Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
MM. Christian Cambon, Claude Haut.
2. Candidatures à un organisme extraparlementaire
atterrissements dans les cours d'eau
Question n° 1335 de M. Alain Marc. – Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité ; M. Alain Marc.
avenir du carburant diesel et des véhicules
Question n° 1363 de Mme Catherine Procaccia. – Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité ; Mme Catherine Procaccia.
bassin versant de la berre et réserve africaine de sigean
Question n° 1371 de M. Martial Bourquin, en remplacement de M. Roland Courteau. – Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité.
enquête nationale sur l'éclairage public en 2014
Question n° 1325 de M. Patrick Chaize. – Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité ; M. Patrick Chaize.
avenir du régime local d'assurance maladie en alsace-moselle
Question n° 1350 de M. Patrick Abate. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Patrick Abate.
Question n° 1320 de M. Daniel Chasseing. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Daniel Chasseing.
faisabilité d'un dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante
Question n° 1327 de M. Yannick Vaugrenard. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Yannick Vaugrenard.
difficultés financières des associations d'aide à la famille
Question n° 1422 de M. Martial Bourquin. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Martial Bourquin.
traitements innovants des déchets des établissements de santé
Question n° 1278 de Mme Pascale Gruny. – Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; Mme Pascale Gruny.
fracture numérique et couverture des zones grises
Question n° 1321 de M. Jean-Baptiste Lemoyne. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Jean-Baptiste Lemoyne.
création d'un statut de personne morale non professionnelle
Question n° 1328 de Mme Élisabeth Doineau. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; Mme Élisabeth Doineau.
simplification de la réglementation pesant sur le secteur touristique
Question n° 1333 de M. Michel Canevet. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Michel Canevet.
allocation chômage d'un fonctionnaire révoqué
Question n° 1307 de M. Daniel Chasseing, en remplacement de M. Jacques Genest. – Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire ; M. Daniel Chasseing.
politique forestière en seine-maritime
Question n° 1332 de Mme Agnès Canayer. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Mme Agnès Canayer.
commissariats de police de cournon-d'auvergne et gerzat
Question n° 1351 de M. Alain Néri. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Alain Néri.
ligne charles-de-gaulle-express
Question n° 1390 de M. Pierre Laurent. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Pierre Laurent.
assouplissement des démarches administratives relatives au service civique
Question n° 1323 de Mme Élisabeth Lamure. – Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville ; Mme Élisabeth Lamure.
difficultés du pôle aérien d'air france à paris-charles-de-gaulle
Question n° 1341 de Mme Laurence Cohen. – Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville ; Mme Laurence Cohen.
Question n° 1352 de M. Jean Louis Masson. – Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville ; M. Jean Louis Masson.
Question n° 1358 de M. Roger Madec. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Roger Madec.
contrôle de l'utilisation des fonds publics dans les écoles privées
Question n° 1367 de M. Dominique Watrin. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Dominique Watrin.
restrictions de circulation des convois exceptionnels dans l’aisne
Question n° 1368 de M. Yves Daudigny. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Yves Daudigny.
assurance des équipements et des infrastructures des collectivités locales
Question n° 1338 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
Question n° 1357 de Mme Patricia Schillinger. – M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales ; Mme Patricia Schillinger.
intégration des départements de la petite couronne au sein de la métropole du grand paris
Question n° 1362 de M. Philippe Kaltenbach. – M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales ; M. Philippe Kaltenbach.
Question n° 1343 de M. Bernard Cazeau. – M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales ; M. Bernard Cazeau.
6. Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
7. Désignation d’un sénateur en mission temporaire
8. Organisme extraparlementaire
9. Prorogation de l’état d’urgence. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Adoption, par scrutin public, de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
10. Saisine du Conseil constitutionnel
11. Répression des abus de marché. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 6 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 7 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendement n° 2 de M. François Pillet, rapporteur pour avis. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 9 du Gouvernement. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article 2 bis (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 10 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 rectifié de M. Gérard Longuet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 4
Article additionnel après l’article 4 bis
Amendement n° 4 de M. François Pillet, rapporteur pour avis. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de la proposition dans le texte de la commission, modifié.
12. Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. – Discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire
M. François Pillet, remplacement de M. Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 120 de M. Jacques Mézard. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 123 rectifié de M. Alain Bertrand. – Rejet.
Amendement n° 46 de Mme Évelyne Didier. – Retrait.
Amendement n° 124 de M. Alain Bertrand. – Rejet.
Amendement n° 179 rectifié bis de M. Daniel Dubois. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 182 rectifié quater de M. Daniel Dubois. – Retrait.
Amendement n° 200 de M. Michel Bouvard. – Non soutenu.
Amendement n° 79 rectifié de M. Alain Vasselle. – Rejet.
Amendement n° 162 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Adoption.
Amendement n° 138 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Retrait.
Amendement n° 78 rectifié de M. Alain Vasselle. – Retrait.
Amendement n° 32 rectifié de M. Maurice Antiste. – Retrait.
Amendement n° 224 de M. Ronan Dantec. – Retrait.
Amendement n° 165 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 279 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 282 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
13. Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
M. Claude Haut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 4 mai 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de trois sénateurs appelés à siéger au sein du Conseil national de la montagne.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable propose les candidatures de M. Cyril Pellevat et de M. Jean-Yves Roux.
La commission des lois propose la candidature de M. Jean-Pierre Vial.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour une République numérique.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi et de deux propositions de loi organique
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France et de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France pour les élections municipales.
Ces trois propositions de loi ont été déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2015.
5
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
atterrissements dans les cours d'eau
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 1335, adressée à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
M. Alain Marc. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention de Mme la ministre de l’environnement sur la question des atterrissements dans les cours d’eau.
Voilà quelques années, des entreprises draguaient régulièrement les cours d’eau afin d’extraire galets et sable de rivière.
Parallèlement, avant la mise en place des plans de prévention des risques d’inondation, les PPRI, des constructions se sont multipliées sur des parcelles situées près des rivières, au mépris de l’histoire des rivières et des crues.
L’arrêt du dragage des rivières, notamment dans les parties urbanisées, a eu pour conséquence la formation d’atterrissements, ainsi que des modifications des courants des rivières, avec changement de leur aspect – la hauteur d’eau diminue et le lit s’étale –, sans que les constructions autorisées aient disparu. Aussi les épisodes de crues apparaissent-ils plus destructeurs qu’auparavant.
Nombreux sont les riverains qui souhaitent que la police de l’eau autorise de nouveau le dragage des cours d’eau au niveau des portions urbanisées. Actuellement, l’administration se montre très rétive ou ne permet que des emprunts modestes sur les atterrissements.
Des associations s’étonnent que la sécurité des biens et des personnes passe après des considérations environnementales non avérées. Elles réclament que des directives soient adressées aux directions départementales des territoires, les DDT, et à la police de l’eau pour pouvoir creuser, voire éliminer certains atterrissements, afin de limiter les dégâts faits aux biens.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer vos intentions en la matière ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, vous interrogez Ségolène Royal, laquelle, ne pouvant être présente ce matin, m’a chargée de vous répondre.
La prévention contre les inondations est un sujet majeur. Ce qui entraîne les crues plus importantes, aux conséquences les plus destructrices, ce n’est pas l’arrêt du dragage, c’est un ensemble de phénomènes, tels que l’urbanisation dans les zones à risques, l’imperméabilisation des sols ou le changement climatique.
Depuis 2006, l’entretien des cours d’eau à la charge des riverains correspond non plus à leur curage, mais à l’« enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives ».
L’entretien courant du cours d’eau, qui vise à maintenir un écoulement normal, est, par définition, limité. Il contribue à prévenir les conséquences des crues, par exemple avec l’enlèvement du bois mort ou susceptible de tomber dans le cours d’eau, qui peut créer des embâcles sous les ponts. Il permet d’intervenir localement sur des atterrissements avant que la végétation ne s’y enracine.
Cet entretien courant, réalisé par le propriétaire riverain, ne nécessite pas de procédure préalable.
Lorsque des travaux plus importants requièrent un curage, pour rattraper une absence d’entretien régulier, ou sont susceptibles de modifier le profil du lit du cours d’eau, ils sont soumis à déclaration ou à autorisation préalable, au titre de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques.
Par ailleurs, les collectivités territoriales peuvent prendre en charge des opérations groupées d’entretien pluriannuel des cours d’eau, en vertu de l’article L. 215-15 du code de l’environnement. Dans ce cadre, elles ont la possibilité d’établir un plan de gestion pluriannuel, en s’appuyant notamment sur les syndicats de rivière, pour en évaluer les effets à l’échelle du bassin versant.
Sur le fond, les solutions à apporter doivent d’abord répondre à la question de l’identification des cours d’eau. Ségolène Royal a signé une instruction en ce sens le 3 juin 2015, afin que les services établissent des cartes des cours d’eau et qu’ils déclinent localement des guides d’entretien de ceux-ci, en associant l’ensemble des acteurs concernés.
Ces dispositions sont reprises dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, actuellement en cours d’examen, en seconde lecture, devant le Sénat. Nous aurons l’occasion d’en reparler très prochainement ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la secrétaire d’État, je me doute que cette réponse a été rédigée par vos services. Franchement, en tant que praticien vivant à côté des rivières, je la trouve un peu technocratique !
Si les DDT acceptaient localement certains travaux qui relèvent du simple bon sens, nous n’en serions pas là. Je rappelle que les cours d’eau, lorsqu’ils sont importants, n’appartiennent pas aux riverains.
Nous souhaiterions que vous adressiez aux DDT des instructions toutes simples, leur permettant non pas d’accéder à toutes les demandes de curage ou de dragage, mais d’examiner de plus près celles qui concernent les parties urbanisées.
Comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, je préside la commission chargée des routes du conseil départemental de l’Aveyron. Alors que certaines d’entre elles étaient sur le point de s’effondrer, parce que la rivière n’avait pas été curée et que le courant avait été modifié, on nous a autorisés à enlever 50 centimètres au-dessus de l’embâcle… Deux ans plus tard, cette couche s’était reformée, et le problème n’était toujours pas résolu.
Dès lors, j’en appelle à un peu moins de technocratie – vous n’êtes pas en cause, madame la secrétaire d’État : je connais votre proximité avec le terrain – et à un peu plus de bon sens. Nous aboutirons à des résultats si les DDT acceptent d’aller plus loin dans le dragage des rivières, surtout dans les parties urbanisées, où les riverains redoutent fortement la survenue de crues lorsqu’ils en ont déjà souffert.
avenir du carburant diesel et des véhicules
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 1363, adressée à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur l’avenir du diesel et, surtout, des véhicules diesel.
En dix ans, les normes européennes concernant les émissions d’oxyde d’azote – le NOx – par ces véhicules sont devenues de plus en plus sévères, permettant que les voitures diesel polluent aujourd'hui cinq fois moins qu’en 2009. Parallèlement, depuis septembre 2015, tous les véhicules particuliers neufs provenant des États membres de l’Union européenne doivent respecter la norme Euro 6, qui fixe à 80 milligrammes par kilomètre parcouru le seuil des émissions d’oxydes d’azote, soit 50 % de moins que le seuil défini, en 2009, dans la norme Euro 5.
Malgré tout, l’offensive contre les véhicules diesel a été lancée, en particulier par la maire de Paris, qui souhaite leur disparition totale de la capitale, que ces véhicules respectent ou non la norme européenne Euro 6.
Certes, la qualité de l’air est un enjeu sanitaire majeur.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, je veux vous interroger sur l’avenir, dans ces conditions, des constructeurs automobiles qui fabriquent des véhicules diesel respectant les normes fixées par l’Union européenne, des concessionnaires qui les vendent, ainsi que du stock de voitures diesel neuves. Comment les particuliers ayant acheté en toute bonne foi des véhicules diesel respectant les normes en vigueur pourront-ils revendre ces voitures si celles-ci deviennent sous peu hors-la-loi ? Je rappelle, du reste, que les véhicules diesel ont une durée de vie beaucoup plus longue que les voitures roulant à l’essence !
Madame la secrétaire d’État, une ville peut-elle réellement interdire la circulation de véhicules conformes aux normes européennes ? Peut-on envisager que, dans notre pays, certains véhicules ne puissent pas circuler dans certaines zones, quand ils peuvent rouler dans la ville d’à côté ? Quelle réponse apportez-vous aux particuliers qui risquent de perdre gros en voulant revendre leur voiture diesel au moment où les véhicules de ce type seront interdits ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Ségolène Royal, qui m’a chargée de vous répondre sur ce sujet.
La pollution atmosphérique constitue un enjeu sanitaire majeur.
Malgré les progrès réalisés depuis quelques décennies, les normes de qualité de l’air ambiant sont dépassées, en France, dans de nombreuses agglomérations. D’ailleurs, notre pays est visé, à ce titre, par plusieurs procédures précontentieuses engagées par la Commission européenne.
Vous le savez, le transport routier contribue fortement à la pollution atmosphérique, en particulier du fait des émissions des véhicules diesel, qui ont été classées par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, comme cancérogènes pour l’homme.
Il est donc primordial de réduire ces émissions, en remplaçant les véhicules diesel non équipés de systèmes de dépollution performants et en réduisant les émissions en conditions réelles de circulation.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu la possibilité pour les collectivités de mettre en place des restrictions de circulation pour les véhicules les plus polluants. Comme vous l’avez dit, certaines collectivités ont déjà anticipé cette possibilité ou envisagent de la mettre à profit.
Les restrictions envisagées par les collectivités ne concernent que les véhicules les plus polluants, notamment ceux de plus de vingt ans d’âge. Les véhicules conformes à la norme Euro 6, dont la commercialisation vient de commencer, ne sont donc pas visés par les restrictions, et leur valeur de revente ne sera pas affectée. Les véhicules diesel concernés, qui ne sont pas équipés de filtres à particules, sont anciens ; leur valeur de revente est donc déjà très faible.
Afin de soutenir le renouvellement de ces vieux véhicules diesel, le Gouvernement a mis en place, en 2015, une prime à la conversion des véhicules diesel de plus de quinze ans. Cette prime a été renforcée en 2016 : elle a été élargie aux véhicules de plus de dix ans et son montant a été porté à 1 000 euros en cas d’achat d’un véhicule respectant la norme Euro 6 et à 500 euros pour l’achat d’un véhicule conforme à la norme Euro 5. En cas de remplacement par un véhicule électrique, l’aide totale est de 10 000 euros.
Pour ce qui concerne les émissions en conditions réelles de circulation, à la suite de l’affaire Volkswagen, révélée aux États-Unis, Ségolène Royal a lancé une campagne d’essais sur 100 véhicules diesel en France. Ces tests montrent que plusieurs véhicules présentent des anomalies en matière d’émissions de dioxyde d’azote et de dioxyde de carbone.
Si la norme Euro 6 est effectivement très contraignante, le Gouvernement déplore que, dans de nombreuses situations, en dehors des conditions d’homologation, les voitures, de manière générale, ne la respectent pas.
Le nouveau test RDE – Real Driving Emissions –, qui permettra de mesurer les polluants émis en conditions de circulation sur route et entrera en vigueur en 2017 pour toutes les nouvelles voitures, constitue une avancée, même si les tolérances accordées au niveau européen restent bien trop importantes.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la secrétaire d’État, si j’ai bien compris votre réponse, la Ville de Paris – entre autres villes – ne pourra pas interdire la circulation des véhicules diesel respectant la norme européenne Euro 6. Ce n’est pas exactement ce que l’on entend quand on habite en région parisienne !
J’espère que la réponse de Mme la ministre, que vous venez de nous transmettre, apporte bien la confirmation que la maire de Paris laissera circuler les véhicules diesel et que ceux-ci ne seront donc pas hors-la-loi. Il semble, en effet, que ne seront visés que les anciens véhicules, et non les modèles fabriqués actuellement, qui respectent les normes européennes. Au reste, quoi que vous en disiez, la Commission européenne a récemment décidé d’accroître celles-ci, en attendant l’adoption de normes plus strictes en matière de qualité de l’air.
Si telle est bien la réponse du Gouvernement, je m’en félicite. Cela rassurera les constructeurs, mais aussi les particuliers qui achètent actuellement des véhicules diesel et qui ne savent pas s’ils pourront entrer dans Paris dans quelques mois.
bassin versant de la berre et réserve africaine de sigean
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, en remplacement de M. Roland Courteau, auteur de la question n° 1371, adressée à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
M. Martial Bourquin, en remplacement de M. Roland Courteau. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention, à la demande pressante de mon collègue Roland Courteau, sur les fortes inquiétudes exprimées par les riverains et sinistrés du bassin versant de la Berre, dans l’Aude, à la suite des inondations répétitives et des atteintes aux personnes et aux biens que celles-ci provoquent.
M. Courteau a, depuis des années, donné l’alerte sur la situation de ce bassin versant.
Il vous rappelle, madame la secrétaire d’État, que, à la demande générale, deux experts du Conseil général de l’environnement et du développement durable ont été désignés pour réaliser un audit des enjeux liés au bassin versant de la Berre, tout en préservant les intérêts de la réserve africaine de Sigean. La mobilisation de tout un territoire a fini par payer, et cette désignation a permis de poser les bases d’un dialogue apaisé entre les associations, les entreprises, les riverains mobilisés et les syndicats compétents sur ce bassin versant.
Ce dialogue est essentiel, car, selon notre collègue, seul un diagnostic partagé permettra de dégager le consensus préalable nécessaire à toute intervention préventive, dont l’urgence s’impose chaque jour davantage.
Sachez, madame la secrétaire d’État, que Roland Courteau reste particulièrement attentif aux conclusions qui découleront de cette expertise, dont il souhaite voir précisées les grandes lignes et, surtout, les suites qui lui seront réservées dans des délais qu’il espère très courts.
Les élus, les membres de l’association Arbra et les riverains attendent impatiemment le début des travaux. Surtout, les populations veulent être sécurisées.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, je vous laisse le soin de transmettre à M. Courteau, de la part de Ségolène Royal, la réponse suivante.
La crue de la Berre du 30 novembre 2014 et l’inondation des bas quartiers de la commune de Sigean et du camping Le Pavillon ont ravivé la conscience de la fragilité du territoire vis-à-vis des crues importantes et réveillé les inquiétudes des habitants.
À la demande du préfet de l’Aude, Ségolène Royal a confié au Conseil général de l’environnement et du développement durable une mission d’audit, afin de permettre la recherche de solutions pérennes.
Les conclusions de cette mission viennent d’être présentées aux élus et aux acteurs concernés, à l’occasion d’une réunion organisée à cet effet par le préfet de l’Aude le 15 avril dernier.
La principale conclusion de la mission porte sur la nécessité de retisser des liens entre les acteurs du territoire.
Il est proposé de traiter en priorité, avec l’appui des administrations centrales concernées, les actions visant directement la protection des populations, notamment l’accélération de l’approbation des plans de prévention des risques d’inondation, les PPRI, les mesures de réduction de la vulnérabilité prévues devant être financées.
La mission insiste sur l’objectif de la fermeture du camping Le Pavillon à Sigean, très exposé aux risques d’inondation.
Elle propose de travailler sur la gestion globale du cours d’eau, par l’élaboration d’une stratégie de gestion à long terme de la Berre et la mise en œuvre rapide d’actions techniques d’entretien, d’adaptation d’ouvrages et de gestion des atterrissements.
Pour ce qui concerne la réserve africaine de Sigean, la mission attire l’attention sur l’enjeu économique que représente, pour le territoire, la pérennisation sur site de cette entreprise. Elle considère que ce maintien passe par un dialogue entre les responsables de la réserve et les acteurs locaux, au travers notamment d’une démarche de régularisation globale de la situation de la réserve au regard des différentes réglementations et la recherche de solutions de relocalisation de certaines activités sensibles sur des terrains non inondables proches.
Le préfet de l’Aude pourra ainsi s’appuyer sur les propositions de la mission, dont le rapport sera publié très prochainement, pour engager les discussions nécessaires à la préparation d’une stratégie d’actions, portée par les acteurs locaux.
Enfin, Ségolène Royal tient à assurer M. Courteau de la pleine mobilisation des services de l’État sur ce dossier.
enquête nationale sur l'éclairage public en 2014
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 1325, adressée à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
M. Patrick Chaize. Madame la secrétaire d’État, l’éclairage public est, pour les collectivités territoriales, au croisement d’enjeux majeurs dans les domaines de l'environnement, de l'économie et de la sécurité.
Il représente près de 40 % de la facture d’électricité des communes, avec un potentiel d’économies d’énergie de l’ordre de 40 à 80 %.
Par conséquent, évaluer l’état du parc d’éclairage public et l’efficacité des politiques menées en la matière est plus que jamais nécessaire, notamment au regard des conséquences qui en résultent pour l’environnement, les dépenses des collectivités ainsi que la sécurité.
À cette fin, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a confié au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA, la réalisation d’une étude sur l’équipement et les pratiques d’éclairage public en France. La phase d’enquête a été clôturée à la fin de 2014.
Pourtant, à ce jour, les résultats de cette étude n’ont toujours pas été publiés. Cette situation est pénalisante, car elle ne permet pas de dresser un diagnostic ni d’envisager, s’il y a lieu, l’adoption de mesures à même de favoriser, notamment, l’engagement, par les collectivités, dans un éclairage écoresponsable.
Cette enquête constituant un référentiel pour guider la transition vers un éclairage public sobre et durable et adapter les politiques en matière d’éclairage public, je souhaite connaître les raisons expliquant le retard de sa parution. Celle-ci interviendra-t-elle prochainement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de Ségolène Royal, qui m’a priée de vous répondre.
Le Gouvernement est pleinement engagé dans l’accompagnement de la transition énergétique. La rénovation de l’éclairage public est l’un des leviers qui permettront aux territoires de s’inscrire dans cette transition.
Ségolène Royal a commandé une étude au CEREMA afin de dresser un état des lieux détaillé de l’éclairage public en France, s’agissant tant du parc des équipements que de l’organisation des services et des compétences.
Pour alimenter cette étude, une enquête a été menée au second semestre de l’année 2014. Compte tenu de la portée très large de l’enquête, qui comportait 230 questions, et du nombre de réponses obtenues, supérieur à 500, une importante phase de validation a été engagée, afin de garantir la qualité des informations recueillies, des demandes de compléments ayant parfois été adressées aux collectivités. Cette phase de validation est essentielle pour garantir l’intérêt, la représentativité et la qualité des résultats de l’étude.
L’exploitation des compléments recueillis est toujours en cours. Les résultats de l’enquête seront disponibles dans le courant de l’année 2016.
Toutefois, sans attendre les résultats de cet audit, Ségolène Royal s’est pleinement saisie de l’enjeu de la modernisation de l’éclairage public au sein des collectivités locales. Ainsi, l’appel à projets « territoires à énergie positive pour la croissance verte », lancé en février 2015, a déjà permis le remplacement de plus de 300 000 ampoules, pour une économie de 85 gigawattheures, soit l’équivalent de la consommation d’électricité de 5 000 logements.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Madame la secrétaire d’État, deux ans pour analyser une enquête, c’est long, trop long, étant entendu que, dans ce secteur d’activité, les choses évoluent très vite !
Les collectivités font des choix. Je pense notamment à l’extinction totale de l’éclairage public la nuit, alors même que cette option est entourée d’incertitudes juridiques, qui peuvent mettre les maires en danger.
Les évolutions techniques en la matière sont très rapides, les lampes à LED offrant des solutions alternatives aux collectivités. Les actions que vous avez citées, madame la secrétaire d’État, montrent l’existence d’un enjeu et la possibilité d’obtenir de prompts résultats.
Dès lors, il est dommageable de prendre encore tant de temps pour mettre en place ces solutions et les généraliser à l’ensemble de nos collectivités.
C’est la raison pour laquelle j’insiste de nouveau pour que les résultats de l’étude confiée au CEREMA soient connus le plus rapidement possible.
avenir du régime local d'assurance maladie en alsace-moselle
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, auteur de la question n° 1350, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Patrick Abate. Madame la secrétaire d’État, presque 3 millions de personnes bénéficient, dans les départements d’Alsace et de Moselle, d’un niveau de remboursement des frais de santé nettement supérieur à celui que garantit la branche maladie de la sécurité sociale, encore appelée « régime général ».
Je rappelle que ce régime local de couverture des soins est d’origine historique : il résulte d’un cadre législatif maintenu dans les trois départements concernés lors de leur réintégration dans la République.
L’attachement de nos populations à leur régime local d’assurance maladie est absolument incontestable. Toutefois, la question de l’avenir de ce régime se trouve posée, du fait de l’application de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi et de la généralisation des complémentaires santé obligatoires.
Le régime local de sécurité sociale se caractérise par un haut degré de solidarité, étant financé par une cotisation assise sur les salaires d’activité, les revenus de remplacement et les avantages de retraite, à un taux unique de 1,50 %. Comme chacun le sait, il est et a toujours été excédentaire.
Ce régime couvre l’ensemble des ayants droit des salariés, les retraités et les chômeurs. Il s’agit donc d’un véritable régime de sécurité sociale fondé sur la solidarité, et non d’une mutuelle ou d’une couverture santé complémentaire de type assurantiel.
Selon la mission parlementaire consacrée à ce sujet, qui a examiné les incidences de plusieurs solutions, l’option la moins problématique pour le régime local, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, consiste dans le statu quo.
Le projet de décret adaptant la couverture complémentaire obligatoire au régime local prévoit, de fait, de laisser celui-ci en l’état.
Des voix s’élèvent dans les trois départements pour relever que le régime local couvre 72 % des prestations de la complémentaire santé obligatoire prévue par la nouvelle loi. La généralisation, adaptée au régime local, de la complémentaire santé conduirait les salariés à financer la moitié des 28 % restants, l’autre moitié étant financée par les employeurs. Il en résulterait un ratio final de 86 % pour les salariés et de 14 % pour les employeurs, ce qui semble plutôt inéquitable.
Pour autant, il doit être souligné que les employeurs et salariés, en dehors de l'Alsace-Moselle, cotisent à parité pour une complémentaire obligatoire ne profitant qu’aux seuls salariés, alors que les salariés d’Alsace-Moselle, lorsqu’ils cotisent au régime local, cotisent pour un véritable régime de sécurité sociale.
Il n’en demeure pas moins que les employeurs d’Alsace-Moselle ne financent pas la moitié de la protection sociale complémentaire des assurés sociaux des trois départements.
Madame la secrétaire d’État, ne faudrait-il pas envisager une cotisation employeur pour financer un régime local continuant à bénéficier à l’ensemble des assurés sociaux ?
Par ailleurs, ne serait-il pas judicieux de réfléchir à la généralisation, sur l’ensemble du territoire, de ce qui se fait de mieux aujourd'hui en matière d’assurance maladie, à savoir notre système local de sécurité sociale ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est profondément attaché au régime local d’Alsace-Moselle, qui permet un degré élevé de solidarité entre ses assurés, quels que soient leur âge, leur état de santé ou leurs revenus.
À la suite à la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui a généralisé la couverture santé à l’ensemble des salariés du secteur privé, le Gouvernement a souhaité que toute évolution du régime local d’Alsace-Moselle s’opère dans un cadre juridique sécurisé. C’est la raison pour laquelle la loi de modernisation de notre système de santé a accordé un délai supplémentaire de six mois pour articuler cette obligation nouvelle avec les spécificités du régime local.
En juillet 2015, Marisol Touraine a demandé à quatre parlementaires, appartenant à la majorité et à l’opposition de l’Assemblée nationale et du Sénat – les députés Philippe Bies et Denis Jacquat et les sénateurs Patricia Schillinger et André Reichardt –, de travailler ensemble sur ce sujet et de lui remettre, après consultation des partenaires sociaux, des propositions d’articulation entre les garanties du régime local et celles qui sont issues de l’accord national interprofessionnel.
Selon le rapport de la mission parlementaire, remis à Marisol Touraine le 16 décembre 2015, l’introduction d’une cotisation patronale et l’extension du panier de soins du régime local présenteraient des risques constitutionnels sérieux, puisqu’ils constitueraient un renforcement des différences existant entre le régime local et le droit applicable sur le reste du territoire.
Dans ses conclusions, la mission a privilégié la voie d’une articulation entre le régime local et la généralisation de la complémentaire santé instaurée par la loi du 14 juin 2013. Cette garantie a vocation à constituer un troisième étage ajouté à la sécurité sociale de base et au régime local.
C’est le sens du décret que le Gouvernement a soumis à consultation et qui sera publié dans les prochains jours.
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Je vous remercie pour votre réponse, madame la secrétaire d’État.
Je prends acte du souci qu’a eu le Gouvernement de ne pas compliquer encore davantage notre système de sécurité sociale au travers de la loi de 2013.
Je crois pouvoir dire que, sur le territoire de l’Alsace et de la Moselle, l’ensemble des élus locaux et des parlementaires, y compris mes collègues des autres groupes politiques de notre Haute Assemblée, sont viscéralement et très sincèrement attachés à ce régime local.
Toutefois, le sujet est très complexe. Comme vous l’avez évoqué, il présente des risques dont on ne peut pas vraiment préjuger. Ces risques font aujourd’hui l’objet d’un certain nombre d’analyses et de recommandations, parfois divergentes, y compris, d’ailleurs, à l’intérieur des différentes familles politiques, ce qui, du reste, montre bien la complexité du sujet comme l’attachement de nos concitoyens au régime, qui peut se manifester de différentes manières.
Quoi qu’il en soit, je suis certain que l’expression d’un véritable engagement à l’égard du régime local au plus haut niveau de l’État rassurerait nos concitoyens des territoires concernés.
Dès lors, je me permets d’insister, madame la secrétaire d’État – vous n’avez pas répondu à ma question, mais peut-être pourrez-vous le faire plus tard : même si j’entends bien que ce n’est pas facile, ne serait-il pas judicieux d’engager une réflexion sur la généralisation de ce système original, précisément pour montrer l’attachement de la nation française à cette exception territoriale, qui fonctionne depuis cent ans, a plus que démontré son efficacité, est excédentaire et, comme vous l’avez dit vous-même – personne ne le conteste –, garantit un niveau de solidarité bien supérieur à la moyenne nationale ? Ce serait vraiment émettre un bon signal, par-delà les divergences d’analyse dont j’ai fait état.
numerus clausus
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, auteur de la question n° 1320, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Daniel Chasseing. Madame la secrétaire d'État, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer, notamment dans cet hémicycle, le numerus clausus régissant l’effectif des médecins en France me paraît aujourd’hui obsolète.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Daniel Chasseing. D’ailleurs, nous sommes de plus en plus nombreux à le constater, dans toutes les familles politiques.
À l’heure où la génération née après la guerre part en retraite, si nous ne faisons rien, les médecins ne seront bientôt plus assez nombreux, surtout dans les zones très rurales, au risque d’aggraver le phénomène de désertification sanitaire, mais aussi dans certaines villes et certaines banlieues, où les praticiens hésitent à s’installer.
Il est toujours possible, naturellement, d’importer des médecins étrangers – cette pratique existe –, mais ceux-ci ne restent pas toujours. Au demeurant, pourquoi écarter nombre de jeunes Français des facultés de médecine de notre pays, les conduisant ainsi à aller étudier ailleurs, en Roumanie notamment, si c’est pour faire venir, ensuite, des médecins de l’étranger ? Cette situation absurde dure pourtant depuis des décennies.
Le Gouvernement a décidé d’augmenter le numerus clausus dans quelques régions, dont la mienne, le Limousin. Cette mesure va dans le bon sens, mais est insuffisante.
Je ne parle évidemment pas des médecins spécialistes – et pourtant, il en manque ! Mon propos porte uniquement sur les médecins généralistes exerçant dans les zones sous-dotées, dont la formation pourrait être spécifiquement adaptée à ces territoires.
Ces médecins pourraient être recrutés parmi les étudiants ayant échoué de peu au concours, à leur première ou seconde tentative, mais ayant obtenu des notes au-dessus de la moyenne. Ils seraient ainsi repêchés, à la condition de s’engager à exercer la médecine générale dans des zones fléchées par les agences régionales de santé, les ARS, pour une période qui pourrait être d’environ dix ans.
Il est incontestable que les territoires concernés auront besoin de médecins aux compétences multiples : prévention, soins, accompagnement…
J’entends dire ici ou là que la présence d’infirmières pourra suffire, par exemple pour renouveler les ordonnances. Rien n’est plus faux : être médecin ou être infirmière, ce n’est pas la même chose ! Les ordonnances ne doivent pas faire l’objet d’un renouvellement systématique, sans auscultation sérieuse ni réflexion d’un praticien. Il est toujours possible qu’une maladie évolue ou qu’une intolérance médicamenteuse ou une nouvelle pathologie se déclare.
Les médecins généralistes ont également un rôle décisif à jouer, dans les territoires éloignés des hôpitaux, en matière d’urgences.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’une telle mesure relève du domaine réglementaire, je souhaite savoir, madame la secrétaire d’État, s’il peut être envisagé de procéder rapidement à une augmentation de 10 % du numerus clausus à l’échelle nationale, en calculant au préalable – c’est tout à fait possible – les besoins des territoires en médecine générale, en concertation avec les facultés de médecine, afin d’adapter au mieux les formations.
Cette évolution a été suggérée par mon confrère et collègue député Gérard Bapt ; j’y adhère totalement.
Elle permettrait de garantir une représentation médicale suffisante sur l’ensemble du territoire de la République.
MM. Michel Canevet et Loïc Hervé. Très bien ! (MM. Michel Canevet et Loïc Hervé applaudissent vivement.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, améliorer l’accès aux soins de tous les Français et réduire les inégalités entre les territoires sont des objectifs prioritaires du Gouvernement. En atteste le pacte territoire-santé, lancé par Marisol Touraine dès la fin de l’année 2012.
Trois ans plus tard, nous constatons que le pacte a impulsé une dynamique nouvelle dans les territoires confrontés à des difficultés démographiques. Il mobilise un ensemble de leviers, de la formation aux conditions d’exercice, pour attirer, en particulier, de jeunes médecins sur des territoires manquant de professionnels.
Afin d’amplifier cette dynamique, Marisol Touraine a annoncé, à la fin de l’année 2015, le lancement d’un « pacte territoire-santé 2 », enrichi de mesures innovantes.
Ainsi, nous avons fait le choix d’augmenter le nombre de médecins qui pourront être formés dans dix universités, situées dans des régions où la densité médicale est la plus faible.
En effet, nous savons que l’augmentation du numerus clausus national ne permet pas de répartir la hausse des étudiants de façon égale sur le territoire. J’en veux pour preuve que, entre 2004 et 2008, la densité médicale a continué de faiblir dans certaines zones, alors que le numerus clausus a doublé.
C’est pourquoi Marisol Touraine a voulu réserver à certaines régions le bénéfice de la nouvelle hausse du numerus clausus.
M. Yannick Vaugrenard. Très juste !
M. Martial Bourquin. Oui !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Par ailleurs, cette augmentation est liée à un programme de fidélisation des étudiants dans ces territoires en tension.
Dans le cadre de la grande conférence de la santé, le Premier ministre a annoncé que cette adaptation régionale du numerus clausus serait étendue à la prochaine rentrée universitaire, en tenant compte des besoins en professionnels et des capacités de formation.
Le nouveau volet du pacte territoire-santé a également permis de développer les stages des futurs médecins en cabinet de médecine générale, car, pour attirer les jeunes vers la médecine libérale, il est essentiel de les former dans des conditions réelles d’exercice.
Monsieur le sénateur, c’est un ensemble de mesures pragmatiques, incitatives, s’appuyant sur la mobilisation de tous les acteurs, qui nous permettront d’assurer l’égalité de tous les Français dans l’accès aux soins et de lutter contre la désertification médicale.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Le maintien de la vie dans les territoires ruraux ne se fera pas sans médecins. Beaucoup de retraités choisissent de s’installer dans ces territoires, ce qui compense la dépopulation agricole, notamment dans les zones d’élevage. Mais, s’il n’y a plus de médecins, ils ne viendront pas !
Madame la secrétaire d’État, je n’ai pas dit que rien n’était fait. Cependant, il faut cibler les territoires, ainsi que vous l’avez vous-même indiqué.
Des aides sont effectivement mises en place, mais le numerus clausus me semble encore trop restrictif.
Alors que 70 % des étudiants en médecine sont des étudiantes, on constate que tous les jeunes médecins, y compris les hommes – je ne voudrais pas paraître sexiste… (Sourires.) –, aspirent désormais à des horaires plus réguliers. Ils ne veulent plus travailler soixante heures par semaine !
Dans ces conditions, à défaut d’une augmentation du numerus clausus, le territoire de la République ne pourra être entièrement couvert. Je renouvelle donc ma demande en ce sens.
faisabilité d'un dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 1327, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la secrétaire d'État, la mise en place du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante a été une avancée, qui a permis à de nombreuses victimes de cesser leur travail.
Cependant, certains salariés dont l’exposition à l’amiante a réduit l’espérance de vie en sont encore aujourd’hui exclus.
Pour réparer cette injustice, les associations de soutien aux victimes demandent que le dispositif collectif existant soit complété par une voie d’accès individuelle à la « préretraite amiante ». Elles proposent d’utiliser un faisceau d’indices, tels que le secteur d’activité, le métier, la durée et la période d’exposition, les situations de travail et gestes professionnels, l’exercice d’une activité sur le site d’un établissement inscrit sur les listes ou encore le nombre de malades sur le site.
À la demande du Gouvernement, un rapport a été remis au Parlement sur ce sujet en septembre dernier. Son auteur, M. Pierre Ricordeau, juge la voie d’accès individuelle trop coûteuse et trop lourde de contentieux. Il reconnaît néanmoins que le dispositif actuel exclut des personnes ayant été « exposées professionnellement à l’amiante », en particulier les salariés du bâtiment et des travaux publics ou encore des sous-traitants ayant travaillé dans des établissements jugés dangereux.
La Cour des comptes, dans son rapport public annuel 2014, propose trois mesures, qui pourraient améliorer immédiatement la situation des victimes de l’amiante : premièrement, l’extension du dispositif de cessation anticipée d’activité aux fonctionnaires et aux artisans atteints d’une maladie professionnelle liée à l’amiante ; deuxièmement, l’octroi automatique par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, aux malades atteints de cancers du bénéfice des conséquences qui s’attachent à la faute inexcusable de l’employeur ; troisièmement, l’obligation faite au FIVA d’indemniser les victimes et leurs ayants droit, dès lors que la maladie ou le décès a été pris en charge par un organisme de sécurité sociale.
Il est de notre responsabilité, mes chers collègues, d’accorder aux victimes une véritable prise en charge. Notons par ailleurs que le nombre de travailleurs de l’amiante en cessation anticipée d’activité a diminué de près d’un tiers en cinq ans.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous rassurer, nous, ainsi que toutes les victimes de l’amiante et leurs familles, en clarifiant la position du Gouvernement sur les propositions de la Cour des comptes ainsi que sur celles du « rapport Ricordeau » ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur sénateur, le Gouvernement a récemment pris des mesures en faveur des victimes de l’amiante, à la suite des propositions formulées par la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2014.
L’une des dispositions de la loi de modernisation de notre système de santé permet de mettre un terme à ce qui constituait une inégalité de traitement entre les victimes de l’amiante : désormais, pour le FIVA, la décision de prise en charge du décès au titre d’une maladie professionnelle occasionnée par l’amiante vaut justification du lien entre l’exposition à l’amiante et ledit décès, à l'instar de ce qui existe pour les personnes vivantes atteintes d’une maladie professionnelle.
Jusqu’alors, quand bien même une caisse de sécurité sociale reconnaissait que le décès d’une victime était la conséquence d’une pathologie consécutive à une exposition à l’amiante, les ayants droit de la personne décédée ne pouvaient présenter cette reconnaissance à l’appui de leur demande d’indemnisation au FIVA pour établir le lien de causalité entre le décès et la pathologie : ils devaient communiquer des éléments démontrant l’existence de ce lien, ce qui pouvait être douloureux et de nature à faire naître des incompréhensions.
Il s’agit donc d’une mesure d’équité entre les demandeurs et de simplification pour les bénéficiaires du dispositif.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé à mettre en place des mesures de prévention et de prise en charge des victimes de l’amiante dans la fonction publique. Ainsi, le décret du 20 mai 2015 fixe les principes du droit à un suivi médical postprofessionnel pour les agents de la fonction publique d’État exposés à l’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle.
Enfin, l’article 146 de la loi de finances pour 2016 prévoit la possibilité, pour les fonctionnaires atteints d’une maladie professionnelle provoquée par l’amiante, de bénéficier d’une cessation anticipée d’activité et de percevoir l’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Les textes d’application de cette disposition font actuellement l’objet d’une concertation et devraient être publiés prochainement.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, dont je ferai part à l’ensemble des associations concernées.
J’espère qu’elle répondra pleinement à leurs préoccupations, que les textes d’application que vous avez évoqués seront mis en œuvre le plus rapidement possible et que la différence entre reconnaissance collective et reconnaissance individuelle des travailleurs ayant souffert de l’amiante tendra à diminuer, voire à disparaître. Disant cela, je pense notamment aux travailleurs du bâtiment et des travaux publics et aux artisans ayant travaillé dans des entreprises jugées dangereuses.
difficultés financières des associations d'aide à la famille
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question n° 1422, transmise à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
M. Martial Bourquin. Madame la secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés financières rencontrées par les associations d’aide à la personne sur l’ensemble du territoire national, malgré l’aide apportée par le fonds de restructuration des services d’aide et d’accompagnement à domicile.
En ce qui concerne le département du Doubs, les structures Eliad et Soli-cités, qui emploient plus de 1 600 salariés et aident 13 000 personnes, sont confrontées à ces difficultés.
Ces deux sociétés connaissent actuellement de graves problèmes, en dépit d’une politique d’économies interne et du soutien du fonds de restructuration.
Je suis fortement inquiet tant pour la préservation des emplois concernés que pour le maintien de ces services d’aide aux personnes âgées.
Les présidents des deux structures estiment qu’un retour à l’équilibre est possible. Le plan en est d’ailleurs validé par le commissaire aux comptes. Cependant, la mise en œuvre de ce plan nécessite qu’un moratoire fiscal, assorti d’une année rétroactive, soit décrété. Il s’agirait là d’une première mesure, permettant d’éviter un dépôt de bilan.
À plus long terme, il semble absolument nécessaire de réfléchir à l’établissement d’une tarification nationale prenant en compte le coût réel de l’aide à domicile.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je vous demande de bien vouloir nous indiquer quelles sont les orientations envisagées par le ministère des affaires sociales et de la santé pour soutenir ces structures, indispensables à nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, le secteur de l’aide à domicile fait l’objet d’un important soutien de l’État depuis plusieurs années.
Pour faire face aux difficultés financières rencontrées par les services d’aide et d’accompagnement à domicile, les SAAD, un fonds de restructuration de l’aide à domicile a été mis en place dès 2012.
Un montant de 130 millions d’euros a été débloqué entre 2012 et 2014 en direction des SAAD ; 1 589 structures en ont été bénéficiaires. En 2016, un nouveau concours, de 25 millions d’euros, est mobilisé. Pour la région Bourgogne-Franche-Comté, une enveloppe de 1,3 million d’euros est prévue au titre de la répartition régionale indicative pour 2016.
Par ailleurs, dans le cadre de la décision du Gouvernement de revaloriser les salaires à hauteur de 1 %, un montant de 25,65 millions d’euros a été notifié aux départements le 5 avril 2016, afin de prendre en compte l’avenant à la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile. Pour le département du Doubs, cette prise en compte représente, pour l’année 2016, une enveloppe de 250 921 euros.
Parallèlement, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement prévoit plusieurs dispositions visant à protéger et à moderniser ce secteur d’activité, indispensable à l’accompagnement à domicile des personnes âgées.
D’une part, le régime juridique des SAAD est unifié et simplifié, le conseil départemental étant identifié comme unique chef de file en la matière.
D’autre part, le développement des services polyvalents d’aide et de soins à domicile est soutenu, afin d’améliorer l’accompagnement à domicile et d’engendrer des effets bénéfiques pour l’ensemble des acteurs, gestionnaires, financeurs ou encore aidants et équipes de terrain.
Enfin, la revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, devrait contribuer à donner davantage d’activité à ces services.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, de nombreuses actions ont été engagées. Le Gouvernement reste néanmoins pleinement conscient des difficultés rencontrées par le secteur de l’aide à domicile. Je vous informerai rapidement des nouvelles actions que nous engagerons en sa faveur ; en effet, d’autres mesures sont en cours d’élaboration.
Cela dit, je répète que ce sont aujourd’hui les départements qui sont chefs de file de ces politiques. Nous sommes là pour les accompagner ; j’y veillerai personnellement.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Cependant, je tiens à mettre de nouveau l’accent sur les propositions que je viens de formuler.
L’instauration d’un moratoire fiscal, assorti d’une année rétroactive, est absolument indispensable. Le pire serait que certaines personnes âgées ne puissent plus bénéficier de soins à domicile. Or, si les structures que j’ai évoquées déposent le bilan, ces soins s’arrêteront brutalement.
La mise en place de la tarification nationale est elle aussi absolument incontournable. Vous disiez tout à l’heure que la réforme de l’APA allait donner davantage de travail aux associations. Mais les associations ont peur d’avoir davantage de travail, car, souvent, elles perdent de l’argent à chaque acte accompli !
Je terminerai sur un point qui a bien un rapport avec notre sujet : Eliad et Soli-cités, entreprises solidaires qui emploient 1 600 salariés, n’ont pas bénéficié du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, au contraire de Carrefour ou de Leclerc, sociétés par actions dont les employés ne peuvent que rarement se prévaloir d’une carrière longue et travaillent souvent à mi-temps, avec des horaires hachés. Cela laisse songeur !
Réfléchissons à la possibilité d’étendre le dispositif du CICE à toutes les entreprises de l’économie sociale et solidaire, comme nous aurions pu le faire lors de l’examen du projet de loi relatif à la consommation. Nous leur retirerions ainsi une belle épine du pied !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très juste !
traitements innovants des déchets des établissements de santé
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, auteur de la question n° 1278, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Pascale Gruny. Madame la secrétaire d’État, en France, les établissements hospitaliers sont soumis, par la loi du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux, à une réglementation stricte concernant la gestion de leurs déchets.
Les déchets, qu’il s’agisse de déchets assimilables aux ordures ménagères, les DAOM, ou de déchets d’activités de soins à risques infectieux, les DASRI, doivent être collectés dans des conteneurs différents, puis transportés et éliminés. Cette réglementation permet de favoriser le tri, mais ne limite pas la production de déchets, qui s’élève à 700 000 tonnes par an environ.
Les déchets d’activités de soins à risques infectieux représentent un risque potentiel pour tous les utilisateurs. C’est pourquoi des procédures ont été mises en place, aux articles R. 1335-5 et R. 1335-6 du code de la santé publique, pour limiter les possibilités de contact avec ces déchets : séparation dès leur production et collecte dans des emballages spécifiques.
Actuellement, le prétraitement des DASRI sur site est quasi inexistant.
Certains pays européens, comme les Pays-Bas, ont mis en place des systèmes permettant de réduire considérablement le transport des déchets hospitaliers, par leur broyage et leur désinfection au sein même des unités de soins. Ces systèmes répondent à des normes strictes de qualité et de sécurité. Les déchets sont ensuite transportés par les canalisations des eaux usées jusqu’à une station d’épuration de l’eau et de traitement des déchets. Ainsi, le contact des personnels et des patients avec ces déchets contaminés devient minime et les risques de contamination des ressources en eau par les effluents hospitaliers sont limités.
La purification des eaux à la source pourrait être envisagée en France. Elle serait l’occasion d’économies pour les établissements de santé et serait bénéfique pour la qualité des eaux usées.
L’article R. 1331-2 du code de la santé publique permet l’introduction de matière solide, liquide ou gazeuse dans le système de collecte des eaux usées, sauf si elle est la cause soit d’un danger pour le personnel d’exploitation ou pour les habitants des immeubles raccordés au système de collecte, soit d’une dégradation des ouvrages d’assainissement et de traitement, soit d’une gêne dans leur fonctionnement. Le traitement in situ avec transport par canalisations d’eaux usées ne contreviendrait donc pas à la législation.
Aussi, je vous demande, madame la secrétaire d’État, si la France envisage de mettre en place de nouveaux systèmes de traitement des déchets hospitaliers et si le lancement d’une expérience pilote pourrait être envisagé.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la possibilité d’autoriser, en France, des systèmes de traitement des déchets d’activités de soins à risques infectieux et des eaux usées produits par les établissements de santé, systèmes permettant le renvoi de ces déchets dans les canalisations des eaux usées.
En France, la gestion des eaux usées et la gestion des déchets répondent à des principes et à des règles techniques différents, définis par le code de l’environnement et le code de la santé publique.
L’article R. 1331-2 du code de la santé publique interdit l’introduction des déchets dans les systèmes de collecte des eaux usées, y compris après broyage.
L’arrêté du 21 juillet 2015 reprend cette interdiction et prohibe également l’introduction, dans le système de collecte, de matières solides, liquides ou gazeuses susceptibles d’être la cause d’une gêne dans le fonctionnement des ouvrages d’assainissement et de traitement.
Ces textes affirment le principe d’une gestion différenciée des déchets, d’une part, et des eaux usées, d’autre part, dans un souci de préservation des réseaux de collecte de celles-ci.
Par ailleurs, le code de la santé publique précise que les déchets d’activités de soins à risques infectieux font l’objet soit d’une incinération, soit d’un prétraitement par désinfection par des appareils homologués par les ministères chargés de la santé et de l’environnement.
À ce jour, vingt-deux modèles d’appareil ont été homologués et sont commercialisés, permettant un traitement sur site des déchets, dans des conditions conformes à la réglementation.
Dans le cadre du renforcement du dispositif d’homologation, le ministère chargé de la santé envisage de confier la mission d’homologuer les appareils de prétraitement par désinfection des déchets d’activités de soins à risques infectieux au Laboratoire national de métrologie et d’essais, auprès duquel tout fabricant ou importateur d’un dispositif innovant pourra déposer un dossier.
Ces dispositions entreront en vigueur d’ici à la fin de l’année 2016.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse, que je transmettrai aux personnes qui m’ont sollicitée.
Effectivement, des systèmes de traitement existent déjà. Il me semble cependant que l’on pourrait également lancer des opérations pilotes s’inspirant de bonnes pratiques identifiées au niveau européen. Plutôt que de nous contenter de systèmes franco-français qui reviennent, parfois, à ajouter des normes aux normes, il serait bon de s’attacher à ce que font nos voisins !
Quoi qu’il en soit, l’environnement doit être une priorité de tous les instants. Nous devons aussi constamment avoir à l’esprit que nos centres hospitaliers ont des économies à faire.
fracture numérique et couverture des zones grises
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, auteur de la question n° 1321, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ma question, madame la secrétaire d’État, porte sur la couverture des zones dites « grises » en matière de téléphonie mobile, sujet que nous abordons régulièrement dans cet hémicycle.
Vous le savez, que ce soit dans le domaine de la téléphonie mobile ou dans celui de l’accès au très haut débit internet, la fracture territoriale est réelle, désespérant de nombreux Français qui résident dans les territoires ruraux. Jeunes, moins jeunes, actifs, retraités, entrepreneurs, salariés, tous sont touchés par les conséquences d’une mauvaise desserte en téléphonie mobile.
Ainsi, voilà quelques semaines, à Chaumont et à Saint-Agnan, les techniciens chargés de régler un grave problème d’alimentation en eau potable n’ont pas pu utiliser leurs téléphones et tablettes pour géolocaliser l’origine de la fuite, ce qui a retardé de plusieurs jours le rétablissement d’un service essentiel.
Pour ce qui est des zones blanches, nous avons collectivement pris le taureau par les cornes.
Le travail de résorption est engagé : je puis en attester dans mon département de l’Yonne, où un travail fructueux est conduit avec le préfet, le syndicat départemental d’énergies, le conseil départemental, les intercommunalités et les parlementaires. Une trentaine de communes sont concernées par ce dispositif.
Pour autant, pour circuler sur l’ensemble de nos territoires, nous savons tous que les lacunes s’étendent bien au-delà de ces communes de l’Yonne ou même des huit cents sites pour la couverture desquels un appel à projets a été lancé au niveau national.
Les lieux qui posent problème ne remplissent pas les critères pour être recensés comme situés en zone blanche, me direz-vous. Je me permets donc de rappeler combien ces critères sont restrictifs : sont réputées situées en zone blanche les communes dont le centre-bourg n’est couvert par aucun opérateur de réseau mobile, à l’extérieur et en situation statique, et les communes dans lesquelles moins de 50 % des appels passés par un abonné au centre-bourg sont acceptables ou parfaits pour au moins un opérateur de réseau.
J’ajoute que le recours à la notion de « centre-bourg » exclut de facto de nombreux territoires. Je pense aux communes comportant des hameaux, à l’instar de Montacher-Villegardin. Certaines situations confinent à l’absurde, comme à Lixy, qui ne rentre pas dans les critères actuels, bien que l’un de ses hameaux soit aussi peuplé que le bourg.
Dès lors, qu’en sera-t-il pour les communes qui se regrouperont en communes nouvelles ? Les communes déléguées non desservies resteront-elles à l’écart de la desserte en téléphone mobile ?
Madame la secrétaire d’État, je souhaite véritablement appeler l’attention du Gouvernement sur les communes abusivement réputées situées en zone grise, c’est-à-dire non reconnues comme situées en zone blanche, mais peu, voire pas couvertes par les réseaux de téléphonie mobile.
Lors de l’examen du projet de loi pour une République numérique, nous avons voté un amendement tendant au dépôt d’un rapport sur ce sujet.
Au-delà de cet amendement d’appel, quelles dispositions comptez-vous prendre pour apporter une réponse concrète aux millions de ruraux confrontés à ces difficultés ? Demanderez-vous bel et bien une révision des critères définissant les zones blanches ? Contraindrez-vous les opérateurs à améliorer la desserte dans les zones grises, où il est extrêmement difficile de capter le signal ?
Sur les territoires concernés, toute la population et tous les domaines d’activité bénéficieraient d’une évolution de la situation. Celle-ci profiterait, en particulier, à l’attractivité économique.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez souligné, la couverture numérique est une nécessité pour faire de l’égalité des territoires une réalité. Le Gouvernement s’est engagé en ce sens, notamment dans le cadre des deux comités interministériels aux ruralités qui se sont tenus en 2015.
Notre priorité était de répondre à la situation des dernières communes dépourvues de tout accès au mobile. Nous avons engagé, sous l’égide des préfectures de région, deux campagnes de vérifications de terrain, afin d’établir une liste des communes à couvrir. Le protocole utilisé pour ces mesures de terrain a été amélioré, notamment pour tenir compte de l’arrivée du quatrième opérateur et pour mieux intégrer les centres-bourgs de petite taille, même si j’ai bien noté ce que vous avez dit à leur sujet.
Plus d’un millier de centres-bourgs ont ainsi fait l’objet de mesures, lesquelles ont permis d’établir une liste de 268 communes qui pourront bénéficier, de la part de l’ensemble des opérateurs mobiles, d’une couverture en internet mobile d’ici à la fin de l’année 2016 ou six mois après la mise à disposition d’un pylône par la collectivité territoriale. L’État prendra à sa charge l’intégralité de l’investissement initial.
Les quatre opérateurs auront aussi l’obligation d’équiper en haut débit mobile, d’ici à la mi-2017, 2 200 communes ne bénéficiant aujourd’hui que d’un accès à un service minimal.
J’en viens plus particulièrement au département de l’Yonne, dont 31 communes figurent sur la liste des 268 communes arrêtée le 8 février 2016. Ces communes bénéficieront d’un service de voix et de haut débit mobiles, assuré par les quatre opérateurs, d’ici à la fin de l’année 2016. Par ailleurs, neuf communes non encore couvertes en internet mobile bénéficieront du service avant la mi-2017.
Ces actions conduiront également à résorber une partie significative des zones grises, puisque l’ensemble des pylônes mis en place dans le cadre de ces programmes seront équipés par les quatre opérateurs.
Au-delà de ces actions d’urgence, trois autres mesures contribueront à répondre aux difficultés que vous constatez localement.
Premièrement, 800 nouveaux pylônes vont pouvoir être construits pour couvrir des sites d’intérêt local particulier. Un premier appel à projets a été lancé au début du mois d’avril à cet effet.
Deuxièmement, nous avons demandé aux opérateurs de déployer à grande échelle des solutions de couverture à l’intérieur des bâtiments. Dans de nombreux cas, cette réponse s’avère plus efficace que la construction de nouvelles antennes.
Troisièmement, nous devons améliorer la qualité de l’information sur la couverture en téléphonie, au bénéfice de nos concitoyens, mais aussi pour que la concurrence entre opérateurs pousse ces derniers à mieux équiper nos territoires.
La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a renforcé les pouvoirs dont dispose l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, pour la vérification de la couverture, et le projet de loi pour une République numérique permettra la diffusion de ces informations en open data.
Par ces différentes mesures, nous veillons à ce que des réponses puissent être apportées à la diversité des situations locales. À court terme, le programme engagé en 2015 permettra déjà d’améliorer la situation dans près de 3 700 communes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je vous remercie de ces éléments, madame la secrétaire d’État.
Vous l’avez compris, mon objectif était avant tout de relayer la détresse de la population, qui vit parfois très mal le décalage entre les annonces, dont elles attendent des résultats immédiats, et la réalité du terrain.
Après le lancement, par le Gouvernement, d’un plan visant à la disparition des zones blanches, plan auquel les collectivités s’associent bien volontiers, il est nécessaire d’engager une deuxième phase, celle de la résorption des zones grises. Cette phase est vraiment très attendue.
Toutes les forces de l’État et des collectivités locales doivent être unies dans cette perspective. C’est une condition sine qua non du développement de nos territoires. Ceux-ci ne veulent pas devenir des réserves d’Indiens : ils veulent pouvoir accueillir des PME, bénéficier d’applications, pour le bien-être de leurs habitants, voire avoir tout simplement accès à un service de voix.
Madame la secrétaire d’État, votre action est placée sous l’égide de Bercy. J’espère que vous aurez à cœur de relayer les appels pressants des élus locaux, qui attendent une vraie évolution. En tout état de cause, je salue votre écoute attentive !
création d'un statut de personne morale non professionnelle
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteur de la question n° 1328, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la secrétaire d’État, j’attire votre attention sur le cadre juridique incertain applicable aux associations, notamment aux associations à but non lucratif qui assurent un service public par délégation.
La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui transpose la directive européenne ad hoc, définit les consommateurs uniquement comme des personnes physiques qui utilisent des biens ou des services pour un usage privé.
En vertu du principe de la primauté du droit européen sur le droit interne, nous devons appliquer la définition retenue dans la directive. Or, d’après celle-ci, toute personne non physique est a priori professionnelle et ne peut donc pas prétendre à la protection particulière qu’offre le droit de la consommation. Le droit européen ne prend donc absolument pas en compte l’existence des associations, qui sont pourtant extrêmement nombreuses.
Celles-ci pourraient être assimilées à des personnes morales non professionnelles, mais cette dernière notion n’est pas définie par les textes ; il s’agit d’une création prétorienne.
Le code de la consommation français, lui, considère les associations comme des personnes morales professionnelles.
Il se trouve que les associations se situent à un stade intermédiaire : elles ne sont ni des personnes physiques ni des personnes morales professionnelles.
Cette situation, outre qu’elle les prive d’une protection juridique satisfaisante, oblige les associations à effectuer des achats aux tarifs applicables aux professionnels, ce qui les pénalise dans leur action de service public par délégation.
À ce jour, la situation des non-professionnels n’est toujours pas stabilisée. Dans ce dossier, il semble primordial de mettre l’accent sur les associations, qui sont totalement transparentes dans le paysage consumériste.
Il convient de trouver une solution pour offrir aux associations une protection juridique convenable et un accès à une grille tarifaire adaptée aux non-professionnels.
Le Gouvernement compte-t-il légiférer en ce sens et proposer aux associations une meilleure protection juridique, grâce à la création d’un statut de personne morale non professionnelle ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice, le non-professionnel est la personne morale n’agissant pas à des fins professionnelles, c’est-à-dire située hors du champ d’une activité artisanale, industrielle, commerciale, libérale ou agricole.
Cette définition, qui ne permet pas de distinguer le statut juridique de la personne morale selon qu’il s’agisse d’une société civile ou commerciale, d’une association ou d’une autre structure, sera inscrite à l’article liminaire du code de la consommation le 1er juillet prochain, date d’entrée en vigueur de la recodification de ce code. Cependant, la notion fait l’objet d’une jurisprudence de la Cour de cassation depuis maintenant plus de dix ans.
Le droit de la consommation a vocation avant tout à protéger les personnes physiques – nos concitoyens – dans leur vie économique quotidienne. Il vise à remédier au déséquilibre constaté dans la relation économique que nouent le consommateur et le professionnel.
Néanmoins, le législateur a souhaité que certaines protections s’appliquent aux non-professionnels, par exemple en matière de contrats de communications électroniques, de contrats tacitement reconductibles ou encore de clauses abusives. Les associations sont des personnes morales, généralement non professionnelles, qui peuvent bénéficier de ces protections.
Enfin, dans le cas particulier des contrats conclus par voie de démarchage, les TPE ou les entreprises individuelles bénéficient également des règles protégeant les intérêts des consommateurs en ce domaine, dès lors qu’il s’agit de l’achat de produits et de services qui ne sont pas liés à l’activité de l’entreprise. En effet, ces entreprises se trouvent parfois, lorsque l’objet de l’achat n’a pas de lien direct avec leur activité principale, dans la même situation qu’un consommateur à l’égard d’un professionnel.
Très concrètement, aux termes de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, le droit à rétractation dans le cadre d’une vente par démarchage a été étendu aux TPE de moins de cinq salariés. Cette disposition a fait écho à la situation rencontrée par de petites entreprises, qui s’étaient retrouvées dans l’impossibilité de résilier certains contrats, dont elles n’avaient pas mesuré la portée ou avaient surestimé l’utilité, relatifs notamment à des référencements dans des annuaires professionnels ou à l’installation d’un portail internet, services qui s’étaient révélés parfaitement inutiles ou trop coûteux.
Soyez-en assurée, madame la sénatrice, les services de l’État, en particulier la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ou DGCCRF, qui peut être saisie par les directions départementales chargées de la protection des populations, sont particulièrement mobilisés pour protéger ces non-professionnels et sanctionner les abus dont ils peuvent parfois être les victimes.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la secrétaire d’État, mon intervention se fondait surtout sur la situation des associations intervenant dans le domaine sportif, notamment sur le plan assurantiel.
En raison d’un vide juridique, ces structures ne sont pas considérées comme des personnes morales à part entière, compte tenu de la délégation de service public qui leur a été confiée. Surtout, elles ne bénéficient pas de tarifs professionnels, notamment pour l’électricité ou le téléphone.
Ainsi, ces associations sportives – c’est aussi vrai d’autres associations – doivent subir la concurrence déloyale des autres acteurs concernés par le service public dont elles ont la charge, précisément parce qu’elles ne sont pas considérées comme des personnes morales non professionnelles.
Je vous remercie d’être particulièrement attentive à cette dimension du sujet.
simplification de la réglementation pesant sur le secteur touristique
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, auteur de la question n° 1333, transmise à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.
M. Michel Canevet. Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur les contraintes pesant sur l’économie touristique.
Vous connaissez l’importance de ce secteur pour notre pays, qui est extrêmement bien placé en la matière sur l’échiquier international.
La France a beaucoup d’atouts. Le tourisme est en pleine évolution, notamment avec la révolution numérique. Mais les nombreuses contraintes réglementaires applicables à ce secteur pèsent sur son développement. Je pense aux normes liées à l’accessibilité, aux règles d’urbanisme, qui sont parfois contradictoires, à l’application de la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral – la loi Littoral – ainsi qu’à des arrêtés préfectoraux ou municipaux de toute nature, ayant souvent pour effet d’entraver l’activité touristique.
La situation est particulièrement préoccupante pour l’hôtellerie de plein air. Les plans de prévention des risques affectent aujourd'hui sérieusement le secteur. À défaut de pouvoir développer des outils partout, confortons au moins les outils existants ! Or les plans de prévention créent de nombreuses difficultés et conduisent à une réduction d’activité.
À l’occasion de sa neuvième commission de sécurité, un hôtelier me confiait récemment devoir faire face à des obligations toujours croissantes, parfois antinomiques avec le cadre dans lequel fonctionnent les établissements concernés.
Dans ces conditions, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement en matière de réduction des normes et contraintes de toutes natures qui pèsent sur l’activité touristique en général et l’hôtellerie de plein air en particulier.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, le Gouvernement s’est engagé à créer un contexte favorable au développement des entreprises, tout particulièrement des entreprises du secteur du tourisme.
Pour cela, nous avons fait de la simplification une priorité. De nombreuses mesures réduisant ou aménageant les contraintes réglementaires existantes ont été adoptées au cours de ces derniers mois.
Nous avons d’abord ouvert aux professionnels de l’hébergement touristique marchand la possibilité de prendre la main sur le calendrier de réalisation des diagnostics, études et travaux découlant de normes législatives ou réglementaires. Les mises aux normes obligatoires – à l’exception de celles qui découlent des normes afférentes à la sécurité, la santé publique et l’accessibilité – pourront ainsi être effectuées dans un délai de six ans, même si les textes concernés prévoient des délais plus contraignants. Les professionnels pourront donc désormais programmer ces travaux obligatoires dans le cycle habituel de leurs travaux, ce qui leur permettra de retrouver de la stabilité dans leur programmation.
Par ailleurs, nous avons apporté des clarifications et des simplifications sur de nombreux sujets, de la gouvernance des offices de tourisme à la procédure d’immatriculation des agents de voyage, en passant par la gestion des conventions avec les partenaires acceptant les chèques-vacances et la réglementation relative aux fiches individuelles de police remplies par les étrangers qui séjournent en France. Sur ce dernier point, l’arrêté présentant le nouveau modèle de fiche individuelle de police a été publié le 9 octobre dernier.
Le même souci d’approche pragmatique a été mis en œuvre s’agissant de l’accessibilité des établissements recevant du public, afin de maintenir un équilibre entre les exigences de sécurité et la viabilité économique des entreprises. Les professionnels ont ainsi eu la possibilité de programmer leurs travaux de mise en accessibilité au-delà de la date butoir, qui avait été fixée au 1er janvier 2015, s’ils s’engageaient à respecter un calendrier limité. Ce dispositif d’agenda d’accessibilité programmée, aussi appelé « Ad’AP », a permis de relancer la dynamique.
Le principe de dérogation, notamment en cas de disproportion manifeste entre le coût et les effets sur l’usage du bâtiment ou sur la viabilité de l’exploitation, a été rappelé lors des différents travaux.
Enfin, d’autres mesures de simplification dans le secteur du tourisme figurent également parmi les « 52 mesures de simplification pour les entreprises » annoncées par le secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la simplification le 1er juin 2015. Ces mesures portent, par exemple, sur une simplification du régime de la licence d’entrepreneurs de spectacle, dont bénéficieraient, notamment, les professionnels du tourisme, une modernisation de l’affichage obligatoire dans les établissements hôteliers et l’adoption d’un règlement sanitaire unique adapté au secteur du tourisme.
En matière d’urbanisme, nous sommes conscients que différents sujets demeurent mal compris ou mal perçus. Dans certains cas, des jurisprudences récentes ont apporté des réponses très claires à certaines évolutions souhaitées par les professionnels dans la bande littorale. Il convient de s’y conformer.
Pour les questions faisant l’objet de difficultés récurrentes, des documents explicatifs seront publiés dans les prochains mois, notamment en ce qui concerne la loi Littoral.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Je remercie Mme la secrétaire d’État de ses explications.
Je souhaite simplement que le Gouvernement prenne bien en compte le coût économique des contraintes imposées à ces professionnels, afin que l’équilibre des entreprises touristiques ne soit pas menacé.
allocation chômage d'un fonctionnaire révoqué
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, en remplacement de M. Jacques Genest, auteur de la question n° 1307, adressée à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Daniel Chasseing, en remplacement de M. Jacques Genest. Comme chacun le sait, les collectivités territoriales ne cotisent pas, dans le cadre des conventions UNEDIC, au régime d’assurance chômage pour leurs agents titulaires.
Sans vouloir remettre en cause leur régime particulier, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur certaines situations qui, tout en demeurant rares, n’en sont pas moins ubuesques. En tant que maire, j’ai malheureusement été confronté à un tel cas.
Ayant dû faire procéder à la révocation d’un agent convaincu de détournement de fonds et condamné par la justice pour ces faits, ma commune s’est vue dans l’obligation, sur la base de l’article L. 5424-1 du code du travail, d’indemniser l’intéressé, celui-ci étant reconnu comme « involontairement privé d’emploi ».
Cette situation surréaliste, obligeant la commune victime du détournement à indemniser le coupable sur une période pouvant aller jusqu’à trente-six mois pour un agent âgé de cinquante ans, est aussi incompréhensible que révoltante pour les citoyens et les contribuables.
Je souhaite donc savoir, madame la secrétaire d’État, si le Gouvernement entend prendre une initiative pour qu’une personne morale victime d’un préjudice n’ait pas à indemniser l’auteur de celui-ci, surtout quand elle dispose de moyens très limités, à l’instar des communes rurales. Cela permettrait de rétablir la justice et, surtout, le bon sens.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, vous soulevez la question du bien-fondé de l’indemnisation chômage des fonctionnaires territoriaux révoqués.
La révocation est la sanction professionnelle des fonctionnaires qui réprime les fautes professionnelles les plus graves. Comme vous l’avez dit, elle s’apparente à un licenciement. De surcroît, elle entraîne la perte à vie de la qualité de fonctionnaire pour la personne concernée.
Pour cette raison, les conséquences d’une révocation sont déjà plus lourdes que celles d’un licenciement pour faute dans le secteur privé. En effet, le fonctionnaire révoqué ne pourra plus jamais être embauché dans la fonction publique, alors qu’un salarié du secteur privé licencié pour faute pourra, quant à lui, être de nouveau recruté par une autre entreprise privée, voire dans le secteur public.
En vertu de l’article L. 5424-1 du code du travail, que vous avez cité, les agents titulaires des collectivités territoriales sont indemnisés au titre du chômage dans les mêmes conditions que les salariés du secteur privé. Parmi ces conditions, les salariés du secteur privé peuvent prétendre à une indemnisation chômage dès lors qu’ils sont involontairement privés d’emploi.
Le fait que le licenciement soit imputable à l’intéressé, en raison de sa faute, ne signifie pas pour autant qu’il y a eu rupture volontaire du lien avec l’employeur. L’indemnisation chômage des salariés du secteur privé est donc due même en cas de licenciement pour faute grave, dès lors que les conditions prévues, notamment en matière d’affiliation au régime d’assurance chômage, sont respectées.
Pour les salariés du secteur public, le juge administratif a confirmé que la révocation d’un agent était constitutive, pour ce dernier, d’une privation involontaire d’emploi et donc que le licenciement pour motif disciplinaire des fonctionnaires territoriaux ne les privait pas de l’aide au retour à l’emploi.
La révocation au sens du droit public a alors la même signification que le licenciement pour faute en droit privé, et emporte les mêmes conséquences : comme pour les salariés du secteur privé, un fonctionnaire involontairement privé d’emploi, même en raison d’une faute, peut prétendre à une indemnisation chômage.
La loi conditionne le versement d’un revenu de remplacement à la même condition d’inscription à Pôle emploi et aux mêmes obligations en ce qui concerne la recherche d’emploi.
Pour conclure, ni la convention d’assurance chômage négociée par les partenaires sociaux, ni la loi, ni la jurisprudence ne font obstacle à l’indemnisation des personnes licenciées pour faute, qu’il s’agisse d’anciens salariés du secteur privé ou du secteur public.
Le fait que la charge de l’indemnisation incombe à la collectivité lorsqu’il s’agit d’indemniser un agent de la fonction publique révoqué ne doit pas constituer un motif de discrimination. Ce serait contraire au principe d’égalité, alors même que, comme je l’ai indiqué, les conséquences d’une révocation sont déjà plus lourdes que celles d’un licenciement pour faute dans le secteur privé, puisque la révocation exclut toute possibilité de nouvelle embauche dans la fonction publique.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces explications très complètes.
Je rappelle simplement que rien ne s’oppose à ce que le fonctionnaire révoqué soit embauché dans le secteur privé. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
Il me semble que, dans les cas de condamnation pénale pour faute lourde, les sanctions applicables dans la fonction publique devraient être alignées sur celles qui existent dans le secteur privé. La commune ne devrait pas être obligée de verser un salaire à un fonctionnaire condamné pour vol, comme c’est le cas aujourd’hui. Ainsi que l’estime notre collègue Jacques Genest, il convient de rétablir la justice dans le bon sens.
politique forestière en seine-maritime
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1332, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le ministre, ma question porte sur la valorisation de la filière bois en Seine-Maritime.
Si la superficie de la forêt ne représente que 16 % du territoire de la Seine-Maritime, son poids économique est important. En Normandie, sur l’ensemble de la « chaîne bois », la filière emploie près de 22 200 personnes.
Conformément à la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adoptée en 2014, un nouveau programme national de la forêt et du bois a été présenté en mars dernier.
D’ores et déjà, plusieurs difficultés sont mises en évidence par les professionnels, qui attendent des réponses pragmatiques.
Le premier point concerne l’indemnisation des dégâts de grand gibier, définie par l’article R. 425-21 du code de l’environnement.
En effet, la question de la représentativité des propriétaires forestiers au sein de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, qui émet, chaque année, un avis sur le plan de chasse, est régulièrement soulevée. Par ailleurs, les modalités d’indemnisation doivent pouvoir être révisées dès lors que le plan de chasse ne permet pas de limiter les dégâts causés aux forêts. Les professionnels s’inquiètent et attendent des engagements de l’État.
Le second volet a trait à la question des normes phytosanitaires, alors que l’arrêté du 1er avril dernier reporte de nouveau de six mois la mise en place du traitement des grumes par fumigation.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, doit mener une étude préalable à une autorisation de mise sur le marché d’un autre produit, le Forester. Pouvez-vous, monsieur le ministre, faire état de l’avancée de cette étude ? Une concertation avec les acteurs de la filière est-elle menée ?
Je veux également évoquer la régénération de la forêt, ou le reboisement. Avec une période de renouvellement global évaluée à 214 ans et 70 millions de plants plantés chaque année, la forêt française ne sera plus en mesure, d’ici à quelques années, de fournir la matière première nécessaire.
Il est regrettable de constater, aujourd’hui, d’une part, l’absence de stratégie sylvicole et, d’autre part, l’insuffisance de l’abondement du fonds stratégique de la forêt et du bois.
Enfin, la déclinaison normande du programme national forêt-bois suscite des questions : comment seront prises en compte les spécificités locales, notamment la nécessité de réimplanter des feuillus en Seine-Maritime ? Quelles sont les aides financières pérennes envisagées afin de mener une politique sylvicole normande à la hauteur des ambitions ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, votre première interrogation porte sur le fonds stratégique de la forêt et du bois. Depuis la disparition du fonds forestier, c’est la première fois qu’un fonds stratégique pour financer le reboisement a été recréé par la loi, en 2014.
Ce fonds, qui a été abondé par des centimes forestiers précédemment gérés par les chambres d’agriculture et complété par ce que l’on appelle la « compensation forestière », laquelle consiste à faire payer ceux qui détruisent de la forêt, est alimenté à hauteur de 25 millions d’euros. Comme je l’ai déjà souligné devant le Sénat, mon objectif est qu’il soit doté de 100 millions d’euros, pour financer le reboisement.
Je le répète, c’est la première fois, depuis la disparition du fonds forestier, que de l’argent sera de nouveau consacré au reboisement de la forêt française.
Votre deuxième interrogation porte sur l’existence d’une stratégie sylvicole en France aujourd’hui. À ce sujet, je rappelle que c’est aussi la première fois qu’un Conseil supérieur de la forêt et du bois a été mis en place ! C’est encore la première fois qu’un programme national forêt-bois a été soumis à tous les acteurs de la filière forestière et adopté par ceux-ci. Comme vous l’avez évoqué, ce programme se déclinera au travers de plans régionaux. En effet, dès lors que le programme national a été adopté par tous les acteurs de la filière, il faut que les régions assument également leurs responsabilités, à leur niveau, et qu’elles adaptent le programme aux caractéristiques de leurs propres forêts, que celles-ci soient composées de résineux ou de feuillus.
Hier, madame la sénatrice, j’ai présenté un plan recherche et innovation 2025 pour la filière forêt-bois, afin de préciser les grandes orientations pour la forêt française sur les dix prochaines années. Je ne peux donc accepter d’entendre dire qu’il n’existerait pas de stratégie pour la forêt en France aujourd’hui !
Vous m’avez également interrogé sur les exportations et l’usage des produits phytosanitaires.
Depuis quinze ans, une dérogation, faisant suite à la tempête Klaus, qui a touché les Landes, permet de traiter les bois en bordure de forêt avec des produits phytosanitaires spécifiques. Nous devons modifier notre système pour assurer la certification demandée par les acheteurs de bois français situés à l’étranger. J’ai fait des propositions négociées en ce sens. La mise en œuvre des nouvelles mesures devait intervenir dès ce mois-ci. Nous l’avons reportée, tout en demandant aux ports de se mettre en conformité avec les nouveaux produits, afin de permettre l’exportation.
Il ne s’agit pas de freiner les exportations, même si je préfère que le bois français soit transformé en France : notre pays mérite mieux que d’exporter des billes de bois, pour, ensuite, réimporter des meubles !
Mon objectif est également de développer la filière de transformation. Voilà pourquoi nous lancerons, le 7 juin prochain, avec l’ensemble des villes qui le souhaitent, un vaste programme de construction de grands immeubles en bois, qui fera la part belle à l’utilisation de nouvelles techniques, françaises en particulier. Je pense notamment aux panneaux de bois lamellé croisé – les panneaux Cross-Laminated Timber, ou CLT –, qui permettent de réaliser de nouvelles constructions beaucoup plus résistantes que le béton. De nouveaux architectes sont en train de s’y mettre. Bien évidemment, c’est le carbone que nous visons là.
Tous ces points font partie du plan recherche et innovation 2025.
En ce qui concerne l’utilisation des produits phytosanitaires, nous n’avons d’autre objectif que de nous mettre en conformité avec les règles à respecter pour pouvoir exporter du bois, même si, je le répète, la filière bois française doit, selon moi, réaliser plus de valeur ajoutée en France.
La dernière question que vous avez soulevée, madame la sénatrice, porte sur l’équilibre sylvo-cynégétique – autrement dit, entre les forestiers et les chasseurs – que le Sénat a adopté, après plusieurs heures de débat en pleine nuit, lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Les discussions ont été longues et difficiles avec les chasseurs – il y en a parmi les membres de cet hémicycle ! Certains forestiers estimaient, pour leur part, qu’il y avait trop de gibier… (Sourires.)
Nous avons pu trouver un équilibre, notamment grâce à l’engagement de deux sénateurs, qui ont travaillé jusqu’à une heure avancée de la nuit pour parvenir à un accord. Cet équilibre était nécessaire. Il sera appliqué, car, s’il convient d’assurer du gibier aux chasseurs, celui-ci ne doit en aucun cas empêcher les forestiers de percevoir l’usufruit de leur forêt.
Le maintien de cet équilibre est la ligne constante que je me suis fixée lors de l’examen de la loi d’avenir, qui a été adoptée par le Parlement voilà plus d’un an et demi.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Merci, monsieur le ministre, de ces éléments.
Néanmoins, les propriétaires forestiers, sur les territoires, sont inquiets et ont besoin d’être rassurés. Ils espèrent notamment que vos ambitions et votre plan bénéficieront de financements à la hauteur des engagements pris et, surtout, que ces financements seront pérennes et permettront d’assurer le reboisement à long terme de nos forêts.
commissariats de police de cournon-d'auvergne et gerzat
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, auteur de la question n° 1351, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Alain Néri. Je souhaite attirer l’attention du ministre de l’intérieur sur l’annonce, faite par la presse – convenez-en, cela peut être choquant pour les élus concernés –, d’un projet de fermeture des commissariats de Cournon-d’Auvergne et de Gerzat, projet qui aurait été évoqué lors d’un comité technique réuni en préfecture le 8 janvier dernier.
Selon les informations recueillies par la presse qui les a diffusées, la fusion des commissariats de Gerzat et de Cournon-d’Auvergne avec celui de Clermont-Ferrand serait envisagée.
Le commissariat de Cournon-d’Auvergne couvre un secteur de 36 000 habitants, comprenant les communes de Cournon-d’Auvergne, Lempdes, Le Cendre et Pérignat-lès-Sarliève. Son rôle est essentiel et irremplaçable pour la sécurité des citoyens, car le travail de la police nationale, vous le savez, est une tâche difficile, qui exige connaissance du terrain, proximité, discernement et esprit d’initiative.
Le rôle du commissariat de Gerzat est tout à fait identique.
La présence d’un commissariat de police au cœur des villes de Cournon-d’Auvergne, deuxième ville du département, avec plus de 20 000 habitants, et de Gerzat a permis d’éviter une explosion de la délinquance, contrairement à ce qui s’est produit dans plusieurs villes de banlieue classées en zone urbaine sensible.
Les maires et les conseillers municipaux sont soucieux de la tranquillité et de la sécurité de leurs concitoyens. Ils n’hésitent pas à redoubler d’efforts, en augmentant le nombre de policiers municipaux et de médiateurs et en équipant de systèmes de vidéoprotection les bâtiments communaux sensibles, en dépit d’un contexte budgétaire difficile. Notons également que la ville de Cournon-d’Auvergne a récemment engagé 65 000 euros pour la rénovation des locaux du commissariat de police, afin d’améliorer les conditions de travail des policiers.
Il n’en reste pas moins que la sécurité des citoyens est une compétence régalienne de l’État. À cet égard, je répète que la présence d’un commissariat de police est essentielle et irremplaçable. C’est aussi un symbole fort de la présence de la République dans nos communes.
Par conséquent, je souhaite savoir quelle suite M. le ministre de l’intérieur entend réserver au projet de fusion évoqué dans la presse. Je lui demande de rassurer les élus et les populations, qui veulent garder leurs policiers, ces policiers qui sont, avant tout, pour eux, de véritables gardiens de la paix.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur.
La presse publie tant d’informations, souvent alimentées par des personnes qui ne sont guère bienveillantes, qu’il importe de prendre beaucoup de distance à l’égard des nouvelles diffusées.
Soucieux de mettre en œuvre une politique ambitieuse de lutte contre la délinquance, le Gouvernement, dont je rappelle qu’il a créé des postes dans la police, a pris des initiatives fortes, qui traduisent la priorité donnée aux politiques publiques de sécurité. Ainsi, depuis 2013, à l’occasion de chacune des lois de finances, ont été décidées des mesures de renforcement sans précédent des moyens mis à la disposition des services.
L’importance de ces efforts, qui augmentent la capacité opérationnelle des services, ne saurait pour autant constituer la seule réponse aux besoins croissants de sécurité qu’expriment nos compatriotes, dans le contexte de menaces que nous connaissons. L’efficacité des services est également un facteur déterminant.
À cet égard, le cadre juridique de l’action des forces de sécurité doit évoluer, comme leurs méthodes et leur organisation.
La création des zones de sécurité prioritaires, les ZSP, qui ont été mises en place dès le début du quinquennat, l’adoption des lois renforçant la lutte contre le terrorisme et organisant, pour la première fois dans l’histoire de la République, le cadre légal du renseignement, la réorganisation des services spécialisés, tels que le renseignement ou la police judiciaire, sont autant d’initiatives structurelles qui contribuent à rendre plus efficace l’action de la police et de la gendarmerie.
Au-delà, le cœur de métier des forces de sécurité, c’est-à-dire la police du quotidien, doit lui aussi faire l’objet de toute notre attention. Au-delà des moyens accrus que je viens de rappeler, son organisation doit être articulée autour de deux missions structurantes : l’investigation et la présence sur la voie publique, qui est un vrai sujet – vous l’avez vous-même évoqué, monsieur le sénateur.
C’est précisément pour accroître cette présence sur le terrain que les services du ministère de l’intérieur ont engagé une réflexion sur les évolutions souhaitables de l’organisation fonctionnelle du réseau de sécurité publique. L’idée maîtresse de cette réflexion consiste à mutualiser plus étroitement les fonctions transversales– administration, soutien…. – entre les sites proches, de manière à dégager un potentiel plus important, au profit des missions opérationnelles de terrain.
Comme l’ensemble des directions départementales de la sécurité publique, celle du Puy-de-Dôme est concernée par la réflexion qui a été lancée. J’imagine que c’est sur la base de cette réflexion que les informations dont vous faites état ont vu le jour.
Cette étude n’en est qu’à son début et le directeur départemental devra, conformément aux instructions qu’il a reçues et sous l’autorité de la préfète du Puy-de-Dôme, procéder à une très large consultation des responsables et des acteurs intéressés : les associations de quartier et de commerçants, les autorités judiciaires, les organisations représentatives du personnel et, bien entendu, les élus du territoire, au premier rang desquels figurent, bien évidemment, les maires directement concernés.
En tout état de cause, le ministre de l’intérieur est d’ores et déjà en mesure de vous informer que la fermeture des commissariats de Gerzat et de Cournon-d’Auvergne n’est aucunement envisagée.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Quel bon début de matinée, monsieur le ministre, en ce 10 mai tout à fait symbolique pour nous !
Je ne doute pas que cette nouvelle satisfera les maires des communes de Gerzat et de Cournon-d’Auvergne, mais aussi la population.
Comme je l’ai dit, nous sommes très attachés – comme vous aussi, très certainement – à la police de proximité. Nous nous félicitons donc de la décision, prise au début de ce quinquennat, d’augmenter le nombre de policiers, qui avait précédemment été diminué.
En effet, il est essentiel que les policiers et la population se connaissent et puissent échanger, car, si les policiers sont chargés de faire respecter la loi, ils sont aussi investis d’une mission d’éducation civique et citoyenne. Par conséquent, la connaissance réciproque entre la population et les policiers est, selon moi, essentielle et irremplaçable.
Monsieur le ministre, merci encore de la bonne nouvelle que vous nous avez apportée. Comptez sur les communes pour contribuer, aux côtés de l’État, au maintien de la paix civile et de la sécurité, auxquelles nos concitoyens sont aujourd'hui particulièrement attachés.
ligne charles-de-gaulle-express
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 1390, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, qu’il me soit permis tout d’abord de saluer les cheminots, qui se mobilisent aujourd'hui pour l’avenir du service public ferroviaire.
Ma question concerne le projet de ligne Charles-de-Gaulle-Express. Le « CDG-Express » est un projet, encore à l’étude, de liaison ferroviaire directe entre la gare de l’Est, à Paris, et l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle.
Or la ligne B du RER relie déjà Paris et l’aéroport Charles-de-Gaulle et la ligne 17 du Grand Paris Express desservira elle aussi cet aéroport.
Tel qu’il est prévu, le « CDG-Express » ne desservirait ni les arrondissements parisiens ni les villes de la banlieue parisienne qu’il traverserait. Il revêt donc, à nos yeux, un intérêt général limité. J’ajoute qu’il n’est même pas conçu pour être utile aux salariés de la plateforme aéroportuaire.
Au reste, le prix envisagé pour voyager sur cette ligne – 20 euros par personne pour un aller simple – est nettement plus élevé que celui d’un trajet via le RER B, à savoir 10 euros en 2015. De plus, il ne sera pas possible, avec ce billet, d’utiliser le réseau du métro une fois arrivé à la gare de l’Est. Surtout, le « CDG-Express » ne sera pas accessible aux usagers munis d’un abonnement Navigo.
Par ailleurs, le « CDG-Express » utiliserait, en grande partie, le réseau ferré existant, alors que celui-ci est déjà saturé tant à la sortie de la gare de l’Est que sur le réseau Nord.
Par exemple, les sillons horaires réservés aux trains « CDG-Express » sur la ligne reliant Paris à Hirson ne pourraient plus servir à d’autres circulations – je pense à la recréation de RER directs entre Roissy et la gare du Nord ou au passage de nouveaux TER. À ce sujet, je rappelle que, en 1976, les trains du RER B assuraient le trajet direct en seulement dix-neuf minutes !
Il est à noter également que le coût de ce projet est estimé à 1,9 milliard d’euros, somme supérieure à ce que prévoit le contrat de plan État-région pour la modernisation de l’ensemble des lignes RER et du Transilien.
De plus, le 2 février 2016, dans un avis sur l’ordonnance permettant la réalisation du « CDG-Express », l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, a rappelé que, aux termes de la loi, SNCF Réseau ne pouvait pas financer ce projet, dont la marge opérationnelle est particulièrement faible. Dans ces conditions, l’ARAFER en appelle à des financements publics, donc, en dernier ressort, au contribuable, pour financer le projet.
Par ailleurs, compte tenu du fait que la fréquentation du « CDG-Express » est estimée à 14 millions de personnes par an, soit moins de 50 000 personnes par jour, alors que 900 000 passagers empruntent, chaque jour, le RER B, ne serait-il pas prioritaire de mettre en place des financements complémentaires pour investir dans la modernisation des lignes de RER, au niveau tant des infrastructures que du matériel roulant ?
Le « CDG-Express » risque d’être lourdement déficitaire. Comment imaginer que le contribuable soit sollicité pour éponger ce déficit, alors qu’il y a tant besoin d’investir sur les lignes bien plus utiles que sont les RER ?
Ma question est double. Que compte faire le Gouvernement en vue d’un abandon de ce projet, tellement contesté ? Quels moyens financiers seront dégagés pour l’amélioration du service des RER, y compris du RER B, qui dessert l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ? La création d’une recette dédiée est-elle envisagée ? Je pense, par exemple, à une augmentation de la taxe locale sur les bureaux, telle que nous la proposons.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence M. Vidalies, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse.
Le projet « Charles-de-Gaulle-Express » est indispensable pour améliorer le lien entre le centre de Paris et son principal aéroport. La qualité de cette liaison est vitale pour l’économie et l’attractivité de notre pays et de sa capitale, première destination touristique d’Europe.
Avec une croissance moyenne du trafic de l’aéroport de 3 % par an, soit un doublement en vingt ans, l’accès à celui-ci par les autoroutes A1 et A3 ainsi que par le RER B ne pourra plus suffire. Dans le RER, les voyageurs aériens, chargés de bagages, et les voyageurs du quotidien se gênent mutuellement, notamment à chaque arrêt, qui voit la montée et la descente de nombreux passagers. Pour avoir souvent emprunté cette ligne de RER, je suis particulièrement conscient du problème.
Le projet « CDG-Express » permettra de dédier véritablement le RER B ainsi que la future ligne 17 du Grand Paris Express aux transports du quotidien et, par ailleurs, d’opérer un transfert modal de la route vers le fer pour l’accès à l’aéroport, ce qui concourra à la lutte contre la pollution de l’air et le changement climatique. J’ajoute qu’il permettra de lutter contre les embouteillages qui se forment souvent le matin et le soir.
Le coût du projet se monte à 1,4 milliard d’euros, aux conditions économiques de 2014, et sa mise en service est prévue pour 2023, compte tenu des candidatures aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 et de l’exposition universelle de 2025.
Sa construction sera financée sans subvention publique, dans le cadre d’un montage juridique associant SNCF Réseau et Aéroports de Paris, avec la possibilité d’un tiers investisseur. À la suite de l’avis favorable émis par la Commission européenne sur ce montage, l’ordonnance du 18 février dernier permet aux deux opérateurs de créer sans plus attendre une société de projet pour concevoir, financer et réaliser l’infrastructure, dans le cadre d’un contrat de concession avec l’État. Le plan pour l’investissement en Europe, le fameux « plan Juncker », permettra également de mobiliser un financement. La France doit faire preuve d’initiative pour utiliser les fonds accordés dans ce cadre, qui s’élèveront à près de 325 milliards d’euros sur cinq ans.
Il n’y a pas lieu d’opposer le projet « CDG-Express » à la modernisation de la ligne B du RER, qui se poursuit, ni à réalisation de la ligne 17 Nord du Grand Paris.
En effet, l’État et la région se sont engagés dans une mobilisation sans précédent en faveur des transports du quotidien dans le cadre du nouveau contrat de plan 2015-2020, avec une enveloppe totale de 7,5 milliards d’euros pour l’ensemble des projets du plan de mobilisation, dont près de 1,3 milliard d’euros, d’ici à 2020, pour les schémas directeurs des RER. L’ensemble des lignes de RER ont, effectivement, besoin de financements.
Pour ce qui concerne l’insertion du projet, des concertations sont en cours avec l’ensemble des acteurs territoriaux, sous l’égide du préfet de la région d’Île-de-France, en préalable à la prochaine enquête publique, qui permettra de compléter la déclaration d’utilité publique du projet, compte tenu du nouveau montage que je viens d’évoquer.
Bien évidemment, la Ville de Paris est étroitement associée, pour réussir l’insertion urbaine du projet. M. Alain Vidalies est même convaincu que le « Charles-de-Gaulle-Express » peut représenter l’occasion, pour celle-ci, de concrétiser son projet de parc urbain dans le XVIIIe arrondissement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Malheureusement, la réponse de M. Vidalies ne me permet pas d’afficher la même satisfaction que l’orateur précédent !
M. le secrétaire d’État confirme le projet « Charles-de-Gaulle-Express », malgré les critiques qui entourent celui-ci. Il continue de privilégier une infrastructure conçue sans considération pour la cohérence générale des réseaux. Il dit ne pas vouloir opposer les projets, mais les chiffres qu’il cite prouvent que l’on dépensera plus d’argent pour la seule ligne du « CDG-Express » que pour les investissements dont bénéficieront l’ensemble des lignes de RER. Cela paraît incohérent lorsque l’on connaît les problèmes liés aux transports.
J’ajoute que le « Charles-de-Gaulle-Express » risque de produire d’importantes nuisances quotidiennes dans le XVIIIe arrondissement de Paris. D’ailleurs, l’avis extrêmement critique que L’Autorité environnementale a rendu sur le projet, le 6 avril dernier, se fonde sur cette raison.
Selon nous, l’intérêt général commanderait de revoir ce projet et d’envisager avec plus d’ambition les investissements devant être réalisés sur l’ensemble du réseau francilien.
assouplissement des démarches administratives relatives au service civique
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question n° 1323, adressée à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la secrétaire d’État, ma question recoupe deux grands objectifs que les gouvernements successifs ont indiqué vouloir atteindre : d’une part, la simplification administrative, dont il est régulièrement question ; d’autre part, le renforcement du lien entre les citoyens et la Nation.
Ce lien est concrétisé par la loi du 10 mars 2010 relative au service civique, qui définit le volontariat et l’engagement.
L’engagement, qui concerne les jeunes de seize à vingt-cinq ans, est la forme de service civique utilisée principalement par les collectivités.
Pour cela, la collectivité doit d’abord obtenir un agrément auprès de la direction départementale de la cohésion sociale, la DDCS. Une fois la mission achevée, un bilan doit être dressé. Or la pratique révèle que ce rapport pourrait être simplifié, afin de ne pas décourager les communes, surtout les plus petites d’entre elles.
Par ailleurs, la procédure administrative nécessaire au renouvellement de l’expérience s’étend sur un délai trop long, la collectivité devant attendre la fin de la première mission pour lancer les démarches administratives en vue d’un deuxième recrutement. En effet, malgré une première homologation, un nouveau dossier complet doit être rempli auprès de la DDCS, dossier dont la durée de traitement est supérieure à deux mois. Durant cette période, la collectivité est bloquée, car, sans le numéro délivré par la DDCS, l’offre de service civique ne peut pas être déposée sur le site internet dédié.
Ces complexités administratives expliquent sans doute le constat du Président de la République, qui déplorait, en janvier 2015, le décalage entre le nombre important de candidats et le peu de postes disponibles.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je souhaiterais connaître vos intentions et celles du Gouvernement concernant l’allégement du dossier administratif – s’agissant tant du dépôt de la demande que du bilan d’activité –, la réduction des délais d’instruction et la suppression de la nécessité de constituer un nouveau dossier lorsque la collectivité ou la structure a déjà reçu un agrément.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Madame la sénatrice, je sais votre engagement auprès des collectivités locales.
Comme vous l’avez dit, le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux pour le service civique, afin de permettre, en 2018, l’accueil de 350 000 jeunes, ainsi qu’il l’a rappelé lors de ses vœux à la jeunesse et aux forces de l’engagement, le 11 janvier dernier.
Évidemment, les collectivités territoriales ont un rôle important à jouer pour donner à tous les jeunes qui souhaitent s’engager la possibilité de trouver une mission à proximité de leur domicile, mais aussi pour permettre aux jeunes de différents quartiers de se rencontrer.
En 2015, les collectivités territoriales ne représentaient que 6 % des missions agréées, contre 70 % pour les associations et 20 % pour l’État et ses établissements publics. Le Gouvernement partage votre souhait de voir s’accroître la part des missions réalisées dans les collectivités territoriales.
Sur la question de l’agrément des structures, le Gouvernement a déjà engagé des actions pour simplifier la procédure et accélérer les délais.
Le décret du 24 décembre 2015 porte de deux à trois ans la durée d’agrément au titre de l’engagement de service civique.
Afin de simplifier le traitement des demandes d’agrément en raccourcissant le circuit de validation, le décret du 9 février 2016 permet au préfet de département d’agréer des structures d’accueil établies à l’échelon local ou départemental.
La procédure du « silence vaut acceptation » a également été étendue à l’agrément des structures pour le service civique, dès trois mois après le dépôt complet d’une demande.
Enfin, dans le cadre du projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui sera notamment présenté par Patrick Kanner au Parlement dans les prochaines semaines, le dispositif d’intermédiation, qui permet de mettre à disposition un volontaire aux fins d’accomplissement de son service auprès d’une autre personne morale non agréée, sera ouvert aux personnes morales de droit public.
Si nous appelons tous de nos vœux cette montée en charge, celle-ci ne doit pas se faire au détriment de l’encadrement, de la formation civique et citoyenne, ainsi que de l’accès à la citoyenneté des jeunes.
Afin que les jeunes tirent le meilleur profit du service civique dans la suite de leurs parcours, il est nécessaire de les accompagner – et je sais que les collectivités le feront – dans un processus de formalisation de leurs acquis. Tel est l’objectif du bilan réalisé à l’issue de leur mission.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Je tiens à vous redire, madame la secrétaire d’État, tout l’intérêt que je porte au dispositif du service civique, que j’ai mis en place dans ma collectivité dès que cela a été possible. C’est pour un jeune une très bonne voie d’entrée dans la vie active et professionnelle.
Je note avec intérêt votre réponse concernant les simplifications administratives. J’espère toutefois qu’il ne s’agit pas d’une simple intention et que l’on en constatera très prochainement les effets concrets pour les collectivités et les structures, mais surtout pour les jeunes concernés par ce dispositif.
difficultés du pôle aérien d'air france à paris-charles-de-gaulle
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 1341, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Mme Laurence Cohen. Vous n’ignorez pas, madame la secrétaire d’État, que le pôle aérien d’Air France a perdu sa position de leadership européen. Aujourd’hui à la quatrième place, il se trouve loin derrière le pôle, désormais dominant, de la Turkish Airlines.
Cette situation est la conséquence du « court-termisme » financier de la compagnie, que je dénonce, tout comme du manque chronique d’investissements qui a tant coûté à la filière aéronautique française.
Je rappelle qu’Air France est le premier employeur privé d’Île-de-France et que les conséquences de ce recul sont graves en termes de retombées économiques. Je pense notamment aux 170 000 emplois indirects générés par la zone d’Orly dans le Val-de-Marne, emplois aujourd’hui en danger.
Madame la secrétaire d’État, à l’heure où Air France s’apprête à changer de P-DG, ce changement de casting s’accompagnera-t-il enfin d’un changement de scénario ?
Pour qu’il en soit ainsi, il paraît indispensable que l’État actionnaire reprenne le rôle qui était le sien au sein de l’ancienne compagnie nationale, en déployant une politique pérenne de développement du transport aérien, moteur de développement économique et social.
Paris, capitale de l’écologie avec la COP 2l, se doit d’être à l’avant-garde.
Le décideur public doit réaffirmer le rôle central d’Air France dans un pôle aérien qui, pour continuer à exister, a besoin d’une compagnie d’envergure internationale capable d’investir à long terme.
Aux côtés de Paris Aéroport, l’État doit investir dans de nouvelles infrastructures. Cela passe par le déploiement de dessertes plus efficaces et de réseaux de transports plus rapides, notamment entre Orly et Roissy, mais aussi avec le reste du territoire francilien et le territoire national. Une meilleure connexion entre les horaires des trains à grande vitesse et ceux des vols long-courriers pourrait également être envisagée.
En effet, au moment où se structure la métropole du Grand Paris, la région Île-de-France a plus que jamais besoin d’être dotée d’infrastructures permettant de développer les territoires et de réduire les inégalités en créant de l’emploi.
C’est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d’État, si le Gouvernement est prêt à sortir la filière aéronautique française d’une crise dont les retombées touchent notre économie tout entière.
L’État compte-t-il jouer le rôle premier qui est le sien dans le développement d’un pôle aérien apportant un service de qualité, sûr pour ses usagers et utile au territoire francilien et à ses populations ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Je vous prie tout d’abord, madame la sénatrice, de bien vouloir excuser Alain Vidalies, empêché par son agenda d’être présent ce matin.
L’État partage entièrement votre ambition d’une compagnie aérienne française forte ayant pour moteur de croissance un hub puissant à Paris, organisé autour de deux plateformes principales : Paris-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly.
Bien que l’État ne détienne plus qu’une minorité du capital d’Air France-KLM, il partage le constat quant aux importants défis que doit aujourd’hui relever l’entreprise, et le Gouvernement, vous le savez, est attentif à l’évolution de la situation économique d’Air France.
La direction de l’entreprise a engagé des réformes structurelles indispensables.
Ces réformes sont nécessaires pour faire face au développement, depuis les années 2000, des compagnies dites « low cost » sur les marchés du court et du moyen-courrier et, plus récemment, à la progression fulgurante des compagnies du Golfe, qui captent la quasi-totalité de la croissance du trafic aérien vers l’Asie.
Il faut aussi faire face à l’actuel déficit de compétitivité intrinsèque de nos compagnies aériennes par rapport à leurs concurrentes européennes.
L’État a, de son côté, mis en place plusieurs mesures visant à renforcer la compétitivité du transport aérien français qui reprennent pour une large part les préconisations du rapport remis par le député Bruno Le Roux au Premier ministre à la fin de l’année 2014.
Ces mesures ont notamment permis de baisser substantiellement les taxes applicables aux vols en correspondance à Paris, au bénéfice de la croissance du hub et de la compétitivité d’Air France face aux autres grands groupes européens, comme IAG ou Lufthansa, basés respectivement à Londres et Francfort.
Afin de relier plus rapidement l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle à la capitale, le Gouvernement a relancé de manière active le projet CDG express. L’État agit ainsi de façon à permettre un développement du pôle international de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, car nous sommes soucieux de l’image donnée par la France aux touristes internationaux qui viennent pour la première fois en France.
L’État a pleinement conscience que seul un pavillon aérien solide est à même de préserver la connectivité directe, l’attractivité de notre territoire et les échanges de la France avec les grandes puissances dans le monde. Les retombées économiques qui en découlent participent à la préservation des emplois et au développement des territoires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’État semble en effet attentif aux difficultés du pôle aérien d’Air France. Je voudrais toutefois dénoncer la politique menée sous la présidence d’Alexandre de Juniac, au cours de laquelle 10 000 emplois ont été détruits et cinq plans de départs dits « volontaires » mis en place. Beaucoup d’efforts ont donc été demandés aux salariés.
Or, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, la situation économique de l’entreprise est bien meilleure et elle réalise d’importants profits. M. de Juniac, qui va quitter ses fonctions, s’est même accordé une augmentation de sa rémunération de près de 65 % ! Dans le même temps, il a prévu une baisse des salaires des pilotes à compter du 1er juin 2016.
Cela va toujours dans le même sens ! On demande toujours plus à l’ensemble des salariés, qu’ils soient pilotes, techniciens, personnels navigants ou au sol, tout en réduisant leur salaire et en dégradant leurs conditions de travail, alors que le P-DG s’octroie une forte augmentation…
Je plaide, à nouveau, pour que l’État joue un rôle important et pour que l’on ait une vision tournée vers l’avenir de ce grand pôle économique.
Permettez-moi, pour conclure, de détourner une phrase célèbre, laquelle concernait l’entreprise Renault : quand Air France éternue, la France s’enrhume. (Sourires.) Soyez vigilante, madame la secrétaire d’État !
cumul de mandats
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la question n° 1352, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le cumul de mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, nuisent au bon fonctionnement de la démocratie.
Toutefois, pour un parlementaire, le problème est moins le cumul de mandats en général que le cumul de lourdes fonctions exécutives locales, lesquelles sont déjà par nature des activités à plein temps.
Un mandat parlementaire est aussi une activité à plein temps et nul ne peut assumer correctement deux activités qui sont chacune à plein temps.
Par le passé, les tentatives de limitation de ces cumuls se sont malheureusement heurtées à l’obstruction des profiteurs du système. Non sans mal, la loi organique du 14 février 2014 a enfin interdit le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, mais elle ne s’appliquera qu’après le prochain renouvellement de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Or bon nombre de parlementaires cumulards persistent dans un combat d’arrière-garde pour s’accrocher à leurs prébendes. Ainsi, la presse a révélé qu’au Sénat une proposition de loi était d’ores et déjà prête pour abroger la loi organique du 14 février 2014. L’idée est d’anticiper l’élection d’une majorité de droite à l’Assemblée nationale en 2017, afin que dès le lendemain de son élection celle-ci vote l’abrogation définitive de la loi organique, laquelle disparaîtrait alors avant même d’avoir été appliquée !
Pour conforter la future interdiction des cumuls abusifs, il faut court-circuiter cette affligeante manœuvre. Dans ce but, le Gouvernement serait-il favorable à ce que l’on avance au 1er janvier 2017 l’application de l’interdiction des cumuls abusifs ? Par ailleurs, quelle est la position du Gouvernement sur une éventuelle interdiction du cumul d’une fonction exécutive locale et d’une fonction ministérielle ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Je vous prie, monsieur le sénateur, de bien vouloir excuser l’absence de Bernard Cazeneuve.
J’ai bien compris que vous souhaitiez que l’actuelle majorité soit de nouveau en place en juin 2017 pour être assuré que la loi s’applique… (Sourires.)
L’article 23 de la Constitution dispose que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle ».
Les ministres ne peuvent pas non plus être membres du Conseil constitutionnel, du Conseil économique, social et environnemental, du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
En revanche, aucune disposition constitutionnelle ou législative n’interdit à un ministre de conserver le ou les mandats locaux qu’il détient au moment de sa nomination – je dois vous avouer que c’est mon cas, puisque j’ai gardé un mandat local –, de se porter candidat à une élection locale ou nationale ou de garder un mandat acquis lors d’une élection locale intervenue pendant qu’il est au Gouvernement. Un renforcement des règles de cumul applicables aux ministres nécessiterait une réforme constitutionnelle.
C’est en tenant compte de ces incompatibilités, et en vertu de l’article 8 de la Constitution, que « le Président de la République nomme, sur la proposition du Premier ministre, les membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ».
Vous évoquez ensuite la date d’entrée en vigueur de la loi introduisant une incompatibilité entre le mandat de parlementaire et un mandat exécutif local.
La loi entre en vigueur lors du premier renouvellement des assemblées concernées suivant le 31 mars 2017. Ce choix a été guidé par des contraintes constitutionnelles, lesquelles rendent impossible une entrée en vigueur dès le 1er janvier 2017.
En effet, une entrée en vigueur à cette date pourrait, en provoquant des démissions au sein des assemblées parlementaires, déstabiliser ces dernières pendant un temps assez long – six mois pour l’Assemblée nationale et neuf mois pour le Sénat. Les parlementaires démissionnaires ne seraient pas remplacés puisqu’il n’est procédé à aucune élection partielle l’année précédant le renouvellement général, pour l’Assemblée nationale, ou partiel, pour le Sénat, d’une assemblée parlementaire.
Je rappelle que 256 députés sur 577, soit 44 % des membres de l’Assemblée nationale, et 165 sénateurs sur 348, soit 48 % des membres du Sénat, sont actuellement en situation de cumul des mandats et pourraient donc être conduits à démissionner sans pouvoir être remplacés, ce qui créerait, vous me l’accorderez, une grave situation de vacance.
Afin de ne pas déstabiliser les assemblées parlementaires tout en faisant entrer en vigueur ces règles au 1er janvier 2017, il aurait été nécessaire de modifier le code électoral pour élargir les cas donnant lieu au remplacement des parlementaires par leur suppléant. Or ces modifications des règles de remplacement n’ont pas été retenues par le Parlement au moment du vote de la loi.
Voilà pourquoi, monsieur le sénateur, nous ferons appliquer la loi après les mois de juin et de septembre 2017.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je tiens tout d’abord à vous rassurer, madame la secrétaire d’État : je ne souhaite pas, contrairement à ce que vous faites semblant de croire – non sans humour –, la victoire de la gauche. Je la souhaite d’autant moins qu’il y a autant de cumulards à gauche qu’à droite ! Le problème des cumuls est équitablement réparti entre les groupes parlementaires des grands partis. Vous avez d’ailleurs précisé que vous étiez vous-même concernée.
L’argument que vous avez évoqué, selon lequel des élus seraient conduits à démissionner, ne tient pas. La question se posera en effet de la même façon au lendemain des élections législatives ou sénatoriales : des personnes démissionneront de leurs fonctions de maire, par exemple, ce qui pourra entraîner, ici ou là, des élections partielles.
Compte tenu des circonstances, une fois passée la promulgation d’une éventuelle loi, vous savez bien qu’il ne se passera plus grand-chose au Parlement à partir de février. C’est d’ailleurs déjà le cas : le Président de la République et le Gouvernement changeant d’avis d’un jour à l’autre, il ne se passe rien. Il ne serait donc pas gênant que tel ou tel député démissionne… On assiste ainsi régulièrement à des élections partielles. Mais, même si quelques parlementaires démissionnaient sans que se tiennent d’élections partielles puisque nous serions dans les quelques mois précédant les élections législatives, cela n’empêcherait pas le système de fonctionner.
Je vous rassure encore une fois, madame la secrétaire d’État : je n’espérais pas une autre réponse que celle que vous m’avez donnée. En effet, ceux qui comme moi ont suivi ce dossier ont pu constater qu’il y avait autant de cumulards féroces à gauche qu’à droite.
C’est même l’un des rares tours de force de l’actuel gouvernement, qui n’a pas fait grand-chose à part cela (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), que d’être parvenu à faire passer une disposition sur le cumul des mandats alors que sa propre majorité était plus ou moins « vent debout » contre. L’ancienne suppléante à l’Assemblée nationale de M. Hollande était ainsi à la pointe du combat pour défendre les cumuls.
Je considère pour ma part qu’il s’agit d’une bonne réforme, mais, je vous le dis incidemment, j’aurais préféré qu’elle soit d’application immédiate.
M. le président. Mon cher collègue, au cours de ma longue vie parlementaire, je n’ai jamais vu qu’un mandat soit réduit. Qu’il soit prolongé, oui, mais qu’on l’ampute, jamais ! Je pense au cas d’un certain nombre de sénateurs élus en 2014 qui tomberaient sous le coup de ces dispositions si elles s’appliquaient dès maintenant. Il faut y réfléchir…
droit au logement opposable et disparité dans la mobilisation du contingent préfectoral entre les départements
M. le président. La parole est à M. Roger Madec, auteur de la question n° 1358, adressée à Mme la ministre du logement et de l’habitat durable.
M. Roger Madec. Madame la ministre, la situation du logement en France est une préoccupation majeure pour un grand nombre de nos concitoyens.
Dans un rapport qu’elle a publié en janvier dernier, la Fondation Abbé Pierre précise que plus de 15 millions de personnes sont touchées par le mal-logement. Elle considère même qu’il y a une aggravation de ce phénomène, qui touche avant tout les ménages aux revenus modestes.
Des mesures ont été prises par le Gouvernement pour répondre à cette crise, avec notamment l’ambition de construire 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, mais on peut regretter que cet objectif n’ait pas été totalement atteint.
La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », fait obligation à l’État de trouver un logement décent aux personnes résidant en France qui ne peuvent parvenir elles-mêmes à se loger correctement. On ne peut donc que déplorer, au vu de la faiblesse de l’offre, que des résultats tangibles se fassent toujours attendre.
Pourtant, des solutions existent. Dans le rapport, rendu public en 2015 par le comité de suivi de la loi DALO, il est ainsi constaté qu’une fois réservés les logements sociaux disponibles du contingent préfectoral ne sont pas toujours utilisés pour reloger les ménages prioritaires.
Malgré l’absence de statistiques au niveau national, les observations du comité de suivi font apparaître des disparités importantes selon les départements. Ces différences peuvent s’expliquer par le choix opéré par les représentants de l’État entre les différents modes de gestion du contingent préfectoral : la gestion en direct, une gestion en stock déléguée aux bailleurs sociaux, ou une gestion en flux, elle aussi déléguée aux organismes d’HLM. Pour ce dernier cas, la gestion du contingent préfectoral peut être confiée au maire.
Si l’intérêt de la délégation peut présenter des avantages dans le traitement des demandes à l’échelle d’un territoire, elle peut être utilisée par certains pour limiter la venue de ménages reconnus éligibles au titre du DALO sur leur territoire. On peut ainsi déplorer que la gestion déléguée devienne un obstacle à l’application du droit au logement.
Dans la région Île-de-France, que vous connaissez très bien, madame la ministre, puisque vous y avez exercé avec talent des fonctions en matière de logement, les statistiques de la DRIHL, la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, en sont l’illustration.
Ainsi, les logements relevant du contingent préfectoral sont affectés aux ménages prioritaires à hauteur de 90 % à Paris, de 75 % en Seine-et-Marne, de 76 % en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, de 42 % dans les Yvelines, de 43 % dans le Val-d’Oise, de 54 % dans l’Essonne. Dans le département des Hauts-de-Seine, ce taux n’est plus que de 23 %.
Le taux de mobilisation, extrêmement faible dans ce dernier département, met en évidence, selon le comité de suivi de la loi DALO, un détournement de la vocation du contingent préfectoral. Le fait que le contingent des Hauts-de-Seine soit délégué aux municipalités apparaît préjudiciable pour le relogement des familles prioritaires DALO. La sous-utilisation du contingent préfectoral dans les départements possédant un faible taux de relogement met en évidence les progrès qui pourraient être réalisés simplement en ayant recours à l’offre existante.
Il apparaît urgent d’engager une mobilisation efficace de ce contingent, qui serait suffisant pour reloger les ménages prioritaires.
Si je ne suis pas partisan d’une remise en cause de la gestion en flux délégué, dont le mode est d’ailleurs appelé à se généraliser, je considère que les contrôles du représentant de l’État sont perfectibles.
Madame la ministre, vous avez présenté au conseil des ministres du 13 avril dernier un projet de loi ambitieux intitulé « Égalité et citoyenneté », dont le volet relatif au logement social aura pour ambitieux d’atténuer la ghettoïsation de certains territoires, en imposant aux bailleurs sociaux des pratiques plus transparentes et équitables, et aux maires récalcitrants le respect de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ».
Les mesures annoncées vont dans le bon sens. Je souhaite donc attirer votre attention sur ces difficultés dans la mobilisation du contingent préfectoral, afin de rendre le droit au logement opposable, qui est un droit universel, réellement efficace. Ces mesures permettront sans aucun doute d’accroître le volontarisme du Gouvernement dans le cadre de sa politique plus globale en matière de logement et de répondre en partie au million de nos concitoyens en attente d’un logement social.
Enfin, je tiens à vous remercier, madame la ministre, d’être venue en personne pour me répondre. Cette question était destinée à votre prédécesseur, à qui j’avais posé trois questions écrites sur le sujet et qui ne m’avait jamais répondu…
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. J’ai souhaité venir vous répondre, monsieur le sénateur, car vous aussi êtes très impliqué dans le domaine du logement, et vous posez des questions tout à fait justes sur la mise en œuvre du droit au logement opposable.
Il me semble que nous devons aujourd’hui faire mieux et plus, et vous avez eu raison, à cet égard, de rappeler les chiffres.
Je souhaite revenir, tout d’abord, sur la création du droit au logement opposable en 2007. Il s’agissait d’une évolution majeure pour les personnes mal logées, pour celles qui vivent dans un habitat insalubre, qui n’ont pas de logement, ou qui connaissent des situations de suroccupation. Elles avaient besoin de voir leur situation ainsi que l’urgence de leur relogement reconnues au niveau constitutionnel.
Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, de nombreux ménages se sont engagés dans la procédure du droit au logement opposable. Aujourd’hui, à peu près 55 000 ménages sont concernés par la question du relogement lié au DALO, dont 40 000 en Île-de-France, région dans laquelle la pression est très forte en la matière.
Il a fallu du temps pour que cette loi entre dans les mœurs et pour que les préfets portent attention à ce problème.
Aujourd’hui, les choses sont très claires : le Gouvernement a demandé à ces derniers d’utiliser tous les pouvoirs liés au contingent préfectoral dont ils disposent pour reloger les publics concernés par le DALO, mais aussi l’ensemble des ménages prioritaires, et de poursuivre constamment cet effort afin que les choses avancent. En Île-de-France, où le nombre de bénéficiaires reconnus est le plus élevé, 12 000 ménages ont ainsi été relogés – ce qui ne signifie pas que ce soit suffisant.
La loi de 2007 a aussi permis que les préfets, en lien avec les collectivités territoriales, délèguent leur contingent aux communes. Cela explique le chiffre que vous avez cité pour les Hauts-de-Seine. Dans ce département en effet, la délégation a empêché que les publics prioritaires soient relogés comme ils auraient dû l’être.
C’est pour cette raison que j’ai présenté dans le cadre du projet de loi « Égalité et citoyenneté » des dispositions, dont nous débattrons ensemble ici, qui redonnent aux préfets l’entièreté de l’utilisation de leur contingent.
Je tiens à vous préciser quel est mon état d’esprit : l’État doit s’engager totalement dans la mise en œuvre du DALO et assumer les responsabilités qui en découlent. Il doit donc utiliser l’ensemble de son contingent pour loger les bénéficiaires du DALO.
Cela signifie aussi que l’État travaille avec les collectivités. Il doit donc être possible, dans le cadre d’une négociation avec l’ensemble des élus locaux, de réfléchir aux solutions pour reloger toujours mieux, et de façon prioritaire, les publics concernés.
C’est pour cette raison que nous avons signé avec Action Logement, les représentants du 1 % logement, un accord pour l’Île-de-France dans lequel nous lui demandons de reloger sur son contingent 25 % de bénéficiaires du DALO. Il faut en effet savoir qu’un tiers des bénéficiaires franciliens relèvent du 1 % logement.
Je souhaite donc que les préfets se mobilisent davantage, qu’ils reprennent leur contingent, ce qui est l’objet de la disposition précitée du projet de loi que nous vous soumettrons. Par ailleurs, nous poursuivons l’effort sans précédent engagé en matière de construction de logements, de captation de logements dans le parc privé, de sollicitations de mobilisation auprès des élus locaux qui s’engagent en faveur du logement sur l’ensemble du territoire, afin que le DALO demeure un droit intangible, impartial, et surtout qu’il soit mis en œuvre totalement pour les ménages qui connaissent des conditions de logement difficiles.
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Je serai plus bref que Jean Louis Masson : je n’ai rien à ajouter, si ce n’est que la réponse de Mme la ministre me satisfait entièrement et que les éléments de réponse qu’elle a apportés vont dans le bon sens.
contrôle de l'utilisation des fonds publics dans les écoles privées
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 1367, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Dominique Watrin. Vous connaissez, madame la ministre, les nombreuses mesures financières favorables à l’école privée prises ces dernières décennies par les gouvernements successifs. Elles n’ont jamais été remises en cause, alors que l’enseignement confessionnel peut mettre en avant son « caractère propre » pour refuser certaines obligations de service public et que, dans le même temps, plus de 800 communes de France sont sans école publique.
Ma question ne vise pas à rallumer la guerre scolaire. Elle porte sur un constat de déséquilibre entre, d’une part, les obligations de financement des établissements d’enseignement privé sous contrat d’association par les collectivités locales, à parité avec les moyens attribués aux établissements publics de même niveau, et, d’autre part, l’absence presque totale de comptes que ces établissements privés doivent rendre aux collectivités locales. En effet, le représentant de la collectivité concernée est, au mieux, invité à titre d’observateur à la réunion du conseil d’administration qui porte sur le budget de l’établissement.
Madame la ministre, cette question est devenue encore plus sensible pour les maires quand il leur est demandé de réduire leurs dépenses de fonctionnement, et donc de justifier chaque euro dépensé. Cette interpellation émane notamment de maires de gauche, de sensibilité politique différente de la mienne, de mon département. Ces maires font le constat de dépenses ascendantes : 200 000 euros de forfait communal à Lens, multiplication par deux en cinq ans du forfait de la petite commune de Bouvigny-Boyeffles, contrainte d’appliquer strictement la loi…
L’incompréhension porte notamment sur l’obligation pour les collectivités d’intégrer les sommes consacrées à des projets éducatifs, culturels et sportifs menés avec les écoles publiques au calcul du forfait communal, alors que ces activités ne sont pas menées dans les écoles privées.
Madame la ministre, pensez-vous donner prochainement davantage de moyens d’information, de contrôle et de transparence aux maires ?
Comment s’effectuent actuellement les contrôles par les trésoriers-payeurs généraux ou les chambres régionales des comptes ? Quels sont la nature et le volume, en pourcentage, de ces contrôles ? Quelles sanctions peuvent être prises en cas de dérive ou de non-utilisation des budgets publics dans l’intérêt des élèves ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Je vous prie, monsieur le sénateur, d’excuser l’absence de la ministre de l’éducation nationale, retenue par la réunion mensuelle des recteurs.
Vous dénoncez un manque de transparence dans les relations financières entre les communes et les établissements d’enseignement privés sous contrat, et interrogez le Gouvernement sur la consistance du forfait communal.
Selon l’article L. 442-5 du code de l’éducation, ce forfait est calculé par rapport aux dépenses de fonctionnement des classes des écoles publiques de la commune. Par conséquent, le forfait communal versé aux écoles privées n’inclut pas les dépenses engagées par la commune pour les activités périscolaires, puisque celles-ci ne constituent pas des dépenses de fonctionnement des classes.
S’agissant du financement des activités périscolaires, le Gouvernement a tenu ses engagements en pérennisant le fonds de soutien aux communes qui organisent ces activités.
Ce fonds est ouvert aussi bien pour les élèves des écoles publiques que pour ceux des écoles privées sous contrat, respectant ainsi le principe d’égalité entre l’enseignement public et l’enseignement privé.
Par ailleurs, je souhaite rappeler que deux dispositifs sont prévus par la loi pour permettre aux élus locaux de s’assurer que l’établissement privé sous contrat affecte les fonds publics conformément à la réglementation.
En premier lieu, la loi prévoit la participation d’un représentant de la commune siège de l’établissement aux réunions de l’organe délibérant de l’organisme de gestion. Cette règle, qui garantit un droit de regard sur le budget des classes sous contrat, est aussi appliquée aux communes où résident au moins 10 % des élèves : elles ont droit à un représentant au sein de l’organe délibérant de l’organisme de gestion puisqu’elles contribuent aux dépenses.
En second lieu, dans chaque académie, une commission de concertation, qui est notamment composée de représentants des collectivités territoriales, peut être sollicitée sur toute question relative à l’utilisation des fonds publics versés aux établissements privés.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, la loi prévoit d’ores et déjà les outils de contrôle nécessaires pour assurer la transparence du financement des écoles privées sous contrat et répond donc à votre légitime préoccupation.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Madame la ministre, ma question portait non pas sur les activités périscolaires au sens propre du mot, mais sur les autres projets éducatifs, culturels, sportifs menés par les communes avec les établissements publics.
Je n’ai pas été convaincu par votre réponse, car, dans la réalité, les exigences touchant à l’information des collectivités locales et à la nécessaire transparence à tous les niveaux sont très insuffisamment satisfaites. Vous n’avez pas évoqué ce point.
Je me contenterai, pour illustrer mon propos, de reprendre un extrait d’un document de la Fédération nationale des organismes de gestion des établissements d’enseignement catholique : « Les informations communiquées au TPG étant issues de la comptabilité, il a tout naturellement accès à l’ensemble des informations et pièces justificatives qui ont permis de l’établir ; par contre, les informations et pièces justificatives relatives aux activités et au patrimoine de la gestion patrimoniale et non scolaire n’étant pas de son ressort, le TPG n’y a pas accès. »
Pour conclure, je veux rappeler que l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946, repris dans notre Constitution, pose le principe de l’obligation pour l’État d’organiser l’enseignement public, gratuit et laïc à tous les degrés. Or, dans près de 1 000 communes de France, les parents n’ont pas la possibilité de choisir une école publique, puisqu’il n’y en a pas !
restrictions de circulation des convois exceptionnels dans l’aisne
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, auteur de la question n° 1368, transmise à M. le ministre de l'intérieur.
M. Yves Daudigny. Ma question a trait aux conséquences des restrictions de circulation des convois exceptionnels dans l’Aisne pour les entreprises du territoire fabriquant des pièces de très grande taille destinées à l’industrie.
Comme le prévoit le code de la route, les véhicules de plus de 44 tonnes, d’une largeur supérieure à 2,55 mètres et d’une longueur supérieure à 22 mètres relèvent de la catégorie des transports exceptionnels soumis à autorisation. Cette disposition a pour but de garantir la sécurité des usagers et de préserver le patrimoine des gestionnaires d’infrastructures, qui sont consultés avant l’octroi de l’autorisation.
Or, au fil du temps et de la détérioration des équipements routiers, par manque d’investissements, ces autorisations sont de plus en plus souvent refusées.
L’entreprise, pour pouvoir livrer sa marchandise, est donc contrainte à d’onéreuses solutions. Dans le meilleur des cas, un itinéraire plus long pourra être trouvé, mais trop souvent la marchandise doit être modifiée, c'est-à-dire découpée, allégée. Cette dernière solution entraîne des délais de fabrication plus longs, un réassemblage sur site et des solutions coûteuses pour maintenir les caractéristiques techniques.
C’est le cas d’une entreprise de Charmes, dans le département de l’Aisne, dont 70 % de la production sont des pièces de plus 50 tonnes, qui doit supporter des surcoûts de plus de 50 000 euros par livraison et des délais de production allongés d’une semaine pour adapter la pièce au transport.
Ainsi, la réactivité et la qualité de service de ces entreprises sont entravées par le défaut d’entretien des circuits d’acheminement. La compétitivité de l’entreprise et du territoire s’en trouve menacée.
Alors que, vous le savez, l’Aisne souffre d’un enclavement tant routier que ferroviaire et que son niveau de chômage est, malheureusement, parmi les plus élevés de France, il serait souhaitable, et même indispensable, que les entreprises puissent être mises à même de livrer les marchandises qu’elles produisent et que leurs clients attendent, sans évidemment que soit sacrifiée la sécurité des usagers, qui est impérative.
Je souhaiterais connaître les mesures qui peuvent être envisagées pour permettre à une société employant près de 185 salariés, faisant 70 millions d’euros de chiffre d’affaires et dont l’Aisne ne saurait se passer, de poursuivre son travail.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui est retenu ce matin par une cérémonie de commémoration.
Lors du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 17 juillet 2013, le Premier ministre a décidé de lancer une expérimentation en région Nord-Pas-de-Calais dans le but de simplifier la procédure pour tous les acteurs économiques, notamment les transporteurs, et pour les services de l’État qui instruisent les demandes.
Cette expérimentation a permis le remplacement du système d’autorisation par un système de déclaration en ligne et la création d’itinéraires prédéterminés pour la circulation des transports exceptionnels de deuxième et troisième catégories, après avoir recueilli l’accord préalable des gestionnaires de voirie.
Par ailleurs, les autorisations délivrées sont valables, d’une part, pour tous les convois dont la dimension et la masse sont inférieures à celles qui sont indiquées dans l’autorisation et, d’autre part, quelle que soit la nature du chargement.
Les résultats de cette expérimentation sont bien accueillis par les transporteurs, qui constatent une diminution significative des délais d’instruction de leurs demandes, d’où la décision du Premier ministre, annoncée le 3 février 2016, de généraliser ce nouveau dispositif à l’ensemble du territoire.
Sur l’initiative de la Délégation à la sécurité et à la circulation routières, un comité de pilotage devrait être réuni afin de moderniser la procédure de délivrance de ces autorisations.
Dans le cadre de ces évolutions prochaines et à l’occasion de la définition des itinéraires avec les autorités locales et les gestionnaires de voirie concernés, la situation particulière de l’entreprise que vous évoquez sera examinée et des solutions pragmatiques pourront être recherchées.
Tels sont les principaux points sur lesquels le Gouvernement travaille dès à présent pour soutenir la compétitivité des industries et des entreprises de transport sur l’ensemble du territoire national.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Madame la ministre, je vous remercie des éléments de réponse que vous venez de m’apporter et que je transmettrai à l’entreprise concernée. Nous veillerons, bien sûr, les uns et les autres à leur mise en œuvre la plus rapide possible.
assurance des équipements et des infrastructures des collectivités locales
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1338, adressée à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre, ma question porte sur les améliorations des processus d’assurance des équipements et des infrastructures des collectivités locales.
Les intempéries qui ont frappé mon département, les Alpes-Maritimes, dans la nuit du 3 au 4 octobre 2015 ont conduit à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de trente-deux communes. Selon les dernières estimations, le coût des dégâts est évalué à environ 700 millions d’euros, dont 85 millions pour les seules communes.
Si les assurances prennent en charge les dommages au cas par cas pour les particuliers en fonction de leur type de contrat, il n’en est pas de même pour les collectivités, qui ne disposent pas d’assurance globale pour leurs équipements.
En effet, légalement, aucun texte de loi n’oblige les collectivités à s’assurer, bien qu’elles souscrivent des contrats spécifiques, par exemple contre les incendies ou pour encadrer leur flotte automobile. Chaque collectivité doit s’adapter en fonction de sa superficie, de sa population et des risques géographiques encourus.
Malgré la disparité des types de dégradations, qui vont des actes de malveillance jusqu’aux catastrophes naturelles, les élus doivent assurer la continuité du service public et remettre leurs équipements en état de fonctionnement le plus rapidement possible, tout en respectant les contraintes budgétaires municipales.
Ainsi, dans le cas des intempéries qui ont frappé les Alpes-Maritimes, les communes ont dû puiser dans leur budget annuel d’investissement pour nettoyer et réparer les infrastructures.
Lors de l’examen de la loi de finances pour 2016, j’avais déposé un amendement visant à réduire les contributions au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales des communes déclarées en état de catastrophe naturelle afin d’alléger leurs charges.
Mon amendement n’a pas été adopté, mais Marylise Lebranchu, votre prédécesseur, s’était alors engagée en séance à « étudier de près le cas des équipements non assurables des collectivités ».
En effet, les fonds spécialement conçus pour la réparation des dommages causés par des calamités publiques ou des catastrophes naturelles que prévoit le code général des collectivités territoriales sont loin de permettre la mobilisation des moyens financiers nécessaires aux communes des Alpes-Maritimes.
Alors que de nombreux équipements municipaux ne peuvent pas être assurés et que les fonds de solidarité ont une capacité financière limitée au regard des dégâts, que comptez-vous entreprendre, monsieur le ministre, en matière d’assurance pour les biens des collectivités ? Envisagez-vous de mettre en place un mécanisme ad hoc afin de venir en aide aux maires ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Madame la sénatrice, l’aide de l’État aux communes des Alpes-Maritimes touchées de manière dramatique par les événements climatiques d’octobre 2015 est apportée sous diverses formes.
Les communes reconnues en état de catastrophe naturelle bénéficient d’un remboursement anticipé du Fonds de compensation de la taxe pour la valeur ajoutée, le FCTVA. Les dispositifs de soutien à l’investissement, tels que les crédits du Centre national pour le développement du sport, des agences de l’eau et du volet territorial du contrat de plan État-région sont mobilisés. Par ailleurs, les communes éligibles pourront solliciter l’aide du fonds d’investissement de 800 millions d’euros créé par la loi de finances pour 2016.
Dans le cadre de la dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques, une mission d’inspection interministérielle a été diligentée le 15 octobre 2015 pour évaluer l’ensemble des dégâts causés sur les biens non assurés des collectivités territoriales. Le rapport définitif a été remis le 23 mars 2016.
En concertation avec la direction départementale des territoires et de la mer, la mission a défini les critères de calcul des indemnisations des dégâts éligibles, qui s’élèvent à 34,3 millions d’euros, et propose une indemnisation à hauteur de 16 millions d’euros.
En premier lieu, elle a contrôlé l’éligibilité de la collectivité au regard de sa situation géographique et de celle des dégâts par rapport à l’événement climatique, puis la réalité des dégâts et du caractère proportionné du montant de leur estimation faite lors du contrôle de premier niveau effectué par la direction départementale des territoires et de la mer.
L’assiette finale de subvention tient compte de la vétusté des biens, qui donne lieu à des abattements entre 0 % et 100 %, et du seuil de 1 % entre le montant des travaux éligibles et le total du budget de la collectivité.
Au titre des travaux d’urgence, le département des Alpes-Maritimes a bénéficié d’une avance de crédits en autorisations d’engagement et en crédits de paiement de 10 millions d’euros en novembre 2015. En raison des dates de clôture de la gestion 2015, ces montants n’ont pu être utilisés en totalité.
Toutefois, la délégation d’autorisations d’engagement a permis l’engagement juridique de 9,95 millions d’euros et la délégation de crédits de paiement un mandatement de 6,7 millions d’euros. Le solde de l’indemnisation prévue, soit 6 millions d’euros, sera prochainement délégué au département des Alpes-Maritimes.
Ce mécanisme d’indemnisation permet d’accompagner financièrement les collectivités touchées par des événements climatiques pour la réparation de leurs biens non assurés.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos éléments de réponse.
Je rappelle toutefois l’ampleur des dégâts : leur montant est estimé à 700 millions d’euros. Certes, vous l’avez rappelé, la solidarité nationale a joué – heureusement ! –, et ce à plusieurs titres. La solidarité s’est aussi exercée au niveau des collectivités territoriales, dans le département des Alpes-Maritimes. Néanmoins, elle n’a pas été suffisante pour compenser les dégâts causés par ces intempéries aux conséquences particulièrement lourdes.
Pour faire face aux catastrophes exceptionnelles, il faudrait peut-être pousser plus avant la réflexion et examiner comment, de façon très encadrée évidemment, une aide elle aussi exceptionnelle pourrait être accordée aux collectivités durement touchées. La priorité immédiate étant donnée à la réparation des dégâts, ces collectivités doivent, pendant un certain temps en tout cas, renoncer à faire des investissements qui auraient pu ou dû se réaliser dans le même temps, ce qui joue toujours en défaveur des populations concernées.
Vous avez à juste titre rappelé ce que l’État avait fait. Le président Gérard Larcher a aussi montré la solidarité sénatoriale à l’égard du département des Alpes-Maritimes. Néanmoins, je le redis, il faut poursuivre la réflexion pour trouver un mécanisme ad hoc qui serait exceptionnel, mais permettrait de mieux pallier des dégradations dont le coût est extrêmement important pour les collectivités.
recettes de la communauté d'agglomération des trois frontières et accord franco-suisse sur l'aéroport de bâle-mulhouse
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 1357, adressée à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, j’aimerais attirer votre attention sur les inquiétudes des élus de la communauté d’agglomération des Trois frontières, la CA3F, quant aux répercussions potentielles sur ses finances de l’accord portant sur la fiscalité applicable à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, actuellement en négociation entre la France et la Suisse.
Le 23 janvier 2016, le Président de la République a annoncé, à l’occasion de l’inauguration du musée Unterlinden de Colmar, qu’un accord sur la fiscalité applicable à l’aéroport de Bâle-Mulhouse serait prochainement introduit dans une convention entre la France et la Suisse.
En effet, l’EuroAirport bénéficie d’un statut sui generis qui est à l’origine, depuis une dizaine d’années, d’une certaine insécurité juridique compromettant son avenir.
Créé par la convention de Berne du 4 juillet 1949, cet établissement franco-suisse de droit public présente la singularité d’être doté de deux secteurs d’activité, français et suisse, tous deux entièrement situés sur le territoire français.
S’agissant de l’avenir d’un outil stratégique contribuant, depuis maintenant plus de cinquante ans, à la fois au développement économique de notre région et à son rayonnement international, je me suis bien sûr réjouie de l’annonce faite par le Président de la République.
Toutefois, si le contenu définitif de cet accord n’est pas encore connu, certaines mesures, dont auraient déjà convenu les deux pays, suscitent l’inquiétude des élus de la communauté d’agglomération des Trois frontières.
Plus précisément, il s’agit de l’exonération des entreprises situées dans le secteur douanier suisse des taxes locales et, en particulier, de la contribution économique territoriale, ou CET.
Or cette contribution constitue une part non négligeable des ressources fiscales de la CA3F. À titre d’exemple, en 2014, la CET représentait plus de 2 millions d’euros de recettes fiscales. Si la communauté d’agglomération des Trois frontières venait à en être privée, elles se trouveraient en proie à de sérieuses difficultés et certains investissements seraient compromis.
En conséquence, je souhaiterais savoir quelles sont exactement les taxes visées par l’accord en discussion et comment l’État envisage de concilier les exonérations avec le principe de libre administration des collectivités, qui interdit la suppression sans compensation d’un impôt local, dès lors qu’il représente une part non négligeable des recettes de la collectivité.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, intégralement situé sur le territoire français, l’aéroport de Bâle-Mulhouse est un établissement public sui generis régi par une convention franco-suisse signée le 4 juillet 1949, portant à la fois sur la construction et l’exploitation de l’aéroport. Sa particularité est de comporter, outre un secteur douanier français, un secteur douanier suisse exploité sous droits de trafic accordés par la Confédération suisse.
Afin d’assurer l’attractivité et le développement des activités de cet aéroport, il est apparu nécessaire de clarifier les modalités d’application de la législation française, notamment fiscale, à l’établissement aéroportuaire et aux entreprises sises dans le secteur douanier suisse. Tel est l’enjeu de l’accord international que les autorités françaises et suisses ont convenu de négocier en vue d’établir un régime juridique pérenne et dont la déclaration du 23 janvier 2016 dessine les premiers contours, ou, plutôt, ne dessine que les premiers contours – nous n’en sommes qu’au commencement !
En ce qui concerne les taxes locales, plus précisément la cotisation foncière et la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, cet accord prévoira qu’elles ne seront pas dues par les entreprises actuellement sises dans le secteur douanier suisse. Le dispositif inclura un volet mettant en place cette exonération, de même que les éventuels mécanismes de compensation pour les collectivités locales concernées. Dans l’attente de la conclusion de cet accord, le statu quo s’applique.
Les autorités françaises veilleront à ce que les négociations aboutissent à un accord global et équilibré sur l’ensemble des questions fiscales, avec le souci de favoriser le développement économique et social de la région, dont l’aéroport, vous l’avez rappelé, constitue une infrastructure essentielle.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, nous devons en effet être très vigilants s’agissant de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Les élus du secteur se battent sur le plan juridique pour que la réglementation s’applique. Vous comprenez nos inquiétudes.
J’espère surtout que nous recevrons un courrier de votre part qui précisera les modalités de l’accord. L’agglomération est en train de se construire et elle a besoin de précisions pour ne pas rester dans un vide juridique. Mais, puisque nous avons rendez-vous demain après-midi, je suis certaine que vous nous apporterez des précisions.
intégration des départements de la petite couronne au sein de la métropole du grand paris
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, auteur de la question n° 1362, adressée à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le ministre, ma question concerne la métropole du Grand Paris. Je souhaite vous interroger sur la perspective de la fusion des quatre départements au sein de cette métropole – Paris, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis – en vue de la création d’un nouvel établissement.
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », a créé la grande métropole de Paris, mais, nous le savons, l’idée sous-jacente était d’aller plus loin dans l’intégration, notamment en faisant disparaître les quatre départements, lesquels seraient fusionnés au sein de cette métropole. Un débat a eu lieu au Sénat : la ministre d’alors nous avait fait part de cette perspective en précisant que les choses n’étaient pas mûres et qu’il fallait encore attendre.
D’ailleurs, les Premiers ministres qui se sont succédé, que ce soit Jean-Marc Ayrault ou Manuel Valls, ont affirmé leur volonté de réaliser la fusion des départements avec les métropoles. À Paris, c’est véritablement, me semble-t-il, une nécessité. On se retrouve aujourd’hui avec cinq échelons territoriaux : la commune, l’établissement public territorial, qui remplace les anciennes intercommunalités, le département, la métropole et la région.
En empilant ces cinq niveaux de responsabilité, on dilue la décision, on crée des coûts supplémentaires, on ne rend pas les décisions lisibles pour les populations. In fine, c’est la qualité du service public local rendu par ces collectivités qui en pâtit.
Aussi, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur le rapprochement et la fusion des départements et de la métropole, au sein d’une collectivité dont l’évolution serait un peu à l’image de celle qu’a connue la métropole de Lyon.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous évoquez la question de l’intégration du département de Paris ainsi que des départements de la petite couronne parisienne au sein de la métropole du Grand Paris.
L’achèvement de la carte intercommunale est une étape importante pour l’efficacité et la mise en cohérence de l’action publique, mais aussi pour l’attractivité et la cohésion du Grand Paris. Je ne doute pas qu’elle sera également un outil puissant de solidarité. C'est d’ailleurs une nécessité.
La création de la métropole du Grand Paris touche un périmètre regroupant 131 communes et près de 7 millions d’habitants. Elle intervient dans quatre grands domaines de compétences stratégiques : l’aménagement de l’espace métropolitain, la politique locale de l’habitat, le développement économique, ainsi que la protection de l’air et de l’environnement.
Dans son périmètre au 1er janvier 2016, la métropole intègre l’ensemble des communes et des départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint Denis et du Val-de-Marne, ainsi que des communes de l’Essonne et du Val-d’Oise. Elle est par conséquent la seule métropole dans laquelle des départements sont inclus dans leur totalité.
La constitution de la métropole interroge dès lors l’avenir des quatre conseils départementaux du cœur de l’agglomération. L’intégration au sein de la métropole de leurs compétences constituerait l’une des voies permettant de garantir une plus grande solidarité entre les habitants, et de simplifier le dispositif institutionnel, ce qui, dans ce secteur de l’Île-de-France et du Grand Paris, est particulièrement nécessaire.
Cette réforme me semble toutefois prématurée à ce stade. La suppression des départements de la petite couronne parisienne rendrait en effet nécessaire la transformation de la métropole en collectivité à statut particulier et nécessiterait une réforme des règles organisant la composition du conseil métropolitain. Vous suggérez en ce sens, dans votre proposition de loi, d’aligner son statut sur celui de la métropole de Lyon.
Le législateur, tenant compte de l’histoire particulière de l’Île-de-France et du retard de l’intercommunalité dans cette zone, a fait le choix d’organiser une montée en puissance de la métropole, échelonnée sur plusieurs années – contrairement à ce qui s’est fait ailleurs, notamment à Marseille –, avec une prise des compétences liées à l’aménagement et au logement au 1er janvier 2017, la nécessaire définition de l’intérêt métropolitain sur un certain nombre de compétences devant elle intervenir avant le 1er janvier 2018.
Il convient également de rappeler que des dispositions spécifiques sont applicables en matière fiscale aux établissements publics territoriaux jusqu’au 31 décembre 2020.
Ainsi, la question de l’avenir des conseils départementaux inclus dans la métropole du Grand Paris, si légitime soit-elle, ne se posera véritablement qu’à partir du moment où cette métropole aura achevé sa montée en puissance, c’est-à-dire en 2020.
Je crois cependant utile, et vous avez raison d’avoir posé cette question, d’y réfléchir dès maintenant, car cette orientation est davantage de nature à assurer la cohérence de l’action métropolitaine et la solidarité que les hypothèses de rapprochements de départements de l’Ouest francilien.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je note que vous ouvrez la perspective d’un rapprochement entre les départements et la métropole, même si cela prendra du temps. La loi de 2015 a créé une première étape ; il faudra ensuite gravir les différents échelons.
C'est dans ce sens, d’ailleurs, que le débat avait été conduit en 2015. J’espère contribuer à la réflexion avec une proposition de loi que j’ai déposée, visant à aller dans le sens du modèle lyonnais.
Je l’avoue, j’ai été incité à accélérer le mouvement, car je suis inquiet du projet de fusion des départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine. De l’aveu même de leurs présidents, cette perspective n’a qu’un seul objectif, celui de saboter la métropole. J’incite donc le Gouvernement à être vigilant.
On ne peut pas accepter que deux départements qui n’ont pas grand-chose en commun fusionnent simplement pour permettre à leurs élus de conserver leurs pouvoirs et à leurs collectivités de garder leur coffre-fort financier pour éviter de le partager au niveau métropolitain. En définitive, je le redis, il s’agit uniquement de saboter la mise en place d’une métropole que tout le monde appelle de ses vœux et qui correspond aux aspirations de la population.
Nous sommes confrontés à une opération de déstabilisation. Il est très important que le Gouvernement rappelle que le projet de fusion entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines n’est pas souhaitable, que la perspective est bien la métropole du Grand Paris et, à terme – nous avons le temps d’y réfléchir d’ici à 2020 –, la fusion des départements et de la métropole pour créer une nouvelle collectivité.
Nous devons poursuivre nos réflexions dans cette voie. Je suis bien sûr disposé à y participer avec ma proposition de loi, qui peut, bien entendu, être discutée et amendée. Je suis tout à fait favorable à ce que le Gouvernement prenne vraiment les choses en mains dans ce dossier.
modalités de recensement des logements sociaux dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 1343, transmise à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’existence de divergences entre le recensement des logements sociaux prévu par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », et celui qui est réalisé en application du code général des collectivités territoriales dans le calcul de la DGF, la dotation globale de fonctionnement.
Cette différence s’avère particulièrement préjudiciable pour les communes implantées en zone rurale et qui font des efforts en matière de mixité sociale. En effet, la part des logements sociaux dans le parc total de logements est un critère utilisé pour déterminer l’éligibilité à la DGF et le montant dû au titre de la DSU, la dotation de solidarité urbaine.
Or, alors que cette donnée est également au cœur de la mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU, le périmètre retenu au titre de la DGF est différent de celui qui est fixé pour l’inventaire annuel effectué en application de ce texte. Ainsi, l’inventaire au titre de la loi SRU intègre les logements sociaux appartenant à des personnes privées et conventionnées, c’est-à-dire ayant bénéficié de prêts aidés ou d’aides spécifiques de l’État, ainsi que les foyers d’urgence ou de réinsertion, tandis que le recensement des logements sociaux au titre de la DGF, effectué à la demande du ministère du budget, exclut ces données.
Par ailleurs, la législation actuelle instaure un système à deux vitesses pour les communes : celles qui font un effort en matière de construction de logements sociaux ne sont pas aidées par l’État si leur population est inférieure à 5 000 habitants, seules les communes dépassant ce seuil bénéficiant d’une bonification de leur DGF via la DSU.
Bien que justifiée par des considérations techniques, cette double différence dans le dénombrement des logements sociaux constitue une source d’incompréhension pour les collectivités rurales. En l’état du droit, l’inventaire des logements sociaux réalisé au titre de la loi SRU ne peut donc pas être utilisé pour le calcul de la DGF. Dans mon département, le président de l’union des maires s’est ému de l’exclusivité de l’attribution d’aides de l’État aux seules communes urbaines en matière de logement social.
Eu égard à l’amélioration substantielle de ce recensement, et dans un souci de simplification des modalités de calcul de la DGF, la suppression de l’une de ces deux techniques de dénombrement – celle du ministère du budget ou celle du ministère du logement – devrait être examinée. Cela pourrait s’accompagner d’une ouverture des aides publiques aux petites communes rurales qui construisent des logements sociaux.
Aussi, je vous demande d’indiquer les clarifications, modifications, précisions réglementaires et législatives que le Gouvernement serait susceptible d’adopter ou de proposer en ce sens.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Bernard Cazeau, si les logements sociaux n’ont pas d’effet sur la dotation forfaitaire des communes, ils constituent effectivement l’un des critères de charges utilisés pour la répartition de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, et pour le calcul du reversement du FSRIF, le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France.
La possibilité d’une harmonisation a été étudiée par les groupes de travail du Comité des finances locales sur la réforme de la DGF entre mars et juillet 2015, réforme à laquelle nous travaillons d’ailleurs toujours.
Toutefois, plusieurs obstacles s’opposent à une telle harmonisation. D’une part, le champ des communes concernées par la loi SRU ne correspond pas à celui des communes potentiellement bénéficiaires de la DSU ou du FSRIF, c’est-à-dire les communes ayant une population supérieure à 5 000 habitants, vous l’avez rappelé. À titre d’exemple, en 2015, sur les 2 159 communes de France métropolitaine ayant une « population DGF » supérieure à 5 000 habitants, seules 1 437 étaient comprises dans le champ des communes SRU. Si les données issues de la loi SRU avaient été reprises pour le calcul de la DSU, les logements sociaux de 722 de ces communes n’auraient pas pu être comptabilisés.
En outre, le recensement des logements sociaux effectués dans le cadre de la répartition des concours financiers de l’État ne comprend que les communes ayant une population supérieure à 4 500 habitants – vous l’avez aussi souligné.
Les services de mon ministère recensent les logements sociaux des communes de 5 000 habitants et plus, mais également ceux des communes de 4 500 à 4 999 habitants, au cas où celles-ci dépasseraient le seuil des 5 000 habitants l’année suivante, afin de pouvoir observer la variation de leur parc de logements sociaux d’une année sur l’autre. Il n’est donc pas non plus possible d’utiliser ce recensement dans le cadre de la loi SRU, puisque les données des communes ayant une population inférieure à 4 500 habitants manqueraient.
Du fait de ces différences méthodologiques de recensement des logements sociaux, il n’est donc pas possible de fusionner les recensements effectués dans le cadre de la loi SRU et ceux qui sont réalisés dans le cadre de la répartition des concours financiers de l’État.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je vous remercie. Je prends note de votre réponse en ayant bon espoir qu’une évolution interviendra en ce domaine pour ces petites communes rurales que vous avez pour habitude de défendre.
6
Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois ont proposé trois candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Cyril Pellevat, Jean-Yves Roux et Jean-Pierre Vial membres du Conseil national de la montagne.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
7
Désignation d’un sénateur en mission temporaire
M. le président. Par courrier en date du 10 mai 2016, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L. O. 297 du code électoral, Mme Odette Herviaux, sénatrice du Morbihan, en mission temporaire auprès de lui.
Cette mission portera sur la simplification des normes applicables aux exploitations agricoles.
Acte est donné de cette communication.
8
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Centre scientifique et technique du bâtiment.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter une candidature.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
9
Prorogation de l’état d’urgence
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (projet n° 574, texte de la commission n° 582, rapport n° 581).
Mes chers collègues, comme je l’ai annoncé en conférence des présidents, nous voterons, à ma demande, par scrutin public sur l’ensemble de ce projet de loi, conformément à l’article 60 de notre règlement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en raison de la persistance de graves menaces terroristes susceptibles de nous frapper sur l’ensemble du territoire national, le Gouvernement soumet à votre examen une troisième loi de prorogation de l’état d’urgence pour une durée supplémentaire limitée à deux mois.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à remercier particulièrement le président Gérard Larcher, qui témoigne dans ses relations avec l’exécutif, depuis le 13 novembre dernier, sur les sujets qui relèvent de notre souveraineté et de la sauvegarde de notre modèle républicain, d’un sens de l’État qui hisse très haut votre institution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Je remercie aussi le président de la commission des lois, Philippe Bas, qui a permis l’examen de ce projet de loi dans des délais extrêmement contraints.
Je souhaite également adresser un message à Michel Mercier, qui, dans le cadre de ses missions de contrôle, a su faire la synthèse entre un examen intransigeant des prérogatives de l’État et la mesure de la dimension du contexte, qui appelle à une solidarité nationale.
Cette solidarité, je l’ai retrouvée chez les sénateurs de l’ensemble des groupes – même si tous ne voteront pas pour ce texte – et je tenais, au moment où nous examinons une nouvelle loi de prorogation, à témoigner de la reconnaissance du Gouvernement à l’égard de tous pour la qualité du travail mené. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Chacun a pu constater que l’état d’urgence n’était pas synonyme d’arbitraire, et que les décisions prises et les actes effectués sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par la loi, tout comme les raisons justifiant d’y avoir recours et de le prolonger.
De la même manière, les mesures de police administrative que nous prenons en application de l’état d’urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles doivent être strictement proportionnées à la nature de la menace et à l’ordre public qui en découle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs très clairement rappelé le 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence doivent concilier « la prévention des atteintes à l’ordre public » avec « le respect des droits et des libertés », parmi lesquels figurent le droit et la liberté « d’expression collective des idées et des opinions ».
J’ai eu à le dire durant les séances de questions d’actualité : l’état d’urgence n’est pas un état de convenance politique et ne doit pas être détourné de son objet initial, qui consiste à prévenir la commission de nouveaux attentats terroristes. Il en va de la solidité de notre démocratie. Pour la même raison, je veux rappeler le principe essentiel selon lequel l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps que nécessaire.
Aujourd’hui, nous en demandons à nouveau la prorogation, en raison de la persistance d’un péril terroriste et dans un contexte particulier marqué par l’organisation d’événements de dimension internationale qui contribuent au rayonnement de la France.
En ce qui concerne l’intensité de la menace, le 22 mars dernier, Bruxelles a été victime à son tour d’un attentat multisites d’une extrême violence qui a provoqué la mort d’une trentaine de victimes. Le 24 mars suivant, à Argenteuil, grâce à l’action de nos services, nous avons mis en échec un nouveau projet d’attentat, et même sans doute plusieurs.
Si les investigations menées à l’échelle européenne ont permis d’arrêter, au cours de ces dernières semaines, la plupart des membres identifiés appartenant au réseau terroriste ayant fomenté et exécuté les attentats de Paris et de Bruxelles, nous savons que la menace demeure à un niveau élevé. Nous savons aussi que les attentats de Bruxelles ont été commis dans cette ville faute, pour leurs auteurs, d’avoir pu bénéficier du temps nécessaire pour frapper à nouveau la France, car tel était bien leur projet.
Songez que, depuis le début de l’année, les services spécialisés de police ont procédé à 101 interpellations en lien direct avec le terrorisme djihadiste, lesquelles ont donné lieu à 45 mises en examen et à 33 mises sous écrou. Ces chiffres illustrent à eux seuls le niveau de la menace…
L’organisation l’été prochain de l’Euro 2016 et du Tour de France nous impose de faire preuve d’une vigilance redoublée. Ces événements populaires et d’ampleur internationale constituent en effet des cibles potentielles pour les terroristes.
Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre et des résultats qu’elles nous ont permis d’obtenir dans le cadre de la deuxième phase de l’état d’urgence.
Comme vous le savez, dans les premiers jours de l’état d’urgence, en novembre dernier, les forces de sécurité ont conduit plusieurs centaines de perquisitions administratives dans le but de déstabiliser les filières terroristes. Le risque d’une réplique immédiate des attentats qui venaient de frapper notre pays était en effet très élevé, comme l’a démontré la neutralisation, au cours d’une opération à Saint-Denis le 18 novembre dernier, d’Abdelhamid Abaaoud, alors qu’il projetait de commettre un nouvel attentat.
Globalement, il a été procédé à 3 427 perquisitions administratives durant la première période de l’état d’urgence, c’est-à-dire jusqu’au 26 février. Une fois ce considérable travail accompli par les forces de sécurité, le nombre des perquisitions a logiquement diminué pour s’établir à 145 entre le 27 février et le 9 mai.
Vous noterez toutefois que, en dépit de cette baisse du nombre des perquisitions, 162 armes supplémentaires ont encore été saisies au cours de cette deuxième phase, attestant que des personnes particulièrement dangereuses avaient été ciblées. Au total, depuis le déclenchement de l’état d’urgence, 750 armes ont été neutralisées, dont 75 armes de guerre.
En outre, ces perquisitions ont permis de conduire un important travail de renseignement, de levée de doutes et de mise à jour des fichiers. Ce travail s’est poursuivi durant la deuxième phase de l’état d’urgence.
Quant aux suites judiciaires des mesures que nous avons prises, sachez que 594 perquisitions administratives ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure judiciaire, dont 223 du chef d’infraction à la législation sur les armes et 206 du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. À l’issue de ces procédures, 28 informations judiciaires et 67 peines ont été prononcées, et 56 personnes ont été placées en détention, résultats là encore particulièrement significatifs.
Pour ce qui concerne les assignations à résidence, sur les 268 procédures en vigueur au 26 février dernier, 69 ont été renouvelées. Trois nouvelles assignations ont été décidées au cours de cette deuxième phase, ce qui porte à 72 les décisions d’assignations à résidence.
Par ailleurs, deux suspensions ont été prononcées par le juge administratif et une assignation a été abrogée sur l’initiative de l’administration, car, de façon concomitante à l’abrogation, la personne concernée a été expulsée du territoire national.
Je rappelle que, depuis le début de l’état d’urgence, 216 recours en référé ont été engagés devant le juge administratif contre les mesures d’assignation à résidence ; 16 suspensions ont été prononcées et 12 mesures ont été annulées lors de leur examen au fond. Par ailleurs, 9 perquisitions ont fait l’objet d’une annulation contentieuse.
Ces chiffres montrent précisément à la fois que le contrôle exercé par le juge administratif a été rigoureux – contrairement à ce que certains avaient redouté – et que l’administration a agi avec discernement, puisque la très grande majorité des mesures prises ont été validées.
À ce jour et depuis 2013, pas moins de douze attentats ont été déjoués, dont sept depuis janvier 2015. Je veux par conséquent saluer le travail réalisé par les services de renseignement et notamment par la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure. Je rappelle que cette direction est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités terroristes.
J’en viens à présent à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons à nouveau absolument nécessaire.
Au cours de ces derniers mois, plusieurs attentats, qu’ils soient d’ampleur comparable ou inférieure à ceux du 13 novembre dernier, ont été commis à l’étranger contre nos intérêts et nos ressortissants. Les groupes djihadistes ont également visé des alliés directs de la France.
Grâce aux investigations, nous savons que les terroristes impliqués dans les attentats de Bruxelles du 22 mars dernier appartenaient à la même cellule que celle qui a planifié et exécuté les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis. En outre, le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats de Bruxelles, qui ont tué 32 personnes et en ont blessé plus de 300, avaient initialement été envisagés et programmés pour être exécutés en France, avant que les terroristes, pris de cours par les investigations judiciaires menées en Belgique, ne soient contraints de précipiter leur action dans la capitale belge.
À l’heure actuelle, la menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé. La France représente clairement une cible prioritaire en raison du combat résolu qu’elle mène contre les djihadistes au Sahel, en Irak et en Syrie, mais aussi, plus profondément, en raison des principes universels de liberté, de laïcité et d’émancipation qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles et qui font horreur aux terroristes djihadistes.
Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l’abri, ni de considérer que le « péril imminent » qui a justifié, en novembre dernier, la proclamation de l’état d’urgence a disparu.
J’ajoute que, dans les mois qui viennent, les enjeux de sécurité seront d’autant plus complexes à gérer que nous nous apprêtons à accueillir un nombre très important de visiteurs étrangers à l’occasion de l’Euro 2016, du 10 juin au 10 juillet prochain. Comme je l’ai déjà dit, ce grand événement festif d’ampleur internationale constitue une cible potentielle pour les groupes terroristes.
Selon les déclarations faites à la presse belge par le parquet fédéral belge, la France, comme d’autres pays de l’Union européenne, continue d’être visée par des projets de nature terroriste.
Bien entendu, un effort considérable a déjà été engagé, dans le cadre du droit commun, pour renforcer notre dispositif de lutte antiterroriste, avec, notamment, le rétablissement de contrôles aux frontières et le déploiement, sur l’ensemble du territoire national, de 110 000 policiers, gendarmes et militaires de nos armées dans le cadre de l’opération Sentinelle. En outre, le vote de la loi Savary et l’examen en cours du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale nous permettront de prendre le relais.
Cependant, même si nous prenons par ailleurs les précautions qui s’imposent pour garantir la sécurité dans les stades et dans les « fans zones », et même si la mobilisation des forces de l’ordre sera à cette occasion maximale, nous avons besoin de pouvoir recourir à des mesures prévues par l’état d’urgence dans ce contexte spécifique, caractérisé par une absolue nécessité.
La demande de prorogation que le Gouvernement soumet à votre approbation n’est donc ni une mesure de confort ni une facilité. Elle est dictée par l’existence de menaces et par l’ensemble des événements que nous avons pu connaître dans un passé récent.
Avant de conclure, je veux apporter certaines précisions concernant les mesures que nous comptons mobiliser dans le cadre de cette troisième prorogation de l’état d’urgence.
Comme l’autorise la loi du 3 avril 1955, le Gouvernement envisage de ne pas activer, dans ce cadre, l’article 11, qui permet de mettre en œuvre des perquisitions administratives dans des lieux dont on pense qu’ils sont fréquentés par des individus constituant une menace pour l’ordre et la sécurité publics. En effet, cette mesure, que nous avons largement utilisée après les attentats du 13 novembre, ne présente plus aujourd’hui le même intérêt opérationnel, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l’objet d’investigations poussées.
En outre, l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition permettant de réaliser copie des données informatiques recueillies au cours des perquisitions administratives fait perdre une partie de son utilité à cette mesure.
En revanche, les autres mesures continueront d’être mobilisées pour maintenir les individus assignés à résidence, pour interdire à ceux qui font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire, mais qui n’ont pas été assignées à résidence de se trouver à proximité de certains lieux jugés sensibles, ou encore pour établir des périmètres de protection. Les mesures de maintien de l’ordre public en situation de crise grave seront bien sûr activées si elles s’avèrent nécessaires, et ce en conformité parfaite avec les principes de droit posés par la jurisprudence et la Constitution.
Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence, dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement, a de nouveau pour objet de concilier la protection de l’ordre et de la sécurité publics dans le contexte d’une grave menace terroriste avec la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution.
C’est avec cette ambition que le Gouvernement vous soumet cette demande. La commission l’ayant soutenue, nous espérons qu’il en sera de même pour le Sénat dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, comme vient de nous le rappeler M. le ministre de l’intérieur, nous sommes saisis aujourd’hui par le Gouvernement d’une nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence.
Il s’agit pour nous de répondre à une question simple : le Gouvernement a-t-il besoin de maintenir l’état d’urgence pour pouvoir remplir sa mission de maintien de l’ordre public ?
Au-delà du bilan de l’état d’urgence depuis le mois de novembre dernier, bilan que vous trouverez dans le rapport législatif et qui, bien entendu, corrobore celui que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur, nous devons apporter une réponse à cette interrogation au regard des conditions que pose la loi de 1955.
Dans ce court exposé, je voudrais souligner, car cela mérite de l’être, que, s’il n’y a pas eu de réforme de la Constitution pour introduire l’état d’urgence dans notre loi fondamentale, il y a désormais un droit constitutionnel de l’état d’urgence, constitué par les trois décisions du Conseil constitutionnel.
Existe-t-il un risque imminent d’atteinte grave à l’ordre public qui justifie le recours à l’état d’urgence, ou plus précisément à sa prorogation ?
M. le ministre nous a expliqué, tant aujourd’hui que lors de son audition devant la commission des lois, que la menace terroriste était permanente, diffuse et largement présente sur le territoire national et dans les pays voisins. En d’autres termes, le risque d’attentat est à un niveau élevé, comme le démontrent trois événements au moins : les attentats de Bruxelles, ceux qui ont été perpétrés en Afrique sahélienne, où nos soldats mènent la lutte contre Daech, et également les opérations menées à Argenteuil, près de Paris, où les services de l’État ont déjoué une tentative d’attaque terroriste sur le point d’être menée.
La menace terroriste existe donc bel et bien. Même si nous avons appris, un peu, à vivre avec, elle n’en demeure pas moins très actuelle, et elle nécessite un engagement total des forces de l’ordre, auxquelles nous tenons à rendre hommage : depuis le mois de novembre, gendarmes, policiers et soldats assurent la sécurité des Français de façon tout à fait admirable.
La situation est rendue plus complexe encore par l’organisation de deux événements sportifs très importants : l’Euro 2016 de football et le Tour de France. Le Conseil d’État, dans l’avis rendu sur le présent projet de loi, souligne que « la conjonction d’une menace terroriste persistante d’intensité élevée et de ces deux très grands événements sportifs » qui vont entraîner de grands mouvements de foule, caractérise le « péril imminent » tel qu’il est exigé par la loi de 1955 pour que soit mis en œuvre l’état d’urgence.
On peut donc répondre sans crainte par l’affirmative : les conditions sont aujourd’hui réunies pour proroger l’état d’urgence.
La demande du Gouvernement est de surcroît réduite par rapport aux deux précédentes, puisqu’il nous est demandé de voter une prolongation de deux mois, c’est-à-dire jusqu’au 26 juillet 2016, lorsque ces deux événements auront pris fin. À cette date, également, le projet de loi destiné à lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme aura été définitivement voté. La commission mixte paritaire ayant lieu demain, nous pouvons tous souhaiter qu’elle aboutisse.
Certes, le péril est imminent, mais il est permis de réduire le délai, parce que l’État sera armé autrement. Grâce au vote du texte que je viens d’évoquer, les procédures de droit commun seront plus efficaces pour lutter contre le terrorisme. Celui-ci ne disparaîtra pas avec la fin de l’état d’urgence, mais nous le combattrons avec d’autres moyens, ceux du droit commun.
Enfin, le Gouvernement ne nous demande plus de prévoir la possibilité de procéder à des perquisitions administratives, lesquelles, comme M. le ministre vient de le rappeler, ont largement perdu de leur efficacité. En effet, d’une part, les services ont déjà perquisitionné ce qu’il y avait à perquisitionner et, d’autre part, le Conseil constitutionnel a réduit l’efficacité de ces mesures dans sa décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 19 février 2016.
Aussi, je le répète, nous pouvons répondre favorablement à la demande du Gouvernement.
Pour terminer, je voudrais insister sur un point qui a souvent fait débat : l’état d’urgence est-il synonyme de la fin de l’État de droit ? Permet-il aux forces de l’ordre d’agir sans contrôle ? Le pouvoir exécutif peut-il faire ce qu’il veut dans ce cadre ?
Peut-être n’y avons-nous par prêté une attention suffisante, mais je crois pouvoir dire qu’il s’est développé, depuis le mois de novembre dernier, un droit spécifique de l’état d’urgence.
Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont intervenus pour fixer une jurisprudence, nouvelle en ce qui concerne le second, qui ne s’était jamais prononcé sur le sujet.
Le Conseil d’État a également fixé des règles très claires et très strictes quant aux procédures d’urgence. Je rappelle qu’il a notamment indiqué qu’en cas d’assignation à résidence, lorsque le juge administratif était saisi par la voie du référé, la condition d’urgence était toujours remplie, ce qui veut dire que la personne visée par la mesure a toujours le droit, reconnu par le juge administratif, de plaider son cas devant une instance juridictionnelle. Après, il appartient au juge de trancher dans un sens ou dans l’autre, mais la personne visée a le droit d’aller à l’audience, principe important et remarquable. À cet égard, le Conseil d’État a été, une fois encore, le juge des libertés publiques.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans trois décisions, a construit un droit constitutionnel de l’urgence. On peut regretter, ou pas, qu’il n’y ait pas eu de réforme constitutionnelle, mais force est d’admettre qu’une telle révision n’est plus utile, puisque le Conseil constitutionnel vient de fixer le droit constitutionnel de l’état d’urgence au travers de trois QPC, dans lesquelles il a pu traiter des perquisitions, des assignations, des limites à la liberté de réunion, et également des limites à la liberté d’utiliser des données informatiques copiées.
De ce point de vue, le juge constitutionnel est resté fidèle, là aussi, à sa ligne traditionnelle de défense des libertés publiques. Il a été fort sourcilleux sur la conciliation équilibrée que doit réaliser le pouvoir exécutif entre la nécessité de prévenir les atteintes à l’ordre public et le respect des droits et des libertés.
En conclusion, sous le bénéfice de ces observations, je vous invite tout d’abord, au nom de la commission des lois du Sénat, à voter le texte tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, aucun amendement n’ayant été déposé.
Je précise que le comité de suivi de l’état d’urgence, dont les membres ont aussi été chargés de travailler sur la réforme pénale, se réunira deux fois dans les semaines qui viennent : l’une pour entendre les services du ministère de l’intérieur, l’autre pour auditionner le président de la section du contentieux du Conseil d’État, qui viendra nous faire part des dernières décisions de cette juridiction. (Applaudissements sur les travées du groupe UDI-UC, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes rassemblés cet après-midi pour nous prononcer de nouveau sur une loi d’exception. C’est donc un moment empreint de gravité, qui appelle à la méditation.
Dans notre État de droit, une loi d’exception suppose une motivation et des précautions.
S’agissant des précautions, je voudrais rappeler que nos deux assemblées ont, lors du premier vote, en novembre, accompli en réalité une véritable réforme de l’état d’urgence, dont les termes dataient de 1955, en introduisant plusieurs nouvelles règles protectrices, en particulier l’obligation de motiver les assignations à résidence, la participation du parquet et d’un officier de police judiciaire aux perquisitions, ou la suppression, qui s’imposait, des mesures de contrôle de la presse, ainsi qu’une nouvelle organisation de l’association du Parlement au dispositif.
Comme le disait notre rapporteur à l’instant, nous sommes, je le crois, unanimes à constater que le Gouvernement, et M. le ministre en particulier, a pleinement joué le jeu de l’information complète et de la transparence au bénéfice de la représentation parlementaire.
Je n’ajoute rien aux propos très judicieux de Michel Mercier à propos du cadre constitutionnel de l’état d’urgence, maintenant confirmé grâce aux récentes décisions du Conseil constitutionnel.
J’en viens à la motivation. Est-il nécessaire de prolonger l’état d’urgence pour cette nouvelle période de deux mois ?
Nous nous interrogions déjà voilà trois mois, et dans l’esprit de beaucoup, la dernière prolongation devait être la dernière. Nous étions quelques-uns à appeler nos collègues à examiner la situation dans la durée et à bien analyser les informations pour vérifier si, au bout de trois mois, nous serions en situation de sortir durablement de l’état d’urgence.
Qu’avons-nous observé ?
Les enquêtes qui se sont poursuivies ont démontré les ramifications et les nombreux soutiens dont bénéficiaient les groupes terroristes ayant perpétré les attentats de Paris et de Saint-Denis.
De nouvelles opérations préventives ont démontré l’existence d’autres cellules en train de préparer d’autres opérations meurtrières.
J’y insiste, comme je le faisais déjà il y a trois mois, les attentats de Bruxelles et ces opérations terroristes qui se déroulent en France ou chez nos voisins européens trouvent leur source dans les lieux de conflit, non seulement en Syrie et en Irak, mais aussi en Afrique subsaharienne. Tout cet arrière-plan subsiste et, si nos armées et celles de nos alliés et partenaires portent des coups sévères à ces groupes criminels, nous savons que, sur la défensive, ils seront d’autant plus enclins à déclencher de nouvelles attaques sur le sol européen.
De notre point de vue, la condition du péril imminent est donc toujours constituée.
De surcroît, comme M. le ministre l’a exposé très précisément, s’ajoutent deux éléments de tension, dans la période de deux mois qui s’ouvre, à cause des deux événements sportifs que sont l’Euro 2016 et le Tour de France, lesquels vont entraîner de multiples grands rassemblements de public, de citoyens, français et invités, sur de nombreux sites, dont la sécurisation est évidemment un défi particulier cette année. Nous le savons, ces rassemblements, dans leur diversité, présentent des opportunités spécifiques de tentatives d’attentat.
À ce propos, je voudrais rappeler à M. le ministre, après avoir eu l’occasion de lui en faire part lors de nos récents contacts, qu’il est important que les préfets soient en relation étroite avec les maires. Vous devez certes organiser et sécuriser ces grands événements, mais, à l’étage en dessous, si j’ose dire, dans toutes nos communes vont être organisées d’ici à l’été, comme chaque année, nombre d’opérations festives et de manifestations, à l’occasion desquelles la présence de forces de sécurité publique sera plus réduite, celles-ci étant sollicitées ailleurs. La coopération entre les services chargés de la sécurité publique dans les départements et les maires doit donc être intense pour que de bons conseils soient diffusés. Les autorités locales doivent être appelées à plus de précautions, parfois à plus de retenue, pour organiser ces événements de manière à ne pas offrir d’autres cibles aux terroristes.
Cela me conduit à mon tour à rendre hommage aux forces de la police, de la gendarmerie et de l’armée, qui doivent actuellement produire un effort particulièrement intense pour assurer la sécurisation du pays, tout en soulignant, mais vous en avez bien conscience, monsieur le ministre, les risques de surcharge et de surtension qui pèsent sur l’ensemble de ces hommes et de ces femmes courageux et dévoués.
Face à ces menaces intenses, les prérogatives supplémentaires de l’état d’urgence nous paraissent donc justifiées, mais, comme le Conseil d’État le recommandait dans son avis rendu il y a trois mois, il faut prévoir des moyens légaux d’action supplémentaires contre les entreprises terroristes, moyens qui nous permettront de sortir de ce régime d’exception. Tel est l’objet du projet de loi de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme que nous avons examiné, tant ici qu’à l’Assemblée nationale, dans un esprit responsable et d’écoute mutuelle entre les différents groupes.
J’en profite – je suis le premier à le faire après le ministre, mais je ne serai sans doute pas le dernier – pour saluer le travail d’une particulière qualité et le souci d’écoute de notre collègue Michel Mercier, rapporteur de ce texte.
Monsieur le ministre, en votant cette nouvelle prolongation de l’état d’urgence pour cette durée limitée, nous vous exprimons notre confiance. Depuis chacun de nos engagements partisans, nous souhaitons en même temps exprimer une volonté largement partagée dans cette assemblée, toujours soucieuse de la protection des libertés personnelles, de nous tenir fermement aux côtés de la République et de ses citoyens pour repousser sans hésitation les menaces qui les visent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’état d’urgence instauré le 14 novembre, à la suite des attentats meurtriers qui ont causé la mort de 130 personnes, devait prendre fin le 26 mai, après deux prorogations.
Entre-temps, nous avons vécu l’épisode de la tentative avortée de « constitutionnalisation » de l’état d’urgence. Un énième texte, le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui confère des pouvoirs élargis à la police, notamment la perquisition de nuit, la retenue de quatre heures pour contrôle d’identité ou l’assignation à résidence des personnes que l’on soupçonne de rentrer de Syrie, devrait passer en commission mixte paritaire demain. Contenant nombre de dispositions inspirées de l’état d’urgence, il devrait permettre enfin, s’il est adopté, la sortie du régime d’exception sous lequel nous vivons depuis des mois.
Le texte dont nous débattons instaure, certes, un état d’urgence allégé des perquisitions administratives, lesquelles relèvent des préfets plutôt que des juges, comme c’est le cas dans le droit commun. Cet « allégement » est pourtant de pure forme et ne constitue nullement un retour au droit ordinaire. Après un pic au début de l’instauration de l’état d’urgence, le nombre de ces perquisitions n’a fait que chuter. Ajoutons que ces procédures ont, en outre, été fragilisées par les décisions d’annulation prononcées par la justice. De son côté, le Conseil constitutionnel a censuré le volet numérique des perquisitions.
À quoi sert l’état d’urgence sans les perquisitions administratives ? D’abord, il permet d’assigner à résidence des personnes sans avoir à les faire passer devant un juge susceptible de valider ou pas les mesures prises contre elles.
Vu le contexte de grande mobilisation sociale et de forte effervescence politique que nous traversons, on imagine bien l’exécutif recourir à de telles assignations à résidence, comme il l’avait fait à l’encontre de militants écologistes au moment de la COP 21.
M. Alain Richard. Des casseurs !
Mme Esther Benbassa. Depuis novembre 2015, 70 personnes sont assignées à résidence, alors même qu’il n’a pas pu être trouvé assez d’éléments pertinents pour lancer une information judiciaire à leur encontre, les placer sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.
Les autres dispositions de l’état d’urgence resteront elles aussi en vigueur : restriction de la circulation des personnes ou des véhicules, interdiction de séjour dans certains endroits, couvre-feu, dissolution d’associations, interdiction de rassemblements.
Voilà qui serait bien utile, à propos, pour vider, par exemple, la place de la République des participants à « Nuit debout » ou, au choix, pour interdire le rassemblement de policiers auquel appelle un de leurs syndicats. (Murmures de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)
En fait, l’état d’urgence serait prorogé pour la période de l’Euro 2016 et du Tour de France. N’avons-nous donc pas de dispositions dans le droit commun contre les hooligans ?
L’exposé des motifs de ce projet de loi souligne que « l’efficacité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence va au-delà » du bilan chiffré que vous proposez et des suites judiciaires qui y sont réservées. Il y est par ailleurs assuré que ces mesures ont « eu un réel effet déstabilisateur sur les individus et les groupes impliqués dans le soutien ou en relation avec les réseaux terroristes ». Nous voulons bien le croire, mais aucune preuve n’est pourtant avancée pour permettre de l’affirmer avec certitude.
La Belgique, qui a connu, hélas, à son tour, des actes terroristes ayant coûté la vie à des dizaines de personnes, n’a pas eu recours à un état d’urgence. Elle a pourtant réussi à capturer vivantes une des chevilles ouvrières des attentats de Paris et une de celle des attentats de Bruxelles.
Il est largement temps de mettre fin à un régime d’exception particulièrement attentatoire aux libertés publiques. Notre pays donne l’impression d’être « bunkérisé ». Quelle conscience libre n’étoufferait pas dans l’atmosphère d’étroit contrôle policier qui nous est imposée ? En quoi cela peut-il bien sécuriser les citoyens ? Est-ce bien là ce qui assurera le succès de notre combat contre le terrorisme ?
Rendez-nous vite une France libérée, avant qu’elle ne se rabougrisse davantage ! Nos concitoyens ont besoin de souffler, de s’exprimer, …
M. Philippe Dallier. Ça, ils savent faire !
Mme Esther Benbassa. … de créer, d’agir. On ne peut indéfiniment les paralyser par la peur, une peur qui se retourne d’ailleurs toujours contre ceux qui l’entretiennent. La baisse de la popularité de nos dirigeants suffit à en témoigner.
Compte tenu de tous ces éléments, le groupe écologiste dans sa majorité – deux de mes collègues s’abstiendront et l’une votera pour – se prononcera contre la prorogation.
Ce vote « négatif » ne l’est qu’en apparence. Il est un vote de résistance. Or, « la résistance, disait Germaine Tillion, consiste à dire non. »
M. Alain Richard. Quelle prétention !
Mme Esther Benbassa. « Mais dire non, c’est une affirmation. C’est très positif. » (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois conviés à évaluer le bien-fondé d’un projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, lequel fut décrété le 14 novembre dernier.
Allons au but directement : dans notre groupe, deux de nos collègues, Gilbert Barbier et Pierre-Yves Collombat, qui ont déjà plusieurs fois manifesté leur conviction sur ce point, voteront contre ce texte. Toutefois, la grande majorité du RDSE votera pour, monsieur le ministre, par confiance personnelle – j’y insiste –, dans l’action que vous menez – je dis bien : « vous ». (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
La présente prorogation se distingue des précédentes par deux aspects : d’une part, l’absence de la mention expresse de la possibilité de procéder à des perquisitions administratives ; d’autre part, le choix d’une durée réduite à deux mois. De telles inflexions semblent annoncer la sortie de l’état d’urgence – d'ailleurs, vous nous l’avez dit.
On trouve également les traces de cette anticipation dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui contient un ensemble de dispositions de procédure pénale. La navette sur ce texte est en cours, avant la commission mixte paritaire qui se réunira demain.
Ce projet de loi de prorogation semble avoir été conçu comme une loi de tuilage, destinée à combler un prétendu vide juridique entre l’extinction du régime d’exception qu’est l’état d’urgence et les futurs moyens prévus par le projet de loi que je viens à l’instant d’évoquer.
Il est aussi important de noter que ce vide juridique coïncide avec la tenue d’événements sportifs de grande ampleur sur notre territoire.
Mes chers collègues, il est un point qui a évolué depuis notre dernier débat, et je m’en félicite, car cela conforte l’opinion que j’avais soutenue dès l’origine : il est clair que la constitutionnalisation de l’état d’urgence ne servait à rien et que la loi de 1955, utilement modernisée, est totalement compatible avec la Constitution actuelle. Que de débats et de palabres médiatiques inutiles !
Quand la médiatisation du débat public devient l’objectif prioritaire, privilégiant constamment la forme aux dépens du fond, c’est toujours dommageable à la République, d’autant que médias et opinions sont par essence versatiles.
Mes chers collègues, la loi du 3 avril 1955, loi de la IVe République, qui était, elle, respectueuse du Parlement (M. Henri de Raincourt s’esclaffe.), confère aux parlementaires un rôle de vigie qu’il ne faut pas se priver d’exercer. Cela exige de s’interroger sur l’existence d’un péril imminent et, au-delà, sur l’utilité d’une nouvelle prorogation.
Si l’utilité de la déclaration de l’état d’urgence après les attentats ne fut guère contestée, la question qui se pose désormais, c’est de savoir quand et comment on en sort. Autrement dit, qu’est-ce qui justifie une nouvelle prorogation de l’état d’urgence ?
Le Gouvernement, conforté en droit par un avis favorable de la section de l’intérieur du Conseil d’État, justifie l’adoption de ce texte par la permanence de l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.
Cela peut s’entendre, mais, eu égard à la situation extérieure au Moyen-Orient et au phénomène intérieur de radicalisation, on peut craindre que cela ne se prolonge très durablement.
Monsieur le ministre, malgré votre effort de transparence, nous n’avons toujours pas en notre possession – on peut d'ailleurs considérer que ce n’est pas normal – tous les éléments de nature à nous permettre d’apprécier précisément la nature du péril qui nous menace. Il n’y a guère que notre confiance – et, je l’ai dit, elle est grande – en votre parole et en votre action personnelle pour nous convaincre.
Au-delà de l’existence du péril imminent, l’utilité des mesures prévues par la loi du 3 avril 1955 dans la lutte contre le terrorisme reste également à démontrer. L’effet de surprise des perquisitions administratives, inversement proportionnel à leur durée de mise en œuvre, s’est estompé, au point que vous avez choisi d’y renoncer. Les assignations à résidence, qui représentent une charge de travail supplémentaire pour les forces de l’ordre, ne permettent pas une neutralisation satisfaisante des individus les plus dangereux, et quand ils le sont trop, on n’y recourt pas pour ne pas éveiller leur attention !
Pour le reste, la loi de 1955 nous autorise à prononcer la dissolution des associations et groupements de fait participant à la commission d’actes portant grave atteinte à l’ordre public, à décider la fermeture provisoire de salles de spectacles et de lieux de réunion. La loi de 1955 nous autorise à obtenir les remises d’armes et de munitions, à interdire de circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et heures fixés par le préfet et à prononcer des interdictions de séjour. Monsieur le ministre, vous n’avez pratiquement pas eu besoin de recourir à ces mesures jusqu’ici.
En résumé et pour être clair, l’utilité de l’état d’urgence est aujourd’hui quasi nulle sauf en termes de communication, compte tenu des problèmes que posent l’Euro de football et le Tour de France. Toutefois, s’il se produisait un nouvel attentat, l’opinion vous reprocherait, monsieur le ministre, d’être sorti de l’état d’urgence – à tort, mais elle le ferait, et il faut en prendre acte ! C’est aussi pour cela que nous voterons la prorogation de l’état d’urgence.
Monsieur le ministre, vous nous avez également rappelé le lien entre les récents événements de Bruxelles et la menace djihadiste qui plane sur notre pays. Après le triple attentat-suicide, les autorités belges ont justement fait le choix de ne pas instituer un régime d’exception, en insistant sur la nécessité pour les citoyens belges de garder confiance dans leurs institutions.
Nous continuons à dire que, ce qui est essentiel, au-delà de l’accumulation de textes sécuritaires, c’est de donner à nos forces de sécurité et de renseignement les moyens matériels et humains leur permettant d’accomplir leurs missions. Et je déplore, comme des juges antiterroristes l’ont fait, qu’aucune des lois postérieures à janvier 2015 n’ait visé à améliorer la synergie entre services de renseignement et institutions judiciaires. Comment ne pas déplorer que l’état d’urgence se soit instillé jusque dans la procédure parlementaire !
L’état d’urgence n’est peut-être pas un état de convenance, mais il est porteur d’illusions : l’illusion d’une sécurité recouvrée et l’illusion de libertés préservées s’y côtoient, alors que le juge administratif devient le juge de la liberté d’aller et venir. Hors des procédures d’urgence, il intervient nécessairement a posteriori, donc trop tard. À cela, il convient de mettre fin le plus rapidement possible.
Mes chers collègues, je voudrais pouvoir vous dire que je voterai cette loi de prorogation avec la même conviction qu’au lendemain du 13 novembre. Je le ferai, mais avec les réserves que j’ai indiquées.
À ce stade, je tiens, au nom de l’ensemble du groupe, à rendre hommage à ces forces de l’ordre qui font leur devoir au service de la République. Même s’il a pu exister quelques erreurs auxquels vous avez su réagir, nous considérons comme déplacées et détestables les attaques proférées récemment contre ces forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC. – Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également. )
À ce sujet, si attaché que l’on soit par essence à la liberté d’expression, à l’expression même de la jeunesse, de ses aspirations légitimes à un monde meilleur et plus juste, comment voulez-vous que nos concitoyens, dans nos territoires, ne soient pas interloqués par la conjonction de l’état d’urgence et de « Nuit debout » ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC.)
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Jacques Mézard. Oui, l’expression respectable de la liberté est en partie manipulée par quelques vieux gourous trotskistes et un quotidien parisien rêvant de plagier Podemos.
M. Roger Karoutchi. Yes ! Allez-y !
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. Jacques Mézard. Que d’agitations médiatiques pour quelques milliers de manifestants et une surcharge pour nos forces de l’ordre dans un moment totalement inadéquat ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC.)
Aujourd’hui, et je conclus ainsi, il s’agit, non plus de renforcer les pouvoirs de l’autorité publique pour lui permettre de rétablir rapidement l’ordre public, mais de prendre acte de l’épuisement des policiers et des militaires, de la ténacité et de la vigilance dont les Français font preuve. Aussi, cette troisième prorogation sera un renoncement si nous ne nous employons pas à rallier l’ensemble de nos compatriotes à la certitude que nos institutions peuvent subsister sans le secours des prérogatives que l’état d’urgence confère à l’exécutif. Voilà le vœu que je forme au nom du groupe du RDSE ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain des lâches attentats de Paris et de Saint-Denis qui ont endeuillé la France le 13 novembre dernier, l’état d’urgence a été instauré.
Il a été renouvelé à deux reprises, fin novembre et fin février, afin de répondre au mieux à la persistance d’une menace à un niveau inédit sur le territoire national, en traquant les responsables et en déjouant les projets d’attentats en préparation.
À cet instant, je profite du temps qui m’est imparti pour saluer, au nom de tous mes collègues du groupe Les Républicains, le travail formidable des forces de l’ordre, de la justice, des secours, de la santé et des centres pénitentiaires, qui ont su répondre présents et qui ne ménagent en rien leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme djihadiste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
L’état d’urgence est un état d’exception, et il devrait s’achever à la fin de ce mois de mai. Cependant, la nécessité de sa prorogation jusqu’au 26 juillet prochain s’impose comme une terrible évidence, en raison de la conjonction de plusieurs événements. Je veux parler de l’Euro 2016 et du Tour de France, qui vont rassembler des milliers de personnes, soit autant de cibles potentielles. Je veux également mentionner les récents attentats commis à l’étranger, visant nos intérêts et ceux de nos alliés. Je pense plus particulièrement à nos amis belges, qui, le 22 mars dernier, ont subi deux attentats meurtriers sur leur sol, événements qui nous ont appris que les groupes impliqués en France et en Belgique appartenaient à une même cellule, la France constituant pour eux une cible prioritaire parmi les pays européens.
Enfin, le nombre d’individus français ou résidents français qui ont séjourné en Syrie représente, à ce jour, le plus gros contingent des djihadistes européens.
Alors, oui, comme en février dernier, le groupe Les Républicains va voter la prorogation de l’état d’urgence !
Nous adhérons également à la non-reconduite des perquisitions administratives. Largement utilisées jusqu’à la fin février, elles ne présentent plus grand intérêt, leur nombre ayant significativement baissé depuis la dernière prorogation de l’état d’urgence.
Cette évolution des mesures mises en œuvre a été largement explicitée aux représentants parlementaires dans le cadre du comité de suivi de l’état d’urgence au cours de réunions bimensuelles organisées à Matignon. Je voudrais vous en remercier, monsieur le ministre de l’intérieur, et j’en remercie également M. le Premier ministre.
Pour autant, il faudra bien sortir de l’état d’urgence !
Il nous faut à cette fin un arsenal législatif pénal solide. Le Sénat, par une proposition de loi de MM. Philippe Bas et Michel Mercier, avait, dès le mois de février, voté un texte en ce sens. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Le Gouvernement n’a pas souhaité, une fois de plus, s’en remettre à la sagesse et à la réactivité du Sénat, et il a présenté son propre texte : le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.
Le renforcement des mesures antiterroristes, la répression des actes de terrorisme et la mise en place d’un régime d’exécution des peines plus rigoureux constituent bien évidemment une priorité pour notre majorité. Ces mesures seront de nature à faciliter la sortie de l’état d’urgence, d’autant que l’on connaît la forte porosité entre le milieu terroriste et la délinquance, ainsi que l’environnement logistique alimenté par les trafics d’armes et de stupéfiants qui financent ces actions.
Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience la mise en œuvre définitive de ce projet de loi.
En complément de l’état d’urgence, le Gouvernement pourra s’appuyer, dans le cadre de l’Euro 2016, sur la proposition de loi de notre collègue député Guillaume Larrivé, texte renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
Ce texte dont je fus le rapporteur au Sénat répondra aux enjeux de sécurité qui devront entourer l’Euro 2016, organisé en France et, plus largement, les prochaines rencontres sportives, malheureusement trop souvent émaillées de débordements. Ce dispositif n’est pas anodin au regard du 13 novembre dernier, puisque l’une des actions terroristes visait le Stade de France.
Monsieur le ministre, il reste encore quelques questions en suspens : l’État a-t-il la volonté de faire cesser les troubles récurrents sur notre territoire, notamment à l’occasion de manifestations à répétition qui causent, selon nous, de réels troubles à l’ordre public ?
Je pense notamment aux sept policiers qui ont été blessés à Nantes et, plus récemment, aux forces de l’ordre malmenées et blessées à Paris.
L’état d’urgence offre des outils de police administrative aux préfets et prévoit la possibilité d’interdire des manifestations. Les forces de l’ordre sont épuisées par les affrontements qui se produisent dans le cadre de certaines d’entre elles. Ces femmes et ces hommes tiendront-ils, physiquement et psychologiquement, pour affronter les risques liés à l’Euro 2016 ? Nous leur souhaitons, à toutes et tous, beaucoup de courage !
Autre interrogation, qui a été exprimée par le président de mon groupe, M. Bruno Retailleau, lors du débat de novembre dernier et qui est toujours d’actualité, celle des frontières en Europe. Nous avons bien dû constater entre les tragiques mois de novembre et de mars que nous étions totalement désarmés face aux terroristes passant d’un État européen à un autre. Comment peut-il y avoir de telles failles ? La question reste entière.
La France et l’Europe ont besoin de vraies frontières. Il faut avancer – et avancer vite ! – vers un Schengen II. Notre sécurité en dépend.
Enfin, la lutte contre le terrorisme ne peut s’affranchir d’un arsenal efficace de lutte contre la radicalisation et d’un véritable dispositif de déradicalisation. Nous prenons note, monsieur le ministre, des annonces faites hier par le Premier ministre, qui a dévoilé un catalogue de mesures censées combattre le djihadisme et la radicalisation.
En ce qui concerne les mesures de déradicalisation, il était grand temps de mettre fin à deux anciennes expérimentations subventionnées à grands frais sans véritable, voire sans aucun résultat probant.
Aussi, les treize centres de « réinsertion et de citoyenneté » prévus d’ici à la fin 2017 et l’augmentation de 40 millions d’euros des crédits destinés à la lutte contre la radicalisation annoncée hier constituent des mesures que nous ne pouvons qu’approuver, bien qu’elles interviennent assez tardivement au regard du nombre de radicalisés et de jeunes djihadistes français qui sont déjà revenus en France ou continuent à y revenir tous les jours.
Dans ce cadre, j’invite le Gouvernement à prendre exemple sur des pays qui ont plus d’expérience que la France en la matière.
Sur l’initiative de Mme Esther Benbassa, une mission d’information sur la déradicalisation a été autorisée par la commission des lois. Je travaillerai avec elle sur ce sujet de la plus haute importance. Et nos conclusions, nous l’espérons humblement, pourront peut-être contribuer, monsieur le ministre, à alimenter vos réflexions sur les dispositifs à mettre en œuvre pour une déradicalisation la plus efficace possible.
En conclusion, le groupe Les Républicains ne saurait se soustraire à son devoir de responsabilité à l’égard de la Nation. Aussi nous soutiendrons ce projet de loi qui, sans répondre à tous les enjeux à venir, présente l’intérêt d’augmenter la sécurité de nos concitoyens au cours des prochains mois.
La France est grande, la France est forte, la France vaincra, parce que les Français sont fiers de leurs valeurs, parce qu’ils sont unis par la mémoire et l’espérance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois dire que cette énième prorogation…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La troisième !
Mme Éliane Assassi. … est un peu surprenante. Elle l’est d’autant plus que les mesures adoptées dans le cadre du projet de loi visant à lutter contre le crime organisé et à réformer la procédure pénale étaient censées rendre inutile toute prorogation, l’état d’urgence s’immisçant, de fait, dans notre droit commun.
L’article unique du projet de loi, qui ne comporte que deux points – prorogation pour une durée de deux mois de l’état d’urgence et possibilité, pour le conseil des ministres, d’y mettre fin par décret avant l’expiration de ce délai –, est pourtant largement justifié par le Gouvernement dans son exposé des motifs, relativement long, avec ses sept pages, et qui repose, selon nous, sur des arguments pour le moins approximatifs.
D’abord, le Gouvernement estime que, depuis le 26 février, l’usage des mesures exceptionnelles prévues dans le cadre de l’état d’urgence a été « mesuré mais nécessaire ». Pourtant, mes chers collègues, la mesure autant que la nécessité restent à prouver.
Au contraire, le caractère disproportionné et attentatoire aux libertés publiques de ces dispositions ne cesse d’être démontré par de nombreux syndicats, associations, organismes de défense des droits de l’homme et autres professionnels du droit – Défenseur des droits, Ligue des droits de l’homme et Amnesty International en tête.
L’état d’urgence permet aujourd’hui le recours à des perquisitions administratives de jour comme de nuit, à des assignations à résidence, à la réglementation et à l’interdiction du séjour et de la circulation, à l’interdiction de réunions, à la dissolution d’associations et à la remise d’armes.
Or toutes ces mesures peuvent, sans exception, être ordonnées en vertu de dispositions de droit commun. Dans le seul cas de l’assignation à résidence, l’état d’urgence permet véritablement d’étendre le champ d’application matérielle de la mesure, en l’occurrence, à d’autres personnes que celles qui sont mises en examen ou poursuivies, ou à des étrangers en situation irrégulière.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous n’envisagez pas de reconduire avec cette prorogation la mesure prévue à l’article 11 de la loi de 1955 concernant les perquisitions administratives. Ainsi, l’une des mesures véritablement visées par le Gouvernement est l’assignation à résidence. Mais une question se pose : qu’allons-nous faire des soixante-huit personnes qui resteraient à ce jour assignées à résidence lorsque prendra fin l’état d’urgence ?
Ce fonctionnement nous interroge. Soit ces personnes sont réellement dangereuses et, dans ce cas, l’enquête avance, aboutit à un procès équitable puis à une éventuelle incarcération. Soit les « raisons sérieuses de penser » que ces personnes sont dangereuses ne sont pas avérées et, dans ce cas, on leur rend leur liberté d’aller et venir. Qu’en est-il à ce sujet, monsieur le ministre ?
Outre la menace terroriste, toujours présente et que personne ne peut ignorer, la justification phare de cette prorogation repose sur les deux grands événements sportifs à venir sur notre territoire, l’Euro 2016 et le Tour de France. En ce sens sont annoncés des renforts massifs d’unités de forces mobiles et des milliers d’agents de sécurité privée, habilités à effectuer des contrôles, ainsi que la contribution, dans le cadre de l’opération Sentinelle, des forces armées.
D’abord, ces déploiements seront effectués en application de notre droit commun, et non pas des dispositions propres à l’état d’urgence. Ensuite, une nouvelle question se pose : chaque grand événement – sportif ou non – que la France organisera donnera-t-il lieu à la prorogation ou à un nouveau décret de l’état d’urgence ?
Comment juger du risque que représentent des événements à venir tels que les Journées européennes du patrimoine, la Grande Braderie de Lille en septembre, la Foire internationale d’art contemporain à Paris en octobre, ou encore la Fête des lumières à Lyon en décembre ? Et je ne vous ai pas parlé d’une grande fête populaire qui me tient très à cœur et qui a lieu au mois de septembre. (Sourires.)
M. Philippe Dallier. La fête de l’Humanité ? (Nouveaux sourires.)
Mme Éliane Assassi. Le Gouvernement justifie, en outre, cette prorogation par la complexification de « la détection des individus susceptibles de passer à l’action terroriste », « ceux-ci utilisant tous les moyens de dissimulation de leurs communications et de leur identité ». S’agirait-il un aveu d’échec des différentes lois visant à renforcer la lutte antiterroriste, à l’instar de la loi relative au renseignement votée en juillet dernier ?
Je veux aussi exprimer ici, monsieur le ministre, mon inquiétude quant à l’état de fatigue généralisée de nos forces de l’ordre, une fatigue physique et psychologique face à des missions toujours plus nombreuses et fastidieuses, et toujours moins liées à leur formation initiale.
Une fatigue dont on a pu voir des conséquences dans la gestion pour le moins regrettable des mouvements sociaux liés à la loi « travail ». Cette fatigue et cet épuisement sont d’ailleurs dénoncés par le syndicat majoritaire des gardiens de la paix, Alliance, qui a appelé les policiers à manifester le 18 mai prochain pour dire « stop à la haine anti-flic », après deux mois de manifestations marquées par de nombreux affrontements.
« Depuis plusieurs mois, on constate que l’état d’urgence justifie des abus. Il y a un danger démocratique », souligne le sociologue et professeur à l’université Paris VIII, Éric Fassin. « Frapper des gens dans la rue parce qu’ils manifestent, c’est tout à fait contraire aux principes démocratiques », condamne-t-il.
M. Jean-Pierre Grand. Arrêtez de taper sur les policiers !
Mme Catherine Procaccia. Ça suffit !
Mme Françoise Gatel. C’est trop !
Mme Éliane Assassi. Ces nouvelles « méthodes » de gestion des mouvements sociaux ne sont-elles pas liées au climat créé par cette politique d’un état d’urgence sans cesse prolongé ?
Pour résoudre la « crise » terroriste, le Gouvernement s’enlise dans l’ère du soupçon. Et c’est bien là la réelle conséquence, le grand drame de l’état d’urgence et de la banalisation de ces multiples prorogations : le durcissement de notre droit commun, qui mue définitivement en droit sécuritaire, comme l’illustre le projet de loi de M. Urvoas, passé presque inaperçu dans l’opinion publique et qui donne pourtant lieu à un florilège de mesures sécuritaires et attentatoires aux libertés publiques.
M. Claude Nougein. L’opinion l’approuve !
Mme Éliane Assassi. Dans ses Carnets, Albert Camus écrit que, « si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout ».
Je le répète, mieux comprendre pour mieux combattre, voilà l’unique voie à emprunter dans ces temps troubles. Les discours martiaux ne serviront qu’à alimenter une haine infondée. En parallèle au renforcement effectif de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, des projets de paix et de coopération, dont plus personne ne parle ici, doivent plus que jamais être envisagés. Et nos valeurs républicaines doivent être rappelées et renforcées : liberté, égalité, fraternité !
Mes chers collègues, monsieur le ministre, comme pour les précédentes prorogations, nous maintiendrons fermement notre opposition à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour la troisième fois pour statuer sur la prorogation de l’état d’urgence.
Cette fois-ci, la demande du Gouvernement est un peu différente puisque vous nous demandez, monsieur le ministre, d’accorder la prorogation pour deux mois. Surtout, le texte ne mentionne plus la possibilité pour l’autorité administrative de décider des perquisitions administratives.
Si ce dernier aspect démontre la volonté de limiter les pouvoirs de police exceptionnels – ce qui est, à mon avis, une bonne chose –, cela ne doit pas nous laisser à penser que la menace a faibli ou – pour reprendre la terminologie exacte de la loi de 1955 – que « le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » a disparu, bien au contraire !
Gardons à l’esprit, comme le relève l’exposé des motifs du projet de loi, que la France continue à constituer une cible prioritaire parmi les pays européens. Le parquet fédéral belge, Catherine Troendlé l’a dit, a confirmé que les attentats survenus à Bruxelles le 22 mars dernier avaient été initialement programmés contre la France.
L’autre justification avancée par le Gouvernement nous laisse un tout petit peu plus dubitatifs : deux événements sportifs justifieraient la prorogation de l’état d’urgence, l’Euro 2016 et le Tour de France. Oui, certes, évidemment, bien évidemment ! Mais, monsieur le ministre, au mois de février, et nous vous l’avions dit, les dates de ces deux événements étaient connues ! Nous aurions donc pu faire aujourd'hui l’économie d’une nouvelle prorogation en décidant alors de fixer la prorogation de février jusqu’au mois de juillet.
Un autre élément justifie une nouvelle prorogation. Celui-ci est un élément de cohérence. Le Parlement a travaillé efficacement sur un projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Vous le savez, le Sénat a participé très activement et de manière constructive à l’amélioration de ce texte. J’ai même l’audace de dire que le Sénat en est à l’origine…
À ce sujet, je regrette que ce ne soit pas le texte du Sénat qui ait servi de base à cette nouvelle législation. En effet, nous serions probablement déjà sous l’emprise de la nouvelle réglementation et nous aurions donc pu sortir du régime de l’état d’urgence. Mais le Gouvernement a choisi de procéder autrement. C’est probablement la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd'hui, et je le regrette.
Nous sommes quant à nous convaincus que le moyen de sortir de l’état d’urgence sans baisser la garde est en effet de renforcer et d’actualiser notre arsenal répressif de lutte contre le terrorisme. À l’heure où nous parlons, ce texte, qui doit renforcer les prérogatives du parquet et qui durcit la condition pénitentiaire des criminels terroristes, n’est pas encore définitivement adopté. Vous le savez, la commission mixte paritaire ne se réunira que demain. J’espère que ses conclusions iront dans le sens que nous souhaitons…
D’un point de vue logique, il est donc normal que nous nous trouvions réunis pour proroger l’état d’urgence jusqu’à la mise en application de ce texte.
Je tiens à saluer à mon tour la qualité du travail de notre collègue Michel Mercier. Fort de son expérience et de sa vision lucide de la situation, il nous a entraînés sur la voie que nous empruntons aujourd'hui. Je remercie également la commission des lois de l’avoir suivi.
Notre groupe votera évidemment la prorogation – je viens d’expliquer les raisons de cet « évidemment » –, mais je tiens, monsieur le ministre, à insister sur le fait que cette troisième prorogation a donné lieu au sein de notre groupe à des débats, a suscité des interrogations et des doutes plus affirmés que précédemment. J’émets donc le souhait que nous nous dirigions vers une sortie de l’état d’urgence, qui doit rester un régime exceptionnel et ne pas se transformer en mesure d’application permanente.
Il est difficile pour moi de m’exprimer et de conclure sans saluer le travail des forces de sécurité : compétence, professionnalisme, discrétion de nature à ne pas créer d’affolement dans la population. Les élus locaux que nous sommes ont pu constater, chacun dans sa ville, son département ou sa région, l’efficacité et la détermination de nos forces de sécurité.
M. Henri de Raincourt. C’est vrai !
M. Jean-Louis Carrère. Alors, il ne fallait pas diminuer leurs effectifs !
M. François Zocchetto. Nous avons cependant une inquiétude quant à la conjonction du travail périlleux de lutte contre le terrorisme qui leur est demandé, lequel réclame une vigilance de chaque instant et une appréciation des situations à chaque seconde, avec les opérations de maintien de l’ordre sur tout le territoire national que rend nécessaires l’attitude irresponsable et anti-citoyenne d’activistes qui multiplient, çà et là, les provocations et créent des perturbations dont notre République n’a pas besoin en ce moment… (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence
Article unique
(Non modifié)
I. – Est prorogé pour une durée de deux mois, à compter du 26 mai 2016, l’état d’urgence :
- déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- et prorogé par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, puis par la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
II. – Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d'urgence.
En application de l’article 60 du règlement, j’ai demandé, en ma qualité de président du Sénat, que ce vote ait lieu par scrutin public.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 214 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 309 |
Contre | 30 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
10
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel avait été saisi, le 9 mai 2016, en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, d’un recours aux fins de constater que les dispositions des I, II et V de l’article 6 de la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955 concernant les annonces judiciaires et légales, qui rendent applicables en Polynésie française les articles 1er, 2 et 4 de cette loi, sont intervenues dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
11
Répression des abus de marché
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réformant le système de répression des abus de marché (proposition n° 542, texte de la commission n° 576, rapport n° 575, tomes I et II, avis n° 573).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, madame la présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’excuser Michel Sapin, qui est retenu à l’Assemblée nationale, mais qui devrait nous rejoindre dans quelques instants.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui vient moderniser et réformer le système français de répression des abus de marché. À ce titre, elle participe pleinement de l’objectif de modernisation de la vie économique visé par le Gouvernement, notamment à travers le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, que M. Michel Sapin a présenté en conseil des ministres le 30 mars dernier.
Adapter la répression des abus de marché au développement des marchés financiers est bien sûr absolument indispensable pour mettre la France en conformité avec le paquet européen sur les abus de marché et éviter ainsi que de nouvelles pratiques frauduleuses n’échappent aux pouvoirs de sanction de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, ou du juge pénal.
Cependant, la présente proposition de loi ne se contente pas de procéder à une telle adaptation. Elle vient également apporter une réponse pragmatique à la décision du Conseil constitutionnel qui invalide la double poursuite et la double sanction, administrative et pénale, des abus de marché.
En effet, aujourd’hui, une personne commettant un abus de marché – opération d’initiés, manipulation de cours ou encore diffusion de fausses informations – peut être poursuivie, puis sanctionnée à la fois par l’AMF et par le juge pénal. Cette situation s’explique par le fait que, dans le domaine des abus de marché, le champ des manquements est identique à celui des délits.
Or, en mars 2015, le Conseil constitutionnel a jugé cette situation contraire au principe de nécessité des délits et des peines ; il nous a donné jusqu’au 1er septembre 2016 pour mettre en place une solution permettant d’éviter qu’une même personne soit poursuivie deux fois pour les mêmes faits, par l’AMF et par le juge pénal.
Sans entrer dans le détail de la solution qui a été retenue au travers de cette proposition de loi, je voudrais brièvement en souligner deux mérites importants.
D’une part, la proposition de loi préserve le bon fonctionnement de la phase de détection des abus de marché et d’enquête.
Dans la situation actuelle, c’est l’AMF qui, dans la très grande majorité des cas, détecte les opérations d’initiés ou les manipulations de cours grâce à sa surveillance continue des marchés, rendue possible notamment par des systèmes très sophistiqués de suivi des variations des cours et des volumes de marché. Dans certains cas, moins fréquents, le Parquet national financier peut également découvrir lui-même certains faits susceptibles de constituer des abus de marché.
Chaque institution mène ensuite sa propre enquête et doit pouvoir continuer à le faire. Ce point est très important, car tant l’AMF que le parquet disposent de logiques et de moyens d’enquête distincts. Par exemple, quelque 80 % des enquêtes de l’AMF revêtent une dimension internationale ; elles s’appuient donc sur des accords de coopération avec ses homologues étrangers, accords qui défendent à l’AMF de communiquer les informations collectées dans ce cadre.
Les enquêtes du Parquet national financier présentent également leurs spécificités. Une coordination entre l’AMF et le Parquet national financier est évidemment la bienvenue, mais elle doit se faire naturellement, sans formalisme particulier, sinon cela en obérerait l’efficacité.
D’autre part, cette proposition de loi permettra de continuer à réprimer de manière efficace et adaptée les abus de marché. Pour atteindre cet objectif majeur, tout en maintenant la superposition des champs respectifs des délits d’abus de marché, sanctionnés par la voie pénale, et des manquements d’abus de marché, réprimés par l’AMF, elle prévoit une phase de concertation entre le Parquet national financier et l’AMF. Cette concertation permettra de déterminer, au cas par cas, quelle voie de poursuite et de sanction est la meilleure.
Comme c’est le cas aujourd’hui, la plupart des affaires devraient continuer à être traitées par la voie administrative, qui permet d’infliger de manière rapide des sanctions pécuniaires importantes.
Ce mode de répression est particulièrement adapté aux marchés financiers. Ceux-ci sont en effet soumis en permanence à des innovations technologiques qu’il convient de sanctionner rapidement, lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à l’intégrité du marché, afin de bloquer leur essor et d’envoyer un message clair aux investisseurs et aux épargnants. Les marchés financiers fonctionnent en France de manière sûre et robuste ; toute manipulation y est rapidement et sévèrement sanctionnée.
Dans les cas les plus graves, une peine privative de liberté, que seul le juge pénal est à même d’infliger, peut se justifier. La voie pénale devrait alors, bien sûr, être choisie.
Je sais, monsieur le rapporteur, que vous avez beaucoup travaillé sur la question de la répression des abus de marché. Vous avez notamment déposé une proposition de loi sur ce sujet le 7 octobre dernier. Une proposition de loi identique a été déposée par M. Claude Raynal. Je vous remercie tous deux pour ce travail bipartisan et important par la qualité de son expertise.
Si la proposition de loi aujourd’hui débattue diffère quelque peu de celle que vous aviez alors proposée quant à la solution retenue, elle partage néanmoins son objectif, à savoir la préservation d’un système de répression des abus de marché efficace et rapide.
Les travaux de votre commission ont quelque peu modifié la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Je salue plusieurs améliorations que vous avez introduites dans le texte, comme l’extension de la composition administrative aux abus de marché ou encore l’augmentation du quantum des peines.
En revanche, sur d’autres sujets, je juge préférable d’en revenir à la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Nous aurons évidemment l’occasion d’en reparler au cours de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Claude Requier et André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à réformer le système de répression des abus de marché, c’est-à-dire des délits d’initié, de la diffusion de fausses informations et de la manipulation de cours ou d’indice.
Nos collègues de l’Assemblée nationale ont pris cette initiative six mois après le dépôt au Sénat de deux propositions de loi identiques sur le même sujet, par M. Claude Raynal et votre rapporteur. Nous ne pouvons que nous réjouir d’avoir largement inspiré ce texte, même si nous avons souhaité y apporter quelques améliorations.
Comme vous le savez, la réforme du système de répression des abus de marché ne peut plus attendre. En effet, les dispositions qui permettent aujourd’hui de sanctionner ces agissements ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 mars 2015, rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée dans le cadre de l’affaire EADS ; ces dispositions, ou du moins, celles qui sont relatives aux délits d’initié seront donc abrogées le 1er septembre prochain.
C’est en raison de cette urgence que la présente réforme a été dissociée du projet de loi dit « Sapin II », dans lequel il avait été envisagé, dans un premier temps, qu’elle trouve sa place.
Le Conseil constitutionnel reproche à notre système de permettre le cumul de poursuites devant l’AMF et devant le juge pénal, dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines. Auparavant, dans son arrêt Grande Stevens de 2014, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie, dont le système de répression des abus de marché est identique au nôtre, au nom du principe ne bis in idem.
Le texte que nous examinons aujourd’hui propose en matière d’abus de marché un aiguillage des poursuites fondé sur une concertation entre l’AMF et le Parquet national financier. Il écarte ainsi d’autres solutions, qui auraient pu être envisagées, telles que la dépénalisation, la suppression de la répression administrative ou encore la création d’une juridiction spéciale. Nous étions arrivés à la conclusion qu’une procédure d’aiguillage était la meilleure réponse au problème posé.
Par ailleurs, la décision d’orientation des poursuites découlera en première intention d’une concertation entre l’AMF et le Parquet national financier. Aucune des deux autorités ne pourra ainsi engager de poursuites sans que l’autre y consente.
La présente proposition de loi diffère cependant de nos propositions antérieures dans la manière de régler le cas d’un désaccord persistant entre l’AMF et le Parquet national financier.
Nous avions fait le choix de préconiser la création d’une instance neutre. Celle-ci, qui ne se serait réunie que dans les cas exceptionnels d’absence d’accord, aurait été composée à parité de magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation, sur le modèle du Tribunal des conflits.
Postérieurement au dépôt de notre proposition, le Conseil d’État, interrogé par le Gouvernement, a toutefois indiqué qu’il n’y avait pas d’obstacle constitutionnel à prévoir le caractère prioritaire de la voie pénale sur la voie administrative et à subordonner par conséquent l’engagement de poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF à l’accord du parquet. La présente proposition de loi confie donc le rôle d’arbitre au procureur général près la cour d’appel de Paris. Compte tenu de l’avis du Conseil d’État, mais aussi du consentement des acteurs concernés, que j’ai été amené à rencontrer, la commission des finances a choisi de se rallier à cette proposition.
Nous estimons néanmoins que le dispositif, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, peut encore être amélioré. C’est pourquoi, en collaboration avec la commission des lois, la commission des finances a modifié l’article 1er de la proposition de loi pour préciser la procédure de concertation et d’arbitrage afin d’en garantir la transparence, l’efficacité et la rapidité. Nous ne jugeons pas satisfaisant de renvoyer la détermination des modalités de cette procédure à un décret, d’autant que sont en cause à la fois des éléments de procédure pénale et les relations entre une autorité publique indépendante et l’autorité judiciaire.
Nous jugeons également qu’une répression plus efficace des abus de marché passera par une meilleure coopération, dès le stade de l’enquête, entre l’AMF et le parquet. Voilà pourquoi notre commission a ajouté un article 2 ter imposant à ces deux entités de s’informer mutuellement de l’ouverture d’une enquête et de coordonner leurs investigations.
Dans le même souci d’efficacité, nous avons modifié l’article 1er A pour autoriser le Parquet national financier à réaliser en cas de délit en bande organisée des écoutes téléphoniques, sous le contrôle, bien sûr, du juge des libertés et de la détention, et ce sans attendre l’ouverture d’une information judiciaire.
Afin de ne pas allonger les délais, la justice pénale devra recourir plus souvent à la citation directe devant le tribunal correctionnel ou au « plaider-coupable ». Le procureur de la République financier comme le président du tribunal de grande instance de Paris ont déclaré publiquement y être prêts.
Par souci de symétrie, la commission des finances a décidé, en adoptant un article 2 bis, d’élargir aux abus de marché la possibilité pour l’AMF de conclure des accords transactionnels. Nous avons également modifié l’article 4, pour que l’AMF puisse être représentée à l’audience du tribunal correctionnel lorsqu’elle a choisi de ne pas se porter partie civile.
J’en viens maintenant aux autres dispositions de la proposition de loi, qui visent à transposer la directive européenne et le règlement relatifs aux abus de marché, c’est-à-dire le paquet « MAD-MAR ».
Je rappelle que c’est sur l’initiative de notre commission et particulièrement de notre collègue Richard Yung, rapporteur en 2014 de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dite « loi DDADUE », que le Parlement a refusé au Gouvernement l’autorisation de réaliser cette transposition par voie d’ordonnance.
Nous avions alors estimé que nous ne pouvions nous dessaisir de la transposition de ces textes qui conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu’administratif, et qui imposent aux États membres des plafonds minimaux de sanction.
En outre, il nous semblait nécessaire que cette transposition aille de pair avec la réforme du système de cumul des poursuites. La présente proposition de loi nous donne raison.
La fin du cumul des poursuites implique en effet que la voie pénale soit à la fois plus rapide et plus sévère : plus rapide, car les délais sont inacceptables, et plus sévère, car les peines de prison restent aujourd'hui théoriques et les montants des amendes relativement faibles – quelque 140 000 euros en moyenne par la juridiction pénale, contre plus d’un million d’euros par l’AMF.
Si elle ne correspond pas tout à fait à ce nous proposions, la nouvelle échelle des sanctions proposée nous semble globalement plus satisfaisante. En effet, les peines sont largement revues à la hausse. Il s’agit là du corollaire indispensable de la fin du cumul des poursuites et de l’aiguillage : il ne serait pas acceptable que les cas les plus graves soient orientés vers une voie répressive – le parquet, puis les tribunaux –, où ils seraient potentiellement moins sévèrement réprimés.
En conséquence, les peines d’emprisonnement sont relevées à cinq ans, contre deux ans actuellement, pour tous les abus de marché. Dans le même sens, les sanctions pécuniaires sont alignées sur celles qui sont prévues pour la voie administrative, soit un plafond de 100 millions d’euros.
Notre commission a simplement modifié l’article 1er A, afin de créer une circonstance aggravante si les faits sont commis en bande organisée, avec dix ans de prison à la clef, et de préciser le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales.
Au total, l’objectif de la présente réforme doit être double : une AMF confortée comme le régulateur et le garant du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions potentiellement plus sévères.
Compte tenu des nombreux points de convergence avec nos collègues députés sur ce double objectif, je ne doute pas, mes chers collègues, d’autant que les délais nous y contraignent, que nous parviendrons à un texte qui saura faire consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale réformant le système de répression des abus de marché transmise au fond à la commission des finances.
Pour sa part, la commission des lois a examiné pour avis les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du texte, visant à déterminer qui, entre l’Autorité des marchés financiers et le procureur de la République financier, sera chargé de conduire les poursuites en matière d’abus de marché, en cas de délit d’initié par exemple.
Ce travail législatif est rendu nécessaire et urgent à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 qui a élevé, au moins en l’espèce qui lui était soumise, au rang de principe constitutionnel la règle non bis in idem, selon laquelle on ne peut pas être poursuivi, jugé et puni deux fois pour les mêmes faits.
Le droit français comporte plusieurs régimes prévoyant pour la même personne et pour les mêmes faits le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives, infligées cumulativement par le juge pénal et par l’administration, cette dernière agissant le cas échéant par le biais d’une autorité administrative indépendante.
Le Conseil constitutionnel a rendu cette situation impossible pour certaines infractions entrant dans le champ de compétence de l’Autorité des marchés, en retenant comme essentielle la circonstance que le juge judiciaire intervient en qualité de voie de recours contre les sanctions prononcées dans certaines hypothèses par l’Autorité.
Toutefois, notre droit, lorsqu’il aura intégré les conséquences de cette décision, n’aura absolument pas terminé son évolution. En effet, l’application faite par la Cour européenne des droits de l’homme du protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a été ratifié par la France et qui est afférent au principe non bis in idem, lui confère un domaine beaucoup plus large et d’application incontournable par la formulation de réserves.
Dans son avis, la commission des lois a répondu à l’impératif législatif résultant de la décision du Conseil constitutionnel, mais elle a également engagé les évolutions lui paraissant les plus urgentes, afin de parer à d’inévitables contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans un premier temps, la commission des lois et la commission des finances, dans un parfait travail commun, ont répondu aux exigences du Conseil constitutionnel en proposant, à l’article 1er, qui constitue l’essentiel de ce texte pour la commission des lois, une organisation précise et chronologique de la procédure. Ces dispositions permettront, conformément à la proposition de loi, qui ne remet pas en cause les compétences complémentaires du juge pénal et de l’Autorité des marchés financiers, d’instaurer en quelque sorte un mécanisme d’aiguillage au profit de l’intervention exclusive de l’une ou l’autre de ces autorités, sous l’arbitrage éventuel du procureur général près la cour d’appel de Paris.
Mes chers collègues, il est à noter que le texte qui vous est proposé, finalement très technique, a reçu, au moins au moment des auditions de la commission, l’accord du ministère des finances et de la chancellerie – à quelques réserves près, qui, me semble-t-il, ont été levées depuis lors ou qui pourront l’être tout à l’heure –, de Mme le procureur général de la cour d’appel de Paris, de Mme le procureur national financier et de l’Autorité des marchés financiers, ces dernières autorités étant les seules à mettre en œuvre le texte.
À l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi, qui doit être promulguée avant le 1er septembre 2016, date à laquelle les dispositions antérieures seront abrogées par la décision du Conseil constitutionnel, la commission des lois a proposé d’anticiper une prochaine décision du Conseil constitutionnel qui paraît inévitable : comme pour l’Autorité de la concurrence en 2015, le Conseil constitutionnel pourrait estimer contraire à la Constitution le recours aux « fadettes » par l’Autorité des marchés financiers selon la procédure actuelle. À cet effet, la commission a introduit dans le texte un article additionnel après l’article 1er.
Dans un second temps, la commission des lois soumettra à votre examen en séance publique des amendements visant à corriger un autre cas de cumul de poursuites, pénales et administratives, comparable à celui que je viens d’évoquer. Celui-ci intéresse les pratiques anticoncurrentielles cumulativement punies par des sanctions pénales et administratives, respectivement prononcées par le juge pénal et l’Autorité de la concurrence.
D’autres cas de cumul de sanctions pénales et administratives potentiellement problématiques au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et surtout de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, nous conduiront immanquablement et rapidement à prendre des initiatives. Du reste, dans les prochaines semaines, les décisions du Conseil constitutionnel concernant deux questions prioritaires de constitutionnalité pourraient bien nous amener une nouvelle fois à légiférer dans l’urgence en matière de cumul de sanctions pénales et administratives, en l’espèce fiscales.
Ces amendements tendent par ailleurs à unifier devant le juge judiciaire l’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, que ces sanctions concernent un professionnel ou une personne agissant à titre personnel.
Les dispositions soumises à vos débats et à vos votes, mes chers collègues, peuvent paraître très techniques. Il reste que le respect de dispositions fondamentales au regard des droits de l’homme n’est pas toujours assuré et que, en conséquence, la France risque une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.
La commission des lois invite le Parlement tout entier à en être conscient et à agir dès à présent en adoptant la proposition de loi telle que nous l’avons amendée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on serait tenté de croire que la répression exemplaire des abus qui font aujourd'hui l’objet de notre débat suffirait à rendre le marché irréprochable. Or, on le sait, les difficultés suscitées par la financiarisation de l’économie dépassent évidemment de très loin la question des délits boursiers.
Pour autant, cette question doit être traitée, avec d’autant plus d’empressement que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a cassé le mécanisme de poursuite de ces infractions, lequel reposait à la fois sur l’AMF et sur le parquet.
Ce débat présente un caractère juridique très pointu, articulant les grands principes fondamentaux du droit avec de récentes jurisprudences européennes. Il revêt également une dimension politique, du fait du conflit de légitimité entre les sanctions administratives, d’une part, et pénales, d’autre part, que le Conseil constitutionnel ne nous permet plus, en l’espèce, de superposer.
L’AMF, autorité administrative de régulation, est au plus près du fonctionnement du marché. Ses sanctions, pécuniaires ou disciplinaires, sont décidées par une commission largement composée de professionnels du secteur. Dans ce contexte, la sanction devient un aléa boursier parmi d’autres. C’est une variable de plus susceptible de s’imputer aux profits. De son côté, le Parquet national financier, avec sa lourde procédure pénale, ne s’inscrit pas dans le dynamisme du marché.
L’hypothèse d’une détention carcérale, même si le parquet, il faut bien le dire, n’en abuse pas, vient rappeler que toutes les fautes ne sont pas convertibles en pénalités, certaines pouvant valoir élimination de la partie.
Évidemment, cette dualité s’interprète différemment selon l’appréciation politique que l’on porte sur la contribution de la finance à notre économie. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour protéger le bien commun des excès de la finance, les écologistes considèrent qu’il vaut mieux compter sur la protection de la justice que sur l’autorégulation de la profession.
La commission des sanctions de l’AMF, décrite sur le site internet de l’Autorité, comprend douze membres, dont quatre sont des magistrats et huit des professionnels du secteur. Deux de ces huit professionnels sont recommandés par les syndicats de salariés et six par les organisations de sociétés cotées. Il est assez édifiant de constater que seuls ces six-là sont recrutés « en raison de leur compétence financière et juridique ». C’est révélateur d’une faible considération pour les syndicalistes. En outre, associer la compétence à la direction des entreprises dit assez bien l’absence de réels contre-pouvoirs, aujourd'hui, face à la sphère financière.
Seule Finance Watch, maigre organisation non gouvernementale, dispose d’une expertise financière de pointe sans pour autant défendre les intérêts des lobbys. À cet égard, il faut reconnaître à Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, le mérite d’avoir nommé au collège de l’AMF, qui comporte seize personnes, l’un des anciens secrétaires généraux de Finance Watch. Toutefois, on est encore assez loin d’un équilibre raisonnable.
En réponse aux interrogations, on entend souvent dire que les sanctions de l’AMF sont globalement plus sévères que celle du parquet financier. Il me semble que cette assertion mérite d’être nuancée, d’abord, parce que les chiffres dont on dispose sont des agrégats assez peu précis ; ensuite, parce que, la plupart du temps, le juge judiciaire tient évidemment compte de la sanction administrative précédemment appliquée ; enfin, parce que l’on dispose d’un contre-exemple qui, du fait de son ampleur, mérite que l’on s’y arrête.
En 2006, dans l’affaire EADS, plus de 4 milliards d’euros de titres ont été cédés par des actionnaires et des dirigeants, soupçonnés de délit d’initié. À la surprise générale, la commission des sanctions a écarté tous les griefs, contre l’avis de son rapporteur. Puis, alors que le juge estimait dans son ordonnance de renvoi que les faits étaient établis, est survenue la fameuse QPC qui nous occupe aujourd’hui.
Si la voie administrative n’est donc manifestement pas adaptée aux cas les plus importants, je n’en conclus pas pour autant qu’il faille judiciariser la moindre affaire. Pour les cas les moins graves, dans lesquels on peut imaginer que la maladresse a pu l’emporter sur la malveillance, la commission des sanctions a un rôle à jouer, le tout étant de trouver les bons critères d’aiguillage.
La pertinence du compromis porté, à quelques nuances près, par l’Assemblée nationale et le Sénat ne pourra bien entendu être évaluée qu’à l’usage. Toutefois, l’unité de vue qui semble prévaloir entre les deux juridictions concurrentes, l’AMF et le parquet, est de nature à nous rassurer, de même que le fait que l’arbitrage soit confié en dernier ressort à un procureur.
Le relèvement substantiel des sanctions pénales devrait également améliorer le caractère dissuasif de notre arsenal de peines et nous permettre de nous rapprocher des normes internationales.
J’en profite d’ailleurs pour saluer, une fois de plus, le travail remarquable effectué par notre commission des finances, en l’occurrence par M. le rapporteur général, et par notre collègue Claude Raynal, qui se sont saisis du problème très en amont. Je ne doute pas que, une fois le texte adopté, ils auront à cœur d’observer le fonctionnement du nouveau régime, ainsi que les résultats du mécanisme de transaction.
En attendant, il nous semble que, à ce stade, la version portée par le Sénat est plus précise sur les modalités de l’aiguillage et sur la nécessaire collaboration entre les deux instances.
Aussi, malgré les quelques réserves que j’ai exprimées, le groupe écologiste s’achemine vers un vote favorable de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Éric Bocquet et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, réformant le système de répression des abus de marché, en particulier les délits d’initié lors des opérations en bourse.
C’est un sujet passionnant, certes technique, mais de la plus haute importance, puisqu’il a trait à la fois à la régulation et à la moralisation de la vie économique.
Nous nous souvenons tous de la forte médiatisation d’affaires comme celle des stock-options d’EADS, évoquée à l’instant par notre collègue André Gattolin. Plusieurs cadres dirigeants et des anciens actionnaires du consortium aéronautique ont été mis en cause entre 2005 et 2006, alors que les retards de livraison de l’A380 avaient entraîné une chute du cours des actions.
On se souvient également du scandale mondial déclenché par l’affaire Enron, cette entreprise américaine de courtage en énergie qui, à la suite d’un délit d’initié massif, avait provoqué en 2001 la ruine de ses petits actionnaires.
Les abus de marché, qu’ils soient intentionnels ou non, qu’ils soient avérés ou non, suscitent toujours beaucoup d’intérêt et de réprobation dans l’opinion publique. La condamnation des responsables à des amendes lourdes, de plusieurs millions d’euros, voire à des peines d’emprisonnement, connaît toujours un très fort retentissement.
Cette proposition de loi vise à refondre le système français de répression des abus de marché, de façon à le mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015.
Dans cette décision, le juge constitutionnel a invalidé les dispositions en vigueur, qui autorisaient jusqu’ici le cumul des sanctions administratives et pénales des abus de marché. En vertu du principe juridique non bis in idem, hérité du droit romain et énoncé à l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi dans le code pénal français, une personne ne peut être ni poursuivie ni punie deux fois pour les mêmes faits. De ce principe découle la remise en cause du cumul des modes de sanctions applicable jusqu’à présent.
Pour réformer le système de répression des abus de marché, les parlementaires de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat ont décidé de conserver un système dual, avec une voie administrative, sous la houlette de l’Autorité des marchés financiers, et une voie judiciaire, sous la responsabilité du Parquet national financier institué en 2011. Afin d’éviter le cumul des deux, un mécanisme d’aiguillage est proposé, le procureur général près la cour d’appel de Paris étant chargé d’arbitrer en cas de conflit de compétence.
Dans la pratique, les amendes administratives se révèlent significativement plus élevées que les amendes pénales. Ainsi, le rapporteur a évoqué une moyenne d’un million d’euros pour les amendes administratives, contre seulement 140 000 euros pour les amendes pénales. Toutefois, seul le Parquet national financier peut requérir des peines d’emprisonnement, même si l’AMF peut se porter partie civile lorsque la voie judiciaire est retenue.
Dans les faits, la réforme aura pour conséquence de renforcer le pouvoir de l’AMF, en particulier de sa commission des sanctions, dans la mesure où le Parquet national financier ne pourra plus se saisir de toute affaire, comme c’est le cas actuellement.
En revanche, si la répression pénale est choisie, le texte prévoit d’associer l’AMF de plusieurs manières, en tant que partie civile ou auditrice. Cette asymétrie s’explique notamment par la différence de moyens entre l’AMF et le Parquet national financier. Forte d’un budget annuel de 80 millions d’euros et de près de 500 agents, l’Autorité des marchés financiers, en l’état actuel, est manifestement la seule à disposer des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre les abus de marché, qui restent, nous le savons, difficiles à démontrer.
Ainsi, les enjeux liés à la régulation du trading à haute fréquence illustrent à quel point la question des moyens matériels et des capacités technologiques est essentielle pour permettre au régulateur d’assurer correctement ses missions et de réprimer les abus.
Comme la majorité des membres de mon groupe, j’approuve l’économie générale de cette proposition de loi. J’approuve également le relèvement des plafonds de sanctions pécuniaires et des peines d’emprisonnement, qui seront plus dissuasives qu’auparavant.
On peut toutefois regretter que la proposition de loi ait pour origine une décision pour le moins étonnante du juge constitutionnel, prise à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, ayant entraîné l’extinction des poursuites dans l’affaire EADS et laissé le grand public et les professionnels du secteur sur leur faim.
Par ailleurs, ce texte n’épuise pas la question du contrôle de l’organisation et de l’activité de l’AMF, autorité administrative dont la capacité et l’indépendance doivent être assurées en toutes circonstances, afin d’éviter sa « capture », comme on dit en théorie économique, par des acteurs malveillants.
Enfin, je rappelle l’importance, au moins d’un point de vue symbolique, de la répression pénale. La délinquance financière doit, si nécessaire, continuer d’être réprimée par cette voie. C’est une exigence citoyenne.
Ces remarques étant faites, j’ai le plaisir de confirmer que les membres du RDSE voteront très majoritairement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi réformant le système français de répression des abus de marché se caractérise par trois éléments : l’urgence à légiférer ; la nécessité de combler un vide juridique ; le consensus des dispositions proposées et l’accord des acteurs, notamment des deux principaux concernés, le Parquet national financier et l’Autorité des marchés financiers. Il faut s’en féliciter.
Ce texte est discuté dans l’urgence et sous une double contrainte temporelle. S’il est urgent de légiférer, c’est parce que cette proposition de loi, dont les dispositions faisaient à l’origine partie, monsieur le ministre, du projet de loi dit « Sapin II », répond à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015. Le Conseil avait déclaré contraire à la Constitution les dispositions légales en vigueur. Si nous ne légiférons pas, l’ensemble du système répressif en matière d’abus de marché risque d’être inopérant à compter du 1er septembre 2016, date d’effet de la décision du Conseil constitutionnel. Il nous faut donc nous mettre en conformité avant cette date.
Les abus de marché, dont le plus connu est le délit d’initié, portent atteinte à la transparence des marchés boursiers et au bon fonctionnement des échanges qui s’y déroulent.
L’urgence est double, puisque ces mêmes dispositions doivent évoluer, afin d’être conformes aux dispositions de la directive européenne dite « MAD » et du règlement européen dit « MAR » du 16 avril 2014 relatifs aux abus de marché, leur transposition devant intervenir au plus tard le 3 juillet prochain.
La proposition de loi est donc essentielle : si les mesures législatives qu’elle contient n’étaient pas adoptées, notre pays prendrait le risque de créer un vide juridique fortement préjudiciable à la continuité de la lutte contre la délinquance financière. D’ordre technique, elle réforme le système français de répression des abus de marché, afin de mettre notre droit en conformité avec les jurisprudences tant constitutionnelle que conventionnelle. Il s’agit de permettre que les abus de marché continuent d’être poursuivis et jugés par la voie administrative ou pénale.
Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, le principal enjeu de la proposition de loi était de trouver la bonne articulation entre les procédures administratives et judiciaires en matière financière, afin de mettre notre droit en conformité avec les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle, tout en préservant l’efficacité du système existant.
Rappelons que tant la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Grande Stevens de mars 2014, que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 mars 2015, ont jugé contraire au principe non bis in idem de poursuivre et de sanctionner administrativement et pénalement une même personne pour un même fait en matière financière. Yvon Collin vient de rappeler le délit d’initié dans l’affaire EADS.
De fait, le système français dual de répression des abus de marché en vigueur, où coexistaient la procédure administrative de l’Autorité des marchés financiers et la procédure pénale du Parquet national financier, devait être modifié.
Ainsi, la proposition de loi vient actualiser les bases légales de répression des abus de marché en maintenant deux voies, administrative et pénale, de poursuite et de sanction, tout en évitant le cumul des poursuites. Tel était l’objet des décisions citées. Le choix a été fait, parmi plusieurs propositions, de maintenir deux procédures possibles, l’une pénale et l’autre administrative, pour réprimer les abus de marché, chacune d’entre elles ayant ses avantages et ayant fait la preuve d’une certaine efficacité, avec deux instances distinctes.
En outre, ce choix nous paraît la traduction d’un consensus entre les deux autorités concernées, l’AMF et le Parquet national financier, sur la procédure de concertation, sur le système d’aiguillage et d’arbitrage par le procureur général près la cour d’appel de Paris en cas de désaccord – M. le rapporteur général de la commission des finances l’a rappelé – en fonction des affaires à poursuivre et à juger, selon la qualité des auteurs, la nature, la gravité et les conséquences éventuelles des faits incriminés. L’idée est de réserver la voie pénale aux cas les plus graves, commis par exemple en état de récidive ou en bande organisée, et à partir d’un certain montant de préjudice.
Précisons que le système semble fonctionner, les deux autorités ayant opportunément déjà commencé à mettre en pratique ce système de concertation depuis la décision du Conseil constitutionnel.
Au-delà de la question juridique du cumul des poursuites liée à la jurisprudence constitutionnelle, la réforme du système de répression des abus de marché qui nous est proposée est l’occasion d’améliorer celui-ci par la transposition du paquet dit « MAD-MAR ». Ces dispositions européennes visent à « renforcer la répression pénale en matière d’abus de marché dans les États de l’Union européenne en établissant des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives ».
Utiliser ce véhicule législatif pour transposer la nouvelle directive et le nouveau règlement européens sur les abus de marché nous semble cohérent, puisque ces textes traitent du même corpus juridique et participent à l’amélioration du système répressif en matière d’abus de marché.
Ces textes européens refondent les périmètres des trois délits principaux en matière d’abus de marché, afin de les rendre plus précis et plus opérants. Ils uniformisent et renforcent également les sanctions administratives et pénales, puisque les délits seront désormais punis d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, contre un ou deux ans aujourd'hui, et d’une sanction pécuniaire d’un montant égal à celui de la sanction administrative, soit 100 millions d’euros.
L’uniformisation de la qualification des délits et des sanctions pécuniaires administratives et pénales à laquelle procède ce texte permettra d’améliorer l’efficacité du système répressif. En outre, la transposition des textes européens permet de clarifier le champ d’application des délits et de l’étendre à l’ensemble des marchés, ainsi que de renforcer le dispositif répressif en créant des infractions autonomes.
Je salue bien sûr le travail des rapporteurs de la commission des finances et de la commission des lois. Leurs propositions de modifications – je pense notamment à la création d’une circonstance aggravante lorsque les délits boursiers sont commis en bande organisée – permettent d’accroître encore l’efficacité, la rapidité et la sévérité de la répression, en particulier pénale, des abus de marché.
Améliorer la coordination entre l’Autorité des marchés financiers et le Parquet national financier est nécessaire. Alourdir les sanctions de ces infractions qui faussent le marché l’est également. Nous approuvons ces dispositions dont l’objectif est d’assurer une répression effective, rapide et dissuasive de ces pratiques. C’est pourquoi le groupe UDI-UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si un consensus semble se dessiner sur les objectifs généraux du texte que nous examinons cette après-midi, il nous semble nécessaire de revenir, dans un premier temps, sur l’origine de la proposition de loi.
Ce qui fonde pour l’essentiel la position du Conseil constitutionnel sur la question des délits ou manquements d’initié, c’est la distinction qu’il convient d’effectuer entre l’exercice du pouvoir administratif par une autorité indépendante définie par la loi, et d’ailleurs aussi par la logique européenne de fonctionnement des marchés financiers, et l’exercice du pouvoir pénal par le parquet financier, manifestation de la volonté générale.
Un boursicoteur sanctionné par l’Autorité des marchés financiers rend des comptes à ses pairs. Quand il rend des comptes à la société, il est renvoyé devant le parquet financier. Et comme nous devons résoudre le problème de la nécessité des délits et des peines, il s’agit aujourd’hui de définir les sanctions susceptibles d’être prises respectivement par l’Autorité des marchés financiers et par le Parquet national financier.
À ce travail d’aiguillage des procédures s’ajoutent évidemment, dans le texte de la commission des finances, un alourdissement du quantum des peines applicable aux abus de marché et une plus large mise en œuvre de la composition pénale, ce que les États-Unis appellent le « plaider-coupable » et ce que nous qualifions aujourd’hui de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».
Je formulerai quelques remarques à ce stade de la discussion.
Tout d’abord, notre controverse constitutionnelle provient sans doute aussi du fait que, depuis quelques années maintenant, la régulation des activités financières est confiée à une autorité indépendante, en l’espèce l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, qui ne saurait être qualifiée et dotée des mêmes prérogatives qu’une administration organiquement liée à l’État.
Si la régulation des marchés était assurée directement par le ministère des finances, au travers d’une direction dédiée, les choses seraient sans doute plus simples. Le moindre délit d’initié serait déféré aux juridictions compétentes et tout serait certainement plus clair.
Ensuite, on peut se demander, dans la procédure d’aiguillage, quels seront les critères objectifs qui feront que tel dossier sera traité par l’AMF et tel autre transmis au parquet financier. Je m’en réfère ici au règlement intérieur de l’Autorité des marchés financiers et au code monétaire et financier.
Le présent texte règle la question du partage des tâches, laissant de fait au parquet financier le soin de traiter des affaires les plus consistantes portant sur les montants et les enjeux les plus significatifs, et à la commission des sanctions de l’Autorité celui de résoudre les affaires plus simples, plus « bénignes ».
Le constat doit cependant être fait du caractère pour le moins réduit des enquêtes réalisées comme des transmissions au parquet. De 2004 à 2014, l’Autorité des marchés financiers a ainsi diligenté 933 enquêtes dont seulement 228 ont conduit, sur ces dix années d’activité, à l’énonciation de griefs à l’encontre des prestataires de services d’investissement concernés.
Par ailleurs, quelque 183 affaires ont été transmises au parquet, dont l’essentiel avait déjà fait l’objet d’une sanction administrative de l’AMF.
La tendance générale est cependant à la décrue du nombre des dossiers transmis, puisque nous sommes passés de 20 à 25 affaires entre 2005 et 2008, à une moyenne de 11 à 13 dossiers au tournant de la décennie et désormais à 7 affaires pour l’exercice 2014, par exemple.
En dépit des considérations que nous pouvons avoir sur le texte dont nous débattons, nous pouvons aussi nous demander s’il viendra à s’appliquer de manière significative, une fois clarifiée la « procédure d’aiguillage » qui constitue le corps actuel de la proposition de loi.
S’agissant des sanctions pénales qui ont pu être prises par le passé, il convient de remarquer en général que, si les amendes peuvent se révéler relativement importantes, les peines de prison fermes sont quasiment absentes.
Ainsi, dans le dossier Universal, transmis en 2003, la décision initiale du tribunal correctionnel de Paris de janvier 2011 a conduit à la relaxe de trois des sept prévenus, les quatre autres étant l’objet de condamnations allant de quinze mois à trois ans de prison avec sursis, et à des amendes pécuniaires comprises entre 150 000 euros et 5 millions d’euros. Une décision réformée par l’appel interjeté devant la Cour d’appel de Paris qui, en mai 2014, a pratiquement divisé par deux le montant des amendes dues.
Dans le dossier Pechiney, transmis à l’automne 2007, il a fallu là encore attendre l’automne 2014 pour voir les auteurs de délit d’initié condamnés à des peines de prison avec sursis de neuf à dix-huit mois et à des amendes allant de 150 000 euros à 2,5 millions d’euros. Je ne sais pas si cette affaire a fait l’objet d’un appel, mais il s’agissait ici de montrer quelques-unes des limites de la démarche inscrite dans la proposition de loi.
Nous nous demandons, cela dit, ce que pèsent les sanctions pécuniaires prises dans le dossier, soit 6 millions d’euros environ, au regard des sommes colossales mobilisées dans les différentes OPA connues par Pechiney et ce qu’il en restait au moment où le groupe a disparu des écrans radars en 2003…
Je dois avouer, au terme de cette intervention, qu’il faudrait sans aucun doute s’interroger sur la qualité des sanctions susceptibles d’être prononcées par l’Autorité des marchés financiers, notamment sur la fréquence des décisions conduisant à l’interdiction d’exercer toute activité de prestation de services d’investissement.
Soulignons une fois encore que l’indulgence relative, rendue possible par la composition pénale et administrative, constitue également une forme d’obstacle à l’expression pleine et entière du droit et de la sanction. De la même manière, nous pourrions nous interroger sur la nature même de l’Autorité de régulation de nos activités financières – notre collègue André Gattolin y a fait référence dans son intervention.
Cela dit, nous comprenons fort bien le sens de l’initiative prise par nos collègues de l’Assemblée nationale, une initiative dont nous nous doutons bien qu’elle a été en grande partie guidée de l’extérieur, faute d’avoir, en temps et en heure, un texte support d’origine gouvernementale susceptible d’accueillir les dispositions rendues nécessaires par le risque de « vide juridique » né de la décision du Conseil constitutionnel.
Afin de favoriser le consensus sur l’existant et de permettre de contourner la difficulté ainsi créée, le choix a donc été fait de s’en tenir à une nouvelle articulation des relations entre l’Autorité des marchés financiers, c'est-à-dire un démembrement de la personne publique, et le parquet financier, qui en constitue l’une des formes les plus évidentes.
Nous n’avons toutefois pas d’opposition majeure à considérer cette proposition, puisqu’elle permet de prolonger et de poursuivre l’action publique à l’encontre d’une certaine forme de délinquance financière, à savoir la délinquance boursière.
Nous estimons cependant qu’il conviendrait, à l’avenir, de nous poser la question de la nécessité de l’existence d’une autorité indépendante de régulation des marchés, comme de ses pouvoirs de sanction au regard des prérogatives du pouvoir judiciaire.
Après l’expression de ces réserves et considérant la nécessité d’avancer sur le sujet, nous apporterons un soutien vigilant et lucide à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Louis Carrère et Yvon Collin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale ayant pour objet la réforme du système de répression des abus de marché.
Comme cela a été dit par notre collègue Montgolfier, la commission des finances a constitué une mission d’information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, dont les conclusions avaient fait l’objet d’une première proposition de loi déposée dans les mêmes termes par le rapporteur général et par moi-même.
Cet intérêt du législateur a pour origine, outre une demande forte de l’opinion publique, eu égard à la multiplication des scandales financiers et à la nécessité d’y répondre, une cause juridique. En effet, depuis plus d’un an, ces travaux parlementaires, rapports, propositions de loi, ont pour origine, cela a été dit, la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 remettant en cause le système actuel de cumul des poursuites pénales et administratives et demandant d’y mettre fin avant le 1er septembre 2016, cette inconstitutionnalité faisant alors écho à l’absence de conventionnalité, prononcée dès 2014, du dispositif actuel au regard de la jurisprudence Grande Stevens de la Cour européenne des droits de l’homme.
Ce faisant, cette proposition de loi doit aussi permettre une régulation du secteur financier efficace, adossée à un système de sanctions proportionnées et justes, dont la crise financière et, plus encore, la crise économique, sociale et budgétaire qui en a résulté ont montré l’impérieuse nécessité.
Il est clair que l’opinion publique attend une répression plus sévère et plus juste face à la répétition des scandales financiers, qu’il s’agisse des systèmes de Ponzi échafaudés par certains opérateurs, ou encore des manipulations de cours et d’indices mis en place par certains acteurs du marché, y compris au sein de la direction des plus grands établissements. En effet, au-delà du problème juridique créé par l’application du principe ne bis in idem aux infractions financières, l’actualité récente montre, s’il en était besoin, la nécessité de légiférer.
Face aux pratiques régulièrement mises à jour, la remise à plat de l’attribution des poursuites entre le juge judiciaire et l’AMF est un prérequis nécessaire, mais insuffisant à la répression effective de ces infractions. En effet, au-delà, l’augmentation du quantum des peines, y compris des peines privatives de liberté, afin d’en renforcer le caractère dissuasif, est sans doute la meilleure réponse à apporter à cette criminalité « en col blanc ».
En la matière, on ne peut que constater la différence entre les peines prononcées par la justice américaine, fortement médiatisées, qui peuvent atteindre plusieurs milliards de dollars, et le total des peines prononcées par le juge pénal et les régulateurs en France, qui ne dépasse pas quelques dizaines de millions d’euros. Cette situation repose sur plusieurs faiblesses de notre système répressif.
La première, la plus visible, est celle, comme nous venons de le dire, des sanctions applicables, trop faibles pour être dissuasives auprès des principaux établissements financiers, en particulier bancaires, et des grands émetteurs.
Une bonne régulation des opérateurs du secteur financier implique que les autorités en charge de cette régulation puissent réagir rapidement lorsque des dérives sont constatées, qu’elles soient en mesure de tracer une ligne entre les comportements acceptables et ceux qui ne le sont pas et, pour cela, qu’elles disposent de pouvoirs répressifs propres, débouchant sur des sanctions rapides et dissuasives.
À cette fin, il convient que les pénalités financières susceptibles d’être infligées soient mieux adaptées à la taille des opérateurs.
Dans cette perspective, la présente proposition de loi prévoit, et c’était nécessaire, une hausse du plafond des sanctions pécuniaires, notamment pour les abus de marché qui sont désormais punis d’une amende de 100 millions d’euros contre seulement 1,5 million d’euros précédemment, ce montant pouvant être porté au décuple du montant de l’avantage retiré du délit ou des pertes qu’il a permis d’éviter. Les peines d’emprisonnement passent, elles, de deux à cinq ans. Il importe, en effet, que les sanctions pénales constituent une peine effective, afin de mieux répondre au principe de responsabilité qui doit s’appliquer aux acteurs du secteur financier.
La deuxième faiblesse tient au manque d’articulation entre les deux voies répressives en matière d’abus de marché, la voie administrative auprès de l’Autorité des marchés financiers, et la voie pénale auprès du Parquet national financier, créé en 2014.
Notre système actuel de double répression se caractérise, d’abord, par une coopération perfectible au stade des enquêtes, qui nuit au traitement des affaires. Il se manifeste ensuite, quelquefois, par une concurrence au stade des poursuites, où la plus rapide des deux voies – la voie administrative, le plus souvent – se prononce la première, le juge pénal n’intervenant en général que dans un second temps, au terme d’une longue procédure, comme pour compléter une sanction administrative préalable.
L’inefficacité de cette procédure est, enfin, mise en évidence par la faiblesse des pénalités financières prononcées, en raison de plafonds particulièrement bas, sans lien avec la surface financière des établissements concernés, et par l’absence de peines de prison fermes et effectives prononcées par le juge pénal.
La troisième faiblesse, qui fera l’objet de mesures spécifiques dans le projet de loi dit « Sapin II », ce dont je me félicite, tient à l’absence de mesures véritablement protectrices en faveur des « lanceurs d’alerte » qui ont signalé aux autorités de contrôle les infractions dont ils ont eu connaissance en tant que salariés d’entreprises du secteur financier. Ce sujet est majeur ; il doit impérativement être traité.
C’est au regard de ces constats que cette proposition de loi vise à changer le cadre organisant les poursuites, en passant de la compétition à la coopération entre autorités de poursuite. Ce changement de paradigme repose sur un principe simple : la transmission permanente d’informations en amont de la notification des griefs par l’AMF ou de la mise en mouvement de l’action publique par le parquet financier.
En effet, si le lancement de l’une de ces procédures interdit l’autre, c’est en amont de ces procédures que la transmission systématique d’information doit conduire à un consensus sur l’opportunité des poursuites par l’une ou l’autre entité, chacune d’elle étant en mesure, avant même l’ouverture de la procédure, de présenter des observations ou, en cas de désaccord, de bloquer sa mise en œuvre.
En cas d’échec de cette concertation entre l’AMF et le Parquet national financier, et afin de respecter le principe ne bis in idem, plusieurs pistes ont été envisagées, de la mise en place d’une instance d’appel neutre et paritaire sur le modèle du Tribunal des conflits, formule qui avait notre préférence, à une prédominance de l’autorité judiciaire.
Après avis du Conseil d’État, c’est finalement cette dernière solution qui a été retenue comme plus sûre juridiquement. En effet, il appartiendrait désormais au procureur général près la cour d’appel de Paris de trancher, par une décision définitive et insusceptible de recours, en cas de désaccord entre les autorités chargées de poursuites.
Cette proposition de loi est donc la bienvenue, avant tout parce qu’elle répond à une demande du juge constitutionnel et qu’elle évite de se retrouver sans texte applicable au 1er septembre prochain. Elle propose une méthode de travail à l’AMF et au procureur financier qui permet de répondre avec célérité et, nous le croyons, économie de moyens aux infractions constatées. Elle aligne les sanctions pénales pécuniaires sur des montants nettement plus dissuasifs pour les personnes physiques et morales concernées. Enfin, elle rend effectives les éventuelles sanctions pénales, privatives de liberté, prononcées.
Il nous reste donc, aujourd'hui, à nous prononcer sur quelques amendements qui sont, selon moi, plus de forme que de fond. En tout cas, s’il advenait que quelques difficultés subsistent à l’issue de nos travaux, je forme le vœu que la commission mixte paritaire dégage la meilleure écriture possible de la loi, évitant ainsi le recours à une deuxième lecture.
Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi à la fois nécessaire, utile et ambitieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la présente proposition de loi fait suite à une évolution récente de la jurisprudence constitutionnelle et européenne.
Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel considère, en effet, que certains comportements sont susceptibles à la fois de sanctions pénales et administratives.
Ce distinguo entre la nature pénale et la nature administrative des sanctions avait, jusqu’à présent, permis de contourner la règle non bis in idem, selon laquelle une personne ne peut être poursuivie deux fois pour un même fait, en l’espèce, à la fois par la voie répressive administrative et la voie répressive judiciaire. En effet, jusqu’à maintenant, seul le cumul de procédures pénales était proscrit. Le cumul d’une procédure de sanction pénale avec une procédure de sanction administrative ne tombait donc pas, selon la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989, sous le coup de la règle non bis in idem.
Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment fait évoluer cette jurisprudence. Les juges européens, saisis d’un abus de marché commis en Italie, ont, dans l’arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014, pris en considération la sévérité de la sanction administrative pour l’assimiler à une sanction pénale et conclure qu’il y avait violation par l’Italie de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant la règle non bis in idem.
Ainsi, pour la Cour européenne des droits de l’homme, il importe peu que l’autorité menant les poursuites ne soit pas un tribunal répressif. Dès lors que la sanction susceptible d’être prononcée par cette autorité est assimilable, de par sa sévérité, à une sanction pénale, il est impossible de mener de front, contre une même personne et pour les mêmes faits, une procédure pénale et une procédure administrative de sanction.
Cette interprétation nouvelle émanant du juge européen a conduit le juge constitutionnel à considérer, dans deux décisions du 18 mars 2015, que le cumul de poursuites dans les voies administratives et pénales pour la même opération d’initié était contraire aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, ainsi qu’au droit au maintien des situations légales acquises.
Selon le Conseil constitutionnel, les similitudes entre la procédure pénale et la procédure administrative en cas de répression des abus de marché étaient telles que « les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent être regardées comme de nature différente ».
Le juge constitutionnel ne s’est prononcé que sur les infractions qui peuvent être poursuivies devant le régulateur boursier et devant le juge pénal, et uniquement sur les opérations d’initié. Il cherche ainsi à éviter tout risque de « contamination » vers d’autres contentieux, notamment fiscaux.
À la suite des décisions du Conseil constitutionnel de mars 2015, une mission d’information du Sénat sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, conduite par nos excellents collègues Albéric de Montgolfier et Claude Raynal, au nom de la commission des finances, a publié ses conclusions en juin 2015. Celles-ci ont été reprises dans deux propositions de loi sénatoriales identiques, relatives à la répression des infractions financières, déposées en octobre 2015.
La commission des finances du Sénat a parallèlement commandé la réalisation d’une étude de législation comparée portant sur la prévention du cumul des sanctions administratives et des sanctions pénales en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
La proposition de loi de l’Assemblée nationale que nous examinons aujourd’hui fait donc écho à un travail approfondi de la commission des finances du Sénat.
Elle définit les règles de répartition et d’aiguillage de l’action publique contre les délits boursiers entre l’autorité de sanction judiciaire et l’autorité de sanction administrative. Comme l’a rappelé notre excellent collègue Albéric de Montgolfier, différentes options avaient été envisagées jusqu’à présent.
Le Parquet national financier défendait l’idée de privilégier les poursuites au pénal.
Le groupe de travail de l’Autorité des marchés financiers soutenait, quant à lui, après une concertation obligatoire d’une durée de deux mois entre le PNF et l’AMF pour favoriser l’allocation optimale des dossiers pouvant relever du juge pénal ou de l’AMF, l’idée de privilégier la voie administrative pour réprimer les atteintes au bon fonctionnement du marché et de réserver la voie pénale aux cas d’abus de marché les plus graves, c'est-à-dire ceux qui portent atteinte à l’ordre social et nécessitent, en conséquence, une peine privative de liberté.
Albéric de Montgolfier et Claude Raynal proposaient, pour leur part, un dispositif de concertation entre le PNF et l’AMF pour la répartition des affaires, qui se ferait au cas par cas, les affaires les plus graves étant réservées au pénal.
En cas d’échec persistant de cette concertation, les conflits d’attribution seraient tranchés, sur le modèle du Tribunal des conflits, par une instance extérieure, neutre et paritaire, composée à parité de magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
La solution retenue dans la présente proposition de loi est une procédure de concertation entre le PNF et l’AMF en vue d’un avis conforme de cette dernière pour la mise en œuvre de l’action pénale par le procureur de la République financier. En cas de désaccord, un arbitrage est rendu dans les deux mois par le procureur général de la Cour d’appel de Paris.
Les procédures prévues pour manquement d’initié devant l’AMF et délit d’initié devant le juge pénal seront donc désormais exclusives l’une de l’autre. Ainsi, en cas de déclenchement des poursuites au pénal, il ne pourra y avoir de notification de griefs. Inversement, si l’AMF a déclenché une procédure, les juges devront s’abstenir.
La présente proposition de loi met également en conformité les incriminations en matière d’abus de marché avec la législation communautaire, notamment la directive européenne sur les abus de marché du 16 avril 2014.
La proposition de loi modifie ainsi les périmètres des trois délits principaux en matière d’abus de marché, qui sont désormais : l’opération d’initiés, la divulgation illicite d’information privilégiée et la manipulation de marché.
Les peines sont considérablement renforcées et, surtout, harmonisées entre les sanctions pécuniaires administrative et pénale. En effet, l’auteur d’un délit d’initié peut actuellement être puni par le juge pénal d’une peine de deux ans d’emprisonnement ou d’une dissolution pour une personne morale et d’une amende de 1,5 million d’euros maximum, alors que l’auteur d’un manquement d’initié encourt une sanction pécuniaire d’une sévérité sans comparaison de la part de la commission des sanctions de l’AMF, jusqu’à 100 millions d’euros ou dix fois le montant des profits éventuellement réalisés.
Ainsi, sur les 182 dossiers d’abus de marché traités depuis la création de l’Autorité des marchés financiers en 2004, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l’AMF se sont élevées à 117 millions d’euros contre 2,9 millions d’euros pour les sanctions pénales et aucune peine de prison ferme – seulement treize peines de prison avec sursis.
Désormais, les trois nouveaux délits seront tous punis d’une peine maximale portée à cinq ans d’emprisonnement et d’une sanction pécuniaire d’un montant égal à celui de la sanction administrative, à savoir 100 millions d’euros. Ces nouvelles incriminations seront dupliquées à l’identique sous forme de manquements administratifs. La responsabilité pénale des personnes morales n’a pas été modifiée.
La commission des finances du Sénat a, de manière unanime, adopté la présente proposition de loi, après avoir adopté quinze amendements de son rapporteur, Albéric de Montgolfier et quatre amendements du rapporteur pour avis de la commission des lois, François Pillet. Notre groupe tient à saluer la qualité de leur travail. Ils ont, en effet, utilement complété le texte de l’Assemblée nationale.
Concernant les nouvelles incriminations, la commission a précisé que le délit de fausse information porte non seulement sur les actifs, mais aussi sur la situation économique et financière des émetteurs. Concernant les sanctions pécuniaires, nous avons limité l’amende pour les personnes morales à 500 millions d’euros. Concernant les peines d’emprisonnement, nous avons instauré une peine de dix ans pour les délits commis en bande organisée.
Nous avons également autorisé des écoutes téléphoniques dans les cas de délits en bande organisée et précisé que le délai de concertation entre l’AMF et le PNF serait de deux mois et demi au maximum.
La commission a de surcroît prévu la possibilité de l’utilisation de la composition administrative par l’AMF. L’accord transactionnel est, en effet, une procédure plus rapide et efficace, mais aussi plus sévère.
Nous avons renforcé la coopération entre le PNF et l’AMF. Enfin, nous avons prévu la possibilité pour l’AMF d’être présente à l’audience si elle n’est pas partie civile, pour pouvoir éclairer le juge pénal sur des aspects techniques.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par notre commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, je tiens tout d'abord à dire que j’ai plaisir à participer à ce débat de grande qualité sous votre présidence. Un travail considérable a été réalisé par le Parlement, à l’Assemblée nationale, mais aussi au Sénat, qui n’a d'ailleurs pas attendu d’être saisi de cette proposition de loi.
À cet égard, je veux saluer les travaux du rapporteur général de la commission des finances et de M. Claude Raynal, qui ont œuvré dans le même sens, même si deux textes ont été déposés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère à la fois élaboré et extrêmement constructif du travail qui a été le vôtre s’est traduit dans ce débat, et je tiens à en remercier vivement les uns et les autres. Avouez qu’il est rare pour le Gouvernement de savourer une juxtaposition d’approbations concernant un texte qu’il soutient, même si les motifs peuvent légèrement différer ! Comme quoi, sur des sujets d’intérêt général comme celui-là, il est possible de faire converger nos travaux et nos votes.
M. Charles Revet. Et sans recourir au 49.3 ! (Sourires.)
M. Michel Sapin, ministre. Il serait difficile d’invoquer cet article dans cette assemblée, monsieur le sénateur, comme chacun le sait !
Je ne reviendrai pas sur les enjeux, qui ont été parfaitement décrits, avec beaucoup de pertinence, par les uns et les autres. Chacun s’accorde à reconnaître la nécessité d’aller vite. La jurisprudence du Conseil constitutionnel nous oblige à agir de sorte que le dispositif soit susceptible d’être applicable à compter du 1er septembre prochain. Entre l’adoption du texte et sa mise en œuvre, un travail de préparation, éventuellement d’ordre réglementaire, est nécessaire, ce qui suppose que les délibérations soient les plus brèves possible. Je vous remercie de vous être pliés à cette urgence.
Je constate des différences entre le texte qui vous a été soumis et celui qu’a adopté votre commission, en particulier sur les articles les plus centraux. Je pense à l’article 1er organisant la juxtaposition, qui ne doit pas être une confrontation, entre le pouvoir administratif indépendant et le pouvoir judiciaire. J’exprimerai d'ailleurs très brièvement, pour ne pas retarder les débats, les désaccords éventuels du Gouvernement ou sa préférence pour le texte initial.
Quoi qu’il en soit, je ne vois rien qui puisse vous empêcher, au-delà de ces travaux plus précis et techniques, de converger avec les députés en commission mixte paritaire. J’ai senti de part et d’autre, quelles que soient les sensibilités politiques, une vraie volonté d’y parvenir, et je ne puis que vous encourager en ce sens, afin que nous puissions travailler dans les meilleures conditions ultérieurement. Je vous remercie donc encore de vos travaux préalables, de la qualité de l’ensemble de vos interventions et de la convergence de vos approbations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché
Article 1er A
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Les articles L. 465-1 à L. 465-3 sont remplacés par des articles L. 465-1 à L. 465-3-5 ainsi rédigés :
« Art. L. 465-1. – I. – A. – Est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit, sans que l’amende puisse être inférieure à cet avantage, le fait, par le directeur général, le président, un membre du directoire, le gérant, un membre du conseil d’administration ou un membre du conseil de surveillance d’un émetteur concerné par une information privilégiée ou par une personne qui exerce une fonction équivalente, par une personne disposant d’une information privilégiée concernant un émetteur au sein duquel elle détient une participation, par une personne disposant d’une information privilégiée à l’occasion de sa profession ou de ses fonctions ou à l’occasion de sa participation à la commission d’un crime ou d’un délit, ou par toute autre personne disposant d’une information privilégiée en connaissance de cause, de faire usage de cette information privilégiée en réalisant, pour elle-même ou pour autrui, soit directement, soit indirectement, une ou plusieurs opérations ou en annulant ou en modifiant un ou plusieurs ordres passés par cette même personne avant qu’elle ne détienne l’information privilégiée, sur les instruments financiers émis par cet émetteur ou sur les instruments financiers concernés par ces informations privilégiées.
« B. – Le simple fait qu’une personne dispose d’une information privilégiée n’est pas constitutif de l’infraction prévue au A, si son comportement est légitime au sens de l’article 9 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.
« C. – Au sens de la présente section, les mots : ‟information privilégiée” désignent les informations privilégiées au sens des 1 à 4 de l’article 7 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité.
« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.
« Art. L. 465-2. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par l’une des personnes mentionnées au même article L. 465-1, de recommander la réalisation d’une ou plusieurs opérations sur les instruments financiers auxquels l’information privilégiée se rapporte ou d’inciter à la réalisation de telles opérations sur le fondement de cette information privilégiée.
« II. – Constitue l’infraction prévue au A du I du même article L. 465-1 le fait, par toute personne, de faire usage de la recommandation ou de l’incitation mentionnée au I du présent article en sachant qu’elle est fondée sur une information privilégiée.
« III. – Constitue l’infraction prévue au I de l’article L. 465-3 le fait, par toute personne, de communiquer la recommandation ou l’incitation mentionnée au I du présent article en sachant qu’elle est fondée sur une information privilégiée.
« IV. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.
« Art. L. 465-3. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par une personne disposant d’une information privilégiée concernant un émetteur au sein duquel elle exerce les fonctions de directeur général, de président, de membre du directoire, de gérant, de membre du conseil d’administration, de membre du conseil de surveillance ou une fonction équivalente ou au sein duquel elle détient une information, par une personne disposant d’une information privilégiée à l’occasion de sa profession ou de ses fonctions ou à l’occasion de sa participation à la commission d’un crime ou d’un délit, ou par toute autre personne disposant d’une information privilégiée en connaissance de cause, de la communiquer à un tiers, à moins qu’elle ne prouve que cette communication intervient dans le cadre normal de sa profession ou de ses fonctions, y compris lorsqu’elle relève d’un sondage de marché effectué conformément aux 1 à 8 de l’article 11 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.
« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.
« Art. L. 465-3-1. – I. – A. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de réaliser une opération, de passer un ordre ou d’adopter un comportement qui donne ou est susceptible de donner des indications trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixe ou est susceptible de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un instrument financier.
« B. – Le A du présent I n’est pas applicable dans les cas où l’opération ou le comportement mentionné au présent I est fondé sur un motif légitime et est conforme à une pratique de marché admise, au sens du 9 du 1 de l’article 3 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.
« II. – Est également puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de réaliser une opération, de passer un ordre ou d’adopter un comportement qui affecte le cours d’un instrument financier, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice.
« III. – La tentative des infractions prévues aux I et II du présent article est punie des mêmes peines.
« Art. L. 465-3-2. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel.
« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.
« Art. L. 465-3-3. – I. – Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne :
« 1° De fournir ou de transmettre des données ou des informations fausses ou trompeuses utilisées pour calculer un indice de référence ou des informations de nature à fausser le cours d’un instrument financier ou d’un actif auquel est lié un tel indice ;
« 2° D’adopter tout autre comportement aboutissant à la manipulation du calcul d’un tel indice.
« Constitue un indice de référence tout taux, indice ou nombre mis à la disposition du public ou publié, qui est déterminé périodiquement ou régulièrement par application d’une formule ou sur la base de la valeur d’un ou de plusieurs actifs ou prix sous-jacents, y compris des estimations de prix, de taux d’intérêt ou d’autres valeurs réels ou estimés, ou des données d’enquêtes, et par référence auquel est déterminé le montant à verser au titre d’un instrument financier ou la valeur d’un instrument financier.
« II. – La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines.
« Art. L. 465-3-4. – I. – La présente section s’applique :
« 1° Aux instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation a été présentée ;
« 2° Aux instruments financiers autres que ceux mentionnés au 1° dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier mentionné au même 1° ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier mentionné audit 1° ;
« 3° Aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement.
« II. – Les articles L. 465-3-1 et L. 465-3-2 du présent code s’appliquent également :
« 1° Aux contrats au comptant sur matières premières, au sens du 15 du 1 de l’article 3 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, qui ne sont pas des produits énergétiques de gros, au sens du 4 de l’article 2 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie, lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion a ou est susceptible d’avoir un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier mentionné au I du présent article ;
« 2° Aux instruments financiers dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un contrat au comptant sur matières premières, au sens du 15 du 1 de l’article 3 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité, lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion a ou est susceptible d’avoir un effet sur le cours ou la valeur du contrat au comptant sur matières premières.
« III. – La présente section ne s’applique pas :
« 1° Aux opérations de rachat par les sociétés de leurs propres actions, au sens des articles L. 225-206 à L. 225-216 du code de commerce, lorsque ces opérations sont réalisées conformément aux 1 à 3 de l’article 5 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité ;
« 2° Aux opérations de stabilisation, au sens du d du 2 de l’article 3 du même règlement, portant sur les instruments financiers mentionnés aux a et b du même 2, lorsque ces opérations sont réalisées conformément aux 4 et 5 de l’article 5 dudit règlement ;
« 3° Aux opérations ou comportements mentionnés aux 1 à 4 de l’article 6 du même règlement.
« Art. L. 465-3-5. – I. - Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du présent code encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, les peines prévues à l’article 131-39 du même code. Les modalités prévues à l’article 131-38 dudit code s’appliquent uniquement à l’amende exprimée en valeur absolue.
« L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 du même code porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. » ;
« II (nouveau). – Les infractions prévues aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du présent code sont punies de dix ans d’emprisonnement et de 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit, lorsqu’elles sont commises en bande organisée. »
2° À la fin de la seconde phrase de l’article L. 466-1, la référence : « de l’article L. 465-1 » est remplacée par les références : « des articles L. 465-1 à L. 465-3-3 » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 621-12, les références : « , L. 465-2 et L. 465-2-1 » sont remplacées par la référence : « à L. 465-3-3 » ;
4° Au troisième alinéa de l’article L. 621-17-7, les références : « de l’article L. 465-1 et du premier alinéa de l’article L. 465-2 » sont remplacées par les références : « des articles L. 465-1 à L. 465-3-1 » ;
II. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa de l’article 705-1, les références : « , L. 465-2 et L. 465-2-1 » sont remplacées par la référence : « à L. 465-3-3 » ;
2° (nouveau) Après le 3 °de l’article 706-1-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 4° Aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 lorsqu’ils sont commis en bande organisée. »
III (Non modifié). – Au 7° de l’article 421-1 du code pénal, la référence : « à l’article L. 465-1 » est remplacée par les références : « aux articles L. 465-1 à L. 465-3 ».
IV (Non modifié). – Le présent article entre en vigueur le 3 juillet 2016.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de François Pillet, je voudrais insister sur le caractère quelque peu précurseur de ce texte. En effet, s’il aborde le problème particulier des délits de marché, il est annonciateur d’autres types de difficultés.
Je pense en premier lieu aux problèmes liés à l’apparition, puis à la multiplication des autorités administratives dites « indépendantes », en tout cas d’autorités dotées de pouvoirs de sanction.
On a voulu y voir un progrès. J’ai pour ma part la faiblesse de penser que leur développement introduit plutôt de la confusion. Nous en voyons un exemple – il n’est pas isolé – avec l’Autorité de la concurrence qui, en 2014, me semble-t-il, a quand même infligé un milliard d’euros de sanctions. Je ne porte aucune appréciation sur ces dernières, mais cela donne une idée du pouvoir de ce type d’institutions ! Nous devrons donc progressivement traiter les problèmes posés par ces hautes autorités et sans doute poursuivre la tentative de mise en ordre que nous voulions opérer.
Le deuxième problème me semble être le traitement particulier réservé aux infractions et aux délits à caractère financier, c’est-à-dire, in fine, l’institution d’une justice où l’on se juge entre soi, que l’on aurait qualifiée en d’autres temps de justice pour clercs.
Cette juxtaposition d’autorités et l’existence, dans nombre de domaines financiers, de ces juridictions ad hoc commencent vraiment à poser problème. Pour moi, il faut traiter les délits financiers comme on traite les autres délits. Ils font autant de dégâts que les autres, et se réfugier derrière la technicité n’est certainement pas ce que l’on peut faire de mieux.
Nous avons commencé par l’urgence, et cette proposition de loi permettra d’avancer, même si je n’approuve pas dans le détail toutes ses dispositions. Je prends date pour l’avenir, car je crois que nous serons de nouveau confrontés à ce type de problèmes.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mme Jouve et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéas 31 à 34
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Dans la rédaction proposée, le texte exempte de sanctions un certain nombre d’opérations qui, pour moi, méritent parfois d’être sanctionnées, notamment le rachat d’actions, une pratique dont on sait pertinemment qu’elle peut permettre un certain nombre de manipulations. Je ne vois donc pas pourquoi elle serait exonérée de la rigueur que l’on exige dans la conduite de toutes les autres opérations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. À son grand regret, la commission est défavorable à cet amendement, pour une raison simple : ces exemptions, loin d’être le fruit de l’imagination de la commission, sont très précisément prévues par les articles 5 et 6 du règlement européen, qui est en principe d’application directe.
Faute de prévoir ces exemptions, notre texte ne serait donc pas conforme avec la réglementation européenne.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Notre groupe soutiendra l’amendement présenté par notre collègue Pierre-Yves Collombat. Sans diaboliser les marchés financiers « sans visage et sans nom », ce texte a pour but de renforcer les sanctions et d’imposer un cadre plus strict. Or introduire des exemptions, c’est déjà affaiblir le droit de demain.
Pour illustrer la pertinence de cet amendement, je citerai un extrait du communiqué de l’AMF du 19 mai 2015, selon lequel « les abus de marché sont très rarement sanctionnés au pénal par une peine privative de liberté. Au total, au cours des dix dernières années, aucune peine de prison ferme n’a été prononcée ». De même, lors d’un colloque en 2013, un professeur de l’université de Panthéon-Assas, M. Hervé Synvet, déclarait : « Aux États-Unis, il y a un risque réel d’aller en prison, alors qu’en France c’est totalement théorique. »
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, j’apprends quelque chose qui me ravit ! Je savais déjà que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne permettait pas d’interdire les paradis fiscaux – finalement, l’argent peut toujours circuler et les conditions requises pour harmoniser la fiscalité ne sont jamais réunies.
Et voilà que trafiquer le cours des marchés en rachetant ses actions, c’est absolument prévu par le règlement européen. Elle est magnifique, cette Europe ! Comment voulez-vous ensuite que l’on croie à la réalité des efforts qui seraient faits pour éviter l’évasion fiscale et moraliser les marchés ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je veux vous rassurer, chers collègues. Les articles 5 et 6 du règlement européen concerné ne prévoient pas une exemption générale, mais des exemptions très précises, notamment en cas de notification préalable obligatoire.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A.
(L'article 1erA est adopté.)
Article 1er
La section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV du code monétaire et financier est complétée par un article L. 465-3-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 465-3-6. – I. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, le procureur de la République financier ne peut mettre en mouvement l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section lorsque l’Autorité des marchés financiers a procédé à la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne en application de l’article L. 621-15 du présent code.
« L’Autorité des marchés financiers ne peut procéder à la notification des griefs à une personne à l’encontre de laquelle l’action publique a été mise en mouvement pour les mêmes faits par le procureur de la République financier pour l’application des peines prévues à la présente section.
« II. – Avant toute mise en mouvement de l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section, le procureur de la République financier informe de son intention l’Autorité des marchés financiers. Celle-ci dispose d’un délai de deux mois pour lui faire connaître si elle souhaite procéder à la notification des griefs à la même personne pour les mêmes faits.
« Si l’Autorité des marchés financiers ne fait pas connaître, dans le délai imparti, son intention de procéder à la notification des griefs ou si elle fait connaître qu’elle ne souhaite pas y procéder, le procureur de la République financier peut mettre en mouvement l’action publique.
« Si l’Autorité des marchés financiers fait connaître son intention de procéder à la notification des griefs, le procureur de la République financier dispose d’un délai de quinze jours pour confirmer son intention de mettre en mouvement l’action publique et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris. À défaut, l’Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs.
« III (nouveau). – Avant toute notification des griefs pour des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés à la présente section, l’Autorité des marchés financiers informe de son intention le procureur de la République financier. Celui-ci dispose d’un délai de deux mois pour lui faire connaître s’il souhaite mettre en mouvement l’action publique pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne.
« Si le procureur de la République financier ne fait pas connaître, dans le délai imparti, son intention de mettre en mouvement l’action publique ou s’il fait connaître qu’il ne souhaite pas y procéder, l’Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs.
« Si le procureur de la République financier fait connaître son intention de mettre en mouvement l’action publique, l’Autorité des marchés financiers dispose d’un délai de quinze jours pour confirmer son intention de procéder à la notification des griefs et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris. À défaut, le procureur de la République financier peut mettre en mouvement l’action publique.
« IV (nouveau). – Saisi en application des II ou III du présent article, le procureur général près la cour d’appel de Paris dispose d’un délai de deux mois à compter de sa saisine pour autoriser ou non le procureur de la République financier à mettre en mouvement l’action publique, après avoir mis en mesure le procureur de la République financier et l’Autorité des marchés financiers de présenter leurs observations. Si le procureur de la République financier n’est pas autorisé, dans le délai imparti, à mettre en mouvement l’action publique, l’Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs.
« V (nouveau). – Dans le cadre des procédures prévues aux II et III, toute décision par laquelle l’Autorité des marchés financiers renonce à procéder à la notification des griefs et toute décision par laquelle le procureur de la République financier renonce à mettre en mouvement l’action publique est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure. L’absence de réponse de l’Autorité des marchés financiers et du procureur de la République financier dans les délais prévus aux mêmes II et III est définitive et n’est pas susceptible de recours.
« La décision du procureur général près la cour d’appel de Paris prévue au IV est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure.
« VI. – Les procédures prévues aux II à IV du présent article suspendent la prescription de l’action publique et de l’action de l’Autorité des marchés financiers pour les faits auxquels elles se rapportent.
« VII. – Par dérogation à l’article 85 du code de procédure pénale, une plainte avec constitution de partie civile pour des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés à la présente section n’est recevable qu’à condition que le procureur de la République financier ait la possibilité d’exercer les poursuites en application du présent article, et que la personne qui se prétend lésée justifie qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. La prescription de l’action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu’à la réponse du procureur de la République financier, ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois.
« VIII. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 551 du code de procédure pénale, la citation visant les délits mentionnés à la présente section ne peut être délivrée qu’à la demande du procureur de la République financier à condition qu’il ait la possibilité d’exercer les poursuites en application du présent article.
« IX (nouveau). – La section 8 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de procédure pénale est applicable aux délits mentionnés à la présente section.
« X. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application du présent article. »
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV du code monétaire et financier est complétée par un article L. 465-3-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 465-3-6. – I. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section s’éteint par la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne effectuée en application du I de l’article L. 621-15 du présent code.
« II. – L’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section ne peut être mise en mouvement par le procureur de la République financier qu’après concertation avec l’Autorité des marchés financiers, et accord de celle-ci. L’accord de l'Autorité des marchés financiers est définitif et n'est pas susceptible de recours. Il est versé au dossier de la procédure.
« III. – En l’absence d’accord, le procureur général près la cour d’appel de Paris autorise le procureur de la République financier à mettre en mouvement l’action publique, ou donne son accord à l’Autorité des marchés financiers pour procéder à la notification des griefs. Cette décision est rendue dans un délai de deux mois à compter de la saisine du procureur général près la cour d’appel de Paris par le procureur de la République financier ou par l’Autorité des marchés financiers. Elle est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure.
« IV. – Par dérogation à l’article 85 du code de procédure pénale, une plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que le procureur de la République financier ait été autorisé à exercer les poursuites à l’issue de la procédure prévue aux II et III du présent article, et que la personne justifie qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. La prescription de l’action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu’à la réponse du procureur de la République financier.
« V. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 551 du code de procédure pénale, la citation visant les délits prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du présent code ne peut être délivrée qu’à la requête du ministère public.
« VI. - Les procédures prévues aux II et III du présent article suspendent la prescription de l'action publique pour les faits auxquels elles se rapportent.
« VII. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application du présent article. »
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Nous sommes ici au cœur du nouveau dispositif qui a été élaboré. Je le répète, il n’y a pas de divergence de principe entre l’Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat. Certaines préoccupations sont toutefois légèrement différentes, ce qui explique que le Gouvernement propose de revenir à la rédaction initiale de l’article, avant son examen par la commission du Sénat.
La nouvelle rédaction entre beaucoup plus dans le détail de la procédure que la rédaction initiale, qui s’attachait surtout à indiquer les principes de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « l’aiguillage » : une phase de concertation, puis, en cas de désaccord, l’arbitrage du procureur général. Elle renvoyait ensuite à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser les modalités et les conditions d’application.
Au-delà de ces questions d’ordre formel, cette rédaction soulève également quelques difficultés de fond, auxquelles nous devrons être attentifs dans la suite des débats. En effet, votre proposition instaure un mécanisme dit « silence vaut accord », aux termes duquel le Parquet national financier ou l’AMF, en l’absence de réponse de l’AMF ou du Parquet national financier au bout de deux mois, pourra engager des poursuites.
Le Gouvernement estime que ce mécanisme est inadapté à une procédure de concertation entre deux institutions publiques et qu’il pourrait être préjudiciable à la bonne coopération entre elles.
C’est la raison pour laquelle, sur ce point aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement préférerait que vous en reveniez à la rédaction initiale du texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La commission souhaite évidemment en rester à son texte, qui vise à améliorer la procédure de concertation et à la rendre plus opérationnelle.
Il me semble que le principe selon lequel le silence vaut acceptation a été posé récemment par le Président de la République, même s’il y a des exceptions.
Dans la pratique, nous faisons confiance à l’AMF et au PNF, qui vont appliquer ce texte. J’ai reçu le président de l’AMF et le procureur national financier : ils nous ont donné leur accord sur cette rédaction, considérant que la procédure fonctionnerait parfaitement.
D’ailleurs, dans une contribution écrite, Mme Houlette a bien voulu préciser que « la réécriture de la proposition de loi par le Sénat et les amendements proposés sont parfaitement adaptés au mécanisme de concertation voulu par le législateur entre l’Autorité des marchés financiers et le procureur de la République financier. Tous les problèmes sont traités et réglés avec intelligibilité ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il en est de même de l’AMF, M. Rameix estimant que le dispositif fonctionnait parfaitement et que la réécriture du Sénat améliorait sans doute la rédaction de l’article 1er. Il ne faut donc pas s’inquiéter.
Quoi qu’il en soit, le fait que le silence vaille acceptation conduira les acteurs à s’entendre dans le délai voulu.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Sur ce texte, fruit d’un travail commun de la commission des finances et de la commission des lois, je veux à la fois vous alerter et vous rassurer, monsieur le ministre.
Vous évoquez le fait que l’action publique, pour l’application des peines, ne peut être mise en mouvement par le procureur de la République financier qu’après concertation avec l’Autorité des marchés financiers. Auparavant, vous envisagiez un avis conforme de sa part. À présent, vous prévoyez l’« accord de celle-ci ».
Le fait qu’une autorité administrative ou que l’administration conditionne ainsi l’engagement d’une action par le pouvoir judiciaire constituerait, me semble-t-il, une nouveauté assez révolutionnaire dans notre droit. Cela poserait, à mon sens, un problème au regard du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. On pourra certes m’opposer le cas de la Commission des infractions fiscales, ce à quoi je répondrai que cette commission ne donne pas un accord, mais un avis, que ni l’administration ni le parquet ne sont obligés de suivre.
Dans votre texte, monsieur le ministre, vous voulez également indiquer sans ambiguïté que, lorsque l’AMF a notifié des griefs à une personne, l’action publique à l’égard de celle-ci et pour les mêmes faits est éteinte. Monsieur le ministre, sur ce point, je vous rassure : je suis parfaitement d’accord, comme en témoigne l’amendement purement rédactionnel que je proposerai tout à l’heure.
Quant aux délais introduits par la commission des finances, on ne peut guère reprocher au législateur de vouloir être précis et imposer des délais dans une procédure quasi pénale. Or, en matière pénale, c’est au législateur de fixer les termes et les développements de la procédure, contrairement à la procédure civile. Certes, je veux bien l’admettre, en l’espèce, ce n’est pas nettement une procédure pénale. Mais ce n’est sûrement pas une procédure civile, et c’est la raison pour laquelle les délais introduits par la commission doivent selon moi être maintenus.
Sur le principe « silence vaut accord », M. le rapporteur vous a répondu.
Enfin, pour vous rassurer définitivement, monsieur le ministre, je vous indique que dans toutes nos consultations, nous avons reçu l’accord enthousiaste – pour une fois, je peux le dire ! – de l’Autorité des marchés financiers, du procureur national financier et du procureur général près la cour d’appel, c’est-à-dire des autorités qui appliqueront ce texte. Ce dernier leur paraît plus applicable, ou en tout cas plus techniquement maîtrisé que celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale.
Toutefois, j’ai bien compris que vous n’étiez finalement pas opposé à ce que ce texte soit conservé, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mme Jouve et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 465-3-6. – I. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, l’Autorité des marchés financiers ne peut procéder à la notification des griefs à une personne à l’encontre de laquelle l’action publique a été mise en mouvement pour les mêmes faits de la même personne en application de l’article L. 621-15 du présent code par le procureur de la République financier pour l’application des peines prévues à la présente section.
II. – Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 6, première phrase
Supprimer les mots :
et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris
IV. – Alinéa 9
1° Première phrase
a) Remplacer les mots :
dispose d’un délai de quinze jours pour confirmer son intention de
par les mots :
n’est pas habilitée à
b) Supprimer les mots :
et saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris
2° Seconde phrase
Supprimer cette phrase.
V. – Alinéas 10 et 12
Supprimer ces alinéas.
VI. – Alinéa 14
Supprimer cet alinéa.
VII. – Alinéa 15
Remplacer les mots :
la possibilité
par le mot :
décidé
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je constate le primat du judiciaire sur l’administratif, mais tout cela est bien compliqué !
Je propose tout simplement que, après les concertations nécessaires, le procureur financier décide s’il y a lieu ou non de poursuivre. Cela réglerait aussi un problème de ce texte : dans certaines conditions, il ne peut pas y avoir de parties civiles, ce qui est un peu bizarre dans un État de droit.
Avec ma solution, le procureur sera enclin à poursuivre lorsqu’il sera saisi, et nous aurons donc un système beaucoup plus simple.
Pour conclure, je le répète, il n’est pas normal que les délits financiers soient considérés comme de simples fautes techniques. Ce sont des infractions très graves, dont les conséquences le sont tout autant, mais nous ne voulons pas le voir.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
A. – Alinéa 2, au début de cet alinéa
Supprimer les mots :
Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale,
B. – Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« VIII bis. – Sans préjudice de l’article 6 du code de procédure pénale, l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section s’éteint, à l’issue des procédures prévues aux II à IV du présent article, par la notification des griefs par l’Autorité des marchés financiers pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne en application de l’article L. 621-15 du présent code.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Il s'agit d’un amendement purement rédactionnel, dont les dispositions vont pleinement dans le sens des souhaits du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. L’économie du dispositif réside dans un aiguillage. Or, dès lors qu’il y a un aiguillage, il peut y avoir un désaccord, et il faut finalement désigner un arbitre.
Claude Raynal et moi-même avions initialement défendu une autre proposition, mais nous nous sommes ensuite ralliés à cette solution. Dans 99 % des cas, nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de désaccord persistant entre l’AMF et le PNF et que le dossier sera orienté soit vers l’AMF, soit vers le PNF. En cas de désaccord, nous proposons l’arbitrage de la cour d’appel.
L’amendement n° 5 rectifié bis vise à revenir sur l’économie du dispositif. Or il n'y a pas de crainte à avoir : les affaires les plus importantes, celles qui peuvent éventuellement être sanctionnées de peines d’emprisonnement ou de sanctions qui seront largement aggravées si nos amendements sont adoptés, feront sans doute l’objet de poursuites pénales.
Enfin, je le rappelle, ce dispositif a recueilli l’assentiment tant de l’AMF que du PNF – je vous ai rappelé les écrits de Mme Houlette. Ne soyons pas plus royalistes que le roi et n’allons pas au-devant de désidératas qui n’ont pas même été exprimés.
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 5 rectifié bis. En revanche, elle est bien entendu favorable à l’amendement n° 2, qui vise à améliorer encore la rédaction du texte.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Je ne puis que reprendre les arguments qui viennent d’être développés par le rapporteur général s’agissant de l’amendement n° 5 rectifié bis, monsieur Collombat. Nous pouvons bien entendu en approuver le principe, mais pas les modalités, qui apparaissent contradictoires et qui compliqueraient le dispositif.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Par ailleurs, je suis favorable à l’amendement n° 2, présenté par M. le rapporteur pour avis de la commission des lois.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l'amendement n° 5 rectifié bis.
M. Pierre-Yves Collombat. Quand on voit ce qui s’est passé et ce qui continue de se passer, je vous trouve très optimistes. Croire que tout baigne et que toutes les petites et grosses malversations seront dûment sanctionnées, cela me paraît un peu fort !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
La sous-section 3 de la section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du même code est ainsi modifiée :
1° La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 621-10 est supprimée ;
2° Après l’article L. 621-10-1, il est inséré un article L. 621-10-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 621-10-2. – Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d’être qualifiés de délit contre les biens et d’être sanctionnés par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers en application de l’article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention peut, sur demande motivée du secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l’autorité à se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques en application de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et par les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et à en obtenir la copie. La demande d’autorisation comporte tous les éléments d’information en possession de l’autorité de nature à la justifier. »
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement n’est pas défavorable sur le fond à cet article, qui a pour objectif de sécuriser l’accès aux données de connexion des opérateurs téléphoniques lorsque ces opérations sont demandées par l’AMF. Le nombre de ces opérations réalisées sur demande de l’AMF est absolument considérable. Elles sont utiles à l’établissement des faits et permettent ensuite aux poursuites d’avoir lieu.
La volonté de la commission des finances de faire relever du droit commun la capacité de l’AMF d’avoir accès aux données de connexion des opérateurs téléphoniques paraît légitime. Toutefois, ce problème se pose aussi pour d’autres institutions outre l’AMF, et je préférerais vous faire une proposition ou agréer une proposition du Parlement qui concernerait l’ensemble des autorités ayant aujourd’hui besoin d’avoir accès aux données de connexion des opérateurs téléphoniques.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cette rédaction, qui ne me semble pas suffisamment large. Peut-être pourrions-nous continuer à réfléchir ensemble à la recherche d’une solution globale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La commission des finances est favorable à l’article 1er bis A, introduit par la commission des lois, et ne peut donc qu’être défavorable à l’amendement du Gouvernement, qui tend à revenir sur cette disposition.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Il fut un temps, très court, où l’Autorité des marchés et l’Autorité de la concurrence disposaient des mêmes droits d’accès aux données de connexion. Toutefois, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi Macron, a indiqué que l’Autorité de la concurrence ne pouvait pas y avoir accès, car cela posait un problème au regard des libertés individuelles.
Or le texte sanctionné par le Conseil constitutionnel est exactement le même, à quelques mots près, que celui qui autorise actuellement l’Autorité des marchés à avoir recours à ces données de connexion. Ce qui vaut pour l’une de ces institutions vaudra sans doute pour l’autre et, lors d’une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, certaines procédures actuellement pendantes devant l’Autorité des marchés dans lesquelles ont été utilisées les données de connexion risquent d’être déclarées inconstitutionnelles.
La commission des lois et la commission des finances proposent de mettre immédiatement un terme à cette insécurité juridique. Lors de nos auditions, nous avons reçu confirmation que les enquêtes de l’AMF sont extrêmement fragilisées par le risque de voir cette technique invalidée par le Conseil constitutionnel.
C’est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement, qui, nonobstant les termes très mesurés employés par M. le ministre, vise à revenir sur cette proposition très responsable du Sénat.
C’est certain, monsieur le ministre, tout n’est pas réglé, mais, pour autant, il me semble que nous devons fortifier les prochaines décisions de l’AMF en adoptant le texte proposé par la commission des lois.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L'article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Le II de l’article L. 621-14 est ainsi modifié :
a) (nouveau) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « cours et la diffusion de fausses informations » sont remplacés par les mots : « marché et la divulgation illicite d’informations privilégiées mentionnées aux c et d du II de l’article L. 621-15 » ;
b) Au troisième alinéa :
- les mots : « à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa du présent II » ;
- les mots : « cours ou la diffusion de fausses informations » sont remplacés par les mots : « marché et la divulgation illicite d’informations privilégiées mentionnées aux c et d du II de l’article L. 621-15 » ;
- après le mot : « financiers », sont insérés les mots : « , des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;
- après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
2° Les c et d du II de l’article L. 621-15 sont ainsi rédigés :
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger :
« 1° S’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou à une manipulation de marché, au sens des articles 8 ou 12 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE et 2004/72/CE de la Commission ;
« 2° A recommandé à une autre personne d’effectuer une opération d’initié, au sens de l’article 8 du même règlement, ou a incité une autre personne à effectuer une telle opération ;
« 3° S’est livrée à une divulgation illicite d’informations privilégiées, au sens de l’article 10 dudit règlement ;
« 4° Ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 621-14,
« dès lors que ces actes concernent :
« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation situés sur le territoire français ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur de tels marchés a été présentée ;
« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement autres que ceux mentionnés à l’alinéa précédent dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier ou d’une unité mentionné au même alinéa précédent ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier ou une unité mentionné audit alinéa précédent ;
« – un contrat au comptant sur matières premières au sens du 1° du II de l’article L. 465-3-4 lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion est de nature ou est destiné à avoir un effet sur le cours d’un instrument financier ou d’une unité mentionné au septième ou au huitième alinéa du présent c ;
« – un indice mentionné à l’article L. 465-3-3 ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français :
« 1° S’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou à une manipulation de marché, au sens des articles 8 ou 12 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 précité ;
« 2° A recommandé à une autre personne d’effectuer une opération d’initié, au sens de l’article 8 du même règlement, ou a incité une autre personne à effectuer une telle opération ;
« 3° S’est livrée à une divulgation illicite d’informations privilégiées, au sens de l’article 10 dudit règlement ;
« 4° Ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 621-14,
« dès lors que ces actes concernent :
« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur de tels marchés a été présentée ;
« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement autres que ceux mentionnés à l’alinéa précédent dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier ou d’une unité mentionné au même alinéa précédent ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un instrument financier ou une unité mentionnés audit alinéa précédent ;
« – un contrat au comptant sur matières premières au sens du 1° du II de l’article L. 465-3-4 du présent code lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion est de nature ou est destiné à avoir un effet sur le cours d’un instrument financier ou d’une unité mentionnés au septième ou au huitième alinéa du présent d ;
« - un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur d’un contrat au comptant sur matières premières mentionné au 2° du II de l’article L. 465-3-4 du présent code, lorsque l’opération, le comportement ou la diffusion a ou est susceptible d’avoir un effet sur le cours ou la valeur d’un contrat au comptant sur matières premières ;
« – un indice mentionné à l’article L. 465-3-3 ; ».
II. – Le 1° du I de l’article L. 465-3-4 du code monétaire et financier est ainsi rédigé :
« 1° Aux instruments financiers négociés sur une plate-forme de négociation ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une plate-forme de négociation a été présentée ; ».
II bis (nouveau). – 1° Le septième alinéa du c du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant du I du présent article est ainsi rédigé :
« - un instrument financier ou une unité mentionnés à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur une plate-forme de négociation située sur le territoire français ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une telle plate-forme de négociation a été présentée » ;
2° Le septième alinéa du d du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant du I du présent article est ainsi rédigé :
« – un instrument financier ou une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement, négociés sur une plate-forme de négociation d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une telle plate-forme de négociation a été présentée ».
III (Non modifié). – Le I du présent article entre en vigueur le 3 juillet 2016.
IV (nouveau). – Le II et le II bis du présent article entrent en vigueur à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance prise en application de l’article 28 de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière. – (Adopté.)
Article 2
La section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du code monétaire et financier est ainsi modifiée :
1° (nouveau) Au début de la première phrase du deuxième alinéa du I de l’article L. 621-15, sont ajoutés les mots : « Sous réserve de l’article L. 465-3-6, » ;
2° L’article L. 621-15-1 est abrogé ;
3° À l’article L. 621-17-3, les mots : « conformément aux articles L. 621-15-1 et » sont remplacés par les mots : « en application de l’article » ;
4° (nouveau) À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 621-17-6, les références : « L. 621-15-1, L. 621-17-3, L. 621-20-1 » sont remplacés par les références : « L. 621-17-3 et L. 621-20-1 ».
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 5
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
1° L'article L. 621-15-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 621-15-1. - I. - L'Autorité des marchés financiers ne peut notifier de griefs aux personnes contre lesquelles, à raison des mêmes faits, l'action publique pour l'application des peines prévues à la section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV a été mise en mouvement par le procureur de la République financier.
« II. - Les griefs relatifs à des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 ne peuvent être notifiés qu'après concertation avec le procureur de la République financier et accord de celui-ci. L’accord du procureur de la République financier est définitif et n'est pas susceptible de recours. Il est versé au dossier de la procédure.
« III. - En l'absence d’accord, le III de l'article L. 465-3-6 est applicable.
« IV. - Les procédures prévues aux II et III du présent article suspendent la prescription mentionnée au I de l’article L.621-15 pour les faits auxquels elles se rapportent.
« V. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions et modalités d'application du présent article. » ;
2° À l’article L. 621-17-3, les mots : « conformément aux » sont remplacés par les mots : « en application des »
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Compte tenu du rejet de l'amendement n° 7, je retire cet amendement, qui n’a plus d’objet, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
Au premier alinéa de l’article L. 621-14-1 du code monétaire et financier, les références : « a et b » sont remplacées par les références : « a à d ». – (Adopté.)
Article 2 ter (nouveau)
La section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du code monétaire et financier est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa de l’article L. 621-20-4, le mot : « financier » est supprimé ;
2° Après la sous-section 7, est insérée une sous-section 7 bis ainsi rédigée :
« Sous-section 7 bis
« Coopération avec le procureur de la République financier
« Art. L. 621-20-5. - Le procureur de la République financier et l’Autorité des marchés financiers coopèrent entre eux. Ils se communiquent les renseignements utiles à l’accomplissement de leurs missions respectives dans les conditions prévues à la présente sous-section. Lorsqu’ils mènent une enquête ou un contrôle portant sur des mêmes faits, ils s’informent des actes d’enquête ou de contrôle qu’ils prévoient de réaliser et coordonnent leur action.
« Art. L. 621-20-6. - Avant la mise en mouvement de l’action publique, les procès-verbaux ou les rapports d’enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles de constituer un manquement défini aux c et d du II de l’article L. 621-15 sont communiqués sans délai par le procureur de la République financier au secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers.
« Sous réserve de l’article L. 632-1 A, l’Autorité des marchés financiers communique sans délai au procureur de la République financier les procès-verbaux ou les rapports ou toute autre pièce recueillie ou établie dans le cadre d’une enquête ou d’un contrôle portant sur des faits susceptibles de constituer un délit mentionné aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3.
« Art. L. 621-20-7. - Dans le cadre d’une procédure pénale portant sur un délit mentionné aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, le procureur de la République financier peut demander au secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers la réalisation d’expertises entrant dans le champ de compétence de cette dernière.
« Dans le cadre d’une enquête portant sur un manquement défini aux c et d du II de l’article L. 621-15, le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers peut demander au procureur de la République financier la réalisation d’actes d’enquêtes judiciaires. Le procureur de la République financier peut refuser d’accéder à cette demande. »
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Je ne sais pas si j’aurai plus de succès avec cet amendement, mais, en tout cas, je salue la constance du Sénat. (Sourires.)
M. Gérard Longuet. C’est rare un gouvernement qui fait l’unanimité ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Sapin, ministre. Je la salue d'ailleurs aussi pour ce qui concerne le soutien global apporté à ce texte !
S’agissant de l’amendement n° 10, l’article 2 ter, introduit par la commission des finances du Sénat, vise à renforcer la coopération entre l’AMF et le parquet, ce qui part bien entendu d’un très bon sentiment.
Ce renforcement ne nous paraît toutefois pas nécessaire. La pratique démontre en effet que les dispositions déjà existantes en la matière posent un cadre satisfaisant d’échange d’informations, et la formalisation proposée risque de créer un déséquilibre entre les deux autorités, en donnant au parquet une forme de prééminence sur les enquêtes de l’AMF. Elle risque également de nuire à la qualité des enquêtes, qui requièrent le plus souvent d’agir dans la plus grande confidentialité et selon une stratégie propre à chacune des institutions en cause.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite supprimer l’article 2 ter.
Je sais que le débat se poursuivra, mais, sur des sujets aussi délicats, cet amendement de suppression me semble participer d’une forme de sagesse. Nous parlons en effet d’opérations qui peuvent avoir un effet sur les cours d’entreprises cotées si la confidentialité d’un certain nombre de données n’est pas préservée. Nous devons donc être très vigilants, et la procédure elle-même n’est pas neutre au regard de ce risque d’atteinte à la confidentialité.
Cela étant, la proposition du Gouvernement n’est absolument pas hostile. Au contraire, elle se veut constructive.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le parquet serait-il moins respectueux du secret que l’AMF, monsieur le ministre ? Je ne le crois pas. Les équipes du PNF, comme celles de l’AMF, sont réduites et très techniques, et la confidentialité me semble parfaitement garantie. Au travers de cet article, nous avons souhaité renforcer la coopération et éviter tout enlisement.
Aujourd’hui, les choses se passent bien, notamment parce que le président de l’AMF et le procureur national financier s’entendent bien. Mais il peut être utile de prévoir dans la loi cette coopération au stade de l’enquête. Tel est le souhait de la commission.
Le risque de fuites ne nous paraît pas plus avéré pour le parquet que pour l’AMF. Ces deux institutions sont soumises aux mêmes règles strictes de secret.
Nous souhaitons donc en rester à la rédaction de la commission et émettons un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2 ter.
(L'article 2 ter est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
À l’article L. 621-16 du même code, les mots : « les mêmes faits ou » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 4
L’article L. 621-16-1 du même code est ainsi modifié :
1° À la première phrase, les références : « , L. 465-2 et L. 465-2-1 » sont remplacées par la référence : « à L. 465-3-3 » ;
2° La seconde phrase est ainsi rédigée :
« À défaut, le président de l’Autorité des marchés financiers ou son représentant peut être présent à l’audience de la juridiction saisie et peut déposer des conclusions et les développer oralement. »
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Longuet et Doligé, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
peut être présent
par les mots :
est présent
La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Cet amendement a pour objet de clarifier une situation qui pourrait être équivoque. Selon le texte de la commission, l’AMF peut être présente à l’audience. Pour ma part, je préfère que le texte prévoie que l’AMF y assiste. En effet, la décision de l’AMF d’assister à l’audience est une forme d’expression de conviction, qui peut nuire à l’objectivité de la décision du tribunal.
Je souhaite profondément que cette présence soit automatique. Certes, elle revêtira un caractère peut-être superfétatoire dans de nombreux cas, mais elle évitera de donner à l’audience le sentiment d’un engagement, positif ou négatif, de l’AMF au regard de l’action diligentée par le parquet. En effet, c’est le parquet qui a renvoyé devant l’audience correctionnelle les personnes soupçonnées d’abus, mais celles-ci ne sont jamais que soupçonnées.
C’est la raison pour laquelle je souhaite cette présence. J’ajoute que celle-ci peut permettre à l’AMF, à tout moment et à la demande du président du tribunal correctionnel, d’exprimer un point de vue technique, si besoin en est.
Je ne me ferai pas tuer pour cet amendement, mais je pense que le dispositif serait plus clair et plus neutre s’il était adopté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je suis contraint de dire, monsieur le président, que telle était la position que j’avais initialement proposée… Par la suite, nous avons eu un débat, au sein de la commission, sur la question de savoir s’il fallait imposer une présence systématique de l’AMF au procès, ce qui peut constituer une obligation lourde.
À la réflexion, le nombre d’affaires qui seront traitées au pénal risque d’être réduit. Surtout, il serait paradoxal que, pour les affaires les plus graves – ce sont bien celles-là qui feront l’objet de poursuites pénales –, l’AMF, qui dispose de capacités techniques, ne soit pas systématiquement présente.
Je suis donc tiraillé et je m’en remets à la sagesse du Sénat, avec, vous l’aurez compris, mes chers collègues, une certaine bienveillance.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Il semblait au Gouvernement que les débats au sein de la commission des finances étaient, de façon en quelque sorte naturelle, empreints de sagesse ! En ne souhaitant pas adopter une rédaction comme celle que vous proposez, monsieur Longuet, elle faisait œuvre constructive.
Nous ne sommes certes pas dans de grands débats idéologiques. Nous cherchons, les uns et les autres, à être le plus efficace possible, mais il nous semble que rendre obligatoire la présence de l’AMF, comme vous le souhaitez, pourrait créer des situations finalement ambiguës.
En effet, l’AMF n’est pas une autorité de poursuite, puisque c’est la voie pénale qui aura été choisie. Elle ne représente pas les intérêts du marché dans son ensemble, puisqu’elle aura décidé de ne pas se constituer partie civile. Bien entendu, si elle se constitue partie civile, elle est présente de droit pendant l’ensemble de la procédure.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
M. Michel Sapin, ministre. Elle n’est pas non plus une experte à la disposition de l’autorité judiciaire, de par son statut d’autorité administrative indépendante.
C’est la raison pour laquelle je préférerais que l’on maintienne le texte tel qu’il a été approuvé en commission des finances, plutôt que d’adopter votre amendement. Je le dis avec tout le respect que je dois au ministre que vous êtes.
M. Gérard Longuet. Il n’y a rien de personnel !
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article additionnel après l’article 4
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 621-30 du même code est ainsi modifié :
1° Au début de cet article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers est de la compétence de la cour d’appel de Paris. L’examen des recours formés contre les autres décisions individuelles de l’Autorité des marchés financiers est de la compétence du Conseil d’État lorsque ces décisions sont relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9 et de la compétence de la cour d’appel de Paris dans les autres cas. » ;
2° La première phrase du premier alinéa est supprimée.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Le présent amendement, particulièrement technique, vise à unifier, devant le juge judiciaire, l’examen des recours formés contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, que ces sanctions concernent un professionnel des marchés financiers ou une personne agissant à titre personnel.
Actuellement, les sanctions qui sont infligées aux premiers relèvent, en appel et en dernier ressort, du Conseil d’État, tandis que celles qui sont infligées aux seconds relèvent de la cour d’appel de Paris, alors qu’il s’agit en pratique de faits absolument comparables. Ainsi, dans certains cas, une même affaire peut relever, en appel, de deux ordres de juridiction différents.
Aucun argument objectif solide ne justifie cette disparité de traitement juridictionnel. On peut même s’inquiéter de cette situation, puisque, pour la même affaire et les mêmes faits, on peut imaginer – ce n’est pas uniquement une hypothèse d’école – que le Conseil d’État donne une sanction forte et la cour d’appel une sanction faible, voire qu’elle relaxe les prévenus. Cela donnerait une image désastreuse de la justice.
Mes chers collègues, c’est la raison pour laquelle je vous propose cet amendement, dont les dispositions se placent sur un plan purement technique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement préférerait qu’on en reste à la répartition actuelle des compétences entre les deux ordres de juridiction et que les recours contre les sanctions prononcées par l’AMF se déroulent devant le Conseil d’État.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Vous êtes conservateur, monsieur le ministre…
M. Michel Sapin, ministre. Sans argumenter à nouveau devant vous, il me semble naturel de maintenir cette autorité administrative dans le ressort du juge administratif. Il est vrai que, dans certains cas, l’ensemble des compétences a été unifié sous l’autorité du juge judiciaire ; je pense, en particulier et sauf erreur de ma part, à l’Autorité de la concurrence.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.
Article 4 bis
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 621-1 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après les mots : « instruments financiers », sont insérés les mots : « , les unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;
b) À la deuxième phrase, après le mot : « financiers », sont insérés les mots : « , d’unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;
c) Aux deux premières phrases, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
2° L’article L. 621-7 est ainsi modifié :
a) Au I, après les mots : « des instruments financiers », sont insérés les mots : « , des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » et les mots : « qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » sont supprimés ;
b) Au 6° du IV, après le mot : « sur », sont insérés les mots : « des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou » et sont ajoutés les mots : « du présent code » ;
c) Aux 1° et 6° du VII, après les mots : « instruments financiers », sont insérés les mots : « , unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
d) Le IX est ainsi modifié :
– au premier alinéa, après le mot : « concernant », sont insérés les mots : « des unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
– au second alinéa, après le mot : « financier », sont insérés les mots : « , à une unité mentionnée à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
3° La première phrase du second alinéa du I de l’article L. 621-9 est ainsi modifiée :
a) Après la seconde occurrence du mot : « financiers », sont insérés les mots : « , unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;
a bis) Après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
b) À la fin, les mots : « qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » sont supprimés ;
4° À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 621-9-2, les deux occurrences des mots : « qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » sont supprimées ;
5° À l’article L. 621-17-1, après le mot : « concernant », sont insérés les mots : « les unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ou » et, après la référence : « L. 421-1 », sont insérés les mots : « du présent code » ;
6° À l’article L. 621-17-3, les mots : « prévue à l’article L. 621-17-2 » sont remplacés par les mots : « ou la notification prévue à l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission » ;
7° À l’article L. 621-17-5, la référence : « l’article L. 621-17-2 du présent code » est remplacée par la référence : « l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission », après le mot : « déclarées », sont insérés les mots : « ou notifiées » et, après le mot : « déclaration », sont insérés les mots : « ou de la notification » ;
8° À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 621-17-6, la référence : « l’article L. 621-17-2 » est remplacée par la référence : « l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission » ;
9° Les deux premiers alinéas de l’article L. 621-17-7 sont ainsi rédigés :
« Concernant les opérations ayant fait l’objet de la déclaration ou de la notification mentionnée à l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, aucune poursuite fondée sur l’article 226-13 du code pénal ne peut être engagée contre les dirigeants et les préposés des personnes mentionnées à l’article 16 du même règlement qui, de bonne foi, ont effectué cette déclaration ou cette notification.
« Aucune action en responsabilité civile ne peut être engagée contre une personne mentionnée au même article 16, ses dirigeants ou ses préposés qui ont effectué de bonne foi cette déclaration ou cette notification. » ;
10° L’article L. 621-18-2 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa du I est ainsi rédigé :
« Sont communiquées par les personnes mentionnées aux a à c à l’Autorité des marchés financiers et rendues publiques par cette dernière, dans les conditions mentionnées par le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, les opérations mentionnées à l’article 19 du même règlement, lorsque ces opérations sont réalisées par : » ;
b) Le dernier alinéa du même I est ainsi rédigé :
« Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers fixe le seuil au-dessus duquel les opérations doivent être communiquées et les modalités d’application de ce seuil. » ;
c) Les II et III sont abrogés ;
11° Les articles L. 621-17-2, L. 621-17-4 et L. 621-18-4 sont abrogés ;
11° bis À la fin du 3° de l’article L. 511-34, les mots : « opérations d’initié ou des manipulations de cours mentionnées à l’article L. 621-17-2 » sont remplacés par les mots : « abus de marché mentionnée à l’article 16 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission » ;
11° ter Au second alinéa de l’article L. 532-18 et au deuxième alinéa de l’article L. 532-18-1, la référence : « L. 621-17-2 » est remplacée par les références : « L. 621-17-3, L. 621-17-5 » ;
12° Le II de l’article L. 632-7 est ainsi modifié :
a) Le a est complété par les mots : « et d’unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement » ;
b) Après le f, il est inséré un f bis ainsi rédigé :
« f bis) Responsables de la régularité des opérations effectuées sur des contrats commerciaux relatifs à des marchandises liés à un ou plusieurs instruments financiers ; ».
II (Non modifié). – Le présent article entre en vigueur le 3 juillet 2016. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 4 bis
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Après l’article 4 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 420-6 du code de commerce, il est inséré un article L. 420-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 420-6-1. – Par dérogation à l’article 121-2 du code pénal, l’article L. 420-6 du présent code n’est pas applicable aux personnes morales. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Le présent amendement vise à apporter un début de cohérence à notre système, même si, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous aurons certainement à y revenir.
Cet amendement a pour objet de corriger un cas de cumul de poursuites et de sanctions pénales et administratives de même nature au sein d’un même ordre de juridiction, tout à fait comparable à celui que nous examinons aujourd’hui à l’occasion de cette proposition de loi.
En l’état du droit, certaines pratiques anticoncurrentielles prohibées par le code de commerce, comme les cartels ou les abus de position dominante, et commises par une personne morale peuvent être cumulativement punies par des sanctions pénales, prononcées par le juge pénal, et des sanctions administratives, prononcées par l’Autorité de la concurrence.
Conformément à une recommandation du rapport Coulon de 2008, nous vous invitons à corriger cette incohérence de notre système juridique, en écartant l’application des sanctions pénales pour les personnes morales.
Outre la cohérence dont je parlais, cette mesure pourra nous apporter de la sérénité pour l’avenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Cet amendement, qui vise les pratiques anticoncurrentielles, a le mérite de poser la question du non bis in idem dans d’autres matières. Plusieurs secteurs pourraient, en fait, être concernés ; il existe, par exemple, des questions prioritaires de constitutionnalité en matière fiscale.
Ce sujet, qui est assez technique, est à la limite de l’objet de la proposition de loi. Nous souhaitons donc connaître l’avis du Gouvernement sur l’amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Pour reprendre l’expression de M. le rapporteur, cet amendement est à la limite ou à la périphérie du texte.
Le Gouvernement souhaiterait que l’on conservât, là aussi, le cœur de la proposition de loi, qui répond à une question précise, celle qui a été posée par la décision du Conseil constitutionnel sur l’affaire EADS.
Il existe en effet d’autres cas, dans lesquels il faudra, peut-être, légiférer. Cela dépendra des décisions que le Conseil constitutionnel adoptera, dans un sens ou dans un autre. Et nous préférons laisser cet ensemble de questions en délibération, afin de tenir compte du contenu précis des décisions du Conseil, qui souhaitera certainement apporter, dans ses considérants, des indications suffisantes pour que, à l’avenir, nous ayons moins de problèmes dans l’application du principe non bis in idem.
C’est la raison pour laquelle, avec respect pour cette proposition et, plus encore, pour son auteur, le Gouvernement souhaiterait que cet amendement soit retiré.
M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Les explications apportées par M. le ministre sont exactes, mais le Sénat est dans la position d’un guetteur, d’une sentinelle. En effet, des difficultés risquent en effet de se poser, si ce n’est auprès du Conseil constitutionnel, en tout cas devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Cela dit, ce point est peut-être moins urgent que ceux qui ont été traités dans l’après-midi, y compris au travers du dernier amendement que vous avez eu la justesse et la clairvoyance d’adopter, mes chers collègues.
C’est pourquoi je me rends aux explications M. le ministre. Nous aurons la possibilité de légiférer plus globalement, sur ce point et sur les autres. Et si ce mouvement ne venait pas du Gouvernement, je serais ravi que le Sénat en prenne l’initiative.
Je retire donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 est retiré.
Article 5
I. – La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
II. – Le I des articles L. 744-12, L. 754-12 et L. 764-12 du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° La référence : « et L. 465-2 » est remplacée par la référence : « à L. 465-3-6 » ;
2° Avant les mots : « sous réserve », sont insérés les mots : « , dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché, ».
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Remplacer ces alinéas par 36 alinéas ainsi rédigés :
II. – Le livre VII du code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° La section 3 du chapitre III du titre Ier est complétée par un article L. 713-… ainsi rédigé :
« Art. L. 713-… – I. – Sous réserve des adaptations prévues aux II, sont applicables à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna les dispositions du Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.
« II. – Pour l’application du I :
« 1° Les références à l'Union européenne et aux États membres sont remplacées par celles de la France ;
« 2° Les actes délégués de la Commission européenne ou les normes techniques adoptées par elle sur proposition de l'Autorité européenne des marchés financiers peuvent être rendus applicables par arrêté du ministre chargé de l'économie ;
« 3° Les dispositions relatives à la communication d'informations à l'Autorité européenne des marchés financiers ainsi qu’à l’Agence de coopération des régulateurs d’énergie et la coopération avec ces derniers ne sont pas applicables ;
« 4° Les dispositions relatives aux marchés de quotas d’émission ainsi que les références au Règlement (UE) n° 1031/2010 de la Commission du 12 novembre 2010 relatif au calendrier, à la gestion et aux autres aspects de la mise aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, ne sont pas applicables ;
« 5° Les dispositions des articles 4, 13, 16, 17, 19, 22, 24, 25, 26 et 28 à 39 relatives aux pouvoirs de l'Autorité européenne des marchés financiers ne sont pas applicables. » ;
2° Les articles L. 744-12, L. 754-12 et L. 764-12 sont ainsi modifiés :
a) Le I est ainsi modifié :
- les références : « , L. 465-1 et L. 465-2 » sont remplacés par les références : « et L. 465-1 à L. 465-3-6 » ;
- sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les articles L. 465-1 à L. 465-3-6 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché.
« Pour l’application du premier alinéa, les références au code de commerce sont remplacées par les dispositions applicables localement ayant le même effet. » ;
b) Le II est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour l’application des articles L. 465-1 et L. 465-3-5, le montant : « 100 millions d’euros » est remplacé par le montant : « 11 933 millions de francs CFP » ;
« Pour l’application de l’article L. 465-3-4, la référence aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement n’est pas applicable. » ;
3° Les articles L. 744-13, L. 754-13 et L. 764-13 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 466-1 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;
4° Au premier alinéa des articles L. 745-1-1, L. 755-1-1 et L. 765-1-1, les références : « , des 1°, 3° et 4° de l’article L. 511-34 » sont supprimées ;
5° Les articles L. 746-5, L. 756-5 et L. 766-5 sont ainsi modifiés :
a) Au premier alinéa du I, les références : « à L. 621-18-4 » sont remplacées par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » et la référence : « L. 621-20-3, » est remplacée par les références : « L. 621-20-3 à L. 621-20-7 » ;
b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 6211, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2 et L. 621-4 à L. 621-20-7 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;
c) Après le 3° du III, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …°Pour l’application de l’article L. 621-10-2, la référence au code des postes et des communications électroniques est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ayant le même effet. » ;
6° Après le sixième alinéa des articles L. 746-5 et L. 756-5 et après le cinquième alinéa de l’article L. 766-5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’application du premier alinéa, les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables. » ;
7° Les articles L. 746-8, L. 756-8 et L. 766-8 sont ainsi modifiés :
a) Au premier alinéa du I, après la référence : « L. 632-7 », sont insérés les mots : « à l’exception des g et h de son II ainsi que de son II bis » ;
b) Après le premier alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 632-7 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;
c) Le 4° du II est ainsi modifié :
- les mots : « Au III de » sont remplacés par le mot : « À » ;
- sont ajoutés les mots : « et les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables ».
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement relativement long vise des sujets que vous avez l’habitude de traiter lorsque vous adoptez de nouvelles législations : application de ces dernières dans les territoires d’outre-mer qui ne font pas partie de l’Union européenne.
Il a pour objet de rendre applicable, dans ces territoires, les dispositions du règlement sur les abus de marché, afin que la prévention et la répression de ces abus puissent s’exercer, de la même manière, sur l’ensemble du territoire de la République.
M. le président. Le sous-amendement n° 12, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Amendement n° 11, alinéas 24 à 38
Remplacer ces alinéas par vingt-neuf alinéas ainsi rédigés :
5° Les articles L. 746-5 et L. 756-5 sont ainsi modifiés :
a) Au premier alinéa, les références : « à L. 621-18-4 » sont remplacées par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » et la référence : « L. 621-20-3, » est remplacée par les références : « L. 621-20-3 à L. 621-20-7 » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2 et L. 621-20-4 à L. 621-20-7 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;
c) Après le sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’application du premier alinéa, les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables. » ;
d) Au début du septième alinéa, la mention : « II. – » est remplacée par la mention : « III. – » ;
e) Après le dix-huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 3°bis Pour l’application de l’article L. 621-10-2, la référence au code des postes et des communications électroniques est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ayant le même effet. » ;
f) Le 3° bis du II devient le 3° ter du II ;
6° L’article L. 766-5 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les références : « à L. 621-18-4 » sont remplacées par les références : « à L. 621-17-1-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5 à L. 621-18-3 » et la référence : « L. 621-20-3, » est remplacée par les références : « L. 621-20-3 à L. 621-20-7 » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, L. 621-9-2, L. 621-10, L. 621-10-2, L. 621-12, L. 621-14, L. 621-14-1, L. 621-15, L. 621-15-1, L. 621-16, L. 621-16-1, L. 621-17-1, L. 621-17-3, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2 et L. 621-20-4 à L. 621-20-7 sont applicables dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;
c) Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’application du premier alinéa, les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables. » ;
d) Après le dix-septième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 3°bis Pour l’application de l’article L. 621-10-2, la référence au code des postes et des communications électroniques est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ayant le même effet. »
e) Le 3° bis du II devient le 3° ter du II ;
7° Le quatorzième alinéa de l’article L. 756-5 et le treizième alinéa de l’article L. 766-5 sont ainsi modifiés :
a) Au début, est ajouté le signe : « “ » ;
b) Après le mot : « France », la fin est ainsi rédigée : « ” ; »
8° Les articles L. 746-8, L. 756-8 et L. 766-8 sont ainsi modifiés :
a) Au premier alinéa du I, après la référence : « L. 632-7 », sont insérés les mots : « à l’exception des g et h de son II ainsi que de son II bis » ;
b) Après le premier alinéa du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 632-7 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … réformant le système de répression des abus de marché. » ;
c) Le 4° du II est ainsi modifié :
- les mots : « Au III de » sont remplacés par le mot : « À » ;
- sont ajoutés les mots : « et les références aux unités mentionnées à l’article L. 229-7 du code de l’environnement ne sont pas applicables ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis de la commission sur l'amendement n° 11.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le sous-amendement n° 12 vise à corriger des erreurs de références présentes dans l’amendement.
Sous réserve de son adoption, la commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 11 du Gouvernement, qui tend à procéder à des coordinations pour l’outre-mer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 12 ?
M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement y est favorable et remercie la commission de sa vigilance.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché.
(La proposition de loi est adoptée.)
12
Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
Discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (projet n° 484, texte de la commission n° 578 rectifié, rapport n° 577, avis n° 569).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous vous apprêtez à examiner en deuxième lecture s’inscrit dans une histoire législative.
Je ne peux pas ne pas penser, depuis cette tribune, à celles et ceux qui, ici même, il y a quarante ans, adoptèrent la première grande loi de protection de la nature. Cette loi de 1976, dont chacun reconnaît aujourd’hui les bienfaits, fut adoptée par de larges majorités dans les deux chambres. On aurait tort de croire, pour autant, que les débats qui se déroulèrent alors furent toujours empreints d’un esprit d’unanimisme béat.
Le chef de file du principal groupe de l’opposition parlementaire de l’époque avait apporté, je cite, « un soutien critique et, d’une certaine manière, désabusé » à un projet qu’il jugeait « trop timide pour être significatif ».
À l’inverse, un parlementaire de la majorité de l’époque s’était écrié : « Je suis affolé par la masse de règlements et d’interdictions que nous introduisons dans notre droit dans le souci de protéger la nature. » Il disait redouter que, je cite encore, « dans quelques siècles, les historiens puissent dire : “Ces hommes édictèrent librement une réglementation qui fit de leur génération la dernière qui pût agir en toute liberté” ».
À l’occasion des dix ans du vote de la loi, en 1986, le journal Le Monde écrivait : « Ceux qui la redoutaient le plus – industriels et aménageurs – la jugent aujourd’hui “excellente”. Ceux qui sont chargés de l’appliquer se disent “désarmés”. Quant aux protecteurs de la nature, qui plaçaient dans cette loi les plus grands espoirs, ils se partagent entre “déçus” et “impatients”. »
Pourtant, ensemble, nous allons célébrer, en juillet prochain, les quarante ans de cette loi, les quarante ans de ce que chacun s’accorde à considérer aujourd’hui, et à juste titre, comme une grande loi.
Si j’ai tenu à commencer par ce rappel ce propos introductif à l’examen du projet de loi qui va occuper nos prochaines journées et nuits, c’est qu’il me semble utile de replacer ce texte dans son contexte.
La loi de 1976 sur la protection de la nature, celle de 1993 sur les paysages, présentée, déjà, par Ségolène Royal, ont doté notre pays d’un arsenal législatif, qu’il convient aujourd’hui de compléter et d’adapter aux enjeux d’aujourd’hui.
La biodiversité est essentielle non seulement à notre qualité de vie, mais désormais, tout simplement, à la survie même de l’humanité.
Cette vie est la résultante de l’interaction entre les espèces : la conscience de l’importance des pollinisateurs, par exemple, s’est imposée dans le débat public, et nous devons nous en réjouir.
La diversité des espaces naturels concourt à l’équilibre de la planète : le débat sur le climat, par exemple, a mis en évidence l’importance des forêts et des zones humides pour les écosystèmes. Et chacun a bien conscience que cette biodiversité est menacée. Le rythme actuel de disparition des espèces animales et végétales est 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d’extinction !
Notre action publique – ce projet de loi nous y invite – doit viser à lutter contre les facteurs qui menacent la biodiversité. Ces facteurs, on les connaît. Ils sont au nombre de cinq : la disparition des habitats et des milieux naturels dans lesquels les espèces évoluent ; la surexploitation des ressources ; les pollutions ; le développement d’espèces exotiques envahissantes ; le réchauffement climatique.
La biodiversité, c’est un enjeu pour la planète, mais également pour notre quotidien : elle conditionne notre santé, la qualité de notre alimentation, mais elle est également un facteur de développement économique. C’est pourquoi l’action publique ne doit pas seulement être défensive. Elle doit également favoriser le développement de l’économie de la biodiversité, parce que le génie écologique, c’est de l’emploi durable, non délocalisable et rentable.
M. Ronan Dantec. Exactement !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. L’économie de la biodiversité, ce sont bientôt 40 000 emplois dans les parcs nationaux et régionaux et les aires marines protégées et plus de 150 000 emplois dans le secteur des jardins et des paysages.
Les activités fortement dépendantes de la biodiversité, comme la pêche, l’agriculture, la sylviculture et la première transformation pèsent 2 millions d’emplois en France. Les emplois indirects, induits par la protection et la valorisation de la biodiversité – par exemple, dans le tourisme, la filière du bois ou les cosmétiques – se chiffrent à près de 5 millions. Les travaux du dixième programme des agences de l’eau soutiennent près de 70 000 emplois.
En outre, soutenues par le plan d’investissements d’avenir, se développe, dans notre pays, un réseau de start-up et de PME qui sont à la pointe de l’ingénierie écologique dans le secteur du biomimétisme et de la bioinspiration. J’ajoute que la chimie verte, affranchie des hydrocarbures et qui mise sur la nature et sur l’industrialisation des bioprocédés, c’est l’avenir de la chimie française.
C’est tout cela, directement ou indirectement, par les cadres qu’il crée ou qu’il prévoit, par les synergies qu’il organise, dont il est question dans le projet de loi que vous examinez aujourd’hui. Et tout cela peut sembler consensuel. Dans les déplacements de terrain que j’effectue depuis quelques semaines, on me demande même parfois si c’est bien politique. Eh bien, ça l’est !
Tout d’abord, répondre à ces défis demande à adapter des comportements, à changer des habitudes, et cela par le dialogue, progressivement et en définissant des partenariats gagnants-gagnants. C’est ce à quoi s’emploie ce texte.
Ensuite, parce que ce projet de loi arrive en appui de décisions politiques concrètes, par exemple celles qui ont été prises pour l’interdiction de vente aux particuliers de pesticides nocifs ou pour les sacs plastiques, mais aussi en complément de décisions de soutien à l’investissement dans la recherche et l’innovation des entreprises.
Ce projet de loi s’inscrit ainsi dans une politique volontariste et cohérente, menée par Ségolène Royal à la tête du ministère de l’environnement. Enfin, ces questions sont des questions politiques, parce qu’y répondre impose de concilier des intérêts parfois divergents, de les faire converger et de résister à des intérêts puissants. Ces intérêts économiques ont toute leur légitimité : notre rôle, le vôtre, c’est de les entendre et de définir, au-delà, l’intérêt général.
On peut aussi se demander si les questions de biodiversité relèvent des pouvoirs nationaux. Et la tentation est grande de renvoyer un certain nombre de décisions à l’Union européenne.
Pour certains domaines, l’Europe est certes l’échelon pertinent, mais cette Europe a aussi besoin de pionniers. Sachons, sur les questions d’environnement, dès lors que nos décisions ne viennent pas, évidemment, mettre en danger la compétitivité de nos acteurs économiques, par les dispositifs que nous imaginons, par les structures que nous créons – je pense notamment à l’Agence française pour la biodiversité, dont le concept suscite un intérêt croissant hors de nos frontières –, oui, sachons faire de la France un pays pionnier.
En effet, pour la France, la biodiversité est aussi une question nationale, j’allais dire une question d’identité. Notre pays est l’un des plus riches au monde en merveilles de la nature, tout particulièrement dans les outre-mer, qui concentrent plus de 80 % de la biodiversité nationale.
Nous figurons parmi les dix pays du monde qui abritent le plus grand nombre d’espèces ; notre domaine maritime est le deuxième de la planète et nous sommes le quatrième pays au monde pour ses récifs coralliens.
Toutefois, nous sommes aussi au sixième rang des pays abritant le plus grand nombre d’espèces menacées. Nous avons donc une responsabilité particulière à assumer.
Cette responsabilité singulière et cette ambition que porte ce projet de loi viennent de loin, et Ségolène Royal a associé, lors de sa conception, de nombreux acteurs de la société civile : associations, ONG, usagers et gardiens de la nature, entreprises, etc. Cette volonté de coproduction a également prévalu lors des étapes précédentes de l’examen parlementaire du projet de loi.
Avant d’aborder les points qui restent à trancher et qui feront l’objet de cette deuxième lecture, je voudrais rappeler qu’une partie du projet a déjà été adoptée en termes identiques par les deux assemblées et que d’autres dispositions semblent avoir atteint, à l’issue des travaux de votre commission, un point d’équilibre qui devrait, sans difficulté, trouver l’assentiment de tous.
Ce socle constitue une fondation solide pour ce qui deviendra, à l’issue des débats parlementaires, la loi.
Je veux en premier lieu, évidemment, saluer le maintien de la vision dynamique de la biodiversité et de sa définition à l’article 1er. C’est essentiel, car cela permet d’identifier le défi qui est le nôtre de donner à voir la nature, non comme une sorte de juxtaposition d’espèces végétales et animales, mais dans sa dimension d’interactions. Mais c’est essentiel, aussi, parce que cela démontre la volonté du législateur de ne pas mettre la nature sous cloche, comme certains le craignent parfois.
Je salue également, même s’il conviendra sans doute de le préciser encore à la marge, le travail de votre commission des lois et de votre commission du développement durable sur la question de la réparation du préjudice écologique.
Nous avons là une avancée du droit, due à l’initiative du président Retailleau, qui permettra d’inscrire dans la loi la jurisprudence de l’Erika, donc de la sécuriser juridiquement, tout en garantissant aux acteurs économiques un cadre stable et clair.
J’aurais pu parler de la non-brevetabilité des gènes natifs – levier pour lutter contre le brevetage du vivant et la biopiraterie –, de la nouvelle gouvernance de l’eau – plus équilibrée pour les usagers non professionnels – ou du point d’équilibre proche sur le régime d’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation.
J’aurais aussi pu parler, de manière très concrète, du maintien de l’obligation, pour les centres commerciaux, de répondre à des critères environnementaux dans leurs nouveaux bâtiments : cela portera sur les sources d’énergie privilégiant le renouvelable, sur la végétalisation de toitures ou encore sur la perméabilité des sols.
Demeure en suspens la question du délai d’application, mais le principe semble désormais rencontrer un large assentiment.
J’ajoute, bien entendu, et c’est un point essentiel du projet de loi, que l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, est sur de bons rails. Le président de la République a garanti, dans le discours prononcé lors de la dernière conférence environnementale, que l’agence bénéficierait des moyens nécessaires à son action et annoncé un renforcement des moyens, notamment humains, qui seront mis à sa disposition.
Je rappelle que le Gouvernement a tenu à faire preuve, sur ce projet, d’une grande souplesse et d’un grand pragmatisme. J’assume le choix opéré de ne pas intégrer l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, dans l’Agence française pour la biodiversité, même s’il m’est souvent reproché, je ne vous le cache pas, lors des visites de terrain que j’effectue.
M. Ronan Dantec. C’est vrai !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. À l’évidence, les résistances et les préventions étaient trop fortes. Reconnaissons que les mariages forcés ne sont pas généralement les plus heureux ! (Sourires.)
Nous avons donc fait un pari : celui d’une collaboration fructueuse entre les agents, sur le terrain. Il me semblerait souhaitable que cet esprit, en retour, guide la suite de vos travaux et que le choix de ne pas scinder les polices administratives et judiciaires s’accompagne de la pleine préservation des missions actuellement assignées aux agents des établissements constitutifs de l’AFB.
C’est ce même pragmatisme qui prévaut pour l’organisation territoriale de l’agence et ses collaborations avec les collectivités. En effet, il serait paradoxal de défendre la biodiversité sans, dans le même temps, reconnaître la diversité des acteurs, des enjeux et des structures déjà existantes sur les divers territoires. Il s’agit de ne surtout pas imposer d’en haut un modèle unique qui ferait fi des spécificités territoriales.
M. Charles Revet. C’est très important !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Il reviendra aux collectivités territoriales de s’emparer de cet outil, en fonction des entités en place et des sujets prioritaires, qu’il s’agisse de l’eau, du milieu maritime ou des espèces menacées.
L’outil est conçu pour être décliné à la carte, au rythme et en fonction des spécificités de chaque territoire. L’AFB aura des antennes sur tout le territoire et pourra monter des structures conjointes avec les régions, notamment via les établissements publics de coopération environnementale, les EPCE, en associant les départements qui le souhaitent.
Outre-mer, ces délégations territoriales pourront être créées à la demande de plusieurs collectivités. J’insiste sur ce point, car je sais que votre assemblée, par essence et par tempérament, est attachée à la liberté et à l’autonomie des territoires qui forment notre République. L’AFB, dans son fonctionnement sur le terrain, devra respecter pleinement nos territoires, et le texte que vous examinez aujourd’hui y concourra.
Un certain nombre de principes très importants et de dispositifs attendus font donc désormais consensus, ou sont très près de trouver un équilibre partagé, mais il ne faut pas oublier que seul le vote de la loi pourra leur donner une concrétisation réelle.
Je me réjouis par ailleurs que, sur un autre sujet de discussion lors de lectures précédentes du projet de loi – je veux parler de l’action de groupe sur les sujets environnementaux –, nous soyons parvenus à une proposition qui me semble répondre aux attentes. Nous en débattrons certes dans le cadre de l’examen d’un autre texte législatif, à savoir le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, mais ce qui compte, c’est que l’objectif soit atteint et la mesure rapidement effective. Les travaux que les assemblées avaient menés sur cette question dans le cadre du présent projet de loi trouveront donc un aboutissement concret, et c’est bien là l’essentiel.
Voilà pour l’acquis, ou presque, et ce n’est pas rien, mais de nombreux points restent également en suspens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte issu de votre commission, je vous le dis en toute franchise, comporte des remises en cause d’avancées qui avaient été actées lors de la première lecture dans votre assemblée et qui avaient pu être formulées avec davantage de précision lors de la seconde lecture à l’Assemblée nationale. C’est sur ces points qu’il nous faut donc désormais concentrer notre travail commun, avec la volonté, partagée je l’espère, d’aboutir à des équilibres crédibles, concrets et opérationnels.
Je n’en citerai ici que quelques-uns, que le rôle de notre discussion sera de détailler.
En effet, la remise en cause du principe de non-régression environnementale ou l’amoindrissement de la compensation des atteintes à la biodiversité sont de mauvais signaux. Je suis certaine que nous pourrons avancer sur ces points, dès lors que la volonté commune existera.
La question de la taxation de l’huile de palme, que votre assemblée avait intégrée en première lecture à un niveau extrêmement élevé,…
M. Ronan Dantec. Disons, à un niveau quelque peu exagéré !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. … j’allais dire excessivement élevé !
Cette question ne peut pour autant être balayée. Je rappelle que le texte issu de l’Assemblée nationale ne proposait rien d’autre que de revenir sur une niche fiscale assez incompréhensible au bénéfice de cette huile par rapport à l’huile d’olive importée. (M. Michel Raison proteste.) Cet avantage spécifique n’existe dans aucun autre pays européen.
Sa mise en œuvre progressive s’accompagnait d’un dispositif vertueux, puisque les huiles de palme certifiées durables auraient été exclues de son champ d’application. Un tel dispositif, introduit à l’Assemblée nationale par le Gouvernement, avait pour but d’accompagner un mouvement de fond, qui a vu en quelques années les huiles certifiées passer de 1 % à 21 % de la production mondiale, comme le note une récente étude du WWF.
Sur cette question également, remettons l’ouvrage sur le métier, car nos concitoyens expriment une attente forte. La solution qui avait été trouvée apportait une réponse pragmatique et concrète à un véritable enjeu de biodiversité à l’échelle de la planète et permettait à la France, comme je le disais tout à l’heure, d’être pionnière pour un sujet qui occupe tous les défenseurs de la biodiversité.
De même, sur la question sensible, et très présente dans les préoccupations de nos concitoyens, des produits néonicotinoïdes, je vous confirme que le Gouvernement est ouvert à la discussion pour rendre le principe d’interdiction, sur lequel l’Assemblée nationale s’était prononcée, pleinement opérationnel et crédible.
Toutefois, des visites que j’ai menées, je retiens la très forte mobilisation citoyenne sur cette question et les attentes des populations. Il convient donc de dessiner de manière pragmatique, sous le contrôle permanent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, une trajectoire de sortie des néonicotinoïdes, incluant un accompagnement de nos agriculteurs dans de nouvelles pratiques alternatives.
Cela permettra de protéger les pollinisateurs indispensables à la production agricole, notamment fruitière, mais également de garantir l’attractivité des produits agricoles pour les consommateurs et, enfin, de préserver la santé de tous, en premier lieu celle des agriculteurs.
Nous avons donc du travail devant nous, et ce sera l’objet de ces trois jours de séance.
Je souhaite que l’état d’esprit qui préside à ces travaux soit marqué du sceau de la responsabilité. Je n’ignore pas que, depuis le début du mois de janvier dernier, nous sommes entrés dans un cycle politique particulier. Je n’ignore rien du contexte préélectoral dans lequel vous êtes amenés à légiférer (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce contexte vaut aussi pour vous !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. … mais j’ai confiance dans votre volonté de ne pas en tenir compte dans vos délibérations.
Parce que nous agissons ensemble pour la génération qui vient et pour la nature que nous léguerons à nos enfants, et non en fonction d’une échéance de court terme, je fais confiance à la sagesse du Sénat pour ne pas céder à de petits calculs politiciens qui ne seraient conformes ni à la tradition de votre assemblée ni à l’esprit qui avait guidé vos travaux en janvier dernier. (M. Joël Labbé applaudit. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Merci pour nous !
M. Daniel Gremillet. En matière de calculs politiciens, les écologistes s’y connaissent !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Vous pouvez faire confiance au Gouvernement, qui souhaite bâtir avec vous une loi partagée, équilibrée, expression d’une coproduction législative et non de la suprématie d’une assemblée sur l’autre, mais soyez également conscients de notre détermination à faire que ce texte soit réellement ambitieux, réellement opérationnel et réellement à la hauteur des enjeux que j’évoquais au début de mon propos.
Je commençais cette intervention en vous parlant de la loi de 1976, qui fut le fruit d’un consensus. Personne ne s’en souvient comme de la loi Fosset, ou Granet : c’est la loi de la République tout simplement, et une grande loi de la République.
C’est au même exercice que nous sommes appelés aujourd’hui. Je vous appelle à faire de ce projet de loi non la loi d’une ministre, encore moins celle d’une secrétaire d’État, mais la loi de la France, la loi d’une France exemplaire sur les questions écologiques, d’une France qui aura su entraîner le monde dans un accord historique sur le climat et en tirer la conséquence dans sa transition énergétique, d’une France moteur des actions internationales sur la biodiversité, qui prendra toute sa place dans la COP sur la biodiversité de Mexico à la fin de l’année et qui aura su tirer les conséquences de cet engagement dans son droit interne en adoptant le texte sur lequel nous allons désormais ensemble travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui la deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Je souhaite tout d’abord me réjouir du temps dont nous avons disposé pour examiner ce texte, puisque nous avons eu deux lectures, la procédure accélérée n’ayant pas été engagée. Cela devient rare, suffisamment en tout cas pour être noté ! Certains points du texte font d’ailleurs aujourd’hui, selon moi, l’objet d’un équilibre réaliste et intelligent, vous l’avez noté, madame la secrétaire d’État, et je crois que c’est grâce aux vertus de la procédure normale d’examen du texte.
Plus de deux ans se sont écoulés depuis l’adoption du projet de loi par le conseil des ministres, en mars 2014. Le projet de loi initial comportait 72 articles et, après en avoir compté 160 à l’issue de la première lecture au Sénat, il n’en comprend plus aujourd’hui que 102, qui sont soumis à notre discussion. Vous l’avez compris, un certain nombre d’articles ont fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées et se trouvent ainsi « fermés », pour reprendre une expression de notre jargon.
Un mot sur les travaux de la commission, qui s’est réunie mardi et mercredi derniers pour adopter son texte. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale montre que celle-ci a réellement fait un pas dans notre direction et témoigne d’une volonté de trouver des compromis constructifs. Le Sénat avait d’ailleurs déjà adopté la même démarche en première lecture. L’Assemblée nationale a ainsi adopté 58 articles conformes à la rédaction issue des travaux du Sénat, c’est-à-dire plus du tiers.
Elle a également conservé un grand nombre de dispositions nouvelles insérées par le Sénat. Je citerai, par exemple, la ratification du protocole de Nagoya, l’équilibre trouvé pour les instances de gouvernance de la biodiversité, et notamment la composition du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité, ou encore la suppression de l’interdiction de la chasse à la glu et de la chasse aux mammifères en période de dépendance et de reproduction. Ces apports du Sénat ont été entérinés par l’Assemblée nationale et sont désormais acquis.
Au sein de la commission, nous avons continué à travailler dans le même état d’esprit, puisque, la semaine dernière, nous avons adopté 142 amendements sur les 323 que nous avons examinés. Notre objectif a été de conserver les priorités qui étaient déjà les nôtres en première lecture.
Tout d’abord, nous avons réaffirmé la volonté de concilier tous les usages de la nature avec les activités économiques présentes sur le territoire, sans faire primer l’un sur un autre ou renforcer l’un au détriment d’un autre.
Notre deuxième priorité consiste à simplifier autant que possible, conformément d'ailleurs au souhait du président du Sénat. Il s’agit de veiller à ne pas ajouter des contraintes excessives aux différents acteurs sur les territoires ni des lourdeurs administratives inutiles. Cette priorité revendiquée par le président du Sénat l’est également par de nombreux membres du groupe auquel j’appartiens.
La troisième priorité est un engagement complet en faveur d’une nouvelle approche de la biodiversité, plus moderne, résiliente, mouvante, changeante, dynamique et dont nos outre-mer offrent l’exemple le plus magnifique. La biodiversité y est d’une richesse incomparable : elle est source d’atouts et d’innovations dans des secteurs variés comme l’économie, la recherche ou encore la santé ; mais elle est aussi en danger, en régression souvent, et victime de l’action des hommes.
Sur le fond de ce que nous avons adopté la semaine dernière, je voudrais m’arrêter un instant sur l’article 2 bis, qui inscrit le préjudice écologique dans le code civil et constitue, je le pense, la plus grande avancée permise par l’ensemble du projet de loi, la vraie révolution juridique qui fera avancer la protection de la nature et la protection de nos sites naturels.
Je ne voudrais pas que l’on oublie que c’est le Sénat qui aura permis cette immense avancée. C’est le Sénat, souvent taxé de conservatisme, qui fait preuve d’audace et de modernité en remettant le préjudice écologique sur la table, trois ans après l’avoir déjà adopté à l’unanimité, alors que l’Assemblée nationale comme le Gouvernement n’avaient pas beaucoup bougé sur ce sujet.
Nous avons adopté en commission une série d’amendements présentés par la commission des lois saisie pour avis, sur l’initiative de son rapporteur, Alain Anziani, qui n’est pas présent aujourd’hui, mais que je tiens à saluer. Nous avons pu réaliser un excellent travail ensemble et je me réjouis de pouvoir vous le présenter dans les heures qui viennent.
J’avais également déposé des amendements identiques, afin de bien montrer qu’ils résultaient d’un travail commun, comme nous en étions convenus en séance en première lecture, et toujours en lien avec le président Retailleau, auteur de la proposition de loi originelle de 2013, dont Alain Anziani avait été le rapporteur. Nous avons mené ensemble dix-sept auditions et sommes parvenus à une rédaction qui, si elle n’est peut-être pas encore parfaite, consolide réellement, je le crois, le nouveau régime introduit.
En quelques mots, nous avons souhaité simplifier le dispositif en veillant à sa bonne articulation avec le droit commun de la responsabilité civile, garantir l’efficacité de la réparation et veiller à sa bonne application dans le temps. Notre commission des lois, qui est composée d’excellents juristes et présidée par un conseiller d’État, a voté à l’unanimité les amendements présentés par Alain Anziani et moi-même. Je ne m’étends pas davantage, car nous aurons l’occasion d’y revenir pendant nos débats.
Concernant le reste du projet de loi, sur le titre Ier, la commission a, de manière pragmatique, opéré quelques modifications, afin de rendre le texte plus lisible, surtout sur les principes introduits dans le code de l’environnement. Nous ne sommes pas encore complètement sûrs de leur portée, ce qui suscite des réticences.
À l’article 3 ter, nous avons conforté le rôle essentiel du Muséum national d’histoire naturelle dans la conception, la mise à jour et la diffusion de l’inventaire du patrimoine naturel.
Sur le titre II, l’Assemblée nationale ayant validé l’essentiel de l’équilibre que nous avons adopté en première lecture, nous avons seulement supprimé l’article 7 ter A, qui prévoit un rapport sur les recettes de la part départementale de la taxe d’aménagement destinée à financer les espaces naturels sensibles.
Au titre III, relatif à l’Agence française pour la biodiversité, dont vous avez longuement parlé, madame la secrétaire d'État, nous avons réintroduit la mission d’appui technique à l’évaluation des dommages agricoles et forestiers causés par les espèces animales protégées et nous avons adopté un amendement de notre collègue Jean-Noël Cardoux et du groupe socialiste et républicain prévoyant que les missions de police seront exercées par l’agence et l’ONCFS, dans le cadre d’unités communes, sous l’autorité d’un directeur commun, nommé par les directeurs des établissements concernés. J’ai compris que nous aurions l’occasion d’en reparler.
Au titre III bis, nous avons entériné la réforme des comités de bassin et de la composition des conseils d’administration des agences de l’eau introduite à l’Assemblée nationale, mais qui ne sera effective qu’au prochain renouvellement des instances, c’est-à-dire en 2020, pour ne pas créer de perturbation pour ces dernières.
En revanche, nous avons substitué des règles de déontologie au régime d’incompatibilité que l’Assemblée nationale souhaitait mettre en place pour les membres de ces conseils d’administration, ce qui revenait, selon moi, à nier l’esprit même de la gouvernance de l’eau en France. De nombreuses professions appliquent des règles de déontologie, les membres des agences de l’eau peuvent donc parfaitement en faire autant.
Au titre IV, nous avons sécurisé juridiquement le dispositif d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages, ou APA, en supprimant les références aux « communautés autochtones et locales », pour les remplacer par la notion de « communauté d’habitants », sans vouloir heurter la fierté légitime de nos collègues ultramarins, mais simplement pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité et éviter à ces communautés de perdre le bénéfice de l’APA.
Nous avons rétabli la procédure, supprimée par les députés, d’accès et de partage des avantages pour les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées, qui étaient déjà en collection avant l’entrée en vigueur de la loi et qui feraient l’objet d’une utilisation ultérieure.
Sur l’initiative de Sophie Primas, nous avons également rétabli la rédaction du Sénat concernant les motifs pour lesquels l’administration pourra refuser une autorisation pour l’accès à une ressource génétique.
Au titre V, la commission a supprimé, sur l’initiative de notre collègue Catherine Deroche, la contribution additionnelle sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah, considérant qu’elle créerait des difficultés commerciales et diplomatiques disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, en particulier au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce – cet élément nous avait échappé lors de la première lecture –, et qu’une réforme plus globale et cohérente de la taxation des huiles devait plutôt être débattue dans une loi de finances. J’ajoute qu’une mission d’information sur la taxation des produits agroalimentaires est en cours à l’Assemblée nationale.
La commission a également modifié l’article 32, relatif aux établissements publics de coopération environnementale, les EPCE, en vue d’élargir leurs missions à toute action visant à préserver la biodiversité et d’associer des établissements publics locaux à leur création et à leur gestion, notamment afin de permettre aux offices de l’eau des territoires ultramarins de participer à la gouvernance de ces établissements. Nous donnons ainsi un coup d’accélérateur à la création de ce nouveau type d’établissement public.
La commission a rétabli l’article 32 bis BA, adopté au Sénat, visant à permettre l’incorporation au domaine public des terrains acquis au titre de la politique des espaces naturels sensibles. Elle a aussi clarifié le dispositif de compensation prévu par l’article 33 A et a supprimé l’obligation d’agrément préalable des opérateurs de compensation, afin d’encourager cette activité et, surtout, de la simplifier, en évitant la création d’une de ces usines à gaz que notre pays ne connaît que trop.
Elle a rétabli plusieurs dispositions que nous avions adoptées en première lecture sur le mécanisme d’obligations réelles environnementales, notamment sur le point de la concertation préalable.
Elle a aussi supprimé l’article 34, créant des zones prioritaires pour la biodiversité, comme en première lecture. À l’occasion d’un déplacement en Alsace, en compagnie de plusieurs collègues, j’ai pu constater que cet outil, certes intéressant d’un point de vue intellectuel, n’était pas efficace pour assurer la survie du grand hamster d’Alsace, alors que les agriculteurs nous ont montré que d’autres moyens plus pertinents fonctionnaient sur le terrain.
De même, la commission a supprimé l’article 36 quater, relatif aux espaces de continuités écologiques, dans la mesure où le code de l’urbanisme prévoit déjà des outils en ce sens.
À l’article 51 quaterdecies, relatif aux produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes, nous aurons de longs débats, car les positions et les solutions proposées diffèrent.
La commission a rétabli, contre mon avis, la rédaction votée par le Sénat en première lecture, qui revient sur l’interdiction et renvoie à un arrêté du ministre de l’agriculture, pris dans les six mois après la promulgation de la loi, le soin de définir les conditions d’utilisation de ces produits, afin de tenir compte de l’avis de l’ANSES de janvier dernier. L’article a été complété par l’adoption d’un sous-amendement de Sophie Primas visant à ajouter à l’interdiction de vente de produits phytopharmaceutiques en libre-service à compter de 2017 une exception pour les produits dont l’utilisation est autorisée en agriculture biologique.
Enfin, nous avons supprimé en commission un certain nombre d’articles ou de dispositions relevant clairement du domaine réglementaire ou étant redondantes avec le droit existant, comme le détail du contenu du volet du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le SRADDET, consacré à la gestion du trait de côte, la consultation des usagers détenteurs d’autorisations avant le classement d’une réserve naturelle ayant une zone maritime, ou encore l’obligation de boucher tous les poteaux téléphoniques et anti-éboulement creux qui sont déjà installés et l’interdiction de poser de nouveaux poteaux creux et non bouchés.
Notre commission propose ainsi au Sénat un texte qui reste ambitieux, tout en étant réaliste. Je suis sûr que les travaux que nous allons mener permettront d’aboutir à un texte équilibré, comme l’a dit Mme la secrétaire d’État, qui fera progresser la biodiversité. En effet, celle-ci est notre bien commun, que nous léguerons à nos enfants le moment venu, en ayant conscience d’avoir bien travaillé pour l’avenir de notre pays. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, en remplacement de M. Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me revient de vous présenter le sens de l’avis de la commission des lois sur le seul article 2 bis relatif au préjudice écologique, à la place de notre collègue Alain Anziani, en déplacement. Il m’est d’autant plus facile de le faire que la qualité du travail conjoint de notre collègue et du rapporteur, Jérôme Bignon, a été saluée par la commission des lois qui a suivi l’intégralité de leurs propositions.
Sans conteste, l’ajout de ce dispositif au projet de loi constituera l’un des apports importants du Sénat. Nous ne pouvons que nous féliciter du concours heureux de volontés qui ont permis cette avancée. Cela illustre, une nouvelle fois, le succès que rencontre le Sénat lorsqu’il s’empare, sans esprit partisan, de sujets d’une vive actualité.
Le premier mérite en revient à notre collègue Bruno Retailleau, qui a déposé, le 23 mai 2012, une proposition de loi sur le sujet. Celle-ci fut rapportée au nom de la commission des lois par notre collègue Alain Anziani et adoptée, dans la rédaction qu’il avait proposée, à l’unanimité par notre assemblée. Ni le Gouvernement ni les députés n’ayant souhaité s’emparer de ce sujet à leur tour, il nous aura fallu attendre l’heureuse initiative de notre collègue rapporteur Jérôme Bignon et de la commission du développement durable pour redonner vie à cette proposition de loi, à l’article 2 bis du présent texte.
Les députés ont, cette fois, accepté ce que nous leur proposions, en modifiant toutefois largement le dispositif.
Nos deux commissions ayant constitué un groupe de travail commun pour parfaire le dispositif proposé, nos deux rapporteurs, Jérôme Bignon et Alain Anziani, dont je loue, une nouvelle fois, la qualité de la collaboration, ont déposé une douzaine d’amendements, tous adoptés par nos deux commissions, et à l’unanimité par la commission des lois.
Quel est l’esprit de la réforme proposée ? Nos deux commissions ont tout d’abord veillé à la simplicité du dispositif. La simplicité, en matière de responsabilité, est en effet gage d’efficacité.
La rédaction des députés présentait un inconvénient. En prévoyant que « toute personne qui cause un dommage à l’environnement est tenue de le réparer », elle organisait un régime de responsabilité personnelle spécifique et supprimait toute référence à la responsabilité pour le fait des choses dont on a la garde ou pour le fait des personnes dont on répond. Ainsi, nous aurions pu poursuivre en responsabilité l’ouvrier qui a ouvert les vannes causant la pollution, mais pas la compagnie qui l’emploie !
Nous avons préféré retenir le principe que « toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte ». Ainsi, nous pouvons nous appuyer sur tous les types de responsabilités, pour faute et sans faute, personnelle ou du fait d’autrui, que prévoient déjà les articles 1382 à 1385 du code civil, certes anciens, mais très bien rédigés. Pourquoi réinventer ce qui existe déjà ?
Le même souci de simplicité et d’efficacité nous a conduits à retenir une rédaction adaptée, dans sa précision et sa concision, au code civil. Plutôt que de parler « d’atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », nous avons retenu la notion de « dommage anormal », qui fait directement écho aux troubles anormaux de voisinage.
De la même manière, nous avons supprimé les dispositifs prévoyant, systématiquement, que le juge civil devra surseoir à statuer lorsqu’une « procédure administrative » est engagée tendant à la réparation du même préjudice. Outre l’imprécision de cette rédaction – qu’est-ce qu’une procédure administrative ? –, il faut éviter d’encourager la guérilla procédurale, qui servirait seulement à différer, le plus longtemps possible, la condamnation de l’auteur du dommage.
Il est plus simple de s’en remettre à l’appréciation du juge, qui peut discrétionnairement, ou à la demande des parties, prononcer ce sursis à statuer, en vertu de l’article 378 du code de procédure civile. Pour la même raison, nous avons supprimé l’obligation faite au juge de tenir compte des mesures de réparation déjà ordonnées : cela va de soi et se pratique tous les jours dans nos tribunaux. Je suis conscient que cette précision superfétatoire est destinée à rassurer ceux qui craindraient le contraire, mais faut-il transformer la loi en panneau clignotant signalant un danger qui n’existe pas ?
Nos deux commissions ont par ailleurs veillé à garantir l’efficacité de la réparation du préjudice écologique. Nous avons tout d’abord précisé ce qu’il convient d’entendre par réparation en nature : il s’agit soit de supprimer le dommage, soit de le réduire, soit de le compenser. Cette rédaction s’inspire des propositions du groupe de travail présidé par François Terré sur la réforme du droit de la responsabilité.
Nous avons ensuite restreint le périmètre des personnes ayant qualité à agir : il faut éviter que l’action échoue, faute d’avoir été engagée par quelqu’un en mesure de la porter. Outre l’État, les collectivités territoriales et l’Agence française pour la biodiversité, seules les associations agréées ou celles ayant plus de cinq ans d’existence pourraient agir. Enfin, nous avons fait de l’Agence française pour la biodiversité la structure compétente en dernier ressort pour assurer la réparation du dommage ou sa compensation.
Je souhaite signaler deux dispositifs innovants créés sur l’initiative de nos deux commissions. Le premier consiste à prévenir, plutôt que guérir, en permettant aux requérants d’agir pour faire cesser le trouble illicite causé par l’auteur du dommage, afin d’éviter que le préjudice n’empire. Le second vise à permettre à ceux qui ont qualité pour agir d’être substitués aux droits du premier requérant défaillant : ainsi d’autres pourront prendre la suite de ceux qui n’auront pu conduire l’action en réparation jusqu’au bout.
Enfin, nous nous sommes attachés à la bonne application dans le temps du nouveau dispositif. Nous avons considéré qu’il convenait de traiter le préjudice écologique comme le préjudice corporel – ce n’est pas une révolution juridique ! –, en fixant le délai de prescription à dix ans, mais seulement à compter du moment où l’on connaît le dommage, sans le butoir à cinquante ans à partir du fait générateur du dommage.
Par ailleurs, nous avons confirmé que les nouvelles règles s’appliqueraient aussi aux dommages nés de faits générateurs antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, sauf si une action judiciaire a déjà été engagée. Il s’agit, bien sûr, des dommages réparables sur le plan civil et certainement pas d’une éventuelle action pénale !
Mes chers collègues, notre responsabilité est grande, parce que le Sénat est à l’origine de l’intégration de cet article sur le préjudice écologique dans le texte. Ne décevons pas les attentes que nous avons fait naître. La rédaction que nous vous proposons aujourd’hui vise à donner à ce dispositif la force qu’il requiert, en l’assortissant des garanties que le bon sens commande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer une nouvelle fois le travail exceptionnel mené par Jérôme Bignon, ainsi que son engagement et son implication sur ce texte qui lui doit beaucoup.
Je voudrais aussi me féliciter de l’excellente collaboration de notre commission avec la commission des lois pour élaborer le dispositif qui vous est proposé sur la réparation du préjudice écologique.
Nous avions, en effet, introduit en première lecture dans ce projet de loi les dispositions de la proposition de loi adoptée il y a trois ans sur l’initiative de Bruno Retailleau. Nous étions convenus de la nécessité d’améliorer ce texte entre les deux lectures. Nous avons souhaité que ce travail soit effectué en collaboration étroite avec la commission des lois. C’est un bon exemple de travail en commun, et je remercie le président de la commission, Philippe Bas, et le rapporteur pour avis, Alain Anziani, que François Pillet représente aujourd’hui.
Je voudrais souligner les très substantiels apports du Sénat au texte que nous examinons aujourd’hui, madame la secrétaire d’État. En effet, entre le texte initial déposé par le Gouvernement il y a maintenant un peu plus de deux ans et le texte qui résulte de nos délibérations de première lecture et des deux examens successifs par la commission que je préside, on peut incontestablement relever une différence. Celle-ci tient à l’approche du Sénat, que l’on peut caractériser d’un triple point de vue.
Première différence d’approche, le Sénat, comme toujours lorsqu’il imprime sa marque sur les projets de loi, a vraiment pris en compte la réalité économique.
Cela signifie que, tout en étant convaincus de la nécessité de préserver notre exceptionnelle biodiversité, nous n’en avons pas moins écouté celles et ceux qui sont à son contact quotidiennement, que ce soient les agriculteurs, les chasseurs, les gestionnaires d’espaces naturels ou encore nos compatriotes ultramarins, tant la richesse de la biodiversité dans nos territoires d’outre-mer est grande.
Le texte que nous avons élaboré a donc un aspect pragmatique, ancré dans la réalité économique, qui manquait au texte de l’Assemblée nationale. Cela s’est traduit directement en première lecture dans l’équilibre trouvé pour la gouvernance de la biodiversité. Je pense au conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité et à celui de l’ONCFS, à propos desquels l’Assemblée nationale nous a en très grande partie suivis.
Dans un autre ordre d’idées, la suppression par la commission de la taxe sur l’huile de palme, que l’on soit pour ou contre cette mesure, s’est exclusivement appuyée sur un impératif économique, celui du respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui interdisent de mettre en place ce type de taxation discriminatoire.
Deuxième différence d’approche avec l’Assemblée nationale : le souci permanent de la simplification. Chaque fois que cela était possible, nous avons eu à cœur de simplifier, d’alléger ou de supprimer des dispositifs excessivement complexes ou procéduriers.
Je pense par exemple à la compensation écologique. Celle-ci répond à une finalité dont nous ne remettons à aucun moment en question le caractère indispensable. Toutefois, son succès et sa bonne mise en œuvre dépendent à l’évidence de la souplesse des outils et des procédures pour les acteurs de terrain.
Est-il utile d’instituer une procédure d’agrément, inévitablement lourde et coûteuse, pour ceux qui savent faire cette compensation et qui, de toute façon, sont soumis à des contrôles ?
Je prendrai un autre exemple, que l’on a déjà évoqué, à savoir le préjudice écologique. Notre choix n’est pas d’instituer une construction juridique ultra-élaborée intellectuellement, pour nous faire plaisir. Nous avons cherché à insérer cette nouvelle responsabilité dans le droit existant et dans les procédures que connaissent les juges, à savoir celles du droit de la responsabilité dans le code civil. C’est à cette condition que la notion de préjudice écologique sera acceptée et efficace. Le Sénat a, là encore, le souci de ceux qui auront à mettre en œuvre les règles et procédures que nous votons.
Enfin, troisième différence d’approche, la confiance aux acteurs de terrain. Par exemple, quand notre commission décide de nouveau, en deuxième lecture, de supprimer les zones de protection de la biodiversité, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire ! Nous sommes allés en Alsace, sur le terrain du grand hamster, à la rencontre de tous ceux qui sont concernés par cette question. Nous avons vu que, grâce au dialogue et à la concertation, on peut trouver des solutions adaptées et pragmatiques, sans avoir à les imposer brutalement de Paris. Nous croyons en la nécessité de systématiser une telle approche, en faisant confiance aux acteurs.
Vous l’avez compris, madame la secrétaire d’État, nous souhaitons que le bon sens du Sénat, qui n’a jamais remis en cause l’ambition du projet de loi, soit présent dans le texte jusqu’à son vote final. Nous comptons d’ailleurs sur vous pour porter cette exigence auprès de nos collègues députés.
En effet, nous espérons, je le dis dès à présent, que la commission mixte paritaire sera en mesure d’adopter un texte. De notre côté, il n’y a nulle volonté électoraliste et politicienne.
M. Charles Revet. Il n’y en a pas !
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Sur tous les sujets, y compris sur celui, très difficile, des néonicotinoïdes, sur lequel les médias se sont focalisés – nous en avons pour preuve les nombreux mails qui nous sont envoyés et les tweets qui sont émis –, nous pensons qu’une solution est possible, si nous réussissons à sortir des postures idéologiques.
C’est en tout cas le vœu que je forme. Si nous adoptons un texte permettant d’aboutir à un texte commun en commission mixte paritaire, nous aurons fait œuvre utile pour la préservation du patrimoine naturel inestimable de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, protéger la nature sans entraver le progrès, préserver l’existant tout en préparant l’avenir, concilier biodiversité et activités humaines, assurer la compatibilité de ces dernières entre elles pour garantir un accès équitable de tous au patrimoine commun, tel est le périlleux exercice auquel nous nous soumettons à nouveau au sein de cet hémicycle.
Les deux assemblées ont pleinement joué leur rôle et apporté des améliorations notables à chaque lecture de ce projet de loi, pour lequel la procédure accélérée n’a pas été engagée. Au cours de cette dernière lecture par le Sénat, nous continuerons d’agir ainsi.
La création de l’Agence française pour la biodiversité, sa composition en cinq collèges représentant tous les acteurs socioéconomiques et la très grande majorité de ses missions ont été actées.
L’instauration de nouveaux instruments dans notre droit que sont les obligations réelles environnementales ou les mesures de compensation permettra de préserver la biodiversité sans remettre en cause les activités humaines. Des sujets d’une grande complexité à la fois technique et juridique ont été au cœur de nos débats.
Il en a été ainsi de la mise en place du dispositif d’accès aux ressources génétiques et du partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. La « biopiraterie » doit être combattue, et nous avons tous à l’esprit des exemples tels que la stévia, édulcorant naturel, dont les effets gustatifs et thérapeutiques ont été découverts par des Indiens guarani d’Amérique du Sud. Elle fait désormais l’objet de demandes de brevets déposés par les grandes firmes.
Nous maintiendrons notre position en proposant, une nouvelle fois, de limiter les contributions financières dues par les entreprises utilisant les ressources génétiques à des fins commerciales à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes, au lieu des 5 % proposés par l’Assemblée nationale. À notre sens, c’est une réponse plus équilibrée si l’on ne veut pas entraver la recherche, qui bénéficie, elle aussi, à tous.
Je me félicite en outre de la réintroduction en commission des dispositions relatives à l’entrée en vigueur du dispositif, car ce n’est pas en ignorant le problème que celui-ci disparaît.
Par voie d’amendement, le Sénat a intégré dans le débat des questions essentielles, qui ont toute leur place au sein du présent projet de loi. J’en évoquerai deux : la brevetabilité du vivant et la reconnaissance du préjudice écologique.
S’agissant du préjudice écologique, le dispositif a été utilement complété par l’Assemblée nationale, puis en commission, grâce au travail de nos collègues Alain Anziani et Jérôme Bignon. Après une longue gestation, juridictions, juristes et législateurs auront permis la reconnaissance par le droit du préjudice écologique pur, devant être réparé en priorité en nature. Ce qui nous fera encore défaut pour l’application de ce texte, c’est la nécessaire expertise de tribunaux et de juges spécialisés dans un droit qui demeure complexe.
Sur la brevetabilité du vivant, nous ne contestons pas, par principe, les évolutions intervenant en matière de biotechnologie. Nous aurons, dans les prochaines années, à relever un défi alimentaire, en augmentant la production agricole tout en produisant durablement.
Il reste du chemin à parcourir pour simplifier et adapter le droit national et le droit européen aux nouvelles techniques, alors que la frontière entre ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas est ténue et que des dérives peuvent toujours avoir lieu.
Enfin, je tiens à évoquer les dispositions concernant les produits phytopharmaceutiques de la famille des néonicotinoïdes. Si nos points de vue convergent s’agissant de la nécessité de trouver des moyens de substitution lorsque l’évaluation scientifique établit que certains usages et substances comportent des risques avérés sur la santé et/ou l’environnement, ils divergent pour ce qui concerne les solutions.
Faut-il interdire toutes ces substances ? Ne peut-on pas encadrer leur usage efficacement ? Peut-on véritablement le contrôler ? Mes chers collègues, gardons à l’esprit que les néonicotinoïdes sont venus remplacer les organophosphorés et les carbamates à fort impact neurotoxique chez les mammifères. Le pragmatisme s’impose : le progrès scientifique est aussi une réalité, qu’il ne faut pas refuser. (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)
Il reste à étudier des solutions de substitution et les risques qu’elles impliquent. Toutefois, n’oublions pas que la mortalité des pollinisateurs est multifactorielle : autres pesticides, changements climatiques, pollutions en tout genre, agents pathogènes tels que la varroase, ou encore espèces exotiques envahissantes.
Mes chers collègues, notre intime conviction, c’est qu’il convient d’utiliser modérément et raisonnablement le principe de précaution. La recherche est par nature incertaine et il n’y a pas de savants fous. Il y a surtout des personnes passionnées par la science et le progrès, qui n’ont pas attendu l’insertion de ce principe dans la Constitution pour l’appliquer. Nous devons avoir confiance en eux. N’ayons pas peur de la science !
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Jean-Claude Requier. Cessons d’opposer science et biodiversité. L’homme a besoin des deux, et les radicaux, comme le groupe du RDSE, ont toujours eu pour priorité l’avenir de l’homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. C’est le plus important !
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis désolée de le dire, nous sommes entrés de plain-pied dans la campagne électorale, et ce texte est l’un des premiers à en souffrir.
La « reconquête de la biodiversité » a cédé la place à la reconquête politique. J’en veux pour preuve les reculs, retours en arrière et offensives menées sur tous les sujets, qui visent purement et simplement à illustrer le slogan devenu célèbre : « L’environnement, ça commence à bien faire. » (M. Ronan Dantec applaudit.)
Pourtant, en première lecture, c'est-à-dire dans un passé pas si lointain, un travail sérieux et approfondi avait été mené, avec la volonté de trouver des compromis satisfaisants, d’imprimer la marque du Sénat et de s’inscrire dans une trajectoire de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Cela attestait, semblait-il, d’une prise de conscience, sur toutes les travées, des atteintes à la biodiversité, de l’effondrement des espèces – je me souviens que tous les orateurs en ont parlé dans la discussion générale –, de la prolifération anarchique des déchets en milieu marin ou encore des risques pour la santé liés à l’utilisation massive de produits chimiques nuisibles aux êtres vivants.
La deuxième lecture, destinée habituellement à préciser ou améliorer un texte et à trouver un accord avec l’Assemblée nationale, se veut ici une réécriture. En témoigne notamment la volonté de changer le titre du projet de loi par voie d’amendement.
Les lobbys s’en sont donné à cœur joie, nous le sentons bien au travers de l’ensemble des amendements déposés dans le cadre de cette deuxième lecture.
Pourtant, nous sommes plus que jamais persuadés que l’état de notre environnement, les questions de climat, de préservation des ressources et de protection de la biodiversité sont déterminants pour l’avenir de l’humanité et de l’économie.
Bien sûr, des avancées ont été obtenues, qu’il ne convient pas de nier. Ainsi 58 articles ont-ils déjà été votés conformes, M. le rapporteur l’a dit. Des questions importantes, comme le travail de définition, la création d’outils de protection adaptés à la biodiversité terrestre, aquatique et marine, les obligations et sanctions renforcées en cas d’atteinte à la biodiversité comme la reconnaissance du préjudice écologique et la transposition du protocole de Nagoya, ont trouvé une traduction législative utile.
Les avancées en matière de protection, comme la brevetabilité du vivant et la lutte contre les pollutions de la mer, sont à mettre au crédit de ce texte. Même si, concernant le brevetage du vivant, sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’adoption d’un amendement de notre collègue Cyril Pellevat a affaibli le principe posé en première lecture par notre Haute Assemblée, selon lequel personne ne peut s’approprier la nature. Ce sujet me paraissant important, j’y reviendrai à l’article 4 bis.
De même, nous pouvons regretter la timidité du Parlement français concernant le chalutage en eaux profondes, un sujet que notre groupe avait introduit en commission en première lecture.
J’ajoute aussi à cette liste une prise de conscience grandissante, grâce aux débats, des parlementaires et de nos concitoyens, qui se mobilisent de plus en plus sur des questions de santé, l’usage des pesticides, l’utilisation souvent abusive et monopolistique des OGM. Toutes ces problématiques se rejoignent et relèvent au fond d’une seule question : pouvons-nous continuer à empoisonner la planète en pensant que cela n’aura pas d’incidence, à terme, sur le vivant et l’activité économique ? La réponse est clairement non !
C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas baisser les bras. Ce texte peut encore évoluer positivement, et nous nous y emploierons.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Très bien !
Mme Évelyne Didier. Nous porterons des propositions et des questions, notamment sur l’action de groupe dans le domaine environnemental, les limites du secret industriel et commercial, le frelon asiatique, le principe ERC – éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel –, l’agrément des opérateurs et les néonicotinoïdes, pour n’en citer que quelques-unes.
Je voudrais maintenant aborder la question de l’Agence française pour la biodiversité, qui est au cœur de ce texte.
Si les communistes ont toujours regretté la perte de compétences des ministères, qui vise à réduire le rôle de l’État en transférant lesdites compétences à des agences, nous pensons qu’il est nécessaire de favoriser la lisibilité et la cohérence des actions menées. C’est la raison pour laquelle nous continuerons à proposer que l’Agence française pour la biodiversité soit le lieu de la concertation de toutes les parties concernées par la biodiversité. L’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, n’en est pas la moindre. De ce fait, il doit tout faire pour collaborer avec les autres acteurs.
M. Michel Raison. On le dépouille !
Mme Évelyne Didier. Allons, mon cher collègue, personne ne dépouille personne ! On est allé chercher un gros canon pour détruire une mouche.
Je dois dire à ce sujet que la charge menée par les partisans de cet office, sur tous les bancs, est disproportionnée et, in fine, contraire à l’intérêt général. C’est une défense partisane et catégorielle, alors qu’il existe, j’en suis convaincue, des voies pour une coopération fructueuse de toutes les parties, qu’il convient d’appeler de nos vœux.
Pour en revenir à l’AFB, les moyens qui lui seront donnés et la reconnaissance des métiers et des personnes conditionnent la réussite de ce projet. En première lecture, j’avais fait le vœu que les personnels soient davantage reconnus et associés et les métiers, valorisés. J’aimerais d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, que vous puissiez faire le point sur ce sujet au cours de nos débats.
Nous aborderons bien sûr les questions fiscales. La fiscalité carbone a surtout fait la preuve de son inutilité et de son échec. Les redevances nouvelles envisagées dans ce texte, si elles taxent à nouveau les citoyens de manière disproportionnée, à l’instar des redevances des agences de l’eau, seront injustes socialement. Faisons donc attention !
Enfin, nous devrons, sur la question du vivant, abandonner le vocabulaire et les outils de l’économie de marché : rentabilité, productivité, banque d’actifs, n’ont rien à faire, nous en sommes convaincus, dans la protection des conditions de la survie des espèces, particulièrement de l’espèce humaine.
Plus que jamais, nous devons le dire, ce qui compte, c’est d’abord l’humain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Jean-Jacques Filleul applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après la loi relative à la transition énergétique et la COP 21, ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité est un nouveau pas en faveur de l’avenir de notre planète. L’érosion de la biodiversité, ainsi que l’accélération de la disparition d’espèces végétales et animales, est bien liée aux activités humaines : il y a donc urgence à agir.
Ce projet de loi vise des objectifs ambitieux. Pour les atteindre, il prévoit la création de l’Agence française pour la biodiversité et du Comité national de la biodiversité. Plus généralement, il vise à trouver un équilibre entre une reconquête dynamique et la mise en valeur des usages.
Notre excellent rapporteur a repris, dans le cadre de cette deuxième lecture, l’ensemble des problématiques soulevées par le texte, sur lesquels nous reviendrons au cours de nos débats.
Avec ce projet de loi, il s’agit de mieux prendre en compte l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité, et plus largement sur l’environnement. Le texte arrive à point pour apporter des réponses, qui ne sont pas forcément toutes parfaites. C’est à l’honneur de notre pays de poser les problématiques qui permettront, nous l’espérons, de préserver une faune, une flore, des eaux et des forêts de qualité, afin de contribuer à l’épanouissement des générations futures.
L’examen de ce projet de loi me permet de mesurer le chemin parcouru. Non seulement notre engagement à le défendre et à l’améliorer a été constant, mais surtout nous faisons œuvre utile, en consolidant la conscience, que je situe bien au-delà du sentiment, que la planète n’est pas renouvelable.
Ce texte, par tous les domaines qu’il touche, soutient et renforce les expériences et actions engagées depuis de nombreuses années, très souvent localement.
Faire reconnaître la biodiversité est un combat, que j’ai pu mener lors de mon premier mandat de maire de Montlouis-sur-Loire. La biodiversité ligérienne méritait d’être mieux identifiée. Tout d’abord, en 1984, nous avons pris un arrêté de protection de biotope, pour assurer la protection des sites des oiseaux migrateurs. Puis, nous avons créé, en 1986, la première Maison de Loire à Montlouis. Ce fut un événement majeur pour l’observation et l’identification des milieux ligériens, événement reconnu à l’époque par la ministre de l’environnement, Mme Huguette Bouchardeau, venue l’inaugurer.
Depuis lors, cette formidable collecte d’informations nourrit la recherche, en relation avec l’université et les associations. Ce combat a permis de faire découvrir et d’ouvrir à un large public, y compris aux enfants, les formidables richesses écologiques de la Loire, au cœur du Val de Montlouis.
Ce regard localisé renforce ce projet de loi et en montre la pertinence. Il est en phase avec de nombreuses expériences et permet d’ancrer la place de la biodiversité dans les grandes politiques publiques. Il n’est pas inutile de le rappeler, ces dernières s’accompagnent, dans notre pays, d’une multitude d’autres actions sur de nombreux sites du territoire, sur l’initiative des élus et des associations.
Plusieurs articles ont animé nos débats en première lecture. Ils reviennent aujourd’hui avec la même acuité : je pense notamment aux néonicotinoïdes. En effet, la problématique soulevée par ces produits toxiques employés comme insecticides est complexe. Les députés l’ont résolue radicalement en votant en deuxième lecture l’interdiction de tous les néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, sans tenir compte des avis de l’ANSES.
Dans le cadre de cette deuxième lecture, le groupe socialiste et républicain défend une position équilibrée, fondée sur des avis scientifiques tenant compte de l’existence de solutions de rechange. En effet, pourquoi faudrait-il attendre septembre 2018 pour interdire certaines substances si les études demandées à l’ANSES conduisent à agir plus rapidement ?
L’huile de palme est un autre sujet sur lequel nous avions suivi, en première lecture, l’amendement présenté par nos collègues écologistes. Cette question fait partie intégrante de ce dont traite le projet de loi, à savoir la lutte contre la destruction des espaces naturels ou encore contre la pollution liée à certaines cultures. Nous nous sommes engagés sans état d’âme au regard de ce que l’huile de palme représente en termes de danger pour la biodiversité, particulièrement dans les pays producteurs. Elle est synonyme de déforestation.
Les députés ont modifié l’article voté au Sénat et ont réduit la taxe à 30 euros, avec une augmentation graduelle jusqu’à 90 euros en 2018, ajoutant une exemption très importante pour les productions certifiées. La progressivité doit inciter les pays producteurs à produire de façon responsable.
Notre commission a supprimé cet article. Nous souhaitons que le Sénat le rétablisse sur les mêmes bases que celui qui a été voté à l’Assemblée nationale, laquelle nous a suivis concernant le principe d’une taxation.
Bien que l’amendement concerné ait été rejeté ce matin en commission, je veux revenir sur la reconnaissance de la permaculture, introduite en première lecture par des collègues du groupe socialiste et républicain. J’étais intervenu pour défendre ces dispositions, car il s’agit d’un mode de culture soutenable, économe en énergie et bien adapté à la biodiversité du lieu.
Des expériences sont actuellement menées sur plusieurs années. Elles sont suivies scientifiquement par l’INRA, le ministère de l’agriculture et bien d’autres organismes scientifiques. Sa reconnaissance dans la loi me paraît de nature à présenter de façon positive cette forme de culture de proximité, en particulier pour les grands centres urbains, comme d’autres pourraient tout aussi bien l’être.
Je conclus mon propos en évoquant le rapport du Conseil économique, social et environnemental Agir pour la biodiversité, publié en 2013. Ses auteurs montrent que la biodiversité continue de se dégrader. Ils écrivent : « En dépit des évolutions […] qui témoignent, dans leur principe, d’une volonté de prise en compte de la biodiversité, une appréciation circonstanciée sur leur portée s’avère difficile. »
Ainsi, madame la secrétaire d’État, ce projet de loi s’inscrit-il bien dans un processus de reconquête destiné à faire de la France un pays pionnier, dans la mesure où il est, je crois, le seul à légiférer aujourd'hui sur la biodiversité.
Le groupe socialiste et républicain est tout à fait favorable à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier et Mme Chantal Jouanno applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion au sein de la commission, un amendement, non retenu, visait à supprimer le mot « reconquête » du titre de ce projet de loi. Ce n’était pas absurde, car plusieurs amendements adoptés la semaine dernière en commission ont effectivement vidé en partie le projet de loi de cette ambition.
Les signaux d’alerte sur l’effondrement de la biodiversité en France sont pourtant nombreux, comme la baisse massive des populations de passereaux – moins 30 % en 13 ans en Île-de-France, le chiffre vient d’être donné – ou le fait que les trois quarts des habitats naturels en France soient aujourd'hui considérés comme en état de conservation défavorable.
De toute évidence, malgré l’urgence, ce projet de loi est encore jugé démesuré dans son ambition par un certain nombre de sénateurs. Au sein de la commission, nous avons ainsi supprimé le principe de non-régression dans le code de l’environnement ou encore la précision selon laquelle les mesures de compensation visent un objectif de zéro perte nette de biodiversité.
Ainsi, d’amendement en amendement, nombre de sénateurs, principalement de droite, il faut bien le reconnaître, et heureusement pas toujours majoritaires – je salue ceux qui ont évité que ce texte ne soit encore pire et qui se reconnaîtront –, ont dessiné une vision qui ne considère toujours pas la préservation de la biodiversité comme un enjeu majeur pour notre propre avenir, notamment notre alimentation, notre santé et notre développement économique. Pour eux, la nature reste ce monde hostile qu’il s’agit de repousser aux lisières de la civilisation, de ne garder que pour quelques activités secondaires de loisirs, en se félicitant d’éradiquer les loups, les ours et les mauvaises herbes sur les trottoirs.
Dix ans après le Grenelle de l’environnement, ce rapport atavique à la nature trouve donc encore ici à s’exprimer. « L’environnement, ça commence à bien faire » est une musique à laquelle certains restent sensibles, surtout quand elle est reprise par de puissants chœurs de lobbys, pour lesquels l’enjeu immédiat de leur propre business passera toujours avant l’intérêt général.
L’exemple des néonicotinoïdes incarne cette position. Nous connaissons aujourd’hui, par des travaux scientifiques non contestés, leur toxicité, pour les abeilles bien sûr, mais aussi pour la santé humaine. Le coût de leur utilisation est considérable et ne se limite pas à la production de miel. C’est toute la pollinisation qui est concernée, avec notamment une baisse de la production de fruits. La responsabilité du législateur est donc bien de préserver l’intérêt général, ce qui passe par leur interdiction rapide, sans pour autant nier l’impact d’une telle décision sur les activités agricoles existantes.
L’Assemblée nationale a ainsi dessiné un compromis acceptable, et mon collègue Joël Labbé, que je salue pour son engagement sur ce dossier, vous proposera de le rétablir. Nous pouvons encore craindre que le Sénat ne cherche ici qu’à retarder les échéances, sans considération pour leurs effets négatifs globaux.
La taxation de l’huile de palme est un autre de ces sujets qui disent le poids des lobbys. Les gouvernements indonésien et malaisien, que nous avons rencontrés, se sont légitimement inquiétés de nos décisions audacieuses, prises au cours de la première lecture de ce texte au Sénat. Il ne s’agit pas de balayer leurs arguments, car leurs propres enjeux de développement doivent aussi être considérés.
Personnellement, je me méfie toujours de nos propres simplismes, de notre capacité à nous mobiliser pour exiger la protection des lions et des orangs-outans à l’autre bout du monde, alors que nous échouons à construire nos propres consensus collectifs pour relâcher quelques ours dans les Pyrénées.
M. Bernard Lalande. C'est vrai !
M. Ronan Dantec. Pour autant, il est aberrant de nous retrouver avec des huiles de palme moins taxées que nos productions locales, telles que l'huile d'olive, et de ne pas chercher à développer des filières écologiquement responsables et certifiées. Car ce sont bien aussi nos propres consommations qui détruisent la planète. Développer une consommation mondiale responsable fait également partie des responsabilités du législateur.
L’Assemblée nationale avait trouvé, après le Sénat – nous y étions allés un peu fort, je le reconnais –, un bon compromis. Sur ce dossier également, nous sommes revenus en arrière, par souci, peut-être, de compréhension des arguments des pays producteurs, mais aussi, plus probablement, parce que nos géants de l’agroalimentaire veulent continuer à disposer d’une matière première bon marché pour la fabrication de leurs biscuits et autres productions, sans se soucier, pour la plupart d’entre eux, des enjeux de biodiversité. Il faudra rétablir cette taxation de l’huile de palme.
Le débat politique sur l’environnement est probablement le plus schizophrénique qui soit, entre multiplication des envolées lyriques sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants, et mobilisation permanente pour que rien ne change de la part de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont une activité à défendre, qui les céréaliers, qui l’agro-business, qui la pêche en eau profonde, qui les chasses traditionnelles – la liste est sans fin.
Où il faudrait trouver des compromis pour faire évoluer rapidement les pratiques en accompagnant cette évolution, c’est quasiment toujours autour du report des échéances que se construit en définitive une grande coalition du refus.
Il existe néanmoins une exception à ce tableau assez pessimiste du travail du Sénat en deuxième lecture : il s’agit du travail effectué sur le préjudice écologique par Alain Anziani et Jérôme Bignon, que je salue. J’en profite pour saluer tout particulièrement notre rapporteur, dont l’action a été extrêmement importante, et dont l’engagement a soufflé sur la première lecture, même si le soufflé est un peu retombé en deuxième lecture. (Sourires.)
Chers collègues, la gravité des crises environnementales est telle que c’est bien notre système économique traditionnel qui risque de se désagréger. Nous connaissons déjà les premières manifestations de cette désagrégation : des crises des réfugiés en Europe, très liées aux crises climatiques – on ne le dit pas suffisamment –, aux incendies gigantesques du nord du Canada, elles font tellement l’actualité, elles sont tellement sous nos yeux que nous ne le voyons même pas.
Tout immobilisme est aujourd’hui coupable ; cette loi est un outil modeste pour amorcer le sursaut nécessaire. Ne nous en privons pas !
En tout état de cause, le groupe écologiste votera contre le texte du Sénat si celui-ci apparaît trop en retrait par rapport au texte de l’Assemblée nationale. Mais il nous reste deux jours pour montrer notre compréhension des enjeux et assumer notre part de la responsabilité globale face à ces désastres annoncés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. Bernard Lalande applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à saluer le travail considérable réalisé par notre rapporteur Jérôme Bignon. Sur un texte sur lequel il était difficile de faire l’unanimité, il a finalement réuni une majorité au Sénat, en préservant, à l’issue de la première lecture, un texte équilibré. Malheureusement, depuis, cet équilibre a été rompu par l’Assemblée nationale.
La biodiversité est un concept beaucoup plus vaste que la simple collection d’espèces animales et végétales à laquelle on l’a trop souvent réduite : il renvoie à la diversité de la vie à tous ses niveaux d’organisation, du gène aux espèces et aux écosystèmes. Il ne doit par conséquent impliquer aucune « mise sous cloche » ou sanctuarisation : la vie, en effet, évolue sans cesse depuis des siècles et des millénaires ; elle évoluait même bien avant que l’on ne parle de changement climatique, de pollution, de pesticides, de révolution industrielle.
Les paysages qui nous entourent expriment la diversité des écosystèmes, fruit de l’histoire, de l’évolution et des influences humaines.
La France héberge 4 900 espèces de plantes endémiques, ce qui fait d’elle le troisième pays européen du point de vue de la richesse floristique.
La France abrite 950 espèces de vertébrés, ce qui fait d’elle l’un des premiers pays européens en termes de richesse faunistique.
La France possède des richesses naturelles considérables – habitats naturels, parcs naturels, espaces naturels.
Et pourtant, nous parlons de « reconquête ». Devons-nous vraiment dresser un tableau si sombre de la biodiversité dans notre pays, au regard des efforts de tous, et surtout de ceux qui vivent au plus près de la nature, agriculteurs, viticulteurs, éleveurs, pêcheurs, chasseurs ? Tous ont contribué à façonner nos paysages, notre nature, nos prairies, nos forêts.
M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !
M. Rémy Pointereau. Lors de la première lecture du texte discuté et voté au Sénat, nous avions réussi, avec notre rapporteur, à faire reconnaître leurs rôles respectifs en termes de gestion de la biodiversité, des espaces naturels, de la faune et de la flore.
D’ailleurs, les organisations syndicales agricoles, les chambres consulaires et les agriculteurs étaient d’accord pour agir en faveur de la biodiversité. Ils étaient plutôt satisfaits des conclusions de la première lecture, quand bien même elles les obligeaient à se soumettre encore à de nouvelles normes, de nouvelles tracasseries administratives, de nouvelles contraintes environnementales.
En occultant nos travaux, l’Assemblée nationale a ravivé les braises de la division opposant l’idéologie au pragmatisme, les environnementalistes aux agriculteurs, les « zadistes » aux porteurs de projets,…
M. Joël Labbé. Quels clichés !
M. Rémy Pointereau. … en oubliant que le développement durable devait marcher sur deux jambes : l’économie et l’environnement.
C’est pourquoi je souhaite que nous revenions au texte voté par le Sénat en première lecture. J’ai déposé, à cet effet, un certain nombre d’amendements, et je me réjouis qu’ils aient obtenu un avis favorable en commission.
Ainsi, à l’article 33, les députés ont supprimé les modalités de suivi des mesures compensatoires lors de la mutation d’un bien. Nous avions pourtant précisé qu’il était préférable de prévoir explicitement la conclusion d’un contrat définissant la nature des mesures, les modalités et la durée de leur mise en œuvre.
Sur ce point comme sur d’autres, je remercie notre rapporteur d’avoir fait en sorte de nous sortir de ce « rendez-vous en terre inconnue », en précisant la nature juridique de l’acte organisant la mise en œuvre de la compensation.
En ce qui concerne l’article 34, perçu par les agriculteurs comme une provocation, le dispositif rétabli par l’Assemblée nationale prévoit à la fois une obligation et un zonage pour la biodiversité. Les critères retenus sont difficiles à admettre pour les agriculteurs.
Je me réjouis que nous ayons supprimé cet article. On ne peut en effet imposer un système coercitif sans en discuter avec les personnes concernées : c’est une question de respect !
Un article a fait débat plus que d’autres au sein de notre commission. Il s’agit de l’article 51 quaterdecies, qui prévoit d’interdire, à partir du 1er septembre 2018, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes.
En première lecture, nous pensions avoir trouvé une position équilibrée en votant l’amendement de Mme Nicole Bonnefoy, du groupe socialiste et républicain – c’est d’ailleurs ce que nous avons fait de nouveau, en commission, en deuxième lecture –, qui vise à renvoyer à un décret le soin de déterminer les conditions d’utilisation de ces produits, afin de tenir compte de l’avis de l’ANSES. L’Assemblée nationale a tout simplement rétabli l’interdiction.
Contrairement à l’interdiction brutale, le renvoi au décret permet pourtant d’encadrer l’utilisation de ces produits, sans pour autant conduire les productions agricoles dans des impasses techniques.
À ce jour, si leur application est effectuée dans les règles, les néonicotinoïdes sont les produits les plus efficaces et les moins polluants pour l’environnement,…
M. Joël Labbé. C’est faux !
M. Rémy Pointereau. … par comparaison avec les produits foliaires, qui, eux, restent sur le marché, qui doivent être appliqués à répétition, deux à trois fois, pour lesquels les risques de résistance sont plus importants, et dont les coûts sont plus élevés.
Toutes les matières actives efficaces, le parathion, le diméthoate, ont été retirées du marché. Elles étaient jusqu’alors autorisées pour les cerises un mois avant la récolte, et interdites, depuis dix ans, pour les grandes cultures – cherchez l’erreur. Bien utilisées, elles étaient pourtant, en définitive, les moins dangereuses pour l’être humain et les abeilles, aux dires des nombreux apiculteurs avec qui j’en ai longuement discuté. Il n’existe pas, aujourd’hui, de produits alternatifs.
Oui, la mortalité des abeilles est un problème ! Certes, nous devons le résoudre, car nous avons besoin de pollinisateurs, notamment pour la production de semences.
Faut-il pour autant que l’agriculture devienne le bouc émissaire de cette mortalité ? Je dis non !
Faut-il pour autant que la France agisse de façon unilatérale en s’adonnant de nouveau à la « surtransposition » du droit européen, mettant en danger la compétitivité de nos agriculteurs ? Nous ne pouvons nous le permettre, et, là encore, je dis non !
Nous ne sommes pas des scientifiques. Il nous faut faire confiance aux organismes tels que l’ANSES, en France, et les agences européennes.
M. Ronan Dantec. Justement !
M. Rémy Pointereau. Si le Parlement interdit un produit dit « dangereux », alors il faudra interdire tous les produits dangereux pour la santé humaine et la biodiversité (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Ronan Dantec applaudit également.), certains médicaments, les aérosols, les insecticides, et cela dans toute l’Europe.
M. Ronan Dantec. C’est une bonne idée !
M. Rémy Pointereau. Ce n’est pas là le rôle des parlementaires.
Comme l’a proposé notre collègue Michel Raison, il serait souhaitable que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable se penche spécifiquement sur la question de la mortalité des abeilles, domestiques ou sauvages. L’observation des populations selon les zones géographiques révèle de grandes surprises : il a ainsi été constaté que la mortalité des abeilles était plus importante dans les zones de montagne, non cultivées, dans les Vosges par exemple.
Notre collègue Daniel Gremillet en parlera mieux que moi, puisqu’il a présidé la commission des apiculteurs du CNJA, le Centre national des jeunes agriculteurs.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes des élus responsables et favorables à la protection de la biodiversité. Toutefois, je maintiens que la mise en œuvre de cette protection doit reposer sur la confiance accordée aux acteurs de terrain et aux organismes scientifiques, et cela, madame la secrétaire d’État, sans arrière-pensées électorales. Madame Didier, vous le savez, nous n’entretenons aucune arrière-pensée, que ce soit à l’égard des ayatollahs de l’environnement ou des grands céréaliers. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’aube de cette deuxième lecture, il n’est nul besoin de très longs discours. Le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité divise et continuera à diviser. Cette division est selon moi légitime : il faut l’assumer sans réserve.
Le débat véritable, s’agissant de ce projet de loi, ne se situe pas dans les très nombreuses dispositions techniques qu’il comporte, mais dans l’opposition de fond entre deux conceptions de la biodiversité, et donc de la société.
Une première conception, assez classique, intègre l’humanité dans le grand continuum de la biodiversité ; l’autre conception l’en extrait.
La première a donné lieu aux dérives de ce qu’on a appelé la deep ecology, et même à des excès parfois violents. La seconde, plus anthropocentrée, plus utilitariste, tient que la biodiversité n’est pas légitime en elle-même, mais seulement en tant qu’elle contribue au développement économique. Cette seconde conception a également donné lieu à des excès : marchandisation et brevetabilité du vivant.
Mme Évelyne Didier. Oui !
Mme Chantal Jouanno. Mais le progrès est l’alliance de la science et de la conscience, et, depuis la loi de 1976, la seule et dernière grande loi sur la biodiversité, nous avons appris énormément de choses.
Nous savons que l’homme est partie intégrante de la biodiversité, qu’il est même une ode à la biodiversité, puisque le corps humain comprend davantage de cellules non humaines que de cellules humaines.
Nous savons que la vie, depuis 3,9 milliards d’années, se construit par associativité, que son principe n’est donc pas la concurrence entre espèces et la domination de certaines sur les autres.
Nous savons en partie évaluer la valeur des services écosystémiques et du biomimétisme. Nous découvrons des espèces incroyables dont nous avons tant à apprendre, comme le fameux tardigrade.
Nous savons que les animaux sont des êtres sensibles.
Bref, nous avons aujourd’hui tant d’éléments à notre disposition pour faire avancer la loi que nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. L’objectif de ce projet de loi est bien de traduire cette connaissance dans le droit.
Les dispositions techniques sont trop nombreuses dans ce texte, et j’invite vraiment le président du Sénat à continuer d’opposer l’article 41 à tous les amendements dont l’objet est d’introduire dans la loi des mesures à caractère réglementaire.
Il est d’ailleurs parfois proposé d’écrire dans la loi : « peut faire ». Or, par principe, ce qui n’est pas interdit est autorisé. Ces propositions sont donc inutiles.
Même les dispositions si polémiques sur les néonicotinoïdes sont en réalité des dispositions techniques. Le législateur ne devrait pas avoir à se substituer aux scientifiques,…
M. Rémy Pointereau. Voilà !
Mme Chantal Jouanno. … seuls capables de dire quelles sont les substances dangereuses et les substances non dangereuses.
M. Rémy Pointereau. Exactement !
Mme Chantal Jouanno. En revanche, nous devrions être capables d’écrire dans la loi que toute substance mortelle pour les pollinisateurs est interdite, que tel est le principe, et que leur autorisation, c’est l’exception !
M. Joël Labbé. Oui !
Mme Corinne Bouchoux. Très bien !
Mme Chantal Jouanno. Je crains malgré tout que, si nous allons dans cette voie, des polémiques encore plus virulentes que celles qui existent déjà ne naissent autour de ce projet de loi.
L’essentiel de ce texte était dans l’article 2, et tout particulièrement dans son alinéa 9. Nous sommes passés assez rapidement sur ce point dans le cadre de nos débats en première lecture, puis, en deuxième lecture, en commission, mais c’était là le véritable point central du projet de loi. Cet alinéa disposait que le principe d’action préventive et de correction « doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité », le principe corollaire étant le principe de non-régression.
Supprimer ces principes du texte reviendrait à écrire un projet de loi sur l’emploi en supprimant l’objectif de plein-emploi. L’objectif de reconquête de la biodiversité n’est pas simple à atteindre, évidemment ; mais ce n’est pas une raison pour nous résigner à la perte de biodiversité, pour considérer que ces objectifs sont inatteignables, ou que cette situation n’est pas si grave. Si nous admettons, d’un point de vue scientifique, qu’elle est grave, alors nous devons inscrire ces principes dans la loi.
M. Ronan Dantec. Oui !
Mme Chantal Jouanno. Au cours des débats, chacun aura à cœur de défendre son territoire, ainsi que ses convictions. Mais – j’ai un petit peu trop entendu cette rengaine dans la discussion générale, et même dans votre discours préliminaire, madame la secrétaire d’État – il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre : les bons « écolos » et les méchants agriculteurs, ou les bons ruraux et les méchants « bobos ».
Mme Évelyne Didier. Personne n’a dit ça !
Mme Chantal Jouanno. Il y a simplement des clivages politiques qu’il faut assumer, et qui d’ailleurs, en général, traversent les partis. En commission, nous étions loin du « méchants à droite, bons à gauche »,…
M. Jean-Louis Carrère. Arithmétiquement, c’est différent !
Mme Chantal Jouanno. … les divergences sont beaucoup plus transpartisanes que cela, et renvoient à des convictions beaucoup plus profondes que ce que suggère une telle vision caricaturale des clivages politiques.
Je n’ai aucune illusion sur l’issue du débat que nous nous apprêtons à avoir. Je souhaite néanmoins que chacun s’écoute avec bienveillance et respect, sans vociférations inutiles. Au sein de notre groupe politique, le groupe centriste, il n’existe pas de consensus autour de ce texte, mais des positions divergentes, parfaitement assumées, que nous exposons dans le respect mutuel de chacun. Le principe même de la politique, c’est en effet de produire du clivage : c’est tout à fait naturel !
Pour conclure, je voudrais souligner l’exceptionnel travail des administratrices, des administrateurs, de notre rapporteur et du président de notre commission, qui ont cherché à trouver des compromis autour de ce texte, et à entendre les différents arguments mobilisés par les uns et les autres à l’appui de leurs positions respectives.
Enfin, madame la secrétaire d’État, vous allez participer à votre premier véritable débat de fond au Sénat. Vous allez donc découvrir que cette assemblée est différente de l’Assemblée nationale : il s’agit d’une assemblée indépendante, y compris, d’ailleurs, le plus souvent, des directions de partis elles-mêmes ; d’une assemblée respectueuse, mais extrêmement déterminée sur le fond des arguments qu’elle défend. Par conséquent, tout ce qui renverrait à d’éventuels calculs politiques n’y a pas vraiment sa place. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur et cher Jérôme, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, lors de la première lecture de ce texte, en janvier dernier, j’avais rappelé que l’enjeu de la préservation de la biodiversité est évidemment un enjeu majeur et un objectif partagé par tous, bien au-delà de nos positionnements politiques respectifs, comme Chantal Jouanno vient de le rappeler.
J’avais également affirmé, et je le répète aujourd’hui, que nous ferions collectivement une erreur stratégique, politique et sociale en opposant économie et environnement. L’erreur serait de soutenir que la biodiversité serait mieux protégée et mieux garantie si nous pénalisions les activités économiques, qui sont pourtant essentielles à nos territoires – je pense bien entendu, en particulier, à l’activité agricole.
M. Ronan Dantec. Il ne s’agit pas de pénaliser l’activité agricole !
Mme Sophie Primas. Ce message a été entendu par le Sénat : nous avons beaucoup fait évoluer le texte, souvent, très souvent, en accord avec la ministre Mme Ségolène Royal, au fil d’une discussion qui fut longue, parfois polémique certes – notre rôle n’est-il pas aussi de défendre des avis différents de ceux de la majorité gouvernementale ? –, mais bien souvent constructive.
Je veux ici saluer le rôle essentiel de notre rapporteur, Jérôme Bignon, dont l’infatigable volonté de concilier les points de vue est tout à fait reconnue.
M. Charles Revet. Il a en effet beaucoup travaillé !
Mme Sophie Primas. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a repris certaines de nos propositions. Mais il reste encore des divergences qu’il nous faut aplanir.
Je me consacrerai ici, compte tenu du peu de temps dont je dispose, au débat très sensible qui porte sur les néonicotinoïdes.
Sur ce sujet, mes chers collègues, il est légitime que nous ayons des avis très différents, et ces différences doivent pouvoir être entendues. Il est vrai que les lobbies vont bon train pour faire valoir leurs arguments, mais tous les lobbies, monsieur Dantec, tous, y compris les vôtres,…
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Sophie Primas. … et parfois avec beaucoup d’insistance, voire même avec beaucoup de violence morale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mais, ici, au Sénat, notre rôle est de rechercher l’efficacité, le sérieux, la solidité de la loi,…
M. Charles Revet. Le bon équilibre !
Mme Sophie Primas. … plus que l’effet d’annonce ou d’affichage.
Qu’en est-il ?
Je rappelle d’abord que seule l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a le pouvoir de délivrer les autorisations d’utilisation de ces principes actifs.
Un moratoire de deux ans avait été décidé par la Commission européenne, en 2013, sur certaines substances de cette famille, et pour certaines utilisations, comme l’enrobage de semences.
L’EFSA poursuit d’ailleurs son analyse sur la toxicité de ces substances, ce qui doit la conduire à renforcer ses exigences et à délivrer ou non, dans quelques semaines, des renouvellements d’autorisation.
C’est pourquoi la proposition de l’Assemblée nationale, qui consiste à instaurer une interdiction générale et inconditionnelle de tous les produits de la famille des néonicotinoïdes,…
M. Ronan Dantec. Il faut le faire !
Mme Sophie Primas. … n’est pas pertinente, car non conforme à l’architecture prévue par le règlement européen, lequel confie l’autorisation des substances au seul échelon européen.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Il faut les interdire !
Mme Sophie Primas. Une telle interdiction par la loi aurait toutes les chances d’être écartée par le juge en cas de contentieux. Elle est donc totalement contre-productive, et de pur affichage. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Dantec. C’est faux !
Mme Sophie Primas. Par ailleurs, en janvier dernier, notre Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a publié un avis très complet et très sérieux, comme toujours, sur les produits contenant des néonicotinoïdes. Cet avis indique très précisément des prescriptions d’emploi, comme le font d’autres agences s’agissant de prescriptions d’emploi de médicaments.
M. Charles Revet. C’est ce qu’il faut faire !
Mme Sophie Primas. L’évaluation de l’ANSES est naturellement fondée sur le risque sanitaire pour l’homme et pour l’environnement, et donc, bien entendu, pour les pollinisateurs. J’insiste sur le fait que cet avis ne dit en aucun cas qu’il faut interdire tous les néonicotinoïdes, en toutes circonstances, comme je l’entends parfois dire.
Nous aurons donc, mes chers collègues, un débat sur l’article 51 quaterdecies du projet de loi, afin de préciser la rédaction de cet article, issu d’un amendement de notre collègue Nicole Bonnefoy que j’avais moi-même sous-amendé, et qui a été rétabli par notre commission du Sénat.
Je propose que nous entrions dans une logique vertueuse fondée sur la science, et donc sur la confiance que nous entretenons à l’égard de l’ANSES. Cette logique est la suivante : en premier lieu, suivre les prescriptions d’utilisation publiées par l’ANSES dans son rapport de janvier 2016, afin de mettre un terme à toute utilisation qui présenterait des risques avérés pour les pollinisateurs, et ceci sans perdre de temps ; en second lieu, privilégier le remplacement progressif, pour les autres usages, des produits contenant des néonicotinoïdes, dès lors que l’ANSES aura validé un produit ou une méthode de substitution présentant un rapport bénéfice/risque plus favorable pour la santé et l’environnement,…
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Sophie Primas. … sans préjudice pour la protection des plantes. (MM. René-Paul Savary et Gérard Bailly applaudissent.)
Dès lors que cette logique sera suivie, il me semble d’ailleurs que les industriels accéléreront leurs recherches pour proposer de nouvelles solutions et, surtout, pour être, d’un point de vue commercial, les premiers et les plus novateurs.
Je sais que nos débats seront parfois passionnés. Mais je souhaite que notre sens des responsabilités l’emporte sur les considérations dogmatiques, ou « politiques », comme il a été dit, quelles qu’elles soient, et surtout sur le désir de communiquer à tout prix.
Je veux vous rappeler qu’en tant que présidente de la mission d’information sur les risques liés à l’utilisation des produits phytosanitaires, nous avons, avec Nicole Bonnefoy, rapporteur, mené neuf mois d’auditions, entendu tous les acteurs, dans leur diversité, et établi des recommandations, à l’unanimité. Ces recommandations se fondaient avant tout sur l’expertise scientifique. En la matière, je pense qu’il est absolument indispensable de s’appuyer sur la qualité internationalement enviée des travaux de l’ANSES et sur la qualité de ses scientifiques.
Si nous travaillons dans cet esprit, je suis certaine, madame la secrétaire d’État, que nous trouverons le juste équilibre entre, d’une part, les intérêts sanitaires et environnementaux et, d’autre part, la raison. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en décembre dernier, les représentants de 195 pays étaient réunis à Paris autour du Président de la République, François Hollande, et de notre ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, pour faire de la COP 21 un immense succès.
Quelques semaines avant la première lecture au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, ils nous avaient lancé un signal extrêmement fort en reconnaissant enfin, collectivement, la réalité du réchauffement climatique et des dérèglements liés à l’activité humaine, et en se fixant par accord un objectif de limitation du réchauffement mondial entre 1,5 et 2 degrés d’ici à 2100.
Cette deuxième lecture a quant à elle été précédée par la signature, le 22 avril dernier, au siège de l’ONU, de l’ « accord de Paris » par 175 pays, soit le plus grand nombre de pays jamais réunis pour la signature d’un accord international, ces pays représentant plus de 93 % des émissions de gaz à effet de serre.
Ils nous montrent la voie. Comme le Président de la République l’a en effet rappelé à la tribune de New York, il est temps désormais de traduire en actes cet engagement, de faire face à l’urgence climatique et à la perte de biodiversité, sachant que les mois qui viennent de s’écouler ont été les plus chauds de ces cent dernières années sur le globe, et que, depuis seulement quelques décennies, nous poursuivons avec vigueur la destruction avancée d’une biodiversité terrestre et marine qui s’est constituée en plusieurs millions d’années.
Notre première responsabilité est de prendre la pleine mesure des coûts occasionnés pour la collectivité par la dégradation de notre environnement.
Notre modèle de développement économique et industriel détruit chaque jour davantage notre planète, et ce de manière irréversible. Cela nous coûte très cher. Lorsqu’une activité est envisagée d’un point de vue économique, la norme est de ne considérer que les coûts directs supportés par les entrepreneurs privés, en comparaison avec les revenus qu’ils en tirent. Les externalités négatives sont quant à elles systématiquement écartées. (Mme Corinne Bouchoux opine.)
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
Mme Nicole Bonnefoy. C’est pourtant la société qui supporte les coûts induits de la pollution de l’eau, de l’air et des sols, des émissions de gaz à effet de serre et des atteintes multiples à la biodiversité, occasionnées par l’agriculture intensive, la surexploitation des ressources halieutiques ou forestières, la production d’énergie carbonée.
Ces coûts induits vont des travaux de dépollution aux dépenses de santé, en passant par la dégradation de l’attractivité de nos territoires.
L’accumulation corollaire des normes environnementales, dont se plaignent notamment bon nombre de nos agriculteurs, constitue un vrai problème. Je pense en particulier aux réglementations anti-nitrates ou aux conditions d’utilisation et d’épandage de pesticides, de plus en plus strictes.
Nous devons entendre la détresse de ceux qui doivent composer avec des contraintes toujours plus dures à assumer, malgré un travail très difficile, et dont la rémunération ne reflète pas toujours le haut degré d’investissement.
Pour autant, devant ce constat, notre responsabilité est précisément d’accepter de prendre conscience que l’accumulation des contraintes est d’abord la conséquence de pratiques parfois déraisonnables, que nous pourrions corriger si nous acceptions de nous y confronter réellement.
L’environnement et la biodiversité ne sont pas des notions à la mode Ce sont des réalités que nous devons prendre en compte, pour nous, pour notre présent, pour notre avenir, pour nos enfants et pour les générations futures. Un cours d’eau pollué l’est souvent, en effet, de manière irréversible ; une espèce disparue ne réapparaît plus.
Sur le sujet des néonicotinoïdes, le Sénat avait soutenu, en première lecture, la proposition que j’avais formulée par voie d’amendement, visant à assurer la prise en compte du dernier avis de l’ANSES, dès la promulgation de la loi, dans les normes d’utilisation des produits néonicotinoïdes édictées par l’autorité administrative.
Dans son avis de janvier 2016, l’Agence sanitaire constate qu’en l’absence de mesures de gestion adaptées, l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes a de « sévères effets négatifs » pour les abeilles et les autres pollinisateurs, y compris à des doses d’exposition faibles.
M. Joël Labbé. Eh oui !
Mme Nicole Bonnefoy. Considérant qu’il existe, même lorsque les agriculteurs respectent à la lettre les préconisations d’utilisation, des impondérables, tels que les variations météorologiques, qui continuent de faire peser des risques élevés sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement, l’Agence appelle à ce que plusieurs usages actuellement autorisés et pratiqués fassent l’objet de mesures de gestion renforcées. Il s’agit en particulier des usages en traitement de semences pour les céréales d’hiver et des usages en pulvérisation après la floraison sur vergers et vignes.
Au terme d’un compromis passé avec la majorité sénatoriale, il avait été précisé qu’outre les questions sanitaire et environnementale, il convenait de prendre en considération la dimension économique d’une telle interdiction, au regard des alternatives disponibles.
La navette parlementaire s’est poursuivie, et l’Assemblée nationale a décidé de voter pour une disposition plus maximaliste, en prévoyant l’interdiction générale des produits néonicotinoïdes au 1er septembre 2018, sans prévoir de dérogation explicite visant à tenir compte de l’existence ou de l’absence d’alternatives présentant un moindre risque sanitaire et environnemental.
À l’occasion de cet examen en deuxième lecture, le groupe socialiste et républicain entend tenir compte de la position des députés sans omettre la question de la disponibilité d’alternatives pertinentes.
Aussi la disposition que nous proposons vise-t-elle à apporter une réponse équilibrée à ce problème, permettant de satisfaire une exigence sanitaire aussi élevée que celle demandée par l’ANSES, dans l’état actuel de ses connaissances, tout en tenant compte des alternatives disponibles et en se conformant au travail mené par la France en vue d’obtenir une réponse harmonisée au niveau communautaire.
Nous voulons encourager l’émergence de solutions ayant un bilan risques/bénéfices positif au regard des conséquences pour la santé humaine, animale, l’environnement et des incidences économiques pour les exploitants agricoles.
Le dispositif envisagé dans notre amendement s’appliquerait en deux temps. Dans un premier temps, interdiction, au plus tard au 1er juillet 2018, des produits néonicotinoïdes dont le bilan est négatif par rapport aux autres options existantes, en nous fondant sur l’expertise scientifique de l’ANSES. Dans un deuxième temps, interdiction générale de l’utilisation des néonicotinoïdes en 2020, cette échéance garantissant le développement réel d’autres solutions par les fabricants.
Notre débat sera sans doute riche. J’espère que nous pourrons trouver un compromis intelligent, comme nous avions su le faire en première lecture.
J’en viens à un autre sujet qui me tient à cœur. Au nom du groupe socialiste et républicain, j’ai redéposé l’amendement visant à instaurer une action de groupe en matière environnementale. Il s’agit de mettre en place un dispositif juridique majeur pour défendre les citoyens ayant subi de manière sérielle et analogue un préjudice individuel suite à une atteinte causée à l’environnement. Nous nous fondons sur le dispositif « socle » de l’action de groupe proposé dans le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
Notre amendement, qui avait été adopté par le Sénat en première lecture, a été rejeté par l’Assemblée nationale. Aussi, à défaut d’une confirmation par le Sénat de sa position de première lecture, j’espère au moins un engagement ferme de la part du Gouvernement pour faire aboutir cette disposition majeure, soit dans le présent projet de loi, soit dans un autre texte, comme celui sur la justice du XXIe siècle.
En première lecture, le groupe socialiste et républicain avait voté en faveur du projet de loi issu des travaux du Sénat, au regard de la démarche ambitieuse et constructive que nous avions collectivement défendue.
J’espère que nous saurons poursuivre dans cette voie en deuxième lecture, afin d’aborder la commission mixte paritaire avec le meilleur texte possible comme base de discussion ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Dubois et Michel Mercier applaudissent également.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail de M. le rapporteur, Jérôme Bignon, et la passion qu’il a mise dans ce texte.
Je le prie donc de me pardonner des propos que je m’apprête à tenir. Je ne remets pas en cause les objectifs ; j’évoque des moyens de les atteindre.
Comme cela a été rappelé, lors de la première lecture au Sénat, nous avions pu enrichir et préciser le projet de loi, mais aussi trouver des points d’équilibre. À ce titre, le texte adopté contenait des avancées. Je pense notamment aux mesures en faveur du renforcement de la brevetabilité du vivant que nous avons introduites.
Néanmoins, c’est avec une certaine gravité que je souhaiterais m’exprimer devant vous aujourd’hui.
Gravité d’abord, car les enjeux liés à la préservation de la biodiversité sont considérables, alors que la France possède le deuxième domaine maritime le plus vaste du monde, avec 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.
Gravité ensuite, car la biodiversité, au-delà de son apport fondamental à l’environnement, est un formidable levier de développement économique et de création d’emplois ancrés sur les territoires.
Gravité enfin, car les enjeux environnementaux, mais également humains n’ont jamais été aussi importants.
À l’aune de cette réflexion, et à la lecture du présent projet de loi, je voudrais vous faire part de mon inquiétude, en particulier sur deux points.
Premièrement, je déplore l’amoncellement de nouvelles contraintes administratives pour les acteurs économiques et les collectivités territoriales. C’est en totale contradiction avec les engagements qui avaient été pris pour rendre l’action publique plus lisible !
Certes, l’exigence de simplification du droit et d’allégement des contraintes pour les acteurs avait marqué les travaux du Sénat. Mais, avec ses 102 articles actuels, le projet de loi devrait aboutir à quelque 500 créations de dispositions nouvelles ou modifications de dispositions existantes. Et ce n’est qu’une approximation ! Au demeurant, la pertinence de certaines mesures est toute subjective, quand leur contenu ne relève pas purement et simplement d’un simple verbiage intellectuel.
Je suis au contraire convaincu de la nécessité de ne pas adopter de posture prescriptive au regard de l’objectif de préservation de la biodiversité. Plaçons notre confiance dans l’innovation et le génie humain !
Pourquoi faire des lois alors que nous avons été capables hier de perfectionner nos techniques pour appréhender la nature, bien souvent hostile au développement humain, et d’en tirer le meilleur ? (M. Ronan Dantec s’exclame.) C’est le propre de l’histoire de l’humanité. L’amélioration des techniques de production s’est toujours opérée de manière continue, au fil des connaissances scientifiques.
Deuxièmement, et cela me paraît encore plus préoccupant, je regrette le manque de considération pour le monde scientifique et les chercheurs.
M. Ronan Dantec. Absolument ! Il y a un refus d’écouter ce que disent les scientifiques !
M. Daniel Gremillet. Le contenu du texte et les débats qui ont pu déchirer les députés mais aussi les nôtres en témoignent.
Le fait de ne pas laisser une place de choix dans le projet de loi à nos scientifiques constitue une faute grave ! Historiquement, la France a été à la pointe de la recherche sur le potentiel infini de la biodiversité.
Je pense aux travaux de chercheurs français réalisés sur les ferments laitiers, qui ont permis de révéler l’existence d’un mécanisme naturel de défense par suppression et insertion de gènes. Aujourd’hui, les discussions portent sur des applications dans le domaine de la thérapie génique.
Autre exemple, une start-up française, Algo, pour ne pas la citer, vient de recevoir un prix d’innovation pour le projet de fabrication d’une peinture bio-sourcée à base d’algues. Pourra-t-elle toujours se fournir auprès de producteurs bretons avec une telle loi ? L’entreprise et le monde économique ont besoin de stabilité.
Les travaux de nos scientifiques sont malmenés à plusieurs reprises dans le projet de loi. Cela ne devrait pas être le rôle du législateur !
De telles mesures, qui ne sont pas fondées sur les données scientifiques, créent des précédents et seront des freins à la recherche française.
Notre rôle d’élus nous impose de ne pas nous aligner sur les lobbies. Je rejoins ma collègue Sophie Primas, il y en a des deux côtés !
M. Joël Labbé. Pas avec les mêmes moyens !
M. Ronan Dantec. Il faudrait mieux définir ce qu’est un lobby !
M. Daniel Gremillet. Les postures des lobbies court-circuitent toute rationalité, au profit des émotions.
Construisons nos politiques publiques sur la base des avis scientifiques, en particulier dans le domaine que nous abordons aujourd’hui.
J’aurais également pu formuler une troisième critique, en déplorant les contraintes nouvelles imposées aux acteurs économiques, notamment les agriculteurs. Là encore, ne nous méprenons pas.
De tout temps, les agriculteurs et les forestiers ont été les façonneurs de nos paysages et du développement de la biodiversité.
M. Charles Revet. Eh oui ! Il faut le rappeler !
M. Daniel Gremillet. Et c’est de l’agriculture qu’est née notre extraordinaire diversité raciale de bovins !
Madame la secrétaire d’État, la France est le pays du monde qui a su garder la plus grande biodiversité raciale, naturellement, sans contrainte, grâce à ses paysans !
Je tenais à le mentionner, car on oublie trop souvent cette richesse, qui est née naturellement du travail des femmes et des hommes sur nos territoires.
Pour moi et mon collègue Jackie Pierre, qui venons du département des Vosges, troisième département le plus boisé de France, l’obligation de boisement compensateur quand on touche à un hectare de forêt est une absurdité. Nous le savons, pour reconquérir de la biodiversité, il faudrait même parfois une certaine déforestation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Ronan Dantec s’exclame également.)
M. René-Paul Savary. Bien sûr !
M. Daniel Gremillet. D’ailleurs, c’est financé par les collectivités locales. Une telle mesure n’a donc ni sens ni cohérence.
L’équilibre est plus subtil. Je ne pense pas qu’on puisse le trouver dans un texte législatif.
À la lumière de ces inquiétudes, je constate que le projet de loi fait, à bien des égards, la démonstration de son insuffisance.
Insuffisance d’abord, car une politique de protection de la biodiversité doit avoir une base scientifique forte. Or ce n’est pas le cas dans ce texte.
Insuffisance également, car une politique en faveur du développement de la biodiversité doit pouvoir s’articuler avec notre volonté en matière économique, notre conception du rôle de la France au sein de l’Union européenne et dans le monde et, bien entendu, notre ambition sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Mercier applaudit également.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion générale a été très riche. Elle nous a permis d’aborder le cœur des débats.
Monsieur le rapporteur, j’ai pu constater combien votre travail était apprécié. J’ai hâte de me rendre compte par moi-même de votre pragmatisme et de votre sens de la synthèse, si souvent salués.
Vous avez souligné l’intérêt de la procédure parlementaire normale. Certes, il est vrai qu’elle peut parfois sembler un peu longue. Mais, en l’occurrence, elle a clairement permis d’enrichir le texte. La version à laquelle nous sommes parvenus répond, je le crois, à un niveau d’exigences tout à fait respectable.
J’apprécie également l’hommage que vous avez rendu au travail, en effet très constructif, des députés. Vous l’avez souligné, l’Assemblée nationale a fait des pas en direction du Sénat. Je souhaite qu’il y ait une certaine réciprocité, afin que nous puissions trouver des compromis et que la commission mixte paritaire soit conclusive.
Monsieur Pillet, vous avez eu raison de rappeler la qualité des travaux et le sérieux dans l’analyse juridique des textes de la commission des lois.
Chacun le reconnaît, votre travail sur le préjudice écologique nous permettra d’avancer. Il constitue, me semble-t-il, une base intéressante. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Certes, quelques petits ajustements sont sans doute nécessaires. Mais, grâce au travail du Sénat et de l’Assemblée nationale – il y a eu une vraie concertation –, nous sommes aujourd'hui près du but !
Monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, vous avez salué le travail commun des différentes commissions, ainsi que les changements très substantiels par rapport au texte initial du Gouvernement.
Je ne puis que saluer l’action du Parlement. C’est en cela que la démocratie parlementaire est riche. Elle permet d’améliorer un texte par le contradictoire. Le projet de loi a été largement enrichi et complété par de nouvelles mesures, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.
Je partage votre souci de prise en compte des réalités économiques et de simplification. D’ailleurs, il n’est pas toujours facile de mettre tout le monde d'accord tout en tenant compte des réalités du terrain ! Mais un texte ne peut réellement s’appliquer que s’il en tient compte.
Je l’ai indiqué, je souhaite, tout comme vous, que la commission mixte paritaire aboutisse.
Monsieur Requier, j’ai aimé votre référence à la nécessité de préserver l’existant en préparant l’avenir. À mes yeux, c’est effectivement très important. Mais, ainsi que d’autres orateurs l’ont rappelé, préserver ne signifie évidemment pas mettre sous cloche. L’approche dynamique de la biodiversité est absolument essentielle.
Vous avez salué des avancées, notamment sur l’accès aux ressources génétiques, et évoqué le chemin qu’il reste encore à parcourir pour l’adaptation au droit européen, par exemple sur les brevets.
Il me paraît effectivement essentiel de faire preuve de pragmatisme. Évitons les faux débats et les postures !
Vous dites qu’il faut faire confiance à la science. Je suis totalement d'accord avec vous ! La science peut apporter des progrès extraordinaires dans de nombreux domaines, en particulier ceux qui sont liés à la biodiversité. Elle peut aussi favoriser le développement des activités économiques, notamment agricoles. L’écologie n’a jamais consisté à prôner un retour en arrière ! Nous pouvons être fiers du génie humain ! N’ayons donc pas peur du progrès ; n’ayons pas peur du progrès pour construire l’avenir de l’humanité !
Madame Didier, vous nous avez fait part de vos inquiétudes quant à la manière dont le débat pourrait se tenir au regard de futures échéances électorales. Vous avez obtenu des réponses ; je les ai également entendues. J’espère tout comme vous que vos craintes sont infondées et que la discussion sera la plus constructive possible.
M. Rémy Pointereau. Bien sûr !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je crois que nous voulons tous faire de ce texte une grande loi pour l’avenir de notre pays et de nos enfants. J’ai bon espoir que nous pourrons travailler en ce sens.
L’Agence française pour la biodiversité, que vous avez évoquée, est au cœur du projet de loi. Je vous remercie d’avoir insisté sur la reconnaissance du travail de ses futurs agents. On ne le souligne pas suffisamment, l’Agence ne pourrait pas se faire sans les très grandes compétences et la passion de ces hommes et ces femmes !
Vous avez soulevé des questions sur l’évolution du statut de ces personnels et sur les moyens qui seront transférés à l’Agence.
Une des premières choses que j’ai faites à la suite de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, c’était évidemment d’aller à la rencontre, sur le terrain, des agents des quatre organismes qui constitueront l’AFB. Cette initiative m’a permis de mieux connaître leurs métiers et de discuter avec eux des légitimes interrogations qu’ils pouvaient avoir sur la manière dont allait s’organiser la fusion.
La question du quasi-statut, par exemple, leur importe beaucoup, d’autant qu’elle traîne depuis assez longtemps. C’est un point sur lequel nous sommes en train d’aboutir. Les organisations syndicales ont été associées aux discussions et ont eu connaissance des premiers éléments du décret. Nous continuons à essayer d’avancer, mais d’autres questions se posent, notamment celle du passage de la catégorie C à la catégorie B ou celle des plafonds d’emplois, qui est absolument essentielle. Sur ce point, je vous rappelle que le Président de la République a fait des annonces. Je compte bien les lui rappeler si jamais il le fallait,…
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. … mais je ne doute pas qu’elles seront suivies d’effet !
Quoi qu’il en soit, je suis très attentive à toutes ces questions. Ces personnels méritent que l’on s’occupe d’eux : ils construiront cette agence avec nous.
Jean-Jacques Filleul a évoqué Montlouis-sur-Loire, où il a œuvré en faveur de la biodiversité. J’ai été intéressée dans son propos par l’idée de faire connaître ces enjeux, que ce soit auprès des populations, mais aussi auprès des élus et des associations. On le constate encore aujourd'hui, les enjeux autour de la nature, qu’il s’agisse de la préservation de la faune ou de la flore, sont moins bien compris que ceux sur le changement climatique. À l’heure actuelle, ces derniers font à peu près consensus et chacun a bien assimilé l’urgence qu’il y a à agir. En revanche, en ce qui concerne la biodiversité, tout le travail de pédagogie reste encore à approfondir. Je m’y emploierai au cours de l’année à venir. Néanmoins, toutes les initiatives locales sont essentielles. Vous avez bien fait, monsieur le sénateur, de citer Montlouis-sur-Loire et de décrire le travail accompli autour de la Loire, qui est un fleuve magnifique.
Nous reparlerons ultérieurement de la reconnaissance de la permaculture. Je suis très favorable pour ma part à son développement. C’est une forme d’agriculture très intéressante. Cela étant, ce texte est-il le bon véhicule ? En tout état de cause, vous pouvez compter sur moi pour promouvoir ce type d’agriculture.
J’ai entendu les remarques de Ronan Dantec au sujet des personnes pouvant douter de la nécessité de reconquérir la biodiversité. Il a cité la population des passereaux, qui a diminué de 30 % en treize ans en Île-de-France. Le défi est donc toujours à relever. L’artificialisation des sols, notamment, crée de graves problèmes en termes de biodiversité, ce qui ne signifie pas que rien n’a été réalisé et qu’il n’y a pas eu de prise de conscience sur un certain nombre de points. Cependant, ce travail de reconquête est un impératif réel. C’est la raison pour laquelle je serai très attentive à ce que le projet de loi conserve son intitulé initial.
Vous avez relevé à juste titre, monsieur le sénateur, en évoquant notamment les néonicotinoïdes, le fait que nous soyons très prompts à demander aux pays lointains de préserver des populations d’orangs-outans ou de lions alors que la protection des espèces sensibles nous semble un point plus délicat lorsqu’il s’agit de nos propres espèces. Je pense à l’ours par exemple. Nous est-il possible de donner des leçons à l’extérieur si nous ne sommes pas capables de nous les appliquer à nous-mêmes ? C’est un vrai débat ! Nous devons donc faire preuve d’un peu d’humilité et cesser de vouloir donner des leçons au reste du monde.
Vous avez évoqué également la question de l’huile de palme. Au lieu de la surtaxer, comme vous l’aviez proposé, ce qui finalement ne fournit pas d’issue aux pays producteurs, notamment la Malaisie et l’Indonésie, nous avons trouvé une solution à l’Assemblée nationale. Je souhaite véritablement que nous puissions aboutir sur ce point dans les jours qui viennent, car elle nous permettra de travailler avec ces pays pour qu’ils développent des filières prenant en compte la question environnementale et mettant un terme à la déforestation. Il ne s’agit pas de dire à ces pays : votre production repose sur la déforestation, donc nous n’en voulons pas. Mais il s’agit de leur dire : nous allons travailler avec vous pour que vos petits producteurs notamment puissent développer des filières leur permettant de vivre. Nombre de ces producteurs sont sortis de la misère grâce à l’huile de palme.
C’est un sujet complexe à propos duquel il convient d’éviter les postures. Nous avons avancé à l’Assemblée nationale. J’espère que nous avancerons également ici au Sénat.
Je veux rassurer Rémy Pointereau (Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) : il est absolument hors de question que la préservation et la reconquête signifient la mise sous cloche de la nature. J’aimerais que l’on sorte enfin de ce faux débat, nous n’en sommes plus là, et depuis bien longtemps !
Même dans les réserves, des activités économiques sont possibles. Du développement économique se fait même grâce aux réserves, qui sont pourtant les endroits les plus protégés. Sortons donc de ces postures qui nous empêchent d’avancer.
Je suis néanmoins contente, monsieur Pointereau, que vous ayez reconnu ne pas éprouver personnellement une telle crainte.
M. Rémy Pointereau. C’était un avertissement !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Vous avez parlé des deux jambes du développement durable. Il me semble qu’il y en a trois. (Sourires.) Vous avez évoqué le développement économique et la préservation de l’environnement. La question sociale me semble aussi un aspect important. Quelqu’un l’a souligné, on oppose souvent les questions écologiques et les questions économiques. Mais le monde de l’entreprise l’a aujourd'hui compris : écologie et économie riment ensemble. Quand on veut développer l’écologie, en général, on crée du développement économique et de l’emploi, souvent non délocalisable et à forte valeur ajoutée. Bref, les perspectives de développement économique sont très intéressantes.
Vous avez aussi souligné que l’agriculture est trop souvent prise comme bouc émissaire, notamment au sujet de la surmortalité des abeilles. Je suis fermement opposée aux caricatures. Vous avez raison, ne jetons pas l’opprobre sur telle ou telle profession, qui serait responsable de tous les problèmes du monde. Les agriculteurs peuvent, dans de nombreux cas, être des alliés de la biodiversité. Beaucoup sont très sensibilisés à cette question et travaillent à sa protection. Dans certains endroits, le fait qu’il n’y ait plus d’agriculture a même fait perdre de la biodiversité. Je l’ai vu récemment sur l’île d’Ouessant, mais ce phénomène se rencontre bien sûr également sur le continent.
Sortons des caricatures, reconnaissons, ce que nul n’ignore, que le système agricole a été un choix politique, fait à la fin de la guerre 39-45 et qu’il correspond à une époque. Il s’agissait d’une période où il fallait reconstruire, nourrir des populations dans des situations de disettes, voire de famines. C’était le temps des restrictions. Cette période est absolument révolue. Souvenons-nous également qu’à cette époque les enjeux environnementaux et la préservation de la biodiversité n’étaient pas réellement pris en compte. L’état des connaissances était bien moindre.
Aujourd'hui la prise de conscience a monté en puissance, car nous ne partons pas de zéro. Nous sommes tous conscients du fait que c’est notre société qui a entraîné les agriculteurs dans un système dont nous apercevons les limites et sur lequel nous devons travailler ensemble pour qu’il bouge. Voilà pourquoi je ne rejetterai pas la responsabilité de tout cela sur les agriculteurs. C’est la société dans son ensemble qui a choisi un mode de développement, ce qui n’est pas du tout la même chose !
Mme Chantal Jouanno a parlé des deux visions de la biodiversité : d’un côté, nous faisons partie d’un tout ; de l’autre, prédomine une vision anthropocentriste. Vous avez évoqué, madame la sénatrice, les tardigrades. Je vous avoue que je ne connaissais pas cette espèce. J’ai donc grâce à vous découvert cet animal extraordinaire. Je vous quitterai ce soir encore plus riche.
Je suis d’accord avec vous : on ne peut pas élaborer une loi sur la biodiversité si on n’est pas capable de se mettre d’accord sur des principes de base. La suppression de l’objectif d’absence de perte nette et de l’objectif de non-régression entraîne une confusion sur les ambitions de cette loi. C’est un signal réellement négatif. J’espère que l’on réussira très rapidement, puisque ce point sera examiné dans quelques instants, à résoudre cette difficulté.
Vous avez dit que les débats qui ont lieu ici même n’étaient pas des débats droite-gauche, que c’était un peu plus compliqué et que sur certains points les discussions dépassaient les clivages politiques. Je suis d’accord avec vous. Même nous, au Gouvernement, nous avons eu des débats parfois très durs, notamment sur la question des néonicotinoïdes. Il n’aura échappé à personne que les points de vue du ministère de l’environnement et du ministère de l’agriculture divergeaient. Le ministère de l’agriculture abordait cette question sous l’angle des agriculteurs, qui devront gérer une potentielle interdiction. Le ministère de l’environnement partait, lui, du point de vue de la protection des pollinisateurs et de la préservation de l’avenir.
Je suis très fière de vous annoncer que, sur ce point, nous sommes parvenus à nous entendre. C’est pourquoi je suis optimiste pour la suite des travaux au Sénat. Si le ministère de l’agriculture et le ministère de l’environnement ont réussi à trouver un point d’accord et de compromis sur la question des néonicotinoïdes, tout est possible ! (Sourires.)
Madame Primas, je partage votre volonté d’une discussion constructive. C’est un aspect important. Je retiendrai les propositions des uns et des autres en fonction du fond et non en fonction de ceux qui les formulent. Je le dis clairement : je ne tiendrai compte que de la qualité des demandes. Cela me paraît être une évidence, mais parfois il est bon de rappeler certaines évidences.
Concernant les néonicotinoïdes, vous avez évoqué les lobbies. Bien évidemment, ceux-ci existent,…
M. Rémy Pointereau. De tout côté !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. … mais la transparence est un peu plus de mise, ce qui est bien mieux sur le plan démocratique. Il est important de savoir quels lobbies s’adressent aux parlementaires. Que des groupes d’intérêts défendent leurs intérêts ne me pose pas de problème particulier, dès lors que les parlementaires et le Gouvernement prennent le recul nécessaire, après avoir entendu tous ces avis, pour s’élever au niveau de l’intérêt général et prendre des décisions. C’est dans cet état d’esprit que nous travaillons.
Vous avez parlé de la qualité des travaux de l’ANSES. Nous avons là un excellent outil qui pourra nous aider, notamment sur la question des néonicotinoïdes, mais pas seulement, dans l’élaboration du compromis sur lequel nous allons travailler.
Nicole Bonnefoy a évoqué la COP 21 et l’accord de Paris. En tant qu’écologiste, il n’y a encore pas si longtemps, je n’espérais pas qu’un tel accord puisse être signé par 175 pays. C’est une avancée historique. Lors des précédentes COP, la prise de conscience n’avait pas évolué à ce point-là. Nous avons tous à l’esprit les échecs cuisants qui ont eu lieu il y a quelques années. Aujourd'hui, la prise de conscience avance. Des pays qui auparavant étaient complètement fermés à toutes ces questions s’engagent. De l’engagement à la réalité des faits et des politiques publiques mises en place, il y a toujours un pas, mais l’on sent aujourd'hui que l’on avance beaucoup. Il faut maintenant avancer également sur la biodiversité.
Vous avez aussi évoqué un aspect très important du problème. Vous avez parlé d’économie et d’écologie. Vous avez raison : ne pas s’occuper d’écologie a un coût pour la société. Ne l’oublions pas ! Ce coût pour la société de la non-prise en compte des impératifs climatiques, mais aussi des impératifs en termes de biodiversité doit aujourd'hui faire partie de notre réflexion. À défaut, on perd un élément absolument essentiel. Quand on s’occupe d’écologie, on évite des coûts de plus en plus importants qui s’imposeront à nous, qu’on le veuille ou non. Autant les anticiper.
En outre, vous avez souligné que l’utilisation de pesticides s’est développée de manière de plus en plus forte. Vous l’avez dit dans une phrase pleine de bon sens : l’accumulation des contraintes est souvent la conséquence de pratiques déraisonnables. Nous sommes ici au cœur du problème. Sur l’agriculture, pour des raisons historiques, nous avons eu des pratiques déraisonnables. Maintenant, nous devons faire ce travail de préservation. Je salue à ce titre l’action de Stéphane Le Foll, qui œuvre beaucoup pour revenir à des pratiques agricoles raisonnables, en association bien sûr avec nos agriculteurs.
Enfin, madame la sénatrice, je salue votre travail sur l’action de groupe dans le domaine environnemental. J’y reviens très brièvement, car j’en ai parlé dans mon propos liminaire. L’action de groupe dans le domaine environnemental a été portée grâce aux débats qui ont eu lieu au Sénat et à l’Assemblée nationale. Elle a été intégrée dans la loi sur la justice du XXIe siècle puisqu’un amendement a été accepté par le ministère de la justice. Elle figurera donc dans le texte. Cela doit nous satisfaire. Que l’action de groupe figure dans la loi sur la biodiversité ou dans la loi sur la justice du XXIe siècle, peu importe. L’important c’est qu’elle soit inscrite dans la loi. Je puis vous garantir d’expérience que si elle figure aujourd'hui dans la loi sur la justice du XXIe siècle, c’est grâce au travail réalisé durant la loi sur la biodiversité !
Daniel Gremillet a exprimé son inquiétude sur l’amoncellement de nouvelles contraintes. Il a souligné qu’il fallait veiller à ne pas grever l’activité économique à travers les contraintes créées dans cette loi. Il y a un point sur lequel je suis totalement d’accord vous, monsieur le sénateur : les entreprises et les agriculteurs ont besoin d’avoir de la visibilité pour l’avenir. Il est très difficile d’investir, notamment si les investissements sont lourds, s’il faut tout changer après, sans avoir eu même le temps de rentabiliser son investissement ou de rembourser ses frais. Je suis attentive à ce point, car on ne peut pas négliger le degré d’embêtement engendré par des lois belles en théorie mais inapplicable en pratique.
M. Benoît Huré. Ça arrive !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Cette loi, justement, essaie de mettre en place une législation qui permette d’anticiper ce phénomène pour l’éviter. Nous avons peu parlé du triptyque « éviter-réduire-compenser », qui a tout de même été évoqué. Pourquoi ce texte organise-t-il un tel triptyque ? Je ne parle pas forcément d’agriculture, mais de tous les nouveaux aménagements. Qu’il s’agisse des nouveaux projets d’urbanisme, des routes ou autres, peu importe, aujourd'hui, ce triptyque ne s’applique pas réellement. Les promoteurs mettent sur pied leurs projets, commencent à investir, puis, d’un seul coup, on s’aperçoit qu’il y a un problème avec une espèce rare sur le territoire. Ils se retrouvent donc le bec dans l’eau au moment où les investissements sont déjà réalisés et où tout le dispositif est déjà mis en branle.
Cette loi permettra d’anticiper ces difficultés. Elles seront prises en compte dès le début du projet afin d’éviter les mauvaises surprises à la fin du processus, lorsqu’il n’est plus possible de revenir en arrière. C’est typiquement un exemple qui montre pourquoi nous voulons de la visibilité et de l’anticipation.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez évoqué le manque d’égard pour le monde scientifique. J’ai répondu à cette question tout à l’heure. Pour le coup, nous n’avons pas la même lecture que vous de la loi. (M. Daniel Gremillet opine.) Selon moi, ce texte, contrairement à ce que vous pensez, accorde à raison une grande place au monde scientifique, puisque nous avons besoin de la science et des chercheurs pour avancer en matière de biodiversité.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
TITRE IER
PRINCIPES FONDAMENTAUX
Article 1er
Le I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le mot : « naturels », sont insérés les mots : « terrestres et marins » ;
2° (Supprimé)
3° Les mots : « la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent » sont remplacés par les mots : « et la biodiversité » ;
4° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les processus biologiques et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine.
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 119 est présenté par MM. Mézard, Amiel, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.
L'amendement n° 158 rectifié est présenté par Mme Jouanno, MM. Cigolotti et Guerriau, Mme Billon et MM. Roche et Capo-Canellas.
L'amendement n° 218 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :
« 2° Les mots : « sites et paysages » sont remplacés par les mots : « sites, les paysages diurnes et nocturnes » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 119.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement est identique à un amendement de l’UDI-UC, mais surtout, ce qui est plus rare, à un amendement du groupe écologiste ! (Rires.)
L’alternance entre le jour et la nuit, permise par la rotation de la Terre, conditionne les fonctions physiologiques d’un grand nombre d’espèces animales.
La multiplication des points lumineux et l’augmentation des durées d’éclairement est préoccupante, ce qui va à l’encontre des orientations prises dans le cadre du Grenelle de l’environnement qui se sont traduites par des dispositions législatives visant à prévenir, à réduire ou à limiter les nuisances lumineuses.
Outre les effets sur notre consommation énergétique, les nuisances lumineuses affectent les rythmes biologiques des espèces animales, leur visibilité du ciel et les désorientent. Elles ont également une répercussion sur la santé humaine.
C’est la raison pour laquelle il nous paraît essentiel de rétablir la précision introduite par l’Assemblée nationale selon laquelle les paysages tant diurnes que nocturnes font partie du patrimoine commun de la nation.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 158 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être présenté. L’objectif est d’intégrer dans le texte la notion de biodiversité nocturne, notion qui était bien évidemment totalement absente de la loi de 1976, époque à laquelle nous n’avions pas le même niveau de connaissances.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l'amendement n° 218.
M. Ronan Dantec. Il s’agit d’un texte relatif à la biodiversité et uniquement relatif à la biodiversité. La biodiversité nocturne est centrale : 64 % des invertébrés et 28 % des vertébrés vivent la nuit. Il est absolument essentiel de reconnaître cette biodiversité spécifique dans une telle loi.
Je m’interroge sur les raisons qui ont conduit à supprimer cet alinéa, rétabli par l’Assemblée nationale, puisque l’article 1er énonce les grands principes qui doivent nous guider. Il s’agit de préciser les questions qui seront posées relativement à l’action publique. Nous ne sommes pas en train de créer une réglementation supplémentaire ni d’introduire une nouvelle complexité. Quand on traite des questions de biodiversité, on ne peut pas ne pas intégrer les paysages diurnes et nocturnes, puisqu’il s’agit d’une part importante de la diversité des milieux naturels. Pourquoi a-t-on supprimé cette notion, qui donne une orientation pour l’action publique sans revêtir aucun caractère réglementaire ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission a maintenu la position qu’elle avait adoptée en première lecture, c’est-à-dire supprimer cette disposition parce qu’elle ne voit pas très bien, si j’ose dire, s’agissant de paysages nocturnes, ce qu’est un paysage nocturne.
Poser de grands principes et utiliser de grands mots c’est bien, mais la loi est faite pour établir des règles de vie en commun. Ce n’est pas en précisant qu’il existe des paysages diurnes et nocturnes que l’on fera avancer la reconquête de la biodiversité, qui n’est en rien pénalisée par cette suppression.
La commission est donc défavorable à ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Contrairement à la commission, il me semble que la notion de paysage nocturne est assez claire. Il paraît au Gouvernement très important d’inscrire dans le texte la notion de paysage nocturne puisque la pollution lumineuse a divers impacts négatifs sur la biodiversité. Je pense notamment aux insectes, aux chauves-souris, aux rapaces nocturnes, aux oiseaux migrateurs nocturnes. Je suis donc favorable à ces trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Filleul. Le groupe socialiste et républicain est également favorable au rétablissement de cet alinéa sur les paysages diurnes et nocturnes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. J’aimerais poser une question préalable. En matière de paysages nocturnes, les feux rouges – pas tricolores, car ils ne sont que rouges – sur les éoliennes que l’on installe à tour de bras dans les territoires ruraux sont-ils pris en compte ? (Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Cela étant, je ne voterai pas les amendements proposés.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.
M. Gérard Bailly. Je ne voterai pas non plus ces amendements. Permettez-moi de citer une anecdote. J’ai vu arriver un jour un maire avec une lettre de l’un de ses administrés, responsable de l’environnement, en pleine activité – il ne s’agissait pas d’un retraité avec un peu d’Alzheimer –, dans laquelle celui-ci demandait suppression de tout éclairage public dans son secteur, car la lumière gênait son poisson rouge la nuit ! Voilà où on en arrive avec ce genre d’abus ! (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste protestent.) Et il s’agit de quelqu’un qui fait respecter la loi, messieurs ! Je pourrai, si vous le souhaitez, vous montrer ce courrier la semaine prochaine.
Autre motif de plainte : certaines personnes souhaitent mieux voir les étoiles la nuit. Elles font donc des procès !
J’ai bien ri en lisant dans le texte que les paysages s’apprécient de jour comme de nuit. J’habite en pleine campagne : si ce n’est pas la pleine lune, je ne vois rien la nuit ! Je ne vois ni site ni paysage ! Soyons sérieux et arrêtons avec toutes ces bêtises ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Jouanno. Mais c’est sérieux ! En revanche votre histoire de poisson rouge est grotesque !
M. Gérard Bailly. Quand je relis ce que vous avez écrit, madame Jouanno, je ne peux pas l’accepter !
Si vous voulez préserver la biodiversité nocturne, il faut s’attaquer aux voitures. Ce sont elles qui, sur les routes, la nuit, gênent la faune avec leurs phares ! Puisque vous êtes ici dans les extrêmes, pourquoi ne pas fermer les routes la nuit pour ne pas gêner le passage des chevreuils, ni la reproduction de la faune et de la flore !
Dans le Jura, la Transjurassienne, qui est une grande course, a été interdite à cause du Grand Tétras. In fine, aujourd'hui, les animaux passent avant les hommes. Si l’on ouvre ainsi le débat, je crains que nos échanges pour les trois jours à venir ne soient pas toujours agréables. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
Mme Évelyne Didier. Monsieur Dubois, nous aussi, nous habitons à la campagne !
M. Daniel Dubois. Ça ne doit pas être la même !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 119, 158 rectifié et 218.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 120, présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Après le mot : « végétales », sont insérés les mots : « , les sols » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Les sols sont fortement dégradés par l’érosion, l’acidification, la salinisation, le tassement ou encore la pollution chimique.
Pourtant, nous savons qu’ils sont essentiels pour l’agriculture et la foresterie, la production de biomasse ou encore le stockage de carbone.
L’importance des fonctions écologiques, économiques et sociales des sols mérite d’être soulignée dans le cadre du présent projet de loi, alors qu’ils ne cessent d’être dégradés.
Le présent amendement vise donc à introduire la mention des sols parmi les éléments constitutifs du patrimoine commun de la nation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Comme en première lecture, l’avis de la commission est défavorable. L’ajout des « sols » comme faisant partie du patrimoine commun de la Nation est inutile puisque le mot géodiversité comprend les sols. Étymologiquement, ce point ne fait aucune difficulté. Ajouter les sols à la géodiversité serait donc un pléonasme !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. La notion des sols est fondamentale. Néanmoins, l’introduction de cette mention a entraîné des craintes, notamment à l’égard de l’agriculture. Le sol résulte d’éléments géologiques et d’interactions vivantes, animales et végétales. Dès lors que l’on protège la biodiversité végétale et animale, on protège les sols. Le texte inclut cette notion comme celle de géodiversité, qui intègre la diversité géologique, géomorphologique et pédologique.
Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Requier, l'amendement n° 120 est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 120 est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
I A. – (Non modifié)
I. – Le II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
a) Au début, sont ajoutés les mots : « Leur connaissance, » ;
b) Les mots : « et leur gestion » sont remplacés par les mots : « , leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent » ;
1° bis (Supprimé)
2° Le 2° est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce principe implique d’éviter les atteintes significatives à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. » ;
2° bis (Supprimé)
3° Sont ajoutés des 6° à 9° ainsi rédigés :
« 6° Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires directement concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ;
« 7° Le principe de l’utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité ;
« 8° Le principe de complémentarité entre l’environnement, l’agriculture, l’aquaculture et la gestion durable des forêts, selon lequel les surfaces agricoles, aquacoles et forestières sont porteuses d’une biodiversité spécifique et variée et les activités agricoles, aquacoles et forestières peuvent être vecteurs d’interactions écosystémiques garantissant, d’une part, la préservation des continuités écologiques et, d’autre part, des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d’un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité ;
« 9° (Supprimé) »
I bis et II. – (Supprimés)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 122 est présenté par MM. Bertrand, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
L’amendement n° 156 est présenté par MM. Carrère et Bérit-Débat, Mme D. Michel, M. Courteau, Mme Bataille, MM. Cabanel et Camani, Mme Cartron, MM. Labazée, Raynal, Vaugrenard, Montaugé, Lorgeoux et Lalande et Mme Génisson.
L’amendement n° 259 rectifié est présenté par M. L. Hervé, Mme Billon et MM. Bonnecarrère, D. Dubois, Gabouty, Guerriau, Médevielle, Roche et Tandonnet.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Rétablir le 1°bis dans la rédaction suivante :
1°bis Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Elles prennent en compte les valeurs intrinsèques ainsi que les différentes valeurs d’usage de la biodiversité reconnues par la société. » ;
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 122.
M. Jean-Claude Requier. Contrairement aux valeurs d’usage que sont, par exemple, l’alimentation, la chasse ou l’énergie, la valeur intrinsèque et la valeur patrimoniale de la biodiversité ont été consacrées dans notre droit.
Le présent amendement a pour objet de rétablir le texte voté en première lecture par le Sénat, en précisant que les mesures prises en faveur de la biodiversité doivent prendre en compte ces valeurs d’usage.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour présenter l’amendement n° 156.
M. Jean-Louis Carrère. En France, la Stratégie nationale pour la biodiversité et les travaux de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité auxquels elle a donné lieu ont permis de reconnaître deux points fondamentaux : la biodiversité comme fin en soi, ce que l’on appelle communément la valeur intrinsèque, et la biodiversité comme patrimoine, c’est-à-dire la valeur patrimoniale.
Ce qui nous préoccupe, en tant que ruraux, c’est qu’une troisième catégorie, la valeur d’usage, ne soit pas clairement reconnue dans le cadre de la biodiversité. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature avait en effet consacré les deux premières valeurs, mais aucune loi postérieure n’avait fait mention de celle d’usage.
Alors que nous débattons du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et au vu des propos précédents de Mme la secrétaire d’État, qui nous a expliqué qu’il fallait rompre avec la conception de la biodiversité comme une mise sous cloche et impossibilité de mener à bien des activités tout en assurant la promotion de cette biodiversité, il faut que cet amendement prospère. Tous les ruraux pourront ainsi voir que l’on a pensé à eux au moment de voter ce texte.
L’article L. 110–1, paragraphe I du code de l’environnement prend en compte au titre de la biodiversité les espaces, les ressources, les milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air… Mais pas les usages !
Or, mes chers amis, les usages, c’est la vie. Il faut donc prendre, gentiment, Mme la secrétaire d’État au mot, et les inclure dans la loi en adoptant cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l’amendement n° 259 rectifié.
M. Daniel Dubois. Jean-Louis Carrère vient de défendre cet amendement avec une grande sensibilité rurale, que je partage, même si nous avons des désaccords sur d’autres points. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’il a dit.
Né à la campagne et y vivant depuis très longtemps, je partage complètement les objectifs qui viennent d’être énoncés. L’amendement a été parfaitement défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Un amendement similaire avait déjà été débattu au Sénat en première lecture.
Ces amendements visent à préciser que sont prises en compte, dans le cadre de la préservation et de la restauration de la biodiversité, la valeur intrinsèque et la valeur d’usage reconnues par la société. Or cet objectif est satisfait, car les députés Les Républicains ont rétabli en séance publique un amendement du Sénat prévoyant que le patrimoine commun de la Nation génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage.
Cet apport du Sénat ayant été repris à l’Assemblée nationale, je ne vois pas ce que la phrase proposée dans les amendements ajouterait de plus.
Par ailleurs, malgré les efforts déployés par notre collègue Jean-Louis Carrère pour nous expliquer ce qu’est une valeur intrinsèque, je ne vois pas encore très bien ce que cela recouvre.
Ce débat ne me paraît pas utile à ce stade. Cela fait trois fois que l’on revient sur le sujet, et je n’ai pas constaté d’avancée substantielle quant à l’explication des termes « valeurs intrinsèques ». En revanche, je vois bien ce qu’est la valeur d’usage, mais à cet égard les amendements sont satisfaits. Je suggère donc que l’on en reste là.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je partage l’avis du rapporteur : la reconnaissance des valeurs et des services retirés des écosystèmes est globalement cohérente avec la vision qui est promue dans ce projet de loi, selon laquelle notre société peut retirer des avantages de l’interaction avec la nature.
La préservation de la biodiversité ne peut pas être incluse dans un rapport d’opposabilité avec les valeurs intrinsèques et les valeurs d’usage. J’ajoute qu’il y aurait un risque à vouloir dresser une liste, de plus non exhaustive, des valeurs associées à la biodiversité. Il faut s’en tenir à un texte lisible.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. J’avais présenté le même amendement en première lecture, et il avait été adopté par le Sénat. J’ai écouté avec attention les propos de Mme la secrétaire d’État et de M. le rapporteur, selon lesquels il serait satisfait.
Je vais développer de nouveau ce que j’avais dit en première lecture, même si je n’ai pas voulu prolonger les débats en déposant encore une fois l’amendement. Vous savez quelle est la richesse territoriale de la France, avec ses provinces, ses usages, ses coutumes et la transmission de ce savoir-faire populaire qui a prospéré au fil du temps. C’est le pays aux 365 fromages, comme disait le général de Gaulle…
Nous sommes en train de nous priver de cette richesse culturelle et patrimoniale. Je veux bien que l’on joue sur les mots, mais il me semble que faire mention dans ce texte sur la biodiversité du patrimoine légué au cours des siècles par les populations rurales serait un signe fort, confirmant que l’activité humaine fait bien partie de la biodiversité, comme nous l’avions souligné en première lecture.
Pardonnez-moi d’anticiper – je le fais toujours ! –, mais je sais que vous allez me demander, monsieur Dantec, comme vous l’avez fait en première lecture, si la crucifixion des chouettes sur la porte des étables fait partie de ces usages que nous défendons. Non, naturellement !
M. Ronan Dantec. Ce n’est pas moi qui ai dit cela, mais Mme Blandin !
M. Jean-Noël Cardoux. Veuillez m’excuser, madame Blandin : rendons à César ce qui est à César ! (Sourires.)
J’ajoute que, pour la faune et la flore, la biodiversité n’est pas toujours une bonne chose. Je pense ainsi aux plantes invasives, comme la jussie, qui colonise les cours et plans d’eau, ou au frelon asiatique, dont nous a parlé Mme Didier. Toutes ces espèces font partie de la biodiversité, et pourtant on n’est pas favorable à leur développement ! De même que l’on ne saurait cautionner la crucifixion des chouettes…
Il faut certes faire un tri dans ces usages, mais se priver de cette richesse patrimoniale qui s’est développée au fil des siècles dans notre pays serait une erreur.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Vouloir parler des valeurs d’usage, c’est normal, car la biodiversité est par essence patrimoniale. Elle est aussi dynamique, c’est-à-dire qu’elle repose, à la fois, sur la nature dans sa variété et sur la culture, c’est-à-dire tout ce qu’on fait les femmes et les hommes pour la modifier.
Je ne suis cependant pas favorable à ces amendements car, comme l’ont dit Mme la secrétaire d’État et M. le rapporteur, cela figure déjà dans le texte.
J’ai été sensible à votre argumentation, monsieur Carrère, mais je ne peux que la contrer. Vous avez fait l’éloge des valeurs d’usage pour les ruraux. Mais que croyez-vous ? En ville, on mange du miel, on mange toutes les variétés de légumes et de fruits dans leur diversité, on isole nos maisons avec du chanvre, on s’habille avec du lin.
Il n’y a pas que les ruraux qui bénéficient des valeurs d’usage, mais aussi les urbains. Sinon, ils seraient morts depuis longtemps ! (Sourires.)
Le texte prévoit déjà ce que vous voulez y inscrire ; il est inutile de l’alourdir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. Je suis un peu étonné par la pâleur des arguments opposés à ces amendements.
On me dit que mon amendement est satisfait et qu’il faut éviter les bis repetita… Cela veut bien dire qu’il a un fondement et qu’il n’est pas aussi dérisoire qu’il y paraît !
Que l’on y soit opposé, pour certaines raisons, je peux le comprendre. Mais j’attire votre attention sur le fait que ma conviction n’est pas partisane. Elle vient de mon vécu et de ma sensibilité. Comment ne pas admettre qu’il serait justifié d’insister sur des valeurs d’usage reconnues comme légitimes, telles que la chasse, la pêche, mais aussi la cueillette, la randonnée, l’alimentation, l’énergie ?
Dès lors qu’il n’y a pas de divergence sur ces valeurs d’usage, qui existent réellement et authentiquement, je suis favorable, non pas à ce que l’on dresse une liste préjudiciable à la qualité du texte, mais à ce qu’on les reconnaisse en tant que telles, de façon nette et tranchée.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 122, 156 et 259 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 123 rectifié, présenté par MM. Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer le mot :
significatives
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 2 du projet de loi précise le contenu du principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement. Ce principe implique, dans l’ordre, de les éviter, de les réduire et de les compenser : c’est le triptyque ERC.
La commission du développement durable a maintenu sa position en restreignant la portée de ce principe aux atteintes « significatives » à la biodiversité, ce qui constitue à notre sens une régression qui ne va pas dans le sens du projet de loi.
Le présent amendement vise à permettre que toute atteinte à la biodiversité soit concernée par le triptyque ERC.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Sur mon initiative, nous avions restreint en commission le champ d’application du principe d’action préventive, afin que celui-ci n’ait pas d’impact complètement disproportionné.
Ce principe, c’est-à-dire le triptyque ERC, ne doit concerner que les atteintes significatives à la biodiversité. Les juges ont l’habitude d’évaluer et de qualifier ce type d’atteinte. Chacun le sait, de minimis non curat praetor, comme dit l’adage : le juge ne s’intéresse pas aux petites choses, mais seulement à celles qui sont susceptibles de donner lieu à une décision de justice.
L’amendement vise à revenir sur cette restriction afin de prévenir toutes les atteintes à la biodiversité, y compris les plus mineures. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Le juge peut tout à fait apprécier par lui-même l’atteinte portée à la biodiversité. Si celle-ci est minime, on peut se douter qu’il ne s’en saisira pas.
Supprimer la disposition selon laquelle la séquence « éviter-réduire-compenser » ne s’applique qu’aux atteintes significatives à la biodiversité répond à un enjeu simple : faire en sorte que ce triptyque s’applique à toutes les atteintes à l’environnement.
La formulation actuelle risque de restreindre considérablement la portée de cette séquence, qui est structurante pour le projet de loi relatif à la biodiversité.
L’avis est favorable.
M. le président. L’amendement n° 46, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Si les atteintes à la biodiversité ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, le projet de travaux ou d’ouvrage ou la réalisation d’activités ou l’exécution d’un plan, d’un schéma, d’un programme ou d’un autre document de planification à l’origine de ces atteintes doit être révisé.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Mme Jouanno a raison de dire que l’article 2 pose tous les principes et qu’il est donc fondamental.
Cet article consacre la connaissance de la biodiversité comme action d’intérêt général, précise le principe d’action préventive par le triptyque « éviter-réduire-compenser », et consacre les principes de solidarité écologique et de non-régression dans la liste des principes généraux du droit de l’environnement. C’est important !
Objet de vision divergente entre l’Assemblée nationale et le Sénat, il a subi de nombreuses évolutions durant les débats, notamment concernant les questions de perte et de gain net de biodiversité.
Avec cet amendement, nous vous proposons d’aller plus loin encore dans la définition du principe ERC. Ainsi, nous souhaitons prévoir que si l’application du principe ne permet pas d’éviter, de réduire et de compenser de façon satisfaisante les atteintes à la biodiversité, le projet de travaux ou d’ouvrage et la réalisation d’activités à l’origine de ces atteintes doivent être révisés.
J’insiste, mes chers collègues, sur le mot « révisé » : il ne veut pas dire « complètement transformé », mais peut signifier « amendé ».
Lors de la lecture à l’Assemblée nationale, une telle idée a été insérée à l’article 33 A sur la compensation. Cet apport a été supprimé en commission au Sénat, au motif qu’il prévoyait dans ce cas un abandon pur et simple. Or il ne s’agit pas d’abandonner, mais d’amender !
Nous proposons un juste milieu au regard des impacts environnementaux. Il semble utile de rappeler ce principe de bon sens dans cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je comprends votre idée, ma chère collègue. Néanmoins, je ne partage pas votre avis sur l’utilité de cette mention.
Quels cas seraient visés, selon vous ? Je le rappelle, nous sommes à l’article L. 110–1 du code de l’environnement, qui énonce des grands principes du droit de l’environnement. Si l’on suit votre raisonnement, pour tous les principes, on devrait ajouter l’interprétation qui doit être faite de ce principe.
Je suis opposé à cette façon de procéder. Ici, nous disons que la protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion de la biodiversité s’inspirent d’un certain nombre de principes.
Si ces principes ne sont pas respectés en découleront des conséquences qui n’ont pas à être fixées par la loi. Par exemple, vous dites que si le principe d’action préventive n’est pas respecté, le projet doit être révisé ; mais dans certains cas, il devra peut-être être abandonné. Il est très compliqué d’aller dans votre sens.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Vous proposez la révision du projet, du plan ou du programme de travaux lorsque les dommages portés à la biodiversité ne peuvent être ni évités, ni réduits, ni compensés de façon satisfaisante. Or il s’agit de l’application même du principe ERC !
Pour parvenir au bon équilibre entre l’évitement, la réduction et la compensation, des échanges entre le maître d’ouvrage et les autorités compétentes sont nécessaires. De tels projets pourront donc, le cas échéant, être révisés. Il ne me paraît pas particulièrement judicieux d’inscrire cette notion parmi les principes listés à l’article 2.
Je m’en remets néanmoins à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. J’entends ce que dit M. le rapporteur.
Une idée se développait, selon laquelle lorsqu’il n’était pas possible de compenser, on ne faisait rien. Dire que le projet peut au moins être révisé, c’est donner une piste, c’est proposer une possibilité de l’amender.
Très souvent, en effet, on a interprété ce principe comme s’il autorisait à ne rien faire ou à abandonner le projet. Je souhaite, quant à moi, que l’on prévoie la possibilité de le réviser, de l’amender.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je suis sensible à l’argument défendu, avec sa conviction habituelle, par Mme Didier. Mais ce qu’elle souhaite voir inscrit dans le texte y figure déjà.
Si la compensation n’est pas possible, personne au monde ne peut empêcher que l’on révise un projet, que l’on en propose un qui soit différent ou simplement révisé, ou qu’on l’abandonne, ou qu’on l’amende, comme on dit souvent ici.
Nos travaux parlementaires permettront peut-être d’éclairer ceux qui auraient des doutes quant à l’opportunité de réviser leur projet.
Mme Évelyne Didier. Je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 46 est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 82 est présenté par M. Filleul et Mme Bonnefoy.
L’amendement n° 159 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Roche et Capo-Canellas.
L’amendement n° 219 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9
Rétablir le 2°bis dans la rédaction suivante :
2° bis Le même 2° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité ; »
La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour présenter l’amendement n° 82.
M. Jean-Jacques Filleul. Dans un objectif de reconquête, l’article 2 du projet de loi actualise les principes gouvernant la gestion de la biodiversité afin de préserver notre patrimoine commun.
Cet article précise notamment le principe d’action préventive et de correction, déjà présent dans le code de l’environnement au travers de la séquence « éviter, réduire, compenser ».
Il s’agit « d’éviter les atteintes significatives à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. » Ce nouveau principe met l’accent sur les fonctions et les services rendus par la biodiversité.
Les députés ont précisé que cette séquence ERC avait un objectif : l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité. Cette précision est importante, car elle implique une compensation intégrale de la biodiversité détruite, conformément à l’objectif même du présent projet de loi.
Nous déplorons que cette précision ait été supprimée par notre commission de l’aménagement et du développement durable. En effet, le principe d’absence de perte nette est un objectif à atteindre et n’est pas assorti de mesures de contrainte ou d’interdiction. C’est pourquoi cet amendement vise à le rétablir.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 159 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Nous sommes là au cœur des principes que pose ce texte, puisqu’il s’agit de rédiger une partie de l’article L. 110–1 du code de l’environnement, qui pose le principe d’action préventive et de correction.
Au travers de notre amendement, nous souhaitons adjoindre à ce principe un objectif qui vise l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité.
Si le présent projet de loi, normalement consacré à la reconquête ou à la biodiversité – nous avons eu un débat sur l’intitulé du texte – ne pose pas cet objectif, qui est général et engage l’ensemble des actions publiques, mais n’est pas décliné avec des outils directement contraignants dans l’article L. 110–1, on autorisera une régression de la biodiversité en France.
Je le disais lors de la discussion générale, c’est comme si on adoptait un texte de loi sur l’emploi sans fixer l’objectif de plein-emploi. Cela revient exactement au même !
Il serait légitime que notre débat soit clivé et que nous assumions nos différences sur ce point. En revanche, renoncer à cet objectif reviendrait à faire perdre tout son sens à ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 219.
M. Ronan Dantec. Avec ce texte, nous sommes au cœur de la fracture politique : on voit bien qu’il n’y a pas de consensus et que deux positions s’expriment, même si les divergences ne recroisent pas exactement les positions partisanes classiques.
Cet amendement permet l’aménagement et vise à le sécuriser, et c’est sur ce point qu’il faut réfléchir. Il prévoit que, dans tous les cas de figure, il n’y aura pas de perte de biodiversité en cas d’aménagement.
Ne pas faire figurer cela dans la loi reviendrait à encourager ceux qui sont très attachés à la lutte contre la perte de biodiversité à se mobiliser contre les projets de travaux. En effet, ils n’auront pas la garantie que cette perte ne se produira pas.
L’enjeu est, à ce stade, d’apaiser la société française, eu égard notamment à certains aménagements. Il faut donc donner des garanties, ce que nous faisons en rétablissant cet alinéa. Il s’agit de dire clairement que nous sommes tous conscients de la gravité de la perte de biodiversité.
Les chiffres sont là : la biodiversité s’effondre en France. Tous les rapports scientifiques vont dans le même sens à cet égard ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Non ! C’est la vision des Verts !
M. Ronan Dantec. Non, c’est un consensus scientifique !
On ne peut plus se permettre de continuer ainsi. Il faut trouver de nouveaux compromis dynamiques dans la société, non pas pour figer la société et laisser la biodiversité reconquérir le territoire. Cela ne se produira pas, à moins que ne survienne une régression de l’espèce humaine dont nous ne voulons ni les uns ni les autres.
Des compromis dynamiques : voilà ce que nous proposons avec cet amendement. Ne pas le voter, c’est renforcer l’exacerbation des conflits dans la société sur les questions de biodiversité. En outre, cela irait à l’encontre de ce que pensent certains de ceux qui s’apprêtent à voter contre !
Je demeure convaincu qu’il y a un véritable problème de dialogue entre nous sur le sens de ce projet de loi et sur la manière de sortir des conflits. Je regrette qu’il n’y ait pas consensus pour rétablir cette disposition qui permet la réalisation d’aménagements. Elle prévoit l’inverse de ce que vous craignez !
M. le président. L’amendement n° 124, présenté par MM. Bertrand, Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rétablir le 2°bis dans la rédaction suivante :
2° bis Le même 2° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette de la biodiversité ; »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le principe de prévention et l’application du triptyque « éviter-réduire-compenser » implique de fixer un objectif d’absence de perte nette de biodiversité.
L’Assemblée nationale va plus loin puisqu’elle a précisé que ce principe doit également « tendre vers un gain de biodiversité ». Le Sénat en première lecture et la commission du développement durable en deuxième lecture ont préféré supprimer toute référence à un objectif.
À travers cet amendement, nous vous proposons d’adopter une voie intermédiaire entre les positions de nos deux assemblées en consacrant dans la loi l’objectif de perte nette de biodiversité, sans pour autant retenir l’objectif de gain de biodiversité, qui ne nous semble pas relever du principe de prévention.
Cette voie intermédiaire que nous proposons, certains l’appelleraient la synthèse, d’autres le compromis. Pour nous, c’est une solution radicale ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je vais expliquer plus longuement pourquoi je suis défavorable à ces amendements.
À mes yeux, la séquence « éviter-réduire-compenser » est très importante, et je suis enthousiaste à l’idée qu’elle existe dans notre droit positif. Pendant des années, en effet, on n’a ni évité, ni réduit, ni compensé. Nous avons institué cette règle, et nous nous réjouissons qu’elle existe.
J’ai de nombreux exemples en tête de services de l’État qui instruisent des projets sans mettre en œuvre la séquence ERC : ils ne se demandent même pas si on peut éviter ou réduire, et ils compensent mal. Cela se passe dans mon département !
Lorsque j’étais président d’une commission locale de l’eau, j’ai été consulté par un syndicat intercommunal à vocation multiple, un SIVOM, qui voulait construire une station d’épuration. Le maître d’ouvrage délégué pour la construction de cette station était l’État, ou plutôt les services de l’équipement, à Amiens.
On me présente donc ce projet pour connaître l’avis de la commission locale de l’eau et savoir si ledit projet est conforme aux prescriptions du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, le SAGE.
Je demande alors quelles sont les mesures préconisées dans le cadre de la séquence ERC, et notamment pour « éviter ». Il était prévu de construire la station, non pas à 100 ou 200 mètres, mais au bord du lit mineur du fleuve, j’ai bien dit : au bord ! On me répond alors qu’il n’est pas possible de prendre des mesures d’évitement. Or ils n’avaient cherché ni à éviter ni à réduire, et quand ils ont essayé de compenser, leur plan de compensation était nul !
Les principes, c’est magnifique, mais il faudrait commencer par appliquer ceux qui existent !
L’application de la séquence « éviter-réduire-compenser » relève du pouvoir de l’État, qui doit mettre en place des politiques organisées vis-à-vis des services, des maîtres d’ouvrage et des architectes. Ce n’est pas en disant que l’on va tendre à une absence de perte nette ! Comment mesure-t-on d’ailleurs l’absence de perte nette ?
Si tant est que je sois d’accord avec votre texte, il est vrai qu’avec la séquence « éviter-réduire-compenser », si on a un tout petit peu de bon sens, de bonne volonté écologique, on ne pense qu’à une chose : comment éviter de massacrer le paysage, les terrains sur lesquels on intervient ?
Puisque vous parlez de reconquête de la biodiversité, on devrait commencer par se poser la question de l’obtention du gain de biodiversité. Ce serait positif ! À défaut, si on ne peut pas faire de gain, comment éviter une perte ? Mais, je le redis, comment mesurer une perte nette ? Il faut être très calé… Nous n’avons aucun instrument de mesure.
On peut mener une politique de communication : je ne suis pas contre l’idée de faire de la pédagogie, d’expliquer aux services, aux maîtres d’ouvrage et aux ingénieurs ce qu’il convient de faire. Mais il faut voir la façon dont tout cela est actuellement appliqué sur le territoire national ! La preuve en est, d’ailleurs, que l’on s’est demandé comment allaient fonctionner les services de compensation. On s’est dit que ce ne serait pas une mauvaise idée que l’Agence française pour la biodiversité s’empare de ce sujet et tienne un registre des compensations.
On est là en train de se projeter dans un monde moderne : dans cinquante ans, on peut imaginer que nous aurons fait de grands progrès en matière d’ingénierie et que nous pourrons nous demander comment « éviter ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, tout comme ce texte. Trouver, un jour, le moyen d’éviter la perte nette, je rêve qu’on y parvienne, mais ce ne sera pas aujourd’hui !
Actuellement, nous sommes incapables de faire des politiques de l’application de la règle ERC. (M. Gérard César opine.) Or on essaye déjà d’éviter les pertes nettes.
Il faut revenir sur terre ! On est en train de construire une loi pour la reconquête de la biodiversité, et pas de rêver à des objectifs comme des Bisounours – pardonnez-moi d’être un peu trivial ! –, alors même que la règle ERC ne fonctionne pas. Appliquons déjà cette règle et, dans cinq ans, dans une loi moderne – madame la secrétaire d'État, comme vous êtes très jeune, vous aurez la chance de présenter d’autres textes ; quant à moi, je ne serai plus là ! –, je verrai avec plaisir que l’on a fait un pas.
En tout cas, ne disons pas qu’on régresse parce qu’on n’est pas d’accord avec cette proposition ! Pour l’instant, cette histoire, c’est de la littérature ! (Mme Sophie Primas applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur, malgré ma très grande jeunesse (Sourires.), j’ai tendance à croire l’adage bien connu : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » !
Essayons de regarder où on veut aller. Vous avez cité un exemple qui me touche particulièrement, puisqu’il concerne ma chère ville d’Amiens, mais qui m’amène à la conclusion exactement inverse de la vôtre ! Il s’agit justement d’un problème de pédagogie et de définition d’objectifs. Il faut faire comprendre que l’enjeu est essentiel et que nous ne pouvons plus revenir dessus. Nous ne devons plus perdre de biodiversité, car nous en avons déjà trop perdu. Nous n’avons pas assez prêté attention à cette question.
L’exemple que vous avez cité est terrible parce qu’il concerne les services de l’État. Je peux vous dire que je vais regarder avec une très grande attention un certain nombre de projets qui doivent mettre en œuvre le triptyque « éviter-réduire-compenser » et qui ne le font peut-être pas. Je pense notamment à des gros projets. Cela montre de manière cruelle à quel point la prise en compte de la biodiversité n’est pas aujourd’hui dans les esprits.
Pour en arriver là, il faut que le projet de loi qui porte justement sur la reconquête de la biodiversité prévoie des objectifs clairs. L’article 2 dont nous débattons pose des objectifs, donne la direction à prendre, fixe une ligne.
On ne va pas résoudre le problème en cinq minutes. On ne fera pas entrer la séquence « éviter-réduire-compenser » d’un coup de baguette magique dans toutes les têtes. Mais il est plus simple de faire comprendre le principe de base – arrêter de perdre de la biodiversité – que la séquence « éviter-réduire-compenser », qui nécessite d’être explicitée. Certes, le « zéro perte nette » est difficile à définir, mais « réduire » ou « éviter » le sont tout autant ! Le problème se pose de la même manière.
Encore une fois, une loi n’est pas simplement une série d’articles de code ; c’est aussi des directions et des grands principes. Les articles 1er et 2 sont là pour ça ! L’objectif de « zéro perte nette » est, selon moi, un principe fondamental pour faire comprendre de façon très pédagogique où nous voulons aller. Encore une fois, nous ne pouvons plus nous permettre de perdre de la biodiversité dans notre pays, et nous savons que, même en faisant figurer cet objectif dans la loi, il mettra encore longtemps à germer dans l’esprit de nos concitoyens.
L’avis est donc favorable sur ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Je ne vis certainement pas dans le même monde, ou alors les services de l’État dans mon département sont particulièrement efficaces ! En effet, chaque fois que l’on veut monter un projet, on se heurte à un problème d’appréciation de la loi.
M. Gérard César. Eh oui !
Mme Sophie Primas. Je ne vous parlerai pas de l’oedicnème criard, un oiseau magnifique, qui justifie que l’on ne puisse plus rien faire dans la vallée de la Seine, alors même que l’on en trouve partout !
Pour chaque projet, les services de l’État viennent mesurer la biodiversité, ce qui est très bien, sur les plantes, les oiseaux, les vers de terre, les escargots… On a le droit à tout ! Parfois, on est dans la quadrature du cercle pour compenser, mais on essaie de le faire. Les compensations sont d’ailleurs excessivement chères.
Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas le faire. Il est nécessaire de préserver la biodiversité, de compenser quand on fait des projets. Mais il me semble – en tout cas, c'est ainsi dans mon département – que les services de l’État sont déjà particulièrement attentifs à cet objectif.
Le rajouter dans l’article 2 relatif aux grands principes, qui n’a aucun pouvoir normatif et ne sera pas appliqué, ne sert à rien ! (Mme Évelyne Didier s’exclame.) Je suis sur la même ligne que le rapporteur. Je ne voterai donc pas ces amendements, qui n’apportent aucun gain en termes d’efficacité par rapport à la prise de conscience déjà bien réelle des services de l’État.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.
M. Gérard Bailly. Mon propos va dans le même sens que celui de Sophie Primas. Il y a clairement deux France ! Nous ne vivons pas du tout ce que vous décrivez en termes d’atteinte à la biodiversité. Dans les villes et les grandes agglomérations, il y a sans doute peu de rétablissement, mais je vais vous parler de nos campagnes.
De nombreux élus locaux sont venus nous trouver, nous qui représentons les campagnes, pour nous dire qu’ils n’arrivaient pas à réaliser tel ou tel projet. J’ai en tête l’exemple d’un champ photovoltaïque qui devait faire treize hectares. On n’avait pas vu un animal sur cette parcelle de terrain depuis au moins quarante ans, parce qu’il n’y avait ni bois ni terre. C’était donc un bon terrain pour le photovoltaïque. Il a fallu réduire le projet à sept hectares parce que la DREAL a trouvé des papillons !
Je peux aussi vous citer l’exemple d’une scierie qui a brûlé il y a bientôt un an maintenant. Elle aurait pu être installée dans une autre commune, sur un terrain qui n’avait pas de vocation agricole. Cela n’a pas été possible, car il y avait une espèce qui ne vivait que là. Au bout d’un an, le projet est toujours arrêté, et les emplois ne sont pas là !
Avec de telles contraintes – je parle du milieu rural, car je connais très mal les problèmes urbains –, on veut mettre tout le monde dans le même moule. En zone rurale, combien de maires se sont vu refuser des certificats d’urbanisme, car il y a toujours quelque chose qui empêche l’exécution du projet ?
On est en train de paralyser notre France ! Dans nos campagnes – je vous prie de m’excuser, chers collègues des villes –, on ne peut plus rien faire. Venez-vous en rendre compte : je suis prêt à vous organiser, madame la secrétaire d'État, une ou deux journées pour vous montrer tous les projets qui n’ont pas pu être réalisés parce que la DREAL est sans arrêt sur notre dos.
Vous dites, madame la secrétaire d'État, qu’il n’y a pas de compensation. Or, certains grands ouvrages comme l’A39, qui traverse mon département, ont été compensés. J’étais président du conseil général, je sais tout ce qui a été donné ! Il en va de même pour le TGV Rhin-Rhône qui passe dans le sud du département. J’étais avec le président du Sénat vendredi dernier quand le maire de Dole nous a expliqué que la collégiale de sa ville avait été restaurée avec des crédits de compensation de la ligne TGV. Alors, n’allez pas nous dire qu’il n’y a pas de compensation !
Dans le Jura – je suis désolé de parler encore de mon département –, je ne sais pas si c'est à cause de la proximité avec la Suisse, mais j’ai vraiment l’impression que nous ne sommes pas en France, car la loi ne s’applique pas comme cela est souvent décrit dans cette enceinte. Je vous parle de la réalité de ce que nous vivons vraiment ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. Madame la secrétaire d'État, il y a encore quelques mois, alors que j’achevais mon mandat écourté de maire, j’avais dans l’idée de présenter un projet assez intéressant dans l’esprit de la séquence « éviter-réduire-compenser ». Puis j’ai vu les contraintes qui étaient demandées pour la réalisation d’un lotissement : près de 150 % de compensation. Les investisseurs vous disent qu’ils aimeraient bien faire le projet, mais que, s’il faut acheter 4 hectares de terrain pour bâtir 5 000 mètres carrés, cela n’est plus possible…
Par ailleurs, je propose de nous revoir dans cinq ans pour voir ce que l’application d’un dogme comme celui-là, qui peut être un enfer pavé de bonnes intentions, pourrait donner sur la loi SRU ou la loi ALUR. On demande à des communes d’avoir un taux de logements sociaux suffisamment important, mais elles ne pourront plus construire au travers de leur PLU, car on va exiger des compensations en foncier qu’elles n’auront pas. Faisons attention !
J’ai interrogé à plusieurs reprises la précédente ministre du logement et je n’ai jamais eu de réponse à ce sujet. Il faut voir l’avenir : la France, ce n’est pas seulement du milieu urbain, c'est aussi du rural. On demande aux communes rurales des taux de logements sociaux importants, qui ont été définis dans la loi. Or les communes ne pourront pas les atteindre et, je vous le rappelle, elles seront pénalisées.
Alors, la double peine, non merci !
Mme Évelyne Didier. On mélange tout !
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Il est bien d’avoir ce débat au Sénat où l’on a des praticiens, alors que, pour avoir fait trois mandats de députés, je peux vous dire qu’il aurait été beaucoup moins intéressant à l’Assemblée nationale.
On voit là vraiment le décalage entre des principes et leur mise en œuvre sur le terrain. Les principes, j’y adhère totalement, y compris d’ailleurs celui de la reconquête de la biodiversité. Je ne partage pas l’avis de mes collègues qui considèrent que les problèmes existent à l’étranger et pas dans notre pays, où la biodiversité ne s’éroderait pas.
Le problème se pose non seulement sur un plan philosophique, mais aussi sur un plan utilitaire et très anthropocentriste, si on considère que la biodiversité est le premier gisement de la pharmacopée.
Mais, dans le même temps, ce que mes collègues ont dit, madame la secrétaire d'État, est exact : les services de l’État font une application zélée de la loi dans nos collectivités territoriales, où il n’y a pas de véritable décentralisation et où les fonctionnaires prétendent faire de l’urbanisme à la place des élus. Il n’y a pas que les collectivités locales qui sont gênées par l’application absurde des normes. L’armée s’est vu imposer de prévoir une accessibilité pour les personnes à mobilité réduite sur des simulateurs de vol de Rafale ! Je le redis, on est dans l’application absurde des normes, ce qui pousse nombre de nos collègues à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Le Gouvernement a toujours refusé qu’on prenne en compte les principes d’adaptation au contexte local et de proportionnalité dans la mise en œuvre des normes. Toute la difficulté vient aujourd'hui de là. On pourrait se fixer des objectifs de reconquête de la biodiversité et vérifier qu’ils ont été atteints, mais en laissant les élus beaucoup plus libres des modalités, comme on le ferait dans n’importe quel autre pays européen.
Nous n’aurions pas aujourd’hui ce blocage et cette opposition d’élus qui ne sont pas forcément hostiles au principe, mais qui constatent tous les jours la mise en œuvre absurde des normes.
Je suis même très tenté de voter des amendements qui posent le principe de la reconquête de la biodiversité, et ne se contentent pas de limiter les dégâts. Dans le même temps, je suis tous les jours le témoin de ces exagérations et de ces blocages sur le terrain. (MM. Gérard Bailly, François Bonhomme et Jackie Pierre applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. Mon cher collègue Grosdidier, lorsque vous êtes acteur de la nature en tant que maire et que l’administration vous oppose certains blocages, vous trouvez cela complètement anormal. En revanche, lorsque ce sont les acteurs de la nature que sont les agriculteurs qui vivent des blocages au quotidien, cela ne vous dérange pas, et vous êtes même prêt à encourager ces situations !
M. François Grosdidier. Non !
M. Michel Raison. C'est comme cela que je ressens les choses : des corporations se forment.
Par ailleurs, je voudrais parler de la reconquête de la biodiversité. Certes, la biodiversité a connu certaines vicissitudes, mais dans notre pays, comme dans d’autres, elle est beaucoup plus riche que certains veulent bien l’avouer. On peut dire ce qu’on veut avec les rapports : il suffit de choisir ceux qui sont négatifs si l’on veut faire la promotion de la reconquête (Mme Évelyne Didier s’exclame.), mais d’autres rapports vont dans un sens différent.
On a besoin d’améliorer, de protéger la biodiversité, mais nous n’en sommes pas dans notre pays au stade de la reconquête. La situation n’est pas apocalyptique : on n’a pas détruit la biodiversité,…
M. Michel Raison. … de même qu’on n’a pas non plus détruit les paysages.
Il s’agit bien d’une loi de protection de la biodiversité, et non d’une loi de reconquête. N’employons pas des mots apocalyptiques ! (MM. Gérard Bailly et Jackie Pierre applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je crois que l’on tient la phrase de la soirée : reconquérir la biodiversité, c'est l’apocalypse ! Avec cette phrase, nous sommes partis pour deux jours et demi de franche rigolade…
On savait déjà que les paysages nocturnes nuisaient aux poissons rouges dans leur bocal ; on sait maintenant que la loi SRU en région parisienne est victime de l’œdicnème criard et que c'est la raison principale pour laquelle un certain nombre de communes de cette région ne l’appliquent pas !
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas ce qui a été dit !
M. Ronan Dantec. Nous améliorons la qualité du débat à une vitesse supersonique…
Malgré tout, j’essaie d’écouter les arguments des uns et des autres. Je suis souvent d’accord avec Jérôme Bignon, mais pas toujours. Là, je l’ai trouvé extrêmement fataliste : s’il se projette à cinquante ans pour la reconquête de la biodiversité, à la vitesse à laquelle celle-ci chute, il ne restera que très peu d’exemplaires et il faudra faire du bricolage génétique pour retrouver un certain nombre d’espèces disparues…
J’écoute ce que vous dites avec beaucoup plus d’intérêt que vous ne l’imaginez, et je me demande où est le problème. Je sens bien une envie de faire disparaître les DREAL. Aucun amendement sur ce sujet n’a été déposé, mais on voit que l’idée est dans l’esprit de certains de mes collègues.
Si les choses sont bloquées, c'est parce qu’il n’y a pas de stratégie de reconquête. S’il y avait un consensus dans ce pays sur une telle stratégie, on n’aurait absolument pas les mêmes problèmes en termes de compensation. Par exemple, sur la trame verte et bleue, certains vont intervenir pour dire qu’elle est une contrainte supplémentaire insupportable pour les collectivités territoriales. L’argument va arriver un peu plus tard dans le débat. Pourtant, si on avait une trame verte et bleue opérationnelle, nous aurions beaucoup moins de difficultés à faire de la compensation, puisque l’on aurait une grille sur laquelle s’appuyer.
Or, comme vous refusez d’avoir des trames opérationnelles efficientes sur lesquelles s’appuyer et que vous vous plaignez dans le même temps que la compensation ne marche pas, nous sommes évidemment en train de bloquer notre pays et d’aller de plus en plus vers l’affrontement.
Essayez de réfléchir à notre vision de la reconquête de la biodiversité. Quelle stratégie réelle de reconquête mettez-vous sur la table ? Nous n’aurons peut-être pas la même, mais il faudrait au moins que l’on échange des arguments sur une stratégie efficiente. Pour le moment, la majorité des orateurs interviennent pour dire qu’une reconquête n’est pas possible et qu’il faut continuer d’aménager. Comme si le monde ne vivait pas une disparition massive de la biodiversité, y compris en France… Il y a un consensus scientifique sur ce point, n’en déplaise à certains !
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. Le débat est extrêmement intéressant parce qu’il porte sur le cœur du sujet.
Premièrement, sur le plan scientifique, quelles que soient les études, le constat de l’effondrement de la biodiversité – notamment la biodiversité dite commune ou ordinaire, qui est l’une des plus importantes – est totalement partagé. On ne peut donc pas contester ce point.
Nous avions un objectif en 2010, celui de stopper la perte de biodiversité, qui a été complètement manqué en France, en Europe et dans la plupart des pays. La dégradation de la biodiversité se poursuit donc.
On peut considérer qu’il est possible de s’extraire de cet objectif, que cela n’est pas si grave, qu’on conservera simplement les espèces utiles et pas les autres. Mais les scientifiques nous disent que l’on ne peut pas s’engager dans cette voie, car il y a une interaction permanente entre les espèces.
Deuxièmement, il faut revenir au texte de la loi dont nous discutons, c'est-à-dire au 2° de l’article L. 110–1 du code de l’environnement, aux termes duquel le principe d’action préventive et de correction doit être pris en compte, mais à un coût économiquement acceptable. Qu’il y ait des excès de zèle de certains services, c'est possible, dans ce domaine comme dans d’autres. Certains estiment que les services ne sont pas assez zélés, et d’autres qu’ils le sont trop. Il n’empêche que c’est à nous de rédiger la loi et qu’on ne peut pas se fonder toujours sur les plus mauvais exemples.
Troisièmement, et je tiens vraiment à insister sur ce point, dans le II de l’article L. 110–1 du code de l’environnement qui vise la protection des espaces et des espèces, il est clairement précisé que ces espaces et ces espèces « sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il s’agit bien là de principes généraux.
Vous allez tous me demander comment mesurer cela. Je ne sais pas, mais il n’empêche que c’est un principe auquel nous sommes attachés en tant que législateurs. Je ne vois personne qui votera contre.
De la même manière, l’objectif d’amélioration de la biodiversité, de gain net de biodiversité, est un objectif global et général qui s’inscrit exactement dans le même cadre. Par conséquent, on peut trouver tous les arguments pour ne pas le faire figurer dans le texte, mais, à mes yeux, il s’insère parfaitement dans l’article L. 110–1 du code de l’environnement.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Vous le savez, la France a pris des engagements en 2010 : ce sont les objectifs d’Aichi, selon lesquels il faut stopper la perte de biodiversité.
Nous disions précédemment, à raison, que nous devions faire confiance à la science. Je rejoins les propos de Chantal Jouanno. Les chiffres sont clairs, je vais vous en rappeler quelques-uns pour que nous soyons tous bien d’accord.
Lorsqu’on parle de perte de biodiversité, il faut savoir que 165 hectares étaient artificialisés par jour en 2011. En dix-huit ans, on a constaté une baisse de 28 % des oiseaux communs typiques de certains lieux, notamment agricoles. En métropole, 9 % des mammifères, 19 % des reptiles, 21 % des amphibiens et 27 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition.
S’agissant de l’outre-mer, un tiers des oiseaux, 14 % des papillons et 33 % des poissons d’eau douce sont menacés à La Réunion ; c'est le cas également pour une espèce de flore sur deux à Mayotte et pour un tiers des oiseaux nicheurs en Guadeloupe.
Voilà la réalité ! C’est sur cela que nous devons travailler. Alors, soyons bien d’accord sur l’analyse : aujourd’hui, la perte de biodiversité est une réalité. Nous devons la stopper. Pour cela, il y a évidemment le triptyque « éviter-réduire-compenser », mais il faut aussi donner des directions. La loi est aussi faite pour cela. C’est pourquoi l’objectif de « zéro perte nette », qui est fondé sur des faits, est très réel.
Je finirai par un point qui me paraît important. Je suis en effet sensible aux arguments qui ont été avancés, je suis quelqu’un de pragmatique et j’ai été aussi une élue de terrain. J’ai vu, comme vous, des problèmes d’application de la loi dans les territoires. La création de l’Agence française pour la biodiversité permettra aussi d’aider à la réalisation de cet objectif. Elle sera aux côtés notamment des maîtres d’ouvrage pour les aider à identifier les lieux où ils peuvent installer leurs projets et à déterminer ce qu’ils peuvent éviter et ce qu’ils ne peuvent pas éviter, ce qu’ils peuvent réduire et ce qu’ils ne peuvent réduire, et pour leur donner des conseils sur la compensation.
Le travail de l’Agence française pour la biodiversité ne portera pas seulement sur ce point, mais l’aide aux collectivités et aux donneurs d’ordre en général pour l’application de la loi sera une part importante de son activité. Effectivement, une loi n’est bonne que si elle peut être appliquée.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 82, 159 rectifié et 219.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 179 rectifié bis, présenté par MM. D. Dubois, Canevet, L. Hervé, Marseille, Luche et Longeot et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Nous allons pouvoir poursuivre notre débat, car l’alinéa 11 relève de la même logique : on ne parle plus de perte nette, mais du principe de solidarité écologique, qu’il faut prendre en compte dans toute décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement.
Je considère que l’incidence notable est une notion extrêmement large et peu précise. Je ne sais pas ce qu’elle signifie en droit, mais sa prise en compte pourra conduire à empêcher la décision publique sur tel ou tel dossier dans les collectivités locales.
Avec le principe de solidarité écologique, on va ouvrir la boîte de Pandore des recours et de la judiciarisation : il faudra tenir compte de l’interprétation des juges et des jurisprudences qui vont s’établir.
Avec ce principe de solidarité écologique auquel devront se conformer les futurs textes réglementaires, on va mettre sous cloche tous les territoires, en particulier ruraux. C'est faire fi de l’action de l’homme qui – j’en citerai quelques exemples tout à l’heure – peut être bénéfique en matière d’environnement et de biodiversité.
Je propose donc la suppression de l’alinéa 11.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 83 est présenté par M. Filleul, Mme Bonnefoy, MM. Madrelle, Bérit-Débat, Camani et Cornano, Mme Herviaux, MM. J.C. Leroy, Miquel et Roux, Mmes Tocqueville et Claireaux, MM. Lalande, Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 121 est présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 11
Supprimer le mot :
directement
La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour présenter l'amendement n° 83.
M. Jean-Jacques Filleul. Nous nous plaçons ici dans une autre perspective. L’article 2 introduit le principe de solidarité écologique qui a pour objectif la prise en compte des interactions entre les écosystèmes, les êtres vivants et les milieux naturels dans toute prise de décision publique ayant une incidence sur l’environnement.
Il s’agit donc de développer une nouvelle vision de la biodiversité : une vision plus globale intégrant l’ensemble des êtres vivants, et pas seulement les espèces végétales et animales, une vision incluant la notion d’écosystèmes et la question de leur interdépendance.
J’insiste sur le fait que le principe de solidarité écologique n’est pas pénalisant et invite simplement à une réflexion sur les critères de décision publique.
Ce concept particulièrement important figure d’ailleurs déjà dans notre droit positif de l’environnement. Ainsi, placer au niveau législatif ce principe, qui ne figurait jusqu’alors que dans la Stratégie nationale pour la biodiversité, est une avancée importante. Il convient dans le même temps de ne pas en diminuer la portée.
Or notre commission a choisi de supprimer la notion de territoires « indirectement concernés » visés par le principe de solidarité écologique.
Il faut dès lors supprimer également la référence aux territoires « directement » concernés, qui juridiquement n’a pas plus de sens, mais qui pourrait induire un affaiblissement du principe de solidarité écologique.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l'amendement n° 121.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement étant identique à celui que vient de présenter mon collègue Jean-Jacques Filleul, je considère qu’il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Sur l’amendement n° 179 rectifié bis, qui vise à supprimer le principe de solidarité écologique, l’avis est défavorable. Cette suppression a déjà été rejetée à la fois par le Sénat et par l'Assemblée nationale. Le débat a été tranché. Nous avions au Sénat encadré ce principe afin de ne pas insécuriser les projets.
Les amendements nos 83 et 121 ont pour objet d’étendre le principe de solidarité écologique à tous les territoires concernés.
En commission, nous avons choisi de restreindre l’application du principe de solidarité écologique, en prévoyant que ce principe « appelle à prendre en compte […] les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels » dans les prises de « décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement des territoires directement concernés ».
En effet, viser aussi, comme ces amendements tendent à le faire, les décisions publiques qui ont une incidence sur les territoires même indirectement concernés a paru trop large à la commission, les impacts pouvant être importants, notamment pour la réalisation des études d’impact. Cela nous a paru peu réaliste, car que veut dire « indirectement concernés » ? Jusqu’où un territoire est-il indirectement concerné ? Par exemple, la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des Landes pourrait-elle avoir un impact sur la baie de Somme ? (Sourires.)
M. Bruno Retailleau. C’est un bon exemple !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je ne sais pas si ce que je dis est très réaliste, mais « indirectement concernés » peut désigner un territoire gigantesque. Je suis donc extrêmement prudent et je préfère conserver la notion de « territoires directement concernés », pour ne pas encourir de risques supplémentaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. En ce qui concerne l’amendement n° 179 rectifié bis, visant à supprimer le principe de solidarité écologique, le Gouvernement émet évidemment un avis défavorable.
Au contraire, il convient de renforcer et de généraliser ce principe, qui existe déjà. Il est en effet appliqué, pour la gestion de l’eau, dans les bassins versants au titre de la solidarité amont-aval, ainsi que dans les parcs nationaux – entre le cœur de parc et la zone d’adhésion –, et cela ne conduit pas du tout à une « mise sous cloche ».
Au contraire, cela conduit à un développement concerté plus respectueux des équilibres des territoires et des dynamiques écologiques. Je vous invite, monsieur le sénateur, à visiter les parcs nationaux pour constater comment ils fonctionnent et à quel point cela crée des dynamiques de développement économique.
Aussi, encore une fois, ne nous trompons pas de combat.
S’agissant des amendements identiques nos 83 et 121, le Gouvernement émet bien sûr un avis favorable. Vous évoquiez précédemment, monsieur le rapporteur, les « territoires directement concernés », mais il ne faut pas conserver cette notion ; il faut étendre la solidarité écologique à tous les territoires concernés. Pourquoi ? Parce que, par exemple, un territoire en aval d’un cours d’eau peut être concerné par des aménagements, même lointains, en amont.
Ainsi, si vous maintenez l’adverbe « directement », cela ne tient plus compte des territoires qui ne sont pas directement liés. Je suis donc favorable à la modification visée par ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’amendement n° 179 rectifié bis.
M. Daniel Dubois. Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je veux revenir sur cet alinéa 11. Au-delà de sa rédaction, qui me paraît manifestement imprécise et qui mènera à une judiciarisation importante, il est dans de nombreux cas très difficile d’estimer, M. le rapporteur vient de le préciser avec raison, les impacts de l’action de l’homme sur la biodiversité. Je pense que nous ne disposons pas aujourd’hui de l’ingénierie nécessaire pour mesurer les interactions entre écosystèmes, à plus forte raison sur des territoires très vastes. Cela me paraît extrêmement compliqué.
Prenons quelques exemples. La vallée de la Somme – vous la connaissez bien, madame la secrétaire d’État – est aujourd’hui une zone humide, classée Natura 2000, parmi les plus importantes d’Europe.
M. Daniel Dubois. Si la main de l’homme n’avait pas créé les intailles en Haute-Somme pour extraire la tourbe, ce qui a constitué des marais en partie sur la Haute-Somme, la richesse de la biodiversité de ce territoire n’existerait pas. C’est donc l’homme qui, à travers son action au XIXe siècle, a modelé un environnement, qui a lui-même créé une biodiversité que nous sommes tous enclins à défendre aujourd’hui.
M. Daniel Dubois. Je vous pose une question, madame la secrétaire d’État : si aujourd’hui l’on devait recreuser dans la vallée de Somme pour extraire non pas de la tourbe, mais un minerai quelconque par exemple, comment ferait-on avec le principe inscrit à l’alinéa 11 de l’article 2 et quel bureau d’ingénierie pourrait affirmer qu’il n’y a aucun risque ? Ces bureaux diraient qu’il y a trop de risque et qu’il ne faut pas y aller parce qu’on n’est pas capable de mesurer les impacts.
Second exemple : quand les autoroutes ont été construites, dans de nombreux cas, les écologistes, notamment, sont montés au créneau en affirmant que ce serait une catastrophe du point de vue de la biodiversité. Aujourd’hui, dans le cadre des conventions d’entretien des abords de ces autoroutes, signées généralement avec les fédérations de chasseurs, ces abords ne sont pas ouverts à la chasse et, dès lors qu’il y a un entretien raisonné, ils deviennent des réserves extraordinaires de biodiversité. Encore une fois, avec les grands principes que nous sommes en train d’instaurer, on ne ferait plus aujourd’hui un seul grand chantier !
Mmes Évelyne Didier et Cécile Cukierman. Cela suffit !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Dubois. À l’inverse, l’œdicnème criard, le fameux échassier des plaines,…
Mme Évelyne Didier. Stop !
M. le président. Il faut conclure !
M. Daniel Dubois. … a bloqué une zone d’activité de cinq hectares pendant quatre ans en empêchant l’implantation d’une entreprise qui devait créer 250 emplois à proximité de la vallée de la Somme.
Voilà les risques que nous faisons prendre, en votant cet alinéa, à toutes les collectivités publiques pour demain.
M. le président. Merci, mon cher collègue. Je vous demande de respecter votre temps de parole.
M. Daniel Dubois. Veuillez m’excuser, monsieur le président, je me suis laissé emporter par mon élan !
M. le président. Vous vous êtes laissé emporter par votre passion…
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je serai très brève, monsieur le président. Je veux simplement dire que le groupe écologiste ne votera pas pour l’amendement n° 179 rectifié bis.
Je veux aussi souligner une erreur dans la dernière phrase de l’objet de votre amendement, monsieur Dubois : vous affirmez que « le “principe de solidarité écologique” nie l’apport de l’homme » ; mais vous ne vous comptez pas dans la nature ? L’écologie, c’est étymologiquement la science de la maison, de l’habitat. Nous faisons partie de la nature.
M. Daniel Dubois. C’est encore un grand principe, ça, madame Blandin !
Mme Marie-Christine Blandin. Donc, la solidarité écologique nous concerne, c’est le soin de notre environnement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 179 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 83 et 121.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 160 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau et Capo-Canellas.
L’amendement n° 220 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 160 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Nous traitons toujours de la réécriture de l’article L. 110-1 du code de l’environnement avec l’intégration de nouveaux principes ; il s’agit ici de celui de non-régression, qui figurait dans le texte issu de l’Assemblée nationale.
Dans le domaine de la protection de l’environnement, qui constitue théoriquement l’objectif de la loi, ce principe existe et est très largement répandu dans la communauté internationale et dans les conventions internationales, en particulier dans le droit de la mer. Il est aussi très utilisé dans de nombreux pays anglo-saxons.
Il permet d’instaurer un effet de cliquet, d’exclure tout abaissement du niveau d’exigence en matière de protection de l’environnement dans le domaine de la biodiversité.
M. le président. La parole est à Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 220.
M. Ronan Dantec. La discussion est maintenant assez avancée : s’agit-il d’une loi qui acte le fait que nous nous mettons nous-mêmes en danger par la perte régulière et de plus en plus rapide de la biodiversité dans notre pays – il y a à ce sujet, n’en déplaise à certains ici, un consensus scientifique – et nous plaçons-nous dans la dynamique de la reconquête ?
On peut d’ailleurs avoir des débats d’échange, non de déni et de frein à main comme c’est le cas depuis le début de la soirée, mais sur les différentes solutions de reconquête. Tel devrait être le vrai débat dans l’hémicycle.
Ce principe de non-régression ouvre ce débat. Un vrai débat politique doit avoir lieu sur les choix à faire pour assurer la reconquête. On voit bien que, avant d’avoir ce débat politique noble, il faut déjà instaurer un cliquet sur la non-régression. C’est le sens du projet de loi et je regrette que cet alinéa ait été supprimé en commission. C’est pourquoi nous cherchons à le restaurer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Défavorable.
Ces amendements visent à rétablir, les deux orateurs viennent de le dire, le principe de non-régression, que nous avons supprimé en commission.
Retraçons l’historique de nos débats sur ce sujet, parce que cela éclaire la solidité de l’argumentation sur l’instauration ou non du principe de non-régression dans notre droit positif. En première lecture à l’Assemblée nationale, le député Bertrand Pancher avait introduit dans le projet de loi l’idée de faire un rapport sur le principe de non-régression afin de pouvoir mesurer quels seraient les impacts éventuels de son insertion dans le droit français. Je le sais bien, c’était il y a très longtemps, mais les choses n’ont pas tellement évolué et aucun rapport n’est venu.
Cela me paraissait, à titre personnel, une très bonne idée dans la mesure où ce principe devient de plus en plus actuel, notamment au sein des instances internationales, comme l’a dit Mme Jouanno avec pertinence, comme souvent. Des sommités juridiques – j’ai lu beaucoup de choses sur ce point – s’y interrogent et contribuent à ce sujet.
Pour une raison que je ne m’explique pas, le rapport a été supprimé en séance publique. L’Assemblée nationale a rétabli, non pas un rapport, mais l’inscription dans le dur, dans la loi, de ce principe, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante ».
On passe ainsi brutalement d’une interrogation – il existe une notion intéressante, discutée, qui mérite une réflexion et l’Assemblée nationale, dont la majorité n’est pas aussi conservatrice que vous pourriez dire qu’elle l’est ici, veut y réfléchir en demandant un rapport – à une inscription immédiate, sans transition, dans le droit, le rapport ayant été évacué. On n’a pas réfléchi une demi-minute de plus entre la suggestion du rapport et l’inscription du principe « dans le dur ».
La commission l’a supprimé dans la mesure où, à ce stade, aucune étude d’impact ni aucun élément ne nous permettent de mesurer précisément quel sera l’impact de l’introduction de ce nouveau principe.
Je ne suis pas défavorable à ce principe, je pourrais même dire que j’y suis favorable. Il ne me paraît pas, à titre personnel, absurde. Mais ce n’est pas une formulation écrite au hasard, un peu à l’emporte-pièce, alors que nous n’avons ni circonscrit le débat ni étudié plus avant cette question, que nous devons adopter.
Je ne serais pas hostile à une demande de rapport, si quelqu’un prenait l’initiative de la rétablir. Je ne suis pas trop favorable aux rapports en général mais, sur ce type de questions, intéressantes, réelles et qui doivent être posées, où l’on n’a pas le début du commencement d’une réflexion approfondie, je trouverais dommage de s’en passer.
Peut-être que l’on va botter en touche en affirmant que l’on ne veut pas de rapport et que l’on n’en fera pas, mais je considère que ce rapport serait vraiment utile. Je regrette que l’on ne puisse l’inscrire dans le texte.
S’il n’y a pas de rapport, je suis défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Le Gouvernement a émis un avis favorable.
J’entends bien la demande d’un rapport et je peux, moi aussi, y être favorable en certaines occasions mais, en l’occurrence, il y a déjà eu de nombreuses réflexions sur le sujet ; il ne s’agit pas d’une page blanche. J’ai l’impression que nous sommes au moment où l’on peut prendre la décision, que nous disposons des éléments nécessaires pour le faire, mais que l’on ne saute pas le pas parce qu’il serait « urgent d’attendre ».
Je considère que la réflexion approfondie a été menée sur le sujet, Mme Jouanno l’a dit, et qu’il s’agit maintenant de passer aux actes. Le Gouvernement est donc favorable à ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. J’ai écouté avec attention les explications de notre rapporteur, auxquelles je souscris totalement. Il a parfaitement exposé les conditions dans lesquelles le Sénat avait supprimé, en première lecture, ce projet de rapport sur la non-régression écologique.
Le texte nous revient de l’Assemblée nationale en boomerang, avec l’application immédiate de ce principe. J’avoue – je prends mes collègues à témoin – que, quand j’essaie de formaliser ce que ce principe peut être, je suis extrêmement dubitatif et, même, je crois rêver. Cela signifierait que, en mai 2016, on fige toute évolution pouvant toucher la faune, la flore, l’environnement et les écosystèmes à partir de nos connaissances d’aujourd’hui.
En première lecture, j’avais donné un exemple – c’est bien entendu mon âme de chasseur qui revient à la surface (Mme Évelyne Didier s’exclame.) –, celui d’espèces que l’on avait crues disparues parce que leur habitat avait été modifié dans le Sahel, où des zones avaient été asséchées. On avait failli supprimer la chasse de la sarcelle d’été sur ce motif, mais on l’a retrouvée en plus grand nombre deux ans plus tard.
Si, au cours d’une procédure – on sait comment se passe l’application des directives en France –, on était confronté à un tel sujet en devant appliquer le principe de non-régression écologique, on affirmerait que c’est terminé, que la protection de telle ou telle espèce a été décidée et qu’on ne revient pas en arrière. Je prends le pari que telle serait l’interprétation franco-française d’un tel texte. Je dis donc simplement que c’est extrêmement pernicieux.
Je vais faire hurler certaines personnes, je le sais, mais le principe de précaution, inscrit dans la Constitution, montre les freins que cela a conduit à créer dans l’innovation et dans certains progrès.
Mme Évelyne Didier. Cela n’a jamais empêché quoi que ce soit !
M. Jean-Noël Cardoux. Je dis simplement : danger !
J’avais présenté un amendement de repli, que la commission, bien entendu, a rejeté puisqu’elle a supprimé ce principe de non-régression, mais je pense que l’on pourrait y réfléchir à nouveau en commission mixte paritaire. Si l’on devait conserver ce principe, il faudrait au moins que cette non-régression écologique soit liée à l’évolution des écosystèmes et des connaissances scientifiques, ce qui serait la moindre des choses.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Sans vouloir être cruel, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle tout de même que, dans le projet initial du Gouvernement, qui est à l’initiative de ce texte sur la reconquête de la biodiversité, l’idée même de ce principe ne figurait pas ; il n’y avait pas un mot à son sujet.
En outre, ce rapport a été demandé par Bertrand Pancher, qui, sauf erreur de ma part, ne fait pas partie de la majorité gouvernementale. On a donc dû demander l’avis du Gouvernement et j’imagine – je n’ai pas cherché cette information, parce que vous m’obligez à improviser (Sourires.) – que Mme Royal a donné un avis favorable,…
M. Bruno Retailleau. En sommes-nous sûrs ? (Nouveaux sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bignon, rapporteur. … puisque cette demande de rapport a été adoptée par l’Assemblée nationale.
Je trouve donc un peu dommage que l’on évacue sans raison ce rapport, qui n’était pas dans le projet initial. Il y a un vrai sujet, dont tout le monde dit qu’il est intéressant et consistant – ce n’est pas quelque chose de vide –, alors essayons d’avancer plutôt que de nous balancer des choses qui ne sont pas positives. Il ne s’agit pas de se dire qui a tort ou qui a raison. Je propose qu’on essaie de construire quelque chose de concret, qui nous permette de faire un progrès substantiel sur ce principe.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je ne suis pas certain d’être en mesure de proposer un amendement parce que je suis mandaté par la commission pour défendre une position défavorable sur ces amendements, mais vous pourriez le faire, madame la secrétaire d’État. Je regrette qu’on ne saisisse pas cette occasion…
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 160 rectifié et 220.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’article 2.
M. Daniel Dubois. Je viens de m’exprimer sur le principe de solidarité écologique, en insistant sur les risques qu’il représente pour les décisions publiques, en particulier dans les territoires ruraux.
Je veux rappeler à mes collègues que nous avons adopté dans cet hémicycle, il n’y a pas très longtemps, la loi ALUR, qui gèle 80 % des terrains à bâtir dans les territoires ruraux. J’ajoute que nous avons constitutionnalisé voilà quelques années le principe de précaution. Personnellement, je n’ai pas voté pour, nous étions rares à ne pas le faire. Aujourd’hui, tout le monde veut le supprimer.
M. François Grosdidier. Non !
M. Daniel Dubois. Quasiment tout le monde…
M. François Grosdidier. Non, pas du tout !
M. Daniel Dubois. On est en train de prendre des décisions majeures, qui vont mettre les territoires ruraux sous cloche. Bientôt, nous serons des réserves d’Indiens…
M. François Grosdidier. Caricature !
M. Daniel Dubois. … et nous viendrons avec nos plumes dans cet hémicycle.
Je voterai naturellement contre l’article 2.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
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Article 2 bis
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° Après le titre IV bis du livre III du code civil, il est inséré un titre IV ter ainsi rédigé :
« TITRE IV TER
« DE LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE
« Art. 1386-19. – Toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte.
« Art. 1386-19-1 et Art. 1386-19-2. – (Supprimés)
« Art. 1386-20. – La réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature. Elle vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage.
« En cas d’impossibilité ou d’insuffisance d’une telle réparation, ou si son coût est manifestement disproportionné au regard de l’intérêt qu’elle présente pour l’environnement, le juge peut allouer des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l’Agence française pour la biodiversité.
« L’évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre des articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement.
« Art. 1386-21. – L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à l’État, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné. Elle est également ouverte aux établissements publics, aux fondations reconnues d’utilité publique et aux associations agréées ou ayant au moins cinq années d’existence à la date d’introduction de l’instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
« Art. 1386-22. – En cas d’astreinte, celle-ci peut être liquidée par le juge au profit du demandeur ou de l’Agence française pour la biodiversité, qui l’affecte à la réparation de l’environnement.
« Le juge se réserve le pouvoir de la liquider.
« Art. 1386-23. – Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, pour éviter son aggravation ou en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable, dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées.
« Art. 1386-24 (nouveau). – Indépendamment de la réparation du dommage éventuellement subi, le juge, saisi d’une demande en ce sens par l’une des personnes mentionnées à l’article 1386-21, peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage anormal causé à l’environnement. » ;
« Art. 1386-25 (nouveau). – Toute personne mentionnée à l’article 1386-21 peut demander au juge sa substitution dans les droits du demandeur défaillant aux fins d’obtenir la mise en œuvre du jugement.
2° Après l’article 2226, il est inséré un article 2226-1 ainsi rédigé :
« Art. 2226-1. – L’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique réparable en vertu du titre IV ter du présent livre se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice. » ;
3° Au second alinéa de l’article 2232, après la référence : « 2226 », est insérée la référence : « , 2226-1 ».
II. – Le livre Ier du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° À la fin de l’article L. 152-1, les mots : « trente ans à compter du fait générateur du dommage » sont remplacés par les mots : « dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice » ;
2° Le chapitre IV du titre VI est complété par un article L. 164-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 164-2. – Les mesures de réparation prises en application du présent titre tiennent compte de celles ordonnées, le cas échéant, en application du titre IV ter du livre III du code civil. »
II bis (nouveau). – Les articles 1386-19 à 1386-25 sont applicables à la réparation des dommages dont le fait générateur est antérieur à la promulgation de la présente loi. En revanche, ils ne sont pas applicables aux actions judiciaires déjà engagées à cette date.
III. – (Non modifié) Le présent article est applicable :
1° À l’exception du 1° du II, dans les îles Wallis et Futuna ;
2° Dans les Terres australes et antarctiques françaises.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit d’un article important puisqu’il traite du préjudice écologique, que nous connaissons bien. En effet, c’est au Sénat, sur une proposition de loi que j’avais signée et dont le rapporteur était Alain Anziani, que le principe de la consécration dans le code civil du préjudice écologique a été adopté à l’unanimité. Je le rappelle, le code civil est en quelque sorte, selon l’expression d’un grand juriste, la Constitution de la société civile.
Il s’agit au départ d’une construction jurisprudentielle ; je vous renvoie à la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 2012, concernant l’affaire de l’Erika, qui a fait émerger le concept de préjudice écologique, qui n’a rien à voir avec le préjudice matériel ni avec le préjudice moral.
Il existe aussi d’ailleurs une décision, peu connue, du Conseil constitutionnel, en date du 8 avril 2011 ; elle précise, d’une part, qu’il existe un devoir de vigilance vis-à-vis des atteintes à l’environnement et, d’autre part, qu’il est possible d’engager une action en responsabilité concernant les dommages à l’environnement.
Finalement, les choses en étaient restées là. Je veux remercier la commission de l’aménagement du territoire et son rapporteur, ainsi que la commission des lois, qui a produit un énorme travail juridique. D’ailleurs, le texte de l’article 2 bis sur lequel nous devrons nous prononcer a fait l’objet d’un vote unanime de la commission des lois (M. le rapporteur pour avis opine.) ; or on ne touche pas au régime de la responsabilité du code civil d’une main précipitée.
Le régime de réparation, tel qu’il est pour l’instant conçu dans le code civil – nous parlons sous le regard de Portalis – est complètement inadapté à la prise en compte de la réparation du dommage écologique. En effet, la nature n’étant pas une personne – traditionnellement, le régime de la réparation dans le code civil exige qu’un préjudice soit personnel pour être réparable –, elle ne peut être une victime ; donc s’il n’y a pas de victime, on ne peut réparer le dommage. Un raisonnement spécieux, bien sûr…
En même temps, le code civil pose un autre problème : en droit de la réparation, le juge est confronté à la fois à une liberté, celle de décider si le dommage est réparé en nature ou sous forme monétaire, et à une contrainte, puisque le juge n’a pas la faculté de décider de l’affectation de la réparation à un usage donné. Or il convient de réparer le préjudice écologique en nature et d’affecter cette réparation à un usage donné.
C’est la raison pour laquelle il convient désormais de consacrer ce que la jurisprudence a produit. Victor Hugo disait qu’il faut faire entrer le droit dans la loi ; en d’autres termes, il est nécessaire de légaliser la jurisprudence, parce que celle-ci est foisonnante, contradictoire (Mme la secrétaire d’État opine.) et conduit parfois à une double ou à une triple indemnisation sur le fondement d’un préjudice moral, d’un préjudice écologique et d’un préjudice matériel.
Si nous sommes attachés à la liberté en économie, alors nous sommes aussi attachés à la responsabilité. Si nous sommes attachés à la liberté d’entreprise, nous voulons en même temps créer un cadre stable, qui évite l’insécurité juridique.
C’est pourquoi, mes chers collègues, le législateur doit prendre le relais du juge, qui a fait son travail ; ce travail touchant à sa limite, chacun d’entre nous doit prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 182 rectifié quater, présenté par MM. D. Dubois, Détraigne, Bonnecarrère, Canevet, Guerriau, Marseille et Gabouty, Mme Gatel, MM. L. Hervé et Longeot, Mme Doineau et M. Cigolotti, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386-19. – Toute personne qui cause un préjudice écologique grave et durable est tenue de le réparer.
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Je viens d’écouter Bruno Retailleau avec beaucoup d’attention et d’intérêt et je partage complètement ses propos.
Simplement, je me pose une question à propos de la précision et de la définition d’un dommage « anormal ». Tel est mon problème. Il me semble plus intéressant de faire mention à un « préjudice grave et durable ». La notion juridique de la gravité de la faute me semble plus forte et plus claire que celle d’anormalité, qui laissera au juge une marge extrêmement large d’interprétation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je suis désolé d’indiquer à mon cher collègue Daniel Dubois que suis défavorable à son amendement.
Cet amendement vise deux objectifs. Premièrement, il s’agit de remplacer la formulation « toute personne responsable d’un dommage » par « toute personne qui cause un préjudice écologique ». Or cette formulation pose un réel problème, car elle reste dans l’incertitude, introduite à l’Assemblée nationale, portant sur le régime de responsabilité applicable.
Avec la formule « toute personne qui cause un préjudice écologique », on ne sait pas si l’on est dans un régime de responsabilité sans faute, pour faute ou encore du fait d’autrui ; surtout, il y a une vraie incertitude juridique conduisant à penser qu’il ne sera pas possible de poursuivre, par exemple, les entreprises pour le compte desquelles un employé aura causé le préjudice. Or c’est bien un régime de responsabilité sans faute que l’on souhaite introduire.
Secondement, l’amendement tend à qualifier le dommage réparable de « grave et durable ». Cette formulation n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale et, effectivement, elle semble incertaine. En effet, dès lors que le dommage cesse, il n’y a plus de dommage, donc je ne vois pas pourquoi il faudrait préciser qu’il doit être durable.
Le texte que nous avons adopté en commission est juridiquement plus solide, avec la notion de « dommage anormal », née au XIXe siècle et qui a donc une assise historique et juridique solide. Elle est connue du juge, qui l’applique depuis bien longtemps et, surtout, elle satisfait le critère de gravité. Je ne rappelle pas l’adage latin que j’ai cité tout à l’heure, car je finirais par passer pour un cuistre…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Je partage les arguments du rapporteur sur ce point.
J’ajoute que la rédaction élaborée par la commission est conforme aux propositions du groupe de travail présidé par le professeur Jégouzo et renvoie à une notion bien connue du droit civil. Elle permet de ne pas limiter excessivement le champ de la responsabilité pour préjudice écologique tout en offrant des garanties de sécurité juridique aux acteurs économiques.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je veux simplement ajouter un mot pour rassurer Daniel Dubois : le préjudice écologique doit servir à réparer un dommage qui n’est pas anodin, évidemment. Or, dès lors que l’on s’est interrogé sur la qualification du préjudice écologique, après l’adoption de notre proposition de loi, le garde des sceaux de l’époque avait constitué un groupe de travail sous la présidence d’un professeur de droit, M. Jégouzo. Ce groupe devait étudier les problèmes que nous n’avions pas traités à l’époque : le problème de l’intérêt à agir, sur lequel nous reviendrons, celui de la prescription, celui de l’articulation avec la police administrative et, surtout, cette notion de gravité.
Le rapporteur l’a dit, il s’agit d’une notion qui a émergé à travers la jurisprudence, encore une fois, de la Cour de cassation, en 1844. Depuis cette date, le juge, notamment civil, sait parfaitement manier ce caractère anormal ; il le relie d’ailleurs à la gravité. En réalité, il s’agit de la traduction dans le langage juridique et jurisprudentiel de la notion de gravité.
On peut parfaitement se rassurer sur ce point. Aux professeurs de droit et aux autres participants de ce groupe – il n’y avait pas que des juristes –, c’est cette notion qui avait paru la plus stable et la plus à même de définir le caractère de gravité que l’on souhaitait attacher au dommage causé à l’environnement qui peut faire l’objet d’une réparation.
M. Daniel Dubois. Je retire cet amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 182 rectifié quater est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 200, présenté par M. Bouvard, n'est pas soutenu.
L'amendement n° 79 rectifié, présenté par MM. Vasselle, Cardoux et Doligé, Mme Di Folco et MM. Chaize, Bizet et Houel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 1386-… – Le présent titre ne s’applique pas aux dommages causés à l’environnement ou à la menace imminente de tels dommages résultant d’activités entrant dans le champ d’intervention d’une convention internationale visée aux annexes IV et V de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. »
La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Cet amendement de précision est quasiment identique à celui qu’avait déposé M. Bouvard. Il a pour objet d’apporter une sécurité juridique, en rappelant notamment que les dommages environnementaux couverts par des régimes de réparation dédiés résultant de conventions internationales ne relèvent pas, selon l’adage en vertu duquel le droit spécial déroge au droit général, du régime général de la réparation des dommages environnementaux que le projet de loi prévoit de créer aux articles 1386–19 et suivants du code civil.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. L’avis est défavorable. Cet amendement vise à préciser que le titre ne s’applique pas aux dommages environnementaux qui font l’objet d’un régime particulier de réparation résultant de conventions internationales. Il est donc, au mieux, satisfait, dans les cas où la réparation du préjudice est déjà prévue, et, au pire, dangereux, dans les cas où un régime spécial ne prévoit qu’une réparation du préjudice personnel subi – par exemple, dans le cas de l’amiante –, là, la réparation du préjudice à l’environnement n’existerait plus ; or notre but est précisément de réparer ce préjudice « pur ».
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 69 est présenté par M. Pellevat.
L'amendement n° 77 rectifié est présenté par MM. Vasselle et Doligé, Mme Di Folco, MM. G. Bailly, Chaize, Bizet et Houel et Mme Duchêne.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386-20. – La réparation du préjudice écologique s'effectue en nature.
L’amendement n° 69 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Alain Vasselle, pour présenter l’amendement n° 77 rectifié.
M. Alain Vasselle. Il s’agit de préciser que la réparation du préjudice écologique s’effectue en nature. Je vous fais grâce de l’exposé des motifs, car vous aurez compris quel est l’objet de l’amendement.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 163 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Capo-Canellas et Marseille.
L'amendement n° 221 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
, dans les conditions prévues à l’article L. 110-1 du code de l’environnement
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 163 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Nous sommes toujours dans le code civil, plus précisément dans les conditions de réparation du préjudice écologique, qui doit s’effectuer en priorité en nature.
Avec cet amendement, nous proposons de faire référence à l’article L. 110–1 du code de l’environnement, dont nous venons de discuter longuement, afin de sécuriser le dispositif, puisque cet article définit justement de manière assez précise les conditions de la réparation en nature.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 221.
M. Ronan Dantec. Il convient de rappeler que l’on cherche d’abord à éviter le dommage ou, à tout le moins, à le réduire, donc à le réparer. Si la réparation s’avère impossible, il faut compenser. Il importe donc de faire le lien avec l’article L. 110–1, dont on a parlé avant, et qui intégrera peut-être un jour un objectif d’absence de perte nette de biodiversité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je vais répondre en deux temps, puisque, même si les trois amendements sont en discussion commune, ils méritent des réponses différentes.
Monsieur Vasselle, votre amendement n° 77 rectifié a pour objet de prévoir que la réparation du préjudice ne peut se faire qu’en nature. Le dispositif que vous proposez est à mon sens incomplet, car il n’est pas accompagné d’un plan B pour les cas où la réparation en nature ne serait pas possible.
J’ajoute que cet amendement me semble mal justifié. Nous sommes bien dans un régime visant la réparation du dommage, c’est-à-dire que nous sommes non pas dans le triptyque « éviter-réduire-compenser », mais dans le triptyque supprimer-réduire-compenser, ce qui n’est pas la même chose.
Le volet « prévention » n’est pas compris dans cet article 1386-20, mais plus loin dans le texte, où nous avons prévu une action en cessation de l’illicite.
L’avis est donc défavorable.
Les amendements nos 163 rectifié et 221, présentés respectivement par Mme Jouanno et par M. Dantec, ont pour objet de préciser que la réparation vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage dans les conditions prévues à l’article L. 110–1 du code de l’environnement. Cette référence ne me semble pas adaptée à la réparation du préjudice. Nous sommes là dans une logique supprimer-réduire-compenser, et la formulation, telle qu’elle figure dans le code civil, convient amplement. L’adoption de votre amendement conduirait à des incertitudes. L’avis est par conséquent défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. J’ai le même avis défavorable que M. le rapporteur sur l’amendement n° 77 rectifié. Effectivement, la réparation en nature doit être la norme, mais si celle-ci n’est pas possible, il faut des solutions de substitution, notamment le versement de dommages et intérêts. L’adoption de cet amendement pourrait conduire à rendre impossible la réparation écologique dans certains cas.
Les amendements nos 163 rectifié et 221 ont pour objet de renvoyer, en ce qui concerne les modalités de réparation du préjudice écologique, à l’article L. 110–1 du code de l’environnement. Cet article pose les grands principes du droit de l’environnement, dont seulement certains peuvent effectivement s’appliquer à la réparation du préjudice écologique. L’article L. 110–1 constitue donc une référence beaucoup trop large.
Aussi, j’émets un avis défavorable.
Mme Chantal Jouanno. Je retire l’amendement n° 163 rectifié, monsieur le président !
M. Ronan Dantec. Je retire également l’amendement n° 221, monsieur le président !
M. le président. Monsieur Vasselle, qu’advient-il de l’amendement n° 77 rectifié ?
M. Alain Vasselle. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 77 rectifié, 163 rectifié et 221 sont retirés.
L'amendement n° 162 rectifié, présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Capo-Canellas et Marseille, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
peut allouer
par le mot :
alloue
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Nous sommes dans la partie du texte de loi concernant les préjudices qu’il est impossible de réparer en nature. Dans ces cas-là, il est prévu que le juge peut allouer des dommages et intérêts.
Dès lors qu’une telle impossibilité est constatée, il ne me semble pas logique de ne pas en tirer les conséquences et de prévoir que le juge puisse ne rien faire. Il est donc plus cohérent de préciser que « le juge alloue des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou […] à l’Agence française pour la biodiversité ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, qui vise à préciser qu’en cas d’impossibilité de réparation le juge alloue, et non pas « peut allouer », des dommages et intérêts.
Madame Jouanno, vous contribuez à la rédaction du code civil : je vous en félicite ! (Mme Chantal Jouanno rit.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Le Gouvernement ajoute un avis favorable sur cet amendement, qui vient dissiper toute ambiguïté et qui est donc bienvenu.
M. le président. L'amendement n° 138 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Après les mots :
réparation de l’environnement,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
à l’État, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné, aux établissements publics qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. La consécration de la réparation du préjudice écologique pur par l’article 2 bis du projet de loi constitue une grande avancée de notre droit. Elle permettra de sécuriser la jurisprudence en la matière, qui ne se heurtera plus à l’exigence, par le droit commun de la responsabilité civile, du caractère personnel du dommage.
La réparation du préjudice sera nettement améliorée. Si nous saluons l’excellent travail de nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur ce sujet, nous sommes toutefois défavorables à la possibilité d’attribuer des dommages et intérêts aux associations et aux fondations.
Le préjudice écologique touche la collectivité dans son ensemble, alors que les associations et les fondations représentent bien souvent des intérêts particuliers.
Les dommages et intérêts pourront être alloués à l’État, aux collectivités territoriales dont le territoire est concerné, à l’Agence française pour la biodiversité et aux établissements publics dont l’objet est la protection de la nature et la défense de l’environnement, et qui, nous le savons, manquent de ressources.
De ce fait, leur affectation à la réparation de l’environnement sera assurée. Tel est l’objet du présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. L’avis est défavorable.
Cet amendement ne nous paraît pas fonctionner de façon convenable. En effet, tel qu’il est rédigé, il aboutirait, s’il était adopté, à ce que le juge alloue seulement des dommages et intérêts à l’État, aux établissements publics ou à l’Agence française pour la biodiversité. Il supprime, en outre, le demandeur, qui pourrait d’ailleurs être une collectivité territoriale, afin notamment d’écarter les associations agréées. Je ne vois pas pour quel motif on devrait supprimer la possibilité pour une association agréée de percevoir des dommages et intérêts.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Cet amendement a pour objet de modifier les potentiels bénéficiaires de dommages et intérêts, en fixant une liste de personnes publiques.
La rédaction actuelle me paraît pourtant simple et efficace, l’enjeu résidant dans la capacité du bénéficiaire à réaliser des opérations de réparation de l’environnement avec les dommages et intérêts attribués, qu’il s’agisse du requérant ou de l’Agence française pour la biodiversité.
Aussi, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. Jean-Claude Requier. Je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 138 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 161 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Roche et Tandonnet.
L'amendement n° 222 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Les deux amendements identiques sont ainsi libellés :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 1386-21. – L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 161 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Concernant ces dispositions extrêmement importantes, puisqu’il s’agit de savoir qui a un intérêt à agir dans le domaine du préjudice écologique, j’avoue sans rougir que je me suis appuyée sur les travaux d’un juriste, Laurent Neyret, qui a beaucoup travaillé sur ces questions.
Aujourd’hui, le texte, tel qu’il est proposé, liste un certain nombre d’organismes qui ont un intérêt à agir, c’est-à-dire qui seraient légitimes à demander réparation.
Tout le problème d’une liste, c’est qu’elle comporte nécessairement des lacunes.
D’une part, elle a tendance à se périmer relativement vite – peut-être que l’Agence française pour la biodiversité n’existera plus demain ou dans quelques années – et, d’autre part, il peut y avoir des omissions. En l’occurrence, on ne cite pas les entreprises, les agriculteurs ou les populations locales.
Ensuite, il faut bien voir que le code civil, aujourd’hui, est plutôt un droit pur, qu’il ne faudrait pas polluer avec le droit de l’environnement… (Sourires.). Or cette terminologie ou cette liste relève plutôt du droit de l’environnement que du code civil.
Enfin, j’ai bien senti qu’il y avait une crainte d’explosion des contentieux dans ce domaine. Néanmoins, le juge apprécie l’intérêt à agir, et, en cas d’action abusive, il existe des garde-fous, notamment une possibilité de condamnation à ce titre.
Par conséquent, à mon sens, nous serions bien avisés de conserver la pureté du code civil en précisant simplement que l’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir et en laissant le soin au juge d’apprécier ces dispositions.
M. le président. La parole est à M. Dantec, pour présenter l’amendement n° 222.
M. Ronan Dantec. Mme Jouanno a présenté l’essentiel de l’objet, mais j’insiste quand même sur le fait que, dans le cas des marées noires du type Erika, des communautés, des groupes économiques ont subi des préjudices extrêmement importants. Je pense notamment à l’aquaculture, mais la liste est assez importante.
Tel que le texte est rédigé, il ne fonctionnera pas bien. Il faut aller vers plus de simplicité, en reprenant une notion déjà parfaitement connue en droit : ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, la personne devant démonter en quoi elle a intérêt à agir.
À mon avis, cette solution est plus sécurisante – et M. le rapporteur, qui va souvent dans ce sens, ne me contredira pas – que celle qui consiste à fixer une liste, laquelle sera extrêmement discutable, et, partant, une source de contentieux.
M. le président. Le sous-amendement n° 315, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 161 rectifié, alinéa 3
Remplacer les mots :
qualité et intérêt à agir
par les mots :
intérêt à agir, telle que l'État, l'Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics, les fondations reconnues d'utilité publique et les associations agréées ou ayant au moins cinq années d'existence à la date d'introduction de l'instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Les amendements présentés par Mme Jouanno et par M. Dantec ont pour objet d’élargir la possibilité d’agir en réparation du préjudice écologique à toute personne ayant qualité et intérêt à agir.
Cette disposition, qui avait été votée à l’Assemblée nationale, en complément d’une liste de personnes morales pouvant porter une action en réparation, a été supprimée par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Je trouve utile et judicieux de laisser la possibilité au juge, lorsque cela lui paraît justifié, d’ouvrir l’action à des personnes ne figurant pas sur la liste du texte issu des travaux de la commission, mais je suis aussi attentive à la sécurité juridique des futures actions en réparation de préjudices écologiques.
Or il me paraît plus sécurisant juridiquement de conserver une liste explicite de personnes morales pouvant agir a priori, eu égard à leurs responsabilités spécifiques en matière de préservation de l’environnement.
J’ajoute que cette liste permettra de guider l’appréciation du juge quant aux personnes susceptibles de se voir reconnaître un intérêt à agir. Afin d’obtenir un compromis entre les amendements identiques nos 161 rectifié et 222 et la rédaction actuelle, je vous propose donc d’adopter ce sous-amendement.
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit trente afin de poursuivre l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements identiques et sur le sous-amendement ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission est défavorable à ces deux amendements, qui visent à ouvrir l’intérêt à agir d’une action en réparation du préjudice à « toute personne ayant qualité et intérêt à agir ».
Tout d’abord, ce dispositif est à la fois contraire au texte de l’Assemblée nationale, qui prévoyait une liste limitative et une ouverture, et au texte de notre commission.
Ensuite, avec cette rédaction, on ne se prémunit pas contre le risque de laisser un intérêt à agir à des personnes qui n’en ont pas les moyens, ou qui ont des stratégies individuelles, ce qui pourrait pénaliser, en particulier, le monde économique.
Enfin, j’ajoute que votre rédaction revient en réalité à dire : peuvent agir ceux qui peuvent agir ; dans cette optique, autant ne rien mettre, puisque le juge garde la faculté, comme dans le cas de l’Erika, de dire que telle association est recevable ou que telle autre ne l’est pas. En fait, le juge apprécie souverainement, ce qui est le principe retenu dans le code civil.
Mme Chantal Jouanno. Tout à fait !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. De toute façon, dans le texte qu’Alain Anziani et moi-même avons préparé, qui a été voté par la commission des lois et par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, l’idée est précisément d’encadrer par une liste les personnes auxquelles l’action est ouverte.
À ce sujet, le débat en commission a été assez sérieux. Comme c’était le début de nos travaux, tout le monde était encore « chaud-bouillant », mais toujours est-il que les échanges ont été approfondis, et je ne crois pas qu’il y avait, au sein de la commission du développement durable, une majorité pour laisser la liste très ouverte.
Mme Chantal Jouanno. Ça, c’est sûr !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Nous devons nous laisser le temps d’avancer sur ces sujets-là. Nous sommes en train de poser des principes très novateurs, très construits, certes, mais qui ne sont pas évidents à mettre en place. Il faut accepter l’idée d’y aller pas à pas.
Madame la secrétaire d’État, votre sous-amendement est-il de nature à changer le point de vue de la commission ? Je ne sais pas, car la commission ne l’a pas examiné, mais, à titre personnel, j’ai le sentiment que vous ouvrez complètement le dispositif, ce que nous ne voulions justement pas faire. Je le répète, autant ne rien mettre et supprimer la liste.
À mon sens, il serait plus pertinent et plus juste de dire que nous restons dans un système fermé, mais que nous pouvons ajouter quelqu’un en particulier dans la liste.
Si nous votons ce sous-amendement, nous entrons dans un système totalement ouvert, ce que nous avons voulu éviter, je le redis.
Nous ne sommes pas mûrs actuellement, compte tenu des nouveautés que nous devons par ailleurs intégrer dans notre droit, pour ouvrir à tout vent ce type d’action. On peut le regretter, et je respecte ceux qui ont un avis différent, mais je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une majorité pour une ouverture large dans cette noble assemblée. C’est ainsi que j’ai compris le message qui m’a été envoyé en commission.
Aussi, j’émets un avis défavorable sur votre sous-amendement, madame la secrétaire d’État.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Filleul. Le débat en commission avec Alain Anziani a été important et long. Le groupe socialiste et républicain s’en tiendra au vote de la commission et suivra le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. J’invite le groupe Les Républicains à faire de même, mais je souhaite présenter quelques remarques.
Tout d’abord, les travaux du professeur Neyret sont excellents et si la consécration de la notion de préjudice écologique dans le code civil intervient ce soir, elle lui devra beaucoup.
Ensuite, avec le préjudice écologique, il s’agit de reconnaître un préjudice qui a un double caractère. D’une part, il est objectif, et non pas subjectif. En termes de droit civil, cela signifie qu’il n’atteint aucun sujet de droit, la nature n’étant pas un sujet de droit en tant que tel.
D’autre part, il est collectif, car nous sommes tous concernés. Les juristes le savent, l’article 714 du code civil précise qu’« il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». Par conséquent, il me semble naturel de prévoir que peuvent ester en justice des collectivités, des établissements publics, l’Agence française pour la biodiversité, l’État bien sûr, des associations ayant cinq ans d’existence, des fondations reconnues d’intérêt public, plutôt que de trop ouvrir la liste. Telles étaient également les conclusions du groupe de travail du professeur Jégouzo.
Très franchement, madame la secrétaire d’État, je pense que la proposition que vous faites pour essayer de réconcilier les deux points de vue cumule en fait les désavantages. (Mme la secrétaire d’État s’exclame.)
Il faut donc nous en tenir là et suivre l’avis du rapporteur.
Mme Chantal Jouanno. Je retire l’amendement n° 161 rectifié, monsieur le président, et je m’en remets à la sagesse de notre rapporteur et de M. Retailleau !
M. Ronan Dantec. Je retire également l’amendement n° 222, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 161 rectifié et 222 sont retirés.
En conséquence, le sous-amendement n° 315 n’a plus d’objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 68 est présenté par M. Pellevat.
L'amendement n° 76 rectifié est présenté par MM. Vasselle, Cardoux et Doligé, Mme Di Folco et MM. Chaize, Bizet et Houel.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 1386-… – Si une procédure administrative est déjà en cours tendant à la réparation du même préjudice que celui pour lequel l’action en réparation est engagée, le juge statue sur la recevabilité de cette demande et sursoit à statuer sur le fond jusqu’au terme de la procédure administrative.
L’amendement n° 68 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Alain Vasselle, pour présenter l’amendement n° 76 rectifié.
M. Alain Vasselle. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. L’avis est défavorable.
À travers cet amendement, il s’agit de rétablir un article que nous avons supprimé en commission et visant à préciser que le juge sursoit à statuer sur le fond jusqu’au terme de la procédure administrative déjà engagée.
Nous avons, de façon pertinente, me semble-t-il, supprimé volontairement cette précision pour deux raisons.
La première est que la notion de procédure administrative est très large – parle-t-on d’un recours seulement ? – et qu’il est à craindre que des procédures administratives, comme les actions gracieuses, qui sont comprises dans la notion de procédure administrative, ne soient engagées qu’en vue de retarder l’action judiciaire.
La seconde est encore plus forte, parce qu’elle est très technique et mécanique : l’article 378 du code de procédure civile prévoit déjà que le juge peut surseoir à statuer, donc il n’a pas besoin d’une autorisation supplémentaire ; c’est la procédure civile classique.
Je suggère le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Vasselle, l’amendement n° 76 rectifié est-il maintenu ?
M. Alain Vasselle. Par sagesse, je vais suivre le rapporteur. Je retire donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 76 rectifié est retiré.
L'amendement n° 78 rectifié, présenté par MM. Vasselle, Cardoux et Doligé, Mme Di Folco, MM. Chaize, Bizet et Houel et Mme Duchêne, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386-23. – L’action en réparation intentée sur le fondement du présent titre est irrecevable dès lors que le dommage fait ou a fait l’objet d’une procédure devant l’autorité compétente sur le fondement du code de l’environnement. » ;
La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. On voit bien que, derrière cet amendement, il y a la crainte qu’une entreprise soit condamnée deux fois à réparer le même dommage. M. Retailleau a d’ailleurs dit tout à l’heure que cela avait pu arriver, le penser n’est donc pas totalement illégitime.
Néanmoins, en l’occurrence, cette crainte est infondée, car le juge tient compte de la part qui a déjà été éventuellement réparée. Il ne peut condamner deux fois à réparer le même dommage.
J’ajoute que cette rédaction fait courir le risque d’être forclos au moment où on arrive devant le juge judiciaire.
La bonne technique, c’est celle du sursis à statuer, outil à la disposition du juge grâce au code de procédure civile. Il est donc inutile de l’inscrire dans le code civil, qui n’est pas destiné à accueillir des dispositions de procédure civile, contrairement à d’autres codes.
Adopter cet amendement reviendrait à se prémunir d’un risque qui n’existe pas.
Je suggère un retrait… sage. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Les travaux conduits par la commission des lois ont montré l’inutilité des dispositions d’articulation entre les différents régimes. En effet, cela est déjà prévu par le droit actuel.
De plus, cet amendement va trop loin en prévoyant une irrecevabilité systématique de l’action devant le juge civil, dès lors que n’importe quelle mesure aurait été prise par l’autorité administrative.
L’avis est défavorable.
M. le président. Monsieur Vasselle, un retrait de sagesse est-il envisageable ? (Sourires.)
M. Alain Vasselle. Je veux juste dire un mot, monsieur le président, car je vous ai fait gagner du temps sur la présentation de mon amendement.
Pour répondre à M. le rapporteur, tout en faisant un clin d’œil à M. Retailleau, je confirme qu’il a pu arriver par le passé qu’une double pénalité soit infligée, mais il semblerait que les juges deviennent aussi sages que les sénateurs et que de telles choses ne se reproduisent plus. (M. Joël Labbé et Mme Marie-Christine Blandin sourient.) Cette disposition ne serait donc plus si utile.
Aussi, pour ne pas en rajouter, je vais suivre une nouvelle fois l’appel à la sagesse que m’adresse M. le rapporteur et je retire donc l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 78 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 164 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Capo-Canellas et Marseille.
L'amendement n° 223 rectifié est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14
Remplacer les mots :
dommage éventuellement subi
par les mots :
préjudice écologique
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 164 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Il s’agit d’un amendement rédactionnel. L’article tel qu’il est rédigé parle de réparation des dommages éventuellement subis, or il s’agit plutôt d’un préjudice à réparer.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 223 rectifié.
M. Ronan Dantec. Je veux juste préciser que nous l’avons rectifié à la demande de M. le rapporteur. Il est effectivement plus logique de parler de préjudice écologique que de dommage éventuellement subi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Nous avons considéré que, sous réserve de la rectification de ces amendements, la commission pourrait émettre un avis favorable.
Il s’agit d’une modification certes rédactionnelle, mais qui prend tout son sens à partir du moment où la rectification est intervenue conformément à ce que j’avais souhaité.
Par conséquent, j’émets un avis favorable sur les deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je n’avais pas vu les rectifications, donc j’étais restée sur un avis défavorable, mais je peux désormais suivre l’avis sage de M. le rapporteur et donner un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 164 rectifié et 223 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 32 rectifié, présenté par MM. Antiste et Cornano, Mme Claireaux, M. Desplan, Mme Jourda et MM. Karam, S. Larcher, J. Gillot et Patient, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Art. 1386-… – Lorsque l’auteur du dommage a commis intentionnellement une faute générant un dommage non négligeable, notamment lorsque celle-ci a engendré un gain ou une économie pour son auteur, le juge peut le condamner au paiement d’une amende civile.
« Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il en aura retirés.
« L’amende ne peut être supérieure à deux millions d’euros ou au décuple du montant du profit ou de l’économie réalisée.
« Toutefois, si le responsable est une personne morale, elle peut être portée à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.
La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Nous proposons une sanction dissuasive effective grâce à un système d’amende civile.
Celui-ci est destiné à sanctionner la « faute lucrative » grave, c’est-à-dire les situations dans lesquelles une personne physique ou morale décide sciemment d’infliger un préjudice à l’environnement, parce que le bénéfice financier qui en découle, comparativement aux frais de réparation et aux sanctions éventuellement prononcées, demeure incitatif.
M. le président. L'amendement n° 224, présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Art. 1386-… – Lorsque l’auteur du dommage a commis intentionnellement une faute, le juge peut le condamner au paiement d’une amende civile.
« Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il en aura retirés.
« L’amende ne peut être supérieure au décuple du montant du profit ou de l’économie réalisée.
« Toutefois, si le responsable est une personne morale, elle peut être portée à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxe le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.
La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. On parle de faute lucrative. Dans ce cadre, l’amende civile représente un compromis entre la voie civile, qui est centrée sur la réparation des dommages, et la voie pénale, pour répondre à un certain nombre de comportements lucratifs dommageables à l’environnement.
La dimension dissuasive du mécanisme réside dans le montant de l’amende encourue, bien que celle-ci soit quand même plafonnée pour les personnes physiques dans l’amendement. Contrairement aux dommages et intérêts, l’amende civile, il n’est pas inintéressant de le rappeler, n’est pas déductible fiscalement.
Il s’agit de répondre à un certain nombre de comportements fautifs qui méritent une amende.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. François Pillet, rapporteur pour avis. À travers cet amendement, vous proposez une révolution, qui a peut-être échappé à l’objectif réel que vous souhaitez inscrire dans le texte.
Vous voulez réprimer les fautes lucratives qui enrichissent celui qui les commet par une amende civile. Un tel mécanisme est donc totalement étranger à la réparation intégrale du préjudice, puisqu’il revient à faire payer plus que nécessaire pour rétablir le statu quo ante.
En outre, il mord sur la répression pénale des infractions environnementales. Comment appliquera-t-on le principe non bis in idem, qui a agité nos débats au début de l’après-midi, et qui interdit de punir deux fois pour le même fait ?
Paradoxalement, vous risquez d’affaiblir la répression, ce qui ne doit pas être votre intention. Si je vous ai convaincu, je ne doute pas que vous retirerez votre amendement, mon cher collègue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Cet amendement vise à infliger une amende civile au responsable du dommage en cas de faute intentionnelle grave. Le dispositif proposé a pour objet de rendre plus dissuasive l’intervention du juge civil.
Cependant, il convient de souligner qu’il peut être source de difficultés d’articulation avec la répression pénale, laquelle a toute sa place en cas de faute intentionnelle grave. De plus, il risque de compromettre l’efficacité à laquelle le Gouvernement est très attaché.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Cornano, l'amendement n° 32 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Cornano. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 32 rectifié est retiré.
Monsieur Dantec, l'amendement n° 224 est-il maintenu ?
M. Ronan Dantec. Pour nous, cet amendement est un peu un amendement d’appel en ce sens que nous voulions souligner que se pose une vraie question sur la faute lucrative. Nous allons le retirer pour tenir compte des avis qui ont été émis sans pour autant omettre de souligner que cette question demeure posée.
Je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 224 est retiré.
L'amendement n° 165 rectifié, présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau et Capo-Canellas, est ainsi libellé :
Alinéa 23, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement n’ayant plus d’objet, je le retire, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 165 rectifié est retiré.
La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote sur l'article 2 bis.
M. Ronan Dantec. Nous allons voter cet article. Ce faisant, nous allons voter quelque chose d’important, sur l’initiative du président Retailleau.
À cette heure tardive, je confesse un point d’accord avec lui.
Mme Chantal Jouanno. Oh !
M. Bruno Retailleau. Pécher, c’est déjà beaucoup ! (Sourires.)
M. Ronan Dantec. Je savais que c’était un terme qui allait lui parler plus directement ! (Nouveaux sourires.)
Nous partageons lui et moi une histoire commune, celle de l’Erika. Bruno Retailleau, en tant qu’élu vendéen, a subi l’Erika sur les plages de Vendée. Au même moment, j’étais au Centre de soins de l’école vétérinaire où nous récupérions des dizaines de milliers de guillemots et autres oiseaux mazoutés.
Nous avons été marqués par cette expérience. Ce qui nous a le plus marqués, me semble-t-il, c’est que nous avons pris conscience qu’un événement aussi fort appelle une réponse de la loi.
Donc, je trouve que ce soir, sur ce point précis – j’ai été sévère sur les points précédents –, nous faisons avancer la loi. Nous remercions tous la commission des lois pour le travail qu’elle a fait ; j’adresse notamment mes remerciements à Alain Anziani et à Jérôme Bignon.
Cet article contient une avancée. Elle est liée au fait qu’un certain nombre d’entre nous ont été confrontés à une expérience extrêmement forte, qui nous interpelle dans notre responsabilité de législateur.
Cela ne m’empêche pas d’avoir d’autres divergences avec Bruno Retailleau. Je pourrais vous en faire la liste. Ne vous inquiétez pas, elles restent extrêmement nombreuses ! (Sourires.)
M. François Grosdidier. Nous ne nous inquiétons pas !
M. Ronan Dantec. Ce que je voulais dire, c’est que là, il y a une prise de conscience qui découle d’une catastrophe que nous avons pu mesurer quasiment dans notre chair et sur le terrain.
Sur la perte de biodiversité banale, qui est plus insidieuse, qui est encore plus lourde en termes d’impact sur la biodiversité, nous ne réagissons pas de la même manière. Nous nous y habituons ou nous ne la voyons pas. Et nous n’arrivons pas à avoir le même niveau de réaction et de construction d’une réponse législative sur d’autres risques environnementaux parce qu’ils sont plus diffus et qu’ils ne se traduisent pas à travers une catastrophe.
Je voulais à la fois signaler que l’adoption de cet article aujourd'hui constitue une avancée réelle, tout en répétant qu’il y a d’autres risques plus insidieux et d’autres atteintes à l’environnement sur lesquelles il serait bon que nous réagissions de la même manière.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je vais essayer d’être bref, sans pour autant compromettre notre collègue Dantec ; chacun connaît nos différences d’appréciation.
Il est vrai que cet article est une avancée importante. Je tiens vraiment à remercier le rapporteur, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois. Je voudrais aussi avoir un mot – il n’est pas là, je le regrette, mais je lui dois aussi ces paroles – de remerciement à Alain Anziani pour ce travail très largement partagé.
Je suis heureux que ce soit le Sénat qui ait, pour la première fois, adopté à l’unanimité le principe de l’inscription du préjudice écologique dans le code civil. C’est une consécration importante. Je le disais tout à l’heure, un juriste, Yves Gaudemet, avait indiqué que le code civil, c’est en quelque sorte la Constitution de la société civile. Donc, c’est fondamental.
J’ai envie de faire un peu de patriotisme sénatorial. (Sourires.) La comparaison entre la rédaction de l’Assemblée nationale et celle du Sénat fait apparaître très clairement que nous jouons notre rôle d’améliorateur de la loi.
Conscient que le préjudice écologique a pu susciter des craintes, je voudrais simplement dire que la rédaction actuelle écarte tout risque de banalisation du préjudice écologique : l’article mentionne un dommage « anormal ». Le caractère de gravité est établi, car il est calé sur la notion et la théorie des troubles anormaux de voisinage.
Nous avons aussi – je le redis parce que les débats dans l’hémicycle n’ont malheureusement pas permis de le souligner – veillé à une bonne articulation avec le régime de police administrative. En clair, ce n’est pas parce qu’une entreprise aura été autorisée, sous le régime de l’ICPE, à un certain nombre de choses que l’on pourra rechercher sa responsabilité au titre du préjudice écologique. Il est extrêmement important de le redire.
Le délai de prescription, qui sera de dix ans, est le double du délai de droit commun. En effet, la loi de 2008 avait réduit de trente à cinq ans le délai de prescription applicable.
Bref, je pense que le Sénat a fait son travail de législateur dans une optique de modernité, prenant en compte le fait que, à l’époque où Portalis et Napoléon ont rédigé le code civil, la nature était peu de chose. Aujourd'hui, nous savons tous, par-delà nos appartenances politiques et partisanes, que la nature est un bien commun qu’il nous faut préserver.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Bravo !
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.
M. François Grosdidier. Au-delà de cette aventure terrible de la marée noire de l’Erika vécue en direct par nos deux collègues, nous avons en effet consacré une notion de bien commun qui transcende la droite et la gauche, une notion que nous avons tous à défendre. Elle va même au-delà du bien public que nous avons toujours défendu.
J’aimerais bien que nous soyons capables de dépasser ces clivages au-delà des mésaventures que certains d’entre nous ont vécues. Je veux le dire, je souffre quand j’entends certains de mes collègues de ma famille politique remettre en cause les éléments essentiels de notre patrimoine familial que sont la Charte de l’environnement et le Grenelle de l’environnement.
Je me revendique de droite, je me réclame des valeurs de droite, c'est-à-dire de la liberté, qui a pour corollaire la responsabilité. En tant que tel, je veux rappeler que le principe du pollueur-payeur, c’est la mise en œuvre de ce principe de responsabilité, corollaire de la liberté et de la philosophie que nous prétendons défendre en toutes circonstances, mes chers collègues. Et là, nous en avons la parfaite illustration !
Je me revendique comme homme de droite, mais j’assume aussi – pourquoi pas ? – l’étiquette de conservateur, animé par la conscience de devoir léguer à mes enfants au moins ce que j’ai reçu de mes parents, plus si je le peux, mais pas moins. Or la biodiversité et l’environnement font partie de cet héritage à transmettre.
Mes chers collègues, sur ce point, nous aurons fait œuvre utile et avancé dans ce sens. (Mmes Éveline Didier et Nicole Bonnefoy ainsi que M. Joël Labbé applaudissent.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2 bis, modifié.
(L'article 2 bis est adopté.)
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Article 3 ter
Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au septième alinéa de l’article L. 371-3, le mot : « régionaux » est remplacé par le mot : « territoriaux » ;
2° (Supprimé)
3° Au début du chapitre Ier du titre Ier du livre IV, est ajoutée une section 1 A ainsi rédigée :
« Section 1 A
« Inventaire du patrimoine naturel
« Art. L. 411-1 A. – I. – L’inventaire du patrimoine naturel est institué pour l’ensemble du territoire national terrestre, fluvial et marin. On entend par inventaire du patrimoine naturel, l’inventaire des richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques.
« L’État en assure la conception, l’animation et l’évaluation.
« Les maîtres d’ouvrage, publics ou privés, doivent contribuer à cet inventaire par la saisie ou, à défaut, le versement des données brutes de biodiversité acquises à l’occasion des études d’évaluation préalable ou de suivi des impacts réalisées dans le cadre de l’élaboration des plans, schémas, programmes et autres documents de planification mentionnés à l’article L. 122-4 et des projets d’aménagement soumis à l’approbation de l’autorité administrative.
« On entend par données brutes de biodiversité les données d’observation de taxons, d’habitats d’espèces ou d’habitats naturels, recueillies par observation directe, par bibliographie ou par acquisition de données auprès d’organismes détenant des données existantes.
« Les modalités de collecte des données font l’objet d’une concertation avec les personnes morales concernées et sont fixées par voie réglementaire. La saisie ou le versement de données s’effectue au moyen d’une application informatique mise gratuitement à la disposition des maîtres d’ouvrage par l’État.
« II. – En complément de l’inventaire du patrimoine naturel, les collectivités territoriales et les fédérations de chasseurs et de pêcheurs peuvent contribuer à la connaissance du patrimoine naturel par la réalisation d’inventaires locaux ou territoriaux ou d’atlas de la biodiversité, ayant notamment pour objet de réunir les connaissances nécessaires à l’élaboration du schéma régional de cohérence écologique mentionné à l’article L. 371-3 ou à la mise en œuvre des articles L. 412-5 à L. 412-7 lorsque l’assemblée délibérante concernée a adopté la délibération prévue à l’article L. 412-12-1.
« Le représentant de l’État dans la région ou le département et les autres collectivités territoriales concernées sont informés de ces réalisations.
« II bis. – Il est institué dans chaque région un conseil scientifique régional du patrimoine naturel. Ce conseil est constitué de spécialistes désignés intuitu personae pour leur compétence scientifique, en particulier dans les universités, les organismes de recherche, les sociétés savantes et les muséums régionaux. Il couvre toutes les disciplines des sciences de la vie et de la terre pour les milieux terrestres, fluviaux et marins.
« Ses membres sont nommés par arrêté du représentant de l’État après avis de l’assemblée délibérante.
« Il élit en son sein un président.
« Il peut être saisi pour avis par le représentant de l’État dans la région ou par le président du conseil régional sur toute question relative à l’inventaire et à la conservation du patrimoine naturel.
« Un décret en Conseil d’État définit sa composition et ses domaines d’intervention et précise les conditions dans lesquelles il est saisi.
« III. – Les inventaires mentionnés aux I et II du présent article sont réalisés sous la responsabilité scientifique du Muséum national d’histoire naturelle qui en assure la validation et participe à leur diffusion. Ils sont diffusés conformément aux principes définis aux articles L. 127-4 à L. 127-9.
« Les données brutes contenues dans les inventaires mentionnés au présent article sont diffusées comme des données publiques, gratuites et librement réutilisables, sauf si leur diffusion porte atteinte aux intérêts mentionnés aux 1° à 4° du I de l’article L. 124-4. Les conditions dans lesquelles la diffusion des données prévue au présent alinéa peut être restreinte pour des motifs de protection de l’environnement sont précisées par décret.
« IV. – La loi du 29 décembre 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l’exécution des travaux publics est applicable à l’exécution des opérations nécessaires à la conduite des inventaires mentionnés au présent article. Elle est également applicable à la connaissance du sol, de la végétation et de tout renseignement d’ordre écologique sur les territoires d’inventaires. » ;
3° bis L’article L. 411-5 est abrogé ;
4° Le titre Ier du livre III est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 279 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 11, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Les modalités de saisie ou de versement des données sont fixées par décret, pris après concertation avec les organisations représentatives des maîtres d’ouvrage, des bureaux d’études concernés et des associations contribuant ou susceptibles de contribuer à l’inventaire du patrimoine naturel.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Cet amendement rédactionnel vise à clarifier sur le plan juridique la procédure selon laquelle les modalités de saisie ou de versement des données sont fixées.
En effet, tel qu’il est rédigé, l’alinéa 11 indique que la concertation s’effectuera au cas par cas, pour chacune des études concernées et que pour chacune de ces études, les modalités de saisie ou de versement seraient établies par voie réglementaire.
Or cette disposition ne pourrait pas être mise en œuvre, compte tenu de sa lourdeur et des moyens nécessaires pour ce faire.
L’objectif est bien de consulter l’ensemble des parties prenantes pour fixer les modalités identiques, équitables et applicables à l’ensemble des maîtres d’ouvrage, avant d’établir un décret fixant ces modalités.
Il est également proposé de remplacer le terme « collecte » par les termes « saisie ou versement ». En effet, le terme « collecte » est impropre ici, puisque la collecte désigne les modalités d’acquisition de données sur le terrain, ce qui n’est pas le propos de cet article.
M. le président. L'amendement n° 282, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après les mots :
collectivités territoriales
insérer les mots :
, les associations ayant pour objet l’étude ou la protection de la nature et leurs fédérations, les associations naturalistes
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Il est proposé d’ajouter, à l’alinéa 12 de l’article 3 ter, les associations ayant pour objet l’étude ou la protection de la nature et leurs fédérations, les associations naturalistes, aux côtés des collectivités et des fédérations de chasseurs et de pêcheurs.
En effet, les associations conduisant des actions d’études ou de protection de la nature et leurs fédérations, ainsi que les associations naturalistes, mènent des inventaires de biodiversité dans des domaines très divers et parfois très spécialisés du fait de leurs rares compétences naturalistes.
Par ailleurs, ces associations développent également les sciences participatives qui produisent un grand nombre de données sur la biodiversité, très utiles pour augmenter le nombre de données, par exemple de répartition spatiale des espèces sur un territoire.
À ce jour, ces associations ont donc déjà très largement contribué à enrichir la connaissance en biodiversité, en fournissant de très nombreuses données acquises dans le cadre d’inventaires locaux ou territoriaux ou d’atlas de la biodiversité, ou encore dans le cadre d’autres programmes de connaissance ou de protection de la biodiversité, tels que les schémas régionaux de cohérence écologique.
Il est donc légitime de reconnaître la contribution de ces associations et d’encourager ainsi leurs actions en termes de connaissances de la biodiversité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission est favorable aux amendements nos 279 rectifié et 282.
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 40 amendements au cours de la journée ; il en reste 239 à examiner.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
13
Décisions du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 10 mai 2016, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- la condition de résidence fiscale pour l’imposition commune des époux en Nouvelle-Calédonie (n° 2016–539 QPC) ;
- la servitude administrative grevant l’usage des chalets d’alpage et des bâtiments d’estive (n° 2016–540 QPC).
Acte est donné de ces communications.
14
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 11 mai 2016, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016) ;
Rapport de M. Jérôme Bignon, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 577, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 578 rectifié, 2015-2016) ;
Avis de M. Alain Anziani, fait au nom de la commission des lois, (n° 569, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 11 mai 2016, à zéro heure trente.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD