Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot, M. Guy-Dominique Kennel.

1. Procès-verbal

2. Mesures d’urgence économiques et sociales. – Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, rapporteur

Suspension et reprise de la séance

Exception d’irrecevabilité

Motion n° 15 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi ; M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales ; Mme Muriel Pénicaud, ministre ; M. Roger Karoutchi ; Mme Laurence Cohen. – Rejet.

M. le président

Discussion générale (suite)

M. Alain Milon

M. Martin Lévrier

Mme Laurence Cohen

M. Yves Daudigny

Mme Véronique Guillotin

M. Stéphane Ravier

M. Alain Fouché

M. Olivier Henno

Mme Laurence Rossignol

Mme Nathalie Goulet

Mme Michelle Meunier

Mme Muriel Pénicaud, ministre

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

Article 1er

M. Jean-François Longeot

M. Vincent Delahaye

Mme Esther Benbassa

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Corinne Féret

M. Jean-François Rapin

M. Daniel Gremillet

M. Bruno Retailleau

Amendement n° 11 rectifié de M. Yves Daudigny. – Retrait.

M. Yves Daudigny

Mme Éliane Assassi

Mme Catherine Deroche

M. Serge Babary

Adoption de l’article.

Article additionnel après l’article 1er

Amendement n° 12 rectifié de M. Yves Daudigny

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

Amendement n° 12 rectifié de M. Yves Daudigny (suite). – Retrait.

Article 2

M. Jean-François Longeot

Mme Esther Benbassa

Mme Laurence Cohen

Adoption de l’article.

Article additionnel après l’article 2

Amendement n° 4 rectifié bis de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Article 3

Mme Laurence Cohen

M. Ronan Dantec

Amendement n° 13 rectifié de M. Yves Daudigny. – Rejet.

Amendement n° 6 rectifié ter de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article additionnel après l’article 3

Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Article 4

Mme Esther Benbassa

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Fabien Gay

Adoption de l’article.

Articles additionnels après l’article 4

Amendement n° 14 rectifié de M. Yves Daudigny. – Rejet.

Amendement n° 10 rectifié bis de Mme Laurence Cohen. – Rejet.

Vote sur l’ensemble

M. Patrick Kanner

M. Jean-Claude Requier

Mme Laurence Cohen

M. Bruno Retailleau

M. Vincent Capo-Canellas

M. Michel Amiel

M. Alain Fouché

Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission.

Mme Muriel Pénicaud, ministre

3. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 19 décembre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

 
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Discussion générale (suite)

Mesures d’urgence économiques et sociales

Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d’urgence économiques et sociales (projet n° 230, texte de la commission n° 233, rapport n° 232).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Mme la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et moi-même tenons, au nom de l’ensemble du Gouvernement, à vous remercier, monsieur le président du Sénat, car, ces jours derniers et dans les délais extrêmement contraints par l’urgence de la situation, vous avez pleinement œuvré pour créer les conditions propices à un débat de qualité sur le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales. La discussion qui s’engage à présent sous votre présidence intervient quelques heures après le vote de l’Assemblée nationale. Elle approfondira les échanges intenses et précis que nous avons eus mercredi dernier lors de notre audition en commission.

Surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion s’inscrit dans le prolongement du travail étroit que nous avons eu en amont avec les deux chambres grâce notamment à un échange constant entre les rapporteurs Olivier Véran et Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous tenons à saluer cette démarche parlementaire à double titre.

D’une part, elle témoigne d’un esprit de responsabilité et d’une volonté de participer au rétablissement rapide d’un climat d’apaisement. C’est particulièrement précieux, car, par la désinformation, le rejet de la nuance, la prime au buzz ou au clash, il n’a jamais été aussi facile d’infuser un climat de défiance, de dénigrement de l’autre, d’ironie permanente, parfois de violences, y compris physiques. D’ailleurs, certains élus ont subi des actes d’intimidation, des agressions, que nous devons tous ici unanimement condamner.

Or, ce qui fonde notre engagement commun en tant que responsables politiques, c’est la volonté de créer du lien. Et nous avons besoin d’un climat de confiance pour créer ce lien entre nos concitoyens, entre eux et leurs élus, entre les territoires, entre les générations et entre les échelles de temps. Ce lien, vous le savez mieux que quiconque, ne peut exister sans la démocratie, et réciproquement ; c’est un équilibre fragile à maintenir.

D’autre part, nous tenons à saluer la démarche parlementaire dans laquelle vous vous inscrivez, car elle participe de notre capacité collective à apporter des réponses à la fois rapides, fortes et concrètes pour nos concitoyens afin que chacun puisse vivre décemment de son travail et choisir sa vie professionnelle. C’est précisément cette capacité collective à concrétiser une société de l’émancipation par le travail et la formation, rompant avec les droits formels et avec le déterminisme de naissance ou géographique, qui est fortement questionnée aujourd’hui.

Pour réaliser ce projet de société, le Gouvernement a engagé depuis dix-huit mois une profonde transformation de notre modèle économique et social, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Français. Sans ces transformations, nous ne pourrons pas tirer le meilleur parti des mutations économiques, sociales, technologiques et écologiques qui sont à l’œuvre sur la planète. À l’inverse, si nous ne nous transformons pas à temps, nous les subirons de plein fouet, en particulier les plus vulnérables d’entre nous.

Tel est le sens du dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire, de la complémentaire santé pour des soins de bonne qualité au prix de 1 euro par jour ou de la prise en charge progressive de 100 % des frais de soins dentaires, d’optique ou de prothèses auditives. Tel est aussi le sens de l’action menée en matière d’apprentissage, de formation professionnelle, ainsi que de développement et d’attractivité du territoire.

Voici notre cap : stimuler la croissance et la rendre riche en emplois et inclusive.

L’ensemble de ces transformations demande du temps pour faire sentir pleinement leurs effets. Or il est vrai que ce temps est plus long que celui dont disposent certains de nos concitoyens. Certains de nos concitoyens n’ont pas ce temps, car leur horizon, alors même qu’ils travaillent ou ont travaillé toute leur vie, n’est pas la fin du mois, mais le 20, voire le 15 du mois. Comment, dans ces conditions, ne pas s’inquiéter pour ses enfants, ses petits-enfants ? Comment se projeter dans l’avenir ?

Pour citer André Gide, certains de nos concitoyens éprouvent le sentiment que « le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire ». En clair, beaucoup de nos concitoyens désespèrent de ne plus pouvoir espérer !

Ce désespoir de vies empêchées, cette souffrance, cette colère se sont exprimés très fortement depuis plus d’un mois, matérialisés par le mouvement des « gilets jaunes ». Cette colère, cette souffrance nous interrogent collectivement sur notre capacité à apporter des réponses de long terme, qui transformeront la situation, mais en même temps des réponses qui soient rapides, fortes et concrètes.

Apporter des réponses rapides, c’est la condition de l’apaisement. C’est l’objet de l’état d’urgence économique et social qui a été décrété par le Président de la République le 10 décembre dernier. Le présent projet de loi en est la traduction. Comme vous le savez, il contient quatre mesures fortes.

La première est la possibilité pour une entreprise de verser, pour les salariés rémunérés jusqu’à trois SMIC bruts par mois, une prime exceptionnelle qui sera exonérée, jusqu’à 1 000 euros nets, de toutes charges sociales et d’impôt sur le revenu. La prime devra être versée avant le 31 mars 2019. L’incitation est plus puissante que ce qui a pu exister auparavant, puisque l’exonération portera sur l’impôt sur le revenu et sur l’ensemble des charges sociales, y compris la CSG et la CRDS. Bien évidemment, elle ne sera pas prise en compte pour le calcul de la prime d’activité.

La deuxième mesure concerne les heures supplémentaires : elle permet à tous les salariés et les fonctionnaires qui réalisent des heures supplémentaires, soit environ 9 millions de personnes chaque année, de ne payer désormais ni cotisations salariales ni impôt sur le revenu, à concurrence d’une rémunération annuelle nette au titre des heures supplémentaires de 5 000 euros. Si vous la votez, cette mesure entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2019. Initialement prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, elle est avancée dans le temps et élargie quant à son périmètre, en particulier au titre de l’exonération d’impôt sur le revenu.

Le gain de pouvoir d’achat dépend de la rémunération et du niveau d’imposition des salariés. À titre d’exemple, la mesure permettra un gain de pouvoir d’achat annuel d’environ 500 euros pour un salarié qui réalise deux heures supplémentaires par semaine, ce qui constitue la moyenne en France, et qui est rémunéré 1 500 euros nets par mois.

La troisième mesure vise les retraités : la hausse de la CSG intervenue en janvier 2018 a été perçue comme injuste et difficile à supporter par nombre d’entre eux, même si, il faut le rappeler, 40 %, les plus modestes, en avaient été exonérés d’emblée. Le projet de loi rétablit, à compter du 1er janvier 2019, le taux de CSG de 6,6 % pour la moitié des retraités qui avaient supporté la hausse de 1,7 point. Ce sont 3,8 millions de foyers, 5 millions de retraités, qui vont bénéficier de ces dispositions.

Concrètement, pour un retraité percevant une retraite, avant cotisations sociales, de 1 600 euros et sans autre revenu par ailleurs, ce sera un gain de pouvoir d’achat de 325 euros sur l’année. Avec cette mesure, seuls 30 % des foyers fiscaux avec un retraité auront un taux de CSG de 8,3 % et 70 % ne seront plus touchés par la hausse.

Enfin, je tiens à expliciter une nouvelle fois notre choix en faveur de la prime d’activité. Comme vous le savez, les paramètres de la prime d’activité relèvent du pouvoir réglementaire, l’article 4 du projet de loi prévoyant la remise d’un rapport sur cette question.

Choisir la prime d’activité allie deux impératifs : le travail, qui doit mieux payer, et la justice sociale.

Grâce au choix que nous faisons d’un renforcement de la prime d’activité, 100 % des personnes qui n’ont que le SMIC pour vivre auront bien 100 euros nets par mois de revenus supplémentaires dès 2019, 100 % des personnes seules – femmes ou hommes – avec enfants qui n’ont pour vivre qu’un salaire n’excédant pas 2 000 euros par mois auront bien 100 euros de plus et 100 % des couples sans enfant qui n’ont pas d’autre revenu que des salaires dont la somme n’excède pas 2 400 euros auront 200 euros en plus. Cette mesure concernera aussi les couples ayant jusqu’à 3 000 euros de salaire et deux enfants.

Grâce à la prime d’activité, nous allons donc beaucoup plus loin que le SMIC. C’est un point important, car qu’entendons-nous depuis des semaines ? Le fait que ce ne sont pas seulement pour les personnes rémunérées au SMIC que, compte tenu des dépenses contraintes, la situation est difficile, mais aussi pour toutes celles qui n’ont pas d’autre revenu qu’un salaire qui se situe un peu au-dessus. Ces personnes considèrent qu’elles n’ont pas de revenus dignes, décents ; elles considèrent qu’elles sont angoissées à chaque fin de mois.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Elles ne « considèrent » pas ! Elles le sont !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. La solution qui allie revalorisation du SMIC et développement de la prime d’activité répond à cette urgence économique et sociale.

Nous devons prolonger cet apaisement. Les mesures d’urgence ne suffisent pas, car nombre de nos concitoyens ont de réels problèmes à joindre les deux bouts, et leur situation est effectivement difficile.

Pour aller plus loin, le Gouvernement a engagé un certain nombre de réformes, mais nos concitoyens nous ont aussi dit qu’ils souhaitaient que nous fassions ces réformes avec eux, pas seulement pour eux. C’est l’objet du grand débat national qui débutera dans les prochains jours et dont les modalités ont été présentées avant-hier par le Premier ministre. Je vous invite tous à y participer massivement, au plus près du terrain – et qui mieux que vous connaît l’importance d’une telle proximité ?

M. Christian Cambon. Il est temps de s’en apercevoir !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Ce grand débat national, attendu par nos concitoyens, permettra d’apporter de nouvelles solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, rapporteur. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi porte sur des mesures d’urgence économiques et sociales. Reconnaissons que le calendrier imposé au Parlement illustre tout particulièrement ce caractère d’urgence, puisque nous sommes réunis pour examiner ce texte deux jours après son adoption par le conseil des ministres et le jour même de sa transmission au Sénat par l’Assemblée nationale. Il faut l’admettre, ce sont des conditions de travail peu confortables.

Heureusement, ce projet de loi est court : il ne compte que quatre articles, eux-mêmes relativement brefs. En outre, je tiens à souligner la bonne collaboration des services du Gouvernement, qui ont répondu avec rapidité et précision à nos questions. Je les en remercie vivement.

Le dialogue a également été nourri ces derniers jours avec le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, Olivier Véran, dont je salue ici la disponibilité, l’esprit d’ouverture et la courtoisie. J’ai noté une volonté réelle de nouer entre nos deux assemblées, sur les projets de loi entrant dans le domaine social, une relation nouvelle qui, je l’espère, perdurera. Je souhaite qu’il en soit de même pour nos relations avec le Gouvernement. Il y a, dans nos assemblées, autant sinon plus de talents, de compétences et surtout d’expérience que dans les cabinets ministériels.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Le reproche fait par certains sur les ronds-points est qu’on ne les écoute pas. Nous pouvons souvent dire au Gouvernement qu’il ne nous entend pas. Nous n’en serions sans doute pas là s’il avait suivi le Sénat sur la CSG et sur le gel des taxes sur le carburant. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Rachid Temal applaudit également.) Ce n’est pas un reproche personnel, mesdames les ministres, monsieur le ministre. Il s’adresse de manière générale à tous les gouvernements depuis des décennies.

Venons-en au fond des mesures de ce projet de loi. Il s’agit, comme vous le savez, mes chers collègues, de traduire en droit les mesures annoncées par le Président de la République.

L’article 1er prévoit que les employeurs puissent verser une prime exceptionnelle à leurs employés qui serait, jusqu’à un montant de 1 000 euros, exonérée de toute imposition, cotisation ou contribution sociale. Précisons qu’il s’agit des employeurs soumis à l’obligation de contribuer à l’assurance chômage et de certains autres employeurs à statut particulier, mais pas de la fonction publique.

L’article 2 avance au 1er janvier 2019 l’exonération de cotisation salariale sur les rémunérations liées aux heures supplémentaires et les exonère d’impôt sur le revenu, dans la limite de 5 000 euros nets. Notre collègue Roger Karoutchi, qui avait formulé ces propositions dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, devrait être satisfait – vous le voyez, mon cher collègue, il faut avoir de la patience…

M. Roger Karoutchi. J’en ai pour l’éternité !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. En revanche, les cotisations patronales ne seront pas exonérées. Il n’y a donc pas d’incitation, pour les employeurs – je me tourne maintenant vers la gauche de notre hémicycle –, à privilégier l’usage d’heures supplémentaires par rapport à l’embauche de nouveaux salariés. C’est simplement une mesure de pouvoir d’achat renforcé pour les salariés.

L’article 3 rétablit un taux de CSG de 6,6 %, c’est-à-dire le taux applicable jusqu’en 2017, sur les pensions de retraite et certains revenus de remplacement pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à un certain seuil. Ce seuil correspond à un revenu net mensuel de 2 000 euros pour une personne seule et de 3 060 euros pour un couple.

Enfin, l’article 4 prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement six mois après la promulgation de cette loi afin de dresser le bilan de la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité prévue le 1er janvier prochain.

Une fois n’est pas coutume, une telle demande de rapport est opportune. D’abord, parce qu’elle nous permet de débattre aujourd’hui dans cet hémicycle de la prime d’activité. Ensuite, parce que, pour cette mesure, plus encore peut-être que pour les autres, l’application concrète de la loi sera capitale. En effet, le taux de recours à la prime d’activité doit progresser. Pour cela, il faudra peut-être aller vers une forme d’automaticité du versement de cette prestation aux personnes qui y ont droit. Mesdames les ministres, le rapport du Gouvernement devra être précis sur ce point ; il devra présenter des pistes pour améliorer, si nécessaire, ce taux de recours.

L’Assemblée nationale a adopté quelques amendements à ce texte. Il s’agissait essentiellement d’apporter certaines précisions, souvent utiles d’ailleurs. Pour autant, aucun d’entre eux n’a modifié l’économie générale du texte.

Les mesures de ce projet de loi sont donc substantielles. De plus, elles s’inscrivent dans un plan plus vaste comprenant en particulier l’abandon des augmentations pour les taxes énergétiques – je rappelle que le Sénat avait inscrit une telle annulation en première lecture lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019… Comme le détaille le rapport de la commission, ce plan aura un coût total pour les finances publiques d’environ 10,3 milliards d’euros en 2019.

M. Jean-Claude Requier. Il faudra les trouver…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. À ce stade, une seule mesure a été introduite au sein du projet de loi de finances pour 2019 : l’abandon de l’assouplissement de la « niche Copé », pour un gain de l’ordre de 200 millions d’euros. Le Gouvernement annonce certes diverses autres mesures, qui devraient être examinées dans le cadre du collectif budgétaire prévu pour le premier trimestre, mais il resterait un « trou » d’environ 6,4 milliards d’euros.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Par conséquent, le déficit public devrait atteindre 3,2 % du PIB en 2019 au lieu des 2,8 % initialement prévus.

S’agissant des finances sociales, comme vous le savez, mes chers collègues, seule une loi de financement de la sécurité sociale peut diminuer les ressources de la sécurité sociale. Or le projet de loi que nous examinons ne relève pas de cette catégorie de loi. Par conséquent, d’un point de vue juridique, tout ce que le Parlement votera devra être compensé à la sécurité sociale, sauf à ce qu’une loi de financement de la sécurité sociale prévoie le contraire.

À titre informatif, vous trouverez, dans le rapport de la commission, les tableaux d’équilibre pour 2019 rectifiés, si d’aventure le Gouvernement était tenté d’appliquer les principes qu’il a définis dans son rapport de juillet 2018 sur la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale et que l’on peut résumer par la formule : « que chacun finance ses pertes » !

Les régimes obligatoires de base et le FSV afficheraient un déficit consolidé de 2,8 milliards d’euros. Nous serions donc assez loin du retour à l’équilibre annoncé au début de l’automne. Comment mieux illustrer la pertinence de nos réserves sur les coupes prévues dans le flux de TVA à destination de la sécurité sociale et sur le fait que l’on ne saurait lui « faire les poches » avant qu’elles ne soient pleines ?

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a considéré que l’économie générale de ce projet de loi répond, au moins en partie, à plusieurs préoccupations soulevées par le Sénat, notamment lors de l’examen des deux derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Les gains de pouvoir d’achat qu’entraîneront ces mesures, en particulier pour les travailleurs et les retraités aux revenus modestes, seront substantiels. De plus, la commission a considéré qu’il était nécessaire que les propositions faites par le Gouvernement en réponse aux annonces du Président de la République puissent rapidement se traduire dans les faits. C’est pourquoi elle a adopté le texte transmis par l’Assemblée nationale sans modification et préconise son adoption conforme par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité a été déposée sur ce texte. La commission des affaires sociales n’ayant pu l’examiner, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes pour qu’elle puisse rendre son avis.

M. le président. À la demande de la commission, la séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Discussion générale

M. le président. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Cohen et Apourceau-Poly, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 15.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales (n° 233, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que nous présentons est spontanée. Elle est le fruit d’une grande incompréhension et, je dois le dire, d’une grande colère.

Cette motion, qui soulève l’inconstitutionnalité, vise le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales qui nous est soumis dans la plus grande précipitation. Nous estimons que les conditions de débat, en particulier la grave mise en cause du droit d’amendement, portent un sérieux coup à ce projet dont les conditions d’élaboration ne respecteront donc pas la Constitution.

Avant d’en venir aux éléments juridiques précis qui fondent notre motion, je voudrais rappeler d’un mot le contexte social du débat en cours, sur lequel mon amie Laurence Cohen reviendra plus précisément dans le cadre de la discussion générale.

Nous assistons à une révolution citoyenne d’ampleur, à un mouvement social inédit, massivement soutenu par la population aujourd’hui encore, malgré toutes les tentatives de dénigrement. Ce mouvement bouscule profondément les dogmes libéraux qui encadrent les politiques gouvernementales depuis vingt ans.

Ce mouvement porte sur le pouvoir d’achat, sur la justice fiscale, bien sûr, et nous reviendrons fortement sur ces aspects dans le débat, mais il porte en lui une aspiration formidable à la participation des citoyens non seulement au débat, mais aussi à la prise de décisions. Le peuple n’en peut plus de ces institutions qui autorisent le reniement des engagements et tiennent éloignés de manière de plus en plus évidente les citoyens des élus, en particulier nationaux, sans évoquer le Président de la République, enfermé aujourd’hui dans une posture jupitérienne.

Nous n’avons pas attendu aujourd’hui, avec beaucoup d’autres, pour souligner la crise politique et institutionnelle profonde que traverse notre pays. L’abstention croissante aux différentes élections en est un symptôme frappant.

Nous constatons, avec cette entrée en force des « gilets jaunes » dans le paysage politique et social, car c’est un mouvement politique et social, que le peuple tente de reprendre en main la situation en rappelant avec force cette volonté de vivre dignement, ce ras-le-bol de l’exposition indécente des richesses en croissance infinie, cette volonté de démocratie. Cette volonté de prendre la parole, de reprendre le pouvoir s’exprime avec l’exigence du référendum d’initiative populaire plébiscité – vous devez entendre cela au Gouvernement et dans la majorité des assemblées – par 78 % des femmes et des hommes de notre pays.

Emmanuel Macron, pris de court, a présenté ses propositions à la source du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

Outre le fait que ces mesures sont notoirement insuffisantes et relèvent, pour l’essentiel, d’une véritable manipulation des chiffres, tout le monde a été frappé par l’absence de planification en matière de financement et chacun a relevé que les riches étaient protégés de tout effort de participation réelle, pérenne à l’effort de solidarité nationale.

La question du financement de votre projet est au cœur du débat. Il est un élément clef de la discussion. Ne pas le reconnaître relève, il faut le dire, d’une forme de malhonnêteté intellectuelle. Qui financera ? La collectivité, y compris ceux qui bénéficieront de ces quelques miettes, ou bien les détenteurs des plus gros patrimoines, ceux qui profitent du fruit du travail de ces femmes et de ces hommes en lutte, les actionnaires en un mot ? Les plus riches participeront-ils à cet effort d’aujourd’hui et celui, nécessaire, à venir ?

Nous avons déposé des amendements importants liés directement, intimement à ce texte, car ils concernent son financement. Ils portent, par exemple, sur la mise à contribution de l’ISF, sur la mise à contribution d’une taxe spécifiquement prévue à cet effet ou sur la mise à contribution de la remise en cause des mesures se substituant, dans la dernière loi de finances, au CICE, cette manne de cadeaux aux entreprises, les plus grandes en particulier, sans contrepartie.

Ces amendements, la majorité sénatoriale, sous le regard bienveillant et redevable du Gouvernement et d’Emmanuel Macron, les déclarera sans doute irrecevables. Le principe de cette irrecevabilité a d’ailleurs été décidé avant même le dépôt de nos amendements, puisque le président de la commission des affaires sociales a clairement affirmé ce matin, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, que tout amendement ne portant pas sur le corps du texte serait refusé pour des raisons d’urgence.

Monsieur le président du Sénat, cette urgence, cette efficacité, c’est précisément cela qui vous avait fait entrer dans une forme de résistance au projet de loi de révision constitutionnelle portée par le chef de l’État. Vous avez, avec le président de la commission des lois, avec la majorité sénatoriale, en vous appuyant sur les groupes d’opposition, mis en avant la défense du droit d’amendement.

Vous savez très bien que l’article 3 du projet de loi, entre autres dispositions, limitait fortement le droit fondamental en modifiant l’article 41 de la Constitution. Cet article 3 instaurait l’irrecevabilité de tout amendement sans lien direct avec le projet ou la proposition de loi en discussion.

M. Roger Karoutchi. C’est la règle !

Mme Éliane Assassi. Il y a une contradiction manifeste entre l’attitude de votre majorité à l’encontre du projet de loi constitutionnelle et le fait que vous permettiez l’adoption conforme d’un texte qui ne met en cause ni le patronat ni les plus riches. Mais, surtout, quelle profonde incompréhension du mouvement en cours et à la formidable aspiration au débat, à la concrétisation pleine et entière de la citoyenneté !

Le Gouvernement prône un grand débat, mais ce débat est tué dans l’œuf au Sénat par une lecture tronquée de la Constitution, par une interprétation abusive de ce texte très imparfait, mais qui préserverait quelque peu, du fait de la tutelle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur l’ensemble de nos institutions, le droit d’amendement.

La révision de 2008 a précisé explicitement la force du droit d’amendement en substituant, à la demande du Sénat et de son rapporteur, Jean-Jacques Hyest, à la notion de limite au droit d’amendement voulue par M. Sarkozy et relayée par M. Karoutchi, alors ministre des relations avec le Parlement (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.),…

M. Roger Karoutchi. Heureusement que nous étions là !

Mme Éliane Assassi. … le concept de conditions pour exercer le droit d’amendement rappelé dans l’article 44 de la Constitution.

L’article 45 rappelle, quant à lui, la possibilité, en première lecture, de déposer des amendements ayant un lien, certes, mais même indirect – j’insiste sur ces termes –, avec le texte en discussion.

Sur le site internet du Sénat, on trouve le rappel de l’alinéa 1er de l’article 45 de la Constitution au sujet des cavaliers législatifs : « Tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » Le site précise aussi que, pour apprécier l’existence d’un lien direct ou indirect, il convient, comme l’a fait le Conseil constitutionnel, de recourir à la technique du faisceau d’indices. Les indices ou les références sont au nombre de trois : l’intitulé, l’exposé des motifs et l’objet du texte.

Mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, pouvez-vous maintenir que proposer de débattre des modalités de financement, sans créer de dépenses supplémentaires, bien entendu pour respecter l’article 40 de la Constitution que nous combattons par ailleurs, n’a pas de lien indirect et ne répond pas au faisceau d’indices évoqués ? Tout cela n’est pas sérieux !

Nous assistons à un coup de force. Nous ne pouvons croire que « la trêve des confiseurs » serait la justification d’une violation de la Constitution. Vous ne voulez, ni au Gouvernement ni à la droite de l’hémicycle, de ce débat, car il touche au fondement de votre politique : imposer, maintenir coûte que coûte l’injustice fiscale et sociale. Vous concédez quelques mesurettes qui, pour ceux qui n’ont rien, apporteraient évidemment un très maigre réconfort pour mieux préserver l’austérité.

Solennellement, je vous appelle, en cette fin de journée, à la responsabilité. Un vent se lève dans notre pays, et ne croyez pas qu’il va perdre de sa force dans les jours à venir. Votre responsabilité, notre responsabilité est grande pour ouvrir nos institutions au débat, aux citoyens, pour répondre à cette attente formidable. Si vous décevez cette attente par des mesures de cadenassage comme aujourd’hui, vous devrez répondre demain d’un discrédit définitif de notre Parlement.

Monsieur le président du Sénat, levez les irrecevabilités décidées, il y va de la crédibilité et de la dignité de notre assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je veux souligner le travail absolument remarquable effectué par Mme Assassi et les membres du groupe CRCE pour reprendre l’ensemble des articles de notre règlement et les interpréter. Pour ma part, je citerai l’article 48, qui dispose, en son alinéa 3, que « les amendements sont recevables s’ils s’appliquent effectivement au texte ». Or vos amendements, madame Assassi, ne s’appliquent pas effectivement au texte. Ils vont bien au-delà. Voilà pourquoi j’ai parlé d’irrecevabilité en commission.

Pour ce qui concerne la motion, la commission a émis un avis défavorable en s’appuyant sur un argument que vous aviez vous-même développé lorsque, nous, nous avions déposé une question préalable dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous nous disiez : nous devons débattre. Comme vous, madame Assassi, nous souhaitons débattre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable pour la même raison : le débat doit avoir lieu.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je vous remercie de m’avoir cité, madame Assassi. Cela fait toujours bien de figurer dans le compte rendu. (Sourires.)

Remettons les pendules à l’heure.

Premièrement, les articles 40 et 41 de la Constitution s’appliquent à tous : groupe communiste, groupe Les Républicains ou groupe Union Centriste.

Deuxièmement, en 2008, vous l’avez rappelé, est intervenue une réforme de la Constitution. Je vous le dis, cette réforme a accru les pouvoirs du Sénat. Je pense au droit d’amendement, notamment pour les groupes minoritaires et les groupes d’opposition, ou au travail des commissions. Elle a aussi prévu, comme nous en avons fait usage lors de la crise financière et bancaire, l’extrême urgence. D’ailleurs, en 2008, on a pu sauver le système financier français précisément en recourant à cette extrême urgence. Il y a eu une réunion à l’Élysée avec le Président Sarkozy – le fameux Président Sarkozy –…

Mme Éliane Assassi. Sarkozy, le retour !

M. Roger Karoutchi. … et tous les groupes du Sénat et de l’Assemblée nationale, groupes communistes compris. Le président du groupe communiste à l’Assemblée nationale et le président du groupe communiste au Sénat ont été d’accord, tout en décidant de ne pas voter le texte, pour reconnaître l’extrême urgence.

Le Parlement représente l’ensemble des citoyens. Il lui faut du temps pour bien faire la loi,…

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le cas ici !

M. Roger Karoutchi. … comme le souhaite régulièrement le président Larcher, mais, quand il y a urgence, quand des décisions doivent être appliquées au 1er janvier, personne en France ne comprendrait que le Parlement bloque, personne en France ne comprendrait que nous fassions de la politique politicienne pour empêcher ces mesures de s’appliquer.

Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas le sujet !

M. Roger Karoutchi. Nous pourrons discuter lors du collectif budgétaire. Nous-mêmes, nous ne sommes pas forcément d’accord sur tout, et nous aurions souhaité d’autres mesures. Mais, pour l’heure, les Français, que vous défendez, que nous défendons, attendent.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le sujet de la motion !

M. Roger Karoutchi. Nous ne pouvons pas leur dire : « Attendez janvier quand on rentrera. »

Les Français ont des droits. Nous aussi, mais nos droits sont parfaitement respectés. L’extrême urgence est une donnée que doit prendre en compte le Parlement. Si nous n’agissions que dans les temps réglementaires, nous serions très critiqués pour être décalés par rapport aux attentes de nos concitoyens. Les Français valent bien ça ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Fouché applaudit également.)

Mme Éliane Assassi. Nous vous avons connu plus brillant !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Les explications de M. Karoutchi ne valent pas arguments contre ce qu’a développé Éliane Assassi, puisque cela n’a pas de rapport.

Quand on nous dit que le texte du Sénat doit être conforme à celui de l’Assemblée nationale, où est notre rôle ?

M. Jean Bizet. Dans la responsabilité !

Mme Laurence Cohen. Les sénateurs et les sénatrices devraient suivre ce qui a été décidé à l’Assemblée nationale, où une majorité de députés vote sans broncher tout ce que propose le Gouvernement, parce qu’il y a urgence ? Ce serait une remise en cause du droit des parlementaires que nous sommes et, surtout, du travail que nous avons effectué, mes chers collègues.

Si ces mesures d’urgence n’apparaissent pas dans un ciel serein – des mouvements comme celui des « gilets jaunes » le montrent –, il faut rappeler le travail que nous avons réalisé ici, dans l’hémicycle, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. À ce moment-là, mesdames les ministres, nous vous avions alertées – du moins les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste l’avaient fait – sur la nécessité de modifier vos orientations politiques. Vous ne nous aviez pas écoutés. Maintenant, vous venez nous parler de mesures d’urgence qui, on l’a vu et on le constatera, ne font pas le compte par rapport aux attentes. Voilà la problématique !

Notre motion d’irrecevabilité est un geste fort pour dire au Gouvernement que les parlementaires ne sont pas aux ordres ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 15, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Je rappelle également que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

M. le président. Madame la présidente Assassi, nous avons en commun un profond attachement au droit d’amendement – je pense l’avoir prouvé.

M. le président. Pour autant, force est de constater que, concernant les irrecevabilités constitutionnelles, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est de plus en plus sévère. Le texte ÉGALIM nous l’a montré.

En 2015, le groupe de travail, dont les rapporteurs étaient Roger Karoutchi – encore lui ! (Rires.) – et Alain Richard, avait appelé à une application plus stricte des irrecevabilités constitutionnelles, ce qui n’exclut pas de faire preuve de discernement. Si le texte portant réforme constitutionnelle vient en discussion, madame Assassi, nous pourrons reprendre une partie de vos arguments pour converger ensemble dans la défense absolue du Parlement. En effet, ce qui est aussi en cause aujourd’hui, globalement, c’est le Parlement, la démocratie représentative, ce qui n’exclut pas l’écoute des citoyens. C’est ce dont nous aurons à débattre ultérieurement.

Discussion générale (suite)

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a bien peu de doute sur l’issue de nos travaux de ce jour. Ainsi que l’a d’emblée annoncé le président Gérard Larcher, le Sénat devrait adopter le projet de loi qui nous est soumis, comme l’a adopté, ce matin, la commission des affaires sociales.

Nous avons la volonté, très ferme et très claire, de l’apaisement. Ces dernières semaines ont été difficiles et, dans ce déferlement de colère qui a secoué le pays, n’en déplaise aux apôtres de la violence politique, je lis plus d’autodestruction que d’élan créateur.

M. Roger Karoutchi. Eh oui, malheureusement !

M. Alain Milon. La France, que nos voisins jugent arrogante et moquent gentiment comme la « grande nation », est rongée par le doute et, pour emprunter le mot du poète Pessoa, par « l’intranquillité ».

M. Bruno Retailleau. Tout à fait !

M. Alain Milon. L’élan collectif semble brisé, la fierté d’un certain modèle, envolée, la possibilité d’un avenir meilleur, évanouie.

Nous connaissons bien, tous, ce paradoxe qui fait voisiner dans notre pays une relative satisfaction individuelle et la déprime collective. Nous l’entendons souvent, cette idée que le pays se perd, que la situation ne pourrait être pire, qu’il faudrait alors précipiter les choses et tout jeter aux orties. Tout cela, dont rien n’est, malheureusement, très nouveau, s’exprime souvent dans nos départements.

Quelque chose, pourtant, s’est déclenché ces dernières semaines.

Tout en étant humble dans les explications avancées, tant le mouvement à l’origine de nos travaux est hétérogène et composite, je voudrais évoquer trois éléments.

Le premier, c’est l’extrême sensibilité fiscale à laquelle nous sommes parvenus : le poids des prélèvements et leur raffinement de complexité alimentent la méfiance et le sentiment d’injustice. Dans ce contexte, le bouleversement auquel s’est livré le Gouvernement avec l’augmentation de la CSG a nourri une exaspération bien présente.

Le deuxième élément, c’est la délicate promesse, associée à ces changements fiscaux, du pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat dépend, vous le savez, de multiples facteurs : la durée du travail, la taille de la famille ou encore le lieu d’habitation. Durant la période récente, nous savons par exemple que le pouvoir d’achat a augmenté, mais, la taille des familles ayant diminué, cette augmentation ne se traduit pas concrètement pour tous.

Le pouvoir d’achat – faut-il le rappeler ? – dépend avant tout de l’emploi et l’emploi de la croissance, qui nous fait si cruellement défaut depuis dix ans. Au vu de l’état de nos finances publiques, le pouvoir d’achat distribué par l’État, ce sont, mes chers collègues, des impôts ou de la dette, c’est-à-dire, à terme, la même chose.

Avoir mis le doigt dans cet engrenage par des promesses inconsidérées était donc, pour le Gouvernement, à tout le moins hasardeux et le restera, sans doute, encore plus dans les mois à venir, car si nous avons vécu les « gilets jaunes », un peu les « habits bleus », nous vivrons peut-être, par la suite, les « gilets blancs » ou autres. Nous devons être très attentifs à tout cela.

Le troisième élément que je voudrais souligner, c’est le style et certains propos de l’exécutif, dont les effets ravageurs ont été sous-estimés, mais que nous payons aujourd’hui au prix fort. René Char, poète qui m’est cher, évoquait « l’hémophilie politique de gens qui se pensent émancipés. Combien sont épris de l’humanité et non de l’homme ! Pour élever la première, ils abaissent le second ». Certains de nos concitoyens se sont sentis abaissés, et ce sentiment, bien plus que l’insuffisance de revenus, est difficile à réparer.

Alors, oui, nous voterons ce texte s’il peut contribuer à l’apaisement, sans enthousiasme cependant. Certes, les mesures que le Gouvernement propose – la défiscalisation des heures supplémentaires, la CSG des retraités – ont, pour certaines, été proposées, voire adoptées par notre assemblée, mais elles l’ont été dans le cadre cohérent des textes financiers, avec le souci d’en respecter les équilibres et la vision d’ensemble.

Le Parlement vient de voter un projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont l’équilibre proclamé était inédit depuis deux décennies.

À la différence de ce que vous avez dit en commission des affaires sociales, mesdames les ministres, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un débat technocratique. Ce que l’on appelle familièrement le « trou de la sécu » parle à nos concitoyens. Le fait que, depuis vingt ans, en dépit des hausses d’impôt et de cotisations, notamment de retraite, l’équilibre ne soit pas atteint alimente la méfiance et la crise de confiance dans l’action publique. C’est pourquoi la commission des affaires sociales s’est élevée contre la ponction anticipée des excédents à venir de la sécurité sociale et c’est pourquoi elle demande que la règle de compensation s’applique aux mesures que l’on pourrait qualifier de nouvelles niches fiscales et sociales qui nous sont proposées. Je rappelle au passage que les exonérations de TEPA étaient compensées.

La commission s’est également opposée à la sous-indexation des prestations sociales, mesure de bouclage budgétaire, qui est pour nous un dysfonctionnement. Nous aurions souhaité être entendus.

Les annonces présidentielles ont été entourées d’une certaine confusion. Tout en comprenant le choix de la prime d’activité dans un contexte où la lutte contre le chômage, lequel est encore beaucoup trop élevé, doit rester notre premier combat et où les entreprises n’ont pas restauré leur situation financière d’avant la crise, les annonces de montants nets risquent de susciter bien des déceptions.

Alors, oui, nous adopterons ce projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales. Avons-nous, mes chers collègues, réellement le choix après ce qui vient de se passer ? Cela étant, à nos concitoyens, à nos mandants, nous devons non seulement l’écoute et l’empathie, mais aussi le respect et la vérité. La confiance dans l’avenir ne viendra pas de ce panier de mesures, mais de l’investissement dans la santé, l’éducation et la formation, conditions sine qua non de l’émancipation sociale. Pour restaurer la confiance, le travail sera long et il exige les efforts de tous. Je forme le vœu que l’environnement international, bien incertain en ce moment, nous en laisse le temps et les marges d’action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1985, il y a plus de trente-quatre ans, Coluche lançait les Restos du cœur pour apporter aux personnes démunies des repas gratuits. En 1995, il y a plus de vingt-quatre ans, le candidat à la présidence de la République, M. Jacques Chirac, nous parlait de la fracture sociale de notre société. Aujourd’hui, des hommes et des femmes démunies, victimes de cette fracture sociale, se mobilisent.

Des Françaises et des Français, des femmes et des hommes en colère, en souffrance, revêtent une chasuble haute visibilité pour être vus, mais, surtout, pour être entendus. Ce mouvement regroupe des milliers de travailleurs et de retraités, modestes, qui ne s’y retrouvent plus. Ce sont les « gilets jaunes ». Des décennies de politiques ont cherché à soigner. Elles n’ont pas guéri pour autant. Aujourd’hui, les plaies sont béantes. Il nous appartient de les soigner.

À cet égard, il n’est plus l’heure de se rejeter la faute. Il n’est plus l’heure de se dédouaner sur tel ou tel parti, sur tel ou tel gouvernement. Les « gilets jaunes » méritent mieux. L’heure est venue d’assumer, d’assumer en dépassant toutes les sensibilités politiques, quelles qu’elles soient. L’heure est venue de reconnaître que le désespoir et la détresse de ces Français modestes ne datent pas d’aujourd’hui, ni d’hier, mais d’avant-hier, et que tous les gouvernements, le nôtre y compris, qui se sont succédé ces quarante dernières années n’y ont pas fait suffisamment face.

Aujourd’hui, mes chers collègues, le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, que nous nous apprêtons à examiner, apporte des réponses concrètes, visibles, à celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Il s’agit là de premières réponses. Elles devront être suivies par d’autres, en particulier grâce au grand débat national qui sera lancé en janvier 2019. Bien que ce deuxième temps soit essentiel et incontournable, il nous faut, au préalable, répondre à l’urgence sociale, que le mouvement des « gilets jaunes » a mise en pleine lumière.

Il nous appartient d’apaiser pour mieux soigner. Il nous appartient d’apaiser pour mieux panser. Si nous échouons, nous ne pourrons éloigner le tumulte et la fureur qui ont vu le jour en marge de ce mouvement et qui s’échinent à le disloquer et à le dévoyer.

Ce projet de loi reprend les mesures annoncées par notre Président de la République, M. Emmanuel Macron. Il comporte quatre mesures substantielles, dont les deux premières sont d’ordre social.

La première mesure sociale figure à l’article 4 du projet de loi, dont je précise qu’il prévoit un rapport relatif à la prime d’activité : cette prime sera augmentée pour les travailleurs les plus modestes. À ce titre, l’État assume pleinement son rôle social, en choisissant d’instaurer une hausse immédiate de 90 euros au travers de la revalorisation réglementaire de la prime d’activité. En tenant compte de la hausse du SMIC, nous arrivons à 100 euros nets. Concrètement, grâce à cette mesure, le nombre de foyers pouvant bénéficier de la prime d’activité passera de 3,8 millions à 5 millions, et ce dès le 5 février 2019.

Par exemple, un salarié célibataire sans enfant recevra 100 euros de plus jusqu’à 1 560 euros nets de revenus mensuels. Une mère célibataire avec un enfant, touchant jusqu’à 2 000 euros nets par mois, percevra, elle aussi, 100 euros de plus.

En procédant ainsi, le Gouvernement ne cible pas seulement les bénéficiaires du SMIC : il répond à un panel beaucoup plus large de personnes modestes. Il s’agit bien là d’une réponse sociale et éthique donnée aux travailleurs les plus modestes. Elle doit engendrer la confiance.

J’en viens à la seconde mesure sociale. L’effort que nous avions demandé aux retraités par le biais de la CSG était trop important.

M. Martin Lévrier. Nous nous sommes trompés, nous l’assumons.

Mme Laurence Rossignol. « J’assume », c’est le nouveau credo…

M. Martin Lévrier. L’article 3 permet un retour au taux de 6,6 % jusqu’à 2 000 euros nets de pension pour un retraité célibataire. Ainsi, 70 % des foyers de retraités ne seront plus concernés par le taux maximal de la CSG.

Les deux autres mesures répondent à une urgence économique. À cet égard, il est essentiel que l’entreprise prenne, elle aussi, sa part de responsabilité.

Durant les dix-huit derniers mois, nous avons permis aux entreprises de se stabiliser, de reconstituer leurs marges et de redevenir compétitives sur la scène internationale. Elles ont sauvegardé les emplois, réinvesti ; mais les embauches balbutient et les augmentations de salaire tardent. À l’évidence, le mouvement est lent et ne répond pas à l’urgence sociale du moment : on constate un vrai décalage.

Cependant, nous demeurons convaincus qu’une nation ayant un tissu d’entreprises qui se porte bien permet à tous de mieux vivre ensemble. En 2019, l’État maintient ce cap : le CICE sera supprimé et remplacé par l’allégement des cotisations. Cette mesure représente, pour le budget de l’État, un coût supplémentaire de 21 milliards d’euros.

M. Fabien Gay. Qui va payer ?

M. Martin Lévrier. L’ensemble de ces mesures doit permettre de faire partager une nouvelle responsabilité sociale aux entreprises.

M. Martin Lévrier. C’est le sens des articles 1er et 2 du présent texte.

Ainsi, au travers de l’article 1er, qui traduit ce nouvel état d’esprit, nous invitons les entreprises à verser une prime exceptionnelle défiscalisée à leurs salariés. Plus concrètement, cet article prévoit le versement d’une prime de fin d’année pouvant aller jusqu’à 1 000 euros, pour les salariés gagnant jusqu’à 3 600 euros par mois, sans charges ni impôt sur le revenu,…

M. Fabien Gay. Allez les pauvres !

M. Martin Lévrier. … ce qui est inédit.

En outre, par son article 2, le projet de loi exonère de charges salariales et d’imposition sur le revenu les heures supplémentaires, plafonnées à 5 000 euros nets par an. Le gain de pouvoir d’achat sera d’environ 500 euros nets pour une personne rémunérée 1 500 euros nets et faisant deux heures supplémentaires par semaine.

Mes chers collègues, ce projet de loi permet aujourd’hui à l’État de remplir son rôle social (M. Fabien Gay sesclaffe.), en redonnant aux travailleurs et aux retraités modestes la capacité d’aller de l’avant : tel est l’objet de ses articles 3 et 4.

Dans le même temps, le Gouvernement aurait pu renoncer à ses promesses qui permettent aux entreprises de retrouver le chemin de la croissance, en supprimant provisoirement la bascule du CICE vers la réduction des charges. Dès lors, le déficit de l’État aurait été bien en deçà des 3 %. Il ne le fait pas, car les entreprises doivent s’emparer de leur rôle social, et non uniquement de leur rôle capitalistique. (Exclamations sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

C’est le sens de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE, dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, ou projet de loi PACTE ; c’est le sens des incitations que garantissent, dès à présent, les articles 1er et 2 du présent texte, lesquels donnent immédiatement du pouvoir d’achat supplémentaire aux salariés modestes.

Ce sont les entreprises, et elles seules, qui sont en capacité de définir la juste rémunération du travail et de relancer, avec nous, l’ascenseur social. C’est pourquoi, dans cette confiance renouvelée, nous voterons ce projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, lors de son allocution du 16 octobre dernier, le Président de la République avait annoncé qu’il refusait de se soumettre et de changer de politique. Or, deux mois plus tard, et après une très large mobilisation populaire dans l’ensemble du pays, M. Emmanuel Macron a dû, pour la première fois depuis son élection, reculer sur les mesures fiscales de taxation de l’énergie et accepter de faire quelques concessions sociales.

Alors que les nombreuses luttes sectorielles menées dans les hôpitaux ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, celles des mal-logés, des retraités, des étudiants ou encore des collectivités se heurtaient toutes à une fin de non-recevoir, le mouvement des « gilets jaunes » a su, pour une part, fédérer les luttes. Il a démontré qu’il était possible d’ouvrir une brèche dans la politique jupitérienne.

On aurait pu espérer que le Gouvernement sorte davantage et plus tôt de sa bulle dorée pour se rendre compte de la réalité du sentiment d’injustice, qui, à juste titre, traverse notre pays. Malheureusement, il n’en est rien.

Le cahier de doléances des « gilets jaunes » était pourtant très clairement articulé autour de mesures en faveur du pouvoir d’achat – hausse des salaires, SMIC à 1 300 euros nets par mois, augmentation des pensions de retraite – et de mesures en faveur de la justice fiscale, en particulier le rétablissement de l’ISF et la suppression du CICE, pour faire en sorte « que les gros payent gros et que les petits payent petit ».

M. Macron, le président de la finance, a refusé de revenir sur sa politique de cadeaux fiscaux sans contrepartie aux plus fortunés et aux grosses entreprises. Il a maintenu la flat tax et la suppression de l’ISF, alors que la majorité des Françaises et des Français y est opposée.

Pourtant, mesdames, monsieur les ministres, les injustices sont flagrantes dans notre pays et elles ne sont plus supportables. Il n’est plus supportable que le PDG de LVMH gagne en une journée ce qu’un salarié moyen de son entreprise gagne en plus d’un an ou que le PDG de Carrefour gagne 553 fois le SMIC.

M. Jean Bizet. Ce n’est pas la même compétence !

Mme Laurence Cohen. Les richesses produites dans notre pays sont gigantesques. Pourtant, elles ne profitent qu’à une extrême minorité : les actionnaires du CAC 40.

Le Gouvernement a refusé de s’y attaquer. Il a préféré les pseudo-solutions que sont la défiscalisation des heures supplémentaires, la fausse hausse du SMIC, financée par les contribuables, la prime exceptionnelle sans impôt ni contribution jusqu’à 1 000 euros et le rétablissement du taux de CSG antérieur en 2019.

La majorité des groupes du Sénat était opposée à la hausse de la CSG infligée aux retraités modestes. Mais il aura fallu attendre le 10 décembre dernier pour que le Président de la République reconnaisse lui-même que la mesure était injuste ; et la prise de conscience de M. Macron est restée bien relative, puisque la hausse de la CSG est simplement annulée pour une partie des retraités, et uniquement pour 2019 !

La droite sénatoriale avait fait voter le recul de l’âge de départ à la retraite pour compenser cette hausse. Notre groupe, lui, s’y était opposé. Il avait fait d’autres propositions de financement, notamment en mettant à contribution les revenus financiers des grandes entreprises.

Pour ce qui concerne le SMIC, les annonces qui ont été faites sont une véritable escroquerie. Le Gouvernement a finalement décidé d’augmenter la prime d’activité de 90 euros. Cette mesure a été présentée comme une hausse de salaire par le Président de la République. Mais, alors qu’une hausse du SMIC bénéficierait à tous les salariés, la prime d’activité concerne seulement les salariés gagnant moins de 1 500 euros nets par mois, pour une personne seule, et 2 200 euros nets, pour un couple.

En outre, afin d’en bénéficier, il faudra se rendre dans les agences de la CAF pour accomplir diverses démarches et réactualiser sa situation tous les trois mois !

Enfin, cette prime est limitée, puisqu’elle ne concernera pas les fonctionnaires. Or 40 % d’agents publics sont au niveau du SMIC ; dans la fonction publique territoriale, ce taux approche même les 75 %.

La défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires, présentées comme un gain annuel de 155 euros, constituent, elles aussi, un leurre. En réalité, en incitant les salariées et les salariés à effectuer plus d’heures supplémentaires, l’on provoquera une augmentation de la durée du temps de travail au détriment de l’emploi. L’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, estime ainsi que 19 000 emplois seront supprimés d’ici à 2020, et que le taux de chômage s’en trouvera augmenté de 0,1 point.

En outre, madame la ministre des solidarités et de la santé, comment cette mesure va-t-elle bénéficier aux personnels soignants et non soignants des hôpitaux et des EHPAD, alors qu’ils voient leurs heures supplémentaires exploser sans contrepartie financière et sans possibilité de récupération ?

J’ajoute que vous taisez un point essentiel : les heures supplémentaires désocialisées et défiscalisées en vertu de la dernière loi de financement de la sécurité sociale et de ces mesures d’urgence vont mettre en péril les recettes de la sécurité sociale et de notre système de retraites.

Je le disais déjà lors du débat consacré au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, et je persiste : « En utilisant le budget de la sécurité sociale pour réduire le déficit de l’État, votre gouvernement se livre au plus grand hold-up du siècle. » Vous pourrez utiliser à loisir les ressources de la sécurité sociale, payées par les assurés sociaux, pour renflouer les caisses de l’État.

Enfin, il est regrettable que la prime exceptionnelle ne soit pas une obligation pour les grandes entreprises qui réalisent des profits colossaux.

Mesdames, monsieur les ministres, ces mesures ne font pas le compte. Les femmes en sont particulièrement exclues ; or elles sont souvent parmi les plus précaires.

Les Françaises et les Français ne sont pas dupes. Malgré l’écran de fumée que vous répandez afin de masquer vos choix profondément inégalitaires, ils voient bien que les plus fortunés ont droit à toutes vos largesses.

Vos largesses, ce sont 40 milliards d’euros pour les grandes entreprises et les actionnaires, sans aucune contrepartie, via le remboursement du CICE pour l’année 2018 et la baisse des cotisations patronales, voire leur suppression, décidée pour 2019 ; il s’agit là d’une mesure inique adoptée, ici même, avec la droite sénatoriale.

Vos largesses, c’est aussi le maintien de la suppression de l’ISF, soit 4,2 milliards d’euros offerts au détriment d’une politique de justice sociale pour toutes et tous.

D’un côté, de somptueux cadeaux de Noël ; de l’autre, des miettes : mais la brèche est ouverte, car vous venez de démontrer que la sacro-sainte loi des 3 % de déficit du pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne n’est pas indépassable. La prise de conscience gagne du terrain : c’est une bonne nouvelle, et vos premiers reculs en appellent d’autres. L’argent existe pour répondre aux besoins des populations, non pour être détourné vers la finance, au détriment de l’humain et de notre planète ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Michelle Meunier et Sophie Taillé-Polian applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, « les pays développés dont l’impôt sur le revenu des personnes physiques est relativement peu progressif ont peut-être la possibilité de relever les taux marginaux d’imposition supérieurs sans entraver la croissance économique. Différents types d’impôts sur la fortune peuvent aussi être envisagés ».

Mes chers collègues, ces affirmations sont extraites du rapport Lutter contre les inégalités, publié par le Fonds monétaire international, et la présidente du FMI, Christine Lagarde a déclaré, à Paris, quelques semaines après sa parution : « Les élites n’ont pas conscience de ce qui se passe. »

Mme Nathalie Goulet. Elle ne paye pas d’impôts !

M. Yves Daudigny. Nous le savons tous ; en mesurons-nous vraiment les conséquences ? La mondialisation, le dogme de la concurrence qui tue la notion de service public, l’évolution du capitalisme au seul service des actionnaires, en creusant partout les inégalités, en ne permettant plus de vivre dignement du fruit de son travail, ont alimenté une bombe qui vient d’exploser chez nous.

Ces déflagrations remettent en cause notre fonctionnement démocratique, valident la violence comme moyen d’obtenir des résultats et affaiblissent encore un peu plus – comme si c’était nécessaire – les corps intermédiaires.

Mes chers collègues, la grille de lecture de l’action publique doit placer au premier plan l’objectif de lutte contre les inégalités sociales, l’objectif de justice fiscale. En effet, cette dernière conditionne l’acceptabilité de l’impôt, qui permet la redistribution.

Mesdames, monsieur les ministres, dans la précipitation, avec une cohérence peu évidente entre les acteurs de l’exécutif, et même en allant de couac en démenti, vous répondez à l’urgence par trois mesures relevant de ce projet de loi, et par une quatrième, l’extension de la prime d’activité.

L’axiome étant posé de la non-majoration du SMIC au-delà de 1,5 %, ces mesures, qui corrigent des décisions antérieures, permettront des améliorations du pouvoir d’achat. Mais que n’avez-vous écouté, ne serait-ce qu’un peu, le Sénat,…

M. Roger Karoutchi. C’est sûr !

M. Yves Daudigny. … qui attirait votre attention sur les dangers de dislocation du pacte social ? Que n’avez-vous construit, depuis les élections, des parcours de négociation avec les organisations syndicales ? Pourquoi avoir ignoré, en début de révolte sociale, la proposition constructive du leader d’une centrale syndicale ?

En outre, vous ne revenez pas sur certains choix qui porteront atteinte à l’élaboration d’une société solidaire ; je pense en particulier à la désindexation des retraites, pensions et prestations familiales.

À cet instant, sur un coût estimé à 10 milliards d’euros pour l’ensemble des dispositifs, 6 milliards d’euros viendront augmenter le déficit budgétaire et la dette.

Parce que l’objectif, auquel on peut souscrire, de renforcer la compétitivité de nos entreprises conduit à l’absurdité de doubler le CICE en 2019, parce que le Gouvernement s’entête dans la non-contribution à l’effort des plus aisés de notre pays, vous vous heurterez, mesdames, monsieur les ministres, à une équation impossible. Dans un contexte européen où le besoin d’autorité l’emporte sur celui de liberté, les fondements de notre vivre ensemble et de notre démocratie pourraient en être gravement ébranlés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dans quelques heures sans doute devrait s’achever le premier chapitre d’une séquence inédite, et qui fera assurément date. Nos concitoyens l’attendent évidemment avec impatience, ce qui rend notre responsabilité d’autant plus importante.

Cette séquence est inédite par l’ampleur de la mobilisation sociale qui a parcouru le pays ; inédite par la colère qui s’est exprimée bien au-delà de la seule question de la fiscalité des carburants ; inédite, aussi, par le désespoir ressenti face aux inégalités qui persistent dans tous les territoires ; inédite par la violence, inacceptable, qui s’est également manifestée, et que nos forces de l’ordre ont su contenir avec professionnalisme et avec leur sens du devoir. Qu’ils en soient, ici, de nouveau remerciés.

Il s’agit bel et bien d’un premier chapitre, car le projet de loi que nous examinons dans un calendrier plus que resserré ne suffira probablement pas à éteindre totalement la crise sociale que nous traversons.

Dans nos territoires, nous avons tous entendu les revendications d’une bonne partie de nos concitoyens. Elles sont nombreuses, souvent hétéroclites, parfois contradictoires. On les retrouve maintenant dans les cahiers de doléances ouverts dans certaines mairies : une fois encore, les maires sont en première ligne !

Les attentes sont fortes ; comment s’en étonner, alors que tant d’efforts ont été demandés à nos compatriotes depuis 2008 pour surmonter la crise financière et que les effets de la reprise de la croissance peinent à se faire sentir dans leur vie quotidienne ? On doit comprendre cette envie de bénéficier, enfin, des fruits de tous les efforts qu’ils ont pu consentir.

Les signaux ne manquaient évidemment pas, l’exaspération fiscale n’en étant qu’un symptôme paroxystique. Le Sénat s’en était déjà fait l’écho et, pour leur part, les élus du groupe auquel j’appartiens défendent, depuis longtemps, dans un esprit constructif, des propositions de réduction des fractures territoriales et sociales. Quel dommage, et quel gâchis, que le Gouvernement n’ait pas été plus à l’écoute !

La société dans son ensemble subit ainsi les effets de décisions parfois déconnectées des réalités en point d’en devenir abstraites. Face à une action publique devenue hypertrophiée, illisible, l’urgence sociale, quant à elle, est bien réelle.

L’urgence, c’est d’abord de permettre à chacun de vivre dignement, y compris, et surtout, des fruits son travail. C’est en partant de cette impérieuse nécessité que mon groupe, dans toute sa diversité – j’insiste sur ce point, car c’est une chose assez rare –, votera ce projet de loi à la quasi-unanimité, l’un de ses membres s’abstenant.

Le présent texte amorce l’indispensable hausse du pouvoir d’achat que nos concitoyens demandent légitimement. Dans le détail, les mesures qu’il contient nous paraissent aller dans la bonne direction. Certains parlent de « miettes » ou d’« écrans de fumée » : dans ce cas, ce sont des miettes et des écrans de fumée de 10 milliards d’euros !

La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat nous semble juste dans son ciblage comme dans son plafonnement, a fortiori avec les améliorations introduites par nos collègues députés, qui apportent davantage de clarté. Il appartient désormais aux entreprises qui le peuvent de prendre leur part de cet effort collectif.

Pour ce qui concerne les exonérations de fiscalité et de cotisations sociales des heures supplémentaires et complémentaires, l’accélération du calendrier apportera un gain immédiat de pouvoir d’achat, qui soulagera de nombreux ménages.

Le rétablissement du taux de CSG à 6,6 % pour les retraités percevant moins de 2 000 euros nets est également une mesure attendue et de bon sens, qui avait été défendue par une majorité de sénateurs. Madame la ministre du travail, quel sera, à présent, le calendrier du déploiement de cette mesure ?

Enfin, pour ce qui concerne l’article 4, le rapport demandé au Gouvernement doit absolument identifier les moyens de renforcer l’accès de chacun à ses droits, en l’occurrence à la prime d’activité.

Après ces quelques considérations circonstanciées, ne soyons pas toutefois naïfs. Pour importantes qu’elles soient, ces avancées demeurent tardives et ne suffisent pas, en elles-mêmes, à répondre à un malaise beaucoup plus profond. Une partie de mes collègues du RDSE continuent de s’interroger sur la réelle universalité des hausses de rémunérations annoncées, y compris celles qui sont liées à la prime d’activité, lesquelles ne relèvent pas – on le sait – de ce texte.

De même, l’efficacité de la prime de pouvoir d’achat favorise d’abord les salariés d’entreprises en bonne santé financière. Alors que le besoin de justice sociale est criant, prenons garde à ne pas ajouter de nouvelles frustrations aux colères qui se sont exprimées ces dernières semaines.

Vous le savez bien : il ne suffit pas de dire à nos concitoyens que nous avons entendu leur message. Bien sûr, ils veulent des actes, de l’efficacité et des résultats mesurables dans leur vie quotidienne. Mais ils sont également, et j’ai tendance à dire surtout, en attente d’écoute, d’empathie, d’une autre façon de gouverner garantissant davantage de libertés et d’équité, notamment dans l’accès aux services publics, qu’il s’agisse de l’éducation ou de la santé.

Pour paraphraser Marcel Gauchet, il nous faut collectivement réenchanter la démocratie, par l’invention de nouvelles formes d’action publique.

Mme Véronique Guillotin. À cet égard, le grand débat national voulu par le Président de la République ne doit pas être une nouvelle occasion manquée, d’autant qu’il n’y en aura peut-être pas d’autre !

Le Sénat tiendra toute sa place dans ce débat, vous l’imaginez bien, tout comme, cela va sans dire, les membres de mon groupe.

Aux côtés des autres corps intermédiaires, nous continuerons à être des élus de terrain, à l’écoute des territoires, pour construire collectivement le nouveau contrat social dont notre pays a besoin. Comme le disait Nelson Mandela : « Nous travaillerons ensemble pour soutenir le courage là où il y a la peur, pour encourager la négociation là où il y a le conflit et donner l’espoir là où règne le désespoir. » (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Michel Amiel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en quelques mois seulement, Emmanuel Macron et son orchestre auront plongé notre pays dans une triple crise, économique, sociale et identitaire (Mme Éliane Assassi sexclame.), à laquelle est venue s’ajouter la pire de toutes, peut-être, pour le Gouvernement, la crise de confiance. Et pour cause : si vous voulez suivre les agissements, ou plutôt les aventures, de ce qui ressemble de plus en plus à une bande de pieds nickelés, mieux vaut avoir le pied marin…

Chaque jour voit en effet son revirement, son reniement, son renoncement, son rétropédalage, son cafouillage, son changement de cap. Désormais, Édouard Philippe prend moins le chemin de Matignon que celui de Canossa.

La Macronie, ce petit bijou de la navigation politique, est devenue en quelques semaines un bateau ivre ! Ce n’est plus le France, c’est le Pitalugue - les amoureux de l’œuvre de Marcel Pagnol me comprendront.

L’orthodoxie financière a laissé la place à ce qui ressemble à une fuite en avant. Mais, qu’ils portent un gilet jaune, un uniforme bleu ou une blouse blanche, nos compatriotes ne se laissent plus tromper par les bonimenteurs de l’exécutif, qui accordent du bout des doigts aux Français ce qu’ils leur avaient déjà pris, avant de le leur reprendre, et doublement, entre la bûche et le gâteau des rois.

Les légitimes revendications salariales des policiers, des enseignants, des agents de la fonction publique hospitalière, en attendant les autres, sont les prémices d’un développement de la crise. Le prélèvement à la source, qui entrera en vigueur au mois de janvier prochain, ne fera que propager l’incendie.

Pourtant, de l’argent, il y en a ! À preuve, madame la ministre du travail, voilà à peine deux mois, vous avez su débloquer 15 millions d’euros en faveur des migrants. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Martin Lévrier. Cela faisait longtemps !

M. Stéphane Ravier. Il s’agissait de les aider à trouver un emploi. Nos compatriotes au chômage apprécieront ce qui ressemble à une véritable provocation ! (Mme Cathy Apourceau-Poly sexclame.)

À l’Assemblée nationale, la majorité « En Marche pour les autres » a supprimé un amendement du Sénat, voté au titre du projet de loi de finances pour 2019 et tendant à assurer le contrôle des 1,8 million de numéros de sécurité sociale attribués sur la base de faux documents.

Cette gigantesque fraude coûte la bagatelle de 20 milliards d’euros par an. Voilà un scandale qui mérite assurément la création d’une commission d’enquête parlementaire.

Vos économies sont donc toutes trouvées, et elles pourraient permettre de répondre à la souffrance sociale des Français. Mais, au-delà de l’aspect financier, nos compatriotes souhaitent ardemment être écoutés via une démocratie réellement représentative.

Le Rassemblement national est le seul à proposer, depuis des décennies, l’instauration à la fois du référendum d’initiative populaire ou citoyenne…

Mme Éliane Assassi. Mais il ne veut pas augmenter le SMIC !

M. Stéphane Ravier. … et de la proportionnelle à toutes les élections.

La restauration d’une confiance fiscale par la suppression des taxes confiscatoires, par des impôts justement répartis, et la restauration de la confiance démocratique par un peuple redevenu souverain rétabliront la confiance de nos compatriotes en la politique.

Puisqu’il me reste quelques secondes, je profite de ma présence à la tribune du Sénat pour répondre, de façon symbolique, à la crise identitaire et à la volonté farouche et légitime des Français de défendre leurs traditions et leurs racines, en vous souhaitant, monsieur le président, à vous tous, mes chers collègues, à Mmes les ministres, au personnel du palais et à l’ensemble de mes compatriotes, un joyeux Noël ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Bonne fin d’année… et joyeux Noël Félix ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Jean-François Longeot et Yves Bouloux applaudissent également.)

M. Alain Fouché. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous examinons ce projet de loi dans un contexte préoccupant, qui a vu depuis plusieurs semaines la violence prendre le pas sur le débat démocratique, qui a vu certains irresponsables extrémistes appeler à la disparition de nos institutions républicaines, et qui a vu monter une colère populaire couvant depuis plus de trente ans, face à laquelle le gouvernement actuel a sa part de responsabilité, par son manque de dialogue et son obstination difficilement compréhensibles.

Votre gouvernement doit reprendre la main pour que notre pays sorte de cette crise par le haut en s’appuyant sur les corps intermédiaires. Comme l’a rappelé Claude Malhuret, c’est au Parlement que l’on fait la loi, et non sur les ronds-points.

M. Alain Fouché. Le Sénat, qui a un rôle majeur dans ce pays, a été force de proposition tout au long de la crise, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances. Un grand nombre de ses préconisations ont été retenues – un peu tard, il faut le dire – par le Gouvernement.

M. Alain Fouché. Je veux notamment parler du gel de la hausse de la fiscalité énergétique.

Quelles sont les causes de la colère ? Quel est le déclencheur ? C’est une vision de l’écologie trop punitive,…

M. Alain Fouché. … trop peu adaptée aux territoires, trop décalée par rapport à la réalité de ce que vivent nos concitoyens.

La voiture n’est pas un ennemi : c’est le gagne-pain de millions de nos concitoyens. Pourquoi prendre les automobilistes pour des vaches à lait ? Je pense au contrôle technique, à la hausse du prix des carburants, ou encore aux 80 kilomètres à l’heure, dont le Président de la République aurait dit récemment que c’était « une connerie » ! (Murmures amusés.)

Pourquoi les maintenir, d’autant que les résultats sont loin d’être probants ?

Nous devons proposer aux Français des solutions alternatives crédibles et des mobilités plus adaptées. Nous devons également développer des filières industrielles d’avenir.

La transition écologique ne doit pas se résumer au « toujours plus d’impôts, toujours plus de normes, toujours plus de sanctions » pour renflouer, en partie – c’est bel et bien ce dont il s’agit –, les caisses de l’État.

M. Alain Fouché. Pour éteindre l’incendie, il fallait revenir sur ces hausses indiscriminées ; le Gouvernement reprend certaines propositions émanant du Sénat – il faut le dire –, et c’est une bonne chose. Mais il fallait aller plus loin, car le malaise d’une partie de nos concitoyens est plus profond : malaise des classes populaires, dont le pouvoir d’achat s’érode depuis dix ans ; malaise d’un travail parfois difficile et pénible, qui ne rapporte pas assez pour permettre de vivre dignement ; malaise, enfin, d’une partie de la population, qui ne se sent plus écoutée par ceux qui dirigent.

C’est au Gouvernement de proposer des solutions concrètes, face aux revendications légitimes qui se sont exprimées ces dernières semaines, tout en étant attentif, naturellement, aux propositions du Parlement.

C’est l’objet de ce projet de loi, d’une importance capitale pour répondre à l’urgence de la situation ; et l’urgence, c’est d’abord de mieux rémunérer le travail.

Ce thème est au cœur du présent texte, avec l’exonération d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et complémentaires. Avec la revalorisation de la prime d’activité, que nous avons votée au titre du projet de loi de finances, ces mesures pourraient permettre, selon l’INSEE, une hausse de pouvoir d’achat de plus de 2 % au début de 2019. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est une première avancée pour nos concitoyens, et elle mérite d’être notée.

L’urgence est également de faire un geste pour les retraités les plus modestes, qui ont été trop taxés par le Gouvernement. Ce projet de loi annule l’augmentation de la CSG subie en 2018 par les retraités dont la pension mensuelle nette était comprise entre 1 400 euros et 2 000 euros. C’est une décision de bon sens.

Toutes ces mesures arrivent un peu tard ; il aurait été plus simple de réagir plus tôt et d’éviter ainsi ces manifestations.

Le Président de la République et le Gouvernement doivent maintenant changer de cap et écouter en priorité les parlementaires, les élus locaux, les corps intermédiaires et, surtout, les citoyens. À défaut, vous ouvrirez la porte aux extrêmes, avec des conséquences catastrophiques. Prenez garde, le risque est grand ! En démocratie, le pouvoir ne peut ignorer les forces vives de la Nation.

Nous voterons ce projet de loi, car c’est un premier progrès attendu par nos concitoyens, mais, mesdames les ministres, tout reste à faire.

La question est maintenant de savoir si vous parviendrez à aller plus loin que ces mesures de crise pour sortir, enfin, la France de l’ornière. Nous partageons la même préoccupation : ne perdons plus de temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, celui ou celle d’entre nous qui aurait annoncé, lors du débat en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, que le Sénat serait convoqué un 21 décembre pour examiner des mesures d’urgence économiques et sociales nécessitant un vote conforme sur la diminution de la CSG pour plus de 30 % des retraités – une reconnaissance tardive du travail du Sénat ! –, sur l’allégement des charges fiscales et sociales sur les heures supplémentaires – le retour de la loi TEPA, en quelque sorte ! –, sur l’ouverture de la possibilité pour les entreprises d’accorder une prime de Noël défiscalisée et, enfin, sur l’augmentation de la prime d’activité – hommage, cette fois, à Martin Hirsch –, le tout, en réponse à une initiative du Président de la République et du Gouvernement, serait passé pour un bizut, un fantaisiste, un sénateur inexpérimenté ou peu sérieux !

Pourtant, mes chers collègues, ce texte va être voté, je l’espère, à une large majorité par notre assemblée.

Oui, il y a urgence, face à un danger pour notre pays, à un danger pour la République. Le mal ne date pas d’aujourd’hui, son origine est profonde ; au sentiment de relégation d’une partie des Français s’ajoute le rejet du consentement à l’impôt pour former un cocktail explosif.

Mes chers collègues, je veux dire un mot de la prime d’activité. Nous sommes favorables à son augmentation, car, dans notre pays, le travail faiblement qualifié paye trop peu. Pire, nous avons le sentiment qu’il paye de plus en plus mal.

Avant d’être sénateur, j’étais vice-président du département du Nord, chargé du dossier du RSA et de la lutte contre les exclusions. J’en ai conservé quelques idées simples, notamment celle-ci : entre quelqu’un qui cumule le RSA et les aides sociales et un travailleur précaire, un travailleur pauvre, l’écart de revenu est de 150 euros, un montant trop faible pour un métier pénible avec des astreintes horaires larges. C’est dans cette réalité vécue par nos concitoyens que se situe, à mon sens, l’origine de la colère, voire de la rage.

Cette colère, je peux la comprendre, même si je ne la partage pas au point d’enfiler un gilet jaune. Elle existait potentiellement, mais elle était retenue, intériorisée et refoulée. Elle est sortie en raison de la rigidité et du manque d’écoute du Gouvernement.

La Commission nationale du débat public, comme le Sénat, a mis en lumière la grande sensibilité des gens à la question de la fiscalité écologique, mais le Gouvernement n’a pas suffisamment écouté. S’il avait tenu compte de ces alertes, nous n’en serions pas là !

Le financement de ces mesures n’est, certes, pas à l’ordre du jour et nous en reparlerons, mais, d’ores et déjà, nous voulons dire qu’il ne pourra se faire par l’augmentation de la dette ; ce ne serait pas responsable, car le fardeau des générations à venir est déjà suffisamment lourd. Le groupe Union Centriste n’oublie pas que la dette d’aujourd’hui se traduit toujours par les impôts de demain.

Pour nous, le financement de ces 10 milliards d’euros doit être équilibré par une diminution de la dépense publique et, forcément, par une réforme de l’État. Il n’est plus possible d’attendre !

Mes chers collègues, le Sénat est à la hauteur du moment grave que nous traversons, mais nous abordons aussi la période de Noël, festive, affective, légère par nature. Pour conclure, je voudrais faire un petit cadeau à l’assemblée et à celles et ceux qui sont présents ce soir, en leur rappelant que c’est aujourd’hui la Journée mondiale de l’orgasme ! (Marques de surprise, exclamations amusées et rires prolongés sur de nombreuses travées. – Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mes chers collègues, je vous demande un peu d’attention.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, je propose que l’on ne décompte pas le temps d’orgasme de mon temps de parole ! (Nouveaux rires.)

Mesdames les ministres, pendant dix-huit mois, avec le Président de la République et le Gouvernement, vous avez cru, vous avez voulu croire que la France était prête à renoncer à son histoire sociale et à ce qu’elle considère comme son identité : ses 36 000 communes, ses services publics et son goût pour la justice sociale ; vous avez pensé avoir été élus pour convertir le pays au modèle anglo-saxon, à une organisation libérale du travail dans laquelle la loi s’efface devant le contrat, à la privatisation des entreprises publiques.

Conformément à ce modèle, vous avez tenté de faire d’un système de protection sociale fondé sur la solidarité un simple filet de sécurité pour les plus pauvres.

Enfin – c’est probablement votre plus grande faute –, vous avez fait le choix d’une politique fiscale anti-redistributive en préférant la flat tax à l’ISF.

Vous avez cru que les Français allaient tranquillement s’asseoir dans la plaine en attendant que les « premiers de cordée » fassent ruisseler la richesse !

Depuis le 17 novembre, vous découvrez que le fait de baisser les impôts des très riches et de libérer la finance tout en augmentant les impôts des autres et en diminuant les dépenses publiques débouche sur une équation insoutenable. Vous et vos collègues étiez tellement obnubilés par votre vision de la modernité, tellement convaincus de la nécessaire mise en conformité de la France au dogme libéral, tellement persuadés que le XXIe siècle n’avait commencé que le 7 mai 2017, que vous êtes passés à côté de l’essentiel : le besoin de justice sociale et la contestation d’un système économique intrinsèquement injuste, que votre politique fiscale a rendu plus injuste encore.

Cette semaine, vous auriez pu corriger cette politique fiscale : le Sénat avait voté à l’unanimité un dispositif contre les montages fiscaux permettant aux titulaires d’actions de mettre leurs portefeuilles à l’abri en les exilant avant de les rapatrier quand les taxes ne peuvent plus être prélevées. Pourtant, à l’Assemblée nationale, vous avez préféré vider ce texte de sa substance et, en définitive, favoriser l’évasion fiscale.

Mme Laurence Rossignol. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est supposé éteindre l’incendie du mouvement social et, surtout, le priver du fort soutien dont il bénéficie dans la population.

Prime exceptionnelle à la discrétion des employeurs, défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires, élargissement de la prime d’activité, le tout, sans recettes fiscales nouvelles, pardonnez-moi, mais tout cela n’est pas nouveau et a déjà été soit largement expérimenté, soit initié par vos prédécesseurs. Je pourrais dire qu’avec deux tiers de Sarkozy et un tiers de Hollande on obtient le projet de loi d’aujourd’hui ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Nathalie Goulet. Je ne suis pas certaine que ce soit un compliment. !

Mme Laurence Rossignol. Nous aurons l’occasion de discuter sur le fond de chacune des mesures au cours de l’examen des articles, mais je voudrais m’arrêter un instant sur la prime exceptionnelle que verseront – ou ne verseront pas – les employeurs. Ce Téléthon sur l’air du « à votre bon cœur patron ! » ou du « merci notre bon maître ! » met mal à l’aise. Et que dire de ce défilé des grands patrons sur les antennes venant nous expliquer qu’ils vont mettre la main au portefeuille ?

Mme Laurence Rossignol. On n’entend pas les autres, d’ailleurs, comme le patron de Carrefour, qui, malgré ses 400 millions d’euros d’aides publiques et ses 500 millions d’euros de dividendes distribués, aurait, selon les syndicats, déjà prévenu ses salariés que, pour eux, il n’y aurait pas de prime exceptionnelle.

La saison 1 du quinquennat va s’achever ce soir avec le vote de la loi ; personne ne sait encore ce qui va se passer dans la saison 2, mais vous abordez l’année 2019 sous haute surveillance démocratique et sociale.

Haute surveillance démocratique, d’abord, car la séquence qui vient de s’achever a considérablement dégradé la parole publique. Je ne vais pas repasser tout le film : vous êtes droits dans vos bottes dans un premier temps, puis vous abandonnez la taxe carbone, puis vous annoncez une hausse de 100 euros du SMIC, puis on s’aperçoit que cette augmentation concerne non pas le SMIC, mais la prime d’activité, et qu’elle n’est pas non plus de 100 euros ; enfin, je passe sur l’épisode de cette semaine : l’annulation de l’annulation.

Tout cela dénote trop de com’, trop d’amateurisme, trop d’improvisation, sans parler de la mise en scène ridicule d’un bras de fer entre le Président de la République et la technostructure. Quand on connaît le Président de la République et son entourage, cela ne manque pas de sel !

Haute surveillance sociale, ensuite. Vous avez accordé hier aux policiers une augmentation de salaire justifiée, mais que direz-vous aux personnels des hôpitaux et des EHPAD, pour qui cette mesure ne le serait pas moins ?

Mme Laurence Rossignol. Demain, lorsque vous lancerez la réforme des retraites, il faudra au Gouvernement se montrer très persuasif pour convaincre que votre réforme n’a pas pour finalité de réduire le montant des pensions.

Lever la présomption d’injustice qui pèse désormais sur votre politique ; voilà, mesdames les ministres, votre ordre du jour pour l’année 2019 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Yves Bouloux et Alain Fouché applaudissent également.)

Mme Nathalie Goulet. Mesdames les ministres, nous sommes dos au mur et nous allons voter sans surprise le texte que vous soumettez à notre examen ; acceptez pourtant que le rapporteur spécial de la mission budgétaire « Engagements financiers de l’État », autrement dit de la dette, exprime quelques lourdes inquiétudes à son sujet : nous allons dépasser les 100 % d’endettement et – largement ! – les 3 % de déficit préconisés par Bruxelles.

Le projet de loi de finances que nous venons juste de voter aurait pu nous aider à financer les mesures que vous nous présentez aujourd’hui, mais il n’en est rien.

S’agissant de la taxe sur les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, l’Assemblée a accepté, après de multiples refus, la création de la taxe nationale prônée, notamment, par Marie-Noëlle Lienemann et que nous avons été nombreux à voter ici. On nous annonce qu’elle sera applicable au 1er janvier, mais selon quelles modalités ? Allez-vous nous présenter un projet de loi de finances rectificative ? Pour le moment, cette nouvelle taxe n’a aucune base légale.

L’Assemblée nationale a, en outre, complètement siphonné, au sens propre du terme, l’article additionnel que nous avions ajouté au texte, visant à sanctionner et à prévenir la fraude à la taxe sur les dividendes. Alors que ces mesures auraient pu rapporter entre 1 milliard et 3 milliards d’euros, je ne comprends pas pourquoi l’Assemblée nationale a vidé de sa substance un dispositif voté à l’unanimité des groupes politiques du Sénat, sur la base du travail du groupe de suivi de la fraude fiscale créé au sein de la commission des finances. Pourquoi le Gouvernement a-t-il accepté que ce texte soit traité ainsi, alors qu’il aurait pu offrir un important recours financier ?

L’Assemblée nationale a, enfin, retoqué une disposition très simple : la demande d’un rapport sur la fraude documentaire en matière de numéros INSEE.

Je vais m’arrêter un peu sur ce sujet. En 2011, madame la ministre, les services relevant du ministère chargé de la santé avaient relevé 17,6 millions d’inscriptions au NIR, le numéro d’inscription au répertoire, de Français nés à l’étranger ou d’étrangers qui souhaitaient obtenir un numéro de sécurité sociale. Une expertise a mis à jour une fraude sur environ 10 % de ces demandes, soit 1,8 million de faux numéros. Une équipe de la police aux frontières, la PAF, chargée de la fraude documentaire, a identifié, après expertise, 2 103 dossiers frauduleux.

Le 16 décembre 2016 – c’est presque un anniversaire ! –, j’ai posé une question d’actualité à la ministre qui vous a précédée à ce banc, pour l’interroger sur l’état d’avancement de l’expertise menée sur la fraude documentaire. Elle m’a répondu – cela figure au Journal officiel – que 500 dossiers avaient été radiés. De 1,8 million, nous sommes passés à 500 : vous avouerez que le compte n’y est pas !

Depuis que l’article évoqué a été supprimé, hier, la presse s’est emparée du sujet et vos services donnent des éléments différents à chaque journaliste qui les interroge. Voilà qui est formidable… Cela justifie plus encore la demande d’enquête qui a été formulée !

Je vous propose un petit calcul digne d’une classe de CM2. S’il est évident qu’un progrès a été fait sur les flux, ce qui m’intéresse, c’est la fraude sur le stock, lequel s’élève à 17,6 millions de dossiers. Dans la mesure où 2 103 dossiers ont été vérifiés en une semaine, une simple division montre qu’il faudra 8 360 semaines, c’est-à-dire 160 ans, pour contrôler le tout…

Il est donc absolument impossible que vous ayez contrôlé le stock de faux numéros INSEE présent dans le logiciel utilisé par SANDIA, le service administratif national d’immatriculation des assurés. Je vous demande, pour la régularité de nos débats comme pour la transparence de nos finances publiques, d’accepter la demande d’enquête qui a été formulée par le Sénat.

Nous ne pouvons pas tolérer cette fraude documentaire. Vos services ont fait des efforts sur le flux, mais je suis persuadée qu’il reste une marge de progression sur le stock. C’est au prix d’un travail sur la fraude fiscale et sur la fraude sociale que nous parviendrons à calmer la fronde sociale qui s’est déclarée avec les « gilets jaunes ». Nous l’avons dit, la demande de justice sociale est forte et la fin de la fraude documentaire serait un signal important ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le mouvement des « gilets jaunes » est sans précédent dans la forme : né de la base, répercuté par les réseaux sociaux, il n’a pas fait appel aux organisations qui structurent habituellement la vie sociale de notre pays. Spontané, il a rapidement été massif et distribué sur tout le territoire, principalement, d’ailleurs, en dehors des grandes villes.

Ce mouvement social est aussi intéressant et original parce qu’il est largement représenté par des femmes seules, dont beaucoup ont charge de famille.

La mobilisation de ces femmes, leur implication, leur visibilité dans le quotidien des « gilets jaunes » et dans les occupations de ronds-points est décrite dans de nombreux articles de presse. Elles témoignent, à voix haute, sans fierté, désormais, mais sans honte non plus.

Employées ou ouvrières, ces salariées ne peuvent plus se reposer sur leur salaire pour subvenir aux besoins de leur foyer ; elles comptent chaque euro pour nourrir leurs enfants, les habiller dignement et les loger correctement ; elles sont contraintes d’économiser pour le strict nécessaire et ne peuvent se permettre le superflu ; elles culpabilisent de ne pas pouvoir leur offrir une place de cinéma ou une sortie dans un parc d’attractions.

Les familles monoparentales sont ainsi montées sur l’estrade en quelques semaines. Ces femmes, car celles-ci sont à la tête de 85 % de ces familles, nous alertent sur la problématique de la précarité, qui s’abat de façon plus aiguë sur leurs foyers.

Vous ne découvrez pas cette situation, madame la ministre, nous non plus : nous sommes quelques-unes et quelques-uns, ici, à la dénoncer régulièrement.

La précarité des monoparents exige donc des solutions de hausse des revenus de grande ampleur, mais vous y répondez par la prime d’activité. Or l’extension de cette prime par l’augmentation du plafond de ressources risque d’exclure certaines mères, car les contributions alimentaires du père ajoutées à leur salaire peuvent les conduire à dépasser ledit plafond. Selon l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, pour être juste, cette mesure devrait prendre en considération la charge d’enfants.

Autre solution « d’ampleur » que vous proposez : la défiscalisation des heures supplémentaires en faveur du pouvoir d’achat. Sans revenir sur les conséquences de cette disposition pour les comptes publics, je tiens à rappeler que toute incitation aux heures supplémentaires est un nouveau frein à l’égalité salariale. En 2015, 56 % des salariés hommes ont eu recours aux heures supplémentaires, contre seulement 38 % des femmes. À la fin de l’année, l’écart de rémunération découlant de cette différence atteignait 730 euros. Il s’agit d’une mesure d’inégalité.

Au moment même où cette part de la population précarisée se réapproprie son pouvoir d’agir et crie son sentiment d’abandon, cette injustice peut être comprise comme une provocation ou comme un signe d’amateurisme, et risque, je le crains, de ne pas répondre aux attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter des précisions sur deux points que vous avez abordés : le calendrier, d’une part, le financement, d’autre part.

Le calendrier d’application des quatre mesures d’urgence qui concernent les travailleurs et les retraités modestes se présente comme suit.

L’exonération de charges sociales et d’impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires s’appliquera, si vous la votez, dès le 1er janvier.

La prime exceptionnelle, quant à elle, devra être annoncée – certaines entreprises l’ont déjà fait – et versée entre le 10 décembre, jour de la déclaration du Président de la République, et le 31 mars prochain.

S’agissant de la CSG, le texte prévoyait initialement que la création du taux intermédiaire à 6,6 % pour les retraités modestes serait effective le 1er juillet, mais le travail sur le sujet a finalement été accéléré afin de permettre une mise en œuvre fin mai. Le droit, toutefois, court bien à compter du 1er janvier. Autrement dit, les retraités concernés auront un remboursement rétroactif fin mai.

S’agissant de la prime d’activité, les foyers qui en bénéficient aujourd’hui n’ont pas de démarche particulière à faire, puisque le bonus – un des éléments de la formule de calcul – progressera automatiquement. Ils recevront bien la prime augmentée le 5 février, au titre des salaires du mois de janvier.

Les nombreux foyers auxquels nous avons décidé d’ouvrir ce droit devront, quant à eux, faire une déclaration pour le 25 janvier, au risque, sinon, de subir un décalage dans le temps.

Je vous confirme également que ces mesures d’urgence, parce qu’elles sont justement des mesures d’urgence, n’ont clairement pas vocation à traiter structurellement de tous les sujets. Il s’agit d’un effort massif de redistribution de 10 milliards d’euros à nos concitoyens, mais ces dispositions ne s’entendent pas pour solde de tout compte.

D’une part, les réformes vont continuer. D’autre part, nous attendons beaucoup du débat national, qui va nous apporter des solutions concrètes et des avis sur un certain nombre d’orientations.

Ce processus sera essentiellement territorial et les maires, d’ailleurs, seront invités à prendre en charge l’organisation de ces débats ou à jouer le rôle de leur choix.

Nous avons déjà annoncé certains sujets. La question du déplacement sera ainsi très importante, puisqu’elle a été le déclencheur du mouvement des « gilets jaunes » : comment accompagner la transition écologique en matière de déplacements tout en mettant en place un accompagnement social permettant à tous d’y accéder ? Deux salariés sur trois utilisent leur voiture pour aller au travail, certains le font par choix, mais une grande partie d’entre eux y est contrainte.

Cet accompagnement devra-t-il prendre la forme d’une prime de mobilité, d’une prime de transport ou d’alternatives sur lesquelles nous devrons travailler ?

Tous ces sujets sont importants et nous ouvrirons, début janvier, avec les partenaires sociaux et les représentants des collectivités territoriales, une concertation pour apporter des solutions.

J’en viens au second point, le financement, à propos duquel nombre d’entre vous sont intervenus.

Certaines mesures sont déjà prévues : l’imposition des GAFA devrait rapporter 500 millions d’euros en année pleine, le maintien du taux de l’impôt sur les sociétés à 33 % durant une année supplémentaire pour les mille entreprises les plus importantes, réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires – les autres passent à 31 % dès l’année prochaine –, rapportera 1,8 milliard d’euros et la révision de la « niche Copé », 200 millions d’euros. Bien entendu, l’ensemble des décisions ne sont pas encore prises, en particulier en ce qui concerne les économies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit, à nos yeux, d’une question de respect du Parlement. Les mesures d’urgence doivent être votées rapidement afin d’être applicables dès le début de l’année pour nos concitoyens qui les attendent. Mais si nous avions organisé, en quelques heures ou en quelques jours, un débat pour réfléchir, dans le détail, aux économies et aux moyens de financement à prévoir, vous auriez, à juste titre, pointé l’insuffisante place laissée au débat parlementaire. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le faire dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative.

Toutes ces mesures, nous l’avons bien sûr prévu, font passer le déficit, pour 2019, à 3,2 %. Mais je vous rappelle que le CICE, qui coûte 20 milliards d’euros, disparaîtra à partir de 2020. Nous redescendrons alors mécaniquement au-dessous de 3 %.

Je vais maintenant passer la parole à Mme Agnès Buzyn, si vous le voulez bien, monsieur le président.

M. le président. Madame la ministre, c’est moi qui donne la parole ! (Sourires.)

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Pardon, monsieur le président !

M. le président. C’était seulement un rappel utile. Je vous le dis avec tendresse ce soir, ce qui n’était pas le cas l’autre jour ! (Rires et applaudissements sur plusieurs travées.)

La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter à Mme Nathalie Goulet une réponse claire, une fois pour toutes, afin que cessent de circuler sur les réseaux sociaux ces chiffres totalement erronés, qui ne servent qu’à alimenter le Front national.

Les données que vous citez ne font pas référence à la fraude, madame la sénatrice, mais découlent d’un système de contrôle de gestion des risques.

Le service dont vous parlez, SANDIA, relève de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, qui recense les personnes et leur attribue un NIR, autrement dit un numéro d’identité.

Comme n’importe quelle administration, il est soumis à des tests de contrôle de qualité, pour vérifier la complétude des dossiers ou la qualité d’une photocopie, par exemple. Les chiffres que vous citez correspondent aux anomalies dans les dossiers – photocopie insuffisamment claire, de côté, manque d’une date, dossier incomplet, etc. Beaucoup d’entre vous ont géré des entreprises et savent identifier des anomalies du contrôle des risques.

Celles-ci s’élevaient en 2011 à 6,3 % et sont, depuis lors, en diminution constante, car la qualité du service rendu s’améliore. En 2013, elles atteignaient 5,4 %, en 2018, 4,23 %.

Ce sont donc des chiffres issus du contrôle de qualité des dossiers et, en aucun cas, des fraudes. Ces anomalies ne signifient pas qu’il y a eu plusieurs numéros ou que l’assuré n’existe pas.

Les cas de fraude au NIR sont rarissimes et je vais donner un exemple qui concerne l’assurance maladie. La délégation nationale à la lutte contre la fraude a évalué les fraudes aux prestations dans les organismes de sécurité sociale. Pour l’assurance maladie, le montant concerné s’élevait à 244 millions d’euros au total, incluant les fraudes liées aux professionnels de santé et aux assurés. Dans ce total, la fraude pour usurpation d’identité et communication de faux documents, celle dont vous parlez, représente, en tout et pour tout, 0,3 % des sommes concernées, soit moins de 1 million d’euros.

J’espère avoir été claire et que ce faux bruit cesse de circuler sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La discussion générale est close.

Je vais suspendre la séance une vingtaine de minutes, pour permettre à la commission des affaires sociales de se réunir afin d’examiner les amendements déposés sur le projet de loi.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 12 rectifié

Article 1er

(Non modifié)

I. – Bénéficie de l’exonération prévue au IV la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat respectant les conditions prévues aux II et III qui est attribuée à leurs salariés par les employeurs soumis à l’obligation prévue à l’article L. 5422-13 du code du travail ou relevant des 3° à 6° de l’article L. 5424-1 du même code.

Cette prime peut être attribuée par l’employeur à l’ensemble des salariés ou à ceux dont la rémunération est inférieure à un plafond.

II. – Pour les salariés ayant perçu en 2018 une rémunération inférieure à trois fois la valeur annuelle du salaire minimum de croissance calculée pour un an sur la base de la durée légale du travail, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat bénéficie de l’exonération prévue au IV, dans la limite de 1 000 € par bénéficiaire, lorsqu’elle satisfait les conditions suivantes :

1° Elle bénéficie aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 ou à la date de versement, si celle-ci est antérieure ;

2° Son montant peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classifications ou la durée de présence effective pendant l’année 2018 ou la durée de travail prévue au contrat de travail mentionnées à la dernière phrase du deuxième alinéa du III de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. Les congés prévus au chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail sont assimilés à des périodes de présence effective ;

3° Son versement est réalisé entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019 ;

4° Elle ne peut se substituer à des augmentations de rémunération ni à des primes prévues par un accord salarial, le contrat de travail ou les usages en vigueur dans l’entreprise. Elle ne peut non plus se substituer à aucun des éléments de rémunération, au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, versés par l’employeur ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales, contractuelles ou d’usage.

III. – Le montant de la prime ainsi que, le cas échéant, le plafond mentionné au second alinéa du I et la modulation de son niveau entre les bénéficiaires dans les conditions prévues au 2° du II font l’objet d’un accord d’entreprise ou de groupe conclu selon les modalités énumérées à l’article L. 3312-5 du code du travail. Toutefois, ces modalités peuvent être arrêtées au plus tard le 31 janvier 2019 par décision unilatérale du chef d’entreprise. En cas de décision unilatérale, l’employeur en informe, au plus tard le 31 mars 2019, le comité social et économique, le comité d’entreprise, les délégués du personnel ou la délégation unique du personnel, s’ils existent.

IV. – La prime attribuée dans les conditions prévues aux I à III est exonérée d’impôt sur le revenu, de toutes les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle ainsi que des participations, taxes et contributions prévues aux articles 235 bis, 1599 ter A et 1609 quinvicies du code général des impôts ainsi qu’aux articles L. 6131-1, L. 6331-2, L. 6331-9 et L. 6322-37 du code du travail dans leur rédaction en vigueur à la date de son versement. Elle est exclue des ressources prises en compte pour le calcul de la prime d’activité mentionnée à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale.

V. – Pour l’application du présent article à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, les références au code de la sécurité sociale sont remplacées par les références aux dispositions applicables localement ayant le même objet.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les exonérations prévues à l’article 1er ne concernent que les seules primes versées aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois le SMIC. L’instauration d’un tel plafond est susceptible de faire naître un effet de seuil. De plus, cette prime exceptionnelle restant à la discrétion de l’employeur, il est certain qu’elle sera créatrice d’inégalités entre salariés. François Asselin, président de la CPME, la Confédération des petites et moyennes entreprises, a insisté sur le fait que « beaucoup d’entreprises ne pourront pas verser ces primes ».

Pouvant être versée depuis le 11 décembre dernier et jusqu’au 31 mars 2019, cette prime exceptionnelle est source de questionnements pour les plus petites structures, qui, même dans le cas où elles disposent des fonds nécessaires, ne peuvent s’appuyer sur un service des ressources humaines pour lever les doutes concernant son versement et pour la mettre en œuvre rapidement.

Nous voyons fleurir depuis quelques jours un palmarès des entreprises qui jouent le jeu et de celles qui ne se sont pas prononcées. Si les grandes entreprises ont vite fait connaître leurs intentions, les TPE-PME sont en difficulté. Par ailleurs, les fonctionnaires sont exclus du bénéfice de la prime, alors que ceux de catégorie C peuvent être éligibles à la prime d’activité.

Sans remettre en cause la bonne intention qui sous-tend le dispositif, nous pensons qu’il aurait été préférable de s’assurer que celui-ci atteigne véritablement sa cible. Nous voterons bien évidemment l’article, mais nous regrettons l’impréparation de cette mesure ; le Gouvernement devra assumer les disparités dans son application et les inégalités qui en découleront.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l’article.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes satisfaits d’être réunis aujourd’hui, à la veille de la trêve des confiseurs. Cela montre que le Sénat travaille jusqu’au bout, mais nous ressentons un certain malaise d’être mis en quelque sorte au garde-à-vous, de nous trouver pieds et poings liés, soumis à une contrainte présidentielle majeure. Je l’avoue, cela me met très mal à l’aise.

Nous sommes dans un régime présidentiel : on ne peut pas dire que le Président de la République n’a pas de pouvoirs, mais voilà qu’il s’arroge en plus celui de dicter au Parlement, au travers de sa déclaration du 10 décembre dernier, dont il n’avait visiblement pas informé au préalable l’ensemble du Gouvernement, des dispositions devant être mises en œuvre au 1er janvier prochain. C’est tout de même très négatif pour la démocratie, en particulier la démocratie parlementaire. Anticipant sur les vœux de Nouvel An, je forme celui que cette procédure reste vraiment très exceptionnelle et qu’il n’y soit plus recouru au cours du présent quinquennat.

Concernant l’article 1er du projet de loi, on peut effectivement craindre, comme l’a relevé mon collègue Longeot, que le bénéfice de cette prime exceptionnelle ne soit finalement réservé à un nombre limité de salariés, notamment ceux des banques, des compagnies d’assurances, des grandes entreprises auxquelles l’État est en mesure d’en imposer le versement. De surcroît, instaurer cette prime revient à créer une nouvelle niche, ce à quoi nous sommes tous opposés par principe. Cela étant, puisqu’elle est provisoire, le dispositif devant s’éteindre le 31 mars, nous voterons l’article 1er.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, après plusieurs semaines de mouvements sociaux d’une virulence rarement égalée au cours de ces dernières années, l’exécutif s’est enfin décidé à agir. Sa réponse, préparée dans l’urgence, n’est, hélas ! pas à la hauteur des attentes d’une partie de la population précarisée, légitimement au bord de l’implosion. Les solutions proposées, peu abouties, peu réfléchies et non budgétisées, l’illustrent parfaitement.

Ainsi, l’article 1er de ce projet de loi appelle les entreprises à verser une prime exceptionnelle de fin d’année. L’intention est louable, mais quelle est l’efficacité économique d’un vœu pieux ? Il n’entre pas dans les conceptions des libéraux d’astreindre les employeurs au versement d’une telle prime. Tout au plus un mécanisme incitatif, à savoir une exonération de cotisations sociales pour les entreprises, est-il prévu afin de favoriser la mise en œuvre de cette mesure. La carotte est maigre et l’on porte au passage un énième coup de rabot au financement de la sécurité sociale.

Certes, dans le contexte de crise majeure que nous connaissons, je ne peux me résoudre à voter contre une mesure qui pourrait accroître le pouvoir d’achat de certains travailleurs. On peut cependant regretter le caractère non coercitif du dispositif. En laissant l’application de cette mesure au bon vouloir des employeurs, le Gouvernement prend un pari risqué. Au mieux, madame la ministre, vous faites preuve de naïveté en pensant que le patronat fera droit à votre demande. Au pire, vous faites preuve d’insincérité, en promettant beaucoup sans escompter de résultats probants, tout en misant sur l’essoufflement de la grogne sociale. Soyez sûre que nous serons particulièrement attentifs à la mise en place de cette mesure et que nous tâcherons d’en juger l’efficacité avec rigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’article 1er ouvre la possibilité aux entreprises volontaires de verser à leurs salariés une prime exempte d’impôt et de cotisations sociales.

Le Gouvernement n’a pas du tout pris la mesure des attentes du peuple français en matière d’augmentation du pouvoir d’achat et de rétablissement de la justice sociale. Il ne prend pas de mesures contraignantes pour les grandes entreprises, se contentant d’inviter les employeurs à distribuer à leurs salariés une prime exceptionnelle.

Cette disposition est profondément injuste, car sa mise en œuvre dépend de la bonne volonté des employeurs, et nullement des bénéfices réalisés par l’entreprise. Or de nombreuses petites entreprises sont en très grande difficulté et, de fait, ne pourront pas verser cette prime à leurs salariés. Vous créez ainsi une inégalité supplémentaire entre salariés ; vous les divisez.

Que vont recevoir les salariés dont les employeurs ont décidé de ne pas verser de prime, madame la ministre ? Que vont recevoir les salariés des TPE et des PME, les fonctionnaires, notamment ceux de catégorie C, dont les rémunérations sont très faibles ?

Alors que l’élaboration du PLF et du PLFSS a été guidée par une logique d’austérité, que vous imposez aux plus vulnérables de se serrer la ceinture en ne revalorisant pas les prestations sociales et les pensions de retraite, que les économies demandées entraînent des fermetures d’hôpitaux et de services publics de proximité et portent atteinte à l’accès des plus fragiles à leurs droits, l’article 1er de ce projet de loi ne contient aucune mesure contraignante, son dispositif se bornant à inviter les entreprises à faire un effort. Non seulement les entreprises sont laissées libres de ne pas verser de prime, mais, en plus, si elles le font, elles sont récompensées par des incitations financières, cette prime étant entièrement défiscalisée et exonérée de cotisations sociales. Autrement dit, la mesure ne coûtera pas grand-chose aux entreprises, mais privera les caisses de l’État et de la sécurité sociale de ressources pourtant nécessaires au maintien de services publics de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, sur l’article.

Mme Corinne Féret. Aux fins de soutenir le pouvoir d’achat des ménages, le Gouvernement a décidé d’ouvrir aux employeurs la possibilité de verser une prime exceptionnelle à leurs salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois le SMIC. Pourquoi, dès lors, les nombreux fonctionnaires, notamment de catégorie C, payés 1 200 ou 1 300 euros par mois n’auraient-ils pas droit à cette prime ? L’État ne peut pas ne pas appliquer, en tant qu’employeur, ce qu’il préconise pour les entreprises du secteur privé.

Vous nous répondrez, madame la ministre, à la suite de votre collègue Olivier Dussopt, que l’État n’en aurait pas les moyens. Ainsi donc, il n’aurait pas les moyens de faire vivre les services publics, mais il a ceux de privilégier les grandes fortunes, puisque le Gouvernement refuse de rétablir l’ISF !

Vous nous répondrez, madame la ministre, que les fonctionnaires sont concernés par le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », le PPCR, mais le Gouvernement a décidé de reporter d’un an la mise en œuvre de ce dispositif, qui devait entrer en application au 1er janvier 2018 : douze mois sans évolution des rémunérations ni des carrières.

Se trouvant de surcroît exclus du bénéfice de cette prime exceptionnelle, les fonctionnaires sont, plus encore que les oubliés, les punis du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, sur l’article.

M. Jean-François Rapin. Le 10 décembre, nous avons eu l’impression que le château de cartes s’était écroulé et, croyez-le bien, nous ne nous en réjouissons pas, loin de là. Disons-le franchement, le Parlement a été secoué. Il nous faut agir vite, fort, en votant des mesures dans l’urgence.

Instaurer une prime exceptionnelle peut être une mesure intéressante, mais sachez, mesdames les ministres, qu’une proposition de loi la préfigurant a été déposée le 7 décembre dernier sur le bureau du Sénat. Le Gouvernement devrait s’y intéresser : l’adoption d’une telle mesure nécessite une discussion parlementaire, par exemple pour envisager sa pérennisation ou son application aux fonctionnaires ou aux personnes rémunérées par le biais du CESU, le chèque emploi service universel. Il conviendrait également de reconditionner le dispositif, car le délai de trois mois pour le versement de cette prime et le plafond de 1 000 euros sont un peu trop contraignants.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, sur l’article.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, mesdames les ministres, chers collègues, nous le savons, les entreprises françaises ont besoin de retrouver de la compétitivité : pour pouvoir distribuer, il faut d’abord créer des richesses.

Certes, il faut encourager les salariés à s’impliquer dans l’entreprise, mais la concurrence internationale est souvent terrible. Il est bien d’instaurer une telle prime, mais cela oblige le Gouvernement, pour l’année 2019, à prendre des mesures de nature à permettre aux entreprises de conserver leur compétitivité et leur capacité de création de richesses.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.

M. Bruno Retailleau. Je voudrais poser au Gouvernement une question très simple sur cette prime et sur les heures supplémentaires défiscalisées : avec la retenue de l’impôt à la source, comment cela se passera-t-il concrètement ?

M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier et Rossignol, M. Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mme Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Courteau et Féraud, Mmes de la Gontrie, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

, à l’exception des dispositions prévues à la première section du même chapitre V

La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.

Mme Nadine Grelet-Certenais. Hier, à l’Assemblée nationale, il a été dit que le congé de maternité était pris en compte dans le temps de travail effectif et qu’il fallait en déduire que la prime prévue à l’article 1er ne pourrait pas être minorée du fait de la prise d’un congé de maternité. Cependant, le projet de loi mentionne parmi les critères de modulation du montant de cette prime la durée de présence effective pendant l’année 2018. Nous considérons donc que l’ambiguïté n’est pas totalement levée et nous jugeons nécessaire d’inscrire très clairement dans le texte le principe de la non-modulation en cas de congé de maternité, compte tenu notamment de la variabilité de la jurisprudence.

Le 11 avril 1991 déjà, la Cour de cassation avait jugé que la réduction ou la suppression de la prime de fin d’année ou d’assiduité d’une salariée en raison de son absence pour congé de maternité n’était ni discriminatoire ni illégale, à condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur l’attribution de cette prime. Cette position a été maintenue le 1er décembre 2016 par la chambre sociale de ladite cour.

Récemment, dans une décision rendue le 19 décembre 2018, les mêmes hauts magistrats ont précisé que cela vaut également pour l’attribution d’un bonus expressément subordonnée à la participation active et effective de la salariée à certaines activités.

Ces décisions sont d’autant plus gênantes qu’elles respectent pleinement les textes et la jurisprudence européens, qui se veulent protecteurs des salariées enceintes ou en congé de maternité. De fait, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé à plusieurs reprises – et encore le 14 juillet 2016 – qu’une salariée ne pouvait se fonder sur la directive du 19 octobre 1992 assurant la protection des femmes enceintes, accouchées ou allaitantes au travail pour revendiquer le maintien de sa rémunération dite « intégrale » pendant son congé de maternité, comme si elle occupait effectivement, comme les autres salariés, son poste de travail.

À notre sens, dans ce cas de figure, la salariée est bel et bien victime d’une discrimination indirecte, puisque le congé de maternité est un congé légal obligatoire. Ces décisions sont regrettables et n’envoient pas un signal positif aux femmes, pour lesquelles, bien souvent, le congé de maternité constitue un frein à la carrière professionnelle.

Pour toutes ces raisons, nous voulons être certains que les femmes concernées bénéficieront de l’entièreté de la prime et que celle-ci ne leur sera pas versée au prorata du temps passé dans l’entreprise. Il importe que cela soit mentionné explicitement dans le texte, afin que le congé de maternité ne les pénalise pas.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Le texte voté à 4 heures 30 du matin par l’Assemblée nationale, tel que modifié par un amendement adopté à l’unanimité, me paraît répondre tout à fait à votre préoccupation, ma chère collègue, puisqu’il est précisé que « les congés prévus au chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail sont assimilés à des périodes de présence effective ». Il n’y a donc pas de doute quant au paiement de l’intégralité de la prime exceptionnelle aux salariées ayant pris un congé de maternité.

Le texte de l’article satisfaisant votre amendement, nous demandons le retrait de celui-ci.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la sénatrice, cette nuit, en séance publique à l’Assemblée nationale, le groupe Nouvelle Gauche…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. Non, le groupe socialiste !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. … a soulevé la même question que vous et déposé un amendement visant notamment à lever l’ambiguïté de la jurisprudence. Cela a conduit le Gouvernement à présenter l’amendement que vient d’évoquer M. le rapporteur, afin de préciser que les périodes de suspension du contrat de travail au titre des congés de maternité, mais aussi de paternité, d’adoption, de maladie ou d’éducation des enfants sont bien assimilées à des périodes de présence effective.

La rédaction du texte qui vous est soumis me semble donc répondre pleinement à votre préoccupation. Je vous suggère de retirer cet amendement.

M. le président. Madame Grelet-Certenais, l’amendement n° 11 rectifié est-il maintenu ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. Toutes les garanties semblant apportées, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 11 rectifié est retiré.

La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote sur l’article 1er.

M. Yves Daudigny. Nous nous abstiendrons sur l’article 1er.

Il est certain que la prime sera appréciée comme une augmentation de pouvoir d’achat par celles et ceux qui pourront en bénéficier. Cependant, son versement est laissé au bon vouloir des entreprises et, comme l’a souligné ma collègue Corinne Féret, les fonctionnaires et les agents publics sont écartés de son bénéfice. D’une certaine façon, elle sera donc génératrice d’inégalités de traitement, d’injustices et de frustration.

Surtout, la présentation de ce dispositif est révélatrice de deux tendances fortes que nous pouvons observer aujourd’hui.

Premièrement, le travail ne suffit plus à procurer des ressources permettant de vivre dignement et dans de bonnes conditions. Certes, le phénomène n’est pas nouveau – le RSA « chapeau » a été mis en place il y a longtemps déjà –, mais il s’accentue aujourd’hui.

Deuxièmement, les parts de rémunération sur lesquelles ne pèsent aucune charge ou des charges réduites sont de plus en plus importantes. Cet amoindrissement de la contribution des entreprises à la solidarité nationale mettra certainement en difficulté, un jour ou l’autre, le financement de notre protection sociale.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Je tiens d’abord à rappeler que le dispositif de l’article 1er est facultatif. La prime exceptionnelle ne sera ni imposable ni soumise à cotisations sociales pour les employeurs. À cet égard, les entreprises qui avaient de toute façon déjà prévu de verser une prime de fin d’année seront pleinement gagnantes…

Les grands punis seront les fonctionnaires : outre qu’ils ne bénéficieront pas de cette prime, ils ont eu confirmation du gel du point d’indice. À l’évidence, toutefois, les fonctionnaires ne sont pas tous logés à la même enseigne. En effet, après une journée de mobilisation, les policiers ont obtenu une augmentation salariale de 120 euros par mois environ. On ne peut bien évidemment que s’en féliciter, même si l’on s’interroge toujours sur le paiement des 23 millions d’heures supplémentaires que leur doit l’État. J’espère, mesdames les ministres, que nous pourrons avoir une réponse sur ce sujet.

Cela étant, nous pensons que les fonctionnaires de l’éducation nationale, les agents hospitaliers ou des collectivités locales sont aussi utiles à notre pays que les policiers. Or eux n’obtiendront rien…

Le dispositif de l’article 1er donnera sans aucun doute satisfaction à certains salariés, mais il en laissera surtout de côté des millions. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.

Mme Catherine Deroche. Je souhaite relayer un témoignage que m’a rapporté Catherine Di Folco ce matin.

Dans la commune de notre collègue est implanté un établissement pour adultes autistes géré par l’association « Sésame Autisme Rhône-Alpes ». À la fin du mois de novembre, conscients des difficultés que rencontraient leurs salariés, les dirigeants de cette association ont versé à ceux-ci une prime exceptionnelle, afin notamment de les aider à préparer les fêtes de fin d’année. Du fait de sa date de versement, cette prime n’entrera pas dans le champ de l’exonération de charges prévue dans le présent texte. Les responsables de l’association se sentent aujourd’hui un peu les dindons de la farce, alors qu’ils se sont montrés vertueux et n’ont pas mis des semaines à se rendre compte des difficultés des salariés, contrairement au Gouvernement…

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour explication de vote sur l’article.

M. Serge Babary. On peut évidemment se réjouir pour les salariés d’Orange, de la SNCF, de la RATP, d’Aéroports de Paris, de Michelin, de Total, d’Engie, de Veolia, etc. du versement de cette prime exceptionnelle, mais aucun fonctionnaire ou agent public n’en bénéficiera. Il est un peu facile de demander aux autres de faire un effort tout en s’en dispensant !

Par ailleurs, les salariés des entreprises que je viens de citer étaient peu nombreux sur les ronds-points parmi les « gilets jaunes », au contraire sans doute de ceux des TPE, des PME, de l’artisanat, du commerce et du monde agricole, qui, eux, ne toucheront que très rarement la prime exceptionnelle…

Avec cette mesure, on crée donc un nouveau risque d’iniquité entre salariés. Je crains que le résultat ne soit aux antipodes de celui qu’espère le Gouvernement en instaurant cette prime. Pour cette raison, je m’abstiendrai sur cet article.

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
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Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier et Rossignol, M. Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mme Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Courteau et Féraud, Mmes de la Gontrie, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 3° de l’article L. 1142-1 du code du travail, après le mot : « rémunération, » sont insérés les mots : « de primes, ».

La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que celui qu’a présenté Mme Grelet-Certenais, puisqu’il vise à garantir que les femmes enceintes ou en congé de maternité bénéficieront bien de la prime exceptionnelle. Il serait en effet tout à fait dommageable que ce ne soit pas le cas, d’autant que le congé de maternité est un congé légal et obligatoire.

L’amendement vise à compléter les dispositions de l’article L. 1142-1 du code du travail afin d’y mentionner explicitement les primes et d’écarter toute discrimination en la matière, comme c’est déjà le cas pour la rémunération, la formation ou la promotion professionnelle. Mme la ministre l’a elle-même rappelé, la jurisprudence récente ne considère pas le non-versement d’une prime à une femme ayant bénéficié d’un congé de maternité comme un cas de discrimination.

Si M. le rapporteur et Mme la ministre peuvent nous assurer que le texte adopté cette nuit à l’Assemblée nationale répond bien à notre préoccupation, nous pourrons envisager de retirer cet amendement.

(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Je pose la même question que notre collègue, sachant que l’amendement vise en réalité l’état de grossesse. La commission sollicite une réponse de fond du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, vous souhaitez modifier le dispositif de l’article L. 1142-1 du code du travail, qui interdit de discriminer une salariée en matière de rémunération du fait de son état de grossesse ou de la prise d’un congé de maternité.

L’interdiction est claire et précise. Le terme de « rémunération » est large : il désigne le salaire, les primes, les accessoires de salaire. Dans le droit actuel, il n’est donc pas possible de retirer à une salariée le bénéfice d’une quelconque prime au seul motif qu’elle est enceinte ou en congé de maternité.

Introduire le mot « primes » dans le texte de l’article en question n’apporterait donc rien par rapport au droit existant. Je vous suggère de retirer votre amendement, monsieur le sénateur, puisqu’il est satisfait.

Je voudrais maintenant apporter un certain nombre de précisions en réponse à des questions qui m’ont été posées.

Monsieur le sénateur Rapin, les particuliers employeurs sont bien concernés par le dispositif : ils peuvent d’ores et déjà verser une prime exceptionnelle aux personnes qui travaillent pour eux, notamment lorsque la rémunération s’opère via le CESU. Par ailleurs, le champ des associations est entièrement couvert, ainsi que les EPIC et les chambres consulaires.

En ce qui concerne le délai laissé aux entreprises pour verser la prime, nous l’avons fixé à trois mois après en avoir discuté avec les représentants des petites et moyennes entreprises ; nous pensions à l’origine retenir une échéance plus brève encore. Nous sommes convenus avec eux que trois mois suffisaient pour deux raisons.

Premièrement, le versement de cette prime exceptionnelle relève finalement d’une volonté de partage de la valeur. Or la loi PACTE facilitera grandement le partage de la valeur dans les petites et moyennes entreprises, par la suppression du forfait social.

Deuxièmement, le versement de la prime exceptionnelle ne doit pas interférer avec les négociations annuelles obligatoires sur les salaires : il ne faut pas que le calendrier entraîne un chevauchement qui pourrait créer une ambiguïté. C’est pourquoi le versement de la prime exceptionnelle ne sera possible que jusqu’au 31 mars 2019.

Monsieur Retailleau, les heures supplémentaires défiscalisées n’entreront pas dans l’assiette de l’impôt sur le revenu. L’employeur ne leur appliquera donc pas le taux d’imposition au titre du prélèvement à la source.

S’agissant de la fonction publique, elle est soumise à des règles de rémunération différentes. La prime d’activité et les heures supplémentaires défiscalisées concerneront également les fonctionnaires. En revanche, pour ce qui concerne la prime exceptionnelle, il faut tenir compte des discussions plus larges sur les rémunérations qui sont en cours entre le ministre de l’action et des comptes publics et les organisations représentatives des fonctionnaires. Il n’y a pas lieu d’aborder ce sujet dans le présent texte, sachant que, dans le cadre du PPCR, plus de 800 millions d’euros sont prévus pour l’année prochaine au titre de l’augmentation des rémunérations des fonctionnaires.

Enfin, la prime exceptionnelle ne peut évidemment pas se substituer à une prime existante ou récurrente. En outre, nous avons veillé à ce qu’elle soit neutralisée au regard du calcul de la prime d’activité, afin que personne ne puisse perdre le bénéfice de celle-ci du fait de la perception d’une prime exceptionnelle.

M. le président. Monsieur Féraud, l’amendement n° 12 rectifié est-il maintenu ?

M. Rémi Féraud. Dès lors que le versement de la prime exceptionnelle ne peut en aucun cas être subordonné à la participation effective d’une salariée à l’activité de l’entreprise et concernera donc aussi, sans ambiguïté, les femmes enceintes ou en congé de maternité, nous retirons l’amendement.

M. le président. L’amendement n° 12 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 12 rectifié
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Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 4 rectifié bis

Article 2

(Non modifié)

I. – Le livre Ier du code général des impôts est ainsi modifié :

1° L’article 81 quater est ainsi rétabli :

« Art. 81 quater. – Sont exonérés de l’impôt sur le revenu les rémunérations, les majorations et les éléments de rémunérations mentionnés aux I et III de l’article L. 241-17 du code de la sécurité sociale, dans les conditions et limites fixées au même article L. 241-17 et dans une limite annuelle égale à 5 000 €.

« Le bénéfice de l’exonération prévue au présent article est subordonné au respect de la condition prévue au V de l’article L. 241-17 du code de la sécurité sociale. » ;

2° Au c du 1° du IV de l’article 1417, après la deuxième occurrence du mot : « articles », est insérée la référence : « 81 quater, ».

II. – Les dispositions prévues au I s’appliquent aux rémunérations versées à raison des heures supplémentaires et complémentaires réalisées à compter du 1er janvier 2019.

III. – Au V de l’article 7 de la loi n° … du … de financement de la sécurité sociale pour 2019, les mots : « 1er septembre » sont remplacés par les mots : « 1er janvier ».

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.

M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, j’observe que vous faites un nouveau pas vers un dispositif de la loi TEPA votée sous la présidence de Nicolas Sarkozy ; j’en suis ravi !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Le président Emmanuel Macron, qui s’est fait élire sous l’égide factice de la modernité, tombe dans les travers de l’« ancien monde » et décide de ressortir du placard une vieille recette libérale déjà utilisée par le passé par Nicolas Sarkozy, celle de la défiscalisation des heures supplémentaires.

Cette mesure a eu plusieurs effets pour le moins négatifs. En particulier, l’exonération de cotisations sociales a entraîné une perte de 4 milliards d’euros pour les caisses de la sécurité sociale. Destructrice d’emplois, la défiscalisation des heures supplémentaires n’incite nullement les chefs d’entreprise à embaucher de nouveaux salariés. Le bilan est lourd, avec 100 000 emplois perdus pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Mme Pascale Gruny. Ce n’est pas vrai !

Mme Esther Benbassa. L’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, estime que le rétablissement d’une telle mesure pourrait détruire 44 000 postes d’ici à 2022.

Une telle mesure serait donc lourde de conséquences à moyen et long terme. Pourtant, pour le salariat et les fonctionnaires, pour les employés des petites entreprises, elle apparaît comme la seule opportunité d’accroître le pouvoir d’achat et constitue de ce fait un moindre mal. C’est d’ailleurs pour cette raison que la suppression de ce dispositif avait été mal comprise par les Français lors de la précédente mandature.

Au fond, la véritable cause de la crise sociale réside dans le niveau trop faible des rémunérations. La solution trouvée par le Gouvernement semble à cet égard imparfaite. Nous aurions souhaité une meilleure prise en compte de la pénibilité au travail, par exemple, car ce sont les personnes exerçant des métiers éprouvants, précaires et mal rémunérés qui sont le plus incitées à effectuer ces heures supplémentaires défiscalisées, à seule fin de vivre mieux, au détriment parfois de leur santé.

Nous prenons acte de l’absence de prise en compte de ces paramètres dans les propositions du Gouvernement. Nous sommes cependant conscients que la défiscalisation des heures supplémentaires permet une amélioration du niveau de vie des travailleurs, sans toutefois être pleinement satisfaisante.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. L’article 2 procède à la défiscalisation des heures supplémentaires et avance la mise en œuvre de leur exonération de cotisations sociales.

Mesdames les ministres, cette mesure a été mise en avant par le Gouvernement comme un moyen d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés. L’idée n’est pas nouvelle, c’est le fameux « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy. Le dispositif fut abrogé sous François Hollande.

Supprimer l’impôt et les cotisations sociales peut avoir un effet immédiat et permettre aux salariés d’avoir un peu plus d’argent à la fin du mois. Mais, en réalité, cela les appauvrit considérablement. La défiscalisation et la suppression des cotisations sociales vident les caisses de l’État et de la sécurité sociale. La perte est estimée à plusieurs milliards d’euros, rien que pour la sécurité sociale.

Or ce sont ces recettes qui financent les services publics de proximité ; ce sont ces recettes qui financent les hôpitaux ; ce sont ces recettes qui permettent le versement d’allocations sociales et de pensions de retraite. En réalité, le peu que les salariés gagneront à la fin du mois, ils le perdront à terme !

De plus, ces mesures de défiscalisation des heures supplémentaires ont un effet néfaste sur l’économie, déjà démontré à plusieurs reprises et dénoncé lors de plusieurs de nos interventions. Ainsi, un rapport de l’OFCE indique que le rétablissement de ce type de mesures pourrait provoquer la destruction de 20 000 à 45 000 emplois.

Même si de telles mesures peuvent apparaître positives au premier abord, elles s’inscrivent en réalité dans une logique libérale à l’œuvre depuis plusieurs décennies. Sans coûter un centime de plus aux grandes entreprises, elles font reposer sur les salariés la responsabilité de s’assurer un niveau de vie décent en travaillant toujours plus.

Or, selon nous, ce sont les employeurs qui se doivent de rémunérer le travail à sa juste valeur. Agir réellement pour le pouvoir d’achat des salariés, c’est revaloriser le travail et faire une différence entre les petites entreprises et les grands groupes. En effet, les échelles de valeur n’étant pas les mêmes, on ne peut pas demander les mêmes efforts aux uns et aux autres.

Pour nous, la solution consisterait, non seulement à augmenter les salaires, mais aussi à réduire le temps de travail. Nous sommes en 2018, mes chers collègues : ce serait beaucoup plus efficace pour réduire le chômage ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. On a vu ce que ça a donné !

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
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Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mmes Cohen et Apourceau-Poly, MM. Bocquet et Savoldelli, Mmes Assassi et Benbassa, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 44 de la loi n° … du … de financement de la sécurité sociale pour 2019 est ainsi rédigé :

« Art. 44. – Au titre de 2019 et 2020, en application de l’article L. 161-25 du code de la sécurité sociale, les montants des prestations et des plafonds de ressources relevant du même article L. 161-25 sont revalorisés annuellement de 1,3 %, conformément au taux prévisionnel de l’inflation hors consommation de tabac pour 2019. »

La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Nous proposons de procéder à une revalorisation minimale des prestations sociales, à hauteur de l’inflation.

Le code de la sécurité sociale prévoit que les prestations sociales doivent faire l’objet d’une revalorisation annuelle visant à prendre en compte l’inflation. Cette revalorisation permet donc sinon d’augmenter le pouvoir d’achat, du moins d’éviter qu’il ne diminue du fait de l’inflation.

Pour 2019, le taux d’inflation prévisionnel s’établit à 1,3 %. Or, lors de la discussion du PLF et du PLFSS, il a été décidé que les prestations sociales ne seraient revalorisées qu’à hauteur de 0,3 %. Le Gouvernement a alors parlé d’augmentation « maîtrisée » des prestations sociales… Mais une augmentation maîtrisée inférieure d’un point au taux de l’inflation, cela s’appelle, en bon français, une baisse de pouvoir d’achat !

Les allocations sociales ont pour but de garantir un revenu minimal aux personnes en situation de précarité, qui ont des ressources limitées. Nous considérons que ne pas les revaloriser à hauteur de l’inflation revient à donner un coup de rabot supplémentaire à un système de solidarité déjà bien mal en point.

Vous justifiez cette mesure par la nécessité d’assainir les finances publiques. Pourtant, chaque fois que nous faisons des propositions visant à dégager de nouvelles recettes pour l’État, notamment en mettant à contribution les entreprises, les actionnaires et les plus fortunés, vous les rejetez systématiquement.

Puisque le Gouvernement prétend défendre le pouvoir d’achat au travers de ce projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, il nous paraîtrait logique d’adopter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Cet amendement tend à la réindexation des prestations sociales sur l’inflation. Je précise que le Conseil constitutionnel vient justement de censurer la désindexation des prestations sociales pour 2020.

L’objet de l’amendement rejoint une initiative prise par le Sénat lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, mais sans en respecter l’équilibre, puisque nous avions prévu des mesures compensatoires à la réindexation des prestations sociales sur l’inflation.

En l’état, l’adoption de l’amendement ne ferait qu’aggraver le déficit public. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je précise que la décision du Conseil constitutionnel évoquée par M. le rapporteur concerne en fait la forme de l’article censuré, et non le fond. Nous en rediscuterons l’année prochaine, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Le Gouvernement a fait le choix d’une revalorisation maîtrisée des prestations sociales. Ainsi, en application du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, toutes les prestations sociales augmenteront selon un taux correspondant à celui qui a été observé au cours des trois dernières années.

Nous avons fait le choix d’une revalorisation différenciée et d’efforts spécifiques à destination des Français les plus modestes. Les minima sociaux seront eux revalorisés à hauteur de l’inflation. Le minimum vieillesse et l’allocation aux adultes handicapés connaîtront des revalorisations exceptionnelles en 2018 et en 2019, le minimum vieillesse augmentant de 100 euros en l’espace de deux ans et demi, c’est-à-dire d’ici au 1er janvier 2020.

Quand on parle de pouvoir d’achat, on parle à la fois des rentrées et des dépenses. Il faut donc aussi considérer ce que le Gouvernement fait en termes de dépenses pour les retraités les plus modestes.

D’abord, pour ce qui concerne les dépenses de santé, je rappelle que les personnes âgées seront les premières bénéficiaires des dispositions qui améliorent l’accès aux soins, notamment pour ce qui concerne les pathologies chroniques.

Elles seront les premières bénéficiaires de l’effort supplémentaire consenti en matière de dépenses d’assurance maladie. Je rappelle que les personnes de plus de soixante ans représentent 25 % de la population, mais 50 % des dépenses de l’assurance maladie.

M. Pierre Laurent. Ils doivent s’excuser d’être vieux ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Elles seront les premières bénéficiaires de la réforme des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, et du financement de la perte d’autonomie que nous conduisons. Nous avons notamment énormément accru les financements et accéléré la convergence tarifaire pour les EHPAD en 2019, au travers du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous travaillons également sur le financement de prise en charge de la perte d’autonomie, de façon à diminuer le reste à charge pour les personnes âgées et leurs familles.

Enfin, les personnes âgées seront les premières bénéficiaires de la réforme du « 100 % santé », avec le « reste à charge zéro » qui se mettra en place dès le 1er janvier 2019 pour les aides auditives et dès le 1er avril 2019 pour une partie des soins dentaires.

Mme Laurence Cohen. Que feront les mutuelles ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Elles seront aussi les premières bénéficiaires de la réforme de l’aide à la complémentaire santé. Je vous rappelle que nous avons créé une complémentaire santé coûtant moins de 1 euro par jour pour les personnes les plus modestes, celles qui touchent moins de 1 000 euros par mois de pension ou de revenu. Cela représente un gain de 30 euros par mois pour les retraités par rapport à ce qu’ils payent actuellement pour leur mutuelle.

Nous avons demandé aux organismes complémentaires d’assurance maladie de prévoir des mesures exceptionnelles pour l’année 2019. Vous l’avez peut-être lu dans la presse aujourd’hui : les organismes complémentaires se sont engagés à ne pas augmenter leurs cotisations pour les contrats d’entrée de gamme, qui concernent près de 5 millions de personnes.

Nous faisons donc énormément pour améliorer le pouvoir d’achat des retraités les plus modestes, via une diminution de leurs dépenses contraintes.

Le Gouvernement est défavorable à votre amendement, monsieur le sénateur Laurent.

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Madame la ministre, vous nous répétez ce que vous nous avez dit lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je croyais pourtant que nous discutions aujourd’hui de mesures d’urgence exceptionnelles.

Depuis la discussion du projet de loi de finances et celle du projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous avez été obligée de reconnaître que le compte n’y était pas. C’est la raison pour laquelle vous avez annoncé quelques mesures supplémentaires. Par conséquent, ne nous répétez pas ce que vous nous avez dit il y a quelques semaines, et prenez plutôt en compte ce qui s’est dit un peu partout sur les barrages des « gilets jaunes ». Vous savez très bien que beaucoup de retraités et de personnes en situation de fragilité ont pris part à ce mouvement et à toutes les mobilisations sociales.

À l’instar des dispositions du présent projet de loi, la mesure que nous proposons viendrait s’ajouter à celles qui ont été votées dans le cadre du dernier PLFSS. Il ne suffit donc pas de répéter les propos que vous avez tenus il y a quelques semaines : nous sommes réunis, en cette soirée du 21 décembre, parce qu’il faut adopter de nouvelles mesures !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 4 rectifié bis
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Article additionnel après l'article 3 - Amendement n° 9 rectifié bis

Article 3

(Non modifié)

I. – À la première phrase du I de l’article 154 quinquies du code général des impôts, après le taux : « 6,2 % », sont insérés les mots : « , à hauteur de 4,2 points lorsqu’elle est prélevée au taux de 6,6 % ».

II. – À la première phrase du 1° bis de l’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … de financement de la sécurité sociale pour 2019, la première occurrence du mot : « ou » est remplacée par le mot : « et ».

III. – Le titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … de financement de la sécurité sociale pour 2019, est ainsi modifié :

1° Le 3° de l’article L. 131-8 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, la référence : « et III » est remplacée par les références : « , III et III bis » ;

b) Le b est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« – 5,05 % pour les revenus mentionnés au III bis dudit article L. 136-8 ; »

2° Le III de l’article L. 136-8 est remplacé par des III, III bis et III ter ainsi rédigés :

« III. – Par dérogation aux I, II et III bis, sont assujettis à la contribution sociale au taux de 3,8 % les revenus mentionnés aux 1° et 4° du II de l’article L. 136-1-2 des personnes :

« 1° D’une part, dont les revenus définis au IV de l’article 1417 du code général des impôts perçus l’avant-dernière année excèdent 11 128 € pour la première part de quotient familial, majorés de 2 971 € pour chaque demi-part supplémentaire. Pour la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, les montants des revenus sont fixés à 13 167 € pour la première part, majorés de 3 268 € pour la première demi-part et 2 971 € pour chaque demi-part supplémentaire à compter de la deuxième. Pour la Guyane et Mayotte, ces montants sont fixés, respectivement, à 13 768 €, 3 417 € et 2 971 € ;

« 2° D’autre part, dont les revenus définis au IV de l’article 1417 du code général des impôts perçus l’avant-dernière ou l’antépénultième année sont inférieurs à 14 548 € pour la première part de quotient familial, majorés de 3 884 € pour chaque demi-part supplémentaire. Pour la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, les montants des revenus sont fixés à 15 915 € pour la première part, majorés de 4 271 € pour la première demi-part et 3 884 € pour chaque demi-part supplémentaire à compter de la deuxième. Pour la Guyane et Mayotte, ces montants sont fixés, respectivement, à 16 672 €, 4 467 € et 3 884 €.

« III bis. –Par dérogation aux I et II, sont assujettis à la contribution sociale au taux de 6,6 % les revenus mentionnés au 1° du II de l’article L. 136-1-2 perçus par les personnes dont les revenus de l’avant-dernière année, définis au IV de l’article 1417 du code général des impôts :

« 1° D’une part, excèdent 14 548 € pour la première part de quotient familial, majorés de 3 884 € pour chaque demi-part supplémentaire. Pour la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, les montants des revenus sont fixés à 15 915 € pour la première part, majorés de 4 271 € pour la première demi-part et 3 884 € pour chaque demi-part supplémentaire à compter de la deuxième. Pour la Guyane et Mayotte, ces montants sont fixés, respectivement, à 16 672 €, 4 467 € et 3 884 € ;

« 2° D’autre part, sont inférieurs à 22 580 € pour la première part de quotient familial, majorés de 6 028 € pour chaque demi-part supplémentaire.

« III ter. – Les seuils mentionnés aux III et III bis sont revalorisés au 1er janvier de chaque année, conformément à l’évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, constatée pour l’avant-dernière année et arrondis à l’euro le plus proche, la fraction d’euro égale à 0,50 étant comptée pour 1. »

IV. – Le I s’applique à compter de l’imposition des revenus de l’année 2019 ou, pour la déduction de la contribution sociale généralisée recouvrée et contrôlée dans les conditions prévues au II bis de l’article L. 136-5 du code de la sécurité sociale, acquittée au titre des revenus et avantages mentionnés au même II bis, à compter de l’imposition des revenus de l’année 2020.

V. – Les II et III s’appliquent aux contributions dues pour les périodes courant à compter du 1er janvier 2019.

Le III bis de l’article L. 136-8 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la présente loi, s’applique à compter du versement des revenus intervenant en mai 2019 et donne lieu à la même date à une régularisation pour la période courant depuis le 1er janvier 2019.

VI. – Le a du 2° des XVI, XVII et XVIII de l’article 26 de la loi n° … du … de financement de la sécurité sociale pour 2019 est ainsi modifié :

1° Au début de l’avant-dernier alinéa, les mots : « à l’avant-dernier » sont remplacés par les mots : « au cinquième » ;

2° Au début du dernier alinéa, les mots : « au dernier » sont remplacés par les mots : « à l’avant-dernier ».

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Dès la discussion du PLFSS pour 2018, nous avions dénoncé la mesure particulièrement injuste prévue à son article 7, visant à relever de 1,7 point le taux de la CSG pour compenser la suppression des cotisations sociales maladie et chômage.

Parlementaires communistes, nous sommes opposés au principe même de la CSG, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer à de nombreuses reprises. Je n’y reviendrai pas.

Non seulement cette hausse pénalisait les retraités, déjà fort mal traités dans notre pays, mais elle leur faisait aussi payer la légère augmentation du pouvoir d’achat des salariés.

C’est pourquoi ces hommes et ces femmes qui ont travaillé toute leur vie se mobilisent depuis plus d’un an. Répondant à l’appel de plusieurs organisations syndicales, ils demandaient encore mercredi dernier d’être reçus à Bercy, tant l’annonce du Président de la République Emmanuel Macron, reprise ici au travers de l’article 3, est loin d’être satisfaisante.

Là encore, il en aura fallu des décryptages, des demandes de précision pour appréhender la véritable nature de la mesure proposée, à savoir le rétablissement du taux de CSG applicable avant le 1er janvier 2018 pour les retraités seuls et sans autre revenu touchant une pension d’un montant inférieur à 2 000 euros nets en 2019.

D’après les chiffres fournis, près de la moitié des personnes qui ont supporté la hausse de 1,7 point de CSG en seront donc exonérées. Tant pis pour l’autre moitié ! On n’en est plus à une inégalité près…

Bien sûr, cette disposition sera éphémère et expirera à la fin de l’année 2019, à moins que le Gouvernement n’entende d’ici là les retraités, tous les retraités, et ne supprime totalement la CSG qui leur est appliquée. Puisque c’est bientôt Noël, rêvons un peu et faisons le vœu que le Gouvernement augmente réellement leur pouvoir d’achat par une véritable hausse de leurs pensions !

En attendant, nous soutiendrons cet article malgré toutes ses limites et ses insuffisances, parce qu’il apporte tout de même une lueur d’espoir, parce qu’il constitue une petite amélioration pour 5 millions de retraités parmi les plus modestes de notre pays, qui vont attendre le mois de juillet avec impatience. Nous appelons cependant le Gouvernement à étendre son geste à l’ensemble des retraités.

Enfin, je regrette, avec l’ensemble de mon groupe, que le couperet de l’article 40 de la Constitution nous ait empêchés de déposer un amendement tendant à la suppression pure et simple de la CSG pour l’ensemble des retraités et des salariés.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.

M. Ronan Dantec. Il est évident que l’augmentation de 1,7 point de la CSG pour les titulaires de petites retraites fait partie des principales erreurs initiales de ce gouvernement et a contribué à amorcer la crise que nous connaissons.

Personnellement, je voterai cet article et ce projet de loi, car quand un mouvement social se traduit par des avancées réelles, notamment avec la prime d’activité, il faut en prendre acte. Ce texte est en effet la conséquence de cette mobilisation.

Même si je soutiens sans ambiguïté cet effort de redistribution, la baisse de la CSG provoquera une baisse des recettes de l’État et la hausse de la prime d’activité une hausse de ses dépenses. Cela signifie que, demain, le Gouvernement pourrait être tenté de retirer des moyens à un certain nombre de politiques publiques.

Au moment où nous parlons, la pétition « L’affaire du siècle » vient de dépasser le million de signataires, ce qui est considérable. Cette mobilisation extrêmement importante met en exergue le risque d’une autre forme de déstabilisation de notre cohésion sociale dans les toutes prochaines décennies, liée à la gravité du dérèglement climatique.

Il ne faudrait pas que les mesures de redistribution que nous votons aujourd’hui se traduisent demain par l’affaiblissement de nos politiques en faveur de la transition énergétique et climatique. Ce risque existe, notamment s’agissant de la dimension territoriale, qui est absolument fondamentale pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et renforcer l’adaptation de nos territoires.

Céder à cette tentation pourrait amener demain d’autres formes de déstabilisation sociale extrêmement graves. Le Gouvernement propose aujourd’hui un certain nombre de mesures, certes encore insuffisantes, visant à renforcer notre cohésion sociale, mais n’oublions pas ces autres menaces, qui donnent elles aussi lieu à de très fortes mobilisations.

M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier et Rossignol, M. Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mme Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Courteau et Féraud, Mmes de la Gontrie, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 14

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° D’autre part, sont inférieurs à 33 000 € pour la première part de quotient familial, majorée de 8 810 € pour chaque demi-part supplémentaire. Pour la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion, les montants des revenus sont fixés à 36 101 € pour la première part, majorés de 9 689 € pour la première demi-part et 8 810 € pour chaque demi-part supplémentaire à compter de la deuxième. Pour la Guyane et Mayotte, ces montants sont fixés, respectivement, à 37 819 €, 10 133 € et 8 810 €.

II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création du taux du 1° du B du 1 de l’article 200 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Depuis dix-huit mois, nous alertons sur les conséquences délétères de la hausse de la CSG pour les retraités.

Contraints et forcés, vous avez enfin décidé de relever le seuil d’application de cette mesure, mais à 2 000 euros seulement. C’est insuffisant, notamment au regard du coût moyen d’hébergement en maison de retraite. Vos concessions sont tout aussi insuffisantes pour que vous puissiez vous réclamer de la justice fiscale et sociale. Rien n’est fait en faveur de la justice fiscale ; tout n’est que détricotage partiel de décisions comptables injustes. Nous regrettons que ce que vous appelez des « mesures d’urgence » n’aillent pas jusqu’à la revalorisation des pensions de retraite et des prestations familiales.

Je rappellerai l’ensemble des dispositions en faveur de nos aînés que nous avons défendues lors de l’examen du projet de loi de finances, qu’il s’agisse de la revalorisation des retraites, de l’annulation de la hausse de la CSG pour les pensions de retraite d’un montant inférieur à 3 000 euros – que nous demandons de nouveau à travers cet amendement –, du grand plan en faveur des EHPAD auquel nous souhaitions affecter 1 milliard d’euros ou, enfin, de la revalorisation des retraites agricoles à hauteur de 85 % du SMIC, les retraités agricoles faisant partie des grands oubliés de votre politique et de vos propositions, de même que les fonctionnaires qui, dans leur très grande majorité, sont les laissés pour compte de l’amélioration du pouvoir d’achat.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Cet amendement a pour objet de faire passer à 3 000 euros nets le plafond du revenu permettant de bénéficier du taux de 6,6 % de CSG.

Bien sûr, la commission a un regard bienveillant sur cette proposition, puisque le Sénat avait refusé l’année dernière la hausse de la CSG pour l’ensemble des pensions. Néanmoins, les mesures d’urgence concernent avant tout les foyers au revenu modeste.

Quant au financement de la dépendance, auquel vous faites allusion, il relève d’un autre logique et ne concerne pas, heureusement, tous les retraités.

L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. L’avis est lui aussi défavorable.

Comme je l’ai dit hier à l’Assemblée nationale, les séjours en EHPAD ne concernent que 10 % des retraités de plus de soixante-quinze ans, soit 700 000 personnes, alors que l’on compte 15 millions de retraités de plus de soixante-cinq ans. Les EHPAD dont le prix mensuel dépasse 3 000 euros sont des établissements privés lucratifs ; fort heureusement, la majorité des EHPAD ne coûtent pas ce prix-là.

Nous avons choisi de réserver la hausse de la CSG aux 30 % de retraités qui perçoivent les pensions les plus importantes. Nous sommes revenus sur cette hausse pour les retraités les plus modestes. Nous ne souhaitons pas aller plus loin. Notre objectif est plutôt de rendre du pouvoir d’achat aux actifs.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Nous voterons cet amendement, parce qu’il est juste.

Je suis un peu atterrée d’entendre Mme la ministre de la santé essayer de nous démontrer que tout va très bien, madame la marquise, dans le meilleur des mondes, notamment pour les retraités. Nous ne devons pas rencontrer les mêmes personnes, nous ne devons pas vivre dans le même monde. La preuve, les retraités se mobilisent, et ils l’ont fait bien avant le mouvement des « gilets jaunes ».

Quant à vos propos sur les EHPAD, madame la ministre, ce n’est pas non plus du tout ce que nous avons observé au cours de notre tour de France des hôpitaux publics et des EHPAD. Ce n’est pas la situation réelle dans le pays ; ce n’est pas la situation de ces établissements !

Je ne doute pas des efforts que vous faites, mais ils sont infinitésimaux par rapport à la situation réelle. Vous accordez de petites choses qui ne correspondent pas à la vie réelle des gens.

Vous ne voulez pas entendre, vous persistez et vous signez. La colère monte et ne s’arrêtera pas là ! En effet, les inégalités se creusent. Quand on est âgé, on est parfois dépendant, auquel cas on a besoin d’être accompagné, et on est parfois plus malade : cela coûte de l’argent. Or, de l’argent, il y en a ! Nous vous l’avons prouvé depuis le début de cette discussion comme lors de l’examen de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je suis obligée de répondre à Mme Cohen.

Quand on est malade, quand on est dépendant et qu’on a besoin de soins, fort heureusement, il y a des financements pour cela. Les gens ne paient pas de leur poche !

Mme Laurence Cohen. Tout va bien !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous ne pouvez donc pas parler à la fois des pensions de retraite et du financement des soins et de la dépendance, qui est assuré autrement, fort heureusement.

Mme Laurence Cohen. C’est vous qui en parlez !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié ter, présenté par Mmes Cohen et Apourceau-Poly, MM. Bocquet et Savoldelli, Mmes Assassi et Benbassa, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Compléter cet alinéa par les mots :

et jusqu’au 31 décembre 2022, le dispositif pouvant être à nouveau prolongé à cette date

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Cet amendement vise à prolonger jusqu’à 2022 l’annulation de la hausse de la CSG prévue par cet article.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 avait augmenté le taux de la CSG, ce qui avait porté atteinte au pouvoir d’achat de 7,5 millions de retraités. Cette augmentation avait d’ailleurs suscité une première couche de colère, qui s’est ensuite sédimentée jusqu’à provoquer le mouvement des « gilets jaunes ». Certes, à l’occasion de la loi de finances pour 2019, le Gouvernement a introduit une modulation de cette hausse. Toutefois, elle ne concerne qu’une minorité de retraités.

À chacune de ces occasions, notre groupe a porté des amendements visant à supprimer la hausse de la CSG pour l’ensemble des retraités. Nous vous avons à chaque fois alertée, madame la ministre, sur les conséquences de cette mesure, qui vient directement ponctionner le porte-monnaie des retraités, notamment des plus modestes d’entre eux.

Nous regrettons qu’il ait fallu attendre que la France soit en situation de crise, avec toutes les conséquences humaines, sociales et économiques que nous connaissons, pour qu’enfin le Gouvernement réagisse et apporte une première réponse. Nous nous réjouissons cependant que vous fassiez aujourd’hui marche arrière en supprimant cette hausse pour toutes les pensions inférieures à 2 000 euros. Il faudrait vraisemblablement le faire pour tous les retraités.

Cela étant, pourquoi limiter cette mesure dans le temps ? Dans un ou deux ans, les pensions de retraite n’auront pas augmenté ; le pouvoir d’achat des retraités aura même vraisemblablement baissé, puisque la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit que les pensions de retraite ne seront valorisées qu’à hauteur de 0,3 %, alors que l’inflation hors consommation de tabac s’élève à 1,3 %. En 2020, les retraités seront donc toujours aussi exposés à la pauvreté ; la hausse de la CSG sera toujours aussi injuste et grèvera toujours autant leur budget. Voilà pourquoi nous vous proposons de pérenniser la suppression de cette hausse. (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Il me semble y avoir une mauvaise compréhension du texte, qui prévoit justement que ces changements s’appliquent « à compter du 1er janvier 2019 », et non pas jusqu’à la fin de 2019. Il n’y a donc aucune trajectoire d’augmentation progressive du taux de la CSG. Je fais là une lecture simple de cet article.

Cet amendement ne me paraît pas nécessaire. Nous ne sommes pas dans le même cas que pour la fiscalité sur les carburants.

L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Article 4 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l’article 3

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mmes Cohen et Apourceau-Poly, MM. Bocquet et Savoldelli, Mmes Assassi et Benbassa, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 3231-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er janvier 2020, le montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l’indexation prévue au présent article ne peut être inférieur à 1 760 euros bruts mensuels dans le secteur privé. »

La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Emmanuel Macron, dans son discours du 10 décembre dernier, a déclaré qu’il voulait que les Françaises et les Français « puissent vivre mieux de leur travail ». Cette volonté, nous la soutenons. C’est pourquoi nous vous présentons cet amendement, dont l’objet est de revaloriser le SMIC à hauteur de 1 760 euros bruts mensuels, à compter du 1er janvier 2020, ce qui correspond à une hausse de 200 euros nets du salaire minimum.

Cette revalorisation du SMIC est plus que nécessaire. Les inégalités sociales en France sont de plus en plus fortes, alors que le pays n’a jamais créé autant de richesses. Ces richesses n’ont jamais été aussi mal réparties entre les entreprises et les salariés, entre les « premiers de cordée » et le reste de la population. Nos concitoyennes et nos concitoyens aspirent à plus de justice sociale et refusent de continuer de travailler pour des salaires largement insuffisants.

Alors que des millions de personnes sont en situation de pauvreté et d’exclusion sociale, cette augmentation de 200 euros répond à un besoin fondamental : celui de se loger, de se soigner, de s’alimenter et de se reposer. Je rappelle qu’il faut 1 424 euros nets par mois à une personne seule pour pouvoir vivre décemment, selon un rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Il est urgent d’entendre la colère qui s’est exprimée ces dernières semaines, celle de milliers de citoyennes et de citoyens qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Cela est d’autant plus vrai pour les femmes, notamment pour celles qui sont seules avec des enfants. Ces femmes sont les plus exposées aux bas salaires, aux emplois précaires et aux temps partiels subis, faut-il encore et toujours le répéter !

Il est temps de donner à chacun les moyens de vivre décemment de son travail. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. En dehors de toute considération politique, la rédaction de cet amendement n’est pas opérationnelle. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Eh oui, j’en suis désolé, mes chers collègues !

Quant à la question de fond, croyez-vous qu’une augmentation de 200 euros du SMIC puisse être supportée financièrement par toutes les entreprises ? La commission a répondu par la négative. C’est pourquoi son avis sur cet amendement est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je partage l’avis de M. le rapporteur sur la forme.

Sur le fond, le décret de revalorisation du SMIC a été adopté en conseil des ministres le 19 décembre dernier. Au 1er janvier 2019, le SMIC sera bien augmenté de 1,5 %, conformément aux règles de calcul automatiques prévues par le code du travail. Le SMIC horaire s’établira à 10,03 euros bruts, soit 1 521,22 euros par mois ; quant au SMIC mensuel net, il sera de 1 204 euros – c’est le chiffre qui intéresse le plus les gens, puisque c’est leur pouvoir d’achat.

Une fois établi le nouveau barème du SMIC, qui concerne directement 1,6 million de salariés du secteur privé, il se produit un effet de diffusion sur 11 millions de salariés, sur les 19 millions de personnes qui travaillent dans le secteur privé. Cette diffusion s’effectue par le biais des conventions collectives.

J’ai interpellé les branches professionnelles pour leur demander d’accélérer au début de 2019 les négociations annuelles de branche. Le patronat s’est engagé à mener en 2019 des négociations dans toutes les branches où le minimum professionnel est aujourd’hui inférieur au SMIC, ce qui crée un tassement pour de nombreuses rémunérations autour du SMIC. Celui-ci n’est donc que l’un des aspects du sujet de la rémunération dans le secteur privé ; les négociations annuelles obligatoires et les conventions de branche en sont l’aspect principal.

Cela dit, je veux revenir sur le fond de votre question, monsieur le sénateur. Si l’on veut lutter contre le chômage, ce qui me semble être notre objectif à tous, il faut de la croissance pour créer des emplois ; or il faut pour ce faire que les entreprises soient compétitives. Vous proposez que l’on augmente extrêmement fortement et rapidement le SMIC, qui est déjà le plus élevé d’Europe et qui a l’évolution la plus dynamique. Si l’on agissait ainsi, même pour les emplois non délocalisables, très clairement, le prix d’un certain nombre de produits et de services augmenterait très rapidement et bien des employeurs, notamment parmi les artisans et les commerçants – les petites et moyennes entreprises, plus largement –, ne seraient pas en mesure de suivre et devraient licencier des employés. Tout cela est très bien documenté par l’expérience pratique et du point de vue économique.

Nos propositions contenues dans ce texte découlent du fait que nous reconnaissons tous qu’un sujet s’impose : la capacité, pour les travailleurs les plus modestes, de vivre décemment de leur travail dans notre pays. Il faut donc, d’une part, faire progresser le SMIC dans sa dynamique habituelle, avec toutes les conséquences que cela entraîne dans les diverses branches, et, d’autre part, par le biais de la prime d’activité, dispositif français original et important, augmenter les revenus des personnes qui, alors même qu’elles travaillent, rencontrent des difficultés financières. Cette articulation du salaire versé par l’entreprise et d’une forme de solidarité permet l’augmentation des revenus des travailleurs modestes, ce qui est essentiel.

La prime d’activité, dont nous augmentons le barème et élargissons la portée, pourra être versée jusqu’à 2 000 euros de salaire dans le cas d’une personne vivant seule avec un enfant et n’ayant pour vivre que son salaire. Pour une personne vivant seule sans enfant, elle sera versée jusqu’à 1 550 euros de salaire. Nous sommes donc bien en train de prendre, ensemble, une mesure allant dans le sens que vous souhaitez. J’espère donc que vous la voterez.

L’avis du Gouvernement sur cet amendement est défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. De ce côté de l’hémicycle, lorsque nous évoquons la revalorisation des aides sociales ou des minima sociaux, on nous oppose souvent la « valeur travail », que, contrairement à d’autres, nous n’aurions pas. Or j’entends aujourd’hui que, pour améliorer les revenus de ceux qui perçoivent les salaires les plus faibles, on va revaloriser la prime d’activité. C’est tout de même un raisonnement assez extraordinaire !

La valeur travail, nous l’avons tous et toutes. Dès lors, si le travail a une valeur, il faut le rémunérer à sa juste valeur. Que signifie la valeur travail, si un salarié ne peut pas vivre de son travail ? C’est notamment le problème que rencontrent ceux qui effectuent les tâches les plus pénibles et les moins intéressantes.

J’ai entendu Mme la ministre évoquer les négociations annuelles obligatoires ; elles visent en effet précisément à négocier les augmentations de salaire. Mais, au-delà de ces négociations et de vos propositions d’aujourd’hui, comme l’année 2019 devrait être propice à de grands débats, commençons à débattre entre nous et à effectuer une grande réflexion sur la nature de la valeur travail : comment le travail doit-il être rémunéré dans ce pays ? Que pouvons-nous suggérer aux employeurs à cette fin ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Je voudrais dire un mot de la notion de compétitivité.

Vous nous ressortez cet argument : la nécessité de rester compétitif empêcherait d’augmenter les salaires. Je voudrais à ce propos adresser une double mise en garde au Gouvernement.

Depuis des années, certains sujets sont prétendument tabous, parmi lesquels l’augmentation massive des bas salaires. Ce n’est pas possible d’y toucher : il y a la compétitivité !

Vous nous parlez de vivre décemment du travail. Mais pourquoi le sujet monte-t-il justement dans le pays ? Parce que des millions de salariés ne peuvent pas vivre décemment de leur travail, aujourd’hui, en France. La question des salaires se pose et se posera de plus en plus si les logiques actuelles sont maintenues.

Par ailleurs, en matière de compétitivité, votre raisonnement ne marche pas. Depuis des années, on tire les salaires vers le bas dans notre pays. Cela a-t-il enrayé le déclin des emplois industriels ? Absolument pas, bien au contraire ! Depuis vingt ans, nous ne cessons de perdre des emplois industriels du fait de cette prétendue logique de compétitivité, qui accroît les inégalités. Il va falloir changer de raisonnement et de logique !

La question que pose le pays n’est pas seulement une question de justice sociale : il demande que l’on invente une logique différente de celle-là, qui est en train de tirer vers le bas, non seulement la vie des salariés, mais aussi toute notre économie : elle risque de continuer à l’enfoncer. C’est une question qui se pose, non pas seulement en France, mais dans toute l’Europe et bien d’autres pays encore.

Il va falloir changer de logiciel, de discours et de logique, madame la ministre. Vous pouvez continuer à ne pas l’entendre, mais c’est bien la question que notre pays, parmi d’autres, continuera de poser toujours plus massivement. Je vous mets en garde à ce sujet !

Voilà un an, il était impossible de toucher à la hausse de la CSG ; vous y touchez ! Il était impossible de parler des salaires ; on en parle ! Eh bien, dans les mois qui viennent, on parlera d’une augmentation massive du SMIC et des salaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.

Mme Pascale Gruny. Je voudrais réagir aux propos de nos collègues. À les entendre, tout serait de la faute des entreprises.

M. Pierre Laurent. Non, c’est de la faute d’une logique économique !

Mme Pascale Gruny. Pardonnez-moi, mais le mouvement des « gilets jaunes », à l’origine, ne portait pas sur les rémunérations, mais sur la hausse des taxes. C’est surtout les impôts et les dépenses de l’État qui posent problème.

Vous parlez toujours des entreprises du CAC 40, mais le tissu des entreprises est constitué de PME et de TPE qui sont écrasées de charges et de taxes.

M. Pierre Laurent. Elles sont écrasées par les donneurs d’ordre !

Mme Pascale Gruny. Elles préféreraient rémunérer correctement leurs salariés !

Votre discours est d’un autre temps et ne correspond pas à la demande actuelle des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Oui, il y a un problème de la répartition de la richesse produite par les entreprises. Un ancien Président de la République avait d’ailleurs imaginé une règle des trois tiers pour la répartition des dividendes : l’investissement, les actionnaires et les salariés. Les entreprises du CAC 40 versent, chaque année, 50 milliards d’euros de dividendes. Cette situation n’est certes pas la même pour l’ensemble du tissu industriel, mais elle n’en est pas moins réelle.

Je voudrais citer M. Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, qui, il y a quelques jours, s’est dit choqué par l’écart entre les dividendes et les salaires : « L’entreprise privée et particulièrement les patrons doivent mieux répartir l’argent entre le capital et le travail. Qu’il y ait autant de dividendes distribués et pas assez d’augmentations de salaire, personnellement, ça me choque. Lorsque les Français demandent une augmentation de leur pouvoir d’achat par leur salaire, c’est bien aussi une critique de notre système capitaliste. »

Alors, oui, il y a bien un problème de la répartition de la richesse produite par les entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.

M. Guillaume Gontard. Mes propos vont dans le même sens que ceux qui viennent d’être tenus.

On entend toujours le même discours : on ne peut pas augmenter les salaires, on ne peut pas revaloriser le SMIC ! Or on voit bien que, quand on pousse un peu, on y arrive ! Les « gilets jaunes » ont aussi demandé qu’il soit mis fin à cette injustice criante.

On rigole quand nous déclarons qu’il faut augmenter le SMIC de 200 euros. Je ne sais pas si c’est si drôle ! Il me semble que toutes les mesures contenues dans ce texte visent précisément à ne pas augmenter le SMIC. Tel est votre dogme : ne pas toucher au SMIC !

Mme Laurence Cohen. Tout à fait !

M. Guillaume Gontard. Il faut sortir de ce dogmatisme : le pragmatisme vers lequel il faut aller consiste à répondre à la demande des « gilets jaunes ».

On nous parle de compétitivité. Pour ma part, j’ai été responsable d’une SARL ; je sais donc de quoi il s’agit, j’ai employé des salariés. Or il me semble que l’on a justement mis en place un système en faveur de la compétitivité : le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. En 2018, 40 milliards d’euros ont ainsi été dépensés. À quelle fin ? Si cela ne fonctionne pas, il faut le supprimer ; si cela fonctionne, c’est un avantage pour les entreprises, et il me semble qu’il faut mettre en place des compensations, notamment afin d’assurer une revalorisation des salaires et la création de nouveaux emplois.

On nous dit qu’il y a des études. Il faut parfois regarder à l’extérieur du pays. Certains États européens ne suivent pas votre dogme, augmentent le SMIC, ce qui commence à produire des résultats, notamment en matière d’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 3 - Amendement n° 9 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 14 rectifié

Article 4

(Non modifié)

Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité au 1er janvier 2019, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi.

Ce rapport a pour objet de présenter un bilan de la mise en œuvre opérationnelle de cette disposition réglementaire et de son impact sur le pouvoir d’achat des foyers bénéficiaires.

Il a également pour objet de proposer des pistes de réforme pour améliorer le recours à la prestation et son impact sur le pouvoir d’achat des ménages modestes.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. La hausse de 100 euros du SMIC a fait l’objet de nombreuses tergiversations, signe flagrant d’un exécutif désemparé face à la crise sociale des « gilets jaunes ».

Le Gouvernement ayant renoncé à la contribution des plus aisés à cet effort en faveur des plus précaires, l’annonce de la revalorisation du SMIC pouvait nous faire craindre le pire, mais il semble avoir évité certains écueils. Le Premier ministre, redoutant de voir sa mesure retoquée par le Conseil constitutionnel, a renoncé à augmenter le salaire minimum net par le biais d’une baisse des cotisations sociales.

De même, il pouvait se révéler problématique de faire passer la hausse des bas salaires par la prime d’activité, alors que seuls certains salariés peuvent actuellement en bénéficier, et ce sur demande. En élargissant la base des bénéficiaires de cette prime, en prévoyant l’automaticité de son versement par les CAF et en rendant son recours plus lisible, le Gouvernement semble avoir mis en place un dispositif plus ou moins raisonnable.

Bien sûr, nous aurions préféré une augmentation substantielle du salaire brut, à l’image de ce qu’ont récemment fait nos voisins espagnols. Fallait-il encore que l’exécutif ait du courage politique et un véritable temps de réflexion pour entreprendre une telle mesure, sans compter évidemment ses choix antérieurs en la matière, qui le bloquent, et auxquels s’ajoute son amateurisme de ces derniers jours !

Le problème majeur que pose en fin de compte cette mesure est son coût : 2,5 milliards d’euros, ce n’est pas rien ! Cela aurait pourtant facilement pu être couvert par la réinstauration de l’ISF ou encore une meilleure utilisation du CICE. Le Gouvernement s’y refuse et frappe ainsi la loi de finances pour 2019 du sceau de l’insincérité budgétaire. Nous en prenons bonne note.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 4 du projet de loi prévoit la remise au Parlement d’un rapport sur la revalorisation exceptionnelle de la prime d’activité au 1er janvier 2019. Je profite de l’examen de cet article pour revenir sur les annonces du Gouvernement.

Emmanuel Macron, lors de son discours du 10 décembre dernier, a annoncé que les salariés au SMIC gagneraient 100 euros de plus par mois. Pendant un court instant, nombre de nos concitoyens y ont cru, et même moi, madame la ministre : je me suis cru à Noël avant Noël ! Nous avons cru à cette revalorisation du salaire minimum, mais quelle n’a pas été notre déception quand la réalité de la mesure a été révélée ! On a en effet vite compris l’entourloupe de vos mesurettes. L’expression le dit bien : on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre ! En effet, il ne s’agit pas d’une augmentation du salaire, mais d’une revalorisation, exceptionnelle, de la prime d’activité. Or il s’agit d’une allocation sociale, versée sous conditions de ressources tenant compte de l’ensemble des revenus du ménage.

En raison de ces conditions restrictives, au moins 45 % des salariés au SMIC seraient exclus de cette mesure. Les premières concernées seront évidemment les femmes. De nombreuses femmes recevant de bas salaires n’en bénéficieront pas, parce que leur époux gagne trop. C’est pourquoi nous avions déposé un amendement visant à individualiser le bénéfice de la prime d’activité, qui a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution ; cela est regrettable.

Combien de couples, aujourd’hui, ne mutualisent pas leur argent, n’ont pas de compte commun ? Conditionner la prime d’activité au revenu du conjoint exclut bon nombre de femmes et les infantilise : cela renforce une certaine dépendance économique à l’égard du mari. Il me semble qu’il est plus que temps de dépasser cette conception patriarcale et archaïque et d’individualiser les droits, d’autant que les femmes constituent 90 % des personnes recevant de bas salaires : ce sont elles qui auraient dû bénéficier en priorité de cette prétendue augmentation du SMIC. Or, en l’état de votre dispositif, la plupart d’entre elles en seront privées.

Par ailleurs, cette mesure crée une confusion entre rémunération du travail et solidarité nationale. On demande à cette dernière de compenser les salaires trop faibles versés par les entreprises.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.

M. Fabien Gay. Moi, je tiens à saluer la mobilisation des « gilets jaunes », ce formidable mouvement social qui vous incommode tout simplement parce que les gens refont de la politique. Ils s’y intéressent beaucoup, parce qu’il y a beaucoup d’intelligence, beaucoup de technicité et beaucoup de subtilité dans le peuple.

Quand on veut bien les écouter, ils nous parlent de justice sociale, d’égalité devant l’impôt et de répartition des richesses. Ils ont bien raison. Le dernier rapport d’Oxfam nous apprend que, entre 2009 et 2016, Total a versé 43 milliards d’euros de dividendes ; Sanofi, 37 milliards ; Engie, dont l’État est encore actionnaire, 27 milliards. En outre, l’écart entre les plus bas salaires et ceux des patrons s’est aggravé de 25 % depuis la crise de 2008.

Ils nous parlent aussi de démocratie. Or vous répondez par de l’inégalité.

Il y aura inégalité devant la prime de Noël : certains la toucheront, d’autres non. Celui qui travaille dans un grand groupe y aura droit, et c’est tant mieux, mais ce ne sera le cas ni de son voisin de palier, qui travaille dans une PME, incapable de la verser, ni d’un fonctionnaire.

Il y aura inégalité devant la hausse de revenus : la moitié des smicards seront exclus de la prime d’activité. Il me faut le répéter : c’est une prestation sociale ; vous ne touchez pas aux salaires. Ce que vous donnez de la main gauche, vous le reprendrez de la main droite, parce que, si ce ne sont pas les entreprises qui paient, ce sera nous, par les impôts !

Vous l’avez reconnu, ces mesures à 10 milliards d’euros ne sont pas encore financées. On trouvera 500 millions d’euros dans la taxation des GAFA, 200 millions ailleurs, mais il manquera encore 7 milliards ou 8 milliards d’euros ! En réalité, ce sont les gens qui le paieront par l’impôt, pour financer les caisses de sécurité sociale. Mais ils ne se laissent pas prendre ! La dinde aux marrons, les huîtres et le foie gras n’étoufferont pas la colère sociale : ils ont bien compris l’enjeu et reviendront, plus fort encore, sur la question de la répartition des richesses ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Article additionnel après l'article 4  - Amendement n° 10 rectifié bis

Articles additionnels après l’article 4

M. le président. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Daudigny, Mmes Meunier et Rossignol, M. Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mme Lubin, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Courteau et Féraud, Mmes de la Gontrie, Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article 7 de la loi n° du de financement de la sécurité sociale pour 2019 donne lieu à compensation intégrale par le budget de l’État aux régimes de la sécurité sociale concernés pendant toute la durée de son application.

II. – Les articles du présent projet de loi donnent lieu à compensation intégrale par le budget de l’État aux régimes de la sécurité sociale concernés pendant toute la durée de son application.

III. – La perte de recettes résultant pour l’État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts du taux du 1° du B du 1 de l’article 200 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Le pouvoir d’achat ne se résume pas au montant net sur sa fiche de paye, à celui de sa pension de retraite ou aux prestations sociales. Les charges incompressibles, au premier rang desquelles le loyer, pèsent lourdement sur les ménages, et proportionnellement plus sur les ménages modestes.

Dans notre pays, nous avons la chance d’avoir un système de santé où le reste à charge pour les familles est parmi les plus bas. Nous avons réussi à le réduire encore sous le quinquennat de François Hollande, tout en assainissant les comptes de la sécurité sociale. Ainsi, la part restant à la charge des ménages a continué de reculer, pour s’établir à 7,5 % de la consommation de soins et de biens médicaux en 2017. Cet acquis, nous entendons le conserver, car il garantit un haut niveau de prise en charge à l’ensemble de nos concitoyens.

La remise en cause de la compensation intégrale du coût des allégements de charges par l’État et, pire, l’instauration d’une règle inverse, basée sur le principe de non-compensation à l’avenir, sont un très mauvais coup porté à la protection sociale des Français et à leur pouvoir d’achat futur. Car ce gouvernement attend de la part de la sécurité sociale une solidarité financière à l’égard du budget de l’État au moment même où il aggrave le déficit, y compris avec ces mesures dites « d’urgence ».

Les excédents attendus de la sécurité sociale doivent rester à la sécurité sociale et servir au système de santé, à la santé au travail, à la famille, à la petite enfance et aux retraites. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Ainsi que cela est indiqué dans l’objet de l’amendement, la compensation est conforme à la loi Veil ; elle est donc de droit. Seule une loi de financement de la sécurité sociale – nous en déciderons donc ensemble – peut revenir sur cela.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 4 - Amendement n° 14 rectifié
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’amendement n° 10 rectifié bis, présenté par Mmes Cohen et Apourceau-Poly, MM. Bocquet et Savoldelli, Mmes Assassi et Benbassa, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’incidence sur les finances publiques d’une hausse du SMIC de 200 euros nets.

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Si nous étions provocateurs – mais nous ne le sommes pas (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.) –, nous vous proposerions non pas de remettre un rapport, mais d’augmenter d’abord le SMIC de 200 euros, et de faire un rapport ensuite. C’est ce qui s’est passé pour l’ISF : on l’a supprimé en quelques minutes, et on va évaluer cette suppression seulement maintenant…

Madame la ministre, sur l’augmentation du SMIC, il y a deux visions économiques.

D’un côté, il y a la vôtre, et elle est respectable. Selon vous, augmenter le SMIC risque de plomber l’économie et la compétitivité. Nous connaissons bien ce discours. Mais il faut aller au bout de la logique. Ceux qui le tiennent disent qu’il ne faudrait pas de salaire minimum du tout. Ils sont sur ce registre-là !

De l’autre, nous disons que si on donne tout de suite 200 euros aux smicards, ils vont le réinjecter dans l’économie. Car ceux qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois aujourd’hui, avec 1 153 euros, rempliront le frigo. C’est la réalité ! D’ailleurs, d’autres augmentent le salaire minimum : plus 22 % en Espagne,…

Mme Muriel Pénicaud, ministre. C’est 1 000 euros bruts !

M. Fabien Gay. … plus 3,5 % au Portugal. Et ces pays réduisent leur déficit public et le chômage !

En outre, le SMIC a déjà été augmenté en France, et cela n’a pas plombé l’économie ! En 1968, il avait augmenté de 35 % ; j’entends M. Karoutchi nous confirmer que cela n’a effectivement pas plombé l’économie.

M. Roger Karoutchi. Je n’ai pas dit ça ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Vous savez que vous êtes le bienvenu sur nos travées, mon cher collègue ; nous défendons souvent la même chose. (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

C’est aussi arrivé à d’autres moments de l’histoire. Le SMIC a augmenté de 10 % en 1981, lorsque François Mitterrand est arrivé à l’Élysée, et de 4 % en 1995, avec l’arrivée de Jacques Chirac. Il a également augmenté de 4 % en 1997 et même de 2 % en 2012. Certes, il a moins augmenté au fur et à mesure… Mais les coups de pouce au SMIC n’ont jamais tué l’économie. Bien au contraire !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. M. Gay connaît la position traditionnelle de la commission, qui est hostile aux demandes de rapport. Au demeurant, comme il n’est pas envisagé d’augmenter le SMIC de 200 euros, je ne vois pas bien l’objet de cet amendement. Je suis donc au regret d’en rester à notre position traditionnelle. Le Gouvernement pourra ainsi se concentrer sur un rapport relatif à la prime d’activité, qu’il a lui-même proposé et que nous attendons tous.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.

Il existe déjà un rapport annuel d’un groupe d’experts indépendants sur le SMIC, son évolution et ses incidences. C’est un rapport public, que je tiens à votre disposition.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Nous le trouverons bien, madame la ministre !

Monsieur le rapporteur, nous sommes face à une crise sociale inédite qui nous invite à tout réinventer et à ne pas en rester, justement, à des réponses traditionnelles. Il faut bousculer l’ordre établi. Il faut augmenter le SMIC tout de suite. Sinon, nous n’en sortirons pas, et les gens nous le feront payer très cher !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article additionnel après l'article 4  - Amendement n° 10 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Dix-huit mois, il vous aura fallu dix-huit mois pour constater l’urgence économique et sociale dans notre pays ! Pourtant, vous n’aviez mis que quelques mois pour créer un nouveau bouclier fiscal au profit des 1 % les plus aisés…

Au mois de juillet 2018, à l’approche du Congrès de Versailles, Alain Minc, qui est, je crois, un proche du Président de la République,…

M. Alain Joyandet. C’est un proche de tout le monde ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. … déclarait ceci : « L’inégalité est trop forte, nous risquons une insurrection. » Il ajoutait même que le manque d’équité sociale pouvait conduire à un « spasme » aux formes imprévisibles. C’était il y a six mois !

Vous avez créé un désordre social qui a abouti à un désordre public. Trop de certitudes, trop d’arrogance, trop d’intelligence… (Marques dironie sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Vous êtes déconnectés des Français : incompréhension, imprévision et, en cette période, on pourrait même parler d’incompétence.

Les Français ont exprimé un besoin de justice, de reconnaissance, de respect. Sans eux, vous continueriez à vous égarer et mèneriez le pays à de grandes difficultés, fragilisant fondamentalement notre modèle social.

Je me souviens des éléments de langage des ministres : « Macron ou le chaos ». Dans les faits, nous avons eu Macron et le chaos.

Mme Esther Benbassa. Exactement !

M. Patrick Kanner. Mesdames les ministres, votre mouvement venu de nulle part a été submergé par un mouvement venu de partout ; je ne fais que citer notre collègue Pierre Ouzoulias.

Les mesures que vous nous proposez sont insuffisantes pour les fonctionnaires, pour les retraités et pour les salariés, qui n’auront peut-être pas droit à cette fameuse prime de Noël « bonifiée ». Je pourrais également évoquer le financement des collectivités locales ; des CCAS seront en grande difficulté pour faire face à leurs obligations sociales.

Votre financement est déséquilibré. Il repose trop sur la solidarité nationale et pas assez sur ce que pourraient nous apporter les plus aisés de nos concitoyens. C’est le sens de notre projet de référendum d’initiative partagée pour le rétablissement de l’ISF.

Reste que nous sommes une gauche de gouvernement responsable : le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Notre groupe, qui est aussi responsable, votera ce texte à l’unanimité, moins une abstention. Nous faisons le choix du vote conforme, car il y a urgence : l’intitulé du projet de loi fait d’ailleurs référence à l’urgence en matière économique et sociale.

Certains parlent de « mesurettes », de « miettes », de « rideau de fumée ». Des miettes à 10 milliards d’euros, ce n’est tout de même pas rien !

M. Alain Joyandet. C’est déjà une belle brioche !

M. Jean-Claude Requier. Je crois que ces mesures vont dans le bon sens. On peut les juger insuffisantes, mais l’effort est quand même significatif.

Je me plais à souligner l’apport du Sénat, qui a été à l’avant-garde s’agissant de la suppression de la hausse des taxes sur le carburant ou d’autres mesures proposées. Il est assez curieux que beaucoup de manifestants veuillent supprimer le Sénat, jugeant qu’il est inutile. En l’occurrence, il a prouvé qu’il avait un rôle à jouer ; en plus d’avoir été à l’avant-garde, il a été à l’écoute des territoires et des élus ruraux, faisant montre de cette empathie que l’on n’a peut-être pas toujours eue ailleurs.

Je suis heureux de siéger à la Haute Assemblée et de constater que nous allons tous ensemble voter ce texte. Encore une fois, il y a urgence ! Je pense que ces mesures seront un réconfort pour beaucoup.

Nous voterons donc le projet de loi à l’unanimité moins une abstention, car nous sommes un groupe diversifié, avec une liberté de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Nous l’avons indiqué, les réponses du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des attentes et des besoins. Les dispositions contenues dans ce projet de loi tendent à donner un semblant d’augmentation du pouvoir d’achat sans mettre à contribution les plus fortunés. D’ailleurs, tous nos amendements en ce sens, qu’il s’agisse de la contribution sur les dividendes ou du rétablissement de l’impôt sur la fortune, ont été déclarés irrecevables.

Le Gouvernement doit cesser de refuser le débat sur le partage des richesses et la participation des grandes entreprises à la solidarité nationale. Aucune mesure réellement efficace ne pourra être prise tant que vous refuserez de taxer le capital.

L’argument contre le rétablissement de l’impôt sur la fortune avancé par M. Macron est particulièrement fallacieux. D’après lui, les plus riches partiraient de notre pays, qui serait ainsi affaibli. C’est totalement faux ! En 2012, 587 redevables de l’ISF avaient quitté le territoire, soit un nombre faible et stable, d’après la direction générale des finances publiques, pour un manque à gagner de 270 millions d’euros pour l’État. La suppression de l’impôt sur la fortune a un coût de 4,2 milliards d’euros par an pour l’État. Et quel est le gain pour le pays ? Selon une note de Bercy, lue dans Forbes, il y a eu 50 000 emplois créés en plus, soit un demi-point de PIB sur les cinq prochaines années. En d’autres termes, chaque emploi créé coûte 500 000 euros d’argent public ! Je trouve la note salée… En plus, la transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur l’immobilier a fait chuter de 10 % les dons aux associations. Pour qui connaît le rôle des associations, c’est terrible !

Vous avez refusé tout cela dans le débat. Vous parlez de mesures d’urgence, mais il n’y a aucune mesure d’urgence de financement pour une vraie politique sociale.

Évidemment, un pas a été franchi grâce à la mobilisation populaire. Nous en tenons compte. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra à la quasi-unanimité. Mais vous êtes vraiment loin du compte et vous restez totalement imperméables aux propositions alternatives. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Comme l’a très bien dit Alain Milon, nous voterons ce texte, mais sans enthousiasme. Ce sera un vote non pas d’adhésion, mais de responsabilité. Nous avons en effet des réserves, et elles sont sérieuses.

D’abord – plusieurs d’entre nous l’ont souligné –, ces mesures sont essentiellement financées par de la dette, à 60 %. Or la dette d’aujourd’hui, ce sont les impôts de demain et d’autres « gilets jaunes » d’après-demain ! D’ailleurs, madame la ministre, la non-compensation pour le budget de la sécurité sociale, que nous avions déjà dénoncée – à l’époque, plus de 2 milliards d’euros n’étaient pas financés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale –, est un véritable problème.

Ensuite, de telles mesures créeront des déceptions, des divisions entre les salariés qui y auront droit et les autres, entre ceux du privé et ceux du public, entre les entreprises qui pourront accorder la prime exceptionnelle et celles qui ne le pourront pas.

Enfin, il y a évidemment l’essentiel : le mouvement des « gilets jaunes » est un cri de colère, mais aussi un cri existentiel. On ne peut pas réduire ses revendications aux seuls aspects matériels. Il y a un sentiment de relégation, sans doute sociale et économique, mais également territoriale et civique. M. le président de la commission des affaires sociales a parlé d’« abaissement ». Oui, il y a un sentiment d’abaissement ! Il faudra bien autre chose pour que le problème puisse être réglé au fond.

Alors, oui, nous voterons ce texte sans enthousiasme, mais avec cet esprit de responsabilité qui nous caractérise.

Mme Éliane Assassi. Nous aussi, nous sommes responsables ; ce n’est pas la question !

M. Bruno Retailleau. D’une part, lorsqu’il y a un incendie, on ne jette pas de l’huile sur le feu ; on ne souffle pas sur les braises encore rougeoyantes de la colère. C’est une évidence !

D’autre part, au moment où c’est la légitimité qui est atteinte, pas seulement celle du Président de la République ou du Gouvernement, mais celle de tous les élus, il n’y aurait, me semble-t-il, rien de pire que de vider de leur substance et de retirer toute portée concrète aux annonces du Président de la République.

C’est donc avec cet esprit de responsabilité que nous voterons le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Les mesures annoncées par le Président de la République voilà quelques jours à peine ont été traduites très rapidement dans ce projet de loi. La procédure est évidemment exceptionnelle par sa brièveté ; elle l’est aussi par son ampleur, comme cela a été souligné sur différentes travées.

Il fallait sans doute éteindre l’incendie et donner des signaux de compréhension de la colère qui s’est exprimée et des difficultés du déclassement vécues par les classes moyennes dans notre pays. Nous avions été nombreux dans cet hémicycle à alerter sur la désindexation des retraites, sur la CSG pour les retraités et sur d’autres mesures qui n’ont pas été comprises et qui, traduites d’une manière pour le moins imparfaite, ont été à la source d’une partie des difficultés.

Le Sénat a abordé la discussion dans un esprit de responsabilité. Nous nous sommes centrés sur l’obligation de sortir par le haut d’une crise exceptionnelle qui ne peut pas durer. Nous l’avons montré, je pense, dans les débats d’aujourd’hui. Chacun mesure la difficulté du moment. Malgré tout, un certain nombre de sujets sont encore devant nous : l’équité, le partage des difficultés, le partage des richesses. Les mesures proposées sont imparfaites ; elles vont créer des différences selon les situations. Je pense qu’un certain nombre de revendications se feront bientôt entendre dans la fonction publique. Et comment ne pas les entendre ?

Au-delà de tout cela, la situation est très baroque : plus de 10 milliards d’euros ont été dépensés en peu de temps, et nous n’avons que peu de réponses sur le financement. Chacun voit bien qu’un projet de loi de finances rectificative est sans doute indispensable à très court terme pour donner une quille à la stratégie économique et financière. Nous sommes à la merci d’une augmentation des taux d’intérêt. Je rappelle simplement quelques chiffres : le déficit dépasse les 100 milliards d’euros, la dette atteindra bientôt 100 % du PIB et les prélèvements obligatoires s’élèvent à 1 000 milliards d’euros. La stratégie économique et financière a vraiment besoin d’être reprécisée.

Nous voterons ce projet de loi par esprit de responsabilité. Nous souhaitons que la voix du Sénat soit plus entendue demain qu’elle ne l’a été hier. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.

M. Michel Amiel. Ainsi que cela figure dans l’intitulé du projet de loi, il s’agit de mesures d’« urgence ». C’est un peu comme en médecine : il y a la médecine d’urgence et la médecine de fond. Les solutions d’urgence ne sont jamais parfaitement satisfaisantes. Elles sont là pour répondre à une situation grave, à un moment donné. On ne pouvait évidemment pas balayer d’un revers de main le mouvement des « gilets jaunes », qui traduit véritablement un profond malaise.

Afin de ne pas laisser à Alain Milon le monopole de René Char, je vous livre cette citation : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. »

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

M. Michel Amiel. Cette lucidité, essayons de la partager pour comprendre un tel mouvement et pour essayer d’y apporter des réponses humaines et solidaires. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Les difficultés ne datent pas d’aujourd’hui. Je pense que le gouvernement précédent a sa part de responsabilité.

M. Rachid Temal. Et les gouvernements d’avant aussi !

M. Alain Fouché. Ce qui est proposé n’est pas le Pérou, mais le climat est grave. Le Gouvernement ne pouvait pas ne rien faire.

C’est un premier pas ; on attend plus. Pour l’heure, le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et moi-même tenons à saluer l’esprit de responsabilité du Sénat et la coopération entre les deux assemblées, qui ont permis le vote, en ce 21 décembre, du projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, dans le délai que vous savez. C’est tout à l’honneur de la démocratie représentative.

Permettez-moi de vous souhaiter à tous de très bonnes fêtes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales
 

3

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 15 janvier 2019, à quatorze heures trente :

Débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles.

Débat sur les mobilités du futur.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD