Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mmes Frédérique Espagnac, Valérie Létard, M. Jackie Pierre.
2. Saisine du Conseil constitutionnel
3. Commissions mixtes paritaires
4. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
6. Décisions du Conseil constitutionnel sur quatre questions prioritaires de constitutionnalité
7. Communication du Conseil constitutionnel
8. Liberté de création, architecture et patrimoine. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication
Suspension et reprise de la séance
9. Questions d'actualité au Gouvernement
Mme Annie David ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; Mme Annie David.
prise en charge du revenu de solidarité active par l’état
M. Pierre Camani ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
politique agricole commune et zones intermédiaires
Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Anne-Catherine Loisier.
traité transatlantique et agriculture
M. Alain Vasselle ; M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; M. Alain Vasselle.
M. Gilbert Barbier ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Gilbert Barbier.
octroi d'un statut d'économie de marché à la chine au sein de l'organisation mondiale du commerce
M. André Gattolin ; M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; M. André Gattolin.
revalorisation de l’allocation personnalisée d'autonomie
Mme Catherine Génisson ; Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
M. Alain Houpert ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Alain Houpert.
M. Abdourahamane Soilihi ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Abdourahamane Soilihi.
Mme Nicole Bricq ; M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Suspension et reprise de la séance
Présidence de Mme Françoise Cartron
Secrétaires :
Mmes Frédérique Espagnac, Valérie Létard.
10. Situation des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel, CESU, en cas d’arrêt pour maladie. – Discussion d’une question orale avec débat
M. Jean Desessard, auteur de la question
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
11. Débat sur le dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés
M. François-Noël Buffet, au nom du groupe Les Républicains
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
Mme Valérie Létard,
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du 18 février 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 19 février 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, de la loi relative au droit des étrangers en France.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Commissions mixtes paritaires
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre les demandes de constitution de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération de l’outre-mer dans son environnement régional, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2015.
5
Dépôt de documents
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre :
- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile ;
- le rapport sur l’éligibilité à l’aide à l’équipement des foyers dégrevés de la contribution à l’audiovisuel public et ne recevant les services de télévision en clair que par la voie satellitaire sans abonnement ;
- la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de contournement Est de Rouen-liaison A28-A13, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement ;
- la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de ligne 15 Est du Grand Paris Express, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des lois, pour le premier, à celles de la culture, des affaires économiques et de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour le deuxième, et à celles des finances, des affaires économiques et de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour les deux derniers.
6
Décisions du Conseil constitutionnel sur quatre questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 19 février 2016, quatre décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
-la répartition des sièges de conseillers communautaires entre les communes membres de la métropole d’Aix-Marseille-Provence (n° 2015-521/528 QPC) ;
- l’allocation de reconnaissance III (n° 2015-522 QPC) ;
- la police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence (n° 2016-535 QPC) ;
- les perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence (n° 2016-536 QPC).
Acte est donné de ces communications.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 24 février, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale et les articles 35 et 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (Personnes détenues : droit de visite, vie familiale et recours effectif) (2016-543 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
8
Liberté de création, architecture et patrimoine
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (projet n° 15, texte de la commission n° 341, rapport n° 340, tomes I et II).
Avant de passer au scrutin public solennel, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi touche à de nombreux sujets : architecture, archéologie, audiovisuel, création, ou encore propriété intellectuelle.
Comme dans toute voiture-balai, on y trouve du bon et du mauvais. Puisque je vais le voter, j’ai choisi, dans mon explication de vote, de mettre l’accent sur les points positifs.
Tout d’abord, le projet de loi du Gouvernement ne mentionnait pas une seule fois le patrimoine immatériel de notre pays. Je viens d’un territoire où le patrimoine immatériel – la langue occitane, la gastronomie, la corrida, les joutes sétoises, ou encore le poulain de Pézenas – se vit pourtant au quotidien. Ce qui est vrai pour l’Hérault l’est dans toute la France ! C’est la raison pour laquelle je me félicite de l’introduction du patrimoine immatériel dans le texte. La France respectera ainsi la convention du 17 octobre 2003 de l’UNESCO.
Sur le sujet hautement sensible des éoliennes, je me félicite aussi du point d’équilibre trouvé : partisan des énergies renouvelables, je sais que celles-ci ont besoin, pour être développées, d’être acceptées par tous. L’obligation de recueillir l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France à propos des installations d’éoliennes qui sont visibles depuis un immeuble classé, un monument historique ou un site patrimonial protégé me semble participer à cet objectif d’équilibre.
Autre point positif, le renforcement du mécénat dans les territoires : l’autorisation, pour les communes et les intercommunalités qui le souhaitent, de permettre aux entreprises de déduire de leur cotisation foncière une fraction de leur don à des actions culturelles territoriales me paraît indispensable pour vivifier le territoire.
Enfin, il reste une importante interrogation, que les débats au Sénat n’ont pas levée : je veux parler de la taxation de ce qu’on appelle l’« informatique dans le nuage ». Je passe sur le pataquès qui a vu la suppression de la copie privée sur les stockages classiques : en l’état, les copies réalisées sur une clé USB ou un disque dur externe relèveraient du droit exclusif, exigeant ainsi une autorisation préalable des titulaires de droits. C’est risible !
Pour ce qui concerne la taxation de l’informatique dans le nuage, je considère qu’il n’est pas raisonnable d’étendre la redevance pour copie privée : on voudrait ruiner le cloud français et pousser les internautes à utiliser des services concurrents à l’étranger qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et ce, alors même que les scandales qui ont visé la question de la protection des données personnelles aux États-Unis constituent un moment favorable pour renforcer les entreprises françaises et européennes.
Si la loi peut taxer les services français, l’informatique dans le nuage – c’est sa raison d’être ! – est accessible de partout ! La France doit cesser de croire qu’elle peut arrêter le nuage de Tchernobyl à ses frontières !
Je compte évidemment sur l’Assemblée nationale pour revenir sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du RDSE.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un an après l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo, un an après les saccages successifs de l’œuvre d’Anish Kapoor, un mois seulement après l’agression de Combo, l’auteur de l’œuvre CoeXisT, il nous faut protéger les artistes et les lieux d’exposition artistiques et clamer haut et fort que nous faisons front commun pour préserver la liberté de création artistique.
Bien que largement symboliques, les dispositions proclamant les libertés de création et de diffusion n’en demeurent pas moins indispensables, car elles fixent à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics des objectifs ambitieux en matière culturelle. Il s’agit, pour ces politiques auxquelles nous souscrivons entièrement, de garantir notamment la diversité de la création, de veiller au respect de la liberté de diffusion artistique et d’élargir, dans les territoires, l’accessibilité de la création artistique aux publics qui en sont éloignés – les jeunes ou les handicapés, par exemple.
Il est important de défendre l’exception culturelle française et la politique de mise à l’abri de la production culturelle des lois du marché. Nous avons ainsi pu présenter un amendement tendant à supprimer la possibilité offerte au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, d’accorder une dérogation aux seuils en matière de diffusion de titres francophones des radios. Dans cette perspective, nous voulions également inscrire dans la loi la notion de politique de service public en faveur de la création artistique, seule garante de l’accès de tous les publics à l’art, qui n’a malheureusement pas trouvé un écho favorable lors de la présente lecture.
Le projet de loi fixe plusieurs règles de partage et de transparence des rémunérations dans les secteurs de la création, règles que le Sénat a complétées et qui vont dans le sens de l’équilibre que nous appelions de nos vœux.
Toujours dans un objectif de transparence, nous avons permis l’adoption d’un amendement visant à rendre public le nom des bénéficiaires des aides accordées dans le cadre de l’utilisation des 25 % de la rémunération pour copie privée affectés au financement d’actions artistiques et culturelles.
Toutefois, nous regrettons quelques complexifications introduites dans ce projet de loi. C’est le cas, par exemple, de la mise en place obligatoire des commissions « culture » des conférences territoriales de l’action publique, alors que les modalités d’organisation devraient être tranchées librement par les conférences territoriales de l’action publique, ou CTAP.
Je regrette également, pour ma part, le sort réservé à l’archéologie préventive. Dans son rapport intitulé Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive, Martine Faure estime que les dysfonctionnements constatés sont liés à l’absence d’outils de régulation efficaces.
Lors de la discussion générale, j’avais ainsi évoqué la nécessité de renforcer le contrôle de l’État sur les opérateurs privés et ce, afin d’améliorer la qualité scientifique des fouilles. L’amendement déposé en ce sens n’a toutefois pas été retenu par le Sénat.
De la même manière, il semblait important, dans un souci d’intérêt général, d’entériner la distinction introduite à l’Assemblée nationale entre l’Institut national des recherches archéologiques préventives, l’INRAP, le rôle spécifique joué par les services archéologiques des collectivités territoriales et les opérateurs agréés. La commission du Sénat a néanmoins souhaité consacrer les opérateurs privés au niveau de l’opérateur historique et des services des collectivités territoriales, ce qui ne me paraît pas opportun.
À cela s’ajoute la possibilité pour ces opérateurs privés de bénéficier du crédit d’impôt recherche : un avantage fiscal qui, en plus d’être infondé, introduit surtout une concurrence déloyale contre laquelle la commission se faisait pourtant fort de lutter.
Je suis convaincue qu’on ne traite pas la politique scientifique de recherche archéologique comme n’importe quelle activité économique. Il s’agit d’une richesse patrimoniale et d’un savoir pour lesquels l’État, et à travers lui l’INRAP, doit jouer un rôle prépondérant.
La préservation du rôle de l’État concernant la réforme des abords des 43 000 monuments historiques emporte, en revanche, le soutien de mon groupe. La simplification voulue dans le texte original supprimait des verrous essentiels de protection de notre patrimoine national, protection que seul l’État est à même de garantir au-delà d’intérêts locaux parfois incompatibles.
De même, le régime des sites patrimoniaux protégés, auquel nous préférions toutefois une appellation un peu plus attractive, propose un équilibre approprié entre la volonté de simplification du texte original et la garantie de protection du patrimoine dans la durée.
Il était impératif que les collectivités territoriales – c’était d’ailleurs l’une de leurs inquiétudes – ne soient pas laissées en première ligne et que le patrimoine puisse compter sur une préservation durable. C’est l’objet du plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, ou PMVAP, qui se substitue au plan local d’urbanisme patrimonial et qui sera soumis à l’avis de la commission régionale et à l’approbation du préfet avant son adoption. Ainsi, l’État retrouve-t-il ses prérogatives.
Par ailleurs, nous nous réjouissons que la commission régionale du patrimoine et de l’architecture soit présidée par un élu et que les sites patrimoniaux soient dotés d’outils de médiation et de participation citoyenne. La protection du patrimoine est, en effet, l’affaire de tous.
Quant aux dispositions relatives à l’architecture, elles sont accueillies diversement au sein de mon groupe. Je salue, pour ma part, le désir d’architecture suscité par la loi. Rendre le recours à l’architecte presque banal, c’est aussi favoriser des constructions individuelles et collectives bien plus harmonieuses.
Je me félicite donc de l’adoption de notre amendement visant à rendre obligatoire l’affichage du nom de l’auteur du projet architectural en même temps que celui des autorisations d’urbanisme sur le terrain. Ce dispositif, qui n’entraîne aucun coût, non seulement permet de corriger certaines dérives, mais également met en avant les travaux conduits par les architectes. Le rétablissement du seuil de recours obligatoire à l’architecte en dessous de 150 mètres carrés pour les particuliers, hors constructions à usage agricole, est également une bonne chose eu égard à la complexité actuelle des modes de calcul.
Enfin, dans un souci d’équilibre, la version médiane trouvée par notre assemblée concernant l’élaboration du projet architectural, paysager et environnemental me semble de nature à répondre aussi bien à l’exigence de qualité pour les lotissements qu’aux préoccupations de certains professionnels du secteur qui craignaient d’être marginalisés.
Eu égard à l’ensemble des avancées permises par ce texte, le groupe du RDSE votera à l’unanimité en sa faveur, mais, à titre personnel, je resterai vigilante sur le sort réservé à l’archéologie en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme Françoise Férat, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Nous aussi !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Républicains.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis de nouveau pour nous prononcer sur ce texte au parcours plutôt chaotique.
Je tiens, en premier lieu, à féliciter les rapporteurs, qui se sont livrés à un travail approfondi et minutieux sur ce projet de loi. Retenant de ce large texte certaines avancées attendues par les acteurs du monde culturel, supprimant, à l’inverse, nombre de dispositions inutiles ou périlleuses, ils ont su trouver des équilibres et formuler des propositions qui permettent d’envisager une adoption sereine du projet de loi. Ainsi pouvons-nous réellement parler de « valeur ajoutée du Sénat ».
Dans la partie consacrée à la création, comme le projet de loi multipliait les mesures techniques, passés les deux premiers articles purement incantatoires sur la création et les politiques culturelles, le rapporteur Jean-Pierre Leleux est intervenu pour combler certaines lacunes, par exemple, l’absence de mention du mécénat, ou pour apporter des améliorations, notamment au nouveau dispositif de médiation de la musique ou au fonctionnement de l’enseignement artistique et des conservatoires.
Il a également supprimé des dispositions introduites par l’Assemblée nationale sans étude d’impact, comme l’extension aux webradios du régime de licence légale, du fait de réelles incertitudes sur les incidences d’une telle réforme.
Attentif aux demandes des musées et fondations, il s’est penché sur leur difficulté à pouvoir exploiter pleinement les droits légués.
Je rappellerai encore que plusieurs dispositions importantes sont venues étoffer le sujet, introduit par les députés, de la rémunération pour copie privée. Ces mesures visent notamment à prendre en compte l’essor du numérique et à garantir une juste rémunération des photographes et plasticiens auteurs d’œuvres reproduites par des moteurs de recherche.
Par ailleurs, alors que le présent texte était, à son arrivée au Sénat, muet sur la question de l’audiovisuel, le rapporteur, poursuivant la réflexion menée dans un récent rapport, a osé poser la question du financement des chaînes, qui sont aujourd’hui confrontées à la baisse de leurs ressources provenant de la publicité ou des abonnements. La réglementation actuelle en matière de production – elle a presque vingt ans – n’est manifestement plus adaptée à la révolution que vit l’audiovisuel.
Si nous ne nous faisons guère d’illusions quant à l’issue qui sera donnée à nos propositions sur le plan législatif, nous avons du moins la satisfaction d’avoir enclenché une dynamique qu’il appartient maintenant aux producteurs et aux diffuseurs de traduire dans les faits.
Mon groupe approuve l’ensemble des clarifications et des améliorations qui ont été ainsi apportées.
Selon moi, les apports du Sénat aux articles relatifs au patrimoine et à l’architecture sont également essentiels.
Concernant l’architecture, le Sénat a privilégié une approche pluridisciplinaire pour la réalisation des projets architecturaux, paysagers et environnementaux de lotissements.
D’une manière plus générale, mon groupe estime que la garantie de qualité architecturale doit impérativement s’accompagner d’une maîtrise des coûts, à un moment où particuliers, collectivités et professionnels chargés de ces projets sont tous fortement éprouvés par la crise. Nous poursuivrons en ce sens l’examen du texte.
Concernant le patrimoine, les modifications apportées par le projet de loi au système actuel nous ont semblé particulièrement risquées. Néanmoins, plutôt que de rejeter cette réforme, les rapporteurs l’ont abordée avec le souci constant d’obtenir un consensus.
Aussi le Sénat s’est-il attaché à conserver la simplification des procédures et la souplesse souhaitées par le Gouvernement, mais ce dans le respect de deux axes : la protection du patrimoine et celle des intérêts des collectivités.
M. Hubert Falco. Très bien ! C’est très important !
Mme Colette Mélot. En tant que représentants des territoires, nous avons donc profondément modifié le dispositif proposé en créant des sites patrimoniaux protégés, qui prennent la place des cités historiques, et en garantissant une unité de protection du patrimoine.
Notre principal point d’achoppement était en effet le recours au plan local d’urbanisme, ou PLU, document manquant de stabilité, alors que les décisions prises doivent s’inscrire dans la durée.
Nous avons également renforcé le rôle de la nouvelle Commission nationale du patrimoine et de l’architecture dans la définition des sites protégés, ainsi que celui de l’État dans l’élaboration des plans de sauvegarde et de mise en valeur, afin de toujours garantir cette unité de traitement et d’assurer l’accompagnement des collectivités. Cet accompagnement a été notre préoccupation constante au cours de l’examen du texte.
M. Hubert Falco. Les collectivités en ont besoin !
Mme Colette Mélot. Par conséquent, c’est un dispositif infiniment plus protecteur du patrimoine local qui sort de nos débats.
En ce qui concerne l’archéologie préventive, nous sommes intervenus pour éviter la mise à l’écart d’intervenants autres que l’INRAP dans le processus conduisant aux fouilles.
Certes, nous comprenons les objectifs de qualité scientifique des fouilles poursuivis par le Gouvernement. Toutefois, ceux-ci ne justifient pas le renforcement du contrôle de l’État sur les opérateurs publics ou privés qui risque de retirer en fin de compte aux aménageurs leur liberté de choix.
M. Éric Doligé. Bravo !
Mme Colette Mélot. Ce débat se poursuivra probablement en deuxième lecture, mon groupe faisant entièrement confiance aux capacités de conviction des rapporteurs.
Ainsi, le présent texte, s’il ne porte pas de réforme majeure, aura cependant son utilité.
Je tiens à souligner que nous n’oublions pas que ce projet de loi, censé porter une grande ambition du président Hollande pour la culture, succède à trois années de fortes restrictions budgétaires et à une baisse drastique des dotations aux collectivités territoriales, baisse dont la culture sera fatalement, en cette période de crise, l’une des premières victimes.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Colette Mélot. Le présent projet de loi est donc avant tout un texte d’affichage à la veille d’élections majeures.
Cette attitude aurait pu suffire à provoquer son rejet, mais mon groupe ne souhaite ni laisser plus longtemps nombre de professionnels dans l’attente d’un texte législatif ni voir adopter un texte qui ne soit pas totalement protecteur d’un patrimoine auquel nous tenons tant.
C’est dans cet esprit constructif et pragmatique que nous avons examiné et que nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est paradoxal.
Il se voulait grande loi culturelle, mais déroule les mesures techniques.
Il brandit, à l’article 1er, l’étendard de la liberté de créer pour, à l’article 2, sinon l’étouffer, du moins l’affaiblir, sous le poids des définitions et des objectifs qui s’accumulent sans hiérarchisation.
Il s’affirmait étatique, par exemple en matière d’archéologie préventive – sujet qui a déjà été évoqué à plusieurs reprises –, mais ressort de nos débats plus ouvert à la liberté de choix des collectivités.
Il se voulait décentralisateur, dans la combinaison des dispositions d’urbanisme avec les règles du patrimoine, mais s’avère, au terme de cette première lecture, recentralisateur, poussé par les vents de la protection du patrimoine.
Voilà en effet, mes chers collègues, le péché originel de ce texte : il est trop large, sans colonne vertébrale ni définition claire et assumée d’un projet culturel. La technique ne peut pas tout et ne peut surtout pas remplacer l’idée directrice, le sens et les valeurs qui doivent former le cœur d’une démarche culturelle.
Alors, où est la lueur d’espoir ?
D’abord, dans le travail mené par la commission de la culture sous votre impulsion, madame Morin-Desailly, par les deux rapporteurs, Françoise Férat et Jean-Pierre Leleux, ainsi que par l’ensemble d’entre vous, mes chers collègues.
Ensuite, dans la réécriture minutieuse accomplie en séance et qui a permis des améliorations notables, ou encore le gommage d’inconvénients prévisibles.
Enfin, dans l’esprit d’ouverture que vous avez manifesté, madame la ministre. Vous avez accepté nombre d’amendements et évoqué à plusieurs reprises la poursuite d’un travail coopératif.
Le groupe UDI-UC, du fait de ses valeurs, de sa volonté humaniste et de la diversité intellectuelle des femmes et des hommes qui l’animent, attache historiquement beaucoup d’importance à la force d’un projet culturel pour la France. Notre vote sera favorable : le bilan des avantages et des inconvénients du texte nous semble en effet positif.
Mon groupe n’a pas qualité pour déterminer si le remaniement ministériel dont nous avons été les témoins involontaires a été ou non réussi. En revanche, il sera attentif, madame la ministre, à votre capacité à mettre en œuvre, jusqu’au bout de la deuxième lecture, l’esprit d’ouverture dont vous nous avez fait part. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour le groupe CRC.
M. Patrick Abate. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y voilà ! Après un examen du texte pour le moins éprouvant, nous en arrivons enfin au vote.
Mon collègue Pierre Laurent, dans son intervention liminaire, avait lancé un appel à l’audace. Cela aurait bien été le minimum d’ambition pour un texte particulièrement attendu, qui devait constituer un grand rendez-vous avec le monde de la culture, du patrimoine et de l’architecture. Or cet appel ne nous semble pas avoir été véritablement suivi d’effet.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, même s’il nous laissait un sentiment mitigé, présentait des pistes intéressantes, notamment en matière de droit des artistes, d’archéologie préventive et d’architecture. Il était toutefois perfectible. Brigitte Gonthier-Maurin avait, lors de son examen en commission, employé l’image d’un gué, au milieu duquel le Gouvernement et les députés nous avaient laissés.
Le groupe communiste républicain et citoyen, dans un esprit constructif, a fait tout son possible pour enrichir le projet de loi : nous avons déposé une centaine d’amendements, dont cinq ont été retenus. Trop souvent pourtant, notre démarche allait à contre-courant des orientations de la majorité sénatoriale, alors même que le Gouvernement restait quant à lui plutôt figé au milieu de ce gué.
Exit, ainsi, les dispositions sur le 1 % culturel que nous contestions en l’état, mais que nous souhaitions amender ; exit les dispositions sur les webradios, sur le monopole de l’INRAP pour les fouilles subaquatiques, sur le cadre protecteur de l’État en matière d’archéologie préventive, sur le crédit d’impôt recherche, sur la politique incitative au recours aux architectes, ou enfin sur les concours d’architecture.
Bienvenue, en revanche, à une certaine ségrégation entre les artistes en matière de protection et à une certaine incitation au travail dissimulé pour les artistes amateurs. N’oublions pas non plus l’ouverture aux phénomènes de concentration accomplie par le truchement de la réforme de la production indépendante et par la dérégulation du secteur de l’archéologie préventive, pour ne citer que ces sujets.
J’aimerais d’ailleurs m’arrêter sur ce dernier point très brièvement. L’article 20 a été littéralement détruit au Sénat. Au motif que l’INRAP profiterait d’indus, ce que la Cour des comptes dément, la majorité sénatoriale a continué à ouvrir les vannes pour les opérateurs privés. Faut-il rappeler que, étude après étude, on constate une distorsion de concurrence en faveur de ces structures privées, ainsi que des pratiques plus que douteuses de sous-traitance ou de dumping social ?
Dans le même temps, la majorité sénatoriale a limité le contrôle de l’État sur la préservation du patrimoine architectural, bien commun de la Nation, et permis parallèlement la mise en concurrence des services locaux entre eux. L’État, dont les moyens de contrôle sont ainsi affaiblis, devra donc en outre déployer son filet de sécurité lorsqu’un opérateur privé aura failli à la tâche pour laquelle il est payé !
Un autre élément est assez révélateur : le sort réservé au médiateur de la musique. Ce conciliateur s’est vu consciencieusement vidé de sa substance et de son intérêt, au motif qu’il ne faut surtout pas contrevenir au sacro-saint secret des affaires. Ainsi, c’est tout l’intérêt d’un conciliateur capable de fournir des éléments jurisprudentiels qui a été supprimé, au point que le médiateur ne ressemble plus aujourd’hui qu’à un fantoche sans âme.
En parallèle de ces mesures, on peut regretter que toutes les déclarations de bonnes intentions, unanimement partagées, contre la concentration dans les arts et les médias, contre la marchandisation à outrance de la culture et pour le respect de l’exception culturelle n’aient pas tenu à l’épreuve de l’élaboration de la loi. En témoigne notamment l’introduction dans le texte d’articles réformant en profondeur et dangereusement la production indépendante.
Il me semble essentiel d’aborder un dernier élément : la question des architectes des Bâtiments de France, ou ABF. Nous déplorons que la majeure partie de la discussion du titre relatif à la préservation du patrimoine ait en fin de compte tourné au procès indirectement intenté aux ABF.
En tant qu’élus locaux, nous avons tous eu affaire à un ABF un peu tatillon. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout n’est pas parfait du côté des ABF. Mais il n’est pas juste de mener cette bataille à peine cachée contre 120 personnes qui, rappelons-le, ont à leur charge plus de 44 000 monuments et qui se sont révélées si utiles à la préservation de notre patrimoine. Nous regrettons à ce titre que nos amendements visant à instaurer des espaces de dialogue plus importants entre ABF et élus locaux aient tous été repoussés.
Nous étions certes sceptiques avant le passage du texte devant la Haute Assemblée, mais nous restions ouverts… Aujourd’hui, nous sommes plutôt déçus.
Nous déplorons que nous n’ayons pas pu profiter de l’examen de ce projet de loi pour défricher plus efficacement le chemin étroit que pourrait prendre notre société entre le chemin qui mène vers l’individu-consommateur, jamais assez flatté, et celui qui conduit vers l’individu-producteur, jamais assez bon marché… Je pense au chemin vers l’individu-citoyen, celui qui apprend, qui crée, qui s’émancipe, qui développe l’esprit critique, énergie essentielle au développement de la démocratie et au progrès de la société.
Plus concrètement, il se serait agi de prendre le parti d’un service public des arts et de la culture renforcé, mobilisant l’État et les collectivités, et qui protège les artistes et les auteurs, qui défende le patrimoine, qui incite à l’excellence architecturale, qui favorise le bien-vivre ensemble. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Et pour cause : la République libre, égale, fraternelle et laïque ne peut souffrir de l’assèchement culturel et artistique ni même de sa stagnation par manque d’ambition et de véritables moyens. En la matière, le progrès est un devoir, sauf à développer le terreau dont se nourrissent la méconnaissance, puis la défiance, puis la peur, puis la haine de l’autre.
Nous espérons pouvoir corriger le texte en profondeur et renforcer les dispositions qui nous semblent aller clairement dans le bon sens lors de la navette parlementaire.
Mme Françoise Férat, rapporteur. Ah !
M. Patrick Abate. En attendant, et en espérant que l’Assemblée nationale saura rétablir un certain nombre d’équilibres qui ont été mis à mal dans cette enceinte, nous voterons contre le texte, en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe socialiste et républicain. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, enfin, nous avons eu au Sénat un débat, très riche et constructif, sur un projet de loi trop longtemps attendu, ce d’autant plus que le contexte actuel, dominé par des attaques et menaces terroristes contre notre mode de vie en société, dominé aussi par une remise en cause de nos valeurs républicaines et de la laïcité qui nous permettent de vivre ensemble, comme par un chômage de masse qui mine le lien social, nécessite aussi une réponse culturelle.
C’est notre culture, dans ce qu’elle est et ce qu’elle a de magnifique, concentré de valeurs universalistes, d’expressions et de représentations qui ont infusé à travers les siècles et les territoires de notre pays, d’apports ininterrompus de tous ceux qui sont venus le peupler et s’y installer, qui est la cible particulière des terroristes.
C’est elle aussi qui est ciblée de plus en plus fréquemment par les intolérants et les extrémistes qui saccagent des œuvres et des expositions ou empêchent des représentations artistiques.
La culture est ciblée, mais c’est aussi par la culture, par la création, par l’art, par la défense de tous nos patrimoines que nous devons répondre.
M. Jacques-Bernard Magner. Très bien !
M. David Assouline. Au moment où le lien social se délite,…
M. Hubert Falco. Il n’y a pas que le lien social !
M. David Assouline. … où la tentation éternelle d’accuser l’autre de ses difficultés de vivre envahit l’espace social et politique, l’art est un antidote à la barbarie et à la haine.
Aussi devons-nous redonner toute sa place à la culture dans le projet républicain et être capables de la valoriser, de lui restituer toute sa force, son rayonnement, sa capacité dynamique d’évocation, de sublimation, d’entraînement, d’utopie, de contestation, de communion, de joie et de partage d’émotions, sans nul autre pareil. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. Vous n’avez pas le monopole de la culture !
M. David Assouline. Oui, aujourd’hui plus que jamais, parce que nous traversons des crises multiples – terroriste, économique, civique –, la culture n’est pas un supplément d’âme, c’est notre âme, notre âme commune !
Mes chers collègues, nous pouvons redonner du sens à la politique par la culture, plus que par l’énoncé sans âme de chiffres et de statistiques économiques.
Madame la ministre, le projet de loi que, après votre prédécesseur, qui l’avait engagé, vous avez défendu ici au pied levé, avec talent, sérénité et une remarquable – et remarquée – capacité d’écoute, est une pierre importante dans ce combat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Il affirme nettement la place de l’art et de la culture dans la République, relance l’éducation artistique, renforce la protection du patrimoine et apporte enfin une première réponse à la révolution numérique qui a bouleversé les pratiques artistiques et culturelles.
Avec ce texte, les artistes seraient mieux protégés et surtout mieux rémunérés, grâce à des règles précises et transparentes dans les secteurs musical et cinématographique.
La diversité culturelle et la reconnaissance des pratiques amateurs auraient désormais une reconnaissance législative.
La libre création des œuvres et la libre programmation des spectacles seraient des biens communs garantis par la loi.
Nous avons été unanimes à saluer ce qui est affirmé avec force dès l’article 1er : l’inscription nette de la liberté de création parmi les libertés fondamentales.
Pour aller dans ce sens, mon groupe a proposé un nouvel article 1er bis, qui concrétise et renforce cette affirmation en proclamant que la diffusion de la création est aussi libre.
Nous sommes particulièrement fiers que le Sénat nous ait suivis, car, comme chacun le sait, dans le contexte actuel de la gigantesque et formidable révolution technologique du numérique, du bouleversement de l’offre et des usages, mais aussi de la financiarisation de l’économie, de la captation de la valeur par quelques grands acteurs connus qui s’émancipent de l’équité fiscale comme des protections du droit d’auteur, de la tendance à la concentration de la diffusion de la création dans les mains d’un petit nombre de grands acteurs qui contrôlent souvent toute la chaîne d’un secteur avec, pour finalité première, d’en tirer un maximum de bénéfices immédiats, la diffusion de la création est de moins en moins diverse parce qu’elle a de moins en moins les moyens de sa diffusion libre.
On diffuse selon des standards, et c’est l’uniformisation qui domine. Aucun secteur n’est épargné : création audiovisuelle et cinématographique, musique, spectacle vivant. Or l’uniformisation, c’est la négation de la création artistique. Nous devons donc plus que jamais préserver et promouvoir la diversité de l’offre créative.
Mes chers collègues, au Sénat, ce projet de loi a souvent été enrichi, mais aussi parfois dénaturé, en particulier en ce qui concerne l’archéologie préventive.
Mon groupe est satisfait d’avoir su convaincre la Haute Assemblée d’adopter quarante-quatre de ses amendements : modernisation de la copie privée, meilleure protection sociale du spectacle vivant et enregistré, définition et reconnaissance spécifique du distributeur des programmes audiovisuels, harmonisation des cursus d’enseignement supérieur artistique et culturel et des études supérieures d’architecture, base légale octroyée aux fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC, possibilité ouverte aux établissements publics de coopération intercommunale de subventionner les petites salles de cinéma, renforcement des pouvoirs d’action judiciaire du Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC.
Cependant, si nous étions prêts à redéfinir les rapports entre producteurs indépendants et diffuseurs audiovisuels, les seuils fixés par le rapporteur nous semblent, hélas !, excessifs.
En ce qui concerne la protection du patrimoine, nous sommes heureux que la notion de patrimoine immatériel, déjà retenue par l’UNESCO, soit introduite en droit français.
Nous nous réjouissons aussi de l’adoption de plusieurs amendements tendant à renforcer les pouvoirs de la Commission nationale ou à prévoir la concertation préalable avec les ABF concernant les sites patrimoniaux protégés.
Malheureusement, le Sénat a fait marche arrière par rapport aux ambitions du projet de loi sur la réforme de l’archéologie préventive, avec la privatisation et une conception libérale de ce secteur.
Globalement, nous nous abstiendrons donc sur le texte tel qu’il nous est soumis aujourd’hui (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), en espérant que, avec la navette et la poursuite des débats, le Sénat fasse les pas nécessaires pour que notre vote en deuxième lecture soit favorable.
Madame la ministre, sachez que nous serons à vos côtés pour préserver l’essence du texte initial ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour le groupe écologiste.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine a été marqué par des contrastes saisissants entre le bon climat qui a présidé à son élaboration au Sénat et les obstacles liés à l’ordre du jour qui ont empêché la continuité du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Férat, rapporteur. C’est vrai !
Mme Marie-Christine Blandin. Les rapporteurs, M. Leleux et Mme Férat, ont su faire montre d’une écoute attentive vis-à-vis de leurs collègues de la commission de la culture : même si des avis divergents ont subsisté sur des points sensibles, l’échange et la pédagogie ont été de mise.
Vous-même, madame la ministre, avez sans délai manié avec aisance la mécanique des amendements et, par votre écoute, contribué à des inflexions souhaitées par les groupes et à des synthèses consensuelles. Vous avez créé des ouvertures qui ne manqueront pas de se concrétiser au cours de la navette parlementaire.
En revanche, jamais texte ne fut aussi malmené par le calendrier : cinq coupures ont haché la discussion. De la même façon, nous avons été nombreux à trouver violent le tempo annonçant à Fleur Pellerin la fin de sa mission.
M. Alain Fouché. Vous avez raison !
Mme Marie-Christine Blandin. Sur le fond, c’est aussi un texte de contrastes.
Nous saluons les avancées significatives auxquelles les écologistes ont contribué, qu’il s’agisse de la perspective réservée aux œuvres spoliées durant la Seconde Guerre mondiale, les MNR – dossier sensible que Corinne Bouchoux avait exhumé –, ou encore du coup d’arrêt significatif à la spoliation des photographes sur les banques d’images qui a recueilli l’unanimité au Sénat, et surtout de l’inscription, juste après la déclaration symbolique « la création est libre », des droits culturels.
La bataille avait été difficile pour faire reconnaître ceux-ci dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », mais, dans le cadre de ce texte, le respect des droits culturels est désormais reconnu comme un objectif consubstantiel des politiques culturelles. Cette avancée, nous la devons au Sénat.
L’agrément du ministère de la culture pour la nomination des directeurs des structures labellisées nous posait des problèmes, car la rédaction initiale faisait bien peu de cas de la participation majeure des collectivités territoriales aux côtés de l’État, alors que, en la matière, l’intelligence de la décentralisation est essentielle. Nous ne pouvions pas voter l’article en cause en l’état, mais nos propositions ont été retenues. L’Assemblée nationale devra se prononcer ; je ne doute pas que les pistes du Sénat permettront des échanges fructueux.
En revanche, nous avons été atterrés par les mauvaises manières qui ont consisté à détricoter dans le volet « patrimoine » ce que les votes intervenus lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages avaient scellé : au nom du paysage et du patrimoine, que personne dans cette enceinte ne veut abîmer, de vieux relents anti-éoliens ont refait surface avec des rédactions aux conséquences dévastatrices. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous regrettons l’adoption de l’amendement visant à empêcher toute possibilité d’installation d’éolienne dans un rayon de dix kilomètres de covisibilité avec un bâtiment historique, sans l’aval de l’architecte des Bâtiments de France.
M. Alain Fouché. Vous saccagez la France !
Mme Marie-Christine Blandin. Des cartes l’ont illustré, si le texte restait ainsi rédigé, il signerait la fin de cette filière en France. Nous devons avoir une approche rationnelle et responsable.
Ensuite, au nom des moulins à eau, que personne dans cet hémicycle ne veut détruire (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.), certains se sont introduits dans le code de l’environnement, bousculant un équilibre subtil et des médiations en cours pourtant soutenues par le rapporteur du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Jérôme Bignon.
Mes chers collègues, le bien commun, qu’il soit naturel ou culturel, ne se divise pas en clans adverses : ce qu’il nous faut préserver, ce sont nos roues à aubes et la bonne qualité piscicole des rivières ; ce qu’il nous faut garantir, ce sont nos édifices historiques dans leur écrin de paysage et la part de production énergétique renouvelable. J’espère que la navette parlementaire apportera plus de nuances à ce débat. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Pour ce qui concerne l’audiovisuel public, nous apprécions que soit réévaluée la part pertinente de production interne et que soient mis au débat de meilleurs retours financiers aux chaînes contributives des productions externes. Toutefois, le retour de balancier ne doit pas, à l’inverse, condamner la diversité des créateurs.
Nous nous félicitons de la reconnaissance qui a été apportée par le Sénat aux missions des architectes, des paysagistes, des salariés des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, des archéologues, qui, hier, entendaient ici leurs oreilles siffler plus souvent qu’à leur tour, même si, au sujet de ces derniers, nous ne sommes pas en accord avec les arbitrages trop libéraux de la commission. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Éric Doligé. C’est Macron !
Mme Marie-Christine Blandin. Nous nous réjouissons de la mise en place d’une véritable obligation de dépôt légal des livres numériques, garantissant non seulement une collecte exhaustive et une préservation pérenne de la production éditoriale sous forme numérique, mais aussi une meilleure protection des auteurs et de leur travail.
Nous avons essayé de contribuer à ce que le Parlement sorte le texte initial d’un dialogue assez étriqué entre le ministère et les représentants des différentes professions : le soutien public à la culture, la garantie de liberté de programmation, la vigilance pour ne pas formater celle-ci aux dérives du marché, c’est d’abord aux habitants que nous les devons, pour leur liberté, leur épanouissement, leur expression propre, leur réflexion, leur goût des autres, bref pour qu’ils puissent faire humanité.
À l’aune de cette ambition, ce texte a été à la fois significativement enrichi par le Sénat et, hélas !, émaillé de choix inacceptables pour les écologistes. C’est pourquoi nous laissons à la majorité sénatoriale le soin de lui laisser poursuive sa route, sans lui apporter notre soutien. Nous nous abstiendrons donc. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues secrétaires du Sénat Frédérique Espagnac, Valérie Létard et Jackie Pierre, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 170 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 205 |
Pour l’adoption | 175 |
Contre | 30 |
Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine dans le texte de la commission, modifié.
Avant de donner la parole à Mme la ministre, je tiens à remercier Mme la présidente de la commission de la culture ainsi que Mme la rapporteur et à exprimer ma sympathie à Jean-Pierre Leleux.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. À l’issue de ce vote, je tiens à vous remercier, madame Morin-Desailly, madame Férat – à mon tour, je salue M. Leleux, qui ne peut être présent aujourd'hui –, ainsi que vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’accueil chaleureux que vous m’avez réservé et de la qualité des débats, lesquels ont été, je le pense, très constructifs. Même si j’avais déjà eu l’occasion de vous adresser mes remerciements lorsque nous avons achevé nos travaux dans la nuit du 17 février dernier, je tenais à les renouveler ce jour.
Le projet de loi que le Sénat s’apprête à transmettre à l’Assemblée nationale en deuxième lecture a été considérablement enrichi. De nombreux points du texte ayant déjà été abordés, je n’en évoquerai pour ma part que quelques-uns.
Le texte consacre les principes de liberté de création, de diffusion et de programmation. Sa rédaction sur ces sujets a été améliorée dans cette enceinte, au point que M. Leleux l’a qualifiée de « pépite brillante ». Elle est reconnue comme telle sur toutes les travées, ou presque, de votre assemblée.
Bien sûr, l’art n’est pas au-dessus des lois – c’est un débat qui a cours dans la presse en ce moment –, même s’il est transgressif par nature, mais, pour un artiste, la liberté de créer et de s’exprimer publiquement va désormais s’inscrire dans un corpus juridique dans lequel figure aussi la condamnation de l’incitation à la haine ou à la violence.
Grâce à ce projet de loi, la liberté artistique sera affermie. Elle sera mieux défendue par le droit face à la censure, à l’interdiction, à la pénalisation de l’expression, au rétrécissement des possibles de la parole et de l’imaginaire.
Ce texte définit également un cadre de mission et des objectifs pour les politiques culturelles menées conjointement par l’État et les collectivités territoriales. Ces questions ont suscité de longs débats et ne rassemblent pas, je le sais, toutes les sensibilités de votre assemblée. Comme l’a dit le sénateur Laurent, la navette nous permettra de poursuivre le travail engagé.
La clarification et la sécurisation des conditions d’emploi des artistes dans le spectacle vivant constituent un autre acquis du texte, lequel a été salué par tous.
Je me félicite également du travail important de votre assemblée sur la question des abords des monuments historiques et sur la prise en compte du patrimoine mondial de l’UNESCO, sujet sur lequel l’investissement de votre rapporteur, Mme Férat, et de tous les groupes a été très important.
Je salue aussi les avancées obtenues lors de nos échanges en séance sur le niveau de protection des espaces protégés et je me réjouis de poursuivre avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat sur ce sujet qui nous engage tous et qui vous passionne.
Enfin, les discussions ont aussi montré votre attachement, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, à l’architecture, art majeur qui structure le quotidien des Français. Votre assemblée l’a confirmé en rétablissant le seuil de recours à l’architecte tout comme elle a confirmé l’intérêt de l’expérimentation, chère à Sylvie Robert et à David Assouline.
Bien sûr, la majorité sénatoriale a souhaité marquer ce texte de son empreinte. Certaines dispositions nécessiteront de trouver un compromis avec l’Assemblée nationale au cours de la navette. Je pense, par exemple, à la politique de label dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques. Les débats sur ce sujet entre les différents courants qui constituent votre assemblée ont pu sembler difficiles.
Surtout, nous ne nous sommes pas retrouvés sur un point majeur : l’archéologie préventive. À cet égard, la rapporteur, Mme Férat, a clairement fait part de la position de la commission. Des discussions ont eu lieu ; elles doivent se poursuivre, afin d’aboutir, je l’espère, à un consensus d’ici à la deuxième lecture.
Avant de conclure, permettez-moi d’évoquer rapidement les moyens accordés à la culture, qui constitue une priorité et une ambition pour le Gouvernement. Nous le savons, le débat sur l’investissement que représente la culture et sur les moyens qu’il faut y consacrer n’est pas nouveau. Ainsi André Malraux se plaignait-il déjà à l’époque, dans le texte qui a été lu lors du cinquantième anniversaire de la maison de la culture d’Amiens auquel j’ai assisté samedi dernier, que le développement des maisons de la culture soit entravé par des cordons de la bourse tenus trop serrés par l’Inspection des finances. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil !
Si le budget de la culture a effectivement été mis à contribution pour assainir les finances publiques au début du quinquennat, il est aujourd'hui une priorité, ce dont je me réjouis dans la période actuelle. Je suis très fière de mettre en œuvre un budget en augmentation de 2,7 % cette année. C’est important de le dire, car cela signifie que nous aurons des moyens nouveaux pour la création. Et la création, comme cela a été souligné, c’est de l’humanité que nous réintroduisons dans la société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat va se poursuivre, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale ayant inscrit ce matin l’examen de ce projet de loi à l’ordre du jour dès le 21 mars prochain. Nous aurons donc l’occasion d’échanger très prochainement sur ce sujet. Pour ma part, je m’en réjouis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. Je tiens à renouveler mes remerciements aux trois secrétaires, Valérie Létard, Frédérique Espagnac et Jackie Pierre, qui ont veillé au bon déroulement du scrutin public solennel.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues, à respecter, au cours de nos échanges, ces valeurs essentielles du Sénat que sont l’écoute et le respect des uns et des autres.
projet de loi sur le travail
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC.
Mme Annie David. Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé le report de deux semaines de la présentation en conseil des ministres de la réforme du code du travail. Or, ce que nous demandons, c’est le retrait de ce texte ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est également la demande des 850 000 signataires de la pétition « Loi travail, non merci ! », des organisations syndicales – CGT, FSU, Solidaires ou FO –, de nombreux mouvements de jeunesse, y compris de votre propre parti, ou encore de nombreuses personnalités de gauche, monsieur le Premier ministre.
Toutes ces personnes, tous ces mouvements, qui connaissent le monde du travail, qui défendent les valeurs d’une gauche progressiste et sociale, vous demandent de ne pas persévérer dans la remise en cause des droits des salariés. Pourquoi ne pas les écouter ?
Après la loi Macron et l’extension du travail dominical, vous remettez aujourd’hui en question les protections dont bénéficient les travailleurs mineurs ou à temps partiel, les durées maximales de travail, qui pourraient être portées à soixante heures, la hiérarchie des normes ou encore le fractionnement des onze heures de repos par tranche de vingt-quatre heures !
Vous détruisez le code du travail, que vous jugez, comme M. Gattaz, trop protecteur pour les salariés. Mais écoutez nos concitoyennes et nos concitoyens, écoutez-les parler de leur travail, des souffrances qu’ils endurent ! Écoutez nos jeunes qui, rassemblés derrière le hashtag OnVautMieuxQueCa, racontent, dessinent, écrivent ce que le travail et la précarité leur font subir. Ces jeunes, qui nous donnent rendez-vous le 9 mars, ont raison : les salariés de notre pays méritent mieux que tout cela !
Oui, monsieur le Premier ministre, nous demandons le retrait de ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la sénatrice, un projet de loi a été préparé par la ministre du travail, Myriam El Khomri, et transmis au Conseil d’État. Il devait être présenté en conseil des ministres le 9 mars prochain. Nous avons considéré que nous pouvions nous donner quelques jours supplémentaires, ce qui nous permettra de recevoir de manière bilatérale, avec la ministre du travail et le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, l’ensemble des organisations syndicales et patronales au début de la semaine prochaine. Au début de la semaine suivante, je les recevrai de façon plénière pour leur présenter le fruit de ces discussions, qui devraient donner lieu à des propositions d’approfondissement, de modification du texte, à travers une lettre rectificative qui sera adressée au Conseil d’État, de manière que le texte puisse être examiné et adopté en conseil des ministres le 24 mars prochain.
Ce délai, nécessaire à la discussion et à la levée d’un certain nombre d’incompréhensions, permettra aussi de dénoncer certaines inexactitudes qui ont malheureusement pu être colportées et de corriger ce qui doit l’être.
Le texte sera examiné d’abord par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, sans doute au début d’avril, afin que les députés puissent en débattre en séance publique après les vacances parlementaires du même mois. À quelques jours près, il n’y aura donc pas de changement de date par rapport à ce qui avait été prévu.
Je souhaite dialoguer avec les organisations syndicales et patronales. Ce texte est issu d’une très longue réflexion, qui a débuté, pour le moins, lors de l’examen de la loi Macron et de la loi Rebsamen, puisqu’un débat sur les barèmes des prud’hommes s’était déjà tenu à cette occasion. À la suite de la censure du Conseil constitutionnel, il était clair pour tout le monde que ce sujet serait abordé dans le projet de loi sur le travail.
J’ai d’abord confié une mission à Jean-Denis Combrexelle sur la négociation dans l’entreprise, puis une autre à Robert Badinter sur les principes essentiels du droit du travail. Bon nombre d’éléments figurant dans leurs rapports respectifs ont été intégrés au texte.
À la suite de l’adoption par le Parlement du principe du compte personnel d’activité, une négociation s’est engagée, qui est dans la main des partenaires sociaux. Nous devrons sans aucun doute enrichir ce dispositif, en particulier au niveau du Parlement, à l’issue de la discussion avec ces derniers.
Par ailleurs, des avancées incontestables ont déjà été rendues possibles en matière de médecine du travail, de détachement de travailleurs, sujet qui suscite beaucoup d’inquiétudes, de négociation dans l’entreprise… Je fais en effet confiance à l’ensemble des partenaires sociaux.
C’est dans cet esprit que nous allons travailler. J’entends évidemment les slogans, les accusations des uns et des autres. Ma conviction est qu’il faut réformer, non pour le plaisir de le faire, mais pour donner plus de liberté aux entreprises. Qui d’entre vous n’a reçu, dans sa permanence, des responsables de petites ou moyennes entreprises qui expriment leurs réticences à embaucher en raison, notamment, des craintes que leur inspirent les procédures prud’homales ? Partons aussi de la jurisprudence dans ce domaine, marquée d’ailleurs par des disparités selon les départements.
Parallèlement, il faut assurer un certain nombre de protections aux salariés. Je récuse évidemment toutes les caricatures relatives à un retour au XIXe siècle. De quoi s’agit-il ? De donner aux entreprises davantage de liberté, de souplesse, de flexibilité et de renforcer la négociation en leur sein. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Cela était d’ailleurs au cœur du pacte de responsabilité et de solidarité que, pour votre part, vous n’approuvez pas, madame la sénatrice, et c’est tout à fait votre droit, mais qui a reçu le soutien du MEDEF, ainsi que celui des syndicats réformistes.
Par conséquent, il n’y aura pas de retrait du texte, mais nous sommes ouverts à son amélioration. Nous en maintenons bien sûr les principes et les axes, parce que c’est nécessaire pour le pays : il s’agit d’offrir plus de liberté aux entrepreneurs, plus de protection aux salariés, dans un monde économique qui a changé, avec l’« ubérisation » d’une partie de notre économie.
Voulons-nous oui ou non apporter des réponses aux jeunes qui sont au chômage, aux précaires qui ne trouvent pas d’emploi stable, aux chômeurs de longue durée ? Là est le débat de fond, que nous devons mener sereinement, tranquillement, mais avec beaucoup de détermination et de conviction.
M. Jean-Pierre Bosino. Pas de cette manière !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous voulons protéger les salariés, mais ma conviction est que nous devons aussi être capables, madame la sénatrice, de répondre aux attentes de tous ceux qui ne trouvent pas d’emploi. C’est le sens de ce projet de loi, que je suis déterminé à faire aboutir, dans un esprit d’écoute et de responsabilité. Le pays a besoin de cette réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour la réplique.
Mme Annie David. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre réponse, mais de quel dialogue parlons-nous ? Pourquoi n’avoir pas engagé plus tôt le dialogue social avec les organisations syndicales et pourquoi opposer la jeunesse aux salariés ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ce n’est pas ainsi, monsieur le Premier ministre, que vous allez moderniser notre code du travail. Oui, le code du travail a besoin d’être modernisé pour prendre en compte la révolution numérique en cours, qui bouleverse le monde du travail. Cette révolution numérique doit amener des progrès sociaux pour les salariés et non pas profiter seulement aux actionnaires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
prise en charge du revenu de solidarité active par l’état
M. Pierre Camani. Ma question, qui s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, porte sur la recentralisation annoncée par le Premier ministre du revenu de solidarité active.
Cette allocation, fille du RMI instauré en 1988 par le gouvernement de Michel Rocard, constitue une aide essentielle pour les personnes exclues du marché du travail. Elle contribue également à les accompagner dans un parcours d’insertion sociale.
Nous devons rester attachés au caractère national de cette allocation, qui ne saurait souffrir d’exceptions en fonction de singularités locales, au risque de rompre avec le principe républicain d’égalité et d’universalité des droits sociaux.
La gestion du RMI, devenu le RSA, a été confiée aux départements en 2004. Or, depuis cette date, l’État n’a pas compensé à juste hauteur les dépenses liées au transfert de cette compétence. Aujourd’hui, à titre d’exemple, le département que je préside est confronté à une situation financière sans précédent, qui le conduit à une impasse budgétaire, malgré des ratios de gestion positifs.
En effet, la progression des dépenses au titre du RSA est, pour une large part, responsable d’une très forte croissance du reste à charge pour la collectivité. Celui-ci était de 2 millions d’euros en 2008 ; il est de 22 millions d’euros en 2015, pour une dépense totale de 52,7 millions d’euros.
Ce manque à gagner s’ajoute à la chute des recettes départementales due à la suppression de ressources fiscales dynamiques hier, et à la baisse des dotations de l’État aujourd’hui.
Nous le savons tous, malgré les mesures positives prises par le Gouvernement en 2013 dans le cadre du pacte de solidarité, l’insuffisante compensation de la charge des allocations individuelles de solidarité entraîne une dégradation accélérée et structurelle des finances des départements, avec une incidence bien plus forte pour les départements les plus pauvres.
M. Hubert Falco. Parfaitement !
M. Pierre Camani. Les annonces faites par le Premier ministre jeudi dernier vont dans le bon sens et constituent une première réponse à ces difficultés. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. Non !
M. Pierre Camani. Il importe cependant d’aller plus loin, en définissant les règles d’une véritable péréquation qui tienne pleinement compte de la structure des ressources des départements, de leurs dépenses et des disparités fortes qui existent entre eux.
M. le président. Veuillez poser votre question !
M. Pierre Camani. Comment envisagez-vous la mise en œuvre de la péréquation dans le cadre de la recentralisation annoncée ?
M. Michel Bouvard. Ça y est, ça recommence !
M. Pierre Camani. Plus globalement, pourriez-vous apporter des précisions sur les mécanismes envisagés par le Gouvernement en vue d’une recentralisation du RSA ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur Pierre Camani, j’avais en effet annoncé, le 22 juillet dernier, la mise en place d’un groupe de travail avec l’Assemblée des départements de France sur le financement des allocations de solidarité. Ce groupe de travail a, depuis, établi un diagnostic partagé de la situation financière des départements, et étudié, parmi les pistes de solutions, la recentralisation du financement du RSA.
Nous n’ignorons rien, bien sûr, des difficultés financières rencontrées par les départements du fait de l’augmentation du nombre des bénéficiaires du RSA.
Nous devons refuser toutes les polémiques, les stigmatisations et les fausses solutions, qui n’ont pas manqué ces derniers temps et qui visent en permanence à rendre responsables de la situation financière les chômeurs ou les allocataires du RSA eux-mêmes.
M. Jean-Claude Carle. Et l’État !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Le Gouvernement entend réaffirmer avec force – Marisol Touraine a déjà eu l’occasion de le faire ici même – que la solidarité est l’essence même de notre pacte républicain et qu’elle fonde ainsi, d’une certaine manière, le rôle des départements.
Je tiens à rappeler que le Gouvernement a déjà agi avec volontarisme en décidant de revaloriser de 10 % le RSA sur cinq ans pour garantir la dignité de nos concitoyens les plus en difficulté, les plus pauvres.
Nous avons aussi amélioré l’incitation au retour de l’activité de ses bénéficiaires, avec la fusion du RSA activité et de la prime d’activité. Cela mérite également d’être rappelé.
Par ailleurs, j’ai confié une mission au député Christophe Sirugue, qui doit proposer, d’ici à la fin du mois de mars, des solutions en vue d’une simplification et d’une rationalisation des neuf minima sociaux existant aujourd’hui.
Dans ce contexte, j’ai rencontré jeudi dernier, avec Jean-Michel Baylet et Estelle Grelier, une délégation des présidents des conseils départementaux. Nous avons pris nos responsabilités en présentant une hypothèse de recentralisation qui permettrait de résoudre de manière pérenne la situation.
Nous avons proposé aux départements que l’État reprenne à sa charge le financement du RSA dans le cadre des débats qui auront lieu sur le projet de loi de finances pour 2017, sur la base des dépenses de l’année 2016. Nous avons proposé de préserver au maximum les recettes dynamiques des départements et de veiller à développer ce que l’on appelle la « péréquation horizontale » pour corriger les inégalités entre les départements.
Cela, je le souligne, représente un effort important de l’État, qui prendrait ainsi à sa charge l’intégralité de la croissance des dépenses de RSA en 2017.
En contrepartie, nous avons demandé que les départements s’engagent fortement en faveur de l’insertion, qui régresse malheureusement, pour garantir le bon accompagnement des bénéficiaires du RSA et leur sortie du dispositif.
C’est ainsi que nous pourrons contenir la dépense et offrir un avenir à celles et ceux qui sont aujourd’hui dans une situation de grande pauvreté.
Aujourd’hui même se tient une réunion de l’Assemblée des départements de France. Nos propositions sont sur la table. Si l’ADF accepte la méthode proposée, nous continuerons ce travail ensemble.
Je vous assure, monsieur le sénateur, que les membres du Gouvernement, en particulier Marisol Touraine, Jean-Michel Baylet, Estelle Grelier et Christian Eckert, seront attentifs à ces échanges, qui doivent permettre d’avancer vers une solution et d’en préciser les modalités de mise en œuvre, afin que les départements puissent faire face au défi financier qui s’impose à eux, que l’État puisse assurer la cohésion nationale et, surtout, que nous puissions apporter une réponse à ceux qui en ont le plus besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
politique agricole commune et zones intermédiaires
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe UDI-UC.
Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt ou à M. le Premier ministre. Elle porte sur l’inégale répartition des aides de la politique agricole commune pour les exploitations se situant dans les zones intermédiaires ou « à faible potentiel ».
Sur votre initiative, monsieur le ministre, la France a fait le choix de mettre en place la convergence des aides et le paiement redistributif, qui consiste à verser une dotation complémentaire pour les cinquante-deux premiers droits à paiement de base. La part allouée à ce paiement redistributif est progressive : elle était de 5 % en 2015 et atteindra 20 % en 2019.
On le constate aujourd’hui, cette réforme a des conséquences désastreuses dans les vingt-trois départements reconnus à faible potentiel agricole, représentant environ 2 millions d’hectares de terres situées dans un croissant allant de la Lorraine au Poitou.
Depuis trois ans, tous les systèmes de production de ces territoires sont pénalisés, jusqu’aux exploitations céréalières, dont 41 % ont enregistré un revenu négatif en 2015 en Côte-d’Or. Dans ces territoires à faible potentiel, les aides de la PAC sont historiquement inférieures à la moyenne nationale, à concurrence de 26 euros par hectare pour les grandes cultures, de 36 euros par hectare pour la viande bovine et de 49 euros par hectare pour la filière bovins-lait.
Ces écarts se sont encore aggravés depuis 2015 avec ce choix, unique en Europe, de la convergence des aides et de l’activation du paiement redistributif, qui crée des distorsions de concurrence inégalées entre les producteurs français et leurs concurrents européens.
Dans le contexte particulièrement défavorable que nous connaissons, monsieur le ministre, qu’envisagez-vous de faire pour réajuster les dispositifs existants ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Stéphane Le Foll, qui se trouve actuellement au salon de l’agriculture. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je vous remercie de me pousser dans les derniers retranchements de mes compétences (Sourires.) en abordant cette difficile question des zones dites « intermédiaires », où les rendements céréaliers sont plus faibles et les exploitations plus grandes que la moyenne. Ces zones sont indispensables et doivent donc être aidées.
Comme vous l’avez souligné, la réforme de la PAC a majoré l’aide aux premiers hectares, en instaurant une progressivité en pourcentage et dans le temps afin d’éviter des variations brutales.
Le ministre de l’agriculture a obtenu de l’Union européenne que des exploitations agricoles puissent être organisées sous forme sociétaire, ce qui correspond mieux au type d’exploitations concernées.
Dans ces zones, le risque d’abandon des activités d’élevage est réel, dans un contexte que chacun connaît.
Il convient, dès lors, de trouver des solutions spécifiques pour ces exploitations agricoles qui pratiquent très souvent la polyculture-élevage. Une expérimentation est en cours en Lorraine pour préciser les mesures agro-environnementales spécifiques qui pourraient être prises. En effet, la réduction des traitements phytosanitaires dans les exploitations plus spécialisées en céréales est rendue plus difficile en fonction de la nature des sols. C’est pourquoi le ministre de l’agriculture a plaidé auprès de la Commission européenne en faveur de l’adoption d’une mesure agro-environnementale spécifique, avec des objectifs adaptés. Une modification sera demandée pour l’année 2016, assortie d’engagements sur les cinq ans qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Je voudrais juste souligner que la profession attend que l’on établisse un bilan à mi-parcours, en 2017, de l’application de ce dispositif franco-français, dont on mesure aujourd’hui les conséquences désastreuses. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
traité transatlantique et agriculture
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Vasselle. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture, mais, comme M. Le Guen vient de le préciser, M. Le Foll se trouve actuellement au salon de l’agriculture… Je vais donc m’adresser à M. Fekl.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne sais pas si vous avez accompagné, le week-end dernier, le Président de la République et le Premier ministre au salon de l’agriculture. Ils ont pu à cette occasion mesurer le désespoir et la colère des agriculteurs face à la situation qu’ils vivent.
M. Didier Guillaume. Nul besoin d’y aller pour le savoir !
M. Alain Vasselle. Les agriculteurs restent circonspects quant aux mesures qui ont été annoncées par le Gouvernement pour tenter de répondre à la crise que traverse la profession. À cela vient s’ajouter une inquiétude supplémentaire liée à la négociation en cours du traité de libre-échange transatlantique entre les États-Unis et l’Europe. Ce traité suscite de nombreuses inquiétudes, notamment dans le monde agricole. L’agriculture ne doit pas faire les frais de cette négociation, ni en être la variable d’ajustement.
C’est dans cette perspective que notre collègue Sophie Primas a déposé, le 16 décembre dernier, au nom de la commission des affaires économiques, une proposition de résolution sur ce sujet et que notre collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, a déposé une proposition de loi, laissée sans suite.
Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous réellement conscience des enjeux de cette négociation ? Quelles décisions ou positions le Gouvernement compte-t-il prendre pour répondre à l’appel au secours de toutes les filières de la profession agricole et éviter que cette négociation n’ait pour elles des conséquences désastreuses ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Je vous remercie de votre question, monsieur Vasselle, qui concerne un sujet fondamental, sur lequel la Haute Assemblée a déjà beaucoup travaillé.
J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’être auditionné par les commissions compétentes et de m’exprimer dans cet hémicycle à propos de divers textes et travaux, qui, le plus souvent, ont donné lieu à des décisions consensuelles et à des votes unanimes de votre assemblée.
Avec Stéphane Le Foll, nous conduisons ce que nous avons appelé la « diplomatie des terroirs ». En effet, beaucoup de décisions qui affectent nos territoires – je suis moi-même élu d’un département rural, le Lot-et-Garonne – se prennent dans les instances internationales.
Nous sommes attentifs à la reconnaissance de nos indications géographiques et de nos appellations. Ce sujet essentiel est abordé dans le cadre des négociations, et nulle part ailleurs. Nos vins, nos productions laitières ou charcutières, notamment, ont besoin de cette reconnaissance. (Mme Frédérique Espagnac approuve.)
Nous sommes également attentifs à la défense de notre modèle alimentaire, car nous ne voulons en aucun cas voir arriver dans nos assiettes du bœuf aux hormones ou du poulet chloré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
Nous sommes attentifs enfin à ce que la juxtaposition des négociations ne vienne pas déséquilibrer encore un peu plus nos filières, au travers l’octroi de quotas. La semaine dernière, lors de son voyage en Amérique latine, le Président de la République a rappelé que, dans les négociations avec le Mercosur, nous serions en particulier attentifs à ce point.
Cela vaut aussi dans le cadre de la négociation du TAFTA, où la diplomatie des terroirs trouve à s’exprimer pleinement. L’agriculture est au cœur de nos priorités, elle représente l’une des lignes rouges pour la France. Je le redis devant vous : il n’y aura pas d’accord si nos demandes en matière agricole, à savoir la reconnaissance de notre modèle alimentaire et celle de nos appellations, ne sont pas prises en compte. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Didier Guillaume. Très bien ! Très clair !
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour la réplique.
M. Alain Vasselle. Nous pouvons bien entendu vous faire crédit des engagements que vous venez de prendre devant le Sénat, monsieur le secrétaire d’État, mais serez-vous soutenu, dans la négociation, par les autres pays européens ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) La France ne sera-t-elle pas minoritaire ? La politique agricole française ne sera-t-elle pas le dindon de la farce ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Si la gauche était majoritaire en Europe, ce serait mieux, en effet !
essais cliniques
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.
M. Gilbert Barbier. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
En janvier dernier, un essai clinique a conduit au décès d’un volontaire et à l’hospitalisation de cinq autres, dont quatre souffrent de lésions cérébrales plus ou moins profondes. L’enquête menée par l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, a révélé plusieurs failles : le laboratoire ne s’est pas tenu suffisamment informé de l’état de santé des premiers volontaires hospitalisés ; il a poursuivi l’essai sur l’ensemble des volontaires, alors qu’un premier patient avait été hospitalisé la veille ; il a tardé à signaler l’accident aux autorités, n’informant l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, des effets indésirables graves survenus lors de l’essai clinique que quatre jours après l’hospitalisation du premier volontaire.
En outre, selon certaines informations, les essais précliniques semblent entourés d’incidents, sans que cela soit rendu public. Aujourd’hui encore, de nombreuses questions restent sans réponse, d’autant que l’ANSM paraît se retrancher derrière le secret médical.
Madame la ministre, pouvez-vous éclaircir les zones d’ombre qui entourent encore ce dossier ? Par ailleurs, que comptez-vous faire pour encadrer ces essais cliniques afin que cet accident, certes exceptionnel, ne se reproduise pas ? (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez dit, c’est un accident gravissime qui s’est produit au début du mois de janvier à Rennes, puisqu’il a entraîné le décès d’un volontaire sain et l’hospitalisation de cinq autres. Ceux-ci vont mieux, mais restent suivis médicalement.
Ces circonstances obligent à faire la transparence la plus complète sur ce qui s’est passé. C’est la raison pour laquelle, indépendamment des enquêtes judiciaires en cours, deux enquêtes administratives ont été lancées, l’une sous la responsabilité de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’autre sous celle de l’Inspection générale des affaires sociales.
Les rapports définitifs n’ont pas encore été rendus, mais des rapports d’étape m’ont été remis. À ce stade, l’IGAS ne trouve pas d’explication crédible à l’accident qui s’est produit. En revanche, elle a souligné que des manquements graves avaient été observés dans le comportement du centre d’essais cliniques. C’est pourquoi j’ai d’ores et déjà adressé une instruction à toutes les agences régionales de santé, afin qu’elles rappellent à tous les centres d’essais cliniques leurs obligations en matière d’information des volontaires et d’information immédiate des autorités sanitaires en cas d’accident.
De la même manière, l’ANSM a réuni un comité d’experts internationaux, qui, au regard des informations dont nous disposons, considèrent que les essais précliniques répondaient aux normes et aux réglementations en vigueur. Cependant, d’autres enquêtes vont être réalisées.
J’attends donc que les rapports définitifs soient remis, monsieur le sénateur, mais toute la vérité doit être établie, et il n’est pas question de laisser le moindre élément dans l’ombre. J’ai pris cet engagement, et je le tiendrai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour la réplique.
M. Gilbert Barbier. Madame la ministre, une fois de plus, notre pays est frappé par un accident dû à des médicaments. Faut-il rappeler les affaires de l’Isoméride, du Distilbène, du sang contaminé, du Vioxx, du Mediator, de la pilule Diane 35 ou de la Dépakine ? Tous ces scandales conduisent nos concitoyens à douter de l’action menée par les pouvoirs publics en matière de contrôle des médicaments.
Plusieurs agences coexistent : la Haute Autorité de santé, la Commission de la transparence, le Comité économique des produits de santé… Mon collègue Yves Daudigny et moi-même essayons d’y voir un peu plus clair, mais nos concitoyens attendent davantage de transparence, afin que la politique menée en la matière soit compréhensible. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
octroi d'un statut d'économie de marché à la chine au sein de l'organisation mondiale du commerce
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
La Chine connaît, depuis plusieurs mois, un net ralentissement de sa croissance économique. Actuellement en situation de surproduction sidérurgique, ce pays déverse sur le marché mondial des centaines de millions de tonnes d’acier à prix cassés, mettant ainsi en danger des dizaines de milliers d’emplois en Europe.
Parallèlement, la Chine réclame haut et fort un changement de statut au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, pour obtenir celui d’économie de marché, qui lui permettrait d’esquiver les nombreuses procédures anti-dumping dont elle fait l’objet de la part de l’Union européenne.
Sur ce sujet crucial pour notre économie, c’est la Commission européenne qui conduit, seule, les négociations pour l’ensemble des pays de l’Union. Soucieuse de ne pas s’aliéner les bonnes grâces de la Chine, elle tient des propos assez ambigus et fait preuve de beaucoup d’opacité sur l’état actuel des pourparlers. De leur côté, la plupart des États membres évitent de s’exprimer sur le sujet, redoutant sans doute d’éventuelles mesures de rétorsion à leur endroit.
Alors, monsieur le secrétaire d’État, afin d’éviter de se retrouver dans une situation encore plus embarrassante que celle qui prévaut pour le TTIP, ne serait-il pas pertinent que la France demande la réalisation d’une véritable étude d’impact, par secteur et par pays, ainsi que l’inscription de ce sujet à l’ordre du jour du prochain Conseil européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail réalisé, sur ce sujet, par le Parlement. Il est indispensable pour faire la transparence et donner aux Français les informations auxquelles ils ont droit. Le Gouvernement y est lui aussi très attaché.
Emmanuel Macron et moi-même suivons de très près, au sein des différents conseils des ministres de l’Union européenne concernés, la question que vous avez soulevée, monsieur le sénateur.
La Chine a adhéré à l’OMC en 2001. C’est d’ailleurs l’une des dernières grandes économies mondiales à avoir rejoint cette organisation multilatérale. Elle était alors caractérisée comme une économie en transition. La question se pose maintenant de savoir si le statut d’économie de marché doit lui être attribué ou pas.
Effectivement, la Commission européenne est chargée des négociations, que la France, comme d’autres pays, suit de près.
Sur la méthode, conformément à ce que vous souhaitez, la France a déjà demandé, par ma voix et celle d’Emmanuel Macron, la réalisation d’analyses juridiques et économiques, ainsi que d’études d’impact, pour connaître précisément les effets qu’une telle décision entraînerait sur l’emploi en France et en Europe. Ce qui est en jeu, c’est l’application des règles anti-dumping.
Sur le fond, nous sommes très attentifs à ce que nous puissions continuer à mettre en œuvre des règles anti-dumping pour protéger notre industrie, selon un principe de réciprocité que nous défendons activement dans toutes les négociations commerciales. Nous nous coordonnons avec nos partenaires européens et au sein du G7 pour avancer sur ce sujet. C’est au niveau européen que tout se joue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.
M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Cette question des études est essentielle. La commissaire européenne au commerce, Mme Malmström, a récemment évoqué la perte de 73 000 à 188 000 emplois, tandis que l’Institut de politique économique de Washington estime qu’entre 1,7 million et 3,5 millions d’emplois seraient mis en péril en Europe.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. André Gattolin. On raille souvent les divergences, en matière de décompte des manifestants, entre les chiffres de la police et ceux des organisateurs, mais là, l’écart est de un à vingt ! Nous avons besoin de davantage d’éléments sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
revalorisation de l’allocation personnalisée d'autonomie
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Catherine Génisson. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé et porte sur la réforme de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA.
La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement est une grande loi, qui a largement rassemblé sur l’ensemble de nos travées, notamment grâce à l’action de ses deux corapporteurs, MM. Labazée et Roche.
Cette loi réforme, entre autres mesures, l’APA à domicile, afin de permettre aux personnes âgées qui le souhaitent et le peuvent de rester dans leur cadre de vie habituel. La loi allège les procédures, réduit les délais d’attribution de l’allocation et simplifie son versement, clarifie les modalités de revalorisation des plafonds et assure une meilleure prise en compte des besoins et des attentes des bénéficiaires, avec une évaluation globale de la situation de ces derniers et de leurs proches aidants.
Cette évaluation doit permettre à l’équipe médico-sociale du département de diversifier le contenu des aides couvertes par l’APA : accueil temporaire, aides techniques, autres aides utiles au bénéficiaire et à l’aidant.
La loi prévoit une revalorisation des plafonds nationaux des plans d’aide, ainsi qu’une réforme du barème de participation financière des bénéficiaires, visant à alléger le reste à charge pour ceux dont le plan d’aide est supérieur à 350 euros. Ces mesures permettront de mieux répondre aux attentes des personnes ayant d’importants besoins d’aide et de respecter leur projet de vie.
La loi renforce aussi le soutien aux proches aidants et leur reconnaissance, afin de leur permettre de mieux remplir leur rôle auprès de leurs proches et de prévenir leur épuisement.
Toutes ces dispositions, mises en œuvre par décret, entrent en vigueur aujourd’hui même. Je vous demande donc de bien vouloir éclairer la représentation nationale sur les modalités d’application de ces mesures très attendues par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice Génisson, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement doit entrer en application avant le 1er juillet 2016.
Le décret de revalorisation de l’APA a été publié ce dimanche. Il a effectivement des conséquences majeures pour le bien-être de nos concitoyennes et concitoyens bénéficiaires de cette allocation.
Auparavant, l’importance du reste à charge pouvait conduire certaines personnes à renoncer à l’aide, ce qui entraînait une aggravation de la perte d’autonomie. Grâce aux améliorations que nous apportons au dispositif, les bénéficiaires disposant de moins de 800 euros de revenus mensuels seront exonérés de participation financière. Plus de 600 000 bénéficiaires de l’APA à domicile profiteront ainsi d’une augmentation de leur pouvoir d’achat.
Avec cette réforme, le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie est favorisé. En outre, comme vous l’avez dit, les proches aidants sont mieux soutenus et enfin reconnus.
M. Didier Guillaume. Absolument !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Il s’agit d’un progrès pour de nombreuses familles, en particulier pour les foyers les plus modestes.
L’État finance entièrement la revalorisation de l’APA, ce qui représente un effort de 375 millions d’euros. Il incombe aux départements de mettre en œuvre la réforme le plus rapidement possible. Marisol Touraine et moi-même serons à leur côté.
Par ailleurs, le décret met en place un certain nombre de dispositifs allant dans le même sens. Ce sont des mesures de justice sociale, visant à faciliter le quotidien des personnes âgées et à soutenir leur entourage. Avec cette loi, nous avons pris nos responsabilités ! Nous les prenons aussi s’agissant de sa mise en œuvre : nous sommes au rendez-vous du défi démographique et humain du vieillissement de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
projet de loi sur le travail
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Houpert. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, la situation économique de la France la place, comme l’a rappelé récemment l’un de vos ministres, dans le groupe des quatre pays européens qui ont détruit des emplois. Triste bilan !
Votre annonce du projet de loi sur le travail témoignait d’une réelle prise de conscience, celle de la nécessité de faire du travail le cœur du mérite républicain, de la nécessité de faire de la formation des apprentis une voie d’avenir. Vous avez aussi fait le constat de l’erreur des 35 heures.
Votre détermination paraissait sans faille. « J’irai jusqu’au bout ! » déclariez-vous il y a quelques jours sur les ondes. La promesse n’aura tenu que quatre jours…
Malgré une situation économique catastrophique, sous les pressions des syndicats et de la gauche conservatrice, vous n’avez fait qu’un pas en avant, avant d’en faire deux en arrière…
L’un de vos ministres, que vous identifierez peut-être, a fait la déclaration suivante dans le Journal du dimanche de ce week-end : « La France a l’habitude des projets lancés sur des enjeux réels, mais qui, mal emmanchés, finissent dans la crispation et l’omerta politique. »
Monsieur le Premier ministre, assisterons-nous, une fois de plus, à une reculade consistant à annoncer une réforme que vous prendrez soin de vider de son contenu ?
Si la loi Macron se résume à trois bus, deux dimanches et une attaque en règle contre les notaires, pour reprendre la formule d’un quotidien du soir, la loi El Khomri se résumera-t-elle à un compte Twitter ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Au Sénat, nous ne sommes pas là pour commenter les journaux, mais pour faire des propositions !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur Houpert, je vois que vous lisez les journaux du soir et du dimanche et que vous savez les commenter de manière circonstanciée… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Emmanuel Macron, que vous avez cité sans le nommer, a eu raison d’insister sur le fait que nous n’avons pas encore tout essayé. Quand on fait face à un tel niveau de chômage, il faut agir sur tous les leviers.
Le chômage touche 3,5 millions de travailleurs, soit 10 % de la population active. Dans notre pays, il présente des caractéristiques très particulières et inquiétantes : son taux est deux fois plus élevé chez les jeunes – il atteint 24 % ; il n’est jamais descendu en dessous de 8 % depuis trente ans, même en période de forte croissance ; sa durée moyenne ne cesse de s’allonger, pour s’établir aujourd’hui à 540 jours.
Devant ce constat, plutôt que de s’invectiver et de se renvoyer les responsabilités, il faut agir sur tous les paramètres.
Il convient d’abord d’améliorer la compétitivité. Tel est le sens du CICE et du pacte de responsabilité et de solidarité, qui faisaient suite aux préconisations du rapport Gallois. Le différentiel avec l’Allemagne, en particulier depuis une quinzaine d’années, s’explique avant tout par un écart de compétitivité.
Il convient ensuite de conforter la formation et l’apprentissage. Hier, la ministre du travail a rencontré les présidents de région, qui auront davantage de responsabilités dans ce domaine. Il importe de mobiliser l’ensemble des acteurs afin d’accroître l’offre de formation, en particulier à destination des jeunes et des chômeurs de longue durée.
Enfin, il convient d’agir sur le marché du travail, pour prendre en compte les changements économiques que nous connaissons et donner plus de liberté, de souplesse, d’agilité aux entreprises, notamment petites et moyennes. J’observe d’ailleurs que celles-ci, où travaille l’immense majorité de nos concitoyens et qui sont le plus susceptibles de créer des emplois, n’ont pas nécessairement d’actionnaires, madame David ! Nous devons entendre les attentes des chefs d’entreprise.
Parallèlement, il nous faut aussi assurer aux salariés de nouvelles protections et de nouveaux droits à la formation tout au long de la vie. Les mesures figurant dans le projet de loi méritent d’être approfondies, à la suite des discussions qui ont eu lieu entre les partenaires sociaux sur le compte personnel d’activité.
Vous parlez de reculade, monsieur le sénateur, alors que je n’ai fait que me donner quelques jours de plus avant la présentation du texte en conseil des ministres, en particulier pour approfondir les échanges avec les partenaires sociaux !
Un sénateur du groupe Les Républicains. Pas sûr que ce soit la raison…
M. Manuel Valls, Premier ministre. À quelques jours près, le calendrier parlementaire prévu sera respecté. Nous souhaitons que la loi puisse être adoptée avant l’été, mais il ne s’agit ni de passer en force, ni de reculer.
Au fond, que certains demandent le retrait du texte et que d’autres invoquent à tort une reculade montre bien l’ampleur des blocages et des conservatismes qui existent dans notre pays, à gauche comme à droite !
Nous devons agir et avancer ensemble, en concertation avec les partenaires sociaux. Plus nos entreprises seront en mesure de recruter, mieux les salariés seront formés, plus il y aura de négociations au sein des entreprises – on voit bien que les négociations interprofessionnelles ou de branche ne suffisent pas –, meilleure sera la situation de l’emploi.
Je vous demande, monsieur le sénateur, de juger notre action sur les faits et sur le texte qui sortira du conseil des ministres et sera soumis à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est en fonction de la réalité de ce que proposera le Gouvernement que chacun devra prendre ses responsabilités, et non pas sur la base de je ne sais quels procès d’intention ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour la réplique.
M. Alain Houpert. Monsieur le Premier ministre, vous venez de faire l’aveu de l’échec de votre politique ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Le bilan est simple : depuis quatre ans, vous n’avez engendré que du désespoir, qu’il s’agisse des agriculteurs, des médecins, des notaires, des gardiens de prison, des enseignants, des indépendants, et maintenant des salariés ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
insécurité à mayotte
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Abdourahamane Soilihi. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, il ne se passe jamais un mois, un jour, voire une demi-journée, à Mayotte, sans que l’on entende ou lise, dans les médias, le compte rendu d’actes de violence, à tel point que s’est créé un « collectif des citoyens inquiets de Mayotte », qui vous a d’ailleurs adressé un message fort au travers d’une pétition visant à attirer votre attention sur le fait que le niveau d’insécurité dans cette île a atteint le seuil d’alerte. Cette pétition a réuni plus de 12 000 signatures, ce qui est assez important.
Les Mahorais demandent au Gouvernement des mesures d’urgence, que j’ai moi aussi réclamées par mes nombreuses interpellations dans cet hémicycle.
Depuis 2014, la délinquance explose, le nombre des agressions physiques a augmenté de 50 %, et près de 35 % des délinquants sont mineurs. Un sous-préfet a même été récemment cambriolé ! (Exclamations sur diverses travées.)
Cette situation a été rappelée par les autorités judiciaires lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance, le 11 février 2016.
L’insuffisance des moyens de lutte contre ce fléau, tant en matériels qu’en personnels, est criante et le travail des policiers sur place s’avère de plus en plus difficile.
Le sentiment d’insécurité se développe et des mouvements sociaux se laissent pressentir. Monsieur le ministre, que prévoit concrètement le Gouvernement pour rétablir la paix sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord de vous demander d’excuser Bernard Cazeneuve, qui est actuellement à l’Assemblée nationale pour défendre le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement est tout à fait conscient du niveau important de la délinquance à Mayotte. C’est la raison pour laquelle il a dépêché dans ce département une mission conjointe de l’Inspection générale de la police nationale et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale afin d’évaluer le dispositif de sécurité intérieure.
Cette mission a commencé ses travaux à la fin de l’année 2015. Ils portent plus particulièrement sur l’évaluation de l’organisation des forces de sécurité à Mayotte, sur l’implication des collectivités territoriales dans les politiques de sécurité et de prévention, notamment en matière de délinquance des mineurs, et sur l’évaluation des moyens mis en place, tant du point de vue opérationnel que du point de vue des ressources humaines.
Son rapport sera rendu public dans quelques jours et servira de base à la définition des mesures que le Gouvernement mettra en place, au-delà de ce qui a déjà été fait.
Je vous signale que le ministre de l’intérieur a annoncé la création à Mayotte d’un peloton d’intervention composé de trente gendarmes qui, dès cet été, contribueront de manière importante à la lutte contre la délinquance.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, la sécurité quotidienne de nos concitoyens et la lutte contre les formes les plus violentes et les plus organisées de la criminalité constituent une priorité du Gouvernement, tant sur le territoire métropolitain qu’à Mayotte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi, pour la réplique.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends bien, mais, entre missions d’inspection et législation par voie d’ordonnances en boucle, les habitants de Mayotte ne s’y retrouvent pas dans les mesures politiques proposées par le Gouvernement !
Pour ma part, je demande que le Gouvernement déploie de réelles mesures pour lutter efficacement contre ce phénomène d’expansion de la délinquance par des actions de démantèlement des réseaux et des bandes, afin de traduire leurs membres devant la justice ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
tarifs des notaires
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste et républicain. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre de l’économie, vous apportez un soin particulier à la bonne application et à l’évaluation de la mise en œuvre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques que vous avez défendue devant le Parlement et fait voter l’année passée.
Ce matin même, vous avez réuni les deux commissions spéciales chargées du suivi de l’application des mesures de ce gros texte, pour leur rendre compte de l’avancement de la parution des décrets et des ordonnances.
Ma question concerne directement les Français, puisqu’elle porte sur la baisse des tarifs des professions réglementées, sur les possibilités de remise désormais ouvertes aux notaires, sur la baisse des tarifs applicables à certaines transactions immobilières, en particulier dans les zones rurales, s’agissant des terrains agricoles et des forêts, et sur la libre installation de ces professionnels, qui devrait assurer la création d’une offre de services de proximité là où elle n’existe pas forcément aujourd’hui.
Monsieur le ministre, vous nous avez remis ce matin un très intéressant document (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) : profitez de cette occasion pour en faire connaître le contenu à tous les Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous rassurer : tous les parlementaires recevront ce document qui retrace l’application du texte. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sur les 308 articles qui composent cette loi, 60 % étaient d’application directe et 40 % supposaient la prise de mesures réglementaires : soixante-quinze des quatre-vingt-cinq décrets nécessaires ont été publiés ou le seront avant la fin du mois de mars. La prise des dix autres décrets dépend soit de l’adoption d’autres textes législatifs, comme la loi pour une République numérique, soit d’une concertation avec les ministères chargés des transports et des affaires sociales, soit de l’avis que doit rendre la Commission européenne sur certains points.
Nous sommes donc au rendez-vous de la mise en œuvre du texte que vous avez voté et des mesures que vous avez voulu prendre.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué le cas particulier mais important des notaires, dont les tarifs n’avaient pas été modifiés depuis plus de trois décennies, tandis que leurs règles d’installation relevaient encore d’une ordonnance royale !
En ce qui concerne les tarifs, nous avons amélioré la transparence, en retenant des éléments clairs pour déterminer les règles tarifaires, prévu une révision tous les deux ans et décidé une baisse des tarifs de 2,5 % en moyenne pour les huissiers et les notaires et de 5 % pour les greffiers des tribunaux de commerce.
Une remise de 10 % est désormais permise pour tous les biens d’une valeur supérieure à 150 000 euros, ce qui représente la moitié des transactions immobilières. Surtout, pour les transactions les plus modestes, nous avons plafonné à 10 % du coût total du bien le montant des frais de notaire, avec un minimum de 90 euros. Cette mesure permettra de faciliter les transactions pour des biens tels que des places de parking, des parcelles, des caves, qui ne se vendaient pas parce que le montant des frais était supérieur au prix du bien.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Emmanuel Macron, ministre. Cela va accroître le volume de transactions pour ces biens. Nous porterons une attention particulière à l’équilibre financier des offices notariaux ruraux. Le fonds de péréquation a été créé par décret et la libre installation sera effective sur la base de la carte qui sera remise par l’Autorité de la concurrence au mois de mai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous indique que nous avons dépassé hier le chiffre de 300 000 abonnés au site Sénat Info. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne ferai pas de comparaison, mais ce n’est pas mal ! (Sourires.)
Les prochaines questions d’actualité auront lieu le mardi 8 mars, de seize heures quarante-cinq à dix-sept heures trente, et seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Je vais suspendre la séance. Elle sera reprise à dix-sept heures quarante-cinq, pour la discussion de la question orale avec débat sur la situation des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel, le CESU, en cas d’arrêt pour maladie.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
Présidence de Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
Mme Valérie Létard.
Mme la présidente. La séance est reprise.
10
Situation des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel, CESU, en cas d’arrêt pour maladie
Discussion d’une question orale avec débat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 12 de M. Jean Desessard à M. le secrétaire d’État, auprès de M. le Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification sur la situation des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel, CESU, en cas d’arrêt pour maladie.
La parole est à M. Jean Desessard, auteur de la question.
M. Jean Desessard, auteur de la question. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dispositif du chèque emploi service, remplacé en 2006 par le chèque emploi service universel, CESU, a eu vingt ans en décembre 2014.
Le principe est simple : ce titre spécial de paiement permet de régler des prestations de services à la personne à domicile et de garde d’enfants à l’extérieur du domicile.
Ce dispositif présente plusieurs avantages, tant pour l’employeur que pour le salarié.
L’employeur peut adhérer et déclarer ses salariés en ligne, le Centre national du chèque emploi service universel, le CNCESU, effectuant ensuite le calcul et le prélèvement des cotisations, puis adressant une attestation d’emploi au salarié, ce qui dispense l’employeur d’établir une fiche de paie.
L’employeur bénéficie également d’un avantage fiscal, qui peut prendre la forme d’une réduction ou d’un crédit d’impôt pouvant atteindre la moitié des sommes versées, dans la limite d’un plafond de 12 000 euros, soit un avantage fiscal de 6 000 euros par an. Ce plafond est relevé à 20 000 euros pour les personnes invalides à plus de 80 %.
Ainsi, les démarches déclaratives sont simplifiées, l’utilisateur bénéficie des avantages fiscaux liés à l’emploi d’une aide à domicile et l’ensemble des documents sont accessibles en ligne.
Pour le salarié aussi, le CESU a permis des progrès importants. Il est assuré d’être bien déclaré, puisque le CNCESU lui délivre directement son attestation d’emploi. Il bénéficie de la convention collective des salariés de particuliers employeurs et il peut prétendre à la formation professionnelle, à des indemnités de congés payés et à une couverture maladie. Il cotise pour sa retraite, pour le chômage et il est couvert en cas d’accident du travail.
Grâce à cette simplicité exemplaire et aux avantages qu’il confère aux employeurs et aux salariés, le CESU a permis de simplifier les modalités d’emploi à domicile et de faire reculer considérablement la non-déclaration des employés.
En 2014, selon les derniers chiffres consolidés fournis par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, 1 944 672 particuliers employeurs ont eu recours au CESU pour déclarer 961 310 salariés, et près de 2,23 milliards d’euros de cotisations ont été recouvrés à ce titre.
Toutefois, si le CESU a permis de nombreuses avancées, il reste encore du chemin à parcourir, notamment en ce qui concerne la simplification des démarches pour les salariés en cas d’arrêt pour maladie.
Lorsqu’un salarié « classique » qui travaille dans une entreprise privée tombe malade, les démarches sont assez simples. Il récupère un arrêt de travail auprès de son médecin, puis fournit les volets 1 et 2 de ce document à sa caisse primaire d’assurance maladie et le volet 3 à son employeur dans un délai de quarante-huit heures. Celui-ci se charge ensuite d’envoyer à la CPAM une attestation de salaire, qu’il a téléchargée en ligne.
Un salarié rémunéré au moyen du CESU, quant à lui, relève non pas d’un seul employeur, mais de plusieurs. Un jardinier ou un professeur à domicile peuvent ainsi avoir une dizaine d’employeurs différents. J’emploie ces exemples à dessein, puisque ce sont les salariés qui ont, en moyenne, le plus grand nombre d’employeurs. En cas d’arrêt pour maladie, le salarié doit s’assurer que chacun de ses employeurs télécharge une attestation de salaire en ligne et la retourne signée à la caisse primaire d’assurance maladie. Si un seul de ces documents manque, le salarié n’est pas indemnisé.
Or les employeurs à domicile peuvent être des personnes âgées, ne disposant pas d’un accès à internet, ce qui rend les démarches difficiles. Cette situation désavantage très fortement les salariés rémunérés au moyen du CESU par rapport aux salariés « classiques » du privé. À la précarité, aux horaires compliqués, aux difficultés de déplacement viennent ainsi s’ajouter des difficultés supplémentaires pour être indemnisé en cas de maladie ; cela n’est pas acceptable. Le salarié malade est obligé de solliciter ses différents employeurs pour leur expliquer que chacun d’entre eux doit envoyer une attestation de salaire à la CPAM.
Or, une solution simple existe.
Dès lors que le dispositif du CESU collecte déjà toutes les informations concernant les salaires et les cotisations en ligne, sur un site internet unique, pourquoi ne pas organiser un échange d’informations automatique entre le CNCESU, d’une part, et les CPAM, d’autre part ?
Cette solution est simple, peu coûteuse et rapide à mettre en œuvre. Je souligne qu’elle entre complètement dans le champ du « choc de simplification » voulu par le Gouvernement depuis 2012, et dont je rappelle la finalité affichée : faciliter la vie quotidienne des entreprises et des particuliers, bâtir une relation de confiance entre l’administration et ses usagers, favoriser un gain collectif de temps et d’argent. Faciliter la vie des salariés rémunérés au moyen du CESU relève pleinement de cet objectif.
Voici les deux feuillets à remplir (L’orateur brandit des documents.), qui comportent les mêmes données. Il suffirait donc d’établir entre eux un lien informatique.
En conclusion, le groupe écologiste appelle le Gouvernement à organiser cet échange d’informations automatisé, afin que tous les salariés puissent être traités sur un pied d’égalité face à la maladie. Les travailleurs précaires ne doivent pas être obligés d’effectuer des démarches supplémentaires. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, au travers de sa question portant sur l’indemnisation, en cas d’arrêt pour maladie, des salariés rémunérés par le biais du CESU, M. Desessard nous propose de remédier à ce qui est, à ma connaissance, l’une des seules difficultés techniques relatives à un dispositif dont la facilité d’utilisation par ailleurs extraordinaire mérite d’être soulignée.
Instauré voilà maintenant dix ans pour lever les obstacles au recours aux services à la personne, jugé à la fois trop coûteux et trop compliqué par des particuliers peu enclins à endosser le rôle d’employeur et son lot de formalités, le CESU a formidablement rempli sa mission de simplification, c’est le moins que l’on puisse dire. Toutefois, rien n’étant parfait, il semblerait qu’il y ait au moins encore un aspect à améliorer !
Madame la secrétaire d’État, si tant est que cela soit possible, comme le laisse à penser la proposition de notre collègue, allons jusqu’au bout et levons cette dernière difficulté !
Il le faut, car c’est bien la simplicité d’utilisation du CESU qui a fait son succès et permis d’accompagner la croissance des services à la personne ces dernières années.
Le taux de natalité élevé, le vieillissement de la population française et l’émergence de la problématique de la dépendance, mais aussi la recherche d’un nouvel équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, ont contribué à ce que les Français soient toujours plus demandeurs de services de garde d’enfants, de travaux ménagers ou de jardinage, de soutien scolaire ou encore, bien sûr, d’assistance aux personnes âgées et aux personnes handicapées.
Ces multiples activités, regroupées sous la dénomination « services à la personne », se caractérisent par une relation d’emploi direct, c’est-à-dire par l’existence de particuliers employeurs.
Les gouvernements successifs, conscients de l’existence d’un enjeu essentiel pour notre société, mais percevant aussi celle d’opportunités considérables en matière d’emplois, non délocalisables de surcroît, ont cherché à créer les conditions du développement de ces activités, notamment en simplifiant, au moyen du CESU, les démarches pour les particuliers employeurs. Ceux-ci n’ont plus aujourd’hui qu’à déclarer, chaque mois, le nombre d’heures travaillées par leur salarié, et c’est le CNCESU qui s’occupe du reste, à savoir le calcul des cotisations sociales et l’établissement des attestations d’emploi. Pour avoir recours moi-même à ce dispositif, je puis garantir qu’il n’y a rien de plus simple !
Si le dispositif est aussi simple pour le particulier, il serait souhaitable qu’il le soit également pour le salarié. C’est pourquoi j’approuve la proposition faite par M. Desessard, car, pour l’heure, en cas d’arrêt pour maladie, le salarié doit non seulement envoyer dans les quarante-huit heures le volet 3 de sa feuille d’arrêt pour maladie à l’ensemble de ses employeurs, souvent nombreux, mais également faire signer à chacun d’entre eux une attestation d’emploi, qu’il faut préalablement télécharger en ligne sur le site de l’assurance maladie, avant de la renvoyer à la CPAM.
S’il n’y a là rien d’insurmontable, on peut néanmoins légitimement penser que cette procédure peut vite se transformer en parcours du combattant pour le salarié malade, d’autant que les employeurs sont dans la plupart des cas des personnes âgées peu aguerries à l’usage d’internet. Or si un seul des documents manque, le salarié ne peut être indemnisé.
C’est la raison pour laquelle il est important de lever cette dernière difficulté, car la lutte contre le travail au noir et, partant, la protection des salariés étaient aussi, précisément, l’objet du dispositif. Le CESU devrait représenter pour les salariés l’assurance de bénéficier d’une couverture sociale ; il est impératif de leur garantir les mêmes droits qu’aux autres, et non des droits sociaux au rabais.
Toutefois, il faudrait peut-être reconnaître que nous avons sans doute atteint la limite de la simplification s’agissant du CESU et que les véritables problèmes à traiter sont ailleurs.
En effet, force est de constater que la « révolution des services à la personne » que l’on nous avait annoncée n’a pas eu lieu. Depuis 2010, on constate un fléchissement de la demande, qui ne fait que s’accentuer. En 2015, le nombre moyen d’heures déclarées par employeur et le nombre d’employeurs ont encore diminué. Seul le secteur des services aux personnes âgées de soixante-dix ans et plus, qui sont aussi les dernières à bénéficier de l’exonération des cotisations patronales, est encore en croissance.
Se pose donc, inévitablement, la question de la solvabilisation de la demande en services à la personne, alors que le pouvoir d’achat des ménages s’est réduit et que, dans le même temps, les collectivités territoriales, notamment les départements, qui financent les aides sociales à destination des personnes âgées et des personnes handicapées, telles que l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, et la prestation de compensation du handicap, la PCH, subissent de très fortes « turbulences budgétaires ».
Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les avantages fiscaux et exonérations de charges, qui ont aussi été une des clés du succès du dispositif du CESU, sont progressivement remis en cause. Je viens d’évoquer l’exonération de cotisations patronales, qui concerne désormais uniquement les services rendus à domicile à des publics dits « fragiles », c’est-à-dire les personnes âgées de plus de soixante-dix ans ou éligibles à l’APA ou à la PCH. Je ne saurais être complet sans mentionner la suppression, en 2013, de la déclaration au forfait, qui a eu pour effet une accélération de la baisse d’activité. On peut s’attendre, par conséquent, à une augmentation parallèle du travail au noir et, de fait, à un recul en matière de protection des salariés.
Enfin, le secteur des services à la personne n’a pas réussi sa mue, dans la mesure où il n’est pas plus attractif aujourd’hui qu’il ne l’était il y a dix ans. En effet, malgré les déclarations d’intention en faveur de l’amélioration de la qualité de l’accompagnement, et donc de la professionnalisation du secteur, je suis au regret de devoir constater que l’on n’a pas réussi à faire des services à la personne un métier à part entière, un vecteur de qualification et de carrières professionnelles. À des conditions de travail difficiles et marquées par des déplacements fréquents s’ajoutent la problématique des temps partiels subis, la faiblesse de la rémunération, le manque de perspectives et les difficultés d’accès à la formation professionnelle.
Pourtant, les besoins, eux, n’ont pas diminué. Les discussions récentes sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement ont été l’occasion de rappeler qu’ils sont immenses. Le secteur est toujours porteur d’opportunités en matière d’emploi, d’autant que de nombreux départs à la retraite sont programmés jusqu’en 2020.
En outre – incroyable, mais vrai ! –, alors que nous connaissons un taux de chômage record, les entreprises de services à la personne qui se sont développées ces dernières années peinent à recruter des collaborateurs qualifiés !
En conclusion, si je n’avais qu’une préconisation à formuler, ce serait d’accélérer la mise en place de formations qualifiantes pour ces métiers, ce qui permettrait par ailleurs d’orienter vers ceux-ci les demandeurs d’emploi intéressés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux tout d’abord souligner que ce débat constitue une formidable occasion pour mettre en exergue un outil de simplification. Comme vous le savez, le CESU a été institué par le plan Borloo et la loi du 26 juillet 2005. En se fixant un objectif de simplification administrative et d’accompagnement de notre société dans les grandes évolutions qui la structurent, ce dispositif s’est voulu résolument ambitieux.
Le défi semble relevé puisque, dix ans après sa création, les services à domicile ne se sont jamais aussi bien portés.
Madame la secrétaire d'État, le chèque emploi service universel dont nous discutons aujourd’hui est le symbole le plus évocateur de la croissance soutenue de tout un secteur. Depuis plus de vingt ans, les activités de services ont vu leur champ d’action s’agrandir et s’étoffer.
Les facteurs expliquant cette évolution sont nombreux : le vieillissement de la population française en est un parmi d’autres. Nous vivons mieux, plus longtemps, et cela se traduit naturellement par un certain nombre de transformations sociétales.
Nul ne saurait fermer les yeux sur les évolutions qui ont transformé notre société. Elles sont multiples : croissance de l’économie de services, transformation des rapports humains, bouleversements liés à l’allongement de la durée de vie et à l’affirmation du travail féminin.
L’emploi à domicile répond en cela aux préoccupations quotidiennes de plus de dix millions de nos concitoyens, qu’ils soient confrontés aux défis de la conciliation des agendas, de la garde des enfants, de l’aménagement des nouvelles activités périscolaires, de l’autonomie, de l’indépendance ou encore du handicap. Il y a, pour ainsi dire, autant de situations de vie contraignantes que de cas individuels. Les familles, les ménages et l’individu citoyen expriment des besoins auxquels nous devons apporter des réponses claires.
Le CESU en est une. Il s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans cette logique de simplification du quotidien de nos concitoyens. Il est, à vrai dire, l’exemple le plus évocateur de la croissance régulière des services à domicile. Pour tout un secteur d’activité, le chèque emploi service est la manifestation évidente de ce que doit être la simplification dont on nous parle, souvent à tort.
En facilitant la contractualisation entre l’employeur et l’employé, le chèque emploi service universel répond de façon efficace à cet impératif de simplification. L’objectif est simple : faciliter l’accès à un service au plus grand nombre et en simplifier les procédures administratives.
Simplifier, c’est faciliter la rencontre entre ceux qui expriment un besoin et ceux qui proposent un service. Le succès de ce dispositif n’est plus à prouver. Il concerne aujourd’hui plus de 922 000 bénéficiaires et plus de 720 000 intervenants. Ces chiffres, qui parlent d’eux-mêmes, illustrent une progression constante et témoignent d’une réelle satisfaction des utilisateurs.
Ce succès est aussi le marqueur d’une tendance forte, celle de l’émergence des services à la personne. Le secteur de l’emploi à domicile s’impose et s’imposera plus encore comme une réponse privilégiée aux transformations de la société. À sa façon, le CESU participe à cet accompagnement nécessaire en fixant un cadre clair et intelligible pour tous. Il facilite le lien entre l’employeur et l’employé, mais n’oublie pas pour autant de délimiter avec beaucoup de clarté les conditions d’exercice de l’activité.
Pour l’employeur, le CESU est l’assurance d’avoir une réponse simple et claire à son besoin. Pour le salarié, il est facile et sûr d’utilisation : pas de risque d’impayé et l’accès à un site internet simple lui permettant de connaître sa situation personnelle.
Néanmoins, comme tout dispositif, le chèque emploi service universel doit connaître quelques ajustements. S’agissant des arrêts pour maladie, quand la démarche est relativement simple pour un salarié employé par une entreprise, elle se révèle bien moins évidente pour un salarié employé par un particulier.
Chaque employeur doit en effet transmettre l’attestation de salaire à la caisse primaire d’assurance maladie. La différence, et elle est de taille, réside dans le profil des employeurs particuliers ayant recours au CESU. Près de 400 000 d’entre eux sont en situation de dépendance et 223 000 ont une fragilité reconnue. Or si un document relatif à l’arrêt maladie manque, le salarié n’est pas indemnisé.
Cette distorsion entre les situations requiert des modifications de la part du législateur, dans un souci d’équité et de bon sens. Le dispositif du CESU permet de centraliser toutes les données relatives aux salaires et aux cotisations en ligne sur un site internet servant de base de données ; tout comme la déclaration sociale nominative, la DSN, pour les entreprises, les informations relatives aux salaires sont déjà entre les mains de l’administration, et l’arrêt de travail a été adressé par le salarié. Alors, que manque-t-il pour accélérer l’indemnisation ? Voilà un axe de réflexion qui, je crois, mérite d’être pensé dans sa globalité.
Madame la secrétaire d'État, permettez-moi de conclure mon propos en rappelant que les dispositifs d’accompagnement et de développement de l’activité, au sens le plus large de ces termes, sont autant d’atouts supplémentaires qu’il faut valoriser. Le chèque emploi service universel en est un, et, à ce titre, nous ne pouvons que soutenir les propositions qui vont dans le sens d’une simplification du quotidien de nos concitoyens, de nos collectivités et de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Gérard Roche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le chèque emploi service universel est une mesure phare de la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
L’avantage du CESU est qu’il permet de rémunérer et de déclarer les personnes employées dans le cadre d’activités familiales ou domestiques et d’effectuer toutes les formalités liées à la déclaration de ces salariés, notamment la déclaration d’emploi et de paiement à l’URSSAF.
Le CESU existe sous deux formes : le CESU préfinancé, qui est un moyen de paiement universel, dédié aux services à la personne à domicile et à la garde d’enfants hors domicile, et le CESU déclaratif, auparavant appelé CESU bancaire, qui a la vocation de simplifier pour le particulier employeur les démarches de déclaration de son salarié à domicile.
Après l’adhésion au CESU via internet ou en demandant le formulaire à sa banque, le particulier déclare la rémunération de son salarié à l’aide du volet social au Centre national du CESU, le CNCESU. Ce dernier calcule ensuite les cotisations sociales du salarié et lui délivre directement son attestation d’emploi.
Les atouts du chèque emploi service universel sont indéniables : la facilité et la sécurité d’utilisation, de larges possibilités de cofinancement et, bien évidemment, de nombreux avantages fiscaux et sociaux pour l’employeur. Néanmoins, comme le souligne notre collègue Jean Desessard, plusieurs éléments sont à améliorer pour faciliter les démarches du salarié, notamment dans le cadre d’un arrêt de travail.
Cependant, avant d’entrer dans les détails concernant les difficultés que peuvent rencontrer les salariés dans les démarches qu’ils doivent faire lors d’un arrêt de travail, permettez-moi, mes chers collègues, d’évoquer la prise en compte des obligations relatives à la médecine du travail.
Un salarié à temps plein bénéficie d’une surveillance médicale, notamment d’une visite médicale d’embauche et d’un contrôle médical, mais ce n’est pas le cas des salariés à temps partiel. En effet, certains salariés cumulent plusieurs employeurs, mais en fonction du nombre d’heures effectuées, ils ne bénéficient pas automatiquement des protections minimales relatives à la médecine du travail.
Pourtant, la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail précise que les salariés CESU doivent bénéficier de la surveillance médicale au même titre que les autres catégories de salariés. La plupart des employeurs ignorent même qu’ils sont légalement dans l’obligation de faire passer à leurs salariés une visite médicale d’embauche auprès de la médecine du travail et de s’acquitter des frais correspondants, quel que soit leur temps de travail hebdomadaire !
N’ayant pas souscrit à une convention collective du particulier employeur, nombre d’employeurs ne s’estiment pas, à tort bien sûr, astreints au respect de ces obligations en matière de médecine du travail. Cela conduit à priver de cette protection des personnes se trouvant souvent dans des situations précaires et dont les conditions de travail sont difficiles.
À cela viennent s’ajouter des difficultés concernant la prévention et la détection d’affections handicapantes, mais aussi de la reconnaissance, le cas échéant, de maladies professionnelles.
Il est crucial d’intégrer pleinement ces salariés au sein du système général de la médecine du travail. C’est pourquoi il m’apparaît important de modifier les modalités d’application relatives à la surveillance médicale des salariés CESU à temps partiel.
S'agissant spécifiquement de notre débat, il faut reconnaître une certaine complexité dans les démarches dont doit s’acquitter le salarié en cas d’arrêt pour maladie.
En cas d’arrêt de travail, le salarié du particulier employeur n’a pas son salaire maintenu par son employeur, mais il peut bénéficier sous conditions d’un complément de salaire versé par la Caisse primaire d’assurance maladie, la CPAM, et l’Institution de retraite complémentaire des employés de particuliers, l’IRCEM.
Le volet 3 de l’arrêt est à envoyer aux différents employeurs sous quarante-huit heures, sachant qu’il y a trois jours de carence pour la CPAM et sept jours pour l’IRCEM. Il faut également justifier de plus de six mois d’ancienneté chez le même employeur, et ce quel que soit le nombre d’heures effectuées. Si l’arrêt est de plus de sept jours, l’IRCEM, sous certaines conditions, verse une indemnisation complémentaire.
Au-delà de trente jours d’arrêt de travail, l’employeur doit obligatoirement faire passer à son salarié une visite de reprise auprès de la médecine du travail. Le salarié ne pourra en aucun cas reprendre le travail si le médecin du travail ne lui délivre pas un certificat d’aptitude.
Pour le calcul des indemnités qu’il pourra percevoir, le salarié doit fournir à la CPAM les copies de ses attestations d’emploi signées par chacun de ses employeurs.
Comme le souligne notre collègue, dans le cas d’un salarié en CDD ou CDI, les démarches sont beaucoup plus simples. Les volets 1 et 2 doivent être envoyés à la CPAM et le volet 3 à son employeur, qui se charge lui-même d’adresser une attestation de salaire à la CPAM.
Un salarié CESU qui a plusieurs employeurs doit lui-même adresser ces attestations de salaires au CNCESU. Et si un seul de ces documents manque, le salarié ne sera pas indemnisé.
Pourtant, le dispositif du CESU permet une centralisation des informations concernant les salaires et les cotisations perçues par le salarié via le site internet dédié au CESU. Il suffit de se rendre sur les différents forums concernant le CESU, et même sur le forum de l’IRCEM, pour constater que les salariés ne savent pas toujours comment s’y prendre.
Il y a presque un an, madame la secrétaire d'État, vous aviez souligné le caractère très pertinent de la piste de simplification proposée par notre collègue. C’est avec un peu de regret que je constate que les choses n’ont pas évolué aussi rapidement que nous le souhaitions. Pourtant, les services de l’assurance maladie et l’URSSAF devaient étudier la question !
Un autre point que je souhaite aborder est le mode de calcul des indemnités journalières versées durant un arrêt de travail. En effet, le code de la sécurité sociale prévoit que tout salarié mensualisé perçoit en cas d’arrêt pour maladie des indemnités journalières dont le calcul doit prendre en compte le montant du dernier salaire perçu et celui des trois derniers salaires perçus.
Or les salariés CESU ne perçoivent pas de rémunération lors de leurs congés annuels. En effet, le CESU prévoit une majoration de 10 % du salaire horaire net au titre des congés annuels, de sorte que l’employeur n’a plus à les rémunérer au moment où ils sont pris.
L’absence de salaire durant cette période crée des disparités flagrantes dans le montant des indemnités journalières, notamment lorsque l’arrêt de travail survient durant ou après les congés.
Enfin, je souhaite aller plus loin concernant le CESU, en ouvrant le débat au sujet de la complémentaire de santé et du flou juridique qui persiste concernant l’obligation de proposer une complémentaire de santé dans le cadre des particuliers employeurs.
En effet, il ne semble pas dans l’esprit de la loi ni de l’accord interprofessionnel qui l’a précédée d’être applicable aux particuliers employeurs, mais ils ne sont pas explicitement exclus de son champ d’application pour autant. Aussi serait-il bon, mes chers collègues, madame la secrétaire d'État, de régler également ce point, ou du moins de communiquer sur le sujet de façon à mieux préciser les limites de la loi.
Si le dispositif CESU est une véritable réussite, ces points doivent encore être améliorés dans l’intérêt des salariés CESU comme des particuliers employeurs. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre collègue Jean Desessard soulève un vrai problème, rencontré par les salariés rémunérés en chèque emploi service universel en cas d’arrêt maladie.
Alors que l’objectif du CESU est de simplifier et de faciliter les démarches déclaratives des employeurs et des salariés, les remboursements des arrêts maladie relèvent d’un véritable parcours du combattant pour de nombreux salariés.
Actuellement, le salarié doit fournir à la CPAM les copies de ses attestations d’emploi signées par chacun de ses employeurs pour être indemnisé. Bien souvent, le salarié travaille pour plusieurs employeurs, et récupérer les attestations signées auprès de chacun prend du temps. À cela s’ajoute qu’en l’absence d’un seul de ces documents, le salarié n’est pas indemnisé.
Il n’est pas acceptable que des salariés renoncent à leur droit d’être remboursés de leur arrêt de travail pour raison de santé. C’est d’autant plus injuste quand on connaît la situation des salariés rémunérés en chèque emploi service universel, qui sont soumis à des conditions de travail souvent difficiles.
Il s’agit véritablement d’une double peine pour ces salariés, qui, bien souvent, renonceront au final à être indemnisés devant la complexité des démarches administratives.
Madame la secrétaire d'État, il y a donc urgence à répondre à la sollicitation de Jean Desessard, c'est-à-dire à simplifier les démarches et à garantir la prise en charge des arrêts maladie des salariés en CESU.
La situation des arrêts maladie des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel rejoint une question plus globale, celle de la subrogation intégrale des arrêts maladie dans le domaine des services à la personne en général.
Lors des questions orales, j’avais interpellé le Gouvernement, le 1er décembre 2015, sur les retards importants constatés dans le versement des indemnités journalières.
Aujourd’hui, les salariés qui interviennent avec des contrats CESU auprès des particuliers, mais aussi avec des contrats de droit privé dans des structures privées ou associatives, rencontrent de nombreux retards de versement des indemnités journalières et des prestations de la prévoyance. Le temps de traitement des dossiers par les employeurs, les caisses primaires d’assurance maladie et les organismes de prévoyance est trop long et pénalise fortement les salariés de l’aide à domicile.
Comme je l’avais indiqué dans le rapport d’information sur les services à domicile, coécrit avec mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, et encore à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, il est indispensable que le Gouvernement intervienne pour sécuriser les salariés de ce secteur, fortement précarisés, dont 98 % sont des femmes.
Or, en matière d’arrêts de travail, cette sécurisation consiste à appliquer le principe de subrogation permettant aux employeurs de se faire rembourser directement par la sécurité sociale, tout en maintenant le salaire des travailleuses.
Les retards ont un double effet sur les salariées, qui subissent, d’une part, un décalage de plusieurs mois parfois dans les revenus perçus, et, d’autre part, une incitation forte à ne pas prendre d’arrêt maladie ou à ne le faire qu’en tout dernier recours.
À ma question orale, Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes, avait répondu que « la généralisation progressive de la déclaration sociale nominative, qui interviendra en 2017, […] supprimera cette attestation et raccourcira d’autant les délais. » Elle avait également indiqué que des négociations auraient lieu entre les partenaires sociaux de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services d’aide à domicile sur la généralisation de la subrogation, pour éviter au salarié d’avoir à supporter financièrement les conséquences d’un retard de versement des indemnités journalières.
Madame la secrétaire d'État, j’aimerais savoir où en sont ces discussions. Quels sont les points de blocage ? Du reste, le Gouvernement serait d’autant plus légitime à intervenir que, dans toutes les structures où la subrogation a été mise en place – je l’ai vérifié sur le terrain ! –, les bilans chiffrés n’ont montré aucune augmentation du nombre d’arrêts de maladie, contrairement à l’argument avancé par les représentants des employeurs pour bloquer ces négociations.
Plus généralement, les membres du groupe CRC estiment qu’il faudrait tirer toutes les conventions collectives vers le haut.
Savez-vous, madame la secrétaire d'État, que, dans la convention collective des services à domicile, donc des entreprises privées, les frais kilométriques des personnels sont remboursés quatre fois moins et que la majoration de la rémunération pour les dimanches et jour fériés y est seulement de 10 %, contre 40 % dans le secteur associatif ? Cela explique à la fois les difficultés rencontrées en matière de recrutement et le turn-over constaté.
De plus, derrière la question de la complexité de la prise en charge des arrêts médicaux des salariés en CESU, se pose celle de la question de l’indemnisation des assurés sociaux dès le premier jour.
Actuellement, les indemnités journalières de maladie ne sont versées qu’à compter du quatrième jour d’arrêt. Là aussi, il faut absolument que le Gouvernement prenne les choses en main, afin que ces femmes puissent concrètement protéger leur santé. Et si, face à ces demandes qui nous semblent minimalistes, vous nous opposez la question des moyens, alors mettez en place, comme l’a proposé le groupe CRC, une contribution de solidarité acquittée par les actionnaires !
Enfin, permettez-moi de relever un point inquiétant, à savoir la diminution de l’emploi à domicile au profit du travail noir ou gris.
Selon l’INSEE, au quatrième trimestre de 2014, par rapport au troisième, la masse salariale versée par les employeurs de salariés à domicile a diminué de 0,9 %. Le contexte économique est le premier responsable de la baisse du pouvoir d’achat des ménages des couches moyennes. À la fin de 2014, le nombre total de particuliers employeurs avait ainsi baissé de 1,4 % en un an.
Or le travail non déclaré est avant tout un risque pour les salariés, qui ne sont pas protégés et ne cotisent pas. Il y a donc là une réflexion à mener sur les dispositifs incitatifs d’aide à domicile.
Pour conclure, je tiens à remercier notre collègue écologiste Jean Desessard, car cette question orale rejoint la préoccupation des membres du groupe communiste républicain et citoyen (M. Jean Desessard s’en félicite.), qui travaillent sur cette question depuis un certain temps.
J’espère que des réponses seront apportées, afin d’améliorer la prise en charge de ces salariés. Il s’agit, pour la grande majorité, je le répète, de femmes en situation de précarité, qui méritent notre reconnaissance : nous devons leur conférer un véritable statut et apporter de réelles améliorations à leur situation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Emery-Dumas.
Mme Anne Emery-Dumas. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en nous alertant sur les difficultés rencontrées par les salariés rémunérés par le biais du chèque emploi service universel qui se trouvent en arrêt maladie, notre collègue Jean Desessard soulève une vraie question, comme à son habitude (Sourires.),…
M. Jean Desessard. Ah !
Mme Anne Emery-Dumas. … une question qui me semble dépasser même les seules difficultés liées aux arrêts maladie et qui tient aux relations entre le salarié et son employeur ou, le plus souvent, ses employeurs – dans ce domaine, les employeurs sont souvent multiples –, en matière de couverture sociale maladie et de santé au travail.
Depuis sa création, le chèque emploi service universel a démontré sa réelle pertinence et son intérêt en matière de simplification et de normalisation des rapports entre les particuliers employeurs et leurs salariés.
Avec 1,95 million d’employeurs recensés en 2014, dont 44 % ont plus de soixante-dix ans, et 960 000 salariés, qui sont effectivement dans la très grande majorité des femmes, le système est aujourd’hui largement plébiscité dans le domaine des services à la personne.
Il a permis d’améliorer très sensiblement les conditions de travail et de déclaration des salariés qui interviennent chez les particuliers, notamment ceux dont le temps de travail est inférieur à huit heures par semaine, ce qui est souvent le cas des aides ménagères ou des auxiliaires de vie intervenant chez les personnes âgées ou dépendantes. Ces salariés sont aussi précisément ceux qui cumulent le plus grand nombre d’employeurs, bien au-delà de la moyenne de deux employeurs par salarié. Il n’est pas rare, en effet, qu’ils interviennent chez cinq ou six employeurs différents, voire plus, chaque semaine. Il n’est pas rare non plus que le nombre d’heures travaillées par semaine diffère d’une semaine à l’autre.
Se pose alors, de manière encore plus sensible, en cas d’arrêt maladie, la difficulté de la multiplication des démarches, que notre collègue a parfaitement exposée. En cas d’employeurs multiples, chacun doit fournir une attestation d’emploi pour que le salarié puisse percevoir ses indemnités journalières. Or il suffit que l’un d’entre eux ne le fasse pas ou prenne du retard pour le faire pour que le salarié ne soit pas indemnisé. Cette situation n’est donc pas acceptable.
Dans la mesure où le CNCESU dispose de toutes les informations nécessaires à la CPAM, le groupe socialiste partage tout à fait le souci de simplification des procédures,…
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Anne Emery-Dumas. … par le biais d’un échange direct d’informations entre le CNCESU et la CPAM, ce qui éviterait aux employeurs de signer les attestations d’emploi et permettrait ainsi au salarié d’être normalement indemnisé.
Aussi, nous soutenons la demande de notre collègue Jean Desessard, une demande qui me semble tout à fait conforme à la volonté du Gouvernement de simplifier chaque fois que c’est possible les procédures administratives et de favoriser la mutualisation, ainsi que le transfert, d’informations entre les différents opérateurs. J’en veux pour preuve le travail accompli dans le secteur des retraites concernant l’établissement d’un dossier unique, par exemple.
M. Jean Desessard. C’est vrai !
Mme Anne Emery-Dumas. Répondant à une question parlementaire sur ce sujet en 2008, le ministre chargé du budget avait indiqué que « pour permettre au salarié de justifier plus simplement de ses droits, notamment aux prestations maladie, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale étudiait les conditions dans lesquelles une attestation d’emploi récapitulative par salarié et par mois pourrait être produite par le CNCESU en cas de pluriemployeur ».
Madame la secrétaire d'État, qu’en est-il des propositions de l’ACOSS sur cette question ? Comment pourraient-elles se traduire dans le processus de simplification demandé ici ?
À la question de l’attestation d’emploi, j’ajouterai une difficulté complémentaire liée aux obligations de l’employeur en matière de santé au travail, comme vous l’avez indiqué, mon cher collègue.
En effet, les articles R. 4624-20 et suivants du code du travail disposent que tout salarié, quel que soit le type de contrat, doit passer une visite de préreprise après un congé maladie de plus de trois mois et une visite de reprise après un congé de maternité, une absence pour maladie professionnelle ou une absence de plus de trente jours. En outre, le salarié doit passer une visite annuelle. Il revient à l’employeur de demander cette visite et d’adhérer pour ce faire aux services de la médecine du travail.
Or, dans le cas d’une multiplicité d’employeurs – au titre d’un CESU, le salarié fait souvent très peu d’heures chez un même employeur –, force est de constater que ces dispositions contraignantes et peu adaptées sont souvent mal remplies, voire ne le sont pas du tout, et ce au détriment du salarié.
L’intégration, dans les cotisations des employeurs globalisées par le CESU, de la cotisation à la médecine du travail permettrait au moins de simplifier et d’améliorer la prise en charge de la santé au travail pour les salariés rémunérés par ce titre.
Cet ensemble de mesures de simplification pourrait être de nature, me semble-t-il, non seulement à améliorer les relations entre employeurs et employés, mais également à mieux couvrir l’ensemble des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, comme l’ont souligné les orateurs qui m’ont précédé, le chèque emploi service, créé il y a vingt ans et remplacé voilà dix ans par le chèque emploi service universel, le CESU, est un dispositif de simplification dont le bon fonctionnement n’est plus à démontrer.
Créé précisément dans le cadre de la politique conduite pour favoriser les services à la personne par la loi du 26 juillet 2005, le CESU est en vigueur depuis le 1er janvier 2006, sous deux formes : d’une part, le CESU déclaratif ou CESU bancaire, ou ancien chèque emploi service, et, d’autre part, le CESU préfinancé, qui est un moyen de paiement, tout comme le CESU déclaratif, mais aussi un outil de gestion des ressources humaines dans une entreprise.
Très pratique, sûr et simple d’utilisation, le CESU permet de régler des prestations de services à la personne à domicile et de garde d’enfants à l’extérieur du domicile. L’outil qu’il constitue a simplifié la vie des employeurs, notamment les modalités d’emploi à domicile, et a fait reculer considérablement la non-déclaration des employés. Nous sommes unanimes à saluer la simplicité du dispositif. Il était, en outre, judicieux d’y intégrer des possibilités de cofinancement et des avantages fiscaux et sociaux.
Ses nombreux atouts en font un dispositif fortement utilisé, qui fonctionne. Preuve en est, il est utilisé chaque mois par plus d’un million d’employeurs et un demi-million de salariés.
N’oublions pas que les services à la personne sont un domaine important de notre économie : ils constituent un véritable secteur d’avenir, non délocalisable. Toutefois, comme tout dispositif, il n’est pas parfait, et il est voué à être amélioré.
Notre collègue Jean Desessard a relevé une difficulté en cas d’arrêt pour maladie. Ainsi, les salariés doivent demander à chacun de leurs employeurs – il est fréquent qu’ils en aient plusieurs – de remplir un formulaire assez compliqué.
Or les employeurs à domicile sont souvent des personnes âgées. En outre, comme il a déjà été expliqué, il suffit qu’un seul document manque pour que l’indemnisation ne soit pas versée. Pourtant, le dispositif du CESU permet de centraliser toutes les informations concernant les salaires et les cotisations en ligne, sur un site internet unique.
Notre collègue Jean Desessard formule le vœu que s’organise un échange direct d’informations entre le CNCESU et la CPAM, afin que les employeurs n’aient pas à signer une attestation d’emploi, alors même que toutes les preuves de l’emploi et du salaire existent déjà en ligne, sur le site internet du CESU. Cette proposition me semble utile et propre à simplifier la gestion des dossiers des employés rémunérés grâce au CESU. J’y suis donc pleinement favorable.
Madame la secrétaire d’État, je profite de ma présence à la tribune pour vous interpeller rapidement sur un autre sujet : la situation très problématique à laquelle les travailleurs frontaliers font face en matière d’assurance maladie.
De fait, juridictions et gouvernements français et suisses ne s’accordent pas sur le droit d’option, ni sur les possibilités de radiation. Aussi, les travailleurs frontaliers déjà affiliés à la CMU en France et, en Suisse, à la LAMal, la loi fédérale sur l'assurance maladie, confrontés au problème de la double affiliation, sont aujourd’hui pris en otage.
Sensible à leurs inquiétudes sur les conséquences de cette situation en termes financiers et d’accès aux soins, j’ai déjà interpellé Mme la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine. Je me permets de vous alerter également, madame la secrétaire d’État, en espérant que vous vous ferez mon porte-parole auprès de votre collègue, car il est urgent que le Gouvernement agisse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jean Desessard et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie toutes les oratrices et tous les orateurs qui ont pris part à ce débat consacré à la situation des salariés rémunérés au moyen du chèque emploi service universel, dit « CESU », en particulier en cas d’arrêt pour maladie.
Avant de répondre à la question de M. Jean Desessard, qui est à l’origine de ce débat, je parlerai, plus largement, de l’évolution de l’emploi à domicile au cours des dernières années ; il est nécessaire, en effet, d’aborder la question posée dans son contexte.
Comme tous les orateurs l’ont souligné, le CESU, fort de sa grande simplicité d’utilisation, est un dispositif apprécié par les particuliers employeurs, comme par leurs salariés : il est utilisé chaque mois par plus d’un million d’employeurs et plus d’un demi-million de salariés. Créé en décembre 1993, puis transformé par la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, il n’a jamais été remis en cause. Depuis le 1er janvier 2014, il est même étendu, sous sa forme dématérialisée, aux départements d’outre-mer.
Grâce au CESU, le recours aux services à domicile a été facilité par l’allégement de la charge déclarative et administrative liée à l’emploi d’un salarié, même si des possibilités de simplification demeurent, comme les différents orateurs l’ont signalé.
Depuis 2012, le Gouvernement agit pour faciliter l’utilisation du CESU et poursuivre l’effort de simplification des démarches administratives associées aux emplois à domicile. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a fait de la simplification l’une de ses priorités ; il s’y attache dans tous les secteurs, mais particulièrement dans celui des services à la personne.
De fait, l’instauration de la déclaration sociale nominative est l’une des applications les plus concrètes du choc de simplification voulu par le Président de la République.
Unique et dématérialisé, ce document, qui sera progressivement généralisé d’ici au 1er juillet 2017, mais dont le développement a déjà commencé, a vocation à remplacer l’ensemble des déclarations sociales adressées par les employeurs aux organismes de protection sociale, afin de permettre à ceux-ci d’établir aussi bien les cotisations, les contributions sociales et certaines impositions dues que les droits des salariés en matière d’assurance sociale, de prévention de la pénibilité et de formation. Cette logique de déclaration unique marque un réel changement dans la relation entre l’administration et les citoyens, employeurs et salariés.
En particulier, la déclaration sociale nominative représente un véritable progrès pour les salariés, puisqu’elle remplace l’attestation de salaire. En effet, la réduction du nombre de données sociales transmises raccourcira les délais de traitement nécessaires à la liquidation et au versement des prestations.
Par ailleurs, la modernisation et l’extension du CESU font partie des projets annoncés par le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique.
Plus précisément, grâce à une mesure adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, les salariés bénéficient du versement de l’indemnité de congés payés au moment où ils prennent effectivement leurs congés, et non plus sous la forme d’une majoration de 10 % de leur salaire mensuel.
Nombre d’oratrices et d’orateurs ont insisté également sur le besoin de protection des salariés du secteur des services à domicile, ainsi que sur leur besoin de formation. À cet égard, je signale que le ministère des affaires sociales a créé un nouveau diplôme d’État, auquel il sera possible de s’inscrire à partir de la rentrée 2016 et qui prépare à l’exercice de trois métiers différents : accompagnant d’élèves en situation de handicap, auxiliaire de vie sociale et aide médico-psychologique.
Il s’agit de poursuivre la professionnalisation du secteur des services à la personne et la reconnaissance de ses métiers, qui nécessitent un savoir-faire et des compétences. Et pour reconnaître des compétences, quoi de mieux d’un diplôme d’État ?
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 a aussi clarifié la portée juridique du document remis par le Centre national du chèque emploi service universel aux salariés : ce document vaut désormais bulletin de paie. Concrètement, à la qualification d’« attestation d’emploi » utilisée dans le code de la sécurité sociale, il a été substitué celle de « document valant bulletin de paie », afin de clarifier pour les tiers, en particulier pour les banques, la nature du document en question. En effet, la dénomination « attestation d’emploi » était peu claire pour les tiers et pénalisait les salariés, qui n’étaient pas toujours à même de faire valoir leurs droits.
Monsieur Watrin, j’ai bien entendu votre interrogation en ce qui concerne la généralisation de la subrogation, qui, en effet, éviterait aux salariés d’avoir à supporter les conséquences financières d’un retard de versement des indemnités journalières. À cet égard, le Gouvernement souhaite, ainsi qu’il l’a déjà indiqué ici même en décembre dernier, qu’un compromis soit trouvé entre les partenaires sociaux de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services d’aide à domicile.
Peut-être trouvez-vous, monsieur le sénateur, que les choses n’avancent pas assez vite (M. Dominique Watrin opine.) ; cela serait compréhensible, tant il est naturel que les personnes concernées souhaitent des mesures rapides. Reste que négocier avec les partenaires sociaux – nous y tenons –, prend nécessairement un certain temps.
M. Dominique Watrin. La négociation est bloquée !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. J’en viens, monsieur Desessard, à votre question touchant aux démarches pesant sur le salarié en cas d’arrêt de travail pour maladie. Cette question doit être abordée avec la même volonté de simplification, au bénéfice tant des salariés que des particuliers employeurs, dont toutes les oratrices et tous les orateurs ont souligné les spécificités ; les personnes âgées, en particulier, peuvent avoir des difficultés à réunir tous les documents nécessaires.
L’offre fournie par le CESU doit être améliorée ; à cet égard, monsieur le sénateur, le Gouvernement partage votre position, qui, du reste, me semble faire l’objet d’un accord unanime. Pour y parvenir, des travaux doivent être menés en vue d’offrir au salarié une plus grande simplicité, sans pour autant faire basculer la charge déclarative sur le particulier employeur.
De ce point de vue, l’élargissement des fonctionnalités du CESU aux arrêts pour maladie est une piste à étudier. En effet, dans la mesure où le système du CESU permet la connaissance des revenus versés par le particulier employeur à son salarié, il paraît intéressant, dans le souci d’éviter la multiplication des déclarations par l’usager, d’envisager la transmission des revenus par le CNCESU aux CPAM. Concrètement, les données de rémunération déclarées mensuellement au premier seraient communiquées aux CPAM et réutilisées par ces dernières pour le calcul des indemnités journalières.
La mise en application de cette proposition semble devoir simplifier les démarches du salarié, qui n’aurait plus à déclarer à sa CPAM ses revenus, mais uniquement son arrêt maladie, sans alourdir celles de son employeur, qui continuerait d’adresser au CNCESU une déclaration comportant notamment les rémunérations versées.
Bien sûr, la question doit faire l’objet d’une expertise approfondie ; une réflexion doit également être menée sur le calendrier de mise en œuvre avec les services concernés de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, du CNCESU et de la CNAM, afin de préserver la simplicité du dispositif – vous avez bien compris que plusieurs structures entraient en jeu. Cette réflexion devra permettre de s’assurer que l’on pourra disposer, sans attestation d’employeur, des données nécessaires à la liquidation des indemnités journalières : le dernier jour travaillé, le salaire de référence et l’existence éventuelle d’une subrogation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question ne peut être résolue du jour au lendemain, même si nous avons tous la volonté d’agir. Toutefois, en tout état de cause, et compte tenu même de tous les autres projets qui sont à mettre en œuvre en ce qui concerne le CESU – je pense en particulier à la rénovation du site internet, qui est en cours –, la démarche proposée par M. Desessard, que nous soutenons tous, pourra être mise en place à la mi-2017. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, je me permettrai tout d’abord de remercier l’ensemble de mes collègues qui sont intervenus dans ce débat.
En effet, M. Philippe Esnol, au nom du groupe du RDSE, et Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains, se sont déclarés favorables à l’organisation d’un échange direct d'informations entre le CNCESU et la CPAM, comme je le propose.
M. Olivier Cigolotti, au nom de l’UDI-UC, a lui aussi manifesté son accord avec une telle proposition et a élargi le sujet dont nous débattons aux questions de la médecine du travail et de la complémentaire santé.
M. Dominique Watrin, pour le groupe CRC, tout en déclarant également qu’il était d’accord avec ma proposition, a montré que les travailleurs à temps partiel n’ont pas toujours les mêmes droits que les salariés dits « classiques », qui n’ont qu’un seul employeur.
De la même façon, Mme Anne Emery-Dumas, du groupe socialiste et républicain, a approuvé ma suggestion, puis rappelé la nécessité d’améliorer la santé au travail pour les salariés employés à domicile.
Enfin, M. Cyril Pellevat, au nom du groupe Les Républicains, a rappelé l’intérêt que présentent à la fois le CESU et la proposition que je défends, avant d’élargir la question aux travailleurs frontaliers. Comme cela a été souligné, ma proposition fait donc l’unanimité au sein de l’hémicycle. Je tiens à vous remercier de ce soutien, mes chers collègues !
Madame la secrétaire d’État, vous avez commencé votre intervention en rappelant l’ensemble des mesures de simplification mises en place par le Gouvernement dans le secteur. C’est de bonne guerre ! Il est normal que vous montriez ce qui a déjà été fait.
Je me réjouis que vous partagiez l’idée que je soumets d'organiser un échange direct d'informations entre le CNCESU et la CPAM. En effet, vous l’avez dit vous-même : cet échange d’informations vous paraît « envisageable »… Cependant, comme Mme Emery-Dumas l’a rappelé, une question similaire avait été posée en 2008, et aucune réponse n’avait alors été fournie !
M. Jean Desessard. Madame la secrétaire d’État, ma proposition vous paraît certes envisageable, voire souhaitable, mais vous ne voyez sa mise en œuvre qu’à la mi-2017 !
Cela reste un engagement de votre part et vous semblez réellement partager l’idée que je défends, mais j’aurais préféré – je vous le dis – un calendrier plus resserré. En effet, quand l’élaboration d’une mesure est rapide, une dynamique se crée. En revanche, lorsque l’on commence à dire que l’on réfléchit, surtout quand le sujet n’est pas fondamentalement difficile, il y a un risque d’inertie et l’on commence à oublier la question qui a été posée.
En règle générale, il faut aller assez vite en matière d’exécution. Il faut de la volonté ! Or, sur le sujet qui nous intéresse, le Parlement – le Sénat plus particulièrement aujourd’hui – a exprimé sa volonté. Aussi, puisque le Gouvernement nous répond immédiatement qu’il est dans l’action et qu’il va réaliser ce que l’on demande, pourquoi attendre la mi-2017 ? On doit tout de même pouvoir agir plus vite et retenir par exemple comme échéance la fin de l’année 2016. Cela serait plus simple !
De notre côté, nous avons exprimé une volonté. Du vôtre, madame la secrétaire d’État, vous allez conduire l’action le plus rapidement possible, je l’espère, et tout cela pour la satisfaction des employeurs et des employés de ce secteur.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous remercie de nouveau de votre soutien. De même, je vous sais gré, madame la secrétaire d’État, d’avoir indiqué que ma proposition était envisageable et souhaitable. Je vous demanderai simplement de veiller à agir un peu plus vite. Nous pourrions alors affirmer que les bonnes décisions ne sont pas toujours reportées au lendemain et peuvent être mises en œuvre tout de suite ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la situation des salariés rémunérés par le chèque emploi service universel, le CESU, en cas d'arrêt pour maladie.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés, organisé à la demande du groupe Les Républicains.
La parole est à M. François-Noël Buffet, orateur du groupe auteur de la demande.
M. François-Noël Buffet, au nom du groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité que puisse se tenir, ce soir, un débat sur la situation liée à la crise migratoire que nous connaissons depuis maintenant plusieurs mois.
Je voudrais tout d’abord rappeler quelques chiffres. En 2015, un million de migrants, venus de Syrie, d’Irak, d’Érythrée, parfois même d’ailleurs – par exemple, d’Afghanistan –, sont entrés sur le territoire européen. Les premiers chiffres pour 2016 font déjà état de plus de 110 000 arrivées sur les deux premiers mois de l’année, ce qui laisse augurer, à nouveau, que la barre du million de personnes sera atteinte cette année.
En ce début d’année, quelque 58 000 personnes sont déjà passées par la Grèce, un pays qui, sur le million de migrants enregistrés en 2015, a vu transiter sur son territoire 855 000 personnes, dont 500 000 entrées par l’île de Lesbos. Bien évidemment, des arrivées sont également constatées en Italie.
Tous ces migrants, en mettant le pied sur le sol européen, espèrent trouver un eldorado, celui que les membres des réseaux mafieux – ceux-là mêmes qui abusent de la plupart d’entre eux – leur ont sans doute promis. Malheureusement, ils se rendent vite compte que la situation n’est pas aussi simple.
D’abord désireux de rejoindre le nord de l’Europe, si possible la Grande-Bretagne, la majorité de ces migrants aspire ensuite à s’installer en Allemagne, répondant d'ailleurs, il faut le rappeler, à un appel que ce pays lui-même a lancé l’année dernière. Depuis lors, la situation paraît s’emballer.
En septembre 2015, la France décide d’accueillir, dans le cadre d’un programme de relocalisation, plus de 30 000 migrants pendant deux ans. L’Europe, quant à elle, décide d’instaurer un certain nombre de procédures. D’une part, elle renforce les moyens attribués au contrôle de ses frontières via l’agence FRONTEX ; d’autre part, elle crée des dispositifs de relocalisation, au travers de ce que l’on a appelé les hotspots, installés sur le territoire européen, singulièrement en Italie et en Grèce.
J’ai eu l’occasion, avec la commission des lois de notre assemblée, d’aller à Cergy-Pontoise et à Champagne-sur-Seine pour constater les premières mises en œuvre de ce programme de relocalisation. Plus récemment, nous nous sommes également rendus en Grèce, à Athènes, mais aussi à Lesbos, afin d’en savoir plus sur ce premier hotspot de Moria, destiné à accueillir les migrants.
Je vous livrerai un autre chiffre, si vous me le permettez, mes chers collègues : le passage entre la Turquie et l’île de Lesbos a concerné 10 000 personnes par jour dans le courant du mois d’août 2015, ce contingent oscillant entre 2 000 et 3 000 personnes pendant l’hiver.
En soi, la procédure de relocalisation est intéressante. Elle consiste à accueillir les populations migrantes dans des hotspots, en présence du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – le HCR –, des différentes organisations, comme l’Organisation internationale pour les migrations – l’OMI - ou encore le Bureau européen d’appui en matière d’asile, parfois même de renforts nationaux, notamment français, pour « faire le tri », si l’on me permet cette expression un peu triviale.
On va donc identifier les migrants susceptibles de relever du droit d’asile et ceux qui sont plutôt des migrants économiques. Puis, par dérogation au dispositif instauré par le « règlement Dublin », on soulagera la Grèce en orientant les demandeurs d’asile vers des pays ayant formulé des offres de places. C’est le cas de la France, qui, je crois pouvoir le dire, a accueilli 201 personnes entre janvier et février, dans le cadre de ce programme de relocalisation.
Néanmoins, que constate-t-on ? Que les migrants ne relevant pas du droit d’asile bénéficient malgré tout d’un laissez-passer, car ils disposent d’un délai d’un mois – six mois pour les Syriens – pour retourner dans leur pays d’origine. Dès lors, et c’est un constat objectif, tout le monde reste !
Ceux qui peuvent bénéficier de la procédure d’asile – pour l’instant, ils sont très minoritaires – y ont recours, tandis que les autres se précipitent vers le nord de l’Europe. Ils prennent la route des Balkans ; en deux jours, ils sont en Allemagne et, quelques jours plus tard, en France, notamment à Calais. D’où la situation que nous connaissons aujourd'hui : 2 000 personnes accueillies à Calais au mois de juillet dernier, environ 4 000 au mois de septembre et probablement de l’ordre de 6 000, voilà quelques semaines.
Telle est la situation, malgré le travail que le Gouvernement a réalisé et que je reconnais, avec la prise en charge d’un important contingent de personnes – environ 2 000. Pour autant, même si nous reconnaissons la complexité de la situation, ce travail nous laisse parfois une impression de très grande difficulté.
Aujourd'hui, la situation se tend. Certains pays européens ont décidé de fermer leurs frontières, comme, récemment, la Belgique. Le ministre de l’intérieur allemand vient de déclarer que le nombre de réfugiés à la frontière turco-grecque devrait avoir baissé au 7 mars, sans quoi l’on verrait ce qu’il se passerait. On constate également un durcissement de la situation en Macédoine.
À Calais, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures : 125 containers permettent de loger 1 500 personnes ; le centre Jules Ferry accueille 500 personnes – c’est incontestable ; le démantèlement de la partie sud de la « jungle » est naturellement une bonne chose. À côté, la commune de Grande-Synthe vit d’autres événements tout aussi dramatiques, en l’absence, d’ailleurs, d’un certain nombre de dispositifs.
Voilà pourquoi ce débat ne doit pas simplement viser à dresser des constats ; nous devons essayer de tirer des conclusions et, peut-être, d’avancer quelques propositions.
Le plus difficile et le plus critiquable, me semble-t-il, c’est le rôle que détiennent les réseaux mafieux dans cette affaire, ainsi que le commerce parallèle et l’exploitation des personnes, notamment à Calais, mais pas seulement. Par ailleurs, on a récemment constaté une présence importante de mineurs isolés qui, naturellement, inquiète nos organisations internationales et nationales. Il se dit que 10 000 enfants auraient disparu durant cette crise migratoire. On sait enfin que les réseaux, comme No Border, par exemple, font un véritable contre-travail par rapport à l’action de nos services : ils incitent les migrants à ne pas avoir recours au dispositif d’accueil qui leur est proposé, voire à refuser de bénéficier des mesures d’asile.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas là pour dire que tout est bien ou que tout est mal. Je suis là parce que, me semble-t-il, nous avons besoin de trouver collectivement une solution, à tout le moins de dégager quelques pistes nous permettant de traiter une situation qui, au vu du contexte international, risque de durer !
Je le dis très franchement, nous avons toujours opéré un peu à contretemps. En tout cas, nous avons toujours eu un peu de retard par rapport aux événements. Je crois que, dans quelques jours ou quelques semaines, une rencontre aura lieu entre le Président de la République et la Chancelière allemande. Dans ce cadre, trois points mériteraient d’être soulignés.
Premier point, alors que l’on installe des hotspots sur le territoire européen, n’eût-il pas fallu réfléchir pour les créer dans les pays voisins des pays sources de cette migration ?
Il s’agirait, non pas de refuser sans humanité l’accès à notre territoire, mais d’éviter que des passeurs voyous profitent de ces personnes et les embarquent – la situation se renouvellera cet été – dans des aventures parfois mortelles. Il faudrait alors que l’on puisse, au travers d’une importante aide européenne, financer ces dispositifs et atteindre un standard d’accueil de haut niveau, ce que, je pense, nous appelons tous de nos vœux.
Deuxième point, se pose la question du rôle que notre pays doit jouer au plan européen pour redonner à l’Europe une véritable ambition en matière de politique migratoire, lui permettant de gérer cette crise et de ne pas agir au coup par coup.
Nous avons le sentiment, je le dis comme je le pense, que chacun joue sa partition personnelle, se souciant peu de ce qui se passe chez ses voisins et considérant que, hors de ses frontières, aucun problème ne se pose. Il faut absolument, monsieur le ministre, que par votre voix ou celle du Gouvernement, la France puisse reprendre une forme de leadership sur le sujet et imposer à l’Europe la mise en œuvre d’une politique migratoire claire.
Troisième point – le temps m’étant compté, j’en terminerai là –, qu’en est-il de notre propre situation nationale ?
S’agissant de Calais et de Grande-Synthe, la mise en place d’un hotspot n’est sans doute pas une bonne idée. En revanche, un dispositif plus structuré – il commence à l’être, je l’admets bien volontiers –, avec une présence permanente de tous nos services et un contrôle systématique des migrants présents, de manière à éviter la présence insupportable des réseaux mafieux et autres agitateurs, vous permettrait de traiter la situation de la meilleure manière possible.
Sans doute faut-il aussi, au regard des événements, repenser les accords du Touquet, en tout cas discuter avec vos collègues britanniques pour faire en sorte qu’ils prennent leur part de responsabilité et de charge dans le dispositif.
Voilà ce que je suis venu dire, ce soir, à cette tribune. Je ne suis pas venu polémiquer ; je cherche simplement à contribuer à un travail, qui est difficile. Dans ce cadre, constatons tout de même que nous avons besoin d’avoir une vision politique plus forte et, sans doute, d’y consacrer des moyens plus importants, afin de régler la question de la meilleure manière qui soit, de façon ferme et déterminée lorsque c’est nécessaire, mais aussi de façon accueillante à l’égard de ceux qui le méritent.
En tout cas, nous devons agir sans faiblesse et avec anticipation, afin que la situation actuelle – nous espérons qu’elle se règle très rapidement – puisse être traitée dans les meilleures conditions possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – MM. Alain Néri et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le même esprit que François-Noël Buffet, je m’exprime à cette tribune en tant que « local de l’étape » Manche-mer du Nord. Loin de toute volonté polémique, moi aussi, je souhaite, en tant qu’élu national aujourd’hui et élu local hier, trouver des solutions pour ce territoire à partir des constats que j’y ai dressés.
En effet, j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de me rendre dans différentes villes du littoral directement confrontées à l’installation de camps de migrants sur leur territoire. Dernièrement, François-Noel Buffet l’a rappelé, nous nous sommes rendus à Calais, puis à Grande-Synthe.
Ces visites nous ont permis de mieux appréhender la problématique migratoire sur le territoire : une situation humanitaire indéniable ; la présence des associations, qu’il est important de voir fonctionner dans chaque camp ; l’action des activistes ; l’organisation des passeurs ; le manque de moyens des collectivités territoriales, ce qui soulève des interrogations ; l’épuisement des forces de l’ordre ; enfin, un avenir incertain pour des centaines, voire des milliers de personnes fuyant leur pays.
L’État est effectivement présent à Calais, mais cela semble si naturel dans de telles conditions que nous nous attendrions à plus de soutien de sa part.
Le dispositif des containers sur ce que l’on appelle vulgairement le « centre d’accueil provisoire », ou CAP, semble prendre toute sa dimension. En tout cas, cette solution est sûrement préférable à ce qui prévaut actuellement dans la « jungle ». Les centres d’accueil et d’orientation se sont organisés et les déplacements se font dans de bonnes conditions, semble-t-il.
Nous avons constaté aussi, monsieur le ministre, et cela relève probablement du jeu politique, la présence d’associations contestant très souvent l’action de l’État et des élus locaux.
Toutefois, il faut accentuer le travail sur certains points. Les contrôles au sein même des structures sont importants : l’État se doit d’y faire respecter la loi. Il essaie, monsieur le ministre, mais il faut bien avouer, si l’on regarde la situation de près comme je l’ai fait, que certaines parties de la « jungle » étaient des zones de non-droit ; la situation va sans doute s’améliorer à la suite du démantèlement de cette dernière.
Un autre point crucial est l’identification des migrants. Il est important qu’ils puissent être identifiés dès lors qu’ils entrent sur notre territoire.
Une solution intéressante semble avoir été trouvée par le centre d’accueil provisoire de Calais. Un procédé biométrique et chiffré permet d’identifier les gens qui entrent et qui sortent de ce camp. C’est une première étape avant d’aller plus loin. J’ai d’ailleurs tendance à rejoindre ceux qui proposent une identification au moyen d’une photographie ou par la prise des empreintes digitales – peut-être ces suggestions feront-elles l’objet d’une future proposition de loi. C’est important, surtout quand une procédure judiciaire doit être engagée.
On le sait, tout un système de désinformation a été mis en place. Nous comptons vraiment sur la présence des services de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui doivent être l’ennemi juré de ces passeurs qui désinforment les migrants en leur expliquant que, s’ils s’en remettent à l’office, jamais ils ne pourront rejoindre le Royaume-Uni.
Je serai plus bref au sujet de la commune de Grande-Synthe, qui mène un projet de requalification de son camp. À cet égard, monsieur le ministre, son maire se sent bien seul. Certes, il a le soutien des associations, mais il se demande où est l’État. Si ce projet est mené à bien, le nouveau camp qui verra le jour accueillera de nouveaux migrants. La présence de l’État sera alors essentielle pour que cela fonctionne bien.
Monsieur le ministre, j’avoue – pardonnez-moi cette tournure quelque peu vulgaire – que, étant donné son état actuel, je ne mettrais même pas mon chien dans le camp de Grande-Synthe.
Les flux migratoires ont également une incidence sur les enjeux économiques liés à notre littoral. Je souhaitais en parler ce soir à cette tribune.
Calais souffre, notamment d’un fort taux de chômage. Calais souffre, d’autant plus qu’elle voit le trafic transmanche perturbé quotidiennement, que ses hôtels, ses restaurants et ses commerces fonctionnent moins bien. À cet égard, nous nous inquiétons pour un très beau projet, celui du développement du port de Calais.
Xavier Bertrand a écrit voilà quelques jours au Président de la République et au Premier ministre britannique, insistant sur les enjeux économiques de la frange littorale. Nous ne devons pas négliger cette question, et mon plus grand souhait est que notre façade Manche-mer du Nord ne devienne pas un jour le mur de la Manche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’afflux de réfugiés en Europe et en France s’inscrit dans le contexte international du conflit syrien, ainsi que de la menace que fait peser Daech en Irak, en Syrie et, désormais, aussi en Libye.
L’instabilité politique et les luttes de pouvoir embrasent le Moyen-Orient ; les millions de Syriens et d’Irakiens fuyant les zones de conflit menacent l’équilibre du Liban, de la Jordanie et de la Turquie. L’Afrique n’est pas épargnée non plus par l’islamisme radical.
Face à cette poudrière, nous constatons avec regret que la voix de l’Europe résonne toujours aussi faiblement. Pis encore, il nous faut déplorer amèrement la lenteur du déploiement des initiatives européennes coordonnées et collectives.
La liste commune des pays d’origine sûrs est toujours en discussion. Le renforcement de FRONTEX et sa transformation en une agence véritablement efficace de gardes-frontières aux limites extérieures de l’Union européenne attendent encore, à tel point que nous assistons aujourd’hui à la fermeture temporaire des frontières de nombreux États membres, comme la semaine dernière dans ma région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, les Belges ayant décidé de contrôler la frontière. C’est aux antipodes d’une politique migratoire coordonnée et commune.
Nous aurons retenu du dernier Conseil européen des 18 et 19 février dernier que la question de l’accueil des réfugiés risque de conduire l’Union européenne à son éclatement, tout aussi fortement que le Brexit. D’ailleurs, on perçoit bien l’imbrication des deux sujets.
Sur les onze hotspots prévus par la Commission européenne, trois étaient opérationnels au 1er janvier 2016. François-Noël Buffet l’a rappelé, nos collègues de la commission des lois, lors de leur déplacement à Lesbos, ont été informés de l’ouverture imminente de quatre hotspots grecs supplémentaires. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus sur le nombre de réfugiés enregistrés grâce à ces nouveaux centres de passage ?
S’agissant du processus de relocalisation entre pays membres de l’Union, l’accord de septembre dernier portait sur 160 000 réfugiés, dont plus de 30 000 en France. C’est là un effort assez modeste si nous le mettons en regard du million de personnes arrivées en Europe en 2015, plus de 850 000 étant passés par la seule Grèce.
À Lesbos, la délégation de la commission des lois a pu voir que le mécanisme de relocalisation montait en puissance lentement : 94 relocalisés pour le mois de janvier 2016, c’est loin du chiffre mensuel de 1 450, qui avait été annoncé initialement par M. Arhoul, préfet coordinateur national chargé de l’accueil des migrants.
Après les attentats de novembre dernier, la France a souhaité, et c’est compréhensible, relever le niveau des contrôles sur l’identification des réfugiés. Estimez-vous, monsieur le ministre, que ces contrôles ont atteint un niveau de sécurité satisfaisant ? Le rythme d’arrivée des réfugiés en provenance des hotspots sera-t-il ainsi amené à s’accélérer en 2016 ?
En 2015, l’OFPRA et l’OFII, l’Office français de l'immigration et de l'intégration, ont été dotés de moyens humains supplémentaires, qui ont permis de traiter 79 130 demandes d’asile – un chiffre en hausse de 22 % – et d’améliorer sensiblement le nombre de décisions favorables accordées par l’OFPRA. Toutefois, aujourd’hui, vu l’évolution de la situation, il serait justifié, me semble-t-il, que ses moyens augmentent encore et que le nombre de places d’hébergement soit revu à la hausse.
Ces chiffres montrent le décalage persistant entre les pays d’origine d’une majorité des demandeurs d’asile en France, qui vient, outre de la Syrie, principalement du Soudan, du Kosovo et de la République démocratique du Congo, et ceux des réfugiés enregistrés en Grèce – 95 % des réfugiés y sont syriens, irakiens ou afghans.
En septembre dernier, monsieur le ministre, vous aviez fait appel aux collectivités territoriales volontaires pour créer des places d’hébergement pour les 30 000 réfugiés relocalisés. Cet appel a été entendu, et à la date du 10 février 2016, quelque 1 680 logements avaient été enregistrés sur la plateforme nationale pour le logement des réfugiés, équivalant à 5 200 places d’hébergement.
Or peu de ces logements ont été mobilisés. Depuis plusieurs semaines, les collectivités qui s’étaient portées volontaires pour accueillir des réfugiés de manière diffuse se voient sollicitées par les préfets pour accueillir temporairement dans des centres collectifs des migrants de Calais.
Cela suscite des interrogations et un malentendu ; non qu’il ne faille pas accueillir les migrants, mais sur la forme. Les collectivités volontaires pensaient qu’elles auraient vocation à insérer des familles sur leur territoire et elles avaient mobilisé leur population en ce sens. Elles se trouvent, au terme d’une concertation souvent très limitée, confrontées à une tout autre forme d’accueil. Prévenus souvent au dernier moment, les élus ont bien du mal à expliquer à leurs concitoyens ce changement sur lequel ils ne disposent eux-mêmes que de très peu d’informations, ne sachant en général ni le nombre de migrants accueillis ni la durée de leur séjour.
Comme le rappellent justement les associations présentes à Calais, ces migrants ont en général un projet de vie qu’ils voient outre-Manche. Les persuader de demander l’asile en France est donc une mission difficile, pour laquelle l’État dépense aujourd’hui beaucoup de temps, d’énergie et de moyens. Ne serait-il pas plus raisonnable que le Royaume-Uni prenne aussi sa part de l’effort ?
M. Jacques Legendre. Eh oui !
Mme Valérie Létard. Considérez-vous comme satisfaisant, monsieur le ministre, que le Royaume-Uni préfère aller recruter un quota de réfugiés dans les camps jordaniens ? En ma qualité d’élue de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, je ne peux qu’inviter le Gouvernement à rouvrir une discussion avec nos voisins britanniques sur cette question : il faudrait peut-être que le Royaume-Uni prenne sa part dans l’accueil des migrants actuellement stationnés à Calais.
M. Alain Néri. Et toute l’Union européenne !
Mme Valérie Létard. Bien sûr, cher collègue.
Pouvez-vous également, monsieur le ministre, nous confirmer les derniers chiffres disponibles sur l’opération d’évacuation de la zone sud du camp qui a eu lieu précédemment, et nous informer des résultats du travail que vous menez depuis ces derniers jours pour procéder au démantèlement de la « jungle » de Calais ?
Un article du Figaro paru le 23 février dernier relatait que 15 % des 2 691 migrants de Calais délocalisés n’effectuaient aucune démarche en vue d’une demande d’asile et qu’environ 20 % d’entre eux repartaient des centres sans laisser de trace. Est-ce exact ou non ? Si je vous interroge sur ce point, c’est que je crains que, faute d’une maîtrise suffisante, les migrants ne soient encouragés à retourner vers la « jungle ».
De ce point de vue, nous sommes satisfaits du travail que vous menez actuellement à Calais. La question que je pose est la suivante : comment les collectivités et l’État peuvent-ils œuvrer au mieux ensemble, en amont ? En effet, nous sommes loin d’être au bout du processus et nous ne pourrons pas poursuivre durablement de cette façon avec l’assentiment des territoires.
Les informations remontant de ces communes volontaires nous interpellent également quant aux moyens que l’État est décidé à leur octroyer.
À l’heure actuelle, l’État assure une aide de 1 000 euros par logement et propose un fonds de 50 millions d’euros permettant de financer des travaux de réhabilitation. Mais les autres coûts, en particulier les frais relatifs à la scolarisation des enfants ou à l’apprentissage du français comme langue étrangère, restent à la charge des communes. Pour faire face aux besoins constatés, les préfets inciteraient les élus à s’appuyer sur les associations, sur les bénévoles, sur les bibliothèques municipales ou encore sur les structures culturelles existantes…
Ces initiatives sont bien maigres, en comparaison de l’aide de 5 000 euros par réfugié versée en Allemagne.
Pourtant, de son côté, l’Union européenne accorde, par réfugié accueilli, un montant de 6 000 euros aux pays membres. Le Conseil des communes et régions d’Europe, le CCRE, ainsi que plusieurs associations d’élus demandent que ce soutien financier européen puisse être ouvert directement aux communes, notamment via le fonds « Asile, migration et intégration ». Monsieur le ministre, avez-vous l’intention de prendre en compte cette requête ?
Enfin, comme je l’ai souligné en septembre 2015 lors de l’annonce du plan de relocalisation, l’accueil de populations traumatisées par la guerre et l’exil ne saurait relever d’un seul mouvement compassionnel, dont on a observé les limites depuis les attentats du 13 novembre. Ce travail impose une solide réflexion, une planification étroite en lien avec les collectivités, pour ne pas ajouter de la pauvreté à la pauvreté. Il exige un accompagnement dans la durée et un effort financier adéquat.
À cet égard, je me joins une nouvelle fois à Jean-François Rapin : vous le savez, dans ce domaine, Calais constitue un exemple significatif. L’économie de ce territoire, qui n’avait franchement pas besoin de cela, a été très violemment frappée par la réalité dans laquelle elle se trouve. Le travail étroit que je viens d’évoquer n’en sera que plus nécessaire pour assurer un véritable maillage territorial, une anticipation des situations, une structuration de notre capacité à répondre, collectivement, à ces enjeux.
En concentrant la douleur et la misère sur quelques points, on ne pourra que susciter le rejet de la part des populations locales. À l’inverse, il nous faut opérer un mouvement d’ensemble auquel nous prenons toute notre part, mais une part maîtrisée et responsable. Ainsi, l’État et les territoires prouveront qu’ils maîtrisent la situation, qu’ils sont à même d’honorer les engagements de la convention de Genève. Parallèlement, on évitera d’opposer la souffrance de Français en difficulté à celle de réfugiés qui arrivent en France.
En procédant de cette manière, ces diverses populations pourront vivre convenablement et, à l’avenir, les collectivités territoriales comme le Gouvernement, que vous représentez, pourront mener une politique claire d’accueil maîtrisé. Je le répète : en la matière, l’État doit prendre toute sa responsabilité, aux côtés de collectivités qui ne seront pas mises devant le fait accompli ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Pierre Sueur et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Réfugiés : l’Europe se désintègre », titrait Le Monde de ce week-end.
L’Autriche et les pays des Balkans ont décidé unilatéralement de filtrer les entrées sur leur territoire. La Grèce a rappelé son ambassadeur à Vienne. La justice a autorisé l’évacuation de la « jungle » de Calais. La Belgique a rétabli des contrôles à la frontière française.
Incapable de surmonter la crise des migrants, comme en témoigne la réunion houleuse des ministres de l’intérieur qui a eu lieu jeudi dernier, l’Union européenne laisse se jouer une tragédie humaine redoutable. C’est dans ce contexte que nos collègues du groupe Les Républicains nous invitent à débattre de l’accueil des réfugiés.
Le mot « réfugié » recouvre une définition juridique précise.
L’article 1er de la convention de Genève de 1951, ratifiée par 145 pays, définit un réfugié comme une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle, et qui, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques, craint avec raison d’être persécutée et ne peut se réclamer de la protection de ce pays ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
Pour les États, seuls habilités à accorder le droit d’asile, est considérée comme réfugiée une personne qui a déposé une demande d’asile et a obtenu le droit d’asile après avoir apporté la preuve que sa vie est sérieusement menacée dans son pays.
Tout réfugié serait donc un migrant, mais tout migrant ne serait pas réfugié…
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Christian Favier. Pourtant, la pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tout comme les demandeurs d’asile ont des raisons économiques de fuir leur pays, il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution. Par exemple, l’esclavage existe toujours en Mauritanie.
Les discours politiques et médiatiques qui s’acharnent à distinguer différentes catégories de migrants relèvent souvent d’une vision discriminante.
Aujourd’hui, le tri entre « bons » réfugiés et « mauvais » migrants s’effectue en Grèce dans les quatre hotspots, ou « centres d’accueil », désormais opérationnels. Ce constat a été rappelé : en 2015, ce pays a accueilli plus de 856 000 migrants, soit 82 % de l’ensemble des personnes arrivées en Europe. En outre, entre 1 200 et 3 000 réfugiés continuent d’accoster chaque jour dans les îles de la mer Égée. Environ 40 % d’entre eux sont aujourd’hui refoulés et voués à rester bloqués en Grèce.
Mercredi dernier, le Premier ministre grec Alexis Tsipras a menacé de refuser tout accord européen si le fardeau de la crise migratoire « n’est pas partagé d’une manière proportionnelle » par les pays membres de l’Union européenne.
Mme Esther Benbassa. Bien sûr !
M. Christian Favier. M. Tsipras a ajouté : « Il faut le plus large consensus politique sur cette question. Nous n’allons pas accepter que notre pays se transforme en un entrepôt d’êtres humains. »
Au même moment, l’Autriche réunissait les pays des Balkans pour y coordonner la fermeture des frontières.
Le gouvernement français a le devoir d’apporter son soutien à la Grèce et à son Premier ministre.
Mise en œuvre via deux décisions du Conseil de l’Union européenne des 14 et 22 septembre 2015, la procédure de « relocalisation », qui consiste dans le transfert de demandeurs d’asile à partir de la Grèce et de l’Italie vers d’autres États membres de l’Union européenne, doit être revue et rendue véritablement effective.
Dans un premier temps, l’Europe s’est engagée à « relocaliser » 120 000 personnes en deux ans. Puis, on a évoqué le chiffre de 160 000 personnes. Mais, à l’heure actuelle, cette politique des quotas se solde par à peine quelques centaines de relocalisations effectives en France. Parallèlement, en 2015, 80 000 demandeurs d’asile se sont manifestés dans notre pays.
Je rappelle, puisque cela semble nécessaire, que personne ne quitte son pays par plaisir. Toutes les migrations de populations dépendent de l’ordre économique mondial établi et des rapports de force politiques entre les États.
Les guerres civiles, l’effondrement d’États, la barbarie née de vingt ou trente années de conflits ont provoqué une crise humanitaire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
En conséquence, chacun doit prendre ses responsabilités.
Pour l’heure, la priorité est d’assurer la sécurité de ces réfugiés, en les libérant de l’exploitation des passeurs et des réseaux mafieux.
Si cet accueil relève de la compétence régalienne de l’État en matière de droit d’asile, sa mise en œuvre concrète repose pour beaucoup sur les collectivités territoriales.
La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation l’a souligné en octobre dernier : l’accueil des réfugiés en France doit faire l’objet d’une coproduction territoriale, ce qui nécessite notamment d’établir un diagnostic des collectivités et des moyens qu’elles peuvent déployer pour contribuer à l’effort national. Dans le même temps, les collectivités territoriales attendent un soutien accru de l’État.
Par le passé, le département dont je suis l’élu, le Val-de-Marne, était déjà fortement sollicité pour l’accueil des mineurs étrangers isolés. L’expulsion engagée de la « jungle » de Calais, où 326 mineurs isolés ont été identifiés, va rendre cette question encore plus urgente. Elle exigera des négociations beaucoup plus serrées avec le Royaume-Uni, pour permettre aux mineurs concernés de bénéficier du regroupement familial.
En septembre dernier, l’État a sollicité les collectivités de notre département, dans la perspective d’un fort afflux de réfugiés syriens. Très rapidement, dès le 23 octobre, nous avons mis à sa disposition, bien entendu à titre gratuit, un bâtiment de la commune de Fontenay-sous-Bois regroupant plusieurs logements, pour l’hébergement provisoire de réfugiés. Malheureusement, le bilan des réalisations est loin d’être concluant.
La convention signée avec l’État, pour six mois, arrive à échéance très prochainement. Or seule une famille syrienne de cinq personnes a été accueillie,…
Mme Esther Benbassa. Exact !
M. Christian Favier. … sur les quarante-sept personnes relogées, lesquelles sont principalement évacuées des squats de Paris. Bien entendu, tel n’était pas le projet initial.
L’exemple du Val-de-Marne est révélateur d’un fait désormais avéré : si l’État peine à relocaliser les réfugiés, c’est parce que ces derniers, dans leur grande majorité, ne veulent pas rester en France.
Les campagnes de stigmatisation et de peur de l’étranger, largement alimentées par la propagande de l’extrême droite, ont fortement terni l’image de la patrie des droits de l’homme.
Pourtant les chiffres le montrent, l’idée d’une « invasion », sur laquelle le Front national continue d’appuyer sa propagande, relève bel et bien du fantasme. Elle trahit un mépris insupportable à l’égard d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent un drame épouvantable.
Monsieur le ministre, la France est encore loin de prendre toute sa place dans l’accueil de réfugiés qui sont poussés à l’exil au péril de leur vie. Or, à l’instar de l’Union européenne et des États-Unis, notre pays porte sa part de responsabilité dans le chaos que nous connaissons en Syrie, en Irak ou en Libye.
Ces réfugiés ne disparaîtront pas par la répression et la fermeture des frontières. Seuls le rétablissement d’une paix durable et l’anéantissement de Daech permettront d’envisager leur retour. Mais, dans l’immédiat – c’est bien entendu sur ce point que se mobilisent les élus du groupe CRC –, il est de notre devoir de les accueillir avec dignité et humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa ainsi que MM. Jean-Pierre Sueur et Alain Néri applaudissent également.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat de ce soir n’a pas pour objet les politiques migratoires. Il porte sur l’accueil de familles qui fuient la mort. En prenant la route, ces hommes et ces femmes savent très bien qu’ils mettent en danger leurs enfants, qu’ils devront payer des passeurs, lesquels ne sont pas nécessairement fiables. Mais, ils en sont également persuadés, s’ils ne quittent pas leur pays, ils n’échapperont pas à la mort. C’est en ces termes que nous devons aborder cette discussion.
Il ne saurait être question, au sujet des migrants, de seuils de tolérance ou d’acceptation par nos sociétés. Les personnes dont il s’agit ont besoin de protection. En tout cas, c’est à celles qui implorent notre secours que nous devons dédier ce débat.
Dès lors, évoquer de tels quotas reviendrait à admettre un seuil de tolérance de camps de la mort, d’horreur, de refus de protéger.
L’accueil est notre premier devoir.
Selon Europol, parmi les migrants, 10 000 enfants auraient disparu au cours de l’année dernière.
Mme Esther Benbassa. Eh oui !
M. Jean-Yves Leconte. Ce chiffre ne peut que nous effarer. Il nous impose d’aborder le problème autrement.
Au regard de la situation actuelle, force est de l’admettre : aujourd’hui, l’Europe est menacée par ses fantasmes, elle semble totalement terrassée par ses peurs.
Sur le territoire européen, un demi-milliard d’habitants a reçu moins de 1 million de personnes. Dans le même temps, la Jordanie, qui compte 8 millions d’habitants, en a reçu plus de 2 millions. Le Liban, avec ses 6 millions d’habitants, en a lui aussi reçu plus de 2 millions. Quant à la Turquie, qui compte plus de 80 millions d’habitants, elle a recueilli plus de 2 millions de réfugiés.
Mme Esther Benbassa. Et même 2,5 millions !
M. Jean-Yves Leconte. L’Europe ne peut se contenter d’imaginer qu’il faut payer ces trois États pour continuer à « sous-traiter » le problème.
En outre, on ne peut pas dire un jour à la Turquie : « Ouvrez vos frontières, car des bombardements russes menacent la vie de dizaines de milliers de personnes », puis, quelques heures plus tard, lui déclarer : « Faites absolument tout pour garder tous ces réfugiés sur votre territoire ».
Mes chers collègues, en préambule, je tiens parallèlement à formuler quelques rappels.
Tout d’abord, le droit d’asile est un droit individuel. Il doit être appliqué de manière individuelle, et non par nationalité. Lorsque, à la frontière gréco-turque, on accepte certaines entrées en en refusant d’autres, selon le critère de la nationalité, on se livre à une violation du droit d’asile.
La situation actuelle dans les Balkans le prouve clairement : sans coopération européenne, on ne pourra rien faire. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam acquiesce.) Pourtant, tous les États européens semblent, aujourd’hui, dans la situation de conducteurs freinant sur une plaque de verglas, au lieu d’essayer de reprendre une trajectoire.
On le sait tous, c’est dans la solidarité et dans la coopération qu’il sera possible d’agir. Cependant, chacun, saisi par un réflexe de peur, se referme sur lui-même et empêche de ce fait toute solidarité.
Ce n’est que par un renforcement de la coopération européenne que l’on pourra lutter contre les crises humanitaires que l’on constate, mais aussi contre les crises sécuritaires qui peuvent être engendrées par cette situation et contre l’économie du crime qui se développe autour des passeurs chaque fois qu’il y a des frontières.
C’est important, mais il est aussi important de savoir dire clairement à l’Europe centrale ce que l’on attend d’elle. Elle doit en effet avoir en mémoire ce qu’elle a pu vivre : il ne s’agit pas de la stigmatiser mais de la mettre devant ses responsabilités. On voit aujourd’hui se reconstituer volontairement sur ce sujet, de manière quelque peu étonnante, le pacte de Varsovie. L’attitude de la Roumanie, de la Hongrie et de la Slovaquie est particulièrement inquiétante pour la solidarité européenne. Cela est du ressort de ces pays, mais il faut leur en parler.
Je suis aussi inquiet de la situation en Grèce. Près de 8 000 personnes sont aujourd’hui bloquées à la frontière avec la Macédoine, frontière dont la militarisation est de plus en plus sensible. Une pression européenne s’exerce toujours plus fortement sur la Grèce autour de l’accueil des réfugiés, alors même que, depuis deux ans, la Grèce avait fait beaucoup d’efforts, en particulier pour leur premier accueil et la politique d’asile.
La situation en Macédoine est aussi inquiétante : aucune identification claire n’y est effectuée, alors qu’on y constate des flux encore plus importants qu’en 2015.
Alors, dans cette situation, la France a pris l’engagement d’accepter la relocalisation de 30 000 personnes. Le fait est qu’aujourd’hui, comme cela a déjà été relevé par Christian Favier, assez peu d’exilés demandent en fin de compte une relocalisation en France. Cela doit nous interroger sur notre attractivité.
Je dois cependant rendre malgré tout hommage à l’OFPRA, dont nous avons vu le travail en Grèce, en particulier pour les mesures entreprises pour accomplir la promesse française, dont j’espère qu’elles prendront de l’ampleur. Il faut aussi garder à l’esprit que tous les pays n’ont peut-être pas les mêmes capacités et compétences que nous dans ces domaines et accompagner en conséquence ces pays pour y faciliter la relocalisation de réfugiés.
J’espère aussi que le sommet Union européenne-Turquie permettra de constater que des préoccupations communes existent en termes de lutte contre les passeurs. Certes, compte tenu de sa situation intérieure, la Turquie n’est pas aujourd’hui un pays sûr : si l’on ignorait ce fait, nous serions d’ici peu frappés par d’autres crises. Il faut néanmoins savoir trouver, ensemble avec la Turquie, des moyens de protéger ceux qui sont encore sous les bombardements russes. Si nous ne gardons pas tout cela en tête, alors l’Europe perdra son âme et n’aura plus de sens, d’image ni de force.
Permettez-moi en conclusion de faire trois propositions.
En premier lieu, il me semble important d’être capable de développer, dès la Turquie, une identification unique des personnes qui veulent rejoindre l’Europe, afin de ne pas répéter des opérations d’identification moyennes d’une partie du flux de réfugiés en Grèce, après qu’ils ont pris le risque de traverser la Méditerranée, puis encore en Macédoine, en Serbie et de nouveau à l’entrée en Croatie. Une identification unique, c’est plus de sécurité et plus de capacités à suivre les choses.
En deuxième lieu, je proposerai de revoir le fonctionnement et les fins d’Eurodac. Il faut développer les capacités de ce système et développer le nombre de bornes d’enregistrement. Il faudrait également réfléchir à l’avenir du système de Dublin. On voit aujourd’hui la Grèce enregistrer toutes les arrivées, ce qui, selon le système de Dublin actuellement en vigueur, la rend entièrement responsable. Cette situation ne peut plus durer très longtemps.
En troisième lieu, je suggérerai d’ouvrir la possibilité de se porter candidat à la relocalisation en Europe aux réfugiés dès la Turquie, le Liban et la Jordanie. Il n’est pas logique d’être obligé, somme toute, de demander à ces gens de prendre le risque de traverser, avec leurs familles la mer Égée pour qu’ils puissent ensuite bénéficier éventuellement de notre protection.
Je n’entends pas par cette proposition la création de hotspots : cela impliquerait en effet la création de camps européens dans des pays tiers, qui ne sont pas nécessairement prêts à l’accepter. Il s’agit plutôt, dans mon esprit, de pouvoir enregistrer dans ces pays des demandes de relocalisation : cela me paraît indispensable.
L’annonce faite aujourd’hui d’une rencontre entre le Président de la République et la Chancelière allemande avant le sommet Union européenne-Turquie est à mes yeux importante. Ainsi, enfin, une initiative franco-allemande sur ce dossier pourrait permettre à l’Europe de retrouver son âme, de parler fortement avec la Turquie pour exprimer les préoccupations que nous avons en commun et, plutôt que de subir la situation, de vouloir la maîtriser ensemble avec la Turquie. À ce propos, on ne dira jamais assez combien nous payons aujourd’hui le prix de l’abandon de la perspective européenne de la Turquie en 2007.
Voilà les préoccupations et les propositions que je souhaitais exprimer. Aujourd’hui, en vérité, l’Union européenne se trouve sur ce sujet à la croisée des chemins. L’Europe, c’est la paix et la solidarité : elle a été construite pour cela. Or nous sommes en train de tout perdre.
Aussi, le couple franco-allemand a besoin de prendre une initiative sur cette question. Nous avons certes des préoccupations différentes mais elles convergent quant aux migrations, à l’accueil des réfugiés et à la sécurité : cela doit pouvoir de nouveau constituer une force pour l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Valérie Létard et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la guerre civile syrienne, l’aggravation du conflit en Libye et la situation dramatique de l’Érythrée ont jeté sur les mers et sur les routes des millions de femmes, d’hommes et d’enfants dont la priorité est de survivre. Ils tentent de gagner l’Europe dans les conditions dramatiques que l’on sait, espérant y trouver protection et sécurité.
En décembre 2015, l’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés faisaient état de 1 005 504 entrées de migrants en Europe par voies maritime et terrestre.
Face à cette situation sans précédent, le Conseil de l’Union européenne a notamment pris la décision, en septembre dernier, de mettre en œuvre une procédure dite de « relocalisation », consistant à transférer les demandeurs d’asile arrivant en Grèce et en Italie vers d’autres États membres, chargés de l’étude de leur demande d’asile.
Cette procédure, qui devait concerner 160 000 personnes en deux ans, semblait constituer un pas en avant vers davantage de solidarité intra-européenne. La France prenait également ses responsabilités, s’engageant à accueillir environ 30 000 réfugiés dits « relocalisés » en deux ans.
Aujourd’hui, près de six mois après la mise en place de cette procédure et alors que notre commission des lois revient d’un voyage en Grèce dans le cadre de la mission de suivi et de contrôle du dispositif d’accueil des réfugiés, qu’en est-il ?
Eh bien, le moins que l’on puisse dire, mes chers collègues, c’est que la mise en place du programme de relocalisation est laborieuse !
Au 10 février, 218 personnes avaient été transférées de Grèce et 279 d’Italie vers les autres États membres ; la France pour sa part en avait accueilli 135. Au vu de tels chiffres, il pourra sembler dérisoire que notre Premier ministre affirme, comme il l’a fait lors de la conférence de Munich sur la sécurité des 12 et 13 février, que la France ne pourra accueillir plus que les 30 000 réfugiés prévus.
Cent trente-cinq personnes ! On est loin de la marée humaine annoncée par certains, parfois à des fins électoralistes. Comment expliquer ce phénomène alors que le cadre réglementaire existe et que la situation demeure si préoccupante ?
Rappelons aussi que la relocalisation ne concerne que les Syriens, les Érythréens et les Irakiens ; par ailleurs, elle ne permet pas le choix du pays de transfert. En fin de compte, environ 40 % des personnes arrivant en Italie et en Grèce ne relèvent pas de cette procédure. Nombre de ceux qui pourraient en bénéficier préfèrent ne pas faire de demande plutôt que de se voir imposer un pays de destination et de risquer de ne pas retrouver leurs proches.
Comme l’ont relevé nos collègues de la commission des lois lors de leur déplacement en Grèce, « le programme de relocalisation est encore trop timide et d’une échelle sans commune mesure avec les besoins réels ». Au rythme où vont les choses, il faudrait plusieurs dizaines d’années pour relocaliser dans les pays de l’Union européenne les 160 000 personnes prévues, et cela sans même compter, bien sûr, les milliers d’autres qui continuent d’arriver.
Il est heureux qu’Angela Merkel, ne cédant ni à la pression de son propre parti ni aux critiques venant de toutes parts, y compris des pays de l’Union européenne, continue de nous donner une leçon d’humanité. Quel contraste avec les déclarations de notre Premier ministre le 13 février ! « Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés. » Voilà une phrase qui laissera des traces dans l’histoire de notre pays.
Rien de très nouveau, en vérité. Rappelons-nous seulement l’accueil réservé en 1938 aux juifs fuyant l’Allemagne nazie et l’Autriche après l’Anschluss ou, en 1939, lors de la Retirada, aux milliers de Républicains espagnols entassés dans des camps d’internement.
Notre gouvernement a le devoir d’agir. Il est intolérable de durcir le ton dans les sommets internationaux et de recourir à ce fameux langage de fermeté, cédant ainsi au populisme, souvent teinté de xénophobie, qui ronge notre pays.
Au nom de la simple dignité humaine, nous sommes liés par les devoirs incombant à cette « patrie des droits humains » dont nous claironnons les principes sans prendre toujours concrètement soin de nous y tenir.
Essayons, de grâce, de ne pas l’oublier. Les autres pays européens sont également tenus de s’associer au mouvement de solidarité pour accueillir les réfugiés. Les égoïsmes nationaux en la matière risquent à la longue de faire craquer l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me semble tout d’abord nécessaire de souligner que, sous le vocable « réfugié », très vite devenu unique et obligatoire, se cache une très forte disparité d’individus.
S’il existe à n’en pas douter quelques véritables réfugiés qui fuient la guerre, un grand nombre d’entre eux, pour ne pas dire la majorité, constituent en réalité une immigration économique. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
En outre, les images de ces cohortes humaines – 10 000 entrées par jour, a-t-on entendu ici tout à l’heure –, dont les médias nous inondent chaque jour, démontrent qu’il s’agit là d’une population essentiellement masculine et relativement jeune.
M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas exact !
M. Stéphane Ravier. Une force qui devrait amener ces populations non pas à quitter leur pays mais, au contraire, à y rester pour le défendre et pour défendre leurs familles, qu’elles ont manifestement laissées derrière elles. (Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi s’exclament.) Ne fait pas Verdun qui veut !
M. Alain Néri. Parlez de ce que vous connaissez !
Mme Éliane Assassi. On va vous y envoyer ! Allez-y et n’en revenez pas !
M. Stéphane Ravier. Quant à l’accueil à proprement parler, force est de constater qu’il est imposé à ceux qui vont devoir, que cela leur plaise ou non, vivre aux côtés de ces populations : j’ai nommé les Français !
Nos compatriotes, celles et ceux qui nous ont élus, sont les grands oubliés, une fois de plus, de ce faux débat…
Mme Esther Benbassa. Oh !
M. Alain Néri. C’est honteux !
M. Stéphane Ravier. … qui, chacun le sait, se conclura dans un bel élan d’humanisme et, selon la formule consacrée par M. le ministre de l’intérieur, par l’application de la tradition d’accueil séculaire de la France, héritée de 1793…
Mme Éliane Assassi. Que cela vous plaise ou non, c’est ainsi !
M. Stéphane Ravier. … et qui fait l’honneur et les valeurs de la République. Rangez vos mouchoirs !
Nous savons pertinemment que ce gouvernement, comme les précédents, ne s’intéresse plus à ce que souhaitent nos compatriotes, alors qu’il devrait imiter et non fustiger la Hongrie, qui a sagement et démocratiquement appelé son peuple à se prononcer par la voie du référendum, consciente que le phénomène qui la touche engage son avenir comme il engage le nôtre.
Mme Éliane Assassi. Ça vous ressemble bien !
M. Stéphane Ravier. Tant de raisons justifient que nous nous opposions à cette déferlante migratoire !
La première : nous n’avons pas les moyens d’appliquer votre idéologie, avec une dette abyssale, 6 millions de chômeurs, 8 à 9 millions de pauvres, une crise du logement et, à Marseille, des écoles qui s’effondrent. La Déclaration des droits de l’homme et autres discours coupés des réalités ne suffiront pas à absorber cette misère. (Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi s’exclament.)
M. Alain Néri. Il perd la raison !
M. Stéphane Ravier. Nul doute cependant que cette manne bon marché qui acceptera de travailler pour des salaires au rabais fera le bonheur du MEDEF, qui imitera ainsi son modèle allemand.
M. Maurice Vincent. Ce n’est pas le sujet !
M. Stéphane Ravier. Cette concurrence déloyale de l’intérieur, nos compatriotes devront la subir,…
Mme Éliane Assassi. Vous dites n’importe quoi !
M. Stéphane Ravier. … puisque les syndicats, qui sont pourtant censés les défendre, sont favorables à l’accueil et donc à l’exploitation de ces populations.
Mme Éliane Assassi. Vous êtes haineux !
M. Stéphane Ravier. Il n’y a pas que les passeurs qui s’enrichissent sur le dos de la misère.
M. Christian Favier. Il y a le Front National !
M. Stéphane Ravier. Quant à la cohésion et à l’identité nationales, elles n’en seront que davantage fragilisées. Il n’est qu’à observer la guerre qui se déroule à Calais et qui a plongé les habitants ainsi que les forces de police et de gendarmerie dans l’enfer de ce que vous osez encore appeler le « bien vivre ensemble ».
Quant au risque terroriste, il s’est déjà manifesté dans l’horreur que l’on sait au mois de novembre dernier à Paris (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain frappent sur leur pupitre en signe d’impatience.) et Interpol estime aujourd’hui que 5 000 djihadistes ont pu bénéficier de l’anarchie migratoire.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Ravier !
M. Stéphane Ravier. Je conclus, monsieur le président. Merci de me laisser un petit peu plus de temps, comme vous l’avez fait pour les collègues qui se sont exprimés avant moi !
M. Alain Néri. Vous auriez pu ne pas commencer du tout, cela aurait été mieux !
M. Stéphane Ravier. Enfin, et ce point est souvent oublié de vos analyses, ces immigrés représentent les forces vives des pays d’origine. (M. Daniel Raoul frappe sur son pupitre en signe d’impatience.) En les acceptant et en les fixant chez nous, en attendant qu’ils fassent venir leur famille, car ils ne repartiront pas, vous privez ces pays des forces dont ils ont besoin pour se construire ou se reconstruire, et vous participez ainsi à leur appauvrissement (M. Daniel Raoul manifeste de nouveau son impatience.) et, donc, à une nouvelle émigration à venir.
Pour conclure,…
MM. Jean-Yves Leconte et Alain Néri. Ah oui !
M. Stéphane Ravier. … dans l’intérêt de tous, celui de nos compatriotes comme celui de ces populations, et forts du constat de l’échec de l’Europe à maîtriser la situation, retrouvons ici aussi notre souveraineté.
M. le président. Concluez !
M. Stéphane Ravier. En effet, le seul débat que nous devons ouvrir urgemment porte non pas sur l’accueil, mais bien sur le retour de ces populations dans leur pays d’origine.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Daniel Raoul. Cela va changer !
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, déjà peu lisible pour l’observateur moyen – c’est un euphémisme –, la politique migratoire européenne, ou plutôt l’absence de politique migratoire européenne, en train de virer au « sauve-qui-peut » prend un air « surréel » vu de la Grèce qui a accueilli l’année dernière 911 000 réfugiés – jusqu’à 7 000, parfois 10 000 réfugiés certains jours –, en provenance de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, d’Érythrée et de bien plus loin.
Telle est en tout cas mon impression en tant que membre de la mission sénatoriale chargée du suivi du dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés, qui vient de se rendre à Athènes et à Lesbos, cette île de 70 000 habitants qui, à quelques kilomètres des côtes turques, accueillit 500 000 réfugiés en 2015 et enterra leurs morts.
« Surréel », parce que ce phénomène hors norme a été traité et continue de l’être par les responsables européens avec les procédures de routine, c'est-à-dire les procédures légales. Comme on le sait, celles-ci reposent sur la distinction entre les demandeurs d’asile et tous les autres immigrants : les premiers sont accueillis de droit, parce qu’ils sont persécutés ou victimes d’une guerre, les seconds sont immédiatement expulsables s’ils se trouvent en situation irrégulière, ce qui est massivement le cas. D’où l’importance centrale accordée à l’identification des arrivants et de leur pays d’origine, qui permet de distinguer les légitimes demandeurs de « protection internationale » des migrants économiques. D’où la fixation de Bruxelles et des pays d’éventuelle destination sur la mise en place de points de passage – les fameux hotspots –, où les arrivants seront identifiés, triés et enregistrés dans le fichier Eurodac.
Cette question réglée, l’intendance est censée suivre, sauf qu’il faut deux conditions : que les flux de réfugiés restent modérés et pas trop erratiques, d’une part, que les déboutés du droit d’asile puissent être effectivement renvoyés d’où ils viennent, d’autre part. Or ces conditions ne sont plus remplies.
Même la France, dont la situation n’est pas celle de la Grèce, ne parvient pas, malgré tous ses efforts et des moyens bien supérieurs, à renvoyer tous les déboutés du droit d’asile. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2015, sur les 79 914 demandes d’asile qui ont été enregistrées, 26 700 ont été accordées et 53 214 ont été refusées, 17 000 reconduites à la frontière ont eu lieu, ce dernier chiffre étant en augmentation.
Imaginons la Grèce, où étaient déjà installés un million de migrants en 2014, faisant face, quasi seule au départ, à la vague migratoire dont j’ai parlé. François-Noël Buffet l’a souligné, après leur passage dans un hotspot où ils sont identifiés, enregistrés, reconnus ou non comme demandeurs d’asile légitimes, tous les réfugiés se retrouvent sur les ferrys qui les emmènent à Athènes et, un peu plus tard, pour la plupart, en route vers l’Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni, via la Macédoine et les Balkans. Seule les distingue la durée de validité de leur sauf-conduit : six mois pour les demandeurs d’asile reconnus, deux mois pour les autres.
Pour l’heure, la foule indifférenciée des nouveaux réfugiés ne fait que passer en Grèce et dans les pays qui les séparent de leur point de chute final, tant que les frontières ne se fermeront pas, ce qui est en train de se passer. Actuellement, quelque 70 000 réfugiés seraient pris au piège de la frontière macédonienne ouverte au compte-gouttes.
« Surréel » aussi est le plan de relocalisation des réfugiés péniblement adopté au mois de septembre 2015. Il est non seulement obsolète avant même de naître, puisque sont concernés seulement 120 000 réfugiés – je maintiens ce chiffre, même si celui de 160 000 a été évoqué –, dont 66 000 en provenance d’Italie et de Grèce, alors que c’est là que sont les flux principaux, mais aussi poussif au démarrage, faute de places offertes et d’appétence des réfugiés eux-mêmes au regard des délais d’instruction et de l’ignorance de leur destination finale. À la date du 17 janvier 2016, seules 597 places étaient offertes et 621 demandes étaient enregistrées !
« Surréelle » enfin est la facilité de la bureaucratie et des dirigeants politiques européens à se dédouaner de toute responsabilité. Pour eux, l’origine d’une situation aussi catastrophique ne saurait résulter de leur immobilisme, de leur manque d’anticipation, encore moins de l’insuffisance des règlements et des traités, mais serait la conséquence de l’incapacité, voire de la mauvaise volonté, des exécutants, en l’espèce la Grèce.
Ainsi, dès l’été 2015, un procès en sorcellerie pour insuffisance fut-il préventivement instruit à l’encontre de la Grèce, alors que celle-ci, écrasée par les « restructurations » imposées par la Troïka, faisait face quasi seule avec ses dix millions d’habitants et à ses frais – au moins 600 millions d'euros – à une catastrophe humanitaire majeure. Le maire de Mytilene – commune de 28 000 habitants – nous l’a dit : « On s’est sentis très seuls, humiliés par les visites étrangères d’inspection et les critiques de la commission permanente de contrôle de la mise en œuvre des règles de Schengen en novembre 2015 ».
Pour l’heure, je le dis tout net, on est accablé de devoir constater que le seul chef d’État à avoir le courage d’appeler, comme elle vient de le faire il y a quelques jours encore, à ne pas abandonner la Grèce, à ne pas la laisser plonger dans le chaos, c’est Mme Merkel ! (Mmes Françoise Férat et Catherine Di Folco ainsi que M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour beaucoup de Français, la crise des migrants, c’est d’abord la vision insoutenable de la « jungle » de Calais. Avec les membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je m’y suis rendue voilà quelques semaines.
Jamais, monsieur le ministre, jamais, mes chers collègues, alors que j’ai visité de nombreux camps de réfugiés en Syrie, en Jordanie, en Turquie, en Irak, jamais je n’ai vu de conditions de vie aussi inhumaines, une telle saleté, une telle misère. Cette situation honteuse n’a que trop duré et je salue le démantèlement du bidonville. Attention toutefois à ce que les migrants ne se retrouvent rapidement de nouveau à la rue, à la merci des réseaux de traite des êtres humains, susceptibles de les acculer au travail forcé ou à l’exploitation sexuelle. Il est indispensable d’assurer le suivi de ces personnes, en particulier celui des mineurs isolés. Monsieur le ministre, je serais heureuse que vous nous indiquiez les dispositifs prévus à cette fin.
Pour nos sociétés, la grande question est celle de l’insertion des migrants. Au mois de mai dernier, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile, j’ai déposé des amendements visant à faciliter l’accès au travail des demandeurs d’asile durant la période d’examen de leur dossier. Dans ce domaine, la France est très en retard par rapport à la Suède, à l’Allemagne ou aux États-Unis.
L’exclusion du marché du travail pendant de longs mois empêche les migrants de vivre dignement. Elle a aussi un coût élevé pour notre société en favorisant l’économie clandestine. Il faut lever ce tabou. C’est d’autant plus urgent que le nombre de migrants s’accroît à une vitesse sidérante. En France, les migrants se comptent par milliers, en Grèce, par centaines de milliers, en Turquie, en Jordanie ou au Liban, en millions…
Dans certains pays, les réfugiés pèsent désormais pour un quart de la population, ce qui, pour les petits pays, entraîne une fragilisation potentiellement explosive de leurs structures économiques et sociales. Il est indispensable d’aider ces pays pour leur permettre d’accueillir plus de réfugiés, qui, en restant près de chez eux, pourront y retourner plus facilement pour reconstruire leur vie et leur pays. Il faut de nouveaux accords de Bretton Woods.
Je sais que l’aide publique au développement ne relève pas de votre compétence, monsieur le ministre, mais il est véritablement indispensable de mieux épauler le Liban et la Jordanie, qui demeurent exclus des financements concessionnels, réservés aux pays les plus pauvres.
M. Jacques Legendre. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quant au mécanisme de relocalisation, il commence à peine à fonctionner avec la Grèce. Ce mécanisme ne devrait-il pas être élargi à la Turquie, à la Jordanie ou au Liban, afin de court-circuiter les réseaux de passeurs ?
Par ailleurs, où en est-on du mécanisme d’examen des visas pour l’asile dans nos consulats en Irak et en Syrie ? Les délais, me dit-on, se sont beaucoup allongés.
Il est évidemment urgent de démanteler les réseaux de passeurs, d’autant que ceux-ci contribuent au financement du terrorisme. Cela nécessite une politique pénale rigoureuse et une véritable coopération européenne. La coopération entre FRONTEX et l’OTAN en mer Égée est un progrès. L’ayant réclamée depuis le mois d’avril dernier, je m’en réjouis, mais il faut aller plus loin dans la coopération avec les pays les plus concernés.
Au mois d’octobre dernier, l’Union européenne et la Turquie ont signé un plan d’action de lutte contre les passeurs : où en sommes-nous ? Il semblerait aussi que les contrôles d’identité réalisés dans les hotspots en Grèce soient peu fiables, faute notamment de recoupement entre les informations de la police grecque, celles de FRONTEX, d’Europol et celles du système d’information Schengen, ce qui laisse le trafic de faux documents prospérer. Qu’est-il prévu pour améliorer le dispositif ?
La cohésion européenne est aujourd’hui à rude épreuve, alors qu’une véritable coopération s’impose plus que jamais. La libre circulation des biens et des personnes est menacée. C’est pourtant un pilier de la construction européenne, son incarnation la plus tangible pour les citoyens et un enjeu économique énorme.
Sachons discerner les priorités. Ne laissons pas les égoïsmes triompher, alors même que la violence obscurantiste est à nos portes. Notre pays, patrie historique des droits de l’homme, se doit d’être leader en Europe sur cette question. C’est un devoir pour nous tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que, à une exception près – heureusement, ce fut bref –, nous ayons un débat de qualité, montrant ainsi que la représentation nationale est consciente de l’importance et de la difficulté du sujet. Tous, nous affirmons cette obligation de solidarité à l’égard des réfugiés, même si elle est difficile à mettre en œuvre, notamment parce que nos populations – comme de nombreuses autres en Europe – n’y sont pas aussi favorables que l’on pense. Même en Allemagne, la Chancelière est critiquée, alors que, de là où je vis, je vois comment des communes allemandes accueillent facilement 400 réfugiés. Reste que les populations commencent à s’inquiéter.
On oublie vite, trop vite, l’image de cet enfant mort sur une plage de Méditerranée, qui a suscité un émoi extraordinaire ; tout le monde en parlait. Tout cela semble avoir disparu aujourd'hui. Je ne suis pas sûr que les populations, sauf celles qui sont directement concernées, soient aussi sensibles aux difficultés de vie des réfugiés à Calais et des populations voisines.
La solidarité de nos populations n’est pas au rendez-vous. Il est vrai que celles-ci souffrent aussi : difficultés économiques, chômage… Ce n’est certainement pas le meilleur moment pour avoir le sens de l’accueil.
La solidarité, cela a été dit, c’est d’abord la solidarité européenne. L’Europe est-elle capable de construire effectivement une politique commune qui lie chacun des États alors que, pour être clair, certains refusent de s’engager et d’autres acceptent que certains pays, notamment la Grèce, mais très souvent également l’Italie, soient confrontés plus que d’autres à des difficultés ? Disant cela, je pense à la situation que vivent souvent les maires en matière d’accueil des gens du voyage, chacun espérant que ces gens s’arrêtent sur le terrain des autres et pas sur le sien !
La solidarité en Europe est indispensable. La proposition de Jean-Yves Leconte et d’autres de travailler sur une identification unique est la seule solution, bien que sans doute difficile à mettre en œuvre.
Vous l’avez compris, monsieur le ministre, une initiative franco-allemande est fortement attendue. Alors que la Chancelière a clairement affirmé sa volonté d’accueillir des réfugiés, elle connaît quelques difficultés dans son pays. L’État français est lui aussi prêt à en accueillir, mais notre pays n’est pas la terre préférée des réfugiés, qui déclarent régulièrement qu’ils ne veulent pas rester en France.
Une solidarité des territoires, localement, est également nécessaire. Vous avez, les uns et les autres, mes chers collègues, évoqué un partenariat avec les collectivités locales. Je pense, monsieur le ministre, qu’il y a lieu de mieux construire ce partenariat. Il n’est pas forcément simple, pour les élus locaux, de demander à leurs administrés de bien vouloir accueillir des réfugiés, surtout lorsque les logements sociaux sont déjà pleins. C’est un peu plus facile de le faire en Alsace, car on peut rappeler aux Alsaciens qu’ils étaient contents, en 1939, d’être réfugiés notamment en Dordogne ou dans le Limousin, mais les générations qui ont vécu cette période tendent à disparaître.
Permettez-moi d’évoquer la manière dont les services de l’État en région se comportent à l’égard des communes, car il faut en parler. Un vrai partenariat est nécessaire. Lorsque vous mettez des logements à disposition pour l’accueil des réfugiés, on vous dit : Signez une convention avec une association. Or, en tant que maire, je veux un écrit avec l’État !
Ce partenariat suppose également que l’accueil des enfants à l’école soit garanti. Or, alors que le nombre d’enfants que la commune s’apprête à accueillir devrait permettre le maintien d’une classe, on m’annonce sa fermeture ! C’est un détail, mais il est important. En effet, les maires qui font l’effort de convaincre leur population d’accueillir des réfugiés doivent être soutenus par l’État. Ceux qui ont répondu à votre invitation, monsieur le ministre, qui ont ensuite fait des efforts et qui constatent aujourd'hui qu’ils n’ont pas de réponse ne manquent pas de s’interroger.
Les maires de Grande-Synthe et Calais sont interpellés par leur population et ont besoin d’une présence de l’État afin de ne pas avoir le sentiment d’être seuls face à leurs administrés. À défaut, certains maires pourraient très vite être enclins à partager, parfois de manière démagogique, les discours xénophobes et sectaires que l’on entend parfois.
Enfin, et cela fait longtemps que l’on en parle, les territoires doivent être solidaires en matière d’accueil des mineurs isolés étrangers. Des départements se plaignent depuis longtemps d’avoir beaucoup trop de charges quand d’autres n’en ont pas. Pour respecter nos engagements internationaux, nous devons accueillir ces mineurs étrangers, même si nous savons que certains sont victimes de trafic et de réseaux et dont les parents ont payé en pensant les envoyer vers un eldorado. Ces enfants ont vécu tellement de choses qu’ils sont admirables. Une solidarité de l’ensemble des territoires, je le répète, est nécessaire.
Ce débat a permis de montrer, monsieur le ministre, que la représentation nationale, dans sa très grande majorité, à une exception près, avait conscience de ce besoin de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’évidence, le problème auquel l’Europe est confrontée est sans précédent, tout du moins dans son histoire récente. Il ne se réglera pas par des incantations, encore moins par des imprécations. Il faut avoir l’honnêteté et l’humilité de dire qu’il trouve son origine dans les conflits qui dévastent le Proche-Orient et que nous n’avons pas à nous seuls la clef de la solution à ces conflits. Ce problème trouve également son origine dans l’émigration de la misère, car il serait faux de dire que le flux d’un million de personnes ayant rejoint l’Europe l’année dernière serait constitué à plus de 50 % de demandeurs d’asile ayant de bonnes chances d’obtenir l’asile. Nous sommes confrontés au cumul d’une migration de la misère et d’une immigration de réfugiés authentiques.
La source vive de ces migrations est plus active que jamais. Nous assistons à une véritable déstabilisation de certains pays européens. Les efforts de nos États, de l’Union européenne, sont restés sans grands résultats, hélas !
Les capacités d’accueil d’un certain nombre de nos voisins parmi les plus allants, revendiquant pour eux-mêmes leur générosité, sont déjà dépassées. Les retours vers les pays d’origine sont pratiquement inexistants. La Grèce, les États des Balkans sont débordés par la traversée en masse de leur territoire et guettés par le chaos.
La commission des lois du Sénat a mis en place dès le mois de septembre un suivi du dispositif européen de relocalisation. Il a été confié à François-Noël Buffet, notre rapporteur spécial, qui a ouvert ce débat au nom du groupe Les Républicains. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à la qualité de son travail.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bravo !
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Philippe Bas. Des membres de tous les groupes politiques représentés à la commission des lois se sont rendus en Grèce, après les déplacements effectués par notre rapporteur à la fois à Calais et en Sicile. Nous avons pu apprécier la qualité du travail des services français, nos agences, l’OFPRA, l’OFII. De même, nous avons pu apprécier la qualité du travail des fonctionnaires de police mis à la disposition de FRONTEX et des agents de la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, en charge de l’évaluation de la sensibilité éventuelle des demandeurs d’asile aux mots d’ordre islamistes. Nous avons également pu apprécier la qualité de l’engagement des organisations non gouvernementales françaises, notamment dans le domaine médical.
Nous avons constaté qu’aucun de nos partenaires européens n’en fait autant. Il nous semble que le dispositif mis en place, s’il apporte des garanties en termes de sélection des demandeurs d’asile admis en France, connaît des limites inhérentes à la situation que chacun peut constater. Certes, il donne de bonnes chances que seuls de véritables demandeurs d’asile soient admis en France et que ceux-ci aient en main le maximum d’atouts pour s’intégrer, en raison de leurs qualifications ou des liens qu’ils auraient déjà avec la France. Il permet en outre d’écarter toute personne sur laquelle pourrait peser le plus petit soupçon d’une sensibilité à des messages djihadistes. Il remplit donc correctement sa fonction.
La faiblesse de ce dispositif – la qualité et l’efficacité des agents qui le mettent en œuvre ne sont pas en cause – est d’un autre ordre : c’est qu’il traite la partie la plus visible du phénomène et que cette partie est aussi la plus petite. Ce dispositif n’est pas de nature à permettre la maîtrise de la partie souterraine de ces flux, dont l’importance n’est pas correctement mesurée. Le mois dernier, nos dispositifs ont permis l’accueil d’un peu moins de cent personnes. Si l’on rapporte ce nombre à l’année 2015, cela signifie que le sol européen a accueilli plus d’un million de personnes.
Aujourd'hui, que constatons-nous ? La Turquie ne respecte pas les engagements qu’elle a pris à l’égard de l’Europe, qui a pourtant mis à sa disposition des crédits importants. La Grèce est débordée, et la crise grecque ne permet pas à ce pays de faire face à ses engagements ; l’aide qu’elle reçoit ne suffit pas encore à permettre l’enregistrement de tous les migrants. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) L’appel d’air créé par l’Allemagne a joué un rôle très négatif en amplifiant le phénomène et en le dénaturant. Il a conduit à un afflux de migrants de la misère dont les motivations sont essentiellement économiques et qui n’ont pas de raison d’être acceptés par nos pays. Selon les témoignages que nous avons recueillis sur place, au moins 50 % des migrants sont des migrants économiques.
L’Union européenne se montre impuissante. C’est le sauve-qui-peut général. L’espace Schengen est en train de voler en éclats, la Turquie, je l’ai dit, se dérobe. De nouvelles frontières s’érigent entre nous, y compris en Belgique – et je sais que M. le ministre de l’intérieur a fait les observations qui s’imposaient à cet égard. L’Union européenne se révèle incapable d’agir à la racine du problème, au Proche-Orient. Notre politique à l’égard de la Russie reste à la remorque de la diplomatie américaine.
L’Européen que je suis ne se résigne pas à ce déclin politique de l’Europe, qui la met en grand péril, et s’inquiète de l’incapacité de la France et de l’Allemagne à dépasser leurs divisions pour mettre en œuvre une politique efficace susceptible d’entraîner l’ensemble de nos partenaires européens.
L’Europe ne piétine pas, elle recule. Elle est aujourd'hui gravement menacée. Un sursaut politique et rapide est devenu indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Férat, Valérie Létard et Catherine Di Folco applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour commencer, je tiens à remercier le groupe Les Républicains d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui intervient dans un contexte migratoire particulièrement difficile pour l’Union européenne. Je remercie également l’ensemble des sénateurs qui sont montés à cette tribune pour faire part de leurs préoccupations, de celles de leur groupe politique, et pour interroger le Gouvernement sur un certain nombre des orientations de la politique européenne à l’élaboration de laquelle il contribue et sur les dispositions qu’il prend sur le territoire national pour faire face à cette crise migratoire.
Bien des chiffres qui ont été cités, bien des propos qui ont été tenus dans le cadre de ce débat m’ont ramené à l’humilité de l’exercice de ministre : j’ai en effet pu constater que, en dépit de la réitération des informations que je détiens, celles-ci ont un mal considérable à passer. (Sourires et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) J’impute cela à la faiblesse de mon argumentation…
M. Daniel Raoul. Oh ! M. le ministre se fait du mal ! (Sourires.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et à la difficulté dans laquelle je me trouve de faire passer ce à quoi je crois. Je l’impute également, très accessoirement – très accessoirement ! –, à la mauvaise foi d’un certain nombre de mes interlocuteurs.
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Aussi, je voudrais revenir sur des interrogations qui ont été exprimées, lesquelles sont d’ailleurs toutes légitimes, qui renvoient, d’abord, au contexte international et à la politique européenne, et, ensuite, aux dispositions que nous avons prises en France pour faire face à l’arrivée des migrants et les accueillir dans de bonnes conditions.
Je souhaite d’abord dire quelques mots du contexte européen.
Vous avez toutes et tous, à juste titre, signalé la dimension inédite de la crise migratoire à laquelle nous sommes confrontés et donné des chiffres qui sont justes. Je veux rappeler les chiffres, sans les citer tous, puisque vous en avez donné beaucoup. Je m’en tiendrai à ceux qui montrent l’évolution depuis trois ans des flux migratoires à l’arrivée en Grèce ou en Italie et qui témoignent de la dimension inédite de cette crise.
En 2014, 174 000 migrants relevant du statut de réfugié en Europe ou étant migrants économiques irréguliers ont franchi les frontières extérieures de l’Union européenne en Grèce ou en Italie. En 2015, ils ont été plus d’un million à le faire.
Sur les deux premiers mois de l’année 2016, les tentatives de franchissement de la frontière franco-italienne à Vintimille ont connu une augmentation de 63 %. Pour ce qui concerne les arrivées en Grèce, sur cette même période, 60 000 migrants ont tenté de franchir la frontière extérieure de l’Union européenne sur les îles grecques afin de pouvoir entrer dans l’Union et rejoindre leur pays de destination.
Alors que nous sommes en période hivernale et que, généralement, lorsque les conditions météorologiques en mer se dégradent, les flux migratoires diminuent, ceux-ci restent, cette année, à un niveau extrêmement élevé. Aussi, nous serons vraisemblablement, dans le courant de l’année 2016, confrontés à des flux plus importants encore que ceux de 2015, qui ont déjà créé le désordre que l’on sait et que vous avez pointé dans vos interventions respectives.
Cela résulte, comme vous l’avez dit les uns et les autres à juste titre, des désordres du monde. Aussi longtemps qu’aucune solution politique en Syrie, en Irak, n’aura été trouvée de nature à permettre à ceux qui sont persécutés dans leur pays de ne plus l’être et de pouvoir rester là où ils ont toujours vécu et aspirent à vivre encore pour y développer leurs talents, leurs compétences, après avoir fait leur apprentissage dans les universités pour les plus jeunes d’entre eux, nous serons confrontés à cette situation.
Il en sera ainsi tant que nous n’aurons pas réussi à dégager une solution politique d’union nationale en Libye, tant que la déréliction de l’État libyen se poursuivra avec l’espace considérable laissé à toutes les organisations criminelles qui appauvrissent ce pays et font peser, à partir de la Libye sur l’Europe, les plus grands dangers. Je pense à la traite des êtres humains, au trafic de drogue, au trafic d’armes et, bien entendu aussi, à Daech qui s’implante chaque jour davantage en Libye. Aussi longtemps que tous ces problèmes n’auront pas trouvé de débouché politique, nous serons confrontés à cette situation. (M. Alain Néri applaudit.)
Pour ce qui concerne l’Union européenne, j’ai notamment entendu le sénateur Buffet dire que la France n’a pas pris les initiatives qu’elle devait prendre, qu’elle n’est pas suffisamment à la pointe. Le président Bas vient, quant à lui, de dire que l’Allemagne et la France ne font pas ce qu’elles devraient faire. (M. Philippe Bas le confirme.)
Je veux rappeler ce qui a été fait, car nous avons une propension en France à considérer que ce que le gouvernement – quel qu’il soit, d’ailleurs – fait pour le pays est toujours plus mauvais ou en tous les cas moins satisfaisant que ce que d’autres gouvernements de l’Union européenne font sur les mêmes sujets.
Je veux rappeler la chronologie des événements et des initiatives en espérant qu’ainsi je parviendrai à convaincre les plus sceptiques d’entre vous. J’espère surtout qu’à l’occasion des prochains débats sur ces questions, la mise en cause de notre pays, qui n’a cessé de prendre des initiatives sur tous ces sujets, sera moins sévère et le jugement plus juste.
Le 31 août 2014 précisément – j’ai rendu compte de mon activité devant la commission des lois de votre assemblée à plusieurs reprises –, alors que la crise migratoire n’a pas encore éclaté et que nous sommes loin du niveau de pression que nous constatons aujourd’hui, sur la base de propositions que j’ai adressées au Président de la République et au Premier ministre et qui ont recueilli leur accord, j’entame une tournée des capitales européennes pour proposer à l’Union européenne, sentant cette pression inéluctable, en raison de la situation en Irak et en Libye, un agenda extrêmement précis.
Qu’y a-t-il dans cet agenda ?
Il y a d’abord la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne. En effet, sans ces contrôles, il n’y a pas d’autre choix que celui du rétablissement progressif, dans la plus grande confusion, dans le plus grand désordre, des frontières intérieures au sein de l’Union européenne. Et c’est ce qui se produit.
Si, aujourd’hui, certains pays de l’Union européenne rétablissent unilatéralement les frontières, c’est tout simplement parce que l’Union a été dans l’incapacité, depuis des années, et même ces derniers mois alors que la pression à ses frontières s’accroît, de mettre en place un contrôle aux frontières extérieures qui soit à la hauteur de la pression subie par le continent.
Nous avons proposé la mise en place de ce contrôle. Nous avons été les premiers à proposer que FRONTEX se déploie en un corps de gardes-côtes et un corps de gardes-frontières. C’est dans le scepticisme général que, lors d’un conseil Justice et affaires intérieures, nous avons été les premiers à proposer qu’on augmente les moyens de FRONTEX pour en faire une agence dotée de moyens lui permettant de faire face à cette réalité nouvelle. C’est devenu l’agenda de l’Union.
Nous avons, à ce moment-là, dit à nos partenaires européens non seulement qu’ils exercent ce contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, mais également que si, dès lors que ces frontières sont franchies, n’est pas opérée une distinction entre ceux qui relèvent du statut de réfugié en Europe, c’est-à-dire qui justifient de la protection du continent en raison des persécutions qu’ils ont subies, et ceux qui sont migrants économiques irréguliers, en organisant immédiatement le retour de ces derniers dans leur pays de provenance, il n’y aura aucune soutenabilité de l’accueil de ceux qui relèvent du statut de réfugié.
J’ai bien entendu, monsieur Favier, votre propos dans lequel vous regrettiez que l’on procède à cette distinction. Mais si on ne le fait pas au moment du franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne, en procédant à la reconduite de ceux qui ne relèvent pas du statut de réfugié en Europe, il n’y aura plus de soutenabilité de l’accueil des réfugiés en Europe. Et si nous voulons rester fidèles à nos valeurs et mettre l’Europe en situation d’assumer sa responsabilité dans un contexte de crise considérable,…
M. Pierre-Yves Collombat. Cela ne marche pas !
M. Pierre-Yves Collombat. Ben oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons aussi proposé que mandat soit donné à la Commission européenne de négocier avec les pays de la bande sahélo-saharienne, notamment le Niger, des centres de maintien et de retour organisés en liaison avec le HCR et l’OIM de manière que ces retours puissent se produire.
C’est sur la base de cette proposition française que la Commission européenne a confié à la Haute Représentante, Mme Mogherini, le soin de négocier ces conventions de retour. Il lui appartenait de le faire, elle n’a pas fait grand-chose du mandat qui lui a été confié. Je regrette d’avoir à faire ce constat devant le Sénat, mais c’est la réalité.
C’est nous aussi qui avons proposé le dispositif de relocalisation auquel Mme la sénatrice Benbassa a fait référence dans son propos, en évoquant à juste titre la dimension de solidarité de ce processus.
Quand Jean-Claude Juncker a présenté ses propositions à la Commission européenne, il l’a fait sur la base de propositions françaises.
Systématiquement, messieurs Bas et Buffet, lorsque la France a fait ces propositions, elle s’est empressée de demander à l’Allemagne de faire en sorte que cela soit porté conjointement. Or, malgré la totale convergence de vues entre la France et l’Allemagne dans l’élaboration de ces propositions et leur formulation, il a fallu dix-huit mois à l’Union européenne…
M. Philippe Bas. Désespérant !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … pour prendre, au mois de décembre, la décision de les mettre en œuvre. Dix-huit mois ! Il a fallu dix ans à l’Union européenne pour décider de la mise en œuvre du PNR européen. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam opine.) Je crains qu’il ne lui faille plus de temps encore pour appliquer ce qu’elle a mis trop longtemps à décider.
On ne peut donc pas imputer ces difficultés, dont nous sommes comptables, à la France seule ou à l’Allemagne et à la France seules. C’est le système européen tel qu’il fonctionne qui est en cause. Je souhaite que nous puissions continuer à agir pour que, dans la solidarité, des décisions soient prises.
Pierre-Yves Collombat a dit que la situation était difficile pour les Grecs. Il a dit aussi que Mme Merkel avait été la seule à aider les Grecs. Ce n’est pas vrai du tout.
M. Pierre-Yves Collombat. Si, elle l’a dit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, ce n’est pas vrai, monsieur le sénateur.
La semaine dernière, lors du conseil Justice et affaires intérieures, le ministre grec de l’immigration a remercié la France et l’Allemagne parce qu’elles avaient agi ensemble. Voilà quinze jours, mandaté par le Président de la République, j’étais en effet en Grèce, avec mon homologue Thomas de Maizière, lui-même mandaté par la Chancelière allemande, afin de proposer l’aide conjointe de la France et de l’Allemagne à la Grèce.
Une mission du ministère de l’intérieur a été, la semaine dernière, envoyée sur place. Les sénateurs français qui se sont rendus en Grèce ont pu constater que cette mission était à l’œuvre. Elle vise à aider la Grèce à prendre toutes ses responsabilités, à assumer tous ses engagements en ne la laissant pas seule face aux engagements qu’elle avait pris, précisément parce que nous avons parfaitement conscience que la Grèce seule ne pourra pas assumer ses responsabilités.
M. Pierre-Yves Collombat. Les Grecs l’ont très mal pris !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et nous agissons avec l’Allemagne.
Vous avez été nombreux aussi à dire que la Grèce avait accueilli 900 000 réfugiés dans le courant de l’année dernière. Ce n’est pas exact (M. Pierre-Yves Collombat est dubitatif.) : la Grèce a vu passer 900 000 réfugiés sur son sol et ces réfugiés sont, pour une grande partie d’entre eux, en Allemagne.
M. Philippe Bas. Oui !
M. Pierre-Yves Collombat. La Grèce dit qu’elle a un million de réfugiés sur son sol !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, la Grèce n’a pas un million de réfugiés sur son territoire ! (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Cela ne correspond pas à la réalité. La Grèce a vu passer, dans le courant de l’année 2015, plus de 900 000 réfugiés qui, tous, se sont dirigés, après avoir franchi la frontière grecque en passant par la Macédoine, la Serbie, bref, en empruntant le chemin que l’on sait, vers l’Allemagne, et c’est là que se trouvent aujourd’hui ces réfugiés.
L’Allemagne doit faire face à l’arrivée de ces réfugiés. Elle ne demande d’ailleurs à personne, vous avez raison de le souligner, car c’est son honneur et sa grandeur d’engager un processus de relocalisation à partir de l’Allemagne sous prétexte que le million de réfugiés qui seraient passés en Grèce seraient arrivés en Allemagne. L’Allemagne assume sa responsabilité parce qu’elle a aussi contribué par ses initiatives à créer les conditions de cette arrivée. Nous, nous sommes aux côtés de l’Allemagne pour faire en sorte que le processus de relocalisation fonctionne.
Le président Bas, parce que le sujet de la Grèce et des dispositifs européens est lié à la question de la relation de l’Europe à la Turquie, a indiqué que la Turquie ne faisait pas assez, qu’elle ne remplissait pas ses obligations. Là aussi, soyons très exigeants dans la convocation des faits.
Je me suis rendu, après avoir séjourné en Grèce avec mon collègue Thomas de Maizière, en Turquie. Qu’y ai-je vu ? Le HCR, le Programme alimentaire mondial, l’UNICEF, c’est-à-dire l’ensemble des organisations gravitant autour des Nations unies, qui m’ont dit que la Turquie avait accueilli près de trois millions de réfugiés syriens. Mesdames, messieurs les sénateurs, trois millions de réfugiés syriens sont actuellement sur le territoire turc, dont 300 000 à 500 000 dans les camps de réfugiés.
Le HCR nous dit que le niveau d’accueil des réfugiés en Turquie est bien supérieur à celui des camps du HCR. Les Turcs ont agrandi leurs écoles pour y scolariser près de 300 000 enfants syriens, qui apprennent leur propre langue grâce à des enseignants issus des camps et venus de Syrie.
Nous demandons aujourd'hui aux Turcs d’accueillir encore plus de réfugiés, grâce aux 3 milliards d’euros alloués, et de revoir leur politique de visa. Nous sommes légitimes à formuler ces demandes, mais nous ne pouvons pas reprocher dans le même temps à la Turquie de ne pas remplir ses obligations, sachant que, ce qu’elle fait, nous serions incapables de le faire à vingt-huit !
M. Jean-Yves Leconte. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Car telle est bien, malgré tout, la réalité.
Un autre sujet a été évoqué, qui renvoie toujours au contexte européen, celui du lien entre l’arrivée des migrants, le contexte international et le risque terroriste.
Rien ne serait pire que de confondre l’ensemble de ceux qui ont été persécutés par les barbares de Daech et les quelques bourreaux qui pourraient se mêler au flux des victimes, par cynisme, barbarie et volonté de commettre d’autres crimes que ceux qu’ils ont déjà commis en Syrie, en Irak ou ailleurs. Si nous voulons éviter une telle confusion, il faut impérativement que nous prenions, au moment du franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne, des dispositions qui, pour l’instant, ne sont pas prises, mais qui correspondent aussi à l’agenda français au sein de l’Union européenne.
Lorsque les réfugiés franchissent les frontières extérieures de l’Union, en Grèce ou en Italie, non seulement le dispositif des hotspots doit être mis en place – nous y contribuons, même si c’est très difficile –, mais le système d’information Schengen doit aussi être systématiquement interrogé. S’il ne l’est pas, nous sommes confrontés à des risques sécuritaires.
Pour que le système d’information Schengen soit interrogé avec efficacité, encore faut-il que tous les pays de l’Union européenne l’alimentent de façon homogène et identique, ce qui n’est pas le cas. Un certain nombre de ceux qui nous ont frappés lors des attentats du 13 novembre, qui n’étaient pas connus de nos services, n’avaient pas été signalés au système d’information Schengen comme terroristes, mais simplement comme délinquants, notamment par la Belgique.
Ensuite, le système d’information Schengen ainsi informé doit être connecté aux autres fichiers, notamment au SLTD – Stolen and Lost Travel Documents. Je pense aussi que le fichier Eurodac doit pouvoir être interrogé pour des raisons sécuritaires, ce qui suppose une modification du règlement Eurodac au sein de l’Union européenne. Une véritable task force européenne de lutte contre les faux documents doit se constituer. En effet, Daech a récupéré des centaines de passeports vierges en Irak et en Syrie et s’est dotée d’une véritable usine de fabrication de faux documents. Deux des kamikazes qui nous ont frappés le 13 novembre ont fait prendre leurs empreintes à Leros en ayant en main de faux passeports.
Si ces mesures ne sont pas prises d’urgence au sein de l’Union européenne – c’est une demande française constamment réitérée –, nous n’avons aucune chance de pouvoir créer les conditions de l’efficacité de notre démarche et de notre discours à l’égard de ceux qui, dans l’outrance, s’emploient à susciter les sentiments les plus xénophobes en convoquant les peurs les plus instinctives. De ce point de vue, nous venons d’assister, ici même, dans cette assemblée, à six minutes d’un discours emblématique des représentants de cette mouvance. Nous devons y répondre en consolidant cet agenda et en le mettant en œuvre rapidement.
Mme Létard et M. Rapin ont évoqué la question de Calais et des dispositions prises en France pour faire face à l’arrivée des réfugiés. Tout d’abord, vos chiffres ne sont pas exacts, monsieur Buffet, et je veux rappeler ici les chiffres précis pour Grande-Synthe et Calais.
Il y avait effectivement 6 000 migrants à Calais, dans la « jungle », à la fin de l’année 2015. Voyant que ce nombre augmentait, le ministère de l’intérieur a pris la décision d’ouvrir des centres d’accueil et d’orientation. On en compte désormais 102 en France, et ils permettent aux migrants de Calais qui relèvent du statut de réfugié d’être accueillis dans des lieux en dur, où ils sont pris en charge par des associations, ont accès à la langue française et à l’asile.
Depuis le mois d’octobre, nous avons accueilli près de 3 000 personnes venant de Calais et de Grande-Synthe dans ces centres d’accueil et d’orientation. Voilà ce qu’un grand journal du soir appelle un « échec » ! Sur ces 3 000 personnes accueillies dans les centres d’accueil et d’orientation, 85 % ont fait une demande d’asile en France, et 15 % seulement se sont « évaporées » – il s’agit là d’une moyenne, le pourcentage pouvant varier selon la nature des CAO.
Alors qu’il y avait 6 000 migrants dans la boue, le froid et la précarité à Calais à la fin de l’année dernière, on en dénombre aujourd’hui 3 800, soit une diminution de près de moitié. À Grande-Synthe, le dernier comptage est de 1 100, contre 3 000 l’an passé, soit une division par trois.
Ces migrants-là ne se sont pas évaporés ; ils n’ont pas non plus été dispersés après que le ministre de l’intérieur a survolé la « jungle » en hélicoptère en demandant aux forces de l’ordre d’évacuer le camp ! Des travailleurs sociaux de la direction de la cohésion sociale, de l’OFII, de l’OFPRA et des associations comme SOS se sont mobilisés pour aller proposer à chaque migrant un hébergement en dur dans un centre d’accueil et d’orientation.
Ce que vous appelez « expulsion » ou « démantèlement » de la « jungle » n’est rien d’autre que la poursuite d’une politique méthodique et difficile de mise à l’abri des migrants de Calais. Cette politique, engagée voilà quatre mois, a déjà permis de dégager un certain nombre d’espaces. Nous la poursuivons avec détermination, pour une raison très simple, madame Létard, monsieur Rapin : nous ne considérons pas que maintenir des enfants, des femmes et des familles en situation précaire dans la boue de Calais corresponde à un idéal humanitaire !
M. Jacques Legendre. Évidemment !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Notre idéal humanitaire, c’est de proposer à ces personnes qui ont déjà beaucoup souffert un dispositif leur permettant d’être mises à l’abri, de bénéficier d’un accompagnement social et d’un accès à la langue française. Voilà ce que la France doit faire si elle veut être à la hauteur de sa réputation !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je dois l’avouer, je ne comprends absolument pas cette logique qui consiste, d’un côté, à envoyer à Calais toute une série d’acteurs intellectuels, politiques ou sociaux (M. Maurice Vincent applaudit.) pour dire que la boue, le froid et la précarité sont indignes et, de l’autre, lorsque nous voulons extraire les migrants de cette précarité et de cette indignité, à venir expliquer qu’il faut les laisser là où ils sont !
Pour bien matérialiser qu’il faut les laisser là où ils sont, lorsque nous mobilisons nos travailleurs sociaux pour aller dans les maraudes au contact des migrants et les convaincre, nos troupes se font insulter et « caillasser », et lorsque je mobilise des forces de l’ordre pour les protéger dans l’exercice de leurs missions, on crie aux violences policières… La ficelle est un peu grosse, et la manipulation, compte tenu du destin de ces femmes et de ces hommes en détresse, assez peu convenable.
C’est la raison pour laquelle je veux aussi, devant le Sénat, rappeler cette réalité avec force. Le ministère de l’intérieur, les collaborateurs de l’OFII et de l’OFPRA, les travailleurs sociaux de la cohésion sociale et les volontaires des associations qui se mobilisent avec nous pour atteindre cet objectif ne sont pas des individus brutaux qui sont indifférents au sort des migrants. Ils sont au contraire soucieux de leur assurer une protection, et c’est pourquoi ils n’entendent pas les laisser dans la boue et le cloaque de ce qu’est la « jungle » de Calais.
Dans un pays qui décide d’accorder généreusement l’asile à ceux qui relèvent du statut de réfugié, il n’y a pas de raisons non plus que l’on concentre toute la précarité et la difficulté dans une seule ville, sans se préoccuper des difficultés auxquelles ce territoire peut se trouver confronté seul dès lors que l’effort n’est pas partagé entre toutes les parties du territoire national.
Quand on prétend, monsieur Rapin, madame Létard, que les villes sont seules, je m’inscris en faux. Non, la ville de Calais n’est pas seule !
Lorsque nous mettons en place un centre d’accueil de jour à Calais en très étroite liaison avec la municipalité, lorsque nous mettons en place le centre d’accueil provisoire, c’est-à-dire les bungalows où nous accueillons 1 500 personnes, c’est l’État qui passe les marchés, c’est l’État qui finance, c’est l’État qui mobilise ses travailleurs sociaux pour les maraudes !
C’est aussi l’État qui est présent lorsqu’il s’agit, au terme d’un audit réalisé par les inspections générales, de mettre en place un dispositif de soins minimal permettant aux migrants d’éviter les épidémies et les difficultés sanitaires les plus importantes !
Et, lorsque nous négocions avec le Royaume-Uni des dispositifs qui conduisent les Britanniques à investir près de 60 millions d’euros à Calais, y compris sur les aspects humanitaires à nos côtés, c’est encore nous qui sommes à la manœuvre, et personne d’autre !
Je veux bien entendre que l’État pourrait en faire plus, mais je ne peux pas entendre que l’État laisserait les collectivités seules, alors que l’État agit comme je viens de l’indiquer. Dans les années 2000, lorsqu’on a vidé Sangatte et qu’on a réparti, sans les loger, les migrants sur la côte septentrionale, j’étais à l’époque maire de Cherbourg. Je n’ai pas eu une visite ministérielle ni le début d’un euro pour aider ma ville à faire face à cette situation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Et je ne me suis pas répandu sur toutes les antennes de télévision pour me plaindre de ce que j’étais livré à moi-même, sans aucun concours, sans aucun soutien. Ma municipalité, seule, sans un euro de l’État, a fait face au contexte, qui était bien entendu beaucoup moins difficile que celui de Calais aujourd’hui, mais qui était déjà très compliqué à régler.
Je veux bien que chacun développe son argumentation et soutienne sa posture, mais je ne veux pas que cela se fasse au détriment de la vérité et de la réalité de l’engagement de l’État. Je le dis d’autant plus volontiers, monsieur le sénateur, que vous êtes bien placé pour savoir qu’il existe entre les collectivités locales, notamment la ville de Calais, la région et le Gouvernement une relation de grande confiance sur ce sujet, qui s'explique aussi par le sens élevé de leur responsabilité qu’ont les élus et la tradition d’accueil dans laquelle ils se sont engagés. Je veux saluer ici en votre présence l’action de la maire de Calais, Natacha Bouchart, et du nouveau président du conseil régional, avec lequel nous agissons du mieux que nous pouvons.
Je voudrais conclure sur un point : ce qui fait la capacité de la France à accueillir, dans la durée, c’est la volonté d’un gouvernement de donner aux services qui sont en charge de l’asile les moyens d’un accueil digne. Là aussi, je tiens à apporter quelques précisions. Nous avons fait voter une loi sur l’asile qui vise à réduire de vingt-quatre mois à neuf mois la durée de traitement des dossiers des demandeurs d’asile. Une telle évolution ne se fait pas d’un coup de baguette magique. M. Buffet, qui a beaucoup travaillé sur cette question, le sait bien.
Pour passer de vingt-quatre mois à neuf mois, il faut augmenter considérablement les effectifs de l’OFII et de l’OFPRA. En quelques mois, nous aurons créé 300 emplois à l’OFII et l’OFPRA. Il faut aussi créer des places en centres d’accueil de demandeurs d’asile, ou CADA. Nous en aurons créé près de 20 000 en cinq ans. Combien de places ont-elles été créées au cours des dix dernières années ? Nous avons également mis en place des dispositifs d’urgence, au mois de juin dernier, avec ma collègue ministre du logement. Nous avons aussi décidé de doter certaines associations des moyens dont elles avaient besoin pour nous accompagner dans cet effort, notamment à Calais.
Mais, si nous voulons être efficaces dans l’accueil des réfugiés, il faut un parcours complet d’intégration, en particulier d’un point de vue résidentiel.
Quand, à Paris, on ne peut pas faire autrement que de vider des squats pour mettre à l’abri des migrants, nous le faisons en mobilisant l’hébergement d’urgence. Ceux qui relèvent du statut de demandeur d’asile sont intégrés en CADA.
Il est important que ceux qui sont dans un hébergement d’urgence et relèvent de l’asile en sortent pour entrer en CADA et il importe que ceux qui sont en CADA et ont obtenu le statut de réfugié en sortent pour entrer dans les logements de droit commun.
Là, je réponds donc très précisément à Valérie Létard : c’est ce parcours-là que nous voulons construire.
Lorsque nous mobilisons les maires et que je nomme le préfet Kléber Arhoul, qui est ici avec nous ce soir, pour recenser les logements qui, dans les bourgs ou dans les villes, permettront à ceux qui ont obtenu le statut de réfugié de se loger, nous sommes dans un dispositif d’accueil de ceux qui ont terminé leur parcours d’accès à l’asile.
Mais lorsque nous demandons à des communes de mettre en place des centres d’accueil et d’orientation pour faire entrer dans le processus d’asile ceux qui sont à Calais, nous ne mobilisons pas des logements de droit commun, mais des bâtiments qui sont à la disposition des communes et dont nous aurons utilité mais ferons une utilisation temporaire, jusqu’à ce que nous ayons pu ouvrir des CADA. Ces nouvelles structures permettront d’accueillir des personnes venant de Calais, qui sont temporairement dans des centres d’accueil et d’orientation. Ensuite, elles pourront entrer dans les 1 500 logements que nous avons mobilisés avec le concours du préfet Arhoul.
Si nous ne disposons pas de ce parcours complet de résidence, pour lequel nous avons mobilisé énormément de moyens, nous n’aurons absolument aucune chance d’être à la hauteur de l’accueil que nous voulons mettre en place pour ceux qui relèvent du statut de réfugié.
Cette pression migratoire va se poursuivre, du fait du désordre du monde, et nous aurons, nous, pays européens, à être à la hauteur de cette situation.
Il ne s’agit pas de dire qu’il faut accueillir tout le monde pour y parvenir et pour que les peuples d’Europe l’acceptent. Pour accueillir ceux qui doivent l’être parce qu’ils sont persécutés dans leur pays, il faut qu’il y ait une organisation et une maîtrise.
Dire qu’il n’y a pas d’accueil possible si cette maîtrise et cette organisation n’existent pas et si les dispositifs de contrôle à l’entrée des frontières extérieures de l’Union européenne ne sont pas présents, ce n’est pas manquer de générosité, c’est avoir la lucidité qui rend la générosité possible.
En effet, la générosité autoproclamée ne règle aucun des problèmes auxquels le monde est confronté lorsqu’il veut – comme c’est notre cas – être à la hauteur de sa réputation et de ses valeurs.
Il faut pour cela de la maîtrise, de l’organisation, du travail.
Je voudrais ajouter qu’il ne suffit pas d’avoir des postures pour garantir la générosité… Ce que je disais sur Calais tout à l’heure m’a beaucoup enseigné de ce point de vue. Lorsque l’on est au Gouvernement, il ne suffit pas d’être sincère dans ses intentions et déterminé à atteindre le but pour être compris et parvenir au résultat escompté : il y a toujours des activistes, des groupes, qui n’ont pas intérêt à ce que les problèmes se règlent,…
M. Jacques Legendre. Effectivement !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous, nous ne souhaitons pas que les problèmes perdurent ; nous souhaitons les régler et il est difficile de le faire lorsque nous rencontrons autant d’obstacles. Ce serait pourtant facile si tous décidaient d’unir leurs forces pour créer les conditions d’un accueil qui soit le plus humanitaire possible.
De ce point de vue, je veux dire, là aussi, ce que je pense : les postures font du mal ! Elles empêchent les solutions d’aboutir rapidement et sont parfois à l’origine de bien des manipulations, qui suscitent dans le pays un mauvais sentiment, celui que rien ne peut être réglé et que rien n’est possible. Pourtant, face au Front National, il y aurait une urgence à démontrer que nous sommes capables, ensemble, en unissant nos forces, d’apporter des solutions humaines à ceux qui sont en situation de détresse.
Ce débat ayant permis d’aborder toutes ces questions en sincérité et de façon approfondie entre nous, je voudrais remercier ceux qui ont demandé son organisation, car j’ai pu, par là même, revenir sur un certain nombre de sujets qui tiennent particulièrement à cœur au Gouvernement parce qu’ils sont au centre de ses préoccupations et de sa politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 2 mars 2016, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Débat sur la situation financière des départements.
Débat sur « le trentième anniversaire du baccalauréat professionnel ».
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ;
Rapport de M. François Bonhomme, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 381, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 382, 2015-2016).
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat ;
Rapport de M. Michel Houel, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 383, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 384, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD