Sommaire
Présidence de M. Philippe Dallier
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel, M. Michel Raison.
2. Les infrastructures routières à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Arnaud Bazin ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Antoine Karam ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Antoine Karam.
Mme Éliane Assassi ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Jean-Claude Luche ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Jean-Claude Luche.
M. Joël Bigot ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Alain Fouché ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Alain Fouché.
M. Patrick Chaize ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Patrick Chaize.
M. Philippe Bonnecarrère ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Philippe Bonnecarrère.
M. Jean-Michel Houllegatte ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Alain Dufaut ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Nicole Bonnefoy ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Gérard Longuet ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Gérard Longuet.
M. Didier Mandelli ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Rémy Pointereau ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Rémy Pointereau.
M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Hommage aux victimes d’un attentat
M. le président ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
4. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Hervé Marseille ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
M. Bernard Cazeau ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Véronique Guillotin ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christine Prunaud ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Claude Raynal ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
conséquences pour les entreprises françaises en iran du retrait américain de l’accord de vienne
M. Emmanuel Capus ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
fonds d’urgence pour les abeilles
M. Joël Labbé ; M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Labbé.
M. Pierre Cuypers ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Pierre Cuypers.
organisation de la semaine scolaire
Mme Frédérique Puissat ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale ; Mme Frédérique Puissat.
finances des collectivités territoriales
M. Yannick Botrel ; Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
classement en zone de catastrophe naturelle
Mme Évelyne Perrot ; Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
5. « Américains accidentels » concernés par le FATCA. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
Mme Jacky Deromedi, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption de la proposition de résolution.
compte rendu intégral
Présidence de M. Philippe Dallier
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 9 mai 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Les infrastructures routières à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les infrastructures routières à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande de débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe auteur de la demande.
M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité l’inscription à l’ordre du jour d’un débat sur les infrastructures routières, à la lumière du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, pour rappeler son attachement à un réseau routier étendu, longtemps considéré comme exceptionnel, et qui continue à se développer.
La longueur du réseau routier est passée de 962 000 kilomètres en 1995 à 1 073 000 kilomètres en 2014.
Ce réseau est composé de 11 560 kilomètres d’autoroutes, dont 8 951 kilomètres d’autoroutes concédées, 9 645 kilomètres de routes nationales, 378 973 kilomètres de routes départementales et 673 290 kilomètres de routes communales. Il est un atout formidable pour la mobilité dans nos territoires, à condition qu’il soit bien entretenu.
Or nous le savons bien, mes chers collègues, une tendance à la dégradation du réseau routier national non concédé et du réseau autoroutier a été observée ces dernières années. Même si elle peut sembler limitée pour l’instant, il apparaît nécessaire de l’évaluer et surtout d’y mettre un terme pour éviter la détérioration de ce patrimoine et la hausse du coût de son entretien.
Ainsi, alors que plus de 85 % des chaussées étaient considérées en état correct de 2010 à 2012, c’est-à-dire qu’elles bénéficiaient d’une note supérieure ou égale à 12 sur 20, ce taux a commencé à baisser en 2013, pour atteindre 84,5 %, puis 83,8 % en 2014 et 83,3 % en 2015.
Cette dégradation de l’état du réseau routier a des conséquences sur le terrain, puisqu’elle se traduit par la multiplication des limitations temporaires de vitesse ou des mesures de restriction de la circulation.
Le principal facteur explicatif de cette tendance à la dégradation du patrimoine routier national non concédé est la baisse des crédits attribués à l’exploitation et à l’entretien du réseau routier national.
Les crédits de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, ont vocation à financer des opérations de régénération, lesquelles consistent à réhabiliter, renforcer, renouveler ou reconstruire des ouvrages d’art et des chaussées de sections d’itinéraires fortement dégradées en raison de leur ancienneté ou d’événements climatiques. Ils contribuent également à financer des opérations de mise en sécurité des tunnels routiers et le renouvellement des principaux équipements qui y contribuent, des aménagements de sécurité, des équipements dynamiques visant à améliorer la gestion du trafic par l’information des usagers et la régulation des accès ou de la vitesse, ainsi que l’aménagement d’aires de service et de repos.
Malheureusement, les précédents gouvernements ont eu tendance à promettre et même à engager la réalisation de nombreux projets d’infrastructures sans nécessairement s’assurer de leur faisabilité financière.
Sur le plan budgétaire, cette politique s’est traduite par une inadéquation entre les ressources et les dépenses de l’AFITF.
En effet, depuis 2013, l’AFITF rencontre des difficultés budgétaires. Celles-ci sont d’abord dues aux reports successifs de l’entrée en vigueur de l’écotaxe, puis à l’abandon de cette dernière, décidé à la fin de l’année 2014. L’Agence aurait dû bénéficier d’une grande partie des recettes annuelles provenant de cette taxe, soit 700 à 800 millions d’euros, à la place d’une subvention budgétaire que l’État lui versait chaque année. Or celui-ci a commencé à réduire le montant de cette subvention dès 2013, alors que l’AFITF ne percevait aucune recette supplémentaire. Les ressources de l’Agence ont ainsi fortement diminué, passant de 1,9 milliard d’euros en 2012 à 1,6 milliard d’euros en 2013 et 1,7 milliard d’euros en 2014.
Le manque à gagner résultant de l’abandon définitif de l’écotaxe n’a été que partiellement compensé par l’affectation d’une fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE. Si cette fraction s’est élevée à 1,1 milliard d’euros en 2015, l’AFITF a dû assumer la même année 528 millions d’euros de frais résultant de la résiliation du contrat conclu avec Ecomouv’, société qui avait été chargée de la collecte de l’écotaxe. Rappelons que le paiement de la totalité des frais de résiliation, soit près de 1 milliard d’euros est, quant à lui, échelonné sur une durée de plusieurs années.
En 2017, alors que les besoins de financement de l’Agence étaient estimés à 2,5 milliards d’euros par son ancien président, Philippe Duron, son budget s’est élevé à 2,2 milliards d’euros.
Pour ce qui est du réseau autoroutier, il revient aux sociétés concessionnaires d’entretenir le patrimoine qui leur a été confié et à l’État de vérifier que leurs obligations sont bien remplies.
La qualité du réseau autoroutier est suivie grâce à des indicateurs que les concessionnaires d’autoroutes doivent renseigner depuis 2005 et que l’État contrôle au moyen de visites non formalisées, qui permettent de repérer des zones défaillantes, ainsi que d’audits approfondis.
En ce qui concerne l’état du réseau, si la proportion des autoroutes en très bon état de surface est restée relativement stable – autour de 65 à 67 % –, celle des autoroutes en bon état de surface a diminué depuis 2011, passant de 31 % à 18 % en 2013. En conséquence, la proportion du réseau autoroutier dont l’état est plus ou moins dégradé a augmenté, passant de 5 % à 16 %.
On observe donc une tendance à la dégradation d’une partie du réseau autoroutier, ce qui n’est pas acceptable.
Dans son rapport sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes de juillet 2013, la Cour des comptes avait souligné l’expertise des services de l’État qui effectuent les contrôles relatifs à l’état du patrimoine autoroutier, tout en recommandant un renforcement de ces contrôles. Par ailleurs, elle avait relevé que l’État n’utilisait pas suffisamment les outils à sa disposition pour contraindre les sociétés concessionnaires à remplir leurs obligations.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite également replacer ce débat dans le cadre de l’aménagement du territoire.
Nous le savons tous, un des préalables à tout renouveau des territoires est de les doter d’infrastructures modernes de communication, dont les routes et les autoroutes.
Que seraient devenues la Bretagne, la Vendée, les vallées alpines, aujourd’hui prospères – pour ne citer que ces exemples emblématiques –, sans un investissement massif dans les infrastructures de communication, dont le financeur principal a été l’État ?
M. Loïc Hervé. Et la Haute-Savoie ?
M. Benoît Huré. Je suis un élu des Ardennes, territoire enclavé jusqu’en 2005, dépourvu d’investissements significatifs de la part de l’État en infrastructures de communication, sans doute parce que ce département était considéré comme la porte d’entrée des invasions à une époque où nos voisins n’étaient pas toujours nos amis (Sourires.), comme un certain nombre d’ingénieurs des travaux publics me l’ont expliqué on ne peut plus sérieusement.
À la fin des années quatre-vingt-dix, en des termes moins poétiques que ceux de l’écrivain André Dhôtel, pour qui les Ardennes étaient « le pays où l’on n’arrive jamais », un préfet de la région Champagne-Ardenne évoquait, lui, à la veille de son départ du corps préfectoral, le « réduit ardennais ». Ce fut un électrochoc !
Pour mettre fin à cette situation pénalisante et remettre les Ardennes sur les grands axes de communication européens, le conseil général a dégagé d’importants crédits et a convaincu l’État et la région de l’aider à construire une liaison autoroutière qui permette d’arrimer les Ardennes à la fois au réseau autoroutier français et, à partir du mois de juillet de cette année, au réseau autoroutier nord-européen. Il en aura coûté plus de 235 millions d’euros au budget départemental entre 2002 et 2018. C’est plus que la dette actuelle du département !
Plusieurs régions françaises restent enclavées. Je ne me résous donc pas à l’idée que nous n’aurions plus besoin de constructions autoroutières en France.
Je veux citer quelques exemples d’axes stratégiques dont nous avons besoin de manière criante et pressante : un axe qui partirait de l’Espagne et des Pyrénées vers le sillon rhônalpin et l’Europe, qui irriguerait sur son passage le sud du Massif central et intégrerait complètement l’A 45, qui doit relier Saint-Étienne à Lyon, afin de conforter les liaisons européennes et vitaliser les territoires traversés ; un axe qui, de l’Atlantique Ouest vers Strasbourg et l’Allemagne, irriguerait sur son passage le centre de la France ; enfin, un axe qui, depuis la Normandie et Le Havre, via Charleville-Mézières et Luxembourg, irait jusqu’à Giessen, en Allemagne. C’est ce que l’on appelle la route E 44, telle qu’elle apparaît sur les itinéraires européens, qui permettrait d’irriguer sur son passage la Picardie, la Thiérache axonaise et tout le nord-est de la France.
En plus de liaisons autoroutières, les territoires traversés doivent disposer des moyens de moderniser leurs réseaux routiers départementaux embranchés sur les échangeurs autoroutiers, afin que cet ensemble d’infrastructures permette d’atteindre l’un des objectifs en matière d’aménagement du territoire maintes fois rappelés par les spécialistes, à savoir qu’au moins 90 % de la population de notre pays doit avoir accès en moins de trente minutes à un échangeur autoroutier ou à une gare TGV.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Benoît Huré. Pour conclure, je souhaite interroger le Gouvernement sur deux points essentiels qui touchent à la pérennité de nos infrastructures autoroutières et routières.
Premièrement, qu’en est-il de la possible création d’un établissement public doté d’un financement issu du transport routier pour mener la rénovation du réseau national et la construction de nouvelles infrastructures routières et autoroutières ?
M. le président. Merci, mon cher collègue !
M. Benoît Huré. Je vous remercie de la réponse que vous pourrez m’apporter, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de plaisir que j’interviens aujourd’hui à nouveau devant votre Haute Assemblée pour poursuivre nos échanges autour des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI.
Le 13 mars dernier, j’avais déjà eu l’occasion de vous exposer les grands principes de la politique globale de mobilité que nous entendons promouvoir. Le 28 mars, nous avons pu débattre ensemble de l’avenir des lignes à grande vitesse et de l’aménagement du territoire. Vous me donnez aujourd’hui l’occasion d’aller plus loin en matière de politique routière, et je vous en remercie.
Notre objectif est de bâtir une société de mobilité inclusive, dont chacun de nos territoires, chacun de nos concitoyens puisse tirer parti au quotidien.
Faire face à ce défi, qui conjugue efficacité économique, aménagement du territoire et cohésion sociale, c’est naturellement donner à la route la place qui doit être la sienne au cœur d’une politique de lutte contre le changement climatique qui doit favoriser le développement des modes alternatifs pour le transport des biens et des personnes, notamment le ferroviaire. Alors que 90 % du transport de marchandises et de voyageurs est à ce jour assuré par la route, le développement de ces modes alternatifs est une priorité fondamentale de la politique de mobilité que je défends.
Cela étant, n’oublions pas que le système routier français constitue un réseau de 1 million de kilomètres qui assure un maillage extrêmement fin de chacun de nos territoires.
Par ailleurs, la route du XXIe siècle n’aura que peu à voir avec celle qui a été cartographiée et développée par Daniel-Charles Trudaine au XVIIIe siècle. Demain, la route sera encore plus utile et pertinente, parce qu’elle sera plus propre, plus innovante, plus connectée et plus sûre. Elle devra favoriser le développement des véhicules électriques autonomes, du vélo, des nouveaux transports en commun à faibles émissions, du covoiturage, de l’autopartage et de la multimodalité.
Lors de son discours du 1er juillet 2017 à Rennes, le Président de la République a fixé un cap très clair : recentrer nos politiques de mobilité sur les transports du quotidien, la lutte contre la congestion dans les grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires et l’organisation de nos systèmes logistiques.
Comme vous le savez, les besoins de nos territoires, de nos concitoyens, de nos entreprises ont beaucoup évolué depuis vingt ans. Ils continuent à évoluer rapidement. Dans un contexte marqué par les contraintes qui pèsent sur les finances de l’État et des collectivités territoriales, la route du futur devra également être plus sobre. Nous devons anticiper et accompagner ces évolutions majeures en révisant en profondeur nos stratégies et nos modes d’action.
Ce besoin de changement, votre Haute Assemblée l’appelle de ses vœux depuis longtemps. J’ai déjà eu l’occasion, à cette tribune, de saluer les travaux de votre commission des finances et de votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Ce besoin de changement, nos concitoyens s’en sont eux-mêmes largement fait l’écho lors des Assises nationales de la mobilité, avec même une réelle impatience.
Cette impatience, je la comprends, je la partage, et je mesure l’urgence d’y apporter une réponse, afin d’éviter que ne se creusent les fractures sociale et territoriale. J’y insiste, la capacité de la route à devenir un facteur d’inclusion est l’un des grands défis de la mobilité de demain.
Le Gouvernement s’est donc employé à ouvrir une nouvelle page, sous le signe de l’écoute, de la cohérence et de la sincérité, pour redonner du crédit aux engagements de l’État sur un sujet qui, pour reprendre les mots prononcés à cette tribune par votre collègue Gérard Cornu en mars dernier, est « caractérisé depuis trop longtemps, il faut oser le dire, par les annonces et la fuite en avant, et par une technique bien connue en politique et bien éprouvée, qui veut que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ».
C’est le sens du travail confié au Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Le rapport qui m’a été remis le 1er février dernier est le fruit d’un travail considérable. Je me réjouis que les conclusions issues de cette démarche exigeante aient été adoptées à l’unanimité des membres du COI et je salue ici l’engagement de vos collègues, Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Gérard Cornu et Michel Dagbert. Leur travail est d’autant plus précieux qu’il pose les bases d’une véritable stratégie d’investissement pour les deux décennies à venir.
Comme vous le savez, trois scénarios sont désormais sur la table. Le premier, à ressources constantes, permet simplement de répondre aux besoins d’entretien du patrimoine existant. Le deuxième satisfait les priorités fixées par le Président de la République, mais au prix de moyens supplémentaires significatifs, à hauteur de 600 millions d’euros par an. Le troisième, enfin, prévoit une accélération des projets. Cependant, il mobilise environ 80 milliards d’euros sur une période de vingt ans, soit un doublement des dépenses par rapport à la période 2012-2016 pendant au moins dix ans.
Quel que soit le scénario retenu, le rapport recommande un certain nombre de priorités dans la façon de conduire nos politiques d’investissement.
S’agissant des routes, le COI insiste à juste titre sur la priorité absolue que constituent l’entretien, la régénération du réseau routier national non concédé et la modernisation de son fonctionnement. Cette recommandation rejoint les conclusions de l’audit externe qui m’a été remis en avril 2018, lequel souligne l’état critique de ce réseau : 50 % des surfaces des chaussées sont à renouveler et près d’un pont sur dix est en mauvais état.
Dans son rapport de mars 2017, le président Hervé Maurey tirait déjà la sonnette d’alarme en dénonçant « un réseau en danger ». Là encore, notre sous-investissement a été manifeste et, au rythme de l’effort actuel, deux décennies seraient nécessaires pour remettre en état l’ensemble du patrimoine. Qui pourrait s’en satisfaire ?
Au-delà, l’enjeu de la modernisation de nos routes est également posé. Celle-ci doit favoriser le développement des véhicules connectés et autonomes et améliorer la gestion des flux de trafic.
La première des priorités à laquelle je suis fondamentalement attachée est la desserte routière de nos territoires. Lors de chacun de mes déplacements, je suis confrontée à des habitants et à des élus qui se désespèrent en voyant la modernisation de certains de nos axes routiers, pourtant indispensables aux déplacements du quotidien, repoussée de contrat de plan en contrat de plan, de décennie en décennie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous dressez le même constat dans chacun des départements que vous représentez. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de grands travaux, mais d’aménagements simples. J’ai l’absolue conviction que ce désenclavement routier mérite que l’on dégage les moyens suffisants et pérennes pour y parvenir.
Il faut également avoir en tête que, si le réseau routier national supporte près d’un tiers des trafics, il ne représente que 2 % des infrastructures linéaires routières de notre pays.
Sans chercher à se substituer aux collectivités locales, l’État doit leur apporter son soutien et poursuivre l’animation de la communauté routière pour développer et diffuser des techniques adaptées à des routes sobres, écologiques et peu coûteuses.
Enfin, le COI nous invite à sortir de la logique du « tout ou rien », qui a longtemps prévalu dans la réalisation des grands projets. À nous désormais d’être innovants et raisonnables à la fois. Concevons et phasons intelligemment les projets pour les mener à bien et répondre efficacement aux problèmes de congestion en mobilisant les moyens compatibles avec nos finances publiques. L’équation n’est pas simple, mais elle n’a rien d’insoluble.
Dans cette perspective, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures permet d’ouvrir une nouvelle page dans nos choix d’investissement, et ce afin de sortir des impasses financières et politiques sans renoncer à notre ambition collective en faveur de l’amélioration de la mobilité du quotidien.
S’inspirant de ces recommandations, le Gouvernement fera très bientôt connaître ses choix. C’est notamment l’objet du futur projet de loi d’orientation sur les mobilités que je présenterai avant l’été. Ce texte proposera une stratégie d’ensemble, ainsi qu’une programmation sincère de nos infrastructures pour les deux prochaines décennies. Nous aurons l’occasion d’en reparler précisément lorsque votre Haute Assemblée sera invitée à examiner et à enrichir ce projet de loi.
Dans le domaine routier, nous nous montrerons à la hauteur des défis qui sont les nôtres, si cette programmation sait conjuguer quelques objectifs aussi simples que fondamentaux.
Le premier objectif doit traduire une volonté sans faille de préserver et de moderniser le réseau routier national.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Notre deuxième objectif vise le désenclavement routier des territoires mal desservis.
M. Loïc Hervé. C’est très important !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je pense aussi à l’accélération des opérations visant l’amélioration des itinéraires pour les axes du réseau routier desservant les lignes moyennes.
Enfin, la programmation devra s’appuyer sur des ressources financières solides et pérennes en privilégiant, chaque fois que c’est possible, le paiement par l’usager ou par le bénéficiaire final des projets.
Il faut en terminer avec les promesses non tenues, parce qu’intenables. Réhabiliter la parole publique passe par davantage de sincérité, en particulier en matière budgétaire. C’est raisonnable et possible. Je compte sur votre exigence pour nous accompagner dans cette louable entreprise, que j’aborde avec détermination et confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, madame la ministre, je rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition toutefois qu’il ait scrupuleusement respecté le temps de parole de deux minutes imparti pour présenter sa question.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ayant été moi-même rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits consacrés aux transports routiers dans le projet de loi de finances pour 2018, j’axerai mon intervention sur le réseau des routes nationales non concédées.
Le Conseil d’orientation des infrastructures propose d’affecter 300 millions d’euros de crédits supplémentaires par an pour l’entretien et la réfection-modernisation de ce réseau.
Si je me félicite de la nomination d’un nouveau président à la tête de l’AFITF, que nous avions toutes et tous souhaitée, je déplore, dans le même temps, madame la ministre, que l’audit consacré à ce réseau tarde à sortir. L’échéance initiale était fixée au mois de décembre 2017. Or, bien qu’il m’ait été confirmé que le rapport vous a été remis au début du mois de mars dernier, et si je peux comprendre qu’il faut du temps pour l’analyser, je constate qu’il n’est toujours pas accessible aujourd’hui.
D’autres rapports récents, comme celui du Conseil d’orientation des infrastructures, mais également celui de l’Observatoire national de la route, laissent présager des conclusions qui confirment l’état plus que moyen du réseau non concédé, avec une possible détérioration de celui-ci dans les années à venir, notamment en ce qui concerne les ouvrages d’art.
Dans ce contexte, madame la ministre, pourrait-on connaître les grands axes du rapport d’audit ? Quel regard l’État porte-t-il sur ce réseau des routes nationales non concédées ? Si l’État est prêt à s’engager dans ce domaine, quels moyens compte-t-il y consacrer au regard des 300 millions d’euros annuels que le rapport préconise, qui seront sans doute insuffisants ? Enfin, quelles ressources nouvelles serait-il possible de mobiliser pour répondre aux demandes des territoires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Corbisez, le Conseil d’orientation des infrastructures propose en effet d’amplifier l’effort en faveur de l’entretien et de la modernisation de nos réseaux, en général, et du réseau routier en particulier. Cette recommandation a été confirmée par les conclusions de l’audit externe qui m’ont été remises en avril et qui seront prochainement rendues publiques.
Le rapport souligne l’état critique des chaussées, avec 40 % des surfaces à renouveler, et des ouvrages d’art, avec 30 % des ponts à réparer.
En 2018, nous avons d’ores et déjà augmenté les crédits consacrés à l’entretien et la modernisation du réseau routier en les faisant passer à 800 millions d’euros, à comparer avec les 670 millions d’euros dépensés en moyenne au cours des dix dernières années.
Toutefois, une action plus forte de remise à niveau est indispensable. Il nous faudra progressivement relever le budget annuel consacré à l’entretien et l’exploitation du réseau à 1 milliard d’euros.
Cet effort devrait se traduire au plus vite par un plan de sauvegarde des chaussées, des ouvrages d’art et des équipements du réseau routier national non concédé. Ce plan devra être intégré à la future loi de programmation des infrastructures et devrait fixer des objectifs quantitatifs d’amélioration du réseau routier sur la base d’échéances quinquennales – 2022, 2027, 2032 et 2037 –, ce qui permettra d’agir en faveur de la sécurité des usagers sur l’ensemble du réseau, mais aussi de travailler sur une massification et une industrialisation des chantiers.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
Il vous reste cinquante-quatre secondes, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je serai très bref, monsieur le président.
Je veux d’abord remercier la ministre de sa réponse. Les sénateurs membres de la commission de l’aménagement du territoire souhaiteraient pouvoir travailler sur cet audit.
Par ailleurs, je rappelle à mes collègues que les départements vont avoir tendance à rétrocéder des routes départementales aux communes, ce qui entraînera parfois des conséquences graves. En effet, les communes vont se retrouver propriétaires d’ouvrages d’art situés au-dessus de fleuves, de voies ferrées, de lignes à grande vitesse, dont elles seront obligées d’assurer l’entretien. Certains territoires subiront ainsi une double peine, des portions de routes nationales leur étant aussi parfois transférées.
Madame la ministre, nous espérons disposer rapidement du rapport d’audit, afin que la commission de l’aménagement du territoire puisse se remettre rapidement au travail.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin.
M. Arnaud Bazin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite parler des grandes infrastructures routières circumparisiennes, vues du Val-d’Oise.
Le Val-d’Oise est le seul département de grande couronne qui n’a aucun débouché sur le boulevard périphérique par autoroute.
La situation n’est guère meilleure s’agissant de l’A 86, puisque l’A 15 aboutit sur l’une des sections les plus étranglées de cette autoroute, une zone à deux voies encombrée en permanence.
Enfin, le Val-d’Oise est un cul-de-sac pour la troisième grande structure à vocation circulaire qu’est la Francilienne pour l’Île-de-France.
En effet, si la liaison vers l’est, à partir de Cergy en passant par Roissy, a été réalisée, sur l’initiative, d’ailleurs, du conseil départemental et avec le soutien financier de la région – cette époque est révolue –, le bouclage vers l’ouest, par le prolongement de Méry-sur-Oise jusqu’à Orgeval, dans les Yvelines, reste une ardente nécessité.
À l’issue du débat public de 2006, l’État a retenu un tracé. Ce projet a été soutenu par l’assemblée départementale dans une motion unanime exprimant les attentes du département sur les communes d’Éragny et d’Herblay.
Depuis l’avis de la commission Mobilité 21, le bouclage de l’A 104 a été classé dans les secondes priorités. Le rapport de Philippe Duron préconise de poursuivre les études de réalisation et de statuer à nouveau vers 2030… Cela s’apparente fort à un renvoi aux calendes grecques pour des raisons budgétaires qui n’échappent à personne.
Madame la ministre, pensez-vous que la ville-monde que veut être le Grand Paris peut attendre 2050 – en étant optimiste – pour disposer enfin du grand anneau périphérique de liaison entre les principaux pôles de la grande couronne parisienne et de contournement de la zone la plus dense ? Que deviendrait alors l’un des grands projets fondateurs du Grand Paris, le port Seine-Métropole Ouest, à Achères ?
Quid du développement du bassin de vie de la confluence Seine-Oise, d’ampleur comparable à l’agglomération rouennaise ?
Enfin, quel est votre objectif en matière de programmation des étapes préalables nécessaires à la réalisation de cette grande infrastructure ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Bazin, je suis tout à fait consciente des enjeux liés à l’amélioration de la desserte du nord-ouest de l’Île-de-France.
Vous le savez, le projet de prolongement de la Francilienne entre Méry-sur-Oise et Orgeval soulève des difficultés importantes depuis de nombreuses années quant au choix du tracé et ses impacts environnementaux.
Vous avez mentionné les contraintes budgétaires. Certes, il s’agit d’un projet estimé à 3 milliards d’euros, pour lequel aucun plan de financement crédible n’a pour l’instant été identifié. Mais, au-delà, si un certain consensus a pu se dégager dans le Val-d’Oise, le projet pose des difficultés importantes d’insertion dans les Yvelines. Comme vous le soulignez, depuis que la commission Mobilité 21 a classé ce projet en secondes priorités, quel que soit le scénario financier considéré, les études et la concertation n’ont pas été poursuivies.
Le Conseil d’orientation des infrastructures a quant à lui mis en avant, outre les difficultés environnementales, la priorité à donner aujourd’hui aux solutions alternatives à la route dans le cœur de l’Île-de-France.
Pour l’ensemble de ces raisons, et compte tenu des gains que l’on entend tirer de ce projet, il nous faut rechercher et privilégier l’optimisation du réseau existant et le report des usagers sur les transports collectifs, la réalisation du prolongement de l’autoroute A 104 ne pouvant manifestement pas constituer une réponse de court terme.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Madame la ministre, vous avez dit il y a quelques instants qu’il était temps de sortir de décennies de promesses non financées pour s’engager sur une trajectoire claire, cohérente et sincère qui réponde vraiment aux attentes des citoyens.
Président de la région Guyane pendant dix-huit ans, je peux témoigner des paroles non tenues par les gouvernements successifs qui se sont engagés à désenclaver le territoire par la route du fleuve reliant le littoral à Maripasoula. Dans cette commune qui est la plus étendue de France avec ses 17 000 kilomètres carrés de superficie, et qui est accessible uniquement par voie fluviale ou aérienne, le prix d’une simple bouteille d’eau ou de gaz est trois fois plus élevé que sur le littoral.
Notons qu’un premier tronçon de 54 kilomètres de cette route indispensable a vu le jour en 2009, intégralement financé par les élus guyanais, sans aucune aide de l’État ou de l’Union européenne. Cent quatre-vingts kilomètres restent aujourd’hui à construire et figurent à ce titre dans le schéma d’aménagement régional validé par le Conseil d’État.
Dans son rapport, le Conseil d’orientation des infrastructures juge prioritaire de réduire les inégalités territoriales en prenant en compte les besoins spécifiques des outre-mer, notamment à travers les assises de l’aérien et celles des outre-mer.
Vous le savez, les caractéristiques géographiques, climatiques et démographiques de nos territoires ne sont pas sans incidence sur la construction et l’entretien des réseaux routiers se révélant très coûteux.
Aussi, et sans présager du résultat des Assises, j’aurais aimé avoir votre sentiment, madame la ministre, sur le développement des infrastructures routières en vue du désenclavement des outre-mer, en particulier en Guyane. Cette problématique aura-t-elle toute sa place dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités ?
Si nous devons naturellement avoir recours au transport aérien et au transport fluvial, je reste convaincu que le véritable désenclavement, celui qui participe activement au développement économique et social d’un territoire, passe nécessairement par la route. Nous n’avons rien inventé : voilà plus de deux mille ans, les Romains l’avaient déjà compris !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, le Gouvernement a lancé des Assises des outre-mer à l’automne dernier, conformément à un engagement de campagne du Président de la République.
Celles-ci sont l’occasion de mettre en lumière les enjeux majeurs que représentent l’accessibilité et le désenclavement pour les territoires d’outre-mer. Je suis personnellement très attachée à ces questions.
En ce qui concerne la Guyane, le plan d’urgence mis en place en 2017 est très ambitieux en matière d’infrastructures routières : l’État s’y est engagé à investir 300 millions d’euros dans les deux routes nationales existantes, la RN 1 et la RN 2.
Si la desserte de Maripasoula ne figure pas dans ce plan d’urgence, je peux vous assurer que l’État tient ses engagements en Guyane. Nous sommes pleinement mobilisés pour mettre en œuvre le plus rapidement possible les aménagements identifiés dans le plan d’urgence, et ce dans le respect des procédures, bien sûr.
Un avenant signé le 26 juillet 2017 entre l’État et la collectivité territoriale de Guyane a permis d’ajouter 100 millions d’euros au contrat de plan État-région, financés à 100 % par l’État, afin de réaliser le doublement du pont du Larivot.
Les services de l’État en Guyane sont également pleinement mobilisés pour faire avancer les études et les procédures qui permettront, à terme, l’aménagement à deux fois deux voies de la RN 1 et de la RN 2 à la sortie de Cayenne, routes aujourd’hui soumises à des congestions très importantes.
Comme vous pouvez le constater, nous partageons avec vous l’ensemble de ces enjeux et l’État est au rendez-vous de ses engagements.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour la réplique.
Vous disposez de trente secondes, mon cher collègue.
M. Antoine Karam. Comme l’a dit un précédent orateur, la France hexagonale compte 30 000 kilomètres de voies routières nationales et autoroutières pour 551 000 kilomètres carrés ; avec une superficie de 84 000 kilomètres carrés, équivalente à celle de l’Autriche, la Guyane compte 407 kilomètres de routes, dont 7 kilomètres de voies rapides.
Avec votre permission, madame la ministre, je vous ferai parvenir une vidéo de six minutes pour vous permettre de mieux comprendre le sens de notre interpellation, de nos besoins et de nos exigences. Il y va non seulement du développement économique de la Guyane, mais aussi de son futur !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une bonne chose de débattre aujourd’hui du rapport Duron, qui dresse la liste des projets à réaliser en matière d’infrastructures routières et propose des moyens pour y parvenir.
Je note tout de même que les autoroutes concédées sont les grandes absentes de ce tour d’horizon. Or la grande question qui se pose aujourd’hui en matière de transports est celle du financement. C’est la raison pour laquelle je souhaite aborder, dans ce débat, le sujet de la renationalisation des concessions d’autoroutes.
Selon nous, il s’agit d’un scandale d’État qui se caractérise par la captation par le privé d’une rente financée via l’impôt. Les concessionnaires d’autoroutes rackettent les usagers, alors que les contrats de concession ne permettent même pas à l’État de bloquer les tarifs, qui augmentent sans cesse.
Pire, les plans successifs – le dernier, en 2017 – prévoient un financement des investissements par les usagers et les collectivités, le rendement des actionnaires étant seul garanti.
Se pose donc une véritable question sur le financement des infrastructures : va-t-on encore longtemps laisser le privilège de cette rente aux actionnaires des autoroutes ?
Timidement, le rapport Duron indique que l’anticipation de la fin des principales concessions autoroutières mérite d’être examinée dès à présent et que cela doit même constituer une priorité absolue.
Si la politique des transports a souffert des promesses non financées, elle a peut-être surtout souffert de cadeaux faits au privé, comme s’apprête encore à en faire le Gouvernement à travers le nouveau pacte ferroviaire.
Il suffirait aujourd’hui de dénoncer ces concessions et d’indemniser les concessionnaires pour reprendre la main sur un rendement de 1 à 2 milliards d’euros par an, ce qui n’est pas une bagatelle.
Nous avons déposé une proposition de loi allant dans ce sens. Allez-vous vous servir de ce texte, madame la ministre, pour reprendre la main et engager progressivement la renationalisation des concessions d’autoroutes ?
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice Éliane Assassi, je vous remercie de me donner l’occasion de redire très clairement qu’il n’a jamais été question de privatisation dans le domaine ferroviaire. (Mme Éliane Assassi sourit.) Nous aurons prochainement l’occasion d’en débattre au Sénat lors de l’examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Le Gouvernement a déjà inscrit dans ce texte que SNCF Réseau et SNCF Mobilités sont à cent pour cent publiques, leurs titres étant intégralement détenus par l’État, ce qui me semble plus protecteur que de parler d’incessibilité.
Toutefois, le débat qui se tiendra bientôt dans votre Haute Assemblée sera l’occasion d’ajouter cette mention, certes quelque peu redondante, mais qui aura manifestement le mérite de lever certains malentendus.
Mme Éliane Assassi. Vous pouvez compter sur nous, madame la ministre ! (Sourires.)
Mme Élisabeth Borne, ministre. S’agissant maintenant des concessions autoroutières, madame Assassi, un groupe de travail constitué de parlementaires a rendu un rapport en février 2015 sur la question de la renationalisation du réseau routier concédé, concluant que le besoin de financement s’élèverait à plusieurs dizaines de milliards d’euros, soit un enjeu considérable pour nos finances publiques – et je ne suis pas sûre que nos concitoyens souhaitent aujourd’hui avoir à supporter une telle charge.
Pour autant, les contrats des sociétés concessionnaires ont été modifiés pour y insérer des clauses plafonnant la rentabilité desdites sociétés qui peuvent conduire à réduire la durée des concessions ou à limiter – voire à baisser – les tarifs de péage. Des indicateurs de performance ont également été introduits dans les contrats.
Par ailleurs, depuis la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, autorité de régulation indépendante, dispose d’un pouvoir de contrôle et de sanction sur l’activité des concessionnaires.
Vous le voyez, madame la sénatrice, des instruments existent pour une bonne régulation du secteur autoroutier. J’espère que cela répond à vos attentes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Madame la ministre, le 6 mars dernier, je vous ai rencontrée avec les autres élus aveyronnais, parmi lesquels des parlementaires, le président du conseil départemental et la représentante de la région Occitanie, afin de vous convaincre de la nécessité de porter à deux fois deux voies la RN 88 reliant Toulouse à Lyon.
Le tronçon qui concerne le département de l’Aveyron occupe une quarantaine de kilomètres entre Rodez et Sévérac-le-Château.
À l’instar de ce qui a déjà été réalisé sur le tronçon Albi-Rodez, le conseil départemental de l’Aveyron et le conseil régional Occitanie vous ont proposé une prise en charge du financement de ce projet par les collectivités à hauteur de 50 % – les détails restant évidemment à « caler » avec ces dernières, et sous leur autorité.
Le conseil départemental a proposé d’en assumer la maîtrise d’ouvrage déléguée, comme j’ai pu le faire, à titre personnel, pour le tronçon Rodez–Causse Comtal lorsque je présidais la collectivité départementale.
Intéressée par cette proposition, vous nous avez promis de nous répondre rapidement sur cet engagement à moindre coût de l’État. Qu’en est-il à ce jour ?
Madame la ministre, nous attendons seulement le financement que l’État acceptera d’allouer à la réalisation de cet axe, majeur pour notre département et dont il est urgent de renforcer la sécurité. Depuis le début de l’année, on dénombre déjà trois décès, qui viennent s’ajouter à des dizaines d’autres par le passé.
Cette situation n’a que trop duré. Je prends à témoin les cinquante collégiens de Baraqueville, riverains de cette route nationale, présents dans notre hémicycle aujourd’hui. Faut-il attendre que ces jeunes soient à la retraite pour voir cette route correctement aménagée ? De quelles avancées pouvez-vous nous faire part sur le sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la mise à deux fois deux voies de la RN 88, en particulier dans sa partie aveyronnaise.
Vous savez mon attachement à l’achèvement rapide du désenclavement routier de notre pays. Je suis consciente de l’impérieuse nécessité d’assurer à nos concitoyens des conditions de circulation sécurisées et confortables, avec des temps de parcours fiables.
Comme vous l’avez rappelé, nous avons eu l’occasion d’en discuter au mois de mars dernier avec le président du conseil départemental de l’Aveyron.
La situation a avancé aux environs de Toulouse, avec notamment deux aménagements inscrits au contrat de plan. Ainsi, 13 millions d’euros ont été programmés en 2018 pour les travaux de contournement de Baraqueville, qui ont été engagés en 2015, et dont on espère l’achèvement mi–2020. D’autres opérations sont inscrites dans le contrat de plan sur la dénivellation des carrefours de la rocade de Rodez.
S’agissant de l’aménagement de l’ensemble des infrastructures linéaires à deux fois deux voies entre la RN 88 et l’autoroute A 75, le coût est estimé à environ 350 millions d’euros, ce qui suppose d’envisager un phasage. Or ce dernier est loin d’être évident, car le tracé retenu s’éloigne assez largement de la route actuelle.
J’ai donc demandé au préfet d’étudier les différentes possibilités de phasage et les aménagements pouvant être réalisés sur l’itinéraire actuel de façon à disposer de tous les éléments nécessaires et à choisir la meilleure solution pour améliorer la liaison entre Rodez et l’A 75.
Je vous propose de refaire le point sur ce sujet d’ici à la mi-juin.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour la réplique.
Vous disposez de trente secondes, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Luche. Madame la ministre, je m’excuse de vous le dire ainsi, mais les collectivités vont se saigner pour accompagner l’État sur ces projets, alors qu’il s’agit de sa responsabilité.
Elles sont pourtant prêtes à financer la moitié des 350 millions d’euros que vous évoquez. Il ne reste donc que 150 à 170 millions d’euros à la charge de l’État, déjà propriétaire de tout le foncier. Il est vraiment urgent de trouver une solution.
Vous avez également évoqué la question du phasage : non, ce n’est pas si difficile ! On pourrait envisager au moins deux tronçons – je ne sais lequel sera prioritaire de Rodez, de Laissac ou de Sévérac-le-Château, mais on peut en discuter.
Encore une fois, il est vraiment urgent de trouver une solution !
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’une des priorités figurant dans le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures porte sur le développement de la performance des transports et la lutte contre la congestion routière et la pollution.
En accord avec cette proposition, je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur le problème national de la congestion numérique des infrastructures routières.
En effet, l’utilisation massive des technologies d’information du trafic en temps réel par GPS engendre un report du trafic, notamment celui des poids lourds, sur des axes secondaires. Toutes les zones, aussi bien rurales qu’urbaines, sont concernées.
Comme vous le savez, nombre de collectivités locales sont régulièrement confrontées à la gestion du trafic des poids lourds, qui est détourné par des applications fondées sur des algorithmes visant le trajet le plus court et/ou le moins cher.
Cette situation provoque des dégradations irrémédiables pour les voiries locales. Les collectivités, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, peinent à faire face à ce phénomène.
Les riverains sont bien sûr affectés de plein fouet par ces reports numériques du trafic : bruit, insécurité, pollution de l’air, dépréciation de l’immobilier…
Par ailleurs, la recrudescence des véhicules utilitaires légers sur nos routes, liée à l’explosion de la vente par internet, renforce ce surplus de trafic. Et c’est sans compter le coût environnemental induit !
L’efficacité du transport routier de marchandises ne peut se faire au prix d’une aggravation des conditions de vie de nos concitoyens et au mépris des infrastructures financées par les collectivités.
Les élus locaux tentent bien de couper le trafic à coup d’arrêtés d’interdiction de circulation. Mais cela ne fait qu’entraîner de nouveaux reports et ne règle pas le problème à la racine.
Afin de conserver un niveau satisfaisant de service et de ne pas accroître la « dette grise » du réseau routier, quelles actions et quelles mesures concrètes en faveur des collectivités luttant contre ce nouveau trafic – loin d’être virtuel tant pour les usagers que pour les riverains – le Gouvernement entend-il prendre dans le futur projet de loi d’orientation sur les mobilités ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Joël Bigot, les évolutions technologiques des dernières années et l’émergence depuis quinze ans de systèmes communautaires tels que Coyote ou Waze ont entraîné l’arrivée d’opérateurs privés dans le domaine de la diffusion aux usagers d’informations en lien avec l’exploitation routière.
Dans ce cadre, l’objectif du Gouvernement est évidemment d’assurer la meilleure prise en compte des politiques publiques d’information routière par les opérateurs privés.
Il est bénéfique pour tous d’aller vers une plus grande ouverture et un plus grand partage entre acteurs des données des gestionnaires routiers. C’est tout le sens de la mise en place, depuis le 1er septembre 2016, sur le site du ministère, d’un portail sur le réseau routier national à même d’informer, par exemple, sur l’état des chaussées ou sur celui des réseaux. Ce dispositif a été conçu de manière concertée avec les opérateurs privés.
Les échanges se poursuivent pour améliorer la qualité de l’information routière. Toutefois, comme vous le soulignez, il faut aussi limiter les effets secondaires liés à l’utilisation de plus en plus massive de ces données. Je pense qu’il est possible de travailler à la fois avec ces opérateurs et les collectivités sur les bonnes informations à fournir et les restrictions à mettre en place sur ces itinéraires.
Enfin, vous l’avez rappelé, le cœur du sujet reste de traiter le problème à la racine, notamment dans le cadre des discussions en cours sur le paquet Mobilité à l’échelon européen. Il s’agit d’éviter le dumping auquel on assiste aujourd’hui via le détournement de la réglementation sur le transport routier de marchandises au profit des véhicules utilitaires légers.
Je tiens à souligner la qualité du rapport du député Damien Pichereau sur cette question, rapport qui constitue une base de travail très importante dans la perspective de la discussion du futur paquet Mobilité, afin d’éviter cette multiplication de véhicules utilitaires légers pénalisants à la fois en termes d’environnement et de sécurité routière.
Vous pouvez compter sur ma détermination dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les besoins en matière d’entretien des routes françaises sont bien connus et le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures appelle à financer l’innovation routière pour ne pas être dépassé.
L’état du réseau routier est aujourd’hui encore très convenable. Toutefois, plusieurs rapports ont souligné la baisse des dépenses consacrées à la voirie par les collectivités : de 2013 à 2015, elles ont chuté de 19 %, soit 15 milliards d’euros, en partie en raison d’une baisse des dotations de l’État. Cette somme représente à peine 0,6 % de la valeur totale du patrimoine routier national.
À ce rythme, il faudrait donc cent soixante années pour renouveler l’ensemble du réseau. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation : priorité devra donc être donnée aux transports du quotidien.
L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs va redessiner la carte de France des mobilités locales. Le rapport préconise en conséquence de miser sur quelques lignes à haute performance.
Mais c’est oublier que la France, c’est aussi un tissu territorial de 36 000 communes qui communiquent entre elles. La promotion de ces axes routiers et le déploiement d’une nouvelle palette de routes locales sont donc complémentaires pour assurer la vitalité de nos territoires.
Madame la ministre, la prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs va appauvrir la desserte de certains territoires. Les grandes lignes seront sauvées et le Gouvernement s’est engagé à assurer le maintien des petites lignes. Cette promesse pourra-t-elle être tenue ?
Comment comptez-vous assurer une cohérence entre votre politique en matière d’infrastructures ferroviaires et celle en matière d’infrastructures routières ? Quels investissements souhaitez-vous mettre en place pour développer les infrastructures locales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je voudrais le dire très clairement, il n’est pas question que l’ouverture à la concurrence se traduise par une moindre desserte ferroviaire des territoires.
Quand on regarde autour de nous, c’est tout le contraire qui s’est produit. Il s’agit de l’un des enjeux du nouveau pacte ferroviaire dont nous discuterons au Sénat d’ici quinze jours. C’est bien l’ouverture à la concurrence qui a permis à nos voisins allemands, par exemple, de redynamiser beaucoup de lignes jusqu’alors faiblement fréquentées – certaines sont ainsi passées de quelques centaines de voyageurs à plus de 10 000, grâce à une politique plus dynamique et plus attractive.
Je peux vous assurer de la détermination du Gouvernement à maintenir ces lignes et à accompagner les régions dans le cadre des contrats de plan. J’ai déjà eu l’occasion de le dire et je suis heureuse de le répéter devant vous : les engagements de l’État pris dans le cadre de ces contrats de plan à hauteur de 1,5 milliard d’euros sur les lignes 7 à 9 seront tenus.
Ces politiques ferroviaires seront d’autant plus efficaces que l’on saura articuler les dessertes avec des offres de mobilité dans l’ensemble des territoires. Accompagner la mise en place d’autorités organisatrices de la mobilité dans tous les territoires est l’un des enjeux du projet de loi d’orientation sur les mobilités que je présenterai prochainement. Nous voulons proposer des solutions à tous nos concitoyens, y compris des modes de rabattement sur les infrastructures ferroviaires.
Le transport ferroviaire est donc la colonne vertébrale d’une vision d’ensemble de la mobilité qui doit s’appuyer sur toute une politique, raison pour laquelle nous proposerons bientôt de nouveaux outils aux collectivités.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
Vous disposez de quarante-quatre secondes, mon cher collègue.
M. Alain Fouché. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre.
Pourriez-vous transmettre un message au Premier ministre, visiblement très branché « limitation de vitesse à 80 kilomètres-heure et amendes » ? Aujourd’hui, 2 millions de personnes sont flashées par les radars embarqués gérés par la police ; le ministre de l’intérieur a indiqué que, si ces radars étaient confiés demain à des entreprises privées, ce sont 12 millions d’automobilistes qui seraient flashés…
Les Français attendent du Gouvernement qu’il consacre l’intégralité de ces sommes à la sécurité routière. En effet, des routes sécurisées, c’est autant d’accidents en moins et donc autant de besoins en moins pour les hôpitaux.
Merci de faire passer le message !
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne l’aménagement routier du nœud lyonnais.
On évoque depuis de nombreuses années l’aménagement du contournement de Lyon par l’ouest, ce qui permettrait de réaliser une boucle à l’image du périphérique parisien.
Or, lors de la récente inauguration de la liaison entre l’A 6 et l’A 89, Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur, a indiqué que le contournement ouest de la ville de Lyon, qu’il avait pourtant lui-même défendu, contournement reliant l’A 6, au nord, à l’A 7, au sud, ne se réaliserait finalement jamais.
On connaît pourtant tous les méfaits de l’étranglement du fameux tunnel de Fourvière, qui fait de Lyon une grande capitale du bouchon ! (Sourires.)
Il semble que ce soit maintenant exclusivement par l’est que s’esquisse progressivement un grand contournement routier de l’agglomération lyonnaise, lequel engendrera – mais je devrais dire « amplifiera » – des conséquences lourdes pour le département de l’Ain au regard des reports de circulation qui vont s’opérer et des nuisances associées.
C’est la raison pour laquelle je souhaite connaître les dispositions que le Gouvernement entend prendre afin de tenir compte de la situation de l’Ain et de faire en sorte que les aménagements utiles soient envisagés dans le cadre d’une vraie concertation, notamment pour les autoroutes A 432 et A 46.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, je suis tout à fait consciente des enjeux liés aux nuisances entraînées par la traversée de l’agglomération lyonnaise. Le trafic de transit y représente plus de 90 000 véhicules par jour, dont 24 000 poids lourds.
Comme vous le savez, la métropole lyonnaise souhaite pouvoir réduire le trafic traversant le cœur de son agglomération et le déplacer sur un autre itinéraire, afin de transformer l’axe A 6-A 7 en boulevard urbain.
Les premiers résultats des études privilégient l’hypothèse d’un contournement par l’est, qui mobiliserait moins de crédits à court terme et qui pourrait être lancé plus rapidement.
Ce contournement comporterait des aménagements sur les réseaux concédés d’une valeur comprise entre 260 et 680 millions d’euros dont la faisabilité doit encore être confirmée.
Cependant, un contournement par l’est ne capterait pas naturellement le trafic de transit, dans la mesure où il rallongerait de 35 kilomètres l’itinéraire nord-sud. Il faut donc travailler à des dispositifs d’incitation pour que le report du trafic en transit ait véritablement lieu.
J’ai demandé au préfet de région d’associer étroitement les élus de la métropole, mais aussi ceux des départements de l’Isère et de l’Ain, aux différents comités de pilotage sur les études. Les élus des territoires concernés ont participé à une réunion organisée le 23 février dernier. Je veillerai à ce qu’il en soit de même lors des futures réunions sur le projet.
Dans ce cadre, il sera utile de disposer d’une véritable comparaison de l’ensemble des éléments sur toutes les solutions. Nous pourrons alors, dans la concertation, et en liaison étroite avec les acteurs locaux, arrêter une stratégie de long terme sur ces trafics de transit autour du nœud lyonnais.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
Vous disposez d’un peu plus d’une minute, mon cher collègue.
M. Patrick Chaize. Merci de ces précisions, madame la ministre.
Vous comprenez bien que nous nous trouvons aujourd’hui dans un brouillard des plus épais. L’écart que vous évoquez sur les coûts du contournement par l’est me fait davantage penser à un râteau qu’à une fourchette ! (Sourires.)
Comment comparer les options alors que l’on ne connaît pas les résultats des études réalisées pour le contournement par l’ouest ?
Cette situation donne le sentiment d’une non-transparence très perturbante, notamment pour les élus du département de l’Ain qui subiront, de fait, les conséquences d’une telle décision.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, avant d’évoquer le projet autoroutier Castres-Toulouse, je voudrais vous souhaiter de trouver l’issue la plus favorable dans le dossier important pour notre pays dont vous assumez la responsabilité.
Comme certains de mes collègues probablement, j’avoue avoir quelques scrupules à aborder des questions, certes importantes pour nos territoires, mais de nature très différente des sujets nationaux qui concentrent votre attention.
L’autoroute Castres-Toulouse a fait l’objet d’un engagement depuis plusieurs années. Voilà quelques mois, madame la ministre, vous avez bien voulu confirmer que l’État respecterait cet engagement même si, dans le meilleur des mondes, la délégation autoroutière n’est peut-être pas le mode que vous auriez choisi. Toutefois, comme vous le savez, le territoire castrais-mazamétain ne s’est jamais vu proposer d’autre solution, raison pour laquelle l’ensemble des parties prenantes a retenu le principe d’une délégation.
Il s’agit d’un enjeu essentiel pour le bassin castrais–mazamétain, ainsi que pour l’ouest de notre département, qui représente environ 150 000 habitants.
Ce projet respecte les priorités présidentielles que vous avez rappelées dans le domaine du transport du quotidien ou de l’emploi.
Le rapport Duron a reconnu le caractère prioritaire de ce projet, puisqu’il figure en première partie du scénario 2 lorsqu’on consulte les annexes.
En conséquence, madame la ministre, pouvez-vous confirmer à mes concitoyens tarnais votre engagement en faveur de la mise en œuvre du projet autoroutier Castres-Toulouse dans le cadre du choix, espéré, du scénario 2 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Philippe Bonnecarrère, vous savez mon attachement à l’amélioration de la desserte du bassin d’emplois de Castres-Mazamet et, plus globalement, à celle des territoires de l’est toulousain.
Il s’agit vraiment d’un très bel exemple de ce que doit être notre politique en termes de mobilité.
Je me rends à Toulouse jeudi. J’aurai l’occasion de vous y rencontrer avec les membres du conseil régional et les présidents des conseils départementaux, pour approfondir notre réflexion autour de ces enjeux.
En tout cas, le désenclavement du sud du Tarn est un objectif que nous cherchons à atteindre depuis maintenant plus de trente ans. Il faut garantir l’accessibilité de ce territoire en construisant une infrastructure adaptée aux besoins de la population et de l’économie locale, et favoriser ainsi une meilleure structuration de l’aire métropolitaine toulousaine, en soutenant le développement d’un réseau de villes moyennes organisé en étoile autour de Toulouse.
L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique a été menée au début de l’année 2017 et a conduit la commission d’enquête à émettre un avis favorable sur le projet. Je vous le confirme, les engagements que j’avais pris concernant la poursuite des procédures seront tenus. L’arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique les travaux de doublement de la bretelle de l’A 680 a été signé le 22 décembre 2017. S’agissant de la section Verfeil-Castres, un important travail d’étude et de concertation avec les acteurs locaux était nécessaire pour lever les réserves formulées par la commission d’enquête.
Mon objectif est clair : l’aménagement doit être réalisé conformément au calendrier proposé par le Conseil d’orientation des infrastructures dans son rapport. Nous aurons l’occasion d’en débattre prochainement dans cet hémicycle lors de l’examen du volet relatif à la programmation des infrastructures du projet de loi d’orientation sur les mobilités.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Je vous remercie du soin que vous prenez, madame la ministre, à respecter les engagements pris, lesquels s’inscrivent dans le prolongement des entretiens que vous nous avez accordés. Vous confirmez ainsi aux Tarnais que la réalisation du projet autoroutier Castres-Toulouse pourrait être respectée. Nous restons bien sûr attentifs à l’issue du travail technique, qui se poursuivra notamment à l’occasion de notre rendez-vous de jeudi prochain.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question rejoint celle qui a été posée par Mme Éliane Assassi.
Depuis le courant des années deux mille, la très grande majorité des autoroutes françaises sont régies par des partenariats public-privé, qui prennent la forme de concessions ou, plus rarement, de marchés de partenariat. Dans ces deux cas, l’État confie à un partenaire privé une mission globale. Pour une concession, les recettes proviennent du paiement des péages par les usagers. Pour un marché de partenariat, la rémunération du partenaire privé est assurée par un loyer financé in fine par le contribuable.
En dix ans, les tarifs des péages ont connu une hausse de plus de 20 %, soit une augmentation supérieure à l’inflation. Le 1er février dernier, ces tarifs ont encore augmenté de 1 % à 4 %. Ces augmentations sont difficilement acceptables lorsque l’on sait que, dans le même temps, les sociétés privées autoroutières se portent particulièrement bien, avec une rentabilité élevée qui se situe entre 20 % et 24 %.
L’ARAFER avait d’ailleurs indiqué que les augmentations des tarifs de péages prévues excédaient le juste niveau qu’il était légitime de faire supporter aux usagers. L’autorité de régulation estimait notamment que le niveau de rémunération des sociétés concessionnaires devait être plus conforme aux risques supportés. À titre d’exemple, le coût du trajet sur l’A 28 entre Rouen et Alençon coûte 23,70 euros pour 161 kilomètres.
Le nouveau plan d’investissement autoroutier devrait être l’occasion d’amender certaines clauses du cahier des charges des conventions de concession.
Madame la ministre, vous venez de réaffirmer le rôle régulateur de l’État, qui imposerait des critères précis et stricts dans ces conventions, afin d’encadrer, entre autres choses, les augmentations de tarifs des péages. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce point ?
Je signale enfin un manque de transparence, puisque l’accord conclu le 9 avril 2015 entre l’État et les sociétés d’autoroutes n’a toujours pas été communiqué, en dépit de l’avis de la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, et de l’injonction du tribunal administratif.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Houllegatte, vous m’interrogez sur les concessions autoroutières. Il faut tout de même avoir en tête que le système des concessions a permis le développement de 9 000 kilomètres d’autoroutes de très grande qualité, qui représentent un actif estimé à 150 milliards d’euros ayant vocation à revenir à l’État au terme des concessions.
Comme en témoignent nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui réclamaient de telles infrastructures sur votre territoire, ces autoroutes présentent de multiples avantages non seulement en termes de sécurité – le nombre de victimes y est très inférieur à celui que l’on a à constater sur les réseaux secondaires –, mais aussi de qualité d’entretien et de travaux et, donc, d’emplois. Aujourd’hui, le réseau concédé représente environ 75 % du réseau autoroutier français.
Le choix a été fait de réaliser ce développement autoroutier sous forme de concessions, système dans lequel la rémunération du partenaire privé tient compte du risque lié aux variations de trafic.
On peut s’interroger pour l’avenir, notamment au terme des conventions de concession, sur le fait de savoir si celles-ci restent le meilleur modèle. En effet, dès lors que le trafic sur ces autoroutes concédées est stable, il faut se demander si les modèles de partenariat public-privé ne seraient pas davantage adaptés en évitant de rémunérer un risque qui n’existerait pas.
Quoi qu’il en soit, je vous le confirme, depuis l’adoption de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ou « loi Macron », de nouveaux outils ont été mis en place pour contrôler les sociétés concessionnaires, pour la passation des marchés comme pour le respect de leurs engagements. L’ARAFER dispose dorénavant de tous les leviers nécessaires pour assurer le contrôle de ces sociétés concessionnaires.
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur les infrastructures routières, à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, était plus que nécessaire tant ses conclusions ont été arrêtées arbitrairement, sans aucune concertation préalable avec les élus locaux.
Comme en 2012 et la fameuse commission Mobilité 21, l’État revient sur ses engagements en supprimant des opérations pour lesquelles il avait pourtant contractualisé un financement avec les collectivités locales.
La méthode est pour le moins scandaleuse, et je peux vous dire que, sur le terrain, elle porte un coup fatal à la crédibilité de l’État !
Chez nous, dans notre département, c’est la poursuite de la liaison est-ouest d’Avignon, dite « voie LEO », qui a été retoquée. Dans son rapport, le COI estime devoir réévaluer l’opportunité du projet et le reporte… à 2037. Rien que ça !
Ainsi, cette liaison autoroutière, dont le principe a été arrêté en 1987, afin de relier l’A 7 et l’A 9 par le sud d’Avignon, resterait en l’état. Seule la première tranche du projet décidée à la suite de la déclaration d’utilité publique de 2003 a été inaugurée en 2010, après un investissement de 130 millions d’euros d’argent public, pour un trafic de 5 000 véhicules par jour seulement ! Pourquoi ? Parce que ce premier tronçon ne débouche sur rien !
Le 28 septembre 2016, les financeurs s’étaient engagés, lors d’une réunion à la préfecture de région, à inscrire au contrat de plan État-région la réalisation d’une partie de la deuxième tranche, longue d’un kilomètre et demi. C’est ce petit barreau qui est remis en cause par le Conseil d’orientation des infrastructures !
Autant vous dire, madame la ministre, que la réaction de tous les élus concernés a été violente, solidaire et déterminée. Les députés d’Avignon et de Châteaurenard ont d’abord rencontré votre directeur de cabinet, M. Papinutti. Puis, le 14 mars dernier, une imposante délégation composée du maire d’Avignon, du président de l’agglomération, des cinq parlementaires locaux, ainsi que des représentants des deux départements et de la région s’est rendue à Matignon pour saisir le Premier ministre de ce dossier.
À cette occasion, nous avons clairement exprimé deux exigences.
Premièrement, nous voulons obtenir la réalisation totale de la tranche 2 de la LEO, dont le coût est estimé à 147 millions d’euros, afin de mettre un terme à l’enfer que subissent quotidiennement les 20 000 riverains de la rocade urbaine d’Avignon, qui voient passer sous leurs fenêtres 44 000 véhicules par jour dont 3 000 poids lourds…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Dufaut. … transitant par cette rocade pour relier l’A 7 à l’A 9, ce qui entraîne une pollution hors norme avec des conséquences sanitaires très graves.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Alain Dufaut. Deuxièmement, nous souhaitons la mise en œuvre de la tranche 3, qui prévoit un viaduc sur le Rhône.
Madame la ministre, quels engagements l’État peut-il prendre aujourd’hui au regard de cette double exigence ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je tiens à le souligner, le COI, qui a fourni un travail dont je veux de nouveau souligner la qualité, n’est pas l’État. Ce rapport a été établi par une équipe associant des sénateurs – je remercie à ce titre le président Hervé Maurey –, des députés, ainsi que des élus régionaux, départementaux et des élus des grandes agglomérations. Il s’agit donc d’un travail non seulement d’experts, mais aussi d’élus. Je tiens également à rappeler les nombreuses concertations organisées par le COI, qui a également conduit des visites sur le terrain.
S’agissant de la rocade d’Avignon, le Conseil d’orientation des infrastructures n’aurait pas nécessairement eu à se prononcer sur ce projet. En installant le Conseil d’orientation des infrastructures, nous avons voulu disposer d’une vision d’ensemble sur les très grandes infrastructures. Les projets qui se déroulent dans le cadre des contrats de plan ont a priori vocation à être poursuivis dans ce cadre.
Je suis bien consciente de l’importance des problèmes de congestion et de la nécessité de délester la rocade sud d’Avignon, qui est totalement saturée. C’est un constat que nous partageons.
La première tranche, dite « T1 », a été mise en service en octobre 2010. La réalisation des tranches T2 et T3 reste à faire. Je vous le confirme, les engagements pris dans le cadre des contrats de plan pour la première phase de la tranche T2 seront honorés. Les phases suivantes ont vocation à trouver leur place dans les prochains contrats de plan.
Enfin, comme vous le savez, la tranche T3 est en réalité un nouveau pont d’Avignon, dont le coût sera probablement important, et dont la maîtrise d’ouvrage pourrait sans doute être assurée par un concessionnaire. Restera à déterminer qui de l’État ou des collectivités locales pourrait porter ce dossier.
Quoi qu’il en soit, j’ai bien conscience de l’importance de ce projet, dont la réalisation doit se poursuivre dans le cadre des contrats de plan et sous la forme d’une concession s’agissant de la tranche T3.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en mars 2017, un avenant au contrat de plan État-région Nouvelle-Aquitaine était signé. Pour le volet routier, il se traduisait par une augmentation de 25 millions d’euros de la participation de l’État et de la région, afin de mener à bien l’opération d’aménagement de la RN 141 entre Angoulême et Limoges, consistant en la mise à deux fois deux voies de la section Chasseneuil-sur-Bonnieure-Exideuil-sur-Vienne dans le département de la Charente, que vous connaissez bien, madame la ministre.
Ces crédits supplémentaires permettront de finaliser l’aménagement en deux fois deux voies de la section Roumazières-Loubert-Exideuil-sur-Vienne, avec la réalisation de la première phase d’ici à 2020, et de préparer la réalisation de la seconde phase entre Chasseneuil-sur-Bonnieure et Roumazières-Loubert, en effectuant les études et acquisitions foncières, ainsi que les travaux préparatoires.
On s’en souvient, le 20 septembre dernier, vous annonciez une augmentation de 100 millions d’euros de l’enveloppe des crédits de l’État affectés en 2018 à l’entretien des routes, soit une augmentation de plus de 30 % par rapport à 2017.
Madame la ministre, ma question est la suivante : compte tenu à la fois de cette annonce d’une augmentation considérable des crédits de l’État alloués au domaine routier et de l’état catastrophique de la ligne ferroviaire entre Angoulême et Limoges – je vous rappelle que les trains ne circulent plus sur cette ligne depuis plusieurs semaines –, peut-on espérer que les aménagements de l’axe routier Angoulême-Limoges, qui est aussi l’axe reliant Limoges à la capitale bordelaise, puissent bénéficier de moyens financiers supplémentaires de la part de l’État ? Peut-on également espérer une avancée plus rapide des travaux d’aménagement à deux fois deux voies de la RN 141, notamment pour la réalisation de la seconde phase ?
Vous le savez, la Charente a tout autant besoin de l’achèvement des travaux d’urgence et de sécurité sur la RN 141 que de la réhabilitation de la ligne ferroviaire Limoges-Angoulême, que nous appelons « ligne du quotidien », en vue de sa mise en performance. L’un n’empêche pas l’autre : le département a besoin des deux infrastructures, même si ma question porte aujourd’hui sur le volet routier.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, vous le savez, je suis pleinement consciente de l’importance d’un aménagement rapide de la RN 141, des enjeux la concernant en matière de fiabilisation des temps de parcours, d’amélioration de la sécurité routière et de la qualité de vie des riverains.
La RN 141 correspond à la section ouest de la route Centre Europe Atlantique, qui est une liaison transversale très importante pour le réseau national français, puisqu’elle rattache la façade atlantique au sillon rhodanien. Compte tenu des niveaux de trafic supportés et des enjeux que je viens de rappeler, cet axe a clairement vocation à être progressivement aménagé en deux fois deux voies.
Cet aménagement est aujourd’hui bien avancé, puisqu’il est réalisé aux trois quarts sur l’itinéraire entre Royan et Limoges. Il se poursuit grâce à la mobilisation de plus de 150 millions d’euros dans l’actuel contrat de plan, dont près de 80 millions d’euros financés par l’État.
À ce titre, les efforts de l’État et de ses partenaires se concentrent sur deux sections : entre La Vigerie et Villesèche et entre Chasseneuil-sur-Bonnieure et Exideuil-sur-Vienne.
S’agissant de la section La Vigerie-Villesèche, les travaux ont démarré à l’automne 2016, avec la construction d’un ouvrage d’art, et se poursuivront en 2018. Pour ce qui concerne la section Chasseneuille-sur-Bonnieure-Exideuil-sur-Vienne, qui constitue le dernier segment de la RN 141 à aménager à deux fois deux voies entre Limoges et Angoulême, et ce sur vingt kilomètres, le coût total de l’opération est évalué à 180 millions d’euros. Malgré un contexte budgétaire fortement tendu, plus de 10 millions d’euros ont été programmés en 2018 pour construire un pont-rail et engager les travaux de terrassement prévus sur la section Roumazières-Loubert-Exideuil-sur-Vienne, ce qui témoigne de la volonté de l’État de faire avancer ce dossier.
Il va de soi que ces aménagements seront mis en œuvre. Ils ont d’ailleurs vocation à se poursuivre dans le cadre du plan de désenclavement, qui fera partie de la loi de programmation des infrastructures dont nous aurons prochainement l’occasion de débattre devant votre assemblée.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur la RN 135.
Vous me direz que c’est un petit bout de route nationale entre la RN 4 et la coquette préfecture de la Meuse, Bar-le-Duc, et que je ne fais ici que défendre les infrastructures desservant mon département, comme le font bon nombre d’élus pour les leurs, généralement oubliées par le Conseil d’orientation des infrastructures.
En l’espèce, mon intervention a une dimension nationale qui la justifie.
Madame la ministre, j’attire donc votre attention en tant que ministre chargée des infrastructures ainsi que, plus largement, l’attention du Gouvernement au travers du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, et de son secrétaire d’État, Sébastien Lecornu, qui connaît admirablement bien le sujet, sur un morceau de RN 135 : il servira principalement à l’avenir d’accès national au Cigéo, le centre de stockage souterrain en couche géologique profonde des déchets nucléaires à haute activité et à vie longue, actuellement en projet.
Ce projet de RN 135, qui connaît une évolution lente depuis une vingtaine d’années, mais certes comparable au rythme de toutes les réalisations nationales en la matière, doit cependant bénéficier, au-delà de l’accord signé en 2017, d’un double engagement.
Premièrement, il convient de ne pas reporter à 2021 le début effectif des travaux. Deuxièmement, il faut intégrer cette réflexion dans une réflexion d’ensemble sur la desserte du site de Cigéo.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Gérard Longuet, vous m’interrogez sur les intentions du Gouvernement concernant la RN 135. En effet, cette route nationale fait partie des mesures d’accompagnement du projet Cigéo. Comme vous le savez, le trafic sur la RN 135 s’élève à environ 10 000 véhicules par jour sur sa section centrale et monte à 14 000 véhicules par jour au niveau de ses sections extrêmes à Bar-le-Duc et Ligny-en-Barrois.
L’État a anticipé l’augmentation du trafic liée au développement du secteur de Bar-le-Duc et a déjà réalisé le contournement de la ville et la déviation de Longeville-en-Barrois. L’autre extrémité du barreau, au droit de Ligny-en-Barrois, sera également traitée avec la mise en œuvre de la déviation de Velaines, actuellement inscrite au contrat de plan pour un montant de 48 millions d’euros, dont un peu plus de 27 millions d’euros de l’État. Une convention de financement vient d’être signée entre l’État et les collectivités.
Cette opération doit se poursuivre avec des travaux préparatoires qui pourraient débuter en 2019. Il nous faut encore examiner, en lien avec le projet Cigéo, les aménagements qui pourront être réalisés sur les morceaux manquants, la déviation de Tronville-en-Barrois et l’aménagement à deux fois deux voies entre Longeville-en-Barrois et Tannois. Nous devrons disposer d’un diagnostic global de cet itinéraire pour anticiper les améliorations à engager sur cet axe, à la fois en termes de confort de circulation, de sécurité routière et de qualité de service à moyen et long terme.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
Vous disposez de quarante et une secondes, mon cher collègue.
M. Gérard Longuet. Quarante et une secondes ? C’est trop, monsieur le président ! C’est vraiment d’une générosité extrême ! (Sourires.)
Plus sérieusement, je vous remercie, madame la ministre, de prendre en compte la cohérence des actions gouvernementales, qu’il s’agisse de votre secteur ou de celui de l’énergie. En effet, l’aménagement en question doit permettre l’engagement du chantier, sans qu’il constitue à l’avenir une gêne majeure pour les riverains de la RN 135 et les habitants de Ligny-en-Barrois, dont la commune sera traversée par de nombreux engins.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après ce tour de France des routes et des autoroutes, j’évoquerai, au risque de vous surprendre, le transport aérien, en particulier dans la région Grand Ouest.
En effet, vous avez annoncé, madame la ministre, à l’issue de la décision concernant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, que des réflexions seraient lancées sur les modalités de desserte de cette région dans les domaines tant ferroviaire que routier, et ce par le biais d’une mission confiée à M. Rol-Tanguy.
Je vous rappelle simplement que le projet de création de l’autoroute A 831 pour relier la Vendée et la Charente-Maritime a été abandonné par Ségolène Royal, dont vous étiez la directrice de cabinet à l’époque. Ce projet prévoyait la création d’une autoroute de 64 kilomètres entre Fontenay-le-Comte et Rochefort, afin de désengorger les routes entre la Vendée et la Charente-Maritime, notamment pendant la période estivale.
L’État s’était engagé à soutenir une alternative à cette autoroute. À ce jour, et malgré de nombreux échanges avec les collectivités locales, aucune hypothèse, notamment sur le volet financier, ne recueille l’assentiment des parties.
Au regard de l’abandon de ces différents projets pour le Grand Ouest, je souhaiterais tout d’abord connaître les pistes de réflexion sur lesquelles le Gouvernement travaille, afin de proposer une offre de mobilité adaptée à nos territoires et à leur attractivité touristique. Je précise d’ailleurs devant vous que j’ai demandé à plusieurs reprises à M. Rol-Tanguy qu’il puisse me recevoir et réitère aujourd’hui cette demande, qui n’a pu aboutir pour le moment.
Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures met en avant la possibilité, pour une collectivité locale, de concéder l’une de ses infrastructures routières dans le cadre d’un projet de développement ou de modernisation lourde.
En effet, cette possibilité n’est actuellement pas ouverte dans la loi. Le COI considère que la mise en œuvre d’une telle proposition serait un moyen pertinent de portage pour certains projets. Je partage cet avis, qui pourrait trouver une application avec le projet abandonné que je viens d’évoquer.
Le Conseil d’orientation propose également d’ouvrir la possibilité de conclure des conventions de concession non plus exclusivement pour les infrastructures ayant un statut d’autoroute, mais également pour celles qui ont un statut de voie express.
Je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur ces propositions.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, l’autoroute A 831 est en effet un projet que je connais bien et auquel, je le sais, l’ensemble des élus vendéens et de Charente-Maritime sont particulièrement attachés. Depuis que la déclaration d’utilité publique a été rendue publique en 2015, un important travail a été engagé sous l’égide du préfet de la région Nouvelle-Aquitaine pour dessiner des scénarios alternatifs respectant les enjeux environnementaux, qui sont de taille dans ce secteur.
Ces scénarios s’appuient sur le réaménagement du réseau départemental existant. Un protocole avait été préparé sur cette base, mais nous n’avons pas reçu l’aval des élus, qui s’interrogeaient sur le niveau de participation de l’État et souhaitaient conserver un projet de mise à deux fois deux voies sous statut autoroutier.
Pour autant, je vous confirme que le projet d’amélioration de la desserte de ce territoire n’est pas abandonné. Le Gouvernement est naturellement prêt à rouvrir les discussions avec les élus pour trouver un aménagement permettant de faciliter les déplacements entre Nantes et La Rochelle, en complément de la réhabilitation ou de la modernisation de la ligne ferroviaire Nantes-Bordeaux.
J’ai eu l’occasion d’avoir des échanges sur ce sujet avec M. Retailleau et de nombreux élus, ainsi qu’avec la présidente du conseil régional sur le terrain, le 4 mai dernier. Je vous le confirme, le Gouvernement travaille avec les régions Bretagne et Pays de la Loire pour élaborer un pacte visant à améliorer les mobilités dans ces deux régions, et à ce titre les liaisons entre la Vendée et la Charente-Maritime ne seront pas oubliées.
À la suite de la remise du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, nous travaillons aux nouveaux outils de financement qui pourraient être mis à disposition des collectivités.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le maillage routier est un levier d’attractivité important pour nos territoires, notamment pour ceux qui sont situés en zone rurale.
Or, dans mon département, le Cher, comme dans d’autres départements, nous subissons la double peine en matière de mobilité.
Tout d’abord, même si nous en avons déjà discuté ensemble, madame la ministre, nous sommes confrontés à un abandon du réseau ferroviaire avec des dessertes de moins en moins nombreuses, à la fois sur les lignes principales comme la ligne POLT, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, et sur les lignes secondaires telles que celle reliant Bourges à Montluçon, sans parler du report de la LGV POCL, Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon. Nous aurons bien entendu l’occasion d’en débattre à nouveau.
Ensuite, nous observons un abandon des infrastructures routières. En effet, on ne compte plus les projets routiers repoussés ou abandonnés, lesquels sont pourtant nécessaires au désenclavement du Cher et des départements voisins tels que l’Allier, la Nièvre ou l’Indre, qui sont dépourvus de routes transversales. Je pense notamment au projet qu’a longtemps défendu l’ancien ministre Jean-Pierre Soisson, à savoir la liaison Bourges-Auxerre-Troyes, qui a été abandonnée, ou au projet de liaison entre Bourges, Châteauroux et Poitiers via la RN 151, dont l’État est propriétaire, je tiens à le préciser.
Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures partage ce constat d’un abandon routier, en précisant que « le réseau routier n’a pas évolué ces dernières années ».
Lors de son audition au Sénat, M. Duron a insisté sur le fait que les infrastructures devaient être phasées, car le temps n’était plus aux promesses, mais à la mise en œuvre. Je souscris à ces propos. Cela étant, celui-ci a tout de même confessé que son rapport n’avait pas arrêté la liste des routes nationales qui bénéficieraient de ce programme.
Ma question est simple, madame la ministre : avez-vous arrêté une liste ? Si oui, le département du Cher y figure-t-il et pour quel projet ?
Je souhaitais également poser une question au nom de mon collègue Bernard Bonne…
M. le président. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue !
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, ne vous inquiétez pas, vous pourrez me faire part de cette question à l’issue du débat. (Sourires.)
Je vous le confirme, les enjeux de désenclavement des territoires seront au cœur de la future loi d’orientation sur les mobilités et de son volet relatif à la programmation des infrastructures. Comme je l’ai déjà dit, et les échanges que nous avons eus cet après-midi le confirment, nombre de territoires souffrent de la lenteur que l’on observe dans la mise à niveau des projets prévus dans les contrats de plan.
On a évoqué tout à l’heure la RN 141 et la RN 88, la situation de Castres, mais on pourrait aussi parler de la RN 2. Cela montre l’importance qu’il y a à donner un coup d’accélérateur à la mise à niveau de notre réseau routier national.
On le sait, il s’agit vraiment d’un enjeu de développement. En effet, si l’on n’offre pas aux entreprises des possibilités satisfaisantes de rallier les métropoles et les grands axes, on menace leur maintien dans nos territoires et nos villes moyennes. Je vous confirme que ce volet sera présenté dans le cadre de la future loi de programmation des infrastructures.
Pour revenir à la RN 151, je suis bien consciente que cette route joue un rôle majeur dans la desserte de l’agglomération de Bourges et des zones rurales du département du Cher. Plusieurs aménagements destinés à améliorer la sécurité routière et à fluidifier la circulation sont actuellement prévus dans le cadre du contrat de plan, et doivent se poursuivre. L’enjeu est de fixer une échéance sur laquelle s’engager de façon crédible en vue de traiter ces questions de désenclavement, échéance qui doit constituer un horizon acceptable pour les habitants et les élus de ces territoires. Tel est l’objet de la future loi de programmation des infrastructures.
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.
Vous disposez de trente secondes, mais pas pour poser une nouvelle question…
M. Rémy Pointereau. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, même si elle ne me satisfait pas totalement. Il faut attendre les décisions qui seront prises sur les différents projets que j’ai évoqués, dont on espère beaucoup et depuis très longtemps.
J’ajoute que ma question ne concernait pas seulement le Cher : il nous manque en effet une transversale entre les autoroutes A 10, A 71 et A 6. Nous l’attendons depuis très longtemps !
M. le président. Pour conclure ce débat, la parole est à M. Michel Raison, pour le groupe auteur de la demande.
Vous disposez de cinq minutes, mon cher collègue.
M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord me réjouir que ce débat sur les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures ait pu avoir lieu grâce à notre groupe, qui l’a demandé.
Je ferai quelques remarques générales sur l’ensemble des interventions. La conclusion est relativement facile à tirer.
Depuis un certain nombre d’années, trop nombreuses, certes – mais vous n’en êtes pas la cause, madame la ministre ; nous vous demandons simplement de ne pas continuer dans ce sens –, beaucoup de promesses et de communications ont été faites, sans aboutir. Je ne reviendrai pas sur les axes qui concernent mon département, puisque je suis chargé de conclure et que vous connaissez tous ces dossiers.
La situation s’aggrave, parce qu’on a de moins en moins d’argent. L’échec de l’écotaxe, qui devait nous permettre d’alimenter en partie le budget de l’AFITF, contribue d’ailleurs à cette aggravation.
Nos routes constituent aussi un patrimoine national. Et ce patrimoine national, comme tout patrimoine, doit être entretenu. Hélas, on peut remarquer, çà et là, qu’il est moins entretenu qu’avant. Prenons-y garde !
L’exemple du chemin de fer doit nous rendre plus vigilants : une fois le retard pris, il devient difficile non seulement de construire tous les tronçons que vous venez de demander, mes chers collègues, les uns après les autres, mais aussi de rattraper le retard accumulé en matière d’entretien des routes, qu’il s’agisse des chaussées, des bordures, des panneaux de signalisation, ne serait-ce que pour quelques bandes à repeindre.
Mais ce patrimoine a également besoin d’être amélioré, parce que la question de nos infrastructures routières relève également de l’aménagement du territoire.
Selon moi, un ministère de l’aménagement du territoire ne devrait même pas avoir besoin de fonds : le ministre chargé de cette question devrait être un délégué interministériel de l’aménagement du territoire, doté d’un poids réel, et devrait même, peut-être, se situer au-dessus de la ministre des transports.
Pour la construction de tronçons routiers, trop de décisions ont été prises en fonction du nombre de véhicules circulant par jour et non au regard des exigences de l’aménagement du territoire. On aggrave ainsi les problèmes de répartition de la population dans notre pays en favorisant la concentration dans les métropoles. On ne sait même plus comment faire pour « quadrupler » les autoroutes dans ces zones-là, alors que, ailleurs, les territoires se meurent.
Ce dossier ne touche pas seulement à l’aménagement du territoire, il a également trait aux questions de mobilité et, donc, très directement, aux questions de sécurité. Venons-en, par conséquent, à la sécurité routière.
Évidemment, plus nombreuses seront les routes à deux fois deux voies et meilleur sera l’entretien de nos infrastructures routières, plus grande sera la sécurité routière.
Sans même parler du lien avec les métropoles – certains se contenteraient d’être reliés à des capitales régionales modestes, de moins de 100 000 habitants –, ces fameux territoires qui souffrent d’un manque de deux fois deux voies et de la faiblesse de leurs liens avec les autres viennent de se voir infliger une obligation de limitation de la vitesse à 80 kilomètres-heure, censée régler les problèmes de sécurité.
Cette obligation doit s’appliquer de manière uniforme, sauf si le Premier ministre prend le temps de nous écouter début juin, lorsqu’il recevra les trois parlementaires et les deux présidents de commission qui ont travaillé sur cette question : après tout, il est encore temps d’espérer !
Certes, on règle les problèmes de sécurité en faisant respecter la réglementation, mais aussi en entretenant nos infrastructures routières et en investissant en la matière – il serait notamment nécessaire de construire un certain nombre de deux fois deux voies. On aurait dû commencer par là !
Les 2 milliards d’euros de procès-verbaux pour infractions routières peuvent-ils suffire à régler complètement les problèmes de sécurité routière et d’investissement dans le domaine routier ? Je l’ignore. En tout cas, à ceux qui proposent de mettre cet argent dans les hôpitaux, je réponds qu’il est trop tard une fois que l’accident a eu lieu, que l’on a une fracture du crâne ou une jambe coupée. Il faut mettre l’argent dans la prévention, dans la sécurité, en amont, et non dans la réparation, en aval.
Voilà les quelques mots de conclusion que je souhaitais prononcer, tout en vous souhaitant, madame la ministre, de pouvoir trouver des fonds pour tenir vos promesses avant 2025 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les infrastructures routières à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Hommage aux victimes d’un attentat
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, samedi dernier, notre pays a été frappé par un nouvel acte de barbarie de l’islamisme radical, au cœur de Paris. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)
Le bilan, encore une fois, est lourd : une personne est décédée, quatre autres ont été blessées.
Au nom du Sénat tout entier, j’adresse mes plus sincères condoléances à la famille du disparu. J’exprime également notre solidarité et nos pensées émues aux blessés et à leurs familles.
Au nom du Sénat, je souhaite une fois de plus rendre hommage et exprimer notre gratitude à nos forces de sécurité, qui ont neutralisé très rapidement le terroriste.
Ce nouvel attentat nous rappelle le haut degré de menace qui continue de peser sur notre pays. Face à cette menace et à l’heure où la violence se déchaîne à travers le monde, comme nous l’avons encore constaté ces jours derniers, je veux dire, au nom du Sénat tout entier, que nous ferons face, que nous resterons unis et déterminés à poursuivre le combat et à défendre nos valeurs.
Il y a un instant, dans le jardin du Sénat, je rendais hommage aux étudiants et aux lycéens qui se dressèrent contre le totalitarisme le 11 novembre 1940.
Je pense, en cet instant, à nos soldats, à nos forces de sécurité, qui sont aux avant-postes de la liberté. Ce sont les mêmes valeurs qui nous rassemblent.
Monsieur le Premier ministre, vous souhaitez prendre la parole.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, je m’associe pleinement, au nom de l’ensemble des membres du Gouvernement, aux propos que vous venez de tenir, aux pensées que vous adressez, au nom du Sénat, aux victimes et à leurs familles, ainsi qu’à vos remerciements et à votre hommage aux forces de l’ordre, lesquelles, une fois de plus, samedi dernier, ont fait preuve d’une réactivité, d’une maîtrise de la force et d’un sang-froid exceptionnels ; elles font véritablement honneur à notre pays.
Monsieur le président, je vous rejoins entièrement sur la nécessité d’être forts, fermes et unis face à cette menace qui ne baisse pas d’intensité et qui ne baissera pas d’intensité dans les semaines et les mois à venir.
M. le président. Je vous invite à observer un moment de recueillement en hommage aux victimes de cet attentat. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement, observent un temps de silence.)
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat, le respect des uns et des autres, ainsi que les temps de parole, pour permettre à chaque collègue de bénéficier de la diffusion complète de sa question et de la réponse.
crise au proche-orient
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il y a soixante-dix ans, David Ben Gourion proclamait la création de l’État d’Israël.
Pour celles et ceux qui avaient entendu Theodor Herzl théoriser l’« État des Juifs », cinquante ans auparavant, pour celles et ceux, peu nombreux, qui avaient échappé à la Shoah, ce fut ce jour-là un immense espoir, une délivrance et un accomplissement.
Nous aurions aimé retrouver cette atmosphère. Au lieu de cela, depuis hier, nous avons en mémoire des images difficiles de morts par dizaines et de blessés par milliers, au moment même où était inaugurée à Jérusalem l’ambassade des États-Unis.
Ces images succèdent à celles d’échanges de tirs de missiles et de contremissiles dans le ciel syrien, visant des cibles iraniennes ou des avions de Tsahal.
Après avoir reçu Benyamin Netanyahou en décembre dernier et le prince héritier saoudien il y a un mois, le Président de la République a rencontré Donald Trump, président des États-Unis, voilà quinze jours.
Le Président de la République a sans nul doute cherché à convaincre, à faire partager les préoccupations de la France. Il a sûrement été écouté, mais il n’a pas été entendu. Donald Trump a additionné provocation, décision unilatérale et menaces.
Pouvons-nous espérer, monsieur le Premier ministre, une parole européenne audible, alors même que l’Europe, engluée dans ses contradictions, a à peine soutenu notre pays quand il est intervenu en Syrie ?
Quelles initiatives la France peut-elle encore engager pour que cette région tourmentée, qui peut à tout moment s’embraser, retrouve le chemin de la paix ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Marseille, la journée d’hier à Gaza a été la plus meurtrière depuis 2014, avec près de 60 morts, dont des mineurs, et près de 2 700 blessés, dont beaucoup par balles.
La France condamne évidemment et sans aucune ambiguïté ces violences. En effet, si nous sommes sans aucune ambiguïté attachés à la sécurité d’Israël, nous ne pouvons pas accepter un tel niveau de violence face au droit fondamental des Palestiniens à manifester pacifiquement.
La politique de la France est connue ; elle est ancienne. Elle a pour objectif la coexistence de deux États, Israël et la Palestine, vivant dans la paix et dans la sécurité au sein de frontières reconnues, avec Jérusalem pour capitale commune. C’est ce que dit le droit ; c’est la ligne défendue par la France.
Dès hier, le Président de la République et le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ont rappelé la position de la France et multiplié les contacts avec le roi de Jordanie, avec le président Abbas et, aujourd’hui, avec le Premier ministre israélien.
Plus largement, le Président de la République, dans la continuité de ce qu’il défend constamment depuis son élection, souhaite discuter avec l’ensemble des parties pour essayer de faire prévaloir la ligne que je viens de rappeler, celle du droit, sur laquelle pourra se construire une solution durable. Le Conseil européen qui s’ouvrira ce soir à Sofia permettra de réaffirmer l’attachement non seulement de la France, mais de l’ensemble des pays de l’Union européenne, à cette ligne.
Vous le savez, c’est la décision unilatérale prise par les États-Unis de transférer leur ambassade à Jérusalem qui a déclenché ces événements. Nous sommes en complet désaccord avec cette décision, à la fois sur le fond, sur la méthode et sur l’opportunité. Nous considérons que cette décision n’apporte rien à la recherche de la solution durable que j’évoquais à l’instant.
Dans cette région traversée par des tensions très fortes peut-être plus encore qu’ailleurs, ce sont le respect du droit, la recherche du multilatéralisme, le souci de tenir une ligne politique ferme et prévisible par l’ensemble des parties qui doivent permettre d’avancer dans la direction que je viens de décrire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
heurts en israël
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe La République En Marche.
M. Bernard Cazeau. Ma question s’adresse au ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens ont manifesté hier dans la bande de Gaza, le long de la frontière avec l’État hébreu, contre le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Le bilan publié ce matin par les autorités palestiniennes est terrible : 52 morts et 2 410 blessés après des heurts avec l’armée israélienne.
Nous sommes au bord du gouffre. Il est urgent d’éviter une nouvelle escalade et d’établir enfin une paix durable. En effet, dans cette région déjà soumise à de fortes tensions, il y a tout à craindre d’une radicalisation et d’une contagion du conflit.
Nous le savons, la France est très engagée dans la recherche d’une solution politique et elle soutient la cause du peuple palestinien, dont les aspirations sont légitimes, mais aussi le droit d’Israël à la sécurité.
Hier, le Président de la République a exprimé sa désapprobation de la décision américaine d’ouvrir une ambassade à Jérusalem dans le contexte sensible du soixante-dixième anniversaire de la création d’Israël et de la commémoration de l’exil par de nombreuses familles palestiniennes. Il a appelé tous les responsables à la modération et à l’apaisement et a insisté sur la nécessité que les manifestations des prochains jours demeurent pacifiques.
Au-delà, lorsque la sérénité sera revenue, comme nous l’espérons, il faudra redonner vie au processus de paix, car il n’y a pas d’autre solution durable que celle d’une paix juste et négociée entre deux États, garantissant une quiétude mutuelle à la Palestine et à Israël.
À la suite de ces événements, et au-delà de la position bien connue de la France, le Gouvernement envisage-t-il de prendre des initiatives qui permettraient de faire avancer la réflexion en vue de la résolution de ce conflit ? (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Bernard Cazeau, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Jean-Yves Le Drian, qui est en route pour Bruxelles, où se tient une réunion importante avec M. Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien, et nos partenaires européens signataires de l’accord de Vienne.
S’agissant des terribles heurts et des drames d’hier, M. le Premier ministre a rappelé quelle était la position de la France.
Notre désaccord avec la décision du président Trump de transférer à Jérusalem l’ambassade des États-Unis porte sur le fond, Jérusalem ayant vocation à devenir la capitale non pas d’un, mais de deux États, sur la méthode, puisque cette décision a été unilatérale, et sur l’opportunité, les crises se multipliant dans cette région du Moyen-Orient.
Devant cette situation, le Président de la République prend des initiatives. Il est en contact permanent avec le roi de Jordanie, qui tient un rôle tout particulier, et le Premier ministre israélien. Il s’entretiendra dans les prochaines heures avec ce dernier pour redire toute notre désapprobation quant à l’usage disproportionné de la force, qui a conduit à des morts et à un nombre considérable de blessés.
Peut-être y a-t-il effectivement des urgences à traiter avant d’engager, enfin, le grand chantier de la paix durable. Je pense notamment à la crise humanitaire qui sévit à Gaza. Il importe à cet égard de se mettre d’accord sur la levée du blocus, tout en garantissant la sécurité d’Israël.
La tâche est ardue, mais il est de notre devoir de tout faire pour éviter que le sang ne coule de nouveau demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Jean-Marc Gabouty et Loïc Hervé applaudissent également.)
samu de strasbourg
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-François Husson applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, vous avez réuni hier les représentants des médecins urgentistes pour lancer une concertation sur les moyens d’améliorer efficacement et humainement la régulation des appels d’urgence et des soins.
Cette initiative fait suite au décès, à la fin du mois de décembre à Strasbourg, de Naomi Musenga, dans les circonstances dramatiques que nous connaissons tous.
Sur les réseaux sociaux, des témoignages relatent des expériences malheureuses avec les services du SAMU. Pour autant, il importe de ne pas généraliser et de rappeler que, dans l’immense majorité des cas, les appels conduisent à une prise en charge rapide et efficace, dans le respect du patient.
Les assistants de régulation et les médecins urgentistes font un travail difficile. Sous tension, ils traitent jusqu’à 700 appels par jour. C’est justement parce qu’il s’agit d’une mission primordiale, avec un nombre d’appels en augmentation auxquels il faut apporter une réponse humanisée, tout cela dans le respect d’une légitime exigence de sécurité, qu’il nous appartient de moderniser ce service pour tendre vers une prise en charge homogène et optimale pour les patients et en toute sécurité pour les professionnels.
D’abord, il faut envisager la mise en place d’une formation diplômante des opérateurs. C’est ce que préconise le rapport que mes collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary ont publié au mois de juillet dernier. Trop souvent, les assistants de régulation médicale se retrouvent en première ligne sans formation ni expérience suffisantes.
Ensuite, la création d’un numéro unique pour toutes les urgences a été évoquée. Cela permettrait une meilleure lisibilité pour les patients et une plus grande efficience des services, en réduisant le délai entre l’appel et l’intervention.
Enfin, même si elle est complexe – je sais que le Gouvernement peine pour l’instant à trouver des réponses –, la question de l’optimisation des moyens doit être abordée : 30 millions d’appels sont traités chaque année, et ce chiffre augmente régulièrement.
Madame la ministre, je souhaiterais connaître votre position sur ces sujets, ainsi que les décisions que vous comptez prendre en vue d’améliorer ce service dédié aux urgences. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez très bien résumé la situation. L’événement dramatique de Strasbourg a révélé un certain nombre de dysfonctionnements au sein des SAMU, même si ceux-ci traitent 25 millions d’appels par an en assurant un service exemplaire dans la très grande majorité des cas ; nous l’avons encore vu à l’occasion de l’attentat commis samedi dernier à Paris. Nous devons faire en sorte que la confiance des Français envers ce service public de très grande qualité, que l’on nous envie, ne soit jamais entamée.
Après m’être entretenue avec la famille de Naomi Musenga, j’ai pris deux décisions.
Premièrement, j’ai diligenté une enquête flash de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, afin de faire toute la lumière sur cette affaire, d’analyser la chaîne de responsabilité en termes à la fois de traitement de l’appel et de remontée d’informations, cet événement très grave n’ayant pas été signalé au CHU et à l’agence régionale de santé. Le rapport sera bien évidemment livré à la justice et remis à la famille ; nous en tirerons les conclusions.
Deuxièmement, j’ai convoqué les médecins urgentistes pour décider d’un plan d’action. Ils étaient bien entendu tout à fait volontaires pour améliorer le service rendu à nos concitoyens. Nous avons identifié trois pistes de travail.
D’abord, il faut améliorer la formation des opérateurs, peut-être en mettant en place une formation diplômante, comme cela était préconisé dans le rapport de Mme Cohen et de M. Savary.
Ensuite, il faut travailler sur les procédures, de façon à les compléter et à vérifier qu’elles sont réellement appliquées.
Enfin, il faut travailler sur l’assurance qualité de ces services qui, aujourd’hui, n’observent pas les procédures en vigueur à cet égard dans les services hospitaliers.
J’ai demandé aux urgentistes de me remettre une feuille de route d’ici au 1er juillet prochain. Par ailleurs, une réflexion est effectivement en cours avec M. le ministre de l’intérieur sur l’instauration d’un numéro unique d’appel. Nous avons commandité au mois de janvier dernier un rapport conjoint de l’Inspection générale de l’administration, l’IGA, et de l’IGAS. Il doit nous être remis avant l’été : nous verrons s’il convient de retenir cette option, qui présente des avantages, mais aussi des inconvénients. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
situation en palestine
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Christine Prunaud. Je salue le fait que deux de mes collègues aient déjà évoqué les violences en Palestine : 59 morts, 2 400 blessés, tel est l’effroyable bilan des événements d’hier à Gaza !
La révolte du peuple de Palestine – des pierres contre des armes – est justifiée au regard de toutes les provocations de l’État israélien, provocations alimentées par les États-Unis, avec l’installation de leur ambassade à Jérusalem.
Un simple appel à la « retenue » et une simple « condamnation » des violences par notre gouvernement ne suffisent pas, monsieur le ministre ! Nous sommes face à un conflit insupportable. La communauté internationale, l’Europe, la France doivent sanctionner lourdement l’État israélien, jusqu’à présent toujours impuni alors qu’il est loin de respecter le droit.
Vous avez su dénoncer le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem dans cet hémicycle. C’est très bien, mais il est temps maintenant d’agir fermement contre les exactions de l’État d’Israël. Il faut aujourd’hui faire cesser le massacre des jeunes Palestiniens, les placer sous protection de l’ONU, abroger le blocus de Gaza et reconnaître enfin l’État palestinien !
Cette reconnaissance serait loin de n’être que symbolique ; elle permettrait de promouvoir la solution politique à deux États. Cela demande du courage. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. –M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, il faut non seulement du courage, mais aussi de la ténacité. En effet, cela fait plusieurs décennies, hélas ! que des drames se nouent dans cette région du Moyen-Orient. Si le droit international est clair, aucune solution définitive n’a pu être trouvée sur le terrain jusqu’à présent. La communauté internationale a posé un certain nombre de principes au travers de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Il importe que celles-ci entrent pleinement en vigueur.
Nous avons bien sûr condamné fermement, madame la sénatrice, le recours disproportionné à la force. La France a rappelé avec constance aux autorités israéliennes leur devoir de protéger les civils. Le Président de la République le redira au Premier ministre Benyamin Netanyahou. Rien ne saurait justifier un tel niveau de violences.
Il nous faut prendre notre bâton de pèlerin pour essayer encore et toujours, dans un esprit de sagesse et de paix, de parvenir à des solutions concrètes sur le terrain. Le blocus de Gaza, la situation humanitaire engendrent une désespérance qui nourrit un sentiment de révolte, débouchant sur des actions désespérées.
Le Sénat accueillait hier soir vingt-cinq leaders pour la paix, sous l’égide du président Gérard Larcher et de Jean-Pierre Raffarin : nous aurons besoin d’eux, ainsi que de vous toutes et tous, pour porter cette parole de paix ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – MM. Jean-Claude Requier, Jean-Marc Gabouty et Loïc Hervé applaudissent également.)
rapport oxfam
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
Ce lundi, l’ONG Oxfam a publié un rapport particulièrement offensif pointant l’absurdité des logiques du capitalisme financier (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), sur la base de données rendues publiques par les groupes du CAC 40 entre 2009 et 2016.
Depuis 2009, 67,6 % des bénéfices, nous dit-on, ont été reversés aux actionnaires, ce qui classe la France au premier rang mondial selon ce critère. Ce chiffre était de seulement 33 % au tournant du siècle.
Ce rapport montre une évolution récente, toujours plus marquée, vers l’augmentation des dividendes au détriment des salaires, mais aussi des fonds propres, voire du financement des investissements dans les grands groupes cotés. Cela doit nous interpeller collectivement.
Nous avions, par le passé, essayé de revenir pour partie sur cet état des choses, notamment en faisant en sorte de rapprocher la fiscalité française sur les dividendes de celle qui s’applique aux revenus salariaux.
M. Philippe Dallier. Ce fut un franc succès…
M. Claude Raynal. Tels ne sont pas, monsieur le ministre, les signaux envoyés par le gouvernement auquel vous appartenez, qui favorise plus encore la distribution de dividendes, que ce soit en sortant ceux-ci de l’assiette de l’ISF, en créant un prélèvement forfaitaire unique au taux de 30 % ou en annonçant, récemment, la suppression de l’exit tax.
Vous deviez « libérer et protéger ». Pour ce qui est de libéraliser l’économie, nous avons vu ! Protéger les salariés, protéger la capacité d’investissement et les fonds propres des entreprises, et même protéger, en un sens, l’économie de marché contre elle-même, voilà les objectifs que vous pourriez vous fixer à l’avenir, monsieur le ministre !
Vous vous déclarez favorable à l’intéressement et à la participation. Ne pourrions-nous pas, par exemple, lier cela à la politique de distribution de dividendes ? Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen du projet de loi relatif au plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit « PACTE ».
Monsieur le ministre, sur le fond, êtes-vous disposé à sortir de votre fascination pour le modèle libéral anglo-saxon, pour promouvoir le modèle rhénan de l’entreprise allemande –on nous parle souvent de l’Allemagne ! –, qui privilégie le long terme plutôt que le retour immédiat sur investissement, et donner ainsi enfin un contenu concret à ce qui n’est aujourd’hui qu’un concept : la protection des salariés ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. –M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, rassurez-vous : je n’ai de fascination que pour le modèle économique français, fondé sur la rémunération du travail et du risque. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Si nous en sommes arrivés à un tel niveau de rémunération des actionnaires, c’est parce que l’actionnariat national n’est pas suffisamment stable et solide.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous avez tout vendu ! Arrêtez de tout privatiser !
M. Bruno Le Maire, ministre. Parce que la fiscalité sur les dividendes était trop lourde, nous avons été obligés d’aller chercher des actionnaires étrangers, qui réclament un niveau de rémunération plus élevé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Pour notre part, nous mettons en place une fiscalité attractive pour développer un actionnariat national indépendant, pour développer l’actionnariat salarié dans les PME, dans les entreprises de taille intermédiaire. Vous devriez nous rejoindre sur cette politique d’indépendance économique !
Quant à la rémunération comparée des actionnaires et des salariés, permettez-moi de vous faire observer que l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, que je crois plus objectif qu’Oxfam en la matière,…
M. Roger Karoutchi. Certes…
M. Bruno Le Maire, ministre. … dit exactement le contraire. Le rapport qu’il a publié sur ce sujet établit que, sur la même période, la rémunération du travail a été plus élevée que celle de l’actionnariat. Entre Oxfam et l’INSEE, choisissez votre référence ; pour moi, ce sera l’INSEE !
Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous menons une politique visant à améliorer la rémunération des salariés. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Nous voulons que le travail paye, que les salariés en aient pour leur travail et leur engagement au service de l’entreprise.
M. Pierre Laurent. Les salaires sont bloqués !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce ne sont pas des paroles, ce sont des actes ! La suppression des cotisations salariales d’assurance maladie et d’assurance chômage, c’est une amélioration de la rémunération des salariés. Vous les aviez appauvris en portant le forfait social à 20 % ; pour notre part, nous allons permettre de mieux les rémunérer en supprimant ce forfait pour les entreprises de moins de 750 salariés ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous aviez supprimé tous les allégements de charges pour les heures supplémentaires. Avec le Premier ministre, nous allons supprimer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires, là encore pour faire en sorte que les salariés soient mieux rémunérés et que le travail paye ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
conséquences pour les entreprises françaises en iran du retrait américain de l’accord de vienne
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.
Mardi dernier, Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Immédiatement, le département du Trésor a annoncé le rétablissement, sous trois à six mois, des sanctions économiques contre toutes les entreprises qui travailleraient avec l’Iran. En application du droit américain, toute entreprise, américaine ou non, qui passera outre ne pourra plus exercer ses activités aux États-Unis et sera sanctionnée de manière prohibitive.
Si ces sanctions devaient s’appliquer aux entreprises françaises qui opèrent en Iran, ce serait pour elles une menace économique inacceptable. Ce serait une atteinte directe à notre souveraineté et à nos intérêts nationaux.
Nos entreprises payent déjà depuis trop longtemps le prix de l’extraterritorialité du droit américain. Je pense bien sûr à l’amende de 9 milliards de dollars acquittée en 2014 par la BNP, ainsi qu’aux affaires Alstom, Total, Crédit Agricole, et j’en passe… Depuis 2008, les entreprises européennes ont payé plus de 20 milliards de dollars d’amendes à la justice américaine !
Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement nos grands groupes, comme Airbus, Renault ou Accor, qui sont menacés : nos PME et nos entreprises de taille intermédiaire font également l’objet d’un chantage économique inacceptable !
Benjamin Constant disait qu’il vaut mieux souffrir de l’oppression de ses ennemis que rougir des excès de ses alliés. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Les États-Unis sont nos alliés, nos amis même, depuis leur naissance. Mais cela ne veut pas dire que nous devons tout accepter, au contraire !
Monsieur le ministre, ma question est simple : quelles initiatives comptez-vous prendre, à l’échelon tant national qu’européen, pour mieux protéger nos entreprises et nos banques et faire respecter notre souveraineté économique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement raison : les sanctions extraterritoriales américaines sont inacceptables. Elles sont contraires au principe de liberté du commerce, et affectent directement les intérêts économiques des alliés des États-Unis que sont la France et les autres pays européens.
Avec Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne, nous avons pris deux initiatives.
Premièrement, nous avons reçu ce matin toutes les entreprises françaises implantées en Iran pour les assurer de la détermination totale du Président de la République, du Premier ministre et de l’ensemble du Gouvernement à défendre leurs intérêts pour leur permettre de continuer à exercer leurs activités en Iran. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le secrétaire au Trésor américain pour lui demander des exemptions, des délais supplémentaires, ainsi que le respect des contrats conclus de bonne foi, dans le cadre de l’accord signé avec l’Iran, par les entreprises françaises implantées dans ce pays.
Deuxièmement, avec mes homologues allemand et britannique, nous travaillons actuellement à une initiative européenne visant à demander à la Commission européenne de prendre rapidement les trois décisions suivantes : renforcer le règlement de 1996, afin d’inclure l’Iran dans ce cadre qui protège les intérêts économiques européens ; doter l’Europe d’une institution financière indépendante lui permettant de faire librement du commerce où elle le veut, quand elle le veut, sans dépendre des institutions financières américaines (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.) ; enfin, mettre en place une institution comparable à celle qui existe aux États-Unis, pour faire respecter les règles européennes sur toute la planète.
Monsieur le sénateur, le problème que vous soulevez est sous-tendu par une question grave : que veut l’Europe, la vassalisation ou la souveraineté économique ? Avec le Président de la République, le Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement, nous défendrons la souveraineté économique européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
terrorisme
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Dimanche, la barbarie islamiste a volé sa vie à un jeune homme de vingt-neuf ans. L’horreur se répète : un attentat de plus, qui a donné lieu à de grandes et belles phrases. Un philosophe a parlé de « sidération rituelle ». La consternation et les indignations légitimes ne sont plus suffisantes. On a le sentiment que l’accoutumance au terrorisme islamiste nous guette. Or il y a pire que l’horreur : l’accoutumance à l’horreur !
Les réponses au terrorisme sont, bien sûr, techniques. La qualité du travail des forces de l’ordre et des services de renseignement mérite d’être saluée. Mais, si l’on veut agir à long terme, une véritable réponse passe aussi, et surtout, par un réarmement moral et culturel de notre pays. Elle passe par la désignation claire et sans ambiguïté des causes et des racines du mal.
Nous ne gagnerons la guerre contre l’État islamique, contre l’islam radical, contre l’islam politique, que si nous avons la volonté et le courage d’imposer partout et toujours nos valeurs républicaines ! Nous ne réglerons pas la question des attentats si nous laissons des quartiers entiers de notre territoire échapper aux lois de la République.
L’urgence est de lutter avec une fermeté sans faille contre une certaine police de la pensée qui entrave notre liberté et conduit certains esprits vers l’islam radical. Monsieur le Premier ministre, ne pensez-vous pas qu’il est temps pour la France de déclarer l’état d’urgence culturelle et morale ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, oui, samedi dernier, la barbarie a encore frappé. Elle a tué un jeune homme de vingt-neuf ans. Elle a fait plusieurs blessés. Sans la réaction immédiate de nos policiers, qui sont intervenus en moins de neuf minutes, nous aurions probablement déploré plus de morts et de blessés. Je veux d’abord saluer le sang-froid des policiers. Il y avait parmi eux ce jour-là un jeune homme qui n’était encore qu’adjoint de sécurité voilà un an ; aujourd’hui gardien de la paix, c’est lui qui a abattu le terroriste.
Je suis d’accord avec vous, on peut lutter contre le terrorisme au moyen d’un certain nombre d’idées. Oui, il faut combattre idéologiquement ce terrorisme, cet islamisme radical qui amènent à tuer dans notre pays ! Il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas, dans nos grandes villes, à la fois des quartiers prospères et des quartiers qui se paupérisent, se ghettoïsent ; en effet, à force de vivre côte à côte, on finit par vivre face à face.
Oui, la lutte doit être menée sur tous les plans, par l’action policière et, en même temps, par l’action culturelle et la bataille intellectuelle ! C’est tous ensemble que nous la gagnerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le ministre d’État, lorsque Mme la secrétaire d’État Marlène Schiappa déclare que l’absence de femmes dans les cafés de certains quartiers est une manifestation du machisme, elle refuse de voir la réalité ! De même, le fait que le Président de la République, dans son tweet, ne parle pas d’attentat islamiste, m’interpelle. C’est pourtant bien l’islam radical qui impose sa loi. Aucun accommodement avec la radicalisation islamiste ne doit être toléré, mais encore faut-il avoir le courage de la nommer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
fonds d’urgence pour les abeilles
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture. Elle concerne la mortalité catastrophique qui touche en ce moment les abeilles.
Voilà dix jours, j’étais avec les apiculteurs bretons, à Rennes, pour assister à l’arrivée d’un « convoi mortuaire », organisé pour alerter sur les pertes massives de colonies. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 20 000 colonies perdues en Bretagne, 3 000 dans le département de la Dordogne, 1 000 dans celui de la Charente, pour ne citer que quelques exemples… Sachant que la perte moyenne, pour chaque ruche, s’élève à 400 euros, je vous laisse imaginer la détresse, à la fois économique et humaine, de nos apiculteurs.
Monsieur le ministre, ma question est double.
Un plan d’urgence va-t-il être mis en œuvre pour soutenir les apiculteurs, compenser les pertes de marge brute et aider à reconstituer les cheptels ?
Sur un plan plus structurel, les causes de cette mortalité sont connues : elles sont en grande partie liées à notre modèle agricole intensif, fondé sur l’agrochimie. Dans ce contexte, quelles mesures le Gouvernement va-t-il mettre en place pour assurer et accélérer la transition de notre agriculture ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, effectivement, les apiculteurs de Bretagne et d’ailleurs ont récemment fait état d’une situation sanitaire dégradée dans leurs ruchers en sortie d’hiver. Les mécanismes de surveillance dont disposent actuellement les pouvoirs publics ne permettent pas de corroborer une généralisation de cette dégradation. (Protestations sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. Simon Sutour. Ça suffit !
M. Stéphane Travert, ministre. Cependant, une enquête menée en sortie d’hiver 2018 par le GIE Élevages de Bretagne fait apparaître de manière incontestable que certains apiculteurs sont confrontés à une situation sanitaire préoccupante.
À la fin de l’année 2017, l’État a mis en place, dans deux régions pilotes Bretagne et Pays de la Loire, un observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère, ou OMAA. L’objectif est de mieux prendre en compte la situation sanitaire et d’identifier les facteurs de risque. Tous les apiculteurs bretons ayant constaté des mortalités ou des affaiblissements dans leurs ruchers sont invités à les déclarer au guichet unique qui a été mis en place. Cette déclaration déclenchera une visite vétérinaire.
Les résultats de la première année de fonctionnement de cet observatoire seront présentés au cours du dernier trimestre de 2018. Il convient d’ores et déjà de réfléchir aux perspectives d’amélioration du protocole de surveillance. C’est la priorité de la filière. Nous devons aborder cette question avec l’Institut technique de l’abeille, que nous avons redressé ces derniers temps.
En France, un dispositif de surveillance des mortalités massives aiguës des abeilles existe depuis plusieurs années. Il a été évalué par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES. Sa révision est désormais engagée ; y sont associés les experts et les représentants professionnels de l’apiculture. Il alimente le dispositif de pharmacovigilance animé par l’ANSES.
Le 25 avril dernier, le Gouvernement a présenté son plan d’action sur les produits phytopharmaceutiques concernant les pollinisateurs. Sur la base d’un avis de l’ANSES, qui sera saisie prochainement, il est prévu de renforcer les dispositions relatives aux conditions d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, en vue de protéger les abeilles domestiques et les insectes pollinisateurs.
M. Simon Sutour. C’est mal barré !
M. Jean-Pierre Grand. Il va falloir agir dare-dare ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, derrière les abeilles, il y a l’ensemble des pollinisateurs, les insectes, les oiseaux, les vers de terre, bref toute la vie du sol ! C’est tout notre écosystème qui est mis à mal !
Les pratiques doivent être remises en cause. Des études, il y en a, en particulier une, récente, réalisée conjointement par le CNRS et le Muséum national d’histoire naturelle, qui démontre l’existence d’un lien entre cette mortalité et les pratiques agricoles.
Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du prochain texte relatif à l’agriculture et à l’alimentation. Nous ferons alors des propositions, et nous espérons que des réponses concrètes seront apportées pour protéger la biodiversité et les équilibres environnementaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
situation du fret
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour le groupe Les Républicains.
M. Pierre Cuypers. Ma question s’adresse à Mme la ministre chargée des transports.
La grève des cheminots affecte des secteurs entiers de notre économie. L’interruption du trafic deux jours sur cinq entrave également l’activité de la journée suivante. Le potentiel de nuisances de la grève pour nos entreprises est inacceptable. Les industries seront touchées à hauteur de près de 60 %.
La France perd des marchés, faute de pouvoir les honorer. Je prendrai l’exemple du secteur des céréales alimentaires et non alimentaires, qui représente 450 000 emplois directs et indirects, une production de 70 millions de tonnes et 9 milliards d’euros pour notre balance commerciale. La grève impose aux entreprises de ce secteur de recourir à des modes de transport alternatifs, routiers et fluviaux, dont on voit bien les limites en termes d’augmentation de la durée d’acheminement et de surcoût financier – entre 5 et 20 euros par tonne.
Mme Éliane Assassi. Battez-vous pour le fret !
M. Pierre Cuypers. Le pire est à venir : les entreprises sont contraintes de puiser dans leurs stocks et, faute de pouvoir être transportées, les récoltes de juillet vont engorger des silos déjà saturés.
Des mesures d’urgence s’imposent. Je vous demande de mettre en place un service minimum de fret ferroviaire en cas de grève pour toutes les industries,…
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Pierre Cuypers. … de prioriser les flux agricoles, de mettre en place des moyens importants pour moderniser les infrastructures fluviales et de prendre une mesure immédiate d’autorisation exceptionnelle de la circulation des camions les dimanches et jours fériés, à partir de vingt-deux heures la veille. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les conséquences du mouvement social à la SNCF. J’ai souligné à plusieurs reprises le caractère très pénalisant de cette grève pour les voyageurs. Ses conséquences pour notre activité économique, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la sidérurgie ou du secteur des matériaux de construction, sont peut-être moins visibles, mais elles sont effectivement tout aussi réelles. Le fret ferroviaire et les activités économiques qui en dépendent payent ainsi un lourd tribut à cette grève.
Les jours de grève, environ un tiers des trains de fret circulent. Pour le fret, deux jours de grève, c’est une semaine d’activité de perdue. L’État et SNCF Réseau sont pleinement mobilisés. Un guichet unique pour les entreprises a notamment été mis en place. J’ai par ailleurs demandé aux préfets d’être particulièrement vigilants, de signaler toutes les situations critiques pour les activités économiques et d’accorder, comme vous le préconisez, des dérogations pour la circulation des poids lourds le dimanche si cela peut constituer une réponse appropriée.
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Les organisations syndicales insistent souvent sur la nécessité de relancer le fret ferroviaire : j’y travaille, comme M. le Premier ministre l’a demandé le 16 avril dernier. Je suis en effet convaincue qu’il s’agit d’une réponse importante en termes de lutte contre le changement climatique et de sécurité routière : un train de fret en plus, c’est cinquante camions de moins sur les routes.
Mais chacun doit prendre ses responsabilités, car il y a un paradoxe à plaider pour une relance du fret ferroviaire tout en le fragilisant, comme c’est le cas avec le conflit actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Laurent proteste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour la réplique.
M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas pleinement. Je crois que vous ne mesurez pas dans quelle situation d’urgence économique se trouvent ces entreprises, à la veille de la période de forte activité que représente l’été.
Des mesures urgentes s’imposent. Les agriculteurs, comme les industriels, attendent de votre part des décisions immédiates, afin que ne se trouve pas pénalisé un secteur qui, jusqu’à présent, était considéré comme un fleuron de l’économie de notre pays.
M. le président. Il faut conclure !
M. Pierre Cuypers. Une mauvaise gestion de cette crise et des décisions trop tardives auraient des conséquences irréversibles. N’ajoutez pas une crise à la crise ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
organisation de la semaine scolaire
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Monsieur le ministre, par décret du 27 juin 2017, vous proposiez un élargissement du champ des dérogations à l’organisation de la semaine dans les écoles maternelles et primaires permettant au directeur académique, sur proposition conjointe d’une commune et d’un ou de plusieurs conseils d’école, d’autoriser des adaptations à l’organisation de la semaine sur quatre jours.
Plusieurs élus ont fait le choix de différer à 2018 la prise de leur décision. Ils tombent aujourd’hui souvent de leur chaise en même temps que tombent les décisions de vos services… En effet, nonobstant les décisions des conseils municipaux et de certains conseils d’école, qui, pour la plupart, s’appuient sur des consultations de parents, nonobstant les enjeux territoriaux avec souvent des projets éducatifs territoriaux qui harmonisaient des pratiques, nous assistons aujourd’hui à une véritable cacophonie locale.
Les élus et les parents sont désemparés : à la prochaine rentrée, on trouvera, sur un même territoire, des écoles organisées selon une semaine de quatre jours et d’autres selon une semaine de quatre jours et demi, avec un même service Enfance jeunesse ; les parents d’élèves seront confrontés, au sein du même regroupement pédagogique, à des écoles organisées selon une semaine de quatre jours en maternelle et de quatre jours et demi en primaire ; les élus subiront une double peine, avec des charges budgétaires qu’ils n’avaient pas prévues au regard des décisions d’un ou de plusieurs conseils d’école, mais surtout d’une baisse des dotations de l’État qui est aujourd’hui une évidence et que nous ne cesserons de rappeler !
Mes questions, monsieur le ministre, sont simples. Dès lors qu’un décideur-payeur n’aura pas été écouté, comment l’État assumera-t-il la charge créée de son seul fait ? Comment comptez-vous demander à vos services de se mobiliser pour permettre à ces territoires, aujourd’hui à deux vitesses, de retrouver une cohérence éducative territoriale ? Pourquoi n’avez-vous pas envisagé d’associer aux commissions prenant ces décisions les élus, qui sont, je le rappelle, les principaux payeurs, mais également les porte-parole, en matière de cohérence éducative, d’un territoire qu’ils connaissent et que ne représente pas toujours le conseil d’école ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la sénatrice, votre façon de présenter les choses me surprend quelque peu. En effet, je ne m’attendais pas à ce que l’on me reproche, sur les travées du groupe Les Républicains, de laisser de la liberté aux autorités locales et, plus largement, au terrain pour définir les rythmes scolaires. Il me semblait que c’était ce que nombre d’entre vous réclamaient !
M. François Grosdidier. C’est le financement qui pose problème !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Les enquêtes de satisfaction que nous menons montrent que plus de 80 % des personnes interrogées approuvent cette mesure.
Lors de la dernière rentrée scolaire, près de 40 % des communes ont fait le choix de la semaine de quatre jours. Lors de la prochaine rentrée, entre 30 % et 40 % de communes supplémentaires opteront pour cette solution. Nous partions d’une situation très négative, qui donnait lieu à des reproches de votre part, et très inégalitaire, puisque seulement 40 % des élèves bénéficiaient d’activités périscolaires. Il n’y avait pas d’homogénéité.
Nous avons conforté ce qui fonctionnait bien et changé ce qui n’allait pas, en laissant la possibilité aux acteurs de terrain de choisir. Le cas que vous avez cité d’une école maternelle passée à la semaine de quatre jours alors que l’école élémentaire reste à la semaine de quatre jours et demi illustre mon propos. Il est tout à fait loisible à une communauté éducative de faire un tel choix. Cela relève d’un consensus local. Une telle organisation est vécue non comme un problème, mais au contraire comme une souplesse. On peut considérer, par exemple, que des enfants de maternelle ont davantage besoin de se reposer le mercredi que des enfants du primaire.
Il s’agit de choix locaux, pris en fonction de circonstances locales. Cette liberté est, je le sais, extrêmement bien perçue par la plupart des acteurs. Dans le cas que vous évoquez, le directeur académique des services de l’éducation nationale a fait le choix d’organiser une nouvelle consultation. Il s’agit donc d’un exemple très fort de démocratie locale, visant à aboutir à un consensus.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Encore une fois, c’est une mesure de liberté largement plébiscitée par les acteurs de terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le ministre, il s’agit en réalité d’une pseudo-liberté ! Vous avez fait le choix délibéré de ne pas assumer le bilan de la mise en œuvre de la semaine de quatre jours et demi. Le conseil d’école ne peut pas prétendre détenir seul la vérité !
En revanche, il y a un seul payeur : l’élu ! Il y a une personne qui est interpellée par les parents : l’élu ! Il y a un garant de la cohérence de la politique éducative : l’élu ! Je vous demande donc d’écouter les élus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
finances des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yannick Botrel. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Elle concerne l’évolution des dotations aux collectivités territoriales, qui viennent d’être notifiées par les services de l’État.
Lors d’une récente intervention télévisée, à l’occasion de sa visite à Berd’huis, le Président de la République a déclaré que, en 2018, le montant des dotations attribuées aux collectivités ne subirait pas de baisse, et connaîtrait même une augmentation, légère il est vrai. Il a également affirmé que les dotations des communes seraient maintenues.
Je ne conteste absolument pas la première de ces affirmations : l’enveloppe des dotations connaît cette année une légère augmentation.
La seconde affirmation se révèle plus hasardeuse ; de nombreux maires peuvent en porter témoignage. Aux dires d’experts, 47 % des communes constatent une baisse de leur dotation globale de fonctionnement, pouvant parfois être importante, c’est-à-dire supérieure à 15 %.
En particulier, la dotation de solidarité rurale, la DSR, subit une érosion, voire une chute sensible, sans qu’aucune explication claire ne soit donnée.
Or, dans la plupart des cas, la situation intrinsèque de ces communes n’a pas changé, du moins si je me réfère au cas du département des Côtes-d’Armor.
Pis, la démonstration est faite que, au sein des nouvelles intercommunalités, très agrandies, les communes les plus pauvres se trouvent ponctionnées et les plus riches sont gagnantes !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument, c’est la vérité !
M. Yannick Botrel. C’est là une curieuse conception de la péréquation et de la redistribution !
À ce stade, aucune explication n’a été fournie et le constat est fait que, au plus haut des services de l’État, on ne communique pas les éléments qui permettraient de comprendre le mécanisme d’évolution des dotations en jeu.
Ma question est double : le ministre de l’intérieur est-il déterminé à faire en sorte que la plus grande clarté soit faite et que les éléments de compréhension et d’analyse de ces évolutions des dotations soient rendus accessibles aux élus et à leurs associations ? Quelles corrections sont envisageables afin d’empêcher les redistributions sans cause réelle auxquelles on assiste et de rétablir une DSR plus équitable ?
Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ? Il y va de la crédibilité de la parole de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, cher Yannick Botrel (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.), vous m’interrogez sur la DGF et sur la péréquation entre les collectivités territoriales, qui, vous le savez, représente un objectif à valeur constitutionnelle. Ce principe est au cœur du fonctionnement de la DGF, qui comprend une part forfaitaire et une part péréquatrice, grosso modo de même importance.
Vous m’interrogez plus particulièrement sur la DSR. Le Gouvernement a choisi de renforcer la péréquation, à hauteur de plus de 200 millions d’euros en 2018. C’est ce qui a été inscrit dans la loi de finances par le Parlement. La DSR elle-même augmente de 80 millions d’euros. Elle est répartie en fonction d’un certain nombre de critères. Elle est destinée aux communes de moins de 10 000 habitants disposant d’un potentiel fiscal par habitant inférieur au double du potentiel financier par habitant moyen.
On enregistre bien évidemment des sorties et des entrées du dispositif. Ainsi, des communes comme Luçon ou Lambesc ont dépassé les 10 000 habitants et ne bénéficient donc plus de la DSR. Les trente-sept autres communes sortantes au niveau national ont toutes des populations inférieures à 5 000 habitants et deviennent inéligibles en raison de leur potentiel financier.
Les communes de plus de 10 000 habitants comprenant des quartiers difficiles peuvent bénéficier de la dotation de solidarité urbaine, la DSU.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Par ailleurs, il y a la péréquation horizontale. Le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, a été maintenu, par la volonté du Parlement, au même niveau que les années précédentes.
Le Gouvernement a bien respecté son engagement (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) de maintenir une enveloppe globale de 27 milliards d’euros. (M. François Patriat applaudit.)
classement en zone de catastrophe naturelle
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Mme Évelyne Perrot. Ma question s’adresse à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Madame la ministre, le dimanche 29 avril, le département de l’Aube a été frappé par une tempête de forte intensité. Plusieurs communes ont été impactées et les dégâts sont considérables. Plus de 140 maisons et quatre sociétés ont été touchées, sans parler des dommages paysagers et matériels. Une entreprise est complètement détruite, ce qui laisse une soixantaine de personnes au chômage technique.
La loi du 13 juillet 1982 dispose que les personnes physiques ou morales victimes de catastrophes naturelles peuvent être dédommagées par leur société d’assurance pour les dégâts subis. Les communes les plus sinistrées ont ainsi envoyé à la préfecture une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Par un communiqué de presse, la préfecture a précisé qu’une pointe de vent à 112 kilomètres-heure avait été enregistrée sur le territoire d’un village voisin, alors que l’état de catastrophe naturelle ne peut être reconnu que si la vitesse de 145 kilomètres-heure en moyenne a été atteinte ou dépassée sur dix minutes.
Si, en 1999, la France a été touchée par ce que l’on appelle une « grande tempête », aujourd’hui ce sont des mini-tornades d’une violence inouïe qui dévastent le territoire, sur un temps court. Comment défendre les demandes des élus concernés quand aucun relevé de vitesse de vent n’a été réalisé aux endroits les plus touchés, sachant qu’il peut y avoir des pointes à 215 kilomètres-heure au centre de la tornade ?
Madame la ministre, les maires sont habitués à gérer et à évaluer les situations d’urgence. Si l’un d’entre eux appelle au secours, c’est que la situation est grave !
Ma question est la suivante : au regard des changements climatiques, pensez-vous revoir les critères de classement en zone de catastrophe naturelle et intervenir auprès du préfet de mon département dans ce cas précis ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Évelyne Perrot, vous m’interrogez sur les conditions de mobilisation de la garantie catastrophe naturelle en cas de dégâts provoqués par une tempête.
Je tiens d’abord à vous confirmer les informations qui vous ont été communiquées par les services de la préfecture de l’Aube. Les dégâts provoqués par le vent sur des biens assurables entrent dans le champ de la garantie catastrophe naturelle seulement lorsqu’il a présenté les vitesses et caractéristiques fixées par le code des assurances, c’est-à-dire lorsque les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 kilomètres-heure. Les vents qui ont frappé le département de l’Aube le 29 avril dernier ne présentaient pas ces caractéristiques.
En revanche, les particuliers et les entreprises sinistrés victimes des vents violents seront indemnisés dans le cadre de leur assurance, sans qu’il soit besoin qu’intervienne au préalable une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Les effets des vents violents sont couverts par les contrats d’assurance au titre de la garantie « tempêtes, neige et grêle », ou TNG. Les contrats d’assurance habitation garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages pour des biens situés en France métropolitaine couvrent obligatoirement les effets du vent dus aux tempêtes, caractérisées par des vents d’une vitesse supérieure à 100 kilomètres-heure.
Par ailleurs, les entreprises dont l’activité a été perturbée par les épisodes de vents et qui bénéficient d’une garantie pertes d’exploitation au titre de leur contrat d’assurance peuvent être indemnisées dans ce cadre.
Il faut donc inviter les victimes dont les biens assurés ont subi des dégâts provoqués par les vents d’une tempête à déclarer leur sinistre auprès de leur assureur afin de pouvoir être indemnisées dans les meilleurs délais. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le jeudi 24 mai 2018, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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« Américains accidentels » concernés par le FATCA
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à prendre en compte la situation des « Américains accidentels » concernés par le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Jacky Deromedi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 64).
Dans la discussion générale, la parole est Mme Jacky Deromedi, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
Mme Jacky Deromedi, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les États-Unis ont adopté le 18 mars 2010 le Foreign Account Tax Compliance Act, loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers, dite « FATCA », résultant d’une convention fiscale d’échange d’informations signée entre la France et les États-Unis et d’application rétroactive.
Cette loi substitue au critère classique du domicile fiscal celui de la nationalité : tout Américain doit déclarer et payer des impôts aux États-Unis. Il s’agit là d’un bouleversement considérable de la législation fiscale américaine.
Le FATCA affecte en particulier les « Américains accidentels ». Il s’agit de nos compatriotes nés aux États-Unis à l’occasion d’un bref séjour, d’une escale ou visite touristique ou d’une hospitalisation. Ils sont Français, mais ils sont également Américains. Ils ignoraient généralement qu’ils avaient la citoyenneté américaine. Ils n’ont pas de relations avec les États-Unis, ils n’ont aucune famille là-bas, ils n’avaient pas de contact avec l’administration américaine avant 2014, ils n’ont pas de passeport américain.
En effet, toute personne née aux États-Unis est citoyenne américaine : c’est le jus soli, le droit du sol. Il existe également des « Américains accidentels » nés ailleurs qu’aux États-Unis. Ils le sont par filiation, l’un de leurs parents né aux États-Unis étant lui-même « Américain accidentel »…
En 2014, ils ont découvert qu’ils devaient avoir des relations suivies avec les États-Unis en matières fiscale et bancaire. En effet, leurs banques françaises les ont informés cette année-là de l’existence du FATCA. Ils devaient, dès lors, payer leurs impôts aux États-Unis. Ils ont appris que le FATCA était d’application rétroactive sur plusieurs années, avec des indemnités et pénalités de retard à la clef… Ils ont découvert que la France, comme d’ailleurs les autres États de l’Union européenne, avait conclu avec les États-Unis en 2013, pour l’application du FATCA, un accord d’échange automatique des données fiscales et bancaires.
Ils étaient donc tenus de remplir les formulaires envoyés par leurs banques, pour transmission au fisc américain. Ils devaient avant toute chose obtenir un numéro de sécurité sociale américain, démarche complexe pour nombre d’entre eux, beaucoup ne parlant même pas anglais.
Je souhaiterais vous lire quelques extraits d’un témoignage reçu récemment :
« Je suis née aux USA, en Californie, à Pasadena, de parents tous les deux Français. […] Mes parents sont rentrés en France lorsque j’avais 16 mois. […]
« En juin 2016, ma banque m’a envoyé un courrier m’indiquant que je présentais “ un indice d’américanité ”. […] Je travaillais alors à plein temps et je rédigeais une thèse pour une formation que j’avais décidé de suivre pour booster ma carrière professionnelle. […]
« J’ai entrepris les démarches difficiles pour collecter les informations nécessaires à la constitution du dossier pour obtenir le numéro de sécurité sociale américain. […]
« J’ai interrompu tous mes projets personnels. […] J’ai appris début 2018 que le fisc français avait transmis mes soldes bancaires au fisc américain.
« J’ai engagé un cabinet spécialiste de la fiscalité française et américaine pour des honoraires estimés entre 13 000 et 15 000 euros suivant un taux horaire non contrôlable. […] Le cabinet m’a indiqué que je dois en outre payer 25 000 euros au fisc américain. […]
« J’espère que la procédure sera terminée fin juin 2018 car, dans le cas inverse, le préjudice financier sera encore plus important puisque la France passe au prélèvement à la source et, de ce fait, je n’aurai aucun crédit d’impôt à déduire des impôts que je devrai aux USA en 2018. »
Voilà une femme de cinquante-trois ans qui voit partir en fumée tous ses rêves et ses économies… Les banques françaises sont en effet tenues de faire le signalement de leurs clients américains et de transmettre au fisc américain quantité d’informations. Nos compatriotes jugent cette démarche très intrusive et considèrent qu’elle porte atteinte à leur vie privée.
La loi FATCA a prévu des sanctions fort dissuasives.
Pour les banques, il s’agit d’une retenue à la source punitive de 30 % sur l’ensemble des flux financiers versés depuis les États-Unis sur des comptes de US persons, voire le retrait de la licence bancaire aux États-Unis. Aucune banque ne peut donc se permettre de refuser l’application du FATCA.
Quant aux « Américains accidentels », ils s’exposent à des poursuites du fisc américain, qui peut demander au fisc français d’engager des poursuites contre eux. Ils doivent également éviter de voyager aux États-Unis, sous peine de devoir y rester… jusqu’à ce qu’ils aient régularisé leur situation.
En France, les « Américains accidentels » rencontrent de grandes difficultés auprès des banques et des sociétés de gestion de portefeuille, soumises aux contrôles stricts de l’autorité américaine de régulation des marchés.
Soucieuses de ne pas devenir les proies de contrôles intrusifs du fisc et de l’autorité américaine de régulation des marchés, les banques et les sociétés de gestion de portefeuille françaises sont de plus en plus réticentes à conserver une clientèle d’« Américains accidentels ». La plupart des banques françaises refusent l’ouverture de comptes à ces personnes, les privant ainsi de tous les services bancaires, tels que prêts, produits d’épargne retraite, cartes bancaires, etc. Elles peuvent même unilatéralement décider de fermer les comptes de leurs clients habituels dont elles apprennent qu’ils présentent un « indice d’américanité ». Certes, en cas de refus d’ouverture d’un compte bancaire, le code monétaire et financier prévoit une procédure de recours auprès de la Banque de France, qui peut enjoindre à une banque d’ouvrir un compte à la personne concernée.
Comment ne pas s’interroger aussi sur la légalité du « fichage » des « Américains accidentels » au regard de la loi Informatique et libertés, en raison des conséquences dramatiques qui peuvent en résulter ?
J’ai, en ce qui me concerne, commencé à travailler sur ce sujet dès juin 2015, après m’être entretenue avec l’une de ces victimes résidant à Singapour. J’ai alors adressé un courrier à M. Michel Sapin, en septembre 2015, auquel a répondu M. Jean-Marc Ayrault en juillet 2016. Je vous donne lecture d’un extrait de cette réponse : « Le fondement de l’impôt sur la nationalité et non sur le domicile fiscal relève de la compétence souveraine des États-Unis, sur laquelle la France ne peut intervenir »…
Plusieurs « Américains accidentels » ont donc décidé de renoncer à la nationalité américaine, mais on a du mal à imaginer la complexité et surtout le coût de cette procédure.
Il faut prendre un avocat américain si l’on veut que la procédure aboutisse. On m’a signalé des honoraires oscillant entre 10 000 et 100 000 euros. Une famille a dû se défaire de tout son patrimoine immobilier en France.
Il faut aussi acquitter une taxe de 2 500 euros auprès de l’administration américaine et surtout, évidemment, s’être mis en règle avec le fisc américain, après avoir payé les arriérés d’impôts, les pénalités de retard et les amendes…
De plus, on vient de m’informer que le Congrès américain a voté en décembre 2017, il y a donc moins de cinq mois, une nouvelle loi qui aggrave considérablement la situation des « Américains accidentels » : une taxe de rapatriement de 17,5 % sur les bénéfices des trente dernières années des entreprises détenues par des US persons, y compris donc des « Américains accidentels », a été instaurée… C’est purement et simplement une confiscation de capitaux français.
Quelle est la finalité de cette proposition de résolution ? Agir à un triple niveau.
Au plan international, l’Association des « Américains accidentels », dont je salue les efforts, a saisi le président Trump. Notre excellent collègue Antoine Lefèvre, président du groupe d’amitié France-États-Unis du Sénat, avec lequel je me suis entretenue avant son départ pour accompagner la visite d’État du président Macron à Washington, a immédiatement agi auprès des autorités américaines au plus haut niveau.
L’Association des « Américains accidentels » souhaite une remise en cause de l’accord franco-américain de 2013. Elle souligne que les États-Unis ne respectent pas la réciprocité en matière d’échange d’informations entre l’administration américaine et le fisc français, ce qui pourrait nous permettre de dénoncer cet accord. Elle demande la prise de dispositions transitoires pour le passé, et l’ouverture de la possibilité de renoncer à la citoyenneté américaine selon une procédure simplifiée.
Au plan européen, le président de l’Association des « Américains accidentels », Fabien Lehagre, a saisi le Parlement européen d’une pétition transmise à la commission des pétitions, qui a déclaré la demande recevable. Elle prépare une proposition de résolution, qui sera examinée en séance plénière du Parlement européen en juin. Une résolution du Parlement européen apporterait un grand appui à cette juste cause, en mobilisant la Commission européenne sur le sujet.
Au plan national, plusieurs d’entre nous ont multiplié les démarches auprès des gouvernements successifs. À plusieurs reprises, M. Jean-Marc Ayrault m’a indiqué qu’il comprenait les difficultés des « Américains accidentels », en renvoyant à des discussions entre notre ambassade et les autorités américaines. J’ai déposé cette proposition de résolution, cosignée par une centaine de mes collègues, eux-mêmes saisis de ce problème dans leurs circonscriptions. Je les remercie de l’intérêt qu’ils ont porté à cette situation.
L’Assemblée nationale a repris le flambeau en créant une mission d’information sur la situation des Français nés aux États-Unis au regard du FATCA, dont les deux rapporteurs sont MM. Marc Le Fur et M. Laurent Saint-Martin. Elle m’a auditionnée le 18 avril dernier.
En outre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a été saisie par un particulier de la question de la fermeture des comptes à partir d’un fichage des US persons.
Enfin, l’Association des « Américains accidentels » a formé devant le Conseil d’État un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 25 juillet 2017, qui constitue l’une des modalités de mise en œuvre de l’accord franco-américain d’application du FATCA.
En agissant de concert à ces trois niveaux – bilatéral, européen et national –, je suis persuadée que nous pourrons avancer vers la solution qu’espèrent nos compatriotes « Américains accidentels ». C’est une question de justice. Nous ne pouvons pas permettre que ces compatriotes soient pris en otages et aient à payer une rançon pour avoir le droit de vivre dignement. Je vous remercie par avance de votre soutien ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en ma qualité de président du groupe d’amitié France-États-Unis du Sénat que je prends la parole sur cette proposition de résolution relative à la situation des « Américains accidentels » concernés par le FATCA, que j’ai volontiers cosignée.
Notre collègue Jacky Deromedi s’est saisie avec énergie de ce dossier. C’est un vrai sujet que celui de ces « Américains accidentels », nés sur le territoire des États-Unis mais n’y ayant séjourné que quelques mois, quelques semaines, voire quelques jours, et considérés, du fait du droit du sol, comme Américains.
Les voilà depuis quatre ans, du fait de l’application du fameux FATCA adopté à Washington en 2010 et en vertu d’un accord bilatéral de 2014, destinataires de courriers de leurs banques leur demandant de communiquer leur numéro d’identification fiscale américain ou d’apporter la preuve qu’ils ont renoncé à la nationalité américaine ; il arrive même qu’elles décident de manière unilatérale de fermer leurs comptes bancaires. Les États-Unis sont le seul pays au monde à faire reposer la taxation sur la citoyenneté plutôt que sur le lieu de résidence : c’est la citizenship-based taxation.
Les « Américains accidentels » sont aujourd’hui contraints de rentrer dans le système fiscal américain avant de pouvoir éventuellement en sortir. Notre collègue Jacky Deromedi a explicitement décrit les affres fiscales qui découlent du FATCA pour les particuliers : en vertu d’une convention bilatérale, les impôts payés en France par les ressortissants américains ne viennent en effet qu’en déduction des taxes dues aux États-Unis !
Quand ces « Américains accidentels » souhaitent fuir – je dis bien « fuir » ! – leur nationalité américaine, les démarches sont alors extrêmement anxiogènes et fort coûteuses : au total, environ 20 000 dollars, car il faut obligatoirement prendre un avocat… de préférence américain. Enfin, cela ne dispense pas de devoir faire des déclarations rétroactives sur les trois, voire les six, dernières années et de payer l’éventuel surplus.
De plus, quelques banques profitent de la situation pour pousser dehors leurs clients présentant cette fameuse « américanité » et les traitent comme des parias.
Entre-temps, M. Donald Trump a été élu quarante-cinquième président des États-Unis. L’abrogation du FATCA figurait dans le programme du Parti républicain. Le 5 avril 2017, le sénateur républicain Rand Paul a déposé un projet de loi visant à abroger la loi FATCA, et le représentant Mark Meadows a présenté un projet de loi complémentaire à la Chambre américaine, en vue de corriger les effets pervers de l’extraterritorialité de la législation américaine. Or, en novembre, selon l’un des défenseurs, « il n’y avait rien dans le texte de la Chambre des représentants ni dans celui voté par la commission des finances du Sénat qui aide les Américains expatriés ou les Américains accidentels ». Ceux-ci, qui comptaient donc sur la réforme fiscale du président Trump, ont subi une forte déconvenue.
Parallèlement, en France, l’Association des « Américains accidentels », créée en 2015 et animée par son dynamique président Fabien Lehagre, a engagé une procédure devant le Conseil d’État pour s’opposer à l’application en France du FATCA, au motif que ; « aujourd’hui, l’accord n’est pas mis en œuvre de façon réciproque par les États-Unis. Or un accord international ne peut être appliqué en droit interne qu’à condition qu’il le soit de façon réciproque. »
À l’Assemblée nationale, la mission Le Fur-Saint-Martin de la commission des finances instruit ce dossier et vérifiera, en particulier, si nos banques n’interpréteraient pas à l’excès les demandes des États-Unis. Devant rendre ses conclusions d’ici à quelques semaines, elle a entendu, comme l’a rappelé Jacky Deromedi, le président de l’Association des « Américains accidentels ». Celle-ci a tenu le 28 avril sa première assemblée générale, réunissant près de 200 de ses membres. Tous sont très attentifs à l’issue de nos travaux.
En amont de la visite d’État, à la fin du mois d’avril, du Président de la République à Washington, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, j’avais saisi les services de l’ambassade, afin de pouvoir m’entretenir avec le ministre-conseiller chargé des questions économiques et fiscales, qui a mené des démarches sur ce sujet auprès des institutions américaines et qui fait la liaison avec le ministre de l’économie et des finances, l’idée étant de créer à Bercy une cellule unique dédiée à l’accompagnement de ces Français « Américains accidentels ».
J’ai aussi pu rencontrer le président du french caucus du Congrès, le sénateur du Delaware Christopher Coons, avec qui nous avons échangé sur ce sujet. Nos collègues parlementaires américains sont bien conscients des difficultés engendrées par le FATCA.
Par ailleurs, l’Association des « Américains accidentels » a déploré le manque de soutien du Gouvernement français et réclame une « action diplomatique forte » auprès des États-Unis.
La discussion de cette proposition de résolution manifeste le soutien que nous élus devons apporter aux dizaines de milliers de nos compatriotes – pour certains encore dans l’ignorance – enfermés dans cette nasse.
En conclusion, je voudrais vous livrer les paroles d’un chef d’entreprise dont la banque va clôturer, unilatéralement, les comptes des différentes sociétés :
« Et quelle tristesse que de voir mon pays, jadis tellement libre et courageux, capable autrefois de sortir de l’OTAN pour garder sa liberté de parole et de décision, ce pays de tout temps à l’avant-garde dans la défense sincère des plus belles valeurs humaines, quelle tristesse, donc, que de voir ce même pays se soumettre aujourd’hui, et supporter que certains de ses résidents se voient interdire, par une autre nation, de devenir entrepreneurs ou de solliciter un crédit immobilier. »
Mes chers collègues, il apparaît important de soutenir la demande d’un traitement dérogatoire pour les « Américains accidentels » leur permettant soit de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés d’obligations fiscales américaines, mais aussi de leur assurer le droit au compte bancaire. Je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, presque tout a déjà été dit par les deux orateurs précédents.
On a des États-Unis l’image d’une grande démocratie, dotée d’un système juridique qui fonctionne bien. Or, en l’espèce, on est confronté à un système complètement soviétique ! Des gens se trouvent tout à coup pris dans une nasse : parce qu’ils sont nés sur le sol américain et y ont passé les premières semaines de leur vie, ils sont américains et doivent déclarer tous leurs revenus, y compris ceux dont la source se trouve hors des États-Unis, au fisc américain. S’ils ne veulent pas s’acquitter des impôts exigés par celui-ci, ils sont alors confrontés à des difficultés terribles. Nous avons été saisis par nombre de ces Américains « malgré eux ».
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, abandonner la citoyenneté américaine n’est pas du tout une solution aisément praticable. Il faut déposer un dossier, s’acquitter d’une taxe, dont le montant vient d’ailleurs de passer de 400 à 2 350 euros, et payer un avocat – on connaît les honoraires pratiqués aux États-Unis… Bref, nombre de ces personnes se trouvent dans une situation difficile.
Celles d’entre elles qui ne veulent pas se conformer au FATCA sont considérées comme des « titulaires récalcitrants » – c’est le terme américain – et sont soumises à une retenue à la source de 30 % sur leurs revenus d’origine américaine, quels qu’ils soient.
Par ailleurs, certains établissements bancaires français refusent de maintenir des relations commerciales avec les « Américains accidentels », craignant que le Gouvernement des États-Unis n’en tire prétexte pour leur interdire l’accès au marché américain.
Les Français ayant le statut de résident fiscal aux États-Unis peuvent ainsi se retrouver dans l’impossibilité d’ouvrir un compte bancaire en France. En outre, les personnes présentant un « indice d’américanité », pour reprendre une expression assez curieuse que je n’avais jamais entendu employer auparavant, sont dans l’impossibilité de partager un compte commun avec un conjoint français ou résidant en France.
Le Gouvernement français a entrepris un certain nombre de démarches, pour l’instant sans grand succès : on connaît la réticence des États-Unis à faire évoluer leur législation, qu’ils imposent au reste du monde. La présidence du Conseil européen a également écrit, le 8 mai 2017, au secrétaire du Trésor des États-Unis en vue d’appeler son attention sur ces difficultés, là encore sans obtenir de réponse. Il faudra donc faire monter quelque peu la pression…
Le fameux FATCA a été imposé par les États-Unis à tous les autres pays du monde, sous la menace, forte et efficace, d’interdire à leurs banques d’exercer leurs activités sur le territoire américain.
Or le principe de la réciprocité de l’échange des informations n’est pas respecté. Alors que les États-Unis nous obligent à leur fournir un certain nombre d’informations bancaires et financières concernant les citoyens américains résidant sur le sol français, ils ne nous transmettent qu’une partie des informations que nous sommes en droit d’attendre. Pour le reste, il faut demander les informations au cas par cas, ce qui est très compliqué.
Il faudrait aussi évoquer l’atteinte à la vie privée des personnes et le recours introduit devant le Conseil d’État.
Le texte que nous examinons vise à encourager le Gouvernement à poursuivre son action diplomatique en vue d’obtenir la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral relatif au FATCA et de permettre aux « Américains accidentels » d’être exonérés de ces obligations fiscales américaines. Le groupe La République En Marche soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mettons fin au suspense d’emblée : le groupe communiste républicain citoyen et écologiste soutiendra par son vote la proposition de résolution qui nous est présentée cette après-midi.
Nous soutiendrons ce texte pour les recommandations qu’il avance. Effectivement, il conviendrait d’assortir d’un amendement particulier l’accord bilatéral entre la France et les États-Unis. Notre diplomatie, dans le cas présent, se doit d’agir de manière urgente et volontariste pour qu’une législation américaine appropriée soit mise au point, afin d’obtenir un traitement dérogatoire pour les « Américains accidentels », qui leur permettrait soit de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés des obligations fiscales aux États-Unis.
L’action diplomatique est aussi nécessaire pour que les engagements de réciprocité intégrale pris par l’administration américaine dans le cadre de l’accord dit « FATCA » soient tenus. Cette réciprocité est effectivement à exiger, car, il convient de le rappeler à ce stade, dans l’accord de 2014 les États-Unis s’étaient engagés à fournir à la France des informations sur leurs ressortissants évadés fiscaux aux États-Unis. Or, à ce jour, les États-Unis n’ont engagé aucune démarche pour assurer ces échanges d’informations. Les obligations sont donc bien à sens unique, et cette situation n’est absolument pas acceptable.
Il ne s’agit pas pour nous de demander, comme certains parlementaires américains l’ont fait ces derniers temps, l’abrogation de la loi FATCA, qui exige de tout expatrié américain d’être en conformité fiscale avec son pays d’origine concernant les comptes bancaires détenus à l’étranger.
Cette arme de lutte contre l’évasion fiscale a été créée par l’administration américaine en 2010 et mise en place à partir de 2014. Que dit cette loi ? Elle fait obligation aux banques du monde entier de communiquer au Trésor américain les noms de leurs clients américains détenant plus de 50 000 dollars chez elles, sous peine, cela a été rappelé, de s’exposer à de lourdes sanctions en cas de non-coopération. Cela peut prendre la forme d’une amende équivalant à 30 % des revenus produits aux États-Unis, voire à l’interdiction pure et simple d’activité sur le sol américain par retrait de licence ou d’agrément.
Ce sont des mesures drastiques, dont il m’appartient de rappeler ici qu’elles devraient s’appliquer aussi aux cinquante entreprises américaines qui auraient stocké, selon la presse, 1 600 milliards d’euros dans des paradis fiscaux. Voilà un vrai cas d’évasion fiscale !
L’ONG Tax Justice Network, dans son rapport annuel publié en janvier dernier, classait les dix premiers paradis fiscaux mondiaux selon leur indice « d’opacité ». La Suisse venait en tête, suivie de très près par les États-Unis, dont l’ambivalence sur le sujet est confirmée par l’existence de ces trois États américains en situation de « paradis fiscal » que sont le Delaware, le Wyoming et le Nevada. On y autorise en effet avec une grande facilité l’enregistrement d’entreprises prête-noms et de trusts anonymes dans la plus grande discrétion… Les États-Unis combattent l’évasion fiscale qui nuit à leurs intérêts propres.
La puissance de l’économie américaine donne aux États-Unis la capacité d’imposer des règles en dehors de leurs frontières, et cela vaut aussi pour les banques du monde entier, qui doivent respecter la loi nord-américaine, puisqu’aucune d’entre elles ne pourrait se permettre de se passer de ce marché.
La piste de la renégociation de la convention fiscale franco-américaine peut aussi être envisagée, mais cette procédure risquerait à l’évidence de prendre plusieurs années. Aussi, les recommandations portées par la proposition de résolution nous semblent constituer pour l’heure la voie la plus raisonnable à suivre.
C’est donc ce qui nous amènera en toute lucidité à émettre un vote favorable sur cette proposition de résolution présentée par notre collègue Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient tout d’abord à remercier notre collègue Jacky Deromedi d’avoir présenté une proposition de résolution sur ce sujet extrêmement important.
En effet, bon nombre de nos collègues, en particulier Olivier Cadic, ont été saisis par des personnes dont la situation est affectée par la loi FATCA, puisqu’elles subissent une imposition américaine du fait qu’elles sont nées aux États-Unis.
Olivier Cadic me relatait tout à l’heure sa visite à Toronto la semaine dernière et sa rencontre avec un jeune de dix-sept ans qui vit là-bas, mais qui est né aux États-Unis, parce que ses parents y résidaient à l’époque. Celui-ci s’étonnait de devoir effectuer l’année prochaine un certain nombre de démarches administratives, notamment des déclarations fiscales. Cela montre bien les difficultés qu’entraîne la situation actuelle.
J’ai eu moi-même à connaître de nombreuses situations similaires en Bretagne. En effet, au cours du siècle dernier, il y a eu vers les États-Unis un vaste courant d’émigration de Bretons, qui ne trouvaient pas de travail chez eux. Bien des familles, originaires notamment du centre de la région, se sont rendues au pays de l’Oncle Sam, et de nombreux Bretons sont donc nés là-bas. Pour l’anecdote, Air France possédait une agence à Gourin, en plein centre de la Bretagne : c’est dire le courant d’affaires suscité par l’émigration d’une partie de la population locale vers les États-Unis !
On a assisté ensuite au retour en Bretagne de personnes qui sont nées aux États-Unis, mais qui n’ont jamais vraiment vécu dans ce pays. Depuis la loi de 2014, celles-ci se trouvent en grande difficulté.
L’association des « Américains accidentels », qui regroupe plusieurs centaines de membres – 515, me semble-t-il –, reçoit encore chaque semaine de nombreuses demandes d’inscription. Elle compte bien sûr beaucoup de Bretons. Je tiens d’ailleurs à saluer son président Fabien Lehagre, qui est présent aujourd’hui, car c’est en partie grâce à lui, à son dynamisme et à la médiatisation de son action que nous avons connaissance des difficultés des nombreuses personnes dans cette situation.
Je ne reviendrai pas sur les causes de ce problème, puisque mes quatre prédécesseurs à la tribune ont eu l’occasion de le faire, mais je tiens à répéter que j’ai eu moi aussi l’occasion de rencontrer un certain nombre de personnes concernées par cette situation.
Je pense notamment au témoignage d’un chef d’entreprise du Finistère dirigeant une importante entreprise de location de matériel et d’outillage, qui réalise un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et emploie 370 salariés. Cette personne a quitté le territoire américain à l’âge de trois ans : elle n’a donc ni vécu de façon permanente aux États-Unis ni jamais travaillé là-bas. Néanmoins, elle est aujourd’hui tenue de déclarer chaque année au fisc américain l’ensemble de ses revenus et de ses avoirs, pour éviter de se retrouver dans l’illégalité. Inutile de vous dire quelles seront les conséquences au moment d’une succession ou lors d’actes bancaires… Celles-ci ont déjà été rappelées.
Il est important de trouver des solutions à cette situation. Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui vise en particulier à ce que le Gouvernement se saisisse de cette question et à ce que la Commission européenne, comme l’a dit Richard Yung, se mobilise. Il faut en effet avancer. On ne peut pas admettre que des personnes se retrouvent ainsi dans la difficulté.
Le groupe Union Centriste votera cette proposition de résolution et souhaite poursuivre les démarches tendant à accompagner les personnes concernées, concitoyens de France et Français implantés à l’étranger, qui sont nombreuses dans cette situation.
Monsieur le président, je profite de l’occasion pour évoquer un sujet parallèle, qui concerne le Chili. En effet, j’ai été saisi de la situation de quelques Chiliens employés par l’institut culturel et par l’ambassade de France au Chili. On demande à ces personnes qui ne connaissent rien de notre pays d’effectuer leur déclaration fiscale en France. Pour autant, il paraît logique, puisqu’ils habitent au Chili, qu’ils le fassent dans ce pays, ce qui était le cas jusqu’à présent.
Pour je ne sais quelle raison, un fonctionnaire de l’important ministère des affaires étrangères aurait décrété que, dorénavant, ces personnels chiliens employés par la France devraient déclarer leurs revenus dans notre pays, sans avoir droit bien entendu à l’ensemble des prestations sociales dont bénéficient les Français qui déclarent leurs revenus en France. J’appelle donc également l’attention du Gouvernement sur la nécessité de régler ces situations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre de la proposition de résolution déposée par notre collègue Jacky Deromedi, qui a pour objet le sort de certains de nos concitoyens, mieux connus désormais sous le nom d’« Américains accidentels », aujourd’hui placés dans l’obligation légale de répondre aux injonctions du fisc américain.
Rappelons que cette situation est la conséquence de la loi FATCA, en vigueur depuis le 1er juillet 2014, qui oblige par effet de ricochet tous les citoyens français ayant un « indice d’américanité » – j’ai été, comme Richard Yung, surpris par ces termes – à régulariser leur situation auprès de l’administration fiscale américaine.
Cette injonction aboutit précisément à une situation que M. le secrétaire d’État lui-même a qualifiée de « kafkaïenne », ce qui ne saurait être démenti, mais que l’on pourrait tout autant qualifier d’ubuesque. En effet, ces citoyens, qui sont des personnes ordinaires, vivent, travaillent, paient leurs impôts et sont en règle avec les lois de leur pays de résidence, la France.
Or l’application de la loi FATCA met ces citoyens français, « Américains accidentels », dans une situation intenable, singulièrement sur le plan bancaire.
J’ai d’ailleurs posé il y a peu de temps une question orale au Gouvernement, afin, d’une part, de l’interpeller sur ses intentions, et, d’autre part, de décrire les difficultés rencontrées concrètement par ces personnes victimes – le mot n’est pas excessif – d’un détournement du droit.
Nos concitoyens concernés peuvent en théorie abandonner leur nationalité américaine, mais cette renonciation ne peut être obtenue sans la régularisation au préalable de leur situation fiscale sur le territoire américain.
Or ce processus étant long, complexe et, de surcroît, coûteux, les personnes touchées par l’application de cette loi sont dans l’incapacité de se charger seules de la démarche et doivent donc recourir à une aide juridique. Le coût de la procédure vient s’ajouter au risque de se voir infliger dans certains cas une amende, mais également à celui de voir leur compte bancaire fermé brutalement par les banques françaises, qui préfèrent – cela peut se comprendre – ne pas se mettre en infraction avec le FATCA.
Certes, plusieurs scandales de fraude fiscale – nous connaissons tous ceux de la banque UBS en 2008 et, plus récemment, des « Panama papers » ou des « Paradise papers » – légitiment l’échange automatique de données entre les États. Chacun ici en est persuadé. Toutefois, dans le cas présent, il s’agit évidemment d’autre chose, et j’insiste avec force sur la nécessité de protéger les droits de nos concitoyens injustement mis en cause par l’application de cette loi.
Je veux à cet égard rappeler le manque de considération des institutions fiscales américaines envers nos concitoyens. Le jus soli contraint ces derniers à payer des impôts en France et outre-Atlantique, dans la mesure où l’administration américaine, l’Internal Revenue Service, ou IRS, contourne l’interdiction de la double imposition, établie par la convention fiscale bilatérale du 31 août 1994, en imposant des éléments qui ne le sont pas en France.
Il s’agit d’une unilatéralité agressive, à laquelle s’ajoute une intrusion, par l’entremise des banques, dans la vie privée de chaque citoyen franco-américain et de son conjoint, ce qui n’est pas sans poser question au regard de l’article 9 de notre code civil, d’autant plus que notre Haute Assemblée s’est penchée sur la question lors de l’examen du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
C’est pourquoi, à l’occasion de la discussion de cette proposition de résolution, je note avec satisfaction que, toutes tendances confondues, les parlementaires se mobilisent sur ce sujet révélateur d’une manière très particulière de concevoir les relations internationales.
Nos entreprises elles-mêmes, ainsi que les autres entreprises européennes, pourraient d’ailleurs, avec le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, se trouver confrontées à l’extraterritorialité du droit américain.
Certes, on doit reconnaître l’engagement dans ce dossier du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui a porté le débat à l’échelle européenne. Cependant, l’objectif demeure que cette situation trouve aussi rapidement que possible une solution définitive et ne se reproduise plus à l’avenir. C’est la raison pour laquelle la proposition formulée par notre collègue visant à entamer la négociation d’un amendement à l’accord fiscal bilatéral me semble particulièrement bienvenue.
Ainsi, les négociations devraient porter sur la possibilité pour nos concitoyens de renoncer, s’ils le souhaitent, à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite – ou, à tout le moins, peu onéreuse –, mais également, pour ceux qui ne désirent pas la perte de leur double nationalité, la fin d’une imposition fiscale non fondée par les institutions américaines.
Enfin, concernant la fermeture abusive des comptes bancaires, il est important de rappeler une nouvelle fois à nos concitoyens concernés qu’un recours auprès de la Banque de France est possible. Celui-ci devrait même être facilité, afin de contraindre les banques appliquant cette procédure, qui, il faut le rappeler, est contraire au droit au compte garanti par l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, d’accepter la réouverture d’un compte sans usage d’une réponse dilatoire.
Puisque nous en sommes à évoquer la loi FATCA, je note que cette dernière impose également aux États-Unis d’Amérique un principe de réciprocité complète. Il faudrait en bonne logique que les institutions bancaires américaines fournissent des informations à notre administration sur des comptes détenus sur le sol américain en cas d’évasion fiscale avérée. Ce principe n’étant pas respecté, une action diplomatique plus globale serait dans l’ordre des choses.
Nous sommes nombreux à avoir été interpellés par des « Américains accidentels » résidant dans nos territoires, et par l’association qui les représente. Les « Américains accidentels » bretons n’ont pas manqué de venir me voir, comme ils l’ont fait avec Michel Canevet. Ils nous ont sensibilisés sur leur situation, pour que nous puissions répondre avec efficacité et rapidité à leur appel au secours.
Je ne puis donc que souligner l’intérêt de ce texte, dont je ne vois pas quels arguments pourraient lui être opposés. Logiquement, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est la conséquence de la ratification par la France, le 29 septembre 2014, de l’accord bilatéral France-États-Unis relatif à la loi FATCA, en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale.
Cette ratification a créé pour certains de nos compatriotes une injustice que nous n’avions pas anticipée. En effet, seuls deux pays au monde pratiquent une taxation fondée sur la nationalité : les États-Unis et l’Érythrée, petit pays de six millions d’habitants…
D’une part, aux États-Unis, le droit du sol est total : une personne née sur leur territoire est de fait américaine. D’autre part, seuls les États-Unis appliquent à tout Américain un impôt fédéral, quel que soit son lieu de résidence.
Ces deux particularités du système américain ont conduit des Français nés accidentellement aux États-Unis à devenir des contribuables américains sans avoir de liens familiaux dans ce pays, sans y résider et même parfois sans en maîtriser la langue. Nous pouvons nous demander combien de nos compatriotes se trouvent ainsi piégés : des centaines, des milliers, sans doute, mais aucune information précise n’existe à leur sujet.
Le paradoxe est que les États-Unis, eux, peuvent obtenir cette information : il leur suffit d’interroger le système bancaire français. On leur indiquera, sur la seule base du lieu de naissance, combien de ressortissants considérés comme américains vivent sur notre territoire. Je souhaite que la Banque de France soit interrogée et qu’elle puisse nous répondre, comme elle l’a fait aux États-Unis, sur le nombre précis de personnes concernées par cette situation.
En ratifiant la convention relative à la loi FATCA, l’État français a obligé nos banques à déclarer au fisc américain les clients présentant des « indices d’américanité ». C’est très facile : il suffit d’identifier le lieu de naissance ! Les banques craignent, si elles ne se mettent pas en conformité avec le droit américain, de se voir infliger des amendes considérables. Le syndrome de la BNP, qui a été pénalisée à hauteur de 9 milliards de dollars, a laissé une trace indélébile, qui explique la frilosité de nos établissements bancaires.
La nécessité apparaît clairement de reprendre les négociations par la voie diplomatique pour corriger les accords de 2014, en prenant en considération ce qui a probablement échappé aux rédacteurs de l’époque. Il me semble qu’il n’y a que deux solutions.
La première consiste à laisser à nos ressortissants la possibilité de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite. Aujourd’hui, ils doivent se plier à une démarche lourde et souvent menaçante – quand ils sont reçus, on leur explique combien il sera dangereux pour eux de renoncer à la nationalité américaine. De plus, ils devront s’acquitter, pour cette procédure, de frais de dossiers, qui s’élèvent aujourd’hui à 2 400 dollars dans le meilleur des cas.
La seconde solution consisterait tout simplement à ce qu’ils soient exonérés d’obligations fiscales américaines. Cette action diplomatique doit être menée à l’échelon français, c’est vrai, mais également au niveau européen, avec l’ensemble de nos partenaires qui sont dans notre situation.
Monsieur le secrétaire d’État, ce qui nous interroge aujourd’hui, c’est la position des autres pays : ont-ils ratifié la convention FATCA dans les mêmes termes que nous ? Les Pays-Bas ont réagi pour défendre les « Américains accidentels » hollandais. Qu’en est-il des autres États européens ? Comment réagissent les établissements bancaires des autres pays ? Pouvez-vous nous éclairer sur ces sujets ?
La première conséquence de cet abus du droit américain est la crainte des institutions financières françaises. Celles-ci redoutent de ne pas respecter à la lettre des engagements de la France vis-à-vis des États-Unis relatifs à la communication de leurs données clientèle. Elles craignent de devoir supporter de lourdes sanctions, de voir leur réputation entachée, voire d’être bloquées dans leur activité aux États-Unis.
Sans pour autant approuver cette position, on peut comprendre dans ces conditions, mes chers collègues, que certaines banques préfèrent fermer ou refuser l’ouverture des comptes des « Américains accidentels », plutôt que d’avoir à assumer des risques liés à une ratification dont elles ne sont pas à l’origine.
Notre rôle, celui du politique, des parlementaires, du Gouvernement, est de briser cet engrenage qui contraint nos banques et pèse sur nos concitoyens.
Bien des interrogations restent en suspens, notamment quant au nombre de personnes concernées – je l’ai dit –, aux contraintes qui pèsent sur les banques françaises – jusqu’où doivent-elles aller ? –, à la situation des autres ressortissants européens nés aux États-Unis, à la réaction des autres États à travers le monde, au comportement des établissements bancaires dans d’autres pays, aux conséquences imposées par les États-Unis en cas de retrait de nationalité, aux conditions de la réciprocité, aux effets induits pour les membres de la famille de ces Américains dits « accidentels », puisque certains peuvent être inquiétés, aux héritages, aux contrôles, à la suspicion, etc.
Toutes ces questions mériteraient un travail approfondi, qui serait bien mené s’il était confié à une mission sénatoriale, afin d’identifier des solutions politiques structurelles et durables à la problématique de l’application du droit fiscal américain sur notre territoire, sujet beaucoup plus global qu’il serait bon de traiter au fond et dans le détail.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est prêt à contribuer à cette réflexion d’intérêt national et votera toute avancée sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque État est souverain dans sa politique fiscale. Même si, en France, nous sommes attachés à une imposition à raison de la résidence, et non de la nationalité, nous ne pouvons que prendre acte des décisions fiscales américaines.
En revanche, il nous revient de défendre les droits de nos ressortissants. Plus de 10 000 Français seraient concernés, souvent nés sur le sol américain pendant l’expatriation de leurs parents, mais n’ayant conservé aucune attache dans ce pays, certains ne connaissant même pas leur situation.
Nous sommes très nombreux à avoir reçu des témoignages décrivant leur situation ubuesque. Il faut absolument que l’État français agisse pour que ces ressortissants puissent renoncer à leur nationalité américaine. Pour cela, il faut négocier une procédure dérogatoire, simple et gratuite.
Aujourd’hui, renoncer à la nationalité américaine coûte, cela a été dit, très cher : il faut régulariser sa situation fiscale sur cinq ans, payer une taxe importante correspondant à la clôture des frais de dossier et régler des frais d’avocat élevés du fait de la complexité de la procédure.
Cette démarche porte également atteinte à la vie privée : il faut fournir une multitude de renseignements, notamment sur ses études, ses employeurs, son état civil. Ces exigences sont inacceptables pour des Français n’étant américains que par accident, j’allais dire presque par hasard.
Par ailleurs, nous devons garantir à ces « Américains accidentels » le droit au compte bancaire. Tous nos ressortissants, y compris lorsqu’ils vivent à l’étranger, ont le droit de détenir un compte bancaire en France. Ce principe – je le rappelle – avait été inscrit dans la loi à la suite de l’adoption de l’un de mes amendements en 2011.
Il est anormal que des banques françaises, par peur des autorités américaines ou par volonté d’éviter les complications engendrées par la loi FATCA, puissent décider de fermer un compte en banque uniquement sur des « indices d’américanité ». La liberté contractuelle ne doit pas aller à l’encontre des droits humains les plus basiques. En effet, sans compte en banque, comment vivre et opérer aujourd’hui ?
Ensuite se pose la question de la réciprocité, aujourd’hui largement insuffisante, de nos accords fiscaux. C’est problématique non seulement pour l’accord du 14 novembre 2013, mais aussi pour notre convention fiscale bilatérale.
Une convention fiscale permet, en principe, d’éviter les cas de double imposition : un impôt réglé dans un pays étranger est déclaré dans le pays de résidence où il permet de bénéficier d’une déduction. Avec les États-Unis, la base de taxation a évolué de manière très différente. Certaines cotisations privées pour la retraite ou la vente de la résidence principale, déductibles en France, sont imposables aux États-Unis. De même, la CSG française n’est pas considérée comme un impôt par les États-Unis et n’est donc pas déductible dans ce pays.
Ainsi, s’agissant de la convention fiscale, l’enjeu dépasse de loin les seuls « Américains accidentels », mais concerne tous nos compatriotes établis aux États-Unis.
Une action diplomatique résolue auprès de nos partenaires américains était plus qu’urgente. Je remercie mon collègue Antoine Lefèvre de son action à l’occasion de la visite d’État d’Emmanuel Macron aux États-Unis.
Je remercie également très vivement ma collègue Jacky Deromedi d’avoir été à l’initiative de cette proposition de résolution, ainsi que nos collègues députés, qui se sont également saisis de ce sujet par une proposition de résolution. Je leur souhaite un plein succès, puisque Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin se sont vus confier une mission dont nous attendons avec impatience les résultats. En effet, ce sujet, je le répète, est d’une grande importance et d’une grande urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’entrée en vigueur, en 2014, du Foreign Account Tax Compliance Act, le FATCA, et de l’accord conclu entre Washington et Paris, un an plus tôt, pour qu’il soit appliqué sur le territoire français, les banques se trouvent contraintes d’identifier et de déclarer auprès de l’administration américaine les clients présentant des « indices d’américanité ».
Les banques doivent depuis lors analyser un certain nombre de pièces et de documents fournis par le client avant de fournir les informations détaillées des comptes concernés à l’agence du gouvernement fédéral américain chargée de collecter l’impôt et de veiller au respect des lois fiscales encadrant le budget fédéral américain.
Dans ce contexte, le principe de la fiscalité fondée sur la citoyenneté conduit à ce que soit considérée comme contribuable américain toute personne détenant la nationalité américaine, alors même qu’elle résiderait à l’étranger.
Dès lors, dans le cadre de la législation actuelle, nombreux sont nos concitoyens ayant acquis la nationalité américaine à la naissance, à l’occasion d’une résidence occasionnelle ou d’un voyage de leurs parents par exemple, sans pour autant avoir résidé aux États-Unis. À cet égard, nombre d’entre eux n’ont bien souvent pour seul lien avec ce pays que celui de la naissance.
Depuis l’entrée en vigueur en 2013 de l’accord conclu entre la France et les États-Unis et en 2014 du FATCA, un nombre important de Français ont ainsi découvert qu’ils étaient considérés comme citoyens américains. Ils subissent un traitement injuste sur le plan tant bancaire que fiscal et financier.
En effet, abusivement considérés comme « résidents fiscaux américains », ces Français, « Américains accidentels », se sont vus réclamer des sommes importantes par l’administration fiscale américaine, alors qu’ils n’ont, dans la majorité des cas, jamais travaillé ou vécu aux États-Unis.
Au surplus, ce processus de mise en conformité fiscale ou de renonciation à la citoyenneté américaine se révèle extrêmement onéreux et compliqué. En effet, les Français « américains accidentels » se trouvent contraints de payer une indemnisation correspondant à la clôture de leurs frais de dossiers. À cela s’ajoutent encore les frais d’avocats nécessaires à la régularisation de leur situation. En outre, la renonciation à la citoyenneté américaine suppose une régularisation de leur situation fiscale auprès du fisc américain sur une période de cinq ans, puis le paiement d’une taxe.
Ils sont soumis à l’obligation de fournir à l’administration américaine une quantité importante de renseignements fiscaux, mais aussi d’ordre plus privé, s’étalant sur de nombreuses années.
Face à cette accumulation de vicissitudes, notre collègue député Marc Le Fur a enjoint au Gouvernement de garantir le droit au compte bancaire pour les « Américains accidentels ». Il recommandait par ailleurs d’informer les Français vivant aux États-Unis des conséquences fiscales liées à leur expatriation et de garantir la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral FATCA.
Richard Ferrand, pour sa part, a appelé à l’obtention d’un traitement dérogatoire susceptible de permettre aux « Américains accidentels » soit de renoncer à la citoyenneté américaine au travers d’une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés d’obligations fiscales américaines.
Au début de 2016, les commissions des affaires étrangères et des finances de l’Assemblée nationale décidaient conjointement de constituer une mission commune d’information sur l’extraterritorialité de certaines lois américaines. Cette mission commune dénonçait dans son rapport d’information les « abus d’extraterritorialité juridique américaine ».
Elle recommandait d’obtenir, au travers soit de la négociation d’un amendement à l’accord fiscal bilatéral, soit d’une « action diplomatique forte » favorisant le vote d’une disposition législative américaine ad hoc, que les Américains accidentels puissent renoncer à la nationalité américaine par une procédure simple et gratuite ou être exonérés de leurs obligations fiscales américaines.
Enfin, la mission appelait le Gouvernement à exercer l’action diplomatique nécessaire pour que soient tenus les engagements de réciprocité pris par l’administration américaine dans le cadre de l’accord FATCA.
Ces différentes recommandations n’ont, pour l’heure, pas été suivies d’effets. La proposition de résolution de notre collègue Jacky Deromedi s’inscrit dans la continuité de ces différentes initiatives et de ces recommandations. Elle vise à assurer, dans un premier temps, le droit au compte bancaire des « Américains accidentels ». Elle préconise en outre que soit garantie la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral relatif au FATCA. Elle prévoit aussi la meilleure information des Français vivant aux États-Unis sur les conséquences fiscales attachées à leur expatriation.
J’observe par ailleurs que l’administration fiscale américaine reconnaît elle-même qu’il existe un problème.
L’absence de réciprocité du FATCA, ratifié en 2014, n’est en outre plus à prouver. Il me semble donc opportun d’en appeler à une meilleure réciprocité, le Gouvernement ayant reconnu en septembre 2017 que des progrès méritaient d’être faits dans ce domaine.
C’est pourquoi je voterai en faveur de la proposition de notre collègue, qui ouvre la voie à la raison et qui permettrait de revenir à un dialogue constructif, pour corriger la situation baroque et inconfortable dans laquelle se sont retrouvés bon nombre de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’initiative de notre collègue Jacky Deromedi, qui nous permet d’évoquer cette situation pénible ce soir.
Le FATCA, l’un des dispositifs mis en œuvre par le Congrès américain pour lutter contre la fraude fiscale, n’est pas tant la source que le révélateur des difficultés dont nous discutons ce soir.
D’ailleurs, quand cet accord entre la France et les États-Unis a été ratifié, le 29 septembre 2014, l’étude d’impact annexée au projet de loi de ratification évoquait très rapidement cette situation, sans en mesurer toutes les conséquences. Celles-ci sont liées à la conjugaison de deux facteurs.
Le premier est l’attribution de plein droit de la nationalité américaine à la naissance ; le second, cela a été rappelé, est l’assujettissement à l’impôt sur le fondement de la nationalité, un principe que les États-Unis partagent avec un seul autre pays dans le monde, l’Érythrée. Pour être tout à fait exact, c’est la notion d’« US person », un peu plus large que la nationalité, qui fonde cette obligation déclarative aux États-Unis. Cette dernière conduit, au-delà d’un certain seuil de revenu, au paiement d’un impôt complémentaire et elle entraîne, si elle n’est pas respectée, l’imposition d’une amende.
De ce point de vue, les banques françaises ont fait du zèle ; d’ailleurs, cela ne concerne pas que les « Américains accidentels ». En effet, toute personne, même résidant au Canada, dont le numéro de téléphone commence par « +1 » voit transmettre ses informations personnelles par les banques françaises aux États-Unis !
Nous connaissons tous des cas de personnes qui ont perdu leur emploi parce que, étant – consciemment ou non – de nationalité américaine, ils faisaient courir un risque à leur entreprise, qui entretenait des relations avec certains pays. L’état actuel des relations internationales, notamment avec l’Iran, pose une difficulté majeure à tous les « Américains accidentels » employés par des entreprises travaillant avec ce pays.
Cette situation nous donne finalement une image de la citoyenneté américaine assez éloignée de celle que dépeignait la carte postale envoyée voilà près de deux cents ans par Tocqueville, dans son analyse de la démocratie des États-Unis. Finalement, il s’agit non d’une citoyenneté libre et consentie, mais d’une réelle sujétion, on le constate actuellement…
Il faut donc engager plusieurs actions, monsieur le secrétaire d’État, et la proposition de résolution que nous examinons ce soir en dresse la liste.
Tout d’abord, il convient, pour ce qui concerne la France, d’améliorer l’information, en particulier dans nos consulats, chaque fois qu’est dressé ou transcrit un acte de naissance aux États-Unis, et de préciser ces éléments dans nos conseils aux voyageurs, afin que, les choses étant connues, il n’y ait plus d’ « Américain accidentel ». Cela ne dépend que de nous.
Ensuite, comme vous y a invité notre collègue Antoine Lefèvre, il faut obtenir, dans le cadre d’un dialogue diplomatique, une procédure simplifiée et gracieuse de renonciation à la citoyenneté américaine.
En outre, nous devons faire en sorte qu’il n’y ait aucune pratique rétroactive dès lors que les informations ont été volontairement transmises par les banques et par le Gouvernement français. Il nous faut également obtenir la garantie que l’ensemble des données transmises soit traité conformément aux exigences du règlement général sur la protection des données, le RGPD.
Enfin, qu’en est-il, monsieur le secrétaire d’État, du respect par les États-Unis des engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de la France lorsque nous avons pris, à leur égard, les engagements qui ont des conséquences néfastes, mais que nous respectons néanmoins ?
Tout le monde ici est attaché à la lutte contre la fraude fiscale, laquelle oblige à passer par des échanges automatiques d’information.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Or ces échanges peuvent avoir des conséquences néfastes – c’est le cas en l’espèce. Si l’on veut continuer dans cette voie, ils doivent être maîtrisés et leurs conséquences néfastes corrigées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Jacky Deromedi et M. Antoine Lefèvre applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous intéresse aujourd’hui résonne fortement avec l’actualité internationale, marquée par le rejet récent, par le président des États-Unis, de l’accord sur le nucléaire iranien.
Il s’agit d’un exemple supplémentaire des conséquences négatives de l’unilatéralisme américain, qui se manifeste dans de nombreux domaines : sanctions économiques contre des entreprises françaises à l’étranger, rejet de l’accord de Paris sur le climat, et, maintenant, loi FATCA, qui, malgré des intentions louables, s’est transformée en enfer administratif et fiscal pour certains de nos concitoyens.
Tandis que, en France, le droit du sol est soumis à certaines conditions de résidence, les États-Unis appliquent un droit du sol inconditionnel ; toute personne née sur le sol américain possède la nationalité américaine, sans condition de résidence, même si ses parents sont étrangers. Ainsi, une personne née sur le sol américain, mais n’y résidant pas, voire n’y ayant jamais résidé, est considérée par les autorités américaines comme une personne américaine, une « US person ».
Depuis l’adoption, en 2010, de la loi FATCA, qui vise à lutter contre l’évasion fiscale des citoyens américains et contre le blanchiment d’argent, tout établissement bancaire dans le monde doit identifier les clients présentant des « indices d’américanité » et déclarer leurs avoirs à l’Internal Revenue Service, l’IRS, le fisc américain. En cas de manquement à cette loi, la banque doit s’acquitter d’une retenue à la source de 30 %, cela a été dit.
Toutefois, les informations à fournir vont au-delà des simples informations fiscales : ces « Américains accidentels » doivent fournir de nombreuses informations personnelles, ainsi que celles de leur conjoint, même si celui-ci n’a pas la nationalité américaine. Au total, on considère que plusieurs dizaines de milliers de citoyens français sont concernées.
C’est par l’accord bilatéral de 2013-2014 que la France a accepté ces conditions ; c’est peut-être notre tort… Si les autorités américaines doivent également transmettre des informations sur les citoyens français résidant sur le sol américain, en pratique, l’accord est très asymétrique, et les États-Unis reçoivent un ensemble d’informations bien plus large que ce qu’ils transmettent. Dans le rapport de juillet 2014 de la commission des finances du Sénat relatif à la loi de ratification de cet accord, la réciprocité était considérée comme une « question centrale ».
Pour régulariser leur situation auprès des autorités américaines, les « US persons » n’ont d’autre solution que de régler des impôts aux États-Unis ou de renoncer officiellement à la nationalité américaine. Néanmoins, cette dernière option nécessite une procédure judiciaire coûteuse, exigeant le recours à un avocat américain ; surtout, elle ne dispense pas, quoi qu’il advienne, de se mettre à jour de sa situation fiscale auprès des autorités américaines.
En octobre 2016, les députés Karine Berger et Pierre Lellouche ont publié un rapport d’information sur l’extraterritorialité des lois américaines. Ce rapport montre comment le caractère incontournable du marché américain et de ses dispositions législatives permet aux États-Unis d’imposer leurs règles aux autres États.
D’ailleurs, cette extraterritorialité ne concerne pas que les « Américains accidentels », puisqu’elle s’applique aussi aux citoyens américains expatriés, qui doivent déclarer leurs revenus à l’IRS. En effet, en droit américain, l’impôt est prélevé sur le fondement de la citoyenneté et non sur celui de la seule résidence – cela pourrait être amené à changer avec la réforme fiscale en cours outre-Atlantique.
Dans le contexte de mobilisation croissante en France, en Europe et dans le monde, la résolution proposée par notre collègue Jacky Deromedi semble bienvenue. Elle reprend des recommandations du rapport de Karine Berger et de Pierre Lellouche et elle incite le Gouvernement à reprendre les négociations avec les autorités américaines, afin d’amender l’accord bilatéral de 2013 ou de modifier la loi FATCA pour tenir compte de la situation des « Américains accidentels ». Dans tous les cas, monsieur le secrétaire d’État, elle invite le Gouvernement à agir auprès des États-Unis pour faire respecter les engagements de réciprocité.
Enfin, elle demande d’assurer l’accès normal aux services bancaires pour les particuliers touchés par la loi FATCA, et – c’est très important –, de mieux informer les Français résidant aux États-Unis des conséquences fiscales de leur expatriation, pour eux et éventuellement pour leurs enfants qui naîtront sur le sol américain.
J’ajoute que l’on peut appeler nos banques à faire preuve de davantage de responsabilité vis-à-vis de leur clientèle. Même si elles peuvent subir les effets pervers de la loi américaine, il est difficilement tolérable qu’elles menacent des familles entières de clore leurs comptes pourtant ouverts il y a des dizaines d’années.
J’ai été le témoin, lors d’une permanence dans le département dont je suis élue, de la détresse de plusieurs personnes, qui en viennent à redouter toute démarche bancaire par crainte d’une transmission de leurs données à l’IRS, qui ne peuvent pas solliciter de tutelle sur le compte de leurs parents vieillissants, car cela entrerait dans le calcul de leurs impôts américains, ou qui craignent de liquider une succession, car cela augmenterait leur fiscalité.
Le groupe du RDSE est favorable à cette résolution ; il faut envisager une action coordonnée à l’échelon européen, même si l’on connaît la lenteur du processus communautaire de décision, car c’est le niveau pertinent pour négocier d’égal à égal avec les États-Unis. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un débat ô combien important, et je vous remercie de l’avoir inscrit à votre ordre du jour.
Je ne puis pas ne pas remercier, à mon tour, Jacky Deromedi, d’autant que tous ses collègues sénateurs des Français établis hors de France sont très mobilisés sur le sujet. Néanmoins, cette question concerne tous les territoires et elle concerne, en France aussi, de nombreux cas. J’en ai moi-même été saisi, et des témoignages du type de celui que l’on a entendu au cours de la séance, que je connaissais, me parviennent de différents départements.
Aussi, je me félicite, au nom du Gouvernement, de la tenue de ce débat, qui souligne que le Sénat et l’Assemblée nationale sont pleinement mobilisés. Le Gouvernement est à l’unisson de cet engagement. D’ailleurs, ce vote, qui devrait être unanime ou presque, sera de nature à conforter les démarches que le Gouvernement entreprendra ; il est important pour montrer l’adhésion du Parlement à cette action.
La situation des « Américains accidentels » est, hélas, bien connue des ministères, tant du quai d’Orsay que de Bercy. La chronologie des événements a été rappelée et, depuis 2016, un certain nombre de démarches ont été entreprises, sans rencontrer, reconnaissons-le, un grand succès.
Revenons à la genèse de tous ces problèmes. Je le répète, nous faisons face à des situations ubuesques, kafkaïennes ou, en tout cas, inextricables, auxquelles nous devons apporter des réponses. C’est le résultat de plusieurs dispositifs, dont l’effet cumulatif a bien été rappelé.
Tout d’abord, en matière de fiscalité, chaque pays est souverain et les États-Unis connaissent le principe de l’imposition sur le fondement de la citoyenneté. Or celle-ci peut s’acquérir par la seule naissance sur le sol américain, cela a été dit. Des citoyens français, qui ont aussi la nationalité américaine, sont ainsi tenus par le droit américain de procéder à une déclaration de leurs revenus auprès des services fiscaux américains et d’acquitter, le cas échéant, les impôts dus. Il en va de même, d’ailleurs, pour tous les citoyens américains résidant en France.
En application de la convention fiscale bilatérale conclue entre la France et les États-Unis en vue d’éviter les doubles impositions, c’est seulement dans les cas où l’impôt français est inférieur à celui qui est dû aux États-Unis ou dans les cas où certains revenus ne sont pas imposés de façon effective en application du droit fiscal français, alors qu’ils le seraient aux États-Unis, qu’une imposition complémentaire peut être demandée par les autorités fiscales américaines.
Ainsi, le fait d’être un « Américain accidentel » n’engendre pas ipso facto une imposition si le niveau d’imposition en France est supérieur à celui des États-Unis, toutes choses égales par ailleurs – mais les choses ne sont pas égales par ailleurs, puisque les procédures de définition de l’impôt diffèrent, j’y reviendrai.
Le second fait générateur réside dans la signature, le 14 novembre 2013, par la France et les États-Unis, d’un accord intergouvernemental, dit « accord FATCA ». À cet égard, le Sénat étant, je le sais, très attaché à la langue française, je propose que, plutôt que de parler de l’accord ou de la loi « FATCA », nous trouvions un acronyme francophone. Je propose « CCBE », car la traduction de FATCA correspond à la loi sur la « conformité des comptes bancaires à l’étranger ». Nous nous rejoindrions alors dans la défense de notre belle langue française !
Cet accord, entré en vigueur en octobre 2014 – Jean-Yves Leconte et Françoise Laborde rappelaient les travaux menés par la commission des finances à cette occasion –, visait à lutter contre l’évasion fiscale, un objectif qui n’est pas contestable en soi, mais qui, on le voit, a des effets pervers. Cet accord fixait un cadre pour l’échange automatique d’informations fiscales permettant de garantir une sécurité juridique des institutions financières françaises.
Il faut aussi avoir en tête que la France n’a pas signé un accord asymétrique pour le plaisir ; un certain nombre de nos institutions financières étaient exposées à des amendes considérables si nous ne trouvions pas un terrain d’entente. Je reconnais toutefois que le terrain d’entente est asymétrique ; c’est bien ce qui pose problème – on y reviendra d’ailleurs, car le dialogue transatlantique est assez riche en matière d’asymétrie et d’extraterritorialité…
Pour répondre à la question de Joël Guerriau, notons que la plupart des partenaires des États-Unis, notamment en Europe, se sont organisés pour faciliter la mise en œuvre de ce dispositif FATCA dans le cadre d’accords bilatéraux : c’est le cas notamment du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie, du Canada, du Mexique, du Japon et de la Suisse.
Le Trésor américain indique que 113 pays au total ont signé le même type d’accord que la France. La mise en œuvre de l’accord bilatéral a conduit les institutions financières françaises à réclamer à leurs clients doubles nationaux souhaitant accéder à certains produits financiers des justificatifs qui attestaient de la régularité de leur situation auprès des services fiscaux américains.
Pour certains de nos compatriotes qui possèdent également la nationalité américaine du fait de leur naissance sur le sol américain, l’impact de ce dispositif a pu devenir un casse-tête administratif et financier. En l’absence de lien substantiel avec les États-Unis, pays dans lequel ils ne résident pas la plupart du temps, ils rencontrent des difficultés pour fournir les informations exigées par les établissements financiers français, notamment un numéro d’identification fiscale américain.
Conscients de ces difficultés, nous avons exploré avec le ministère des finances différentes pistes, qui recoupent d’ailleurs assez largement celles qui sont recommandées dans le projet de résolution. Ce débat est pour le Gouvernement l’occasion de dresser un bilan d’étape, et j’espère que nous pourrons régulièrement faire le point sur les avancées de notre diplomatie, à l’occasion de questions orales sans débat, de questions d’actualité ou d’autres voies et moyens que vous jugerez utiles.
J’ai bien entendu l’appel assez général en faveur d’une diplomatie forte : elle le sera d’autant plus qu’elle pourra s’appuyer sur votre action, mesdames, messieurs les sénateurs. Je salue d’ailleurs la diplomatie parlementaire mise en œuvre par Antoine Lefèvre il y a quelques semaines, à l’occasion de la visite d’État du président Macron. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Antoine Lefèvre sourit.)
Le premier enjeu a consisté à clarifier le statut des « Américains accidentels » et à fournir à ces derniers des informations utiles pour faciliter leurs démarches. À notre demande, l’ambassade des États-Unis à Paris diffuse désormais sur son site internet une notice d’information à destination des doubles nationaux.
Nous ne pouvons toutefois pas en rester là en matière d’information. Il me paraît indispensable que nous mettions en place une véritable cellule dédiée, qui pourra répondre à tous les Français par ailleurs « Américains accidentels ». Cette cellule pourrait être composée de quelques fonctionnaires issus des différentes administrations concernées par la situation et devrait, à mon avis, s’accompagner d’une ligne téléphonique dédiée, type numéro vert, permettant d’avancer dans le maquis réglementaire et législatif.
En parallèle, nous nous sommes attachés à résoudre les difficultés concrètes rencontrées par ces personnes. L’absence d’un numéro d’identification fiscale américain pose en effet un certain nombre de problèmes pour l’ouverture ou le maintien d’un compte. Heureusement, les procédures de la Banque de France permettent de garantir l’accès à un compte. C’est une avancée, même si je ne méconnais pas les démarches supplémentaires que cela nécessite.
La mobilisation est également européenne. Nous avons obtenu de l’Union européenne qu’un courrier soit adressé en mai dernier à Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor américain, pour exprimer nos préoccupations. Quelques semaines plus tard, les services fiscaux américains – l’Internal Revenue Service ou IRS – avaient accordé un assouplissement des procédures relatives à la transmission par les banques des numéros d’identification fiscale des particuliers. Mais, là encore, nous devons aller plus loin, et je veux évoquer avec vous quelques pistes pour l’avenir proche, car il y a urgence.
Il est proposé dans la résolution de convaincre les autorités américaines de faciliter les renonciations à la nationalité américaine pour les personnes n’entretenant que très peu de liens avec les États-Unis.
Le sujet est sensible, ce pays étant souverain pour définir sa citoyenneté. Le Congrès américain, en particulier, est très sourcilleux sur ces sujets, et c’est pourquoi la diplomatie parlementaire a également toute sa place, notamment via les groupes d’amitié. La réflexion peut progresser parallèlement à celle qui se noue au niveau des exécutifs. J’ai ainsi constaté qu’une proposition parlementaire américaine portée dans le cadre de la réforme fiscale l’automne dernier, qui visait à modifier le régime fiscal des contribuables pour imposer ces derniers sur le seul fondement de la résidence, n’avait pas abouti. Il y a donc tout un travail d’influence à effectuer auprès du Congrès.
Nous allons bien entendu poursuivre le dialogue engagé avec le département d’État et les services fiscaux américains en vue de l’obtention d’une procédure facilitée de renonciation. Jean-Yves Le Drian, Bruno Le Maire et moi-même avons souhaité qu’une mission de travail conjointe du ministère de l’économie et du ministère des affaires étrangères se rende dès la fin de ce mois à Washington. Toute l’équipe, qui est devant vous, se prépare donc à prendre l’avion et à aller négocier pied à pied avec nos homologues américains les 28, 29 et 30 mai prochains !
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Nous entendons signifier à nos homologues américains l’importance que nous accordons à la question des « Américains accidentels » et obtenir des aménagements concrets.
Nous demanderons ainsi, du côté américain, la création de services dédiés, à l’ambassade des États-Unis en France comme au sein des services fiscaux américains.
Nous travaillerons également à identifier avec l’IRS plusieurs aménagements possibles, pour que les citoyens français concernés puissent bénéficier d’une obtention et d’une transmission simplifiée du numéro d’identification fiscale américain ou TIN.
Nous souhaitons que les « Américains accidentels » puissent pleinement bénéficier des possibilités de régularisation rapide de la situation fiscale offertes par le droit américain, sans pour autant devoir acquitter une taxe de renonciation.
Enfin, nous aspirons à ce que la CSG et la CRDS soient prises en compte comme des impositions de toute nature en vue d’éliminer toute double imposition au regard des stipulations de la convention fiscale bilatérale. C’est une qualification importante pour les « Américains accidentels », de nature à réduire leur imposition. L’ensemble de ces sujets sera donc discuté d’ici la fin du mois de mai, et nous vous rendrons bien évidemment compte des résultats de ces discussions.
J’apporte à présent quelques compléments sur le sujet, qui a été évoqué lui aussi par plusieurs orateurs, de la réciprocité. Celle-ci est respectée, mais les informations envoyées par les Américains aux Français sont différentes de celles que la France adresse aux États-Unis.
Cette asymétrie avait été acceptée par un précédent gouvernement et elle vient souligner, une fois de plus, le rapport de forces qui existe dans les relations commerciales transatlantiques – on pourrait également parler des conséquences économiques de la sortie des États-Unis de l’accord de Vienne ou d’un certain nombre de mesures unilatérales. Nous avons un gros travail à accomplir pour nous armer juridiquement, au niveau national, mais plus encore au niveau européen.
Le régime des sanctions contre l’Iran a été évoqué tout à l’heure par Bruno Le Maire. En la matière, le règlement européen de 1996 n’est pas appliqué, certaines entreprises qui ont une exposition économique importante aux États-Unis préférant s’autocensurer.
C’est aussi un moment de vérité pour l’Europe, qui n’est pas toujours unie sur ce sujet. Au regard de l’actualité internationale et de son impact économique, il est temps d’agir vite et fort. La réunion franco-allemande du 16 mai prochain permettra opportunément de réfléchir à de nouveaux outils en matière d’extraterritorialité, en espérant que la réflexion irrigue ensuite l’ensemble des partenaires européens.
Avant-hier, j’ai évoqué le sujet de vive voix avec la directrice générale de la Fédération bancaire française, Mme Barbat-Layani. Selon elle, si l’autorité de régulation du secteur pouvait édicter un certain nombre de directives, les établissements bancaires feraient peut-être un peu moins de zèle. Il faut creuser cette idée. Nous sommes convenus d’organiser une réunion de travail technique sur ce sujet.
Je note par ailleurs que le problème des comptes arbitrairement fermés ne concerne pas seulement des « Américains accidentels ». Des Français résidant en Afrique ou au Moyen-Orient voient aussi leurs comptes fermés du jour au lendemain et reçoivent un chèque pour solde de tout compte, sans connaître précisément les fondements d’une telle décision.
Sous couvert de suivi attentif et de lutte contre le terrorisme, certains de nos compatriotes qui n’ont rien à se reprocher sont parfois, hélas, confrontés à ce type de problèmes. Il m’est également revenu que certains étudiants iraniens qui bénéficiaient d’une bourse pour venir en France ne pouvaient pas ouvrir de compte bancaire. L’application de certaines lois américaines ou de certains engagements internationaux a donc des répercussions concrètes sur la vie de nos compatriotes. Ces procédures engagent parfois des montants totalement déraisonnables et conduisent même certaines personnes à liquider une partie de leur patrimoine.
Nous ne pouvons donc que nous joindre aux intentions des auteurs de la résolution, et je vous remercie, par votre vote, mesdames, messieurs les sénateurs, de donner plus de force à nos démarches. Nous devrons continuer à travailler ensemble sur ce sujet pour, je l’espère, trouver des solutions opérationnelles. (Applaudissements.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution invitant le gouvernement à prendre en compte la situation des « américains accidentels » concernés par le foreign account tax compliance act (fatca)
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Considérant que de nombreux compatriotes « américains accidentels », parce qu’ils n’avaient aucun lien avec les États-Unis d’Amérique autre que le fait d’y être né, ont été soumis aux obligations du Foreign Account Tax Compliance Act (« FATCA ») ;
Considérant que les compatriotes concernés rencontrent de graves difficultés du fait des obligations mises à leur charge par l’application extraterritoriale de cette loi américaine et de l’accord franco-américain du 2013 ; qu’en effet, cette loi étrangère a des effets importants dans tous les Pays européens et particulièrement en France, dans tous les réseaux bancaires et financiers ; qu’il peut en résulter de graves mesures d’exclusion de ces compatriotes de tout ou partie des services bancaires ;
Considérant que les intéressés n’ayant aucun lien avec les États-Unis n’ont découvert leurs obligations fiscales que par les avis que leur adressaient leurs banques françaises ; qu’ils sont néanmoins exposés à de lourdes sanctions en raison de l’application partiellement rétroactive de cette loi sur des périodes non négligeables ;
Considérant que nos compatriotes américains accidentels sont soumis à l’obligation de produire à l’administration américaine de nombreuses informations relevant de leur vie privée qui n’ont pas seulement des incidences fiscales, alors qu’ils n’ont aucun lien avec les États-Unis d’Amérique et que plusieurs d’entre eux souhaitent même renoncer à leur nationalité américaine ;
Considérant qu’aucune procédure de régularisation raisonnable ou de renonciation simplifiée à la nationalité américaine n’a été prévue ni par la législation américaine ni par l’accord franco-américain du 14 novembre 2013 ;
Considérant que nos compatriotes américains accidentels attendent du Gouvernement français aide et assistance pour toutes les démarches générées par cette législation américaine, très complexe ;
Considérant qu’il est souhaitable que toutes ces difficultés soient résolues par des discussions diplomatiques avec les autorités américaines ;
Considérant que la réponse ministérielle à la question écrite n° 00041 du 28 septembre 2017 constate que des progrès doivent être faits pour une application réciproque de l’accord franco-américain du 14 novembre 2013 ;
Engage le Gouvernement à veiller à ce que soit prise en compte la situation des « Américains accidentels » et à adopter des mesures répondant à leurs attentes notamment en ce qui concerne :
– leur droit au compte bancaire ;
– la garantie de la fin des différences de traitement par les banques françaises ;
– la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral relatif au FATCA ;
– l’information des Français vivant aux États-Unis des conséquences fiscales attachées à leur expatriation ;
– la mise en œuvre d’une action diplomatique tendant à obtenir un traitement dérogatoire pour les « Américains accidentels » leur permettant, soit de renoncer à la citoyenneté américaine par une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés d’obligations fiscales américaines ;
– la réciprocité d’application de l’accord franco-américain du 14 novembre 2013.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 16 mai 2018 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain)
Proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d’indemnisation pour les interdictions d’habitation résultant d’un risque de recul du trait de côte (n° 307, 2017-2018) ;
Rapport de Mme Nelly Tocqueville, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 439, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 440, 2017-2018).
Proposition de loi renforçant l’efficacité des poursuites contre les auteurs d’infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy » (n° 376, 2017-2018) ;
Rapport de M. Jérôme Bascher, fait au nom de la commission des finances (n° 446, 2017-2018) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 447, 2017-2018).
De dix-huit heures trente à dix-neuf heures trente et de vingt et une heures trente à minuit trente :
(Ordre du jour réservé au groupe communiste républicain citoyen et écologiste)
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (n° 368, 2016-2017) ;
Rapport de M. Dominique Watrin, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 315, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 316, 2017-2018).
Débat sur « l’évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD