Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Agnès Canayer, M. Yves Daudigny.
2. Nouveau pacte ferroviaire. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public n° 121, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Agnès Canayer, Annie Guillemot.
3. Débat sur le bilan de l’application des lois
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.
M. Alain Marc ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Jean-Marc Gabouty ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Alain Richard ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Pierre Ouzoulias ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Pierre Ouzoulias ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Claude Kern ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. Claude Kern ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État.
M. Franck Montaugé ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. le président ; M. Franck Montaugé.
M. François Bonhomme ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État ; M. François Bonhomme.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
5. Candidatures à des commissions
6. Transport fluvial. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains
Mme Nelly Tocqueville ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Alain Fouché ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Alain Fouché.
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Jean-Pierre Corbisez.
Mme Agnès Canayer ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Agnès Canayer.
M. Didier Rambaud ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Cécile Cukierman ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Michèle Vullien ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Michel Dagbert ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Didier Mandelli ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Jean-Paul Prince ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Martine Filleul ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Pierre Cuypers ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Daniel Gremillet ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. François Grosdidier ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Jean-François Rapin ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Conclusion du débat
M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
7. Conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité. – Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail
Mme Michèle Vullien, rapporteur du groupe de travail
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Nomination de membres de commissions
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Agnès Canayer,
M. Yves Daudigny.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 31 mai 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Nouveau pacte ferroviaire
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire (projet n° 435, texte de la commission n° 495, rapport n° 494).
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les masques sont finalement tombés. Malgré un semblant de rébellion avec la proposition de loi Maurey-Nègre, la majorité sénatoriale et le Gouvernement sont en fait au diapason.
Vous êtes d’accord pour changer le statut de la SNCF, pour casser le statut des cheminots et pour ouvrir à la concurrence les transports ferroviaires sans aucune étude d’impact.
Mon groupe a été le seul à voter un amendement de suppression de l’article 1er A, qui transforme la SNCF en une myriade de sociétés anonymes soumises au code du commerce.
Ainsi, il n’aura fallu que trois jours à la Haute Assemblée pour mettre fin à quatre-vingts ans de service public ferroviaire, livrant aux appétits privés un secteur d’intérêt général.
Pourtant, ni le Président de la République ni le Gouvernement n’ont reçu de mandat populaire pour cela.
Le président Macron nous apporte la preuve que, loin d’emmener le pays vers la modernité, il en revient, en réalité, aux très vieilles sirènes libérales.
Votre légitimité est extrêmement fragile. Elle est même d’autant plus fragile que le résultat du « vot’action » démontre qu’une majorité de cheminots refuse cette réforme, alors qu’ils sont les premiers acteurs du système ferroviaire.
M. Jacques Grosperrin. Mais ce ne sont pas eux qui font les lois !
Mme Éliane Assassi. Malgré votre volonté de faire de cet examen une simple formalité, nous avons voulu débattre sur le fond, combattant pied à pied vos arguments et en étant aussi force de proposition.
Nous sommes fiers d’avoir bousculé le scénario par la force de nos interventions et par nos amendements.
Nous sommes fiers d’avoir porté au Sénat la voix des cheminots, mais aussi celle des usagers, des citoyens et de tous ceux qui refusent une société dans laquelle l’accès au droit à la mobilité sera différent selon que l’on réside en ville ou à la campagne. Un droit dont l’exercice sera lié, demain, au niveau de rentabilité qui en résultera pour les entreprises auxquelles on confiera sa réalisation.
Sur la forme, l’adoption de ce texte va témoigner d’un double mépris : un mépris politique, à l’égard des parlementaires, avec le recours aux ordonnances, et un mépris social dont fait preuve l’absence de négociation avec les organisations syndicales. Concertation n’est pas négociation.
Aujourd’hui, c’est bien le Gouvernement qui porte la responsabilité morale et politique d’un conflit social majeur.
Sur le fond, ce projet de loi est dogmatique et technocratique. Il est déconnecté du quotidien de nos concitoyens et ne traduit qu’une obsession pour un libéralisme exacerbé.
Ce texte organise l’arrivée de nouveaux entrants en livrant clef en main les moyens et les savoir-faire de l’opérateur public et des cheminots aux intérêts privés : transfert de salariés formés, transfert des matériels roulants et des ateliers de maintenance, filialisation des gares… Autant de « facilités » permettant aux nouveaux entrants de bénéficier de l’investissement conjoint de la SNCF et des autorités organisatrices. C’est une véritable distorsion de concurrence !
Vous vous entêtez, alors que les expériences européennes sont édifiantes : dégradation du service et du coût pour les usagers et dégradation des conditions de travail en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Suède…
Au final, nous ne savons toujours pas pourquoi il est nécessaire de changer le statut de la SNCF. Pourquoi, au lieu des trois établissements publics, est-il urgent de créer quatre ou cinq sociétés anonymes ? L’Europe ne le demandait pas.
Pis, ce changement va entraîner une augmentation des taux d’intérêt du fait de la dégradation des notes des agences de notation liée à la suppression de la garantie illimitée de l’État…
Pour aller au bout de son projet de libéralisation, le Gouvernement est même prêt à reprendre une partie de la dette à hauteur de 35 milliards d’euros. Vous vous gardez bien, toutefois, d’expliciter à la représentation nationale le scénario envisagé et la structure de la dette reprise, et ce malgré nos multiples interventions.
Finalement, il s’agit d’une stricte obligation comptable liée aux règles sur l’endettement des sociétés anonymes. Et c’est cela que vous érigez en symbole de l’engagement de l’État.
Soyons clairs : il ne s’agit en aucune manière de donner plus de marges de manœuvre à SNCF Réseau, puisque, dans le même temps, vous avez fait adopter une nouvelle règle d’or qui contraint drastiquement les investissements, notamment dans le réseau secondaire.
Le président Macron est en quelque sorte entré dans cette réforme, au nom de l’équité, par la dénonciation du statut des cheminots, jetant ceux-ci à la vindicte populaire, organisant le « tous contre tous ». Pour cela, il n’a pas hésité à déclarer que le coût de ce statut s’élevait à 700 millions d’euros, alors qu’il est de 15 millions, soit un montant vingt fois inférieur au budget de communication du groupe.
Au final, le changement de statut risque de coûter plus cher puisque les conditions de travail des cheminots sont moins favorables que les dispositions du code du travail, notamment en ce qui concerne le travail de nuit ou du dimanche. En agitant ce chiffon rouge, le Président de la République a détourné l’attention des véritables maux du ferroviaire : désengagement de l’État et sous-financement.
La presse du week-end ne tarit pas sur les concessions faites au Sénat. Franchement, nous ne voyons pas de quoi il s’agit puisque tous les principes directeurs ont été confirmés. L’incessibilité a été inscrite dans le texte, mais cela n’engage que ceux qui croient aux promesses d’un gouvernement aux ordres de la finance. Les conditions de transfert ont été légèrement assouplies, le volontariat étant favorisé et la réintégration étant exceptionnellement permise.
Il faut tout de même avoir à l’esprit que nous assistons à une grande première : le transfert de salariés statutaires d’une entreprise publique vers une entreprise privée.
Au-delà du profond désaccord sur l’ouverture à la concurrence et le changement de statut de la SNCF, vous avez refusé toutes les assurances que nous proposions en repli : un transfert fondé exclusivement sur le volontariat et un véritable droit de réintégration au statut sans limitation dans le temps.
Enfin, moins de trains, puisque c’est à cela que va conduire la concurrence, c’est plus de cars, plus de camions, plus d’avions pour un coût environnemental que nous n’avons pas le luxe de nous payer.
C’est notamment pour cette raison, madame la ministre, que nous aurions souhaité que le Gouvernement se saisisse du règlement sur les obligations de service public, ou règlement OSP, pour préserver le modèle français – intégré et permettant une péréquation à l’échelon national et entre les différentes activités –, son haut niveau de sécurité et la compétence des agents. Autrement dit, une maîtrise publique qui garantisse l’égalité des territoires et une réelle priorité au rail.
Nous le répétons, cette réforme est avant tout idéologique. Elle montre combien le président des riches et son gouvernement ont décidé de s’attaquer aux citoyens et aux salariés.
Après les APL cet hiver et les pseudo-privilèges des cheminots aujourd’hui, viendront demain des aides sociales et les retraites. C’est cela votre projet de société : détruire les acquis sociaux et les garanties collectives en laissant les individus démunis devant la mondialisation capitaliste.
La réforme de la SNCF est un symbole, madame la ministre ; c’est un repère social que le Gouvernement et le Président de la République veulent faire sauter.
Nous voterons contre ce projet de loi dont nous continuons à demander le retrait. Il va à l’opposé d’une réforme ambitieuse pour construire le service public ferroviaire du XXIe siècle, écologiquement responsable et répondant aux besoins de la Nation. Avec ce texte, vous ne préparez pas l’avenir, madame la ministre, vous nous engagez dans une voie de garage. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour le groupe Union Centriste.
Je tiens à remercier notre collègue du travail accompli par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qu’il préside.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans quelques instants, au terme de vingt-cinq heures de débat, nous aurons à nous prononcer sur un texte très important : le projet de loi portant réforme du système ferroviaire.
Dans cette affaire, tout avait pourtant assez mal commencé. Le Premier ministre, sans aucune concertation avec les parlementaires, avait annoncé, le 26 février dernier, que la réforme se ferait par ordonnances.
Le Sénat, au premier rang son président, avait alors réagi fermement pour dénoncer cette procédure. Un peu plus de trois mois plus tard, la situation a évolué positivement.
Le Gouvernement a accepté de limiter le recours aux ordonnances en introduisant, au fur et à mesure des débats, des dispositions législatives.
La ministre des transports a eu l’intelligence de comprendre que le Sénat n’était pas dans une posture politicienne qui le conduirait à s’opposer par principe à ce texte. De ce fait, elle a choisi de travailler avec nous dans un esprit constructif et ouvert pour mener à bien cette réforme.
L’Assemblée nationale, pour une fois, n’a pas prétendu tout régler. Et le Sénat, comme toujours, a eu à cœur de privilégier l’intérêt général sur toute autre considération.
Il convient, à cet égard, de saluer le travail de la Haute Assemblée et l’implication personnelle et très active de son président, Gérard Larcher.
Dès l’origine, nous avons manifesté notre soutien à cette réforme courageuse, tout en ayant à cœur de l’améliorer. Je crois pouvoir dire que nous y sommes parvenus. En commission, tout d’abord, grâce au travail remarquable de notre rapporteur, que je tiens à féliciter et à remercier vivement, puis en séance publique, guidés par quatre objectifs : renforcer le volet « aménagement du territoire » de ce texte ; offrir aux salariés de réelles garanties en cas de transfert ; poser les conditions nécessaires à la réussite de l’ouverture à la concurrence ; maintenir un haut niveau de sécurité et de sûreté au sein du système ferroviaire.
Il revenait naturellement au Sénat, et à notre commission, de défendre la question de l’aménagement du territoire.
L’ouverture à la concurrence à laquelle nous sommes attachés – elle doit renforcer notre système ferroviaire et la SNCF – ne doit pas se faire au détriment des territoires ni des clients. Or nous savons que le système de modulation des péages proposé par le Gouvernement ne suffira pas à éviter que des dessertes TGV disparaissent au nom de la rentabilité. Bernard Roman, président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ou ARAFER, qui est à l’origine de ce dispositif, nous l’a confirmé lors d’une récente audition devant la commission.
Pour garantir la pérennité des dessertes menacées, il faut aller au-delà. Il faut que l’État conclue, si cela s’avère nécessaire, des contrats de service public comme nous l’avions déjà prévu dans notre proposition de loi, adoptée par le Sénat le 29 mars dernier. Nous avons donc réintroduit ce dispositif.
Sur le volet social, la commission a complété le texte de l’Assemblée nationale. Le rapporteur et moi-même avons reçu les syndicats et recherché, avec le soutien du président du Sénat, les voies et moyens de lever les inquiétudes légitimes des salariés.
Nous avons voulu être pragmatiques et humains. Nous avons donc précisé les conditions du transfert en favorisant le volontariat.
Nous avons également proposé un dispositif de retour permettant aux salariés transférés, dans un délai de trois à six ans, de réintégrer le statut en cas de réembauche par le groupe SNCF. En séance, à l’unanimité et avec le soutien du Gouvernement, nous avons décidé d’aller plus loin et de prolonger ce délai de deux ans. Ce dispositif, qui répond à une préoccupation forte des cheminots, devrait contribuer à rassurer ceux-ci.
En ce qui concerne les conditions d’une ouverture réussie à la concurrence, nous avons tenu à conforter l’autonomie de Gares & Connexions en tant que filiale de SNCF Réseau pour préserver ses capacités d’investissement, ce qui est tout à fait essentiel.
Nous avons aussi soumis la mise en œuvre de deux dérogations à l’obligation de mise en concurrence – la dérogation pour circonstances exceptionnelles et la dérogation dite de compétence, deux notions un peu floues – à l’avis conforme de l’ARAFER pour éviter des interprétations excessives et, surtout, pour sécuriser le choix des autorités organisatrices qui souhaitent y avoir recours
En matière de sécurité, nous avons voulu renforcer la coordination entre les acteurs en autorisant la création d’un groupement d’intérêt public pour assurer des missions transversales utiles au bon fonctionnement du système ferroviaire.
Le texte qui vous est proposé, mes chers collègues, constitue donc, comme l’a dit Mme la ministre, un point équilibre. J’espère que son adoption ainsi que les annonces du Gouvernement sur la dette permettront enfin de sortir d’un conflit social qui n’a que trop duré.
Je dois à cet égard me réjouir que le Gouvernement et le Président de la République, malgré la pression des syndicats, n’aient pas fléchi. Je tiens à les en féliciter.
Toutefois, des inquiétudes demeurent. Le Gouvernement a souhaité revenir sur plusieurs apports de notre commission à travers des amendements, qui, s’ils n’ont pas été adoptés, démontrent une volonté de revenir sur certains points.
Certains amendements tendaient à réduire le rôle de l’ARAFER, alors que notre commission et, au-delà, le Sénat ont toujours veillé à préserver, et même à renforcer, le rôle de cette autorité et des régulateurs en général.
D’autres visaient à diminuer l’autonomie financière de Gares & Connexions, ce qui aurait mis en cause sa capacité d’investissement, et à revenir sur l’incompatibilité des fonctions de dirigeant de SNCF Réseau avec celles de dirigeant de la holding de tête, autrement dit sur l’indépendance des sociétés anonymes entre elles.
Tous ces amendements, je le répète, ont été rejetés. Toutefois, nous serons particulièrement attentifs à ces questions lors de la réunion de la commission mixte paritaire au cours de laquelle, je le pense, nous pourrons parvenir à un accord, sous réserve que ces points soient pris en compte.
Mes chers collègues, sur ce texte, le Sénat a, comme toujours, prouvé son sens des responsabilités et de l’intérêt général. Il a eu à cœur non pas de faire de la politique politicienne, mais d’agir dans le seul souci de l’intérêt général.
Le rôle qu’il a joué dans cette réforme majeure a démontré, s’il en était besoin, la nécessité d’un bicamérisme équilibré. À toutes celles et à tous ceux qui s’interrogent parfois sur le rôle du Sénat, dans l’opinion publique ou même au sein des instances gouvernementales, je crois que nous avons apporté une réponse claire et nette.
Il faudra, madame la ministre, que le Gouvernement s’en souvienne lors des discussions à venir sur la révision constitutionnelle : l’exécutif et, surtout, la France ont besoin d’un Parlement fort et responsable pour mener à bien des réformes d’ampleur. L’examen du présent texte l’a confirmé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Olivier Jacquin. Mes chers collègues, nous tous, les 348 sénateurs et sénatrices de France, par notre travail, venons de démontrer que le Sénat, lorsqu’il est pris en considération, est un élément déterminant du bicamérisme et de la démocratie parlementaire. Vive la République, vive le Sénat ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis ce débat, les membres de la commission, le rapporteur et Mme la ministre.
Pour autant, nous sommes loin d’être satisfaits de la version du texte sur laquelle nous serons amenés à nous prononcer dans quelques instants.
Madame la ministre, nous vous l’avons répété plusieurs fois ces dernières semaines, votre réforme est une réforme à l’envers. Sans doute le projet de loi d’orientation sur les mobilités nous sera-t-il soumis un jour, mais nous ne pouvons que regretter cette inversion de calendrier, car c’est bien ce texte qui aurait dû déterminer une trajectoire pour le ferroviaire.
Mais rappelons-nous tout de même, chers collègues, l’historique du présent projet de loi. Le Président de la République et le Premier ministre avaient annoncé une loi rapide, par ordonnances, et avaient chacun tenu des propos qui n’avaient d’autre but que de stigmatiser et provoquer les cheminots. Résultat des courses : des ordonnances et une grève longue qui dure encore…
Lorsqu’il est arrivé à l’Assemblée nationale, votre projet de loi, madame la ministre, n’était composé que de 8 ordonnances ; il ressort du Sénat fort de 37 articles.
L’ensemble des progrès législatifs n’a été obtenu qu’en raison de la mobilisation syndicale et parlementaire forte, preuve de la nécessité de respecter les corps intermédiaires. On ne dirige pas la France comme on dirige une start-up. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – MM. René Danesi et Sébastien Meurant applaudissent également.)
Néanmoins, madame la ministre, je continue de m’interroger sur cette méthode singulière de légiférer au doigt mouillé, c’est-à-dire sans étude d’impact ni avis du Conseil d’État. De nombreuses questions importantes restent en suspens.
Qu’en est-il vraiment de l’avenir des petites lignes, de la capacité financière des régions, ou encore de la modulation des péages et de leur impact ? Qu’en est-il de la nouvelle trajectoire financière de la SNCF après l’annonce très récente du désendettement ?
Je tiens d’ailleurs à rappeler dans cet hémicycle que ce désendettement a été rendu possible grâce aux efforts du précédent gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union centriste et du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) pour ramener l’endettement sous la barre fatidique des 3 % du PIB en 2017, alors qu’il était de 5,2 % en 2012…
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous aviez pourtant bien commencé ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Jacquin. Enfin, qu’en est-il de la convention collective de la branche ferroviaire ?
Nous avons précisé les ordonnances, notamment sur les conditions de transfert et sur la réintégration possible chez l’opérateur historique par le biais de notre amendement rectifié, voté à l’unanimité. Mais nous ne savons pour l’instant rien de plus que la tenue d’une réunion tripartite État-patronat-syndicats. Nous sommes en droit d’obtenir des précisions sur le rôle que vous comptez jouer dans ces négociations et sur ce que vous comptez y défendre.
Certes, ces trois éléments sont dans votre texte, mais je ne suis toujours pas convaincu de la pertinence du titre de votre projet de loi – Nouveau pacte ferroviaire –, tant ce texte reste incomplet pour mériter un tel intitulé.
En effet, vous ne proposez rien pour discriminer positivement le rail face à la route et à l’avion : dans un cas, l’usager paye une partie de l’infrastructure, pas dans les autres. À l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique et de la transition énergétique, c’est insuffisant. Il conviendrait de valoriser les externalités positives du rail pour permettre un report modal.
De plus, un pacte ferroviaire digne de ce nom devrait concerner tout le rail. Or que constate-t-on ? Quasiment rien n’est dit sur le fret. Quant aux petites lignes et à l’aménagement du territoire, aux éventuels nouveaux développements, les imprécisions et incertitudes sont nombreuses, ce qui peut nous conduire à douter.
Il ne s’agit donc pas d’un nouveau pacte ferroviaire.
Par ailleurs, la nouvelle organisation de la SNCF que vous proposez risque, paradoxalement, d’affaiblir celle-ci, notamment en raison de cette règle d’or très stricte qui inquiète quant aux nouveaux projets de développement du rail, ou encore de la transformation en société anonyme qui va renchérir le coût du financement par une augmentation mécanique des taux d’intérêt.
La règle d’or, inventée en 2014, est une bonne chose ; son renforcement inquiète.
Rien ne nous permet d’imaginer que nous allons pouvoir sortir de la logique malthusienne qui prévaut depuis maintenant bien trop longtemps selon laquelle, régulièrement, on coupe des petites lignes et des services sur les tronçons moins fréquentés, atténuant ainsi l’effet réseau du rail.
Loin d’une opposition et d’une obstruction systématiques, nous avons soutenu de nombreuses idées nouvelles lors de ce débat : place croissante de l’intermodalité et des mobilités douces dans nos modes de déplacement, rôle des gares dans les territoires et nouvelles interactions à créer avec les collectivités, mise en œuvre d’un schéma de desserte d’intérêt national validé par le Parlement – garantie d’égalité entre les territoires –, nécessité de mettre plus de démocratie dans la gouvernance SNCF et d’affirmer le rôle du Haut Comité du système de transport ferroviaire, créé en 2014, pour un fonctionnement plus transparent… Certaines de ces propositions ont été partiellement reprises par notre assemblée.
Chers collègues, ce mardi, nous sommes toujours sous un régime d’ordonnances et le conflit social, très dur, se poursuit. Si la grève ne s’est malheureusement pas arrêtée au soir du débat au Sénat, c’est que des sources d’inquiétude persistent. Cependant, madame la ministre, vous nous avez annoncé une réunion tripartite, ce que nous apprécions.
Le calendrier initial nécessitait de finaliser l’ouverture à la concurrence. Pour ce faire, il n’était pas nécessaire de provoquer un tel conflit et d’aboutir à un texte qui n’est pas véritablement le nouveau pacte ferroviaire annoncé.
Dans ce contexte aussi incertain, madame la ministre, nous ne vous donnerons pas un chèque en blanc pour une destination inconnue et voterons contre ce projet de loi. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Il s’agit non pas d’un vote protestataire, …
M. Jean-François Husson. Mais si !
M. Olivier Jacquin. … mais de vigilance avant la réunion de la commission mixte paritaire et les dernières discussions avec les syndicats.
Rendez-vous est donc pris pour les prochains textes, sur lesquels nous soutiendrons encore des propositions ambitieuses et nouvelles, comme cela a été le cas ces dernières semaines. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme du transport ferroviaire que nous allons voter est une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent l’ouverture à la concurrence, la transformation de la société nationale et la fin de statuts professionnels exorbitants du droit commun.
C’est surtout une bonne nouvelle pour tous les Français qui subissent chaque année un peu plus les conséquences du retard à réaliser cette réforme.
Mais c’est une défaite cuisante pour ceux qui ont organisé la pire des formes de grève, la grève à répétition destinée à pourrir au maximum et le plus longtemps possible la vie de nos concitoyens ; une défaite pour ceux qui prétendent défendre le service public en cassant, depuis des semaines, ce dernier.
Ils prétendent défendre un service public qui marche. Nous savons tous qu’il fonctionne mal. Un réseau à deux vitesses avec, d’un côté, les privilégiés des lignes à grande vitesse et, de l’autre, les roturiers des lignes classiques qui accusent un retard d’investissement de plusieurs décennies.
Tous les élus de cette assemblée peuvent donner des exemples édifiants de cette décrépitude. Les élus des territoires ruraux comme le mien autant que ceux des banlieues de l’Île-de-France ou des grandes métropoles. Le système est usé jusqu’à la corde et tout le monde le sait. Comme est usé jusqu’à la corde le mythe de l’intouchabilité des structures et des statuts publics, alors que, en France – son taux de dépenses publiques est le plus fort au monde –, le transport ferroviaire, mais aussi l’hôpital, les prisons, l’université sont au bord du collapsus. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Raisons pour lesquelles la stratégie des jusqu’au-boutistes de la grève est un échec : absence de soutien populaire, fissure du front syndical, érosion du taux de grévistes, détermination du Gouvernement, soutien du Parlement… Non, 2018 ne sera pas 1995. Et la litanie de l’appel à la convergence des luttes ne fera pas plus advenir un nouveau Mai 68 que la danse d’un sorcier vaudou n’amène la pluie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Ce n’est pas non plus en annonçant chaque semaine des chiffres concernant le nombre de manifestants plus irréalistes que ces jusqu’au-boutistes parviendront à masquer la dure réalité : la marée populaire était une marée basse. La France insoumise, le PCF, le NPA, des dizaines de groupuscules et en plus la CGT, SUD, la FSU… (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Un peu de respect ! Vous êtes quoi ?
M. Claude Malhuret. Camarades… (Les protestations redoublent sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas vos camarades ! Pas ici !
M. le président. Mes chers collègues, un peu de calme !
Mme Éliane Assassi. Que notre collègue nous respecte, monsieur le président !
M. Claude Malhuret. Savez-vous ce que disait Lénine des siffleurs ? (Les protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste couvrent presque la voix de l’orateur.)
M. le président. Encore une fois, mes chers collègues, un peu de calme !
M. Claude Malhuret. Qu’ils ont une tête d’oiseau ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Ce n’est pas, disais-je, en annonçant chaque semaine des chiffres toujours plus irréalistes concernant le nombre de manifestants que les jusqu’au-boutistes parviendront à masquer la dure réalité. Le PCF, la CGT, SUD, la FSU réunis, pour finir à 30 000 manifestants à Paris ! Encore moins que pour la fête à Macron !
Mme Éliane Assassi. Que pensez-vous du texte ?
M. Claude Malhuret. Ce n’est pas avec un référendum bidon, des urnes en carton trimbalées d’un dépôt à l’autre, des feuilles volantes en guise de listes d’émargement et, à la sortie, un score digne de l’élection de Brejnev au Politburo – comme disait Staline, ce qui compte ce n’est pas le vote, c’est la façon dont on compte les votes…(Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste) –, ce n’est pas avec cette ultime et dérisoire tentative qu’on fera oublier la réalité de sondages convergents : les deux tiers des Français sont pour la réforme et contre la grève.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tous les syndicats étaient pour la grève !
M. Claude Malhuret. Pourquoi cela ? Parce qu’après des années d’enfumage sur le thème de la grève par procuration, les Français se posent les vraies questions : pourquoi est-ce dans le secteur public, dont l’une des justifications principales est la continuité, que les grèves, donc l’interruption du service pour les usagers, sont les plus fréquentes ? Pourquoi, pour s’opposer au Gouvernement, ses adversaires ne trouvent-ils pas d’autre solution que de s’en prendre aux usagers ?
Les jusqu’au-boutistes déguisés en défenseurs de la veuve et de l’orphelin n’étaient pas uniquement dans la rue. Ils étaient aussi ici. J’ai entendu, avec plus d’amusement que de colère, le discours de certains de ceux qui m’ont précédé à cette tribune. Ils continuent à se réclamer d’une idéologie archi-décédée (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.), comme ces personnages de bandes dessinées qui continuent de marcher sans s’apercevoir qu’ils sont déjà au-dessus du vide et qu’ils vont tomber dans le ravin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Ils ont parfaitement le droit de s’exprimer. Mais il y a un règlement au Sénat, comme à l’Assemblée nationale, et ce n’est pas par hasard. Je le dis solennellement devant l’ensemble de nos collègues, monsieur le président : se présenter dans l’hémicycle déguisé avec des chasubles de cheminots revêtues par-dessus des costumes et des cravates, en brandissant des pancartes, de même que venir à l’Assemblée nationale avec le maillot de l’Olympique d’Haudricourt n’est pas compatible avec la dignité de nos assemblées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Si nous acceptons ce précédent sans réagir, il ne faudra pas s’étonner, dans la société du spectacle dans laquelle nous vivons, que, demain, d’autres viennent en maillot de bain ou avec leur caniche en laisse. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Martial Bourquin. Et le projet de loi ?
M. Claude Malhuret. Je voudrais en revanche féliciter ceux grâce auxquels notre assemblée est parvenue à produire un texte équilibré et enrichi.
Merci à Mme la ministre d’avoir été à l’écoute de nombreuses propositions du Sénat. Merci à M. le rapporteur, Gérard Cornu, qui a réussi un exercice difficile en permettant de rassembler des positions souvent diverses, afin d’aboutir au texte que nous allons voter aujourd’hui.
Permettez-moi de saluer également la détermination d’Alain Fouché, qui a défendu au nom de mon groupe de nombreux amendements, dont plusieurs ont été retenus. Enfin, merci à ceux de nos collègues qui ont bien voulu les cosigner et les voter.
Cette réforme aurait sans doute pu aller plus loin, et surtout plus vite. Car il faudra attendre encore plusieurs années pour que le nouveau système soit réellement installé, et l’on peut compter sur les embusqués pour mettre à chaque étape des bâtons dans les roues. Mais je me garderai bien de reprocher sa timidité au premier gouvernement qui aura eu le courage de s’attaquer à l’une des vaches sacrées de l’immobilisme français. Il savait qu’il prenait des risques majeurs. Et l’on peut lui pardonner d’avoir dû faire quelques génuflexions bien-pensantes devant des adversaires d’autant plus menaçants qu’ils sont faibles.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi crée enfin les conditions de la concurrence dans le transport ferroviaire. Il donne enfin la possibilité à la SNCF de se réformer pour aborder cette concurrence dans les meilleures conditions et protège les salariés en encadrant les conditions de leur transfert. Surtout, il permettra aux premiers concernés, à savoir les usagers, de retrouver l’espoir d’un service de transport ferroviaire digne de notre temps et digne de notre pays. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Bien entendu, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme d’une réforme qui s’inscrit au cœur du quotidien des Françaises et des Français et concerne un service public historique, partie intégrante de notre patrimoine.
Cette réforme est complexe et sensible. Elle souligne la difficulté de concilier des intérêts et des attentes sinon contradictoires, à tout le moins incompatibles parfois. Je veux parler de ceux des usagers, des cheminots, des territoires, ou encore du marché.
Ainsi en est-il de l’attachement légitime de la commission aux enjeux d’aménagement du territoire et du développement durable, réaffirmés comme étant au cœur des missions de la SNCF, ou de ma sensibilité, partagée d’ailleurs sur toutes les travées, à la protection de ses salariés.
Dans le même temps, le secteur ferroviaire ne peut faire abstraction des mouvements qui animent notre monde, qu’il s’agisse des changements sociétaux, de l’évolution de notre contexte politique – je pense bien évidemment à l’Europe –, ou des transformations de notre environnement qu’il est de notre responsabilité partagée de protéger. Sur ce point, je salue la pugnacité des membres du groupe du RDSE, qui auront su renforcer en séance le texte issu des travaux de la commission par l’adoption d’un amendement.
Permettez-moi d’illustrer mon propos en rappelant le discours prononcé par François Mitterrand en 1990 à Clermont-Ferrand, à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle ligne. Il disait ceci : « Je crois à l’essor du chemin de fer, dès lors qu’il sait s’adapter à l’évolution des besoins et de la concurrence […] ; je crois à la capacité du secteur public pour mener de telles missions en alliant efficacité économique et progrès social. […] Mais […] une grande entreprise publique est aussi celle qui sait associer son personnel à ses propres progrès. »
Je souhaite souligner le travail remarquable mené par la commission, présidée par Hervé Maurey, et par son rapporteur, Gérard Cornu. La commission a su améliorer le texte de nos collègues députés, preuve, s’il en est, dirai-je avec un peu de provocation, comme mon collègue Olivier Jacquin, de l’intérêt d’un bicamérisme équilibré, et signe d’un Sénat en pleine vitalité et jouant complètement son rôle de législateur.
Notre assemblée a ainsi su répondre à un certain nombre d’inquiétudes exprimées ces dernières semaines, notamment au travers du mouvement de grève que nous connaissons actuellement.
On peut ainsi se féliciter de l’inscription dans le projet de loi de l’incessibilité du capital de la SNCF et de garanties certaines apportées à la protection des cheminots. Je n’en citerai que quelques-unes : réaffirmation du statut particulier des personnels, maintien des conventions et accords collectifs, inscription de garanties en cas de transfert d’activité et encadrement des modalités de rupture du contrat de travail en cas de refus du salarié, notamment en matière de mobilité professionnelle.
Certains, dont je fais partie, auraient souhaité aller encore plus loin, en particulier s’agissant des limites régionales de la mobilité. Les débats ne l’ont pas permis, mais le texte n’en constitue pas moins une réelle avancée pour les agents concernés en comparaison de sa version initiale.
Fidèle à son ADN, la Haute Assemblée a également renforcé la place des collectivités, tout comme celle des usagers, dans un certain nombre d’instances, y compris au bénéfice des personnes en situation de handicap.
Attachés à l’équilibre des pouvoirs, nous avons collectivement entériné sur de nombreux points le rôle prépondérant de l’ARAFER, afin que celle-ci puisse jouer pleinement son rôle de garant et de suivi de la mise en œuvre comme de l’impact de cette réforme.
Est renforcé également le rôle du Haut Comité du système de transport ferroviaire. Nous espérons toutes et tous, madame la ministre, que celui-ci puisse enfin se réunir. La vigilance s’imposera aussi au Sénat, puisque nous avons souhaité que le Gouvernement nous rende compte régulièrement de la situation, même si le rapporteur a raison de dire que trop de rapports tuent le rapport. Il aurait été intéressant que l’ARAFER actualise, tous les deux ans, son estimation du coût du transport ferroviaire pour les collectivités territoriales.
Enfin, soucieux de ne pas hypothéquer l’avenir, nous avons établi quelques principes financiers pour sécuriser l’évolution de la dette et assurer la soutenabilité pour les opérateurs de l’évolution des redevances.
Soulignons encore l’encadrement des dérogations à la concurrence ou du transfert des matériels roulants, même si mon groupe aurait souhaité aller plus loin dans l’intérêt des régions et ancrer l’égalité territoriale au cœur du texte. Car, madame la ministre, où se placera le curseur de la solidarité nationale ?
Alors que le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, propose de financer à hauteur de 50 % les coûts de rénovation de la ligne Abbeville-Le Tréport, l’État va-t-il se réfugier derrière la règle du retour sur investissement calculée par SNCF Réseau ou suivre la collectivité prête à s’engager ? Et je n’évoquerai pas la ligne Brive-Aurillac !
Que se passera-t-il pour les régions les plus pauvres sans péréquation favorable ? Nous devons, mes chers collègues, rester vigilants à ce qu’on ne crée pas des régions à deux vitesses.
Je terminerai par un élément qui me tient particulièrement à cœur en ma qualité d’élu local – j’espère que la commission mixte paritaire ne reviendra pas sur ce point –, à savoir la confirmation des contrats de service public de transport ferroviaire. Introduits en commission, ces contrats contribueront à préserver les dessertes TGV cruciales en matière d’aménagement et de dynamisme des territoires, pour des lignes moins rentables.
J’oserai une dernière citation, empruntée à Jules Renard, dont le père a travaillé à la construction de la ligne Laval-Caen : « Le train, l’automobile du pauvre. Il ne lui manque que de pouvoir aller partout. » N’abandonnons donc pas les lignes secondaires !
En conclusion, le groupe du RDSE votera à une large majorité en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains.
Notre collègue a été le rapporteur de ce texte, ce dont je tiens à le remercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez tous, le Sénat était très attendu sur cette réforme ferroviaire. Je crois pouvoir dire qu’il a été à la hauteur de l’enjeu, fidèle à son sens du dialogue et de la concertation.
Le débat a été de grande qualité, et chacun a pu défendre ses convictions dans le respect et l’écoute de l’autre.
La volonté du Gouvernement de présenter un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances, tout en promouvant le dialogue social pour introduire au fur et à mesure des dispositions concrètes devant le Parlement, a été mal comprise et a eu le don de mécontenter à la fois les parlementaires et les syndicats.
La majorité sénatoriale avait le choix entre deux attitudes : soit une opposition stérile au Gouvernement, laissant pourrir le conflit entre celui-ci et les grévistes ; soit une attitude plus responsable, pour sortir par le haut de cette épreuve, pour la France et les Français.
Le Gouvernement a adopté une attitude méprisante envers les sénateurs auteurs de propositions de loi de grande qualité, votées parfois à l’unanimité (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.), mais balayées d’un revers de main par le pouvoir exécutif.
M. Bruno Sido. C’est un scandale !
M. Gérard Cornu. Circulez, il n’y a rien à voir ! Vos propositions sont certes de grande qualité, mais tout doit se passer à l’Assemblée nationale. Un député du groupe La République En Marche reprendra vos textes. Je me tourne vers Mathieu Darnaud, pour ce qui concerne l’eau et l’assainissement, vers Françoise Cartron et Michel Vaspart s’agissant du trait de côte et de la loi Littoral, ou encore vers Patrick Chaize au sujet du numérique.
Malgré cette situation, nous avons choisi la seconde option parce que c’est l’ADN du Sénat d’agir avec responsabilité, en dépassant les clivages politiques.
Je voudrais à cet égard remercier personnellement notre président de groupe, Bruno Retailleau, de sa confiance et de son soutien total. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Un climat de confiance réciproque s’est également instauré entre la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la ministre des transports, Élisabeth Borne, qui a permis une véritable coconstruction de la loi. J’espère, madame la ministre, que votre attitude positive envers le Sénat servira d’exemple à certains de vos collègues du Gouvernement. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) Le Premier ministre a été satisfait de l’attitude responsable du Sénat. Gageons qu’il s’en souviendra dans le cadre de la réforme constitutionnelle.
M. Philippe Dallier. Ça, c’est moins sûr !
M. Gérard Cornu. Nous avons plus que jamais besoin de la sagesse du Sénat, d’un bicamérisme moderne face aux humeurs et aux tensions.
L’examen du présent projet de loi a permis d’améliorer ce dernier, une attention toute particulière ayant été prêtée au volet social de cette réforme et à son impact sur la desserte des territoires.
Nous avons repris les dispositions qui figuraient dans la proposition de loi d’Hervé Maurey et de Louis Nègre, adoptée par le Sénat en mars dernier. Nous avons veillé à supprimer au maximum les ordonnances, en ne conservant que celles qui avaient un caractère purement technique. Nous sommes restés fermes sur le cap, à savoir l’ouverture à la concurrence, la fin du statut de cheminot et la transformation juridique de SNCF et de ses deux filiales. Toutes les avancées importantes figurent dans le projet de loi, et je ne doute pas que nous pourrons aboutir à une CMP conclusive sur la base du texte voté par le Sénat.
L’aménagement du territoire a été au cœur de nos préoccupations, notamment les petites lignes et les dessertes directes TGV sans correspondance pour des villes moyennes qui auraient pu être menacées dans le contexte d’ouverture à la concurrence.
Les avancées sociales sont importantes. À cet égard, je veux saluer le rôle déterminant, le soutien total et l’implication du président du Sénat, Gérard Larcher (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.), dans le maintien d’un dialogue constant et fructueux avec les syndicats réformistes.
Il fallait lever les inquiétudes légitimes des salariés du groupe public ferroviaire, dont je tiens à saluer l’engagement pour le développement du transport ferroviaire. Nous avons précisé le cadre du transfert de personnel et renforcé les droits garantis aux salariés transférés, notamment en favorisant le volontariat à l’échelle de la région et en permettant le droit au retour sur une période déterminée, dont la durée initiale était de trois ans à six ans et que nous avons portée à huit ans en séance, grâce à l’adoption d’un amendement du rapporteur voté à l’unanimité et approuvé par la ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons voulu faire taire les rumeurs injustifiées de privatisation de la SNCF, en inscrivant dans la loi que le capital de la société SNCF et de ses deux filiales serait intégralement détenu par l’État et incessible.
Pour conclure, je veux m’adresser aux syndicats et aux grévistes. Le groupe Les Républicains votera ce texte issu des travaux du Sénat. Je ne doute pas qu’il sera approuvé à une large majorité par notre assemblée, qui a mis la réforme sur de bons rails.
M. David Assouline. Si c’est la droite qui le dit !
M. Gérard Cornu. En raison de toutes les avancées sociales validées par la ministre, j’ai la certitude que le texte ne sera pas dénaturé par la commission mixte paritaire. J’y veillerai personnellement.
Comme le disait Maurice Thorez (Sourires.), il faut savoir arrêter une grève ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.) Le texte issu des travaux du Sénat vous en donne une véritable opportunité ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Ce n’est pas l’auteur le plus cité dans cet hémicycle ! (Sourires.)
La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.
M. Frédéric Marchand. En terminant mon intervention le 29 mai dernier, j’évoquais l’injonction lancée par Victor Hugo le 21 juin 1877 à notre assemblée : « Sénateurs, prouvez que vous êtes nécessaires. »
Mme Éliane Assassi. Il siégeait ici ! (Mme Éliane Assassi désigne l’une des travées du groupe républicain citoyen et écologiste.)
M. Frédéric Marchand. Après plusieurs jours de débats sur le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, nous pouvons, sans forfanterie aucune, affirmer que nous le sommes.
Dire que le Sénat était attendu sur ce texte est un doux euphémisme. Nous n’avons pas failli. Le train est parti à l’heure indiquée et, après un parcours que certains pensaient parsemé d’embûches, il est arrivé en gare, sans retard, après un voyage sans doute harassant, mais ô combien passionnant !
La qualité de nos discussions fait honneur à la vie parlementaire. Oui, le débat a eu lieu. Les uns et les autres ont pu s’exprimer en fonction de leurs sensibilités. Voilà quelques semaines, certains nous avaient annoncé un débat confisqué par le Gouvernement, sous couvert d’ordonnances, et une réforme menée à la hussarde. Aujourd’hui, les mêmes tentent de nous expliquer que le débat n’a été rendu possible que par la pression exercée depuis le début du mouvement social.
Et si nous arrêtions, pour une fois, de raisonner de manière aussi manichéenne ? Pourquoi cette réforme n’aurait-elle pas été rendue possible par une seule et même volonté, à savoir l’attachement collectif au service public ferroviaire ?
Cette réforme ferroviaire n’est ni une victoire pour les uns ni une défaite pour les autres. C’est d’abord et avant tout la volonté, partagée sur l’ensemble de ces travées, de préserver notre service public ferroviaire à la française en l’armant de la meilleure façon qui soit face à l’ouverture à la concurrence.
Notre expression a été diverse et variée. C’est toute la force de la démocratie, empreinte parfois d’outrance et de mauvaise foi, qui a permis à toutes les sensibilités de s’exprimer en toute liberté de ton et de parole.
Je qualifiais le débat de passionnant, car tous les sujets de la réforme ont été abordés, grâce au formidable travail préalable effectué par le rapporteur, Gérard Cornu, et par le président de la commission, Hervé Maurey, qui ont mis leur énergie et leurs compétences au service de la réussite de cet exercice collectif.
Oui, l’exercice a bel et bien été collectif ! Sénat et Gouvernement ont travaillé en bonne intelligence, et nous avons particulièrement apprécié, madame la ministre, l’état d’esprit avec lequel vous avez souhaité, d’emblée, appréhender l’examen de ce texte. Nous nous félicitons également du travail de concertation effectué en amont avec celles et ceux qui ont souhaité discuter et échanger.
Vous avez, à de nombreuses reprises dans la discussion, évoqué la notion de coconstruction, et c’est bien cette démarche positive que nous retenons aujourd’hui.
Nous allons nous prononcer sur un texte équilibré, qui nous permettra de réinventer la réalité du fait ferroviaire dans notre pays. Nous partageons en effet le même constat : notre système ferroviaire est aujourd’hui en bout de course. Nous avons beau nous réfugier derrière tous les argumentaires possibles et imaginables, la vérité est bien celle-ci : l’ouverture à la concurrence qui se profile à l’horizon nous donne l’occasion unique de repenser complètement, de refonder notre logiciel ferroviaire, dans un souci d’efficacité, de modernité et de justice sociale.
L’efficacité, c’est d’abord et avant tout la qualité du service proposé aux usagers, en remettant les collectivités territoriales au cœur de la mêlée s’agissant des trains conventionnés.
Notre discussion et les amendements adoptés font des régions des acteurs incontournables de l’aménagement territorial du ferroviaire, dans le cadre d’un « pacte de confiance passé avec l’État », pour reprendre vos propres termes, madame la ministre.
La modernité, c’est celle de cette grande octogénaire qu’est la SNCF et sa transformation en société anonyme à capitaux intégralement publics. Certes, on peut jouer sur les peurs, mais on ne saurait jouer impunément avec les mots et la réalité.
La vérité est pourtant simple ; l’incessibilité et l’inaliénabilité sont bien les deux mamelles de notre service public ferroviaire et le resteront. Dire le contraire, c’est mentir à nos concitoyens ; c’est mentir aux cheminots ! Le texte est suffisamment clair. Le moment est donc venu d’en finir avec ces petites polémiques.
Forte de cette garantie, notre société nationale a tous les atouts pour se réinventer et se projeter vers l’avenir dans le cadre d’un projet d’entreprise partagé.
C’est la justice sociale, enfin, qui est le cœur de tout le dispositif. Nous avons vu à quel point, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, nous partagions la volonté d’offrir au monde cheminot des perspectives d’avenir.
Agiter là aussi le spectre du statut en tentant d’opposer les uns aux autres ne me paraît pas digne des enjeux du monde ferroviaire. Vous avez en effet réaffirmé tout au long de la discussion, madame la ministre, la ferme volonté du Gouvernement d’accompagner les négociations entre l’UTP, l’Union des transports publics et ferroviaires, et les organisations syndicales pour l’élaboration de la convention collective de la branche ferroviaire. C’est un engagement fort, que vous tiendrez, nous le savons.
Des avancées significatives figurent désormais le texte. Elles ont été élaborées en lien étroit avec les organisations syndicales qui ont souhaité s’inscrire dans le travail de coconstruction que j’évoquais tout à l’heure : le recours au volontariat à l’échelle régionale en cas de transfert, la portabilité des droits, le maintien intégral de la rémunération en cas de transfert, l’unité sociale au sein du groupe, le retour au statut entre la troisième et la huitième année pour un cheminot qui retourne à la SNCF sont autant de mesures significatives qui donnent sens à la réforme.
Il est faux de dire que cette réforme se fait au détriment du monde des cheminots. Ce sont eux les acteurs essentiels de notre grand service public ferroviaire, et des engagements forts ont été pris par le Gouvernement et la représentation nationale.
Il n’appartient bien sûr à personne de dicter leur conduite aux organisations syndicales, mais il semble que le moment soit désormais venu d’ouvrir une nouvelle page de notre grande histoire ferroviaire et de réconcilier les Français de tous bords et de tous horizons avec le chemin de fer.
Vous le savez, nous le savons tous, l’ouverture à la concurrence est une chance dont nous devons nous saisir collectivement. Il convient là aussi de dire les choses sans agiter de chiffons rouges. Je m’en remets sur ce point à notre régulateur, l’ARAFER, et à son excellent rapport sur le sujet : « Lorsque les pays européens ont utilisé l’ouverture à la concurrence comme un instrument visant à relancer le transport ferroviaire de voyageurs, cet instrument a, de manière générale, porté ses fruits et contribué à une amélioration parfois spectaculaire de l’offre, des performances, de la qualité de service et du prix payé par l’usager. » Parce que « là où il y a une volonté il y a un chemin », le groupe La République en marche votera sans hésiter ce texte pour un nouveau pacte ferroviaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, dans le texte de la commission, modifié.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Éric Bocquet, Agnès Canayer et Yves Daudigny, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à quinze heures cinquante-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 121 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 240 |
Contre | 85 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
La parole est à Mme la ministre. Elle a pu constater quel voyage de rêve lui a offert le Sénat. (Sourires.)
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’étape que nous franchissons aujourd’hui est majeure. Nous venons d’engager la transformation de notre système ferroviaire, pour qu’il s’adapte aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.
Le Gouvernement avait pris auprès des Français des engagements, qu’il a tenus. Non seulement nous avons confirmé les grands principes de la réforme, à savoir l’ouverture à la concurrence, la nouvelle organisation de la SNCF, l’arrêt du recrutement au statut des cheminots et la reprise de la dette à hauteur de 35 milliards d’euros dans le cadre du quinquennat, mais aussi nous les avons enrichis, grâce aux discussions que le Gouvernement a voulu mener avec les syndicats et toutes les parties prenantes.
Ces enrichissements sont également le fruit d’un travail étroit avec la Haute Assemblée. Je tiens en particulier à remercier le rapporteur, M. Gérard Cornu (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.), ainsi que les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et son président, M. Hervé Maurey (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.), qui ont pris en compte les propositions du Gouvernement et les ont complétées.
Je souhaite saluer notre travail commun, qui a été très constructif, chacun dans son rôle, partageant le même objectif de faire avancer la réforme. Vous avez notamment voulu, mesdames, messieurs les sénateurs, apporter des réponses aux questions que les cheminots pouvaient encore se poser et marquer votre attachement aux enjeux d’aménagement du territoire que je partage.
Je tiens également à saluer M. le président du Sénat, Gérard Larcher (Applaudissements sur les mêmes travées et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.), qui, je le sais, a été attentif à ce que la Haute Assemblée, au-delà de nos divergences, joue pleinement son rôle dans ce débat, fidèle au sens du dialogue inscrit dans son ADN. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRCE et du groupe socialiste et républicain, je vous remercie de la qualité de nos débats. Nous avons un objectif en commun, celui d’assurer un meilleur service public ferroviaire aux Français, bien que nous ne soyons pas d’accord sur les moyens à mettre en œuvre.
La prochaine étape sera la commission mixte paritaire, que vous aborderez, mesdames, messieurs les sénateurs, je n’en doute pas, dans le même esprit de dialogue, afin d’aboutir à un texte commun avec les députés. Pour les raisons que je viens d’évoquer, je suis confiante, car non seulement les grands axes de la réforme ont été confortés, mais la volonté d’aboutir à un accord pour l’avenir du système ferroviaire français est, je le sais, partagée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, en salle Clemenceau, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Annie Guillemot.
M. le président. La séance est reprise.
3
Débat sur le bilan de l’application des lois
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l’application des lois (rapport d’information n° 510).
Monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, chère Valérie Létard, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous voici réunis pour notre rendez-vous annuel consacré au bilan de l’application des lois. Il s’agit, pour Christophe Castaner, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, du premier débat, ici, sur l’application des lois, mais je suis certain qu’il répondra avec précision aux questions qui lui seront posées.
Le Sénat procède annuellement au contrôle de l’application des lois. C’est un exercice dans lequel notre assemblée a été pionnière, et auquel nous accordons, chacune et chacun, une grande importance : faire en sorte que le Parlement puisse contrôler l’action du Gouvernement avec efficacité.
Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle a d’ailleurs œuvré en ce sens. Il a notamment proposé d’inscrire dans notre texte fondamental une obligation pour le Gouvernement de prendre les mesures générales d’application des lois.
Je forme le souhait que les débats que nous aurons prochainement sur le projet de loi constitutionnelle puissent participer à faire de la fonction de contrôle du Parlement une véritable priorité, de même rang que la fonction législative.
Au cours de l’année parlementaire 2016-2017, qui vit pour la première fois depuis le début de la Ve République se succéder élections présidentielle, législatives et sénatoriales, nous avons néanmoins voté 48 textes de loi, nécessitant 500 mesures d’application.
Sans plus attendre, je donne la parole à notre collègue Valérie Létard, qui préside la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Je la remercie pour la qualité de son rapport d’information sur le bilan de l’application des lois au 31 mars 2018.
Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de l’organisation de ce débat sur le bilan annuel de l’application des lois. En effet, nous n’avions pas eu la possibilité de l’organiser l’an dernier, en raison de l’interruption des travaux en juin.
Le Sénat a toujours été très vigilant sur la bonne application des lois et, en particulier, sur la publication en temps et en heure des textes réglementaires prévus par le législateur.
Comme les années précédentes, ce bilan est le résultat d’un travail minutieux de chaque commission pour les lois relevant de son ressort. Permettez-moi de saluer la qualité du dialogue avec les administrations et le secrétariat général du Gouvernement, témoignant de la volonté commune du Sénat et du Gouvernement d’une bonne application des lois.
Ce bilan s’appuie également sur les données statistiques issues de la base APLEG propre au Sénat. Cette base et la méthodologie utilisée permettent une homogénéité de la donnée dans le temps, garante de l’effectivité des comparaisons réalisées par la Haute Assemblée au fil des ans.
Ce bilan porte sur l’application des lois promulguées au cours de la session 2016-2017 au 31 mars 2018. Cette date de référence, six mois après la fin de la session concernée, est choisie en raison de l’objectif que s’est fixé le Gouvernement d’une publication des textes d’application dans ce délai.
La session 2016-2017 a été atypique. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, se sont succédé au cours d’une même année parlementaire les élections présidentielle, législatives et sénatoriales. Cela a eu des conséquences sur nos travaux.
Hors conventions internationales, ce sont 48 lois qui ont été votées, soit 7 de moins que lors de la session précédente. Hors ceux pour lesquels la procédure accélérée est de droit, 35 de ces textes ont été examinés selon la procédure accélérée, soit 77 % d’entre eux. Cette proportion est en augmentation par rapport à la session précédente. J’ajoute que l’ensemble des projets des lois ont été votés selon cette procédure.
Sur le total des lois votées lors de la session, 21 lois sont d’origine parlementaire, dont 9 d’origine sénatoriale.
J’en viens maintenant au taux d’application des lois. Pour la session 2016-2017, 26 lois appelaient des mesures réglementaires d’application, les 22 autres étant d’application directe.
Le taux d’application de ces 26 lois s’élève, selon les calculs du Sénat, à 73 %. La légère différence avec le calcul du Gouvernement s’explique par le fait que notre suivi porte sur tous les textes réglementaires, y compris les arrêtés.
Une précision méthodologique est peut-être nécessaire : le taux d’application, qu’il soit calculé par le Sénat ou par le Gouvernement, est compris comme le rapport entre le nombre de mesures prises et le nombre de mesures attendues ; il ne tient donc pas compte des articles ou des lois n’attendant aucune mesure d’application.
Pour la session 2016-2017, ce sont ainsi 384 mesures, sur les 527 attendues, qui ont été prises.
Sur les 26 lois nécessitant des mesures d’application, 6 sont intégralement applicables, 18 le sont partiellement, et 2 n’ont donné lieu à aucune des mesures prévues. Il faut toutefois noter que ces deux dernières lois n’attendent qu’une seule mesure chacune, et pourraient donc très prochainement – je l’espère – être considérées comme totalement appliquées.
Le taux d’application des lois de la XIVe législature est très élevé : il dépasse 90 % et, hors lois votées lors de la dernière session, il atteint même 94 %. Sur l’ensemble de la législature, ce sont ainsi plus de 3 000 mesures réglementaires d’application qui ont été prises.
Ce taux élevé d’application des lois de la XIVe législature s’explique notamment par la très forte mobilisation de l’ancien gouvernement dans les derniers jours de son mandat : plus de 400 décrets ont été pris aux mois de mars et d’avril 2017 et dans les dix premiers jours de mai 2017, soit juste avant l’élection présidentielle. Par comparaison, sur la même période en 2016, 147 mesures avaient été prises.
Le délai moyen de prise des décrets pour les lois votées lors de la session 2016-2017 est en diminution : il est de cinq mois et dix jours, contre six mois et vingt-deux jours pour la session 2015-2016. Toutefois, encore 30 % des décrets pris le sont plus de six mois après la promulgation de la loi, dont 6 % plus d’un an après ladite promulgation.
En outre, le délai de prise des décrets d’application est supérieur à celui du vote de la loi selon la procédure accélérée : cinq mois et six jours, soit 158,5 jours, sont en moyenne nécessaires pour les décrets d’application, contre 145 jours pour l’adoption de la loi selon la procédure accélérée.
On peut ainsi s’interroger sur le recours toujours plus accru à cette procédure accélérée, face à une lenteur supposée de la procédure législative : en définitive, le Gouvernement a besoin d’un délai supérieur pour prendre les textes d’application – et encore, il publie seulement une partie des textes prévus.
La période de référence comprend également deux lois de la nouvelle législature appelant des mesures d’application : les deux lois de septembre 2017 relatives à la confiance dans la vie politique. L’ensemble des décrets d’application de ces lois ont été pris.
En outre, les éléments transmis par M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, pour les lois votées depuis le 1er octobre 2017 témoignent d’un engagement fort du nouveau gouvernement.
À titre d’exemple, il ne reste qu’un décret d’application à prendre pour la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Il pourrait être pris avant la fin du mois de juin. Dans ces conditions, cette loi serait rendue totalement applicable dans un délai de moins de quatre mois.
Ce début de XVe législature est donc porteur d’espoir, et nous espérons qu’il annonce une prise de mesures d’application plus complète et plus rapide pour cette nouvelle législature.
Malheureusement, il reste un certain nombre de points noirs. Je n’en citerai qu’un, le trop faible nombre de rapports du Gouvernement remis, et ce malgré nos remarques réitérées chaque année.
Les rapports dits de « l’article 67 », qui doivent être déposés dans un délai de six mois suivant la date de promulgation de chaque loi et permettent de suivre son application, sont très peu remis : on en dénombre 5, seulement, sur les 26 lois de la session appelant des mesures d’application.
Les rapports demandés par le Parlement au Gouvernement dans le cadre d’une loi sont aussi trop rarement remis. Au cours de la session 2016-2017, près de 70 rapports au Gouvernement ont été demandés, dont 48 devaient être remis avant le 20 mai 2018. Or le taux de remise de ces rapports n’est que de 25 %.
Le Sénat est pourtant loin de faire un usage systématique de telles demandes ; il se prononce souvent contre les demandes de rapports qui ne sont pas susceptibles de lui apporter des informations substantielles. Dans ces conditions, il souhaite pouvoir disposer des documents dont le dépôt a été prévu par la loi.
Certains rapports sont remis avec un retard important. Dans d’autres cas, sans aucune explication, ces rapports sont prêts, mais ne sont pas transmis. Par ailleurs, certains rapports ne sont pas transmis officiellement au Parlement, au motif qu’ils sont rendus publics. Or le processus de transmission établi permet notamment de garantir une information rapide des parlementaires sur l’existence de ces rapports.
Mais le présent bilan ne saurait faire abstraction des discussions en cours sur une prochaine révision constitutionnelle. Nous nous sommes ainsi intéressés aux ordonnances, établissant ce constat : l’argument de la célérité de l’ordonnance comme véhicule normatif est à relativiser.
Le délai moyen de prise de l’ordonnance, calculé comme le temps constaté entre la demande d’habilitation et la prise de l’ordonnance, est de 571,5 jours – pour 4 ordonnances, il dépasse 1 000 jours. Ce délai est trois fois plus élevé que le délai moyen nécessaire pour le vote d’une loi pendant la session 2016-2017, qui représente 196 jours.
En outre, l’ordonnance peut elle-même nécessiter des décrets d’application, de nouveaux délais venant alors s’ajouter aux premiers, déjà importants.
Je rappellerai ici le contrôle qui vient d’être mené, au sein de la commission des affaires économiques, sur la loi du 1er juin 2016 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour réformer Action logement. Alors que l’ordonnance a été adoptée rapidement, dans un délai de quatre mois et demi, le comité des partenaires du logement social, dont la création est prévue par l’ordonnance, n’est toujours pas installé, plus d’un an après la mise en œuvre de la réforme, faute d’adoption des décrets relatifs à sa composition et à son fonctionnement.
Or cette structure est fondamentale, car elle est censée jouer un rôle de vigie, qu’elle est seule à pouvoir remplir, au regard des orientations et de la distribution de la participation des employeurs à l’effort de construction entre les organismes et entre les territoires.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Gouvernement compte-t-il prendre le ou les décrets concernant le comité des partenaires du logement social ?
Je terminerai cette présentation en évoquant les propositions en matière d’application des lois émises par le groupe de travail du Sénat mis en place dans la perspective de la révision constitutionnelle.
Parmi ces propositions, figure la création d’un nouvel article 37-2 obligeant le Gouvernement à prendre les mesures générales d’application des lois. En outre, sur le modèle de la saisine du Conseil constitutionnel, il est proposé de permettre aux présidents des deux assemblées, ainsi qu’à une soixantaine de députés ou une soixantaine de sénateurs de saisir le Conseil d’État en l’absence de publication des mesures réglementaires d’application d’une loi dans un délai raisonnable.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, notre institution est très attachée à l’application effective des lois que nous votons.
M. le président. Merci, madame la présidente. Il y a, dans votre rapport, quelques chiffres à méditer ; de cette méditation doivent sortir des solutions !
La parole est à M. le secrétaire d’État, pour cinq minutes. Nous commençons à nous habituer, y compris le Gouvernement ! (Sourires.)
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, madame la présidente Valérie Létard, mesdames, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir pour ce premier exercice annuel, en cette législature, de bilan et de dialogue sur l’application des lois.
Vous l’avez dit, monsieur le président, madame la présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, l’application des lois n’est pas une question technique. C’est d’ailleurs la raison de cette initiative et de cette volonté affirmée du Sénat. Il s’agit – je le pense profondément – d’un paramètre important de l’action gouvernementale comme de l’exigence du législateur, en tant que contributeur à l’exercice de la loi.
Chacun ici le sait, une loi qui ne serait pas appliquée ne produirait pas tous les effets annoncés et attendus. Elle se limiterait à l’intention, à l’incantation. Or nos concitoyens ont aujourd’hui une exigence d’efficience, parfaitement légitime, et vous êtes évidemment dans votre rôle en relayant cette exigence.
Je sors un instant de mon texte pour dévoiler une information que je ne devrais sans doute pas dévoiler. Le Président de la République a organisé la semaine dernière un séminaire gouvernemental, comme le font les présidents de la République, et l’un des sujets à l’ordre du jour de ce séminaire était justement celui de l’application des lois.
J’ai donc dû plancher devant les membres du Gouvernement, sans doute pour rappeler les principes que vous avez vous-mêmes portés, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi – tout comme dans votre bilan, nous avons réduit notre réflexion à six mois – pour signaler les quelques retards qui peuvent exister, tout en saluant – vous l’avez fait, j’y reviendrai – une bonne exécution sur ces six premiers mois.
Il est essentiel de se prêter à un tel exercice. Il faut même aller un peu plus loin, et constater que les retards dans l’exécution peuvent parfois être liés à l’adoption d’amendements parlementaires. Il se pourrait que notre administration soit alors moins attentive à mettre en œuvre des initiatives parlementaires que des dispositions déjà présentes dans le texte du Gouvernement, qu’elle soutient. Ce suivi est donc important.
Je tiens vraiment à vous remercier, et à remercier les présidents de commission, pour le travail exhaustif que vous effectué, ce recensement minutieux qui nous sert aussi. C’est un outil précieux, qui nous permet de confronter nos données aux vôtres et d’objectiver un certain nombre de constats, lesquels peuvent même conduire à des interpellations politiques – mais je laisserai cet exercice au président du Sénat. (Sourires.)
Bien que les méthodologies de calcul en matière d’évaluation de l’application des lois – vous l’avez dit, madame la présidente – diffèrent légèrement, quoiqu’à la marge, les résultats du Sénat et du Gouvernement vont dans le même sens. On constate une diminution constante du délai moyen d’application des lois, qui est passé de six mois et vingt-deux jours en 2015-2016 à cinq mois et dix jours en 2016-2017, et le maintien à un niveau élevé du taux d’application pour la session 2016-2017, à 75 %.
Ces constats positifs s’ajoutent à celui d’un taux d’application élevé des lois votées sous la XIVe législature, qui atteint 93,5 % au 22 mai 2018. Je note en outre que les taux d’application des projets et des propositions de loi sont proches : ils s’élèvent respectivement à 95 % et 91 % – c’est un bon indicateur.
Le Gouvernement entend évidemment rester mobilisé pour assurer l’effectivité des mesures que vous votez et je vous donne acte, madame Létard, des propos par lesquels vous avez qualifié de « prometteur » le début de la XVe législature.
Mais je voudrais témoigner du fait que tous les Premiers ministres, en prenant leurs fonctions à Matignon, commencent par produire une circulaire pour rappeler que toute norme nouvelle devra être compensée par la suppression d’une norme existante. Le Premier ministre, Édouard Philippe, a été plus ambitieux encore : pour toute norme nouvelle, a-t-il dit, il faut en supprimer deux.
J’ai pu noter que le secrétaire général du Gouvernement avait donné à cette règle le sens d’une injonction comminatoire : il y veille ! Dans certains cas, il a su bloquer des décrets pour obliger les cabinets ministériels, et les ministères, à entrer dans cette logique et à travailler d’abord sur l’efficience de l’exécution, avant d’imaginer produire de nouvelles normes. Ces pratiques vont, me semble-t-il, dans le bon sens.
Outre l’organisation de réunions interministérielles pour chaque loi nouvelle, le suivi de l’application des lois fait toujours l’objet de communications en conseil des ministres. Je ferai de nouveau une communication spécifique sur ce sujet le 4 juillet prochain, soit, conformément à la demande que j’ai formulée auprès du Premier ministre, après notre rencontre de ce jour.
Par ailleurs, nous organiserons en septembre un comité interministériel de l’application des lois, avec le secrétaire général du Gouvernement et l’ensemble des directeurs de cabinet des membres du Gouvernement, pour maintenir la pression.
Nous sommes en effet convaincus, comme vous, qu’un déficit de pression pourrait susciter, sur ces questions, quelque relâchement – il nous faut donc faire preuve de vigilance.
À cette occasion, je ne manquerai pas de souligner l’importance d’entreprendre une action résolue afin que les rapports au Parlement, qu’il s’agisse des rapports dits « de l’article 67 » ou des rapports demandés par le Parlement, soient remis dans les formes. J’ai entendu votre message.
Vous m’avez interpellé, madame la présidente, sur d’autres sujets, qui devraient revenir au cours du débat. Si vous me le permettez, je ne les traite pas immédiatement ; à supposer que je n’aie pas l’occasion, pendant notre discussion, de revenir complètement sur l’une ou l’autre de vos demandes, s’agissant notamment des ordonnances ou du comité des partenaires du logement social, je le ferai à l’issue du débat, afin de respecter mon temps de parole et d’éviter ainsi de me faire gronder par le président du Sénat. (Sourires.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum et que le Gouvernement peut, s’il le souhaite, répondre à chaque orateur pour une durée équivalente.
Je vais tout d’abord donner la parole aux présidents des commissions ou à leurs représentants.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur les 18 lois dont l’application est suivie cette année par notre commission, nous n’en comptons que 6 totalement applicables, dont seulement 3 – je dois le dire – d’application directe. Cette année encore, aucune loi n’apparaît, et c’est heureux, comme totalement inapplicable.
Plus particulièrement, l’examen de l’application des lois d’août 2015 relative à la transition énergétique et de février 2017 ratifiant les ordonnances relatives à l’autoconsommation d’électricité me conduit à déplorer l’absence d’application réglementaire de deux mesures en faveur des consommateurs en situation de précarité énergétique.
La première a trait à la mise à disposition d’afficheurs déportés, qui permettraient aux consommateurs possédant déjà un compteur communicant de consulter en temps réel leurs données de consommation. Deux arrêtés sont annoncés pour les prochains mois. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous être plus précis sur le calendrier et les modalités de déploiement de ces afficheurs ?
La seconde mesure est certes plus ponctuelle, mais non moins essentielle pour ses bénéficiaires : elle concerne l’accompagnement des consommateurs aux revenus modestes qui devraient remplacer un équipement en cas de changement de la nature du gaz distribué – tel sera le cas dans le nord de la France.
Faute d’avoir pu introduire lui-même une aide pécuniaire dans la loi, le Sénat avait demandé un rapport, que le Gouvernement n’a pas remis au Parlement. Là encore, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire où en est la mission confiée à pas moins de trois corps d’inspection pour étudier les différentes options juridiques et financières et pour définir les contours de cette aide ? Je le redis, le temps presse !
Je n’évoquerai pas ici la loi de juin 2016 réformant Action logement, sinon pour préciser que je partage toutes les interrogations de notre collègue Valérie Létard. Puisque vous nous y invitez, je réitère sa question sur la mise en place des outils de gouvernance, notamment du comité des partenaires du logement social, seul lieu où les élus peuvent siéger.
Pour finir, je tiens à insister sur la défaillance constante dont fait preuve l’administration en matière de remise de rapports.
Les chiffres sont éloquents : un tiers des rapports de l’article 67 attendus par notre commission ont été établis par le Gouvernement.
Certains rapports au Parlement restent sur le bureau des ministres, comme celui, demandé à l’article 32 de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, qui concerne la mise en œuvre d’un statut unique pour les établissements et services de la veille sociale, de l’hébergement et de l’accompagnement. Depuis le début de l’année 2017, ce rapport est sur le bureau du ministre chargé du logement – et, vous le savez, nous avons pour ce dernier, au Sénat, une affection spéciale.
D’autres rapports, notamment du Conseil général de l’environnement et du développement durable, ne sont pas officiellement transmis au Parlement, au motif qu’ils sont rendus publics. Nous le regrettons : leur transmission officielle constitue une marque de respect et un témoignage d’élégance à l’égard du Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, comment expliquez-vous de tels retards ? Pourquoi les procédures de transmission ne sont-elles pas respectées ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Madame la présidente de la commission, vous avez regretté l’absence d’une pleine application de la mesure relative aux afficheurs déportés.
La mise en place de ces dispositifs était effectivement prévue au I de l’article 28 de la loi que vous avez citée. Trois arrêtés devaient être publiés. Ces trois arrêtés sont aujourd’hui rédigés, mais une évaluation du coût du dispositif par le ministère de la transition écologique et solidaire est en cours. C’est sur le fondement de cette évaluation qu’ils seront publiés. Nous allons relancer la demande, pour pouvoir avancer sur ce sujet.
Sur l’aide au remplacement d’un équipement en cas de changement de la nature du gaz distribué, vous aviez effectivement demandé un rapport. Ce rapport a été confié à trois corps d’inspection, qui sont en train d’étudier les différentes modalités, explorant les options juridiques et financières possibles. Ce travail vous sera communiqué.
Vous avez raison, globalement, sur les retards dans la remise des rapports au Parlement. La situation actuelle n’est pas satisfaisante – cela a été rappelé, je n’en disconviens pas. Comme je l’ai dit, j’aurai l’occasion, lors d’un prochain comité interministériel sur l’application de la loi, de faire un rappel à l’ordre sur ce portage nécessaire.
Je profite des quelques secondes qu’il me reste pour répondre rapidement sur un sujet que je n’ai pas abordé, sur lequel vous m’avez relancé : celui du comité des partenaires du logement social.
Il faut avoir en tête que ce comité relève d’un décret d’application prévu par l’ordonnance du 20 octobre 2016 relative à la réorganisation de la collecte de la participation des employeurs à l’effort de construction.
La difficulté que nous rencontrons aujourd’hui est la suivante : si 4 mesures, sur les 9 prévues, ont été appliquées, cette ordonnance est en cours de ratification dans le cadre du projet de loi ÉLAN portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dont l’examen pourrait en bouleverser quelques équilibres.
Il ne s’agit donc pas d’une ratification « sèche ». Dans le cadre dudit projet de loi, quelques modifications seront apportées à l’application et aux dispositions de l’ordonnance, ce qui explique le retard partiel et une volonté de suspension sur certains sujets.
Cette explication ne vaut pas spécifiquement pour le comité des partenaires du logement social, mais il est vrai que la mobilisation des services sur la préparation de la loi ÉLAN leur a fait un peu lever le pied pour engager, justement, une approche plus globale. Si, au terme du vote du projet de loi ÉLAN, le législateur valide le dispositif, il faudra que nous soyons vigilants pour ne pas repartir dans six mois d’attente.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Du point de vue de notre commission, l’application des lois est globalement satisfaisante, en dépit d’un certain nombre de retards dans la publication de décrets, dont le détail se trouve dans le rapport écrit.
Néanmoins, je vais de nouveau, comme chaque année – mon prédécesseur le faisait –, formuler ce qui devient une plainte récurrente. À force de nous répéter, peut-être finirons-nous par avoir satisfaction…
Cette année pas plus que les précédentes, en effet, nous n’avons reçu le bilan annuel, politique, opérationnel et financier des opérations extérieures, ou OPEX, – cette affaire est évidemment très importante – que le Gouvernement devrait nous transmettre en application de l’article 4 de la loi de programmation militaire de 2013. Nous le réclamons chaque année. Il y a trois ans, notre commission a même été obligée de se substituer au Gouvernement pour évaluer les efforts consentis.
Nous souhaitons vivement que le Gouvernement remplisse son obligation. Pourquoi ? Je rappelle brièvement la procédure : en application de l’article 35 de la Constitution, c’est le chef de l’État qui engage les opérations extérieures au titre de chef des armées, ce qui est bien naturel ; puis, le Parlement doit être informé, par tout moyen, dans les trois jours ; lorsque la durée de l’opération excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement.
Mais une fois que le Parlement a voté, l’autorisation est éternelle : elle peut durer des années. Nous sommes donc privés d’un contrôle normal des OPEX.
Or je rappelle que, dans les documents budgétaires, l’enveloppe s’élève à 400 millions d’euros et que la réalité des chiffres est supérieure au milliard. C’est pourquoi le Parlement doit pouvoir contrôler annuellement le déroulement des OPEX.
J’observe, du reste, que seules quatre opérations sont achevées sur l’ensemble des opérations extérieures. Les autres mobilisent des effectifs nombreux de nos forces armées, qu’elles exposent dans leur vie et dans leur sécurité, et des crédits très importants.
Il est normal de pouvoir programmer, chaque année, un débat avec le Gouvernement sur le déroulement de ces opérations extérieures. Profitons de la loi de programmation militaire – la LPM – qui sera, je l’espère, exécutée le plus scrupuleusement possible, puisqu’elle a été votée très largement par notre assemblée.
Je souhaite que nous puissions bénéficier de ce rapport sur les OPEX. C’est un point très important à la fois pour le dialogue et pour que nous sachions exactement dans quelles conditions sont engagées nos forces armées sur des terrains excessivement dangereux.
J’ai donc voulu, cette année, focaliser mon propos sur ce point particulier, qui est celui qui nous préoccupe le plus.
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Je vous remercie de cette interpellation, monsieur le président de la commission, et je ne ferai pas de réponse fuyante.
S’agissant du bilan des opérations en cours, qu’elles soient extérieures ou intérieures, il est traditionnel de communiquer sous forme d’audition devant les commissions compétentes, et ce pour des raisons que chacun comprendra.
Mme la ministre des armées a présenté un bilan devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 28 novembre 2017, puis s’est exprimée devant la commission de la défense le 8 mars 2018.
Vous avez raison, il convient de se méfier des autorisations éternelles : l’éternité fait toujours courir un risque, surtout dans la vie politique !
Il serait utile que la ministre, qui y est tout à fait disposée, vienne s’exprimer devant vous. Je sais qu’elle a apprécié les débats ayant eu lieu dans votre hémicycle lors de l’examen de la LPM. Elle est prête à venir présenter le bilan annuel politique et opérationnel des OPEX, à votre convenance, dans un cadre un peu différent de celui-ci.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Je prends acte des déclarations positives de M. le secrétaire d’État. Néanmoins, le Gouvernement fournit beaucoup plus d’éléments dans un rapport qu’il n’en livre au cours d’une audition, laquelle, par définition, est limitée dans le temps. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un premier pas. J’espère qu’à l’avenir, nous irons vers une plus stricte application de la LPM.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales, dans la période concernée, est touchée par 6 lois, qui appelaient 75 mesures réglementaires : 53 ont été prises.
Parmi celles qui ne l’ont pas été, deux concernent particulièrement la commission des affaires sociales.
Premièrement, les pratiques avancées des professionnels paramédicaux prévues par l’article 119 de la loi de modernisation de notre système de santé sont essentielles pour l’évolution des prises en charge des patients, surtout dans un contexte de désertification sanitaire de plus en plus prégnante. L’application de cet article dépend évidemment de négociations qui paraissent difficiles. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer l’état d’avancement de ces négociations et les principaux termes de celles-ci ?
Deuxièmement, notre responsabilité est grande sur la question de l’amiante. Le repérage amiante avant travaux, pour lequel un décret a été pris, n’est toujours pas effectif, faute des arrêtés nécessaires. C’est un problème de santé publique extrêmement important. Quel est, monsieur le secrétaire d’État, l’avancement de ce dossier ?
Mon intervention ayant été courte, j’attends des réponses courtes, mais précises de la part du Gouvernement…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Concernant l’article 119 de la loi de modernisation de notre système de santé, le déploiement de la pratique avancée pour les auxiliaires médicaux fait partie des priorités du Gouvernement et des élus. Tous les sénateurs ici présents – du Vaucluse, des Alpes-de-Haute-Provence ou des autres départements – savent combien c’est important.
Le Premier ministre a décidé de prioriser, dans un premier temps, la pratique avancée pour la profession d’infirmière, en fixant comme objectif une entrée en formation dès la prochaine rentrée universitaire.
Le dispositif réglementaire est composé d’un décret en Conseil d’État et de deux arrêtés définissant le périmètre de compétence du futur cadre infirmier en pratique avancée, et ses conditions d’exercice. L’ensemble des textes d’application devrait être publié au début du mois de juillet pour préparer au mieux la rentrée et permettre, comme je l’indiquais, à une première promotion d’infirmières de pratique avancée, ou IPA, de commencer sa formation dès septembre 2018.
En ce qui concerne la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, 6 arrêtés seront nécessaires pour l’application complète du dispositif de repérage de l’amiante avant travaux, dont l’entrée en vigueur était prévue au plus tard au 1er octobre 2018.
Votre alerte va dans le bon sens. Il est nécessaire que l’on puisse progresser sur ce sujet et le Gouvernement est mobilisé en ce sens. Aujourd’hui, seul l’arrêté concernant le domaine des immeubles bâtis devrait respecter cette date butoir. Je l’avoue, et j’assume la part de reproches que vous pourriez nous adresser : nous ne sommes pas en mesure de procéder à l’application complète du dispositif de repérage de l’amiante avant travaux. Mais le secteur des immeubles bâtis représente à lui seul 80 % des opérations de traitement de l’amiante, soit environ 20 000 chantiers par an.
Nous aurons donc un petit décalage. L’objectif est de respecter l’échéance pour 80 % des opérations, mais évidemment sans abandonner les 20 % restants, le Gouvernement y veillera.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Puisque M. le secrétaire d’État a fait allusion à la Provence, je lui signale qu’il existe à l’heure actuelle une volonté forte de la part des facultés de médecine de prendre en charge les écoles d’infirmière, ce qui ne me semble pas obligatoirement une bonne solution. Attention, donc !
M. Gérard Dériot. Très juste !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. La commission de la culture a été saisie d’un très petit nombre de textes législatifs au cours de la session écoulée. Sur 5 textes, 3 étaient des propositions de loi d’origine sénatoriale, émanant de trois groupes différents. C’est à leur sujet, monsieur le secrétaire d’État, que je souhaiterais aujourd’hui vous interroger.
Plus d’un an après leur promulgation, la loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat et la loi visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs ne sont pas encore complètement appliquées.
S’agissant de la loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français, il faudrait préalablement qu’un décret fixe la liste des formations dans lesquelles l’admission en seconde année du deuxième cycle conduisant au master peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Chacun ici est bien conscient des raisons pour lesquelles le Gouvernement a souhaité d’abord s’attaquer au chantier de l’orientation des étudiants, mais ne perdons surtout pas de vue la mise en œuvre de la sélection lors de la poursuite des études.
S’agissant de la loi visant à préserver l’éthique du sport, plusieurs textes manquent encore pour son application. Je pense, notamment, au décret relatif au droit à l’image des sportifs. Après une période d’hésitation, voire de réticence, j’ai cru comprendre que ce texte était désormais sur les rails. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus, monsieur le secrétaire d’État, et nous apporter des précisions ?
Au-delà de ces deux textes qui ont été adoptés lors de la session 2016-2017, nous nous félicitons de la parution de la quasi-intégralité des mesures d’application de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, pour laquelle le Sénat a joué un rôle important – le texte avait été voté pratiquement à l’unanimité en juillet 2016.
Par-delà le décompte des mesures réglementaires, je regrette qu’il existe parfois un décalage entre la volonté du législateur et la mise en œuvre de la loi. Je pense, par exemple, au permis de faire ouvert en matière d’urbanisme à titre expérimental, que le nouveau gouvernement a souhaité généraliser avant même la mise en place de l’expérimentation. Ce choix politique différent est, bien sûr, le signe de notre vie démocratique…
En revanche, le décret relatif au service public d’archives datant de mai 2017 laisse entière la définition du service public des archives, renvoyée bien sûr au décret lors de nos débats parlementaires. Mais nous avions souhaité, à l’époque, que soient établis des critères précis.
Enfin, je dirai un mot sur le manque de parution de rapports. Certains sont attendus parfois depuis plusieurs années. Je constate avec regret que ce retard traduit simplement, dans un trop grand nombre de situations, une méconnaissance, encore une fois, de la volonté du législateur.
C’est le cas pour les emplois de docteur dans les corps de fonctionnaires de catégorie A. Mais j’allais dire ironiquement : nul besoin de rapport à ce sujet puisqu’aucune mesure d’application de cette disposition de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche n’a jusqu’à présent été prise !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Pour la rentrée 2018, le projet de décret relatif au diplôme conférant le grade de master et modifiant l’article évoqué est dans le circuit des contreseings depuis le 4 mai. Il sera publié très prochainement afin que sa mise en œuvre soit effective pour la prochaine rentrée.
S’agissant de la loi du 1er mars 2017 visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs, un certain nombre de sujets ont été soulevés : l’exploitation commerciale de l’image, du nom, de la voix du sportif ou de l’entraîneur professionnel susceptible de donner lieu au versement de redevances. Tout cela a fait l’objet d’une concertation dématérialisée, qui s’est terminée le 18 avril dernier. Le dossier est désormais sur le bureau du Premier ministre et donnera lieu rapidement à un arbitrage sur le coût du dispositif pour les finances publiques.
S’agissant de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, vous avez bien noté, madame la présidente de la commission, que le permis de faire, proposé à titre expérimental, était devenu la règle.
Pour ce qui est de la définition de la notion de service public d’archives, le décret prévoit qu’un « service public d’archives a pour missions de collecter, de conserver, d’évaluer, d’organiser, de décrire, de communiquer, de mettre en valeur et de diffuser des archives publiques ». C’est sur cette base que nous devons travailler.
Vous avez enfin cruellement rappelé le retard accumulé dans la production des rapports gouvernementaux. C’est effectivement le cas de celui que vous évoquez, ce qui m’amène, hélas ! une fois encore, à reconnaître une part de responsabilité.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Je vous remercie de ces réponses.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Le bilan d’application des lois suivies par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est, cette année, contrasté.
Certaines grandes lois du dernier quinquennat, en particulier la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, sont presque totalement applicables, ce qui est un motif de satisfaction.
En revanche, pour les lois de la session 2016-2017, le bilan est loin d’être satisfaisant puisque, sur les 39 mesures d’application prévues, seules 13 ont été prises au 31 mars dernier, soit un taux d’application de 33 %. De plus, seulement 23 % de ces mesures avaient été prises dans les six mois suivant la promulgation.
Plus grave encore, l’État a récemment été condamné, à deux reprises, par le Conseil d’État pour n’avoir pas pris certaines mesures d’application de la loi Grenelle 2, qui date de 2010. Il s’agit de mesures concernant la pollution lumineuse. Dans une décision du 28 mars, le Conseil d’État a enjoint le Gouvernement de respecter ces dispositions et de prendre dans un délai de neuf mois les arrêtés nécessaires, sous peine d’une astreinte de 500 euros par jour.
Sur la biodiversité, dans une décision du 9 mai, le Conseil d’État a aussi ordonné au Gouvernement d’édicter dans un délai de six mois un décret fixant la liste des habitats naturels à protéger. Cette injonction est également assortie d’une astreinte de 500 euros par jour.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, quand ces mesures d’application seront prises ? Au-delà, quelles sont les raisons d’un tel retard ?
De manière plus générale, sur les 28 lois relevant des domaines de compétence de la commission adoptées au cours des dix dernières années et prévoyant des mesures d’application, 10 nécessitent encore une ou plusieurs mesures réglementaires.
Enfin nous constatons, comme chaque année, que plus de la moitié des rapports demandés au Gouvernement dans des dispositions législatives n’ont pas été remis au Parlement. En particulier, 5 des 6 rapports prévus dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages n’ont pas été établis dans les délais prévus. Où en sommes-nous ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Vous avez évoqué, monsieur le président de la commission, les retards sur la loi Grenelle 2 et le risque de sanctions par le Conseil d’État à l’encontre du Gouvernement.
J’ignore si la pression que le Parlement fait aujourd’hui peser sur moi, et que je répercuterai sur les autres membres du Gouvernement, sera plus efficace que celle qu’exerce le Conseil d’État. En tout état de cause, vos deux actions conjuguées devraient conduire à davantage d’efficacité.
Vous m’avez interrogé sur quelques sujets ciblés, notamment sur la lutte contre la pollution lumineuse. L’arrêté est en cours d’élaboration pour que la consultation du public ait lieu en septembre, avant celle du Conseil national d’évaluation des normes et du Conseil national de la protection de la nature. Notre objectif est de publier les arrêtés avant la fin de cette année, ce qui nous permettra d’éviter l’astreinte que vous avez rappelée.
Vous avez évoqué les rapports demandés au Gouvernement dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Je me félicite du taux d’application de ce texte – 80 % –, alors même que le nombre des articles avait doublé durant la navette parlementaire. N’oublions pas, je l’ai rappelé, que les services peuvent éprouver une certaine réserve face à des propositions n’émanant pas d’eux.
Bref, si le niveau atteint n’est pas satisfaisant, puisqu’il ne s’établit pas encore à 100 %, il est néanmoins élevé.
Vous m’avez interrogé sur certains rapports en particulier.
Sur le rapport relatif à la conversion de certaines aides publiques monétaires en valeurs d’usage et sur le rapport relatif aux expérimentations menées en matière d’affichage de la durée de vie des produits, nous accusons effectivement un retard beaucoup trop lourd. Je transmettrai votre demande au ministre de la transition écologique et solidaire.
Le rapport sur les broyeurs d’évier, quant à lui, a nécessité une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME ; il est en cours de validation.
Le rapport sur l’impact économique de l’interdiction des sacs plastiques devrait pouvoir être remis d’ici à la fin du deuxième semestre 2018, tout comme le rapport sur le principe de la réversibilité du stockage des déchets, qui devrait également vous être remis avant la fin de cette année.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas répondu à ma question sur le décret devant fixer la liste des habitats naturels à protéger. J’imagine que sa publication ne saurait plus tarder…
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Tout à fait ! Il s’agit d’une injonction du Conseil d’État et nous avons obligation de le publier avant le 9 novembre 2018. Nous avons six mois pour éviter à la fois l’astreinte du Conseil d’État et les foudres du Sénat, et nous nous tiendrons à ce délai !
M. le président. Bien évidemment, et conformément à notre mission de contrôle, nous vérifierons l’an prochain que les engagements pris auront été tenus.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. La commission des finances constate cette année un taux de mise en application des lois promulguées de 83 %, supérieur à celui de la session précédente, qui n’était que de 76 %. Elle note également des délais en amélioration : alors que, l’an passé, moins de 30 % des mesures d’application avaient été prises dans le délai de six mois, ce taux dépasse 65 % cette année.
Dans l’ensemble, les textes réglementaires attendus ont été publiés et sont conformes à leur objet, ce qui est un motif de satisfaction.
Cependant, nous ne pouvons bien évidemment pas nous contenter de vérifier si les décrets et arrêtés sont pris dans l’année suivant la promulgation des lois, puisque certaines dispositions législatives nécessitent une mise à jour régulière de leurs mesures d’application.
Je citerai, à cet égard, deux exemples.
Tout d’abord, en application de l’article 238-0-A du code général des impôts, la liste des États et territoires non coopératifs doit être actualisée au moins une fois chaque année, ce qui n’a pas été le cas depuis avril 2016 et l’affaire dite des « Panama papers ». Le Gouvernement entend-il mettre à jour cette liste, comme le prévoit la loi, sans attendre qu’une nouvelle affaire conduise à des révisions en urgence ?
Ensuite, l’article R. 304-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit que le classement des zones tendues, qui emporte des conséquences importantes dans l’application des politiques du logement, notamment pour les dispositifs fiscaux intéressant notre commission, soit révisé au moins tous les trois ans. Or sa dernière révision date du 30 septembre 2014, voilà plus de trois ans et demi. Le Gouvernement entend-il faire quelque chose ?
Enfin, la commission a pu constater que l’ensemble des mesures d’application de l’article 60 de la loi de finances pour 2017 introduisant le prélèvement à la source pour l’impôt sur le revenu ont été prises dans le délai de six mois suivant la promulgation de la loi. Toutefois, alors que l’entrée en vigueur de cette disposition est désormais toute proche, des instructions fiscales semblent encore nécessaires pour préciser notamment certaines dispositions transitoires. À quelle échéance toutes les mesures d’application seront-elles prises ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Effectivement, le code général des impôts prévoit que la liste des États et territoires non coopératifs soit actualisée au moins une fois par an. C’est important. Or cela n’a plus été fait, comme vous l’avez rappelé, depuis avril 2016.
Cette liste sera actualisée sur la base de l’adoption du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, déposé sur le bureau de la Haute Assemblée, et qui fixera les nouveaux critères d’identification de ces États. Ainsi, nous actualiserons et étendrons la liste nationale actuelle, en tenant compte de la liste noire européenne.
Une mise à jour immédiate, destinée à s’appliquer pendant un laps de temps aussi court, ne serait pas utile. Mais après l’adoption de ce projet de loi, qui devrait intervenir rapidement, il faudra que nous puissions procéder à cette actualisation le plus vite possible.
En ce qui concerne la mise à jour du classement des zones tendues, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur la pertinence des zonages. Cela sera fait au mois de septembre. C’est à la lumière de ce rapport et des débats qu’il suscitera au sein du Parlement que s’opérera la mise à jour. Elle pourrait intervenir avant l’adoption définitive du projet de loi de finances, pour répondre aux sollicitations du président Éblé.
Enfin, en ce qui concerne l’échéancier de parution des instructions fiscales sur le prélèvement à la source, l’objectif de publication est fixé à la fin du mois de juin 2018.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Dont acte !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le secrétaire d’État, quand après plus d’une année, encore 28 % des textes d’application des lois ne sont pas pris – et c’est le cas pour les textes concernant la commission des lois –, même s’il s’agit d’un progrès, on ne peut se dire satisfaits, ou alors c’est que l’on se contente de peu. Le seul chiffre acceptable après un tel délai serait bien sûr 100 % ! Ne croyez-vous pas que le Gouvernement a encore un très gros effort à fournir ?
Par ailleurs, vous avez admis très justement que le Gouvernement subissait, pour la publication des décrets, le pouvoir d’injonction sous astreinte du Conseil d’État et la pression politique que peut exercer le Parlement.
Comme l’a rappelé la présidente Valérie Létard, le Gouvernement serait bien avisé d’accepter, dans la réforme de la Constitution, que les parlementaires puissent saisir le Conseil d’État pour que celui-ci décide éventuellement d’une astreinte. Le propos que vous avez tenu à l’instant laisse bien augurer de l’intention du Gouvernement, mais si vous pouviez préciser votre position de la manière la plus claire, ce serait pour nous réconfortant.
De plus, il y a les aspects quantitatifs, mais il y a aussi les aspects qualitatifs. La loi pour une République numérique a été promulguée le 7 octobre 2016, mais ses deux principales mesures n’ont fait l’objet d’aucun décret d’application et restent donc lettre morte : il s’agit de la « mort numérique » et du principe « dites-le-nous une fois », qui dispense de produire une deuxième fois un document déjà transmis à l’administration.
Enfin, au-delà des décrets d’application, il y a aussi les ordonnances…
Nous avons essayé de faire comprendre au Gouvernement que son idée de banque de la démocratie était parfaitement nébuleuse. C’était un objet politique non identifié. Le Gouvernement a insisté, contre notre avis, pour qu’une ordonnance soit prise avant le 15 juin 2018. Les délais sont explosés et, à moins d’un véritable miracle, vous n’y arriverez pas – il faudrait d’ailleurs que vous saisissiez avant le Conseil d’État.
Que comptez-vous faire pour satisfaire l’exigence de l’ancien garde des sceaux, François Bayrou, et pour que, si cette ordonnance n’est pas prise, un projet de loi soit déposé rapidement ? (Exclamations.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Nous rêvons tous du parfait, monsieur le président de la commission des lois, en l’occurrence du 100 % !
Vous souhaitez que le Parlement puisse saisir le Conseil d’État. Vous aurez ce débat sur les évolutions constitutionnelles avec la garde des sceaux. Je ne doute pas que nous pourrons nous retrouver sur ces questions, car nous partageons cet objectif d’idéal !
En ce qui concerne la loi pour une République numérique, le travail se poursuit au niveau interministériel. Un groupe de travail présidé par Mme Anne Caron-Déglise devrait rendre son rapport au mois de juillet 2018. Nous avons souhaité attendre cette publication, mais celle du décret devrait suivre.
En ce qui concerne l’habilitation à légiférer par ordonnances afin de créer une banque de la démocratie, vous avez raison : quelques retards sont à craindre d’ici au 15 juin. Une mission commune de l’Inspection générale de l’administration, l’IGA, et de l’Inspection générale des finances, l’IGF, a réalisé un travail sérieux pour mesurer l’ampleur du besoin, comme le Gouvernement s’y était engagé dans le cadre des échanges qui ont eu lieu, notamment au Sénat.
Après des auditions et des questionnaires adressés à des milliers de candidats, elle a conclu que le problème résidait moins dans le refus de crédits pour les candidats que dans les délais pour obtenir ces crédits et dans le manque d’information des candidats sur les démarches à accomplir pour obtenir ces prêts. Le besoin semble moins être celui du financement public que d’un accompagnement dans les relations avec les banques.
Nous travaillerons donc à trouver une solution permettant de garantir le financement de la démocratie. Cette solution sera peut-être plus légère que celle qui consiste à créer un établissement bancaire.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je constate, monsieur le secrétaire d’État, que vous me donnez acte de la non-promulgation de l’ordonnance sur la banque de la démocratie. Vous allez rechercher d’autres voies pour atteindre les mêmes objectifs. Je vous souhaite bon courage ! (Nouvelles exclamations.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Il est désormais d’usage que la commission des affaires européennes participe de plein droit au débat annuel sur le bilan de l’application des lois. J’en remercie le président du Sénat et la conférence des présidents. C’est important, car nos collègues sont aussi très attachés à connaître et à évaluer les suites données à leurs travaux en matière européenne.
En l’espèce, que sont devenues les 18 résolutions européennes adoptées par le Sénat entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2017 ? Le rapport que j’avais présenté le 20 février dernier démontre que le Sénat est influent dans les négociations à Bruxelles.
En effet, les positions exprimées dans nos résolutions européennes ont toute leur importance dans les négociations. Dans plus de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte, par exemple sur le plan d’investissement pour l’Europe, sur la réforme d’EUROPOL, sur la coopération policière européenne, sur les perturbateurs endocriniens ou sur le « paquet énergie propre ».
Dans plus de 25 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, notamment sur la phase I de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, la politique commerciale, la simplification du droit européen ou encore l’avenir de la politique agricole commune à l’horizon de 2020.
Je me félicite de cette situation, car nos résolutions européennes ont ainsi une véritable influence sur le contenu des directives et règlements adoptés, et donc, en définitive, sur la législation française qui en résulte. À cet égard, je rappelle également la grande attention que porte notre commission à la surtransposition.
En revanche, j’aurais deux demandes à formuler au Gouvernement.
Premièrement, si nous nous félicitons de la très bonne coopération du secrétariat général aux affaires européennes, nous souhaitons qu’il nous transmette l’année prochaine ses fiches de suivi de façon plus régulière, et plus seulement sur demande, afin que la procédure devienne véritablement banalisée, et que notre dialogue avec le Gouvernement soit fluide et permanent. C’est une demande que nous avions déjà formulée l’an passé.
Deuxièmement, nous apprécions la disponibilité de la ministre chargée des affaires européennes sur le suivi de nos résolutions. Cet exercice pourrait être approfondi par des auditions thématiques de ministres – auditions conjointes avec les commissions compétentes –, pour faire régulièrement le point sur les travaux du Conseil.
Je pense à tous les débats que nous pourrions avoir sur les accords de libre-échange – de plus en plus nombreux –, surtout lorsque ces accords sont classifiés comme des traités simples, c’est-à-dire qu’ils ne repasseront pas devant le Parlement. Or il n’y aurait rien de plus frustrant, le mot est faible, qu’on légifère à Bruxelles sur ces sujets, dont l’incidence se fera sentir sur notre vie au quotidien.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Je vous remercie tout d’abord, monsieur le président de la commission, de vos propos liminaires sur les services avec lesquels vous travaillez.
On ne peut que se féliciter de cette coopération accrue et des bonnes pratiques qui se sont progressivement instaurées, notamment avec le secrétariat général des affaires européennes, le SGAE. Elles permettent, à la fois, de maintenir un dialogue et de mettre en cohérence les positions exprimées par la représentation nationale et celles du Gouvernement dans le cadre de négociations avec nos partenaires européens.
Dans une négociation, il y a toujours le risque que d’autres soient attentifs à nos divergences pour les utiliser contre les intérêts de la France. Ce travail en amont est donc toujours très utile.
S’agissant de la transmission systématique des fiches de suivi des résolutions européennes, je sais que le SGAE veille à une diffusion dans les meilleurs délais, dès que l’accord politique est intervenu au Conseil. Je vous soutiendrai dans cette démarche et je m’en ferai le relais auprès de Mme Nathalie Loiseau.
Pour les autres résolutions, une intervention plus précoce en amont de cet accord politique ne pourrait être que partielle et prudente, étant donné les évolutions possibles du texte jusqu’à la dernière minute des négociations. Il n’empêche que les auditions de ministres sont toujours utiles, pour les ministres eux-mêmes, qui peuvent ainsi entendre les positions des parlementaires, mais aussi pour accompagner la sensibilisation de nos concitoyens sur ces questions. Je ne manquerai pas de relayer votre demande auprès des ministres concernés.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. J’insiste plus particulièrement sur les accords de libre-échange, monsieur le secrétaire d’État. Si le Parlement, en l’occurrence le Sénat, ne peut s’en inspirer très en amont pour définir plus finement le cahier des charges qui sera utilisé par Mme Cecilia Malmström pour négocier avec nos partenaires – je pense notamment à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande –, alors il sera privé de tout débat en la matière. En effet, seul le Parlement européen aura la latitude, dans un traité simple, de valider ou non la proposition d’accord de libre-échange.
M. le président. Je vais maintenant donner la parole aux représentants des groupes.
Dans la suite du débat interactif, la parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les présidents de commissions, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Valérie Létard pour la qualité de son rapport.
J’aborderai deux sujets.
Le premier est le problème de l’inflation législative.
Ainsi, pour ce qui concerne la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, le nombre des articles est passé de 15, dans le projet de loi initial, à 148 dans le texte final.
Autre exemple de prolifération normative : la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est passée de 54 à 115 articles, avec l’insertion de 55 articles additionnels par l’Assemblée nationale en première lecture, dont les deux tiers sur l’initiative du Gouvernement.
Nous nous interrogeons donc sur l’attitude du précédent gouvernement, qui a consisté à parasiter la discussion de ses propres projets de loi par des dizaines d’amendements préparés ou acceptés, hélas, à la dernière minute.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est celui de l’argument de la célérité des ordonnances.
Il ressort du rapport d’information que le délai moyen nécessaire pour la prise d’ordonnance, en tenant compte de la procédure législative de vote de l’habilitation, est de 571 jours environ. Le délai moyen des habilitations demandées lors de la session 2016-2017 est de 344 jours environ, 309 jours en excluant les quatre habilitations pour codification, alors que le délai moyen de la procédure législative pour cette même session est de 196 jours.
Le recours aux ordonnances n’entraîne donc pas une effectivité plus rapide de la norme.
Que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d’État, pour que les ordonnances soient un outil vraiment utile et efficace ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Sur l’inflation législative, comme plusieurs intervenants l’ont dit, les torts sont partagés – je ne dirai pas d’un gouvernement à l’autre, car chacun sait quelle est la difficulté…
Je tiens à renouveler notre engagement de maintenir à un niveau élevé le taux d’application des lois, y compris pour les dispositions introduites au cours de la navette, pour lesquelles la rédaction des mesures réglementaires n’a pu, par définition, être anticipée en amont, mais pour lesquelles nous avons la même obligation d’application de la loi, vis-à-vis de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vis-à-vis des Français.
Pour ce qui concerne les ordonnances, il y a en effet de mauvais exemples. Un délai moyen pour la prise d’ordonnance de 571,5 jours vient d’être évoqué. Mais il y a aussi des contre-exemples, comme celui des ordonnances relatives au renforcement du dialogue social : démonstration a été faite qu’elles pouvaient toutes entrer en vigueur avant le 31 décembre. Cet objectif pouvait paraître inatteignable à certains ; nous avons réussi à l’atteindre ! Telle doit être la règle !
L’exigence d’un taux de mise en œuvre le plus élevé possible dans un délai maximum de six mois est une exigence partagée !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet exercice relatif au bilan de l’application des lois est certes un peu austère, mais il revêt une importance particulière. Il s’agit en effet de donner toute sa force au principe de séparation des pouvoirs, de veiller à la crédibilité de l’action publique et surtout, en réponse à la confiance que nos concitoyens nous accordent, de s’assurer que le travail législatif est bien mené jusqu’à son terme.
Je remercie donc tout particulièrement Valérie Létard pour son rapport, qui illustre parfaitement la continuité du travail du législateur. Ce travail s’inscrit dans un temps contraint qui n’est pas toujours correctement perçu, car l’application des lois intervient en dehors du temps médiatique.
Le bilan annuel, comme plusieurs orateurs l’ont noté, fait état d’un taux d’application des lois élevé, de l’ordre de 90 %, voire un peu plus, qui s’inscrivait, l’année de leur examen, dans un contexte préélectoral.
Il est d’usage de dire, lorsque le Gouvernement utilise la procédure d’habilitation à légiférer par ordonnance, qu’il le fait pour des raisons de délais.
Pour une loi d’examen classique, comme la loi dite « Macron » de 2015, dont le champ était particulièrement étendu, l’ensemble du processus, comportant la phase législative et celle de publication des décrets, a été contenu dans un délai de douze à treize mois.
Pour la loi du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, d’un périmètre volontairement plus restreint, la procédure des ordonnances a été utilisée. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le secrétaire d’État, si onze mois après le début de son examen, tous les textes d’application ont bien été publiés ?
Nous notons, d’ailleurs, qu’en établissant des moyennes, on mélange des choses très différentes. En effet, l’importance comme le nombre des décrets et des textes d’application varient beaucoup selon les lois votées.
Même si le travail législatif peut être amélioré et resserré dans un délai plus contraint, tout en conservant les prérogatives parlementaires pour ce qui est des auditions et des amendements, ne pensez-vous pas que les efforts à accomplir en matière de gain de temps doivent aussi porter sur la publication des décrets et autres textes d’application ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Gabouty, ces problématiques ayant déjà été évoquées, je ne peux que confirmer les éléments de réponse, avec leurs forces et leurs faiblesses, que j’ai précédemment apportés.
Lorsque l’on choisit le vecteur des ordonnances pour traduire rapidement une ambition politique forte, on choisit un instrument dont l’efficacité est globalement avérée. J’en veux pour preuve la réforme du droit du travail, que j’ai évoquée, et d’autres nombreux exemples.
Cet usage n’a jamais été fondamentalement mis en cause dans la Constitution de la Ve République. C’est un outil, on le sait, que l’on doit utiliser. Néanmoins, il ne doit pas devenir la règle : il est essentiel de rappeler ce principe démocratique et politique.
Il n’en reste pas moins que, dans certains cas, cet outil a été d’une grande efficacité. Je l’ai rappelé, s’agissant des ordonnances Travail, en moyenne 45 jours se sont écoulés pour la publication des cinq premières ordonnances et l’ensemble du dispositif a tenu dans un cadre de 101 jours. Ensuite, les décrets d’application ont tous été pris avant la fin de l’année, c’est-à-dire trois mois après la publication des ordonnances. Les lois de ratification sont également intervenues très vite. C’était nécessaire, je pense, car c’est un sujet sur lequel il ne faut pas perdre de temps.
J’en viens, plus globalement, au temps des réformes et à la répartition des efforts entre le temps du vote de la loi et celui de l’application de la loi.
Les circulaires publiées de 2008 à 2011 ont fixé leur feuille de route aux différents gouvernements pour l’application des lois, en prévoyant toujours ce délai de six mois. On a pu constater globalement une amélioration dans l’exécution et le respect dudit délai. Quels que soient les responsables gouvernementaux chargés de ce sujet, c’est une préoccupation partagée.
Il nous faut maintenir la pression, non seulement pour que ces délais n’augmentent pas, mais pour qu’ils soient encore réduits. En effet, si le cadre de six mois peut paraître raisonnable, il convient, dans certains cas, d’aller plus vite.
Je le redis, l’attention doit être portée sur les mesures d’application, qu’elles soient d’origine gouvernementale ou parlementaire. Le Gouvernement, tout comme le Parlement d’ailleurs – on le voit bien dans cette maison –, ne relâche pas ses efforts pour la mise en œuvre effective des politiques publiques. Il faut rester vigilant.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Je souhaite revenir un instant sur le sujet des ordonnances, en prenant un autre angle de vision.
On peut bien entendu, si l’on regarde les chiffres bruts, considérer que le délai d’adoption d’une ordonnance est plus long que celui d’une loi. Or cette comparaison est déséquilibrée puisque, par définition, lorsque l’on habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, le texte de l’ordonnance n’est pas écrit.
En réalité, si l’on devait comparer le travail législatif et l’habilitation à légiférer par ordonnance, il faudrait ajouter, pour un projet de loi, le temps de sa préparation administrative. Encore une fois, si on habilite à légiférer par ordonnance, c’est que, par définition, il n’y a pas de texte !
J’ajoute que, dans bien des cas, le recours à l’ordonnance est lié au fait que le sujet sur lequel il faut légiférer est soit d’une grande complexité, soit particulièrement épineux.
Suivons le raisonnement inverse. Choisir de légiférer « en direct » plutôt que d’habiliter à prendre par ordonnance des mesures relevant de la loi, en termes de temps passé et de résultat obtenu, ne serait pas forcément, de façon éclatante, beaucoup plus avantageux… Cela ferait peser, en tout cas, un risque supplémentaire de surcharge sur nos institutions.
Pour rester un instant sur cette question de surcharge, je tiens à faire passer un message à M. le secrétaire d’État : les niveaux de capacité des services juridiques des ministères, qui produisent non seulement les projets de loi, mais surtout les projets de décret et d’arrêté, sont assez variables. Certains ministères, peu outillés, sont quelque peu sous pression lorsqu’ils doivent rédiger des textes importants.
Aussi la mutualisation, c’est-à-dire un service juridique commun à plusieurs ministères ayant à traiter des thématiques voisines – c’est le cas, notamment, pour Bercy et pour l’ensemble « équipement, environnement, logement » – est-elle, à mon avis, une expérience positive.
À cet égard, il convient de souligner le dévouement et les efforts de ces services de production du droit au sein de l’État. Bien que leurs effectifs soient en général peu nombreux et qu’ils soient surchargés de travail, ils font face.
Enfin, je profite de cette occasion pour dire que le secrétariat d’État chargé des relations avec le Parlement joue, lui aussi, un rôle extrêmement utile pour la qualité de la relation entre le législateur et l’administration.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Je serais tenté de répondre simplement que je suis d’accord… (Sourires.)
Pour illustrer ce propos, je citerai l’exemple de l’ordonnance du 2 mars 2017 portant dispositions relatives à l’outre-mer du code de la consommation, qui a nécessité en amont 1 065 jours. Il peut donc se produire en la matière de véritables dysfonctionnements et il est important que nos services puissent se rapprocher pour travailler ensemble.
Ce travail de « partage » est assuré par le secrétariat général du Gouvernement, même si celui-ci n’est pas placé sous l’autorité des assemblées ni même du secrétariat d’État chargé des relations avec le Parlement. C’est le SGG qui doit favoriser ce lien pour permettre une plus grande fluidité.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aimerais évoquer une loi dont l’application a été fulgurante… puisqu’elle a été appliquée avant d’être votée ! Je veux parler de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, le portail Parcoursup a été institué par un arrêté, pris alors que le projet de loi n’était même pas encore en discussion au Sénat. Cet arrêté a ensuite été annulé et remplacé par un arrêté identique portant application de la même loi.
Il y a là une sorte de forgerie qui nous pose problème et qui, par ailleurs, nous prive aussi d’un pouvoir de saisine du Conseil d’État. En effet, l’annulation du premier arrêté rend probablement caduque notre saisine – le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur le fond, mais sa réponse sera sans doute celle-là.
Je connais votre argumentaire, monsieur le secrétaire d’État, vous allez nous dire qu’il fallait absolument éviter le tirage au sort à la rentrée de septembre 2018. Vous savez, comme moi, que le tirage au sort était illégal ; si telle était votre seule intention, il suffisait d’appliquer la loi !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Nous avons déjà eu l’occasion de répondre à cette question.
Ce que je sais, monsieur le sénateur, c’est que, grâce au dispositif Parcoursup, 75 % des candidats bacheliers connaissent aujourd’hui leur destination pour la rentrée de septembre, et c’est une excellente nouvelle.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est la moindre des choses !
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. En effet, voilà un an – il est important d’avoir de la mémoire, ici comme ailleurs ! –, aucun candidat bachelier n’avait d’informations sur cette destination. Aucun ! Nous pouvons donc, mesdames, messieurs les sénateurs, être rassurés sur ce point.
Le dispositif – peut-être illégal – du tirage au sort était de règle depuis de trop longues années, et vous savez quels dégâts il a pu faire.
Le Gouvernement a donc fait le choix de s’adresser aux candidats au baccalauréat et de sortir d’un système inique pour mettre en place un autre système, qui soit le plus efficace possible. Souhaitons collectivement qu’il soit à la fois le plus efficace et le plus juste possible, et qu’il mette un terme à ce scandale démocratique qu’était le tirage au sort.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Vous n’avez pas répondu à ma question sur l’application anticipée de la loi, monsieur le secrétaire d’État.
Par ailleurs, si, l’année dernière à la même date, les candidats au bac n’avaient pas reçu de réponse, c’est tout simplement parce que le portail n’était pas ouvert ! Il a ouvert un peu plus tard… (M. Pierre-Yves Collombat s’amuse.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Je vous le confirme, monsieur le sénateur, je suis moi-même parent d’élève et, l’année dernière à la même date, alors que ma fille passait son bac quelques semaines plus tard, nous étions dans l’incertitude… Mais on peut avoir la nostalgie d’un système qui ne fonctionnait pas !
Je vous ai répondu de façon assez politique en disant que le Gouvernement avait fait un choix, qui n’était pas celui du statu quo.
Nous nous sommes déjà expliqués à plusieurs reprises sur cette question. J’ai moi-même affirmé, dans l’hémicycle du Sénat, notre volonté de ne pas laisser l’incertitude et l’injustice être la règle, tout en acceptant le débat parlementaire.
C’est un choix. On peut le regretter, mais les candidats au bac, notamment celles et ceux qui échapperont au tirage au sort, ne manqueront pas de l’apprécier.
M. le président. Je rappelle que nous discutons du bilan de l’application de la loi… Nous notons que, l’an prochain, nous ferons le bilan de la loi ORE !
La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans les médias, on ne parle aujourd’hui que du projet de loi ÉLAN.
Alors, parlons-en : son article 15 menace la protection du patrimoine et prévoit de transformer l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France, l’ABF, en avis simple pour l’installation d’antennes relais, ainsi que pour la résorption de l’habitat insalubre dans les secteurs protégés au titre du patrimoine.
En cas de recours par la mairie ou l’établissement public de coopération intercommunale – EPCI – sur l’avis d’un ABF, le silence gardé par le préfet vaudra acceptation du recours.
Ces dispositions peuvent profondément fragiliser la protection du patrimoine. Elles remettent en cause, en particulier, les dispositifs de sauvegarde des sites patrimoniaux remarquables.
À l’Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des affaires culturelles a bien tenté de rééquilibrer un peu le dispositif par amendement, en instaurant la possibilité de recourir à un médiateur dans le cas des recours déposés contre les avis des ABF. Mais c’est cosmétique !
Si le texte devait être adopté en l’état, les plans de sauvegarde et de mise en valeur ou les plans de valorisation de l’architecture et du patrimoine pourraient tout simplement être contournés, au prétexte de lutter contre l’habitat insalubre. Or les régimes de protection des sites patrimoniaux remarquables ont été mis en place voilà même pas deux ans, par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite LCAP.
Le décret d’application des articles concernés date du 29 mars 2017. Sur quel bilan de la loi LCAP le Gouvernement se fonde-t-il pour remettre aujourd’hui en cause les équilibres de protection patrimoniale de ce texte ?
M. le président. C’est donc plutôt sur le bilan de la loi que porte la question…
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Justement, monsieur le président, il va m’être difficile de répondre. Philippe Bas nous invitait précédemment à atteindre l’idéal en matière d’exécution. En l’occurrence, l’idéal serait que je puisse évoquer les modalités d’application d’une loi qui n’a pas encore été votée ! (Exclamations.)
Je propose donc, pour ce qui concerne le premier volet, que l’on prenne le temps d’attendre le débat parlementaire.
Sur la partie relative à l’architecture et au patrimoine, vous évoquez notamment, monsieur le sénateur, les modalités de délivrance et de retrait du droit de reproduire vis-à-vis des services administratifs, qui seraient aujourd’hui contraires, selon les indications dont nous disposons, au droit communautaire.
Après un avis négatif du Conseil d’État, le Gouvernement a décidé de ne pas prendre cette mesure. Nous sommes donc, sur ces sujets, en attente de précisions. La discussion parlementaire nous permettra d’avancer et de tenter de répondre à ce moment-là. Cela se fera peut-être dans le cadre de l’examen du projet de loi ÉLAN, mais je ne peux pas le garantir.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Pour ce qui est de l’approche quantitative, 41 mesures ont été appliquées sur les 43 attendues.
M. le président. Il en reste donc deux…
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. J’ai expliqué pourquoi l’une d’entre elles n’avait pas été traitée, sans entrer dans le détail.
L’autre, introduite par l’article 53 de la loi LCAP, concerne les missions de recherche des enseignants des établissements d’enseignement supérieur dans la création artistique, dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer qu’après consultation interministérielle des organisations syndicales, il a été décidé que la réforme du statut des enseignants était nécessaire avant de prendre cette mesure.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je l’ai fait en commission des affaires économiques, je voudrais prolonger notre propos sur le contrôle de l’application des lois en l’élargissant à un sujet qui me tient à cœur et pour lequel j’ai récemment présenté deux propositions de loi : l’une a été votée à l’unanimité par notre chambre – il s’agit de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi – ; l’autre a été renvoyée à la commission.
Sans vouloir froisser personne, même si nous en mesurons l’utilité, le bilan présenté dans le rapport de Valérie Létard, que je tiens à remercier, est essentiellement quantitatif. La norme de l’exercice le veut ainsi. Mais, en définitive, ce qui nous intéresse en tant que législateur, c’est, au-delà de leur mise en œuvre effective, l’effet de l’application des lois que nous votons dans la vie de nos concitoyens.
L’article 24 de la Constitution nous confie la responsabilité d’évaluer les politiques publiques. L’exercice d’aujourd’hui relève de notre mission de contrôle, mais comment contrôler efficacement sans évaluer l’effet des textes promulgués, et inversement ?
J’observe qu’en mars dernier, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale a publié un rapport, dont je partage totalement le diagnostic en ce qui concerne les insuffisances de l’évaluation des politiques publiques par les parlementaires, même si je peux émettre des réserves sur les solutions proposées. Celles-ci consistent en effet à externaliser un travail que nous devrions être en mesure d’accomplir par nous-mêmes, et selon des méthodes accessibles à tous.
Le 19 avril, le journal Le Monde a publié une tribune signée de députés de toutes tendances, dressant le même constat. Ces députés appellent à la création d’« un office d’évaluation des politiques publiques, avec en son sein une unité de chiffrage transpartisane et indépendante de l’administration et des groupes d’intérêt ».
C’est en substance ce que je présentais le 7 mars dernier, en séance publique, devant notre Haute Assemblée, en proposant un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, tout en promouvant l’utilisation de nouveaux indicateurs de richesse, complémentaires du produit intérieur brut, ou PIB. Cette proposition a été renvoyée à la commission.
Comme il faut être exigeant avec les siens, je souhaite que le Sénat soit moteur à l’avenir dans ce domaine.
J’ajoute cette question à l’adresse du Gouvernement : entendez-vous, monsieur le secrétaire d’État, donner une suite à la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, votée par le Sénat le 7 mars dernier à l’unanimité, et qui s’inscrit dans la démarche actuelle des députés ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Tout d’abord, ce n’est pas au Gouvernement de donner son avis sur la poursuite de la discussion d’une proposition de loi.
Plus globalement, monsieur le sénateur, votre propos me semble frappé au coin du bon sens. Vous avez raison, on pourrait se contenter d’une approche quantitative, alors qu’une approche qualitative est nécessaire, même si elle est beaucoup plus difficile, et beaucoup plus subjective aussi.
Dire qu’une loi doit produire pleinement, ou en totalité, ses effets, c’est reconnaître que l’on a besoin de cette approche quantitative, mais aussi, et surtout, que l’on doit voir la traduction concrète de cette loi dans la réalité de nos concitoyens, ou la protection de nos territoires, par des effets pleins et entiers.
L’article 24 de la Constitution consacre d’ailleurs le rôle du Parlement dans cet enjeu de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
Certains dispositifs, comme l’appui de la Cour des comptes, peuvent être mobilisés. Il existe aussi des offices parlementaires propres à chacune de nos assemblées, et parfois des approches communes entre ces dernières.
J’entends votre propos, monsieur le sénateur, car le sentiment général est celui d’un caractère relativement inabouti du contrôle et de l’évaluation parlementaires dans ses formes actuelles.
Je sais que des réflexions sont conduites dans les deux assemblées sur ce sujet et que vous y avez contribué par votre propre proposition de loi. J’ai moi-même été entendu la semaine dernière, à l’Assemblée nationale, par la commission des finances dans le cadre du « printemps de l’évaluation », qui vise à donner davantage de substance à l’examen de la loi de règlement. Je pense que c’est essentiel.
Nous passons sept semaines, à l’Assemblée nationale, et cinq semaines, au Sénat, à voter la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale… et deux heures pour contrôler les lois de règlement à l’Assemblée nationale ? Cela montre l’existence d’une véritable anomalie !
La révision constitutionnelle à venir, à n’en pas douter, nous offrira à tous l’occasion d’avancer sur ces sujets. Je suis, à titre personnel, intimement convaincu que la montée en puissance de l’évaluation et du contrôle par les assemblées renforcera notre équilibre démocratique.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est pour cela qu’il faut les neutraliser !
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, si je puis me permettre d’ajouter un mot, qui dit évaluation dit d’abord étude d’impact !
Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Oui, amont et aval !
M. le président. En outre, l’évaluation nécessite un certain nombre de moyens. Le Sénat vient de se doter, à l’occasion des débats d’orientation budgétaire, d’un budget autonome, car c’est le travail des commissions, aussi, de conduire ces évaluations. Je suis très prudent au sujet des organismes extérieurs ; à force de dépouiller le Parlement, nous oublions l’essentiel du travail. C’est à nous d’encourager le Parlement et les commissions ; voilà pourquoi le Bureau a choisi cette orientation !
La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Nous devons nous y mettre collectivement, car il y a là un enjeu démocratique tout à fait fondamental. Je vous remercie pour votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’écoute de ce bilan, on comprend que les dysfonctionnements en termes de retard dans l’application des lois peuvent prendre des formes multiples.
Ma question porte sur les mesures d’application non prises à ce jour de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
Cette loi, dont j’étais le rapporteur, comportait plusieurs dispositions visant à mieux protéger les transports en commun contre le risque d’attentats, et à lutter contre la fraude, les incivilités et la violence au quotidien. Or, au 31 décembre 2017, date du précédent bilan de l’application des lois, 4 mesures réglementaires d’application de la loi, sur les 11 prévues par le texte, étaient manquantes.
Si deux mesures ont été prises depuis cette date, deux mesures d’application prévues par l’article 18 de ladite loi étaient toujours manquantes au 31mars dernier.
Je rappelle que l’application de l’article 18 doit notamment permettre le croisement des fichiers informatiques de fraudeurs avec ceux des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale. Elle est donc importante au regard de la mise en œuvre effective de la loi.
L’article prévoit par ailleurs que les demandes des exploitants et les renseignements communiqués en réponse transitent par l’intermédiaire d’une personne morale unique.
Or la définition des modalités d’application de ces dispositions a été renvoyée à un décret en Conseil d’État, non pris au 31 mars dernier.
Je regrette, par ailleurs, que n’ait pas été pris l’arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et des ministres chargés des finances et des transports, prévu par ce même article 18, afin de déterminer le nombre maximal des agents de la personne morale unique spécialement habilités pour accéder aux renseignements communiqués aux exploitants.
J’ai attiré, en son temps, l’attention du Gouvernement sur ces retards d’application au travers d’une question écrite en date du 15 mars dernier. Je rappelle que selon l’article 75 du règlement du Sénat, le Gouvernement dispose d’un délai d’un mois pour répondre à une telle question.
Je regrette également que cette question, comme d’autres d’ailleurs, n’ait pas pour l’heure reçu la réponse attendue. Dans cette optique, je tiens à souligner – non sans regret, à nouveau – que seules 63 des 156 questions écrites relatives à l’application d’une loi déposées lors de la session 2016-2017 ont obtenu une réponse, soit un taux de 40 %.
La longueur des délais d’obtention des réponses – trois mois et demi, en moyenne – oscille entre 21 et 273 jours. Monsieur le secrétaire d’État, je réitère donc ma question : pourriez-vous nous préciser à quelle échéance le Gouvernement entend finaliser la mise en application de la loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Bonhomme, si je pensais avoir répondu jusqu’à présent de façon efficace, sur les deux sujets que vous abordez, y compris celui des réponses tardives aux questions écrites, je me retrouve en difficulté. Je ne vous en fais pas reproche ; c’est moi et mes collègues membres du Gouvernement que je vise !
M. le président. Cela vous rappellera la conférence des présidents, monsieur le secrétaire d’État ! (Sourires.)
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Tout à fait, monsieur le président. (Nouveaux sourires.)
Je le dis en souriant, mais votre questionnement est parfaitement légitime, monsieur le sénateur. J’explique régulièrement à mes collègues ministres, et je le répète ici, devant le Sénat, que les retards, même s’ils peuvent s’expliquer par différentes raisons, ne sont pas acceptables.
Pour vous répondre, je commencerai par la fin, et de façon brutale : la procédure doit être aujourd’hui reprise de zéro ! Elle nécessite une nouvelle concertation interministérielle, ainsi qu’une saisine de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et du Conseil d’État. À la suite de l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données, le RGPD, il conviendra sans doute de réaliser également une étude d’impact préalable. La préparation du projet d’arrêté interviendra en parallèle.
Je vais tenter d’être un peu plus précis, mais j’assume le fait que cette réponse n’est pas à la hauteur de l’ambition parlementaire.
Sur les quatre mesures d’application qui manquaient au 31 mars 2017, deux mesures ont depuis été prises, de sorte qu’il n’en reste plus que deux au 31 mars 2018. Ce sont ces modalités d’application que je vais rapidement évoquer et qui, je l’ai dit en préliminaire, doivent être reprises de zéro.
Il manque actuellement deux mesures d’application de l’article 18 de la loi précitée : un décret en Conseil d’État visant à préciser les modalités selon lesquelles les exploitants des sociétés de transports publics pourront, dans le cadre d’une transaction, obtenir des administrations publiques et des organismes de sécurité sociale des informations sur les contrevenants ; un arrêté visant à déterminer le nombre des agents de la personne morale unique chargés de collecter ces informations et pouvant y accéder.
Ce projet de décret a fait l’objet d’une saisine du Conseil d’État le 26 janvier 2017 et a nécessité, en parallèle, une consultation de la CNIL. L’avis de cette dernière est intervenu en février 2017, donc très rapidement, après des modifications substantielles qui nécessitaient une saisine rectificative, laquelle n’a pu intervenir dans des délais raisonnables. Le Conseil d’État s’est finalement dessaisi de ce texte.
C’est la raison pour laquelle la procédure doit être reprise de zéro.
Votre question est une alerte, monsieur le sénateur, comme elle l’a été pour les services du ministère concerné.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de reconnaître qu’il y a là un manquement. C’est déjà mieux que d’être dans le déni : la moitié du travail est faite !
Vous m’accorderez qu’il est quelque peu baroque de devoir poser une question écrite pour obtenir une réponse à une non-réponse… Des progrès restent à faire, pour aller dans le sens des prérogatives accordées au Parlement pour contrôler l’activité du Gouvernement.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il m’a semblé que ce débat était utile. C’est la première fois que nous utilisons l’interactivité sous cette forme-là. Auparavant, nous avions une longue plage d’interventions avant d’entendre les réponses. Nous nous retrouverons pour suivre cette question.
En dehors de cette séance annuelle, il faut, je le crois, bien réfléchir aux points qui ont été soulevés : rôle et place des commissions, évaluation, moyens affectés aux textes importants. J’aurai l’occasion d’en parler aux présidents de commission dans peu de temps. Nous aurons ce débat, monsieur le secrétaire d’État, au moment de la discussion de la révision constitutionnelle. Dans son discours devant le Congrès, le Président de la République avait insisté sur cet aspect des choses. Or si les pétitions sont intéressantes, ne serait-ce qu’au plan oral, il faut traduire tout cela et le mettre en place concrètement.
L’an prochain, nous commencerons par dresser un bilan des engagements pris cette année par le Gouvernement pour, ensuite, laisser les commissions et les groupes formuler leurs observations.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour cette première, dans ce cadre, devant nous. Je remercie également Valérie Létard pour sa présentation, comme je remercie chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues, d’être venus nombreux. Je rappelle que cette séance était retransmise sur les réseaux sociaux et sur internet.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq en salle Clemenceau, est reprise à dix-huit heures dans l’hémicycle, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean-Claude Boulard, qui fut sénateur de la Sarthe de 2014 à 2017.
5
Candidatures à des commissions
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de plusieurs commissions ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Transport fluvial
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le transport fluvial à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018, organisé à la demande du groupe Les Républicains.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe auteur de la demande.
M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains. Madame la ministre, nous avons pu constater que vous passiez, quoi qu’il arrive, un bel après-midi au Sénat ! (Sourires.)
Cela étant, des collègues spécialistes du monde maritime et fluvial et moi-même avons souhaité organiser ce débat.
Bordée par trois mers et un océan, la France redécouvre qu’elle est un pays maritime. Avec des navires et leurs équipages connectés en permanence à la terre, nous sommes entrés dans l’ère de la maritimisation des échanges. Si, comme on le dit, la mer semble de plus en plus être une sorte de prolongement de la terre, le fleuve est finalement une avenue, une artère, une veine irriguant tous les territoires avec une dimension éminemment européenne.
S’il existe un fait maritime, il existe aussi une réalité fluviale ! À la mer, le commerce du lointain, au fleuve, l’acheminement dans les terres. Du bassin rhénan à la Provence, des Flandres à la Ligurie !
Mais notre vieux et beau pays, irrémédiablement centré sur sa capitale, Paris, est pourtant irrigué en toutes régions par d’importants cours d’eau. L’Europe continentale du Nord, pionnière du fluvial, se présente comme une longue plaine entre mer et montagne. Quelque part, le destin de l’Europe s’y est inscrit en favorisant les échanges par voie navigable.
La géographie fluviale française se concentre autour de trois axes majeurs, commercialement stratégiques : l’axe Seine-Nord-bassin rhénan ; l’Ouest, et son grand bassin fluvial atlantique ouvert sur l’océan, connecté aux ports de la façade ; enfin, l’axe Rhône-Saône vers la Méditerranée.
Le fluvial est donc le prolongement de la connexion des ports avec ce que l’on appelle aujourd’hui techniquement l’hinterland, autrement dit l’arrière-pays – une aubaine géographique ignorée en pratique dans notre pays.
Nos villes anciennes, capitales régionales, sont toutes associées aux cours d’eau. Avec l’écluse, puis les canaux de jonction, Henri IV a été le précurseur du développement économique des territoires par la navigation intérieure. Cette volonté existera pendant trois siècles avant la raréfaction des investissements et un entretien en déclin, notamment durant ces dernières décennies.
Pour ce qui concerne la situation actuelle, je laisse à mes chers collègues le soin d’énumérer les chiffres clés du transport fluvial, en établissant les forces et les faiblesses de ce mode de transport aujourd’hui.
Pour ma part, je souhaite poser simplement les bases d’un débat utile parce qu’il est nécessaire de tirer le meilleur parti de nos 8 000 kilomètres de voies navigables. Ce débat doit permettre de faire émerger des propositions concrètes, des perspectives économiques et de consolider le calendrier. Nous attendons du Gouvernement qu’il nous éclaire sur les choix stratégiques qu’il souhaite opérer et qu’il nous indique s’il entend s’appuyer sur les recommandations du Conseil d’orientation des infrastructures.
Un mot sur la réalité actuelle : le secteur du fret, malgré un recul quantifiable, a un besoin croissant de personnel qualifié. N’oublions pas que près de 5 000 personnes en France vivent directement du transport fluvial. Cela signifie que l’on doit mettre aussi l’accent sur la formation, à l’instar de l’apprentissage proposé par le Centre de formation d’apprentis de la navigation intérieure situé au Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines, offrant des débouchés variés aux jeunes : de matelot à commandant ou chef d’entreprise de batellerie artisanale. La prochaine loi sur la formation professionnelle et l’artisanat sera l’occasion d’évoquer ce point.
Le gestionnaire des infrastructures, Voies navigables de France, ou VNF, reste dépendant des financements publics et doit faire face à une baisse des investissements sur les infrastructures et l’hydraulique. Nous attendons du Gouvernement qu’il se positionne clairement sur la question. Un euro investi dans nos voies navigables est un euro utile pour le développement de l’activité fluviale.
D’autres pays l’ont compris depuis des siècles : les connexions des ports avec l’hinterland sont cruciales. La Belgique et les Pays-Bas ont prospéré bien avant le siècle d’or à partir de cette réalité fluviale, dont la République des Provinces-Unies, née de l’Union d’Utrecht signé en 1579, sut tirer un profit retentissant en se hissant au rang de première puissance commerciale au monde. Aujourd’hui encore son économie énergique y trouve sa source. Application concrète : à Utrecht, cette célèbre ville, depuis 2012, des navires électriques assurent une partie du fret et du ramassage des ordures sur un canal datant du XIIe siècle. À Amsterdam, un célèbre transporteur utilise un bateau de livraison.
Comparaison ne vaut pas raison, surtout avec la France dans ce domaine au regard de géographies si différentes en matière fluviale et maritime. Pourtant, tous nos grands ports français sont aux avant-postes d’un fleuve, donc du pays de l’intérieur qu’ils irriguent depuis des temps immémoriaux.
Comment répondre à la complémentarité des usages ? En donnant un nouvel élan à la logistique et au transport de marchandises sur le grand gabarit, en accroissant et en offrant une meilleure visibilité au tourisme fluvial de petit gabarit.
Comment tirer le meilleur parti de l’hydraulique, notamment dans les territoires ruraux – risques, biodiversité, alimentation en eau ?
Une modernisation des voies navigables est nécessaire. Il faut investir d’urgence et mener rapidement à leur terme des projets comme la liaison Seine-Escaut, le canal Seine-Nord avec un gabarit européen. Il faut relier la Normandie et la région parisienne au Benelux grâce à une voie navigable à grand gabarit – c’est de l’aménagement du territoire.
Or, aujourd’hui, les grands projets d’intérêt public sont contrariés par des minorités agissantes – pensons à Notre-Dame-des-Landes –, malgré toutes les procédures légales et démocratiquement validées. De quoi susciter quelques inquiétudes pour relancer l’aménagement du territoire, ce qui est d’intérêt public.
M. Joël Guerriau. Très juste !
M. Christophe Priou. Je le rappelle, une « jurisprudence Notre-Dame-des-Landes » existe et concerne tous les projets, notamment l’éolien en mer, dont nous débattrons. Effectivement, un nouvel état d’esprit s’instaure : ce qui a été validé est systématiquement remis en cause par différentes voies, pas forcément navigables, mais à tout le moins juridiques… (Sourires.)
Quelle que soit l’inspiration qui nous anime, il s’agit non pas d’écrire un roman initiatique sur le charme fluvial, la batellerie et la traversée fantastique de la France par ses cours d’eau, mais plutôt de refonder nos pratiques et nos usages, nourris d’une volonté d’étendre le rôle commercial de nos fleuves dans une dimension européenne.
Plus que d’une mobilité du quotidien, pour reprendre le titre du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, nous avons besoin d’une mobilité durable et viable. Une impulsion décisive doit permettre au transport fluvial d’entamer aujourd’hui une nouvelle ère, bien au-delà des rimes du général de Gaulle lorsqu’il écrit en 1963 « sur ceux qui posent » : « Dans les vases clos des […] débats, [ne soyons pas seulement] ceux qui exposent, […] supposent, […] opposent », mais plutôt « ceux qui proposent » et « transposent ».
À nous d’écrire une nouvelle feuille de route en favorisant le report des marchandises vers le mode de transport fluvial, et nous aurons rendu à nos fleuves leur utilité économique en respectant leur majesté naturelle. Mais surtout, il faut lever un obstacle majeur : l’absence d’interconnexions entre nos bassins fluviaux. Voilà le véritable défi ! Après le débat, nous passerons ensuite, je l’espère, au travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous remercier de ce nouveau débat sur les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI, au sein de la Haute Assemblée qui fait écho à nos échanges sur les lignes ferroviaires à grande vitesse, ainsi que sur la politique en matière d’infrastructures routières.
Débattre du fluvial, c’est d’abord parler d’aménagement du territoire tant nos voies d’eau naturelles ou artificielles contribuent à dessiner la carte de nos territoires.
Autour d’elles coexistent différentes infrastructures et usages : quais industriels, plateformes logistiques, ports de plaisance, activités nautiques, hydroélectricité, irrigation, prélèvements industriels ou promenades.
Débattre du fluvial, c’est aussi souligner les enjeux environnementaux qui concernent toutes les voies d’eau, et la forte valeur patrimoniale de certains ouvrages, à commencer par l’ensemble du canal du Midi, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est donc naturellement évoquer le tourisme fluvial et la plaisance qui constituent des activités en plein essor.
Débattre du fluvial, c’est enfin et surtout parler de transport de marchandises, d’un mode complémentaire à la route et au fer, d’un mode sûr, non saturé, propre : un convoi fluvial, c’est aujourd’hui 200 camions en moins sur nos routes.
Toutefois, la place du fret fluvial dans notre économie n’est pas à la hauteur de ces avantages…
M. Charles Revet. Loin de là !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … puisqu’il représente moins de 3 % du transport de marchandises.
Une partie de l’explication est géographique : le linéaire du réseau fluvial est bien plus faible que celui du réseau ferroviaire ou routier.
Une autre tient à l’état préoccupant de notre réseau de voies navigables. Il est clair que ce dernier est aujourd’hui vieillissant, et qu’il est nécessaire d’engager un effort important pour stopper sa dégradation et assurer sa régénération.
M. Charles Revet. Il y a urgence !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Pour maintenir les fonctionnalités liées au transport tout en assurant la gestion hydraulique, l’investissement nécessaire pendant la prochaine décennie est bien supérieur aux montants engagés par VNF au cours des dernières années.
Comme pour les réseaux routier et ferroviaire, nous devons assumer, aujourd’hui, cette situation : les investissements nécessaires ont été repoussés depuis des années.
C’est ce constat qui, vous le savez, a conduit à lancer les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Le rapport qui m’a été remis le 1er février dernier est le fruit d’un travail considérable. Issu d’un large consensus, il a été adopté à l’unanimité des seize membres, experts et élus, dont vos collègues Hervé Maurey, Gérard Cornu et Michel Dagbert, que je veux une nouvelle fois remercier de leur engagement.
Ce travail pose les bases d’une programmation sincère, ambitieuse et réaliste des infrastructures qui sera déclinée dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités que je défendrai prochainement devant la Haute Assemblée.
Quel que soit le scénario retenu, les recommandations du COI sur le mode fluvial sont très proches.
Il s’agit, d’abord, d’une hausse significative des crédits de l’État alloués à VNF, au titre de la régénération, afin d’atteindre progressivement les montants nécessaires pour la remise à niveau du réseau, en tenant compte des moyens propres de VNF et des efforts que doit faire cet établissement.
Il s’agit, ensuite, d’un investissement important en termes de modernisation dans les cinq ou dix prochaines années selon le scénario, pour accompagner la fiabilisation des équipements de navigation et la modernisation des méthodes d’exploitation.
Il s’agit, enfin, d’un soutien aux trois grands projets fluviaux étudiés par le COI : l’aménagement de la Lys mitoyenne, la mise à grand gabarit de l’Oise entre Creil et Compiègne et la mise à grand gabarit de la Seine amont entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine.
Il est également un projet sur lequel vous êtes – je le sais – nombreux à être attentifs : le canal Seine-Nord. Je n’y insisterai pas maintenant, car je ne doute pas qu’il sera au cœur de nombreuses questions qui me seront posées.
La programmation des infrastructures de transport que je présenterai au Parlement tiendra bien évidemment compte de ces orientations.
La robustesse et la fiabilité des infrastructures sont en effet un préalable au développement du trafic fluvial. Une situation comme celle de la Seine amont, où les bateliers, les chargeurs céréaliers ou du BTP ont connu d’importantes restrictions de navigation ces derniers mois à la suite des dégâts occasionnés par les crues, n’est pas acceptable.
Au-delà de cet objectif, d’autres efforts doivent être faits.
Je pense d’abord au renforcement de la connexion entre les points maritimes d’import et d’export que sont nos grands ports et les ports intérieurs pour constituer de véritables logiques d’axes logistiques et portuaires le long des axes fluviaux.
Les missions confiées par le Premier ministre au préfet Philizot sur l’axe Seine, au préfet Lalande sur l’axe Nord et à Jean-Christophe Baudouin sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône répondent à cet objectif.
Il s’agit également d’accompagner le transport fluvial de marchandises et de passagers pour qu’il saisisse toutes les opportunités de développement économique, en surmontant quatre grands défis.
Le premier réside dans la performance économique et logistique : il s’agit de limiter le coût des ruptures de charge, de s’intégrer davantage dans les chaînes logistiques et d’attirer de nouveaux trafics. À ce titre, je me réjouis de la validation par la Commission européenne, la semaine dernière, du nouveau plan d’aide au report modal, le PARM, doté d’une enveloppe de 20 millions d’euros sur la période 2018-2022 et mis en place par VNF pour favoriser le report modal vers la voie d’eau, au travers d’une aide aux chargeurs.
Le deuxième défi est celui de la transition numérique ; l’objectif est que le transport fluvial se saisisse de toutes les opportunités offertes par la digitalisation des chaînes logistiques et par la dématérialisation des procédures administratives.
Le troisième défi est celui de la performance environnementale ; il convient de saisir toutes les capacités d’innovation pour que le transport fluvial se positionne comme un mode de transport propre. Le verdissement de la flotte fluviale est ainsi l’un des principaux objectifs du nouveau plan d’aides à la modernisation et à l’innovation, le PAMI, doté de 16,5 millions d’euros sur la période 2018-2022, également géré par VNF et approuvé par la Commission européenne en même temps que le PARM.
Enfin, le quatrième défi est le défi social ; il s’agit d’offrir des conditions attractives d’emploi.
Pour relever ces défis, le secteur fluvial français doit impérativement se rassembler, afin de mener des actions collectives impliquant les différents intervenants de la chaîne de transport. C’est pourquoi j’ai demandé au préfet François Philizot d’organiser la préfiguration d’une interprofession fluviale, avec l’ensemble des parties prenantes intéressées, dont la réunion de lancement aura lieu demain.
Vous le voyez, nous allons conduire dans les prochaines années une politique volontaire et exigeante en faveur du mode fluvial.
En cohérence avec la démarche de programmation des infrastructures et d’élaboration d’une loi d’orientation sur les mobilités que nous menons actuellement, nous avons engagé avec VNF des discussions sur le modèle économique, les ressources et les objectifs pluriannuels de cet établissement, afin d’améliorer la qualité de service et la disponibilité du réseau, d’optimiser son organisation et de maîtriser les risques. Ces démarches conduiront à un contrat d’objectifs et de performance avec l’établissement, dans lequel je souhaite que l’État s’engage sur des moyens, et VNF sur des résultats.
Programmation des infrastructures de transport, projet de loi d’orientation sur les mobilités, contrat d’objectifs et de performance : voilà l’ensemble des dispositifs qui nous permettront d’établir une vision stratégique claire, avec des objectifs réalistes et sincères, afin de permettre au secteur fluvial de réussir sa transformation et son développement au service de l’aménagement du territoire et de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
Débat interactif
M. le président. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous traitons aujourd’hui d’une problématique récurrente, le transport fluvial. Pour moi, élue de Seine-Maritime, département où Le Havre s’impose comme l’un des plus grands ports de France et d’Europe, ce sujet est prépondérant sur le plan de l’intérêt économique et environnemental de la région et du territoire national.
Ce port, qui affiche un réel déficit du point de vue du transport fluvial, subit un retard important au regard des autres grands ports européens, dont Rotterdam et Anvers. En effet, la part du fluvial dans le trafic hinterland de conteneurs depuis et vers le port du Havre ne représente que 9 %, contre respectivement 36 % et 35 % pour les deux ports précités.
Selon VNF, un seul convoi fluvial permet de transporter 5 000 tonnes de marchandises, soit l’équivalent de ce que transportent 200 camions ou 125 wagons. Or, à ce jour, au Havre, 85 % des 2,6 millions de conteneurs débarqués et embarqués sont véhiculés par la route. Cela est plus que dommageable du point de vue de la pollution et de l’émission de gaz à effet de serre.
Ce retard tient essentiellement au manque d’infrastructures. En effet, Port 2000 a été construit sans qu’aucun accès fluvial au nouveau bassin ait été réalisé. Trois projets ont été proposés, dont celui de la construction d’une « chatière », passage fluvial protégé par une digue de deux kilomètres et permettant un accès direct à Port 2000. Cela a un coût – près de 100 millions d’euros –, mais c’est indispensable si nous voulons renverser la tendance.
Cette situation a une incidence sur HAROPA dans son ensemble, mais elle paraît, pourtant, réversible. Oui, le port du Havre a des atouts indéniables, que nous nous devons de renforcer et de développer, afin d’en améliorer la compétitivité, d’autant plus que les porte-conteneurs, de plus en plus gros, n’accéderont plus aux ports de Bordeaux ou de Nantes et transiteront par Le Havre.
Lors des dernières assises de l’économie de la mer, le Premier ministre faisait mention d’une indispensable stratégie portuaire nationale pour les trois grands ports du pays, dont Le Havre. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire ce qu’il en est aujourd’hui ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, je ne peux effectivement pas me satisfaire de la faible part du transport fluvial et ferroviaire dans la desserte de nos ports, en particulier du port du Havre.
Vous mentionnez le projet de chatière, qui vise à améliorer l’accès fluvial au port du Havre. Ce port a saisi la Commission nationale du débat public, qui a recommandé, en juillet 2017, de mener une concertation et qui a désigné une garante. Cette concertation a été lancée le 20 octobre 2017 et s’est conclue le 19 janvier dernier. Trois options ont été présentées à la concertation : la réalisation d’un accès direct en zone protégée accessible à tout type de bateau – la fameuse chatière –, l’extension du terminal multimodal et l’optimisation des solutions en place.
À la faveur de la concertation, la notion de complémentarité des options a émergé. La garante a rendu son rapport le 18 février dernier. Grâce à cette concertation, le maître d’ouvrage, le grand port maritime du Havre, a adopté lors de son conseil de surveillance de mars dernier un plan de développement du fluvial autour de cinq grandes priorités. Par ailleurs, il a intégré le projet de chatière dans le programme d’investissement en cours d’élaboration. Des discussions se déroulent actuellement sur la priorisation de ce programme et feront l’objet de débats lors du prochain conseil de surveillance, qui aura lieu en juin.
En tout état de cause, je vous confirme ma détermination à renforcer la part du transport fluvial et ferroviaire dans la desserte de nos ports. Vous l’avez souligné, étant donné le développement de porte-conteneurs de plus en plus importants, si l’on ne veut pas voir nos routes envahies par les poids lourds, il est absolument indispensable de renforcer la part de ces deux modes de transport dans la desserte de nos grands ports maritimes.
M. Charles Revet. Il y a urgence !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le rapport Duron sur les infrastructures de transport, il est proposé de mettre en œuvre une politique de « dénavigation » sur les 20 % de tronçons les moins empruntés du réseau fluvial, soit près de 1 000 kilomètres de voies navigables. Cette recommandation, si elle était suivie, aurait des conséquences dramatiques pour une large portion du territoire.
La fermeture de ces canaux, c’est l’isolement de nombreux villes et villages qui drainent aujourd’hui des flux par le transport fluvial ; c’est encore l’appauvrissement de nombreux sites touristiques, privés de leurs visiteurs et délaissés par les voies de transport ; c’est enfin une perte nette de ressources pour des territoires et la porte ouverte à un exode des populations. Supprimer des voies navigables, madame la ministre, c’est affaiblir notre maillage territorial.
À l’heure où les débats sur la réforme ferroviaire se concluent, vous avez saisi toute l’importance du maintien d’un aménagement durable de notre territoire, en souscrivant à la préservation de dessertes isolées ou rurales.
En 2016, la France ne représentait que 6 % du trafic fluvial européen, alors que près de 20 % du linéaire des voies européennes se situent dans les limites de l’Hexagone. Cela marche en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ; pourquoi pas en France ? Ne renonçons pas à la mise en œuvre du canal Seine-Nord et à la préservation des petits canaux.
Madame la ministre, j’ai compris, d’après vos propos, que vous envisagiez non pas de mettre en œuvre la politique de dénavigation présentée dans le rapport précité, mais, au contraire, de développer le réseau de transit fluvial international et de longue distance, pour encourager nos entreprises de transport à plus de compétitivité et à une plus grande intermodalité. (M. Yves Bouloux applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la dénavigation ; effectivement, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures recommande d’engager une telle politique, dont l’objectif serait de fermer à la navigation les 20 % du réseau les moins circulés, afin de concentrer les dépenses sur la sauvegarde du patrimoine le plus emprunté de ce réseau.
Il est vrai que certaines voies navigables, en raison de leur gabarit ou de leur nombre important d’écluses, ne sont plus adaptées au transport de fret et n’ont pas non plus de potentiel touristique. Ces voies sont donc très peu ou non circulées. Dès lors, le projet stratégique de VNF, adopté en 2015 après concertation, a prévu, pour certaines voies, une offre de services saisonnalisée ou une ouverture uniquement sur demande.
Pour fixer les ordres de grandeur, sur les 245 millions d’euros de besoin d’investissement de régénération à l’échelon national, un montant de 145 millions, c’est-à-dire 60 %, correspond à un socle de gestion hydraulique, et le reste, 100 millions d’euros, correspond à la fonction de navigation. Ce serait une approche erronée de penser que la dénavigation permettrait de réduire les investissements, puisque, aujourd’hui, nous n’atteignons pas ce rythme d’investissement de 245 millions d’euros par an.
En tout état de cause, l’option consistant à fermer 20 % du réseau sans aucune autre forme d’analyse que celle de la fréquentation n’est pas envisageable ni envisagée. Pour autant, la fermeture de certains tronçons peut être considérée, mais elle devra nécessairement être précédée d’une réflexion sur la cohérence du maillage du réseau, sur le potentiel industriel et touristique et sur les projets des collectivités locales.
Je veux, à ce titre, citer un exemple, en saluant le projet de réouverture du canal de la Sambre à l’Oise, conduit conjointement par VNF et les collectivités locales ; cela permettra de valoriser cet itinéraire pour le tourisme, avec des retombées économiques attendues pour l’ensemble du territoire. Cet exemple peut tout à fait, me semble-t-il, nous inspirer.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. Je vous remercie, madame la ministre, de ces précisions, qui vont dans le bon sens, d’autant que, vous l’avez indiqué, la Commission européenne vient de prolonger les deux régimes d’aides dédiés au transport fluvial. Tout le monde va donc dans la même direction, c’est important.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le transport fluvial dispose de solides arguments en matière économique, environnementale et de sécurité des transports qui justifieraient son développement. Alors, pourquoi est-il à la peine ?
Pour des raisons économiques et structurelles, tout d’abord : le transport fluvial est encore insuffisamment rentable du fait de la vétusté de certaines parties du réseau et de défauts d’interconnexion, en son sein ou avec les autres modes de transport.
Les épisodes récents d’inondations ont démontré que Voies navigables de France doit dépenser des millions d’euros, qui ne sont donc pas injectés dans la remise à niveau du réseau, pour remédier aux dysfonctionnements de son réseau, de surcroît dans le cadre d’un budget d’investissement contraint – 140 millions d’euros à l’échelle nationale, soit l’équivalent du budget d’investissement du seul département du Pas-de-Calais…
Pour des raisons liées à la faiblesse du portage politique, ensuite ; avec des renoncements, tel celui du canal Rhin-Rhône, avec l’adoption de mesures favorables au transport routier, ou encore avec la longueur des processus de décision – l’exemple le plus récent est le cas du canal Seine-Nord Europe : le poste de président du directoire est vacant depuis un an…
J’en arrive à mes questions : l’État envisage-t-il un plan d’investissement de rattrapage, notamment pour renforcer l’intermodalité avec le routier et le ferroviaire ? À quelle hauteur ? Selon quel calendrier ?
Plus précisément, qu’en est-il de l’état d’avancement du projet de canal Seine-Nord et de celui de l’autoroute ferroviaire Dourges-Tarnos, qui doit se greffer à la plateforme multimodale Delta 3 à Dourges ?
Enfin, ma collègue Mme Tocqueville et moi-même avons été désignés, voilà six mois, pour siéger au sein du comité stratégique du canal Seine-Nord, lequel n’a toujours pas tenu de réunion. Quand espérez-vous réunir ce comité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, l’état actuel du réseau fluvial est effectivement préoccupant. Rappelons que Voies navigables de France administre 6 700 kilomètres de voies d’eau, sur lesquelles ont été transportés 53 millions de tonnes de marchandises et près de 10 millions de passagers.
Le niveau d’investissement de VNF s’est réduit, passant de 157 millions d’euros en 2013 à 138 millions d’euros en 2018. Ce montant d’investissement est très en deçà du niveau nécessaire à la seule régénération du réseau fluvial, estimé à 245 millions d’euros par an, hors modernisation et développement.
Vous le savez, le réseau fluvial est vieillissant et fragile, comme en témoignent les épisodes de crues de 2016 – je pense à la rupture d’une digue sur le Loing, affluent de la Seine – et de 2018 – d’importantes interruptions de navigation ont eu lieu en Seine amont.
Les orientations suivantes sont envisagées pour conforter le modèle économique de VNF. Le scénario 2 du Conseil d’orientation des infrastructures retient un effort significatif sur le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, passant de 80 millions d’euros à 180 millions d’euros par an en dix ans, pour financer le socle d’investissement de régénération du réseau, mais aussi un montant de 330 millions d’euros sur cinq ans pour la modernisation des méthodes d’exploitation, nécessaire à la fiabilisation du réseau à grand gabarit et aux gains d’exploitation de productivité de l’établissement.
Pour ce faire, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures envisage la transformation de la taxe hydraulique en une redevance domaniale, afin de sécuriser juridiquement le dispositif et de conforter la ressource financière, ainsi que la dynamisation des recettes propres de l’établissement et les efforts de productivité pour réduire les dépenses.
Ces orientations trouveront naturellement leur place dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités, notamment dans son volet programmation. Par ailleurs, je l’ai indiqué, un contrat d’objectifs et de performance permettra de définir une trajectoire claire, réaliste et sincère pour l’établissement public pour les prochaines années.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je vous remercie, madame la ministre, de toutes ces réponses.
Je ne vous ai pas entendue évoquer le canal Seine-Nord Europe. J’ose espérer que vous me répondrez plus tard sur ce point (Mme la ministre opine.) parce que vous comprendrez que ma collègue et moi-même, qui avons été désignés pour siéger dans une instance et qui attendons depuis plus de six mois que celle-ci se réunisse, trouvions le temps un peu long…
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec plus de 6 700 kilomètres de voies navigables, dont 1 600 kilomètres pour les grands gabarits, la France semble disposer des atouts nécessaires au développement du transport fluvial.
Malheureusement, les routes fluviales restent sous-exploitées. Au Havre, ville dont je suis élue et dont ma collègue Nelly Tocqueville vient de parler, il est clair que le report sur les voies fluviales reste extrêmement faible, puisque seuls 9 % des conteneurs sont acheminés par la Seine.
Cette sous-utilisation des voies fluviales est régulièrement dénoncée par l’ensemble des acteurs maritimes et portuaires. En ce qui concerne la problématique du raccordement et des infrastructures, l’ensemble de la communauté portuaire, comme l’ont prouvé les derniers débats du conseil de développement du grand port maritime, soutient cette fameuse « chatière ». Je suis convaincue que nous trouverons rapidement des solutions de financement de cet investissement.
M. Charles Revet. Espérons-le !
Mme Agnès Canayer. Cela dit, la qualité des infrastructures n’est pas la seule faiblesse du transport fluvial. Le coût du transport combiné constitue aujourd’hui son premier frein. En effet, en France, contrairement aux ports du nord de l’Europe, les opérateurs de transport fluvial doivent supporter seuls le coût des ruptures de charge, ce qui alourdit la facture du transport de marchandises par voie fluviale. Très faiblement compensées par les aides à la pince – le Premier ministre, Édouard Philippe, a promis leur refonte en 2018, lors des assises de l’économie de la mer, en novembre dernier au Havre –, les charges qui pèsent sur le transport fluvial rendent celui-ci peu concurrentiel.
Madame la ministre, comment garantir un écosystème attractif qui permette au transport fluvial d’avoir toute sa place dans le transport combiné des marchandises en France, à l’instar de ce qui existe dans les ports du nord de l’Europe ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, la compétitivité du transport fluvial est effectivement essentielle si nous voulons favoriser le report modal pour le transport de marchandises. Le transport fluvial est naturellement affecté par les surcoûts liés aux acheminements terminaux, dans la mesure où l’infrastructure fluviale n’est pas présente sur l’ensemble du territoire.
La maîtrise du foncier en bord à voie d’eau est un élément clef pour permettre un report modal de la route vers la voie d’eau. Afin de disposer de leviers supplémentaires pour réserver les terrains en bord de voie d’eau nécessaires à l’activité fluviale, on envisage d’insérer dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités des mesures visant à donner la possibilité à VNF de se voir déléguer le droit de préemption urbain des communes. Dans les zones où les besoins fluviaux sont avérés, cette mesure permettrait à VNF de travailler avec les conseils municipaux sur les enjeux de la voie d’eau, de sensibiliser ces assemblées à son utilisation et de créer une dynamique très positive au plus près des territoires.
Par ailleurs, deux dispositifs d’aides sont prévus pour encourager le report modal sur la voie d’eau. Le premier est le plan d’aide au report modal, doté, je le disais, de 20 millions d’euros pour la période 2018-2020 ; il doit permettre d’accompagner de nouveaux trafics, jugés stratégiques, jusqu’à leur phase de maturité. Il se traduit par une aide aux chargeurs selon trois modalités : réalisation d’études préalables, expérimentation et acquisition d’équipements, qu’il s’agisse d’infrastructures ou d’outillage. En complément, le second dispositif est l’aide au surcoût de transbordement pour le transport de conteneurs par voie ferroviaire et fluviale, le dispositif d’aide à la pince que vous évoquiez.
Très prochainement, je pourrai présenter le nouveau dispositif qui s’appliquera aussi bien au ferroviaire qu’au fluvial. Des annonces seront faites rapidement à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Effectivement, ces aides sont véritablement nécessaires et attendues des opérateurs du fluvial, pour lesquels chaque conteneur coûte déjà cinquante euros, rien que pour le transbordement, avant même le départ, avant même l’acheminement.
M. Charles Revet. Eh oui, exactement !
Mme Agnès Canayer. Il faut donc les aider à avoir des coûts compétitifs, afin de favoriser le transport par voie fluviale.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Vous l’avez, mes chers collègues, maintes fois indiqué dans cet hémicycle, durant l’examen de textes ou à l’occasion de débats, la route est aujourd’hui bien trop utilisée pour le transport des biens et marchandises ; elle représente plus de 88 % du fret.
Nous pouvons l’affirmer, les ambitions de report modal, affichées depuis plusieurs dizaines d’années, ont jusqu’à présent toutes échoué. Les infrastructures ferroviaires et fluviales sont loin d’être utilisées à la hauteur de leurs capacités en matière de fret, et ce malgré les nombreux avantages qu’elles présentent.
La France doit se doter d’infrastructures et de services de fret performants, et identifier le mode de transport le plus pertinent pour acheminer les marchandises, que ce soit par la route, par le réseau ferré ou par les voies navigables. Cela doit se faire sur la base d’une vision globale des capacités et des opportunités, afin de ne pas superposer frets ferroviaire et maritime.
Face à ce constat, les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures invitent à réinventer les dynamiques de logistique et à développer le fret ferroviaire et fluvial. Pour cela, dans le domaine du transport fluvial, il faut lutter contre le vieillissement du patrimoine, développer et moderniser les équipements des ports fluviaux à enjeux, et inciter les acteurs à utiliser ce mode de transport de marchandises.
Nous sommes nombreux à vous questionner sur ce dossier des ports de l’axe Seine, madame la ministre, parce que Le Havre, Rouen et Paris sont indispensables pour l’activité économique du pays. Après de lourds investissements de modernisation du patrimoine et des accès portuaires, ces ports bénéficient aujourd’hui des retombées des constructions d’infrastructures et de logement du Grand Paris.
De son côté, le port du Havre a présenté, voilà deux mois, un plan d’investissement de plusieurs centaines de millions d’euros, pour assurer son développement, vous l’avez confirmé à l’instant. Ces annonces vont dans le bon sens et nous devons y être attentifs.
Mes questions sont simples, madame la ministre : comment comptez-vous soutenir ces avancées ? Face à un paysage maritime en mutation et à des navires de plus en plus grands, des mesures concrètes et ambitieuses sont nécessaires. Quelles seront vos propositions pour une modernisation réelle et efficace de l’axe Seine ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, le bassin de la Seine constitue effectivement l’axe majeur du trafic de fret fluvial en France, concentrant plus de 50 % du trafic français. Vous l’avez souligné, cet axe relie les grands ports du Havre, de Rouen et de Paris. VNF a la responsabilité des sept barrages et des dix-sept écluses qui jalonnent l’itinéraire de la partie Seine aval, entre Paris et Rouen. Je rappelle que, sur cet axe, la navigation est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept aux grands gabarits.
VNF mène actuellement un important programme de régénération et de modernisation des ouvrages, prévu jusqu’en 2027, qui représente plus de 250 millions d’euros d’investissement. Il s’agit de sécuriser, de fiabiliser mais aussi, pour certains ouvrages, d’augmenter le gabarit.
Parmi ces opérations, celle de Méricourt est la plus emblématique : la moitié du trafic circulant sur le bassin de la Seine passe par les écluses de cette ville qui accueillent plus de 250 bateaux par semaine. Or le vieillissement de ces écluses, dont j’ai pu me rendre compte sur place, impose une reconstruction quasi intégrale, tout en maintenant la navigation pendant toute la durée des travaux. Pour cette opération, cofinancée par la région d’Île-de-France au titre des contrats de plan État-régions et par l’Union européenne, la phase de dialogue compétitif est en cours, pour un marché de conception-réalisation.
En complément, compte tenu des fragilités révélées ces derniers mois sur la partie Seine amont, VNF élabore un plan d’investissement pluriannuel d’urgence sur ce secteur, de manière à renforcer la robustesse de l’itinéraire. Les conclusions de la mission de M. Philizot pour la modernisation de la gouvernance portuaire de l’axe Seine seront également présentées prochainement. Ces réflexions visent à renforcer l’intégration des ports au service de la compétitivité et de l’attractivité de cet axe.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons depuis de nombreuses années une situation dans laquelle les voyants de tous les secteurs des transports sont au rouge, avec une augmentation des émissions de gaz à effet de serre due à la progression de tous les trafics routiers au détriment du ferroviaire et du fluvial.
Pourtant, vous en conviendrez, pouvoir naviguer sur des milliers de kilomètres, c’est la richesse de la France. Avec 8 500 kilomètres de voies navigables, ce réseau fluvial est le plus long de l’Europe.
Alors qu’il est un atout, notre réseau demeure mal exploité, quand il n’est pas totalement inexploité. Cette situation, due aux politiques du tout routier, conduit, d’une part, à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, et, d’autre part, à une saturation de nos routes – il n’y a qu’à faire un trajet sur le réseau autoroutier pour s’apercevoir du nombre faramineux de camions présents…
La marge de progression du transport fluvial est considérable ; pour comparaison, nos voisins néerlandais et allemands utilisent leurs réseaux, légèrement moins importants que le nôtre, entre quatre et six fois plus que nous.
Dans le département de la Loire, la ville de Roanne et le canal Roanne-Digoin ont tous les atouts pour contribuer au développement du fluvial : la chambre de la batellerie est prête à affréter des produits, des industriels roannais sont intéressés, la majorité des élus locaux ont émis un avis favorable, les vignerons de la Côte-roannaise sont prêts à véhiculer leur vin par péniche et Voies navigables de France a réalisé d’importants travaux sur le canal ces dernières années.
Tous les feux sont donc au vert, si ce n’est que la force publique manque d’entrain lorsqu’il s’agit de prendre des décisions et d’accompagner le développement du fluvial, et que la chambre de commerce et d’industrie demeure silencieuse ; pourtant, il ne reste qu’à aménager le quai, à apporter les grues, et à trouver un gestionnaire.
À l’occasion de ce débat, je vous demande donc, madame la ministre, ce que le Gouvernement entend faire pour amplifier le report de marchandises sur notre réseau fluvial. Je rejoins ce qui a été dit à propos du coût : quand effectuer le trajet Roanne–Le Havre coûte quatre fois plus cher par bateau que par la route, on peut concevoir être limité dans le développement du fret fluvial. Il est donc nécessaire que la puissance publique intervienne pour contribuer à réduire le coût de transport et pour encourager le développement du fret fluvial.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la politique du Gouvernement en matière de fret fluvial.
J’ai eu l’occasion de l’évoquer, le premier enjeu est la remise à niveau de notre patrimoine. En effet, les montants qui y ont été consacrés, au cours des dernières années, sont très en deçà des besoins pour maintenir notre réseau fluvial en état, sans parler de le moderniser… Il fait donc vraiment partie des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures de programmer des moyens suffisants pour la régénération et la modernisation de nos itinéraires fluviaux.
Peut-être faudra-t-il avoir une politique centrée aussi sur les quelques itinéraires les plus prometteurs du point de vue du fret fluvial – c’est le sens des questions posées dans le rapport sur l’éventuelle fermeture au trafic de certaines voies –, mais il faudra vraiment, dans le cadre du projet de loi de programmation des infrastructures, que je présenterai, faire des choix plus ambitieux, du point de vue tant de la régénération que de la modernisation de notre réseau fluvial.
Je mentionnais l’axe Seine ; on a aujourd’hui à portée de main une autoroute fluviale, si je puis dire, qui ne demande qu’à être modernisée pour permettre un report important de la route sur le fleuve.
Effectivement, d’autres canaux sont de plus petite importance. Vous mentionnez en particulier le canal de Roanne à Digoin – un canal latéral à la Loire datant du XIXe siècle. L’emport maximal des péniches est, en l’occurrence, de 300 tonnes sur cet itinéraire ;…
Mme Cécile Cukierman. En effet !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … il n’est donc plus utilisé aujourd’hui pour le fret, même si des passages spécifiques restent possibles. En revanche, cet axe connaît une dynamique touristique certaine, et je pense que le département de la Loire est très mobilisé pour y favoriser le développement du tourisme fluvial.
Les investissements de VNF sur l’itinéraire permettront de conforter ce développement du tourisme fluvial, qui est une des autres utilisations possibles de notre réseau de voies navigables, en France.
M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien.
Mme Michèle Vullien. Merci, madame la ministre, d’être de nouveau parmi nous après ces nombreuses heures passées dans l’hémicycle consacrées au ferroviaire.
Nous parlons aujourd’hui du problème du fluvial. Le rapport Duron nous a éclairés sur la répartition modale du fret : pour rappel, 88 % par la route, 10 % par voie ferrée, tandis que le fret fluvial se maintient péniblement autour de 2 % – vous évoquiez, madame la ministre, une part représentant moins de 3 %, c’est par conséquent entre 2 % et 3 %, c’est-à-dire très faible –, ce qui représente tout de même 53 millions de tonnes de marchandises transportées en 2016.
D’un point de vue environnemental, les solutions les plus vertueuses sont donc aussi les moins exploitées. Quand on sait que les volumes des échanges sont en constante augmentation, il convient d’orienter les investissements en accord avec nos objectifs environnementaux.
Nous avons déjà eu l’occasion de débattre des problématiques du fret ferroviaire.
Pour ce qui est du fret fluvial, ce même rapport, faisant référence à l’audit réalisé par MENSIA Conseil, évalue le volume d’investissement pour remettre en état le réseau fluvial à hauteur de 245 millions d’euros en moyenne par an sur une période de dix ans. Ce montant passerait à 145 millions d’euros si les 20 % de dénavigation étaient retenus, mais vous nous avez dit, à ce sujet, madame la ministre, qu’il fallait d’abord analyser la situation.
Mes questions sont simples : pour être en parfaite adéquation avec l’accord de Paris, avez-vous inclus ce report modal vertueux dans votre stratégie ? C’est ce que j’ai compris de vos propos liminaires.
Quels seront les moyens financiers consentis pour le fret fluvial, notamment compte tenu des différentes hypothèses développées dans le rapport ? Quels sont les résultats attendus à court, à moyen et à long terme ? Quid de l’évaluation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, en 2017, un peu plus de 52 millions de tonnes de marchandises ont été transportées par voie d’eau, ce qui représente 6 700 millions de tonnes-kilomètres.
Si ce volume avait été acheminé par la route, cela aurait représenté 470 000 tonnes de CO2, alors que le transport fluvial émet en moyenne trois fois moins de dioxyde de carbone que le transport routier.
Par conséquent, favoriser le report modal vers la voie d’eau permet intrinsèquement de réduire ces émissions, donc de contribuer à la réalisation des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés dans l’accord de Paris.
Je partage tout à fait votre avis : il faut aller plus loin.
Pour se positionner comme un mode de transport plus propre et une solution crédible à la congestion routière, le fret fluvial doit offrir des solutions logistiques performantes.
Cela passe d’abord par la régénération de notre infrastructure fluviale et sa modernisation.
Comme je l’ai évoqué, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, s’appuyant sur l’audit qui a été mené, évalue à une centaine de millions d’euros de plus par an les besoins liés à la régénération et, par ailleurs, à 330 millions d’euros supplémentaires les besoins pour la modernisation de notre infrastructure fluviale, à réaliser sur cinq ou dix ans, selon les scénarios qui seront retenus.
Cependant, il faut aussi encourager les chargeurs à faire transporter davantage de marchandises par la voie d’eau malgré les surcoûts de l’acheminement et réussir une transition énergétique vers une flotte fluviale émettant peu de gaz à effet de serre, voire n’en émettant pas du tout.
Pour aider le secteur à mener cette transition, plusieurs dispositifs d’aide sont prévus.
Premièrement, le PAMI, le plan d’aides à la modernisation et à l’innovation, permet d’accompagner la transition énergétique de la flotte fluviale de marchandises.
Deuxièmement, le plan d’aide au report modal permet d’accompagner les nouveaux trafics jugés stratégiques jusqu’à leur phase de maturité.
Par ailleurs, l’aide à la pince sera confortée prochainement.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.
M. Michel Dagbert. Madame la ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
Je me réjouis que vous y fassiez régulièrement référence, tant le travail réalisé par celui-ci a été d’une grande ampleur, même s’il n’a pas été exhaustif.
En effet, je dois le reconnaître, il est un peu frustrant de ne pas voir examiner par cette instance, puisque tel était votre choix, le projet du canal Seine-Nord Europe, ce maillon pourtant reconnu comme majeur pour le développement du transport fluvial.
Les études prospectives réalisées par Voies navigables de France démontrent la possibilité de quadrupler l’ampleur du trafic fluvial sur cet axe, pour passer à 15 millions de tonnes de marchandises transportées par an à l’horizon 2020.
À l’heure où la défiance à l’égard de l’Union européenne gagne du terrain chez nos voisins, mais aussi chez nous, j’ai plaisir à rappeler que, sur ce dossier, l’Europe s’était engagée à hauteur de 2 milliards d’euros.
Très tôt, les collectivités territoriales se sont elles aussi fortement impliquées dans ce dossier, et nous pouvons noter que les alternances de 2015, à l’échelon départemental comme à l’échelon régional, n’ont eu pour effet que de conforter ces engagements, les collectivités allant jusqu’à prendre la responsabilité de la société de projet.
Dès lors, vous comprendrez que les élus des territoires s’étonnent du long silence du Gouvernement et s’inquiètent quant à notre capacité collective à respecter les obligations fixées par l’Union européenne. De même, ils souhaitent avoir toutes les garanties d’une présence pérenne des représentants de l’État dans la gouvernance de la société de projet.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je peux vous l’assurer, nous travaillons avec les élus locaux sur ce projet, qui est effectivement un projet d’ampleur, par son montant – 4,9 milliards d’euros –, mais aussi parce qu’il doit assurer la connexion du bassin de la Seine au réseau des voies navigables du nord de l’Europe pour les convois fluviaux à grand gabarit.
Vous le savez, le Premier ministre a fixé, en octobre dernier, les orientations permettant la poursuite de ce projet. Il s’agit notamment de faire évoluer la gouvernance de la société de projet vers un établissement public local permettant de transférer le pilotage financier et opérationnel, ainsi que la maîtrise des risques du projet aux collectivités territoriales.
Pour sa part, l’État a confirmé son engagement à hauteur de 1 milliard d’euros, via un emprunt de long terme de la société de projet, dont les annuités pourraient être financées par des taxes nationales à assiette locale affectées à la société de projet.
Les travaux autour de la régionalisation de la société de projet, laquelle nécessite des dispositions législatives qui seront proposées dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités, sont en voie de conclusion. L’objectif est que cette régionalisation soit effective dans le courant de l’année 2019, comme j’ai pu le confirmer récemment à M. Xavier Bertrand.
Parallèlement, les échanges avec les collectivités territoriales se poursuivent pour consolider le plan de financement, sur la base des orientations fixées par le Premier ministre.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Mes chers collègues, en France, le réseau fluvial est important. Il s’étend sur 8 500 kilomètres, dont 2 000 kilomètres de canaux à grand gabarit, contre 7 300 kilomètres au total pour l’Allemagne et 4 800 kilomètres pour les Pays-Bas.
Avec 52,5 millions de tonnes transportées en 2017, le transport fluvial ne représente malgré tout que 4 % du total des marchandises transportées en France. En comparaison, les Pays-Bas transportent plus de 35 % des marchandises via leur réseau fluvial.
Cette différence s’explique, en partie, par le manque d’investissement dans le réseau fluvial et par l’absence de développement d’une vraie politique de transport de marchandises intermodale.
En 2009, un audit généralisé du réseau a permis d’évaluer l’état fonctionnel de la quasi-intégralité des ouvrages et d’en déduire les besoins d’investissement pour le garder tel qu’il est.
Pourtant les investissements n’ont cessé de diminuer. En cinq ans, VNF a perdu un quart de ses ressources d’investissement : son budget est passé de 200 millions d’euros à 130 millions d’euros en 2017, alors qu’un audit récent a évalué l’investissement nécessaire pour régénérer le réseau et le maintenir en bon état à quelque 244 millions d’euros par an sur dix ans, soit 2,4 milliards d’euros.
Cet audit a conclu que le transport fluvial aurait besoin de 63 millions d’euros par an en complément, de manière à développer et à optimiser l’infrastructure.
Madame la ministre, vous avez apporté tout à l’heure des éléments de réponse à cette question légitime des moyens à mettre en œuvre. C’est une avancée, mais c’est encore et toujours insuffisant.
Les hésitations du Président de la République sur le projet de canal Seine-Nord montrent à quel point le transport fluvial n’apparaît pas aujourd’hui comme une priorité.
À l’heure où les questions de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution sont déterminantes, à l’heure où les routes sont saturées et où les temps d’acheminement des marchandises augmentent, à l’heure où nos voisins européens misent sur le multimodal, pourquoi la France n’investit-elle pas massivement dans ce mode de transport, qui, par le passé, a fait sa richesse et permis le développement de nombreux territoires – les métropoles d’aujourd’hui sont les villes fluviales d’hier –, notamment sur la Seine, le Rhône, le Rhin et la Loire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, comme je l’ai évoqué, les épisodes de crues du printemps 2016 ou encore du début de cette année ont mis en évidence les faiblesses de notre réseau de voies navigables. Je pense à la rupture de digue sur le Loing en 2016 ou aux blocages récents des installations de la Seine amont.
Effectivement, l’audit réalisé sur l’état de nos infrastructures fluviales a permis de conclure qu’il faudrait 245 millions d’euros par an pendant dix ans pour régénérer le réseau fluvial, après des décennies de sous-investissement.
Vous me demandez pourquoi nous n’investissons pas massivement dans le transport fluvial. On peut aussi se demander pourquoi nous n’investissons pas ainsi dans le transport ferroviaire, ou encore dans les infrastructures routières pour rattraper les retards.
Les choix sont difficiles. Certes, il est ambitieux d’investir massivement, mais nous devons aussi tenir compte des ressources. C’est tout le sens du projet de loi de programmation des infrastructures que j’aurai l’occasion de vous présenter prochainement. Je pense que nous devons, en effet, être en mesure de proposer un scénario de rattrapage de l’état de nos infrastructures, qu’elles soient ferroviaires – nous les avons évoquées la semaine dernière –, routières ou fluviales.
S’agissant des infrastructures fluviales, effectivement, le montant que VNF a consacré à la régénération ces dernières années n’est pas du tout à la hauteur des besoins qui ont été identifiés. Il manque quelque 100 millions d’euros par an pour assurer le maintien en état de notre patrimoine, sans compter les sommes nécessaires pour le moderniser.
Vous le voyez, nous aurons des choix difficiles à faire et des priorités à définir. Ce sera, j’y insiste, tout le sens du projet de loi de programmation des infrastructures.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Madame la ministre, comme vous l’avez rappelé, le transport fluvial représente aujourd’hui environ 2 % du transport de marchandises. Pourtant, ce mode de transport devrait être fortement développé à l’avenir, tant il présente d’avantages. En particulier, il émet relativement peu de gaz à effet de serre et son développement permettrait de décongestionner un réseau routier trop souvent saturé.
Toutefois, il n’y aura pas de report modal significatif vers le transport de marchandises sans une volonté politique forte et une stratégie cohérente. Les chantiers sont nombreux : relance des investissements dans un réseau vieillissant, développement des synergies avec les ports… Telles sont les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
L’État a d’ores et déjà pris des mesures en ce sens, ce dont on ne peut que se réjouir.
Toutefois, il me semble que l’information et la communication autour du transport fluvial ne doivent pas être négligées, tant la culture de la route est forte, aujourd’hui, chez les professionnels. Or actuellement les entrepreneurs souhaitant faire transporter leurs marchandises sont insuffisamment informés sur l’offre existante en matière de transport fluvial, ainsi que sur les avantages propres à celui-ci : sa fiabilité, sa sécurité, le réseau de voies navigables de plus de 6 700 kilomètres qui parcourt notre pays, sans oublier, bien sûr, les avantages sur le plan écologique.
Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures dévoilé le 1er février dernier dresse ce constat, en évoquant, parmi les propositions en faveur du développement du transport fluvial, « l’incitation des chargeurs et des transitaires à prendre en compte ce mode de transport, par des modes de communication adaptés ». Le Gouvernement partage-t-il cet avis et, si oui, quelles mesures compte-t-il prendre en ce sens ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, effectivement, le transport fluvial est aujourd’hui encore trop peu connu des donneurs d’ordre du transport de marchandises, aussi bien des chargeurs, des logisticiens que des acteurs publics.
De nombreuses actions ont été engagées, en particulier par VNF, pour améliorer la visibilité et la prise en compte de la voie d’eau par les donneurs d’ordre.
S’agissant des chargeurs et des logisticiens, la connaissance du transport fluvial passe d’abord par la formation des acteurs à ce mode de transport. À ce titre, VNF intervient dans une vingtaine de formations liées à la logistique et au transport et a noué, depuis 2011, un partenariat avec le Groupe Sup de Co La Rochelle, en créant une chaire consacrée à l’optimisation des flux logistiques et au transport multimodal, afin de développer son expertise sur ce dernier.
En complément, le plan d’aide au report modal géré par VNF, doté de 20 millions d’euros et confirmé par l’Union européenne pour la période 2018-2020, permet d’accompagner de nouveaux trafics par voie d’eau, jugés stratégiques, jusqu’à leur phase de maturité. Il se traduit par une aide qui intervient selon trois modalités : réalisation d’études préalables, expérimentation ou acquisition d’équipements.
À terme, toutes ces actions devraient pouvoir être assumées, de manière collective, par la profession du transport fluvial. C’est pourquoi j’ai demandé au préfet François Philizot de préfigurer une interprofession fluviale avec l’ensemble des parties prenantes intéressées. La première réunion de travail, qui verra le lancement de cette mission de préfiguration, aura lieu demain.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son rapport, le Conseil d’orientation des infrastructures a étudié l’opportunité de la construction d’infrastructures fluviales nouvelles pour notre pays, à l’exception du canal Seine-Nord, qu’il a écarté de son champ d’analyse, considérant que ce dernier était déjà acté par ailleurs.
Je me réjouis de cette déclaration, qui confirme la réalisation du canal, projet essentiel pour notre pays et pour le développement du transport fluvial.
C’est par ailleurs un élément central de la liaison fluviale européenne Seine-Escaut, classée comme prioritaire par le réseau transeuropéen de transport, même si de nombreuses interrogations subsistent quant au positionnement du Gouvernement, en particulier sur la question du financement.
Le rapport s’intéresse néanmoins à deux autres ouvrages en lien étroit avec celui du canal, pour lesquels il recommande, quel que soit le scénario envisagé, de prévoir l’engagement des travaux.
Il s’agit, d’une part, du projet MAGEO, relatif à la mise au gabarit européen de la rivière de l’Oise entre Compiègne et Creil, qui permettra ainsi la continuité de circulation des convois entre la Seine et le futur canal. La réalisation de cet aménagement est donc incontournable.
Il s’agit, d’autre part, du recalibrage de la Lys mitoyenne entre Deûlémont et Halluin, à la frontière belge.
Je me félicite de ces propositions.
Cependant, le rapport précité ne formule que des préconisations, que le Gouvernement n’est en rien contraint de suivre – l’exemple du rapport Borloo nous l’a prouvé. Or, en l’espèce, nous connaissons les réticences du Premier ministre.
Aussi, madame la ministre, considérant l’importance de ces deux projets et compte tenu des nombreux engagements et investissements déjà réalisés, pourriez-vous nous indiquer si le Gouvernement entend suivre les recommandations de ce rapport et engager les financements nécessaires à la réalisation de ces infrastructures ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, j’ai rappelé la façon dont nous travaillons actuellement avec les collectivités sur la mise en place d’un établissement public local pour permettre la réalisation de l’infrastructure très ambitieuse qu’est le canal Seine-Nord.
Deux projets complémentaires à celui-ci sont mentionnés dans le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
Premièrement, la mise au gabarit européen de l’Oise entre Creil et Compiègne, ou projet MAGEO, d’un coût de 288 millions d’euros, constitue le débouché sud du projet de canal Seine-Nord. Elle est donc indispensable à son plein effet. Le Conseil d’orientation des infrastructures a rappelé son caractère incontournable et la nécessité de la financer, quel que soit le scénario retenu. L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique doit se dérouler à la fin de cette année. Le Conseil préconise, dans tous les scénarios, la réalisation des travaux principaux à partir de 2023.
Deuxièmement, la Lys mitoyenne, entre Deûlémont et Halluin, est l’un des maillons de la liaison européenne Seine-Escaut. C’est le principal goulet d’étranglement de l’axe de la Lys. D’un coût de 140 millions d’euros, l’aménagement de la Lys participe à la réalisation du canal Seine-Nord Europe et à la constitution du futur réseau fluvial à grand gabarit Seine-Escaut. Ce projet se situe à la fois en France, en Wallonie et en Flandre. La maîtrise d’ouvrage et les coûts ont donc été répartis entre les trois territoires. Le projet a été examiné par le Conseil d’orientation des infrastructures, qui préconise la réalisation des travaux sur la période 2018-2022, quel que soit le scénario retenu. La participation de l’État s’élèverait à 12 millions d’euros. L’enquête publique est prévue à la fin de cette année, pour un arrêté de déclaration d’utilité publique qui sera pris au début de l’année prochaine.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers.
M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, véritable arlésienne, le projet de canal Seine-Nord finira-t-il par aboutir ? Le Président de la République a souhaité rassurer sur sa réalisation d’ici à huit ans.
Qu’en est-il de son financement ?
Le projet est estimé à 4,5 milliards d’euros par les pouvoirs publics. L’Union européenne investira 2 milliards d’euros. Les collectivités territoriales participeront à hauteur de plus de 1 milliard d’euros. Les régions Hauts-de-France et d’Île-de-France s’engagent à une participation supérieure à 500 millions d’euros. La contribution de l’État, à 1 milliard d’euros, reste encore à préciser.
La participation de la région d’Île-de-France traduit une volonté de construire le Grand Paris fluvial, maillon français indispensable du projet de liaison fluviale européenne Seine-Escaut. Une accessibilité via la région d’Île-de-France permettrait de rejoindre les grands ports maritimes.
En sortant du statut de cul-de-sac fluvial, la région d’Île-de-France deviendrait, d’ici à 2024, une autoroute pour péniches de grand gabarit, notamment entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine, à même d’assurer les capacités exportatrices de la filière agricole française.
Le partenariat interrégional et multimodal avec les Hauts-de-France permet d’espérer 10 000 emplois directs et indirects, une accessibilité directe pour l’importation et l’exportation de produits alimentaires et non alimentaires, une traçabilité et une sécurité accrues du fret et, surtout, une baisse du coût du transport et de la pollution.
Madame la ministre, ce canal est indispensable pour que notre pays reste compétitif dans le cadre de la mondialisation des échanges.
Pouvez-vous nous préciser le plan de financement sur lequel l’État compte s’engager et le calendrier retenu ?
Le projet du canal Seine-Nord a besoin d’un signal fort, de l’expression d’une volonté renouvelée et d’une clarification.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je vous confirme les orientations qui ont été fixées par le Premier ministre en octobre dernier s’agissant du financement du canal Seine-Nord, projet estimé à 4,9 milliards d’euros.
Il s’agit de faire évoluer la gouvernance vers un établissement public local permettant de transférer le pilotage financier et opérationnel ainsi que la maîtrise des risques du projet aux collectivités territoriales. Cependant, l’État a confirmé son engagement à hauteur de 1 milliard d’euros, via un emprunt de long terme de la société de projet, dont les annuités pourraient être financées par des taxes nationales à assiette locale affectées à la société de projet. Les travaux autour de la régionalisation avancent avec les collectivités concernées.
Cette évolution suppose des dispositions législatives qui pourront être inscrites dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités.
Comme vous l’avez souligné, le canal Seine-Nord est l’un des chaînons d’un réseau fluvial qui nous reliera de façon performante au nord de l’Europe et qui permettra de conforter le débouché vers celui-ci de l’axe Seine, le projet entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine étant lui aussi un projet important dans cette perspective d’étendre le réseau navigable à grand gabarit de l’axe Seine dans sa partie en amont de Paris. Je sais que ce projet est très attendu, notamment par les céréaliers, puisqu’il permettra le passage de convois de 2 500 tonnes, contre un maximum de 1 000 tonnes aujourd’hui. Le Conseil d’orientation des infrastructures a confirmé la pertinence de ce projet, d’un coût de 287 millions d’euros. Il recommande sa réalisation, quels que soient les scénarios retenus sur la période 2028-2032. Les études préalables à l’enquête publique sont en cours, dans la perspective d’une enquête publique qui pourra se tenir à l’horizon 2019.
Vous le voyez, nous sommes en train de travailler sur l’ensemble de ces aménagements. Le calendrier pourra figurer dans le cadre du projet de loi de programmation des infrastructures, que je vous présenterai prochainement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la reconquête industrielle de notre pays passe évidemment par le transport.
Dans cet hémicycle, nous avons débattu tout dernièrement du fret ferroviaire. Cet après-midi, nous avons adopté le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Le transport routier est également une question dont nous discutons.
Le transport fluvial est lui aussi un sujet majeur pour notre pays. Mon collègue François Grosdidier complètera mon propos concernant l’abandon ou le report des liaisons Saône-Moselle et Saône-Rhin, projets majeurs pour le développement du transport fluvial.
Avec 7 000 kilomètres de voies fluviales, la France se situe au troisième rang européen pour ce qui concerne le transport fluvial, car son réseau n’est pas souvent capable d’accueillir des bateaux de gros gabarit, pouvant transporter 1 500 tonnes. C’est l’un de nos handicaps en la matière.
Surtout, madame la ministre, malgré notre réseau formidable, le trafic sur nos voies fluviales est aujourd’hui quatre fois moindre que celui des Pays-Bas et six fois moindre que celui de l’Allemagne. C’est la question de la compétitivité de notre réseau fluvial qui se pose. Comment comptez-vous procéder pour retrouver la compétitivité ?
Enfin, à la suite de la décision de fermer très rapidement les centrales à charbon, décision qui aura des incidences sur les ports, quelles mesures allez-vous prendre pour retrouver des équilibres ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, la question de la place du transport fluvial dans notre transport de marchandises est effectivement un sujet important.
Je ne peux pas me satisfaire de la place que le transport fluvial – pas plus, d’ailleurs, que de celle du transport ferroviaire – occupe actuellement dans notre transport de marchandises.
Cependant, redynamiser le transport fluvial suppose déjà, dans un premier temps, de maintenir notre réseau en état. À cet égard, l’augmentation d’une centaine de millions d’euros par an, pendant une période d’une dizaine d’années, du montant consacré à la régénération de ce réseau constitue le premier enjeu.
Le deuxième enjeu est celui de la modernisation de ce réseau fluvial. En l’espèce, le programme a été évalué à 330 millions d’euros. Il pourra être réalisé, selon les scénarios, sur une période de cinq ou dix ans.
C’est également toute une profession qu’il faut accompagner, ce qui passe notamment par des efforts de formation et de sensibilisation à l’intérêt de ce mode de transport fluvial.
Enfin, il faut être capable d’attirer de nouveaux chargeurs vers la voie d’eau. C’est tout le sens des dispositifs de soutien au transport fluvial, qu’il s’agisse du plan d’aides à la modernisation et à l’innovation, pour avoir, demain, un transport fluvial encore plus performant sur le plan environnemental – c’est notamment l’enjeu de la transition énergétique de la flotte fluviale de marchandises –, ou, afin d’encourager les nouveaux trafics, du plan d’aide au report modal, qui est doté de 20 millions d’euros et qui doit permettre d’amorcer le report de nouveaux trafics vers le transport fluvial.
Reste le sujet de l’aide à la pince pour financer le surcoût du transbordement des conteneurs. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les modalités de cette aide seront précisées prochainement. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a bien indiqué que nous maintiendrions une aide à la pince, que ce soit pour le transport fluvial ou pour le transport ferroviaire.
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Madame la ministre, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement sur la liaison fluviale à grand gabarit entre la Moselle et la Saône, projet annoncé depuis des décennies en raison de son intérêt en matière de desserte des bassins industriels lorrains.
Ce projet a pris encore beaucoup plus d’intérêt avec l’abandon, il y a vingt ans, de la liaison Rhin-Rhône par le Doubs : alors qu’on la pensait complémentaire, la liaison entre la Moselle et la Saône est devenue l’alternative indispensable.
Il est, en effet, impératif de relier le Rhin et la Méditerranée par une voie fluviale aux caractéristiques permettant l’accueil des bateaux de la classe européenne Vb, dits « grands rhénans », dont le tonnage peut aller jusqu’à 6 000 tonnes.
La liaison entre la Moselle et la Saône correspondrait aux voies navigables d’intérêt international. Elle serait un élément clé du corridor multimodal européen n° 9.
Le réseau fluvial français présente une trop faible proportion de voies à grand gabarit par rapport à celui de nos voisins européens : seulement un cinquième du réseau – contre environ la moitié chez eux –, avec 1 700 kilomètres sur 8 500.
L’intérêt de faire passer la liaison Rhin-Rhône par la Moselle et la Saône dépasse le fait de relier les bassins par des canaux à grand gabarit. Il s’agit aussi d’adapter les voies aux dimensions des bateaux et de désengorger les canaux existants.
L’enjeu est, en outre, de relier les activités économiques du nord-est de la France à celles des bassins rhodanien et méditerranéen.
L’intérêt est économique et écologique. Il faut transférer le maximum de marchandises qui ne sont pas soumises aux flux tendus de la route vers le rail et le fleuve.
Ce projet est structurant pour les régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté. Je vous rappelle que Metz et Thionville, distantes de trente kilomètres, sont les sixième et septième ports fluviaux français, Metz étant le premier port pour les céréales et Thionville le premier pour la métallurgie.
Il y a longtemps déjà, j’avais fait inscrire ce projet au schéma national des voies navigables. Cela ne date pas d’hier puisque Bernard Pons était alors ministre de l’équipement et des transports !
Ce projet avait été confirmé par la loi Grenelle de 2009.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. François Grosdidier. Des études ont été entamées par l’État, nous le savons, mais, à notre connaissance, elles n’ont pas été achevées.
Il est fondamental de relier la mer du Nord à la Méditerranée. J’aimerais, en conséquence, savoir, madame la ministre, où en sont les études et les discussions sur ce projet. Le Gouvernement soutient-il toujours cette mise en œuvre ? Et si oui, quels moyens compte-t-il investir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, le canal Saône-Moselle–Saône-Rhin consiste, vous l’avez rappelé, à créer une liaison fluviale à grand gabarit entre la Méditerranée, l’Europe du Nord et l’Europe centrale par un canal entre la Saône et la Moselle, d’une part, et la Saône et le Rhin, d’autre part. Le linéaire concerné représente environ 350 kilomètres, pour un coût de l’ordre de 15 milliards d’euros.
L’enjeu est de relier aux principaux réseaux fluviaux et maritimes européens les ports maritimes et le réseau fluvial à grand gabarit de l’est de la France.
Le coût de cette infrastructure apparaît hors de portée des financements actuellement envisageables. J’ai mentionné les besoins complémentaires et les sommes supplémentaires qu’il nous faudrait consacrer à la régénération et à la modernisation de notre réseau fluvial, sans parler des projets d’aménagement autour du canal Seine-Nord et du canal Seine-Nord lui-même et des autres besoins afférents aux projets ferroviaires ou routiers. À regarder le coût de ce projet avec lucidité, on voit bien qu’il n’est pas réalisable à court ou même à moyen terme. C’est la raison pour laquelle la commission Mobilité 21 l’avait retenu comme un projet de très long terme. Et, de fait, il n’a pas été examiné par le Conseil d’orientation des infrastructures.
Dans ces conditions, la perspective d’un débat public, initialement envisagé et qui avait fait l’objet d’une préparation entre VNF et les collectivités locales concernées, a été abandonnée en 2013.
Certes, on voit bien les nombreux atouts dont dispose ce projet. Toutefois, les besoins considérables recensés par ailleurs me conduisent à considérer qu’il vaut mieux l’appréhender sur le long terme plutôt que sur le court ou le moyen terme. Quoi qu’il en soit, il n’a en effet pas été retenu parmi les scénarios du Conseil d’orientation des infrastructures.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le canal Seine-Nord a déjà mobilisé l’attention cet après-midi, permettez-moi de poursuivre encore quelques minutes sur le sujet. Je l’aborderai toutefois sous un autre angle.
Le canal Seine-Nord est un grand projet structurant pour la région Hauts-de-France, mais aussi pour l’Île-de-France. Il est absent du rapport Duron, puisqu’il a été considéré comme acté. Je le rappelle, il contribuera à développer une mobilité durable dans notre pays et il est au centre de toutes nos attentions.
Toutefois, vous le savez, des interrogations sur son financement persistent. Les inquiétudes portent notamment sur l’origine de la part du financement de l’État qui reste, quant à elle, à définir, même si, madame la ministre, vous nous avez donné plusieurs pistes, sur lesquelles je reviens. Le lundi 28 mai, vous avez annoncé que le Gouvernement travaillait sur la possible instauration d’une vignette temporelle, afin que les transporteurs routiers contribuent au financement des infrastructures.
Cependant, la commission des transports et du tourisme du Parlement européen a adopté, le 24 mai, le rapport de Mme Christine Revault d’Allonnes Bonnefoy sur la proposition de révision de la directive Eurovignette. Il y est proposé, par l’amendement n° 38, que, à partir du 1er janvier 2021, les autoroutes concédées soient soumises à une redevance pour coûts externes. Il s’agit donc de supprimer progressivement l’utilisation des droits d’usage fondés sur la durée pour instaurer un système basé sur une distance parcourue. Dans ces conditions et si le rapport est définitivement pris en compte, les États membres n’auront plus le choix.
Aussi, je vous demande, madame la ministre, alors que vous comptez instaurer un système de vignette pour financer les travaux d’infrastructures et que l’Union européenne semble avoir une autre orientation, privilégiant plutôt le principe de pollueur-payeur, si vous pouvez nous éclairer sur les perspectives et sur vos intentions.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je le précise, aucune décision n’est prise actuellement sur les modalités de financement des infrastructures.
Plusieurs pistes sont, il est vrai, évoquées dans le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures.
La première, qui peut être tentante, consisterait à proposer de financer tout cela par redéploiement. Nous sommes en présence de différents scénarios. Ainsi, le scénario 2 du Conseil d’orientation des infrastructures, qui est le scénario médian, repose sur un redéploiement de ressources supplémentaires à hauteur de 600 millions d’euros. Si je me tourne vers mes collègues du Gouvernement pour leur demander s’ils ont trop d’argent dans leur budget, je ne suis pas sûre d’avoir beaucoup de succès ! Cela étant, on peut en effet explorer cette piste.
Une autre piste serait de s’interroger sur l’augmentation pour les professionnels du remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ou TICPE, en suivant le rythme de progression de la fiscalité carbone.
Dernière piste, enfin, l’hypothèse d’une redevance.
Les transporteurs routiers sont particulièrement attentifs à ces sujets très sensibles.
Je vous confirme que nous sommes en train d’y réfléchir. Nous nous sommes donné pour premier objectif de faire participer au financement de nos infrastructures les poids lourds qui transitent par notre pays et qui, aujourd’hui, font le plein dans les pays limitrophes. L’idée est d’autant plus intéressante que l’usure de l’infrastructure est en cause. En outre, les enjeux s’appréhendent souvent en termes de dimensions, car ces flux très importants de poids lourds qui traversent notre territoire rendent nécessaire le doublement d’un certain nombre de routes nationales.
Le premier enjeu, c’est de bien répondre à cet objectif de faire participer ces poids lourds en transit à nos infrastructures. Il en est un deuxième, qui est de s’assurer que la charge ne pèsera pas sur les transporteurs routiers. En effet, on le sait très bien, il s’agit souvent de petites entreprises fragiles. Cela conduit à s’interroger sur leur capacité à répercuter la charge sur les chargeurs pour avoir une fiscalité écologique qui fasse payer le coût du transport à ces utilisateurs. Ces réflexions sont donc en cours.
J’ai bien noté les propositions contenues dans le rapport de Mme Revault d’Allonnes Bonnefoy. Nous sommes un certain nombre d’États à considérer que l’Europe doit laisser aux États membres des marges de manœuvre quant à la façon d’envisager le financement de nos infrastructures. Et nous serons un certain nombre d’États à ne pas souscrire à l’orientation proposée dans ce rapport.
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de tirer la conclusion de ce débat au nom de mon groupe.
Nous l’avons vu, malgré d’indéniables atouts, le transport fluvial reste marginal en France.
La part modale de la voie d’eau dans notre pays – plusieurs chiffres ont été cités, il semble qu’elle se situe autour de 3 % – est inférieure à celle que l’on constate à l’échelon européen – 7 % – et, encore plus, à celle des Pays-Bas – 43 % –, de l’Allemagne – 15 % – et de la Belgique – 12 %.
Sur 18 000 kilomètres de voies d’eau, la France possède 8 500 kilomètres de voies navigables mais seulement 1 700 kilomètres au gabarit européen. Un maillage fluvial du territoire français existe donc, mais il souffre d’une absence d’interconnexions entre les bassins à grand gabarit. J’y reviendrai plus tard, avec un exemple précis.
À cela s’ajoutent les sous-investissements du passé, qui ont aggravé le poids de certains handicaps, entraînant une lente obsolescence de l’infrastructure et laissant notre réseau dans un état d’inadaptation aux conditions d’une nouvelle dynamique du secteur.
La France subit ainsi ce déficit fluvial, qui est également la conséquence du défaut d’une stratégie assez globale des pouvoirs publics.
Cela a été largement rappelé lors de nos débats, les investissements en faveur des voies navigables demeurent insuffisants dans notre pays.
Les investissements actuellement consentis à cette fin, à hauteur de 150 millions d’euros par an, ne permettent pas de maintenir le réseau en état et d’empêcher son vieillissement.
Ainsi, certains ouvrages, notamment sur le petit gabarit, se dégradent et deviennent moins fiables, au point qu’il n’est plus possible d’y circuler – c’est le cas, par exemple, du canal Sambre-Oise.
Pour les remettre à niveau, nous le savons, il faudrait notamment procéder à des drainages, régénérer les écluses, renforcer l’automatisation et améliorer la sécurité des installations.
La situation devrait demeurer sous contrôle encore cinq à six ans, mais sans investissements supplémentaires elle deviendrait plus difficile.
Au-delà de ces considérations financières, il est toutefois urgent d’avoir une vraie vision pour le transport fluvial. II ne faut pas perdre de vue que l’amélioration de notre performance environnementale passe par l’utilisation d’autres modes complémentaires, comme le transport fluvial. Cela a été dit, celui-ci consomme trois fois moins d’énergie que le transport routier.
Ce mode de transport dispose de fortes réserves de capacité et peut absorber un important trafic de marchandises. Présent au cœur des plus grandes agglomérations, il offre des itinéraires de contournement des points de saturation, tout en assurant une desserte de proximité.
Écologique par sa moindre consommation d’énergie et ses faibles niveaux d’émission de polluants et de CO2, économique par sa capacité de tonnage, fiable par la sûreté de ses acheminements et sa ponctualité, la voie d’eau propose des solutions adaptées aux nouvelles exigences en matière de transport.
Je souhaite, madame la ministre, vous interroger sur l’avancement des études en cours relatives à la liaison fluviale Saône-Moselle–Saône-Rhin.
Je vous ai entendue répondre à mon collègue Grosdidier. Ce que je regrette beaucoup, c’est que nous ayons été privés du projet de canal qui existait à l’horizon 1995. Sous prétexte que le Premier ministre n’a pas signé le décret, une nouvelle ministre a annulé ce grand projet qui est, pour notre région, l’erreur du siècle dernier et du début de ce siècle ! Cela ne me satisfait pas de vous entendre dire que c’est un très beau projet, à très long terme. Il s’agit quand même de relier le cœur économique de l’Europe à la Méditerranée !
Je regrette un peu de faire état de cette indiscrétion, mais parce que je suis un élu bourguignon, je ne pouvais pas la passer sous silence !
Mes chers collègues, à travers ce débat, le groupe Les Républicains et moi-même avons souhaité interroger le Gouvernement sur l’urgente nécessité de mener une politique volontariste en faveur du transport fluvial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le transport fluvial à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité
Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité, organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
La parole est à M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré les mesures mises en œuvre par les gouvernements successifs au cours des dernières décennies, la route demeure, en France, la première cause de mort violente.
Chaque année, environ 3 500 personnes meurent dans un accident de voiture et 75 000 sont blessées, dont 28 000 grièvement.
Ce constat préoccupant appelle une politique publique forte de lutte contre l’insécurité routière.
La fixation des vitesses maximales autorisées, le port obligatoire de la ceinture et du casque, l’introduction du permis à points, ou encore l’introduction des radars automatiques sont autant de mesures qui ont permis de mieux sécuriser nos routes.
Ainsi, entre 1970 et 2010, la baisse du nombre de morts a été significative, puisque l’on est passé de plus de 17 000 personnes tuées à moins de 4 000.
Il semblerait toutefois que nous ayons atteint un palier : malgré de nouvelles mesures, les chiffres de l’insécurité routière ne diminuent plus depuis 2013 et sont même en légère augmentation.
Pour répondre à cette inversion de tendance, le Premier ministre a annoncé, le 9 janvier dernier, le lancement d’un nouveau plan de lutte contre l’insécurité routière.
Composé de dix-huit mesures, ce plan vise à donner une nouvelle impulsion, afin de faire baisser la mortalité sur les routes. L’objectif annoncé est ambitieux : atteindre moins de 2 000 morts sur les routes d’ici à 2020.
L’une de ces mesures a focalisé le débat public : l’abaissement, à compter du 1er juillet prochain, de la vitesse maximale autorisée de 90 kilomètres par heure à 80 kilomètres par heure sur les routes à double sens sans séparateur central. Cette décision est loin d’être anodine et concernera, dans la pratique, une part significative du réseau routier secondaire !
Cette mesure a suscité de nombreuses oppositions et critiques. Beaucoup s’interrogent sur son utilité et sur sa proportionnalité. Les incompréhensions parmi la population sont d’autant plus vives que le Gouvernement n’a pas procédé à une concertation préalable suffisante ni fourni d’éléments de nature à étayer sa décision.
Selon une étude récente réalisée par l’assureur Axa Prévention, 76 % des Français y seraient ainsi opposés.
Or nous savons que l’efficacité d’une mesure repose en partie sur sa compréhension et sur son acceptabilité par la population. Cela est d’autant plus vrai en matière de sécurité routière, domaine dans lequel le comportement des conducteurs joue un rôle majeur. Qui plus est, dans un contexte où la fracture territoriale et le sentiment d’éloignement, déjà éprouvés par beaucoup de nos concitoyens, risquent de s’en trouver exacerbés.
Je rappelle, en outre, qu’il est nécessaire d’aborder l’enjeu de la sécurité routière de manière globale, en incluant notamment la question des moyens accordés aux collectivités pour l’entretien et la réfection des routes, ou encore la prévention des conduites à risque telles que l’absorption d’alcool, de stupéfiants ou la prise de certains médicaments.
À la suite à cette annonce gouvernementale, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois du Sénat ont décidé, le 24 janvier dernier, de créer un groupe de travail pluraliste chargé de conduire ses travaux dans des délais contraints, liés au souhait de rendre des conclusions en temps utile, c’est-à-dire avant la publication du décret de mise en œuvre de la réduction de vitesse à 80 kilomètres par heure.
Nous nous sommes ainsi efforcés d’évaluer, sans a priori, l’utilité et l’efficacité de cette mesure en organisant une série d’auditions, afin d’entendre l’ensemble des parties prenantes : principaux acteurs de la sécurité routière, représentants d’élus locaux, usagers de la route…
Au total, quarante-sept personnes ont été entendues, à l’occasion de dix-sept auditions et tables rondes.
Nous avons, en parallèle, décidé d’ouvrir sur le site du Sénat un espace participatif, afin d’associer à cette réflexion l’ensemble de la société civile.
Le succès de cette plateforme est sans précédent : en quelques semaines, plus de 23 000 contributions de citoyens ont pu être collectées !
Dans l’ensemble, les témoignages recueillis font état d’un rejet assez large de la mesure au sein de la société civile. S’il est bien sûr difficile de généraliser ces conclusions, nous pouvons, en tout état de cause, y voir le signe d’une très forte mobilisation.
Les deux commissions ont adopté à l’unanimité le rapport que nous leur avons soumis le 18 avril dernier. Mes deux collègues vous présenteront de manière plus précise les résultats de nos travaux, ainsi que nos propositions. Je souhaite, à cet égard, rappeler qu’un consensus s’est très naturellement dégagé sur les conclusions de ce rapport.
Mes chers collègues, la réduction de la mortalité sur les routes doit, plus que jamais, être placée au rang de priorité. Mais il est de notre devoir de parlementaires de nous assurer que les mesures mises en œuvre par le Gouvernement sont pertinentes et proportionnées au regard de l’objectif poursuivi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, si nous sommes rassemblés ici ce soir, c’est parce que nous nous accordons tous unanimement pour reconnaître la gravité de ce dossier et que nous sommes tous très sensibles à la sécurité routière. Je tenais à le rappeler !
J’ai, à dire vrai, de bonnes raisons de reprendre la genèse de cette histoire, qui fait énormément de bruit à l’échelon national, en fait toujours et n’a pas fini d’en faire, je peux vous l’assurer, madame la ministre ! En effet, lorsque les premières questions ont été posées au Gouvernement, que ce soit ici au Sénat ou à l’Assemblée nationale, les réponses des différents ministres ont été méprisantes, infantilisantes, voire culpabilisantes vis-à-vis des parlementaires !
M. Alain Fouché. C’est vrai !
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Lorsque nous leur avons demandé sur quelles bases et à partir de quelles expérimentations cette mesure avait été décidée, nous n’avons obtenu, dans un premier temps, aucune réponse ! Et c’est ainsi que, grâce à l’appui du président Larcher, du président de la commission des lois, du président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, il a été décidé, au Sénat, dont on ne peut mettre en doute ni la sagesse ni le sérieux et dont le rôle est aussi de contrôler le Gouvernement, de constituer un groupe de travail sur le sujet.
Nous nous sommes mis au travail. Aux premières questions que nous avons posées, nous avons eu beaucoup de mal à obtenir des réponses. Ce fut le cas pour cette fameuse étude du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, ou CEREMA. Les choses furent encore beaucoup plus difficiles quand nous avons abordé l’étude de l’accidentalité.
Nos conclusions ont toutefois été assez claires : si personne ne détient la vérité, pas plus en matière de sécurité routière que dans d’autres domaines, la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure constitue un seuil psychologique inacceptable. De plus, les 400 000 kilomètres de routes secondaires concernés se trouvent dans des départements qui, l’un après l’autre, se sont vu refuser des mises à deux fois deux voies de routes. Récemment d’ailleurs, la Cour des comptes a souligné les lenteurs excessives de l’État à propos d’une route à deux fois deux voies ; celle-ci était située, me semble-t-il, en Saône-et-Loire, mais on pourrait citer des exemples dans beaucoup d’autres départements.
Or si le Gouvernement avait vraiment envie de réduire le nombre de morts, puisqu’il nous explique que celles-ci sont beaucoup moins nombreuses sur les routes à deux fois deux voies, il fallait commencer par cela ! Surtout qu’il récolte 2 milliards d’euros grâce aux PV ! Quand même peut-être y a-t-il moyen de faire un peu plus !
Certes, je le répète, personne n’est sûr de détenir la vérité, mais il faut se poser de nombreuses questions quand on sait que, comme vient de le souligner mon collègue, 76 % des Français sont opposés à cette mesure. Ce pourcentage englobe des gens des villes et des gens des champs. L’Assemblée des départements de France, l’ADF, dont nous avons auditionné les représentants, lesquels adhèrent à la conclusion que va développer ma collègue Michèle Vullien, est également opposée à cette mesure.
Plus grave encore, nous avons senti, madame la ministre, une fracture assez importante au sein du Gouvernement.
À additionner tous ces points de vue, notre position s’en trouve largement confortée.
Votre ministre de tutelle a récemment sorti son joker. Le ministre chargé de l’aménagement du territoire s’est déclaré officiellement opposé. J’ai lu le dernier article consacré au sujet par Le Parisien et j’ai compté une dizaine de ministres sur vingt-deux qui étaient défavorables à cette mesure.
Et ce n’est pas de notre faute si la communication du Premier ministre a dérapé dès le départ. Sur les dix-huit mesures prises, il ne nous a parlé que de la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure sans nous donner la moindre explication et sans nous dire pourquoi, en s’appuyant sur des arguments scientifiques, cette mesure pouvait être mise en place.
On ne saura d’ailleurs jamais si elle porte ses fruits. En effet, dans le même temps, on installe des radars plus performants à double sens. Heureusement, on compte quelques routes à deux fois deux voies supplémentaires. Et la technologie des véhicules s’améliore, ce qui va également permettre de sauver des vies. Si bien que le bilan fait en fin d’année fera peut-être état de vies sauvées, mais l’on ne pourra jamais être certain que ce succès est dû à la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Je vais évidemment continuer à travailler sur ce sujet.
Je ferai maintenant une dernière remarque. Parmi les dix-huit mesures, il en est une sur la prévention routière qui est complètement vide ! Et pendant ce temps-là, le Premier ministre nous dit que le surplus des PV – ce qui représente 300 à 400 millions d’euros, car l’une des rares mesures qu’on ait pris la peine d’évaluer, c’est ce que vont rapporter les PV !– sera dédié aux hôpitaux.
M. Alain Fouché. Absolument !
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Je rappellerai au passage que la base de la sécurité routière, ce n’est pas la réparation du mal, c’est la prévention ! Lorsqu’une jambe est coupée ou que le crâne est fracturé, il est trop tard !
Je souhaite très fortement que la prévention soit renforcée, et ce sera l’une de nos actions futures. Quand vous pensez que le budget de la prévention routière a été ramené à 12 millions d’euros et que l’État lui donne généreusement 30 000 euros, après avoir prélevé 2 milliards d’euros d’impôts sur le dos de cette masse d’automobilistes qui n’ont parfois dépassé la vitesse maximale autorisée que d’un kilomètre par heure, on peut se poser beaucoup de questions sur la validité de ces mesures !
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. le président. Merci de conclure, cher collègue !
M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail. Je ne rentrerai pas dans le détail de l’analyse des chiffres, qui est faussée.
Je dirai, en guise de conclusion, que les publicités actuellement diffusées à la télévision ne sont pas loin d’être mensongères. Mes collègues et moi- même avons, par honnêteté, refusé de comparer la France avec d’autres pays parce que la comparaison ne vaut pas. Je pourrais pourtant dire que, en Allemagne, on roule plus vite que chez nous et qu’il y a moins de morts, je pourrais dire que, en Angleterre, on roule également plus vite. J’ai refusé de le faire, ce dont le Premier ministre, en revanche, ne s’est pas privé dans les publicités ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien, rapporteur du groupe de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Michèle Vullien, rapporteur du groupe de travail. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par remercier mes deux collègues qui viennent de s’exprimer. Ensemble, nous avons formé un trio qui, je le pense, a travaillé tout à fait honnêtement. Je tiens également à remercier les administrateurs qui nous ont accompagnés tout au long de ces quarante-sept auditions et qui ont rédigé le rapport actuellement à votre disposition pour un coût de 3,50 euros, mais qui sera donné gracieusement ! (Sourires.)
Le 14 juin prochain, les trois rapporteurs du groupe de travail sur la sécurité routière iront défendre leurs travaux et leurs recommandations auprès du Premier ministre Édouard Philippe. Je m’y rendrai avec la ferme volonté de le convaincre de changer ses positions.
Il est bien évident que nous partageons les mêmes objectifs : comme mes collègues l’ont dit, chaque mort, chaque blessé est de toute façon un mort ou un blessé de trop. Le débat n’est pas là : il porte sur les moyens et les modalités de mise en œuvre.
La décision unilatérale de limiter la vitesse à 80 kilomètres par heure est bien le premier couac, parce qu’elle a focalisé l’ensemble des critiques et que la brutalité de son annonce constitue à mes yeux un paradoxe.
Paradoxe, d’abord, au regard du discours général du Gouvernement vantant les mérites de la concertation et le respect des spécificités des territoires. Ainsi, dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire, le rôle des régions est considérablement renforcé, car, nous dit-on, elles connaissent les besoins et les contraintes de leurs territoires. Pourquoi la sécurité routière devrait-elle faire exception ?
Sur les limitations de vitesse, notre position n’est pas dogmatique. Pourquoi pas 80 kilomètres par heure là où cela se justifie ? Mais laissons plutôt les départements, gestionnaires des voiries, moduler la vitesse en fonction de critères objectifs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Michèle Vullien, rapporteur du groupe de travail. Il est tout aussi absurde de proposer 80 kilomètres par heure partout, comme le fait le Gouvernement, que 80 kilomètres par heure nulle part, comme le fait l’opposition. Pour ma part, je suis certaine que, si on laisse cette décision aux départements, certaines routes verront même leur vitesse limitée à 70 kilomètres par heure, quand c’est justifié ; il ne faut pas, en revanche, que cela soit systématique.
M. Michel Savin. Bien sûr !
Mme Michèle Vullien, rapporteur du groupe de travail. Paradoxe, ensuite, quant au dispositif global annoncé. Celui-ci comprend 18 mesures portant, notamment, sur la prévention, les distracteurs, l’alcoolémie, la conduite sous l’emprise de produits stupéfiants ou encore la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure. Dès lors, et alors que les experts nous expliquent que les accidents sont généralement liés à l’association de plusieurs facteurs, pourquoi la nouvelle limitation de vitesse s’appliquerait-elle dès le 1er juillet quand le reste des mesures ne serait mis en œuvre qu’au 1er janvier 2019 ?
Paradoxe, enfin, d’un Premier ministre qui campe sur des positions fondées sur une étude controversée, et qui ne parvient pas à créer l’unanimité au sein même de son gouvernement. Je lui suggérerais plutôt d’utiliser à son tour un « joker », de suivre les recommandations de notre assemblée et de sortir ainsi de la controverse par le haut. Tel sera l’enjeu de notre prochaine entrevue.
Avant de conclure, mes chers collègues, et pour être absolument certaine que toutes les conditions seront réunies pour convaincre le Premier ministre, je souhaite lancer deux appels solennels.
Le premier s’adresse aux présidents des conseils départementaux. Qu’ils établissent dans le délai imparti, de manière objective et argumentée, une cartographie des limitations de vitesse sans a priori politique ! Qu’ils n’oublient pas que la décision est gouvernementale ! Les citoyens ne comprendraient pas leur réticence à abonder dans notre sens, si elle aboutissait au maintien d’un statu quo à 80 kilomètres par heure.
Le second s’adresse au ministère de l’intérieur. Je sais combien ses effectifs sont mobilisés au service de la République. Pourtant, les résultats d’une politique générale de sécurité routière ne se feront réellement sentir que par une multiplication des contrôles. Il est difficile, pour nos concitoyens, d’accepter des mesures de limitation de vitesse quand ils savent, par ailleurs, que 600 000 automobilistes circulent sans permis ou que les rodéos nocturnes se poursuivent en toute impunité.
J’ai la certitude que la vision de notre groupe de travail est la bonne. Encore une fois, nous poursuivons les mêmes objectifs ; seule la mise en œuvre diffère : nous faisons confiance aux gestionnaires de voirie et au terrain. Sortir d’une injonction uniforme et arbitraire, c’est déjà faire un pas de géant pour que la mesure soit mieux comprise et puisse commencer d’être acceptée par les Français.
Nous savons parfaitement qu’en matière de sécurité routière une mesure ne se doit pas d’être populaire pour démontrer son efficacité. Mais si nous avons la possibilité de la rendre moins impopulaire sans la rendre inefficace, pourquoi nous en priver ?
Madame la ministre, je compte sur vous pour faire entendre raison à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché et M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la sécurité routière est notre priorité, c’est vrai. À la suite du comité interministériel de la sécurité routière du 9 janvier dernier, le Gouvernement, par la voix du Premier ministre, a décidé avec ténacité qu’à compter du 1er juillet prochain la vitesse maximale autorisée sur les routes à double sens sans séparateur central serait réduite de 90 kilomètres par heure à 80 kilomètres par heure.
Cette annonce est intervenue sans concertation préalable. Le Premier ministre a lui-même admis qu’elle n’était le résultat d’aucune expérimentation fiable.
Certes, une expérimentation a été réalisée, pendant deux ans, sur 86 kilomètres de routes, mais M. Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, a affirmé – de manière inexacte, d’ailleurs – devant notre commission du développement durable qu’elle « n’avait pas pour but de faire diminuer le nombre de morts ». Heureusement, car ses résultats sont extrêmement mauvais, et ce malgré la réalisation d’importants travaux de sécurité de voirie avant l’expérimentation.
Cette mesure n’est justifiée que par un chiffre hypothétique – 400 morts pourraient être évitées – tiré de l’idée selon laquelle une diminution de 1 % de la vitesse entraînerait une baisse de 4 % des accidents mortels.
Comment expliquer, alors, que certains de nos voisins européens soient mieux classés que nous quant au nombre de tués sur les routes, alors qu’ils appliquent une limitation de vitesse supérieure à 80 kilomètres par heure ?
En l’absence d’éléments de nature à justifier cette décision très contestée par la population, par de nombreux parlementaires de la majorité présidentielle, et même par les forces de l’ordre dans leur majorité, le Sénat a mis en place un groupe de travail conjoint afin d’évaluer, sans a priori, l’utilité et l’efficacité de cette mesure.
Je voudrais saluer ici la volonté des présidents de la commission des lois et de la commission du développement durable, et relever le travail remarquable qu’ont accompli nos trois rapporteurs.
La conclusion du rapport est pleine de bon sens : il faut décentraliser vers l’échelon départemental la décision de réduire la vitesse.
Le président du département, propriétaire de la plupart de ces routes, doit prendre cette décision après avoir consulté la préfecture, les maires et les forces de l’ordre.
Le ministre de l’intérieur lui-même doute de l’efficacité d’une généralisation de cette mesure. Il a dit « joker », et c’est vous, madame la ministre, qu’il envoie au charbon aujourd’hui ! (Sourires.)
Comment doubler un train de camions lorsqu’on roule à 80 kilomètres par heure ? L’automobiliste sera coincé derrière des files de voitures, tout dépassement sera dangereux, voire impossible, sans parler du risque d’endormissement. Des heures et de l’argent seront perdus, outre les conséquences sur l’environnement et la pollution. Il faut cibler cette mesure sur les routes accidentogènes !
Sur la route, le risque zéro ne peut exister. Nous vous demandons donc, madame la ministre, de prendre en compte les territoires pour lesquels la route est le seul moyen de se déplacer.
La politique du tout radar ne marche plus depuis qu’on privilégie le désendettement de l’État plutôt que la sécurité. Notre collègue Vincent Delahaye l’a démontré : la politique d’implantation des radars favorise la rentabilité au détriment de l’efficacité.
Quant aux sommes rapportées par la verbalisation des automobilistes, une note de la Cour des comptes publiée le 23 mai dernier révèle que, sur les quelque 2 milliards d’euros récoltés en 2017, 438 millions d’euros, soit près de 22 %, sont affectés au désendettement de l’État et non à la sécurité.
La privatisation des radars permettra, selon le Gouvernement, de passer de 2 à 12 millions de flashs, ce qui pourrait rapporter jusqu’à 2 milliards d’euros supplémentaires !
Une partie de cette somme – c’est nouveau – pourrait être affectée aux hôpitaux. Il faut être sérieux ! On ferait quand même mieux de commencer par affecter ces sommes à la sécurité, pour éviter que les usagers ne finissent à l’hôpital !
Les dotations versées par l’État aux départements pour l’entretien des routes ne cessent de diminuer, alors même que le produit des radars n’a jamais été aussi élevé. Dans mon département, la Vienne, les dotations ont baissé de 27 % entre 2015 et 2017.
Nous vous demandons, madame la ministre, de mettre en place une véritable politique de sécurité routière, plutôt que des mesures qui aggravent la défiance des usagers de la route envers un système qu’ils assimilent à du racket. La mise en place d’une telle politique peut passer par la prévention des comportements dangereux et de la consommation d’alcool et de stupéfiants, ou encore par l’implantation de faux radars, comme en Angleterre.
L’objectif ne doit pas être la rentabilité financière du système : il s’agit plutôt de promouvoir des comportements raisonnables et responsables sur la route, pour toujours plus de sécurité.
Quant au choix des routes qui feront l’objet d’une réduction de la vitesse, faisons confiance aux présidents de département !
Madame la ministre, je vous connais, vous êtes convaincante. Je vous laisse donc le soin d’orienter le Premier ministre dans ce sens : laissons les départements gérer cela !
Par ailleurs, il y a quelques années, j’avais déposé un amendement visant à permettre de récupérer un point de permis en six mois, au lieu d’un an, et deux points en un an, au lieu de deux ans ; il tendait également à offrir des formations plus rapides. Cela avait suscité un tollé général, notamment de la part de M. Hortefeux, et de vraies engueulades ! Pourtant, en définitive, c’était une bonne mesure, puisqu’il n’y a pas eu par la suite plus d’accidents et de morts. Cela démontre que la sécurité n’est pas qu’une affaire de sanctions ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, près de 3 700 personnes ont perdu la vie sur les routes de France en 2017, les accidents corporels ont augmenté de plus de 2 %, et le nombre de personnes blessées de 1,3 %, soit près de 74 000 personnes, pour 59 000 accidents ; la situation de la sécurité routière en France est donc préoccupante.
Après avoir atteint son plus bas niveau en 2013, la mortalité routière a connu trois années de hausse consécutives. Pour répondre à cette évolution inquiétante, le Gouvernement a décidé d’abaisser à 80 kilomètres par heure la limitation de vitesse sur les routes nationales à compter du 1er juillet. Cette mesure a suscité de nombreux débats et de vives oppositions, de la part tant des élus locaux que des professionnels de la route et des usagers. Au vu des sondages les plus récents, ceux-ci continuent en majorité de la désapprouver.
Toutefois, le Premier ministre a confirmé l’entrée en vigueur de cette mesure à partir de l’été prochain. La véritable question est donc désormais celle de sa mise en œuvre concrète et opérationnelle.
Le coût de l’installation de la nouvelle signalisation est estimé entre 5 et 10 millions d’euros. Il a été annoncé que ce coût serait entièrement pris en charge par l’État.
Par ailleurs, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière et les observatoires départementaux ont un rôle essentiel à jouer dans l’évaluation de cette mesure et la réalisation de comparaisons sérieuses, fondées sur des indicateurs fiables des comportements et de l’accidentalité, avant et après sa mise en œuvre.
En tant qu’élue d’un département rural et très enclavé, je suis cette mesure avec une attention particulière. En effet, la plupart des routes concernées se trouvent dans ces territoires où les transports en commun sont peu, voire très peu développés, où certaines petites lignes de chemin de fer pourraient être menacées, et où le véhicule personnel est indispensable pour pouvoir se déplacer. Si l’on ne peut que souscrire à la volonté de lutter sans relâche contre la violence et la mortalité routières, il existe de vraies interrogations et, localement, de fortes, voire de très fortes réticences à la mise en place d’une limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure. On peut vraiment le comprendre.
Malgré le bien-fondé de l’objectif final, il faut convenir que cette limitation contribuera, malheureusement, à aggraver l’enclavement déjà excessif de nos territoires. Cibler l’application de cette mesure m’apparaît donc essentiel. Que les décisions soient prises au plus près du terrain !
De plus, des mesures énergiques doivent être prises afin de modifier durablement les comportements dangereux : il faut interdire le téléphone et les écrans, et assurer le respect des limitations de vitesse.
Des investissements doivent également être réalisés afin d’améliorer l’état des routes. La France bénéficie d’infrastructures de transport d’une grande qualité, mais ce réseau est aujourd’hui trop peu entretenu. En outre, du fait de la départementalisation des routes et du manque de compensation financière de l’État, les disparités territoriales ont tendance à s’accroître. La forte baisse des financements à destination des collectivités locales, notamment en raison de la décentralisation du stationnement payant, n’est pas de nature à améliorer la situation. La position du Sénat sur ce point me paraît raisonnable et ses propositions mériteraient d’être expérimentées.
Dans tous les cas, la France doit pouvoir trouver les moyens d’améliorer réellement la sécurité routière. En 2018, notre pays ne peut plus se permettre de connaître encore des taux de mortalité routière presque doubles de ceux de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, pays où les limitations de vitesse sont pourtant plus élevées qu’en France sur les routes secondaires, puisqu’elles y sont fixées, respectivement, à 100 et 96 kilomètres par heure. On voit bien que la vitesse n’explique pas tout.
Les efforts en matière d’éducation doivent être poursuivis et accentués. Le rapport de Jean-Marc Gabouty sur le programme « Sécurité et éducation routières » de la loi de finances pour 2018 a salué une amélioration de la sincérité budgétaire pour les dépenses de communication et les frais d’étude et d’expertise.
La réforme du permis de conduire, engagée en 2014 et 2015, semble également porter ses fruits. On peut espérer que, grâce à elle, on verra de moins en moins de jeunes conduire sans permis.
Le délai moyen d’attente pour le passage de l’examen du permis de conduire poursuit sa baisse. La réforme mise en œuvre dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait pour objectif de rendre le permis à la fois plus accessible et plus transparent en réduisant ces délais, tout en relançant la conduite accompagnée, ce qui est une excellente chose. Cette réforme semble obtenir des résultats positifs, puisque le délai moyen entre deux présentations à l’examen du permis B est passé de 90 jours en 2014 à 57 jours en 2017. L’objectif d’une attente moyenne de 45 jours, inscrit au projet annuel de performance de 2017, n’apparaît donc plus hors d’atteinte.
Parallèlement, la durée de validité de l’examen du code est passée de trois à cinq ans. Les conditions de distance et de durée minimale pour la conduite accompagnée ont été supprimées, et les recrutements d’inspecteurs du permis de conduire ont été encouragés.
En revanche, le coût de la formation et des épreuves pour les usagers continue de poser problème. Selon le rapport remis en 2014 par Mme Florence Gilbert, ce coût s’établit en moyenne à 1 600 euros, ce qui reste un montant très élevé. En sont responsables des frais administratifs encore trop importants et un coût horaire de la leçon de conduite très élevé.
Afin de remédier réellement à ces difficultés, la solution ne serait-elle pas d’améliorer la concurrence entre les auto-écoles ou, en cas de défaillance du marché, de nationaliser l’ensemble de la formation, voire d’en faire une matière scolaire ?
Je vous remercie, madame la ministre, de répondre à ces différentes interrogations. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Michel Savin. Quelqu’un d’objectif ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, je voudrais avant tout remercier très chaleureusement la collègue qui, il y a quelques mois, m’a tapé sur l’épaule en me disant : « Mon pauvre vieux, tu fais partie du groupe La République En Marche, il va donc falloir que tu défendes les 80 kilomètres par heure ! » (Mêmes mouvements.)
Oui, je la remercie très chaleureusement, mais je la rassure : je me sens très bien et, comme d’habitude, je vais dire ce que je pense, non parce que je suis un soutien du Gouvernement, mais tout simplement parce que c’est ainsi que je procède.
Comme vous, mes chers collègues, j’ai travaillé et je me suis posé quelques questions.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous avez bien fait !
M. Arnaud de Belenet. Tout d’abord, une nouvelle impulsion dans la lutte contre les accidents était-elle nécessaire ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Arnaud de Belenet. Nous l’avons tous dit à cette tribune : oui ! Les chiffres stagnent depuis 2013 ; on déplore encore, chaque année, 3 500 tués et – on a oublié de le rappeler ce soir – 75 000 blessés, dont 28 000 grièvement. Ce sont autant de nos concitoyens qui, chaque année, voient leurs vies bouleversées, ainsi que les membres de leurs familles.
Tous, nous refusons de nous satisfaire de cet état de fait, nous refusons cette fatalité. Il fallait donc une nouvelle impulsion.
Cela suppose – le rapport le souligne, évidemment – que l’on s’attaque à l’ensemble des facteurs responsables.
Le plan annoncé le 9 janvier dernier les cible-t-il tous ? Il me semble que oui. La prévention et l’éducation sont au rendez-vous. Des investissements permettront, notamment en ville, de mieux protéger les piétons, dont la mortalité ne cesse elle aussi de croître.
Mme Cécile Cukierman. En ville, on ne roule pas à 90 kilomètres par heure !
M. Arnaud de Belenet. Le soutien au déploiement des nouvelles technologies, embarquées ou non, y figure aussi, de même que la lutte contre l’inattention, responsable de 10 % des morts. Je n’entrerai pas dans les détails, nous connaissons tous le plan.
Je voudrais quand même citer le durcissement des sanctions en cas d’usage d’un portable, qui iront jusqu’à la retenue du véhicule en cas de conduite dangereuse. Voilà des exemples du durcissement prévu qui me semble adapté.
Autres facteurs, les stupéfiants et l’alcool, qui sont responsables, respectivement, de 9 % et 19 % des accidents mortels. Là aussi, des mesures tout à fait drastiques et coercitives sont prévues.
Et puis, bien évidemment, le dernier facteur, la vitesse, a fait l’objet de la mesure la plus « popularisée », pour ainsi dire, notamment lors des cérémonies des vœux des maires, en janvier dernier : l’abaissement de la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes secondaires à double sens sans séparateur central, sur lesquelles 55 % des drames se produisent.
Un esprit chagrin pourrait regretter l’absence de statistiques probantes sur l’expérimentation décidée en 2013 et menée de 2015 à 2017. Cela change-t-il quelque chose ?
M. Jean-Luc Fichet. Oui !
M. Arnaud de Belenet. Pour moi, clairement, non ! L’utilité de cette mesure est en effet admise par toutes les études, et ce depuis longtemps, bien avant 2013. Ce sont ces études, toutes consensuelles, répétées et convergentes, qui ont conduit à la décision de 2013, en confirmant que limiter la vitesse, sur ces routes, à 80 kilomètres par heure, sauvera 350 à 400 vies chaque année !
Alors, j’ai conscience de ne pas forcément être très populaire, mais il y a des réalités. Chers collègues, vous déclarez ne pas vouloir ergoter, mais chercher à parfaire le dispositif, en confiant aux présidents des conseils départementaux ou aux maires le soin de décider de cet abaissement sur les routes les plus accidentogènes. Cette question a été posée de manière réitérée.
Gagnerait-on en visibilité ? Je n’en ai pas été convaincu ce soir. Gagnerait-on en risque de verbalisation ? Oui, certainement ! Les présidents des conseils départementaux et les maires eux-mêmes assumeraient-ils cette décision ? (Protestations.)
M. Jean-Luc Fichet. Oui !
M. Alain Fouché. Bien sûr !
M. Arnaud de Belenet. Quand on leur pose la question publiquement, ils répondent évidemment que, oui, ils l’assumeraient, qu’il faut respecter les territoires et les collectivités, et qu’ils savent ce qu’ils ont à faire : que le Gouvernement se fie donc à eux…
En revanche, quand ils parlent en off, ils admettent que, bien évidemment, ils abaisseront la limitation de vitesse à 70 kilomètres par heure. Qui, en effet, voudra être pénalement responsable en cas d’accident mortel sur une route où la vitesse maximale n’aura pas été ainsi réduite ? (Vives protestations.)
M. François Bonhomme. C’est une sortie de route !
M. Arnaud de Belenet. Mes chers collègues, je suis content d’animer votre soirée ! Cependant, je me permets de vous suggérer une piste de réflexion, si vous voulez bien le tolérer : au-delà de ce débat, ne pourrions-nous pas envisager un dispositif similaire à celui qui existe pour la zone urbaine, où la vitesse est en principe limitée à 50 kilomètres par heure, mais où il est possible, par dérogation, de fixer cette limite à 70 kilomètres par heure ?
Ne pourrait-on donc pas envisager d’inverser la proposition et de rendre possibles des dérogations sur les routes qui ne sont pas accidentogènes ?
M. Jean-Luc Fichet. Enfin !
M. Arnaud de Belenet. On trouvera bien des critères pour les définir : largeur de la route, ou encore non-dangerosité évidente de la chaussée ou des accotements.
Vous me permettrez, mes chers collègues, de revenir dans les quelques secondes qui me restent sur quelques éléments : beaucoup de contre-vérités ont été entendues aux différentes cérémonies de vœux et dans les médias et, peut-être, ce soir, sait-on jamais, pour l’avenir.
Y aura-t-il des radars supplémentaires ? On a entendu que non. (Exclamations dubitatives sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce dispositif serait une « machine à cash » pour l’État. Clairement, s’il y avait un produit des amendes supplémentaire, l’essentiel n’en serait pas reversé aux hôpitaux, comme je l’ai entendu,…
M. Alain Fouché. Cela a été dit !
M. Arnaud de Belenet. … mais au contraire au profit de l’amélioration de l’accueil des personnes handicapées du fait d’accidents de la route, ce qui est cohérent.
Le coût de cette mesure sera-t-il prohibitif pour les collectivités ? Non, évidemment, puisqu’il est pris en charge par l’État.
S’agit-il d’une méconnaissance de la ruralité ? Bien sûr que non : nous savons tous que cette mesure ne fera perdre que deux minutes sur un trajet de 20 kilomètres. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Il faut sortir de Paris !
M. Arnaud de Belenet. Je vous remercie, chers collègues, de m’avoir permis d’exprimer ma totale solidarité sur cette mesure, qui n’est pas populaire aujourd’hui, mais qui le sera certainement demain ! (M. Didier Rambaud applaudit. – Huées sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier mes collègues rapporteurs pour leur travail.
Depuis le début du siècle, les efforts se multiplient pour améliorer la sécurité sur nos routes et, ainsi, épargner des vies humaines. Dans un contexte de recrudescence du nombre de tués sur nos routes, le Gouvernement a proposé un nouveau plan de renforcement de la sécurité routière. C’est ce plan gouvernemental que s’est attaché à examiner le groupe de travail dont les conclusions font l’objet de notre débat d’aujourd’hui.
Une mesure phare, la réduction à 80 kilomètres par heure de la limitation de vitesse sur les routes départementales, a particulièrement retenu l’attention de nos concitoyens et du Sénat. Cette mesure, décidée hâtivement et sans concertation avec les territoires, aura, de mon point de vue, surtout servi à créer un écran de fumée pour occulter la désastreuse politique gouvernementale.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Guillaume Gontard. La réduction de la vitesse permettra certainement de sauver des vies et aura un aspect pédagogique, mais une démarche plus ciblée en concertation avec les acteurs locaux aurait été préférable et plus efficace.
M. Alain Fouché. Absolument !
M. Guillaume Gontard. Beaucoup de nos concitoyens, en zone périurbaine, seraient heureux de pouvoir rouler à 80 kilomètres par heure. Leur vitesse moyenne, quand ils se rendent au travail, est bien inférieure.
C’est pourquoi cette action de réduction de la vitesse pour la sécurité routière doit s’accompagner d’une véritable réflexion sur les mobilités.
Comment mieux partager la route avec les différents usagers ? Comment réduire rapidement les émissions de CO2 et respecter nos engagements internationaux ?
On retrouvera certainement ces éléments dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités qu’on nous promet et sur lequel nous ne disposons, pour l’instant, que de très peu d’informations.
Les questions de mobilité et de sécurité doivent être abordées de manière globale, en tenant compte de tous les usagers.
En effet – ce sera le cœur de mon intervention –, je déplore que ni la mission sénatoriale ni le plan gouvernemental n’aient sérieusement pris en compte la sécurité, sur nos routes, de tous les usagers, et plus particulièrement des cyclistes. Pour être précis, la seule mesure du plan gouvernemental qui concerne le vélo n’est qu’une petite généralisation du « savoir rouler », comme si les cyclistes, usagers de la route les plus fragiles, étaient responsables de leurs propres accidents mortels !
J’entends déjà des murmures me suggérer que cet enjeu est marginal, anodin, voire hors sujet. Détrompez-vous, mes chers collègues : l’usage de la route change ! L’usage du vélo est en constante progression pour des raisons économiques, écologiques et sanitaires. De plus en plus de nos concitoyens remplacent la voiture par le vélo pour tout ou partie de leurs déplacements.
Le déploiement du vélo électrique décuple ce phénomène. En effet, il permet d’effectuer sans trop d’efforts des trajets de plusieurs dizaines de kilomètres, quelle que soit la topographie. Même en zone rurale, même dans les montagnes du Trièves d’où je viens, faire à vélo le trajet entre domicile et travail n’est plus réservé aux athlètes.
Pourtant, nos routes ne sont pas du tout adaptées à la pratique du vélo et demeurent dangereuses pour les cyclistes. Rappelons que les deux tiers des cyclistes tués sur la route le sont en dehors des agglomérations. Tandis que le nombre de morts sur la route ne cesse de diminuer, grâce aux efforts des trente dernières années, celui des cyclistes tués ne cesse d’augmenter. On relève ainsi, pour l’année 2016, une croissance alarmante de 8,6 %. Cherchez l’erreur !
Dès lors, on regrette d’autant plus le manque criant de prise en compte des cyclistes dans les politiques de sécurité routière que nous examinons aujourd’hui. La loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, ou loi LAURE, du 30 décembre 1996 prévoit pourtant l’aménagement de voies cyclables lors de chaque rénovation de route. Je déplore que cette loi soit si souvent contournée par les collectivités ou appliquée dans sa version minimale, en dessinant une simple bande cyclable sur la droite de la chaussée. Notons qu’une bande cyclable sans séparateur est contre-productive, car elle élargit la chaussée et invite l’automobiliste à rouler plus vite au détriment de la sécurité des cyclistes qui l’empruntent.
Vingt-deux ans après, tant pour des raisons écologiques que pour des raisons de sécurité, il faut renforcer la rédaction de la loi LAURE et imposer des aménagements cyclables dignes de ce nom, voire la création d’autoroutes pour vélos, ou « véloroutes », comme il en existe au Danemark, en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Par ailleurs, le plan gouvernemental n’aborde pas la question des investissements sur le réseau routier. Il est dommageable de dissocier les problématiques de sécurité routière de celles de qualité des infrastructures. Il ne fait pas de doute qu’une chaussée dégradée est un facteur d’insécurité, tout comme l’est une voie ferrée endommagée. Le Gouvernement nous renverra à sa future loi de programmation des infrastructures, limitant la portée de ce nouveau plan.
La question financière est ici primordiale, car l’entretien de la voirie coûte cher et demeure à la charge des seules collectivités. Celles-ci, déjà exsangues, ne sont pas toujours en mesure de réaliser d’indispensables réfections. Il est donc nécessaire de les épauler.
Cela passe par la mise à contribution – pourquoi pas par une écotaxe – des usagers de la route et, en particulier, des poids lourds, qui polluent notre air et dégradent nos infrastructures. Nous avons débattu de ce paradoxe la semaine dernière : si l’entretien du réseau ferré est à la charge de la seule SNCF, via la redevance des péages, l’entretien du réseau routier est pour sa part à la charge de l’ensemble des contribuables, et ce sans que cela pose question. Dans les deux cas, il faut s’appuyer sur un financement mixte pour dégager une marge financière suffisante.
Pour revenir à des sujets relevant du ministère de l’intérieur et ne demandant pas de lourds investissements, le Gouvernement peut tout de même prendre des mesures pour améliorer la sécurité des cyclistes. Par exemple, nous pourrions imposer aux constructeurs d’abonder un fonds de formation continue des conducteurs ayant obtenu leur permis il y a plus de cinq ans. Ainsi, nous pourrions sensibiliser les conducteurs à la sécurité des cyclistes.
En outre, nous proposons de faire évoluer la réglementation sur la visibilité des cycles et les normes d’éclairage des vélos, qui est inadaptée aux conditions de circulation actuelles. L’Allemagne a modifié, avec succès, sa réglementation dans ce domaine.
Enfin, il faut intensifier la verbalisation des infractions de non-respect des aménagements cyclistes, qui peuvent avoir une conséquence importante en matière de sécurité.
Madame la ministre, mes chers collègues, le vélo ne peut plus rester le parent pauvre des politiques de sécurité routière. C’est pourquoi je vous invite à avancer en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Madame la ministre, comme vous, nos élus locaux souhaitent sauver des vies sur les routes. La sécurité routière est un impératif, il n’y a pas de débat là-dessus. Il est toutefois possible de réduire l’insécurité routière sans porter atteinte au quotidien des habitants et en écoutant les représentants de la Nation et les citoyens, qui sont les premiers concernés !
Réduire la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central, la mesure est justifiée. Reste que votre manière de faire et de mettre en place cette mesure est dénuée de pragmatisme : une fois de plus, vous avez préféré agir de manière soudaine et imposer. Au lieu d’écouter et d’adapter cette mesure aux routes accidentogènes, vous persistez à tout imposer d’en haut, et sur tout le réseau routier départemental.
Pourtant, nombreux sont ceux qui se sont exprimés, au sein de la société civile et parmi les élus locaux, contre la généralisation d’une telle mesure, dont l’utilité et l’efficacité sont, pour beaucoup, loin d’être certaines. L’Association des maires de France et l’Assemblée des départements de France, qui représentent les principaux responsables des 380 000 kilomètres de routes départementales, ont aussi déploré l’inexistence de la concertation. Même vos deux collègues, le ministre de la cohésion des territoires et le ministre d’État, ministre de l’intérieur, ont émis les plus grandes réserves.
Le rapport d’information du Sénat sur la sécurité routière n’est pas seulement un travail d’élus, qui sont certes représentants de la Nation. Les sénateurs ont aussi mis en place un espace participatif afin d’associer à leur réflexion l’ensemble de la société civile : des dizaines de milliers de contributions ont été reçues. Ce n’est pas un « groupuscule de sénateurs qui a entretenu une guérilla », ce ne sont pas plus « des imbéciles qui déclarent s’ennuyer lorsqu’ils roulent à 80 kilomètres par heure », comme l’affirme Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière.
M. François Bonhomme. Pourquoi pas des extrémistes !
M. Jean-Marc Boyer. Une telle mesure de réduction généralisée, qui touchera sans discernement la majorité des routes nationales et départementales hors agglomération, est ainsi très mal vécue sur de nombreux territoires enclavés, où la route est une infrastructure de mobilité incontournable. Cette mesure est perçue comme d’autant plus injuste que les services de l’État ont parfois refusé, dans ces territoires, d’aménager les routes nationales afin de les transformer en routes à deux fois deux voies.
Madame la ministre, vous agissez comme si vous pensiez que les territoires ne pouvaient pas et ne savaient pas gérer. Pourtant, dans ce domaine, la pertinence de l’action n’est pas seulement centralisée, elle est aussi territoriale et départementale.
Quelle contradiction, monsieur de Belenet ! Vous acceptez que les maires décident pour les zones urbaines, mais n’acceptez pas que les présidents de conseil départemental décident pour les zones rurales. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
La base de la circulation routière, donc de la sécurité routière, ce sont assurément les infrastructures et leur état. Si une route est en mauvais état, les bases manquent pour une conduite en toute sécurité.
Notre patrimoine routier est dégradé, cela a été répété à cette tribune et notamment mis en valeur dans le rapport sénatorial d’information de 2017 intitulé Infrastructures routières et autoroutières : un réseau en danger. Celui-ci énonce ou dénonce que, « alors que plus de 85 % de chaussées étaient dans un état correct entre 2010 et 2012, ce chiffre est tombé à 83 % en 2015 », ce qui entraîne « des ralentissements, des restrictions de circulation et des problèmes de sécurité ».
À ce sujet, je souhaite vous faire part d’un exemple que je connais bien, la RD 2089 entre Clermont-Ferrand et les départements du Cantal et de la Corrèze. Dans les années 2000, on recensait dix à quinze morts par an, contre un ou deux par an aujourd’hui. Et pour cause ! Le contrat de plan État-région a permis d’améliorer très significativement ce tronçon meurtrier par la construction de créneaux de dépassement, de portions à trois voies,…
M. Jackie Pierre. Eh oui !
M. Jean-Marc Boyer. … de bandes d’arrêt d’urgence et de mini-échangeurs aux croisements dangereux, ainsi que des opérations de sécurité, et toujours à 90 kilomètres par heure !
M. Jackie Pierre. Bravo !
M. Jean-Marc Boyer. Madame la ministre, donnez-nous les moyens d’améliorer ce réseau routier.
Par ailleurs, vous agissez comme si vous ne voyiez pas que les technologies automobiles avaient évolué et allaient encore considérablement le faire à l’avenir.
M. Jackie Pierre. Eh oui !
M. Jean-Marc Boyer. Au contraire, vous voulez généraliser tout de suite une mesure et appliquer un peu plus tard les dix-sept autres mesures que vous proposez. Pourtant, la complémentarité de celles-ci est attestée et, sur les dix-huit mesures pour la sécurité routière que vous avez présentées, dix-sept emportent l’adhésion. Il serait primordial de les mettre en place désormais et non de se focaliser sur une seule proposition qui suscite une opposition quasi unanime et dont vous ne saurez jamais si elle a permis la diminution du nombre de tués sur les routes départementales.
En outre, le groupe de travail sénatorial considère que le surplus financier qui serait issu de la réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur certaines routes devrait être alloué au financement de mesures de prévention, par exemple de sensibilisation.
La proposition du Sénat est raisonnable, intelligente et acceptable. Après les zones 30, laissez les acteurs du terrain mettre en place les zones 80, afin que la réduction de la vitesse obtienne des résultats efficients et certains pour la sécurité routière et la sécurité de chacun.
Madame la ministre, n’allez pas à 100 à l’heure : écoutez les acteurs du territoire et les citoyens ! C’est maintenant que vous avez rendez-vous avec eux et non dans deux ans. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, comme nous le savons tous, depuis quarante ans, les efforts conjugués réalisés en matière de sécurité routière ont permis une baisse quasi continue des accidents de la route, du nombre de blessés et de morts, et ce en dépit d’une augmentation considérable du nombre de véhicules et des kilomètres parcourus.
En effet, dans les années 1970, nous recensions environ 17 000 morts sur les routes pour un parc automobile d’environ 13 millions de véhicules particuliers. En 2017, pour 32 millions de véhicules particuliers en circulation, c’est un peu moins de 4 000 décès, soit quatre fois moins. Certes, c’est encore trop.
Cette nette diminution tient autant, voire plus, à des éléments techniques, culturels et psychologiques qu’à la seule efficacité de la répression et de la peur du gendarme, même si cette dernière a évidemment joué un rôle certain.
Un ensemble de facteurs ont réduit le nombre d’accidents et leurs conséquences. Je pense à l’amélioration continue de la tenue de route des véhicules, de la résistance aux chocs, du freinage, des pneumatiques ; je pense encore au port de la ceinture de sécurité, aux évolutions technologiques, telles que l’airbag et l’ABS, aux infrastructures routières, notamment les revêtements et la signalisation.
Ce constat nous oblige à considérer les enjeux de sécurité routière comme une question large et multifactorielle, qui ne doit surtout pas se limiter à la seule donnée de la vitesse autorisée sur les routes.
Je tiens à saluer le travail nuancé et objectif réalisé par nos trois rapporteurs, Michèle Vullien, Jean-Luc Fichet et Michel Raison, sur les mesures destinées à renforcer la sécurité routière.
Cet excellent rapport d’information a notamment pu mettre l’accent sur deux points essentiels : d’une part, la nécessité de revoir la méthode retenue par le Gouvernement ; d’autre part, le manque de concertation ayant présidé à la décision de limiter à 80 kilomètres par heure la vitesse maximale autorisée sur les 400 000 kilomètres de routes secondaires à double sens sans séparateur central,…
M. Jackie Pierre. Voilà qui est bien vrai !
M. Olivier Cigolotti. … qui devrait entrer en vigueur à partir du 1er juillet prochain. Selon certaines sources, 76 % des Français y sont opposés.
Si la diminution du nombre de victimes d’accidents de la route est un objectif que l’on ne peut que partager, cette décision de réduire la vitesse, dont la pertinence reste à démontrer, est d’autant plus mal vécue qu’elle a été prise sans concertation,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Exactement !
M. François Bonhomme. C’est bizarre !
M. Olivier Cigolotti. … sans que les bénéfices en termes de sécurité routière aient fait l’objet d’évaluations sérieuses et, de toute évidence, en sous-estimant les conséquences en matière d’aménagement du territoire.
M. François Bonhomme. C’est le prix de l’Olympe !
M. Olivier Cigolotti. Cette limitation de vitesse suscite donc la colère et l’incompréhension d’un grand nombre d’usagers de la route et d’élus, particulièrement des habitants des zones rurales qui la vivent comme une profonde injustice, et chez qui elle alimente, à juste titre, un sentiment d’abandon, voire de relégation.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. François Bonhomme. Saint-Germain-des-Prés !
M. Olivier Cigolotti. Madame la ministre, cette mesure aggravera inévitablement la fracture territoriale entre les zones rurales, éloignées des autoroutes et des grandes métropoles et souvent mal desservies par le réseau ferroviaire, et les zones urbaines ou périurbaines. Il me semble évident que les difficultés de déplacement dans les territoires ruraux ne sont aucunement prises en compte dans cet arbitrage.
Je pense par exemple aux zones de montagne, dont le réseau routier sera largement concerné par cette réduction de vitesse, ou encore aux départements qui n’ont pas la chance de bénéficier d’infrastructures routières modernes à deux fois deux voies, qui ne disposent pas de transports collectifs routiers ou ferroviaires et où la seule solution consiste à utiliser un véhicule personnel pour se déplacer.
Certains arguments, tels qu’une réduction de la pollution, sont également avancés pour justifier la nécessité de réduire la vitesse.
Cependant, les études menées par des organismes de surveillance de la qualité de l’air montrent que passer d’une vitesse de 90 kilomètres par heure à une vitesse de 80 kilomètres par heure entraîne un rejet plus important de composés organiques volatils et n’a qu’un impact minime sur les émissions d’oxyde d’azote. Sans compter que, plus l’on passe de temps sur la route, plus l’on pollue.
L’axe central avancé par la Sécurité routière pour justifier cette mesure est celui de la vitesse, celle-ci étant présentée comme la première cause de mortalité. La détermination de la causalité des accidents corporels n’est pourtant pas chose aisée. Certains facteurs accidentogènes, comme la vitesse, sont souvent identifiés par défaut, ce qui nuit nécessairement à la fiabilité des données produites.
Les accidents trouvent souvent leurs origines dans une combinaison multifactorielle – alcool, stupéfiants, téléphone, endormissement –, sans oublier les conduites addictives. À cela s’ajoute le non-respect des autres règles de circulation, généralement à l’origine d’une part significative des accidents. Notons, de plus, que le facteur lié à l’infrastructure est présent dans 40 % des accidents mortels.
Isoler le facteur vitesse pour réduire la mortalité sur les routes n’a donc vraiment pas de sens. Force est de constater que cela pourrait même augmenter les risques pour les conducteurs, puisque les voitures et les motos rouleront à la même vitesse que les camions, ce qui multipliera le risque de dépassement dangereux.
J’en viens aux radars. La France compte 4 600 radars avec des modèles de plus en plus perfectionnés.
M. Jackie Pierre. Oui !
M. Olivier Cigolotti. Or, nous le savons tous, une baisse de la limitation de vitesse entraînera inéluctablement un doublement, voire un triplement des excès de vitesse.
Un rapport de la Cour des comptes fait le point sur ces flashs, qui rapportent chaque année davantage à l’État : 1 milliard d’euros en 2017, soit 10 % de plus que l’année précédente.
M. Jackie Pierre. Bien sûr !
M. François Bonhomme. Racket !
M. Olivier Cigolotti. Cette recette permet de renforcer la sécurité routière et, certes, de financer une partie des préjudices. La Cour des comptes s’interroge toutefois sur l’utilisation des amendes, qui participent davantage au remboursement de la dette qu’au financement de la sécurité routière.
M. Jackie Pierre. Et le maintien du pouvoir d’achat ?
M. Olivier Cigolotti. Il ne faudrait donc pas que cette limitation de vitesse ait pour unique objectif de remplir les caisses de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Bouchet. Eh si !
M. Alain Fouché. Bravo !
M. Olivier Cigolotti. Madame la ministre, alors que le Gouvernement cherche à redonner confiance à l’échelon local en prenant en compte un certain nombre de spécificités et à décliner à l’échelon départemental la police de sécurité du quotidien – la PSQ, dont tout le monde entend parler actuellement –, le même ministère, le vôtre, agit aujourd’hui avec incohérence en souhaitant généraliser une réduction de vitesse, qui mérite pourtant, d’une part, d’être ciblée sur les routes les plus accidentogènes à travers des décisions décentralisées, d’autre part, d’être adaptée en fonction des réalités des territoires, lesquels devraient être associés à cette prise de décision, en concertation avec l’ensemble des acteurs, afin d’en favoriser l’acceptation.
Madame la ministre, vous connaissez le bon sens du Sénat. Nous comptons sur vous pour relayer l’excellent travail de la Haute Assemblée auprès de M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. François Bonhomme. C’est déjà fait !
M. Jackie Pierre. Cigolotti président ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer l’excellent travail réalisé par nos collègues rapporteurs, qui ont su s’extraire de polémiques un peu vaines et mettre de côté les arguments spécieux qui sont encore trop souvent avancés sur ce sujet.
Ces arguments, on les connaît, car nous les avons entendus à de multiples reprises :…
M. Bernard Jomier. … l’endormissement des conducteurs par excès de lenteur, le racket financier… Ce dernier argument est tout de même surprenant, car, si le montant des PV a atteint 2 milliards d’euros, les accidents de la route coûtent chaque année 50 milliards d’euros à la collectivité.
Ces arguments, nous les entendions déjà en 1974, lorsqu’a été prise la décision de limiter à 110 kilomètres par heure la vitesse sur les voies rapides, ou encore en 1990, lorsqu’il a été décidé de limiter la vitesse en ville à 50 kilomètres par heure.
J’entends les critiques sur le déficit de concertation et sur le sentiment de mépris des territoires et je dois dire qu’elles ne sont pas sans fondement.
Il faut toutefois constater que, à chaque mesure prise par les pouvoirs publics pour réduire la mortalité sur les routes, depuis l’obligation du port de la ceinture de sécurité en 1973 à la mise en place des radars automatiques en 2003, des voix se sont élevées pour critiquer en usant de tous les arguments possibles. Pourtant, les faits sont têtus – vous êtes plusieurs à l’avoir rappelé, mes chers collègues – et les résultats sont là : grâce à ces mesures, la mortalité a été divisée par cinq en trente ans, ce qui est considérable.
Reste que le nombre de morts demeure trop élevé : 3 693 l’an dernier. C’est trop, c’est beaucoup trop. Nous pouvons certainement atteindre à moyen terme un objectif beaucoup plus ambitieux.
À mon sens, il est intéressant de se pencher sur ce que font nos voisins européens, même si l’on ne peut évidemment pas le transposer directement. Alors que la France se situe au-dessus de la moyenne européenne, les sept pays qui comptent les meilleurs résultats sont ceux où la vitesse est limitée à 80 kilomètres par heure. Le pays qui a le meilleur résultat, la Suède, a adopté une limitation à 70 kilomètres par heure.
Si la prise en compte du seul facteur lié à la limitation de la vitesse ne peut être suffisante pour expliquer ce phénomène, il convient néanmoins de s’interroger. Sur le réseau dont nous parlons, celui des routes secondaires, 36 % des accidents mortels impliquent une vitesse trop élevée.
J’entends la recommandation faite par nos collègues rapporteurs visant à décentraliser et à adapter la mesure en fonction des territoires, mais je ne suis pas certain qu’elle soit efficace. Si je peux en partager l’idée et le principe, je pense que son application risque d’être contre-productive.
Il est plus simple pour les usagers de la route, dans quelque domaine que ce soit, et plus efficace pour l’objectif que nous souhaitons atteindre de bénéficier d’une règle générale et de quelques exceptions : une règle simple, c’est un message fort, c’est un message compris.
M. Bernard Jomier. Or la décentralisation de cette règle ne risquerait-elle pas d’entraîner une très grande diversité de limitations, renforçant l’imprévisibilité pour les usagers ? Nous ne pouvons pas faire abstraction de cette interrogation.
Si je regarde cette limitation d’une manière plutôt favorable, vous l’avez compris, je ne partage pas moins le constat dressé par les rapporteurs : mener une seule action n’est guère suffisant.
Oui, il faut plus d’actions de prévention. Il faut intégrer l’enseignement des gestes qui sauvent dans le cadre du permis de conduire, comme l’a proposé Catherine Troendlé. Il faut davantage lutter contre l’utilisation du téléphone au volant, contre la consommation d’alcool et de stupéfiants. Ces combats doivent être livrés de façon plus active.
Il est essentiel de conduire la bataille de la sécurité routière sur tous les fronts et c’est justement pour cela que la question de la limitation de la vitesse ne doit pas être passée sous silence. La généralisation de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur les routes secondaires peut être une étape, d’autant qu’elle doit être revue et évaluée dans deux ans. Donnons-nous simplement rendez-vous à ce moment-là. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Gilbert Bouchet. Dans deux ans !
M. le président. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Henri Leroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État (Marques d’étonnement au banc du Gouvernement.), monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, j’évoquerai deux sujets concrets, qui ont un impact direct sur la sécurité routière et, plus généralement, sur la sécurité de nos concitoyens : d’abord, la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur les routes, ensuite, le port de caméras individuelles par nos policiers municipaux engagés, entre autres, dans la lutte contre l’insécurité routière.
Sur la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure, j’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer ici : comme beaucoup d’élus, je suis un opposant à la généralisation de cette mesure.
M. Jackie Pierre. Bravo !
M. Henri Leroy. Ce sont encore nos compatriotes qui vivent dans les territoires ruraux et périphériques – et non à Paris ! – qui vont en faire les frais.
Entre 2015 et 2016, les recettes liées aux radars ont progressé de plus de 13 millions d’euros, pour atteindre les 920 millions d’euros.
Dans le même temps, la mortalité routière n’a cessé de croître, et ce pour la troisième année consécutive, portant à près de 3 500 le nombre de tués pour la seule année 2016. La vitesse n’en est pas la seule et principale cause, loin de là.
Les Français en ont assez d’être pris pour des vaches à lait :…
M. Jackie Pierre. Bravo !
M. Henri Leroy. … hausse du prix des péages de 1 % à 2 %, hausse du prix du stationnement dans de nombreuses communes étouffées par la baisse des dotations, hausse de la fiscalité sur les carburants, etc.
Mme Cécile Cukierman. Et le contrôle technique !
M. Henri Leroy. « Arrêtez d’emmerder les Français ! », disait le président Pompidou. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
J’ajoute que cette mesure sortie du chapeau a été prise sans concertation : ni les élus locaux ni les préfets n’ont été consultés. Bien pis, elle ne repose que sur des données très contestables. M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, va-t-il sérieusement remplacer les quelque 20 000 panneaux 90 ou 90 barré ? Allez-vous sérieusement engager la France dans une telle dépense ?
Le Premier ministre a annoncé que, au 1er juillet 2020, le Gouvernement tirerait les conséquences de cette mesure. Quelle absurdité de prendre le risque de devoir changer de nouveau tous les panneaux dans deux ans !
Mme Cécile Cukierman. Absolument !
M. Henri Leroy. Je crois que, au fond de lui-même, le ministre de l’intérieur n’est pas convaincu par cette mesure stupide – peut-être ne l’êtes-vous pas vous-même, madame le secrétaire d’État (Exclamations sur différentes travées) –,…
M. Henri Leroy. … parce que l’expérimentation n’a pas fait ses preuves, parce qu’elle est coûteuse, parce qu’elle est pénalisante pour nos territoires, parce que 76 % des Français sont contre !
J’ai écouté avec attention l’entretien télévisé de Gérard Collomb sur une chaîne d’infos au mois de février dernier. Il s’est exprimé ainsi : « C’est vrai qu’on aurait pu regarder les tranches les plus accidentogènes ».
Eh bien, je suis d’accord avec M. le ministre d’État : nous devons procéder par sectorisation. Laissons aux départements le soin de déterminer les portions où la vitesse doit être baissée à 80 kilomètres par heure et celles où la vitesse doit demeurer à 90 kilomètres par heure.
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Henri Leroy. Emmanuel Macron lui-même disait, lorsqu’il était encore candidat : « En France, les vitesses sont impaires : 30, 50, 70, 90, 110, 130. Cela participe de leur lisibilité. Je suis naturellement favorable, dès lors que les conditions de danger l’imposent, à abaisser la vitesse à 70, »…
M. François Bonhomme. Évidemment !
M. Henri Leroy. … « mais abaisser en section courante la vitesse à 80 interrogerait l’ensemble de l’édifice. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Cécile Cukierman. Voilà !
M. Henri Leroy. Madame le secrétaire d’État,… (Nouvelles marques d’étonnement.)
Cela fait trois fois, mais je le répète volontairement !
… vous qui avez été longtemps une élue locale, ayez la volonté de dire au Président le mal que les territoires pensent de cette décision.
M. Philippe Pemezec. Il décide tout seul !
M. Henri Leroy. L’alcoolisme, les fautes de comportement sont plus mortels que la vitesse. Si les Français se désintéressent de plus en plus de la politique, c’est à cause du double discours permanent que leur servent une poignée de responsables publics.
Je souhaite maintenant évoquer avec vous un second sujet, qui est lié à la sécurité générale, donc à la sécurité routière. La loi du 3 juin 2016 et son décret du 23 décembre de la même année ont autorisé, à titre expérimental, pendant deux ans, l’usage de caméras individuelles par les agents de police municipale dans le cadre de leurs interventions, y compris sur les routes. Tous les élus locaux et tous les policiers municipaux que je rencontre sont pleinement satisfaits de cette disposition.
Le port d’une caméra individuelle est d’ailleurs assez répandu. Il est autorisé à la fois pour les policiers, les gendarmes, même les agents de la SNCF et de la RATP, et certainement, très bientôt, les pompiers.
De l’avis unanime des acteurs de terrain, cette mesure ne présente que des avantages. Elle est d’abord une garantie pour la procédure pénale et les parties concernées. L’encadrement législatif et réglementaire est strict. La preuve collectée aide au constat des infractions et à la poursuite des auteurs. Surtout, elle est une garantie pour nos polices municipales : filmer les échanges entre forces de l’ordre et population diminue les tensions et les incivilités. C’est aussi une protection contre les mises en cause. Enfin, c’est un témoin contre les agressions et les outrages subis par nos agents.
Pourtant, madame la ministre,…
M. Henri Leroy. … malgré toutes les garanties que présente le port d’une caméra dite « piétonne », rien n’a été prévu par votre gouvernement pour pérenniser ce dispositif.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue : vous dépassez non la vitesse, mais le temps ! (Sourires.)
M. Henri Leroy. Concrètement, cela veut dire que, depuis le 3 juin de cette année, les policiers municipaux ont dû renoncer à utiliser leurs caméras, lesquelles ont été financées – ce sont des milliers, voire des dizaines de milliers d’euros – par des subventions d’État.
Toutes nos forces de l’ordre ont besoin d’être considérées, elles ont besoin de moyens. Ne les envoyez pas à l’affrontement inéluctable avec les citoyens sur les routes départementales où la vitesse à 80 kilomètres par heure relèverait d’une ineptie technocratique injustifiable.
Michel Raison a raison :…
M. Olivier Cigolotti. Toujours ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. … c’est un manque de considération pour les parlementaires, mais c’est aussi une mauvaise manière faite aux Français automobilistes à qui l’on impose un oukase, par définition à contre-pied d’une démocratie de proximité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, s’interroger sur la baisse automatique de la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur les routes à double sens et sans séparateur central à compter du 1er juillet 2018 ne revient bien évidemment pas à s’opposer au renforcement, nécessaire, de la sécurité routière.
J’entends les enjeux posés en termes de mortalité routière et souhaite à ce titre rappeler un point scientifiquement essentiel : lorsqu’il y a accident, la vitesse est le facteur aggravant. L’énergie acquise par un véhicule du fait de sa vitesse est proportionnelle au carré de cette vitesse : ainsi, si l’on multiplie cette vitesse par trois – par exemple, pour passer de 30 kilomètres par heure à 90 kilomètres par heure –, l’énergie accumulée est multipliée par neuf. Cette énergie acquise doit être dissipée pour que le véhicule s’arrête. En d’autres termes, celui-ci ne s’arrêtera que lorsque toute l’énergie sera dissipée et transformée. Si le freinage est impossible ou insuffisant, l’énergie se dissipera par destruction, ce qui peut entraîner des blessures, voire le décès des passagers.
Toutefois, la vitesse n’est sûrement pas seule responsable des accidents et des tués : 21 % des tués le sont par défaut de port de ceinture. Je plaide pour une analyse plus fine et pour que l’inventivité et la créativité dont nous sommes capables soient à l’origine de mesures plus adaptées.
Si la vitesse aggrave incontestablement les accidents, il faut aussi s’interroger sur les relations causales que sont le non-respect du code de la route, le degré d’alcoolémie, l’usage des stupéfiants, des médicaments, du téléphone, la fatigue, la somnolence, le rôle des camions ou encore le mauvais entretien des routes.
Vous l’avez mentionné, madame la ministre, et le rapport d’information le pointe : 3 500 personnes meurent chaque année en France sur les routes et 75 000 sont blessées. Ces chiffres sont terrifiants.
Je remarque que 15 % des personnes tuées sont des piétons – 51 % d’entre elles ont plus de 65 ans – et que 5 % sont des cyclistes. En d’autres termes, 20 % des tués sont des piétons ou des cyclistes, ce qui constitue une augmentation de plus de 8 %. À l’avenir, développement durable oblige, il y aura davantage de piétons et cyclistes, il faudrait y réfléchir sérieusement.
La mortalité routière connaît en France une stagnation depuis quelques années. La sécurité routière doit s’élever au haut rang des politiques publiques prioritaires. Cela implique des actions fortes pour des résultats probants. Pour cela, la concertation doit être la plus large possible et associer les acteurs concernés.
Madame la ministre, je n’interrogerais pas cette mesure uniforme que vous imposez, si les baisses liées à l’expérimentation étaient significatives. Or l’expérimentation n’a pas mesuré l’évolution de l’accidentalité, n’a pas étudié en parallèle des tronçons sans limitation pour servir de témoins. En outre, elle s’est limitée à seulement quatre semaines.
Je ne contesterais pas non plus cette réforme, si elle n’était pas à double tranchant pour nombre de nos territoires. Cette mesure, madame la ministre, devrait bien entendu s’appliquer dans le cadre de la décentralisation, donc au cas par cas.
La loi de décentralisation du 13 août 2004 a abouti au transfert d’une certaine partie du réseau routier national aux départements. Aujourd’hui, vous nous annoncez une mesure qui aurait dû être, si ce n’est laissée à la discrétion et à l’appréciation des départements, au moins concertée avec ces derniers.
Je plaide donc, pour reprendre les mots du rapport d’information présenté par nos collègues, pour la mise en place de « conférences départementales de la sécurité routière », qui seraient coprésidées par les présidents de conseil départemental et les préfets et « dont le rôle serait d’identifier les routes ou les tronçons de route accidentogènes ».
D’ailleurs, dans de nombreux territoires, des tronçons sont déjà limités à 70 kilomètres par heure. C’est la preuve qu’un travail a déjà été entamé, lequel reste encore à affiner.
Cette question, vous l’aurez compris, est selon moi liée aux spécificités des territoires. Je suis une élue du Lot, département rural et enclavé, non desservi par des gares TGV. La voiture y est l’unique mode de transport de proximité. Nos routes n’ont donc pas l’envergure des routes franciliennes, le trafic n’y est pas le même.
La longueur totale du réseau routier est de plus de 12 000 kilomètres, répartis de la façon suivante : 93 kilomètres d’autoroutes seulement, 16 kilomètres de routes nationales, mais 4 013 kilomètres de voies départementales et un peu plus de 8 000 kilomètres de routes communales. Dans le Lot, les accidents se concentrent à 65 % sur le réseau principal, le réseau secondaire ne représentant que 25 % des accidents.
Notre département se caractérise par un niveau d’investissement dans la voirie supérieur à la moyenne des collectivités de sa strate. La limitation de vitesse envisagée suscite donc des interrogations chez les habitants des territoires ruraux, que je représente, voire leur incompréhension. Rien n’atteste que cette baisse réglera nos problèmes en matière de sécurité routière. Nous demandons simplement une application différenciée de la mesure en fonction de la dangerosité des routes.
Il serait également opportun de mettre davantage l’accent sur la prévention, notamment auprès des jeunes. Ayant été professeur, je me souviens que des simulateurs de conduite très ludiques avaient fortement marqué les esprits de collégiens et leur avaient fait prendre conscience à la fois de leur temps de réaction, qui est en moyenne d’une seconde, et de la distance parcourue pendant ce temps de réaction. Je rappelle que, lorsqu’on roule à 45 kilomètres par heure, cette distance est de 12,5 mètres.
Je conclurai mon propos par une idée simple : une conduite responsable est fondée sur des règles admises et comprises par les usagers, qui se les approprient et ainsi les respectent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons aujourd’hui dans ce débat est absolument essentiel. La sécurité routière nous concerne tous et mérite une politique publique sérieuse, adaptée et efficace. À titre personnel, je le mesure d’autant plus que le nombre d’accidents corporels et de morts sur les routes dans mon département de Maine-et-Loire est significativement supérieur à la moyenne nationale depuis plusieurs années.
La sécurité routière est l’affaire de tous, tant des élus que des associations qui œuvrent au quotidien pour la prévention. Le travail des sénateurs sur ce sujet est bien loin d’être une simple posture politique. Il relève au contraire de la recherche d’efficacité et de résultats.
À cet égard, je remercie les rapporteurs Michel Raison, Michèle Vullien et Jean-Luc Fichet de leur travail. Je salue notamment l’investissement de mon collègue Michel Raison, qui est particulièrement mobilisé depuis la fin de l’expérimentation de deux ans ayant conduit à la décision de réduire la vitesse à 80 kilomètres par heure.
Je ne reviendrai pas sur le flou qu’entretient le Premier ministre sur les résultats détaillés de l’expérimentation, mais je m’interroge sur la proportionnalité et l’utilité de cette mesure.
Je ne conteste pas le fait qu’un choc se produisant à 90 kilomètres par heure risque évidemment de provoquer des dommages plus importants, en dépit de l’amélioration des systèmes de sécurité sur les véhicules, tels l’airbag ou l’ABS par exemple. Cela étant dit, il me paraît excessivement simpliste de penser qu’une réduction de la vitesse de 10 kilomètres par heure sur l’ensemble des 400 000 kilomètres du réseau secondaire permettra de diminuer le nombre de victimes. On ne peut adhérer à un tel raisonnement, fondé sur une arithmétique technocratique très contestable. En effet, partant de cette logique, nous pourrions imaginer à l’avenir des limitations à 70, 60 voire 50 kilomètres par heure sur nos routes nationales et départementales. Tout cela n’est en réalité pas très sérieux. Nous attendons une politique bien plus ambitieuse. Il conviendrait notamment d’activer d’autres leviers comme l’éducation et la prévention.
Cette réduction généralisée, qui ne prend en compte ni l’état des routes ni leur tracé, est aberrante pour bon nombre de nos concitoyens, cela a été rappelé. En tant qu’élus de terrain, nous le ressentons dans nos départements : l’exaspération est réelle et ne cesse de croître. L’impression, en toile de fond, est qu’il s’agit là d’une vision purement parisienne, déconnectée des réalités et sans véritable fondement. Or, vous le savez comme nous, lorsqu’une mesure n’est pas adaptée et n’est pas comprise, elle n’est pas respectée.
La véritable question qu’il convient de se poser est celle de l’adéquation entre une limitation de vitesse et la route à laquelle elle s’applique. Depuis très longtemps, les exécutifs locaux prennent des dispositions dans ce sens. Tout le monde connaît une portion de route limitée à 70 kilomètres par heure en raison de son caractère accidentogène. Dans ce cas, la limitation de vitesse est parfaitement acceptée par les automobilistes.
M. Claude Kern. Et ça passe !
M. Stéphane Piednoir. Imposer une même limitation sur toutes les routes c’est nier la capacité d’appréciation des autorités locales.
Madame la ministre, pourquoi vous entêtez-vous à ignorer l’avis des acteurs de terrain ? Pourquoi avez-vous tant de mal à faire confiance aux élus ?
Il est encore temps d’aménager le dispositif et de mettre en place une réglementation au cas par cas, comme le préconise ce rapport et comme le souhaitent les présidents de département.
Les automobilistes français méritent une politique de sécurité routière réfléchie, ambitieuse et efficace. J’espère que le Gouvernement entendra l’appel des élus locaux et des sénateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue tout d’abord le sérieux du travail qui a été réalisé par le groupe de travail du Sénat sur la sécurité routière et je note avec satisfaction qu’il soutient les dix-sept mesures adoptées, sous la présidence du Premier ministre, par le Conseil interministériel de la sécurité routière le 9 janvier 2018.
Seule la mesure n° 5 fait l’objet des propositions de modification discutées ce soir dans votre assemblée. Je remercie Mme Vullien d’avoir évoqué certaines des autres décisions qui ont été prises. Je ne les citerai pas, mais elles concernent la consommation d’alcool et de stupéfiants, ainsi que l’usage des téléphones portables.
Je me réjouis d’abord que le travail entrepris ait conduit les rapporteurs à considérer d’un autre œil la réduction de la vitesse maximale autorisée, son effet sur la baisse des vitesses pratiquées et, de fait, sur la mortalité. Je relève en effet que les rapporteurs proposent non pas de rejeter en bloc la mesure, mais de ne l’appliquer que sur les routes ou les tronçons de route les plus accidentogènes, en fonction de leurs caractéristiques et de leur environnement.
Pour chaque réseau, c’est le gestionnaire de voirie qui prendrait, par voie d’arrêté, la décision d’abaisser la vitesse maximale autorisée. Des conférences départementales de sécurité routière seraient organisées pour déterminer ces tronçons. La baisse à 80 kilomètres par heure de la limite de vitesse sur les tronçons accidentogènes serait reportée de six mois et fixée au 1er janvier 2019.
Je répondrai précisément aux remarques qui ont été faites, en exposant la position du Gouvernement.
La fixation des vitesses maximales autorisées sur les voies relève non pas du domaine de la loi, mais du pouvoir réglementaire. Ce n’est pas nouveau, c’est toujours l’État qui a pris les décisions d’abaisser la vitesse maximale autorisée. Pour être précis, le cadre réglementaire permet aux autorités locales de fixer des vitesses maximales autorisées plus restrictives. Je suis issue d’un département rural, je connais les collectivités locales et je roule beaucoup en voiture : il m’arrive très souvent, lorsque j’emprunte une route départementale, de traverser un village où une zone 30 a été instaurée dans la partie urbanisée sur décision des élus locaux, soit une vitesse inférieure à 50 kilomètres par heure.
Veuillez me pardonner, mais j’ai oublié le nom de certains intervenants ayant été élus lors du dernier renouvellement du Sénat. (Sourires.) Un sénateur m’a demandé pour quelle raison on instaurait la diminution de la vitesse dès à présent et pourquoi on ne mettait pas en œuvre les autres mesures prévues dans l’immédiat. Le Gouvernement n’a pas la volonté d’étaler les mesures. Plusieurs d’entre elles seront effectives au 1er juillet, d’autres nécessitent un décret. D’autres enfin, comme celle qui porte sur l’usage d’un téléphone portable, requièrent même une loi. Cette mesure figurera dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités que défendra Mme Borne dans quelque temps. Cela étant dit, toutes les mesures seront mises en œuvre assez rapidement.
Comme vous le savez, une proposition de loi sur les rodéos, que le Gouvernement soutient, a été déposée par le sénateur de l’Essonne, M. Delahaye. Nous sommes favorables à tout ce qui pourra limiter ces rodéos sauvages, qui, il faut bien le dire, cassent les pieds à tout le monde et sont extrêmement dangereux.
Il n’est pas choquant selon moi de vouloir appliquer la réduction de vitesse aux routes les plus accidentogènes. C’est d’ailleurs ainsi que le conçoit la Sécurité routière.
Je rappelle que les fameuses zones d’accumulation d’accidents corporels qui tachaient notre territoire il y a encore trente ans n’existent plus en France aujourd’hui. Le fait est que les accidents sont répartis de façon assez aléatoire dans les départements. En revanche, il est clair, et personne ne le conteste, qu’il y a un type de réseau sur lequel le risque d’accident est le plus élevé. L’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l’ONISR, organisme statistique indépendant rattaché au délégué interministériel à la sécurité routière,…
M. Alain Fouché. Non ! Il n’est pas indépendant !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … l’a démontré dans un rapport publié le 17 avril dernier, peu avant le dépôt de votre rapport. Il est intéressant de disposer de ces rapports sur l’état de la situation. Sur le fondement des informations sur les typologies de réseau fournies par les départements et des données relatives aux accidents corporels et mortels survenus au cours des cinq dernières années, l’Observatoire a confirmé pour l’ensemble des départements ce que le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA, avait constaté sur un échantillon de départements, et cela peut paraître surprenant : hors agglomération, c’est sur les belles routes que l’on meurt le plus. Aucun département n’échappe à cette règle !
Si l’on considère la moyenne nationale, le réseau le plus important, le plus structurant dans un département représente 10 % du réseau sur le plan national et 38 % des morts. Si l’on ajoute à ces 10 % le réseau un peu moins important, qui est en moyenne de 10 %, on constate que, sur 20 % du réseau, on déplore 55 % des tués.
À titre d’exemple, j’ai analysé les départements de nos trois rapporteurs, que je remercie encore de leur travail.
Dans la Haute-Saône, le réseau structurant représente 8 % du réseau et 61 % des tués. Si on ajoute le deuxième niveau, sur 18 % des routes du département on dénombre 74 % des tués.
Mme Cécile Cukierman. C’est logique, ce sont les routes les plus fréquentées !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans le Rhône, le réseau structurant représente 22 % des routes et concentre 43 % des tués.
Mme Cécile Cukierman. C’est mathématique !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Si on ajoute le deuxième niveau, on constate que 32 % des routes du département totalisent 59 % des tués. Dans le Finistère, enfin, le premier niveau représente 37 % du réseau, mais concentre 60 % des tués.
Ainsi, les réseaux les plus empruntés sont ceux où l’on compte le plus d’accidents parce qu’ils concentrent les risques et que, comme chacun le sait, le danger commence là où l’on croit qu’il n’y en a pas. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ainsi, il y a rarement des accidents sur une petite route la nuit, quand cela tourne et qu’il pleut.
Mme Cécile Cukierman. Évidemment, il n’y a personne !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En revanche, quand il fait beau, en journée, que la route est sèche, belle et droite, on accélère, on augmente le risque et on y meurt plus souvent, notamment s’il n’y a pas de séparation centrale.
Les statistiques sur ce point ne sont pas contestables. Elles sont faites par un organisme d’État, le CEREMA, et par des fonctionnaires dont le sérieux est tout à fait remarquable.
M. Alain Fouché. Ils sont à la botte du Gouvernement !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il n’y a pas lieu de remettre en cause leurs études scientifiques. Il faut défendre les fonctionnaires non pas de temps en temps, mais tout le temps !
Mme Cécile Cukierman. Ça, c’est vrai ! On en reparlera !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans ces conditions, les routes sur lesquelles il faut réduire la vitesse, comme vous le demandez, sont déjà bien identifiées. Elles ont été déterminées par le croisement des données recueillies localement et des données de réseau fournies par les conseils départementaux, qui connaissent leur réseau. Il n’est donc pas besoin, comme vous le proposez, de différer la mesure et de modifier le réseau auquel elle doit s’appliquer. Ne pas appliquer la mesure à tout ou partie du réseau sur lequel on constate le plus grand nombre de décès serait incompréhensible.
D’autres considérations me conduisent à rejeter la proposition que vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs. Les conditions de circulation sur un réseau doivent être claires et doivent pouvoir être intégrées par tous les usagers. Il est donc indispensable de fixer une vitesse par défaut. À défaut, le réseau ne serait plus cohérent, en raison des nombreuses variations de vitesse. Les choses ne doivent pas être trop compliquées, au risque d’entraîner de graves conséquences pour les usagers et un surcoût considérable lié à la multiplication des panneaux de limitation de vitesse, comme l’a fait remarquer M. Leroy.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, tout commande que la mesure n° 5 entre bien en vigueur le 1er juillet 2018 sur l’ensemble des routes bidirectionnelles sans séparateur central, exception faite des tronçons à quatre voies, ou à trois pour le seul sens du créneau de dépassement où le dépassement peut se faire avec moins de risques.
Enfin, comme l’a rappelé le Président de la République, il s’agit d’une mesure expérimentale.
M. Gilbert Bouchet. Dans la Drôme, elle existe déjà !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. À l’issue de cette expérimentation, après une évaluation, le Gouvernement aura plusieurs options, comme l’a indiqué le Président de la République : revenir en arrière, adapter ou maintenir la mesure. Comme vous, je suis certaine que nous parviendrons à sauver des centaines de vies par an.
J’évoquerai un dernier point pour finir : certains ont accusé le Gouvernement de vouloir, par cette mesure, gagner de l’argent, combler la dette,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. C’est vrai !
M. Gilbert Bouchet. Bien sûr !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … grâce à l’augmentation inévitable du nombre d’amendes et donc des recettes. Certains chiffres circulent même, sans que l’on sache d’où ils proviennent : un montant de 300 ou 400 millions d’euros est évoqué, lequel n’est absolument pas avéré. La Sécurité routière l’a d’ailleurs démenti.
Bien sûr, on peut imaginer que cette mesure entraînera une hausse du nombre des amendes, mais ce nombre est impossible à évaluer précisément. Le Gouvernement a pris l’engagement d’affecter toute augmentation des recettes des radars liée au passage à 80 kilomètres par heure à un fonds destiné à améliorer les soins apportés aux blessés graves. Comme l’a rappelé Arnaud de Belenet tout à l’heure, ces derniers sont 24 000 par an. C’est inacceptable sur le plan humain. En outre, leur situation a aussi un coût social. L’objectif du Gouvernement est donc de réduire le nombre de morts, mais aussi de blessés graves, dont la vie est souvent complètement gâchée.
Aujourd’hui, 92 % des recettes des radars sont consacrées à la sécurité routière et 8 % au remboursement de la dette.
M. Alain Fouché. Non, c’est faux !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je regrette, mais ces chiffres sont exacts !
Mme Costes suggère de développer le travail avec les écoles. La Prévention routière, qui est une association de la loi de 1901, réalise déjà un travail remarquable partout dans les départements. Ainsi, dans mon département, toutes les classes du primaire et du collège passent au moins deux jours par an et par niveau dans des centres de prévention routière.
La Sécurité routière a également signé un protocole avec 900 entreprises françaises afin de sensibiliser 3 millions de salariés aux problèmes liés à l’alcool au volant, à la vitesse, etc. Beaucoup de choses sont donc faites.
J’ai également été interrogée sur les délais d’attente pour passer le permis de conduire. Comme cela a été rappelé, une réforme a été engagée par M. Cazeneuve, l’ancien ministre de l’intérieur, laquelle a produit des effets. Aujourd’hui, le délai d’attente médian est de 40 jours, soit une durée inférieure à celle qui était constatée auparavant. Quant au coût du permis, il est effectivement assez élevé, mais il se situe dans la moyenne européenne, qui oscille entre 1 600 euros et 1 800 euros.
M. Gontard m’a interrogé sur la place du vélo dans le plan Mobilité. Le plan Vélo figurera bien dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités, lequel sera prochainement soumis au Parlement. Je vous invite donc à vous rapprocher de Mme Borne, qui défendra ce projet de loi.
M. Leroy m’a interrogé sur les caméras-piétons des policiers municipaux. Je rappelle que la décision, en date du 3 juin 2016, d’équiper les policiers municipaux avait été prise par l’ancien gouvernement et que sa mise en œuvre est intervenue par décret au mois de septembre 2016. Comme le prévoyait la loi, une expérimentation a été effectuée. Elle a eu lieu dans 344 communes. Au total, 2 106 caméras ont été fournies aux policiers municipaux. Un rapport sera présenté dans quelques jours. Le bilan est positif.
Monsieur Leroy, le groupe UDI, Agir et indépendants de l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi en ce sens, soutenue par le Gouvernement. Celle-ci, inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 13 juin prochain, a été examinée en commission des lois ce matin. L’expérimentation va donc être pérennisée. Cela s’inscrit dans la logique générale d’équipement des gendarmes et des policiers, la police de sécurité du quotidien, vous le savez, tendant à organiser territorialement la sécurité en nouant des relations étroites entre la police, la gendarmerie et la police municipale. Cette proposition de loi sera ensuite évidemment soumise au Sénat ; je pense que son adoption ne devrait pas poser de problème.
Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir répondu, je l’espère, à toutes vos questions, je tiens à souligner que le sujet dont nous débattons ce soir est grave. Je fais partie de ceux qui ont assisté à la réflexion menée par le Premier ministre sur la question. De plus, il se trouve que j’habite un département rural comportant des voiries très accidentogènes, en particulier les levées de la Loire, ou encore les routes de Sologne, fréquemment traversées par des animaux sauvages, notamment des sangliers. Donc, je vous le dis très sincèrement, cela ne me choque pas que la vitesse soit limitée à 80 kilomètres par heure sur certaines routes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (M. Alain Fouché applaudit.)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord saluer nos trois rapporteurs, qui ont eu à cœur de travailler avec sérieux, rigueur et sans a priori, sans méconnaître la gravité du sujet, soulignée par Mme la ministre à la fin de son propos.
La lutte contre l’insécurité routière est un combat que nous partageons tous dans cet hémicycle, mais c’est un combat qui, pour être efficace, ne peut être mené sans faire œuvre de pédagogie et sans rechercher un minimum d’adhésion de la part des usagers de la route.
Aujourd’hui, force est de constater que les politiques de sécurité routière sont beaucoup trop souvent perçues comme punitives, ce que nous déplorons tous. Pire, beaucoup de Françaises et de Français considèrent que ces politiques ont pour seul objectif de « remplir les caisses de l’État », « de faire du chiffre », disent certains, quand ils ne parlent pas de « racket ». Ce n’est évidemment pas satisfaisant, mais cela illustre bien la défiance à l’égard de la politique de sécurité routière.
La décision du Premier ministre – je dis bien du Premier ministre, puisqu’elle ne semble pas faire l’unanimité au sein du Gouvernement – de réduire de manière unilatérale et brutale la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur la quasi-totalité des routes secondaires ne fait que renforcer ce sentiment. Cette décision provoque l’incompréhension et le mécontentement de nombreux citoyens et d’élus.
Cette incompréhension et ce mécontentement, cette colère même, touchent particulièrement les habitants des territoires ruraux, car ce sont bien eux les plus concernés. Les habitants des grandes villes ou des grandes métropoles disposent en effet de transports en commun pour circuler et, quand bien même ils utilisent leur véhicule, la question de rouler à 90 ou à 80 kilomètres par heure ne se pose pas.
En revanche, en milieu rural, vous n’avez pas d’alternative à l’usage de la voiture pour parcourir chaque jour parfois plusieurs dizaines de kilomètres pour aller travailler. Comment s’étonner dès lors que cette mesure soit perçue comme un mauvais coup supplémentaire porté à la ruralité ?
Cette mesure est d’autant moins compréhensible qu’elle intervient après la conduite d’une expérimentation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est fortement contestée sur le plan scientifique.
M. Alain Fouché. Absolument !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Le délégué interministériel à la sécurité routière a d’ailleurs été dans l’incapacité d’apporter à nos commissions des éléments tangibles prouvant l’utilité de cette proposition. Le Gouvernement n’y est pas non plus parvenu.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir commencé par réaliser une véritable expérimentation sur un nombre significatif de tronçons routiers et pendant une période suffisante ?
M. Gilbert Bouchet. Il y en a eu une dans la Drôme !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Pourquoi ne pas avoir décidé d’associer le plus largement possible les acteurs concernés à la décision de réduction de la vitesse maximale autorisée, notamment les présidents de département ?
À ce problème de méthode s’ajoute un problème lié au caractère uniforme de cette mesure. Une étude publiée par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière le 17 avril dernier, dont vous avez d’ailleurs parlé, madame la ministre, montre que, parmi les routes à double sens sans séparateur central, ce sont les routes nationales et les principales routes départementales drainant le plus fort trafic qui sont responsables du plus grand nombre d’accidents mortels.
En approfondissant ce travail, il aurait été possible de dresser une cartographie des routes accidentogènes département par département.
Pourquoi, dès lors, vouloir appliquer la réduction de vitesse à l’ensemble des routes bidirectionnelles ? Qui peut prétendre que toutes les routes nécessitent la même limitation de vitesse ? Qui peut affirmer qu’elles présentent toutes la même dangerosité ? C’est pour le moins une vision manichéenne et technocratique.
Les propositions formulées par nos rapporteurs, notamment celle de laisser aux présidents de département le soin de fixer la vitesse maximale autorisée en fonction de la dangerosité des routes, me semblent tellement plus logiques et mieux adaptées que ce que le Premier ministre a décidé. Pourquoi refuser d’en tenir compte ?
Nous ne pouvons donc que regretter cette décision, madame la ministre, et le fait que le Gouvernement, comme souvent malheureusement, ne fasse aucun cas des travaux menés par le groupe de travail sénatorial.
Nos rapporteurs ont formulé une proposition de bon sens qui favoriserait l’acceptabilité de la mesure de réduction de la vitesse maximale autorisée et la rendrait plus efficace.
Nous sommes prêts, nous l’avons dit, à soutenir les initiatives du Gouvernement en matière de sécurité routière et sommes majoritairement favorables aux mesures contenues dans le plan visant à renforcer les sanctions contre les auteurs d’infractions graves au code de la route et à sévir davantage contre l’usage du téléphone et l’alcoolémie au volant.
En revanche, vous l’avez compris, nous regrettons le caractère général de la réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure, la méthode choisie et l’entêtement du Premier ministre.
Vous nous dites, madame la ministre, que la mesure sera revue dans deux ans : cela ne me paraît ni réaliste, ni sérieux, ni même décent, ne fût-ce que parce que, selon les chiffres du Gouvernement, environ 9 millions d’euros auront été investis dans des panneaux de limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure !
Lorsqu’il s’agit de mesures aussi significatives que l’abaissement de la vitesse autorisée sur l’ensemble du réseau, la moindre des choses est de faire preuve de pédagogie et de concertation. Le Gouvernement n’a fait preuve ni de l’une ni de l’autre. Cette mesure ne fera donc que renforcer davantage encore la défiance des Français à l’égard de la politique de sécurité routière et la colère des automobilistes qui vont être verbalisés, particulièrement en milieu rural. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer et remercier nos rapporteurs qui, en un temps record, ont mené à bien des travaux dont chacun, à cette tribune, a pu saluer la sérénité, l’objectivité, la sagesse, le recul et la hauteur de vue.
Madame la ministre, si je partageais vos certitudes, je n’hésiterais pas à soutenir les dispositions que le Premier ministre a arrêtées, mais je ne les partage pas. Le rapport que nos collègues nous ont présenté devrait suffire à convaincre le Gouvernement qu’il a adopté une mesure qui ne produira pas les effets escomptés.
La croyance dans l’efficacité de cette mesure me paraît relever d’un acte de foi – j’y suis sensible, bien sûr (Sourires.) – plutôt que d’une démonstration.
Le rapport d’avril dernier que vous avez cité a parfaitement identifié un certain nombre d’axes sur lesquels les accidents mortels sont nombreux, mais il n’a nullement dit que ces accidents avaient été causés par une vitesse comprise entre 80 et 90 kilomètres par heure, et que la solution consistant à diminuer de dix kilomètres par heure la limitation de vitesse serait donc la solution pour mettre fin aux accidents qui se produisent sur ces routes. Si bien que l’invocation de ce rapport, à longueur de journée, n’a strictement aucun caractère scientifique.
Nous vous rejoignons, bien sûr, pour dire que, sur ces axes, des mesures doivent être prises pour réduire ces accidents.
Madame la ministre, vous le savez, j’étais aux côtés de Jacques Chirac quand il a fait de la lutte contre la mortalité routière l’un des grands chantiers de son quinquennat. Je veux vous dire mon engagement total pour cette cause, qui est une grande cause nationale. Nous la partageons tous : il n’y a pas, d’un côté, le Gouvernement qui veut réduire la mortalité routière et, de l’autre, le Sénat qui s’oppose à toute mesure destinée à cette réduction.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous ne nous avez pas accusés, madame la ministre, d’avoir de telles intentions.
Le Gouvernement nous dit vouloir s’inscrire, par les mesures nouvelles qu’il propose, dans la continuité de l’action qui a été conduite au début des années 2000. Je ne conteste naturellement ni sa sincérité ni la légitimité de ses intentions, mais il ne suffit pas que les objectifs soient justes pour que les moyens soient bons.
Le Gouvernement doit cesser de diaboliser les interrogations et les réserves qui sont exprimées. Elles ne résultent pas d’une résurgence tardive de je ne sais quel poujadisme, mais d’un examen critique, approfondi, documenté, de la pertinence des mesures de limitation de la vitesse normale sur les routes départementales à 80 kilomètres par heure et de l’évaluation de son efficacité. Nous partageons la certitude objective que la vitesse tue. Cependant, il serait plus exact de dire que c’est l’excès de vitesse par rapport aux limitations actuelles qui tue (Exactement ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) et non pas le fait que ces limitations seraient insuffisantes. Il n’y a pas de rationalité au raisonnement qui sous-tend la mesure que le Premier ministre entend imposer aux Français, il n’y aura donc pas non plus de résultats.
Je voudrais vous dire par ailleurs que si la vitesse tue, madame la ministre, elle tue plus encore quand elle est associée à d’autres facteurs. Vous les avez rappelés, beaucoup de collègues l’ont fait aussi, notamment nos rapporteurs : l’alcool, les stupéfiants, l’endormissement, l’usage du téléphone portable, les fautes de conduite…
Nos rapporteurs ont réalisé un travail considérable. Ils ont démontré qu’il faut agir sur tous ces facteurs pour être efficace. C’est la proposition qu’ils font avec une mesure décentralisée au lieu d’être étatique,…
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … affinée plutôt qu’aveugle, concertée plutôt que décidée par voie d’autorité, qui responsabilise au lieu d’infantiliser, évaluée avant d’être appliquée. La sagesse voudrait que cette proposition soit acceptée par le Gouvernement : c’est une chance que nous lui offrons, une main que nous lui tendons. Notre but ne doit pas être de créer un électrochoc éphémère chez les Français, mais de les faire concourir par adhésion, en obtenant l’évolution de leur comportement au volant, à l’amélioration générale de la sécurité routière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport Sécurité routière : mieux cibler pour plus d’efficacité.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 6 juin 2018 :
À quatorze heures trente :
Explications de vote, puis vote sur la proposition de loi relative à l’autorisation d’analyses génétiques sur personnes décédées (n° 273, 2017-2018) ;
Rapport de Mme Catherine Deroche, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 523, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 524, 2017-2018).
Explications de vote, puis vote sur la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964 (n° 431, 2017-2018) ;
Rapport de M. Philippe Mouiller, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 511, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 512, 2017-2018).
Proposition de résolution européenne au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du Règlement, en faveur de la préservation d’une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires (n° 430, 2017-2018) ;
Rapport d’information de M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques (n° 437, 2017-2018) ;
Rapport de MM. Daniel Gremillet et Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques et texte de la commission (n° 475, 2017-2018).
Le soir :
Proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (n° 364, 2017-2018) ;
Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n° 517, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 518, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
nomination de membres de commissions
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Pierre Laurent est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Thierry Foucaud.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Pierre Laurent est membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Thierry Foucaud.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Céline Brulin est membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Pierre Laurent.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD