhaitez voir communiquées ne relèvent pas du domaine législatif. Il faut laisser les sages-femmes, les médecins et les associations qui luttent contre cette monstruosité qu’est l’excision prendre des initiatives comme elles le font déjà, pour faire de la pédagogie, notamment via la remise de documents.
Il était important d’aborder cette question et de dire qu’il est nécessaire de faire partout de la pédagogie – ce n’est pas moi qui vais contredire le fait que la pédagogie est essentielle ! Néanmoins, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable car, je le redis, il ne relève pas du domaine législatif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 171 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Non, au vu des arguments exposés par Mme la rapporteure, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 171 rectifié est retiré.
L’amendement n° 172 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, B. Fournier, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary, H. Leroy, Segouin, Tabarot et Husson et Mme Berthet, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article L. 2132-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° La référence : « L. 2132-2-1 » est remplacée par la référence : « L. 2132-2-2 » ;
2° Sont ajoutés les mots : « , notamment celles qui concernent d’éventuelles mutilations sexuelles ».
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Le carnet de santé est un document qui contient les éléments d’information médicale nécessaires au suivi de la santé de l’enfant jusqu’à ses 18 ans. Son utilisation est réservée aux professionnels de santé et sa consultation soumise à l’accord des parents.
En tant que document officiel soumis au secret professionnel, il est un outil de liaison entre les différents agents du milieu médical.
Le carnet de santé contient également des informations visant à préserver le bien-être de l’enfant. Il serait donc opportun d’y faire figurer un message de prévention sur les mutilations génitales féminines qui n’existe pas aujourd’hui, contrairement à ce qui a pu être indiqué précédemment. Ce message rappellerait, dans un premier temps, les risques de ces pratiques sur l’intégrité physique et psychique de l’enfant et, dans un second temps, la sanction prévue par le code pénal.
Ainsi, le service de protection maternelle infantile du département de la Seine-Saint-Denis prévoit déjà que, dans le cadre de la mission de protection infantile, les familles sont systématiquement informées de manière individuelle ou collective de la gravité des mutilations, de leurs conséquences sur la santé et de leur caractère illégal.
J’invite mes collègues à voter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement de Valérie Boyer relève du même esprit que les deux précédents. Il vise à nous alerter sur le sujet des mutilations sexuelles, ce qui est important.
Je me suis repenchée sur la question du carnet de santé, sachant que notre collègue est très attachée à cet amendement. Je veux lui dire que son amendement est satisfait, d’abord parce que cette question relève non pas de la loi, mais du règlement. Par ailleurs, les mutilations sexuelles font bien partie des constatations que peuvent et doivent inscrire aujourd’hui les médecins dans le carnet de santé, comme tous les événements liés à la santé d’un enfant jusqu’à sa majorité. Il est donc déjà possible et normal de faire ces constatations.
Si Valérie Boyer voulait préciser les choses à ce sujet, je le redis, cela relève non pas de la loi, mais du règlement. Je comprends qu’elle insiste sur le fait que ces constatations soient inscrites dans le carnet de santé, mais il appartient déjà aux professionnels de santé de le faire.
Monsieur Le Rudulier, je vous demande donc de retirer l’amendement ; sinon, je serai obligée d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 172 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Au vu des arguments exposés, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 172 rectifié est retiré.
L’amendement n° 174 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, B. Fournier, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet et H. Leroy, Mmes Bourrat et de Cidrac et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 16 bis A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Chaque année, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport sur les mutilations génitales féminines.
Ce rapport indique et commente :
a) Le nombre de Françaises et de personnes résidant habituellement sur le territoire français victimes de mutilations génitales en France ou à l’étranger ;
b) L’activité judiciaire concernant les infractions prévues aux articles 222-9, 222-10 et 227-24-1 du code pénal : nombre d’affaires enregistrées et d’affaires poursuivables, taux de poursuites engagées et taux de réponse pénale, nombre de condamnations et quantum des peines prononcées, ainsi que les nationalités des auteurs de ces infractions ;
c) Les moyens, ainsi que leur coût, mis en œuvre pour lutter contre les mutilations génitales féminines ;
d) Les actions entreprises avec les pays pratiquant les mutilations génitales féminines pour mettre en œuvre une politique ferme contre ces pratiques.
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Il s’agit d’un amendement d’appel.
Dans un avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a rappelé que la France est le pays de l’Union européenne dans lequel il y a eu le plus grand nombre de poursuites pénales pour des faits de mutilations sexuelles : environ 29 procès depuis 1979.
Cet amendement tend à demander la remise d’un rapport annuel qui retracerait l’activité judiciaire concernant les mutilations génitales féminines, les moyens mis en œuvre pour lutter contre ces mutilations ainsi que leur coût.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Au sein de cette assemblée, chacun sait que la commission des lois n’est pas favorable aux demandes de rapport. Nous en avons d’ailleurs déjà « évincé » quelques-uns !
Je rappelle qu’un rapport a été récemment fait par Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac dans le cadre de la délégation aux droits des femmes. Diverses structures produisent déjà des rapports pour suivre ce phénomène contre lequel nous devons lutter.
On trouve d’ailleurs dans une étude de Santé publique France publiée en 2019 des chiffres sur la pratique des mutilations.
Je voudrais rendre hommage à une avocate que je connais, Linda Weil-Curiel : elle a permis la construction de la législation actuelle, puisque c’est elle qui a fait condamner la première femme pratiquant des excisions dans notre pays. C’est bien grâce à elle que nous avons une législation sur cette question. Je ne sais pas si elle suit nos travaux, mais j’ai une pensée pour elle car elle a été une combattante : même si cela n’a pas été facile, elle a permis que l’excision soit une infraction lourdement condamnée dans notre pays.
Mon cher collègue, là encore – je suis désolée de vous contredire et de vous taquiner ce matin ! –, je vous demanderai de retirer votre amendement, car votre demande de rapport semble parfaitement satisfaite.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. J’associe le Gouvernement, si Mme la rapporteure me le permet, à l’hommage qu’elle vient de rendre à celles qui se sont battues pour interdire l’excision et les mutilations génitales.
Je voudrais vous rappeler que le Gouvernement a lancé, avec le Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, il y a un an et demi de cela, un grand plan contre l’excision, doté de moyens. Nous avons, par exemple, multiplié par trois la subvention de l’association Excision, parlons-en ! et avons décidé de financer davantage la Fédération GAMS que j’évoquais précédemment.
Par ailleurs, nous avons également lancé une étude de prévalence pour mieux quantifier le nombre de femmes qui vivent en France avec des mutilations génitales. Le chiffre sont nous disposions précédemment était de 90 000 femmes ; les études que nous avons diligentées nous laissent penser que ce sont plutôt 160 000 femmes et filles qui seraient concernées. Ce travail est fondamental, et il doit être mené en lien avec l’éducation nationale. C’est pourquoi nous avons, dans le cadre du plan contre l’excision, mobilisé cette dernière, y compris pour le repérage et la prévention de l’excision.
Cela étant, vous savez, monsieur le sénateur, que le Gouvernement n’est par principe pas favorable aux rapports. Néanmoins, si le Parlement demandait un nouveau rapport, nous le ferons bien évidemment.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suis désolée de revenir toujours sur ce sujet, mais la réponse à la question posée pourrait très bien se trouver dans les documents de politique transversale appelés « oranges budgétaires », par exemple dans celui sur la politique de la jeunesse ou sur la politique de la santé.
Bref, les documents qui complètent le projet de loi de finances devraient permettre de répondre à la demande qui a été faite.
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 174 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 556 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À la dernière phrase de l’article L. 121-1 du code de l’éducation, après le mot : « sexuelles », sont insérés les mots : « ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines ».
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. La commission des lois a supprimé l’article 16 ter A adopté par l’Assemblée nationale, considérant qu’il était superfétatoire et relevant du domaine réglementaire. Nos discussions depuis ce matin nous montrent la différence entre préciser et être redondant…
Pour notre groupe, la sensibilisation des enseignants à l’excision et aux mutilations sexuelles féminines est extrêmement importante. Ce problème, même s’il est spécifique, relève du même mécanisme du patriarcat que les autres violences sexuelles et sexistes : nous estimons qu’il nécessite une attention particulière et, à tout le moins, une formation adaptée des enseignants qui peuvent aider à la détection et, donc, à la protection des jeunes filles, et faire en quelque sorte de la prévention.
En France, plus de 60 000 jeunes filles sont concernées par des mutilations sexuelles génitales. Notre Haute Assemblée a adopté à l’unanimité une résolution sur ce sujet en mars 2019. Avec mon groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous sommes à l’origine d’une rencontre avec Hadja Idrissa Bah, qui était alors présidente du Parlement des enfants de Guinée, et Annick Billon, présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes.
Ne pas vouloir ajouter ces précisions dans la loi nous semble contradictoire avec la volonté affichée par le Sénat de s’engager sur cette question. Ne pas nommer les choses revient à les nier. Pour nous, il s’agit de rendre la loi non pas bavarde mais plus précise.
Je profite de cette intervention pour saluer le travail, à la fois, des associations, qui a été souligné depuis ce matin, et des professionnels, particulièrement des docteurs Pierre Foldès et Denis Mukwege qui font un travail remarquable en direction des femmes.
Madame la ministre, j’aimerais que vous précisiez les informations que vous avez pu nous apporter lors de la discussion de ce matin, notamment en faisant un point d’étape rapide sur le plan de lutte contre l’excision afin que nous puissions disposer de toutes les données.
Je vous en remercie par avance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ma chère collègue, si la commission a émis un avis défavorable, ce n’est évidemment pas parce qu’elle pense qu’il est inutile de parler de ces sujets de manière préventive, large et surtout régulière.
Mais la précision que vous souhaitez apporter figure déjà dans le programme de sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes des personnels enseignants, prévu dans le cadre de l’article L. 121-1 du code de l’éducation.
Notre attention a donc déjà été attirée sur ce sujet. Il n’est nullement question de minimiser la nécessité de parler et de reparler de ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cette question a suscité, à l’Assemblée nationale, un débat long et argumenté.
Certains vous diraient qu’il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail de tout ce que les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle doivent aborder. Mais, pour ma part, je crois au contraire qu’il peut être positif de détailler cela, particulièrement sur ces questions ; en effet, passer par l’école est un bon moyen de toucher toute une classe d’âge.
Cela dit, pour être tout à fait sincère, je vais émettre un léger bémol. Il est, en théorie, obligatoire d’organiser trois séances de ce cours par an ; c’est prévu par loi, depuis 2014. Jean-Michel Blanquer et moi avons donc agi, l’année dernière, pour assurer l’effectivité de ces séances, mais je ne suis pas en mesure de vous assurer que, dans toutes les classes et pour toutes les tranches d’âge, ces trois séances ont véritablement lieu, en particulier – mais c’était déjà vrai auparavant – avec les mesures sanitaires que nous connaissons.
Ainsi, je vous le dis en toute honnêteté, il serait peut-être opportun de mener un audit pour faire un bilan de l’application réelle de ces séances.
En tout cas, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Nous soutiendrons évidemment cet amendement de Mme Assassi.
Je suis heureuse de vous entendre reconnaître, madame la ministre, qu’il y a peut-être un problème d’efficacité, indépendamment de la crise sanitaire. Il faut vous atteler à la résolution de ce problème. J’avais interpellé, sur ce sujet, M. le ministre Jean-Michel Blanquer, qui m’a tenu un discours totalement différent de celui qui m’est tenu localement, dans les établissements…
Ainsi, il serait bon que l’on avance en ce sens, et, je suis d’accord avec vous, madame la ministre, mes chers collègues, il faut préciser ce point dans la loi : ce ne sera pas « trop bavard »…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je veux remercier Mme la ministre de la sincérité de ses propos et préciser certains éléments pour Mme la rapporteure.
Madame la rapporteure, il y a la loi et il y a l’application de la loi. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a pointé, dans sa dernière enquête, un certain nombre de failles : 25 % des écoles élémentaires, 11 % des lycées et 4 % des collèges déclarent « n’avoir mis en place aucune action ou séance en matière d’éducation à la sexualité ».
Ainsi, vous le voyez, il est parfois important de préciser les choses et de suivre l’application des lois.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Les chiffres que vous nous avez communiqués sont inquiétants, ma chère collègue, mais ils en disent surtout long sur les pressions qui s’exercent dans les collèges et dans les lycées pour que les cours consacrés à ces sujets n’aient pas lieu. Il n’est pas simple de parler de ces questions dans certains endroits…
Il faut donc aider les enseignants à s’approprier certaines choses, afin qu’ils puissent les transmettre. C’est un véritable problème, personne ne peut le nier.
Le code de l’éducation prévoit déjà des choses à ce sujet, d’où l’avis défavorable de la commission. Ce qui est prévu par la loi doit être appliqué et appliqué partout ! Je pense que l’on peut être d’accord là-dessus.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Il s’agit moins de pressions exercées sur les établissements scolaires que d’un déficit de volontaires pour assurer ces cours d’éducation sexuelle et d’information sur la sexualité.
Mon témoignage est celui d’un élu local, qui siège au conseil d’administration d’une dizaine de collèges et de lycées. Quand des associations existent – on en trouve souvent dans les grandes villes et dans les métropoles –, elles peuvent être une ressource pour ces interventions, mais, en milieu rural, il devient beaucoup plus difficile de trouver des bénévoles d’associations pour intervenir sur ces thèmes.
Dans ce cas, il faut se tourner vers l’équipe pédagogique et scruter les profils. Est-ce le professeur de sciences de la vie et de la terre, ou SVT, qui fera l’intervention ? Est-ce l’infirmière scolaire, à condition qu’il y en ait une, car, vous le savez, certaines infirmières scolaires assurent des temps partiels sur deux ou trois établissements ?
En outre, les enseignants et l’équipe pédagogique se trouvent souvent aux avant-postes pour détecter, ici ou là, des risques de mariage forcé ou de mutilation sexuelle.
Or si, dans certains cas, les adolescentes discutent entre elles et alertent le conseiller principal d’éducation, le CPE, l’assistante sociale, l’infirmière scolaire ou le professeur principal pour témoigner de ces réalités, parfois, c’est à l’issue d’un cours d’éducation et d’information sur la sexualité que des adolescentes témoignent de ces risques et de ces réalités, au travers des questionnaires anonymes d’évaluation.
Pour toutes ces raisons, fondées sur mon expérience de terrain dans le département dont je suis élu, à savoir l’Hérault, où j’ai vécu cette situation non pas une, mais plusieurs fois, je vous demande avec beaucoup de solennité, mes chers collègues, de voter cet amendement.
M. le président. En conséquence, l’article 16 ter A est rétabli dans cette rédaction.
Article 16 ter B
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 482 rectifié bis est présenté par Mmes Monier, Meunier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 557 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation est complétée par les mots : « et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines ».
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 482 rectifié bis.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement est le corollaire du précédent. Alors que celui-ci visait la formation sur les mutilations sexuelles génitales, celui-là tend à inclure, dans le programme de sensibilisation des élèves, la question de ces mutilations.
Pour nous qui travaillons sur ces sujets, il est évident que la violence infligée aux femmes et aux jeunes filles doit être traitée dans le cadre de ces cours, mais cette évidence n’est pas forcément partagée par tous. En outre, quand bien même elle le serait, elle nécessite des formations.
À ce propos, je souhaite dire un mot des fameux cours d’éducation à la vie affective et sexuelle et corroborer les propos que Mme la ministre vient de tenir.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié, en 2016, un rapport sur la réalité de ces cours ; les choses n’ont probablement pas beaucoup changé depuis lors, si j’en juge par les informations qui me remontent du terrain, et, si cela a changé, la pratique n’est pas stabilisée et la pérennité de ces cours n’est pas assurée.
Je vous le rappelle, pour assurer ces interventions, on fait appel à des associations. Et, en l’occurrence, les pressions ne sont pas forcément liées à ce dont on parle aujourd’hui dans l’hémicycle ; elles peuvent provenir de différentes structures idéologiques. En effet, toutes les associations auxquelles on fait appel n’enseignent pas la contraception, le droit à l’interruption volontaire de grossesse, IVG, ou l’existence de la pilule du lendemain.
Cet amendement est donc important, parce qu’il a pour objet, d’une part, de préciser – cela ne va pas de soi – que l’existence des mutations génitales et sexuelles fait partie de l’éducation à la vie affective et sexuelle, et, d’autre part, d’inciter à faire appel à des associations spécialisées ; je pense en particulier à l’association Excision, parlons-en !, dont l’administratrice est Moïra Sauvage, qui vient en appui d’autres associations.
Ces sujets sont suffisamment subtils et difficiles à aborder avec les élèves pour être spécifiquement prévus et confiés à des spécialistes, lesquels formeront d’autres intervenants.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 557 rectifié.
Mme Laurence Cohen. J’ai exposé mon point de vue sur le sujet en défendant l’amendement précédent ; en outre, Mme Rossignol a bien exposé l’objet de son amendement, qui est identique.
Je considère donc mon amendement comme défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Bien évidemment, la commission est favorable au fait que tous ces sujets soient abordés dans les collèges et les lycées.
Néanmoins, elle a supprimé l’article que vous souhaitez rétablir au travers de ces amendements, mes chères collègues, parce que tout cela est déjà prévu à l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, qui précise : « Une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. » Ce point donc déjà précisé dans la loi.
C’est vrai, cela ne se fait pas partout, pour des raisons diverses et variées, notamment quand le contexte est très particulier, mais c’est à nous de réarmer le cadre de l’éducation nationale afin d’y remédier.
Pourquoi la commission a-t-elle supprimé cet article ? Non pas parce qu’elle serait opposée à cette mesure, mais parce que celle-ci figure déjà dans le code de l’éducation. En revanche, je le répète, il appartient à l’éducation nationale de faire en sorte que cela s’applique partout.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Tout d’abord, je tiens à le préciser, j’ai obtenu les mêmes informations du terrain.
Nous sommes tous d’accord, je crois, pour affirmer que, à l’heure actuelle, ces interventions reposent trop sur la bonne volonté, qu’il s’agisse des moyens, des volontaires ou de la résistance aux pressions exercées de toutes parts ; nous faisons tous le même constat.
Ensuite, en ce qui concerne le fait d’entrer dans le détail dans la loi, je vais émettre, par souci de cohérence, un avis favorable sur cet amendement comme sur les précédents, mais j’entends aussi ce que dit Mme la rapporteure. Il est vrai que, si l’on a une lecture stricte du code de l’éducation, on peut arguer que cette mesure est déjà prévue par la loi.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 482 rectifié bis et 557 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 16 ter B demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 16 ter B
M. le président. L’amendement n° 481 rectifié bis, présenté par Mmes Monier, Meunier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 16 ter B
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation est complétée par les mots : « : la mise en place effective de ces séances fait l’objet d’un contrôle ».
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Cet amendement vise à compléter les dispositions du code de l’éducation relatives aux séances d’éducation à la sexualité, afin de préciser que « la mise en place effective de ces séances fait l’objet d’un contrôle ».
On vient de le dire, en pratique, ces séances ne sont pas toujours organisées. Certes, le code de l’éducation dispose déjà que ces cours doivent avoir lieu dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d’au moins trois séances annuelles, mais, je le répète, cette organisation n’est pas assurée dans un certain nombre d’établissements.
Au reste, le constat de cette lacune avait fait l’objet d’un large consensus sur les travées du Sénat, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021.
Ainsi, il nous paraît essentiel de réaffirmer que ces séances annuelles d’éducation à la sexualité doivent bien avoir lieu, car ces cours présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes, contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain et constituent, de ce fait, un outil pédagogique et préventif précieux pour faire vivre ces principes de la République que sont le respect de la dignité humaine et l’égalité entre les femmes et les hommes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. L’organisation de ces séances est prévue par le code de l’éducation et elle doit avoir lieu ; l’éducation à la sexualité fait partie des programmes de l’éducation et, à ce titre, elle est déjà soumise au contrôle des corps d’inspection dédiés.
On peut inscrire ce que l’on veut dans la loi, mais, quand les choses sont déjà prévues par les textes, c’est inutile !
Cet amendement étant satisfait, la commission en demande le retrait ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je représente le Gouvernement et, à ce titre, j’émets un avis défavorable.
Néanmoins, je tiens à dire – je conçois que cela puisse étonner – que je suis, à titre personnel, favorable à cet amendement.
Mon collègue Jean-Michel Blanquer, qui a la responsabilité de ces séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, fait valoir que l’éducation peut être abordée en SVT, mais qu’elle peut également se déployer lors d’échanges ayant lieu en dehors des temps d’apprentissage, notamment à l’occasion de discussions entre les élèves et le personnel, singulièrement les infirmiers et infirmières de l’éducation nationale.
Nous ne pouvons pas, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, décider d’un tel contrôle sans nous concerter avec le ministre de l’éducation nationale et sans évoquer ses modalités.
Toutefois, je le répète, à titre personnel, je partage pleinement cet objectif. Le ministre de l’éducation nationale et moi avions justement lancé un audit, afin d’étudier précisément à quels endroits ces séances d’éducation à la vie affective et sexuelle étaient organisées – nous avions adressé une circulaire en ce sens –, mais tout cela a été arrêté par la pandémie et par les mesures sanitaires.
Pour ma part, je partage votre volonté de contrôler l’effectivité et – j’ose le dire – la qualité de ces séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, car si certaines associations ont des agréments, le choix de l’intervenant peut aussi se faire de gré à gré, dans des conditions qui ne sont pas toujours idéales, d’après ce que nous ont indiqué certaines organisations de parents d’élèves.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mes chers collègues, je souhaite vous faire part de ma perplexité.
Évidemment, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage le point de vue de Mme la ministre, mais cet amendement fait l’objet de deux avis du Gouvernement, qui sont opposés… Ce n’est pas simple, d’autant qu’il s’agit d’un ajout de l’Assemblée et qu’il faudra donc trancher, le moment venu.
Nous maintenons bien sûr notre amendement, mais cette position du Gouvernement me paraît complexe. J’espère donc que le travail qui sera réalisé préalablement à la réunion de la commission mixte paritaire avec la majorité de l’Assemblée nationale, conduira à retenir la position de Mme Schiappa plutôt que celle de M. Blanquer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je prie Mme la sénatrice de La Gontrie de bien vouloir m’excuser, car je conçois tout à fait que cela soit déconcertant ou manque de clarté.
Je le reformule ainsi : le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cet amendement, mais j’ai émis une opinion personnelle sur cette question.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour un ministre, malheureusement, une opinion personnelle, cela n’existe pas !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 481 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 16 ter
Après la section 1 ter du chapitre V du titre II du livre II du code pénal, est insérée une section 1 quater ainsi rédigée :
« Section 1 quater
« Des examens en vue d’attester la virginité
« Art. 225-4-11. – Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques ou d’user contre elle de pressions ou de contraintes de toute nature afin qu’elle se soumette à un examen visant à attester sa virginité est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
« Lorsque la personne est mineure, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende.
« Art. 225-4-12. – Sans préjudice des cas dans lesquels ces faits constituent un viol, une agression sexuelle ou une atteinte sexuelle, le fait de procéder à un examen visant à attester la virginité d’une personne est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Lorsque la personne est mineure, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. »
M. le président. L’amendement n° 465 rectifié bis, présenté par Mmes Meunier, Monier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 6 et 7
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 16 ter du projet de loi fixe les peines associées à la nouvelle infraction de réalisation d’un examen destiné à attester de la virginité d’une personne.
Comme ils l’ont précédemment indiqué en défense de l’amendement n° 464 rectifié bis, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain estiment que cet examen doit être assimilé à un viol ou à une agression sexuelle, selon qui il y a eu ou non pénétration. Nous nous refusons à envisager que la jeune fille ou la femme puisse consentir à cet examen, en raison du poids du carcan familial ou de l’emprise de l’entourage, qui la place en situation de grande vulnérabilité.
En conséquence, cet amendement tend à supprimer les alinéas relatifs à l’infraction lorsque la victime est d’accord pour subir un tel examen.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission soutient la même argumentation que pour l’amendement n° 464 rectifié bis : elle est totalement opposée à la suppression de l’infraction spécifique visant les examens de virginité en dehors des cas de viol ou d’agression sexuelle. J’ai exposé précédemment les arguments à l’appui de cette position ; je ne les développerai pas de nouveau.
Par cohérence, la commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 465 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 16 ter.
(L’article 16 ter est adopté.)
Article 17
Le code civil est ainsi modifié :
1° Le 2° de l’article 63 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est supprimé ;
b) (nouveau) Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’officier de l’état civil demande à s’entretenir individuellement avec chacun des futurs époux lorsqu’il a des raisons de craindre, au vu des pièces fournies par ceux-ci, des éléments recueillis au cours de leur audition commune ou des éléments circonstanciés extérieurs reçus, dès lors qu’ils ne sont pas anonymes, que le mariage envisagé soit susceptible d’être annulé au titre des articles 146 ou 180. » ;
c) (nouveau) Aux quatrième et cinquième alinéas, le mot : « séparés » est remplacé par le mot : « individuels » ;
2° L’article 175-2 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Au premier alinéa, le mot : « prévue » est remplacé par les mots : « ou des entretiens individuels mentionnés » et les mots : « peut saisir » sont remplacés par le mot : « saisit » ;
b) (nouveau) Après le quatrième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les décisions d’opposition et de sursis font l’objet d’un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, aux fins d’être consultées par l’officier de l’état civil avant toute célébration de mariage ou transcription sur les registres de l’état civil français. Un décret en Conseil d’État, pris après avis publié et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise la durée de conservation des données enregistrées et les conditions de leur mise à jour, les catégories de personnes pouvant y accéder ou en être destinataires, ainsi que les modalités d’exercice des droits des personnes concernées.
« Lorsque l’officier de l’état civil constate que le mariage a déjà fait l’objet d’une décision de sursis ou d’opposition dans une autre commune ou à l’étranger, il ne peut célébrer le mariage ou transcrire l’acte de mariage étranger sur les registres de l’état civil français pendant la durée du sursis ou tant que l’opposition produit effet, sous peine de 3 000 euros d’amende et de tous dommages-intérêts. » ;
3° (nouveau) À l’article 171-3, les mots : « des futurs époux prévue à l’article 63 est réalisée » sont remplacés par les mots : « et les entretiens individuels des futurs époux mentionnés à l’article 63 sont réalisés » ;
4° (nouveau) L’article 171-7 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « l’audition des époux, ensemble ou séparément, » sont remplacés par les mots : « l’audition commune des époux et le cas échéant d’entretiens individuels » ;
b) À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « est réalisée » sont remplacés par les mots : « commune et les entretiens individuels sont réalisés » ;
c) À la dernière phrase du même deuxième alinéa, après le mot : « audition », sont insérés les mots : « commune et des entretiens individuels » ;
5° (nouveau) L’article 171-8 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, les mots : « l’audition des époux, ensemble ou séparément, » sont remplacés par les mots : « l’audition commune des époux et le cas échéant aux entretiens individuels » ;
b) À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « est réalisée » sont remplacés par les mots : « commune et les entretiens individuels sont réalisés » ;
c) À la dernière phrase du troisième alinéa, après le mot : « audition », sont insérés les mots : « et des entretiens individuels » ;
6° (nouveau) À la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 171-9, le mot : « prévue » est remplacé par les mots : « commune et aux entretiens individuels mentionnés ».
M. le président. L’amendement n° 499, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le quatrième alinéa du présent 2° s’applique avant toute transcription sur les registres d’état civil français d’un mariage célébré par une autorité étrangère. » ;
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Cet amendement a pour objet d’étendre la mesure visant à lutter contre les mariages forcés aux mariages célébrés à l’étranger, par une autorité étrangère, puis enregistrés à l’état civil français par la représentation diplomatique ou consulaire française territorialement compétente.
En effet, la transcription, en droit français, du mariage d’une personne française avec une personne étrangère, célébré par une autorité étrangère légitime pour le faire, produit des effets civils en France, pour les enfants et les époux, en permettant notamment d’obtenir la nationalité française.
Étant donné que la demande de transcription est faite auprès de l’autorité consulaire ou diplomatique compétente, en fonction du lieu de célébration du mariage, il revient à cette même autorité de prendre des mesures de prévention nécessaires pour empêcher, au maximum, la transcription de mariages dont l’objet serait d’obtenir la nationalité française sans reposer sur le consentement réel, sérieux et intègre qu’exige l’article 146 du code civil.
Ces fraudes, qui permettent la célébration de mariages simulés, que les deux conjoints soient au courant ou non, ouvrent la porte à une immigration clandestine légalisée et sont la cause de l’explosion des statistiques d’annulations de mariage.
L’obtention de la nationalité par le mariage est la première cause de l’immigration en France ; il faut la contrôler. Notre droit doit prendre les mesures de prévention nécessaires pour empêcher les nombreuses fraudes. La nationalité française s’hérite ou se mérite ; elle n’est pas une coquille vide et ne doit pas se laisser violer.
L’officier de l’état civil doit donc faire réaliser une audition commune ou des entretiens individuels avant la transcription du mariage célébré par une autorité étrangère, afin d’éviter toute tentative de fraude à la nationalité française.
Tel est le sens de cet amendement, que je vous propose, mes chers collègues, de voter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mon cher collègue, cet amendement est satisfait par le texte de la commission, qui, pour lever toute ambiguïté sur ce sujet, a procédé à la coordination de tous les articles relatifs aux mariages célébrés à l’étranger. Vous pouvez vous en assurer en consultant les alinéas 12 à 21 de l’article 17.
La commission vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Ravier, l’amendement n° 499 est-il maintenu ?
M. Stéphane Ravier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 499 est retiré.
L’amendement n° 177 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler et MM. Savary, H. Leroy, Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au dernier alinéa de l’article 63, les mots : « 3 à 30 euros » sont remplacés par le montant : « 750 euros » ;
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Les officiers d’état civil doivent obligatoirement procéder à l’audition des futurs époux, préalablement à la publication des bans, afin de détecter le défaut d’intention matrimoniale réelle et libre des candidats au mariage.
L’objet de cet amendement est de faire passer l’amende encourue par l’officier d’état civil ne se conformant pas à cette obligation d’un montant compris, selon l’article 63 du code civil, entre 3 et 30 euros, ce qui n’est pas assez dissuasif, à 750 euros, soit le montant prévu pour les contraventions de quatrième classe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je souhaite préciser deux points.
D’une part, Mme Boyer indique, à l’appui de son amendement, qu’il existe une obligation d’audition préalable à la publication des bans ; cela n’est pas vrai, cette audition n’est absolument pas obligatoire.
Ces auditions, qui sont encadrées, sont prévues lorsque l’officier ou les services de l’état civil ont des soupçons sur un mariage. En effet, l’article 63 du code civil prévoit que l’audition commune des futurs époux est conduite « sauf en cas d’impossibilité ou s’il apparaît, au vu des pièces fournies, que cette audition n’est pas nécessaire au regard des articles 146 et 180 » du même code.
D’autre part, je ne crois pas que l’augmentation d’une amende encourue pour non-respect des prescriptions de l’article 63 changerait quoi que ce soit à ces mariages compliqués, à propos desquels il faut effectivement faire quelque chose.
Il a semblé plus pertinent à la commission d’inciter à la formation et à la sensibilisation à ce sujet des élus et des fonctionnaires chargés de l’état civil. Là, il y a un véritable enjeu. Tous les élus locaux ici présents le savent, il n’est pas si simple que cela, lorsqu’un dossier de mariage est déposé, de détecter les points qui posent problème.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 177 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Je suis d’accord avec Mme la rapporteure, l’audition n’est pas une obligation. Néanmoins, l’amendement a pour objet de rendre le montant de l’amende réellement dissuasif.
Je maintiens donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 255 rectifié, présenté par MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Guiol, Requier, Roux et Artano et Mme Pantel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au deuxième alinéa, les mots : « dans les quinze jours de sa saisine » sont remplacés par les mots : « dans un délai de quarante-huit heures et par une décision motivée par écrit » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 17 du projet de loi clarifie les conditions dans lesquelles un officier d’état civil est amené à conduire un entretien individuel avec chaque futur époux, afin de vérifier que le mariage envisagé n’est ni forcé ni frauduleux.
Dans les cas où il existe des doutes sérieux quant à la sincérité d’un mariage, cet officier doit saisir le procureur de la République. Il est nécessaire que la décision de ce dernier intervienne dans un délai rapide, au regard de l’urgence de la situation, afin que l’on puisse s’opposer au mariage ou suspendre la célébration de celui-ci.
Il est également nécessaire que cette décision fasse l’objet d’une motivation écrite susceptible d’informer, dans les meilleurs délais, les agents de l’état civil, ainsi que les futurs époux, du sens de la procédure qui suivra.
Cet amendement vise à satisfaire ces deux objectifs, en réduisant le délai dans lequel le procureur doit fournir sa réponse aux signalements qui lui sont faits et en imposant une motivation écrite de sa décision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous connaissons le principe et l’organisation du signalement au procureur, par les maires, de ces mariages douteux, à la suite d’entretiens.
Les procureurs réagissent en fonction du temps dont ils disposent pour faire tout ce qu’ils ont à faire et, selon nous, un délai de quarante-huit heures serait matériellement impossible à respecter pour eux.
La commission comprend le sens de votre amendement, qui vise à prévoir des délais rapides, mais elle sait qu’il sera impossible de répondre en quarante-huit heures aux signalements.
Vous avez raison, mon cher collègue, de souligner l’importance de ce sujet ; les procureurs ne peuvent ou ne veulent pas traiter ces dossiers de manière prioritaire.
Nous l’avons compris lors des auditions que nous avons organisées, c’est un véritable problème pour les maires, qui signalent leurs doutes sur des mariages leur paraissant soit forcés soit frauduleux et pour lesquels ils n’obtiennent pas de réponse dans les délais requis. Vous avez raison, ce problème est réel, mais le délai de quarante-huit heures est impossible à respecter.
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je ne voterai pas cet amendement, mais ses dispositions posent la question de l’application de la loi et de l’effectivité des textes que nous adoptons.
Le projet de loi instaurait un questionnaire unique pour tous les maires ; c’est très bien, mais cela soulève la question de l’adaptation de ceux qui sont interrogés lors des entretiens individuels, donc cela suppose que le questionnaire change très régulièrement.
De la même manière, il s’agit ici d’une question de mise en œuvre. Je serai plus insistant que Mme la rapporteure, qui a dit les choses en termes très mesurés : les communes, surtout les petites, qui sont plus souvent ciblées, ont un problème lorsqu’elles signalent leurs soupçons au procureur. Elles font même parfois l’objet d’une intervention orale du bureau du procureur, qui les dissuade de procéder au signalement et encore plus aux entretiens !
Il faut donc alerter le Gouvernement à ce sujet. Les dispositions législatives existent ; nul besoin de les améliorer, encore moins de raccourcir les délais – cela donnerait un prétexte supplémentaire au procureur pour ne pas intervenir et pour laisser célébrer les mariages. Simplement, il faut que la Chancellerie remobilise les procureurs, pour que les textes soient réellement appliqués.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mon intervention sera de la même veine que celle de notre collègue de Belenet. Elle se fonde sur ce que Philippe Bas a appelé, plus tôt, des « tigres de papier ».
Ce texte prévoit toute une série de normes, d’injonctions et de contrôles. Or nous n’avons eu de cesse, depuis le début de l’examen du projet de loi, de constater que les administrations n’auront de toute façon pas la possibilité d’exercer ces contrôles – elles n’en demandent d’ailleurs pas tant !
C’est quelquefois très préjudiciable ; nous l’avons dit hier en matière fiscale et parlons aujourd’hui des mariages. Les motifs de l’opposition du Gouvernement sont intéressants : de toute évidence, les procureurs sont débordés. Mais que veut-on ?
Je crains que ce texte ne nous donne le sentiment de n’avoir pas fait œuvre utile. Ses dispositions, en grande partie, se révéleront totalement stériles, au sens où elles ne produiront aucun effet.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Monsieur de Belenet, le questionnaire existe déjà. De toute façon, un questionnaire ne suffirait pas à prévoir tous les échanges d’un officier d’état civil avec l’un des mariés. Un questionnaire ne peut être qu’un document qui oriente une discussion ; il est conduit à évoluer en fonction des réponses qui sont formulées.
Telle est la nuance que je tenais à apporter. Un questionnaire, par définition, donne des axes d’échange, mais il ne peut suffire à prévoir toutes les questions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, je souhaiterais modifier l’amendement n° 255 rectifié, afin de porter le délai de quarante-huit heures à huit jours et de prévoir que les décisions motivées seront adressées par courriel – ce sera plus rapide ! (Sourires.)
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 255 rectifié bis, présenté par MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Guiol, Requier, Roux et Artano et Mme Pantel, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au deuxième alinéa, les mots : « dans les quinze jours de sa saisine » sont remplacés par les mots : « dans un délai de huit jours et par une décision motivée par courriel » ;
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La proposition paraît nettement plus raisonnable. La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il y a un vrai doute sur le temps qui est laissé pour réaliser l’enquête. Le garde des sceaux prendra de toute façon une circulaire d’application.
Le Gouvernement maintient donc son avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 175 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Boré et Le Rudulier, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, Houpert, B. Fournier, Charon, Longuet, Bouchet, Genet, Savary et H. Leroy, Mmes Bourrat et Schalck et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il apparaît que le mariage envisagé a pour finalité de tenter de commettre l’une des infractions mentionnées à l’article L. 623-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le procureur de la République, saisi sans délai par l’officier d’état civil, est tenu dans les quinze jours de sa saisine de surseoir à la célébration du mariage et de faire procéder à une enquête sur cette tentative de commission d’infraction. » ;
…) Au troisième alinéa, les mots : « un mois renouvelable » sont remplacés par les mots : « deux mois renouvelables » ;
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Toujours dans le souci d’empêcher qu’un mariage puisse être contracté aux fins d’obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour ou la nationalité française, il convient d’obliger le ministère public, saisi par le maire, à surseoir automatiquement à la célébration d’une union en cas de suspicion de mariage de complaisance.
Actuellement, le délai de sursis est d’un mois renouvelable.
Nous proposons de porter ce délai à deux mois renouvelables, afin de prendre en considération les recommandations de la commission des lois et de laisser au procureur de la République davantage de temps pour diligenter une enquête, afin d’établir la tentative de commission des infractions décrites à l’article L. 632-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le Ceseda, et, le cas échéant, d’engager des poursuites.
M. le président. L’amendement n° 176 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, de Legge, Meurant, Houpert, B. Fournier, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet et Savary, Mme Boulay-Espéronnier, M. H. Leroy, Mmes Bourrat et Schalck, MM. Segouin et Tabarot et Mme Berthet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au troisième alinéa, les mots : « un mois renouvelable » sont remplacés par les mots : « deux mois renouvelables » ;
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Il s’agit d’un amendement de repli.
Actuellement, le procureur de la République est tenu, dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine, soit de laisser procéder au mariage, soit de faire opposition à celui-ci, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier d’état civil et aux intéressés.
La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée. Nous suggérons de porter ce délai à deux mois renouvelables, afin de prendre en considération les recommandations de la commission des lois et de laisser au procureur de la République davantage de temps pour diligenter une enquête.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Les dispositions de l’amendement n° 175 rectifié posent problème, car le procureur, lorsqu’il sursoit à la célébration d’une union, doit disposer d’éléments.
Conformément à votre proposition, le procureur devrait prononcer automatiquement un sursis dès lors qu’un signalement est effectué. Mais sur la base de quels éléments peut-il alors prononcer un tel sursis ? Le maire peut certes avoir des doutes et les signaler au procureur, mais ce dernier doit disposer d’éléments pour diligenter une enquête.
Nous sommes donc défavorables à cet amendement.
Quant à l’amendement n° 176 rectifié, la commission s’en remet à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. L’article 175-2 du code civil a déjà vocation à s’appliquer aux mariages frauduleux, dans la mesure où il renvoie à l’article 146 du même code, relatif à l’absence d’intention matrimoniale, sur lequel se fonde habituellement la jurisprudence pour sanctionner les mariages blancs ou gris.
La rédaction ici proposée laisse entendre que la preuve de la commission d’une infraction paraît établie, lorsque le procureur de la République est saisi par l’officier d’état civil.
Or toutes les auditions que nous avons menées, notamment avec l’Association des maires de France, nous montrent à quel point il est difficile d’établir l’infraction – un présupposé ne correspond pas toujours à la réalité !
Le procureur de la République est saisi sur le fondement d’indices qui laissent penser que le mariage serait conclu à des fins étrangères à la création d’une union matrimoniale. Il lui appartient ensuite de déterminer si ces indices sont suffisamment sérieux pour surseoir à la célébration d’un mariage.
Enfin, le pouvoir d’appréciation du procureur de la République est une condition de la constitutionnalité du dispositif de contrôle préalable de la validité des mariages. Il nous semble impossible de le supprimer.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Monsieur Le Rudulier, les amendements nos 175 rectifié et 176 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Stéphane Le Rudulier. Oui, je les maintiens, monsieur le président. Néanmoins, je rejoins l’avis de Mme la rapporteure et préférerais que le second amendement soit adopté.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’amendement n° 176 rectifié.
Mme Nathalie Goulet. La modification du délai n’est pas une mauvaise idée.
En effet, il existe un réel problème de nomadisme en la matière. Si un couple s’aperçoit que telle mairie est suspicieuse des fins pour lesquelles la célébration d’un mariage est demandée et saisit le procureur pour qu’il prononce un sursis, il risque de se rendre dans une autre commune, voire dans une autre région.
Comment éviter ce nomadisme, madame la ministre ? Il n’est pas possible de tenir un registre des couples dont les mairies ont refusé de célébrer l’union. Nous avons déjà évoqué ce problème en commission ; il devrait y être remédié plus tard, m’a-t-on dit. En tout cas, il y a là un vrai sujet.
Par ailleurs, compte tenu de toutes les dispositions que nous votons, je me demande comment les procureurs, qui sont déjà submergés de travail, vont s’en sortir…
Je voterai donc en faveur de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 663, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
1° Remplacer les mots :
par l’officier de l’état civil avant toute
par les mots :
avant une
2° Après le mot :
ou
insérer le mot :
une
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Pour répondre à Mme Goulet, lors de nos travaux en commission, nous avons ajouté à l’article 17 un alinéa 10, qui prévoit la mise en place d’une base de données spécifique dédiée au traitement informatisé des décisions d’opposition et de sursis, afin de remédier en partie aux problèmes de nomadisme.
Cet amendement vise à donner plus de souplesse au ministère de la justice pour organiser la consultation de cette base de données. Cette consultation pourrait être faite directement par l’officier d’état civil, ou indirectement par l’intermédiaire du procureur de la République.
L’objectif est que l’officier d’état civil, avant de célébrer un mariage ou de transcrire un mariage célébré à l’étranger, puisse prendre connaissance d’une éventuelle décision d’opposition ou de sursis déjà prononcée.
Afin que les choses soient déterminées d’un point de vue réglementaire, le décret d’application déterminerait les catégories de personnes pouvant accéder à la base de données ou être destinataires des informations qu’elle contient. Cela donnerait des clés aux officiers d’état civil et aux procureurs pour contenir le nomadisme des dossiers.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame, la rapporteure, vos échanges ont été nombreux avec le ministre de l’intérieur ; vous connaissez la position du Gouvernement sur la création de cette base de données, qui recenserait, au niveau national, l’ensemble des décisions d’opposition et de sursis à la célébration d’un mariage ou à sa transcription sur les registres de l’état civil.
Nous y sommes défavorables, car, en pratique, il paraît complexe et coûteux de la mettre en place, compte tenu du nombre de communes concernées.
Il faudrait, au préalable, dématérialiser et interconnecter la totalité des registres de l’état civil des communes portant sur les mariages. Le coût suscité par cette opération serait lourd à porter, en particulier pour les plus petites communes, qui devraient réaliser des investissements très importants.
Nous invitons le Sénat à prendre en considération les difficultés que les communes rencontreraient pour supporter les contraintes qu’impliquerait une telle réforme.
Nous relevons que cet amendement vise à apporter une certaine souplesse au dispositif de consultation, en ce que celle-ci pourrait également être effectuée par les procureurs de la République. Toutefois, dans les faits, ces dispositions ne pourraient pas être appliquées avant plusieurs années au moins, faute pour les procureurs de la République de disposer eux-mêmes d’une base nationale des sursis et des oppositions à mariage.
Cette base de données pourrait être créée dans le cadre de la refonte des applications civiles des juridictions, par exemple, à laquelle le garde des sceaux travaille actuellement.
Aussi, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cette mesure n’aurait aucune incidence ni ne susciterait aucun coût pour les collectivités locales, puisque la base de données serait centralisée au niveau des procureurs. Les collectivités sont plutôt en demande de ces informations.
L’alinéa que nous avons ajouté précise bien le contexte dans lequel les informations sont traitées. La création de la base de données ne surcharge en rien les collectivités locales, en termes tant de moyens humains que de ressources financières.
M. le président. L’amendement n° 315, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’article 180 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les qualités essentielles mentionnées à l’alinéa précédent ne peuvent concerner la virginité des époux. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Si ce projet de loi entend réellement réaffirmer les principes de la République, au premier rang desquels le principe de laïcité, il ne saurait être uniquement le symbole de la stigmatisation gratuite d’une certaine partie de la population française, notamment des musulmans. Au contraire, il devrait être vecteur de progrès sociétaux, en l’occurrence en matière de droit des femmes.
Souvenons-nous de quelques errements de la jurisprudence, à l’image d’un arrêt rendu par le tribunal de grande instance de Lille en 2008, qui a prononcé la nullité d’un mariage au motif de la non-virginité de la future épouse. Vous conviendrez qu’il s’agit là d’une vision passéiste et surtout religieuse du mariage, qui, pourtant, constitue une institution républicaine.
Il reste bien des progrès à accomplir en matière de droits des femmes et de liberté des individus à disposer de leur corps et à vivre librement leur sexualité.
Pour tenter d’abréger ce long chemin, le présent à amendement vise à exclure la virginité des époux du champ des qualités essentielles pouvant justifier une annulation du mariage au sens de l’article 180 du code civil.
Cette précision n’est aucunement superfétatoire, comme le montre l’arrêt du tribunal de grande instance de Lille. Il nous apparaît utile de réaffirmer un principe tel que la libre disposition de soi, qui est tout aussi fondamental que la laïcité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement vise à inscrire expressément dans le code civil que l’erreur sur la virginité n’est pas une erreur sur une qualité essentielle.
L’erreur sur la virginité a certes reçu l’accueil favorable du tribunal de grande instance de Lille, le 1er avril 2008, mais la cour d’appel de Douai a infirmé ce jugement la même année.
Cette précision nous semble donc inutile. Je ne pense pas, madame Benbassa, que vous vouliez conférer une valeur à la virginité dans le code civil, en l’y inscrivant en des termes exprès ! Ce serait assez curieux au XXIe siècle…
La commission émet donc évidemment un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 168 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, de Legge, Meurant, Houpert, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary et H. Leroy, Mme de Cidrac, MM. Segouin et Tabarot et Mme Berthet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après l’article 143 du code civil, il est inséré un article 143-… ainsi rédigé :
« Art. 143-…. – Le mariage ne peut être contracté si l’un des futurs époux séjourne irrégulièrement sur le territoire français. »
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière ne cesse de croître en France, notamment en raison du maintien de la quasi-totalité des demandeurs d’asile déboutés sur le territoire. Il y aurait ainsi, selon les experts, entre 600 000 et 900 000 clandestins.
Un étranger peut obtenir la nationalité française après quatre années de mariage avec un citoyen français, même lorsqu’il était en situation irrégulière au jour de la célébration du mariage.
Il ne s’agit pas, au travers de cet amendement, de considérer que tous les mariages avec des étrangers sont frauduleux, mais notre droit est, de toute évidence, un peu trop complaisant. La législation en vigueur est une brèche, tant dans la lutte contre les mariages blancs ou gris que dans la lutte contre l’immigration illégale. Il est donc essentiel d’y remédier.
Le droit fondamental au mariage et reconnu par l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Pour autant, il existe déjà des conditions au mariage : des conditions de fond – âge minimum, autorisation à mariage, consentement des époux – et des conditions de forme, comme l’accomplissement de formalités préalables, l’opposition au mariage et la mention du lieu et de la date de la célébration de l’union dans l’acte de mariage.
Plusieurs causes d’empêchement sont également prévues par la loi. Je vous propose seulement d’ajouter comme condition la régularité de séjour, mes chers collègues. En tout cas, nous devrions empêcher l’accès à la nationalité française par le mariage ou la limiter davantage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous avons souvent eu ce débat, notamment au sein de notre groupe.
L’objectif visé par cet amendement est certes compréhensible : de nombreux maires se trouvent confrontés à des mariages liés à des demandes de titre de séjour. Au-delà de tous les problèmes que cela pose, une fois ces mariages célébrés, la plupart des jeunes femmes concernées, qui souvent ont été soumises à de fortes pressions, se retrouvent seules quelques années plus tard.
Il est toujours possible de présenter des amendements visant à soulever ce problème, mon cher collègue, et de tenter de faire évoluer la loi. Toutefois, en l’état actuel et malgré toutes les volontés, cet amendement n’est tout simplement pas applicable.
Bien que nous partagions beaucoup de choses sur sujet, je n’ai d’autre choix que de vous demander de retirer cet amendement, mon cher collègue, faute de quoi l’avis de la commission serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je n’ai pas bien saisi votre argument, madame la rapporteure. En quoi notre proposition n’est-elle pas applicable ?
S’il s’agit de dire qu’il y a un droit supérieur, en vertu duquel la mesure ne peut être envisagée, autant l’affirmer clairement.
En pratique, notre proposition paraît tout à fait applicable ; mieux encore, elle est souhaitable, sauf à ce que la jurisprudence en ait décidé autrement, mais les choses ne sont pas très claires de ce point de vue.
Exercer le droit de se marier sans disposer d’un titre de séjour régulier sur le territoire national, c’est faire fi des lois de la République française !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Une fois encore, nous pouvons partager l’objectif visé par votre amendement, mais, aujourd’hui, tout un argumentaire juridique s’oppose à ce que nous l’adoptions. Bien des choses devraient être modifiées pour satisfaire votre proposition.
Cela fait quinze ans que des élus de tous bords soulèvent ce problème. S’ils ne sont pas parvenus à faire adopter les mesures qu’ils suggèrent, c’est parce qu’il n’existe pas d’outils adaptés.
La commission des lois est extrêmement attentive à ce qu’il est possible de faire, ou non, sous l’empire du droit. Si nous disposions ne serait-ce que d’un étroit chemin pour satisfaire cet amendement, nous l’aurions emprunté très clairement.
M. Jérôme Bascher. Ce que je propose n’est pas anticonstitutionnel !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. On peut toujours définir certains objectifs et avoir des postures intellectuelles à ce sujet, mais votre proposition n’est pas recevable.
M. Jérôme Bascher. Rien n’interdit de l’appliquer !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Si, la Constitution et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’y opposent ! Plusieurs condamnations ont été prononcées à ce sujet, en vertu de bases juridiques clairement établies.
Résignez-vous, mon cher collègue, à entendre que ce n’est pas possible.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je décèle un biais dans le raisonnement des auteurs de l’amendement, qui soutiennent que le droit absolu au mariage est déjà conditionné. Toutefois, les conditions déjà existantes et celle qui est ici proposée ne sont pas du tout de même nature.
Pour consentir à se marier, il faut être majeur ; mais cette condition d’âge ne met pas en cause fondamentalement le droit de se marier. La condition de résidence, qui a été considérablement assouplie, relève d’une question d’organisation ; elle n’empêche en rien le mariage sur le territoire national. L’absence de lien de parenté vise les cas de consanguinité ; c’est une question évidente, sur laquelle il n’est pas utile de s’étendre.
La condition du séjour légal sur le territoire, quant à elle, est d’une tout autre nature ; elle constituerait une entrave au droit de se marier. Les conditions déjà existantes et celle que nos collègues veulent introduire dans la loi ne sont pas de même nature juridique et n’ont pas du tout la même portée.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Nous avons eu ce débat sur tous les textes migratoires dont la Haute Assemblée a eu à connaître.
Chaque fois, nous avons formulé la même réponse ; le Conseil constitutionnel s’est prononcé très clairement, en indiquant que le caractère irrégulier du séjour ne permettait pas de s’opposer au mariage, car ce dernier constitue une liberté fondamentale. La Cour européenne des droits de l’homme l’a confirmé, au titre, me semble-t-il, de son article 13. Cette jurisprudence s’impose à nous.
En revanche, chaque fois qu’il existe une suspicion ou une difficulté dans ce type de situation, le maire saisit le procureur de la République, lequel peut surseoir à célébrer le mariage. Mais on ne peut en aucun cas empêcher que le mariage soit célébré.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La liberté matrimoniale a valeur constitutionnelle. Nous devons nous en remettre à la diligence des préfets et des procureurs de la République.
Manifestement, le risque d’inconstitutionnalité de cet amendement est avéré.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour explication de vote.
M. Stéphane Le Rudulier. Que je sache, aucun droit fondamental n’est absolu ; la règle qui prévaut est celle de la conciliation des droits fondamentaux entre eux.
Qu’un individu qui ne possède pas de lieu de résidence officielle sur le territoire français puisse se marier me choque quelque peu, surtout si c’est sujet à caution pour une régularisation.
Adopter cet amendement, ce serait aussi saisir officiellement le Conseil constitutionnel pour qu’il se positionne de manière très claire, au-delà de la jurisprudence, sur les cas d’espèce qu’il a pu rencontrer.
Pour ces raisons, je maintiens cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 166 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, B. Fournier, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet et Savary, Mme Boulay-Espéronnier, M. H. Leroy, Mme Bourrat et MM. Segouin, Tabarot et Husson, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Après la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 2123-12 du code général des collectivités territoriales, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il prévoit une formation à la détection des mariages envisagés dans un but autre que l’union matrimoniale pour ceux de ses membres qui remplissent les fonctions d’officier de l’état civil. »
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Selon l’article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales, le maire et ses adjoints sont les seuls officiers d’état civil.
Toutefois, l’article R. 2122-10 du même code laisse la possibilité au maire de déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires de la commune certaines fonctions qu’il exerce en tant qu’officier d’état civil. Aux termes de l’article L. 2123-12 du code général des collectivités territoriales, les membres d’un conseil municipal ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions.
Cet amendement vise à renforcer ce droit, en proposant aux officiers d’état civil des formations relatives à la détection des mariages frauduleux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement paraît satisfait. En effet, d’après le code général des collectivités territoriales, les membres d’un conseil municipal ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions, notamment s’agissant de celles qui sont exercées au nom de l’État, et y compris au titre de l’état civil.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Une fois ce projet de loi voté, le garde des sceaux prendra une circulaire pour mettre en œuvre ces interdictions.
De mon côté, j’ai demandé à la Fédération nationale GAMS, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants, de travailler à la réalisation d’un guide destiné aux élus. L’Association des maires de France a en effet demandé que les autorités locales soient davantage outillées, afin qu’elles puissent mieux comprendre et repérer ces phénomènes.
Nous sommes en train de travailler à ce guide, qui est quasiment finalisé. Si ce projet de loi est adopté, nous le diffuserons à l’ensemble des élus, dès que la loi sera promulguée, afin d’appuyer la circulaire du garde des sceaux.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 166 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Non, compte tenu de ces arguments, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 166 rectifié est retiré.
L’amendement n° 167 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, Meurant, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet et Savary, Mme Boulay-Espéronnier et MM. H. Leroy, Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le code général des collectivités est ainsi modifié :
1° L’article L. 2122-32 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le maire désigne parmi ses adjoints officiers d’état civil un ou plusieurs référents en matière de détection des mariages envisagés dans un but autre que l’union matrimoniale chargé de les conseiller, en particulier dans la conduite des auditions prévues au 2° de l’article 63 du code civil. » ;
2° Le deuxième alinéa de l’article L. 2511-26 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le maire d’arrondissement désigne parmi ses adjoints officiers d’état civil un référent en matière de détection des mariages envisagés dans un but autre que l’union matrimoniale chargé de les conseiller, en particulier dans la conduite des auditions prévues au 2° de l’article 63 du code civil. »
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Dans chaque commune et dans chaque arrondissement ou secteur, le maire doit pouvoir désigner un ou plusieurs élus officiers d’état civil référents en matière de mariages frauduleux.
Ces référents seraient chargés de conseiller les autres officiers d’état civil dans la conduite des auditions obligatoires et dans la détection des mariages envisagés dans un but autre que l’union matrimoniale.
Cela permettrait d’accroître l’expertise requise en cas de doute, notamment lors de la conduite des auditions des futurs mariés, sans toutefois augmenter les dépenses de la collectivité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Tout d’abord, je pense que chaque maire est libre de déléguer un certain nombre de compétences à ses adjoints ou à ses conseillers municipaux. Obliger le maire à désigner un référent en matière de détection de mariages frauduleux conduirait à rigidifier la loi. En outre, entre nous, je ne suis pas sûre qu’il soit efficace d’avoir un spécialiste du sujet.
Il appartient peut-être au maire d’attirer l’attention des élus sur ce sujet, mais nous ne pouvons pas nous immiscer ainsi dans la gestion au quotidien des collectivités locales. Il me semble qu’il faut laisser les maires et les élus s’organiser en fonction de leur territoire, ces problèmes ne se posant pas partout.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Le Rudulier, l’amendement n° 167 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Le Rudulier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 167 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 17, modifié.
(L’article 17 est adopté.)
Article additionnel après l’article 17
M. le président. L’amendement n° 484 rectifié bis, présenté par Mmes Monier, Meunier et de La Gontrie, M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Sueur et Marie, Mme Lepage, MM. Féraud et Leconte, Mme Harribey, MM. Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa de l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est désigné au sein du conseil municipal un correspondant pour les questions relatives à l’égalité femmes-hommes. »
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Cet amendement vise à instaurer un correspondant pour les questions relatives à l’égalité femmes-hommes au sein de chaque conseil municipal.
Nous avons eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises au cours de nos débats sur ce texte : oui, l’égalité entre les femmes et les hommes est un principe républicain. Il est essentiel de le faire vivre dans l’ensemble de nos territoires et de le décliner au premier échelon démocratique, celui des 35 000 communes.
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la création de ces conseillers municipaux dédiés, qui constitueront des interlocuteurs privilégiés sur l’ensemble des questions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, au sein de chaque commune.
Si les mariages forcés ont constitué le point de départ de notre réflexion, les officiers d’état civil ayant fait état d’un manque de formation et de sensibilisation rendant plus difficile la détection de ces mariages, il nous est très vite apparu évident qu’il fallait étendre les compétences des élus à l’ensemble des sujets relatifs à l’égalité entre les femmes et les hommes.
En effet, les élus se trouvent souvent démunis lorsqu’ils sont sollicités sur ces questions, notamment sur les violences sexistes et sexuelles, ainsi que sur les violences intrafamiliales. C’est particulièrement le cas en milieu rural.
Dans ces territoires où sont commis la moitié des féminicides – 50 % des féminicides ont lieu en milieu rural ! –, les élus constituent parfois le premier maillon de la chaîne de prise en charge, faute d’autres structures vers lesquelles se tourner. Ils pourraient dans ce contexte trouver l’appui nécessaire auprès d’un tel correspondant, désigné à l’échelon de la collectivité.
Soutenus dans leur action par le réseau des directions régionales et les délégués départementaux aux droits des femmes et à l’égalité, ces correspondants contribueraient à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité dans l’ensemble de nos territoires en centralisant et en relayant activement l’ensemble des informations liées à ces thématiques, ainsi que les initiatives locales auprès du conseil municipal et des habitants de leur commune.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mon argumentaire sera le même que pour l’amendement précédent. Ce projet de loi n’a pas pour objet d’indiquer aux maires quelles délégations ils doivent donner à leurs adjoints ou conseillers municipaux…
Mme Marie-Pierre Monier. Ce n’est pas une délégation !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ma chère collègue, l’amendement précédent visait à instaurer un référent « mariages frauduleux », le vôtre tend à instituer un correspondant à l’égalité hommes-femmes, sujet essentiel, mais tout cela est déjà possible : les maires qui souhaitent créer de telles délégations le peuvent.
Adopter cet amendement, ce serait porter atteinte au principe de libre administration des collectivités locales. Il appartient au maire de décider des délégations qu’il donne à ses élus et de l’image qu’il souhaite offrir. Cela lui appartient. On ne peut pas rigidifier les choses à ce point.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, mon avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. En vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales, il est important de laisser les maires décider librement de l’intitulé des délégations qu’ils souhaitent proposer.
Sur le fond, je pense que le principe de libre administration des collectivités est important et que la responsabilité de l’élu peut varier en fonction de la taille des communes et de son niveau d’avancement sur ces questions.
Néanmoins, comme je ne veux pas donner l’impression d’être opposée à l’existence de conseillers municipaux ou d’adjoints au maire dédiés à l’égalité entre les femmes et les hommes, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat, par principe.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Je tiens à préciser que cet amendement ne vise pas du tout à prévoir une délégation !
Je propose, sur le modèle du référent défense désigné au sein du conseil municipal, qui n’a pas de délégation, la création d’un correspondant. Cela permettrait à chaque commune de se saisir des sujets relatifs à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Il faudrait également prévoir une formation ou l’intervention d’associations. Ce serait une manière de clamer haut et fort que l’égalité entre les femmes et les hommes est l’un des principes de notre République.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 484 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quatorze heures quarante, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Bernard Hugo, qui fut sénateur des Yvelines de 1977 à 1986.
4
Respect des principes de la République
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République.
Demande de réserve
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, je demande la réserve, après l’article 55, de l’article 31, ainsi que des amendements portant articles additionnels après les articles 30 et 31.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
Mme la présidente. La réserve est ordonnée.
Chapitre IV
Dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne
Article 18
Après l’article 223-1 du code pénal, il est inséré un article 223-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 223-1-1. – Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ou d’un journaliste détenteur de la carte de presse, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.
« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne mineure, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.
« Lorsque les faits sont reprochés à une personne mentionnée à l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le régime de responsabilité et les garanties procédurales prévues par ladite loi lui sont applicables. »
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Nous abordons de nouveau dans cet hémicycle une discussion sur la liberté de la presse.
Sincèrement, je ne pensais pas, après avoir eu à plaider pour cette liberté au cours des quinquennats de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, qu’elle serait aussi malmenée durant ce quinquennat ! Combien de journalistes ont été empêchés de travailler, voire malmenés dans l’exercice de leur métier et dans la loi ?
L’article 18 du présent projet de loi traite à peu près des mêmes sujets que l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, sans que le Gouvernement nous ait clairement expliqué le lien entre ces deux articles. Ce ne sont pas les mêmes et ils ne recouvrent pas exactement les mêmes périmètres, mais ils ont un périmètre commun.
Avec cette inflation législative, vous remettez en cause la liberté de la presse, contre l’avis de tous ceux qui la font vivre, qu’ils soient éditeurs ou journalistes.
Le spectre des atteintes visé est très large : toutes les atteintes à la personne ou aux biens sont désormais couvertes par la nouvelle incrimination, dont la portée est considérablement accrue. Une clarification est nécessaire sur l’impossibilité d’utiliser cette qualification pour la liberté d’information et d’expression.
Je pense notamment au fait de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public. Il est nécessaire d’exclure la presse explicitement du champ de cet article. Nous avons déposé un amendement à cette fin.
De nombreux syndicats nous ont fait part de leur inquiétude concernant certains articles, qui pourraient poser de véritables problèmes tant pour les journalistes que pour les lanceurs d’alerte. Faire croire que c’est la liberté de la presse qui pose problème en ce qui concerne la montée du séparatisme est une erreur.
La loi est un outil pour lutter contre le séparatisme, mais c’est grâce à la liberté de la presse à la française que nous vaincrons tous ceux qui veulent remettre en cause la démocratie.
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cet article est intéressant. Il illustre selon moi une formule assez célèbre d’Albert Camus, qui disait : « Nous ne pouvons plus choisir nos problèmes. Ils nous choisissent l’un après l’autre. Acceptons d’être choisis. »
Au cours de la construction de la République, le choix a été fait de traiter un certain nombre de problèmes, ou en tout cas de grandes questions : la question sociale au tournant du XIXe siècle, la séparation des Églises et de l’État, etc. La République s’est construite et solidifiée progressivement.
Il y a aussi des problèmes qui nous sautent à la figure, un réel auquel nous sommes confrontés. Je pense notamment à l’apparition aujourd’hui d’un nouvel espace public, l’espace public virtuel.
On vivait en République avec une séparation, que Hannah Arendt avait bien établie, en s’appuyant d’ailleurs sur la philosophie grecque, entre vie privée et vie publique. La grande question était : qu’est-ce qui est public en République ?
Ce qui est public en République, c’est l’espace public. L’espace public est réel, physique, mais il est aussi théorique. C’est ce que l’on appelle l’espace public de la délibération, comme le qualifiait Jürgen Habermas, par exemple.
Aujourd’hui, cet espace public est de plus en plus le lieu d’attaques de haine en ligne. Des personnes sont insultées et attaquées en raison de ce qu’elles disent, de ce qu’elles sont, de leur métier, etc. Cet article doit aussi traiter de cette question.
Ce projet de loi est intéressant en ce qu’il conforte les principes de la République dans un monde qui a changé et où sont apparus des phénomènes qui, par essence, n’étaient pas prévus par la République, telle qu’elle s’est construite initialement. Nous aurons évidemment des débats sur ces sujets.
Il est important de fixer un certain nombre de frontières et de principes, mais aussi de rappeler que nous devons faire face à un imprévu : redéfinir l’espace public dans une République au XXIe siècle.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 316 est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 555 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 316.
Mme Esther Benbassa. À peine sorties par la porte, les voilà revenues par la fenêtre : les dispositions de l’article 24 de la proposition de loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés, autrement connue sous le nom de proposition de loi relative à la sécurité globale, font leur grand retour.
L’article 18 du présent projet de loi, réécrit de manière partielle par la commission des lois du Sénat, crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion ou la transmission d’informations sur internet, assorti de deux circonstances aggravantes : si la victime est dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou si la victime est mineure.
Cet article élargit considérablement le champ d’application de l’article 24, en visant « l’exposition à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens ». Toutes les atteintes à la personne seraient donc visées par cette nouvelle incrimination, sans qu’il soit nécessaire de prouver le caractère volontaire ou non de cette atteinte.
Cette rédaction imprécise et les nouvelles peines extrêmement sévères qui sont prévues sont contraires tant au principe de la légalité des délits et des peines, selon les dispositions de l’article 111-3 du code pénal, qu’au principe de la liberté d’expression, consacrée aux articles X et XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Par conséquent, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 555 rectifié.
M. Fabien Gay. Monsieur le garde des sceaux, tout acte de haine est répréhensible, y compris en ligne ; nous sommes tous et toutes d’accord sur ce point. Toutefois, le droit aujourd’hui nous permet déjà de condamner de tels actes. C’est la réalité.
Vous le savez – je parle sous le contrôle de M. Ouzoulias –, depuis l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet, dite « loi Avia », nous débattons de ces questions : nous ne voulons pas que les Gafam – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – aient le pouvoir sur nous. Nous considérons que, dans la République française, c’est le juge qui doit condamner.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Cela dit, monsieur le garde des sceaux, l’article 18 du présent projet de loi ressemble comme deux gouttes d’eau à l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Vous connaissez la position de notre groupe sur cet article, donc sur l’article 18 sur la diffusion des images. La question qui est posée est la suivante : qui aura le droit, ou pas, de diffuser des images ?
Nous considérons que la liberté de la presse peut être attaquée, autant par l’article 24 que par cet article 18. Et ce n’est pas possible pour nous.
C’est pourquoi nous exigeons, comme le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires, la suppression de cet article attentatoire à la liberté de la presse, telle que nous la concevons, telle que la conçoivent également les lanceurs d’alerte ; il faudrait d’ailleurs aujourd’hui légiférer plutôt pour sécuriser ces derniers.
Monsieur le garde des sceaux, nous nous sommes battus contre l’article 24 et nous avons été battus. Aussi, nous vous interrogeons sur l’article 18.
Tout le monde a raison de le dire, nous assistons à une inflation législative. Alors que le Sénat s’est efforcé il y a quinze jours de réécrire l’article 24, sur lequel pour notre part nous sommes en désaccord, l’article 18 aggrave les choses et en quelque sorte réécrit l’article 24, qui a déjà été réécrit entre deux lectures… Plus personne n’y comprend rien !
Nous, nous voulons avoir la garantie que les images qui seront filmées par des journalistes pourront continuer à être diffusées. Il y va de la liberté de la presse, qui est pour nous constitutionnelle.
Monsieur le garde des sceaux, nous attendons votre réponse à notre interrogation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cet article permet selon nous de réprimer la diffusion de données destinées à nuire aux personnes, quelles qu’elles soient. Sa rédaction suffisamment précise a, de plus, été complétée en commission pour ne pas attenter à la liberté de la presse.
Nous souhaitons débattre de cet article. La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai deux mots sur cet article 18, et d’abord sur sa genèse, si vous le voulez bien.
Après l’assassinat du professeur Samuel Paty, nous nous sommes demandé si nous aurions pu judiciariser plus tôt et comment. Il est toujours difficile de réécrire l’histoire, mais nous nous sommes demandé : qu’est-ce qui aurait permis d’éviter cela, au regard des données factuelles que nous avions et de la législation ? Si je vous réponds : « rien », c’est désespérant, mais c’est la réalité. C’est la raison pour laquelle nous avons conçu l’article 18, et non pas sans concertation, comme cela a été dit.
Vous vous faites le chantre de la liberté des journalistes, comme si nous en étions les destructeurs ! Vous parlez des syndicats – je les ai reçus.
M. David Assouline. Nous aussi !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous, je ne sais pas, mais moi, c’est sûr. J’ai reçu également les avocats spécialisés dans le droit de la presse, les syndicats et les patrons de presse.
Je tiens à vous rassurer, si tant est bien sûr que vous ayez envie de l’être.
M. Fabien Gay. Ne nous faites pas de procès d’intention !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En effet, si vous faites de l’opposition systématique, c’est autre chose. Vous resterez alors avec vos certitudes.
Pour ma part, j’entends vous parler de choses factuelles et de choses qui sont de l’ordre de la légalité. Si vous souhaitez vous placer sur un autre terrain, notamment sur un terrain idéologique, vous en avez naturellement le droit, et je n’entends pas vous contraindre.
Si l’article 18 avait existé, on aurait pu intervenir plus tôt. Ce travail a été fait en coopération avec le parquet national antiterroriste et naturellement avec les services de la Chancellerie. Cet article, je le revendique !
En effet, il y a toute une période, dans le cheminement devant conduire à l’assassinat du professeur Paty, qui fut une sorte de bulle mortifère, dans laquelle, que vous le vouliez ou non, nous ne pouvions pas intervenir, car nous n’avions pas les textes pour cela. Nous les aurons désormais.
Par ailleurs, je n’ai pas le goût, comme vous sans doute, de l’effort inutile. Si vous ne faites pas la différence entre l’article 24, que vous avez réécrit, et l’article 18, c’est à désespérer de tout !
Je ne veux pas perdre mon temps. Il suffit de lire les deux textes pour se rendre compte qu’ils n’ont rien à voir. Alors, on entretient la confusion, là aussi peut-être à des fins politiques. Vous le savez, l’article 24, avant qu’il ne soit réécrit par le Sénat, a beaucoup fait descendre dans la rue. Vous souhaitez entretenir cette confusion. Libre à vous, mais je le répète, il suffit de faire le simple effort de lire les deux articles pour constater à quel point ils sont différents.
Vous avez fait une grande déclaration solennelle, monsieur le sénateur Assouline. Vous nous avez dit que vous aviez défendu la liberté de la presse, sous Chirac, sous Sarkozy, etc., et que vous étiez aujourd’hui au regret de constater que… Mais faites-vous la différence entre la liberté d’informer et l’intention de nuire ? Celle-ci vient d’être faite il y a quelques jours par la Cour de cassation, dans un arrêt que nous avons tous étudié attentivement.
Naturellement, un journaliste qui s’exprime, il informe ; un haineux, il n’informe de rien, il fait du mal. Faites la différence et vous comprendrez pourquoi je suis défavorable à ces amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je vois que vous entamez ce débat de façon très calme et sereine, monsieur le garde des sceaux…
M. David Assouline. M. le garde des sceaux n’aime pas les idéologues !
Sachez toutefois que nous défendrons la liberté de la presse et la liberté d’informer contre votre pseudo-pragmatisme, qui se cache derrière un drame nous ayant tous bouleversés, moi particulièrement, en tant qu’ancien professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique.
Si l’on examine les faits, on voit que la plateforme Pharos a été alertée bien en amont, cela a été raconté, mais qu’aucune suite n’a été donnée. Combien de magistrats le ministère de la justice compte-t-il pour pénaliser la haine en ligne et suivre les plaintes qui sont déposées et toutes les attaques informatiques qui ont lieu dans notre pays ? Pharos n’a pas assez de moyens, même si, aujourd’hui, cela va mieux.
Ne nous faites donc pas de procès d’intention. Oui, cet article a ému l’ensemble de la presse, car le délit d’intentionnalité sera très difficile à caractériser pour les juges.
Nous vous demandons une chose : pour être pragmatique, excluez explicitement la presse du champ de l’article 18,…
M. David Assouline. … comme tend à le proposer un amendement que nous examinerons ultérieurement. Si vous êtes pour, il n’y aura pas de problème ; si vous êtes contre, c’est qu’il y a une difficulté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le problème, dont je souhaiterais que nous puissions débattre tranquillement, c’est qu’il y a deux articles.
Ne faisons de procès d’intention à personne. (M. le garde des sceaux manifeste son agacement.) Nous aurions tous souhaité que les auteurs de l’assassinat de Samuel Paty et des menaces dont il avait fait l’objet puissent être identifiés et arrêtés. Ce n’est pas une question d’idéologie : nous souhaitons tous que cela ne se reproduise pas. Nous sommes donc à tout le moins à la recherche de solutions juridiques, les moyens de Pharos, qui doivent également être évoqués, ne faisant pas l’objet de l’article.
Monsieur le garde des sceaux, comme je l’avais d’ailleurs souligné en commission, la coexistence de l’article 24 de la loi Sécurité globale, utilement réécrit par la commission des lois et par la commission mixte paritaire, et du présent article 18 est problématique. Comment ces deux incriminations pourront-elles cohabiter sans s’anéantir, pour que les parquets puissent qualifier valablement ?
Se pose ensuite la question des personnes concernées. La rapporteure de la commission des lois a fort heureusement introduit un alinéa évoquant des dispositions de la loi sur la presse, tout en prévoyant seulement le respect des procédures, ce qui soulève la question du champ de compétence des articles.
Si je me souviens bien de mes cours de droit pénal, monsieur le garde des sceaux, la loi spéciale prime la loi générale. Nous n’avons donc pas de souci à nous faire concernant les poursuites éventuelles contre des journalistes qui, relevant de la loi de 1881, ne se verraient pas appliquer cet article. Si mon interprétation est erronée, monsieur le garde des sceaux, il est urgent de me le dire, car mon inquiétude est grande.
Je pense donc qu’il faudrait ne garder qu’un seul article sur les deux. Le droit pénal en serait plus clair et, surtout, plus efficace.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le garde des sceaux, il importe de séparer le dogme de l’idéologie. Selon moi, l’idéologie met des idées en système, ce qui assure la cohérence de la pensée et n’interdit nullement sa progression. (M. Julien Bargeton s’exclame.) En revanche, comme vous, j’ai la plus grande aversion pour le dogme.
Ce qui a manqué à la procédure, dans le martyre de Samuel Paty, je l’ai dit à plusieurs reprises, c’est le déclenchement systématique de la protection fonctionnelle.
M. Pierre Ouzoulias. Lorsqu’il a été convoqué pour la première fois au commissariat de police, il était seul. Et il n’est pas normal qu’un fonctionnaire se retrouve ainsi seul confronté aux personnes qui l’accusent. Nous n’ambitionnons pas de refaire l’histoire, mais, dans des affaires similaires, il faudrait absolument que le fonctionnaire se trouve dès le départ aidé par une protection fonctionnelle.
Sans l’article 40 de la Constitution, qui me l’interdit, j’aurais prévu dans ce texte une protection fonctionnelle de droit pour tout fonctionnaire attaqué dans l’exercice de ses fonctions. Cela permettrait d’enclencher beaucoup plus efficacement la riposte des services de l’État.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le garde des sceaux, nous voulons dialoguer, et je n’ai pas compris votre réaction. Concernant Samuel Paty, nous sommes tous attristés et cherchons tous des solutions pour que jamais un tel drame ne se reproduise.
Notre groupe a déposé plusieurs amendements pour anticiper et renforcer la protection fonctionnelle. Ils ont été refusés, mais nous avons porté ces questions. Vous connaissez notre attachement aux services publics, dont nous avons souhaité renforcer les moyens, notamment ceux des services de renseignements, pour que les informations puissent remonter plus rapidement.
Monsieur le garde des sceaux, sans vouloir créer la confusion ou être dogmatiques, nous avons du mal à faire la distinction entre l’article 24 de la loi Sécurité globale et cet article 18, notamment sur la question de la liberté de la presse.
M. Fabien Gay. Je vais jusqu’au bout de mon raisonnement, monsieur le garde des sceaux, et vous pourrez évidemment me répondre.
La loi de 1881 consacre la liberté de la presse, mais aussi sa responsabilité, on a tendance à l’oublier. Nous sommes passés d’un système de cautionnement à un système de contrôle a posteriori : quiconque s’estime diffamé peut attaquer la presse.
Depuis le début de ce quinquennat, un certain nombre de dispositions, de prises de position, d’actes, de lois, notamment celles qui renforçaient le secret des affaires, viennent contrecarrer la liberté de la presse.
M. Fabien Gay. Laissez-moi aller au bout de mon raisonnement ! On met à mal le droit d’alerte des journalistes et la liberté de la presse de nous informer.
Après le secret des affaires, viennent ces articles 24 et 18. Nous craignons l’autocensure préalable des rédactions, conduisant à ne pas diffuser telle ou telle image. (M. le garde des sceaux lève les bras au ciel.) C’est pour l’éviter que nous demandons la suppression de l’article.
Toutefois, nous entamons un dialogue avec vous, monsieur le garde des sceaux : si vous nous rassurez sur ces questions,…
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Fabien Gay. … nous maintiendrons notre amendement, puis chacun prendra ses responsabilités.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Pour répondre sur la presse, nous avons corrigé le texte en commission pour nous assurer, conformément aux propos de Mme de La Gontrie dont la mémoire est juste, que les journalistes seront effectivement protégés.
Par ailleurs, nous aurions pu en effet nous interroger sur le télescopage des articles 24 et 18 : ils étaient initialement assez proches, mais tel n’est plus le cas depuis l’adoption de la rédaction de l’article 24 élaborée par le Sénat.
L’article 18 pénalise la diffusion, la révélation et la transmission de données identifiantes ou permettant la localisation d’une personne, quelle qu’elle soit, avec un quantum de peines renforcé lorsque ces faits visent une certaine catégorie de personnes.
La rédaction initiale de l’article 24 visait effectivement un cas particulier de ce cas général, en ayant pour objet la diffusion d’images ou de données identifiantes.
Toutefois, la rédaction du Sénat, adoptée en commission mixte paritaire, ne fait plus de l’article 24 un cas particulier de l’article 18. En effet, elle crée une infraction dont le libellé montre qu’elle est sans lien avec la diffusion de données. La provocation à l’identification peut s’opérer sans diffusion de données.
Les deux infractions ne visent donc plus la même chose : soit il y a provocation à l’identification pour les catégories de personnes visées par l’article 24, à savoir les policiers, les gendarmes et les douaniers en opération, et celui-ci s’applique, qu’il y ait ou non diffusion de données identifiantes ; soit, toujours dans le cas restreint des personnes visées à l’article 24, il y a diffusion de données identifiantes sans provocation, et l’article 18 s’applique.
La question pourrait éventuellement se poser dans les cas où il n’y a pas de provocation explicite. Dans les exemples donnés par le ministre de l’intérieur et le directeur général de la police nationale, il s’agit de la diffusion de photos sur un site sans autre mention.
La provocation implicite n’existe pas, c’est la raison pour laquelle la deuxième partie de l’article 24, dans la rédaction du Sénat issue de la commission mixte paritaire, réprime la constitution de fichiers destinée à nuire.
Quand quelqu’un cherchera à nuire aux forces de l’ordre par l’identification des agents en opération, s’il appelle à les identifier ou s’il constitue des fichiers, il tombera sous le coup de l’article 24 ; s’il diffuse leurs identités, adresses ou localisations sans rien dire de plus, mais si le juge parvient à prouver l’intention de nuire, alors il tombera sous le coup de l’article 18.
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Pour conclure, compte tenu du concours idéal de qualification, le juge choisira la qualification la mieux ciblée pour atteindre son objectif.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je voudrais tout d’abord dire à quel point il était important, madame la rapporteure, que vous rappeliez les textes.
Monsieur Assouline, je ne dis pas que vous n’avez pas ressenti de l’émotion à l’assassinat de Samuel Paty ; ce serait insupportable, car je n’en ai pas le monopole. Je l’évoque seulement pour vous dire - je n’ai dit que cela, entendez-le - que nous sommes partis des faits en nous demandant comment nous aurions pu intervenir plus tôt, ce qui est une question légitime.
Vous évoquez les choses qui auraient pu, qui auraient dû, qui n’ont pas été faites selon vous,…
M. Fabien Gay. Mais non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … mais elles ne relèvent pas de mon périmètre, accordez-le moi.
Nous avons examiné, avec des professionnels, avec les services concernés, comment nous aurions pu intervenir plus tôt pour éviter ce drame, sachant, hélas, dans cette matière comme dans d’autres, que l’on ne peut pas réécrire l’histoire. Voilà, c’est ainsi qu’est né l’article 18.
De la même façon, entendez, monsieur le sénateur, que je sois blessé à l’idée que vous considériez que la liberté de la presse est votre monopole. (M. David Assouline s’exclame.)
Vous avez commencé fort, vous aussi, avec une tonalité sans doute différente de la mienne, mais il s’agit peut-être simplement d’une question de tessiture de voix… Vous avez évoqué vos combats sous Chirac, sous Sarkozy et pendant ce quinquennat (M. David Assouline rit.), mais je ne suis pas plus liberticide que vous !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mme de La Gontrie dit : « Oh ». Que le compte rendu des débats le note, car c’est très important… Toujours aimable !
Soit, partons de ces a priori : je suis un affreux liberticide et vous êtes la lumière de cet hémicycle !
M. Pascal Savoldelli. Attention, vous êtes ministre, désormais !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais, de la même façon que je n’ai pas dénié vos émotions s’agissant de Samuel Paty, je ne puis entendre que je serais devenu d’un seul coup le grand liberticide, le grand méchant loup !
J’ai dit au contraire, mais vous ne l’avez pas entendu, que j’avais justement pris toutes les précautions pour être au plus près des journalistes, de leurs représentants, des avocats et des patrons de presse.
L’article 20 en est d’ailleurs la démonstration, mais vous ne voulez pas l’entendre. Vous souhaitez au détour de ce débat vous présenter comme des chevaliers blancs protégeant la presse contre un méchant ministre voulant la museler. Il faut être sérieux, à un moment donné !
L’article 18 ne concerne en rien les journalistes. Il vise les gens qui propagent la haine et qui ne sont justement pas journalistes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Évidemment !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’article 20 montre à l’évidence que les journalistes ont été mis de côté. Nous avons justement exploré le code de procédure pénale pour ne pas toucher à la loi de 1881. Aussi, de grâce, soyons sérieux ! Lisez l’article 18 et l’article 24 : vous verrez facilement comment ils s’articulent ; ils sont tellement différents, c’est une évidence.
Je le dis pour la dernière fois, même si je n’entends pas vous convaincre, car vous n’avez pas envie d’être convaincus : vous souhaitez faire à l’article 18 le même bruit qu’autour de l’article 24, avant que celui-ci ne soit réécrit. C’est votre responsabilité, assumez-la !
Je vous le dis très clairement, vous n’avez pas le monopole de la sauvegarde de la liberté de la presse dans ce pays : j’y suis, ne vous en déplaise, et souffrez de l’entendre, particulièrement attentif !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je demande la parole !
M. Fabien Gay. Moi aussi !
Mme la présidente. Madame de La Gontrie, monsieur Gay, je ne puis vous donner la parole sur les amendements, puisque vous êtes déjà intervenus pour explication de vote. Par ailleurs, je vous rappelle que les faits personnels interviennent à la fin de la séance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souhaite faire un rappel au règlement, madame la présidente !
Rappel au règlement
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souhaite évoquer la tenue de nos débats.
Nous travaillons de manière austère et très impliquée depuis plusieurs jours et plusieurs nuits. Je souhaiterais, indépendamment de l’animosité que le garde des sceaux peut ressentir à l’égard de tel ou tel,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … afin de ne pas en faire un fait personnel, qu’il soit possible, en tant que parlementaire, d’intervenir ici sans que soient utilisés des qualificatifs grossiers ou insultants.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Voilà, vous en faites une parfaite démonstration !
Le président de mon groupe, ici présent, le rappellera peut-être tout à l’heure, mais je ne puis, en tant que parlementaire, à chaque séance, parce que vous êtes au banc du Gouvernement, parce que je ne suis pas forcément d’accord avec vous, faire l’objet de propos grossiers.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souhaiterais donc que cela cesse.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Je veux rappeler au Gouvernement comme aux sénateurs présents dans l’hémicycle qu’il n’est pas de bon usage pour nos débats d’interrompre les orateurs. Chacun dispose d’un temps de parole de deux minutes et demie et chacun doit écouter les autres calmement. Le Gouvernement peut intervenir à tout moment.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des caricatures qui ne sont pas conformes à la réalité.
Depuis plusieurs semaines, Mme Marie-Pierre de La Gontrie met l’accent sur les problèmes de compatibilité entre l’article 24 de la précédente loi et l’article 18 du présent texte. C’est un débat de fond.
À cet égard, monsieur le garde des sceaux, je voulais vous dire - très calmement, vous le voyez - que notre groupe a beaucoup réfléchi sur cet article 18.
M. Jean-Pierre Sueur. La vie privée des journalistes mis en cause est une vraie question.
Vous aurez sans doute observé, monsieur le garde des sceaux, que notre groupe n’a pas proposé de supprimer l’article 18. Nous avons simplement déposé un amendement de précision, sur lequel nous reviendrons tout à l’heure, auquel nous attachons une extrême importance, parce qu’il vise justement à interpréter l’alinéa précédent dans un sens qui préserve la liberté de la presse.
C’est pourquoi je crois qu’il n’y a pas lieu d’avoir des débats outranciers ; il y a lieu simplement d’examiner les textes, ainsi que notre position, qui n’est en rien caricaturale.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Sans vouloir allonger les débats, je voudrais tout de même revenir sur deux points.
La commission des lois et le Sénat, tenant compte des difficultés rencontrées, ont élaboré une nouvelle rédaction de l’article 24 du projet de loi Sécurité globale, confirmée par les députés et les sénateurs en commission mixte paritaire. Elle offre l’avantage parfait de sortir de la discussion le texte de 1881, répondant ainsi clairement à la problématique des journalistes évoquée précédemment.
Mme la rapporteure Dominique Vérien a excellemment démontré la compatibilité entre l’article 18 du texte que nous examinons et cet article 24. Je n’y reviens pas, car les choses sont parfaitement claires.
En ce qui concerne le cas particulier des journalistes, je vous invite sincèrement à relire l’article 18, en particulier son alinéa 5, qui les exclut clairement des dispositions, en indiquant qu’ils restent, quelle que soit la situation, sous le régime de la loi de 1881.
Sincèrement, il n’y a pas à faire de polémique sur ce point. Les rédactions sont parfaitement rassurantes, pour le monde du journalisme comme pour la compatibilité des deux articles.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 316 et 555 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 371 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 419 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mmes Monier et Meunier, MM. Marie, Magner et Sueur, Mme Lepage, M. Leconte, Mmes S. Robert et Harribey, MM. Féraud, Kanner, Kerrouche, Durain, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cette disposition n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet amendement vise à compléter l’amélioration incontestable apportée par la commission en mentionnant la loi de 1881. Il tend à préciser un peu mieux le champ d’application, en indiquant que cette disposition ne peut avoir pour objet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, d’images, etc., ayant pour objectif d’informer le public.
Nous le savons, car cela s’est déjà produit et cela a fait la une de l’actualité, ces révélations ne sont pas nécessairement le fait de journalistes. La loi de 1881 protège, au-delà des journalistes, la liberté d’expression. Il n’empêche que, si nous ne voulons pas réprimer la révélation d’un certain nombre de faits, nous devons le préciser.
Cet alinéa complète donc la rédaction, tout à fait bienvenue, de la commission des lois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. À trop exclure, nous rendons le principe inefficace. Nous préférons nous limiter à la rédaction de la commission des lois.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’exigence que l’auteur de la révélation poursuive une intention de nuire afin de caractériser le délit de mise en danger vise à exclure de fait les révélations qui seraient faites dans un but légitime.
J’émets donc également un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteure, je suis déçu par le laconisme de vos réponses. Tout, dans notre démarche, a été réfléchi ; rien n’est simpliste.
La protection de la vie privée des personnels de police, de gendarmerie et de sécurité civile, je le répète une nouvelle fois, est assurée par les articles 226-1, 222-33-2, 222-33-2-2, 222-17, 222-7 et 226-8 du code pénal, par les articles 24 et 39 de la loi de 1881 et par la loi Informatique et liberté de 1978. Le sujet est déjà pris en compte, et il doit l’être : la protection due aux personnels de sécurité est indispensable.
Parallèlement, la liberté de la presse doit être intégralement préservée. Nous l’avons dit pour l’article 24, nous le disons pour l’article 18. Nous avons pesé chaque mot de cet amendement, de manière à éviter tout détournement de l’article 18. En effet, nous l’avons observé ensemble, cette nuit : à force de débats, nous sommes parvenus à voter un texte à l’unanimité, et je m’en réjouis.
Je me permets de vous lire, mes chers collègues, l’alinéa que nous vous proposons d’insérer : « Cette disposition n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser. »
Nous avons longuement travaillé à cet alinéa : il est très précis et permet de protéger totalement la liberté de la presse, tout en assurant la nécessaire protection, prévue par les textes que j’ai cités, de la vie privée et la sécurité des personnels assurant notre sécurité.
C’est un travail parlementaire sérieux - je rends hommage à tous ceux qui y ont pris part -, qui perfectionnera le texte déjà amélioré par la commission. Mes chers collègues, l’adoption de cet amendement nous permettrait d’avancer.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Puisqu’il n’y a ici que des défenseurs de la liberté de la presse, je pensais que, face aux inquiétudes exprimées par certains d’entre nous, qui ne sont pas des défenseurs de la liberté de la presse de fraîche date, pour remporter l’adhésion et pour éviter tout procès d’intention, monsieur le garde des sceaux, on nous accorderait cette précision excluant toute ambiguïté.
On nous affirme qu’il n’y a pas de problème, mais les attaques contre la liberté de la presse sont une réalité, au-delà de ce débat ou de l’intentionnalité du Gouvernement ! Il n’y a jamais eu autant de journalistes matraqués, molestés et empêchés de travailler lorsqu’ils couvrent des manifestations dans l’espace public. Pourtant, sous les précédents quinquennats, tout n’a pas toujours été rose ! C’est cela que je voulais dire tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux.
La multiplication de ces agressions témoigne de la volonté d’empêcher, de façon préventive, la prise d’images qui pourraient être diffusées…
Le législateur doit mettre le holà, y compris aux forces de l’ordre, mais aussi aux journalistes, qui n’ont pas à propager la haine, c’est une évidence et c’est puni par la loi. Les journalistes doivent être protégés, parce que l’information professionnelle est la meilleure arme contre la haine, qui circule sur les réseaux sociaux.
Est-ce que j’invente ? En février dernier, Valérie Murat, lanceuse d’alerte ayant montré la présence de pesticides dans vingt-deux vins labellisés « haute valeur environnementale », a été condamnée pour dénigrement à 125 000 euros d’amende et à la suppression de son étude sur son site internet et ses réseaux sociaux.
Voilà, par exemple, comment on peut empêcher ou punir la liberté d’informer, alors que ce texte de loi n’avait pas encore été présenté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Généralement, le fil du temps court vers l’avenir et non vers le passé… Je suis étonnée de notre débat. En effet, nous avons longuement débattu de la loi Sécurité globale et nous avons élaboré une proposition remarquable qui a éteint tous les feux, y compris la peur justifiée de la presse au sujet de l’article 24.
Le président Buffet vient de le rappeler, la liberté de la presse a été véritablement protégée, si quelqu’un en doutait, par cet article.
Je ne comprends donc pas très bien, mais sans doute des choses m’échappent-elles, pourquoi nous refaisons un débat qui n’a pas lieu d’être, puisque nous l’avons traité. Et apparemment, tout le monde est heureux de ce traitement, puisque l’issue du débat sur la loi Sécurité globale n’a pas suscité d’émotion de la part de la presse ou des partis politiques.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Très bien !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 657, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 de l’article 18. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.) Une fois que je vous aurai expliqué pourquoi, j’espère que vous ricanerez un peu moins…
La volonté du Gouvernement de supprimer cet alinéa se fonde sur de vraies raisons de droit. Normalement, au-delà des dogmes ou des idéologies – je ferai désormais le distinguo entre les deux… –, nous devrions tous y être sensibles.
L’alinéa 5 prévoit l’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour le délit de mise en danger par divulgation d’informations personnelles alors que les faits incriminés ne sont pas commis par voie de presse ; ils peuvent par exemple l’être par messagerie personnelle.
Une telle disposition conduit à appliquer le régime prévu par la loi de 1881, alors que le délit n’est pas commis par des journalistes ou assimilés. Le maintien de cet alinéa rendrait impossible le placement des auteurs de telles infractions sous le coup d’une mesure coercitive, privant ainsi le dispositif répressif de son efficacité.
Si l’intention est évidemment légitime, le nouveau délit n’a pas pour objet de réprimer la diffusion de propos, sons ou images ayant pour objet d’informer le public – c’est le travail des journalistes –, quand bien même ces informations seraient utilisées par des tiers dans le but de nuire.
L’équilibre du dispositif répressif au regard de la liberté d’expression et de la communication réside dans l’existence d’un élément intentionnel spécifique permettant de réserver l’application du délit aux seules personnes ayant intention de nuire.
Madame la rapporteure, les dispositions de votre amendement, dont je comprends le sens, soulèvent des difficultés en droit. Vous souhaitez que soient applicables « les garanties procédurales prévues par la loi du 29 juillet 1881 ». Mais lesquelles ? Ce n’est pas très clair.
Au regard des règles de droit, trois raisons interdisent à cet amendement de prospérer.
Premièrement, quel sera le délai de prescription de l’action publique ? Trois mois ? Un an ? Ce n’est pas précisé. C’est une vraie difficulté. Or nous sommes en train de créer un délit. Quelles sont les pénalités ?
Deuxièmement, la poursuite du délit est-elle conditionnée par une plainte préalable de la victime alors que cette garantie n’est prévue que pour certains délits de presse ? Oui ? Non ? Pas de réponse.
Troisièmement, la détention provisoire, qui est possible alors que la loi de 1881 ne la prévoit que pour certains délits, sera-t-elle ou non applicable ? Nous n’en savons rien.
Quand on parle des garanties procédurales de la loi de 1881, il faut préciser lesquelles ! Je comprends parfaitement le sens de l’amendement de la commission, qui vise à renforcer les protections. Mais je dis qu’il n’est pas possible d’instituer un délit en ignorant comment il serait sanctionné. En l’occurrence, la difficulté en droit est triple.
À ceux qui ricanent quand je dis qu’il faut supprimer l’alinéa 5, je répète que l’on ne peut pas créer un délit avec une prescription aléatoire, une peine aléatoire et une manière d’introduire l’action publique aléatoire. Moi, cela ne me fait pas ricaner.
Je suis donc défavorable à l’amendement de la commission, même si, encore une fois, j’en comprends parfaitement le sens.
Mme la présidente. L’amendement n° 664, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsque les faits reprochés résultent du contenu d’un message placé sous le contrôle d’un directeur de la publication en application de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 précitée ou de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, le régime de responsabilité et les garanties procédurales prévues par la loi du 29 juillet 1881 sont applicables. »
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 657.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Monsieur le garde des sceaux, si votre critique concerne la première version de l’alinéa 5, c’est-à-dire celle qui figure dans le texte issu des travaux de la commission, vous avez raison.
Cet alinéa avait en effet un périmètre trop large, englobant tous les auteurs de telles infractions, et non les seuls journalistes, ce qui rendait le dispositif quelque peu inopérant. Nous avons donc voulu circonscrire ce périmètre. Et, pour être certains de ne pas faire d’erreur et de bien viser les bonnes personnes, nous avons repris la rédaction que vous aviez vous-même proposée à l’article 20.
Vous nous dites que c’est incomplet ? Je trouve regrettable de ne le découvrir qu’aujourd’hui. Nous aurions probablement ajouté avec plaisir des alinéas supplémentaires.
Je vous propose donc de maintenir cette sécurité – c’est une bonne manière de signifier aux journalistes qu’ils ne sont pas visés par cet article et qu’ils bénéficieront des règles procédurales de la loi de 1881 –, quitte à discuter en commission mixte paritaire des peines applicables.
La commission est donc évidemment défavorable à l’amendement n° 657.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 664 ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la rapporteure, je suis partiellement d’accord avec vous.
En ce qui concerne les personnes qui sont visées, vous avez raison. Vous reprenez les termes que nous avons retenus à l’article 20. D’ailleurs, la rédaction de cet article a été compliquée : le journaliste, ce n’est pas seulement celui qui a une carte de presse ; certains n’en ont pas. Nous avons donc choisi la responsabilité en cascade, après une très large consultation des journalistes et de leurs représentants.
Néanmoins, la question n’est pas celle des personnes visées ; elle est celle des garanties procédurales qui s’appliquent.
L’article 20 ne crée pas un délit. Sans modifier la loi de 1881 – les journalistes ne le souhaitaient pas, c’est une loi totémique pour eux –, il introduit dans le code de procédure pénale la possibilité d’extraire les haineux, qui n’ont rien à faire dans la loi de 1881 et qui viennent s’y lover, pour faire en sorte que ceux-ci soient immédiatement jugés.
L’article 20 contient une disposition de procédure pénale. Les personnes susceptibles d’être visées par les dispositions nouvelles ont été répertoriées.
L’article 18 crée un délit. Je suis à 200 % d’accord avec vous sur les personnes visées, d’autant que vous avez repris la rédaction que j’avais proposée pour l’article 20. Certes, il arrive que l’on puisse être en contradiction avec soi-même, mais, en l’occurrence, ce n’est pas le cas.
En revanche, ma préoccupation est de connaître le délai de prescription, les pénalités et les modalités de la mise en action de l’action publique. Mais nous pourrons retravailler sur le sujet ; je n’y suis absolument pas opposé.
Dans ces conditions, j’émets un avis de sagesse sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le débat permet d’avancer.
L’amendement de suppression proposé par le Gouvernement était un mauvais signe. Et si les améliorations apportées par la commission des lois restent insuffisantes à nos yeux, elles sont une réponse, a fortiori avec la nouvelle rédaction. M. le garde des sceaux a indiqué que tout cela serait très flou. Or la loi pénale ne doit effectivement pas se permettre d’être floue.
Si la loi du 29 juillet 1881 est d’une complexité sans nom, elle est tout de même précise. Je ne crois donc pas que la prescription ou la nature du délit soit un problème. Pour ma part, j’ai fait un peu droit de la presse ; j’ai arrêté dès que j’ai pu, car c’est un nid à nullités de procédure, à difficultés, à mauvaises incriminations…
J’ai entendu les propos de Mme la rapporteure. Le travail va se poursuivre. Je ne suis pas persuadée que le garde des sceaux ait des raisons de s’inquiéter.
La rédaction du texte s’améliore. Elle ne nous satisfait pas encore, mais elle est sur le bon chemin.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le garde des sceaux, comme j’ai un peu de mal à suivre, j’aurais besoin d’une clarification, notamment pour le vote à venir.
Nous l’avons bien compris, l’intérêt général est qu’il y ait une certaine maturation et un travail en commission mixte paritaire pour aboutir à un texte susceptible de convenir à tout le monde.
Dans ces conditions, monsieur le garde des sceaux, retirez-vous votre amendement ? Nous pourrions prendre l’amendement de la commission comme point de départ, quitte à retravailler le dispositif en commission mixte paritaire. Tout le monde y gagnerait, me semble-t-il, au moins en sérénité.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Karoutchi, je n’ai sans doute pas été clair, ce qui m’arrive assez souvent.
Vous connaissez l’article 18 et vous savez, vous, que l’on ne peut le confondre avec le fameux article 24 d’un autre texte.
Dans la rédaction initiale, j’avais indiqué que l’intention de nuire étant un élément fort du texte, les journalistes n’étaient pas concernés. Mais, par souci de précaution, votre commission a ajouté une protection supplémentaire : s’agissant des personnes visées alors, elle a redéfini qui devait rester sous l’empire de la loi de 1881. Ce faisant, elle a repris la rédaction retenue par le Gouvernement à l’article 20.
Nous savons donc maintenant qui pourra bénéficier des dispositions de la loi de 1881 : non pas les haineux, mais les journalistes, qui ont un statut et sont concernés par la responsabilité en cascade.
Une fois que l’on a dit que le régime de 1881 s’appliquait, il faut définir comment les faits sont prescrits, comment ils sont punis et comment l’action publique se met en œuvre.
Ces trois questions ne sont pas encore tranchées. Il faut que l’on y travaille. Quand on adopte des dispositions pénales, il est extrêmement important de préciser la prescription et les pénalités. C’est le travail que nous devons faire en commun.
Cela dit, si cela peut faciliter les choses, je retire naturellement mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 657 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 664.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 136 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Cabanel, Roux, Corbisez et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne en situation de handicap ou dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ou résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. »
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. La diffusion d’informations d’ordre professionnel, privé, voire intime, peut mettre les personnes en danger dans leur intégrité physique et psychique.
Les personnes souffrant d’un handicap moteur ou mental, ou vulnérables du fait de leur âge, qui sont plus atteignables que toutes les autres, doivent faire l’objet de davantage de protections, car la diffusion d’informations les concernant peut être plus lourde de conséquences.
Par conséquent, cet amendement vise à mettre en place de véritables circonstances aggravantes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Nous comprenons le souhait de protéger particulièrement les personnes handicapées. Mais, en l’occurrence, les personnes sont visées par rapport à leur mission et à leur rôle, et non à leur statut. Une telle mesure n’apporterait donc ni clarté ni protection supplémentaire.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, pour les raisons qui viennent d’être excellemment exposées par Mme la rapporteure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous nous apprêtons à voter cet amendement, car la réponse de Mme la rapporteure ne nous semble pas adaptée.
L’article prévoit deux circonstances aggravantes. L’une concerne – vous avez raison – la qualité des victimes potentielles, par exemple les personnes dépositaires de l’autorité publique. Mais l’alinéa précédent concerne l’infraction en général.
L’amendement vise à prévoir une circonstance aggravante lorsque l’infraction est commise au préjudice d’une personne en situation de handicap. Cela ne se superposerait pas à la circonstance aggravante actuellement prévue. Je pense que notre collègue a raison.
Nous voterons donc cet amendement, dont les dispositions nous semblent compléter utilement l’infraction ainsi créée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, mes chers collègues, c’est la troisième fois que j’interviens sur cet article, mais il y a une logique à cela.
Nous avons indiqué que notre souci était de parvenir à la meilleure rédaction possible et, surtout, d’empêcher toute remise en cause de la liberté de la presse.
Nous avions demandé l’ajout d’une seule précision : la disposition inscrite au premier alinéa de l’article ne peut avoir pour objet ni pour effet de réprimer la diffusion d’informations visant à éclairer le public, quand bien même celles-ci pourraient être retransmises dans le but de nuire à la personne assurant la sécurité. Je ne comprends pas pourquoi vous vous êtes opposé à ce que cette précision, très importante pour nous, figurât dans le texte.
Pour nous, sur cet article 18, comme sur l’article 24 du projet de loi que nous avons examiné précédemment, il y a une ligne rouge : on ne peut pas porter atteinte à la liberté de la presse, dès lors, bien entendu, que les personnes assurant notre sécurité sont protégées.
Aussi, nous ne pourrons voter cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 18, modifié.
(L’article 18 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 18
Mme la présidente. L’amendement n° 137 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Pantel et MM. Requier, Cabanel, Roux, Guiol, Corbisez et Gold, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 131-10 est complété par les mots : « soit, lorsque la condamnation a pour fondement l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, par tout moyen de communication audiovisuelle » ;
2° Le cinquième alinéa de l’article 131-35 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « ou par un ou plusieurs services de communication au public par voie électronique » sont remplacés par les mots : « par un ou plusieurs services de communication au public par voie électronique ou, lorsque la condamnation a pour fondement l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, par un ou plusieurs services de communication audiovisuelle » ;
b) À la deuxième phrase, les mots : « ou les services de communication au public par voie électronique » sont remplacés par les mots : « , les services de communication au public par voie électronique ou, lorsque la condamnation a pour fondement l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les services de communication audiovisuelle ».
La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. On a souvent dit que les médias, à l’instar de la télévision, étaient le quatrième pouvoir et que leur diffusion d’informations pouvait ajouter de la culpabilité aux personnes condamnées dans la conscience du public.
Nous proposons ici de donner davantage de visibilité et de connaissance au public, téléspectateurs et auditeurs, quant aux condamnations de personnalités pour crimes ou délits. En fait, cela donne aux juges le pouvoir de prononcer ce qui s’apparente à une peine complémentaire. Nous voulons instituer une véritable peine de diffusion à la télévision de ces condamnations.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. En commission, nous nous sommes effectivement dit que, au nom de la neutralité technologique, ce qui se pratique dans la presse et les services électroniques devrait aussi se pratiquer dans l’audiovisuel. J’avoue donc m’être interrogée.
Nous avons donc creusé un peu plus le sujet. Si un journal peut rendre publique une information dans le numéro suivant, on ne voit pas bien la forme qu’une telle mesure pourrait prendre dans l’audiovisuel… Je pense qu’il faut a minima en discuter avec les différents médias audiovisuels. En outre, à mon avis, cela orienterait plus facilement le juge.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement. Mais, à titre personnel, je pense que le sujet devra être retravaillé : il me semble normal que tous les médias puissent être concernés par ce genre de prescription.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Les articles 131-10 et 131-35 du code pénal prévoient déjà les modalités de diffusion et d’affichage des condamnations pénales par la presse écrite ou sur internet. Cela m’apparaît largement suffisant.
Au demeurant, on voit mal où la diffusion s’effectuerait dans l’audiovisuel. Il y aurait deux cents diffusions dans la journée sur une chaîne d’informations en continu contre une seule sur une chaîne du service public ! Nous ne maîtrisons rien en la matière.
Nous avons, je le crois, tout ce qui est nécessaire dans notre arsenal législatif. Je suis donc défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je partage ce qui vient d’être indiqué.
Toutefois, comme j’ai souvent eu l’occasion de le souligner dans ce type de débats, il faudrait également songer à la communication des non-lieux, relaxes ou autres.
Les condamnations sont annoncées à tire-larigot, et la présomption d’innocence est allégrement violée. Mais quand il y a un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, cela n’intéresse plus personne.
Je puis en parler en connaissance de cause, ayant été traînée dans la boue pour avoir assassiné mon mari, ce qui, vous en conviendrez, n’était tout de même pas grand-chose… (Rires.) On peut toujours en rire maintenant, mais, sur le moment, ce n’était pas très facile à vivre !
Le jour où il n’y a plus rien d’un point de vue judiciaire, il reste seulement de la boue sur les réseaux sociaux et dans les poubelles de Twitter. Les journalistes, qui font leurs choux gras des enquêtes pendant des semaines ou des mois, ne donnent rien, pas même une demi-ligne, aux personnes relaxées ou acquittées.
Aujourd’hui, la présomption d’innocence n’existe plus. Des gens sont traînés dans la boue pendant des semaines, et il est ensuite absolument impossible de recouvrer la moindre sérénité de la part des médias.
Je veux bien que l’on diffuse les condamnations, mais il me semble plus important de rendre publiques les non-condamnations de personnes dont on a violé la présomption d’innocence. D’ailleurs, reconnaissons-le, pour reprendre une expression chère à un ancien rapporteur général du budget, la présomption d’innocence aujourd’hui, c’est un pipeau péruvien ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous considérons que les auteurs de cet amendement soulèvent un véritable problème, mais que la réponse proposée n’est pas adaptée.
Pour autant, est-il satisfaisant de se limiter en la matière à la presse écrite ? Bien sûr que non ! Mais ce sont plutôt les règles relatives au droit de réponse qu’il faut faire évoluer.
J’encourage donc la Chancellerie ou d’autres services à y travailler. Nous savons bien que la situation n’est pas satisfaisante. C’est très bien qu’il y ait parfois des encarts dans la presse écrite, mais, aujourd’hui, les gens sont sur internet ou devant leur télévision. Et de telles condamnations n’y apparaissent jamais.
Si les services de la Chancellerie font preuve de créativité, nous pourrons peut-être trouver une solution.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice de La Gontrie, vous êtes cordialement invitée à la Chancellerie. Franchissez-en donc la porte, venez me parler de cette difficulté : vous verrez que nous pourrons travailler ensemble.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne discute pas avec les gens qui m’insultent !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 200 rectifié ter est présenté par Mme Doineau, MM. Mizzon et Bonneau, Mmes Saint-Pé, Billon et Férat, MM. P. Martin, Hingray, Chauvet, Cigolotti et Duffourg, Mme Jacquemet, M. Canevet, Mme Dindar, MM. Détraigne, J.-M. Arnaud, S. Demilly, Levi et Le Nay, Mme Morin-Desailly, MM. Delahaye, Kern et Moga et Mme Herzog.
L’amendement n° 423 rectifié est présenté par MM. Sueur et Assouline, Mmes de La Gontrie, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, M. Leconte, Mmes S. Robert et Harribey, MM. Féraud, Kanner, Kerrouche, Durain, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 226-10 du code pénal, les mots : « ou de non-lieu » sont remplacés par les mots : « , de non-lieu ou de classement sans suite ».
L’amendement n° 200 rectifié ter n’est pas soutenu.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 423 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’un amendement de précision.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Les auteurs de cet amendement proposent qu’un fait classé sans suite ne puisse être dénoncé sans être qualifié de faux.
Or, nous le savons, le classement sans suite ne signifie pas nécessairement la fausseté d’un fait ; il peut être lié à la prescription de l’action publique, notamment.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le classement sans suite peut être décidé par le procureur alors que l’infraction est commise, par exemple après un rappel à la loi. Je comprends les intentions des auteurs de l’amendement, mais, en droit, le dispositif proposé n’est pas pertinent.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Par ailleurs, monsieur Sueur, je pense que vous avez été bien reçu quand vous êtes venu à la Chancellerie. N’est-ce pas ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vois pas le rapport !
Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les invitations, comme les faits personnels, c’est à la fin de la séance !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Notre groupe votera cet amendement ; je salue l’efficacité de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui l’a présenté de manière extrêmement rapide.
Le problème tient à la complexité du mécanisme de la dénonciation calomnieuse. Pour pouvoir porter plainte en dénonciation calomnieuse, il faut que les faits reprochés aient eux-mêmes fait l’objet d’une procédure arrivée à son terme et ayant donné lieu à une relaxe ou à un acquittement. Mais quid lorsque des faits allégués sont classés sans suite ? Il n’y a pas de base juridique.
Le classement sans suite n’est pas une décision judiciaire ; c’est une décision d’administration – mais le garde des sceaux me corrigera le cas échéant.
Il nous semble intéressant que la personne bénéficiant d’un classement sans suite puisse avancer sur la dénonciation calomnieuse. Certaines juridictions le permettent en tordant un peu le droit, il faut bien le dire, mais pas toutes. Certains d’entre vous se sont peut-être trouvés dans cette situation.
Nous avons donc souhaité adjoindre la situation du non-lieu ou du classement sans suite dans le texte, pour permettre aux personnes de se défendre dans tous les cas de figure.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je le précise, la prescription de l’action publique, qui débouche sur un classement sans suite, n’implique pas forcément que les faits n’ont pas été commis.
Dans mon département, un violeur n’a pu être condamné pour cause de prescription. Pour autant, il doit rester un violeur et ne pas être innocenté aussi facilement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 423 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 18 bis A
(Non modifié)
Après l’article 2-24 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-25 ainsi rédigé :
« Art. 2-25. – Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l’objet statutaire comporte la lutte contre les violences, les injures, les diffamations, le harcèlement moral, les discours de haine ou la divulgation d’information dont sont victimes les agents chargés d’une mission de service public peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne et les agressions et autres atteintes, enlèvements et séquestrations réprimés par les articles 221-1 à 221-5-5, 222-1 à 222-18-3, 222-22 à 222-33-1, 223-1-1 et 224-1 à 224-5-2 du code pénal, si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime ou, si cette dernière est un majeur sous tutelle, de son représentant légal. » – (Adopté.)
Article 18 bis
(Non modifié)
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :
1° L’article 24 est ainsi modifié :
a) Après le huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits mentionnés aux septième et huitième alinéas du présent article sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. » ;
b) Au neuvième alinéa, les mots : « deux alinéas précédents » sont remplacés par les mots : « septième et huitième alinéas » ;
2° Après le troisième alinéa de l’article 24 bis, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits mentionnés au présent article sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. » ;
3° L’article 33 est ainsi modifié :
a) Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits mentionnés aux troisième et quatrième alinéas du présent article sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende. » ;
b) Au cinquième alinéa, les mots : « deux alinéas précédents » sont remplacés par les mots : « troisième et quatrième alinéas » ;
4° À l’article 69, les mots : « n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée » sont remplacés par les mots : « n° … du … confortant le respect des principes de la République ». – (Adopté.)
Article 19
Le chapitre II du titre Ier de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Au 8 du I de l’article 6, les mots : « au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, » sont remplacés par les références : « aux 1 ou 2 » ;
2° Après l’article 6-2, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, sont insérés des articles 6-3 et 6-4 ainsi rédigés :
« Art. 6-3. – (Supprimé)
« Art. 6-4. – Lorsqu’une décision judiciaire exécutoire a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne dont le contenu relève des infractions prévues au 7 du I de l’article 6, l’autorité administrative, saisie le cas échéant par toute personne intéressée, peut demander aux personnes mentionnées aux 1 ou 2 du même I, et pour une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par cette décision judiciaire, d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne dont le contenu relève des mêmes infractions et est identique ou équivalent à tout ou partie du contenu du service mentionné par ladite décision. Est considéré comme équivalent un contenu qui demeure en substance inchangé par rapport à celui ayant fait l’objet de la décision judiciaire mentionnée au présent alinéa et dont les différences de formulation par rapport à ce dernier n’impliquent aucune appréciation autonome.
« Dans les mêmes conditions et pour la même durée, l’autorité administrative peut également demander à tout exploitant d’un service reposant sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus proposés ou mis en ligne par des tiers de faire cesser le référencement des adresses électroniques donnant accès aux services de communication au public en ligne mentionnés au premier alinéa.
« L’autorité administrative tient à jour une liste des services de communication au public en ligne mentionnés au premier alinéa du présent article qui ont fait l’objet d’une demande de blocage d’accès en application du même premier alinéa, ainsi que des adresses électroniques donnant accès à ces services, et met cette liste à la disposition des annonceurs, de leurs mandataires et des services mentionnés au 2° du II de l’article 299 du code général des impôts. Ces services sont inscrits sur cette liste pour la durée restant à courir des mesures ordonnées par l’autorité judiciaire. Les annonceurs, leurs mandataires et les services mentionnés au même 2° du II de l’article 299 du code général des impôts en relation commerciale, notamment pour y pratiquer des insertions publicitaires, avec les services de communication au public en ligne mentionnés sur cette liste sont tenus de rendre publique au minimum une fois par an sur leurs sites internet l’existence de ces relations et de les mentionner au rapport annuel s’ils sont tenus d’en adopter un.
« Lorsqu’il n’est pas procédé au blocage ou au déréférencement desdits services en application du présent article, l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux contenus de ces services.
« Un décret fixe les modalités selon lesquelles sont compensés, le cas échéant, les surcoûts identifiables et spécifiques résultant des obligations mises à la charge des personnes mentionnées aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la présente loi au titre du présent article.
« Un décret précise les modalités selon lesquelles, s’il est identifiable, l’éditeur du service auquel l’accès est empêché en application du premier alinéa, qui fait l’objet d’une mesure de déréférencement en application du deuxième alinéa, ou qui est inscrit sur la liste établie en application du troisième alinéa, en est informé par l’autorité administrative et mis à même de présenter ses observations. »
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Il faut lutter contre les sites miroirs reprenant des contenus jugés illégaux par l’autorité judiciaire, gardienne des libertés fondamentales, afin de prévenir plus efficacement la réapparition de tels contenus.
Il est nécessaire de mettre en place une procédure pour assurer l’effectivité d’une décision de justice constatant l’illicéité d’un site internet et ordonnant son blocage ou son déréférencement, en permettant d’ordonner judiciairement le blocage de sites dédiés à la diffusion de contenus illicites.
Nous pouvons d’ailleurs saluer le rétablissement de la place du juge dans le dispositif prévu à cet effet, à la suite du vote du texte par l’Assemblée nationale.
Toutefois, un véritable problème demeure. Le constat de la similitude entre les contenus du site et du site miroir est laissé à la libre appréciation de l’autorité administrative. De plus, le critère proposé par l’article – avoir un contenu « identique ou équivalent » – manque tout de même de précision.
Ne reposant pas sur le caractère manifeste de la similitude, les décisions pourraient être prises arbitrairement, voire conduire à des atteintes disproportionnées à la liberté d’expression. L’absence du critère du caractère manifeste avait déjà été soulignée comme un problème lors l’examen de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia » ; nous nous en souvenons ici. Un tel critère n’a pas non plus été pris en compte dans cette loi.
Comme le recommande la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans un avis, pour respecter l’exigence de prévisibilité de la loi pénale, il conviendrait que les critères à retenir pour apprécier le caractère équivalent soient explicités par la loi et renvoyés à la compétence de l’autorité judiciaire pour en préciser le contenu.
La majorité sénatoriale n’a pas pris ce parti en commission. Nous ne pouvons que le déplorer et essayer de poursuivre la discussion en séance.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 244 rectifié est présenté par M. Mizzon, Mmes Thomas et Belrhiti, MM. Duffourg, Masson, Canevet, Delahaye, P. Martin, Kern, Cuypers, J.-M. Arnaud et Moga, Mme Herzog, MM. Bouchet et Le Nay et Mme Bonfanti-Dossat.
L’amendement n° 570 rectifié bis est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cohen, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent, Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour présenter l’amendement n° 244 rectifié.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Tel qu’il est formulé, l’article 19 est purement déclaratif, puisqu’il ne prévoit aucune sanction si les hébergeurs ou les fournisseurs d’accès à internet (FAI) refusent la demande des autorités.
Cet article, qui se contente de rappeler des dispositions déjà existantes, sans rendre obligatoire aucune mesure, risque d’être totalement inefficace dans la lutte contre la propagation de contenus haineux sur internet.
Notre demande de suppression de cet article s’explique donc par l’inefficience de celui-ci.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 570 rectifié bis.
M. Pierre Ouzoulias. Nous revivons le débat du projet de loi Avia – il s’agissait formellement d’une proposition de loi, mais elle était en réalité déposée à l’instigation du Gouvernement.
Comme vous le savez, mes chers collègues, ce texte a été très largement censuré par le Conseil constitutionnel. Le Gouvernement essaye aujourd’hui d’en sauver un certain nombre de dispositions, alors qu’il aurait fallu réfléchir à la cohérence d’ensemble du dispositif, dans un contexte où, pour une fois, l’Europe s’est saisie du dossier pour envisager une réforme complète de la législation sur le sujet. Ce que vous proposez risque donc malheureusement d’être complètement dépassé par les discussions en cours.
S’agissant du point précis sur lequel porte cet article, j’avais utilisé les dispositions de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information sur les fausses nouvelles en période électorale pour déférer un tweet de M. le ministre de l’intérieur devant le juge des référés, démontrant par l’absurde, malgré ma condamnation, l’inapplicabilité du dispositif.
Twitter France avait témoigné devant le tribunal, en estimant que, en aucun cas, il ne pourrait être poursuivi devant la justice européenne. La maison mère, Twitter Irlande, n’avait pas souhaité être associée au procès. C’est bien la preuve que, faute de pouvoir obliger les portails à communiquer des éléments à la justice, nous sommes malheureusement tout à fait démunis.
Nous devons engager une réflexion plus générale sur le statut d’hébergeur. Ces réseaux sociaux en sont-ils vraiment ? N’interviennent-ils pas également dans le travail éditorial ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission est globalement opposée à ces amendements identiques visant à supprimer l’article 19.
En effet, il nous semble nécessaire de lutter contre les sites miroirs. Le projet de loi permet désormais à l’administration de demander aux intermédiaires techniques, fournisseurs d’accès à internet et hébergeurs de bloquer l’accès à ces sites, de les déréférencer des moteurs de recherche et de les inscrire sur une liste noire à destination des annonceurs publicitaires.
Lorsque la justice demande le blocage d’un site malveillant, son contenu est immédiatement dupliqué sur un site miroir. Il est nécessaire aujourd’hui d’engager une nouvelle procédure pour obtenir la fermeture du nouveau site, alors même qu’il s’agit des mêmes contenus.
Même si elle aurait préféré une vraie discussion à la réintégration de toute la proposition de loi par voie d’amendement, la commission est donc favorable à cet article 19, qui vise à instaurer une procédure administrative pour pouvoir fermer plus rapidement ces sites miroirs.
Le Digital Services Act, ou DSA, risquant toutefois de ne pas être adopté avant longtemps, la commission a préféré conserver les articles 19 et 19 bis, car il est urgent d’agir, le but étant de transposer par avance les dispositions du DSA en imprimant la marque de la France.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. De façon générale, et pour répondre aux orateurs qui viennent de s’exprimer, notre intervention dans ce texte par voie d’amendement s’explique par des éléments de temporalité que je souhaite rappeler.
Le texte européen a été présenté le 15 décembre 2020, alors même que le projet de loi a été présenté le 8 ou le 9 décembre 2020. La France avait annoncé d’emblée qu’elle déclinerait les principes du texte européen sur la supervision des réseaux sociaux dans son droit national. Mais, par définition, il n’était pas possible de le faire avant la présentation de celui-ci.
Dès que nous avons eu le texte européen, le temps de l’analyser et de le retranscrire en droit français, nous avons déposé un amendement en séance à l’Assemblée nationale. Nous aurions préféré un autre calendrier, mais nous n’avions pas la main sur le processus européen.
Deux sujets doivent, selon moi, être traités aujourd’hui s’agissant du contrôle des contenus haineux.
Votre intervention sur les obligations de supervision renvoie plutôt à l’article 19 bis, me semble-t-il, monsieur Ouzoulias. Je veux en revanche répondre à Mme Bonfanti-Dossat sur la prétendue inutilité de l’article 19. Nous avions déjà eu l’occasion de débattre de ce point lors de l’examen de la proposition de loi sur les contenus haineux.
Un certain nombre de sites illégaux font l’objet d’un blocage par la justice française. Le processus est toujours le même : il faut plusieurs mois à la justice pour bloquer le site – nous avons tous en tête des exemples de sites aux contenus extrêmes –, mais il ne faut que vingt-quatre heures au contenu du site pour revenir en ligne de manière quasiment identique sous une autre extension.
Il y a donc une forme d’inefficacité ou en tout cas d’inadaptation de nos processus judiciaires pour des sites dont les contenus sont identiques ou quasi identiques.
Lors de la discussion de la proposition de loi Avia, le Gouvernement avait proposé que l’autorité judiciaire, à la suite d’une décision de justice, puisse demander aux hébergeurs et aux FAI de bloquer des sites similaires ou identiques aux sites bloqués par la justice. Certains avaient toutefois fait remarquer qu’une telle demande devait impérativement relever d’une décision judiciaire.
Nous considérons donc aujourd’hui que le juge peut déléguer à l’autorité administrative la capacité de bloquer des sites identiques à ceux qu’elle a décidé de bloquer, pour ne pas avoir à reprendre tout le mécanisme judiciaire, et avec évidemment un droit d’appel de la part des sites bloqués ou des FAI.
Je ne crois pas que l’absence de sanctions rende l’article inopérant, pour une raison simple : le Gouvernement français n’a pas aujourd’hui d’exemple de FAI ou d’hébergeurs ayant refusé d’appliquer des décisions de justice ou de l’autorité administrative. Ceux-ci le font systématiquement. La seule chose qu’ils demandent, c’est d’avoir une décision formelle, ce que l’on comprend très bien.
Nous proposons précisément de formaliser cette procédure, une avancée qui me semble absolument indispensable pour bloquer, dans le respect de la loi, un certain nombre de contenus que personne ici ne souhaite voir prospérer sur internet.
Je suis donc évidemment défavorable à ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 244 rectifié et 570 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 639, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Au 8 du I de l’article 6, les mots : « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 » sont remplacés par les mots : « Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire, à toute personne susceptible d’y contribuer ;
II. – Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
aux personnes mentionnées aux 1 ou 2 du I du même I
par les mots :
à toute personne susceptible d’y contribuer
III. – Alinéa 8
Remplacer les mots :
l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner
par les mots :
le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. En l’état, la procédure de blocage des sites prévue à l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, tout comme celle des sites miroirs, prévue à l’article 19 du présent projet de loi, est trop restreinte, donc insuffisamment efficace.
Pour bloquer les sites miroirs, nous visons aujourd’hui les FAI et les hébergeurs.
Sans entrer dans le détail des considérations techniques, il suffit de modifier un certain nombre de dispositions dans votre navigateur pour rendre totalement inefficace le blocage des sites miroirs par les fournisseurs d’accès et les hébergeurs, quelles que soient les mesures légales en vigueur.
Un amendement insuffisamment finalisé a été présenté à l’Assemblée nationale par le député Éric Bothorel. Le Gouvernement en avait confirmé la nécessité, tout en appelant à le retravailler au plan légistique pour le stabiliser juridiquement.
Nous faisons en sorte aujourd’hui que la justice puisse enjoindre à toutes les personnes impliquées dans la procédure technique de bloquer les sites, de façon que la décision judiciaire soit réellement efficace.
Si nous nous contentons de viser les FAI et les hébergeurs, il sera très simple de contourner le blocage, et les décisions de la justice ne serviront à rien.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 680, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Amendement n° 639
Compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Alinéa 9
Remplacer les mots :
aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la présente loi au titre
par les mots :
au premier alinéa
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il s’agit d’un sous-amendement de coordination avec la position de la commission.
Nous serions favorables à l’amendement du Gouvernement, à condition que l’on prenne en compte les surcoûts pour les fournisseurs d’accès comme Orange ou SFR, qui ne tirent pas de bénéfices de ces sites. Le Conseil d’État croit cette précision inutile, mais le Conseil constitutionnel a l’opinion inverse.
Un hébergeur ou un réseau social gagne de l’argent en fonction des contenus qu’il publie, y compris s’il s’agit de contenus haineux.
La demande de blocage d’un site nécessitera un travail pour le fournisseur d’accès, alors même que le site n’aura produit pour lui aucune ressource et qu’il n’a nullement la possibilité d’influer sur son contenu.
Mme la présidente. L’amendement n° 638, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cette disposition revient finalement à émettre un avis défavorable sur le sous-amendement de la commission…
Madame la rapporteure, vous demandez que les surcoûts liés au blocage des sites par les FAI ou les autres intermédiaires techniques soient pris en charge par l’État.
Selon une jurisprudence du Conseil constitutionnel, dès lors que les surcoûts sont importants, ils doivent être pris en charge par l’État. Mais le Conseil d’État a indiqué que si les surcoûts étaient négligeables, ils pouvaient être laissés à la charge des FAI, des hébergeurs ou des autres intermédiaires techniques.
Le Gouvernement considère que le blocage d’un site ne représente pas un surcoût rédhibitoire ou dirimant pour l’ensemble des intermédiaires techniques, FAI et hébergeurs. Il ne nous semble donc pas justifié que l’État prenne ces frais à sa charge.
C’est pourquoi nous avons présenté cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission est favorable à l’amendement n° 639, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 680.
Elle est, en revanche, logiquement défavorable à l’amendement n° 638.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Par voie de conséquence, le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 680, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je profite de ce débat pour tenter d’obtenir une réponse à la question que j’ai posée en filigrane au garde des sceaux.
Si l’on se garde de toute idéologie, comme M. Dupond-Moretti le souhaitait tout à l’heure, de quels moyens l’État dispose-t-il réellement pour lutter contre la haine en ligne, notamment pour repérer ou traiter les signalements dont la croissance – 200 000 l’an dernier, beaucoup plus l’an prochain – est exponentielle ?
Trente et une personnes travaillent pour Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements ; six magistrats sont chargés de traiter l’ensemble des atteintes à la loi sur le net.
Je sais que les moyens ont augmenté. Il n’y avait, par exemple, que quatre magistrats spécialisés voilà peu ; on en compte donc désormais deux de plus. Toutefois, sommes-nous réellement outillés pour combattre la haine en ligne ? L’inflation législative n’est-elle pas un palliatif au manque de moyens effectifs pour repérer, traiter judiciairement et sanctionner ?
Le garde des sceaux ne m’a pas répondu sur ce point. Peut-être le ferez-vous, monsieur le secrétaire d’État.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Le Gouvernement et Mme Avia utilisent ce projet de loi sur le séparatisme pour réintroduire une proposition de loi largement censurée par le Conseil constitutionnel. Ce n’est pas le bon véhicule !
La censure des publications en ligne nécessite un travail de fond et une loi spécifique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Madame Benbassa, une étude attentive de la décision du Conseil constitutionnel montre que seul l’article 1er de la loi Avia a été censuré sur le fond, pour non-respect du principe de proportionnalité.
Les articles 2 à 4 relatifs aux obligations de moyens, qui étaient les plus proches des dispositions figurant dans le texte que nous examinons aujourd’hui, ont pour leur part été censurés par voie de conséquence. Ils n’ont donc jamais été jugés au fond.
Un fait nouveau est par ailleurs intervenu entre-temps : la présentation des textes européens. On peut certes discuter de la pertinence de prétransposer un règlement européen – je suis disposé à en débattre avec vous –, mais, juridiquement comme politiquement, il me semble quelque peu rapide de soutenir que nous réintroduisons par la fenêtre le contenu de la loi Avia.
Monsieur Assouline, je ne pourrai pas apporter immédiatement des réponses précises à toutes vos questions, mais je souhaite vous livrer deux éléments.
Premièrement, le parquet numérique n’est pas seul compétent sur ces sujets. L’ensemble des parquets et des tribunaux français peuvent se saisir d’un certain nombre d’éléments, et il est donc faux de réduire à la section du parquet de Nanterre spécialisée sur le sujet le nombre de magistrats qui se consacrent à ces questions.
La plupart des jugements qui ont été rendus dernièrement, y compris après l’assassinat de Samuel Paty, ne l’ont d’ailleurs pas été par le tribunal de Nanterre. Nous pouvons certes avoir un débat plus large sur le nombre de magistrats, mais il dépasse le seul sujet du numérique.
Deuxièmement, s’agissant de Pharos, honnêtement, nous ne résoudrons pas le problème par une simple augmentation des effectifs.
L’irruption des réseaux sociaux et d’internet pose des questions principielles de conception et d’application du droit. Doit-on traduire en justice toutes les personnes qui contreviennent à la loi sur internet ? Nous ne pourrions pas le faire même si nous avions 2 500 magistrats affectés uniquement à cette tâche !
Si vous insultez ou menacez une fois quelqu’un dans la rue, le plus souvent, il ne se passe rien. En revanche, si vous insistez un peu trop, vous finissez devant la justice. On peut tous s’en réjouir, d’une certaine manière : le temps fait son affaire, et les paroles s’envolent.
En revanche, sur internet, la contravention à la loi reste en ligne, et elle est potentiellement accessible au monde entier. Elle peut être consultée par trois personnes en un an comme être subitement vue par 100 000 personnes, si elle est exhumée par quelqu’un qui compte beaucoup de followers.
Aussi, la gravité d’une insulte ou d’une atteinte à la loi dépend-elle du fait lui-même ou de sa visibilité et de sa propagation ? La deuxième réponse est plutôt la norme dans l’univers d’internet, mais cela pose un problème essentiel au regard de notre conception du droit.
Accepte-t-on collectivement de ne pas pouvoir tout régler ? Là encore, c’est un sujet extrêmement problématique.
Les magistrats ne sont pas encore assez nombreux, probablement. Monsieur le sénateur, nous appartenions tous les deux à la même majorité il y a quelques années, et nous n’avons sans doute pas fait assez. Ce gouvernement a agi, mais peut-être pas encore assez, et il faudra probablement encore augmenter leur nombre dans les années à venir.
Toutefois, nous ne réglerons pas ainsi le problème principiel de savoir ce qu’est le droit à l’heure des réseaux sociaux et d’internet. Les démocraties doivent mettre à jour leur cadre conceptuel, juridique, éthique et philosophique en fonction d’un outil qui, au fond, n’en est pas seulement un. Le Gouvernement doit prolonger sa réflexion sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je comprends parfaitement votre analyse, monsieur le secrétaire d’État, notamment sur la décision du Conseil constitutionnel. En effet, ces articles sont tombés à la suite de la censure de l’article 1er de la loi Avia et n’ont pas été jugés en tant que tels.
Sur le fond, je partage également votre analyse : nous ne pourrons pas tout régler par le droit.
En revanche, nous défendons ici au Sénat l’idée qu’il est possible de changer le modèle économique d’internet, notamment des Gafam, modèle qui repose sur l’économie de l’attention. Plus un sujet attire l’attention, notamment par la violence, l’exagération ou la diffamation, plus le débit est élevé, ce qui favorise, par le biais des algorithmes, l’attention des personnes connectées au réseau.
À plusieurs reprises dans cet hémicycle – je pense notamment aux propositions de la présidente Sophie Primas –, nous avions suggéré de mettre en place un autre système économique, fondé sur l’interopérabilité, qui consiste à défendre, au sein d’internet, des lieux où d’autres règles seraient favorisées, pour permettre aux usagers de distinguer les bonnes applications des mauvaises.
Je ne développe pas davantage, car c’est un sujet technique, mais cette piste me semble très intéressante, et je regrette que nous discutions de ces amendements au détour d’une loi qui ne concerne pas directement notre matière.
Si nous ne nous attaquons pas aussi au modèle économique, nous n’y arriverons pas !
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 638 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 609, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
reprenant le contenu du service visé par ladite décision en totalité ou de manière substantielle.
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Cet amendement de compromis vise à trouver une solution intermédiaire entre les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat sur la notion de site miroir.
Nous partageons l’objectif des rapporteures, à savoir ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté de communication.
L’Assemblée nationale avait doublement étendu la notion de site miroir, en mentionnant les contenus équivalant à tout ou partie du contenu du service visé par une précédente décision de justice, et non plus seulement les contenus reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service visé par la décision de justice.
La commission des lois du Sénat a souhaité, utilement, circonscrire le champ d’application de cette disposition.
Cependant, en prévoyant que l’autorité administrative ne peut apprécier de manière autonome le contenu des sites en question, il nous semble qu’elle est peut-être allée un peu trop loin et que la rédaction adoptée restreindrait de façon excessive la portée et l’efficacité du dispositif sur les sites miroirs.
Notre proposition se place donc dans une position intermédiaire entre la rédaction qui nous est arrivée de l’Assemblée nationale et celle qui a été adoptée par notre commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission se range aux arguments de M. Bargeton et émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 19, modifié.
(L’article 19 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 19
Mme la présidente. L’amendement n° 179 rectifié bis, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher et Meurant, Mme Joseph, MM. Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary et H. Leroy, Mme Bourrat et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, après le mot : « humanité », sont insérés les mots : « y compris les crimes de génocide ».
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Cet amendement de ma collègue Valérie Boyer vise à étendre les dispositions de la lutte contre la haine en ligne, en ajoutant à l’apologie des crimes contre l’humanité la négation et la banalisation des crimes de génocide.
Cette disposition imposerait notamment aux plateformes de lutter contre la diffusion de contenus niant le génocide arménien en ligne, dont la pénalisation reste inconstitutionnelle à ce jour.
En 1990, le législateur a fait du négationnisme un délit de presse. En adoptant la loi Gayssot, il interdisait de contester publiquement un ou plusieurs crimes contre l’humanité « tels que définis par le statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 ».
Conçue à l’origine comme une limite à la liberté d’expression, cette réponse pénale au mal irrationnel qu’est l’antisémitisme s’est cherchée pendant vingt-cinq ans, au gré des combats et inquiétudes de toutes parts. D’un côté, les rescapés de la Shoah qui, après avoir vécu l’invivable, devaient encore entendre, comble du vice, que leur calvaire n’avait jamais eu lieu. De l’autre, les historiens et chercheurs – ceux de bonne foi – qui s’inquiétaient d’être traînés en correctionnelle pour avoir exercé leur métier.
Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait le principe, selon lequel « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Ce principe devenait officiellement une loi de la République avec la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. En reconnaissant l’existence du premier génocide du XXe siècle, la République française redonnait symboliquement au génocide arménien une place dans la mémoire collective de l’humanité.
Toutefois, si cette reconnaissance a pu être considérée comme un achèvement pour certains, nous devons désormais aller plus loin, pour éviter toute concurrence des mémoires et toute inégalité de traitement entre les victimes et leurs descendants.
La République se doit en effet de protéger l’ensemble de ses ressortissants. Nombre de descendants du génocide arménien ont trouvé refuge en France et sont Français. Face au négationnisme, y compris d’État, dont ceux-ci sont victimes, on doit s’en remettre non pas à l’arbitraire communautaire, mais bien à la justice de la République, pour garantir leur protection.
C’est pourquoi il faut rechercher les outils juridiques les plus adaptés permettant de donner toute sa portée à la reconnaissance du génocide arménien et, plus largement, de réprimer la négation de l’ensemble des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, dans le strict respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. D’une façon générale, la commission a refusé d’étendre la définition des contenus haineux et d’ajouter telle ou telle cause, ce que chacun pourrait faire. Nous nous en sommes donc tenus au texte initial.
Je rappelle, en outre, que la pénalisation de la négation des génocides, en l’occurrence du génocide arménien, a déjà été rejetée deux fois par le Conseil constitutionnel – jamais deux sans trois, certes, mais ce n’est peut-être pas la peine d’essayer…
Enfin, je note que l’article 19 bis A du projet de loi prévoit déjà d’inclure le négationnisme.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de nous en tenir à la rédaction actuelle et j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 179 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 420 rectifié, présenté par Mmes Meunier, Monier et de La Gontrie, MM. Assouline, Marie et Magner, Mme Harribey, MM. Leconte et Féraud, Mme Lepage, M. Sueur, Mme S. Robert, MM. Kerrouche, Kanner, Durain, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Après le mot : « humaine », sont insérés les mots : « et au libre choix des personnes à disposer de leur corps » ;
2° La dernière phrase est complétée par les mots : « ainsi qu’à l’article L. 2223-2 du code de la santé publique ».
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 19 de ce projet de loi entend renforcer l’arsenal législatif contre la haine en ligne et les contenus haineux.
À cet égard, il convient d’apporter la plus grande attention aux atteintes aux valeurs de la République que représentent les tentatives d’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse.
Nous visons spécifiquement les sites soupçonnés de pratiquer une désinformation sur l’avortement, sous couvert d’une approche neutre. Les conseils et informations dispensés aboutissent à ce que des femmes en recherche d’informations reçoivent des présentations biaisées, qui peuvent conduire à reporter ou mettre en doute leur souhait d’avorter. Les conséquences humaines pour la santé de la femme sont trop graves pour laisser faire.
En 2017, la majorité précédente avait décidé d’instaurer un délit d’entrave numérique contre les sites dispensant ces informations, mais, dans la pratique, les associations de défense des droits des femmes nous alertent sur la persistance des entraves à l’IVG permises par les brèches de l’édifice législatif et l’interprétation restrictive qu’en fait le Conseil constitutionnel.
Ainsi, aucun site de ce type n’a pu être condamné depuis la création de ce délit d’entrave numérique.
C’est un sujet sur lequel il conviendra peut-être de revenir par un autre véhicule législatif. En attendant, il nous semble opportun de réaffirmer, dans le cadre de cet article, la nécessité de garantir le libre choix des personnes à disposer de leur corps et de viser l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, afin que les nouvelles dispositions de l’article 19 soient applicables aux contenus entrant dans le cadre du délit d’entrave numérique à l’IVG.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Défavorable, pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 250 rectifié sexies, présenté par MM. Malhuret, Chasseing, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, Mme Mélot, M. Decool, Mme Paoli-Gagin, MM. A. Marc et Gold, Mme Vermeillet, MM. Kern, Fialaire, de Belenet, Cigolotti et Mizzon, Mme V. Boyer, MM. Bonne, Milon et Laugier, Mme Loisier, MM. Lévrier, Longuet, Mandelli et Burgoa, Mme C. Fournier, M. Charon, Mmes Drexler et Richer, M. Savin, Mme Puissat, M. Louault, Mme L. Darcos, MM. Brisson, Genet et Delahaye, Mme Saint-Pé, M. Klinger, Mmes Havet et Duranton, M. Buis, Mme Guidez, MM. Laménie, Saury et Yung, Mme Férat, M. Moga, Mme Di Folco, M. Bouchet, Mme Schillinger, M. Lefèvre, Mmes Demas et Billon, MM. Rojouan, Vogel, Levi, Chauvet et Meurant, Mme Herzog, MM. Rohfritsch et Longeot, Mme Doineau, MM. Verzelen, Menonville et Médevielle, Mme Guillotin, MM. Requier et de Nicolaÿ, Mme de Cidrac, MM. Bonhomme, P. Martin et Houpert, Mme Schalck, M. J.M. Arnaud, Mme Perrot, M. Capus, Mme Jacquemet et MM. Husson et Rapin, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 6 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …. Les personnes mentionnées au 2 du présent I sont civilement et pénalement responsables des informations qu’elles stockent pour mise à disposition du public, dès lors qu’elles effectuent sur ces informations un traitement par algorithme, modélisation ou tout autre procédé informatique, afin de classer, ordonner, promouvoir, recommander, amplifier ou modifier de manière similaire la diffusion ou l’affichage de ces informations, à moins qu’il ne soit chronologique, alphabétique, aléatoire ou fondé sur la quantité ou la qualité des évaluations attribuées par les utilisateurs. »
La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Mes chers collègues, les réseaux sociaux sont devenus dangereux ; ils injurient, ils humilient, ils blessent, et parfois pire. Ils commencent à miner la démocratie.
À plusieurs reprises, le législateur, ici même, à l’Assemblée nationale, au Parlement européen ou au Congrès américain, a tenté d’y mettre un peu d’ordre. Pour l’heure, nous avons en grande partie échoué. La dernière fois que nous avons essayé, c’était à l’occasion de l’examen de la proposition de loi Avia, quand nous nous sommes divisés sur le sujet de la liberté d’expression.
De toute façon, les lois de même nature, y compris la loi allemande, beaucoup plus stricte, ne règlent pas le problème, puisqu’elles portent sur la modération a posteriori et qu’aucun juge ne pourra jamais intervenir efficacement sur les millions de messages postés quotidiens sur les réseaux sociaux – c’est exactement ce que vous avez dit il y a un instant, monsieur le secrétaire d’État.
La raison de notre impuissance, c’est que nous avons cédé à l’argumentaire des plateformes numériques et de leurs milliers de lobbyistes, expliquant qu’ils étaient de simples hébergeurs des messages émis par leurs abonnés et non, comme la presse, des éditeurs responsables des contenus.
Ce raisonnement les exonère de la responsabilité des contenus illicites, mais c’est évidemment une fiction : en effet, ces plateformes ne se contentent pas d’héberger des contenus.
Leur business model est même à l’opposé, puisqu’il aboutit, par l’intermédiaire des algorithmes, à sélectionner les contenus les plus discutables, les plus polémiques, les plus violents – ce sont ceux qui génèrent le plus d’émotion, donc le plus de messages et le plus de fric.
Certains disent, en parlant de la modération, que l’on ne peut confier la censure aux plateformes et que nous devons la réserver au juge. Bien sûr, mais c’est dès aujourd’hui que la censure est confiée aux plateformes, qui plus est en amont, puisque c’est par l’usage de ces algorithmes que les plateformes suppriment ou dégradent la visibilité des contenus, disons, normaux, au profit des plus dangereux.
Loin d’être de simples hébergeurs, ces plateformes sont donc bien, par la sélection qu’elles opèrent dans la présentation, des producteurs de contenus ; elles doivent en assumer la responsabilité, comme, par exemple, les éditeurs de journaux qui sont responsables de leurs articles et des courriers des lecteurs qu’ils sélectionnent.
C’est le sens de cet amendement, qui vise à maintenir le régime exonératoire de responsabilité pour les sites dont l’activité n’excède pas celle d’un simple hébergeur et à rendre enfin responsables les autres sites pour les contenus qu’ils diffusent, bien entendu devant un juge.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La responsabilisation des plateformes est un combat qui est cher à M. Malhuret ; je le comprends parfaitement, et il me semble utile de mener ce combat.
Pour autant, cet amendement est contraire au droit européen actuel, puisqu’il tend à ajouter des critères plus restrictifs que la définition posée par la directive dite « e-commerce » et par la Cour de justice de l’Union européenne. S’il était adopté, il exclurait du statut d’hébergeur des plateformes actuellement protégées par le droit européen, dont la loi pour la confiance dans l’économie numérique n’a pu qu’assurer la transposition fidèle.
La redéfinition des obligations des hébergeurs est au cœur des réflexions en cours autour du Digital Services Act, ou DSA. C’est à l’échelle européenne qu’il faut agir pour réformer la directive e-commerce et aboutir à ce que M. Malhuret souhaite. Cela ne peut malheureusement pas se faire au travers de cet amendement.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Ce sujet revient assez souvent dans le débat public, et nous avons eu l’occasion d’en discuter ici même lors de l’examen de la proposition de loi Avia.
Mme la rapporteure a avancé des arguments juridiques ; je placerai donc mon avis dans une autre perspective.
Les réseaux sociaux ont permis aux Français et aux autres citoyens du monde de beaucoup plus communiquer entre eux et sans intermédiaire. Le monde s’est-il amélioré pour autant ? La démocratie fonctionne-t-elle mieux depuis l’émergence des réseaux sociaux et de cette formidable désintermédiation ? Notre société s’en porte-t-elle mieux ?
Très honnêtement, je ne suis pas sûr que ce soit le cas et que l’équilibre actuel soit le meilleur qui soit. Dans un premier temps, cette évolution a été très enthousiasmante, mais nous en avons vu les limites au bout de quelques années. C’est pourquoi je ne suis pas sûr que le rapport entre les bénéfices et les inconvénients nous soit in fine favorable.
Pour autant, je ne suis pas non plus certain d’avoir la légitimité pour interdire les réseaux sociaux, parce que les transformer en éditeurs, comme vous le proposez, revient au fond à cela. D’ailleurs, serait-ce vraiment une bonne chose pour la société et la démocratie ? Encore une fois, je ne le pense pas. Mettre fin aux réseaux sociaux ne me semble pas faisable politiquement ou démocratiquement. Il serait d’ailleurs étrange que l’État interdise ce type d’outil.
Si nous décidions de rendre les réseaux sociaux éditeurs, ils seraient responsables de tous les contenus qu’ils publient. Or est-il normal, juridiquement ou éthiquement, de considérer que la plateforme est responsable de ce que moi, Cédric O, par exemple, publie, même si j’en viens à insulter telle ou telle personne, voire la Terre entière ?
De quoi les plateformes sont-elles responsables aujourd’hui ? Pourquoi essayons-nous de mettre en place, dans le cadre du DSA, une forme de tierce responsabilité ?
En fait, elles sont responsables de l’accélération des contenus. Je vous rejoins sur le fait qu’elles ne sont pas que des hébergeurs : elles accélèrent les contenus, elles les éditorialisent, elles vous présentent un contenu plutôt qu’un autre, elles vous enferment très souvent dans un silo informationnel. C’est cette responsabilité d’accélération que le DSA va essayer d’encadrer.
Les plateformes ne sont ni des éditeurs – elles ne sont pas responsables de la production du contenu – ni de simples hébergeurs. Elles éditorialisent les contenus. Elles accélèrent de manière automatique des contenus produits par d’autres.
Est-ce que le DSA et le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui iront au bout de la question de la régulation ?
Probablement pas, mais il me semblerait abusif de considérer que les plateformes sont des éditeurs, parce que cela les forcerait à revoir l’ensemble des contenus qu’elles publient, ce qui tuerait leur modèle. Elles ne peuvent pas, vous l’avez dit vous-même, revoir l’ensemble des contenus publiés ; le leur demander tuerait, je le répète, leur modèle.
Je pourrais bien sûr m’abriter derrière un certain nombre d’arguments techniques, mais sur le fond, je pense que votre approche est discutable, même si elle est éminemment respectable ; nous avons eu l’occasion d’en débattre à plusieurs reprises.
Il me semble que la recherche d’un statut tiers, entre éditeur et hébergeur, est la bonne manière d’approcher le problème. C’est ce que nous essayons de faire au niveau européen. Cela demande du temps et ne fermera pas le débat, mais c’est à mon sens la seule manière d’aborder ce sujet, même si cela ne suffira certainement pas à le régler.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je ne partage pas du tout votre point de vue, monsieur le secrétaire d’État, et je soutiendrai l’amendement de notre collègue Claude Malhuret.
Vous vous affirmez que nous allons « tuer le modèle », mais c’est plutôt le modèle qui va nous tuer ! (Sourires.) D’ailleurs, les réseaux se considèrent eux-mêmes comme autre chose qu’un hébergeur ; il suffit de prendre l’exemple de ce qui est arrivé à l’excellent président Trump : Twitter s’est senti tellement responsable de ce qui se passait que son compte a été fermé !
Je crois que nous devons absolument prendre position dès maintenant.
De toute façon, chacune de ces plateformes a désormais un comité Théodule pour réguler les choses et pour parfois fermer des comptes. Quoi que l’on pense de la décision de supprimer le compte de Trump, il faut reconnaître que c’est un acte fort.
Dans ce contexte, la disposition qui consiste à rendre ces plateformes civilement et pénalement responsables des informations stockées ou mises à disposition du public sera, à mon sens, un premier pas. Et je ne vais pas aborder maintenant la question de la fiscalité des entreprises du numérique…
Vous nous dites, je le répète, que nous allons tuer le modèle, mais je vous signale que ce n’est pas le nôtre – nous le subissons ! Par ailleurs, nous devons absolument engager des discussions un peu plus fermes avec les dirigeants de ces entreprises.
Je comprends que les réponses passent par l’échelon européen, mais cela ne nous empêche pas de soutenir cet amendement. C’est d’ailleurs ce que je vais faire !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Ce débat est vraiment très complexe, et il est évident que nous n’allons pas le clore maintenant.
Les États n’ont toujours pas trouvé les moyens d’être aussi performants que les réseaux sociaux pour faire la police au sein des publications des plateformes. Ils peinent encore à agir directement. Dans le même temps, nos démocraties sont confrontées à d’importants dangers.
Dans ce contexte, je ne suis pas d’accord pour dire, monsieur le secrétaire d’État, que la seule responsabilité des plateformes est d’accélérer ou de rendre plus visible un contenu illicite. D’autres aspects peuvent être absolument inacceptables : le seul fait de publier un post peut produire des dégâts majeurs ; pourtant, la plateforme se sent tellement irresponsable qu’elle n’agit pas pour le supprimer.
Ce débat a évidemment pris de l’ampleur avec ce qui s’est passé outre-Atlantique, puisqu’une plateforme a décidé de supprimer non seulement les contenus, mais aussi le compte lui-même du président des États-Unis.
Certains y ont vu une mesure liberticide, qui bridait la fonction même des réseaux sociaux ; d’autres ont considéré que la liberté avait bon dos : comment considérer que la plateforme n’a aucune responsabilité lorsque des gens répondent à un appel passant par elle et envahissent le Congrès, l’enceinte de la démocratie américaine ? C’est quelque chose de fou !
Ce précédent doit ouvrir une nouvelle phase de discussions, mais vous avez tendance, monsieur le secrétaire d’État, à être assez complaisant avec ces plateformes, au nom de tel ou tel argument – vous avez parlé tout à l’heure de leur modèle économique –, alors qu’il faut maintenant les mettre au pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je partage totalement les propos qui viennent d’être tenus.
Nous discutons d’un texte pour conforter le respect des principes de la République et nous avons assisté, complètement éberlués, au renversement en direct des principes de la République américaine. Souvenez-vous de ces gens qui sont entrés dans le Capitole pour assassiner nos collègues sénateurs des États-Unis ! Tout cela a été organisé et coordonné sur les réseaux sociaux et a été vu en direct par l’ensemble de la planète.
Quel terrible exemple pour la démocratie ! Quel sentiment d’impuissance et de fragilité par rapport à des monstres qui ont aujourd’hui décidé, nolens volens, de se placer en dehors de toutes les règles démocratiques !
Vous nous dites, monsieur le secrétaire d’État, que ce n’est pas l’heure et qu’il faut attendre. En fait, pour vous, ce n’est jamais le moment !
Or certaines dispositions législatives ne sont pas appliquées à ce jour. Je prends un exemple : la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, Hadopi, a d’ores et déjà la possibilité de demander leurs algorithmes à certaines plateformes, notamment celles qui hébergent des vidéos. Mais la Hadopi ne reçoit pas ces derniers. La loi exige donc déjà une transparence des algorithmes, mais vous ne réussissez pas à la mettre en œuvre.
À un moment, il faut cesser d’être iréniste et de tout accepter. Il faut au contraire envoyer un message politique fort pour dire que l’on ne peut plus tout accepter. C’est pour cette raison que le groupe CRCE votera cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. On ne peut pas m’accuser en même temps d’être aujourd’hui iréniste et hier liberticide, lorsque je défendais des mesures agressives. Je comprends qu’il existe des oppositions différentes, mais tout de même…
Je voudrais d’ailleurs répondre à M. Assouline. Lorsque nous avons débattu de la proposition de loi Avia, Dieu sait que vous avez été particulièrement virulent à notre égard sur la question d’une éventuelle censure. Or si vous voulez que les plateformes soient responsables de chacun des contenus qu’elles publient, je suis très étonné, car vous défendez alors l’exact contraire de ce que vous disiez pendant les débats sur cette proposition de loi.
En effet, une telle mesure signifie que les plateformes doivent mettre en place un système de filtrage a priori : le filtre devra opérer avant même la diffusion du message ! (M. David Assouline s’exclame.)
Si vous défendez aujourd’hui le fait que les plateformes soient pénalement et juridiquement responsables des contenus, c’est un changement majeur de votre part, parce que vous pouvez être assuré qu’une telle délégation du contrôle du respect de la liberté d’expression à une plateforme privée entraînera à 100 % de la censure. C’est certain !
M. Ouzoulias et vous défendez la supervision des politiques de modération des plateformes. Or c’est précisément ce qui est prévu dans le DSA ! Nous disons simplement : les plateformes ne sont pas responsables de chaque contenu, y compris ceux qui sont publiés par le président des États-Unis ou par tout autre responsable politique, mais elles doivent avoir une politique de modération, sous la supervision de la puissance publique.
Par conséquent, il me semble que la meilleure façon d’atteindre votre objectif, monsieur Assouline, celui que vous avez défendu durant les débats sur la proposition de loi Avia, c’est de soutenir les discussions autour du DSA, et non de transformer les hébergeurs en éditeurs. Pardon de vous le dire !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je ne serai pas indifférente à l’amendement de M. Malhuret, dont l’adoption permettrait de responsabiliser Facebook et les autres plateformes, notamment à l’égard des propos complotistes, haineux ou racistes. L’utilisation d’algorithmes favorise en effet la profusion de tels contenus.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera donc cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote.
M. Claude Malhuret. Je voudrais répondre en premier lieu à M. le secrétaire d’État. Selon lui, cet amendement va tuer les réseaux sociaux : ils vont disparaître, si nous le votons.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de penser que les réseaux sociaux ont suffisamment de capacité de résistance ou de réaction ! Ils en ont vu bien d’autres… Je ne pense vraiment pas que c’est cet amendement qui va les tuer. D’ailleurs, il vise non pas à les tuer, mais à les responsabiliser, en changeant un business model qui est délétère et qui entraîne toutes les conséquences que nous connaissons.
Ensuite, vous nous dites, monsieur le secrétaire d’État, que les discussions autour du DSA ont pour objectif de créer un statut tiers, entre hébergeur et éditeur. Mais mon amendement n’a pas un tel objet. Je me fiche de savoir si les plateformes sont des hébergeurs ou des éditeurs ! Je pense qu’elles sont des éditeurs, mais mon amendement vise simplement à ce qu’elles soient responsables de leurs algorithmes et du contenu qu’elles produisent. Si vous voulez créer un statut tiers, cela ne me pose aucun problème.
Vous nous dites aussi que l’adoption de cet amendement forcerait les hébergeurs et les plateformes à vérifier un par un l’ensemble des contenus. Ce n’est pas non plus ce que je demande !
Nous voulons simplement que leurs algorithmes ne permettent pas la sélection des contenus les plus mauvais et les plus dangereux. Si elles sont responsables, c’est uniquement de leurs algorithmes et, s’il y a une contestation devant un juge – j’espère que cela sera possible un jour ou l’autre ! –, ce dernier appréciera si l’algorithme est à l’origine du problème – le juge peut aussi évidemment apprécier le contenu du message lui-même.
Par conséquent, je ne pense pas que les réponses que vous nous apportez soient pertinentes.
Les plateformes craignent beaucoup que nous n’allions dans le sens de cet amendement. La dernière chose qu’elles souhaitent, c’est que l’on se penche sur leurs algorithmes. Pour l’éviter, elles se cachent derrière le secret de fabrication. C’est ainsi qu’elles évitent les procès. Mais ce prétexte sert juste à protéger les sales petits secrets des algorithmes, que les Gafam ne veulent absolument pas voir dévoilés un jour à l’occasion d’une enquête ou d’un procès.
Ce type de nouvelle régulation est discuté en ce moment même à la Commission européenne et, de façon bipartisane, au Congrès américain.
Or les États-Unis ont toujours la prééminence dans le domaine d’internet. Si nous pouvions faire en sorte que, pour une fois, la France, en particulier le Sénat, soit à l’origine d’une loi de régulation des réseaux sociaux, sans attendre les habituels deux ans des discussions communautaires, il s’agirait une initiative très profitable. (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, votre amendement vise à désigner les plateformes comme pénalement et juridiquement responsables pour les contenus qu’elles produisent. Par conséquent, votre proposition considère chaque contenu comme étant le cœur du problème.
Si vous souhaitez faire la transparence sur les algorithmes et mettre ceux-ci sous supervision publique, votez l’article 19 bis de ce texte, car nous y visons le même objectif. Mais contrairement à vous, nous le faisons de manière systémique, et non contenu par contenu. Les plateformes seront responsables de leurs algorithmes et de la manière dont elles gèrent leurs contenus. En outre, elles devront être transparentes sur tout cela.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 19.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 500 rectifié, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, sont insérés deux articles 6-1-1 et 6-1-2 ainsi rédigés :
« Art. 6-1-1. – Le fait de retirer, de restreindre ou de suspendre la diffusion d’un contenu ou d’une activité dont l’illicéité n’est pas manifeste sur une plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui propose un service de communication au public reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics est puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Le fait de supprimer, de suspendre ou de restreindre l’accès à cette plateforme en raison de la diffusion d’un contenu ou d’une activité dont l’illicéité n’est pas manifeste est puni des mêmes peines.
« Art. 6-1-2. – L’autorité judiciaire peut prescrire en référé à tout opérateur de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui propose un service de communication au public reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics de mettre fin sans délai à un fait qu’elle estime relever de l’interdiction mentionnée à l’article 6-1-1 de la présente loi ou aux conséquences de ce fait.
« Elle se prononce dans un délai de quarante-huit heures.
« La procédure est entièrement dématérialisée et, sauf opposition de l’une des parties, l’audience a lieu par l’intermédiaire d’un moyen de télécommunication permettant de certifier l’identité des personnes et de garantir la qualité de la transmission. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous comptez sur la lutte contre la haine en ligne pour endiguer l’islamisme. Pourquoi pas ?
Cependant, pour que la mesure soit équilibrée et pas seulement contraignante pour les utilisateurs, je vous propose également un dispositif législatif visant à interdire les entraves à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux par les géants du numérique.
L’amendement que notre assemblée a l’honneur d’examiner vise à interdire la censure de propos licites et non punis par la loi française sur ces réseaux et à mettre en place une voie de recours spécifique, rapide et dématérialisée, en vue de permettre aux utilisateurs entravés de contester les mesures prises par les réseaux sociaux.
Les entraves à la liberté d’expression par les géants d’internet, propriétaires des réseaux, sont devenues monnaie courante et présentent de vrais problèmes démocratiques, notamment quand il s’agit de censurer les publications de parlementaires ou d’autres élus, d’autant que cette mesure concerne toujours, ou presque, le même sujet : la critique de l’immigration et de l’islamisme.
À la fin du mois de janvier, le compte Twitter de notre collègue Sébastien Meurant a ainsi été suspendu pour avoir diffusé la photo d’une femme en burqa et rappelé la loi.
Notre droit doit s’armer et s’affirmer au fil de la transition numérique et assurer les conditions de la liberté d’expression. Les problèmes de notre société ne se régleront pas en mettant un modérateur, aussi omnipotent soit-il, sur un réseau social, un réseau qui n’est qu’une fenêtre d’expression, souvent révélatrice de malaises profonds du quotidien de nos compatriotes.
M. David Assouline. C’est faux !
M. Stéphane Ravier. Les réseaux sociaux sont devenus de vrais médias d’opinion et d’information que la loi doit réguler, pour y assurer l’égalité de traitement et la sécurité de la liberté d’expression, comme ailleurs dans la société.
Les 26 et 27 mars dernier, les comptes Twitter de Marika Bret, figure de Charlie Hebdo, et de la vice-présidente d’une association pro-laïcité ont été suspendus pour avoir posté la une du journal satirique représentant Erdogan dénudé. Certes, ce n’était pas d’une grande finesse, avouons-le, mais ces méthodes de censeurs sont inacceptables. Le sultan turc n’aurait pas fait mieux !
Il faut assurer le respect de la liberté d’expression pour lutter contre les islamistes, ennemis de la liberté. Le comportement partisan des Gafam doit cesser et votre positionnement, mes chers collègues, doit être un exemple de législation transpartisane, au travers du vote de cet amendement en faveur de la liberté d’expression numérique.
Mme la présidente. L’amendement n° 169 rectifié bis, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher et Meurant, Mme Joseph, MM. Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler et MM. Genet, Savary, H. Leroy, Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 précitée, il est inséré un article 6-… ainsi rédigé :
« Art. 6-…. – Le fait de retirer, de restreindre ou de suspendre la diffusion d’un contenu ou d’une activité dont l’illicéité n’est pas manifeste sur une plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui propose un service de communication au public reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics est puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Le fait de supprimer, de suspendre ou de restreindre l’accès à cette plateforme en raison de la diffusion d’un contenu ou d’une activité dont l’illicéité n’est pas manifeste est puni des mêmes peines. »
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Il s’agit encore d’un amendement porté par ma collègue Valérie Boyer.
L’auteur de propos bloqués par des plateformes de réseaux sociaux ne dispose d’aucune voie pénale spécifique pour faire cesser l’entrave à la liberté d’expression que constitue ce blocage. Il est seulement prévu par la loi pour la confiance dans l’économie numérique que le signalement abusif aux hébergeurs d’un contenu en vue d’en obtenir le retrait peut être sanctionné pénalement, mais la plainte ne vise pas tant la plateforme qu’un autre utilisateur du réseau.
Par cet amendement, il s’agit donc de créer un nouveau délit, sanctionnant la suppression par une plateforme d’un contenu dont l’illicéité n’est pas manifeste.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ces deux amendements tendent à créer un nouveau délit pour sanctionner la suppression indue par une plateforme d’un contenu dont l’illicéité n’est pas manifeste.
Le risque serait qu’il y ait des censures directes de la part des plateformes pour éviter de courir ce risque.
Par ailleurs, je me dois de rappeler qu’une plateforme n’est pas un service public, donc les responsables doivent pouvoir continuer à y modérer des contenus publiés. Ces derniers, bien que parfaitement licites au regard du droit pénal, ne sont pas autorisés par leurs règles générales d’utilisation.
En outre, les peines proposées sont calquées sur celles qui étaient prévues par la loi Avia, déjà jugée totalement disproportionnée à cet égard.
Enfin, l’imputabilité de la sanction est douteuse. Qui enverra-t-on en prison ? Le P-DG de Twitter ou le modérateur indien ?
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 169 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 19 bis A
(Non modifié)
Le troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Après la première occurrence du mot : « apologie », sont insérés les mots : « , de la négation ou de la banalisation » ;
2° Après la référence : « article 24 », est insérée la référence : « et à l’article 24 bis ». – (Adopté.)
Article 19 bis B (nouveau)
Le troisième alinéa de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° La première phrase est ainsi modifiée :
a) Les mots : « la Commission nationale de l’informatique et des libertés » sont remplacés par les mots : « le Conseil supérieur de l’audiovisuel » ;
b) À la fin, les mots : « dans cette commission » sont remplacés par les mots : « au Conseil » ;
2° La deuxième phrase est supprimée. – (Adopté.)
Article 19 bis
I. – Le chapitre II du titre Ier de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa du 7 du I de l’article 6 est ainsi modifié :
a) La première phrase est complétée par les mots : « et rendre publics les moyens qu’elles consacrent à la lutte contre les activités illicites mentionnées au troisième alinéa du présent 7 » ;
b) Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Ces obligations ne sont pas applicables aux opérateurs mentionnés au premier alinéa de l’article 6-5 pour la lutte contre la diffusion des contenus mentionnés au même premier alinéa. » ;
c) La seconde phrase est ainsi modifiée :
– au début, le mot : « Elles » est remplacé par les mots : « Les personnes mentionnées aux 1 et 2 » ;
– les mots : « , d’une part, » sont supprimés ;
– les mots : « à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « au troisième alinéa » ;
– après le mot : « services », la fin est supprimée ;
2° Après l’article 6-2, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 précitée, il est inséré un article 6-5 ainsi rédigé :
« Art. 6-5. – Les opérateurs de plateforme en ligne définis à l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics mis en ligne par des tiers, à l’exception des prestataires de services d’encyclopédies en ligne à but non lucratif, et dont l’activité sur le territoire français dépasse un seuil de nombre de connexions déterminé par décret, qu’ils soient ou non établis sur le territoire français, concourent à la lutte contre la diffusion publique des contenus contrevenant aux dispositions mentionnées au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la présente loi ainsi qu’aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. À ce titre :
« 1° Ils mettent en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant :
« a) D’informer, dans les meilleurs délais, les autorités judiciaires ou administratives des actions qu’ils ont mises en œuvre à la suite des injonctions émises par ces autorités relatives aux contenus mentionnés au premier alinéa du présent article ;
« b) D’accuser réception sans délai des demandes des autorités judiciaires ou administratives tendant à la communication des données dont ils disposent, de nature à permettre l’identification des utilisateurs qui ont mis en ligne des contenus mentionnés au même premier alinéa, et d’informer ces autorités dans les meilleurs délais des suites données à ces demandes ;
« c) De conserver temporairement les contenus qui leur ont été signalés comme contraires aux dispositions mentionnées audit premier alinéa et qu’ils ont retirés ou rendus inaccessibles, aux fins de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ; la durée et les modalités de conservation de ces contenus sont définies par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ;
« 2° Ils désignent un point de contact unique, personne physique chargée de la communication avec les autorités publiques pour la mise en œuvre du présent article, auquel peuvent notamment être adressées par voie électronique les demandes présentées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en application de l’article 62 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ce point de contact unique est notamment chargé de recevoir les requêtes adressées à l’opérateur par l’autorité judiciaire selon les modalités prévues au II de l’article 6 de la présente loi, en vue d’en assurer un traitement rapide ;
« 3° Ils mettent à la disposition du public, de façon facilement accessible, les conditions générales d’utilisation du service qu’ils proposent ; ils y intègrent des dispositions prévoyant l’interdiction de mettre en ligne les contenus mentionnés au premier alinéa du présent article ; ils y décrivent en termes clairs et précis leur dispositif de modération visant à détecter, le cas échéant, à identifier et à traiter ces contenus, en détaillant les procédures et les moyens humains ou automatisés employés à cet effet ainsi que les mesures qu’ils mettent en œuvre affectant la disponibilité, la visibilité et l’accessibilité de ces contenus ; ils y indiquent les mesures qu’ils mettent en œuvre à l’égard des utilisateurs qui ont mis en ligne ces contenus ainsi que les recours internes et judiciaires dont disposent ces utilisateurs ;
« 4° Ils rendent compte au public des moyens mis en œuvre et des mesures adoptées pour lutter contre la diffusion, auprès des utilisateurs situés sur le territoire français, des contenus mentionnés au même premier alinéa, par la publication, selon des modalités et une périodicité fixées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’informations et d’indicateurs chiffrés, définis par celui-ci, portant notamment sur le traitement des injonctions ou demandes d’informations des autorités judiciaires ou administratives, des notifications reçues et des recours internes des utilisateurs ainsi que, le cas échéant, les critères de sélection des tiers de confiance dont les notifications font l’objet d’un traitement prioritaire et les modalités de coopération avec ces tiers ;
« 5° Ils mettent en place un dispositif aisément accessible et facile d’utilisation permettant à toute personne de porter à leur connaissance, par voie électronique, un contenu qu’elle considère comme contraire aux dispositions mentionnées audit premier alinéa, de préciser clairement son emplacement ainsi que les raisons pour lesquelles elle estime que ce contenu doit être considéré comme illégal et de fournir les informations permettant de la contacter, en l’informant des sanctions encourues en cas de notification abusive ;
« 5° bis Ils s’assurent que les notifications soumises par les entités qu’ils reconnaissent comme tiers de confiance et concernant des contenus illicites mentionnés au même premier alinéa font l’objet d’un traitement prioritaire.
« Le statut de tiers de confiance est attribué, selon des modalités fixées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans des conditions transparentes, non discriminatoires et à leur demande, aux entités qui disposent d’une expertise et de compétences particulières aux fins de la détection, de l’identification et du signalement des contenus illicites mentionnés au même premier alinéa, qui représentent des intérêts collectifs et présentent des garanties d’indépendance, de diligence et d’objectivité ;
« 6° Ils mettent en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant :
« a) D’accuser réception sans délai des notifications relatives aux contenus mentionnés au même premier alinéa, sous réserve de disposer des informations nécessaires pour contacter leur auteur ;
« b) De garantir l’examen approprié de ces notifications dans un prompt délai ;
« c) D’informer leur auteur des suites qui y sont données ainsi que des voies de recours internes et judiciaires dont il dispose, sous réserve de disposer des informations nécessaires pour le contacter ;
« d) Lorsqu’ils décident de retirer ou de rendre inaccessible un contenu pour un motif tiré de la méconnaissance des dispositions mentionnées au même premier alinéa, d’en informer l’utilisateur à l’origine de sa publication, sous réserve de disposer des informations nécessaires pour le contacter :
« – en indiquant les raisons qui ont motivé cette décision ;
« – en précisant si cette décision a été prise au moyen d’un outil automatisé ;
« – en l’informant des voies de recours internes et judiciaires dont il dispose ;
« – et en l’informant que des sanctions civiles et pénales sont encourues pour la publication de contenus illicites ;
« Le présent d ne s’applique pas lorsqu’une autorité publique le demande pour des raisons d’ordre public ou à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, ainsi que d’enquêtes et de poursuites en la matière ;
« 7° Ils mettent en œuvre des dispositifs de recours interne permettant :
« a) À l’auteur d’une notification relative à un contenu mentionné au premier alinéa du présent article, de contester la décision adoptée par l’opérateur en réponse à cette notification ;
« b) À l’utilisateur à l’origine de la publication d’un contenu ayant fait l’objet d’une décision mentionnée au d du 6° de contester cette décision ;
« c) À l’utilisateur ayant fait l’objet d’une décision mentionnée aux a ou b du 8° de contester cette décision.
« Ils veillent à ce que ces dispositifs soient aisément accessibles et faciles d’utilisation et à ce qu’ils permettent un traitement approprié des recours dans les meilleurs délais, qui ne soit pas uniquement fondé sur l’utilisation de moyens automatisés, une information sans délai de l’utilisateur sur la décision adoptée et l’annulation sans délai des mesures relatives au contenu en cause ou à l’utilisateur mises en œuvre par l’opérateur lorsque le recours le conduit à considérer que la décision contestée n’était pas justifiée ;
« 8° Lorsqu’ils décident de mettre en œuvre de telles procédures, ils exposent dans leurs conditions d’utilisation, en des termes clairs et précis, les procédures conduisant :
« a) À suspendre ou, dans les cas les plus graves, à résilier le compte des utilisateurs qui ont mis en ligne de manière répétée des contenus contraires aux dispositions mentionnées au premier alinéa du présent article ;
« b) À suspendre l’accès au dispositif de notification à l’égard des utilisateurs qui ont soumis, de manière répétée, des notifications manifestement infondées relatives aux contenus mentionnés au même premier alinéa.
« Lorsque de telles procédures sont mises en œuvre, elles prévoient un examen au cas par cas visant à caractériser de façon objective l’existence d’un comportement mentionné aux a ou b du présent 8°, en tenant compte notamment :
« – du nombre de contenus illicites mentionnés au premier alinéa du présent article ou de notifications manifestement infondées dont l’utilisateur a été à l’origine au cours de l’année écoulée, à la fois en valeur absolue et en proportion du nombre total de contenus ou de notifications dont il a été à l’origine ;
« – et de la gravité et des conséquences de ces abus.
« Lorsqu’elles sont mises en œuvre, ces procédures prévoient que les mesures mentionnées aux a et b du présent 8° sont proportionnées, dans leur nature, à la gravité des agissements en cause et, dans le cas d’une suspension, que celle-ci est prononcée pour une durée raisonnable. Elles prévoient l’avertissement préalable de l’utilisateur et son information sur les voies de recours internes et juridictionnelles dont il dispose ;
« 9° Les opérateurs mentionnés au premier alinéa du présent article dont l’activité sur le territoire français dépasse un seuil de nombre de connexions déterminé par décret et supérieur à celui mentionné au même premier alinéa :
« a) Procèdent chaque année à une évaluation des risques systémiques liés au fonctionnement et à l’utilisation de leurs services en matière de diffusion des contenus mentionnés audit premier alinéa et en matière d’atteinte aux droits fondamentaux, notamment à la liberté d’expression. Cette évaluation tient compte des caractéristiques de ces services, notamment de leurs effets sur la propagation virale ou la diffusion massive des contenus susvisés ;
« b) Mettent en œuvre des mesures raisonnables, efficaces et proportionnées, notamment au regard des caractéristiques de leurs services et de l’ampleur et de la gravité des risques identifiés au terme de l’évaluation mentionnée au a du présent 9°, visant à atténuer les risques de diffusion de ces contenus, qui peuvent notamment porter sur les procédures et les moyens humains et technologiques mis en œuvre pour détecter, identifier et traiter ces contenus, tout en veillant à prévenir les risques de retrait non justifié au regard du droit applicable et de leurs conditions générales d’utilisation ;
« c) Rendent compte au public, selon des modalités et une périodicité fixées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, de l’évaluation de ces risques systémiques et des mesures d’atténuation des risques mises en œuvre ;
« 10° Les opérateurs mentionnés au premier alinéa du présent article rendent compte au Conseil supérieur de l’audiovisuel des procédures et des moyens mis en œuvre pour l’application du présent article, dans les conditions prévues à l’article 62 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée. »
II. – La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est ainsi modifiée :
1° Au troisième alinéa du 1° du I de l’article 19, les mots : « ainsi que des plateformes de partage de vidéos » sont remplacés par les mots : « , des plateformes de partage de vidéos ainsi que des opérateurs de plateforme en ligne mentionnés à l’article 62 » ;
2° Au premier alinéa de l’article 42-7, la référence : « et 48-3 » est remplacée par les références : « , 48-3 et 62 » ;
3° Le titre IV est complété par un chapitre III ainsi rédigé :
« CHAPITRE III
« Dispositions applicables aux plateformes en ligne en matière de lutte contre les contenus haineux
« Art. 62. – I. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille au respect, par les opérateurs de plateforme en ligne mentionnés au premier alinéa de l’article 6-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, des dispositions du même article 6-5, en prenant en compte, pour chacun des services qu’ils proposent, les caractéristiques de ce service et l’adéquation des moyens mis en œuvre par l’opérateur au regard, notamment, de l’ampleur et de la gravité des risques de diffusion par celui-ci des contenus mentionnés au premier alinéa dudit article 6-5 et des risques de retrait injustifié au regard du droit applicable et de ses conditions générales d’utilisation. Il adresse à ces opérateurs de plateforme des lignes directrices pour l’application du même article 6-5.
« Il recueille auprès de ces opérateurs, dans les conditions fixées à l’article 19 de la présente loi, les informations nécessaires au suivi de leurs obligations. À ce titre, les opérateurs mentionnés au 9° de l’article 6-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée lui donnent accès aux principes de fonctionnement des outils automatisés auxquels ils ont recours pour répondre à ces obligations, aux paramètres utilisés par ces outils, aux méthodes et aux données utilisées pour l’évaluation et l’amélioration de leur performance ainsi qu’à toute autre information ou donnée lui permettant d’évaluer leur efficacité, dans le respect des dispositions relatives à la protection des données personnelles. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut leur adresser des demandes proportionnées d’accès, par l’intermédiaire d’interfaces de programmation dédiées, à toute donnée pertinente pour évaluer leur efficacité, dans le respect de ces mêmes dispositions. Dans le respect de ces dispositions et aux mêmes fins, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut mettre en œuvre des méthodes proportionnées de collecte automatisée de données publiquement accessibles afin d’accéder aux données nécessaires.
« Il définit les informations et les indicateurs chiffrés que ces opérateurs sont tenus de publier en application du 4° du même article 6-5 ainsi que les modalités et la périodicité de cette publication.
« Il publie chaque année un bilan de l’application des dispositions dudit article 6-5.
« I bis. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel encourage les opérateurs de plateforme en ligne mentionnés au premier alinéa de l’article 6-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique à mettre en œuvre :
« 1° Des outils de coopération et de partage d’informations entre opérateurs de plateformes, dans un format ouvert et conforme à ses recommandations, pour lutter contre les infractions mentionnées au même article 6-5 ;
« 2° Des dispositifs techniques proportionnés permettant de limiter, dans l’attente du traitement de la notification d’un contenu mentionné audit article 6-5, le partage de ce contenu et l’exposition du public à celui-ci ;
« 3° Des standards techniques communs d’interopérabilité entre services de communication au public en ligne, conformes à l’état de l’art, documentés et stables, afin de favoriser le libre choix des utilisateurs entre différentes plateformes.
« II. – Le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut mettre un opérateur en demeure de se conformer, dans le délai qu’il fixe, aux dispositions de l’article 6-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée et de répondre aux demandes qu’il lui a adressées en application du deuxième alinéa du I du présent article.
« Lorsque l’opérateur ne se conforme pas à la mise en demeure qui lui est adressée, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut, dans les conditions prévues à l’article 42-7 de la présente loi, prononcer une sanction pécuniaire dont le montant prend en considération la gravité des manquements ainsi que, le cas échéant, leur caractère réitéré, sans pouvoir excéder 20 millions d’euros ou 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu. Lorsque le même manquement a fait l’objet, dans un autre État, d’une sanction pécuniaire calculée sur la base de cette même assiette, le montant de cette sanction est pris en compte pour la détermination de la sanction prononcée en application du présent alinéa.
« Par dérogation au deuxième alinéa du présent II, le montant de la sanction prononcée en cas de refus de communiquer les informations demandées par le régulateur au titre du deuxième alinéa du I ou en cas de communication d’informations fausses ou trompeuses ne peut excéder 1 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent.
« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut rendre publiques les mises en demeure et sanctions qu’il prononce. Il détermine dans sa décision les modalités de cette publication, qui sont proportionnées à la gravité du manquement. Il peut également ordonner leur insertion dans des publications, journaux et supports qu’il désigne, aux frais des opérateurs faisant l’objet de la mise en demeure ou de la sanction.
« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine. » ;
4° Après le mot : « résultant », la fin du premier alinéa de l’article 108 est ainsi rédigée : « de la loi n° … du … confortant le respect des principes de la République. »
II bis (nouveau). – Le présent article entre en vigueur trois mois à compter de la publication du décret fixant le seuil mentionné au premier alinéa de l’article 6-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
III. – Le présent article s’applique jusqu’au 31 décembre 2023.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Il est important qu’une approche transversale soit adoptée au niveau de l’Union européenne concernant la régulation des services numériques, une approche permettant de préserver les droits et libertés fondamentaux des utilisateurs de ces services.
C’est une bonne chose que la France occupe sa place dans ce débat européen, mais je regrette que la question du respect des droits fondamentaux en matière numérique, qui appelle un grand débat démocratique, soit abordée seulement en urgence et de manière marginale, dans une loi dont ce n’est pas l’objet.
À cet égard, l’article 19 bis reprend certaines obligations qui seront discutées dans le cadre du Digital Services Act européen.
Même si je souscris à l’objectif visé par cet article, je m’interroge sur l’opportunité de proposer dès maintenant des mesures qui ne sont qu’une reprise d’un projet de texte n’ayant pas encore été discuté au Parlement européen, au risque que nous devions légiférer de nouveau sur le même sujet dès que le texte européen sera adopté. Il y a un temps pour tout : les transpositions européennes doivent être réalisées après leur discussion et leur vote, et pas avant !
Une fois encore, le Gouvernement se précipite et ne permet pas de créer les conditions d’un débat au niveau national sur ce sujet de société.
Plus généralement, les mécanismes concourant à la propagation des contenus haineux, ainsi que les instruments qui viseraient à les réguler, ne sont pas suffisamment pris en compte pour une lutte efficace contre la haine en ligne.
De plus, comme dans le reste de cette loi, il y a beaucoup le déclaratif : quid des moyens qui seront réellement mis en place par les plateformes ? Les amendes en cas de non-respect de ces nouvelles obligations seront-elles suffisantes pour que les plateformes respectent ces nouvelles contraintes ?
Enfin, cet article donne au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, de nouvelles missions qui sont assez chronophages et qui nécessitent de nouveaux moyens pour cette autorité, ce dont on ne parle jamais. Or aucun financement supplémentaire, d’après ce que j’ai vu du budget alloué au CSA, n’est envisagé.
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. Cet article prolonge le débat que nous avons eu.
Il est vrai que ce sujet est très lié à l’actualité européenne. Mais on peut dire, à l’inverse, que, lorsque l’on attend l’Europe, on encourt le reproche de tergiverser trop longtemps – deux ans en l’occurrence. Je suis persuadé que cette critique opposée serait formulée sans action de notre part. Je me réjouis plutôt que l’on pose déjà les termes du débat, puisque, de toute façon, il est en prise avec une actualité.
Au-delà de ce sujet, la question est de savoir si l’on en est encore à la régulation. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas ce texte, ni même le débat que nous aurons, qui va épuiser l’ensemble des problèmes que posent ces grandes plateformes.
Les chiffres sont tout de même impressionnants : 2,75 milliards de Terriens sont actifs sur Facebook, 2 milliards sur YouTube, 1,080 milliard sur Instagram et 330 millions sur Twitter. On voit bien que nous avons affaire, finalement, à des entreprises-États, qui sont devenues très puissantes.
Nous avons tous un tel objet dans nos poches (M. Julien Bargeton montre son smartphone.), parce qu’il apporte un certain nombre de services, et cela de façon plus efficace que d’autres, notamment que des États, qui sont parfois un peu dépourvus.
En face de ce modèle des entreprises-État, il y a celui de l’État-entreprise, à savoir la Chine, qui a écarté les plateformes californiennes de son territoire et qui met en place le contrôle absolu de l’accès aux réseaux sociaux et de l’utilisation des plateformes.
La question qui se pose à nous est la suivante : arrivera-t-on à inventer un modèle qui évite à la fois Charybde et Scylla, si j’ose dire ? En d’autres termes, quel peut être le modèle de l’État démocratique, qui devient lui-même une plateforme pour faire face à ces deux mastodontes, ces deux modèles répulsifs dont nous ne voulons pas ?
Ainsi, nous en sommes non plus seulement à la régulation, mais à la construction de notre propre voie, dans laquelle la démocratie jouerait pleinement son rôle dans l’utilisation des services apportés par les plateformes.
Mme la présidente. L’amendement n° 317, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement du groupe Écologiste-Solidarité et Territoires a pour objet de supprimer l’article 19 bis, qui reprend en grande partie le dispositif faisant l’objet de la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia ».
Il n’est nul besoin de rappeler que cette loi a fait l’objet de nombreuses censures de la part du Conseil constitutionnel.
Si les dispositions de cet article visent essentiellement à renforcer les pouvoirs de sanction du Conseil supérieur de l’audiovisuel, les auteurs de cet amendement estiment, d’une part, qu’elles n’ont pas leur place dans ce texte, et, d’autre part, qu’elles portent atteinte à la liberté d’expression.
Ne nous trompons pas de combat : internet est un espace de liberté d’expression de ses convictions, de communication de l’information et de critique de l’action des pouvoirs publics. Il est difficile de comprendre en quoi la lutte conte les prétendus séparatismes devrait y être menée.
Pour ces raisons, le groupe Écologiste-Solidarité et Territoires demande la suppression de ces dispositions.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Même si nous déplorons la méthode, à savoir le recours à un amendement, ce qui veut dire ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État, ainsi que la fragilité juridique du dispositif au regard du droit européen, puisque l’on prétend transposer quelque chose qui sera négocié, en gardant les éléments qui nous intéressent et pas forcément les autres, nous avons considéré que cette disposition permettait malgré tout d’avancer, notamment en donnant des moyens de sanction pécuniaire au CSA.
Par ailleurs, je voudrais dire à Mme Benbassa que les éléments qui ont été repris de la loi Avia sont ceux qui n’avaient pas été censurés. C’est pour cette raison que le texte n’est pas si épais.
Nous sommes favorables au maintien de l’article 19 bis, tel que nous l’avons modifié, donc défavorables à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je ne reviens pas sur l’argumentaire que j’ai déroulé sur l’avis du Conseil constitutionnel. Ce dernier ne me paraît pas applicable en l’espèce, puisque le Conseil ne s’est jamais prononcé au fond sur les éléments qui sont évoqués. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
On ne peut pas considérer que le Conseil constitutionnel a invalidé ces éléments-là, puisque c’est seulement par voie de conséquence qu’il a été amené à prendre ces décisions d’annulation, comme je l’ai expliqué.
Je rappelle par ailleurs que les articles 2 à 4 de la loi Avia avaient fait l’objet d’un assez vaste consensus dans cette assemblée. C’était l’article 1er qui avait suscité le plus de débats.
Si j’étais un peu taquin, madame la sénatrice, je vous demanderais des précisions sur la position du groupe des Verts au Parlement européen sur le règlement que nous sommes en train de pré-transposer, pour savoir s’il l’estime liberticide…
Le Gouvernement émet donc bien entendu un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 424 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mme Harribey, M. Leconte, Mmes Monier et Meunier, MM. Marie, Sueur et Magner, Mmes Lepage et S. Robert, MM. Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au début, les mots : « À ce titre, elles doivent » sont remplacés par les mots : « Les personnes mentionnées aux 1 et 2 doivent également » ;
II. – Après l’alinéa 9
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…°Après le même quatrième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Après notification par une ou plusieurs personnes, tout contenu dont il apparaît qu’il contrevient manifestement aux infractions mentionnées au troisième alinéa du présent 7 doit faire l’objet dans les vingt-quatre heures d’un retrait ou doit être rendu inaccessible à titre provisoire. Ce retrait reste en vigueur jusqu’à sa validation par le tribunal de grande instance statuant en référé saisi par les personnes mentionnées aux 1 et 2. Le juge des référés se prononce dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la saisine. En cas d’appel, la cour se prononce dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la saisine.
« Le fait de ne pas respecter l’obligation définie à l’alinéa précédent est puni des peines prévues au I du VI. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Avec cet amendement, nous sommes au cœur de la question qui nous occupe : comment peut-on encadrer d’un point de vue judiciaire le retrait des contenus qui contreviennent aux règles ?
C’est un sujet dont nous avons débattu longuement au moment de l’examen de la proposition de loi Avia.
Notre groupe avait fait valoir que, dès lors que l’on voulait instaurer un retrait dans les vingt-quatre heures, ce qui était la pierre angulaire, me semble-t-il, de la proposition de loi, il fallait l’intervention d’un juge. Nous avions proposé une architecture, que nous soumettons de nouveau à votre vote aujourd’hui, mes chers collègues : obligation de retrait ou blocage dans les vingt-quatre heures, mais à titre provisoire, et validation par un juge statuant en référé.
À l’époque, nous n’avions pas convaincu, mais le Conseil constitutionnel est passé par là, et, pour tout dire, je ne sais plus, je le confesse, si ce motif a été précisément examiné. En tout cas, nous y voilà de nouveau : nous proposons de combiner l’urgence du retrait et l’intervention du juge, qui est le seul garant de la protection des libertés publiques.
Mme la présidente. L’amendement n° 598 rectifié, présenté par MM. Savin, Brisson, Savary et Kern, Mme Primas, MM. Rapin, Laugier, Mandelli et Belin, Mme Demas, M. Sol, Mmes Vermeillet, V. Boyer et Puissat, MM. Darnaud, Genet, D. Laurent, Boré et Le Rudulier, Mmes Gosselin, Goy-Chavent et Imbert, MM. Chasseing, Laménie, Lefèvre et Regnard, Mme Belrhiti, MM. Decool et Moga, Mme Mélot, MM. Lagourgue et Bouchet, Mmes Billon et Deroche, MM. Burgoa, Allizard, Vogel et A. Marc, Mmes Gruny et Herzog, MM. Bonne et H. Leroy, Mmes Lassarade et Boulay-Espéronnier, M. Le Gleut, Mmes Ventalon et Di Folco, MM. Hingray et Duffourg, Mmes Schalck, Muller-Bronn, Canayer et Dumont, MM. E. Blanc et Wattebled, Mme Berthet, MM. Segouin, Somon, Longeot et Sautarel, Mme Bourrat, MM. Levi et Malhuret, Mme Saint-Pé, M. Détraigne et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 6-5. – Les opérateurs de plateforme en ligne définis à l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur le classement, le référencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers et dont l’activité sur le territoire français dépasse un seuil de nombre de connexions déterminé par décret, qu’ils soient ou non établis sur le territoire français, sont tenus de retirer ou de rendre inaccessible, dans un délai de vingt-quatre heures, tout contenu contrevenant manifestement aux dispositions de l’article L. 222-17 du code pénal ou incitant manifestement à commettre un crime ou un délit contre les personnes dont la tentative est punissable de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Lorsqu’il est saisi dans les conditions prévues au présent article, l’opérateur n’est tenu d’apprécier le caractère manifestement illicite qu’au regard du signalement qui lui en est fait.
« Les opérateurs de plateforme en ligne définis à l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur le classement, le référencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers et dont l’activité sur le territoire français dépasse un seuil de nombre de connexions déterminé par décret, qu’ils soient ou non établis sur le territoire français, concourent à la lutte contre la diffusion publique des contenus contrevenant aux dispositions mentionnées au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la présente loi ainsi qu’à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. À ce titre :
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 608 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 11, première phrase
Remplacer les mots :
la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics
par les mots :
le classement, le référencement ou le partage de contenus
II. – Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« I. – Les opérateurs définis au premier alinéa qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur le partage de contenus mis en ligne par des tiers :
III. – Alinéas 12, 16 à 20, 22 et 32
Supprimer le mot :
Ils
IV. – Alinéa 37
Supprimer le mot :
ils
V. – Alinéa 44
Remplacer la mention :
9°
Par la mention :
II. –
VI. – Alinéa 45
Remplacer la mention :
a)
par la mention :
1°
VII. – Alinéa 46
Remplacer la mention :
b)
par la mention :
2°
VIII. – Alinéa 47
Remplacer la mention :
c)
par la mention :
3°
IX. – Alinéa 48
Remplacer la mention :
10°
par la mention :
III.
X. – Alinéa 56, première phrase
Remplacer la référence :
9°
par la référence :
II
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Il s’agit là encore d’une recherche de conciliation ou de compromis entre la version de l’Assemblée nationale et celle du Sénat sur la lutte contre des contenus illicites. Cette fois, notre proposition concerne les moteurs de recherche, que la commission des lois du Sénat a exclus du champ de la régulation par le CSA.
Cette exclusion est partiellement bienvenue et justifiée. On comprend certaines des raisons qui ont poussé la commission à aller en ce sens. Plusieurs des obligations introduites n’ont pas vocation à s’appliquer aux moteurs de recherche, puisque ceux-ci ne donnent pas accès à des contenus mis en ligne par leurs propres utilisateurs, qui sont des personnes qui procèdent à des recherches de sites internet.
Effectivement, les obligations tenant aux conditions générales d’utilisation du service, à la notification de contenus, au traitement de ces notifications, aux mécanismes de recours des utilisateurs contre les décisions prises par les plateformes, ou encore à l’utilisation abusive du service, n’ont pas lieu de s’appliquer aux moteurs de recherche. Nous voulons bien en convenir.
En revanche, eu égard au rôle que jouent les grands moteurs de recherche dans l’accès aux contenus en ligne et à la responsabilité qui en découle, nous pensons qu’il faut leur appliquer tout de même plusieurs des obligations qui visent les plateformes en ligne.
Il s’agit surtout des obligations les plus importantes, en réalité, notamment l’évaluation par ces plateformes des risques systémiques liés à leur service et l’adoption de mesures d’atténuation de ces risques sous le contrôle du régulateur. Elles permettront la mise en place par les moteurs de recherche de mesures de lutte contre les contenus illicites, par exemple par l’adaptation de leur algorithme de classement, pour rétrograder de façon systématique ce type de contenu et limiter drastiquement leur visibilité.
Nous en revenions au débat que nous avions précédemment : les algorithmes mettent en avant certains types de contenus pour des raisons commerciales.
Cet amendement vise à maintenir cette obligation, y compris pour les moteurs de recherche. En revanche, nous ne souhaitons pas leur appliquer exactement les mêmes obligations que pour les plateformes, comme la commission des lois l’a décidé.
Voilà un texte d’équilibre, si j’ose dire, entre les deux versions qui nous sont proposées.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 681, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Amendement 608 rectifié
I. - Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
Après la référence :
« Art. 6-5. –
insérer la référence :
I A. –
et remplacer les mots :
II. - Après l’alinéa 5
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Alinéa 11, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
III. - Alinéa 8
Remplacer la référence :
premier alinéa
par la référence :
I A
et après le mot :
contenus
insérer le mot :
publics
IV - Alinéa 13
remplacer le mot :
le
par les mots
la seconde occurrence du
V. - Compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé :
… - En conséquence, alinéas 4 (deux fois), 13, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 26, 33, 38, 39, 41, 44 (deux fois), 45, 48, 55 (deux fois), 59 et 69
remplacer la référence :
premier alinéa
par la référence :
I A
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il s’agit d’un sous-amendement de coordination, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 435, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Assouline, Montaugé et Sueur, Mmes Harribey, S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics
par les mots :
le classement ou le référencement au moyen d’algorithmes informatiques ou le partage de contenus proposés ou
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Conformément à la position qu’il a prise à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaite introduire les moteurs de recherche dans le champ de la régulation du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Les moteurs de recherche en ont été exclus par la commission des lois du Sénat, au motif que la nouvelle régulation devait se concentrer sur les réseaux sociaux à fort trafic.
S’il est vrai que les réseaux sociaux constituent les principaux vecteurs d’échanges de propos haineux illicites, nous estimons que cette justification ne suffit pas à retirer les moteurs de recherche du champ de la régulation du CSA. Au contraire, leur intégration dans le dispositif s’impose en raison de leur capacité à accentuer la viralité des contenus haineux sur internet.
C’est pourquoi nous proposons de rétablir la rédaction de l’alinéa 11 issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. L’amendement n° 436, présenté par M. Assouline, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mmes Harribey, S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 17
Supprimer les mots :
internes et
II. – Alinéa 18
Supprimer les mots :
et des recours internes
III. – Alinéa 25
1° Supprimer les mots :
internes et
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Tout contenu notifié dont il apparaît qu’il contrevient manifestement aux dispositions mentionnées au premier alinéa du présent article doit faire l’objet dans les vingt-quatre heures d’un retrait ou doit être rendu inaccessible, à titre provisoire.
IV. – Alinéa 26
Après le mot :
inaccessible
insérer les mots :
à titre provisoire
V. – Alinéa 29
Supprimer les mots :
internes et
VI. – Après l’alinéa 31
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La décision mentionnée au même d reste en vigueur jusqu’à sa validation par le tribunal judiciaire statuant en référé saisi par la personne à l’origine de la publication d’un contenu ayant fait l’objet d’une décision de retrait ou de rendu inaccessible. Le juge des référés se prononce dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la saisine. En cas d’appel, la cour se prononce dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la saisine. »
VII. – Alinéas 32 à 36
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. La mise en œuvre de droits de recours prévus par l’article 19 bis au bénéfice des personnes qui voient leurs contenus supprimés par les plateformes ne va pas assez loin.
Permettre uniquement un recours en interne auprès de la plateforme est insuffisant. Seule l’autorité judiciaire devrait évaluer au cas par cas les recours formés par les utilisateurs contre les opérations de modération. Il est important de s’appuyer sur les juges pour toute décision de ce genre. Après l’échec cuisant de la loi Avia, il faut être vigilant sur les dispositions destinées à lutter contre la haine en ligne.
C’est pourquoi nous avons décidé de proposer de nouveau cet amendement, déjà soumis lors du précédent texte traitant de ce sujet.
Les citoyens français ont des devoirs, mais également des droits, et la censure est une pente dangereuse. Choisir le juge comme arbitre est judicieux pour éviter des décisions liberticides.
C’est la raison pour laquelle nous proposons d’instaurer une obligation de retrait ou de blocage en vingt-quatre heures, à titre provisoire, d’un contenu haineux notifié qui serait manifestement illicite, jusqu’à la validation par le tribunal judiciaire statuant en référé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Si vous voulez bien, mes chers collègues, je vais traiter ces amendements par thèmes.
L’amendement n° 424 rectifié vise à instaurer une obligation de retrait ou un blocage provisoire en vingt-quatre heures de tout contenu haineux notifié, avec une sorte de référé confirmation.
Les contenus en cause devraient être retirés temporairement par tout intermédiaire technique, qui ferait valider sa décision par le juge des référés. Je note que cette proposition a été déjà été rejetée deux fois par le Sénat lors de la discussion de la proposition de loi Avia, le mécanisme imaginé pour réintroduire le juge ne nous semblant pas totalement opérationnel. L’avis de la commission est donc défavorable.
L’amendement n° 436 vise à réserver à l’autorité judiciaire l’examen du recours formé par les utilisateurs contre des décisions de modération. Il avait également été rejeté par le Sénat lors de la discussion de la PPL Avia.
Son adoption reviendrait à supprimer toute obligation pour les plateformes de mettre en place des procédures de recours interne, ce qui nous semble totalement inacceptable. Notre avis est donc défavorable.
L’amendement n° 598 rectifié tend à créer un délit de non-retrait en vingt-quatre heures de certains contenus illicites par les opérateurs de plateforme en ligne. C’est très exactement ce qui a été censuré par le Conseil constitutionnel dans la loi Avia.
De plus, prévoir un délai couperet de vingt-quatre heures induirait des risques majeurs de sur-censure de contenus pourtant licites. L’avis de la commission est donc défavorable.
L’amendement n° 435 vise, quant à lui, à réintégrer les moteurs de recherche dans le champ de la régulation du Conseil supérieur de l’audiovisuel, ce qui est contraire à la position du Sénat.
La nouvelle régulation des plateformes, qui sera valable à peine deux ans, doit se concentrer sur les réseaux sociaux à fort trafic, principaux vecteurs d’échanges de propos haineux illicites. En effet, les moteurs de recherche, dans leur fonctionnement technique, leur finalité et leurs conséquences sur la viralité d’un contenu se distinguent substantiellement des réseaux sociaux, puisqu’ils n’hébergent pas, mais dirigent vers. On ne peut donc leur appliquer le même régime.
Pour autant, nous serons favorables à l’amendement n° 608 rectifié. S’agissant des moteurs de recherche, il vise uniquement ceux qui sont situés au-dessus du second seuil, donc les grandes et très grandes plateformes, et cela uniquement au titre des obligations de vigilance et de remédiation systémique. Cela répond en partie aux problèmes qui sont soulevés par le précédent amendement.
Je le répète, nous serons favorables à cet amendement n° 608 rectifié, sous réserve de l’adoption de notre sous-amendement de coordination n° 681, qui a pour objet de corriger des problèmes légistiques de forme et de préciser la définition des plateformes, ainsi que la notion de contenus publics.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Madame la présidente, je vais procéder de la même manière que Mme la rapporteure.
Les amendements nos 424 rectifié, 598 rectifié et 436 portent sur la réintroduction de la règle des vingt-quatre heures, avec ou sans le juge. Je ne vais pas refaire ici le débat que nous avions eu, à front renversé d’une certaine manière, lors de l’examen de la proposition de loi Avia. Il ne me semble pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’introduction du juge se justifie.
Que se passe-t-il si, comme nous l’avons évoqué, le juge ne peut pas statuer, compte tenu de l’avalanche de contenus, en vingt-quatre heures ? Dans les faits, la justice ne peut pas décider, même en référé, sur l’ensemble des saisines qui sont aujourd’hui faites sur des notifications de contenus illégaux.
J’y insiste, la justice ne sera pas capable de se prononcer en vingt-quatre heures, et nous reviendrons à ce que vous avez vous-mêmes dénoncé lors de l’étude de la proposition de loi Avia, c’est-à-dire à un risque de sur-censure non pas théorique, mais effective, puisque le juge se donnera le temps de juger, même en référé. C’est pour cette raison que je serai défavorable à ces trois amendements.
Je suis en revanche favorable, pour les raisons évoquées par Mme la rapporteure, à l’amendement n° 608 rectifié.
En conséquence, j’invite M. Assouline à retirer l’amendement n° 435, qui me semble viser le même objectif, au bénéfice de l’amendement n° 608 rectifié.
Enfin, s’agissant du sous-amendement n° 681 de la commission des lois, le Gouvernement a quelques critiques d’ordre légistique à formuler, mais je me propose d’émettre un avis de sagesse, afin que ces éléments soient retravaillés dans le cadre de la navette parlementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux soutenir avec beaucoup de force l’amendement n° 424 rectifié.
En effet, j’ai bien noté, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez seulement opposé à cet amendement des considérations de fait, en quelque sorte des considérations matérielles. Or, vous le savez, tôt ou tard, et le plus tôt sera le mieux, il faudra revenir à des dispositions de ce type. Pourquoi ?
Lorsqu’il y a une attaque haineuse sur internet, lorsqu’une personne est mise en cause de façon profonde, blessante, diffamatoire, accusatoire, le mal est fait, et il est commis instantanément. Aussi, donner à la personne la possibilité de faire en sorte que le message soit suspendu pendant quatre-vingts heures n’est pas exorbitant. C’est la seule manière de protéger la personne.
Par ailleurs, le fait que la décision de retrait ou de non-retrait soit prise par un juge judiciaire constitue une garantie absolue. On voit bien ce qu’ont donné les dispositifs consistant à demander aux différents organismes éditeurs, auteurs et porteurs d’effectuer une censure des messages haineux. Cela a abouti à des choses parfaitement arbitraires, aléatoires. J’y insiste, seul le juge est ici pertinent.
En résumé, premièrement, il faut aller vite ; deuxièmement, il faut donc donner à la personne la possibilité d’obtenir la suspension dans des délais rapides ; troisièmement, la décision de retrait éventuel ne peut pas être prise par l’organisme ou par la société. Elle doit être prise par un juge. C’est la raison pour laquelle il existe des procédures en référé.
Je veux bien que l’on nous dise que c’est matériellement difficile à mettre en œuvre, mais force doit rester à la loi, et si nous votons ce que proposent Mme de La Gontrie et le groupe socialiste au travers de cet amendement, l’effet dissuasif sera important.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous l’aurez compris, madame la présidente, nous plaidons pour cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. M. le secrétaire d’État nous demande de retirer l’amendement n° 435 au bénéfice de l’amendement n° 608 rectifié, sous-amendé par Mme la rapporteure, ce que je vais faire volontiers.
Néanmoins, vous auriez pu sous-amender notre amendement, monsieur le secrétaire d’État (Sourires sur les travées du groupe SER.) ; c’eût été un petit clin d’œil adressé à cette partie de l’hémicycle, qui n’a pas bénéficié de beaucoup de gratitude jusqu’à présent… Mais ce n’est pas important du point de vue de la loi ; l’essentiel est que ce texte aille dans le bon sens.
Je retire donc l’amendement n° 435, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 435 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 424 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 608 rectifié, modifié.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 436 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 665, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
du présent I
II. – Alinéa 8
Compléter cet alinéa par les mots :
du présent 7
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 434, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Assouline et Sueur, Mmes Harribey, S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 16, seconde phrase
Remplacer le mot :
rapide
par les mots :
dans un délai de quarante-huit heures
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoyait la mise en place d’un point de contact unique qui offrirait une interface entre les opérateurs et les autorités publiques et judiciaires. On voit bien combien l’efficacité de cet article pourrait être ainsi accrue.
Néanmoins, le délai défini pour le traitement de ces demandes a varié au cours de l’examen du texte, pour n’être plus, dans la version issue des travaux de notre commission, qu’un délai « rapide », ce qui ne veut pas dire grand-chose.
Nous demandons donc que ce délai soit fixé à quarante-huit heures.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. S’il est vrai que certaines décisions auraient besoin d’être plus rapides, ce n’est pas forcément le cas pour d’autres. Nous proposons donc de laisser au CSA l’appréciation du caractère urgent de ces décisions, sachant que nous avons été alertés quant au fait que, quand on demande des réponses rapides, les opérateurs ont parfois recours à une simple réponse négative. Si celle-ci est immédiate, elle prive leurs interlocuteurs de toutes les informations demandées. C’est pourquoi nous préférons la rédaction actuelle.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 601, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Supprimer les mots :
d’indépendance,
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Tout comme pour le précédent amendement que j’ai présenté, notre démarche consiste à essayer de trouver des équilibres nouveaux par rapport au texte de la commission des lois.
Celle-ci a utilement renforcé, par l’adoption d’un amendement de ses rapporteures, l’obligation de désigner des « signaleurs de confiance » dont les notifications de contenus font l’objet d’un traitement prioritaire. Cette disposition s’inscrit en pleine cohérence avec le projet de règlement européen du Digital Services Act (DSA) et avec la pratique, dont il faut bien dire qu’elle est assez récente, de plusieurs plateformes qui ont mis en place des procédures techniques de traitement accéléré des signalements provenant de certaines entités publiques, telles que Pharos, ou d’associations de lutte contre la haine en ligne.
Toutefois, la rédaction de la commission impose aux signaleurs de confiance un critère général d’indépendance. Or les tiers de confiance sont un phénomène récent. En pratique, leur organisation est très variable et peut reposer en partie sur des financements extérieurs.
Il paraît donc préférable, afin de garantir le caractère opérant du dispositif utilement introduit par la commission des lois, dispositif que nous ne contestons nullement, de supprimer cette condition. La rédaction que nous proposons conserve cependant les critères de diligence et d’objectivité, ainsi que les exigences de transparence et de non-discrimination, pour la désignation du signaleur de confiance.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Nous comprenons que l’on puisse considérer comme imprécise la rédaction de la commission, qui requiert l’indépendance des signaleurs de confiance sans plus de précision. Cela étant, comme dans le DSA, il faudra bien faire figurer expressément cette exigence d’indépendance.
C’est pourquoi, mon cher collègue, nous vous proposons de rectifier votre amendement : plutôt que de supprimer les mots « d’indépendance », il conviendrait d’ajouter après eux les mots « à l’égard des opérateurs ».
Si vous acceptiez cette rectification, la commission serait favorable à votre amendement.
Mme la présidente. Monsieur Bargeton, acceptez-vous de rectifier l’amendement n° 601 dans le sens souhaité par Mme la rapporteure ?
M. Julien Bargeton. Je comprends l’argument de Mme la rapporteure, mais cela me pose une difficulté. En effet, il est des plateformes et des réseaux qui participent au financement de ces signaleurs de confiance.
Dès lors, même si j’entends le souci d’indépendance notamment par rapport aux plateformes elles-mêmes, une telle rédaction serait dommageable, car elle empêcherait les pratiques de financement de ces signaleurs de confiance que certains acteurs mettent en œuvre via les plateformes. On a intérêt, me semble-t-il, à encourager le financement de telles pratiques plutôt qu’à les empêcher.
Je ne répondrai donc pas favorablement à la proposition de Mme la rapporteure, à moins que M. le secrétaire d’État ne me convainque de m’y rallier. Il ne faudrait pas que cette disposition vienne réduire l’ampleur d’une bonne pratique qui est en train de s’installer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. À la grande surprise de cette assemblée, je suis du même avis que M. Bargeton ! (Sourires.)
Prenons quelques exemples d’associations qui œuvrent dans le domaine de la protection de l’enfance ou de la lutte contre les contenus racistes ou homophobes. Nombre de ces associations ont des conventions de partenariat avec les plateformes, qui peuvent financer certaines de leurs actions. Ces associations n’en sont pas moins indépendantes.
Néanmoins, si la rédaction proposée par Mme la rapporteure était retenue, ces associations ne pourraient plus continuer à jouer leur rôle, compte tenu du fait qu’elles ne seraient plus considérées comme indépendantes juridiquement dès lors que quelques-unes de leurs actions seraient cofinancées par les plateformes.
Tout comme M. Bargeton, je comprends ce que recherche Mme la rapporteure, mais je pense que ce critère d’indépendance pourrait malheureusement être mal appliqué. Il est donc nécessaire de le retravailler, dans la mesure où tant la rédaction actuelle que celle que propose à présent Mme la rapporteure risqueraient de sortir complètement du jeu de nombreuses associations dont l’action est aujourd’hui absolument vitale pour les victimes.
Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement non rectifié.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Le critère d’indépendance devra tout de même figurer dans le DSA ; il faudra donc bien s’y soumettre. Ensuite, j’ai tout de même du mal à comprendre comment quelqu’un qui est payé par une plateforme peut en être indépendant !
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement, dans la mesure où il n’a pas été rectifié.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 535 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Bacchi, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 26
Après les mots :
d’en informer
insérer les mots :
, avant l’exécution de la décision,
II. – Après l’alinéa 30
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« En cas de protestation motivée de l’utilisateur à l’origine de la publication du contenu notifié, la mesure de retrait ou de rendu inaccessible est automatiquement suspendue. Ils informent le notifiant de sa possibilité de saisir le juge des référés.
« Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine.
« En cas d’appel, la cour se prononce dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine.
« Les actions fondées sur le présent d sont exclusivement portées devant un tribunal de grande instance et une cour d’appel déterminée par décret.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le secrétaire d’État, nous ne serons pas à fronts renversés, puisque nous avons déjà eu ce débat et que je défends rigoureusement la même position que lors de la discussion de la proposition de loi Avia.
J’ai relu l’amendement n° 250 rectifié sexies de M. Malhuret, que nous avons adopté, et je reste sincèrement persuadé que ses dispositions permettront d’obtenir la transparence des algorithmes de traitement.
L’amendement n° 535 rectifié vise à obtenir la transparence des décisions de contenu. Certaines plateformes ont la capacité exorbitante de faire disparaître, en vingt-quatre heures, l’identité numérique d’un individu, fût-il le président des États-Unis d’Amérique, sans nulle forme de recours.
À mes yeux, ce n’est absolument pas normal, eu égard à la situation monopolistique de ces plateformes : si vous ne pouvez plus paraître sur ces réseaux sociaux, vous disparaissez complètement ! C’est bien ce que l’on observe en ce moment de l’autre côté de l’Atlantique.
Le dispositif de cet amendement a été rédigé par le Barreau de Paris. Je le précise, non pour invoquer sa haute autorité, mais parce qu’il me semble normal, d’un point de vue déontologique, d’indiquer qui fournit tel ou tel amendement.
Il s’agit de permettre à chaque personne qui estime avoir fait l’objet d’un effacement un peu trop violent et intempestif de saisir le juge afin que celui-ci puisse faire valoir au citoyen son droit de recours.
Mme la présidente. L’amendement n° 437, présenté par M. Assouline, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mmes Harribey, S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 43
1° Après la première phrase
Insérer trois phrases ainsi rédigées :
Elles restent en vigueur jusqu’à leur validation par le tribunal judiciaire statuant en référé saisi par les utilisateurs ayant fait l’objet des mesures mentionnées aux mêmes a et b. Le juge des référés se prononce dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la saisine. En cas d’appel, la cour se prononce dans un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la saisine.
2° Seconde phrase
Supprimer les mots :
internes et
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec nos amendements précédents.
À l’instar des décisions univoques consistant à retirer ou à rendre inaccessible un contenu, les mesures radicales de suspension ou résiliation du compte d’un utilisateur, ou de suspension de l’accès au dispositif de notification, ne peuvent être prises dans l’urgence et unilatéralement par une plateforme que de manière provisoire. Le dispositif de recours reposant sur une procédure interne est insuffisant sans le contrôle de l’autorité judiciaire.
Tout comme pour le retrait ou le blocage, cet amendement a donc pour objet d’appliquer dans de tels cas ce principe élémentaire, afin d’écarter tout risque de suspension ou de résiliation abusive.
Les plateformes ont déjà un pouvoir important ; il est nécessaire que l’autorité judiciaire puisse contrôler les suspensions ou fermetures de comptes avant une décision définitive, afin d’éviter les abus et les phénomènes de censure par les plateformes. Plutôt que d’accomplir un travail minutieux, celles-ci pourraient en effet préférer surréagir, afin de se protéger et de ne pas être éventuellement accusées de ne pas avoir supprimé des contenus haineux.
Vous m’avez déjà partiellement répondu, monsieur le secrétaire d’État. Je vous préciserai donc que nous ne proposons pas d’attendre des mois si, dans les vingt-quatre heures, le juge n’a pas pu rendre de décision. Il s’agit simplement de la confirmation d’une décision, pour que le dernier mot revienne toujours à la justice. En revanche, quand il faut suspendre immédiatement le compte d’un utilisateur, parce que les faits sont avérés pour la plateforme, ces dispositions ne les en empêcheront évidemment pas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ces amendements visent, comme les précédents, à réintroduire le juge dans le processus de retrait des contenus haineux. Des amendements d’objet identique ont déjà été rejetés par le Sénat lors de l’examen de la proposition de loi Avia, en raison du caractère impraticable des dispositions proposées et, surtout, des risques d’effets pervers.
Aux termes de l’amendement n° 535 rectifié, la plateforme sera dans l’obligation de rétablir les contenus retirés en cas de contre-notification par leur auteur, à charge pour le notifiant de saisir le juge des référés.
Cela peut poser des problèmes relatifs à l’intérêt à agir du requérant : une notification de contenu haineux illicite peut être adressée à un hébergeur par toute personne, sans qu’elle ait à justifier d’être personnellement lésée par ledit contenu, alors que son action devant le juge devra bien s’appuyer sur un tel intérêt, sauf à permettre une sorte d’action populaire.
Concernant l’articulation avec le régime de responsabilité instauré par la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le dispositif envisagé oblige la plateforme à rétablir certains contenus litigieux dans l’attente de la décision du juge, qui peut prendre une semaine et lui donner tort, alors même que la plateforme engage sa responsabilité pénale et civile si elle ne retire pas promptement ces contenus.
Si l’amendement n° 437 était retenu, la plateforme ne pourrait suspendre ou résilier le compte d’un utilisateur que de manière provisoire, à charge pour elle de saisir le juge des référés. Le manque de moyens de la justice rend assez illusoire le délai de quarante-huit heures laissé au juge pour statuer. Précisons par ailleurs que les utilisateurs mécontents de la suppression de leur compte peuvent déjà saisir le juge, y compris en référé, s’ils estiment que c’est à tort que la plateforme a mis fin à leur relation contractuelle.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 438, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Assouline et Sueur, Mmes Harribey, S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 45, première phrase
Remplacer les mots :
en matière de
par les mots :
favorisant la
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Favorable. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. De l’intérêt de la plaidoirie ! (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. N’y voyez aucune volonté de frustration de ma part, mais j’ai bien peur que cet amendement ne soit pas purement rédactionnel. Je crains en outre que le dispositif proposé n’aille dans le sens inverse de ce que souhaitent défendre ses auteurs.
En effet, préciser que les opérateurs doivent conduire une évaluation des risques systémiques « favorisant la » diffusion de certains contenus ou d’atteintes aux droits fondamentaux serait plus restrictif que la formule actuelle et conduirait à un contrôle plus restreint des outils des plateformes. La formule « en matière de » a une visée plus favorable que celle que vous proposez.
Il convient donc, selon le Gouvernement, de conserver une disposition large, de manière à s’assurer que les plateformes conduisent l’évaluation de leurs outils la plus complète possible.
Je vous invite donc, madame la sénatrice, à retirer votre amendement ; faute de quoi, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas gentil, pour une fois que l’avis de la commission est favorable ! (Sourires.)
Mme la présidente. L’amendement n° 602, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 55, première phrase
Remplacer la dernière occurrence du mot :
par
par le mot :
sur
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
C’est maintenant la commission qui considère qu’il ne s’agit pas d’un amendement purement rédactionnel. Il tend en effet à remplacer la préposition « par » par « sur », alors qu’un texte ou une image n’est pas diffusé sur un opérateur de plateforme, mais bien par lui.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 439, présenté par Mme de La Gontrie, MM. Assouline et Sueur, Mmes Harribey, S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 56, deuxième phrase
Supprimer les mots :
principes de fonctionnement des
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. L’article 19 bis prévoit que les plateformes permettent au CSA d’avoir accès aux principes de fonctionnement des outils automatisés auxquels ils ont recours pour répondre à leurs nouvelles obligations, ainsi qu’aux paramètres utilisés par ces outils.
La question de la transparence des algorithmes est posée. C’est une question démocratique, autour de l’un des prochains enjeux de la révolution numérique, laquelle exige un tant soit peu de régulations. Vous savez bien, monsieur le secrétaire d’État, que ce sera le problème majeur, notamment du fait de l’intelligence artificielle. Il est donc bon que nous nous arrêtions sur ce sujet, y compris par le biais d’amendements déposés sur ce texte.
Lorsque nous demandons à accéder aux outils, on nous oppose le secret des affaires. Cet amendement est une réponse. On demande aux Gafam non pas de remettre ces informations au premier venu, mais de les confier à une instance de régulation chargée de les vérifier. Si ce n’est pas fait, nous ne pourrons pas contrôler la pertinence de ces outils ; même le CSA ne le pourra pas.
L’obligation de transparence proposée dans l’article 19 bis est incomplète. Une fois de plus, ce projet de loi affiche des intentions ou des principes, mais cela ne suffit pas.
Il est crucial de pouvoir juger sur pièces, c’est-à-dire de pouvoir contrôler la conformité des algorithmes aux principes d’un espace public démocratique. Il faut que ces algorithmes puissent être directement audités par les experts techniques du CSA, qui sont en mesure de les analyser et de les tester. Il va de soi que ces experts sont soumis à une obligation de réserve. Il convient donc de prévoir dans la loi un accès direct aux algorithmes.
J’aimerais également évoquer la question des moyens humains dont le CSA a besoin pour accomplir au mieux sa nouvelle mission de contrôle des plateformes. Il lui faudra le financement nécessaire afin de débaucher, si je puis dire, des ingénieurs qualifiés pour ce travail, sachant que les meilleurs d’entre eux se vendent à prix d’or et que les plateformes disposent de moyens quasi illimités. Dans tous les cas, la question est posée pour le CSA.
J’insiste : aujourd’hui, le gros problème est que des compétences sont nécessaires pour contrôler et que ceux qui peuvent les acheter sont les plateformes elles-mêmes, ce qui rend leur contrôle très difficile. En effet, ceux qui pourraient le mieux le faire sont payés par les plateformes elles-mêmes ! L’État doit vraiment faire un effort d’attractivité en la matière, y compris du point de vue financier, pour permettre cette régulation.
En conséquence, il convient de prévoir dans la loi un accès direct aux algorithmes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je ne suis pas convaincue que « accès aux principes de fonctionnement des outils automatisés » soit moins fort que « accès aux outils automatisés ». L’exposé des motifs de votre amendement se termine d’ailleurs ainsi : « En conséquence, il convient de prévoir dans la loi un accès direct aux algorithmes. »
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur Assouline, je vais m’efforcer de vous convaincre de l’inopportunité de votre amendement. La rédaction que vous proposez est en effet beaucoup moins puissante que la nôtre !
Dans le machine learning, c’est-à-dire les algorithmes d’intelligence artificielle utilisés la plupart du temps par les plateformes, avoir accès au code ne sert à rien. Je peux vous donner le texte du code : si vous n’avez pas les paramètres de test et de fonctionnement qui ont été rentrés, vous n’avez accès à rien.
Ce que nous cherchons à faire avec cette rédaction est bien ce que vous souhaitez également : avoir accès au code, mais également à son impact. En se restreignant au code et en excluant l’ensemble de son environnement, comme vous le proposez, on se lie les mains et on n’aura accès à rien. On ne saura pas en effet comment cela marche !
Pour le dire en termes un peu triviaux, aujourd’hui, lire le code qui aide un algorithme de reconnaissance d’images à reconnaître un chat ne vous apprend rien : l’algorithme reconnaît dix chats, mais vous ne comprendrez pas pourquoi il ne reconnaît pas le onzième. Si vous voulez comprendre pourquoi il en est ainsi, vous avez besoin des paramètres qui ont été entrés et vous avez besoin de les tester. Vous devez donc avoir accès aux paramètres de test.
La rédaction « aux principes de fonctionnement » permet précisément de faire ce que vous recherchez, au-delà du secret des affaires : avoir une transparence totale sur ce que font les algorithmes des plateformes, mais de manière efficace, sans se limiter au code.
C’est pourquoi, monsieur le sénateur, je vous invite à retirer votre amendement, dont l’adoption risquerait d’être contre-productive eu égard à votre but.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Voilà tout de même une façon bizarre de construire la loi.
Je mets en doute le fait que la formule générale – « accès aux principes de fonctionnement des outils automatisés » – à laquelle on s’en tient signifiera véritablement pour les plateformes qu’elles doivent donner accès aux algorithmes et aux codes. Vous en êtes convaincu ; je ne le crois pas.
Monsieur le secrétaire d’État, vous affirmez vouloir aller dans mon sens, mais mieux que moi. Alors, amendez l’article ! Si vous considérez que l’accès au code n’est pas suffisant, écrivez « accès aux outils automatisés et à leurs principes de fonctionnement ». Alors que telle est votre intention, vous ne le faites pas ! Vous ne m’avez donc pas convaincu de retirer mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 603, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 56, dernière phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, y compris lorsque l’accès à ces données nécessite la connexion à un compte
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Cet amendement a pour objet de ne pas restreindre à l’excès la capacité de régulation du CSA par collecte automatisée des données. Dans la mesure où l’on veut lui confier un rôle de régulateur, il ne faut pas trop restreindre ce rôle.
Si l’on tire les conséquences de la décision du 27 décembre 2019 du Conseil constitutionnel, la formule « données publiquement accessibles » pourrait être interprétée comme excluant les données « accessibles seulement après saisie d’un mot de passe ou après inscription sur le site en cause ». Or de nombreux acteurs visés par le champ du dispositif ne présentent rien sur l’internet ouvert, puisqu’il faut avoir un compte soumis à mot de passe pour accéder à leurs contenus. C’est le cas d’un certain nombre de réseaux sociaux. S’il faut un compte et un mot de passe, il ne s’agit plus de données publiquement accessibles ; ce nouveau champ de l’activité du CSA ne pourrait donc plus faire l’objet de contrôles.
Afin de ne pas limiter le caractère opérationnel de la régulation, nous proposons de préciser ce que sont les données publiques accessibles par le CSA dans le cadre de sa collecte automatisée, en expliquant qu’elles comprennent bien celles des sites qui nécessitent la connexion à un compte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 257 rectifié, présenté par MM. Bilhac et Cabanel, Mmes M. Carrère et N. Delattre, MM. Guérini, Guiol, Requier, Roux et Artano et Mme Pantel, est ainsi libellé :
Alinéa 64, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Cet amendement a pour objet les sanctions pécuniaires dont sont passibles les opérateurs de plateformes en ligne en cas de manquement à leurs obligations.
S’il est nécessaire de prévoir des sanctions à l’encontre des opérateurs qui ne se conformeraient pas aux mises en demeure du CSA, il ne paraît en revanche pas possible d’admettre qu’ils puissent être exonérés de sanctions pécuniaires dans le cas où un autre pays les aurait déjà condamnés pour un même manquement.
Une sanction de ce type doit être rendue souverainement, sans qu’il faille rechercher si, à l’étranger, une administration ou une juridiction aurait également sanctionné l’opérateur, d’autant que les seuils proposés nous paraissent relativement insuffisants au regard des bénéfices que dégagent ces plateformes numériques.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, même si le problème soulevé prouve que l’on a besoin de disposer, avec le DSA, d’une règle européenne en la matière. Pour autant, ce que vous proposez, mon cher collègue, risquerait d’entraîner une disproportion dans les sanctions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 19 bis, modifié.
(L’article 19 bis est adopté.)
Article 19 ter A (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 16 de la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, la référence : « à l’article 1er de la présente loi » est remplacée par la référence : « au premier alinéa de l’article 6-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ». – (Adopté.)
Article 19 ter
(Supprimé)
Mme la présidente. Je rappelle que l’article 19 ter a été réservé jusqu’au mardi 6 avril, à quatorze heures trente.
Article 19 quater
(Non modifié)
Après l’article 6-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 précitée, il est inséré un article 6-6 ainsi rédigé :
« Art. 6-6. – Les opérateurs de plateforme en ligne mentionnés à l’article 6-5 sont tenus, lors de l’inscription à l’un de leurs services d’un mineur âgé de moins de quinze ans et dans le cas où leur offre de service implique un traitement de données à caractère personnel, de prévoir une information à destination du mineur et du ou des titulaires de l’autorité parentale sur l’utilisation civique et responsable dudit service et sur les risques juridiques auxquels ils s’exposent en cas de diffusion par le mineur de contenus haineux, à l’occasion du recueil des consentements mentionnés au deuxième alinéa de l’article 45 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. » – (Adopté.)
Article 20
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 397-6 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, les dispositions des articles 393 à 397-5 sont applicables aux délits prévus aux articles 24 et 24 bis ainsi qu’aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dès lorsqu’il apparaît que l’auteur du propos poursuivi en est exclusivement responsable. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 804 est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … confortant le respect des principes de la République, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 318 est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 421 rectifié est présenté par Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mmes Harribey, Monier et Meunier, MM. Marie, Sueur, Magner et Leconte, Mmes Lepage et S. Robert, MM. Kerrouche, Kanner, Durain, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 571 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin et Cohen, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec, P. Laurent, Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 318.
Mme Esther Benbassa. L’article 20 prévoit, par dérogation à l’article 397-6 du code de procédure pénale, que les procédures de comparution immédiate sont applicables pour les auteurs présumés de provocations à la haine et de délits de provocation prévus à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.
Selon le Conseil national des barreaux, user des procédures rapides de jugement dans le cadre de ces délits revient à méconnaître la technicité de ces dossiers et les garanties procédurales de la loi de 1881. Les infractions de provocation à la haine, notamment en ligne, requièrent une expertise de la part des enquêteurs. Les magistrats rencontrent également plus de difficultés à matérialiser des faits de cyberharcèlement et à qualifier pénalement les infractions du champ virtuel. Dans la pratique, ce type de contentieux se heurte à un manque de personnel formé au sein des services enquêteurs. L’exploitation du matériel informatique et les investigations techniques sont confiées à des experts privés. Ce manque de moyens allonge considérablement les délais d’analyse des données recueillies.
Nous partageons donc le constat que la procédure de comparution immédiate, qui présente un caractère expéditif, n’est pas adéquate pour juger ce type d’infractions.
Enfin, il convient de ne pas nier la spécificité et le caractère sensible des délits mentionnés par la loi du 29 juillet 1881, dont la définition repose sur un équilibre entre la liberté d’expression, la liberté d’opinion et les abus commis. La France, pays très attaché à la liberté d’expression, doit maintenir un cadre spécifique pour ce type de contentieux.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour présenter l’amendement n° 421 rectifié.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne comprends pas l’absence de M. le garde des sceaux, alors que nous débattons de l’application des procédures de comparution immédiate aux délits de presse. Je ne sais trop de quoi c’est le signe ; en tout cas, ce n’est pas le signe d’un grand intérêt pour ce sujet.
Pourtant, avec cet article, nous nous apprêtons à rompre avec un principe qui existe depuis fort longtemps. En droit français, la comparution immédiate n’est pas applicable dans deux circonstances : les infractions à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d’une part, toutes infractions impliquant des mineurs, d’autre part.
Aujourd’hui, alors que la fatigue et la durée de nos discussions ont largement vidé notre hémicycle, nous sommes sur le point, en l’absence du garde des sceaux, de trancher le débat de manière défavorable pour ce principe très ancien.
Lors de son audition par la commission des lois, M le garde des sceaux a affirmé qu’il lui semblait nécessaire que les « gamins haineux » puissent être poursuivis rapidement. Telle a été sa défense de la comparution immédiate. Dont acte. Je comprends donc qu’il entend également déroger à la non-application de cette procédure aux mineurs.
Il faut bien savoir que, dès lors que ce régime spécifique n’est pas applicable, les procédures coercitives telles que la garde à vue et la détention provisoire ne le sont pas non plus. Nous allons nous trouver dans une situation où ce que nous appelons désormais « la comparution immédiate » et non plus « les flagrants délits » sera considérablement élargi, dans un système qui met totalement à la poubelle le principe même de protection de ceux qui sont soumis à la loi du 29 juillet 1881. C’est très grave !
Cela l’est déjà dans les circonstances d’aujourd’hui, mais cela pourra l’être plus encore demain : si vous considérez que tel ou tel délit le justifie, vous considérerez alors qu’il y a lieu d’élargir encore ce champ. Dans quelques mois ou quelques années, il n’y aura plus de protection des journalistes.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 571.
M. Pierre Ouzoulias. Je n’ai rien à ajouter à l’excellent argumentaire de Marie-Pierre de La Gontrie, sinon quelques brèves remarques.
M. le garde des sceaux est venu nous expliquer, avec force envolées et effets de manches, qu’il ne toucherait pas à la loi sur la liberté de la presse ; à présent, il n’est plus là. Son absence est un dur silence pour nous.
Nous comprenons bien que, finalement, ce qui est touché par ce texte est la loi sur la liberté de la presse. J’aurais aimé qu’il la défende avec autant de verve qu’il l’a fait tout à l’heure. Cette tâche vous échoit désormais, monsieur le secrétaire d’État.
Je trouve très triste que l’une des libertés fondamentales de notre République, la liberté de la presse, soit ainsi écornée à la fin d’une journée de débats, un vendredi soir, dans une indifférence totale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.
Cet article permet la répression rapide, par la comparution immédiate, des responsables des infractions les plus graves prévues par la loi de 1881 lorsqu’ils agissent comme des individus seuls responsables de leurs actes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il n’exclut pas les journalistes !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Par ailleurs, il exclut bien les journalistes de ce champ.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Tout d’abord, je vous prie d’excuser l’absence d’Éric Dupond-Moretti, qui est retenu par une réunion avec le Premier ministre.
Madame la sénatrice, il arrive que, dans une discussion parlementaire, un membre du Gouvernement se fasse représenter par un autre membre du Gouvernement. Comme vous êtes attachée au droit, vous savez que, constitutionnellement, n’importe quel ministre est habilité à représenter le Gouvernement. Il fait partie du jeu politique que l’opposition dénonce l’absence de tel ou tel. Quand cette même opposition est au pouvoir comme vous l’avez été, elle ne le fait pas – là encore, cela fait partie du jeu.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’espère que cela ne vous choque pas !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Éric Dupond-Moretti ne s’est défaussé ni de ses obligations ni des débats – y compris piquants, avec vous – depuis le début de l’examen de ce texte. Il continuera à le faire et sera présent au Sénat la semaine prochaine pour la suite de la discussion. Entre-temps, c’est moi qui porte la voix du Gouvernement.
L’article est très clair sur deux points.
En premier lieu, les mineurs sont exclus du champ de cet article : ils continueront à ne pas être jugés en comparution immédiate. Je confirme que cela ne les concernera en rien.
En second lieu, il s’agit bien d’exclure du champ de cet article les contenus éditorialisés, donc les journalistes. Un individu qui insulte ou menace de mort dans un commentaire sur Facebook et un journaliste, qui a sa responsabilité, sa déontologie et son vecteur de presse, feront l’objet d’un traitement différent.
C’est bien ce que, parlementaires et Gouvernement, nous cherchons à faire depuis le début et que permet cet article : pouvoir juger vite des personnes qui sont des auteurs de haine en ligne en excluant les journalistes.
Vous en conviendrez, la capacité à juger vite avec l’intervention du juge est absolument essentielle pour la crédibilité du droit et pour celle de la parole publique et son respect.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’apporterai une précision concernant les journalistes.
Monsieur le secrétaire d’État, selon vous, dès lors que leurs contenus seraient éditorialisés, les journalistes ne seraient pas visés. Pourtant, dans le segment de l’article « dès lors qu’il apparaît que l’auteur du propos poursuivi en est exclusivement responsable », le mot important est « exclusivement ».
Il faut savoir que, dans la loi sur la presse, contrairement à ce que l’on pense souvent, l’auteur principal est le responsable éditorial et non le journaliste ; ce dernier n’est poursuivi que pour complicité. Aussi, si je ne me trompe pas dans mon analyse, lorsque l’on y fait référence, on sous-entend bien que le journaliste qui tient des propos, mais qui, de fait, n’est que complice, ne serait pas visé. Fort bien.
Reste qu’aujourd’hui un journaliste s’exprime par de nombreux canaux sans pour autant perdre sa qualité de journaliste. Monsieur le secrétaire d’État, selon vous, un post sur Facebook serait-il moins important ? Cela m’étonne venant de vous, car il s’agit toujours de sa signature. En d’autres termes, le journaliste qui s’exprime en son nom, et non pas comme complice de son directeur de la publication, serait inclus dans le champ de cet article. C’est très dangereux.
J’entends que vous estimiez que, pour ce type de sujet, l’urgence prime sur le respect des droits et sur la procédure extrêmement protectrice. Néanmoins, c’est le début d’une dérive très inquiétante pour l’ensemble de cette législation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, même à cette heure-ci, même dans les conditions de fatigue et de lassitude de cette fin de semaine – nous sommes prêts, bien sûr, à continuer le temps qu’il faudra –, nous ne voulons pas laisser passer, dans une sorte d’apathie, des dispositions rognant la liberté de la presse.
L’article 24 de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés, y compris dans la forme qui sera finalement adoptée, rogne la liberté de la presse et y porte atteinte. Dans la mesure où vous n’avez pas voulu y inscrire la garantie que nous avons proposée, l’article 18 du texte que nous sommes en train d’examiner rogne également la liberté de la presse.
Cette question de comparution immédiate n’est pas du tout anodine, vous le savez bien et tous les journalistes le sauront. En effet, comme l’a souligné Mme de La Gontrie, le mot « journaliste » n’apparaît pas à l’article 20 tel qu’il est rédigé.
Or la fabrication d’un journal, et même d’un article, est très souvent une œuvre collective : elle implique le directeur de la publication, mais aussi toute l’équipe, qui s’exprime par différents moyens et sur différents canaux. Dès lors, on n’est presque jamais « exclusivement responsable » de la publication d’un article, celui-ci passant par différents stades : rédaction, correction, révision, publication…
Par conséquent, la rédaction retenue introduit une grande part d’arbitraire et de danger.
Vous savez combien, depuis Beaumarchais et beaucoup d’autres – je ne ferai pas de citation parce que mon temps de parole est épuisé –, la République française est attachée à la liberté de l’expression.
Il est donc très grave de banaliser la comparution immédiate pour les œuvres de l’esprit.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 318, 421 rectifié et 571.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 666, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
dès lors qu’il apparaît que l’auteur du propos poursuivi en est exclusivement responsable
par les mots :
sauf si ces délits résultent du contenu d’un message placé sous le contrôle d’un directeur de la publication en application de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 précitée ou de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cet amendement vise justement à éviter l’application de procédures de jugement rapide dans tous les cas où un organe de presse est concerné.
Mme la présidente. L’amendement n° 422 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mme Harribey, MM. Leconte, Magner et Marie, Mmes Meunier et Monier, M. Sueur, Mme S. Robert, MM. Kanner, Durain, Kerrouche, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Cette dérogation n’est pas applicable :
« - aux journalistes qui s’expriment dans le cadre de leurs fonctions sur les réseaux sociaux ;
« - aux lanceurs d’alertes, tels que définis par l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;
« - aux mineurs. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la rapporteure, votre présentation de l’amendement n° 666 est intéressante.
Vous cherchez à expliciter des mots qui n’étaient pas forcément clairs pour des non-spécialistes de la loi de 1881 pour définir à qui ils s’appliquent. Cela confirme bien mon analyse : sauf dans les cas où il y a un directeur de la publication, le journaliste est visé.
L’amendement que je présente vise à préciser qui n’est pas concerné par cette dérogation à la non-application de la comparution immédiate : les journalistes qui s’expriment sous leur nom sur les réseaux sociaux, les lanceurs d’alerte – personne, pour l’instant, ne s’est préoccupé de leur sort –, les mineurs.
J’entends d’ailleurs avec plaisir le représentant du Gouvernement – c’est bien à ce titre que vous vous exprimez, monsieur le secrétaire d’État – indiquer que cette dérogation n’est pas applicable aux mineurs. En effet, les propos du garde des sceaux en commission ne le laissaient pas comprendre ainsi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 422 rectifié ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Je confirme que la comparution immédiate ne s’applique pas aux mineurs. L’adoption de notre amendement réglera la question pour les journalistes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas du tout !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Enfin, ce sont la bonne foi et le caractère désintéressé des lanceurs d’alerte dans la dénonciation d’une atteinte grave à l’intérêt général dont ils ont eu personnellement connaissance qui compteront. Ceux-ci pourront être établis par le juge.
Ces précisions ne paraissent donc pas utiles.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 666 et défavorable sur l’amendement n° 422 rectifié.
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 422 rectifié n’a plus d’objet. (Marques d’étonnement sur les travées du groupe SER.)
Puisqu’il y a contestation et doute, je mets aux voix l’amendement n° 422 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 20, modifié.
(L’article 20 est adopté.)
Article 20 bis
(Supprimé)
Article 20 ter
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les mots : « les septième et huitième alinéas de » sont supprimés. – (Adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec l’examen du chapitre IV du titre Ier du projet de loi. Je vous rappelle que l’examen du chapitre V est réservé jusqu’au mardi 6 avril à quatorze heures trente.
Nous avons examiné 93 amendements au cours de la journée ; il en reste 338.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Fait personnel
Mme la présidente. Je suis au regret de faire état d’un fait personnel qui s’est déroulé cet après-midi, au cours de la première partie de la séance. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un fait institutionnel.
À deux reprises, j’ai été, mezza voce, hors micro, interpellée par le garde des sceaux, qui recherchait un échange avec moi sur des éléments n’ayant trait ni à la séance d’aujourd’hui ni à ma présidence.
Ce fait est suffisamment important pour que je le souligne.
Ce n’est pas à moi, à titre personnel, qu’il a ainsi été porté atteinte. C’est à la présidence, à la sérénité de son exercice et à une règle essentielle dans l’exercice de la présidence qu’est la dissociation entre la personne du président et l’exercice de sa fonction. En franchissant la porte qui mène au plateau, nous n’avons plus ni opinion, ni inimitié, ni amitié. Nous espérons qu’il en est de même pour tous ceux qui participent aux débats. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 avril 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République (texte de la commission n° 455 rectifié, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER