Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
MM. Daniel Gremillet, Loïc Hervé.
2. Mise au point au sujet d’un vote
3. La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux. – Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires
M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
M. Henri Cabanel ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Henri Cabanel.
M. Gérard Lahellec ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jean-François Longeot ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Florence Blatrix Contat ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Gérard Longuet ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Joël Labbé ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Labbé.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Anne-Catherine Loisier.
M. Christian Redon-Sarrazy ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Christian Redon-Sarrazy.
Mme Viviane Malet ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Serge Mérillou ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Serge Mérillou.
M. Jean Bacci ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Sabine Drexler ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jacques Grosperrin ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jacques Grosperrin.
Mme Florence Lassarade ; M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires
Suspension et reprise de la séance
4. Contenu haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. – Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires
M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires
Mme Nathalie Goulet ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Nathalie Goulet.
M. Jérôme Durain ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Jérôme Durain.
M. Christophe-André Frassa ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Christophe-André Frassa.
Mme Vanina Paoli-Gagin ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Thomas Dossus ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Thomas Dossus.
M. Julien Bargeton ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Éric Gold ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Éric Gold.
M. Jérémy Bacchi ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Jérémy Bacchi.
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Catherine Morin-Desailly.
M. David Assouline ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. David Assouline.
Mme Laure Darcos ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Franck Montaugé ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Franck Montaugé.
M. Jean-Pierre Grand ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Marc Laménie ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Marc Laménie.
Mme Brigitte Lherbier ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Brigitte Lherbier.
M. Guillaume Chevrollier ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires
5. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
6. Loi de finances pour 2021. – Discussion d’un projet de loi
Discussion générale :
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
M. Olivier Dussopt, ministre délégué
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° I-1084 du Gouvernement
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° I-1084 du Gouvernement (suite). – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 31 et participation de la France au budget de l’Union européenne
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Amendement n° I-794 rectifié de Mme Valérie Boyer. – Retrait.
Adoption de l’article.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
M. Daniel Gremillet,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour un rappel au règlement.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 26 sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, ma collègue Nathalie Goulet a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux
Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans la mesure où deux débats sont inscrits à l’ordre du jour de la matinée, je veillerai au respect du temps de parole.
Dans le débat, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt française est en danger, confrontée à de multiples crises et défis auxquels nous devons apporter des réponses adaptées, efficaces et pérennes. Le groupe Les Indépendants a choisi d’éclairer, par ce débat, ses difficultés, mais aussi ses atouts.
Monsieur le ministre, le moment est aujourd’hui opportun, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, de nombreux rapports récents sont venus étayer nos réflexions, comme celui de la Cour des comptes, publié en avril dernier, mais aussi celui de notre collègue députée Anne-Laure Cattelot, qui est de grande qualité et qui constitue la base d’une stratégie réaffirmée pour notre forêt française. Je veux aussi saluer le travail mené par le groupe sénatorial d’études Forêt et filière bois, présidé par notre collègue Anne-Catherine Loisier.
Ensuite, le plan de relance, attendu et salué par le secteur, consacre 200 millions d’euros – c’est historique ! – à la forêt, qui est au bord de l’abîme.
Celle-ci occupe 31 % de notre territoire national, qui recèle donc la quatrième surface boisée de l’Union européenne, en progression depuis 1840.
La forêt française est à la croisée de trois tournants majeurs.
Le premier, communément qualifié de « tempête silencieuse », recouvre les conséquences du changement climatique, dont nous observons les effets croissants depuis des années. Aléas climatiques, développement de maladies ou encore présence de nuisibles, comme les scolytes et les chenilles processionnaires, sont autant de traces visibles d’une forêt victime de ces changements.
La forêt est pourtant un levier essentiel pour lutter contre ce changement climatique et pour la préservation de nos ressources naturelles et de notre biodiversité. Nous devons aujourd’hui accompagner son adaptation et construire la forêt de demain. La stratégie de la transition écologique de la France doit passer par une gestion durable des forêts, par une politique renouvelée, stable et volontariste inscrite dans le long terme, couplée à des niveaux d’investissements et de recherches importants.
La deuxième crise est d’ordre économique. Protéger notre forêt, c’est aussi l’entretenir, la gérer durablement et en valoriser les atouts. Notre filière forêt-bois constitue l’une des réponses principales : elle représente 440 000 emplois, soit 12,7 % de l’effectif industriel français, et pèse 60 milliards d’euros d’activités. Néanmoins, son déficit commercial de 6,8 milliards d’euros s’accroît de manière constante. Ces chiffres sont issus du rapport de la Cour des comptes, lequel identifie les faiblesses d’une filière dans laquelle les investissements manquent et dont l’articulation insuffisante des acteurs, notamment entre l’amont et l’aval, nuit gravement à la compétitivité.
La filière rencontre des problèmes dans ses approvisionnements, une fragilisation de la première transformation faute de débouchés et une concurrence des marchés étrangers sur la seconde ; d’où l’enjeu d’un travail approfondi en amont et en aval.
La filière bois doit jouer un rôle majeur dans le secteur du bâtiment, notamment dans la rénovation. À titre de recommandations et à l’aune du plan de relance, nous devons la revaloriser et inciter davantage à l’utilisation du bois, véritable levier de la stratégie bas-carbone, dans la construction et le bâtiment. Nous sommes d’ailleurs en attente d’une réglementation environnementale 2020 (RE 2020) ambitieuse en la matière.
La troisième crise que je souhaite évoquer est sociétale : la forêt est, pour beaucoup de Français, un lieu de loisirs, de découverte et de bien-être ; c’est aussi un milieu dans lequel l’équilibre sylvocynégétique est primordial. Or les déséquilibres parfois observés affectent la régénération des forêts. Un dialogue permanent entre les forestiers et les chasseurs est donc indispensable.
Surtout, nous voyons se développer un courant de pensée selon lequel il faudrait protéger les arbres sans les exploiter. Mettre sous cloche la forêt reviendrait pourtant à ignorer que seule son exploitation durable permet sa régénération, en captant et en fixant le carbone.
À la suite des auditions menées avec mon collègue Daniel Chasseing, je vous propose plusieurs pistes de réflexion.
À mon sens, une politique forestière nationale ne peut faire l’économie d’un volet local. L’échelon régional semble être le plus pertinent, car il est suffisamment local tout en permettant de dégager une vision d’ensemble. Cela pourrait prendre place dans le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), très attendu par les acteurs de la filière.
L’Office national des forêts (ONF), ensuite, joue un rôle majeur. Il est pourtant indispensable de clarifier ses missions, de revoir son modèle économique, de lui donner les moyens de ses ambitions et de développer un dialogue plus systématique avec le local et la filière bois. En outre, je ne suis pas favorable à la création d’une agence nationale des forêts unique regroupant l’ONF, le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et d’autres acteurs. À mon sens, le problème ne se situe pas là : il faut privilégier une politique plus décentralisée et régionalisée.
C’est l’occasion pour nous de réaffirmer le rôle essentiel des élus qui participent à la gestion des forêts communales et sont en première ligne dans la gestion de crise. Ils font le lien avec les propriétaires privés, avec l’ONF, avec la filière bois, avec les chasseurs, et doivent être les acteurs d’une territorialisation accrue de la stratégie forestière française.
Ce point pose, par ailleurs, le problème de l’information et des données. En effet, le flux d’informations entre les acteurs est une part importante de la réussite d’une politique forestière cohérente. La lutte efficace contre les crises repose sur l’utilisation d’outils modernes, sur l’innovation, sur la recherche, sur le développement et sur des investissements importants.
Enfin, venons-en au plan de relance, que je veux saluer, monsieur le ministre, même s’il m’inspire deux mises en garde.
La première concerne la durée de deux ans prévue pour son déploiement. Le temps de la forêt est un temps long, en particulier en ce qui concerne le reboisement, qui requiert des plants, des graines et, surtout, de bons choix d’essences.
La seconde mise en garde porte sur la complexité de la constitution des dossiers, qui nuirait nécessairement à l’accès à ce plan, et donc à son efficacité. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point ?
Ce plan de relance constitue véritablement un starter indispensable, qui devra être relayé par une politique de long terme. Je soutiens d’ailleurs, comme les acteurs de la filière, le projet de création d’un fonds sur trente ans pour l’avenir de la forêt, qui devrait être doté de 300 millions d’euros et dont le financement proviendrait des sphères tant privée que publique.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt privée est donc le sujet du débat du moment, et quel endroit est plus indiqué pour en débattre que cet hémicycle, placé sous le regard exigeant de Colbert, qui considérait la forêt comme un trésor qu’il faut soigneusement conserver ?
Surtout, n’oublions jamais que la forêt est le fruit et l’œuvre du travail des hommes ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer en soulignant le plaisir que j’éprouve à venir débattre ce matin avec vous de ce beau sujet qu’est la forêt française.
Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Franck Menonville, les défis sont immenses ; la forêt est à la fois un patrimoine et un bien très précieux, comme l’est l’ONF. En ce début de propos, je veux saluer l’ensemble des femmes et des hommes qui y travaillent et que je soutiens.
La France est aussi un grand pays forestier, avec une forêt qui se cultive, qui est un élément très important de l’environnement dans lequel nous vivons et qui doit donc être protégée. Bref, la forêt française est indéniablement un très grand avantage, un actif, un trésor dans notre pays. Nous devons en prendre soin et savoir en tirer des bénéfices économiques, environnementaux ou sociaux.
Face à nous, dans ce contexte, se trouvent de nombreux défis.
Le premier est, évidemment, la question du changement climatique, qui se pose à tous les écosystèmes naturels, y compris à l’écosystème forestier. Monsieur Menonville, vous l’avez dit, les conditions climatiques ont favorisé ces dernières années l’amplification d’un certain nombre de maladies, notamment la maladie liée aux scolytes, que nous avons tous en tête. Songez que celle-ci a déjà fortement affecté près de 7 millions de mètres cubes d’épicéas. Certaines régions, comme Grand Est ou Bourgogne-Franche-Comté, sont particulièrement touchées.
Le changement climatique ne concerne évidemment pas seulement les résineux, notamment l’épicéa, mais aussi le frêne, le peuplier, qui a l’habitude de vivre dans des écosystèmes humides, le châtaignier et de nombreuses autres essences.
Nous sommes donc face à ce premier défi du changement climatique, qui nous conduit à nous demander comment nous pouvons rendre les écosystèmes forestiers plus résilients et mettre en œuvre une véritable stratégie d’adaptation. Il est d’abord nécessaire que nous parvenions à nous mettre d’accord sur les espèces résilientes que nous pourrions développer pour peupler, aujourd’hui et demain, nos filières françaises.
Une chose est certaine, toutefois, ce peuplement ne pourra se faire qu’avec la filière forestière, avec laquelle nous avons entrepris un travail très important pour qu’une feuille de route sur la résilience des parcelles forestières soit établie et que nous puissions avancer.
Cela nécessite, par exemple, de renforcer la coopération scientifique et les connaissances pour l’adaptation des forêts, mais aussi de donner une vision prospective, de long terme, sur les essences qui seront le mieux à même de peupler nos forêts en 2030, en 2050 et même en 2100. Il est également nécessaire d’investir dans nos forêts pour faire face, aujourd’hui, à ces dangers sanitaires qui impactent les peuplements.
C’est la raison pour laquelle, face à ce défi du changement climatique, je me suis battu et j’ai obtenu que 150 millions d’euros du plan de relance soient consacrés au repeuplement de nos forêts. Cette somme pourrait permettre de planter jusqu’à 50 millions d’arbres dans les forêts communales, domaniales ou privées. C’est probablement le plus grand investissement forestier depuis l’après-guerre en termes de repeuplement et c’était, à mes yeux, absolument indispensable.
Le deuxième défi est la réalité économique.
Je le dis avec beaucoup de conviction, une forêt, cela se cultive avec des ambitions. La question est la suivante : comment le bois peut-il accompagner la forêt en étant utilisé dans nos industries et exploitable sur plusieurs années ?
Relever ce défi impose d’abord de créer un lien indéfectible entre l’amont et l’aval de la forêt française et de réconcilier ces deux dimensions. Nous y sommes invités depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. La situation me semble – j’emploie ce terme à dessein – ubuesque : d’un côté, le taux de prélèvement est estimé à 50 % de l’accroissement biologique, ce qui signifie que, chaque année, la forêt avance, et c’est très bien ainsi ; de l’autre, en 2016, le déficit commercial de l’ensemble de la filière s’élevait à près de 6 milliards d’euros.
Lorsque, il y a vingt ans, j’ai fait des études d’ingénieur des eaux et forêts, on me disait : « La forêt avance, mais le bois recule. » C’était il y a vingt ans !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Julien Denormandie, ministre. Or aujourd’hui, la forêt continue à avancer et le bois à reculer, ou, au moins, à ne pas avancer suffisamment vite.
L’enjeu est énorme : il s’agit de réconcilier l’amont et l’aval de la forêt. C’est pour moi quelque chose d’essentiel, qui repose, encore une fois, sur la notion de souveraineté agricole et forestière, laquelle, vous le savez, est l’axe majeur de l’action du ministère que je souhaite conduire : elle nécessite d’adopter une approche holistique de l’amont à l’aval.
Comment l’amont peut-il s’attacher à faire en sorte que les choix effectués soient ensuite utilisés par l’aval ? Comment l’aval peut-il s’adapter, sans forcément toujours attendre de l’amont qu’il le fasse, tout en essayant de relocaliser certains outils de transformation, en évitant des chaînes de transport dont le bilan environnemental n’est pas acceptable ?
Songez que, parfois, on vend du bois sur pied dont les grumes sont exportées en Chine et nous sont retournées sous la forme de meubles ou de produits transformés encore travaillés en Europe avant d’arriver en France. Ce système est perdant-perdant-perdant, pour la forêt, pour le bois et pour l’environnement. Il nous faut donc absolument inverser la donne.
Le plan de relance offre, à ce titre, une formidable occasion pour la filière. Dans ce cadre, j’ai décidé, au-delà des 150 millions d’euros dédiés au reboisement, de consacrer une somme importante à la création d’un nouveau fonds, le « Fonds bois III », pour structurer l’aval de la filière.
Cela nécessite aussi de nous poser une question fondamentale : si la forêt se cultive, quels sont ses usages ? Je prends le pari, par exemple, que la forêt française doit jouer un rôle beaucoup plus fort dans les prochaines décennies en ce qui concerne la construction en bois. À l’exception de quelques scieries, la plupart des bois de construction sont importés, alors que nous avons la capacité de développer et d’accroître cette filière de production dans notre pays. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, cela renvoie également à la question de la RE 2020 et de l’ensemble de l’analyse du cycle de vie.
Enfin, le troisième défi est le caractère multifonctionnel de la forêt.
Nous devons donc avoir une approche tenant compte de son écosystème complexe, afin de le préserver, de son potentiel économique, pour le cultiver, de ses avantages sociaux, de manière à les développer, mais également du rôle de protection qu’elle joue dans l’aménagement du territoire, en matière de lutte contre l’érosion ou d’avantages apportés à certains types de territoires.
Cela nous impose de sortir de toute position dogmatique, dès lors que l’on reconnaît cet usage multifonctionnel. Une forêt se cultive, se protège et doit pouvoir donner à l’ensemble de nos concitoyens ce qu’elle peut leur apporter d’un point de vue social.
Mme la présidente. Il faut vous diriger vers la conclusion, monsieur le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. J’en ai presque terminé, madame la présidente.
Pour conclure, je précise que cette multifonctionnalité nécessite une vision, que j’ai essayé de développer. Elle impose d’associer tous les acteurs, notamment les communes forestières, qui sont des acteurs majeurs, et elle exige le soutien de ces femmes et de ces hommes qui travaillent passionnément sur la forêt ; j’ai à l’esprit les agents de l’ONF, mais aussi l’ensemble des personnes travaillant dans la filière privée forestière. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Je demande de nouveau à chacun d’être vigilant quant au respect de son temps de parole.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. Henri Cabanel. La forêt est un des écosystèmes durement touchés par les changements climatiques, comme le montrent les crises actuelles liées au dépérissement des peuplements. Elle constitue pourtant également un atout majeur dans la lutte contre ces mêmes changements, car elle fait partie intégrante du cycle du carbone et constitue un réservoir de biodiversité, gage de résilience.
Cependant, le morcellement de la propriété forestière rend sa gestion compliquée. De nombreux propriétaires ne savent pas qu’ils le sont, d’autres se trouvent dans des impasses parce que leurs propriétés sont trop petites ou trop fragmentées.
La loi de 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a renforcé les moyens de lutte contre ce morcellement, en créant de nouveaux droits de préférence et préemption.
La recherche des biens non bâtis présumés sans maître est désormais de la compétence de l’État, mais les services de la direction des finances publiques sont souvent dans l’incapacité de la mettre en œuvre complètement. On constate ainsi que les listes transmises aux mairies par l’intermédiaire des préfectures se limitent aux seules propriétés du domaine des propriétaires inconnus, ce qui est loin de recouvrir la notion de non-paiement des impôts fonciers pendant trois ans, prévue dans les textes.
Monsieur le ministre, quelles solutions préconisez-vous pour faciliter la mise à jour des données cadastrales, aussi bien en termes de nature des cultures déclarées que pour la vérification des propriétaires dont les données cadastrales posent manifestement question ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Cabanel, le sujet que vous évoquez est absolument crucial et s’impose à nous depuis de nombreuses années : comment parvenir à mieux gérer la forêt au regard des données foncières ?
Je souhaite attirer votre attention sur deux points.
Tout d’abord, le plan de relance va financer de nouveaux outils technologiques, notamment pour permettre à l’ONF de mieux gérer l’espace forestier grâce aux données géographiques obtenues par la technologie Lidar, laquelle permet de disposer de données, précisément quand les éléments cadastraux ou topographiques manquent, ce qui est en effet souvent le cas.
Ensuite, votre question concerne la disponibilité des informations relatives aux droits de propriété, ou plus exactement aux relevés de propriété. Vous insistez sur le fait que certaines de ces données ne sont pas suffisamment accessibles.
C’est pourquoi j’ai introduit, dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), la simplification de l’accès aux relevés de propriété pour les experts fonciers et les experts agricoles. Je remercie, d’ailleurs, la Haute Assemblée d’avoir adopté l’amendement que nous avions proposé à ce sujet. Le texte, qui est aujourd’hui même au Conseil constitutionnel sous votre contrôle, permet d’améliorer la transparence de ces données. Le fait d’en avoir élargi l’accès à ces deux professions est un élément important pour mieux gérer nos forêts, y compris en matière cadastrale.
Un troisième sujet n’a pas encore été abordé : la réforme du cadastre forestier. Il faudra très certainement s’y atteler un jour, mais, pour le moment, nous avons simplifié et rendu plus transparent l’accès aux données déjà existantes, c’était une première étape importante, qui ne nous dispensera sans doute pas de revoir, dans un avenir proche, les données cadastrales.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Parmi les idées proposées par l’union régionale des collectivités forestières d’Occitanie, qui regroupe plus de 700 collectivités adhérentes, certaines peuvent vous inspirer, monsieur le ministre.
On y trouve, par exemple, la suggestion d’un meilleur suivi des remontées des commissions communales des impôts directs, du rappel de la nature de cultures déclarées sur les feuilles d’imposition, de celui de l’existence de surfaces en deçà du seuil de recouvrement des impôts fonciers, ou de la prise en compte des biens susceptibles d’être sans maître recensés grâce aux outils que les communes forestières ont développés en appui aux démarches des collectivités.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. La présentation du plan de relance et de ses 150 millions d’euros dédiés à la forêt s’ouvre par un constat que nous partageons tous : nos forêts sont déjà durement touchées par le changement climatique, alors même qu’elles jouent un rôle essentiel dans la lutte contre ce même réchauffement climatique.
On nous dit qu’il est impératif de financer l’amélioration, la diversification et le renouvellement des peuplements forestiers, afin de favoriser une meilleure résilience des écosystèmes forestiers, dans le respect d’une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt. Nous en sommes tous d’accord.
Pourtant, depuis de nombreuses années, l’ONF, outil historique de cette gestion durable et multidimensionnelle, ne cesse d’être fragilisé, voire malmené, et se trouve aujourd’hui en voie de privatisation.
Merci, monsieur le ministre, d’avoir bien voulu rappeler, dans votre intervention liminaire, que l’ONF est un bien précieux.
Pourtant, nous constatons que les coups de rabot budgétaire et la fragilisation des recrutements, d’ailleurs remise en cause aujourd’hui, s’accompagnent d’une tentation de généraliser la possibilité de recrutement d’agents contractuels de droit privé. Ainsi, depuis trois ans, les concours de recrutement de techniciens forestiers fonctionnaires sont bloqués et les postes de gardes forestiers sont affectés massivement à des contractuels.
Enfin, le Gouvernement a annoncé un plan de soutien à la filière bois, mais il ne prévoit aucune augmentation du budget de l’ONF, pourtant en déficit structurel depuis plusieurs années. La conséquence de ces politiques est un affaiblissement de la protection des forêts.
Dès lors, monsieur le ministre, quand allez-vous décider de mettre un terme à cette spirale de destruction d’un outil si précieux, indispensable pour assurer la durabilité de nos forêts ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je vous remercie à mon tour de rappeler mes propos. L’ONF est un bien incroyablement précieux, tout le monde le voit. J’attire d’ailleurs l’attention de ceux qui nous écoutent sur un point que vous n’ignorez pas : l’ONF gère les forêts domaniales, mais aussi beaucoup de forêts communales, en lien avec les collectivités territoriales.
À ce titre, j’ai d’ailleurs souhaité, dès mon arrivée, faire en sorte que les collectivités locales puissent rester au conseil d’administration de l’ONF. C’était en débat, mais cela me paraissait absolument nécessaire.
Sur les trois points que vous évoquez, les financements que nous devons octroyer à l’ONF sont importants et doivent prendre en compte, effectivement, la situation financière actuelle de l’Office, que vous avez rappelée.
Il y a, d’abord, le financement national, que je vous présenterai dans le cadre du budget pour 2021. Le programme 149, destiné à financer l’ONF, verra ses crédits augmenter. Sans doute cela ne suffira-t-il pas à combler le déficit structurel de l’établissement ; reste qu’il s’agit d’une augmentation.
Ensuite, l’ONF bénéficiera, non pas certes exclusivement, mais significativement, du plan de relance dans son aspect reboisement. Dans ce cadre, 150 millions d’euros sont prévus pour subventionner massivement le reboisement. Une partie des financements serviront aussi au développement des outils de gestion de type Lidar dont j’ai parlé il y a quelques instants, notamment pour le compte de l’ONF.
Enfin, s’agissant du schéma d’emplois et du statut des personnels – une question abondamment débattue dans le cadre du projet de loi ASAP –, l’ONF emploie aujourd’hui près de 40 % de ses personnels sur contrat de droit privé. Je crois qu’il ne faut pas opposer les uns aux autres, et je tiens à rendre hommage à tous !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Je me félicite de l’organisation de ce débat, eu égard aux nombreux enjeux pour lesquels je considère la forêt comme une solution : réchauffement climatique, menaces sur la ressource en eau, glissements de terrain, érosion de la biodiversité, demande de nature de nos concitoyens.
La forêt peut assumer de nombreuses fonctions, si tant est qu’elle fasse l’objet d’une gestion durable. Malheureusement, elle subit aujourd’hui des crises multiples.
D’une part, les sécheresses de 2018, 2019 et 2020 ont provoqué une multiplication des scolytes, asséchant le bois, altérant sa qualité, affectant sa valeur marchande et déstabilisant l’ensemble de la filière.
D’autre part, la chute des cours du bois liée notamment à la crise sanitaire et à la saturation du marché menace la pérennité de la filière et affaiblit les communes forestières dépendantes de la gestion de leur patrimoine forestier ; une commune française sur trois est concernée – une sur deux dans mon département du Doubs !
En sus de l’aide d’État pour le transport du bois, bienvenue mais loin de couvrir les pertes réelles, une enveloppe de 200 millions d’euros est consacrée à la forêt dans le cadre du plan de relance. Un reboisement massif est ambitionné, ainsi qu’un renforcement des dispositifs de soutien aux entreprises de la filière bois.
Monsieur le ministre, cette démarche va dans le bon sens, mais comment venir en aide aux communes dont les revenus forestiers représentent parfois 20 %, 40 %, voire 50 % des recettes annuelles ?
Par ailleurs, quelles seront les modalités du volet forêt de la relance ? Le développement forestier ne se décrète pas : il se construit de manière volontaire et concertée avec les acteurs locaux, autour, surtout, d’un projet commun qui profitera à nos territoires !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, vous avez bien perçu, d’après mes réponses aux précédents orateurs, que je mesure pleinement l’enjeu pour les communes forestières et le rôle essentiel joué à cet égard par l’ONF – donc, par son truchement, par l’État. De fait, près des deux tiers du patrimoine forestier géré par l’ONF est constitué de forêts communales.
J’ai bien à l’esprit aussi les difficultés que rencontrent aujourd’hui certaines communes face à des crises conjoncturelles, comme celle des scolytes, ou plus structurelles, comme celle dont vous avez parlé sur le marché du bois, liée aux usages du bois et à l’adéquation entre l’amont et l’aval.
En ce qui concerne les scolytes, nous avons mis en place par décret, il y a environ un an, un système qui fonctionne plutôt bien, consistant à échanger les bois scolytés entre régions, pour pouvoir les mettre sur le marché. Cette solution, qui paraissait à première vue un peu complexe, s’est avérée efficace.
S’agissant du plan de relance, les 150 millions d’euros prévus permettront le repeuplement de nombreuses forêts communales, que les communes elles-mêmes n’auraient pas eu les moyens de reboiser. À cet égard, l’ONF est bien conscient de la nécessité d’accompagner les forêts communales.
Enfin, nous sommes en train de lancer une mission d’évaluation des conséquences financières de la situation actuelle pour les communes. Cette mission IGA-CGAAER, donc interministérielle, chiffrera les pertes financières des communes forestières liées aux crises conjoncturelles, ce qui permettra d’éclaircir le débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Depuis deux ans, sous l’effet de sécheresses qui se succèdent, nos forêts de résineux sont touchées par une épidémie de scolytes qui ne cesse de s’aggraver : les volumes de bois touchés ont doublé chaque année entre 2018 et 2020.
Les régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est ont été les premières frappées par ce phénomène. Mon département, l’Ain, est touché dans les massifs du Haut-Jura.
À court terme, nous sommes face à un problème économique. De fait, comme il a déjà été souligné, de nombreuses communes forestières ont vu leurs ressources issues de la vente de bois baisser drastiquement. L’une d’entre elles m’a indiqué que ses produits forestiers étaient passés de 300 000 à 30 000 euros ! Les forestiers privés sont également touchés : les rendements s’effondrent sous l’effet d’une chute des cours, et les marchés régionaux sont saturés.
À long terme, nous sommes face à un problème de pérennité de nos couverts forestiers.
J’entends bien, monsieur le ministre, que vous avez mandaté une mission d’évaluation des conséquences pour les communes des baisses de ressources ; mais quelles mesures compensatoires envisagez-vous pour parer à ces déficits de recettes ?
Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer le soutien aux coopératives forestières afin qu’elles trouvent des débouchés, notamment en pérennisant et en accroissant l’aide à l’évacuation des bois et en leur apportant une aide de trésorerie.
À plus long terme, quel soutien à la recherche prévoyez-vous en matière de lutte contre les parasites et d’essences susceptibles d’être implantées ?
Enfin, vous annoncez un plan de relance de 150 millions d’euros, mais l’Allemagne annonce un plan de 800 millions d’euros pour la forêt, avec une stratégie forestière pour 2050… Quels moyens allez-vous mobiliser, au service de quelle stratégie à long terme ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, le dispositif mis en place voilà un an pour l’évacuation et la commercialisation des bois scolytés fonctionne, je le répète, plutôt bien, en dépit de son apparence quelque peu complexe. Nous verrons s’il est nécessaire de l’adapter – j’y suis tout à fait ouvert.
En la matière, le vrai défi, c’est de couper et repeupler. Or, jusqu’à présent, on avait souvent « la boule au ventre », comme nombre de forestiers disent, devant une parcelle scolytée, faute d’avoir la capacité de repeupler. Dans le cadre du plan de relance, jusqu’à 80 % du repeuplement d’une parcelle scolytée pourra être financé : il s’agit donc d’une aide très importante. Les modalités seront les plus simples possible, pour que le dispositif soit effectif – comme il a été souligné par plusieurs d’entre vous, la temporalité forestière est essentielle.
S’agissant de la recherche, nous y avons beaucoup travaillé ; M. Menonville a mentionné le rapport d’Anne-Laure Cattelot sur ce sujet très important. Dans le cadre du repeuplement, la question posée, incroyablement complexe mais très intéressante, est celle du choix des essences. Faut-il planter les mêmes essences, des essences cousines, d’autres essences ? Nous travaillons avec la filière pour répondre à cette question, en effet, essentielle.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Julien Denormandie a déjà répondu en partie à la question, lancinante et immédiatement préoccupante, des forêts scolytées. C’est une réalité dans le Grand Est comme dans le reste de la France ; c’est une réalité dans la Meuse comme dans toute la Lorraine. Les coûts en sont sans doute supérieurs à ceux de la tempête de 1999…
Monsieur le ministre, le 29 juillet dernier, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, vous vous êtes exprimé avec autant de compétence que de patience, ce qui est plutôt de bon augure pour les solutions que vous pourriez apporter à la forêt.
S’agissant du scolyte, le plus important est, en effet, que le plan de relance engage rapidement des solutions en matière de repeuplement. Les mesures prises pour le transport ont permis d’ouvrir et d’élargir le marché, de « péréquer » en quelque sorte, ce qui a permis d’amortir les baisses de prix, néanmoins bien réelles.
Je vous interrogerai sur l’avenir. Alors que le réchauffement climatique est jugé par la majorité de l’opinion comme une certitude absolue, la forêt étant une affaire de long terme, nous avons le devoir absolu, face à un horizon de long terme annoncé comme prévisible, d’agir en matière de repeuplement. En général, la forêt existe parce que d’autres solutions agricoles n’étaient pas possibles. Il est essentiel que nous sachions comment conduire des projets de forêts nouvelles, compte tenu des perspectives de réchauffement climatique, dont on peut penser, hélas, qu’elles sont certaines.
Par ailleurs, vous avez évoqué l’usage du bois. La filière étant un ensemble complet, de la production à l’utilisation, pourriez-vous nous expliquer de façon simple pourquoi la filière bois ne rencontre pas, dans la construction en France, les succès que nous attendons tous d’elle ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, les deux questions que vous posez sont intrinsèquement liées. Au fond, il s’agit de savoir quelle est notre vision de la forêt – c’est cette question qui forge ma passion pour le domaine forestier.
Nous avons à relever un défi extraordinairement complexe, avec une temporalité de très long terme et des enjeux multiples, parce que la forêt remplit de nombreuses missions pour le peuple français, environnementales, économiques et sociales. C’est déjà très compliqué pour le forestier ; imaginez pour le politique, pris dans le temps de l’émotion et du simplisme… On est loin de la temporalité longue et de la multifonctionnalité !
Puisque le plan de relance nous offre l’opportunité de reboiser massivement, il s’agit de savoir quelles essences planter. Je considère qu’il faut opter pour les essences les plus résilientes du point de vue du changement climatique et qui pourront être utilisées dans trente, quarante ou cinquante ans en fonction des usages que nous pouvons prévoir.
Au XVIIIe siècle, on faisait du feuillu pour l’usage militaire. Après-guerre, on a planté des résineux pour l’usage industriel. Je suis convaincu que, à l’avenir, un des principaux usages du bois sera la construction.
Pour résoudre cette équation, il faudra sûrement retenir plusieurs types d’espèces, en fonction des territoires et en tenant compte des erreurs du passé.
Vous me demandez pourquoi la filière construction bois n’est aujourd’hui pas assez développée. Je pense qu’il manque une articulation entre l’amont et l’aval : le second ne tire pas le premier, qui ne pousse pas le second.
Nous devons donc à la fois repeupler, financer l’aval et reconnecter les deux versants. C’est ce à quoi je m’attelle avec force.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Aux frontières de ma région, les Hauts-de-France, entre les départements de l’Oise et du Val-d’Oise, se trouve la forêt de Chantilly, concentré des richesses des forêts françaises, mais aussi de la complexité de leur situation. Cette forêt, c’est un véritable laboratoire à ciel ouvert !
Le dérèglement climatique, l’infestation par les hannetons et les dégradations causées par le grand gibier : en dix ans, les gestionnaires, dont évidemment l’ONF, ont pu identifier les causes majeures des problèmes de la forêt de Chantilly.
Une mobilisation importante s’est déployée pour agir et conserver une forêt vivante. Elle a permis de mettre autour de la table tous les acteurs : la population, les scientifiques, les associations environnementales, les chasseurs et les élus. Ainsi, les problèmes ont pu être identifiés, et les solutions dégagées.
Les solutions, nombreuses, s’inscrivent dans un schéma national : le reboisement, l’inclusion des chasseurs dans les discussions de régénération de la forêt, l’adaptation de la forêt par la recherche et le développement d’actions en faveur de la filière bois, dans le respect de ses particularités, afin d’assurer son avenir.
Pour établir un cadre et organiser au mieux cette action, l’idée a émergé de créer un groupe d’intérêt public. Loin d’être un comité Théodule, ce GIP met tout le monde autour de la table pour travailler à l’organisation et l’aménagement d’une gestion durable et adaptée au domaine forestier, avec un objectif principal : trouver des solutions face aux dangers qui guettent la forêt.
Je souhaitais attirer l’attention sur le combat mené pour la forêt de Chantilly, parce qu’il y a urgence ! Monsieur le ministre, cette pratique volontariste et la création de ce GIP ne pourraient-elles pas être dupliquées, en tenant compte des spécificités de chaque situation ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Verzelen, j’ai bien présente à l’esprit la situation particulière de la forêt de Chantilly. J’ai entendu les déclarations du général Millet et je mesure à quel point le plan d’action que vous avez brillamment décrit est très certainement en tout point exemplaire.
D’abord, il associe, comme vous l’avez expliqué, l’ensemble des parties prenantes, des citoyens aux gestionnaires en passant, entre autres, par les chasseurs.
Ensuite, il prend bien en compte l’ensemble des défis, grâce à une sorte de comité scientifique associant l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), AgroParisTech et France Nature Environnement, pour ne citer qu’eux.
Enfin, il établit de nouvelles pratiques sylvocynégétiques permettant de concevoir le développement de la forêt de Chantilly sur la durée.
Compte tenu de tout le travail réalisé, j’ai donné instruction à mes services que l’on tire parti des financements du plan de relance pour soutenir l’action en faveur de la forêt de Chantilly. Les acteurs n’ont pas attendu le Gouvernement et son plan de relance, mais celui-ci tombe à point nommé pour leur offrir de nouvelles possibilités de financement.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. On ne le dit jamais assez : on est mal parti… Oui, notre forêt est mal partie, le climat va mal, l’ensemble de notre biodiversité va mal également – tout cela étant lié.
Monsieur le ministre, quarante pesticides de synthèse sont encore autorisés en forêt, dont le glyphosate. Alors que nous arrivons presque à l’échéance du délai sur lequel le Président de la République s’était engagé pour la sortie du glyphosate en novembre 2017, la mise en œuvre de cette promesse semble, au fil des mois, toujours plus floue…
On pourrait imaginer, monsieur le ministre, que la sortie des pesticides en forêt constitue pour vous une priorité. Elle est en tout cas réclamée par les citoyens, qui ont été des milliers à signer un appel en ce sens lancé en 2019 par la très responsable ONG Noé, qui œuvre pour la biodiversité. En effet, les forêts sont des espaces de production, mais aussi des réserves de biodiversité et des lieux de promenade qu’il faut préserver des pollutions.
Les alternatives sont déjà là, puisque l’ONF a abandonné le glyphosate dès 2018, puis l’ensemble des pesticides en 2019. Nous avons reçu ses représentants au Sénat voilà un an, lors d’un colloque, pour qu’ils nous présentent leurs solutions. Pourtant, en septembre dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a écarté la quasi-totalité des alternatives au glyphosate en forêt, non pour des raisons d’impasse technique, mais du fait d’inconvénients pratiques et économiques.
Un arrêté étendant la loi Labbé à de nouveaux espaces doit être publié très prochainement. Je m’en réjouis, mais, selon nos échanges avec la ministre, la forêt ne sera pas concernée. Ce serait pourtant l’occasion d’agir dès maintenant.
Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager pour une sortie rapide du glyphosate et de tous les produits phytosanitaires en forêt ?
M. Bruno Sido. Oh là là !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Labbé, nous avons souvent débattu ensemble de ces questions au cours des derniers mois.
J’ai en la matière une approche assez raisonnée. Comme je l’ai dit à la tribune, il nous faut absolument protéger l’environnement et considérer tout ce que la forêt offre d’important aux citoyens que nous sommes : un poumon vert, un écosystème environnemental, un espace qui se cultive.
Nous avons demandé à l’Anses, une autorité indépendante et à mes yeux l’instance la plus à même de déterminer les usages, d’établir les autorisations de mise sur le marché – lesquelles, je le rappelle, sont non pas signées par le ministre, mais données par cette agence –, y compris dans le milieu forestier.
Dans le cadre du bilan de l’usage des produits phytosanitaires que nous avons présenté voilà quelques jours, l’Anses a été très claire sur l’utilisation du glyphosate en forêt, en en limitant significativement tous les usages, exception faite de quelques situations spécifiques lorsqu’il n’y a pas d’alternative. Cette décision résulte d’une analyse non pas économique, mais holistique, prenant en compte l’ensemble des approches : environnementale, substitution mécanique au travail, faisabilité.
C’est grâce à ce travail très sérieux de l’Anses que nous pouvons tracer cette voie et sortir du glyphosate dès lors qu’une alternative existe. Nous nous y employons avec une grande détermination. D’ailleurs, nous avons prévu des moyens financiers importants pour investir dans la recherche, afin de trouver toutes les alternatives le plus rapidement possible.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Bruno Sido. Il ne manquerait plus que ça !
M. Joël Labbé. … mais quand même… Ses membres n’ont pas pris leur décision, je le répète, pour des raisons d’impasse technique, mais d’inconvénients pratiques et économiques – vous pourrez le vérifier.
Derrière l’usage des pesticides en forêt, il y a tout un modèle d’industrialisation excessive des pratiques en forêt, que l’on retrouve d’ailleurs en agriculture. Le glyphosate est lié à la pratique des coupes rases, à ce jour toujours pas encadrée. (M. le ministre le conteste.)
Dans un contexte de chute de la biodiversité et de réchauffement climatique, cette industrialisation excessive est dangereuse. L’abandon du glyphosate et des produits phytosanitaires en forêt n’est pas seulement souhaitable : il est possible !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. En Guyane, la forêt couvre 8 millions d’hectares, soit 96 % du territoire. Or l’État a confié 6 millions d’hectares de son domaine privé au seul Office national des forêts.
Ainsi donc, l’ONF dispose en Guyane, et nulle part ailleurs, d’un rôle de conservateur gestionnaire, mais aussi d’opérateur, ce qui fait de ses agents des juges et parties dans bon nombre de dossiers.
En 2015, la délégation sénatoriale aux outre-mer a émis trente propositions pour « mettre un terme à une gestion jalouse et stérile du domaine public et privé de l’État en outre-mer ». Elle a proposé une nouvelle architecture propre à la Guyane, destinée à libérer du foncier d’État au service du développement local. Il s’agirait notamment d’accélérer les procédures de cession de terrains du domaine privé, de repousser vers l’intérieur des terres les limites du domaine forestier permanent et de transférer le foncier libéré à la collectivité unique de Guyane, charge à elle de le rétrocéder aux communes et aux acteurs économiques.
Monsieur le ministre, l’exploitation du bois et des produits de la forêt constitue une filière d’avenir pour la Guyane, mais l’accès à la ressource reste problématique, car l’ONF demeure l’unique fournisseur de bois pour les professionnels de la première transformation.
L’État semble réticent à laisser une partie de la maîtrise foncière à la collectivité territoriale de Guyane, qui, en cas de rétrocession, disposerait d’un levier permettant de mettre en œuvre une véritable politique de développement économique. Pourtant, après les événements de 2017, l’État s’était engagé à transférer 250 000 hectares à la collectivité territoriale de Guyane. Malheureusement, ce transfert n’a toujours pas eu lieu, alors qu’il pourrait éviter certaines crispations au sein de la population sur des problématiques telles que la chasse ou l’orpaillage légal.
Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour tenir cet engagement et ainsi aider au développement économique de la Guyane ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir soulevé cette question de la plus haute importance. Car si la forêt joue un rôle majeur dans l’ensemble des écosystèmes, la forêt guyanaise est tout à fait essentielle non seulement pour la Guyane, mais aussi pour une grande partie de la région, voire du monde. C’est un trésor, en même temps qu’une responsabilité collective : nous devons préserver la forêt guyanaise.
Le Gouvernement s’est engagé à procéder à des transferts importants – 400 000 hectares à la population, 250 000 hectares aux collectivités territoriales et 20 000 hectares à une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Je suis d’accord avec vous : leur mise en œuvre n’a pas été assez rapide. Mais il me semble qu’une disposition a été introduite dans un texte récent – ASAP ou Ddadue, je vérifierai – pour accélérer ces transferts, consentis à titre gracieux – c’est là que se posait une difficulté juridique, comme vous le savez.
Madame la sénatrice, votre demande est légitime et même nécessaire : nous devons mettre en œuvre le plus rapidement possible les engagements que nous avons pris en matière de transferts. Croyez bien que j’y veillerai !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour la réplique.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. Le peuple guyanais attend maintenant la concrétisation des engagements de l’État !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Je poserai deux questions, monsieur le ministre.
La première porte sur le reboisement. À cet égard, permettez-moi de saluer la création et l’abondement, que nous espérions depuis si longtemps, du fonds de reboisement des forêts françaises et de soutien à la filière bois. Le défi consiste maintenant à en faire un bon usage, et ce rapidement.
Selon moi, monsieur le ministre, la question est de savoir non pas quelles essences nous devons planter – la nature offre de multiples richesses –, mais comment sortir du spectre assez limité de celles qu’utilisait l’aval jusqu’à présent.
La question de la disponibilité du matériel de reproduction, donc des plants, se pose également. Les plants seront-ils disponibles dans les délais impartis ? À cet égard, il vous faudra prévoir des modalités de mise en œuvre spécifiques, monsieur le ministre, car la forêt, vous l’avez dit, s’inscrit dans le temps long.
L’autre obstacle à une mise en œuvre rapide, de nombreux collègues l’ont dit, c’est l’autofinancement des communes forestières. Les communes qui vont devoir investir rapidement pour reboiser sont aussi celles qui ont malheureusement été les plus durement frappées par les attaques d’insectes, les fortes chaleurs et les déficits hydriques.
Leurs trésoreries étant sinistrées, il n’est pas sûr qu’elles aient les moyens de s’engager massivement ces deux prochaines années, d’autant que ces pertes financières forestières sont à ce jour exclues de toute compensation par l’État, monsieur le ministre. Il ne faudrait pas que les forêts publiques, ainsi pénalisées, rencontrent des difficultés pour accéder à ce fonds.
Ma deuxième question porte sur la RE 2020, qui est stratégique et déterminante tant pour l’avenir de la filière que pour la lutte contre le changement climatique. Des critères incitatifs et ambitieux sont nécessaires. Un seuil de 450 kilos de CO2 par mètre carré exigible dès 2021 paraît réaliste, surtout s’il est complété par un second indicateur de stockage de carbone, qui serait un véritable label biosourcé, à la fois pour les bâtiments neufs et la rénovation.
Quelle est votre position sur ces sujets déterminants, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, je vous remercie pour les propos que vous avez tenus sur le plan de relance. Cela faisait en effet bien longtemps que l’on attendait des financements massifs pour reboiser nos forêts.
En réponse à votre première question, mon objectif est clair : je souhaite mettre en œuvre le plan de relance le plus rapidement possible. Cela suppose de faire au plus simple, ce qui n’est pas évident, car le diable se cache dans les détails. Sur les types d’essence, j’estime qu’il faut faire confiance à l’intelligence des forestiers.
Par ailleurs, comme vous l’avez dit, il existe de grandes différences entre les forêts communales, les forêts domaniales et les forêts privées. Or toutes doivent avoir accès au plan de relance. C’est pourquoi nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt afin de recueillir l’avis de toutes les filières sur le caractère fonctionnel et opérationnel du dispositif proposé et sur la possibilité de le mettre en œuvre rapidement. Nous recueillons actuellement leurs réponses en vue de lancer le plan dès le mois de décembre et de commencer les plantations en tout début d’année. Ce plan doit être simple et massif.
Sur la RE 2020, vous prêchez un convaincu. Lorsque j’étais ministre du logement, j’ai fait en sorte que 50 % des matériaux utilisés pour la construction des établissements publics administratifs (EPA) soient du bois ou des matériaux biosourcés, de même que pour celle des immeubles construits pour les JO 2024. J’ai par ailleurs œuvré au lancement d’un grand plan bois construction, auquel j’avais d’ailleurs commencé à travailler il y a longtemps avec certains acteurs de la filière.
La RE 2020 est un enjeu historique. La priorité est de réaliser l’analyse du cycle de vie du bois. Certains estiment encore que le béton est meilleur que le bois pour l’environnement. Je ne le pense pas. La RE 2020 doit le démontrer.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, votre engagement sur la RE 2020 sera déterminant. À cet égard, vous êtes notre avocat, nous le savons tous.
Permettez-moi d’aborder rapidement un autre sujet. Un véritable et grand débat sur l’ONF est aujourd’hui nécessaire. Les mesures prises rapidement dans la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui, finalement, instillent de la défiance, ne sauraient se substituer à un véritable projet d’avenir sur le partenariat public-privé ni à une véritable stratégie amont-aval, laquelle est absolument essentielle pour dessiner un avenir pour la filière et l’ensemble des acteurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, le plan de relance du Gouvernement prévoit d’adapter la forêt au changement climatique. L’enveloppe de 200 millions d’euros prévue permettra d’assurer la régénération de nos forêts, d’approvisionner les industries de la filière bois, et surtout d’accroître la capacité des forêts à capter du carbone, lesquelles contribueront ainsi au respect des engagements climatiques de la France.
Le Gouvernement a rappelé à juste titre que la filière bois permettait de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2 et qu’elle jouait ainsi un rôle majeur en matière d’atténuation du changement climatique. Pour autant, ce rôle repose sur la résilience des forêts, notamment sur leur capacité à s’adapter à ce changement.
Vous avez donc prévu un grand plan de reboisement allouant 150 millions d’euros à la plantation de 45 000 hectares de forêt afin d’augmenter les surfaces plantées, de régénérer les surfaces existantes et de reconstituer celles qui ont dépéri, notamment en raison des attaques de scolytes.
J’attire néanmoins votre attention sur le fait que l’attribution de ces crédits à la plantation ne semble à ce stade ni conditionnée à une certification de gestion durable ni même bonifiée dans ce cas. Or dans le contexte actuel, nous observons de fortes interrogations sociétales sur la gestion forestière. Il me semble particulièrement important de donner à nos concitoyens la certitude que l’État a tout mis en œuvre pour s’assurer que le propriétaire forestier qui bénéficiera de cette importante aide publique au reboisement l’utilisera en respectant des critères de durabilité inscrits dans la démarche de certification forestière.
Pour ce faire, le Gouvernement pourrait conditionner l’attribution des aides publiques à l’adhésion à une certification de gestion durable des forêts, comme le programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) dans lequel 70 000 propriétaires privés, détenteurs de plus de 5,5 millions d’hectares, sont déjà engagés.
Aussi, monsieur le ministre, envisagez-vous de faire de la certification de la gestion durable une écoconditionnalité, et si oui, sous quelle forme ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Nous avons ce débat chaque fois que nous discutons de la forêt, monsieur le sénateur.
Nous avons une petite divergence : je pense que les personnes qui exercent le beau métier de forestier placent par essence la durabilité au cœur même de leur approche. Si vous ne croyez pas à la force du temps long, si vous n’avez pas la foi de planter des arbres dont certains arriveront à maturité après votre mort, vous n’exercez pas ce métier. C’est par cette foi dans la durabilité que le métier de forestier acquiert ses lettres de noblesse. Si je crois tant à l’intelligence de celles et ceux qui gèrent les forêts, même si tout n’est évidemment pas parfait partout, c’est parce que je pense que la durabilité fait partie de leur ADN.
J’en viens à la question de la conditionnalité des aides. Pour que les aides soient les plus efficientes, il faut bien sûr que des objectifs soient fixés. Cela étant, lorsqu’une parcelle est scolytée, la question n’est pas de savoir si elle est gérée de manière durable. Ce qu’il faut, c’est éradiquer les scolytes et repeupler la parcelle.
Il faut donc trouver le juste milieu entre conditionnalités des aides et efficacité du plan de relance, afin de permettre un repeuplement dès à présent. Il faut veiller à ce que trop de conditionnalités ne tuent pas l’efficacité. C’est là parfois un mal français, pour vous dire le fond de ma pensée.
C’est pourquoi je suis plutôt favorable à une action rapide en faveur de cette filière, qui – je le répète – place la durabilité au cœur de son approche.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour la réplique.
M. Christian Redon-Sarrazy. Je ne peux me satisfaire de votre réponse, monsieur le ministre.
J’estime pour ma part que qui peut le plus peut le moins : si la durabilité est au cœur des préoccupations des propriétaires, on peut sans doute s’organiser pour qu’ils respectent un certain nombre de critères, sachant en outre que nos concitoyens sont aujourd’hui sensibles à cette cause.
De plus, un certain nombre de subventions sont attribuées, notamment aux collectivités, sur des critères de durabilité. Je doute que les élus comprennent qu’on leur impose de tels critères pour la construction, mais que tel ne soit pas le cas pour la filière bois en amont.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Malet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Viviane Malet. Monsieur le ministre, ce débat intervient à un moment particulier pour La Réunion, alors que, depuis environ dix jours, un incendie ravage un écosystème unique au cœur du parc national, plus de 175 hectares ayant été détruits. M. le ministre des outre-mer s’est rendu sur place, accompagné d’un renfort de sapeurs-pompiers hexagonaux.
Cette tragédie vient rappeler l’importance de la forêt pour cette île tropicale montagneuse de l’océan Indien. La Réunion est en effet l’un des trente-cinq hotspots de biodiversité terrestre mondiale. Sa richesse patrimoniale et ses taux d’endémisme records sont reconnus à l’échelon planétaire. Depuis 2010, l’inscription des pitons, cirques et remparts au patrimoine mondial de l’Unesco est pour nous une fierté.
La préservation de cette distinction ne pourra se faire sans le concours de l’Office national des forêts, qui gère plus de 90 % du domaine forestier de l’île.
Monsieur le ministre, l’action de l’ONF sur notre territoire est reconnue de tous, notamment en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, de prévention des risques naturels, mais aussi d’entretien des 850 kilomètres de sentiers, des 365 aires d’accueil du public en forêt, des 609 kilomètres de routes et de pistes forestières, des 276 kilomètres de pistes de VTT et des 158 kilomètres de pistes équestres, qui sont dégradés après chaque saison cyclonique et représentent des enjeux importants pour le tourisme.
Le faible niveau de production forestière à l’échelon local, le surcoût lié à l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco et les autres activités hors du régime forestier, qu’elles soient financées partiellement ou non financées, expliquent le déficit structurel de l’ONF de La Réunion.
Or la réduction des moyens humains et financiers de l’ONF sur l’île semble engagée. Le projet de contrat État-ONF pour la période 2021-2025 nous inquiète fortement, car il ne fait pas mention de La Réunion.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer en nous annonçant que les moyens alloués à l’ONF ne seront pas réduits à La Réunion, ou, mieux encore, que ses plafonds d’embauche et d’engagement budgétaire seront revus à la hausse ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, permettez-moi de m’associer à l’hommage que vous avez rendu aux forces publiques, notamment aux pompiers qui ont lutté contre ces incendies, et d’assurer de mon soutien les femmes et les hommes de cette belle île, qui ont été extrêmement meurtris par ces incendies.
Je salue également la politique de gestion des risques menée par l’ONF. Comme vous l’avez souligné, l’ONF ne se borne pas à gérer ou à cultiver de l’espace. Il mène aussi des actions très ciblées, notamment en termes de gestion des risques, ces actions ayant permis de réelles évolutions dans les territoires.
La Réunion a connu des incendies au début des années 2010. Une période d’accalmie s’en est suivie, en partie grâce aux actions en matière de gestion du risque de l’ONF.
Pour répondre à votre question, nous allons finaliser avec l’ONF le contrat d’objectifs et de performance. Je vous confirme que La Réunion sera bien incluse dans ce document, et je prends bonne note de votre demande. Madame la sénatrice, soyez assurée que nous sommes conscients que nos territoires ultramarins doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.
M. Serge Mérillou. Monsieur le ministre, permettez-moi, pour illustrer l’importance de la forêt en France, de citer quelques chiffres relatifs à la Nouvelle-Aquitaine : la forêt occupe 3 millions d’hectares, soit plus de 30 % de l’espace aquitain. En Dordogne, elle s’étend sur plus de 400 000 hectares, ce qui représente plus de 40 % de la surface du département.
La forêt est certes un poids lourd économique, mais c’est un colosse aux pieds d’argile parce que c’est une activité de temps long alors que l’économie et la finance sont à l’immédiateté, mais aussi parce que de grands domaines forestiers côtoient une multitude de petits propriétaires.
La forêt est en souffrance, du fait notamment des évolutions climatiques, de la sécheresse, des grandes tempêtes comme la tempête Klaus, mais aussi de son morcellement extrême au gré des successions.
Elle est pourtant un gisement de matières premières quasi inépuisable, mais parfois inadaptée au marché. Elle a une fonction économique irremplaçable, mais aussi une fonction environnementale pour le maintien de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique – elle est un formidable piège à carbone. Enfin, elle a une fonction de protection contre les risques naturels, notamment l’érosion.
Mes questions sont les suivantes, monsieur le ministre : comment les petits propriétaires forestiers pourront-ils accéder de façon simple aux aides prévues dans le plan de relance ? Par ailleurs, dans notre région, les études prospectives sur l’évolution de la forêt au cours des cinquante prochaines années prédisent une trajectoire de forêt méditerranéenne. Quelles conclusions convient-il d’en tirer en matière de peuplement et de développement des défenses des forêts contre les incendies, les DFCI, notamment dans les secteurs où forêt et habitat sont étroitement imbriqués ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je ne reviens pas sur le constat que vous avez fait, que je partage en tout point, monsieur le sénateur. Les forêts d’Aquitaine ont des spécificités, qui font toute leur beauté. Certaines sont très anciennes, d’autres un peu moins, et comprennent des essences très différentes. Elles ont contribué à l’aménagement du territoire aquitain et participent de son identité.
Comment faire en sorte que le plan de relance profite à tous ? Premièrement, de manière très pratique, en l’ouvrant à tous – c’est chose faite –, deuxièmement, en travaillant avec les représentants de la filière. J’ai par exemple réuni les représentants de Fransylva au Centre national de la propriété forestière (CNPF) en fin de semaine dernière pour leur présenter les critères du plan de relance et m’assurer de leur caractère opérationnel afin que l’ensemble de leurs membres puissent y accéder.
Je m’efforce d’avancer de manière très pragmatique, avec beaucoup de bon sens. Je n’invente pas un dispositif dans mon bureau avant de l’imposer aux autres. Nous travaillons ensemble, et nous testons les dispositifs avec les personnes concernées afin d’être sûrs qu’ils fonctionnent avant de lancer les appels à manifestation d’intérêt. Si nous constations qu’un dispositif n’est pas suffisamment agile, je n’hésiterais pas à en modifier les critères d’accès.
Vous m’avez également interrogé sur l’aménagement du territoire forestier à long terme. Sur ce sujet également, il faut adopter une approche très complète.
Aujourd’hui, nous devons par exemple relever le défi de la diversification des essences au sein de certains massifs forestiers – cette belle question se pose notamment dans la région Nouvelle-Aquitaine. Seul le travail avec la filière nous permettra de prendre un certain nombre de décisions qui ne sont pas évidentes et d’avancer tous ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Je vous remercie d’abord de ces réponses, monsieur le ministre.
Permettez-moi ensuite d’attirer votre attention sur un autre problème : le morcellement. Alors que nos forêts privées sont très morcelées, il faut favoriser la restructuration parcellaire, car la forêt n’est transmissible que si elle est regroupée. Le volet du plan de relance relatif à la forêt permettra-t-il d’aider à une telle restructuration ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bacci.
M. Jean Bacci. Monsieur le ministre, la forêt méditerranéenne s’étend sur tout le sud de la France, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’Occitanie, de la Drôme à la Corse. Elle représente un tiers de la forêt française.
Longtemps prisé par les constructeurs, le pin d’Alep a été abandonné au XXe siècle au profit d’alliages de nouveaux métaux, et toute l’économie sylvicole l’entourant a pratiquement disparu.
L’industrie revenant vers des matériaux naturels, ce résineux résistant présente de nouveaux atouts. Pourtant, sa production est considérablement freinée, d’une part parce que sa normalisation comme bois d’œuvre n’est intervenue que très récemment, d’autre part parce que la relance d’une économie dédiée requiert des investissements importants sur le moyen terme.
Les acteurs publics locaux sont prêts à investir pour soutenir des partenaires publics et privés, mais la limite européenne des 40 % d’aides publiques à l’investissement bloque les projets de relance, car la forêt méditerranéenne est peu productive comparée à d’autres forêts nationales.
L’actuelle renégociation de la politique agricole commune (PAC) est le moment opportun pour défendre la spécificité de cette forêt et le bien-fondé d’une action publique soutenue.
Dans le Sud, 35 % des émissions de carbone émises dans le territoire sont stockées par la forêt, et nous travaillons à augmenter ce taux, notamment par la plantation d’un million d’arbres. C’est un engagement environnemental fort pour les générations futures.
La production de bois d’œuvre est la seule solution pour capter du carbone de façon permanente. Se contenter de couper la forêt pour produire de la biomasse ne ferait que décaler le relâchement des émissions de CO2 d’un demi-siècle.
Indépendamment de l’argument écologique, l’investissement dans la forêt méditerranéenne est une stratégie ambitieuse pour développer l’économie locale, créer des emplois et des richesses dans des territoires ruraux.
Avec la crise du scolyte, l’État semble enfin avoir pris la mesure de la nécessité de faire évoluer l’encadrement des aides publiques à l’investissement en forêt. C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de ne pas oublier la forêt méditerranéenne et de lui permettre de bénéficier d’une hausse des taux d’aide publique à l’investissement forestier.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Non, monsieur le sénateur, je n’oublierai pas la forêt méditerranéenne ! Celle-ci est très importante à plusieurs titres – nous en revenons à la multifonctionnalité de la forêt –, notamment parce que sa gestion et son usage supposent que soient pris en compte des risques auxquels d’autres régions sont moins confrontées – je pense évidemment aux risques d’incendie.
Le pin d’Alep illustre bien le défi auquel nous sommes confrontés. L’usage que l’on a pu en faire ne répond plus aux besoins d’aujourd’hui. Les usages définis à un moment donné peuvent évoluer. L’amont peut ensuite considérer que l’aval doit s’adapter à la forêt, quand l’aval, lui, estime qu’il doit s’adapter à la demande du consommateur et aux besoins du moment. C’est pourquoi il est nécessaire de réconcilier l’amont et l’aval, même si c’est difficile, car l’échelle de temps est très longue.
Cela étant, nous avons de plus en plus de certitudes. Nous savons ainsi qu’il nous faudra demain du bois résilient face aux changements climatiques et utilisable pour la construction. Je pense qu’on ne se trompe pas en anticipant de tels besoins d’ici à quarante à cinquante ans. Si nous ne le faisions pas, nous raterions une marche, à la fois sociétale et environnementale, ce dont nous serions responsables.
Telle est ma vision, et sans doute peut-elle être critiquée, mais sans vision nous ne pourrons pas avancer. C’est ainsi que nous pourrons adapter nos politiques, notamment de repeuplement, en fonction des territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Monsieur le ministre, notre collègue députée du Nord Anne-Laure Cattelot a remis en juillet dernier un excellent rapport sur la forêt et la filière bois, dont je vous invite à vous inspirer. Elle y préconise notamment la création d’un fonds pour permettre les reboisements.
Au cours de la dernière décennie, les forestiers ont repéré divers signes avant-coureurs du réchauffement climatique. Depuis 2018, ils ne repèrent plus seulement des signes, ils constatent des faits : succession d’étés caniculaires, nette augmentation du bois dépérissant, engorgement du marché du bois et chute des prix. Nos repères s’écroulent, et tous les indices confirment qu’un scénario de crise se met inexorablement en place.
L’heure est venue de réinventer la forêt, de donner l’envie, mais aussi les moyens aux propriétaires forestiers de reboiser leurs forêts sinistrées. Aujourd’hui, l’intérêt financier d’un boisement est difficile à démontrer. Or il est indispensable de maintenir notre patrimoine forestier.
Parmi les pistes proposées dans le rapport Cattelot figurent la plantation d’essences nouvelles susceptibles de supporter le réchauffement climatique et la création d’un fonds pour l’avenir des forêts doté annuellement de 200 à 300 millions d’euros.
Actuellement, l’attribution des aides forestière nécessite de constituer des dossiers complexes. Si cette procédure est bien adaptée aux boisements importants, elle ne l’est pas pour les petites plantations.
Dans le contexte du réchauffement climatique, il est intéressant de constituer des îlots d’avenir et des enrichissements de régénération naturelle.
Jadis, dans le cadre du Fonds forestier national, il était possible d’obtenir des bons de subvention pour de petits reboisements. Par le biais d’un formulaire simple, le propriétaire adressait sa demande à l’administration, et il pouvait retirer ses plans gratuitement auprès d’une pépinière agréée. Le département du Haut-Rhin subventionne d’ailleurs sur ce modèle la fourniture d’arbres fruitiers…
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Sabine Drexler. … pour reconstituer ses vergers.
Mme la présidente. J’insiste !
Mme Sabine Drexler. Dans le cadre du fonds pour l’avenir des forêts, ne pourrait-on pas mettre en place un tel système ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous en appelez à un système à la fois simple et inclusif, y compris pour les petites parcelles.
Je ne reviens pas sur les efforts déployés pour concevoir un système simple, notamment le travail avec la filière. Mais élaborer un tel plan de repeuplement est une nouveauté, et on apprend aussi en marchant : peut-être nous faudra-t-il ajuster les critères au fur et à mesure. Je suis d’ailleurs convaincu que si le système dont nous sommes convenus était trop complexe, vos critiques constructives et celles de vos collègues ne se feraient pas attendre.
Pour vous donner un exemple, nous financerons le plan de relance sur la base de forfaits. Lorsqu’un arbre est protégé des cervidés par un grillage, il est évident qu’il a été planté. Il ne paraît pas nécessaire, dans ce cas, de produire quantité de factures pour le prouver !
De manière générale, j’estime que nous pouvons recourir davantage à la forfaitisation, ce système simplifiant grandement les démarches, notamment pour les plus petites structures. J’ai demandé à mes équipes d’en tenir compte dans le cadre du plan de relance forestier.
Par ailleurs, des mesures fiscales existent déjà. Le fameux dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement, ou DEFI, permet de favoriser le repeuplement, en particulier de petites parcelles. J’ai souhaité prolonger ce dispositif pour deux années supplémentaires afin de donner de la visibilité aux acteurs. Nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le ministre, sénateur du Doubs, je représente un département où la forêt revêt une place très importante puisqu’elle recouvre 43 % de son territoire. Plus de la moitié de ces surfaces forestières appartiennent aux communes.
Monsieur le ministre, à la fin de ce débat, je souhaite vous redire combien les maires sont inquiets devant l’état catastrophique de leurs forêts. Depuis deux ans, deux phénomènes se conjuguent : la sécheresse et l’attaque des scolytes.
Nos forêts sont singulièrement concernées par cette invasion qui fait des ravages. Or il n’existe pas de remède contre les scolytes. Les communes forestières vont donc être contraintes de revoir totalement le modèle de développement de leur forêt. Le réchauffement climatique entraîne une surpopulation de ces insectes, de plus en plus d’arbres résineux sont touchés.
Parallèlement, la sécheresse sévit dans les plantations de feuillus, provoquant leur dépérissement. Alors que la récolte annuelle moyenne en forêt publique dans le Doubs est de 600 000 mètres cubes, elle est évaluée en 2020 à 720 000 mètres cubes, dont 60 % de produits subis. Il en résulte un effondrement du cours du bois et un important manque à gagner pour les communes.
La vente de bois représentant une part importante de leurs recettes de fonctionnement – 20 % en moyenne, et jusqu’à 40 % pour certaines de ces communes – elles connaissent une crise durable.
En concertation avec l’ONF, les communes tentent de réguler le marché et demandent de diminuer le volume de bois vert en 2021 pour lutter contre cet effondrement des cours.
Les agents de l’ONF ayant établi pour 2021 un état d’assiette en diminution de 70 % pour les coupes de résineux et de 40 % pour les coupes de feuillus, il est difficile pour les communes de s’organiser.
Monsieur le ministre, il est urgent d’agir dans deux directions : premièrement, en augmentant la dotation de solidarité rurale pour les communes forestières afin de compenser le manque à gagner de ces trois années ; deuxièmement, en aidant de manière significative les communes à repeupler leurs forêts et à y réinvestir.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, nous allons confier à l’Inspection générale de l’alimentation (IGA) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) une mission – un véritable travail de dentelle – afin d’identifier les pertes.
Une dotation de compensation a été accordée aux collectivités dans le cadre du PLFR 3, pour prendre en compte leur situation financière dans la période de crise actuelle.
Par ailleurs, il est important de rappeler que l’épidémie de scolytes n’est pas une fatalité. Elle nécessite qu’on s’adapte à la situation et qu’on lutte contre sa propagation.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, en répondant notamment à M. Longuet, nous avons mis en place, il y a un an, un dispositif qui favorise le transport de bois afin de soutenir les marchés locaux et de rééquilibrer la situation entre les zones scolytées et les zones non scolytées. Nous le prolongerons aussi longtemps que cela sera nécessaire.
Quant à la lutte contre la propagation de l’épidémie, elle consiste à abattre les arbres dès que l’on constate qu’une parcelle est scolytée et à la repeupler aussitôt. C’est l’objectif du plan de relance. Le taux de subvention devrait être de 60 % pour une parcelle de repeuplement et de 80 % dès lors que le repeuplement est lié à un problème de scolytes.
Ces taux sont tout à fait significatifs de l’effort massif que nous voulons fournir, même s’il reste à les affiner et à vérifier leur compatibilité avec le dispositif européen. De telles aides sont nécessaires sur les territoires aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. La mission que vous envisagez de mettre en place est intéressante, tout comme le plan de relance. Cependant, le temps de la forêt n’est pas le temps du plan de relance, et c’est là toute la difficulté.
Je vous rappelle également que les recettes des communes forestières sont prises en compte dans le calcul de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques (CRFP), qui est imputée sur la dotation globale de fonctionnement (DGF). Alors que la CRFP est gelée depuis 2018, elle continue d’intégrer les recettes forestières après 2018, ce qui a un double effet négatif pour les communes.
Il est donc souhaitable d’envisager une aide à l’investissement sur une durée plus longue, portée à cinq ans, car les communes forestières sont au bord de l’asphyxie écologique, sociale, mais surtout économique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. La filière forêt-bois représente, en France, 60 milliards d’euros et 440 000 emplois. Par les fonctions qu’elle exerce, la forêt est au cœur des solutions pour atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément à l’engagement inscrit dans l’accord de Paris. Essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique, elle favorise la séquestration du carbone, la préservation de la qualité de l’eau, la fourniture d’énergie en substitution à des procédés plus intensifs, et la régulation des risques naturels.
Ces enjeux environnementaux représentent une opportunité dont il faut nous saisir.
La forêt française est privée à 74 %. Encourager fiscalement la gestion de la forêt privée aura un effet direct sur l’atteinte des objectifs environnementaux. Le coût d’un tel dispositif d’encouragement sera dérisoire par rapport aux bénéfices globaux en matière de changement climatique.
La loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 a créé le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt, le DEFI Forêt, qui arrivera à échéance au 31 décembre 2020. Ce dispositif, très simple, est également très opérationnel pour accompagner l’investissement forestier. Toutefois, son manque de lisibilité et ses modifications successives ont rendu son utilisation complexe.
Au regard des enjeux climatiques et économiques pour la forêt française, il est nécessaire que l’État favorise l’investissement et la gestion durable des forêts privées, non seulement en reconduisant la mesure, mais en l’améliorant fortement.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a accepté de prolonger de deux ans ce dispositif d’encouragement fiscal. Or, dans son rapport d’avril 2020, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux formule un certain nombre de propositions pour le rendre plus lisible et plus stable. L’enjeu est important, car les questions forestières ne peuvent se traiter que dans le temps long.
Monsieur le ministre, que proposez-vous pour améliorer la lisibilité et la stabilité du DEFI Forêt sur le long terme ? Que retiendrez-vous des recommandations qui figurent dans le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Comme je l’ai déjà dit, la politique forestière est un tout. Le programme 149 du budget de l’État, qui lui est consacré et dont nous aurons l’occasion de parler prochainement, est en augmentation cette année. Elle dépend également du plan de relance et de la politique européenne. Avant-hier encore, la question de la stratégie forestière européenne était à l’ordre du jour de la réunion des ministres européens de l’agriculture au cours de laquelle je suis intervenu.
Enfin, il existe aussi des dispositifs fiscaux comme le DEFI Forêt, qui est un crédit d’impôt. En la matière, des améliorations restent possibles, et j’en suis parfaitement conscient. Dans son rapport d’avril 2020, le CGAAER propose des pistes en ce sens. Cependant, pour le dire clairement, l’enjeu n’est pas tant de modifier le dispositif que de le positionner dans la durée. En effet, ce serait un euphémisme de dire que les crédits d’impôt n’ont pas le vent en poupe dans le débat budgétaire.
Je suis donc très satisfait d’avoir pu obtenir la prolongation du DEFI Forêt pour deux ans. Cela donnera plus de visibilité à l’ensemble des acteurs. Certes, le dispositif pourrait être aménagé, conformément aux recommandations du CGAAER. Cependant, la priorité reste de l’inscrire dans la durée, ce que nous faisons.
Enfin, madame la présidente, je tiens à remercier M. Menonville d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce sujet passionnant pour gens passionnés. La forêt est l’un des plus grands actifs de la Nation. Que la forêt avance, que le bois cesse de reculer, et que la forêt et le bois avancent en même temps et plus rapidement : tel est le vœu que je forme en conclusion de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe auteur de la demande.
M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. La qualité des échanges que nous venons d’avoir démontre non seulement l’intérêt que chacun d’entre nous porte à la forêt, mais aussi l’importance d’organiser une politique forestière cohérente et sur le long terme. Nous partageons tous le constat que l’inaction serait dévastatrice pour notre environnement, notre économie et notre société.
Un tiers de notre territoire métropolitain est occupé par la forêt. Outre-mer, celle-ci peut s’étendre sur plus de 95 % du territoire, comme en Guyane. Depuis 1945, la superficie forestière a progressé d’environ 40 %.
La forêt française est un trésor de diversité d’essences. Elle permet la sauvegarde de notre biodiversité et de nos ressources naturelles. Nous devons la protéger, l’aider à s’adapter et à se régénérer pour faire face aux défis auxquels elle est confrontée.
Pour atteindre nos objectifs, l’effort doit porter sur la gestion forestière. Il faut inciter les gens à modifier leurs comportements et mettre en œuvre une gestion plus durable.
En effet, les trois quarts de la forêt sont détenus par 3,5 millions de propriétaires privés, dont une grande majorité possède des domaines de moins de 3 hectares. Confier la gestion de ces espaces forestiers à des professionnels contribuerait à mutualiser les efforts, et cette meilleure organisation résoudrait une partie des problèmes de la forêt française.
Les efforts doivent aussi porter sur la filière bois. Le débat a permis de rappeler les difficultés économiques auxquelles elle est confrontée. Je m’attarderai sur le secteur du bâtiment.
En effet, le bois a des qualités et une performance thermique dont nous aurions tort de nous passer. Il peut être utilisé dans la rénovation, mais aussi dans le neuf. La construction d’une maison en bois réduit de 55 % les émissions de CO2, ce qui est un atout dans un secteur qui représente 40 % des émissions mondiales.
Revaloriser le bois passe aussi par le développement de l’économie circulaire, qu’il s’agisse du recyclage ou de la valorisation énergétique. La filière dégage des millions de tonnes de déchets, ce qui offre un débouché complémentaire pour une meilleure valorisation de l’exploitation forestière : il serait dommage de gaspiller des déchets aussi précieux.
Quant à la filière bois-énergie, elle représente environ 40 000 emplois directs et indirects.
De manière plus générale, l’ensemble de la filière forêt-bois crée beaucoup d’emplois dans tous les territoires, y compris dans les départements ruraux. Nous devons la soutenir et lui permettre de s’adapter.
La compétitivité de notre filière bois est essentielle. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à la limitation des coupes rases. J’entends les arguments, légitimes, de ceux qui la défendent, que leurs raisons soient d’ordre visuel, ou qu’elles concernent l’érosion en montagne. Cependant, il faut aussi tenir compte de la compétition entre les pays et du respect de la maturité des arbres. Il faut enfin rendre les replantations obligatoires.
En matière de commercialisation du bois, la compétition économique peut s’exercer depuis l’étape du reboisement jusqu’à celle de la transformation. Si nous n’investissons pas suffisamment dans la filière bois, d’autres pays où l’exploitation est plus efficace viendront s’imposer sur notre propre marché.
Rien n’empêche pour autant de développer la forêt comme lieu de loisir, comme le suggère Pierre-Jean Verzelen. Tous les acteurs doivent être associés à la réflexion sur ce sujet.
Quand il s’agit de construire une stratégie équilibrée, le dialogue entre les acteurs et l’instauration d’un climat de confiance sont la clé de la réussite. Nous devons être capables d’expliquer à nos concitoyens les contraintes liées à l’exploitation de la forêt, ou bien les ravages causés par les attaques de nuisibles ; nous devons aussi pouvoir leur démontrer les bénéfices de la filière pour l’emploi et le climat.
L’écologie et l’économie sont les deux faces d’une même stratégie, celle de la préservation de notre forêt. L’État tient une place centrale dans sa mise en œuvre, mais les territoires ont aussi un rôle à jouer. À cet égard, je soutiens l’intervention de mon collègue Franck Menonville, en particulier lorsqu’il identifie la région comme l’échelon le plus pertinent pour agir. J’ajouterai celui du département, parce que les régions sont grandes et parce qu’il est nécessaire d’adapter la stratégie aux besoins locaux.
Pour conclure, je remercie M. le ministre, ainsi que tous les sénateurs qui ont participé à ce débat et qui ont présenté des propositions constructives.
Trois points majeurs se dégagent à l’issue de nos discussions.
Le premier concerne l’ONF, dont la réforme nécessite des moyens renforcés. L’Office est indispensable pour faire le lien avec les territoires. C’est un acteur parfait d’activation et d’animation d’une stratégie forestière efficace. Il a aussi pour rôle d’instruire les dossiers qui permettront aux communes forestières sinistrées de bénéficier d’aides financières, comme l’a rappelé M. Grosperrin.
Le deuxième point concerne le plan de relance, qui va dans le bon sens, à la fois en ce qui concerne le Fonds forêt, le soutien de Bpifrance aux entreprises, et le développement d’une couverture par télédétection. Ce plan doit marquer le début d’une politique plus ambitieuse pour la forêt.
Le troisième point porte sur la nécessité d’une réflexion sur la défiscalisation des travaux en forêt. Une telle mesure aurait des conséquences positives sur la création d’emplois et la valorisation de la filière. Cependant, il faut surtout inciter les propriétaires à se restructurer, comme l’ont suggéré plusieurs de mes collègues.
Monsieur le ministre, un travail important reste à mener pour répondre aux besoins de la forêt. Vous le savez, nous souhaitons la réussite d’une politique cohérente et de long terme. Il y va de l’avenir du pays, de l’emploi, de la société et des générations futures. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Contenu haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même.
Débat organisé à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, sur le thème : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)
M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y avait autrefois dans les villages celui qu’on appelait l’idiot du village.
Aujourd’hui, les idiots du village global sont sur internet. Ils croient que la terre est plate ou que la lune est habitée parce qu’il y a de la lumière la nuit. Ils sont complotistes, harceleurs, racistes, haineux, radicalisés ou délirants.
Cela n’aurait pas beaucoup d’importance si les réseaux sociaux ne leur permettaient de se reconnaître, de se rassembler et de se réunir. On s’aperçoit alors qu’ils sont bien plus nombreux qu’on ne le croyait. Staline demandait : « Le pape, combien de divisions » ? L’armée des idiots du village en a beaucoup.
Pourquoi s’en préoccuper ? Après tout, peut-être vaut-il mieux laisser délirer entre eux ceux qui croient que Bill Gates veut tuer 15 % de l’humanité avec un vaccin contre la covid…
Mais les choses ont changé depuis que Facebook, au lendemain de l’élection américaine de 2016, a modifié ses algorithmes qui avaient permis aux fake news de peser sur le résultat du vote. Dégrader la promotion des pages au profit des groupes partait d’une idée intéressante, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions : une grande partie du contenu des fils d’actualité proviennent aujourd’hui des groupes et de leurs centaines de liens, de vidéos et de commentaires indignés.
Les plateformes sont désormais remplies de bataillons soudés à l’intérieur par leurs certitudes et leurs indignations, et à l’extérieur par le combat contre ceux qui ne pensent pas comme eux. Qu’il s’agisse des groupes sur Facebook, des combattants sur Twitter, le tout exacerbé par YouTube, une bonne partie de l’écosystème des réseaux dits « sociaux » ressemble chaque jour un peu plus à des gangs rivaux s’agressant dans des quartiers mal famés.
« Nul ne ment autant qu’un homme indigné », écrivait Nietzsche. Et le mensonge est devenu généralisé, favorisé par l’anonymat et la certitude de l’impunité. Le mensonge, mais aussi l’injure, la haine, le sexisme, le racisme, l’homophobie, les menaces, la violence, la propagande terroriste : tout un pan de l’internet est devenu un dépotoir.
Ce qui est grave, ce sont les conséquences, celles qui s’exercent sur la vie des victimes du harcèlement, du revenge porn, des dénonciations, des menaces de mort.
Beaucoup ne s’en aperçoivent pas parce qu’ils n’ont pas été victimes personnellement des tombereaux de boue déversés quotidiennement. Ils n’ont pas été forcés de fermer leurs comptes en ligne, de changer d’école ou de ville, leur réputation n’a pas été détruite. Ils ne sont pas obligés de vivre chaque jour sous protection policière, comme Sonia Mabrouk, comme Zineb El Rhazoui et tant d’autres, victimes de fatwas sur internet.
Mais le phénomène a pris tant d’ampleur que personne ne peut plus fermer les yeux. L’affaire Mila, médiatisée dans tous ses détails et dans toute son horreur, a permis à la France entière de prendre la mesure du fléau et de comprendre l’urgence de l’endiguer. Et chacun sait désormais que les torrents d’injures des fanatiques sur les réseaux ont préparé l’assassinat de Samuel Paty.
Il est urgent de se donner des lois enfin efficaces contre la haine en ligne. Ce ne sera pas facile en raison de l’obstruction des plateformes, qui luttent pied à pied contre les régulations, parce que c’est leur business model même qui est en cause.
Voici ce que l’ancien ingénieur de Google Tristan Harris, auditionné par la commission d’enquête du Sénat américain, dit de Twitter : « Pour chaque mot d’indignation ajouté à un tweet, le taux de retweet augmente en moyenne de 17 %. En d’autres termes, la polarisation de notre société fait partie du modèle commercial des réseaux sociaux. »
Bien sûr, les plateformes ne peuvent pas avouer la raison de leur passivité : le pognon ! Alors, leurs milliers d’avocats et de lobbyistes partent à l’assaut des gouvernements, des parlements et des opinions publiques avec un argument massue : la liberté d’expression.
Et malheureusement, cela marche souvent, comme on l’a vu lors du débat sur la loi Avia. Celle-ci ne prévoyait pas une privatisation de la censure, elle ne visait pas à confier aux plateformes ce qui relève du juge. C’est aujourd’hui que la censure existe, et elle est toute-puissante. La censure, ce sont les milliers d’internautes qui n’osent plus s’exprimer sur les réseaux sociaux, qui ont résilié leur abonnement pour ne plus s’exposer aux attaques racistes, antisémites, homophobes et sexistes, menées sous forme de raids en bandes organisées, ou de « fermes de trolls » submergeant les pages individuelles. C’est là qu’est le scandale, c’est là qu’est la censure !
Comment peut-on soutenir que le retrait des contenus haineux porte atteinte à la liberté d’expression ? La liberté d’expression, ce n’est pas la diffusion de la haine, de la violence, des appels au meurtre ou au viol ; ce n’est pas non plus empêcher les autres de s’exprimer par des attaques massives ou des menaces.
En confondant ces délits avec la liberté d’expression, ce ne sont pas les victimes que l’on défend, ce sont les agresseurs. Comment comprendre que l’on n’impose pas aux plateformes ce que l’on impose à la presse depuis 1881 : l’interdiction de livrer des contenus haineux, diffamatoires ou injurieux ? La presse s’y conforme évidemment, et personne n’a jamais dit qu’on lui confiait le rôle de juge.
Et bien sûr que plateformes et presse ont les mêmes responsabilités. Excusez-moi si mon raisonnement peut paraître un peu simpliste aux éminents juristes opposés à la loi Avia, mais le voici : il n’y a aucune raison que l’on puisse lire sur la toile ce qui est interdit dans un journal.
C’est dire à quel point j’ai été heureux de découvrir la récente interview dans Le Monde de Thierry Breton, commissaire européen au numérique, qui prépare le Digital Services Act de l’Union européenne. Il y déclare : « Ce qui est illégal offline doit être illégal online. » Pourquoi cette évidence est-elle si difficile à faire comprendre ?
Le projet de loi annoncé hier par le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux est bienvenu, mais, d’une part, il ne traite qu’un aspect du problème et, d’autre part, il n’est que français, alors que la seule réponse efficace est européenne, comme le règlement général sur la protection des données (RGPD) l’a démontré. Nous avons désormais un commissaire européen et une présidente de la Commission qui veulent agir et frapper fort. Ne manquons pas cette occasion et soutenons-les.
Le Digital Services Act doit marcher sur deux jambes. Il doit imposer une obligation de moyens et une obligation de résultats.
L’obligation de moyens consiste, pour les plateformes, à faire en sorte que leurs algorithmes ne favorisent plus, mais au contraire empêchent, la viralité des propos indignés, colériques, haineux ou injurieux. Ces algorithmes doivent être transparents pour les régulateurs, et non dissimulés au nom de prétendus secrets de fabrication.
L’obligation de résultats consiste, pour les plateformes, à mettre enfin en place les moyens suffisants en personnel et en technologie pour une modération effective, réelle et efficace. « C’est très cher », nous disent-elles en gémissant. De tels propos sont indécents de la part des sociétés les plus riches du monde.
Le combat sera difficile puisqu’il s’agit d’une collision frontale avec le business model actuel des réseaux, mais il y va de la lutte contre les incendiaires du web, de la sécurité des victimes et, in fine, de la stabilité de nos démocraties.
Pour ceux qui penseraient que j’exagère, je citerai Barack Obama, qui a déclaré lors d’un entretien donné il y a quelques jours à The Atlantic : « L’internet et les réseaux sociaux sont devenus une des principales menaces contre la démocratie. »
C’est pourquoi nous comptons beaucoup sur le gouvernement français pour convaincre l’Europe de ne pas se satisfaire de demi-mesures. Jean Castex nous l’a promis ici même il y a quelques jours, et vous l’avez dit sur votre blog, monsieur le secrétaire d’État. Le but de ce débat est de contribuer à ce que cette promesse soit tenue. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques . Monsieur le président Malhuret, je commencerai, en m’écartant du discours que j’avais préparé, par partager quelques réflexions sur un sujet qui nous a déjà beaucoup occupés lors de l’examen de la proposition de loi Avia, tant il est absolument essentiel – je suis complètement d’accord avec vous sur ce point.
Ce qui est en jeu à travers la régulation d’internet, c’est ni plus ni moins la pertinence de l’action publique et la persistance de la foi de nos concitoyens en la réalité et en l’efficacité de l’action de l’État s’agissant de l’une de ses missions principales, la protection des individus.
Aujourd’hui, en théorie, ce qui est interdit hors ligne est interdit en ligne, mais, dans les faits, compte tenu des spécificités techniques du fonctionnement et de la régulation d’internet, ce n’est pas le cas.
Avant d’évoquer la régulation des grandes plateformes, enjeu absolument central dans ce débat, je voudrais que l’on n’oublie pas le plus important : aucune démocratie n’est capable aujourd’hui de contrôler et de réguler efficacement ce qui se passe sur internet, et ce en raison de trois facteurs inhérents à ses contenus : la viralité, la massification et la persistance.
Imaginons que les plateformes soient capables de réguler efficacement les contenus problématiques ou haineux. Ce serait bienvenu, mais combien d’infractions en ligne sont-elles commises chaque jour en France aujourd’hui ? Leur nombre est difficile à estimer, mais disons qu’on peut l’évaluer à plusieurs milliers, voire à plusieurs dizaines de milliers. Voilà ce qui se passe aujourd’hui en ligne en France.
L’ensemble de ces infractions sont commises quasiment en toute impunité. Tout le monde s’accorde sur ce point aujourd’hui : si vous insultez quelqu’un, si vous le menacez de mort, vous ne risquez quasiment rien, même si certaines situations peuvent permettre l’identification et l’appréhension des coupables.
Imaginons, disais-je, que nous soyons capables de réguler efficacement les contenus problématiques et haineux : comment faire ensuite pour juger rapidement et sanctionner efficacement plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers de personnes par jour ?
Cette question continuera de se poser : demain, même si l’on parvient à réguler efficacement la haine en ligne, même si les plateformes suppriment réellement toutes les injures et les menaces de mort, cela signifiera simplement que l’on aura mis la poussière sous le tapis. On aura supprimé les contenus haineux et les menaces de mort sans pour autant avoir réglé le problème principal, c’est-à-dire l’impunité des contrevenants.
Le problème fondamental que nos démocraties doivent régler, pour que les Chinois et un certain nombre de régimes ayant un rapport un peu différent à la liberté, ne soient pas les seuls capables de réguler les contenus en ligne, c’est l’efficacité de la chaîne police – justice – sanctions.
Hélas, nous risquons de rester durablement confrontés à ce problème. On risque en effet de progresser en ce qui concerne le retrait des contenus problématiques – je reviendrai tout à l’heure sur les textes européens –, mais on aboutira à un paradoxe extrêmement intéressant d’un point de vue ontologique : les contenus les plus faciles à retirer sont les contenus terroristes – une vidéo de décapitation est en effet très bien détectée par les algorithmes –, alors que les contenus gris, c’est-à-dire les insultes et les menaces de mort, proférées avec une faute d’orthographe afin de les rendre indétectables de façon automatique, ou en tout cas plus difficilement détectables, resteront en ligne et feront l’objet d’une plainte.
On aboutira donc à une aberration : les personnes présentées devant un juge seront celles qui auront proféré des menaces de mort, tandis que les individus qui auront publié des photos de décapitation – et donc fait bien pire – y échapperont parce qu’il est beaucoup plus facile de détecter ce type de contenus.
Nous sommes donc au cœur du texte auquel travaillent actuellement Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti : comment faire pour que la sanction ait valeur d’exemple et pour qu’elle soit réellement appliquée ? Lorsqu’un individu contrevient en ligne à la loi, comment faire pour qu’il soit véritablement sanctionné ? C’est pour répondre à ces questions que nous proposons la spécialisation du parquet et que nous améliorons les procédures permettant de porter plainte en ligne. Il existe donc un certain nombre de sujets techniques sur lesquels nous devons avancer.
Je le disais, internet se caractérise par sa massification et sa viralité. Les plateformes ont une responsabilité en ce qu’elles accélèrent la diffusion des contenus et créent des effets de silo : ainsi, plus vous êtes complotiste, plus vous regardez des vidéos complotistes, plus vous aimez tel ou tel contenu, plus on vous propose des vidéos ayant un rapport avec ce contenu. C’est pourquoi on doit imposer aux plateformes un certain nombre d’obligations relatives à la viralité et à l’« éditorialisation » – je suis prudent en employant ce terme – des sujets.
Il n’empêche, nous continuerons de nous heurter à certaines difficultés : ainsi, les boucles WhatsApp relèvent de la correspondance privée parce qu’on n’y trouve aucun contenu éditorialisé. Pour faire un parallèle avec une autre époque, c’est comme si vous envoyiez des milliers de courriers à des personnes que vous connaissez, ou que vous ne connaissez pas d’ailleurs, tout en bénéficiant du secret de la correspondance privée. Personne n’a jamais demandé à La Poste d’ouvrir l’ensemble des courriers pour vérifier qu’ils ne posaient aucun problème. Voilà un autre sujet sur lequel il nous faudra nous pencher, car il soulève beaucoup d’interrogations.
En attendant et en tout état de cause, on doit imposer aux grandes plateformes des obligations de moyens. Il faut les obliger à respecter un niveau minimum de modération, évalué en fonction du nombre de modérateurs et de la transparence de la modération, et à améliorer leurs règles en la matière, sous la supervision de la puissance publique. Enfin, nous devons comprendre leur manière de fonctionner.
Cette question doit d’abord être réglée à l’échelon européen, parce qu’il s’agit du bon niveau de régulation : c’est du reste l’objet du prochain texte qui sera présenté par les commissaires européens Thierry Breton et Margrethe Vestager au début du mois de décembre.
La France et l’Allemagne ont été extrêmement actives sur ce dossier. Je pense que l’une des principales difficultés à surmonter tient aux différences de conception entre les États européens sur la question des contenus illégaux : une partie des pays nordiques et des pays de l’Est ont en effet une vision différente de la nôtre et de celle des pays méditerranéens sur l’endroit où placer le curseur entre liberté d’expression et protection des concitoyens.
Cela étant, je pense qu’un accord est possible si l’on parvient à un compromis européen sur l’obligation de moyens, tout en laissant la définition des contenus licites ou illicites à l’appréciation de chaque État, à l’échelon national. Cet équilibre permettrait de tenir compte de la différence de perception et de culture de chaque pays sur le sujet.
Je ne serai pas beaucoup plus long. Ce débat est extrêmement intéressant, et je viens de partager avec vous un certain nombre d’idées fortes ou, en tout cas, d’interrogations que la puissance publique se pose elle-même. Cela ne l’empêche pas d’avancer, en se tenant parfois sur une ligne de crête afin d’éviter la censure du juge constitutionnel, comme vous l’avez constaté dernièrement.
Quoi qu’il en soit, je crois profondément qu’il faut considérer que ces questions sont très principielles si l’on veut que les démocraties libérales et les pays qui ont une conception un peu différente du contrôle ne soient pas les seuls capables de réguler efficacement internet.
Il ne faut pas se tromper, si l’on n’est pas capable de réguler efficacement internet et de protéger nos concitoyens, ces derniers finiront par opter pour des solutions plus radicales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. La loi doit-elle être la même en ligne et hors ligne ? La réponse est : oui !
Monsieur le secrétaire d’État, le temps presse. Aujourd’hui, les chasses en meute, que le président Malhuret et vous-même avez décrites, perturbent et poussent certains à commettre des actes d’une violence inouïe – on l’a encore vu récemment.
Réguler, c’est bien ; interdire ou supprimer des contenus, c’est bien aussi. Mais il existe aujourd’hui des entités identifiées comme propageant la haine. Je pense aux associations ou aux mouvements comme les Frères musulmans, qui multiplient les applications. Ceux-là, on les connaît, et ils sont faciles à identifier.
Ne pourrait-on pas déjà surveiller ab initio ces personnes parfaitement identifiées, qui portent des discours véritablement antisémites, et tenter de faire interdire les applications qui diffusent des discours de haine, monsieur le secrétaire d’État ? J’ai saisi le Gouvernement de ce sujet à propos de l’application Euro Fatwa, que l’on n’a pourtant absolument pas tenté de réguler ni même d’interdire.
Alors, je sais bien qu’interdire internet, c’est comme arrêter le vent : c’est extrêmement compliqué. Mais il faut agir contre ce type d’organisations, comme Islamic Relief Worldwide ou tous les satellites des Frères musulmans qui, je le répète, chassent en meute et propagent des discours antisémites aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous abordez deux sujets un peu différents.
D’une part, vous évoquez la violence grand public et une certaine dérive de notre société, laquelle se caractérise par davantage de violence. C’est l’exemple du quidam, du citoyen lambda qui, parce qu’il est sur internet et qu’il agit en partie anonymement, insulte son voisin. On sait à peu près gérer cette problématique, du moins, on espère que l’on saura la gérer grâce à l’amélioration incrémentale des régulations.
En revanche, ce que la démocratie a du mal à gérer, pas parce que c’est internet, mais parce que cela touche au problème plus profond de la liberté d’expression, ou plus exactement de l’équilibre entre régulation et liberté d’expression, ce sont les « professionnels de la haine », comme je les appelle.
Vous venez d’en citer quelques-uns, issus d’une tendance bien particulière, mais si l’on prend les déclarations d’Alain Soral ou celles qu’on lit sur le site « Démocratie participative », on constate que tous ces individus sont des spécialistes de ce qui peut être diffusé légalement et de ce qui ne peut pas l’être.
Ce n’est pas sans lien avec la problématique de la désinformation et des fausses informations. Si l’on prend à la lettre nombre de ces déclarations, en faisant abstraction de l’imaginaire et des contiguïtés qu’elles permettent d’établir, on s’aperçoit qu’elles sont parfaitement légales.
Il faudra parvenir à gérer ces spécialistes de la haine, car, on le voit bien malheureusement, même la multiplication des condamnations ne les empêche pas de nuire.
Cela étant, un certain nombre de décisions ont tout de même été prises dernièrement par le ministre de l’intérieur à l’égard d’un certain radicalisme ou extrémisme musulman. On verra d’ailleurs jusqu’où celles-ci iront en termes de légalité.
En réalité, le défi posé par les professionnels de la haine dépasse largement internet et n’est pas propre au numérique : il fait écho à la capacité de nos démocraties à trouver le bon équilibre entre la liberté d’expression et l’interdiction d’un certain nombre de pratiques et de déclarations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté, qu’il s’agisse d’extrémistes de droite ou de gauche, de suprémacistes blancs ou d’islamistes radicaux.
Je sais bien que le Gouvernement prépare un texte sur les séparatismes – je ne sais pas exactement quel sera son intitulé final –, monsieur le secrétaire d’État, mais il faut agir dès à présent contre les collectes de fonds en ligne permettant de financer des actions dont on sait qu’elles seront violentes ou antisémites, qu’elles provoqueront encore plus de haine. Islamic Relief Worldwide, par exemple, ce sont 60 millions de livres sterling collectées !
On dispose de moyens, alors traquons les collectes en ligne et la haine en ligne. Et il faut les traquer ab initio, car une fois que les messages ont été envoyés, c’est trop tard – vous le savez très bien. Aujourd’hui, nous jouons au football en suivant les règles du basket. Selon moi, il faut faire plus et faire mieux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le secrétaire d’État, vous me permettrez de vous interroger sur ce qui s’apparente, selon moi, à un angle mort de nos discussions à propos de la haine en ligne. Ce que j’évoque est sans doute un peu à côté du sujet, mais on parle beaucoup des réseaux sociaux comme lieux de diffusion de cette haine. Quand j’entends nos collègues parler des réseaux sociaux, je crois comprendre qu’il s’agit de Twitter, Facebook, éventuellement de Snapchat et de TikTok.
Pour ma part, je trouve que nous devrions regarder de façon plus attentive d’autres lieux où se diffuse la haine en ligne. Je pense, par exemple, aux plateformes de diffusion de vidéos, comme YouTube ou Twitch, notamment parce qu’elles diffusent des contenus en direct.
On voit de tout sur Twitch, le meilleur, comme ces streamers qui se mobilisent pour recueillir des dons en faveur d’œuvres caritatives, et le pire, comme les campagnes de harcèlement pour lesquelles je ne ferai pas de publicité. En réalité, ces plateformes ont leurs propres standards de modération, comme Twitter et Facebook : stricts sur certains points, moins sur d’autres, suivant en cela les standards culturels américains.
Quelle est la politique du Gouvernement concernant ces médias spécifiques ? Quelle est l’ambition du Gouvernement les concertant ?
Il existe en effet plusieurs possibilités.
Certains éditeurs japonais, comme Nintendo, ont empêché toute communication libre entre joueurs. Cela peut paraître dommage, car nombreux sont les joueurs – on l’a vu pendant le confinement – qui viennent chercher le contact et le réconfort lors de parties de jeux vidéo en ligne.
Au contraire, faut-il être permissif, comme les éditeurs qui laissent tout passer et prospérer des pseudonymes nazis et des insultes raciales ? Évidemment non !
Ces questions me semblent appeler une réaction du Gouvernement, car l’enjeu, c’est la jeunesse et le rapport qu’entretient cette population particulière avec la haine en ligne.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je tiens d’abord à vous rassurer sur un point : le Digital Services Act, qui doit être présenté par la Commission début décembre et qui s’inscrit dans la lignée de la deuxième partie de la loi Avia – celle-ci n’a pas été censurée sur le fond, mais par voie de conséquence, compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées avec l’article 1er, lequel a d’ailleurs fait l’objet d’un débat ici même –, n’est pas limité aux réseaux sociaux.
Le Digital Services Act cible tous les sites : réseaux sociaux, plateformes de vidéos en ligne diffusant ou accélérant la diffusion de contenus. La seule limite concerne les empreintes : on veut se concentrer sur les très grosses plateformes sur lesquelles il y a beaucoup de monde parce que c’est là que le danger est le plus grand, qu’il y a le plus de viralité et qu’il convient d’intervenir.
On verra la version finale de ce texte européen, mais il est censé, en tout cas au vu des premières présentations qui en ont été faites, être complètement transversal. Il n’y aura pas d’angle mort.
Ensuite, ma conviction profonde est que la solution au problème, c’est la peur du gendarme, pardonnez-moi de le dire ainsi. Il faut certes supprimer les contenus haineux, et c’est urgent, mais la réalité, c’est que ce qui retient les gens d’en insulter d’autres ou de leur taper dessus dans la rue, c’est de savoir que, s’ils exagèrent, ils finiront au commissariat. Si, pour une partie d’entre eux, ils ne fraudent pas dans le métro, c’est parce qu’ils ont peur de se faire attraper par les contrôleurs.
Aujourd’hui, cette peur n’existe pas sur internet : vous savez que vous n’avez quasiment aucun risque de vous faire attraper. On en revient à la première partie de mon intervention, c’est-à-dire la réponse à la question sur laquelle on devra travailler, sachant que les solutions ne sont pas simples à trouver : comment faire pour que les gens aient un peu peur non pas de voir leur contenu supprimé – ils savent que rien ne peut leur arriver –, mais du gendarme, de la police et de la justice ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.
M. Jérôme Durain. Monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous s’agissant de la peur du gendarme.
Je ne blâme pas les contenus diffusés sur Twitch en tant que tels. L’outil n’est pas en cause. Ayant moi-même participé hier à une émission diffusée sur cette plateforme, je peux témoigner que tout s’y passe très bien et que les contenus y sont bien régulés. Il reste que, au-delà des rapports qu’entretient la jeunesse avec ces plateformes de jeux vidéo, se pose la question de l’éducation, de l’acculturation et des codes.
On voit que nos référentiels institutionnels ont du mal à passer le cap de ces plateformes et que l’on ne parle pas la même langue. L’éducation de la jeunesse, les pratiques, les régulations, la dimension pédagogique sont importantes : il faut certes le gendarme, mais il faut aussi l’instituteur, l’enseignant et le philosophe. (M. le secrétaire d’État marque son approbation.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le secrétaire d’État, oui, il faut lutter contre la haine sur internet, de la même manière qu’on lutte contre la haine dans l’espace public physique. C’est d’ailleurs ce que nous avons tenté de faire dans la proposition de loi Avia, dont nous avons eu l’occasion de débattre avec vous, monsieur le secrétaire d’État, et dont j’étais le rapporteur ici au Sénat.
Cependant, et vous en conviendrez, je l’espère, ce n’est pas tant aux plateformes qu’il faut s’en prendre qu’aux auteurs de propos haineux, à ceux qui sont à la source des discours de haine.
Or, un an après l’examen de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, les moyens ne sont à l’évidence pas là. Comment comprendre, monsieur le secrétaire d’État, qu’aujourd’hui encore, seul un nombre extrêmement réduit de services d’enquête et de poursuite, tous situés à Paris, soient effectivement en mesure de lutter contre la haine en ligne ? Comment comprendre que la plateforme Pharos – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, dont l’actualité la plus tragique nous a rappelé l’existence, soit à ce point sous-dotée ?
Si nous peinons à lutter contre les contenus à caractère terroriste, comment imaginer pouvoir lutter efficacement contre les contenus antisémites et homophobes ? Nous avions fait un certain nombre de propositions constructives, au premier rang desquelles une meilleure régulation des plateformes par l’instauration d’obligations de moyens, sous la supervision d’un régulateur.
Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel a eu raison de la loi de Mme Avia.
Au-delà de l’incrimination pénale qui est annoncée, monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous proposer dans le futur projet de loi de lutte contre le séparatisme pour renforcer la lutte contre la haine en ligne ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, nous débattons en effet d’un sujet sur lequel nous avons eu l’occasion de travailler, vous et moi, pendant de longues heures.
D’abord, je rappelle que c’est justement cette obligation de moyens, sur laquelle – je crois – nous étions d’accord, qui a été censurée par le Conseil constitutionnel, non au fond, mais par voie de conséquence. C’est cette question qui au cœur des discussions européennes dans le cadre du futur Digital Services Act.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement, la volonté du Gouvernement est de pouvoir, probablement dans le cadre du prochain projet de loi visant à lutter contre le séparatisme, traduire un peu par anticipation le champ de la régulation qui figurera dans la proposition européenne, compte tenu de l’urgence qu’il y a à agir et à définir cette obligation de moyens. Je me montre prudent sur le sujet, car je ne sais pas exactement à quoi aboutira cette régulation européenne du numérique, mais je ne doute pas que nous aurons de nouveaux débats à ce sujet.
Concernant les moyens mis sur la table pour la justice, on ne peut pas dire que rien n’a changé.
Je rappelle que la plateforme Pharos ou qu’une meilleure régulation d’internet n’aurait malheureusement pas pu empêcher le crime de Conflans-Sainte-Honorine : en effet, tout ce qu’a fait le père de la jeune fille qui s’estimait offensée est légal. On peut lui reprocher ses actes sur un plan moral, mais le fait est qu’il n’a rien fait d’illégal. De plus, compte tenu de la chronologie, le crime aurait tout de même eu lieu. (M. David Assouline proteste.) En revanche, le déferlement de haine qui a suivi le crime aurait pu être signalé grâce à Pharos.
Le Gouvernement agit. Tout d’abord, nous augmentons les moyens dédiés à Pharos ; ensuite, Éric Dupond-Moretti a prévu d’engager une spécialisation du parquet parce qu’on a besoin de magistrats spécialistes du sujet ; enfin, un nouvel outil de recueil des plaintes en ligne doit, sauf erreur de ma part, entrer en service l’année prochaine : un tel instrument est absolument indispensable…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour la réplique.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le secrétaire d’État, je comprends bien votre réponse, mais je pense que les deux choses doivent aller de pair.
On doit certes renforcer les moyens de Pharos, surtout en province, car on ne peut pas avoir uniquement un service centralisé à Paris. Il faut augmenter les moyens de la gendarmerie dans les territoires, partout en France.
Mais la réponse ne peut pas non plus être uniquement pénale : il faut aussi responsabiliser les plateformes et renforcer le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour qu’il ait les moyens de vérifier que la réglementation est appliquée et que la régulation est effective.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le secrétaire d’État, comme il y a un bon usage du monde, il doit y avoir un bon usage de la liberté d’expression en démocratie, tant celle-ci nous est précieuse et tant nous y sommes attachés.
Cette liberté, cependant, ne doit pas être absolue, et les abus doivent être sanctionnés. On a parlé de responsabilisation des plateformes, du rôle de l’État, mais peut-être convient-il de responsabiliser en premier lieu les usagers ? Si les réseaux sociaux sont des espaces propices à l’exercice de la liberté d’expression, ils ne sont heureusement pas les seuls.
Ces plateformes sont, je le rappelle, des espaces régis par des acteurs privés qui ont, comme le disait le président Malhuret, des business models, qui font des usagers leurs produits et qui ont leur propre vision de la liberté d’expression. Je vous rappelle que celle-ci n’est pas nécessairement la même que celle de la loi, comme l’a illustré la publication du tableau L’Origine du monde, qui a été censurée par Facebook, puritanisme américain oblige.
D’autres contenus, comme les menaces ou les injures, vont, eux, au-delà des limites fixées. Ils ne sont pourtant pas censurés efficacement. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que ces abus doivent être punis, quel que soit le moyen par lequel ils ont été commis.
À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, ne serait-il pas judicieux, à titre préventif et à des fins d’autorégulation, de ne permettre aux usagers d’accéder aux réseaux qu’une fois leur identité enregistrée, d’une part, et d’ajouter aux sanctions déjà prévues par la loi des interdictions temporaires d’accéder à ces réseaux, d’autre part ?
Un tel système existe bien pour les hooligans et les supporters interdits de stade, ainsi que pour les personnes « addicts » aux jeux dans les casinos et pour les casinos en ligne. On comprend donc mal pourquoi on ne pourrait pas transposer ce système à ce qui nous préoccupe aujourd’hui.
Sans empêcher le pseudonymat, une telle levée de l’anonymat, couplée à ce type de sanctions, pourrait avoir selon nous un fort pouvoir pédagogique : elle permettrait de responsabiliser les individus, qui ne doivent plus impunément se comporter comme des chauffards sur ces autoroutes de l’information.
Pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la mise en place d’un tel dispositif d’obligations et de sanctions s’appliquant aux infractions commises sur les réseaux sociaux soit possible et pertinente ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Je n’aurai pas assez de deux minutes pour répondre à toutes ces questions…
J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de me prononcer contre la fin du pseudonymat et l’obligation d’identification sur internet, et ce pour différentes raisons.
Premièrement, je ne suis pas enthousiaste à l’idée qu’il faille donner sa véritable identité aux réseaux sociaux. On ne peut pas, d’un côté, évoquer des problèmes de respect de la vie privée et, de l’autre, obliger les internautes à donner leur véritable identité, ainsi qu’un certain nombre d’informations personnelles – et c’est bien ce dont on parle in fine.
Deuxièmement, au-delà de la question du caractère désirable d’un tel dispositif d’identification et de ses effets de bord, il me semble illusoire de penser que le Conseil constitutionnel ou la Cour de justice de l’Union européenne nous laisseraient un jour imposer une telle obligation. Nous pouvons en débattre durant des heures, nous ne ferions que démontrer notre incapacité législative à mettre en place un tel système.
Troisièmement, un tel dispositif est techniquement infaisable. Il me faudrait deux secondes pour me localiser en Allemagne – je pourrais vous montrer comme le faire sur mon téléphone, madame la sénatrice Paoli-Gagin –, puis vous insulter ou vous injurier sur Facebook sans avoir besoin de m’identifier, ce pays n’ayant pas instauré d’obligation à cet égard. Donc, même sur un plan technique, un tel dispositif ne fonctionne pas.
En résumé, je ne vois pas en quoi ce système pourrait être désirable. Il ne fonctionne ni techniquement ni juridiquement.
Au fond, aujourd’hui, 99 % des personnes qui commettent des infractions sur internet ne sont pas anonymes : elles utilisent un pseudonyme et on sait les retrouver. Le problème – je reviens à un point que j’ai déjà évoqué –, c’est que nous sommes dans l’incapacité de gérer la massification et la viralité.
La question est donc bien de faire en sorte que nous sachions retrouver et sanctionner toute personne contrevenant à la loi, où qu’elle soit, éventuellement en lui appliquant des peines comme celles que vous avez évoquées – sur le fond, je ne vois pas beaucoup de raison d’y être opposé, même si ce débat mériterait probablement qu’on lui consacre plus que quelques minutes.
Au-delà de l’identification, il s’agit d’être efficace dans la chaîne police-justice.
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Ce débat sur les propos haineux est d’une importance capitale dans les temps que nous vivons. La nouvelle campagne de harcèlement que la jeune Mila a récemment vécue doit nous conduire à nous interroger sur notre capacité à juguler ces vagues massives de haine qui s’expriment en ligne, avec un sentiment d’impunité insupportable.
Comment est-on passé de l’internet émancipateur des origines à ces réseaux d’oppression organisée et au harcèlement de masse ?
On doit s’interroger sur les mécanismes principalement économiques qui ont conduit au succès des discours haineux sur certaines plateformes. On doit se demander à qui profite la haine. Si l’on s’affranchit de ce regard économique, on ne parviendra pas à apporter de réponse judiciaire adaptée et, cela a été dit, on ne fera qu’écoper la mer à la petite cuillère.
Si la loi doit être la même pour sanctionner l’expression des propos haineux en ligne ou hors ligne, on doit nécessairement s’interroger sur la massification de ce type de propos sur les grandes plateformes commerciales et sur la réponse judiciaire qu’il convient d’y apporter, tant leur nombre est démultiplié.
Aujourd’hui, les grandes plateformes, qui disposent d’une masse croissante d’utilisateurs et d’utilisatrices, se livrent à une compétition économique autour de la captation de notre attention. Pour cela, elles emploient chacune des mécaniques commerciales qui privilégient la diffusion des publications suscitant le plus d’engagement et enferment les utilisateurs dans des réseaux de plus en plus polarisés. Les propagateurs de haine l’ont bien compris et s’appuient sur ces mécaniques pour diffuser leurs messages.
Face à ces plateformes, qui comptent des milliards d’utilisateurs et dont les modèles économiques valorisent les discours choquants, l’enjeu pour nos sociétés de liberté est d’être capables à la fois de réguler fortement ces mécaniques économiques favorisant les campagnes haineuses et de nous donner les moyens de briser le sentiment d’impunité.
L’accélération des phénomènes de viralité, encouragés par les algorithmes des grandes plateformes, provoque des drames. Envisagez-vous d’exiger de la transparence sur ces algorithmes, afin de réguler ces modèles économiques toxiques ? Quelle est la contribution de la France aux discussions européennes sur le sujet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. La contribution de la France a été absolument essentielle, que ce soit sur la partie relative au contenu ou sur la partie relative à la concurrence, qui sera présentée au début du mois de décembre.
Moi-même, l’ensemble du gouvernement français, mais aussi de l’administration française – des groupes de travail inter-administrations ont été organisés – avons travaillé étroitement avec nos partenaires de l’Union européenne, notamment les Pays-Bas sur la concurrence ou l’Allemagne sur les contenus. Et nous avons vraiment fait partie de ceux qui ont poussé à la régulation des contenus et des grandes plateformes. Nous verrons quel en sera le résultat, mais nous avons été extrêmement actifs.
Parmi les sujets que nous poussons en vue de l’établissement du Digital Services Act, il y a bien sûr les obligations de moyens concernant la modération, mais aussi, et c’est d’après moi l’élément premier, la transparence.
À l’heure actuelle, en tant que secrétaire d’État au numérique, je ne sais pas combien Twitter compte de modérateurs en langue française, ou encore comment ses algorithmes mettent en avant un certain nombre de contenus ou pas. Certaines plateformes, comme Facebook, sont plus transparentes, mais je ne suis pas en mesure de vérifier la réalité de leurs dires. Cela pose un réel problème démocratique. La question de la transparence m’apparaît donc comme un préalable à celle de la régulation.
Je veux par ailleurs revenir sur un sujet qu’a évoqué le sénateur Jérôme Durain, car je ne l’ai pas fait moi-même alors qu’il est absolument essentiel : il s’agit de l’éducation et de la formation.
J’en profite pour rappeler l’annonce que j’ai faite, voilà deux jours, du déploiement de 4 000 conseillers numériques sur tout le territoire, pour donner plus d’autonomie aux Français dans leur utilisation des outils numériques.
En effet, tous ces problèmes trouvent leur origine dans le fait que les gens ne comprennent pas bien ce qui se passe sur internet, ne serait-ce que parce qu’un Français sur six n’utilise jamais un ordinateur et qu’un sur trois manque de compétences de base.
Certes, il faut apprendre aux gens à déclarer leurs impôts en ligne, à garder le contact avec leurs proches sur un réseau social, à rédiger un curriculum vitae. Mais très vite derrière, en matière de médiation numérique, on en arrive aux questions des données, des fausses informations, de la haine en ligne ou encore de la parentalité à l’heure des écrans.
Jérôme Durain a donc eu parfaitement raison de le souligner : l’éducation et la formation à la grammaire du numérique sont des sujets importants.
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour la réplique.
M. Thomas Dossus. Il est un peu étrange, monsieur le secrétaire d’État, de vous entendre dire que vous ignorez tout des algorithmes utilisés par les grandes plateformes ou que vous n’y avez pas accès. Si vous voulez une régulation, vous ne pourrez pas vous dispenser d’exiger l’ouverture de ces boîtes noires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. David Assouline applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Indépendants – République et Territoires d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux, notamment son président, Claude Malhuret, qui est engagé depuis longtemps dans la lutte contre la haine en ligne.
L’intitulé de ce débat est révélateur à lui seul de la complexité du sujet.
Nous nous accorderons tous sur l’idée que notre pacte social ne peut souffrir d’atteintes sur internet, lesquelles seraient tolérées au motif qu’elles sont virtuelles. Les conditions dans lesquelles vit aujourd’hui l’adolescente Mila, que nous devons tous entourer de notre protection, montrent bien, si cela était encore nécessaire, que la menace n’est pas seulement en puissance, pour reprendre le sens étymologique du mot « virtuel ». Les conséquences de la haine en ligne sur les vies de nos concitoyens sont concrètes et souvent destructrices.
Partant de ce constat nécessaire, la tâche n’est pas aisée, justement parce qu’internet a ses mécanismes propres, qui ne sont pas réductibles aux échanges hors ligne et qui sont assortis de régimes juridiques complexes. Je pense notamment à la dichotomie, qui pose parfois question, entre éditeurs de contenus et hébergeurs, ces derniers répondant d’une responsabilité allégée.
Ainsi l’enjeu est non pas tant d’appliquer les mêmes lois en ligne et hors ligne que de bien adapter notre législation à l’espace numérique, afin d’y garantir le respect de nos droits et la même protection pour tous les citoyens.
À cet égard, la Commission européenne doit présenter d’ici à la fin de l’année son Digital Services Act afin, notamment, de renforcer la régulation des plateformes. La nécessité d’instaurer un axe de lutte contre les contenus haineux a d’ailleurs été rappelée par la France et l’Autriche dans une déclaration commune.
Plusieurs pistes ont pu être utilement évoquées sur le sujet au cours des dernières semaines. Je pense au renforcement de la diligence et des obligations de moyens des plateformes, ou encore à la transparence sur la modération des contenus, s’agissant plus particulièrement des algorithmes utilisés parfois par les opérateurs. Vous venez d’ailleurs d’évoquer cette transparence, monsieur le secrétaire d’État. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Pouvez-vous également nous dire quelles solutions doivent être privilégiées pour renforcer la régulation des grandes plateformes, sans leur abandonner les modalités de protection de notre bien le plus précieux, à savoir le lien social ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Pour vous expliquer ce que nous cherchons à faire, mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai un parallèle avec le secteur bancaire.
Aujourd’hui, si vous effectuez un virement frauduleux depuis votre compte en banque à une personne physique ou à une entreprise, votre banque ne peut pas en être tenue pour responsable. En revanche, il est de sa responsabilité de se doter en interne de moyens efficaces de détecter ce type de virements et de les signaler aux autorités pour lutter contre les phénomènes de corruption. Si la banque n’est pas efficace, le régulateur tape extrêmement fort.
Considérons à cet égard le travail de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, ou des équipes de contrôle interne. La première, je le dis de mémoire, doit compter entre 800 et 1 000 agents. Quant au contrôle interne d’une banque, il fait intervenir plusieurs milliers de salariés. Sur la place de Paris, ce sont donc plusieurs dizaines de milliers de personnes qui participent à ce contrôle interne. Je précise que l’ACPR a pour rôle de contrôler non pas les virements individuels, mais le contrôle interne. Si la banque ne joue pas le jeu, elle risque une sanction très importante, le montant des amendes pouvant atteindre plusieurs milliards.
C’est exactement cette logique que nous voulons appliquer aux réseaux sociaux.
Nous voulons comprendre combien de personnes assurent le contrôle, selon quels mécanismes, comment la partie algorithmique fonctionne, en parfaite transparence vis-à-vis du régulateur. S’il est avéré – souvent, d’ailleurs, dans le cadre d’un débat contradictoire devant la justice – que tel réseau ne remplit pas correctement ses obligations, en tout cas pas à la hauteur de ce qu’il représente en termes d’enjeux pour la démocratie et la société française ou européenne, il faut pouvoir lui appliquer des sanctions extrêmement fortes.
Cette logique existe dans d’autres secteurs, comme celui des télécommunications. C’est celle que nous voulons mettre en œuvre, car, à mes yeux, c’est la seule manière de poser une limite par le biais d’un dispositif pleinement opérationnel.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. L’élection américaine est une illustration des profondes fractures que connaissent les démocraties, fractures permettant au populisme de prospérer : rôle croissant des réseaux sociaux et multiplication des fake news, affaiblissement du lien collectif au profit d’une forme d’individualisme, voire de communautarisme. Ces défis concernent également l’Europe, qui subit, elle aussi, une perte collective de repères et de confiance, sapant les fondements démocratiques.
En France, la même démagogie, le même complotisme et le même cynisme se répandent. Les réseaux sociaux en sont un formidable vecteur, avec leur lot toujours plus important de menaces et d’intimidations, lancées derrière un écran, sous couvert d’anonymat et avec un fort sentiment d’impunité.
C’est ainsi que l’on retrouve jetés en pâture tous les amalgames possibles, sans le moindre discernement et le moindre contrôle. Les petits paysans sont comparés à des assassins qui empoisonnent, les migrants à des terroristes, et toutes les règles élémentaires sont systématiquement remises en cause.
Le projet de loi confortant les principes républicains, présenté cette semaine, contient certaines dispositions relatives à la haine en ligne permettant d’élargir le champ d’action de la justice.
Mais aucune loi n’empêchera jamais ces discussions de comptoir sur internet, qui peuvent mener à la violence, sans le filtre de la conversation et du débat éclairé. Seule l’éducation en limitera les effets. C’est pourquoi l’investissement de l’État dans la lutte contre l’illectronisme pourrait être l’occasion de renforcer la sensibilisation des plus jeunes à ces sujets, conformément aux recommandations de la mission d’information créée, à la demande de mon groupe du RDSE, sur la lutte contre l’illectronisme.
Cela ne doit surtout pas nous faire oublier la responsabilité des réseaux sociaux et leur modération à géométrie très variable. Comment l’État peut-il agir pour que ces réseaux sociaux et les forums renforcent l’efficacité de leur modération ? Entend-il investir davantage dans l’intelligence artificielle pour une modération plus opérationnelle dans ce domaine, mais aussi pour repérer efficacement les auteurs de discours appelant une sanction ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Ayant eu l’occasion d’expliciter de quelle manière nous souhaitons aborder la régulation de la modération, peut-être puis-je profiter de votre question, monsieur le sénateur Gold, pour évoquer un autre sujet, qui est central pour moi : la compétence et la capacité de l’État.
Aujourd’hui, les développeurs et les spécialistes de l’intelligence artificielle des GAFA sont les meilleurs du monde et sont payés plusieurs millions d’euros par an. La compétence disponible au sein de l’État pour ouvrir ou contrôler les boîtes noires, bien qu’elle ne soit pas nulle et que nous la développions, est, elle, relativement limitée.
Par conséquent, se pose la question de la capacité de l’État à se doter de moyens, pas seulement législatifs, et à proposer des conditions attractives aux gens de même niveau que les spécialistes des GAFA afin d’être en mesure de les recruter. Sans cela, tout ce dont nous discuterons ou que nous voterons sera complètement vain.
Nous avons commencé à travailler sur ce sujet en créant le pôle d’expertise de la régulation numérique.
Cette structure rassemble des spécialistes du big data et de l’intelligence artificielle au sein de l’administration. Elle est à la disposition de toutes les autorités indépendantes et de toutes les entités administratives, car la compréhension des algorithmes est un problème que rencontrent toutes les administrations – que ce soit la Direction de la législation et de la codification, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou encore la Direction générale des entreprises. Ces compétences sont rares et chères.
À l’heure actuelle, le pôle compte une petite dizaine de personnes, mais il va monter en compétences. Notre idée consiste bien à en faire un pôle d’expertise, dans lequel les différentes institutions pourront venir piocher. Nous avons besoin de lois, mais aussi des capacités de les appliquer réellement, sur le terrain et en ligne.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, le rôle des modérateurs est surtout de mettre les horreurs sous le tapis, il n’est pas d’agir contre leurs auteurs. Certes, il faut faire de la formation, mais l’intelligence artificielle doit aussi permettre de repérer, à la source, les causes de départ de discours haineux, qui donneront lieu, ensuite, à tous les abus sanctionnables.
Enfin, je prends note avec enthousiasme de la création du pôle d’expertise.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.
M. Jérémy Bacchi. Le sordide assassinat de Samuel Paty, le mois dernier, a relancé le débat sur la régulation des contenus en ligne. Le Gouvernement travaillerait d’ailleurs sur un dispositif juridique de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux, à la suite de la censure de l’essentiel des dispositions de la loi Avia par le Conseil constitutionnel.
Nous considérons, pour notre part, que la loi ne peut pas être la même hors ligne et en ligne. Même si, de toute évidence, ses grands principes doivent partout prévaloir, elle doit être adaptée à ce support immatériel et protéiforme. En effet, internet, qui est aujourd’hui dominé par les grandes plateformes, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), dont le modèle repose sur l’économie de l’attention ou, plus communément, sur le « buzz », tend à valoriser la diffusion des contenus les plus clivants.
Aussi, nous considérons que l’interopérabilité donnerait aux victimes de contenus haineux la possibilité de se réfugier sur d’autres plateformes, ayant des politiques de modération différentes, tout en continuant à échanger avec les contacts qu’elles avaient noués jusqu’alors.
Bien sûr, internet n’est autre que la continuité du monde qui nous entoure. Les propos haineux ne naissent pas sur internet, mais les géants de la toile, par leur modèle économique, favorisent leur diffusion et leur viralité. Il est donc nécessaire de penser un autre modèle d’interaction pour s’extirper de ces plateformes toutes-puissantes.
C’est pourquoi, en décembre dernier, notre groupe proposait, dans un amendement à la proposition de loi Avia, d’obliger les opérateurs – et non de les encourager – à mettre en œuvre des standards techniques communs d’interopérabilité. Nous sommes convaincus que cela permettrait d’enrayer la diffusion de contenus haineux sur internet, ou tout au moins de les limiter fortement.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle est votre position sur ce sujet précis et que pensez-vous de cette proposition ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet, monsieur le sénateur Bacchi, notamment avec votre collègue Pierre Ouzoulias, et je veux, sans esprit polémique, préciser clairement notre position.
L’interopérabilité est une solution à la domination économique des plateformes. Elle fait partie des remèdes qui pourront être envisagés en cas de situation de monopole ou d’oligopole d’une plateforme. Dans un tel cas, celle-ci étant devenue une infrastructure essentielle, il faudra faire en sorte de réinsuffler de la compétition en desserrant son empreinte sur le secteur qu’elle domine.
Sur la question des contenus haineux, je ne suis pas d’accord, sur le principe, avec votre proposition.
Concrètement, vous envisagez, pour régler le problème, de dire à une personne ayant été insultée ou menacée de mort sur Facebook : « Attendez, on va mettre en place l’interopérabilité entre Facebook et un autre réseau social et vous pourrez quitter l’un pour aller sur l’autre. »
D’une part, si une personne entend en harceler une autre, elle pourra la suivre sur l’autre réseau social sans problème. On ne fera donc que déplacer le problème. D’autre part, c’est contestable sur le principe : la réponse à la haine en ligne ne peut être de permettre à la victime de quitter le réseau social.
Mettre en œuvre l’interopérabilité pour répondre aux problèmes que pose la haine en ligne, c’est dire à la victime qu’on ne sait pas régler son problème, qu’on ne peut pas s’en prendre à ceux qui l’offensent, mais qu’on va lui permettre d’aller sur un autre réseau. Ce ne peut pas être la réponse de l’État ; sinon, c’est la pertinence même de son action qui sera remise en question par nos concitoyens.
Je le dis sans aucun esprit polémique, vraiment, l’interopérabilité, dans ce cas, pose une difficulté de principe.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour la réplique.
M. Jérémy Bacchi. Peut-être me suis-je mal fait comprendre, auquel cas je m’en excuse.
Nous ne considérons pas l’interopérabilité comme l’unique moyen à mettre en œuvre, mais nous estimons qu’il faut permettre aux victimes de harcèlement, si elles le souhaitent, de changer de plateforme. Mais, évidemment, l’interopérabilité ne viendrait pas en substitution de tout l’arsenal à déployer pour limiter et condamner les harcèlements en ligne.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Oui, en ligne et hors ligne, la réponse doit être la même. Encore faut-il que la justice ait les moyens de lutter contre ce qui relève de la cybercriminalité. Aujourd’hui, elle ne dispose que de trois personnes pour cela. (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.)
Cela étant, force est de constater l’inefficacité des dispositions issues de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information ou encore de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, texte copieusement censuré par le Conseil constitutionnel. Je n’en suis pas étonnée, le Sénat avait indiqué à plusieurs reprises que les dispositions proposées, au mieux, faisaient le jeu des plateformes et, au pire, portaient atteinte à nos libertés fondamentales.
Au-delà du bon vouloir des plateformes, internet exige une véritable régulation et, donc, une réponse globale, structurelle et européenne. Le scandale Cambridge Analytica nous avait déjà avertis sur la perméabilité et la vulnérabilité des démocraties face aux Gafam.
La multiplication des appels à la haine et surtout leur viralité nous imposent d’ouvrir les yeux sur leurs conséquences dramatiques pour notre sécurité nationale : l’influence des algorithmes utilisés par YouTube ou Facebook sur la radicalisation en ligne n’est plus un secret, le modèle de l’économie de l’attention favorisant toujours plus les contenus violents, extrémistes et haineux.
Dans son ouvrage L’Âge du capitalisme de surveillance, l’universitaire américaine Shoshana Zuboff dénonce le détournement de nos données personnelles à des fins de manipulation des comportements et de radicalisation des opinions publiques.
Avec le Digital Services Act, la Commission européenne a enfin prévu la révision de la directive e-commerce, révision en passe d’aboutir, je l’espère, à de véritables statuts des plateformes, ainsi qu’à leur redevabilité, comme je le préconise depuis deux ans.
Monsieur le secrétaire d’État, aujourd’hui, face à ces sociétés oligopolistiques qui refusent de faire évoluer leur modèle contesté, que ferez-vous pour favoriser le développement d’acteurs européens, dont le modèle, lui, sera conforme à nos valeurs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Les travaux de Shoshana Zuboff, avec qui j’ai eu l’occasion de discuter plusieurs heures cet été, sont extrêmement intéressants. Ils ne portent pas directement le sujet de la haine en ligne ; ce sont des travaux de fond sur la puissance de certaines grandes plateformes sur internet, liée au phénomène de gratuité – auquel, en tant que consommateurs en tout cas, nous sommes assez « addicts », pour utiliser ce mot bien français –, et sur leurs modèles d’affaires reposant sur une publicité ciblée, grâce à la connaissance extrêmement fine de la personnalité de chacun.
Cette question est particulièrement complexe à résoudre sur un plan légal et ces pratiques difficiles à contrer. La preuve en est qu’aucune démocratie, qu’aucun pays européen n’a encore trouvé la parade. Au début du mois de décembre, l’Europe va proposer une régulation, dont j’espère qu’elle sera la plus innovante possible, pour desserrer l’empreinte oligopolistique de ces acteurs. Mais, compte tenu de sa complexité juridique et de son caractère essentiel, c’est un sujet dont nous allons discuter encore pendant longtemps.
Par ailleurs, madame la sénatrice Morin-Desailly, je vous rejoins sur la nécessité de faire émerger nos propres champions.
À cet égard, nos résultats sont parlants. D’ailleurs, si vous interrogez les patrons des start-up françaises pour savoir ce qu’ils pensent de l’action du Gouvernement – je vous invite évidemment à le faire en dehors de la présence du secrétaire d’État ! –, ils seront unanimes à saluer cette action ou, en tout cas, à considérer que les choses évoluent dans le bon sens. Ainsi, je le rappelle, les montants investis dans les start-up françaises ont doublé en deux ans et, pour la première fois de l’histoire, la France devrait se placer devant l’Allemagne cette année, au regard de la taille de son écosystème.
Si nous réalisons autant d’efforts en faveur des start-up, ce qui nous vaut quelques moqueries, c’est justement parce que nous voulons avoir nos propres géants du numérique, dont les valeurs seront, en effet, plus proches des nôtres.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous pose cette question, monsieur le secrétaire d’État, car j’ai été surprise de constater dans vos tweets ce que j’appellerai une « continuité de complaisance » un peu surprenante à l’égard des géants du numérique. C’est le cas quand vous dites faire confiance au PDG de Microsoft pour régler nos questions de souveraineté ou encore quand vous accusez les Français de fantasmer sur le pouvoir d’Amazon dans la crise sanitaire que nous traversons.
Je remarque tout de même, et j’aurais aimé vous entendre sur ce point, que les Américains parlent désormais de démanteler ces plateformes, tant leur pouvoir est contesté aujourd’hui. Thierry Breton a le courage de le faire aussi. Google a d’ailleurs été obligé de lui présenter des excuses pour avoir, dans un document interne, envisagé de l’attaquer afin de contrer la stratégie de la Commission européenne. Vous avouerez, monsieur le secrétaire d’État, que c’est assez troublant.
J’aurais donc aimé vous entendre sur ces questions, mais nous aurons l’occasion d’en reparler…
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez commencé par décrire l’énormité de ce qui est face à nous, concluant sur notre impuissance. Il y a tant de contenus haineux, de contenus qui contreviennent à la loi que la question est politique, avez-vous indiqué. Il s’agit de trouver un équilibre entre les sanctions possibles et la préservation de la liberté d’expression.
Justement, internet est un reflet et un accélérateur de la haine actuellement vendue dans la société. Ainsi l’on a pu voir l’audimat d’une chaîne de télévision devenue confidentielle – soit un secteur régulé par le CSA – remonter de manière très importante grâce à la présence de M. Éric Zemmour,…
M. François Bonhomme. Cela n’a rien à voir !
M. David Assouline. … qui propage la haine tous les soirs, et c’est vendeur. Dès lors, oui, il y a un problème !
Ce qu’il faudrait, c’est créer des consensus contre la haine et contre tous ceux qui en font commerce. Et pour créer des consensus, il faut arrêter d’utiliser la lutte contre la haine, contre le racisme, contre l’incitation à la violence ou au terrorisme – précisément ce qui pourrait faire consensus – pour proposer des solutions limitant nos libertés.
Qu’en pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Comme vous l’aurez constaté depuis le début de ce débat, et pour rebondir sur ce que vous venez de dire, monsieur le sénateur Assouline, j’essaie de répondre de la manière la plus claire, la plus honnête, la moins polémique, peut-être la moins politique possible aux différentes questions, tant il est difficile de trouver une ligne de crête sur un sujet tel que celui qui nous occupe.
Je voudrais juste corriger un point : je n’ai pas dit que nous ne pouvions pas lutter contre tous les contenus haineux ; j’ai dit que nous ne pouvions pas le faire tel que nous fonctionnons aujourd’hui. S’il faut traiter des milliers de contenus par jour, ce ne peut être dans la temporalité qui est la nôtre aujourd’hui et avec les équipes dont nous disposons.
Saura-t-on trouver des solutions, dont certaines, d’ailleurs, pourront être automatiques ou semi-automatiques ? Ce sont des questions que doivent se poser les justices des pays développés, et elles sont très sensibles en termes de préservation des droits. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, on n’y est pas.
Par ailleurs, les questions que vous évoquez relèvent plutôt du droit de la presse et de la loi de 1881 sur la liberté de la presse – je dois toujours veiller à être extrêmement précis et prudent sur ces sujets tant ils sont sensibles, particulièrement dans la période actuelle, marquée par des débats sur lesquels je ne reviendrai pas.
Je reconnais que le fait de traiter des cas de haine en ligne comme des cas de diffamation au sens de la loi de 1881 peut poser question. Comment fait-on pour distinguer clairement ce qui, de toute évidence, ne relève pas du journalisme de ce qui est de cet ordre ? Je n’ai pas la réponse à cette question complexe, qui dépasse néanmoins quelque peu le sujet des plateformes.
Ce sur quoi je peux vous rejoindre, monsieur le sénateur, c’est sur le fait qu’il très difficile de traiter tous ces sujets dans une atmosphère de tensions extrêmes, que celles-ci soient liées à des campagnes politiques ou qu’elles soient présentes dans la société. Mais il faut absolument essayer d’y arriver, faute de quoi je n’ai pas de doute sur la fin de l’histoire…
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. Il faut des moyens, monsieur le secrétaire d’État. Je ne pense pas non plus que l’on ne puisse rien faire. On ne peut pas tout régler, certes, mais on apprend en avançant. En revanche, ce n’est pas possible de continuer avec aussi peu de moyens pour Pharos ou pour la justice – Catherine Morin-Desailly l’a dit, il y a trois magistrats pour traiter toute la cybercriminalité, même pas uniquement la haine en ligne. Si les signalements à Pharos n’ont aucune suite judiciaire, cela ne peut pas fonctionner.
Il faut des moyens, monsieur le secrétaire d’État, et appliquer dans le monde numérique la loi qui existe dans le monde physique.
M. François Bonhomme. Pourquoi ne l’avez-vous donc pas fait ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, internet est un formidable vecteur de communication, mais le rôle des réseaux sociaux, en particulier, fait débat : on y côtoie le meilleur comme le pire.
Il faut se réjouir quand ils permettent de donner corps à des initiatives solidaires ; en revanche, il faut les dénoncer et agir lorsqu’ils sont utilisés pour dégrader l’image d’un élu, d’un journaliste ou bien d’une personnalité, ou encore pour véhiculer certaines idéologies ou les thèses les plus abjectes.
Il ne s’agit – hélas ! – que de la partie émergée de l’iceberg. Tous les jours, des utilisateurs sont victimes d’un harcèlement devenu ordinaire qui expose leur vie, leurs photos, leur identité, leur adresse ou leur profession à la connaissance de tous. L’ignominie du meurtre de Samuel Paty doit nous faire réfléchir sur les dérives inacceptables d’internet et sur la nécessité de le réguler.
Des solutions existent, mais une prise de conscience et une action collective à l’échelle européenne sont nécessaires, comme le souligne très justement mon ami Geoffroy Didier, député au Parlement européen.
Cela peut consister à imposer aux futurs utilisateurs des réseaux sociaux la présentation du scan d’une pièce d’identité lors de la création du compte. La fin de l’anonymat complet sur internet ne doit pas être un sujet tabou, et cela n’a rien à voir avec une quelconque remise en cause du droit à la vie privée.
Pourquoi ne pas contraindre également chaque réseau social à afficher sur sa page d’accueil un lien vers le site gouvernemental de pré-plainte en ligne, afin de permettre aux victimes de harcèlement, d’insultes ou de menaces d’exercer pleinement leurs droits ? Simplifions les démarches pour une efficacité accrue contre les violences illégitimes !
Enfin, il serait judicieux de faire évoluer la nature juridique des plateformes, qui ne doivent plus s’abriter derrière leur statut d’hébergeur pour s’exonérer de toute responsabilité lorsqu’elles assurent la diffusion de messages contraires aux valeurs et à la dignité humaine. Utilisons le levier du droit !
Ma question est la suivante, monsieur le secrétaire d’État : êtes-vous prêt à vous engager sur ces mesures de bon sens, qui ne restreignent pas la liberté d’expression, mais permettent d’en limiter les excès ? Êtes-vous prêt à mener ce combat avec nos partenaires européens ?
Notre réponse n’a que trop tardé ; il nous faut protéger les victimes et mettre un terme avec la plus grande énergie aux dérives d’internet.
Je remercie le président Malhuret d’avoir suscité ce débat.
M. Emmanuel Capus. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice Darcos, ayant eu l’occasion de répondre sur la question de l’anonymat, je propose de me livrer devant vous à une courte démonstration. (M. le secrétaire d’État se saisit de son téléphone portable en exposant à la vue de tous son écran.)
J’ouvre une certaine application – qui ne coûte rien – et choisis d’être localisé en Allemagne – peu importe le serveur. Voilà ! Cela m’a pris trois secondes ! Je veux vous montrer ainsi que jamais vous ne pourrez m’obliger à m’identifier parce que les Allemands ne demandent pas d’identification sur Facebook.
Cet outil s’appelle un VPN, et son utilisation requiert quelques secondes.
Mme Laure Darcos. C’est pourquoi il faut agir au niveau européen !
M. Cédric O, secrétaire d’État. L’Europe ne demandera jamais l’identification obligatoire ! Jamais !
M. François Bonhomme. Quel aveu d’impuissance !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, la plupart du temps, les gens ne s’identifient pas et, de toute façon, il est toujours possible de les retrouver ! Par conséquent, la question n’est pas de savoir s’il faut rendre obligatoire cette identification : non seulement cela ne marchera pas, mais encore il faudrait passer des heures à se battre avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Je ne vous dirai même pas si j’estime que, sur le fond, c’est bien ou non : je vous dis simplement que cela ne servirait à rien !
On va s’engueuler pendant des heures pour en débattre, inutilement, car tous ceux qui voudront contourner l’obligation le pourront.
Le fond du sujet, c’est d’être capable de traiter la massification. J’entendais le propos de la présidente Morin-Desailly sur Pharos : ce sont non pas trois personnes qui y sont affectées, mais quarante au total.
M. David Assouline. On parle de la justice !
M. Cédric O, secrétaire d’État. Il en est de même, monsieur le sénateur : dans les juridictions, ce ne sont pas seulement trois personnes !
Le fond du sujet – et, là, vous avez raison –, c’est de faire en sorte qu’on sache traiter les choses dans leur viralité. Même si tout le monde devait s’identifier, le problème subsisterait. Parce que, quand des policiers débarquent chez quelqu’un qui, sous son vrai nom, son vrai prénom, a insulté ou menacé de mort les enfants de M. Untel ou de Mme Unetelle et lui expliquent qu’il n’a pas le droit de faire ce qu’il a fait, cette personne ne comprend pas, tombe de sa chaise en expliquant que ce n’est pas grave, puisque ces propos sont circonscrits à internet.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Le fond du sujet, c’est de faire en sorte que la chaîne police-justice fonctionne. Et ce n’est pas seulement une question de moyens.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas gagné !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi confortant les principes républicains va donc nous permettre de reprendre la loi Avia.
Tout d’abord, je voudrais exprimer un point d’incompréhension ou d’incohérence.
Sur la haine en ligne, vous voulez agir sans attendre l’Europe, ou, plus précisément, dans l’attente de sa première copie, qui sera présentée par la Commission européenne le 9 décembre prochain. Mais, sur l’encadrement économique, qui est au cœur du modèle numérique, vous vous êtes opposé aux propositions du Sénat. Pouvez-vous nous expliquer cette volte-face doctrinale ?
S’agissant du sujet qui nous occupe aujourd’hui, je m’interroge sur plusieurs points quant à la méthode suivie.
Je comprends que vous souhaitez réintroduire, par amendements, les dispositions de la loi Avia dans un second temps. Pourquoi en passer par cette voie, alors qu’un réexamen par le Conseil d’État n’aurait sans doute pas fait de mal, au regard de l’histoire légistique problématique de ce texte ?
Deuxième question : vous engagez-vous à reprendre les avancées votées par le Sénat lors de l’examen de la loi ? Notre Haute Assemblée avait attiré l’attention sur le fait qu’il n’y avait pas que l’outil du retrait pour lutter contre les contenus haineux et qu’il convenait que les plateformes proportionnent leur action aux risques encourus.
Le Sénat avait notamment insisté, à juste titre, sur le fait que la réduction de la visibilité d’un contenu et de sa viralité peut être un moyen tout aussi pertinent et davantage proportionné. Ces avancées figureront-elles dans votre projet ?
Dernière question : le texte européen sur le retrait de contenus terroristes en une heure semble enlisé. Pensez-vous légiférer également sur ce point à cette occasion ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Montaugé, nous avons eu l’occasion, avant-hier, d’évoquer dans cet hémicycle la proposition de loi de Sophie Primas : entre la Haute Assemblée et le Gouvernement subsiste une divergence quant au timing. Car, sur le fond, nous sommes d’accord – je n’entrerai pas une nouvelle fois dans le détail de ce débat qui nous a beaucoup occupés. En revanche, le Gouvernement estime qu’il est nécessaire d’attendre que le texte européen en la matière soit rendu public, au début du mois de décembre. Ce texte, nous l’espérons, prendra la forme d’un règlement, de telle sorte qu’il puisse être appliqué rapidement et uniformément sur l’ensemble du territoire européen. Le niveau européen est le bon niveau pour réguler.
S’agissant de la loi Avia, nous sommes confrontés à la même difficulté, et pour la même raison. Conformément, d’ailleurs, à ce que le Sénat nous avait alors demandé, nous attendons la présentation du Digital Services Act, le texte européen qui doit traiter la question des contenus haineux, pour l’introduire ensuite par voie d’amendement dans la loi française.
La difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c’est que ces dispositions mériteraient en effet d’être préalablement soumises au Conseil d’État. Nous espérons donc avoir le temps d’opérer une saisine rectificative, le cas échéant, mais le problème, c’est que nous sommes dépendants du calendrier européen.
Nous sommes bien conscients qu’il s’agit là d’un sujet sensible sur les plans juridique et politique, quand bien même ces dispositions seraient totalement conformes au futur texte européen. Bien sûr, il serait préférable d’avoir l’avis du Conseil d’État, même si, je le rappelle s’agissant de la loi Avia, celui-ci s’est fait déjuger par le Conseil constitutionnel, y compris sur l’article 1er.
J’aurai l’occasion de répondre à votre dernière question ultérieurement, au sein de cet hémicycle ou bien lors d’un entretien en particulier.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de ces éléments de réponse. Il était en effet difficile de répondre, dans le temps imparti, à toutes les questions que je vous ai posées.
Je partage votre souhait d’agir vite et d’agir efficacement sur ce sujet majeur. Il s’agit là d’un véritable fléau, que facilite le « pseudonymat » généralisé, qui permet aux malfaiteurs de se réfugier derrière leurs écrans.
Je partage aussi votre constat selon lequel la solution passe par une plus grande responsabilisation des plateformes, attendue depuis si longtemps. C’est ainsi qu’a été évoquée notamment la possible évolution de leur statut vers un statut d’éditeur.
Les réseaux sociaux ont affecté profondément notre vie sociale et démocratique. Je souhaite que la lutte contre la haine en ligne participe d’un renforcement du pacte républicain, largement fragilisé aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Les contenus haineux diffusés sur internet visent de plus en plus les membres des forces de l’ordre, qu’ils soient fonctionnaires de police nationale, gendarmes ou encore policiers municipaux.
Ces appels à la haine ont souvent comme support des images de ces agents filmés dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre. Nombre d’entre elles sont diffusées sur les réseaux sociaux, rendant ces agents facilement identifiables, les transformant, ainsi que leurs familles, en cibles potentielles.
Ils ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image lorsqu’ils agissent dans le cadre d’une opération de police : la liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un particulier, prime le respect du droit à l’image ou à la vie privée.
Ils ne peuvent donc s’opposer à l’enregistrement de leur image et, surtout, à son éventuelle diffusion malveillante. Aucune contrainte légale ne permet aux policiers de demander le floutage de leur visage avant la diffusion des images afin de garantir leur anonymat, floutage gage de leur efficacité, mais aussi de leur sécurité.
Monsieur le secrétaire d’État, ce sujet me tient à cœur, je suis intervenu à plusieurs reprises ici même pour l’évoquer et ai déposé un amendement. L’Assemblée nationale examine en ce moment un texte, dont l’article 24, particulièrement commenté, prévoit enfin des mesures tant attendues par les membres de nos forces de l’ordre, visant à sanctionner la diffusion de leur image, en l’absence de leur accord et dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique et psychique.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : l’Assemblée nationale achèvera bientôt l’examen de ce texte ; le Gouvernement va-t-il tenir le cap et compte-t-il réellement inscrire à l’ordre du jour de nos débats l’examen de ce projet de loi au cours du mois de janvier afin que nous puissions en débattre et, surtout, le voter, en particulier son article 24, qui nous plaît bien.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, votre question s’adressant plutôt à Gérald Darmanin, je ne suis pas capable de vous indiquer la date à laquelle ce texte sera inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Quand le Gouvernement soumet à l’examen des députés un texte, en particulier un texte qui porte sur un sujet certes polémique, mais important sur le plan politique, sa volonté, c’est bien d’aller au bout. Il ne le fait probablement pas pour la galerie !
Je vous confirme donc que, en toute logique, le Gouvernement agira aussi vite que possible.
J’en profite pour évoquer un élément qui fait débat, à savoir la question de l’intentionnalité. On le voit, une partie des problèmes que l’on rencontre sur internet sont le fait de personnes « spécialisées » dans la haine en ligne ou malintentionnées et qui « jouent » avec les règles en vigueur.
Cette remarque me permet de faire le lien avec la question de la divulgation des identités personnelles qu’a évoquée le Premier ministre, non sans faire l’objet de quelques moqueries sur les réseaux sociaux : il est déjà possible de sanctionner quelqu’un qui aurait diffusé, avec de mauvaises intentions, l’identité ou l’adresse d’un tiers ; mais on ne peut comparer ce type de comportement avec celui d’un hacker qui volerait les bases de données d’une entreprise pour les publier sur internet ou qui révélerait l’identité et l’adresse d’Untel ou d’Unetelle, donnerait le nom de l’école de ses enfants, en disant que cette personne s’est exprimée contre telle religion, contre telle personne ou qu’elle a émis telle opinion politique, dans l’intention de lui nuire.
C’est aussi ce qui est au cœur du débat sur la diffusion d’images montrant des policiers.
Sans entrer dans le débat, je peux quand même indiquer qu’il faut trouver un équilibre entre contrôle, liberté de la presse et capacité à protéger ceux que nous voulons précisément protéger. Je comprends, sinon l’opposition, du moins les réticences d’une partie de la population ou d’une partie des tenants du débat public face à cette disposition. Il n’en demeure pas moins que la question reste entière. Il leur faut donc proposer d’autres solutions.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Tout d’abord, je remercie le groupe Les Indépendants – République et Territoires et son président Claude Malhuret d’avoir inscrit à l’ordre du jour ces sujets de société particulièrement sensibles dont je ne suis pas du tout un spécialiste, n’étant pas présent sur les réseaux sociaux : je possède simplement un tout petit téléphone portable. Je peux donc témoigner avec une autre vision des choses.
Malheureusement, comme l’ont indiqué les collègues qui sont intervenus avant moi, nombre de personnes sont victimes de ces agissements problématiques, notamment les forces de sécurité, les sapeurs-pompiers, les policiers, les militaires, les gendarmes, sans oublier les personnes fragiles, en particulier les jeunes.
Nous avons également évoqué ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes.
Monsieur le secrétaire d’État, comment lutter contre ce phénomène et protéger ceux qui en sont victimes ? Même si la justice doit agir, je pense plutôt aux actions de sensibilisation et de prévention que doit mener l’éducation nationale.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, avec votre question, vous êtes loin d’être hors sujet ; vous y êtes pleinement !
Votre situation est celle de nombre de Françaises et de Français qui ne sont pas forcément des adeptes des réseaux sociaux,…
M. François Bonhomme. Ça va arriver !
M. Cédric O, secrétaire d’État. … qui les utilisent plus ou moins et qui se demandent comment une telle folie a pu arriver.
D’abord, et nous devons tous en avoir conscience et l’accepter – ce qui est difficile sur le plan politique – : il n’existe pas de solution simple dans ce domaine ni de solution « packagée ». Autrement dit, il va falloir continuer à mener des expérimentations qui fonctionneront plus ou moins bien.
Le fond du sujet, pour rebondir sur votre propos, c’est bien la formation des gens, leur éducation. Une partie de la population ne comprend plus le monde dans lequel elle évolue, ne comprend plus la manière dont ce monde fonctionne. Oui, il faut mettre le paquet sur l’éducation !
En la matière, nous sommes un peu en retard, même si tout dépend de la façon dont on voit les choses. En effet, la France est le premier pays de l’OCDE à avoir généralisé la formation au numérique, aux codes et à l’ensemble de l’environnement numérique dès la seconde, et ce à hauteur d’une heure et demie par semaine.
Par ailleurs – et je le dis à dessein devant le Sénat –, il appartient aux collectivités de demander à pouvoir disposer de médiateurs numériques, qui seront déployés partout en France et financés à 100 % sur deux ans ou à 70 % sur trois ans. Passez le message, mesdames, messieurs les sénateurs ! L’objectif est d’en déployer 4 000 sur tout le territoire, ce qui n’est pas négligeable.
Vous avez raison, monsieur le sénateur, nous ne nous pourrons faire l’économie d’un effort afin que la population française progresse dans sa compréhension d’internet, du numérique, de son mode de fonctionnement. D’ailleurs, cela ne concerne pas uniquement les personnes âgées : on croise beaucoup de jeunes dans les sessions de formation sur au numérique, qui, s’ils sont très forts pour se servir de leur téléphone portable, le sont largement moins quand il s’agit de rédiger un CV ou d’actualiser leur situation sur le site de Pôle emploi.
M. François Bonhomme. On va s’inscrire, alors ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie beaucoup de vos explications. Vous êtes très compétent dans ce domaine, et c’est important. Les actions à mener dans ce domaine sont nombreuses. Il faut privilégier les fondamentaux que sont la lecture et l’écrit.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le secrétaire d’État, si les divergences d’opinions sont nécessaires pour faire vivre notre démocratie, les discours de haine, l’expression de propos discriminatoires ou les appels à la violence doivent naturellement être sanctionnés. De tels propos nuisent en effet à l’essence même de notre État de droit et au débat républicain.
Certains, dans l’hémicycle ou sur les bancs des ministres, en ont déjà été la cible.
J’ai eu l’occasion de travailler avec l’association Point de contact, reconnue pour son expertise dans la lutte contre les contenus pédopornographiques et terroristes. Cette association avait été présentée par le général de gendarmerie Watin-Augouard, fondateur du forum international de cybercriminalité, qui se tient tous les ans à Lille. Créée en 1998, Point de contact est une plateforme de signalement de contenus illicites et haineux à destination du grand public.
Après avoir trié et qualifié juridiquement les contenus signalés, cette association permet de transmettre à la plateforme Pharos du ministère de l’intérieur les alertes repérées pour que les autorités puissent ouvrir des enquêtes et engager d’éventuelles poursuites judiciaires.
Les membres de structures comme celles-ci sont durement exposés, physiquement et psychologiquement, à la haine et à la violence qui se déchaînent sans filtre sur internet – sans parler des images insoutenables qu’elles sont parfois amenées à visionner.
Ces organismes mettent notamment à la disposition de leurs employés des psychologues pour les suivre. D’ailleurs, de nombreux professionnels de la modération de contenus demandent que leur profession soit reconnue par la médecine du travail comme étant de grande pénibilité.
Monsieur le secrétaire d’État, que pensez-vous de cette demande légitime ? Il faut aider ces structures, surchargées et en sous-effectifs, qui manquent de moyens. Car elles peuvent faire beaucoup dans cette lutte contre la haine.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, puisque vous la citez, je vous indique que l’association Point de contact fait partie du groupe de contact permanent où siègent le ministère de l’intérieur, les plateformes et un certain nombre d’associations, d’ONG ou d’intervenants œuvrant dans ce domaine.
Nous sommes là face à un sujet de société, qui ne concerne pas seulement le Gouvernement et les institutions. Si nous voulons faire progresser notre société, réussir à faire reculer la haine en ligne, expliquer aux jeunes et aux moins jeunes ce qu’il est possible de faire sur internet et ce qu’il n’est pas possible d’y faire – ce qui n’est pas tout à fait évident –, nous avons besoin de tout le monde : les associations, les éducateurs de terrain, les professeurs, les policiers, les juges, etc. Les médias ont également un rôle indispensable à jouer.
Vous évoquez le rôle des modérateurs, qui font un travail extrêmement pénible. Vous avez raison : il faut réaliser ce en quoi consiste la journée de travail d’un modérateur, qu’il exerce dans les médias ou qu’il soit chargé d’expurger les contenus haineux.
Pour ma part, j’ai vu et revu, pour des raisons professionnelles, les images des attentats survenus au Niger ou celles de la décapitation de Samuel Paty. À mon humble niveau, ces images sont difficiles à voir, mais j’y étais obligé, devant rapidement alerter le patron de Twitter et celui de Facebook pour qu’ils les fassent retirer.
Ces images, je les ai vues une fois au cours de ma journée – sauf celles des attentats du Niger, que j’ai dû visionner à plusieurs reprises, étant en vacances à ce moment-là. Ces modérateurs, eux, ont le nez en permanence sur ces poubelles de notre société qu’ils sont chargés de vider.
Oui, c’est un métier extrêmement pénible. Pour autant, je serai très honnête avec vous : je ne sais que répondre spécifiquement à la question que vous me posez d’une reconnaissance de la pénibilité de leur travail, ne connaissant pas exactement le cadre juridique dans lequel il s’exerce. Mais il serait logique, en effet, de reconnaître son caractère difficile et pénible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour la réplique.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le secrétaire d’État, c’était pour moi l’occasion de mettre en avant le travail très important que font ces associations au regard du sujet dont nous débattons aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Je salue l’initiative qui a été prise d’organiser ce débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »
En effet, préserver la liberté d’expression, lutter contre les contenus haineux sans censurer : il est bien difficile de cerner cette limite par la loi dans un monde complexe, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État.
Nous devons protéger à tout prix cette liberté d’expression qui est garantie par la Constitution et qui pourtant recule partout en France.
Je le dis fermement : notre liberté d’expression n’est pas négociable. Mais la liberté d’expression n’est pas la seule valeur de notre société : il y a aussi le respect, la décence, le bien commun.
Nous devons aussi refuser et combattre cette augmentation et cette banalisation de la violence, décuplées par la puissance des réseaux sociaux qui, parfois, attisent et prêchent la haine.
Nous devons aussi nous pencher sur les raisons de cette augmentation de la violence. Il y a aujourd’hui un problème d’éducation à cette liberté d’expression, à ses excès, mais aussi un vrai problème moral.
Cette liberté d’expression n’est pas toujours bien comprise et bascule parfois dans la calomnie, l’injure, et produit ainsi de la violence.
La liberté d’expression, c’est la contradiction, le débat, la recherche de la vérité. À l’époque des attentats de 2015, le philosophe Régis Debray avait une formule que je trouve intéressante : « Le désert des valeurs fait sortir les couteaux. »
Dans un monde si relativiste, où l’on déconstruit les notions d’autorité, de respect et où il n’y a plus de vérité, mais des vérités, comment s’étonner de cette montée de la violence ?
Je suis également frappé que, aujourd’hui, en France, pays démocratique, on ne puisse plus dire certaines choses ni engager certains débats.
La censure n’est pas la solution, et je suis opposé à ce que les GAFA régulent notre liberté d’expression. Ne créons pas une police de la pensée. J’ajoute que la notion de « contenu haineux » n’est pas définissable et ne peut faire l’objet d’aucune définition juridique. Néanmoins, il me semble qu’il y a un vrai travail à faire en amont pour éduquer à l’esprit critique, à la raison, au débat dans le respect : on combat un adversaire non pas en le bâillonnement juridiquement, mais avec des arguments.
Il faudrait pouvoir faire davantage de prévention et d’éducation sur une utilisation civique et responsable des réseaux sociaux.
Mme la présidente. Veuillez poser votre question !
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, comment créer, selon vous, les conditions d’un débat serein en France ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, puisque je réponds à la dernière question, je veux remercier le groupe Les Indépendants et l’ensemble du Sénat d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat intéressant qui, je le pense, nous a permis d’avancer, hors de toute polémique politique. Nous avons besoin de davantage d’échanges de ce type, dans un cadre apaisé, pour que nous puissions trouver des solutions.
Monsieur le sénateur, vous évoquez un sujet encore plus complexe que la haine en ligne : celui de la désinformation et de sa propagation. Car ces contenus ne sont pas illégaux, ou presque jamais. Par exemple, il est difficile de dire du film Hold-up, dont j’ai demandé une analyse juridique, qu’il se situe dans l’illégalité. Tout au plus pourrait-on envisager la qualification de mise en danger de la vie d’autrui. Et encore, ce serait compliqué à prouver.
Pourtant, on mesure l’impact désastreux que peuvent avoir de tels films, vus et crus par nombre de nos concitoyens, sur le débat public, sur notre démocratie et sur la sécurité sanitaire d’une partie de nos concitoyens, à tout le moins.
Il y a là un indispensable travail d’éducation à l’esprit critique et à la pensée critique à mener, ce dont Jean-Michel Blanquer est parfaitement conscient.
Ce n’est pas en dénonçant une affirmation comme fausse et en proclamant la vérité que l’on réussira mener ce combat. Je vous renvoie notamment aux écrits du sociologue Gérald Bronner, dont je considère les travaux sur la désinformation comme étant les plus intéressants – ce n’est d’ailleurs pas sans lien avec la déradicalisation.
Il faut éduquer les gens à exercer leur esprit critique, ce qui ne peut se faire en une session d’une heure ou deux. Ce travail de long terme est la seule solution pérenne et durable dont disposent les démocraties pour combattre cette désinformation.
Nous ne sommes pas au bout du chemin, et c’est une question extrêmement importante.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe auteur de la demande.
M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je remercie le Gouvernement et l’ensemble de nos collègues de leurs contributions, de leurs analyses et de leurs propositions sur un sujet qui nourrit, à juste titre, beaucoup de débats en France, en Europe et dans le monde.
Facebook en 2004, YouTube en 2005, Twitter en 2006, puis Instagram, Snapchat et, plus récemment, TikTok, tous rencontrent un succès assez phénoménal auprès de ceux qui ont accès à internet et aux smartphones.
Si ces publications, ces stories, ces hashtags rencontrent un grand succès, c’est qu’ils répondent à des aspirations profondes : s’exprimer, communiquer, partager.
Les réseaux sociaux ont bouleversé nos vies, le journal de vingt heures a été remplacé pour beaucoup par un fil d’actualité, l’article de presse, l’éditorial a été balayé par un post, le coup de fil à un ami s’est transformé en une accumulation de notifications et d’échanges de messages. On peut le regretter, on peut l’approuver, on peut le critiquer, mais, aussi vrai que le soleil se lève à l’est et qu’il se couche à l’ouest, c’est un fait qui fait partie de nos vies et nous ne reviendrons pas en arrière.
M. Julien Bargeton. C’est juste !
M. Pierre-Jean Verzelen. Si – et nous sommes d’accord pour l’affirmer – une écrasante majorité utilise les réseaux sociaux de manière bienveillante, certains s’en servent pour développer des théories fumeuses pour déverser leur haine et pour insulter l’intelligence collective.
Sous couvert de la liberté d’expression, ils mettent en danger la liberté, la vraie, celle des idées, celle des arguments, du débat, celle qui permet à une société de s’additionner et de progresser.
Au final, ils nous interrogent et nous mettent devant nos responsabilités sur un enjeu essentiel, celui du vivre ensemble.
La question qui nous est posée est celle-ci : comment trouver les moyens de réguler les réseaux sociaux ?
Chaque Française, chaque Français, dans sa vie publique, doit, partout et chaque fois, prouver qui il est, assumer son identité, justifier de sa situation, d’un lieu d’habitation, montrer son visage. Partout et chaque fois, sauf sur internet et sur les réseaux sociaux !
Les Facebook, Google et Twitter sont trop contents d’accumuler, sans aucun contrôle, les profils, synonymes pour eux d’autant de pub’ et de données à revendre. Il faut en finir avec le règne du pseudo-anonymat !
C’est la responsabilité individuelle qui crée les conditions du vivre ensemble. C’est l’anonymat qui crée l’irresponsabilité qui engendre, pour beaucoup, les débordements, les mises en cause et les insultes qui gangrènent les réseaux sociaux.
La presse, la télévision, l’ensemble des médias sont responsables devant la loi des contenus qu’ils publient. Pourquoi en irait-il autrement des réseaux sociaux ? La même loi doit s’appliquer à tous les éditeurs de contenu.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. Les algorithmes de Google et de Facebook sont assez puissants pour connaître la marque des chaussures que nous portons, les lieux que nous fréquentons et les personnes que nous avons croisées récemment. Mais les mêmes algorithmes ne sont pas en mesure de bloquer les profils suspects, d’empêcher les appels à la haine et de casser les groupes de farfelus ou de dangereux qui se réunissent : mensonge, triple mensonge !
La vérité, c’est que ces plateformes ont une obsession, une priorité : le nombre d’utilisateurs, donc la valorisation du cours en Bourse et l’optimisation fiscale – ou plutôt l’évasion fiscale.
Nous ne devons pas rester impuissants. Plusieurs orateurs l’ont rappelé : certains pays d’Europe ont pris des mesures, qui ont en partie donné des résultats. En France, un pas avait été fait avec la loi Avia, dont les principaux articles ont été censurés par le Conseil constitutionnel.
Le législateur, le Gouvernement et les instances européennes doivent être à l’initiative d’un nouveau cadre qui contraindra les réseaux sociaux à lever l’anonymat et leur fera assumer leur responsabilité devant la loi. Le Conseil constitutionnel doit l’entendre : au nom d’une fausse liberté d’expression, on risque de laisser une minorité prendre le pas sur la majorité.
Mes chers collègues, ne jamais laisser mettre en cause les fondements de la démocratie et de la République : telle est notre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »
5
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
6
Loi de finances pour 2021
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 137, rapport général n° 138).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le projet de loi de finances pour 2021 tel qu’il a été adopté, il y a quelques jours, par l’Assemblée nationale.
Vous le savez, c’est un texte singulier et même exceptionnel à bien des égards. Je vous le présente alors que notre pays traverse une crise sanitaire inédite, dominée par l’inquiétude et l’incertitude, même si les chiffres de l’épidémie semblent s’améliorer depuis quelques jours. Dans le même temps, nous subissons une crise aux conséquences sévères pour notre économie et tout particulièrement pour nos commerces.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les circonstances présentes exigent l’unité et la responsabilité : c’est ce dont le Parlement a fait preuve depuis plusieurs mois, notamment en adoptant plusieurs lois de finances rectificatives, dont les mesures permettent d’apporter une réponse massive à la crise. Tout récemment encore, dans la nuit de lundi à mardi, vous avez adopté un quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR 4), ce dont je vous remercie. L’accord trouvé en commission mixte paritaire permet d’envisager l’adoption et la mise en œuvre de ce texte dans les meilleurs délais.
Ainsi, face à cette crise épidémique et économique sans précédent, le Gouvernement a mis en œuvre une réponse massive. Avec le PLFR 4, nous avons engagé plus de 86 milliards d’euros de dépenses. Nous avons également pris des mesures dont l’efficacité semble avérée.
Nous avons proposé des prêts garantis par l’État (PGE) et reporté la date jusqu’à laquelle ils pourront être souscrits ou rechargés. En parallèle, nous avons mené à son terme une négociation avec la Fédération bancaire française quant aux conditions de remboursement et aux différés de première échéance.
Nous avons mis en place un dispositif de financement de l’activité partielle à un niveau inédit pour ce qui nous concerne et inégalé sur la scène européenne. Ce faisant, nous avons pu prendre en charge jusqu’à 12 millions de personnes lors du premier confinement.
Nous avons mis en place un fonds de solidarité, aujourd’hui bien connu, qui a profité à plus de 2 millions d’entreprises et dont les critères ont été revus à l’aune des débats parlementaires et de diverses contributions. Désormais, ce fonds bénéficie aux entreprises employant jusqu’à 50 salariés, pour des montants pouvant atteindre 10 000 euros par mois.
Nous avons accompagné ces outils de reports massifs de charges, pour une trentaine de milliards d’euros, et de dispositifs d’exonération. En incluant les exonérations que nous accordons au titre du second confinement, le total devrait dépasser les 8 milliards d’euros.
Face à la seconde vague épidémique, nous avons fait le choix, avec Bruno Le Maire, de renforcer ces outils et d’y ajouter une aide à la prise en charge des loyers, à savoir un crédit d’impôt au bénéfice des bailleurs. Ce dispositif a été introduit par voie d’amendement à l’Assemblée nationale ; vous serez appelés à l’examiner au titre des articles non rattachés.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2021 revêt une importante particulière. Il doit permettre au Gouvernement de donner à notre pays les moyens de la relance économique, pour le sortir de la crise, de tenir ses engagements et de financer ses priorités. Il doit également prendre en compte, en suivant un double objectif de sincérité budgétaire et de réalisme économique, les dernières évolutions de la pandémie et ses conséquences sur nos hypothèses macroéconomiques comme sur la trajectoire des finances publiques. Tels sont les trois points sur lesquels je m’appesantirai.
Premièrement, je tiens à rappeler que le projet de loi de finances pour 2021 est le principal vecteur du plan de relance.
Ce plan de relance s’élève à 100 milliards d’euros, dont 14 milliards d’euros seront apportés par divers organismes – je pense à la Banque publique d’investissement, à la sécurité sociale ou encore à l’Unédic, pour ce qui concerne l’activité partielle – et 86 milliards d’euros relèveront directement de l’État.
La baisse des impôts de production sera de l’ordre de 20 milliards d’euros. À cet égard – nous aurons l’occasion d’y revenir –, les collectivités territoriales bénéficieront d’une compensation intégrale, qu’il s’agisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui concerne spécifiquement les régions, de la cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de la taxe foncière sur les propriétés bâties frappant les locaux industriels. Les 66 milliards d’euros restants sont constitués de crédits budgétaires, que l’État déploie pour accompagner la reprise économique.
Le programme d’investissements d’avenir 4 (PIA 4) représente 11 de ces 66 milliards d’euros. En parallèle, 16,5 milliards d’euros sont répartis entre différentes missions, dont nous débattrons en seconde partie. Par exemple, nous avons considéré que les crédits en faveur de l’insertion par l’activité économique seraient plus utilement et plus efficacement gérés et déployés s’ils relevaient de la mission « Travail et emploi » plutôt que de la mission « Plan de relance ».
De plus, parmi ces 16,5 milliards d’euros, un certain nombre de crédits ont déjà fait l’objet d’une adoption par le Parlement. Je pense aux dispositifs de soutien aux collectivités territoriales et notamment à la tranche supplémentaire de dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) votée à l’occasion du PLFR 3. Vous le verrez en examinant l’article 46 du projet de loi de finances : nous veillons à ce que les crédits non engagés soient bien reconductibles en 2021. Ainsi, la fin de l’exercice budgétaire n’entraînera pas de perte pour les collectivités.
Enfin, la mission « Plan de relance » regroupe 22 milliards d’euros de crédits de paiement et 36,4 milliards d’euros d’autorisations d’engagement répartis en trois programmes : le programme « Écologie », qui finance notamment la transition énergétique, pour 18,4 milliards d’euros ; le programme « Cohésion », qui a pour objet la cohésion sociale et territoriale, pour 12 milliards d’euros ; et le programme « Compétitivité », pour 6 milliards d’euros.
Cette concentration est le fruit d’une volonté délibérée du Gouvernement et, en particulier, du ministère de l’économie, des finances et de la relance : elle nous permet de disposer de trois programmes massifs. En outre, la possibilité de fongibilité et de redéploiement des crédits au sein d’un même programme garantit l’application des clauses de revoyure en cas de retard dans la mise en œuvre d’un volet du plan de relance. Ainsi, nous pourrons financer les projets qui avancent, sans perdre de temps avec les projets qui viendraient à être freinés, voire à s’arrêter.
Pour certains, mieux vaudrait reporter le plan de relance. Ce n’est pas notre analyse – j’observe d’ailleurs que, bien souvent, les mêmes avaient d’abord jugé cette réponse trop tardive…
À nos yeux, au-delà des mesures d’urgence adoptées au titre du PLFR 4, la relance économique est justement l’un des moyens de répondre à la crise : il convient de soutenir l’activité pour retrouver au plus vite le niveau de production que nous connaissions à la fin de 2019.
C’est pourquoi nous avons assorti ce plan de mesures spécifiques, comme le crédit d’impôt pour les bailleurs. C’est pourquoi nous voulons qu’il soit mis en œuvre rapidement : notre objectif est que son décaissement atteigne 50 % d’ici à la fin de l’année 2021, ce qui représente une dizaine de milliards d’euros au titre de 2020 et une quarantaine de milliards d’euros au titre de 2021, par le truchement des missions et des opérateurs que j’ai évoqués.
Deuxièmement, ce budget permettra au Gouvernement de tenir les engagements pris, à commencer par le financement de ses priorités politiques.
Vous pourrez constater que nous renforçons le budget des ministères régaliens. Le ministère de l’intérieur voit ses moyens augmenter de plus de 430 millions d’euros. Le ministère des armées voit ses moyens augmenter de 1,7 milliard d’euros, conformément à la loi de programmation militaire (LPM). Le ministère de la justice voit ses crédits augmenter de 610 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 8 %. Cette progression est d’une ampleur inédite, tant en volume qu’en pourcentage. L’objectif est double : rattraper, et même dépasser, la trajectoire fixée par la loi de programmation et de réforme pour la justice et assurer le déploiement de la justice de proximité.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Nous voulons aussi consacrer des moyens aux ministères qui préparent l’avenir. C’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale verra ses crédits augmenter, à périmètre constant, de 1,4 milliard d’euros. Le ministère de la transition écologique verra ses crédits augmenter, toujours hors plan de relance, de 1 milliard d’euros. Quant au ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, il verra ses crédits augmenter de 500 millions d’euros ainsi répartis : une centaine de millions d’euros au titre du plan de relance, pour soutenir la vie étudiante, et 400 millions d’euros constituant la première tranche des crédits du projet de loi de programmation de la recherche. Ce texte a, lui aussi, fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire : il devrait être bientôt adopté définitivement.
Ce projet de loi de finances traduit d’autres priorités politiques encore. Ainsi, nous augmentons sensiblement les crédits du ministère de la culture – ces fonds progressent de plus de 150 millions d’euros, hors plan de relance. En outre, même si les montants considérés sont évidemment plus modestes, nous avons fait le choix d’augmenter de 40 % le budget du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, sachant que, par définition, ce dernier s’appuie également sur des missions plus transversales.
Le présent texte met en œuvre un second engagement du Gouvernement : la baisse des prélèvements obligatoires. S’il est adopté, et s’il est appliqué, les prélèvements obligatoires auront reculé de 45 milliards d’euros entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2021. Cette baisse concerne pour moitié les ménages et pour moitié les entreprises – j’inclus dans ce calcul les 10 milliards d’euros de baisse d’impôts de production que nous vous proposons avec ce projet de loi de finances.
Nous allons poursuivre sur cette trajectoire, grâce à laquelle le poids des prélèvements obligatoires a déjà été réduit de 45 % à 44 % du PIB, avec une première tranche de diminution de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages qui l’acquittent encore intégralement – depuis le mois dernier, 80 % des ménages en sont exonérés – et avec de nouvelles baisses d’impôt sur les sociétés, conformément à la trajectoire pluriannuelle arrêtée.
D’autres engagements, pris au nom de la sincérité budgétaire, seront tenus. Je pense notamment à la réserve de précaution. Depuis 2018, nous avons fait le choix de fixer le niveau de cette réserve à 3 %, contre 8 % les années précédentes. Je précise qu’il s’agit d’une moyenne : pour l’essentiel des lignes budgétaires, la réserve de précaution s’établit aux alentours de 4 %. En revanche, elle est réduite à 0,5 % pour les lignes dont on sait qu’elles ne sont pas « pilotables », comme les allocations de logement, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou d’autres minima.
Dans le même souci de lisibilité et de sincérité budgétaire, nous poursuivrons deux autres chantiers.
Le premier est la suppression des petites taxes. La marche semble moins haute que les années précédentes, mais j’attire votre attention sur le fait que nombre de suppressions décidées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 prendront effet au 1er janvier 2021. Ainsi, le coût de ce chantier sera plus élevé en 2021 qu’il ne l’est cette année, malgré la diminution du nombre de taxes concernées.
Le second, que l’adoption d’un certain nombre d’amendements permet de continuer, est l’unification et la modernisation du recouvrement de l’impôt.
Enfin, ce projet de loi de finances comporte un certain nombre de mesures relevant de réformes structurelles comme la mise en œuvre – enfin ! diront certains – de la contemporanéisation de l’aide personnalisée au logement (APL). Je pense également à la facturation électronique que nous proposons de rendre obligatoire à compter de 2023, afin d’améliorer nos possibilités de lutte contre la fraude fiscale, notamment en matière de carrousels de TVA.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Troisièmement, permettez-moi de souligner que le budget que nous vous présentons s’inscrit dans un contexte macroéconomique qui évolue. Le rebond de la crise épidémique nous a amenés à revoir nos prévisions. Comme nous vous l’avons indiqué lors des débats sur le PLFR 4 et à l’occasion de l’actualisation des sous-jacents du PLFSS, nous avons corrigé nos hypothèses macroéconomiques pour 2020.
Nous avons porté nos prévisions de récession à 11 % du PIB – plutôt que 10 %, comme nous l’envisagions au début du mois de septembre –, le niveau du déficit prévisionnel pour 2020 à 11,3 % – plutôt que 10,2 %, comme prévu au début du mois de septembre – et le poids de la dette publique de 117,5 % à 119,8 % du PIB.
Ces chiffres sont, aux yeux d’autres analystes, particulièrement prudents, la Banque de France et l’Insee considérant dans leurs propres travaux que les hypothèses de récession pourraient être moins mauvaises. Ils avaient, en effet, évalué la récession attendue entre 9,5 % et 10 % du PIB.
Depuis le début du quinquennat, nous avons constamment fait le choix de la prudence pour nos hypothèses. Le Haut Conseil des finances publiques a toujours qualifié les hypothèses de travail du Gouvernement de « plausibles et prudentes » ou de « plausibles, mais prudentes ».
Nous avons donc à réviser un certain nombre de sous-jacents des textes que nous vous présentons. Vous avez accepté de le faire par l’adoption d’un amendement à l’article 7 du PLFSS pour l’année 2021 ; j’aurai l’occasion, après la discussion générale, de vous proposer un amendement pour actualiser les sous-jacents pour l’année 2020 de l’article liminaire du présent projet de loi de finances, et je reviendrai, dans un instant, sur la prévision pour 2021 au sujet de laquelle nous travaillons.
Nous vous proposons une actualisation des lois de financement de l’État et de la sécurité sociale « au fil de l’eau », en fonction des avis du Haut Conseil des finances publiques et de l’évolution de nos travaux de prévision.
Avant de conclure, permettez-moi d’évoquer deux points : tout d’abord, les évolutions du texte entre le moment où j’ai eu l’occasion de vous le présenter en commission des finances et aujourd’hui, c’est-à-dire après le débat à l’Assemblée nationale ; ensuite, les chantiers qui nous attendent.
Premièrement, le texte a évidemment évolué lors de son examen par l’Assemblée nationale et, si le temps ne me permet pas de revenir en détail sur chacune des dispositions initialement prévues, je tiens à souligner que l’Assemblée nationale l’a enrichi de nombreux amendements, près de 400 ayant été adoptés.
À la suite d’un travail transpartisan réunissant les députés et les sénateurs représentant les Français de l’étranger autour d’un rapport remis par le Gouvernement, l’Assemblée nationale a ainsi adopté le maintien, pour les non-résidents, de la retenue à la source spécifique partiellement libératoire.
Elle a également adopté le relèvement à 10 millions d’euros – au lieu de 7 630 000 euros – du plafond de chiffre d’affaires pour l’application taux réduit de l’impôt sur les sociétés en faveur des petites et moyennes entreprises (PME) ; le maintien de la différence de taxation entre l’E5 et l’E10 au titre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ; la neutralisation des incidences de la crise sanitaire sur la détermination des fractions de TVA revenant aux collectivités territoriales ; un abondement de 60 millions d’euros du fonds de péréquation horizontale des départements pour le maintenir à son niveau actuel de 1,6 milliard d’euros concernant les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ; le maintien de la méthode actuelle de revalorisation des bases des locaux industriels pour garantir aux collectivités une évolution dynamique de celles-ci et, enfin, la mise en œuvre d’un protocole d’accord avec le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) par la fixation à 349 millions d’euros du plafond de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises en 2021 et à 299 millions d’euros en 2022.
Deuxièmement, les députés ont adopté en seconde partie un régime de révision des contrats photovoltaïques pour les 800 plus important d’entre eux, dans le but de mettre un terme à la surrentabilité constatée ; la prolongation jusqu’au 30 juin 2021 du prêt garanti par l’État ; la rénovation du dispositif de péréquation régionale conformément à l’accord signé par le Premier ministre avec les présidents de région le 28 septembre dernier ; la modification des critères d’attribution du fonds de stabilisation pour les départements, pour qu’il puisse bénéficier à une cinquantaine de départements au lieu de trente auparavant, et alors qu’il est porté à 200 millions d’euros au lieu de 115 millions habituellement. L’Assemblée nationale a, enfin, adopté les amendements visant à faciliter la mise en œuvre du plan de relance, notamment en permettant des dépenses anticipées sur un certain nombre de sujets.
En matière de dispositions fiscales, les députés ont complété le malus CO2, lui-même modifié par le texte, par l’ajout d’une composante liée au poids des véhicules. Ils ont prorogé les dispositifs en faveur du logement, dits « Pinel » et PTZ, en prévoyant des modifications de leurs paramètres pour les rendre plus justes et plus efficients.
Enfin, en cohérence avec la proposition du Gouvernement que j’ai évoquée, ils ont créé un dispositif de soutien aux entreprises locataires de moins de 5 000 salariés pour leur permettre de faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Il permet la prise en charge par l’État d’une partie des loyers, sous la forme d’un crédit d’impôt accordé aux bailleurs égal à 50 % des loyers abandonnés normalement dus au cours de la période d’application des mesures de confinement pour les entreprises de moins de 250 salariés, et à 33 % pour les entreprises d’une taille supérieure.
L’ensemble des amendements adoptés par l’Assemblée nationale conduit évidemment à une dégradation du solde budgétaire de 344 millions d’euros par rapport au point d’entrée en discussion. Ce solde budgétaire s’établirait à 153,1 milliards d’euros en 2021, représentant un déficit exceptionnellement élevé qui traduit l’impact de la crise sur les finances publiques et la mise en œuvre du plan de relance.
Pour conclure, nous proposons, comme je vous l’ai dit, une révision des hypothèses macroéconomiques au fil de l’eau, avec un objectif de sincérisation des textes et d’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances pour 2020 avec les mêmes hypothèses, les mêmes sous-jacents et la même trajectoire macroéconomique. Nous sommes en mesure de le faire pour 2020 et nous vous proposons de faire de la même manière pour 2021.
Nous proposerons au Parlement d’ouvrir, lors de la nouvelle lecture du projet de loi de finances, les crédits de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » pour 2021. Nous aurons alors plus de visibilité sur les conditions de sortie du confinement et sur les moyens qu’il est nécessaire de mettre en œuvre pour accompagner la sortie du confinement.
Nous avons saisi le Haut Conseil des finances publiques de notre prévision de croissance pour 2021. Nous escomptions, initialement, un rebond de l’activité de 8 % par la levée des contraintes sanitaires grâce à un tissu productif et un potentiel de reprise relativement fort, facteurs qui ont d’ailleurs expliqué la forte reprise du troisième trimestre. Toutefois, la recrudescence de l’épidémie cet automne montre que sa maîtrise sera plus exigeante cet hiver. Aussi avons-nous intégré à nos projections de croissance des comportements plus prudents de la part de tous les acteurs.
Nous avons ainsi proposé au Haut Conseil des finances publiques de chiffrer le rebond de l’activité l’année prochaine à 6 % au lieu de 8 %, toujours mobilisés par la mise en œuvre du plan de relance que nous sommes en train de déployer. La révision du scénario macroéconomique et cette hypothèse de croissance à 6 % auront naturellement des conséquences sur les grands chiffres et les équilibres des finances publiques, notamment le déficit que nous estimons, dans ce projet, à 6,7 % du PIB. Conformément à la loi organique, je vous propose toutefois d’attendre que nous disposions de l’avis du Haut Conseil des finances publiques pour tirer les conséquences de cette révision dans le PLF et modifier l’article liminaire pour la prévision relative à 2021. Mais nous le ferons, si vous en êtes d’accord, dans un instant, pour la prévision concernant 2020.
L’année 2020 se termine donc avec des finances publiques évidemment dégradées par la réponse à la crise, la diminution des recettes étant liée, elle aussi, à la crise et à l’arrêt de l’activité économique pendant plusieurs semaines.
L’année 2021 s’ouvrira avec un déficit prévisionnel en diminution, mais à un niveau qui restera exceptionnellement élevé. Le niveau d’endettement sera, lui aussi, exceptionnellement élevé. Nous aurons à chercher et à trouver les bonnes solutions en matière de gouvernance, de définition de trajectoire pluriannuelle des finances publiques, de maîtrise et de cantonnement de la dette, d’amélioration des processus d’élaboration de la décision budgétaire et, peut-être, de perspectives pluriannuelles en la matière.
Cela fera l’objet d’un groupe de travail propre au Gouvernement que je mettrai prochainement en place. Nous nous appuierons sur l’intégralité des propositions des parlementaires, qu’elles soient déjà faites et formalisées dans différents rapports – en matière de gouvernance notamment –, ou à venir, dans le cadre des réflexions et des concertations sur la manière dont nous allons affronter cette crise et sortir de la période que nous vivons.
Voilà ce que je souhaitais vous dire, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en ouverture de la discussion générale sur le projet de loi de finances pour 2021. J’ai la conviction que les échanges qui vont nous réunir pendant plusieurs jours constitueront autant d’occasions de continuer à améliorer ce texte et, je l’espère, à trouver de grandes convergences. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE. – Mme Nathalie Goulet et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Pascal Martin applaudissent également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’an dernier, nous étions à la moitié du mandat du Président de la République et mon prédécesseur pointait le manque d’efforts réalisés par le Gouvernement pour redresser les comptes publics. Il s’agissait, alors, de retrouver des marges de manœuvre budgétaires, tant que les indicateurs économiques étaient au vert, pour se préparer à l’éventualité d’une nouvelle crise.
Eh bien, malheureusement, nous y sommes ! L’épidémie de covid-19 a tout bouleversé sur son passage : trois lois de finances rectificatives, bientôt quatre, ont été votées, y compris, en responsabilité, par le Sénat, pour que les entreprises, les ménages et les collectivités territoriales soient soutenus pour traverser cette terrible période.
Il y a quelques semaines encore, le PLF pour 2021 devait être celui de la relance, mais avec le rebond de l’épidémie et la décision de reconfinement national, les priorités ont de nouveau changé.
Nous venons ainsi d’apprendre que le Gouvernement prévoit de réviser le taux de croissance pour 2021 de 8 % à 6 % et que les dispositifs d’urgence devraient évoluer d’ici quelques semaines, pour être intégrés dans le projet de loi de finances. Autrement dit, nous discutons d’un texte qui pourrait, sous peu, ne plus ressembler à ce qu’il est aujourd’hui. Par respect pour la représentation nationale, je regrette, monsieur le ministre, que vous attendiez le retour du texte à l’Assemblée nationale pour acter ces changements, comme le laisse penser Bruno Le Maire dont je souligne et regrette l’absence au nom de notre assemblée. En pareilles circonstances, ce manque de respect est une faute ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Revenons-en au texte qui nous est transmis. L’économie française a bien résisté au choc du premier confinement, grâce, notamment, aux mesures de soutien que nous avons adoptées et qui ont pu à la fois préserver les revenus des ménages et, dans une moindre mesure, des entreprises. Le rebond en sortie de confinement a été rapide, avec une hausse du PIB de 18,2 %.
Dans ce contexte, le Gouvernement a annoncé, au début du mois de septembre, un plan de relance indispensable pour aider l’économie à surmonter la crise. Ce plan de relance me paraît bien calibré en termes de montant, même s’il faut relativiser les 100 milliards d’euros annoncés, puisque, en particulier, sont pris en compte 15 milliards d’euros de mesures déjà engagées en 2020, que le montant de la baisse des impôts de production y est compté deux fois et sans tenir compte de l’« effet retour » de l’impôt sur les sociétés.
Si le montant global est donc satisfaisant, les mesures et le calendrier retenus ne répondent en revanche que très imparfaitement aux critères d’efficacité d’un « bon » plan de relance.
En effet, pour être efficace, un plan de relance doit être mis en œuvre rapidement, composé de mesures temporaires et avoir un fort effet multiplicateur sur l’activité à court terme. Aucun de ces trois critères n’est véritablement rempli.
Le plan de relance est avant tout trop tardif, comme l’illustre la comparaison avec l’Allemagne. Si le montant des deux plans est comparable, la quasi-totalité du plan de relance allemand devrait avoir été déployée d’ici à la fin de l’exercice 2021, contre, à la même époque, seulement la moitié du plan français.
Ce plan de relance aura par ailleurs un effet modéré sur la croissance en 2021, estimé entre 1,1 et 1,2 point selon les estimations.
De même, un cinquième du plan de relance correspond à des mesures permanentes qui pèseront durablement sur les comptes publics, ce qui, là encore, est problématique. Je souligne et regrette les grandes insuffisances du plan de relance initial à l’égard des plus fragiles qui sont les grands oubliés, notamment en comparaison avec le plan Sarkozy adopté lors de la crise de 2009.
Si le plan de relance initial me semblait donc déjà mal calibré, le reconfinement va naturellement imposer de renforcer la logique de soutien. De ce point de vue, nous souhaitons que le plan de relance comprenne davantage de mesures de renforcement des fonds propres des entreprises et de soutien aux personnes précaires, comme aux collectivités territoriales.
Une nouvelle fois, votre plan est trop administré depuis Paris, malgré vos tentatives de déconcentration. Monsieur le ministre, appuyez-vous sur les élus locaux qui savent, mieux que d’autres, mobiliser les énergies pour relancer l’activité sur leurs territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) En tout état de cause, votre scénario budgétaire pour 2021 apparaît sérieusement compromis par le reconfinement.
Dans un scénario intermédiaire fondé sur une croissance de 6 % et 15 milliards d’euros de soutien supplémentaire, nous estimons que le déficit atteindrait 8,6 % du PIB et la dette 122,3 % du PIB à l’issue de l’exercice 2021. Le Gouvernement espérait initialement diminuer le déficit et la dette à respectivement 6,7 % du PIB et 118,3 % du PIB.
Mais au-delà de l’évolution de court terme de la trajectoire budgétaire, il ne faut pas perdre de vue l’impact qu’auront ces décisions sur l’état de nos finances publiques à moyen terme. Or, de ce point de vue, la cote d’alerte est atteinte et il faut impérativement privilégier les mesures temporaires, puissantes et bien ciblées, pour favoriser la sortie de crise.
En effet, celle-ci s’accompagne, avec votre budget, de hausses de dépenses et de baisses de recettes pérennes que nous estimons à 45 milliards d’euros sur la période 2020-2024. Au total, le déficit structurel français devrait dépasser 5 % du PIB en sortie de crise. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Concrètement, il faudra déjà réaliser environ 75 milliards d’euros d’économies en sortie de crise, uniquement pour ramener le déficit structurel à son niveau de 2019, ce qui est encore trop élevé pour réduire significativement l’endettement que notre pays porte comme un fardeau trop encombrant.
Une fois la crise surmontée, la France devra retrouver des marges de manœuvre budgétaires, afin d’éviter que la faiblesse de la croissance, conjuguée à une hausse du coût de financement, ne fasse basculer l’économie dans une spirale négative, comme en Italie.
Ramener l’endettement autour de 100 % du PIB d’ici à 2030 pourrait ainsi constituer un objectif central, dès lors que l’on compte une crise tous les cinq à dix ans en moyenne.
S’agissant du budget de l’État proprement dit, le déficit est pour le moment prévu à 153 milliards d’euros dans le projet de loi de finances, en baisse par rapport à 2020. Quels en sont les déterminants ?
Tout d’abord, les dépenses du plan de relance en 2021 seraient moins élevées que celles du plan d’urgence en 2020. Ensuite, les recettes rebondiraient après leur chute de cette année et le budget bénéficierait des premiers versements du plan de relance européen. Mais tout ceci est encore bien incertain…
Certes, la charge de la dette reste à un niveau historiquement bas, mais ne nous y trompons pas : l’État doit à la fois payer les dépenses budgétaires de l’année et renouveler une dette considérable qui vient de dépasser le seuil des 2 000 milliards d’euros par l’accumulation de quarante-cinq années de déficits. Soulignons que l’État se finance désormais autant par l’endettement que par l’impôt. Si les taux remontaient, l’impact serait considérable et durable, et l’effort pourrait devenir insurmontable.
Je ne commenterai pas le niveau attendu des recettes, car il est, à l’heure actuelle, trop incertain, les hypothèses du projet de loi de finances étant déjà dépassées. Je rappellerai simplement les transformations importantes qu’elles connaissent une nouvelle fois cette année, compte tenu des réformes des impositions locales qui entraînent l’affectation de nouvelles parts de TVA aux collectivités.
Les dépenses de l’État progressent fortement sans qu’elles soient toutes nécessairement liées à la crise. De votre vaste programme de réformes de structure intitulé Action publique 2022, il ne reste presque plus rien, en particulier en matière de réduction de l’emploi public.
Mais soyons clairs, les crises, qu’elles soient sanitaires, sociales, comme celle des « gilets jaunes », ou environnementales, risquent de se renouveler avec un possible effet amplificateur. Loin d’attendre un retour hypothétique à la normale, il faut que l’économie soit capable de s’adapter à ce monde nouveau.
À ce titre, la réponse à la crise environnementale devient urgente et nécessitera une prise en compte et des décisions fortes et courageuses s’inscrivant dans le long terme. La relance de l’économie doit être mise à profit pour insuffler un renouveau, un changement profond des paradigmes de nos modèles de production et de développement, s’appuyant, pour en faire autant de chances et d’atouts, sur certaines contraintes écologiques et environnementales.
Pour être acceptées, les politiques environnementales doivent intégrer et traiter les situations de précarité sociale, économique et territoriale. Je rappelle que les ménages modestes, de même que ceux qui vivent en zone rurale ou en périphérie des zones urbaines, bien plus que les autres ménages, consacrent une part importante de leurs revenus non seulement aux dépenses énergétiques – ce qui est bien connu –, mais aussi à la fiscalité sur les produits énergétiques. Nous devons donc aider les ménages à adapter leur comportement !
Au-delà du plan de relance et de la réforme des impôts de production, le projet de loi de finances compte finalement assez peu de mesures d’ampleur. Quels changements souhaitons-nous apporter à ce texte ?
En ce qui concerne la réforme des impôts de production, qui constitue la principale mesure de ce PLF, je souhaite, d’ores et déjà, indiquer que, si la commission des finances n’a pas globalement remis en cause les réductions d’impôts locaux proposées, c’est parce que les entreprises, en particulier dans le secteur industriel, doivent voir leur niveau d’imposition se réduire pour rester compétitives.
Mais il importe aussi d’assurer une juste et pérenne compensation aux collectivités territoriales. À ce titre, la commission des finances proposera que l’État compense, comme pour les régions, la perte de recettes de la cotisation sur la valeur ajoutée des départements et du bloc communal.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le Sénat s’oppose également à la modification des règles de calcul et d’évolution des fractions de TVA versées aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en compensation des pertes de recettes résultant de la réforme de la taxe d’habitation.
Vous y voyez un effet d’aubaine, nous y voyons un État qui revient sur sa parole, alors que cette mesure permet de couvrir les pertes de recettes et les hausses des dépenses des collectivités.
La commission souhaite également, au nom de la solidarité nationale, que les assureurs versent une contribution exceptionnelle adossée à l’assurance dommages, compte tenu du faible taux de sinistralité enregistré pendant le confinement.
M. Bruno Sido. Exactement !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous réfléchissons aussi à mettre en place une taxation exceptionnelle des grandes plateformes de la vente à distance, compte tenu de l’incroyable aubaine qui s’est offerte à elles avec la fermeture des commerces physiques et le confinement.
Nos amendements complèteront également votre plan de relance pour qu’il puisse davantage porter ses fruits à court terme. Nous proposerons, notamment pour les entreprises, le report en arrière des déficits dans la limite de 5 millions d’euros, l’amélioration des coefficients d’amortissement dégressif, ainsi que des dispositifs spécifiques de suramortissement. Il faut aider les entreprises qui le peuvent à réaliser rapidement leurs investissements. Nous renforcerons par ailleurs la réduction d’impôt sur les sociétés prévue pour les PME par l’Assemblée nationale.
Il convient, en outre, de soutenir nos compatriotes qui sont plus particulièrement touchés par la crise. Je pense tout d’abord aux travailleurs indépendants, à ces petites entreprises qui, même si leur activité n’a pas subi une fermeture, ne parviennent pas à garder la tête hors de l’eau avec ce second confinement. Monsieur le ministre, l’aide du fonds de solidarité doit être repensée pour eux, afin de couvrir le coût des charges fixes.
Il faut également penser aux étudiants qui entrent sur le marché du travail, aux jeunes comme aux travailleurs plus âgés qui peinent à trouver un emploi. Les entreprises voudraient recruter, mais le contexte est difficile. Pour cela, nous proposons de prolonger le dispositif de prime à l’embauche pour six mois, en prévoyant qu’il s’applique aux PME pour les postes rémunérés jusqu’à 1,6 SMIC ou l’emploi de jeunes sans condition relative au salaire et avec une bonification.
Enfin, il faut inciter les ménages et les entreprises à faire le pas de la transition écologique, sans tomber, bien sûr, dans la fiscalité punitive. C’est pour cela que je vous proposerai d’étaler sur cinq ans la hausse du malus automobile, tout en renforçant la prime à la conversion.
Les entreprises doivent être soutenues dans cette démarche ; c’est pour cela que la commission des finances propose de faire passer d’un an à deux ans la durée du nouveau crédit d’impôt pour les travaux énergétiques dans les bâtiments tertiaires des PME.
En conclusion, mes chers collègues, la commission des finances vous demande d’adopter les amendements qu’elle vous propose en attendant de savoir quelles seront les évolutions apportées à ce texte par le Gouvernement au cours des prochaines semaines. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui débute l’examen du projet de loi de finances pour 2021. Le verbe « débuter » n’est d’ailleurs pas exact, puisque le marathon budgétaire a démarré dès le mois de septembre avec l’audition des ministres. Le rapporteur général, les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis se sont mobilisés depuis plusieurs semaines pour étudier en détail ce budget. Permettez-moi de saluer leur engagement, ainsi que celui des administrateurs de notre commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
J’en viens tout de suite aux principales caractéristiques de ce projet de loi de finances : un budget dit « de relance », mais qui est avant tout marqué par des incertitudes, des hésitations et quelques choix contestables.
Je voudrais commencer par les incertitudes : le cadrage macroéconomique qui nous est présenté est pour le moins mouvant et suit l’évolution de la situation sanitaire. Cette année a déjà été rythmée par quatre collectifs budgétaires et la situation est loin de se stabiliser. Le projet de loi de finances a été présenté au mois de septembre, au moment où il était question d’une offensive pour relancer l’économie, après une période estivale plutôt encourageante. Avec la décision d’un second confinement, un sérieux coup de frein a été donné.
Désormais, le Gouvernement révise l’estimation de croissance à 6 % au lieu de 8 % pour 2021, tout en espérant, comme nous tous, pouvoir éviter un troisième confinement l’an prochain. Nous sommes, maintenant, bien loin du rebond présenté qui aurait pu, selon vous, nous permettre de retrouver dès 2022 notre niveau de richesse d’avant la crise.
En termes d’hésitations, le ministre de l’économie annonce des mesures de soutien complémentaires à certains secteurs pour l’année 2021, mesures qu’il est en train d’examiner avec le Premier ministre et le Président de la République et qui, selon lui, seront décidées en fonction du calendrier sanitaire.
Autant dire que nous débattons d’un texte provisoire, appelé, très rapidement, à de nouvelles corrections. Le Gouvernement donnera les chiffres révisés de déficit et de dette au début du mois de décembre, sans doute – mais cela nous a été confirmé – pour la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, alors que nous terminerons l’examen du PLF le 8 décembre.
Dans le même temps, nous venons d’ouvrir des crédits en PLFR dont nous savons, d’ores et déjà, qu’une part considérable sera reportée, puisque pas moins de 47 programmes budgétaires, contre 20 l’an dernier, pourront faire l’objet de reports supérieurs à 3 % des crédits ouverts, ce qui brouille la lisibilité des exercices budgétaires. Quant à parler de la portée de l’autorisation parlementaire, je préfère passer…
Permettez-moi d’aborder quelques choix contestables. Il ne s’agit pas de remettre en cause des mesures de soutien aux entreprises et à l’emploi, comme les prêts garantis, le fonds de solidarité ou le chômage partiel. Même si le coût pour nos finances publiques se chiffre en dizaines de milliards d’euros, ces mesures étaient indispensables et vous avez su les mettre en œuvre rapidement.
La mission « Plan de relance », dotée, en 2021, de 36 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 22 milliards d’euros en crédits de paiement, prévoit également des moyens nouveaux, en particulier pour la rénovation énergétique, les infrastructures ou les énergies vertes.
Mais elle recycle aussi beaucoup de mesures plus classiques qui auraient dû figurer dans les missions budgétaires : équipement des forces de sécurité, rénovation du patrimoine, transformation numérique des administrations publiques, etc. Par bien des aspects, ce plan est avant tout un plan de rattrapage. Il faudra juger de celui-ci sur ses effets concrets, car ce n’est pas tout d’ouvrir des crédits, il faut les consommer, si possible sur des projets porteurs d’avenir.
Les crédits du plan de soutien sont loin d’être tous consommés cette année, qu’il s’agisse du fonds de solidarité ou des participations financières.
Il faudra donc, mes chers collègues, que nous soyons attentifs à l’engagement des crédits du volet « relance » et à l’association des territoires à la réalisation des projets, comme l’a dit M. le rapporteur général.
Le Gouvernement souhaite que le plan de relance soit temporaire, afin de ne pas grever durablement les finances publiques. Soit, mais comment expliquer alors que la baisse des impôts de production soit, elle, présentée comme pérenne ?
Hélas, le volet « cohésion » du plan de relance ne bénéficie pas de ce statut. Les plus démunis devront se contenter de mesures d’aide exceptionnelles et, pour tout dire, ponctuelles, qui ne sont malheureusement pas à la hauteur de la situation sociale de notre pays.
Au sein du plan de relance, le volet « soutien aux personnes précaires » représente 86 millions d’euros. Nous savons tous aussi que le risque de paupérisation des jeunes exclus du marché du travail est bien réel. Si de nombreux leviers visant à la formation des jeunes ou à leur accompagnement vers l’emploi sont bienvenus, la période commande d’expérimenter sans délai une dotation pour l’autonomie de la jeunesse, qui permettrait à tous les jeunes émancipés de 18 ans à 25 ans de bénéficier de ressources pour se lancer dans la vie active. Ne tardons plus. Travaillons-y sans délai ! Il serait d’ailleurs invraisemblable que ce plan n’aide pas fortement ceux qui, demain, devront contribuer à le payer.
Le PLF pour 2021 cumule donc des mesures nouvelles en dépenses, éminemment nécessaires, mais parfois insuffisantes, avec des propositions de baisse de prélèvements obligatoires, qui sont prises aujourd’hui à contretemps et qui pourraient, à tout le moins, être différées.
Il s’agit, par exemple, de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de la population ayant les plus hauts revenus (M. Philippe Dallier proteste.), pour 2,4 milliards d’euros cette année et 7,5 milliards d’euros annuellement au bout de trois ans.
D’un côté, monsieur le ministre, vous souhaitez libérer l’épargne des gens qui en ont beaucoup, laquelle – vous l’avez dit, et cela a été chiffré – s’est beaucoup renforcée pendant le confinement, et, de l’autre, vous augmentez encore ces économies. Difficile à suivre…
Il en est de même de la baisse de l’impôt sur les sociétés, pour 3,7 milliards d’euros, qui s’ajoute aux réformes de la fiscalité du capital, dont le coût s’élève à 5 milliards d’euros par an et qui ont, elles aussi, bénéficié aux catégories sociales les plus aisées.
Le Gouvernement fait également le choix de baisser les impôts dits « de production », pour un coût très important, de 10 milliards d’euros par an. Cette mesure, selon l’étude de l’Institut des politiques publiques, est ciblée non pas sur les entreprises fragilisées par la crise, mais plutôt sur les plus grosses, et beaucoup doutent de son efficacité. Le Gouvernement poursuit ainsi sa politique d’allégement de la fiscalité, sans prendre en considération son opportunité, alors que, dans le même temps, les dépenses publiques explosent.
Par ailleurs, aucune mesure supplémentaire n’est prise pour mettre davantage à contribution, ne fût-ce que par un prélèvement exceptionnel, les entreprises qui sont les grandes gagnantes de la pandémie, comme celles du numérique.
Une crise de cette ampleur ne peut que se traduire par une augmentation de la dette. Pour autant, monsieur le ministre, vous ne faites rien pour en limiter le montant. Le commissaire européen Paolo Gentiloni l’a encore dénoncé ce matin, estimant que ce n’était pas le moment pour la France de baisser les impôts. Ceux qui vous succéderont et qui seront confrontés d’ici peu à son remboursement constateront que vos décisions auront consisté à diminuer la participation des plus aisés, des actionnaires, des grosses entreprises. Ils n’hésiteront peut-être pas à proposer, comme le ministre Bruno Le Maire le fait régulièrement, des économies sur notre protection sociale, nos régimes de retraite ou d’assurance chômage ou, qui sait, une augmentation de TVA pour tous, aucun économiste sérieux ne s’en remettant comme vous à la seule croissance future.
En conclusion, je rappelle que Vincent Éblé, alors président de la commission des finances, avait regretté, dès le mois de septembre 2019, l’abandon de toute velléité de programmation à moyen terme de nos finances publiques. À l’époque, le Gouvernement avait justifié cet abandon par les incertitudes entourant la réforme des retraites.
Aujourd’hui, alors que la dette avoisine les 120 % du PIB, le ministre nous indique que la trajectoire et la situation de nos finances publiques nous obligent à une réflexion à moyen et long termes. De toute évidence, l’argument de la réforme des retraites a fait long feu… On ne peut que regretter que cette réflexion, que chacun appelle de ses vœux, s’ouvre au plus mauvais moment, dans l’urgence d’une situation de crise économique et sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-1069.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances pour 2021 (n° 137, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est donc venue pour le Sénat d’examiner la question préalable que nous avons choisi de soumettre au débat.
Cette décision ne relève pas du rituel d’un opposant systématique. Elle n’est pas davantage une mesure dilatoire. Elle n’est pas non plus un pensum imposé à l’ensemble des collègues, alors que des journées de débats intenses nous attendent dans cet hémicycle. Elle n’est rien de tout cela.
Nous souhaitons proposer un moment pour essayer de prendre un peu de recul sur la situation économique, sociale et financière de notre pays. Les fins d’année relèvent toujours du marathon lors de l’examen du budget et nous laissent bien peu de temps pour mener des réflexions de fond. Cette tendance est renforcée par le présent exercice, compte tenu des conséquences lourdes de la pandémie, sur le plan économique bien sûr, mais aussi social. De ce point de vue, il y a urgence.
Une question préalable, c’est aussi du temps de débat pour le Parlement, alors que le Sénat demande à être écouté et respecté par un exécutif qui tend trop souvent à enjamber le nécessaire débat parlementaire.
Ce qui frappe, dans ce contexte inédit, c’est que les options fondamentales du Gouvernement ne sont nullement ébranlées par cette crise exceptionnelle. Vous vous entêtez ainsi, monsieur le ministre, à baisser les impôts. Le calendrier de baisse des impôts est maintenu. Il en va ainsi de l’impôt sur les sociétés, dont le taux atteindra 25 % en 2022.
De même, vous auriez dû faire le bilan des choix fiscaux initiaux du quinquennat. Contrairement à ce que vous prétendez, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n’a pas relancé l’investissement. Les 20 000 foyers les plus aisés ont vu leurs dividendes croître de plus de 100 000 euros. Cette réforme a accru la propension des ménages aisés à acquérir des titres en Bourse défiscalisés, sources de dividendes croissants sous-imposés. Un rapport récent confirme que les placements financiers des ménages les plus aisés sont passés de 45 milliards à 143 milliards d’euros entre 2017 et 2018. Les 1 500 premières fortunes de France ont chacune bénéficié d’une hausse des dividendes supérieure à 1 million d’euros.
Vous comptiez sur le ruissellement. Nous en attendons encore les premières gouttes !
Vous nous expliquez que cette suppression a permis le retour en France d’exilés fiscaux. La différence entre les départs et les retours montre un solde positif de 77 personnes. Rappelons, à cet instant, que le nombre de foyers fiscaux assujettis à l’ISF, en son temps, était de 358 000. Vous n’avez pas mis fin au séparatisme fiscal !
Dans le même temps, nous pourrions évoquer la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la flat tax, véritable bombe à retardement pour les finances publiques. L’écart de 15 points entre la taxation des salaires et celle des dividendes coûtera, à terme, 10 milliards d’euros par an, du fait des stratégies d’optimisation fiscale mises en place.
Trois années plus tard, il convient d’établir un état des lieux de la société française. Des rapports successifs mettent régulièrement en évidence l’aggravation spectaculaire des inégalités dans notre pays. L’édition du journal Le Monde datée de ce lundi 16 novembre titrait : « La crise sanitaire a exacerbé les inégalités de revenus ». Elle évoquait, en même temps, « un plan de relance peu adapté au “choc covid” ».
La France comptera, en cette fin d’année, 1 million de pauvres en plus, alors que le taux de pauvreté s’était déjà établi à 14,8 % de la population en 2018. De l’autre côté du spectre, la fortune des milliardaires français a augmenté de 439 % en dix ans, passant de 82 milliards de dollars en 2009 à 442 milliards en 2020, indépendamment du covid.
La fracture sociale dénoncée un temps ne fait que s’aggraver. Banques alimentaires, Secours catholique, Secours populaire, Restos du cœur voient arriver dans leurs permanences des milliers de nouvelles familles. Le nombre de demandeurs du revenu de solidarité active (RSA) dans les départements explose, parfois jusqu’à 40 %. Soyez bien conscients que l’urgence sociale est là !
Pandémie et confinement déstabilisent notre tissu commercial de proximité. Dans nos quartiers et nos communes, nous en faisons tous le constat. Pendant la même période, le e-commerce tire profit de la situation. La grande distribution, les compagnies d’assurances devraient contribuer fortement et davantage à la solidarité nationale. La situation de certains opérateurs du numérique, qui bénéficient des conditions d’une concurrence fiscale scandaleuse, nourrie par le Luxembourg, au cœur même de l’Union européenne, est carrément inacceptable.
Monsieur le ministre, vous refusez de taxer les hauts salaires et les dividendes et vous faites le choix d’avoir recours aux marchés financiers privés pour financer le budget. Ce faisant, vous choisissez la dette. Dans une réunion préparatoire de la commission des finances, notre rapporteur général, Jean-François Husson, faisait ce constat terrible, qu’il vient de rappeler : l’État français se finance désormais autant par l’endettement que par l’impôt.
Nous nous retrouvons de plus en plus sous la tutelle de ces marchés financiers qui dictent leur choix et qui exigent, avec l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI), la Cour des comptes, des réformes structurelles. C’est au nom de la dette que l’on impose à nos concitoyens la réduction de la dépense publique, les privatisations, la dérégulation et l’affaiblissement de l’État.
La dette des États s’appelle « dette souveraine », mais on n’est pas souverain quand on dépend des marchés financiers ! Un pays est souverain quand le Parlement vote l’impôt, un impôt progressif, équitable et auquel, bien sûr, personne ne se soustrait. La « dette souveraine » est un oxymore ! C’est le « jeune vieillard » du Malade imaginaire de Molière. (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
Ce débat sur la dette publique, il faudra bien que nous l’ayons un jour.
M. Philippe Dallier. Ça, c’est sûr !
M. Éric Bocquet. Il nous faudra sortir du catastrophisme systématique, sans stigmatiser nos concitoyens qui seraient coupables de vivre au-dessus de leurs moyens et d’endetter leurs descendants, en toute irresponsabilité. Dans l’Antiquité, on pouvait être condamné à l’esclavage pour dette.
Il faudra bien sûr que l’État retrouve sa pleine souveraineté budgétaire, sa liberté, en imaginant d’autres moyens que le recours au marché privé pour assurer son financement. Non, l’État n’est pas le parasite proliférant au détriment de l’économie privée que l’on nous décrit si volontiers. S’il n’est pas seul à créer la croissance, il en est, du moins, l’un des paramètres essentiels.
Depuis le printemps dernier, pas moins de 460 milliards d’euros d’aides en argent public ont été mobilisés sous diverses formes. Vous avez fait le choix de n’introduire aucun principe de conditionnalité à l’égard du monde économique, au nom de l’urgence, mais l’urgence n’est pas de revenir mécaniquement au monde d’avant. Cette crise bouscule, interroge. Le Président de la République, dans son intervention du 13 avril dernier, avait eu ces mots : « Sachons […] nous réinventer » et « bâtir un autre projet. » Précédemment, il avait déclaré : « Le jour d’après […] ne sera pas un retour au jour d’avant », ou encore : « Il nous faudra … interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies. »
Nous ne retrouvons pas ces belles envolées dans le projet de loi de finances qui nous est soumis : ce budget s’inscrit dans une continuité néolibérale qui ne répondra pas aux exigences de justice sociale.
Le PLF se limite à la politique de l’offre et néglige fortement la demande. On n’y trouve rien sur les salaires, rien de significatif sur le pouvoir d’achat des ménages, si ce n’est quelques mesurettes, ici et là, sur la pauvreté. Franchement, le compte n’y est pas du tout. Une relance de l’offre dans un contexte de demande durablement anémiée, de gains de productivité inexistants, de taux historiquement faibles et de financiarisation n’a pas beaucoup de sens. Comment croire que ce budget est un budget de relance ? Les chiffres présentés sont sans ambiguïté : le volume des dépenses publiques recule sur un an.
M. Le Maire s’est aussi félicité que le Gouvernement ne crée pas d’emplois publics. Or la pandémie a mis en évidence de manière très criante les immenses besoins dans nos hôpitaux publics, par exemple. En 2021, il y aura même une légère réduction nette d’emplois publics, avec 157 postes en moins. Certes, la communication autour des 100 milliards d’euros a été abondante depuis le mois de septembre, mais l’examen minutieux des dispositions budgétaires montre qu’il faut singulièrement nuancer ce chiffre.
Quant aux 40 milliards d’euros de l’Union européenne, tout nous conduit à la plus grande prudence. Les 10 milliards d’euros de baisse des impôts de production viendront impacter fortement les budgets des collectivités bénéficiaires, alors que les collectivités ont elles aussi été en première ligne pour faire face à la pandémie ces derniers mois et restent encore, dans notre pays, un levier essentiel de la relance économique, elles qui représentent plus de 70 % de l’investissement public. Faites confiance aux territoires et appuyez-vous sur eux, au lieu de les considérer systématiquement comme une variable d’ajustement budgétaire !
Ce budget est donc un budget de continuité de la politique menée par M. Macron depuis le début de son quinquennat en 2017. Vous vous cramponnez à vos choix fondamentaux, lesquels ont des conséquences sociales graves, ainsi que nous l’avons illustré. S’installe, dans le pays, un climat qui devrait tous nous interpeller. L’inquiétude quant à l’avenir grandit et la confiance recule.
Oui, il faudrait demander un effort aux très hauts revenus. Il ne s’agit pas de punir qui que ce soit : il s’agit simplement d’essayer de construire des normes de justice acceptables pour le plus grand nombre. Au printemps, le Gouvernement disait que personne ne paierait, que l’on augmenterait l’endettement, mais qu’il n’était pas nécessaire de demander des efforts supplémentaires aux plus riches. Aujourd’hui, le discours n’est plus du tout le même : on nous dit qu’il va falloir payer cette dette.
Oui, il y a urgence à aller vers un système de plus grande justice fiscale. Ces débats ont lieu partout dans le monde. Il ne s’agit pas d’un tropisme français. Les mêmes questions se sont posées durant la campagne électorale américaine. Elles se posent au Royaume-Uni ou encore en Belgique.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui nous ont amenés à déposer cette question préalable. Il nous paraît indispensable d’échanger avant d’entrer dans la mécanique du PLF. À situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, contre la motion. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai d’autant plus bref que je suis absolument persuadé que, en leur for intérieur, nos collègues communistes n’ont absolument pas envie que nous votions cette question préalable. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Julien Bargeton. En effet !
M. Philippe Dallier. Chers collègues, vous vouliez dix minutes de temps de parole supplémentaires : vous les avez eues ! Pourtant dans cet hémicycle, personne n’est jamais privé de temps de parole… (Si ! sur les travées du groupe CRCE.)
Cela dit, sur le fond et plus sérieusement, ce PLF, c’est le plan de relance, ce plan de relance dont on parle depuis l’examen, au mois de mars dernier, du premier projet de loi de finances rectificative. Le Gouvernement nous avait dit qu’il serait pour juin. On nous avait dit, ensuite, qu’il serait pour juillet. Puis on a parlé de septembre… Nous sommes à la fin du mois de novembre. Le pays a donc perdu entre six et huit mois sur ce plan de relance, comme M. le rapporteur général l’a dit. Nous le regrettons tous.
Dans ces conditions, le mieux que nous ayons à faire est, je crois, d’engager la discussion. Nous avons tous des choses à dire dans la discussion générale. Surtout, nous avons des propositions à faire, car, une chose est certaine, le pays ne peut pas se permettre d’aborder l’année 2021 sans que nous votions des mesures fortes pour relancer l’activité. Je pense que nous pouvons tous être d’accord sur ce point. Le mieux que nous ayons à faire est donc de passer à la suite. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je veux d’abord remercier nos camarades (Rires sur les travées des groupes CRCE et SER.) de ces dix minutes de temps de parole supplémentaires qu’ils se sont accordées. C’est un procédé intelligent.
Mme Cécile Cukierman. C’est le règlement qui le permet !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cher collègue Éric Bocquet, j’ai bien entendu le regret que vous formuliez sur la manière dont le Gouvernement « enjambe » le Sénat dans la discussion parlementaire.
Je redis avec gravité que, dans ces circonstances inédites, l’attention aux propos, au dialogue, au choix des partenaires doit être irréprochable, monsieur le ministre, même si vous n’êtes que le messager. De ce point de vue, je reprends à mon compte le regret exprimé par M. Bocquet.
Pour ce qui concerne la trop grande part qui serait donnée aux entreprises à travers la baisse des impôts de production, il faut faire attention à ne pas se tromper de combat ni d’adversaire en ces temps difficiles. Nous sommes tous ici attentifs aux difficultés et au risque de déprime qui touchent aujourd’hui les commerçants, les indépendants, les petites entreprises. Le développement de ces acteurs, dans l’exercice de leur métier, et de leurs outils de production n’est permis que par les entreprises qui structurent la vie économique de notre pays à grande échelle.
Pour garder des capacités de production, pour éviter des pertes d’emplois, nous avons évidemment besoin de soutenir les entreprises. De ce point de vue, le Gouvernement a pris sa part. Vous savez – il suffit pour s’en convaincre de regarder les chiffres très objectivement – que les entreprises de France subissent une charge fiscale tout à fait exceptionnelle – on pourrait même parler de « fardeau » –, puisqu’elles sont victimes du taux d’imposition le plus fort d’Europe.
Il faut donc, mes chers collègues, faire en sorte de retrouver des marges de manœuvre pour permettre aux entreprises de toutes tailles de conserver les emplois, aujourd’hui menacés à la fois par la crise et par la répétition des périodes de confinement.
Enfin, comme Philippe Dallier l’a très bien dit, nous ne voulons pas que la discussion s’arrête. Non seulement nous nous tirerions une balle dans le pied, mais on ne comprendrait pas que les sénateurs, qui regrettent de ne pas être considérés par le Gouvernement, n’aient rien à dire, refusent le débat, ne cherchent pas à amender ce budget ni à faire entendre la voix des territoires.
Nous faisons, au contraire, le choix de porter la voix des élus de la France qui souhaitent, à leur manière, participer au redressement. Je sais que vous allez démontrer très rapidement que vous prendrez toute votre part à cette démarche.
Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Emmanuel Capus applaudissent également.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. L’exercice qui consiste, pour le Gouvernement, à donner un avis sur une motion qui vise à rejeter le texte qu’il présente est toujours particulier. Par définition, l’avis est défavorable.
Je saisis cependant l’occasion pour faire trois remarques à l’intention de M. le sénateur Bocquet.
Premièrement, sur la question de la dette, que vous avez évoquée à la fin de votre propos, le Gouvernement défend effectivement le principe que la dette doit être remboursée. Cette position est parfois remise en cause – pas forcément, du reste, par des membres de votre groupe.
Nous savons que le mode de financement de l’État nous amène essentiellement à rembourser des intérêts et à renouveler le capital de la dette, d’où l’importance des taux d’intérêt, mais nous restons convaincus que la solvabilité et la crédibilité de l’État passent par son engagement et sa capacité à faire face à ses échéances et à rembourser. En cela, nous nous distinguons très nettement de celles et de ceux qui considèrent que la dette pourrait être perpétuelle – cela s’appelle une rente de situation ad vitam aeternam pour le système bancaire –, voire qu’elle serait effaçable, ce qui serait pire.
J’ai toujours considéré – pardonnez cette familiarité – qu’il est assez peu probable que votre voisin accepte de vous prêter de l’argent si vous commencez par vous engager à ne pas le rembourser !
M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas faux !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Nous aurons ce débat, cette question de la dette et de son appréciation étant extrêmement importante quand on parle des perspectives pluriannuelles des finances publiques.
Deuxièmement, vous avez, en présentant votre motion, dressé une description de la politique du Gouvernement que, vous l’imaginez, je ne partage pas. Je pense notamment au qualificatif « néolibéral », que vous avez utilisé.
En cette année 2020, l’État s’est substitué aux entreprises pour garantir le maintien du salaire de 12 millions d’actifs. En 2020, nous nous sommes engagés sur des dépenses publiques à hauteur de 413 milliards d’euros en prévisionnel, sans compter les garanties d’emprunt et les prêts garantis par l’État, que vous avez inclus dans les dispositifs mobilisés pour faire face à la crise. En 2020, nous avons mis en œuvre le Ségur de la santé, quelle que soit l’appréciation que vous pouvez porter à son sujet. En 2020, nous avons franchi de nouvelles étapes en matière de mise en œuvre du reste à charge zéro. Dès lors, je ne suis vraiment pas convaincu que le qualificatif « néolibéral » soit le plus approprié ! Je suis même convaincu du contraire. Je pense même que ceux qui évoquent la rigueur ou l’austérité se trompent encore plus que vous.
Troisièmement, enfin, je ferai une remarque de méthode. Je saisis l’occasion pour répondre à M. le président de la commission des finances sur le calendrier et le rythme d’examen des textes.
J’ai totalement conscience que la situation est inconfortable pour nous tous. Entre le mois de septembre et la saisine du Haut Conseil des finances publiques, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur le PLF pour 2021, puis sur le PLFR 4, nous avons révisé les hypothèses macroéconomiques de 2020. Je répète que nous proposons au Parlement une actualisation au fil de l’eau des sous-jacents budgétaires. Le Sénat a accepté d’adopter un amendement en ce sens au PLFSS. Je forme le vœu qu’il accepte de voter un tel amendement à l’article liminaire du PLF pour réviser les prévisions relatives à l’année 2020.
Se pose la question de la révision pour 2021. Permettez-moi, à ce sujet, de préciser ce que j’ai dit dans mon propos introductif : si le Haut Conseil des finances publiques, que nous avons saisi sur la base d’une hypothèse de croissance de 6 %, rend son avis avant la fin de la discussion de la première partie du PLF par votre assemblée, nous intégrerons, dans l’amendement d’équilibre et de coordination que nous examinerons en fin de première partie, la prévision qui est la nôtre, appuyée sur l’avis du Haut Conseil des finances publiques, à l’article liminaire, pour que le Sénat puisse adopter le texte le plus actualisé possible. Si l’avis est rendu après la fin de l’examen de la première partie, nous proposerons à l’Assemblée nationale d’intégrer cette prévision dans le texte lors de la nouvelle lecture.
Pour ce qui concerne les mesures d’urgence propres à 2021 et qui sont, en réalité – nous l’espérons –, des mesures d’accompagnement de la sortie du confinement, je réaffirme ce que Bruno Le Maire a eu l’occasion de dire : nous avons besoin d’un peu plus de visibilité sur le rythme de sortie du confinement pour calibrer les mesures au mieux et faire en sorte que, nonobstant le risque d’un troisième confinement, que personne ne souhaite, le PLF pour 2021 puisse contenir les mesures nécessaires. Compte tenu du temps dont nous avons besoin, le Gouvernement fera une proposition lors de la nouvelle lecture. Il n’y a aucune volonté d’enjamber le Sénat. Nous voulons simplement proposer au Parlement dans son ensemble d’actualiser les sous-jacents et les mesures d’urgence au rythme de nos prévisions. Le Gouvernement souffre aussi du manque de lisibilité que vous soulignez. C’est la raison principale de cette méthode quelque peu itérative que nous proposons.
Pour le reste, le Gouvernement est évidemment défavorable à la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souscrivons largement à l’analyse que M. Bocquet a faite de ce budget. Nous considérons comme lui que le PLF est insuffisamment tourné vers les ménages, notamment vers ceux qui sont le plus en difficulté et qui basculent dans la pauvreté.
Nous partageons également le constat que ce budget – M. le ministre l’a lui-même exprimé à sa manière – présente une forme d’insincérité, en raison de l’incapacité dans laquelle nous sommes d’établir des prévisions, ce qui nécessite d’ajuster les textes au fur et à mesure de l’évolution de la situation.
L’insincérité tient aussi au fait que le plan de relance se fonde, on le sait, sur des décisions européennes qui ne sont pas encore assurées, l’engagement européen étant lui-même soumis à la ratification de l’ensemble des Parlements.
Pour toutes ces raisons, nous avons lu avec grande attention la motion tendant à opposer la question préalable présentée par le groupe CRCE. Néanmoins, nous ne la voterons pas. Nous nous abstiendrons. En effet, il nous semble important, pour les Françaises et les Français, de débattre de ce budget. Je suis d’ailleurs convaincue que les membres du groupe CRCE participeront très activement à ce débat et feront entendre très fortement leur voix dans cet hémicycle, conformément à leur habitude.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-1069, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 27 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 267 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans un contexte sanitaire, économique et social très compliqué – « exceptionnel », avez-vous dit, monsieur le ministre.
Cette situation fragilise des pans entiers de notre économie et expose les plus vulnérables de nos concitoyens, elle met à mal les finances de notre pays et limite notre capacité à tracer les perspectives dont nous aurions pourtant besoin.
Dans ce contexte inédit, le rôle de l’État est évidemment essentiel. Je le dis comme je le pense : l’État a été au rendez-vous pour maintenir le pays debout, grâce à un ensemble de mesures – on peut toujours discuter de telle ou telle de ces mesures, et nous le ferons, mais l’État a été globalement au rendez-vous.
Mais à côté de l’État, je veux insister sur le rôle tout à fait déterminant joué par les collectivités territoriales. Nous avons besoin de collectivités fortes pour soutenir l’activité économique et l’emploi dans les territoires et pour organiser la solidarité dans la proximité, au plus près de nos concitoyens.
Les collectivités territoriales constituent un point d’appui indispensable pour maintenir le pays en marche. C’est sur ce sujet des collectivités que je voudrais revenir à la lumière de cette première partie du projet de loi de finances ; mes collègues Sylvie Vermeillet et Vincent Delahaye évoqueront d’autres aspects de ce PLF.
Avec les articles 3 et 4, vous proposez un allégement des impôts de production à hauteur de 10 milliards d’euros : 7 milliards d’euros, par la suppression de la part régionale de CVAE, compensés par une part de TVA, et un peu plus de 3 milliards d’euros, avec la réforme des valeurs locatives des locaux industriels qui affecte le rendement de la CFE et de la taxe sur le foncier bâti du bloc communal, compensés par un prélèvement sur ressources.
C’est un pari pour favoriser la relocalisation de notre industrie et créer de nouveaux emplois, nos impôts de production étant deux fois plus élevés que la moyenne observée dans les pays de l’Union européenne. Toutefois, cette mesure affaiblit les recettes fiscales des collectivités et d’autres schémas seraient sans doute possibles – Sylvie Vermeillet reviendra sur cette question.
Quoi qu’il en soit, nous devons veiller sans faiblir à la dynamique et à la pérennité des modalités de compensation aux collectivités locales. Ces dernières doivent garder leurs marges de manœuvre, le pays en a besoin. Notre groupe sera très vigilant sur ce point et proposera plusieurs amendements en ce sens.
En ce qui concerne l’article 22 bis, j’étais favorable, dès lors que la taxe d’habitation était supprimée, à l’attribution d’une part de TVA aux départements et aux intercommunalités, comme l’avait proposé la commission des finances du Sénat. C’est un mécanisme pérenne et péréquateur alors qu’une compensation par une dotation de l’État, comme ce fut trop souvent le cas, reste aléatoire.
Toutefois, la crise que nous traversons révèle une faille non pas sur le principe d’une compensation par la TVA, mais sur le mécanisme voté l’année dernière et sur lequel s’appuie la dynamique de cette recette : il n’est sécurisé ni pour les collectivités ni pour l’État. Nous comprenons donc la disposition prévue à l’article 22 bis.
Je le dis tranquillement : l’effet d’aubaine, ici favorable aux départements et défavorable à l’État, pourrait demain s’inverser. C’est la raison pour laquelle nous devons trouver une solution équilibrée et durable. Celle que vous proposez à l’article 22 bis apporte une réponse justifiée et juste, mais seulement pour 2022, pas au-delà. Nous proposerons donc une autre solution afin de sécuriser durablement les recettes des collectivités et de l’État en cas de variation exceptionnelle des montants de la TVA perçue.
Par ailleurs, nous pensons que ces modalités de compensation de la réduction de la taxe foncière sur les propriétés bâties doivent être dissociées de la question des dérapages des dépenses sociales, notamment du RSA à hauteur de 1 milliard d’euros, à laquelle il convient bien évidemment d’apporter des solutions.
Nous proposerons également de corriger le traitement inéquitable entre les collectivités selon qu’elles subissent des pertes de recettes importantes, parce qu’elles gèrent leurs services et leurs équipements en régie, ou qu’elles ont délégué services et gestion des équipements à des délégataires qui, eux, peuvent bénéficier des aides de l’État.
Je voudrais enfin évoquer, de façon générale, la question des recettes des collectivités. Monsieur le ministre, cette année encore, nous modifions les recettes fiscales des collectivités locales. À chaque modification, et cela ne date ni d’aujourd’hui ni de 2018 – on pourrait parler de la taxe professionnelle, du Fonds national de garantie individuelle des ressources, le fameux FNGIR, dont il est encore question cette année dans le budget –, nous empilons des mécanismes de compensation plus ou moins fiables, plus ou moins durables, lesquels finissent par fragiliser les ressources des collectivités.
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Bernard Delcros. Ne pensez-vous pas que nous devrions travailler à la mise en place d’un système lisible, stable, durable des ressources des collectivités locales ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bernard Delcros. Elles ont besoin de cette visibilité pour organiser le développement de leurs territoires.
Dans l’attente, et nous reviendrons sur le sujet des collectivités lors de l’examen de la seconde partie de ce PLF, le groupe Union Centriste, dans sa très large majorité, adoptera la première partie de ce budget. Nous serons force de proposition pour enrichir le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était courant, au Moyen Âge, d’intenter des procès aux animaux pour divers délits et crimes. C’est ainsi qu’à Autun, en pays bourguignon, au début du XVIe siècle, un procès fut intenté aux rats de la ville que l’on accusait d’avoir dévasté les récoltes de blé.
Les paysans, en partie privés des fruits de leur travail, se trouvèrent dans l’incapacité de payer la dîme. Ils accusèrent alors les nuisibles. Après que justice fut rendue, on encouragea les paysans à se remettre au travail pour payer leur impôt.
Depuis lors, les choses ont quelque peu changé.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Quoique…
M. Emmanuel Capus. Il y a bien longtemps que l’on ne rend plus les rats, pas plus que les chauves-souris ou les pangolins, responsables de la diminution des ressources fiscales, et donc de la dégradation des finances publiques.
M. Pierre Cuypers. C’est une erreur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. Pourtant, en 2020, la tentation est grande de vouloir rendre un virus responsable de la situation catastrophique de nos finances publiques : c’est à cause de la covid que notre pays affiche une récession à deux chiffres ; c’est à cause de la covid que le déficit dépasse les 220 milliards d’euros ; c’est à cause de la covid que notre taux d’endettement a bondi, en moins d’un an, de vingt points de PIB. Bref, c’est à cause d’un virus que nous nous apprêtons à examiner un budget historique pour la France, avec à la fois le déficit et la dette publics les plus élevés de notre histoire.
La séquence budgétaire dans laquelle nous nous trouvons est sans précédent. Il est utile de nous le rappeler. Et il est utile, aussi, de nous rappeler que ce n’est pas le virus qui est responsable de cette situation catastrophique, mais bien les décisions que nous avons prises pour nous en protéger. Ce n’est malheureusement pas un scoop et ce projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans la droite ligne des quatre projets de loi de finances rectificative pour 2020.
Tous ces textes traduisent les décisions que nous avons prises collectivement pour lutter contre le virus. Ils correspondent au « quoi qu’il en coûte » que le Président de la République a lancé en mars dernier et qu’aucun responsable politique n’a réellement contesté. En clair, ils reflètent le choix que nous avons fait : donner la priorité à la santé des plus fragiles, quoi qu’il en coûte.
C’est cette priorité donnée à la santé qui nous a collectivement conduits à ralentir le pays, à confiner les Français chez eux, à mettre nos entreprises sous cloche, à fermer les commerces. Et ces mesures radicales sans précédent ont converti la France entière, bon gré mal gré, à un néo-keynésianisme sous stéroïdes.
Car tout découle de ces mesures radicales prises pour contenir la propagation du virus. Sans plan de sauvetage, nous aurions tué bon nombre de nos entreprises en 2020, la plupart dès le premier confinement et lors du second pour celles qui y auraient survécu.
Aujourd’hui, sans plan de relance, nous laisserions notre économie exsangue face à la compétition mondiale : sans relance, impossible d’espérer renouer un jour avec la croissance ; sans croissance, impossible d’espérer rembourser les dettes astronomiques que nous avons contractées.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous avons à peu près accepté l’impérieuse nécessité d’engager de nouvelles dépenses sans augmenter les impôts. Face à la gravité de la situation, nous sommes nombreux à nous y résigner. D’autres exultent de voir enfin grand ouvertes les vannes de la dépense publique, et voudraient même ajouter de nouveaux impôts.
Je n’entrerai pas dans le détail des différentes mesures dont nous aurons tout loisir de débattre au cours des trois prochaines semaines.
À ce stade, je souhaite simplement présenter trois critères à l’aune desquels le groupe Les Indépendants examinera ce budget hors norme. Ces critères s’imposent à nous, alors que nous nous apprêtons à voter le pire déficit public de notre histoire.
Le premier, c’est que ce budget de relance doit renforcer notre compétitivité. Il s’agit de nous assurer que chacune des mesures valorisera à la fois le travail et l’investissement, à la fois les efforts que feront les Français et les risques qu’ils prendront pour relever le pays. Ce n’est qu’à cette condition que nous sauverons le présent sans hypothéquer l’avenir.
À cet égard, je tiens à saluer la baisse ambitieuse des impôts de production. Notre groupe l’appelait déjà de ses vœux lors du dernier projet de loi de finances. Ces impôts, parce qu’ils ne dépendent pas de la conjoncture, s’avèrent encore plus néfastes en temps de crise qu’en temps normal. Il était grand temps d’alléger ce fardeau qui obère la productivité des entreprises et pénalise l’économie de nos territoires face à la concurrence d’Europe et d’ailleurs.
C’est pourquoi notre groupe soutient la baisse massive de la CVAE. Bien sûr, comme toute baisse des impôts, le risque existe, au moins à court terme, que certains y perdent. Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que cette baisse ne se fasse pas aux dépens des collectivités locales, partenaires clés de la relance. Il y va de la cohésion de nos territoires, comme le soulignait à l’instant Bernard Delcros.
Le second critère, c’est que la dépense publique contribue efficacement à préparer la France aux enjeux de demain. Le Gouvernement s’y est engagé. Nous y sommes aussi attachés.
Notre groupe soutiendra les mesures qui favorisent l’investissement dans les technologies du futur et dans l’innovation partenariale, de même que les mesures qui facilitent la circulation des capitaux pour développer de nouvelles activités et celles qui encouragent la modernisation de notre outil de production.
C’est dans le même esprit que notre groupe abordera les mesures visant à favoriser la transition écologique. Plus personne n’ignore l’urgence de la situation : « notre maison brûle », mais nous ne détournons plus le regard.
La nécessité d’adapter nos modes de production et de consommation fait désormais consensus. À nous d’agir en conséquence. Il est urgent de protéger le climat et la biodiversité. Les priorités sont connues.
Ainsi, nous devons faire preuve d’ambition pour lutter contre l’artificialisation des sols, pour réduire l’impact carbone de nos mobilités et pour améliorer l’efficacité énergétique de notre parc immobilier. Nous serons force de proposition pour renforcer le budget dans ce sens.
Cependant, je veux être clair : nous ne chercherons pas pour autant à accéder systématiquement aux demandes de citoyens tirés au sort. L’enjeu est trop complexe, et surtout trop important, pour que nous nous contentions d’imposer et d’interdire pour engager la France dans une transition ambitieuse. Transition ne rime pas qu’avec taxation et restriction, comme le soutiennent les décroissants, mais surtout avec éducation et innovation.
Nous ferons des propositions pour que la transition écologique soit adaptée à la réalité de nos territoires, à la ville comme à la campagne. Tous les Français veulent participer à cette transformation. Nous leur devons mieux que toujours plus de taxes et de contraintes.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais évoquer un dernier critère, sans doute le plus important, à savoir le renforcement de notre capacité à rembourser nos dettes à moyen terme.
Or pour ce faire, il n’y a pas d’échappatoire : il faut réduire au plus vite toutes les dépenses qui aggravent notre déficit structurel. La relance n’a de sens que si elle est temporaire, comme l’a rappelé le rapporteur général dans son intervention.
L’objectif n’est pas de revenir à la situation que nous connaissions en 2019, mais bien de consolider la souveraineté de la France en renforçant la compétitivité économique et en accélérant la transition écologique. Mes chers collègues, « qui paie ses dettes s’enrichit » disait Balzac. Cela vaut tout autant pour notre dette publique que pour notre dette climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 avril dernier, en plein cœur de la première vague, le Président de la République promettait une véritable « refondation » de notre système.
Au-delà des quatre plans d’urgence adoptés ici même depuis le début de la crise, le budget pour 2021 aurait dû être le moment clé de cette refondation, et ce d’autant plus qu’il s’agit du dernier budget en plein exercice du président Macron.
Une refondation… Et qu’observons-nous ? Une structure de budget inchangée par rapport à l’année dernière, assortie d’un plan de relance dont la majeure partie des crédits réellement opérationnels en 2021 ira à la réduction massive et sans contrepartie des impôts des entreprises. Tout sauf une refondation : une continuité, dangereuse.
Où est la refondation quand on assiste à la poursuite de la baisse continue et massive de la fiscalité des entreprises ? Cette politique fiscale est une incessante course à la diminution des impôts des entreprises qui revient à faire reposer le poids de la dépense publique sur les ménages.
Inefficace, elle exempte encore et toujours plus les grandes entreprises pourtant bien moins contributrices que les petites et moyennes entreprises et que les toutes petites entreprises dans notre pays. Et vous profitez de la crise pour aller encore plus loin.
Nous reconnaissons bien là la « stratégie du choc », lorsque la sidération et la peur provoquées par la crise permettent de faire passer des mesures structurelles pour des mesures conjoncturelles.
Voici ce que disait Guy Sorman en 1984, en observant, ravi, la politique de Ronald Reagan : « Le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. » Quarante ans après, c’est ce que vous faites en faisant passer la baisse de 10 milliards d’euros par an d’impôts de production pour une mesure de relance.
Mais derrière cette relance, par ailleurs surestimée, avec la baisse des recettes, c’est la bonne vieille méthode néolibérale : la création organisée de déficits qui servira, plus tard, à légitimer des mesures draconiennes afin de réduire à peau de chagrin les mécanismes de solidarité et d’ouvrir de nouveaux marchés à la sphère privée. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos de Bruno Le Maire dans les médias : la réforme des retraites permettra de payer la dette due à la covid. Nous ne l’acceptons pas !
Nous n’acceptons pas ce logiciel libéral qui vise à toujours agiter cette dette sans prendre en considération la seule qui vaille aujourd’hui. Et c’est le Conseil d’État qui nous l’a rappelé avec fracas, ce matin : la dette écologique ne pourra pas se régler à coups de réformes des retraites ou de l’assurance chômage.
Nous pouvons calculer tous les ans l’écart croissant entre l’accord de Paris, dont vous vous réclamez, et la réalité de l’action du Gouvernement. Je tiens à saluer l’action entreprise par Damien Carême, alors maire de Grande-Synthe, qui avait saisi le Conseil d’État pour « inaction climatique ». Cette dette s’accumule et nous ne pourrons négocier avec les banques pour la rembourser.
Où est la refondation en matière de justice sociale ? Toujours le 13 avril dernier, le Président de la République rappelait, citant les révolutionnaires de 1789, que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Nous nous attendions alors à une diminution de la fiscalité des ménages après les demandes répétées et incessantes des Françaises et des Français pour rétablir les impôts des plus riches. Mais non ! On a surtout relevé, en guise de refondation, un entêtement à refuser toute forme de participation des plus riches à la crise.
Avec obstination, ce gouvernement protège les riches. En ce domaine, il faut souligner combien votre bilan est excellent. Une étude de la banque UBS de juillet 2020 nous apprend que la France est classée au deuxième rang des pays pour l’augmentation du patrimoine des plus riches. Belle réussite !
Mais les mots ont un sens, monsieur le ministre. La République, invoquée tous les matins, n’est pas un glaive avec lequel on menace les citoyens. C’est d’abord un idéal de vivre ensemble où personne n’est laissé sur le carreau et qui devrait trouver une traduction concrète dans notre système d’imposition : vous aviez là l’occasion de lutter contre le séparatisme fiscal qui fait ravage dans notre pays. Ce séparatisme des riches qui conduit la France à battre le record européen de versement des dividendes aux actionnaires dans une période de crise sanitaire où, nous le voyons tous dans nos territoires, la pauvreté explose.
Où est la refondation quand vous refusez d’agir avec l’ambition nécessaire pour répondre au péril climatique ? Certes, le plan de relance prévoit des financements pour la rénovation des bâtiments et quelques autres projets vertueux, mais cela ne suffit pas à cacher que les lourdes exemptions fiscales accordées au monde économique ne sont conditionnées à aucune exigence de transition vers un modèle économique respectueux de l’environnement.
Le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, montrait dans une note de juillet dernier que les trois premiers secteurs les plus favorisés par la baisse des impôts de production sont respectivement les producteurs d’électricité et de gaz, les industries extractives et la finance.
Comment des entreprises dont l’activité est responsable d’écocides, de l’épuisement de la biodiversité, nous le savons, peuvent-elles encore aujourd’hui faire le plein de subventions publiques et de crédits d’impôt ?
Par ailleurs, quand on regarde le budget de manière fouillée, votre politique montre son vrai visage : vous dotez la relance de l’économie verte de crédits nouveaux, mais vous fragilisez tous les instruments, à commencer par le ministère de l’environnement avec 770 postes en moins, qui doivent mettre en œuvre ces politiques.
Où est la refondation quand vous livrez à elles-mêmes les collectivités territoriales chargées de résoudre tous les problèmes des citoyens ?
Le 13 avril dernier encore, le Président de la République disait aussi : « Au plus près du terrain, beaucoup de solutions ont été trouvées. Nous devrons nous en souvenir. » Force est de constater que le compte n’y est pas : les collectivités territoriales, qui mettent aussi en œuvre des solutions de court et de long terme auprès des populations les plus fragilisées – on le voit à l’échelle du département avec la question du RSA, mais aussi à celle des communes –, n’ont pas les moyens de faire face à la crise. Votre budget ne répond pas à cette problématique.
Et pourtant, oui, nous avons besoin d’une refondation ! Pour cela, il aurait fallu un budget assorti d’une profonde réforme fiscale. Il aurait fallu un budget apportant un soutien bien plus important à l’économie sociale et solidaire, cette grande oubliée des plans de relance. Vous aviez l’occasion d’agir massivement pour cette économie au service des hommes et de la planète et vous ne faites que parer au plus urgent.
Plutôt que de regarder, impuissants, les usines fermer, il faudrait un élan pour aider à la reprise par les salariés de leurs entreprises qui ferment, abandonnées par des actionnaires sans scrupules, pour la relocalisation et la fin de l’économie financiarisée.
La refondation supposerait de prendre la mesure des transitions à venir. Vous prévoyez, par exemple, une aide aux entreprises pour leur transition numérique. Très bien, nous sommes d’accord, mais comment pouvez-vous ignorer les rapports et les études qui se multiplient et qui démontrent tous les jours un peu plus que les gains de productivité induits par la robotisation vont pousser à la disparition de très nombreux emplois peu qualifiés ?
Les aides destinées à la numérisation des entreprises envisagées dans ce PLF ne sont pas accompagnées d’une vision ambitieuse pour permettre à la productivité ainsi dégagée de participer au financement de la protection sociale. Les mesures de formation ne seront pas non plus à la hauteur.
À l’heure où les logiciels et les robots remplacent progressivement la force des bras et le calcul mental, il faudrait parler « taxe robots », il faudrait mettre en place des taxes GAFA plus largement encore sur les multinationales que sur les entreprises numériques, il faudrait aussi parler réduction du temps de travail, revenu universel d’existence… Nous sommes dans une période où les transitions arrivent et la refondation n’est pas là.
Ce budget ne refonde rien, alors que la situation que nous connaissons est en train d’aggraver toutes les crises que nous traversons.
Monsieur le ministre, on n’invoque pas la République impunément, même si ce gouvernement le fait sans arrêt. Votre politique ne fait que la rendre plus abstraite, plus lointaine, parfois même plus hostile pour les Françaises et les Français qu’elle laisse sur le côté du chemin.
Votre absence de vision d’avenir sur l’après-crise est dangereuse. Tout au long de l’examen de ce texte, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires essaiera de montrer les autres voies possibles. La refondation doit venir, nous sommes toutes et tous mobilisés pour essayer d’en chercher le chemin. Nous en proposerons un avec l’écologie comme projet et l’égalité comme boussole. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
(M. Pierre Laurent remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent
vice-président
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec les chiffres on compte, avec les mots on pense et on espère.
Quoi que l’on en dise, les chiffres sont et seront – hélas ! – toujours les chiffres. Nous avons beaucoup parlé de croissance et de récession, de dette, de taxes ou de dépenses, mais je souhaiterais que nous parlions ensemble de l’avenir. De ce qui fait, au fond, que nous soutiendrons ce budget et que nous préparerons ensemble l’après-crise pour nous et pour nos enfants.
En effet, il serait vain de poursuivre cette longue litanie de chiffres qui occupe nos discussions depuis le début de l’après-midi sans donner un peu de perspectives. Nos concitoyens, nos proches, n’attendent pas telle enveloppe budgétaire ou telle mesure fiscale. Ils n’attendent pas non plus de savoir si le taux de croissance effectif rejoindra le taux de croissance potentiel. Ils attendent des réponses.
Des réponses pour leur quotidien. L’assurance que l’État sera à leur côté tant que durera cette crise, que notre économie sera prête à repartir quand nous sortirons enfin de cet enfer, que la société aura été préservée et que les plus fragiles auront été protégés.
C’est ce qu’attendent nos voisins, nos amis, nos collègues, nos proches, de la Guyane à la Polynésie, en passant bien évidemment par l’Isère. Toutes celles et tous ceux qui se sont retrouvés du jour au lendemain en télétravail, ceux qui ont été confrontés à la fermeture de leur commerce, ceux d’entre nous qui ont été contraints de se tenir loin de leurs proches fragiles afin de les protéger, ceux enfin qui ont perdu un proche, un ami, un collègue et qui n’aspirent qu’à retrouver un peu d’humanité dans cette avalanche d’annonces dramatiques, de chiffres inquiétants et de mesures inhabituelles.
C’est à ceux-là que je veux m’adresser aujourd’hui. À ceux pour lesquels nous renforçons notre soutien, budget après budget, texte après texte, à ceux qui attendent des réponses concrètes pour leur quotidien et qui s’inquiètent pour l’avenir et pour celui de leurs proches. À ceux-là mêmes qui ont été marqués par la crise que nous vivons et que nous tentons de traverser, chacun à notre manière.
Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ils ont bénéficié de mesures de soutien courageuses cette année. Je pense notamment au financement du chômage partiel : nous sommes le seul pays au monde à avoir assuré le salaire de plus de 12 millions d’actifs.
À situation exceptionnelle, budget exceptionnel. Alors que nos territoires sont frappés de plein fouet par la crise sanitaire, alors que les collectivités et les élus assument une nouvelle fois leurs responsabilités avec courage et opiniâtreté et accompagnent nos concitoyens face aux conséquences désastreuses auxquelles ils sont confrontés, qu’elles soient sociales ou économiques, alors que l’État confirme son soutien inédit aux entreprises, aux collectivités et à nos concitoyens, nous, parlementaires, devons être à la hauteur de leurs attentes.
Nous le devons à ceux qui ont continué d’assurer leurs missions au plus fort de la crise. Nous le devons aux enseignants, aux soignants, aux éboueurs, aux ambulanciers, aux agents d’entretien, à tous ceux qui ont été en première ligne depuis le début de la crise.
Mais nous le devons également à tous les agents des services de l’État qui n’ont jamais cessé de remplir leurs missions et qui ont déployé des trésors d’inventivité pour mettre en place des dispositifs de soutien, lesquels, reconnaissons-le, malgré une crise inédite qui a surpris jusqu’aux plus avisés d’entre nous, ont été d’une efficacité et d’une envergure sans précédent.
C’est pour eux que nous devons examiner ce projet de loi de finances avec sérieux, rigueur et ambition. La crise actuelle nous oblige à réagir sans attendre et à déployer des moyens renforcés. Tel est l’objectif de la mission budgétaire spécialement abondée dans ce PLF pour alimenter le plan de relance. Ce dernier est indispensable pour atteindre les trois objectifs fixés par le Gouvernement, que sont le verdissement de l’économie, l’amélioration de la compétitivité des entreprises et le soutien aux plus fragiles.
Ce plan de relance, ce sont 30 milliards d’euros alloués à la transition écologique, avec un plan ambitieux de rénovation énergétique et de transition agricole. Ce sont 34 milliards d’euros fléchés vers le soutien à la compétitivité et l’innovation, avec une nouvelle enveloppe de lutte contre la dépendance industrielle et technologique de notre économie et un plan de mise à niveau numérique des administrations et de nos entreprises. Ce sont, enfin, 36 milliards d’euros consacrés à la cohésion des territoires, avec un plan de modernisation du réseau routier ou de relance de l’activité dans les centres-villes.
À quelque chose, malheur est bon, car les moyens nouveaux que nous devons déployer pour sauver notre économie seront au service d’une transformation profonde de notre économie, de nos infrastructures et de notre rapport à l’environnement.
Ces trois priorités fortes et clairement assumées sont au cœur de ce plan de relance à 100 milliards d’euros, dont près de la moitié sera disponible dès 2021,…
M. Philippe Dallier. Seulement ?
M. Didier Rambaud. … pour répondre au plus vite à l’urgence. Car l’urgence, c’est la relance, vous l’avez rappelé récemment, monsieur le ministre.
Ces grands axes se traduisent par des mesures concrètes, dont certaines ont d’ores et déjà été inscrites au budget pour 2020.
Dès la fin de l’année, une enveloppe de 25 millions d’euros affectée à la mission « Enseignement scolaire » permettra de recruter des assistants d’éducation supplémentaires dans les collèges et les lycées professionnels. Grâce à cette somme, les enseignants vulnérables pourront continuer de faire cours à distance. Pensez donc à Valérie, professeure de français à Grenoble et personne à risque compte tenu de sa santé. Elle pourra continuer d’assurer l’enseignement de ses élèves à distance, grâce au recrutement d’un nouvel assistant d’éducation embauché dans son lycée. Cet effort sera sans aucun doute poursuivi dans ce budget pour 2021.
Le PLF pour 2021, c’est un budget qui accompagne également la rénovation énergétique des bâtiments, avec la transformation du crédit d’impôt pour la transition énergétique en une aide, « MaPrimeRénov’ », alimentée d’un budget considérable de 2 milliards d’euros pour la seule année 2021.
Pour Jean, jeune entrepreneur et propriétaire d’une maison, l’État prendra en charge le quart de ses dépenses de rénovation thermique. Avec ce budget, les entreprises pourront aussi réaliser des travaux de rénovation énergétique. Pour son entreprise, Jean pourra bénéficier d’un crédit d’impôt accessible pour les dépenses engagées depuis le 1er octobre et prenant en charge 30 % des travaux entrepris.
Pour Jean, le PLF pour 2021, c’est également une baisse inédite des impôts de production, avec la réduction de moitié de sa CVAE.
C’est également un soutien sans précédent à l’exportation, notamment grâce au « chèque export », ou encore la mise en place du chèque volontariat international en entreprise (VIE), qui financera à hauteur de 5 000 euros l’envoi en mission d’un VIE par son entreprise.
L’État finance avec toutes ces mesures un plan de relance d’une ampleur inédite, mais il n’oublie pas pour autant de soutenir les plus démunis. Car la précarité guette bon nombre de nos concitoyens, parmi les populations les plus fragiles et les plus atteintes par la crise. Elle menace notamment les jeunes de notre pays, étudiants comme jeunes diplômés.
Dans le PLF pour 2021, le Gouvernement confirme sa volonté de s’attaquer à la question de la précarité, en renforçant le dispositif de la garantie jeunes et en facilitant les nouvelles aides à l’embauche. C’est également l’une des raisons pour lesquelles notre groupe soutiendra ce projet de loi de finances.
Alexandre, lui, est un jeune boursier de 20 ans à l’université. On sait qu’il est difficile d’avoir 20 ans en 2020. Pourtant, il bénéficie aujourd’hui de repas au restaurant universitaire à 1 euro. Depuis 2018, il n’a plus à verser de cotisations pour la sécurité sociale étudiante et il peut désormais demander une allocation, qui pourra s’ajouter à ses revenus d’activité, dans le cadre de la garantie jeunes.
Pour Alexandre, l’État propose également une aide exceptionnelle créée dès la troisième loi de finances rectificative, d’un montant de 4 000 euros par an, qui permettra à une entreprise de l’embaucher en CDI ou CDD de trois mois et plus, pour un salaire jusqu’à deux fois le SMIC. S’il cherche à être embauché dans le cadre d’un contrat d’alternance, le PLF pour 2021 le soutiendra également, en accordant à l’entreprise un montant pouvant aller jusqu’à 8 000 euros.
Mais ce PLF pour 2021 est également l’occasion de rappeler le soutien de l’État aux collectivités. Ce soutien n’a pas failli tout au long de la crise. À cet égard, permettez-moi de saluer de nouveau la réactivité, l’ingéniosité et l’innovation dont les collectivités ont su faire preuve pour s’adapter à cette crise sanitaire et protéger leurs administrés.
Ce PLF s’inscrit dans la continuité des actions que nous menons résolument depuis trois ans en faveur des territoires. Il s’agit de redonner du pouvoir aux élus locaux et de les replacer au cœur des territoires, avec la loi Engagement et proximité, de favoriser la revitalisation des territoires, avec les programmes Action cœur de ville, Petites villes de demain et Territoires d’industrie, d’accélérer la transition écologique par le biais des contrats de transition écologique ou le déploiement des mobilités durables.
Au cœur de la crise sanitaire, l’État n’a pas failli et a accompagné les collectivités, notamment par les mesures d’urgence prises dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative, à l’origine de la mise en place du « filet de sécurité budgétaire » pour les collectivités du bloc communal.
Ce dispositif de soutien ambitieux permet de compenser les pertes de recettes engendrées par la crise sanitaire et économique.
Le dispositif d’avances remboursables des DMTO permet également de préserver les finances des départements.
Le PLF pour 2021 comprend des mesures fortes d’accompagnement des collectivités locales dans la relance économique.
D’une part, il prévoit le maintien historique des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales pour 2021, avec une dotation globale de fonctionnement à hauteur de 26,8 milliards d’euros, pour la quatrième année consécutive.
À cela s’ajoutent des variables d’ajustement historiquement faibles et une accélération du rattrapage de la Dacom, la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre-mer, sur quatre ans au lieu de cinq.
D’autre part, le PLF prévoit la compensation intégrale et dynamique de la baisse des impôts de production. La CVAE régionale sera intégralement compensée par une fraction de TVA affectée aux régions.
Les communes et les EPCI bénéficient d’une compensation dynamique et territorialisée de l’allégement de la fiscalité sur les établissements industriels, via un nouveau prélèvement sur les recettes de l’État, à hauteur de 3,3 milliards d’euros. En outre, le bloc communal bénéficiera de crédits supplémentaires, notamment par le biais de la DSIL, la dotation de soutien à l’investissement local, à hauteur de 1 milliard d’euros, voté dans le cadre du PLFR 3 pour 2020.
Nos collectivités locales ont en effet besoin que l’investissement local se poursuive. C’est pourquoi le PLF pour 2021 reconduit les montants des dotations d’investissement à un niveau record, qu’il s’agisse de la DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux, de la DSIL, de la DPV, la dotation politique de la ville, ou de la DSID, la dotation de soutien à l’investissement des départements.
Enfin, vous le savez, ce PLF pour 2021 sera marqué par l’entrée en vigueur de l’acte II de la suppression de la taxe d’habitation, votée dans le cadre de la loi de finances de l’an dernier.
Le PLF pour 2021 constitue donc un engagement inédit, à la hauteur de l’accompagnement attendu par les collectivités, qui se poursuit dans le cadre du plan de relance, dont 1,5 milliard d’euros bénéficieront directement aux territoires ultramarins.
Le groupe RDPI soutient les bases du projet de loi de finances pour 2021. Solidaires de l’action du Gouvernement, mais vigilants s’agissant de la mise en œuvre de la relance, nous proposerons plusieurs amendements visant à enrichir ce budget. Quoi qu’il en soit, notre groupe salue d’ores et déjà l’effort volontaire du Gouvernement pour ce qui concerne les mesures d’aides fiscales et financières prévues pour nos concitoyens comme pour nos collectivités locales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons, depuis dix mois déjà, un scénario digne d’un film de science-fiction. En mars dernier, il a fallu préserver la santé de nos concitoyens. C’était nécessaire, mais nous ressentons aujourd’hui les conséquences de ce choix, même si nous ne pouvons encore en mesurer toute l’ampleur, d’un point de vue non seulement humain, mais aussi social, économique ou budgétaire, la pandémie étant loin d’être terminée.
Nous avons fait le choix du confinement à deux reprises, pour sauver des vies, je le répète. Des mesures budgétaires ont aussitôt été prises pour financer l’urgence sanitaire et compenser les pertes brutales de revenus et de chiffre d’affaires. Beaucoup a été fait lors de la première vague. Malheureusement, nombre de nos compatriotes, les plus fragiles, sont cruellement atteints par ce deuxième confinement et se demandent s’ils pourront en surmonter le coût.
Afin d’en contrecarrer les effets, le projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans la continuité des mesures d’urgence entérinées par les quatre projets de loi de finances rectificative successifs, sans oublier le plan de relance, inscrit dans le budget général pour 2021 comme une mission à part entière, pour un montant de 36,4 milliards d’euros en autorisations d’engagement.
Alors que la sortie du premier confinement durant l’été avait apporté une dynamique de reprise et que les analyses prospectives présentées en commission des finances laissaient entrevoir un rétablissement budgétaire, le deuxième épisode de confinement nous oblige à revoir à la baisse nos hypothèses de rebond.
La pandémie est venue bouleverser intégralement toutes les prévisions, et la discussion budgétaire en porte les stigmates. La situation économique et financière de notre pays s’est dégradée avec cette crise sanitaire, mais la loi de finances pour 2021, si elle répond à l’urgence et à la situation conjoncturelle, n’amorce aucun changement de direction par rapport à la situation de l’avant-crise.
Les crédits des missions les plus significatifs restent ceux de la mission « Enseignement scolaire », avec 54,9 milliards d’euros, soit une progression de 1,4 milliard d’euros, de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », pour 26 milliards d’euros, de la mission « Cohésion des territoires », pour 16,9 milliards d’euros, et de la mission « Plan de relance », pour 22 milliards d’euros.
La mission « Justice » progresse également, avec 8,2 milliards d’euros et une hausse notable des effectifs, avec 1 359 emplois équivalents temps plein supplémentaires.
Les mesures du volet « rémunérations » du Ségur de la santé atteignent 8,8 milliards d’euros et la réaffectation de la CSG à la branche dépendance 2,3 milliards d’euros.
Je le rappelle, les projets de loi d’urgence sanitaire ont permis de pallier les conséquences sociales de la crise sanitaire, même si le coût de la dette qui en découle demeure une inquiétude. Ainsi, le remboursement des 10 milliards d’euros apportés par l’Union européenne dès 2021 pourrait représenter des annuités de l’ordre de 2,5 milliards d’euros à compter de 2028.
Mais revenons aux mesures budgétaires en tant que telles. La baisse annoncée de 10 milliards d’euros des impôts de production des entreprises est maintenue, avec pour objectif affiché la souveraineté et la relocalisation des emplois industriels.
Ainsi, l’article 3 prévoit la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et un ajustement de la contribution économique territoriale (CET) pour cet impôt qui s’élève, en France, à 77 milliards d’euros, soit le double de la moyenne de l’Union européenne. L’article supprime la part régionale de la CVAE, qui représente 50 % du total, et lui substitue une fraction supplémentaire de TVA. Le plafond de la CET passe de 3 % à 2 %.
Avec moi, les membres du groupe du RDSE regrettent qu’aucune réelle contrepartie sociale ou écologique ne soit exigée. Nous redoutons que cette mesure ne favorise les grandes entreprises, alors que ce sont véritablement les plus petites d’entre elles qui sont en danger, car elles sont davantage pénalisées par le deuxième confinement. Elles représentent pourtant un gisement d’emplois non délocalisables, précieux pour maintenir la vie et le lien social au cœur de nos territoires. Déjà, de très nombreux artisans, commerçants ou prestataires de services estiment qu’ils ne seront pas en mesure de rembourser les prêts garantis par l’État.
Leur survie est compromise, à l’image du secteur de la culture, du tourisme, des loisirs, des festivals, de la restauration, des services à la personne, pour ne citer que ces quelques exemples. La plupart se demandent comment ils seront en mesure de payer à l’avenir l’échéancier des cotisations de l’Urssaf, qui n’ont pas été annulées, mais seulement reportées.
Malgré les 4 milliards d’euros consacrés à l’entrée dans la vie professionnelle des jeunes et les 5 milliards d’euros prévus pour le volet « cohésion » centré sur la sauvegarde de l’emploi, le chômage partiel ou la formation, nous craignons que les plus fragiles ne paient le prix fort des conséquences de ce deuxième confinement.
Autre lacune de ce budget pour 2021, l’insuffisance des moyens octroyés aux collectivités territoriales non seulement pour faire face aux surcoûts consécutifs à la gestion de la crise sanitaire, mais aussi pour tenir une place prépondérante dans la relance économique.
Au travers des aides et de la reprise des investissements, elles auraient pu jouer un rôle moteur, un rôle de levier, pour contribuer à la relance économique, en assurant le maintien des investissements et de la commande publique. La loi de finances ne tient pas ses promesses en la matière, et le compte n’y est pas pour les collectivités territoriales !
Néanmoins, nous ne pouvons que saluer un certain nombre de mesures en discussion, comme l’article 2 quinquies, qui vise à lever les gages de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 ou encore l’article 3 bis, qui tend à proroger les dispositifs de soutien à la presse écrite jusqu’à la fin 2023.
L’article 3 quater prévoit l’élargissement du champ de la déduction pour épargne de précaution aux aquaculteurs et aux centres équestres, autant de mesures qui seront utiles concrètement, tout comme celles qui sont prises en faveur des entreprises du secteur du théâtre ou du spectacle, à l’article 3 undecies.
Pour ce qui concerne les ressources affectées, l’article 22 fixe le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et des variables d’ajustement. Le montant de la DGF stagne avec 26,76 milliards d’euros en 2021, contre 26,85 milliards d’euros en 2020. Il convient de ne pas perdre de vue que cette dotation représentait, voilà dix ans, près de 40 milliards d’euros.
La DGF représente 62 % de l’ensemble des prélèvements sur les recettes de l’État au profit des collectivités territoriales. En tout, cela représente 43,25 milliards d’euros, dont 6,55 milliards d’euros pour le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), ou encore 2,91 milliards d’euros pour la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle et 3,74 milliards d’euros de dotations pour l’équipement scolaire, l’exonération d’impôts locaux et le soutien exceptionnel au bloc communal pendant la crise sanitaire.
Je salue également la revalorisation de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR), pour un montant de 90 millions d’euros chacune, même s’il me semble qu’un effort plus substantiel doit être consenti en faveur des communes rurales, la dotation de solidarité rurale par habitant étant bien inférieure à la dotation de solidarité urbaine.
C’est une évidence, la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 2021 se caractérise principalement par une très forte inquiétude. Selon les différentes hypothèses retenues concernant la situation sanitaire ou encore la durée ou la sévérité du confinement effectif, les prévisions de croissance varient et restent fragiles.
La prévision de solde effectif est de –6,7 % du PIB, avec un déficit structurel de 3,6 %, qui représenterait plus de la moitié du total, contre 1,2 % en 2020 et 2,2 % en 2019. Une telle hypothèse est jugée « atteignable » par le Haut Conseil des finances publiques.
La perte d’activité de novembre serait moindre que celle du printemps : 12 % au lieu de 30 % en avril. Selon les données de la Banque de France, elle serait plus modérée que celle qui est redoutée, notamment dans le secteur de la construction, où l’on annonce une baisse de 8 % contre 65 % en avril, ou encore dans les services marchands, avec une diminution de 17 % contre 27 % au printemps. En revanche, pour les commerces de gros et de détail, dont la restauration et l’hébergement, la Banque de France annonce une baisse d’activité de 40 %, contre 46 % en avril.
Dans ces conditions, le déficit public devrait atteindre 11,3 % du PIB, pour un endettement de 119,8 %. Nous devons tabler sur des prévisions de croissance prudentes à l’issue du reconfinement.
En conclusion, nous pouvons affirmer que, pour 2021, l’État se finance autant par l’endettement que par l’impôt. Mais chacun le sait bien ici, les emprunts d’aujourd’hui sont les impôts de demain.
Conscient que notre pays s’inscrit dans un effort financier somme toute plus faible que celui déployé par certains de nos voisins européens, le groupe du RDSE sera très soucieux, au cours de la discussion budgétaire, de maintenir la dynamique de nos territoires et la solidarité envers les plus fragiles de nos concitoyens, dans un souci d’équité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre Olivier Dussopt – je n’aurai pas l’occasion de saluer M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance, qui est non pas excusé, mais absent ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDSE, UC et Les Républicains.) Il est pourtant ministre non seulement de l’économie et des finances, mais aussi de la relance – ça en dit long !
Mes chers collègues, le Président de la République et le Gouvernement ont souvent rappelé que nous étions en guerre contre le virus. Cette métaphore guerrière est dangereuse pour la démocratie et l’unité du peuple, à l’image du précédent couvre-feu, décision d’exception qui a une histoire dans la société française. Je vous le dis, monsieur le ministre, les mots ont toujours des conséquences !
La crise sanitaire fait des ravages économiques et sociaux. Les économies qui ont été confrontées à de tels chocs se sont toujours reposées sur trois piliers : nationalisation et planification des secteurs fondamentaux, taxation des bénéfices exceptionnels liés à la crise et mise en place d’un circuit de financement des dépenses publiques, indépendamment du marché. Ces choix politiques ont été pris au sortir d’événements historiques douloureux, ne l’oublions pas. L’histoire n’est pas sans leçons.
Alors que l’observation de la conjoncture est une exhortation à changer de cap, vous vous contentez de reconduire la même politique de l’offre, selon une conditionnalité relative dans l’octroi de l’argent public, et c’est peu dire : elle est très forte pour les plus précaires, mais pratiquement absente pour les grandes entreprises.
Cette approche déconnectée de la réalité a favorisé le coup d’éclat de la droite, samedi dernier, sur l’âge de la retraite, confortant ainsi l’insécurité sociale.
Cette loi de finances pour 2021 doit être l’ébauche d’une nouvelle vision politique, celle d’une redistribution la plus juste et la plus équitable, celle qui répond aux vrais besoins.
Nous, sénatrices et sénateurs du groupe CRCE, ne voyons pas dans votre loi de perspectives durables qui nous permettraient d’être optimistes, dans le cadre d’un changement de paradigme pourtant nécessaire. C’est un budget semblable à celui de toutes les autres années, avec un déficit plus élevé et un recours à la dette plus important, voilà tout.
Il y a bien, dans cette loi de finances, des mesures d’urgence, mais l’urgence sociale vous échappe.
C’est le budget de l’état actuel du capitalisme, où prédominent la technocratie et le marché. Monsieur le ministre, vous avez dit à mon collègue Éric Bocquet que vous ne meniez pas une politique néolibérale. Vous n’êtes pas néolibéral, vous n’êtes pas ordolibéral, vous n’êtes pas ultralibéral… Mais qu’est-ce que vous êtes libéral, monsieur le ministre ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Que dire des méthodes ? Sans m’alarmer sur les inquiétantes questions de la réduction du temps de débat public ou de la dépossession du Parlement de ses pouvoirs de vote de l’impôt et de contrôle, que penser de l’absence de concertation entre acteurs et bénéficiaires de ce budget ?
Votre conception de l’État trouve ses sources dans une forme de surdité politique entretenue. Elle constitue le fil rouge de vos politiques d’après-crise, pour défendre une forme illusoire d’« autorégulation naturelle » des injustices criantes. La surdité aux aspirations populaires au changement porte déjà votre signature, et vous persistez pourtant à vous enfoncer dans une continuité aveugle, qui n’a rien de « disruptif ».
Face à la crise, ne nous laissons pas enfermer dans un conflit entre l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité.
Notre groupe propose de transformer un texte de loi suscitant lassitude et défiance en un budget d’émancipation humaine et démocratique. Nous voulons traiter les urgences de la vie des Françaises et des Français ; nous voulons ouvrir un horizon plus juste et plus égalitaire.
L’audace exigerait d’abord de rééquilibrer le rapport entre le travail et le capital. Le travail productif engendre directement une plus-value économique et une valeur sociale. Il est réalisé par les travailleurs : je pense aux infirmières, aux livreurs, aux ouvriers, aux personnels d’entretien…
À ce sujet, j’écoutais ce matin à la radio Patrice Blanc, président des Restos du cœur, exprimer sa stupéfaction de voir des jeunes arriver dans ses permanences avec la tenue d’Uber Eats. Des livreurs de repas à domicile qui n’ont même pas les moyens de s’alimenter, quel cynisme !
Nous sommes aujourd’hui face à des personnes effectuant des activités essentielles, qui, si elles décidaient demain d’arrêter de travailler, provoqueraient l’effondrement d’un système économique qui s’est reposé sur leur sous-rémunération et leur exploitation. Il est grand temps que cela cesse !
Comment accepter que les 20 % les plus riches voient leurs richesses croître énormément pendant et après le confinement, quand les 20 % les plus pauvres continuent de plonger dans l’endettement et la misère ? Grâce au travail improductif, la rémunération du capital a engendré toujours plus de richesses pour ceux qui en détiennent : les 10 % des Français les plus riches ont amassé plus de la moitié des 32 milliards d’euros de surcroît d’épargne accumulée pendant la crise. La réponse doit être simple et directe, à savoir une taxation exceptionnelle des revenus ayant bénéficié aux foyers les plus riches et aux entreprises dont les profits ont explosé.
L’audace exigerait également d’arrêter de vouloir réduire massivement les dépenses publiques au profit d’une succession de privatisations de services, qui, aujourd’hui, nous font défaut. Je pense notamment aux secteurs de l’énergie et des transports ferroviaires, mais aussi à l’hôpital public et à la recherche. Nous sommes confrontés à une marchandisation qui traite spontanément des biens sociaux comme des biens privés. Parlez-leur de maillage du territoire et de petites lignes, on vous répondra indicateur de rentabilité d’une rame ou fréquence de passagers.
Si l’État doit intervenir, ce n’est pas pour enrichir les actionnaires ni pour se rendre complice des suppressions d’emplois ou d’une détérioration du climat. Pas d’aides publiques pour les entreprises qui trichent ! Je pense tout particulièrement aux Gafam, objet de notre amendement déposé lundi dans le cadre du PLFR 4 et visant à la création de la notion d’établissement stable.
J’ai d’ailleurs bien noté le double langage tenu dans certaines travées de cet hémicycle, qui consiste à soutenir l’amendement en séance, mais à le retoquer en CMP. Ce n’est pas la première fois !
Parler des services publics pose la question des services d’intérêt général et des choix démocratiques. Relocalisons l’économie et évitons les drames sociaux chez Goodyear, Bridgestone, Carrefour, et d’autres. Ayons du cran ! Ne faisons pas croire que les réponses à la crise sont trop complexes, ce sont avant tout des choix politiques.
Mes chers collègues, notre État de droit est devenu un État de la faveur, où tout se monétise, y compris notre souveraineté.
Puisque nous parlerons d’emprunt, quelles réponses structurelles trouve-t-on dans le budget proposé pour contrer l’aggravation de la dette privée, qui s’élève à 150 % du PIB au second semestre de 2020 ? L’encours de la dette des entreprises privées a doublé.
Enfin, comment pouvez-vous fermer les yeux sur l’absence de taxation des transactions financières ? Ces transactions non essentielles bénéficient pourtant d’un passe-droit de TVA, contrairement à d’autres biens de première nécessité.
Nous ne lâcherons pas sur ces sujets. La continuité budgétaire se manifeste aussi à l’égard des collectivités. La démocratie locale est menacée par la perte d’autonomie fiscale. Mesure après mesure – je pense à la taxe d’habitation et à la fiscalité économique sur les entreprises, que vous avez rebaptisée « impôts de production » –, vos cadeaux s’élèvent à 10 milliards d’euros pour la seule année 2021.
Nous assistons à la disparition des impôts locaux, remplacés par des dotations liées au produit des impôts nationaux. Chaque année, la marge de manœuvre des élus locaux se réduit, et l’autonomie fiscale des collectivités n’aura d’autonomie que le nom. Cette hypercentralisation des budgets locaux doit cesser ! Elle est tout le contraire d’une démocratie vivante !
La position du Gouvernement est une faute démocratique et politique. En faisant disparaître la responsabilité fiscale et, donc, politique des assemblées locales élues au suffrage universel, c’est le fondement même de la démocratie qui est sapé. Le consentement à l’impôt comme moyen de financer les charges communes crée une responsabilité des élus, mais également des citoyens et des entreprises. Sans cela, la démocratie locale perd tout son sens.
La proximité constitue la force de nos collectivités, qui ne demandent qu’à s’investir dans la relance. Dans cette relance, ce n’est pas que la survie des grands groupes qui est en jeu, c’est d’abord la sauvegarde de notre quotidien, qui se traduit par la vitalité des commerces de proximité, qui représentent, je le rappelle, 600 000 entreprises, 20 % du PIB, 1,2 million de salariés et 3 millions d’actifs. Pourtant, on n’en parle pas !
L’intelligence du local, que possèdent nos élus grâce à leur expérience et la connaissance de leur collectivité et de leur population, est essentielle.
À l’heure du deuxième confinement, le constat est sans appel : les finances locales subissent des pertes de plusieurs milliards d’euros. Le cercle de l’endettement devient insoutenable pour les collectivités, qui, privées de leurs marges de manœuvre budgétaires, ne pourront pas participer à la relance.
En effet, la commande publique est en baisse de 22 % par rapport à 2019. Les départements voient leurs dépenses sociales alourdies par la précarisation de la population. Les collectivités locales sont fragilisées, et vous ne répondez au principal que par de l’accessoire. Nous répondrons par des amendements visant à les sécuriser financièrement.
Mes chers collègues, « le bonheur existe et j’y crois » disait Aragon aux heures sombres. Notre groupe y croit et vous exhorte à passer du « toujours moins » pour les 99 % au véritable « quoi qu’il en coûte » pour les 1 % ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les hypothèses sur lesquelles se fonde ce projet de loi de finances sont prudentes, mais reconnaissez que nous entamons cette discussion dans un contexte particulièrement incertain. Le pays, en effet, est de nouveau confiné ; la crise sanitaire se poursuit et nous ne connaissons pas encore toute l’étendue de ses conséquences économiques et sociales, pas plus que nous savons comment elle évoluera en 2021.
Ce que nous savons déjà, en revanche, c’est que la crise a fait basculer 1 million de nos concitoyens dans la pauvreté, en plus des 9 millions qui étaient déjà dans cette situation. La Fondation Abbé Pierre a rappelé récemment que près de 300 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile fixe dans notre pays, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.
Dans ces circonstances exceptionnelles, l’enjeu principal de ce budget est donc le plan de relance du Gouvernement, annoncé à hauteur de 100 milliards d’euros à grand renfort de communication depuis cet été. Mais, derrière cette valse des milliards, la réalité est que votre plan est moins massif et moins rapide qu’affiché. Le Gouvernement prévoit en effet des moyens étalés sur plusieurs années ; en fin de compte, ce sont donc seulement 30 milliards à 35 milliards d’euros, sur les 100 milliards annoncés, qui sont inscrits dans le projet de loi de finances, à ce stade, pour l’année 2021, auxquels il faut bien sûr ajouter la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production.
Cette réduction d’impôts sur les entreprises nous interroge : elle n’est soumise à aucune contrepartie ou presque, que ce soit en matière d’emploi, de responsabilité sociale des entreprises ou de transition écologique. S’agissant d’un tel montant – vous en conviendrez, monsieur le ministre –, c’est un pari risqué.
Cette action, qui porte sur l’offre et se veut structurelle, reste, quoi qu’on en pense, une réponse décalée face à une situation conjoncturelle aussi grave et exceptionnelle que celle que nous vivons. Elle ne résoudra pas à elle seule la brutale récession économique que nous traversons. Des économistes ont proposé d’autres solutions ; ainsi, celle qu’expose Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques : « Plutôt que de baisser les impôts de production, il aurait mieux valu annuler les dettes des entreprises liées au covid-19, comme les charges sociales par exemple. »
C’est pourquoi, avec le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, entre autres mesures pour plus de justice fiscale, mais aussi pour plus d’efficacité dans la promotion d’un nouveau modèle de développement à l’issue de cette crise, nous proposerons de revenir sur cette baisse des impôts de production ou d’exiger au moins leur conditionnalité.
Nous proposerons le rétablissement de la tranche supérieure de la taxe sur les salaires pour les entreprises qui ne sont pas assujetties à la TVA sur la totalité de leur chiffre d’affaires ; nous proposerons également la suppression ou l’atténuation de la « niche Copé », dispositif d’optimisation fiscale, ainsi qu’un changement des modalités de calcul du crédit d’impôt recherche, afin d’en encadrer l’utilisation par les grands groupes.
Nous proposerons par ailleurs un élargissement de la taxe sur les surfaces commerciales aux activités de stockage de type Amazon, et la hausse de la taxe GAFA. Nous en parlons depuis si longtemps ; avançons enfin !
Dans la même logique, et afin de venir en aide aux commerçants qui sont particulièrement touchés par la crise au bénéfice des géants du numérique, nous proposerons une contribution exceptionnelle des grandes surfaces et des acteurs du e-commerce pour alimenter un fonds de soutien aux commerces de proximité.
En refusant obstinément de faire contribuer ceux qui le peuvent, et même ceux qui profitent de cette période de crise, le Gouvernement se prive de moyens pour agir en faveur des victimes de la crise et, en même temps, fait le choix du déficit public. Le niveau de la dette publique devrait par conséquent atteindre, à la fin de l’année 2020, 120 % du PIB ; elle n’est soutenable que grâce au niveau toujours plus bas des taux d’intérêt.
Pour ce qui est des Français eux-mêmes – je le disais au début de mon propos –, cette crise a fait basculer dans la pauvreté nombre de nos concitoyens, dont beaucoup se trouvaient déjà dans une situation précaire.
Pour lutter contre l’aggravation des inégalités sociales, nous pensons qu’il faut changer d’approche ; la crise le nécessite encore davantage. Vous avez déjà été contraints de faire ce changement d’approche, certes très modestement, dans le budget pour 2019, à la suite de la crise des « gilets jaunes ».
Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative, au début de la semaine, vous avez refusé nos propositions en ce sens, au motif qu’elles seraient examinées lors de la discussion du projet de loi de finances. Il est temps ! N’attendez pas une nouvelle explosion sociale. Notre pays a besoin de justice fiscale ; la période exige d’aider davantage les victimes de la crise et de faire participer davantage les plus fortunés à l’effort de solidarité nationale.
Ainsi proposerons-nous la réinstauration d’un impôt sur le capital pour remplacer l’ISF et la suppression de la flat tax. Nous proposerons aussi de relever le plafond des dons au profit des associations d’aide aux personnes en difficulté. Parce qu’il n’est pas normal que notre pays laisse tant de jeunes sans perspectives et surtout sans moyens, nous proposerons la création d’une dotation « autonomie jeunesse ». Destinée aux 18-25 ans, elle leur permettrait de disposer des ressources auxquelles ils n’ont plus accès en raison des restrictions actuelles d’activité.
La présidente du Secours catholique Véronique Fayet le disait ce matin sur France Inter – nous sommes nombreux à l’avoir entendue – : « Dans cette situation de crise, il faut que les jeunes aient un accompagnement renforcé […], mais avec cela il faut qu’ils soient soutenus par une allocation digne. »
Lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, lundi dernier, la majorité sénatoriale a rejeté, main dans la main avec le Gouvernement, tous nos amendements destinés à lutter contre la pauvreté.
La droite tire peut-être la sonnette d’alarme sur la pauvreté, comme je l’ai lu mardi matin dans Le Figaro…
M. Roger Karoutchi. Bonne lecture !
M. Rémi Féraud. … – j’ai de saines lectures, en effet ! –, mais la majorité sénatoriale est-elle prête, avec nous, à faire changer de voie le train du Gouvernement ? Il faut passer d’une prise de conscience et des paroles aux actes ; la discussion budgétaire nous en donne justement l’occasion.
M. Patrick Kanner. Ayez un peu de cœur !
M. Rémi Féraud. Les autres grands oubliés de ce budget sont bien sûr les collectivités locales. La baisse des impôts de production est pour elles une nouvelle perte d’autonomie fiscale. Mal compensée, l’autofinancement des collectivités étant discrètement raboté au cours des dernières semaines, cette baisse est une « faute politique et économique », selon les mots mêmes du président de l’AMF, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, François Baroin.
M. Patrick Kanner. Eh oui !
M. Rémi Féraud. Là aussi, monsieur le ministre, entendez l’appel que vous lancent les maires.
Mes chers collègues, ce PLF apparaît très imparfait et fort déséquilibré : oubli de la jeunesse, réponse incomplète à la crise, hausse des déficits sans perspective de retour à l’équilibre, nouvelle fragilisation des collectivités locales. J’espère que la discussion que nous allons avoir au Sénat concourra à définir un meilleur équilibre et une réponse plus adaptée à la crise que nous traversons. Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont évidemment prêts à y contribuer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, écoutez bien ce que je m’apprête à dire – c’est peut-être le seul moment où nous serons d’accord : je partage avec vous le constat que la situation économique est difficile (Sourires.)
Mme Christine Lavarde. Nous savions tous, depuis l’annonce du deuxième confinement, que ce budget était mort-né. Nous regrettons cependant qu’une saisine trop tardive du Haut Conseil des finances publiques ne permette pas au Gouvernement de nous donner à débattre, d’ici quelques minutes, d’un texte cohérent, et qu’il faille donc attendre, peut-être, la fin de l’examen de la première partie, voire le vote définitif, pour avoir quelque chose qui « marche » dans la situation que nous vivons.
Pourtant, nous sommes aujourd’hui face au dernier « vrai » budget du quinquennat. Avons-nous devant nous un budget de relance, comme le dit le Gouvernement, ou plutôt un plan de rattrapage, comme l’a si justement qualifié M. le rapporteur général ? Ce budget ne présente-t-il pas l’avantage de faire plaisir à tout le monde à dix-huit mois de l’élection présidentielle – à cette fin, vous ressortez des tiroirs, ou des armoires, des dossiers qui s’y étaient perdus ?
Il nous semble qu’il y a dans ce plan de relance, qui vise pourtant à toucher tout le monde, des oubliés, notamment les plus démunis – cela a déjà été dit à plusieurs reprises. L’augmentation générale des minima sociaux, réclamée sur certaines travées, doit selon nous s’inscrire dans un vrai débat sur la redistribution et l’architecture de nos prélèvements et transferts destinés aux plus précaires. Nous soutiendrons, dans le cadre de ce texte, des mesures exceptionnelles et temporaires, pour favoriser l’emploi des jeunes notamment.
Je note aussi une absence de mesures d’économies structurelles, visant certainement à ne pas déplaire. Les crédits des missions baissent facialement… pour mieux se retrouver dans le plan de relance. Le groupe Les Républicains n’a pas peur de dire qu’il va falloir collectivement faire des efforts. Je pense à l’augmentation du temps de travail dans la fonction publique d’État, à la réforme de l’aide médicale de l’État (AME), ainsi qu’à l’allongement de la durée de cotisation, que nous avons votée lors de l’examen du PLFSS.
« Le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille », disait John Fitzgerald Kennedy.
Nous sommes entrés fragilisés dans cette crise. En 2019, la France était le seul pays de l’Union européenne, avec la Roumanie, à avoir un déficit supérieur à 3 % de son PIB, quand les deux tiers des États européens étaient en excédent.
J’ai déjà dénoncé, par le passé, le recul de la majorité sur la réduction des effectifs de la fonction publique : d’une réduction de 50 000 équivalents temps plein (ETP) dans le programme présidentiel, nous étions passés à 10 500 ETP en moins ; aujourd’hui, dans le PLF que vous nous proposez, nous constatons une baisse de 157 ETP…
Cette relance que vous nous annoncez, nous considérons qu’elle débute avec six mois de retard. En juillet, notre groupe avait déjà proposé un certain nombre de mesures ; 90 % des dispositions présentées par le Gouvernement n’entreront en vigueur qu’en 2021 ou en 2022 ! C’est beaucoup trop tard ; l’Allemagne, par exemple, a commencé bien avant nous.
Certaines des mesures que vous nous avez refusées en juillet ont été reprises par le Gouvernement en septembre. Je citerai, entre autres, la baisse des impôts de production, les mesures en faveur des jeunes et de l’apprentissage, ou encore l’extension de la prime remplaçant le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) pour les neuvième et dixième déciles.
Je relève donc avec malice que nous n’avons pas toujours de mauvaises idées !
Nous soutiendrons bien évidemment l’ensemble des dispositifs qui visent à baisser les impôts de production. Il n’est question en la matière, malheureusement, que d’une goutte d’eau : même en comptant ces mesures, nous resterons encore très loin de l’Allemagne et des autres pays de l’Union européenne.
Cette relance, je constate par ailleurs que vous la financez majoritairement par la dette. Le ministre de l’économie – je vais le citer à plusieurs reprises ; je regrette qu’il ne soit pas là pour nous répondre – l’a dit le 2 septembre : « C’est le temps de la dépense publique. » Un de ses prédécesseurs avait pourtant eu le courage de dire, en avril 1998, à l’Assemblée nationale : « Il nous faut abandonner l’idée qu’en matière de dépenses publiques, “plus” est synonyme de “mieux”. » Vous aurez tous reconnu là les propos de Laurent Fabius… (Sourires.)
Nous croyons qu’il vaut mieux sacrifier des recettes fiscales de demain et limiter l’endettement d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous vous proposerons des mesures de déblocage de l’épargne forcée des ménages en faveur d’un soutien aux fonds propres des entreprises. Le surcroît d’épargne des ménages atteindra 100 milliards d’euros à la fin de l’année, soit le montant de votre plan de relance.
Nous pensons également que les collectivités territoriales doivent être au cœur de cette relance – je vous rappelle qu’elles représentent plus de 70 % de l’investissement public. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons notamment un versement contemporain des sommes dues au titre du FCTVA.
Par ailleurs, depuis deux ans, votre gouvernement nous annonce un green budgeting. Malheureusement, j’ai plutôt l’impression d’être face à un budget vert pâle… J’ai lu le « jaune » budgétaire : seuls 10 % des 574 milliards d’euros de dépenses du PLF pour 2021 sont considérés comme ayant un impact sur l’environnement. Nous sommes très loin des déclarations que faisait Bruno Le Maire au mois de septembre : « Grâce à ce budget vert, nous présentons l’impact environnemental de tous les crédits budgétaires et de toutes les dépenses fiscales de l’État. » Nous n’avons certainement pas la même définition du mot « toutes »…
Nous pourrons vraiment parler d’un budget vert lorsque le PLF se caractérisera par une augmentation significative des crédits en faveur de l’écologie. En tant que rapporteur spécial, je fais un constat simple : à périmètre constant, les crédits consacrés à l’écologie, à l’environnement et à la mobilité durable baissent de 6 %.
M. Didier Marie. On est d’accord !
Mme Christine Lavarde. Nous pourrions améliorer la démarche en réservant une partie du débat budgétaire à l’évaluation climatique des lois de finances et en organisant un suivi de cette évaluation par un organe spécialisé, sur le modèle de la Mecss, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.
Je pense d’ailleurs qu’il serait intéressant de procéder à une évaluation du coût de la tonne de CO2 évitée par les mesures du plan de relance. Les premiers chiffres qui circulent l’évaluent à plusieurs centaines d’euros…
Le groupe Les Républicains souhaite une écologie moins punitive.
Nous proposerons notamment – nous suivrons M. le rapporteur général – le lissage sur cinq ans de la hausse du malus. Je note d’ailleurs que, en la matière, vous revenez sur votre parole. Certaines décisions peuvent paraître incompréhensibles ; par exemple, comment allez-vous prendre en compte le bilan carbone d’une voiture moins lourde, mais fabriquée en Chine ? Comment allez-vous prendre en compte les situations particulières où l’achat d’un véhicule de plus grande taille empêche la circulation de plusieurs véhicules de plus petite taille ?
Nous voterons également pour la suppression du malus sur le poids, qui, vu toutes les mesures d’exception que vous proposez, ne concernera que 1 % du parc – reconnaissez que nous sommes là face à une mesure démagogique, qui aura pour seule conséquence de fragiliser notre industrie automobile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Si encore l’ensemble des recettes du malus étaient affectées à la transition écologique… Que nenni ! Il ne s’agit que d’une mesure de rendement budgétaire.
Nous voulons surtout plus d’écologie positive.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lavarde. Nous proposerons une hausse des crédits de la prime à la conversion, un encouragement au télétravail et un déblocage anticipé de l’épargne salariale pour l’achat d’un véhicule propre ou la réalisation de travaux de rénovation thermique.
Il nous semble également que l’accès à l’excellence environnementale ne doit pas être ouvert uniquement aux plus aisés. Je donnerai deux exemples. Pour un foyer dont le revenu fiscal de référence par part est inférieur à 13 489 euros, le montant maximal d’aide publique pour l’achat d’un véhicule électrique est de 12 000 euros. J’ai eu beau consulter les catalogues de plusieurs constructeurs, je n’ai pas pu trouver de voiture dont l’achat représenterait, pour un tel ménage, un reste à charge inférieur à une année de son revenu fiscal de référence par part. Je me demande comment ce foyer passera à l’acte d’achat…
Par ailleurs, l’incitation à la rénovation thermique reste faible pour les propriétaires bailleurs, car elle est fortement conditionnée, notamment par un encadrement des loyers. Et ce ne sont pas eux qui paient ensuite les factures de chauffage des logements…
Ce budget, vous l’aurez compris, ne nous rassure pas et ne donne pas confiance dans l’avenir. Les contribuables s’effraient de l’envolée de la dette de l’État et de la dette sociale ; ils savent qu’il faudra bien les rembourser. Ils s’attendent tôt ou tard à voir leurs impôts augmenter – j’ai bien noté que Bruno Le Maire s’était engagé à ce que tel ne soit pas le cas tant qu’il serait ministre ; mais je suis bien obligée de constater aussi qu’il est en CDD… (Sourires.) L’épargne forcée du premier confinement va de plus en plus devenir une épargne de précaution.
Les entreprises, elles, s’inquiètent des effets de stop and go : les milliards pleuvent aujourd’hui… mais demain ? Un acteur économique raisonnable ne s’engage pas dans des dépenses de recherche et développement ou dans une révolution de son organisation s’il ne sait pas de quoi demain sera fait.
Quant aux élus, ils se sentent de plus en plus dépossédés. Une nouvelle catégorie de sous-préfets est apparue, et je note que seule une dizaine de sous-préfets ont été nommés à la mi-novembre, ce qui m’inquiète s’agissant du calendrier de la relance.
Année après année, les collectivités perdent leur autonomie fiscale au profit d’une hausse des reversements d’impôts d’État, qui pourront demain faire partie des variables d’ajustement.
La parole de l’État, elle, est sans cesse remise en cause. Je citerai trois exemples tirés de ce seul projet de loi de finances : la remise en cause des dispositions votées l’année dernière quant à la compensation de la perte des recettes de taxe d’habitation des départements ; la remise en cause des contrats d’achat d’énergie photovoltaïque signés avec l’État avant 2011 ; la remise en cause de la trajectoire du malus, le seuil de déclenchement baissant de 7 grammes par an alors que l’engagement portait sur une baisse de 5 grammes par an seulement sur le quinquennat.
Contrairement à ce que le Gouvernement indiquait dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques, nous n’avons pas aujourd’hui un « budget de relance et de souveraineté au service des priorités écologiques et sociales ». Nous n’avons pas un budget qui donne confiance dans l’avenir.
Rien ne sera possible, pourtant, sans un changement de comportement des consommateurs, qui doivent être incités à dépenser l’épargne de précaution qu’ils ont accumulée depuis plusieurs mois. Tant que les Français n’auront pas confiance dans la reprise de l’économie, l’épargne forcée du premier confinement continuera à se transformer durablement en une épargne de précaution. Nous vous le disons : sans confiance, pas de croissance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traditionnel examen du projet de loi de finances prend cette année une dimension exceptionnelle. Il s’établit dans un contexte profondément marqué par la crise du coronavirus.
L’instabilité sanitaire est devenue budgétaire. À titre personnel, je sais qu’il ne pouvait en être autrement, sauf à laisser notre santé publique, notre économie, nos emplois et notre modèle social sombrer.
Dans le prolongement des quatre lois de finances rectificatives de l’année écoulée, et afin de répondre à l’impact économique et social de la crise sanitaire, ce PLF est un projet de relance et d’espoir. Fondé sur une hypothèse de croissance de 8 % en 2021, il est censé s’inscrire dans un temps de rebond économique. Il reste que financer la relance par la croissance ne sera pas chose aisée.
Il appartient dès lors au Gouvernement, en premier lieu, de faire des choix politiques qui maximiseront les effets de levier sur la relance de l’activité.
Tel est l’objet d’une mesure phare de ce PLF, sur laquelle je souhaite concentrer mon propos : la baisse des impôts de production.
Les articles 3 et 4 du PLF pour 2021 prévoient une baisse des impôts de production pour les entreprises à hauteur de 10 milliards d’euros bruts.
La fiscalité de production est en France sept fois plus élevée qu’en Allemagne, et deux fois plus élevée que la moyenne observée dans les pays de l’Union européenne. Autrement dit, nos voisins ne s’y sont pas trompés, non plus, d’ailleurs, que notre ministre de l’économie et des finances, qui déclarait devant nos collègues députés, cet été, que « les impôts de production sont de mauvais impôts, des impôts stupides, parce qu’ils pèsent sur les entreprises avant même qu’elles aient fait des bénéfices ».
Cependant, en l’état, le texte cible exclusivement les impôts économiques locaux et réduit une nouvelle fois l’autonomie fiscale des collectivités territoriales.
Au nom du groupe Union Centriste, je défendrai un amendement visant à atteindre la bonne cible en supprimant la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) dont sont redevables les entreprises qui réalisent plus de 19 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Pour celles-ci, je proposerai de maintenir les impôts locaux de production, qui ne disparaîtraient que pour les plus petites ; évidemment, je proposerai en outre de compenser la perte des recettes de la C3S pour le budget de la sécurité sociale par une part de TVA.
Ce faisant, l’État et les collectivités partageraient l’abandon d’un impôt : 4 milliards d’euros pour l’État sans C3S et 4,6 milliards d’euros nets pour les collectivités sans CFE et sans CVAE.
Je n’ignore pas que l’État prévoit de compenser auprès des collectivités les pertes de recettes d’impôts de production, mais nous avons donné pour savoir que le risque de perdre au change est certain ; surtout, c’est encore une atteinte à la liberté d’administration des collectivités. (Mme Françoise Gatel et M. Christian Klinger applaudissent.)
Il semblerait que les régions soient satisfaites du deal gouvernemental. Mais les communes et les « intercos », qui fixent aujourd’hui le taux de la CFE ? Sont-elles d’accord ? Le Sénat doit porter leur message, leurs inquiétudes. Il doit proposer tout ce qui préservera le dynamisme et la volonté des territoires.
Nous avons une solution : partager l’effort, c’est-à-dire supprimer l’impôt local pour les petites structures, qui sauront apprécier l’allégement consenti, et supprimer la C3S pour les grandes qui, de toute façon, viendront réclamer cette suppression. Tôt ou tard, et même après la disparition de l’impôt local, les grandes entreprises nous expliqueront de nouveau combien la C3S est nocive pour leur compétitivité, combien elle est exclusivement française, donc illégitime. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
Si nos fleurons nationaux gagnent en compétitivité, l’État sera l’autre grand bénéficiaire.
Le Conseil d’analyse économique estime que la suppression de la C3S permettrait de réduire le déficit de la balance commerciale de plus de 5 milliards d’euros. Telle est aussi l’hypothèse du groupe Union Centriste, et nous en débattrons. Mais n’oublions pas que l’État a tout autant besoin de collectivités fortes que d’entreprises fortes. Elles savent d’ailleurs très bien grandir ensemble. Laissons-les vivre en synergie ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, Emmanuel Capus, Christian Klinger et Sébastien Meurant applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc à l’examen du projet de budget pour 2021. Que constatons-nous ?
Nous constatons que, en quelques mois, toutes les doctrines budgétaires ont volé en éclat ; que toutes les règles de limitation des dépenses publiques sont devenues obsolètes ; tous les verrous et carcans d’hier, qu’ils soient nationaux ou communautaires, ont sauté. Sous nos yeux et au gré des PLFR successifs, ce qui était jusqu’alors impossible est advenu, et même devenu vital.
En termes comptables, nous convenons naturellement que l’effort budgétaire consenti cette année et celui prévu pour l’an prochain sont très importants. Toutes les missions ou presque voient leurs crédits augmenter, et le plan de relance semble enfin s’engager.
Cet effort, ce déficit et cet endettement, l’Europe les comprend, la Cour des comptes les comprend, chacun de nous ici les comprend et, par endroits, les approuve. Mais, si nous les comprenons, souffrez aussi que nous émettions des doutes sur l’exécution de ce budget et sur la répartition de l’effort, donc sur son efficacité.
Depuis plusieurs semaines, nous constatons que votre équation budgétaire est mise à mal par nos voisins européens illibéraux, Hongrie, Pologne et désormais Slovénie, qui bloquent l’adoption du plan de relance européen.
Depuis plusieurs mois, nous vous mettons en garde contre les annonces tonitruantes : comment croire en effet que, au-delà des milliards annoncés, les crédits inscrits seront bel et bien consommés ? L’expérience vécue outre-mer nous apprend en effet à être méfiants.
Mes chers collègues, le budget d’une nation est bien plus qu’une addition arithmétique de milliards. Un budget, c’est un acte politique, la traduction d’une philosophie, d’une vision, année après année, de l’avenir d’une société.
Or, par-delà les montants exceptionnels qui sont présentés, ce que nous contestons fondamentalement dans ce budget, c’est bel et bien son orientation et sa philosophie.
Me revient, en cet instant, une phrase célèbre : « L’économie vulgaire […] se contente des apparences […] et se borne à élever pédantesquement en système et à proclamer comme vérités éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le meilleur des mondes possibles », et ce parce qu’elle ne parvient pas ou renonce même à « pénétrer l’ensemble réel et intime des rapports de production dans la société. » Vous aurez trouvé de quel auteur il s’agit…
La philosophie que nous mettons en cause est bien celle du libéralisme à tous crins, du monétarisme et de l’inégalitarisme ; c’est cette croyance fétichiste dans la supériorité du marché qui est celle de l’individualisme possessif et gourmand.
Cette crise a mis à l’épreuve votre doxa ; cette crise était donc pour vous l’occasion de changer de paradigme et de trouver, en quelque sorte, votre chemin de Damas. Cette théologie du salut individualiste souffre d’une déficience épistémique dont, j’en suis sûr, vous avez parfaitement conscience.
Mais, malgré les démentis infligés à vos choix économiques et sociaux, vous persistez dans cette politique darwiniste qui centralise, qui fragilise, qui précarise.
Regardez la partie relative aux recettes : aucun effort demandé aux plus fortunés ; rien sur la fiscalité patrimoniale ou successorale ; rien pour faire face à la voracité des multinationales ; rien pour soutenir l’épargne populaire – je déposerai des amendements en ce sens ; si peu pour soulager nos collectivités locales ; quasiment rien pour la justice fiscale, donc.
M. Philippe Dallier. Rendez-nous Hollande !
M. Victorin Lurel. Vous décidez, en revanche, une quasi-suppression des impôts de production. Cette suppression, le Medef la voulait, le Medef l’obtient et, ce matin même, Bruxelles la critique.
La soutenabilité financière des collectivités est donc de nouveau menacée ; leur autonomie fiscale est une fois encore mise à mal.
Bien que la dureté de la réalité sociale vous rattrape, vous restez figés et arc-boutés. Votre surmoi libéral est plus fort que la réalité des faits.
Les faits, c’est une augmentation de 9 % du nombre de bénéficiaires du RSA prévue l’an prochain ; les faits, c’est, sur le terrain, des associations de lutte contre la précarité en plein désarroi depuis la fin des contrats aidés ; les faits, c’est un marché du travail tellement précarisé depuis trois ans qu’il insécurise même ceux qui garderont leur emploi ; les faits, c’est l’hubris spéculative et prédatrice des sociétés d’investissement, qui échappent toujours à toute réglementation.
Non, vous ne partez pas de nulle part ; depuis 2017, votre politique est mue par l’idée selon laquelle les inégalités créent la croissance et les vices privés font la vertu publique, raison pour laquelle vous avez continuellement abaissé la fiscalité sur les plus riches ; raison pour laquelle vous avez continuellement privilégié les libertés économiques des plus forts aux solidarités sociales pourtant nécessaires.
Ce PLF continue ainsi d’être adossé à cette idée fixiste que seul le salut individuel peut sauver la France et les Français.
Regardez la partie relative aux dépenses : sur les 36 milliards d’euros inscrits en autorisations d’engagement au titre de la mission « Plan de relance », seuls 200 millions iront en direction des Français les plus modestes. Et ce ne sont pas les 700 millions d’euros annoncés au forceps et in extremis fin octobre qui changeront la donne. C’est purement indigent !
Nous sommes des parlementaires responsables. Nous sommes même des parlementaires inventifs et combatifs, qui persistons à vous démontrer que d’autres voies sont encore possibles.
Parce que cette crise touche d’abord les plus précaires, nous vous proposerons, au cours des débats, une véritable boîte à outils, exposée plus tôt par notre collègue Rémi Féraud.
Parce que nous croyons encore à la belle phrase dite par Lacordaire en 1844 : « Entre le faible et le fort, entre le pauvre et le riche, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit. »
Nous le voyons, votre utopie libérale et individualiste s’est muée en dystopie sociale. Quel sera donc votre legs ?
Derrière ces milliards, fictifs ou tangibles, la question qui nous obsédera dès l’an prochain et pour cinquante ans encore est celle-ci : qui paiera en dernier ressort l’explosion de la dette ainsi créée ?
Nous vivons un impensé de la dette et restons dans l’orthodoxie la plus indigente. On prend avec condescendance l’idée de dettes perpétuelles ou de très long terme, ou celle d’une possible suppression des dettes souveraines. Le dogme de l’orthodoxie monétaire et bancaire étouffe et aveugle.
Vous évitez ainsi d’ouvrir tout débat relatif à un possible effacement partiel de la dette pour préserver, dites-vous, la crédibilité de la signature française. Cette inclination persistante est, je vous le dis, proprement irréaliste et idéologique.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, à l’aube de ce débat, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne désespère pas de corriger les biais inégalitaires, darwiniens et kafkaïens de ce PLF. Bon travail à tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, ce jeudi, c’est le jour du beaujolais nouveau, et pour fêter cela, tous vos indicateurs sont au rouge,… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Salmon. Au gros rouge, alors !
M. Jérôme Bascher. … sur la forme comme sur le fond, sur le conjoncturel comme sur le structurel, sur l’économique comme sur le social, pour aujourd’hui et pour demain !
Je ferai quelques remarques de forme.
Première remarque, j’ai repris ma bible, la LOLF, qui précise dans son article 7, au sein du chapitre II du titre II, qu’« un programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère ». Force est de constater que votre mission « Plan de relance » et ses programmes ne répondent pas à cette exigence de la LOLF !
Le rapporteur général l’a évoqué, et il en fera la démonstration lors de l’examen de la mission, dans la mesure où les programmes de cette mission contiennent des crédits de rattrapage pour tous les ministères, j’estime, peut-être à tort, peut-être est-ce une mauvaise lecture de cette loi que je connais bien pour l’avoir mise en place, que cette mission n’est pas « lolfique ».
Deuxième remarque, on peut lire à l’article 32, au sein du chapitre Ier du titre III : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Or, le rapporteur général et d’autres collègues, notamment Christine Lavarde, l’ont rappelé, ce budget n’est pas fondé sur des hypothèses macroéconomiques qui vont bien, excusez-moi du peu ! Comment pourrions-nous nous prononcer sur une baisse de 8,6 milliards des impôts de production alors que les hypothèses de croissance sont absolument inconnues ? C’est pour moi une difficulté majeure.
Sur le fond, vous faites bien de réviser votre prévision de croissance. Je la trouve en effet encore très optimiste, avec les 6 % annoncés dorénavant. La situation du commerce extérieur ne va pas aller en s’améliorant, monsieur le ministre, car nos activités exportatrices sont au plus mal, qu’il s’agisse des produits agricoles – nous ne sommes quasiment plus en excédent – ou des avions, dont les ventes ne vont pas repartir à la hausse. Or c’était l’essentiel de nos exportations.
Certes, nos exportations d’armes augmentent, mais est-ce une bonne nouvelle ? Que je sache, le bruit du canon n’a jamais annoncé une amélioration de la croissance pour tous…
Alors, il y a l’investissement, mais vous le savez comme moi, monsieur le ministre, toutes les entreprises aujourd’hui bloquent leurs investissements. Les collectivités, qui ont des ressources en moins, ont elles aussi arrêté d’investir. Tout cela constitue un risque majeur. La consommation repartira, mais uniquement si vous rouvrez les commerces !
Votre plan de relance s’élève, ce qui n’est pas rien, à 36 milliards d’euros. Seules deux missions disposent à ce jour de davantage de moyens, mais avec de vrais crédits de dépense, elles ! Je ne parle pas des dégrèvements chers à Pascal Savoldelli, mais je parle de vraies dépenses. Ces crédits sont totalement à votre main, ce qui me paraît quelque peu bizarre.
Avec ces 36 milliards d’euros supplémentaires, les dépenses publiques représentent dorénavant 66 % du PIB. J’ai fait une plaisanterie en commission des finances, monsieur le ministre : à 66 % du PIB de dépenses publiques, on est dans un pays communiste !
Ce mot d’humour, mais qui ne me fait par rire, prouve que ce pays n’a pas réussi à réduire sa dépense publique auparavant, et que la politique des stabilisateurs automatiques n’est pas la bonne.
J’en veux pour preuve votre trajectoire de réduction des emplois publics. Vous aviez annoncé une baisse de 50 000, puis de 10 000 emplois. Finalement, ce sont vos chiffres, vous en êtes à 1 930 emplois de moins sur quatre ans. Vous êtes dans l’épaisseur du trait, pas dans la réforme structurelle !
Je ne critique pas les lois de finances rectificatives : nous les avons votées pour vous aider, monsieur le ministre, pour aider le Gouvernement et pour aider la France.
En revanche, je n’estime pas que le « quoi qu’il en coûte » et la valse des milliards, qui constituent dorénavant l’unité de compte du budget, soient de bons indicateurs pour les réformes à venir.
La dette, je l’ai entendu, sera remboursée par la croissance. Quel changement de paradigme, monsieur le ministre ! Le « nouveau monde » s’est transformé en destruction de la confiance ! On est passé d’un quinquennat de la croissance potentielle à celui de la décroissance réelle !
La faute à la covid-19, me répondrez-vous ? Non, docteur, dites trente-trois ! Trente-trois, c’est la somme de 11 % de chômage, de 11 % de déficit et de 11 % de récession !
Car, monsieur le ministre, la covid n’est pas seule en cause, vos absences de réformes structurelles sont aussi responsables de cet état de fait. Il fallait préparer une meilleure croissance potentielle. Dois-je rappeler que la croissance potentielle quand nous sortirons de la crise sera inférieure à celle de 2017 ?
Il fallait évidemment innover. Certes, vous avez déposé le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, sous l’impulsion du Sénat, qui avait demandé que l’on ramène à sept ans cette loi de programmation de la recherche. Ces crédits arriveront après 2022.
Vous n’avez rien fait pour la croissance potentielle en termes de politique familiale. Le rapporteur général avancera des propositions en ce sens. Vous n’avez rien fait non plus pour relocaliser nos entreprises. Ce sont les angles morts de votre politique. Rien en matière de politique industrielle ! Rien en matière de politique de natalité !
Le Président de la République avait clairement oublié les collectivités locales. Elles ont fait la preuve qu’elles étaient utiles lors du déconfinement. Un de vos prédécesseurs avait lancé le hashtag #BalanceTonMaire. Je ne lancerai pas, avec Pascal Savoldelli, #BalanceLeMaire, mais je lancerai plutôt, avec Emmanuel Macron, #LaFrancePlusFaible !
À la fin du quinquennat, croyez-moi, la France ira moins bien qu’avant, la France sera plus pauvre, les inégalités auront augmenté et les marges de manœuvre auront diminué en raison de la dette et de la baisse de la croissance potentielle. Nous avons déjà, dans ce budget, le bilan d’Emmanuel Macron : la France moins forte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 520 milliards d’euros de dettes nouvelles en deux ans ! On finance tout à crédit ! Ces 520 milliards sont à comparer aux 100 milliards d’euros consacrés au soutien et à la relance : cela fait quand même réfléchir !
Certes, ce budget ne finance pas que du soutien et de la relance. C’est la valse des milliards, on est en pleine dérive budgétaire, on augmente les effectifs, on augmente les rémunérations des fonctionnaires. Je citerai trois exemples symptomatiques parmi d’autres.
Premier exemple, 425 créations d’emplois sont prévues pour les agences régionales de santé. On renforce l’administration du système de santé alors que l’on devrait transférer des moyens de l’administration vers le médical et les soignants.
Deuxième exemple, plus de 10 milliards d’euros seront consacrés aux ministères, contre zéro euro pour les collectivités ! La loi de finances renforce le pouvoir central au détriment des territoires.
Troisième exemple, les effectifs du Conseil d’État et de la Cour des comptes sont renforcés, et avec eux le pouvoir des juges. Parallèlement, le pouvoir des élus est encore affaibli en raison d’une nouvelle diminution de leur autonomie fiscale.
Le Mal français d’Alain Peyrefitte, qui dénonçait les méfaits de la bureaucratie française, et Toujours plus ! de François de Closets sont plus que jamais d’actualité, quarante ans après. Les gouvernements successifs n’en ont malheureusement pas tenu compte.
On vient de célébrer les cinquante ans de la mort du général de Gaulle, cet homme d’État dont le courage n’était pas la moindre des qualités. Rappelons-nous que, en 1958, à la demande du général, le plan Pinay-Rueff prévoyait, pour revenir à l’équilibre du budget, une baisse de 14 % des dépenses publiques. Quel courage ! Résultat : envolée de la croissance pendant dix ans !
Notre gestion absurde de la crise, selon Der Spiegel, qui rebaptise la France « Absurdistan », nous coûte cher, très cher ! En 2020, nous perdons 11 % de notre richesse, contre la moitié de ce taux pour l’Allemagne. Le décrochage se poursuit et l’écart se creuse : merci aux Chinois, à l’Arabie Saoudite, mais surtout aux banques centrales et à l’Union européenne, sans lesquels nous ne pourrions plus fonctionner aujourd’hui !
Notre indépendance actuelle et future est en grave danger. Pour rester indépendants, il faudra bien rembourser – sur ce point, nous sommes d’accord, monsieur le ministre, preuve que cela nous arrive ! La diminution de la dette est un devoir à l’égard des jeunes générations, qui sont déjà sacrifiées par les politiques de confinement et de reconfinement.
Je suis d’accord, tout du moins en théorie, avec le ministre de l’économie : pour rembourser la dette, il faut de la croissance, il faut une gestion saine des finances publiques et il faut des réformes structurelles. Mais dans la réalité, c’est autre chose. Qui peut croire en une croissance perpétuelle ? En termes de prévisions, c’est toujours : tout ira bien demain, il fera beau tout le temps. Mais nous savons très bien, les uns et les autres, qu’il n’en va pas ainsi dans la vraie vie !
Admettons que l’on puisse atteindre cette croissance perpétuelle. Qui peut démontrer qu’elle est compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ? Vous savez que, pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre, qui trouvent principalement leur origine dans les énergies fossiles, premier carburant de notre économie. (M. Sébastien Meurant applaudit.)
J’aimerais que l’on me prouve que la croissance future est compatible avec les objectifs très ambitieux que nous nous sommes fixés en matière de lutte contre le réchauffement climatique. (M. Daniel Salmon applaudit.)
Quant à la gestion des finances publiques depuis quarante ans, loin d’être saine, elle se caractérise par une accumulation des déficits ! Il faudrait changer complètement de logiciel, nous sommes – cela a été rappelé – les plus mauvais élèves de l’Union européenne, avec la Roumanie !
Enfin, que dire des réformes structurelles, troisième pilier du remboursement souhaitable de notre dette, sinon que c’est l’Arlésienne dont on parle toujours et que l’on ne voit jamais venir ? La gestion catastrophique du projet de réforme des retraites en est un triste exemple.
Mes chers collègues, notre réaction à l’épidémie et les faiblesses de notre système de santé nous ont mis à plat budgétairement, économiquement et socialement. Tout est lié.
Mais la crise a bon dos ! Sous couvert de crise, on amplifie la pratique du laisser-aller budgétaire. Les Français sont anesthésiés par la peur, mais aussi par les milliards qui pleuvent. Attention, monsieur le ministre, le réveil sera brutal et douloureux !
À titre personnel, sans doute avec quelques collègues ayant toujours été attachés à une gestion rigoureuse de l’argent public, je voterai contre ce projet de loi de finances. (MM. Jean-Marie Mizzon et Sébastien Meurant applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à la crise sanitaire, désormais également sociale et économique, qui ronge notre pays, ce projet de loi de finances pour 2021 était attendu, afin de permettre la relance de toutes les forces de la Nation et de redonner du souffle aux Français. Le compte n’y est malheureusement pas, mais les mécomptes y sont !
Combien de chiffres alarmants, monsieur le ministre, combien de rapports soulignant les effets inadaptés de vos mesures vous faudra-t-il encore pour changer de cap ?
Nous sommes face à un PLF sans grande surprise, dans la droite ligne – ou devrais-je plutôt dire dans la ligne de droite ? – d’une politique libérale plus ou moins assumée !
Vous faites preuve d’une confiance inébranlable dans la main invisible du marché et dans la politique de l’offre pour régler les problèmes, entre habituels cadeaux aux multinationales et aux plus riches, et renoncement à une vraie solidarité.
Le Gouvernement fait clairement le choix de poursuivre la réduction des impôts pour les grandes entreprises et les ménages les plus riches, alors même que les besoins en recettes seront essentiels pour renforcer les services publics et rembourser les dettes engendrées par la crise du coronavirus.
Le Gouvernement parie encore sur la croissance alors que celle-ci est affaiblie et qu’elle peinera à rebondir, conformément à ce que l’on constate depuis plus de cinquante ans. C’est un fait établi que vous devez prendre en compte dans vos prévisions. Il va falloir de nouveau questionner notre définition de la croissance : il y a urgence à le faire ! Dans un contexte où la croissance ne reviendra pas au niveau espéré, il nous faut trouver les moyens de satisfaire les besoins des Français de manière juste et équitable. Vous n’en prenez pas le chemin dans ce projet de budget !
Quelle stratégie guide votre nouvelle baisse massive des impôts pour les entreprises ? Pour quelle compétitivité et pour quels emplois prenez-vous de telles décisions ? C’est une politique qui essuie pourtant des échecs évidents. Je pense à Air France et à Renault, qui ont reçu des aides en début d’année et envisagent aujourd’hui des licenciements. J’aurais pu également citer Engie, Airbus et bien d’autres. Comment ne pas évoquer l’absence ou l’insuffisance de contreparties exigées pour ces entreprises dans le domaine social ou environnemental ?
En ce qui concerne la diminution des impôts sur les ménages, avec la suppression de la taxe d’habitation, les 20 % des contribuables les plus riches capteront 44 % de la baisse, soit quasiment 7 milliards d’euros. Je voudrais rappeler que la réforme de l’assurance chômage se traduit par 3,4 milliards d’euros d’économie au détriment des chômeurs. C’est ce que l’on peut appeler le ruissellement à l’envers !
Toujours en matière de stratégie, je suis très étonné que l’on trouve dans la mission « Plan de relance » le programme 362, « Écologie », qui n’a rien à y faire. Tout d’abord parce qu’il ne produira que des effets limités en 2021 ; ensuite et surtout parce que la transition écologique est nécessairement un processus de long terme. Dès lors, il doit s’agir d’une mission structurante et non conjoncturelle.
Avant même un plan de relance, il aurait d’abord fallu un plan de soutien, car la crise sanitaire ne va pas se terminer le 31 décembre de cette année.
Un plan de soutien est nécessaire pour les entreprises qui sont au bord de la faillite. Je pense, en particulier, aux restaurants, aux bars, aux cafés, aux petits commerces et à bien d’autres, qui risquent de ne pas bénéficier du plan de relance tout simplement parce qu’ils n’existeront plus.
Il faudrait aussi prévoir un plan de soutien pour les plus fragiles de nos concitoyens. Cette crise sanitaire se traduit d’ores et déjà par l’augmentation sans précédent du nombre de chômeurs et d’allocataires du RSA, par la multiplication d’entrepreneurs de TPE et de PME au bord du gouffre, et par le basculement de nombreuses personnes dans la pauvreté.
Ces derniers mois, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a augmenté d’environ 30 %, voire de plus de 45 % dans certains départements. Où sont les crédits ouverts au bon niveau pour les plus démunis dans ce PLF ?
À côté d’une politique de soutien que nous appelons de nos vœux, vous l’aurez compris, l’efficacité d’une véritable relance doit passer par les territoires, tous les territoires, en particulier par ceux que je connais le mieux, à savoir les territoires ruraux, en nous appuyant notamment sur les collectivités locales. Les territoires ruraux offrent un potentiel, économique, social, humain : cette prise de conscience était en train d’émerger et leur reconnaissance a été confortée par la crise.
Malgré cela, vous continuez à vous attaquer à l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Cette année, en raison de la pandémie, les collectivités locales devraient enregistrer des pertes financières nettes de l’ordre de 3 milliards d’euros, en l’absence de compensation suffisante de la part de l’État.
À cela s’ajoute le mécanisme de bascule des impôts de production, prélevés sur les entreprises au niveau local, vers des impôts sur la consommation prélevés, notamment sur les ménages, au niveau national. Les collectivités territoriales perdent ainsi la main sur une part importante de leurs recettes, qui leur garantissaient une véritable capacité d’action et surtout leur assuraient un lien direct avec leurs citoyens, électeurs et contribuables.
Je suis de ceux qui pensent que, au contraire de ce qui a été décidé, les collectivités doivent conserver leurs capacités financières, compte tenu de leur rôle d’investisseur public.
Vous l’aurez compris, le groupe que je représente estime que votre PLF manque d’une stratégie renouvelée sur l’évolution à long terme de la société française que cette crise impose. Pour demain, quel tournant écologique, quel plein emploi, quelle souveraineté alimentaire, quelle souveraineté industrielle, quelle souveraineté technologique, quelles justices fiscale et sociale ? Autant de réponses à ces questions que nous ne percevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais le Parlement n’aura dû examiner une loi de finances dans un tel climat d’incertitudes sanitaire, économique, budgétaire, mais je ne vous en fais pas le reproche, monsieur le ministre. Êtes-vous trop optimiste ou ne l’êtes-vous pas assez sur le niveau de nos recettes et le poids des dépenses induites directement par cette crise ? Le débat ne se situe pas réellement là.
Bien évidemment, cela ne signifie pas que le niveau du déficit budgétaire et de la dette publique nous soit soudainement devenu indifférent. Si l’on ajoute aux 223 milliards d’euros en 2020 du PLFR 4 les 153 milliards d’euros de ce projet de PLF et les déficits cumulés des administrations de sécurité sociale, des autres administrations centrales et des administrations publiques locales (APUL), la dette publique atteindra 2 800 milliards d’euros à la fin de 2021, alors que nous n’avons franchi la barre des 2 000 milliards qu’il y a seulement six petites années.
Jusqu’à présent, grâce à la baisse des taux devenus même négatifs, à la politique de la BCE et à la gestion de France Trésor l’emballement de notre dette a été indolore, mais 2020 sera la dernière année où son coût diminuera alors même que le stock enfle : ce sera terminé !
Il est donc temps, monsieur le ministre, de mettre en place une stratégie de désendettement, qui passera probablement par le cantonnement de la dette dite « covid » et l’affectation d’une ressource pérenne à son remboursement. Il faut le faire, et vite, mais en ayant conscience que cela devra s’accompagner de réformes structurelles. Car cantonner la dette, ce n’est pas la faire disparaître. Encore faudra-t-il qu’ensuite nous ne fassions pas comme avec la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), c’est-à-dire que nous remplissions la barque dès qu’elle est en passe de se vider !
Pour l’heure, quatre questions nous sont posées, et je ne doute pas qu’elles structureront nos débats.
Faut-il, dès 2021, alourdir la fiscalité des particuliers ou des entreprises pour dégager des moyens supplémentaires, comme certains le demandent ? Ce n’est pas le choix du Gouvernement, et je pense qu’il a raison.
Les mesures de soutien à nos entreprises en difficulté sont-elles bien ciblées et suffisantes ? Je crois que le débat n’a pas été clos par le PLFR 4. Même question pour les mesures de relance de ce PLF – j’y reviendrai.
Enfin, dernière question, et pas la moindre, les aides aux Français les plus touchés par cette crise empêcheront-elles un basculement massif et durable des plus précaires dans la pauvreté ? Malheureusement, la tendance est inquiétante. Que ferons-nous ?
Ce projet de loi de finances concrétise d’abord le plan de relance annoncé depuis mars par le Gouvernement, mais qui a tardé à être mis en œuvre. Pourtant, en cette période de grande incertitude, ce dont les acteurs ont le plus besoin, publics ou privés, particuliers ou entreprises, c’est bien que nous leur donnions un maximum de visibilité. Les mois perdus, combinés aux effets du reconfinement, risquent de rendre inatteignable l’objectif, affiché par Bruno Le Maire il y a quelques semaines seulement, d’un effacement des effets de cette crise sur notre PIB dès 2022.
Pour espérer tenir cet objectif ambitieux, il nous faudrait réunir plusieurs conditions. Tout d’abord, il faudrait préserver notre potentiel de croissance et donc soutenir massivement nos entreprises, grandes ou petites. De gros efforts ont été réalisés en ce sens, nul ne peut le nier, mais chacun voit bien venir le moment où, malgré les reports de charges, le fonds de soutien, le PGE et le dispositif de chômage partiel, beaucoup de PME ne tiendront pas en cas de prolongement du reconfinement ou si un troisième confinement s’avérait nécessaire, dans l’attente d’un vaccin.
Il nous faut donc, dès maintenant, réfléchir à cette hypothèse et agir. Nous devons dire à tous ces chefs d’entreprise, artisans et commerçants, qui ne savent pas s’ils pourront passer la fin de l’année, ce que le Gouvernement entend faire pour eux.
Il nous faut ensuite un plan de relance massif et ciblé sur les secteurs susceptibles de redémarrer rapidement, malgré la crise sanitaire. Nous le savons, notre pays est pénalisé par la structure même de son économie, où des secteurs comme le tourisme et l’aéronautique pèsent lourd. Ceux-ci ne retrouveront pas leur niveau d’avant la crise avant plusieurs années. Nous devons donc, d’un côté, soutenir plus longtemps et plus fortement ceux qui devront attendre la reprise et, de l’autre, investir massivement dans les secteurs où la demande intérieure est le principal moteur.
C’est le cas du logement, monsieur le ministre, point que je développerai à présent. Car la construction neuve est bien l’angle mort de ce plan de relance, comme elle est en réalité l’angle mort de votre politique depuis 2017. Pourtant, les besoins sont immenses : au-dessous de 500 000 logements neufs par an, nous ne répondons pas aux besoins, et le décalage entre l’offre et la demande qui s’accroît fait continuellement monter les prix, aggravant par là même la crise.
Or qu’avez-vous fait depuis trois ans ? Vous n’avez regardé le logement que comme une source d’économies : économies sur les aides personnelles mises à la charge des bailleurs sociaux avec la réduction de loyer de solidarité (RLS), disparition des aides à la pierre dans le budget de l’État, suppression de l’APL accession, économies sur les aides fiscales avec le resserrement du prêt à taux zéro (PTZ) et du Pinel. Ajoutez à cette liste le resserrement du crédit bancaire et vous avez l’explication de ce qui est en train de se passer !
Le Gouvernement a aussi prélevé 500 millions d’euros dans les caisses d’Action Logement l’an dernier, il prélèvera 1 milliard d’euros cette année et il souhaite même revenir sur la compensation du relèvement à cinquante salariés du seuil de contribution à la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC).
Comme si tout cela ne suffisait pas, il a également demandé un rapport sur la gouvernance d’Action Logement à l’Inspection générale des finances (IGF), qui préconise de mettre fin à la gestion paritaire, de transformer la PEEC en cotisations et d’adosser le patrimoine d’Action Logement à un autre acteur. Lequel ? Le rapport ne le précise pas, mais un tel patrimoine devrait aiguiser les appétits, n’en doutons pas !
Monsieur le ministre, j’évoquais le besoin de visibilité des acteurs économiques. Quand dissiperez-vous le brouillard qui entoure également les acteurs du logement ? Entendons-nous bien. Rechercher la plus grande efficacité de la dépense publique : nous sommes d’accord. Trouver des économies : ce pays va devoir le faire. Mais la question est bien de savoir où et avec quelles conséquences !
Depuis trois ans, vous nous répétez que vos réformes permettront un « Élan » nouveau pour la construction, selon le titre de la dernière loi. Résultat : en 2020, on financera moins de 100 000 logements sociaux et, pour la première fois, tous types de logements confondus, le nombre des autorisations de construire accordées sera inférieur au nombre des mises en chantier. Les courbes se sont croisées : le pire est devant nous !
Reconnaissez au moins que vous vous êtes trompé et changez de stratégie ! Si la mode est au Grenelle, il en faut un sur le logement, auquel il faudra associer étroitement les élus locaux. Car tout se tient et la disparition de la taxe d’habitation, comme la non-compensation des exonérations de taxe sur le foncier bâti, constitue également un frein à la construction. Il faut desserrer ce frein si nous voulons relancer le secteur.
« Quand le bâtiment va, tout va ! » disait-on dans l’ancien monde. Souvenez-vous-en, monsieur le ministre, particulièrement en cette période de crise et acceptez, dès ce PLF, un certain nombre des amendements que nous allons vous proposer sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de son discours de politique générale devant le Sénat, le 16 juillet dernier, Jean Castex se présentait comme un Premier ministre des territoires. Le PLF pour 2021 était donc l’occasion pour le Gouvernement de traduire cette volonté d’un acte II du quinquennat orienté vers la proximité et les collectivités territoriales.
Ce PLF était aussi l’occasion d’apprendre des erreurs du passé en tirant les leçons de cette crise sanitaire dans laquelle les élus locaux, particulièrement les maires, ont été exemplaires.
En tant qu’ancien maire de Houssen et président de l’association des maires du Haut-Rhin, département le plus touché lors de la première vague de covid-19, j’ai pu voir le dévouement de mes collègues sur le terrain. Partout dans le pays, les élus locaux ont été au rendez-vous en maintenant les services publics essentiels et en palliant les défaillances de l’État, au-delà du champ habituel de leurs compétences.
Ce PLF pour 2021 devrait donc être exceptionnel et traduire cette volonté de réinvestir dans nos territoires. Or s’il y a des changements, si je note des engagements de la part du Gouvernement en faveur des collectivités – 5 milliards du plan France Relance fléchés vers les collectivités ; maintien des dotations, notamment de la DGF ; augmentation de la DSIL à un niveau historiquement haut ; majoration de la dotation générale de décentralisation pour les régions –, je constate aussi que ce PLF pour 2021 comporte des motifs importants d’inquiétude pour les élus locaux.
Tout d’abord, l’année 2021 marquera l’entrée en vigueur de la suppression de la taxe d’habitation (TH). La suppression de la TH pour le bloc communal et celle de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les départements pourraient avoir des conséquences importantes en matière de potentiel fiscal et de péréquation.
Ensuite, le PLF pour 2021 prévoit également la baisse, à hauteur de 10 milliards d’euros, des impôts de production, en l’occurrence des impôts locaux tels que la CVAE, la CFE et la taxe foncière des entreprises. Malgré la compensation de l’État, les élus locaux peuvent légitimement craindre que ce mécanisme soit non pérenne pour leur collectivité. Ils croient malheureusement de moins en moins l’État lorsque celui-ci parle de compensation à 100 %, car la tendance est à l’érosion au fil des années.
Plus globalement, c’est à une baisse constante de l’autonomie fiscale des collectivités que l’on assiste. Pour les communes, la taxe d’habitation est remplacée par le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties sur lequel s’appliquent un coefficient correcteur et un abondement de l’État prélevé sur les frais de gestion sur la fiscalité locale. En matière de simplification, on a vu mieux !
Pour comprendre le mécanisme de la baisse des impôts de production, c’est encore pire. C’est un processus de transferts, de compensations fractionnées, de plafonnements, de revalorisations des valeurs locatives, etc. C’est encore plus compliqué et alambiqué. Je ne sais pas s’il y a des plombiers à Bercy, mais c’est une belle tuyauterie qui nous est proposée : un véritable centre Pompidou de la fiscalité ! (Sourires.)
En outre, de nombreuses difficultés vont se poser aux collectivités. Il ne faut pas considérer uniquement le PLF pour 2021 ; il faut regarder plus loin. Les départements vont subir un véritable effet ciseaux entre l’augmentation du RSA et la diminution de leurs recettes. Pour le département du Haut-Rhin, on observe déjà une augmentation de 12,5 % du nombre de bénéficiaires du RSA à l’issue de la première vague, ce qui représente un coût supplémentaire de 10 millions d’euros pour la collectivité. Les intercommunalités et les communes font face à un risque avec les pertes de recettes liées à l’activité. C’est dans cette optique que le rapporteur général présentera un amendement tendant à compenser la perte de recettes en 2021 pour le bloc communal et pour le bloc départemental.
Monsieur le ministre, vous le savez, il faut aussi rassurer les élus à propos de l’après-2022. Il convient de pérenniser les recettes des collectivités pour qu’il soit possible d’investir dans les territoires. Les collectivités territoriales sont à l’origine de plus de 70 % de la commande publique. Chaque euro versé a un effet multiplicateur.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà de ces éléments, c’est surtout une nouvelle approche et une nouvelle relation entre État et collectivités qu’il convient d’impulser dans nos territoires. Le grand débat national avait déjà posé le constat ; la crise sanitaire, puis économique l’a confirmé. Pourtant, nous voyons encore surgir les vieux réflexes des excès de centralisation et d’un fonctionnement trop vertical. Par exemple, lorsqu’il s’agit de territorialiser le plan de relance, l’État met en place des sous-préfets dédiés à la relance, alors qu’il suffirait de faire confiance aux forces vives des territoires ! Cette gestion digne de « l’ancien monde » ne peut pas répondre efficacement à l’attente de nos concitoyens.
Désormais, il convient d’enclencher une véritable logique partenariale entre l’État et les collectivités. Libérons les énergies sur nos territoires ; laissons les collectivités prendre des initiatives et innover ; capitalisons sur le couple maire-préfet, qui commence à montrer son efficacité ; et diminuons les carcans administratifs auxquels se trouvent encore trop souvent soumis les élus locaux ! À ce titre, la proposition du Premier ministre d’ajouter, au projet de loi décentralisation, différenciation et déconcentration, dit « 3D », un quatrième « D », pour « décomplexification », paraît pertinente.
L’État doit désormais se poser en accompagnateur et en facilitateur dans sa relation avec les collectivités. Car la proximité est aussi l’affaire de l’État, qui doit améliorer la présence de ses services sur le terrain. Je pense notamment aux maisons France Service dans les cantons.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le PLF pour 2021 aurait dû marquer un changement de philosophie à l’égard des collectivités. Ce n’est malheureusement pas encore le cas.
Nous attendons désormais beaucoup de ce futur projet de loi 4D, dont l’examen ne devra pas, malgré la crise, être continuellement repoussé dans l’ordre du jour parlementaire. Il s’agit d’une attente importante et d’une reconnaissance nécessaire des élus locaux. Au Sénat, chambre des territoires, nous y serons évidemment très attentifs et nous serons force de propositions, sur le fondement notamment des cinquante mesures de plein exercice des libertés locales présentées au mois de juillet dernier par le président Gérard Larcher et par MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite d’abord remercier les orateurs qui se sont exprimés au cours de la discussion générale.
Si certains propos ont pu parfois s’apparenter à un concours d’adjectifs ou de comparaisons chiffrées, beaucoup de prises de parole ont également permis d’avancer dans notre discussion et d’anticiper sur les points de convergence ou de divergence que la majorité sénatoriale pourrait entretenir avec le Gouvernement et la majorité présidentielle.
Je ne répondrai pas à chaque intervenant – ce serait trop long –, mais je souhaite aborder cinq points de fond. Je ferai ensuite deux remarques.
Premièrement, sur la question du budget « vert », vous regrettiez, madame Lavarde – je reprends vos propos sans les partager –, que seulement 10 % des dépenses de l’État soient considérées comme des dépenses vertes. Je veux tout d’abord souligner l’effort de méthode ayant permis au jaune budgétaire de retracer le budget vert – la formulation peut paraître quelque peu contradictoire (Sourires.) – tout en indiquant que ce dernier a évidemment vocation à s’améliorer avec le temps.
La méthode que nous avons retenue est issue d’un rapport commun de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Nous avons prévu une évaluation des dépenses publiques – crédits budgétaires ou dépenses fiscales – au travers de six critères. La part de 10 % des dépenses ayant un effet favorable sur l’environnement est composée de dépenses cotées favorablement sur l’un au moins de ces critères et défavorablement sur aucun. À l’inverse, il y a un quantum à peu près équivalent de dépenses cotées défavorablement sur tous les critères. Ainsi, nombre de dépenses sont grises, parce que cotées favorablement sur un critère et défavorablement sur un autre.
Par ailleurs, pour être tout à fait complet sur la méthodologie, nous avons décidé que toutes les dépenses de transfert ou de salaire ne seraient pas évaluées au regard de leur effet sur l’environnement, considérant que c’était par principe neutre. Nous sommes évidemment ouverts à une évolution méthodologique sur ces points.
Il est important de le noter, nous avons procédé à cette évaluation tant sur le budget de 2021 que sur l’exercice de 2020. On constate que la part des dépenses considérées comme uniquement vertes progresse de manière extrêmement sensible, tandis que la part des dépenses considérées comme uniquement brunes décroît également de manière sensible. Or – c’est là que réside la difficulté – les dépenses considérées comme brunes relèvent pour la plupart de dépenses fiscales, notamment en matière d’accompagnement des dépenses énergétiques des ménages ou des entreprises. Nous savons d’expérience qu’il est politiquement extrêmement difficile de diminuer ces dépenses.
Deuxièmement – cela rejoindra ma remarque sur les hypothèses macroéconomiques –, je veux aborder le séquençage du plan de relance. Ce dernier représente 100 milliards d’euros. En l’occurrence, 86 milliards d’euros sont pris en charge par l’État, dont 66 milliards d’euros en crédits budgétaires, et 14 milliards d’euros sont assumés par d’autres acteurs.
Au-delà des crédits de paiement affichés, notre objectif est que ce plan soit engagé pour moitié d’ici à la fin de 2021. L’objectif sera atteint. D’une part, nous envisageons de dépenser en 2020 10 milliards d’euros au minimum, d’autant qu’un certain nombre d’amendements adoptés à l’Assemblée nationale lors de l’examen du PLFR 4 avaient pour objet d’anticiper des dépenses du fait de la consommation des crédits. D’autre part, nous avons inscrit pour 2021 22 milliards d’euros de crédits de paiement sur la mission « Plan de relance », auxquels il faut ajouter 16,5 milliards d’euros de crédits de paiement répartis dans d’autres missions, 11 milliards d’euros, pour la part engagée du programme d’investissement d’avenir, et une part des crédits portés par les autres acteurs.
C’est un point important, parce que la rapidité de l’exécution du plan de relance sera aussi le gage de son efficacité pour soutenir l’économie, surtout au moment où la crise épidémique repart fortement.
Troisièmement, je m’élève contre l’affirmation de Claude Raynal selon laquelle la Commission européenne aurait considéré négativement la perspective de notre baisse des impôts de production. En effet, la Commission européenne a indiqué en 2019 qu’il était nécessaire, pour réduire les inégalités de fiscalité entre la France et les autres États membres, de procéder à une diminution d’au moins quatre points des impôts de production. À mes yeux, c’est cette expression de la Commission européenne qui a valeur officielle. Cela relativise donc la portée de l’argument du président de la commission des finances.
Je ne partage pas non plus l’affirmation selon laquelle cette baisse des impôts de production ne serait accompagnée, comme d’autres dépenses du plan de relance, d’aucune contrepartie.
D’abord, la plupart des dépenses du plan de relance font l’objet de contreparties. Je pense à la prime d’embauche des jeunes ou des apprentis, qui n’est versée qu’en contrepartie d’une embauche.
Ensuite, un ensemble de mesures ont été adoptées par l’Assemblée nationale. La malice me pousse à le souligner que, pour l’égalité femmes-hommes, pour l’engagement et la traçabilité des efforts des entreprises dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que pour le dialogue social et la consultation, ces mesures sont finalement bien plus importantes pour compenser la réduction de 10 milliards d’euros des impôts de production que celles qui avaient été prévues pour faire face à la diminution de la masse salariale liée au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), à hauteur de 20 milliards d’euros. Je suis donc convaincu que nous serons d’accord pour constater un progrès en la matière et pour affirmer que notre pari, si c’en est un, n’est finalement pas plus hasardeux que celui qui avait été fait fin 2013, avec l’institution du CICE, dispositif dont nous savons qu’il a aidé les entreprises à traverser la crise.
Dernier point sur la question des impôts de production, même si les nombreux amendements à ce sujet permettront d’y revenir, la compensation pour les collectivités sera intégrale et nous veillerons à son caractère dynamique. Ainsi que M. Bilhac l’a indiqué, les élus se demandent avec inquiétude si l’engagement de l’État sera tenu. Je comprends d’autant plus cette inquiétude que je l’ai moi-même connue et que les expériences précédentes peuvent la nourrir.
Remontons un peu dans le temps. Lorsque la part « salaires » de la taxe professionnelle a été supprimée, elle a d’abord été compensée en 2000 par un dégrèvement, puis, l’année suivante, par une allocation de compensation, qui a été versée l’année d’après au titre des variables d’ajustement. Je pourrais également évoquer la suppression de ce qu’il restait de la taxe professionnelle. Quinze ans après, nous voyons combien le fonds national de garantie individuelle des ressources est particulièrement difficile à faire évoluer et condamnable en raison de son caractère fixe, qui peut nourrir des inégalités ou en créer d’autres. Tout cela a rendu les choses extrêmement compliquées…
J’ai la faiblesse de le penser, le modèle de compensation que nous proposons est plus viable, plus simple et plus pérenne. Le fait de compenser par une fraction de TVA ou par un prélèvement sur recettes avec une indexation sur les valeurs locatives a le mérite à la fois de la simplicité et du dynamisme.
Quatrièmement – je me permets de faire une incise –, j’ai toujours un peu de mal avec le fait de qualifier les 20 % de ménages qui paient encore la taxe d’habitation à 100 % de « ménages les plus favorisés », voire « les plus riches ». Nous parlons de célibataires qui gagnent plus de 2 500 euros par mois et qui déclarent un revenu fiscal de référence de 27 000 euros par an ou de couples qui déclarent un revenu fiscal de référence de 42 000 euros par an. C’est évidemment plus que le salaire minimum, mais je ne crois pas que l’on puisse considérer qu’un tel revenu rend riche. En tout cas, un certain nombre de définitions de ce que signifie « être riche » plaçaient la barre à des niveaux plus élevés, dans les années précédentes. À 27 000 euros de revenu fiscal de référence, on ne parlait pas de ménage riche. Cela dénote simplement le fait que la réalité de la répartition des richesses et des revenus est souvent bien différente de la perception que l’on peut en avoir.
Cinquièmement, je veux évoquer la question des collectivités. Là aussi, le débat sera certainement nourri – c’est très légitime, surtout au Sénat –, et nous aurons l’occasion d’y revenir.
Néanmoins, je veux souligner que l’engagement du maintien des dotations est tenu pour la quatrième année de suite, à l’échelle globale – cela n’a jamais empêché, nous l’avons toujours dit, les variations individuelles –, et que cela s’accompagne du maintien de la croissance des dotations de péréquation. C’est un élément de stabilité à valoriser et un facteur de certitude pour les élus locaux.
Ce PLF comporte aussi un certain nombre de dispositions importantes pour les élus, en particulier des zones rurales. Je pense notamment, au-delà des dotations de fonctionnement, au maintien des dotations d’investissement, avec la possibilité, prévue tant dans le PLFR 4 que dans le PLF pour 2021, de reconduire sur l’exercice 2021 les crédits non engagés en 2020, dans des proportions extrêmement importantes.
Cela s’explique par la sous-consommation liée à la période de crise et par les engagements que nous avons pris ; je pense notamment à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) de 1 milliard d’euros, adoptée dans le PLFR 3, déjà engagée à 40 % et qui sera engagée à 100 % grâce au principe de reconductibilité. Cela tient aussi à un amendement du Gouvernement, adopté à l’Assemblée nationale, qui visait à permettre la prorogation de tous les régimes zonés pendant deux ans. Là aussi, c’est de nature à rassurer l’ensemble des élus locaux, en particulier dans les zones rurales.
Je confirme que le Gouvernement présentera un amendement au PLF pour 2021 tendant à garantir aux communes de moins de 5 000 habitants la compensation de la perte de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en 2021, puisque ces communes perçoivent ces droits avec un décalage d’un exercice.
Il y a donc un véritable engagement du Gouvernement. Je ne peux pas vous laisser dire que l’État ne serait pas aux côtés des collectivités. Ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire, dans d’autres contextes, à M. Delahaye, le budget de l’État finance des priorités du Gouvernement. Cela se traduit par une augmentation des crédits des ministères, à plus forte raison dans le contexte d’un plan de relance et d’une réponse à la crise, et par une stabilité, ou presque, pour les collectivités locales.
Effectivement, l’État fait le choix de financer ses priorités et de garantir le maintien des dotations qu’il verse aux collectivités locales. Reprocher au Gouvernement d’augmenter les crédits des ministères plutôt que les dotations aux collectivités n’est pas compatible – je le dis comme je le pense – avec la revendication permanente d’autonomie fiscale, sous-jacente à bon nombre d’interventions que j’ai entendues. J’ai eu suffisamment l’occasion de m’exprimer sur la question de l’autonomie fiscale et de son absence de reconnaissance par la jurisprudence constitutionnelle, qui – M. Delcros l’a rappelé – ouvre un débat plus général sur le mode de financement des collectivités.
Par ailleurs, s’il y a parfois eu, je l’indiquais, un concours d’adjectifs, qui ne valent pas démonstration, il y a également eu un concours de jeux de mots, dans lequel le sénateur Bascher s’est illustré. À l’entendre énoncer la règle des « trois fois onze », j’avais l’impression d’entendre la règle des « trois fois D » : dénoncer les déficits et la dette tout en voulant augmenter les dépenses ! Ce n’est pas le sens de l’exercice budgétaire ou de la préparation d’une loi de finances qui serait tout à fait comptable. C’est sûrement une façon de revendiquer les « 3 D », mais pas tout à fait dans le sens de ce que le Gouvernement et, je le crois, le Sénat espèrent.
Je conclurai par deux remarques rapides.
La première concerne la question de la trajectoire de finances publiques. Dans quelques instants, je présenterai un amendement ayant pour objet d’actualiser l’article liminaire en fonction des évolutions macroéconomiques.
Avant la crise, le Gouvernement avait tenu la plupart de ses engagements en la matière. Le poids des prélèvements obligatoires était passé de 45,1 % à 44 % du PIB et celui de la dépense publique de 55,5 % à 54 % du PIB. Nous avons tenu les engagements de baisses d’impôts et de diminution du poids de la dépense publique par rapport à la richesse nationale, indicateur beaucoup plus pertinent que les valeurs faciales figurant dans les documents budgétaires.
Nous aurons collectivement à affronter la question de la dette. Cette situation procède à la fois de la dette liée au covid, que l’on peut cantonner – c’est le travail de réflexion que nous devons conduire –, et de l’héritage de vingt ans ou trente ans d’accumulation de déficits, tendance que nous avons tous observée.
En défense de sa motion, M. Bocquet parlait du caractère souverain ou non d’une dette. Si l’on suit votre raisonnement, monsieur le sénateur, nous ne sommes plus souverains depuis 1974, année où ont été inaugurés les déficits chroniques et le recours à l’endettement auprès de fonds souverains.
M. Éric Bocquet. En effet, c’est là que cela a commencé !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je rappelle cela pour souligner l’ancienneté de la question.
Nous devrons écrire ensemble – je l’espère, le plus largement – une trajectoire de finances publiques aussi réaliste que possible en matière de résorption et de soutenabilité tant de la dette que des déficits.
Ma seconde remarque fera écho à de nombreuses interventions, dont celle du président de la commission des finances. Le PLF que nous vous présentons est-il sincère ? Oui ! Il est sincère !
D’une part, nous respectons parfaitement, comme chaque année – c’est une marque de fabrique que chacun a soulignée lors du débat sur le dernier PLFR –, l’autorisation parlementaire. Cela se démontre par l’absence systématique de décrets d’avance et par notre volonté, au risque de multiplier les PLFR, de nous appuyer sur des autorisations parlementaires plutôt que sur des décrets d’avance pour modifier les crédits prévus.
M. André Gattolin. C’est vrai !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. D’autre part, nous vous proposons précisément d’actualiser ce PLF. L’insincérité consisterait à débattre de ce PLF sans jamais remettre en cause les hypothèses de l’article liminaire. Cela vaut d’ailleurs pour le PLF comme pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous vous proposons d’actualiser les hypothèses avec une méthode « au fil de l’eau », qui est – j’en conviens volontiers – inconfortable parce qu’elle oblige à intervenir à chaque séance, en se posant la question de la stabilité des hypothèses, même si je forme le vœu qu’elles soient désormais le plus stables possible. Cette « sincérisation » et cette actualisation des hypothèses sont le gage de la sincérité de l’exercice budgétaire que nous présentons.
Je veux citer trois références à ce sujet.
D’abord, une décision du Conseil constitutionnel du 21 juin 1993 a souligné que la sincérité en matière budgétaire tenait au fait de ne pas avoir l’intention de fausser les grandes lignes budgétaires. Or, lorsque l’on prend connaissance de la situation dégradée des finances publiques et de l’adéquation entre ce que nous vous proposons et la réalité des prévisions que nous connaissons, on constate qu’il n’y a aucune volonté – je crois que vous serez d’accord – de fausser les grands équilibres de ce PLF. Au contraire, nous veillons à le « sincériser » chaque fois que nous ne le pouvons, dans le respect de la loi organique relative aux lois de finances, c’est-à-dire une fois que l’avis du Haut Conseil des finances publiques sur les hypothèses macroéconomiques a été rendu.
Ensuite, en vertu de l’article 32 de la LOLF, les prévisions que le Gouvernement présente au Parlement sont argumentées compte tenu des informations dont il dispose. Je fais de nouveau un lien avec cette « sincérisation » et cette actualisation au fil de l’eau. Chaque fois que nous disposons d’informations de nature à changer les hypothèses macroéconomiques, nous actualisons le texte, au risque de susciter l’inconfort que j’évoquais.
Enfin, M. Bascher s’interrogeait sur la pertinence et la lisibilité ou l’intelligibilité d’une loi de finances qui comporte une mission – la mission « Plan de relance » – regroupant 36,7 milliards d’euros de crédits, répartis en trois programmes. J’assume volontiers le fait que cette mission relève, pour sa programmation et son exécution, du seul ministère de l’économie, des finances et de la relance. C’est un choix politique de pilotage du plan de relance. J’assume également – je l’ai dit dans mon intervention liminaire et devant la commission des finances –, le fait de n’avoir construit que trois programmes, afin de garantir une plus grande fongibilité et de permettre une « clause » de revoyure et le redéploiement des crédits. Est-ce illisible ou insincère ? Non. Aux termes de l’article 7 de la LOLF, les missions et les programmes sont construits en fonction de la finalité des crédits qui y sont inscrits. La finalité est, en l’espèce, la relance ; cela a été sanctionné positivement par l’intégralité de la jurisprudence.
Au demeurant, M. Bascher était beaucoup moins sévère à l’égard de cette méthode lorsque le plan de relance de 2009-2010 était construit autour d’une seule et unique mission, qui avait même donné lieu à la création d’un ministère pour la mettre en œuvre, avec le même souci de fongibilité et de pilotage.
J’ai évoqué ces exemples à dessein. Nous entrons dans une discussion qui nous opposera certainement sur un grand nombre de points. J’espère qu’elle nous permettra aussi de constater des convergences. Je crois que cette discussion sera sincère et loyale et qu’elle nous permettra de nous interroger collectivement sur ce que l’on doit faire de nos moyens et sur la manière dont nous redresserons in fine la situation des comptes publics.
En tout cas, je me réjouis d’ouvrir cette discussion et de vous présenter l’article liminaire, avant de laisser mon collègue Clément Beaune débattre avec vous du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne. Et je me félicite de vous retrouver demain pour discuter des articles et des amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article liminaire.
projet de loi de finances pour 2021
Article liminaire
Les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour l’année 2021, l’exécution de l’année 2019 et la prévision d’exécution de l’année 2020 s’établissent comme suit :
(En points de produit intérieur brut) |
|||
Exécution 2019 |
Prévision d’exécution 2020 |
Prévision 2021 |
|
Solde structurel (1) |
-2,2 |
-1,2 |
-3,6 |
Solde conjoncturel (2) |
0,2 |
-6,5 |
-2,8 |
Mesures ponctuelles et temporaires (3) |
-1,0 |
-2,6 |
-0,2 |
Solde effectif (1 + 2 + 3) |
-3,0 |
-10,2 |
-6,7 |
M. le président. L’amendement n° I-1084, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, tableau, troisième colonne
Rédiger ainsi cette colonne :
Prévision d’exécution 2020 |
-0,6 |
-7,2 |
-3,5 |
-11,3 |
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Il s’agit d’actualiser les données de l’article liminaire du projet de loi, avec une modification du solde structurel, du solde conjoncturel et du solde effectif dans la prévision d’exécution 2020 et dans la prévision 2021, afin de tenir compte de la révision des prévisions macroéconomiques concernant le niveau de récession et de déficit public. Je l’ai exposé lors de mes différentes interventions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le ministre, vous avez sollicité l’avis du Haut Conseil des finances publiques. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les questions que vous lui avez posées ? Nous avons le sentiment que seules les prévisions de croissance pour cette année, et non les perspectives pour 2021 sont revues. Or nous travaillons sur le projet de loi de finances pour 2021.
Vous me répondrez sans doute que vous êtes pris dans un étau, car cet avis est obligatoire. Mais c’est encore plus désagréable pour le Sénat, qui est en train de discuter du projet de loi de finances pour 2021. Vous l’avez compris, nous souhaitons examiner ce texte avec des éléments précis et en étant aussi éclairés que possible.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. La saisine du Haut Conseil des finances publiques, à laquelle Bruno Le Maire et moi avons procédé, vise à tenir compte de l’évolution de la situation épidémique, de la révision de la prévision pour 2020 et de ses conséquences sur les prévisions pour 2021. Elle s’inscrit dans la perspective d’une sortie progressive du confinement et dans l’hypothèse d’une absence de renouvellement du confinement en 2021.
Sur ce fondement, nous avons saisi le Haut Conseil d’une hypothèse de croissance à 6 % en 2021, au lieu de la prévision de 8 %, que nous avions prévue lorsque nous avons présenté le PLF au Haut Conseil, mi-septembre, et aux commissions des finances du Parlement, fin septembre. Cette prévision de 6 % intègre le plan de relance et la perspective d’une sortie progressive du confinement.
Dès lors que le Haut Conseil des finances publiques aura rendu son avis, nous proposerons au Parlement, conformément à la loi organique, d’actualiser, soit dès l’examen de la première partie du PLF soit à l’occasion suivante, les hypothèses pour 2021. Si l’avis du Haut Conseil sur notre prévision de croissance à 6 % nous permet de confirmer notre hypothèse, nous en tirerons dès que possible les conséquences sur le niveau du déficit public, du déficit budgétaire et du déficit de la sécurité sociale, puisque l’article liminaire du PLFSS avait été révisé pour le cadrage de 2020, mais non pour le cadrage de 2021.
Si la prévision de croissance s’établit à 6 %, plutôt qu’à 8 %, cela se traduira inévitablement par une dégradation des autres ratios, que je ne sais évaluer à cet instant. Nous avons pris le parti d’évaluer ces ratios lorsque nous aurons l’avis du Haut Conseil et lorsque nous aurons plus de visibilité sur la nature des dépenses que nous proposerons au Parlement d’inscrire en nouvelle lecture. En effet, si la prévision de croissance a un effet sur les recettes, notre décision sur les dépenses affectera évidemment les dépenses. C’est un deuxième facteur d’évolution du niveau de déficit.
Voilà comment nous vous proposons de travailler. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, notre saisine se fonde sur une hypothèse de 6 % de croissance.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Vous avez apporté des précisions, monsieur le ministre. Mais qu’est-ce qui explique que vous ne puissiez pas déposer à ce stade des amendements de crédits pour la deuxième partie, ce qui nous permettrait d’avoir un fléchage précis ? Je ne comprends pas qu’il faille chaque fois enjamber le Sénat. C’est un sujet qui nous préoccupe vraiment ; vous le comprenez, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Les mesures d’accompagnement de la sortie du confinement sont encore en discussion, ce qui explique un tel décalage, au-delà de la volonté de respecter le calendrier de travail du Haut Conseil des finances publiques.
Je le répète, il n’y a aucune volonté d’enjamber le Sénat. Si je devais en faire une démonstration, je me référerais aux débats que nous avons eus sur le PLFSS. C’est au Sénat que nous avons actualisé l’article liminaire. C’est également au Sénat que nous avons proposé d’adopter des dispositions complétant les crédits en matière de dépenses hospitalières, de dépenses de santé et d’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).
Encore une fois, si l’avis nous est rendu avant la fin de la première partie, nous ferons la révision nécessaire ici. Chaque fois que nous sommes en capacité de faire, nous faisons, indépendamment du fait que l’examen ait lieu à l’Assemblée nationale ou au Sénat. En cas d’adoption de cet amendement, l’Assemblée nationale devra se prononcer en deuxième lecture sur un PLF que vous aurez actualisé, et il en ira ainsi jusqu’à la fin des différentes lectures et de la navette parlementaire.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le ministre, les éléments sur l’année 2020 nous ont été communiqués, et j’entends vos eassurances quant à la célérité que vous mettrez en œuvre pour nous communiquer ceux qui concernent 2021, afin que nous puissions examiner le projet de loi de finances en bénéficiant dès la première partie d’un tel éclairage.
Néanmoins, une question se pose : à quel moment avez-vous saisi le Haut Conseil ? Le reconfinement remonte déjà à presque trois semaines. Cela devrait avoir permis au Haut Conseil de vous donner des éléments, puisqu’il s’agit d’un point de passage obligé. La question est importante à nos yeux, même si je sais que vous êtes animé de la meilleure volonté.
La commission émet un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Il est vrai que l’article liminaire est une obligation dans chaque projet de loi de finances.
Dans le tome I du rapport général, on trouve bien une colonne exécution pour 2019, une colonne prévisions d’exécution pour 2020 et une colonne prévisions d’exécution pour 2021. En additionnant les soldes structurels, conjoncturels, ainsi que les mesures exceptionnelles et temporaires, le solde est malheureusement négatif, à moins 10,2 points de PIB. En cas d’adoption de cet amendement, le chiffre serait de moins 11,3 points de PIB.
Compte tenu du contexte sanitaire, des difficultés rencontrées et des mesures qui ont été expliquées, je suivrai à titre personnel l’avis de notre rapporteur général sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.
Mme Christine Lavarde. Nous nous trouvons dans une position un peu difficile. L’amendement du Gouvernement est une actualisation de la trajectoire 2020. Comme nous sommes presque au terme de l’année, cela ne pose pas de difficulté en soi. En revanche, il est plus difficile de statuer sur l’article liminaire qui nous est proposé.
Monsieur le ministre, apparemment, vous êtes dans la même situation que nous : vous apprenez tout à la dernière minute. Vous ne siégez pas au conseil de défense. Il est vraiment dommage que M. Le Maire, qui y siège, ne soit pas présent. Vous vous trouvez donc contraint d’ajuster à la dernière minute. C’est certainement pour cela que vous n’avez pas pu saisir plus tôt le Haut Conseil des finances publiques.
En effet, le Président de la République nous a annoncé le 28 octobre un nouveau confinement jusqu’au 1er décembre. Nous sommes le 19 novembre. J’ai déjà vu des rapports du Haut Conseil des finances publiques publiés dans les trois jours suivant le dépôt du texte du Gouvernement.
Nous nous interrogeons, car vous nous soumettez un article liminaire dont nous savons – nous l’avons indiqué à plusieurs reprises – qu’il n’est pas cohérent avec ce que nous vivons ni avec la réalité des entreprises. Nous allons suivre le rapporteur général et vous donner quitus, parce que vous êtes présent et que vous le serez sans doute durant de nombreuses heures. Voyez dans cette position un signe d’encouragement à votre endroit, mais en aucune manière un soutien à la démarche d’ensemble de ce projet de loi de finances et à la manière dont le Parlement est considéré. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. J’engage Mme Lavarde à ne pas être trop affirmative quant à la composition du conseil de défense. Il me semble que vous n’y siégez pas, madame la sénatrice, alors qu’il m’arrive d’y siéger… (Sourires.) Pour la transparence du débat, j’indique que nous travaillons effectivement à Bercy sur l’actualisation des hypothèses.
Quand avons-nous saisi le Haut Conseil des finances publiques ? Mardi soir. Pourquoi ? Parce que nous avons pris le temps de mesurer les effets de quinze jours de confinement sur l’activité économique.
L’hypothèse sur laquelle nous avons travaillé dans les jours qui ont précédé le confinement, alors que nous envisagions différents scénarios, était celle d’une baisse de 20 % de l’activité en novembre.
Vous avez pu le constater, la Banque de France et, dans une note postérieure à notre saisine du HCFP, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) évaluent cette baisse d’activité à 12 %.
La connaissance des évolutions de l’activité économique pendant le mois de confinement nous était nécessaire pour en mesurer les effets sur la croissance pour 2020, ainsi que sur le potentiel de croissance pour 2021. Nous avons donc saisi mardi soir le Haut Conseil des finances publiques.
Je ne sais pas – cela ne relève ni de ma responsabilité ni de ma compétence – à quelle date le Haut Conseil rendra ses travaux, et il serait inélégant de ma part d’en préjuger. Nous espérons – mais c’est seulement un espoir – obtenir son avis lundi.
Si le Sénat examinait toujours la première partie lundi – ce n’est pas un encouragement à la lenteur des travaux, mais je sais que c’est une possibilité, de nombreux amendements ayant été déposés sur cette première partie –, nous vous proposerions d’actualiser de nouveau l’article liminaire en tenant compte de l’effet de la nouvelle prévision tant sur les recettes que sur le niveau du déficit. Pour ce qui concerne les dépenses, nous travaillons encore à la définition des mesures et à leur inscription budgétaire pour la nouvelle lecture, que ce soit ici ou à l’Assemblée nationale.
Je ne maîtrise pas certains éléments, comme la date de rendu de cet avis, même si nous avons l’espoir que ce soit lundi, ou le rythme de travail de votre assemblée. Si nous n’actualisons pas l’article liminaire avant le vote de la première partie, nous ne pourrons pas le faire lors de l’examen de la seconde.
Dès lors que nous aurons l’avis du Haut Conseil des finances publiques sur la prévision que nous lui avons soumise, nous procéderons à l’actualisation. Si cela doit être au Sénat, ce sera au Sénat. Le Gouvernement n’a aucune difficulté à travailler avec le Sénat ou avec l’Assemblée nationale en la matière. Notre seule ligne de conduite est de sincériser pas à pas. Chaque fois que nous avons un élément nouveau qui fait l’objet d’une validation, sinon sur le fond, en tout cas sur la forme, par le recueil de l’avis du Haut Conseil lorsque celui-ci s’impose au regard de la LOLF, nous respectons son rythme et nous proposons au Parlement dans son ensemble une actualisation quand c’est nécessaire et quand la procédure le permet.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Nous aimerions comprendre. M. le rapporteur général a demandé une suspension de séance. J’ignore qui il a réuni, mais ce n’était pas la commission des finances.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. J’ai réuni mon groupe. (M. Philippe Dallier le confirme.)
M. Pascal Savoldelli. Dont acte. De toute façon, nous avions discuté du sujet ce matin en commission des finances.
Le rapporteur général émet un avis de sagesse. Mais Mme Lavarde indique qu’elle donne quitus : N’y a-t-il pas un léger malaise ? Que se passe-t-il ? Je fais partie des sénateurs les plus récents, mais je sais ce qu’un avis de sagesse veut dire : chacun se détermine selon sa libre appréciation
Or Mme Lavarde, qui parle sans doute aussi au nom du groupe, nous dit quitus. C’est bien le mot que vous avez prononcé, ma chère collègue. Il n’y a aucune polémique de ma part. Y a-t-il donc plusieurs groupes ?
M. Roger Karoutchi. Tout va bien, ne vous inquiétez pas !
M. Pascal Savoldelli. Nous allons passer plusieurs jours ensemble ; ne commençons pas sur un malentendu. Pourriez-vous nous apporter des explications, dans un souci de clarté politique ?
Dans notre groupe, il y a longtemps que nous considérons la diversité comme une richesse. Nous sommes souvent unanimes, mais pas toujours. Nous le vivons très bien, et nous l’assumons publiquement. Que se passe-t-il donc ? Dites-le-nous, afin que nous comprenions.
Nous avions décidé de voter contre l’article, parce que le cadre macroéconomique ne nous satisfaisait pas. Certes, il y a une évolution de la croissance par rapport au PIB, mais en faveur de qui ? Je vous épargne l’analyse politique, mais nous voterons contre. Nous avions déjà décidé de voter auparavant, et nous voterons contre maintenant. Mais il faut passer au vote.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas nous demander de continuer à débattre si les termes du débat sont amenés à évoluer pendant le débat ! Ou alors, dites-nous que cela va tellement évoluer que les décisions seront finalement prises à l’Assemblée nationale !
Il nous faut de la clarté, de la part du Gouvernement comme de nos collègues du groupe Les Républicains.
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. Je souscris aux propos de notre collègue Pascal Savoldelli. Comme nous n’avons pas été associés aux discussions qu’a permises la suspension de séance, nous nous sommes concertés entre nous.
Or, si nous avons beaucoup de choses à reprocher au Gouvernement – je vous renvoie à nos interventions lors de la discussion générale –, sur ce point précis, nous ne voyons bien pas quel est le problème susceptible de créer un blocage. Si j’ai bien compris, on nous soumet une actualisation provisoire. Il y en aura d’autres, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, en 2020 ou au cours de l’année 2021.
L’actualisation provisoire est-elle insincère ? Je n’en suis pas certain.
Pour nous prononcer, nous aurions besoin d’être davantage éclairés sur la nature du problème qui semble opposer la majorité sénatoriale et le Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Le groupe GEST n’a pas pu suivre l’ensemble des débats. Mais, de toute manière, nous avions décidé de nous prononcer contre l’article liminaire, parce que nous ne voyons pas où est l’équilibre.
Cet amendement ne répond pas à la totalité de nos interrogations. Nous nous opposons à la façon même dont ces prévisions de croissance, ces calculs et ces indicateurs sont construits. Ils sont obsolètes au regard de la crise et de la manière dont l’Europe met en place ces dispositions.
Quels que soient les débats en cours, nous ne pouvons voter ni cet amendement ni cet article.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je le rappelle à nos collègues, et notamment à M. Savoldelli, qui avait dû s’absenter à ce moment de nos débats de commission ce matin, j’ai exprimé la position de la commission.
Simplement, avant d’émettre un avis de sagesse, j’avais souhaité entendre l’avis du Gouvernement.
Je note en outre que nous avons obtenu encore plus de précisions de la part de M. le ministre à l’issue de la suspension. Nous comprenons un peu mieux le délai très court qu’il a devant lui, le Haut Conseil n’ayant été saisi que mardi. Ces éléments ne nous avaient pas été communiqués avec autant de précision avant la suspension de séance.
M. le président. Nous passons à la discussion des articles de la première partie.
PREMIÈRE PARTIE
CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES
M. le président. Nous allons tout d’abord examiner, au sein du titre Ier de la première partie du projet de loi de finances pour 2021, l’article 31, relatif à l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.
article 31 et participation de la france au budget de l’union européenne
M. le président. Dans la discussion, la parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous allons désormais procéder à l’examen de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021, relatif à la participation de la France au budget de l’Union européenne.
Au préalable, il est nécessaire de rappeler que notre contribution dépend directement de l’issue des négociations du prochain cadre financier pluriannuel (CFP).
Après deux ans de négociations houleuses, les États membres ont trouvé un accord sur le budget pluriannuel de l’Union européenne lors du Conseil européen qui s’est tenu du 17 juillet au 21 juillet dernier. Cet accord a été obtenu dans un contexte de fortes attentes des citoyens européens sur la réponse à apporter à la crise.
Dans cette perspective, l’accord de juillet constitue un tournant budgétaire et politique majeur. Il définit un CFP dit « socle », s’élevant à 1 074 milliards d’euros en crédits d’engagement, complété par un instrument de relance de 750 milliards d’euros. Le Parlement européen a négocié une hausse de 16 milliards d’euros du CFP. Cette somme qui devrait être ciblée sur les éléments jugés prioritaires par le Parlement européen, comme Erasmus ou les programmes relatifs à la santé.
L’articulation entre le CFP socle et cet instrument de relance retient un schéma inédit, avec, pour le second, un financement assuré par des ressources levées sur les marchés financiers par la Commission européenne, au nom de l’ensemble des États membres.
Toutefois, la commission des finances estime que des interrogations subsistent sur la mise en œuvre du nouveau CFP et du plan de relance.
La première, et non des moindres, tient au veto opposé par la Hongrie et la Pologne, rejointes hier par la Slovénie, sur le mécanisme de conditionnalité des fonds européens. Il met en péril l’adoption pour le 1er janvier du nouveau CFP et du plan de relance européen. Après qu’un accord a été arraché au mois de juillet et que des ajustements de compromis ont été négociés avec le Parlement européen, voilà le plan de relance suspendu à un désaccord politique qui préexistait à la crise sanitaire…
Monsieur le secrétaire d’État, depuis le début des négociations en 2018, le Sénat n’a eu de cesse d’alerter sur les risques d’un éventuel retard de celles-ci, retard qui serait très préjudiciable pour les porteurs de projets locaux, en particulier dans le domaine de la politique de cohésion. Cette crainte devient aujourd’hui une véritable angoisse, alors que le calendrier paraît plus contraint que jamais.
Un déblocage de la situation vous semble-t-il possible dans les prochaines semaines ? Quelles seront les conséquences d’un échec sur le projet de budget pour 2021, première année du nouveau CFP ?
La deuxième interrogation concerne la gouvernance et le décaissement des crédits de la facilité. La procédure de décaissement est guidée par le souci de garantir que les sommes issues de l’endettement commun sont utilisées à bon escient, mais force est de constater qu’elle est complexe et longue. Dans ces conditions, il paraît évident que les plans de relance nationaux restent en première ligne pour assurer le soutien à la reprise économique. Il faut être transparent : le plan de relance européen constitue bien un remboursement a posteriori des dépenses engagées par les États membres dans leur plan de relance national.
La commission des finances a exprimé des inquiétudes quant au coût in fine du plan de relance pour la France. En effet, en l’absence de nouvelles ressources propres, le remboursement sera assuré par les États membres en fonction de part dans le revenu national brut de l’Union européenne. Pour la France, le remboursement du plan de relance européen pourrait s’élever à 2,5 milliards d’euros par an.
Certes, le Conseil européen a fait de l’introduction de nouvelles ressources propres une priorité. Toutefois, la tâche reste immense pour aplanir les désaccords entre les États membres en la matière. Alors que le Parlement européen estime que le calendrier de la mise en place de nouvelles ressources propres est « juridiquement contraignant », le Conseil considère qu’il s’agit d’une simple feuille de route, témoignant ainsi du caractère sensible du sujet. En tout état de cause, il faudra être particulièrement vigilant pour que ces nouvelles ressources propres ne soient pas vécues comme la création d’un impôt supplémentaire par nos concitoyens.
Dans ce contexte, l’évaluation du montant de la contribution de la France au budget de l’Union européenne pour 2021 constitue un exercice de haute voltige.
Pour l’année prochaine, l’article 31 du projet de loi de finances évalue à 26,9 milliards d’euros le montant de ce prélèvement, soit une hausse de 13 % par rapport à 2020.
L’évaluation de ce montant est très incertaine cette année. Les perspectives économiques dégradées rendent les ressources propres de l’Union européenne volatiles, sans compter que le règlement sur le CFP n’a pas encore été formellement adopté.
Certes, une part significative de la hausse de ce montant s’explique par le retrait du Royaume-Uni du budget européen. Mais il convient de rappeler que l’accord du mois de juillet dernier a modifié les règles de calcul des contributions nationales. Cela se traduit par un ressaut de 700 millions d’euros pour la France en 2021. À cet égard, l’accord de juillet a entériné un renoncement de la France sur la question des rabais. Si le coût budgétaire aurait pu être mieux maîtrisé, il est certain que le coût politique d’une absence d’accord aurait été beaucoup plus élevé. En outre, la France a tout de même réussi à faire prévaloir certaines de ses positions sur le plan des dépenses, notamment en matière de politique agricole commune.
Sous réserve de ces différentes observations, je recommande, au nom de la commission des finances, d’adopter sans modification l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue d’abord notre rapporteur spécial, Jean-Marie Mizzon, dont la présentation des enjeux liés au prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est très éclairante.
La contribution prévue à l’article 31 matérialise la participation de la France au budget de l’Union européenne pour la première année du nouveau cadre financier pluriannuel, un CFP en discussion depuis le mois de mai 2018, et je sais de quoi je parle…
Ce nouveau CFP, complété par un instrument de relance en réponse à la crise de la covid-19, devait marquer une nouvelle étape pour l’Union européenne, une étape de solidarité, dont l’emprunt réalisé au nom de l’Union européenne est la marque symbolique.
Ce paquet budgétaire venait de faire l’objet d’un accord entre la présidence allemande du Conseil européen et le Parlement européen, qui a obtenu une rallonge, en l’occurrence une belle rallonge. Les signaux semblaient donc au vert. Mais la Hongrie et la Pologne, rejointes par la Slovénie, ont bloqué le processus, comme M. Mizzon l’a expliqué.
Le point de blocage est connu : c’est leur opposition au mécanisme de conditionnalité au titre de l’État de droit. Ce point de blocage n’est pas une surprise. Comme le Sénat l’avait souligné dès sa première résolution sur le CFP, la mise en œuvre d’une telle conditionnalité dans l’accès aux fonds européens suppose des critères objectifs et une méthode d’appréciation transparente. C’est aujourd’hui le cœur du sujet.
Ce blocage devrait être évoqué aujourd’hui au Conseil européen. Hier, lors des questions d’actualité au Gouvernement, le secrétaire d’État chargé des affaires européennes nous a indiqué que « des solutions pratiques pouvant passer par certaines clarifications techniques de ce mécanisme » étaient à l’étude. Mais, monsieur le secrétaire d’État, vous avez ajouté : « En dernier ressort, s’il le faut, nous regarderons comment avancer sans les pays qui bloquent, car l’Europe ne peut pas être retenue en otage par un certain nombre de gouvernements ne souhaitant pas respecter le socle essentiel de notre projet politique. » Je suis d’accord avec vous sur ce point.
Néanmoins, ce ne serait pas le moindre des paradoxes : au moment de la fin des négociations avec le Royaume-Uni et alors que l’Europe se veut plus solidaire, plus forte et plus résiliente, nous laisserions certains États membres au bord du chemin…
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite donc que vous nous éclairiez sur les solutions pratiques à l’étude et que vous nous confirmiez qu’en tout état de cause, il n’y aura pas de décalage dans la mise en œuvre du CFP et du plan de relance français.
Mais ce qui compte plus encore à mes yeux, c’est de partager de nouveau la conviction que le tout est plus grand que la somme des parties, que l’Europe, fondée sur des valeurs communes, porte un projet d’avenir que nous assumons collectivement : un projet qui répond aux attentes et aux besoins de nos concitoyens en matière de sécurité, de gestion des frontières, de développement économique et social ; un projet qui répond aux défis actuels en matière de numérique et de lutte contre le changement climatique.
Tel sera l’enjeu essentiel de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Si nous ne parvenons pas à redonner du sens à l’ambition européenne et à le faire partager à nos concitoyens, nous irons au-devant de sérieuses difficultés.
Monsieur le secrétaire d’État, l’une des clés se trouve ici, au Sénat, et, plus largement, dans les Parlements nationaux. C’est à nous que reviendra la responsabilité de ratifier la décision sur les ressources propres. C’est à nous que reviendra la responsabilité de permettre l’introduction de nouvelles ressources propres sur la feuille de route qui a été négociée.
La commission des affaires européennes du Sénat prendra pleinement sa part dans ces débats au cours des mois à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec une contribution annuelle de la France passant de 21,5 milliards d’euros à 26,9 milliards d’euros, nous sommes à un tournant dans l’effort financier de notre pays au budget de l’Union européenne.
Plusieurs raisons expliquent cette forte augmentation : d’abord, le ressaut de la consommation des crédits en dernière année du cadre financier 2014-2020, selon un classique effet de rattrapage ; ensuite, la compensation du départ du Royaume-Uni, qui représente pour la France 2,7 milliards d’euros ; enfin, les conséquences de la crise économique liée à la pandémie, pour 1,6 milliard d’euros.
En parallèle, nous nous trouvons à un tournant s’agissant du budget européen lui-même, avec le plan de relance européen, d’un montant de 750 milliards d’euros pour les trois années à venir, financé essentiellement par emprunt sur les marchés financiers.
D’une part, au regard des problématiques du financement de ce plan, on ne peut que s’étonner que les négociations du Conseil européen n’aient pas sonné le glas des rabais sur la contribution au budget européen. Ceux-ci permettent à certains pays de payer moins qu’ils ne devraient. Bien au contraire, pour satisfaire aux exigences des pays dits frugaux, qui – je le rappelle – ne représentent que 10 % de la population européenne, le Président de la République et la chancelière allemande ont accepté que ces rabais soient maintenus pour l’Allemagne et même fortement augmentés pour le Danemark, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède. Quel mauvais signal pour la solidarité en Europe, d’autant qu’il s’agit des pays les plus riches !
D’autre part, nous arrivons clairement aux limites d’un système : la question des ressources propres devient pressante pour permettre à l’Europe d’affronter les défis qui sont devant elle et assurer le remboursement de l’emprunt européen, principale source de financement du plan de relance. Il est désormais nécessaire de bâtir une véritable fiscalité européenne ! C’est aussi un enjeu de souveraineté.
Pourquoi ne pas mettre en œuvre immédiatement la taxation des géants du net qui ne paient pas d’impôt en Europe alors qu’ils réalisent la majeure partie de leurs profits sur le territoire européen ? Pourquoi pas une taxe sur les transactions financières, qui permettrait aussi de protéger notre système financier ? Ou une taxe carbone à nos frontières communes pour protéger nos productions ? Certes, les chefs d’État et de gouvernement s’y sont engagés lors du Conseil européen du 21 juillet dernier. Mais nous avons besoin de gages sur la rapidité de mise en œuvre.
À ce sujet, nous aurons l’occasion de relayer nos attentes et celles du Parlement européen prochainement, lorsque nous délibérerons pour autoriser la Commission européenne à emprunter au nom de l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur nous : nous serons au rendez-vous ! Mais il vous appartient aussi d’agir de votre côté lors du prochain Conseil européen.
Cela étant, l’accord obtenu la semaine dernière sur le futur cadre financier pluriannuel est le bienvenu. Nous saluons tout particulièrement le Parlement européen, qui a su trouver la voie pour obtenir un rééquilibrage du financement de programmes européens alors que le compromis entre les États membres avait été annoncé comme bouclé.
Je me félicite spécialement des avancées obtenues par mes collègues sociaux-démocrates du Parlement européen, qui ont pesé de tout leur poids pour rééquilibrer ce compromis en faveur des priorités de nos concitoyens : la santé, le climat, la jeunesse et la culture.
Pourtant, des inquiétudes et des interrogations demeurent.
Les États membres ont procédé à des coupes massives dans tous les programmes européens stratégiques, dans le cadre du budget européen comme du plan de relance adossé. Les exemples ne manquent malheureusement pas, dans le domaine de l’industrie, avec la suppression de l’instrument de solvabilité destiné aux entreprises fragilisées pour leur permettre de se relever et éviter leur rachat par des concurrents de pays tiers, ou dans les domaines de la recherche et de l’innovation, de la santé et de l’environnement.
Même une part du programme InvestEU, pourtant destiné à attirer les investissements privés traditionnels sur garantie publique européenne en direction des infrastructures dites durables et de la numérisation, de la santé, des PME et du secteur social, a été finalement supprimée par les États membres le 4 novembre dernier.
Comment ne pas évoquer aussi la ruralité, alors que les crédits pour le développement rural sont en forte régression ? C’est ne pas comprendre que la relance de l’Europe passe aussi par ces territoires, qui disposent d’un potentiel pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés en termes d’environnement, de santé et d’économie, entre autres.
De même, nous devons rester vigilants sur la progression de l’enveloppe consacrée à la politique agricole commune, qui, malgré le maintien de ses crédits, un moment menacés, ne satisfait complètement ni les agriculteurs, ni les organisations environnementales, ni les citoyens.
Par ailleurs, nous devons continuer à lutter contre la sous-exécution chronique des crédits de cohésion. Elle représente près de deux années budgétaires de l’Union européenne ! La Cour des comptes européenne s’en est même inquiétée.
Notre vigilance doit porter également sur l’articulation complexe des huit fonds de cohésion, dont les financements constituent potentiellement une contribution réelle à la relance de l’économie européenne, à la solidarité et à la cohésion sociale. Ces fonds seront mis à la disposition des États membres au plus tôt au mois de juillet prochain, ce qui les obligera à alourdir leur déficit entre-temps.
Il faut aussi s’inquiéter de la prise en otage par la Pologne et la Hongrie, rejointes par la Slovénie, de la finalisation des accords sur le cadre financier pluriannuel et le plan de relance européens. Il est essentiel et urgent de désamorcer leur veto, lié à la conditionnalité de l’accès aux fonds européens à l’État de droit, afin de combler le retard déjà pris pour la mise en œuvre du plan de relance.
Sous ces réserves, nous voterons l’article 31, relatif au prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne. Il est urgent que les négociations financières s’achèvent, pour permettre à l’Europe de relever les défis des prochaines années ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la participation de la France au budget de l’Union européenne pour l’année 2021 est particulière à plusieurs égards.
D’abord, nous faisons face depuis le mois de mars dernier à une crise sanitaire et économique d’une violence inouïe. Les pays européens adaptent sans cesse leurs mesures pour enrayer cette crise et protéger les citoyens européens des conséquences de la pandémie. L’Union européenne mobilise des moyens importants, notamment financiers et économiques. Je pense bien sûr à la première émission de dette commune par la Commission européenne au nom de l’Union européenne, à hauteur de 750 milliards d’euros. Celle-ci s’inscrit dans le budget de long terme de l’Union européenne.
Ensuite, l’année 2021 sera le premier exercice du nouveau budget de long terme, le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Les discussions sont en cours depuis 2018, et la crise sanitaire n’a pas simplifié les négociations.
Lors de l’examen de la participation de la France au budget de l’Union européenne de l’an dernier, nous avions déjà alerté sur la complexité de trouver un accord équilibré, puissant et adapté aux objectifs nouveaux et historiques de l’Union européenne.
Cette année, je déplore que le CFP soit pris en otage par le veto de la Hongrie et de la Pologne, rejointes par la Slovénie. L’unanimité nécessaire est mise à l’épreuve du respect de l’État de droit comme condition du versement des fonds européens. C’est inadmissible !
Monsieur le secrétaire d’État, je ne doute pas de l’énergie que vous déployez sur ce dossier. Je vous renouvelle notre confiance pour arriver le plus rapidement possible à une solution respectueuse de nos valeurs européennes.
Cependant, nous ne pouvons écarter ni l’éventualité que rien ne soit résolu avant la fin de l’année ni les menaces sur l’impossibilité d’adopter un budget européen pour 2021. Il faudrait alors se résigner à recourir au système dit des douzièmes provisoires.
Trop d’incertitudes planent encore à l’heure où nous décidons de notre contribution. Quelle incidence prévoir sur le montant de cette dernière, qui a déjà augmenté de plusieurs milliards d’euros par rapport à 2020 ? La contribution des États membres n’étant pas la seule source budgétaire de l’Union européenne, quel effet aura la crise sur les autres recettes et sur l’exécution de la contribution française pour 2021, alors que la pandémie se poursuit ?
Bien entendu, la crise à laquelle nous faisons face et les effets du Brexit nous demandent des efforts supplémentaires, auxquels nous sommes prêts. Mais nous sommes aussi conscients de l’exercice d’équilibriste que nous pratiquons.
Pour illustrer mon propos, permettez-moi d’évoquer le plan de relance français, de 100 milliards d’euros, dont 40 % devraient être financés par l’instrument de relance européen, qui ne sera adopté qu’avec le cadre financier pluriannuel. Ces 40 milliards d’euros espérés ne seront évidemment pas automatiques, mais conditionnés au plan national de relance et de résilience que la France présentera à la Commission européenne, chargée de son évaluation.
Monsieur le secrétaire d’État, malgré la rétroactivité du plan de relance européen et l’assurance que vous nous avez apportée hier, lors des questions d’actualité au Gouvernement, quant à l’absence de conséquences des blocages actuels, nous resterons attentifs.
Enfin, les ressources propres – ce dossier a été, lui aussi, affecté par la crise – font partie de la relance, surtout de son remboursement, dès 2028.
Mes chers collègues, si nous voulons répondre à la crise, effectuer notre transition écologique, engager notre évolution numérique, sécuriser nos frontières et notre territoire et prendre notre place dans les affaires du monde, nous avons besoin d’Europe et d’un budget solide. C’est pourquoi j’appelle à une utilisation juste, claire et efficace du budget européen, que ce soit pour l’année prochaine, pour la relance ou à long terme.
Malgré les incertitudes et les limites que j’ai soulevées, le groupe Les Indépendants votera l’article 31. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rappelons-nous un instant où nous en étions encore tout récemment : avec le Brexit, au plus fort de la crise sanitaire, on a pu penser que c’était fichu, que la désunion européenne était engagée. Mesurons à cette aune le chemin parcouru ces derniers mois, qui ont été intenses pour les acteurs du projet européen.
Aujourd’hui, nous sommes face à une nouvelle donne : accroissement possible de la solidarité européenne ; affichage clair d’un large effort de relance ; et, je l’espère, concrétisation, impérieuse, de nos engagements climatiques.
Le prélèvement sur recettes que nous examinons pourrait passer pour la validation d’un simple chiffre, une information annuelle au Parlement sur l’estimation du montant dû par notre pays. L’article 31, c’est sobre, sec et précis : trois lignes pour 26,9 milliards d’euros. Pour nous, c’est un petit bout de soirée de débat.
Or je crois que c’est bien plus que cela. Cette année, ce prélèvement est éloquent. Il concrétise l’accroissement de la solidarité européenne et la feuille de route de l’Union européenne pour relancer ses économies et réaliser l’indispensable transition écologique.
Ne débordons pas d’optimisme pour autant : on a avancé, mais ce n’est pas gagné. Les forces de fragmentation, les replis à courte vue font et feront encore des dégâts. Les mécanismes unanimitaires et les conditions de négociation interinstitutionnelle facilitent, on le sait, les blocages et les chantages.
Les dirigeants actuels de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie risquent fort de nous ramener à la vieille recette des compromis paralysants. La frugalité dont se targuent certains est une façon élégante de désigner une pingrerie totalement inopportune face à l’importance des enjeux. Et que dire de ces fameux rabais des années 1980, qui survivent à leur disparition formelle, maintes fois annoncée ? Le prix à payer pour cet accord à vingt-sept n’est pas toujours bien reluisant, et l’intérêt budgétaire de la France a dû y laisser quelques plumes.
Monsieur le secrétaire d’État, ne cédez pas plus, ne cédez pas trop ; ne perdons pas l’essentiel dans cette phase délicate. Un accord prometteur a été trouvé avec le Parlement européen : il s’agit de tenir pour que ces promesses se concrétisent. Tenir, c’est avancer résolument sur les ressources propres : calendrier rapide à respecter et niveaux visés à maintenir.
Le choix de l’endettement commun est celui d’un dessein partagé. C’est aussi l’obligation collective de dégager des ressources nouvelles et de modifier rapidement la donne budgétaire d’une Union européenne, où, soixante-trois ans après le traité de Rome, chacun pour soi fait encore le solde de ce qu’il verse et ce qu’il récupère, dans un calcul toujours faussé.
Le chantier des ressources propres, c’est la seule et la bonne manière de casser ces logiques de copropriétaires crispés, « assis, genoux aux dents », comme dans le poème de Rimbaud !
Ces ressources propres seraient inopérantes si elles devaient être instaurées au rabais. Si la taxe plastique qui vient d’être mise en place est positive, elle n’est pas pour autant le modèle précurseur. D’ailleurs, il s’agit non pas d’une taxe, mais une nouvelle modalité de calcul des contributions nationales.
Nous avons besoin de passer à tout autre chose : mécanisme carbone aux frontières, taxe sur les géants du numérique. Autant de leviers qui doivent faire bouger sérieusement les lignes des transitions nécessaires ! Il s’agit de faire en sorte que ceux qui tirent le plus de profits du marché européen contribuent à leur juste part à la chose publique et au bien commun. En clair, une taxe sur les transactions financières doit viser cinquante milliards d’euros à soixante milliards d’euros, pas six ou sept !
Les ressources propres peuvent être des moyens d’hâter la transition écologique et d’entraîner nos partenaires extérieurs dans ce mouvement. C’est la même logique qui doit de plus en plus présider à nos relations commerciales et aux accords commerciaux. Les accords de libre-échange sont désastreux s’ils ne s’inscrivent pas dans le respect des objectifs climatiques et de la trajectoire de l’accord de Paris !
Vous l’avez compris, le groupe écologiste votera cette contribution à l’effort européen. Vous pouvez compter sur son exigence pour que cette feuille de route, à la hauteur de la volonté du Parlement européen, tienne effectivement ses promesses ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette nuit, j’ai fait un rêve : un mauvais, un très mauvais rêve. (Exclamations.) En soi, il n’y a rien de très original à faire des cauchemars : l’insomnie et le sommeil perturbé sont malheureusement, en cette période de peurs et d’incertitudes, le lot de millions de nos concitoyens.
Je n’aurais pas de raison d’évoquer ici mon cauchemar s’il ne se rapportait pas à l’avenir de l’Europe. Nous connaissons tous la mécanique des rêves : un mélange de craintes, d’éléments réels et de fantasmes refoulés en journée, qu’agrège soudainement notre inconscient dans l’onirisme des ombres de la nuit.
Dans mon cauchemar, la paisible galaxie Europe était soudainement percutée par un astre noir, une terrible pandémie portée par un virus inconnu déferlant sur tout notre continent, et bien au-delà. Une panique des populations attisée par de piètres prophètes de France et de Hollande, cet autre pays des faux mages (Exclamations.),…
M. Philippe Dallier. Quel poète !
M. André Gattolin. … conduisait notre pays à fermer ses frontières et à choisir de quitter l’Union européenne, le tout accompagné de surréelles scènes de « Frexiters » en liesse, sortis dans les rues un verre à la main pour célébrer la fin du diktat de Bruxelles et de la BCE.
La France éternelle reprenait ainsi le contrôle de son destin, de même temps que des dizaines de milliards d’euros versés annuellement à la Commission européenne, moyens qui seraient désormais naturellement alloués à notre système de santé, qui, tel un chevalier blanc, terrasserait le dragon. (Exclamations.)
Cauchemar dans mon cauchemar : mon cerveau implosait en se demandant comment, à leur réveil, j’expliquerais à mes enfants qu’on venait d’assassiner leur avenir ; comment leur père, en quarante ans d’engagement européen, n’avait rien vu venir ; comment, en tant que parlementaire, il n’avait rien pu faire pour empêcher cela.
Mon réveil en sursaut mit heureusement fin à cette ignominie.
Après le choc, j’en revins donc aux affaires courantes et je m’attelai à la préparation de cette intervention. Que du bonheur, du moins, de la facilité, puisque voilà dix ans que je m’adonne tous les ans à cet exercice un brin répétitif ! Un simple copié-collé de mon discours de l’an passé aurait presque pu suffire. L’intitulé de l’article reste le même ; seul le montant final varie un peu. Trente-quatre mots pour une somme coquette, qui fait de cet article, au prorata du moins, le plus cher de toute la loi de finances ! (M. Philippe Dallier s’esclaffe.)
Toutefois, une différence de taille distingue cet article de celui de l’an passé : une inflation de 25 % de notre contribution par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Autre différence, certes plus accessoire : une déflation de 33 % du temps de parole qui m’est accordé pour en parler ! (Sourires.)
Les raisons de cette augmentation de 5,9 milliards d’euros par rapport au montant exécuté en 2019 ont déjà été explicitées par les orateurs qui m’ont précédé. Je n’y reviens pas.
Reste que la somme est coquette et que ces nouvelles « poignées d’amour », certes séduisantes, touchent à notre portefeuille. Il est bon d’en avoir une pédagogie augmentée auprès de nos concitoyens, afin d’éviter les chimères malveillantes qui pourraient en résulter.
Monsieur le secrétaire d’État, dans la période très difficile que nous et nos partenaires européens traversons, il est important de clamer haut et fort qu’on ne saurait rallumer les étoiles d’un drapeau européen un peu flétri avec de simples bouts de chandelles. Il est important de dire et de redire tous les bénéfices que notre pays tire de son appartenance à l’Union européenne, de manière directe ou indirecte, le plus souvent invisible, notamment au regard d’une comptabilité budgétaire qui ne rend pas compte des retours et externalités positives.
Monsieur le secrétaire d’État, voilà des années que je réclame en vain à vos prédécesseurs un rapport annuel détaillant tous les apports économiques de l’Europe à la France. Ce travail devient urgent ! C’est parce que les gouvernements successifs du Royaume-Uni ont refusé de l’entreprendre qu’ils ont ouvert la voie aux discours ayant conduit au Brexit.
L’Europe a certes des défauts, mais ce n’est pas en rendant imperceptibles ses qualités que nous en préserverons l’avenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – M. Jean-Raymond Hugonet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, crise sanitaire, Brexit, nouveau cadre financier pluriannuel : l’Union européenne est à la croisée des chemins, et dans des conditions difficiles. Reconnaissons qu’elle a choisi le cap de la solidarité.
L’accord politique du mois de juillet dernier sur l’instrument de relance adossé au CFP est une étape majeure de l’intégration européenne, tout comme celle de l’amorce, la semaine dernière, d’une entente sur de nouvelles ressources propres. Le RDSE approuve pleinement cette évolution.
Pour la France, avec un prélèvement européen en hausse de 25 % par rapport à 2020, l’article 31 traduit l’Europe que nous pouvons. En effet, l’effort financier de 26,9 milliards d’euros fait de la France l’un des premiers contributeurs nets. Compte tenu de ce niveau d’engagement, celui-ci doit aussi se traduire par l’Europe que nous voulons.
Quelles doivent être nos priorités aujourd’hui ?
Vous ne serez pas étonnés que notre groupe soit favorable à la recherche d’un équilibre entre politiques dites « traditionnelles » et nouvelles priorités. Nous nous réjouissons que la copie de 2018 de la Commission sur le budget de la PAC ait été revue à la hausse sur proposition du Conseil, avec 19,6 milliards d’euros supplémentaires. À l’époque, la diminution des moyens consacrés à l’agriculture était un sujet majeur d’inquiétude.
L’Union européenne et, au sein de celle-ci, la France portent des ambitions pour notre agriculture qu’il faut concrétiser rapidement. Il ne s’agit pas seulement de protéger nos agriculteurs, soumis à une concurrence économique croissante. Il faut aussi s’atteler encore davantage à l’urgence climatique ; les exploitants y sont partie prenante. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler ici, lors du débat à la suite du dernier Conseil européen, la proposition d’écorégime va dans le bon sens. Ce dispositif fait écho au Pacte vert pour l’Europe. Les agriculteurs qui s’engagent dans la transition écologique doivent être soutenus en priorité.
Le volet environnemental ne doit pas occulter toutes les autres problématiques. Et elles sont nombreuses : revenus, compétitivité, filières, transmission… Monsieur le secrétaire d’État, chaque État doit remettre un plan national stratégique de la PAC en début d’année prochaine. Où en sommes-nous ?
J’en viens aux nouvelles priorités. Je saluerai en particulier l’ébauche d’une Europe de la santé, bien que la dotation de 3,4 milliards d’euros du CFP soit en retrait par rapport à 2018, y compris en tenant compte de la rallonge obtenue le 10 novembre dernier grâce à l’initiative du Parlement européen.
Par ailleurs, les échéances me paraissent bien lointaines. La Commission veut muscler la gestion des crises sanitaires – mais seulement en 2023… –, avec la création de l’Autorité pour la réaction aux urgences sanitaires.
Au regard de ce que nous venons de vivre avec la covid, l’urgence serait de ne pas trop tarder, en particulier sur la mise en œuvre d’une stratégie de souveraineté médicale. L’Europe ne produit plus de paracétamol. Est-ce bien raisonnable ?
Enfin, les attentes sont nombreuses à l’égard de l’instrument de relance de 750 milliards d’euros. Je ne reviendrai pas sur le fond, si ce n’est pour regretter le rétrécissement de la part de subventions au profit des prêts. Certes, c’est le fruit d’un compromis avec les pays dits « frugaux ». Mais, pour la suite, gardons le cap de la solidarité, qui donne à l’Union européenne tout son sens.
Le sens de l’Europe, c’est aussi le respect des valeurs démocratiques en son sein. À cet égard, quelle serait la réponse à l’attitude de blocage, pour ne pas dire de chantage, de la Pologne, de la Hongrie et, désormais, de la Slovénie si celle-ci devait persister ? Espérons que ces trois pays reviennent à la raison et qu’un voile ne soit pas jeté sur le respect de l’État de droit, condition forte à l’adhésion communautaire.
En attendant, le RDSE, fidèle à son engagement européen, approuvera l’article 31 du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire en cours et le plan de relance consécutif, le Brexit et ses répercussions, bien tangibles sur le budget commun à venir, conjugués à la détermination en cours du cadre financier pluriannuel de l’Union pour les sept prochaines années confèrent à l’examen de ce budget annuel une importance toute particulière.
Ce contexte explique de fait la croissance du budget européen pour 2021, et mécaniquement, celle de la part de la contribution de la France. Le budget prévu au titre de la participation de la France au budget européen s’élève à 26,9 milliards d’euros, soit une hausse de 5,9 milliards d’euros par rapport à 2019 et de 3,5 milliards d’euros par rapport à la prévision revue de 2020. Cela représente environ 7,1 % des dépenses pour notre pays.
À ce budget, nous ne pouvons que donner notre blanc-seing, puisque la marge de manœuvre de notre parlement est infiniment faible, voire inexistante, sans parler de l’enrobage très consensuel que le Gouvernement nous propose, alors que rien n’est encore entériné, les États membres peinant à s’harmoniser sur les conclusions de cet accord, de surcroît mis à l’arrêt par la Hongrie et la Pologne ce lundi pour des questions de respect de l’État de droit.
Mais surtout, mes chers collègues, laissez-moi vous dire que ce plan de relance n’a rien d’historique. En effet, en tant que contributrice nette, la France devrait, certes, recevoir 40 milliards d’euros immédiatement, mais, dès 2028, elle devra rembourser 75 milliards d’euros sur trente ans. Jamais nous n’aurons autant contribué au budget de l’Union européenne, et jamais nous n’aurons reçu aussi peu.
Pourquoi pas, me direz-vous, puisque nous prônons l’Europe de la solidarité ? Certes, mais l’Europe de la solidarité ne doit pas être l’apanage de quelques États membres, quand d’autres, plutôt partisans d’une Europe des concurrences nationales, bénéficient de rabais exponentiels tout en continuant d’abriter de grands groupes adeptes du dumping social et fiscal.
Ainsi, l’Europe de l’argent persiste et signe. Pourtant, des solutions de financement pour avancer vers une union européenne en commun et solidaire existent. J’en mentionnerai au moins deux importantes.
La première consisterait à s’appuyer sur l’immense pouvoir de refinancement de la Banque centrale européenne, seul acteur à même de redonner aux États une marge de manœuvre budgétaire plus que jamais nécessaire aujourd’hui. À la fin du mois de septembre dernier, la BCE ne détenait pas moins de 2 550 milliards d’euros de dettes des États membres, dont un quart de la dette française.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement s’honorerait à travailler à la tenue d’une conférence européenne sur la dette, afin d’en annuler une partie et de restructurer l’autre.
Par ailleurs, au terme de l’accord de juillet, une seule et unique ressource propre a été créée – la contribution assise sur la part d’emballages plastiques non recyclés –, la mise en œuvre progressive de plusieurs autres ressources propres étant prévue… Cela est bien timide, trop timide, et plus que décevant eu égard à la création de la ressource propre qui permettrait à elle seule de financer le plan de relance – beaucoup de collègues l’ont évoquée –, à savoir la taxe sur les transactions financières.
Le projet de directive visant à introduire la taxe sur la spéculation est pourtant sur la table depuis 2013. Vendredi dernier, le 13 novembre, le Parlement a encore exprimé cette demande dans une résolution sur le financement du green deal votée par 68 % des députés. Selon une estimation de la Commission européenne, cette taxe rapporterait 81 milliards d’euros par an – entre 50 milliards d’euros et 60 milliards d’euros sans le Royaume-Uni, où la finance fait florès – si on ne la fixait qu’au taux de 0,1 % sur chaque transaction financière. Le rapporteur général du budget européen, Pierre Larrouturou, s’est évertué à le faire entendre avec sa grève de la faim, achevée voilà quelques jours seulement.
La Commission européenne est appelée à réfléchir sur la mise en place de cette taxe par le Conseil de l’Union, afin, paraît-il, « de mettre des grains de sable dans les rouages du capitalisme financier et de ses excès ».
Nous vivons une crise sanitaire économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Tout est à rebâtir, et les rouages du capitalisme financier sont trop bien huilés, trop bien gardés pour être empêchés par quelques grains de sable. Il faut s’en prendre au mécanisme même et à ceux qui l’activent. Ils sont nombreux et puissants. C’est pourquoi la réponse doit être considérable et intraitable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Patrice Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la participation française au budget de l’Union européenne pour 2021 constitue à bien des égards un révélateur.
Elle est un révélateur de crise, puisque sa forte augmentation est en grande partie un stigmate budgétaire du Brexit, mais aussi des conséquences de la crise sanitaire, au niveau tant des recettes que des dépenses. À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels.
Cette participation est aussi un révélateur de cohésion puisque face à ces épreuves, les États membres avaient dans un premier temps fait le choix de maintenir le niveau global de leur ambition budgétaire commune, avant, dans un second temps, de mettre en œuvre de manière conjointe un plan de relance économique à tout point de vue inédit.
Le groupe Les Républicains salue cette capacité des Européens à faire bloc malgré leurs divergences et, parfois, leurs querelles. En conséquence, il votera en faveur de l’article 31 qui nous est soumis aujourd’hui. C’est dit !
Toutefois, ce quitus ne vaut pas satisfecit. En effet, le ressaut de la contribution française, qui atteint cette année un niveau record pour s’établir à 26,9 milliards d’euros, révèle un dernier élément beaucoup moins positif : l’habileté de certains États membres dans la négociation du cadre financier pluriannuel.
Ainsi, les pays dits « frugaux » ont su tirer les marrons du feu budgétaire : ils ont non seulement conservé leurs rabais, mais sont parfois même parvenus à les augmenter. La France, d’une certaine façon affaiblie politiquement et économiquement, n’a pas été en mesure d’y faire obstacle. Elle paie peut-être aussi ses déficits du passé et l’image d’un pays qui n’a pas su ou pas voulu mener les réformes structurelles importantes.
La France, dans sa grande générosité, sera le premier financeur en faveur de pays bénéficiant d’un revenu par habitant supérieur au nôtre ; c’est tout de même paradoxal ! Je regrette que la frugalité de ces pays ne contribuant pas autant à la sécurité collective et à la lutte contre le terrorisme les ait conduits notamment à réduire les crédits du Fonds européen de défense et les ambitions européennes spatiales. Ce n’était pourtant pas le moment de le faire, eu égard à la compétition stratégique mondiale et en pleine pandémie.
La disparition du « chèque » britannique représentait une opportunité peut-être unique de mettre un terme définitif au système opaque et injuste des rabais. Mais, pour s’assurer d’un accord sur le plan de relance, le Gouvernement a accepté la pérennisation et même l’amplification de celui-ci.
Vous conviendrez que la potion est un peu amère, monsieur le secrétaire d’État. Je crains fort qu’après une telle occasion manquée, ce renoncement ne nous contraigne à l’avaler encore longtemps, y compris même après 2027.
Ce revers budgétaire pour notre pays – car c’en est un – au regard des positions qu’il a défendues dans la négociation illustre par ailleurs une réalité objective qu’en tant que parlementaires, nous ne pouvons pas ignorer : l’envolée en 2021 de la contribution française n’est en rien conjoncturelle.
Je ne méconnais rien des bénéfices économiques tout à fait considérables que nous procure notre appartenance au marché unique et à la zone euro, ainsi que notre participation aux politiques communes de l’Union. Mais les faits sont têtus : la France versera en moyenne 28 milliards d’euros par an durant les sept prochaines années, contre 20 milliards d’euros entre 2014 et 2020. C’est considérable !
Sans être un obsédé du juste retour, on ne peut pas ignorer que, dans ces conditions, notre solde net ne pourra que se dégrader fortement. Cette préoccupation m’amène à m’interroger sur les modalités de financement du plan de relance préparé par les chefs d’État et de gouvernement.
Nous ne sommes pas nécessairement opposés au principe de l’emprunt européen – cela s’est déjà pratiqué dans le passé, certes pour des volumes plus modestes –, mais la communication du Gouvernement sur le sujet se limite à annoncer que le plan européen financera notre plan de relance national à hauteur de 40 %. C’est un peu court en termes de pédagogie, monsieur le secrétaire d’État. Si la France devrait recevoir approximativement 40 milliards d’euros, qu’elle aurait d’ailleurs pu emprunter elle-même sur les marchés, et à des taux peut-être légèrement plus intéressants, rien n’est vraiment expliqué sur la manière dont cet argent sera remboursé.
Pour paraphraser – une fois n’est pas coutume – le Président de la République, il n’y a pas d’« argent magique ». Si la valse des milliards d’euros mobilisés ces derniers mois peut nous donner l’impression inverse, les sommes empruntées devront bien être remboursées, n’en déplaise à certains, certes pas directement par les États membres pour ce qui est du volet « subventions » de 390 milliards d’euros de la facilité pour la reprise et la résilience, mais par le budget de l’Union.
Sans pouvoir préjuger des taux de croissance de chaque État membre dans les trente ans à venir, la part de la France dans le budget européen laisse entrevoir une participation au remboursement des emprunts bien supérieure aux 40 milliards d’euros reçus. Les estimations oscillent le plus souvent entre 60 milliards d’euros et 70 milliards d’euros – l’orateur précédent a avancé le chiffre de 75 milliards d’euros – soit, bon an mal an, plus 2 milliards d’euros supplémentaires tous les ans à la charge de notre pays.
J’en viens à la question des ressources propres. L’accord politique global conclu entre le Conseil et le Parlement européen la semaine dernière contient une feuille de route détaillant l’introduction progressive d’ici à 2026 d’un panier de nouvelles ressources, dont certaines apparaissent de bon sens stratégique.
Cet accord les prévoit, mais il ne les crée pas. Or les expériences de la taxe sur les transactions financières ou encore de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés nous enseignent qu’en matière de fiscalité européenne, il y a généralement fort loin de la coupe aux lèvres. Rien ne garantit donc à 100 % que les engagements d’aujourd’hui déboucheront bien sur les ressources de demain.
En tout état de cause, si ces nouvelles ressources propres devaient effectivement voir le jour, elles contribueraient à faire basculer le mode de financement de l’Union vers un tout autre modèle. Pour certains, il s’agit d’un retour aux sources du mode de financement originel de l’Union, à la différence toutefois que les taxes communes proposées aujourd’hui financeraient non seulement des politiques concertées de relance, mais aussi, ce qui est plus nouveau, l’émission d’une dette commune.
Si nous ne sommes pas, comme cela a pu être avancé un peu hâtivement après l’accord du 21 juillet, dans un « moment hamiltonien », force est de le constater, il s’agit tout de même d’un pas supplémentaire en direction d’un fédéralisme budgétaire qui ne dit pas son nom. Une telle évolution ne pourrait légitimement être gravée dans le marbre à la seule faveur de la riposte à la crise que nous devons affronter actuellement. Elle nécessite au contraire un débat large, approfondi et éclairé sur la nature de l’Europe que nous voulons pour l’avenir. Or, pour l’instant, monsieur le secrétaire d’État, il ne me paraît pas que la question ait été présentée en ces termes aux Français.
Enfin, il m’apparaît essentiel que les sommes mobilisées bénéficient à la croissance et à la compétitivité des pays de l’Union au travers de l’utilisation avisée des fonds octroyés, mais aussi du financement de réformes fondamentales qui devront assurer que l’argent emprunté par les Européens et gagé sur les finances des Européens bénéficie bien aux Européens et ne contribue pas seulement à alimenter l’économie de nos concurrents. Rien n’est moins sûr…
Je pense par exemple à la révision de nos règles de concurrence, au renforcement de notre exigence commerciale à tout niveau, au développement d’une politique industrielle et numérique offensive. Alors que les États-Unis, la Chine et d’autres pays s’affirment comme puissances, en Europe, ce mot fait encore un peu peur. Monsieur le secrétaire d’État, il ne faudrait pas que nous nous fassions reléguer à terme au rôle de simple espace de libre-échange et de terminus des flux migratoires. Ce n’est pas l’Europe que nous voulons.
Certaines réformes sont annoncées ; d’autres sont lancées. Mais aucune n’est pour l’instant concrétisée. Monsieur le secrétaire d’État, il faut aller vite, car, pour assurer son avenir, l’Europe ne peut se contenter d’emprunter. Elle doit aussi et avant tout se réformer et s’affirmer dans la cohésion face à des États puissances et à des entreprises mondialisées, qui, eux, ne font plus de politesse et avancent de concert. C’est un Européen convaincu qui vous le dit, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons ce soir l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021.
Cette discussion intervient dans un contexte particulier à plusieurs titres. En effet, 2021 constitue la première année du nouveau cadre financier pluriannuel européen, qui traduira les ambitions de la politique de l’Union européenne jusqu’en 2027. Mais l’année 2021 représente également un défi pour l’Europe, qui doit faire face à une crise sanitaire et, par voie de conséquence, à une crise économique sans précédent.
Selon l’office statistique de l’Union européenne, la zone euro a enregistré entre avril et juin une baisse de 12,1 % de son PIB. Face aux nombreux enjeux, l’Union européenne a su répondre collectivement en réaffirmant son projet commun et en s’engageant à répondre d’une seule voix à la crise et aux immenses défis qu’elle doit relever. Le plan de relance et le choix de l’endettement communs sont des avancées inédites dans l’intégration et la solidarité européenne.
Pour l’année 2021, la contribution française s’établira à 26,9 milliards d’euros, auxquels il faudra ajouter 1,6 milliard d’euros de droits de douane. Cela représente une hausse de 25 % par rapport à la loi de finances initiale de l’année 2020, et une hausse aux alentours de 13,5 % par rapport à la dernière loi de finances rectificative pour 2020. Nos voisins allemands seraient frappés d’une hausse de 42 %.
Cette augmentation tient à plusieurs facteurs : les conséquences de la crise sur les ressources propres traditionnelles de l’Union européenne, les augmentations des crédits de paiement, l’impact encore incertain du Brexit et les rabais négociés par certains États membres lors du Conseil de juillet dernier. Cette prévision reste soumise à des incertitudes. De plus, les négociations interinstitutionnelles ne sont pas terminées.
Pourtant, nous ne pouvons que saluer l’accord trouvé le 10 novembre dernier avec le Parlement européen. Il entérine un complément budgétaire de 16 milliards d’euros appelé « ressources propres », dont le montant sera réparti entre le programme Erasmus +, le programme de recherche Horizon Europe et le programme de santé EU4Health, nécessaire pour poursuivre la lutte contre la pandémie actuelle.
Cependant, la ratification de tous les parlements nationaux est nécessaire. Vous l’avez dit, la Hongrie, la Pologne et la Slovénie ont menacé de bloquer le processus si le versement des aides européennes restait conditionné au respect du principe de l’État de droit. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les avancées de ces négociations ?
L’Union européenne doit également faire face à la crise et aux incertitudes que provoque le Brexit. Même si les négociations se poursuivent, nous ignorons encore les conditions exactes dans lesquelles il se fera et quelles en seront les véritables conséquences économiques pour les États membres. Dans mon territoire, mais pas seulement, l’avenir des zones de pêche est un sujet de préoccupation.
Malgré ces incertitudes, qui sont encore nombreuses, nous devons dire notre satisfaction s’agissant des nouvelles priorités de l’Union. Nous nous réjouissons du renforcement des objectifs climatiques, le Conseil ayant porté de 25 % à 30 % les parts des dépenses totales du CFP et du plan de relance consacrées au climat. Cet effort budgétaire, en cohérence avec l’arsenal législatif annoncé par la Commission dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, dont la colonne vertébrale est la « loi climat », accroît significativement les ambitions de réduction des émissions de carbone.
Notons que, pour la première fois, il est fait recours au mécanisme de conditionnalité relatif au respect de l’État de droit.
Je tiens également à souligner la remise en œuvre du chantier des ressources propres, nécessaires au remboursement de l’emprunt contracté pour le plan de relance. La première, c’est-à-dire la taxe sur les déchets plastiques non recyclés, doit être mise en œuvre très prochainement. D’autres devraient suivre : la taxe sur les géants du numérique, une taxe carbone aux frontières et, à horizon plus lointain, une taxe sur les transactions financières.
Si le calendrier établi par l’Europe semble précis, que se passera-t-il si nous faisons face à une absence de ressources suffisantes pour rembourser notre emprunt ? Les termes de l’accord de juillet dernier précisent bien que ce serait alors aux États membres de prendre le relais. Je le rappelle, cela représenterait pour la France un coût de 2,5 milliards d’euros par an.
Si la France reste l’un des principaux contributeurs au budget de l’Union européenne – sa contribution s’élevait à 21,5 milliards d’euros en 2020 –, il ne faut pas occulter le fait qu’elle est également l’une des principales bénéficiaires des dépenses de l’Union. En 2019, les dépenses européennes au profit de la France se sont élevées à 15,1 milliards d’euros. La France est même la première bénéficiaire des dépenses de la politique agricole commune, pour un montant de 9,6 milliards d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, puisque nous sommes réunis pour discuter de chiffres, je souhaiterais connaître votre avis sur le devenir de la dette britannique à l’endroit de l’Europe. Son montant est-il fixé ? Les modalités de remboursement en sont-elles définies ? Alors que le terme des négociations approche à grands pas, ces données n’apparaissent pas, ou plus, dans le paysage. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai d’apporter un certain nombre de réponses aussi précises que possible aux interrogations que vous avez légitimement soulevées. J’ai toutefois noté un assez large consensus en faveur des grandes avancées et des principales orientations de ce cadre financier pluriannuel et, plus largement, du paquet budgétaire, qui inclut un plan de relance inédit.
Permettez-moi de revenir sur l’ambition générale qui caractérise ce cadre budgétaire. Il y a un budget pour sept années, de 2021 à 2027. Il comporte – j’y reviendrai pour le cas de la France – un certain nombre d’augmentations des crédits alloués à des politiques absolument fondamentales. Si l’on y ajoute le plan de relance de 750 milliards d’euros, dont près de 400 milliards d’euros de subventions directes, le montant total de cet ensemble budgétaire s’élève à 1 800 milliards d’euros.
Le plan de relance sera concentré sur le début de la programmation budgétaire. C’est donc un doublement du budget annuel de l’Union européenne qui est proposé pour les trois prochaines années.
Je n’entrerai pas dans une querelle sémantique, mais j’estime que ce n’est pas galvauder les termes que de parler de « pas historique » ou d’« avancée inédite ». Dans un contexte de crise sanitaire et économique tout aussi inédit, c’est une réponse à la hauteur, une réponse de solidarité. Elle était nécessaire.
Je souhaite toutefois vous répondre d’ores et déjà sur certains points, monsieur Allizard. On peut faire le choix d’une optique budgétaire nationale. Vous l’avez vous-même dépassée.
Vous avez indiqué que nous emprunterions à des taux moins élevés si nous le faisions à l’échelon français. Cela peut se discuter, car les taux des premières émissions de l’Union européenne sont de plus en plus bas. Les emprunts de l’Union européenne faisant référence sur le marché, ils entraînent nos propres émissions de dette vers des niveaux de nouveau historiquement bas.
De plus, ces émissions créent une solidarité européenne dont nous bénéficierons, non seulement parce que la France est le troisième bénéficiaire de ce plan, mais aussi parce qu’il permet une relance économique chez nos voisins directs, ceux vers lesquels nous exportons et avec lesquels nous commerçons. Cela n’aurait été possible ni au même rythme ni avec la même ampleur sans le plan de relance européen.
Ce dont nous parlons n’est pas simplement une dette, une mesure technique ou même un simple montant. C’est une étape de solidarité européenne qui était probablement impensable voilà quelques semaines. À l’instar de M. Fernique, je pense qu’on peut saluer le chemin parcouru ; beaucoup d’orateurs l’ont fait.
Ce budget est aussi le résultat de l’étape historique que constitue l’accord du 21 juillet entre les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement. Comme beaucoup l’ont également rappelé, une négociation s’en est suivie – c’est légitime et démocratiquement fondé –, en particulier avec le Parlement européen. Elle a abouti voilà exactement huit jours à un accord entre les institutions européennes – je reviendrai sur le blocage actuel – et permis d’augmenter le cadre financier pour les sept prochaines années de 16 milliards d’euros supplémentaires, afin de financer des politiques considérées comme prioritaires par la France, ainsi, sans doute, que sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Ainsi, plus de 3 milliards d’euros supplémentaires sont alloués à un nouveau programme d’urgence et de réponse sanitaire européenne, les crédits du programme Erasmus + sont renforcés à hauteur de 70 % dans les sept années à venir, tandis que ceux de la recherche et de l’innovation sont en hausse de plus de 40 %. Même en période de crise, on voit rarement de telles augmentations budgétaires.
Je souhaite indiquer ce que la France a « obtenu ». Veuillez m’excuser d’utiliser ce terme ; je sais que beaucoup d’entre vous, comme moi, ont souhaité dépasser la logique du juste retour. Toutefois, il me paraît nécessaire de clarifier un certain nombre de points, de nombreuses interrogations – c’est bien normal – ayant été formulées quant à nos intérêts budgétaires.
La politique agricole commune (PAC), qui est notre principal « retour » sur le budget européen, était menacée d’un recul inédit de 15 milliards d’euros, dans la proposition initiale de la Commission européenne. Nous en avons relevé le montant, de sorte que les crédits seront probablement en légère augmentation ou, du moins, stabilisés de manière certaine sur les paiements directs, qui constituent le fameux premier pilier de la politique agricole. C’est une réussite qui n’est pas négligeable. La PAC, qui apporte un revenu essentiel à nos agriculteurs, est donc sécurisée pour cette année.
En outre, les crédits attribués à nos régions d’outre-mer ont augmenté de 5 % sur la prochaine programmation pluriannuelle.
Et j’ai déjà évoqué les hausses de crédits en faveur du programme Erasmus + et de la recherche.
Même s’il y a des déceptions, elles sont à relativiser. Certes, monsieur Allizard, le Fonds européen de défense st moins important que ce que la Commission européenne proposait et que ce que la France aurait souhaité. Cependant, c’est une première étape vers une mutualisation des efforts financiers en matière de défense.
Dans la négociation budgétaire, nous n’avons jamais perdu de vue – c’était notre responsabilité et, en premier lieu, celle du Président de la République – l’intérêt de la France et notre ambition européenne.
Certes, ce budget porte un ressaut de dépenses important ; c’est l’objet de nos discussions sur l’article 31. Pour l’année 2021, cette hausse s’explique à 80 % par la double crise du Brexit, qui est malheureusement durable, et de la covid, que j’espère moins longue.
Sur la période 2021-2027, l’augmentation budgétaire restera importante, liée à la montée en puissance de certaines politiques prioritaires et à la facture du Brexit. Lorsqu’un pays contributeur quitte l’Union européenne, cela a un coût pour les autres, à moins de renier nos ambitions européennes. Or nous n’avons voulu rogner ni sur la politique de cohésion ni sur la politique agricole commune.
Nous partageons tous le même constat sur les rabais, qui, par la logique même qu’ils incarnent, sont en soi un échec européen. Ils ont d’abord été introduits en 1984 pour le Royaume-Uni, puis élargis à cinq autres pays, de manière relativement œcuménique sur le plan politique, à l’époque de la cohabitation, lors de la négociation du cadre financier budgétaire qui a commencé en l’an 2000. Je le regrette.
La négociation historique que nous avons menée a non seulement permis certaines augmentations de crédits, mais elle a surtout été l’occasion de franchir l’étape de la solidarité par la dette commune. Le combat pour mettre fin aux rabais continue. Leur facture globale diminue, puisque nous n’aurons plus à assumer le rabais britannique ; c’est l’une des – rares – bonnes nouvelles liées au Brexit.
Vos questions sur le blocage en cours et sur la matérialisation du plan de relance européen sont légitimes. Ce soutien viendra abonder, et même en partie rembourser – le mot ne m’effraie pas – le plan de relance national, largement financé par ces crédits européens dans le PLF pour 2021.
Ces 40 milliards d’euros arriveront, je l’espère, le plus vite possible en 2021. Je maintiens qu’ils ne ralentiront pas d’un seul jour la mise en œuvre complète de notre plan de relance pour son montant intégral de 100 milliards d’euros. C’est essentiel pour nos entreprises, nos concitoyens et nos territoires.
Pour autant, remboursement ne signifie pas soutien secondaire ou superflu : sans cette garantie de 40 milliards d’euros, nous n’aurions pas pu porter le plan de relance national au même niveau d’ambition et de soutien économique. L’aide européenne est donc une composante essentielle et intrinsèque de l’effort national de relance.
Ces crédits arriveront, je l’espère, dès le premier semestre 2021. Il y a aujourd’hui un blocage, qui est lié à la question de l’État de droit. Comme je l’ai dit hier devant la Haute Assemblée, nous ne renoncerons pas à cette ambition de principe, qui incarne nos valeurs européennes.
Les discussions sont en cours avec les deux pays concernés. À cet égard, je souhaite nuancer ce que plusieurs orateurs ont indiqué à propos de la Slovénie. Dans un courrier peu responsable, les autorités slovènes ont apporté une compréhension ou un soutien aux gouvernements hongrois et polonais sans partager exactement la même position. Nous sommes prêts à demander des clarifications techniques à la Commission européenne, afin d’expliquer en détail ce mécanisme de l’État de droit et d’éviter ainsi tout fantasme ou toute interprétation excessive. Mais nous ne renoncerons pas sur le contenu.
Le moment politique est effectivement difficile. Il faut en assumer la tension. Cependant, et je pense que vous partagerez certainement tous cette conviction européenne, nous ne pourrions pas renoncer à un mécanisme que tous les chefs d’État et de gouvernement ont accepté le 21 juillet dernier.
Le principe des ressources propres a également été approuvé pour la première fois le 21 juillet dernier : c’est historique. Cependant, je le dis avec transparence et honnêteté, il reste des étapes à franchir pour créer ces ressources propres, catégorie par catégorie. Je ne reviendrai pas sur toutes celles que vous avez mentionnées, mais parmi les plus prometteuses figurent la taxe sur le numérique et celle sur le prix du carbone aux frontières européennes, qui est tout à la fois un gage d’abondement du budget européen et d’équité dans la concurrence internationale.
Dans un esprit constructif, le Parlement européen a souhaité renforcer durant la négociation son exigence en matière de ressources propres. Il a demandé à la Commission européenne de s’engager à présenter, avant la fin du premier semestre 2021, la liste et les propositions législatives précises sur ces ressources. Il a également demandé au législateur européen de s’engager à statuer sur le sujet avant la fin de l’année 2022.
J’espère que nous pourrons continuer à mener ce combat ensemble. Des étapes majeures ont déjà été franchies. Chacun comprend désormais l’intérêt qu’il y a à disposer de ressources propres, qui sont aussi des ressources justes, car elles font contribuer des acteurs qui bénéficient des avantages de l’Europe sans y contribuer. Cela vaut pour les deux taxes que j’ai citées, mais aussi pour celle sur les transactions financières.
Il n’y a pas de finances publiques magiques, vous l’avez rappelé, mais il y a en revanche des iniquités ou des injustices fiscales à réparer. L’Europe progresse sur ce chemin. J’espère que nous pourrons en discuter dès l’an prochain pour franchir une nouvelle étape sur la mise en œuvre de ces ressources.
Monsieur Gattolin, pour faire écho à votre rêve – ou à votre cauchemar ? –, le rapport que vous souhaitez existe : c’est le jaune budgétaire. Il peut être enrichi. Je partage avec vous l’idée que nous n’illustrons pas assez ce que l’on appelait autrefois « les coûts de la non-Europe » ; nous n’insistons pas assez sur l’ensemble des bénéfices liés à l’appartenance au marché et au projet politique européens.
À cet égard, je ne citerai qu’un seul chiffre budgétaire : entre 1999, avant l’introduction de l’euro, et aujourd’hui, la charge de notre dette est restée stable ; à l’issue de la crise, le poids de notre dette dans le PIB a doublé. Nul besoin de grands calculs : la charge de la dette est de 37 milliards d’euros dans le PLF pour 2021 ; nous la doublerions si nous n’étions pas dans l’euro et dans l’Union européenne. Ce seul chiffre suffit à illustrer l’absurdité de la logique de juste retour, au-delà d’une Europe de la solidarité, d’une Europe de l’ambition et de la puissance que vous avez également appelée de vos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article 31.
Article 31
Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2021 à 26 864 000 000 €.
M. le président. L’amendement n° I-794 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, M. Bouchet, Mmes Deromedi et Garriaud-Maylam, MM. Calvet, Charon, Le Gleut, Boré et Le Rudulier, Mme Thomas, MM. Daubresse, Frassa et Pellevat, Mme Micouleau, MM. Vogel et Longuet, Mme L. Darcos, M. B. Fournier, Mmes Dumas, Chain-Larché et Delmont-Koropoulis, M. Bonhomme, Mme Bonfanti-Dossat et M. Meurant, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conséquences financières pour la France de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, de la mise en place du plan de relance européen décidé le 21 juillet 2020 ainsi que du cadre financier pluriannuel de l’Union 2021-2027. Ce rapport précise en particulier l’évolution des montants des contributions directes et indirectes, notamment concernant le montant pour notre pays de la nouvelle ressource propre au profit de l’Union qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2021 qui sera calculée en fonction du poids des déchets d’emballages en plastique non recyclés, de notre pays au budget de l’Union européenne. Il s’attache à déterminer, en tenant en compte l’ensemble de ces montants, la contribution nationale de chaque pays de l’Union par rapport à sa richesse nationale, ainsi que la prise en charge effective par chacun des États membres des conséquences financières de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Cet amendement vise à améliorer la connaissance de l’Europe. Pour certains, celle-ci est un rêve. Pour d’autres, elle est la cause de tous les maux. Mais, pour la plupart de nos concitoyens, elle devient un objet de plus en plus mal identifié, de plus en plus éloigné.
Le rêve d’une Europe-puissance butte sur la réalité. Les événements en Arménie ont encore récemment montré son incapacité à faire face à la Turquie, qui soutient les agresseurs de ce petit pays ami.
Comme dit le poète : « la vertu n’est pas fille de l’ignorance ». Les Français méritent d’être éclairés sur les coûts et les avantages de notre participation au budget de l’Union européenne. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. Cet amendement vise à la remise par le Gouvernement d’un rapport sur les conséquences financières du Brexit pour la France et sur l’accord intervenu au titre du cadre financier pluriannuel.
J’y serais favorable si nous ne possédions pas déjà ces informations. Or nous les avons. Elles sont disponibles et figurent dans le document Les relations financières avec l’Union européenne, qui est annexé au projet de loi de finances.
Par conséquent, je considère que cet amendement, dont je partage l’objectif, est satisfait. J’en demande donc le retrait, faute de quoi l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Des informations très complètes figurent dans le document détaillé qui vient d’être évoqué. Celui-ci sera enrichi l’an prochain d’éléments nouveaux liés à la finalisation du cadre financier pluriannuel et à sa première année de mise en œuvre, à l’application du plan de relance, ainsi qu’aux conséquences financières du Brexit, à l’issue de ce que j’espère être un accord.
M. le président. Monsieur Meurant, l’amendement n° I-794 rectifié est-il maintenu ?
M. Sébastien Meurant. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° I-794 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 31.
(L’article 31 est adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 20 novembre 2020 :
À onze heures :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (texte de la commission n° 117, 2020-2021).
À seize heures et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (n° 137, 2020-2021) ;
Suite de l’examen des articles de la première partie.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER