Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar.
2. Dépôt d'un avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
4. Retrait d’une question orale
5. Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
6. Prorogation de l’état d'urgence. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
M. Manuel Valls, Premier ministre
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 8 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Article additionnel après l'article 3
Amendement n° 1 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Amendement n° 5 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Louis Nègre. – Non soutenu.
Amendement n° 9 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 7 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 10 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 4 de M. Louis Nègre. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Article 5 (suppression maintenue)
Adoption définitive, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission.
M. Bernard Cazeneuve, ministre
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
7. Loi de finances pour 2016. – Suite de la discussion d’un projet de loi
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
Amendement n° I-232 de M. Jean-Claude Requier
Amendement n° I-373 de M. Vincent Delahaye
Amendement n° I-148 de M. Thierry Foucaud
8. Hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015
9. Loi de finances pour 2016. – Suite de la discussion d’un projet de loi
Amendement n° I-232 de M. Jean-Claude Requier (suite). – Rejet.
Amendement n° I-373 de M. Vincent Delahaye (suite). – Retrait.
Amendement n° I-148 de M. Thierry Foucaud (suite). – Rejet.
Amendement n° I-149 de M. Thierry Foucaud. – Rejet.
Amendement n° I-155 de M. Thierry Foucaud. – Rejet.
Amendement n° I-267 de M. Jean-Claude Requier. – Rejet.
Amendement n° I-156 de M. Thierry Foucaud. – Devenu sans objet.
Amendement n° I-152 de M. Thierry Foucaud. – Rejet.
Amendement n° I-150 de M. Thierry Foucaud. – Rejet.
Amendement n° I-151 rectifié de Mme Michelle Demessine. – Rectification.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° I-151 rectifié bis de Mme Michelle Demessine. – Retrait.
Amendement n° I-154 de M. Thierry Foucaud. – Rejet.
Amendement n° I-421 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° I-157 de Mme Marie-France Beaufils. – Devenu sans objet.
Adoption, par scrutin public, de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 2
Amendement n° I-394 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° I-386 de M. Vincent Delahaye. – Rejet.
Amendement n° I-237 de M. Jean-Claude Requier. – Retrait.
Amendement n° I-387 de M. Vincent Delahaye. – Rejet.
Amendement n° I-142 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° I-200 de M. Richard Yung. – Retrait.
Amendement n° I-199 de M. Richard Yung. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Renvoi de la suite de la discussion.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Serge Larcher,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d'un avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
M. le président. J’ai reçu de M. le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par lettre en date du 13 novembre 2015, un avis sur le projet de loi de finances pour 2016.
Acte est donné de cette communication.
3
Dépôt d’un rapport
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif au bilan de l’application des dispositions de l’article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales.
4
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question n° 1311 de Mme Claire-Lise Campion est retirée à la demande de son auteur.
5
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 20 novembre 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les modalités d’application de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (n° 2015-497 QPC) ; la contribution patronale additionnelle sur les « retraites chapeau » (n° 2015-498 QPC) ; l’absence de nullité de la procédure en cas de méconnaissance de l’obligation d’enregistrement sonore des débats de cours d’assises (n° 2015-499 QPC).
Acte est donné de ces communications.
6
Prorogation de l’état d'urgence
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du Gouvernement, en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions (projet n° 176, texte de la commission n° 178, rapport n° 177).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les secrétaires d’État, mesdames, messieurs les sénateurs, vendredi soir dernier, le chef de l’État a décrété l’état d’urgence. L’extrême gravité du moment l’imposait.
En moins de deux heures, des terroristes lourdement armés, minutieusement préparés, véritables commandos kamikazes ont frappé à sept reprises dans Paris et à Saint-Denis. Ils ont tué sans pitié, anéantissant 130 vies, et faisant plusieurs centaines de blessés, dont beaucoup luttent encore contre la mort.
L’état d’urgence a été une réponse immédiate, puissante et efficace, pour protéger nos concitoyens, stopper des individus fanatisés, ces criminels qui veulent s’en prendre à notre pays, à ses valeurs, à notre démocratie.
La menace est sans précédent ; une menace globale, intérieure et extérieure.
Ce matin, à Bamako, le Mali, ce pays qui résiste avec tant de courage au djihadisme, a été frappé : vous le savez, une prise d’otages est en cours. Je veux exprimer ici le soutien total de la France, une nouvelle fois, à nos amis maliens et à la démocratie malienne. Nous sommes à leurs côtés, comme nous l’avons été hier et comme nous le serons toujours. (Applaudissements.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France ne plie pas. La France se bat, sur tous les fronts.
Au Sahel et au Levant, nos armées sont déployées.
Ces derniers jours, sur ordre du Président de la République, nos Rafale et nos Mirage ont intensifié leurs frappes. Ils ont bombardé et atteint des sites stratégiques où l’ennemi planifie et ordonne les attaques sur notre sol. Notre porte-avions, le Charles-de-Gaulle, bientôt sur zone, multipliera par trois notre force de frappe. Et nous frapperons Daech sans relâche, pour détruire ses bastions, pour anéantir ses capacités d’action, en mobilisant la communauté internationale ! C’est le sens des initiatives que le Président de la République a décidé de prendre en rencontrant, la semaine prochaine, le Président Obama à Washington, mardi, puis le Président Poutine, jeudi, la Russie ayant aussi été atteinte par un attentat qui a détruit l’un de ses avions de ligne et tué ô combien de Russes.
C’est au Levant que se joue une part de notre sécurité ici. Nous agissons donc à l’extérieur. Nous intensifions également nos actions sur notre sol.
Les policiers, les gendarmes, les services de renseignement, l’autorité judiciaire traquent sans relâche les individus, démantèlent les cellules, les réseaux, frappent durement ceux qui ont pour projet de nous frapper.
Je veux de nouveau devant vous saluer l’action des enquêteurs, l’engagement des policiers du RAID et de la BRI. Il y a deux jours, à Saint-Denis, ils ont permis de localiser et de neutraliser Abaaoud, qui, de toute évidence, a joué un rôle déterminant dans les attaques de vendredi, ainsi que dans différentes tentatives d’attentats contre la France : celle visant des églises de Villejuif et au moins trois autres qui ont pu être déjouées au cours des derniers mois.
Plus que jamais, dans les circonstances actuelles, les forces de l’ordre font l’honneur de notre nation. Leur courage, leur professionnalisme font notre fierté. (Applaudissements.) Chaque jour, chaque instant, ils agissent avec une obsession : empêcher que des individus ne passent à l’acte selon des modes opératoires qui évoluent sans cesse.
Nous devons avoir les yeux ouverts face au risque d’une surenchère de la terreur. Nous sommes plusieurs à le dire, depuis des mois. Dire cela, ce n’est pas alimenter la peur ou je ne sais quel sentiment anxiogène ; ce sont les faits. C’est la terreur qui alimente la peur, pas nos discours, pas nos actes. Dire cela, c’est donc se préparer à toute éventualité, pour y parer, pour mobiliser nos compatriotes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai une conviction que vous partagez, j’en suis convaincu : nous avons changé d’époque. Nous sommes entrés, avec une dureté absolue, dans un moment nouveau.
La guerre a changé de forme. Nous devons en prendre la pleine mesure et agir en conséquence, en nous adaptant en permanence aux évolutions, notamment technologiques, en étant réactifs, mais en ayant une seule ligne de conduite : le respect de ce que nous sommes, de nos grands principes, ceux de l’État de droit.
Nous avons changé d’époque, et nous devons apprendre à vivre avec cette menace. Le message n’est pas forcément facile à faire passer à nos compatriotes.
Résister, ce n’est pas se figer. Et moi, je dis aux Français qui se demandent ce qu’ils peuvent faire, qui se demandent comment être utile : résister, c’est continuer de vivre, de sortir, de nous déplacer, de nous rencontrer, de partager des moments de culture et d’émotion, de rester dans la vie et dans le mouvement.
La France est une grande nation. Elle fait face une nouvelle fois. Et parce qu’elle est la France, qu’elle est regardée, que l’on espère beaucoup d’elle, parce qu’elle a cette ténacité, cette abnégation forgée dans les épreuves du passé, elle doit continuer sa route, sans dévier. Je rencontrerai d’ailleurs, en fin de journée, l’ensemble des partenaires sociaux. Depuis vendredi, comme d’autres forces vives de la nation, ils témoignent leur solidarité. Toute la société civile doit continuer à se mobiliser : c’est ce message que je leur délivrerai.
Chacun de nous a son rôle à jouer. Notre économie doit continuer de se développer, notre territoire continuer d’attirer les touristes, nos magasins d’ouvrir, les initiatives locales, associatives, sportives d’animer notre quotidien. Face aux projets de mort, nous envoyons un message de vie !
Dans le même temps, il nous faut de la maîtrise, du sang-froid, de la vigilance, un esprit de responsabilité collective. C’est comme cela que notre société mènera cette guerre et la gagnera.
Hier, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un mouvement d’union nationale, les députés ont voté massivement la prolongation de l’état d’urgence. Après la réunion du Parlement réuni en Congrès pour entendre le Président de la République, ils ont de nouveau envoyé un message très fort. Ils ont dit notre détermination collective, implacable dans la lutte contre le terrorisme.
Je suis aujourd’hui devant vous pour vous demander de voter, à votre tour, cette prolongation, pour trois mois. J’ai suivi les travaux de votre commission des lois. Je sais que le Sénat, hier, a su dire toute sa détermination, tout son engagement - et je ne doute pas un instant de la force du message qu’il enverra, lui aussi.
Je tiens à saluer votre commission des lois et son président, Philippe Bas, que nous avons tenu à associer étroitement, en lien avec le rapporteur à l’Assemblée nationale, le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas. Vous avez travaillé dans des délais exceptionnels, pour répondre à une situation d’exception. À chaque étape, le Gouvernement a eu le souci de vous consulter sur les évolutions suggérées et, lorsque cela a été possible, d’intégrer vos propositions.
Ne l’oublions jamais : sans sécurité, il n’y a pas de grandes libertés possibles, pas de grandes libertés publiques. La sécurité, c’est un principe fondamental à l’organisation de notre société démocratique.
Depuis vendredi, dans le cadre prévu par la loi du 3 avril 1955, les pouvoirs publics ont ainsi mis en œuvre, sans attendre, des moyens et des procédures à la hauteur de la situation.
En région parisienne, les grands rassemblements ont été interdits jusqu’à dimanche prochain.
En sept jours, 793 perquisitions administratives ont été menées partout en France, de jour comme de nuit. Elles ont permis de saisir 174 armes, dont 18 armes de guerre.
En sept jours, 164 personnes dangereuses ont été assignées à résidence.
Le but de ces assignations et perquisitions, c’est d’aller vite contre les groupes susceptibles d’agir, c’est d’intervenir face à des individus au comportement menaçant.
Dans ce contexte d’état d’urgence, les policiers pourront, sur décision du ministre de l’intérieur, conserver leur arme de service, même pendant les périodes de repos. Tout agent des forces de l’ordre, y compris hors service, a le devoir d’intervenir face à une situation grave ou dangereuse. Cette mesure sera bien sûr encadrée et ne concerne, pour le moment, que l’état d’urgence.
Aux dispositions prévues par cette procédure se sont ajoutées d’autres dispositions pour la sécurité de nos concitoyens.
Nous avons déployé, sur tout le territoire, 3 000 militaires supplémentaires, pour atteindre un total de 10 000. Ils s’ajoutent aux 100 000 policiers et gendarmes et 5 500 douaniers également sur le qui-vive.
Nous avons accru les contrôles dans les gares, les aéroports, les transports, rétabli les contrôles aux frontières intérieures – comme le permet Schengen –, avec 132 points de passage autorisés contrôlés en permanence, dont 61 par la police aux frontières et 71 par les douanes.
Ces actions doivent bien évidemment se prolonger à l’échelle de l’Europe, ce qui veut dire passer à la vitesse supérieure sur au moins deux priorités que nous avons rappelées hier avec Bernard Cazeneuve.
Première priorité : adopter – enfin ! – le partage des données des passagers aériens, ou PNR européen. Je ne comprends pas que des parlementaires européens, y compris des Français, s’opposent à cet instrument indispensable pour lutter contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Je les appelle à la responsabilité, quelle que soit leur famille politique, car cela nous permettra de disposer d’un fichier garantissant la traçabilité des déplacements, y compris à l’intérieur de l’Union. C’est une condition de notre sécurité collective.
Deuxième priorité : prendre toutes les mesures pour assurer une protection effective de nos frontières. Cela suppose au moins deux choses : mettre en place des contrôles systématiques à toutes les frontières extérieures de l’Union, y compris pour les bénéficiaires de la libre circulation, ce qui passe par une révision ciblée des règles de l’espace Schengen, et créer un système de gardes-frontières européens, comme nous le demandons depuis plus d’un an.
Ce matin même, à Bruxelles, le ministre de l’intérieur et la garde des sceaux ont porté ces sujets dans le cadre du Conseil « Justice et affaires intérieures », convoqué à la demande de la France. Notre position est très claire – elle a été exprimée ici même, voilà quelques jours, par le ministre de l’intérieur en réponse à Roger Karoutchi – : si nous n’avançons pas de manière décisive, Schengen ne survivra pas et on assistera au repli sur soi généralisé de chaque État.
Au cours de nos débats, le ministre de l’intérieur, qui va nous rejoindre, reviendra sur les résultats précis de cette réunion. Mais je peux d’ores et déjà vous dire que le Conseil a montré que les idées que nous portons sont très largement soutenues. Un texte politique a été adopté par consensus. Chacun se rend compte qu’il est crucial, dans l’intérêt même de l’Europe, d’avancer désormais très vite. Après les discours et les décisions, il faut maintenant passer aux actes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, un état d’urgence efficace, c’est aussi un état d’urgence repensé et modernisé. Le projet de loi soumis à votre vote prévoit donc de faire évoluer la loi de 1955. C’est nécessaire : le contexte général, juridique et technologique a bien changé depuis que cette loi a été adoptée il y a soixante ans. L’état d’urgence doit aujourd’hui être doté d’instruments plus performants, mieux adaptés à la réalité que nous vivons.
Le premier dispositif, c’est celui de l’assignation à résidence, qui immobilise les individus radicalisés et les empêche d’agir. Cette disposition est particulièrement adaptée à la menace actuelle. Nous allons donc la préciser pour qu’elle s’applique, non seulement aux individus dont les activités dangereuses sont avérées, mais aussi aux plus radicalisés, aux terroristes potentiels, dès lors qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’ils constituent une menace pour notre sécurité. Ils pourront être conduits à leur lieu de résidence par une action coercitive, être privés de leurs passeports et documents d’identité. Ils seront soumis à des obligations strictes de pointage – trois fois par jour – et de respect d’horaires de couvre-feu, portés à douze heures par vingt-quatre heures selon les termes d’un amendement du député Éric Ciotti adopté par l’Assemblée nationale. Ils auront, enfin, l’interdiction d’entrer en contact par quelque moyen que ce soit avec d’autres individus dangereux. L’Assemblée nationale a tenu à préciser, hier, que cette interdiction pourra être maintenue même en cas de levée de l’assignation à résidence. Les peines encourues en cas de non-respect de cette assignation seront également accrues.
Enfin, vous le savez, nous avons eu un débat avec vos collègues députés, notamment sur l’initiative du groupe Les Républicains, au sujet du placement sous surveillance électronique mobile de certains individus assignés à résidence. Le Gouvernement a entendu cette préoccupation. Il a proposé un amendement visant à ouvrir cette possibilité – il s’inscrit toutefois, je le reconnais, dans les limites très étroites que nous fixe la jurisprudence constitutionnelle.
Le deuxième dispositif, c’est celui des perquisitions administratives, qui permettent de relever des preuves au domicile des perquisitionnés. Désormais, les forces de sécurité, toujours en présence d’un officier de police judiciaire, pourront faire une copie des données stockées dans les téléphones et ordinateurs trouvés sur place. Il est vrai que ces instruments n’existaient pas en 1955.
Pour que ces perquisitions administratives soient les plus utiles et les plus efficaces possible, elles doivent évidemment pouvoir déboucher sur des suites judiciaires immédiates. Tel est l’objectif d’un amendement du président de la commission des lois du Sénat, présenté par le Gouvernement à l’Assemblée nationale et adopté par les députés.
Les perquisitions sont aussi mieux encadrées : le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui précise qu’elles ne pourront pas viser les magistrats ou les journalistes, ni d’ailleurs les locaux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire. Il prévoit également un droit de recours, conforme au droit commun.
Moderniser la loi de 1955, c’est aussi se doter de nouveaux outils juridiques, particulièrement nécessaires face aux phénomènes d’embrigadement. Je pense bien sûr à la dissolution des associations et des groupements de fait portant une atteinte grave à l’ordre public. Je pense donc à ces mosquées salafistes radicales où l’on prône la haine de nos valeurs, le rejet violent des principes de la République. Oui, notre adversaire, c’est le djihadisme, l’islamisme radical et cette matrice que représente le salafisme ! Nous devons les combattre avec les moyens de la République et avec la plus grande détermination. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Si les moyens juridiques existent déjà, ce projet de loi va permettre d’accélérer les procédures, de fermer ces lieux en l’espace de quelques jours seulement. Nous n’hésiterons pas à employer ces outils.
L’embrigadement se fait aussi, nous le savons très bien, par les réseaux sociaux. Le Gouvernement a entendu hier la préoccupation de l’Assemblée nationale, qui a adopté un amendement permettant au ministre de l’intérieur de prendre « toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».
Moderniser l’état d’urgence, c’est aussi enlever des dispositions qui ne sont pas seulement obsolètes, mais tout simplement en décalage avec notre époque. Le projet de loi entend donc supprimer la possibilité de contrôler la presse, la radio, le cinéma ou le théâtre – une disposition prévue par la loi de 1955, mais jamais utilisée. Dans le même esprit, les juridictions militaires ayant disparu, les dispositions qui les concernent dans la loi de 1955 sont devenues inutiles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous dotons la procédure d’état d’urgence d’outils plus efficaces, adaptés à notre temps. Nous la dotons aussi des instruments nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie. Un amendement important a ainsi été adopté à l’Assemblée nationale, qui inscrit dans la loi l’obligation de tenir le Parlement informé des mesures prises pendant toute la durée d’application de l’état d’urgence.
Le Gouvernement était favorable à cette initiative parlementaire, portée par les députés Urvoas et Poisson, et soutenue par ailleurs sur tous les bancs de l’hémicycle. Des points réguliers vous seront donc faits sur la mise en œuvre de l’état d’urgence. Nous vous communiquerons en outre toutes les informations que l’on pourra vous livrer sur la lutte antiterroriste menée sur notre sol et nos opérations militaires au Levant à l’occasion de réunions régulières et hebdomadaires à l’hôtel de Matignon.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons donc adapter, moderniser l’état d’urgence. Nous devons aussi, parce que la menace est là pour durer, nous donner tous les moyens d’agir efficacement sur le long terme. Nous devons mobiliser les moyens humains, matériels et législatifs nécessaires. Nous avons ainsi créé des postes supplémentaires de policiers, de gendarmes, ainsi que des postes dans la justice. Nous allons en créer davantage : 8 500 au total, 5 000 pour les forces de l’ordre, 2 500 pour la justice, 1 000 pour les douanes. En outre – quoi de plus logique quand la guerre est là –, il n’y aura aucune diminution des effectifs de la défense jusqu’en 2019.
Nous donner tous les moyens d’agir, c’est ensuite lutter mieux encore contre la radicalisation, pour attaquer le mal à la racine.
Nous avons mis en place, dans chaque département, des dispositifs dédiés regroupant tous les acteurs : police, enseignants, travailleurs sociaux. Nous avons commencé à former les professionnels pouvant être en contact avec des jeunes radicalisés pour qu’ils aient les bons réflexes. Nous agissons en particulier dans les prisons, sur les réseaux sociaux. L’objectif est bien de détecter les signes avant-coureurs, de contrer les discours de manipulation là où ils se propagent, de suivre les individus au plus près, de mobiliser également les familles. C’est un travail difficile, de longue haleine.
Aujourd’hui, nous devons aller encore plus loin.
Dans les prochaines semaines – je l’ai annoncé hier –, nous ouvrirons un centre de prise en charge d’individus radicalisés. L’objectif, là aussi, consiste à sortir les individus de l’impasse mortifère dans laquelle ils se trouvent. Cela implique un suivi psychoclinique, un travail individuel, avec nécessairement une grande vigilance quant à la motivation réelle du radicalisé. Cette première expérience, si elle réussit, pourra être généralisée sur tout le territoire. Je rappelle toutefois que la place des terroristes qui reviennent de Syrie ou d’Irak – ne confondons pas les choses – est bien en prison.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous donner tous les moyens d’agir, c’est enfin continuer d’adapter notre droit.
Depuis 2012, deux lois antiterroristes ont été adoptées, et la plupart de leurs mesures sont entrées en vigueur. La loi relative au renseignement, qui inclut de nombreuses propositions de l’Assemblée nationale et du Sénat – de la majorité comme de l’opposition –, renforce quant à elle les moyens de nos services de renseignement, pour leur permettre de mieux détecter les menaces et de surveiller les djihadistes en temps réel. La plupart de ses dispositions ont été mises en œuvre depuis octobre. Cet arsenal législatif sera, je l’espère, bientôt complété par la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, dont le Conseil constitutionnel a été saisi. Je tiens à cette occasion à remercier la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Jean-Pierre Raffarin, pour ses propositions et son travail toujours constructif.
Nous devrons, là aussi, aller plus loin en révisant notre Constitution. Ses dispositions ne correspondent plus au type de crises que nous pouvons vivre aujourd’hui – nous aurons bien entendu l’occasion de revenir sur ce point au cours des prochaines semaines.
Soyons très précis. L’article 16 ne pouvait pas être activé vendredi : il n’y a pas eu d’interruption du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ». L’article 36, qui définit l’état de siège, non plus, car il n’y a pas eu de « péril imminent, résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée ». Nous proposerons donc d’inscrire l’état d’urgence en toutes lettres dans la Constitution. Les procédures exceptionnelles qui en découlent doivent bénéficier de ce fondement juridique inattaquable.
Cette révision constitutionnelle, pour laquelle le Gouvernement se montrera particulièrement ouvert à toutes les suggestions qui pourront lui être formulées, nous permettra d’avancer sur deux autres mesures annoncées par le Président de la République lundi et visant à traiter du cas des Français qui se retournent contre leur propre pays : d’abord, l’élargissement de la déchéance de la nationalité aux binationaux nés en France et condamnés pour des faits de terrorisme ; ensuite, l’encadrement rigoureux du retour sur notre sol de ceux qui sont partis faire le djihad : nous voulons faire en sorte qu’ils ne puissent pas revenir sans y être expressément autorisés et sans être soumis, à leur retour, à un suivi très rapproché.
À ce jour, 966 Français sont déjà partis en Irak ou en Syrie, 142 y ont laissé la vie, 588 y sont toujours, 247 en sont revenus. Parmi ces derniers, certains sont de retour en France – beaucoup d’entre eux ont été incarcérés –, certains sont allés dans d’autres pays d’Europe, certains circulent. Mais tous représentent une très grande menace.
Ces deux révisions constitutionnelles que nous proposerons devront bien sûr être encadrées par un contrôle juridictionnel très strict.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a tout juste une semaine, la France a été attaquée. Notre responsabilité à tous, Gouvernement, représentation nationale, c’est d’apporter une réponse à la hauteur. L’Assemblée nationale l’a fait hier. Je ne doute pas que, dans un même mouvement, le Sénat le fera cet après-midi.
Je voudrais saluer sincèrement l’engagement du président Gérard Larcher et de tous les sénateurs, saluer aussi, plus largement, le rôle des élus locaux, en particulier des maires, qui, sur le terrain, doivent rassurer la population, trouver les mots, dire que la puissance publique est là, accompagner la mise en œuvre de l’état d’urgence – beaucoup de réunions se tiennent actuellement à cet effet dans les départements, en présence des élus locaux et des préfets.
Je voudrais saluer enfin l’engagement de l’Association des maires de France, qui, derrière François Baroin, a pris la décision courageuse de tenir cette semaine une réunion exceptionnelle pour témoigner de l’engagement des maires au service des valeurs de la République. Les élus locaux sont les porteurs de nos valeurs face au terrorisme.
C’est ce message d’union, d’union sacrée, c’est-à-dire de très grande force qu’attendent nos concitoyens. L’union fait la force. La force mène à la victoire. Parce que nous sommes unis, parce que nous portons dans notre cœur notre patrie, notre devise républicaine et la laïcité, que nous devons brandir plus que jamais, parce que nous sommes tous blessés, nous irons, je le sais, chercher au plus profond de nous-mêmes ces ressources pour nous dépasser, dépasser nos clivages et nous retrouver dans un même combat.
Ce combat, ce combat de la démocratie contre le chaos, nous le mènerons et nous le gagnerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dans l’épreuve et le deuil, après les massacres du 13 novembre, en pleurant ses morts, la France fait front.
Face à la barbarie, fidèle à lui-même, le peuple français montre le chemin au Gouvernement et à la représentation nationale, un chemin de dignité, de courage et de fraternité.
Les Français ne se laisseront pas intimider par le terrorisme. Ils ne céderont pas. Ils veulent donner l’exemple de leur force, de leur détermination et aussi de leur calme. Ils se souviennent que la patrie des droits de l’homme est aussi celle de la nation en armes.
Notre peuple est aussi fidèle à ses valeurs – celles de la grande Révolution française –, les valeurs d’une citoyenneté qui repose sur la liberté individuelle, sur la liberté de conscience, sur la liberté religieuse, sur l’égalité de tous les citoyens sans distinction de croyance, de race ou d’origine et sur le respect absolu de la vie humaine ; un respect qui trace une frontière infranchissable entre la civilisation et la barbarie.
Je salue l’engagement sans limites des forces de sécurité. Je pense à ces femmes et à ces hommes, exercés à dominer leur propre peur et qui prennent ces jours-ci tant de risques pour eux-mêmes, afin de protéger les Français. Ils le font avec une grande maîtrise, un grand professionnalisme et une grande discipline, sans repos.
Et puis, me tournant vers vous, monsieur le Premier ministre, et pensant aussi à votre ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, je mesure le poids immense de la responsabilité qui pèse personnellement sur l’un et l’autre dans ces heures si difficiles pour notre pays. Je veux vous dire mon respect pour votre engagement et pour le travail que vous accomplissez pour protéger les Français. (Applaudissements.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Je salue également les inflexions très importantes qui viennent d’être apportées, avec pragmatisme, à la politique de la nation, dont la priorité est désormais donnée à l’éradication de l’organisation criminelle qui s’est abusivement donné le nom d’État islamique. Cette organisation se rend coupable de crimes contre l’humanité. La combattre jusqu’à son élimination est un objectif qui doit dorénavant l’emporter sur tous les autres dans notre politique en Syrie. De même, la volonté de fortifier notre coopération avec la Russie au Proche-Orient et l’appel au Conseil de sécurité des Nations unies constituent des évolutions qui méritent d’être approuvées.
À l’évidence, la lutte contre le terrorisme, ce n’est pas seulement l’état d’urgence, c’est aussi la politique étrangère, la politique européenne et l’action de nos forces armées, dont l’engagement vient d’être accru au Proche-Orient.
Vous nous avez saisis d’un texte très important. Il ne vise pas seulement à proroger l’état d’urgence. Il vise à étendre les pouvoirs exceptionnels confiés au ministre de l’intérieur et aux préfets quand l’état d’urgence est déclaré ainsi qu’à conforter la légalité des mesures prises dans ce cadre juridique et les modalités de leur contrôle juridictionnel. Sur ces points, je veux poser trois préalables.
Tout d’abord, l’état d’urgence, ce n’est en aucun cas la suspension de l’État de droit ; c’est au contraire son prolongement dans des circonstances exceptionnelles qui le menacent en mettant en péril la sécurité publique, sans laquelle l’exercice des libertés publiques deviendrait impossible. La déclaration d’urgence, son champ d’application et les mesures d’interdiction, de perquisition ou d’assignation à résidence susceptibles d’être prises en cette situation sont toutes passibles de recours devant le tribunal administratif ou le Conseil d’État et seront annulées si elles ne sont pas strictement justifiées et proportionnées aux circonstances qui les fondent.
Ensuite, dans le contexte que nous connaissons, j’ai estimé que notre travail législatif, lui-même contraint par l’urgence puisque l’état d’urgence tomberait le 26 novembre à zéro heure si le législateur n’autorisait pas sa prorogation, devait reposer sur un processus coopératif lui-même exceptionnel – mais éventuellement reproductible – entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est ce que nous avons fait, depuis dimanche dernier, afin de forger un large accord entre le Gouvernement, les rapporteurs des deux assemblées et les assemblées elles-mêmes sur la rédaction du texte qui nous est soumis.
Je suis allé jusqu’à proposer au Gouvernement un amendement, à mes yeux très important, affirmant le rôle du juge judiciaire dans le cadre des perquisitions administratives autorisées par l’état d’urgence. Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, cet amendement a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et son origine sénatoriale a loyalement été reconnue. Comme nous l’avons fait pour la loi relative au renseignement, il traduit la vigilance du Sénat dans l’application de l’article 66 de notre Constitution. L’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, doit voir ses prérogatives reconnues, même lors de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels de la loi de 1955.
De la même façon, j’ai donné mon plein accord à toutes les dispositions qui facilitent le contrôle de la légalité des actes pris dans le cadre de l’état d’urgence, afin de rendre le contrôle des tribunaux administratifs et du Conseil d’État plus rapide et plus effectif.
Enfin, je veux soulever la question de la conformité, à la Constitution et à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la loi de 1955, telle qu’elle a été modifiée par l’ordonnance de 1960 – donc, sous le régime de la Ve République – et telle qu’elle va l’être de nouveau, de manière substantielle aussi, si nous adoptons le présent projet de loi.
Notons déjà qu’en supprimant la possibilité d’une censure de la presse et des publications, le projet de loi élimine une difficulté possible. De même, en précisant les conditions de la légalité des décisions du pouvoir exécutif, il évite qu’on reproche au législateur de n’avoir pas pleinement satisfait aux obligations de l’article 34 de la Constitution, qui lui impose de fixer les règles relatives au respect des libertés publiques et de le faire lui-même, sans déléguer cette mission au pouvoir réglementaire.
Au-delà de ces aménagements législatifs importants, je veux souligner que la loi de 1955 est compatible avec la convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 15 prévoit expressément la possibilité de restrictions aux libertés en cas de danger public menaçant la vie de la nation.
Je veux également souligner que le Conseil d’État, tout récemment, dans son avis du 17 novembre, s’est prononcé favorablement sur la constitutionnalité du texte qui nous est soumis et qui réforme en profondeur la loi de 1955.
Je veux souligner enfin que le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1985, a déjà eu l’occasion d’affirmer que le défaut de référence à l’état d’urgence dans la Constitution n’avait pas eu pour effet d’abroger la loi de 1955, ainsi implicitement acceptée par le Conseil.
J’entends cependant des interrogations et, parfois, la crainte que, saisi par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de la contestation d’une mesure prise dans le cadre de l’état d’urgence – possibilité de recours qui n’existe que depuis 2008 –, le Conseil constitutionnel n’en vienne, contre toute prévision, à prononcer l’inconstitutionnalité de telle ou telle disposition de la loi de 1955 que nous devons modifier. Je vous dis tout de suite que je ne crois pas à cette éventualité. Toutefois, monsieur le Premier ministre, si vous partagez ces interrogations, il vous est facile de les lever immédiatement. Il vous suffit pour cela d’user du pouvoir que vous donne la Constitution de saisir, dès après le vote, le Conseil constitutionnel, qui ne manquerait pas de vous répondre en temps utile, dans des délais garantissant la prorogation de l’état d’urgence à compter du 26 novembre.
Je voudrais dire aussi – ce point est pour moi essentiel – que les pouvoirs exceptionnels que l’état d’urgence confère au Gouvernement et aux préfets ne sont concevables, dans le respect de la Constitution, que parce qu’ils sont temporaires, et non permanents. Cela implique tout d’abord le contrôle du Parlement, que l’Assemblée nationale a renforcé, contrôle qui est garant de la protection des libertés de nos concitoyens. Il n’y a pas de prorogation sans loi et pas de loi sans justifications suffisantes de la part du Gouvernement. Cela implique ensuite la perspective d’un retour à la normale, comprenant la plénitude des garanties que notre État de droit fait respecter pour la défense des libertés individuelles et collectives. C’est dire que l’approbation donnée par la commission des lois à ce texte n’emporte pas mandat donné par le Sénat au Gouvernement de rendre permanent tout ou partie des pouvoirs donnés à la police par la déclaration de l’état d’urgence.
Ces préalables étant posés, mes chers collègues, je veux vous rendre compte brièvement des travaux de la commission des lois. Elle a adopté le projet de loi, sans le modifier, en tenant compte des amendements votés, avec son accord, à l’Assemblée nationale. Elle a ainsi estimé que le délai de trois mois était justifié. Il aurait pu être de six mois, mais ce délai plus court permet un meilleur contrôle du Parlement sur l’éventuelle prolongation de l’état d’urgence. La commission a également été très attentive à toutes les dispositions qui renforcent les pouvoirs exercés par l’exécutif dans le cadre de l’état d’urgence, comme à celles qui améliorent les contrôles de légalité des mesures prises en exécution de la loi de 1955.
Bien évidemment, la commission des lois s’organisera, si le texte est adopté, pour assurer le suivi continu de ces mesures. C’est donc à une très large majorité qu’elle a approuvé ce texte essentiel pour la lutte contre le terrorisme.
Après les crimes de masse odieux perpétrés le 13 novembre dernier, le Sénat, parce qu’il entre dans sa vocation de trouver le meilleur équilibre entre les nécessités de la lutte contre le terrorisme et l’exigence de la protection des libertés publiques, estime avoir joué son rôle, en veillant à ce que cet équilibre ne soit pas exagérément modifié par la mise en œuvre de l’état d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les temps que nous vivons nous conduisent à redécouvrir les fondamentaux de notre République. En lisant la presse, en écoutant la radio ou en regardant la télévision, on s’aperçoit que beaucoup de nos jeunes concitoyens viennent répondre à une question que nous nous sommes posée pendant longtemps : qu’est-ce qu’une nation ? Dans leurs réponses, on retrouve ce que disait en 1882, à quelques pas d’ici, Ernest Renan : une nation, c’est d’abord un plébiscite de tous les jours, le désir de vivre ensemble, un mode de vie pour lequel nous sommes prêts à combattre. Les événements nous imposent cette exigence.
Monsieur le Premier ministre, je n’appartiens pas à votre majorité, mais, je vous le dis, le Gouvernement que vous dirigez a pris, sous l’autorité du Président de la République, les mesures que les événements exigeaient, les décisions qui s’imposaient à tous les républicains.
Au nom de mon groupe, je veux exprimer notre admiration, notre respect et nos félicitations à tous ceux qui, depuis une semaine, sont sur la brèche. Les forces de l’ordre – police, gendarmerie, douanes –, les magistrats, les médecins, tout le personnel hospitalier et l’ensemble des fonctionnaires méritent notre reconnaissance et notre soutien. Nous pouvons ainsi constater l’importance de leur rôle pour le fonctionnement même de la République. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, ces derniers jours, de nombreux sondages ont été publiés indiquant que nous serions prêts à accepter une situation où nous aurions moins de libertés pour plus de sûreté. Pour ma part, je crois profondément que liberté et sûreté sont sœurs jumelles. Il ne peut y avoir de liberté sans sûreté, mais un État dont la seule valeur serait la sûreté ne serait plus la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du CRC.)
Permettez-moi de rappeler que, pour Benjamin Franklin, qui écrivait il y a quelques années lui aussi, un peuple prêt à abandonner « un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre ». Le Gouvernement ne nous demande pas, dans le texte qu’il nous soumet, de supprimer une liberté, mais il nous demande de lui accorder des moyens suffisants pour assurer la sécurité, c’est tout autre chose !
Tout à l’heure, notre groupe – mais il ne sera pas le seul – répondra positivement à la demande que vous nous adressez, monsieur le Premier ministre, parce que la mise en œuvre de l’état d’urgence a pour but d’assurer le respect des libertés fondamentales et de toutes nos valeurs, grâce au renforcement de la sécurité dans notre pays. La nécessité de ce renforcement s’affirme, cela a déjà été dit, sur le plan tant du droit européen que du droit interne.
Sur le plan du droit européen, il s’agit bien sûr de la mise en œuvre du registre des noms de passagers, le PNR. Il faut à tout prix que les États membres de l’Union européenne donnent un vrai sens à l’affirmation qui figure dans le préambule des traités fondateurs, selon laquelle tous les pays fondateurs de l’Union européenne entendent construire une union toujours plus forte. Si ces mots ont un sens, ils doivent faire en sorte que, à l’intérieur des frontières de l’Union, on puisse construire une Europe forte, solide et libre. Oui, Schengen doit reprendre du sens ! Oui, il faut contrôler l’ensemble des frontières extérieures de l’Union ! Oui, le PNR doit être rapidement adopté par le Parlement européen !
Sur le plan du droit interne, vous nous dites qu’il est nécessaire que le Gouvernement dispose d’un arsenal juridique adapté pour être efficace dans l’action. Nous sommes prêts à vous donner ces moyens.
Proroger l’état d’urgence paraît normal. On peut certes s’interroger sur le fait de savoir si une durée de trois mois est suffisante, mais seule la situation nous permettra de le dire demain. Faisons donc confiance au Gouvernement pour demander la suppression de l’état d’urgence dès qu’il ne sera plus nécessaire.
En ce qui concerne l’adaptation des moyens d’action que vous nous demandez, nous n’avons pas non plus d’objection à opposer. Je tiens à souligner que les plus lourdes de ces mesures ne visent pas tous les citoyens, qu’il s’agisse des perquisitions de jour comme de nuit, des assignations à résidence, du port éventuel d’un bracelet électronique, mais uniquement les personnes dont l’administration peut, à juste titre, estimer qu’elles représentent une menace pour la sûreté publique. D’autres mesures peuvent avoir un caractère plus général.
Je voudrais toutefois insister sur un point. Si l’état d’urgence confère des pouvoirs supplémentaires à l’autorité administrative, la loi sur l’état d’urgence ne modifie pas le droit de la République. Toutes les mesures prises dans ce cadre peuvent être soumises au contrôle du juge administratif. De ce point de vue, si l’on se réfère à l’histoire de la juridiction administrative, c’est là que l’on trouve les plus belles pages. En effet, le juge administratif est devenu le juge des libertés publiques en développant des constructions jurisprudentielles audacieuses lorsqu’il a été amené à statuer sur des mesures prises dans le cadre de circonstances exceptionnelles. Cet exemple le montre bien, l’état d’urgence, c’est aussi l’État de droit, organisé.
Sans entrer dans le détail, permettez-moi de rappeler que, dans son arrêt Rolin et Boisvert du 24 mars 2006, portant sur des mesures prises lors de la dernière mise en œuvre de l’état d’urgence à la suite de violences urbaines, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État s’est livrée à un contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative prises pour répondre à une menace réelle.
Par conséquent, nous devons dire oui à des pouvoirs nouveaux pour les autorités de police et oui au maintien de notre système de protection des libertés publiques !
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez dit que vous auriez peut-être besoin d’autres mesures, de nature constitutionnelle cette fois. Nous n’allons pas vous répondre tant que vous ne nous avez pas présenté de demande précise. Nous préférons attendre, et nous nous prononcerons en fonction du précepte qui fonde notre action : voir, juger, agir.
Permettez-moi toutefois de vous faire une suggestion. Depuis vendredi dernier, toutes les actions qui sont menées sont dirigées par le parquet de Paris, qui agit en flagrance, c’est-à-dire seul – les juges du siège n’ont pas à intervenir puisqu’il s’agit de flagrants délits, et c’est normal ! Si vous voulez consolider toutes les situations juridiques, il convient donc de consolider le statut du parquet, qui est un acteur essentiel dans la lutte contre le terrorisme, en mettant enfin en œuvre les propositions que nous vous avons faites en 2013. Je suis sûr que vous y avez déjà pensé et que vous aurez à cœur de nous faire part de vos intentions d’ici à quelques jours. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Aujourd’hui, le Sénat va vous donner des moyens nouveaux, immenses : jamais, probablement, un Gouvernement n’aura disposé d’autant de pouvoirs en temps de paix. Ces moyens, nous vous les accordons pour l’action. C’est nous qui vous les accordons formellement, mais ce sont nos concitoyens qui vous attendent, qui nous attendent tous ! Les moyens juridiques que nous vous donnons ne sont pas forcément ceux qu’imaginent nos concitoyens, mais ils pensent que, après notre vote qui va être largement majoritaire, vous avez le devoir d’agir, parce que vous aurez obtenu tout ce que vous avez demandé. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il y a tout juste une semaine, des attentats d’une violence inouïe allaient malheureusement se produire dans notre capitale.
Quelques jours plus tard, l’émotion est encore lourde. Un sentiment mêlé d’incompréhension, de profonde tristesse et d’impuissance est diffus dans l’atmosphère de notre pays meurtri et du monde entier solidaire qui l’accompagne dans son deuil. Dans ce climat de tension, de peur, le rôle du politique, des membres du Gouvernement et du Président de la République est primordial.
Quelques heures après ces actes de guerre, l’état d’urgence a été décrété en conseil des ministres. La gravité des événements exigeait, nous l’avons dit, l’application de cette disposition exceptionnelle permise par la loi du 3 avril 1955. Comme l’indique son article 1er, l’état d’urgence « peut être déclaré [...] soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
Toutefois, s’il est incontestable que la situation, pendant les attentats et juste après, exigeait l’état d’urgence, permettez-nous d’émettre un doute quant à sa prolongation pendant trois mois. Les notions de « péril imminent » et de « calamité publique », visées par l’article 1er, nous invitent à nous interroger sur l’installation dans la durée de cette mesure exceptionnelle qui vient affecter l’équilibre des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif.
Nous estimons, bien entendu, que des mesures très larges doivent être prises pour faire face à la situation, mais ne peuvent-elles pas l’être dans le cadre de notre droit commun, avec un contrôle de l’autorité judiciaire ?
En parallèle à l’action nécessaire, il est de la responsabilité du politique, d’autant plus lorsqu’il est issu de la gauche progressiste, de se montrer autrement rassurant, en réaffirmant certaines valeurs et en éclairant les débats.
Si nos concitoyens sont demandeurs de sécurité, c’est avant tout pour pouvoir continuer de jouir de leurs libertés. N’est-ce pas précisément pour conserver leurs libertés que nos concitoyens souhaitent une intervention de l’État ? Dès lors, cette intervention ne devrait-elle pas s’apparenter à autre chose qu’à une surenchère sécuritaire qui dépasse l’objet de l’urgence ? Réduire nos libertés, n’est-ce pas là le projet politique et idéologique de Daech ? Vous nous accorderez le droit, monsieur le Premier ministre, de nous interroger.
La clé de voûte de ce projet de loi semble reposer sur une immense confusion pour les parlementaires et pour les citoyens : on nous enjoint de voter une loi supposée contribuer à la lutte contre le terrorisme, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une loi sur l’ordre public, d’une loi gravée dans le marbre pour les années à venir, qui pourra s’appliquer à d’autres situations, à d’autres états d’urgence.
Il s’agit, avec cette loi, de suspendre pendant trois mois l’État de droit, de mettre entre parenthèses la chaîne judiciaire. Je souhaiterais être claire et précise pour que nos concitoyens sachent exactement de quoi nous débattons aujourd’hui.
Premièrement, souhaitons-nous prolonger l’état d’urgence, qui, en l’état de la loi du 3 avril 1955, est limité à douze jours, à trois mois ?
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Éliane Assassi. Deuxièmement, souhaitons-nous modifier le contenu de cette même loi, en intégrant de nouvelles dispositions sécuritaires ?
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Éliane Assassi. Si, concernant l’extension temporelle de l’état d’urgence, comme je l’ai évoqué plus tôt, la réponse n’est pas évidente, il faut tout au moins permettre au Parlement d’être informé, mais aussi d’interrompre par un vote l’état d’urgence.
La situation est encore moins claire en ce qui concerne les modifications matérielles de la loi. Si nous pouvons nous féliciter de la suppression de la censure de la presse et de l’instauration d’une information du Parlement, nous ne partageons pas la défiance généralisée à l’égard de notre système judiciaire qu’instaurent plusieurs dispositions, dont certaines ont été ajoutées par l’Assemblée nationale. Je pense, en particulier, à l’élargissement du régime d’assignation à résidence à toute personne dont le comportement semble menaçant, accompagné de mesures de placement sous surveillance électronique mobile – le fameux bracelet électronique. Comme d’autres orateurs, je vais citer Benjamin Franklin, pour qui « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit que « la sécurité est la première des libertés ». Cette phrase, je l’imagine, a été réfléchie au regard de l’histoire du XXe siècle. Vous avez reproché hier à certains députés de « s’enfermer dans le juridisme ». Pensez-vous qu’il soit acceptable de tenir de tels propos dans l’enceinte où se rédige la loi ? Le pouvoir exécutif détiendrait-il seul le pouvoir d’écrire cette loi ? Le débat doit vraiment avoir lieu, c’est la force de la démocratie, c’est notre force face au djihadisme !
Nous nous opposons à ces dispositions dont on voit aisément poindre les limites et les dérives pour notre démocratie. Notre opposition est d’autant plus ferme que nous sommes convaincus que la solution, à terme, n’est pas là. Comme le souligne l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, dans la lutte contre le terrorisme, une seule cause majeure explique les insuffisances des forces de l’ordre : le manque de moyens humains et matériels de nos services de renseignement et de nos autorités judiciaires spécialisées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Sur le plan extérieur, c’est la large coalition internationale, sous l’égide de l’ONU, qui permettra de détruire Daech et d’enclencher la reconstruction de la région. Nous appelons l’Union européenne à agir, elle aussi, dans ce sens.
D’un point de vue national, la question de la transformation profonde de la société pour renouer avec le lien social est plus que jamais d’actualité. Tous les moyens doivent être mis sur l’éducation et la culture. Interrogeons-nous : comment réagit la jeunesse des quartiers dont nous avons tant parlé en janvier ? Croyez-moi, il y a urgence, grande urgence à redonner espoir aux quartiers populaires, car rien n’a bougé de ce côté-là.
L’heure est grave, non seulement en France, mais également dans d’autres pays. Il n’est qu’à voir ce qui s’est passé ce matin au Mali. Mais ne cédons pas à l’émotion. Les guerres sont dues à une connivence contre nature entre raison, désir et colère, explique le philosophe Alain dans son essai Mars ou la guerre jugée. Ne cédons pas non plus à cette colère bien compréhensible et aux facilités de la rhétorique « martiale », sous couvert d’unité nationale ou d’union sacrée, laquelle a permis, ne l’oublions pas, monsieur le Premier ministre, les massacres de la guerre de 1914-1918 après l’assassinat de Jaurès. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Il fallait oser !
Mme Éliane Assassi. En rappelant que la pluralité des points de vue est la pierre angulaire de notre démocratie, que ces assaillants terroristes veulent détruire, permettez-moi, mes chers collègues, d’opposer à ces discours de guerre une logique de paix : la lutte déterminée contre Daech doit conduire à la paix. Il faut le dire et le redire !
Dans cet état d’esprit, nous défendrons quelques amendements pour instaurer un minimum de débat, même dans l’urgence. Nous rappellerons que la France est attaquée, parce qu’elle est symbole de liberté dans ce monde.
Le texte qui nous est soumis s’inscrit dans un projet de société qui dépasse de toute évidence l’objectif de l’urgence. Ce projet de société n’est pas le nôtre, ni celui de nombreux démocrates, qui s’interrogent depuis deux jours.
Mes chers collègues, l’exercice de la démocratie n’est jamais facile, mais, au sein du groupe CRC, celle-ci s’impose toujours, particulièrement sur des sujets aussi sensibles que celui qui nous occupe aujourd’hui. Ce qui rassemble les membres de mon groupe est fort, et c’est ce qui nous permet d’exprimer parfois des votes différenciés dans le plus strict respect les uns des autres. Tel sera le cas aujourd’hui, avec des abstentions et des votes en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, la France a été attaquée, martyrisée, mais elle reste debout !
La France est debout, parce que la France est la France !
La France est debout, parce que ses dirigeants ont fait front et assumé la situation. Dès vendredi soir, le Président de la République a pris les bonnes décisions : il a fait preuve de compassion et a décidé une action immédiate.
Vous-même, monsieur le Premier ministre, avez déclaré dans votre intervention, tout à l’heure, que la France ne pliait pas. Effectivement, vous n’avez pas plié, à la tête de votre gouvernement, pour faire respecter nos règles, mettre fin à ce drame et traquer sans relâche les terroristes.
Le Gouvernement a été exemplaire, notamment le ministre de l’intérieur. M. Cazeneuve est un grand ministre, qui a porté haut la voix de la France à Bruxelles, et qui continuera, j’en suis sûr, à assumer son rôle régalien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
La France est debout, parce que ses parlementaires sont debout, quels que soient les groupes politiques auxquels ils appartiennent. Lundi, au Congrès de Versailles, les parlementaires de la République française ont donné un formidable exemple de vie, de débat démocratique et de concorde nationale.
À cet égard, je tiens à saluer les présidents de groupe politique du Sénat, Bruno Retailleau, François Zocchetto, Éliane Assassi, Jacques Mézard, et Corinne Bouchoux. Je pense que toutes et tous avons pu être fiers de les entendre s’exprimer à la tribune du Congrès. (Applaudissements.)
Je le répète, la France est debout, et elle l’est, parce que ses maires et ses élus locaux sont debout : ils représentent le maillon local essentiel de la République. (Mme Sophie Joissains applaudit.)
À ce titre, je salue tout particulièrement François Baroin, président de l’Association des maires de France. La manifestation organisée mercredi matin au Palais des Congrès de Paris était exceptionnelle de dignité et de sobriété. Il s’en est dégagé une force montrant que les maires de France étaient là, solidaires, pour témoigner, pour accompagner, assumant le fait qu’ils seraient debout, dans leur commune, pour faire respecter l’État de droit.
À mon sens, l’unité nationale suppose que trois éléments soient réunis : l’exemplarité dans nos comportements, l’efficacité dans notre action et la proximité avec nos concitoyens.
Si la France est debout, elle l’est aussi parce que les Françaises et les Français sont debout. Certes, ils sont inquiets et ils s’interrogent, mais ils ont réagi.
Encore une fois, notre pays s’est levé. De nombreux rassemblements dans nos villes, des témoignages de solidarité par centaines de milliers sur les réseaux sociaux et sur internet, une véritable déclaration d’amour de Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda, dans le journal Libération cette semaine (M. Stéphane Ravier proteste.) : notre nation a crié sa souffrance et son envie de résister.
Comme depuis quelques jours, ce soir encore, les Français vont former une grande chaîne d’union pour que la République reprenne force et vigueur.
Oui, la France est belle, lorsqu’elle est solidaire !
La France est debout, parce que ses services publics ont résisté et ont été d’une efficacité incroyable.
Notre volonté, votre volonté, monsieur le Premier ministre, implacables et indispensables, de combattre le terrorisme ont été traduites par l’action des forces de sécurité.
Nous l’avons tous déjà fait, mais je crois qu’il faut saluer de nouveau nos militaires, notamment ceux qui interviennent sur des théâtres d’opérations extérieures – nous pensons à eux ! –, et les forces de l’ordre républicaines que sont les policiers, les gendarmes, les troupes d’élite. Nous avons pu constater avec quel courage et quelle fierté ces femmes et ces hommes dépassaient leur propre personne pour protéger leurs compatriotes. L’intervention à Saint-Denis, mercredi matin, était en tout point remarquable.
Je tiens évidemment à rendre hommage aux professionnels de santé et aux pompiers, et j’ai une pensée particulière pour les services de renseignement.
La loi que nous avons votée voilà quatre mois va encore les renforcer. Cette semaine, les informations qu’ils ont recueillies ont permis la neutralisation des terroristes de Saint-Denis. Cet épisode montre que nos services de renseignement sont précis et efficaces. Rendons-leur hommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Soyons fiers d’être Français et arrêtons de céder à notre penchant naturel, véritable sport national, de tout critiquer, de tout décrier.
De cette tribune, je tiens à lancer un appel à l’ensemble des jeunes Françaises et Français : soyez patriotes ! Défendez le patriotisme ! Promouvons ensemble ce sentiment !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, faisons-les aimer leur pays, leur nation !
Le patriotisme, c’est aimer son pays, alors que le nationalisme, c’est détester les autres.
Regardons notre pays tel qu’il est : le vivre ensemble dans la République, dans la cité, est indispensable.
Regardons notre pays comme il est regardé de l’extérieur : aujourd’hui, nous recevons la solidarité de tous les pays du monde, mais les Français sont toujours observés, parfois aimés – n’oublions pas que nous sommes la première destination touristique au monde –, souvent jalousés pour leur façon d’être, de vivre.
Aujourd’hui, la France est en guerre, parce que Daech lui a déclaré la guerre, parce que ces terroristes de ce prétendu État islamique pensent que la France est décadente.
Ils nous attaquent, parce qu’ils jugent que la France est décadente, mais, du haut de cette tribune, j’affirme le contraire : la France n’est pas décadente, elle est ardente ! Elle travaille, elle fait la fête, elle chante la liberté, la culture, elle vit sur les terrasses de ses restaurants ; elle aime le rock, le vin ; elle aime faire l’amour. (Expressions amusées.)
Oui, la France et les Français sont libres ! Clamons-le haut et fort à la face de ces terroristes qui ne le supportent pas. Soyons insupportables, nous, Français, enfants de la République, de Marianne et de la patrie.
Le premier acte de résistance, le premier combat contre le terrorisme, c’est bien de vivre, de vivre pleinement notre liberté, comme vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre.
Le texte que vous nous présentez, sous l’autorité du chef de l’État, a été examiné hier par l’Assemblée nationale, et j’ai pris plaisir à suivre ces débats. Il a été enrichi, au terme de ce que nous pourrions appeler une « coproduction tripartite » ; à cet égard, je veux saluer tout particulièrement M. le président de la commission des lois pour son travail efficace, mais également le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a beaucoup travaillé, en relation avec le Gouvernement.
En votant ce texte, nous allons tout simplement, dans le cadre de l’État de droit, permettre aux services de démanteler plus vite les réseaux terroristes présents sur notre sol, d’arrêter ceux qui nous attaquent, de vider les caches d’armes.
La loi qui résultera de nos travaux, c’est une synthèse entre moyens d’action renforcés pour les forces de l’ordre et protection pour les piliers de la démocratie.
Évidemment, monsieur le Premier ministre, le groupe socialiste et républicain votera unanimement la prolongation de l’état d’urgence à trois mois.
L’instauration de ce régime, le week-end dernier, a été utile pour faire avancer l’enquête, mais il faut aller plus loin. Sa prorogation est justifiée, car l’enquête n’est en rien terminée. D’autres terroristes sont peut-être en train d’être poursuivis par les services compétents, qui continuent leur traque sans relâche.
Au-delà, les menaces contre notre pays sont au niveau maximal, comme vous l’avez dit hier soir à la télévision. Nous étions menacés avant le 13 novembre, et peut-être le sommes-nous encore aujourd’hui.
Dès lors, nous devons créer les conditions de notre protection. L’état d’urgence y participe, puisqu’il permet, sous l’autorité du Gouvernement, de prononcer des assignations à résidence, de dissoudre des associations dangereuses ou de faire les perquisitions nécessaires.
La prorogation de l’état d’urgence est donc indispensable. Pour autant, si c’est une condition nécessaire, elle ne suffit pas à elle seule.
Il faut absolument que l’Europe prenne ses responsabilités !
M. David Rachline. Ah !
M. Didier Guillaume. Le Président de la République a dit au Congrès de Versailles que la réunion du Conseil européen était indispensable. Vous-même, monsieur le Premier ministre, avez évoqué ce point tout à l’heure, et M Cazeneuve, lors de la conférence de presse qu’il a tenue à l’issue de la réunion des ministres de l’intérieur, a confirmé que les choses avançaient.
À ce sujet, je veux dire haut et fort dans cet hémicycle que l’ensemble des membres du groupe socialiste et républicain soutient l’application du PNR le plus rapidement possible. M. le ministre de l’intérieur a évoqué la fin de l’année, en précisant que le délai de conservation des informations passerait de un mois à un an, pour plus d’efficacité.
Au nom de mon groupe, j’appelle tous les parlementaires, notamment les parlementaires européens, à accepter ce dispositif le plus vite possible.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Didier Guillaume. Le Sénat peut parfaitement adopter ce projet de loi, parce qu’il est fidèle à ses principes de défense des libertés individuelles. Nous avions prouvé cette fidélité lors de l’examen de la loi sur le renseignement, et nous pouvons la confirmer aujourd’hui. Face aux crises, l’État de droit ne s’efface pas, il se conforte.
Tranquillement, je déclare ici qu’accepter de perdre temporairement une once de liberté individuelle pour retrouver l’intégralité de nos libertés collectives est l’un des enjeux de ce projet de loi.
Mes chers collègues, l’Assemblée nationale a adopté un texte équilibré, et cette coproduction, je l’espère, sera votée très largement par notre assemblée.
Quelle plus belle preuve d’unité nationale qu’une quasi-unanimité des deux chambres de la République ! Quoi de plus beau qu’une démocratie qui se défend !
Notre nation est une grande nation qui s’est construite sur son aspiration de libertés. La République s’est élevée sur les droits fondamentaux et individuels. Jamais, en tant que parlementaires, nous n’irons contre ces principes. Aujourd'hui, nous allons les protéger pour que nos enfants puissent en jouir sans peur et avec la fierté d’appartenir à la nation française.
Alors, mes chers collègues, allons-y et votons ! Votons d’abord en souvenir de toutes les victimes du 13 novembre dernier ! Lorsque nous allons émettre ce vote, pensons à elles et pensons que la prorogation de l’État d’urgence permettra peut-être d’éviter d’autres carnages.
Votons et montrons au monde que la démocratie est plus forte que le terrorisme !
Votons et montrons à nos compatriotes que le Parlement est au rendez-vous de notre histoire future !
Votons et montrons aux terroristes que notre détermination est sans faille pour que vive la République et que vive la France, toujours et en toutes circonstances ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC et sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, que soient remerciés toutes celles et ceux – soignants, aidants, médecins, personnels de secours, pompiers, policiers et militaires – qui se sont mobilisés ces derniers jours, et tous les citoyens qui ont fait preuve de solidarité.
Monsieur le Premier ministre, vous nous demandez d’adopter des mesures exceptionnelles, de permettre aux autorités administratives d’avoir recours à un large panel de mesures coercitives.
Vous nous demandez d’entamer nos libertés, de prendre acte que l’effroi et l’émotion suscités par les attentats barbares commis vendredi dernier et les événements qui ont suivi cette semaine justifient d’approuver un texte qui fait – il faut le reconnaître – la part belle aux amendements de nos collègues situés plutôt à droite de l’hémicycle et pour lequel il faudrait voter les yeux fermés.
M. Éric Doligé. Et alors ?
Mme Corinne Bouchoux. Nous ne sommes pas aveugles et nous ne sous-estimons pas les conséquences de l’instauration de l’état d’urgence en termes de libertés publiques.
Nous avions d’ailleurs refusé une telle instauration en 2005 et nous sommes bien conscients des dérives dramatiques que ce régime a pu contribuer à générer au début des années soixante.
Or nous ne sommes plus embourbés dans une guerre coloniale qui ne voulait pas dire son nom ; nous sommes face à une barbarie inédite, qui se glorifie de ses atrocités et revendique son obscurantisme liberticide.
C’est la raison pour laquelle les écologistes ne resteront pas sourds à la demande de sécurité et de fermeté formulée par nos concitoyens et imposée par les circonstances, afin d’empêcher les terroristes et d’autres de fuir ou de nuire de nouveau.
Nous comprenons l’utilité de poursuivre pendant plusieurs semaines les opérations de perquisition et d’assignation à résidence menées depuis samedi. C’est toutefois malgré nous que nous voterons ce texte, rendu inévitable par la violence de la période que nous vivons. La garantie de la sûreté publique est un préalable à l’exercice des libertés publiques.
Je tiens à le souligner, il est important, pour mon groupe, que le présent projet de loi précise bien l’encadrement dans la durée de cet état d’urgence et qu’aient été prévus, comme l’avaient d’ailleurs proposé les députés écologistes, une information et un contrôle du Parlement. Nous serons extrêmement attentifs sur ces points.
Nous appelons également de nos vœux les associations de défense des droits humains, les médias indépendants et les citoyens à observer de près la période qui s’ouvre, afin de prévenir ou de signaler tout abus.
Concernant les modifications apportées à la loi de 1955, je veux dire, en préalable, qu’il n’est jamais souhaitable de légiférer en temps de crise. Pour autant, la mise à jour d’un texte adopté en 1955, dans un autre contexte, relève de l’évidence.
Nous nous félicitons de la juste suppression des dispositions de contrôle de la presse et des spectacles, comme de la nécessaire adaptation du champ des perquisitions à l’heure du numérique.
Nous apportons, enfin, notre soutien à l’introduction de garanties procédurales, qui sont désormais dans le giron du droit commun.
Cela étant dit, j’aimerais rappeler que ce projet de loi n’est qu’une réponse parmi d’autres – et seulement une réponse de court terme – à un problème complexe, lequel ne se réglera que sur le long terme.
L’action, la réaction à chaud sont ce à quoi l’on s’attend la semaine suivant ces actes de barbarie. Pour la suite, nous attendons davantage encore du Gouvernement : davantage en matière de prévention pour éviter que l’irréparable ne se reproduise.
L’éducation, sous toutes ses formes, la culture, sous toutes ses formes, sont irremplaçables en tant que vecteurs d’humanisme, de solidarité, de vivre ensemble.
Il faut aller vers l’autre, s’ouvrir aux autres, ne pas céder aux sirènes du repli sur soi, de la méfiance, éviter les amalgames, rester unis, faire face sans sombrer dans un climat de terreur pour refuser le piège tendu par les terroristes.
Ces terroristes ne s’en prennent pas uniquement à notre mode de vie. D'ailleurs, nombre d’Européens ont le loisir de fréquenter des restaurants, des bistrots, des salles de spectacle ou des stades le vendredi soir. La France est surtout le pays européen le plus impliqué dans les bombardements de la Syrie et des positions stratégiques de Daech. Au-delà des réponses de sécurité intérieure, c’est aussi notre géopolitique et notre système d’alliances dans la région qu’il faudra repenser.
« Ils » nous déclarent la guerre, mais nous défendrons la paix. (M. Roland Dantec applaudit.)
Dimanche, nous aurions dû être dans le cortège de la marche pour le climat pour rappeler aux négociateurs du monde entier venus à Paris qu’un accord contraignant, limitant le réchauffement du climat à deux degrés, est indispensable.
Nous avons débattu ici même au Sénat, lundi, de l’urgence climatique. Sortir de notre dépendance aux hydrocarbures est aussi une étape vers l’éradication du djihadisme, qui se finance grâce au pétrole de contrebande. J’aimerais que chacun conserve cet élément en mémoire. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Je salue la réactivité du Gouvernement et du Parlement pour faire face, ajuster notre arsenal législatif et, par ailleurs, augmenter la part de la dépense publique consacrée à notre sécurité. La prise en compte de l’impérieuse nécessité de sauver notre planète pour nous sauver nous-mêmes exigera un sursaut comparable.
Pour conclure, monsieur le Premier ministre, neuf des dix membres du groupe écologiste voteront ce projet de loi. Cependant, vous l’avez compris, ce vote ne constitue pas un blanc-seing pour les semaines à venir. La limitation des libertés sur le long terme donnerait raison aux fossoyeurs de la démocratie. Aussi serons-nous vigilants quant au respect de l’État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les Français ont une nouvelle fois découvert qu’ils n’étaient plus en sécurité sur leur propre sol. Or la sécurité est la première des libertés, et c’est l’une des raisons d’être de l’État de la garantir.
La situation actuelle sort de l’ordinaire. Nous soutenons donc le recours à l’état d’urgence et sa prorogation pour trois mois qui est un outil de l’État de droit, quoi qu’en disent les idéologues du syndicat de la magistrature !
Cependant, ne nous voilons pas la face : ce n’est pas en trois mois que nous allons venir à bout de l’hydre islamiste qui gangrène notre pays comme l’ensemble de la planète !
Quand on fait la guerre, il faut commencer par nommer son ennemi : notre ennemi est l’islamisme radical. Celui-ci repose, il faut le dire, sur une lecture rigoriste de l’islam : le wahhabisme. Cette guerre est donc aussi idéologique, et il me semble nécessaire de prendre conscience que cette mouvance a pu se développer en France, car notre société individualiste et matérialiste ne propose aucune transcendance. La nature ayant horreur du vide, les islamistes se sont engouffrés dans cette brèche.
Dans ce contexte, la vision de l’Association des maires de France sur les crèches est une aberration totale, voire une provocation scandaleuse.
Le Gouvernement semble avoir pris la mesure du danger qui guette notre pays. Enfin ! Alors, oui, osons le dire, plutôt que stigmatiser, caricaturer depuis des années nos analyses et nos propositions, il aurait été judicieux de les écouter ! Nous aurions préféré avoir tort, mais, malheureusement, les événements tragiques nous ont donné raison !
Une partie des mesures proposées par le Président de République va dans le bon sens. Toutefois, deux sujets fondamentaux ont été totalement occultés : les frontières et l’immigration. J’ose espérer qu’il ne faudra pas une attaque supplémentaire pour en prendre conscience.
Oui, l’immigration, notamment l’immigration de masse, est un sujet dont les liens avec les événements sont évidents. Et l’absence de frontières est une facilité offerte aux terroristes pour préparer leurs attaques.
Les frontières sont la possibilité de choisir qui entre chez nous, comme vous le faites tous dans vos maisons ! Je ne vois pas en quoi cela est un crime ! M. Abaaoud a, lui, trouvé la porte de la maison France grande ouverte !
Avant de conclure, je tiens à dire très clairement que notre vote en faveur de ce projet de loi n’est en rien un blanc-seing donné au Gouvernement, que nous serons très vigilants sur la mise en œuvre des mesures annoncées et que nous comptons bien mettre en débat sur la place publique les responsabilités politiques qui ont abouti à la situation tragique que nous connaissons aujourd’hui.
Je pense, par exemple, à la suppression de près de 20 000 postes dans l’ensemble des services de sécurité durant le quinquennat de M. Sarkozy, mais aussi aux graves accusations formulées par M. Squarcini, ancien directeur central du renseignement intérieur à votre encontre, monsieur le Premier ministre. La Haute Assemblée, comme l’ensemble des Français, attend une explication.
En conclusion, je tiens à dire que nous ne gagnerons que si nous savons qui nous sommes ! L’État islamique, lui, le sait : il vise, dans sa revendication des attentats de vendredi dernier, Paris « qui porte la bannière de la croix en Europe ».
C’est la France éternelle qui a été attaquée, peut-être pour son « incroyance festive », selon les mots d’un journaliste du journal Libération, mais au moins tout autant pour être, depuis 1 500 ans, un pays chrétien ! (M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, mes premiers mots, comme mes pensées, vont d’abord vers les victimes innocentes et pleines de vie des attentats odieux perpétrés il y a une semaine à Paris, ainsi qu’à leurs familles plongées dans la peine et l’incommensurable douleur. Leur souffrance est aussi la nôtre ; c’est celle de toute la nation.
Mes pensées vont aussi aux forces de sécurité et aux services de secours, qui ont fait preuve d’un grand courage et d’une grande efficacité au cours de leurs interventions pour assister, secourir et protéger nos compatriotes, tout en maintenant l’ordre républicain, celui qui nous permet de vivre ensemble et de jouir des libertés fondamentales reconnues à chaque individu.
Mes pensées vont, ensuite, à l’avenir de notre société, à l’héritage que nous voulons laisser aux générations futures, à cet avenir qu’il nous faut reconstruire, car il y aura assurément un avant et un après le 13 novembre 2015.
L’instauration de l’état d’urgence a permis des mesures d’exception. Monsieur le Premier ministre, comme l’a exprimé le président Mézard à la tribune du Congrès, nous vous soutenons lorsqu’il s’agit de prendre des mesures visant à rétablir la sérénité de nos concitoyens et leur droit à la sécurité, conditions sine qua non de l’exercice de toutes les libertés, parmi lesquelles celle d’exprimer librement ses idées, celle d’avoir ou de ne pas avoir de religion, celle d’aller boire un verre à une terrasse, ou encore celle d’écouter la musique de son choix.
Dix ans après les émeutes dans les banlieues qui avaient abouti au déclenchement de l’état d’urgence, nous sommes aujourd’hui contraints d’y recourir à nouveau, cette fois-ci sur l’ensemble du territoire de la République, y compris en outre-mer et sur mon île de Saint-Martin, où nous faisons aujourd’hui face aux agissements d’une secte terroriste qui peut frapper n’importe où.
Pour la plupart, ces fanatiques sont nés ou ont grandi sur notre sol. Cela conduit à s’interroger sur la faillite de nos politiques en direction de quartiers qui sont trop souvent devenus des zones de non-droit.
Il ne faut pas s’y tromper, les jeunes qui partent faire le djihad, embrigadés et animés par une haine féroce de notre société, révèlent un malaise profond, à la fois social et identitaire, sans oublier la faillite éducative de parents dépassés, n’ayant plus la moindre autorité sur leurs enfants. Il nous faut agir à la racine du mal si nous voulons tarir le recrutement du terrorisme islamiste.
Le communautarisme, qui n’a cessé de progresser au sein de notre société, favorise frustrations et ressentiments en juxtaposant et en opposant les communautés entre elles, ce qui a pour effet de dissoudre le sentiment d’appartenance à la seule communauté qui compte : la communauté nationale.
Mes chers collègues, le principe de laïcité, tel qu’il est exprimé dans la loi concernant la séparation des Églises et de l’État de 1905, doit reprendre le dessus et irriguer nos politiques publiques. Il est évident pour nous que l’une des réponses à la situation que nous connaissons passe par davantage de laïcité et par une plus stricte application de la loi de 1905, qu’il ne saurait être question d’affaiblir ou de restreindre.
Parce qu’ils se réclament de Daech et parce qu’ils ont presque toujours séjourné en Syrie, ceux qui s’attaquent à nous et à nos valeurs importent sur notre territoire les conflits armés qui ravagent le Moyen-Orient et auxquels notre pays prend désormais une part de plus en plus active.
Alors, bien évidemment, une partie de la solution pour retrouver la sérénité dans nos villes passe par la Syrie et l’Irak, et par l’éradication de Daech, véritable fabrique à terroristes. Pour ce faire – nous l’avons dit à plusieurs reprises à cette tribune –, il faut parler avec tous ceux qui ont Daech pour ennemi et unir nos forces. Par conséquent, nous approuvons et nous soutenons la réorientation de notre stratégie dont le chef de l’État a fait part devant le Congrès, tout simplement parce que, sur cette question, la fin justifie très clairement les moyens.
Il en va de même sur notre sol : dans le respect du droit et au nom de l’État de droit, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour parvenir à des résultats rapides, pour sauver des vies, pour neutraliser les terroristes et pour faire triompher les valeurs républicaines.
À situation très exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Vous appliquez, monsieur le Premier ministre, une formule de la Ière République : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. »
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. Guillaume Arnell. L’état d’urgence n’a toutefois pas vocation à être pérennisé ; le blanc-seing que nous vous accordons aujourd’hui n’a de sens que si s’exerce un véritable contrôle du Parlement, suivi du retour à une situation conforme au respect des libertés fondamentales.
Aussi, dans les conditions que nous connaissons, comment ne pas approuver le texte qui nous est présenté, tant celui-ci apparaît nécessaire ! Cela est démontré par le travail accompli depuis une semaine par nos forces de l’ordre : perquisitions, interpellations, assignations à résidence, ou encore saisies d’armes.
Parmi les mesures autorisées par l’état d’urgence, on compte l’assignation à résidence d’individus potentiellement dangereux. Nous savons que cette potentialité constitue le principal enjeu de la lutte contre le terrorisme : il faut pouvoir intervenir avant le passage à l’acte.
La présente modification de la loi de 1955, en permettant la dissolution des groupements de fait, conduit également à lutter contre les prédicateurs de la haine, qui sévissent librement dans certaines mosquées. L’État doit renforcer son contrôle sur les ministres des différents cultes, afin de s’assurer que ces derniers pratiquent un enseignement conforme aux valeurs de la République.
Monsieur le Premier ministre, nous vous soutenons et nous approuvons l’adoption conforme du texte. Reste malgré tout une question de procédure : nous nous interrogeons sur les éventuelles saisines a posteriori du Conseil constitutionnel par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité. Ne faudrait-il pas que vous saisissiez le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi, comme cela avait été fait pour la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, ou encore pour celle du 24 juillet 2015 relative au renseignement ?
Enfin, il nous semble important de préciser que, si l’état d’urgence et les moyens d’action qu’il permet s’imposent, nous devons également entamer une réflexion de long terme. Les perquisitions et les arrestations permettront certainement, dans l’immédiat, de prévenir de nouvelles attaques. Toutefois, elles ne suffiront pas à désarmer les esprits gangrenés par une idéologie totalitaire d’une extrême violence.
Monsieur le Premier ministre, rétablir la sécurité est désormais la première priorité pour notre pays. Le groupe du RDSE vous apporte son soutien pour cette fin, ainsi qu’à votre gouvernement, et nous avons la conviction que vous y parviendrez dans les meilleurs délais, en y associant, bien entendu, le Parlement. Viendra ensuite le moment de sortir de l’état d’urgence pour retrouver le plein exercice des droits et libertés auxquels nous tenons tous. Commencera alors, mes chers collègues, une nouvelle période où la politique devra être la continuation de cette guerre que nous aurons gagnée, au nom des principes et des valeurs de la République.
Le vote du RDSE – vous le comprenez bien, monsieur le Premier ministre – sera unanime.
Mes derniers mots seront pour vous, mais également pour M. le ministre de l’intérieur. Je veux saluer, en mon nom propre et au nom de tout mon groupe, le courage, la détermination et l’efficacité dont vous faites preuve en ce moment particulièrement difficile pour la nation.
C’est donc debout, à vos côtés, que nous nous tenons pour défendre la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a très exactement une semaine, le terrorisme islamiste s’apprêtait à frapper la France en son cœur pour ce qu’elle est, pour ses valeurs et pour ce qu’elle représente.
Immédiatement, le Président de la République a pris deux décisions : le rétablissement des contrôles aux frontières et la déclaration de l’état d’urgence. Nous avons approuvé ces deux mesures sans aucune réserve.
C’est aussi sans aucune réserve, monsieur le Premier ministre, que le groupe que j’ai l’honneur de présider soutiendra unanimement le projet de loi que vous nous soumettez aujourd’hui, et qui permet la prolongation de l’état d’urgence.
Nous le ferons, tout d’abord, parce que, si la France a rendez-vous avec son histoire, chacun d’entre nous, quel qu’il soit, a aussi, collectivement et individuellement, un rendez-vous à respecter : nous devons être à la hauteur de la gravité des événements ; chacun est appelé à l’esprit de responsabilité.
Par ailleurs, nous voterons unanimement et sans aucun souci en faveur de ce texte parce qu’il a été préparé dans le dialogue entre les deux assemblées. Je veux à ce propos féliciter M. Philippe Bas, la commission des lois et l’ensemble de ses membres, sans aucune distinction, pour l’excellent travail qu’ils ont accompli et dont une partie a été reprise par l’Assemblée nationale. Je les en remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)
Évidemment, monsieur le Premier ministre, comme vous l’avez reconnu à plusieurs reprises et il y a quelques instants encore, à cette tribune même, ce texte n’est qu’une étape. Au-delà, une question se pose, que nous avons déjà entendue au cours des interventions précédentes : comment une démocratie peut-elle lutter efficacement contre le terrorisme ?
La démocratie française, mes chers collègues, n’est pas désarmée. Ici même, en 2005, le rapporteur de la loi prorogeant l’état d’urgence, qui n’était autre que M. Jean-Jacques Hyest, avait indiqué que les ressources du droit public français permettaient, pour faire face à des situations exceptionnelles, d’attribuer au pouvoir exécutif des prérogatives renforcées. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une telle situation.
Le constituant, le législateur et le juge, selon leurs compétences respectives, ont progressivement défini et précisé des réponses graduées en fonction de la gravité de la situation.
Nous avons à notre disposition l’article 16 de la Constitution, l’état de siège et l’état d’urgence. Ce dernier ne figure certes pas en toutes lettres dans la Constitution, mais celle-ci fait mention à deux reprises, à ses articles 42 et 48, des états de crise.
Bien sûr, dans toute démocratie, il existe une tension et un conflit permanents entre la liberté et l’ordre public. Le Sénat est la maison des garanties pour les libertés individuelles. C’est dans ce sens, d’ailleurs, que la commission des lois travaillait voilà encore quelques heures.
Aujourd’hui, on nous demande de déplacer le curseur entre la liberté et la sécurité. C’est à nous seuls, mes chers collègues, qu’il appartient de dire si la conciliation à opérer entre la liberté et l’ordre public, conciliation fragile et délicate, mais aussi nécessaire, est équilibrée. Comme plusieurs orateurs l’ont d’ailleurs souligné, il ne saurait, sans ordre public, y avoir de liberté autre que formelle. Pour ce qui nous concerne, cet équilibre est atteint. En effet, à chaque fois que le texte alourdit les contraintes – je pense notamment à l’assignation à résidence et aux perquisitions –, le cadre légal de celles-ci est aussi renforcé, précisé et plus exigeant.
Oui, il fallait un texte pour adapter aux nouvelles conditions juridiques et aux réalités contemporaines, telles qu’internet, la loi de 1955.
Toutefois, là encore, trois mois, c’est très peu ; ce laps de temps passera très vite. Nous savons tous, mes chers collègues, que dans trois mois la guerre ne sera évidemment pas terminée. Dès lors, une autre question se pose : comment mieux protéger demain, au-delà de ces trois mois, nos compatriotes ?
Vous avez, monsieur le Premier ministre, avec le Président de la République, apporté un certain nombre de réponses. Vous avez notamment repris l’idée de constitutionnaliser certaines dispositions. Comme je l’ai dit dès lundi au Congrès, nous n’écartons rien ; il faut pourtant que ce soit utile pour la sécurité des Français.
Or pour le moment, comme Philippe Bas l’a indiqué, aucun des trois motifs qui justifieraient une révision de la Constitution ne nous paraît suffisant. En tout cas, la nécessité de cette constitutionnalisation ne nous saute pas aux yeux. Nous sommes bien évidemment disponibles pour étudier ce sujet, et Philippe Bas a fait une proposition qui me semble judicieuse.
Je pense toutefois que les Français ont l’esprit ailleurs. Ils suivent chaque jour l’actualité. L’enquête progresse très vite : permettez-moi, mes chers collègues, de féliciter le Premier ministre, tous les membres du Gouvernement et les forces de l’ordre, ceux qui enquêtent. Le travail qu’ils accomplissent est absolument extraordinaire dans sa rapidité.
Je pense d’ailleurs qu’il faut partir des constats faits par les enquêteurs, en tirer les leçons et agir de manière utile pour la sécurité des Français.
Premier constat : on voit bien qu’il y a, parfois, une relation entre la délinquance de droit commun et la radicalisation terroriste.
M. Roger Karoutchi. Souvent, oui !
M. Bruno Retailleau. L’existence de ce lien doit nous conduire, mes chers collègues, à réévaluer avec encore plus de fermeté la politique pénale. Depuis lundi, le Gouvernement et le Président de la République endossent et assument une politique de sécurité. Celle-ci doit non pas être partielle, mais englober l’ensemble des domaines et des politiques publiques qui sont à la disposition de l’État.
Deuxième constat : des terroristes, certains sous contrôle judiciaire, un autre sous le coût d’un mandat d’arrêt international, ont pu franchir en toute impunité tant les frontières françaises que d’autres frontières européennes. Comment ces failles sont-elles possibles ? Là aussi, il faudra tirer un certain nombre de leçons ; sans doute est-il encore trop tôt pour le faire.
Troisième constat : vous avez vous-même, monsieur le Premier ministre, indiqué hier soir que l’un des terroristes avait vraisemblablement profité du chaos suscité par la crise des réfugiés pour s’infiltrer en France. Là encore, bien sûr, la question des frontières est posée. (M. le ministre de l’intérieur rejoint le banc des ministres. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Monsieur le ministre de l’intérieur, vous venez, je pense, de Bruxelles. Voilà quelques, instants, je saluais votre action et celle des forces de l’ordre. Vous n’étiez pas encore présent pour m’éviter d’atteindre votre modestie… (Sourires.)
Mes chers collègues, Schengen est mort si Schengen II ne lui succède pas. C’est, selon moi, une évidence absolument criante. Que tous ceux qui, parmi nous, croient à un projet européen, avant d’évoquer une défense européenne, parlent de ce qui peut être utile pour mieux protéger la France et l’Europe : de vraies frontières ! Avant d’appeler les États à contribuer à un budget européen de la défense, demandons-leur de donner à l’agence FRONTEX les moyens nécessaires pour faire face à la menace extérieure !
Par ailleurs, le Président de la République, au congrès des maires, voilà quelques jours, est revenu sur la loi relative à la réforme du droit d’asile, que nous avons adoptée. Ce texte, à mon sens, est décalé : lui aussi devra être révisé.
J’entends encore une phrase que vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, avez prononcée et qui est fort juste : « il ne peut pas y avoir d’humanité […] s’il n’y a pas de fermeté ». Nous vous avions alors proposé que les déboutés du droit d’asile puissent faire l’objet d’obligations de quitter le territoire français. Je pense qu’ensemble, dans la sérénité, nous devons également réévaluer ces dispositifs.
Quatrième constat, enfin, le plus dramatique : la plupart de ces terroristes étaient français. Pour eux, la France était une terre étrangère. Pour eux, les Français étaient des cibles à abattre.
Un sénateur du groupe Les Républicains. C’est une honte !
M. Bruno Retailleau. Pour eux, la République était une exécration.
Ce constat est évidemment terrible. Il nous renvoie aux effets de la radicalisation contre laquelle il faut lutter chaque jour impitoyablement, implacablement. Il nous renvoie aussi au rapport que le président du Sénat a remis au Président de la République en avril dernier à la suite des attentats du mois de janvier, rapport superbement intitulé La nation française, un héritage en partage.
Mes chers collègues, nous aurons beau voter toutes les lois du monde, tous les moyens en loi de finances, si nous ne sommes pas fiers de nos valeurs, si les Français ne sont pas un peuple uni par la mémoire, par le souvenir, par l’espérance, notre démocratie ne saura pas se défendre. Car la première force des démocraties réside dans la volonté de chaque citoyen. Telle est ma conviction.
Au-delà de ces textes, au-delà des moyens, nous souhaitons tous que le débat soit de bonne tenue pour que, demain, la France redevienne, comme l’écrivait Emmanuel Levinas, cette « nation à laquelle on peut s’attacher par l’esprit et le cœur autant que par des racines ».
Oui, c’est cette France que nous aimons. C’est cette France qui a été attaquée. C’est cette France qui vaincra ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la guerre... On a parfois l’impression que tout cela est virtuel. La guerre ? Nos armées ne sont pas mobilisées à nos frontières ; il n’y a pas d’armées en face, pas de ligne Maginot. Il n’y a rien de ce que l’on a pu voir au cours des guerres mondiales dans lesquelles la France a été engagée. C’est donc une guerre beaucoup plus insidieuse, une guerre fondée sur la terreur, sur les victimes civiles, sur la volonté de remettre en cause des fondements de la République.
Tout le monde l’a souligné, je l’affirme à mon tour : le Parlement s’incline d’abord devant les victimes, devant les blessés. Nous, parlementaires, sommes tous solidaires de nos forces de sécurité, de nos policiers, de nos gendarmes, de nos militaires, de nos personnels soignants, de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à faire en sorte que l’horreur soit non pas traitée – on ne traite pas l’horreur –, mais encadrée. Quelle horreur de dire que l’on encadre l’horreur...
Monsieur le Premier ministre, dans le passé, nous avons contesté un certain nombre de vos mesures et de vos politiques. Nous avons formulé des propositions, qui étaient alors considérées, sinon comme excessives, du moins parfois comme attentatoires, comme si la sécurité n’était pas la première des libertés, comme si l’on opposait de manière artificielle la sécurité et la liberté !
La sécurité des Français, c’est la première de leurs libertés. Elle leur donne la liberté de circuler, de vaquer, d’aller au cinéma, de lire, de penser. Opposer les deux ou nous reprocher de trop encadrer les libertés par rapport à la sécurité n’a aucun sens.
Bruno Retailleau a raison et nous l’avons déjà dit – j’ai interrogé le ministre de l’intérieur à ce sujet : nous ne pouvons pas continuer à avoir des frontières passoires, des frontières européennes qui ne sont pas suffisamment défendues. Nous ne pouvons pas continuer à avoir des terroristes islamistes qui circulent aussi librement que de paisibles touristes. Nous ne pouvons pas continuer à avoir une Europe qui nous regarde agir, qui est solidaire, mais qui ne prend pas immédiatement les mesures qui s’imposent, qu’il s’agisse du PNR, des contrôles aux frontières, des forces de sécurité européennes, d’une agence de renseignement européenne. Nous ne pouvons pas continuer à faire la guerre au terrorisme au Mali et ailleurs et avoir des partenaires européens qui nous soutiennent moralement, mais qui ne s’impliquent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Nous devons faire en sorte de ne pas être seuls, parce que le terrorisme ne vise pas seulement la France, il vise l’ensemble d’une civilisation. Ce n’est même pas la guerre d’une civilisation contre une autre. (Mme Sophie Joissains applaudit.) Quelle serait d’ailleurs la civilisation qui nous ferait la guerre ? C’est la guerre de ceux qui n’ont pas de valeurs, qui ne veulent pas de fondements ou de références historiques – on le constate bien avec ce qui se passe à Palmyre ou ailleurs –...
Mme Jacqueline Gourault. Absolument !
M. Roger Karoutchi. ... et qui cherchent à détruire les fondements chez les autres. Voilà la réalité ! Nous devons donc mener une guerre contre la barbarie. (Applaudissements sur les mêmes travées.) Et cette guerre-là, il faut la gagner !
Pour ce faire, monsieur le Premier ministre, les membres de mon groupe voteront bien sûr la prorogation de l’état d’urgence. Nous serons bien sûr à vos côtés, aux côtés du Gouvernement, parce que c’est le Gouvernement qui détient la force régalienne, et nous soutiendrons tout ce qu’il faudra décider : interpellations, perquisitions, assignations, mesures prises, budgets supplémentaires, même si nous ne mettons pas constamment en balance le pacte de stabilité et le pacte de sécurité – ce n’est pas le même niveau d’engagement et nous avons besoin des deux.
Dans le même temps, nous serons extrêmement vigilants. L’unité nationale a du sens : c’est l’unité de la nation. Excusez-moi de le dire, mais ce n’est pas l’unité derrière le Gouvernement ou à côté de lui. C’est la France entière, la France dans ses composantes politiques, associatives, spirituelles qui doit se mobiliser.
Monsieur le Premier ministre, j’attends de voir quelles seront les inversions de politique avec la Russie, avec nos amis de Méditerranée, avec le Maroc après la phase très difficile que nous venons de traverser. Enfin une coopération avec les services de renseignements du Royaume du Maroc !
M. Christian Cambon. Merci le Maroc !
M. Roger Karoutchi. N’oublions pas que les oulémas du Maroc ont voté une fatwa contre Daech.
Mme Bariza Khiari. Magnifique !
M. Roger Karoutchi. Aujourd’hui, le Conseil français du culte musulman fait lire un texte condamnant le terrorisme dans toutes les mosquées de France – j’espère plus, monsieur le Premier ministre. Il faut de l’unité nationale, et retrouver le sens de cette expression. Cela suppose que toutes les composantes de la société française se mobilisent.
La prorogation de l’état d’urgence n’est pas un blanc-seing. Nous serons vigilants et observerons comment seront mises en place les mesures prises, dans quels délais, dans quelles conditions. Nous vérifierons si vous vous engagez jusqu’au bout, si le peuple français est réellement protégé. Dans le même temps, que peut faire le Gouvernement pour que l’unité nationale ne soit pas juste une expression dans les enceintes parlementaires, pour que toutes les composantes de la société française y participent, que personne ne s’exonère de cette guerre ? Comme disait Clemenceau, la guerre, c’est faire la guerre le matin, faire la guerre l’après-midi, faire la guerre le soir, faire la guerre tout le temps, sinon on ne gagne pas.
Oui, monsieur le Premier ministre, ensemble, nous allons nous battre, parce que nous ne voulons pas disparaître. Nous allons nous battre, parce que, depuis deux siècles, ce pays vit sur des droits, des libertés, une conception de la société, une civilisation qui ont fait sa puissance et sa gloire. Nous sommes là, avec vous, pour défendre cela. Nous comptons sur vous ! Toutefois, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, comptez sur notre vigilance, car vos engagements sont aussi de notre responsabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Aline Archimbaud et M. Raymond Vall applaudissent également.)
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pourrai pas rester jusqu’à la fin de l’examen de ce projet de loi, car je dois recevoir d’ici peu l’ensemble des organisations patronales et syndicales. Le ministre de l’intérieur qui vient d’arriver dans cet hémicycle aura l’occasion non seulement de revenir sur les conclusions du Conseil « Justice et affaires intérieures », mais de vous répondre chaque fois que c’est nécessaire. Je tiens néanmoins à apporter quelques précisions.
La sécurité, c’est la première des libertés. Je ne le dis pas depuis aujourd’hui, ce n’est pas une phrase que j’ai inventée, c’est une conviction qui est la mienne et qui est bien antérieure à mon premier mandat parlementaire. J’ai toujours considéré que, sans sécurité, il n’y avait pas de liberté, que c’était la loi de la jungle qui s’imposait, dont étaient les premières victimes les plus faibles et les plus modestes de nos sociétés. Cela fait bien quinze ans que, dans les enceintes parlementaires et politiques, j’affirme cette conviction.
Cette conviction, nous avons eu l’occasion de l’éprouver. Voilà trois ans, nous discutions ici même de la première loi antiterroriste, qui tirait les leçons des crimes commis par Mohamed Merah à Montauban et à Toulouse, et nous nous interrogions collectivement. J’avais souhaité que ce texte soit examiné d’abord par le Sénat. Je me souviens avec précision de l’intervention de Jean-Jacques Hyest sur un certain nombre de sujets, la presse, internet. Ensemble, nous avions décidé de ne pas aller plus loin et de ne pas revenir sur la loi de 1881.
Il est vrai que la menace terroriste évolue. À l’époque, m’appuyant sur l’analyse de la police de New York après les attentats du 11 septembre qui constituaient un phénomène nouveau, j’avais parlé d’ennemi intérieur et d’ennemi extérieur. Nous avions déjà connu des actes de terrorisme, y compris des actes perpétrés par des Français – rappelons-nous Action directe. Cette fusion entre ennemi extérieur et ennemi intérieur n’a, depuis, cessé de croître.
Voilà un an, le 13 novembre 2014, était promulguée la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme que Bernard Cazeneuve avait présentée. Je veux rappeler les chiffres : on dénombrait 52 Français sur sites en Syrie et en Irak au mois de mai 2013, 217 à la fin de cette même année 2013, 394 il y a un an, 570 aujourd’hui.
Quelques semaines après ma prise de fonctions en tant que ministre de l’intérieur, nous avons constaté le début de ce phénomène : une trentaine de Français étaient concernés. La tentative d’attentat contre une épicerie casher de Sarcelles le 19 septembre 2012 par la cellule dite de « Cannes-Torcy » a sonné comme un avertissement ; je l’évoquais ici en tant que ministre de l’intérieur. Nous n’avons eu de cesse de mobiliser notamment nos partenaires européens.
Je me rappelle mes rencontres avec mon homologue Joëlle Milquet, ministre de l’intérieur belge de l’époque. Ensemble, nous avons mobilisé un certain nombre de ministres de l’intérieur pour que nous puissions avancer sur le PNR, le contrôle des frontières, une meilleure coordination des services de renseignement. Aujourd’hui, enfin, la situation évolue. La France, forte du soutien du Parlement, n’a cessé de progresser sur ces questions.
Monsieur Rachline, je ne sais pas si vous avez raison sur tout depuis quelques années. Pour la bonne information de tous – la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi celle de tous ceux qui nous écoutent –, je rappelle que vous et votre collègue vous êtes opposés au PNR et à la loi relative au renseignement qui a été votée récemment.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Quand on veut lutter contre le terrorisme, il faut se doter de tous les outils pour ce faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Philippe Dallier, Jacques Legendre et Raymond Vall applaudissent également.)
Le Parlement ne donne pas tous les pouvoirs au Gouvernement. (M. le rapporteur acquiesce.)
C’est dans le cadre de la loi et de l’État de droit que, pendant trois mois, nous allons avancer ensemble, sous le contrôle nécessaire de l’Assemblée nationale et du Sénat, contrôle renforcé parce que nous l’avons voulu ainsi.
Nous prenons non pas des mesures d’exception, au sens où d’aucuns pourraient l’entendre, mais des mesures exceptionnelles, en ayant pour objectif de protéger la démocratie, l’État de droit et la liberté. Nous avons trois mois pour prendre un certain nombre de décisions, monsieur Retailleau, que nous allons traiter ensemble.
Vous avez évoqué les politiques migratoires, le contrôle aux frontières – M. le ministre de l’intérieur y reviendra –, la force de la justice, je pense au parquet antiterroriste. Tous ces sujets sont examinés de près par le Gouvernement, non seulement en termes de moyens, mais aussi du point de vue juridique. Nous devons, après le choc que notre pays vient de subir, la violence qu’il vient de connaître, aller plus loin, afin de répondre aux attentes des Français, et pas seulement des victimes des attentats, tout en ayant la volonté de prendre des dispositions utiles et, bien sûr, efficaces.
J’en viens aux propositions et aux analyses qui ont été faites au sujet d’une réforme constitutionnelle. À ce stade, monsieur le président de la commission des lois, je suis extrêmement dubitatif quant à la saisine du Conseil constitutionnel. Je souhaite que les dispositifs que vous allez adopter soient mis en œuvre rapidement. Or il est toujours risqué de saisir le Conseil constitutionnel.
M. Jean-Claude Lenoir. Il est aussi risqué de voter une loi constitutionnelle !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Si le Conseil déclarait qu’un certain nombre de points et de garanties prévues dans la loi révisée sont inconstitutionnels, les 786 perquisitions déjà faites et les 150 assignations à résidence prononcées pourraient être annulées. Certaines mesures, y compris parmi celles qui ont été votées hier à l’Assemblée nationale, et, disant cela, je pense en particulier au recours au bracelet électronique – je suis transparent –, présentent une fragilité constitutionnelle. Je n’ignore pas qu’elles pourraient faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité ; néanmoins je souhaite que nous allions vite, afin, conformément également à votre volonté, de donner aux forces de l’ordre, aux forces de sécurité et à la justice tous les moyens de poursuivre ceux qui représentent un danger pour la nation, pour la République et pour les Français.
Si nous ne procédions pas à une révision constitutionnelle afin de faire figurer l’état d’urgence dans la Constitution – nous prendrons le temps nécessaire sur cette question, monsieur le président –, nous ne pourrions pas aller plus loin en la matière sur une longue période. Or, nous le disons tous, nous sommes en guerre, et cette guerre va durer longtemps, ce sera un combat de longue haleine, compte tenu de la situation en Syrie, en Irak, en Libye, et de l’extension de Daech ou de ses franchises sur d’autres pays ou continents. Il nous faudra donc proroger un certain nombre de dispositifs, les consigner dans l’État de droit, peut-être dans la Constitution. Tel est le cas de l’état d’urgence, et s’il devait s’inscrire dans la continuité, il nous faudrait trouver une autre appellation. Examinons cette question tranquillement.
Je ne reviens pas sur les retours ou sur la déchéance de nationalité pour les binationaux qui sont nés français.
Je dirai un mot, monsieur Karoutchi, sur la politique étrangère, sur laquelle chacun peut avoir son sentiment, et sur nos relations avec les Marocains. Pour ma part, j’ai beaucoup suivi cette question lorsque j’étais ministre de l’intérieur, avant de passer le relais à Bernard Cazeneuve. Je veux être très clair : jamais durant la période de tension entre la France et le Maroc, pour les raisons que l’on connaît, le Gouvernement français n’a souhaité mettre fin à la coopération entre les services de renseignement marocains et français, intérieurs ou extérieurs. Au cours de cette période, tout comme aujourd'hui, la coopération a toujours été d’une excellente qualité, car le Royaume du Maroc et la République française ont le même ennemi : le terrorisme. Nous connaissons par ailleurs le prix que les Marocains ont payé.
Pour le reste, comme je l’ai dit il y a quelques jours à M. Raffarin, deux changements majeurs sont intervenus après les attentats que nous avons subis : les États-Unis d’Amérique d’abord, et c’est peut-être le changement le plus important, communiquent davantage leurs informations, afin de nous permettre de frapper des sites stratégiques de Daech, son quartier général et ses centres de formation ; les Russes ensuite, ont reconnu en début de semaine qu’ils avaient eux-mêmes subi une attaque terroriste, le crash d’un avion d’une de leurs compagnies étant dû à un attentat.
Cette nouvelle situation a permis au Président de la République de prendre un certain nombre d’initiatives, que je ne rappellerai pas, car vous les connaissez, et de créer les conditions d’une coalition sur le terrain. Il doit cependant être clair pour tout le monde que l’ennemi est Daech et que c’est lui qu’il faut frapper, ce qui ne l’est pas pour les Russes aujourd'hui, mais je ne doute pas que les discussions avec le président Poutine permettront de faire évoluer les choses.
Madame Assassi, il n’est pas question de ton martial. Renonçons aux postures ! Je suis, comme vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, profondément attaché à la démocratie, à l’État de droit et aux libertés. Les choix que nous faisons, je le répète, ne mettent aucunement en cause l’État de droit et la démocratie. Ils sont au contraire des outils destinés à les renforcer. C’est ensemble que nous devons avancer pour combattre le terrorisme.
Vous êtes élue de la Seine-Saint-Denis, madame la sénatrice, et je sais que des personnes très proches de vous ont été directement atteintes. Nombre d’élus de ce département, mais aussi d’autres régions, ont été touchés. Quoi qu’il en soit, nous partageons vos préoccupations, mais de là à faire un rapprochement entre les événements actuels et la guerre de 1914-1918, non !
Mme Éliane Assassi. J’ai évoqué l’assassinat de Jaurès !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Indépendamment de toute autre analyse sur cette période, en 1914-1918, c’étaient des nations, des États qui s’affrontaient. Aujourd'hui, la situation est totalement différente : nous faisons face à une organisation terroriste dont le but est de nier les valeurs universelles. Nous devons tous nous rassembler contre cela. Cela étant dit, je suis très respectueux du vote de chacun.
J’ai indiqué hier soir que j’étais particulièrement fier du Parlement français, parce qu’il donne une image de force. Bernard Cazeneuve me disait il y a un instant que, lors du conseil des ministres de l’intérieur, il avait ressenti une grande admiration pour ce que la France – le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement et le peuple français – est en train de faire.
Il n’y a donc aucun piège, monsieur Karoutchi. Nous savons tous qu’il existe des différences entre nous, et heureusement, c’est ce qui fait la force de la démocratie ! Mais ce que nous sommes en train de faire ensemble, sous la vigilance du Parlement et des Français, en faisant preuve d’une très grande exigence, nous dépasse. L’union sacrée doit aller au-delà du Parlement, elle doit se faire avec le peuple français, non pour nous-mêmes. Qu’elle se fasse au sein du Parlement est déjà un signe très fort, mais que le peuple français s’unisse et soutienne les forces de l’ordre, les magistrats, les responsables publics et politiques l’est encore plus. Vous avez parfaitement raison, c’est toute la société qui doit se mobiliser sur le plan économique et social, prendre la mesure de la menace et de ce qui se passe dans les quartiers où prend racine une grande partie du processus de radicalisation, sans toutefois verser dans les excuses, les amalgames et l’autoflagellation.
Nous devons combattre cet ennemi intérieur avec les armes de la République, avec nos valeurs, dont, bien sûr, la laïcité. L’union sacrée nous donne une force incroyable pour abattre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
J’informe le Sénat que, en application de l’article 60 du règlement du Sénat, je demande, en tant que président du Sénat, que le vote sur l’ensemble du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions ait lieu par scrutin public.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions
Article 1er
(Non modifié)
L’état d’urgence déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 est prorogé pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.
M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart, sur l'article.
Mme Natacha Bouchart. La France a été attaquée, frappée dans sa chair pour ce qu’elle représente et pour ce qu’on lui envie de par le monde : sa liberté.
Je pense à ces femmes, ces hommes, de tous âges, de toutes origines et de toutes confessions qui s’amusaient avec insouciance et qui nous ont quittés. Je pense au calvaire de leurs familles, auxquelles je veux dire que nous n’oublierons jamais cette journée du 13 novembre.
Après ces attentats, nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Aujourd’hui, nous sommes en guerre. C’est une guerre d’un genre nouveau, contre un ennemi lâche, qui se terre et frappe au hasard parce que notre mode de vie et nos valeurs sont aux antipodes du modèle qu’il veut nous imposer. Cet ennemi, c’est Daech.
Monsieur le Premier ministre, il n’est pas question de politique aujourd’hui. Je tiens à saluer l’action du Gouvernement et les mesures qui ont été mises en place dès le 13 novembre, en particulier l’état d’urgence. Pour ma part, je voterai le présent texte parce qu’il est justifié et nécessaire.
La situation exceptionnelle que nous connaissons et la permanence des risques pour notre pays nous imposent désormais de prendre nos responsabilités en donnant à titre exceptionnel aux autorités administratives les pouvoirs nécessaires pour lutter contre le terrorisme.
Nous nous retrouverons dans quelques jours pour évoquer d’autres propositions, notamment l’obligation, à mon sens la plus importante – il ne peut plus s’agir d’une option –, d’enregistrer les empreintes ou les photos de ceux qui entrent sur notre territoire, y stationnent, y circulent, à Calais comme ailleurs. Nous devons nous donner les moyens de les connaître.
À titre personnel, j’aurais souhaité que l’état d’urgence soit prorogé de six mois au-delà des douze jours, car je crains que trois mois ne soient pas suffisants pour conduire toutes les actions nécessaires au démantèlement de ces filières et pour faire face aux risques auxquels nous sommes exposés. Je pense en particulier à l’organisation de l’Euro 2016 par la France au mois de juin prochain.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous assurer que, si les circonstances l’exigent, vous n’hésiterez pas, au mois de février prochain, à demander au Parlement de proroger l’état d’urgence de trois mois supplémentaires ?
Pour terminer, je tiens à remercier les forces de police et de gendarmerie, les pompiers, l’armée, et le corps médical de ce qu’ils accomplissent au quotidien, dans des conditions très difficiles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Nous aimons tous Paris, car cette « ville-monde », comme la désigne Mme Hidalgo, est promesse de rencontres, d’échanges, de culture, de mixité et de convivialité. Paris est cette ville de toutes les couleurs qui, tous les jours, défie les sirènes d’un communautarisme étriqué. Sa jeunesse en est la proue, et c’est surtout elle qui a payé un lourd tribut en cette soirée du 13 novembre.
En tant que sénatrice de Paris, j’exprime ma compassion aux victimes et à leurs familles, mon admiration aux forces de l’ordre et aux professionnels des hôpitaux de Paris.
En raison même du chagrin et de la colère, et en guise d’hommage, les Parisiens ont fait vœu de fraternité. C’est sans doute pour cela que le roman d’Hemingway, Paris est une fête, est devenu ces derniers jours un succès de librairie.
Nos cœurs sont dévastés, mais Paris restera une fête : voilà la réponse d’un grand peuple aux bouchers du 13 novembre !
La stratégie de notre ennemi est redoutable : semer la terreur par un déchaînement de violence en faisant le pari d’une violence toujours supérieure. Pour prospérer, ces barbares ont besoin du chaos.
Au contraire, la force de notre République tient à l’État de droit. Le respect et la protection des libertés publiques sont, parmi d’autres, les conditions essentielles pour que perdure le contrat démocratique. Toutefois, dans les circonstances exceptionnelles auxquelles nous devons faire face, c’est parfois notre talon d’Achille. Aussi, il faut prendre des dispositions.
C’est pourquoi je souscris pleinement à la prolongation de l’état d’urgence et à toutes les modifications qui y sont apportées. Ces mesures sont non pas des atteintes disproportionnées à nos libertés, mais une réponse légale pour contrecarrer cette stratégie du chaos.
L’état d’urgence ne peut être qu’un état transitoire. Il nous faut mettre ce temps à profit pour affronter le vrai danger, que j’ai avec d’autres parfois évoqué, qu’est le fondamentalisme obscurantiste qui gangrène l’islam, et qui s’infiltre, via les satellites, les réseaux sociaux et dans divers lieux, dans les failles de notre tissu social.
Ce cocktail est une fabrique à radicalisation, et ce diagnostic est posé depuis longtemps de par le monde. À cet égard, il est urgent de soutenir les musulmans de France qui ne revendiquent pas des solidarités absurdes et qui prônent un islam spirituel, libre et responsable. Ils peuvent être la voie d’un contre-discours pour éradiquer toute forme d’idéologie mortifère.
Ce travail a été entamé par M. le ministre de l’intérieur dans le cadre de la laïcité. Poursuivons-le, car il représente à l’avenir une part de notre sécurité collective ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, sur l'article.
M. Alain Joyandet. Après les jours d’horreur que nous avons connus, comment ne pas soutenir l’action des pouvoirs publics ? Il est vrai qu’il y a urgence à prendre les mesures qui s’imposent au Président de la République et au Gouvernement.
Ce soutien est d’autant plus naturel qu’il s’agit de décisions que nous appelons de nos vœux depuis des mois. La démocratie exige que l’opposition soit responsable.
La responsabilité, c’est de soutenir solidement nos institutions, et donc ceux qui les incarnent aujourd’hui.
La responsabilité, c’est aussi de souligner le changement complet de politique de l’actuel président de la République à l’extérieur et à l’intérieur. Dont acte !
Sur le plan extérieur, la France renoue avec la Russie de Vladimir Poutine. Le départ de Bachar al-Assad n’est plus un préalable à la guerre contre Daech. Il fait désormais partie de la « solution ». Les accords de Schengen ne sont plus applicables ni appliqués. Les frontières sont rétablies.
Les Républicains appelaient ces mesures de leurs vœux depuis des mois. Notre déplacement à Moscou, avec Nicolas Sarkozy, pour rencontrer Vladimir Poutine, est l’illustration des inflexions que nous souhaitions pour notre politique extérieure.
Sur le plan intérieur, les mesures de sécurité font partie du dispositif que nous avions proposé. Là encore, dont acte !
Toutefois, je n’ai rien entendu de précis au Congrès, dans les propos du Président de la République, sur la fermeture des lieux de culte extrémistes et le renvoi des imams radicaux.
Mon soutien, monsieur le Premier ministre, n’est donc pas un blanc-seing. Comme beaucoup de mes collègues, je vais rester vigilant, notamment en raison d’interrogations qui subsistent concernant la période entre l’attentat commis contre Charlie Hebdo et aujourd’hui. Après une série d’attentats empêchés et déjoués qui n’ont pas provoqué de changement notoire de politique, il a fallu ce monstrueux vendredi 13 novembre 2015 pour infléchir la réaction de l’État.
Ces remarques et ces interrogations provoquent questionnement et devoir de vigilance, même si notre soutien n’est pas et ne sera pas compté, monsieur le Premier ministre.
Enfin, je souhaite une fois de plus remercier et féliciter nos forces de sécurité de leur mobilisation, leur abnégation et leur professionnalisme dans les moments d’horreur que vit notre pays. Ils méritent notre soutien unanime !
Les pouvoirs publics vont devoir se surpasser. Après l’émotion, la compassion, je sens monter chez nos concitoyens une colère sourde, qui pourrait bien encore s’amplifier si la réponse de l’État n’était pas à la hauteur des événements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, sur l'article.
M. Alain Gournac. Je veux d’abord m’incliner devant la douleur des familles qui ont été touchées par ce drame affreux.
Je veux aussi, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, vous soumettre une réflexion. « Les démocraties se défendent distraitement », disait celui qui, durant dix ans, siégea à la droite du général de Gaulle.
Sans doute la première des distractions, la plus dommageable, la plus impardonnable, consiste-t-elle à se dispenser de prendre acte du réel. Être incapable de le désigner, ou, plus grave, s’empêcher de le faire, est lourd de conséquences.
Désormais – et pour longtemps –, c’est avec les images des massacres dans les yeux que l’on répétera après Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Combien de choses ont été mal nommées ? Dans combien de domaines et depuis combien d’années ?
Elles ne furent pas nombreuses, ces voix qu’il était de bon ton de dénoncer parce qu’elles nous alertaient en nommant les choses comme il faut ! Hélas, ces voix furent recouvertes par les voix de ceux qui, à tort et à travers, pour un oui ou pour un non, nous rebattaient les oreilles avec la repentance, croyant la faire rimer avec le célèbre « je pense » du plus français des philosophes !
Cette désinvolture dans le langage, cette perversion dans le jugement, cette rupture avec la tradition républicaine de « la tête bien faite » nous ont conduits au bord du précipice.
Nous voilà désormais contraints de faire rimer ce beau nom de France, pour sauver celle-ci, avec état d’urgence !
Aussi voterons-nous ce texte, parce que la situation nous l’impose, parce que nous sommes face à un devoir incontournable, en raison du danger. Nous le voterons, mais nous veillerons à ce que toutes les actions qu’il permet à nos services de renseignement, à nos forces de sécurité de mener soient exécutées dans toute leur ampleur.
Mes chers collègues, permettez-moi pour conclure de restituer la parole de Thomas Mann, qui écrivait en 1935 : « Tout humanisme comporte un élément de faiblesse qui tient à son mépris du fanatisme, à sa tolérance et à son penchant pour le doute, bref, à sa bonté naturelle, qui peut, dans certains cas, lui être fatal. Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est un humanisme militant, un humanisme qui découvrirait sa virilité et se convaincrait que le principe de liberté, de tolérance et de doute ne doit pas se laisser exploiter et renverser par un fanatisme dépourvu de vergogne et de scepticisme. » (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 3 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le cas échéant, le Parlement au terme de trente jours d’état d’urgence se prononce sur sa poursuite. »
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Sans remettre en cause le besoin de se donner tous les moyens pour lutter contre le terrorisme, nous souhaitons, par le biais de cet amendement, instaurer un véritable pouvoir de contrôle du Parlement.
L’article 4 du projet de loi prévoit que l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence : « Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »
Cette disposition, que nous approuvons, est positive, mais elle reste, à nos yeux, insuffisante, puisqu’elle se limite en fait à un simple pouvoir d’information. Dans le cadre de ce pouvoir de contrôle, nous pensons que le Parlement doit également disposer du pouvoir d’interrompre l’état d’urgence au bout d’un mois. Sinon, mes chers collègues, que pourra faire le Parlement, qui est le seul représentant légitime de notre peuple, s’il désapprouve l’action du Gouvernement ?
Il paraît donc raisonnable, et conforme à la volonté de conférer un réel pouvoir au Parlement dans cette gestion de l’état d’urgence, de lui donner cette capacité d’interruption au bout d’un mois.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous avons bien entendu le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’intérieur : cette guerre contre Daech sera longue. D’après toutes les informations dont nous disposons, je crois qu’ils ont raison.
J’avais un moment pensé que, au lieu d’autoriser la prorogation de l’état d’urgence pendant trois mois, nous aurions pu directement inscrire dans la loi une prorogation de six mois.
Je me suis ravisé, estimant qu’un délai de trois mois renouvelable permettait au Parlement d’exercer tout son contrôle et d’imposer au Gouvernement, le cas échéant, de revenir devant lui pour justifier des raisons qui pourraient imposer une, voire plusieurs nouvelles prorogations – ce ne serait pas la première fois que l’état d’urgence serait appliqué pendant une durée assez longue, durée à laquelle je ne veux d’ailleurs pas donner de limite aujourd’hui.
Vous allez donc, mon cher collègue, un peu dans le même sens que moi, mais vous allez trop loin, car si nous devions être saisis dans un mois pour proroger de nouveau l’état d’urgence, cette cadence créerait pour nos forces de sécurité une certaine incertitude sur le développement des moyens mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence.
C’est la raison pour laquelle, tout en comprenant les motifs importants de contrôle parlementaire qui inspirent cet amendement, la commission des lois l’a rejeté. Elle a toutefois indiqué à ses auteurs qu’elle s’organiserait pour assurer un suivi très rapproché de la mise en œuvre de l’état d’urgence, de façon que celle-ci se fasse dans le respect du principe de légalité, comme c’est l’intention du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je partage tout à fait l’avis du président de la commission des lois.
Nos objectifs ne sont pas nécessairement divergents, monsieur le sénateur. Vous souhaitez que le Parlement puisse exercer son contrôle sur les conditions dans lesquelles l’état d’urgence est mis en œuvre, ce qui est au demeurant fort légitime.
Le Gouvernement souhaite pour sa part disposer du minimum de temps permettant aux mesures qu’il peut prendre dans le cadre de l’état d’urgence d’être efficaces.
Permettez-moi de vous donner un exemple très concret : nous avons enclenché des perquisitions administratives qui ont permis, la nuit dernière, de saisir dans un certain nombre de villes et de quartiers des armes longues, des armes de guerre, des armes de poing, parfois détenues par des individus en lien avec une mouvance ou des acteurs pouvant contribuer à la commission d’actes terroristes.
Nous avons besoin d’un minimum de temps pour déployer ces actions, par souci d’efficacité. Toutefois, le contrôle du Parlement doit également s’exercer dans ce type de situation. C’est la raison pour laquelle l’article 4-1, qu’il est proposé d’insérer dans la loi de 1955, permet à tout moment au Parlement de demander au Gouvernement de fournir des explications sur les conditions dans lesquelles il met en œuvre les mesures justifiées par l’état d’urgence.
Les raisons qui président à la présentation de votre amendement visant à raccourcir la durée de l’état d’urgence étant satisfaites par l’article susvisé, je vous demande de bien vouloir le retirer.
M. le président. Monsieur Favier, l'amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?
M. Christian Favier. J’ai entendu vos explications, monsieur le ministre. Mais l’article 4 vise à informer le Parlement des mesures prises pendant l’état d’urgence. Pour autant, le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement peuvent se retrouver en désaccord, le Parlement pouvant estimer que les conditions ne sont plus forcément réunies pour maintenir l’état d’urgence. Aussi, dans une telle situation, le Parlement ne pourrait-il pas, au terme d’un mois, demander l’interruption de l’état d’urgence ?
Eu égard au problème posé, votre réponse est donc partielle. C'est la raison pour laquelle je maintiens cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Il emporte, pour sa durée, application de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction résultant du 4° de l’article 4 de la présente loi. – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement. – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 3
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Reichardt, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Toute personne intégrée à la catégorie intitulée « Atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées est également inscrite au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes créé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement d’appel dans la mesure où nous avons parfaitement compris l’urgence de voter un texte conforme.
Les membres de la Haute Assemblée ont très vite exprimé des inquiétudes quant au phénomène de radicalisation. André Reichardt et moi-même avions coprésidé une commission d’enquête, dont nous avions demandé la création au mois de juin 2014, bien avant la loi du 13 novembre 2014 relative au terrorisme.
De même, l’année dernière, nous avons soutenu votre budget, monsieur le ministre, précisant même que nous souhaitions qu’il soit plus important encore eu égard aux circonstances, et ce bien avant l’attentat commis contre Charlie Hebdo.
Cet amendement d’appel vise à inscrire les personnes ayant eu un lien direct ou indirect avec le terrorisme au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes.
Monsieur le ministre, pourriez-vous m’écouter quelques minutes, et non mon collègue David Assouline ?
Dans cette période d’urgence, il serait souhaitable de compléter un certain nombre de dispositifs. Je rappelle notamment que la direction centrale de la police aux frontières ne dispose pas du fichier des passeports perdus ou volés. Cet élément peut sembler être un détail, mais, quand on connaît la porosité de nos frontières, il est en réalité important.
C’est pourquoi je demande que nos fichiers soient complétés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Les délinquants ou les criminels inscrits au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes ne sont pas dans la même situation que les personnes qui, en raison de la menace qu’elles peuvent éventuellement – et éventuellement seulement ! – représenter, font l’objet d’une fiche de police administrative.
Dans le fichier susvisé ne figurent que des personnes ayant été condamnées pour des actes de terrorisme ou ayant été mises en examen pour de tels actes ; et cette inscription est décidée par le juge.
M. Michel Mercier. Eh oui !
M. Philippe Bas, rapporteur. S’agissant des renseignements recueillis sur des individus qui n’ont pas commis, par hypothèse, de crime ou de délit dans le cadre d’une action terroriste – il existe des gradations dans le degré de menace qu’ils peuvent éventuellement représenter –, l’inscription au fichier relève de la police administrative. Or faire figurer tous ces individus dans un même fichier n’aurait, de mon point de vue, guère de sens.
Je rappelle que l’inscription au fichier précité, qui répond à l’élégant acronyme de « FIJAIT », a des conséquences sur le plan du contrôle judiciaire. Tout cela ne peut se décider sans juge.
Je comprends parfaitement la raison qui motive cet amendement – et, à vrai dire, je la partage –, à savoir resserrer l’étau sur les personnes faisant l’objet d’une fiche dite « S », mais le meilleur moyen de le faire est de demander au ministre de l’intérieur, notamment dans le cadre des pouvoirs qu’il tire de l’état d’urgence, de renforcer la surveillance des personnes soupçonnées de représenter une menace, en vue, éventuellement, de réunir les éléments qui permettraient d’engager des poursuites. Je ne crois pas que l’inscription de ces personnes à ce fameux fichier soit réellement utile dans ce cadre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout d’abord, sachez, madame Goulet, que rien ne peut jamais me distraire de l’attention que je vous porte ! (Sourires.) Pas même une conversation avec votre collègue David Assouline. N’ayez donc aucune inquiétude, je l’écoutais d’une oreille et je vous écoutais de l’autre. (Nouveaux sourires.) J’ai donc parfaitement suivi le déroulement de votre raisonnement.
Sur le fond, la question des fiches dites « S » est extrêmement importante, et elle a été soulevée à plusieurs reprises, de façon légitime d’ailleurs eu égard aux événements auxquels nous avons été confrontés. Ce sujet a été très présent au cours des discussions que nous avons eues ce matin à l’échelon européen. Aussi, je profiterai de l’occasion qui m’est offerte pour vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques compléments d’information.
L’analyse développée par M. le rapporteur étant absolument rigoureuse et imparable d’un point de vue juridique, je n’ai rien à ajouter au raisonnement selon lequel on ne peut verser dans un fichier concernant des personnes condamnées des fiches relatives à des personnes qui ne sont même pas soupçonnées, mais font l’objet d’une mise en attention. En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit en matière de fiche S.
À cet égard, je profite de l’occasion pour dire quelques mots sur les fiches S. De quoi s’agit-il ?
M. le président. Peut-être pourriez-vous également, monsieur le ministre, faire un point sur le Conseil « Justice et affaires intérieures » ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Comme les deux sujets sont liés, je le ferai très volontiers, monsieur le président.
Les fiches S sont utilisées par les services de renseignement. Ces mises en attention par des éléments récupérés soit par le service central du renseignement territorial, soit par les services de police, soit par des témoignages, permettent, sans que la personne qui en fait l’objet en soit informée, à l’ensemble des renseignements nécessaires au suivi de celle-ci ou, éventuellement, au démantèlement de la filière à laquelle elle appartient, de produire leurs effets.
Ces fiches de mise en attention sont très importantes pour les services de renseignement. Pour que l’efficacité du dispositif de suivi aille à son terme, cela suppose que la personne faisant l’objet du suivi n’en soit pas informée. C’est un élément de base de l’activité des services de renseignement.
Par-delà les questions constitutionnelles, qui seront traitées par le Conseil d’État dans le cadre de la saisine que nous lui adresserons afin qu’il examine l’ensemble des propositions relatives aux fiches S, je suis – c’est ma simple contribution au débat – très dubitatif – j’appelle l’attention de chacun sur ce point – sur le fait d’équiper l’ensemble de ceux qui sont « fichés S » dans le cadre de cette mise en attention d’un bracelet électronique. Si nous agissions ainsi, nous informerions ces personnes du suivi dont elles font l’objet, et le renseignement en France s’en trouverait considérablement affaibli.
Comme une grande partie de l’efficacité du renseignement dépend de cela, même si des améliorations doivent être apportées, nous aurions grand tort de prendre une mesure judicieuse en apparence, mais qui aurait des conséquences très graves à terme sur l’efficacité de notre politique de renseignement. Je suis dubitatif sur cette proposition, même si je ne conteste pas son utilité dans le débat.
Cela m’amène à évoquer, comme vous me l’avez suggéré, monsieur le président, le Conseil « Justice et affaires intérieures ».
Nous sommes confrontés à un problème au plan européen : nous versons au SIS, le système d’information Schengen, une grande partie des renseignements dont nous disposons au terme de la mise en attention de ceux que nous surveillons, mais d’autres pays européens ne le font pas, ou le font sur la base de signalements qui ne permettent pas la connexion de nos informations dans le cadre du dispositif de suivi de ceux qui ont été mis en attention par les services européens. Cette situation conduit à une perte en ligne considérable pour ce qui concerne la reconstitution de la traçabilité des terroristes au moment du franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne. À mes yeux, tel est le vrai sujet aujourd'hui ! Comment fait-on pour que l’ensemble des signalements des services soient versés au SIS, de manière à éviter des manquements dans le suivi de ceux qui peuvent commettre des actes terroristes ?
C'est la raison pour laquelle nous avons fait trois propositions ce matin au Conseil « Justice et affaires intérieures ».
Ces propositions, je les avais adressées aux institutions européennes voilà dix-huit mois. L’Europe prend trop de temps pour traiter les questions urgentes et, quand la décision est prise, elle met trop de temps à appliquer les mesures décidées. Cela suffit ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Nous constatons les résultats auxquels cette situation aboutit. Tout en étant résolument européens, il fallait que nous disions, à un moment donné, à l’Union européenne : « stop, le temps de la lutte contre le terrorisme, c’est le temps de l’urgence, et ce n’est pas le temps de la délibération sans fin des instances européennes ! »
Premier point, nous avons demandé un PNR européen, qui ne soit pas vidé de son contenu.
Lorsque je me suis rendu devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, la commission dite « LIBE », du Parlement européen au mois de janvier dernier, les parlementaires européens, vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, ne voulaient pas de ce PNR. Ils l’ont voté en février dernier, mais en adoptant des amendements qui, dans quelques domaines, le privaient de son contenu. Quels sont ces éléments ?
Premièrement, le masquage des données. Nous avons proposé un an ; ils en sont arrivés à un mois. Ce n’est pas sérieux !
Deuxièmement, la durée de conservation des données. Nous avons proposé quatre ans ; ils ont retenu une durée infime. Ce n’est pas sérieux !
Troisièmement, nous avons voulu que soient pris en compte les vols intra-européens – on le voit bien, les terroristes traversent les frontières intérieures entre les États de l’Union européenne – ; ils n’ont pas souhaité le faire. Ce n’est pas sérieux !
Quatrièmement, nous avons proposé que l’on tienne compte non seulement des infractions transnationales, mais également des infractions nationales ; ils ne l’ont pas souhaité. Ce n’est pas sérieux !
Nous avons adopté une délibération ce matin au Conseil européen, avec l’appui de la Commission européenne, pour demander, dans le cadre du trilogue, que toutes ces demandes, qui étaient les nôtres, soient remises sur le métier.
Le président de la commission LIBE, que j’ai rencontré, m’a indiqué que je pourrais retourner devant cette même commission pour expliquer les raisons pour lesquelles nous avons besoin de toutes ces mesures, compte tenu des événements terroristes que nous avons vécus, de manière à emporter la conviction des parlementaires européens. Dans cet hémicycle, des parlementaires de toutes sensibilités ont des groupes au Parlement européen. Essayons donc de le faire !
Deuxième point, la question du trafic d’armes nous a beaucoup occupés. Après l’attentat contre Charlie Hebdo, nous avions demandé qu’une directive urgente sur ce sujet soit adoptée. Des experts européens de la concurrence ont considéré que les armes, au sein de l’Union européenne, devaient être traitées comme n’importe quel produit consommable. C’est absurde ! J’y insiste !
Nous avons indiqué que cela suffisait et qu’il convenait de modifier la directive 91 avant la fin de l’année. Nous avons obtenu satisfaction : avant la fin de l’année, nous aurons un texte sur lequel légiférer, de manière à régler définitivement cette affaire. Comme je n’étais pas sûr que cette directive serait rapidement modifiée, j’ai proposé, vendredi dernier, quelques heures avant la tragédie qui nous a cruellement frappés, un plan de lutte contre le trafic d’armes, qui sera porté au pot commun européen.
Troisième point, concernant le contrôle des frontières, nous avons demandé, voilà dix-huit mois, bien avant l’attentat contre Charlie Hebdo, la mise en place de contrôles coordonnés et systématiques aux frontières extérieures de l’Union européenne – une modification du code Schengen n’est pas nécessaire pour cela –, mais l’Union européenne ne l’a pas fait, et il n’a pas été possible de mettre en œuvre de tels contrôles.
Nous avons demandé que le code Schengen soit modifié pour que les contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne, en plus d’être systématiques et coordonnés, soient rendus obligatoires et pour que l’interrogation du système d’information Schengen et des autres fichiers soit autorisée. Cette révision du code Schengen, la Commission européenne et le Conseil s’y étaient d’abord refusés. Elle figure dans les conclusions de la réunion de ce matin.
Enfin, j’ai très clairement averti nos partenaires européens que la France maintiendrait les contrôles à ses frontières, à toutes ses frontières, aussi longtemps que la menace terroriste l’exigerait, et qu’elle seule, souveraine, serait juge de cette durée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Remarquez que cette annonce n’a suscité aucun débat, aucune contestation, ni même aucun commentaire.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les conclusions du Conseil « Justice et affaires intérieures » qui s’est tenu ce matin.
Il va de soi que nous continuerons à nous mobiliser fortement, car, comme l’on dit en Normandie, monsieur le rapporteur, une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance… (Sourires.) Reste que les résultats obtenus satisfont nos attentes, qui étaient aussi celles d’un très grand nombre de nos partenaires, et nous fourniront désormais les outils nécessaires pour travailler correctement.
Je remercie la Commission européenne, qui a travaillé très rapidement depuis dimanche dernier, ce qui était nécessaire, compte tenu du temps que nous avions pris pour bien faire. Je remercie également la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne, qui a été exceptionnelle, ainsi que les ministres européens de l’intérieur et de la justice, qui tous, ce matin, ont fait l’effort tout à fait émouvant de s’exprimer en français, même ceux qui avaient commencé à l’apprendre hier soir… (Sourires.) Je veux relever à quel point ils se sentent concernés et ont conscience de la menace qui pèse sur tous nos pays.
Nous sommes solidaires. Lorsque la France est frappée, toute l’Europe est frappée avec elle. Il est maintenant urgent d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, des informations que vous avez communiquées au Sénat.
La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je fais mien votre proverbe normand. Vous imaginez bien qu’André Reichardt est trop fin juriste pour avoir cosigné cet amendement s’il ne s’agissait, au titre de la « petite méfiance », de vous faire prendre conscience du problème des fiches S et du fait que Coulibaly, Nemouche, Kouachi, Merah et les autres ont tous fait l’objet d’une telle fiche. Le problème n’est pas tant le risque d’attirer l’attention des personnes fichées sur le fait qu’elles sont suivies que la conduite adoptée une fois que la fiche S est vidée de sa substance et que, précisément, il n’y a pas de suivi.
J’ai bien compris que, cet après-midi, entre le vote obligatoire et l’article 40 de la Constitution, l’heure n’était pas à adopter des amendements. Je retire donc celui-ci, mais j’attends avec impatience l’examen des crédits de la mission « Sécurité » du projet de loi de finances pour 2016 : à cette occasion, monsieur le ministre, je ne manquerai pas de revenir à la charge sur la constitution de nouveaux fichiers ! (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Article 4
(Non modifié)
La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée est ainsi modifiée :
1° A Après l’article 4, il est inséré un article 4-1 ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. » ;
1° L’article 6 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l’article 2 et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. Le ministre de l’intérieur peut la faire conduire sur le lieu de l’assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie.
« La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. » ;
a bis) À la fin du troisième alinéa, les mots : « visées à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « mentionnées au premier alinéa » ;
b) Sont ajoutés cinq alinéas ainsi rédigés :
« Le ministre de l’intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence :
« 1° L’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu’il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s’applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ;
« 2° La remise à ces services de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Il lui est délivré en échange un récépissé, valant justification de son identité en application de l’article 1er de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité, sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document retenu.
« La personne astreinte à résider dans le lieu qui lui est fixé en application du premier alinéa du présent article peut se voir interdire par le ministre de l’intérieur de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Cette interdiction est levée dès qu’elle n’est plus nécessaire.
« Lorsque la personne assignée à résidence a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d’acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d’emprisonnement et a fini l’exécution de sa peine depuis moins de huit ans, le ministre de l’intérieur peut également ordonner qu’elle soit placée sous surveillance électronique mobile. Ce placement est prononcé après accord de la personne concernée, recueilli par écrit. La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d’un dispositif technique permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l’ensemble du territoire national. Elle ne peut être astreinte ni à l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie, ni à l’obligation de demeurer dans le lieu d’habitation mentionné au deuxième alinéa. Le ministre de l’intérieur peut à tout moment mettre fin au placement sous surveillance électronique mobile, notamment en cas de manquement de la personne placée aux prescriptions liées à son assignation à résidence ou à son placement ou en cas de dysfonctionnement technique du dispositif de localisation à distance. » ;
2° Après l’article 6, il est inséré un article 6-1 ainsi rédigé :
« Art. 6-1. – Sans préjudice de l’application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, sont dissous par décret en conseil des ministres les associations ou groupements de fait :
« 1° Qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ;
« 2° (Suppression maintenue)
« Le maintien ou la reconstitution d’une association ou d’un groupement dissous en application du présent article ou l’organisation de ce maintien ou de cette reconstitution sont réprimés dans les conditions prévues aux articles 431-15 et 431-17 à 431-21 du code pénal.
« Par dérogation à l’article 14 de la présente loi, les mesures prises sur le fondement du présent article ne cessent pas de produire leurs effets à la fin de l’état d’urgence.
« Pour la prévention des actions tendant au maintien ou à la reconstitution des associations ou groupements dissous en application du présent article, les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure et les services désignés par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 du même code peuvent recourir aux techniques de renseignement dans les conditions prévues au livre VIII dudit code. » ;
3° L’article 7 est abrogé ;
3° bis L’article 9 est ainsi rédigé :
« Art. 9. – Les autorités administratives désignées à l’article 8 peuvent ordonner la remise des armes et des munitions, détenues ou acquises légalement, relevant des catégories A à C, ainsi que celles soumises à enregistrement relevant de la catégorie D, définies à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure. Le représentant de l’État dans le département peut aussi, pour des motifs d’ordre public, prendre une décision individuelle de remise d’armes.
« Les armes remises en application du premier alinéa du présent article donnent lieu à la délivrance d’un récépissé. Elles sont rendues à leur propriétaire en l’état où elles étaient lors de leur dépôt. » ;
3° ter L’article 10 est ainsi rédigé :
« Art. 10. – La déclaration de l’état d’urgence s’ajoute aux cas prévus à l’article L. 1111-2 du code de la défense pour la mise à exécution des réquisitions dans les conditions prévues au livre II de la deuxième partie du même code. » ;
4° L’article 11 est ainsi rédigé :
« Art. 11. – I. – Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.
« La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins.
« Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été possible d’accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être copiées sur tout support.
« La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République.
« Lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République.
« Le présent I n’est applicable que dans les zones fixées par le décret prévu à l’article 2.
« II. – Le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. » ;
4° bis L’article 12 est abrogé ;
5° L’article 13 est ainsi rédigé :
« Art. 13. – Les infractions aux articles 5, 8 et 9 sont punies de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.
« Les infractions au premier alinéa de l’article 6 sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
« Les infractions au deuxième et aux cinq derniers alinéas du même article 6 sont punies d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
« L’exécution d’office, par l’autorité administrative, des mesures prescrites peut être assurée nonobstant l’existence de ces dispositions pénales. » ;
6° Le second alinéa de l’article 14 est supprimé ;
7° Le titre Ier est complété par un article 14-1 ainsi rédigé :
« Art. 14-1. – À l’exception des peines prévues à l’article 13, les mesures prises sur le fondement de la présente loi sont soumises au contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le code de justice administrative, notamment son livre V. » ;
8° À l’intitulé, le mot : « relatif » est remplacé par le mot : « relative ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur l’article.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. L’article 4, que je voterai, de même que l’ensemble du projet de loi, sans l’ombre d’une hésitation, renferme l’essentiel du dispositif de renforcement de l’état d’urgence.
Je tiens à signaler deux enjeux, à propos desquels, à ce stade, je n’ai pas nécessairement de position arrêtée.
Premièrement, il convient de réfléchir à la manière de ne pas retomber, dans trois mois, dans le business as usual – que M. Legendre me pardonne cet anglicisme ! Pendant trois mois, en effet, l’exécutif disposera de moyens considérables lui permettant notamment de procéder à des saisies et à des perquisitions – nous vous faisons une pleine confiance de ce point de vue, monsieur le ministre –, mais que se passera-t-il ensuite ?
Mme Nicole Bricq. Pour l’instant, votons !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Peut-être faudra-t-il adapter notre arsenal législatif pour que, d’une manière ou d’une autre, certaines mesures demeurent possibles ? Ainsi, l’article 4 du projet de loi prévoit la possibilité de mener une perquisition, de jour comme de nuit, dans tout lieu dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’il est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Il me semble, compte tenu des personnes dont il s’agit, que cette disposition est légitime, y compris en temps normal ! C’est pourquoi un certain nombre d’entre nous, en particulier parmi les membres de la commission des lois, entendent réfléchir à la pérennisation de certaines mesures. (Marques d’impatience sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Catherine Tasca. Votons, maintenant !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Deuxièmement, il faut mesurer toute l’importance de la détection. En effet, ces fils et filles de France qui malheureusement ne se sentent pas toujours tels, et qui parfois retournent leurs armes contre la mère patrie, ont souvent dérivé petit à petit. Il faut s’attacher à détecter les premiers signaux, encore faibles, afin d’agir le plus tôt possible pour remettre dans le droit chemin les personnes qui ont été repérées. Il est nécessaire de sensibiliser à cet impératif toutes les institutions de socialisation, en particulier l’éducation nationale ; je pense aussi que certains signaux faibles peuvent être détectés au cours de la journée défense et citoyenneté.
Cet effort de détection est essentiel pour essayer de ramener à l’amour de la patrie ceux qui s’en détournent et, tout simplement, pour prévenir des dérives mortelles.
Voilà, mes chers collègues, deux enjeux auxquels il me paraît nécessaire que nous réfléchissions dans les mois à venir.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Au moment où nous commençons l’examen de l’article 4 du projet de loi, il importe que j’interroge M. le ministre sur l’interprétation qu’il convient de donner à deux dispositions, afin que les tribunaux soient éclairés.
Près de huit cents perquisitions ont été menées en sept jours dans le cadre d’un régime de police administrative ; le présent article précise opportunément qu’on ne peut procéder à de telles perquisitions que s’il y a des raisons sérieuses de penser que le lieu perquisitionné est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics.
Le pouvoir judiciaire n’est pas totalement absent de cette procédure, puisque le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont bien voulu approuver la suggestion que je leur ai faite de confier à l’officier de police judiciaire le soin de procéder, le cas échéant, à la saisie de ce que j’appellerai, pour simplifier, une pièce à conviction. De sorte que l’officier de police judiciaire ne sera pas un simple témoin de la perquisition administrative ; il en sera aussi, dans ce cas-là, un acteur.
Moyennant quoi deux doutes subsistent, que M. le ministre voudra bien dissiper.
En ce qui concerne les perquisitions administratives de nuit, je fais, pour ma part, une interprétation très claire de l’article 4 du projet de loi : dès lors que la perquisition a été régulièrement ordonnée, l’officier de police judiciaire, à qui il appartient d’opérer les saisies et d’en rendre compte au procureur de la République, peut valablement y procéder indépendamment de l’heure. En d’autres termes, la règle, prévue à l’article 59 du code de procédure pénale, selon laquelle un officier de police judiciaire ne peut procéder à une perquisition qu’après six heures du matin ne s’applique pas dans le cadre de ce régime, sans qu’il soit nécessaire, ni même utile, d’inscrire cette précision dans la loi.
S’agissant des endroits où une perquisition peut être menée, je considère que l’expression « en tout lieu », qui autorise les forces de l’ordre à perquisitionner ailleurs qu’au domicile de la personne visée, couvre les véhicules.
Sur ces deux questions, monsieur le ministre, votre interprétation rejoint-elle la mienne ?
Plus généralement, il me paraît important que les pouvoirs exceptionnels que le Gouvernement tire de la mise en œuvre de l’état d’urgence conservent un caractère temporaire. Ainsi, la commission des lois n’a pas souhaité inscrire à titre permanent dans notre droit un certain nombre de mesures relatives à l’assignation à résidence, au maintien dans le domicile, aux perquisitions et aux interdictions de réunion. Ces pouvoirs exceptionnels, monsieur le ministre, vous les exercez et les préfets les exercent sous votre autorité dans le cadre de l’état d’urgence, mais il ne saurait être question, de mon point de vue, de les rendre permanents.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le rapporteur, je ne voudrais pas vous compromettre, mais je suis en tout point d’accord avec vous. (Sourires.)
Point n’est besoin d’insister sur le caractère temporaire qui s’attache aux pouvoirs accordés aux forces chargées de maintenir la sécurité et l’ordre publics ; le présent projet de loi fixe des délais dont la prolongation devrait être autorisée par le Parlement, lequel pourra, en vertu de l’article 4-1 qu’il est proposé d’insérer dans la loi du 3 avril 1955, être informé des conditions dans lesquelles l’état d’urgence est mis en œuvre, s’agissant notamment des mesures de police administrative.
Pour ce qui concerne les perquisitions, il est exact qu’elles ne peuvent être menées hors la présence d’un officier de police judiciaire. Si l’état d’urgence permet des mesures de police administrative, il ne remet aucunement en cause la séparation des pouvoirs : ainsi, lorsque l’infraction est constatée, le juge judiciaire reprend l’intégralité de ses prérogatives et le déclenchement de l’action publique comme les gardes à vue ont lieu selon le droit commun. C’est d’ailleurs ce qui se passe : les 178 perquisitions qui ont été menées ce matin ont conduit à une vingtaine de gardes à vue qui se tiennent selon les règles ordinaires.
Enfin, il est bien évident que les lieux pouvant être perquisitionnés, de jour comme de nuit, doivent être entendus au sens large : il peut s’agir de domiciles, mais aussi de véhicules, comme vous l’avez très justement supposé.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Au terme d’un délai de trente jours, le Conseil constitutionnel peut être saisi par soixante députés ou soixante sénateurs ou par un groupe parlementaire, aux fins d’apprécier si les conditions fixées à l’article 1er de la présente loi demeurent réunies.
« Il se prononce par un avis qu’il rend dans les moindres délais. Il procède de lui-même à cet examen après soixante jours d’application des mesures édictées au titre de la présente loi. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. La vigilance démocratique et républicaine est nécessaire : c’est fidèles à cet esprit que nous proposons, avec toute la solennité qui sied à ce débat grave et aux circonstances qui l’entourent, une mesure largement et directement inspirée du rapport établi en 2007 par le comité dit « Balladur ». La onzième proposition de ce rapport intitulé Une Ve République plus démocratique consiste à prévoir à l’article 16 de la Constitution, qui confère des pouvoirs exceptionnels au Président de la République, la possibilité pour soixante députés ou soixante sénateurs de demander au Conseil constitutionnel, au bout d’un délai de trente jours, d’apprécier si les conditions justifiant l’état d’urgence sont toujours réunies ; le Conseil constitutionnel pourrait s’autosaisir au terme de soixante jours.
Nous estimons que l’application de cette proposition serait de nature à donner une plus grande réalité au contrôle parlementaire, qui se limite finalement à une simple information.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Croyez bien, mon cher collègue, que la commission des lois n’a éprouvé aucune antipathie à l’égard ni de cet amendement ni de ses auteurs. Simplement, elle a considéré que les modalités de saisine du Conseil constitutionnel relèvent exclusivement de la Constitution. Pour cette raison, elle s’est prononcée contre le présent amendement.
J’ai cru comprendre que le Président de la République et le Gouvernement avaient l’intention de prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle ; il leur appartiendra à cette occasion de décider s’ils entendent donner suite à votre proposition, et, ne le proposeraient-ils pas, vous auriez la possibilité de présenter un nouvel amendement, portant cette fois sur un texte pertinent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement pose problème dans la mesure où il suppose qu’une loi ordinaire pourrait conférer des pouvoirs au Conseil constitutionnel, alors qu’il faut pour ce faire nécessairement une révision de la Constitution. De ce point de vue, monsieur Bocquet, votre amendement n’est pas recevable en droit.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Au travers de cet amendement, vous proposez d’établir un contrôle pour apprécier si les conditions qui ont conduit au déclenchement de l’état d’urgence sont toujours réunies. C’est certes légitime. Toutefois, si nous proposons une révision de la Constitution, ce n’est pas seulement pour cette raison, mais c’est aussi pour cette raison ! En effet, nous souhaitons qu’un contrôle des conditions dans lesquelles l’état d’urgence pourrait être prorogé puisse être exercé au regard des principes constitutionnels.
Récapitulons : d'une part, la loi ne peut pas conférer de compétences au Conseil constitutionnel ; d'autre part, il sera tout à fait possible d’étudier les modalités de contrôle des conditions de prorogation de l’état d’urgence – notamment au regard des principes constitutionnels – dans le cadre de la révision de la Constitution que nous allons proposer.
Pour ces deux raisons, je vous demanderai donc, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Monsieur Bocquet, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Éric Bocquet. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Louis Nègre, n’est pas soutenu.
L'amendement n° 9, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics
par les mots :
dont le comportement est dangereux pour la sécurité ou l’ordre public
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Les personnes susceptibles d’être concernées par une assignation à résidence sont des suspects au sens large : les assignations à résidence peuvent être prononcées à l’égard de toute personne pour laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».
Au ministère de l’intérieur de décider du lieu où ces personnes seront assignées, voire d’organiser en quelque sorte leur emploi du temps !
Dans la droite ligne des dérives sécuritaires que l’on a vues se développer cette année, autant au travers des réformes sur l’asile et sur le droit des étrangers que dans le cadre de la réforme sur le renseignement, on continue ici d’insuffler dans notre droit des critères à tendance subjective s’agissant de décisions extrêmement importantes que nous considérons comme privatives de liberté.
C’est pourquoi nous vous proposons de réécrire l’alinéa 6 en rétablissant un cadre objectif et respectueux du droit commun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Si la personne dont on parle a un comportement dangereux au regard de la sécurité publique, il faut l’enfermer et non l’assigner à résidence ! Il faut la faire condamner ! C’est la raison même de notre arsenal pénal et de notre procédure pénale.
En revanche, dans le cas où il existe des raisons de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, alors là, oui, il faut assigner la personne à résidence !
Cette assignation est une mesure de police administrative destinée non à punir la personne mais à la surveiller, et ce d’autant plus efficacement que l’on est assuré de l’avoir sous la main, si je puis dire.
De mon point de vue, madame la sénatrice, ce que vous proposez n’est donc pas conforme à un partage judicieux entre police administrative et police judiciaire. Si vous souhaitez punir un individu, faites un procès, mais, si vous voulez le surveiller, assignez-le alors à résidence dans le cadre d’une procédure de police administrative. C’est aussi simple que cela !
C’est la raison pour laquelle, et compte tenu de l’éclairage que je me suis permis d’apporter sur ce sujet, je vous recommande de retirer votre amendement, faute de quoi la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Cohen, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. Monsieur le rapporteur, je tiens à vous remercier pour vos explications, qui ne m’ont certes pas convaincue (Exclamations amusées sur certaines travées.),…
M. Philippe Bas, rapporteur. Ah !
Mme Laurence Cohen. … mais qui, parce qu’elles sont extrêmement précises, donnent à réfléchir.
Je tiens à vous signaler, mes chers collègues, que, lorsque nous proposons des amendements, nous le faisons dans le but d’améliorer le texte qui nous est soumis, et, en l’occurrence, c’est loin d’être un petit texte ! Le droit d’amendement parlementaire est un droit constitutionnel, que je sache !
Lorsque j’entends des protestations venant de certaines travées, je suis donc très étonnée. Nous ne discutons pas d’un texte mineur, mes chers collègues : même si la procédure accélérée est engagée, prenons le temps de confronter nos idées, de réfléchir ensemble, et laissez-nous exposer un point de vue qui peut être différent !
Je souhaiterais que notre droit d’amendement soit respecté.
Les éléments d’explication fournis par M. le rapporteur ne nous convainquent pas. Nous trouvons la rédaction de cet alinéa extrêmement subjective et pensons qu’elle laisse la porte ouverte à toutes les dérives.
C’est pourquoi nous maintenons notre amendement.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer le mot :
douze
par le mot :
huit
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Les modifications introduites par la commission des lois de l’Assemblée nationale avec l’assentiment de M. le président de la commission des lois du Sénat requièrent toute notre attention, notamment s’agissant des mesures d’assignation à résidence.
L’allongement de huit à douze heures de la durée quotidienne maximale pendant laquelle la personne assignée à résidence peut être astreinte à demeurer dans un lieu d’habitation nous pose question.
Très sincèrement, quelle est l’utilité de cet allongement sachant que les personnes concernées peuvent avoir à signaler leur présence auprès des services de police et de gendarmerie jusqu’à trois fois par jour ?
En prolongeant la durée de leur astreinte, cherche-t-on à leur interdire de fait toute activité professionnelle ?
Pour empêcher cette fuite en avant, nous vous proposons de rétablir le texte initial, c'est-à-dire la durée de huit heures. Tel est le sens de notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vais tâcher d’être plus convaincant que précédemment. Je m’applique, croyez-le bien, mes chers collègues. (Mme Laurence Cohen sourit.)
Si j’ai souscrit à l’allongement de la durée de maintien à domicile d’une personne assignée à résidence, c’est en considération du fait qu’inscrire une telle durée maximale dans la loi n’emportait pas obligation pour de porter la durée de l’astreinte à douze heures dans tous les cas de figure !
La personne peut en effet être astreinte à demeurer dans le lieu fixé deux heures, quatre heures, huit heures, dix heures ou bien douze heures.
Mme Éliane Assassi. Oui, douze heures !
M. Philippe Bas, rapporteur. Cette mesure nous permet d’accorder un pouvoir d’appréciation plus grand à l’autorité de police. Celle-ci pourra ainsi déterminer quelles sont les meilleures conditions pour assurer la surveillance d’une personne dont le comportement pourrait constituer une menace.
C’est la raison pour laquelle, sans toutefois recommander de fixer systématiquement la durée du maintien à domicile à douze heures, il me semble utile de le rendre possible.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
Mme Éliane Assassi. Ah ? (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Au cas où on en aurait douté !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans le texte initial du Gouvernement figurait la durée de huit heures que vous évoquez, monsieur Favier. Par conséquent, je ne peux pas être choqué par votre proposition.
Depuis lors, un débat a eu lieu à l’Assemblée nationale lors duquel un amendement a été présenté par un parlementaire de la majorité gouvernementale – pour être tout à fait transparent. Après une longue discussion, nous sommes parvenus à un point d’équilibre qui correspond au texte sur lequel le Sénat est amené à se prononcer en cet instant.
Rétablir une durée d’astreinte de huit heures reviendrait à remettre en cause le point d’équilibre entre l’exigence de liberté et l’exigence de vigilance ou de sécurité que nous avions trouvé au terme du long débat que j’évoquais.
Dès lors que nous avons accepté cet équilibre, il ne serait pas convenable que je vienne vous dire aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons changé d’avis, en l’espace de vingt-quatre heures.
Si l’on veut que cette loi recueille l’approbation d’un maximum de parlementaires, il faut que les engagements pris dans une assemblée soient respectés dans l’autre assemblée et que l’on parvienne à conserver le bon équilibre. Or, à l’issue de la discussion et de la réflexion, cet équilibre des douze heures nous apparaît comme le bon !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est donc pas la peine d’en discuter !
M. le président. Monsieur Favier, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. Christian Favier. Sans vouloir prolonger inutilement les débats, je crois que notre assemblée a également un rôle à jouer, monsieur le ministre.
Les députés ont certes toute légitimité pour formuler des propositions d’amélioration du texte, je l’entends bien, mais nous avons aussi notre rôle à jouer.
Si certains d’entre nous ont un avis à donner sur les différents sujets abordés dans ce texte – c’est le cas de notre groupe –, nous pensons que le Sénat doit aussi pouvoir les laisser s’exprimer dans le sens qu’ils souhaitent.
C’est la raison pour laquelle nous maintenons évidemment notre amendement.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 13, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Cette interdiction est levée dès qu’elle n’est plus nécessaire ou en cas de levée de l’assignation à résidence.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Un régime d’exception mérite une attention toute particulière, au nom de la protection de nos libertés fondamentales, des équilibres structurels de notre État de droit et du principe de la séparation des pouvoirs.
Les dispositions sur l’assignation à résidence prévues par le présent projet de loi s’accompagnent d’une mesure d’interdiction de contact – direct ou indirect – avec certaines personnes. Dans le projet de loi initial, cette interdiction était levée à l’issue de l’assignation à résidence, simultanément. Or la modification introduite par l’Assemblée nationale permet précisément de maintenir cette interdiction après la levée de l’assignation à résidence.
Nous proposons donc de revenir au texte initial du projet de loi, qui nous semble plus équilibré et plus protecteur des libertés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, car elle estime que l’équilibre trouvé à l’Assemblée nationale est satisfaisant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Beaufils, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?
Mme Marie-France Beaufils. Oui, je le maintiens, monsieur le président. Comme vient de le dire notre collègue Laurence Cohen, lorsque l’on vote un tel texte, on sait que cela ne vaut pas seulement pour trois mois.
M. Daniel Raoul. Ah bon ?
Mme Marie-France Beaufils. Il faut toujours se projeter vers l’avenir, mon cher collègue.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 13
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cas d’une prorogation de l’état d’urgence pour une durée de trois mois, la personne assignée à résidence est présentée au juge des libertés et de la détention, à l’expiration d’un délai de trente jours.
« Après audition de l’intéressé, le juge des libertés et de la détention décide de la prolongation ou non de l’assignation à résidence, et des obligations imposées à l’intéressé lors de cette prolongation.
« Cette prolongation peut être autorisée à deux reprises pour une durée de trente jours.
« Les décisions du juge des libertés et de la détention sont susceptibles de recours devant le premier président de la cour d’appel, ou son délégué, qui statue dans le délai de quarante-huit heures.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit de transposer à l’assignation à résidence les dispositions prévues aux articles L. 122-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : le juge administratif est le garant de la légalité de l’assignation à résidence, quand le juge judiciaire est le garant des libertés, en application de l’article 66 de la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. S’agissant d’une mesure de police administrative, il nous semble que le plus efficace pour y mettre fin est de déposer un recours devant la juridiction administrative, sur le fondement de son illégalité.
Nous n’avons donc pas besoin d’en passer par ce type de procédure.
Mme Éliane Assassi. Qui existe pourtant !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Assassi, je pense que vous vous souvenez de nos discussions sur les mesures de police administrative lors de l’examen de la loi relative au renseignement. (Mme Éliane Assassi opine.)
Un débat nous opposait alors sur le fait de savoir si le contrôle des mesures de police administrative par le juge administratif – dont c’est le rôle – était contraire à l’article 66 de la Constitution.
Le Gouvernement n’a pas changé de position, car c’est l’état du droit en France : lorsqu’il s’agit de mesures de police administrative, la meilleure garantie dont dispose le citoyen est de saisir, en référé, le juge administratif, qui peut alors statuer en quarante-huit heures.
Or cette garantie existe dans le cadre des dispositions du présent texte. La préoccupation que vous formulez, madame la sénatrice, se trouve de ce fait entièrement satisfaite.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Madame Assassi, l'amendement n° 10 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Oui, je le maintiens.
M. le président. L’amendement n° 4, déposé par M. Louis Nègre, n’est pas soutenu.
La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote sur l'article.
M. Alain Richard. Je ne peux que voter cet article 4, surtout au terme des échanges qui viennent de se dérouler et qui ont amplement éclairé le sujet.
Ce que je tiens simplement à souligner pour les collègues qui s’interrogent sur l’utilité de la révision constitutionnelle qu’a proposée le Président de la République lundi, c’est qu’une bonne partie des échanges que nous venons d’avoir sur le fond montrent que la loi de 1955 contient des dispositions qui relèvent sur certains points de la Constitution.
Par conséquent, il est logique que nous travaillions à ce qui deviendra le texte du deuxième alinéa de l’article 36 de la Constitution, le premier alinéa de cet article correspondant à l’état de siège.
En effet, si l’on veut proposer, par exemple, que le Parlement dispose de droits spécifiques à l’égard du Gouvernement pendant cette période d’état d’urgence, il faut savoir que cette disposition ne pourrait figurer que dans la Constitution !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Comme l’a souligné ma collègue Marie-France Beaufils, à situation exceptionnelle, réaction exceptionnelle ! C’est d’ailleurs ce qui a conduit notre groupe à voter l’article 1er de ce projet de loi, article tendant à prolonger l’état d’urgence.
Toutefois, nous ne souhaitons pas voir s’instaurer une situation d’exception et, de ce point de vue, nous sommes inquiets.
Sous couvert de lutte antiterroriste, ce même projet de loi nous présente en effet des modifications d’envergure de la loi du 3 avril 1955 – cela a déjà été souligné -, tout particulièrement au travers de cet article 4 : assignation à résidence, augmentation du quantum de la peine, modification des mesures tendant à dissoudre des associations ou groupements suspects d’atteinte grave à l’ordre public.
En outre, et nous le regrettons vivement, les modifications apportées par la commission des lois de l’Assemblée nationale, avec l’assentiment du président de la commission des lois du Sénat, tout en contournant d’une certaine manière le débat parlementaire, renchérissent pour toujours plus de sécurité.
Ces mesures nous posent question quant à leur aspect attentatoire à nos libertés publiques et requièrent toute notre vigilance.
Nous avons présenté plusieurs amendements : ils ont tous été rejetés. Je pense notamment à ce que nous proposions sur la saisine du Conseil constitutionnel – pourtant un minimum en matière de contrôle.
Mais il n’y a pas que sur les travées du groupe communiste, républicain et citoyen que l’on s’inquiète de l’information du Parlement et de l’absence de contrôle démocratique, mes chers collègues. À l’Assemblée nationale, un parlementaire d’une autre sensibilité que la nôtre – l’UDI, pour ne pas la nommer – a proposé une commission de contrôle. Son amendement a également été rejeté !
Donc, toutes ces dispositions nous interrogent vraiment.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut un contrôle démocratique de toutes ces mesures d’urgence. C’est pourquoi, et ce sera ma conclusion, nous ne voterons pas cet article 4.
M. Philippe Dallier. On s’en serait douté !
Mme Éliane Assassi. C’est mieux en le disant !
Mme Laurence Cohen. Pour finir tout à fait, permettez-moi de citer Patrick Chamoiseau : « La sécurité absolue n’existe que dans les fictions totalitaires, le déshumain glacial, jamais dans les démocraties ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Cette explication vaut pour l’ensemble du texte, mais les propos de Mme Cohen m’amènent à réagir dès à présent.
Depuis quelques jours, certains cherchent à opposer les notions de sécurité et de liberté, et des phrases circulant sur internet sont reprises dans les journaux. Ainsi Mme Éliane Assassi a-t-elle voulu citer Benjamin Franklin.
Mme Éliane Assassi. Je l’ai cité !
M. Jean-Claude Lenoir. Je dois dire que la citation n’était pas exacte, et le contexte dans lequel une phrase s’en rapprochant a été formulée n’est pas celui que nous connaissons aujourd'hui.
En réalité, la phrase en question n’a pas été prononcée par l’un des pères de la Constitution américaine de 1787 dans le cadre des travaux préalables à l’élaboration de ce grand texte. C’est en 1755 que Benjamin Franklin, à propos d’un conflit très local entre fermiers, a eu ces mots – assez différents de ceux qui ont été repris : « Ceux qui peuvent renoncer à une liberté fondamentale au profit d’une petite sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité ».
En l’occurrence, je ne pense pas porter atteinte à une liberté fondamentale en votant ce texte, et je ne crois pas qu’il s’agisse d’une « petite sécurité temporaire » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.
M. René Vandierendonck. Je tiens à saluer, très modestement, la façon dont les présidents des deux commissions des lois ont travaillé.
L’apport de l’Assemblée nationale me paraît tout à fait fondamental. Pour la première fois dans l’histoire de la mise en œuvre de l’état d’urgence sous la Ve République – nous en sommes à la sixième reprise –, le Gouvernement accepte un contrôle au long cours des conditions dans lesquelles cette mesure temporaire se met en place.
Je voulais souligner, monsieur le président de la commission des lois, les positions très fortes que vous avez prises, ce que M. Jean-Jacques Urvoas a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître. On sait très bien que certains, à l’Assemblée nationale, envisageaient de remettre en cause la séparation entre police administrative et police judiciaire.
Constatons donc, monsieur le président, que, dans cette affaire, le bicaméralisme a plutôt bien fonctionné !
M. le président. Mais j’en étais certain, mon cher collègue !
La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote sur l'article.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tout à fait respectueux du droit d’amendement, mais nous mesurons l’importance de cet article 4, tel qu’il a été adopté par la commission des lois, un article fondamental dans un texte d’une telle portée. Nous parlons de dispositifs d’urgence, destinés à lutter contre le terrorisme et à assurer la sécurité des personnes. C’est indispensable !
Je m’associerai à cette prise de conscience collective en votant l’article 4, conformément au travail de la commission des lois.
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.
Mme Hermeline Malherbe. Mon explication de vote vaudra, plus généralement, pour l’ensemble du projet de loi, monsieur le président.
Je lisais ce matin dans un journal, au sujet de ce texte : « Jamais les Français n’ont semblé à ce point prêts à voir leurs libertés rognées au nom de la lutte contre le terrorisme ».
Je crois, au contraire, que les Français sont attachés plus que jamais à leurs libertés : liberté d’aller et venir, liberté de travailler, liberté de se divertir, au stade comme au spectacle, donc liberté de se rassembler. Pour cela, il est nécessaire que les Français se sentent, que nous nous sentions tous en sécurité. Nous ne sommes pas libres si nous avons peur, peur de sortir ou peur de l’autre, quel qu’il soit.
S’il est important de se poser la question des libertés, aujourd'hui, contrairement à ce que l’on entend parfois, on ne constate aucune droitisation de la réponse.
C’est à l’inquiétude de nos concitoyens face à l’atteinte aux libertés perpétrée par les terroristes que la réponse est donnée, une réponse à la fois ferme et responsable, et qui s’inscrit dans notre République, à la fois démocratique et laïque.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui exige de nous, parlementaires, sang-froid et sens des responsabilités.
Ainsi, je souhaite rappeler l’insertion dans la loi de 1955, sur l’initiative d’un député socialiste, d’un article 4-1 tendant justement à insister sur les mécanismes de la démocratie parlementaire. J’en profite aussi pour évoquer l’alinéa 35 du présent article 4, qui, issu d’une initiative du groupe radical à l’Assemblée nationale, traite de l’apologie des actes terroristes via internet.
J’étais hier dans mon département, à la rencontre de jeunes - apprentis, lycéens, étudiants –, à la rencontre d’acteurs socio-économiques. J’étais, ce matin même, avec les maires et les parlementaires des Pyrénées-Orientales, qui avaient répondu nombreux à l’invitation de Mme la préfète. Je suis d’autant plus convaincue que c’est en votant ce projet de loi que nous pouvons le mieux préserver les libertés de l’ensemble de nos concitoyens, notre art de vivre, notre art de vivre ensemble.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. L’examen de cet article 4 nous a conduits à largement évoquer les notions de dérive sécuritaire et de restriction des libertés. Pour ma part, je tiens à remercier M. le ministre, ainsi que tous ceux d’entre nous, mes chers collègues, qui vont voter ce texte, car j’ai le sentiment que ce dernier nous redonne au contraire de la liberté.
On recense dans mon département un certain nombre de jeunes – quarante, précisément - qui reviennent de Syrie. Ces jeunes sont bien connus ; ils détiennent des armes, nous le savons. Mais, jusqu’à présent, en l’absence de faits concordants et graves, ils avaient été laissés en liberté. Avec un texte plus précis à notre disposition, nous allons probablement pouvoir les retirer de la circulation. Et c’est précisément en leur ôtant cette liberté de circulation que nous aurons, nous, plus de liberté pour circuler !
Voilà pourquoi je tiens à remercier M. le ministre et tous les collègues qui soutiennent le texte : enfin, on va pouvoir circuler dans un certain nombre de nos quartiers, autour d’Orléans ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour explication de vote, toujours sur l’article 4.
Mme Anne-Catherine Loisier. Comme la plupart de mes collègues, je voterai cet article 4. Néanmoins, monsieur le ministre de l’intérieur, vous savez qu’un certain nombre de questions demeurent, notamment sur la place, dans cette procédure d’état d’urgence, des services armés des douanes, présents sur terre, air et mer.
J’espère que vous aurez l’occasion de nous apporter plus de précisions, car ces services jouent un rôle essentiel dans les dispositifs étendus et dans la coordination nationale des actions entreprises, compte tenu de la situation de notre pays.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je souhaite intervenir à ce stade du débat, en tant que sénateur de Paris, vivant depuis trente-cinq ans dans les quartiers qui ont été touchés, pour souligner à quel point les expressions publiques du Premier ministre et du procureur de la République, en mettant sur les faits des mots justes, précis, professionnels, au moment même où tout et n’importe quoi circulait sur les réseaux sociaux, ont été de nature à créer cohésion et confiance.
Cette loi est attendue, mes chers collègues, mais la question de l’urgence a toujours suscité le même débat chez les républicains : comment assure-t-on la sécurité et la protection des plus faibles - les autres ont parfois les moyens de se protéger autrement que par la puissance publique -, comme condition de l’exercice de la liberté ?
L’Assemblée nationale, en écartant toute disposition susceptible de se traduire par un contrôle de la presse et des médias, n’a pas alimenté ce débat, et c’est tout à l’honneur du Parlement.
Pour montrer à quel point la défense de la liberté de nos concitoyens passe par la défense de leur sécurité, projetons-nous un an en arrière : c’est par l’attaque de ce qui symbolise le plus la liberté d’expression, c’est-à-dire la liberté de la presse au travers de Charlie Hebdo, que tout a commencé !
La prorogation de l’état d’urgence et les mesures qui nous sont proposées dans ce cadre visent précisément à défendre cette liberté d’expression. Imaginez un pays faisant face à la situation que nous venons de connaître, dans lequel l’ensemble des personnalités publiques, des créateurs et des artistes, mais aussi des journalistes s’autocensureraient par crainte de représailles…
Ces mesures, j’y insiste, préservent cette liberté d’expression et de création dont notre pays a besoin.
Mme Sophie Primas. Quelle volte-face !
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
(Suppression maintenue)
Article 6
(Non modifié)
L’article 15 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée est ainsi rétabli :
« Art. 15. – La présente loi, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. » – (Adopté.)
Article 7
(Non modifié)
Le 3° des b et c, le 2° du d et le 3° des e, f et g de l’article 17 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée sont abrogés. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour notre pays, pour les valeurs qu’il incarne, pour nos concitoyens, qui attendent de notre part, après ces événements dramatiques, une réaction sécuritaire forte, le groupe Les Républicains votera ce texte. Ce n’est pas une surprise,…
M. Jean Desessard. Effectivement !
M. François-Noël Buffet. … mais je tenais à le dire clairement.
J’adresse, au nom de notre groupe, mes remerciements aux présidents de deux commissions des lois de nos assemblées : je parle bien sûr de notre collègue Philippe Bas, ici présent, mais également de son homologue de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas. Tous deux ont su trouver les équilibres nécessaires à la modification de la loi de 1955, et, comme le débat l’a révélé cet après-midi, en assurer la sécurité juridique.
Je redis aussi au nom de notre groupe notre admiration et adresse nos remerciements les plus sincères à l’ensemble des services qui sont aujourd’hui engagés – comme ils l’ont été et le seront toujours –, non seulement nos services de police, de renseignement et de santé, mais également nos militaires. Qu’ils sachent qu’ils peuvent compter sur nous !
Monsieur le ministre, le Parlement va dans quelques instants vous donner des pouvoirs importants pour continuer ce combat.
Winston Churchill, en 1941, s’adressait en ces termes au Président Roosevelt : « Donnez-nous les outils, nous finirons le travail. » Monsieur le ministre, il faut maintenant continuer le travail, sans faiblesse – sans aucune faiblesse –, pour traquer ceux qui nous ont attaqués, pour les combattre, pour les anéantir.
Avec fermeté et détermination, nous serons évidemment à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, j’ai présidé dans cette maison une commission d’enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes, et je sais à quel point votre tâche est difficile. Je voulais donc joindre mes félicitations et mon soutien à ceux qui vous ont déjà été exprimés dans cet hémicycle.
J’ajouterai que le terrorisme, cela n’arrive pas qu’aux autres ! En effet, aujourd’hui même, les perquisitions menées à Alençon et à la Ferté-Macé ont permis de trouver des armes en lien avec un certain nombre d’opérations terroristes, dont l’initiateur présumé, Fabien Clain, est activement recherché par toutes les polices.
Ces mesures de l’état d’urgence que nous nous apprêtons à voter sont d’autant plus importantes qu’elles donnent les moyens d’agir à nos services, et ils ont toute notre confiance. Le travail ne fait que continuer. J’attends avec beaucoup d’impatience le débat budgétaire imminent, qui va nous permettre de vous donner, monsieur le ministre, les moyens financiers nécessaires à cette action.
Ces moyens financiers, nous les réclamions déjà l’année dernière, nous n’avons d’ailleurs pas cessé de les réclamer tout au long des travaux de notre commission d’enquête, pour que nos services disposent des moyens suffisants, en hommes et en matériels, leur permettant d’assurer cette mission extrêmement difficile face à un ennemi polymorphe. Car nous sommes dans une guerre de l’obus et du blindage : à mesure que nous prenons des moyens, notre ennemi se fait de plus en plus malin pour y parer.
L’ensemble de notre groupe votera évidemment ces mesures d’urgence, en sachant pertinemment combien la situation est délicate et à quel point notre soutien est nécessaire.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France traverse une épreuve que je vis, comme vous, douloureusement.
À cette occasion, je m’incline solennellement devant les victimes et leurs familles.
Je rends hommage au courage de nos forces de sécurité, au dévouement de nos équipes médicales. Je sais que de lourdes responsabilités pèsent sur les épaules de notre exécutif et que les Français doivent être protégés et rassurés.
Toutefois, si la sécurité est la première de nos libertés, elle n’est pas la seule. Comme l’ont rappelé Robert Badinter, Maître Henri Leclerc, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), l’État de droit n’est pas un État de faiblesse.
Nul affaiblissement, même provisoire, de l’autorité judiciaire n’est sans danger pour nos libertés.
Si exceptionnelle que paraisse la situation, justifie-t-elle la mise en place d’un régime d’exception, annonçant en outre d’autres changements préoccupants, telle la révision en urgence de notre Constitution ? Notre droit ne dispose-t-il pas déjà de dispositifs suffisants ?
N’arrivera-t-il rien, dans les mois à venir, qui justifierait, aux yeux de certains, une prorogation indéfinie de cet état d’urgence ?
C’est au nom de l’esprit même de notre démocratie que je veux faire entendre ici une voix simplement différente. Je doute, peut-être comme d’autres parlementaires, de la légitimité et de l’efficacité d’un si long état d’urgence. Ce doute, j’ai décidé de l’exprimer publiquement.
Acceptez que l’historienne que je suis ne puisse oublier les dérives de l’état d’urgence des années 1961-1963. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous n’en sommes heureusement pas là. Je n’en crois pas moins nécessaire de lancer une mise en garde.
Je ne voterai pas ce projet de loi ; je m’abstiendrai, tandis que neuf de mes collègues écologistes le voteront. J’espère que le sens que je donne à ce vote est désormais clair pour chacun.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, les membres du groupe socialiste et républicain voteront bien entendu tous ensemble ce texte, ainsi que l’a expliqué notre président, Didier Guillaume.
Mes chers collègues, pourquoi votons-nous ce texte ? Parce qu’un ordre a été donné à des assassins, qui l’ont exécuté. Cet ordre est le suivant : tuer des Français, des personnes vivant en France, n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Et nous savons tous que cela peut recommencer - n’importe qui, n’importe où, n’importe quand.
Dans ces circonstances, il faut prendre les responsabilités que, avec M. le Premier ministre, vous avez sollicitées de notre part à juste titre, monsieur le ministre, conformément à ce qu’a annoncé le Président de la République.
Ce texte est extrêmement réaliste ; il est mesuré par rapport aux conséquences potentielles. S’agissant, par exemple, du bracelet électronique, le texte est totalement conforme aux décisions du Conseil constitutionnel.
En outre, il ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, comme vient de le dire David Assouline.
Enfin, ainsi que l’a rappelé l’une de nos collègues, l’interdiction de tous les sites faisant l’apologie du terrorisme figure déjà dans la loi sur le terrorisme. C’est une décision totalement responsable.
J’ajouterai que des mesures de protection sont maintenues pour les journalistes, les avocats, les magistrats et les parlementaires.
Enfin, je tiens à relire le troisième alinéa de l’article 4, auquel vous avez contribué, monsieur le rapporteur, ainsi que votre homologue de l’Assemblée – je m’associe à tout ce qui a été dit précédemment à cet égard : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »
Monsieur le président du Sénat, monsieur le rapporteur, nous allons travailler ensemble, semaine après semaine, à la mise en place de ces mesures, afin que nous soyons informés et que nous exercions comme il est légitime, monsieur le ministre, nos missions de contrôle, de telle manière que, au service de nos concitoyens et de leur nécessaire protection, nous conciliions la sécurité et la liberté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes dans un moment d’une extrême gravité.
En effet, il s’agit là d’un texte particulièrement difficile, dans la mesure où il touche directement au cœur de notre démocratie, aux libertés individuelles et aux libertés publiques qui font la grandeur de la France.
Ce projet de loi s’inscrit également, dans notre pays, dans une tendance de fond qui, depuis quelques années, donne la primauté à une réponse uniquement sécuritaire face à des enjeux dont nous savons tous pertinemment qu’ils sont éminemment complexes. Nous le regrettons et nous resterons vigilants.
Néanmoins, après le déchaînement de violence, de haine et de barbarie que notre jeunesse a subi, nous devons, en tant que représentants de la Nation, nous montrer à la hauteur de la situation.
C’est pourquoi, bien qu’ayant personnellement quelques préventions, j’ai décidé, en conscience et en responsabilité, de voter pour ce texte.
Toutefois, il ne doit en aucun cas nous acquitter d’une réflexion globale, multidimensionnelle et de long terme pour le devenir de notre société. De même, il ne doit également en aucun cas nous acquitter d’une réflexion globale sur nos relations internationales, eu égard aux enjeux stratégiques.
Mes chers collègues, les débats législatifs et la vie institutionnelle sont une chose, mais je tenais à vous alerter sur la responsabilité qui est la nôtre vis-à-vis des Françaises et des Français dans leur ensemble.
Évitons de céder à la tentation facile de verser dans l’angélisme ou dans la démagogie, mais au contraire unissons-nous contre tous les extrémismes qui assaillent notre société et qui cherchent à la fragiliser, à la diviser, à la déshumaniser.
Il y va de notre conscience et de l’honneur de notre République, afin de donner tout son sens à la devise qui est la sienne : Liberté, Égalité, Fraternité ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Jacqueline Gourault et M. Guillaume Arnell applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une semaine, des attentats d’une violence extrême ont été perpétrés, entraînant des dizaines de morts et plongeant le pays dans la stupeur. Nous avons été vraiment heureux de voir le Président de la République prendre immédiatement la situation en main en déclarant l’état d’urgence, mesure qui s’est immédiatement concrétisée par une réaction très forte des forces de l’ordre ayant abouti à ce que des terroristes soient éliminés, d’autres pourchassés pour éviter des attentats en préparation.
On parlait à l’instant de durée des mesures, rappelant le passé et l’histoire. Il faut savoir entendre ces interrogations, mais sans se dissimuler que la lutte ici engagée contre Daech n’est pas une lutte comme les autres. C’est une armée, avec des ramifications, qui est en face. Battre le terrorisme requiert du temps et il faut pour ce faire proroger l’état d’urgence.
Je dois vous dire, pour avoir récemment eu, moi aussi, de nombreux contacts avec ma population, dans l’est de la France, que le pays attend de ses élus de telles décisions : il attend du Parlement qu’il prenne toute la responsabilité qui est la sienne. Face au danger, il nous faut protéger nos populations. C’est ce que nous faisons.
Je voudrais aussi rendre hommage aux forces de l’ordre, au personnel soignant, à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué par leur action à sauver des vies.
Aujourd’hui, c’est avec une grande émotion que nous prenons cette responsabilité.
Nous nous apprêtons à voter un texte équilibré entre la nécessaire sauvegarde des libertés et la non moins nécessaire prolongation de l’état d’urgence, pour faire face à un ennemi qui n’a que faire des libertés et qui s’en prend à la République française.
Eh bien, aujourd’hui, la République française a une responsabilité : faire en sorte que ses ennemis soient éliminés et que nous puissions au plus vite vivre de nouveau en liberté.
Voilà pourquoi, comme tous mes collègues du groupe socialiste et républicain, je voterai ce texte équilibré, qui va permettre au Gouvernement et à nos forces de sécurité de prendre la mesure de l’ennemi pour mieux l’éliminer.
Oui, nous avons besoin de liberté. Oui, les grandes valeurs de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité doivent être garanties ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Comme je l’ai fait devant le Congrès, à Versailles, je tiens à mon tour à rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui se sont mobilisés pour sauver des vies, il y a de cela une semaine, ainsi qu’aux forces de police qui étaient présentes sur le terrain, à Saint-Denis, il y a quelques jours.
Plus largement, je tiens à saluer nos services publics. Nous avons, en France, de grands services publics.
M. Jean-François Husson. Et privés ! C’est aussi cela, la France !
Mme Éliane Assassi. Il faut les protéger, en leur allouant les moyens dont ils ont besoin. Or, aujourd’hui, un certain nombre d’entre eux souffrent d’une réduction drastique de crédits.
M. Jean-François Husson. Oh ! Ce n’est pas le moment !
Mme Éliane Assassi. Si, précisément, c’est le moment, c’est même toujours le moment ! On peut faire de grands discours pour se féliciter de l’action des services publics…
M. Jean-François Husson. … et privés !
Mme Éliane Assassi. Je ne nie pas du tout leur rôle, mais mon propos porte plus spécifiquement sur les services publics, cher collègue.
On peut, je le répète, se féliciter à longueur de discours de l’action de nos services publics, mais voter tout de même la réduction drastique des moyens qui devraient leur être accordés.
M. Jean-François Husson. Affligeant…
Mme Éliane Assassi. À mon sens, le temps du débat parlementaire a pour vocation d’aider nos concitoyens à mieux comprendre la situation et les raisons nous imposant de légiférer pour modifier la loi de 1955.
Oui, la situation est extrêmement grave. Elle exige que nous prenions des mesures. C’est la raison pour laquelle nous avons voté l’article 1er du présent texte, lequel proroge l’état d’urgence de trois mois.
Pour autant, nous persistons à refuser le déséquilibre entre, d’une part, la sécurité et, de l’autre, les libertés collectives et individuelles.
Nos amendements ont été rejetés : soit ! J’observe néanmoins qu’un certain nombre des questions que j’ai posées lors de la discussion générale sont restées sans réponse. À l’évidence, la volonté de légiférer vite et d’aboutir à un vote conforme a dominé nos débats.
Je me plais à le répéter, à l’instar de plusieurs collègues siégeant sur d’autres travées de cet hémicycle : il est rarement bon de légiférer vite, sous le coup de l’émotion.
Mme Catherine Procaccia. Il n’y a pas que l’émotion !
M. Jean-François Husson. Il s’agit d’autre chose ! C’est la guerre !
Mme Isabelle Debré. Oui !
Mme Éliane Assassi. En l’occurrence, nous sommes face à un cas d’école.
Pour autant, comme vous, mes chers collègues, nous sommes des élus responsables et nous savons prendre nos responsabilités, quelle que soit la situation, particulièrement dans les circonstances dramatiques qu’affronte notre pays. C’est la raison pour laquelle, aucune des sénatrices, aucun des sénateurs du groupe CRC ne votera contre ce texte,…
M. Christian Cambon. C’est déjà quelque chose !
Mme Éliane Assassi. … que cela soit bien clair.
Mais je me tourne vers M. Richard : permettez-moi de vous dire que j’ai horreur du mépris de classe. (M. Alain Richard s’étonne.)
Sachez que je lis beaucoup et que j’écoute beaucoup de musique – même si ce n’est sans doute pas celle que vous écoutez vous-même. (Protestations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.).
M. Roger Karoutchi. Moi, je n’écoute plus rien… (Sourires sur les mêmes travées.)
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Alors, oui, je déteste le mépris de classe !
Enfin, monsieur Lenoir, permettez-moi de vous rappeler la citation exacte de Benjamin Franklin : « Ceux qui peuvent renoncer à la liberté essentielle pour obtenir un peu de sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité. » Ce n’est pas tout à fait la phrase que vous avez citée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Marie-France Beaufils. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Merci, madame Assassi, d’avoir confirmé mes propos !
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Bien entendu, je voterai la prorogation de l’état d’urgence.
Nous tous, dans cet hémicycle, sommes bien conscients que nous avons affaire à des assassins déterminés, et que, face à pareille menace, les mots doivent avoir pleinement leur sens.
M. Karoutchi le faisait remarquer, cette guerre ne ressemble à aucune autre.
M. Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Jacques Legendre. Au début, peut-être l’avons-nous appréhendée comme une « drôle de guerre » qui ne nous concernait pas vraiment. À présent, force est de constater que cette guerre nous concerne tous. Il y va de nos valeurs, et il y va de nos vies.
Nous débattons aujourd’hui des mesures à prendre à l’échelle de la France. Mais cette guerre est aussi, à sa manière, une guerre mondiale. (Mme Catherine Tasca acquiesce.) L’attentat qui s’est produit aujourd’hui même à Bamako est, lui aussi, particulièrement inquiétant, et particulièrement triste.
Je viens d’apprendre que, parmi les dizaines de morts que l’on déplore à Bamako, figure un fonctionnaire du Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, qui, dans le cadre de l’assemblée parlementaire de la francophonie, prenait part à un séminaire de formation de parlementaires et de fonctionnaires parlementaires maliens.
Mme Michèle André. C’est exact !
M. Jacques Legendre. Ce jeune homme a été froidement abattu ce matin. Peut-être l’a-t-on pris pour un Français. Peut-être a-t-on visé les valeurs qu’il incarnait en défendant les techniques de la démocratie parlementaire.
Nonobstant notre profond attachement aux libertés publiques, nous devons bien voir à qui nous avons affaire. (Mme Stéphanie Riocreux opine.) Tout scrupule de notre part, si respectable soit-il, aurait, dans ce contexte, quelque chose d’excessif. Le laisser primer, ce serait donner à ces barbares une possibilité supplémentaire de réussir leurs opérations.
Nous ne pouvons en aucun cas renoncer à être énergiques et efficaces. L’efficacité : voilà la première règle de l’action que nous voulons mener tous ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Héritier de la Gauche démocratique, qui fut le groupe le plus important du Sénat sous la IIIe République, le RDSE est très attaché à la défense des libertés publiques et des libertés fondamentales.
Mais, si nous sommes très sourcilleux sur le sujet des libertés, nous sommes également favorables à la sécurité. Or la sécurité, elle aussi, mérite d’être défendue, qui plus est par les temps qui courent. Il fallait agir vite et avec force : c’est ce qu’ont fait le Président de la République et le Gouvernement, ce dont je les remercie.
Certes, le présent texte restreint certaines libertés, mais le Parlement est associé au contrôle de ces mesures, ce qui permet de concilier liberté et sécurité.
Mes chers collègues, plus que jamais la laïcité doit reprendre le dessus. Il faut lutter contre les dérives des religions et, à cette fin, appliquer strictement la loi de 1905. Ce texte peut paraître ancien, mais il a fait ses preuves. Il est garant des libertés civiles et religieuses.
Je rends hommage aux forces de sécurité et aux personnels soignants et au Gouvernement, derrière lequel toute la Nation, tous les territoires sont rassemblés. Symboliquement, c’est notre collègue Guillaume Arnell, élu de Saint-Martin, donc d’une de nos collectivités d’outre-mer, qui, lors de la discussion générale, a présenté la position du RDSE.
Ainsi, monsieur le ministre, dans ce grand mouvement de solidarité, nous symbolisons l’union entre la métropole et l’outre-mer, c’est-à-dire la Nation rassemblée derrière vous, derrière le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble du projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.
En application de l’article 60 du règlement, j’ai demandé, en ma qualité de président du Sénat, que ce vote ait lieu par scrutin public.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 348 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 336 |
Le Sénat a définitivement adopté le projet de loi, à l’unanimité des suffrages exprimés. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous remercier toutes et tous, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, de l’esprit d’unité nationale qui a présidé à ces débats de qualité, sans que personne, à aucun moment, n’abandonne ses convictions.
Forts de ces dispositions, nous allons poursuivre cette guerre contre le terrorisme. C’est là un combat extrêmement difficile, qui impose une mobilisation de chaque instant et implique que le Gouvernement trouve des forces sur toutes les travées de nos assemblées.
Par-delà ce qui peut nous différencier, lorsque l’essentiel est en jeu, une seule chose compte : c’est l’amour de la France et l’amour de la République ! (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures, pour la suite de l’examen des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2016.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Loi de finances pour 2016
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 163, rapport général n° 164).
Dans la discussion des articles de la première partie, nous poursuivons l’examen des dispositions relatives aux ressources.
PREMIÈRE PARTIE (suite)
CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER
TITRE IER (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES
– IMPÔTS ET RESSOURCES AUTORISÉS
A. – Autorisation de perception des impôts et produits
Article 1er
I. – La perception des ressources de l’État et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l’État est autorisée pendant l’année 2016 conformément aux lois et règlements et aux dispositions de la présente loi.
II. – Sous réserve de dispositions contraires, la présente loi s’applique :
1° À l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2015 et des années suivantes ;
2° À l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2015 ;
3° À compter du 1er janvier 2016 pour les autres dispositions fiscales.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
B. – Mesures fiscales
Article 2
I. – Le I de l’article 197 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le 1 est ainsi rédigé :
« 1. L’impôt est calculé en appliquant à la fraction de chaque part de revenu qui excède 9 700 € le taux de :
« – 14 % pour la fraction supérieure à 9 700 € et inférieure ou égale à 26 791 € ;
« – 30 % pour la fraction supérieure à 26 791 € et inférieure ou égale à 71 826 € ;
« – 41 % pour la fraction supérieure à 71 826 € et inférieure ou égale à 152 108 € ;
« – 45 % pour la fraction supérieure à 152 108 €. » ;
2° Le 2 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le montant : « 1 508 € » est remplacé par le montant : « 1 510 € » ;
b) À la fin de la première phrase du deuxième alinéa, le montant : « 3 558 € » est remplacé par le montant : « 3 562 € » ;
c) À la fin du troisième alinéa, le montant : « 901 € » est remplacé par le montant : « 902 € » ;
d) À la première phrase de l’avant-dernier alinéa, le montant : « 1 504 € » est remplacé par le montant : « 1 506 € » ;
e) À la première phrase du dernier alinéa, le montant : « 1 680 € » est remplacé par le montant : « 1 682 € » ;
3° Au 4, les mots : « 1 135 € et » sont remplacés par les mots : « 1 165 € et les trois quarts de » et les mots : « 1 870 € et » sont remplacés par les mots : « 1 920 € et les trois quarts de ».
II. – À la première phrase du second alinéa de l’article 196 B du même code, le montant : « 5 726 € » est remplacé par le montant : « 5 732 € ».
III (nouveau). – Par dérogation à l’avant-dernier alinéa du I de l’article 1414 A et au premier alinéa du III de l’article 1417 du code général des impôts, en 2016, les montants des abattements prévus au I de l’article 1414 A du même code et des revenus prévus aux I et II de l’article 1417 dudit code sont revalorisés de 2 %. Les montants ainsi obtenus sont arrondis à l’euro le plus proche.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 2 concerne l’impôt sur le revenu. Je souhaite expliquer en quelques mots les amendements adoptés par la commission des finances.
Nous sommes partis de trois constats.
Le premier constat nous est familier et la commission des finances y a consacré des graphiques très éclairants : en quatre ans, le produit de l’impôt sur le revenu a augmenté de 40 %.
Ce chiffre ne correspond évidemment pas à l’augmentation de la richesse ou des revenus en France, mais c’est seulement le résultat des augmentations d’impôt successives. Citons, par exemple, la réforme des heures supplémentaires, devenues imposables, ou celle du quotient familial. Bref, l’ensemble de ces hausses a conduit à une augmentation importante du produit de l’impôt sur le revenu.
Pourtant, comme l’indiquent très clairement les schémas produits par les services de la commission des finances, le nombre de contribuables a stagné, sinon diminué, durant cette période. C’est le deuxième constat.
Dès lors que le produit de l’impôt augmente très fortement et que le nombre de contribuables diminue, nous assistons à une hyperconcentration de l’impôt sur le revenu, laquelle a été aggravée par les réformes successives. Nous examinerons un amendement défendu par le groupe du RDSE visant à rétablir la première tranche de l’impôt sur le revenu, en mémoire de Joseph Caillaux (Sourires.), et un autre amendement, défendu, lui, par notre collègue Vincent Delahaye, tendant à créer une tranche à 1 %.
Le problème posé par la disparition d’un certain nombre de contribuables de l’assiette de l’impôt sur le revenu a sans doute conduit au dépôt de ces amendements. Avec de moins en moins de foyers fiscaux contributeurs, la concentration de l’impôt sur le revenu se renforce.
Cela explique – c’est le troisième constat – des phénomènes comme l’amplification des départs à l’étranger. Vous nous aviez très aimablement accueillis, Gilles Carrez et moi, pour en parler avec vous au mois de juillet, monsieur le secrétaire d’État. En examinant le dernier rapport remis au Parlement concernant le seul départ de contribuables pour la Belgique, nous constations une accélération du processus due, tout simplement, aux 7 milliards d’euros de hausse de l’impôt sur le revenu depuis 2012.
Tels sont donc nos trois constats de départ : hausse massive du produit de l’impôt en quatre ans, hyperconcentration sur certaines tranches, accélération des départs à l’étranger.
La commission des finances a entendu rééquilibrer cette situation, en adoptant les amendements appropriés.
L’amendement n° I-22 vise ainsi à abaisser le taux marginal de la troisième tranche d’impôt sur le revenu, en le portant de 30 % à 28 %, parce que c’est la tranche qui a accumulé le plus d’impôt : 30 milliards d’euros en 2015 pour 65 milliards d’euros au total. Cette tranche concerne les classes moyennes supérieures, qui ont le plus contribué, sans jamais bénéficier des mesures fiscales que vous n’allez pas manquer de nous rappeler, comme la suppression de la première tranche ou les mécanismes de décote.
La commission des finances propose donc d’abaisser cette tranche de 30 % à 28 %, ce qui permettrait d’alléger l’impôt de plus de 3 millions de foyers fiscaux, avec un gain moyen d’environ 430 euros par foyer. Cette mesure entraînera une perte de recettes de quelque 2,3 milliards d’euros, d’après le chiffrage que vous avez bien voulu nous fournir. Nous l’assumons.
L’amendement n° I-23 est un amendement de justice fiscale à l’égard des familles qui ont été victimes de la réforme des allocations familiales et de la baisse du quotient familial. Il vise à relever le plafond de ce quotient, afin de redonner à ces familles du pouvoir d’achat.
L’amendement n° I-24 tend, quant à lui, à supprimer la réforme de la décote que le Gouvernement propose.
Je présenterai ces amendements de manière plus détaillée au cours de la discussion. Le coût net de l’ensemble de ces mesures s’élève à environ 850 millions d’euros pour l’État.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, sur l’article.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 2 du présent projet de loi de finances porte sur le barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Cette année, ce barème marque une pause relative dans le mouvement entrepris ces dernières années d’augmentation du rendement de l’impôt sur le revenu. Pour autant, la principale mesure nouvelle est un renforcement de la décote, un dispositif visant à réduire le nombre de contribuables effectivement imposables. Cela ne me semble pas constituer une démarche pérenne susceptible de résoudre les problèmes.
Dans les faits, la situation au regard de l’impôt sur le revenu est connue : les contribuables potentiels sont nombreux – il y a plus de 36 millions de foyers fiscaux –, mais une part importante d’entre eux ne sont pas imposables, en raison de la modicité de leurs ressources.
Pour autant, l’orientation fixée par l’article 2 du projet de loi de finances présente plus d’un défaut, et nous vous proposerons d’autres aménagements. Il nous semble, en effet, que cet article réduit à la portion congrue l’impôt progressif et ménage une place de plus en plus importante aux droits indirects. Or, en examinant la situation des familles, il apparaît que, si l’impôt progressif est faible sur les petits revenus, ce n’est pas le cas des impôts indirects, qui pèsent lourdement. M. le secrétaire d’État le reconnaissait d’ailleurs récemment.
Cet article tend également à faire de la contribution sociale généralisée, ou CSG, le véritable impôt sur le revenu, mais un impôt proportionnel, qui touche plus largement chaque contribuable.
De surcroît, le rendement de la CSG est autrement plus spectaculaire que celui de l’impôt progressif, puisqu’il s’en faut désormais de près de 30 milliards d’euros pour que les cotisations perçues soient équivalentes.
Et on oublie le véritable débat, qui est celui de l’assiette de l’impôt sur le revenu, très restreinte aujourd’hui. En effet, cette assiette est constituée pour 85 % par les salaires ou revenus assimilés et par les pensions et retraites. La seule évolution du taux ne peut donc pas créer les conditions pour plus de justice sociale et fiscale.
Agir sur les taux ou la décote nous paraît donc insuffisant.
Il serait nécessaire, pour respecter véritablement le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt, de poser la question de la prise en compte des revenus du capital et du patrimoine dans l’assiette de l’impôt. Il est donc temps de questionner le devenir des dispositifs divers de correction de l’impôt sur le revenu. Ils constituent autant d’éléments de dévitalisation de l’impôt progressif et, partant, d’injustice sociale.
Par ce propos liminaire, nous formons donc le vœu que soit entamé un véritable travail sur une réforme de l’ensemble de la fiscalité sur le revenu.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. En préliminaire à la discussion de l’article 2, je souhaite souligner plusieurs éléments.
Ce projet de loi de finances marque une nouvelle diminution de l’impôt sur le revenu, après la simplification intervenue en 2015 et la suppression de la première tranche, entraînant une baisse de 3 milliards d’euros. En 2016, la baisse supplémentaire atteindra 2 milliards d’euros. Ce sont 12 millions de foyers fiscaux - classes moyennes et ménages à revenus modestes -, qui auront bénéficié de baisses d’impôts, soit un tiers des ménages imposés sur le revenu.
La baisse de 2 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu pour 2016 concerne 8 millions de foyers, parmi lesquels 3 millions n’avaient pas bénéficié des dispositions précédentes. Elle représente un montant variant entre 200 euros et 300 euros pour les célibataires et entre 300 euros et 500 euros pour les couples.
Aucune augmentation d’impôt ne touchera, en outre, les ménages qui ne bénéficient pas de ces mesures parce que leur revenu est plus élevé.
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-232, présenté par MM. Requier, Mézard, Collin, Arnell, Barbier, Castelli, Esnol et Fortassin, Mmes Laborde et Malherbe et M. Vall, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 3 et 4
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
« 1. L’impôt est calculé en appliquant à la fraction de chaque part de revenu qui excède 6047 € le taux de :
« - 5,5 % pour la fraction supérieure à 6 047 € et inférieure ou égale à 12 063 € ;
« - 14 % pour la fraction supérieure à 12 063 € et inférieure ou égale à 26 791 € ;
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Les deuxième et troisième alinéas du 1° du I sont applicables à compter de l’imposition des revenus de l’année 2015.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’ouvrir le bal des amendements déposés sur ce projet de loi de finances pour 2016 en vous présentant un amendement qui va un peu à contre-courant de la philosophie actuelle.
Il s’agit en effet d’étendre le champ de l’impôt sur le revenu. (Exclamations sur un certain nombre de travées.)
Voici ce que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose, à son article XIII : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
En vertu de ce principe, l’impôt sur le revenu a été institué en France à l’aube de la Grande Guerre par nos illustres aïeux du parti radical. (M. Jean-Claude Lenoir sourit. – MM. Bernard Lalande, Richard Yung et André Gattolin applaudissent) Nous, membres du RDSE, sommes donc bien les héritiers de Joseph Caillaux, monsieur le rapporteur général !
Au cours des débats à l’Assemblée nationale sur ce projet de loi de finances, il a été beaucoup question de la création d’un impôt citoyen. De notre point de vue, le véritable impôt citoyen, c’est l’impôt sur le revenu !
On sait depuis longtemps que la moitié seulement des ménages, environ, sont effectivement assujettis à cet impôt. Avec la nouvelle diminution prévue en 2016, appuyée sur le système plus ou moins lisible de la décote, moins de 46 % des ménages s’acquitteront de l’impôt sur le revenu.
Notre famille politique reste attachée à l’idée que tous les ménages contribuent à l’impôt sur le revenu, ne serait-ce que de façon symbolique. Il s’agit, à nos yeux, d’un facteur de responsabilisation et d’identification à la communauté nationale. Il n’est pas sain de maintenir la situation actuelle, dans laquelle une moitié des Français contribue à l’impôt, tandis que l’autre en est exemptée.
La suppression de la tranche marginale à 5,5 % l’an dernier a renforcé cette dichotomie. Alors que le produit de l’impôt sur le revenu a crû de 40 % en trois ans, la nouvelle réduction prévue pour l’an prochain réduira encore son assiette et représentera un coût supplémentaire pour les finances de l’État.
C’est pourquoi nous proposons de rétablir la tranche à 5,5 %, à partir de 6 047 euros de revenus annuels, au lieu de 9 700 euros. Cette mesure, sans augmenter la charge fiscale des ménages déjà assujettis, contribuerait à redresser les finances publiques. Notre pays en a plus que jamais besoin, en ces temps difficiles où la Nation est attaquée dans sa chair et dans ses principes !
M. le président. L’amendement n° I-373, présenté par M. Delahaye, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Supprimer les mots :
qui excède 9 700 €
II. – Après l’alinéa 3
Insérer alinéa ainsi rédigé :
« - 1 % pour la fraction inférieure ou égale à 9 700 € ;
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons l’examen de cette loi de finances par l’impôt sur le revenu, qui reste le plus symbolique, même s’il n’est pas celui qui rapporte le plus. C’est sans doute celui dont le produit a le plus crû depuis 2010, avec une augmentation de 25 milliards d’euros. Cette année encore, le Gouvernement anticipe une augmentation de presque 3 milliards d’euros.
Vous allez me dire, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faut tenir compte de la prime d’activité. Il faut également considérer l’élargissement de la décote, qui permet à des contribuables de sortir de l’impôt sur le revenu, pour un montant de 2 milliards d'euros, ce qui a pour effet de concentrer encore plus l’impôt sur le revenu sur un nombre restreint de contribuables.
Comme l’a très bien dit mon collègue Jean-Claude Requier, l’impôt sur le revenu est d’abord un impôt citoyen, et je fais partie de ceux qui pensent que tout le monde devrait l’acquitter, même pour un montant symbolique. Je vais même plus loin : je pense que tous les revenus, y compris les allocations, devraient être soumis à une imposition minimale. Plutôt que les allocations familiales soient modulées en fonction des ressources, j’aurais nettement préféré qu’elles soient imposables, comme tous les revenus. Ce serait plus clair.
L'amendement que je vous présente prévoit une imposition minimale de 1 %, mais ce pourrait être un autre pourcentage. Il s’agit d’une participation symbolique et avant tout d’une responsabilisation des citoyens.
M. le président. L'amendement n° I-148, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 4 à 7
Remplacer ces alinéas par huit alinéas ainsi rédigés :
« - 8 % pour la fraction supérieure à 9 700 € et inférieure ou égale à 12 538 € ;
« - 12 % pour la fraction supérieure à 12 218 € et inférieure ou égale à 18 500 € ;
« - 16 % pour la fraction supérieure à 18 500 € et inférieure ou égale à 26 791 € ;
« - 22 % pour la fraction supérieure à 26 791 € et inférieure ou égale à 45 000 € ;
« - 30 % pour la fraction supérieure à 45 000 € et inférieure ou égale à 71 826 € ;
« - 40 % pour la fraction supérieure à 71 826 € et inférieure ou égale à 110 000 € ;
« - 45 % pour la fraction supérieure à 110 000 € et inférieure ou égale à 152 108 € ;
« - 50 % pour la fraction supérieure à 152 108 €. » ;
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Nous pensons que l’un des défauts actuels du barème de l’impôt sur le revenu réside dans l’existence d’une large tranche, taxée, comme vous le savez, à 30 %, et qui couvre des niveaux de revenus tout à fait différents, allant d’environ 2 000 euros mensuels à un peu plus de 6 000 euros mensuels.
Autant dire que nous sommes, en l’espèce, en présence de situations fiscales fort différentes.
L’actuel barème de l’impôt souffre donc de n’avoir qu’un nombre réduit de tranches. Entre autres conséquences, l’entrée dans l’impôt se produit avec un taux déjà relativement élevé de 14 %, ce qui a contraint le Gouvernement à opter cette année pour la décote en guise d’allégement fiscal.
Le barème ne fait pas tout en matière d’imposition des revenus - certains de nos amendements s’intéressent d’ailleurs à l’assiette -, mais il doit être un élément déterminant pour atteindre le double objectif de justice fiscale et de respect du principe d’égalité devant l’impôt.
Notre proposition présente cependant deux particularités fondamentales : nous prévoyons d’alléger les impôts pour les contribuables moyens dont le revenu mensuel se situe entre 2 000 et 3 000 euros par mois et d’accroître la contribution des plus hauts revenus, notamment avec une tranche à 50 % tout à fait bienvenue.
Quand on évoque l’abattement spécial destiné aux personnes âgées, on parle de 6 millions de foyers fiscaux pour une dépense fiscale de 370 millions d’euros, c'est-à-dire un peu plus de 60 euros en moyenne. Le prix est somme toute relativement réduit pour permettre à des retraités modestes l’accès à certains droits sociaux.
D’ailleurs, cette année, l’application de l’abattement de 10 % sur les salaires et pensions coûtera environ 4,2 milliards d’euros, pour un total de plus de 14 millions de foyers fiscaux, c'est-à-dire un allégement fiscal de 300 euros environ par an et par foyer.
C’est pourquoi, vous l’aurez compris, nous voulons renforcer la progressivité du barème et proposons par ailleurs les ajustements d’assiette nécessaires.
8
Hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a tout juste une semaine, à cette même heure, éclataient les premières fusillades qui devaient ensanglanter Paris et Saint-Denis. (M. le secrétaire d’État chargé du budget ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
En hommage aux victimes, je vous propose d’observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État observent une minute de silence.)
9
Loi de finances pour 2016
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale.
PREMIÈRE PARTIE (suite)
Article 2 (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion de la première partie, nous poursuivons, à l’article 2, l’examen de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Nous en sommes parvenus à deux amendements identiques.
L'amendement n° I-22 est présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° I-389 est présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Canevet, Delcros, Marseille, Laurey et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéa 5
Remplacer le taux :
30 %
par le taux :
28 %
II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - La perte de recettes résultant pour l’État de l'abaissement de la troisième tranche du barème de l'impôt sur le revenu est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° I-22.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La présentation que vient de faire Thierry Foucaud de son amendement m’incite à présenter celui de la commission des finances avec d’autant plus d’entrain que notre collègue a lui-même souligné la largesse de la tranche à 30 %, qui couvre un large éventail des revenus - entre 26 791 euros et 71 826 euros. Cette tranche produit à elle seule 30 milliards d'euros d’impôt sur un total de 65,7 milliards d'euros. Elle touche les classes moyennes et supérieures.
Concrètement, pour l’année 2014, les contribuables dont les revenus sont situés dans cette tranche payent près de la moitié du produit de l’impôt sur le revenu.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances a cru bon de proposer une baisse du taux marginal d’imposition dans cette tranche de 30 % à 28 %, ce qui représente pour ces contribuables un gain de l’ordre de 400 euros par foyer fiscal. Certes, le coût de cette mesure est important, nous en sommes conscients, puisque l’essentiel du produit de l’impôt sur le revenu est tiré de cette tranche. Les cinq millions de foyers fiscaux qui bénéficieraient de la mesure sont ceux qui n’ont jamais profité des allégements annoncés, je pense en particulier à la décote. Ils ont de surcroît souvent été touchés par les dispositions concernant le quotient familial.
Quant à la suppression de la tranche à 5,5 %, elle a sans doute affecté tous les foyers, mais la tranche à 30 % est restée inchangée, et ce sont les contribuables imposés à cette tranche qui ont subi le plus durement les augmentations d’impôt.
C’est pourquoi nous vous proposons cette mesure de justice fiscale, qui va dans le sens d’une moindre hyperconcentration de l’impôt sur le revenu.
Les amendements de nos collègues Requier et Delahaye soulèvent une vraie question concernant la nature de l’impôt sur le revenu aujourd'hui, un impôt de plus en plus limité par des mécanismes de décote et d’abattement et dont la lisibilité devient toujours plus complexe.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l'amendement n° I-389.
M. Vincent Delahaye. À travers cet amendement, nous avons voulu marquer notre totale adhésion à ce que propose notre rapporteur général, avec l’approbation de la commission des finances : il s’agit de faire profiter les classes moyennes, qui ne sont pas concernées par la décote, de la baisse d’impôt. Il est vrai que la tranche à 30 % rapporte beaucoup et recouvre des revenus marqués par une grande disparité, mais les contribuables concernés ont vu leur impôt s’alourdir ces dernières années du fait de différentes dispositions adoptées.
Il est bon de montrer à ces contribuables qu’ils doivent aussi bénéficier des baisses d’impôt. Au groupe UDI-UC, nous partageons pleinement ce sentiment qu’il faut baisser la troisième tranche de 30 % à 28 %.
M. le président. L'amendement n° I-149, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 6 et 7
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
« – 43 % pour la fraction supérieure à 71 826 euros et inférieure à 100 000 euros ;
« – 47 % pour la fraction supérieure à 100 000 euros et inférieure à 150 000 euros ;
« – 50 % pour la fraction supérieure à 150 000 euros. » ;
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Cet amendement de repli par rapport à celui que nous vous avons précédemment exposé sur le barème progressif vise de manière tout à fait concrète à faire largement participer les revenus les plus élevés à l’effort national de réduction des déficits publics, si l’on veut, c’est en tout cas l’orientation avancée, maîtriser la progression de notre endettement.
Selon l’administration fiscale, nous ne comptons, dans notre pays, qu’environ 10 % de contribuables dont le revenu déclaré dépasse 50 000 euros annuels ; 3,1 millions de foyers déclarent un revenu compris entre 50 000 et 100 000 euros, pour un total de 206 milliards d’euros.
Un peu plus de 700 000 foyers fiscaux, soit moins de 2 % du total, dépassent les 100 000 euros de revenu annuel. Ces foyers concentrent 126 milliards d’euros de revenus déclarés, et moins de 140 000 d’entre eux déclarent ensemble plus de 52 milliards d'euros.
On peut donc, nous semble-t-il, demander quelque effort à ces ménages qui connaissent, de surcroît, bien des outils de réduction de leur contribution et tirent parti de nombreuses niches fiscales.
Les taux apparents d’imposition en témoignent. Ainsi, le taux apparent d’imposition des contribuables disposant d’un revenu compris entre 50 000 et 100 000 euros est de 9,3 %. Il passe à 20,9 % pour des revenus situés entre 200 000 et 300 000 euros, et à 12,9 % pour les tranches supérieures.
Cette proposition nous semble aller dans le sens d’une meilleure équité fiscale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Concernant l’amendement n° I-232, je salue la constance de M. Requier et de ses collègues, qui, fidèles à la mémoire de Joseph Caillaux, et invoquant l’histoire, souhaitent rétablir la tranche à 5,5 %. Cependant, ce ne sont sans doute pas seulement des raisons historiques qui motivent cette volonté.
Il existe, en effet, un débat de fond, puisque la moitié des foyers fiscaux ne payent pas l’impôt sur le revenu. Ce constat doit être nuancé, bien sûr, par la prise en compte de la contribution sociale généralisée, la CSG, qui est payée par tout le monde. Quoi qu’il en soit, il est vrai que les réformes successives de l’impôt sur le revenu ont contribué à faire sortir du barème un certain nombre de contribuables, ce qui a concentré l’impôt sur ceux qui restent imposables. C’est un vrai sujet.
Le rétablissement d’une première tranche à 5,5 % présente tout de même quelques inconvénients. Le Gouvernement avait très largement médiatisé la suppression de cette tranche l’année dernière, la présentant comme une réforme d’ampleur. Finalement, cette suppression a eu un effet relativement modeste puisque la perte de recettes s’est limitée à 500 millions d'euros, contrairement à la réforme de la décote, qui portait, quant à elle, sur plus de 2 milliards d'euros.
Par ailleurs, faut-il à nouveau complexifier le barème en rétablissant une tranche qui avait été supprimée ? La question peut se poser. La commission a préféré centrer ses efforts sur la tranche la plus large à 30 %, Vincent Delahaye et Thierry Foucaud l’ont rappelé à l’instant. Cette tranche concentre quasiment la moitié du produit de l’impôt sur le revenu et concerne une catégorie de contribuables qui n’ont pas bénéficié des différentes baisses décidées et qui ont même été très durement touchés par les réformes fiscales successives.
C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de retirer l’amendement n° I-232, monsieur Requier, au profit de l'amendement n° I-22 de la commission.
C’est une version plus modeste que nous propose Vincent Delahaye à l'amendement n° I-373, avec une première tranche à 1 % jusqu’à 9 700 euros de revenu annuel. Le produit fiscal ne serait pas considérable, mais la mesure aurait une vertu symbolique en rendant l’impôt universel. Faut-il considérer que l’impôt est déjà universel par la CSG, qui est payée par tous ? M. le secrétaire d’État nous le dira sans doute.
Pour les raisons que j’évoquais précédemment, la commission préfère s’en tenir à son propre amendement.
L’amendement n° I-148 vise à réorganiser les tranches et à en créer de nouvelles. À la rigueur, je pourrais suivre M. Thierry Foucaud sur la moitié de l’amendement : la tranche à 30 %, trop large, concerne à la fois des revenus modestes et des revenus déjà supérieurs. On pourrait, il est vrai, prévoir des tranches intermédiaires à 16 %, à 22 % et autres, bien que cela complexifie le barème de l’impôt sur le revenu.
En revanche, vous comprenez que la commission n’ait pas pu approuver la création d’une nouvelle tranche à 50 % pour la fraction des revenus supérieurs à 152 108 euros. L’impôt sur le revenu souffre déjà d’une hyperconcentration.
Il y a déjà une très forte progressivité de l’impôt sur le revenu. Je rappelle que le dernier décile des foyers fiscaux acquitte 67 % de son produit total. Plus précisément, les quelque 770 000 foyers fiscaux dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 100 000 euros acquittent à eux seuls près de 40 % de ce dernier, soit 28,7 milliards d’euros. Créer une tranche à 50 % accroîtrait encore cette hyper-concentration de l’impôt sur le revenu. Si voulez des détails sur les risques que cela comporte, je vous invite à consulter l’excellent rapport remis au Parlement sur l’évolution des départs pour l’étranger et des retours en France des contribuables et l’évolution du nombre des résidents fiscaux. M. le secrétaire d’État n’en fait pas nécessairement la même lecture que moi, mais ce rapport montre concrètement une augmentation du nombre des départs à l’étranger, motivés sans doute, pour partie, par des raisons fiscales.
La France se caractérise déjà par une très forte progressivité de l’impôt sur le revenu, qu’il ne serait pas opportun d’accroître encore en adoptant l’amendement n° I-148, sur lequel la commission émet donc un avis défavorable.
En revanche, elle est bien évidemment favorable à l’amendement n° I-389, identique à son amendement n° I-22. Je remercie le groupe UDI-UC de souscrire à l’idée de réduire la pression fiscale sur les contribuables relevant de la tranche à 30 %, qui supportent l’effort fiscal le plus important, acquittant 30 milliards d’euros, sur un total de 65,7 milliards d’euros.
Enfin, l’amendement n° I-149 prévoit une refonte des tranches supérieures du barème qui aboutirait à alourdir encore la pression fiscale, notamment sur les foyers fiscaux du dernier décile, qui, je le redis, acquittent à eux seuls 67 % du produit de l’impôt sur le revenu. En conséquence, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. J’indique d’entrée de jeu que le Gouvernement sera très attentif aux conséquences financières des amendements qui seront adoptés.
Aux termes de la loi organique relative aux lois de finances et de la Constitution, un tableau d’équilibre exposant le niveau des recettes doit être présenté à la fin de l’examen de la première partie du projet de loi de finances.
À cet égard, monsieur le rapporteur général, j’observe que l’adoption de l’amendement de la commission des finances entraînerait une baisse de 2,3 milliards d’euros des recettes. Vous avez indiqué que l’amendement n° I-24, que nous examinerons ultérieurement, prévoit une diminution supplémentaire des recettes de 850 millions d’euros. J’imagine que vous allez également proposer le rétablissement de la défiscalisation des heures supplémentaires…
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas sûr !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je suis donc impatient de connaître le niveau des recettes à la fin de l’examen de cette première partie du projet de loi de finances par le Sénat… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Vous parlez sans cesse, monsieur le rapporteur général, d’hyper-concentration de l’impôt sur le revenu.
Le premier critère pertinent pour apprécier la concentration d’un impôt est le nombre de foyers qui l’acquittent.
En 2009 – nous n’étions pas alors au pouvoir, et la majorité élue en 2007 avait eu le temps de commencer à mettre en œuvre son programme –, 43,4 % des foyers fiscaux acquittaient l’impôt sur le revenu. En 2016, ce taux devrait être, selon nos prévisions, de 46 %... Vous critiquez aujourd’hui l’hyper-concentration de l’impôt sur le revenu, alors que nous allons revenir, en 2016, à un taux supérieur de trois points à ce qu’il était en 2009, quand vous étiez au pouvoir ! Je tiens les chiffres à votre disposition. Ce qui serait insupportable, scandaleux aujourd’hui était très bien en 2009 !
Vous avez ensuite souligné que les 10 % de foyers fiscaux disposant des revenus les plus élevés acquitteront, en 2015, 67,8 % du produit de l’impôt sur le revenu. Cela est vrai, mais savez-vous quelle part de ce dernier ils acquittaient en 2011 ?
M. Daniel Raoul. Bonne question !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le décile des Français les plus riches payait 72,4 % du produit de l’impôt sur le revenu, soit cinq points de plus qu’aujourd’hui ! Ce qui était très bien en 2011 serait devenu aujourd’hui insupportable, intolérable, illogique ? Je vous invite à la cohérence !
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Certains pensent que l’impôt sur le revenu est trop progressif, d’autres prétendent au contraire qu’il ne l’est pas suffisamment, mais la réalité des chiffres est la suivante : en 2016, les Français qui ne seront pas redevables de l’impôt sur le revenu seront moins nombreux qu’en 2009, et les 10 % les plus riches paieront moins qu’en 2011 ! Cela figurera au compte rendu de nos travaux.
J’ajouterai que les 10 % de Français les plus riches perçoivent aujourd’hui 34 % de la richesse nationale, contre 35 % en 2011. Enfin, le décile des Français les plus fortunés acquitte exactement 50 % du produit cumulé de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Telle est la réalité des chiffres ! Libre à chacun ensuite d’en tirer les conséquences.
Vous évoquez en outre une hausse du produit de l’impôt de 40 % sur les quatre dernières années, soit environ 18 milliards d’euros. Comment s’explique-t-elle ? En 2011, vous avez gelé le barème de l’impôt sur le revenu, supprimé la triple déclaration pour les couples qui se marient en cours d’année – cette mesure représente tout de même, à elle seule, une augmentation du produit de l’impôt sur le revenu de 1 milliard d’euros – et commencé à supprimer la demi-part des veuves. L’adoption de ces mesures par la majorité de l’époque a eu pour conséquence une augmentation de l’impôt sur le revenu de 8 milliards d’euros.
Ensuite, vous avez maintenu le gel du barème de l’impôt sur le revenu, poursuivi la suppression de la demi-part des veuves et supprimé un certain nombre de dispositions de la loi TEPA en faveur de travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, ce sparadrap qui vous a longtemps collé aux baskets, notamment la déductibilité des intérêts d’emprunt. Le produit de l’impôt sur le revenu a ainsi crû de 5 milliards d’euros supplémentaires !
Pour notre part, nous avons pris, à partir de 2012, un certain nombre de dispositions qui ont entraîné une augmentation de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu, ce que nous assumons.
Tel est le décompte que j’établis de l’accroissement de 18 milliards d’euros du produit de l’impôt sur le revenu au cours des quatre dernières années. Je laisse à chacun le soin d’apprécier la pertinence, la justice et l’effet redistributif de ces différentes mesures.
Madame Beaufils, vous avez évoqué la soumission des revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu. C’est fait ! Cela n’a pas été facile, mais nous avons, dès 2012, assujetti au barème de l’impôt sur le revenu les dividendes et les plus-values.
Notre politique fiscale ferait fuir les contribuables français à l’étranger, nous dit-on. Cet argument de l’exil fiscal massif est continuellement brandi, mais, en 2013 – ce sont les derniers chiffres disponibles –, 48 896 personnes sont parties, soit 0,1 % des contribuables. On a connu des mouvements de population plus considérables… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Ces gens sont, pour 67 % d’entre eux, des jeunes,…
M. Didier Guillaume. Ils ne paient pas d’impôts !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … dont beaucoup partent sans doute pour des raisons professionnelles. Cela semble logique, eu égard à la mondialisation des échanges, des études ou des premières expériences professionnelles. En tout état de cause, monsieur le rapporteur général, soyez assuré que nous surveillons de près l’évolution de ces chiffres.
Vous prétendez, monsieur Delahaye, que le produit de l’impôt sur le revenu augmentera de 2,8 milliards d’euros l’an prochain. Je maintiens que, en net, la hausse ne sera que de 800 millions d’euros, du fait de la suppression de la prime pour l’emploi, laquelle constitue une dépense fiscale de 2 milliards d’euros. Il est faux de dire que le produit de l’impôt sur le revenu augmentera de 2,8 milliards d’euros.
Enfin, on peut discuter à perte de vue de la notion de classe moyenne. Vous dites que la classe moyenne relève de la tranche à 30 %. Pour y entrer, il faut gagner 27 000 euros par part fiscale. Chacun appréciera, sachant que, en outre, seule la part des revenus excédant ce seuil est assujettie au taux de 30 %, et non l’ensemble des revenus, contrairement à ce que pensent souvent les Français. Pour payer 30 % d’impôt sur l’ensemble de ses revenus, il faut donc que ceux-ci soient beaucoup plus élevés, d’autant que la décote s’applique de surcroît.
Bien entendu, on peut avoir des points de vue radicalement différents sur la définition de la classe moyenne, mais, pour l’ancien professeur de mathématiques que je suis, la moyenne, c’est ce qui se situe au milieu… Dans la mesure où plus de la moitié des Français ne payent pas d’impôt sur le revenu, je ne crois pas que ce soit le cas de ceux de nos concitoyens qui relèvent de la tranche à 30 % !
En conclusion, vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements.
En ce qui concerne l’impôt minimum, qui serait l’impôt citoyen, beaucoup ont anticipé ma réponse ! Oui, la TVA rapporte près de 160 milliards d’euros ; tout le monde la paie, pas toujours au même taux, la consommation des uns n’étant pas identique à celle des autres. Oui, la CSG rapporte 90 milliards d’euros ; tout le monde la paie aussi, au même taux, hormis pour les revenus de remplacement. Au total, on peut estimer que c’est trop progressif ou pas assez.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite, en conclusion, à bien regarder les chiffres, qui vont souvent à l’encontre des idées reçues, ou répandues avec plus ou moins d’honnêteté intellectuelle… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes habile à manier les statistiques, d’autant que vous êtes effectivement un ancien professeur de mathématiques…
Pour autant, vous raisonnez sur la part du produit de l’impôt sur le revenu acquittée par le dernier décile, tandis que, pour notre part, nous visons les classes moyennes. Or nous constatons que, à la suite des mesures que vous avez décidées, telles que la création de la tranche à 45 % ou la suppression de la tranche à 5,5 %, les classes moyennes ou moyennes supérieures payent davantage d’impôt sur le revenu, à revenus et situation identiques. Je comprends que vous préfériez parler du dernier décile, mais, pour la classe moyenne, il est certain que la fiscalité s’est alourdie.
Quant au sparadrap de la fiscalité, vous avez, vous aussi, du mal à le décoller, même si vous vous y essayez avec un certain talent !
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Je veux d’abord saluer la réponse très précise et concrète de M. le secrétaire d’État sur des sujets imaginés…
L’augmentation des impôts a été la même durant la période 2009-2012 et depuis 2012, mais il y a une différence très claire : ce gouvernement est le premier à mettre en œuvre concrètement, depuis deux ans, des baisses d’impôt sur le revenu, à hauteur de 5 milliards d’euros au total, au profit des deux tiers des ménages. Ce n’est tout de même pas rien, et il serait étonnant que les classes moyennes ne se trouvent pas en grande partie dans ces deux tiers…
À l’occasion de l’examen du dernier grand budget de la mandature, nous serons très attentifs aux propositions de réduction d’impôts de la droite. Il y a déjà 2,3 milliards d’euros au compteur, à mettre en regard des 100 milliards à 150 milliards d’euros d’économies à venir annoncés par ses différents leaders…
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Il est difficile pour moi, qui suis plus familier des questions sociales, d’intervenir après M. le secrétaire d’État.
Je voudrais cependant partager avec vous les conclusions d’une très récente étude de l’INSEE : en 2014, on a constaté une réduction, faible mais réelle, des inégalités dans notre pays. Le niveau de vie des 10 % les moins favorisés, ceux dont le revenu est inférieur à 9 000 euros par an, a ainsi légèrement progressé l’an dernier, alors que celui de la moitié la plus modeste des ménages est resté globalement stable.
Des mesures telles que la revalorisation du revenu de solidarité active ou celle du minimum vieillesse ont permis cette évolution. Sans les dispositions fiscales et sociales prises au titre de 2014, le niveau de vie des 10 % des Français les plus riches aurait été 6,4 fois – et non 6,32 fois – supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. Sans surprise, l’INSEE ajoute que, pour les trois quarts, la réduction des inégalités est imputable aux réformes de l’impôt sur le revenu.
Ces évolutions restent bien sûr modestes, mais elles vont dans le bon sens. Je suis de ceux qui ne sont pas insensibles au fait que les inégalités se réduisent dans notre pays !
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. L’orateur précédent n’a pas dit que cette étude de l’INSEE montre aussi que 80 % des ménages, soit 19 millions, ont vu leur niveau de vie baisser. On réduit donc les inégalités en baissant le niveau de vie de 80 % des ménages ! C’est une précision d’importance…
Monsieur le secrétaire d’État, je demeure en désaccord total avec votre manière de calculer l’augmentation du produit de l’impôt sur le revenu ! Certes, la suppression de la prime pour l’emploi représente une réduction de 2 milliards d’euros, mais celle-ci est annulée par la modification du calcul de la décote. Le produit de l’impôt sur le revenu augmentera donc bien de 2,8 milliards d’euros en 2016, et non de 800 millions d’euros, comme vous le prétendez. D’ailleurs, le projet de budget prévoit qu’il atteigne 72,3 milliards d’euros l’an prochain, contre 69,6 milliards d’euros en 2015.
En outre, s’il est vrai que, en 2010 comme en 2016, 46 % des foyers payaient l’impôt sur le revenu, le produit de ce dernier a toutefois augmenté de 25 milliards d’euros durant la même période… C’est considérable, et ce surcroît d’impôt n’est pas supporté uniquement par le dernier décile !
Je reconnais que cette situation résulte en partie de dispositions prises avant votre arrivée aux responsabilités. Mon groupe ne les avait d’ailleurs pas nécessairement approuvées. Pour ma part, je préfère une baisse de la dépense publique à une hausse des impôts.
Je retire l’amendement n° I-373, qui constituait plutôt un amendement d’appel, et l’amendement n° I-389, au profit de celui de la commission des finances.
M. le président. Les amendements nos I-373 et I-389 sont retirés.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Si l’on veut vraiment redonner toute sa place à l’impôt et le faire accepter par nos concitoyens, il faut que ceux-ci comprennent bien qu’il contribue à procurer à l’État les moyens d’assumer ses responsabilités et de financer les services publics. Il faut aussi qu’il soit juste et à proportion des revenus des foyers.
Or, on ne parle que de l’impôt sur le revenu, en oubliant le poids de la CSG et de la TVA pour les plus modestes ; il est alors facile de prétendre que certains contribuables sont trop imposés. Pour analyser correctement la situation, il faut prendre en compte l’ensemble des impôts payés par les ménages.
Je disais tout à l’heure que le taux réel d’imposition des titulaires des plus hauts revenus, compte tenu de l’ensemble des déductions fiscales dont ils peuvent bénéficier, n’est que de 12,9 %.
Mme Marie-France Beaufils. Je vous laisse le soin de préciser les chiffres, monsieur le secrétaire d’État, mais on ne peut pas prétendre qu’il y a confiscation. Je ne partage pas du tout le point de vue du rapporteur général à cet égard.
C’est pourquoi nous proposons de rendre l’impôt sur le revenu beaucoup plus progressif et de mieux prendre en compte toutes les formes d’imposition qui pèsent sur les ménages.
Voilà quelques années, j’avais calculé, avec les services de la direction générale des finances publiques, le produit cumulé de l’impôt sur le revenu, de la TVA et de la CSG selon les différentes tranches du barème. Il serait intéressant de mettre ce travail à jour !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je ne surprendrai personne en disant que mon groupe ne votera aucun des amendements présentés, pour les raisons excellemment indiquées par le secrétaire d’État : soit ils remettent en cause la progressivité de l’impôt sur le revenu, soit ils sont confiscatoires. En effet, madame Beaufils, je doute que les relèvements de taux que vous proposez trouvent grâce aux yeux du Conseil constitutionnel !
Mme Marie-France Beaufils. Ce n’est pas ce qui nous arrêtera !
M. Richard Yung. Monsieur Delahaye, un grand quotidien du soir indiquait hier que la France se classe au troisième rang mondial en termes de niveau de vie, derrière les États-Unis et l’Allemagne.
M. Vincent Delahaye. Je citais l’étude de l’INSEE !
M. Richard Yung. Les descriptions apocalyptiques de la situation de notre pays ne me semblent donc guère fondées…
Quant à l’expatriation fiscale, il s’agit d’une vieille lune, d’une antienne dont on nous rebat les oreilles, à nous représentants des Français de l’étranger. Certains de nos compatriotes partiraient à l’étranger parce que la France est devenue un pays invivable : c’est le grand thème du déclinisme !
M. Philippe Dallier. C’est vous qui le disiez quand vous étiez dans l’opposition !
M. Richard Yung. Les exilés fiscaux, s’il en existe, partent à cause non pas de l’impôt sur le revenu, car celui-ci se situe dans la moyenne européenne, mais de la fiscalité pesant sur le patrimoine ! Ils s’installent dans les quartiers chics de Bruxelles en vue de réaménager la structure de leur patrimoine et de préparer leur succession. Il n’est donc pas pertinent, monsieur le rapporteur général, d’invoquer la lourdeur de l’impôt sur le revenu à leur propos. Pour avoir été exilé pendant trente-cinq ans, je sais ce qu’il en est !
M. Philippe Dallier. Pas pour des raisons fiscales, quand même ?
M. Richard Yung. Allez savoir ! (Sourires.)
J’ajoute que l’on ne compte pas non plus les personnes qui viennent s’installer en France. Je ne sais pas comment on pourrait les appeler…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les « impatriés » !
M. Richard Yung. Voilà ! Ils ont même un statut particulier…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ils sont rarement motivés par des raisons fiscales !
M. Richard Yung. Ce qui compte, c’est le solde entre les entrants et les sortants.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Mme Beaufils a exposé notre position mieux que je n’aurais su le faire.
Je ferai observer à nos collègues du groupe socialiste et républicain que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, nous avions voté ensemble un certain nombre de mesures tendant à renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu. Or, depuis, les choses ont certes changé, mais pas dans un sens progressiste. Avant 2012, vous étiez d’accord pour rétablir la demi-part fiscale des veuves : une fois aux responsabilités, vous ne l’avez pas fait. Je pourrais aussi évoquer, dans le même ordre d’idées, l’aide juridictionnelle ou la suppression de la taxation des indemnités perçues par les accidentés du travail.
Prenez les positions politiques et économiques qui vous paraissent indiquées, mais restez humbles et ne venez pas nous dire, dans cette enceinte, que les inégalités seraient en diminution en France et que nos concitoyens paieraient moins d’impôts ! En tout cas, ce n’est pas ce que ressent le peuple de France. C’est pour cette raison que nous avons déposé ces amendements visant à accroître la progressivité de notre système fiscal et à remettre notre pays sur la voie du progressisme.
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.
Mme Jacky Deromedi. Vivant à l’étranger depuis vingt-six ans, je puis témoigner que jamais nous n’avons vu autant de Français s’expatrier, notamment des jeunes et des cadres. Il ne s’agit pas d’exilés fiscaux, mais de personnes qui ont envie de travailler beaucoup et de vivre convenablement, sans être obligées de consacrer la plus grande partie de ce qu’elles gagnent au paiement de leurs impôts.
M. Roger Karoutchi. Voilà !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Je n’ai pas grand-chose à ajouter après l’intervention de M. Foucaud, si ce n’est que nos collègues socialistes donnent le sentiment d’essayer de se rassurer… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Souvenez-vous de l’état de panique dans lequel vous vous trouviez, il y a quelques semaines, lorsque vous vous êtes rendu compte que vous aviez oublié de prendre en compte les conséquences de la suppression de la demi-part des veuves ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Comme l’a dit notre collègue Foucaud, que n’avez-vous rétabli la demi-part des veuves depuis que vous êtes revenus au pouvoir ? Vous ne l’avez pas fait, alors ne venez pas nous raconter d’histoires aujourd’hui !
M. Didier Guillaume. C’est comme les 35 heures : vous avez été dix ans au pouvoir et elles sont toujours là !
M. Philippe Dallier. Plongés dans la panique la plus complète, vous avez présenté un nouveau dispositif. Maintenant, à coup de statistiques, vous essayez de vous rassurer.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez raison : nous avons traîné le sparadrap de la loi TEPA pendant cinq années. Pour votre part, c’est du sparadrap du matraquage fiscal que vous aurez du mal à vous défaire ! Quoi que vous en pensiez, quoi que vous en disiez, les Français garderont en mémoire que vous avez écrasé d’impôts particuliers et entreprises. Aujourd’hui, vous tentez plus ou moins de corriger le tir, mais les Français n’oublieront pas. En 2016, de nombreux maires seront contraints d’augmenter les impôts locaux, parce que vous étranglez financièrement les collectivités territoriales. Vous en porterez la responsabilité. Or ceux qui paient la taxe d’habitation sont à peu près les mêmes que ceux qui paient l’impôt sur le revenu. Au total, à la fin de ce quinquennat, il est certain que les prélèvements obligatoires n’auront pas baissé.
Je vous donne rendez-vous l’année prochaine. Vous verrez que, quelles que soient les statistiques que vous produirez, les Français ne vous croiront pas, parce qu’ils auront le sentiment justifié que leurs impôts ont largement augmenté !
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. M. le secrétaire d’État a produit des chiffres très intéressants : il faudrait les envoyer à tous les contribuables, pour les convaincre que leurs impôts baissent depuis que vous êtes arrivés au pouvoir… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela ne manquerait pas de les réconforter !
M. Daudigny n’a cité qu’une partie des conclusions du rapport de l’INSEE, qui, comme l’a souligné à juste titre notre collègue Delahaye, montre en réalité que la situation des Français n’est pas aussi brillante qu’il l’a dit. Ainsi, le nombre des chômeurs a augmenté de plusieurs centaines de milliers ces deux ou trois dernières années. Les Français qui rencontrent des difficultés, qui souffrent sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant. Par conséquent, n’essayez pas de nous démontrer que la situation de nos compatriotes s’améliore parce que l’on relève une amélioration infinitésimale du niveau de vie moyen !
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Je voudrais expliquer pourquoi il importe de voter l’article 2 sans modification, comme le Gouvernement nous propose de le faire.
Ce débat est technique, certes, mais il est surtout politique.
En présentant ses vœux aux Français, en décembre 2013, le Président de la République a annoncé le pacte de responsabilité et de solidarité. Ce pacte prévoyait 41 milliards d’euros de baisses de charges pour les entreprises, afin d’améliorer leur compétitivité, qui s’était considérablement dégradée après des années de laisser-aller. Il comportait en outre un effort de solidarité en faveur des plus modestes, se traduisant par une augmentation de pouvoir d’achat de 5 milliards d’euros.
Ce programme sera achevé l’année prochaine, ce qui témoigne d’une continuité dans l’action permettant de donner de la visibilité aux acteurs économiques. Depuis trois ans, nous faisons ce que nous avons annoncé. En l’occurrence, la baisse de l’impôt sur le revenu permettra à 12 millions de contribuables parmi les plus modestes de bénéficier d’une amélioration sensible de leur pouvoir d’achat. Pour beaucoup de Français, une baisse d’impôt de 300 à 400 euros, ce n’est pas rien. Cela permet d’améliorer l’ordinaire.
En ce qui me concerne, je serai assez content, à la fin de ce quinquennat, d’avoir porté le sparadrap du pacte de responsabilité et de solidarité, et je plains ceux qui regrettent toujours, tant d’années après, de n’avoir pu se défaire du sparadrap du bouclier fiscal.
L’amendement de M. le rapporteur général s’inscrit bien dans une logique consistant à favoriser certaines catégories aisées. Quant à nous, nous souhaitons améliorer le pouvoir d’achat des plus modestes. Il s’agit bien là de choix politiques !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Les Français sont en état de « saturation fiscale » : ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Président de la République.
M. Didier Guillaume. C’est pour cela que nous baissons les impôts !
M. Roger Karoutchi. Manuel Valls, le Premier ministre que vous avez choisi, dit regretter infiniment la masse d’impôts supplémentaires créés depuis 2012. Et vous venez nous dire que tout va très bien, madame la marquise ! On se demande même pourquoi les Français ne viennent pas vous manifester leur gratitude devant le Sénat ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Oserai-je évoquer M. Macron, qui, de conférence en conférence, n’a de cesse d’affirmer qu’il faut montrer, par des gestes forts, que l’on inverse la tendance en matière de fiscalité ? En réalité, M. le rapporteur général, en défendant un amendement qui s’inscrit dans la ligne tracée par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre des finances, ne veut que vous aider ! Suivez Albéric de Montgolfier, et vous aurez quasiment l’impression de soutenir le Président de la République ! (Exclamations et applaudissements ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il est vraiment convaincant !
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Ce débat sur la répartition du poids de l’impôt sur le revenu est somme toute habituel. Cette année, la mesure positive sera la restitution, d’une manière ou d’une autre, d’une partie des hausses de fiscalité subies par les Français depuis quelques années. Pour ma part, j’ai l’humilité de reconnaître que la crise a conduit les gouvernements successifs à augmenter la fiscalité pesant sur les citoyens et les entreprises : il faut maintenant mettre en place un mécanisme de restitution, parce que la pression fiscale est devenue un frein trop important pour notre économie, au point de constituer un handicap pour la croissance.
La concentration de l’impôt sur le revenu est évidente. Cela nous amène au débat, déjà engagé depuis quelques semaines au sein de la majorité et à l’Assemblée nationale, sur le prélèvement à la source et l’éventuelle fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Une remise à plat plus globale de notre fiscalité s’impose, parce que, à l’évidence, les choses ne peuvent pas rester en l’état.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que l’on puisse sortir du débat quelque peu répétitif et polémique sur l’optimisation fiscale. Celle-ci a longtemps été uniquement le fait de grands groupes multinationaux et de quelques très grandes fortunes. Aujourd’hui, la problématique de l’optimisation fiscale est devenue plus large et concerne vraisemblablement un nombre plus important de nos concitoyens. Cela mériterait qu’un travail approfondi soit entrepris pour évaluer l’incidence réelle de la concurrence fiscale entre pays. Certes, le mouvement de mondialisation de l’économie pousse des jeunes à s’installer à l’étranger, mais il ne faut pas négliger le fait que certains pays, comme le Maroc ou le Portugal, ont adopté des mesures fiscales très incitatives pour attirer des retraités. Nous avons besoin d’évaluer ces phénomènes avec précision et en toute transparence, afin de pouvoir faire demain des choix avisés, au-delà des préférences des uns et des autres pour le renforcement de la concentration de l’impôt, au nom de la justice, ou pour une plus large répartition de l’impôt, au nom du devoir civique de contribuer aux charges de la société.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Le groupe socialiste et républicain, je tiens à le souligner, n’éprouve aucune autosatisfaction. Nous ne prétendons pas que tout va bien ; il existe des difficultés. Pour autant, chers collègues de la majorité sénatoriale, ne dites pas non plus que tout va mal !
Un budget reflète des orientations politiques : en l’occurrence, la volonté du Gouvernement est de baisser les impôts. Quoi que vous en disiez, quand les gens reçoivent leur avis d’imposition, ils s’aperçoivent que la baisse des impôts est une réalité. Nous ne rencontrons peut-être pas les mêmes personnes, mais je peux l’affirmer ! S’agissant des veuves, il y a peut-être eu un couac, mais le nécessaire a été fait, fût-ce tardivement.
Par ailleurs, certains dénoncent une augmentation des impôts locaux en raison d’une diminution des dotations de l’État aux collectivités territoriales. Quand j’ai quitté la présidence du conseil général de la Drôme, l’État devait au département 325 millions d’euros de dépenses sociales non compensées.
M. Philippe Dallier. Sont-elles compensées aujourd’hui ? Et les communes ?
M. Didier Guillaume. Ne dites pas qu’aujourd’hui tout est noir et qu’auparavant tout était blanc. La baisse des dotations est beaucoup moins importante pour les communes que pour les départements.
M. Michel Bouvard. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. M. Doligé pourrait le confirmer.
Quelles sont nos orientations ? Nous ne souhaitons pas changer notre modèle social. Nous avons fait des choix politiques, que vous avez contestés.
Ainsi, nous avons souhaité créer des postes dans l’éducation nationale, estimant que vous en aviez trop supprimés, ce qui a entraîné des fermetures de classes en zones rurales. Dans tous les départements, les maires, de droite comme de gauche, manifestaient devant l’inspection d’académie pour obtenir des ouvertures de postes. De même, nous avons aussi souhaité créer des postes dans la justice, dans la police, dans la gendarmerie, toujours pour compenser les suppressions de postes que vous aviez décidées.
Tout cela coûte de l’argent, c’est pourquoi nous avons augmenté les impôts de 18,7 milliards d’euros les deux premières années du quinquennat, en établissant la fiscalité des revenus du capital au même niveau que celle des revenus du travail. Pour votre part, vous les aviez accrus de 19 milliards d’euros durant les deux dernières années du quinquennat précédent, mais en instaurant le bouclier fiscal : ce n’est pas la même chose !
En tout état de cause, quoi que vous en disiez, cette année, les Français bénéficieront d’une nouvelle baisse d’impôt sur le revenu. M. le secrétaire d’État l’a excellemment démontré tout à l’heure. Elle ne sera pas suffisante pour revenir au niveau de 2010, mais le Président de la République et le Premier ministre ont décidé qu’il n’y aurait plus aucune augmentation d’impôts.
Nous soutenons la position de M. le secrétaire d’État et ce projet de budget, qui prévoit une baisse de l’impôt sur le revenu pour les classes populaires et les classes moyennes.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. L’impôt sur le revenu est un sujet extrêmement sensible, qui renvoie aux notions de justice ou d’équité. Il y a un gros effort de pédagogie à faire. À cet égard, je tiens à exprimer ma considération à l’ensemble des personnels des services de la direction générale des finances publiques, qui sont à l’écoute des redevables et leur expliquent à quoi sert l’impôt sur le revenu et comment il est établi. Il faut reconnaître que les dispositifs fiscaux sont de plus en plus complexes.
On a toujours le sentiment de payer trop d’impôts, mais les mesures de l’article 2 me semblent aller dans le sens de la justice et de l’équité, en redonnant du pouvoir d’achat aux contribuables modestes. Je voterai donc en faveur de l’adoption de cet article.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. On ne peut pas parler de l’impôt sur le revenu sans évoquer la CSG, que tout le monde paie et qui ne comporte pratiquement aucune progressivité.
Le vrai problème de l’impôt sur le revenu, aujourd’hui, tient à l’importance de la tranche à 30 %. Il faudrait créer des tranches supplémentaires, afin de renforcer la progressivité.
Pour ma part, je suis assez favorable à ce que tout le monde acquitte l’impôt sur le revenu, fût-ce pour un montant symbolique, mais il faut assurer davantage de progressivité, fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG.
C’est pourquoi, même si je ne suis pas d’accord avec les taux proposés, je voterai les deux amendements présentés par nos collègues du groupe CRC. Il faudra bien un jour repenser le barème, en segmentant la tranche à 30 %, aujourd’hui trop large, et en créant des tranches plus basses.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. M. le secrétaire d’État a cité des pourcentages intéressants, que je ne conteste pas, mais, pour ma part, je m’intéresse davantage encore à ce que les Français paient concrètement. Sur le sujet, les rapports de la commission des finances sont toujours très bien documentés, et ils ne sont pas non plus contestables, puisqu’ils se fondent sur l’exploitation du « bleu » budgétaire, émanant du Gouvernement.
Il apparaît que le produit de l’impôt sur le revenu s’est établi à 51,5 milliards d’euros en 2011, à 59,5 milliards d’euros en 2012, à 67 milliards d’euros en 2013, dont 4,4 milliards d’euros d’impôts nouveaux, à 69,2 milliards d’euros en 2014, dont 4,3 milliards d’euros d’impôts nouveaux, et à 69,6 milliards d’euros en 2015.
La courbe est éloquente : on constate une augmentation de 40 % du produit de l’impôt sur le revenu en quatre ans. Or, que je sache, les revenus n’ont pas augmenté dans les mêmes proportions, avec une inflation et une croissance quasiment nulles.
La pression fiscale a donc augmenté. Certaines des mesures ayant conduit à cette évolution ont touché les classes supérieures : je pense notamment à la création de la tranche à 45 %. Il y a eu aussi la soumission des revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu, mais ce sont surtout les classes moyennes qui ont été touchées. Je vous renvoie au rapport de la commission des finances sur ce point. La refiscalisation des heures supplémentaires, me semble-t-il, n’a pas particulièrement concerné les classes supérieures…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je ne suis pas sûr que les cadres bénéficient de beaucoup d’heures supplémentaires…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En tout cas, la refiscalisation des heures supplémentaires a représenté 1,6 milliard d’euros d’impôt sur le revenu en plus ; les deux baisses successives du plafond de l’avantage procuré par la demi-part de quotient familial, de 2 336 euros à 2 000 euros puis à 1 500 euros, ont concerné toutes les familles, et pas uniquement celles des classes supérieures ; l’assujettissement à l’impôt sur le revenu de la participation de l’employeur aux complémentaires santé a touché les classes moyennes, de même que la fiscalisation des majorations de pension pour les retraités ayant élevé au moins trois enfants, etc.
L’ensemble de ces mesures représente 10 milliards d’euros d’impôt sur le revenu supplémentaires. Ces chiffres, issus du « bleu » budgétaire « Voies et moyens », sont incontestables !
La tranche à 30 % représente 30 milliards d’euros d’impôt, soit quasiment la moitié du produit de l’impôt sur le revenu. C’est la raison pour laquelle l’amendement de la commission des finances porte essentiellement sur elle, afin d’assurer plus de justice.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur général, vous oubliez dans votre calcul que les revenus du capital, qui étaient auparavant soumis au prélèvement forfaitaire libératoire, ont été assujettis à l’impôt sur le revenu, ce qui a modifié le périmètre de celui-ci. Je n’entrerai pas dans le détail d’une démonstration qui relève davantage d’un travail de commission.
Surtout, la mesure que vous proposez ne profitera pas qu’à ceux dont les revenus sont compris entre les bornes de la tranche à 30 %.
Mme Marie-France Beaufils. Bien sûr !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Elle profitera aussi à ceux qui bénéficient de revenus supérieurs, et là sur toute la tranche, dont vous dites vous-même qu’elle est très large ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. C’est l’objectif !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Si nous avons fait le choix, l’année dernière, de supprimer la tranche à 5,5 % tout en décalant les seuils d’entrée dans les tranches suivantes, c’était pour que la mesure soit neutre pour ceux dont les revenus excèdent le plafond de la tranche à 5,5 %. Votre proposition, qui relève d’un esprit tout différent,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous l’assumons !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … témoigne que nous n’avons pas la même conception de la justice fiscale ! (Nouvelles marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Monsieur Requier, l’amendement n° I-232 est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le secrétaire d’État, je vous propose une recette supplémentaire, et vous n’en voulez pas… (Sourires.) Comme il s’agit de mon premier amendement, je ne vais pas le retirer, même si je sais d’avance qu’il ne rencontrera pas un grand succès ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-22.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 141 |
Le Sénat a adopté.
M. Claude Raynal. Ce n’est pas passé loin !(Sourires.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-155, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 8 à 13
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
2° Le 2. est ainsi rédigé :
« 2. La réduction d’impôt résultant de l’application du quotient familial ne peut excéder 1 510 € par demi-part ou la moitié de cette somme par quart de part s’ajoutant à une part pour les contribuables célibataires, divorcés, veufs ou soumis à l’imposition distincte prévue au 4 de l’article 6 et à deux parts pour les contribuables mariés soumis à une imposition commune. »
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – Pour compenser la perte de recettes découlant pour l’État de l’harmonisation du quotient familial pour les foyers fiscaux, le taux de l’impôt sur les sociétés est relevé à due concurrence.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Le système du quotient familial n’est aujourd'hui guère satisfaisant. En effet, selon la situation et la composition du foyer fiscal, la demi-part de quotient familial n’a pas la même valeur. Nous entendons donc mettre un terme à ce traitement différencié injustifié. En effet, la justice fiscale consiste à appliquer les mêmes règles à tous et à rendre le droit intelligible.
M. le président. L'amendement n° I-267, présenté par MM. Requier, Mézard, Collin, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Esnol, Fortassin, Guérini et Vall et Mme Laborde, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Remplacer le montant :
1 510 €
par le montant :
2 000 €
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement vise à relever le plafond de l’avantage procuré par la demi-part de quotient familial.
Instauré au sortir de la guerre afin d’encourager la natalité, le dispositif du quotient familial permet de prendre en compte les charges liées aux soins donnés aux enfants au sein d’une famille, dans une logique de solidarité entre ménages avec enfants et ménages sans enfants. Ainsi, à revenu égal, un ménage avec enfants voit son impôt allégé par rapport à un ménage sans enfants ou comptant moins d’enfants. Le premier et le deuxième enfant donnent chacun droit à une demi-part supplémentaire ; à partir du troisième enfant, l’avantage conféré est d’une part supplémentaire.
Ce dispositif, longtemps objet de consensus entre la gauche et la droite, a fait la preuve de son efficacité. Il permet de traduire dans l’impôt l’attention et la considération portées aux familles dans notre pays. Il contribue à conserver à la France une natalité suffisante, qui constitue une exception notable parmi les pays développés.
L’effet du quotient familial est plafonné à proportion du nombre de parts. Il semble que l’abaissement de ce plafond de 2 000 euros à 1 500 euros en 2013 ait eu une incidence défavorable pour nombre de ménages à revenus moyens. À l’époque, l’abaissement avait été justifié par la nécessité de résorber le déficit de la branche famille de la sécurité sociale, pourtant relativement modeste en comparaison de celui de la branche maladie. Il est permis de douter de l’intérêt de cette mesure au regard du coût induit pour nombre de familles.
Nous proposons donc de rétablir à 2 000 euros le plafond de l’avantage procuré par la demi-part de quotient familial.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° I-23 est présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° I-390 est présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Canevet, Delcros, Marseille, Laurey et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéa 9
Remplacer le montant :
1 510 €
par le montant :
1 750 €
II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - La perte de recettes résultant pour l’État du relèvement du plafond du quotient familial est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l’amendement n° I-23.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’amendement de M. Requier va dans le bon sens, puisque le nôtre relève de la même philosophie ! Si notre ambition est un peu plus modeste, c’est pour des raisons de coût.
Cela a été dit sur diverses travées, deux réformes successives du quotient familial, intervenues en 2013 et en 2014, ont eu pour effet d’abaisser le plafond de l’avantage procuré par la demi-part de quotient familial de 2 336 euros à 1 500 euros. Cela a eu pour conséquence une hausse de la fiscalité tout à fait significative, puisqu’elle a atteint environ 1,5 milliard d’euros, supportée par 1 038 000 familles. Chaque foyer fiscal concerné a dû payer, en moyenne, 1 100 euros d’impôt sur le revenu de plus.
Reprenant sa proposition de l’année dernière, qui avait été adoptée par le Sénat, la commission des finances suggère de redonner un peu de pouvoir d’achat aux familles en relevant le plafond de 1 510 euros à 1 750 euros.
Je souligne que certaines familles ont dû supporter, en outre, les conséquences de réformes contenues dans les lois de financement de la sécurité sociale. Je pense en particulier à la réforme tendant à la modulation des allocations familiales de juillet 2015, qui a touché plus de 600 000 familles.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l'amendement n° I-390.
M. Vincent Delahaye. Le groupe UDI-UC partage bien sûr la volonté du rapporteur général de revenir en partie sur les réformes du quotient familial qui ont amputé le pouvoir d’achat des familles.
Nous aimerions suivre la proposition de M. Requier et de nos collègues du RDSE de relever jusqu’à 2 000 euros le plafond de l’avantage procuré par la demi-part de quotient familial, mais une telle mesure serait très coûteuse et peut-être n’arriverions-nous pas à l’équilibrer. Pour faire plaisir à M. le secrétaire d'État, nous allons nous montrer raisonnables et nous contenter de soutenir l’amendement de la commission des finances, au profit duquel nous retirons le nôtre.
M. le président. L'amendement n° I-390 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos I-155 et I-267 ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Concernant l’amendement n° I-155 du groupe communiste républicain et citoyen, j’avoue ne pas très bien comprendre la correspondance entre le dispositif présenté et l’objectif annoncé de justice fiscale. À y regarder de plus près, il semble à la commission que la suppression de différents plafonds va à l’encontre de cet objectif. En effet, l’adoption d’une telle mesure aurait pour effet de pénaliser les parents ayant élevé seuls leurs enfants et créerait des inégalités entre contribuables.
J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° I-155.
L’amendement n° I-267 vise, comme celui de la commission, à relever le plafond familial, mais à un niveau supérieur. Le coût supplémentaire serait de 550 millions d'euros, c’est pourquoi je vous propose, monsieur Requier, de retirer votre amendement au profit de celui de la commission. Sinon, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos I-155, I-267 et I-23 ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement n’est pas favorable à ces amendements, pour de nombreuses raisons.
Je confirme qu’il y a un problème de coût. Si l’amendement de la commission était adopté, le compteur afficherait 580 millions d'euros de plus, monsieur le rapporteur général. On s’approcherait alors des 3 milliards d'euros…
Certains ont tendance à oublier que, en 2012, le déficit public était supérieur à 5 % du PIB. Nous assumons avoir décidé des hausses d’impôts. Nous ne l’avons pas fait par hasard ni par plaisir : il fallait bien répondre à l’urgence ! En 2012, on s’interrogeait sur l’avenir de l’euro en cas de défaillance de la France ! On se demandait si les marchés financiers continueraient à nous prêter à des taux acceptables. Certains ont parfois la mémoire courte… Relisez les journaux économiques de l’époque ! Aujourd'hui, vous vous dites angoissés, mais, en 2012, c’était de la terreur que l’on éprouvait !
J’ajoute que les foyers non imposables ne sont pas touchés par le plafonnement de l’avantage lié au quotient familial. Chacun le sait, seuls sont concernés des ménages bénéficiant de revenus que l’on ne peut même pas qualifier de moyens.
Il vous revient d’assumer vos choix. Le dispositif de l’amendement n° I-22 de la commission qui a été adopté tout à l’heure profitera aux 5 millions de foyers fiscaux les plus riches. Le présent amendement procurera lui aussi, s’il est adopté, un avantage aux bénéficiaires de revenus importants. La plupart des foyers ne sont pas concernés par le plafonnement du quotient familial !
J’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur les amendements nos I-155, I-267 et I-23.
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron, pour explication de vote.
M. Jacques Chiron. J’ai envie de dire que l’on peut saluer une certaine constance dans les orientations que vous souhaitez donner à la politique fiscale de ce pays, monsieur le rapporteur général !
En résumé, comme vous l’aviez déjà fait l’année dernière à la même époque, vous proposez, par le biais de cet amendement, de « pomper » 550 millions d'euros que nous entendons consacrer à l’amélioration du pouvoir d’achat des plus modestes, grâce à la décote, et de les flécher vers des ménages aux revenus élevés en relevant le plafond de l’avantage procuré par la demi-part de quotient familial.
C’est un choix qui a le mérite d’être clair. Dans la période actuelle, où, pour des millions de Français, la fin de mois se joue à quelques euros près, vous pensez apparemment que les plus modestes de nos compatriotes n’ont pas besoin de 550 millions d'euros supplémentaires !
Nous assumons les choix qui ont été faits en matière de quotient familial. Vous aurait-il échappé que, entre 2002 et 2012, la dette a doublé ? J’ai l’impression de participer à une sorte « d’atelier mémoire »… Eh bien, nous allons rappeler les choses !
Durant la période 2002-2012, la dette a donc doublé. C’est cette situation catastrophique que nous avons trouvée en arrivant aux responsabilités, et que nous avons dû assumer. Nous avons tenu un discours de vérité, en indiquant quels efforts chacun devrait accomplir. Ces efforts, nous les avons voulus justes et équitables. Voilà ce qui a guidé nos choix en matière de quotient familial.
En 2013, les 10 % de ménages les plus aisés bénéficiaient de 30 % du montant total de l’avantage du quotient familial, soit 3,8 milliards d'euros, et le décile des ménages les plus modestes de moins de 3 %.
La réduction du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial a aussi permis, il faut le rappeler, de financer plusieurs autres mesures en faveur de la famille : la réduction d’impôt pour frais de scolarité, qui a pu être sanctuarisée, la hausse de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire. Enfin, une partie des économies réalisées a été affectée à la branche famille de la sécurité sociale, dont le déficit atteignait 2,5 milliards d'euros en 2012.
En définitive, pour vous, la fiscalité des ménages, c’est décidément « totem et tabou » : le totem, c’est le quotient familial, et peu importe s’il profite aux ménages les plus aisés ; le tabou, c’est l’orientation globale que vous donnez à vos choix fiscaux, sans jamais l’assumer très clairement.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jacques Chiron. Il y a une vraie différence entre cette approche et la nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. La politique de soutien aux familles a fait l’unanimité dans ce pays depuis Alfred Sauvy, qui fut à l’origine de la création des allocations familiales, sous le Front populaire. Pierre Mendès-France, ensuite, entendit promouvoir la natalité par une fiscalité favorable aux familles, et le général de Gaulle se préoccupa lui aussi de soutenir la famille. Tout le monde, à gauche comme à droite, était d’accord sur ce point : dans une Europe en marche vers la dénatalité, la natalité forte de la France représentait une garantie pour l’avenir du pays, de sa force de travail et de son système de retraites.
Voilà pourquoi, par-delà tous les clivages politiques, les gouvernements successifs n’ont pas touché à la fiscalité familiale. Or, aujourd’hui, on la remet en cause, sous prétexte de problèmes financiers dont je ne nie nullement la réalité, monsieur le secrétaire d’État. La situation est difficile depuis longtemps, depuis la fin des Trente Glorieuses. Pour autant, il faut faire des choix : toucher à la fiscalité familiale constitue à mon sens une erreur lourde dans une société déjà fragilisée, au regard de l’avenir du système de retraites et de l’équilibre entre actifs et non-actifs dans ce pays.
Cette erreur est d’autant plus lourde que vous annoncez, parallèlement, l’embauche – pour quarante ans – de 60 000 enseignants, alors même que le taux de natalité a baissé l’année dernière, parce que les familles ne croient plus en l’avenir ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) C’est ainsi !
Adressons plutôt un signal positif aux familles, et faisons en sorte de relancer une dynamique de natalité dans ce pays. Ce serait un investissement à très long terme pour le dynamisme de l’économie, le financement des retraites, un investissement sociétal, pour que notre nation puisse croire en elle-même. Franchement, s’il y a un secteur pour lequel ne pas faire d’efforts est une erreur, c’est bien celui de la politique familiale ! (M. Éric Doligé applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-23.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 66 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 201 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L’amendement n° I-24 est présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances.
L’amendement n° I-391 est présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Canevet, Delcros, Marseille, Laurey et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants-UC.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l’amendement n° I-24.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La réforme de la décote proposée par le Gouvernement va dans le sens de la concentration de l’impôt sur le revenu, en ajoutant un élément de complexité.
Entre la décote simple et la décote conjugale, l’impôt sur le revenu devient de plus en plus complexe. La commission des finances, au travers de l’amendement n° I-22, qui a été adopté tout à l’heure, propose un dispositif plus simple, à savoir la baisse d’une tranche du barème, plutôt que de recourir à ces mécanismes de décote dont la mise en œuvre aboutit à une hyper-complexification de l’impôt.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l’amendement n° I-391.
M. Vincent Delahaye. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° I-156, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 14
Remplacer (deux fois) les mots :
trois quarts
par les mots :
deux tiers
II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Le Gouvernement a finalement fait le choix de la décote pour donner un coup de pouce au pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.
Nous avons vu, à l’examen des autres dispositions de l’article, que le choix de la majorité sénatoriale était différent. En effet, ses propositions visent plutôt les couches salariées moyennes ou supérieures.
L’augmentation du coût de la décote ne suffit pas, à nos yeux, à faire une réforme fiscale. Notre amendement prévoyant un ajustement du barème n’ayant pas été adopté, nous proposons maintenant d’améliorer encore le système de décote présenté. En effet, cela permettrait tout de même d’alléger l’impôt sur le revenu pour les ménages modestes.
Je voudrais néanmoins insister sur le fait que, sur le fond, la décote ne répond pas à nos attentes. En effet, les foyers qui en bénéficient restent assujettis à l’impôt sur le revenu, avec toutes les conséquences que l’on sait en matière d’aide personnalisée au logement ou d’impôts locaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° I-156 ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’avis est défavorable. En effet, cet amendement tend à renforcer et à complexifier encore la décote, ce qui ne va pas du tout dans le sens souhaité par la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos I-24, I-391 et I-156 ?
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Si j’ai bien compris, au vu des deux amendements de la commission déjà adoptés et de celui que vous avez soutenu à l’instant, votre intention, monsieur le rapporteur général, est de reprendre 2 milliards d’euros aux foyers les moins favorisés pour en faire cadeau aux ménages qui payent l’impôt sur le revenu. C’est clairement dit et assumé : les Français apprécieront !
M. Richard Yung. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. Eh oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Certes, le système de la décote, tel qu’il existe aujourd’hui, n’est pas simple, mais la réforme que nous proposons ne le compliquera pas davantage : son champ sera simplement un peu étendu, ce qui permettra de restituer de l’argent aux Français. Surtout, la réforme présente l’intérêt d’adoucir la pente de la décote, aujourd’hui très forte.
L’amendement présenté par les sénateurs du groupe CRC vise d’ailleurs à aller encore plus loin dans cette voie, mais cela a un coût – de l’ordre de 500 millions ou 600 millions d’euros – qui est à notre sens hors de portée.
Le Gouvernement est donc défavorable à l’ensemble de ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le secrétaire d’État, M. le rapporteur général a fort bien rappelé tout à l’heure que, entre 2012 et 2015, le produit de l’impôt sur le revenu avait augmenté de 10 milliards d’euros, dont 8,7 milliards d’euros dus à des mesures nouvelles.
L’objet de l’amendement de la commission est justement de garantir que les mesures correctrices s’adressent à tous, contrairement à celles que vous avez prises jusqu’à présent. En effet, ces dernières concernent essentiellement les bénéficiaires de revenus compris, après application du quotient familial, entre 6 000 et 26 000 euros. La réduction d’impôt de 2014 s’adressait aux personnes seules dont le revenu n’excède pas 1,1 fois le SMIC et aux couples dont le revenu est inférieur à 2,2 fois le SMIC. En 2015, enfin, on ne peut pas dire que la réforme du barème, avec la suppression de la première tranche et l’abaissement du seuil d’entrée dans la tranche à 14 %, profite aux classes moyennes, non plus que la réforme de la décote, repoussant le seuil d’assujettissement à l’impôt sur le revenu de 13 490 euros à 15 508 euros.
La majorité sénatoriale estime donc qu’il y a un problème de répartition de l’impôt, au détriment des classes moyennes.
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Nous en sommes au troisième amendement visant à mettre en œuvre la politique prônée par la majorité sénatoriale. Je regrette que nos collègues soient si peu nombreux en séance pour des dispositifs tendant à redonner du pouvoir d’achat aux Français ou à réduire l’impôt… Est-ce le signe d’un manque d’intérêt pour des sujets pourtant très importants ? Cela vous regarde, après tout, mais nous perdons un temps fou à cause des scrutins publics successifs que cette situation vous oblige à demander ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. On n’en est qu’au troisième !
M. Claude Raynal. Peut-être pourriez-vous réveiller quelques-uns de vos amis,…
M. Roger Karoutchi. Ah non ! Vous avez une drôle de conception de l’amitié ! (Sourires.)
M. Vincent Eblé. Quelques Parisiens !
M. Claude Raynal. … pour qu’ils viennent vous renforcer et donner un peu plus de chair et de poids à votre argumentation. Cela éviterait surtout que nos débats soient ralentis par des scrutins publics !
M. Philippe Dallier. On vient de perdre deux minutes avec votre intervention !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-24 et I-391.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
M. Vincent Eblé. Mauvais joueurs !
M. le président. Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 67 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'amendement n° I-156 n'a plus d'objet.
L'amendement n° I-152, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… - Les a et b du 1 ter de l’article 150 – 0 D du code général des impôts sont ainsi rédigés :
« a) 40 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ;
« b) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Nous pouvons tous tomber d’accord, me semble-t-il, sur le fait que la justice sociale et fiscale commande d’appliquer à tous les revenus les mêmes règles en matière d’impôt progressif. Pourtant, le droit fiscal recèle parfois d’étranges disparités.
Un salarié qui travaille depuis longtemps dans la même entreprise est souvent appelé à constater que le montant de ses impôts augmente à proportion de son ancienneté, pour peu que celle-ci se traduise sur sa fiche de paie.
A contrario, le détenteur de parts sociales d’une entreprise qui procède à une cession de titres bénéficie d’un avantage fiscal incomparable, à savoir l’abattement lié à la durée de détention. Ainsi, sur 100 000 euros de plus-values, 50 000 euros seulement, voire 35 000 euros dans certains cas, sont soumis à l’impôt, et ce avant toute application du barème.
Il n’y a donc pas égalité de traitement, au regard de l’impôt, entre revenus salariaux et revenus issus de capitaux mobiliers, les détenteurs des seconds continuant à bénéficier d’un allégement global de leur participation à l’effort commun.
Cet amendement vise à davantage de justice sociale et fiscale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous regrettons souvent, dans cette enceinte, que l’épargne longue à destination des entreprises soit insuffisante dans notre pays et que les Français n’investissent pas assez en actions. Or, pour encourager cette forme d’épargne, il faut une fiscalité attractive.
Abaisser le taux d’abattement sur les plus-values n’irait évidemment pas dans ce sens. C’est la raison pour laquelle la commission des finances émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Je ne voterai pas cet amendement, pour les raisons qu’a exposées le rapporteur général.
Je profite de cette occasion pour répondre à M. Raynal que nous ne nous désintéressons bien sûr nullement de ce débat important, révélateur de nos choix politiques et fiscaux respectifs. Les scrutins publics que nous demandons permettent de connaître précisément, sur des sujets importants, les votes des uns et des autres, en particulier au sein du RDSE ou du groupe écologiste, et de les faire figurer au Journal officiel.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Avec tout le respect que je dois à mon collègue et ami Éric Doligé, je voudrais lui dire qu’il n’a pas dû bien suivre les votes des membres du groupe écologiste ces derniers temps. Ainsi, cet après-midi, nous avons été neuf à voter pour l’adoption du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, un seul d’entre nous s’étant abstenu. Nous avons de vraies discussions en amont, mais nos voix ne se dispersent pas. Peut-être nous confondez-vous avec le groupe RDSE ?
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Sur le fond, l’accroissement de la fiscalité sur les plus-values n’est pas la direction que nous sommes en train de prendre. Tout au contraire, nous cherchons à développer le financement des entreprises par le marché financier. Je crois d’ailleurs qu’il y aura bientôt des annonces sur l’évolution de la fiscalité des plus-values.
Monsieur Doligé, vous n’avez pas besoin de demander des scrutins publics pour savoir ce que nous pensons, puisque nous exprimons nos positions !
M. Richard Yung. Du reste, le groupe socialiste et républicain est comme un seul homme (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Philippe Dallier. C’est peut-être plus vrai ici qu’à l’Assemblée nationale !
M. Richard Yung. … contrairement au vôtre, d’ailleurs. On pourrait donc éviter de perdre du temps.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Il est vrai que les votes des membres du groupe RDSE sont parfois divers, mais La Fontaine a dit que « l’ennui naquit un jour de l’uniformité ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Selon les données du ministère, près de 2,4 milliards d’euros de plus-values sont en attente d’imposition, de même que 1 milliard d’euros de plus-values immobilières. Cela signifie qu’entre 500 millions et 650 millions d’euros ne concourent pas aujourd’hui à la solidarité nationale…
M. le président. L'amendement n° I-150, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – À la première phrase du 2° du 3 de l’article 158 du code général des impôts, le pourcentage : « 40 % » est remplacé par le pourcentage : « 20 % ».
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Le crédit d’impôt accordé aux détenteurs de dividendes représente une dépense fiscale de 1,97 milliard d'euros. Cette somme est censée compenser les effets de la double imposition des bénéfices. Dans les faits, elle profite à des contribuables disposant d’un portefeuille d’actions important.
Eu égard aux travaux les plus récents sur la réalité de l’impôt sur les sociétés, cette double imposition s’apparente de plus en plus à une vue de l’esprit, le taux apparent d’imposition d’une grande entreprise transnationale se révélant inférieur à celui d’un cadre moyen célibataire !
Cet amendement en reprend un autre que nous avions adopté à l’automne 2011, qui était de même objet et commun à l’ensemble de la majorité de gauche du Sénat. Cette année, l’État devrait encaisser seulement 33 milliards d'euros au titre de l’impôt sur les sociétés. Cela devrait nous donner à réfléchir…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette mesure accroîtrait la pression fiscale sur la perception de dividendes, en soumettant ceux-ci au barème de l’impôt sur le revenu à concurrence de 80 %. À l’impôt sur le revenu s’ajoutent évidemment les prélèvements sociaux, notamment la CSG. Voilà qui n’encouragerait certainement pas l’épargne en actions !
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° I-151 rectifié, présenté par Mme Demessine, M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 14
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…- Le e du 5 de l’article 158 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« e. Pour l’établissement de l’impôt des redevables pensionnés, la déclaration porte chaque année sur les arrérages correspondant à la période de douze mois qui suit la période à laquelle se rapportent les arrérages imposables au titre de l’année précédente. »
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État de l’application de la règle des douze mois de versement des pensions et retraites en tant que base d’imposition est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. En raison de dysfonctionnements graves des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, des régions Nord-Picardie et Languedoc-Roussillon, la liquidation des retraites de dizaines de milliers de personnes a subi des retards. Michèle Demessine, Éric Bocquet et moi-même sommes déjà intervenus sur cette question.
Ces dysfonctionnements ont été le début d’un long calvaire pour les retraités concernés, contraints de vivre sans revenus durant de longs mois, alors qu’ils ont cotisé toute leur vie pour leur retraite. Beaucoup ont de ce fait été expulsés de leur logement ou ont fait l’objet d’une interdiction bancaire.
Une autre injustice insupportable, que je qualifierais de « double peine fiscale », menace ces retraités en l’état actuel de notre législation.
En effet, leur situation ayant été enfin régularisée par le versement cette année de pensions dues au titre de l’année précédente, leur revenu fiscal de référence se trouve relevé. De ce fait, certains d’entre eux vont voir leurs impôts injustement augmenter, quand d’autres vont devenir imposables alors qu’ils n’auraient jamais dû l’être. Ainsi, un retraité non imposable percevant 14 000 euros de revenus annuels et ayant touché, au cours de l’année 2015, sept mois d’arriérés de pension de retraite devra acquitter 1 289 euros d’impôts…
Le système du quotient s’applique en cas de perception de revenus différés, mais, selon le directeur régional des finances publiques du Nord-Pas-de-Calais, qu’a rencontré Michelle Demessine, il est loin de régler les problèmes des retraités victimes des retards de la CARSAT. Il permettra seulement d’estomper les effets néfastes de ces retards de paiement pour ceux qui étaient déjà imposables. Quant à ceux qui n’auraient jamais dû l’être, la plupart devront tout de même payer des impôts et tous perdront du même coup les avantages sociaux auxquels ils avaient droit, en matière de transports en commun, de logement ou de tarifs de restauration à domicile.
Le Gouvernement a très justement exonéré les retraités modestes des impôts locaux. Il serait intolérable que certains d’entre eux aient à subir les conséquences fiscales de défaillances graves de notre système de retraites. Une solution à cette double injustice doit donc être trouvée.
Le présent amendement vise à prévoir que ne pourront être pris en compte, pour le calcul de l’impôt de ces retraités, que douze mois de pension par année. Il s’appuie sur le dispositif fiscal qui avait été mis en place en 1987 pour neutraliser les effets de la généralisation du paiement mensuel des pensions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission a été sensible au problème que vient d’exposer M. Foucaud. Cet amendement tend à éviter des impositions ou des hausses d’impôt injustes pour certains retraités ayant subi des retards dans le versement de leur pension. Le dispositif présenté a en effet déjà été utilisé, en 1987 et en 2004. Il s’agit d’un vrai sujet, mais nous avions demandé en commission que l’amendement prévoie une limite à l’application du dispositif dans le temps. Sous réserve qu’il soit rectifié en ce sens, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat. Cela étant dit, peut-être existe-t-il d’autres moyens de régler ce problème, notamment par des recours gracieux ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne partage pas votre analyse, monsieur le sénateur Foucaud. Je pense que le système du quotient permet de régler le problème et je comprends assez mal pourquoi le directeur régional des finances publiques aurait dit qu’il n’en est pas ainsi.
Dans la mesure où il est possible d’imputer des rappels de salaires, par exemple, sur l’année où ils auraient dû être perçus, il doit en aller de même pour des pensions de retraite versées avec retard. Je ne vois donc pas très bien où est le problème.
J’ajoute qu’il me semble que le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit un délai maximal de six mois pour la liquidation des pensions à compter du dépôt du dossier, afin d’éviter des problèmes du type de ceux que vous évoquez, dont je ne nie pas la réalité.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le système du quotient règle le cas des redevables qui changent de tranche, mais non celui des retraités devenant imposables du fait de la régularisation de leur situation.
M. Thierry Foucaud. Tout à fait !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. D’après les documents qui ont été remis par nos collègues, cette question ne semble pas réglée, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je peine à comprendre où est la difficulté, même dans le cas de personnes normalement non imposables. Quoi qu’il en soit, je prends l’engagement de donner une instruction pour régler, par dégrèvement ou tout autre dispositif, les cas problématiques, qui doivent être rares. Pour ma part, je ne les identifie d’ailleurs pas.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Je prends acte de l’engagement pris par M. le secrétaire d’État. Cette question a été débattue en commission et Mme Demessine l’a déjà évoquée en séance publique, mais, en dépit de certaines assurances, des retards et des difficultés subsistent.
Je rectifie l’amendement dans le sens suggéré par la commission, afin de fixer une date butoir.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, afin qu’il puisse être procédé à la rectification de l’amendement.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt-cinq, est reprise à vingt-trois heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Je suis saisi d’un amendement n° 151 rectifié bis, présenté par Mme Demessine, M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 14
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…- Le e du 5 de l’article 158 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« e. Pour l’établissement de l’impôt des redevables pensionnés au titre de l'année 2015, la déclaration porte chaque année sur les arrérages correspondant à la période de douze mois qui suit la période à laquelle se rapportent les arrérages imposables au titre de l’année précédente. »
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État de l’application de la règle des douze mois de versement des pensions et retraites en tant que base d’imposition est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La nouvelle rédaction n’est pas encore satisfaisante, car elle comprend des termes contradictoires : « chaque année » et « au titre de l’année 2015 ».
Les mots « chaque année » et la référence précise à l’année 2015 sont antagoniques ! Aussi, il n’est pas possible de voter cet amendement ainsi rédigé ! Par conséquent, son auteur pourrait peut-être le retirer pour en présenter une nouvelle version lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il n’y a pas que cet antagonisme qui rend cet amendement inintelligible et inapplicable…
Je prends modestement l’engagement de donner des instructions afin que, pour l’établissement de l’impôt des redevables concernés, la déclaration porte sur les arrérages correspondant à la période de douze mois qui suit la période à laquelle se rapportent les arrérages imposables au titre non pas de l’année où ils ont été effectivement payés, mais de l’année précédente, et ce afin d’éviter toute imposition indue ou tout franchissement de tranche non justifié.
Tout en comprenant que vous souhaitiez sécuriser ce dispositif – et le Sénat est bien sûr souverain –, je pense qu’une disposition législative n’est pas nécessaire.
Il me semble d’ailleurs, mais nous allons le vérifier, qu’un tel dispositif existe déjà pour des rappels de salaire. Par exemple, dans la fonction publique, lorsqu’un fonctionnaire bénéficie d’un surcroît de traitement consécutif à une décision de commission paritaire, il a la possibilité, je crois, d’étaler sur dix-huit mois, voire un peu plus, ces rappels plutôt que de les déclarer l’année où ils ont été perçus. L’usage, semble-t-il, est même de permettre au contribuable d’opter pour le dispositif qui lui est le plus favorable.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Si vous acceptez de retirer cet amendement, dont la rédaction est manifestement bancale, je prends l’engagement devant vous, je le répète, de régler ce problème par une instruction ministérielle.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement n° I-151rectifié bis est-il finalement maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Nous souhaitons être fixés avant le projet de loi de finances rectificative, qui est pour nous une date butoir. Au cas où… Cependant, je vous fais confiance, monsieur le secrétaire d’État, et en conséquence je retire cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur Foucaud, je m’engage – et mes propos figureront au procès-verbal de la séance – à vous en rendre compte très rapidement pour que, le cas échéant, vous puissiez formuler une nouvelle proposition, mieux rédigée, si jamais vous estimiez que je n’ai pas tenu mes engagements.
M. le président. L'amendement n° I-151rectifié bis est retiré. (MM. André Gattolin et Thierry Carcenac applaudissent.)
L'amendement n° I-154, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 14
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le 1. de l’article 195 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le a. est ainsi rédigé :
« a. Vivent seuls et ont un ou plusieurs enfants majeurs ou faisant l’objet d’une imposition distincte ; »
2° Le b. est ainsi rédigé :
« b. Vivent seuls et ont eu un ou plusieurs enfants qui sont morts, à la condition que l’un d’eux au moins ait atteint l’âge de seize ans ou que l’un d’eux au moins soit décédé par suite de faits de guerre ; »
3° Le e. est ainsi rédigé :
« e. Vivent seuls et ont adopté un enfant, à la condition que, si l’adoption a eu lieu alors que l’enfant était âgé de plus de dix ans, cet enfant ait été à la charge de l’adoptant comme enfant recueilli dans les conditions prévues à l’article 196 depuis l’âge de dix ans ; ».
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Pour compenser les pertes de recettes découlant pour l’État de la situation fiscale des contribuables veufs, célibataires ou divorcés ayant eu des enfants, le taux de l’impôt sur les sociétés est relevé à due concurrence.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. À la fin de l’année 2003, pour financer une réforme de l’impôt sur le revenu particulièrement généreuse pour les hauts revenus, le gouvernement de MM. Raffarin et Sarkozy s’était engagé dans une démarche de remise en cause progressive de la demi-part accordée aux contribuables célibataires, divorcés ou veufs ayant des enfants majeurs imposés de façon distincte.
Cette mesure visait surtout à gager la réduction des taux d’imposition des tranches du barème, avant même la grande mutation que constitua, en son temps, l’intégration de la déduction des 20 % dans le barème de l’impôt et le passage net et clair sous les 50 % pour le taux d’imposition le plus élevé.
Pour ne pas prendre le risque de perdre trop de recettes fiscales auprès des ménages les plus aisés, on avait procédé à une sorte de répartition de la charge fiscale vers les couches modestes et moyennes de contribuables.
Les très nombreux célibataires, divorcés et veufs constituaient de ce point de vue une quantité non négligeable d’imposés qui ont donc subi des conséquences relativement lourdes.
Le nombre des foyers comptant de 1,25 à 1,75 part de quotient familial imposable est ainsi passé de 2,473 millions à environ 2,902 millions aujourd’hui.
C’est cette aggravation de la situation pour toutes ces personnes que nous voulons voir évoluer. Notre amendement vise donc à rétablir une demi-part équivalente pour tous, de façon à retrouver un peu plus de justice sociale dans ce domaine.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’histoire de la demi-part est connue, archiconnue. S’il peut se justifier que les contribuables ayant élevé un enfant au moins cinq ans bénéficient d’une demi-part, il est moins évident d’accorder un tel avantage fiscal à vie à des contribuables ayant élevé un enfant moins de cinq ans.
C’est d’ailleurs ce qui avait justifié la réforme.
Y revenir aujourd’hui entraînerait une charge d’un milliard d’euros, insupportable pour nos finances publiques. Cet argument justifie à lui seul l’avis défavorable que la commission émet sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, la suppression de la demi-part a eu plusieurs conséquences.
Elle a d’abord eu une incidence sur l’impôt sur le revenu, mais ces questions ont été réglées par les deux mesures de réduction d’impôt, à la fois celle qui a été prise en 2015, et celle qui viendra en confirmation en 2016.
Par conséquent, en matière d’impôt sur le revenu, il n’y a plus de sujet s’agissant des personnes que vous visez.
La suppression de la demi-part a ensuite eu une incidence sur la CSG, incidence que nous avons également réglée en nous calant sur le revenu fiscal de référence et non plus sur l’impôt payé.
Enfin, la troisième incidence, dont nous serons amenés à reparler, a trait aux conséquences sur le revenu fiscal de référence retenu pour le paiement des taxes foncières et des taxes d’habitation. Ce sujet a déjà été largement évoqué, et j’ai notamment eu l’occasion de donner des explications, ici au Sénat, lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement.
Sur l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à figer les exonérations pendant deux ans, afin d’envisager ensuite un barème spécifique qui permettra de préserver dans la durée l’avantage pour celles et ceux qui en ont bénéficié.
Tout cela a été largement commenté, nous y reviendrons très bientôt dans la discussion.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, car, je le répète, la question de l’impôt sur le revenu a été traitée.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-421, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’ai déjà peu ou prou présenté cet amendement, qui vise à supprimer cet alinéa inséré par l’Assemblée nationale, à la suite de l’adoption de l’amendement dit « Pirès Beaune ».
Cet amendement traitait le sujet d’une autre façon, puisqu’il tendait à relever de 2 % les seuils de revenu fiscal de référence à partir desquels les contribuables étaient exonérés de taxe foncière et de taxe d’habitation.
Le Gouvernement estimant ce relèvement de 2 % insuffisant, il a fait adopter par l’Assemblée nationale un amendement visant à introduire un nouveau dispositif, que vous serez amenés à confirmer ou à infirmer, mesdames, messieurs les sénateurs.
L’alinéa inséré par l’amendement dit « Pirès Beaune » devenant sans objet, nous proposons de le supprimer.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas clair comme de l’eau de roche !
M. le président. L'amendement n° I-157, présenté par Mme Beaufils, MM. Foucaud, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16, première phrase
Remplacer le pourcentage :
2 %
par le pourcentage :
5 %
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par quatre paragraphes ainsi rédigés :
... – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
... – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
... – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
... – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Nous n’aurons pas la mauvaise grâce de rappeler ici que les évolutions subies par les contribuables en matière de quotient familial n’ont pas été sans effet.
Il y a maintenant quelques semaines, des contribuables plutôt modestes, pour certains devenus imposables du fait de la remise en question de la demi-part des personnes isolées, ont été confrontés, vous le savez, à la réplique du processus ainsi enclenché, c'est-à-dire qu’ils ont vu arriver dans leur boîte aux lettres un avis d’imposition rendant exigible le paiement d’une taxe d’habitation et, bien sûr, de la contribution à l’audiovisuel public, après avoir constaté dans certains cas une baisse de leur pension pour cause d’imputation d’une part de contribution sociale généralisée.
Le discours hésitant du Gouvernement à ce sujet ne doit pas nous détourner des priorités. Faute en effet d’avoir mené la nécessaire révision des valeurs locatives dont nous avons besoin, cela en matière de fiscalité locale, nous vivons depuis quelques années sur le régime de l’adaptation de la contribution des redevables de la taxe d’habitation à leur supposée faculté contributive telle que mesurée par le revenu fiscal de référence.
Cela dit, pour beaucoup de familles, la taxe d’habitation est l’impôt citoyen de l’année ! On peut en effet être parfaitement non imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu, mais travailler suffisamment pour se faire ponctionner, vous le savez, huit points de CSG-CRDS tous les mois.
Je rappelle notamment à nos amis du groupe UDI-UC que la contribution CSG-CRDS d’un contribuable touchant le SMIC s’élève tout de même à près de 1 400 euros annuels, ce qui n’est pas négligeable, et que ce même contribuable peut également être assujetti à la taxe d’habitation.
Notre amendement vise à renforcer nettement la valeur des seuils d’exonération et de plafonnement des impositions locales, d’autant que leurs relèvements successifs n’ont pas empêché la cotisation moyenne de continuer à croître et à embellir.
Il s’agit donc de rendre du pouvoir d’achat aux familles les plus modestes, en allégeant de quelques euros ou dizaines d’euros leur imposition locale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission n’a pas examiné l’amendement n°I-421 qui vient d’être déposé par le Gouvernement et qui porte sur un sujet extrêmement complexe.
La commission avait cru comprendre que l’amendement dit « Pirès Beaune » adopté par l’Assemblée nationale, d’un coût de 100 millions d’euros, réglait la situation d’un ensemble plus large de contribuables modestes.
Monsieur le secrétaire d’État, la disposition que vous proposez concerne un nombre plus restreint de contribuables, mais vous n’avez pas précisé son coût. Pourriez-vous nous indiquer quelle différence de coût entraînerait l’adoption de la disposition que vous proposez par rapport à celle que l’Assemblée nationale a adoptée ? Ce sujet complexe entraîne manifestement des tâtonnements, et la commission souhaite que le Sénat dispose de tous les éléments.
En ce qui concerne l’amendement n° I-157, le relèvement du seuil de 2 % à 5 % aurait un coût très élevé. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n°I-157 ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Sur cet amendement, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mais je souhaite également répondre aux interpellations du rapporteur général, que je comprends.
J’avais annoncé que, à la suite du « plus un moins un » entre le gazole et l’essence, nous « disposions » de 200 millions d’euros. Nous souhaitions donc en profiter pour amplifier les effets de l’amendement de Christine Pirès Beaune, mais nous avions pour cela besoin d’un peu de temps.
Pour que les contribuables ne bénéficiant plus de l’exonération de taxe d’habitation à cause notamment de la suppression de la demi-part en bénéficient de nouveau, il aurait fallu relever le seuil du revenu fiscal de référence de manière sensible. Cela aurait eu pour conséquence d’élargir le nombre de contribuables concernés par cette exonération, sans garantir pour autant que les contribuables ayant perdu leur exonération la retrouvent nécessairement. Pardon d’être un peu confus, mais c’est un sujet complexe !
Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur général, le dispositif que nous vous demandons de supprimer coûterait 100 millions d’euros, tandis que celui que le Gouvernement a fait adopter par l’Assemblée nationale coûterait 400 millions d’euros.
M. le président. Quel est, en définitive, l’avis de la commission sur l’amendement n° I-421 ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. J’ai bien entendu les propos de M. le secrétaire d’État, mais tout cela reste encore un peu confus, si je puis me permettre.
M. Philippe Dallier. C’est normal à cette heure-ci ! (Sourires.)
Mme Marie-France Beaufils. Certes, ces sujets sont assez souvent abordés, mais je reste interrogative.
Vous affirmez que l’article 33 octies maintiendra le bénéfice de l’exonération de la taxe d’habitation et de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Mais nous n’avons pas d’éléments quant au nombre de foyers concernés.
De plus, la commission des finances n’a pas débattu de cet amendement. J’aimerais disposer d’éléments un peu plus précis pour pouvoir me prononcer.
Le Gouvernement nous demande d’adopter un amendement visant à supprimer une disposition prévue dans le projet de loi de finances, pour nous en proposer une autre à l’article 33 octies, qui sera examiné ultérieurement. Mais, pour le moment, je le dis très clairement, je n’ai pas la réponse à mes interrogations.
M. Daniel Raoul. M. le secrétaire d’État a la réponse ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Comme l’a relevé M. le rapporteur général, cet article figure dans la seconde partie du projet de loi de finances. Je veux bien vous apporter toutes les précisions possibles, mais vous pouvez vous reporter à l’article précité, de même qu’à l’exposé des motifs. Vous pouvez peut-être aussi consulter les débats qui se sont déroulés à l'Assemblée nationale…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le débat était confus !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Non, il était clair ! Il n’est pas possible de demander à cette heure l’examen de l’article 33 octies, qui fait partie de la seconde partie.
M. le président. En conséquence, l'amendement n° I-157 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 68 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté.
Articles additionnels après l'article 2
M. le président. L'amendement n° I-394, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 5 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sont redevables d’une contribution de solidarité sur le revenu, les fonctionnaires internationaux qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu. Cette contribution est fixée à 10 % du revenu des personnes assujetties. »
II. – Le Gouvernement remet avant le 1er juin 2016 un rapport au Parlement établissant la liste complète et l’affectation exacte des fonctionnaires internationaux de nationalité française.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement témoigne d’une victoire de l’optimisme sur l’expérience dans la mesure où je le dépose quasiment chaque année ! Mais je grignote chaque fois de la part du Gouvernement des engagements, qui ne sont pas honorés…
Cet amendement vise à fiscaliser les fonctionnaires internationaux, dont le statut à l’égard des différents organismes est extrêmement variable.
M. Michel Bouvard. C’est de l’acharnement !
Mme Nathalie Goulet. Le régime d’exonération de ces fonctionnaires avait deux objets : compenser l’éloignement de leur pays d’origine et les mettre à l’abri de toute forme de déstabilisation par l’impôt dans le pays d’accueil.
Certes, il existe un impôt interne aux organisations internationales, mais son taux est bien inférieur au taux d’imposition réel, et il ne s’applique pas dans toutes les organisations internationales. Et je ne parle pas de la fiscalité sur le patrimoine ni de la fiscalité locale !
Ce régime est maintenant sédimenté par un réseau complexe de conventions internationales. Cela justifie-t-il que l’on maintienne aujourd'hui cette situation ? Je ne le crois pas.
L’année dernière, vous vous étiez engagé, monsieur le secrétaire d'État, à nous fournir, dans le cadre d’un rapport, des éléments d’information sur ces différents statuts. Nous aurions pu savoir aujourd'hui si ce statut extrêmement dérogatoire au droit commun était encore d’actualité ou s’il fallait penser à le modifier.
Tel est l’objet de cet amendement. Je ne doute pas de son succès d’estime, mais, comme je ne suis pas une femme de renoncement, je persiste à le présenter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission salue la constance de notre collègue Nathalie Goulet, qui défend cet amendement chaque année.
Certes, c’est un vrai sujet que le taux d’imposition interne aux organismes internationaux soit inférieur au taux d’imposition français. Mais, comme nous l’avons dit l’année dernière, la convention de Vienne, dans ses articles 34 et 38, interdit les impositions nationales. Cela nécessiterait donc, je l’imagine, une renégociation des traités. Dans la mesure où il s’était engagé à régler le problème, le Gouvernement dispose peut-être d’éléments d’information à ce sujet.
En l’état actuel, je ne vois pas comment on pourrait imposer la législation française tout en respectant la convention de Vienne, qui concerne les fonctionnaires de l’ONU, du BIT, le Bureau international du travail, de l’OCDE et d’autres organismes.
Soucieuse du respect de nos traités, la commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous soulevez un problème connu. Mais cette question ne peut être traitée dans le cadre d’une discussion budgétaire. Vous le savez, les impositions des personnes visées sont encadrées par des conventions internationales, dont la valeur juridique est supérieure au droit interne.
Vous l’avez d’ailleurs rappelé à juste titre, ces personnes ne sont pas forcément non imposées ; elles sont imposées souvent, il est vrai, à des taux qui peuvent paraître plus faibles que ceux qui sont en vigueur dans notre pays.
Ces dispositions avaient été prises à l’époque pour assurer l’indépendance de ces organismes. Mme la présidente de la commission des finances m’a interrogé à ce sujet.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous sommes en train de finaliser la réponse.
Qui plus est, vous demandez une liste des personnes concernées, mais celle-ci ne peut vous être communiquée, sauf à rompre le secret fiscal.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le secret fiscal n’est pas opposable à la commission des finances !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Non, bien sûr. Mais Mme Goulet demande une liste nominative des personnes concernées. Il est difficile de vous répondre, qui plus est si le nombre de personnes est très faible.
Pour ces raisons, le Gouvernement vous demande, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, il y sera défavorable.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Je souhaite apporter une précision.
Nous avons déjà eu ce débat en commission. Le sujet étant récurrent, certains de ses membres voulaient en savoir un peu plus. C’est pourquoi je vous ai effectivement adressé un courrier à ce sujet, monsieur le secrétaire d'État. Nous attendons votre réponse, qui ne saurait tarder, je pense, comme vous vous y êtes engagé. En tout cas, je compte bien la recevoir dans les jours qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Je voterai sans état d’âme contre cet amendement. Je dois d’ailleurs dire que j’ai un peu de mal à comprendre l’acharnement de notre collègue sur cette question.
En réalité, c’est l’intérêt national qui doit nous importer. Or, au moment où l’on parle de diplomatie d’influence, l’intérêt national est aussi d’avoir des hauts fonctionnaires français dans des organisations internationales, non pas seulement pour y maintenir notre langue, mais pour disposer de réseaux. Il suffit de voir combien la présence de la France s’est affaiblie depuis des décennies au sein des administrations centrales à Bruxelles.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est clair !
M. Michel Bouvard. C’est donc un enjeu et une préoccupation que nous devrions tous porter. Nous avons besoin de maintenir notre influence au sein des organisations internationales.
Or ce n’est pas en présentant les fonctionnaires internationaux comme des cibles, des citoyens qui n’accompliraient pas leur devoir fiscal, et en les traquant comme on s’apprête à le faire, en demandant des listes nominatives, qu’on y parviendra ! Cet amendement va vraiment à l’encontre de l’intérêt national.
Je considère qu’il est du devoir du Parlement de le rejeter, compte tenu des enjeux qui s’attachent à la présence de nos compatriotes au sein des organisations internationales !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Que Mme Goulet ne soit pas femme à renoncer, je le sais d’autant mieux que nous défendons chaque année le même amendement au sujet des ambassadeurs thématiques – sans beaucoup plus de succès, il faut bien l’admettre, que Mme Goulet n’en obtient en ce qui concerne les fonctionnaires internationaux.
Ma chère collègue, je comprends bien le problème que vous soulevez ; mais la seule manière de le résoudre de façon satisfaisante consiste à adopter la méthode américaine : les fonctionnaires américains employés dans les organisations internationales doivent déclarer leurs revenus aux États-Unis de manière globalisée, en vertu du lien territorial, et reçoivent une compensation de leur organisation. Seulement, le choix d’un tel mécanisme nous ferait changer complètement de système fiscal, ce que l’on ne peut pas faire du jour au lendemain.
Les sénateurs du groupe socialiste et républicain voteront donc contre l’amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Loin de moi l’intention de jeter l’anathème sur les fonctionnaires internationaux. Simplement, ces questions se posent régulièrement et il me semble que l’examen du projet de loi de finances est aussi l’occasion, pour peu que l’on soit encore un peu réveillé à cette heure avancée, d’obtenir quelques explications au sujet de notre système fiscal, qui, reconnaissez-le, n’est pas toujours très clair.
Mes chers collègues, je ne sais pas ce qui se passe dans vos départements. Mais quand, dans le mien, la presse locale explique sur des pages entières que le directeur général du Fonds monétaire international, qui sème la rigueur, ne paie pas d’impôts,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est faux !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit dans les journaux !
Mme Nathalie Goulet. … on me demande de solliciter des explications sur cette situation fiscale.
C’est pourquoi je profite du débat budgétaire pour soulever la question.
Je n’ai évidemment pas l’intention de me brouiller avec la diplomatie ; ce serait un comble pour quelqu’un qui défend la diplomatie parlementaire depuis tant d’années et qui assume des responsabilités au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Je considère qu’il est de mon devoir de parlementaire de soulever cette question. Le minimum est qu’on nous réponde, en sorte que nous puissions expliquer, dans une période économique particulièrement difficile, et alors que tout le monde cache, recherche et fait assaut de transparence, au point qu’il n’y a plus rien à manger pour les poissons, qu’il n’y a pas de privilégiés.
Monsieur le secrétaire d’État, vous deviez nous répondre l’année dernière. Cette année, Mme la présidente de la commission des finances vous a demandé par courrier des explications que, j’espère, nous recevrons bientôt. Quand nous les aurons reçues, je n’aurai plus de raison de présenter de nouveau cet amendement. Pour l’heure, je le retire, non sans répéter que l’examen du projet de loi de finances est aussi le moyen pour les parlementaires de base, dont je fais partie, d’être éclairés.
M. le président. L’amendement n° I-394 est retiré.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit trente, afin de pousser plus avant l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2016.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
L’amendement n° I-386, présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Canevet, Marseille, Delcros, Laurey et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le 2° ter de l’article 81 du code général des impôts est ainsi rétabli :
« 2° ter Les majorations de retraite ou de pension pour charges de famille ; ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. La presse s’est beaucoup étendue, ces derniers temps, sur les conséquences de la suppression de la demi-part des veuves et des hausses d’impôts locaux, notamment pour les retraités. En ce qui concerne la demi-part des veuves, le coupable était tout trouvé, la suppression ayant été décidée en 2008. Seulement voilà : la situation fiscale des personnes âgées seules ou isolées ne résulte pas seulement de l’action du précédent gouvernement.
En effet, c’est le gouvernement actuel qui, dans la loi de finances pour 2014, a supprimé l’exonération d’impôt sur le revenu pour les majorations de retraite ou de pension pour charges de famille à compter de l’imposition des revenus de l’année 2013. Il s’agissait, de surcroît, d’une pure mesure de rendement budgétaire, alors que la suppression de la demi-part des veuves faisait suite à plusieurs alertes du Conseil constitutionnel sur la rupture du principe d’égalité devant les charges publiques que ce dispositif entraînait. Sans compter que l’impôt sur le revenu a diminué en 2008, en sorte que la suppression de la demi-part devait être neutralisée.
Le présent amendement a pour objet de rendre notre fiscalité plus équitable et plus sociale en rétablissant l’exonération d’impôt sur le revenu pour les majorations de retraite ou de pension pour charges de famille, dont la suppression a alourdi l’impôt de 3,8 millions foyers fiscaux et rendu imposables nombre de ceux qui ne l’étaient pas jusqu’alors. Depuis cette suppression, qui a majoré l’impôt sur le revenu de 300 euros par foyer fiscal en moyenne, le Gouvernement a bien annoncé plusieurs mesures, mais aucune n’a été de nature à répondre au problème initial.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je reconnais bien volontiers, mon cher collègue, que la suppression en 2013 de l’exonération de la majoration de pension perçue par les retraités ayant élevé au moins trois enfants a été un peu brutale ; d’ailleurs, aucune étude d’impact n’a été réalisée à l’époque. Résultat : près de 4 millions de foyers fiscaux ont été pris de court.
Néanmoins, la commission des finances ne s’est pas déclarée favorable au rétablissement de cette exonération, pour une raison de coût. En effet, cette mesure représente une perte de recettes de 1,4 milliard d’euros, et nous sommes tout à fait sensibles au solde budgétaire qui résultera de nos travaux, que M. le secrétaire d’État, j’en suis sûr, ne manquera pas lui aussi de considérer de près… Au bout du compte, je le répète, le Sénat améliorera le solde !
Dans ces conditions, et eu égard à l’état de nos finances publiques, je vous demande, monsieur Delahaye, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Vincent Delahaye. Je maintiens l’amendement !
M. le président. L’amendement n° I-237, présenté par MM. Requier, Mézard, Collin, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Esnol, Fortassin, Guérini et Vall, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 81 quater du code général des impôts est ainsi rétabli :
« Art. 81 quater. – I. – Sont exonérés de l’impôt sur le revenu :
« 1° Les salaires versés aux salariés au titre des heures supplémentaires de travail définies à l’article L. 3121-11 du code du travail et, pour les salariés relevant de conventions de forfait annuel en heures prévues à l’article L. 3121-42 du même code, des heures effectuées au-delà de 1 607 heures, ainsi que des heures effectuées en application de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 3123-7 du même code. Sont exonérés les salaires versés au titre des heures supplémentaires mentionnées à l’article L. 3122-4 dudit code, à l’exception des heures effectuées entre 1 607 heures et la durée annuelle fixée par l’accord lorsqu’elle lui est inférieure.
« L’exonération mentionnée au premier alinéa du présent 1° est également applicable à la majoration de salaire versée, dans le cadre des conventions de forfait annuel en jours, en contrepartie de la renonciation par les salariés, au-delà du plafond de deux cent dix-huit jours mentionné à l’article L. 3121-44 du même code, à des jours de repos dans les conditions prévues à l’article L. 3121-45 du même code ;
« 2° Les salaires versés aux salariés à temps partiel au titre des heures complémentaires de travail définies au 4° de l’article L. 3123-14, aux articles L. 3123-17 et L. 3123-18 du code du travail ;
« 3° Les salaires versés aux salariés par les particuliers employeurs au titre des heures supplémentaires qu’ils réalisent ;
« 4° Les salaires versés aux assistants maternels régis par les articles L. 421-1 et suivants et L. 423-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles au titre des heures supplémentaires qu’ils accomplissent au-delà d’une durée hebdomadaire de quarante-cinq heures, ainsi que les salaires qui leur sont versés au titre des heures complémentaires accomplies au sens de la convention collective nationale qui leur est applicable ;
« 5° Les éléments de rémunération versés aux agents publics titulaires ou non titulaires au titre, selon des modalités prévues par décret, des heures supplémentaires qu’ils réalisent ou du temps de travail additionnel effectif ;
« 6° Les salaires versés aux autres salariés dont la durée du travail ne relève pas des dispositions du titre II du livre Ier de la troisième partie du code du travail ou du chapitre III du titre Ier du livre VII du code rural et de la pêche maritime au titre, selon des modalités prévues par décret, des heures supplémentaires ou complémentaires de travail qu’ils effectuent ou, dans le cadre de conventions de forfait en jours, les salaires versés en contrepartie des jours de repos auxquels les salariés ont renoncé au-delà du plafond de deux cent dix-huit jours.
« II. – L’exonération prévue au I s’applique :
« 1° Aux rémunérations mentionnées aux 1° à 4° et au 6° du I et, en ce qui concerne la majoration salariale correspondante, dans la limite :
« a) Des taux prévus par la convention collective ou l’accord professionnel ou interprofessionnel applicable ;
« b) À défaut d’une telle convention ou d’un tel accord :
« – pour les heures supplémentaires, des taux de 25 % ou 50 %, selon le cas, prévus au premier alinéa de l’article L. 3121-22 du code du travail ;
« – pour les heures complémentaires, du taux de 25 % ;
« – pour les heures effectuées au-delà de 1 607 heures dans le cadre de la convention de forfait prévue à l’article L. 3121-46 du même code, du taux de 25 % de la rémunération horaire déterminée à partir du rapport entre la rémunération annuelle forfaitaire et le nombre d’heures de travail prévu dans le forfait, les heures au-delà de la durée légale étant pondérées en fonction des taux de majoration applicables à leur rémunération ;
« 2° À la majoration de salaire versée dans le cadre des conventions de forfait mentionnées au second alinéa du 1° et au 6° du I, dans la limite de la rémunération journalière déterminée à partir du rapport entre la rémunération annuelle forfaitaire et le nombre de jours de travail prévu dans le forfait, majorée de 25 % ;
« 3° Aux éléments de rémunération mentionnés au 5° du I dans la limite des dispositions applicables aux agents concernés.
« III. – Les I et II sont applicables sous réserve du respect par l’employeur des dispositions légales et conventionnelles relatives à la durée du travail.
« Les I et II ne sont pas applicables lorsque les salaires ou éléments de rémunération qui y sont mentionnés se substituent à d’autres éléments de rémunération au sens de l’article 79, à moins qu’un délai de douze mois ne se soit écoulé entre le dernier versement de l’élément de rémunération en tout ou partie supprimé et le premier versement des salaires ou éléments de rémunération précités.
« De même, ils ne sont pas applicables :
« – à la rémunération des heures complémentaires lorsque ces heures sont accomplies de manière régulière au sens de l’article L. 3123-15 du code du travail, sauf si elles sont intégrées à l’horaire contractuel de travail pendant une durée minimale fixée par décret ;
« – à la rémunération d’heures qui n’auraient pas été des heures supplémentaires sans abaissement, après le 1er octobre 2012, de la limite haute hebdomadaire mentionnée à l’article L. 3122-4 du même code. »
II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 241-17 est ainsi rétabli :
« Art. L. 241-17. – I. – Toute heure supplémentaire ou complémentaire effectuée, lorsqu’elle entre dans le champ d’application du I de l’article 81 quater du code général des impôts, ouvre droit, dans les conditions et limites fixées par les dispositions du même article, à une réduction de cotisations salariales de sécurité sociale proportionnelle à sa rémunération, dans la limite des cotisations et contributions d’origine légale ou conventionnelle rendues obligatoires par la loi dont le salarié est redevable au titre de cette heure. Un décret détermine le taux de cette réduction.
« Ces dispositions sont applicables aux heures supplémentaires ou complémentaires effectuées par les salariés relevant des régimes spéciaux mentionnés à l’article L. 711-1 du présent code dans des conditions fixées par décret, compte tenu du niveau des cotisations dont sont redevables les personnes relevant de ces régimes et dans la limite mentionnée au premier alinéa.
« II. – La réduction de cotisations salariales de sécurité sociale prévue au I est imputée sur le montant des cotisations salariales de sécurité sociale dues pour chaque salarié concerné au titre de l’ensemble de sa rémunération.
« III. – Le cumul de cette réduction avec l’application de taux réduits en matière de cotisations salariales, d’assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations ou avec l’application d’une autre exonération, totale ou partielle, de cotisations salariales de sécurité sociale ne peut être autorisé que dans des conditions fixées par décret. Ce décret tient compte du niveau des avantages sociaux octroyés aux salariés concernés.
« IV. – Le bénéfice de la réduction est subordonné à la mise à disposition du service des impôts compétent et des agents chargés du contrôle mentionnés à l’article L. 243-7 du présent code et à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, par l’employeur, d’un document en vue du contrôle des dispositions du présent article dans des conditions fixées par décret. Pour les salaires pour lesquels il est fait usage des dispositifs mentionnés aux articles L. 133-8, L. 133-8-3 et L. 531-8 du présent code, les obligations déclaratives complémentaires sont prévues par décret. » ;
2° L’article L. 241-18 est ainsi rédigé :
« Art. L. 241-18. – I. – Toute heure supplémentaire effectuée par les salariés mentionnés au II de l’article L. 241-13, lorsqu’elle entre dans le champ d’application du I de l’article 81 quater du code général des impôts, ouvre droit à une déduction forfaitaire des cotisations patronales à hauteur d’un montant fixé par décret. Ce montant peut être majoré dans les entreprises employant au plus vingt salariés.
« II. – Une déduction forfaitaire égale à sept fois le montant défini au I est également applicable pour chaque jour de repos auquel renonce un salarié dans les conditions prévues par le second alinéa du 1° du I de l’article 81 quater du même code.
« III. – Le montant mentionné aux I et II est cumulable avec les autres dispositifs d’exonération de cotisations patronales de sécurité sociale dans la limite des cotisations patronales de sécurité sociale, ainsi que des contributions patronales recouvrées suivant les mêmes règles, restant dues par l’employeur, et, pour le reliquat éventuel, dans la limite des cotisations salariales de sécurité sociale précomptées, au titre de l’ensemble de la rémunération du salarié concerné.
« Il est déduit des sommes devant être versées par les employeurs aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 du présent code et L. 725-3 du code rural et de la pêche maritime.
« Le bénéfice des déductions mentionnées aux I et II est subordonné au respect des conditions prévues au III de l’article 81 quater du code général des impôts.
« Le bénéfice de la majoration mentionnée au I est subordonné au respect des dispositions du règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 concernant l’application des articles 87 et 88 du traité aux aides de minimis.
« IV. – Les employeurs bénéficiant de la déduction forfaitaire se conforment aux obligations déclaratives prévues par le IV de l’article L. 241-17 du présent code. »
III. – Les I et II ci-dessus sont applicables aux rémunérations perçues à raison des heures de travail effectuées à compter du 1er janvier 2013.
IV. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale des I et II ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
V. – La perte de recettes résultant pour l’État des I et II ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Comme l’année dernière, nous proposons de rétablir la défiscalisation des heures de travail supplémentaires.
D’après un sondage réalisé en mars dernier par l’institut CSA, 71 % des Français sont favorables à ce rétablissement. Ce résultat témoigne de la popularité d’une mesure, prise lors du quinquennat précédent, qui répondait à une aspiration profonde de la majorité de la population. En effet, la priorité pour nombre de nos concitoyens est de trouver chaque mois des sources de revenus suffisantes, et la plupart d’entre eux accordent au travail une importance essentielle.
La défiscalisation des heures de travail supplémentaires comprenait des exonérations d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales salariales et patronales. Supprimée par l’article 3 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative, elle constituait une mesure essentielle pour le pouvoir d’achat et pour la réhabilitation d’une conception positive et valorisante de l’effort. Son rétablissement serait de nature à accompagner la croissance, au moment où nous connaissons une reprise économique qu’il faut encourager par tous les moyens possibles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances a évidemment considéré cet amendement avec une certaine bienveillance, étant donné que la suppression de l’exonération des heures supplémentaires a touché 8,9 millions de salariés et a contribué, à l’évidence, à accroître la pression fiscale, et pas seulement sur les classes supérieures ou sur les fonctionnaires dont M. le secrétaire d’État a parlé tout à l’heure ; cette mesure a touché tout le monde, et elle a sans doute été une erreur.
On constate que, depuis cette suppression, le volume des heures supplémentaires a diminué. Est-ce la conséquence de la fin de l’exonération ou de la conjoncture économique ? En tout cas, il est aujourd’hui difficile d’évaluer le coût réel qu’entraînerait l’adoption de cet amendement. Sans doute serait-il élevé, d’autant qu’il faudrait ajouter au coût fiscal, de 1 milliard d’euros environ, le coût lié aux pertes de cotisations sociales. Le coût total pourrait être de l’ordre de 2,5 milliards d’euros. Pour cette raison, et à notre grand regret, nous ne pouvons émettre un avis favorable sur cet amendement.
Par ailleurs, je pense que d’autres débats doivent se tenir sur le temps de travail en France, dont certains ont d’ailleurs été soulevés par M. Macron. Les heures supplémentaires sont-elles le meilleur moyen d’augmenter le temps de travail, ou faut-il revoir l’organisation légale du temps de travail ? Je ne voudrais pas que les considérations fiscales conduisent à éluder ces débats nécessaires.
Dans ces conditions, monsieur Requier, je vous demande de retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’ai toujours du mal à comprendre ce débat.
Tout à l’heure, monsieur Requier, vous avez jugé anormal que des Français ne paient pas l’impôt sur le revenu. Voilà maintenant que vous proposez d’exonérer certains revenus de l’impôt ! Je vous le demande : au nom de quoi le fruit des heures supplémentaires de travail ne devrait-il pas être assujetti à l’impôt sur le revenu ?
Les heures supplémentaires créent-elles des emplois ? Non, ou si peu. À vrai dire, je suis à peu près sûr qu’elles en ont détruit, vu que nombre d’entreprises, compte tenu des exonérations de cotisations sociales, ont probablement préféré recourir à des heures supplémentaires plutôt que d’embaucher. Je ne comprends donc pas le raisonnement des auteurs de l’amendement.
De surcroît, l’exonération des heures supplémentaires, dont M. le rapporteur général a soutenu qu’elle n’avait pas profité aux cadres, a néanmoins entraîné certains effets d’aubaine. Ainsi, deux députés, l’un de gauche et l’autre de droite, ont conclu dans un rapport que les effets d’aubaine étaient parfois assez importants, notamment pour certains fonctionnaires – on cite souvent les enseignants. Or tel n’était pas, il me semble, le but recherché.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement, d’autant que son adoption coûterait, non pas 1 milliard d’euros, monsieur le rapporteur général, mais plutôt 1,7 milliard d’euros, sans compter le coût social.
M. le président. Monsieur Requier, l’amendement n° I-237 est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° I-237 est retiré.
L’amendement n° I-387, présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Delcros, Canevet, Marseille, Laurey et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 83 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le 1° quater est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « obligatoires et collectifs, au sens du sixième alinéa de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale » sont remplacés par les mots : « auxquels le salarié est affilié à titre obligatoire » ;
b) Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés ;
c) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Les cotisations ou les primes mentionnées à au premier alinéa du présent 1° quater, y compris les versements de l’employeur, sont déductibles dans la limite d’un montant égal à la somme de 7 % du montant annuel du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale et de 3 % de la rémunération annuelle brute, sans que le total ainsi obtenu puisse excéder 3 % de huit fois le montant annuel du plafond précité. En cas d’excédent, celui-ci est ajouté à la rémunération ; »
2° À la première phrase du 2°-0 ter, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « second ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Cet amendement, inspiré par le même esprit que le précédent, vise à renforcer la vocation sociale de l’impôt. De fait, certaines mesures de rendement votées il y a peu de temps sont d’ores et déjà lourdes de conséquences pour nos concitoyens.
Ainsi, à l’occasion de la loi de finances initiale pour 2014, le Gouvernement et sa majorité ont supprimé l’exonération fiscale de la participation de l’employeur aux contrats collectifs de complémentaire santé. Cette mesure, dont le rendement pour l’État était évalué à 960 millions d’euros, a été appliquée, de manière rétroactive, à l’ensemble de l’année 2013 ; je suis d’ailleurs étonné que le Conseil constitutionnel n’ait pas censuré le dispositif pour cette raison.
Cette décision a largement contribué à faire basculer un grand nombre de nos concitoyens dans l’impôt sur le revenu en 2014. Moyennant quoi, le Gouvernement a supprimé la tranche d’imposition à 5,5 %. J’imagine qu’il doit il y avoir une logique subtile qui commande les détours de cette politique fiscale somme toute assez imaginative…
Plus généralement, je rappelle que les contrats collectifs de complémentaire santé concernent 76 % des salariés en France, soit 13,2 millions de personnes, et presque autant de contribuables.
Certes, le rétablissement de cette exonération aurait un coût certain ; mais ses bénéfices sociaux seraient tout aussi importants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette fois encore, on ne peut que souscrire aux arguments des auteurs de l’amendement : la suppression de l’exonération de la participation de l’employeur aux contrats collectifs de complémentaire santé fait partie des mesures qui ont accru la pression fiscale sur les salariés, d’autant plus qu’elle s’est appliquée rétroactivement. Seulement, son rétablissement coûterait près de 1 milliard d’euros. Pour cette unique raison, monsieur Delahaye, je sollicite le retrait de votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Delahaye, l'amendement n° I-387 est-il maintenu ?
M. Vincent Delahaye. Oui, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° I-142 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme Lepage et M. Yung, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L'article 164 A du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 164 A. - Les revenus de source française des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal en France sont déterminés selon les règles applicables aux revenus de même nature perçus par les personnes qui ont leur domicile fiscal en France.
« À l'exception des personnes disposant exclusivement de revenus de source française, les personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal en France ne peuvent déduire aucune charge de leur revenu global en application des dispositions du présent code. »
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cette proposition, que nous avons déjà défendue au cours de l’examen de la loi de finances rectificative pour 2014 et de la loi de finances pour 2015, se rapporte aux déductions de charges minorant l’assiette de l’impôt sur le revenu.
Globalement, les Français établis hors de France ne peuvent pas déduire les charges qu’un autre Français peut déduire, qu’il s’agisse d’intérêts ou de pensions alimentaires.
Par cet amendement, nous proposons d’étendre la déductibilité des charges aux personnes qui perçoivent l’intégralité de leurs revenus en France. Naturellement, les personnes qui, elles, ne perçoivent pas la totalité de leurs revenus en France et qui perçoivent donc des revenus en provenance d’autres pays ne seraient pas concernées par cette mesure.
Nous aimerions connaître la réaction du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette proposition a déjà été formulée, en effet, lors de l’examen de la loi de finances pour 2015 et de la loi de finances rectificative pour 2014. Je me souviens très bien de la réponse du Gouvernement à l’époque – c’est vous-même, monsieur le secrétaire d’État, qui l’aviez fournie –, qui a consisté à dire qu’un groupe de travail allait se réunir.
D’après ce que l’on sait – nous éprouvons quelques difficultés à obtenir toutes les informations attendues –, le groupe de travail en question ne se serait pas réuni depuis la fin de l’année 2014. Je ne connais pas les conclusions auxquelles il est parvenu et ne sais même pas si le problème est réglé.
Aussi, la commission souhaiterait entendre l’avis du Gouvernement. Où en est-on exactement ? Nous n’avons pas reçu de réponse à ce stade.
M. Richard Yung. Voilà !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. M. le secrétaire d’État va sans doute pouvoir nous éclairer.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous le savez, monsieur le sénateur, le Gouvernement considère que les personnes domiciliées hors de France étant soumises à une obligation fiscale limitée dans notre pays, elles ne peuvent donc pas déduire de charges de leur revenu global.
Certes, il existe une exception pour les non-résidents domiciliés dans l’Union européenne ou dans l’Espace économique européen, autrement appelés « non-résidents Schumacker », mais elle n’est pas transposable aux non-résidents établis hors des territoires évoqués.
Effectivement, comme vous l’indiquiez, monsieur le rapporteur général, nous avions déjà abordé ce sujet. Toutefois, le groupe de travail avait d’autres questions à régler, notamment celles qui sont liées à l’arrêt dit « de Ruyter » de la Cour de justice de l’Union européenne et à la CSG. Il s’est donc réuni, même si je ne me souviens plus si cela date de la fin de l’année 2014.
En tous les cas, j’ai eu l’occasion de rencontrer les sénateurs au sujet de l’arrêt de Ruyter, puisque nous avons traité cette question lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
À ce stade, monsieur le sénateur, le Gouvernement n’est pas favorable à votre amendement.
M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° I-142 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Richard Yung. Non, je le retire, monsieur le président. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L'amendement n° I-142 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° I-200, présenté par M. Yung, Mmes Conway-Mouret et Lepage et M. Leconte, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le d du I de l’article 164 B du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … Les revenus des personnels contractuels recrutés sur place dans les services de l’État à l’étranger. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement est en quelque sorte un amendement d’appel : en effet, j’aimerais que le Gouvernement s’exprime au sujet des personnels recrutés localement à l’étranger par le ministère des affaires étrangères ou d’autres administrations, qui sont au nombre de 5 000 environ.
Les règles fiscales qui s’appliquent à ces personnes sont particulièrement complexes et confuses. Nous sommes d’ailleurs saisis de nombreuses plaintes ou demandes d’explications.
En l’absence de convention fiscale entre la France et le pays d’exercice de l’activité, les salaires de ces personnels sont imposés en France. Quant aux conventions fiscales signées par notre pays, elles prévoient dans leur très grande majorité que les rémunérations perçues par les recrutés locaux sont imposables en France, à l’exception de celles qui sont versées aux agents qui possèdent la nationalité du pays de résidence sans avoir la nationalité française.
Ce régime fiscal déroge au principe de l’imposition exclusive dans l’État d’exercice de l’activité, tel qu’il résulte du modèle de l’OCDE. Il s’ensuit que la plupart des recrutés locaux paient leurs impôts en France.
Cependant, ces revenus ne sont pas toujours soumis au barème progressif dans les conditions de droit commun : dans certains cas, les recrutés locaux sont en effet imposés au taux minimum de 20 % prévu par l’article 182 A du code général des impôts.
En règle générale, les personnes concernées ne peuvent pas faire état, pour la détermination de leur impôt sur le revenu, des charges admises en déduction. Cette situation correspond d’ailleurs – je le signale – à la question soulevée lors de l’examen du précédent amendement.
Comme je l’indiquais, nous recevons beaucoup de réclamations de la part de ces recrutés locaux – cela doit aussi être le cas des services fiscaux, monsieur le secrétaire d’État –, qui ne savent pas vraiment sur quel pied danser.
Pour clarifier la situation, nous proposons qu’il soit précisé que les rémunérations versées aux recrutés locaux sont des revenus de source française.
Par cet amendement, je vous invite, monsieur le secrétaire d’État, à présenter l’état d’avancement du chantier de clarification du régime fiscal applicable à ces personnes. C’est ce que vous aviez proposé l’an dernier lorsque nous avions déjà soulevé la question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission s’interroge, car l’amendement tend à régler les situations – semble-t-il – de quelques recrutés locaux dans certains consulats ou ambassades.
M. Richard Yung. Ils sont 5 000 !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cinq mille ! Les cas sont donc bien réels.
Peut-on adopter cet amendement sans toucher aux conventions fiscales ? Je n’en sais rien. Objectivement, il s’agit d’un sujet extrêmement technique. La commission souhaiterait entendre le Gouvernement sur ce sujet, car nous n’avons pas une connaissance suffisante des cas précis que vise cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Tout d’abord, sachez, monsieur le sénateur, que je partage votre avis : il est nécessaire de clarifier le régime fiscal des recrutés locaux.
Pour autant, votre proposition de préciser dans la loi que les revenus perçus par les recrutés locaux des services de l’État à l’étranger sont des revenus de source française ne peut pas recueillir l’agrément du Gouvernement.
Permettez-moi de vous rappeler que les recrutés locaux peuvent se trouver dans des situations très diverses. Or votre amendement ne règle pas à lui seul l’ensemble des problèmes qu’ils rencontrent. En effet, ces personnes peuvent être considérés comme domiciliés fiscalement en France, soit au sens des dispositions du 1 de l’article 4 B du code général des impôts – ce sont ceux qui ont le centre de leurs intérêts familiaux ou économiques en France –, soit au titre du 2 du même article, qui concerne les assimilations aux agents de l’État.
Certains recrutés locaux pourraient certes relever du second cas de figure, mais d’autres pourraient tout autant être considérés comme des non-résidents. Les modalités d’imposition varient donc selon qu’ils s’inscrivent dans l’une ou l’autre de ces hypothèses.
Ensuite, je vous confirme, monsieur le rapporteur général, que le traitement de cette question doit se faire en lien avec les différentes conventions internationales qui, en droit, s’imposent à nous, comme je l’indiquais tout à l’heure.
Depuis le mois de juin dernier, nous avons engagé un travail avec le ministère des affaires étrangères pour déterminer comment il serait possible, compte tenu des différentes conventions fiscales et de la diversité des situations, de traiter ce type de problèmes.
Sous le bénéfice de ces explications, il serait plus sage de retirer votre amendement, monsieur le sénateur, car – je le répète – il ne règle pas à lui seul toutes les situations. Je vous invite à poursuivre le travail. Peut-être même pourriez-vous vous rapprocher de mon cabinet à cette fin.
M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° I-200 est-il maintenu ?
M. Richard Yung. Ce que nous souhaiterions en priorité, c’est que le groupe de travail, qui a certes eu d’autres sujets plus urgents à examiner, puisse se saisir de ces questions de moindre importance. Il serait utile que nous puissions faire un point avec les différents participants au groupe de travail et peut-être également avec le ministère des affaires étrangères.
Je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° I-200 est retiré.
L'amendement n° I-199, présenté par M. Yung, Mmes Conway-Mouret et Lepage et M. Leconte, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 197 A du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La règle du 4 du I de l’article 197 est applicable pour le calcul de l’impôt sur le revenu dû par les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France et dont les revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75 % de leur revenu mondial imposable. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Voici le dernier de nos amendements relatifs aux Français de l’étranger.
L’article 2 du présent projet de loi de finances procède à l’aménagement du mécanisme de la décote, ainsi qu’il en a été question précédemment.
Cette mesure s’appliquera notamment aux non-résidents dits « Schumacker » – vous avez déjà évoqué cette jurisprudence, monsieur le secrétaire d’État –, c’est-à-dire aux contribuables établis dans les pays membres de l’Espace économique européen dont les revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75 % de leur revenu mondial.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avions repris, dans notre amendement n° I-200, l’idée de prendre en compte l’ensemble des revenus français.
En vertu d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ces non-résidents sont assimilés à des personnes fiscalement domiciliées en France. Leur impôt sur le revenu est donc calculé selon les règles de droit commun.
En revanche, les contribuables établis dans les États tiers à l’Espace économique européen qui tirent l’essentiel de leurs revenus de la France ne bénéficient pas en l’état actuel du droit de la réforme de la décote. En effet, le 4 du I de l’article 197 du code général des impôts ne s’applique pas aux non-résidents.
Une telle différence de traitement heurte notre sens de la justice et est contraire au principe d’égalité devant les charges publiques. Elle a par ailleurs pour effet d’exclure de la baisse de l’impôt sur le revenu des personnes qui ont contribué au redressement de nos finances publiques.
En droit, rien ne s’oppose à ce que tous les non-résidents qui ne perçoivent aucun ou quasiment aucun revenu de source étrangère soient placés sur un pied d’égalité. C’est pourquoi nous vous proposons d’adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Là encore, la commission s’interroge. Cet amendement traite d’un sujet assez similaire aux précédents amendements, à savoir les conséquences de l’arrêt « Schumacker » et la question de l’application de la décote à l’ensemble des non-résidents fiscaux dont l’essentiel des revenus seraient de source française.
D’après ce qu’il nous avait été répondu l’an dernier, le sujet me semblait devoir être traité par le fameux groupe de travail évoqué précédemment. M. le secrétaire d’État pourra peut-être nous éclairer à nouveau : y-a-t-il des réponses à ce sujet ? La question est-elle en cours de traitement ?
Nous avons besoin d’entendre l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il s’agit de la même question que celle qui a été abordée lors de l’examen de l’amendement n° I-142 rectifié bis. Par conséquent, j’y apporterai la même réponse : la possibilité d’étendre le dispositif en vigueur n’est pas ouverte.
On doit certes appliquer la règle aux non-résidents « Schumacker », mais pas aux autres. Par conséquent, monsieur le sénateur, le Gouvernement sollicite le retrait de votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° I-199 est-il maintenu ?
M. Richard Yung. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2.
Mes chers collègues, nous avons examiné 26 amendements au cours de la journée ; il en reste 321 sur la première partie du projet de loi de finances pour 2016.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au samedi 21 novembre 2015, à neuf heures trente, et de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
Suite du projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale (n° 163, 2015-2016) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances (n° 164, 2015-2016) ;
- Suite de l’examen des articles de la première partie.
(L’article 15 relatif à la réforme de l’aide juridictionnelle sera examiné par priorité le lundi 23 novembre à dix heures)
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le samedi 21 novembre 2015, à zéro heure trente.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART