Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.
traitement des déchets à la réunion
Question n° 669 de Mme Viviane Malet. – Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle des communes d’indre-et-loire
Question n° 681 de M. Serge Babary. – Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
ligne de train à grande vitesse du grand est
Question n° 701 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Marie Mizzon.
aides versées par les agences de l’eau aux communes
Question n° 628 de M. Jacques Genest. – Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jacques Genest.
dangerosité de la nationale 141
Question n° 688 de Mme Corinne Imbert. – Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Corinne Imbert.
Question n° 711 de M. Ronan Le Gleut. – Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Ronan Le Gleut.
conséquences des manifestations pour les commerçants
Question n° 620 de M. Claude Raynal. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes public.
délégations de service public et remontées mécaniques
Question n° 735 de M. Cyril Pellevat. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
application de l’article 121 de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer
Question n° 719 de M. Georges Patient. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; M. Georges Patient.
financement du canal seine-nord europe
Question n° 679 de M. Jérôme Bascher. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; M. Jérôme Bascher.
police aux frontières à wallis-et-futuna
Question n° 630 de M. Robert Laufoaulu. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Robert Laufoaulu.
tourisme numérique dans les colonies israéliennes des territoires palestiniens occupés
Question n° 656 de M. Gilbert Roger. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Gilbert Roger.
devenir de la section consulaire du luxembourg
Question n° 448 de Mme Hélène Conway-Mouret. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Hélène Conway-Mouret.
fonds européen d’aide aux plus démunis
Question n° 637 de M. Philippe Mouiller. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Philippe Mouiller.
délivrance de la carte nationale d’identité
Question n° 654 de M. Hervé Maurey. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Hervé Maurey.
précisions sur le devenir d’atout france
Question n° 684 de Mme Élisabeth Lamure. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; Mme Élisabeth Lamure.
prescription de compléments alimentaires
Question n° 650 de M. Jean-Luc Fichet. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Luc Fichet.
offre publique de soins dans l’arrondissement de montbrison
Question n° 658 de M. Jean-Claude Tissot. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Claude Tissot.
zonage des médecins généralistes
Question n° 686 de Mme Valérie Létard. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Valérie Létard.
maintien de la maternité du centre hospitalier de dinan
Question n° 693 de M. Michel Vaspart. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Question n° 702 de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
nécessité de reconnaissance des auxiliaires de vie
Question n° 709 de Mme Martine Berthet. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Martine Berthet.
application du plan pauvreté en outre-mer
Question n° 561 de M. Dominique Théophile. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Dominique Théophile.
inscription de la verrerie de givors sur la liste des sites amiantés
Question n° 676 de Mme Cécile Cukierman. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Cécile Cukierman.
financement de la formation de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat
Question n° 699 de M. Cédric Perrin. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Cédric Perrin.
suspension des financements de la formation des artisans
Question n° 685 de M. Jean-Claude Luche. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Claude Luche.
avenir des conseillers techniques sportifs
Question n° 705 de Mme Mireille Jouve. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Question n° 614 de Mme Michelle Gréaume. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Michelle Gréaume.
Question n° 660 de Mme Évelyne Renaud-Garabedian. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Évelyne Renaud-Garabedian.
double cursus médecine-sciences
Question n° 594 de Mme Véronique Guillotin. – Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
sorties pédagogiques des élèves scolarisés en milieu rural
Question n° 668 de M. Yves Daudigny. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
extension de l’obligation scolaire
Question n° 700 de M. Olivier Henno. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
nécessité de l’enseignement du clitoris dans les programmes scolaires
Question n° 718 de Mme Laurence Rossignol. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
paiement des aides de la politique agricole commune
Question n° 612 de M. Philippe Bonnecarrère. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Philippe Bonnecarrère.
Question n° 638 de M. Jean-Marie Morisset. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jean-Marie Morisset.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
4. Croissance et transformation des entreprises. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Discussion générale :
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
M. Michel Canevet, rapporteur de la commission spéciale
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Mme Catherine Fournier, présidente de la commission spéciale
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 4 avril 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
traitement des déchets à la réunion
M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet, auteure de la question n° 669, adressée à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Viviane Malet. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le projet du syndicat mixte de traitement des déchets Ileva, qui concerne les territoires du sud et de l’ouest de l’île de la Réunion.
Ce projet d’outil multifilières de traitement des déchets, qui développe la valorisation matière puis énergétique des déchets, est responsable puisqu’il vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre produit par les déchets.
Il intègre pleinement les objectifs de la feuille de route nationale de l’économie circulaire et la stratégie nationale bas-carbone en cours de révision, avec laquelle doivent être compatibles les programmations pluriannuelles de l’énergie, ou PPE, nationales.
Il est entièrement conforme aux orientations nationales et européennes en matière de stratégie pour l’énergie et le climat, en contribuant à la réduction des gaz à effet de serre et à la décarbonation de l’énergie promue par Mme la ministre des outre-mer.
Il prend en considération les recommandations du deuxième plan national d’adaptation au changement climatique, dit PNACC 2, par sa contribution à la construction de la résilience du territoire réunionnais, en réduisant la pollution des sols, de la mer, des rivières, en luttant contre la prolifération des maladies à transmission vectorielle et en réduisant les émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre.
Il a été conçu dans le respect de la PPE ZNI – programmation pluriannuelle de l’énergie pour zone dite non interconnectée – de La Réunion, actuellement en vigueur, qui inclut dans ses objectifs le développement de la production électrique à partir d’énergies renouvelables issues de la filière déchets, avec 16 mégawatts en 2023.
Toutefois, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, la PPE de La Réunion est actuellement en cours de révision et le porteur du projet ne dispose pas d’informations sur l’avancée et le contenu de cette révision.
Or cette situation est susceptible de paralyser le projet d’Ileva.
En effet, la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, saisie en octobre 2018 du projet de contrat d’achat relatif à l’électricité produite par la valorisation des déchets issus de l’outil multifilières, semble refuser de se prononcer avant de savoir si le projet sera maintenu dans la nouvelle PPE de La Réunion.
Je souhaiterais donc vous entendre me confirmer que le maintien de la valorisation énergétique des déchets reste un objectif de développement des énergies renouvelables dans les PPE pour la période 2023-2028.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Viviane Malet, vous avez interrogé M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, au sujet de la transition écologique sur l’île de la Réunion.
Comme vous l’avez dit et ainsi que le prévoit le code de l’énergie, la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE, de La Réunion doit être révisée. Cette révision s’inscrit dans un cadre spécifique aux territoires ultramarins. En effet, en premier lieu, chaque territoire dispose d’une programmation pluriannuelle de l’énergie spécifique. En deuxième lieu, l’autonomie énergétique en 2030 reste l’objectif recherché. En troisième lieu, cette révision est coélaborée entre l’État et la région. En quatrième lieu, des outils spécifiques ont été mis en place par l’État pour accélérer la transition énergétique de ces territoires : par exemple, les appels d’offres territorialisés pour les énergies renouvelables ou les enjeux particuliers autour de la mobilité, qui représente 70 % de l’énergie finale consommée à La Réunion.
Sur ces sujets, les importants travaux menés depuis septembre 2017 entre l’État et la région ont permis d’avancer vers une réelle décarbonation du mix énergétique, notamment avec la conversion des centrales à charbon à la biomasse et un ambitieux plan de développement du photovoltaïque.
Dans le cadre de cette révision, vous m’interrogez sur le volet relatif au développement de la production électrique à partir d’énergies renouvelables issues de la filière déchets. La PPE adoptée en avril 2017 prévoit 16 mégawatts d’installations nouvelles à l’horizon 2023. C’est un point qui est pour l’instant resté en suspens.
Je partage votre constat, la situation des déchets à La Réunion est préoccupante : à l’horizon de deux ans, les installations existantes de traitement des déchets seront à saturation. La gestion des déchets sur l’île est organisée autour de deux bassins de vie. Pour le moment, chaque bassin prévoit d’implanter sur son territoire une installation de valorisation énergétique à partir de combustibles solides de récupération.
Dans le cadre de sa mission de planification, le conseil régional a mené parallèlement sa propre réflexion, élaborant son plan régional de planification et de gestion des déchets, et prône un scénario dit « zéro déchets 2030 » en limitant le recours à la valorisation énergétique des déchets et en privilégiant la pyrogazéification.
Cette stratégie est ambitieuse, notamment au regard du retour d’expérience d’autres collectivités engagées dans des approches similaires. Dans ce cadre, la mission du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, qui a rendu ses conclusions en juillet 2018, considère que la valorisation énergétique des déchets reste nécessaire et souhaitable, à court et moyen terme.
Sans remettre en cause l’objectif de la région, je souhaite qu’une réponse puisse être apportée, sans attendre 2030, à la problématique des déchets à La Réunion. La PPE révisée devra intégrer cette orientation de l’État.
refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle des communes d’indre-et-loire
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, auteur de la question n° 681, transmise à M. le ministre de l’intérieur.
M. Serge Babary. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais attirer votre attention sur le refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dont ont fait l’objet, ces dernières années, les communes du département d’Indre-et-Loire, fortement touché par les risques liés au phénomène de retrait-gonflement des argiles.
Chaque année, des milliers de propriétaires constatent l’affaissement et la déstructuration progressive des murs qui se fissurent gravement, rendant impossible l’occupation de certaines habitations.
Or, depuis 2011, aucune commune d’Indre-et-Loire n’a été reconnue en état de catastrophe naturelle, sauf un infime pourcentage en 2017. Les refus répétés de l’État ont conduit 35 communes de mon département à se regrouper au sein d’une association, l’association des communes en zone argileuse.
En outre, une association de particuliers regroupe aujourd’hui plus de 305 personnes qui ont été victimes de ce phénomène sur le territoire de 53 communes du département.
Pour décider de la reconnaissance d’une commune en état de catastrophe naturelle, la commission interministérielle se prononce non sur l’importance des dégâts eux-mêmes, mais sur l’intensité normale de l’agent naturel à l’origine des dégâts.
Elle analyse l’intensité des mouvements de terrain différentiels au regard de deux critères : un critère géotechnique, la nature du sol d’assises des constructions doit être sensible au phénomène de retrait-gonflement ; et un critère climatologique, les niveaux d’humidité des sols superficiels doivent faire état d’une sécheresse des sols particulièrement marquée.
La méthode scientifique de mise en œuvre et d’évaluation de ces deux critères, qui n’a aucune existence légale, reste inconnue.
En mars 2018, Mme la ministre Gourault a indiqué à notre collègue Nicole Bonnefoy que le caractère normal ou non de l’intensité de l’épisode de sécheresse était apprécié au regard des épisodes de sécheresse ayant précédemment touché le même département.
Aussi, alors que le caractère argileux d’un territoire est parfaitement connu et reconnu, la multiplication d’épisodes de sécheresse a nécessairement pour conséquence de normaliser le phénomène. Cette situation est injuste.
Mme Gourault a précisé que des réflexions étaient en cours pour définir réglementairement les modalités d’instruction des dossiers de reconnaissance en catastrophe naturelle.
En l’absence d’avancée, le Sénat a, il y a quelques semaines, constitué une mission d’information pour identifier les difficultés liées à l’indemnisation des sinistres résultant des aléas naturels de forte intensité et proposer des solutions.
Aussi, je souhaiterais savoir où en sont les réflexions pour définir un cadre réglementaire précis et pertinent permettant aux sinistrés d’être indemnisés. J’invite également le Gouvernement à examiner chacune des demandes des communes d’Indre-et-Loire et à leur accorder le bénéfice de l’état de catastrophe naturelle au titre de 2018.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Babary, un épisode de sécheresse des sols a touché le territoire métropolitain au cours du second semestre 2018, notamment dans le nord-est du pays.
Au 1er avril 2019, plus de 3 500 demandes communales de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre de la sécheresse 2018 ont été déposées. La préfecture d’Indre-et-Loire a reçu 88 demandes.
Pour décider de la reconnaissance d’une commune en état de catastrophe naturelle, l’autorité administrative se prononce, comme vous l’avez signalé, non sur l’ampleur des dégâts, mais sur l’intensité anormale de l’agent naturel à l’origine des dégâts. Ensuite, compte tenu de la cinétique lente qui caractérise l’aléa sécheresse et des connaissances scientifiques disponibles à ce jour, deux critères cumulatifs sont mis en œuvre pour caractériser son intensité : premièrement, une condition géotechnique, un sol d’assise des constructions constitué d’argile sensible aux phénomènes de retrait et/ou de gonflement ; deuxièmement, une condition de nature météorologique, une sécheresse du sol d’intensité anormale.
Ce modèle permet à l’autorité administrative d’instruire l’ensemble des demandes sur le fondement de données techniques présentant les mêmes qualités et, ainsi, de s’assurer d’une égalité de traitement des dossiers.
L’instruction effective des dossiers déposés au titre de l’année 2018 interviendra au cours du printemps 2019, Météo-France et les services de l’État concernés ayant été sensibilisés à la nécessité de traiter ces demandes dans des délais rapides.
S’agissant de la simplification de la procédure, elle aboutira dans les prochaines semaines. Les nouveaux critères seront d’ailleurs utilisés dès cette année pour analyser les demandes au titre de l’épisode de sécheresse des sols de l’année 2018.
Ces travaux visent deux objectifs : d’abord, prendre en compte l’amélioration des connaissances scientifiques relatives au phénomène, notamment les modalités techniques de traitement des données météorologiques permettant d’établir le niveau d’humidité des sols superficiels par Météo-France ; ensuite, rendre plus lisibles pour les responsables communaux et les sinistrés les critères mis en œuvre et, à cet égard, un effort de simplification de leur présentation sera réalisé.
Par cette réforme, nous améliorons la qualité des critères tout en rendant plus simple et compréhensible leur mise en œuvre.
ligne de train à grande vitesse du grand est
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 701, adressée à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la secrétaire d’État, le devenir du TGV Grand Est suscite la plus grande inquiétude en Moselle.
De fait, le 9 décembre 2018, la SNCF a, de son propre chef, modifié le cadencement des TGV reliant Metz à Paris. Les changements d’horaires opérés depuis cette date ont, effectivement, été décidés sans concertation aucune avec qui que ce soit.
Face aux multiples interrogations suscitées par cette nouvelle politique, la SNCF avance des arguments quelque peu fallacieux. Elle tente, notamment, de faire passer pour des progrès la suppression de trains !
À cet égard, l’exemple du train de 8h56, qui relie Metz à Paris, est particulièrement parlant. Ce train, l’un des plus utilisés sur ce tronçon, avait purement et simplement disparu de l’offre de la SNCF. Jusqu’à son rétablissement, le 1er avril dernier, les usagers devaient donc se reporter sur le train de 7h26, souvent surbooké ou se rendre à Nancy.
Les exemples de changements aberrants sont tout autant parlants dans le sens Paris-Metz, où la SNCF multiplie les Ouigo, qui posent d’autres problèmes.
C’est la raison pour laquelle nombre d’élus mosellans élèvent une protestation unanime, soulignant d’une même voix et avec force que tout citoyen est en droit d’attendre qu’un opérateur de services publics prenne des dispositions pour accompagner les usagers et non pour les dissuader en mettant en place des procédures toujours plus complexes.
Aussi, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous veiller à ce que la SNCF propose dans les meilleurs délais aux élus et aux associations d’usagers une réunion de concertation, afin de mettre un terme à une situation pour le moins pénible à vivre pour tous les usagers de la ligne TGV Grand Est ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Mizzon, vous avez bien voulu interroger Mme Élisabeth Borne sur le niveau de service de la liaison TGV Paris-Metz. Ne pouvant être présente, elle m’a chargée de vous répondre.
L’offre Ouigo a été ouverte en juillet 2018 sur cette liaison, avec un aller-retour quotidien, afin d’ouvrir l’accès aux services grande vitesse à des voyageurs très sensibles aux prix. Sur le second semestre 2018, la fréquentation a été particulièrement élevée, avec un total de 120 000 voyageurs transportés. Face à ce succès croissant, SNCF Mobilités a introduit, en décembre 2018, un aller-retour quotidien supplémentaire Ouigo entre Metz et Paris.
Pour prendre en considération les critères techniques, économiques et commerciaux spécifiques à Ouigo, le déploiement de ces trains s’accompagne de nécessaires ajustements du plan de transport des TGV classiques, en vue de favoriser un cadencement plus homogène des trains. Je vous indique cependant qu’une attention toute particulière a finalement été portée aux périodes de pointe, avec le maintien systématique de TGV classiques.
Depuis le 1er avril 2019, SNCF Mobilités a par ailleurs renforcé la liaison Paris-Metz, avec un aller-retour quotidien supplémentaire en TGV classique.
Dans le sens Metz-Paris, vous l’avez dit, SNCF Mobilités a bien positionné un départ TGV classique à 8h56. Dans le sens inverse, deux TGV classiques sont dorénavant proposés en soirée, avec des départs de Paris à 19h40 et 20h48, qui se substituent au train partant à 20h13.
Au final, le nouveau plan de transport permet ainsi de proposer un cadencement des TGV de quarante minutes en moyenne durant les périodes de pointe et de deux heures en moyenne pendant les périodes creuses, en laissant le choix entre les offres TGV et Ouigo.
La SNCF, qui consulte régulièrement les élus locaux et les associations d’usagers pour améliorer ses fréquences et horaires, sera bien sûr en mesure de vous recevoir, dans le cadre d’une nécessaire réunion de concertation, pour préciser ses intentions sur la ligne Paris-Metz.
Je tiens à cette occasion à réaffirmer que le Gouvernement est très attaché à ce qu’un dialogue soit ouvert entre SNCF Mobilités et les territoires. La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire crée ainsi, à partir du service annuel 2021, des procédures de consultation et d’information obligatoires des territoires avant toute évolution de desserte TGV.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais je crains fort que la politique menée à l’heure actuelle par la SNCF ne continue à susciter le plus vif mécontentement dans le Grand Est, singulièrement en Moselle, où ni les collectivités – départements et région – qui participent pourtant au financement de cette ligne à grande vitesse, ni les associations d’usagers n’ont été consultées. Quand elles le sont, c’est de manière purement formelle.
De plus, pour ce qui est de Ouigo, les billets sont parmi les plus chers pour la ligne Grand Est et ils s’achètent uniquement via internet.
En outre, ni les abonnements ni les cartes de réduction SNCF ne sont pris en compte. Il n’est pas non plus possible de réserver une place ou d’acheter un titre de transport en gare au dernier moment.
Enfin, il faut être présent sur le quai au moins trente minutes avant le départ du train, et ce alors que près de 30 % de nos concitoyens ont des difficultés à accomplir les démarches et autres achats numériques !
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole de vingt secondes !
aides versées par les agences de l’eau aux communes
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest, auteur de la question n° 628, transmise à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jacques Genest. Madame la secrétaire d’État, certaines communes ont fait le choix du maintien communal de l’exercice des compétences eau et assainissement entre 2020 et 2026, comme la loi le leur permet.
Or, dans le cadre du onzième programme des agences de l’eau, la quasi-totalité des agences ont profité de cette opportunité pour décider d’exclure du système d’aides les communes qui n’ont pas transféré ces compétences à la communauté de communes ou, plus hypocrite, qui n’ont pas de projets intercommunaux.
Il s’agit le plus souvent de communes isolées, dont la situation géographique ne rendait pas ce transfert pertinent.
En application de la loi du 3 août 2018, les communes qui n’ont pas transféré ces compétences sont dans leur plein droit et n’ont donc nulle raison de s’en trouver pénalisées.
Les décisions de ce genre prises par certaines agences de l’eau sont d’autant plus iniques que leurs programmes d’action sont alimentés par des redevances acquittées par tous les usagers de l’eau, même les ruraux.
Lors du vote de la loi du 3 août 2018, je déclarais : « Laisser la compétence aux communes qui le désirent est indispensable, mais à condition qu’elles en aient les moyens. […] Sinon, sans moyens financiers, le transfert deviendra obligatoire. » C’est ce que la technostructure est en train de réaliser, car elle n’a pas digéré la dérogation imposée par les représentants du peuple !
Peut-être est-ce d’ailleurs aussi l’occasion de nous interroger sur la raison d’être des agences de bassin, qui ne soutiennent plus les communes, en particulier les plus petites. Elles font partie de ces agences dites « indépendantes » qui coûtent très cher au budget national.
Je souhaite donc connaître, madame la secrétaire d’État, les mesures que vous envisagez de mettre en place pour que les agences de l’eau continuent à soutenir financièrement les communes concernées, lesquelles sont bien souvent les plus isolées mais n’ont pas moins besoin que les autres de réaliser des travaux pour distribuer une eau saine à leurs habitants. (MM. Jérôme Bascher, Laurent Duplomb, Ronan Le Gleut et Loïc Hervé applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Genest, la loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert de compétences eau et assainissement aux communautés de communes ne remet pas en cause le principe du transfert de ces compétences, prévu notamment par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Elle prévoit, vous l’avez dit, d’assouplir la mise en œuvre de ce transfert, ce qui peut conduire, dans certains cas, à n’opérer le transfert de compétences que le 1er janvier 2026 au plus tard.
Il est cohérent que les modalités d’attribution des aides publiques accompagnent ce transfert de compétences. En ce sens, des critères de priorisation et non d’exclusion des dossiers ont été mis en place en octobre 2018 par les comités de bassin, où siègent des élus, dans les onzièmes programmes d’intervention des agences de l’eau, pour accompagner cette structuration des compétences.
Les agences font vivre des solidarités : solidarité territoriale entre zones urbaines et zones rurales (M. Laurent Duplomb ironise.) ; solidarité au sein des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI ; solidarité amont-aval à l’échelle du bassin versant et avec les façades littorales en accompagnant les collectivités dans la structuration des compétences eau potable, assainissement et gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, ou Gemapi ; solidarité internationale en aidant des projets en faveur de pays moins favorisés en matière d’accès à la ressource en eau et d’assainissement.
Néanmoins, je vous rassurer en vous disant que les onzièmes programmes n’interdisent aucunement l’attribution de subventions directement aux communes. Celles qui, à ce jour, ont conservé les compétences eau et assainissement ne sont donc pas exclues de tout dispositif d’aides, et ce d’autant moins que la loi du 3 août 2018 permet un transfert progressif de ces compétences vers les EPCI.
Il convient enfin de rappeler que ce sont avant tout les communes rurales qui sont éligibles, au titre de la solidarité territoriale, aux aides des agences de l’eau dédiées à l’entretien de leurs réseaux d’eau potable et d’assainissement, et ce indépendamment du transfert de ces compétences aux EPCI.
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest, pour la réplique.
M. Jacques Genest. Madame la secrétaire d’État, quelle belle réponse technocratique !
Pour revenir sur terre, je citerai quelques exemples : en Ardèche, interviennent deux agences de l’eau différentes, Loire-Bretagne et Rhône-Méditerranée-Corse, qui n’ont pas du tout les mêmes règlements.
Autre exemple, la petite commune de Lachapelle-Graillouse doit renouveler ses canalisations d’eau qui datent de 1940. Loire-Bretagne ne finance pas, alors que Rhône-Méditerranée-Corse l’aurait fait.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Jacques Genest. Pas d’aide pour les stations d’épuration inférieures à 180 habitants, comme à Saint-Étienne-de-Lugdarès. Ces Français n’ont pas les mêmes droits que ceux des grandes villes !
Toutes les communes rurales, je pourrais en citer beaucoup, par exemple, Borée ou Saint-Prix, ne peuvent réaliser des travaux sans aide de l’agence, car la préfecture ne veut pas financer l’eau et l’assainissement dans le cadre de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, ou de la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL. Il ne reste plus que le département, aux moyens très limités.
Ouvrez les yeux ! Il y a deux France : la vôtre, celle des grandes métropoles, et la mienne, celle des ruraux et des oubliés ! (Mme Corinne Imbert, MM. Laurent Duplomb, Ronan Le Gleut et Cyril Pellevat applaudissent.)
dangerosité de la nationale 141
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteure de la question n° 688, transmise à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Corinne Imbert. J’associe à cette question mon collègue Daniel Laurent, sénateur de la Charente-Maritime.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur le caractère accidentogène du tronçon Saintes-Dompierre-sur-Charente de la route nationale 141.
En effet, depuis 2014, on compte 8 décès sur les 9 kilomètres qui composent ce tronçon. À cela s’ajoutent de nombreux blessés et un niveau de dangerosité important pour les quelque 12 000 véhicules qui empruntent quotidiennement cette route nationale.
La commune de Chaniers a essayé, à son échelle, de faire face à cette situation en installant deux radars pédagogiques et en transformant le lieu-dit du Maine-Allain en agglomération.
Parallèlement et de façon étonnante, une étude récente, conduite dans le cadre de la démarche « sécurité des usagers sur les routes existantes », a indiqué que l’accidentologie de cette zone ne présente pas de caractéristiques importantes d’insécurité, malgré l’avis unanime des élus concernés, malgré les études réalisées par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, ou Cérema, et malgré la sombre réalité des chiffres.
Face à cette situation, les élus locaux ont entrepris d’alerter l’ensemble des services de l’État sur l’urgence de la situation. Mais rien n’y fait, les maires des communes concernées n’ont pas obtenu de réponse satisfaisante.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je souhaiterais qu’entre les murs de la Haute Assemblée le Gouvernement s’engage à trouver une solution rapide et efficiente, afin que le tronçon Saintes-Dompierre-sur-Charente de la route nationale 141 ne soit plus un lieu de drames humains. Que compte-t-il faire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Corinne Imbert, vous avez bien voulu interroger Mme Élisabeth Borne sur le caractère accidentogène du tronçon Saintes-Dompierre-sur-Charente de la route nationale 141. Ne pouvant être présente, elle m’a chargée de vous répondre.
Les aménagements de sécurité menés sur le réseau routier national non concédé sont programmés suivant les résultats de la démarche de sûreté des usagers sur les routes existantes. Elle est mise en œuvre en application des articles L. 118-6 et de l’article réglementaire correspondant du code de la voirie routière, découlant de la mise en œuvre de la directive relative à la gestion de la sécurité des infrastructures routières.
Cette démarche permet de hiérarchiser les enjeux de sécurité à partir de l’analyse systématique des accidents corporels. Sur les sections classées comme prioritaires compte tenu de l’accidentalité constatée, un programme d’actions est alors défini, afin d’améliorer la sécurité de l’itinéraire.
Les études effectuées par la direction interdépartementale des routes Atlantique ont révélé qu’il existait une zone d’accumulation d’accidents au niveau de l’intersection entre la RN 141 et la RD 131 sur la commune de Chaniers.
À cet effet, l’État a réalisé et financé intégralement, entre 2015 et 2016, l’aménagement d’un carrefour giratoire au niveau de cette intersection, pour un montant de 1 million d’euros. La mise en service de cet aménagement étant relativement récente, il n’est pas possible, à ce stade, de mesurer les effets sur l’accidentalité. On notera néanmoins qu’il n’y a heureusement pas eu de nouvel accident mortel à ce niveau depuis la mise en service du carrefour giratoire.
S’agissant plus particulièrement du hameau du Maine-Allain sur la RN 141, les études commandées par la commune de Chaniers auprès du Cérema concluent que les difficultés qui y sont ressenties sont avant tout la conséquence d’absence d’aménagement adapté au contexte urbain. Ce type d’aménagement, en agglomération, relève de la compétence de la collectivité.
Je tiens, par ailleurs, à rappeler que l’infrastructure n’est pas le seul facteur d’accidents. La majorité des accidents reste liée au comportement à risque de certains conducteurs. Le dernier accident mortel, survenu en février dernier sur la RN 141, était malheureusement dû à un endormissement.
Afin de lutter contre les cas de vitesse excessive pratiquée par certains usagers de la route, il convient d’examiner, en liaison avec le préfet de département, d’autres solutions, tel le renforcement des contrôles de vitesse.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Au-delà de l’aspect réglementaire du début de votre réponse, je peux vous dire que le sentiment des élus confrontés à un accident, je pense notamment à M. le maire de Chaniers, est loin d’être aussi administratif et technocratique que votre réponse !
Il y a une réalité, je prends évidemment acte de la création du giratoire et je remercie l’État de cette réalisation. Le sujet porte non là-dessus, mais sur le carrefour du Maine-Allain où l’on déplore régulièrement des accidents. Les élus qui doivent se déplacer sur le lieu d’un accident ressentent toujours beaucoup d’émotion, vivant un drame bien sûr sans commune mesure avec celui des familles.
Comme tous les gouvernements en place depuis la présidence de Jacques Chirac, celui auquel vous appartenez a fait de la sécurité routière l’une de ses priorités, ce qui peut être salué.
Je ne reviendrai pas sur des décisions brutales, telles que celle des 80 kilomètres-heure. Nous nous accordons tous sur le fait qu’il faut sauver des vies, comme le Premier ministre l’a rappelé hier encore lors de la restitution du grand débat. Il s’agit bien de cela, de sauver des vies sur la route nationale 141, notamment au carrefour du Maine-Allain.
délai de délivrance des certificats de nationalité française pour les français nés et établis hors de france
M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, auteur de la question n° 711, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Ronan Le Gleut. Madame la secrétaire d’État, trois ans, trois longues années, trente-six mois, eh bien, c’est le délai moyen pour le traitement d’un dossier de demande de certificat de nationalité française, le CNF, par le service de la nationalité des Français nés et établis hors de France, le pôle « monde » du tribunal d’instance de Paris !
Ce délai était de dix-huit mois en 2007 ; on le considérait alors déjà comme anormalement long. Un tel retard trouvait son origine dans la multiplication des demandes injustifiées de CNF. En effet, le nombre de ces demandes était passé, entre 2004 et 2006, de 9 463 à 36 175, sans que les effectifs du tribunal d’instance du premier arrondissement de Paris aient été renforcés pour autant.
Grâce à la désignation de dix nouveaux agents ainsi qu’au regroupement géographique de l’ensemble des tribunaux d’instance parisiens, le délai moyen de délivrance des certificats de nationalité française fut alors réduit à douze mois.
Comme je l’ai mentionné, aujourd’hui, ce délai est en moyenne de trente-six mois.
L’attention de la direction des services judiciaires a été appelée sur la nécessité de renforcer les moyens humains. On annonce l’arrivée de greffiers en renforts. Qu’en est-il, monsieur le secrétaire d’État, et surtout, combien seront-ils ?
D’autres pistes peuvent être explorées pour réduire ce délai inadmissible pour les Français nés et établis hors de France. Il conviendrait notamment de mettre en place un système de filtrage des demandes qui n’ont aucune chance de prospérer, car elles sont nombreuses ! Par ailleurs, où en sommes-nous de la numérisation des dossiers ?
Il est en tout cas impératif de ramener le délai de délivrance des certificats de nationalité française à douze mois, délai atteint il y a dix ans.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Ronan Le Gleut, vous avez attiré l’attention de Mme la garde des sceaux sur les délais de délivrance des certificats de nationalité française ; ne pouvant être présente ici ce matin, elle m’a chargée de vous répondre.
Le pôle de la nationalité du tribunal d’instance de Paris est destinataire des demandes de certificat de nationalité française émanant des personnes domiciliées à l’étranger, ce qui correspond à plus de 30 000 demandes par an ; en deux ans, ce nombre a augmenté de plus de 25 %.
Cette augmentation a provoqué, depuis 2005, un doublement du stock des dossiers en cours, et ce en dépit d’un taux de couverture des demandes relativement constant et, depuis le début de l’année 2019, supérieur à 100 %.
Des moyens, tant organisationnels qu’humains, ont été déployés pour résorber ce stock et réduire en conséquence le délai de traitement des demandes.
Tout d’abord, une rationalisation du traitement des dossiers et, en particulier, l’instauration d’un système de préanalyse ont permis d’opérer un tri utile au sein des demandes de certificat de nationalité française, permettant notamment de distinguer celles qui nécessitent une instruction, ainsi que celles qui sont dépourvues de tout fondement juridique.
Ensuite, une priorisation du traitement des demandes a pour objectif d’apporter immédiatement des réponses aux dossiers dont l’instruction est achevée et de compléter l’instruction des demandes fondées sur des motifs permettant de justifier la délivrance d’un certificat de nationalité française.
Enfin, une réorganisation du service, visant à l’adapter à ses effectifs actuels et prévisibles, a permis d’entamer le stock des dossiers, de telle sorte qu’une réduction du délai de traitement peut raisonnablement être attendue.
Je puis vous assurer, monsieur le sénateur, que les services du ministère de la justice continueront de porter une attention particulière aux modalités de délivrance de ces documents, qui revêtent une importance particulière pour les personnes qui le sollicitent.
M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique.
M. Ronan Le Gleut. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Vous avez évoqué une augmentation de 25 % des demandes depuis deux ans. Peut-être faudrait-il donc, avant de chercher des remèdes, s’interroger sur les causes de ce phénomène. Assiste-t-on à une explosion des demandes ? Si oui, quelles en sont les causes ? L’élargissement des conditions d’attribution de la nationalité française adoptées par le précédent gouvernement n’en est-il pas responsable ?
conséquences des manifestations pour les commerçants
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, auteur de la question n° 620, adressée à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Claude Raynal. Monsieur le secrétaire d’État, cela fait vingt et une semaines, soit bientôt six mois, que les « gilets jaunes » contestent, dans nos centres-villes, l’action du Gouvernement ! Le plus long mouvement social de ces quarante dernières années ne suscite toujours pas, à ce jour, de réponse politique, seule à même d’y mettre un terme. En effet, si l’ordre public doit être la règle, la réponse ne saurait être uniquement répressive, d’autant que cette approche a eu des conséquences dramatiques pour nombre de manifestants parfaitement pacifiques.
Bientôt six mois que, chaque samedi, les centres-villes sont désertés ! Au-delà des destructions opérées par des groupuscules de casseurs, ceux des commerçants qui choisissent d’ouvrir leurs boutiques doivent subir des journées « ville morte », quand d’autres, par peur des pillages, gardent leurs rideaux baissés.
Nous le savons bien, le chiffre d’affaires perdu lors de ces journées, qui devraient être les meilleures du point de vue commercial, ne se rattrape jamais. Au fil du temps, le comportement des consommateurs évolue : ils choisissent d’aller dans les centres commerciaux de périphérie, ou de commander par internet, pour ne pas se trouver en ville au moment des manifestations.
Dès lors, l’attractivité future de nos centres-villes est gravement menacée et doit faire l’objet de toute l’attention de l’État comme des collectivités. Quant au fonds de 3 millions d’euros envisagé par le Premier ministre pour des opérations de promotion commerciale, il n’est pas à l’échelle de la problématique.
Concernant le soutien aux commerçants indépendants eux-mêmes, la réponse du Gouvernement est là aussi trop limitée, dans le temps comme dans ses effets, car l’étalement de la dette, qu’elle soit fiscale ou sociale, n’apporte aux entreprises qu’une solution de court terme.
Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances avait, en son temps, ouvert la voie à une possibilité d’exonérations de taxes et cotisations sociales. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, le nombre d’exonérations accordées à ce jour et leur montant total ?
La grande absente des mesures annoncées par le Gouvernement reste la question de la dégradation de la trésorerie de ces sociétés ; on sait qu’elle préfigure souvent des redressements ou des liquidations. En la matière, vos appels incantatoires à la plus haute bienveillance des banques risquent d’être insuffisants.
Sur un autre plan, on entend que les compagnies d’assurance réfléchiraient à demander, à l’avenir, une surprime aux établissements commerciaux de centres-villes, ce qui reviendrait pour ceux-ci à subir une triple peine : réparations, perte de chiffre d’affaires, augmentation des primes d’assurance.
Alors, même si ce gouvernement, depuis vingt et une semaines, ne parvient pas à trouver de sortie à la crise politique, peut-être peut-il répondre aux attentes de nos concitoyens artisans et commerçants indépendants, qui, au fond, en paieront très largement la note !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Raynal, vous avez raison de souligner l’impact du mouvement dit des « gilets jaunes » sur l’activité des commerces de centres-villes et de périphérie.
Permettez-moi, avant de répondre à votre question relative aux modalités d’intervention du Gouvernement, de souligner que cet impact recouvre, évidemment, les charges liées à des sinistres ou à des dégradations, les pertes de chiffre d’affaires, mais aussi les nuisances apportées à l’image et à l’attractivité des centres-villes, ou encore les chocs psychologiques que subissent celles et ceux qui voient disparaître, parfois en quelques minutes, le fruit d’années de travail.
Nous estimons qu’ont eu lieu, depuis le début de ce mouvement, environ 10 000 sinistres, pour des dégâts dont le montant avoisine les 200 millions d’euros ; 5 200 entreprises, employant 74 000 salariés, ont eu recours au dispositif d’activité partielle, qui représente un engagement de l’État à hauteur de 40 millions d’euros ; enfin, 4 400 entreprises ont fait l’objet de mesures fiscales, notamment d’étalement de paiements et de report de délais, et 7 000 délais de paiement ont été accordés, soit sous forme classique, soit sous forme de report de termes d’échéances sociales.
La réponse du Gouvernement s’est faite en trois temps. Dès le mois de novembre 2018, c’est-à-dire dès les premiers jours de la mobilisation, nous avons demandé à l’ensemble de nos services d’être extrêmement bienveillants envers les commerçants et les chefs d’entreprises concernés, notamment par l’octroi de délais de paiement. Cela s’est fait dans le cadre d’une relation bilatérale assez informelle, mais courante en la matière, et nous avons veillé à ce que l’ensemble de nos services appliquent ces instructions.
Nous avons aussi permis l’accès de ces entreprises au dispositif d’activité partielle ; cela a concerné, je l’ai rappelé, 74 000 emplois.
En outre, nous travaillons étroitement avec la Fédération bancaire française et la Fédération française de l’assurance pour accélérer l’indemnisation des sinistres. Nous faisons en sorte, là aussi, que les acteurs du monde de l’assurance et de la banque soient extrêmement attentifs aux difficultés et évitent d’avoir recours aux méthodes que vous avez décrites.
En février dernier, Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons renouvelé, sans terme défini, les mesures de bienveillance en matière d’étalement, mais nous avons également mis en place des équipes mobiles, formées par les différents services de l’État et les organismes consulaires, chargées d’aller directement à la rencontre des commerçants et des artisans concernés. En effet, nous avions constaté que beaucoup d’entre eux ne faisaient pas valoir leurs droits et n’avaient pas recours aux mesures que nous avions mises en place, soit pour des raisons de temps, soit du fait de craintes liées à des pratiques ou à des relations habituelles.
Le 6 mars dernier, enfin, nous avons encore reconduit ces dispositifs et mis en place la possibilité d’une remise partielle ou totale d’impôt direct. Je ne peux vous donner un bilan chiffré de cette mesure, monsieur le sénateur, tant elle est récente, mais nous l’avons appuyée sur une déclaration extrêmement simplifiée, mise à disposition tant des commerçants que de leurs associations sur le site du ministère. Les dossiers sont examinés au cas par cas ; nous sommes notamment attentifs à la perte d’activité et au manque de liquidité ou de trésorerie.
Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé, comme vous l’avez rappelé, qu’il mettrait en place un fonds de 3 millions d’euros pour accompagner les associations de commerçants, en liaison avec les collectivités. La ville de Toulouse a ainsi mobilisé un million d’euros, la région Occitanie a elle aussi mobilisé des fonds ; c’est heureux et cela doit nous permettre d’apporter une réponse aussi précise que possible.
Je vous précise enfin, en m’excusant, monsieur le président, de dépasser mon temps de parole, qu’une réunion du comité de suivi avec les associations de commerçants se tiendra de nouveau cet après-midi, comme nous le faisons régulièrement depuis maintenant plusieurs mois.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, il ne faudrait pas qu’un tel dépassement – quarante secondes ! – se renouvelle à chaque question ; réduire la longueur de vos réponses arrangerait tout le monde !
délégations de service public et remontées mécaniques
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 735, adressée à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le secrétaire d’État, en France, la loi donne le statut de service public au transport par remontées mécaniques, y compris pour les remontées à vocation touristique dans le contexte concurrentiel des stations.
Ce choix singulier, que la France est seule à avoir fait parmi ses concurrents dans l’arc alpin, comporte des limites dont il est de plus en plus difficile de s’accommoder sans nuire à l’économie de nos stations.
L’application que nous avons ainsi faite des délégations de service public à l’économie très particulière des domaines skiables est une construction juridiquement instable, comme en atteste l’arrêt du Conseil d’État du 29 juin 2018 relatif à la station de ski du Sauze, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Cet arrêt a provoqué une onde de choc de nature à effrayer les investisseurs privés et les établissements financiers.
Dans ce cas d’espèce, une convention « loi Montagne » avait été rédigée entre la collectivité et l’opérateur privé historique de la station, propriétaire des remontées mécaniques, des autres biens et du foncier. Arrivés au terme du contrat, délégant et délégataire ont appliqué les clauses de rachat prévues au contrat, mais se sont heurtés au contrôle de légalité : ces clauses ont été jugées illégales, alors même qu’elles avaient été rédigées et validées par les conseils juridiques et l’administration.
Depuis l’arrêt du Conseil d’État Commune de Douai du 21 décembre 2012, on savait que les clauses d’indemnisation des biens de retour fixées à des valeurs supérieures à la valeur nette comptable étaient regardées comme non conformes, ce qui pose un problème partout où de telles clauses ont été conclues.
L’arrêt Sauze va plus loin : il fait craindre que ces clauses soient inopérantes en pratique, ce qui modifie l’équilibre économique du contrat. Cela pose aussi la question de l’expropriation des exploitants, que l’arrêt Commune de Douai avait exclue.
De surcroît, l’arrêt Sauze exprime une vision très extensive des biens de retour, qui inclut notamment immeubles et parcs de stationnement ; le Conseil d’État semble considérer que l’ensemble des biens de la concession sont des biens de retour. Cet arrêt constitue un revirement jurisprudentiel, qui affecte, directement ou indirectement, toutes les concessions de remontées mécaniques.
L’impermanence des règles pose un problème de loyauté, dès lors qu’on applique la nouvelle règle à des contrats signés antérieurement à l’arrêt Commune de Douai.
C’est encore plus le cas lorsqu’il s’agit d’exploitants qui étaient propriétaires d’une exploitation antérieurement à leur premier conventionnement et que tout le monde – tant leurs conseillers juridiques que les administrations – poussait à signer des clauses d’indemnisation, jugées illégales trente ans plus tard.
Outre les contentieux qui ne manqueront pas de naître de cette situation invraisemblable, ces changements incessants sont de nature à détourner les investisseurs privés des domaines skiables. Une telle situation n’est bonne ni pour les délégants ni pour les délégataires.
Conscients des difficultés nées de l’application du régime des délégations de service public aux remontées mécaniques, Domaines skiables de France et l’Association nationale des maires des stations de montagne se sont réunis plusieurs fois dans le but de formuler des propositions communes.
Dans l’hypothèse où les évolutions du droit rendraient caduques des dispositions contractuelles conclues antérieurement, l’équilibre économique du contrat doit être maintenu.
Ma question, monsieur le secrétaire d’État, est donc la suivante : comment comptez-vous sécuriser le classement des biens et leur indemnisation tel que stipulé dans les contrats conclus antérieurement aux évolutions du droit ? (M. Loïc Hervé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Pellevat, en l’état actuel de la jurisprudence, et sous réserve d’évolutions à venir de la législation, voici les précisions que je peux vous apporter.
Il résulte des articles L. 342–9 et suivants du code du tourisme que les communes, leurs groupements et les départements sont compétents pour les services de remontée mécanique, qu’ils peuvent assurer soit directement, en régie simple ou personnalisée, soit indirectement, à l’aide d’une délégation de service public.
Dans cette seconde hypothèse, l’autorité concédante et son cocontractant sont soumis au régime des biens de retour, tel que cela a été établi par le Conseil d’État. Dans une décision du 21 décembre 2012, Commune de Douai, que vous avez citée, le Conseil a estimé que « l’ensemble des biens meubles ou immeubles, nécessaires au fonctionnement du service public », dont la convention a mis « à la charge du cocontractant les investissements correspondants à la création ou à l’acquisition » constituent une catégorie de biens qui font retour gratuitement à l’autorité concédante à l’issue de la convention.
Dans une autre décision, en date du 29 juin 2018, Ministre de l’intérieur contre communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, le Conseil a précisé que ce régime s’appliquait également aux biens qui étaient la propriété du concessionnaire avant le début de la convention.
Cette solution est justifiée par le fait que les biens ainsi acquis ont fait l’objet d’une rétribution au concessionnaire. En effet, d’une part, le concessionnaire peut amortir le coût de ces équipements pendant la durée de la concession, à l’aide du prix payé par les usagers du service ; d’autre part, et à défaut, l’autorité concédante lui doit une indemnité lorsque les biens ne peuvent être amortis, si la durée de la concession est inférieure à celle de l’amortissement, que cela soit décidé ab initio ou que la concession ait été résiliée de manière anticipée, pour faute du cocontractant ou pour motif d’intérêt général.
S’agissant de l’application de ce régime à la situation des concessionnaires de remontées mécaniques qui étaient propriétaires de leurs équipements avant la loi Montagne du 9 janvier 1985, ceux-ci disposaient d’une période transitoire de quatorze ans pour faire le choix soit de la cession onéreuse de leur équipement à la collectivité compétente, soit du régime conventionnel.
Pour ceux qui ont choisi la seconde option, il n’est pas douteux que l’apport des équipements par le concessionnaire a été pris en compte au stade de la négociation du contrat. Dans le cas contraire, et si la situation aboutit à un déséquilibre contractuel, que le consentement du concessionnaire a été vicié, ou bien qu’une évaluation erronée des biens apportés a été faite de bonne foi, alors le concessionnaire est fondé à faire valoir ses droits à indemnité.
Telles sont les précisions que je pouvais vous apporter, monsieur le sénateur.
application de l’article 121 de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 719, adressée à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Georges Patient. Monsieur le secrétaire d’État, en Guyane, la gestion du foncier de ce territoire par l’État est vécue comme la survivance d’un fait colonial. Oui, un fait colonial, je persiste et je signe !
Je m’explique : non seulement ce foncier continue d’appartenir, pour 95 %, à l’État, fait unique dans toute la France, mais surtout il est géré de façon jalouse et stérile, comme le dénonçait le Sénat dans un rapport de 2015 : l’État fait fi de ses obligations, malgré les exigences de la loi.
Un cas probant est la non-application de l’article 121 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Cet article, qui résulte de l’adoption d’un amendement que j’avais déposé sur ce texte, dispose : « Dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, l’évaluation cadastrale des parcelles de forêt exploitées, concédées ou gérées par l’Office national des forêts est réalisée, en vue d’une perception de la taxe foncière sur les propriétés non bâties par les collectivités dès 2018. » Il venait rappeler que l’ONF, gestionnaire pour le compte de l’État, est redevable de cette taxe sur les parties du domaine forestier qu’il exploite et dont le produit des ventes de bois et concessions est affecté à son budget.
Pourtant, à ce jour, soit vingt-quatre mois après la promulgation de la loi, rien n’a été fait ! La perception de la taxe n’a toujours pas lieu ; c’est plusieurs centaines de milliers d’euros qui échappent ainsi aux collectivités de Guyane, dont bon nombre sont déjà exsangues financièrement.
J’ai interpellé le directeur régional des finances publiques de Guyane sur ce sujet, à la suite d’une lettre ouverte d’un agent de son administration se disant sanctionné pour avoir voulu lancer la procédure de recouvrement de cette taxe.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : qu’en est-il ? Qu’attend le Gouvernement pour assumer ses responsabilités et demander à l’ONF de payer ce qu’il doit aux collectivités ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Patient, vous attirez mon attention sur la mise en œuvre des dispositions de l’article 121 de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi ÉROM, qui prévoit l’évaluation cadastrale des parcelles exploitées, concédées ou gérées par l’Office national des forêts en Guyane, en vue d’une perception, dès 2018, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties y afférant.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que ce sujet retient toute l’attention du Gouvernement et, en particulier, celle de nos services.
Comme vous le savez, ce dossier est extrêmement complexe, du fait de l’étendue de la forêt amazonienne guyanaise et des caractéristiques de cette dernière, très différentes de celles des bois et forêts métropolitains.
Aussi, nos services, en association avec ceux du ministère de l’agriculture, travaillent sur une taxation prenant en compte les spécificités de la forêt amazonienne de la Guyane et, en particulier, sa surface, qui s’élève à 5 millions d’hectares, contre 11,7 millions d’hectares de forêts dans tout l’Hexagone, ainsi que sa rentabilité réelle.
Je vous confirme qu’il sera bien procédé à l’émission d’une taxation des parcelles gérées par l’ONF au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties de 2018, d’ici à la fin de l’année 2019, conformément aux dispositions évoquées, que vous aviez défendues dans cet hémicycle.
Tels sont les éléments que je pouvais vous apporter en réponse sur ce sujet qui vous tient particulièrement à cœur. Nous veillons en tout cas à la bonne application des dispositions de l’article 121 de la loi ÉROM.
M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.
M. Georges Patient. Monsieur le secrétaire d’État, j’attendrai, puisque votre réponse est conforme à celle du directeur général des finances publiques, mais je voudrais poser de façon globale la question de la forêt guyanaise. Il est, selon moi, grand temps que, conformément à ce qui a pu être fait en France et dans d’autres territoires outre-mer, le foncier de la Guyane revienne aux Guyanais, dans le cadre d’un transfert de compétences.
financement du canal seine-nord europe
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, auteur de la question n° 679, adressée à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte non pas sur un sujet médiocre, mais sur un projet comme l’Union européenne en reconnaît peu, à savoir le canal Seine-Nord Europe.
L’Union européenne a considéré qu’elle pouvait financer à hauteur de 50 % ce projet, dont le montant total s’élèverait à 4,8 milliards d’euros. Si l’Union accepte de le financer à cette hauteur, c’est que le jeu en vaut la chandelle !
Hélas, il y a les experts français, qui, dans les ministères, depuis de nombreuses années, s’acharnent à ne pas faire aboutir ce projet. Chacun, tour à tour, trouve une excuse. Souvent, c’est dans les ministères parisiens que l’on oublie un peu trop la nature du trafic maritime, du trafic routier, ou encore du trafic ferroviaire dans le nord de l’Europe. Tous les trajets sont aujourd’hui congestionnés !
Il est donc temps d’agir pour permettre, enfin, d’absorber la croissance qui ne manquera pas d’arriver sur cette façade maritime. En effet, si, vue de chez nous, cette façade ne paraît pas forcément si importante, en revanche, depuis la Chine ou les pays du Commonwealth, il s’agit de l’ensemble de la façade maritime de la France.
Si 70 parlementaires, qu’ils soient de droite, de gauche, ou encore « ni de droite ni de gauche », soutiennent ce projet, si trois présidents de la République successifs, l’un de droite, le second de gauche, et le dernier « ni de droite ni de gauche », soutiennent ce projet, alors il manque seulement un acteur : le financement de l’État ! Les collectivités locales se sont engagées. Xavier Bertrand et Nadège Lefebvre ont promis leur contribution.
Alors, monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : quand allez-vous débloquer cette somme de 1,8 milliard d’euros que l’État doit apporter à ce projet ? Quand allez-vous nous donner accès aux données ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler combien le ministre de l’action et des comptes publics, M. Gérald Darmanin, et la ministre chargée des transports, Mme Élisabeth Borne, attachent une haute importance à la réalisation de ce projet. Conscients de son importance stratégique, ils ont, depuis leur arrivée en fonction, consacré une grande part de leur énergie à la recherche de financements innovants et spécifiques.
Un projet de cette ampleur implique, comme vous l’avez fait remarquer, la concordance de plusieurs sources de financement.
Ce sera le cas pour le canal Seine-Nord Europe, dont le coût total serait, ainsi que l’a rappelé le Président de la République, réparti entre 2 milliards d’euros de subventions européennes, 1 milliard d’euros de ressources propres des collectivités, la mise en place par l’État de taxes nationales à assise locale qui permettront de gager un emprunt d’1 milliard d’euros, ainsi que 700 à 900 millions d’euros issus d’un emprunt garanti par la Société du canal Seine-Nord Europe, devenue régionale.
Vous m’interrogez plus particulièrement sur la part de ce financement revenant à l’État. Elle doit, comme vous le savez, intervenir au 1er janvier 2021.
Sachez, monsieur le sénateur, que ce délai est utilement mis à profit par le Gouvernement et que, contrairement à ce que vous pouvez craindre, l’État ne se désengage pas ; bien au contraire, il fait des propositions et cherche les bonnes solutions.
Nous avons notamment suggéré l’instauration d’une taxe spécifique à la région des Hauts-de-France, même si cette solution semble juridiquement fragile d’après l’avis qu’a récemment rendu le Conseil d’État.
D’autres pistes sont à l’étude, mais elles nécessitent des analyses juridiques approfondies et, pour certaines d’entre elles, des échanges avec la Commission européenne afin de bien cerner ce que permet le cadre européen.
Vous évoquez une troisième piste : l’inscription de crédits budgétaires dédiés. Le Gouvernement considère que cette solution ne devra être retenue qu’en dernier recours, dans la mesure où elle ne permet pas d’associer les futurs bénéficiaires du canal à son financement.
J’ajoute qu’une société de projet, véhicule juridique créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, a permis de régionaliser le projet en le transférant aux collectivités concernées de la région des Hauts-de-France, en accord avec les élus locaux.
Comme vous le savez, tel est l’objet de l’article 36 du projet de loi d’orientations des mobilités, qui prévoit, d’une part, de ratifier l’ordonnance du 21 avril 2016 relative à la Société du canal Seine-Nord Europe, et, d’autre part, d’autoriser le Gouvernement à prendre, par la voie d’une nouvelle ordonnance, des dispositions visant à la transformation de cet établissement public national en établissement public local.
Soyez assuré, en tout état de cause, monsieur le sénateur, que le Gouvernement est déterminé à faire aboutir ce projet et que l’État assumera sa part du financement, quel que soit le vecteur retenu in fine. Votre concours pour y parvenir, ainsi que celui de l’ensemble des élus locaux que vous avez cités, nous est indispensable.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons besoin, je vous le dis clairement, d’1 milliard d’euros de crédits budgétaires. Cela dit, nous pouvons également travailler avec vous, monsieur le secrétaire d’État : cela fait des années que les techniciens de Bercy travaillent sans trouver de solution. Si vous nous offrez les données, alors nous sommes prêts à y œuvrer avec vous !
police aux frontières à wallis-et-futuna
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu, auteur de la question n° 630, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur l’organisation de la police aux frontières à Wallis-et-Futuna.
La direction centrale de la police aux frontières est, entre autres, chargée d’assurer les missions de police aéronautique et, par conséquent, la sécurité générale des ports et aéroports français.
Or, à Wallis-et-Futuna, les missions de la police aux frontières sont actuellement assurées par la gendarmerie, et ce sans aucune base juridique.
Plus précisément, jusqu’à l’installation des gendarmes mobiles sur le territoire, la police aux frontières était assurée par quatre gardes territoriaux, sous la responsabilité d’un gendarme référent. Depuis leur installation, les gendarmes mobiles ont repris le service, mais ils continuent à faire appel aux gardes territoriaux lorsqu’ils rencontrent des problèmes d’effectifs. Tout cela se fait, bien sûr, sans habilitation officielle ni base normative.
Cette situation bancale ne saurait perdurer.
Je sais que plusieurs pistes sont à l’étude. Toutefois, pour des raisons budgétaires, chaque service se renvoie la balle, si je puis dire, entre la direction centrale de la police aux frontières, la direction des douanes et la gendarmerie.
Monsieur le secrétaire d’État, la meilleure piste ne serait-elle pas une collaboration avec la police aux frontières de Nouvelle-Calédonie, qui formerait les gardes territoriaux de Wallis-et-Futuna et collaborerait avec eux ? La surveillance aux frontières est un métier de policier, et non pas une mission de douanier.
Je souhaiterais donc savoir ce que compte faire le Gouvernement pour mettre en place une solution plus viable et officielle, afin d’assurer cette prérogative régalienne.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Robert Laufoaulu, je vous remercie de votre question : sur tous ces sujets, nous vous savons très mobilisé, et vous avez raison de l’être !
À ce stade, pour être juridiquement très précis, l’article 2 du décret n° 2012-328 attribue la compétence territoriale de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna à la direction centrale de la police aux frontières. Or cet article ne fait aucune mention de l’extension de cette compétence à l’aéroport de Wallis-Hififo, où aucun effectif de la PAF n’est aujourd’hui affecté.
Au vu de cette situation, dont vous avez rappelé combien elle est insatisfaisante, l’administrateur supérieur conduit actuellement une réflexion, en liaison avec la direction centrale de la police aux frontières et la direction de la gendarmerie nationale, réflexion qui associera aussi la direction de la douane, afin de mettre en place un système qui soit, comme vous le souhaitez, plus efficace et conforme à la réglementation.
Je ne manquerai pas de porter personnellement auprès de Laurent Nunez et de Christophe Castaner votre message et votre suggestion, afin que la solution vienne le plus vite possible.
Vous avez souligné que la gendarmerie nationale, avec un poste de sous-officier, ainsi que quelques militaires du détachement de la gendarmerie mobile, est aujourd’hui chargée du contrôle frontalier, avec examen visuel des passeports. La douane effectue des contrôles de bagages de soute ; elle reçoit parfois le renfort de la garde territoriale.
Face à cette situation qui n’est pas pleinement satisfaisante, nous sommes à l’heure des réflexions. Vous avez d’ailleurs vous-même mis une piste sur la table ce matin, et je m’en ferai l’écho auprès de mes collègues pour qu’elle soit expertisée.
En tout état de cause, il faut que le contrôle aux frontières, prérogative régalienne à Wallis-et-Futuna comme sur l’ensemble du territoire national, puisse pleinement s’appliquer.
Je remarque par ailleurs qu’aujourd’hui encore, après votre question de jeudi dernier relative au futur sommet France-Pacifique, vous vous montrez un ardent défenseur des intérêts des territoires ; nous allons naturellement en tenir le plus grand compte.
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu, pour la réplique.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
En l’absence de franche volonté de l’exécutif, Wallis-et-Futuna fait face à différentes situations sans réelle base légale ou réglementaire. Souvent, l’État semble improviser ! L’option dont je parlais dans ma question permettrait notamment une amorce de solution, certes partielle, pour régler la situation des gardes territoriaux de Wallis-et-Futuna, qui, je le rappelle, assurent des missions incombant à l’État sans en être des fonctionnaires, ce qui pose un véritable problème.
tourisme numérique dans les colonies israéliennes des territoires palestiniens occupés
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 656, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Gilbert Roger. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur le tourisme numérique dans les colonies israéliennes situées en territoires palestiniens occupés.
Les entreprises de réservation en ligne, comme Airbnb, Booking.com, Expedia Group ou TripAdvisor, contribuent à des violations de droits humains des Palestiniens, en proposant plusieurs centaines d’hébergements et activités dans les colonies illégales de peuplement israéliennes en territoires palestiniens occupés, y compris à Jérusalem-Est.
Selon le rapport d’Amnesty International de janvier 2019 intitulé Destination : occupation. Le tourisme numérique et les colonies de peuplement israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés, ces entreprises du numérique induisent en erreur leurs clients, en s’abstenant d’indiquer systématiquement que les offres concernées sont situées dans les territoires occupés.
Or, en favorisant l’industrie du tourisme dans les colonies et, en conséquence, l’essor économique de ces implantations qui sont contraires au droit international, Airbnb, Booking.com, Expedia Group et TripAdvisor contribuent au maintien, au développement et à l’extension des colonies de peuplement illégales et en tirent profit.
Aussi, je souhaite savoir si vous êtes prêt à mettre en ligne, sur le site du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, un conseil aux voyageurs pour alerter ceux-ci des pratiques de ces entreprises de locations en ligne qui fournissent des informations trompeuses, en s’abstenant d’indiquer que les hébergements proposés sont situés en territoires palestiniens occupés dans des colonies illégales au regard du droit international, et non en Israël.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Comme vous le savez, monsieur le sénateur Gilbert Roger, la position de la France est très claire : pour notre pays, la politique de colonisation est illégale, elle nuit à la recherche d’une paix juste et durable et menace la solution des deux États. Le Conseil de sécurité des Nations unies a d’ailleurs rappelé cette position le 23 décembre 2016 avec le soutien de la France.
La France condamne régulièrement les annonces de construction de nouveaux logements dans les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que les démolitions et les évacuations forcées en zone C, qui participent de la même stratégie.
De même, nous appelons publiquement les autorités israéliennes à reconsidérer ces décisions et à abandonner cette stratégie de colonisation afin de préserver la solution des deux États avec Jérusalem comme capitale.
Nous avons tiré les conséquences de cette situation, en inscrivant dans les conseils aux voyageurs publiés sur le site internet France Diplomatie du ministère un certain nombre d’éléments. Dans ces conseils aux voyageurs, qui visent à informer nos compatriotes des risques encourus lors de séjours à l’étranger et à les sensibiliser sur les mesures et comportements à adopter pour réaliser leurs déplacements dans les meilleures conditions, il est indiqué que « la Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza et le plateau du Golan sont des territoires occupés par Israël depuis 1967 » et que « les colonies sont illégales en vertu du droit international ».
Nous informons aussi les entreprises françaises et les sensibilisons aux risques qu’elles encourent en termes juridiques et économiques et au regard de leur réputation.
En ce qui concerne les acteurs économiques que vous évoquez, monsieur le sénateur, ce sont des entreprises privées, souvent implantées à l’étranger. De ce fait, il ne nous est guère possible de mener une action coercitive à leur endroit.
Néanmoins, nous pouvons discuter avec elles de cette question. Par exemple, depuis ma prise de fonction, j’ai veillé à appeler l’attention des plateformes sur la nécessité pour elles de dialoguer avec les autres acteurs du secteur, notamment les hôteliers. Soyez assuré que je signalerai votre préoccupation à leurs responsables, lorsque je les rencontrerai.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments d’information que je souhaitais porter à votre attention.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour la réplique.
M. Gilbert Roger. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Je souhaite apporter deux éléments complémentaires.
Entre le moment où cette question a été publiée et aujourd’hui, le groupe Expedia a demandé à me rencontrer et m’a indiqué qu’il voulait trouver une solution pour apporter de la clarté à ses offres, en particulier en ce qui concerne Jérusalem-Est. Je crois qu’Airbnb entend s’inscrire dans la même démarche.
Travailler ensemble à trouver des solutions est d’autant plus important que, dans le cadre des élections législatives qui ont lieu aujourd’hui même en Israël, le Premier ministre sortant, qui risque d’être reconduit, a annoncé que, s’il était réélu, il annexerait les colonies situées en Cisjordanie. De nouvelles difficultés risquent donc d’apparaître dans peu de temps au Moyen-Orient…
devenir de la section consulaire du luxembourg
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la question n° 448, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le secrétaire d’État, lors de mes déplacements en circonscription, je note partout l’inquiétude grandissante de nos compatriotes et de nos conseillers consulaires quant au devenir des postes diplomatiques.
Pour répondre à la demande inédite de réduction de 10 % de la masse salariale de la représentation française à l’étranger, les fermetures de certains services et la diminution du personnel ne peuvent être que drastiques. Elles vont toucher directement plus de trois millions de nos concitoyens résidant à l’étranger, mais aussi quelques centaines de milliers de transfrontaliers et les millions de touristes français.
Tous les postes sont concernés et nos ambassadeurs, immédiatement sollicités pour faire connaître les économies qu’ils pouvaient réaliser, ont tous fait des propositions, que pour l’instant nous ne connaissons pas.
Je voudrais prendre comme exemple notre poste au Luxembourg, que je connais bien et qui rassemble un certain nombre de problématiques. La population française a dépassé 53 000 résidents – c’est le nombre recensé par les autorités locales –, dont 36 000 inscrits au consulat. Les Français établis au Luxembourg représentent la dixième communauté française dans le monde, à laquelle je me dois d’ajouter les 100 000 frontaliers qui, chaque jour, viennent travailler dans ce pays. Beaucoup préfèrent s’adresser au consulat pour la délivrance de leurs papiers d’identité ; c’est plus facile pour eux, car ils sont sur place et ne doivent pas prendre deux jours de congé pour effectuer les mêmes démarches dans leur commune.
Depuis plusieurs mois, le personnel est soumis à une continuelle pression de la part des usagers mécontents de la diminution des services. Pourtant, les agents ne chôment pas, avec en moyenne trente-six rendez-vous par jour ouvré.
Aujourd’hui, nos concitoyens craignent une éventuelle fermeture du consulat, alors même que certains services ne peuvent pas être supprimés – c’est le cas pour les dossiers de nationalité et de bourses scolaires.
D’ici à 2020, les services de l’état civil vont être transférés à Nantes. Il semblerait que l’on envisage également de demander à nos concitoyens du Luxembourg de se déplacer à Bruxelles pour certaines démarches administratives ou même de se rendre en France. Or je ne pense pas qu’il soit envisagé d’augmenter le personnel dans les départements frontaliers ou au consulat à Bruxelles.
Monsieur le secrétaire d’État, au vu du nombre important de personnes concernées, pouvez-vous me donner une réponse claire et précise sur les décisions que vous entendez prendre concernant ce poste et, plus généralement, sur les grandes orientations pour l’ensemble du réseau ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Conway-Mouret, soyons très clairs : la fermeture de la section consulaire à Luxembourg n’est pas à l’ordre du jour !
Certes, dans le cadre du programme Action publique 2022, il nous est demandé des économies de masse salariale, ce qui ne correspond pas nécessairement à des postes en équivalent temps plein – ETP.
En tout état de cause, nous devons à nos compatriotes établis hors de France le maintien d’un service de qualité, ce qui ne nous empêche pas de travailler sur un certain nombre de nouveautés. La députée Anne Genetet a préparé un rapport, dans lequel elle préconise la mise en place d’une plateforme téléphonique fonctionnant 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 : il me semble que cela constituerait une novation tout à fait intéressante.
Plus globalement, nous pouvons aussi réfléchir aux moyens de tirer parti des technologies numériques, qui transforment nos vies. C’est le cas, nous l’évoquions précédemment, dans le secteur du tourisme avec les plateformes. Certains actes de procédure peuvent aujourd’hui être dématérialisés, en particulier lorsque les états civils sont fiables, comme c’est le cas en Europe.
C’est dans cet esprit que la gestion des transcriptions en Europe sera réorganisée vers le service central de l’état civil à Nantes, sans que cela pèse sur la capacité, pour les Français établis hors de France, d’avoir accès, dans de bonnes conditions, à tous ces services. Cette réorganisation signifie le transfert d’un ETP, mais sa mise en œuvre n’obère en rien, comme je l’ai dit, le reste des missions du consulat.
Cette évolution s’inscrit dans le cadre de relations très intenses entre la France et le Luxembourg, comme en témoigne la visite d’État effectuée l’année dernière par le Grand-Duc et la Grande-Duchesse. Vous le savez, les liens de la France avec le gouvernement du Luxembourg sont très forts et nous menons ensemble un certain nombre de combats européens.
En conclusion, je tiens vraiment à tordre le cou à cette rumeur, si tant est qu’elle ait circulé : pas de fermeture !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État. Je comprends bien évidemment que vous soyez tenu par la solidarité ministérielle, mais je crois que personne ne peut défendre aujourd’hui les économies qui sont demandées à votre ministère – il a aussi été le mien, un temps.
Les demandes d’économies sont récurrentes, mais celle-ci est quand même inédite par son ampleur, 10 %. Et tout le monde sait bien, quand on parle d’économies, qu’il s’agit d’un euphémisme pour cacher les termes de suppression de postes et de réduction d’effectifs !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. C’est sur l’ensemble des services de l’État à l’étranger !
Mme Hélène Conway-Mouret. Bien sûr, mais les autres ministères ont adressé une lettre au Premier ministre, indiquant qu’ils n’entendaient pas participer de manière importante à cette réduction.
Je souhaite simplement vous rappeler les propos tenus hier par le Premier ministre lors de la restitution du grand débat. En évoquant l’exigence de fraternité, il a dit : « Quand le service public ferme, c’est l’État qui abandonne ses citoyens. » Il a ajouté : « Nous avons besoin d’un service public adapté pour être au contact, et pas simplement numérique. »
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Hélène Conway-Mouret. Je dirai simplement que nous devons conserver le contact humain !
fonds européen d’aide aux plus démunis
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la question n° 637, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Philippe Mouiller. Ma question porte sur le Fonds européen d’aide aux plus démunis, le FEAD. Les associations caritatives telles que le Secours populaire, les Restos du Cœur, Emmaüs et la Banque alimentaire sont inquiètes.
En effet, pour répondre aux besoins alimentaires des personnes auxquelles elles portent secours, ces associations font appel à la générosité publique, s’approvisionnent auprès des enseignes alimentaires et bénéficient du Fonds européen d’aide aux plus démunis.
Ce fonds a vocation à soutenir des actions menées par les pays de l’Union européenne pour apporter une assistance matérielle aux plus précaires. Il permet aux associations françaises de disposer de 100 à 120 tonnes de produits de base, soit près de 30 % des produits distribués dans leurs permanences. Comme vous le voyez, cet apport est essentiel pour assurer une stabilité et une régularité des denrées distribuées aux personnes dans le besoin.
Or les représentants de ces associations constatent depuis plusieurs années des retards récurrents de plusieurs mois dans la livraison des produits issus du FEAD.
Surtout, ils craignent une diminution des moyens alloués dans les années qui viennent. En effet, dans le cadre de la prochaine programmation budgétaire, un changement total de paradigme pourrait s’opérer : nous passerions d’un fonds spécifiquement dédié à un pourcentage minimum réservé au sein d’un programme global, le FSE+, laissant la possibilité aux États membres, s’ils le souhaitent, de consacrer une enveloppe plus importante à l’aide aux plus démunis.
Je vous remercie de bien vouloir me préciser la position du Gouvernement concernant cette situation, car il est nécessaire, pour les associations caritatives, de préserver le montant aujourd’hui alloué au FEAD.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Mouiller, la France a toujours défendu le maintien d’un programme européen d’aide aux plus démunis, qui incarne l’idée d’une Europe qui protège.
Comme vous, je suis un élu local rural et ma permanence de Saint-Valérien jouxte les locaux des Restos du Cœur. Je mesure donc concrètement combien l’action de ces structures associatives et de leurs bénévoles est importante et je sais que les financements européens ont un impact très concret sur nos territoires, en particulier au service de nos concitoyens les plus démunis. Je sais aussi que la lutte contre les inégalités est un fil rouge qui nous rassemble tous.
En 2014, la France a soutenu la mise en place du Fonds européen d’aide aux plus démunis dans le cadre du précédent budget européen. Des négociations se tiennent actuellement sur le nouveau cadre financier post-2020. C’est dans ce cadre que la Commission européenne a formulé des propositions et il ne vous a pas échappé que la France a d’ores et déjà émis des réticences, voire une franche opposition, à l’égard de certaines de ces propositions – en particulier, nous ne souscrivons pas à celle qui vise à baisser les crédits de la politique agricole commune.
En ce qui concerne le FEAD, la Commission européenne, évoquant un souci de simplification et de lisibilité, propose d’intégrer ce programme au sein d’un nouveau fonds social européen, FSE+, destiné à financer l’ensemble des actions de l’Union dans le domaine social.
Nous restons très vigilants sur ce sujet. Nous entendons les arguments avancés par la Commission européenne, mais nous défendons le principe d’un fléchage minimal du nouveau programme vers les plus démunis. Ce fléchage devrait selon nous constituer un plancher, et non un plafond, et chaque État membre devrait conserver la possibilité d’allouer le montant souhaité à l’aide aux plus démunis.
Quelle que soit la structure du financement, nous avons en outre pris l’engagement que les enveloppes seraient maintenues constantes.
Ces questions constituent une préoccupation importante du Gouvernement, en particulier pour Agnès Buzyn et Christelle Dubos. Monsieur le sénateur, nous sommes, comme vous, particulièrement vigilants sur l’évolution de ces crédits, qui sont très utiles pour nos concitoyens les plus fragiles.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour la réplique.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Il me semble que nous partageons les mêmes ambitions et la même volonté et que nous avons vraiment besoin du fléchage dont vous avez parlé.
Nous devons faire preuve d’une vigilance extrême sur ces sujets et je comprends, dans vos propos, que le Gouvernement s’engage en tout état de cause à maintenir les enveloppes aujourd’hui allouées aux associations caritatives.
Ainsi, selon votre réponse, si les crédits dédiés aux plus démunis au sein du futur FSE+ ne permettaient pas de garantir le fonctionnement de ces associations, le Gouvernement interviendrait en complément.
délivrance de la carte nationale d’identité
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 654, transmise à M. le ministre de l’intérieur.
M. Hervé Maurey. Monsieur le secrétaire d’État, la réforme de la délivrance de la carte nationale d’identité, mise en œuvre en 2017, a conduit à diviser par quinze le nombre de communes dans lesquelles il est possible d’obtenir ce document. Désormais, nos concitoyens ne peuvent plus s’adresser qu’à 2 300 mairies, alors que cela était précédemment possible dans la quasi-totalité des communes.
Cette réforme, je le rappelle, fait suite à celle de la délivrance du passeport, qui avait conduit aux mêmes conséquences.
Elle présente en tout cas de nombreux désagréments : les usagers doivent aller plus loin et attendre plus longtemps ; les communes qui ont conservé ce service doivent gérer une augmentation du nombre de demandes à traiter, ce qui induit une surcharge de travail et des coûts supplémentaires ; les communes rurales qui ont perdu, avec ce service, une forme de proximité et de contact avec leurs administrés vivent cela comme un nouveau coup porté à la ruralité et à leur rôle.
Les échanges entre le Président de la République et les élus locaux ont montré l’importance de ce sujet, qui induit un sentiment de dépossession progressive des communes rurales de leurs missions essentielles. Les élus aimeraient qu’au minimum chaque intercommunalité dispose de la capacité de délivrer les cartes nationales d’identité.
Le Président de la République s’est engagé, lors du débat qui s’est tenu le 15 janvier au Grand Bourgtheroulde, à « rouvrir le sujet pour les cartes d’identité, les passeports et les permis de conduire ».
Le grand débat étant terminé, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement sur ce sujet et, au-delà, sur les mesures qu’il compte prendre pour conforter les communes et redonner confiance et espoir aux maires.
À cet égard, permettez-moi de vous rappeler que les maires aspirent notamment à un allégement des normes, à une visibilité sur l’évolution de leurs ressources, à un meilleur fonctionnement des intercommunalités ou encore à une amélioration de leur statut. Je pourrais allonger davantage la liste, mais je m’arrêterai là, monsieur le secrétaire d’État, pour vous laisser me répondre…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Maurey, je vis, dans mon – beau ! – département de l’Yonne, la même réalité que vous et votre question rencontre un écho particulier chez moi, puisque la commune nouvelle de Charny Orée de Puisaye mène le même combat que certaines des communes de votre département. Et je sais que Sébastien Lecornu et vous-même êtes très attachés à votre territoire…
Il est vrai que, depuis plusieurs années, le maillage territorial de la délivrance des titres a été revu à la baisse pour mieux lutter contre la fraude documentaire et limiter le nombre de personnes habilitées à traiter ces données à caractère personnel.
À la suite de cette évolution, le nombre de dispositifs de recueil de titres d’identité n’est peut-être pas suffisant à certains endroits.
Deux réponses ont été apportées à cette situation. D’une part, les mairies qui le souhaitent peuvent permettre aux usagers d’effectuer en mairie leur prédemande de titres. D’autre part, des dispositifs de recueil mobiles peuvent être ponctuellement mis à leur disposition.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué, à juste titre me semble-t-il, le souhait de proximité qui a été exprimé lors du grand débat national – nous en avons tous été témoins. Certes, les occurrences sur ce sujet précis ne sont pas très nombreuses. Néanmoins, le chef de l’État s’est montré attentif à cette préoccupation.
Vous le savez, nous sommes encore dans la phase de prise en compte des éléments mis sur la place publique à l’occasion du grand débat, pas dans l’annonce de décisions précises, mais soyez assuré que je relayerai auprès des différents membres du Gouvernement cette impérieuse nécessité de « desserrer l’étau ». Nous devons apporter des réponses très concrètes à nos concitoyens ; c’est ce qu’ils attendent.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour la réplique.
M. Hervé Maurey. Monsieur le secrétaire d’État, la solution des appareils mobiles ne règle pas tout, puisqu’il n’y en a pas suffisamment. Comme je l’ai indiqué, les élus souhaiteraient que, dans chaque intercommunalité, la délivrance des titres d’identité soit possible à au moins un endroit du territoire. Nous devons vraiment tendre vers cela.
Vous le savez, puisque vous êtes vous-même élu d’un département rural, la question n’est pas anecdotique, elle participe très concrètement du sentiment d’abandon des territoires ruraux. C’est pourquoi nous devons améliorer la situation.
précisions sur le devenir d’atout france
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question n° 684, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le secrétaire d’État, comme cela a déjà été évoqué dans cet hémicycle, une note interne des services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères indique que, dans le cadre du programme Action publique 2022, un plan social de grande ampleur est prévu chez Atout France.
Au-delà de la préoccupation légitime des salariés de l’agence, nous sommes nombreux à nous interroger sur le choix stratégique du Gouvernement, qui a pour objectif d’accueillir 100 millions de touristes d’ici à 2020, mais cela, si l’on comprend bien, avec des moyens et des effectifs en baisse pour Atout France.
Vouloir économiser 4 millions d’euros, alors que l’action d’Atout France sur notre rayonnement à l’étranger est majeure, est plus que surprenant. La filière du tourisme représente des centaines de milliers d’emplois en France. Cette richesse contribue largement à notre croissance et à un rayonnement culturel qui va bien au-delà du simple secteur touristique.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que la concurrence touristique est toujours plus vive et que certains pays déploient des moyens colossaux en faveur de leur attractivité, comment justifiez-vous de réduire les moyens d’action d’Atout France ?
Qui plus est, la France souffre malheureusement d’une image dégradée du fait de la crise sociale que nous traversons depuis des mois. Au-delà du secteur touristique, un pan entier de notre économie attend donc vos réponses. (Mme Martine Berthet et M. François Grosdidier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice Lamure, le Gouvernement est clairement mobilisé en faveur du secteur du tourisme.
Vous le savez, nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux : atteindre 100 millions de touristes internationaux à la fin de 2020 et générer 60 milliards d’euros de recettes. L’année 2018 montre que nous sommes sur la bonne voie, puisque les chiffres recommencent à progresser : ainsi, nous avons atteint 90 millions de visiteurs internationaux et 57 milliards d’euros de recettes.
Le tourisme, qui représente environ 7 % de la richesse nationale, est une composante majeure de notre économie nationale. Surtout, il irrigue nos territoires bien au-delà de la seule Île-de-France et de Paris, puisque beaucoup de nos trésors patrimoniaux sont situés dans les territoires ruraux. Nous sommes d’ailleurs très attachés au fait que ces flux bénéficient à l’ensemble des régions.
Vous le voyez, notre ambition est intacte.
En ce qui concerne les moyens, le Gouvernement a fait un geste très concret, en affectant une partie des recettes des visas à Atout France pour 5 millions d’euros, ce qui lui a permis de développer des plans de promotion.
Je rends d’ailleurs hommage au directeur général d’Atout France, Christian Mantei, qui achève sa mission, et à l’ensemble de ses équipes : lorsque nous leur confions un euro pour la promotion, ils réussissent à en lever deux, un auprès des collectivités locales et un auprès du secteur privé, ce qui démultiplie notre force de frappe. Nos objectifs ne sont donc pas du tout à la baisse en termes de promotion.
Atout France a aussi montré par le passé, notamment durant les cinq dernières années, qu’il savait se transformer et je lui tire mon chapeau, parce qu’il a réussi à le faire, tout en permettant l’amplification des flux touristiques vers la France. Dans les dernières années, pas loin de 80 postes en équivalent temps plein n’ont pas été reconduits, si bien que beaucoup de choses ont dû être revues. Je tiens de nouveau à rendre hommage à son personnel pour cela.
Nous sommes en train d’écrire une nouvelle page de cette transformation. Un nouveau directeur général va être nommé. Christian Mantei va devenir président du conseil d’administration. Un nouveau contrat d’objectifs et de performance va être préparé et conclu. Des économies de fonctionnement seront, il est vrai, demandées à Atout France – je rappelle de ce point de vue que l’agence a déjà déménagé dans de nouveaux locaux.
Je fais pleinement confiance aux salariés, à la gouvernance et aux différents acteurs du secteur pour faire des propositions et améliorer le fonctionnement d’Atout France, tout en développant encore la promotion de notre pays au profit de ses territoires.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour la réplique.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse va dans le sens de celle qui avait été donnée à ma collègue Catherine Dumas à l’occasion d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Des ressources supplémentaires pérennes doivent ainsi être affectées à Atout France à partir des recettes obtenues par la délivrance de visas, ce qui devrait limiter la baisse de ses moyens.
Cependant, à l’occasion de la question que j’évoquais à l’instant, le ministre avait ajouté que nous aurions très prochainement à mener une réflexion stratégique sur la promotion touristique. Il est inutile de vous dire que les acteurs du tourisme, notamment Atout France, attendent avec impatience l’issue de cette réflexion.
prescription de compléments alimentaires
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 650, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le secrétaire d’État, ma question s’adressait à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Les compléments alimentaires sont des denrées dont le but est de compléter un régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique. Ils sont conditionnés sous forme de comprimés, de gélules, de pastilles ou encore d’ampoules et peuvent contenir des vitamines et minéraux, des plantes ou d’autres ingrédients à but nutritionnel ou physiologique.
La fabrication et la commercialisation des compléments alimentaires sont soumises à une réglementation européenne. N’étant pas des médicaments, ils sont ensuite vendus sans ordonnance et largement distribués dans les pharmacies, les grandes surfaces, les magasins spécialisés ou sur internet.
Il faut à cet égard rappeler que, mal utilisés, ils peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé des consommateurs et entraîner des effets toxiques, en raison notamment de surdosage ou de surconsommation du fait de la prise concomitante de plusieurs types de produits.
En outre, les compléments alimentaires sont souvent prescrits aux personnes âgées souffrant de dénutrition. Certains facteurs tels que la perte de mobilité, combinés à l’augmentation des besoins métaboliques liés à l’âge, peuvent en effet nécessiter une supplémentation, parallèlement au maintien d’une alimentation équilibrée.
On estime ainsi qu’entre 15 % et 40 % des résidents des Ehpad sont concernés. Le dépistage et la prise en charge de la dénutrition ont été reconnus comme des priorités de santé publique.
Ces compléments sont le plus souvent non remboursés. Dès lors, il est utile de s’interroger sur la manière dont ils sont choisis, le prix de deux produits similaires variant sensiblement.
Pourriez-vous m’indiquer, monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les modalités de prescription de ces compléments alimentaires, ainsi que leurs conditions de prise en charge par la sécurité sociale ? Existe-t-il des recommandations ou un guide de bonnes pratiques en la matière ?
Plus précisément, des réflexions sont-elles en cours sur un éventuel encadrement de ces prescriptions et sur une plus grande transparence des frais qu’elles engendrent ?
Je vous remercie de votre éclairage.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Fichet, permettez-moi, pour commencer, de vous donner quelques éléments sur la dénutrition, phénomène qui touche un certain nombre de nos anciens, notamment les résidents en Ehpad, avant de vous répondre plus précisément sur les compléments alimentaires.
Vous avez raison, la dénutrition demeure largement méconnue ; votre question nous aura permis d’en parler dans cet hémicycle. Elle constitue un obstacle à une prise en charge précoce. En France, en 2018, la prévalence de la dénutrition demeurait élevée. On estime en effet à 2 millions le nombre d’individus qui en souffrent. Cette prévalence augmente avec l’avancée en âge et touche par conséquent davantage les personnes âgées, comme vous l’avez indiqué.
En raison de l’évolution démographique de la population et de l’augmentation des pathologies chroniques, une augmentation importante du nombre de personnes touchées est ainsi à redouter dans les prochaines années. Nous savons ce qui attend notre pays…
Les conséquences de la dénutrition sont multiples. C’est un facteur majeur de la perte d’autonomie à l’origine de chutes, d’un état dépressif, d’une altération de la qualité de vie en général et, surtout, de la pérennisation d’un déséquilibre alimentaire aggravant une dénutrition déjà existante.
Vous m’interrogez plus spécifiquement sur la prescription des compléments alimentaires. Vous le savez, ces compléments alimentaires sont classés, conformément à la réglementation européenne, comme des denrées alimentaires et ne font pas l’objet d’une prescription médicale en tant que telle. Toutefois, le ministère chargé de la santé recommande de consulter un médecin avant tout achat, compte tenu notamment de certaines interférences possibles avec les médicaments que la personne peut prendre en parallèle.
Les compléments nutritionnels oraux sont des mélanges nutritifs complets auxquels il est possible de recourir dans le cadre de la stratégie nutritionnelle de la personne âgée. Ils sont prescrits à cet égard par un médecin, à des fins médicales, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé, afin d’augmenter l’apport énergétique et protidique des patients dénutris. Ces produits prescrits, dès lors qu’ils sont inscrits sur la liste des produits et des prestations remboursables, sont pris en charge par l’assurance maladie.
Sachez enfin, monsieur le sénateur, que la réduction du taux de personnes âgées dénutries vivant à domicile ou en institution est l’un des objectifs définis par le Haut Conseil de la santé publique, repris dans le quatrième programme national nutrition santé, le PNNS 4.
J’espère avoir ainsi répondu à vos interrogations.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de vos réponses. Cependant, je pense qu’il faut aller plus loin et encadrer de façon plus précise la prescription de compléments alimentaires.
Aujourd’hui, dans les Ehpad, des compléments alimentaires apparaissent dans la chaîne des médicaments prescrits, sans aucune maîtrise du consommateur, des patients ou des familles. Les coûts annuels de ces compléments alimentaires sont parfois assez élevés, sachant qu’ils ne sont pas remboursés et que leur efficacité est régulièrement mise en question.
Je ne manquerai pas de poser d’autres questions sur ce sujet.
offre publique de soins dans l’arrondissement de montbrison
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, auteur de la question n° 658, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le secrétaire d’État, ma question, qui s’adressait à Mme la ministre des solidarités et de la santé, porte sur l’offre publique de soins dans l’arrondissement de Montbrison, dans le département de la Loire.
Le Centre hospitalier du Forez, le CHF, a été créé en 2013 par la fusion des centres hospitaliers de Feurs et de Montbrison. Il est désormais le seul hôpital public de l’arrondissement de Montbrison, territoire qui compte plus de 180 000 habitants.
À la suite de cette fusion, plusieurs activités ont fermé ou ont été regroupées sur un seul site. Quant aux effectifs, ils ont été réduits.
Alors qu’il connaissait des excédents budgétaires avant la fusion, le CHF est désormais en déficit chronique. Cela n’a rien d’étonnant, car, avec le système de tarification à l’activité, la suppression de services entraîne, de fait, la réduction des recettes.
À la fin du mois de janvier dernier, les membres du conseil de surveillance du CHF ont ouvert la voie à un nouveau recul de l’offre publique de soins : ils ont ainsi acté le principe du transfert à un nouveau gestionnaire de l’autorisation d’exploiter l’Ehpad du Centre hospitalier du Forez situé à Montbrison.
Cette décision, qui n’a jamais été suggérée dans le projet médical, semble exclusivement motivée par la nécessité de faire face à la mise aux normes de cet établissement de 209 lits, laquelle est devenue indispensable.
L’hypothèse d’une rénovation sur le site actuel semble à ce jour écartée. Elle aurait pourtant un double intérêt : elle serait moins coûteuse et permettrait de conserver l’Ehpad en centre-ville, situation plus propice à la mixité intergénérationnelle.
L’hypothèse envisagée actuellement de reconstruire le centre sur un autre site serait plus onéreuse : elle coûterait environ 25 millions d’euros. Elle est aussi porteuse de réelles inquiétudes pour la population de Montbrison, pour le CHF lui-même, pour ses résidents et ses personnels.
En effet, cette solution aurait des effets sur le pouvoir d’achat des résidents et de leurs familles, car l’opérateur privé retenu ne manquera pas de reporter le coût de ces travaux sur leur facture. Le passage à une gestion privée pourrait ainsi se traduire par une augmentation du coût de séjour de plusieurs centaines d’euros par mois. Elle entraînerait également une plus grande précarité pour la cinquantaine de membres du personnel, qui, d’un statut de fonctionnaires, basculeraient vers un contrat de droit privé.
À terme, cette solution constituerait en outre une mauvaise opération supplémentaire pour le CHF puisqu’il verrait se tarir une autre source de recettes, ce qui accroîtrait son déficit.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement sur ce dossier. L’État, via l’agence régionale de santé, l’ARS, soutiendra-t-il la mise aux normes de l’Ehpad de Montbrison en apportant le financement nécessaire ? Donnera-t-il les moyens de maintenir cet établissement pour personnes âgées dépendantes dans le secteur public, seul garant de l’équité sociale et territoriale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, permettez-moi, pour commencer, de livrer quelques éléments de contexte et de chronologie, au risque de répéter ceux que vous venez de nous rappeler, afin de préciser certains points et, je l’espère, de vous rassurer.
J’ai bien entendu les difficultés rencontrées par le Centre hospitalier du Forez, ainsi que les problèmes d’accessibilité et de sécurité de l’Ehpad de Montbrison.
J’évoquerai tout d’abord les évolutions du CHF. Les deux centres hospitaliers de Montbrison et de Feurs enregistraient, avant la fusion du 1er janvier 2013, une diminution de leur activité. Si la fusion a permis de l’atténuer en recherchant une complémentarité entre les deux sites, elle n’a pu l’enrayer dans la durée, la difficulté majeure de recrutement médical ayant contraint l’établissement à adapter son organisation, voire à renoncer à certaines activités.
J’en viens à l’Ehpad du Centre hospitalier du Forez, sur le site de Montbrison, dont la situation est bien connue du directeur général de l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes. Ce dernier est bien conscient, comme l’ensemble des intervenants – les personnels, les résidents et les familles – et des institutions – l’établissement et le conseil départemental –, de la nécessité d’améliorer les conditions d’accueil des personnes âgées qui y sont prises en charge en engageant un projet d’investissement.
Cependant, la situation financière générale du Centre hospitalier du Forez, malgré le soutien important de l’ARS, ne l’autorisant pas à contracter les nouveaux emprunts nécessaires à cet investissement majeur de 25 millions d’euros, le conseil de surveillance a, le 23 janvier dernier, pris une délibération visant à transférer à un nouveau gestionnaire l’autorisation de l’Ehpad, comme vous l’avez indiqué. Il revient au conseil de surveillance de l’établissement de se positionner sur les modalités de mise en œuvre de ce transfert.
Dans ce cadre, l’établissement explore différentes hypothèses visant à garantir à la fois l’accessibilité financière du nouvel établissement par un reste à charge comparable à ceux des Ehpad publics du département de la Loire, la poursuite par le nouvel établissement de son rôle naturel d’aval du Centre hospitalier du Forez en matière de gériatrie, et la possibilité pour les personnels de l’Ehpad de poursuivre leur mission sous le statut de la fonction publique hospitalière.
À ce jour, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes attend que lui soit communiqué le montage juridique et financier définitif du portage de cette structure et de connaître l’organisme gestionnaire qui sera retenu par le Centre hospitalier du Forez.
S’agissant d’une structure médico-sociale sous compétence conjointe, le dossier d’investissement sera examiné en liaison étroite avec le conseil départemental de la Loire, chef de file de l’action sociale. Dès lors que le dossier sera finalisé, un soutien financier supplémentaire de l’ARS pourra éventuellement être envisagé.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.
M. Jean-Claude Tissot. Je serai très bref. Je me contenterai, comme l’a fait ma collègue Hélène Conway-Mouret, de rappeler ce qu’a dit hier le Premier ministre s’agissant de l’exigence de fraternité : quand le service public ferme, c’est l’État qui abandonne ses citoyens.
Comment fait-on pour garder ces 209 lits dans le service public, monsieur le secrétaire d’État ? Tel est le fond de ma question.
zonage des médecins généralistes
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, auteure de la question n° 686, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Valérie Létard. Monsieur le secrétaire d’État, j’évoquerai ce matin la nécessité d’une meilleure adéquation entre les indicateurs administratifs et la prise en charge sanitaire dans les Hauts-de-France.
J’attire l’attention du Gouvernement sur le zonage des médecins généralistes publié en décembre 2018, selon une nouvelle cartographie des zones d’intervention prioritaire, les ZIP, et des zones d’action complémentaire, les ZAC.
Vous le savez, les ZIP ouvrent droit pour les médecins aux aides à l’installation de l’assurance maladie de l’État et aux exonérations fiscales au titre de la permanence des soins ambulatoires. Les ZAC ouvrent droit aux seules aides de l’État.
La détermination de ces zonages est maintenant nationale. Or l’État a fixé, pour les Hauts-de-France, les seuils d’intervention à 8,3 % de la population pour les ZIP, quand le taux national est de 18 %, et à 38,4 % de la population pour les ZAC, quand le taux national est de 56 %. Ces taux pour le moins très inférieurs aux taux nationaux devraient susciter une réflexion sur la prise en charge sanitaire.
Cette nouvelle cartographie fait de la région des Hauts-de-France la troisième région la moins bien dotée de ces dispositifs, bien loin de la réalité des indicateurs de santé fortement dégradés. En effet, dans les Hauts-de-France, la mortalité générale est supérieure de 20 % à la moyenne nationale. Quant à la surmortalité des moins de 65 ans – soit la mortalité prématurée –, elle est supérieure de 33 % pour les hommes et de 26 % pour les femmes aux moyennes nationales. Ces données montrent que l’état de santé de la population des Hauts-de-France est fragile.
Les seuils retenus pour ces deux types de zones ne correspondent pas à la réalité des besoins sanitaires de la région. Face à ce constat, l’agence régionale de santé a utilisé son droit dérogatoire pour affiner les zones par rapport aux recommandations nationales afin d’être plus proche de la réalité des besoins, mais dans la limite des seuils disponibles fixés par le ministère, lesquels sont extrêmement serrés.
Monsieur le secrétaire d’État, au regard des indicateurs dégradés de santé et de la précarité, les leviers pour agir sur le zonage des médecins généralistes, maillons essentiels de la prise en charge sanitaire, devraient être revus pour favoriser une installation territorialisée cohérente avec le besoin du territoire régional.
Quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre pour améliorer la situation dans les Hauts-de-France, et dans quels délais ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé, la refonte de la méthodologie en 2017 a permis aux agences régionales de santé de mieux identifier les zones sous-denses en offres de soins, où sont mobilisées les aides à l’installation et au maintien des médecins. L’agence régionale de santé Hauts-de-France a ainsi révisé son zonage à la fin de l’année 2018. L’objectif, partagé, est de favoriser une meilleure répartition des professionnels sur le territoire.
L’indicateur pour la détermination des zones est l’accessibilité potentielle localisée, l’APL, à un médecin. Elle intègre le nombre de médecins généralistes, leur activité, le temps d’accès au praticien et le recours aux soins des habitants par classes d’âge. Cet indicateur, dont les acteurs saluent la construction robuste, objective la situation de chaque région en termes d’accès à un médecin.
La méthodologie prévoit que les agences régionales de santé peuvent utiliser des indicateurs complémentaires pour apprécier les problématiques locales, comme l’état de santé de la population. Une attention particulière a notamment été portée aux quartiers prioritaires de la ville. Les ARS disposent également d’une marge d’adaptation pour retenir d’autres territoires présentant des difficultés, hors quartiers prioritaires de la ville.
Les ARS ont donc déterminé les zones prioritaires éligibles à toutes les aides, ainsi que des zones complémentaires éligibles aux aides régionales et locales. La rénovation du zonage a permis un élargissement des territoires éligibles et un soutien financier plus important sur l’ensemble du territoire.
Dans les Hauts-de-France plus spécifiquement, plus de 2,4 millions d’habitants sont concernés. Les zones d’intervention prioritaire et les zones d’action complémentaire, les fameuses ZIP et ZAC, représentent respectivement 14,2 % et 42,5 % des communes.
Grâce aux critères objectifs et aux multiples adaptations possibles, l’ARS Hauts-de-France a déterminé les zones en tension tout en portant une attention particulière à l’état de santé de la population et aux territoires défavorisés d’un point de vue social. Par ailleurs, les zones non retenues au sein du zonage peuvent bénéficier d’autres mesures d’accompagnement à l’échelon local.
Enfin, la réglementation prévoit une révision de l’arrêté régional définissant le zonage tous les trois ans. Une modification du zonage est possible en tant que de besoin pour tenir compte d’une éventuelle évolution de l’offre durant la période. Ce dispositif de zonage est construit de telle sorte qu’il offre constamment des marges de manœuvre et d’adaptation locale.
Pour autant, nous mesurons la contrainte qui est parfois ressentie dans les territoires. C’est pourquoi la ministre des solidarités et de la santé a souhaité que puisse être expérimenté un pouvoir de dérogation globale et complète aux règles nationales de zonage, en place depuis la fin de 2017, et pour deux ans dans quatre régions, dont les Hauts-de-France. L’ARS Hauts-de-France bénéficie de cette dérogation, qu’elle a mobilisée pour l’élaboration de son zonage. Peut-être estimez-vous que cette marge de manœuvre est trop étroite,…
Mme Valérie Létard. Beaucoup trop !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … mais l’évaluation de ce régime de dérogation est prévue très prochainement. Elle pourra éventuellement être l’occasion de revoir les différents plans mis en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour la réplique.
Mme Valérie Létard. Je serai brève, car mon temps de parole est presque écoulé.
Monsieur le secrétaire d’État, le mécanisme que vous évoquez n’est vraiment pas satisfaisant. Selon les indicateurs, les Hauts-de-France sont parmi les régions qui connaissent le plus de difficultés en France. Nous nous situons nettement au-dessous de la moyenne nationale. Vous pouvez envisager toutes sortes de correctifs, le fait est qu’il faut revoir le zonage. Il y va de la vie de milliers d’habitants des Hauts-de-France, qui ne sont pas pris en charge aujourd’hui.
maintien de la maternité du centre hospitalier de dinan
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, auteur de la question n° 693, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Michel Vaspart. Monsieur le secrétaire d’État, ma question s’adressait à Mme la ministre des solidarités et de la santé. Elle porte sur l’avenir de la maternité du Centre hospitalier René-Pleven à Dinan.
Appartenant au territoire de santé Saint-Malo-Dinan, qui couvre 138 communes pour 264 000 habitants, soit 8 % de la population bretonne, sur l’est des Côtes-d’Armor et le nord de l’Ille-et-Vilaine, l’hôpital de Dinan fait partie, depuis 2011, de la communauté hospitalière de territoire Rance Émeraude.
Avec une capacité de 603 lits, l’hôpital de Dinan est un établissement de proximité centré sur les activités de médecine, de gynécologie-obstétrique et de prise en charge des personnes âgées. Il compte 7 plateaux techniques.
Un projet de fusion des 3 centres hospitaliers de Dinan, de Cancale et de Saint-Malo est en cours d’élaboration à la demande de l’ARS Bretagne. Cette fusion devrait officiellement voir le jour au 1er janvier 2020.
À l’occasion de la cérémonie des vœux au personnel hospitalier en janvier 2019, la chef de service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Saint-Malo a mis le feu aux poudres en déclarant que cette fusion ne pourrait avoir lieu que si la maternité de Dinan était fermée, ou du moins si elle ne pratiquait plus d’accouchements.
Cette déclaration a suscité un vif émoi dans la communauté médicale dinannaise, chez les personnels de l’hôpital, auprès de la population locale et chez les élus du pays de Dinan, bien entendu.
Le territoire de santé a enregistré 2 457 naissances en 2017, dont près de 700 dans la seule maternité de Dinan, contre 778 en 2014. Certes, seules 59 % des parturientes du bassin de vie de Dinan accouchent à la maternité de Dinan, mais des marges de manœuvre existent pour faire augmenter ce taux, notamment en proposant des services complémentaires comme l’accouchement naturel.
Par ailleurs, si la situation financière de l’hôpital de Dinan est assez difficile – hausse des dépenses de gestion de 1 % chaque année depuis 2014, augmentation des charges de personnel de 1,7 % en moyenne annuelle, endettement croissant, déficit du service gynécologie-obstétrique –, des efforts de redressement ont été conduits en partenariat avec l’ARS.
Il semble par ailleurs que l’ARS soutienne le maintien de la maternité de Dinan et qu’elle souhaite que des investissements soient réalisés pour renforcer l’attractivité de la maternité.
Monsieur le secrétaire d’État, il est indispensable de rassurer les personnels et la communauté médicale de l’hôpital de Dinan, la population, ainsi que les élus locaux : quel est l’avenir de la maternité de Dinan ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Michel Vaspart, le socle populationnel de votre territoire permet d’envisager le maintien à Dinan d’un centre hospitalier de référence attractif, en mesure de couvrir les besoins des patients.
L’objectif est effectivement de conforter le Groupement hospitalier de territoire, le GHT, et de tendre vers la fusion des établissements, afin de renforcer la démographie médicale et de permettre une répartition et une graduation des soins adaptées aux besoins du territoire et de ses populations.
C’est dans ce cadre que l’agence régionale de santé, en liaison étroite avec les trois présidents des conseils de surveillance, respectivement maires des trois communes, avec la direction du GHT et les trois présidentes des commissions médicales d’établissement, a décidé d’acter cette fusion, qui doit s’appuyer sur la construction d’un projet médical partagé.
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une situation financière du Centre hospitalier de Dinan effectivement dégradée, vous l’avez rappelé, et doit permettre de développer son activité.
Concernant la filière périnatalité, le projet médical partagé du Groupement hospitalier de territoire Rance Émeraude, approuvé par le directeur général de l’ARS Bretagne en 2017, affiche trois objectifs : assurer l’accès géographique aux soins dans deux bassins relativement étendus ; veiller à assurer la sécurité de la prise en charge sur les deux sites existants ; formaliser une réelle collaboration entre les deux sites.
Le projet de territoire, et j’en viens à votre question précise, monsieur le sénateur, ne remet aucunement en cause l’avenir de la maternité de Dinan, ce que confirme le deuxième projet régional de santé publié par l’ARS en juin 2018. Ce dernier prévoit pour le territoire de Saint-Malo-Dinan deux maternités. Par ailleurs, la sécurité et la qualité des soins n’ont pas été mises en cause.
Enfin, la part des accouchements réalisés à Dinan, bien qu’elle ait connu une baisse de 13 % entre 2014 et 2017, se situe en réalité dans le même ordre de grandeur que la moyenne du département des Côtes-d’Armor et du territoire de Saint-Malo-Dinan sur la même période, qui a été, elle, de 11 %. En outre, elle correspond encore en 2018 à plus d’un tiers des accouchements réalisés sur le territoire concerné.
Le projet de territoire vise ainsi à conforter l’image de la maternité de Dinan, qui dispose d’un véritable potentiel de développement, et à donner plus de visibilité aux futurs parents sur l’offre proposée par l’établissement.
création de places supplémentaires dans les établissements publics accueillant des personnes âgées dépendantes
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, auteure de la question n° 702, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le secrétaire d’État, alors que la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a apporté des améliorations sensibles pour la prise en charge de nos aînés dépendants à domicile, le sujet de la prise en charge en établissement reste pendant. Lorsque le maintien chez soi a atteint ses limites, les familles sont trop souvent, hélas ! confrontées à la difficulté de trouver une place en Ehpad.
Aussi aimerais-je savoir quels moyens le Gouvernement entend dégager afin d’autoriser la création de places supplémentaires dans ces établissements, singulièrement dans les territoires tels que mon département de la Haute-Vienne, où les besoins sont les plus criants au regard de la pyramide des âges, et ce afin d’accueillir convenablement les personnes âgées en situation de grande dépendance qui ne peuvent malheureusement plus rester à leur domicile.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Perol-Dumont, en 2050, on le sait, car cela suscite un certain nombre de débats, près de 5 millions de Français auront plus de 85 ans, soit trois fois plus qu’aujourd’hui. Le nombre d’aînés en perte d’autonomie aura pour ainsi dire doublé.
Votre question porte donc sur un défi majeur qui nous concerne tous et que notre société doit relever aujourd’hui : comment bien accompagner nos aînés demain ?
Le rapport remis par Dominique Libault le 28 mars dernier aborde ce sujet dans tous ces aspects.
Comment améliorer la qualité de prise en charge des personnes ? Comment faire en sorte que chacun puisse choisir librement où il vieillira, sans que la question financière soit le premier critère, sinon ce ne serait plus un choix, sans avoir le sentiment d’être un fardeau pour ses proches ? C’est la question des aidants.
Vous posez en particulier la question du nombre de places en Ehpad et de leur accessibilité, mais la difficulté est aussi, et parfois surtout, celle du coût de l’entrée en Ehpad pour les personnes, cette question renvoyant à celle des financements publics apportés aux Ehpad comme aux personnes âgées.
Dans son rapport, Dominique Libault aborde dans le détail ces questions et formule des propositions ambitieuses.
Des mesures fortes ont également été engagées dès 2018, je le rappelle, avec une feuille de route destinée à répondre très vite à l’urgence qui s’exprimait dans ces établissements.
Les principales mesures de cette feuille de route portaient bien entendu sur le financement des Ehpad : moratoire dans la mise en œuvre de la convergence du tarif dépendance, accélération a contrario de la convergence sur le tarif soins pour permettre aux établissements de recruter plus de personnels soignants.
Aujourd’hui, sur la base des propositions de Dominique Libault, nous devons répondre à un double enjeu d’accessibilité et d’hétérogénéité de l’offre, à domicile comme en établissement. C’est donc à une réelle transformation de l’offre entre domicile et Ehpad que nous devons nous atteler, pour trouver la solution la plus adaptée aux besoins et aux budgets de chacun de nos aînés.
Pour cela, des mesures structurantes devront être prises dans une grande loi, laquelle sera présentée en conseil des ministres à l’automne, conformément à la volonté annoncée et réaffirmée du Président de la République. Les débats parlementaires seront ainsi l’occasion d’aborder prochainement, et dans le détail, ces sujets majeurs pour l’avenir de notre société.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour la réplique.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. J’entends votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais la réalité, c’est que, actuellement, les demandes de création de places portées par les conseils départementaux se heurtent très souvent – trop souvent ! – au refus des ARS, qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants pour autoriser la création de lits. Les listes d’attente s’allongent et les familles sont dans le plus grand désarroi. Nous pouvons tous ici en témoigner, nous en recevons régulièrement.
Si le sujet du coût du reste à charge, vous l’avez évoqué, est explosif, celui des délais d’attente avant d’obtenir une place en établissement ne l’est pas moins. Les deux appellent conjointement une réponse rapide sur les moyens précis, car c’est bien une question de moyens financiers, que le Gouvernement entend consacrer à la solidarité générationnelle.
Il est essentiel, monsieur le secrétaire d’État, que la loi annoncée prenne en compte la question du financement et qu’elle apporte des solutions pérennes pour que les familles ne soient pas pénalisées par une double peine : la difficulté à trouver une place, celle ensuite à faire face financièrement.
C’est toute la question de la solidarité et de la prise en charge de la solidarité à l’échelon national qui est posée et à laquelle cette loi devra répondre. Or, pour l’instant, cette solidarité repose beaucoup trop sur les départements.
nécessité de reconnaissance des auxiliaires de vie
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 709, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Martine Berthet. Monsieur le secrétaire d’État, le rapport Libault remis à Mme la ministre des solidarités et de la santé le 28 mars dernier pointant fortement la nécessité de mettre en œuvre un plan national pour les métiers du grand âge, permettez-moi de vous parler ce matin de la situation d’extrême urgence dans laquelle se trouvent les structures d’aide à domicile en zone de montagne. Celles-ci sont en effet confrontées à une baisse plus qu’importante de leurs effectifs salariés, la rémunération de ces personnels étant déconnectée de la réalité et des nécessités de leur travail.
C’est ainsi que l’ADMR – pour Aide à domicile en milieu rural – de Bozel, en Savoie, vient d’être confrontée au départ de 26 auxiliaires de vie sur 30, sans qu’il ait été possible de les remplacer. Ces baisses importantes de personnels et leurs conséquences sur la prise en charge des patients ont conduit à la démission de l’ensemble du conseil d’administration de cette antenne du réseau ADMR le 9 février dernier. Celle-ci est, dans l’attente, gérée par sa fédération départementale, mais le problème du recrutement reste intact.
En premier lieu, ces départs s’expliquent notamment par le planning à la minute, source de beaucoup de stress et de précipitation. Parallèlement, la rémunération n’est pas attractive, alors même que ces professionnels ont de lourdes responsabilités.
En Savoie, particulièrement en Tarentaise, la question de la rémunération est d’autant plus primordiale que le coût de la vie en station est important, mais également car cette vallée connaît une situation de quasi-plein emploi.
En second lieu, et cela constitue un élément majeur, le montant des frais kilométriques n’est pas adapté à nos zones montagneuses où les déplacements se comptent en temps et non en kilomètres, d’autant que ceux-ci ne sont désormais plus pris en compte pour les trajets retours.
Alors que les Ehpad sont surchargés, qu’il est indispensable de garder nos personnes âgées le plus longtemps possible dans leur environnement familial, que les classes de formation ouvertes n’arrivent plus à être remplies, il devient plus qu’urgent de reconsidérer le mode de recrutement, la rémunération et les conditions de travail des auxiliaires de vie.
Aussi, je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d’État, dans quels délais sera nommée la personne chargée des métiers du grand âge annoncée par Mme la ministre et si, dans le séquençage des mesures présentées, celle qui concerne les métiers du grand âge sera une priorité.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Berthet, le Gouvernement partage votre préoccupation sur la situation des salariés du secteur de l’aide à domicile, secteur qui connaît un fort déficit d’attractivité. Agnès Buzyn avait ainsi annoncé, le 30 mai 2018, lors de la présentation de la feuille de route pour les personnes âgées, une refonte du système de financement des services à domicile.
Les travaux menés en concertation avec les acteurs ont bien avancé et le rapport remis par Dominique Libault à l’issue de la concertation « grand âge et autonomie » qu’il a pilotée entre octobre 2018 et mars 2019, que vous avez évoqué, s’est appuyé sur ces travaux et sur les propositions de schéma de financement rénové pour faire des propositions ambitieuses et améliorer la qualité du service et l’attractivité pour les salariés du secteur. Ce rapport évoque justement les difficultés rencontrées par les professionnels que vous avez soulevées, à savoir la durée d’intervention, le temps de déplacement et les indemnités kilométriques, notamment dans certaines zones spécifiques.
Nous devrons désormais travailler sur la base du rapport à la meilleure façon de procéder pour que les financements apportés au secteur permettent réellement de mieux rémunérer les personnels et d’améliorer l’attractivité du secteur.
Au-delà de ces sujets sur l’aide à domicile, le Gouvernement a indiqué vouloir engager rapidement un grand plan Métiers pour revaloriser tous les métiers du grand âge. Il s’agit de travailler notamment sur quatre leviers de changement majeurs concernant les métiers du grand âge.
Le premier concerne les effectifs, qui doivent augmenter pour accroître le temps de présence auprès des personnes. Le deuxième a trait à la prévention de la pénibilité du travail. Le troisième porte sur les formations et les compétences, qui doivent évoluer pour mieux préparer les professionnels aux attentes nouvelles. Cette montée en compétence, cette évolution des métiers devront s’accompagner, me semble-t-il, de revalorisations salariales. Enfin, quatrième levier, des perspectives de carrière diversifiées doivent être ouvertes à ces professionnels.
À cette fin, je vous réaffirme l’engagement de Mme la ministre de la solidarité et de la santé : une personnalité qualifiée sera nommée très rapidement, sans que je puisse vous communiquer plus précisément la date, pour animer toutes les parties prenantes concernées par cette question des métiers du grand âge.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le secrétaire d’État. J’insiste sur le fait que les structures, qu’elles soient publiques ou privées, attendent la réalisation concrète des annonces qui ont été faites. Elles comptent sur vous pour que celles-ci n’en restent pas au seul stade de l’annonce.
application du plan pauvreté en outre-mer
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, auteur de la question n° 561, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Dominique Théophile. Monsieur le secrétaire d’État, le 13 septembre 2018, le Président de la République présentait les grandes lignes de la stratégie nationale de lutte contre les « inégalités de destin » et annonçait que 8 milliards d’euros seraient consacrés à sa mise en œuvre. Je salue plusieurs des initiatives de ce plan, notamment celles qui touchent à la protection de la petite enfance et au soutien apporté aux crèches : ce sont des sujets qui me sont chers et importants pour nos territoires.
Toutefois, aucune mention n’a été faite des outre-mer dans ce discours affirmant qu’il fallait « faire plus pour ceux qui ont moins ». La pauvreté y est pourtant bien plus massive qu’en Hexagone puisqu’elle touche une personne sur cinq en Martinique et huit personnes sur dix à Mayotte, par exemple. Une déclinaison classique du plan est prévue dans les territoires ultramarins comme dans les autres collectivités, mais, au-delà, aucune mesure prenant acte de cette situation particulière ne semble avoir été décidée.
Aussi faut-il rappeler que les revenus de solidarité active, dits RSA, versés par les conseils départementaux d’outre-mer ne sont pas compensés par l’État dans leur intégralité. Le nombre de personnes au RSA représente ainsi près de 22 % de la population en Guadeloupe. Si de nouvelles charges sont attribuées aux départements dans le cadre du plan national, il sera nécessaire de prendre en compte les coûts existants.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous expliciter les modalités de déclinaison du plan Pauvreté dans les outre-mer ? Des mesures spéciales sont-elles prévues pour ces territoires ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Théophile, vous le savez, et j’espère vous en convaincre si tel n’était pas le cas, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté prévoit un investissement fort de l’État dans les outre-mer. Les spécificités ultramarines ont été pleinement prises en compte, dès le départ, lors de son élaboration et de sa conception.
Il en est ainsi de l’île de la Réunion, retenue comme territoire démonstrateur, avec qui nous sommes en train de finaliser l’élaboration de la convention de lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi, ou encore de la Guadeloupe, sur la base du volontariat, qui pourra dans les mois à venir faire l’objet d’une convention ad hoc. Celle-ci traduira l’investissement nouveau de l’État en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté, aux côtés du conseil départemental. Près de 3 millions d’euros sont ainsi prévus en 2019.
Cette convention portera sur deux volets : d’une part, des engagements sur les objectifs « socles » de la stratégie, avec la prévention des sorties dites « sèches » de l’aide sociale à l’enfance, la création des référents de parcours pour un meilleur accompagnement des RSA, le lancement du premier accueil social inconditionnel et l’amélioration de l’orientation et de l’insertion des allocataires du RSA ; d’autre part, des initiatives nouvelles portées par votre collectivité permettant d’apporter des réponses spécifiques aux besoins de votre territoire.
Au-delà de cette contractualisation entre l’État et le département, le déploiement de la stratégie Pauvreté sur l’île de la Guadeloupe, porté par les territoires, se poursuivra.
La conférence régionale des acteurs se tiendra le 15 avril prochain. Cette rencontre devra permettre une appropriation des enjeux de la stratégie et la mise en place de l’animation de cette stratégie par les acteurs concernés, car c’est bien la spécificité et la force de la méthode adoptée par le ministère et son délégué interministériel, à savoir les collectivités territoriales, les associations et les personnes en situation de précarité. Ensuite, sur la base d’un diagnostic local coconstruit, des priorités seront définies en matière d’enfance, de jeunesse, d’insertion ou d’accès au droit.
Nous déploierons les mesures de la stratégie avec l’ouverture de nouvelles places de crèche sur l’île, la création de points conseil budget pour lutter contre le surendettement, le lancement des petits-déjeuners dans les écoles volontaires, la création de centres sociaux, le renforcement des interventions des éducateurs spécialisés, l’aide aux communes pour la tarification sociale dans les cantines, le développement de centres de santé ou encore le déploiement de la garantie jeunes pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi.
Enfin, je vous confirme qu’aucune charge nouvelle ne sera attribuée aux départements. Au contraire, des moyens nouveaux seront apportés aux outre-mer par la stratégie Pauvreté dans l’objectif effectivement de faire plus pour ceux qui ont moins.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour la réplique.
M. Dominique Théophile. Je vous remercie de ces explications, monsieur le secrétaire d’État. La situation, vous le savez, est quelque peu dégradée dans nos territoires. Je serai particulièrement attentif aux conclusions de la conférence des acteurs. Vos dernières annonces, que je suivrai attentivement, me semblent plus positives.
inscription de la verrerie de givors sur la liste des sites amiantés
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la question n° 676, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le secrétaire d’État, je débuterai mon intervention par un chiffre : 92 cas de cancers détectés parmi les 208 anciens verriers de Givors interrogés. Si cela ne suffisait pas à vous convaincre, j’ajouterais celui des maladies diverses contractées en rapport avec l’exposition des salariés aux matières toxiques utilisées par la verrerie de Givors, soit 82 !
C’est énorme. Pourtant, seize ans après la fermeture de cette verrerie, les salariés sont toujours en attente d’un reclassement du site en zone amiantée… Ce reclassement permettrait à ces femmes et à ces hommes d’obtenir un certificat d’exposition, de bénéficier d’un suivi post-professionnel et, le cas échéant, de voir reconnaître leurs pathologies comme des maladies professionnelles, accompagnées d’une indemnisation du préjudice d’anxiété pour les expositions diverses.
À l’heure actuelle, l’absence de certificat d’exposition aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques, dits CMR, constitue une entrave à leurs démarches de demande de suivi et de reconnaissance en maladies professionnelles auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM.
Monsieur le secrétaire d’État, sur les 645 anciens verriers membres de l’association des victimes, 211 sont décédés et 73 sont aujourd’hui malades. L’âge moyen des décès est de 70,5 ans, soit neuf ans de moins que la moyenne des hommes en France. Douze maladies professionnelles ont été reconnues, mettant en cause l’exposition au benzène, à l’arsenic, à la silice, à l’amiante, aux huiles minérales, aux hydrocarbures et aux solvants.
Plus que ce constat chiffré, je déplore le véritable parcours du combattant de ces victimes, souvent seules face à leurs maladies, à qui l’on veut faire croire qu’elles sont les seules responsables en accusant leur hygiène de vie, leurs radios des poumons ayant d’ailleurs étrangement disparu des dossiers médicaux. Au-delà de la question humaine, c’est d’une question de justice sociale et de rétablissement des responsabilités qu’il s’agit.
Dans cette perspective et compte tenu de ces éléments, quand le Gouvernement compte-t-il prendre des dispositions afin de reclasser cette zone mortifère en site amianté ? Ce reclassement, s’il n’a pas le pouvoir de soigner, aurait au moins le mérite d’apaiser la souffrance des victimes et de leurs familles.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, vous avez voulu appeler notre attention sur la situation des verriers de Givors, dont vous avez rappelé le parcours difficile et dramatique pour la plupart d’entre eux.
Dès 2012, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, ou Carsat, de Rhône-Alpes, qui avait été sollicitée par les représentants des salariés des verreries dans le cadre du comité technique régional n° 3, a mené une étude afin d’évaluer l’exposition aux produits chimiques du personnel en verrerie de verre creux de la région et de définir les mesures de prévention adaptées, qu’il s’agisse de la formation des personnels à l’usage des équipements de protection individuelle ou d’une meilleure information sur les risques.
Ces résultats ont été diffusés auprès de l’ensemble des acteurs de la prévention : les entreprises concernées, via le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, puis leur comité social et économique, ainsi que les préventeurs de la Carsat et les équipes des centres de consultations de pathologies professionnelles de la région.
Par ailleurs, les anciens salariés du régime général ayant été exposés à des substances ou des procédés cancérogènes pendant leur vie professionnelle peuvent, sur leur demande, bénéficier d’un suivi médical post-professionnel. Ce suivi, pris en charge par le Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, est accordé par la Caisse primaire d’assurance maladie sur production par l’intéressé d’une attestation d’exposition remplie par l’employeur et le médecin du travail.
Toutefois, ce qui arrive souvent, dans le cas où l’assuré est dans l’impossibilité de fournir cette attestation, notamment parce que l’entreprise a disparu, l’assurance maladie se chargera de vérifier l’effectivité de l’exposition avant de proposer à l’intéressé le suivi médical adapté. Les anciens salariés des verreries de Givors qui le souhaitent peuvent ainsi prendre contact avec leur caisse afin de mettre en place ce suivi, si tel n’est pas encore le cas.
En outre, les salariés et anciens salariés peuvent demander la reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie. Ils disposent pour ce faire d’un délai de deux ans à compter du certificat médical les informant du lien possible entre leur maladie et leur activité professionnelle ou à compter de la date de cessation d’activité si elle est postérieure.
Enfin, la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022 de l’assurance maladie-risques professionnels prévoit d’améliorer l’accompagnement des personnes dans leurs démarches visant à la reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie, ayant conscience de l’enjeu. Une expérimentation sera ainsi lancée, d’ici à l’été 2019, pour mieux informer les personnes sur l’origine potentiellement professionnelle de leur pathologie. En outre, l’information sur la procédure de reconnaissance sera améliorée, en mettant en place un accueil physique ou en diffusant un guide des droits et démarches des assurés, afin d’annihiler à l’avenir les parcours du combattant que vous évoquiez.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le secrétaire d’État, à l’ère de la simplification, de la réactivité, il serait bon d’appliquer ces concepts à ces ouvriers qui ont travaillé toute leur vie au prix de leur santé.
financement de la formation de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, auteur de la question n° 699, transmise à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Cédric Perrin. Ma question s’adressait à Mme la ministre du travail. Monsieur le secrétaire d’État, depuis plusieurs semaines, les artisans du bâtiment nous interpellent sur la situation très préoccupante du fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale, le Fafcea.
Jusqu’en janvier 2018, les cotisations de ce fonds étaient collectées par la direction générale des finances publiques. Ce sont maintenant les Urssaf qui en assurent le recouvrement. Comme vous le savez, cela ne fonctionne pas très bien et le financement de la formation professionnelle des artisans est gravement menacé. Les comptes présentent un déficit de 32 millions d’euros parce que 170 000 adresses d’entreprises ont disparu des fichiers. De 72 millions d’euros en 2017, on passe à 33,8 millions d’euros en 2018, et la collecte a encore diminué d’un tiers en 2019.
Je sais qu’une réunion s’est tenue au ministère du travail il y a quelques jours avec les parties prenantes et qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, est attendu d’ici au mois de juillet. Je sais également que vous avez décidé de reporter le remboursement des avances opérées au fonds d’assurance à 2020 et que des mesures d’urgence sont censées être prises par le biais de l’Association de gestion du financement de la formation des chefs d’entreprise, l’Agefice.
En dépit de ces annonces, les artisans m’alertent sur les engagements financiers du fonds d’assurance, qui sont toujours suspendus, notamment parce que la collecte pour 2019 est très inférieure à vos prévisions. De même, si l’Agefice se dit prête à soutenir la formation des artisans, cela ne se fera pas dans n’importe quelles conditions. Les salariés et les dirigeants salariés sont par exemple automatiquement exclus, si l’on s’en tient aux critères pratiqués par l’Agefice.
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’aurez compris, la situation manque de clarté et les artisans sont suspendus aux engagements financiers, qui ne sont pas encore clairement définis. Pouvez-vous donc nous éclairer précisément sur les mesures qui seront arrêtées par le Gouvernement concernant le financement du fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Perrin, vous m’interrogez, et après vous le sénateur Luche, sur la situation financière du conseil de la formation de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat, la CRMA, de Bourgogne-Franche-Comté.
Comme vous le savez, et vous en avez rappelé un certain nombre d’éléments que je vais réitérer devant vous, la collecte de la contribution à la formation professionnelle des artisans est assurée par les Urssaf et non plus par la direction générale des finances publiques, en application de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Cette modification des modalités techniques de collecte a entraîné des difficultés de trésorerie pour le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale, ainsi que pour les conseils de la formation.
Ces difficultés s’expliquent encore par le fait que de nombreux artisans salariés, assujettis à la fois à la contribution à la formation professionnelle en tant que travailleur indépendant versée au Fafcea et à la contribution à la formation professionnelle en tant que salarié versée à leur opérateur de compétences, ont refusé de s’acquitter, à l’automne 2018, de la contribution due en tant que travailleur indépendant, contestant la légalité de ce double assujettissement qui n’existe que pour les artisans.
Des mesures ont été prises rapidement par les services de l’État : l’Agence France Trésor a avancé 15 millions d’euros et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’Acoss, 18 millions d’euros. Des discussions se sont également rapidement engagées avec les chambres de métiers et de l’artisanat pour trouver une solution durable.
Ainsi que j’aurai l’occasion de le redire à votre collègue le sénateur Luche, plusieurs réunions ministérielles et interministérielles ont été organisées ces dernières semaines avec l’ensemble des acteurs concernés, notamment les dirigeants du Fafcea et les représentants de toute la filière. Ces réunions ont abouti à proposer un certain nombre de mesures d’ordre financier permettant de poursuivre la prise en charge des actions de formation des artisans, et ce sur l’ensemble de l’année.
Les versements de l’Acoss au fonds et aux conseils de la formation sont intervenus lundi 18 mars 2019, ce qui permet de traiter la situation sur le court terme. De plus, un gel des remboursements des avances accordées en 2018 a été décidé et un complément exceptionnel de financement sera apporté en 2019, dont les modalités précises sont en cours de définition.
Par ailleurs, vous le savez, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales a été lancée pour étudier le système de collecte et de répartition de la contribution à la formation professionnelle entre les fonds d’assurance formation des non-salariés et la situation comptable et financière du Fafcea et des conseils de la formation, afin de trouver une solution pérenne. Le rapport de cette mission sera remis à la fin du mois de juin prochain, afin d’inscrire les propositions qui seront retenues dans la durée, au plus tard le 1er janvier 2020.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour la réplique.
M. Cédric Perrin. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse me satisfait. L’urgence de la situation est évidente. Des formations n’ont pas lieu, d’autres sont interrompues ; or permettre à chacun de se former est une impérieuse nécessité.
Je rappelle que l’Agefice attend des garanties de l’État. Un certain nombre de critères n’étant pas remplis, les formations ne peuvent pas avoir lieu. Nous sommes évidemment dans l’attente d’une résolution rapide, sachant que le rapport de l’IGAS ne sera rendu qu’en juillet, mais des réunions sont en cours.
suspension des financements de la formation des artisans
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, auteur de la question n° 685, transmise à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur la même problématique que celle de Cédric Perrin, mais j’en rappellerai brièvement les étapes.
Depuis le 15 mars dernier, c’est-à-dire depuis presque un mois, les artisans ne peuvent plus bénéficier de leur droit à la formation. Pourtant, ces artisans restent prélevés de leurs cotisations. Surtout, dans plusieurs domaines d’activités, ces formations sont obligatoires pour exercer leur activité et travailler.
Quelle est la cause de cette perte du droit à la formation ? Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un problème lié à des changements administratifs ! En effet, la charge de la collecte des contributions à la formation professionnelle des artisans est transférée de la direction générale des finances publiques vers les Urssaf. Ensuite, les contributions sont reversées auprès des fonds d’assurance formation, notamment du Fafcea, que vous avez mentionné, monsieur le secrétaire d’État.
Lors de ce transfert de collecte, 170 000 entreprises artisanales répertoriées par le Trésor public ont disparu du fichier des Urssaf. La conséquence est que le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale affiche un déficit de 32 millions d’euros au titre de l’exercice 2018 et a dû suspendre le financement des formations des artisans le 15 mars dernier.
Le Gouvernement a été alerté sur ce sujet par nombre de mes collègues, notamment lors des questions au Gouvernement et par différents courriers. Aux dernières nouvelles, il semblerait qu’un autre fonds, l’Agefice, vienne temporairement financer la formation des artisans. Cette solution ne peut être que provisoire puisque cet organisme exclut les dirigeants salariés et les salariés des entreprises artisanales.
Monsieur le secrétaire d’État, l’artisanat représente de nombreux emplois dans nos territoires, pour la plupart non délocalisables. Un geste serait le bienvenu, comme de suspendre pour un temps les cotisations à la formation. Il serait logique, puisqu’ils ne peuvent plus être formés, qu’ils ne paient plus pour la formation.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet ? Surtout, quand les artisans pourront-ils de nouveau bénéficier de leur droit à la formation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Luche, permettez-moi de commencer par réaffirmer, s’il en était besoin, à quel point le Gouvernement partage avec vous la conviction que l’artisanat est le tissu économique de proximité qui irrigue tous nos territoires, le savoir-faire à la française dans toute son expression. Ces derniers mois, les actions que le Gouvernement mène pour développer la filière d’excellence qu’est l’apprentissage comme les différentes réformes conduites par Muriel Pénicaud concourent à conforter ces professionnels et à renforcer notre tissu d’artisans. C’est en tout cas notre volonté.
Vous attirez notre attention sur les risques de suspension du financement des actions du Fafcea. Cet organisme nous a interpellés, comme vous et un certain nombre de vos collègues.
C’est bien une mesure de simplification nous paraissant nécessaire qui est à l’origine d’un problème de cotisations, et in fine de financement, lié à une réduction du nombre de cotisants recensés au moment du basculement, certains d’entre eux ayant refusé de cotiser, je l’ai dit, se considérant comme doublement assujettis.
Afin de garantir la continuité du financement par le Fafcea et les conseils de la formation des actions de formation des artisans pour l’année 2019, plusieurs réunions ministérielles et interministérielles ont été organisées avec l’ensemble des acteurs, encore tout récemment. Elles ont abouti à proposer un certain nombre de mesures d’ordre financier pour parer à l’urgence. Comme je le disais précédemment, des versements de l’Acoss au Fafcea et aux conseils de la formation sont intervenus le 18 mars dernier, permettant de traiter la situation à court terme.
Parallèlement, un gel des remboursements des avances accordées en 2018 a été décidé et un complément exceptionnel de financement sera apporté en 2019, dont les modalités restent à définir, mais qui permettra d’assurer, à défaut d’un système pérenne, la dispense des formations sur l’année 2019.
Je rappelle à la Haute Assemblée qu’une mission de l’Inspection générale des affaires sociales portant sur le système de collecte et de répartition de la contribution à la formation professionnelle entre les fonds d’assurance formation des non-salariés et la situation comptable et financière du Fafcea et des conseils de la formation a été lancée, afin de trouver une solution durable. Son rapport sera remis fin juin, pour une décision au plus tard le 1er janvier 2020.
Nous avons le même objectif. Nous avons sauvé la situation à court terme cette année, mais l’enjeu est maintenant de trouver une situation pérenne. Ce sera l’objet du rapport et des décisions qui en découleront.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour la réplique.
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. J’ai bien noté les efforts qui vont être réalisés pour assurer la mise en place et la continuité de la formation. Je forme le vœu que tout se passe pour le mieux.
avenir des conseillers techniques sportifs
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, auteur de la question n° 705, adressée à Mme la ministre des sports.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le secrétaire d’État, la presse s’est de nouveau fait l’écho, il y a quelques jours, d’une note selon laquelle l’hypothèse d’un détachement progressif des conseillers techniques sportifs du ministère des sports vers les fédérations demeurait largement à l’étude.
Une lettre plafond du 26 juillet 2018 émanant du Premier ministre demande en effet une réduction du schéma d’emplois du ministère des sports à hauteur de 1 600 équivalents temps plein pour la période 2018-2022. Cette lettre précise que le schéma d’emplois reposera sur une transformation du mode de gestion des conseillers techniques sportifs et sur la réduction de leur nombre.
Cette perspective continue de susciter une très forte inquiétude dans le milieu sportif. Dès la nomination de Mme la ministre des sports, au mois de septembre dernier, le président du Comité national olympique et sportif français lui a fait part de son opposition au bouleversement d’un « système sur lequel repose en très grande partie l’organisation fédérale ».
Un rapport établi par l’Inspection générale de la jeunesse et des sports a aussi récemment pointé qu’un « scénario de rupture pourrait notamment se traduire par une désorganisation totale du système de performance sportive français », alors que notre pays doit, cent ans après les huitièmes olympiades, accueillir de nouveau les jeux Olympiques. Les auteurs de la mission d’évaluation soulignent « les réelles contraintes juridiques et financières, ainsi que le caractère déstabilisant pour le sport français » d’une telle ambition.
Au mois de mars dernier, réunis en assemblée générale, les inspecteurs généraux du sport ont aussi fait part de leur crainte d’une « dispersion d’effectifs déjà réduits, au risque d’une rupture majeure de la continuité du service public de l’État dans le champ du sport ».
Les caractéristiques démographiques actuelles du réseau des conseillers techniques sportifs doivent également nous appeler à la prudence. En effet, sans remplacement des départs à la retraite dans les dix années à venir, ce dernier perdrait 50 % de ses effectifs durant cette période.
Monsieur le secrétaire d’État, alors qu’un comité technique ministériel doit se tenir le 16 avril prochain, pouvez-vous nous faire part des axes actuellement retenus par le Gouvernement dans sa réflexion ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame Jouve, vous me permettrez de répondre au nom de la ministre des sports, Roxana Maracineanu, qui s’excuse d’être retenue par d’autres obligations.
S’agissant des conseillers techniques et sportifs, les CTS, et comme l’a rappelé le Président de la République en novembre dernier dans une lettre adressée aux sportifs, en particulier aux athlètes, « l’objectif poursuivi à travers ce changement de mode de gestion est simple : intégrer davantage ces personnels, dont le caractère public de l’emploi n’apparaît pas toujours nécessaire, à la vie des fédérations et leur permettre de mieux répondre aux attentes des clubs et des bénévoles ».
La ministre des sports a, pour sa part, souhaité dès son arrivée engager un travail de concertation, d’écoute et de dialogue sur ce sujet. Elle l’a rappelé récemment lors de son audition devant les députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Il est important de le redire : ces agents exercent des missions clés.
La rénovation du modèle que nous sommes en train de mener vise à renforcer l’autonomie des fédérations sportives en leur permettant de tirer pleinement parti de ces personnels, dont la compétence et la qualité du travail sont reconnues comme absolument nécessaires au développement du sport français.
Entraîneurs, formateurs et développeurs expérimentés, les CTS sont devenus des rouages clés du système fédéral et de la réussite de nos sportifs.
Rappelons d’ailleurs que c’est au lendemain de la « déroute » française aux jeux Olympiques de Rome que ces agents de l’État ont été placés au sein des fédérations sportives pour redresser les résultats tricolores, ce qu’ils ont fait avec succès.
Néanmoins, leur statut protégé fait débat depuis plusieurs décennies et leur multiple tutelle – État, mouvement sportif, collectivités – mérite d’être clarifiée. À l’heure où nous nous projetons vers une organisation plus responsable, plus autonome et plus transparente du mouvement sportif, cette forme d’ingérence de l’État dans la construction de la performance et de la formation paraît caduque.
Il s’agit non pas de supprimer les métiers des CTS, mais de revoir les modalités de gestion de ces professionnels. Dans ce cadre, un détachement de ces fonctionnaires vers les fédérations est en cours d’examen. Il se ferait sur la base du volontariat, après dialogue et examen au cas par cas.
Évidemment, il n’est pas question de fragiliser les petites fédérations, qui sont souvent des pourvoyeuses essentielles de médailles, mais il importe de trouver un dispositif équilibré permettant aux fédérations de mettre en œuvre leur stratégie sportive et de déployer leurs ressources humaines de manière autonome.
L’État n’a aucune intention de se désengager du sport ; l’évolution du statut des CTS se fera avec les agents et les présidents de fédération, dans le respect des métiers et dans un climat de confiance.
procès pénal de l’amiante
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, auteure de la question n° 614, transmise à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le secrétaire d’État, la Cour de cassation a rejeté, en décembre, le pourvoi des associations de défense des victimes de l’amiante du campus de Jussieu et du chantier naval Normed de Dunkerque. Ce pourvoi faisait suite à l’annulation, par la cour d’appel de Paris, des mises en examen des personnes impliquées dans ce scandale sanitaire, pour la plupart membres de l’ex-Comité permanent amiante, ou CPA, composé d’industriels, de scientifiques et de hauts fonctionnaires.
Vingt-deux ans après le dépôt des plaintes, alors que des dizaines de milliers de victimes sont à déplorer, la décision est sans appel : pas de procès pénal, car pas de responsables, et encore moins de coupables !
Les juges estiment qu’aucune responsabilité ne peut « être imputée à quiconque », en « l’absence de faute caractérisée » et compte tenu « du contexte scientifique de l’époque et de la méconnaissance des risques encourus ».
Faut-il rappeler pourtant que des travaux scientifiques ont démontré, dès les années soixante-dix, les dangers de l’exposition à l’amiante et qu’un rapport sénatorial de 2005 qualifiait le CPA de « lobby de l’amiante », cet organisme ayant fait « le choix de continuer à utiliser l’amiante et de retarder le plus possible son interdiction » ?
Madame la ministre, ce dossier ne peut pas être refermé. L’amiante tue toujours dix personnes par jour et tuera encore pendant de nombreuses années. Beaucoup de personnes se battent pour obtenir ce procès pénal.
Il n’est pas possible de continuer à se « réfugier » derrière la séparation des pouvoirs et de se contenter du sentiment du devoir accompli au moyen des indemnisations, aussi justifiées soient-elles.
À ce propos, j’accueille avec satisfaction une autre décision de la Cour de cassation, qui ouvre à tous les salariés ayant été en contact avec l’amiante la possibilité de faire valoir le préjudice d’anxiété.
Toutefois, il faut aller plus loin : l’injustice doit être réparée et les responsables doivent répondre de leurs actes. Cela passe par un procès pénal.
Je souhaite donc savoir, madame la ministre, ce que compte faire le Gouvernement pour empêcher toute impunité pénale des responsables dans le drame de l’amiante.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, prenant toute la mesure des souffrances des victimes de l’exposition à l’amiante, la ministre de la justice partage la légitime préoccupation de voir les procédures judiciaires engagées en ce domaine traitées avec toute l’efficacité et la célérité requises.
Il est vrai que la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, dans deux arrêts du 11 décembre 2018, les pourvois formés par les associations de défense des victimes de l’amiante dans les dossiers de l’affaire de Jussieu et du chantier naval Normed de Dunkerque.
Dans le cadre de l’affaire du campus de Jussieu, qui a débuté le 15 novembre 1996, plusieurs personnes physiques avaient été mises en examen des chefs d’homicides involontaires aggravés et de blessures involontaires aggravées, ainsi que trois personnes morales du chef de mise en danger de la vie d’autrui : l’université Paris VI Pierre-et-Marie-Curie, l’université Paris VII Denis-Diderot et l’Institut de physique du globe de Paris.
Par arrêt du 15 septembre 2017 confirmé par la chambre criminelle de la Cour de cassation en décembre 2018, la chambre de l’instruction de Paris a annulé les mises en examen des personnes physiques.
Concernant l’affaire du chantier naval Normed de Dunkerque, qui a fait l’objet d’une ouverture d’information judiciaire en 2006, trois personnes physiques avaient été mises en examen. Par arrêt du 15 septembre 2017, confirmé également par la Cour de cassation en décembre 2018, la chambre de l’instruction de Paris a annulé la mise en examen du membre du Comité permanent amiante.
Ces arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation confirment l’analyse de la chambre de l’instruction selon laquelle il n’existe pas d’éléments suffisants justifiant la mise en examen des personnes physiques précitées en « l’absence de faute caractérisée susceptible de [leur] être reprochée du fait de [leurs] fonctions au ministère du travail et de [leur] participation aux activités du [comité permanent amiante], d’autre part, faute pour [elles] d’avoir pu, dans le contexte des données scientifiques de l’époque, mesurer le risque d’une particulière gravité auquel [elles auraient] exposé les victimes ».
Pour autant, ces arrêts ne viennent pas mettre fin aux dossiers concernés et ne permettent donc pas de préjuger de l’issue judiciaire de ces procédures.
Un assistant spécialisé a d’ailleurs été spécifiquement recruté pour améliorer le traitement des dossiers de l’amiante.
Je vous affirme que la mobilisation du Gouvernement sur ce sujet est entière et n’a d’autre motivation que d’aboutir à une solution humainement acceptable et juridiquement incontestable.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Les proches des victimes décédées, toutes ces personnes empoisonnées qui vivent ou survivent aujourd’hui avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, demandent que justice soit rendue.
L’argent et les indemnisations ne font pas revenir les disparus, pas plus qu’ils ne rendent la justice. Il n’est pas acceptable que les responsables n’aient pas de comptes à rendre.
Cela dépasse la question de l’amiante. Cette décision de justice est comme un permis de continuer à empoisonner. Je pense au glyphosate ou autres pesticides, par exemple.
Rendre justice aux victimes de l’amiante, c’est aussi protéger les générations futures.
augmentation drastique des droits d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers extra-européens
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian, auteur de la question n° 660, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Madame la ministre, le Gouvernement a décidé d’augmenter drastiquement les frais d’inscription à l’université pour les jeunes étrangers non européens.
Les frais passent ainsi de 230 euros à 2 770 euros pour les licences et de 243 euros à 3 770 euros pour les masters. Cela aura des conséquences sur l’attractivité de notre enseignement supérieur à l’étranger.
Ma question porte sur l’impact de cette mesure sur les jeunes étrangers qui ont effectué toute leur scolarité dans l’un de nos 500 établissements scolaires installés à l’étranger.
Ce sont eux qui permettent de maintenir la viabilité financière de ce réseau mondial. Ces établissements accueillent aujourd’hui près de 60 % d’élèves étrangers, parmi lesquels 67 % envisagent de poursuivre leurs études supérieures en France.
L’objectif fixé par le Président de la République d’un doublement des effectifs dans les écoles françaises installées à l’étranger à l’horizon 2025 passe nécessairement par un accroissement des étrangers scolarisés, si l’on veut respecter l’équilibre financier.
C’est la raison pour laquelle je vous demande, madame la ministre, pour les jeunes n’appartenant pas à la communauté européenne, mais ayant suivi l’intégralité de leur cursus dans un établissement français à l’étranger, de bien vouloir envisager une diminution des frais d’inscription universitaires en France.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Renaud-Garabedian, vous l’avez rappelé, dans de nombreux pays, des familles font le choix de l’enseignement français pour son excellence reconnue et consentent des sacrifices financiers importants, les frais de scolarité s’élevant en moyenne à 5 300 euros par an et par élève dans un lycée français.
L’objectif de la stratégie Bienvenue en France est d’attirer davantage d’étudiants internationaux dans notre pays, francophones ou anglophones, pour leur permettre de s’insérer dans la francophonie.
C’est pourquoi nous avons choisi d’améliorer très fortement les conditions d’accueil, qui ne sont pas dignes de celles que les étudiants trouvent ailleurs sur les campus internationaux. Nous triplons également le nombre de bourses et d’exonérations à la disposition des postes diplomatiques et des ambassades, pour que tous les étudiants qui veulent choisir la France puissent le faire.
Vous m’interrogez sur la possibilité de déroger à ces droits d’inscription ou de les moduler lorsque les jeunes ont fait leurs études dans des lycées français.
Cela fait partie des discussions que nous avons avec les présidents d’université, ces derniers ayant la capacité, dans la construction de leur stratégie d’accueil et d’augmentation du nombre d’étudiants internationaux, de travailler avec des établissements partenaires et de passer des conventions avec ces derniers.
Plusieurs universités se sont déjà engagées à le faire avec un certain nombre d’écoles françaises, et je serai bien entendu très attentive à ce que tous les jeunes qui veulent venir étudier en France aient les moyens d’y être accueillis.
Parmi les élèves inscrits dans les lycées français à l’étranger, nous avons effectivement une proportion importante de jeunes qui souhaitent poursuivre leurs études en France. Ils le font néanmoins aujourd’hui majoritairement au sein de classes préparatoires ou d’écoles qui pratiquent des droits d’inscription bien plus élevés que ce que nous prévoyons pour les universités.
Il revient donc aux universités de construire avec ces établissements français à l’étranger leur stratégie d’attractivité.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian, pour la réplique.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Madame la ministre, j’espère que nous pourrons trouver ensemble un compromis. Cela me paraît à la fois nécessaire et juste.
double cursus médecine-sciences
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, auteure de la question n° 594, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Véronique Guillotin. Madame la ministre, en tant que membre du groupe de travail « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques », qui a pour mission de faire des propositions à votre ministère en vue de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés rencontrées par les étudiants en double cursus médecine-sciences.
Ce cursus permet l’acquisition d’une formation à la recherche et d’un doctorat de sciences au cours des études médicales.
L’objectif est de former des cliniciens à la recherche fondamentale, clinique et translationnelle. Grâce à leur double compétence, ces médecins participent à des activités de recherche et jouent ainsi un rôle déterminant dans le développement des innovations cliniques au service des patients.
Or, selon une étude de l’association Médecine Pharmacie Sciences, l’articulation entre les formations médicales et scientifiques reste insuffisante.
Parmi les problèmes évoqués par les étudiants figure notamment l’organisation actuelle des deuxième et troisième cycles des études médicales, qui, en l’absence d’aménagements, les oblige à interrompre pendant plusieurs années leurs activités de recherche. Les conséquences en sont un taux important de renoncement à la poursuite du parcours de recherche, voire, pour certains, un départ vers des pays valorisant davantage les doubles parcours.
Il apparaît par ailleurs difficile de mener un travail de recherche prolongé pendant l’internat de médecine. Il est nécessaire pour cela d’interrompre transitoirement son internat, un effort qui, pour l’instant, n’est pas valorisé dans la suite de la formation médicale.
Enfin, les difficultés se prolongent ensuite dans l’aboutissement d’un projet professionnel médecine-recherche, que les seules carrières hospitalo-universitaires ne suffisent pas à combler.
Ces éléments expliquent en partie les effectifs relativement faibles des étudiants engagés et persévérant dans un double cursus en France. Ils sont évalués à une centaine par an, soit environ 1,25 % des effectifs, contre 3 % à 5 % en Suisse, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Le volume de publications et de citations scientifiques de la France n’a pas non plus suivi la même croissance que celle des autres pays ces dernières années.
S’agissant d’un enjeu important pour l’attractivité et l’optimisation de la qualité des soins, mais aussi pour l’avenir de la recherche française, à laquelle je vous sais particulièrement attachée, madame la ministre, pouvez-vous me confirmer que ces éléments seront bien pris en compte dans le cadre de la réforme des études médicales ?
Certains de ces étudiants nous écoutent aujourd’hui. Ils reflètent l’excellence de notre système éducatif et sont en attente de solutions concrètes qui contribueront à maintenir, voire à faire progresser notre pays dans ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Véronique Guillotin, les questions de l’articulation entre les études de médecine et les cursus scientifiques au sens large et de la consolidation du lien avec la recherche pendant le temps des études sont au cœur des préoccupations du Gouvernement. Cela vaut pour le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation de notre système de santé comme pour la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui comprendra un volet spécifique consacré à la recherche médicale.
Comme vous le savez, l’article 1er du projet de loi Santé supprime le numerus clausus et ouvre la voie à une diversification des cursus, qui permettra de réserver une meilleure place aux sciences dès le premier cycle. Des étudiants ayant une appétence pour les sciences dites « dures » ou « inhumaines » pourront ainsi plus facilement s’engager dans un cursus médical.
L’accès au troisième cycle fait également l’objet d’une transformation substantielle à l’article 2 du projet de loi. Toutefois, une concertation est toujours en cours sur ce point et nos objectifs ambitieux ont justifié, à l’Assemblée nationale, un report d’un an de cette mesure.
Ce qui est certain, c’est que nous avons à cœur d’inciter les étudiants à s’initier à la recherche scientifique durant leur cursus et à en tenir compte pour l’accès au troisième cycle.
De façon générale, l’attractivité des carrières scientifiques est un enjeu majeur pour notre pays. Nous partageons cette conviction, et c’est pourquoi j’ai souhaité que vous participiez à l’un des groupes de travail dédié à cette question dans le cadre de la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Ce groupe de travail a vocation à aborder la question de l’entrée dans la carrière scientifique, et donc de la découverte de la recherche pendant les études, y compris en médecine.
Pleinement conscient de cet enjeu majeur, le Gouvernement souhaite aussi associer pleinement la communauté scientifique et le Parlement, afin d’ouvrir la discussion et de coconstruire les solutions qui nous permettront de mieux faire vivre et découvrir la recherche tout au long des études supérieures.
sorties pédagogiques des élèves scolarisés en milieu rural
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, auteur de la question n° 668, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Yves Daudigny. Ma question est simple et porte sur la problématique des sorties pédagogiques des élèves scolarisés en milieu rural. Elle s’adressait à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, mais, monsieur le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, j’aurai le plaisir d’écouter la réponse que vous me ferez !
Il y aura accord sur la nécessité de faciliter, en ville comme à la campagne, l’accès aux activités et sites culturels, ainsi qu’à la pratique sportive. Cet accès est déterminant dans des territoires de ruptures économiques et de précarités sociales. Des bassins de vie dans l’Aisne, la Thiérache par exemple, illustrent cette situation.
Aller à la découverte de l’art, favoriser la créativité, ouvrir sur le monde ou d’autres époques, donner confiance en soi, tout cela passe, pour les collèges et les lycées, par l’organisation de sorties pédagogiques. Mais les projets initiés sont confrontés à la problématique des transports dans le monde rural, où la route – le sujet est d’actualité – garde une place incontournable.
À Hirson, à la cité scolaire, le conseil d’administration a décidé en décembre 2016 d’acquérir un minibus d’une capacité de neuf places destiné à des déplacements pour la visite d’expositions, des compétitions sportives départementales, voire nationales, des voyages pédagogiques ou encore des forums de lycéens, dans le cadre du programme scolaire de l’année.
Pour ces déplacements autorisés par le chef d’établissement, les professeurs, sur la base du volontariat, conduisaient le véhicule avec la couverture d’une assurance tous risques.
Or récemment, Mme la rectrice de l’académie d’Amiens a rappelé l’interdiction faite aux enseignants de convoyer leurs élèves, pour quelque sortie que ce soit.
En conséquence, des projets ont dû être mis en suspens ou ont vu leur coût fortement augmenter, ce qui a eu pour conséquence de pénaliser les élèves malgré les initiatives et prises de responsabilité de leurs enseignants.
Monsieur le ministre, est-il possible d’envisager une évolution des textes réglementaires visant à donner plus de souplesse, au lycée ou au collège, avec l’accord du chef d’établissement et sur la base du volontariat des enseignants, à l’organisation des déplacements à caractère pédagogique ?
Une telle évolution bénéficierait d’abord à des établissements de territoires éloignés des métropoles ou des grands centres urbains. Elle contribuerait à faciliter l’ouverture à la culture et à garantir les mêmes chances en milieu rural qu’en milieu urbain.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Daudigny, je vais répondre à la place de Jean-Michel Blanquer. Il regrette de ne pas être présent parmi nous ce matin, n’ayant finalement pas pu se rendre disponible au dernier moment.
Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse encourage les sorties scolaires dans la mesure où elles offrent des expériences diversifiées en lien avec les apprentissages.
S’agissant du transport des élèves pendant des activités scolaires obligatoires et certaines activités périscolaires les prolongeant, un seul principe prévaut sur les autres, le recours à un conducteur professionnel. Ce principe est précisé dans la circulaire n° 2011-117 du 3 août 2011 relative aux sorties et voyages scolaires au collège et au lycée.
Ainsi, un personnel enseignant ne peut conduire un véhicule personnel qu’à titre exceptionnel, après y avoir été autorisé par l’autorité académique et quand l’intérêt du service le justifie. Il s’agit donc d’une mesure supplétive qui n’est utilisée qu’en dernier recours, c’est-à-dire en cas d’absence momentanée d’un transporteur professionnel ou de refus de celui-ci.
Par exception, sous réserve qu’une police d’assurance spéciale soit souscrite, une autorisation permanente d’utiliser leur véhicule personnel pour transporter les élèves peut être accordée aux enseignants et, dans les mêmes conditions, aux personnes privées détentrices de la carte de membre de l’Union nationale du sport scolaire, l’UNSS, de l’Union sportive de l’enseignement du premier degré, l’USEP, de l’Office central de la coopération à l’école, l’OCCE et des foyers socio-éducatifs, étant précisé que l’autorisation accordée peut être étendue aux départements limitrophes.
Toutefois, le Gouvernement a bien conscience de vos préoccupations liées aux déplacements en milieu rural, où la question du transport reste cruciale. La mise en place de projets pédagogiques se heurte aux contraintes du monde rural, où le moindre déplacement doit se faire en voiture ou en transport collectif, les principaux lieux culturels ou sportifs étant concentrés dans les zones urbaines.
Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse encourageant les sorties scolaires pour favoriser les expériences éducatives et pédagogiques, il est disposé à ouvrir une réflexion sur la circulaire du 3 août 2011 et les règles de conduite d’un véhicule de service dans le cadre d’une sortie scolaire.
extension de l’obligation scolaire
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, auteur de la question n° 700, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Olivier Henno. Ma question s’adressait elle aussi au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Le projet de loi pour une école de la confiance a été adopté le 19 février dernier par nos collègues de l’Assemblée nationale et sera examiné dans les prochaines semaines au sein de notre assemblée.
Les articles 2 à 4 de ce projet de loi traitent directement de l’extension de l’obligation scolaire, actuellement fixée de 6 à 16 ans, dès l’âge de 3 ans. C’est une mesure qui concrètement, on le voit, est indispensable.
Cette extension du principe fondamental d’instruction obligatoire est une bonne nouvelle pour les plus jeunes de nos concitoyens, notamment pour les familles les plus fragiles ou les plus éloignées de l’éducation.
Pour autant, si cette avancée est louable, il est nécessaire de rappeler qu’actuellement 97 % des enfants âgés de 3 à 6 ans sont déjà scolarisés.
Il me semble donc que ce projet de loi est l’occasion de conforter à la fois le rôle de l’école maternelle dans les premiers apprentissages des enfants et le rôle des enseignants du premier degré. C’est aussi une façon de renforcer les communes dans leur compétence en termes d’accès à l’éducation, comme le définit le code de l’éducation.
En effet, l’école maternelle obligatoire, c’est aussi la reconnaissance par l’État d’une équité de traitement avec l’école élémentaire, notamment en termes de remplacement des enseignants, de carte scolaire, d’ouvertures et de fermetures de classes.
L’article 4 du projet de loi prévoit que l’État attribuera des ressources aux communes qui justifieront, au titre de l’année scolaire 2019-2020 et du fait de cette seule extension de compétence, une augmentation de leurs dépenses obligatoires par rapport à celles qu’elles ont exposées au titre de l’année scolaire 2018-2019.
Un certain nombre de maires s’interrogent en vue de la prochaine rentrée. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous confirmer que l’État prendra en charge les frais liés aux nouveaux élèves qui s’inscriront au regard de l’extension de l’obligation scolaire – 3 % des enfants environ –, mais aussi, et surtout, que l’État continuera à contribuer pour les élèves de 3 à 6 ans déjà scolarisés, qui représentent l’immense majorité de cette classe d’âge ?
Pouvez-vous aussi nous éclairer quant à la nature de la prise en charge financière par l’État des investissements réalisés par les communes, notamment pour construire ou agrandir des écoles maternelles au regard du caractère obligatoire du service public de l’éducation dès l’âge de 3 ans ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je vous prie de nouveau de bien vouloir excuser M. Blanquer pour son absence et je vais vous lire la réponse qu’il a préparée à votre intention.
Vous avez appelé l’attention du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, et plus précisément sur les moyens mis à la disposition des communes pour compenser les surcoûts occasionnés par cette mesure.
L’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans correspond à une extension de compétences des collectivités territoriales. En application de l’article 72-2 de la Constitution, une telle extension doit faire l’objet d’un accompagnement financier de l’État. Les modalités de celui-ci seront précisées par un décret en Conseil d’État.
L’article 4 du projet de loi pour une école de la confiance prévoit, vous l’avez dit, que l’État attribuera des ressources aux communes qui enregistreraient durant l’année scolaire 2019-2020, et du fait de cette seule extension de compétences, une augmentation de leurs dépenses obligatoires par rapport à celles qu’elles ont exposées au titre de l’année scolaire 2018-2019.
L’augmentation des dépenses obligatoires de la commune s’appréciera au niveau de l’ensemble des dépenses relatives aux écoles élémentaires et maternelles publiques et des dépenses de fonctionnement des classes maternelles ou élémentaires des établissements privés sous contrat d’association.
Une fois déterminé, à l’issue de l’année scolaire 2019-2020, cet accompagnement fera l’objet d’un versement annuel pérenne. Il sera versé, selon les situations locales, soit à la commune, soit à un syndicat intercommunal ou à une intercommunalité ayant la compétence de scolarisation.
Par ailleurs, concernant les dépenses d’investissement qui seraient occasionnées par l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire, elles pourront être inscrites parmi les dépenses prioritaires que le représentant de l’État dans le département peut subventionner dans le cadre de la dotation de soutien à l’investissement local, de la dotation de politique de la ville et de la dotation d’équipement des territoires ruraux.
Enfin, compte tenu des perspectives démographiques pour l’ensemble de la population des élèves du premier degré, qui anticipent une baisse de 64 000 élèves à la rentrée 2019, une diminution significative des dépenses obligatoires du bloc communal est à attendre.
nécessité de l’enseignement du clitoris dans les programmes scolaires
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 718, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous lirez avec le même talent que votre collègue de l’éducation nationale et de la jeunesse les éléments de réponse à cette question qui vous ont été transmis. Vous me permettrez de noter que, au regard de votre portefeuille ministériel, vous n’étiez peut-être pas le mieux à même de répondre à une question sur le clitoris. (Sourires.) Vous vous occupez de l’ensemble des mammifères. Or le clitoris est l’un des rares organes à ne pas être commun à l’ensemble des mammifères femelles.
Le clitoris est l’organe essentiel du plaisir sexuel des femmes. Pourtant, il demeure un organe oublié de l’éducation nationale.
Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, en 2016, un quart des filles de 15 ans ne savaient pas qu’elles possédaient un clitoris et 83 % d’entre elles ignoraient sa fonction érogène. En revanche, elles étaient 53 % à savoir représenter le sexe masculin. Cette méconnaissance n’est pas surprenante ! En France, le corps de la femme n’est jamais représenté intégralement et correctement – ou il l’est très rarement – par les outils éducatifs à disposition des enseignants. En 2019, seul un manuel de sciences de la vie et de la terre sur huit décrit correctement le clitoris, les sept autres éditeurs ayant conservé des dessins erronés.
Il s’agit là d’une forme d’analphabétisme sexuel contre lequel l’école doit lutter : c’est un enjeu d’égalité. Le sexe de la femme n’est ni tabou ni honteux. Il faut que les nouvelles générations apprennent, enfin, comment est fait un sexe féminin – les familles ne sont pas toujours à même de transmettre cette information –, en particulier qu’elles sachent situer et comprendre l’organe qui est la source primaire du plaisir sexuel chez la femme.
Cette démarche a également des répercussions symboliques. Penser que le vagin est le symétrique du pénis, alors que c’est le clitoris, c’est se tromper au point de croire que les femmes sont dépourvues d’un organe de plaisir. La reconnaissance du clitoris permet donc de sortir de ce schéma sexuel dans lequel les femmes sont en situation de passivité ou de reproduction. Mettre sur un pied d’égalité les sexualités féminine et masculine, c’est lancer les bases d’une sexualité beaucoup plus respectueuse du désir et du consentement de l’autre.
Reconnaître le clitoris comme un organe de plaisir à part entière, c’est aussi mesurer la portée des mutilations sexuelles dans la volonté de détruire le désir féminin. L’excision est encore très largement pratiquée dans le monde et concerne également la France : l’Organisation mondiale de la santé estime à 180 000 le nombre de femmes risquant l’excision chaque année au sein de l’Union européenne.
Je sais que le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse répond traditionnellement que la liberté des enseignants et la rédaction des manuels scolaires ne lui permettent pas d’imposer totalement le contenu des programmes.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Laurence Rossignol. Pour autant, il lui revient de donner aux enseignants des consignes claires. Qu’entend-il faire pour que soit enseignée l’anatomie réelle des femmes et non une représentation tronquée ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, je ne répondrai pas à votre remarque liminaire, pour m’éviter des soucis ! (Sourires.) Je me contenterai de lire la réponse que Jean-Michel Blanquer vous aurait faite s’il avait pu être là – il ne peut être présent ce matin, ce dont je vous prie de l’excuser.
L’enseignement du fonctionnement et de l’organisation du corps humain est prévu dans le cas de l’éducation à la sexualité. Cet enseignement doit évidemment être adapté à chaque âge de l’enfant, comme le ministère de l’éducation nationale l’a rappelé dans une circulaire du mois de septembre 2018. C’est dans ce contexte de l’enseignement sur le corps humain et dans le respect du développement progressif de l’enfant que l’enseignement sur le clitoris s’inscrit.
Concernant la déclinaison de ces programmes dans les manuels scolaires, au nom des principes de la liberté d’édition et de la liberté pédagogique, le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse n’intervient pas directement dans le choix des manuels auquel procèdent les établissements.
Par ailleurs, vous appelez l’attention sur la question des mutilations sexuelles féminines. Vous avez raison, ces pratiques méconnaissent les droits fondamentaux de la personne, notamment l’intégrité physique et psychologique. Elles constituent l’une des formes de discrimination à l’égard des femmes. Ces violences sont enracinées dans les inégalités historiques entre les femmes et les hommes. Elles ont des conséquences non seulement immédiates, mais aussi durables sur la santé des femmes.
L’engagement de la France dans la lutte contre ces pratiques a été consolidé par la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, le 4 juillet 2004. Des mesures de sanctions sont prévues par le code pénal et le système judiciaire prévoit également des outils pour protéger les victimes sur le territoire national.
Ce cadre légal a été rappelé tout récemment dans une lettre adressée au mois de mars dernier aux recteurs et inspecteurs de l’éducation nationale, afin de renforcer la vigilance de la communauté éducative. En effet, les actions de prévention sur les pratiques de mutilation sexuelle peuvent se conduire à différents niveaux au sein des établissements. Des documents pédagogiques ont été réalisés pour accompagner la formation des personnels et la mise en œuvre des actions auprès des élèves. Ils ont été diffusés dans les rectorats et les établissements scolaires.
paiement des aides de la politique agricole commune
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, auteur de la question n° 612, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, ma question porte sur la simplification des dossiers PAC, ou politique agricole commune, et la célérité du paiement des aides, problème que vous connaissez bien et auquel vous répondrez sans doute plus aisément qu’à la question précédente. (Sourires.)
Nous pensions que la question des dossiers PAC et des délais de paiement des primes correspondantes était derrière nous. Nous avons tous en mémoire les changements de 2015 : les difficultés rencontrées par nos agriculteurs pour constituer leurs dossiers, les mesures de contrôle, les fonds de plan, la question de savoir si les bois pouvaient être pâturés ou pas, etc. Tout cela a entraîné des retards importants dans le paiement des primes au titre de la PAC.
À la fin de l’année 2017, vous avez estimé que ces problèmes étaient derrière nous. C’est pourquoi, dans le budget 2018, aucune mesure d’avance n’a été prévue – vous pensiez que les règlements pourraient maintenant intervenir dans des délais raisonnables.
Or le problème s’est de nouveau posé, notamment dans le cadre des contrôles. Si je ne suis pas opposé aux contrôles, reste que, à partir du moment où un agriculteur faisait l’objet d’un contrôle, les primes étaient bloquées de manière anticipée, ce qui est intellectuellement curieux et a posé des problèmes pratiques non négligeables.
Je souhaite donc savoir ce qui peut être fait. Laissez-moi reformuler la question de manière plus directe : les difficultés auxquelles sont confrontés nos agriculteurs sont-elles de nature européenne et provoquées par la structure de ces aides ou sommes-nous retombés dans nos errements franco-français en matière de modalités d’application ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Philippe Bonnecarrère, la réponse est : un peu les deux ! Cependant, ce problème a surtout une origine européenne. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
Vous le savez, la France a une capacité formidable pour mettre en place des règles et des transpositions qui rendent les situations difficiles.
En l’occurrence, votre question précise est très importante. Il est impossible de verser des aides européennes lorsqu’un contrôle a lieu. C’est une règle, une directive européenne, à l’encontre de laquelle je suis au regret de vous le dire que l’on ne peut pas aller.
La réglementation européenne impose que l’ensemble des contrôles soient réalisés avant le versement des avances ou des aides PAC. La France a déjà obtenu de la Commission européenne une dérogation pour pouvoir verser des avances après les seuls contrôles administratifs, lesquels comprennent les visites rapides. Il n’est pas envisageable de faire évoluer cette règle de bonne gestion, qui évite d’avoir ensuite à recouvrer auprès des agriculteurs les sommes indûment versées. Cette situation est pire – il n’est qu’à se rappeler ce qui s’est passé voilà une vingtaine d’années.
La règle est normalement bien connue de tous les agriculteurs, mais a pu être oubliée depuis 2015, lorsque des avances de trésorerie – il ne s’agissait donc pas d’avances PAC – avaient été consenties à tous les agriculteurs et payées par l’État. La différence est là.
De même, pour préserver l’efficacité des contrôles, il n’est pas possible de prévenir les agriculteurs contrôlés plusieurs semaines à l’avance. En compensation, les avances PAC sont versées de manière régulière pour intégrer les résultats des contrôles au fil de l’eau.
Pour mémoire et je veux le rappeler, je le dis souvent à mes interlocuteurs, la France est l’un des rares pays européens – ils se comptent sur les doigts d’une main ! – à avoir mis en place ce système d’avances. En Allemagne, les agriculteurs ne perçoivent les aides qu’au début du mois de janvier, lorsque l’ensemble des contrôles ont été réalisés.
Je connais bien ce sujet. On pourrait toujours aller plus loin, mais le mieux est l’ennemi du bien et il faut veiller à ne pas avoir à réclamer aux agriculteurs des aides qu’ils auraient pu percevoir indûment. Aussi, les avances sont versées lorsque des contrôles administratifs ont lieu. Pour le reste, je suis au regret de ne pas pouvoir répondre favorablement à votre question. Toutefois, je vous indique que je veille comme le lait sur le feu à ce que tout se passe dans les règles de l’art.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, je retiens votre dernière formule. Même si le mieux est l’ennemi du bien, je ne peux que vous inciter, même si vous avez bien conscience du problème, à continuer ce travail de décorsetage et de « facilitation » à l’échelon tant franco-français qu’européen. Ce dernier échelon n’est jamais qu’une part de nous-mêmes, puisque, en cette matière, notre pays est tout à fait codécideur.
Je vous remercie de votre action de simplification et d’amélioration pour nos agriculteurs.
programme leader 2014-2020
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, auteur de la question n° 638, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jean-Marie Morisset. Monsieur le ministre, un grand quotidien national titrait en première page le 19 mars dernier : « Aides européennes, un fiasco français ». Vous l’avez compris, je souhaite évoquer la situation du programme européen de liaison entre actions de développement de l’économie rurale, ou programme Leader.
Au mois de septembre 2016, deux ans après le début de la période de programmation, l’association Leader France nous alertait. Deux tiers des conventions n’avaient pas été signés. La désorganisation des régions était principalement pointée du doigt à la suite de leur mouvement de fusion et de réorganisation.
En 2018, la même association appelait à un plan de sauvetage face au retard accumulé dans l’engagement et le paiement des projets. Les régions, devenues autorités de gestion sans toutefois en maîtriser ni l’instruction ni le paiement, espéraient alors pouvoir résorber le retard.
Alors que près de 700 millions d’euros de fonds européens ont été accordés à la France, seuls 13,5 % des fonds ont été programmés à ce jour et 5 % ont été payés en France. Dans le plus récent classement européen, la France se situe en avant-dernière position devant la Slovaquie en matière de consommation des fonds.
Dans mon territoire, en particulier pour le Leader du pays de Gâtine, depuis le 29 février 2016, 80 porteurs de projets ont été accompagnés : 67 ont déposé des dossiers, 12 comités de programmation ont été tenus, 36 dossiers ont été validés, mais seulement 14 demandes de paiement ont pu être envoyées en instruction et, à ce jour, 1 seul dossier a été payé… Alors que 1 614 745 euros ont été alloués au pays de Gâtine, combien pourra-t-il en consommer ?
Symboliquement, c’est l’idée européenne qui pâtit de notre incapacité à nous organiser et à bâtir un système efficient aux dépens d’un système administré et nébuleux.
On nous dit qu’une année pourrait être accordée en plus pour récupérer ce retard. Quant à la renégociation des nouveaux dispositifs, la France sera-t-elle en mesure de demander de nouvelles enveloppes significatives ?
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas responsable du circuit de gestion français du programme Leader, mais que comptez-vous faire avec les régions pour sauver durablement le bateau Leader avant qu’il ne finisse par s’échouer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Morisset, que voulez-vous que je vous dise ? Vous avez raison ! La situation est incroyable, inacceptable : si, à un mois des élections, la France perdait 700 millions d’euros et devait les rendre à l’Union européenne, nous aurions bien du mal, vous et moi, à convaincre nos concitoyens d’aller voter pour cette belle idée qu’est l’Europe – parce que c’est une belle idée.
Sur ce dossier, la complexité est réelle. Cela montre combien la future PAC devra être beaucoup plus simple d’utilisation, beaucoup plus simple dans les relations entre l’État et les régions afin que l’on ne se retrouve plus dans cette situation.
Nous parlons de 700 millions d’euros pour la PAC 2014-2020 destinés à des projets en milieu rural. Je partage votre avis, monsieur le sénateur, nous connaissons la situation de nos territoires.
Cette enveloppe – et c’est pour cela qu’on ne pourra pas continuer ainsi dans la prochaine PAC – a la particularité d’être mise en œuvre par les groupes d’action locale sous la responsabilité des conseils régionaux : cela fait déjà trois structures ! Depuis 2014, cela relève de la responsabilité des conseils régionaux, qui ont sélectionné 340 groupes d’action locale et qui ont en charge la sélection et l’instruction des projets.
L’État est lui chargé de la production des outils informatiques nécessaires à l’instruction et au paiement.
Depuis le mois de mars 2018, le Gouvernement a renforcé sa mobilisation en tant que facilitateur pour appuyer l’action des régions, dans le cadre d’un plan de sauvetage de Leader. C’est en effet un plan de cette nature qu’il faut mettre en œuvre.
Le premier point a été de livrer les outils informatiques nécessaires à l’instruction des dossiers.
Le Gouvernement a aussi mis en place un groupe d’échange entre les régions et l’Agence de services et de paiement pour favoriser la diffusion des bonnes pratiques des régions les plus en avance ; il y en a pour lesquelles cela marche plutôt bien et sur lesquelles je veux m’appuyer.
Enfin, au mois d’avril 2018, l’État a déployé un programme de formation et d’accompagnement des personnels des régions chargés de l’instruction. Je regrette néanmoins que toutes les régions n’aient pas souhaité y participer.
Aujourd’hui, le rattrapage du retard accumulé relève de la compétence des conseils régionaux. Cette situation illustre bien la nécessaire simplification des responsabilités pour la future PAC. Les services du ministère, que j’appuie, mettent tout en œuvre avec les régions pour y arriver.
Il serait absolument inacceptable de perdre cet argent. J’ai évidemment commencé à discuter et à négocier à l’échelon européen, afin que, pour le cas où nous n’arriverions pas à rattraper l’ensemble du retard, nous puissions reporter l’enveloppe.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour la réplique.
M. Jean-Marie Morisset. Monsieur le ministre, il faut se rappeler que, en 2013, la France a restitué 1,2 milliard d’euros d’aides européennes qu’elle n’avait pas utilisées.
M. Jean-Marie Morisset. Il faut éviter que cela ne se reproduise. Vous m’en avez donné l’assurance.
Il est vrai que les régions sont totalement mobilisées pour sauver le programme Leader. Elles ont mis en place des plans de sauvetage des porteurs de projet. Elles déploient des moyens considérables en termes de personnels. Certaines financent même des avances de trésorerie. D’autres ont fait le choix de financer directement sur leurs crédits propres les projets urgents.
Tout cela sera-t-il suffisant ? Il est à craindre que de nombreux projets ne restent dans les cartons et que des porteurs de projets ne se trouvent en difficultés. En effet, les règles se sont tellement complexifiées depuis le dépôt de leur dossier…
M. Jean-Marie Morisset. … qu’ils risquent de ne pas retrouver l’aide demandée au moment du règlement final.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d’honneur, d’une délégation de trois parlementaires de l’Assemblée nationale du Koweït, conduite par M. Abdulkarim Al Kandari, président de la commission des affaires étrangères. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, se lèvent.)
La délégation est accueillie au Sénat par les membres du groupe d’amitié France-Pays du Golfe, présidé par notre collègue Jean-Marie Bockel. Elle se trouve en France dans le cadre d’une visite d’étude consacrée au renforcement des liens entre l’Assemblée nationale du Koweït et le Parlement français.
Après une réunion de travail avec nos collègues du groupe d’amitié, la délégation sera notamment reçue par le président de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, notre collègue Christian Cambon.
Cette visite fait suite à la mission menée au Koweït par une délégation du groupe d’amitié du Sénat en décembre dernier, qui a permis de souligner l’importance et l’intérêt des échanges entre nos parlements, ainsi qu’à une précédente mission koweïtienne, organisée en juin 2018.
Le dynamisme de notre relation interparlementaire souligne aussi le rôle institutionnel du Parlement au Koweït. Il pourrait trouver une nouvelle expression dans des contacts prochains au niveau des présidents de nos deux assemblées, au Koweït ou en France.
Mes chers collègues, permettez-moi, en votre nom à tous, de souhaiter à nos homologues de l’Assemblée nationale du Koweït une cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État, applaudissent longuement.)
4
Croissance et transformation des entreprises
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la croissance et la transformation des entreprises (texte n° 382, résultat des travaux de la commission n° 416, rapport n° 415).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est saisi en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou Pacte, un texte dont vous savez à quel point il est attendu par notre économie.
Nous avons eu de longs débats, en commission spéciale puis en séance publique. Nous avons amélioré le texte ensemble, parce que, en tant que représentants des territoires, vous connaissez mieux que quiconque les besoins des entreprises. Vous savez qu’une entreprise ne se définit pas en premier lieu par sa taille ou son activité, mais par son territoire. Grâce à cette expertise, nous avons pu affiner le texte.
Vous savez que Pacte est attendu par les salariés, impatients de bénéficier, notamment, des nouveaux dispositifs d’intéressement et de participation et d’être mieux associés à la gouvernance de leur entreprise.
Attendu, Pacte l’est aussi par les chefs d’entreprise, impatients de voir mises en œuvre les simplifications importantes prévues en matière de création d’entreprise, d’embauche et de rebond. Ils attendent la simplification des registres, des déclarations administratives et de la transmission des entreprises. Ils attendent aussi la simplification des seuils sociaux.
Attendu, Pacte l’est en outre par les épargnants, auxquels la réforme de l’épargne retraite garantira plus de flexibilité, de liberté et de transparence.
Attendu, Pacte l’est encore par les jeunes générations, car nous redéfinissons le rôle de l’entreprise dans la société en lui donnant la possibilité de se doter d’une raison d’être. Les jeunes générations attendent des entreprises qu’elles donnent un sens à l’économie, qu’elles se battent pour l’inclusion et pour une croissance durable : c’est ce que nous avons voulu affirmer en modifiant le code civil.
Enfin, Pacte est attendu par notre industrie, car toutes ces mesures vont permettre de lever les blocages qui limitent la réindustrialisation de tous les territoires de France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en ai la conviction : la France fait face à des défis historiques, sûrement les plus brutaux et les plus décisifs des dernières décennies. En effet, les révolutions technologiques menacent de reléguer notre économie dans les dix prochaines années, non pas à la septième ou à la huitième place dans l’ordre des économies mondiales, mais à la dixième, voire à la quinzième, derrière le Mexique, le Brésil ou l’Indonésie.
Dans ce contexte, nous devons changer de modèle de croissance et de consommation, pour le rendre plus durable. Dans le même temps, nous devons répondre à la hausse des inégalités depuis une décennie.
Le projet de loi Pacte répond à ces défis. Le rejeter, ce serait se résigner à ne pas les relever ; ce serait préférer abandonner notre souveraineté technologique, le combat pour une croissance durable et pour un capitalisme plus respectueux, plus égalitaire et plus conforme à notre tradition européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. Michel Canevet, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous aurions souhaité que la commission mixte paritaire soit abordée de façon beaucoup plus positive et soit conclusive. Tel n’a, hélas, pas été le cas.
Nous le déplorons d’autant plus que le Sénat a beaucoup travaillé sur ce projet de loi. Peut-être pourrons-nous nous consoler en considérant que, sur les 225 articles du texte, 114, soit un peu plus de la moitié, ont été votés conformes. Il n’en demeure pas moins que, sur un certain nombre de sujets extrêmement importants, un accord n’a pas pu être trouvé entre les deux chambres, ce qui est tout à fait regrettable.
Ce matin, madame la secrétaire d’État, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, a évoqué de façon plutôt positive les réformes menées en France pour favoriser la croissance.
M. Richard Yung. C’est vrai !
M. Michel Canevet, rapporteur. Il faut poursuivre dans cette direction.
Pour cela, nous avons, au Sénat, la conviction qu’il faut continuer à simplifier la vie des entreprises. Malheureusement, sur un certain nombre de points, nos propositions pour aller un peu plus loin en ce sens n’ont pas été retenues.
S’agissant des commissaires aux comptes, ils auraient accepté la version évolutive proposée par le Sénat – ma collègue Élisabeth Lamure y reviendra.
Des dispositions importantes touchent à l’orientation de l’épargne vers l’économie. Il est essentiel que des moyens financiers soient alloués à nos acteurs économiques pour leur permettre de se développer en France. Or, dans mon département, Finistère Angels, qui participe au capital de petites entreprises, a investi 148 000 euros en 2018, contre 1,4 million d’euros l’année précédente, et la tendance est la même dans les autres départements bretons : preuve qu’il reste encore beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine.
Nos regrets concernent notamment les taux dérogatoires pour le forfait social, qui n’ont pas pu être unifiés à hauteur de 10 % – un objectif vers lequel il faudrait tendre aussi pour la fiscalisation de l’intéressement et de la participation, des dispositifs de la plus haute importance pour favoriser l’implication des salariés dans la vie de l’entreprise.
Nous aurions souhaité aussi que le salarié ait une liberté de choix plus grande pour l’affectation de son épargne, entre placements longs, notamment pour la retraite, et perception immédiate.
En ce qui concerne l’accord d’intéressement, nous aurions voulu qu’il soit un peu simplifié : lors des récentes rencontres salariales de l’épargne organisées par l’association Fondact, auxquelles, madame la secrétaire d’État, vous avez également assisté, j’ai entendu des chefs d’entreprise expliquer qu’il faudrait pouvoir conclure des accords à tout moment de l’année. Cela nous semble tout à fait logique : pourquoi attendre, parfois longtemps, quand on s’est mis d’accord ?
J’appelle aussi l’attention du Gouvernement sur les risques très élevés de contentieux liés à la modification du code civil opérée par l’Assemblée nationale. Il me semblait que la formulation adoptée par le Sénat réduisait ces risques. Je regrette qu’elle n’ait pas été retenue.
Les sociétés à mission prévues à l’article 61 septies sont un concept intéressant, mais il eût fallu que les entreprises puissent librement s’organiser. Au lieu de quoi l’Assemblée nationale a fixé un cadre à notre sens trop contraignant.
L’article 62 quinquies, qui prévoit la nullité des délibérations si la parité n’est pas respectée, présente aussi des risques juridiques extrêmement forts. Il faut être vigilant à cet égard.
Par ailleurs, nous devrions éviter de nous trouver en situation de sur-transposition, ce qui est le cas en matière de transparence des rémunérations comme de responsabilité de plein droit des agences de voyages.
S’agissant enfin du recours aux ordonnances, si nous nous félicitons d’avoir pu introduire des évolutions en ce qui concerne le gaz et la dématérialisation des factures, cela n’a pas été possible pour l’électricité, alors que nous avions accompli un travail important sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au début de ces débats, je veux vous faire part du sentiment de déception partagé par les trois rapporteurs : le projet de loi Pacte a été dévoyé par les privatisations, qui auraient dû faire l’objet d’un projet de loi distinct. De fait, cette question, qui ne concerne nullement les entreprises, a masqué tout le reste, y compris dans les médias, au détriment même de la communication du Gouvernement envers les entreprises.
En dehors des privatisations, ce texte aurait pu, et même aurait dû recueillir une large majorité dans les deux assemblées, autour de mesures utiles, à défaut d’être toujours ambitieuses ou novatrices.
Des ouvertures étaient possibles sur de nombreuses dispositions, comme nous l’avons constaté en première lecture, mais peu ont été suivies d’effet, même si un certain nombre d’apports du Sénat – pas les plus importants – ont été conservés par l’Assemblée nationale. Nous avons le sentiment que ces ouvertures ont été victimes des privatisations, alors qu’elles prolongeaient la logique initiale du projet de loi, au service des entreprises.
Sur la question des seuils d’effectifs, par exemple, nous avons relevé à cent l’ensemble des seuils aujourd’hui fixés à cinquante salariés dans le code du travail, un niveau qui constitue un réel frein à la création d’emplois et à la croissance des entreprises. Nous étions prêts à trouver un compromis autour de soixante-dix, un seuil qui a du sens du point de vue économique, tout en excluant du dispositif les institutions représentatives du personnel. Nos collègues députés n’ont pas saisi cette occasion.
S’agissant de la réforme du contrôle légal des comptes, je rappelle que nous en avons accepté l’économie générale, alors même que nous avions de sérieuses réserves quant à son incidence sur la sécurité financière des sociétés, sur la profession et sur le maillage territorial des petits cabinets.
Outre des modalités de contrôle renforcées dans les groupes, nous avons proposé un report de l’entrée en vigueur de la réforme à 2021, pour permettre à la profession de s’adapter à ce changement brutal et de développer de nouveaux services. Sauf pour l’outre-mer, ces ajustements n’ont pas non plus été pris en compte, et la réforme s’appliquera dès le 1er septembre 2019.
L’Assemblée nationale n’a pas davantage conservé le droit pour les actionnaires minoritaires d’obtenir la désignation d’un commissaire aux comptes, même si elle a réintroduit cette faculté, sous une autre forme, me semble-t-il, dans la proposition de loi sénatoriale de simplification du droit des sociétés, examinée à la fin du mois de mars dernier et qui devrait revenir prochainement devant notre assemblée.
En ce qui concerne la réforme des réseaux consulaires, si les députés ont conservé l’essentiel des dispositions adoptées par le Sénat, ils sont néanmoins revenus sur plusieurs points. Ils ont ainsi rétabli l’obligation pour les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat au niveau régional d’adopter après chaque renouvellement un plan de mutualisation des actions. Ils ont réintroduit le dispositif, que le Sénat avait jugé inutile, visant à limiter le nombre de mandats d’un président de chambre de commerce et d’industrie.
L’Assemblée nationale a également rétabli son dispositif de première lecture tendant à confier à CCI France le monopole de la représentation des intérêts nationaux des chambres de commerce et d’industrie et à lui permettre de fixer des règles de recrutement des directeurs généraux de chambre. Elle a rétabli l’obligation de conclure des conventions avec les régions pour la mise en œuvre du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation.
S’agissant du stage préalable à l’installation pour les artisans, l’Assemblée nationale a supprimé de nouveau purement et simplement toute obligation, alors que le Sénat avait proposé, dans une démarche de compromis, d’assouplir les modalités actuelles du stage, tout en lui conservant un caractère obligatoire.
À l’instar de notre commission spéciale, qui n’a pas été suivie en séance publique, l’Assemblée nationale a aussi fait le choix de maintenir la faculté pour l’Institut national de la propriété industrielle, l’INPI, de s’opposer à la délivrance d’un brevet dépourvu d’activité inventive ou d’application industrielle. Il faudra veiller, madame la secrétaire d’État, aux moyens humains de l’INPI, pour que celui-ci puisse assurer de manière effective cette nouvelle mission.
Pour ce qui est de l’interdiction des produits en plastique à usage unique et des produits phytopharmaceutiques, l’intervention du Sénat a été utile, en permettant de revenir sur les excès de textes récents. Nos collègues députés ont globalement suivi nos propositions sur le fond, ce dont il faut se féliciter.
Enfin, l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a renoncé à la création d’une nouvelle délégation parlementaire à la sécurité économique, votée en première lecture sans aucune concertation avec le Sénat. Sur ce point, le dialogue bicaméral a permis de revenir à la raison.
Mes chers collègues, nous nous sommes efforcés, tout au long du parcours parlementaire de ce texte, de mieux accompagner la croissance et la transformation des entreprises. Force est de constater que l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, ne nous a pas suffisamment suivis.
C’est notamment pour cela que la commission spéciale a fait le choix de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi, motion qui sera défendue par Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot. (MM. Laurent Duplomb et Didier Mandelli applaudissent.)
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je n’aime pas les questions préalables, par principe, parce qu’elles nient le rôle d’une assemblée parlementaire, qui est d’améliorer les textes. Elles traduisent une incapacité à apporter un mieux à la loi.
M. Richard Yung. Très juste !
M. Philippe Adnot. Je ferai pourtant une exception cet après-midi… (Exclamations amusées.)
M. Roger Karoutchi. À la bonne heure !
M. Philippe Adnot. Je pense en effet que ce projet de loi aurait mérité d’être divisé en plusieurs textes : en mélangeant tous les sujets, on a fermé la discussion, alors même que l’ambiance générale actuelle, qui pousse au dialogue et à l’échange, plaidait pour le contraire.
J’ai d’autant plus de regrets que ce texte, au départ, nous laissait quelque espoir de redynamiser l’économie. Certes, on y trouve des dispositions utiles, mais il y a aussi de nombreux rendez-vous manqués. Je pense en particulier aux seuils sociaux : attendu et espéré, ce texte aurait pu être efficace pour l’emploi ; en définitive, il sera compliqué, illisible, ne satisfera personne et desservira l’emploi – personne n’y comprendra rien, et les entreprises ne s’engageront pas pleinement.
Heureusement, il y a quelques motifs de satisfaction. Chacun trouvera le sien. Pour ma part, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait conservé la disposition que nous avons été plusieurs à proposer permettant aux chercheurs d’accroître de 20 % à 32 % leur participation au capital et leurs droits de vote. Reste que cela fait une maigre récolte…
Je n’aime pas les maigres récoltes : je voterai donc la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (M. Alain Marc applaudit.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour débattre du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.
Comme, manifestement, c’est la dernière fois, je tiens, au nom du groupe Les Indépendants, à saluer de nouveau le travail de la commission spéciale et de ses trois rapporteurs, Élisabeth Lamure, Michel Canevet et Jean-François Husson, sous la présidence de Catherine Fournier. Notre commission a apporté de nombreuses modifications au texte, dans un esprit à la fois constructif et exigeant ; un certain nombre d’entre elles est resté.
La commission spéciale a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
Par principe, comme l’orateur précédent, je le regrette, parce que je pense que le débat est toujours utile en soi, même quand on craint de ne pas avoir le dernier mot. Par principe, je ne ferai pas d’exception : je ne voterai donc pas la motion. En effet, notre rôle, en tant que sénateurs, est de porter la voix des territoires dans le débat public.
M. Richard Yung. Très bien !
M. Emmanuel Capus. Quelle que soit l’issue du vote, je rappelle que ce projet de loi, globalement, va dans le bon sens : il apporte des solutions concrètes pour le développement de nos PME ; il encourage la création d’entreprises ; il soutient l’innovation et facilite une répartition plus équitable des richesses.
Ce texte passe au crible toute une série de scories de notre droit : des blocages qui découragent la création d’entreprises, des carcans superflus qui brident l’innovation, des règles absurdes qui absorbent l’énergie de nos entrepreneurs.
De ce point de vue, sincèrement, le projet de loi Pacte constitue une bonne nouvelle pour nos entreprises. Nos entrepreneurs étaient demandeurs. Ils disposeront pour accélérer la croissance de leur entreprise de nouveaux outils, certes perfectibles – le Sénat a proposé de nombreuses améliorations.
Le Parlement a considérablement enrichi le projet de loi initial, malgré le contexte de la procédure accélérée, qui nuit à la qualité de notre travail.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Emmanuel Capus. Le Sénat, notamment, a veillé à faire entendre la voix des territoires, avec un objectif clair : que les mesures ne restent pas hors-sol, mais répondent concrètement aux besoins des PME et ETI qui structurent notre tissu économique.
Je pense tout particulièrement à l’amendement, déposé par notre groupe et adopté en première lecture, portant sur l’organisation du réseau des chambres de métiers et de l’artisanat. L’Assemblée nationale, sur ce point, a entendu la voix du Sénat et gardé l’essentiel de nos dispositions. Nous maintiendrons ainsi dans nos territoires un réseau dense pour accompagner les entrepreneurs de proximité.
Le Sénat a également soutenu des propositions ambitieuses que l’Assemblée nationale n’a pas conservées, comme le relèvement du seuil de cinquante à cent salariés, une mesure pourtant décisive pour la croissance de nos PME et l’émergence de nouvelles ETI. Nous avions l’occasion d’accélérer leur développement en faisant davantage confiance à nos entrepreneurs.
Sur ce texte comme sur tant d’autres, le Sénat s’est montré en même temps raisonnable et ambitieux. Raisonnable, car il a veillé, à l’heure où notre société paraît plus fracturée que jamais, à ce que tous les territoires bénéficient des fruits de la croissance. Ambitieux, car il a proposé d’aller encore plus loin sur nombre de mesures visant à libérer les énergies et à susciter chez nos concitoyens l’envie d’entreprendre.
C’est pourquoi je regrette que les discussions aient achoppé sur les privatisations, tout particulièrement sur celle d’ADP.
Le refus opposé à cette mesure, qui n’était pas dénué d’arrière-pensées politiques, nous a privés de l’occasion de nous faire entendre. Nous pouvions pourtant y apporter les garde-fous que nous jugions essentiels pour assurer à la puissance publique la pleine maîtrise du cadre dans lequel cette concession va s’opérer – car, mes chers collègues, elle va s’opérer.
Je ne puis pas m’empêcher de penser que, si le Sénat avait suivi les recommandations de la commission spéciale, sa voix aurait davantage pesé dans la prise de décisions, et certaines des garanties intégrées en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale l’auraient été dès la première lecture au Sénat. (M. Martin Lévrier opine.)
Il en va de même pour la modification de l’objet social dans le code civil. Comme nombre d’entre vous sur ces travées, je considère que nous ne corrigerons pas les vices du capitalisme en inscrivant des vœux pieux dans la loi.
Les amendements proposés par la commission spéciale auraient permis de limiter les risques juridiques pour nos entreprises, tout en conservant la déclaration de principes. Le Sénat a opté pour la suppression pure et simple de l’article 61. Résultat : il a été rétabli dans sa rédaction d’origine, sans les garanties que nous espérions.
Mes chers collègues, n’oublions pas la situation dans laquelle se trouve notre pays : il étouffe sous la pression fiscale et l’excès des réglementations ! Tout ce qui simplifie l’activité de nos entreprises et recentre l’État sur ses missions régaliennes redonnera du souffle à notre économie. Il y va de notre capacité à maîtriser notre destin dans un monde incertain. Il y va de notre capacité à maintenir une souveraineté nationale.
Non, le débat n’est pas clos, tant s’en faut. Le Sénat a toujours des arguments à faire valoir et des positions à défendre, sur des textes qui ne sont jamais définitifs, quand bien même nous craindrions de ne pas avoir le dernier mot.
C’est pourquoi j’aurais souhaité que nous poursuivions l’examen de ce projet de loi. Et c’est pourquoi le groupe Les Indépendants ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable : une majorité d’entre nous s’abstiendra, les autres voteront contre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, après la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, voici le projet de loi Pacte de retour dans notre hémicycle.
Au cours des dernières semaines et des derniers mois, j’ai visité de nombreuses entreprises sur mon territoire. Toutes, sans exception, m’ont fait part de leur impatience de voir franchie cette nouvelle étape dans la transformation du pays.
M. Fabien Gay. On n’a pas rencontré les mêmes !
M. Martin Lévrier. Ce n’est pas le même territoire, cher collègue !
Oui, elles sont impatientes de voir levés les verrous qui bloquent depuis bien trop longtemps le développement des TPE et des PME. Elles attendent avec impatience de voir le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises promulgué et publié au Journal officiel. Elles sont impatientes de faire vivre la loi Pacte.
Je ne doute pas qu’une large majorité de notre hémicycle soit intimement convaincue que cette loi est une bonne loi. Et pour cause : entre autres effets, elle améliorera la parité femmes-hommes dans les directions des entreprises et créera un label pour les entreprises qui mènent une politique d’accessibilité et d’inclusion des personnes handicapées ; elle facilitera la création d’entreprises et réduira son coût ; elle simplifiera la croissance des entreprises en améliorant et diversifiant leur financement ; elle protégera leurs inventions et expérimentations ; elle financera l’innovation de rupture et protégera les entreprises stratégiques françaises.
Je ne m’attarderai pas sur la partie tendant à faire évoluer le capital des entreprises publiques, mon collègue Richard Yung vous en parlera beaucoup mieux que moi.
Je ne doute pas un instant, cependant, qu’il profitera de son temps de parole pour dénoncer la posture adoptée par certains de nos collègues, qui ont fait mine de s’indigner au sujet de l’article 44 de ce projet de loi. Ce n’était pas à la hauteur de l’éthique que promeut notre chambre, car, voilà tout juste deux ans, nombre de ces parlementaires soutenaient un candidat qui prévoyait de favoriser les privatisations. Les Français n’oublient pas !
Je ne vais pas détailler toutes les dispositions qui composent ce texte, mais il est indispensable de revenir sur le projet audacieux que porte le chapitre III, symbole de liberté et de protection. Celui-ci réconcilie en effet performance économique et responsabilité sociale des entreprises.
Il supprime le forfait social versé au titre de l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur l’ensemble des versements d’épargne salariale pour celles qui comptent moins de cinquante salariés ; il gèle l’intéressement au-delà d’un plafond, permettant ainsi d’améliorer son rendement pour les bénéficiaires ; il développe l’épargne salariale, ainsi que l’actionnariat salarié, et donne naissance à la société à mission ; il améliore la transparence des sociétés cotées en matière de rémunération de leurs dirigeants au regard de la rémunération moyenne et médiane ; il instaure le fonds de pérennité, grâce auquel la France se dote d’un statut permettant de protéger de manière durable le capital de nos entreprises pour assurer leur croissance à long terme ; enfin, il donne une nouvelle visibilité citoyenne à l’entreprise.
La notion d’intérêt social de l’entreprise et la nécessité de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux seront ainsi inscrites dans la loi par la modification de l’article 1833 du code civil.
En réunissant tous ces éléments, ce chapitre donne un nouveau souffle aux entreprises, ce qui leur permettra d’innover, de créer et de se développer.
Plus largement, ce projet de loi relève le défi majeur de la croissance des entreprises à chaque phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique. Pour cela, il transforme le modèle d’entreprise français, qu’il est temps d’adapter aux réalités du XXIe siècle.
Vous semblez pourtant être nombreux à estimer que les conditions ne sont pas réunies pour que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale soit adopté conforme, et à déplorer que cette dernière soit revenue sur un trop grand nombre de dispositions introduites par le Sénat. C’est pourtant la raison d’être de la navette parlementaire et du bicamérisme !
N’oublions pas que l’Assemblée nationale a tenu compte de certaines améliorations apportées par le Sénat : quelque 99 articles ont été votés conformes, dont 13 articles additionnels issus de nos travaux. Ceux-ci contiennent des dispositions relatives à la limitation des seuils d’effectif pour certains dispositifs fiscaux, à la possibilité, pour les majeurs rattachés au foyer fiscal de leurs parents, d’ouvrir un plan d’épargne en actions, un PEA, à la réforme de l’agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale, ou ESUS, à la modernisation du certificat d’utilité, ou encore à la création d’une procédure d’opposition aux brevets.
D’autres mesures introduites par le Sénat n’ont fait l’objet que de modifications très superficielles : la création du registre dématérialisé des entreprises, l’organisation des réseaux des chambres de métiers et de l’artisanat, les CMA, autour d’un établissement unique régional ou encore la transférabilité des contrats d’assurance vie sans conséquence fiscale.
Mes chers collègues, j’insiste sur le bon fonctionnement du bicamérisme, en vous rappelant que les deux chambres sont tombées d’accord sur nombre de suppressions d’articles.
Certes, nos homologues ont enlevé des dispositions que vous aviez intégrées. Qui pouvait en douter, dès lors qu’il s’agissait des mesures les plus contradictoires avec l’esprit de cette loi, notamment celles qui se rapportaient à la notion d’objet social ?
Ils ont également rétabli des dispositions que vous aviez supprimées, comme la raison d’être ou l’écart salarial d’un à vingt, suggéré par la confédération européenne des syndicats et que nous avions tenté d’inscrire en première lecture. C’est l’outil permettant de lutter contre l’écart incompréhensible des salaires que l’on observe dans certaines entreprises, notamment celles du CAC 40, dans lesquelles il peut atteindre un ordre de grandeur d’un à deux cent cinquante.
Le philosophe Jean Bodin écrivait : « il n’est de richesse que d’hommes ». Nous sommes tous convaincus que l’épanouissement des salariés conditionne la réussite d’une entreprise. La rémunération est un facteur de bon fonctionnement de l’ascenseur social. C’est pourquoi cette mesure est si importante. Nous devons retrouver des critères de cohésion qui tirent l’ensemble des salariés vers le haut.
En conclusion, c’est du mouvement que naît la croissance, et non de l’immobilisme. L’heure est venue pour la France de s’engager fermement dans cette voie. Le projet de loi Pacte en est un vecteur essentiel, c’est pourquoi le groupe La République En Marche le soutient et désire que le débat se poursuive dans notre hémicycle, dans le plus grand respect du bicamérisme auquel vous êtes tant attachés.
Nous ne voterons donc pas la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Les choses sérieuses commencent ! (Sourires.)
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous restons clairement opposés à ce texte du Gouvernement, qui casse les seuils sociaux, détricote la Caisse des dépôts et consignations, supprime le stage préalable à l’installation des artisans et le recours aux experts-comptables.
Alors que vous prônez la start-up nation, vous brisez l’accompagnement à la création d’entreprises, avec pour conséquence l’échec du plus grand nombre. Pis, vous n’avez pas voulu légiférer sur le statut d’auto-entrepreneur, laissant les grandes plateformes numériques continuer à exploiter nos jeunes.
Vous avez réformé l’épargne retraite, alors que vous vous apprêtez, pour répondre à la crise sociale, à allonger la durée de cotisation, à reculer l’âge de départ à la retraite et à casser la retraite par répartition. Madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas dû visiter les mêmes ronds-points ou discuter avec les mêmes personnes, car je n’ai vu quant à moi aucune pancarte affirmant « Nous voulons mourir au travail ! »
Mme Françoise Gatel. Oh !
M. Fabien Gay. Enfin, vous réalisez le tour de force de parler de partage de la valeur sans évoquer les salaires et leur augmentation. En 200 articles, ce qui devait être un pacte entre l’entreprise et l’État se transforme en pacte des loups entre l’État et les rapaces de la finance. Encore une fois, vous cédez aux revendications du Medef, offrant un panel de droits nouveaux au patronat, mais aucun pour les salariés.
Nous sommes cependant également opposés à la droite sénatoriale, qui n’a fait qu’empirer les effets du texte, avec, en particulier, l’amendement sur le plastique ou encore l’aggravation de la casse des seuils sociaux. Mes chers collègues, vous avez même réussi le tour de force de supprimer l’une des rares avancées de ce projet de loi, concernant l’objet des entreprises et leur responsabilité sociale et environnementale.
Dans ces conditions, notre groupe ne prendra pas part au vote sur la question préalable.
Alors que notre pays aspire à plus de justice fiscale et sociale, qu’il exige plus de citoyenneté et de démocratie sociale, vous répondez « compétition, libéralisme, profit. » Nous ne choisirons donc ni le parti de la droite sénatoriale ni celui de la droite gouvernementale. Pour nous, c’est blanc bonnet et bonnet blanc !
Mme Françoise Gatel. Et vous, c’est bonnet rouge !
M. Fabien Gay. Nous regrettons seulement, madame la secrétaire d’État, de ne pas prolonger le débat avec vous sur les privatisations, notamment sur celle d’Aéroports de Paris, ou ADP.
Comme un certain nombre de mes collègues, j’ai eu accès au cahier des charges de cette opération. Sans révéler ce qu’il contient – clause de confidentialité oblige –, je puis évoquer ce qu’il ne contient pas. On n’y trouve, par exemple, aucun recensement des 8 600 hectares que détient ADP, et encore moins d’indications sur leur valeur au prix du domaine actuel.
Je pensais naïvement que, lorsque l’on vendait un bien commun, on évaluait au moins ses actifs. Sans cela, comment fixer un prix ? Le bon prix est-il 10 milliards d’euros, quand 8 600 hectares en Île-de-France constituent une pépite inestimable, qui intéressera certainement bon nombre de promoteurs ?
J’invite aussi les élus à consulter la page 38, relative aux relations avec les collectivités territoriales, qui est destinée à rassurer les nombreux élus locaux opposés à cette privatisation. Je les rassure, cette lecture sera rapide : la page en question compte trois lignes !
Enfin, je ne suis pas comme vous, madame la secrétaire d’État, un spécialiste des privatisations, mais 56 pages pour brader un actif de 10 milliards d’euros, cela me semble un peu léger. Je me souviens que, lorsque ma femme et moi avons acheté notre petit pavillon, le notaire nous a fait remplir un dossier de 65 pages. Il y aurait donc moins de paperasse à remplir pour acheter une maison qu’un aéroport ? (Rires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Depuis le refus du Sénat, vous avez affûté vos arguments. Vous avez même publié un document intitulé Les Dix Idées fausses sur la cession d’Aéroports de Paris.
Vous commencez par y affirmer que l’État ne privatise pas ADP, car « au terme d’une période de soixante-dix ans, l’intégralité des infrastructures d’ADP sera rendue à l’État. » Vous oubliez toutefois de rappeler qu’il faudra indemniser le concessionnaire au prix auquel on estimera l’aéroport, non pas aujourd’hui, mais en 2089… Qui peut l’évaluer ? Personne. L’État n’aura peut-être pas les moyens de le racheter. De plus, le cahier des charges ne contient aucun alinéa relatif à la manière dont l’actif sera rendu à l’État à la fin de la concession de soixante-dix ans.
Le deuxième argument de votre document n’est pas moins surprenant : l’État ne céderait pas un monopole. Cela, seul le Conseil constitutionnel, qu’une grande majorité de sénateurs souhaite saisir, pourra le dire. Rappelons que 85 % des touristes européens et 95 % des touristes extra-européens atterrissent par ADP, ce qui ressemble tout de même à s’y méprendre à un monopole.
Vous indiquez surtout qu’ADP ferait face à une concurrence européenne et mondiale féroce, de la part des hubs de Francfort, de Londres ou des pays du Golfe. C’est étonnant : si un touriste veut visiter Paris, je ne vois pourquoi il irait atterrir à Doha…
Je ne connais personne qui choisirait sa destination pour découvrir tel aéroport ou goûter la gastronomie du fast-food de tel terminal. Imaginez-vous un Anglais souhaitant assister au tournoi des six nations au Stade de France et qui déciderait d’atterrir à Francfort ? (Sourires.)
Enfin, vous avez diffusé un autre argument dans tous les médias : l’État n’aurait pas vocation à gérer des boutiques et des magasins de luxe.
Évidemment, ce sont les taxes aéroportuaires versées par les compagnies et les magasins ainsi que les parkings utilisés par les usagers qui sont rentables, et non les pistes elles-mêmes. Toutefois, s’il n’y avait pas de pistes pour que les avions décollent et atterrissent, il n’y aurait ni compagnies aériennes versant une taxe ni passagers qui consomment dans les magasins ! Il s’agit donc d’un raisonnement par l’absurde : peut-on dissocier l’autoroute du péage, la gare de la ligne de chemin de fer, ou le port du bar de la marine ? (Rires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Madame la secrétaire d’État, je vais conclure en vous posant une question à laquelle ni vous ni M. Le Maire n’avez encore répondu. Loin de moi l’idée de vouloir répandre des fake news, d’adhérer à une théorie du complot ou de relayer un « Vinci bashing », mais souhaitez-vous toujours vendre l’ensemble des parts à Vinci, qui sera indemnisé en tant qu’actionnaire minoritaire, ou alors, comme le Président de la République, aux collectivités territoriales adossées au groupe Ardian, ou encore à la Caisse des dépôts du Québec ? Nous avons le droit de savoir, ainsi que les Français, me semble-t-il.
Madame la secrétaire d’État, je vous fais une dernière proposition. Nous faisons partie des 185 parlementaires à avoir signé la proposition de loi en faveur d’un référendum. Si vous êtes vraiment certains d’avoir raison contre tous, organisez donc cette consultation. Donnez la parole au peuple. Demandez-lui s’il est d’accord pour vendre un bien commun et servir encore les intérêts financiers ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour la nouvelle lecture de ce projet de loi fourre-tout comportant un ensemble de mesures qui n’ont souvent rien à voir les unes avec les autres. Si vous le voulez bien, je souhaite revenir sur le point de non-retour qu’il contient et qui inquiète, à juste titre, de plus en plus de citoyens : la privatisation de joyaux nationaux.
Madame la secrétaire d’État, vous entendez privatiser Aéroports de Paris, la Française des jeux et Engie, alors que tout semble aligné pour vous conduire à renoncer à ce projet : l’opinion publique, avec une pétition qui réunit plus de 150 000 signatures ; les « gilets jaunes », qui sont devant le Sénat, qui nous reprochent sans cesse les privatisations des autoroutes et qui s’interrogent avec force sur celle d’ADP, parce que ce sont les Français qui payent les erreurs des gouvernements ; mais aussi, et surtout, le bon sens économique et politique. Avouez tout de même que vos arguments ne sont pas convaincants !
Du point de vue financier, on vend normalement un bien pour gagner de l’argent. Or vous vendez des entreprises qui en rapportent beaucoup : l’État a perçu 173 millions d’euros de dividendes pour l’année 2018 de la part du seul groupe ADP, dont la rentabilité est exceptionnelle, avec une croissance de 43 % en 2018, et le patrimoine foncier unique, comme l’a rappelé Fabien Gay.
Vous voulez vendre trois entreprises qui nous rapportent aujourd’hui plus de 800 millions d’euros de dividendes chaque année, pour alimenter un fonds pour l’innovation de rupture à hauteur de 250 millions d’euros. Vous oubliez de nous dire que les seuls dividendes d’ADP pourraient quasiment financer ce fonds !
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Martial Bourquin. Vous allez perdre chaque année 600 millions d’euros, qui ne reviendront plus dans les caisses de l’État. Où est le bon sens économique dans tout cela ?
Madame la secrétaire d’État, je vous le dis avec gravité, la cession d’ADP offre le symbole du transfert de richesse publique vers les multinationales. C’est l’exemple parfait d’un capitalisme de connivence, je dis bien de connivence ! (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. Martin Lévrier. Oh !
M. Martial Bourquin. Vous souhaitez privatiser deux monopoles de fait, ADP et la FDJ, en contradiction avec l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, lequel dispose qu’un « monopole de fait » ne peut pas être privatisé. On ne brade pas les biens de la Nation !
M. Emmanuel Capus. Peut-on parler du reste du texte ?
M. Martial Bourquin. ADP est un monopole naturel, une frontière extérieure stratégique, un outil de souveraineté par lequel passe la plus grande part des entrées et des sorties du territoire.
J’entends certains affirmer que l’État n’a pas vocation à gérer des boutiques. Mais tout de même, ADP est un des plus grands aéroports du monde, avec des passagers et des avions ! Dans l’ancien monde, la première vocation d’un aéroport ne résidait pas dans les boutiques duty free ! Il s’agit évidemment d’une entreprise stratégique, d’un actif qui doit être géré par l’État.
Un autre point suscite l’incompréhension : pourquoi privatiser, alors que nous savons que les privatisations de l’aéroport de Toulouse et des autoroutes ont été des erreurs ? Nous poursuivons dans les mêmes travers ! Vous connaissez l’adage : une erreur, ce n’est pas très grave, dès lors que l’on apprend et qu’on la corrige. Or vous persévérez. Vous accélérez, en klaxonnant, pour entrer dans le mur ! Pourquoi vous entêter ? Pourquoi privatiser ? Je le répète, ce capitalisme de connivence nous gêne beaucoup.
Vous faites un choix purement idéologique, en affirmant que le privé serait mieux à même de gérer une entreprise que le public. C’est de l’idéologie pure !
Est-ce pour satisfaire Vinci, qui n’a pas obtenu la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? Nous verrons… Le Président de la République souhaite-t-il réaliser son rêve inachevé de ministre de l’économie, à savoir la privatisation d’ADP, après celle de l’aéroport de Toulouse, incapable qu’il est de constater l’échec de cette dernière opération ?
Madame la secrétaire d’État, vous prenez une responsabilité historique : celle de vendre la France à la découpe ! (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. Loïc Hervé. C’est excessif !
Mme Françoise Gatel. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Emmanuel Capus. Il s’agit d’un seul article du texte !
M. Martial Bourquin. C’est l’argent des Français que vous dilapidez, et cela, nous ne l’autoriserons pas. Nous nous battrons jusqu’au bout pour éviter ce gaspillage des fonds publics et des actifs stratégiques de la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à ce stade de l’examen du projet de loi Pacte, on ne peut exprimer que des regrets, voire une certaine frustration.
En effet, l’échec de la commission mixte paritaire, suivi, vraisemblablement, du vote par le Sénat d’une motion tendant à opposer la question préalable, interrompt le dialogue entre les deux chambres et le Gouvernement, dans un domaine où une issue consensuelle ne me semblait pas a priori hors de portée.
Je vous avais fait part, en première lecture, de mes craintes concernant le périmètre de ce projet de loi, lequel contenait à mon sens des dispositions trop disparates, au détriment de sa cohésion. Qu’y a-t-il de commun entre la suppression du stage à l’installation des artisans, la possibilité de définir la raison d’être d’une entreprise et la privatisation de trois grands groupes publics ? Le résultat donne raison au dicton : qui trop embrasse mal étreint.
Dans cet ensemble, on trouvait un gros caillou nommé Aéroports de Paris, sur lequel est venu se briser tout espoir de consensus. Malgré les efforts de la présidente de la commission spéciale, Catherine Fournier, et de son rapporteur sur ce sujet, Jean-François Husson – dont je tiens à saluer le travail, comme celui des deux autres rapporteurs, Élisabeth Lamure et Michel Canevet –, la privatisation d’ADP n’a pas trouvé grâce auprès de la majorité sénatoriale.
Le sujet méritait-il une telle opposition ?
M. Emmanuel Capus. Non !
M. Jean-Marc Gabouty. Pour ma part, je n’en suis pas totalement persuadé, car on pouvait évaluer différemment son opportunité financière en termes de dividendes hier et de revenus financiers demain.
Il ne s’agit en aucun cas d’une opération de retrait patrimonial définitif, puisque la propriété reviendra au terme de la convention à l’État, qui conservera évidemment toutes les fonctions régaliennes de contrôle douanier ou aérien. La durée de concession semblait certes trop longue, mais le futur concessionnaire ne sera finalement chargé que du fonctionnement et de l’intendance à caractère commercial.
Madame la secrétaire d’État, je ne vous reprocherai pas de nous avoir soumis un texte fourre-tout, car cela se pratique depuis plusieurs décennies, mais il aurait sans doute été opportun de consacrer aux privatisations un projet de loi distinct. Celles-ci mises à part, nous partageons bien sûr les orientations générales de ce texte, destinées à favoriser la création et le développement des entreprises, en associant mieux les salariés à cette démarche.
On peut ainsi saluer la simplification des procédures de création, de transmission et de reprise des entreprises, la rationalisation du nombre de seuils d’emplois et, surtout, l’introduction de souplesse lors de leur franchissement, le relèvement du seuil de certification des comptes, la suppression du forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés et sur la participation pour les entreprises de moins de cinquante salariés ainsi que des aménagements pertinents concernant l’épargne retraite et l’assurance vie et la promotion d’un PEA-PME.
Il ne s’agit là que de quelques exemples, qui viennent s’ajouter aux multiples dispositions de réduction de délais, d’allégement de contraintes et de simplification contenues dans ce texte.
On peut cependant s’interroger sur certaines évolutions qui me semblent relever d’un affichage de simplification ou de modernité, dont l’impact à terme pourrait être incertain, voire négatif, pour les entreprises comme pour les territoires.
La centralisation à l’échelon régional des réseaux consulaires est ainsi conforme à une évolution subie depuis quelques années, mais elle sera de nature à appauvrir les territoires éloignés des métropoles et des capitales régionales. On constate d’ores et déjà les effets négatifs de cette tendance, dont le mouvement des « gilets jaunes » est un révélateur, mais on ne sait pas comment mettre en œuvre rapidement une logique différente.
Ce projet de loi présente aussi des insuffisances en matière d’accès au crédit et aux marchés pour les PME. En effet, à l’exception de dispositions concernant la gouvernance de la Caisse des dépôts et du groupe La Poste, le secteur bancaire semble avoir été laissé en dehors du texte, alors qu’il devrait jouer un rôle offensif dans le financement des PME, ce qu’il fait parfois très mal.
Enfin, je renouvelle l’expression de mon regret, voire de mon incompréhension, s’agissant du souhait de faire de l’intéressement un marqueur du partage de la richesse produite par les entreprises en rendant ce dispositif obligatoire pour toutes les entreprises de plus de dix salariés.
Cela répondait à l’objectif que se sont fixé le Gouvernement et le Président de la République, objectif qui ne pourra pas être atteint par de seules mesures incitatives. Dans les entreprises où ce dispositif est déjà en vigueur, les salariés verront leur intéressement augmenter, car un dirigeant d’entreprise raisonne en enveloppe globale incluant la somme allouée et les taxes afférentes. En revanche, la seule suppression du forfait social ne me semble pas être de nature à convertir à l’intéressement les chefs d’entreprise qui ne le pratiquent pas.
Dans le contexte actuel, cette mesure de justice sociale avait le mérite d’introduire du pouvoir d’achat, de valoriser le travail et de faire bénéficier l’entreprise de la motivation et de l’implication de ses salariés. Cette disposition, qui n’avait d’ailleurs pas non plus les faveurs de la majorité sénatoriale, aurait pu faire partie des réponses au grand débat national, dans un volet où, il faut bien le reconnaître, le développement économique, l’emploi et l’entreprise semblent relégués au second rang. Il n’est peut-être pas encore trop tard !
Telles sont, madame la secrétaire d’État, mes observations et celles de mon groupe, qui, comme vous le savez, est opposé par principe aux questions préalables lorsque celles-ci visent à empêcher le nouvel examen d’un texte auquel le dialogue aurait permis d’apporter de nouvelles améliorations. Sans surprise, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ne votera donc pas la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier et féliciter les rapporteurs, ainsi que la présidente de la commission, du travail considérable qu’ils ont réalisé sur ce projet de loi. Précis et constructif, ce travail a permis au Sénat d’amender largement le texte en première lecture et d’avancer une vision et des propositions.
Malheureusement, l’Assemblée nationale n’en a retenu, ou presque, que deux désaccords, portant sur le programme de cession de deux entreprises : la Française des jeux et Aéroports de Paris.
Il faut reconnaître, pourtant, que le message du Sénat a été partiellement entendu. Sur la Française des jeux, si l’Assemblée n’a pas retenu la solution du Sénat, elle a tout de même renforcé, dans sa deuxième version, le volet concernant la régulation du secteur des jeux. J’ai la faiblesse de penser que, si le Sénat n’avait pas émis le vote qui fut le sien en première lecture, cela n’aurait pas été le cas.
Le Sénat a été entendu partiellement, encore, s’agissant d’Aéroports de Paris, sur la question de la régulation. Il a fait valoir un certain nombre d’exigences et a voté, après un dialogue fructueux avec le ministre de l’économie et des finances, plusieurs amendements importants à l’initiative du rapporteur – que je veux saluer – instaurant une régulation. Nous avons eu un débat sur le bien-fondé de la privatisation elle-même, mais cela ne doit pas cacher cet apport majeur de notre assemblée, qui pose les principes d’une vraie régulation indépendante et qui encadre ce secteur pour l’avenir.
Aujourd’hui, mes sentiments sont malheureusement mitigés. Bien que je partage les objectifs de départ du texte, bien que le Sénat ait eu la volonté d’avancer sur les différentes mesures, malgré un vote en première lecture qui permettait de trouver des points de convergence, la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, chacun le sait, a balayé en très grande partie notre travail.
Le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises doit permettre aux entreprises françaises d’innover, de se transformer et de créer des emplois. Comment ne pas en partager les ambitions ? C’est parce que nous approuvions ses objectifs affichés et les principales dispositions qu’il proposait que le Sénat en général, et le groupe Union Centriste en particulier, a abordé son examen avec bienveillance. Nous avions la volonté d’améliorer ou de compléter les mesures concrètes qu’il contenait.
L’échec de la commission mixte paritaire portait sur quelques points durs du texte, principalement la Française des jeux et Aéroports de Paris, nous pouvions toutefois garder espoir quant à la reprise des positions du Sénat sur le reste du texte, que le Gouvernement aurait pu soutenir s’il l’avait souhaité.
Force est de constater que les députés sont largement revenus à leur rédaction de première lecture sur les principales mesures du texte. Les points d’accroche les plus symboliques sont connus : l’évolution du stage préalable à l’installation des artisans, le doublement du seuil de cinquante à cent salariés, le refus d’un report à 2021 de la réforme du contrôle légal des comptes sans en modifier l’équilibre global, ou le rétablissement de la faculté, pour l’Institut national de la propriété industrielle, de s’opposer à la délivrance d’un brevet dépourvue d’activité inventive.
En ce qui concerne la Française des jeux, les députés ont réinstauré la privatisation, tout en améliorant légèrement la régulation du secteur. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais cela va dans le bon sens.
En ce qui concerne Aéroports de Paris, je voudrais d’abord dire ma déception que le Sénat n’ait pas pu se saisir de cette question autrement qu’en termes politiques. C’était, à mon sens, le risque majeur, s’agissant d’une entreprise emblématique connue de tous et portant un nom qui parle au cœur des Français. J’avais eu l’occasion d’alerter le Gouvernement sur ce point.
Soyons clairs, il peut y avoir des entreprises publiques ou privées bien ou mal régulées dans ce type de secteurs, qui est largement concurrentiel, contrairement à ce que j’ai entendu. Certes, le marché primaire, celui de la destination, ne l’est pas pour ceux qui sont à deux ou trois heures de l’aéroport. Mais, pour le reste, nous sommes en compétition avec les plus grands hubs du monde.
Ensuite, il faut poser la question en se rappelant que le capital de cette entreprise a été ouvert en 2006 – c’est la droite qui en est à l’initiative. À l’époque, une large partie des actions ont été introduites en bourse. Dès lors, les choses étaient écrites, me semble-t-il.
Ce système présente un certain nombre de désavantages : aujourd’hui, il n’est pas bien régulé, et, on le voit bien, les décisions sont prises au plus haut niveau par les pouvoirs publics, qu’ils aient – ou non – une claire conscience des enjeux très techniques du secteur aéroportuaire.
Il convient de permettre aux compagnies aériennes d’améliorer leurs services. Certes, la qualité de service s’est améliorée, mais elle est sans doute perfectible. Enfin, il faut faire en sorte que cette opération se déroule dans des conditions tarifaires acceptables. Or les compagnies rappellent que, de ce point de vue, le système actuel, qui est défendu sur certaines travées, n’est pas vertueux : il incite au surinvestissement, et les redevances sont particulièrement élevées. Sur ce dernier point, nous sommes montrés du doigt.
Il fallait travailler à la réforme de ce système, mais j’aurais aimé que le Gouvernement adopte une approche différente : qu’il réaffirme son ambition pour le secteur aéroportuaire et aérien français, l’un des premiers au monde, qui fait notre fierté ; qu’il travaille beaucoup mieux lors des Assises nationales du transport aérien – le travail a été mal fait, car des mesures de compétitivité auraient dû être prises – ; et qu’il réaffirme deux manières d’agir pour donner un avenir à Aéroports de Paris, soit en améliorant la régulation dans le secteur public, soit en procédant à une privatisation, qui aura l’avantage d’apporter des capitaux à cette entreprise et de lui donner plus de souplesse, notamment à l’étranger, mais en régulant mieux.
Toutes les compagnies mondiales l’affirment, et tout un chacun qui veut bien s’intéresser à ce sujet le sait, dans les deux cas, que l’entreprise soit privée ou publique, il est possible de réguler. Aujourd’hui, l’entreprise n’est pas bien régulée et, demain, elle le sera plus, me semble-t-il, même si je n’aurais pas forcément proposé cette mesure.
Que l’on sache que le Sénat continue à aborder ce type de questions en disant les choses telles qu’elles sont, et non pas comme on souhaiterait qu’elles le soient politiquement, pour faire le procès du Gouvernement et se dédouaner des privatisations qui ont eu lieu.
À cet égard, je rappelle que le processus de privatisation de l’aéroport de Toulouse a été lancé sous la gauche, au travers d’une loi de M. Montebourg, qui a été, on le sait, mal votée et mal exécutée. En revanche, la privatisation des aéroports de Nice et Lyon, qui a été également engagée sous le précédent gouvernement,…
M. Loïc Hervé. C’est bien de le rappeler !
M. Vincent Capo-Canellas. … a bien fonctionné, et, aujourd’hui, personne ne s’en plaint. Examinons la situation telle qu’elle est, en toute objectivité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
On peut aussi se demander si le Sénat aurait pu apporter, dans le cadre de cette nouvelle lecture, des éléments d’amélioration supplémentaires. Malheureusement, tel ne sera pas le cas : l’Assemblée nationale, qui a le dernier mot, ne reprendra pas les éventuels amendements que le Sénat aurait adoptés. Les députés auraient pu faire ce pas vers nous avant cette nouvelle lecture.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera, dans sa très grande majorité, la motion tendant à opposer la question préalable proposée par la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, un « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises », avouons que l’intention de ce texte était parfaitement louable et partageable. Mais c’était sans compter la fâcheuse habitude prise par le Gouvernement de tenter d’expédier, dans un flot de mesures d’ampleur et de nature sensiblement différentes, des sujets concrets et délicats.
En l’espèce, le résultat ne s’est pas fait attendre. Ce qui devait être une loi sur un plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises s’est piteusement transformé en loi sur la privatisation d’Aéroports de Paris !
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. Il aura fallu là encore, et par-delà la diversité des sensibilités politiques qui s’y expriment, que la quasi-unanimité du Sénat éveille les consciences en première lecture pour que le débat prenne enfin corps et que cette hasardeuse privatisation soit repoussée.
Malheureusement bien sûr, par la suite, l’Assemblée nationale a réintroduit dans le texte les éléments favorables à cette funeste privatisation. Mais cela ne s’est tout de même pas fait sans mal : après presque trois jours de débats, une séance qui a duré neuf heures ; un vote arraché, certes démocratiquement, par vingt-sept députés, sur quarante-cinq votants et quarante-deux suffrages exprimés, un samedi aux alentours de six heures du matin !
M. Martial Bourquin. C’est un véritable scandale !
M. Jean-Raymond Hugonet. Je ne puis m’empêcher de relever, au passage, que, visiblement, le fameux non-cumul des mandats n’a pas amélioré l’assiduité en séance publique de nos collègues du nouveau monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
La vérité, c’est que ce projet est, à juste titre, extrêmement contesté. À l’instar des échanges dont notre hémicycle a été le témoin lors de l’examen du projet de loi Pacte en première lecture, nos collègues députés ont réitéré leurs critiques sur « la mauvaise affaire », « la faute économique, stratégique et historique », « l’erreur irréparable », synonyme d’un « abandon de souveraineté nationale » ; d’aucuns ont même mis en avant « un choix stupide », « un sacrilège ».
Sentant le vent de la fronde monter au sein même du groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale, le 13 mars dernier, le Premier ministre s’est évertué à dépeindre Aéroports de Paris comme une entreprise fragile, mal gérée, dont l’État serait un actionnaire défaillant et qu’il faudrait donc mieux s’en séparer. Vous l’avouerez, c’est un argumentaire commercial surprenant pour qui cherche à vendre au meilleur prix…
Parallèlement, M. le ministre de l’économie et des finances a tenté de démonter, un par un, les arguments avancés – on peut d’ailleurs lui reconnaître une certaine constance en la matière. Il s’agirait non pas d’une privatisation, mais d’une simple concession pour soixante-dix ans – excusez du peu ! (M. Martial Bourquin s’esclaffe.) L’État stratège n’aurait pas vocation à diriger une entreprise concurrentielle. Il ne s’agirait pas de la privatisation d’un monopole. Ce n’est, certes, qu’un monopole régional, comme l’affirme justement le Conseil d’État, sauf que 80 % des visiteurs étrangers transitent en France par les aéroports parisiens !
Le sommet dans cette affaire, comme si cela ne suffisait pas, c’est l’indigence du cahier des charges de cinquante-six pages mis à notre disposition avec condescendance et consultable sur place, salle A 387, au troisième étage de l’aile ouest, au bout du couloir à gauche, exclusivement sur rendez-vous et aux heures d’ouverture s’il vous plaît… des fois que l’on dérange ! (Rires.)
M. Martial Bourquin. Excellent !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. La richesse de notre si belle langue française, le foisonnement des éléments de langage produits par Bercy ne sauraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes, madame la secrétaire d’État. Cette opération est un mauvais coup pour la France. Cette opération est un mauvais coup pour les Français, qu’ils portent un gilet jaune ou pas !
Madame la secrétaire d’État, comme pour les autoroutes en leur temps, le Gouvernement aura bientôt à répondre de ce mauvais coup porté à notre pays, au moment même où il traverse l’une des crises les plus graves de son histoire récente.
Enfin, pour quitter un peu le sujet Aéroports de Paris et conclure mon propos, à la suite du débat engagé autour d’une des mesures qui se voulait une mesure phare de la loi Pacte concernant le volet transformation des entreprises, j’évoquerai avec vous la responsabilité sociétale de l’entreprise et la participation.
En guise de commentaire sur ces thématiques, je souhaite vous lire un extrait du discours clair, net et frappé au coin du bon sens du général de Gaulle, prononcé le 1er mai 1949, lors d’une vaste manifestation sur la pelouse de Bagatelle à l’occasion de la fête du Travail : « Au niveau de la foule immense que voilà, on éprouve comme une révélation.
« “Je ne sais pas, disait, jadis, Louis Veuillot, quel souffle planant sur la multitude lui révèle qu’elle est une nation”.
« Nous tous, ici, en nous voyant nous-mêmes, nous connaissons que nous sommes un grand peuple qui s’assemble pour son salut.
« Ce qu’il faut, c’est abolir l’humiliante condition dans laquelle l’organisation économique dérivée tient la plupart des travailleurs.
« Ce qu’il faut, c’est faire cesser le système en vertu duquel les intérêts de ceux qui apportent à la production leur travail s’opposent à ceux qui y apportent soit leurs biens, soit leur autorité, et qui fait que, dans une entreprise, les ouvriers sont des instruments et non pas des participants.
« Ce qu’il faut créer et faire vivre, c’est l’association du travail, du capital et de la direction qui confère à chacun la dignité d’un sociétaire responsable et bénéficiaire du rendement collectif pour sa part et à son échelon.
« Naturellement, on ne fera pas ça si on ne passe pas outre au sectarisme des spécialistes de la lutte des classes et, en même temps, aux routines de certains dirigeants et de certains capitalistes qui voudraient voir les affaires marcher toujours comme au temps de papa. »
M. Martial Bourquin. C’est dit, camarade !
M. Jean-Raymond Hugonet. Cher camarade (Sourires.), le seul commentaire que j’ajouterai, c’est que le groupe Les Républicains votera bien évidemment la motion tendant à la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, après l’intervention de mon collègue, le débat a été recentré sur le sujet essentiel qui nous intéresse aujourd’hui dans le cadre du projet de loi Pacte.
Madame la secrétaire d’État, lorsque je vous ai vue arriver au banc du Gouvernement, j’ai eu, pendant quelques instants, un fol espoir. Vous connaissez, je le sais, le monde de l’entreprise ; vous avez exercé des fonctions dans diverses entreprises. Je me suis donc dit que le Gouvernement nous avait envoyé l’interlocuteur idoine pour aborder le sujet essentiel qui nous concerne dans ce projet de loi.
Après de nombreux efforts au Sénat, en commission, on s’est aperçu en commission spéciale que le sujet essentiel, à savoir l’amélioration des entreprises, était dénaturé et que la privatisation d’Aéroports de Paris était la seule préoccupation du Gouvernement, en ce qu’il était prêt à remettre en cause l’ensemble du texte. L’entêtement du Gouvernement devient, à nos yeux, de plus en plus incompréhensible.
Permettez-moi de revenir très rapidement sur les raisons pour lesquelles le Sénat, dans une très large majorité, s’agissant des élus partisans de l’économie libérale et, d’une manière générale, de la privatisation, comme moi, s’est opposé très fortement à la privatisation de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle.
Tout d’abord, la durée de la concession est anormalement longue. Je le rappelle, la concession du tunnel sous la Manche est de cinquante ans, considérant le risque technologique et l’incertitude des aléas économique. Là, une durée de soixante-dix ans a été fixée, d’entrée de jeu.
Ensuite, le Gouvernement a avancé l’argument de la rentabilité des dividendes. Pour autant, c’est le conseil d’administration, nommé majoritairement par le Gouvernement, qui fixe cette rentabilité. Il a donc semblé évident à de nombreux interlocuteurs qu’il ne s’agissait pas d’un véritable argument.
Par ailleurs se posent la question de la faiblesse du prix et, surtout, celle de l’incertitude liée au prix.
M. Vincent Capo-Canellas. On ne connaît pas le prix !
M. Philippe Dominati. Nous n’avons pas eu, au cours de ce débat, la possibilité de savoir combien le Gouvernement attendait exactement de cette privatisation.
M. Martial Bourquin. C’est honteux !
M. Philippe Dominati. On nous a parlé d’une valeur comprise entre vingt et trente fois les résultats de l’entreprise : trente fois les résultats de l’entreprise pour une durée de soixante-dix ans, c’est un prix extrêmement faible, d’autant qu’il ne tient pas compte, comme cela a été souligné par un certain nombre de mes collègues, de l’indemnisation éventuelle.
En réalité, il n’y a aucune transparence sur ce projet du Gouvernement.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Philippe Dominati. On note surtout l’absence de consensus des usagers, des clients. Aucune compagnie aérienne ne réclame cette privatisation. On observe également l’absence de consensus parmi les personnes qui travaillent dans cette entreprise. C’est un paradoxe pour une loi qui est normalement censée améliorer la situation dans les entreprises, lorsque l’on parle de la raison sociale.
Quid de la réserve foncière de 7 000 hectares dans le cœur de l’agglomération parisienne ? C’est le flou le plus absolu.
Concernant le projet d’entreprise, nous avons du mal à comprendre s’il s’agit d’une entreprise bien gérée par la puissance publique, ou mal gérée, comme cela a été démontré par mon collègue, qui a cité les propos du Premier ministre.
Il y a peut-être aussi une position de fond, à savoir une situation dominante dans le domaine des transports. Peut-on laisser, si l’on fait un parallèle avec le secteur de l’audiovisuel, les mêmes entreprises détenir plus de 50 % des parkings des municipalités, 50 % des autoroutes, le CGD Express, la seule liaison de TGV concédée, et plusieurs aéroports sur le territoire national ? En réalité, il s’agit non pas d’une mise en concurrence – cela n’a rien à voir avec le libéralisme –, mais de la cession des bénéfices d’un monopole à une seule entreprise.
L’environnement de la plateforme aéroportuaire, quant à lui, n’est pas assumé financièrement. On le sait, il faudra sans doute doubler le trafic autoroutier, améliorer les liaisons ferroviaires avec la capitale et réaliser d’importants aménagements urbains. Mais là, les collectivités territoriales sont évidemment assez peu associées.
Effectivement, la solitude du Gouvernement explique aujourd’hui votre présence – votre propos à la tribune, c’est-à-dire le discours du Gouvernement, évoque peu le sujet d’Aéroports de Paris. Le ministre, en réalité, prend déjà de la distance, tout comme l’ensemble du Gouvernement : on sent très bien qu’il s’agit d’un sujet extrêmement délicat. Je comprends la prudence des autres personnalités du Gouvernement, et je regrette que l’on ait choisi un chef d’entreprise comme vous pour ne pas nous apporter d’arguments !
En outre, un certain nombre d’événements ont eu lieu depuis le débat en première lecture.
Premièrement, le cahier des charges est, il est vrai, éminemment faible, voire ridicule, comme l’a très bien relevé précédemment l’un de mes collègues. Ce document ne tient absolument pas compte des besoins des collectivités territoriales ni des départements.
Deuxièmement, on a observé l’intrusion de l’État néerlandais dans la compagnie Air France, qui est le principal utilisateur de la plateforme aéroportuaire. À cet égard, le Gouvernement et le ministre ont tenu des propos totalement différents : ils ont dit qu’il s’agissait d’une intrusion, que c’était inélégant et qu’ils n’en comprenaient pas les raisons, parce que la compagnie est stratégique. L’aéroport n’est pas stratégique, mais la compagnie l’est !
Troisièmement, le mandat du président de la compagnie a été renouvelé par le chef de l’État, confirmant un troisième mandat pour le président actuel. Pour une entreprise qui est mal gérée, cela suscite quelques incertitudes, quelques questions. Si l’État est insatisfait de l’actuel président, pourquoi renouveler son mandat ?
Ce ne sont là que trois éléments. Mais l’élément le plus important figure peut-être dans le journal Investir ; le président Romanet explique dans une interview les projets d’Aéroports de Paris : 6 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2025 ; l’ouverture du terminal 4 ; la volonté d’augmenter de 60 000 mètres carrés à 80 000 mètres carrés la superficie dédiée aux commerces ; le souhait de passer, à l’international, de 281 millions de passagers à 400 millions de passagers d’ici à 2025, ce qui représente 10 % du temps de la concession que vous voulez donner ; enfin, les 350 hectares, avec un potentiel de constructibilité de 1,5 million de mètres carrés.
Vous pouvez lire toutes ces données dans le journal Investir de samedi dernier. Ce n’est pas un journal révolutionnaire ; il doit être sérieux dans ses informations.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Dominati. Je termine, monsieur le président !
Ce journal donne des notions sur le cours de l’action et conclut en ces termes : « Il nous paraît inconcevable que la privatisation puisse se faire au cours actuel ; la valeur économique de l’entreprise est largement supérieure. » Je crois que tout est dit !
M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Dominati. Compte tenu de la faible teneur des propos du Gouvernement, je me rallierai probablement à la motion référendaire, pour obliger l’État à écouter les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, le titre était alléchant : « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises. » Il sonne comme un magnifique slogan publicitaire, sans en tenir, tant s’en faut, les promesses.
Bâti sur les propositions du rapport Notat-Senard, il n’en retient qu’une dose homéopathique, espérant peut-être que le résultat final conservera la mémoire de la molécule première. En réalité, ce projet traduit un libéralisme exacerbé avec des effets toxiques pour les salariés, qui assurent la prospérité et la création de richesses.
Il s’agit d’un libéralisme dogmatique jusqu’à la caricature, mêlant dans un même élan les privatisations, la quasi-suppression des certifications, le refus d’un partage équitable de la richesse et le rejet d’une juste représentation des salariés dans les instances de gouvernance.
S’y ajoutent des privatisations que rien ne vient justifier et dont on peine à saisir les véritables motivations, tant les explications sont laborieuses, les artifices si alambiqués que leur auteur, lui-même, semble ne pas y croire. Martial Bourquin a développé avec la force de conviction que je lui connais l’ineptie que représentent ces privatisations.
Bernard Lalande et de nombreux sénateurs de tous horizons se sont émus du relèvement, sans ménagement ni délai, des seuils de certification légale par les commissaires aux comptes, sous prétexte d’alignement et d’économies – en réalité, celles-ci sont illusoires – pour les PME.
Pourtant, premièrement, le seuil de certification européen n’est pas prescriptif, et les seuils d’audit légal sont différents selon les pays qui ont bien intégré que « la confiance n’exclut pas le contrôle », en adaptant les seuils à la dimension de leur tissu économique et à sa territorialité.
Deuxièmement, en supprimant le commissaire aux comptes dans les holdings en cascade, qui peuvent créer de nombreuses filiales dispensées de produire des comptes certifiés, vous donnez rendez-vous à l’opacité fiscale, à l’opacité sociale, à l’opacité financière, et ce malgré les recommandations du rapport Cambourg, qui vous appelait à sécuriser l’organisation des entreprises en groupe. Ce faisant, vous ouvrez la porte aux dérives financières et aux détournements et vous la fermez devant l’obligation d’alerte.
Troisièmement, en refusant un délai d’application au 1er janvier 2022 pour permettre à la profession d’engager sa mutation, vous mettez en péril 3 000 cabinets de proximité et le probable licenciement de 7 000 employés sur tout le territoire français.
M. le ministre se gaussait d’une alliance contre nature, selon lui, entre la droite et la gauche sur ces thèmes. Il ne devrait pourtant pas s’étonner – sauf par manque d’habitude peut-être ! – que nous puissions nous rassembler pour nous porter garant des valeurs républicaines quand les intérêts vitaux de la Nation sont en jeu.
Par ailleurs, le relèvement des seuils pour les entreprises peut s’entendre, sauf que l’occasion est saisie de pénaliser plus encore les salariés et de priver nombre d’entre eux du bénéfice de la participation ou de la protection du règlement intérieur pendant cinq ans au moins, voire, parfois, pour l’éternité.
L’Allemagne, votre modèle, madame la secrétaire d’État, accorde jusqu’à 50 % des sièges aux salariés dans les conseils d’administration, mais les salariés français n’auront que la portion congrue.
L’élargissement de l’objet de l’entreprise, que l’article 1833 du code civil définit comme servant uniquement l’intérêt commun de ses salariés, est timide : vous avez refusé que les salariés soient, enfin, admis comme l’une des deux parties constituantes.
M. le ministre n’est pas avare de déclarations vertueuses sur l’éventail des salaires et sur les avantages des dirigeants, dont Tom Enders illustre le caractère inacceptable. Ces condamnations paraîtraient plus sincères s’il n’avait rejeté nos propositions de plafonnement des hauts salaires, de limitation des retraites chapeau et autres stock-options, d’interdiction de versement de dividendes financés par l’emprunt ou à la suite de licenciements.
Il est vrai que, en chemin, le Gouvernement a trouvé plus ultra que lui en matière de libéralisme. La majorité de droite n’y était pas allée de main morte : relèvement du seuil de cinquante à cent salariés, avec une véritable régression sociale ; refus de toucher à l’objet de l’entreprise sous prétexte de fragilité juridique, argument curieux qui permet d’en rester à la mouture de 1804, remaniée en 1974 ; une économie sociale brimée par une augmentation de 20 % des cotisations, alors que celles de l’économie conventionnelle seraient divisées par deux.
Ce gouvernement affirme souvent : « C’est sans précédent ! » C’est rarement une réalité, mais le fait de puiser sans vergogne, à larges mains dans les caisses de la sécurité sociale est, de fait, sans précédent : 500 millions d’euros par la suppression du forfait social, exonération sur les heures supplémentaires, etc. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Le budget de la sécurité sociale devait être en équilibre ; il sera déficitaire de près de 3 milliards d’euros.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous dire que le Gouvernement et vous aviez une occasion de diffuser un message intéressant et satisfaisant aux Français, mais que vous avez fait exactement le contraire. Ne soyez donc pas étonnés que les Français ne vous suivent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette discussion générale, qui revient sur un certain nombre de sujets, lesquels avaient déjà été assez largement débattus. En effet, ce texte a fait l’objet de trente-six heures de discussion en séance publique, et une assez grande partie des discussions s’est concentrée sur Aéroports de Paris, comme vous l’avez mentionné. Toutes les questions que vous remettez de nouveau sur la table ont donc été assez largement traitées et discernées.
Vous parlez de quatre articles sur une loi qui en compte plus de deux cents, des articles qui, je le rappelle – tel était bien mon propos introductif –, visent à donner plus de potentiel de croissance à nos entreprises, plus de pouvoir d’achat aux Français et plus de capacités d’innovation à notre pays. Ce sont les trois objectifs auxquels le Gouvernement est très attaché ; je regrette cette particulière myopie.
Je veux revenir sur certains éléments.
Monsieur Canevet, je vous rassure, il est tout à fait possible de conclure des accords d’intéressement tout au long de l’année : si vous concluez un, par exemple, au troisième trimestre, celui-ci sera applicable pour l’ensemble du deuxième semestre. Ce point a donc été traité.
Madame Lamure, s’agissant des commissaires aux comptes, nous avons amélioré le texte à l’Assemblée nationale, suivant en cela d’ailleurs un certain nombre de recommandations formulées dans le cadre de la réforme de l’audit et des propositions du Sénat.
Vous avez mentionné une entrée en vigueur différée pour la réforme outre-mer. Il s’agit pour les commissaires aux comptes d’une disposition couperet – nous avions assez largement développé cette question –, puisque, je le rappelle, les mandats sont conclus pour six ans : il faudrait donc que les entreprises soient extrêmement rapides pour pouvoir appliquer cette disposition dès le 1er janvier 2019.
Monsieur Adnot, vous avez indiqué que les seuils sociaux étaient compliqués et illisibles. Pour en avoir discuté avec nombre d’entreprises, j’ai l’impression que cela leur convient parfaitement. Leur principale préoccupation est de savoir quand la loi sera promulguée.
Monsieur Gay, nous détricotons la Caisse des dépôts et consignations, avez-vous dit. Vos propos ont sans doute dépassé votre pensée ! Nous cassons les retraites par répartition, soulignez-vous. Or je n’ai pas vu une seule disposition sur ce sujet.
M. Fabien Gay. Je n’ai pas dit cela !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Certes, vous n’avez jamais vu, sur les ronds-points, des « gilets jaunes » revendiquer de mourir au travail. Mais ils revendiquent d’avoir du travail ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Fabien Gay. Ça, c’est sûr !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Or tel est bien l’objectif qui nous motive aujourd’hui.
Je me réjouis de votre soutien sur les responsabilités sociales de l’entreprise. Je regrette que vous ne mentionniez pas les progrès qu’apporte ce texte sur la parité, la participation des salariés, l’intéressement, la participation des salariés au conseil d’administration, la transition écologique et énergétique, avec le fléchage de l’épargne des Français en la matière, et je pourrais citer encore d’autres mesures.
M. Fabien Gay. Et ADP ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Concernant les privatisations, nous en avons déjà largement débattu, comme je l’ai dit, je ne reviendrai donc que très rapidement sur le sujet. Je rappelle qu’Engie a été privatisée en 2003. Je n’aborderai pas longuement ce sujet, que je connais un peu…
Vous avez évoqué la question des monopoles. Après le Stade de France, lorsque le match retour a lieu à Wembley, par exemple, vous pouvez passer, suivant la ville de votre départ, par Francfort, par Paris, par Schiphol, voire, si vous venez d’un peu plus loin, par Doha. C’est bien de cela que l’on parle. Aujourd’hui, le trafic ne se fait pas d’un point à l’autre ; il se fait via des hubs.
M. Fabien Gay. Et alors ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. C’est ainsi que se déroule l’essentiel du trafic aéroportuaire, monsieur le sénateur.
Le cahier des charges de cinquante-six pages que vous avez cité concerne les charges d’exploitation. Il est évident que le cahier des charges relatif à la cession comportera une description précise des actifs, comme cela existe dans ce genre de cas.
De manière générale, je veux dire qu’un certain nombre de sénateurs et d’élus qui siègent sur les travées de cette assemblée ont été associés à des opérations de privatisation, qui, pour certaines, comme cela a été rappelé, se sont très bien passées. Ils doivent donc se souvenir que ces dernières sont extrêmement encadrées,…
Mme Éliane Assassi. Et les autoroutes ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. … par la Commission des participations et des transferts ou en application d’autres règles.
Il est évident que nous n’allons pas vous dire comment cela va se passer, car il y a compétition ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Fabien Gay. Ça y est : le mot est lâché !
Mme Laurence Cohen. Et l’expérience des autoroutes ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Quel est le prix de vente ? Si nous l’annoncions tout de suite, nous n’aurions aucune chance d’en obtenir un meilleur ! En effet, le prix de vente d’une entreprise dépend de la perspective que l’on a de ses revenus futurs. C’est la raison pour laquelle votre discours est vain.
Monsieur Gay, vous avez évoqué ma connaissance des entreprises. Pour avoir un peu d’expérience en matière de cessions et d’acquisitions, je puis vous dire que, lorsque vous achetez une entreprise, vous cherchez à évaluer les perspectives de gains sur le long terme. Cela s’appelle la valeur actuelle nette, et c’est l’un des éléments qui intervient dans le mécanisme de formation du prix. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Affirmer que l’on se prive de richesses futures est faux, puisque l’on en tient compte dans le prix de vente, sauf à penser que l’entreprise aurait caché des perspectives et un potentiel de croissance qui ne seraient pas connus du marché aujourd’hui, ce qui ne me semble pas être le cas. Vous-même, monsieur Dominati, avez d’ailleurs parlé de perspectives solides.
Pour moi, ces perspectives sont correctement reflétées dans le prix de l’action. J’espère même qu’elles nous permettront de réaliser une plus-value. Cela étant, je ne puis dire aujourd’hui : c’est tout l’enjeu de l’opération que nous allons mener.
Je veux m’arrêter un instant sur la notion de « capitalisme de connivence ». Ce genre d’expression, permettez-moi d’être un peu solennelle, est irresponsable, voire inacceptable, quand bien même elle est censée faire impression sur le peuple. Ce genre de formules toutes faites, qui font plaisir à tout le monde, explique ce qui se passe aujourd’hui sur les ronds-points ! (Mme Patricia Schillinger et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent.)
Pour ma part, je ne me permettrais pas de rebondir sur les revendications des « gilets jaunes » qui souhaitent supprimer cette assemblée, parce que je ne trouve pas que cette revendication soit raisonnable ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Vincent Capo-Canellas, Jean-Paul Émorine et Bruno Sido applaudissent également. – Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. On attend de connaître le nombre de parlementaires que vous allez supprimer !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. C’est là un autre sujet, madame la sénatrice !
Dans le même ordre d’idée, monsieur Hugonet, je ne rappellerai pas ici les conditions dans lesquelles l’Assemblée nationale a adopté ce texte un samedi à six heures trente du matin ; je rappellerai simplement que les scrutins publics à l’Assemblée nationale ne permettent pas à un député de voter pour quarante autres, comme c’est le cas au Sénat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. C’est dommage ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. D’ailleurs, il est normal que tout le monde ne puisse pas siéger sur ces travées au même moment : certains parlementaires travaillent en commission, et c’est très bien, ou font d’autres choses utiles pour la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Cela s’appelle le travail parlementaire. Heureusement d’ailleurs que nous sommes là pour l’expliquer, parce que c’est avec ce genre de formule que l’on invalide le travail intense et remarquable – pardonnez-moi de le dire – du Parlement. En effet, pour le coup, on travaille bien plus que trente-cinq heures par semaine à l’Assemblée nationale et au Sénat ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
En outre, monsieur Hugonet, je me reconnais parfaitement dans la citation du général de Gaulle. Je note d’ailleurs qu’il avait inventé avant tout le monde le « en même temps » : voilà qui me réjouit ! (Vives exclamations.)
M. Jean-François Husson, rapporteur. Il avait tout de même plus de hauteur de vue ! (Sourires.)
M. Jean-Raymond Hugonet. C’était il y a soixante-dix ans ! Il faudrait se réveiller !
M. Fabien Gay. Et Vinci ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Monsieur Dominati, je ne rappellerai que la durée de la concession pour le tunnel sous la Manche est de quatre-vingt-dix-neuf ans… Vous conviendrez donc qu’une durée de soixante-dix ans n’est pas inédite.
M. Fabien Gay. Et Vinci ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Vous savez également que le niveau des redevances sera revu tous les ans dans le cadre d’un contrat de régulation économique, sous l’égide d’une autorité indépendante, à la suite d’ailleurs des améliorations que vous avez apportées au texte. Ce contrat sera lui-même révisé ou rediscuté tous les cinq ans.
Enfin, monsieur Tourenne, vous affirmez que l’on prive les salariés de participation dans les entreprises de plus de cinquante ETP ; en réalité, le dispositif est facultatif et reste applicable sous ce seuil. Quand une entreprise met en place un accord de participation, elle a évidemment intérêt à le maintenir, car il s’agit d’un atout pour retenir ses salariés.
C’est d’ailleurs faire peu de cas de tout le travail que nous avons accompli sur l’intéressement que de prétendre une telle chose. Nous avons d’ores et déjà envoyé nos ambassadeurs sur le terrain pour faire en sorte que les PME déploient des accords d’intéressement sur la base des informations mises en ligne sur le site de Bercy pour faciliter les démarches. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Canevet, Mme Lamure et M. Husson, au nom de la commission spéciale, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la croissance et la transformation des entreprises (n° 382, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion. (M. Michel Canevet, rapporteur, applaudit.)
M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour défendre la motion que notre commission spéciale a adoptée sur l’initiative de ses trois rapporteurs, je développerai trois axes : premièrement, la plus-value apportée par le Sénat à l’occasion de l’examen de ce texte, plus-value dont nous pouvons être fiers collectivement ; deuxièmement, la situation de blocage qui résulte du texte adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale ; troisièmement, et enfin, les perspectives, les enseignements que nous pouvons tirer de ce parcours législatif.
Commençons par ce qui reste du travail sénatorial sur ce projet de loi.
M. Bruno Sido. Pas grand-chose !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Tout n’est pas négatif dans ce texte. Le Sénat, comme toujours, s’est attaché à produire un travail de qualité. Il a pu « engranger », si j’ose dire, quelques avancées sur chacune des parties du projet de loi, mais trop souvent sur des aspects que je qualifierai de « secondaires ».
Mes collègues rapporteurs Élisabeth Lamure et Michel Canevet ont souligné ces points de satisfaction : ils concernent la dématérialisation des factures d’électricité et de gaz, les tarifs réglementés, les rattrapages de la loi Égalim s’agissant des plastiques et des produits phytopharmaceutiques, l’ouverture en soirée des commerces de détail alimentaires, ou le droit des entreprises en difficulté.
Pour ma part, j’évoquerai plusieurs modifications apportées par le Sénat sur la création des reçus d’entreposage, la réforme de l’assurance vie, les crypto-actifs, la réforme du PEA et du PEA-PME, la fiscalité des jeux, la finance solidaire, ou encore l’émission d’actions de préférence.
Je crois aussi que nous pouvons nous satisfaire d’avoir introduit des garde-fous et un cadre de régulation pour Aéroports de Paris. Le Sénat a également joué son rôle quand il a alerté le Gouvernement du risque d’inconstitutionnalité de certaines mesures, des insuffisances du texte et des nouvelles contraintes que celui-ci risque de faire peser sur les entreprises.
Venons-en à la situation de blocage consécutive au vote de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Celle-ci, de son propre fait ou sur l’initiative du Gouvernement, a détricoté avec méthode quasiment tout ce que le Sénat avait fait en première lecture sur les sujets les plus importants.
Ce n’est évidemment pas une surprise s’agissant des articles que le Sénat avait supprimés, que ce soit les privatisations d’ADP et de la Française des jeux, ou l’objet social et la raison d’être des sociétés. Il s’agit là de divergences profondes et insurmontables.
En revanche, c’est plus regrettable lorsque le texte voté par le Sénat en première lecture était un texte de compromis, favorisant l’acceptabilité des dispositions proposées par le Gouvernement dans son projet initial. Or ces cas de figure sont nombreux : je pense au stage préalable à l’installation des artisans, sur lequel les propositions du Sénat ont été balayées, à la question de la réforme du contrôle légal des comptes, ou aux prêts interentreprises, par exemple.
Je pense également à l’avis conforme de la commission de surveillance dans la détermination du dividende versé par la Caisse des dépôts et consignations, ou encore à la réforme de l’épargne retraite : pour cette dernière disposition, l’Assemblée nationale est revenue sur le nouveau dispositif de déblocage anticipé visant à financer les travaux d’adaptation du domicile en cas de perte d’autonomie, dispositif que nous avions introduit dans le texte avec le soutien du ministre, d’ailleurs…
Comme l’a souligné Mme Lamure devant la commission, la question des seuils est significative de l’absence d’un véritable débat. Un échange avait été envisagé en commission mixte paritaire sur la possibilité de créer un seuil à soixante-dix salariés, tout en conservant les obligations en matière d’institutions représentatives du personnel. Mais rien n’a suivi et cette proposition est restée lettre morte. Quel dommage, madame la secrétaire d’État !
Dans cette situation, il est inutile de reprendre aujourd’hui un débat dont tout le monde a compris qu’il n’aboutirait pas. À ce stade de la navette, après engagement de la procédure accélérée, je le rappelle, nous n’obtiendrons aucune concession supplémentaire de l’Assemblée nationale. Il vaut bien mieux marquer clairement notre désaccord et éviter que la voix de notre assemblée se perde dans la répétition des mêmes arguments.
Pour autant, après ce vote, il reste beaucoup à faire. Tout d’abord pour les entreprises, auxquelles ce projet de loi était destiné, puisqu’il était question de favoriser leur croissance et leur transformation.
M. Bruno Sido. C’est raté !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Or, de ce point de vue, nous ne sommes pas au rendez-vous de l’ambition, et ce texte suscitera sans doute autant de déceptions qu’il a suscité d’espoirs. Qu’il s’agisse des seuils, de la participation et de l’intéressement, de la simplification des procédures, de la compétitivité, ce projet de loi manque incontestablement de souffle. Et je fais devant vous le pari que certaines mesures fortes adoptées par le Sénat finiront par prospérer dans les années à venir.
M. Michel Canevet, rapporteur. C’est sûr !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Il reste aussi beaucoup à faire en direction de l’opinion et de nos concitoyens.
Sur les mesures les plus importantes de ce texte, et malgré ce que l’on nous a présenté comme une concertation exemplaire de plus d’un an, c’est finalement le débat au Sénat en première lecture qui a été le révélateur. Qui parlait de la privatisation d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux avant que le Sénat ne pose à la fois la question de son contenu, de son bien-fondé et surtout celle de la régulation ?
Sur ce sujet, comme sur d’autres, le débat n’est sûrement pas clos. Nous sommes d’ailleurs nombreux à considérer que les articles concernant les privatisations ont été introduits sous un prétexte fallacieux, celui du financement des aides à l’innovation. La vraie raison, c’est la volonté du Gouvernement de contenir la progression de la dette publique et d’obtenir, si possible, sa diminution d’ici la fin du quinquennat.
C’est peu de dire qu’il existe une profonde frustration de l’opinion et des sénateurs face à ce débat tronqué. C’est particulièrement dommage dans le contexte actuel de grand débat, sur fond de revendications pour une démocratie plus active.
À cet égard, je veux souligner l’erreur du Gouvernement de ne pas avoir intégré ce temps de contestation et d’expression des colères de l’opinion publique, alors qu’il était prévu que le Sénat examine le texte en ce début d’année.
Au-delà de nos opinions différentes, mais parfois aussi convergentes, il y a aussi une question de méthode et un problème lié au comportement du Gouvernement à l’égard du Parlement et de la revalorisation du rôle de ce dernier. En effet, nous avons dû batailler au Sénat pour obtenir certaines informations, et il reste encore bien trop de zones d’ombre aujourd’hui.
Nos collègues ont évoqué les lacunes du brouillon de cahier des charges d’ADP. Je prendrai deux autres exemples.
Celui des ordonnances, tout d’abord. Il y a dans ce texte, comme dans d’autres, beaucoup trop de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance. Grâce au travail de Michel Canevet, le Sénat a réussi à inscrire dans la loi, sur le sujet des tarifs réglementés du gaz, les dispositions relatives à l’information et à la protection des consommateurs, mesures que vous vouliez renvoyer à une ordonnance. Mais, pour le reste, j’ai dénombré pas moins de onze habilitations et vingt-sept ratifications dans le texte !
Or, je le rappelle, les ordonnances sont l’instrument par lequel l’exécutif préempte les sujets qui ne seront pas évoqués au Parlement. Les déclarations sur la coconstruction des ordonnances avec les parlementaires sont parfaitement illusoires, madame la secrétaire d’État. Elles ne remplacent aucunement le débat parlementaire, surtout quand la ratification se fait par voie d’amendement. Et elles ne permettent pas non plus d’échanger avec l’Assemblée nationale.
Je prendrai ensuite l’exemple de la Française des jeux. Pour cette opération de privatisation, nous avions dès l’examen en commission refusé de donner un chèque en blanc au Gouvernement.
Or, à ce jour, tant le périmètre des droits exclusifs confiés à l’opérateur que les contours de la régulation du secteur demeurent incertains. Je continue de penser que rien ne nous assure aujourd’hui que le Gouvernement ne favorisera pas la valorisation de l’entreprise, au détriment des impératifs de santé publique et d’addiction au jeu.
Mes chers collègues, compte tenu de l’ensemble de ces observations, votre commission spéciale vous invite à voter la motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi. Pour autant, il nous semble que le Sénat aura une nouvelle fois démontré sa capacité à être un législateur minutieux, précis et vigilant au service de la qualité de la loi.
Je veux ici réaffirmer avec force l’utilité et l’intérêt du bicamérisme pour une démocratie vivante et forte, dont la France peut et doit s’enorgueillir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la majorité de droite de notre assemblée a choisi de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au texte adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale.
Selon les termes de cette motion, le texte ne permettrait pas « d’aller plus loin dans la recherche de compromis et de dispositifs plus équilibrés entre les deux assemblées sur les différents volets du texte ». En fait, vous cherchez à imposer vos vues à l’Assemblée nationale, en particulier sur la question de la privatisation d’ADP.
Vous cherchez un prétexte pour rejeter ce texte, afin de pouvoir mener campagne contre celui-ci, une fois qu’il sera adopté et la loi promulguée. C’est dommage, car la recherche du compromis est l’essence même du débat parlementaire, d’autant que le groupe Les Républicains s’est fixé « comme objectif de garantir l’équilibre des pouvoirs en se gardant de toute opposition caricaturale ». C’est écrit noir sur blanc dans la déclaration politique publiée sur le site internet du Sénat ! Je vous laisse juge de vos écrits, chers collègues. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Encore une fois, avec le vote de cette motion, le Sénat sortira de la scène et ne sera pas un acteur législatif actif. Après cela, étonnez-vous que la suppression du Sénat soit l’une des premières revendications du moment ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Daniel Laurent. N’importe quoi !
M. Jean-Pierre Grand. Ces propos sont honteux dans notre assemblée !
M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas acceptable ! Qu’est-ce que c’est que ce chantage ?
M. Richard Yung. Chers collègues, ce n’est pas du chantage, c’est la vérité ! (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. Si, c’est du chantage !
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Richard Yung, et à lui seul.
M. Richard Yung. Madame, messieurs les rapporteurs, dans l’exposé des motifs de votre motion, vous expliquez que le projet de loi « devait favoriser la croissance et la transformation des entreprises ». L’utilisation de l’imparfait traduit le refus de la majorité sénatoriale de reconnaître que la loi Pacte est un bon texte.
M. Jean-François Husson, rapporteur. C’est faux ! Il suffisait de nous écouter !
M. Richard Yung. Cette loi permettra aux entreprises de grandir, d’embaucher et d’innover. Cette loi facilitera l’accès des entreprises à des financements diversifiés. Cette loi aidera les entrepreneurs à rebondir. Enfin, cette loi est importante sur le plan social avec, par exemple, la protection des conjoints collaborateurs, le développement de l’actionnariat salarié, le développement de l’épargne salariale et la suppression du forfait social dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
Si la loi Pacte est une bonne loi, c’est aussi parce que le Sénat a permis d’obtenir plusieurs avancées qui ont été maintenues par l’Assemblée nationale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Le Sénat est donc bien utile ?
M. Richard Yung. Réjouissez-vous, mes chers collègues !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Cessez les paraboles !
M. Richard Yung. Au lieu de s’en réjouir et de reconnaître que le texte soumis à notre examen est équilibré, les auteurs de la question préalable continuent de faire des privatisations la pomme de discorde entre les deux chambres.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Il n’y a pas que cela !
M. Richard Yung. Cet argument est d’autant moins recevable qu’il émane de parlementaires qui, en 2017, ont soutenu un candidat à l’élection présidentielle, qui plaidait pour la reprise des privatisations.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Il ne s’agit pas forcément des mêmes !
M. Richard Yung. Cet argument n’a pas non plus de sens au regard des garanties supplémentaires qui ont été apportées en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et le Gouvernement. J’en ai dénombré au moins treize, mais je n’en citerai que quatre.
Tout d’abord, le texte prévoit la possibilité pour l’État de révoquer les dirigeants d’ADP chargés des principales missions opérationnelles, en cas de manquement d’une particulière gravité à leurs obligations.
Ensuite, il y aura une évaluation tous les dix ans, et non au bout de trente-cinq ans, des dispositions du cahier des charges et de leur mise en œuvre.
En outre, le Gouvernement est habilité à conférer à l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires le statut d’autorité administrative indépendante, dont elle ne dispose pas aujourd’hui.
Enfin, le projet de loi prévoit la possibilité, pour les collectivités territoriales, de déléguer à leur exécutif le droit de prendre des participations au capital d’ADP.
L’avenir montrera que ces mesures sont fondées et permettront d’aller de l’avant.
Non, la privatisation d’ADP ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’État ! Ce dernier conservera ses missions régaliennes, dont la police aux frontières, le contrôle des douanes, l’autorité de la Direction générale de l’aviation civile.
Non, il n’y a pas de monopole naturel pour les aéroports franciliens.
Non, la privatisation d’ADP ne reproduira pas les mauvaises pratiques de la privatisation de la gestion des autoroutes, qui a été engagée, il y a quelques années, par la droite. L’existence d’un cahier des charges et d’un contrat de régulation économique rendra impossible la conclusion d’accords secrets préjudiciables aux usagers, comme celui qui a été signé en 2015 par le gouvernement Valls et qui accorde la neutralité fiscale aux concessionnaires d’autoroutes.
Non, la privatisation d’ADP ne devrait pas entraîner de hausse des tarifs des redevances, en dehors de ce qui est prévu.
Pour ce qui concerne la privatisation de la Française des jeux, le dispositif soumis à notre examen rend inopérantes les critiques exprimées en première lecture par la majorité sénatoriale.
Outre le maintien des mesures relatives à la réforme de la fiscalité des jeux d’argent et de hasard – au fond, la Française des jeux est essentiellement une machine à générer du « cash fiscal » –, les députés ont précisé l’habilitation du Gouvernement à refondre la régulation du secteur. La qualité d’autorité de supervision sera ainsi attribuée à la future autorité de régulation unique. Il s’agira d’un grand progrès en matière de contrôle du secteur.
Par ailleurs, je note avec satisfaction que treize articles additionnels issus des travaux du Sénat figurent parmi les quatre-vingt-dix-neuf articles qui ont déjà été adoptés conformes. Plusieurs d’entre eux concernent la modernisation du réseau des chambres de commerce et d’industrie.
Je me réjouis également de constater que d’autres dispositions sénatoriales sont quasi conformes, comme la possibilité pour un cédant d’entreprise de proposer un tutorat bénévole au repreneur, l’interdiction du démarchage, de la publicité en ligne, du parrainage et du mécénat pour les offres sur actifs numériques non régulées – cela concerne les bitcoins, par exemple –, ou encore la clarification et l’harmonisation des règles de prescription applicables aux actions en contrefaçon.
Il faut également se féliciter que le Sénat ait été suivi par l’Assemblée nationale s’agissant de l’assurance vie. Le dispositif relatif à la transférabilité des contrats sans conséquence fiscale apparaît tout à fait satisfaisant. De plus, grâce au Sénat, les assureurs auront l’obligation de présenter des unités de compte orientées vers des fonds labellisés « ISR», c’est-à-dire « verts» et « solidaires». Il s’agit, là encore, d’un grand progrès social.
Par ailleurs, il importe de rappeler que l’Assemblée nationale a confirmé la suppression de douze articles. Je tiens toutefois à souligner que plusieurs de ces dispositions, dont certaines avaient été introduites par le Sénat, étaient discutables.
Plusieurs d’entre elles constituaient un mauvais message envoyé aux salariés et aux organisations syndicales : je pense notamment au relèvement de cinquante à cent salariés des seuils fixés dans le code du travail, ainsi qu’au relèvement de deux cents à deux cent cinquante salariés du seuil pour l’obligation de mise à disposition d’un local syndical. À mon sens, il s’agissait d’une mesure tout à fait vexatoire et inutile.
Je me réjouis aussi que l’Assemblée nationale ait rétabli les mesures de progrès qui avaient été supprimées par la majorité sénatoriale,…
M. Jean-François Husson, rapporteur. Comment cela ? Non !
M. Richard Yung. … en particulier la possibilité pour les sociétés de se doter d’une « raison d’être », c’est-à-dire d’ajouter un objectif de nature sociale, culturelle ou associative dans leur statut.
Mes chers collègues, les remarques que je viens de formuler montrent que ce texte est un bon compromis, contrairement à ce que j’ai entendu. Le groupe La République En Marche souhaite que notre assemblée l’adopte conforme, en vue d’envoyer un signal fort en direction des entreprises et de leurs salariés.
C’est pourquoi nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Sans surprise, le Gouvernement est défavorable à cette motion.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a dit mon collègue Fabien Gay, nous ne prendrons pas part au vote sur la motion tendant à opposer la question préalable, déposée au nom de la commission spéciale.
Nous regrettons en effet que la majorité sénatoriale refuse de débattre de nouveau d’un texte d’une telle ampleur. Nous rejetons aussi et dénonçons la surdité du Gouvernement et de l’Assemblée nationale, en particulier sur la question des privatisations.
Comme nous l’avons indiqué lors de la première lecture, madame la secrétaire d’État, le modèle économique et social que nous défendons est à l’opposé de votre projet de loi, qui promeut la financiarisation de l’entreprise et de la société, en général. Alors que notre pays aspire à plus de justice, justice fiscale, justice sociale, mais aussi justice au sein de l’entreprise, c’est finalement l’injustice sociale que vous érigez en modèle de réussite au nom d’une certaine conception de la compétitivité !
Alors que nos concitoyens rejettent en bloc la destruction ordonnée des services publics qui ont fait de notre pays un véritable modèle, vous continuez dans la voie du désengagement de l’État.
Vous faites le choix de la dérégulation, au risque de fragiliser l’ensemble de nos PME. Vous prétendez vouloir libérer les entreprises, en particulier les plus petites. Pourtant, rien dans ce texte ne remet en cause la domination des grands groupes donneurs d’ordre, qui pressurent au quotidien nombre de ces entreprises. Rien sur la sous-traitance, rien sur la chaîne de valeur !
Enfin, et c’est le cœur de notre opposition, ce projet de loi accélère le désengagement de l’État, garant d’un certain ordre économique, mais aussi de l’État actionnaire.
Il y a de trop nombreux renoncements dans ce texte. Vous renoncez à contrôler les jeux d’argent. Vous renoncez à un service public de l’énergie à l’heure ou la précarité énergétique n’a jamais été aussi forte dans notre pays. Vous renoncez à la véritable maîtrise publique du transport aérien.
C’est sans doute pourquoi ce texte ne passe pas. Au milieu d’un grand débat au cours duquel vos orientations ont été sévèrement critiquées, vous faites preuve d’un entêtement et d’un aveuglement qui défient toute rationalité et pèsent sur tout choix futur de politiques publiques différentes. La fronde gronde de toute part contre ces privatisations, qui sont un non-sens constitutionnel, économique, stratégique, financier et politique.
Dès lors, quand on examine de près ce projet de loi, on se demande où se trouve le nouveau pacte dont vous vous targuez. Surtout, on se demande qui seront les grands gagnants. Une chose est sûre : avec ces privatisations, ce ne seront ni la République ni nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous aurions aimé avoir un débat jusqu’au bout sur ce projet de loi. Nous regrettons cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous ne participerons pas à ce vote, parce que nous aurions voulu un débat global.
Je formulerai simplement trois remarques.
La première a trait à l’un des propos de Richard Yung. Notre collègue a parlé d’opposition caricaturale.
M. Arnaud de Belenet. Il a raison !
M. Martial Bourquin. Mais vouloir s’opposer à la privatisation d’ADP, de la Française des jeux et d’Engie – 800 millions d’euros par an pour l’État ! –, est-ce une caricature ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Le groupe Engie a déjà été privatisé !
Mme Catherine Fournier, présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises. Il ne faut pas tout mélanger !
M. Martial Bourquin. Parler ainsi, c’est une plaisanterie ! Au contraire, le rôle du Parlement, c’est de défendre les intérêts de la France, j’y insiste !
Ma deuxième remarque porte sur les propos de notre collègue concernant la suppression du Sénat et le comportement des sénateurs. Qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Qu’est-ce que c’est que ce chantage ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Comment peut-on exercer ouvertement un tel chantage auprès des sénateurs ? Cela en dit long sur la conception qu’a M. Yung du Parlement, et qui est celle du macronisme : le Parlement doit être à genoux, sinon il ne sert à rien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Protestation sur les travées du groupe La République En Marche.)
Troisième remarque, des parlementaires de toutes tendances ont entrepris d’engager un référendum d’initiative partagée contre la privatisation d’ADP : nous sommes 197 à cette heure, et nous serons bientôt davantage, à avoir lancé cette démarche. Je suis sûr que nous y parviendrons. Simplement, madame la secrétaire d’État, ne croyez-vous pas qu’il aurait été préférable, plutôt que de nous obliger à vous le demander avec l’aide de 4,5 millions de Français, de placer cette question des privatisations au cœur du grand débat national ?
Connaissez-vous la citation attribuée à Jean-Louis Barrault : « La dictature, c’est “ferme ta gueule” ! La démocratie c’est “cause toujours” ! » ? Pour vous, la démocratie, c’est « cause toujours » et c’est insupportable ! Faisons en sorte d’organiser un référendum, une grande consultation nationale, pour empêcher le braquage des bijoux de famille ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Je serai bref, car beaucoup a déjà été dit, et les différentes interventions montrent, en outre, une tendance un peu trop lourde à la caricature.
Tout d’abord, ce débat sur la motion tendant à opposer la question préalable est légitime. On peut se poser la question de savoir si une nouvelle lecture aurait permis, ou non, d’améliorer le texte. En l’état, cette tentative aurait certainement été vaine, mais cela aurait peut-être pu s’envisager avec un résultat différent en première lecture et avec une convergence des points de vue sur certains points, notamment sur la question des privatisations.
Concernant Aéroports de Paris, ma position personnelle, qui est aussi celle de mon groupe, est la suivante : nous n’aurions pas avancé une telle proposition, mais, dès lors qu’elle était faite, il fallait l’encadrer et apporter sa plus-value.
C’est ce que nous avons fait, mais, en même temps, nous avons fait verser le texte sur ce point. Le Sénat y a gagné que, ne pouvant aller plus loin, il n’a, in fine, apporté aucune valeur ajoutée. Je le regrette ! Nous avions réussi à le faire sur la loi, dite « Macron », du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Le Sénat aurait pu opter pour une autre position, qui pouvait se tenir.
Je n’en ajouterai pas plus sur le sujet. Nous versons effectivement tous dans la caricature, et je le déplore. Le débat n’est pas responsable ! Cette entreprise mérite mieux (Mme la secrétaire d’État opine.), ainsi que ses salariés qui, au quotidien, travaillent pour que nos concitoyens puissent prendre l’avion dans de bonnes conditions et que la France relève le défi de la compétition mondiale dans ce secteur. Au-delà des salariés, il y a un management et des syndicats. Tous sont conscients de la situation et, quand ils nous écoutent, je veux tout de même le dire, ils sont consternés du niveau du débat !
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Vincent Capo-Canellas. Cela dit, le Gouvernement aurait dû faire un pas vers le Sénat, et il n’a pas su le faire ; nos collègues députés auraient dû également faire un pas vers le Sénat, et ils n’ont pas su le faire.
Dans ces conditions, nous préférons voter la motion. Nous déplorons les faits que je viens de mentionner, mais il ne servirait à rien que nous continuions à discuter ensemble de ce texte, bien au contraire. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.
M. Philippe Dominati. Mon groupe votera évidemment la motion tendant à opposer la question préalable.
Je voudrais néanmoins revenir sur certains propos. C’est parce que le Sénat a fait preuve de sérieux, notamment sur le dossier d’Aéroports de Paris, que nous nous retrouvons, aujourd’hui, dans une impasse politique. En réalité, le Gouvernement n’a nullement été à l’écoute ; aucune volonté d’aboutir ne s’est manifestée au moment de la commission mixte paritaire, alors que, sur tous les sujets, un consensus allait se dégager.
Pour le bien des entreprises françaises, nous étions tous d’accord. Mais le Gouvernement…
M. Bruno Sido. Entêté !
M. Philippe Dominati. … s’est concentré sur l’objectif qu’il s’était fixé concernant Aéroports de Paris, et, ce faisant, il a cassé toute possibilité de consensus sur le projet de loi Pacte.
M. Michel Savin. Eh oui !
M. Philippe Dominati. Il ne faut pas inverser les rôles !
Le Sénat, on le voit bien, est maintenant puni. Le ministre se désintéresse du sujet. Le Premier ministre ne se déplace plus pour répondre aux questions d’actualité. Lors d’une récente session, la ministre chargée des transports n’était même pas là, et c’est M. Benjamin Griveaux qui a dû, en réponse à une question, expliquer au nom du Gouvernement pourquoi on allait privatiser Aéroports de Paris. Chacun se refile la patate chaude !
C’est précisément parce que nous avons joué notre rôle à fond et essayé, jusqu’à la commission mixte paritaire, d’aboutir que, devant l’échec de tout dialogue, nous nous voyons contraints d’examiner aujourd’hui cette motion. Tout cela relève d’une décision politique. Quels que soient les argumentaires qu’il développe sur les autres sujets, le Gouvernement ne veut pas parler de l’essentiel, c’est-à-dire de cette décision politique !
Cela nous oblige, pour attirer l’attention de l’opinion publique, à nous pencher sur l’aspect technique du dossier.
Dans votre très courte intervention dans ce débat, madame la secrétaire d’État, vous n’avez apporté aucune réponse technique. Vous avez préféré orienter votre discours sur un examen du rôle du Sénat. Je ne sais pas si telle était votre mission ou si vous avez témoigné, ainsi, de votre mécontentement à vous retrouver dans une impasse technique, incapable d’opposer des arguments aux critiques qui sont exprimées sur ce dossier.
En tout cas, nous, nous attendions des réponses. Une fois de plus, nous ne les avons pas eues. C’est pourquoi nous voterons la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Je serai très brève, monsieur le président. Je signale que, parmi les sujets ayant émergé dans le cadre du grand débat, on trouve la santé ou l’éducation, mais pas les privatisations ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, monsieur Dominati, j’ai apporté des réponses assez précises à vos questions. Je ne vais pas entrer dans le détail et « refaire le match », car, comme l’a très bien résumé le sénateur Capo-Canellas, notre discussion est tout à fait caricaturale. Je ne crois pas que ce soit la teneur qu’elle doive avoir. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Enfin, je ne me suis pas permis de commenter le rôle du Sénat. J’ai simplement observé que tenir des propos caricaturaux, c’est faire beaucoup de mal à toute la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 75 :
Nombre de votants | 251 |
Nombre de suffrages exprimés | 241 |
Pour l’adoption | 191 |
Contre | 50 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi est rejeté.
La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Catherine Fournier, présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au terme de cet examen, je souhaite tout d’abord remercier les membres de la commission spéciale de leur présence et leur implication.
Cela a été rappelé, les décisions prises dans le cadre de cette commission spéciale nous ont permis de mener des débats très intéressants, qui, en cas de refus systématique, n’auraient pu se tenir, ici, au sein de cette assemblée. En effet, le choix de la privatisation était déjà très contesté au stade de la commission et, si nous n’avions pas pu pousser la discussion plus loin, c’eût été regrettable. Cela explique, peut-être, le vote de cette motion ce soir.
J’aurais aimé remercier le ministre Bruno Le Maire, mais c’est vous, madame la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, que je vais remercier, ainsi que les administrateurs et responsables de cabinet.
Je souhaite également remercier les administrateurs du Sénat au sein de cette commission spéciale, qui nous ont énormément soutenus et aidés dans notre travail.
Je voudrais, enfin, faire une petite mise au point liée à l’actualité, mise au point qui me paraît indispensable.
Comme vous le savez, au nom de la commission, nous devions aujourd’hui recevoir, à leur demande, d’ailleurs, une délégation de « gilets jaunes ». Il s’agissait, conformément au souhait qu’ils avaient formulé voilà quelques semaines auprès de la présidence, d’évoquer avec eux les privatisations d’ADP et de FDJ. Nous acceptions de les rencontrer, au même titre que les personnes que nous avons entendues au cours des trois cent soixante auditions réalisées tout au long de l’examen de ce projet de loi.
L’appel à manifester lancé dès hier soir et le dévoiement de l’objet de la réunion nous ont contraints à annuler la rencontre. Nous ne souhaitons pas faire de la surenchère et nous ne voulons pas nous soumettre à une telle forme d’instrumentalisation et de récupération. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Le Sénat est à l’écoute de tous, mais il est indépendant dans ses décisions. Je déplore cette polémique, qui survient en clôture de l’examen du projet de loi Pacte. Je regrette l’appropriation personnelle, parfois, et médiatique qu’elle suscite.
Pour revenir au texte de loi lui-même, nous avons effectivement un sentiment quelque peu mitigé. Je ne reviendrai pas sur tous les détails évoqués et les explications données. Je rappelle simplement que, dans le contexte actuel et passé, le texte est arrivé à l’Assemblée nationale avec 73 articles, et on en sort 196 ! Sur ce total, seuls 73 ont donc fait l’objet d’une étude d’impact, ce qui explique le travail mené par le Sénat au cours des trois cent soixante auditions mentionnées. Je souhaitais le souligner. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
Mme Catherine Fournier, présidente de la commission spéciale. Par là même, madame la secrétaire d’État, je tiens à réitérer une plainte que nous avons déjà formulée : nous sommes systématiquement en procédure accélérée et, lorsque cette procédure est retenue pour des textes comme le présent projet de loi, tellement hétéroclites – on a pu constater, ici, qu’il nous manquait une ligne conductrice –, il est impossible de traiter les sujets au fond ou de prendre des décisions avec clairvoyance.
Pour rassurer mon collègue Richard Yung – je pense néanmoins qu’il en vient là à la fin de son propos –, le Sénat cherche, non pas à être inutile, mais à débattre objectivement des sujets, afin que chacun soit en capacité de prendre ses décisions.
Nous avons mené ici une discussion complète, mais certaines mesures importantes de ce projet de loi n’ont pas été approuvées au niveau de l’Assemblée nationale. Il faut, je crois, que chacun prenne ses responsabilités ! Avec notre vote de ce soir sur cette motion tendant à opposer la question préalable, la responsabilité de ce texte, tel qu’il est rédigé, reviendra à l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 10 avril 2019 :
À quatorze heures trente :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement (procédure accélérée ; texte de la commission n° 425, 2018-2019) et projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (procédure accélérée ; texte de la commission n° 426, 2018-2019).
À seize heures trente :
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, relative au Grand débat national, en application de l’article 50-1 de la Constitution
Le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement (procédure accélérée ; texte de la commission n° 425, 2018-2019) et du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (procédure accélérée ; texte de la commission n° 426, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures quarante-cinq.)
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER