Sommaire
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Joël Guerriau.
2. Statut des travailleurs des plateformes numériques. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Pascal Savoldelli. – Adoption.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Rejet de l’article modifié.
Rejet de l’article.
Article additionnel après l’article 3
Amendement n° 2 rectifié de M. Olivier Jacquin. – Retrait.
Article 4 – Rejet.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
3. Mise au point au sujet d’un vote
4. Efficacité des aides personnelles au logement. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Julien Denormandie, ministre
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Adoption de l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
5. Création de Points d’accueil pour soins immédiats. – Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 5 rectifié de M. Xavier Iacovelli. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Adoption.
Amendement n° 2 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Rejet, par scrutin public n° 111, de l’article modifié.
Article 2 (suppression maintenue)
Tous les articles ayant été rejetés ou supprimés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
6. Encadrement du démarchage téléphonique et lutte contre les appels frauduleux. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Article 1er A (suppression maintenue)
Amendement n° 9 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 10 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 4 de Mme Michelle Gréaume. – Retrait.
Amendement n° 11 de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 12 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public n° 113.
Amendement n° 22 rectifié de M. François Bonhomme. – Retrait.
Amendement n° 35 rectifié de M. Ronan Dantec. – Rejet.
M. Jean-Pierre Sueur ; Mme la présidente.
Article 1er bis (suite)
Amendement n° 33 rectifié de M. Hervé Marseille (suite). – Adoption par scrutin public n° 116.
Amendement n° 23 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 30 rectifié bis de Mme Laure Darcos. – Adoption.
Amendement n° 14 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Article 3 bis (suppression maintenue)
Amendement n° 2 de Mme Michelle Gréaume. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Statut des travailleurs des plateformes numériques
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (texte n° 717 [2018-2019], résultat des travaux de la commission n° 472, rapport n° 471).
Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai à cœur de vous présenter cette proposition de loi, cosignée par Fabien Gay, Cathy Apourceau-Poly et l’ensemble des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ce texte, fruit de plus de deux années de rencontres, de travail et d’échanges sur le terrain, vise à renforcer le statut des travailleurs des plateformes numériques, ces « tâcherons du clic », comme je les appelle, soumis au management algorithmique.
Ces travailleurs se sont d’ailleurs trouvés en première ligne durant la crise épidémique du Covid-19, bien malgré eux, en plein confinement, alors que leur activité n’était pas toujours essentielle, parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Ce sont les chauffeurs de VTC, les coursiers, ou encore les livreurs, tous au service de plateformes numériques de travail, ceux que l’on nomme couramment « travailleurs ubérisés ».
Il s’agit d’un enjeu d’actualité particulièrement important. Je tiens à remercier mes collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat, ainsi que la commission des affaires sociales, de leur rapport d’information portant sur le droit social applicable aux « travailleurs indépendants et économiquement dépendants » ; ce rapport fort intéressant démontre l’importance et l’actualité de ce sujet qui pourrait, peut-être, nous rassembler au-delà de nos différences politiques.
Notre proposition de loi tend à offrir un statut protecteur aux travailleurs des plateformes numériques.
Cela dit – c’est assez rare pour qu’on le souligne –, ce texte est le fruit d’un travail collectif de plus de deux ans. En compagnie, notamment, de mon collègue Fabien Gay, nous l’avons mené avec les acteurs de terrain, qui sont les premiers concernés et sont donc ceux qui sont le mieux en mesure de connaître la réalité et les enjeux du métier. Nous les remercions d’ailleurs chaleureusement de ce travail accompli ensemble. Je pense notamment au CLAP, le Collectif des livreurs autonomes de Paris, ou encore à la coopérative Coursiers bordelais, dont les apports nous ont été précieux.
Le collectif Pédale et tais-toi !, que nous avons parrainé, se réunit régulièrement depuis 2017. Il a rassemblé, dès le départ, une grande diversité d’acteurs : des travailleurs des plateformes, mais aussi des acteurs syndicaux, universitaires et politiques.
La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui est donc le fruit d’un véritable travail collectif, concerté, singulier par sa diversité et directement lié aux réalités de terrain. Elle traduit par conséquent des volontés exprimées par les travailleurs des plateformes eux-mêmes.
Des échanges se sont tenus au Sénat, mais aussi dans plusieurs villes de France. Ils ont été très riches d’enseignement. J’aimerais vous en donner deux exemples qui m’ont particulièrement marqué.
En premier lieu, nous avons organisé à Bordeaux une rencontre avec des travailleurs qui s’engagent très activement pour pointer du doigt les dérives de certaines pratiques des plateformes, qui mettent en œuvre une technologie dont la valeur ajoutée est certes importante, mais qui occulte l’élément humain. Les coursiers nous ont parlé à cette occasion de leur histoire, de leurs conditions de travail, mais aussi des difficultés qu’on rencontre quand on veut engager une négociation collective alors qu’on n’est pas protégé. Nous avons également discuté avec des travailleurs qui se sont organisés et ont pris des initiatives locales, plus éthiques et protectrices, pour proposer des alternatives concrètes à ces géants du numérique : je pense notamment à CoopCycle, une fédération de coopératives de coursiers à vélo.
En second lieu, lors d’un déplacement à Nantes, nous avons pu échanger longuement avec des coursiers, mais aussi avec des commerçants et des restaurateurs ; certains nous ont expliqué refuser de faire appel à des livreurs des plateformes numériques, car ils voyaient bien à quel point ces travailleurs étaient fatigués et exploités. Ces entrepreneurs nous ont aussi fait part de l’emprise économique que peuvent exercer ces géants du numérique sur les commerces locaux. L’arrivée sur le marché de ces plateformes peut certes paraître bénéfique, au départ, pour certains commerces. Toutefois, peu à peu, la part accordée aux plateformes gagne du terrain et la fameuse neutralité qu’elles affichent les défausse de toute responsabilité sociale, contrairement aux TPE, aux commerces ou aux artisans.
J’ai voulu, au travers de ces deux exemples, vous montrer, mes chers collègues, que non seulement ces plateformes bénéficient du flou juridique lié à leur activité pour contourner le droit du travail, mais surtout qu’elles pratiquent une véritable concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises traditionnelles qui, quant à elles, respectent certaines règles. Nous sommes face à une stratégie classique visant à casser le marché pour le conquérir et aboutir, à terme, à une situation de monopole par des pratiques de dumping social.
Nous proposons donc, par le biais de cette proposition de loi, de renforcer les droits des travailleurs et de renvoyer ces entreprises du numérique à leurs responsabilités à l’égard de plusieurs aspects.
Tout d’abord, nous entendons intégrer le statut de ces travailleurs à la septième partie du code du travail, afin de leur offrir un contrat de travail véritablement protecteur et assimilé au salariat. Cette forme de salariat autonome devrait permettre de leur assurer la sécurité dont ils ont besoin tout en préservant l’autonomie qu’ils ont dans l’organisation de leur travail.
Ensuite, nous proposons d’organiser leur accès à une véritable protection sociale : aujourd’hui, il suffit qu’un de ces travailleurs tombe malade ou ait un accident du travail pour qu’il perde sa principale source de revenus. Cela implique par ailleurs que les plateformes devront s’acquitter de cotisations sociales.
Nous demandons aussi une plus grande transparence quant aux algorithmes mis en œuvre ; ceux-ci constituent à l’heure actuelle le principal outil de travail de ces personnes, sans pour autant qu’elles puissent savoir comment ils fonctionnent réellement.
Enfin, nous souhaitons leur garantir des conditions de rémunération décentes : pour le dire clairement, celles-ci ne pourront pas être inférieures au SMIC horaire, contrairement à ce qui est pratiqué.
Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Pour clarifier le débat, je tiens à souligner que nous ne parlons pas en l’espèce des plateformes d’intermédiation, qui se chargent simplement de mettre en relation un fournisseur de services avec un client. Ce n’est pas le sujet ! Sont bien visées les plateformes numériques de travail, qui font appel à des travailleurs dits indépendants, qui sont en fait largement subordonnés à la plateforme.
Ce texte tend donc à contrer la précarisation de ces travailleurs. Je me permettrai de citer – une fois n’est pas coutume – l’expression que M. Xavier Bertrand (Marques d’étonnement sur les travées du groupe Les Républicains.) a employée à leur propos : « les nouveaux canuts des plateformes numériques ».
Je relève l’écho que cette formule trouve chez mes collègues de droite ! On pourrait tout aussi bien citer M. Fabien Roussel (On fait mine d’être soulagé sur les mêmes travées.), qui a évoqué « ces jeunes, pour qui ce capitalisme fait mine de se réinventer en leur imposant un statut de tâcheron, comme il y a deux siècles ».
Un travailleur indépendant est libre de choisir la façon dont il mène son activité. Il exerce à son compte une activité économique et en supporte les risques. Ce n’est pas le cas des travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, qui sont constamment contrôlés par les algorithmes. Il ne s’agit donc pas de travail indépendant, puisque la dépendance économique et la subordination sont à présent attestées.
Les décisions de justice l’ont d’ailleurs démontré : prenons-en pour exemple le dernier arrêt rendu à ce propos par la Cour de cassation, le 4 mars 2020, concernant Uber. La délibération a été très claire : il n’y a aujourd’hui aucun doute sur le statut de ces travailleurs fictivement indépendants, qui sont la proie de pratiques de salariat déguisé.
Au travers de ce texte, nous proposons de prendre acte de la décision des juges et d’en accélérer l’application, les procédures pouvant être très longues.
Quelles seraient les conséquences de l’adoption de notre proposition de loi ? Elle éviterait aux travailleurs de devoir choisir entre renoncer et se lancer dans de longues années de procédure judiciaire pour obtenir la requalification de leur statut en salariat.
Il n’est pas question de créer un troisième statut, comme le proposait la majorité de l’Assemblée nationale. Vous n’ignorez d’ailleurs pas, madame la ministre, que cette idée a été censurée par le Conseil constitutionnel. Je tiens à citer les mots de M. Antoine Foucher, votre directeur de cabinet, au cours de notre échange la semaine dernière – j’ai apprécié cet échange : il faudrait « inventer un encadrement d’une nouvelle relation de travail ». Par le biais de cette proposition de loi, nous répondons : « Chiche ! Allons-y ! »
Nous avons, pour ce faire, besoin de nous appuyer sur ce qui existe déjà. Le code du travail est en effet ce qu’il y a de plus protecteur aujourd’hui.
Sa septième partie permet de combiner la volonté d’exercer un travail autonome et une protection assurant des conditions de travail décentes.
Les plateformes doivent respecter les règles du jeu, à l’image des entreprises traditionnelles, mais il n’est pas question de choisir entre salariat et travail indépendant, sorte de yo-yo que l’on connaît depuis plusieurs années. Quant au « ni-ni » – ni salariat ni travail indépendant –, il n’est pas respectueux de ces travailleurs : on ne prend pas de décision et ils se retrouvent à subir des humiliations et des souffrances.
Nous souhaitons au contraire ouvrir un débat sur le renforcement de ces deux statuts : le travail indépendant, auquel nous voulons accorder davantage de protection, et le salariat, qui devrait acquérir une plus grande autonomie pour sortir des situations d’asservissement résultant de pratiques managériales abusives.
Plus largement, ce texte constitue un jalon important dans le débat sur l’avenir du travail sous toutes ses formes. En effet, l’économie numérique va ouvrir la voie à de nouvelles formes de travail qui se répercuteront sur des pans entiers de la société.
Nous avons la possibilité d’influer sur la direction à prendre. Souhaitons-nous tirer vers le bas l’ensemble des statuts professionnels et aboutir à une plus grande précarisation du travail ? Voulons-nous, au contraire, nous engager de façon forte pour que chaque personne puisse s’accomplir librement et en sécurité dans son activité professionnelle ?
Nous vous proposons de prendre la voie la plus juste, qui est aussi la plus attendue par les premiers concernés, car le progrès technologique doit avant tout servir les êtres humains, et non les asservir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de Pascal Savoldelli, que j’ai cosignée avec les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, vise à créer un statut protecteur de certains travailleurs, qui, depuis l’apparition des plateformes numériques, restent des oubliés du droit du travail et de la protection sociale.
En effet, ces travailleurs, que l’on qualifie généralement, qu’ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, de « travailleurs de plateformes », se voient nier la qualification de travailleur salarié au prétexte que leurs donneurs d’ordre ne seraient que des intermédiaires leur permettant d’accéder à une clientèle.
Issue du constat que les plateformes de travail sont non pas de simples intermédiaires, mais des organisations productives s’inspirant, plus encore que les entreprises traditionnelles, des logiques de concurrence qui gouvernent le marché, cette proposition de loi tend à adapter le droit du travail à cette situation, afin d’intégrer ces travailleurs dans le salariat.
Si la commission des affaires sociales n’a pas adopté ce texte, ce que je regrette, elle a une nouvelle fois reconnu la nécessité d’améliorer les protections dont peuvent bénéficier ces travailleurs.
Il convient tout d’abord de rappeler ce qui fonde la distinction traditionnelle entre le salariat et le travail indépendant.
La relation entre celui qui possède les moyens de production et celui qui loue sa force de travail est par nature déséquilibrée. Le salarié est en effet placé dans une relation de subordination vis-à-vis de son employeur, dont il dépend pour ses moyens de subsistance.
Afin de remédier à ce déséquilibre, le droit du travail a progressivement construit un socle de garanties protégeant les salariés, notamment en matière de rémunération, de temps de travail et de droit au repos.
Par ailleurs, le préambule de la Constitution de 1946 garantit aux travailleurs certains droits sociaux et permet ainsi la défense collective de leurs intérêts.
La France a également su construire un système de protection sociale qui assure les travailleurs contre un grand nombre de risques de la vie. Il en est ainsi des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le droit à une couverture santé complémentaire est également garanti à tous les salariés depuis 2016. Enfin, les salariés sont affiliés de droit à l’assurance chômage, qui leur offre une protection contre le risque de perte de leur emploi.
Les protections offertes par le statut de salarié sont principalement garanties et financées par les employeurs ; d’autres constituent des limitations à leur pouvoir de direction. Dès lors, les stratégies consistant à assimiler une relation de travail à une prestation de services fournie par un travailleur indépendant sont aussi anciennes que le droit du travail.
Face à ces tentatives, la jurisprudence affirme clairement que la nature de la relation de travail est d’ordre public et ne dépend pas de la qualification qu’en font les parties.
Pour apprécier l’existence d’un lien de subordination, le juge se base sur un faisceau d’indices : d’une part, l’autorité et le contrôle exercés par le donneur d’ordre et, d’autre part, les conditions matérielles d’exercice de l’activité. Par exemple, le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination. Si celui-ci est démontré, le juge peut requalifier en contrat de travail ce qui était présenté comme un contrat de prestation de services.
Les possibilités offertes par le numérique ont donné une nouvelle actualité à ce problème ancien. Si chacun pense aux chauffeurs de VTC et aux livreurs à deux-roues, les plateformes sont présentes dans un nombre croissant de secteurs. Ainsi, elles interviennent dans le placement de travailleurs temporaires, contournant les règles imposées au secteur de l’intérim.
Force est de constater que, en réalité, ces plateformes jouent souvent un rôle essentiel dans l’organisation des prestations qu’elles proposent.
Ainsi, dans le domaine de la mobilité, les travailleurs ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de la prestation qui leur est proposée. Le tarif est déterminé par un algorithme dont ils ignorent les paramètres. En outre, ils ne connaissent pas toujours à l’avance la destination de la course qu’on leur demande de réaliser et sont tenus de respecter des règles imposées par la plateforme. Enfin, alors qu’en principe un indépendant n’est pas juridiquement subordonné à son client, le non-respect par ces travailleurs des directives données par les plateformes les expose à des sanctions pouvant aller jusqu’à la déconnexion, c’est-à-dire à une forme de licenciement arbitraire.
En somme, ces travailleurs connaissent tous les inconvénients de l’indépendance sans en avoir les avantages.
Dès lors, des juges ont été amenés à requalifier en contrat de travail la relation entre des travailleurs et des plateformes numériques. Au vu des récents arrêts rendus par la Cour de cassation, on ne peut contester qu’une tendance à l’assimilation au salariat du statut de ces travailleurs se dessine. Toutefois, laisser les juges requalifier au cas par cas des situations individuelles ne saurait constituer une réponse satisfaisante au regard des dégâts causés par ce modèle.
Les travailleurs de plateformes portent en germe une nouvelle classe de travailleurs précaires. Certes, ils sont encore peu nombreux – entre 100 000 et 200 000 personnes, selon les estimations –, mais leur nombre a tendance à croître à mesure que se développe l’« ubérisation » de notre société.
Surtout, comme le rappelle la crise sanitaire que notre pays traverse, les travailleurs des plateformes font partie des employés les plus exposés de notre économie.
Les revenus qu’ils perçoivent, notamment les livreurs à vélo, sont souvent dérisoires. Si le chiffre d’affaires affiché par les chauffeurs de VTC est plus important, il ne leur permet pas toujours de couvrir leurs charges.
En plus d’être faiblement rémunérés, les travailleurs de plateformes sont nombreux à ne bénéficier ni d’une assurance contre les accidents du travail, pourtant fréquents chez les usagers de la route, ni d’une complémentaire santé.
Ce phénomène est la suite logique d’une recherche continue de flexibilité, ainsi que du mouvement général d’externalisation, qui fait sortir de l’entreprise les travaux jugés non rentables jusqu’à transformer les salariés en entrepreneurs faussement indépendants. Il pourrait donc non seulement connaître un développement exponentiel dans certains secteurs, mais encore s’étendre à de nouveaux domaines jusqu’ici épargnés, comme le montre le projet de certains groupes bancaires d’expérimenter l’emploi de conseillers indépendants. Cette évolution a pour corollaire de faire peser toujours davantage le risque économique sur les travailleurs.
Face à cette tendance, on assiste cependant à l’émergence d’îlots de résistance. Malgré leur éloignement spontané du syndicalisme et une certaine culture de l’immédiateté, ces travailleurs sont susceptibles de se mobiliser, à l’image du mouvement concerté des livreurs Deliveroo, en juillet 2019, face à la modification de la politique tarifaire de la plateforme.
Un mouvement de fond émerge : l’organisation croissante de ces travailleurs. Certaines associations, telles que le Collectif des livreurs autonomes parisiens, le CLAP, se sont ainsi constituées depuis plusieurs années ; elles ont acquis une forme de reconnaissance de la part des plateformes. Par ailleurs, plusieurs organisations syndicales de salariés ont entrepris de s’intéresser aux travailleurs de plateformes. Enfin, des tentatives de structuration des collectifs existants se dessinent.
Il n’en reste pas moins que ces tentatives se heurtent à l’absence de reconnaissance législative d’une représentation des travailleurs de plateformes, ainsi qu’au manque de règles structurant le dialogue social. À cet égard, les instances de concertation mises en place par certaines plateformes ne doivent pas faire illusion.
Par ailleurs, des initiatives se développent sur le terrain pour proposer un modèle alternatif à celui que promeuvent les grandes plateformes. Elles prennent notamment la forme de sociétés coopératives fondées sur une gouvernance démocratique et un partage équitable des résultats.
Face à cette situation, le législateur a jusqu’à présent réagi de manière timide. Le principe d’une responsabilité sociale des plateformes, institué par la loi Travail du 8 août 2016, se traduit par la prise en charge par les plateformes des cotisations d’assurance volontaire contre le risque d’accident du travail, de la cotisation à la formation professionnelle et des frais liés à la validation des acquis de l’expérience. Cette loi a par ailleurs créé un embryon de droit syndical et de droit de grève au bénéfice de ces travailleurs.
La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 est allée dans le même sens, en donnant notamment aux plateformes de mobilité la possibilité d’élaborer des chartes déterminant les conditions et les modalités d’exercice de leur responsabilité sociale.
Ces avancées témoignent d’une certaine prise en compte de la situation des travailleurs concernés. Toutefois, elles demeurent largement tributaires du bon vouloir des plateformes elles-mêmes. Surtout, elles tendent à consacrer le recours à des travailleurs indépendants pour des tâches qui pourraient être réalisées par des salariés.
L’article 1er de la présente proposition de loi crée donc une nouvelle forme de contrat de travail applicable aux travailleurs de certaines plateformes numériques, à savoir celles pour lesquelles la mise en relation est non pas l’objet de l’activité, mais la modalité d’accès et de réalisation du service. Il s’agit notamment, de mon point de vue, des principales plateformes du secteur des transports.
Les dispositions du code du travail seraient largement applicables à ces travailleurs, sous réserve de certains aménagements. Le texte laisse une large place à la négociation collective. Ainsi, les modalités de construction et de gestion des emplois du temps et les modes de calcul de la rémunération feraient l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.
L’article 2 prévoit l’affiliation obligatoire des travailleurs de plateformes au régime général de la sécurité sociale. En outre, il étend à ces travailleurs le bénéfice de l’assurance chômage.
Quant à l’article 4, il complète les dispositions du code du travail applicables aux travailleurs indépendants des plateformes. Il élargit ainsi la possibilité d’assurance des travailleurs à la charge de la plateforme, en mentionnant les maladies professionnelles, et tend à laisser aux travailleurs le choix d’adhérer ou non au contrat collectif proposé par la plateforme.
L’objet de cette proposition de loi est donc bien de trancher clairement, dans la lignée des récents arrêts de la Cour de cassation, en faveur d’une assimilation à des salariés de ces travailleurs considérés comme des indépendants alors qu’ils n’ont pas la pleine maîtrise de leur travail, ce dont quelques grandes entreprises tirent profit.
C’est pourquoi, à titre personnel, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce texte que la commission des affaires sociales a rejeté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux avant tout remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour du Sénat la proposition de loi de M. Savoldelli, car il a mené un travail très important et empreint de l’engagement fort que nous lui connaissons.
Nous partageons tous, me semble-t-il, un même constat : l’essor de l’économie des plateformes numériques de mise en relation des travailleurs avec les consommateurs est l’une des évolutions les plus importantes du marché du travail depuis une dizaine d’années. D’ailleurs, dans le cadre du confinement, cette évolution s’est révélée constituer un maillon à la fois important et fragile.
Aussi, la double crise, sanitaire et économique, que nous traversons pose avec une acuité renforcée la question des protections sociales et économiques dont ont besoin ces acteurs particulièrement exposés.
Nous partageons également, me semble-t-il, la volonté d’y répondre, mais – il faut le dire clairement, et cela ne vous étonnera pas – nous divergeons, monsieur Savoldelli, madame la rapporteure, quant aux voies et moyens pour y parvenir pleinement.
En effet, appréhender l’impact pluridimensionnel – économique, social et territorial – de cette évolution mondiale est d’autant plus complexe qu’il existe – vous le savez, vous l’avez partiellement rappelé – une grande variété de structures et une multiplicité d’acteurs aux aspirations très diverses. Cela a d’ailleurs été parfaitement souligné lors de l’examen de ce texte par votre commission des affaires sociales, mais aussi dans le rapport de la mission d’information conduite par Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat et M. Michel Forissier, rapporteur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que je salue à cette occasion.
Cette équation nouvelle traverse l’ensemble des pays, conduit à s’interroger sur leurs cadres juridiques établis et met de fait en exergue les limites que connaît la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la pérennité de l’activité économique des plateformes et des travailleurs indépendants et, d’autre part, la mise en place de garanties sociales robustes. Notre pays ne fait pas exception à la règle ; c’est d’ailleurs, d’une certaine façon, le sens du récent arrêt de la Cour de cassation.
L’enjeu n’est donc pas, comme vous le proposez au travers de ce texte, d’assimiler à des salariés une grande partie des travailleurs des plateformes numériques de mise en relation. Dans leur grande majorité, ces travailleurs ne souhaitent pas recevoir ce statut du salariat, car ils sont attachés à leur autonomie et à leur liberté.
L’enjeu est plutôt de créer une nouvelle voie qui permette de construire une économie des plateformes financièrement soutenable, techniquement innovante et socialement responsable. En d’autres termes, le développement pérenne de ces activités ne doit pas être synonyme de trappe à précarité ou de dumping social, mais doit constituer un vrai tremplin vers un emploi de qualité ; il doit être doté de garanties sociales solides et nouvelles.
Depuis 2016, le législateur s’efforce de construire la responsabilité sociale des plateformes en la ciblant sur celles d’entre elles qui fixent les prix et déterminent les conditions d’exécution des prestations. Des progrès importants ont été acquis pour ces travailleurs, que ce soit en matière de protection contre les accidents du travail, de formation, ou de droit à l’action collective.
Ainsi, l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 permet de renforcer le droit à la formation professionnelle des travailleurs des plateformes en définissant notamment des règles d’alimentation renforcée du compte personnel de formation. Je rappelle par ailleurs que cette loi a mis en place un socle d’obligations, parmi lesquelles le droit à la déconnexion et la transparence quant au prix des courses pour les plateformes électroniques de mise en relation avec des chauffeurs de VTC et des coursiers.
S’agissant des chartes homologuées par le ministère du travail, elles ont vocation à inciter les plateformes à être plus transparentes quant à leurs engagements sociaux, tout en leur laissant la possibilité d’aller plus loin.
Enfin, concernant le volet du dialogue social, les débats parlementaires ont fait clairement émerger la nécessité d’organiser une meilleure représentation des travailleurs ; je partage cette orientation. C’est un point déterminant : au-delà du socle des droits garantis par les dispositifs législatifs, l’émergence de droits nouveaux correspondant aux réelles aspirations de ces travailleurs ne pourra résulter que de l’organisation d’un dialogue social équilibré et durable. Cela suppose un nouveau modèle de représentation de ces travailleurs.
C’est précisément l’objet de l’ordonnance prévue à l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités. Dans la perspective de son élaboration, le Gouvernement a confié en janvier dernier une mission à M. Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, appuyé par un groupe d’experts.
La présente proposition de loi aborde l’ensemble des questions pertinentes au sujet de ces nouvelles formes d’emploi, tous les défis que nous devons relever pour favoriser une économie des plateformes à la fois créatrice d’emplois et socialement responsable : la gestion du temps de travail, la formation, la rémunération, les modalités de rupture des relations de travail et de représentation des travailleurs, la protection sociale et la transparence du fonctionnement à l’égard des travailleurs – sans oublier les algorithmes, une question que les auteurs du texte soulèvent à juste titre.
Nous sommes conscients que le cadre législatif actuel ne permet pas de répondre pleinement à l’ensemble de ces défis. Il faut donc aller plus loin et construire une réponse adaptée à chacun de ces enjeux. Malheureusement, il n’y a pas de solution unique, facile et uniforme qui réponde à l’ensemble des enjeux ; si une telle solution existait, gageons qu’elle aurait déjà été adoptée par l’ensemble des États, tous confrontés aux mêmes mutations.
De ce point de vue, même si je salue de nouveau le travail sérieux qui a conduit à l’élaboration de cette proposition de loi, un texte étayé, je ne puis pas adhérer à la solution proposée par ses auteurs : l’assimilation de ces travailleurs à des salariés. Ce n’est d’ailleurs pas, je le répète, ce que les intéressés souhaitent dans leur grande majorité.
Pour autant, nous n’entendons pas nous contenter du statu quo. Au contraire, le Gouvernement a décidé d’élargir le champ de la mission confiée à M. Frouin, afin qu’il prenne en compte l’ensemble de ces sujets. Il lui appartiendra dans les tout prochains mois de formuler des propositions sur chacune des problématiques posées par cette nouvelle forme d’emploi ; il pourra s’appuyer sur les débats de ce matin, et nous lui demanderons de vous consulter. Le fruit de ses travaux devra nous aider à construire ensemble un chemin certes étroit, mais possible pour renforcer de manière pérenne le socle des droits dont doivent bénéficier les travailleurs des plateformes, sans remettre fondamentalement en cause la souplesse apportée par le statut d’indépendant.
Au-delà de cette mission, inventer les meilleures réponses à ces préoccupations nouvelles nous impose, au Gouvernement et aux parlementaires, de nous nourrir de toutes les réflexions menées ces derniers mois, y compris dans le cadre du rapport d’information sénatorial auquel j’ai fait référence il y a quelques instants et du débat suscité ce matin par les auteurs de la proposition de loi. Je les invite d’ailleurs, s’ils le souhaitent, à continuer de contribuer aux travaux que nous mènerons sur ce sujet dans les prochains mois.
Enfin, parce que cette problématique dépasse le simple cadre national, nous continuons à la pousser à l’échelon européen. Ainsi, c’est sous l’impulsion de la France que la Commission européenne s’est engagée à préparer une initiative européenne pour établir des conditions de travail justes pour les travailleurs des plateformes et améliorer leur accès à la protection sociale. Cette initiative s’inscrit dans son programme de travail, ainsi que dans sa communication sur le plan de relance intitulée – en bon français – Repair and prepare for the next generation, parue la semaine dernière.
Au cours du second semestre de cette année, la Commission européenne mènera des consultations avec les acteurs concernés et les partenaires sociaux européens, afin d’instruire le sujet. Les priorités qu’elle a affirmées en matière de numérique, notamment dans sa communication de janvier dernier Une Europe sociale forte pour des transitions justes, permettent d’envisager l’adoption d’un nouveau cadre européen visant à garantir des conditions de travail décentes pour les travailleurs des plateformes numériques.
Pour ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, en dépit du travail sérieux qui a été mené, le Gouvernement vous invite à rejeter cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en proposant de renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques, les auteurs de la proposition de loi soumise à notre examen ce matin cherchent à combler une situation d’insécurité juridique à laquelle nous sommes, en tant que parlementaires, spécialement sensibles.
Ces dernières années, de nouvelles formes de travail se sont développées avec l’essor des nouvelles technologies de l’information, qui permettent la mise en relation de millions d’utilisateurs en temps réel. Les plateformes numériques ont en commun de servir d’intermédiaires entre travailleurs et clients, équilibrant l’offre et la demande au moyen d’algorithmes et ouvrant le champ de l’économie collaborative à l’échelle mondiale.
Actuellement, 200 000 personnes en France travaillent comme coursier, chauffeur de VTC ou pour la réalisation de microtâches, de façon indépendante et autonome. Bien qu’ils ne représentent que 1 % des actifs, ces travailleurs sont en forte croissance dans de multiples secteurs, comme l’hôtellerie, les transports, la banque ou le secteur juridique.
Les plateformes concurrencent l’offre traditionnelle de services, encadrée par un droit du travail plus protecteur, et offrent de nouvelles perspectives d’emploi à des personnes éloignées du marché du travail, essentiellement des jeunes, dans un contexte de chômage élevé.
Des difficultés d’interprétation juridique se posent lorsque ces travailleurs indépendants sont économiquement dépendants. De fait, au-delà de la simple fonction d’interface, certaines plateformes organisent le temps de travail, la rémunération et les conditions de mises en relation, hiérarchisant les contenus selon les utilisateurs. Le niveau d’intervention de ces plateformes et l’importance des revenus tirés de leur activité justifient l’attention que nous leur portons.
Les travailleurs dont nous parlons ne sont pas sans statut : travailleurs indépendants, ils bénéficient du régime de protection sociale propre à cette catégorie. C’est pourquoi je souscris à l’avis de l’inspection générale des affaires sociales : plutôt que de créer un statut ad hoc, il convient d’agir sur le terrain de la protection sociale.
La réflexion que nous menons actuellement devrait bénéficier à l’ensemble des indépendants, dont le régime de protection sociale n’est pas aussi complet que celui qui s’applique dans le cadre du salariat – pour avoir été longtemps avocat, je sais de quoi je parle… Les progrès qui ont été accomplis en la matière ne sont pas suffisants, y compris pour les nombreuses professions libérales ; certains médecins se plaignent actuellement de ne pas être bien couverts.
Je ne pense pas qu’il soit pertinent d’ajouter un nouveau niveau de complexité administrative, source d’insécurité juridique. En revanche, il paraît opportun d’offrir à ces travailleurs l’accès à une complémentaire santé et à une couverture des accidents du travail et maladies professionnelles, en particulier pour les plus exposés à ces risques. Comme la crise sanitaire l’a montré, les livreurs à vélo et chauffeurs de VTC sont en première ligne, alors qu’ils ne disposent d’aucun filet de sécurité leur permettant de se mettre à l’abri.
Il importe également de poser les conditions d’un dialogue entre les plateformes et les travailleurs autour des algorithmes utilisés, lorsqu’ils déterminent de façon importante les conditions de travail et de rémunération.
Il s’agit de trouver un juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et le besoin de protection, étant entendu qu’un statut trop rigide risquerait de limiter les opportunités d’emploi offertes à de nombreux travailleurs.
Faut-il aller vers une segmentation plus marquée du droit du travail ou, au contraire, une convergence des droits entre travailleurs salariés et indépendants au sein d’un droit de l’activité professionnelle ? La question reste ouverte.
Une réflexion globale sur le statut des travailleurs des plateformes numériques a été engagée par le Gouvernement. Mon groupe sera très attentif aux propositions qui seront formulées.
Composante à part entière de la révolution digitale, les plateformes collaboratives représentent un atout majeur pour l’avenir de notre économie. Leur développement est exponentiel : à l’avenir, comme l’a annoncé un article du New York Times, nous ne dirons plus à un ami où nous travaillons, mais sur quoi nous travaillons.
Tout changement est source de déséquilibres, d’incertitudes et de recherches. Prenons le temps de mener, avec le Gouvernement, les acteurs concernés et tous les groupes parlementaires, en particulier nos collègues qui connaissent bien ces sujets, une réflexion ouverte sur le droit des travailleurs des plateformes et, plus largement, sur les frontières entre professionnels et non-professionnels, ainsi qu’entre salariés et travailleurs indépendants.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier.
Mme Catherine Fournier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quelques années, les centres urbains ont vu émerger une nouvelle catégorie de travailleurs, spécialisés dans le service aux habitants recherchant une offre de transport ou de livraison personnalisée à coût très compétitif.
La vision de ces coursiers à vélo ou en voiture alerte sur ce nouveau modèle d’organisation du travail : dans quelles conditions ces intervenants exécutent-ils leurs missions, comment sont-ils dirigés et sur quels critères repose leur rémunération ?
Mes collègues Michel Forissier, Frédérique Puissat et moi-même nous sommes intéressés à ce dossier de manière plus générale : nous avons été chargés par la commission des affaires sociales d’une mission d’information sur le droit applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants.
Après six mois de travaux et plus de quarante auditions, nous avons rendu notre rapport la semaine dernière, certains que les plateformes numériques ne se résument pas à celles des livreurs et des coursiers. Nous y rappelons que l’apparition des plateformes numériques de mise en relation a donné une acuité nouvelle à la question, relativement classique, de la frontière entre salariat et travail indépendant.
Instaurer une présomption de non-salariat pour l’ensemble des travailleurs utilisant une plateforme conduirait à valider des stratégies de contournement du droit du travail, au détriment des travailleurs. À l’inverse, qualifier de salariés, par voie législative, des travailleurs qui demeurent libres d’organiser leur travail sans être soumis à un pouvoir de direction de la part de la plateforme poserait un certain nombre de problèmes juridiques. Au demeurant, le salariat n’apparaît pas comme une revendication majoritairement partagée par les travailleurs concernés.
Nous touchons là à un modèle de société décloisonnée réclamé par les nouvelles générations, qui y trouvent plus d’indépendance et de liberté. À charge pour nous d’étudier les moyens de protection sociale associés. En particulier, nous devons dépasser la question du statut et universaliser certains droits sociaux.
Mes collègues rapporteurs de la mission d’information et moi-même avons distingué quatre types de plateformes.
Premièrement, des plateformes de services organisés fournissent des prestations hors ligne standardisées, délivrées par des professionnels, notamment dans les secteurs de la conduite – Uber, Kapten, Bolt – et de la livraison de marchandises – Deliveroo, Uber Eats, Stuart.
Deuxièmement, des plateformes de placement ont pour objet la mise à disposition de travailleurs indépendants auprès d’entreprises pour des missions ponctuelles. Ces intermédiaires peuvent déterminer le prix des prestations, mais n’interviennent pas ou peu pour organiser les tâches, qui sont définies en amont.
Troisièmement, les plateformes dites de mise en relation entre des travailleurs indépendants et des clients sont des plateformes de free-lance, comme Malt, qui présentent des travailleurs indépendants qualifiés à des entreprises. Dans ce cas, la plateforme ne fixe pas le prix et n’interfère pas dans la négociation ; elle touche une commission évaluée sur la prestation fournie.
Quatrièmement, les plateformes de microtravail renvoient au développement de l’externalisation de tâches fortement fragmentées et à faible valeur ajoutée ; il s’agit notamment d’Amazon Mechanical Turk.
Compte tenu de ces fortes disparités entre plateformes, il ne s’agit pas, comme l’orateur précédent l’a expliqué, de créer un statut supplémentaire spécifique par rapport à un type de plateformes.
Ce nouveau modèle d’entreprise s’organise, se développe et contrôle ses échanges grâce à un seul outil : l’algorithme. Celui-ci, qu’on pourrait appeler le bras armé des plateformes, protégé, car relevant du secret industriel, est source d’une croissance d’activité maîtrisée avec un minimum d’intervenants humains dans la gestion interne – on parle de management algorithmique.
Faute de pouvoir agir sur l’algorithme, il nous reste à œuvrer sur les conditions de travail et la couverture sociale des travailleurs qui en dépendent.
L’écho médiatique laisse entendre que cette nouvelle organisation du travail est amenée à remplacer un modèle traditionnel fondé sur le contrat de travail. Si le nombre de ces travailleurs indépendants est, comme il a déjà été signalé, difficile à évaluer précisément, il semble raisonnable de penser que ce nouveau type de travailleurs représente moins de 1 % de la population active française, les coursiers comptant pour une part infime de ces 1 %. Il s’agit non pas de les négliger, mais de les replacer dans le contexte plus global.
Jusqu’à présent, le législateur n’a pas tranché : il a laissé les juges utiliser les outils disponibles et appliquer la conception classique du droit travail en vigueur, reposant sur le lien de subordination constitutif d’une relation salariée. Il appartient donc au législateur de créer un cadre juridique adapté aux nouveaux enjeux de ce secteur économique émergent.
Sur la base de ces réflexions, plusieurs raisons me conduisent à douter du contenu de la proposition de loi de mes collègues du groupe CRCE.
D’abord, l’intitulé du texte : il vise les « travailleurs », alors que les travailleurs en question sont majoritairement des travailleurs indépendants et nommés comme tels. Le débat est déjà orienté.
Ensuite, l’article 1er transforme la relation commerciale du travailleur indépendant de plateforme en un contrat relevant du droit du travail. Cette hypothèse, centrée sur les plateformes de services, est trop restrictive et fait fi de la diversité des plateformes numériques.
En outre, le texte induit une base horaire minimale, alors que nous sommes en présence, dans la plupart des cas, de contrats commerciaux, évalués à la prestation.
Enfin, il est repris, en lieu et place de la rupture de contrat, l’expression : « conditions de licenciement ».
Je reconnais bien évidemment que cette proposition de loi constitue une alerte et permet d’ouvrir un débat essentiel ; mais elle ne considère qu’une partie des travailleurs dont nous parlons et qu’une sorte de plateformes numériques.
Dans notre rapport, nous avons émis des propositions tendant davantage à élargir la protection sociale des travailleurs indépendants, sans requalifier la relation : transposer à ces travailleurs les dispositions du code du travail relatives à l’interdiction des discriminations à l’embauche ; créer un système de caisses de congés ; imposer aux plateformes un contrat collectif d’assurance complémentaire santé pour leurs travailleurs ; leur imposer aussi d’assurer les travailleurs contre le risque d’accident du travail et de garantir une formation obligatoire aux moins qualifiés ; enfin, explorer, dans certains secteurs, un régime d’autorisation préalable d’exercer.
Nous avons également insisté sur la nécessité d’encadrer les conditions de rupture et d’organiser un dialogue social conformément à l’ordonnance à paraître prévue à l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités.
Je salue l’initiative de mes collègues du CRCE, en particulier de M. Pascal Savoldelli. Nous avons des éléments de convergence, mais aussi de divergence, comme ce fut le cas aussi pour la proposition de loi du groupe socialiste et républicain. De fait, nous alimentons tous la réflexion et une meilleure connaissance du sujet.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte.
Madame la ministre, vous avez annoncé, le 5 mars dernier, le lancement d’une mission sur le statut des travailleurs de plateformes numériques. Au nom de mes collègues, je souhaite vivement que l’ensemble des débats et travaux parlementaires nourrissent cette vaste réflexion, comme vous venez de nous le proposer.
M. le président. La parole est à M. Michel Forissier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Forissier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quoique la commission des affaires sociales n’ait pas adopté cette proposition de loi, nous avons souhaité poursuivre le débat en séance.
Nous pouvons être collectivement fiers que le Sénat travaille, depuis maintenant deux ans, sur la situation des travailleurs indépendants des plateformes numériques, car le débat est à la fois social et économique : la protection des travailleurs de ce nouveau modèle économique mondial est une question d’accompagnement de la mutation socioéconomique pour éviter le piège de la précarité. Je remercie Mme la rapporteure de soutenir ce matin cette discussion si importante, afin que nous partagions nos réflexions.
La diversité des situations des travailleurs indépendants des plateformes numériques implique que le législateur réfléchisse au-delà de la simple requalification en contrat de travail.
Les travailleurs des plateformes exercent un travail indépendant, défini en opposition au salariat classique, mais une partie de ces indépendants, dont les profils sont très divers, ont pour point commun d’être dans la dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques. Cette situation m’inspire deux constats essentiels.
D’abord, le problème n’est pas statutaire. Les travailleurs des plateformes sont visibles partout, sauf dans les statistiques : il n’existe guère de recensement exhaustif, mais les chiffres des travaux menés vont de 100 000 à 200 000 personnes. Certains travailleurs indépendants des plateformes tirent de cette activité des revenus d’appoint, ayant parallèlement une activité principale salariée ou suivant des études ; d’autres sont des travailleurs permanents ; d’autres encore sont des free-lances, exerçant des activités pour les entreprises, souvent dans le domaine digital, avec des prestations très rentables.
Les travaux de l’Insee indiquent que 4 % de l’ensemble des indépendants sont économiquement dépendants d’un intermédiaire, qui n’est pas nécessairement une plateforme. Les profils des travailleurs des plateformes sont hétérogènes, allant de l’étudiant à vélo qui transporte des repas au chauffeur de VTC qui exerce cette activité à titre principal, en passant par le travailleur qualifié bien rémunéré et parfaitement autonome qui recourt à des plateformes pour trouver ses clients. Les plateformes numériques sont elles-mêmes des structures diverses – certaines sont des multinationales ; je vous fais grâce des détails, car vous les connaissez.
Proposer à ces travailleurs un statut à mi-chemin entre le salariat et le régime indépendant tout en introduisant de nouveaux droits sociaux n’est pas souhaitable : cette formule aurait des effets contraires aux objectifs visés, sans répondre aux aspirations de tous ces travailleurs.
Ensuite, les travailleurs indépendants ont un point commun : leur déficit de protection sociale.
Par hypothèse, les travailleurs indépendants des plateformes numériques bénéficient de la même couverture sociale que les ressortissants du régime général pour ce qui est de la santé et des prestations de la branche famille, décorrélées du statut. Toutefois, les indépendants ne relèvent pas du droit du travail et ne bénéficient pas des dispositions du code du travail, notamment de celles qui concernent le salaire minimal, les congés payés, l’encadrement ou la rupture du contrat de travail. La question de l’assurance vieillesse se pose aussi, en raison d’un effort contributif moins élevé.
Les travailleurs indépendants des plateformes numériques sont souvent désarmés face aux accidents et à la rupture de la relation de travail. La période que nous traversons, avec l’épidémie et ses conséquences sanitaires et économiques, rend plus que jamais visible le besoin de protection de certains d’entre eux, parfois dans des situations très fragiles. Les innovations dans la gestion de ce risque relèvent de notre compétence de législateur.
Néanmoins, le groupe Les Républicains ne votera pas en faveur de la proposition de loi, tout en remerciant ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir suscité ce débat : les problèmes sont bien posés, mais les solutions ne nous paraissent pas adaptées. Réfléchissons plutôt sur la base des seize propositions formulées dans le rapport d’information de Catherine Fournier, Frédérique Puissat et moi-même : elles sont de nature à apporter des solutions, sans modification importante au code du travail et sans reniement de notre modèle social.
J’ajoute que cette proposition de loi comporte des risques constitutionnels, dans la mesure où elle délègue à la négociation avec les utilisateurs des plateformes des pouvoirs que la Constitution attribue à la loi.
Nous sommes très attachés, vous le savez, à la participation des salariés ; de ce point de vue, les propositions en matière de dialogue social me paraissent très constructives ! (Mmes Frédérique Puissat, Catherine Fournier et M. Jérôme Bignon applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question du statut des travailleurs de plateformes numériques est malheureusement destinée à nous occuper longtemps ; elle est symptomatique d’une forme de capitulation à tous les niveaux, y compris à l’échelon politique.
Une réalité sociale et économique se déploie : elle correspond à un modèle alternatif à celui qui fonde notre pacte social. Ce nouveau modèle est très « ancien monde », puisqu’il obéit à des logiques d’asservissement par la misère et l’exploitation. Il s’impose de nouveau, sans être pour autant ni explicité ni soumis à validation démocratique. Le sort fait aux travailleurs des plateformes numériques est une manifestation de ce glissement, qui menace de virer en dégringolade.
Le clinquant de technologies sophistiquées sert – difficilement – de voile à la réinstallation de logiques passéistes, que les luttes sociales nous avaient permis de dépasser. Nous renouons avec le tâcheronnage ! Malheureusement, ici comme ailleurs, les systèmes destructeurs reprennent force et repartent à l’offensive à la moindre faiblesse comme à la moindre négligence…
Nadine Grelet-Certenais, Olivier Jacquin et moi-même avons défendu dans cet hémicycle une proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques. Affinée en séance, elle avait pour objet de rappeler les vertus aujourd’hui indépassées du salariat. Il s’agissait d’en imposer le recours au profit de travailleurs victimes de donneurs d’ordre qui tirent profit des angles morts de notre législation et d’un rapport de force extraordinairement déséquilibré.
Nous avions promu les solutions prévues par le code du travail, en réhabilitant le contrat de travail et en soutenant le recours aux coopératives d’activité et d’emploi. En particulier, la valorisation du coopérativisme, un mouvement dont il faut soutenir le développement dans le cadre d’une indispensable économie sociale et solidaire, est un enjeu clé.
Ce recours à l’existant, fruit de luttes sociales qui ont garanti à notre pays un haut niveau de protection sociale, nous semble une solution valide, différente de celle qui est prévue par la présente proposition de loi. Si nous saluons la sincérité de l’engagement des auteurs de celle-ci, ainsi que leur volonté d’explorer des pistes en faveur des travailleurs des plateformes numériques, l’ajout d’un nouveau livre au code du travail ne nous semble pas répondre aux enjeux posés. De fait, le texte propose l’invention d’un statut de travailleur en pointillé, une sorte de page blanche, travailleurs et plateformes demeurant dans une confrontation duale, extrêmement déséquilibrée.
Le renvoi à la négociation syndicale, un des piliers de la proposition de loi, est en soi une démarche intéressante, mais il faut relever l’absence de réelle dimension de coercition. Le dialogue social est un enjeu clé de la démocratie sociale, mais il n’est pas suffisant en tant que tel : il lui faut un cadre protecteur, d’autant plus que les travailleurs de plateformes sont membres d’une profession habituée à un très fort turnover, ce qui est une difficulté supplémentaire.
Si elle comporte des points très intéressants, la proposition de loi nous paraît, par d’autres aspects, affaiblir la puissance encadrante de la loi ; je ne suis pas convaincue que ce soit ce dont nous ayons besoin en ce moment…
À notre sens, elle ne va pas suffisamment à la reconquête du terrain perdu pour les droits des travailleurs, au moment même où, en France et dans le reste du monde, les décisions de justice touchant aux travailleurs de plateformes tendent à réhabiliter le salariat. Ainsi, la Cour de cassation a requalifié en contrat de travail la relation contractuelle entre la société Uber et un chauffeur, au mois de mars dernier.
Au vu de cet arrêt historique et alors que certains pays ont le courage de réintégrer ces travailleurs dans le salariat traditionnel, les auteurs de la proposition de loi s’arrêtent au milieu du gué – sans mauvais jeu de mots. En effet, on laisserait aux personnes le soin de concéder ou d’obtenir d’hypothétiques avancées sociales, sans que la puissance publique puisse suffisamment jouer son rôle de garante.
En fait, j’ai l’impression que ce que nous essayons tous de proposer relève d’une forme d’impuissance devant un phénomène massif et qui s’étend aujourd’hui à de nombreux secteurs. Pourtant, le droit du travail n’a pas à se soumettre aux logiques économiques : il doit au contraire s’imposer à elles et les façonner !
Les plateformes dont nous parlons ne sont pas, à ce jour, économiquement viables. Davantage encore que sur des algorithmes innovants, elles ont bâti leur modèle économique sur leur capacité à contourner, voire à ignorer, le droit du travail – c’est le sens des actuelles décisions de justice.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi et l’ensemble des débats sur les travailleurs de plateformes montrent singulièrement que nous devons repenser la place de la valeur travail dans notre société : le travail doit servir les travailleurs et permettre leur émancipation, une émancipation dont nous sommes actuellement très loin…
Nous nous abstiendrons sur ce texte, dans un esprit tout à fait constructif ; nous allons continuer à travailler ensemble, jusqu’à trouver la façon de proposer une réelle évolution à des travailleurs qui ne peuvent plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues du groupe CRCE de cette proposition de loi.
Les nouveaux modèles économiques et leurs conséquences doivent nous conduire à nous interroger. À cet égard, la prudence et l’alerte de mes collègues du CRCE sur l’évolution de ces métiers doivent être entendues. Oui, quand ubérisation devient synonyme de précarisation, nous devons nous sentir interpellés et agir !
Alors que la technologie avance vite, les réponses liées à ces nouvelles formes d’emploi sont à la traîne. La loi tente bien de s’adapter, mais il est difficile de trouver la bonne formule du premier coup.
Aujourd’hui, les plateformes sont partout et offrent de multiples mises en relation pour tous types de services, marchands ou non. Celles qui font débat mettent en relation des travailleurs dits indépendants et des clients : en d’autres termes, une rencontre entre une offre et une demande – le marché pur et simple. Les plateformes de ce genre existent principalement dans les domaines du transport de personnes, de la livraison de repas ou de marchandises, des services à la personne et de petits emplois : la seule limite est la créativité des concepteurs…
S’agissant des rapports entre les travailleurs et les plateformes, le droit a aussi son mot à dire. Deux décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation, du 28 décembre 2018 et du 4 mars 2020, ont requalifié en contrat de travail le lien entre une plateforme numérique et un travailleur indépendant. Dans la décision de cette année, la Cour de cassation a même qualifié de « fictif » le statut d’indépendant du plaignant, soulevant de nombreuses interrogations, y compris de votre part, madame la ministre : dès le lendemain, vous avez annoncé la création d’une mission conjointe avec le ministre de l’économie et des finances sur les travailleurs des plateformes numériques, leurs droits et leurs protections.
Certains manques ont servi de base à la chambre sociale de la Cour de cassation dans les deux arrêts que je viens de citer. Ainsi, du fait de leur statut d’autoentrepreneur, les travailleurs des plateformes numériques ne bénéficient d’aucune protection sociale ; en cas d’accident du travail, pas de protection digne. Les assurances proposées par les plateformes sont souvent insuffisantes, quand elles ne sont pas complètement inopérantes : l’une n’assure pas le torse des livreurs à vélo, l’autre pas les viscères d’un livreur qui, accidenté lors d’une livraison, a vu son abdomen perforé…
Voilà pourquoi il est urgent de travailler sur cette question et d’offrir à ces travailleurs de vraies protections.
La technologie a évolué plus vite que notre droit. Il existe une zone de vide juridique entre le statut de salarié et le statut d’indépendant. Les travailleurs des plateformes se trouvant dans cette zone, c’est la raison pour laquelle nous devons mieux les protéger.
La proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE prévoit ainsi de créer un statut pour l’ensemble de ces travailleurs. Si l’objectif est louable, il convient néanmoins de s’interroger sur la pertinence de créer une nouvelle forme de contrat de travail applicable aux travailleurs de certaines plateformes numériques.
Ces travailleurs forment un public disparate : certains indépendants sont tout à fait à l’aise avec les conditions d’exercice imposées par les plateformes et s’adaptent à ce modèle. Ceux-là n’aspirent pas nécessairement à être dotés d’un statut qu’ils pourraient juger trop strict au regard de la flexibilité que leur offre leur qualité d’indépendants. D’autres – les plus précaires –, ceux qui exercent cette activité afin d’en tirer un complément de revenus ou sur des périodes plus courtes, souhaiteraient davantage de protection sociale, notamment en matière de droits au chômage et à la santé ou de congés payés. Le statut proposé s’adresse à eux en priorité.
Toutefois, la question du statut ne fait pas consensus. Des convergences existent par ailleurs – et c’est heureux – sur la nécessité de mettre en place un filet de sécurité commun qui s’adresserait tant aux plus précaires qu’aux indépendants pouvant connaître des accidents de parcours.
Je salue à mon tour le rapport d’information de mes collègues Mmes Fournier et Puissat et M. Forissier sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants. Ce rapport met en exergue le nombre de « trappes à précarité » qui verront le jour si le modèle applicable aux travailleurs des plateformes numériques n’évolue pas.
Sans aller jusqu’à la création d’un statut, ce rapport comporte quatorze recommandations qui permettent d’améliorer les protections des travailleurs et leurs relations avec les plateformes, notamment en matière de dialogue social.
Il faut agir vite, car le futur s’écrit déjà. Quand la voiture autonome sera mise au point, lorsque nos livraisons de repas et de biens pourront se faire de manière automatisée, que deviendront les femmes et les hommes qui aujourd’hui sont chargés de nous transporter et de livrer nos commandes ? Quelles garanties de formation, de reclassement, d’évolution professionnelle ou de réorientation pourront leur être proposées ? Comment accompagner ces travailleurs, pour les sortir de ces « trappes à précarité », et leur permettre de ne pas dépendre uniquement d’un modèle économique qui, à terme, se retournera contre eux ?
Mes chers collègues, permettez-moi, en conclusion, d’insister : si cette proposition de loi pose les bonnes questions, elle n’apporte pas la meilleure réponse. C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe du RDSE s’abstiendront. Pour autant, ce texte est une contribution importante, et j’espère que le Gouvernement saura entendre certains arguments qui sont présentés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sort des travailleurs indépendants des plateformes numériques aura fait l’objet de plusieurs initiatives parlementaires ces derniers mois au Sénat.
La crise sanitaire de la Covid-19 n’a fait que renforcer la nécessité pour la commission des affaires sociales de se pencher sur la situation de ces travailleurs bien souvent désarmés face aux accidents et au fonctionnement des algorithmes des plateformes.
Les derniers travaux en date sont le fruit de la réflexion d’une mission d’information relative au droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, qui a rendu officiellement ses conclusions le 20 mai. Le rapport rédigé par mes collègues Forissier, Fournier et Puissat liste une série de quatorze recommandations pour améliorer la situation des travailleurs des plateformes économiques, prenant ainsi en compte la diversité des situations.
La plupart des recommandations consistent à étendre, dans la droite ligne des précédentes lois en la matière, notamment la loi d’orientation des mobilités, le bénéfice des garanties qu’offre le code du travail. Au total, entre 100 000 et 200 000 personnes seraient concernées.
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un texte déposé par le groupe CRCE au mois de septembre. Nous ne saurions débattre d’une proposition de loi relative aux droits sociaux des travailleurs numériques sans rappeler le contexte dans lequel ces derniers évoluent.
Les travailleurs des plateformes représentent environ 0,8 % de la population active. Ils se répartissent entre trois catégories de travailleurs : les travailleurs, par ailleurs salariés, qui utilisent les plateformes afin de compléter leurs revenus ; les travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes comme forme d’activité exclusive – le rapport d’information fait état de travaux de l’Insee selon lesquelles 4 % des indépendants, soit 0,5 % de la population active occupée, sont économiquement dépendants d’un intermédiaire, qu’il s’agisse ou non d’une plateforme ; enfin, les travailleurs indépendants hautement qualifiés qui souhaitent bénéficier de davantage de flexibilité en se tournant vers un intermédiaire numérique, comme les free-lances, dont le principal atout est la simplification des démarches administratives.
Les récentes lois ont permis d’instituer une responsabilité sociale des plateformes au bénéfice des travailleurs indépendants, mais également d’approfondir cette démarche de régulation de la relation entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants – je pense à la prise en charge, plafonnée par décret, de la cotisation du travailleur pour une assurance couvrant le risque d’accident du travail, au droit d’accès à la formation professionnelle continue et au bénéfice de la validation des acquis de l’expérience, aux droits collectifs tels que la protection des travailleurs participant à des mouvements en vue de la défense de leurs revendications professionnelles, ou encore à la faculté, pour les travailleurs visés, de constituer une organisation syndicale.
Ces avancées ne sont qu’un début dans la régulation des relations avec les plateformes numériques, dont la nouveauté met en question les catégories juridiques existantes et implique une réflexion approfondie. Cet encadrement des relations est actuellement renforcé, mais nous devons garder à l’esprit l’objectif de concilier l’indépendance de ces travailleurs, le modèle économique des plateformes et la protection des droits sociaux.
Si elle souligne certains problèmes, la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, coécrite par les sénateurs Pascal Savoldelli et Fabien Gay, n’en résout pas l’ensemble, tant s’en faut. Ainsi, elle prévoit un statut pour ces travailleurs à mi-chemin entre le salariat et le régime indépendant et introduit de nouveaux droits sociaux. Ce statut intermédiaire n’est pas souhaitable, car il entraînerait des effets contraires aux objectifs visés.
Pour autant, cette proposition de loi soulève des éléments très importants : la représentation des travailleurs numériques et les algorithmes. Cela peut paraître un peu abstrait pour certains d’entre nous, mais l’objectif des plateformes est de constituer un intermédiaire dont le rôle est de créer de la valeur en facilitant des transactions au moyen d’algorithmes de recherche, d’appariement, de paiement, etc., qui lui sont propres.
Si les algorithmes ont un rôle déterminant dans le fonctionnement des plateformes, ils rendent également celles-ci plus opaques. Ils peuvent, par exemple, entraîner certaines discriminations, tarifaires entre autres, que nous devons prendre en compte, afin que les travailleurs du numérique puissent disposer de toutes les clés de compréhension et travailler en toute connaissance de cause avec ces intermédiaires que constituent les plateformes.
C’est pourquoi le Premier ministre a confié, le 14 janvier dernier, à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, une mission visant à définir les différents scénarios envisageables pour construire un cadre permettant la représentation des travailleurs des plateformes numériques. Cette mission est chargée de préparer l’ordonnance prévue par l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, ordonnance qui doit déterminer les modalités de la représentation de ces 200 000 travailleurs de plateformes.
Comme vous venez de l’annoncer, madame la ministre, le périmètre de cette mission sera élargi. Elle posera la question non seulement de la représentation des travailleurs du numérique, mais aussi de la transparence des modes de fonctionnement des plateformes, autrement dit les algorithmes, et d’autres compétences économiques, numériques et juridiques. L’objectif reste inchangé : renforcer le droit de ces 200 000 Français. Il est donc indispensable d’en attendre les résultats.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les réponses présentées dans cette proposition de loi ouvrent des pistes. Nous en remercions les auteurs, mais ces pistes ne répondent pas aux vastes problèmes posés par le développement de l’économie des plateformes numériques. Pour cette raison, le groupe La République En Marche votera contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mon ami et collègue Pascal Savoldelli, avec qui j’ai travaillé pendant deux ans à cette proposition de loi, de sa pugnacité à mener ce combat aux côtés des travailleuses et travailleurs des plateformes numériques.
Je remercie ensuite toutes celles et tous ceux que nous avons rencontrés, ainsi que Mme la rapporteure, Cathy Apourceau-Poly, de la qualité de son rapport et des auditions menées, qui nous ont permis d’enrichir ce travail.
Je remercie enfin mes collègues Fournier, Puissat et Forissier de la qualité de leur rapport. Même si nous ne partageons pas les préconisations formulées, le rapport dresse un état des lieux largement partagé.
Le modèle en cause se répand à tous les secteurs de la société, souvent au détriment des travailleuses et travailleurs les plus précaires, comme les aides ménagères, mais aussi des entreprises vertueuses.
Au cours du travail d’élaboration du texte, Pascal Savoldelli et moi-même avons été bousculés par nos rencontres avec les livreuses et les livreurs, car il s’agissait parfois de jeunes hostiles au salariat, dégoûtés par leur expérience et par celle de leurs parents, maltraités par un management avilissant, et, en conséquence, à la recherche d’une grande autonomie de travail et d’une sortie de la précarité.
Au départ, ils ont été séduits, parfois, par la liberté vantée par les plateformes. Mais où est la liberté lorsqu’on travaille sept jours sur sept et dix heures par jour pour moins que le SMIC horaire ?
En détournant le statut d’autoentrepreneur en salariat déguisé pour échapper à leurs obligations en termes de salaire et de protection sociale, Uber, Deliveroo et toutes ces grandes plateformes ne proposent en réalité qu’un horizon : la liberté d’exploiter. Les maîtres de forges ont été remplacés par un iPhone avec une application et des algorithmes, mais la réalité est la même : ce sont les nouveaux forçats du travail.
Si Victor Hugo devait réécrire Les Misérables aujourd’hui, assurément Cosette livrerait des repas à vélo, les Thénardier seraient l’une de ces grandes multinationales, et je ne sais pas encore qui tiendrait le rôle de Javert, madame la ministre, tant nous tardons à légiférer pour faire respecter le droit du travail. (Sourires.)
C’est pourquoi nous avons construit cette proposition de loi autour de l’assimilation de ces travailleurs au statut de salarié tout en leur ménageant une large autonomie. Contrairement à ce que vous avez dit, madame la ministre, un sondage réalisé par le CLAP montre que 66 % des livreuses et livreurs soutiennent la proposition de loi que Pascal Savoldelli, l’ensemble des membres du groupe CRCE et moi-même défendons.
Le droit social donc, ni plus ni moins, mais d’une part, en prévoyant des adaptations pour que les travailleurs puissent mobiliser les droits imaginés dans un contexte industriel qui a évolué et, d’autre part, en permettant de rendre efficiente une véritable autonomie, existante en droit du travail, mais qui s’est délitée.
L’objectif n’est pas d’accompagner ou d’adapter l’ubérisation de la société, ni de créer pour les travailleurs des plateformes un troisième statut d’indépendants économiquement dépendants.
Les plateformes visées sont les plateformes de travail, celles qui font semblant d’être des plateformes de mise en relation entre des indépendants et des clients, mais qui, en réalité, font tout autre chose : elles adoptent cette posture d’intermédiaire pour nier l’exercice sur les travailleurs d’un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction qui supposerait l’application de la législation sociale.
En cette période de crise sanitaire, cela n’a rien d’anodin, notamment du point de vue de la sécurité des travailleurs, puisque ces plateformes ne sont soumises à aucune obligation de sécurité les obligeant à tout faire pour éviter la contamination et à aucune obligation de payer des masques et du gel. Ces travailleurs ont donc pris des risques pour leur santé en travaillant sans matériel de protection, et ils ont été obligés d’improviser eux-mêmes des règles.
Or ces plateformes ne sont pas neutres dans la prestation réalisée. Au contraire, comme en témoigne le récent arrêt Uber rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, ces plateformes organisent et encadrent l’activité des travailleurs. Les prescriptions des contremaîtres ont simplement été remplacées par celle des algorithmes, traduction informatique des directives patronales. Cela n’est pas acceptable ! Ces travailleurs doivent pouvoir jouir des droits qui sont les leurs. Ils doivent bénéficier du droit du travail et de la protection sociale.
Soyons clairs : les véritables indépendants qui recourent à de véritables plateformes de mise en relation ne nous posent aucun problème, au contraire. On ne peut que se féliciter qu’un ébéniste ou un sculpteur puissent élargir leur base de clientèle au moyen d’un profil sur une plateforme de mise en relation pour leurs productions. Il n’est pas question de les transformer en salariés.
En revanche, nous voulons lutter contre les faux indépendants, ceux qui ne disposent pas de leur propre clientèle, qui ne peuvent déterminer ni leurs propres tarifs ni leurs propres conditions de travail et d’organisation, et qui voient au contraire leur activité complètement encadrée et maîtrisée par la plateforme.
Ce texte a vocation à permettre l’application effective du droit social, la mobilisation des travailleurs, mais aussi à lutter contre la dégradation du salariat en garantissant une réelle écoute, une véritable émancipation collective.
Nous ne voulons pas laisser les plateformes galvauder et paupériser l’entrepreneuriat. Nous ne voulons pas que la nouveauté d’accès à un service serve de prétexte à certaines entreprises pour faire de la concurrence déloyale à nos entreprises vertueuses, au détriment des plus précaires.
La mutation de l’économie, qui accroît la dépendance des travailleurs comme des entreprises à ces plateformes dont le modèle économique repose sur le non-respect des règles sociales et fiscales, doit nous conduire à nous interroger, car les entrepreneurs sont aussi concernés. Ils nous ont tous indiqué qu’ils avaient constaté, certes, une hausse d’activité, mais aussi une dépendance accrue à la plateforme, ainsi que de nouvelles contraintes de priorisation de commandes et de prix. Certains ont fait le choix de passer par des organismes respectueux des entrepreneurs comme des travailleurs.
N’oublions pas que la livraison est un service, mais surtout un vrai travail. Elle se fait au prix de la sueur du travailleur. Il est donc normal, comme le disait très justement un restaurateur, de payer le prix de la flemme.
En posant le débat sur une petite partie des 30 millions d’actifs, c’est sur notre organisation du travail et ses transformations dans leur ensemble que nous nous interrogeons. En attendant l’avènement d’une société égalitaire où chaque individu pourra s’épanouir dans son travail, en continuant d’encourager les coopératives de livreurs, comme à Bordeaux, nous proposons de poser une première pierre à l’édifice en accordant un statut et des droits à celles et ceux qui n’en ont pas.
Mes chers collègues, une convergence doit s’opérer pour voter en faveur de ce texte d’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat.
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui par les membres du groupe CRCE fait suite à plusieurs travaux sur ce qu’il est coutume d’appeler les « travailleurs des plateformes ». Sans chercher à être exhaustive, j’en citerai quelques-uns qui ont déjà été rappelés par des orateurs précédents : la loi Travail de 2016, qui a créé au sein de la septième partie du code du travail un chapitre dédié aux travailleurs des plateformes ; la loi d’orientation des mobilités, ou LOM, de 2019, qui a contribué à lui donner de la substance ; la proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, déposée par Monique Lubin, il y a quelques mois de cela ; et le travail, évoqué par de nombreux orateurs, que nous avons conduit avec mes collègues Michel Forissier et Catherine Fournier et qui a été publié le 20 mai dernier.
Nous attendons aussi avec impatience, madame la ministre, le résultat de la mission Frouin. Comme l’ont dit Michel Forissier et Catherine Fournier, nous nous tenons à la disposition de M. Frouin, car nous avons des choses à dire en la matière. Cette mission, dont les travaux portaient d’abord sur la représentation des travailleurs des plateformes, a ensuite été étendue à la question du statut des travailleurs.
Autant de textes qui ont le mérite d’aborder un sujet effectif : l’histoire des plateformes. Si l’importance de ce sujet est sans commune mesure avec sa visibilité médiatique, puisqu’il ne concerne que 100 000 à 200 000 travailleurs, nous devons tenir compte de ces personnes.
Chaque texte contribuera à faire bouger les lignes. Cette proposition de loi est une initiative intéressante qui nous rassemble sur l’intérêt du sujet, mais malheureusement pas forcément sur le vote que nous allons lui réserver, même si elle comporte certains aspects que nous avons pu approfondir avec la rapporteure au cours notamment d’auditions toujours très enrichissantes.
Dans son article 1er, la présente proposition de loi introduit un nouveau livre dans le code du travail consacré aux travailleurs des plateformes et prévoit qu’au statut d’autoentrepreneur et d’indépendant peu se substituer un CDI ou un CDD dont le temps de travail et la rémunération donneraient lieu à une négociation annuelle.
Rappelons, tout d’abord, que la multiplicité des plateformes, même si ce texte en limite la portée, comme l’absence de statistiques ou leur faible épaisseur du fait d’un turnover important, ne permettent pas d’affirmer que cette transformation est souhaitée par les utilisateurs, ni même que les plateformes la supporteraient économiquement.
En audition, la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE) a rappelé que, globalement, les utilisateurs des plateformes n’étaient qu’une courte majorité à souhaiter changer de statut. Un sondage réalisé par la FNAE montrait qu’ils n’étaient que 20 %.
Par ailleurs, sur le fond, ce contrat que l’on peut qualifier d’elliptique suscite de fortes inquiétudes de la DG. En effet, en matière de conclusion du contrat, d’horaires et de rémunération, ce texte renvoie à la négociation collective. En substituant celle-ci au législateur, il prend le risque d’une possible violation de l’article 34 de la Constitution qui délimite le domaine de la loi.
L’article 2 de la présente proposition de loi étend le droit à l’assurance chômage, dont l’intérêt est indéniable, mais sans en préciser le financement et en prenant en compte des périodes d’activité qui peuvent paraître complexes à atteindre.
Rappelons qu’au contact de la réalité l’assurance chômage universelle promise par le Gouvernement s’est transformée en une mesure nettement moins ambitieuse via l’Unédic. Or en la matière ce texte n’apporte aucune clarté. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Le débat sur les algorithmes introduit par l’article 3 est d’importance. Une mathématicienne américaine de renom pensait les algorithmes comme une bombe à retardement. En ce sens, l’intention des auteurs de la proposition de loi est louable, car ce texte permettrait aux représentants de travailleurs de demander des explications sur des modifications d’algorithme concernant l’organisation et les conditions de travail, et les aiderait à solliciter le recours à un expert spécialiste en algorithmes dont les frais seraient à la charge de la plateforme.
Malgré sa clarté, la proposition de loi n’en demeure pas moins complexe à mettre en œuvre, car sa déclinaison se heurte à deux difficultés.
Comme l’a rappelé Catherine Fournier, la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, ou directive Secret des affaires, de 2016, inclut les algorithmes parmi les savoir-faire susceptibles d’être protégés au titre de secrets industriels essentiels de l’entreprise. La divulgation d’un algorithme peut donc contrevenir au secret des affaires.
Par ailleurs, force est de constater que l’identification et le recensement des experts spécialistes relèvent de la gageure. Qui sont-ils ? Combien coûtent-ils ? Ont-ils une connaissance spécifique des algorithmes et du droit du travail ? Pourront-ils suivre les évolutions constantes ? Autant de questions auxquelles nous n’avons pas obtenu de réponse au cours des auditions et qui mettent à mal l’efficience du dispositif proposé.
Ce texte, vous l’avez dit, madame la rapporteure, est une proposition de loi d’appel. Il va nous permettre d’aborder un sujet d’importance. Mes collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et moi-même préconisons pour notre part de sortir du principe de requalification et de la question du statut pour universaliser certains droits sociaux qui sont d’importance.
Cette proposition de loi ne se situant pas dans cette lignée, nous ne pourrons pas répondre favorablement à votre appel, mais le débat est toujours important. S’il convient de lutter contre les précarités, il ne faut pas brider, notamment en cette période, les leviers accélérateurs de l’activité que sont certaines plateformes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier mes collègues de nous permettre d’approfondir ce débat sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs des plateformes.
Monique Lubin a exposé ce qui nous différenciait de cette proposition de nos camarades ; je n’y reviens pas. Lors la discussion, en janvier dernier, de la proposition de loi d’appel, nous avons défendu l’idée, alors trop mal connue, de la coopérative d’activités et d’emploi (CAE). Je vous renvoie sur ce point à l’excellent rapport de Jérôme Giusti et Thomas Thévenoud pour la Fondation Jean-Jaurès.
La CAE offre la possibilité du statut original d’entrepreneur salarié associé. Celui-ci a été inventé en 2014 pour répondre aux besoins de l’économie collaborative et des plateformes, pour contrer les excès de l’autoentrepreneuriat et pour offrir de l’autonomie et des droits sociaux aux salariés. En regroupant les entrepreneurs salariés, la CAE répond au besoin de représentation, et cela, comme l’a rappelé Monique Lubin, sans nécessiter d’aménagement du code du travail existant.
Ma collègue et moi-même notons avec satisfaction que notre proposition a fait progresser et évoluer la réflexion de nombreux acteurs, à commencer par nos collègues de la majorité sénatoriale, puisque cette solution fait partie des recommandations de leur rapport paru il y a quelques jours.
Je souhaite poursuivre dans la même veine, en proposant une idée nouvelle de régulation sous un angle totalement différent, et jamais abordée dans les travaux parlementaires, qui consiste à adapter le devoir de vigilance à cette problématique.
Ce devoir existe en droit depuis la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre de 2017, adoptée sur l’initiative de mon collègue député Dominique Potier. Pour tenter la recevabilité et vous présenter l’idée, nous l’avons restreint à certains modèles de plateformes numériques. Dans son principe, le devoir de vigilance mériterait toutefois d’être élargi à l’ensemble du champ de l’économie, dès lors que les modèles économiques peuvent légitimer la présence de travailleurs indépendants.
Avec les dérégulations spécieuses que nous connaissons depuis quelques décennies, un donneur d’ordre qui respecte la loi peut malgré lui créer les situations indécentes que nous dénonçons, particulièrement en utilisant le sous-statut d’autoentrepreneur dénoncé dans le récent rapport précité.
L’exemple le plus flagrant de cette déresponsabilisation des donneurs d’ordre était excellemment rapporté par le journal Libération lundi soir. L’article dressait le portrait d’un migrant récemment arrivé qui n’était pas payé depuis deux mois. Le travailleur pensait travailler pour la plateforme Frichti alors qu’il travaillait en fait pour un sous-traitant. Or la plateforme affirme ne connaître ni ce sous-traitant ni ce travailleur. Comment est-ce possible ? Vous le constatez, nous proposons un nouvel angle d’attaque pour lutter contre le cyber-précariat et la dictature de l’algorithme.
Je remercie mes collègues du groupe CRCE de nous offrir l’opportunité de débattre et de chercher des solutions à ce cancer qu’est l’ubérisation du travail. Monique Lubin a indiqué notre position de fond à ce sujet.
Madame la ministre, le confinement a mis en évidence la détresse de nombreux travailleurs surexploités, indépendants fictifs, exposés aux risques de la route et au Covid-19, et ne disposant pas de droits suffisants lorsque l’activité cesse. J’ai déjà eu l’occasion de demander qu’on leur accorde une protection comme s’ils étaient salariés.
Plusieurs orateurs précédents ont rappelé l’arrêt du 4 mars de la Cour de cassation, qui confirme le lien de subordination chez Uber, et donc le caractère fictif, madame la ministre, du statut d’indépendant des travailleurs. Nombre de recours sont d’ailleurs en cours d’instruction, et encore davantage sont déposés. Mais une requalification demande des années, et il faut avoir le goût et les moyens de la procédure. C’est à vous d’agir ! J’en appelle à votre raison.
Par deux fois, sur la saisine des groupes de gauche du Parlement, le Conseil constitutionnel a censuré les tentatives gouvernementales d’instauration d’un tiers statut et de chartes, qui visent à protéger davantage les plateformes que les travailleurs.
À vous écouter, je constate que vous souhaitez poursuivre dans cette direction malgré les décisions constantes des juridictions, dont la Cour de cassation. Madame la ministre, faites cesser la politique du fait accompli ! Nous devons lutter contre l’indécence du travail qui rend pauvre, et nous défendre des plateformes, cheval de Troie qui menace notre modèle social.
Mes chers collègues, profitons de l’occasion de ce débat pour dire non aux chartes et aux bricolages gouvernementaux, pour dire non à l’ubérisation du travail.
Je terminerai en citant le fondateur de la CAE québécoise, Eva, qui, avec son bel accent, nous disait dans une récente réunion en téléconférence que « l’économie collaborative qui existe doit être socialisée et solidarisée ». (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la révolution numérique que nous expérimentons tous est le catalyseur de nouvelles activités professionnelles. Le numérique a des effets indéniablement importants sur le monde du travail. La dématérialisation des entreprises de services et l’indépendance accrue des travailleurs se heurtent aux formes de travail traditionnel.
Ces deux aspects soulèvent la question de l’évolution de la protection des droits des travailleurs au sein de ce nouveau modèle. Derrière le terme vague « ubérisation » se profile une nouvelle configuration du statut de salarié. Cette forme inédite d’emploi questionne certains acquis de notre droit du travail.
La liberté octroyée aux travailleurs des plateformes du numérique est parfois un moyen de contourner les structures de protection salariale. En effet, le travailleur, bien que déclaré autoentrepreneur, reste au service d’une structure numérisée. S’il ne faut pas extrapoler la place des travailleurs numériques dans notre économie, il convient de rappeler que ces derniers représentent 1 % du bassin d’emploi total.
Les travailleurs des plateformes du numérique évoluent dans un cadre légal inapproprié. En effet, le code du travail ne reconnaît que deux statuts de travailleur : salarié et travailleur indépendant. Seuls les salariés bénéficient du régime général de la sécurité sociale et de l’assurance chômage. Dès lors, les travailleurs des plateformes du numérique sont exposés à la précarité et ne sont pas en mesure de renégocier leurs conditions de travail.
Pour autant, cette prétendue exploitation d’une intensité digne du siècle dernier est-elle systématique du mode de fonctionnement de ces plateformes ? Doit-on soumettre ces entreprises à un régime spécifique extrêmement rigoureux, quitte à les fragiliser ? Il me semblerait plus convenable de faire preuve de raison : la révolution numérique, bien qu’elle ébranle notre conception actuelle du monde du travail, est aussi le terreau et l’incubateur de multiples projets qui enrichissent notre économie. Soyons clairs : certaines plateformes internationales disposent de moyens financiers suffisants pour absorber de nouvelles contraintes, mais ce n’est pas le cas d’autres structures, notamment les jeunes entreprises innovantes françaises, souvent plus vertueuses.
Plus encore, les plateformes du numérique sont une véritable porte d’entrée sur le marché du travail pour les travailleurs peu qualifiés. La mise en place de telles restrictions aura des conséquences négatives sur le nombre d’emplois créés par les plateformes du numérique.
C’est pourquoi j’estime que la question complexe des plateformes ne peut être résolue par le biais de cette proposition de loi. Raisonner dans la généralité nous empêche de saisir les particularités propres à chacune des plateformes du numérique. Astreindre sous le même régime toutes ces entreprises revient à condamner les plus fragiles.
Je tiens à réaffirmer mon engagement pour la protection du statut des travailleurs, et bien que je considère comme souhaitable d’étendre aux travailleurs des plateformes du numérique certaines garanties du code du travail, la méthode n’est pas la plus adaptée.
Je tiens notamment à souligner la nécessité de protéger les travailleurs des plateformes numériques contre les ruptures de contrat abusives, et mettre un point d’honneur à garantir une protection à ces derniers. Celle-ci se devra d’être différenciée selon les secteurs et les entreprises. À cet égard, il est de notre ressort d’améliorer la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques.
Au vu de la crise économique qui se profile, nous ne pouvons toutefois faire peser sur les entreprises de trop fortes contraintes économiques. C’est pourquoi la proposition de loi doit considérer davantage la possibilité pour les travailleurs de souscrire à une assurance relative aux accidents du travail et maladies professionnelles ou à une complémentaire santé. Cette couverture suffit à assurer les frais médicaux afférents à une maladie ou à un accident lié à l’exercice d’une profession. Rappelons que les personnes exerçant une profession libérale, les artisans, les commerçants et les infirmiers y ont eux-mêmes recours dans l’exercice de leur profession.
Il serait plus opportun de s’intéresser à la rédaction d’une proposition de loi relative aux règles de la microentreprise, afin de mettre celles-ci à jour au regard des nouvelles problématiques que soulève l’émergence de plateformes numériques. J’insiste sur la possibilité d’inclure, lorsqu’un régime d’autorisation préalable serait pertinent, des critères sociaux dans leurs agréments. J’ai la conviction que cela permettrait de rationaliser les conditions de travail des employés de ces plateformes. Par ailleurs, une réglementation plus souple serait davantage susceptible de s’adapter à la diversité de ces dernières.
L’essentiel de notre mission est d’instaurer un dialogue apaisé entre les multiples acteurs des plateformes numériques. C’est pourquoi je considère que la création d’instances de dialogue social, où travailleurs indépendants et représentants des plateformes pourraient se rencontrer régulièrement et échanger autour de thèmes prédéfinis, serait plus adaptée.
Tout en partageant la volonté de mes collègues d’améliorer la condition des travailleurs des plateformes du numérique, je voterai contre cette proposition de loi.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
Article 1er
La septième partie du code du travail est complétée par un livre VI ainsi rédigé :
« LIVRE VI
« TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES
« TITRE I
« DISPOSITIONS GÉNÉRALES
« CHAPITRE I
« CHAMPS D’APPLICATION
« Art. L. 7522-1. – Les travailleurs des plateformes numériques sont les personnes qui concluent avec des plateformes numériques des contrats portant sur la location de leur force de travail en vue de la réalisation du service proposé et organisé par la plateforme.
« Les plateformes numériques de travail sont celles qui développent une activité économique et commerciale qui consiste à proposer et organiser des services à des clients qui seront réalisés par des travailleurs directement mis en relation par la plateforme. Cette mise en relation n’est pas l’objet de l’activité de la plateforme mais la modalité d’accès et de réalisation du service.
« Art. L. 7522-2. – Les dispositions du présent code sont applicables aux travailleurs définis à l’article L. 7522-1, sous réserve des dispositions prévues aux titres II à IV du présent livre.
« TITRE II
« FORMATION ET DURÉE DU CONTRAT
« Art. L. 7523-1. – Les contrats conclus entre les travailleurs et les plateformes définis à l’article L. 7522-1 peuvent être conclus à durée indéterminée ou à durée déterminée. Dans les deux cas, les travailleurs restent libres de déterminer leur temps de travail en cours de contrat de manière autonome, conformément aux dispositions du titre III.
« Les modalités de délivrance et de signature feront l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.
« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.
« TITRE III
« CONDITIONS DE TRAVAIL
« CHAPITRE I
« Temps de travail
« Art. L. 7524-1. – Les travailleurs des plateformes numériques ne sont pas soumis aux règles relatives au temps de travail, sous réserve des articles L. 3121-18 et L. 3131-20. Les modalités de construction et de gestion des plannings horaires devront faire l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.
« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.
« CHAPITRE II
« Rémunération
« Art. L. 7525-1. – La rémunération des travailleurs définis à l’article L. 7522-1, à l’exclusion de ceux qui exercent une profession de transport de personnes, devra être constituée sur une base horaire. Pour tous les travailleurs définis au même article L. 7522-1, sans exception, les modes de calcul et autres éléments de rémunération devront faire l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.
« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.
« CHAPITRE III
« Les algorithmes
« Art. L. 7526-1. – Les plateformes numériques construisant l’architecture normative de leurs organisations essentiellement par le biais d’algorithmes, l’obligation d’intelligibilité des informations transmises devra faire l’objet d’une attention renforcée. Elle se traduit notamment par la prise en charge complète des frais de recours à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle.
« Art. L. 7526-2. – Les représentants des travailleurs ont le droit de demander, à tout moment, des explications documentées en cas de doute sur une modification des algorithmes concernant les conditions de travail, l’organisation du travail et des temps d’attente, la modalité de la mise en relation, la modalité et le montant des rémunérations. Pour les aider dans leur travail d’analyse, ils peuvent solliciter le recours à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle à la charge de la plateforme.
« CHAPITRE IV
« Rupture du contrat
« Art. L. 7527-1. – La rupture du contrat conclu entre les plateformes et les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1 doit être motivée par un motif réel et sérieux.
« Le lieu de l’entretien préalable peut être déterminé par accord avec les représentants des travailleurs à l’occasion de la négociation annuelle. À défaut d’accord, le lieu devra se trouver dans le secteur habituel de réalisation de l’activité du travailleur ou dans sa ville de résidence fiscale.
« La notification du licenciement peut, par accord, être notifiée par envoi d’un message numérique.
« Le cas échéant, le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.
« TITRE IV
« NÉGOCIATION ET REPRÉSENTATION
« CHAPITRE I
« Représentativité syndicale
« Art. L. 7528-1. – Pour les travailleurs soumis aux dispositions du présent livre, le 5° de l’article L. 2121-1 ne s’appliquera qu’à partir du 1er janvier 2023. Jusqu’à cette date, l’ancienneté requise au 4° du même article L. 2121-1 est réduite à un an.
« CHAPITRE II
« Représentation des travailleurs des plateformes
« Art. L. 7528-2. – Le livre III de la deuxième partie du présent code s’applique aux plateformes numériques définies au second alinéa de l’article L. 7522-1, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1° Les plateformes prévues au second alinéa devront donner aux travailleurs définis au premier alinéa du même article L. 7522-1 qui se présentent à des fonctions de représentation un accès simple et efficace aux noms et coordonnées des travailleurs habilités à voter ;
« 2° a) Sont électeurs les travailleurs des deux sexes, âgés de seize ans révolus, ayant travaillé au moins 450 heures sur les douze derniers mois pour la plateforme et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ;
« b) Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et ayant effectué au moins 850 heures de travail pour la plateforme, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, sœurs, frères et alliés au même degré de l’employeur ;
« 3° Par dérogation à l’article L. 1111-2, pour la mise en place de la représentation des travailleurs des plateformes, les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1 ayant travaillé au moins 450 heures sur une période de douze mois pour une plateforme numérique telle que définie au second alinéa du même article L. 7522-1 sont pris intégralement en compte dans les effectifs.
« CHAPITRE III
« Accès à la connaissance des droits négociés
« Art. L. 7529-1. – Le résultat des négociations annuelles entre les plateformes et les représentants des travailleurs définis à l’article L. 7522-1 devra faire l’objet d’une information des travailleurs au moment de leur inscription sur la plateforme, à la suite de la négociation, ainsi que d’un accès permanent, simple et clair sur le site et l’application de la plateforme.
« Les modalités de cet accès font également l’objet de la négociation annuelle.
« Pour ce faire, les coordonnées des organisations de travailleurs parties à la négociation devront elles aussi être accessibles de manière permanente, simple et claire sur le site et l’application donnant accès à la plateforme. »
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. Après cette discussion générale passionnante, je veux apporter quelques éléments complémentaires.
Madame la ministre, je vous ai écrit il y a quelque temps au sujet du contrôle des livreurs à vélo – on parle de livreurs à vélo, parce que ces travailleurs n’ont pas de licence de transport et que leur seul moyen légal de se déplacer est un deux-roues non motorisé –, afin de vous demander ce que faisait la puissance publique en matière de contrôle des licences de transport pour les utilisateurs de deux-roues motorisés. Je n’ai reçu aucune réponse, sûrement parce qu’il n’y a quasiment pas de contrôle : je le sais par les livreurs et par ceux qui travaillent à vélo.
Plus précisément, je vous invite à consulter les travaux de la chercheuse Laetitia Dablanc du laboratoire Ville Mobilité Transport, qui vient de nous fournir de nouveaux éléments de mesure : près de 37 % des livreurs utilisent des deux-roues motorisés et n’ont pas de licence de transport. Madame la ministre, que faites-vous en la matière ?
Par ailleurs, pour dissiper quelques mythes, notamment celui selon lequel on offrirait ainsi aux étudiants de petits jobs qui s’inscriraient dans des « parcours d’insertion », pour reprendre l’expression employée par votre collègue Christelle Dubos il y a quelques jours au Sénat lors du débat sur les mesures d’urgence sociale, je dirai que ce secteur d’activité évolue très vite et que les choses ont bien changé.
Certes, il existe encore quelques étudiants qui s’assurent de petits compléments de revenus avec ces livraisons, mais il y en a d’autres qui cherchent à en vivre. Comme l’indique la chercheuse que je viens de citer, on est passé des étudiants aux précaires, puis des précaires aux étrangers sans titre de séjour, comme le migrant dont j’ai parlé précédemment, dont Libération a fait le portrait.
Je vous répète ces chiffres, madame la ministre : environ 37 % des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC partagent ou sous-utilisent des comptes, c’est-à-dire qu’ils sont les sous-traitants de sous-traitants. Laetitia Dablanc estime qu’il y a près de 16 % d’étrangers – il est très difficile de connaître leur situation légale, mais cela pose bien des questions.
Dernier point : le mythe selon lequel ces travailleurs ne voudraient pas être salariés. Allez interroger ceux qui ont été victimes de la crise du Covid-19 et qui n’avaient plus ni travail ni protection ! Les choses ont bien changé dans ce domaine, et même s’ils ne représentent que 1 % de la population active, cela n’est pas rien. Ces travailleurs ne veulent pas avoir de mauvais patron ni être salariés d’Uber dans les conditions de sous-traitance que leur impose cette plateforme.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. À ce moment de la discussion, je veux remercier les uns et les autres de leur contribution. Mes chers collègues, je souhaite aussi attirer votre attention sur trois aspects.
Premièrement, il m’arrive parfois à moi aussi de tenir des propos maladroits : quand on parle de 100 000 personnes, on ne parle pas de 0,7, 0,8 ou 0,9 % de la population active. Qui oserait dire des 216 000 médecins exerçant en France qu’ils représentent à peine 1 % de la population active ? Personne dans cet hémicycle ! Il faut faire attention à nos propos, mes chers collègues. Nous vivons dans une société violente et difficile. Je l’avais d’ailleurs souligné en commission des affaires sociales : il faut être prudent et respecter ces travailleurs.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Il a raison !
M. Pascal Savoldelli. Deuxièmement, cessons de citer des chiffres, de nous les jeter à la figure et de les manipuler. Il faut aller voir les travailleurs des plateformes, arrêter de s’aligner sur des pseudo-sondages fabriqués par les plateformes pour expliquer à leurs travailleurs ce qu’ils pensent ! Faisons davantage attention, parce que nous évoquons des difficultés que vit la société actuelle et que subit une partie de notre activité économique. Ma remarque est valable pour tout le monde, y compris l’auteur de ce texte et ceux qui ont travaillé sur cette proposition de loi.
Troisièmement, madame la ministre, vous avez accordé une aide exceptionnelle aux autoentrepreneurs, adaptée à leurs conditions de travail spécifiques. Mon groupe a voté pour cette mesure au moment de la crise, et il a eu raison. Mais nous avions aussi formulé des remarques. Les travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, parfois avec justesse, mais aussi avec un peu de condescendance, ne pouvaient pas bénéficier de cette aide, car il leur est impossible de justifier qu’ils ont eu cette année une activité 50 % inférieure à celle de l’an passé. Je vous donne un exemple concret de ces ni-ni, ni salariés ni travailleurs indépendants.
Ces 100 000 à 200 000 personnes, en définitive éjectables en un clic, ne reçoivent aucune aide en cas d’épidémie, car elles ne sont pas en mesure de justifier leurs difficultés. Pourtant, nombre d’entre elles doivent payer un loyer.
Je fais ce rappel dans un esprit constructif. Nous avons rencontré ces travailleurs, nous avons même organisé un point presse avant le débat. La situation actuelle nous met face à nos contradictions. Nous devons faire attention à ce que nous allons faire avec ces plateformes numériques.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier, sur l’article.
Mme Catherine Fournier. Quand nous parlons de 200 000 travailleurs des plateformes numériques en disant qu’ils représentent peu de monde, cela ne signifie pas pour autant que nous les dénigrons, que nous ne les respectons pas, que nous ne nous en occupons pas, que nous ne les considérons pas. Absolument pas !
Simplement, nous ne pouvons pas réduire ces travailleurs à un contexte aussi étroit, alors que nous sommes en train de réfléchir à un statut global. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas régler le problème. En tout cas, ce n’est pas mon propos, et je tiens vraiment à le préciser.
Au contraire, dans notre rapport, mes collègues Frédérique Puissat, Michel Forissier et moi-même nous sommes attachés à réfléchir aux conditions de travail de ces personnes.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Savoldelli et Gay, Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 24, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et ne peut être inférieure au taux horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Cela arrive parfois : nous avions laissé passer une petite coquille dans le texte initial en faisant référence à un salaire décent. Pour nous, la disposition était claire, mais nous proposons de la clarifier aujourd’hui en indiquant que la rémunération ne peut être inférieure au taux horaire du SMIC. Il s’agit d’un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, conformément à sa position sur la proposition de loi. Il n’en va pas de même pour moi : à titre personnel, je considère que cet amendement tend à apporter une précision fondamentale, comme l’a dit M. Gay.
En effet, la proposition de loi prévoit que, à l’exclusion de ceux qui exercent une activité de transport de personnes, la rémunération des travailleurs des plateformes numériques « devra être constituée sur une base horaire. » Suivant sa logique, l’article 1er renvoie à la négociation collective les modes de calcul de tous les éléments de rémunération sans référence à un socle législatif.
Les auteurs de l’amendement proposent de fixer, en faisant référence au SMIC, une rémunération minimale pour les travailleurs des plateformes, qui en sont actuellement privés. C’est pourquoi, à titre personnel, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de cet amendement. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, je comprends votre objectif. Toutefois, à amendement de cohérence, réponse de cohérence : défavorable.
Je voudrais revenir sur un point : la mission que le Gouvernement a confiée à M. Frouin a été évoquée à plusieurs reprises. La représentation des travailleurs de plateformes est l’un des points importants sur lequel travaille cette mission. C’est dans ce cadre que les chauffeurs de VTC, notamment, pourront discuter du tarif des courses. Une activité indépendante fondée sur le prix de la course n’est en effet pas assimilable à celle d’un salarié, pour laquelle la référence au SMIC est pertinente.
Cela étant, il faut que ces travailleurs aient les moyens de discuter. Une fois que nous aurons mis en place un système de représentation, après le débat parlementaire qui devrait se tenir sur les recommandations de M. Frouin, il y aura un cadre pour discuter du prix des prestations et des conditions de travail. Ce sera un progrès.
Quant au fonds de solidarité pour les indépendants pendant la crise, comme vous le savez, les critères pour bénéficier des aides ont été assouplis en avril, de sorte à s’adapter aux microentrepreneurs. Je ne prétends pas qu’il s’agisse de la réponse parfaite, mais on a essayé de faire au mieux et au plus vite pour couvrir un maximum de personnes. Désormais, un certain nombre de microentrepreneurs, notamment au niveau des plateformes, peuvent en bénéficier.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, je vais vous faire une suggestion, qui recueillera l’assentiment de tout le monde : quand vous désignez quelqu’un en début d’année pour piloter une mission, la moindre des choses est que cette personne sollicite les parlementaires travaillant sur le sujet. Je pense à mes collègues de la commission des affaires sociales qui réfléchissent à la question des travailleurs indépendants comme à nous, qui avons déposé cette proposition de loi en septembre 2019.
On peut avoir des opinions différentes sur le sujet, mais la moindre des choses est de tirer profit du travail parlementaire : madame la ministre, dites-le à M. Frouin ! Des parlementaires de toutes sensibilités réfléchissent à cette problématique et ne sont pas sollicités.
Par ailleurs, j’aimerais bien savoir si M. Frouin a reçu les formes organisées de représentation des travailleurs des plateformes numériques. Les a-t-il auditionnées ?
M. Fabien Gay. Non !
M. Pascal Savoldelli. À ma connaissance – et j’ai des liens avec ces collectifs, qui sont très différents –, ce n’est pas le cas. A-t-il sollicité l’avis des organisations syndicales ? Non plus ! J’attire votre attention sur ce point, madame la ministre : sous votre impulsion, ces auditions pourraient avoir lieu.
Il faut donc corriger le tir : d’une part, respecter le travail parlementaire dans sa diversité, d’autre part, recevoir les organisations syndicales et, surtout, les formes organisées de représentation des travailleurs des plateformes.
J’ajoute que nous sommes également disposés à réfléchir, avec toutes les personnes concernées, sur la question de la représentation. Et, madame la ministre, il faudra innover et faire preuve de souplesse en ce qui concerne le nombre d’heures travaillées pour que ces travailleurs puissent être représentés par un collectif, via les organisations syndicales traditionnelles ou d’autres formes d’organisation qu’ils choisiraient – cela relève de leur libre choix de s’organiser comme ils l’entendent. Sinon, avec qui pourront-ils discuter ?
Quand le travailleur d’une plateforme numérique a travaillé 35 heures par semaine pendant trois mois – peut-être pas durant trois mois, mais sur une année –, j’estime qu’il a le même droit que les salariés de voter et d’élire des représentants qui détermineront, avec la plateforme, les conditions d’organisation du travail, la manière dont est calculée sa rémunération. Ce serait une avancée, qui est attendue par l’ensemble des travailleurs des plateformes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, dans mon propos introductif, je vous ai moi-même proposé de vous associer à ces travaux, non seulement les auteurs de la proposition de loi, mais aussi l’ensemble des sénateurs, notamment ceux qui ont contribué à élaborer les rapports, puisqu’il y a eu beaucoup de travail et de matière première accumulés.
Il existe un certain consensus autour de l’idée que toutes les questions sont posées et bien posées, même si nous ne sommes pas tous d’accord sur les réponses. Quoi qu’il en soit, cela permet déjà d’avancer sur un sujet, qui est maintenant très documenté. Vos travaux et les débats de ce jour contribuent à créer un matériau de qualité en vue de cette réflexion.
La mission de M. Frouin a pris un peu de retard à cause du confinement. En effet, la nature même des travaux suppose de mener des réunions plutôt en présentiel lorsque c’est possible. Nous allons donc prolonger la durée de cette mission de juin à octobre pour que ce travail, qui associe évidemment les organisations syndicales et patronales – c’était prévu –, mais aussi les parlementaires et l’ensemble des parties prenantes, puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.
Mme Éliane Assassi. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Tout d’abord, madame la ministre, l’ensemble des débats a été particulièrement intéressant jusqu’à présent et les travaux de mes collègues, tant ceux de Mme la rapporteure que ceux de la mission d’information, au nom de la commission, devraient produire des résultats également intéressants pour tout le monde.
Permettez-moi maintenant un petit parallèle professionnel : madame la rapporteure, monsieur Savoldelli, je trouve que votre recherche épidémiologique dans le cadre de ces travaux, votre analyse des symptômes et votre diagnostic sont bons. En revanche, le traitement me semble un peu discutable, et il est d’ailleurs discuté par les uns et les autres. (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Comme pour le Covid-19 ! (Rires.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. En conséquence, nous allons nous remettre au travail en ce qui concerne le traitement. Et je demande à l’ensemble de mes collègues que leur vote sur les articles soit en cohérence avec leur vote sur l’ensemble de la proposition de loi. (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er n’est pas adopté.)
Article 2
I. – Après le 36° de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 37° ainsi rédigé :
« 37° Les travailleurs des plateformes numériques définis à l’article L. 7522-1 du code du travail. »
II. – L’article L. 5422-1 du code du travail est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – Ont également droit à l’allocation d’assurance chômage les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1, aptes au travail et recherchant un emploi, qui satisfont à des obligations de durée antérieure d’activité et de recherche effective d’un emploi.
« Les mesures permettant d’adapter les règles du régime général d’assurance chômage à la situation particulière des travailleurs des plateformes numériques font l’objet d’accords conclus entre les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs. Ces mesures doivent tenir compte des objectifs suivants :
« 1° Concernant les conditions d’ouverture des droits :
« a) Les périodes d’activité, ayant eu lieu dans le cadre d’un contrat conclu avec une plateforme numérique de travail, prises en compte pour l’ouverture des droits correspondent à au moins 450 heures de travail sur les douze derniers mois pour une plateforme définie à l’article L. 7522-1 ;
« b) L’activité, organisée par un contrat conclu avec une plateforme de travail numérique, a pris fin dans les conditions prévues à l’article L. 7527-1 ;
« c) Le travailleur est en recherche d’emploi effective, au sens de l’article L. 5421-3 ;
« d) Les droits à l’allocation sont ouverts à compter de la fin de l’activité organisée par un contrat conclu avec une plateforme définie au second alinéa de l’article L. 7522-1, intervenue dans les conditions prévues à l’article L. 7527, qui doit se situer dans un délai de douze mois précédant la veille de l’inscription comme demandeur d’emploi ou, le cas échéant, le premier jour du mois au cours duquel la demande d’allocation a été déposée ;
« 2° Concernant la détermination des droits :
« a) Les revenus de référence pris en considération pour fixer le montant de l’allocation journalière sont établis à partir des rémunérations des douze mois civils précédant le dernier jour de travail payé à l’intéressé, rémunérations liées à l’activité organisée par un contrat conclu avec une plateforme prévue au second alinéa de l’article L. 7522-1 ;
« b) Sont exclues toutes les sommes dont l’attribution trouve sa seule origine dans la rupture du contrat de travail ou l’arrivée du terme de celui-ci. »
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
Le chapitre Ier du titre VIII du livre II de la deuxième partie du code du travail est complété par un article L. 2281-12 ainsi rédigé :
« Art. L. 2281-12. – Lorsque les conditions de travail, l’organisation du travail, la modalité de la mise en relation, la modalité et le montant ou le mode de rémunération sont déterminés au travers d’algorithmes, ceux-ci devront faire l’objet d’une information, d’une consultation ou d’une négociation, selon les champs concernés.
« Afin de mener à bien leur mission, les représentants des travailleurs ont le droit de recourir à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle, conformément à l’article L. 7525-1. »
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Je veux réagir aux propos de Frédérique Puissat, qui a évoqué la question de la confidentialité des algorithmes dans l’entreprise. Il va falloir statuer très vite sur ce point, parce que le travail avec les plateformes numériques est vraiment aliénant. Et il a effectivement été prouvé que le fonctionnement de ces algorithmes était totalement opaque.
Nous pensons évidemment qu’il faut protéger l’entreprise, l’esprit d’entreprendre et les innovations ; il existe d’ailleurs un certain nombre de dispositifs, que nous connaissons tous. Mais, en l’occurrence, nous ne sommes pas en train de protéger une innovation. Quand il s’agit de labelliser ou de breveter, une forme de secret et de confidentialité se justifie, surtout quand on voit les ravages de la concurrence.
En commission, j’ai déjà eu l’occasion de dire au professeur Milon, qui m’apportera peut-être aussi un éclairage sur mon espérance de vie, afin d’y voir plus clair (Sourires.) – je ne parle pas d’espérance de vie politique, mais d’espérance de vie personnelle (Rires.) –, que les algorithmes étaient bien plus vieux que nous tous réunis dans cet hémicycle, tous âges confondus. Je le dis avec tout le respect que je vous dois, mes chers collègues. (Sourires.)
Plus sérieusement, le problème posé par ces plateformes, c’est tout simplement que les algorithmes fonctionnent comme une suite d’opérations et d’instructions, qui fixe l’organisation du travail, le niveau de rémunération, et introduit des éléments de flexibilité. Tout cela a été démontré.
Tous les jeunes savent que, pendant un match de football, tel ou tel événement ou tel ou tel concert, s’il tombe des cordes ou s’il y a un orage, le prix de la course au kilomètre est plus élevé. C’est l’algorithme qui gère et fixe ce tarif !
Derrière, c’est tout le débat sur l’offre et la demande. Ce n’est pas l’algorithme en soi qui nous fait peur – il faut vivre avec son époque ! D’ailleurs, depuis les débuts de la civilisation, nos sociétés ont toutes été construites autour d’algorithmes. Le problème ici, c’est que les travailleurs qui ont ces algorithmes pour contremaîtres, puisqu’ils décident des modalités de leur travail et de leur rémunération, doivent pouvoir y avoir accès.
Ma chère collègue, si je fais ce rappel, c’est qu’il faut trouver ensemble la réponse (Mme Frédérique Puissat opine.). Qui accepterait de travailler ainsi ?
Mon grand-père, d’origine italienne, travaillait à la tâche. Voilà comment cela se passait : l’accord entre l’ouvrier et l’exploitant se faisait d’homme à homme. Il n’y avait pas de contrat ni de problème de statut mais, au moins, mon grand-père pouvait discuter, avec son dictionnaire français-italien, du coût de vingt mètres de carrelage, de la réalisation de tel pavillon ou de telle maison en pierre meulière. Il existait encore des relations humaines ! Les tâcherons pouvaient discuter la valeur de leur travail. Au niveau des plateformes, la situation est bien pire, puisque les travailleurs ne peuvent même pas le faire !
Il faut vraiment que l’on se rapproche sur ce sujet, mes chers collègues, et que l’on torde le cou à cette dérive, afin que ces travailleurs, ces jeunes aient au moins accès à ce qui détermine leur vie pendant plusieurs heures dans la journée. Il faut qu’ils sachent comment le système fonctionne. Après, ils le contesteront ou, au contraire, l’accepteront : ils seront libres de décider.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
Article additionnel après l’article 3
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Jacquin, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le chapitre III du sous-titre II du titre III du livre III du code civil, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« Devoir de vigilance
« Art. 1253. – Toute plateforme de mise en relation par voie électronique, au sens de l’article 242 bis du code général des impôts, ayant recours à des travailleurs indépendants pour l’exécution d’une opération, quelle qu’en soit la nature, est tenue d’une obligation de vigilance consistant à identifier les risques, à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, consécutifs à l’exécution de cette opération, et à garantir une rémunération décente et juste au regard du temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de la plateforme.
« Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui, à titre de professionnel, contracte avec une plateforme ayant recours à des travailleurs indépendants dans les conditions posées à l’alinéa précédent, veille à ce que la plateforme respecte les obligations mentionnées à l’alinéa précédent. S’il est informé par écrit, par le travailleur, par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-1-2 du code du travail ou par une organisation syndicale, du fait que la plateforme ne respecte pas les obligations visées à l’alinéa premier, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage lui enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation. À défaut de régularisation de la situation signalée ou de rupture sans délai du contrat conclu avec la plateforme, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est solidairement responsable du dommage mentionné à l’article 1254 du présent code.
« La plateforme publie chaque année sur son site internet un rapport précisant les modalités selon lesquelles est assuré, directement et le cas échéant par l’intermédiaire des algorithmes mis en œuvre, le respect des obligations mentionnées au premier alinéa, selon les modalités précisées par décret en Conseil d’État.
« Les mesures mises en œuvre au titre des alinéas précédents sont proportionnées aux moyens dont dispose l’entreprise mentionnée au premier alinéa, ou, le cas échéant, l’unité économique et sociale ou le groupe auquel elle appartient.
« Art. 1254. – Le manquement aux obligations définies à l’article 1253 oblige la plateforme à réparer le dommage que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte.
« L’action est introduite devant la juridiction compétente par toute personne justifiant d’un intérêt à agir à cette fin. »
II. – Le troisième alinéa du I de l’article L. 225-102-4 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sans préjudice des articles 1253 et 1254 du code civil, le plan détaille les mesures relatives aux opérations effectuées par les travailleurs indépendants. »
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement vise à instaurer un devoir de vigilance et à responsabiliser les donneurs d’ordre. Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, avec les réglementations complexes que nous connaissons, les contrats passés par un donneur d’ordre vertueux peuvent, même si celui-ci utilise des dispositifs légaux, aboutir à des situations indécentes en termes de revenus et de précarité.
Je précise que, travaillant sur ce concept nouveau pour le monde des plateformes numériques, j’ai adapté le dispositif pour qu’il puisse être examiné au cours du présent débat, mais il aurait vocation à être étendu à tous les secteurs économiques de notre pays. Je rappelle que le devoir de vigilance a été inventé par mon collègue député Dominique Potier lors de l’examen des lois de 2014 et de 2017 pour mettre fin à des chaînes internationales de sous-traitance qui ont suscité des désastres. L’idée est donc d’adapter ce principe à la situation économique française.
Pour les plateformes qui font débat dans les médias et qui font l’objet de la présente discussion, c’est-à-dire les plateformes de travail et non les plateformes de mise en relation, je ne suis pas sûr que le dispositif soit totalement opportun. En revanche, il serait intéressant dans le champ plus large de l’économie, lorsqu’on a légitimement recours au travail indépendant, parce que les modèles économiques le permettent.
Je précise aussi que ce dispositif n’est pas incantatoire : il a un fondement juridique qui le rendrait opposable. Examinez-le en détail, on ne pourra pas accuser un donneur d’ordre pour n’importe quel motif : juridiquement, le donneur d’ordre doit en effet être informé par écrit que sa chaîne de sous-traitance n’est pas vertueuse.
Le dispositif, appliqué au champ général de l’économie, me semble constituer un progrès intéressant par rapport, notamment, aux dégâts de l’autoentreprenariat. Madame Fournier, je salue le fait que vous l’ayez dénoncé dans votre rapport : ce statut crée des poches sans modèle économique et conduit à des situations inacceptables.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Cet amendement tend à modifier le code civil pour imposer aux plateformes un devoir de vigilance consistant, d’une part, à identifier et prévenir les risques d’atteintes graves envers les droits et libertés des travailleurs, leur santé, leur sécurité et, d’autre part, à leur garantir une rémunération décente. Les utilisateurs de plateformes à titre professionnel seraient solidairement responsables de ce devoir de vigilance.
Cet amendement va dans le sens d’une meilleure protection des travailleurs des plateformes, mais n’est pas compatible avec ma position, dans la mesure où il a pour objet de maintenir les travailleurs concernés dans un statut d’indépendance qui ne peut être que trompeur. Au contraire, le groupe auquel j’appartiens souhaite étendre aux travailleurs concernés les protections du salariat, notamment une rémunération au moins égale au SMIC, alors qu’il n’est fait mention dans le dispositif de cet amendement que d’un salaire décent.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. À titre personnel, j’y suis évidemment défavorable si bien que, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec la commission. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.
Vous souhaitez imposer aux plateformes et à leurs donneurs d’ordre un devoir de vigilance. Vous prévoyez que le manquement à un tel devoir serait sanctionné et que la plateforme devrait réparer les dommages occasionnés.
Je comprends l’esprit de cet amendement : ce dispositif s’inspire de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui impose aux grandes entreprises et grands groupes d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à identifier et à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement, notamment les chaînes de sous-traitance mondialisées qui ont provoqué des drames.
Nous poussons à l’échelon européen pour que le devoir de vigilance, qui intéresse certains de nos partenaires, puisse être pris en compte dans les directives européennes.
Toutefois, en l’espèce, le dispositif proposé ne s’articule autour d’aucun seuil, crée des contraintes qui seraient difficilement vérifiables. Aujourd’hui, il ne nous paraît pas suffisamment abouti pour permettre de respecter des dispositions légales qui seraient, dans certains cas, disproportionnées ou très difficilement applicables.
Par ailleurs, ainsi que je l’ai déjà indiqué plusieurs fois ce matin, je pense qu’il faut intégrer cette réflexion dans une réflexion globale sur les plateformes et l’inscrire dans le travail que nous devrons mener tous ensemble après la remise du rapport de M. Frouin. Encore une fois, ce dispositif n’est pas assez abouti pour être efficace.
J’en profite pour répondre à vos deux autres motifs d’interpellation.
Premier sujet, les plateformes peuvent-elles être des tremplins ? Je suis d’accord avec M. Savoldelli : c’est sur le terrain qu’on le voit et pas simplement dans les enquêtes d’opinion.
Nous travaillons beaucoup sur l’insertion des jeunes, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville – je salue à cet égard mon collègue Julien Denormandie avec lequel je collabore beaucoup sur cette question.
Nous constatons que beaucoup de jeunes sont intéressés et recherchent un travail auprès des plateformes, parce qu’ils restent ainsi indépendants, libres et autonomes, ce qui ne les empêche pas, ce qui est légitime et fait l’objet de notre débat, de vouloir des protections, mais aussi parce qu’ils aspirent à un tremplin professionnel et qu’il existe encore trop de discriminations à l’embauche pour leur ouvrir une autre perspective.
Il faut être lucide sur ce point : les plateformes sont souvent la meilleure et la première voie d’accès à l’emploi. Le problème se pose quand c’est la seule et quand il n’y a pas de débouché ensuite.
D’un côté, il y a donc le sujet de la protection sociale des travailleurs des plateformes et, de l’autre, celui des possibilités d’évolution. Toute la philosophie de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel repose sur l’idée qu’il faut permettre l’émancipation professionnelle par le travail et la formation tout au long de la vie. Il est important, y compris pour les travailleurs des plateformes, de pouvoir évoluer vers d’autres formes d’emploi, qui ne sont parfois envisagées que plus tard.
C’est pourquoi nous avons renforcé les droits à la formation dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) : les plateformes doivent désormais payer et contribuer au compte personnel de formation de leurs travailleurs.
Second point, vous avez évoqué la question du contrôle des licences de transport. Ce contrôle relève du ministère des transports, qui s’y emploie. J’ajoute que l’on a aussi mené des opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, inspection du travail, police, gendarmerie, Urssaf réunies. Comme pour tous les nouveaux modes de travail – c’est vrai aussi des anciens –, il faut de temps en temps aller contrôler et démanteler quelques opérations qui n’ont pas lieu d’être. Ne vous inquiétez pas, nous sommes aussi attentifs à cette question dans ce secteur.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. L’auteur de cet amendement a été extrêmement clair, le resituant dans sa chronologie et ses fonctionnalités. Olivier Jacquin a posé la question des relations entre la société mère, les filiales et les différents donneurs d’ordre, au regard du devoir de vigilance, et l’on peut avoir des avis très différents sur ce sujet. Mon cher collègue, mon groupe ne souhaite pas voter cet amendement, dont l’adoption dénaturerait notre proposition de loi. Vous le comprendrez parce que vous savez très bien qu’une plateforme n’est pas une société mère et que les travailleurs de ces plateformes numériques ne sont pas des sous-traitants. Nous pourrions sans doute valider unanimement ce point, le Gouvernement pouvant même nous rejoindre.
Comme vous l’avez dit, votre amendement traduit votre volonté de mettre en place des outils de protection, de faire en sorte que les chartes ne soient pas rédigées unilatéralement par lesdites plateformes. Néanmoins, il serait sage de le retirer, et je vous livre un argument plaidant en ce sens : nous, parlementaires, devons être attentifs à la question de la sécurité des travailleurs. C’est bien de cela qu’il s’agit, et non pas du devoir de vigilance : deux exemples récents l’attestent, avec la condamnation d’Amazon et de Renault, non pas pour avoir manqué à leur devoir de vigilance, mais par méconnaissance du statut protecteur – nous avons réussi à obtenir ce dernier – qui s’applique aux travailleurs de ces deux sociétés. Et il est bien qu’ils aient fait valoir leurs droits.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Je ne maîtrise pas encore tous les arcanes juridiques de l’article 45 de la Constitution, mais, selon moi, il est miraculeux que mon amendement soit parvenu jusque-là ! (Sourires.) Je prie de m’excuser ceux dont c’est le travail, mais tout cela est compliqué, peu intelligible, et rassemble à une véritable loterie !
Cela étant, je vais écouter Pascal Savoldelli et retirer mon amendement. Effectivement, et je l’ai dit moi-même, il ne s’inscrit pas exactement dans le cadre de cette proposition de loi, mais je puis vous garantir que je poursuivrai ce travail en faveur de cette responsabilisation des donneurs d’ordre dans une société complexe.
Vous l’aurez compris, je voulais vous entendre à ce propos, notamment vous, madame la ministre. Je vous remercie des deux réponses complémentaires que vous m’avez apportées, mais vous ne m’avez pas donné de chiffres sur les contrôles effectifs. C’est pourquoi j’insisterai pour les obtenir.
Vous m’avez répondu, s’agissant du devoir de vigilance, que c’était compliqué. Le professeur de droit avec lequel je collabore sur ce sujet, Stéphane Vernac, qui a travaillé sur le devoir de vigilance de 2014 à 2017, m’a assuré que vous alliez me dire que c’était compliqué et difficile à mettre en œuvre !
Je suis optimiste, parce que mon collègue député a mis trois ans pour faire admettre que c’était faisable. Nous allons lancer des travaux, échanger, voir les chefs d’entreprise et d’autres personnes encore pour faire avancer cette idée.
Madame la ministre, puisque vous faites preuve d’un esprit constructif, puisque vous avez ouvert le champ de la mission Frouin, j’aimerais être entendu.
Pour mieux illustrer cette notion du devoir de vigilance, j’aimerais aussi que le migrant travaillant pour Frichti que citait Libération soit reçu. Et je l’accompagnerai volontiers. C’est possible si j’en juge par le fait que, voilà quelque temps, vous m’aviez fait le plaisir de recevoir un jeune qui croyait au modèle des plateformes collaboratives, avant d’être sacrément déçu.
Un dernier point sur le devoir de vigilance. Carrefour, par exemple, a annoncé pendant le confinement un partenariat avec Uber Eats pour la livraison de ses clients à domicile, ce service étant presque présenté comme un service public. De même, la SNCF développe sous marque blanche un système de réservation préalable de VTC, tandis que le Sénat – le Sénat ! – dispose depuis peu de son propre système de réservation via LeCab, l’une de ces plateformes que nous dénonçons. J’interrogerai d’ailleurs à ce sujet les questeurs, car se posent les questions de responsabilité et de conditions de travail.
Cela dit, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
Article 4
L’article L. 7342-2 du code du travail est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, après les deux occurrences du mot : « travail », sont insérés les mots : « et maladies professionnelles » ;
2° Le second alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le travailleur peut librement choisir d’adhérer au contrat collectif souscrit par la plateforme, la cotisation à ce contrat est prise en charge par la plateforme.
« Le remboursement des cotisations au titre du premier alinéa du présent article n’est pas soumis à l’absence d’un contrat collectif souscrit par la plateforme mentionnée au deuxième alinéa. »
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
M. le président. Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi, modifiée, n’est pas adoptée.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Lors du scrutin n° 108 portant sur l’amendement n° 58 rectifié bis tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er septies A du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, ma collègue Mireille Jouve souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Efficacité des aides personnelles au logement
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (proposition n° 372 rectifiée, texte de la commission n° 470, rapport n° 469).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi.
Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe a fait le choix d’inscrire dans le cadre de sa niche parlementaire une proposition de loi déposée avant la crise du Covid-19, mais dont l’actualité nous semble encore plus prégnante en ces circonstances.
En effet, alors que notre pays traverse une grave pandémie, que la baisse d’activité liée au confinement va se traduire très directement par des difficultés accrues pour nos concitoyens, il nous a semblé utile d’assurer un soutien solide aux ménages concernant un poste de dépenses très lourd dans leur budget : les charges de loyer.
Malgré les dispositifs de chômage partiel mis en place, de nombreux allocataires des aides au logement affrontent une baisse, voire une suppression de leur revenu.
Le confinement a représenté une charge financière supplémentaire : hausse des dépenses alimentaires, utilisation plus importante d’eau et d’électricité, notamment.
Selon une note de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), plus de 2,5 millions de ménages de locataires ou d’accédants à la propriété, soit un tiers des actifs, ont été touchés. C’est considérable.
Face à cette situation inédite, le Gouvernement a commencé à agir : report de la trêve hivernale à la fin de l’état d’urgence sanitaire, mise en place d’une aide aux ménages attributaires des minima sociaux, ainsi qu’une hausse de l’aide personnalisée au logement de 100 euros par enfant. Ces actions ponctuelles sont nécessaires, mais insuffisantes sur le long terme.
Nous soutenons ainsi les propositions formulées par les associations de création d’un fonds spécifique pour aider durablement les locataires.
Pour autant, et sur un temps plus long, il nous semble utile – c’est ce que nous souhaitons engager avec ce texte – de revenir sur toutes les décisions prises qui ont conduit à raboter les aides au logement.
L’adoption de cette proposition de loi dès le stade de son examen en commission – j’en remercie mes collègues, ainsi que Mme la rapporteur – envoie un signe clair du Sénat, un signal transpartisan, constructif et positif en faveur d’une priorité donnée à la préservation des aides au logement, qui sont un outil majeur d’égalité et de solidarité pour nos concitoyens.
Trop d’économies ont été réalisées sur ce poste de dépenses, pourtant vital pour nombre de familles.
Alors que la question du logement est aujourd’hui fondatrice et structurante, le Gouvernement a fait le choix depuis le début du quinquennat de la considérer uniquement comme un produit marchand, asséchant par là même tous les amortisseurs de crise que sont les aides à la personne et les aides à la pierre. Un choix très « ancien monde », si vous me permettez l’expression, monsieur le ministre, l’aboutissement d’une logique libérale appliquée à un bien essentiel.
L’habitat est une question politique majeure. Le confinement l’a démontré avec acuité : le logement est l’une des cellules de base indispensables à l’individu.
De sa qualité, de sa taille, de sa configuration dans son environnement, de sa proximité avec les services publics dépendront pour beaucoup la qualité de vie de ses occupants, leur capacité à faire société.
Le droit au logement est consubstantiel à la notion même de dignité humaine et il est reconnu comme un droit à valeur constitutionnelle, garanti par les textes fondamentaux de la République et considéré comme tel par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Nous ne pouvons donc accepter cette politique du rabot qui a frappé ces aides directes à la solvabilisation des ménages, aides qui bénéficient pourtant à 6,5 millions de personnes.
Le Président de la République a donné le ton dès les premiers mois de son mandat présidentiel, faisant le choix de la provocation sociale par une baisse systématique de 5 euros des aides personnelles au logement, ou APL, un choix déconnecté des réalités sociales de notre pays et qui a nourri la colère.
Cette mesure est apparue particulièrement injuste au moment même où était supprimé l’impôt sur la fortune : 32 millions d’euros économisés sur les Français les plus fragiles et 3,2 milliards d’euros redonnés à ceux qui possèdent déjà tout !
À ce titre, la crise que nous traversons a permis de revoir cette échelle de valeurs, afin de définir qui sont réellement les premiers de cordée dans notre pays.
Ce retour à l’intérêt commun doit nous conduire en cohérence aujourd’hui à effectuer d’autres choix budgétaires, notamment en faveur des employés et des ouvriers, qui représentent 70 % des bénéficiaires des APL : supprimer les niches fiscales inutiles et remettre l’argent là où il est utile pour soutenir le mouvement HLM, permettant ainsi de disposer de logements abordables et d’épauler nos concitoyens pour garantir le maintien dans le logement et l’accès à ce droit essentiel.
L’émoi suscité par cette mesure a conduit à la création du collectif Vive l’APL, rassemblant plus de 70 organisations de défense des locataires et mal-logés, d’étudiants, de syndicats et de bailleurs sociaux réclamant le retrait de celle-ci.
Depuis a également été créé le Collectif des associations unies regroupant de nombreuses associations œuvrant dans le secteur social, qui demande notamment de renoncer à toutes les économies réalisées depuis 2017 sur ces aides.
Pourtant, le Président de la République s’obstine encore à justifier la réduction de cette aide fondamentale pour nombre de familles, avec un mépris coutumier pour « les gens qui pensent que […] le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL » et qui ont tant besoin « du pognon de dingue » des aides sociales. Il affirmait aussi ne plus vouloir qu’aucune personne ne soit demain à la rue. Une stratégie du « en même temps » qui ne convainc pas.
Cette défense des APL n’est pas une lubie ou un totem ; c’est la reconnaissance de leur utilité, de leur capacité à jouer les amortisseurs de crise. Il s’agit en effet de l’un des principaux instruments anti-pauvreté dans notre pays.
Ce gouvernement, plus que tous les autres, n’a eu de cesse de les attaquer. On note un désengagement de l’État de l’ordre de 7 milliards d’euros sur les aides au logement depuis le début du quinquennat.
L’ensemble des politiques publiques du logement ont été largement malmenées : extinction progressive des aides à la pierre financées par l’État, disparition de l’aide aux maires bâtisseurs, mise à mal du modèle social des bailleurs HLM, notamment par l’instauration de la réduction de loyer de solidarité, baisse des APL en 2017, absence de revalorisation en 2018, et, enfin, revalorisation en deçà de l’inflation pour 2019 et 2020.
Parallèlement, l’APL accession a été supprimée. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, le niveau de revalorisation des APL a également été limité à 0,3 %, en deçà de l’inflation et de l’indice de référence des loyers (IRL).
Selon la réforme engagée par la loi de finances pour 2019 et par la loi de financement de la sécurité sociale, les aides personnelles au logement doivent faire l’objet d’une réforme de leur mode de calcul liée à la contemporanéité de la prise en compte des ressources.
D’après les chiffres dont nous disposons, cette réforme pourrait entraîner une baisse du montant de ces aides pour 1,2 million d’allocataires, en particulier des jeunes actifs, sur un total de 6,5 millions de bénéficiaires. Et 600 000 allocataires verraient leur prestation purement et simplement supprimée.
Nous n’avons eu de cesse de vous alerter sur ces conséquences, et il aura donc fallu la crise du Covid-19 pour que vous en admettiez, sans le dire, la nocivité.
La crise sanitaire a conduit à repousser une fois de plus cette réforme, déjà reportée de juillet 2019 au 1er janvier 2020, puis au 1er avril 2020. Tirez-en pleinement les conséquences, et abandonnez-la définitivement, comme cela est demandé, monsieur le ministre.
Nous proposons donc par le biais du présent texte de changer le curseur et de remettre au cœur de la définition des aides au logement l’intérêt des allocataires.
D’autres mesures du domaine réglementaire doivent d’ailleurs être engagées par le Gouvernement, notamment concernant la réforme de la contemporanéité ou la suppression de la baisse de 5 euros, sur laquelle il faudrait revenir.
De manière précise, et parce qu’ici nous faisons la loi, nous demandons, par l’article 1er de cette proposition de loi, la suppression du délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement. À l’heure où la crise risque d’accroître le nombre de nouveaux allocataires, il convient en effet de ne pas ajouter, par l’instauration d’un mois de carence, des difficultés aux difficultés, risquant d’entraîner des familles dans la spirale des dettes locatives et in fine des expulsions locatives.
Par l’article 2, nous demandons la suppression de l’application d’un seuil de non-versement, aujourd’hui fixé à 10 euros. Nous avons conscience des réserves sur cet article et nous y reviendrons au cours du débat.
L’article 3 initialement proposé visait à créer une présomption de bonne foi lorsque la baisse des ressources est liée à la crise sanitaire pour le maintien des APL. Il a été supprimé en commission au motif qu’il était redondant avec le droit existant. Nous partageons cet avis et en prenons acte.
L’article 4 permet, quant à lui, de revenir sur la désindexation des APL opérée par l’article 200 du projet de loi de finances pour 2020. Comme en 2019, celles-ci ne sont revalorisées que de 0,3 % en 2020 quand l’inflation est estimée à 1 % – une économie évaluée à 200 millions d’euros.
L’article 5, enfin, constitue le gage financier.
Mes chers collègues, nous remercions la commission de nous avoir suivis en adoptant cette proposition de loi. Nous espérons maintenant que la séance sera l’occasion de mener ce beau débat sur les conditions d’un droit fondamental pour nos concitoyens, celui d’avoir un toit, et de ses modalités de mise en œuvre, qui passent par un soutien aux aides personnelles au logement.
Il faudra, parallèlement à ce rehaussement des APL, bâtir dans notre pays un plan de relance de l’offre de production sociale et de régulation des loyers privés. Il s’agit, en effet, du meilleur levier pour faire baisser le niveau de charge que représentent pour l’État ces aides.
La lutte contre le logement cher et le mal-logement doit ainsi devenir prioritaire par rapport aux économies de bout de chandelle réalisées sur le dos d’un trop grand nombre de nos concitoyens, et, parmi eux, de tous ceux qui ont été le plus souvent en première ligne lors de cette crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous expliquer pourquoi, à une très large majorité, la commission des affaires économiques a décidé d’apporter son soutien aux deux mesures principales de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement : la suppression du mois de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers.
Nous sommes – à une large majorité dans cet hémicycle – en désaccord avec une politique conduite au détriment des plus modestes qui affaiblit le mouvement HLM. En effet, en 2017, le Gouvernement a décidé, de manière délibérée et brutale, de réaliser des économies sur les aides au logement pour réduire le déficit budgétaire et permettre à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif.
Monsieur le ministre, votre collègue Gérald Darmanin l’a écrit noir sur blanc dans sa réponse aux observations que la Cour des comptes formule dans son rapport public annuel pour 2020.
Entre 2017 et 2020, compte tenu de la non-application de la contemporanéisation des APL pour le moment, près de 6 milliards d’euros seront économisés. Dit autrement, entre le budget de 2017 et le budget de 2020, l’État dépense 3 milliards d’euros de moins pour les APL.
Or, dans ce même rapport public, la Cour des comptes souligne combien cette politique de baisse uniforme des APL, quelle que soit la situation du foyer, suscite des interrogations en termes d’équité. Elle relève aussi qu’elle a mis à mal la confiance entre le Gouvernement et le mouvement HLM et nui à la capacité des acteurs de se projeter dans l’avenir.
Rappelons quelques données. Les APL représentent près de 40 % des moyens financiers de la politique du logement, soit environ 17 milliards d’euros en 2018 et en 2019. De fait, 20 % des ménages français – les plus fragiles – touchent les APL, soit 6,6 millions.
Les APL sont l’une des principales mesures de redistribution en leur faveur. Elles représentent un tiers de l’effort de la Nation pour les ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent 75 % des bénéficiaires.
Baisser les APL ou ne pas les revaloriser correctement, comme l’a fait le Gouvernement, c’est frapper le portefeuille et le pouvoir d’achat des moins favorisés. C’est aussi accroître les inégalités en réduisant la redistribution.
Cette politique de réduction des aides au logement est également – nous le constatons – une politique d’affaiblissement du logement social. La réduction de loyer de solidarité (RLS) qui a été imposée représente une ponction de 1,3 milliard d’euros en 2020.
L’ensemble des opérateurs ont été durablement déstabilisés. La capacité des bailleurs à investir, c’est-à-dire à construire de nouveaux logements, a été amputée. D’ailleurs, dans la crise que nous traversons, c’est moins de trésorerie que de fonds propres que vont manquer les bailleurs sociaux.
Monsieur le ministre, notre pays va devoir affronter une crise du logement très importante puisque ce sont sans doute près de 100 000 constructions qui ne seront pas réalisées cette année en raison de l’arrêt des chantiers pendant le confinement. Ne serait-il pas temps de se rendre compte que les économies effectuées ces dernières années sont aujourd’hui un handicap pour organiser la relance et soutenir les locataires en difficulté ?
En 2008 et en 2009, les bailleurs sociaux avaient pu acheter un grand nombre de programmes en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Sont-ils encore en capacité de le faire ?
Concernant l’aide aux locataires face aux impayés, vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que la présidente Sophie Primas, ma collègue Annie Guillemot et moi-même vous avons écrit pour soutenir la proposition de la Fondation Abbé-Pierre de créer un fonds d’aide à la quittance doté de 200 millions d’euros. C’est moitié moins que l’économie réalisée chaque année par la réduction de 5 euros des APL, moins que leur gel en 2018, moins que leur non-revalorisation en 2019 et en 2020.
Pour ma part, comme je l’ai dit à plusieurs reprises à cette tribune, je suis convaincue qu’il faut redonner de l’air aux bailleurs sociaux. La question d’un moratoire de la RLS ou d’une mesure équivalente doit être envisagée. Je crois également à la nécessité du rétablissement de l’APL accession, qui est une mesure peu coûteuse et efficace pour soutenir l’accession sociale à la propriété. Peut-être nous indiquerez-vous, monsieur le ministre, les intentions du Gouvernement dans le cadre du futur plan de relance.
Mes chers collègues, après avoir rappelé les motivations de fond de la commission en faveur d’une politique ambitieuse du logement pour tous les Français – nous y reviendrons grâce à la cellule de suivi constituée avec Annie Guillemot –, je voudrais expliciter la position de la commission sur les différentes dispositions de la proposition de loi.
La commission vous propose, tout d’abord, de supprimer le mois de carence de versement des APL lors de leur première demande. Il convient de rappeler que ce mois de carence est plus une mesure budgétaire qu’une mesure de gestion. Il a été instauré par la loi de finances pour 1995, sachant qu’il s’applique aux prestations familiales depuis 1983. Mais, en réalité, il existe déjà de nombreuses exceptions.
Il ne s’applique qu’aux premières demandes, pour le premier mois d’ouverture des droits, et non si les droits sont acquis depuis plus longtemps, mais n’ont pas fait l’objet d’une requête.
Par ailleurs, il ne s’applique pas aux personnes hébergées qui accèdent à un logement, à celles qui quittent un logement frappé d’insalubrité, à celles qui sont logées en foyer – jeunes travailleurs et travailleurs migrants – et aux bénéficiaires des minima sociaux.
Vos services, monsieur le ministre, nous ont indiqué que le coût de cette mesure serait de l’ordre de 250 millions d’euros en année pleine, 1,2 million de nouvelles demandes étant enregistrées chaque année.
J’estime cependant que, compte tenu des exceptions déjà existantes, cette mesure apportera plus de lisibilité – d’ailleurs, la Mutualité sociale agricole (MSA) demande depuis 2002 la suppression de ce mois de carence ; que son coût doit être rapporté aux économies réalisées ces dernières années au détriment des populations les plus fragiles qui bénéficient des APL ; enfin, que, dans le contexte actuel où il est malheureusement à craindre que de nombreux Français ne deviennent éligibles à cette aide, il serait alors incompréhensible de réaliser une économie à leur détriment.
La commission vous propose d’approuver une seconde disposition, prévue à l’article 4 de la proposition de loi : le retour à l’indexation des APL sur l’IRL.
Comme je l’ai rappelé, après avoir réduit les APL de 5 euros à l’été 2017, le Gouvernement a pris des mesures plus discrètes conduisant à leur érosion par rapport à l’inflation ou à l’évolution des loyers : leur gel ou leur sous-revalorisation.
C’est ce qui a été décidé en loi de finances pour l’année 2020 – mesure que nous avons dénoncée – en limitant la revalorisation à 0,3 % plutôt que d’appliquer ce qui est prévu par le code de la construction et de l’habitation, c’est-à-dire de se baser sur l’IRL, qui aurait conduit à une hausse de l’ordre de 1,5 %, mesure dont le coût aurait été de 171 millions d’euros selon les chiffres qui m’ont été communiqués.
Il s’agit là d’une demande forte des associations de locataires et de l’ensemble du monde HLM. Nous la soutenons, estimant qu’il s’agit d’une mesure de justice.
En revanche, la commission, dans sa majorité, n’approuve pas la suppression du seuil de non-versement, qui est actuellement fixé à 10 euros par mois. L’argument selon lequel le vrai seuil devrait être celui de l’éligibilité et non un montant minimal de versement est naturellement compréhensible, mais il s’agit en l’espèce d’une mesure de bonne gestion.
Ce seuil touche actuellement 17 000 ménages pour un montant total de 1 million d’euros et des APL moyennes de 60 euros par an, alors que le coût de gestion et d’instruction d’une demande serait de l’ordre de 80 à 90 euros selon la Cour des comptes.
Par ailleurs, il faut le rappeler, en 2017 et en 2018, pour atténuer les effets indésirables de la baisse de 5 euros des APL, ce seuil avait été abaissé de 15 à 10 euros, voire complètement supprimé lorsque la RLS pouvait avoir un effet aggravant.
Enfin, on pourrait craindre que le versement d’une aide très faible, même si son versement était annualisé, ne paraisse finalement indécent à certaines familles.
Ce sont les raisons qui nous ont conduits à présenter un amendement de suppression de l’article 2.
En résumé, la commission souhaite promouvoir une politique du logement juste et ambitieuse, tenant compte des difficultés des locataires, tant dans le parc social que dans le parc privé, et des bailleurs dans le cadre de la crise sanitaire et économique que traverse actuellement notre pays. C’est pourquoi elle vous propose de supprimer le mois de carence et de revenir à une meilleure revalorisation des APL. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement déposée par le groupe CRCE est évidemment essentiel.
Cet examen est d’autant plus important dans la période que nous venons et que nous continuons de traverser, laquelle a montré à quel point l’habitat est une question cruciale, centrale, malheureusement encore beaucoup trop vectrice d’inégalités sociales.
C’est aussi, comme vous l’avez mentionné, madame la sénatrice, une question de dignité pour beaucoup de nos concitoyens. Notre rôle à tous, en tant que responsables politiques à l’échelon national ou local, est de tout faire pour accompagner les trop nombreuses personnes qui souffrent dans leur logement.
Je veux profiter de l’examen de cette proposition de loi pour partager avec vous plusieurs convictions, même si je ne suis pas d’accord avec un certain nombre de propositions formulées.
D’abord, je le dis de manière très précise, j’estime que nous avons une vision commune – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice – de la politique à mener en matière de logement. La question est donc la suivante : quels sont les chemins pour aboutir à cette politique du logement ?
Je l’ai toujours affirmé – il ne s’agit pas d’un discours d’estrade puisque vous m’avez entendu le dire à de multiples reprises –, il existe pour moi deux priorités en matière de logement.
La première priorité est la réhabilitation et la rénovation des logements pour lutter contre l’habitat insalubre. Je pense à tout ce qui a été fait dans cet hémicycle, que ce soit dans le cadre de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, ou des travaux qui ont eu lieu à la suite du drame qu’a connu la ville de Marseille, mais ce n’est pas le débat du jour…
La seconde priorité, que vous avez rappelée dans vos propos, madame la sénatrice, madame la rapporteure, est la question de la production de logements abordables. Aujourd’hui, notre défi à tous est de produire certes plus de logements, mais aussi plus de logements abordables. En effet, beaucoup de nos concitoyens voient leur « taux d’effort » augmenter sans cesse. Parfois, 40 % à 50 % de leur revenu sont consacrés au paiement du loyer. Notre objectif politique est donc très clair : il faut mettre toute notre énergie à produire plus de logements abordables.
Bien évidemment, et c’est le principe de la démocratie, nous pouvons ne pas être d’accord sur les voies à emprunter pour atteindre cet objectif. Quoi qu’il en soit, je crois vraiment que nous partageons la même ambition.
À ce titre, le logement social est un trésor du modèle social français. Ce modèle social, quoi qu’on en dise – nous y reviendrons assurément au cours du débat –, doit selon moi absolument être préservé. C’est pourquoi je m’inscris totalement en faux avec l’exposé des motifs de cette proposition de loi, qui affirme que le gouvernement auquel j’appartiens, voire le ministre que je suis, défendrait la financiarisation et la privatisation du logement social !
Je vous rappelle que, notamment dans le cadre de la loi ÉLAN, je me suis battu avec beaucoup de force, plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je dois l’admettre, contre les positions défendues par les représentants de partis politiques très largement représentés dans cet hémicycle. Il a, par exemple, été proposé d’ouvrir le capital d’un certain nombre de bailleurs sociaux à des financeurs privés et de casser le modèle limitant le financement du capital dans le logement social. Je m’y suis toujours opposé avec force et avec beaucoup de conviction, car le modèle du logement social français doit, selon moi, perdurer tel qu’il existe.
Ma deuxième conviction sur le modèle français du logement social est que beaucoup de réformes ont été réalisées depuis trois ans. Certains les critiqueront, c’est le principe de la démocratie, mais je me félicite de toute la dynamique des regroupements qui a été largement débattue ici pendant la Conférence de consensus sur le logement. Je salue d’ailleurs le travail réalisé à cette occasion par le président Gérard Larcher et par Jacques Mézard. Ces regroupements de bailleurs sociaux sont effectifs et fonctionnent bien.
Je me réjouis aussi des décisions stratégiques qui ont été prises dans le cadre de la loi ÉLAN s’agissant du monopole bancaire, ainsi que de l’étendue des missions données aux bailleurs sociaux. Que de débats n’avons-nous eus sur le fameux titre III de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP !
Je pense aussi à la question des titres participatifs pour lesquels Mme la rapporteure est extrêmement engagée avec d’autres représentants du monde HLM. Les titres participatifs représentent aujourd’hui près de 900 millions d’euros. L’un des représentants d’une famille d’office d’HLM, pour ne pas le cacher, me disait encore dernièrement au téléphone : si nous avions voulu élaborer un dispositif de soutien pendant la crise financière, nous n’aurions pas fait mieux que les titres participatifs ! Ces derniers, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, relèvent plus d’un sujet de fonds propre que d’un sujet de trésorerie, qui est l’enjeu du moment.
Mais d’autres fois, madame la sénatrice, on est allé trop loin, comme je l’ai reconnu avec beaucoup d’humilité. Je pense, par exemple, au dispositif de réduction de loyer de solidarité, la RLS. La mise en place d’une clause de revoyure en avril dernier nous a permis de tomber d’accord avec l’ensemble des familles d’HLM.
Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019, avec les familles de bailleurs sociaux, nous nous étions fixé le lancement de 110 000 constructions. À l’époque, nous en étions à 109 000. Cette même année, la part des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) concernait pratiquement 34 000 logements – les logements les plus sociaux – contre 33 342 en 2018. Il s’agissait de la troisième meilleure année depuis le début des années 2000. C’était là aussi un objectif que nous nous étions fixé, d’autant plus important qu’il concerne les logements les plus abordables parmi les logements sociaux.
Les chiffres ont été publiés il y a quelques jours : sur les trois mois précédant le début du confinement, nous avons enregistré une augmentation significative de la dynamique du logement de manière globale, avec une hausse de 10 % des autorisations d’urbanisme. Cette dynamique s’est confirmée sur l’ensemble de l’année 2019 : après de nombreux mois et de nombreuses années de difficultés dans le domaine du logement, la reprise était là !
Au-delà du logement social, d’autres mesures ont été prises. Je pense à l’encadrement des loyers, qui n’a pas été évoqué, mais qui a fait l’objet de longs débats dans cette enceinte. Je pense aussi au formidable dispositif des organismes de foncier solidaire cher à Marie-Noëlle Lienemann avec qui je me suis rendu à Espelette. J’ai d’ailleurs constaté avec beaucoup de satisfaction que la Mairie de Paris a décidé de copier ce qui se fait à Espelette. J’appuie avec force de telles initiatives depuis de nombreuses années, conformément aux positions que le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, et moi-même avions défendues dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron.
Outre la question du logement abordable, se pose également le problème de l’appui social pour les personnes les plus pauvres et les plus fragiles. La question des APL, madame la sénatrice, est directement abordée dans votre proposition de loi. Mais ce n’est pas le seul souci, comme vous l’avez souligné, puisqu’elle pose, par exemple, le problème des personnes les plus démunies, à savoir les sans-abri.
Songez qu’hier soir, madame la sénatrice, 180 000 personnes – je dis bien 180 000 personnes ! – ont été accueillies dans les dispositifs de mise à l’abri. Pendant la période de confinement, nous avons ouvert 22 000 places supplémentaires qui permettent d’atteindre ces 180 000 places en réquisitionnant, notamment, bon nombre de chambres d’hôtel.
Sur la question des APL, j’ai plusieurs convictions.
Premièrement, les APL ne sont pas un minima social, mais sont une aide, très importante, distribuée à 6,5 millions de personnes. Madame la rapporteure, le revenu universel d’activité (RUA) n’est pas que le regroupement des minima sociaux : c’est le filet de sécurité. C’est un point important.
Deuxièmement, je fais partie de ceux qui pensent, contrairement à ce que prétendent de nombreuses études, que les APL n’ont pas d’effet inflationniste, excepté peut-être sur les surfaces de petite taille. L’argument du caractère inflationniste ne doit donc pas servir à remettre en cause les APL.
Troisièmement, les APL ne doivent surtout pas nous faire oublier que notre objectif est de produire du logement abordable et pas uniquement de subventionner les loyers parce que, in fine, nous n’aurions pas été capables de produire du logement abordable. L’un et l’autre sont nécessaires et sont les deux piliers des politiques à avoir en la matière, il est très important de le souligner de nouveau.
Quatrièmement, le public éligible aux APL doit être particulièrement soutenu. Je me suis beaucoup battu pour que les familles bénéficiant des APL puissent être également éligibles à l’aide exceptionnelle de solidarité que nous avons versée le 15 mai dernier. Au total, 4 millions de familles, dont 5 millions d’enfants, en ont bénéficié.
De la même manière, des erreurs ont été commises en ce qui concerne les APL. Je pense à la réduction de 5 euros : c’était une mauvaise décision, il faut le reconnaître, je l’ai déjà admis et je le redis bien volontiers devant vous. Mais surtout, nous avons laissé se mettre en place depuis de nombreuses années un système extrêmement complexe. Je ne sais pas si l’un d’entre vous a déjà examiné le tableau des APL, mais il faut un doctorat en Excel pour le comprendre !
Le plus scandaleux est que les APL aujourd’hui se calculent en fonction des revenus perçus il y a deux ans. C’est la fameuse question de la contemporanéité des APL. On m’explique par A plus B que certains facteurs permettent de réduire et de compenser cela, mais c’est précisément ce qui rend le système extraordinairement complexe et fait d’énormes trous dans la raquette ! Il importe donc – c’est ce que nous avons fait – de régler le problème à la racine et de faire en sorte que les APL soient calculées en temps réel.
Je le dis de manière très ferme : cette réforme est aujourd’hui prête, même si nous l’avons décalée. Nous ne l’avons pas lancée le 1er avril, comme c’était initialement prévu : pourquoi ? Tout simplement parce que les personnes chargées de la mettre en œuvre sur le terrain sont les employés des caisses d’allocations familiales (CAF).
Je devais appuyer sur le bouton le 10 mars pour lancer la réforme au 1er avril : je vous laisse vous remémorer la situation de notre pays à cette date ! Or ce sont les personnes qui géraient par exemple les aides sociales que j’évoquais ainsi que tout l’accompagnement de nos concitoyens durant la crise qui devaient aussi mettre en œuvre la réforme. Les caisses d’allocations familiales ont été extrêmement sollicitées pendant cette période, il n’était pas raisonnable de leur en demander davantage.
C’est pourquoi nous avons pris un décret repoussant jusqu’à la fin de cette année la mise en œuvre de la réforme. Mon objectif est aujourd’hui la mettre en place le plus rapidement possible, sans attendre la fin de l’année.
Cette réforme est d’autant plus importante aujourd’hui. Elle a été présentée, je l’ai souligné à plusieurs reprises, sous un prisme budgétaire, mais ce n’est pas juste. Car vouloir faire en sorte que les allocations soient versées en fonction des ressources actuelles est avant tout une réforme politique. Je l’ai précisé dans cet hémicycle en réponse à plusieurs questions d’actualité au Gouvernement : s’il y avait un retournement de cycle, ce que personne n’espère, cette réforme deviendrait coûteuse.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais c’est ce que nous sommes en train de vivre ! Vous ne l’appliquerez pas !
M. Julien Denormandie, ministre. Je n’ose même pas vous répondre ! Madame Lienemann, nous nous connaissons suffisamment : vous savez très bien que ce ne sera pas le cas ! Cette réforme sera appliquée avant la fin de l’année, l’objectif étant de la mettre en œuvre dès cet automne. Elle est prête, il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton. Elle est d’autant plus nécessaire que nos concitoyens, les Français qui se retrouvent dans la difficulté aujourd’hui, pourront, grâce à elle, bénéficier du montant d’aide correspondant aux difficultés qu’ils traversent.
Enfin, pour terminer, je ne suis pas d’accord avec l’article 1er de la proposition de loi. Des dérogations existent déjà sur le délai de carence, comme Mme la rapporteure l’a souligné. Je n’entrerai donc pas dans le détail.
En ce qui concerne l’article 2, qui vise à revenir sur l’application d’un seuil de non-versement aujourd’hui fixé à 10 euros, je partage l’avis de Mme la rapporteure, qui a déposé un amendement de suppression.
L’article 3 a été supprimé par la commission. Je crois que le groupe CRCE en a compris la raison.
Quant à l’article 4, qui tend à revenir sur les mesures de limitation de revalorisation des barèmes, vous ne serez pas étonnés que je renvoie ce débat au projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui comporte des mesures visant à améliorer le régime des aides au logement. Ces dispositions sont importantes, car elles sont porteuses de justice sociale et d’équité. Elles sont d’autant plus nécessaires qu’elles interviennent dans un contexte de début de crise économique et sociale.
La pandémie et les mesures prises pour l’endiguer ont eu de graves effets sur notre économie, mais aussi sur celles de nos voisins et partenaires économiques. L’économie française va faire face à une récession jugée historique il y a quelques jours par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire.
Avec une contraction de 11 % du PIB en 2020, ainsi qu’un déficit public d’au moins 9 % et une dette publique aux alentours de 115 %, la crise économique qui est devant nous aura malheureusement des conséquences fortes sur les ménages. Or le logement demeure l’un des premiers postes de dépenses des Français. C’est donc notamment dans ce domaine qu’il faut apporter un soutien aux plus fragiles de nos concitoyens.
Au-delà de son caractère social, la politique du logement est également un outil majeur de relance économique. Elle apporte un soutien actif au secteur du bâtiment et à de nombreux corps de métier. Certains bailleurs sociaux qui maillent nos territoires sont déjà très vulnérables ; ils le seront encore davantage en cas de crise. Ils sont des acteurs importants de l’aménagement de nos territoires. Il faut donc soutenir leur capacité d’intervention, d’investissement et de rénovation.
Les aides au logement sont un pilier ancien et essentiel de la politique sociale française. Elles sont inscrites dans le paysage français depuis 1948. En 2018, ce sont 17 milliards d’euros qui étaient versés à un peu plus de 6 millions de bénéficiaires. Il importe donc de ne pas faire de petites économies sur les aides sociales au logement, car elles sont souvent lourdes de conséquences.
La proposition de loi que nous examinons comportait deux mesures qui ont été supprimées en commission.
Il s’agissait, en premier lieu, de la suppression du seuil de non-versement de l’APL fixé à 10 euros. Même si j’approuve son objectif, qui est à première vue louable, cette disposition doit toutefois être confrontée à un principe de réalité et de bonne gestion des fonds publics, notamment au regard du coût de gestion qui est supérieur à l’aide versée. Je partage donc pleinement l’avis de la commission et de Mme la rapporteure.
Il s’agissait, en second lieu, de maintenir le versement de l’APL en cas de loyers impayés. La commission a heureusement supprimé cette disposition, qui vidait de sa substance le principe même d’une aide au logement. Si le loyer n’est pas payé, comment pourrait-on justifier le versement d’une telle aide, qui vise à couvrir partiellement le paiement du loyer ? Je suis conscient de la nécessité d’appréhender les difficultés de paiement des loyers pour certains foyers en ces temps à venir, mais une telle mesure ne me semble pas opportune.
Outre ces suppressions pertinentes, la commission a approuvé deux mesures auxquelles je souscris totalement.
Le versement de l’APL pour le premier mois de loyer me semble tout à fait justifié : si l’aide est due, elle doit être payée dès que les conditions sont remplies. C’est là aussi une question de justice et d’équité.
Je suis également favorable au rétablissement de l’indexation de l’APL sur l’indice de révision des loyers. Pour garder toute son efficacité, le montant de cette aide doit être réactualisé régulièrement. C’est là aussi un enjeu d’équité, car cette non-indexation conduit inexorablement à voir s’éroder le montant relatif de l’APL, alors même que les loyers, eux, peuvent faire l’objet d’une indexation.
Nous avons fait face ensemble à la crise sanitaire. Pour tenir face à la crise économique, nous avons besoin de soutenir les entreprises, bien évidemment, mais aussi les ménages, car ils sont un des moteurs importants de la consommation et donc de la croissance.
Dans ce sens, l’APL accession était un dispositif utile dont je regrette la disparition. Il permettait aux ménages les plus modestes d’accéder plus facilement à la propriété. Les différentes composantes de notre société sont interdépendantes ; il importe de n’en négliger aucune.
Cette proposition de loi ne suffira pas à régler toutes les difficultés, mais elle contribuera utilement à préserver la situation des plus fragiles de nos concitoyens et permettra un certain nombre d’ajustements du dispositif des aides au logement. Nous voterons donc le texte tel qu’il a été amendé par la commission et sur proposition de Mme la rapporteure.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le groupe CRCE et Mme Cécile Cukierman, qui nous donnent l’occasion d’avoir ce débat bienvenu en ce moment particulier.
Le logement, et encore plus le logement pour les plus modestes, doit constituer une préoccupation de chaque instant pour les responsables politiques que nous sommes, que l’on se trouve à l’échelon local, en particulier dans les communes et les intercommunalités, ou au plus haut sommet du Gouvernement. Vous êtes, bien évidemment, monsieur le ministre, un des plus concernés par cette question !
La période de confinement que nous venons de traverser nous a démontré, une fois de plus, si c’était nécessaire, à quel point le logement, d’une part, pouvait être source d’inégalités sociales et, d’autre part, constituait un élément essentiel du bien-vivre, voire peut-être demain du bien-travailler.
Je l’ai rappelé en commission, sans logement, on ne peut construire sa vie, sa famille, son travail, sa santé. C’est le cœur, le nid, comme le dit Jean-Louis Borloo !
Différentes problématiques me semblent essentielles à aborder dans nos réflexions actuelles et à venir.
Tout d’abord, le rôle des offices d’HLM dans la création et l’amélioration du logement pour les ménages les plus en difficulté est essentiel.
Malheureusement, les précédents projets de loi de finances, comme l’a rappelé la rapporteur, et certaines mesures de la loi ÉLAN produisent les effets attendus. Beaucoup d’organismes peinent aujourd’hui à construire et à rénover leur parc de logements sociaux.
L’impact de la RLS, concomitante à la diminution de la contribution de l’État aux APL de 3 milliards d’euros depuis trois ans, a contribué tout autant à remettre en cause le modèle économique des bailleurs sociaux qu’à fragiliser certains ménages en difficulté.
Cette équation budgétaire imposée complique fortement l’atteinte des objectifs assignés au secteur du logement social, qu’il s’agisse de l’engagement de poursuivre la construction neuve ou de l’accroissement de 25 % des rénovations.
La vente d’appartements n’est évidemment pas au rendez-vous pour créer de la trésorerie ainsi que vous l’aviez imaginé. On peut craindre que la crise, qui ne fait que commencer, n’améliore pas la situation.
Par ailleurs, comme je l’avais souligné précédemment, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de vendre des logements locatifs sociaux pour construire d’autres logements locatifs sociaux quand on sait que ce ne sont que très rarement les occupants qui les achètent…
La crise sanitaire dérive aujourd’hui en crise économique et dérivera demain en crise sociale. Cette situation signifie que nous devons protéger et aider ceux qui vont le plus souffrir. Je le rappelais, les questions de logement constituent l’un des principaux freins au retour à l’emploi.
La nécessité de construire plus et mieux, partout en France, est donc importante. Cela doit se faire aussi dans le cadre d’une politique de la ville transversale et puissante. Les ruptures sociales se creusent toujours en période de crise. Nous devrons faire attention et les anticiper.
À ce sujet, monsieur le ministre, j’en profite pour vous signaler de nombreuses remontées des territoires où l’on s’inquiète de l’échéance fixée par la loi au 31 décembre 2024, qui risque de ne pas pouvoir être respectée par les collectivités. C’est un sujet qu’il faudra examiner de près.
Le problème de la construction de logements est lié aussi aux questions d’investissement public : 70 % de l’investissement public est réalisé par les collectivités locales. Ces dernières sont donc un maillon essentiel de la commande publique et de la reprise économique dans les territoires, en particulier pour les entreprises du bâtiment. Elles ont aussi un rôle à jouer dans la construction et la rénovation de logements. Soyez vigilant à ne pas couper les capacités d’investissement des collectivités, comme vous l’avez fait pour les bailleurs sociaux dans le cadre de choix budgétaires.
Votre gouvernement appelle à faire confiance aux maires en cette période de déconfinement progressif. Étendez cette volonté à l’investissement local et aux autres élus locaux. Établissez des relations claires et franches avec tous les niveaux de collectivités. Là encore, j’appelais largement à une telle concertation lors des débats sur la loi ÉLAN.
Vos réformes étaient sans doute calibrées pour des moments où l’on navigue par beau temps. Quand la tempête est là, comme aujourd’hui, elles ne permettent pas d’amortir le choc et de maintenir le cap. Bien au contraire, elles pourraient accentuer les difficultés sociales et compliquer encore davantage l’équation du secteur du logement social. Il faudra donc, monsieur le ministre, comme le rappelait Mme la rapporteur, engager rapidement et en premier lieu le moratoire de la RLS tant attendu par les bailleurs sociaux.
J’en viens maintenant à la proposition de loi présentée par Cécile Cukierman et rapportée par Dominique Estrosi Sassone. Je tiens véritablement à saluer le travail de chacune d’entre elles. Je salue également l’initiative du groupe CRCE, qui pose ce débat essentiel et apporte des solutions concrètes et rapides.
Comme j’ai pu le souligner lors de l’examen de la proposition de loi en commission, ce texte vient à point nommé. Même s’il ne résoudra pas tous les problèmes du monde du logement en général et du logement social en particulier, même s’il n’aidera pas toutes les personnes qui ont des difficultés en fin de mois pour régler leur loyer et leurs charges, il va néanmoins dans le bon sens. Il traite des difficultés réelles et apporte, à son échelle, un peu d’oxygène aux ménages.
Cet oxygène, le Gouvernement a senti qu’il était nécessaire quand il a décidé d’allouer une prime de 150 euros aux ménages les plus modestes qui percevaient le revenu de solidarité active (RSA) ou l’allocation de solidarité spécifique (ASS), ainsi qu’une prime de 100 euros par enfant pour les mêmes ménages et pour ceux qui perçoivent l’APL.
Par ce mécanisme, vous reconnaissez indirectement, monsieur le ministre, que les minima sociaux et les aides publiques aux ménages ne suffisent pas durant cette période de crise sanitaire, mais aussi, sans doute, le reste du temps.
La proposition de loi de mes collègues du groupe CRCE peut vous permettre d’y réfléchir plus précisément. Elle contient des mesures de bon sens que nous soutenons.
La suppression du mois de carence dans la perception des APL est une mesure de justice. À l’heure où le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu est devenu possible et se justifie par sa contemporanéité, à l’heure où les APL, comme vous le souhaitez, sont versées en prenant en compte la situation réelle et immédiate des revenus des foyers, il nous semble logique de ne plus pénaliser les ménages par ce mois d’attente.
De même, la réindexation du montant des APL sur l’indice de référence des loyers permettra de suivre la réalité des évolutions économiques du pays. Elle suit la même logique : à situation donnée à l’instant t doit correspondre une aide juste et équivalente à ce même instant.
Concernant les autres articles, nous soutiendrons les positions de la commission et de Mme la rapporteur, je pense en particulier à l’amendement de suppression de l’article 2 sur le seuil de non-versement.
Pour conclure, je me réjouis que la commission ait toujours veillé à ces questions liées au logement et défendu des positions communes, qui vont bien au-delà de nos différences quand il s’agit de financer nos politiques de logements sociaux et nos ménages les plus modestes. La situation actuelle le justifie, ainsi que celle à venir.
Vous l’aurez donc compris, les sénatrices et sénateurs du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte, tel qu’il ressortira de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai rappelé hier lors du débat sur la jeunesse, je pense notamment à la jeunesse des quartiers au sujet de laquelle je suis extrêmement inquiète en ce moment, la situation sociale n’a manifestement pas été suffisamment prise en compte par le Gouvernement dans le plan de déconfinement. Il faut sans doute beaucoup plus anticiper et aider les plus fragiles à traverser la crise.
L’augmentation du chômage nécessite des mesures fortes pour empêcher de nombreux Français de basculer dans la précarité. Il y a urgence pour leur permettre de conserver leur logement – c’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui – tant dans le parc public que dans le parc privé pour lequel nous avons aussi beaucoup d’inquiétudes.
Les aides personnelles au logement représentent plus de 40 % de l’effort public pour le logement. Elles réduisent la charge de logement de 7 millions de ménages locataires bénéficiaires. Or ces ménages ont subi des baisses de revenus du fait notamment du chômage partiel et de l’arrêt de travail pour de nombreuses professions. Quand on a 1 500 euros de revenus avec deux enfants et un reste à charge de 300 euros, c’est très difficile. Il n’y a qu’à voir comment la baisse de 5 euros des APL a été perçue !
Le montant des aides au logement est donc non seulement indispensable pour les soutenir, mais il ne suffira pas pour de nombreux ménages. Il faut aller plus loin et prévoir sans doute pour une période temporaire de nouvelles mesures d’aide qui permettront aux plus fragiles de surmonter leurs difficultés. Il va falloir, là aussi, faire jouer la solidarité nationale, comme beaucoup d’associations le demandent.
La crise sanitaire que nous traversons se double d’une crise économique et sociale. Le Gouvernement vient malheureusement d’annoncer une récession de plus de 11 %. Dans une étude réalisée en avril dernier, l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) indiquait que plus d’un tiers des actifs avaient déjà vu baisser leurs revenus d’activité. Certains d’entre eux font partie des ménages devant faire face à de lourdes dépenses de logement. Plus de 4 millions de ménages sont soumis à cette double contrainte budgétaire.
Dans une étude de 2018, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) rappelait en effet que le logement représente les deux tiers de la consommation préengagée des ménages pauvres. Il y avait déjà des soucis dans l’avant ; on est par conséquent en droit de se poser des questions pour l’après !
Le plan de sortie du confinement doit donc s’accompagner de mesures d’urgence renforcées pour éviter qu’une crise sociale durable ne s’installe. Il faut aller plus loin dans la protection des personnes. Cette urgence sociale est relayée depuis des semaines par les acteurs de la solidarité que nous avons beaucoup auditionnés avec Mme Estrosi Sassone, mais également par les bailleurs sociaux et les associations d’élus.
Le fonds de solidarité logement (FSL) est particulièrement mobilisé pour venir en aide aux ménages fragilisés, mais les locataires ayant des difficultés à payer leur loyer qui ne sont pas éligibles à ce fonds ne disposent pas d’aide spécifique. Le FSL n’est d’ailleurs pas universel puisqu’il est destiné aux personnes en grande situation de précarité sociale et est attribué selon des critères propres à chaque département.
Les bailleurs sociaux veillent attentivement à soutenir leurs locataires. Ils ont signé une charte en faveur de ceux qui ont connu des problèmes de fragilité économique durant la crise. Mais les informations manquent s’agissant du secteur privé. Dans ce contexte, la question du logement est plus que jamais prioritaire et nécessite des réponses fortes et pratiques.
Afin de répondre plus efficacement à cette situation, plusieurs sénateurs du groupe socialiste et moi-même avons déposé une proposition de loi prévoyant des mesures d’urgence, notamment l’abondement par l’État du FSL, à hauteur de 250 millions d’euros, pour l’aide d’urgence à la quittance, évoquée par Mme la rapporteur. Cette mesure s’adresserait aux locataires du parc locatif social, mais aussi du parc privé, et aux copropriétaires occupants qui ne peuvent plus payer leurs charges de copropriété.
Nous prévoyons aussi de maintenir systématiquement les aides au logement durant la période de la crise sanitaire et de permettre la suspension du paiement des annuités d’un emprunt immobilier pendant une durée maximale de douze mois. Il faut également veiller à ce que des copropriétaires occupants ne soient pas expulsés. Nous demandons, enfin, la création d’une aide de 50 millions d’euros en faveur des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Rappelons-le, l’État, qui est garant du droit au logement et de la solidarité nationale, a privé le logement social de près de 3 milliards d’euros, ce qui représente 6 milliards d’euros en moins sur trois ans.
Recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) au détriment des zones rurales, baisse des APL, gouvernance de la politique du logement qui s’éloigne des territoires : ces choix politiques ont eu et ont encore des effets irrémédiables qui installent une crise durable de la construction de logements abordables, de la réhabilitation et de la rénovation urbaine, dont les effets seront encore amplifiés par la crise actuelle.
La France doit produire du logement abordable – or, nous le savons, il y aura environ 100 000 logements en moins – et soutenir les familles modestes.
Comment résorber l’habitat indigne si l’on ne peut pas reloger les familles ? Comment mettre en place la politique dite du « logement d’abord » sans offre de logements adaptée et sans financement de l’accompagnement social ? Comment demander aux maires de mettre en œuvre des politiques publiques quand ils n’en ont plus les moyens ? Comment donner confiance à notre jeunesse lorsque la précarité s’installe et que le logement devient inaccessible ?
S’agissant des aides au logement, les décisions successives du Gouvernement durant ces trois dernières années ne sont pas allées dans le bon sens : baisse de 5 euros des APL, gel de leur barème en 2018 et sous-indexation à hauteur de 0,3 % en 2019 et 2020 – maintiendrez-vous cette mesure, monsieur le ministre ? –, suppression de l’APL accession, alors même que le précédent ministre du logement nous avait promis, dans cet hémicycle, que tel ne serait pas le cas, mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), comme l’a rappelé Mme la rapporteure.
Je n’oublie pas non plus la situation d’Action Logement, sur laquelle certains se posent beaucoup de questions, pas plus que la réforme, prévue en 2020, des modalités de prise en compte des ressources pour le calcul des aides au logement. Cette contemporanéisation ne suscite pas mon optimisme, car, de ce fait, de nombreux jeunes qui vivent chez leurs parents et allaient emménager dans un logement ne toucheront plus l’APL.
Il faut absolument revoir ces mesures. Même si elles peuvent être positives pour certains, nous ne disposons d’aucune étude d’impact. Normalement, 1,2 million de bénéficiaires verront leur APL baisser, tandis que 600 000 personnes n’y auront plus droit.
La Cour des comptes, dont Mme la rapporteur a cité le rapport, a d’ailleurs dénoncé un manque d’anticipation dans l’exécution de la mission « Cohésion des territoires », conduisant à un écart important entre les crédits votés et les crédits exécutés, dû notamment aux quatre reports, en 2019, de la date de mise en œuvre de la réforme de l’APL – une réforme, je le rappelle, qui devait faire économiser 1,4 milliard d’euros en année pleine.
Vous avez mis ces reports sur le compte de la CAF, monsieur le ministre… Or vous avez inscrit dans votre décret la date du 1er janvier 2021, au plus tard. À ce propos, vous m’aviez reproché, lors du débat budgétaire, d’avoir dit que le personnel de la CAF ne pourrait pas appliquer cette réforme. Vous reprenez désormais mon argument !
Je rappelle que le logement rapporte davantage à l’État qu’il ne lui coûte. En 2018, les aides au logement ont certes représenté 40 milliards d’euros, mais le secteur du logement a aussi produit 78 milliards de rentrées fiscales. Il ne faut pas l’oublier !
Le logement doit cesser d’être la variable d’ajustement du budget de l’État, même si vous nous assurez que vos choix politiques ne sont pas purement budgétaires.
Toutes ces mesures frappent de plein fouet les ménages les plus fragiles. En Île-de-France, par exemple, parmi les 700 000 ménages qui demandent un logement social, 71 % sont en deçà des plafonds de ressources.
Il est donc urgent de réorienter la politique du logement, et la question des aides au logement en est l’illustration la plus édifiante. Par conséquent, nous voterons pour cette proposition de loi déposée par Cécile Cukierman, qui traduit cette inquiétude et cette urgence.
Nous la voterons en nous souvenant de l’article 1er de la loi Besson, qui dispose : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation.
« Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir […]. »
Le maintien dans le logement est extrêmement important.
La situation que nous vivons a révélé, si besoin en était, la profondeur des inégalités sociales et la fragilité des services publics. La priorité pour mon groupe demeure d’aider les plus fragiles à traverser la crise.
La situation dans les banlieues nous inquiète. C’est avant tout une question politique, au cœur de notre pacte républicain. Il faut prendre en considération les problématiques de l’emploi, du logement, mais aussi du respect – nous le voyons aujourd’hui ! –, de la lutte contre les discriminations et de l’espoir.
J’ai renouvelé, hier, la proposition que j’avais faite de donner une réponse avant le mois de septembre aux jeunes des quartiers, notamment les étudiants qui ne pourront pas s’inscrire pour la prochaine rentrée universitaire, faute de job. On peut relancer 20 000 ou 30 000 emplois aidés !
Il faudrait aussi aller chercher les décrocheurs pour les raccrocher au système scolaire. Dans les quartiers, un seul gamin sur dix est aujourd’hui scolarisé !
Vous me répondrez sans doute, comme vous avez commencé à le faire, que beaucoup a déjà été fait. C’est vrai ! Mais l’aisance de vos propos et la sûreté de vos jugements, monsieur le ministre, ne suffisent pas à me rassurer. Il faut regarder beaucoup plus loin !
Ayant été maire de Bron pendant dix-sept ans, j’ai pu constater combien il fallait de temps pour mettre en œuvre les mesures que nous prenons sur le terrain. Les maires, que je salue, dépensent aujourd’hui beaucoup d’énergie pour aider les quartiers.
La politique, pour moi, ce sont non pas seulement des paroles, mais aussi des actes, qui témoignent de responsabilités. En tant que ministre chargé de la ville et du logement, vous avez beaucoup de responsabilités, car il faut agir très vite ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette crise sanitaire, avec ses répercussions sociales à moyen et long termes, est inédite. Comme l’a indiqué à juste titre le ministre de l’économie et des finances, c’est une affaire non pas de semaines ou de mois, mais d’années. Après avoir favorisé le chômage partiel, la dépense publique ne parviendra pas, malheureusement, à sauver toutes les entreprises qui annonceront leur faillite et les emplois correspondants.
À défaut de revenu universel, les aides sociales constituent un soutien précieux permettant à nos concitoyens d’amortir le choc provoqué par une diminution ou une perte totale de revenus qui risque de compromettre, en particulier lorsqu’ils sont locataires, leur capacité à se loger. Des moyens supplémentaires doivent être pensés pour permettre le maintien dans leur logement actuel, avant que ne s’enclenche l’engrenage de la précarité. Nombreuses sont les associations qui nous alertent sur ce point.
Certes, la vague des impayés n’est pas encore arrivée. Pour autant, elle ne saurait être prématurément écartée. Il est donc fortement souhaitable de l’anticiper et d’éviter les expulsions en cascade.
Vous affirmez, monsieur le ministre, que personne ne peut accepter, en cette période de crise sanitaire, que certains soient expulsés de leur logement. J’ai envie d’ajouter que, au XXIe siècle, personne ne devrait être expulsé de son logement, quel que soit le contexte, lorsque la bonne foi n’est pas en cause, et que tout le monde devrait pouvoir prétendre à un toit.
Permettez-moi, à cet égard, d’ouvrir une parenthèse : je suis choqué de constater que des sans-abri vivent depuis plusieurs années dans une totale précarité tout près du Sénat, sous nos yeux, sous le porche du théâtre de l’Odéon !
Si le prolongement de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet constituait une impérieuse nécessité, je regrette l’absence d’initiative de l’État sur le long terme au profit des locataires, en ces temps incertains marqués par une réelle peur de la perte de logement.
Contrairement à ses voisins européens, la France n’a ni institué de gel sur les prix ou de fonds d’urgence ni décidé d’un abondement du FSL. Par ailleurs, l’encadrement des loyers n’est pas scrupuleusement respecté, a fortiori à Paris. L’association nationale de défense des consommateurs et usagers CLCV constate des abus. Les aides personnelles au logement sont des aides sociales ; elles ne doivent pas servir à financer les surtarifications de loyers.
Aussi, même si elle ne peut tout résoudre au regard des limites de l’initiative parlementaire, la présente proposition de loi prévoit des aménagements en matière de modalités de versement et de détermination du montant des APL que l’on ne peut que soutenir.
Les deux principales mesures proposées auront un effet positif perceptible pour les ménages.
Tout d’abord, la suppression du mois de carence paraît plus que pertinente, car elle contribuera au paiement du premier loyer des personnes nouvellement éligibles aux APL. Ce n’est pas sans intérêt, au vu de la forte probabilité d’une augmentation des demandeurs dans les mois à venir.
De même, la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers (IRL), soit une revalorisation d’environ 1,5 % au lieu de 0,3 %, est socialement juste et cohérente du fait de l’évolution du poids de la dépense de logement sur les budgets des ménages.
En revanche, nous sommes partagés sur la suppression du seuil minimal de non-versement des APL, qui trouve sa justification dans la couverture des coûts de gestion. Des montants aussi faibles d’APL, en deçà de 10 euros, sont incompréhensibles, y compris pour les bénéficiaires. Peut-être faudrait-il revoir les modalités de calcul ? La complexité, que vous avez soulignée, monsieur le ministre, n’a pas échappé aux critiques de la Cour des comptes.
La proposition de loi vise ainsi à renforcer l’efficacité des APL. Elle évoque un débat ancien qui subodorait l’existence d’un potentiel effet inflationniste : le risque de la prise en compte par le bailleur du montant de l’allocation dans la fixation du loyer, notamment en période de pénurie de logements. Or cette pénurie est structurelle dans les zones tendues, et le choc de l’offre n’a pas encore eu lieu.
Si un effet inflationniste est démontré, la réalisation d’économies sur les APL de manière uniforme pénalise cruellement les ménages victimes des défaillances d’un marché aux équilibres fragiles. L’optimisation de l’intervention publique dans le domaine du logement est souhaitable, mais elle ne doit pas manquer son objectif premier, qui est avant tout social.
Parmi ces ménages, nous ne retrouvons pas uniquement ceux qui subissent des accidents de la vie. Dans les zones tendues, les travailleurs percevant un salaire moyen, qui sont souvent ceux qui se sont révélés indispensables au fonctionnement du pays et que tout le monde a remerciés, peinent à payer leur loyer.
Je ne reviendrai ni sur le contexte budgétaire ni sur les économies réalisées dans le cadre de la politique du logement au cours de ces dernières années. Les auteurs de la proposition de loi et d’autres intervenants ont pu le rappeler, la donne a changé. Une crise conjoncturelle s’ajoutant à une crise structurelle, il est impératif de se réinventer pour l’avenir.
Le télétravail, qui s’est imposé après une longue hésitation des entreprises, apportera peut-être du lest et permettra de rééquilibrer notre territoire, certains Français ayant pu goûter à des conditions de vie plus sereines en dehors des milieux urbains.
Nous espérons que ces changements profonds auront un effet positif sur l’accès au logement. Mais cela ne nous exonère pas de la responsabilité de donner un coup de pouce immédiat aux locataires.
Le groupe RDSE votera donc en faveur de la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi part d’un bon sentiment. Nous avons tous eu durant cette crise une pulsion de générosité, qui est bien naturelle.
Gide déclarait : « Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature. » De même, on peut se demander si ce texte est la bonne façon de tenir compte de la crise et d’un certain nombre de demandes.
On dit souvent qu’il ne faut pas voter la loi sous le coup de l’émotion. (Marques d’indignation sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Une décision sur le coup de l’émotion les 5 euros ?
M. Julien Bargeton. Le débat qui est posé est intéressant, mais la proposition de loi y répond-elle de façon efficace ? Telle est la question que nous devons trancher.
Les APL s’élèvent à peu près à 18 milliards d’euros, dont 75 % bénéficient à 10 % des ménages, ceux qui sont les plus défavorisés. Pour ces ménages, ces aides représentent un tiers de la redistribution. Le sujet est donc extrêmement important.
Le rapport de la Cour des comptes a souvent été cité, mais, comme pour les Saintes Écritures, chacun peut en faire sa propre exégèse. J’en lirai quelques extraits.
Selon la Cour, les APL souffrent d’« une gestion complexe et coûteuse, d’indus importants et de coûts élevés ». Cette histoire est assez ancienne, nous pouvons tomber d’accord sur ce point. La complexité des critères de versement est telle qu’« une volumineuse plaquette décrivant leur mode de calcul » était éditée jusqu’en 2013. Elle ne l’est plus depuis, fort heureusement.
Je poursuis ma lecture : « Le nombre de paramètres de calcul accentue le risque d’oublis ou d’erreurs, la complexité de ce calcul ne permettant pas de repérer immédiatement une éventuelle incohérence. Simplifier le mode de calcul des aides est désormais indispensable : au-delà des coûts de gestion qu’elle génère, la complexité actuelle est une source importante de non-recours – il faut le souligner ! – d’indus et de fraudes. Elle fait aussi perdre de vue à l’allocataire les principes mêmes sur lesquels l’aide est fondée. »
Nous partageons le constat selon lequel il faut réformer le système, le simplifier, le renforcer et le rendre plus accessible.
M. Fabien Gay. Plus efficient !
M. Julien Bargeton. Non pas plus efficient, mais plus efficace !
Les principes et les remarques édictés par la Cour des comptes ont-ils été pris en compte dans la présente proposition de loi ?
Mme Cécile Cukierman. J’essaie de répondre aux besoins de la population, pas à ceux de la Cour des comptes !
M. Julien Bargeton. Selon moi, ils n’y sont guère traduits, mais le débat est ouvert.
Je remercie la commission d’avoir proposé la suppression de deux articles. Le premier concerne le seuil ; en effet, cela a été dit, dans 40 % des cas, ledit seuil ne s’applique pas. Le second, l’article 3, rend plus compliquée l’application du droit, alors même que chacun s’accorde à dénoncer sa complexité !
J’en viens à deux autres points, qui sont maintenus.
Le délai de carence, tout d’abord : en supprimant ce délai, on risque de susciter de nombreux rappels, lesquels sont très mal vécus par les personnes concernées et font peser sur les CAF une charge de travail supplémentaire.
Le second point est relatif à l’indexation. À cet égard, je rappelle que plusieurs mesures ont été prises récemment, parmi lesquelles l’aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros par enfant à charge de moins de 20 ans : 5 millions d’enfants sont concernés.
Le Gouvernement a également prolongé la trêve hivernale, mis en place un plan d’urgence pour l’aide alimentaire, ainsi qu’une aide pour les personnes précaires de moins de 25 ans.
Des actions ciblées, précises, ne sont-elles pas plus utiles qu’une indexation générale ? Le débat mérite d’être posé !
Mme Cécile Cukierman. La loi est faite pour le long terme, pas pour le court terme !
M. Julien Bargeton. La politique du logement représente, on l’a rappelé, 40 milliards d’euros. Or notre pays compte encore 4 millions de personnes mal logées.
Le ministre a parlé de la nécessité d’augmenter l’offre. Nous en sommes tous d’accord, il faut une offre plus large de logements accessibles !
La mère des réformes est la contemporanéisation des aides. (Mme Marie-Noëlle Lienemann marque son agacement.) Il y a un débat sur ce point !
La contemporanéisation signifie que l’on verse les APL en temps réel. C’est très important !
C’est paradoxal : d’aucuns disaient qu’il ne fallait pas faire cette réforme, car elle ne servirait qu’à faire des économies ; dès lors que nous sommes en crise et que ladite réforme va coûter de l’argent, les mêmes nous reprochent de ne pas la mettre en œuvre. Ceux qui la critiquaient la réclament désormais ! Or elle a simplement été décalée ! Il ne faut pas être de mauvaise foi…
Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit qu’il ne faut pas améliorer le système !
M. Julien Bargeton. En tant qu’élus, nous avons tous été sollicités par des personnes nous expliquant que leur situation avait changé, qu’elles avaient rompu leur PACS, divorcé, eu un enfant, etc., mais que ce changement n’était toujours pas pris en compte…
Il s’est passé exactement la même chose pour le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : on a poussé des cris d’orfraie au départ, puis plus personne n’a demandé de revenir en arrière !
Que dit la Cour des comptes sur cette mesure très importante qu’est la contemporanéisation ? Cette nouvelle disposition « devrait constituer une réelle avancée. Cela permettra de mieux fiabiliser les montants de ressources pris en considération dans le calcul et d’adapter le niveau de l’aide à la situation réelle du bénéficiaire. » Cette réforme, nous en avons besoin !
Mme Cécile Cukierman. Plus besoin de faire la loi, il y a la Cour des comptes !
M. le président. Seul M. Bargeton a la parole, mes chers collègues !
M. Julien Bargeton. Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous n’avons pas déposé d’amendements de suppression. Mais nous ne voterons pas la proposition de loi. Il est facile de dire que l’on va faire adopter un tel texte…
Ce que nous voulons, c’est ouvrir le dialogue en examinant quelles sont les mesures les plus utiles pour les Français dans le cadre de cette crise.
Mme Annie Guillemot. Pourquoi n’avez-vous rien dit contre la baisse des APL, dont les Français ont besoin ?
M. Julien Bargeton. Cette proposition de loi a le mérite de poser le débat, mais nous ne pensons pas qu’elle apporte les solutions les plus pertinentes. Nous ne la voterons donc pas, sans toutefois, j’y insiste, déposer d’amendements de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, monsieur le ministre, chère Cécile Cukierman, mes chers collègues, non, cette proposition de loi que nous présentons aujourd’hui n’est pas conjoncturelle et uniquement liée à la crise du Covid ! Nous avions travaillé sur ce texte auparavant.
Il y avait en effet d’ores et déjà dans notre pays, avant l’actuelle crise sanitaire, un énorme problème, qui a explosé depuis, de pouvoir d’achat et de garantie contre la précarité du logement pour les catégories de population les plus modestes.
Je n’aborderai pas l’ensemble de la politique du logement, car nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des plans de relance. Nous ciblons une mesure très concrète et opérationnelle, qui a un effet massif : les aides personnelles au logement.
Premièrement, je me réjouis que la Cour des comptes reconnaisse, pour une fois, le rôle majeur des APL dans la redistribution sociale, au niveau global et pas seulement pour le droit au logement. Elle indique ainsi que ces aides « jouent de fait un rôle central dans la redistribution monétaire au profit des plus modestes : elles représentent près de 30 % de l’effort de redistribution en direction des ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent plus de 75 % des bénéficiaires. »
M. Julien Bargeton. C’est ce que j’ai dit !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ceux qui auraient des doutes sur la cible, la Cour précise bien que 75 % des bénéficiaires sont dans le premier décile ! Il n’y a donc pas à s’interroger à cet égard…
Deuxièmement, l’effet de ces aides est stratégique et permanent.
Mme Annie Guillemot. Et dans le privé ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans le privé, le sujet est le même !
En effet, tandis que le taux moyen de dépenses pour le logement est de 25 %, il s’élève à 30 ou 35 % pour les familles modestes, et même à 40 ou 45 % quand elles habitent dans le parc privé.
Mme Annie Guillemot. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’effet des APL est donc double puisqu’il est redistributif et, à la fois, favorise le pouvoir d’achat ponctionné par les dépenses de logement.
On nous dit que notre dispositif est complexe. Je veux bien l’entendre, mais les avantages fiscaux que Bercy dévide à tire-larigot, tous les quarts d’heure, le sont aussi !
J’en suis d’accord, les choses doivent être simples, pour que le peuple puisse comprendre ses droits et en bénéficier. Je n’ai aucun état d’âme, mais je connais aussi le discours de La République En Marche : « C’est compliqué, donc il faut réduire la prestation. » (M. le ministre fait un geste de dénégation.)
M. Julien Bargeton. Non !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pardonnez-moi, mais c’est ce que vous faites !
Si vous aviez instauré la contemporanéisation des APL à euro constant, notamment, nous aurions pu nous contenter d’un débat technique pour chercher, ici ou là, d’éventuels trous dans la raquette… Mais là n’est pas le sujet !
Depuis des années, vous le savez, Bercy a dans le collimateur les dépenses prétendument trop importantes consacrées aux APL. La preuve en est que vous les avez massivement diminuées. Le rapport de Mme Estrosi Sassone est sur ce point d’une précision absolue, et je vous renvoie à ses chiffres : ces aides ne cessent de baisser ! (Mme Valérie Létard applaudit.)
Votre problème n’est donc pas la complexité, mais la régulation budgétaire, que vous faites sur le dos des personnes relevant du premier décile, c’est-à-dire les plus pauvres.
Mme Catherine Fournier. Très bien !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous reconnaissez que vous avez fait une erreur avec la baisse de 5 euros des APL. La Cour des comptes dit la même chose. Mais faute avouée n’est pas pardonnée ; elle ne l’est que si elle est réparée ! (Mmes Valérie Létard et Annie Guillemot applaudissent.)
Nous vous demandons de réparer cette faute. Lors du débat budgétaire, nous ne pouvions pas vous demander cette rectification, car cette mesure relève du domaine réglementaire.
Je le répète, nous vous le demandons solennellement : les 5 euros doivent être rendus aux catégories qui bénéficient des APL. C’est un droit !
Nous ne débattons pas en l’occurrence d’une mesure conjoncturelle, d’une aide que l’on accorderait pendant une année en raison de la crise du Covid. Nous voulons remettre en marche ces aides à la personne, afin qu’elles soient à la hauteur des besoins sociaux et qu’elles permettent de solvabiliser et de garantir le droit au logement des familles les plus modestes de ce pays !
C’est au moment de la loi instituant le droit au logement opposable, dite loi DALO, qu’a été consolidée l’idée d’actualisation automatique a minima en fonction de l’IRL, donc de l’évolution des prix du logement.
Mme Annie Guillemot. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cette mesure est structurelle. Grignoter ces aides revient à diminuer les capacités d’accès au logement et à augmenter les difficultés de pouvoir d’achat des plus modestes.
Si l’on compare les sommes en cause et l’argent qui a été déversé au dernier moment pour colmater la brèche, on constate que cette proposition de loi est modeste. Elle est néanmoins efficace, car elle cible juste et dans la durée.
Mme Valérie Létard. C’est vrai !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Lorsqu’un ordre de grandeur global, évoluant positivement, sera adopté pour les APL, nous serons tous prêts à travailler pendant des jours, des heures et des nuits sur la simplification du système, à la condition toutefois qu’il demeure juste. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi de Cécile Cukierman consacrée aux aides personnelles au logement.
Nos collègues communistes considèrent que la politique menée depuis le début du quinquennat en matière de logement a conduit à une précarisation accrue des ménages à revenus modestes, et ils proposent quatre mesures pour infléchir cette politique : la suppression du délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement ; l’abrogation du seuil de non-versement des APL, actuellement fixé à 10 euros par mois ; le maintien des APL en cas d’impayés de loyers dans le cas d’une crise sanitaire ; la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers en 2020.
La commission des affaires économiques du Sénat s’est prononcée favorablement sur deux mesures : le délai de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers. Elle a considéré, à juste titre, que la politique menée jusqu’à présent avait pénalisé les ménages les plus en difficulté et qu’elle risquait d’amplifier ces difficultés au regard de la crise économique catastrophique qui s’annonce, comme l’ont dit plusieurs de mes collègues.
Au-delà des mesures proposées par nos collègues communistes et de celles qu’a retenues la commission, se pose la question de la pertinence et de l’efficacité des politiques de logement menées depuis de nombreuses années, singulièrement depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Je salue le travail fourni et constant de ma collègue rapporteur sur ce sujet.
Nous voyons bien que la régulation budgétaire, qui sape le pouvoir d’achat des plus modestes et aggrave la précarité des ménages, ne peut tenir lieu de politique. L’enjeu n’est pas mince.
Je rappelle que les trois aides personnelles au logement sont versées à 6,6 millions de ménages et permettent une diminution importante de la charge des dépenses de logement des locataires qui en bénéficient. La Cour des comptes relève qu’elles couvrent en moyenne 49 % du loyer hors charges, dans le cas de l’APL versée aux locataires de logements sociaux, et environ 36 % du loyer pour ce qui concerne l’allocation de logement familial et l’allocation de logement social versées aux ménages logés dans le secteur locatif privé.
En 2015 et 2017, ces trois aides atteignaient 18 milliards d’euros par an. Elles ont été ramenées à 17 milliards d’euros en 2018 et 2019, et la loi de finances pour 2020 prévoit un montant stabilisé à 15,3 milliards d’euros.
Les deux mesures décidées au deuxième semestre de 2017 – la réduction uniforme des APL de 5 euros par mois, et la mise en place d’une réduction du loyer de solidarité dans le parc locatif social – n’ont eu d’autre objectif que de réduire le déficit des finances publiques. Elles ont fortement ébranlé l’opinion publique et suscité une vague de contestation. Elles succédaient à de nombreuses mesures de régulation, moins visibles, prises par le gouvernement de François Hollande, comme le gel ou la sous-indexation des paramètres de calcul, la dégressivité de l’aide pour les loyers les plus élevés, la prise en compte du patrimoine des bénéficiaires, ou encore la suppression de l’aide pour les accédants à la propriété.
Les évolutions attendues à partir de cette année – je pense, en particulier, à la prise en compte contemporaine des ressources des bénéficiaires pour le calcul des aides, dont la mise en œuvre a d’ailleurs été repoussée à plusieurs reprises, tant elle est complexe – et le projet de création d’un revenu unique d’activité regroupant l’ensemble des aides à la personne nous laissent craindre une poursuite de cette politique récessive en matière de logement.
C’est une politique sans affect, menée sans vision et de manière technocratique, dans le cadre de laquelle tous les acteurs – État, ménages et bailleurs sociaux – sont perdants ; cette politique est vouée à l’échec.
Si je ne méconnais pas la nécessité de maîtriser les dépenses, je considère qu’il est temps, monsieur le ministre, de refonder la politique du logement et de remettre l’équité du système au cœur de vos préoccupations. Cette équité, selon la Cour des comptes, passe par l’analyse fine de la situation des personnes disposant de revenus d’activité très modestes, fortement pénalisées en matière d’aide au logement par rapport à celles qui bénéficient de revenus de transfert. Elle passe également par une meilleure information des allocataires potentiels des aides au logement, qui sont environ 2 % à ne pas demander le bénéfice de l’APL ; la question du non-recours n’est pas sans incidence sur la situation de pauvreté de certains ménages.
Une réforme véritablement ambitieuse aurait pour objectif une simplification des règles de calcul des aides. La Cour des comptes regrette, à juste titre, que les pouvoirs publics n’aient toujours pas mis fin à la complexité de ces modes de calcul, à l’origine de nombreux indus et de fraudes.
Je ne reviendrai pas sur la perte de confiance des bailleurs sociaux vis-à-vis des pouvoirs publics, survenue à la suite de la réforme du mouvement HLM et de la réduction de loyer de solidarité, décidée unilatéralement. Néanmoins, il me semble nécessaire de s’interroger sur les moyens qui doivent être effectivement alloués aux bailleurs sociaux pour relancer l’effort de construction, qui s’avérera indispensable.
Je l’évoquais au début de mon intervention, la crise économique s’annonce particulièrement violente, avec un risque de paupérisation d’une partie de la population. Les besoins en logements sociaux, voire très sociaux, seront importants, et la solvabilité des ménages devra être assurée au moyen des aides au logement. Or les objectifs de construction ne seront à l’évidence pas atteints cette année, compte tenu de l’arrêt des chantiers durant la crise sanitaire. La reprise sera lente et allongera les délais de livraison.
Par conséquent, je souhaite que le Gouvernement soit attentif au rôle essentiel du logement social et des aides personnelles au logement, qui permettent de satisfaire les besoins essentiels des catégories modestes ; un véritable engagement doit être pris à très court terme contre le mal-logement et la précarité, qui fracturent notre société et laissent tant de monde sur le bord du chemin. (Mmes Viviane Artigalas, Valérie Létard et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais, vu la teneur des dernières prises de parole, je ne peux pas ne pas le faire.
D’abord, je ne sais combien d’heures j’ai passées dans cet hémicycle, mais je pense que vous m’avez rarement vu éluder des questions ou faire de la basse politique ; ce n’est pas mon genre, j’ai toujours été dans un état d’esprit très constructif.
Ensuite, je ne suis pas d’accord avec vous, madame la sénatrice Darcos, quand vous affirmez que, depuis trois ans, nous mettons en œuvre une politique du logement « sans vision » ; j’ai montré exactement l’inverse. Si vous le voulez, nous pouvons entrer dans ce débat, mais, dans ce cas, je vais vous donner des chiffres, puisque c’est ce qui est le plus parlant.
C’est sans doute une « politique sans vision » qui a fait que la rénovation, au travers de l’ANAH, dont j’ai la responsabilité, a doublé en deux ans ; l’ancienne secrétaire d’État Valérie Létard pourra vous le confirmer !
C’est sans doute une « politique sans vision » qui fait que l’on a engagé, en un an et demi, au travers de l’ANRU, 10 milliards d’euros de travaux de rénovation, parce que nous considérons, comme l’a dit Mme la sénatrice Guillemot, que la situation des quartiers nous oblige !
C’est sans doute une « politique sans vision » qui nous a conduits à concevoir le plan Action cœur de ville, cher au RDSE, porté par le ministre Jacques Mézard ! Depuis combien de temps n’avions-nous pas eu une politique d’aménagement et de rénovation du cœur de nos villes moyennes ? Souvenez-vous ! Est-ce que c’est ça, une politique sans vision ? Quelque 3 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés dans ce cadre.
C’est sans doute une « politique sans vision » qui nous a conduits à transformer le fameux CITE en une prime intitulée « MaPrimeRénov’ » ! Et c’était complexe ! Auparavant, 50 % du crédit d’impôt pour la transition énergétique bénéficiait aux 20 % des ménages les plus aisés. Depuis que nous avons instauré, le 1er janvier dernier, MaPrimeRénov’ – ça a été du boulot, je peux vous le dire ! –, 50 % de ce dispositif bénéficie aux 50 % des ménages les plus fragiles.
Je réfute donc totalement l’idée selon laquelle il n’y a pas de vision ! La vision est très claire : il s’agit de faire, d’un côté, de la rénovation, de la rénovation, de la rénovation et, de l’autre, du logement abordable, du logement abordable, du logement abordable !
De la même manière, je veux revenir sur la question des plus précaires, des sans-abri. Grâce à l’effort déployé collégialement, avec les collectivités et les associations, nous avons mis à l’abri 180 000 personnes. Avant le début de la période hivernale, nous étions aux environs de 145 000 ; c’est donc 35 000 places de plus depuis le 1er novembre dernier.
Mme Éliane Assassi. Vous parlez d’hébergement, nous parlons de logements !
M. Julien Denormandie, ministre. C’était la première fois que mon ministère proposait des chèques services, c’est-à-dire des tickets restaurant et de l’aide alimentaire pour suppléer les associations.
En deux ans, la politique « le Logement d’abord », soutenue depuis longtemps dans cet hémicycle, qui vise – le sénateur Julien Bargeton le rappelait – à arrêter le cercle vicieux de l’hébergement d’urgence et à installer les gens dans un vrai logement, a permis de sortir 150 000 personnes d’un logement de très grande précarité ou de la rue, pour leur donner un logement pérenne. Ce n’est pas une vision, ça ?
En ce qui concerne l’expulsion locative, je suis infiniment d’accord avec les deux orateurs qui l’ont évoquée. D’ailleurs, ma main n’a pas tremblé quand, à deux reprises depuis le début de la crise sanitaire, j’ai décalé la fin de la trêve hivernale. Cela a été l’une des premières annonces faites par le Président de la République, dès le mois de mars, et la main du Gouvernement n’a pas tremblé quand il s’est agi de repousser, une nouvelle fois, la fin de la trêve hivernale, ce qui entraîne le report des expulsions locatives et le maintien du dispositif d’hébergement d’urgence.
Enfin, madame la ministre Lienemann, franchement, nous nous connaissons trop… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.) Je vous renvoie aux propos du directeur général de la CNAF, que vous connaissez bien et qui est un très grand serviteur de l’État : c’est lui qui m’a demandé de reporter la réforme. Il m’a dit que, si on la lançait le 1er avril, en pleine crise du Covid-19 et alors que le taux de satisfaction atteignait 91 %, cela impliquerait un accompagnement individuel. Cet accompagnement individuel, c’est le boulot formidable des agents des CAF, dont je salue l’excellent travail. C’est uniquement pour cela que l’on a décalé. Il ne faut pas y voir de sous-entendus ni en avoir une mauvaise interprétation.
J’ai un autre point de désaccord. Nous considérons tous, je crois, que le système des APL est très complexe. Calculer les APL en temps réel représente des milliers d’heures de travail.
Mme Annie Guillemot. Embauchez !
M. Julien Denormandie, ministre. Cette réforme n’est pas une question d’efficacité, elle est juste, comme vous l’avez dit. Simplement, il fallait se retrousser les manches, faire bouger le système et la mettre en œuvre. Dès 2012, la Cour des comptes indiquait que le système était trop complexe ; il aurait donc été très bien que cette réforme soit conduite en 2012,…
Mme Éliane Assassi. Où étiez-vous en 2012 ?
M. Julien Denormandie, ministre. … voire avant, car cela fait des années que le système est beaucoup trop complexe. Pas une personne, ici, ne peut dire qu’il est pertinent. Il s’agit donc simplement d’une question de courage et de volonté de faire.
Pour finir, je veux simplement remercier Mme la sénatrice Cukierman d’avoir lancé ce débat, toujours très enflammé, mais tellement important pour nos concitoyens.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement
Article 1er
Au début de l’article L. 823-5 du code de la construction et de l’habitation, sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Les aides personnelles au logement sont dues à compter du premier jour du mois civil au cours duquel les conditions d’ouverture du droit sont réunies. Toutefois, lorsque ces conditions sont réunies antérieurement au mois de la demande, l’aide est due à compter du premier jour du mois au cours duquel la demande est déposée. »
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
L’article L. 823-7 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. L’article 2 du texte supprime l’application du seuil de non-versement, aujourd’hui fixé à 10 euros. Ce seuil existe pour toutes les prestations, afin d’optimiser le travail des caisses ; 17 000 ménages seraient concernés.
Je tiens à rappeler deux choses : c’est ce gouvernement qui, en 2017, a abaissé ce seuil à 10 euros, contre 15 euros depuis 2007 ; c’est ce même gouvernement qui a supprimé ce seuil de 10 euros pour le parc local social ordinaire. Ainsi, dans les faits, il n’y a d’ores et déjà pas de seuil pour une grande partie des bénéficiaires, cela concerne moins de 40 % des aides personnelles au logement.
Cet article pose également la question de la charge de travail supplémentaire qui serait alors imposée aux caisses, au vu du nombre de dossiers supplémentaires – on parle tout de même de 17 000 dossiers – et alors que les frais représentés par la liquidation de l’aide dépasseraient le montant de celle-ci.
Par conséquent, vous l’aurez compris, le groupe La République En Marche votera pour l’amendement de suppression de la rapporteure, considérant que cette mesure risque de mettre en tension les effectifs des caisses.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Estrosi Sassone, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Vous avez indiqué, monsieur Bargeton, que c’était ce gouvernement qui avait abaissé le seuil de non-versement de 15 euros à 10 euros, mais c’est aussi lui qui a mis en place la réduction de loyer de solidarité et qui a fait en sorte que le seuil de non-versement n’existe plus dans le parc social, en raison même de la réduction de loyer de solidarité. Il faut aussi replacer les choses dans leur contexte.
Nous nous sommes entretenus avec les auteurs de la proposition de loi sur cet article 2. Même s’il s’agit d’une mesure traditionnelle de gestion, les coûts de traitement des dossiers et des demandes d’intervention seraient, même pour les bénéficiaires, nettement plus élevés que ce qui reviendrait aux allocataires au travers de l’APL ; du reste, même si cette allocation était annualisée, afin de constituer une somme un peu plus importante, elle serait, de toute façon, trop modique par rapport au coût d’instruction des dossiers.
Ainsi que nous en étions convenus, nous souhaitions que le débat ait lieu en séance. C’est la raison pour laquelle nous proposons seulement maintenant cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour explication de vote.
Mme Annie Guillemot. Je serai brève.
D’abord, je veux dire qu’il faut peut-être revenir sur la sous-indexation des APL.
Ensuite, même s’il y a de bonnes mesures dans la réforme des APL, il faut faire attention aux jeunes. Il y aura près de 350 000 jeunes qui, s’ils y arrivent, prendront un nouveau job et qui ne toucheront plus l’APL. Il faut absolument abonder et revoir cette réforme en ce sens.
M. le président. En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3
(Supprimé)
Article 4
Le II de l’article 200 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est abrogé.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. Puisqu’il faut remettre les choses dans leur contexte, il faut aussi mentionner les autres mesures prises par le Gouvernement. Je veux ainsi citer la prime d’activité, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et l’allocation aux adultes handicapés, qui ont toutes été revalorisées. Je veux également mentionner la prolongation automatique des minima sociaux et de la trêve hivernale, le lancement d’un plan alimentaire d’urgence, l’aide exceptionnelle versée à 4 millions de ménages en difficulté ou encore l’aide pour les jeunes précaires de moins de 25 ans. J’ai parlé de cela lors de ma prise de parole liminaire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La question n’est pas là !
M. Julien Bargeton. Lorsque l’on parle de ce sujet, si l’on veut être objectif et remettre les choses dans leur contexte, il faut aussi citer l’ensemble des mesures déjà prises.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Les éventuelles pertes de recettes résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.
Mme Viviane Artigalas. Je veux souligner combien cette proposition de loi est importante et rappeler qu’elle a été déposée avant la crise, contrairement à ce qu’a dit M. Bargeton.
Toutefois, on voit bien, avec cette crise, à quel point elle est d’actualité, à quel point son importance est renforcée, parce que la question du logement, en particulier pour les jeunes qui vont chercher un premier emploi – je rejoins ma collègue Annie Guillemot sur ce point –, va se poser de façon cruciale. C’est pour ça que, lors de la réforme de l’APL en temps réel, nous avions regretté que ne soient pas mises en œuvre des mesures d’accompagnement de ceux qui perdaient, de façon brutale, leurs APL.
Nous revenons donc dessus, et il est important que nous travaillions ensemble, en particulier sur la situation des jeunes relativement à la question des APL. Cette réforme ne doit pas être mise en application n’importe comment, sans faire attention aux personnes les plus défavorisées.
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le ministre, vos réformes et les économies que vous avez voulu faire ont considérablement affaibli les bénéficiaires du secteur social et les bailleurs du logement social ; le modèle du logement social n’est certes pas parfait, mais cela l’a affaibli.
Bien sûr, nous voterons cette proposition de loi – je remercie d’ailleurs Mme Cukierman de l’avoir déposée et de l’avoir soumise à notre examen à ce moment-ci –, mais ce texte montre aussi qu’il est impératif de ne pas faire d’économies sur le logement social ; c’est très important. Nous avons attiré l’attention là-dessus lors de l’examen des trois derniers projets de loi de finances rectificative.
Je crois que vous devez revoir votre politique à ce sujet, monsieur le ministre ; contrairement à ce que vous dites, elle n’est pas bonne et elle va dans le mauvais sens.
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour explication de vote.
Mme Annie Guillemot. Nous allons bien sûr voter cette proposition de loi, mais je veux revenir sur trois points.
En premier lieu, je veux vous faire part de mon inquiétude : il faut arrêter de fragiliser Action Logement, examiner la situation de cet organisme. J’en suis très préoccupée et, dans les territoires, les maires le sont également.
En second lieu, pour répondre à M. Bargeton, sur la réforme des APL, si les agents de la CAF doivent vérifier les revenus des assurés tous les trois mois, ce sera extrêmement difficile aussi. Je pense même, pour être en relation très étroite avec ce réseau, que, pour certaines caisses, ce ne sera pas possible. Il faut donc également revoir cela.
En troisième lieu, je veux revenir sur la politique de la ville. Nous avons constaté, en commission d’attribution – comme tous les élus qui participent à cette instance, je pense –, la paupérisation d’un certain nombre de territoires, avec une concentration de pauvreté. Le monde d’avant était déjà comme ça ; le monde d’après sera pire pour les jeunes d’un certain nombre de quartiers ; les rodéos ne sont sans doute pas le phénomène le plus inquiétant. Nous devons vraiment lutter contre les discriminations et cette concentration de pauvreté dans un certain nombre de territoires et de communes très pauvres. J’ai le sentiment que ça n’ira pas, qu’on aura des troubles très graves à l’ordre public si ça continue ainsi et si on ne met pas les jeunes des quartiers dans l’emploi ou dans des contrats aidés. Je le répète, parce que je pense qu’on est dans une situation explosive.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote.
Mme Valérie Létard. J’indique à mon tour que le groupe Union Centriste votera avec grand plaisir cette proposition de loi ; c’est une initiative très heureuse, qui arrive effectivement au moment où ce débat doit être remis au centre des préoccupations du Gouvernement.
Cette discussion pose plus largement tant la question de la possibilité des ménages d’accéder, sans s’endetter, à un logement – derrière l’APL, il y a le problème du surendettement des ménages – que celle, bien sûr, du financement du logement social, à un moment où celui-ci va subir, pour des raisons évidentes, de fortes tensions.
Je profite de cette prise de parole, sans en abuser, pour compléter les propos de ma collègue sur Action Logement. L’article 3 d’un texte adopté tout récemment à la suite d’un accord en commission mixte paritaire permet d’enregistrer la trésorerie d’un certain nombre d’organismes publics ou privés exerçant des missions de service public dans les comptes du Trésor.
Si l’on peut, apparemment, être rassuré pour ce qui concerne les bailleurs sociaux, on l’est beaucoup moins pour Action Logement. Nous espérons juste que cette opération ne mettra pas en grand péril les capacités financières de cet établissement, qui doit aller au maximum de ses capacités pour accompagner, auprès des territoires, la production et la rénovation de logements, pour jouer sa mission de service public et pour accompagner les salariés, à un moment où ceux-ci en auront besoin.
Par ailleurs, nous attendons toujours l’arrêté et le décret permettant d’améliorer la gouvernance d’Action Logement et d’instaurer, en son sein, un comité des partenaires, associant des élus locaux ou nationaux.
Tout cela permettra à Action Logement d’aller plus loin et nous assurera d’avoir, à vos côtés, monsieur le ministre, les moyens d’aller plus loin, plus vite et plus fort dans la production et l’amélioration du logement au service des plus fragiles.
Je remercie encore nos collègues de cette initiative, et je remercie le Sénat d’être toujours mobilisé et convergent quand il s’agit de défendre le logement social. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et SOCR. – Mme Laure Darcos et M. Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je tiens bien évidemment à remercier chacun d’entre vous, notamment Mme la présidente de la commission et Mme la rapporteure.
C’est vrai, cette proposition de loi a été travaillée avant le début de la crise ; nous avons fait le choix de l’inscrire dans la niche parlementaire d’aujourd’hui, mais les conditions de travail pour écrire le rapport et pour échanger ont forcément été beaucoup plus compliquées, vu les conditions sanitaires que nous vivons depuis plusieurs semaines.
Je veux tout de même vous remercier, monsieur le ministre, de la qualité et de la franchise des débats. Tout débat enflammé est aussi le fruit des passions, tout simplement parce que, quand il s’agit de la question du logement, nous touchons à l’essentiel de la vie humaine, à ce qui permet d’être digne et – je l’ai toujours dit, au cours des débats que nous avons eus – de se construire, de s’inscrire dans une société, de faire du commun ensemble. Ainsi, l’accès à un logement de qualité est un droit fondamental.
Vous reconnaissez des erreurs, cela a été dit ; je ne sais pas si les fautes avouées sont à moitié pardonnées, mais il y a maintenant besoin de les corriger réellement, dans les actes.
Oui, il y a, aujourd’hui – il n’y a pas de débat sur ce constat –, des trous dans la raquette sur la question des APL et de ses bénéficiaires, mais, pour filer la métaphore, la question n’est pas de passer des trous d’une raquette de tennis à des trous, plus petits, d’une raquette de badminton en n’intégrant pas tout le monde dans le dispositif, et encore moins de supprimer les trous par la réduction du spectre de la raquette, pour aboutir à une raquette de ping-pong… Il y a donc un défi : ne pas exclure d’autres personnes du bénéfice des APL en temps réel. Selon les chiffres qui nous ont été donnés, en répondant à certains, vous en excluez d’autres.
Enfin, permettez-moi simplement de vous dire, mon cher collègue, que je n’ai jamais prétendu que cette proposition de loi était l’alpha et l’oméga de la problématique du logement. Je ne fais pas de politique pour faire de la charité, mais, je le dis sans aucune prétention et avec beaucoup d’ambition, ce que nous faisons ce matin répondra durablement aux attentes des Français. (Applaudissements sur toutes les travées, sauf sur celles du groupe LaREM.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et UC.)
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Création de Points d’accueil pour soins immédiats
Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d’accueil pour soins immédiats (proposition n° 164, texte de la commission n° 462, rapport n° 461).
Je rappelle que notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars dernier.
J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité – je pense qu’il n’y aura pas de problème aujourd’hui… (Sourires.)
Tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi est une occasion de plus d’exprimer notre gratitude et notre reconnaissance aux personnels soignants, qui sont mobilisés depuis des semaines pour faire face à une crise sanitaire sans précédent.
Au-delà des mots que je viens de prononcer – ils ont leur importance –, il y a les actes, qui sont imminents. Le Ségur de la santé, qui s’est ouvert la semaine dernière, est riche de promesses et d’espoir pour tous ceux qui soignent, pour tous ceux qui accompagnent, pour tous ceux qui sauvent.
Il est indispensable de reconnaître les soignants dans ce qu’ils sont et dans ce qu’ils font, tout comme il est indispensable de soulager leur quotidien en adaptant notre système de santé aux enjeux de notre temps et en permettant à chacun d’accéder à des soins correspondant à sa situation. La crise sanitaire a été une épreuve de vérité pour notre système de santé en révélant à la fois ses atouts et ses faiblesses.
Depuis plusieurs années, nous le savons, les services d’urgence sont saturés. Ils sont pris d’assaut et sont devenus, pour beaucoup de nos concitoyens, une sorte de réflexe, une première porte d’entrée dans le système de santé. Les images de lits dans les couloirs, de soignants faisant ce qu’ils peuvent dans des conditions dégradées ne datent pas d’hier. Elles sont le reflet des évolutions et des grandes mutations de notre société.
La figure rassurante du médecin de famille qui prenait les décisions de santé, qui était joignable à toute heure du jour et de la nuit a perdu de son évidence pour beaucoup de Français. Elle ne répond probablement plus non plus totalement à la conception qu’ont les nouvelles générations de médecins de leur exercice professionnel. Avec la perte de ce repère, nombreux sont les Français qui font part de leur difficulté à s’orienter dans notre système de santé.
Je sais combien les médecins libéraux se mobilisent aujourd’hui et à quel point ils sont prêts à le faire encore davantage demain, en particulier dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé qui émergent et se structurent dans les territoires afin de garantir l’accès de chacun à un médecin traitant. Ce combat est fondamental, car le médecin traitant est, et doit rester, le gage d’un suivi au long cours, d’une prise en charge globale, intégrant une dimension à la fois préventive et curative et contribuant à la bonne orientation des patients dans notre système de santé. Sans médecin traitant, l’errance médicale s’accentue, les patients n’ont plus personne à qui s’adresser, les urgences deviennent tout à la fois le premier et le dernier recours, pour ne pas dire le seul recours pour beaucoup. Il en résulte un engorgement de ces services, cette situation faisant peser une pression néfaste sur tout le monde.
Le texte qui est débattu aujourd’hui, et dont l’examen a débuté en novembre dernier, est une initiative parlementaire. Sa vocation est d’apporter une plus grande clarté à notre système de santé. Permettez-moi de saluer le travail qui a été effectué pour proposer un texte opérationnel. Je salue également tous ceux qui ont enrichi ce texte à l’Assemblée nationale et ici, au sein de la commission, et qui, par leur contribution, proposent des solutions très concrètes pour améliorer l’accès aux soins dans notre pays.
Pour éviter les situations d’engorgement des urgences, ce texte prévoit la création d’une catégorie nouvelle de structures de santé, à mi-chemin entre la médecine générale traditionnelle et les services d’urgence : les points d’accueil pour soins immédiats. Cette catégorie est, sur le fond, pertinente, car nous savons que beaucoup d’admissions aux urgences ne répondent pas aux critères de la médecine d’urgence.
Il s’agira de labelliser pour une durée de cinq ans, par le biais des agences régionales de santé, des structures capables d’accueillir des patients dans le cadre de soins non programmés, lorsque les situations ne répondent pas aux critères de la médecine d’urgence. Une signalétique spécifique, qui reste à définir, permettra d’identifier ces structures et d’orienter le patient vers celles-ci, contre le réflexe, puisque c’est bien devenu un réflexe, d’aller aux urgences.
La gradation des soins ne doit pas être une notion technique, voire abstraite, pour nos concitoyens ; elle doit être une réalité de terrain. De ce point de vue, cette proposition de loi est un outil très concret pour apporter une réponse juste, pertinente, aux soins requis. Il faut bien le dire, entre la consultation chez son médecin traitant et l’admission dans un service d’urgence, il y a toute une série de nuances, des degrés de gravité divers. On peut avoir besoin de soins immédiats sans pour autant requérir l’intervention de la médecine d’urgence. Autrement dit, l’ambition de cette proposition de loi est non pas de créer une couche supplémentaire, mais bien de matérialiser un chaînon qui parfois peut manquer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, nous ne ferons pas l’économie, dans le cadre du Ségur de la santé, d’un débat sur les organisations, sur la bonne coordination des collectifs de soins, sur les territoires. C’est l’un des grands enjeux de la concertation qui a été lancée par le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran.
La crise sanitaire que nous traversons a conduit chaque service à se réinventer, à prioriser, à s’articuler avec les autres. Des trésors d’ingéniosité, d’imagination sont nés de cette crise. Il faudra que le « monde d’après », comme l’on dit, s’enrichisse de ces dispositifs.
Sous réserve de certaines modalités pratiques, qui restent à définir, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi, qui poursuit, qui complète l’action du Gouvernement dans le champ de l’accès aux soins non programmés entamée il y a désormais plusieurs mois.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par m’associer à l’hommage qui vient d’être rendu aux soignants et par remercier ceux de nos collègues qui se sont rendus disponibles à l’hôpital pendant la crise, en particulier Véronique Guillotin et Bernard Jomier.
Ces derniers mois nous ont rappelé avec force une évidence simple : la santé est au cœur des priorités de nos concitoyens.
Au moment où s’engage le Ségur de la santé, et alors que les attentes s’expriment de manière pressante, la proposition de loi du député Cyrille Isaac-Sibille dont nous allons débattre n’a pas l’ambition de refonder notre système de soins. Elle apporte une réponse ponctuelle, mais néanmoins concrète et pragmatique, à des réalités que nous sommes nombreux à constater.
Ces réalités, ce sont les angoisses de nombre de nos concitoyens dans les territoires où la démographie médicale est fragile et où l’accès aux soins est difficile.
Ces réalités, ce sont aussi les difficultés, en partie corrélées, résultant de l’engorgement des services d’urgence, dont la fréquentation a plus que doublé en vingt ans, ce qui a eu des conséquences en chaîne sur l’hôpital. Nos collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary, présents aujourd’hui, avaient d’ailleurs parfaitement mis en évidence ces conséquences dans un rapport en 2017.
En effet, les services d’urgence assurent une prise en charge complète, en un seul lieu et sans avance de frais. Ils offrent une réponse à une urgence médicale ressentie, que les patients ne trouvent pas toujours, dans les mêmes conditions, auprès des professionnels de ville. Or, selon la Cour des comptes, une consultation « classique » serait, dans 10 % à 20 % des cas, plus appropriée au regard du besoin médical réel, qui plus est à un coût moindre pour l’assurance maladie.
Les points d’accueil pour soins immédiats (PASI), instaurés par la proposition de loi visent à assurer, pour des soins qui ne relèvent pas stricto sensu de l’urgence médicale, comme la petite traumatologie, une prise en charge intermédiaire entre le cabinet médical et le service d’urgence. Cette offre de soins graduée serait dimensionnée aux besoins médicaux des patients, avec un accès direct, ou organisé, à des plateaux techniques, notamment d’imagerie ou de biologie médicale, afin de constituer une réelle alternative aux urgences hospitalières. Elle présenterait les mêmes garanties d’accès financier aux soins, notamment par l’application du tiers payant. Toutes les auditions l’ont démontré, c’est là une exigence de chacun. Elle serait enfin aisément identifiable par une signalétique spécifique : par exemple une croix orange, comme le propose l’auteur du texte, en référence à la croix rouge des urgences et à la croix verte des pharmacies.
L’instauration du label « PASI » permettra de rendre visibles et lisibles des structures qui existent pour certaines d’ores et déjà, au sein d’une maison, d’un centre de santé ou adossées à un hôpital de proximité. Les PASI s’inspirent en effet d’expériences de terrain diverses, résultant parfois de la transformation de services d’urgence surdimensionnés, parfois de l’initiative de professionnels libéraux.
Pour l’auteur du texte, ces points d’accueil ont vocation à former une « réponse ambulatoire » à la prise en charge des soins non programmés, en complémentarité de Ma santé 2022 ou du pacte de refondation des urgences et des mesures progressivement mises en place pour accompagner la structuration des acteurs de la médecine de ville et le déploiement de l’exercice coordonné. En ce sens, les évolutions apportées au texte par l’Assemblée nationale ont permis d’articuler les PASI avec les projets de territoire en cours de formalisation, notamment ceux qui sont portés par les professionnels de santé dans les CPTS, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État.
Si l’initiative est bienvenue, j’entends également certaines réserves que ce texte peut susciter ; nos débats en commission s’en sont fait l’écho. Ces réserves sont autant de points de vigilance auxquels il nous faudra être attentifs afin d’emporter l’adhésion des professionnels de santé.
Un premier écueil serait de promouvoir une approche consumériste du soin. Nous aurons, lors de l’examen des amendements, un débat sur la notion de « soins immédiats », qui peut, à certains égards, induire cette perception.
Au-delà des questions de vocabulaire, l’enjeu de la régulation sera déterminant pour assurer la pertinence des prises en charge et éviter tout appel d’air. Cette régulation médicale devra être cohérente avec les initiatives des professionnels dans les territoires ou avec le projet de numéro unique – le service d’accès aux soins envisagé par le Gouvernement. En outre, l’information des patients sur l’offre de soins disponible, laquelle est à ce jour largement insuffisante, sera un corollaire indispensable afin d’éviter tout risque de confusion en cas d’introduction dans le paysage sanitaire d’une croix orange.
Un second écueil serait de déstabiliser l’organisation mise en place dans les territoires en ajoutant un étage au millefeuille – cela a été rappelé en commission –, une structure en plus, déconnectée des autres acteurs, comme le craignent des syndicats de médecins.
Les médecins généralistes sont les premiers acteurs des soins non programmés, et il n’est nullement question de leur dérober ce rôle. Bien au contraire, les PASI ont vocation à venir en appui de ces professionnels dans leur mission. Pour cela, l’inscription des PASI dans un projet territorial est évidemment un élément fondamental.
Les ajustements que nous avons introduits dans le texte de la commission, sur ma proposition, ont eu précisément pour objectif de souligner la nécessaire complémentarité des PASI avec l’offre présente à l’échelon d’un territoire. Tout effet de concurrence serait délétère, sachant combien la ressource médicale est rare.
Nous avons également tenu à mettre en avant la nécessaire articulation avec le parcours de soins coordonné, de même que l’initiative première des acteurs de santé dans la démarche de labellisation. Ce type de projet ne saurait résulter d’une approche dogmatique des agences régionales de santé.
En outre, nous avons tenu à sortir d’un cadre médico-centré et à souligner le rôle essentiel qui pourra être dévolu aux autres professions dans ces structures, en premier lieu les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes, voire les pharmaciens.
Au final, ce texte ne résoudra pas d’un coup de baguette magique les difficultés d’accès aux soins. Il ne se substitue pas non plus aux réformes attendues de notre système de santé pour mieux répondre aux besoins. Je pense, par exemple, aux réflexions qui doivent encore progresser sur la coopération entre les professions de santé ou sur la revalorisation des visites à domicile. Cette proposition de loi offre néanmoins un outil pragmatique et complémentaire dont les professionnels de santé pourront se saisir dans les projets de territoire en cours de formalisation.
Le cadre général posé par ce texte offre, selon moi, la plasticité nécessaire pour adapter les PASI aux réalités locales, tant dans les zones urbaines que dans les zones rurales. C’est une condition qui me semble essentielle : le cahier des charges national devra rester simple et souple pour s’adapter à cette diversité et éviter tout carcan inutile.
Je sais que ce texte, même ainsi modifié par la commission, soulève encore certaines réserves sur plusieurs de nos travées et que son opportunité suscite des interrogations, à l’heure où s’ouvre le Ségur de la santé. Il nous semble cependant qu’il est conforme à des principes que nous avons à cœur de défendre dans cet hémicycle lorsque nous débattons de l’organisation de la santé : le volontariat des acteurs de terrain, la souplesse d’adaptation aux réalités des territoires, la prise en compte des besoins des patients.
Pour ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’avais prévu de dire, en introduction de mon intervention, tout le plaisir que j’avais de parler devant une foule en délire ; il me faut réviser quelque peu mes prétentions… (Sourires.)
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été adoptée par l’Assemblée nationale en novembre 2019, alors que de nombreux services d’urgence des hôpitaux publics connaissaient depuis des mois un mouvement social.
Nos collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary ont parfaitement analysé les difficultés des services d’urgence. Ils doivent être regardés non comme un point d’entrée défaillant dans le système de soins, mais comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de l’ensemble de notre système de santé. Leurs difficultés résultent moins de leur organisation propre que de leur positionnement original au confluent, en amont, des carences de la médecine de ville et de la permanence de soins ambulatoires et, en aval, des rigidités hospitalières.
Nous avons régulièrement eu l’occasion d’évoquer dans cet hémicycle et au sein de la commission des affaires sociales le problème que pose pour notre système de santé la gestion de la permanence des soins et, plus généralement, de l’accueil des soins non programmés – madame la rapporteure, je préfère cette terminologie à celle de soins immédiats, qui semble accréditer l’idée d’immédiateté.
Nous avons été conduits à examiner plusieurs dispositions sur ce sujet ces dernières années avec la mise en place de mesures diverses directement liées à la prise en charge des soins non programmés. Je pense notamment aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui, je le rappelle, ont pour mission de permettre aux patients du territoire concerné d’obtenir un rendez-vous le jour même ou dans les vingt-quatre heures, dès lors qu’il s’agit d’une urgence non vitale.
Depuis la signature en juin dernier de l’accord conventionnel interprofessionnel, les CPTS s’organisent sur l’initiative des professionnels de santé des territoires pour construire une offre de soins coordonnée. Le ministère de la santé estimait qu’il serait nécessaire de créer environ un millier de CPTS pour couvrir l’ensemble du territoire conformément aux objectifs du plan Ma santé 2022. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai une première question : pouvez-vous nous donner un état des lieux de la mise en place de ces CPTS ?
Par ailleurs, le pacte de refondation des urgences, annoncé en octobre dernier par Mme la ministre de la santé, prévoyait la création d’un service d’accès aux soins (SAS). Ma deuxième question est la suivante : où en sommes-nous ? Là encore, la coordination entre les centres 15 et les médecins de ville est une question primordiale, et j’imagine que la participation des médecins libéraux sera valorisée sur ce sujet. Monsieur le secrétaire d’État, la négociation conventionnelle entre les médecins libéraux et l’assurance maladie est-elle engagée ?
Enfin, les professionnels de santé se sont organisés sur leurs territoires, en créant des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des maisons médicales de garde, etc. Même si toutes ces initiatives ne sont pas suffisantes au regard de l’engorgement des services d’urgence, la réponse à la question qui nous est posée réside-t-elle dans la création d’un nouveau label par l’ARS ? Honnêtement, je ne le pense pas.
Comme je l’ai décrit à l’instant, les points d’accueil pour soins non programmés existent déjà, mais sous d’autres appellations. Ajouter une énième structure dans l’organisation des soins ne nous semble pas pertinent, d’autant plus que le Gouvernement vient d’installer le Ségur de la santé – Mme la rapporteure l’a rappelé –, qui, je l’espère, ne sera pas que le Ségur de l’hôpital…
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de former le vœu que ce Ségur ne soit pas un catalogue de demandes, mais qu’il apporte des solutions concrètes pour améliorer les conditions de travail de tous les professionnels de santé : médecins, infirmiers, paramédicaux… Je prendrai un exemple : la question du temps que les personnels, tous secteurs confondus, consacrent à leurs tâches administratives. Des solutions pratiques et rapides pour augmenter le temps médical doivent être mises en place ; tout le monde y gagnera, patients comme soignants.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez commencé votre intervention par un hommage aux soignants – permettez-moi, comme Mme la rapporteure, de le faire à mon tour –, mais cet hommage ne pourra se matérialiser que si des mesures concrètes et acceptées par les professionnels de santé sont effectivement adoptées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de saluer le travail réalisé sur cette proposition de loi par notre rapporteure, Élisabeth Doineau, et de la remercier pour ses mots d’introduction.
Depuis plus de vingt ans, le nombre de passages dans les services d’urgence augmente de 3,5 % chaque année en France ; il est passé de 10 millions en 1996 à plus de 20 millions aujourd’hui, soit près de 30 000 personnes chaque année par structure. Les établissements publics sont en première ligne, puisque seuls 18 % de ces passages sont pris en charge par le secteur privé.
Afin de désengorger les urgences hospitalières des prises en charge de patients dont le pronostic vital n’est pas engagé, ce texte crée des points d’accueil pour soins immédiats (PASI), initiative développée en région Auvergne-Rhône-Alpes. Ces PASI seraient labellisés par les agences régionales de santé.
Mes chers collègues, le temps de parole qui m’est attribué ne suffirait pas à établir la liste et à rappeler les conclusions des multiples rapports établis ces dernières années sur la question des urgences et de leur engorgement – certains ont été établis au sein de notre assemblée et nombre de ces rapports sont très intéressants. L’amont, l’aval, le milieu, la ville, l’hôpital, les cliniques, les obligations, les incitations, les organisations, les désorganisations, les fermetures, les rémunérations, les dotations, les abandons : tout a été dit et évalué sur les urgences, les soins non programmés et la permanence des soins ambulatoires. Pourtant, la situation a continué de se dégrader, les personnels se sont épuisés, lassés du manque de moyens, et les usagers des urgences se sont parfois révoltés.
L’heure des décisions ne peut plus être retardée. Une crise sanitaire violente vient de nous frapper. En amont des réanimations, les urgences, qui étaient déjà surchargées, ont été placées dans une tension extrême. La capacité d’absorption dont ces services ont fait preuve n’a résulté que de la conjugaison de l’engagement extraordinaire de leur personnel et de l’évaporation – la quasi-disparition – des patients autres que Covid-19. Ce phénomène a donc d’autres conséquences sanitaires, mais c’est un autre débat…
Le choix des autorités sanitaires, dans un premier temps et durant plusieurs semaines, d’exclure de la réponse à l’épidémie les intervenants du secteur ambulatoire aura contribué à cette surcharge. La réponse de notre système à un virus qui nécessitait pour une large part des soins immédiats sans gravité aura particulièrement mis en lumière le défaut de sollicitation d’une chaîne de soins associant et mobilisant l’ensemble des acteurs.
Toute la pression a été reportée sur les hôpitaux, ce qui a abouti à leur submersion et entraîné une telle concentration de la réponse qu’on en a oublié d’autres lieux, où le virus tuait massivement. En 2020, on ne meurt plus de la canicule dans nos Ehpad ; on y meurt d’un virus et d’un défaut de soins.
Alors, oui, bien sûr, réorganiser nos soins d’urgence non vitale, nos soins non programmés ou immédiats, est indispensable, impératif ! L’heure des décisions ne peut plus, ni moralement ni politiquement, être retardée. Il est des débats qui, à l’heure du post-Covid, acquièrent une acuité que beaucoup ne percevaient pas, mais qui s’impose aujourd’hui. Nous y sommes !
Ce texte, que l’Assemblée nationale a adopté en novembre 2019, était alors un tout petit pas. Je ne sais pas s’il était efficient, mais, en juin 2020, après cette crise, quelle peut être la signification de la création d’un nouveau nom et d’un label par les ARS ? Jusqu’à aujourd’hui, les ARS agréaient ; maintenant, elles labellisent… Comment les législateurs que nous sommes peuvent-ils porter une réponse aussi faible à l’occasion de notre premier débat post-Covid relatif à l’organisation du système de soins ?
L’heure est aux décisions structurantes, à un regard lucide et aux changements nécessaires. Il me semble que le Ségur de la santé a été convoqué pour cela ! Même si ses conditions d’organisation nous interpellent, même si les refus déjà exprimés par le Premier ministre, comme celui de modifier la gouvernance de nos hôpitaux – quelle erreur ! –, ne portent pas à l’optimisme sur ses résultats, il est prématuré et trop peu signifiant d’adopter, avant ses conclusions, une proposition de loi dont le caractère beaucoup trop partiel pourrait être perçu par les professionnels concernés comme une désinvolture politique.
Il y a parfois loin d’une intention tout à fait louable à une action utile. Cette proposition de loi l’illustre parfaitement. Alors, n’envoyons pas ce message trop minimaliste ! Il risquerait d’être contre-productif pour les professionnels de santé et nos concitoyens. Le groupe socialiste et républicain ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter Élisabeth Doineau pour la qualité de son rapport et l’équilibre qu’elle a su trouver.
À peine un an après le vote de la loi Ma santé 2022 et alors que le Ségur de la santé se met tout juste en place, cette proposition de loi revêt pour certains un caractère presque anachronique. Nous sommes en effet nombreux à nous interroger sur le timing de cette proposition et sur son articulation avec les nouvelles organisations de soins. Toutefois, ayant pris connaissance de l’avis de notre rapporteure, ainsi que du vote unanime de l’Assemblée nationale, j’ai entrepris de sonder les professionnels de mon territoire afin de confirmer ou d’infirmer ce premier avis. Je dois dire que les retours ont été plutôt unanimes.
Sur le fond, les objectifs sont partagés : désengorger les urgences et offrir aux patients une plus grande lisibilité sur les possibilités d’accès à des soins immédiats. Néanmoins, certains éléments nous empêchent d’y voir une véritable plus-value. La raison principale réside dans l’organisation actuelle du système de soins. Si ce système est bien évidemment perfectible, nous devons reconnaître les efforts des professionnels de santé de ville pour s’adapter, dans un contexte difficile, aux réformes successives de ces dernières années, aux nouvelles organisations et aux nouveaux acronymes : PTS, PTA, CPTS, MSP, ESP… Je pense particulièrement aux maisons de santé pluriprofessionnelles et aux communautés professionnelles territoriales de santé, dont l’une des missions premières est bien l’amélioration de l’accès aux soins en ville, notamment aux soins non programmés.
Dès lors, que dire aux médecins qui se sont déjà organisés sur le terrain, et qui continuent de le faire, pour garantir un accès rapide à la médecine de ville pour tous ? Que nous créons un nouveau dispositif, un énième cahier des charges et de nouvelles exigences ? Quid des relations qu’ils ont nouées depuis des années avec leurs partenaires, comme SOS Médecins ou les plateaux techniques de leur territoire ?
Pour ma part, je suis convaincue qu’il est préférable de consolider l’existant, en confiant pleinement aux acteurs de terrain la responsabilité de mettre en place l’organisation nécessaire pour répondre aux soins dits immédiats, comme ils le font déjà sur de nombreux territoires. L’objectif doit surtout être de clarifier le rôle de chacun auprès des services de régulation et des patients pour orienter ceux-ci correctement, en allouant à ces structures des budgets supplémentaires et en incitant davantage les jeunes médecins à s’installer en zones sous-dotées.
Le plan Ma santé 2022 était ambitieux. Il a posé des bases, et il faut aujourd’hui accélérer sa concrétisation et son déploiement sur le terrain. En juillet 2019, nous avons voté la loi Santé : selon une récente communication, son taux d’application stagnerait encore à 30 % ; nous en attendons une mise en application pleine, entière et plus rapide.
Par ailleurs, des inquiétudes ont émergé quant au risque d’augmenter le recours aux soins, en labellisant des points d’accueil pour soins immédiats. Ces termes pourraient laisser entrevoir une forme de self-service de la santé dans une société où l’on demande toujours plus et toujours plus vite. En outre, on crée un intervenant supplémentaire et on risque de déroger au parcours de soins, dans lequel le médecin traitant joue un rôle central.
Depuis le début de la crise sanitaire, notamment pendant la période de confinement, nous avons assisté à une baisse significative du nombre de passages aux urgences et dans les cabinets médicaux. Si ces chiffres ont pu alerter sur de possibles dégradations de la santé des Français par un moindre recours aux soins, il confirme l’existence de passages inappropriés, notamment aux urgences – la Cour des comptes les a estimés à environ 3,6 millions pour la seule année 2017. C’est pourquoi je suis convaincue que nous devrions plutôt profiter de cette période et des comportements adoptés pendant la crise pour aider les patients à mieux utiliser notre système de santé.
Enfin, des incertitudes demeurent sur la question des moyens. Si l’auteur de cette proposition de loi entrevoit, grâce à ces PASI, une baisse des dépenses de santé, certains d’entre nous, élus ou professionnels de santé, n’en sont pas convaincus. Au contraire, l’existence de telles structures pourrait conduire à une dilution des moyens existants, notamment humains, déjà très contraints. En effet, le manque de généralistes est criant dans certains territoires, et je crains que cette proposition de loi ne vienne porter un nouveau coup à la médecine de proximité, en polarisant les soins de premier recours autour des centres d’urgence de ville, que l’on imagine plus aisément s’installer en agglomération qu’en zone rurale.
Pour conclure, je dirai que tout le monde s’accorde sur les objectifs et que je souscris aux amendements de la rapporteure Élisabeth Doineau adoptés en commission, qui renforcent la cohérence des PASI avec l’offre de soins et le parcours santé et tentent de réaffirmer l’initiative première des acteurs du territoire dans la démarche de labellisation. Pour autant, je ne suis pas totalement convaincue qu’un nouvel outil réponde aux problématiques soulevées, en particulier dans le contexte du lancement du Ségur de la santé. Là où les organisations sont en place, là où les professionnels de terrain se coordonnent, le système fonctionne bien. Il faut donc accélérer les transformations en cours. Pour cela, un travail doit être mené, notamment sur les zones dites atones, c’est-à-dire là où les élus et les professionnels ont du mal à s’organiser. Une piste que vous pourriez reprendre pour le Ségur de la santé est de renforcer sur les territoires en difficulté une véritable ingénierie de projet.
Je terminerai en rappelant que la période que nous venons de vivre a consacré la pratique de la télémédecine comme alliée indispensable de notre système de santé. C’est avec ces outils, déjà existants, et non avec des échelons supplémentaires, que nous devons penser la santé de demain.
Pour toutes ces raisons, une majorité du groupe du RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi ; certains la voteront.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je veux associer mon groupe à l’hommage rendu aux soignants durant la crise que nous connaissons encore aujourd’hui.
Comme l’a dit mon collègue Bernard Jomier, depuis vingt ans, le nombre de passages aux urgences ne fait qu’augmenter dans notre pays. Il a même doublé depuis 1996.
Confrontés à la douleur et à l’angoisse, nos concitoyens privilégient massivement les services d’urgence afin d’obtenir une réponse rapide et un diagnostic précis. Ainsi, en 2016, on comptait plus de 21 millions de passages aux urgences, contre 10,1 millions en 1996. Plusieurs facteurs expliquent ce recours aux urgences.
Nous avons en tête l’image de services d’urgence engorgés, de personnels à bout de force, mais aussi déterminés et qui ont tenu bon. Nous leur sommes évidemment reconnaissants.
Nous devons apporter des réponses concrètes au problème de l’engorgement des services d’urgence, pour les personnels comme pour les patients.
Dans son rapport de 2017, la Cour des comptes estimait à 3,6 millions par an le nombre de passages dits « inutiles » aux urgences. Ce chiffre doit malgré tout être relativisé, puisque, selon une autre étude parue en octobre 2019, ces visites inadéquates ou inutiles seraient notamment liées à un manque patent de médecins généralistes dans nos territoires.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des solidarités et de la santé, près de 60 % des patients se rendent aux urgences parce que les soins y sont accessibles et qu’ils peuvent y réaliser rapidement des examens complémentaires.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permet en partie de répondre à la demande croissante de diagnostic et de soins rapides des patients, par la création de points d’accueil pour soins immédiats. Ces points d’accueil auraient trois missions : assurer les soins non programmés relevant de la médecine générale, lorsque le pronostic vital du patient n’est pas engagé ; caractériser l’état de santé physique et psychique du patient par un avis obtenu par un médecin généraliste ; orienter si nécessaire le patient vers un service d’urgence ou un service spécialisé.
La crise que traversent les services d’urgence ne date pas d’hier. Elle est le fruit du manque d’investissements qui, depuis de nombreuses années, a fragilisé le secteur et impacté les conditions de travail des professionnels de santé.
Nous saluons les objectifs de cette proposition de loi. Celle-ci vise à participer à une meilleure gradation de la réponse à la demande de soins non programmés, en maillant plus finement le territoire. À cet égard, la création des points d’accueil pour soins immédiats dédiés à la prise en charge de soins rapides des patients dont le pronostic vital n’est pas engagé constituerait un début de réponse face à l’engorgement des services d’urgence.
En 2017, un rapport d’information de nos collègues Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary faisait déjà état d’un changement de mentalité de la part de nos concitoyens et d’une évolution sociétale valorisant l’immédiateté de l’accès aux soins, ce qui expliquerait notamment le recours aux urgences hospitalières chez les patients.
Une autre recommandation est la prévention. Celle-ci se traduit tout d’abord par une meilleure information de la population. Elle constitue l’un des enjeux importants du désengorgement des services d’urgence, auxquels on recourt parfois par méconnaissance de l’état de santé des patients.
L’éducation à la santé de la population, c’est aussi permettre à chacun de savoir vers quel professionnel se tourner en fonction de son état de santé. Il nous paraît essentiel de permettre à ces points d’accueil pour soins immédiats de jouer ce rôle. Tel est l’objet de l’amendement que nous avons déposé sur ce texte.
L’examen de cette proposition de loi intervient dans un contexte particulier, celui d’une crise sanitaire survenue à peu près un an après la crise de l’hôpital. La crise sanitaire qui frappe notre pays a une fois de plus démontré la nécessité que nous disposions de services d’urgence efficaces et, surtout, les difficultés auxquelles font face celles et ceux qui, chaque jour, sauvent des vies dans des conditions toujours plus difficiles.
Conscient de cette réalité – nous le sommes tous –, le Gouvernement a lancé, la semaine dernière, le Ségur de la santé. Cette concertation avec l’ensemble des acteurs du système de santé, de l’hôpital, de la ville et du secteur médico-social fait suite à l’engagement pris par le Président de la République le 25 mars dernier dans le discours qu’il a tenu à Mulhouse, dans lequel il a exprimé son souhait qu’un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble de carrières soit conduit à l’issue de la crise. L’une des priorités est la mise en place d’organisations plus proches des territoires et plus collectives entre l’hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social.
Bien évidemment, l’adoption de cette proposition de loi ne sera qu’une petite pierre à l’édifice qu’il nous faut construire. Le Ségur de la santé permettra – nous l’espérons sincèrement – de refonder notre système de santé face aux difficultés rencontrées par les professionnels et les patients. Cependant, ce texte nous paraît aller dans le bon sens. Il s’appuie sur des expériences de terrain et donne aux professionnels la faculté de s’organiser dans un cadre souple.
Pour toutes ces raisons, notre groupe le votera.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier notre rapporteure Élisabeth Doineau pour le travail qu’elle a réalisé.
Cette proposition de loi arrive dans un contexte particulier : l’organisation de notre système de santé est en pleine ébullition. La crise née de la pandémie du Covid-19 a été le révélateur des maux dénoncés depuis des années à l’hôpital.
Ce texte, qui part d’un bon sentiment, ne prend pas en compte l’ampleur des difficultés et reste assez flou, puisque nous n’avons aucun élément sur le futur cahier des charges, qui sera défini par décret. Il fait même sien un postulat tout à fait contestable, tendant à faire croire que les urgences seraient saturées du fait d’un afflux injustifié de patients, alors que le recours aux urgences serait inapproprié dans seulement 6 % des cas.
Le fond du problème réside plutôt dans l’augmentation du nombre des déserts médicaux, le vieillissement de la population et la plus grande prévalence des maladies chroniques. En réalité, c’est toute la chaîne des soins qu’il faut revoir, en travaillant en profondeur sur la complémentarité entre médecine de ville et hôpital, et non sur la mise en concurrence du public et du privé. Si les cliniques privées ont été si peu mises à contribution durant la crise du Covid-19 pour soigner les malades, c’est en partie le résultat des politiques de tarification à l’activité et de cette mise en concurrence, qui les ont conduites à se spécialiser dans les soins rentables à fort remboursement.
Le risque n’est-il pas que cette proposition de loi permette aux cliniques commerciales de prendre en charge les patients qui en ont les moyens ? De fait, elle ouvre la labellisation des PASI aux établissements privés, qui ne participaient pas au service public hospitalier jusqu’alors. Même si elle précise que les patients devront être adressés à des structures pratiquant le tiers payant, ce que nous défendons totalement, elle ouvre la porte aux structures pratiquant des dépassements d’honoraires, sous réserve simplement que le patient en soit averti. De plus, si l’idée d’encourager les médecins libéraux à s’organiser sur leur territoire est tout à fait juste, ce texte méconnaît les réalités.
Dans mon département du Val-de-Marne, il existe douze structures, dénommées « SAMI », qui assurent les urgences médicales le soir, le week-end et les jours fériés. Ce système fonctionne grâce, d’une part, à l’implication du conseil de l’ordre départemental des médecins ainsi que d’une équipe de médecins volontaires et, d’autre part, à l’engagement de collectivités, qui participent à certains frais. Mais, aujourd’hui, ces médecins volontaires ont vieilli et ne trouvent pas de relève. Le fait que les SAMI soient labellisés PASI ne changera rien à l’affaire.
Il serait d’ailleurs peut-être temps, monsieur le secrétaire d’État, de revenir sur le décret Mattei, qui a supprimé les gardes des médecins le soir et le week-end.
M. René-Paul Savary. Ah oui !
Mme Laurence Cohen. Sachant votre qualité d’écoute, je compte sur vous pour faire remonter ce vœu à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Cette proposition de loi cherche à trouver une solution, en distinguant les soins urgents des soins immédiats, qui n’entraîneraient pas de risque pour la survie des patientes et des patients. Pour y parvenir, elle propose d’associer plus fortement les professionnels de santé de proximité autour d’un plateau technique et au sein d’une CPTS, ce qui concerne notamment les maisons de santé et les centres de santé.
Mes chers collègues, pour avoir parcouru l’ensemble du territoire et avoir visité plus de cent trente établissements, dans l’Hexagone et dans les territoires ultramarins, avec les collègues de mon groupe et nos homologues de l’Assemblée nationale, je considère qu’il faudrait que les ARS aident les maires, sur les plans financier comme logistique. En effet, nos édiles se sentent bien seuls au moment où ils décident d’implanter des centres de santé sur leur territoire.
En fait, les différents plans qui se sont succédé, notamment lors du passage de Mme Buzyn au ministère, n’ont pas rompu avec la logique de restrictions budgétaires qui plombe notre système de santé. Le plan Ma santé 2022 met notamment à mal les hôpitaux de proximité, en remettant en cause leurs missions, et porte un coup à la continuité des soins.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai participé, hier, avec plusieurs de mes collègues, à une rencontre avec le ministre des solidarités et de la santé et ses services dans le cadre du Ségur de la santé. Fort des propositions des professionnels de santé, particulièrement mobilisés depuis plus d’un an et des enseignements de la pandémie du Covid-19, le Gouvernement va-t-il enfin remettre à plat l’intégralité de notre système de soins ?
Les solutions passent, en plus de ce que j’ai énoncé, par l’augmentation globale du budget de l’hôpital – vous savez que nous avons des propositions de nouveaux financements pour y parvenir –, l’ouverture de lits d’amont et d’aval des urgences et la revalorisation des professionnels de santé et du médico-social, avec une augmentation de leurs salaires et une progression de leur statut. Il ne suffit pas de dire, dans cet hémicycle, que l’on soutient les professionnels. Il ne suffit pas de se payer de mots. Il faut aller sur place, les assurer de ce soutien et relayer leurs revendications ici même.
On voit bien que le problème est global et qu’il ne peut en rien être résolu par une proposition de loi. Parce que nous ne pouvons ignorer la gravité de la crise de notre système de santé, nous ne pouvons nous contenter d’un sparadrap sur une jambe de bois. C’est pourquoi notre groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je veux également rendre hommage aux soignants qui prennent en charge des patients du Covid-19.
La proposition de loi du député Cyrille Isaac-Sibille vise à créer des points d’accueil pour soins immédiats sur l’ensemble du territoire, avec pour objectifs d’améliorer l’accès aux soins et de désengorger les urgences. Je souhaite saluer son travail ainsi que celui de notre rapporteure, Mme Élisabeth Doineau.
Le développement de ces pôles est une mesure de bon sens. Nos services d’urgence prennent en charge une part significative de soins non programmés n’entrant pas du tout dans le champ de leurs missions. Le nombre de passages aux services d’urgence est passé de 10 à 20 millions en vingt ans. La médecine de ville, en raison de la désertification, de la surcharge de travail, mais aussi de l’habitude de fonctionner sur rendez-vous, ne répond plus suffisamment à la demande de soins non programmés. Or près de 20 % des patients ressortent des urgences avec une simple ordonnance, sans examen complémentaire.
Il est écrit dans l’exposé des motifs du texte que la médecine de ville n’est pas en mesure de répondre rapidement, car elle ne dispose pas de matériel de biologie, de suture, de stérilisation, de plâtre. Au contraire, tous les cabinets sont équipés, depuis vingt ou trente ans, de kits de suture et de spéculums stériles à usage unique. En outre, il est fréquemment possible d’obtenir le résultat d’un examen biologique dans les deux heures, même si le laboratoire le plus proche est distant de vingt ou trente kilomètres.
La présente proposition de loi vise à mettre en place une solution avec des points d’accueil pour soins immédiats (PASI) sur tout le territoire, les patients y étant orientés par le centre 15, lequel aura, par son interrogatoire, éliminé la possibilité d’une urgence, par les pharmacies, qui jouent un rôle très important en milieu rural, par des personnels paramédicaux, voire par un secrétariat médical.
Le PASI n’est pas un service d’urgence bis. D’ailleurs, j’aurais, pour ma part, plutôt opté pour l’appellation « point d’accueil pour soins non programmés », car le terme « immédiat » peut évoquer, d’emblée, une urgence, laquelle est traitée par le SAMU et le service d’urgence. Le PASI a été envisagé, dans un premier temps, au sein des établissements de santé, mais les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) prévues ne disposent pas forcément d’établissements de santé sur leur territoire – ces derniers sont parfois distants de trente à cinquante kilomètres. Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, les CPTS ont pour missions de faciliter l’accès aux soins des patients et d’améliorer la prise en charge de soins non programmés. Je pense du reste qu’il est essentiel, comme le texte le prévoit, que le tiers payant soit appliqué très simplement, avec une augmentation du tarif de la consultation du praticien volontaire, sur la base d’une cotation spéciale.
Je veux montrer très concrètement que cela se fait déjà en milieu rural. Je me permets, en toute modestie, de citer mon expérience de vendredi et de samedi. Remplaçant le praticien qui va enfin me succéder, j’ai vu arriver des malades pour des soins non programmés à la maison de santé de ma commune. Il s’agit d’un cabinet de deux médecins, gérant un peu plus de 2 000 dossiers de patients et situé à cinquante kilomètres d’un établissement de santé regroupant dix professionnels. J’ai reçu huit malades hors de tout rendez-vous : pour une fièvre du nourrisson avec diarrhées, une cystite, un traumatisme du pied, une lombalgie aiguë, une colique néphrétique, une brûlure locale du deuxième degré, une fièvre, chez une personne placée en Ehpad, et une rhinopharyngite avec fièvre, chez un adulte que j’ai adressé au laboratoire, pour un test au Covid-19. Je n’ai pas pratiqué de points de suture, bien que ce soit très fréquent. Je n’ai vu ni otites, maladie que l’on rencontre surtout en hiver, ni problèmes cardiaques, ni piqûres de tiques – elles sont aussi très fréquentes –, ni allergies bénignes. Si un élément de gravité avait été constaté lors de l’examen, ces patients auraient été adressés à un service des urgences du CHR ou du CHU, après l’avis du médecin régulateur.
Ce petit résumé bien modeste montre concrètement qu’il est nécessaire d’encourager les points d’accueil pour soins non programmés ou immédiats en milieu rural, ne serait-ce que dans le cadre des maisons de santé, à tour de rôle, dans le territoire de la CPTS, bien évidemment avec l’accord des praticiens, afin de ne pas encombrer les urgences. Fluidifier l’organisation des soins non programmés, c’est exactement l’objet du pilier n° 4 du Ségur de la santé, monsieur le secrétaire d’État.
En conclusion, je souscris à l’objet de cette proposition de loi, qui vise à la mise en place de points d’accueil pour soins non programmés ou immédiats dans tous les territoires. C’est très bien de recourir aux établissements de santé, mais il faut aussi encourager les initiatives en ce sens en milieu rural – il ne faudrait pas qu’elles soient freinées par la création des PASI. Comme l’a dit Mme la rapporteure, l’ARS, chargée de la validation des PASI, devra y procéder avec souplesse et pragmatisme, notamment en milieu rural.
J’espère que mes propositions seront entendues. En attendant, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera évidemment ce texte à l’unanimité.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je souhaite saluer le remarquable travail, sur ce texte, de notre rapporteure, Mme Élisabeth Doineau. Elle a su, en commission, apporter les modifications nécessaires et assurer une meilleure coordination entre les différents acteurs. J’en ai été le témoin.
Vous l’avez dit, mes chers collègues, le nombre de passages dans les services d’urgence a plus que doublé dans notre pays en vingt ans, passant de 10 millions en 1996 à plus de 20 millions en 2015. On peut craindre que cette évolution ne se poursuive encore. Les structures d’urgence accueillent aujourd’hui, en moyenne, plus de 30 000 patients par an.
Cette situation met en évidence l’importance de la demande de soins non programmés dans notre pays et le déséquilibre de notre organisation. Cette demande est alimentée par divers facteurs, que nous connaissons tous : le vieillissement de la population, l’exigence croissante, de la part des patients, d’un diagnostic et d’une prise en charge immédiats, la désertification médicale et la mauvaise répartition des généralistes sur notre territoire national. J’y ajouterai la décision de revenir sur la permanence des soins, qui a été prise voilà maintenant quelques années.
Les données recueillies par la Drees dans son enquête nationale de 2013 sont, de ce point de vue, alarmantes. Ainsi, un cinquième des patients se rend aux urgences par défaut. Dans près d’un quart des cas, c’est l’opportunité de réaliser des examens complémentaires sur place qui motive ce déplacement. Ce n’est pourtant pas ce qui fonde la raison d’être des urgences ni ce pour quoi le législateur les a imaginées.
Plus grave encore, près des deux tiers des patients qui se rendent aux urgences y vont pour des raisons tenant à l’accessibilité des soins. Les patients se dirigent vers les services d’urgence alors même qu’ils savent qu’ils vont probablement devoir attendre plusieurs heures avant d’être examinés – nous avons tous fait l’expérience de cette attente, y compris pour accompagner des proches.
Les services d’urgence assurent une part importante des soins non programmés, qui ne relèvent pas de leurs missions et pourraient être pris en charge par d’autres structures. L’impossibilité de trouver une réponse en médecine de ville impacte fortement le recours aux urgences. Cette situation anormale est également soulevée par la Cour des comptes, qui, dans son dernier rapport, estime que 20 % des patients des urgences hospitalières ne devraient pas les fréquenter. Une médecine de ville mieux organisée et dotée de bons outils devrait normalement pouvoir accueillir une proportion plus importante de ces patients.
La situation est grave, pour plusieurs raisons. Elle crée une surcharge d’activité des services d’urgence, qui sont aujourd’hui au bord de l’implosion et engorgés, faute d’alternative. Elle crée aussi un surcoût important pour l’assurance maladie.
À plusieurs reprises, nous avons tenté de résoudre cet embouteillage des services d’urgence, que nous connaissons tous sur nos territoires. Nous avons créé des centres de santé, des maisons de santé, des maisons médicales de garde, des hôpitaux de proximité. Pour autant, les bénéfices de ces dispositifs restent en deçà des attentes. Ils apportent une réponse encore insuffisante et disparate sur le territoire. Surtout, les différences statutaires entre les diverses organisations ont peu de sens pour nos concitoyens.
Nous sommes tous d’accord avec ce constat et avec les objectifs.
Pour ce qui concerne la réponse à apporter, nous considérons, mes chers collègues, que, avec un label permettant aux patients d’un bassin de vie d’identifier les structures pouvant répondre aux urgences et aux besoins de soins non programmés, sur l’initiative des professionnels de santé et en lien avec les CPTS, nous répondrions à une forte demande de nombreux patients qui fréquentent les services d’urgence. Or, à ce jour, il est difficile pour des médecins libéraux de disposer du matériel leur permettant d’effectuer des soins de première urgence. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de mettre en place des alternatives reposant sur des structures disposant de plateaux techniques de premier degré et permettant une prise en charge immédiate des soins non programmés, en dehors des urgences vitales. Surtout, il faut que cela soit lisible pour la population : le citoyen doit être en mesure d’identifier une gradation dans l’offre de soins, du soin non programmé à l’urgence vitale.
Tel est l’objet de cette proposition de loi, dont l’ambition est de contribuer à apporter une réponse rapide aux besoins de nos concitoyens, en labellisant et en rendant identifiables, pour les patients, des structures qui existent d’ores et déjà.
La reconnaissance des PASI permettra de mailler le territoire d’une offre de soins non programmés graduée. Nous espérons qu’un marqueur fort sera trouvé. J’ai un doute sur le fait qu’il doive s’agir de la croix orange. Il faudra approfondir cette question, mais l’essentiel n’est peut-être pas là.
Les PASI permettront aux patients de mieux comprendre la réponse de l’offre de soins compte tenu de leur état de santé. Ils permettront de désengorger les services d’urgence, comme je l’ai évoqué au début de mon intervention. Ils offriront un choix supplémentaire au médecin régulateur du SAMU, qui pourra décider d’orienter soit vers un PASI, soit vers un service d’urgence, ce qui accroîtra notre maillage territorial sans créer de nouvelles structures.
Le PASI sera un label qui pourra être obtenu par les différentes structures de soins. Il ne sera pas imposé par l’administration. Il ne sera obtenu que sur l’initiative des professionnels de santé et coordonné sur un même territoire par les CPTS, pour éviter les phénomènes de concurrence. Les structures ainsi labellisées seront complémentaires de l’offre des hôpitaux de proximité et de celle de la médecine de ville classique.
Mes chers collègues, je veux, à mon tour, rendre hommage aux soignants et dire que notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi du député Cyrille Isaac-Sibille. Il s’agit d’un texte d’opportunité, visant à répondre à la situation dramatique dans laquelle se trouvent les urgences hospitalières, dont les personnels dénoncent régulièrement leurs mauvaises conditions de travail, le manque de considération, l’épuisement physique, le manque de lits ou encore les conditions déplorables d’accueil des patients.
J’en profite pour rendre hommage à mon tour à tous les personnels soignants. Je n’oublie pas les médecins de ville, qui se sentent souvent très seuls face à l’adversité de l’épidémie.
L’acte médical est devenu, aujourd’hui, un bien de consommation courant. Or la médecine de ville ne répond pas aux critères d’exigence de certains patients, au premier rang desquels figure la possibilité d’être reçu immédiatement en cabinet pour connaître précisément son état de santé ou recevoir des soins primaires.
Les services d’urgence des hôpitaux sont devenus le lieu vers lequel tout un chacun se tourne. On en connaît les conséquences humaines, matérielles et financières, car, au malaise profond des personnels soignants, lié à la surcharge d’activité, il faut ajouter les surcoûts considérables pour l’assurance maladie.
Cette proposition de loi a-t-elle les moyens de ses ambitions ? L’intention est louable : désengorger les services d’urgence des hôpitaux, en créant des points d’accueil pour soins immédiats pouvant réaliser des soins non programmés dès lors que le diagnostic vital du patient n’est pas engagé.
Dans les faits, ce texte ne révolutionnera pas l’organisation du système de santé, tant s’en faut. Il est déposé moins d’un an après l’entrée en vigueur de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dont l’objet, il faut le rappeler, était de décloisonner toutes les parties prenantes – médecine de ville, hôpitaux, secteurs médico-sociaux – et de tendre vers un exercice plus ouvert, pluriprofessionnel et coordonné. Nous l’examinons alors que le Président de la République vient d’annoncer le Ségur de la santé, censé identifier les maux qui affectent notre système de santé et y répondre.
Pis, au lieu d’apporter de la souplesse dans l’organisation des soins, cette proposition de loi procède d’une vision technocratique, en donnant aux agences régionales de santé compétence, d’une part, pour labelliser et rendre identifiables par les patients des structures qui existent déjà et, d’autre part, pour délivrer des habilitations.
De telles initiatives sont, de mon point de vue, vouées à l’échec tant que l’on ne traitera pas le problème de base, à savoir l’accès aux soins sur tout le territoire. Je pense en particulier au monde rural et aux territoires de montagne, mais également à la question de l’inégale répartition des professionnels de santé et à celle de la démographie médicale, qui sont fondamentales. À quoi bon créer des structures, si l’on ne dispose pas de personnel pour les faire vivre ?
J’attends plutôt du Gouvernement qu’il laisse les professionnels s’organiser localement et qu’ils privilégient les initiatives émergeant partout en France pour rendre les soins accessibles au plus grand nombre. Ces projets sont la plupart du temps portés par des élus ou par des communautés de soignants qui souhaitent être utiles et exercer différemment leurs compétences, au service de l’intérêt collectif.
J’en veux pour preuve une offre innovante qui a vu le jour récemment à Moigny-sur-École, village de 1 200 habitants de mon département de l’Essonne. Le premier centre de télémédecine d’Île-de-France y a ouvert ses portes au début de l’année 2019, au cœur d’un territoire – le Gâtinais français – marqué par le vieillissement de sa population et la perspective du départ à la retraite, d’ici à cinq ans, de 50 % des médecins y exerçant. L’objectif de la municipalité était de faciliter l’accès aux soins des patients, de telle sorte qu’il n’y ait pas de rupture de suivi ou de prescription. L’autre volet du projet était de libérer du temps de soins pour les médecins généralistes du territoire, par des téléconsultations performantes, centrées sur l’expertise médicale, le diagnostic et la prescription. L’expérimentation de la télémédecine en zone rurale fait d’ailleurs partie des actions développées dans le plan Santé 2019-2023 du département de l’Essonne pour lutter contre la désertification médicale et désengorger les urgences hospitalières.
Je ne peux conclure mon propos sans évoquer la maison de santé hors les murs de Verrières-le-Buisson, fruit d’une collaboration exemplaire entre la municipalité et des professionnels de santé.
Monsieur le secrétaire d’État, faites confiance aux territoires pour créer et innover dans le domaine de la santé plutôt que d’imposer des solutions toutes faites et bien peu efficaces comme celle que comporte cette proposition de loi ! C’est à cette condition que notre système de santé retrouvera sa crédibilité et sa capacité à soigner nos concitoyens, où qu’ils résident et quelles que soient leurs pathologies, légères ou graves.
Pour les raisons que j’ai exposées, le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Monsieur Milon, nous avions évalué à peu près à 1 000 le nombre de CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé, nécessaires pour couvrir l’ensemble du territoire. En février dernier, 533 projets étaient structurés, contre 450 en novembre 2019, soit une progression de 18 % en quatre mois, avec une véritable dynamique positive pendant la crise. Je pense que Mme Cohen, qui assistait hier au Ségur des parlementaires, organisé par Olivier Véran, pourra en témoigner. Je crois qu’il fut beaucoup question des CPTS, les élus soulignant qu’elles avaient utilement pris part aux réponses qui s’organisaient sur les territoires face à la crise dans laquelle nous nous trouvons encore.
En ce qui concerne le SAS, la crise a apporté des enseignements importants, y compris sur le sujet de la régulation médicale, dont il est censé être l’un des éléments de réponse. Cette question sera remise en perspective lors du Ségur de la santé avec l’ensemble des parties prenantes.
Il n’y a pas de négociation en cours entre l’assurance maladie et les médecins libéraux, mais le Comité national des structures d’exercice coordonné de l’assurance maladie se réunit la semaine prochaine. Ce sera l’occasion de reprendre les discussions.
Monsieur Jomier, il s’agit de la poursuite de l’examen d’un texte en navette. Je comprends que l’on s’interroge sur la temporalité au regard de la crise et du Ségur de la santé à venir. Nous faisons tous en sorte que ce texte, et ce qu’il préconise, s’inscrive la fois dans les projets portés par le Gouvernement et dans les concertations en cours.
Monsieur Milon, je vous l’assure, ce ne sera pas seulement le Ségur de l’hôpital. Le médico-social et la médecine de ville seront bien associés, comme l’ont réaffirmé le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé. La composition du comité Ségur national reflète d’ailleurs l’ensemble des professionnels qui permettront d’assurer, demain, une articulation encore meilleure de notre système de santé, notamment entre l’hôpital et la médecine de ville, dans la lignée du plan Ma santé 2022. Ce sera l’un des enjeux de ce Ségur.
Madame Guillotin, beaucoup des dispositions de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé ont été renvoyées à la concertation. Un certain nombre de discussions ont été suspendues du fait de la crise – je pense notamment au plan Investir pour l’hôpital public. D’autres concertations ont été menées à bien, mais il reste encore à faire.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à répondre à la demande des patients par la création de points d’accueil pour soins immédiats
Article 1er
Le livre III de la sixième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, après le mot : « sanitaires, », sont insérés les mots : « accueil pour soins immédiats, » ;
2° À l’intitulé du titre Ier, après le mot : « soins, », sont insérés les mots : « accueil pour soins immédiats, » ;
3° Après le chapitre IV du même titre Ier, il est inséré un chapitre IV bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV BIS
« Accueil pour soins immédiats
« Art. L. 6314-4. – L’accueil pour soins immédiats a pour objet :
« 1° D’assurer, en fonction de l’offre de soins présente sur le territoire ou en complémentarité avec celle-ci, des soins non programmés relevant de la médecine générale lorsque le pronostic vital et fonctionnel du patient n’est pas engagé, le cas échéant dans le cadre de protocoles de coopération prévus à l’article L. 4011-1 ;
« 2° Éventuellement, de caractériser l’état de santé physique et psychique du patient par un avis obtenu auprès d’un médecin spécialiste, le cas échéant en recourant à la pratique de la télémédecine mentionnée à l’article L. 6316-1 ;
« 3° Si l’état du patient révélé par l’examen le nécessite, de l’orienter vers un service d’urgences ou un service spécialisé, y compris psychiatrique, ou un service d’accompagnement psychosocial, pouvant délivrer les soins appropriés.
« Art. L. 6314-5. – Les structures dénommées “Point d’accueil pour soins immédiats” sont labellisées pour cinq ans par le directeur général de l’agence régionale de santé, sous réserve :
« 1° Du respect d’un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de la santé, qui prévoit notamment qu’elles disposent de ou donnent accès à des plateaux techniques d’imagerie et de biologie médicale à proximité et précise les modalités d’information du médecin traitant lorsque celui-ci est extérieur à la structure ;
« 2° Que leur création et leur fonctionnement soient prévus par le projet territorial de santé mentionné au III de l’article L. 1434-10 ou dans le projet de santé d’une ou plusieurs communautés professionnelles territoriales de santé mentionnées à l’article L. 1434-12. Jusqu’à la constitution d’une communauté professionnelle territoriale de santé, le directeur général de l’agence régionale de santé peut labelliser une telle structure, qui peut ultérieurement être intégrée à son projet de santé, sur la base d’un projet présenté par des professionnels de santé du territoire ;
« 3° Qu’elles pratiquent le mécanisme du tiers payant mentionné à l’article L. 160-10 du code de la sécurité sociale et ne facturent pas de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative ou des tarifs mentionnés au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du même code. En outre, en cas d’orientation du patient vers une autre structure de soins ou un professionnel de santé exerçant à l’extérieur de la structure mentionnée au premier alinéa du présent article, une information lui est fournie sur la pratique ou non, par l’offreur de soins proposé, du dépassement de ces tarifs et du mécanisme du tiers payant.
« Elles font l’objet d’une signalétique spécifique, dont les caractéristiques sont déterminées par voie réglementaire. »
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Mon invitation à voter cette proposition de loi n’a pas recueilli l’unanimité. J’en conviens, la temporalité n’est pas au rendez-vous : le Ségur de la santé brouille un peu les pistes. Néanmoins, ce texte a été présenté il y a longtemps. Le calendrier parlementaire nous offre l’opportunité de parler de ces sujets. Il ne s’agit pas de surajouter, comme je l’ai souligné voilà quelques instants, mais de labelliser des plateformes existantes.
Nous avons auditionné le docteur Grall, directeur général de l’ARS de Lyon, enfin, plus exactement de la grande région Auvergne, et je ne sais plus la suite…
M. René-Paul Savary. Auvergne-Rhône-Alpes !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Auvergne-Rhône-Alpes, voilà ! Il faut dire que c’est très loin de chez moi (Sourires.), et j’ai du mal à localiser le périmètre de cette grande région.
Le docteur Grall nous a vanté l’expérience de la région de Rumilly, en lien avec les services d’urgence d’Annecy. Cette labellisation permet, comme en Ardèche, par exemple, ou dans le Grand Est, où ce système est porté par les centres de santé, d’enclencher une dynamique avec le contrat et les financements.
Il ne s’agit donc pas de surajouter, mais bien de visualiser des points d’accueil qui existent déjà et de permettre à d’autres territoires de s’en emparer. Notre collègue Christine Bonfanti-Dossat me disait hier que son territoire est en train d’imaginer un dispositif similaire, sur le mode du volontariat, auquel elle est tout à fait favorable.
J’ai entendu les termes « désinvolture » et « réponse minimaliste ». Certes, l’auteur de la proposition de loi n’a pas la prétention de tout bouleverser. Lui-même acteur dans son territoire,…
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la rapporteure !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. … il sait combien un tel système pourrait être utile pour répondre aux besoins des usagers.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing, Malhuret, Decool, Menonville, A. Marc et Guerriau, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Capus et Laufoaulu, Mme N. Delattre, MM. Longeot, Mayet, Bonne, Pierre, Bouchet, Détraigne, Lefèvre, Nougein, Genest, Bonhomme, Vogel et Laménie, Mmes Perrot et F. Gerbaud et M. Gabouty, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2, 3, 6, 7 et 11
Remplacer le mot :
immédiats
par les mots :
non programmés
II. – En conséquence, intitulé de la proposition de loi
Remplacer le mot :
immédiats
par les mots :
non programmés
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Je ne veux pas faire toute une histoire du vocabulaire, mais les PASI concernent les soins non programmés, pas les urgences vitales. Les patients n’ont pas pris de rendez-vous, mais doivent être vus dans la journée, sous peine de voir leur état s’aggraver.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Lors de nos auditions, nous nous sommes interrogés sur le terme « immédiat ». Le docteur Pascal Gendry, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé, a souligné qu’il attachait à ce terme une idée de consumérisme, voire de drive de la santé. Pour autant, il est tout à fait partisan des PASI.
Beaucoup de nos interlocuteurs n’ont pu trouver d’autre terme qui parle mieux aux usagers. La notion de « soins non programmés » appartient au langage des médecins, pas à celui des usagers, qui sont totalement perdus.
Faute d’une proposition plus à même de répondre à votre attente, nous avons décidé de conserver le terme « immédiat ». Pour ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le PASI, qui doit s’intégrer dans l’offre existante, n’a pas vocation à avoir le monopole des réponses aux demandes de soins non programmés : chaque médecin exerçant individuellement – en cabinet, en maison de santé ou dans un centre de santé – est légitime pour prendre en charge des patients dans le cadre d’un suivi programmé ou plus spontané. Les médecins contribuent d’ores et déjà quotidiennement à la prise en charge des patients en soins non programmés.
L’adoption de cet amendement reviendrait à devoir labelliser chaque cabinet libéral qui prendrait en charge un patient, ce qui nous semble difficilement envisageable. Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. Daniel Chasseing. Je retire l’amendement !
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Iacovelli, Lévrier, Théophile, Bargeton et Buis, Mme Cartron, M. Cazeau, Mme Constant, MM. de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient, Patriat et Rambaud, Mme Rauscent, M. Richard, Mme Schillinger, M. Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … Éventuellement, d’orienter le patient nécessitant des actions de prévention vers les professionnels de santé concernés.
La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Cet article crée les points d’accueil pour soins immédiats, auxquels il adosse trois missions : assurer les soins non programmés relevant de la médecine générale lorsque le pronostic vital du patient n’est pas engagé ; caractériser l’état de santé physique et psychique du patient en obtenant l’avis d’un médecin spécialiste ; orienter le patient, si nécessaire, vers un service d’urgence ou un service spécialisé.
Nous soutenons ce dispositif, aboutissement d’expérimentations réalisées en Auvergne-Rhône-Alpes, région où des médecins, dans un certain nombre de structures, reçoivent déjà sans rendez-vous des patients dont l’état nécessite des soins immédiats sans urgence vitale.
La volonté première de ce texte est de participer au désengorgement des services d’urgence des hôpitaux, ce qui nécessite également d’aborder la question de la prévention et de l’éducation de la population à la santé. Cela permettra à chacun de savoir vers quel professionnel se tourner en fonction de son état de santé, comme le préconisait le rapport d’information relatif aux urgences hospitalières de nos collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary.
Il nous semble de bon sens d’orienter les patients vers le professionnel de santé le mieux à même de les prendre en charge. Dans un souci de souplesse, nous avons rendu la mesure facultative. Madame la rapporteure, vous n’avez pu examiner cette rectification lors de l’examen des amendements en commission ; nous espérons qu’elle vous incitera à vous en remettre à la sagesse de notre assemblée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. Je le regrette, monsieur Lévrier, mais je ne vais pas répondre favorablement à votre demande.
Il n’appartient pas aux PASI de se substituer au rôle du médecin traitant en matière de prévention générale. L’orientation en tant que de besoin vers toute structure adaptée de prise en charge est déjà prévue par le texte. Votre amendement est donc satisfait.
Pour ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je voudrais remercier nos collègues d’avoir largement cité le rapport sur l’organisation des urgences que j’ai signé avec Laurence Cohen et Catherine Génisson. Mais il s’agit d’un tout. On ne peut regarder cette question par le petit bout de la lorgnette. C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, il est essentiel que le Ségur prenne véritablement en compte l’organisation de l’accueil et des urgences.
En ce qui concerne les PASI, par exemple, l’interprétation peut varier : certains parlent de services d’urgence bis, d’autres de soins non programmés… Il faut organiser les soins en fonction des besoins de chaque territoire.
La crise a montré que nous devions proposer des choses différentes. Certaines propositions du rapport que j’évoquais à l’instant sont déjà has been : la population a pris conscience, avec la crise, que des téléconsultations pouvaient fonctionner. Il faut s’emparer de cette nouvelle situation.
Nous parlions de trouver un autre numéro que le 15, mais il faut plutôt organiser un service pendant de téléconsultation pour effectuer un tri efficace des urgences qui n’aurait pas besoin d’être physiquement présent dans chaque territoire. Il nous faut mettre en place une organisation nouvelle aussi bien du public que du privé.
Cette crise a également mis en exergue d’autres problèmes d’organisation : les ARS raisonnent à l’échelle des groupements hospitaliers de territoires et les préfets à celle du département. On a bien vu qu’il y avait des trous dans la raquette !
Le Ségur devra mettre en place une nouvelle organisation et combler le retard entre public et privé. Dans le Grand Est – vous le savez, le Grand Est, c’est grand et c’est à l’Est (Rires.) –,…
M. Stéphane Piednoir. Bonne définition ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. … les hôpitaux étaient surchargés, alors que les cliniques étaient vides, les soins étant déprogrammés. Le secteur médico-social a échappé aux yeux de l’ARS pendant un certain temps, et les médecins de ville étaient au chômage pendant que les médecins hospitaliers étaient surchargés.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. René-Paul Savary. L’organisation est entièrement à revoir.
Bref, monsieur le secrétaire d’État, mon message pour le Ségur est simple : il faut revenir à la réalité, avec plus de rameurs et moins de barreurs ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Comme le soulignait la rapporteure, à défaut de résultat, cette proposition de loi a au moins l’avantage de nous permettre d’avoir un débat. Je regrette d’ailleurs que l’on n’ait pas débattu de l’amendement précédent, qui me semblait fondamental.
La rapporteure a indiqué que « soins immédiats » n’était peut-être pas la bonne dénomination. Or elle sera gravée dans la loi si ce texte est adopté.
Je suis également d’accord avec la rapporteure : l’expression « soins non programmés » n’offre aucune lisibilité aux patients. Or, en matière d’organisation des soins, la lisibilité est fondamentale. Les gens savent que les urgences et les médecins de garde, ce n’est pas la même chose. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les maisons médicales de garde ont été créées. Faut-il ajouter une nouvelle dénomination ? Ce serait donc un empilement, sinon de structures technocratiques, du moins de dénominations. Les choses ne se substitueront pas si facilement, sauf à donner de la lisibilité à l’immédiateté de soins n’ayant aucun caractère d’urgence, ce qui serait contre-productif.
Par ailleurs, la lisibilité doit être partagée sur l’ensemble du territoire. Or la rapporteure nous a dit hier en commission que les territoires pourront s’emparer, « s’ils le souhaitent », des PASI. On aurait donc des PASI dans certains endroits et pas dans d’autres ? Voilà qui ne va pas simplifier les choses en termes de lisibilité…
Enfin, la lisibilité passe par un travail sur les comportements. Nous sortons d’une crise sanitaire au cours de laquelle des messages de santé publique ont été diffusés à grande échelle, dans tous les médias. Simples, ils ont été bien compris : ils expliquaient ce qu’était le virus, comment s’en protéger et ce qu’il fallait faire. Or cela fait des années que Santé publique France n’a plus les moyens de diffuser des messages à grande échelle. Mener de grandes campagnes de communication en santé publique serait pourtant un outil efficace pour modifier les comportements de nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je partage les propos de M. Jomier, mais je ne développerai pas davantage.
Mme la rapporteure a demandé le retrait de cet amendement, et j’ai bien noté l’embarras du Gouvernement, qui s’en est remis à la sagesse du Sénat.
En somme, Martin Lévrier demande aux médecins de faire de la médecine. A priori, il me semble qu’ils en font. S’il n’est pas retiré, je vous invite à voter contre cet amendement, mes chers collègues.
Mme la présidente. Monsieur Lévrier, l’amendement n° 5 rectifié est-il maintenu ?
M. Martin Lévrier. Oui, madame la présidente.
Je ne dis pas aux médecins de faire de la médecine, mais de faire de la prévention en sus de la médecine.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. La prévention fait partie de la médecine !
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Malhuret, Decool, Menonville, A. Marc et Guerriau, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Capus et Laufoaulu, Mme N. Delattre, MM. Longeot, Mayet, Bonne, Pierre, Bouchet, Détraigne, Lefèvre, Nougein, Genest, Bonhomme, Vogel et Laménie, Mmes Perrot et F. Gerbaud et M. Gabouty, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer les mots :
à proximité
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Les CPTS rurales ne disposent pas toujours d’établissements de santé ou de laboratoires de biologie médicale à proximité.
Les médecins généralistes reçoivent déjà des patients dans les maisons de santé. Ils pourraient continuer de le faire, à l’intérieur de la CPTS, pour des soins non programmés ou immédiats. Mon objectif est simplement de permettre aux PASI d’exister en ruralité, même en l’absence d’établissement de santé à proximité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. J’entends bien les propos de Daniel Chasseing : dans certains territoires, cette « proximité » n’existe pas. Toutefois, les PASI ne seront attractifs que s’ils permettent de proposer des actes de radiologie, de biologie et d’autres supports. Mais tout cela peut être organisé, articulé en fonction des territoires, comme vous venez de le souligner.
Les termes « à proximité » n’étant pas contraignants sur le plan juridique, nous ne voyons pas d’obstacles à les supprimer pour renvoyer les conditions au cahier des charges. La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Les PASI ont vocation à accueillir des patients qui ne trouvent pas, dans l’offre de soins existante, une réponse à un besoin de soins immédiats pouvant nécessiter l’accès à des plateaux techniques d’imagerie ou de biologie médicale. Dans cet esprit, il importe donc que l’accès à ces examens complémentaires soit proche du PASI pour faciliter la prise en charge des patients et ne pas les inciter – c’est tout le sens de ce dispositif – à se rendre spontanément dans les services d’urgence.
Le Gouvernement est attaché à garantir que les points d’accès pour soins immédiats s’inscrivent dans des relations de coopération entre acteurs d’un même territoire, autour de l’organisation des soins non programmés. Le fait d’avoir inscrit le PASI dans un projet de CPTS constitue une garantie essentielle de cette dynamique de coopération entre acteurs et de la cohérence des solutions apportées sur un même territoire.
Comme je l’ai rappelé au président Milon, la dynamique de la constitution des CPTS est plutôt forte, et c’est une bonne chose. Pour ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Chasseing, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Chasseing. Après avoir entendu le Gouvernement, il me semble que ce que je pressentais se précise : s’il n’y a pas d’établissements de santé ou de laboratoires de biologie médicale à proximité, il n’y aura pas de PASI.
Voilà huit jours, j’ai reçu un patient souffrant d’un traumatisme du pied avec fracture de la dernière phalange du pouce : je l’ai envoyé au cabinet de radiologie, pas aux urgences. Un autre de mes patients souffrait d’une cystite : je l’ai envoyé au laboratoire, à vingt-cinq kilomètres de là, pas aux urgences.
S’il existe un établissement de santé ou un laboratoire à proximité, fort bien. Mais n’éliminez pas forcément la ruralité de ce texte, monsieur le secrétaire d’État. Je maintiens donc mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je partage les propos de Daniel Chasseing.
Ce n’est pas à la loi d’organiser ce qui se passe dans les cabinets médicaux ! Quand on faisait des consultations, on recevait pendant deux heures des patients sans rendez-vous. Ensuite, on prenait ceux qui avaient rendez-vous. C’est juste une question de bon sens, nul besoin de l’inscrire dans la loi !
On apprenait – et il faudrait le rétablir si ce n’est plus le cas – la sémiologie : en fonction des signes cliniques du patient, on demandait des examens complémentaires pour confirmer un diagnostic ou éliminer certaines hypothèses. Ce n’est pas au malade de décider qu’il passe des examens en sus de la consultation, mais au médecin de les prescrire s’il les juge nécessaires. Et il arrivait qu’on n’en demande pas. Ainsi, les examens radiologiques n’étaient pas systématiques pour les entorses. Ces questions relèvent de la responsabilité médicale.
J’ai vraiment l’impression qu’on cherche à tout réorganiser. Soyons attentifs : laissons les territoires s’organiser et les professionnels exercer !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je ne voudrais pas que de fausses impressions se répandent dans cette assemblée : nous ne souhaitons ni sacrifier la ruralité ni tout réorganiser.
M. René-Paul Savary. Ah ! Vous me rassurez !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. J’en suis ravi. (Sourires.)
Si un patient se rend dans un PASI, il est en droit d’attendre un certain nombre de prestations. Cela étant, le texte est très souple : « Du respect d’un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de la santé, qui prévoit notamment qu’elles disposent de ou donnent accès à des plateaux techniques d’imagerie et de biologie médicale à proximité. » Nous pourrions d’ailleurs converser longtemps sur la question de savoir où commence et où finit la proximité…
La rédaction de cet alinéa fait déjà preuve de la souplesse que vous appeliez de vos vœux. Je persiste à penser que la suppression des termes « à proximité » n’est pas nécessaire, et je doute qu’elle suffise à lever les inquiétudes que vous formulez légitimement.
Le Gouvernement maintient sa demande de retrait ; à défaut, il émettra bien un avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Malhuret, Decool, Menonville, A. Marc et Guerriau, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Capus et Laufoaulu, Mme N. Delattre, MM. Longeot, Mayet, Bonne, Pierre, Bouchet, Détraigne, Lefèvre, Nougein, Genest, Bonhomme, Vogel et Laménie, Mmes Perrot et F. Gerbaud et M. Gabouty, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans un point d’accueil pour soins immédiats coordonné au sein d’une communauté professionnelle territoriale de santé comprenant plusieurs maisons de santé pluriprofessionnelles, les praticiens s’organisent à l’intérieur d’une maison de santé pour permettre l’accueil pour soins immédiats cinq ou six jours sur sept. »
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. J’avais écrit « cinq ou six jours sur sept », mais je retire cette précision, qui n’a pas à figurer dans la loi.
La rédaction de cet amendement correspond parfaitement aux préconisations du pilier n° 4 du Ségur de la santé, à savoir fluidifier l’organisation et la régularisation des soins non programmés. Je ne fais que répéter exactement ce qui est inscrit dans ce pilier.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. J’entends bien, cher collègue, que vous souhaitez supprimer une partie de votre amendement. Effectivement, la loi n’a pas à préciser les horaires et les jours d’ouverture.
Cela étant, je le rappelle, ces projets ne peuvent s’organiser que dans le cadre d’un projet territorial de santé mené avec l’ensemble des professionnels de santé d’une CPTS, en fonction de leur disponibilité. Certes, il faudra planifier les choses. C’est d’ailleurs indispensable pour l’usager si l’on veut que ce soit une réussite.
Il faut conserver une plasticité : je l’ai dit, le cahier des charges doit être souple, afin d’apporter, sur tous les territoires, des réponses adaptées aux besoins des usagers et des professionnels de santé du territoire. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Chasseing, l’amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Chasseing. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.
Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 1er, je vous rappelle que, si celui n’était pas adopté – la suppression de l’article 2 ayant été maintenue par la commission –, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où tous les articles qui la composent auraient été rejetés ou supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote sur l’article.
M. Hervé Marseille. Je regrette la situation : ce texte a fait l’objet d’un vote unanime à l’Assemblée nationale. Les circonstances conduisent le Sénat à une appréciation différente, dont je prends acte. C’est la raison pour laquelle nous demandons un scrutin public sur cet article, afin d’acter nos différences de points de vue.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 111 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l’adoption | 95 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
(Suppression maintenue)
Mme la présidente. Les articles de la proposition de loi ont été successivement rejetés ou supprimés par le Sénat.
Je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Encadrement du démarchage téléphonique et lutte contre les appels frauduleux
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (proposition n° 290, texte de la commission n° 464, rapport n° 463)
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les abus en matière de démarchage téléphonique et l’usage frauduleux des numéros surtaxés sont une nuisance pour nos concitoyens. Pour certains, c’est un supplice quasi quotidien qui se produit de manière intempestive. Pis, ces démarchages frauduleux entraînent parfois des préjudices financiers qui peuvent être très significatifs.
C’est pourquoi le Gouvernement souhaite lutter contre ces pratiques. Il s’agit là d’un sujet complexe, dont témoignent les nombreux débats sur cette proposition de loi. Il nous faut en effet trouver un subtil équilibre permettant d’assurer l’impérieuse protection de nos concitoyens sans pour autant pénaliser les acteurs respectueux de la loi.
Je voudrais tout d’abord souligner l’importance et l’intérêt des mesures que comporte ce texte et du travail qui a été accompli. En première lecture, des dispositifs visant à renforcer significativement la protection des consommateurs ont déjà été votés : le renforcement de leur information dans les contrats et lors de la prospection commerciale, une obligation plus forte pour les entreprises ayant recours au démarchage téléphonique de s’assurer qu’elles respectent bien la liste d’opposition, des sanctions alourdies pouvant aller jusqu’à 375 000 euros pour une personne morale et une publication systématique de ces sanctions aux frais du professionnel, un mécanisme plus réactif et plus sécurisé juridiquement de suspension et résiliation des numéros surtaxés des opérateurs indélicats, avec une faculté de saisine du juge des référés par la DGCCRF.
À ces mesures sont venues s’ajouter celles qui ont été votées en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et qui visent l’objectif attendu par nos concitoyens, à savoir la cessation du démarchage téléphonique intempestif. Ont notamment été mis en place un encadrement plus strict des conditions de mise en œuvre du démarchage téléphonique, notamment des jours et des heures auxquels il peut être pratiqué, une responsabilisation accrue des professionnels, avec présomption de responsabilité du professionnel ayant tiré profit des sollicitations commerciales, et un meilleur encadrement des exceptions à la liste d’opposition dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours.
Les travaux menés en commission par votre assemblée sont également venus consacrer ces évolutions dans un souci d’amélioration du texte. Je voudrais cependant revenir sur la mesure d’interdiction du démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique, qui a été supprimée en commission. Cette interdiction, je le redis, est demandée par les associations de protection des consommateurs. Près d’un tiers des litiges liés à la rénovation énergétique ont pour origine le démarchage téléphonique. Malheureusement, ces derniers sont de plus en plus nombreux, la DGCCRF le constate avec l’augmentation du nombre de réclamations et de sanctions appelées à être mises en œuvre.
Il existe vraiment une distinction à faire entre le secteur de la rénovation thermique et les autres. Je le sais, des réflexions sont menées pour ce qui concerne le secteur des assurances ou les contrats de gaz ou d’électricité. Indéniablement, la rénovation thermique constitue l’un des secteurs pour lesquels nous rencontrons des difficultés.
À l’heure où nous devons faire de la transition environnementale une priorité pour l’avenir de notre pays, nos concitoyens doivent pouvoir avoir confiance dans la rénovation énergétique. Je le rappelle, le plan de lutte contre la fraude dans le secteur de la rénovation énergétique, que j’ai lancé conjointement avec le ministre du logement et la secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire le 12 novembre dernier, comporte divers volets, dont une campagne de sensibilisation du grand public, qui a été déployée à l’automne dernier, et des actions pour mieux protéger les consommateurs, qui font l’objet de travaux au Conseil national de la consommation.
Si nous voulons que ce plan de lutte soit efficace et cohérent, nous recommandons de voter une interdiction du démarchage dans ce domaine particulier. Une telle interdiction se justifie, je le répète, par le nombre anormalement élevé de problèmes liés à ce type de démarchage, par le fait qu’il aboutit, en règle générale, à des fraudes et par la visibilité des accompagnements financiers que vous avez votés en matière de rénovation thermique.
Le démarchage postal et par courriel reste permis, ainsi que la possibilité de se faire référencer par des sites de confiance. Les possibilités des experts de ces métiers pour faire connaître leurs offres sont donc nombreuses. Pour autant, nous avons entendu les craintes au sujet d’une mesure d’interdiction trop large et susceptible de perturber des professionnels qui ont des métiers connexes et ne font pas de la rénovation thermique leur activité principale. C’est pourquoi il vous est proposé de maintenir, dans certains cas, la faculté pour les professionnels de proposer à un client de réaliser des travaux. Le Gouvernement a ainsi déposé un sous-amendement visant à introduire la possibilité pour un professionnel de réaliser la prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique, compte tenu de l’antériorité et de la nature de la relation contractuelle entre le professionnel et ses clients, ainsi que de la proportion d’aides publiques liées à la rénovation énergétique dans le chiffre d’affaires du professionnel dans des conditions fixées par décret.
Au total, la mesure d’interdiction soumise à votre vote est proportionnée et s’inscrit pleinement dans le cadre du plan de lutte contre la fraude dans le secteur de la rénovation énergétique porté par le Gouvernement. Celui-ci permettra de renforcer la protection des consommateurs et de mettre fin aux sollicitations indésirables.
Au-delà de cette question, il me semble que la proposition de loi atteint un bon équilibre. Dans l’optique d’une adoption rapide, nous recommandons de ne pas alourdir ou complexifier les dispositifs. C’est la raison pour laquelle je propose d’encadrer par voie réglementaire les jours et horaires pendant lesquels les sollicitations téléphoniques sont autorisées et de ne pas inclure dans cet encadrement la fréquence des appels, eu égard à la grande diversité des secteurs d’activité, ainsi que des produits et services concernés.
Nous souhaitons également maintenir le principe d’une responsabilité de plein droit du professionnel ayant tiré avantage d’un démarchage téléphonique illicite. Il convient non seulement que le professionnel ne soit pas à l’origine de la violation des règles d’opposition au démarchage téléphonique pour échapper à la mise en cause de sa responsabilité, mais aussi qu’il soit établi qu’il n’en a pas profité. La DGCCRF a été confrontée à de trop nombreux contre-exemples pour ne pas être sensibilisée à ce sujet.
Enfin, j’appelle votre attention sur les mesures portées en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et inspirées des travaux de l’Arcep sur la lutte contre l’usurpation de numéros nationaux dans le cadre d’appels internationaux et l’authentification des appels. Il est dommage pour les citoyens qu’elles n’aient pas été maintenues par votre assemblée du fait de la règle de l’entonnoir, car elles leur apportent un réel bénéfice.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cas des abus et fraudes dont il est question ici, l’ingéniosité des fraudeurs rend la tâche des services de l’État difficile. C’est pourquoi le renforcement du cadre normatif que prévoit cette proposition de loi est indispensable. Il viendra soutenir l’action de la DGCCRF et de tous les services de l’État mobilisés pour lutter contre ces fraudes.
C’est en conjuguant une loi forte et efficace avec une action concrète sur le terrain que nous serons à même de répondre à l’attente de nos concitoyens : faire cesser les appels frauduleux et le démarchage téléphonique intempestif.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, déposée par notre collègue député Christophe Naegelen – il en est d’ailleurs aussi le rapporteur –, après son adoption par l’Assemblée nationale le 30 janvier dernier.
Composée initialement de six articles, la proposition de loi en comptait onze lors de sa transmission au Sénat et quatorze lors de son adoption en première lecture le 21 février 2019 – cela remonte à loin ! À cette occasion, le Sénat avait adopté quatre articles conformes et trois articles additionnels, tandis que, en deuxième lecture, l’Assemblée nationale n’a adopté que deux articles conformes. Ainsi, sur les quatorze articles de la proposition de loi, neuf sont encore en discussion.
Nous avons bien sûr eu des échanges constructifs avec mon collègue Christophe Naegelen, dans l’objectif de concilier protection du consommateur et développement de l’activité économique. Nous souhaitons parvenir à un bon équilibre à cet égard. Selon moi, nous n’en sommes pas si loin, si le Sénat, dans sa sagesse, ne démolit pas ce à quoi nous sommes parvenus.
Pour cette deuxième lecture, nous sommes, vous l’avez compris, dans un état d’esprit constructif. La commission a adopté deux articles conformes : l’article 2, qui introduit, sur l’initiative du Sénat, le principe de l’open data des données essentielles de l’organisme gestionnaire de la liste d’opposition au démarchage téléphonique, complété par l’Assemblée nationale d’une obligation de publication d’un rapport public annuel par le gestionnaire, à laquelle nous sommes favorables.
L’article 5 a également été adopté conforme par la commission. Il redéfinit le champ de l’exception contractuelle permettant à un professionnel de contacter un consommateur inscrit sur Bloctel, en la restreignant aux sollicitations en rapport avec l’objet d’un contrat en cours, qui peuvent également porter sur des produits complémentaires – c’est une nouveauté. Cette nouvelle rédaction présente l’avantage d’être plus protectrice des consommateurs que le droit actuel, sans être aussi rigoureuse que le texte initialement retenu par l’Assemblée nationale en première lecture et auquel le Sénat s’était opposé.
Nous aurons tout à l’heure une discussion sur l’exception contractuelle, car plusieurs amendements portent sur ce sujet. Je forme le vœu qu’elle ne suscite pas trop de débats, dans la mesure où nous sommes limités par le temps. Il serait dommage que l’adoption de cette proposition de loi soit une nouvelle fois repoussée.
Toujours dans le même état d’esprit constructif, la commission n’est pas revenue sur la suppression de deux articles par l’Assemblée nationale, à savoir l’article 1er A concernant les modalités d’inscription à Bloctel par téléphone – il était en réalité déjà satisfait par les textes, cher monsieur Sueur – et l’article 3 bis relatif aux règles de plafonnement des sanctions. Nous avons considéré que l’autorité administrative devra toujours exercer son pouvoir de sanction de manière proportionnée, sous le contrôle du juge.
Toutefois, la commission n’a pas adopté l’ensemble du texte conforme, en raison de trois dispositions contestables introduites par l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Tout d’abord, nos collègues députés ont interdit, à l’article 1er bis, le démarchage téléphonique aux professionnels qui vendent des équipements ou des travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergie renouvelable. Je vous proposerai de supprimer cette disposition – des amendements nous demanderont de la réintroduire –, car elle soulève un risque d’inconstitutionnalité important à mes yeux, au regard des principes d’égalité devant la loi et de la liberté d’entreprendre. Si ces amendements étaient adoptés, il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer.
Ensuite, l’Assemblée nationale a adopté, à l’article 6, des dispositions nouvelles, que la commission a supprimées au titre de la règle dite de l’entonnoir. Elles visaient à imposer aux opérateurs de filtrer les appels internationaux qui utilisent un numéro national et de mettre en œuvre un mécanisme d’authentification des appels. En effet, sur le fond, la première de ces dispositions est en partie satisfaite. Quant à la seconde, elle me paraît prématurée.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a précisé, à l’article 7, que, parmi les mesures que peut demander la DGCCRF au juge judiciaire en référé ou sur requête, figure la suspension de l’attribution de nouveaux numéros aux exploitants de numéros surtaxés pendant cinq ans au maximum. Une telle durée a semblé excessive à la commission, qui l’a donc ramenée à six mois.
Enfin, la commission a apporté d’autres modifications moins substantielles à l’article 1er bis visant à clarifier le caractère réfragable de la présomption de responsabilité du professionnel qui méconnaîtrait ses obligations en matière de démarchage téléphonique et à préciser le texte sur les obligations déontologiques auxquelles les professionnels seraient désormais soumis.
Dans la discussion que nous allons avoir, de nombreux amendements reviennent sur le sujet dit de l’opt-in. Le Parlement a fait le choix de maintenir l’opt-out.
M. Jean-Pierre Sueur. Comme l’on dit en bon français…
M. André Reichardt, rapporteur. Pardon pour ces anglicismes, dont M. Sueur nous donnera tout à l’heure, en bon français, la signification.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, parce que c’est ridicule !
M. André Reichardt, rapporteur. Permettez-moi de le dire, mes chers collègues, ce choix, c’est la dernière chance, pour l’opt-out, de faire ses preuves. En effet, à défaut d’une amélioration singulière de la situation pour les consommateurs, il ne faudra pas s’étonner que le Parlement soit amené à réexaminer l’opportunité de revenir sur ce point. J’espère que le texte que nous allons voter, avec les améliorations dont Mme la secrétaire d’État a déjà fait état, en particulier le renforcement des sanctions, contribuera à faire progresser les choses.
En tant que rapporteur de ce texte, je suis bien conscient du degré de harcèlement des consommateurs et de leur ras-le-bol à cet égard. Nous nous sommes néanmoins efforcés de maintenir, je le répète, l’opt-out, c’est-à-dire la volonté de s’opposer et non pas de choisir de faire l’objet d’un démarchage.
À bon entendeur salut ! Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Ce n’est pas parce qu’il y a trop d’abus qu’il faut refuser tous les démarchages téléphoniques et les interdire, comme certains voudraient le faire. Je note d’ailleurs qu’ils ne sont pas nombreux en séance…
M. Stéphane Piednoir. Ils ne vont sûrement pas tarder à arriver ! (Sourires.)
M. André Reichardt, rapporteur. Travaillons à une amélioration de la situation au travers de l’opt-out, voulu par l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans cette perspective, je forme le vœu qu’une commission mixte paritaire puisse se réunir prochainement pour permettre l’aboutissement de cette proposition de loi.
Je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte ainsi modifié.
Mme la présidente. Comme l’a très justement rappelé M. le rapporteur, cette proposition de loi est inscrite dans l’espace réservé au groupe Union centriste, limité à une durée de quatre heures.
Dans ces conditions, je me verrai dans l’obligation de lever la séance à dix-huit heures trente-huit. Si nous n’avons pas achevé l’examen de ce texte, il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce matin, j’ai reçu un appel téléphonique de notre collègue Gisèle Jourda. Dans son département de l’Aude, comme dans beaucoup d’autres du reste, il existe de très petites communes perdues dans les montagnes ou la campagne. Un certain nombre de leurs habitants, notamment des personnes âgées, ont renoncé à décrocher leur téléphone. Pourquoi ? Parce que, plusieurs fois par jour, elles sont assaillies d’appels pour les démarcher pour toutes sortes de choses.
Les maires de ces petits villages font valoir qu’en cas d’inondation – ce n’est pas une fiction – ou d’incendie la seule manière de prévenir les habitants est de leur téléphoner. Pourtant, ces personnes sont tellement écœurées de ces abus constants qu’elles n’utilisent plus le téléphone. On ne peut donc pas les prévenir d’un danger.
Cet exemple concret me permet de vous dire, mes chers collègues, à quel point ce texte est nécessaire.
Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, énormément d’appels vantent les mérites de la rénovation énergétique. Certaines entreprises font miroiter les aides de l’État, mais ne disposent pas toujours de la compétence nécessaire, si bien qu’il y a des tromperies, des duperies, une utilisation fallacieuse de l’argent de l’État et des travaux qui ne ressemblent à rien.
Monsieur le rapporteur, nous nous sommes beaucoup interrogés sur la question de savoir si l’interdiction du démarchage pour un seul domaine, la rénovation énergétique, était constitutionnelle. Devant l’émoi de toutes les associations de consommateurs sur ce qui constitue un véritable problème, nous avons décidé de déposer un amendement.
Nous ne voterons pas contre ce texte, parce qu’il présente des avancées, mais nous regrettons – c’est ce qui nous empêchera de voter pour – que ne soit pas fait le si nécessaire et si simple pas en avant que nous demandons, en bon français, sans qu’il soit besoin de se perdre dans des anglicismes à perte de vue : pour que quelqu’un puisse être démarché par téléphone, il faut qu’il ait a priori formulé son consentement de façon claire et explicite. Si une personne consent à recevoir de tels appels, il est légitime de la contacter ; sinon, sa volonté doit être respectée. Ainsi, les habitants de l’Aude et de tous les autres départements qui sont absolument excédés par ce démarchage téléphonique, qui n’en peuvent plus de ces intrusions, pourront tout simplement déclarer qu’ils ne souhaitent pas être sollicités. Est-ce compliqué ? Je ne le crois pas. Notre principal amendement vise à formuler, en des termes qui peuvent bien sûr être améliorés, cette autre proposition, qui nous paraît nécessaire.
Monsieur le rapporteur, vous avez dit qu’il s’agissait là de la dernière chance d’améliorer ce système. Nous disons, nous, que l’on finira de toute façon par en venir à ce que nous proposons.
M. André Reichardt, rapporteur. Il y a 60 000 emplois en jeu !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous le savez, onze pays d’Europe ont adopté une telle disposition, qui s’applique déjà pour les courriels et les SMS. Elle est tout à fait conforme au règlement général sur la protection des données, le RGPD.
Je conclurai par un argument qui, j’en suis sûr, ne laissera personne indifférent ici. Madame la secrétaire d’État, une proposition de loi présentée par M. Mézard et adoptée par le Sénat…
M. Philippe Bas, président de la commission. … que le Gouvernement semble ignorer…
M. Jean-Pierre Sueur. … allait dans le sens que je préconise, surtout après qu’elle eut été amendée par M. Pillet. Eu égard aux destins de MM. Mézard et Pillet, je vois mal que l’on puisse considérer qu’il s’agit là d’une mauvaise direction. (Sourires.)
Mes chers collègues, on peut regretter que la loi de la marchandise s’étende toujours davantage dans l’espace – il suffit de considérer nos entrées de ville. On peut regretter tout autant que la loi de la marchandise étende son emprise sur le temps de la vie, à toutes les heures du jour et de la nuit.
Je propose, en adoptant une position beaucoup plus radicale, de mettre fin à ce qui est devenu un véritable fléau pour nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Comme nous l’avons vu en première lecture, l’encadrement plus ou moins strict du démarchage téléphonique est un véritable serpent de mer, dans le domaine de la protection des consommateurs, et a déjà fait l’objet, de la part du Sénat, d’un certain nombre de tentatives. C’est un problème connu et reconnu : les pratiques abusives de démarchage continuent de sévir en France et d’importuner – le terme est faible – les consommateurs, faute d’encadrement et de mobilisation suffisante des pouvoirs publics, alors que d’autres pays ont obtenu de bons résultats en la matière.
Jean-Pierre Sueur a rappelé la proposition de loi présentée par le groupe RDSE sur l’initiative de Jacques Mézard. Adoptée par le Sénat il y a déjà neuf ans – je venais d’arriver au Sénat –, elle prévoyait un dispositif plus strict et le passage de l’opt-out à l’opt-in.
L’obligation de recueillir le consentement préalable du consommateur en amont de toute activité de démarchage par voie téléphonique devrait être la règle. C’est la seule solution pour éviter les dérives constatées, qui confinent vraiment, parfois, au harcèlement et qui, en outre, visent surtout des publics fragiles. Il faut aussi insister sur cet aspect : la logique même du démarchage téléphonique est de cibler ceux qui ne savent pas dire non. Ces dérives touchent donc les utilisateurs de téléphone fixe, de moins en moins nombreux, autant que de téléphone mobile. C’est d’ailleurs par ce vecteur que le démarchage abusif et les pratiques frauduleuses se sont le plus développés ces dernières années.
Trop souvent, les consommateurs ignorent les droits qui leur sont reconnus dans le code de la consommation – peut-être moins, désormais, ceux qui figurent dans les textes relatifs à la protection des données personnelles, qu’il s’agisse de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ou du règlement général sur la protection des données, entré en vigueur en 2018.
Les problèmes, dans le domaine du démarchage, sont donc parfaitement connus. Eu égard aux pratiques commerciales agressives de nombreuses sociétés de télémarketing n’hésitant pas à appeler les personnes plusieurs fois dans le même mois, à des horaires inopportuns, en soirée ou le week-end, il paraît totalement indispensable de renforcer les droits des citoyens.
C’est pourquoi on ne peut que regretter la position encore très timorée de la commission, qui a édulcoré le texte. On évoque volontiers les consommateurs importunés, parfois en situation de faiblesse, mais plus rarement le mal-être au travail des employés des centres d’appel. S’il est un métier ingrat – il nous est tous arrivé de raccrocher un peu brutalement –, c’est bien celui-là, que le centre d’appel soit situé en France ou à l’étranger.
D’ailleurs, la localisation hors de l’Union européenne n’est en principe pas un obstacle à la protection du consommateur, puisque les litiges sont régis par la loi du pays de résidence habituel de ce dernier. Plusieurs pays voisins, comme l’Allemagne, l’Espagne, le Danemark, ont opté pour le régime du consentement préalable, avec de véritables succès à la clé. Il est tout de même assez étonnant que l’on régule le démarchage par texto, mais non le démarchage téléphonique, alors qu’un texto est moins intrusif qu’un appel téléphonique.
Quoi qu’il en soit, force est de reconnaître que les différentes tentatives pour aller dans le sens d’un encadrement du démarchage téléphonique en France ont jusqu’à présent toujours échoué. L’approche plus modérée des auteurs de la présente proposition de loi devrait permettre d’aboutir à un compromis. Elle conserve le régime actuel de la désinscription tout en le rendant plus efficace. Son objet est aussi plus large et plus actuel, puisqu’il inclut la lutte contre les appels frauduleux, phénomène hélas répandu.
N’ayant pas le temps de développer plus avant mon propos, je me bornerai à abonder sans réserve dans le sens de Mme la secrétaire d’État sur la question des appels concernant les travaux de réhabilitation des logements. Avec l’offre très alléchante de l’isolation à 1 euro, il y a eu énormément d’abus dans ce domaine. Les vrais professionnels demandent une régulation forte. En effet, ces réhabilitations pour 1 euro, qui donnent au consommateur le sentiment de faire une bonne affaire, recouvrent souvent des travaux bâclés ; les « vrais » travaux de réhabilitation, eux, ne sont pas faits par les propriétaires. Si nous voulons tenir nos objectifs, qui sont absolument essentiels, en matière d’efficacité énergétique et de lutte contre le dérèglement climatique, il y a urgence à réglementer les appels concernant la rénovation énergétique et le développement de l’utilisation des énergies renouvelables.
J’espère que nous pourrons trouver un compromis. Que le texte échoue à réglementer ces abus serait totalement incompréhensible, et je sais que tous les professionnels suivent nos travaux avec grande attention cet après-midi.
Le RDSE continue de soutenir l’idée d’un plus strict encadrement du démarchage téléphonique, pour enfin mettre un terme aux nuisances inhérentes à celui-ci. Si l’on peut regretter que cette proposition de loi n’aille pas plus loin dans cette voie, il faut aussi savoir reconnaître les avancées qu’elle comporte ; il faudra veiller, par la suite, à sa bonne application. Le groupe RDSE votera pour son adoption. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le démarchage téléphonique et la prospection commerciale par voie électronique sont devenus une pratique courante, régulièrement mise en cause par le législateur et par les citoyens.
Appels internationaux, messages vocaux préenregistrés et publicitaires sous un faux numéro… Selon les chiffres de l’enquête de l’UFC-Que Choisir de 2017, chaque foyer est démarché téléphoniquement 4 fois par semaine en moyenne. Ce chiffre monte à 4,4 fois par semaine pour les personnes âgées de plus de 65 ans.
Ne parler que de l’exaspération que suscitent ces appels ne suffit pas, car, en parallèle, les cas de fraude sont de plus en plus fréquents. Cette proposition de loi distingue très clairement les deux : démarchage téléphonique et appels frauduleux. Je remercie notre collègue député Christophe Naegelen, qui a été le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Son ambition nous a permis de débattre et de proposer des solutions équilibrées, à la hauteur d’un double sujet.
Le texte initial comprenait six articles, visant notamment : pour l’article 1er, le renforcement des informations qu’un professionnel doit obligatoirement communiquer au consommateur lors d’un appel de prospection commerciale ; pour l’article 2, la réalisation d’un audit de la société Opposetel, délégataire du service Bloctel, afin de relever les dysfonctionnements, d’améliorer le service et d’optimiser les moyens ; pour les articles 3 et 4, le renforcement du montant des sanctions administratives prononcées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en cas de méconnaissance des obligations fixées par l’encadrement législatif ; à l’article 6, la sécurisation des outils juridiques de lutte contre les pratiques téléphoniques de fraude aux numéros surtaxés, en particulier la faculté donnée aux opérateurs de communications électroniques de suspendre l’accès à un numéro surtaxé affecté à un service fraudeur.
Il est important de rappeler que le secteur du démarchage téléphonique emploie aujourd’hui directement plus de 56 000 personnes en France, y compris au sein de TPE et de PME de nos territoires. C’est d’ailleurs sur le fondement de cet état de fait que les deux chambres se sont majoritairement accordées pour ne pas retenir le principe d’un opt-in systématique.
N’ayant pas trouvé de traduction littérale de l’expression opt-in, il me paraît utile de décrire ce système de façon succincte.
Le principe général en est qu’un individu doit avoir donné son consentement préalable et explicite avant d’être la cible d’une prospection directe. Un individu ne peut donc être destinataire d’une newsletter ou d’un démarchage téléphonique que s’il a donné de manière claire et explicite son consentement à la réception de ce type de messages.
Ainsi, retenir un opt-in systématique reviendrait à en inverser le principe, en postulant que le consommateur est toujours a priori contre le démarchage, ce qui conduirait probablement, in fine, à une disparition de ce secteur économique.
Plusieurs points d’équilibre doivent donc être trouvés sur ces sujets, afin de mieux protéger les consommateurs et de renforcer l’efficacité des mécanismes d’opposition du service Bloctel sans pénaliser les acteurs respectueux de la loi, de mieux réguler le démarchage, de faire cesser ces nuisances et de sanctionner les fraudes sans ébranler le secteur.
Les travaux de notre chambre, tels qu’ils ont progressé, dessinent un tel équilibre ; je tiens, à ce titre, à saluer le travail de notre rapporteur, qui a permis, dès l’issue de la première lecture, de voter conformes quatre articles portant sur des sujets essentiels.
Il a également permis au Sénat d’enrichir le texte sur plusieurs points, tels que la mention de Bloctel dans les contrats de téléphonie, les modalités de communication au consommateur des informations obligatoires lors d’un démarchage ou encore la création d’un régime de données ouvertes applicable à l’organisme gestionnaire du service Bloctel, afin d’en renforcer le contrôle.
Il a permis, enfin, l’acceptation en commission de modifications du texte intervenues à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, sur des sujets essentiels qui faisaient encore l’objet d’une divergence de fond. Je pense notamment à l’article 5 relatif à l’encadrement du démarchage téléphonique en cas de relations contractuelles préexistantes. La rédaction de compromis introduite par l’Assemblée nationale et validée par notre rapporteur limite l’exception contractuelle aux clients d’un contrat en cours ou à des sollicitations en rapport avec l’objet du contrat ou portant sur des produits ou services afférents ou complémentaires.
Cette rédaction illustre bien l’équilibre que je mentionnais. Il est à noter que le bicamérisme montre une nouvelle fois toute son importance dans la construction de la loi.
Pour autant, le débat en séance va permettre de continuer à améliorer ce texte, sur certains points en particulier. Ainsi souhaitons-nous, comme plusieurs autres collègues, et pour des raisons que nous expliciterons tout à l’heure, rétablir l’interdiction du démarchage téléphonique pour les professionnels qui vendent des équipements ou travaux d’efficacité énergétique. Je souhaite mentionner également certaines modifications introduites en commission par notre rapporteur relatives aux obligations imposées aux professionnels du démarchage téléphonique, s’agissant par exemple de la fixation de la fréquence des appels ou de la présomption de responsabilité s’appliquant aux professionnels ayant tiré profit d’un démarchage téléphonique litigieux.
Le présent débat nous permettra de discuter de ces sujets intéressants et, je le crois, d’avancer dans l’élaboration de ce texte, qui présente un triple caractère de nécessité, d’équilibre et de qualité, et auquel notre groupe est favorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons, je l’espère, au terme du parcours législatif de cette proposition de loi de nos collègues députés du groupe UDI. Ce texte, s’il ne réglera pas tous les problèmes, peut marquer une étape supplémentaire dans la protection des citoyens et la lutte contre le démarchage subi.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une contrainte, pour ne pas dire une plaie, pour un grand nombre de nos concitoyens !
Vous vous levez le matin et allumez votre télévision ou votre radio : publicité ! Vous lisez votre journal ou surfez sur internet : publicité ! Vous vous rendez sur votre lieu de travail : publicité dans les transports et dans les rues ! Et quand vous pensez pouvoir être enfin tranquille, c’est votre téléphone qui sonne à répétition. En définitive, qui paie les conséquences de cette stratégie agressive ?
Ce sont, en premier lieu – j’y reviendrai plus longuement en présentant l’un de nos amendements –, les salariés du secteur. Mal rémunérés, mis en concurrence, surveillés jusqu’à l’extrême et totalement déshumanisés, ils sont pris entre le marteau et l’enclume : d’un côté, les méthodes scandaleuses de leur direction ; de l’autre, les réactions parfois virulentes des personnes contactées.
Ce sont, en second lieu, les citoyens. Chacun, dans cet hémicycle, a eu à subir vingt appels dans une journée, émanant de numéros qu’il ne connaît pas et destinés à lui vendre quelque chose dont il n’a ni envie ni besoin. Chacun, dans cet hémicycle, a eu un jour affaire à un démarcheur particulièrement insistant, espérant obtenir gain de cause à l’usure, sans parler de toutes les arnaques dont les victimes sont souvent les personnes les plus vulnérables – tout cela pour une utilité économique et sociale qui est loin d’être évidente…
De plus en plus se pose, dans le débat public, la question de ces « petits métiers », souvent aliénants, qui pourraient disparaître sans que la société ne vacille sur sa base. Il est certain que le démarchage téléphonique entre largement dans cette catégorie.
Quelle est en effet la finalité de cette activité ?
La libre information et le conseil aux clients ? Quiconque a déjà eu à répondre à l’appel d’un démarcheur sait bien que c’est faux.
La préservation de l’emploi ? Il est vrai que le secteur emploie 56 000 personnes en France et rapporte plus de 2 milliards d’euros par an. Mais pour qui ? Pour quoi ? Pour quelle utilité sociale ? D’ailleurs, quitte à parler d’emplois, parlons un peu de la pratique, plus répandue que dans la majorité des autres secteurs économiques, de la délocalisation et de la sous-traitance dans des pays francophones au droit du travail plus faiblement protecteur.
Le développement des pays du Sud, puisque cet argument est régulièrement brandi ? Quelle indignité ! Si l’ambition française, en matière de coopération économique, consiste à exploiter et à sous-payer des salariés, qui sont très souvent de jeunes diplômés, à des postes peu qualifiés, nous allons, me semble-t-il, au-devant de graves problèmes en termes de développement économique et social des pays en question.
Pour faire face à cette situation, le législateur a pris des mesures. La plus emblématique d’entre elles est la création des listes d’opposition : la liste rouge en 1978, puis Pacitel en 2011, enfin Bloctel en 2016.
Malheureusement nous sommes restés au milieu du gué. Bloctel illustre bien, d’une certaine façon, la faiblesse organisée de la régulation du secteur.
Sa première faiblesse tient à son principe même : faire reposer la régulation du démarchage sur l’initiative du consommateur conduit toujours à laisser sur le bas-côté les personnes non informées ou ne maîtrisant pas l’outil. L’accord préalable du consommateur pour tout démarchage téléphonique doit être la norme, et non l’exception.
Sa seconde faiblesse est celle des moyens de contrôle et de sanction. N’oublions pas que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes voit fondre, depuis plusieurs années, ses effectifs et ses dotations.
Comment expliquer autrement que plus de 200 000 personnes inscrites sur Bloctel se plaignent encore de démarchage agressif ? Comment expliquer autrement que les entreprises rechignent toujours autant à nettoyer leurs fichiers de contacts ?
Cette proposition de loi répond-elle à la problématique actuelle du démarchage téléphonique ? Non, car c’est tout le fonctionnement du secteur qu’il faut revoir. Pour ne prendre qu’un exemple, croyez-vous vraiment qu’un démarcheur va prendre le temps d’informer son correspondant de ses droits et de présenter Bloctel, alors que son appel est minuté et scruté par sa hiérarchie, comme l’ont montré plusieurs enquêtes ?
Cette proposition de loi va-t-elle aggraver la situation ? Non. Mieux, même, elle permet d’améliorer à la marge la protection des consommateurs, notamment contre les arnaques aux numéros surtaxés.
Cette proposition de loi peut-elle encore être améliorée ? Oui, assurément. Notre groupe a déposé plusieurs amendements en ce sens. Dans l’attente de connaître le sort qui leur sera réservé, nous réservons notre vote sur le texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.
Nous espérons tous que nos débats permettront d’aboutir prochainement à un texte conciliant la tranquillité des Français à leur domicile avec la possibilité, pour les professionnels, de développer leur activité.
Le démarchage téléphonique abusif est devenu une véritable nuisance, et nos concitoyens sont unanimes à dénoncer les appels intempestifs reçus à leur domicile.
Ce constat de départ ne doit pas nous faire oublier que le démarchage téléphonique est une pratique commerciale légale et que ce secteur représente de nombreux emplois directs en France : plus de 55 000, dont pas moins de 15 000 dans les seuls Hauts-de-France.
Il nous faut prendre garde à ne pas menacer ces emplois, car les centres d’appels représentent souvent un premier accès à l’emploi pour des personnes fragiles. En outre, ces emplois sont flexibles et permettent à des personnes qui ne sont pas en mesure de travailler à plein temps de percevoir un complément de revenu.
Ce n’est donc pas le démarchage vertueux qu’il faut interdire, mais bien la fraude au démarchage.
Les entreprises qui pratiquent le démarchage de manière illégale jettent l’opprobre sur tout le secteur : appels surtaxés illégaux, automates intempestifs, appels-pièges, usurpations de numéros : autant de pratiques frauduleuses qui excèdent nos concitoyens.
C’est pourquoi cette question doit être abordée avec beaucoup de soin, car tout l’enjeu est là : mieux protéger les consommateurs sans pénaliser les TPE et les PME dont les pratiques sont raisonnables et qui sont respectueuses de la loi ! Ne nous y trompons pas : la cible, ce sont bien les fraudeurs, et non le démarchage téléphonique en tant que tel.
Sur le fond, je tiens à saluer les travaux de la commission, qui a souhaité revenir sur trois modifications opérées par l’Assemblée nationale.
Nos collègues députés ont interdit le démarchage téléphonique aux professionnels qui vendent des équipements ou des travaux « destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables ». Je me félicite que la commission ait supprimé cette disposition, car elle présentait un risque d’inconstitutionnalité important au regard des principes d’égalité devant la loi et de liberté d’entreprendre.
L’Assemblée nationale a par ailleurs adopté des dispositions nouvelles, sans aucun lien avec celles qui restent en discussion, visant à imposer aux opérateurs de filtrer les appels internationaux qui utilisent frauduleusement un numéro national et de mettre en œuvre un mécanisme d’authentification des appels. Je me réjouis que la commission les ait supprimées, car de telles obligations sont soit largement satisfaites, soit prématurées.
Enfin, l’Assemblée nationale avait complété l’article 7 pour préciser que l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut saisir le juge judiciaire en référé ou sur requête pour qu’il suspende l’attribution de nouveaux numéros aux exploitants de services à valeur ajoutée jugés frauduleux pendant une durée maximale de cinq ans. La durée de cette mesure semble excessive s’agissant de procédures d’urgence et de décisions rendues par ordonnances à titre provisoire. Je suis heureux que la commission l’ait ramenée à six mois.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du démarchage téléphonique abusif ou frauduleux nous concerne tous. Ce phénomène est dénoncé partout en France. Aussi, eu égard à l’exaspération légitime de nos concitoyens face à ce démarchage excessif et peu scrupuleux, est-il de notre devoir d’agir, mais avec prudence, car tout démarchage n’est pas condamnable !
Conscient tant des enjeux relevant du respect de la vie privée et de la tranquillité que de ceux ayant trait à l’emploi, le groupe Les Indépendants votera en faveur de l’adoption de ce texte à la fois utile et équilibré.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, nous examinons cette proposition de loi dont l’examen a pourtant débuté en 2018.
Une fois encore, nous nous rendons compte de l’impérative nécessité de mieux protéger nos concitoyens, alors que la récente période de confinement a livré une nouvelle illustration de la galère que représente le démarchage téléphonique abusif, avec une recrudescence constatée des appels, notamment frauduleux.
Deux ans après le début de l’examen de ce texte, donc, le constat et l’urgence restent d’actualité, car ce sont neuf Français sur dix qui déclarent être excédés par le démarchage téléphonique, neuf Français sur dix qui jugent ces appels agaçants, et neuf Français sur dix qui les trouvent trop fréquents.
Si l’on dit la France divisée, voire « archipélisée », force est de constater l’unanimité du réquisitoire contre le démarchage téléphonique.
D’ailleurs, la pétition réclamant la fin pure et simple du démarchage téléphonique lancée en janvier dernier a déjà recueilli plus de 115 000 signatures. Mais nous savons bien que cette solution est trop radicale. Nous devons donc avancer tant bien que mal, et faire évoluer le cadre législatif, car, une fois encore, un compromis est nécessaire pour atteindre l’équilibre le plus optimal entre l’impératif de protéger les citoyens et la nécessité de ne pas entraver l’activité économique.
Nous devons trouver un compromis, disais-je ; c’est bien parce que le compromis précédent n’en était pas un que nous en sommes réduits à devoir légiférer à nouveau sur le sujet.
Si, depuis 2014, Bloctel permet aux citoyens de faire valoir leur opposition expresse à de tels démarchages, les résultats sont modestes, l’inefficacité patente, le mécontentement grandissant. Il y avait des trous dans la raquette de ce dispositif législatif ; ainsi, il n’intégrait pas les pratiques frauduleuses qui n’entrent pas dans le champ du démarchage téléphonique.
Si je suis, à titre personnel, favorable à un opt-in tranché – je considère que le démarchage téléphonique ne devrait pouvoir se faire qu’une fois recueilli le consentement préalable du citoyen –, notre groupe partage la position du Sénat et de nos collègues députés, consistant à ne pas remettre en cause la philosophie du droit en vigueur afin de ne pas mettre en péril les plus de 56 000 emplois en jeu.
Je crois, pour ma part, que le contexte actuel n’est pas du tout favorable à une telle remise en cause, mais nos concitoyens ne comprendraient pas que toutes ces discussions, longues de deux ans déjà, accouchent d’une souris, et que cette proposition de loi ne soit pas l’occasion de véritables avancées de leurs droits. Aussi notre groupe partage-t-il la conviction qu’il est impératif de légiférer afin d’apporter de nouvelles réponses contre le démarchage abusif, notamment de protéger les 3 millions de personnes qui ont fait la démarche de s’inscrire sur Bloctel et demandent, de façon parfaitement légitime, une vraie protection. Une telle protection est également bienvenue pour les personnes les plus fragiles, les plus âgées, les moins armées pour résister au démarchage commercial agressif.
Nous nous félicitons des mesures visant à renforcer l’efficacité de l’opt-in et sommes d’accord avec le texte issu des travaux de la commission des lois, dont nous saluons l’effort de consensus et le travail, une fois encore de grande qualité. Nous soutenons ainsi le renforcement des sanctions en cas de manquement des professionnels du secteur, estimant que la nouvelle rédaction de l’exception contractuelle relève de cette ligne de crête qu’il convient de tenir et satisfait au pragmatisme que nous souhaitons voir prospérer dans les débats.
Nous accueillons également avec bienveillance les précisions relatives aux obligations déontologiques, qui se trouveront ainsi gravées dans le marbre de la loi. Reconnaissons que c’est là le moindre des minimums si nous voulons des horaires de démarchage acceptables et plus convenables, de jour davantage que de nuit, et n’empiétant pas sur la vie privée.
Notre groupe souhaite toutefois rétablir certaines modifications de fond introduites par l’Assemblée nationale, afin d’apporter des protections nouvelles et concrètes à nos concitoyens. Il en va ainsi, notamment, de l’interdiction totale du démarchage dans le domaine des économies d’énergie, qui fait l’objet d’un amendement de notre groupe. Si nous entendons l’argument du risque d’entrave à la liberté d’entreprendre, force est en effet de constater les trop nombreux abus dans ce domaine.
De même, nous aurions souhaité rétablir le dispositif de lutte contre le spoofing, qui imposerait aux opérateurs de filtrer les appels internationaux utilisant frauduleusement un numéro national. Nous avions déposé un amendement en ce sens ; il a malheureusement été déclaré irrecevable, mais nous conservons l’espoir qu’un compromis puisse être trouvé en CMP.
Le groupe Union Centriste soutiendra le texte tel qu’issu des travaux de la commission des lois. À titre personnel, j’ai déposé, avec Anne-Catherine Loisier, un certain nombre d’amendements ; nous tiendrons compte des avis qui seront émis sur ces amendements pour nous prononcer sur ce texte. Nous espérons, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement convoquera rapidement une commission mixte paritaire, afin que la loi puisse être promulguée dans un délai raisonnable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si le législateur s’est déjà attaqué au délicat sujet du démarchage téléphonique en 2014, en donnant aux consommateurs la possibilité de s’y opposer par l’inscription au service Bloctel, sous peine de lourdes sanctions administratives, force est de constater que les abus en la matière sont récurrents et confinent parfois encore au harcèlement.
Depuis le début de l’examen de ce texte par le Parlement, notre rapporteur, André Reichardt, a constamment veillé à appréhender avec justesse l’enjeu central en matière de démarches téléphoniques : protéger les consommateurs sans pénaliser les acteurs économiques respectueux de la loi. Je tiens à le remercier de son travail, avant d’évoquer certains points plus précis de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.
Ne nous y trompons pas : l’objet de ce texte est non pas d’interdire toute prospection commerciale par téléphone, mais bien de lutter contre la recrudescence de pratiques frauduleuses.
À cet égard, l’interdiction générale et absolue du démarchage téléphonique aux professionnels qui vendent des équipements ou des travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergie renouvelable, prévue par les députés en seconde lecture, ne nous semble pas constituer une bonne solution. Outre qu’elle soulève un fort risque d’inconstitutionnalité au regard du principe d’égalité devant la loi et de la liberté d’entreprendre, elle pourrait s’avérer extrêmement préjudiciable pour des entreprises de ce secteur qui ne commettent pourtant aucun abus.
Par ailleurs, une autre disposition du texte soulève, à mon sens, une inquiétante ambiguïté. L’article 1er bis, à son alinéa 6, prévoit qu’un décret pris après avis du Conseil national de la consommation détermine les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels le démarchage téléphonique est autorisé. Or la formulation employée interroge : quels types de contacts téléphoniques seraient concernés par ce cadre réglementaire ? S’agit-il de tous les appels, y compris ceux qui visent à répondre à une sollicitation expresse d’un client qui, par définition, y aurait consenti ?
En raison des incertitudes suscitées par cette disposition aux conséquences non négligeables, j’ai déposé un amendement, que je défendrai tout à l’heure, visant à dissiper toute ambiguïté. Il tend à préciser que ne sont pas concernés par un tel encadrement les appels téléphoniques effectués en vue de répondre à une demande du client, avec son consentement.
La crise économique inédite qui est sur le point de frapper nombre de nos entreprises impose plus que jamais au législateur de ne pas compliquer à outrance les relations commerciales respectueuses des deux parties.
Pour conclure, nous saluons le travail mené sur ce texte, qui nous semblait nécessaire puisqu’il traite d’un sujet sensible tant pour nos concitoyens que pour notre tissu économique. Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi telle qu’amendée par la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission. Merci, ma chère collègue !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux
Article 1er A
(Suppression maintenue)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 17 rectifié est présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi, de Cidrac et Billon, MM. Médevielle, Moga, Longeot, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, A. Marc, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin, MM. Bouchet, Milon, Charon et Bazin, Mme L. Darcos et MM. Pointereau, P. Martin, Saury, Mouiller et Delcros.
L’amendement n° 28 rectifié bis est présenté par Mme Noël.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « courriers électroniques », sont insérés les mots : « ou d’un appel vocal » ;
2° Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’interdiction prévue au premier alinéa du présent article ne s’applique pas à la prospection directe au moyen d’un appel vocal en vue d’actions caritatives, de la réalisation de sondages ou de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines. »
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 1.
Mme Michelle Gréaume. Six ans après sa création, on voit bien que le dispositif Bloctel est largement insuffisant. Les 3,7 millions de personnes inscrites sur ce registre se plaignent encore largement d’être démarchées. Quelque 200 500 d’entre elles se sont même tournées vers la DGCCRF, qui a par ailleurs perdu 100 agents et 6 % de son budget en trois ans.
Je suppose que, tout comme moi, mes chers collègues, vous avez déjà fait l’expérience de l’appel d’un téléconseiller assez insistant. L’inscription sur Bloctel aurait pu vous prémunir contre cette situation. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, encore aujourd’hui, malgré mon inscription sur le registre, je suis sollicitée et, lorsque je le signale par téléphone, la communication est régulièrement coupée brusquement, sans possibilité de rappeler. Tel est le lot quotidien de trop nombreux Français.
Cet amendement, qui rejoint les analyses de plusieurs associations de protection des consommateurs, vise à reprendre le système en vigueur pour les SMS et les courriels. C’est d’ailleurs ce qui se pratique dans plusieurs pays européens, comme l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal, qui connaissent une baisse importante des plaintes liées au démarchage téléphonique.
Pour reprendre les termes de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ce modèle dit du opt-in implique l’accord du destinataire. S’il n’a pas dit oui, alors c’est non !
Bien sûr, le modèle a ses limites, et on imagine très bien que l’accord du consommateur pourrait être obtenu au détour des conditions générales de vente ou d’utilisation, qui ne sont que trop rarement lues. À ce titre, il serait déjà plus protecteur d’obliger les entreprises, comme pour les cookies depuis l’entrée en vigueur du RGPD, à prévoir une case à cocher, parallèlement à celles attestant de la prise de connaissance des conditions générales d’utilisation et des conditions générales de vente. Bien évidemment, il y aurait toujours des clics involontaires, mais la gêne serait limitée.
Il me semble surtout nécessaire, dans le cadre de la lutte conte le démarchage intrusif, de passer à une nouvelle étape en prenant le contrepied de Bloctel. Plutôt qu’un fichier de personnes ne voulant pas être dérangées, il importe de créer un fichier de citoyens ayant expressément donné leur accord pour être appelés, car c’est bien sur l’initiative du démarchage qu’il faut agir, en la laissant à la main du consommateur, et non plus de l’entreprise.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié.
M. Stéphane Piednoir. Cet amendement repose sur un double constat : le premier, c’est qu’en France, entre 2016 et 2018, 1,3 million de réclamations émanant de 200 000 personnes ont été déposées pour les seuls inscrits au dispositif Bloctel, soit un taux de plaintes de 5 % ; le second, c’est que, en Allemagne, où le système de l’opt-in est en vigueur, près de 150 000 plaintes ont été comptabilisées au cours de la même période pour l’ensemble de la population, soit un taux de plaintes des ménages allemands de 0,36 %.
On a d’autres exemples. À la suite de la mise en place de l’opt-in au Portugal, en 2012, au Royaume-Uni, en 2018, les associations de consommateurs portugaise DECO et anglaise Which ? soulignent une baisse significative du nombre de plaintes.
Pour lutter contre le fléau que représente le démarchage téléphonique non sollicité et remédier à l’inefficacité évidente du dispositif Bloctel, le présent amendement vise tout simplement à aligner le régime de ce type de prospection sur celui des SMS et des courriels, qui prévoit un système d’opt-in. Pourquoi ce qui est possible pour les SMS et les courriels ne le serait-il pas pour les appels téléphoniques ?
Les consommateurs ayant consenti à fournir leurs données téléphoniques pourront être sollicités tout à fait légalement ; dans le cas contraire, le démarchage téléphonique sera considéré comme illégal. Dans cette perspective, il est proposé que tous les régimes relatifs au démarchage figurent au même article, dans un souci d’harmonisation et de clarté.
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié bis n’est pas soutenu.
L’amendement n° 9, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le premier alinéa de l’article L. 223-1 du code de la consommation est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’inscription sur cette liste se fait par voie dématérialisée, postale ou téléphonique. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’objet de cet amendement est très simple : nous demandons seulement que l’inscription à la liste d’opposition au démarchage téléphonique puisse être faite par téléphone, et non pas seulement par internet ou par courrier.
Cette disposition avait déjà été adoptée par le Sénat en première lecture. Comme elle est de bon sens, je ne doute pas qu’elle le sera à nouveau aujourd’hui.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Les amendements identiques visent à mettre en œuvre le principe de l’opt-in – cher à M. Sueur – pour le démarchage téléphonique. Ne pourraient dès lors être appelés que les consommateurs y ayant consenti au préalable.
Lors de l’examen de ce texte en première lecture, nous n’avions pas souhaité, mes chers collègues, remettre en cause la philosophie du droit en vigueur, qui repose sur un régime d’opposition expresse, l’opt-out. Même si cette décision date déjà un peu, la première lecture ayant eu lieu il y a seize mois, n’y revenons pas ! La commission a préféré renforcer les mécanismes de régulation déjà présents dans notre droit, améliorés singulièrement au travers de cette proposition de loi. Je vous propose d’en rester là.
L’amendement n° 9 de M. Sueur tend, quant à lui, à rétablir l’article 1er A, supprimé par l’Assemblée nationale, qui prévoyait que l’inscription sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique puisse se faire par téléphone. Il est en réalité, monsieur Sueur, déjà satisfait par les textes ; c’est la raison pour laquelle la commission n’a pas rétabli l’article. Sinon, je vous l’assure, nous aurions persisté !
L’avis est donc défavorable sur les deux amendements identiques nos 1 et 17 rectifié, ainsi que sur l’amendement n° 9.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. L’avis du Gouvernement rejoint celui de M. le rapporteur.
Je crois que l’on est parvenu, sur ce texte, à un juste équilibre. Nous avons déjà longuement débattu du consentement préalable et du consentement tacite. Je recommande d’en rester là.
Il est vrai que Bloctel doit être amélioré, mais cela n’est pas du ressort de la loi, et que nous devrons travailler pour rendre effective la mise en œuvre de cette loi – j’en parlais en aparté avec M. le président de la commission des lois. Cependant, à ce stade, il me semble que la démarche qui sous-tend ce texte est la bonne.
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises faisant du démarchage téléphonique sont très respectueuses de la loi. Il ne faut pas écrire la loi pour les 5 % d’entreprises qui n’ont pas l’intention de la respecter ; il faut plutôt l’écrire pour celles qui font bien leur travail : ce sont elles que nous voulons accompagner.
S’agissant de l’amendement n° 9, la loi prévoit qu’il est possible de contacter Bloctel par tout moyen. La vérité commande de dire que le moyen téléphonique n’est pas opérant à ce jour, en particulier pour des raisons de coût, car sa mise en œuvre nécessite des moyens humains. Cela pose la question de l’équilibre du modèle économique de Bloctel, sachant qu’une réflexion est en cours sur ce sujet.
Cela étant, il est possible de demander très simplement, par courriel ou par courrier, l’inscription sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique. Pour l’essentiel, cette démarche s’effectue par courriel : une soixantaine de courriers seulement ont été dénombrés l’an dernier, contre des milliers de courriels. Ce dernier moyen fonctionne donc très bien.
Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. À vous entendre, madame la secrétaire d’État, il y aurait 5 % de contrevenants… Ce n’est pas du tout mon sentiment ! J’aurais plutôt tendance à penser que 95 % des appels téléphoniques de démarchage que j’ai reçus au cours des dernières semaines étaient intrusifs et importuns.
On a invoqué à plusieurs reprises la nécessité de préserver les emplois du secteur du démarchage téléphonique. Notre société, surtout depuis la crise du Covid-19, s’interroge sur l’utilité de certains emplois. Les emplois en question sont-ils épanouissants pour ceux qui les occupent – j’incline à penser qu’ils sont souvent extrêmement pénibles – et apportent-ils un gain à la société ? En effet, le démarchage intrusif suscite un grand nombre de plaintes, dont le traitement coûte de l’argent public. On marche un peu sur la tête !
Il faut changer la règle, comme le proposent les auteurs de ces amendements, mais probablement pas dans un esprit systématique : des personnes souscrivant un contrat peuvent accepter d’être démarchées pour des offres en lien avec ce dernier. Ce ne serait donc pas du tout ou rien. Je suis convaincu que les entreprises pratiquant ce type de démarchage feraient alors des offres moins inopportunes.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 17 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 112 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 214 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’amendement n° 9.
M. Jean-Pierre Sueur. Après avoir entendu M. le rapporteur, j’avais l’intention de retirer cet amendement, mais la réponse très complète de Mme la secrétaire d’État me conduit à ne pas le faire… (Rires.)
En effet, Mme la secrétaire d’État nous a expliqué que la loi dispose qu’il est possible de s’inscrire sur la liste d’opposition par téléphone, mais que la société Bloctel n’a pas mis en œuvre les moyens humains nécessaires pour rendre cette possibilité effective.
Considérant que la situation réelle est en contradiction avec la légalité formelle, je maintiens mon amendement.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er A demeure supprimé.
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Article 1er
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article L. 221-16 du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Après le mot : « conversation », sont insérés les mots : « , de manière claire, précise et compréhensible, » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Le professionnel indique également au consommateur qu’il peut s’inscrire gratuitement sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique prévue à l’article L. 223-1 s’il ne souhaite pas faire l’objet de prospection commerciale par cette voie. »
Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
d’opposition
par le mot :
dédiée
2° Remplacer les mots :
ne souhaite pas
par le mot :
souhaite
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec l’amendement n° 12, que nous examinerons plus tard.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Il s’agit en effet d’un amendement de cohérence avec l’amendement n° 12, mais je peux aussi le considérer comme un amendement de cohérence avec ceux que nous venons de rejeter. Par conséquent, j’invite notre assemblée à le rejeter également.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
….- Au deuxième alinéa du même article L. 221-16, les mots : « sur papier ou sur support durable » sont remplacés par les mots : « par courrier ».
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. La situation est connue et malheureusement trop fréquente : un centre d’appels contacte une personne vulnérable, souvent une personne âgée, et lui fait une offre ; cette personne, voulant écourter la conversation et n’ayant pas conscience de l’engagement qu’elle prend, accepte l’envoi d’un exemplaire du contrat. Quelques jours plus tard, quelqu’un se présente à son domicile pour lui présenter le contrat.
Cette situation crée plusieurs problèmes.
Premièrement, ce point n’est pas à négliger, une certaine forme de pression s’exerce sur les personnes concernées, qui n’osent pas forcément repousser l’offre. Après tout, si un professionnel s’est déplacé jusqu’au domicile, c’est que l’offre doit être sérieuse.
Deuxièmement, l’envoi par courrier permet à des proches de la personne contactée d’étudier le contrat et d’en discuter avec elle. Au besoin, ils peuvent la rassurer. Cela n’est pas possible dans le cadre d’une visite.
Troisièmement, les clients potentiels sont privés d’un nécessaire temps de réflexion. Après tout, la plupart des secteurs sont aujourd’hui concurrentiels : pourquoi empêcher le consommateur de mener une étude comparative ?
De fait, instaurer une obligation d’envoi du contrat par courrier permettrait de garantir le libre choix des consommateurs et d’éviter certains abus de faiblesse, délibérés ou non. En effet, la question de la démarche à domicile est souvent liée à celle des arnaques et des faux démarcheurs.
Une telle obligation serait donc de nature à rassurer et à protéger non seulement les consommateurs, mais aussi les entreprises vertueuses. Rappelons que le délai de rétractation de quatorze jours court à compter de la signature du contrat : de nombreux recours pourraient être évités si l’on interdisait la visite à domicile pour signature et si l’on instaurait une obligation d’envoi du contrat par courrier.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Cet amendement vise à imposer l’envoi par courrier de l’offre de contrat postérieure au démarchage téléphonique. Cela paraît trop restrictif à la commission. Il ne nous semble pas pertinent d’empêcher les professionnels d’envoyer leurs offres par courriel, comme ils le font régulièrement. Le code de la consommation est déjà assez protecteur à cet égard. Le consommateur n’est engagé qu’après avoir signé l’offre qui lui est confirmée. En outre, il bénéficie ensuite d’un délai de rétractation. Pour ces raisons, je vous invite à retirer votre amendement, madame Gréaume ; à défaut, je serai au regret de devoir formuler un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Même avis.
Aujourd’hui, pour l’essentiel, les offres sont envoyées par courrier électronique, ce qui arrange beaucoup de nos concitoyens. Une personne âgée peu à l’aise avec le courrier électronique ne lira ni ne signera un contrat adressé par cette voie. Elle se trouve ainsi protégée.
En outre, tel qu’il est rédigé, l’amendement ne protège pas les personnes susceptibles de signer un contrat sur l’insistance d’un démarcheur à domicile.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Mon objectif est de protéger les personnes âgées démarchées à leur domicile. Généralement, c’est la famille qui est ensuite obligée de rectifier le tir en adressant un courrier de rétractation, pour autant qu’elle ait été informée à temps de la situation, ce qui n’est pas toujours le cas. Cela étant dit, je retire l’amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 est retiré.
Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 11, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.… – L’article L. 221-7 du code de la consommation est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-7. – Un arrêté conjoint des ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique, pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, définit la tranche de numéro obligatoire permettant d’identifier l’appel comme un démarchage téléphonique ou une prospection commerciale. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à instaurer un préfixe spécifique pour les appels ayant pour objet un démarchage téléphonique ou la présentation une offre commerciale. Cela permettrait aux destinataires de ces appels d’identifier immédiatement leur nature. Ils pourraient alors décider, en connaissance de cause, de décrocher ou pas.
Qui pourrait être hostile à une telle disposition de bon sens ? Je ne comprendrais pas que l’on fût hostile à la fois au consentement préalable explicite et à l’instauration, conforme à la législation européenne et recommandée par les instances européennes, d’un tel préfixe informant de la nature de l’appel.
Je présente donc cet amendement avec une grande confiance, comme toujours… (Sourires.)
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 5 rectifié est présenté par Mme Loisier, MM. Longeot, Laugier et Bonnecarrère, Mme Joissains, MM. Janssens et Canevet, Mmes Billon et Doineau, M. L. Hervé, Mme de la Provôté, MM. Mizzon et Moga, Mme Saint-Pé et MM. Delcros, Kern et P. Martin.
L’amendement n° 20 rectifié bis est présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi et de Cidrac, MM. Médevielle, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, Laménie, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin, MM. Bouchet, Milon, Charon et Bazin, Mme L. Darcos, MM. Pointereau et Saury, Mme Puissat et M. Mouiller.
L’amendement n° 29 rectifié bis est présenté par Mme Noël.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après l’article L. 221-17 du code de la consommation, il est inséré un article L. 221-… ainsi rédigé :
« Art. L. 221-…. – Tout appel de prospection commerciale par voie téléphonique doit être identifiable par le consommateur à l’aide d’un préfixe précédant obligatoirement le numéro de la ligne appelante.
« Un décret pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse détermine les modalités d’application du premier alinéa. »
La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
M. Jean-François Longeot. Afin que les consommateurs puissent, d’un regard, identifier la nature des appels qu’ils reçoivent, il convient de prévoir que les numéros de téléphone utilisés par les démarcheurs soient précédés d’un préfixe bien spécifique.
Une telle disposition permettrait aux consommateurs de refuser d’être démarchés avant même d’avoir décroché et limiterait le nombre de litiges engendrés par la prospection commerciale par voie téléphonique.
L’adoption de cet amendement de bon sens permettrait de régler un certain nombre de problèmes.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié bis.
M. Stéphane Piednoir. Comme nos collègues, nous proposons de mettre en place une solution technique relativement simple, peu onéreuse et de bon sens, permettant à la personne démarchée d’avoir connaissance immédiatement de la nature de l’appel. Si elle n’a pas donné son accord pour être ainsi sollicitée, il lui suffira de ne pas décrocher. J’ajoute que cela permettra également à ceux de nos concitoyens tentés, par lassitude, de ne plus jamais décrocher leur téléphone de répondre aux appels qui peuvent les intéresser.
Mme la présidente. L’amendement n° 29 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Ces amendements visent à imposer la mise en place d’un préfixe unique pour les appels de prospection commerciale.
Qui pourrait s’opposer à ces amendements, monsieur Sueur ? La commission, pour une raison très simple : une telle mesure pèserait uniquement sur les professionnels vertueux. Les consommateurs ne prendraient plus les appels lorsque s’afficherait ce préfixe, mais les fraudeurs, par définition, appelleraient en utilisant un numéro classique !
C’est avec regret que je suis obligé d’émettre, au nom de la commission, un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Pour les raisons excellemment exposées par M. le rapporteur, le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Un démarcheur dont l’appel n’est pas pris peut laisser un message. Si son offre est pertinente, il pourra être rappelé. Le dispositif proposé n’interdit pas la communication entre le démarcheur et sa cible, il la régule : c’est assez différent.
Cette excellente proposition pourrait être complétée par un système de consentement préalable explicite, recueilli lors de la signature d’un contrat, à recevoir des appels pour des offres en lien avec celui-ci.
C’est un tel dispositif qui fera évoluer les choses dans le bon sens. Je ne pense pas qu’il y aura beaucoup de fraudeurs.
M. Jean-François Longeot. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 11.
(L’amendement est adopté.) – (MM Ronan Dantec et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 5 rectifié et 20 rectifié bis n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
I. – Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L’article L. 223-1 est complété par huit alinéas ainsi rédigés :
« Tout professionnel saisit, directement ou par le biais d’un tiers agissant pour son compte, l’organisme mentionné à l’article L. 223-4 aux fins de s’assurer de la conformité de ses fichiers de prospection commerciale avec la liste d’opposition au démarchage téléphonique :
« 1° Au moins une fois par mois s’il exerce à titre habituel une activité de démarchage téléphonique ;
« 2° Avant toute campagne de démarchage téléphonique dans les autres cas.
« Un décret, pris après avis du Conseil national de la consommation, détermine les jours, horaires et la fréquence auxquels la prospection commerciale par voie téléphonique peut avoir lieu, lorsqu’elle est autorisée en application du deuxième alinéa du présent article.
« Le professionnel mentionné au troisième alinéa respecte un code de bonnes pratiques qui détermine les règles déontologiques applicables au démarchage téléphonique. Ce code de bonnes pratiques, rendu public, est élaboré par les professionnels opérant dans le secteur de la prospection commerciale par voie téléphonique, désignés dans les conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.
« Tout professionnel ayant tiré profit de sollicitations commerciales de consommateurs réalisées par voie téléphonique en violation des dispositions du présent article est présumé responsable du non-respect de ces dispositions, sauf s’il démontre qu’il n’est pas à l’origine de leur violation.
« Tout contrat conclu avec un consommateur à la suite d’un démarchage téléphonique réalisé en violation des dispositions du présent article est nul.
« Les modalités selon lesquelles l’inscription sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique est reconductible tacitement sont déterminées par décret. » ;
2° (nouveau) L’article L. 223-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret, pris après avis du Conseil national de la consommation, détermine les jours, horaires et la fréquence auxquels cette prospection est autorisée. »
II (nouveau). – Tout professionnel qui contacte par téléphone une personne en vue de la réalisation d’une étude ou d’un sondage respecte des règles déontologiques, rendues publiques, élaborées par les professionnels opérant dans ce secteur, désignés dans les conditions prévues par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de l’intérieur. Ces règles précisent notamment les jours, horaires et la fréquence auxquels les appels téléphoniques aux fins de réalisation d’études ou sondages sont autorisés.
Les jours, horaires et la fréquence auxquels peuvent être passés ces appels sont, en tant que de besoin, précisés par voie réglementaire.
Tout manquement aux dispositions du présent II est passible d’une amende administrative prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 242-16 du code de la consommation.
Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Après l’article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, il est inséré un article 38-… ainsi rédigé :
« Art. 38-…. – Concernant le traitement des données à des fins de prospection, notamment commerciale, la personne doit donner expressément son accord par écrit au responsable du traitement ou à celui d’un traitement ultérieur, pour que ses données puissent faire l’objet dudit traitement. À défaut d’accord écrit, ses données personnelles ne peuvent en aucun cas être utilisées à des fins commerciales.
« Les données à caractère personnel issues des listes d’abonnés ou d’utilisateurs de communications électroniques ou téléphoniques ne peuvent être utilisées dans des opérations de prospection commerciale directe sans l’accord préalable explicite de la personne physique auxquelles ces données à caractère personnel se rapportent. Cet accord peut être dénoncé par l’abonné à tout moment. L’opérateur est tenu d’informer clairement l’abonné de cette faculté de résiliation.
« Cet accord doit être soit expressément adressé à l’opérateur de communications mentionné au premier alinéa pour tous les abonnements contractés antérieurement ou postérieurement à la loi n° … du … visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, soit recueilli expressément par la personne qui effectue le démarchage, sous forme écrite s’il se traduit par une vente ou une prestation de service payante.
« Les premier et deuxième alinéas ne s’appliquent pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ou de sécurité publique. »
II. – Le code de la consommation est ainsi modifié :
1° L’article L. 221-7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-7. – Un arrêté conjoint des ministres chargés de la consommation et de l’économie numérique, pris après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, définit la tranche de numéro obligatoire permettant d’identifier l’appel comme un démarchage téléphonique ou une prospection commerciale. » ;
2° Les deux premiers alinéas de l’article L. 223-1 sont ainsi rédigés :
« Le consommateur qui souhaite faire l’objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s’inscrire sur une liste dédiée à cet effet. L’inscription à cette liste peut se faire par voie numérique, postale ou téléphonique.
« Il est interdit à un professionnel, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur non inscrit sur cette liste, à l’exception des sollicitations ayant un lien direct avec l’objet d’un contrat en cours. » ;
3° À l’article L. 223-3, le mot : « inscrits » est remplacé par les mots : « non inscrits » et les mots : « d’opposition » sont remplacés par le mot : « dédiée » ;
4° L’article L. 223-4 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « d’opposition » sont remplacés par le mot : « dédiée » ;
b) Au second alinéa, les mots : « d’opposition » sont remplacés par le mot : « dédié » ;
5° L’article L. 223-5 est abrogé.
III. – Le code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° L’article L. 34-5 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après la référence : « L. 32, », sont insérés les mots : « d’un appel vocal, » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’interdiction prévue au premier alinéa du présent article relative aux appels vocaux s’applique à partir du 1er janvier 2021. » ;
c) À la première phrase du cinquième alinéa, après la référence : « L. 32, », sont insérés les mots : « d’appels vocaux, » ;
d) Après le même cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’interdiction prévue au premier alinéa du présent article ne s’applique pas à la prospection directe par appel vocal en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines. » ;
2° Après l’article L. 34-5, il est inséré un article L. 34-5-… ainsi rédigé :
« Art. L. 34-5-…. – Lors de la conclusion d’un contrat de fourniture de service téléphonique au public, l’opérateur de communication électronique doit recueillir le consentement exprès de l’abonné, personne physique, pour l’utilisation par voie téléphonique, par un tiers au contrat, de ses données à caractère personnel à des fins de prospection directe. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’objet de cet amendement est le même que celui des amendements défendus précédemment par mes collègues. Je l’ai déjà présenté lors de la discussion générale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Je voudrais vraiment essayer de convaincre M. Sueur, s’il est encore temps, du bien-fondé de la solution préconisée par la commission aujourd’hui, à la suite de notre première lecture de ce texte et de ses deux lectures par l’Assemblée nationale : en rester à l’opt-out, de manière à ne pas mettre en péril 60 000 emplois, tout en faisant effectivement cesser le harcèlement téléphonique, dont les consommateurs ne veulent absolument plus.
Nous convenons tous qu’il y a des abus. Pour autant, faut-il sortir l’arme nucléaire et interdire aux nombreuses entreprises qui travaillent sérieusement d’exercer leur activité ?
Nous en sommes à la deuxième lecture de ce texte. L’objectif est de permettre l’application la plus rapide possible de règles qui amélioreront substantiellement la situation actuelle, qui, j’en conviens, n’est pas bonne. Pour autant, je ne crois pas qu’il soit possible de passer à un système d’opt-in.
Je voudrais répondre aussi à l’observation qu’a faite M. Dantec au sujet de la précarité des emplois concernés. Gardons-nous, mes chers collègues, de propager des rumeurs dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas totalement exactes ! En ma qualité de rapporteur, j’ai visité, sur le sol français, des sociétés dont l’activité exclusive est le démarchage téléphonique. J’ai vu comment fonctionnaient ces entreprises, j’ai naturellement rencontré les dirigeants, mais également les représentants des salariés, et je vous assure ne pas avoir relevé de difficultés du type que vous décrivez, mon cher collègue.
Certes, je ne suis pas allé visiter les centres d’appels situés à l’étranger, mais les dispositions que nous allons adopter, notamment l’interdiction d’utiliser des numéros français depuis une plateforme étrangère, limiteront considérablement le risque de précarité que vous évoquez.
En tout état de cause, je ne voudrais pas que l’on en vienne à mettre un terme à toute activité de démarchage téléphonique au motif qu’il y aurait de la précarité dans ce secteur.
Mme la présidente. Il est temps de conclure, monsieur le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur. Je voulais expliquer dans le détail pourquoi j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cet amendement, que nous ne balayons pas d’un revers de main ; simplement, 60 000 emplois, pour la plus grande partie qualifiés, sont en jeu.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je ferai d’abord remarquer que beaucoup d’entreprises exerçant des activités de démarchage téléphonique en direction des particuliers ont leurs propres plateformes : elles ne passent pas nécessairement par des intermédiaires.
Du fait de mon expérience professionnelle passée, c’est un sujet que je connais un peu. Je peux vous assurer que ces entreprises sont très respectueuses de leurs clients : leur réputation et la fidélisation de leur clientèle en dépendent.
Dès lors, je ne suis pas convaincue qu’il soit judicieux de mettre dans le même panier, d’une part, ces entreprises et les centres d’appels spécialisés qui font leur travail de manière éthique, et, d’autre part, la minorité d’entreprises qui sont à l’origine des dérives contre lesquelles nous voulons lutter.
Ne nous leurrons pas : le système du préfixe spécifique ne serait pas respecté par les plateformes étrangères. Ceux qui ne se conforment pas à la loi ne renonceront pas à leurs pratiques ; certains appellent même sur les téléphones portables, alors que c’est parfaitement illégal. En réalité, ce sont ceux qui respectent la loi qui se trouveront pénalisés : on leur raccrochera au nez. Gardons bien cela à l’esprit !
Quant au consentement préalable, là encore, ne mettons pas l’ensemble des entreprises dans le même panier ! Vous n’entendez évidemment pas parler de celles qui font bien leur travail, puisqu’elles ne créent pas de désordre. Ce sont les autres qui suscitent le nombre important de problèmes que l’on peut relever, en particulier dans le secteur de la rénovation thermique.
Essayons plutôt de traiter les plaintes que nous font parvenir les associations de consommateurs et la DGCCRF, ainsi que celles que nous recevons sur SignalConso, tout en préservant des emplois utiles, par exemple, à des étudiants ou à des femmes ayant des contraintes horaires particulières. Contrairement à ce que l’on veut bien dire, il ne s’agit pas forcément d’emplois précaires : c’est un peu plus subtil que cela, je puis l’affirmer pour avoir exercé cette activité durant mes études.
Toujours est-il qu’il faut prendre en compte le fait que ce secteur représente 60 000 emplois en France. Aujourd’hui tout particulièrement, dans la situation présente, nous ne saurions balayer d’un revers de la main cet aspect.
Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à visiter ces entreprises. Certes, des dérives existent, et il faut lutter contre, mais il y a aussi des entreprises qui font très bien leur travail, qui sont respectueuses de leurs salariés, qui les forment et qui offrent à des personnes à l’emploi du temps contraint la possibilité d’arrondir leurs fins de mois ou de financer leurs études : c’est très bien comme ça !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Moi aussi, je suis ici pour défendre l’emploi. À ce propos, je ne peux que regretter que mon amendement n° 3, à l’article 3 bis, ait été déclaré irrecevable au titre de l’article 44 bis du règlement du Sénat : il visait justement à demander un rapport sur la situation des salariés de ce secteur, qu’ils travaillent en France ou depuis l’étranger.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 12.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 113 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 109 |
Contre | 231 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi, de Cidrac et Billon, MM. Médevielle, Moga, Longeot, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, Laménie, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin et MM. Bouchet, Milon, Charon et Bazin, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au premier alinéa de l’article L. 223–1, après le mot : « commerciale », sont insérés les mots : « ni être contacté par un institut d’études ou de sondage ou un organisme caritatif » ;
II. – Alinéas 11 et 12
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
L’article L. 223-5 est abrogé.
La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Cet amendement vise à supprimer les exceptions au droit d’opposition au démarchage en faveur de la presse, des instituts de sondages et des associations caritatives qui figurent à l’article L. 223-5 du code de la consommation. Il apparaît aujourd’hui injustifié que de tels domaines soient exclus du champ de l’interdiction du démarchage téléphonique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Ce ne sont pas ces professionnels qui posent problème et commettent des abus.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Nous ne recevons pas de plaintes portant sur des appels d’instituts de sondage ou d’entreprises de presse à destination de personnes inscrites sur Bloctel. Le Gouvernement souhaite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi son avis sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Piednoir, l’amendement n° 22 rectifié est-il maintenu ?
M. Stéphane Piednoir. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 22 rectifié est retiré.
Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 6 rectifié est présenté par Mme Loisier, MM. Longeot, Laugier et Bonnecarrère, Mme Joissains, MM. Janssens et Canevet, Mmes Billon et Doineau, M. L. Hervé, Mme de la Provôté, MM. Mizzon et Moga, Mme Saint-Pé, MM. Delcros et Kern et Mme Férat.
L’amendement n° 19 rectifié bis est présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi et de Cidrac, MM. Médevielle, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, Laménie, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin et MM. Bouchet, Milon, Charon et Bazin.
L’amendement n° 27 rectifié bis est présenté par Mme Noël.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est interdite toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique qui vise la souscription de contrats de fourniture d’électricité ou de gaz naturel.
La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.
M. Jean-François Longeot. Selon l’UFC-Que Choisir, les fournisseurs d’énergie sont les troisièmes démarcheurs les plus actifs. En outre, les litiges liés au démarchage téléphonique ont progressé de 60 % entre 2012 et 2019.
Les relations commerciales découlant de cette pratique sont viciées. En effet, sollicités sans leur consentement, les consommateurs ne peuvent effectuer de choix éclairé et sont dans l’impossibilité de comparer les offres. De plus, les informations présentées lors des échanges téléphoniques sont souvent lacunaires, voire totalement inexactes.
Aussi, du fait de la prolifération des litiges et des mauvaises pratiques des professionnels, il convient d’interdire le démarchage téléphonique en matière de fourniture d’électricité et de gaz naturel.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié bis.
M. Stéphane Piednoir. Le nombre des litiges liés au démarchage téléphonique a effectivement progressé de 60 % au cours des sept dernières années. Or les fournisseurs d’énergie sont les troisièmes démarcheurs les plus actifs, selon l’UFC-Que Choisir. Il convient donc de réglementer fortement leur activité – je ne parlerai pas, en la matière, d’employer l’arme nucléaire, monsieur le rapporteur !
Nous entendons nous attaquer aux secteurs les plus saillants du démarchage téléphonique. Au nom de la préservation des emplois, on peut justifier beaucoup de choses ! Puisqu’il est question des fournisseurs d’énergie, convient-il de conserver, par exemple, les centrales électriques au charbon, au motif que des emplois sont en jeu, notamment dans ma région ? Cet argument est, de mon point de vue, irrecevable.
Concentrons-nous sur le fond du débat : le démarchage pratiqué par les fournisseurs d’énergie est-il marqué par des excès ? Je ne crois pas, madame la secrétaire d’État, que vous nierez l’existence de plaintes : il y en a beaucoup. Vous avez refusé le système du préfixe téléphonique : du moins peut-on facilement identifier la provenance locale d’un appel.
De fait, tous les arguments sont employés pour exclure du champ des restrictions proposées des secteurs qui sont pourtant les plus prolifiques en termes de nombre de démarches et de litiges. Or notre objectif est bien de protéger les consommateurs : j’espère donc que la commission voudra bien émettre un avis favorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 27 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 6 rectifié et 19 rectifié bis ?
M. André Reichardt, rapporteur. La commission n’est pas favorable à une interdiction sectorielle pure et simple, comme j’aurai à le redire tout à l’heure.
Pour nous, une telle approche serait source d’inconstitutionnalité, du fait des limites apportées à la liberté d’entreprendre et, surtout, de la rupture d’égalité entre professionnels que sa mise en œuvre entraînerait. Qui plus est, une telle interdiction sectorielle n’est pas justifiée, en l’espèce, par une différence de situation. Dès lors, l’avis de la commission sur ces amendements ne peut être que défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Il sera également défavorable, mais pour d’autres raisons, dans la mesure où le Gouvernement ne partage pas l’analyse de la commission quant à l’inconstitutionnalité d’une interdiction sectorielle.
Le secteur des fournisseurs d’électricité et de gaz naturel n’est constitué que d’une poignée d’entreprises : il est donc beaucoup plus facile à contrôler que d’autres. Les services de la DGCCRF sont particulièrement vigilants : Engie vient de se voir infliger une sanction d’un montant de 1 million d’euros. La DGCCRF accompagne en outre les personnes mises en difficulté par un démarchage agressif. Il est un peu facile, pour une grande entreprise, de confier un mandat de démarchage téléphonique à une société spécialisée et de fermer ensuite les yeux sur ses pratiques. L’entreprise donneuse d’ordres doit aussi s’assurer que le contrat est exécuté d’une manière conforme à la loi.
Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’il y a eu des débordements. Nous prenons des décisions en la matière et pratiquons des contrôles ; l’amende infligée à Engie en est un exemple. En outre, ces amendes font l’objet d’une publicité, de manière que la réputation des entreprises soit mise en jeu.
Je le répète, il est plus facile de suivre la grosse vingtaine d’entreprises qui fournissent des contrats de gaz et d’électricité que la myriade de petites entreprises qui se créent ou ferment tous les jours dans le secteur de la rénovation thermique. C’est pourquoi nous avons fait le choix de mettre l’accent sur ces dernières.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 rectifié et 19 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 114 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 42 |
Contre | 298 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 7 rectifié est présenté par Mme Loisier, MM. Longeot, Laugier et Bonnecarrère, Mme Joissains, MM. Janssens et Canevet, Mmes Billon et Doineau, M. L. Hervé, Mme de la Provôté, MM. Mizzon et Moga, Mme Saint-Pé, MM. Delcros et Kern et Mme Férat.
L’amendement n° 18 rectifié bis est présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi et de Cidrac, MM. Médevielle, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, Laménie, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin et MM. Bouchet, Milon, Charon, Bazin et Pointereau.
L’amendement n° 26 rectifié bis est présenté par Mme Noël.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La prospection par voie téléphonique visant à obtenir la souscription de contrats d’assurances est interdite.
La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-François Longeot. Le nombre des litiges liés au démarchage téléphonique a progressé de 60 % entre 2012 et 2019. La situation s’avère particulièrement problématique en matière d’assurances. En outre, les professionnels s’exonèrent régulièrement de leur obligation de remettre une information écrite avant toute souscription d’un contrat et n’adaptent pas les prestations proposées aux besoins des consommateurs.
Compte tenu de l’importance de l’enjeu et de ces mauvaises pratiques, il convient d’interdire le démarchage téléphonique en matière d’assurances.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 18 rectifié bis.
M. Stéphane Piednoir. Cet amendement vise également à interdire le démarchage téléphonique dans le secteur des assurances.
Mme la présidente. L’amendement n° 26 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 7 rectifié et 18 rectifié bis ?
M. André Reichardt, rapporteur. Il est évidemment défavorable, pour les raisons que j’ai exposées au sujet des amendements précédents : la commission est opposée à une interdiction du démarchage téléphonique par secteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Nous avons travaillé avec le secteur des assurances. Le comité consultatif du secteur financier a publié le 19 novembre dernier un important avis, ayant valeur de référence de place, sur le démarchage téléphonique dans le secteur des assurances.
Aux termes de cet avis, les distributeurs devront respecter un certain nombre de règles lors de leurs appels de démarchage dits « à froid », c’est-à-dire effectués sans sollicitation préalable par la personne appelée. Le processus de vente impliquera un contact en deux temps : le premier appel portera sur la proposition commerciale ; le second appel, consacré à la conclusion du contrat, ne pourra intervenir qu’au moins vingt-quatre heures après le premier, après accord du client, réception par celui-ci de la documentation précontractuelle et recueil de son consentement écrit. Au-delà de ces éléments nécessaires à la validation d’un tel contrat, cet avis recommande un certain nombre de comportements.
Le Gouvernement demande le retrait de ces amendements ; à défaut, son avis sera défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 rectifié et 18 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements et de trois sous-amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 31 rectifié, présenté par MM. Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient, Patriat et Rambaud, Mme Rauscent, M. Richard, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung, Bargeton et Buis, Mme Cartron, M. Cazeau, Mme Constant, MM. de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Iacovelli, Karam et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est interdite toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique qui vise la vente par des professionnels d’équipements et de travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables.
II. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer le mot :
troisième
par le mot :
quatrième
La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. La rénovation énergétique des logements est une priorité pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La consommation d’énergie des bâtiments représente environ 25 % des émissions nationales et les objectifs du Gouvernement en la matière sont ambitieux : une diminution de 15 % de la consommation énergétique des logements d’ici à 2023 et 500 000 rénovations performantes par an.
Malheureusement, le secteur de la rénovation énergétique est particulièrement propice aux abus envers les consommateurs. Il concentre la majorité des plaintes enregistrées et cumule un total de 30 % des amendes administratives prononcées en 2019 en matière de démarchage.
Le préjudice lié à ces pratiques est d’autant plus lourd pour la collectivité que la plupart des équipements et travaux concernés bénéficient de financements publics ou d’un soutien via des mécanismes encadrés par la puissance publique.
Ces pratiques de démarchage abusif nuisent donc à la crédibilité de la politique et des soutiens publics et finissent souvent par avoir raison de la patience et de la confiance des consommateurs.
Afin de restaurer cette confiance, nous souhaitons, au travers de cet amendement, mettre un terme au démarchage pour la vente de produits ou de travaux destinés à améliorer l’efficacité énergétique.
Je sais, monsieur le rapporteur, que vous ne serez pas favorable à cet amendement et que vous considérez qu’il comporte des risques constitutionnels. À ce titre, nous saluons le dépôt par le Gouvernement d’un sous-amendement visant à préciser par décret les cas dans lesquels l’interdiction ne s’appliquera pas.
Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter notre amendement ainsi sous-amendé, afin de compléter l’arsenal de la loi relative à l’énergie et au climat. Cette mesure profitera à tous : aux consommateurs, aux entreprises qui travaillent selon les règles de l’art et respectent la réglementation, ainsi qu’à la collectivité, qui contribue à l’activité de ce secteur par de nombreuses aides publiques.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 38, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 31 rectifié
I. – Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret détermine les cas dans lesquels, compte tenu de l’antériorité et de la nature de la relation contractuelle entre le professionnel et le client, ainsi que de la proportion d’aides publiques liées à la rénovation énergétique dans le chiffre d’affaires du professionnel, les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables.
II. – Alinéa 8
Remplacer le mot :
quatrième
par le mot :
cinquième
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Le Gouvernement partage évidemment la volonté d’améliorer profondément le cadre légal du démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique, compte tenu des nombreuses plaintes émanant de consommateurs qui font état de sollicitations intempestives, parfois agressives, et fondées sur des argumentaires commerciaux fallacieux.
Nous sommes donc favorables au principe de l’interdiction du démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation thermique, d’autant que celui-ci bénéficie d’une très grande visibilité, compte tenu de la politique que nous mettons en œuvre en matière de rénovation thermique et de l’accompagnement de cette démarche par des moyens financiers publics. En outre, la prise de décision du consommateur peut être affectée par l’impression d’une faible prise de risque à la signature du contrat, puisque le coût final pour lui serait minime ; l’impact sur le tiers parti – l’État et les finances publiques – n’est pas pris en compte à sa juste valeur.
Par ailleurs, nous mettons en place un certain nombre de dispositifs visant à rendre plus visibles les entreprises qui respectent certaines règles dans leur pratique de la rénovation thermique. Des labels ont été créés et nous avons ouvert des portails présentant aux Français l’ensemble des offres et leur délivrant des conseils. Nous apportons donc un réel soutien au secteur de la rénovation thermique des habitations particulières, de manière à mettre en avant les offres.
Compte tenu de ce très fort soutien du Gouvernement à la rénovation thermique des bâtiments pour lutter contre le changement climatique, nous appelons les professionnels de ce secteur à adopter une attitude particulièrement éthique.
Cela étant, nous avons échangé avec un certain nombre d’acteurs dont les prestations relèvent de la rénovation thermique : ils nous ont expliqué que ce secteur ne représentait qu’un petit chiffre d’affaires par rapport au reste de leur activité et qu’ils avaient l’habitude du démarchage téléphonique. C’est pourquoi nous proposons de prévoir une dérogation ciblée, pour les entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépend qu’assez peu des subventions publiques et qui interviennent dans la rénovation thermique dans la continuité d’une activité installée depuis un certain temps ou en cas d’antériorité du lien avec la personne démarchée – en d’autres termes, un client avec qui la relation est déjà installée pourra faire l’objet d’un démarchage téléphonique.
Nous préciserons ces deux exceptions par décret en Conseil d’État.
Mme la présidente. L’amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Dantec, Artano et Collin, Mme Costes, MM. Corbisez et Gold, Mmes Guillotin et Jouve et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est interdite toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique sans accord préalable ou relation contractuelle en cours qui vise la vente par des professionnels d’équipements ou de travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables.
II. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer le mot :
troisième
par le mot :
quatrième
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Il est essentiel que nous légiférions rapidement, car la stratégie française en matière de rénovation thermique est incohérente : l’offre d’isolation à 1 euro met à bas tout le système de rénovation énergétique, alors même que nos résultats en la matière sont très mauvais.
Je n’ai pas le temps de décrire toutes les incohérences du système, mais, comme Mme la secrétaire d’État a commencé à l’expliquer, on utilise des moyens, y compris une partie des certificats d’économie d’énergie, qui financent aussi l’isolation à 1 euro, pour les portails d’information, tout en autorisant un démarchage qui déstructure ces derniers, puisqu’il n’y a plus de comparaison possible, mais seulement la force du dire. Il y a un consensus pour sortir de cette situation, et nombre de professionnels nous soutiennent !
Si j’étais un peu taquin – ce qui n’est pas du tout mon genre (Sourires.) –, je ferais remarquer que l’antériorité de la relation contractuelle entre le professionnel et le client pourrait être la base du démarchage téléphonique : les protagonistes d’une relation contractuelle installée peuvent s’appeler ! En fin de compte, vous soutenez, pour ce dispositif spécifique à la rénovation, un système assez proche de celui que nous défendions précédemment…
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, je n’ai pas tout compris en ce qui concerne le critère de la proportion d’aides publiques liées à la rénovation énergétique dans le chiffre d’affaires du professionnel. Cela ne me semble pas clair du tout. Si cette proportion est faible, il n’y a pas tellement d’intérêt ; si elle est très forte, on est en présence d’une dérive. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 21 rectifié est présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi, de Cidrac et Billon, MM. Médevielle, Moga, Longeot, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, Laménie, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin et MM. Bouchet, Milon, Charon, Bazin et Pointereau.
L’amendement n° 24 rectifié bis est présenté par Mme Noël.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est interdite toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique qui vise la vente par des professionnels d’équipements ou de travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 13.
M. Jean-Pierre Sueur. La situation est complexe : puisque l’on n’a pas opté pour le consentement préalable, ce qui aurait été simple, nous voici engagés sur la pente des dérogations…
La position du rapporteur est très claire : il n’y a aucune dérogation, en vertu de la liberté du commerce et de la liberté d’entreprise, point final. Je conçois tout à fait la logique de ce raisonnement. Nous n’avons d’ailleurs pas voté les amendements relatifs au secteur des assurances et aux fournisseurs de gaz et d’électricité : où s’arrêtera-t-on, si l’on s’engage dans cette voie des dérogations ?
En revanche, nous voulons bien considérer, pour avoir été saisis par nos concitoyens et les associations de consommateurs, qu’il faut prendre en compte la situation particulière du secteur de la rénovation énergétique, où sont menées des opérations fallacieuses de grande envergure. De là notre amendement, qui vise à introduire une dérogation pour ce secteur.
Pour ce qui est de votre sous-amendement, madame la secrétaire d’État, nous ne pourrons pas l’adopter. Sans doute, vous avez cru bien faire en trouvant une sorte de motion de synthèse… Mais je vous assure que je ne voudrais pas être le rédacteur du décret qui devra déterminer quelles entreprises seront malgré tout autorisées à démarcher pour vendre des solutions en matière d’économies d’énergie ! L’antériorité de leur relation avec le client devra-t-elle être d’un an, de deux ans, ou plus ? Comment la vérifier ? Et quid de la « nature » de cette relation : madame la secrétaire d’État, qu’est-ce que cela veut dire ? Le décret va-t-il définir cette notion ? En quoi la nature de la relation déterminerait-elle le droit de faire ou non du démarchage ? Et s’ajoute à tout cela le critère de la proportion d’aides publiques dans le chiffre d’affaires ! Ces critères se cumulent-ils ? Sont-ils alternatifs ?
Madame la secrétaire d’État, ce dispositif est totalement impraticable. Avec, sans doute, le souci de bien faire, vous nous proposez un système byzantin qui ne pourra pas être mis en œuvre ou qui, s’il peut l’être, sera un nid à contentieux dont on ne sortira jamais…
Pour notre part, nous admettons qu’il y ait une dérogation pour un secteur où il y a beaucoup d’opérations fallacieuses, mais définissons-la clairement ! Madame la secrétaire d’État, vous savez vous-même que ce que vous proposez est beaucoup trop complexe.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié.
M. Stéphane Piednoir. Le secteur de la rénovation énergétique est au cœur de la proposition de loi : qui n’a pas été sollicité à propos de ce type de démarches abusives, excessives, pour ne pas dire relevant du harcèlement ?
À la vérité, nous sommes en présence d’un triple scandale.
D’abord, l’excès d’appels conduit certains consommateurs, probablement les plus fragiles, à finir par accepter ce qu’on leur propose, sous couvert de gains énergétiques et de pouvoir d’achat, que sais-je encore. Je connais des personnes psychologiquement fragiles qui, de guerre lasse, on finit par accepter le contrat qu’on leur proposait au téléphone.
Ensuite, un discrédit complet est jeté sur tous ceux qui œuvrent de bonne foi pour la rénovation énergétique des logements. Quand je présidais une agence locale de l’énergie et du climat, nous nous démenions pour contacter toutes celles et tous ceux qui pouvaient s’inscrire dans une démarche de rénovation efficace de leur logement – Dieu sait s’ils sont nombreux en France. Nous étions balayés d’un revers de manche, parce qu’on nous assimilait à ceux qui promettent monts et merveilles avec des rénovations à 1 euro – le comble de l’absurdité en matière de rénovation de logements et de gains énergétiques.
Enfin, le scandale tient à l’inefficacité totale, la plupart du temps, des travaux proposés, qui ne mènent à aucun gain d’énergie – pis, qui condamnent les consommateurs ayant cédé au harcèlement à entreprendre de nouveaux travaux, en doublant ou triplant ainsi la mise.
Ce triple scandale nous a conduits à déposer cet amendement.
M. Lévrier, forcément, a consenti à reconnaître que votre sous-amendement était acceptable. Pour ma part, je trouve son dispositif pour le moins alambiqué et, pour tout dire, tout à fait inapplicable. Je ne vois pas, moi non plus, comment on pourra écrire un décret définissant les critères prévus : si on y parvient, la subtilité du système sera telle que les démarcheurs n’auront aucune difficulté à le contourner !
Mme la présidente. L’amendement n° 24 rectifié bis n’est pas soutenu.
Le sous-amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 24 rectifié bis
Compléter cet amendement par un alinéa et un paragraphe ainsi rédigés :
« Un décret détermine les cas dans lesquels, compte tenu de l’antériorité et de la nature de la relation contractuelle entre le professionnel et le client, ainsi que de la proportion d’aides publiques liées à la rénovation énergétique dans le chiffre d’affaires du professionnel, les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables.
…. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer le mot :
troisième
par le mot :
cinquième
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Les critères prévus sont très simples.
L’antériorité d’une relation contractuelle, c’est assez facile à définir. Elle ne se résume pas à un coup de fil sur un sujet qui n’a rien à voir avec l’offre.
S’agissant de la proportion d’aides publiques liées à la rénovation énergétique dans le chiffre d’affaires du professionnel, ceux qui font du démarchage téléphonique menant à de la fraude, à des travaux inefficaces, ne font que cela ; ce ne sont pas des entreprises générales de travaux qui font beaucoup de choses, parmi lesquelles de la rénovation thermique. Quand le chiffre d’affaires est essentiellement fondé sur de l’argent public, je puis vous assurer que c’est très facile à déterminer.
Si votre inquiétude porte sur l’écriture du décret, soyez rassurés : nos équipes sont prêtes à relever ce défi !
M. Jean-Pierre Sueur. Qu’est-ce que la « nature » de la relation ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Il s’agit de savoir si la relation antérieure portait sur le même sujet ou sur un sujet qui n’a rien à voir. Certaines entreprises ont différents départements : les prestations antérieurement fournies au client doivent présenter un caractère de connexité avec celles qui sont proposées. Le sous-amendement, peut-être, aurait pu être mieux rédigé – je l’entends volontiers –, mais je vous assure que la mise en œuvre par décret ne présentera aucune difficulté.
Mme la présidente. L’amendement n° 33 rectifié, présenté par MM. Marseille, Longeot et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sous réserve de l’alinéa précédent, est interdite toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique qui vise la vente par des professionnels d’équipements ou de travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables.
La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. L’amendement est défendu.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 36, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 33 rect.
I. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Est interdite toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique qui vise la vente par des professionnels d’équipements ou de travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables.
II. – Compléter cet amendement par un alinéa et un paragraphe ainsi rédigés :
« Un décret détermine les cas dans lesquels, compte tenu de l’antériorité et de la nature de la relation contractuelle entre le professionnel et le client, ainsi que de la proportion d’aides publiques liées à la rénovation énergétique dans le chiffre d’affaires du professionnel, les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables.
…. – Alinéa 7, première phrase
Remplacer le mot :
troisième
par le mot :
cinquième
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme la présidente. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que je lèverai la séance dans vingt-cinq minutes…
Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Comme vous, madame la présidente, je surveille l’horloge, mais, en l’espèce, nous sommes au cœur du sujet. S’il est un domaine pour lequel on peut s’interroger sur l’opportunité d’interdire ou non le démarchage téléphonique, c’est bien celui de la rénovation énergétique !
Les amendements nos 31 rectifié, 13 et 21 rectifié tendent à rétablir l’interdiction de démarchage téléphonique pour les professionnels de la rénovation énergétique, de l’habitat ou de la production d’énergie renouvelable par les particuliers, que nous avons supprimée en commission.
Il est patent que ce secteur est propice aux abus et aux sollicitations intempestives des consommateurs pour leur extorquer des engagements financiers en toute illégalité. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point : ces pratiques sont éminemment condamnables ; il n’y a pas lieu d’en discuter.
Pour autant, la solution retenue par le Gouvernement et reprise dans ces amendements, soit l’interdiction pure et simple, ne nous convient pas : elle nous paraît poser un vrai problème au regard du principe d’égalité devant la loi, car tous les professionnels recourant au démarchage téléphonique pour conclure un contrat de vente sont placés dans une situation identique. En quoi les démarcheurs téléphoniques de ce secteur qui, j’espère que nous en conviendrons tous, compte aussi des entrepreneurs honnêtes, devraient-ils se voir interdire d’activité ou soumis à un régime de quasi-interdiction, alors que l’on recourt à des procédés de vente forcée ou relevant de l’escroquerie dans bien d’autres secteurs ?
Le droit de la consommation prévoit déjà des armes puissantes pour réprimer ce type d’agissements : les pratiques commerciales trompeuses et la publicité mensongère sont punies, de même que l’abus de faiblesse ou la vente forcée par correspondance. Simplement, il ne faut pas que les consommateurs hésitent à faire valoir leurs droits.
Malheureusement, ce n’est pas en interdisant le démarchage téléphonique que ces pratiques inacceptables cesseront, car la règle sera contournée par les fraudeurs, par exemple en se rendant à domicile ou en continuant d’appeler les consommateurs, alors que les professionnels de bonne foi pâtiront de cette entrave à leur liberté d’entreprendre.
Des aménagements sont proposés au travers de l’amendement n° 35 rectifié, qui vise à mettre en place l’opt-in pour ce seul secteur, et de l’amendement n° 33 rectifié, qui tend à faire jouer l’exception contractuelle. Ils sont moins ouvertement et frontalement contraires aux principes constitutionnels, tout en appelant de fortes réserves. En effet, autoriser le seul démarchage auprès de clients déjà acquis me paraît discutable sur le plan de la concurrence.
Quant aux trois sous-amendements du Gouvernement, ils tendent à maintenir le principe de l’interdiction générale, tout en renvoyant à un décret simple le soin de définir des exceptions en fonction de la nature de la relation contractuelle ou de la proportion d’aides publiques dans le chiffre d’affaires du professionnel. Les exceptions à ce principe ne seraient donc pas déterminées par la loi. Or il me semble – nous n’en avons pas parlé en commission, les sous-amendements ayant été trop tardivement déposés – qu’il n’appartient pas au pouvoir réglementaire de déterminer les exceptions à une interdiction d’exercer une activité économique. J’abonderai dans le sens de M. Sueur, dont les observations sont tout à fait légitimes à mes yeux.
En conclusion, la commission est défavorable aux sous-amendements du Gouvernement et à l’ensemble des amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. L’avis du Gouvernement est favorable sur les amendements nos 31 rectifié, 21 rectifié, 13 et 33 rectifié, sous réserve de l’adoption des sous-amendements. Nous demandons le retrait de l’amendement nos 35 rectifié.
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 38.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 31 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 146 |
Contre | 194 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 35 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 37.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 21 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 36.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Pour faire preuve de bonne volonté, j’ai accepté que l’on mette rapidement aux voix mon amendement n° 13. Or on multiplie les scrutins publics de manière à faire adopter une position qui n’est pas partagée par la grande majorité des sénateurs présents en séance. Si vous êtes à ce point persuadés qu’il faut continuer à autoriser le démarchage pour les économies d’énergie, faites donc venir quelques collègues dans l’hémicycle ! On multiplie les scrutins publics alors que la séance devra être levée dans neuf minutes, et cela pour arriver au contraire de ce que souhaite la majorité de ceux qui participent au débat…
Ce rappel au règlement est certes tout à fait inopportun à cette heure, mais il a du sens : on ne peut pas faire n’importe quoi.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Je mets aux voix l’amendement n° 33 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 157 |
Le Sénat a adopté. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Un décret, pris après avis du Conseil national de la consommation, détermine les jours et horaires durant lesquels la sollicitation de particuliers, par voie téléphonique, à des fins commerciales ou non, est autorisée.
II. – Alinéa 7, seconde phrase
Supprimer les mots :
, désignés dans les conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie
III. – Alinéa 8
Supprimer les mots :
, sauf s’il démontre qu’il n’est pas à l’origine de leur violation
IV. – Alinéa 13
1° Première phrase
Supprimer les mots :
, désignés dans les conditions prévues par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de l’intérieur
2° Seconde phrase
Supprimer les mots :
et la fréquence
V. – Alinéa 14
Remplacer les mots :
, horaires et la fréquence
par les mots :
et horaires
et les mots :
voie réglementaire
par le mot :
décret
VI. – Alinéa 15
Rédiger ainsi cet alinéa :
Les manquements aux dispositions prises en application du précédent alinéa sont passibles de l’amende administrative prévue par l’article L. 242-16 du code de la consommation, prononcée dans les conditions fixées par cet article. Ils sont recherchés et constatés par les agents mentionnés à l’article L. 511-3 du même code dans les conditions fixées par l’article L. 511-6 dudit code.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Le présent amendement vise à supprimer certaines mesures introduites par la commission des lois et à instaurer une habilitation pour le contrôle par les agents de la DGCCRF de la violation des règles déontologiques.
Le I de cet amendement précise que la détermination des jours et horaires durant lesquels la prospection de particuliers par voie téléphonique est autorisée doit concerner toutes les sollicitations téléphoniques, qu’elles soient commerciales ou non.
Il convient donc de ne pas viser seulement les sollicitations téléphoniques qui échappent aux règles d’opposition au démarchage téléphonique.
En outre, n’est visé que l’encadrement, par voie réglementaire, des jours et horaires pendant lesquels les sollicitations téléphoniques sont autorisées. En effet, eu égard à la grande diversité des secteurs d’activité ainsi que des produits et services concernés, il semble très difficile d’encadrer par décret la fréquence des appels.
Le II de l’amendement supprime le renvoi à un arrêté du ministre chargé de l’économie pour désigner les professionnels opérant dans le secteur de la prospection commerciale par voie téléphonique chargés de l’élaboration d’un code de bonnes pratiques. En effet, ce mode de désignation pose problème, vu le nombre d’acteurs et de secteurs d’activité concernés.
Le III de l’amendement réaffirme le principe d’une responsabilité de plein droit du professionnel ayant tiré avantage d’un démarchage téléphonique illicite. Certaines entreprises délèguent le démarchage téléphonique à une autre entreprise, en tirent un bénéfice, mais ne se considèrent pas responsables pour autant.
Le IV de l’amendement supprime le renvoi à un arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de l’intérieur pour désigner les professionnels réalisant des études et des sondages par voie téléphonique chargés de l’élaboration d’un code de bonnes pratiques. En effet, vu le nombre d’acteurs concernés, ce mode de désignation pose problème.
Par ailleurs, eu égard à la grande diversité de nature des études et des sondages menés et des besoins auxquels ils répondent, il ne semble pas possible de déterminer la fréquence des appels, mais seulement les jours et horaires pendant lesquels les sollicitations par voie téléphonique sont autorisées.
Le V du présent amendement ne prévoit que l’encadrement, par décret, des jours et horaires pendant lesquels les sollicitations téléphoniques pour la réalisation d’études et de sondages sont autorisées. En effet, il ne semble pas possible d’encadrer par décret la fréquence des appels.
Enfin, le VI limite l’application d’une sanction administrative à la seule violation des règles déontologiques encadrant les sollicitations téléphoniques pour la réalisation d’études et de sondages lorsqu’elles sont reprises par décret. Il n’est, en effet, pas possible de sanctionner d’une amende administrative le non-respect de règles qui n’auraient pas force obligatoire. Il habilite également les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à rechercher et à constater de tels manquements.
Il s’agit, sur ces six points, de rendre la loi effective.
Mme la présidente. L’amendement n° 30 rectifié bis, présenté par Mme L. Darcos, MM. Vogel et Daubresse, Mme Lopez, MM. Leleux, Chaize, Duplomb et Danesi, Mme Morhet-Richaud, MM. Gremillet et Savary, Mme Deroche, M. Pierre, Mme Deromedi, MM. Saury, Dufaut, Schmitz, Brisson et Vaspart, Mmes Raimond-Pavero, Gruny, Berthet et Di Folco, MM. Lefèvre et Bonhomme, Mme Procaccia, M. Mouiller, Mme Lassarade, M. de Montgolfier, Mme Micouleau, MM. Piednoir, Cambon et Bazin, Mme Canayer, MM. Houpert, Regnard et Cardoux, Mmes Bories et Noël, M. Vial, Mme Richer, MM. Segouin, Charon et Kennel, Mme Lanfranchi Dorgal et MM. Ginesta et del Picchia, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après le mot :
téléphonique
insérer les mots :
non sollicitée
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Le présent amendement vise à exclure du champ d’application du décret les appels passés à la demande du consommateur, ce qui ne constitue pas une rupture d’égalité entre certains secteurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le professionnel mentionné au troisième alinéa du présent article respecte des normes déontologiques fixées par décret, pris après consultation du Conseil national de la consommation et en concertation avec les professionnels opérant dans le secteur de la prospection commerciale par voie téléphonique.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. En première lecture, le Sénat a considéré que les normes déontologiques devaient être fixées par décret. Je ne vois pas pourquoi il se déjugerait aujourd’hui. Mes chers collègues, je vous invite donc à confirmer la position du Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Il est défavorable sur les trois amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 30 rectifié bis et 14 ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article L. 223-4 du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’organisme mentionné au premier alinéa rend accessible, dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, les données essentielles de son activité, dans le respect des articles L. 311-5 à L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration, et rend public, sur son site internet, un rapport d’activité annuel comportant ces données. » ;
2° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) La première occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;
b) Après le mot : « gestionnaire », sont insérés les mots : « et la nature de ses données essentielles » ;
c) Après le mot : « avis », sont insérés les mots : « motivé et publié ». – (Adopté.)
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Article 3 bis
(Suppression maintenue)
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Article 5
(Non modifié)
Après le mot : « liste », la fin du second alinéa de l’article L. 223-1 du code de la consommation est ainsi rédigée : « , sauf lorsqu’il s’agit de sollicitations intervenant dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours et ayant un rapport avec l’objet de ce contrat, y compris lorsqu’il s’agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l’objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité. »
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. L’amendement est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. André Reichardt, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le mot : « liste », la fin du second alinéa de l’article L. 223-1 du code de la consommation est ainsi rédigée : « , sauf lorsqu’il s’agit de sollicitations ayant un lien direct avec l’objet d’un contrat en cours ».
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le présent amendement a pour objet de rétablir la rédaction proposée par le rapporteur de l’Assemblée nationale, afin d’éviter des dérives.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 16 rectifié est présenté par MM. Bonhomme, Bonne, Longuet, Luche, Cambon, Piednoir, Brisson et Schmitz, Mmes Deromedi, de Cidrac et Billon, MM. Médevielle, Moga, Longeot, Dallier, Cigolotti, Dufaut, B. Fournier, Laménie, Lefèvre et Vogel, Mme Deroche, M. D. Laurent, Mme Garriaud-Maylam, M. Leleux, Mmes Berthet et Vullien, M. Pierre, Mme Bruguière, MM. Cardoux et Pellevat, Mmes Bonfanti-Dossat et Chauvin, MM. Bouchet, Milon, Charon et Bazin, Mme L. Darcos et MM. Pointereau, P. Martin et Delcros.
L’amendement n° 25 rectifié bis est présenté par Mme Noël.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Après le mot : « liste », la fin du second alinéa de l’article L. 223-1 du code de la consommation est ainsi rédigée : «, à l’exception des sollicitations ayant un lien direct avec l’objet d’un contrat en cours ».
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 16 rectifié.
M. Stéphane Piednoir. Il est défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 25 rectifié bis n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 15 et 16 rectifié ?
M. André Reichardt, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
I. – (Non modifié) La sous-section 1 de la section 4 du chapitre IV du titre II du livre II du code de la consommation est ainsi modifiée :
1° A L’article L. 224-46 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Sont ajoutés des II et III ainsi rédigés :
« II. – Le contrat prévoit également la suspension de l’accès à un numéro à valeur ajoutée, qui peut être suivie de la résiliation du contrat en cas de réitération, dans les cas suivants :
« 1° Si une ou plusieurs des informations devant figurer dans l’outil mentionné à l’article L. 224-43 sont absentes, inexactes, obsolètes ou incomplètes ;
« 2° Si aucun produit ou service réel n’est associé à ce numéro ;
« 3° Si le produit ou service associé à ce numéro fait partie de ceux que l’opérateur exclut au titre de ses règles déontologiques.
« III. – La résiliation du contrat est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 1225 du code civil. » ;
1° B L’article L. 224-47 est ainsi rédigé :
« Art. L. 224-47. – Un mécanisme de signalement des anomalies concernant un numéro à valeur ajoutée permet au consommateur de signaler de manière claire, précise et compréhensible :
« 1° Si une ou plusieurs des informations devant figurer dans l’outil prévu à l’article L. 224-43 sont absentes, inexactes, obsolètes ou incomplètes ;
« 2° Si le service associé ne respecte pas les règles déontologiques fixées par l’opérateur ;
« 3° Si l’exercice du droit de réclamation par le consommateur n’est pas possible ou présente des dysfonctionnements.
« Un arrêté du ministre chargé de l’économie précise les modalités de dépôt des signalements par les consommateurs afin d’en assurer la fiabilité.
« L’opérateur mentionné au premier alinéa de l’article L. 224-43 prend en compte ces signalements pour s’assurer de la bonne exécution du contrat avec l’abonné auquel il affecte un numéro à valeur ajoutée. » ;
1° C Après le même article L. 224-47, il est inséré un article L. 224-47-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 224-47-1. – I. – L’opérateur mentionné au premier alinéa de l’article L. 224-43 procède, dans les cas prévus au II de l’article L. 224-46, à la suspension de l’accès au numéro et, le cas échéant, à la résiliation du contrat en cas de réitération dans les conditions prévues au III du même article L. 224-46.
« II. – Dans le cas où l’opérateur mentionné au premier alinéa de l’article L. 224-43 ne procède pas aux actions prévues au I du présent article, tout fournisseur d’un service téléphonique au public, au sens du 7° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, peut suspendre, après en avoir informé l’opérateur cocontractant, l’accès de ses abonnés au numéro ou aux numéros à valeur ajoutée concernés et, en cas de réitération, à tous les numéros du fournisseur de produit ou de service à valeur ajoutée en cause. » ;
1° et 2° (Supprimés)
II. – (Non modifié) Le premier alinéa de l’article L. 242-21 du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Le montant : « 3 000 euros » est remplacé par le montant : « 75 000 € » ;
2° Le montant : « 15 000 euros » est remplacé par le montant : « 375 000 € ».
III et IV. – (Supprimés) – (Adopté.)
Article 7
L’article L. 524-3 du code de la consommation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’infraction ou de manquement aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 ou au livre IV du présent code, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut demander à l’autorité judiciaire de prescrire en référé ou sur requête aux fournisseurs d’un service téléphonique au public, au sens du 7° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, ainsi qu’aux opérateurs de communications électroniques, au sens du 6° du même article L. 32, exploitant un numéro à valeur ajoutée toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser un dommage causé par un service à valeur ajoutée. L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut notamment demander à l’autorité judiciaire de prescrire aux opérateurs de communications électroniques au sens du même 6° exploitant un numéro à valeur ajoutée de ne pas affecter au fournisseur de service à valeur ajoutée de nouveaux numéros pouvant être surtaxés pendant une durée qui ne peut excéder six mois. » – (Adopté.)
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Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.
M. Jean-Pierre Sueur. Le groupe socialiste et républicain s’abstient.
(La proposition de loi est adoptée.)
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 9 juin 2020 :
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger les victimes de violences conjugales (texte de la commission n° 483, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication