Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, Jean-Pierre Leleux, Mme Catherine Tasca.
2. Communication relative à un groupe politique
3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
4. Nouvelle organisation territoriale de la République. – Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l'ensemble
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique
Suspension et reprise de la séance
5. Retrait d’une question orale
6. Renseignement et nomination du président de la commission de contrôle des techniques de renseignement. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
Discussion générale commune :
M. Manuel Valls, Premier ministre
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
Clôture de la discussion générale commune.
Demande de priorité des articles 2 et 3. – M. Jean-Yves Le Drian, ministre ; M. Philippe Bas, rapporteur. – La priorité est ordonnée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
7. Accessibilité pour les personnes handicapées. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur de la commission des affaires sociales
M. Philippe Mouiller, corapporteur de la commission des affaires sociales
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 10 rectifié ter de M. Michel Raison. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Corinne Imbert. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 2
Amendement n° 20 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 13 de Mme Aline Archimbaud. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié bis de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 15 rectifié de Mme Aline Archimbaud. – Rejet.
Amendement n° 14 rectifié de Mme Aline Archimbaud. – Retrait.
Amendement n° 4 rectifié de M. Olivier Cigolotti. – Retrait.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Olivier Cigolotti. – Rejet.
Amendement n° 16 rectifié de Mme Aline Archimbaud. – Rejet.
Amendement n° 17 rectifié de Mme Aline Archimbaud. – Rejet.
Amendement n° 21 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 26 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 19 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 12 de Mme Aline Archimbaud. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 5 (nouveau) – Adoption.
Article additionnel après l'article 5
Amendement n° 25 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Corinne Imbert. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 7 et 8 (nouveaux) – Adoption.
Article additionnel après l'article 8
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Jean-Pierre Leleux,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à un groupe politique
M. le président. Par courrier en date de ce jour, M. Bruno Retailleau m’a informé du changement de dénomination du groupe qu’il préside, qui s’appelle désormais : « Les Républicains ».
Acte est donné de cette communication. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. Quelle surprise ! (Sourires.)
3
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans les tribunes du Sénat, une délégation de quatre parlementaires et de deux fonctionnaires du Conseil d’État du Sultanat d’Oman, soit la chambre haute du Parlement omanais. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique et M. le secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, se lèvent.)
La délégation est conduite par Son Excellence M. Abdallah Al Dhahab. Elle est accompagnée par les membres du groupe d’amitié France-Pays du Golfe, présidé par notre collègue Nathalie Goulet.
La délégation est en France jusqu’au 4 juin prochain, pour une visite d’étude consacrée au renforcement des liens entre cette assemblée et le Sénat français, d’une part, et aux grands enjeux de la protection de l’environnement, d’autre part, un sujet majeur en cette année de la Conférence Paris Climat 2015, la fameuse Conférence des Parties ou Cop 21.
Après une première réunion avec nos collègues du groupe d’amitié, la délégation mènera cet après-midi des entretiens avec des représentants du ministère des affaires étrangères, notamment dans la perspective de cette conférence sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de l’année.
Demain, elle se rendra à l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. Puis, elle échangera avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Cette visite marque donc une étape forte dans la construction du lien entre les assemblées de nos deux pays.
Au nom du Sénat de la République française, je souhaite à nos homologues du Conseil d’État omanais une cordiale bienvenue, ainsi qu’un fructueux et excellent séjour. (Applaudissements.)
4
Nouvelle organisation territoriale de la République
Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation territoriale de la République (projet n° 336, texte de la commission n° 451, rapport n° 450, avis n° 438).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.
Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.
Explications de vote sur l'ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au terme de la deuxième lecture de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou NOTRe, il nous paraît important de dégager les grandes lignes du texte initial, ainsi que celles des travaux du Sénat, qui amèneront la très grande majorité des membres du groupe UDI-UC, au nom duquel je m’exprime, à voter ce texte.
Je tiens à souligner ici le travail remarquable effectué par les deux corapporteurs de ce texte, René Vandierendonck et Jean-Jacques Hyest, qui ont su, lors de cette deuxième lecture, maintenir une parfaite cohérence avec la vision de la première lecture. (M. Bruno Sido applaudit.)
Je n’oublie pas, bien entendu, la commission des lois, son président et ses commissaires.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Merci !
Mme Jacqueline Gourault. Tout d’abord, je rappellerai que la région a vu ses missions stratégiques renforcées, avec le transfert de la compétence économique, de l’aménagement du territoire et de celle de l’emploi. Le Sénat a, en effet, réintroduit l’ambition décentralisatrice de première lecture en attribuant à la région la responsabilité de coordonner les acteurs du service public de l’emploi à l’échelle régionale, sans remise en cause de la structure de Pôle emploi.
Ensuite, grâce au Sénat, le département, dont la vocation demeure la solidarité, que ce soit en matière sociale ou territoriale, a également les compétences de voirie, de gestion des collèges et du transport scolaire.
Dans un souci de clarification des compétences, les sénateurs ont gardé le cap de l’exercice de la politique économique à la région malgré la volonté des départements de conserver cette compétence et en confortant les intercommunalités comme acteurs de la mise en œuvre du développement économique des territoires.
Cette simplification permettra de répondre aux attentes de nos concitoyens, en rendant le « qui fait quoi » plus lisible, tout en associant les intercommunalités et les départements à l’élaboration des grands schémas.
En effet, le Sénat a réintroduit la procédure de co-élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation, le SRDEII, supprimée par l’Assemblée nationale.
De plus, il a renforcé la procédure de co-élaboration du schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, le SRADDET, et modifié le mécanisme de deuxième délibération, en prévoyant qu’il pouvait être mis en œuvre par la moitié des EPCI à fiscalité propre ou par la moitié des départements et des collectivités territoriales à statut particulier.
J’en viens maintenant au volet intercommunal, avec l’affirmation d’une intégration communautaire adaptée aux spécificités des territoires.
Le Sénat a confirmé son vote précédent en décalant d’un an le calendrier de révision des schémas départementaux de la coopération intercommunale, le SDCI, et en décalant d’autant, en conséquence, le calendrier de mise en œuvre des cartes révisées des EPCI à fiscalité propre et des syndicats. Il en est de même pour le calendrier d’élaboration et de mise en œuvre du schéma régional de la coopération intercommunale d’Île-de-France.
Il a maintenu la nécessité de l’accord d’un tiers au moins des communes membres de chaque EPCI appelé à fusionner au sein de la majorité requise pour valider le projet, afin de favoriser un fonctionnement harmonieux de la nouvelle intercommunalité.
Il a reporté d’un an, au 1er janvier 2017 – je le dis notamment à l’intention de M. Karoutchi –, la création de la métropole du Grand Paris. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Je n’en voulais pas !
M. Hubert Falco. C’est la gloire, mon cher collègue ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Gourault. Il a aligné sur le droit commun la désignation des représentants des communes au conseil de la métropole et aux conseils de territoire.
Les sénateurs ont également supprimé l’élargissement des compétences obligatoires des communautés de communes et d’agglomération au tourisme, à l’eau et à l’assainissement – compétences transférées au sein des compétences optionnelles.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. En revanche, le Sénat a maintenu les déchets ménagers au sein des compétences obligatoires. De plus, il a maintenu l’intérêt communautaire comme principe fondateur du transfert des compétences obligatoires des communautés de communes et la majorité qualifiée en vigueur pour décider de l’intérêt communautaire.
M. Alain Joyandet. Cela, c’est très bien !
Mme Jacqueline Gourault. Enfin, concernant le volet de l’intercommunalité, le Sénat a supprimé l’article 22 octies prévoyant la fixation par la loi, avant le 1er janvier 2017, des modalités particulières pour l’élection des conseillers communautaires.
En clair, les auteurs de cet amendement, adopté à l’Assemblée nationale, voulaient une élection sur le périmètre de l’intercommunalité des conseillers communautaires déliée de l’élection municipale. Après que je l’ai interrogé à ce sujet, M. le secrétaire d'État me l’a d’ailleurs personnellement confirmé en séance vendredi dernier : « Quant au Gouvernement, il a, pour l’heure, décidé de s’en tenir au système actuel. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hubert Falco. Voilà un homme pragmatique, qui connaît les territoires !
Mme Jacqueline Gourault. J’espère, madame la ministre, que vous êtes à la même heure que M. Vallini ! (Sourires.)
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas gagné !
Mme Jacqueline Gourault. Par ailleurs, sur des dispositions plus diverses, le Sénat a supprimé le Haut Conseil des territoires, parce qu’il ne voyait pas l’utilité de cette structure…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est sûr !
Mme Jacqueline Gourault. … et parce que cette instance relève du domaine réglementaire.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. Ensuite, il a supprimé le dispositif d’action récursoire de l’État à l’encontre des collectivités territoriales en cas de condamnation pour manquement par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une compétence décentralisée, tout en saluant les efforts du Gouvernement pour prendre en compte les objections du Sénat formulées en première lecture.
Enfin, le Sénat a voté la création, au 1er janvier 2018, de la collectivité unique de Corse, en lieu et place de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse, dans une rédaction légèrement modifiée par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Pour terminer mes propos, je reviens sur le maintien du seuil de l’intercommunalité à 5 000 habitants. Nous savons que ce seuil doit évoluer, mais nous insistons, au groupe UDI-UC, sur le fait que cela doit se faire dans des conditions adaptées à la diversité des territoires et en associant les élus locaux dans le cadre de la CDCI, la commission départementale de la coopération intercommunale, qui doit, avec le préfet, avoir un vrai rôle. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les élus locaux souhaitent des orientations stables et une visibilité dans le cadre de leur mandature.
C’est pourquoi fixer un objectif haut, qui paraît inatteignable pour de nombreuses communes aujourd’hui, doit avant tout être un aiguillon pour motiver les élus à travailler ensemble, sur des échelles de fonctionnement réalistes. La rationalisation de la carte intercommunale sert, à mon sens, à l’amélioration des services à la population, qui est le cœur de l’action des communes. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. David Assouline. La captation de ce nom est un scandale !
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au terme de cette deuxième lecture, deux constats s’imposent.
Le premier est que, à l’évidence, le Gouvernement a une vision à géométrie variable et très fluctuante des territoires. La promesse faite en 2012 de supprimer le conseiller territorial ne pouvait constituer en soi ni une fin ni un projet. Exit donc le conseiller territorial, qui avait pourtant le grand mérite de permettre des évolutions fondées sur la diversité des territoires et le choix des élus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. David Assouline. On l’a déjà entendu !
M. Dominique de Legge. Peinant alors à trouver un fil directeur, vous avez multiplié hésitations et contradictions, sans qu’on sache aujourd’hui où vous voulez vraiment en venir.
Ainsi, à peine la clause de compétence générale rétablie en janvier 2014 à la faveur de la loi de modernisation de l’action territoriale et d’affirmation des territoires, dite « loi MAPAM », voici qu’elle est supprimée !
À peine la réforme du scrutin départemental votée, voici que l’on nous annonce la suppression des départements dont le Président de la République affirmait encore en janvier 2014 l’importance !
M. Didier Guillaume. C’est le même discours qu’il y a un an !
M. Dominique de Legge. Toutefois, en divisant par deux le nombre de régions, vous ne vous rendiez pas compte que cette décision posait de nouveau la question de l’existence même des départements.
C’est dans ce contexte que vous nous proposez la loi NOTRe, que vous avez écrite dans une logique de suppression des départements, sans tirer les conséquences de votre réforme pour les régions. Et dans tout cela, pas un mot n’est dit des dotations dont le candidat Hollande promettait le maintien à leur niveau de 2012. On sait ce qu’il en est advenu !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Bonne remarque !
M. Dominique de Legge. Au total, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, malgré tant d’heures de débats, vous n’avez pas réussi à nous dire clairement quelle était votre vision des territoires et de leur organisation. Vous avez réussi, en revanche, à jeter le désarroi chez les élus, qui ne croient plus en la parole de l’État.
M. Roland Courteau. Mais non !
M. Dominique de Legge. Mes chers collègues, le second constat qui s’impose, c’est que le Sénat a pleinement joué son rôle, en première et en deuxième lecture.
Je veux rendre ici un hommage appuyé à nos deux rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck. Ils ont porté la voix des territoires et montré que, lorsque le Sénat légifère au cœur de sa mission, il sait rassembler et trouver les voies de passage, en s’accordant sur l’essentiel. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ainsi, nous avons supprimé l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, considérant que c’était la mort programmée des communes.
Nous avons refusé de substituer à un jacobinisme national un jacobinisme régional, via des schémas prescripteurs élaborés sans concertation.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Dominique de Legge. N’est-ce pas vous, monsieur le secrétaire d’État, qui déclariez il y a peu devant le 56e congrès des maires de l’Isère : « L’État de droit ne doit pas devenir l’État d’entrave et, à l’heure où l’argent public est de plus en plus rare, la France a besoin d’optimiser ses dépenses publiques et de redonner de nouvelles marges de manœuvre à nos territoires, afin qu’ils agissent » ?
M. Bruno Sido. C’était en Isère !
M. Dominique de Legge. Quel dommage que vous n’ayez pas été entendu... par vous-même ! (M. le secrétaire d'État sourit.)
Nous avons voulu clarifier la répartition des compétences entre départements et régions, en assurant la viabilité des départements et une véritable cohérence territoriale, notamment dans la gestion des transports scolaires, des ports et du tourisme. Parce que nous voulions que ce texte ne soit pas simplement une loi d’organisation, mais également une loi de décentralisation susceptible d’apporter une approche nouvelle sur les préoccupations majeures des Français, nous avons renforcé les prérogatives des régions dans le domaine de l’emploi et du développement économique.
Nous avons réaffirmé haut et fort notre attachement à la commune, cellule de base de notre démocratie locale, au sein d’intercommunalités à la taille des bassins de vie, évitant des regroupements à marche forcée ou subis.
M. Hubert Falco. Très bien !
M. Dominique de Legge. Nous avons rétabli le seuil de 5 000 habitants pour l’intercommunalité.
L’Assemblée nationale a fait elle-même la démonstration que le seuil de 20 000 habitants n’avait aucun sens, en prévoyant que les territoires ayant une densité de population comprise entre 51,3 et 102,6 habitants au kilomètre carré – chacun appréciera ces chiffres ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) – pourront déroger au seuil de 20 000 habitants, et ce en appliquant la formule arithmétique suivante : 20 000 divisés par la densité nationale et multipliés par la densité départementale. Voilà une belle simplification administrative ! Il fallait y penser...
Quelle monstruosité que de décider du vivre ensemble par l’application d’une formule arithmétique ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Bertrand. Il ne s'agit que de moyennes !
M. Dominique de Legge. Il était tout aussi fondamental, selon nous, de réintroduire la notion d’intérêt communautaire dans le transfert de compétences communales aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, pour permettre d’adapter l’action communautaire aux spécificités locales. Nous avons également souhaité prolonger le calendrier de révision des schémas intercommunaux.
Nous ne pouvions pas davantage accepter le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux intercommunalités.
Enfin nous avons supprimé le Haut Conseil des territoires, dont la création à l’Assemblée nationale tourne à l’obsession, comme si l’article 24 de la Constitution ne conférait pas au Sénat la représentation des collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la balle est maintenant dans votre camp !
Les choses sont relativement simples : vous pouvez choisir le consensus construit au Sénat et très largement partagé par les territoires et leurs élus, ou bien laisser la majorité de l’Assemblée nationale poursuivre ses chimères d’un « meilleur des mondes territorial », dans lequel le schéma l’emporte sur l’action, la structure sur les hommes, le nombre sur le territoire.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Dominique de Legge. Je ne veux pas croire que tout ce scénario ait d’autre but que de réguler la baisse des dotations que vous avez programmée. En conditionnant leur octroi à la mise en œuvre d’une organisation territoriale improbable, vous misez sur l’échec de votre propre texte pour mieux justifier, ensuite, votre désengagement et vos renoncements. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
C’est parce que nous refusons ce scénario du pire que nous avons porté, à nouveau, la voix des territoires et voté ce texte amendé. Notre groupe, Les Républicains, forme le vœu…
M. Alain Bertrand. Et que dit l’UMP ?
M. Dominique de Legge. … que le bon sens l’emportera enfin sur toute autre considération. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour le groupe socialiste.
M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste et républicain, bien sûr ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos travaux en seconde lecture s’achèvent. Comme en première lecture, nos débats auront été constructifs. Le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, a, encore une fois, pleinement rempli son rôle, et nous avons eu, toutes et tous, à cœur de faire avancer ce projet de loi.
Le groupe socialiste veut remercier le Gouvernement, représenté ici par Mme Lebranchu et par M. Vallini, de sa vigilance et son écoute. Il veut aussi saluer le travail, ô combien remarquable, des deux corapporteurs du texte, Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, que nous remercions également. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons travaillé collectivement, dans un état d’esprit constructif. Je n’ai aucun doute sur la poursuite de cette volonté d’aboutir à une réelle coproduction législative.
Nous avons toutes et tous conscience que nos territoires veulent de la stabilité. Nous avons conscience, aussi, que la réforme que nous sommes en train d’élaborer a vocation à s’inscrire dans la durée.
Les élus locaux et, au-delà, nos concitoyens ne veulent plus de changements incessants. Je rappelle, à cet égard, qu’il s’est écoulé vingt ans entre les actes I et II de la décentralisation, et qu’un peu plus de dix ans ont passé depuis les réformes portées par notre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin.
L’organisation de la République décentralisée n’est pas un mécano que l’on monte et démonte au gré des majorités.
M. François Grosdidier. C’est pourtant ce que vous avez fait ! Il fallait garder le conseiller territorial !
M. Philippe Kaltenbach. M. le président Gérard Larcher, en fin connaisseur des territoires, le sait d’ailleurs parfaitement : à juste raison, il a appelé à stabiliser le fonctionnement de nos institutions locales. Nous savons que cette stabilité passe, notamment, par un consensus législatif et un accord entre les deux chambres du Parlement. C’est ce à quoi travaille le groupe socialiste. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous constatons, à ce stade du débat, qu’il y a de réels points de convergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat : sur la suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements, sur le renforcement des compétences stratégiques des régions en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, sur la reconnaissance de compétences recentrées dans le domaine des solidarités sociales et territoriales pour les départements ;
Du reste, ces départements sont non plus voués à une mort annoncée, mais confortés dans leur rôle essentiel pour la République.
M. François Grosdidier. C’est vous qui vouliez les tuer !
M. Philippe Kaltenbach. Nous savons également, désormais, que le maintien des routes et des collèges dans le giron des départements est acquis.
M. Bruno Sido. Et les transports ?
M. Philippe Kaltenbach. Un autre point de convergence est la création d’une collectivité unique en Corse. La liste est encore longue, mais je m’en tiendrai là.
Sur d’autres sujets, nous devons encore surmonter nos divergences. Nous sommes convaincus que cela sera possible dans la suite de la navette parlementaire et en commission mixte paritaire.
Je pense, notamment, à la compétence relative aux transports scolaires, sur laquelle nous devrions trouver un accord, et aux ports maritimes et intérieurs, dont le Sénat a voulu qu’ils restent de la compétence des départements. Je pense aussi au tourisme et à l’éventuel chef de filat confié à la région, ainsi qu’à l’accroissement des compétences des intercommunalités.
M. Jean-François Husson. Vous n’étiez pas nombreux pour voter ces dispositions !
M. Philippe Kaltenbach. Sur tous ces points, un travail important a déjà été réalisé. Nous allons continuer à œuvrer pour parvenir à un compromis.
Sur deux points en particulier, le groupe socialiste regrette l’attitude de la majorité sénatoriale, et plus particulièrement des membres du groupe « LR ». (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Non, du groupe « Les Républicains » !
M. Philippe Kaltenbach. Il s’agit, tout d’abord, du relèvement du seuil de création des intercommunalités. (Brouhaha.)
Je le dis clairement, si nous ne sommes pas favorables à un seuil à 20 000 habitants, que nous estimons trop élevé, nous ne sommes pas davantage partisans du statu quo à 5 000 habitants. Nos territoires ont besoin d’évoluer. La meilleure manière de préserver les petites communes est bien de favoriser des regroupements à une échelle qui leur permette d’améliorer les services à la population.
Dans le souci de trouver un compromis, nous avons proposé par voie d’amendement d’imposer un seuil minimum de 15 000 habitants, avec les dérogations votées par l’Assemblée nationale.
J’ai bien noté que nos collègues du groupe UDI-UC avaient, eux aussi, fait des propositions allant dans le même sens. Hélas, les sénateurs « LR » ont jusqu’à présent refusé cette main tendue. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Les Républicains !
M. Hubert Falco. Il faut vous y habituer !
M. Philippe Kaltenbach. Nos collègues centristes le savent bien, il nous faudra tenter de parvenir à un compromis lors de la navette et de la commission mixte paritaire. À défaut, l’Assemblée nationale aura le dernier mot, lequel sera le seuil à 20 000 habitants.
M. Éric Doligé. C’est du marchandage !
M. Jean-François Husson. Respectez la liberté des communes !
M. Philippe Kaltenbach. Il me semble, pour ma part, qu’un seuil de 15 000 habitants serait plus raisonnable. La balle, chers collègues du groupe « LR », est dans votre camp !
M. Alain Bertrand. « LR » de rien... (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach. Le second point sur lequel le groupe socialiste ne saurait transiger concerne la remise en cause, intervenue ici en deuxième lecture, de l’application de la loi SRU.
Une nouvelle fois, la droite s’est employée à détricoter ce dispositif mis en place par la gauche et qui a fait ses preuves.
L’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », qui impose un seuil de 20 % de logements sociaux – 25 % dans les zones tendues – n’est pas utile, mes chers collègues, il est indispensable ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il est indispensable pour celles et ceux qui ne parviennent pas à se loger, indispensable pour la mixité, la cohésion et la paix sociale. Sur ce point, toute modification est inacceptable.
M. Hubert Falco. Et comment financer ces logements ?
M. Philippe Kaltenbach. Comme nous regrettons de n’avoir pu aboutir sur le seuil intercommunal à 15 000 habitants et refusons catégoriquement cette nouvelle tentative de déshabillage de la loi SRU,…
M. François Calvet. Quel toupet !
M. Philippe Kaltenbach. … le groupe socialiste, conscient par ailleurs des nombreux aspects positifs du présent projet de loi, s’abstiendra sur le texte proposé aujourd'hui au vote du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quelle conviction !
M. Philippe Kaltenbach. Cette abstention sera pleine d’attentes quant à la future commission mixte paritaire et dit aussi notre disponibilité pour faire aboutir celle-ci !
Le groupe socialiste souhaite vivement que sénateurs et députés parviennent à trouver un point d’équilibre sur les points demeurant en discussion. Nous attendons de l’Assemblée nationale qu’elle entende notre refus, clairement exprimé ici sur de nombreuses travées, de l’élection des conseillers communautaires au suffrage supra-communal. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous attendons, également, qu’elle ne crée pas ce Haut Conseil des territoires dont personne ici ne veut. (Mêmes mouvements.)
M. Hubert Falco. Bravo !
M. Philippe Kaltenbach. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas la révision à la hausse de la minorité de blocage pour le transfert de la compétence relative aux plans locaux d’urbanisme, les PLU, à l’échelle intercommunale.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Kaltenbach. Selon nous, ces trois points ne sont pas négociables.
Toutefois, pour que l’Assemblée nationale nous entende, mes chers collègues, il faudra aussi que vous sachiez entendre ce qu’elle dit. Nous ne pouvons arriver en commission mixte paritaire en disant que notre texte est parfait et qu’il n’y faut rien changer.
M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Kaltenbach. Nous devons donc être vigilants et obtenir des ouvertures sur le seuil à 15 000 habitants.
Au vu de tous ces éléments, je le répète, le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après une semaine de débats qui, je l’avoue, ne m’a pas toujours enthousiasmé, je suis rentré ce week-end en Loire-Atlantique, où j’ai déjeuné avec plusieurs élus locaux de petites communes et – j’insiste sur ce point – de sensibilités politiques diverses. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous avez bien fait !
M. Ronan Dantec. Ce n’était pas sans inquiétude, après qu’ici, au Sénat, nombre de mes éminents collègues avaient relayé avec force ce mal-être des élus de terrain, comptant les jours avant la disparition inéluctable des communes, se sentant délaissés, pour ne pas dire méprisés par les élus régionaux ou métropolitains. Je me voyais déjà voué aux gémonies pour le soutien que le groupe écologiste avait apporté au renforcement des conseils de développement et aux grands principes de cette réforme, autour du couple régions-intercommunalités.
M. Pierre-Yves Collombat. Mais non !
M. Ronan Dantec. J’aurais sans doute dû enregistrer nos échanges, tant ils furent éclairants et inattendus.
La plus forte critique porte sur la remise en cause du seuil des 20 000 habitants pour les intercommunalités. Je vous promets que je n’invente rien ! Je me trouvais en compagnie d’élus qui avaient anticipé la réforme et préparé la nouvelle carte et qui se trouvaient désorientés par le fait que le Sénat ait fait machine arrière toute. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
J’ai même dû les rassurer sur le fait que le rétablissement du seuil des 5 000 habitants ne survivrait probablement pas à la commission mixte paritaire.
M. Michel Bouvard. Chez nous, cela inquiète !
M. Ronan Dantec. Engagés dans une dynamique, conscients des enjeux d’évolution rapide des territoires, ces élus de terrain m’ont parlé renforcement des mutualisations et fusions des communes...
M. Pierre-Yves Collombat. Qu’ils le fassent !
M. Ronan Dantec. De nombreux projets existent en Loire-Atlantique aujourd'hui : ils sont à des années-lumière des débats qui nous occupent !
Ces élus ont défendu devant moi les conseils de développement dont ils ont déjà l’expérience et qui leur semblent une réponse intéressante pour remobiliser des habitants parfois plus consommateurs de services publics que véritables citoyens.
Mes chers collègues, ce que je vous raconte aujourd'hui, c’est aussi la réalité de la France des territoires du XXIe siècle, une France qui ne se résume pas au repli, au refus de toute réforme, à la méfiance vis-à-vis du territoire d’à côté. Je ne nie pas que des territoires souffrent. (M. Éric Doligé acquiesce.) J’en connais et j’interviens aussi en leur faveur. Toutefois, au lieu de leur apporter une réponse adéquate, le Sénat, en détricotant nombre d’aspects qui constituent l’essence même de ce texte, ne leur a pas rendu service.
Nous aurions dû ici discuter de la réforme fiscale, d’une dotation globale de fonctionnement plus lisible et solidaire. Nous aurions dû faire preuve d’audace pour une péréquation fiscale régionale qui distribue sur l’ensemble du territoire les richesses créées, notamment dans les métropoles.
M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ah !
M. Ronan Dantec. Nous aurions dû discuter du renforcement de la prescriptivité des schémas régionaux pour imposer un aménagement du territoire plus équilibré.
Nous avons fait l’inverse, allant même jusqu’à parler parfois des régions comme d’une menace pour les territoires ! Il ne manque plus qu’une proposition de loi pour supprimer les régions, mais je compte sur Roger Karoutchi pour la déposer. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Peut-être… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Dantec. De nombreuses raisons nous invitent donc à voter contre ce texte, tel qu’il a été amendé, aux prescriptivités réduites et aux échéances toujours repoussées. Nous ne le ferons pas et choisirons l’abstention (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains),…
M. François Grosdidier. L’abstention positive ou l’abstention négative ?...
M. Ronan Dantec. … défendant ainsi les quelques rares avancées issues des travaux de la Haute Assemblée.
La création d’une collectivité territoriale unique pour la Corse a été confirmée. Il s’agit d’une avancée réelle, qui acte les différences entre territoires de la République. Un tel progrès aurait aussi pu concerner l’Alsace ; néanmoins, je ne rouvre pas ce débat douloureux, d’autant que vous connaissez mon soutien à la collectivité unique d’Alsace.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Ronan Dantec. Nous regrettons néanmoins la suppression de la faculté de créer une redevance de mouillage dans les aires marines protégées gérées par des collectivités locales, ce qui ne nous semble pas très cohérent. Il s’agissait pourtant d’une simple faculté, en aucun cas d’une obligation, qui ne concernait que deux aires marines. Cette disposition était historique – nous en avions discuté en première lecture – puisque, pour la première fois, on cherchait à faire entrer dans la loi une demande d’adaptation législative formulée par une collectivité locale, en l’occurrence la Corse.
Le refus de voter cette disposition a montré à quel point c’est l’idéologie qui a dominé dans ce débat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hubert Falco. Ce n’est pas vrai !
M. Roger Karoutchi. Ben voyons !
M. Ronan Dantec. Or il s’agissait d’une démarche pragmatique des Corses, qui avait trait aux taxations en Sardaigne. Nous n’avons pas pu nous entendre sur ce problème très précis.
Néanmoins, le droit d’adaptation législative et réglementaire des régions – timide, très timide moyen d’aller vers une décentralisation différenciée – est rendu plus opérationnel, grâce à un amendement écologiste. Désormais, le refus de donner suite aux demandes des régions devra faire l’objet d’une décision motivée du Premier ministre.
Je tiens à remercier Jean-Jacques Hyest d’avoir repris, au nom de la commission des lois, un amendement écologiste : ainsi, le préfet ne pourra s’opposer aux schémas régionaux que pour des raisons juridiques, et en aucun cas pour des raisons politiques. Il ne devait absolument pas y avoir d’ambiguïté sur le fait que ces schémas s’inscrivaient bien dans une démarche de décentralisation et de régionalisation et ne devaient en aucun cas être l’occasion d’une recentralisation détournée. Cet éclaircissement est donc important.
Enfin, je partage sans réserve les propos que Jean-Jacques Hyest a tenus lors de l’examen de l'article 6, jeudi dernier. Oui, « nul n’est une île ». Les schémas régionaux, socles de ce texte, sont préservés, ce qui est pour nous essentiel. Il restera donc à l'Assemblée nationale en deuxième lecture et à la commission mixte paritaire à en renforcer la prescriptivité.
En conclusion, je formulerai deux remarques.
En premier lieu, le Sénat a laissé cette réforme territoriale au milieu du gué, sans la mener à son terme, mais sans la détricoter complètement. Les tentations étaient fortes, mais elles sont restées sans suite. Pourtant, une telle position n’est pas tenable. C’est pourquoi il est maintenant de la responsabilité du Gouvernement d’aller au bout de la logique de cette réforme – ce que nous soutenons –, qui est beaucoup mieux comprise et partagée dans les territoires que ce que certains ont tenté de faire croire ici.
En second lieu, la méfiance vis-à-vis des métropoles et des régions doit être entendue. Il incombera demain aux élus métropolitains et aux élus régionaux de répondre à cette crainte, qui est réelle. Si leur action n’en témoigne pas et ne permet pas plus d’égalité territoriale, grand est le risque que le dialogue entre les différents échelons soit bloqué, alors que les enjeux de demain appellent plus de coopération. Si ce message est entendu, les débats au Sénat n’auront pas été inutiles.
La France a bougé : l’organisation du XXIe siècle ne correspond pas aux enjeux du XIXe siècle, qu’il s’agisse de l’aménagement du territoire ou de la vie démocratique.
Dans ce débat, comme souvent, le groupe écologiste a été un peu en avance sur son temps. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) N’en déplaise à certains, c’est le sens de l’histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour le groupe CRC.
M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au terme de ce débat, déterminant pour l’avenir de nos institutions locales et, plus largement, pour celui de l’organisation de notre République, chacun aura noté que, dorénavant, sur toutes les travées, ou presque, cette opinion est largement partagée : cette réforme conduira inéluctablement à la disparition, à plus ou moins long terme, des communes. (Exclamations.)
M. Philippe Kaltenbach. Arrêtons de faire peur dans les campagnes !
M. Christian Favier. En effet, la plupart des amendements qui ont été défendus ont posé la question de l’avenir de nos communes.
Sans remonter trop en arrière, lors de la discussion de la loi de 2010, le groupe CRC a été le seul à alerter sur ce danger, à dire sa crainte que, devenant obligatoires, les intercommunalités, avec des périmètres élargis et des compétences renforcées, soient transformées peu à peu en collectivités de plein exercice, en lieu et place des communes.
Depuis lors, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », et ce projet de loi ont confirmé ces menaces. Je l’ai souligné au cours de la discussion générale, l’Association des maires de France partage cette crainte avec de nombreuses autres associations d’élus.
Certes, madame la ministre, nous avons bien entendu vos dénégations, mais elles ne nous ont pas convaincus. Il faut dire que le texte que vous défendez et certaines dispositions que vous avez soutenues devant l'Assemblée nationale – par exemple l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires – montrent bien quel est votre objectif.
Les belles promesses d’une nouvelle étape de la décentralisation sont aujourd’hui enterrées. Certes, pendant quelques années encore, les communes continueront d’exister, mais elles seront devenues des coquilles vides, sans moyen financier et sans pouvoir. Il leur restera la démocratie, avez-vous précisé, monsieur le secrétaire d’État. Toutefois, de quelle démocratie parlez-vous ? D’une démocratie sans moyen d’agir ? Est-ce là votre conception de la démocratie ?
Les élus municipaux de proximité ne pourront plus agir sur la réalité ; ils pourront seulement intervenir auprès des élus communautaires. Ce faisant, ils deviendront de simples intermédiaires, au mieux des médiateurs locaux. Ils seront toujours au service de nos concitoyens, mais sans disposer des moyens de répondre à leurs demandes ou à leurs besoins.
Défendant nos communes, comme nous ne cessons de le faire depuis des années, nous ne soutenons pas pour autant une vision passéiste et archaïque de l’organisation locale de notre République, recroquevillée sur des structures dépassées.
Notre vison n’est pas celle d’une France du XIXe siècle. Elle est bien plutôt celle d’une France disposant de milliers de foyers démocratiques, d’une France républicaine, vivante, innovante, ancrée dans tous ses territoires, enracinée dans notre histoire et en prise directe avec la vie de nos concitoyens.
Oui, nous voulons une France décentralisée, s’appuyant sur des territoires d’action, au plus près des citoyens, leur permettant de s’engager dans la gestion locale, en milieu rural comme en milieu urbain, à l’écoute des attentes et des défis à relever, pour développer les services publics locaux, afin d’améliorer les conditions de vie de chacun, pour favoriser la mise en relation de tous et le vivre ensemble.
De grâce, cessez de considérer que ce plaidoyer en faveur des communes est archaïque ! Au contraire, défendre aujourd’hui les communes, c’est défendre l’ambition d’une République sociale, démocratique et solidaire,...
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Christian Favier. ... fondée, entre autres, sur le principe de subsidiarité constitutif du processus de décentralisation inscrit dans notre Constitution.
Oui, nous soutenons cette autre vision, ce renouveau de la décentralisation. Nous y voyons une solution de rechange aux politiques recentralisatrices, qui structurent ce texte et qui se traduisent par la concentration des pouvoirs locaux et la hiérarchisation de nos institutions locales, instituant de nouvelles tutelles, notamment régionales et métropolitaines.
Si, à l’occasion de cette explication de vote sur l’ensemble, nous insistons sur l’avenir de nos communes, c’est qu’il s’agit d’un point nodal pour l’avenir des autres collectivités territoriales. En effet, au travers de ces supracommunalités, ce sont aussi les départements qui sont visés. C’est particulièrement vrai avec les métropoles, à l’exemple de la métropole de Lyon, souvent citée en modèle, qui a absorbé une grande partie du département du Rhône.
Bientôt, la règle sera la suivante : là où la métropole passe, le département trépasse. (Exclamations.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Christian Favier. Concrètement, ce bouleversement de nos institutions locales, par l’émergence de ces nouvelles collectivités, ne porte malheureusement aucune ambition d’amélioration de l’action publique au service des citoyens, alors que ce devrait être la visée de toute nouvelle organisation.
Finalement, ce chambardement institutionnel n’a pour seule vocation que de réduire l’action publique locale, de réduire les services à nos concitoyens, aux seules fins de faire des économies comptables, incertaines et dangereuses pour l’avenir de notre développement économique et social, ainsi que pour notre modèle social et démocratique.
Votre volonté en ce domaine est si puissante que vous la mettez en œuvre par le biais institutionnel, en louvoyant pour éviter l’écueil de l’anti-constitutionnalité de vos propositions.
Vous la conduisez également en utilisant l’arme budgétaire, en réduisant les dotations aux collectivités territoriales, pour les contraindre à limiter et réduire leurs actions au service de la population. C’est cette réalité que nos concitoyens et leurs élus locaux subissent aujourd’hui. Elle les plonge d’ores et déjà dans de grandes difficultés, en fragilisant les services publics locaux. Elle fait peser de très graves menaces sur l’activité et l’emploi, au travers de la diminution de l’investissement public que l’austérité budgétaire génère.
Ces difficultés deviendront très vite insupportables, alors que la dégradation des conditions de vie d’un grand nombre de nos compatriotes appelle, au contraire, à renforcer l’intervention locale.
Pour toutes ces raisons, malgré quelques évolutions positives, notamment sur la métropole du Grand Paris, malgré le travail tout à fait remarquable des deux rapporteurs, nous voterons contre ce projet de loi. Nous le ferons avec regret, car nous souhaitons ardemment une autre réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, balayant les dispositions de la loi MAPTAM votée voilà quelques mois, le projet de loi NOTRe, à défaut de pouvoir immédiatement supprimer les départements, est la première étape de leur disparition.
Étrangement, à l’issue de la première lecture du texte par les deux assemblées, ce n’est pas sur ce point que les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale étaient les plus éloignées.
L’Assemblée nationale n’est pas revenue, par exemple, sur le maintien au département des compétences en matière de collèges et de routes voté par le Sénat. En revanche, elle a non seulement repris son offensive anti-Sénat en rétablissant le Haut Conseil des territoires, que le Gouvernement semblait pourtant avoir enterré, mais elle en a en plus lancé une nouvelle contre les communes, à notre plus grande surprise. Or une offensive sur des sujets aussi sensibles ne peut pas avoir été lancée « à l’insu du plein gré » des plus hauts sommets de l’État.
Aujourd’hui, le masque est tombé : les yeux grands fermés sur la réalité géographique, historique et politique de notre pays, le Président de la République et son gouvernement sont bien décidés, sinon à supprimer les communes – elles survivront en tant que quartiers sans pouvoirs ni moyens de l’intercommunalité qui les aura absorbées –, du moins à les lyophiliser.
Le Gouvernement peut bien crier au procès d’intention, jurer qu’il aime toutes les communes et leurs élus si dévoués (Sourires sur les travées du RDSE.), les faits sont là !
Relance de la suppression des syndicats et syndicats mixtes ; nouvelle révision des schémas départementaux de la coopération intercommunale et instauration de règles plus contraignantes ; fixation de la taille minimale des intercommunalités à 20 000 habitants, sauf aménagements réglementés ; transferts obligatoires d’un plus grand nombre de compétences essentielles aux intercommunalités ; suppression des garanties en matière de PLUi, ou plans locaux d’urbanisme intercommunal, issues de la loi ALUR ; réduction du champ d’application de l’ « intérêt communautaire » et définition de celui-ci à la majorité simple, et non plus qualifiée ; suppression de la minorité de blocage reconnue aux communes membres d’un EPCI faisant l’objet d’un projet de fusion ; possibilité pour un EPCI de décider à la majorité qualifiée de l’unification des impôts locaux ; extension de la règle de la représentation démographique des communes dans les intercommunalités aux syndicats ; enfin – c’est le bouquet final ! –, désignation des représentants des communes à l’intercommunalité lors d’un scrutin distinct de l’élection municipale, ce qui conduira à faire des intercommunalités autre chose qu’un outil au service des communes.
La prochaine étape est déjà programmée : mutualisation obligatoire des impôts locaux, DGF intercommunale, attribution de la clause de compétence générale aux communautés, transfert obligatoire des compétences résiduelles pouvant faire l’objet d’une délégation de service public.
Le Sénat, sur proposition de sa commission des lois et de ses rapporteurs, dont je salue la lucidité, le courage et l’opiniâtreté, a pour l’instant sauvé l’essentiel. C’est pour cela que la très grande majorité du groupe RDSE votera ce texte. Personnellement, même si je n’ai toujours pas fait mon deuil de la compétence générale des départements et des régions, même si je n’accepte toujours pas la mise sous tutelle des élus locaux par la Cour des comptes, je le voterai également.
Le Sénat, disais-je, a sauvé l’essentiel, mais pour combien de temps ?
M. Alain Fouché. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Le Gouvernement, qui souhaite ignorer le degré de dévaluation de la parole publique et qui est si sûr des bienfaits de sa réforme territoriale qu’il en assure la promotion de Bruxelles à la City, pense qu’il suffit de nier l’évidence pour l’imposer au Français.
M. Gérard Cornu. C’est bien cela le problème !
M. Pierre-Yves Collombat. Au cours des débats, alors que j’interrogeais M. le secrétaire d’État sur les compétences qui resteraient aux communes après l’adoption par l’Assemblée nationale des dispositions anti-communes que j’évoquais à l’instant, M. Vallini a répondu : « Il leur reste la démocratie. » (Exclamations sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Mes chers collègues, cela ne s’invente pas !
Monsieur le secrétaire d’État, une démocratie sans pouvoirs et sans moyens, comme l’a rappelé notre collègue, une démocratie décorative en carton-pâte, une démocratie Potemkine n’est qu’un fantôme de démocratie, une démocratie d’avant la Révolution !
M. Alain Chatillon. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Analysant comment l’Ancien Régime avait ôté à la population des villes le pouvoir de gérer ses affaires, Tocqueville fait cette observation : « Le peuple, qui ne se laisse pas prendre aussi aisément qu’on ne l’imagine aux vains semblants de la liberté, cesse alors partout de s’intéresser aux affaires de la commune et vit dans l’intérieur de ses propres murs comme un étranger. [...] Les plus grands intérêts de la ville semblent ne pas le toucher. On voudrait qu’il allât voter, là où on a cru devoir conserver la vaine image d’une élection libre : il s’entête à s’abstenir. » Les récentes élections locales le confirment : les mêmes causes produisent aujourd'hui les mêmes effets.
Lors du premier tour des élections municipales de mars 2014, le taux de participation moyen sur l’ensemble de la France était de 63 %. Ce taux masque toutefois des différences considérables selon la taille des communes : on constate ainsi 26,6 points de différence entre le taux de participation des communes de moins de 500 habitants, où il est de 78,6 %, et celui des communes de plus de 90 000 habitants, où il est de 52 % seulement. Globalement, le taux de participation des grosses communes est de plus en plus faible, jusqu’aux communes de 35 000 habitants, pour osciller autour de 53 %, soit 25 points de moins que dans les communes rurales.
C’est bien la preuve scientifique que le regroupement forcé des communes dans des intercommunalités de plus en plus grandes destinées à aspirer leur substance marque un progrès démocratique ! (Sourires sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Les résultats des dernières élections cantonales témoignent eux aussi de l’enthousiasme des Français pour la lyophilisation de leurs institutions de proximité. Au premier tour, alors que le taux d’abstention était de 49,8 % et que l’on a comptabilisé 2,45 % de bulletins blancs et nuls, les exprimés n’ont représenté que 47,9 % des inscrits. Cela signifie que moins d’un électeur sur deux s’est reconnu dans cette consultation.
Par charité, et par manque de temps, je passerai sur ce que ces élections disent du rapport de force politique entre la gauche, la droite et, désormais, l’extrême droite. Je passerai également sur les pertes plus que significatives du parti qui était majoritaire localement jusque-là. Visiblement, mes chers collègues, le bon peuple n’accepte pas les modernisations pour lesquelles on ne lui demande pas son consentement.
M. Alain Fouché. Voilà !
M. Pierre-Yves Collombat. Sachez qu’il en va de même des élus ruraux ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous allons voter ce projet de loi. J’indique d’ailleurs qu’il s’agit du texte non pas du Gouvernement, mais du Sénat. Je le précise, car on entend trop souvent dire que telle loi du nom du ministre qui l’a portée, comme la loi Macron, a été adoptée. Or cette loi est aussi la nôtre. Elle n’est en tout cas pas la même.
Bien sûr, ce texte n’est pas parfait. Je regrette ainsi la suppression de la capacité d’initiative que constituait la clause de compétence générale. En conséquence, il a fallu prévoir par voie d’amendement les conditions de financement des départements aux lignes aériennes de transport de passagers, ce qui aboutit, c’est original, à une tutelle de la région sur les départements.
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Philippe Adnot. J’ai apprécié, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, les évolutions positives que vous avez acceptées, notamment sur les collèges et sur les routes. J’espère qu’il y en aura d’autres ; j’espère surtout que l’Assemblée nationale ne reviendra pas sur ces sujets.
En matière de transports scolaires, faites en sorte, madame la ministre, qu’ils relèvent entièrement, y compris le transport des personnes handicapées, d’une seule collectivité.
Par ailleurs, j’insiste pour que vous mesuriez précisément les problèmes économiques qui vont se poser. Ainsi, qu’adviendra-t-il des biens immobiliers appartenant à des entreprises en difficulté que l’État nous a demandé d’acquérir ? Qui les récupérera ?
Nous allons bien sûr, je le répète, voter ce texte, mais le pire est peut-être à venir. Aussi devrons-nous être vigilants, mes chers collègues, concernant les décrets d’application, mais également d’éventuelles autres décisions relevant d’autres textes. Nous devrons ainsi vérifier précisément les périmètres transférés. Or j’avoue ne pas avoir été rassuré par les méthodes utilisées pour procéder aux compensations de transferts entre collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Ouverture du scrutin public
M. le président. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je vais suspendre la séance jusqu’à quinze heures cinquante, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
M. le président. Je tiens tout d’abord à remercier Mme Catherine Tasca, M. Jean-Pierre Leleux et M. Jean Desessard, secrétaires du Sénat, qui ont assuré le dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 194 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 226 |
Pour l’adoption | 191 |
Contre | 35 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Avant de donner la parole à Mme la ministre, je voudrais, en présence de M. Philippe Bas, président de la commission des lois, remercier nos deux corapporteurs, MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, du travail qu’ils ont réalisé sous son autorité. Je souhaite vraiment leur exprimer la gratitude du Sénat dans son entier pour ce travail en profondeur. (Applaudissements.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de m’associer aux remerciements qui viennent d’être exprimés pour l’excellent travail réalisé par la commission des lois et ses corapporteurs. Ce travail se mesure aussi en heures, y compris celles qui ont été consacrées à la recherche, sinon d’un consensus, comme le prétend M. Dominique de Legge, mais d’un compromis.
Je voudrais relever quelques points, à commencer par ceux qui nous occuperont le plus pour aboutir à l’accord souhaité par le Premier ministre.
S’agissant du développement économique, le schéma établi par la région sera certes prescriptif, mais ce caractère prescriptif ne s’appliquera pas aux autres collectivités. Le texte, tel qu’il est désormais rédigé, est donc légèrement en recul par rapport à celui que le Sénat avait adopté en première lecture. Mais sans doute sera-t-il aisé, avec l’engagement des corapporteurs, de trouver une solution commune.
La région pourra également élaborer un schéma prescriptif en matière d’aménagement du territoire. Toutefois, les autres collectivités territoriales disposent maintenant d’une possibilité de blocage qui n’existait pas non plus dans le texte issu de la première lecture. La rédaction à laquelle nous aboutissons sur ce point n’est peut-être pas exactement celle que vous auriez souhaitée, d’autant que, d’amendement en amendement, la lecture n’en est pas forcément des plus fluides. En tout cas, là encore, tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel, un véritable recul est à noter, et il me semble qu’il nous faut trouver un langage commun sur le principe de co-élaboration, puisque, si j’ai bien compris, c’est l’objectif.
Encore un point sur lequel le texte issu de la première lecture au Sénat allait plus loin que celui que vous venez d’adopter : celui des syndicats intercommunaux et, en particulier, des représentations-substitutions. Un travail important doit encore être réalisé en la matière. Mais à l’impossible, ensemble, nous sommes tenus ! Donc, nous trouverons une solution !
D’autres sujets soulèvent un certain nombre de difficultés.
Dans le domaine de la solidarité, par exemple, l’application de la loi SRU en 2034 semble difficilement envisageable alors que, constat souvent partagé avec des sénateurs de toutes tendances politiques, il existe un véritable problème de logement. Attendre 2034 sans prévoir aucune mesure d’ici à cette échéance me semble effectivement un peu difficile. C’est pourquoi, si vous le voulez bien, je vous propose de retravailler sur la question.
En matière de coopération intercommunale, on est revenu à des dispositions datant d’avant la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. En effet, les pouvoirs spécifiques du préfet, que les parlementaires avaient adoptés dans ce cadre, ont été supprimés. Là encore, tant sur la question du seuil que sur celle des pouvoirs spécifiques accordés au préfet, il y a probablement matière à travailler.
S’agissant de la métropole du Grand Paris, je pense que plus de 90 % des élus avaient opté pour la date du 1er janvier 2016 ; nous trouverons sans doute des voies de discussion.
Vous aviez, mesdames, messieurs les sénateurs, ouvert le débat sur la compétence de la région en matière d’emploi. Les députés s’en sont saisis et ont fait des propositions ; le Sénat n’a pas entendu les suivre. Bien que les bruits de couloirs que j’ai pu entendre ne m’incitent pas vraiment à l’optimisme, je crois qu’un compromis est possible.
Il sera sans doute plus difficile de trouver un terrain d’entente sur le tourisme, mais sait-on jamais ! Nous pouvons aussi y travailler.
L’Assemblée nationale avait accepté la proposition du Sénat d’une co-élaboration des schémas par les régions et les départements. Le Gouvernement avait, pour sa part, proposé une simplification qui a disparu du texte. Le retour à la rédaction issue de la première lecture n’a pas pris en compte cette ouverture d’une assemblée vers l’autre.
Comme je le soulignais hier, l’Assemblée nationale compte aussi de nombreux élus locaux, responsables de petites communes et très attachés à leur collectivité, qui avaient accepté de travailler sur ces sujets. Les députés l’avaient fait également concernant les transports, au sens large. Du reste, nous nous attendions à vos remarques, mesdames, messieurs les sénateurs – le Premier ministre lui-même en avait parlé à propos des transports scolaires –, et nous les avons entendues.
Les ports constituent un autre sujet qui mérite que nous y travaillions, et le compte rendu des débats porte témoignage de mon ouverture à cet égard. Qu’il s’agisse du rôle des ports de commerce comme grands outils de développement économique, des petits ports de pêche ou des ports de tourisme, il y a matière à réfléchir.
Nous avons donc une semaine, ou un peu plus, pour créer les conditions d’une convergence entre les deux chambres : les deux lectures prévues par la Constitution ont justement pour but de permettre de parvenir à un accord.
C’est l’objectif commun que nous nous étions fixé. Même si la tâche semble aujourd’hui un peu plus difficile que prévu, je relève que certains compromis sont d’ores et déjà gravés dans le marbre de la loi. Je pense notamment aux dispositions que l’Assemblée nationale a acceptées sur les collèges – une revendication très forte du Sénat –, les routes ou la collectivité unique de Corse. Vos collègues députés ont entendu vos demandes sur ces sujets et n’ont nullement l’intention de revenir sur ces dispositions, même s’il faudra peut-être, en CMP, corriger à la marge une question de droit soulevée par M. Jean-Jacques Hyest.
Nous avons la ferme intention de poursuivre les discussions sur les questions de justice sociale et territoriale, de développement équilibré et durable des territoires et d’égal accès de nos concitoyens aux services publics, autant de sujets sur lesquels nous avons bon espoir de trouver un accord.
Je dirai en conclusion qu’on nous attaque en permanence en prétendant que nous voudrions supprimer les communes, alors que, à nos yeux, les 36 000 communes que compte la France sont constitutives de son histoire et font sa force. Si nous avons défendu l’intercommunalité, c’est parce qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’égalité entre les communes. Le maire d’une petite commune qui a des ressources, parce qu’elle est située sur le littoral, qu’elle exploite une station de sports d’hiver ou qu’elle abrite tel ou tel équipement, peut effectivement offrir des services à ses habitants. En revanche, le maire d’une autre commune abritant la même population mais ne disposant pas des mêmes atouts ne pourra pas le faire. Il existe donc des inégalités très fortes entre nos territoires.
Je propose toujours de voir l’intercommunalité comme un grand outil de solidarité entre les communes, dont nos citoyens ont besoin, et non comme la volonté des uns de prendre le pouvoir sur les autres.
C’est dans cet esprit que je vous invite à continuer à travailler, avec acharnement, mais aussi avec le souci de l’ouverture la plus large et d’une réflexion commune. En dépit des quelques reculs que j’ai évoqués, je persiste à penser qu’un accord est possible et que le souhait du Premier ministre peut être exaucé. C’est notre espoir et, pour l’heure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’excellent travail que vous avez d’ores et déjà accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour un très court instant.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures sept.)
M. le président. La séance est reprise.
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Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question n° 1137 de Mme Agnès Canayer est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
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Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif au renseignement (projet n° 424, texte de la commission n° 461, rapport n° 460, avis n° 445) et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (proposition n° 430, texte de la commission n° 462, rapport n° 460).
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Joël Labbé et François Fortassin applaudissent également.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis trois mois, le Parlement débat de l’encadrement juridique des activités de renseignement. Ce texte arrive, aujourd’hui, en séance publique pour que vous tous, au Sénat, puissiez désormais en discuter.
Même si ce n’est pas une première, il est inhabituel qu’un Premier ministre présente un projet de loi directement devant vous, en compagnie des ministres de la justice, de la défense et de l’intérieur – je voudrais à cette occasion saluer le travail qu’ils mènent depuis plusieurs mois.
Cette exception se justifie par l’ambition de ce texte, qui donne, enfin, un cadre juridique cohérent et complet aux activités de nos services de renseignement. Je dis « enfin », car la France a, dans ce domaine, par rapport à la plupart des autres démocraties occidentales, du retard.
Ce texte, j’en ai la conviction, approfondit notre État de droit. Les bases législatives qui seront conférées aux activités de ces services s’accompagneront d’un contrôle de chaque opération de surveillance. Elles s’accompagneront également d’un droit pour les citoyens au recours juridictionnel. C’est une avancée dont il faut prendre la juste mesure !
Il est inhabituel également que le Président de la République annonce la saisine du Conseil constitutionnel, avant même la fin des débats parlementaires et la promulgation du texte, sur les points de droit les plus délicats.
Cette loi concerne le droit à la vie privée. Il est donc naturel qu’elle suscite des interrogations et des inquiétudes. Et légiférer sur des sujets aussi sensibles, c’est nécessairement s’entourer d’un maximum de précautions.
Dans ce même hémicycle, l’un de vos prédécesseurs, madame Taubira, le garde des sceaux Henri Nallet déclarait le 25 juin 1991 – il présentait alors le projet de loi sur le secret des correspondances, principale référence du texte qui nous occupe aujourd’hui – : « En prenant l’initiative de saisir le Parlement de cette question, le Gouvernement a bien conscience de relever un véritable défi » !
Aujourd’hui, les circonstances sont un peu différentes, puisque ce texte s’appuie sur un travail parlementaire approfondi et transpartisan.
Le premier organe parlementaire de contrôle a été créé en 2007 : il s’agissait de la délégation parlementaire au renseignement, ou DPR, chargée de l’évaluation de la politique publique et du contrôle de l’action du Gouvernement en matière de renseignement.
Je tiens, d’ailleurs, à rendre hommage au travail des membres de cette délégation parlementaire – j’ai eu l’occasion de m’exprimer devant elle à plusieurs reprises, comme ministre de l’intérieur ou comme Premier ministre –, plus particulièrement de ceux d’entre vous qui en ont présidé les travaux : Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur et, désormais, Jean-Pierre Raffarin. Cette institution a su créer de véritables liens de confiance avec le Gouvernement, comme avec les services.
Une communauté du renseignement et des six services qui la composent a également été définie en 2007.
Le Conseil national du renseignement et la fonction de coordonnateur national du renseignement ont été créés en 2008, et l’Académie du renseignement en 2010, afin que la communauté du renseignement se professionnalise et se coordonne davantage.
Les missions de contrôle de la DPR ont été élargies dans la loi de programmation militaire de 2013, et la loi de 1991 a été élargie aux données de connexion, d’ailleurs par un amendement sénatorial particulièrement courageux.
Les députés Jean-Jacques Urvoas, de la majorité, et Patrice Verchère, de l’opposition, ont cosigné un rapport parlementaire sur le sujet en 2013, notamment pour tirer les enseignements des attentats de Toulouse et Montauban.
Une inspection des services de renseignement a été créée en 2014 ; elle vient d’ailleurs de se voir confier ses deux premières missions.
Ce travail important accompli par l’Assemblée nationale et par le Sénat, quelles que soient les majorités en présence, doit être salué.
Le projet de loi que vous allez examiner est donc l’aboutissement d’une réflexion approfondie, à laquelle plusieurs d’entre vous ont contribué de manière notable, et dont la droite comme la gauche – si toutefois ces termes veulent dire quelque chose dans ce débat – ont vu l’utilité. Elle est, en ce sens, profondément républicaine.
C’est en juillet 2014 que le Président de la République a décidé de légiférer, bien avant que notre pays, en janvier dernier, ne soit frappé en plein cœur. Face à l’intensité de la menace terroriste, que nous connaissons depuis mars 2012, mais qui a frappé récemment à Copenhague, à Tunis et au Kenya, nous avons décidé d’accélérer ce travail et d’envisager l’introduction de dispositions spécifiques à la lutte antiterroriste.
Sur de tels sujets, l’apport des parlementaires est toujours précieux pour l’exécutif. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail réalisé par les membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, co-présidée par Nathalie Goulet et André Reichardt, et dont le rapporteur était Jean-Pierre Sueur. Certaines des propositions présentées par cette commission le 8 avril dernier figurent d’ailleurs déjà dans ce texte de loi.
Je suis également certain que le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, présidée par Éric Ciotti, et dont les conclusions ont été présentées ce matin par Patrick Mennucci, offrira de nouvelles pistes de réflexion au Gouvernement. Certaines d’entre elles sont d'ailleurs déjà mises en œuvre.
Il est en effet indispensable que notre dispositif de lutte contre le terrorisme s’adapte en permanence à une menace particulièrement mouvante qui ne cesse d’évoluer et de s’intensifier.
Vous le savez, la France fait face à d’immenses défis, dans un monde marqué par l’imprévisibilité, la multiplication des crises et la diversification des menaces. Ces défis, il faut les appréhender avec lucidité et y répondre, afin que notre pays puisse défendre son territoire, ses ressortissants et ses intérêts, ses valeurs aussi, dans le respect de l’état de droit.
Le rôle des services de renseignement est à ce titre fondamental, et je tiens à rendre une nouvelle fois hommage, devant vous, à ces combattants de l’ombre qui méritent toute notre estime. Leur action est par nature discrète, mais, dans ces temps difficiles, elle est plus que jamais nécessaire ; elle est même primordiale.
Anticiper, détecter, analyser et comprendre les menaces qui pèsent sur la France, c’est garantir la sécurité du pays. Comme le soulignait déjà le général chinois Sun Tse, cher à Jean-Pierre Raffarin, dans un ouvrage de stratégie, « une armée sans agents secrets est exactement comme un homme sans yeux ni oreilles ».
Au premier rang des missions de nos services figure bien évidemment la lutte contre la menace terroriste, et tout particulièrement contre la menace djihadiste. C’est une menace globale, où les dimensions extérieures et intérieures se confondent. J’avais déjà évoqué cet ennemi intérieur et cet ennemi extérieur en octobre 2012, lorsque j’avais présenté ici même, en tant que ministre de l’intérieur, le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
La radicalisation violente et l’implication dans le terrorisme islamiste ont explosé ces dernières années, dans tous les pays européens et méditerranéens. Je citerai quelques chiffres pour rappeler cette réalité. Ces chiffres n’éveillent pas suffisamment, me semble-t-il, la conscience de beaucoup de nos compatriotes, mais il est nécessaire de les connaître pour comprendre la menace.
Plus de 1 730 Français ou personnes résidant en France sont aujourd’hui recensés pour leur implication dans le djihad en Syrie ou en Irak, et ce chiffre ne cesse d’augmenter : il a plus que doublé en un an. Bernard Cazeneuve est confronté tous les jours à cette réalité ; il l’a abordée aujourd'hui même avec ses homologues des six principaux pays européens.
Plus de 860 individus ont séjourné en Syrie ou en Irak. Par ailleurs, 471 y sont actuellement et 110 sont recensés comme morts ; c’est 10 de plus qu’il y a deux mois à peine, lorsque je présentais ce projet de loi devant l’Assemblée nationale. La semaine dernière, le groupe terroriste Daech a revendiqué deux attentats suicides menés en Irak par deux de nos jeunes compatriotes. Cela porte à neuf le nombre d’individus partis de France et décédés dans des actions suicides. Même les territoires ultramarins sont concernés par les phénomènes de radicalisation. Cela illustre les redoutables capacités d’endoctrinement de Daech et la perversité de cette organisation barbare, qui attire les étrangers dans ses rangs pour ensuite les sacrifier.
Le nombre d’individus à suivre et à surveiller a explosé. Ce phénomène, nous le connaissons ; d’autres pays le connaissent. Je rappelle qu’il pourrait y avoir, à la fin de l’année, près de 10 000 Européens en Syrie et en Irak, 10 000 !
Pour les moyens humains, le Gouvernement consent des efforts sans précédent : plus de 1 000 effectifs supplémentaires pour la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, d’ici à 2017, et 2 180 effectifs supplémentaires pour les autres services de renseignement, la police judiciaire, la justice et l’administration pénitentiaire. Ainsi, 30 % de ces recrutements sont prévus en 2015 ; ils ont déjà débuté, car il faut agir.
En ce qui concerne les moyens juridiques, le projet de loi complète les deux lois précédentes : la loi du 21 décembre 2012, examinée d'abord par le Sénat et adoptée après un débat de grande qualité, qui intégrait un certain nombre de propositions formulées par le gouvernement précédent, celui de François Fillon, et la loi du 13 novembre 2014, présentée il y a quelques mois par Bernard Cazeneuve, qui a renforcé notre arsenal antiterroriste.
Nous devons également prendre la mesure de la montée en régime des cybermenaces, qui n’ont rien de virtuel : ce sont des actes de sabotage et des atteintes inacceptables aux libertés d’information et d’expression. L’acuité de la menace terroriste ne doit pas nous faire oublier les autres risques auxquels notre pays est exposé. Les activités de nos services de renseignement portent aussi sur ces risques.
L’espionnage économique, qui emprunte de plus en plus la voie de cyberattaques, coûte de nombreux emplois à notre pays. La vigilance des services de renseignement en matière de prévention de ces prédations ne doit pas être réservée à nos fleurons industriels ni aux seules filières nucléaire, aéronautique ou de défense. Elle concerne aussi de nombreuses entreprises innovantes de taille intermédiaire, qui voient trop souvent leurs perspectives de développement ruinées par une captation de leur savoir-faire. Notre stratégie de redynamisation des filières industrielles doit s’accompagner d’une lutte résolue contre l’espionnage économique.
Le renseignement constitue également un outil précieux d’aide à la décision en matière de politique étrangère. Au Sahel, en Centrafrique, en Irak, notre armée répond présent. Pour promouvoir l’action diplomatique par rapport à l’action militaire, nous employons notre appareil de renseignement extérieur au service de l’anticipation diplomatique.
Nous devons, enfin, prévenir les actions menées sur notre territoire par des groupes subversifs dont l’objectif est de se livrer à des actes de violence et de porter gravement atteinte à la paix publique. La rédaction de la loi de 1991, voulue par Michel Rocard, laissait sur ce point une grande part à l’interprétation. Ainsi, la surveillance préventive du hooliganisme violent relève parfois de la rubrique « sécurité nationale » et parfois de la rubrique « prévention de la délinquance et de la criminalité organisée ».
Le principe de légalité, auquel vous êtes profondément attachés, exige davantage de clarté. Je veux le dire devant vous de la manière la plus nette : l’ajout d’une nouvelle finalité ne vise en rien à porter atteinte à la liberté d’opinion ou de manifestation. Les services de renseignement ne seront pas autorisés à surveiller les actions de défense d’une cause à partir du moment où elles sont licites. En outre, les opérations de surveillance ne seront autorisées que si elles sont proportionnées aux risques encourus.
Le projet de loi qui vous est soumis détaille les finalités pour lesquelles les services de renseignement pourront demander le recours à certaines techniques de surveillance, comme l’intrusion informatique ou la sonorisation de lieux privés. Ces finalités, qui ont été précisées par la commission des lois, correspondent fidèlement aux défis et aux menaces que je viens d’évoquer. J’insiste sur le fait que le Gouvernement a opté pour une définition des motifs légaux beaucoup plus stricte – je le dis en réponse à certains commentaires – que la Convention européenne des droits de l’homme ne l’y autorise.
Le projet de loi reprend largement les dispositions existantes en matière d’interceptions de sécurité et d’accès aux données de connexion, et il les modernise, car le précédent texte datait d’avant l’arrivée du téléphone portable et d’internet.
Le projet de loi procède également à des ajustements pour prendre en compte les nouvelles techniques de surveillance disponibles : géolocalisation de véhicules ou d’objets, sonorisation, captation d’images ou de données informatiques dans des lieux privés. Pour cela, il tient compte du cadre législatif en matière de techniques spéciales d’enquêtes dans le domaine judiciaire, qui a été créé en 2004 et modernisé en 2011.
Le projet de loi fixe également, pour la première fois, un cadre juridique précis aux mesures de surveillance internationale auxquelles nos services procèdent depuis le territoire national. Il s’agit d’une avancée notable par rapport à la loi de 1991, qui ne soumettait ces activités à aucun contrôle. Ceux qui s’émeuvent parfois des dispositions du présent texte ne se sont pas beaucoup émus de cette absence de règles depuis 1991.
Le projet de loi prévoit, enfin, de nouveaux dispositifs qui permettront un accès encadré aux réseaux des opérateurs de téléphonie et d’internet. Le suivi des terroristes en temps réel sur leurs réseaux est nécessaire. C’est aujourd'hui l’un des éléments majeurs de la lutte contre le terrorisme, car les djihadistes utilisent tous les outils du numérique pour se livrer à des actions de propagande et d’embrigadement, mais aussi pour échanger, le plus souvent en adoptant des techniques sophistiquées afin d’éviter d’être repérés. C’est pour cette raison que nous avons introduit une disposition autorisant le recours aux algorithmes ; ceux-ci permettront de détecter des terroristes jusqu’alors inconnus, ainsi que des individus connus mais recourant à des techniques de dissimulation.
Je citerai un autre chiffre pour illustrer mon propos : moins d’un djihadiste sur deux avait été détecté avant son départ en Syrie. Si aucune loi, bien entendu, ne pourra jamais garantir un taux de détection et une efficacité préventive de 100 %, nous devions néanmoins absolument augmenter la capacité d’action de nos services.
Le projet de loi comporte également, dans un même mouvement – ne nous fions pas aux caricatures –, de grandes avancées en matière de protection des libertés publiques. Il offre infiniment plus de garanties que le dispositif légal actuel, qui demeure parcellaire.
Le projet de loi ne prévoit donc pas – je voudrais insister sur ce point – la mise en œuvre de moyens d’exception. J’avais d'ailleurs dit, dans mon intervention à l’Assemblée nationale le 13 janvier dernier, que, face à la menace terroriste, il fallait une réponse exceptionnelle mais pas des mesures d’exception. Le projet de loi prévoit encore moins une surveillance généralisée des citoyens.
Le recueil de renseignements sera ciblé sur les personnes qui présentent une menace réelle pour notre sécurité. Les principes de finalité et de proportionnalité et l’extension des compétences de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement permettront de le garantir. Toutes les opérations de surveillance menées sur le territoire national feront l’objet d’un contrôle indépendant. Elles seront portées à la connaissance de neuf personnes, parmi lesquelles deux hauts magistrats administratifs, deux hauts magistrats judiciaires et quatre parlementaires, dont deux de l’opposition.
La Commission verra ses moyens renforcés, afin qu’elle puisse accroître son contrôle ; c’est la garantie de son indépendance. Votre rapporteur a indiqué que votre assemblée y était particulièrement attachée. Le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, sollicitait déjà le renforcement de la Commission à hauteur de 25 personnes.
Le Groupement interministériel de contrôle, le GIC, service placé sous l’autorité du Premier ministre – pas de Manuel Valls, du Premier ministre –, verra lui aussi ses moyens renforcés afin qu’il puisse exercer ses nouvelles missions. Une première évaluation estime les moyens nécessaires à 200 personnes, contre 135 aujourd’hui, et 7 millions d’euros de budget annuel supplémentaires.
Au total, ce ne sont pas moins de 250 personnes qui seront dédiées aux fonctions de contrôle, sans compter les moyens de validation des décisions internes à chaque service. J’ai d’ailleurs saisi l’Inspection des services de renseignement afin qu’elle fasse des propositions concrètes sur la mise en œuvre des garanties prévues par le projet de loi. La délégation parlementaire au renseignement sera bien sûr destinataire des conclusions de ces travaux.
Une extension modérée du nombre de personnes à qui l’on peut déléguer l’autorisation d’une procédure, aussi bien dans les cabinets des ministres que dans celui du Premier ministre, est nécessaire. C’est la conséquence logique de la généralisation des procédures d’autorisation et de l’impératif de continuité opérationnelle, 365 jours par an, en cas d’urgence ; et il y a des urgences.
Je veux répondre expressément aux questions soulevées par le président de la délégation parlementaire au renseignement, Jean-Pierre Raffarin. Un lien de confiance direct continuera de relier l’autorité politique et le délégataire ; la responsabilité ne peut pas être diluée, et elle ne le sera donc pas.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le rapporteur, je salue l’amélioration rédactionnelle apportée par la commission des lois sur ce point, comme sur bien d’autres.
Le Gouvernement est d’avis qu’il faut soumettre les demandes de données de connexion les plus lourdes au visa du ministre.
Ce contrôle administratif, qui s’ajoute aux dispositifs existants – DPR, inspection des services de renseignement –, est lui-même complété par un contrôle juridictionnel : c’est une nouveauté et un progrès. Ce contrôle sera confié au Conseil d’État. Pour la première fois, un juge pourra ainsi enjoindre à l’exécutif de cesser une opération de surveillance, voire de détruire les renseignements recueillis et d’indemniser les victimes éventuelles, sans qu’on puisse lui opposer le secret de la défense nationale.
La France, soyons-en fiers, disposera donc désormais d’un dispositif de contrôle des services de renseignement global, cohérent et digne d’un État démocratique, avec son droit et ses valeurs. Il n’y aura aucune comparaison possible avec je ne sais quelle décision prise outre-Atlantique.
Le Gouvernement a élaboré, avec l’avis du Conseil d’État, un projet de loi équilibré, et qui soit efficace.
Il s’agissait, d’une part, bien sûr, de contribuer au renforcement de la sécurité des Français – ils nous le demandent – tout en protégeant leurs libertés individuelles, ce qui s’impose comme une exigence.
Il s’agissait, d’autre part, de préserver la distinction entre ce qui relève du judiciaire et ce qui ressortit à l’administratif.
Vous le savez, du moins ceux qui suivent ces questions, la frontière entre renseignement et judiciaire n’est pas toujours simple à tracer sur certains sujets, notamment la prévention du terrorisme ou la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Néanmoins, elle existe, et nous devons veiller à maintenir cette séparation, même si, comme tout fonctionnaire, les personnels des services de renseignement sont tenus d’aviser le procureur de la République de crimes ou de délits dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
C’est ce même désir de veiller à un double équilibre entre sécurité et liberté, entre administratif et judiciaire, qui a guidé l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, dont je veux de nouveau saluer le travail, ainsi que celui de son président, Philippe Bas, également rapporteur du texte.
Grâce au travail parlementaire, le projet du Gouvernement a été amendé, précisé sur plusieurs points, afin de dissiper les ambiguïtés et d’apporter de nouvelles garanties lorsque cela est apparu nécessaire.
Ainsi, lors de l’examen du texte en commission, la possibilité de recourir à la procédure de l’urgence absolue a été restreinte à deux finalités. Par ailleurs, l’autorisation de recueil en temps réel des données de connexion des terroristes a été réduite à 2 mois, et les modalités de recours aux dispositifs techniques de proximité, de type IMSI catcher, ont été reprécisées.
S’agissant des surveillances en milieu pénitentiaire, notamment en matière de prévention du terrorisme ou des activités de criminalité organisée, la commission des lois du Sénat a souhaité examiner la question en détail, comme l’avait fait l’Assemblée nationale. Ainsi, elle préconise d’aller au-delà du droit positif actuel, qui permet aux chefs d’établissement pénitentiaire de procéder à des surveillances pour la préservation du bon ordre au sein de l’établissement et la prévention des évasions.
Sachez que le Gouvernement, qui s’exprimera sur le sujet au cours du débat par la voix de Mme la garde des sceaux, considère comme une voie particulièrement intéressante de prévoir par une base législative les modalités de coopération entre l’administration pénitentiaire et les services de renseignement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis certain que les échanges constructifs que vous allez avoir dans les prochains jours avec les ministres de la justice, de la défense et de l’intérieur permettront d’enrichir encore ce texte et d’apporter des améliorations substantielles. Le Gouvernement participera bien sûr à ce débat en déposant ou en soutenant des amendements.
Ainsi, pour donner aux services la latitude dont ils ont besoin, le Gouvernement souhaite que le délai de conservation des données de connexion s’établisse à 4 ans. Il était de 5 ans dans le projet adopté par l’Assemblée nationale, mais il a été réduit à 3 ans par la commission des lois. De récentes affaires ont pourtant prouvé l’utilité d’une telle disposition pour retracer le parcours des terroristes.
Il importe également que le délai de conservation des correspondances recueillies par le biais d’interceptions de sécurité soit maintenu à 30 jours, comme l’a voté la commission. Ces 30 jours sont nécessaires, car il est souvent utile de réécouter plusieurs fois les enregistrements pour décoder des propos énigmatiques après recoupement de certaines informations.
Un amendement vous sera ensuite proposé afin de préciser les modalités de centralisation des données recueillies au moyen d’un dispositif technique de proximité de type IMSI catcher. S’il est en effet indispensable que le GIC et la CNCTR disposent des éléments collectés afin d’en faire un contrôle exhaustif, les services doivent, quant à eux, pouvoir continuer à les exploiter de manière opérationnelle. Une centralisation directe et exclusive des informations recueillies par le GIC n’est donc pas souhaitable. En revanche, une copie de contrôle sera systématiquement adressée au GIC par les services, et sera ainsi à la disposition permanente de la CNCTR.
Je connais les débats qui entourent certaines dispositions. Aussi, le Gouvernement vous soumettra également des amendements visant à apporter des garanties supplémentaires.
À titre d’exemple, s’agissant des opérations nécessitant une intrusion domiciliaire, il vous sera proposé de prévoir une saisine automatique du Conseil d’État dès lors qu’un avis défavorable de la CNCTR n’aurait pas été suivi. La plus haute juridiction administrative française – faut-il encore le rappeler ? – aurait alors 24 heures pour se prononcer sur la validité de l’autorisation accordée par le Premier ministre ou par un de ses délégués.
Par ailleurs, s’agissant des algorithmes visant à détecter des signaux faibles sur les réseaux des opérateurs de téléphonie et d’internet, il vous sera proposé d’apporter de nouvelles garanties, à savoir la destruction rapide de toutes les données concernant des personnes sur lesquelles les recherches complémentaires effectuées n’auraient pas confirmé de lien avec le terrorisme.
Enfin, un amendement du Gouvernement visera à préciser l’article relatif aux mesures de surveillance internationale. Les procédures d’encadrement du recueil et de l’exploitation des données seront notablement explicitées. Il en va de même pour les modalités spécifiques de contrôle par la Commission et le recours juridictionnel.
Ainsi, soyons précis là encore, dès qu’un numéro d’abonnement ou un identifiant sera rattachable au territoire français, les correspondances seront exploitées selon les mêmes règles que si elles avaient été émises sur le territoire national.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Merci, monsieur Sueur !
Je profite de cette occasion pour rappeler que la DGSE, comme la plupart des grands services de renseignement extérieur, dispose de capacités d’interception portant exclusivement sur les communications internationales, et que leur exploitation s’exerce dans les limites des finalités prévues aujourd’hui par la loi de 1991, et demain par ce texte. C’est conforme aux missions de ce service et c’est indispensable pour la sécurité et la souveraineté de notre pays.
Contrairement à ce qui peut être dit ou écrit, la DGSE n’exerce pas – non plus – de surveillance massive des Français et n’a pas accès aux centres de stockage des opérateurs. Elle ne procède à aucune interception des communications échangées sur le territoire français en dehors des interceptions de sécurité légales.
Ce projet de loi constituera, j’en suis certain, un progrès important pour les services de renseignement – ils le demandent, d’ailleurs, pour leur propre protection – comme pour notre démocratie.
Cependant, il n’est pas un aboutissement : les mécanismes et procédures prévus par ce texte devront vivre, avec la même force et le même caractère protecteur que la loi de 1991. Celle-ci a joué son rôle de garde-fou avec efficacité.
J’ai bien noté que des amendements ont été déposés par les sénateurs afin d’engager une réflexion sur le contrôle des fichiers des services de renseignement. La présidente de la CNIL le demande, par ailleurs, avec insistance.
La CNIL peut déjà exercer le contrôle individuel de ces fichiers, à la demande de tout particulier, à travers l’exercice du droit personnel d’accès.
Cependant, et je veux insister sur ce point, nous devons nous garder de bouleverser les équilibres des lois de 1978 et 1991, et veiller à ne pas installer de mécanismes de contrôle d’un même objet par deux autorités administratives différentes, et susceptibles de devenir concurrentes.
Nous devons également garantir la protection des sources humaines et le bon fonctionnement de la coopération internationale.
En revanche, il est possible de développer une politique de contrôle interne plus dynamique des fichiers de renseignement, en lien avec la délégation parlementaire. Je confierai au second semestre une mission à l’inspection des services de renseignement pour étudier cette question.
Nous devrons également aborder le sujet de la coopération entre les services. Comme je l’ai déjà dit, des progrès ont été faits au cours des dernières années, notamment sur l’initiative du coordonnateur national du renseignement. Des mutualisations ont été engagées, en particulier dans le domaine technique.
Sur le plan opérationnel, souvent sous l’impulsion des ministres de la défense et de l’intérieur, les relations entre services se sont améliorées – et nous ne pouvons que nous en féliciter. C’est indispensable pour lutter contre le terrorisme.
Je salue ainsi la création en cours, au sein des locaux de la DGSI, d’une task force exclusivement dédiée à la problématique des filières djihadistes syro-irakiennes. Composée de membres des six services de la communauté du renseignement, elle devrait prochainement associer des représentants du service central du renseignement territorial, le SCRT, et de la direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP, en anticipation, peut-être, d’une ouverture de la communauté du renseignement à ces deux nouvelles administrations.
Des progrès sont sans doute encore possibles. Ils sont en tout cas indispensables afin d’éviter des doublons et des pertes d’informations dont on imagine à quel point ils seraient préjudiciables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte mérite une discussion à la hauteur de son importance, mais je sais que tel sera le cas dans cette assemblée.
Je souhaite, bien sûr, qu’il recueille un large soutien, car je considère que, sur des sujets aussi importants pour la sécurité et la liberté de nos concitoyens, les principales forces politiques doivent être capables de concertation et d’esprit de responsabilité. C’est en tout cas une exigence de nos compatriotes.
Pour conclure, je reprendrai les mots prononcés le 13 juin 1991 par Édith Cresson, alors Premier ministre, qui défendait ce jour-là la loi relative aux interceptions de sécurité : « De plus en plus de responsables politiques souhaitaient faire la lumière. Il ne manquait que la volonté, voire le courage politique. C’est pourquoi nous avons choisi de débattre […] sur cette question, de la façon la plus démocratique et la plus incontestable qui soit, c’est-à-dire par la loi. Aujourd’hui, le Gouvernement vous invite à franchir le pas ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, 24 ans plus tard, nous relevons le défi et – c’est un honneur pour moi – nous vous invitons de nouveau à franchir le pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, en abordant ce débat, j’ai à l’esprit une longue histoire, qui a fait du Sénat l’un des fondateurs de la République moderne et le plus farouche défenseur des libertés publiques.
D’où que nous siégions, nous faisons nôtre l’héritage de Victor Hugo, comme ceux de Victor Schoelcher, d’Auguste Scheurer-Kestner et, aujourd’hui, celui de Robert Badinter, sans pour autant récuser Georges Clemenceau ou Michel Debré. Le Sénat, c’est la République dans toutes ses dimensions, la liberté et l’autorité.
La régulation des activités de renseignement soulève de nombreuses questions qui mettent en jeu nos droits fondamentaux. Puisse la grande tradition du Sénat libéral et républicain nous inspirer des bonnes réponses !
Ce débat va nous conduire au cœur de notre contrat social.
Les questions auxquelles nous devrons répondre sont, bien sûr, d’essence politique. Dans leur principe, elles ne sont, certes, pas nouvelles, mais elles se posent aujourd’hui à propos de nouveaux moyens d’intrusion dans la vie privée. Ces moyens sont fondés sur des techniques de surveillance en pleine évolution. Ils ont déjà gravement défrayé l’actualité mondiale, dans un contexte d’insécurité dont le Premier ministre, à juste titre, n’a pas manqué de rappeler à l’instant la gravité et l’actualité.
Comment renforcer la sécurité sans mettre en péril la liberté ? Comment assurer l’efficacité d’une action de renseignement, qui implique le secret, tout en la soumettant à des limites, lesquelles imposent de porter sur elles un regard extérieur ?
Face à ces questions, la République n’est pas dénuée d’expérience. Elle a depuis longtemps inventé une méthode. Cette méthode consiste à approfondir l’état de droit en s’appuyant sur nos institutions et nos procédures légales, et en refusant l’arbitraire de textes d’exception, où la fin justifierait les moyens, où l’urgence s’imposerait au droit, où nécessité ferait loi.
L’exigence du Sénat, dont je suis comme vous tous porteur, est d’inscrire cette loi dans le droit commun. C’est ainsi que nous resterons fidèles aux équilibres posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a su proclamer les droits naturels et imprescriptibles de l’homme tout en fixant immédiatement des bornes à ces droits pour « défendre […] les actions nuisibles à la société », comme elle l’affirme dans sa belle langue.
Ce projet confronte les intérêts fondamentaux de la nation ainsi que la sauvegarde de vies humaines à des exigences aussi fortes que le respect de la vie privée et la garantie des libertés fondamentales. Il n’y a certes pas d’impératif plus élevé que la sauvegarde de la vie humaine, mais le combat pour la sécurité ne peut justifier que des atteintes aux droits et libertés strictement et évidemment nécessaires.
Le projet de loi a pour but de donner un cadre légal aux services de renseignement pour prévenir des crimes et défendre nos intérêts nationaux. Ce faisant, il ne donne aux acteurs du renseignement aucun moyen supplémentaire. Tel n’est pas son objet !
Ce texte a été accusé tour à tour d’autoriser une surveillance de masse au profit de l’État, d’imiter le Patriot Act de George Bush, de tenir le juge à distance, de légitimer par avance l’arbitraire policier. Pour excessifs qu’ils soient parfois, les réquisitoires que nous entendons sont salutaires en démocratie. Ils constituent autant d’anticorps venant de la société civile pour que notre État de droit résiste à l’inoculation de réflexes toxiques pour nos libertés fondamentales.
Nous voyons bien les insuffisances de ce texte. Nous voulons les corriger, mais sa conception et son architecture reposent sur des fondements solides qui ne contreviennent en rien à la tradition républicaine. Jamais nous ne pourrions soutenir un projet qui ressemblerait à la caricature que certains en ont faite.
Pour répondre aux inquiétudes, nous devons faire de ce texte une grande loi républicaine. Il va nous falloir déterminer avec rigueur l’étendue des pouvoirs conférés aux services de renseignement. Il nous reviendra de prendre position sur les bornes que l’autorité publique peut légitimement assigner à la liberté et au respect de la vie privée. Ce ne sera pas la première fois et ce n’est pas chose facile, car c’est un choix de responsabilité et de mesure qui nous confronte à la nécessité d’accepter des concessions pour la défense des intérêts collectifs, sans renoncer à l’absolu que la liberté représente pour nous.
Face à une question aussi cruciale, toute pression instrumentalisant le terrorisme serait évidemment déplacée. La lutte contre le terrorisme ne permet pas tout et n’excuse pas tout. Ce texte très important n’est d’ailleurs pas une réaction aux crimes terroristes commis en janvier dernier. Il est issu du travail de la délégation parlementaire au renseignement et il tient compte des réflexions de notre commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
La République n’aurait que faire d’instaurer une surveillance de masse. La mission des services de renseignement va être mieux définie, la commission des lois y a veillé. Il s’agit de prévenir des crimes et des délits, d’empêcher des violences et des attentats, de faire échec à des menaces sur nos intérêts nationaux les plus fondamentaux, économiques et scientifiques, et de promouvoir ces intérêts par l’action extérieure. Rien de plus, mais c’est déjà beaucoup !
Repérer ceux qui nous menacent n’implique qu’une surveillance ciblée, exactement le contraire d’une surveillance de masse, laquelle ne serait que perte de temps et gaspillage de ressources par rapport aux objectifs visés. Tout ce qui pourrait s’y rapporter doit naturellement être évité et c’est le rôle du Sénat d’y veiller.
Avec ce projet de loi, il s’agit d’introduire des garanties pour nos concitoyens là où il n’y en a pas, de passer du non-droit au droit, certainement pas de créer une surveillance sans limites ni contrôles. Au contraire, le souci de prévenir ce risque justifie l’intervention du législateur : la loi restreindra les possibilités de surveillance de l’État en instituant des règles et des contrôles qui n’existaient pas.
L’encadrement des techniques de renseignement apparaît nécessaire à plusieurs stades : lors de l’autorisation des actions de renseignement en fonction de finalités et de critères précis, au moment de la mise en œuvre des techniques et, enfin, par l’intervention d’un juge chargé de faire respecter nos droits fondamentaux.
Je vous propose une ligne directrice simple : plus les techniques de renseignement utilisées seront intrusives, plus les garanties devront être importantes.
Les écoutes téléphoniques sont déjà réglementées par la loi de 1991 (M. Bruno Sido s’exclame.) qui les soumet à une autorisation du Premier ministre ou de son représentant, sur avis de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. La réforme s’inspire de ce dispositif en l’étendant et en l’adaptant à tous les services de renseignement et à toutes les techniques de renseignement.
Votre commission des lois a recentré la notion d’« entourage » en matière d’écoutes, limité dans le temps le recours aux IMSI catchers et restreint les données susceptibles d’être collectées par ces dispositifs aux seuls numéros des boîtiers de téléphone et de cartes SIM, en excluant les « fadettes ». Elle a aussi précisé que le recueil de données en temps réel pour les personnes présentant une menace terroriste serait soumis à un examen au cas par cas, la procédure d’urgence étant exclue. Par ailleurs, elle a étroitement circonscrit la définition de la technique de l’algorithme et resserré les conditions du recours à cette technique. Elle a aussi prévu une durée d’application plus limitée dans le temps – deux mois –, le renouvellement du dispositif étant assorti de conditions, afin d’encadrer davantage le recours à ces traitements automatisés qui focalisent les inquiétudes.
Pour les techniques les plus intrusives, comme l’accès au disque dur d’un ordinateur, la sonorisation ou la captation d’images, votre commission a également renforcé les garanties prévues par le texte.
Une fois autorisées, les techniques de renseignement doivent être mieux contrôlées. La commission des lois a voulu imposer la pleine application du principe de légalité aux techniques de renseignement pour sortir du non-droit. Le système que nous proposons a pour but de prévenir les surveillances illégales et, si une transgression était constatée, d’obtenir une annulation rapide, par exemple, si la procédure n’a pas respecté la loi, si la finalité de la surveillance n’est pas légale, si la motivation est insuffisante, si les mesures ne sont pas strictement proportionnées aux fins poursuivies, ou encore si la conservation des données excède la durée de l’autorisation.
Nous avons défini avec précision le cahier des charges de la légalité en matière de renseignement. La commission l’a inscrit au premier article du texte. Il s’imposera aux services spéciaux dans leur action, à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dans l’évaluation des demandes d’autorisation et dans l’accomplissement de sa mission de contrôle, au Premier ministre dans sa décision et, bien sûr, au Conseil d’État dans l’appréciation qu’il fera de la légalité des autorisations et de la régularité des actes des services de renseignement.
Il faut que le contrôle soit effectif. Pour qu’il le soit, une autorité indépendante doit être instituée, afin de vérifier que les conditions légales sont réunies préalablement à toute utilisation des techniques de renseignement. Il faut que cette autorité soit dotée de pouvoirs d’investigation étendus. Si l’urgence doit être prise en compte, elle doit être tellement exceptionnelle et tellement contrôlée qu’elle ne puisse vider la procédure de droit commun de sa substance.
L’indépendance de la CNCTR vis-à-vis du Gouvernement doit être assurée par sa composition, ses moyens d’action, ses prérogatives et son accès aux données recueillies. Sur tous ces points, la commission des lois a souhaité et inscrit dans le texte du projet de loi des garanties supplémentaires.
Composée de neuf membres, la CNCTR s’inscrira dans la séparation des pouvoirs, puisqu’elle sera constituée de représentants du pouvoir législatif et du pouvoir juridictionnel, sans aucune représentation du pouvoir exécutif. De plus, Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons déposé une proposition de loi organique soumettant la désignation du président de la CNCTR à un vote des commissions compétentes des deux assemblées, en application de l’article 13 de la Constitution, pour conforter son indépendance.
Une fois l’avis de la CNCTR rendu, le Premier ministre doit prendre sa décision. Comme aujourd’hui, on peut penser qu’il suivra généralement cet avis, d’autant plus que le contrôle du Conseil d’État sera devenu effectif. Il n’y a pas mieux que l’anticipation de la sanction pour garantir le respect du droit !
Compte tenu du nombre de demandes à traiter, il est normal que le Premier ministre puisse déléguer sa décision à des collaborateurs directs, comme c’est déjà le cas en matière d’écoutes téléphoniques. Prenons garde cependant à ne pas laisser se constituer à Matignon, dans les ministères concernés et dans les services de la CNCTR, un véritable corps de professionnels spécialisés dans le droit du renseignement, agissant en initiés. La décision d’autorisation ne saurait être bureaucratique, vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, car elle engage la responsabilité de l’autorité politique, sous le contrôle ultime du Parlement.
Pour inscrire pleinement la régulation des activités de renseignement dans un cadre légal, la question du juge et de ses pouvoirs est sans doute la question essentielle. Elle n’a peut-être pas été suffisamment discutée jusqu’à maintenant. Il n’y a pas d’État de droit sans l’intervention d’un juge !
Au juge de l’autorité publique revient la mission de soumettre l’action publique au respect de la légalité et de suspendre ou d’annuler ses excès de pouvoir.
Au juge pénal revient de sanctionner les crimes et délits, y compris s’ils ont été commis par un agent de l’autorité publique dans l’exercice de sa fonction en pénétrant irrégulièrement dans un domicile ou en interceptant illégalement des correspondances.
Ce modèle présente de nombreux avantages et je le défends sans complexes. Il a le mérite d’être le plus complet, car il couvre la prévention autant que la répression et la réparation.
La police administrative à laquelle se rattache l’activité de renseignement consiste en l’action préventive de l’État contre le crime et la délinquance, pour l’empêcher. Dans le cas de la police préventive, des vies peuvent être en jeu : il faut agir vite, sur le fondement d’éléments parfois minces. On mesure, avec la lutte contre le terrorisme, à quel point cette mission régalienne est vitale, car elle vise en dernier ressort à empêcher des crimes aussi abominables que ceux qui ont été commis en janvier. Cependant, elle doit être soumise au principe de légalité sous le contrôle de son juge pour que la fin, aussi noble soit-elle, ne justifie que l’engagement de moyens légaux et proportionnés.
Votre commission des lois a tenu à renforcer cette exigence en rendant le contrôle du Conseil d’État effectif, car il ne l’était pas, sans pour autant entraver l’action publique quand elle respecte la loi.
Il faut que le juge puisse facilement être saisi en cas d’abus.
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Philippe Bas, rapporteur. Si l’on veut vraiment donner au Conseil d’État un rôle régulateur, il faut qu’il soit amené à se prononcer assez souvent. C’est pourquoi votre commission des lois a prévu qu’il suffirait de trois membres de la CNCTR pour contester une mesure de surveillance devant la haute juridiction.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Conseil d’État verra ainsi ses pouvoirs renforcés : il pourra suspendre les mesures contestées, les annuler, ordonner la destruction des renseignements recueillis, indemniser les victimes d’une surveillance irrégulière. La trame de ses décisions, revêtues de l’autorité de la chose jugée, permettra d’établir progressivement un guide précis de la légalité des autorisations données aux services spéciaux, auquel le Premier ministre devra se soumettre.
Chacun doit être bien convaincu, à commencer par les agents des services spécialisés eux-mêmes, que le Conseil d’État, à partir d’un accès illimité aux pièces du dossier, pourra intervenir vite et fort, en annulant les actes qu’il aura jugés illégaux et en ordonnant la destruction de tous les documents et informations irrégulièrement réunis.
La loi devra aussi reconnaître la place essentielle du juge pénal, que la CNCTR et le Conseil d’État devront pouvoir saisir.
En donnant sous de strictes conditions un cadre légal à des pratiques de renseignement aussi intrusives et exceptionnelles que la pose de micros dans des domiciles ou des bureaux, l’installation de balises dans des véhicules ou la captation à distance des données du disque dur d’un ordinateur, la loi rejettera dans la catégorie des délits les mêmes agissements mis en œuvre en dehors de ce cadre.
Elle ouvrira ainsi un nouveau champ d’action au juge pénal pour condamner et punir toute dérive illégale d’agents des services spécialisés. Tout ce qui n’entre pas dans le cadre légal pourra désormais relever du délit d’atteinte au respect de la vie privée ou de violation du domicile. La commission a souhaité que la loi le dise expressément.
Nous avons aussi voulu asseoir l’autorité de la Commission nationale en instaurant un délit d’entrave sanctionné par le juge pénal si un service de l’État refuse de répondre à ses demandes.
Enfin, si l’objet d’une demande de surveillance par une technique de renseignement relève en réalité de la police judiciaire, la demande devra être réorientée vers le procureur pour déclencher une enquête judiciaire.
Le Sénat aura à trancher de nombreuses autres questions : la protection des journalistes, des avocats et des parlementaires, le rôle du renseignement pénitentiaire, les délais de conservation des renseignements recueillis par les services, l’étendue et la portée du nouveau fichier antiterroriste, le cantonnement des procédures d’urgence à des situations réellement exceptionnelles, la mission spécifique des parlementaires dans la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la place des lanceurs d’alerte...
Dans tous les cas, nous aurons à le faire en défenseurs des libertés, mais aussi avec le souci de l’efficacité de l’action publique, conscients de l’importance des enjeux d’intérêt national que nous avons à relever.
Fidèle à sa tradition, le Sénat entend ainsi être une fois de plus au rendez-vous de l’état de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE. – MM. Alain Richard, Didier Guillaume et Yannick Vaugrenard applaudissent également.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, liberté et sécurité, la dialectique n’est pas nouvelle. Toutefois, placer les activités des services de renseignement dans un cadre défini par le législateur constitue une marque de maturité pour une démocratie et un progrès considérable de l’État de droit.
La démarche est ambitieuse, monsieur le Premier ministre : le législateur doit agir en responsabilité, son action est nécessaire et il est parvenu, me semble-t-il, au terme du travail en commission, à un équilibre raisonnable.
La démarche entreprise est ambitieuse, il faut le souligner. Nous saluons, monsieur le Premier ministre, cette ambition, d’autant qu’elle n’est pas toujours présente dans les textes qui nous sont soumis ici. (M. le Premier ministre sourit.)
Longtemps on a considéré qu’un tel texte risquait d’affaiblir les capacités des services. Or ce risque, selon moi, n’est pas avéré si l’on procède avec précaution. Dans une société démocratique marquée par la liberté de communication et le renforcement du droit, c’est l’absence de cadre légal qui constitue un risque. Légiférer, asseoir la légitimité des services, mieux faire comprendre leurs missions, ce n’est donc pas, de mon point de vue, les affaiblir, mais, au contraire, les renforcer.
Mes chers collègues, pensez une seconde à l’état de notre République, à laquelle nous sommes attachés, si un criminel terroriste, après avoir multiplié les méfaits et étant sorti de ces aventures de manière positive quant à sa santé, intentait un procès aux instances de la République et parvenait à le gagner parce que les services auraient employé des techniques illégales.
M. Ladislas Poniatowski. C’est un risque !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Quel ridicule la République devrait affronter !
Nous devons légiférer en la matière pour protéger l’action de nos services.
M. Alain Fouché. Et penser à nous !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Légiférer n’est évidemment pas chose facile, car le législateur doit agir en faisant preuve d’une double responsabilité : responsabilité à l’égard de nos concitoyens, qui doivent évidemment bénéficier d’une politique efficace du renseignement, en mesure de les protéger contre des risques graves de déstabilisation ou d’attentats sans que soit mis en place un système abusivement intrusif ; responsabilité aussi à l’égard des services de renseignement, des fonctionnaires et militaires qui les servent, qui effectuent un travail remarquable, il convient de le souligner à cette tribune, la plupart du temps dangereux, dans des conditions toujours difficiles et dont les succès sont par construction voués à rester dans l’ombre quand des difficultés apparaissent, et sans jamais être mis en valeur en cas de réussite.
Ces agents aspirent à œuvrer pour la France dans un cadre juridique stable, solide, légitime, mais qui garantisse aussi l’efficacité et la confidentialité des opérations qu’ils conduisent.
Il sera donc toujours question, lors de la discussion de ce texte et au cours des procédures qui seront mises en œuvre, de la recherche de l’équilibre.
Ce texte était évidemment attendu depuis longtemps. Il n’est en réalité exceptionnel que parce qu’il est le premier du genre dans notre pays, et qu’il met fin à une exception parmi les démocraties avancées.
Ce texte est également nécessaire pour répondre à l’évolution des menaces et servir principalement, et là est l’essentiel, les intérêts de notre pays.
Telle est l’opinion de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Ce texte réaffirme la notion de « politique publique de renseignement » et la précise en s’appuyant sur deux notions très importantes définies par le législateur : la stratégie de sécurité nationale, d’une part, et la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la nation, d’autre part. C’est très important !
Il pose également la qualité première de l’État en la matière, autrement dit sa compétence exclusive. Il consolide l’importance de la réorganisation qui a été engagée au sein de nos services.
Ce projet de loi présente le mérite de rappeler que les missions et les finalités pour lesquelles ces services peuvent recourir à des techniques spécifiques, sauf exception, ne se limitent pas à la seule prévention du terrorisme. Il s’agit d’un point important que nous aurons à débattre en ce qui concerne les finalités.
Le spectre des menaces est en effet beaucoup plus large et inclut notamment la lutte contre toute forme d’ingérence étrangère, contre l’espionnage industriel et scientifique, dont on ne parle pas suffisamment, et contre la criminalité et la délinquance organisées. Nous sommes focalisés sur le terrorisme, mais pensons à l’élargissement des finalités. En outre, l’action des services s’étend à la collecte d’informations destinées à permettre aux autorités de notre pays d’effectuer en toute autonomie les choix nécessaires à la conduite de la politique étrangère et – ce qui est fondamental aussi, monsieur le ministre, de défense. Au fond, il est rare, dans notre pays, que l’on puisse renforcer la République en affaissant l’exécutif. De ce point de vue, sur tout ce qu’est le régalien, il est important que nous soyons rassemblés pour que le régalien puisse disposer des outils nécessaires à l’exercice de son autorité.
L’extension à des nouvelles techniques est nécessaire pour l’ensemble de nos pratiques. Les menaces se sont amplifiées et leurs modes d’action deviennent, chacun le constate, extrêmement sophistiqués. Celui qui ne se dote pas de moyens d’action performants se place en situation de faiblesse. Il est donc très important de préserver les capacités des services en les autorisant à recourir à des techniques modernes de recueil de renseignement. Il y a là une course, dans laquelle l’autorité ne peut pas accepter une position de recul ou de retrait.
Encore faut-il que l’usage de ces techniques s’inscrive, évidemment, dans un cadre légal qui limite celui-ci et garantisse la protection contre les atteintes abusives à la vie privée et aux libertés. C’est une mission historique du Sénat, comme Philippe Bas, président-rapporteur de la commission des lois, vient de le démontrer avec talent, précision et rigueur.
Il ne s’agit donc pas, pour nous, d’une loi d’exception ; ce texte n’a d’exceptionnel que d’intervenir dans un domaine non encore saisi par le droit.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. De mon point de vue, il est parvenu à un équilibre raisonnable et globalement responsable.
Pour ce faire, nous avons déposé un certain nombre d’amendements au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous avons apprécié que la grande commission des lois sénatoriale de notre République (Murmures d’admiration.)…
M. Jean-Pierre Sueur. Toutes les commissions sont grandes ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. … ait bien voulu accepter les amendements de la commission des affaires étrangères.
Grâce à cette démarche, dont je remercie M. le président-rapporteur et tous les membres de la commission des lois, monsieur Sueur, de l’opposition comme de la majorité, nous avons mis en œuvre une coopération constructive et fertile.
M. Jean-Pierre Sueur. Merci !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. C’est à mon sens l’une des conditions de la mobilisation en faveur de ce texte. Je rejoins à ce propos M. le Premier ministre, car sur des questions de cette nature l’autorité d’un texte dépend aussi de la qualité de la majorité qui le vote. Je me souviens d’un texte sur le voile à l’école qui a pu avoir cette autorité en raison du rassemblement autour du gouvernement de l’époque.
Sur ce point, on a vu, avec la commission des lois, un certain nombre de progrès très importants enregistrés.
On a pris en compte la notion d’intérêts fondamentaux de la nation – c’est, je crois, essentiel – dans la définition des missions et des finalités.
On a redimensionné la CNCTR, après avoir auditionné les responsables des différentes autorités. Plus le nombre des membres d’une autorité est important, moins celle-ci est efficace en général.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Une CNCTR comptant neuf membres serait plus efficace que si elle en comprend treize.
On a conforté la légitimité et l’indépendance du président de la CNCTR, grâce à la proposition de loi organique que Philippe Bas et moi-même avons présentée, le Sénat participant à la procédure de nomination de celui-ci.
On a revu la durée de conservation des correspondances interceptées pour qu’elle soit raisonnable.
On a limité un angle mort dans la capacité d’agir des services, instauré par l’interdiction absolue de procéder à la mise en place de certains dispositifs lorsque les personnes visées appartiennent à des professions protégées, ce qui fournit parfois des couvertures faciles pour des agents étrangers, des terroristes ou des criminels. Le recadrage de ce dispositif constitue un progrès.
On a aussi rendu plus intelligibles les dispositions relatives à certaines techniques.
On a actualisé la rédaction des dispositions ayant trait à la délégation parlementaire au renseignement, instance responsable, liée par le secret défense, pour débattre avec l’exécutif des questions les plus sensibles sur ces sujets.
Le travail en séance publique consistera donc à parfaire les points restant en discussion.
Je vous présenterai certains amendements sur lesquels il me semble utile que le Sénat tout entier puisse se prononcer en responsabilité.
Première préoccupation : les intérêts de la politique étrangère dont la qualification par l’épithète « essentiel » me paraît dangereuse, car dans ce domaine, seul l’exécutif doit assurer une réelle prééminence pour définir ce qui est essentiel dans la politique étrangère du pays.
Deuxième préoccupation : la nature de la délégation du pouvoir d’autorisation du Premier ministre à certains de ses collaborateurs.
Monsieur le Premier ministre, vous avez proposé tout à l’heure une avancée. Je pense que c’est utile et nous allons travailler de manière positive sur ce sujet. Néanmoins, spontanément, l’idée que six personnes à Matignon auxquelles s’ajouteront un certain nombre d’autres dans les différents cabinets puissent intervenir à la place de l'autorité politique nous paraît dangereuse si elles ne sont pas en responsabilité avec des délégations.
MM. Bruno Sido et Alain Fouché. Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Les membres du cabinet du Premier ministre sont, naturellement, investis d’importantes responsabilités. Toutefois, pour l’heure, le présent texte ne permet en rien de telles délégations !
Je vous livre ma conviction profonde : avec un tel projet de loi, les systèmes de contrôle mis en œuvre par les pouvoirs publics n’exposent pas les libertés fondamentales à de grands dangers.
Voici ce que je redoute le plus : que des agents privés entreprennent d’employer ces technologies, lesquelles sont assez bon marché, pour créer des offices extérieurs, sur lesquels aucun contrôle ne serait exercé. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) De tels acteurs, s’ils étaient dépourvus de toute éthique, pourraient s’employer à déstabiliser telle entreprise, telle organisation, tel parti politique ou tel autre.
M. Bruno Sido. C’est bien le risque !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. En conséquence, je crains qu’un certain nombre de personnes, pour avoir eu accès, à un moment ou un autre, du fait de telle ou telle nomination, à un certain nombre de responsabilités, ne se retrouvent, deux ans après les avoir exercées, à proposer leurs services à telle ou telle organisation, à telle ou telle structure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – MM. Daniel Reiner, Bernard Lalande et Jacques Mézard applaudissent également.)
Mes chers collègues, je crois à l’éthique de l’État. Je crois à la responsabilité de ceux qui le servent : si les délégations sont assurées dans le cadre d’un dispositif bien défini, il n’y a, à mon sens, pas de danger à craindre. Toutefois, au cas où ces délégations seraient plus confuses, et où elles s’inscriraient dans un dispositif moins précis, je serais, je vous l’avoue, très inquiet.
M. Albéric de Montgolfier. Et nous aussi !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Monsieur le Premier ministre, vous avez, il y a quelques instants, évoqué une orientation par laquelle nous pourrons, à mon sens, aboutir à un accord.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Notre troisième et dernier sujet de préoccupation, c’est la protection du secret de la défense nationale.
Du fait de cette réforme, il serait possible d’accéder au secret défense ès qualités.
Bien sûr, il semble un peu subversif d’émettre des doutes quant à la légitimité de hautes autorités, juridiquement compétentes, à disposer de cette attribution ès qualités.
Néanmoins, je tiens à le rappeler : l’habilitation doit rester la procédure de droit commun. En conséquence, il ne doit être possible d’y déroger que de manière assez exceptionnelle.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Préserver le secret défense, c’est protéger non seulement les informations communiquées mais aussi les personnes qui en sont les détentrices. Il convient donc à la fois de protéger les messages transmis, leurs dépositaires et les institutions. Permettre un accès aux informations classées secret défense sans imposer les procédures d’habilitation pose tout de même problème. (M. Pierre Charon opine.)
Je ne ferai pas de cette question un sujet de rupture majeure. Toutefois, j’attire l’attention des uns et des autres sur ce point. J’invite en particulier M. le ministre de la défense à faire preuve de compréhension : le secret défense n’est pas une réalité banale.
Mme Christiane Hummel. C’est vrai !
M. Bruno Sido. Nous sommes d’accord !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. On ne peut y accéder du fait d’un simple statut. Il est lié à des fonctions et il engage la responsabilité de celui qui y accède. Si un statut ès qualités est bel et bien défini, il faudra veiller à ce que les dérogations soient aussi peu nombreuses que possible.
Enfin, – ce point est, à mon sens, capital – l’efficacité de cette réforme dépendra pour une large part des moyens budgétaires et financiers alloués à l’ensemble du dispositif.
M. Alain Fouché. C’est très important !
M. Bruno Sido. Mais ça…
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. D’une part, il faudra garantir les moyens budgétaires nécessaires ; d’autre part, il faudra s’efforcer de limiter au mieux le caractère bureaucratique des procédures fixées.
Nous comprenons bien et nous approuvons les procédures proposées via le présent texte. Cependant, nous observons que tout ce dispositif va engendrer une immense organisation administrative et bureaucratique. Il faudra donc veiller attentivement au bon usage des moyens alloués et à l’efficacité des procédures.
À mon sens, cet impératif est de la plus grande importance. Il s’applique à la CNCTR, qui va exiger un certain nombre de moyens humains et budgétaires, ainsi qu’au groupement interministériel de contrôle, le GIC, dont les besoins, eux aussi, seront considérables. Il faut être conscient de tous ces impératifs.
Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, au bénéfice de ces observations, que nous détaillerons dans la suite de nos débats, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées donne un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi relatif au renseignement.
À l’heure où, dans ce pays, tout le monde se sent républicain (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), il faut donner à notre République les moyens d’assurer sa conservation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – plusieurs sénateurs du groupe socialiste applaudissent également.)
M. Daniel Raoul. Le mot était un peu facile…
M. Bruno Sido. Mais il devait être dit !
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, messieurs les présidents-rapporteurs, mes chers collègues, les précédentes interventions nous l’ont prouvé, si besoin en était : les grandes difficultés de la période actuelle exigent le rassemblement de la représentation nationale, vis-à-vis de ceux qui voudraient remettre en cause les fondements mêmes de notre République.
Voilà pourquoi, à nos yeux, le présent texte est fondamental pour nos institutions. Républicains que nous sommes (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…
M. Charles Revet. Bravo !
M. François Bonhomme. On progresse !
M. Didier Guillaume. … nous tenons à promouvoir l’état de droit, nous défendons les libertés individuelles, et nous voulons et assumons la sécurité pour tous.
Dans ce cadre, les membres du groupe socialiste et républicain sont favorables au présent texte, qu’ils voteront.
M. Didier Guillaume. Deux de mes éminents collègues, Jean-Pierre Sueur et Michel Boutant, détailleront nos propositions, en revenant sur le travail accompli et sur les amendements que nous avons déposés.
Pour ma part, je tiens à le dire d’ores et déjà : les travaux menés par la commission, sous la houlette de M. Bas, se sont révélés de grande qualité. Ont été mises sur la table des propositions d’avancées émanant de tous les groupes. C’est sur cette base que le Sénat va devoir améliorer encore ce projet de loi. M. le Premier ministre, en ouvrant nos débats, a clairement indiqué qu’il laissait des portes ouvertes.
En outre, les sénateurs de tous les groupes se sont accordés sur un point : l’objectivité de ce projet de loi.
Malheureusement, ce texte, comme beaucoup d’autres, est devenu l’objet de polémiques et le sujet de nombreuses entreprises de désinformation, notamment de la part de personnes qui, sans doute, ne l’ont pas lu...
À cet égard, je tiens à formuler quelques rappels assez simples.
Nous ne pouvons plus laisser dire que ce texte est une loi de circonstance. C’est faux ! Faut-il rappeler les attaques terroristes de janvier, la cyberattaque menée, en avril, contre TV5 Monde ? La France a été ébranlée en janvier, elle a été secouée en avril. Ce sont nos valeurs qui ont été visées. Des Français sont morts sous les balles des terroristes, parce qu’ils étaient juifs, parce qu’ils étaient dessinateurs, parce qu’ils étaient policiers, et, tous autant qu’ils étaient, parce qu’ils représentaient la France et nos valeurs.
Face à une telle situation, il faudrait rester inactif, pour ne pas sembler suivre les circonstances ? Non. Le Gouvernement a eu pleinement raison de presser le pas. Avec tout le travail qu’il a engagé et que nous avons poursuivi, il nous demande de ne pas mollir, il nous enjoint d’agir pour protéger les Français.
Nous ne pouvons pas non plus laisser dire que le présent texte est une loi d’exception contre le terrorisme. C’est là un mensonge, un instrument de désinformation !
M. le Premier ministre l’a rappelé : il n’y aura aucune mesure d’exception. Ce texte n’est en aucun cas un Patriot Act à la française. Au reste, nous, socialistes et républicains, nous sommes toujours opposés aux lois d’exception.
Ce que nous souhaitons, c’est que cette loi soit un cadre pour notre nation, pour notre République, et une adaptation de notre droit aux outils modernes dont les terroristes, les djihadistes font usage, et dont nos services ne disposent peut-être pas totalement aujourd’hui.
Enfin, nous ne pouvons plus laisser dire que cette loi est liberticide. Ce propos est, lui aussi, un mensonge, et relève de la désinformation.
M. Bas a rappelé, à juste titre, que le Sénat a pour tradition de défendre toutes les libertés.
Pour ma part, je tiens à poser de nouveau cette question à cette tribune : qui est l’ennemi des libertés fondamentales ? Qui utilise des moyens technologiques modernes pour affaiblir nos défenses collectives ? Qui attaque nos valeurs et nos institutions ? Non les parlementaires, par leurs débats et leurs discussions, mais tout simplement ceux que nous entendons combattre : les ennemis de la France, les ennemis de la République ; ces terroristes, soldats d’une variante contemporaine de l’idéologie totalitaire.
Oui, ce sont ces ennemis que nous devons combattre. Nous ne devons pas, en refusant de riposter, laisser leurs idées gagner du terrain. La France est un grand pays, et la France doit se défendre !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Didier Guillaume. Le véritable enjeu, c’est bien entendu notre capacité à nous protéger tout en préservant et en garantissant les libertés. J’insiste sur ce point. Comment nous défendre contre de telles attaques sans entraver les libertés fondamentales ? Tel est le point essentiel, tel est l’équilibre que nous devons garantir.
Au demeurant, ce projet de loi est un texte d’équilibre.
Le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat ont déjà apporté des réponses. Je ne doute pas que, par ses débats en séance publique, la Haute Assemblée poursuivra dans cette direction.
Nous avons besoin d’une loi-cadre définissant la mission de renseignement, pour mieux empêcher d’éventuelles pratiques arbitraires, pour garantir les droits et libertés et surtout pour donner aux services concernés des moyens modernes de renseignement, ce pour assurer la protection de tous.
Mes chers collègues, nous en sommes, comme vous tous, convaincus : les Français aiment la liberté plus que tout, mais en y joignant une exigence, celle de la sécurité. Ils demandent beaucoup de liberté, mais ils veulent que nous les protégions, que la France, que la République soient défendues.
Cette exigence de sécurité, cette garantie des libertés sont au fondement de l’équilibre atteint, via ce projet de loi, par la commission et par le Gouvernement. C’est dans ce cadre que nous devons avancer, en donnant aux services de renseignement de notre pays des techniques et des moyens modernes, à la hauteur des enjeux.
Je tiens à remercier sincèrement Mme la garde des sceaux, M. le ministre de la défense et M. le ministre de l’intérieur de leur écoute et du travail qu’ils ont accompli. Par ce texte, ils ont assuré la défense des libertés de notre République tout en agissant avec fermeté pour la protection de chacun. J’insiste sur ces enjeux.
Au cours de ces discussions, n’oublions pas notre but essentiel, notre objectif premier : renforcer notre défense, dans un contexte de guerre contre le terrorisme.
Je me réjouis que nombre de groupes de la majorité et de l’opposition aient pu se rassembler, dans le but que MM. Bas et Raffarin viennent de rappeler : défendre la République, ses institutions et ses valeurs, tout en protégeant les Français.
Oui, cher Jean-Pierre Raffarin, dans ce cadre, l’autorité de l’État sera respectée. Il faut que tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, que tous les responsables politiques, jusqu’au plus haut niveau, le disent et le répètent.
Il n’est pas question, comme on l’entend parfois encore en province, de « barguigner ». (Mme Esther Benbassa sourit.) On a toujours de bonnes raisons pour critiquer un dispositif, au motif qu’il présente telle carence ou tel excès. Toutefois, une chose est sûre : rassemblée, la France pourra l’emporter face au terrorisme, en donnant à ses services les moyens nécessaires. Divisée, la France faiblira, oubliera ses intérêts, ses valeurs et son histoire et, vraisemblablement, perdra.
Mes chers collègues, faisons vivre le débat, au cours des heures et des jours qui viennent. Agissons pour la sécurité de notre pays, en adoptant ce texte d’équilibre sur le renseignement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, j’ai souvent eu l’occasion de le rappeler à cette tribune : les élus du groupe écologiste restent réservés quant au recours quasi systématique à la procédure accélérée. Les tenants de l’actuelle majorité ne se privent pas de l’employer, oubliant que, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, eux-mêmes n’avaient pas de mots assez durs, à ce sujet, pour l’ancienne majorité,…
M. Éric Doligé. Eh oui ! Il faudrait s’en souvenir !
Mme Esther Benbassa. … laquelle, d’ailleurs, faisait de même !
De ce fait, le Parlement se trouve empêché d’accomplir son travail dans de bonnes conditions et de manière approfondie.
En son principe, l’initiative défendue par le Gouvernement, à savoir la volonté même de légiférer sur le renseignement, ne paraît, a priori, ni illégitime ni superflue.
Cela étant dit, deux questions essentielles méritent, aujourd’hui, d’être clairement posées : premièrement, le présent projet de loi répond-il réellement, concrètement aux attentes légitimes de nos concitoyens ? Deuxièmement, le détail de ses dispositions est-il bel et bien compatible avec l’esprit même de notre démocratie ?
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les membres du groupe écologiste ne sont pas partis en guerre contre un texte qu’ils percevraient, en tant que tel, comme liberticide. Bien au contraire, ils s’efforceront d’être avant tout porteurs de propositions.
Les attentats de janvier ont bouleversé la France. En cet instant, je pense aux dix-sept victimes de ces attaques ainsi qu’à leurs familles. Je rends hommage aux millions de Français descendus dans la rue le 11 janvier pour crier leur indignation, leur attachement à la liberté d’expression, leur refus du racisme et de l’antisémitisme.
À nous de ne pas les décevoir. Que pouvons-nous faire, lucidement, pour éviter que cela ne se reproduise ?
La majorité actuelle a répondu aux attentats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse en mars 2012 par la loi du 21 décembre 2012 sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Cette loi n’a pas empêché Mehdi Nemmouche d’assassiner quatre personnes au musée juif de Bruxelles le 25 mai 2014. Un nouveau texte a alors été voté en procédure accélérée le 23 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Deux mois plus tard, les 7 et 9 janvier 2015, nous étions confrontés aux massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
Le tempo est donné. L’idée est d’agir vite, d’endiguer les peurs, et de parer au mieux les critiques envers les services de renseignement, qui fusent dans les médias. Le projet de loi dont nous débattons n’a pas d’autre genèse. Il viendrait, en outre, légaliser des pratiques qui ont déjà cours. Si tel était le cas, pourquoi n’ont-elles pas empêché la perpétuation des actes terroristes ? Pourquoi les légaliser si elles n’ont pas prouvé leur efficacité ? Ne peut-on se poser la même question concernant tous les textes antiterroristes antérieurs, qui, eux non plus, n’ont pas été efficaces ?
De toute évidence, le cadre répressif systématiquement privilégié dans notre lutte, certes légitime, contre le terrorisme peine à donner des résultats. Au lieu de combiner cette action répressive avec d’autres, on se contente d’empiler des textes d’inspiration identique, supposés rassurer les Français. On appelle cela une fuite en avant, de l’affichage, ou les deux !
Mais ce projet de loi va plus loin. Ne se limitant pas à la lutte contre le terrorisme, il s’immisce dans de vastes espaces de la vie sociale. Il menace d’empiéter sur nos libertés individuelles et professionnelles. Il met notre démocratie en danger. En cela, il accorde, hélas ! une victoire posthume aux terroristes eux-mêmes.
Aurons-nous seulement les moyens humains et techniques adaptés, proportionnels, pour traiter, comme le fait le Pentagone, les données massives auxquelles nos services de renseignement auront accès ?
Faut-il d’ailleurs ajouter, au passage, que la NSA elle-même a dû suspendre provisoirement son programme de collecte massive des métadonnées téléphoniques, faute d’accord avec le Sénat américain ?
On sait où commence la course au renseignement mais on ne sait pas toujours où elle aboutit. Les lecteurs du Monde daté du 31 mai ont pu découvrir, page 2, comment Paris a fourni à Berlin une technologie qui a permis aux Allemands et aux Américains de surveiller – devinez qui ! – les Français et leur industrie !
Nous faisons aujourd’hui le pari – risqué – que les gouvernements à venir seront dignes de la confiance que nous voulons bien accorder au vôtre, monsieur le Premier ministre, et qu’ils n’abuseront pas de ce texte pour nous enfermer dans une sorte de prison virtuelle, nous surveillant en permanence, au mépris de nos libertés, au mépris, tout simplement, de notre humanité.
M. Alain Fouché. C’est important !
Mme Esther Benbassa. Science-fiction, direz-vous. Peut-être. Anticipation, plutôt. L’avenir que je redoute n’est peut-être pas si lointain.
C’est au XVIIIe siècle qu’ont été écrites les lignes que je vais vous lire maintenant. On dirait qu’elles nous parlent d’aujourd’hui, ou plutôt de demain : « Si l’on trouvait un moyen de se rendre maître de tout ce qui peut arriver à un certain nombre d’hommes, de disposer tout ce qui les environne de manière à opérer sur eux l’impression que l’on veut produire, de s’assurer de leurs actions, de leurs liaisons, de toutes les circonstances de leur vie, en sorte que rien ne pût échapper, ni contrarier l’effet désiré, on ne peut pas douter qu’un moyen de cette espèce ne fût un instrument très énergique que les gouvernements pourraient appliquer ». Ces phrases terribles, écrites en 1786 par l’économiste anglais Jeremy Bentham, précèdent un traité d’architecture visionnaire dans lequel toute la société répressive est imaginée, dessinée, construite, et a pour nom « Panoptique ».
Qui a lu Le Panoptique de Bentham ne peut, face à ce projet de loi, manquer de s’en souvenir. (L’orateur brandit un exemplaire de ce livre.) Je vous recommande à tous cette lecture. Sa traduction française a été publiée sur ordre de l’Assemblée nationale révolutionnaire en 1791. Autres temps, autres mœurs…
Mme Christiane Hummel. O tempora o mores, mais pour cela, il faut connaître le latin.
Mme Esther Benbassa. Détourné de son but initial, le texte qui nous est soumis peut conduire tout droit à un Panoptique moderne, à savoir à la visibilité de tous et de chacun « organisée entièrement autour d’un regard dominateur et surveillant », disait Michel Foucault.
L’article 1er du projet de loi relatif au renseignement dont nous débattons, qui énumère les intérêts publics susceptibles de justifier le recours aux techniques de renseignement envisagées par le texte, est capital. Il définit le champ d’application de l’ensemble du texte.
Or, parce que l’exercice du renseignement implique de potentielles atteintes à des libertés individuelles à valeur constitutionnelle, la définition de ce champ d’application doit être la plus restrictive possible.
Je salue le travail de notre rapporteur, Philippe Bas, et de la commission des lois, qui a souhaité préciser, dès le début du texte, que les activités des services de renseignement s’exercent dans le respect du principe de légalité, sous le contrôle du Conseil d’État.
La précision est utile. Mais le champ d’application des finalités poursuivies par la mise en œuvre des techniques de renseignement nous paraît, à nous écologistes, encore bien trop large et porteur de dérives.
Nous proposerons donc des amendements pour le ramener au strict nécessaire et le rendre aussi précis que possible.
Nous nous réjouissons d’ailleurs que notre proposition d’exclure l’administration pénitentiaire du deuxième cercle de la communauté du renseignement, portée également par le rapporteur et d’autres groupes, ait été adoptée. Il s’agissait d’un amendement de Mme la garde des sceaux, ici présente.
M. Jean-Pierre Sueur. Non, c’était un amendement du Gouvernement.
Mme Esther Benbassa. L’article 1er définit également la procédure d’autorisation de recours à ces techniques, procédure au centre de laquelle se trouve la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ou CNCTR, qui aurait vocation à être saisie de demandes portant sur l’ensemble des techniques de renseignement reconnues par la présente loi.
C’est à l’article 2 que l’on trouve la liste des techniques de renseignement soumises à autorisation. Recueil des données de connexion – informatiques ou téléphoniques –, interceptions de sécurité – écoutes téléphoniques administratives –, dispositifs mobiles de proximité – IMSI catchers –, géolocalisation, enregistrement des paroles ou des images d’une personne et captation de ses données informatiques, ou encore interceptions de communications électroniques émises ou reçues de l’étranger, autant de dispositifs risquant de porter atteinte aux libertés individuelles et publiques.
Ces techniques ainsi que la procédure d’autorisation permettant leur utilisation ont fait, à juste titre, couler beaucoup d’encre, y compris au sein de notre commission.
Ce débat n’oppose pas, d’un côté, les « pour », qui voudraient lutter contre le terrorisme et, de l’autre, les « contre », dangereux laxistes ne supportant aucune restriction à l’usage d’internet.
Nous sommes seulement des citoyens aspirant à ce que la menace terroriste soit réduite, mais craignant aussi l’invasion de notre vie privée, et refusant de brader nos libertés au pouvoir pour une sécurité hypothétique.
Des autorités administratives indépendantes comme la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ainsi que de nombreuses associations critiquent ce projet de loi.
Pas plus qu’elles, nous ne suspectons les intentions du Gouvernement, bien au contraire. Mais l’on sait que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Michelle Demessine et M. Bernard Lalande applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi dont nous commençons à discuter aujourd’hui vise à définir un cadre juridique clair et unifié pour les activités de renseignement. S’il tend à réformer l’ensemble des services du renseignement, avec un large champ d’application, il va sans dire que son examen a été accéléré, et ses dispositifs renforcés, à la suite des attentats de janvier 2015.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen affirment que les actions terroristes auxquelles le monde doit faire face aujourd’hui doivent être fermement combattues. En cela, notre détermination est sans faille et nous avons salué l’immense mobilisation citoyenne des 10 et 11 janvier dernier, sous le sceau républicain, face à l’agression terroriste qui a touché notre pays.
Nous partageons le souci du Gouvernement d’assurer la sécurité de nos concitoyens. Notre République doit se doter de moyens à sa hauteur pour assurer un cadre de vie serein sur son territoire. Mais cela ne doit, en aucun cas, se faire au détriment de la protection des libertés individuelles.
À ce sujet, soyons clairs : le Gouvernement n’a pas le monopole du souci de la sécurité ni le Parlement celui de la protection des libertés. Comme cela a été très justement souligné en commission des lois, tâchons de ne pas considérer ceux qui critiquent le texte comme des ennemis de la sécurité et ceux qui ne souhaitent pas l’améliorer comme des ennemis de la liberté.
La tension entre liberté et sécurité a toujours existé et son équilibre est fragile. La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond à la hauteur de l’enjeu, débat que la procédure accélérée ne permet malheureusement pas.
Je relève d’ailleurs que Mme Marylise Lebranchu s’est félicitée, à l’occasion du vote sur le texte précédent, des améliorations rendues possibles par la deuxième lecture.
Dans le domaine qui nous occupe maintenant, une deuxième lecture aurait été souhaitable. Le sujet pouvait en effet largement justifier que la navette parlementaire ménage aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à cet équilibre, délicat, entre sécurité et liberté.
Alors que cette réforme est censée être attendue depuis 1991, le Gouvernement noie les parlementaires et la société civile sous un flot de termes techniques, au prétexte de l’émotion encore récente née des attentats de janvier.
Au-delà du rythme effréné du travail législatif actuel, dans lequel prend place ce débat, ce projet de loi suscite plusieurs inquiétudes profondes.
Elles ont trait, tout d’abord, à la légalisation automatique de pratiques jusqu’à présent illégales – décrites comme « a-légales » par le Gouvernement – et à l’instauration de nouvelles techniques de surveillance : boîtes noires, algorithmes sur métadonnées, IMSI catching.
Si l’utilisation de mouchards auscultant l’ensemble du trafic n’est pas une nouveauté, le projet de loi permet en revanche à la France de rejoindre la Russie dans le club très fermé des pays où le droit les autorise expressément ! Le régime d’exception devient donc la norme.
Avec l’ensemble de ces techniques, le Gouvernement se dote, si vous me permettez l’expression, d’un chalut pour aller pêcher l’anguille, autrement dit, d’un arsenal de surveillance de masse.
Vous nous rétorquerez sans doute, monsieur le ministre, comme vous l’avez fait à l’Assemblée nationale, que les collectes de données prévues ne lèveront pas les identités. Peu importe ! Avec la collecte de données généralisée, nous sommes déjà dans un État de surveillance.
Dans l’affaire Amann c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, en février 2000, que la simple mémorisation par une autorité publique de données personnelles relatives à un individu portait atteinte à sa vie privée, en précisant que « l’utilisation ultérieure des informations mémorisées import[ait] peu ».
En outre, le champ d’action de ces techniques sera très étendu, et ses motifs seront très flous : les « intérêts essentiels de politique étrangère », les « violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique », etc.
« Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé », se lamentait Winston Smith, le protagoniste de George Orwell. De 1984 à 2015, n’y a-t-il qu’un pas ? Ce qui n’est qu’une simple image aujourd’hui sera la sombre réalité de demain, voilà ce que laisse présager ce texte.
Les craintes nées de l’usage de tels dispositifs se nourrissent de la quasi-inexistence de recours, eu égard, d’une part, à la faiblesse de l’institution de contrôle créée, la CNCTR, et, d’autre part, à l’insuffisance du contrôle juridictionnel a posteriori, confié au Conseil d’État.
L’articulation entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire est extrêmement complexe, et le rôle considérable donné dans ce projet de loi à la justice administrative nous laisse sceptiques. Nous ne contestons pas la compétence du Conseil d’État, mais nous savons bien qu’il y existe une certaine porosité avec le pouvoir exécutif.
Le dispositif est donc placé entre les mains de l’exécutif. Il s’agit d’un projet par l’État pour l’État qui semble organiser l’impunité des agents de surveillance. Car c’est d’abord à la protection des agents de sécurité que ce texte œuvre, d’ailleurs très bien. Alors que les citoyens sont, en matière de renseignement, les cibles potentielles de la surveillance étatique, la garantie de leurs libertés n’est que secondairement l’objet de ce texte.
Certes, la commission des lois du Sénat, dont je veux ici saluer le travail, a tenté d’apaiser ces inquiétudes. Concernant le périmètre des services de renseignement, notamment, la commission n’a pas repris le choix de l’Assemblée nationale d’intégrer l’administration pénitentiaire dans le « deuxième cercle » de la communauté du renseignement ; elle a ainsi placé les détenus dans une situation juridique équivalente à celle qui est applicable aux autres citoyens.
Sur l’usage de nouvelles techniques, la commission a estimé que l’intrusion dans la vie privée que représentait chacune d’entre elles appelait un encadrement d’autant plus strict que l’intrusion est forte, en apportant des limites aux dispositions des articles 2 et 3.
Néanmoins, si ces améliorations vont dans le bon sens, elles ne se cantonnent, hélas ! qu’à des définitions plus recentrées ou des délais réduits. L’état d’esprit du texte demeure, quant à lui, inchangé : multiplication des techniques de surveillance généralisée et artificialité des recours restent à l’œuvre.
Nous ne pouvons donc que partager les inquiétudes sérieuses émises tant par les défenseurs des libertés publiques que par les professionnels du numérique : de la CNIL au Conseil national du numérique, des opérateurs télécoms aux fournisseurs d’accès à internet, du syndicat de la magistrature à l’ordre des avocats de Paris en passant par le juge antiterroriste Marc Trévidic, de l’association La Quadrature du net à Amnesty International, tous dénoncent une extension préoccupante de la surveillance. L’inquiétude s’étend jusqu’au commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui s’émeut d’une « approche exclusivement sécuritaire », dénonçant un projet qui « dépasse largement la lutte contre le terrorisme ».
Face à ces inquiétudes profondes et communes, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, vous avez, jusqu’à présent, consenti une écoute polie, tout en restant déterminés. Nous espérons que, dans cet hémicycle, vous accepterez peut-être d’écouter plus attentivement nos craintes légitimes.
Pour rendre le texte acceptable, il faudrait, selon nous, le réécrire entièrement, aux termes d’une large concertation et d’une réflexion approfondie. Néanmoins, nous vous proposerons plusieurs amendements, qui visent notamment à supprimer le dispositif des boîtes noires, à limiter l’utilisation des IMSI catchers à la seule fin de lutte contre le terrorisme, et à renforcer les pouvoirs de la CNCTR.
Tous les professionnels du renseignement et des réseaux s’accordent à dire que ce texte ne permettra de déjouer aucun attentat.
Au cours de son examen, nous porterons haut et fort la voix des citoyens qui ne veulent ni renoncer à leur liberté individuelle, ni échanger leur vie privée contre un illusoire État sécuritaire sans faille.
Lors des débats, l’objectif du groupe communiste républicain et citoyen sera, avant tout, de lutter contre l’idée que la technique n’est pas politique, et de remettre le débat sur le terrain des valeurs afin de trouver l’équilibre que j’évoquais initialement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, un texte sur le renseignement, oui, c’est indispensable. Cependant, quelle que soit la majorité, quel que soit le rassemblement républicain, n’y a-t-il pas un risque de dérive dans tout texte sur ce sujet ? Personne ne peut sérieusement le nier.
Ce débat doit éviter la polémique ; nous ne devons faire de procès d’intention à qui que ce soit. Un tel dossier doit impérativement nous éviter tout procès d’intention. Il impose la mesure et l’équilibre, dans la tradition du Sénat de la République.
Nous discutons de la protection de tous les citoyens. Mais cette protection, à nos yeux, se compose nécessairement à la fois de leur sécurité et de leur liberté, dans le respect des principes fondamentaux de la République.
L’esprit du 11 janvier, s’il y en a un, c’est aussi la liberté d’expression et d’opinion, voire la liberté tout court.
La France est aujourd’hui une des dernières démocraties occidentales à être dépourvue de cadre juridique applicable à ses services de renseignement. Je ne dirai pas qu’il faut légaliser le braconnage. (Sourires.)
Ce vide juridique s’est longtemps traduit par une réticence forte à toute intrusion du pouvoir législatif dans le champ des services de renseignement : comment encadrer des prérogatives étatiques qui relèvent du secret d’État ? Comment légaliser des pratiques dont les fins, par essence, sont censées justifier les moyens ?
La difficulté était inhérente à la mission dérogatoire de renseignement. Il est aussi probable qu’entrait en ligne de compte la crainte compréhensible que l’encadrement par le droit ne nuise à l’efficacité des renseignements. Tout l’enjeu est bien là : obtenir les renseignements nécessaires, mais dans le respect du droit et des libertés fondamentales.
À l’invitation, notamment, de la Cour européenne des droits de l’homme, la France s’est dotée d’une législation dans ce domaine par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Cette loi prévoyait que les interceptions de sécurité ne pouvaient se faire qu’à titre exceptionnel.
L’absence actuelle d’un corpus juridique encadrant l’activité des services de renseignement expose notre pays à des risques non négligeables en matière de sécurité juridique ; elle peut en outre empêcher toute exploitation devant le juge des informations collectées.
Dans le contexte international de déstabilisation et d’insécurité que nous connaissons, mais aussi dans le contexte national du départ de près de 1 300 djihadistes français, et donc de leur potentiel retour des théâtres d’opérations syriens et irakiens, ce projet de loi doit donner aux services de renseignement les moyens de mener à bien leurs missions, indispensables à la protection de nos concitoyens. On ne peut pas faire de renseignement sans moyens. M. Raffarin a eu raison de dire que l’un des éléments fondamentaux de ce projet était de donner aux services les moyens financiers nécessaires pour faire leur travail.
Le présent texte s’attache ainsi à achever la réforme des services de renseignement, d’une part, en définissant dans la loi les principes et les finalités de la politique publique du renseignement et, d’autre part, en encadrant l’utilisation des techniques de recueil du renseignement.
Personne ne saurait nier que les événements de janvier dernier ont inévitablement accéléré le train des réformes qui doivent mettre un point final à l’état d’exception de ces services. Nous devons toutefois insister sur le fait qu’ils ne doivent pas conduire à ratifier sans débat de fond un texte aussi important que celui-ci, et qui ne saurait en aucun cas être neutre en matière de libertés. Le débat doit avoir lieu, mes chers collègues, sans concession et sans démagogie.
À titre liminaire, je réitérerai l’un de mes combats habituels, monsieur le président de la commission des lois : le juge administratif est devenu au fil des réformes successives le juge de droit commun des voies de fait,…
M. Christian Cambon. Absolument !
M. Jacques Mézard. … à rebours de la lettre comme de l’esprit de la Constitution de 1958 qui, en son article 66, fait du juge judiciaire le gardien des libertés individuelles.
Je persiste et je signe. Certes, j’entends les messages contradictoires. Pourtant, bien que cet ordre abonde en figures compétentes, emblématiques et profondément respectables, tel le vice-président du Conseil d’État, il y aura toujours une porosité inévitable entre l’État et le juge administratif.
À ce titre, nous insistons sur l’importance de prévoir des contre-pouvoirs à l’emprise des services de renseignement sur la vie de nos concitoyens. S’il faut des moyens pour les services de renseignement, comme nous en sommes convaincus, il faut aussi que ceux-ci puissent faire l’objet de vrais contrôles. Il n’est pas question d’entraver ces services dans leur action, mais bien de s’assurer que cette dernière se fait dans le respect d’une légalité spécifique.
À quoi sert-il ainsi d’instaurer une commission nationale de contrôle des techniques de renseignement si cette dernière ne donne qu’un avis consultatif ? Nous proposons donc que l’avis de cette commission lie son destinataire, le Premier ministre. Qui sait, mes chers collègues, quelle personnalité occupera ce poste dans les prochaines années ? Ne faisons pas le hasardeux pari pascalien de croire que l’attachement aux libertés est intrinsèque à la fonction.
L’importance de cet avis est encore plus grande quand les techniques de renseignement sont appliquées à des parlementaires, des avocats ou des magistrats. Il y va du bon fonctionnement de notre démocratie. Dans le cas spécifique des avocats – il est tout naturel que je plaide pour cette profession –, nous ne pouvons comprendre que le texte actuel autorise les services administratifs à mettre en œuvre des mesures d’interception ou d’intrusion qui sont normalement interdites à l’autorité judiciaire.
Pour ces mêmes raisons, nous sommes attachés au renforcement, proposé dans le texte, des missions des délégations parlementaires au renseignement.
Il est également indispensable que, chaque année, un rapport soit établi – je le dis alors que je n’aime pas les rapports ! (Sourires.) –, et que les parlementaires membres de ces délégations aient accès à tout.
Sur les techniques de renseignement elles-mêmes, les technologies de l’information et, en particulier, le numérique ont opéré une révolution telle qu’elle nécessite que l’on change de paradigme de pensée. Nous avions eu l’occasion de le rappeler ici même lors du débat engagé par le RDSE, voilà deux mois, sur le sujet « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».
Il est inacceptable de considérer que, sur internet, tout peut s’écrire, y compris le pire, et que tout peut se préparer ; dans notre système judiciaire, comme vous le savez, madame la garde des sceaux, on en est souvent resté à la presse papier et au bon vieux tract.
Nous saluons le renforcement des prérogatives de TRACFIN, qui lui permettront d’établir des corrélations entre des déplacements de personnes et de marchandises et des flux financiers. TRACFIN sera ainsi en droit de demander des éléments d’identification des personnes ayant payé ou bénéficié d’une prestation ainsi que des éléments d’information relatifs à la nature de cette prestation et, s’il y a lieu, aux bagages et marchandises transportés. Cela est essentiel en matière de lutte contre le terrorisme, comme nous l’avons vu lors des débats sur la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, puis lors des événements qui ont secoué notre pays en janvier dernier.
Pour notre part, nous sommes sceptiques vis-à-vis des technologies qui font passer les activités de pêche des services de renseignement de la pêche au harpon à la pêche au chalut, pour reprendre les propos de M. Jean-Marie Delarue. Je ne peux manquer, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la défense, messieurs les rapporteurs, d’être troublé par les déclarations de cet homme, que le Sénat tout entier a toujours entouré d’un immense respect, à juste titre.
M. Philippe Bas, rapporteur. Conseiller d’État !
M. Jacques Mézard. Sur ce projet, il a eu des mots que nous ne pouvons pas oublier. Je vous en citerai quelques-uns, sans vous faire une longue lecture : « Le projet, dit-il, banalise donc totalement la surveillance de personnes qui n’ont rien à voir avec l’enquête. » Par ailleurs, M. Delarue demande : « Le recueil et la conservation de milliards de données pendant cinq ans sont-ils proportionnés au besoin de trouver, par exemple, une douzaine de personnes suspectées de terrorisme ? » Il ajoute enfin : « Cela me permet d’évoquer un point important : outre les données collectées, la CNCTR doit pouvoir contrôler les dispositifs de recueil des données eux-mêmes. »
Je pourrais encore lire d’autres citations. Je crois en tout cas qu’il ne faut pas oublier M. Delarue, car il a identifié de véritables problèmes pour les libertés et plusieurs risques de dérive.
Plusieurs dispositions du projet de loi autorisent, à ce titre, la collecte massive de données de connexion et permettent ainsi des agrégations d’informations, les « métadonnées », qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, vont bien au-delà de ce que l’on obtient en accédant au seul contenu d’une communication privée.
En particulier, nous pensons à la technologie dite de l’« IMSI catching », qui permet de capter, par le biais d’une fausse antenne relais, les données de connexion de toutes les personnes détenant un périphérique électronique dans une zone géographique déterminée.
À tout le moins faudrait-il s’assurer que ces documents, lorsqu’ils ne sont pas en rapport avec l’autorisation, soient détruits sans délai et non dans un délai de trois mois.
Il faut ainsi consolider les avancées réelles contenues dans le présent projet de loi, dans le sens d’un meilleur contrôle, mais aussi d’une meilleure coordination européenne ; cela n’est pas qu’un vœu pieux.
Nous tenons également à rappeler les propositions contenues dans le rapport du procureur Marc Robert consacré à la cybercriminalité et au renforcement des moyens des services de police. Ce n’est qu’en modernisant notre arsenal juridique que nous pourrons engager une synergie positive pour aller de l’avant.
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, les amendements déposés par le RDSE s’inscrivent dans notre tradition républicaine ; ils rappellent la nécessité d’encadrer légalement l’activité des services de renseignement, activité nécessaire, activité légitime pour protéger nos concitoyens mais aussi pour garantir le respect des valeurs de la République, à laquelle nous sommes tous, je n’en doute pas, profondément attachés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, sur quelques travées du groupe socialiste ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à rendre hommage à tous ces hommes et femmes de la communauté du renseignement qui œuvrent chaque jour, parfois au péril de leur vie, tels nos deux agents tués en Somalie en 2013, à notre sécurité et à la défense de nos intérêts. J’associe à cet hommage leur famille, car je sais combien celle-ci constitue un soutien pour ces hommes et ces femmes de l’ombre et qu’il est parfois difficile de vivre aux côtés de ces derniers.
Ne disposant que de très peu de temps, je me focaliserai sur la seule et unique question que nous devons nous poser sur ce texte : la sécurité des Français sera-t-elle mieux assurée et, concomitamment, leur Liberté, avec un grand « L » comme dans la devise de notre pays, sera-t-elle garantie ? Malheureusement, nous croyons intimement que la réponse est non.
Tout d’abord, qu’apporte ce texte en matière de sécurité ?
Vous vous en doutez, je ne nierai pas les risques importants qui pèsent sur notre pays, en particulier celui qui est relatif au terrorisme islamiste. Il n’est pas non plus question pour moi de nier que nos services de renseignement, spécialement ceux qui sont chargés de la sécurité intérieure, se trouvent parfois dépourvus face à l’immensité de la tâche. Mais, comme ce texte traite du renseignement, il me semble nécessaire de rappeler que le renseignement est un préalable à la décision et à l’action et non une fin en soi.
Or, à l’aune des derniers événements, ce n’est pas tant, me semble-t-il, de renseignements dont on a manqué, mais de décisions et d’actions. Les Merah, Koulibaly, Kouachi, j’en passe et des pires, étaient-ils de parfaits inconnus pour nos services ? Nous savons bien que non. Nous ne manquons donc pas tellement de renseignements, sauf, sans doute, dans les prisons, mais notre libertaire garde des sceaux préfère protéger nos prisonniers plutôt que le reste de la population,…
M. Philippe Kaltenbach. Cette attaque ad hominem est honteuse !
M. Jean-Pierre Sueur. Scandaleuse !
M. David Rachline. … ce qui pose évidemment un certain nombre de problèmes. En revanche, nous manquons cruellement, par exemple, de juges antiterroristes.
Or, je le rappelle, vous êtes depuis des décennies collectivement responsables de la diminution des moyens et des effectifs dans ce domaine. Vous avez pratiquement ruiné notre pays à cause de vos politiques et de votre soumission à Bruxelles et à ses sacro-saintes règles budgétaires. Désormais, nous n’avons plus les moyens d’assurer correctement la sécurité des Français sans les priver d’une partie de leur liberté.
Nous manquons également de courage politique pour lutter contre nos ennemis de l’intérieur. Il est intolérable que des imams, parfois interdits de séjour, puissent prêcher le djihad dans certaines mosquées en toute impunité. Pas besoin de les espionner, ils le font ouvertement. Nous le savons tous ! Il est intolérable que des étrangers condamnés pour terrorisme vivent encore sur notre sol, logés et nourris aux frais du contribuable.
Ensuite, ce texte limite-t-il la liberté ? Clairement, la réponse est oui. L’hétérogénéité des opposants à ce texte en est une preuve indiscutable. C’est la surveillance généralisée avec, comme l’ont souligné d’autres collègues avant moi, les « boîtes noires » installées chez les opérateurs, les IMSI catchers ou les algorithmes. Tout citoyen devient suspect, alors que – ne nous voilons pas la face ! – les foyers de radicalisation sont connus.
Ce texte marque clairement un basculement vers une surveillance généralisée, et ce sans aucune garantie d’efficacité. Trop de renseignement tue le renseignement !
L’absence des juges dans le processus devrait conduire les compatriotes de Montaigne à s’interroger sur l’absence totale de séparation des pouvoirs.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous confondez Montaigne et Montesquieu !
M. David Rachline. Faute de temps, je reviendrai lors de la discussion des articles sur les critères que vous avez retenus, qui sont dignes des « heures les plus sombres de notre histoire », selon votre formule favorite, pour engager des actions de renseignement et sur les pouvoirs hallucinants attribués au Premier ministre.
Pour conclure, je souhaite vous faire part des mesures très concrètes, elles, et très faciles à mettre en œuvre que nous préconisons pour lutter contre le terrorisme islamiste, la criminalité organisée, le trafic en tout genre, notamment de drogue, bref, contre tous les risques qui menacent nos concitoyens, nos entreprises et notre territoire.
Nous préconisons un rétablissement immédiat des frontières nationales, garantes de liberté et de sécurité, que vous avez idéologiquement et scandaleusement fait disparaître.
Nous préconisons également une politique pénale très forte, avec, notamment, la fin des remises de peine, une expulsion immédiate de tous les étrangers condamnés pour des faits graves, une déchéance de la nationalité française pour ceux qui auraient une double nationalité. En clair, nous préconisons le retour à un État de droit et à l’exercice des fonctions régaliennes, qui sont là pour protéger les citoyens et garantir, en principe, leurs libertés !
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de par sa nature secrète, le monde du renseignement suscite bien des fantasmes, des interrogations et des craintes, parfois à juste titre. Un projet de loi relatif au renseignement entraîne donc naturellement les mêmes effets, et c’est notre rôle de parlementaire que de nous assurer que les libertés individuelles ne sont pas menacées.
Le texte que la Haute Assemblée examine aujourd’hui a soulevé des polémiques et des interrogations aussi bien dans les rangs des partis politiques qu’au sein de l’opinion publique. Les travées du Sénat ne font pas exception à la règle – l’examen du projet de loi ne manquera pas, mes chers collègues, de faire apparaître des clivages entre nous, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, tout le socle juridique de la mise en œuvre des techniques de renseignement repose sur la loi de 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Cela signifie que notre droit positif se fonde sur une loi adoptée avant la « démocratisation » du téléphone mobile et l’internet grand public, une loi qui n’est donc plus en phase avec les enjeux de la société numérique.
L’enjeu du présent texte est précisément de s’adapter aux évolutions technologiques, de donner un cadre légal à des activités de renseignement, souvent déjà existantes, d’offrir à nos services de renseignement les moyens juridiques et techniques d’agir et de mieux protéger nos agents dans l’accomplissement de leur mission.
L’examen du projet de loi intervient, certes, dans un contexte sensible, plusieurs semaines après les événements ayant meurtri la France en janvier dernier. Mais, loin de constituer un texte de circonstance – les travaux préparatoires avaient débuté bien avant les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo –, il représente une évolution législative nécessaire. Dès 2012, cette évolution avait été sollicitée par les services de renseignement eux-mêmes, lors de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Une modification législative avait également été recommandée par la mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement conduite en 2013 par les députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.
Il s’agit, bien sûr, de doter les services concernés d’outils afin de faire face à la recrudescence de la menace terroriste, une menace diffuse, intérieure, qui prend de nouveaux visages et qui, désormais, se nourrit des ressources du numérique. La cyberattaque dont a fait l’objet TV5 Monde, en avril dernier, en est la preuve. Mais il ne s’agit pas d’un texte ayant pour seul objet de s’armer contre le terrorisme. Celui-ci a aussi vocation à donner à nos services les moyens de protéger la souveraineté nationale contre les tentatives d’ingérence et d’espionnage à l’encontre de nos actifs scientifiques et économiques et de protéger des pillages nos entreprises françaises. À cet effet, je tiens à saluer le remarquable travail mené de concert par nos deux collègues, Philippe Bas et Jean-Pierre Raffarin, qui ont su apporter les garanties supplémentaires indispensables au texte adopté par nos collègues députés.
Permettez-moi de revenir rapidement sur quelques-unes de ces avancées.
La pose de boîtes noires chez les fournisseurs d’accès à internet, les fameux algorithmes et les IMSI catchers, figure parmi les techniques ayant suscité un certain émoi et fait craindre une surveillance de masse. Avec ces algorithmes, il s’agit, pour les agents, de repérer un élément particulier dans les connexions qui les mettra sur la piste de crimes ou de délits à caractère terroriste en préparation. Force est de constater que l’utilisation quotidienne d’algorithmes par les grands acteurs du web – je pense à Amazon, Google et bien d’autres encore – à des fins qui sont, elles, mercantiles n’a jamais suscité de réactions aussi violentes que celles qui sont provoquées par ce projet de loi.
Le Sénat est fidèle à sa réputation de protecteur des libertés individuelles. Ainsi, notre commission des lois a respecté un principe simple : plus la technique employée est intrusive pour la vie privée, plus elle doit être encadrée par des « garde-fous ». C’est pourquoi les IMSI catchers ont fait l’objet de restrictions dans leur collecte d’informations. Sans un encadrement exigeant, un tel dispositif porterait atteinte au secret de la vie privée, pour ce qui concerne, notamment, un individu localisé dans le périmètre de détection, mais ne faisant pas l’objet de la demande d’autorisation. La commission en a tenu compte : le texte prévoit désormais que seuls les numéros des boîtiers de téléphones et des cartes SIM feront l’objet d’un recueil par IMSI catcher. Ces appareils ne pourront être autorisés qu’à la seule fin de prévention d’acte terroriste. De plus, ils seront soumis au principe de contingentement. Dans ces conditions, parler de « surveillance de masse » me semble aujourd'hui excessif.
Pour l’accès au disque dur, que vous avez vous-même, monsieur le rapporteur, assimilé au fait de « s’introduire dans le cerveau » d’un individu tant le caractère intrusif est fort, l’avis exprès et collégial de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sera nécessaire et la durée d’autorisation a été réduite à trente jours. Une fois encore, cela atteste de la volonté de prévenir tout abus.
La question du contrôle étant fondamentale en ce domaine, la commission a choisi de renforcer le contrôle des instances prévues par le texte, avec l’accroissement de l’indépendance fonctionnelle de la CNCTR, au travers de moyens financiers et humains, et la simplification de la saisine du Conseil d’État par cette commission. Qui plus est, grâce à la proposition de loi organique, nous apportons une nouvelle preuve de l’attachement du Sénat à sa fonction de contrôle de l’action du Gouvernement. Que les commissions des lois de chaque assemblée puissent exprimer leur avis sur le candidat présenté pour présider la CNCTR est légitime et constitue une garantie démocratique supplémentaire ! L’évaluation du Parlement s’exercera aussi par le biais de la délégation parlementaire au renseignement, qui dispose, grâce aux modifications introduites sur l’initiative de Jean-Pierre Raffarin, d’un pouvoir d’information.
Enfin, dès le début du texte, le cadre légal a été clarifié et renforcé avec l’introduction de l’article 1er A, aux termes duquel les activités des services de renseignement s’exercent dans le respect du principe de légalité sous le contrôle du Conseil d’État, comme l’ont souligné la plupart de mes collègues. Les finalités pouvant justifier le recours aux techniques de renseignement ont été redéfinies. Objectivement, elles étaient trop larges.
Parce que les travaux en commission ont permis de placer des garde-fous indispensables ; parce que les rapporteurs ont, me semble-t-il, trouvé un juste équilibre entre sécurité et liberté ; parce que ce texte représente un progrès juridique pour les services de renseignement et ne fait pas l’économie d’un contrôle par une autorité indépendante et d’un droit au recours juridictionnel effectif et parce que les services de renseignement constituent, à mon avis, des outils indispensables pour conduire une politique publique de sécurité visant à protéger nos concitoyens, je voterai, comme de nombreux collègues de mon groupe, en faveur du projet de loi dans la version issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lecture de la presse nous ramène quelques mois en arrière, au débat sur la loi de programmation militaire. Rappelez-vous les critiques : ce texte était une « catastrophe pour les libertés publiques », une « horreur ». Or l’article 13 est plus protecteur des libertés publiques que le droit qui prévalait jusqu’alors.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous vous en souvenez, monsieur Sueur, nous avions tenu bon, en expliquant que cette disposition visait à apporter des garanties et n’était en rien la catastrophe annoncée.
Selon certains, le contrôle des services de renseignement devrait relever de l’autorité judiciaire. Je l’ai lu ! J’ai même entendu certains juges l’affirmer. Comme si la police administrative – préventive – devait être confondue avec la police judiciaire – répressive –, comme l’a fort bien souligné M. le rapporteur Philippe Bas. Même s’il faut s’assurer qu’aucune de ces polices n’empiète sur l’autre – il est vrai que, pour certains services, le passage de la police administrative à la police judiciaire est un moment délicat –, il faut rappeler que notre système juridique repose sur cette distinction et souligner que le contentieux administratif doit relever des juridictions administratives et, en l’espèce, de la plus haute d’entre elles, le Conseil d’État. Lui aussi est le protecteur des libertés publiques, comme le prouve l’existence du recours pour excès de pouvoir. Pour les amateurs d’histoire, j’ajoute que, en de nombreuses occasions, le Conseil d’État a davantage protégé les libertés publiques que certaines autorités judiciaires. Souvenez-vous de l’arrêt Canal par exemple !
Suivant les propositions de notre excellent rapporteur Philippe Bas, la commission des lois a augmenté les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et, surtout, développé les modalités de recours devant le Conseil d’État. Je salue par ailleurs l’avis pertinent de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la houlette de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin – c’est vous dire l’expérience dont il dispose sur de tels sujets.
Certains s’inquiètent légitimement d’une mise sous écoute permanente de la société. À cet égard, il est vrai que le Patriot Act américain peut inquiéter. Les parlementaires américains ont d’ailleurs fini par considérer que l’écoute tous azimuts n’était pas nécessairement utile et efficace. Reste que notre législation est largement insuffisante, car les techniques de renseignement ont beaucoup évolué. Les seules interceptions de sécurité de la loi de 1991, ou de ses compléments, doivent faire l’objet d’une approche globale – comme le fait ce projet de loi que nous devons soutenir – en raison non seulement de la menace terroriste, mais aussi de la menace que représente la grande criminalité organisée ou de celle qui pèse sur notre économie : la lutte contre l’espionnage industriel et économique, dans le contexte de mondialisation que nous connaissons, constitue plus que jamais un défi.
La tension permanente entre sécurité et liberté, qui est inhérente à tout État de droit, doit nous conduire à permettre la nécessaire utilisation des diverses techniques par les services de renseignement mais rend indispensable l’exigence d’un contrôle, lequel doit être d’autant plus strict que les techniques sont plus intrusives dans la vie privée des personnes soumises à ces investigations. C’est pourquoi il faut se féliciter que notre commission des lois ait inscrit dans un article liminaire les règles fixant les principes de respect de la vie privée et de légalité des autorisations de mise en œuvre des techniques de renseignement. Comme l’a noté Jacques Mézard, cela créera un cadre juridique pour une éventuelle jurisprudence.
Les services de renseignement ne sauraient considérer le contrôle comme une entrave, même si, parfois, on se dit que cela pourrait être le cas. L’intérêt majeur du projet de loi est en effet de donner un cadre légal complet et une véritable protection juridique à leurs agents. D’une manière générale, le cadre défini par la loi de 1991 pour les interceptions de sécurité doit représenter pour nous un modèle. Cette loi est tout de même extraordinaire ! Rappelons-nous du contexte qui a prévalu à son élaboration, à savoir la révélation des écoutes illégales. Qu’a donc fait le législateur à cette époque ? Il a institué une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité composée d’un haut magistrat et de deux parlementaires, dont le rôle consistait à donner un avis au Premier ministre. Cet avis portait évidemment sur les interceptions de sécurité puisque ce n’est que par la suite que nous avons connu les fadettes et beaucoup d’autres choses…
Depuis que la CNCIS existe, je peux affirmer – j’en ai été membre un certain temps –, après avoir relu tous les rapports publiés depuis 1992, que toutes les interceptions de sécurité ont fait l’objet d’un examen attentif. Je crois, du reste, que 99,9 % des demandes des services qui ont été autorisées par la commission ont reçu un avis favorable du Premier ministre. Pourtant, il y en a eu, et il y en a aujourd’hui encore, un certain nombre !
Si la structure de la CNCIS était légère, elle n’a jamais été mise en défaut. Son efficacité a toujours reposé sur l’examen attentif des motifs des demandes et – ce qui est aussi important – sur le suivi permanent du résultat des interceptions. La limitation de durée des autorisations est l’une des garanties fondamentales de l’efficacité du contrôle. Nous y reviendrons au cours des débats.
À ce stade de la discussion générale, je ne pourrai pas développer mon propos sur les diverses dispositions qui figurent dans le texte – même si, profitant de la présence de Mme la garde des sceaux, j’aurais volontiers évoqué la question du renseignement pénitentiaire… (Sourires.) –, mais il est heureux que nous distinguions à la fois les outils utilisés pour le renseignement et les motifs invoqués.
Je crois que nous pouvons aboutir à un équilibre permettant l’efficacité des dispositifs tout en s’éloignant nettement de la surveillance généralisée de tous nos concitoyens, notamment en ce qui concerne les données de connexion. Le travail important réalisé par la commission des lois sur le nouvel article L. 851-1 du code de la sécurité intérieure doit nous convaincre que les écoutes ne seront pas permanentes et ne concerneront pas tout le monde.
La commission des lois, dans la tradition de notre assemblée, a toujours veillé à la protection de la vie privée et à garantir les libertés publiques. C’est pourquoi elle a considérablement renforcé le contrôle de la CNCTR, qui, pour être efficace, ne doit pas disposer d’une équipe pléthorique. Plus les membres de la commission seront nombreux, moins elle sera efficace, j’en suis convaincu. Regardez le travail accompli par la CNCIS avec une petite équipe : elle a toujours su exercer ses responsabilités, même dans l’urgence absolue.
Par ailleurs, je me réjouis bien entendu que la proposition de loi organique soumette la nomination du président de la CNCTR à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution. C’était indispensable, et c’était déjà le cas pour le président de la CNCIS.
J’insisterai aussi sur la nécessité pour la CNCTR, comme c’est le cas actuellement pour la CNCIS, de disposer de tous les éléments de mise en œuvre des diverses techniques. Personnellement, je pense qu’il serait dommageable, même en cas d’urgence absolue – que l’on peut du reste difficilement distinguer de l’urgence –, de s’abstraire de tout contrôle, hormis le cas des mesures de surveillance internationale, qui font l’objet de dispositions spécifiques au nouvel article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure.
La limitation de la durée des autorisations constitue l’une des meilleures garanties des libertés. On doit veiller à ce que les productions soient traitées rapidement, faute de quoi elles ne servent à rien. Leur stockage sans traitement suscite alors de véritables interrogations. En tout cas, cette limitation ne peut servir d’alibi à un manque de moyens. M. le Premier ministre nous a annoncé que les moyens seraient là…
Il est également indispensable de veiller à la définition des catégories relatives à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la nation, au premier rang desquelles figure bien entendu le terrorisme. Une définition précise est indispensable : je vous renvoie, à ce titre, au texte du nouvel article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.
Si le projet de loi traite d’abord du renseignement, on n’aurait garde d’oublier qu’il comporte un volet sur le terrorisme, en complément de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme de novembre 2014, que nous avions largement approuvée, et sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. En outre, le texte donne de nouvelles attributions à la délégation parlementaire au renseignement, ce qui, après la période d’acclimatation qu’a connue l’institution – j’ai été l’un des premiers présidents ès qualités de cette délégation parlementaire –, est tout à fait envisageable. Un climat de confiance s’est désormais institué entre le Parlement et les services de renseignement.
En définitive, le projet de loi, qui, je l’espère, rencontrera une large adhésion, est équilibré grâce notamment à la contribution du Sénat sur la protection de la vie privée. Il doit permettre aux agents des services de renseignement, dont la tâche est souvent méconnue par l’opinion publique, mais indispensable et parfois dangereuse, d’avoir une règle de conduite claire et cohérente à laquelle ils devront se tenir. C’est pourquoi notre groupe soutiendra le texte de la commission des lois, en souhaitant vivement que l’évaluation du fonctionnement de ces dispositifs puisse intervenir dans des délais raisonnables. Qu’une loi soit bonne ou mauvaise, elle doit être évaluée ! La loi relative au renseignement ne sera une bonne loi qu’à condition de bien respecter toutes les garanties nécessaires aux libertés publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Charon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir est un moment important pour notre démocratie. Les récents attentats ont démontré que la France et l’Europe étaient la cible de terroristes qui, à l’instar de notre société, sont hyper-connectés. Lors d’un précédent débat consacré à internet et à la liberté de la presse, j’avais appelé l’attention sur les enjeux d’un terrorisme utilisant le web et les réseaux sociaux comme outils de radicalisation et de recrutement.
Les événements récents ont placé les services de renseignement au cœur des débats. Je veux rappeler ici la mission essentielle de service public qu’accomplit le renseignement. Au nom de la représentation nationale et de mon groupe, je tiens à saluer le travail de ces services. Aussi le projet de loi peut-il être l’occasion de sortir des fantasmes inhérents à leurs activités.
Dans la défense de nos institutions, de notre démocratie et de nos concitoyens, le renseignement joue en effet un grand rôle. Rendons hommage à ces hommes de l’ombre qui ne défilent pas le 14 juillet, mais dont l’efficacité permet de gagner une bataille, quand ce n’est pas une guerre ! Comme l’a très bien rappelé Jean-Pierre Raffarin, une partie de leur tâche consiste à recueillir des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des « intérêts fondamentaux de la nation », et pas seulement à celle des « intérêts publics ». À mon sens, il s’agit d’une précision capitale, qui renvoie ainsi non seulement à une définition du code pénal, mais surtout à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si, par nature, l’appareil de renseignement a vocation à travailler dans le secret, cela ne peut pas se faire en dehors de la légalité. Ainsi, certains faits divers politiques ont encouragé le développement d’une représentation collective biaisée du renseignement, au point que les actions des services ont été assimilées à de la « barbouzerie ». Certaines affaires obscures ont précisément eu lieu lorsqu’il n’existait pas de véritable cadre législatif adéquat. Paradoxalement, c’est au moment où l’on envisage l’encadrement légal de ces activités que certains s’insurgent et agitent le spectre d’une surveillance généralisée, digne de Big Brother. Force est pourtant de constater que le cadre juridique actuel est obsolète en raison de la numérisation globale des activités humaines. L’ère numérique a bouleversé les modes de communication et d’information. L’utilisation des smartphones et des réseaux sociaux, le développement massif d’un panel de produits connectés et les échanges de données personnelles, qui représentent en réalité des métadonnées, ont créé une situation nouvelle.
La loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques n’est plus adaptée aux enjeux liés à internet. Cette augmentation de ressources, qui ne sont pas toutes reconnues par la loi comme des données personnelles, et leur accessibilité par les services de renseignement créent un déséquilibre entre respect des libertés et sécurité. De fait, le législateur est placé devant une situation assez paradoxale : des citoyens sans recours contre des méthodes jugées intrusives et des services de renseignement dépourvus, dans le même temps, de cadre légal pour en tirer parti.
Mes chers collègues, la tâche est d’autant plus rude que nous ne pouvons ignorer les risques liés à la dégradation du contexte sécuritaire. Alors que les menaces de toutes ampleurs ne cessent de se diversifier, la France, pays des droits de l’homme et des libertés, doit concilier ses idéaux et les nécessités de l’intérêt général. Ainsi, il nous appartient d’inscrire dans la loi un juste équilibre pour nos services et pour les citoyens, en encadrant les méthodes de recueil de renseignements tout en respectant les libertés individuelles des Français.
L’incertitude juridique actuelle pèse sur les modes d’action des services de renseignement : elle porte gravement atteinte à leur légitimité et entrave leur mission de service public, qui concourt à la défense et à la sécurité de la France et de ses citoyens. Comme le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Jean-Pierre Raffarin, l’a clairement expliqué, le projet de loi doit renforcer tant l’efficacité que la sécurité de nos agents, qui sont appelés à travailler dans la clandestinité. Cet objectif est pour moi essentiel : nous devons clarifier et encadrer le champ d’action des services de renseignement.
Je tiens à rappeler que les activités de renseignement ont été définies par le Livre blanc sur la défense de 1994 et réaffirmées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, en vertu duquel elles font partie intégrante de la fonction « connaissance et anticipation », une fonction stratégique au même titre que la dissuasion, la protection et l’intervention.
Il importe également de signaler que la menace terroriste n’est pas la seule préoccupation des services de renseignement. De fait, les activités de renseignement sont réparties entre plusieurs services, dont les missions et les domaines d’investigation diffèrent. Remarquez que, dans de nombreux pays, notamment anglo-saxons, ces activités, ainsi que l’analyse des méthodes employées, sont regroupées sous le concept d’intelligence, qui recouvre à la fois le renseignement militaire, la lutte contre la criminalité organisée – une activité primordiale compte tenu de l’internationalisation des mafias, notamment en Europe –, le contre-espionnage et toutes les activités liées aux guerres économique et technologique.
Par ailleurs, n’oublions pas que, entre la veille économique ou industrielle et l’espionnage, les frontières peuvent être floues. D’ailleurs, si ces activités semblent a priori relever de la responsabilité des entreprises, donc des acteurs privés, certains États étrangers, apparemment libéraux, leur consacrent des politiques qui dépassent les limites de la seule protection.
Je voudrais rappeler aussi que, du point de vue de la sécurité du pays, les services de renseignement n’ont pas failli. Ainsi, les responsables entendus par la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont j’ai eu l’honneur de faire partie et qui, après avoir tenu cinquante auditions, a adopté un rapport excellent, ont clairement affirmé que, compte tenu des moyens légaux dont ils disposaient, leur capacité d’identification des terroristes et leur réactivité opérationnelle étaient restées intactes. Dès lors, le problème relève aussi de la justice : il tient en réalité à la neutralisation de terroristes potentiels, avant leur passage à l’acte, grâce à une détection a priori et individuelle.
Cette observation me conduit, mes chers collègues, à appeler votre attention sur une autre dichotomie : alors que nous travaillons à encadrer les missions de nos services de renseignement, il importerait que celles de la justice le soient également, notamment en ce qui concerne l’application des peines prononcées contre ceux qui mettent en péril la sécurité des citoyens. Certes, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a été adoptée, avec l’approbation du Sénat ; mais nous devons veiller à sa parfaite application. En effet, les citoyens ne pourront accepter la mise en place de mesures collectives visant à identifier les terroristes si une réponse pénale ferme et crédible ne suit pas !
Si la finalité de la mission des services n’est pas la surveillance générale et permanente des citoyens, je comprends les inquiétudes que ceux-ci peuvent nourrir à l’idée que des informations soient recueillies à l’aide de dispositifs techniques de proximité dont le spectre de collecte peut être élargi à plusieurs personnes. En particulier, la possibilité de placer des sondes sur les infrastructures internet comporte des risques importants. Néanmoins, il convient de préciser que les algorithmes visent à détecter les communications clandestines, et non, contrairement à une idée reçue, à opérer des traitements statistiques.
Certes, les services peuvent être exposés à des marges d’erreur, mais ils sauront les prendre en compte. Ainsi, les scientifiques du monde numérique nous ont alertés sur le risque de « faux positifs » lié aux procédés de profilage. À la vérité, ce type de risques commande surtout de renforcer les moyens humains de nos services. Parce que la science ne peut pas tout, nous devons faire preuve de vigilance à l’égard des systèmes utilisés. Un algorithme ne remplacera pas un officier de police judiciaire, même si celui-ci doit disposer de moyens pour mener son enquête.
Selon moi, la vraie question est : quelle politique publique de renseignement souhaitons-nous conduire au service de la protection des citoyens ? De ce point de vue, nous pouvons nous féliciter des modifications que la commission des lois du Sénat a apportées au projet de loi. À l’article 4, en particulier, elle a consacré le principe d’une voie de recours pour les citoyens, ce qui était nécessaire compte tenu du large recueil de données autorisé par la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Par ailleurs, le nouvel article L. 773-7 du code de justice administrative donne au Conseil d’État de larges attributions contentieuses : annulation de l’autorisation de collecte de données, destruction des données obtenues illégalement, condamnation de l’État à indemniser le préjudice subi et même possibilité de saisir le procureur de la République. Ainsi, les garanties maximales du contentieux administratif seront étendues au contentieux du renseignement illégalement collecté.
M. Philippe Bas, rapporteur. Tout à fait !
M. Pierre Charon. Pour finir, mes chers collègues, je voudrais vous faire partager un point de vue plus personnel. J’estime que le projet de loi ne constitue pas la refonte de la politique de renseignement dont la France a besoin. En effet, cette refonte devrait s’accompagner de dotations et de moyens budgétaires accordés aux besoins en ressources humaines et technologiques. Sous ce rapport, il ne s’agit pas de recruter massivement des analystes : les données et les analyses ne sont rien si elles ne peuvent être utilisées et justifiées dans la légalité.
Ainsi donc, même si le projet de loi permet de pallier une situation « a-légale », il convient de ne pas être naïf quant à la réalité de la menace et à l’ampleur de la mission des services. Ni la loi ni la science ne pourront se substituer à l’intelligence et à l’expérience humaines. Tâchons donc que nos services disposent de conditions optimales pour exercer pleinement la mission de service public que les Français méritent !
Pour ma part, je voterai le projet de loi : il permettra d’améliorer les conditions de travail de nos services, qui, agissant dans la légalité, verront leur légitimité confortée. C’est aussi cela, la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, une partie de l’opinion publique pense que la menace terroriste passera vite. C’est une erreur profonde.
Les chiffres dont M. le Premier ministre a fait état à cette tribune sont vrais : le nombre de Français qui partent pour la Syrie ou pour l’Irak ne cesse de s’accroître, de même que le nombre de ceux qui meurent dans ces pays, notamment dans des attentats suicides. De plus en plus nombreux sont aussi les réseaux, très sophistiqués, qui incitent les jeunes et les moins jeunes à s’engager pour des œuvres de mort. Telle est la réalité, qui nous commande de nous engager et de nous mobiliser.
On a fait observer que tous les dispositifs qui existent n’ont pas permis d’empêcher les attentats du mois de janvier dernier. Cela est vrai, mais quelles conséquences faut-il en tirer ? Qu’il ne faudrait rien faire, qu’il faudrait se résigner, que rien ne serait utile ? Je ne suis pas du tout d’accord. Nous savons bien, pourtant, que c’est grâce aux services de renseignement français que des attentats ont été déjoués !
De même que nous devons affirmer que la sécurité est une liberté, et que pour cette raison nous devons faire preuve de la plus grande vigilance, de même nous devons affirmer, comme nombre d’orateurs viennent de le faire, qu’un juste équilibre doit être trouvé entre la sécurité nécessaire et les indispensables libertés. Car la plus grande victoire des terroristes serait que nous renoncions à nos libertés !
Un travail important a été accompli, successivement, par le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat. Nous sommes d’accord avec nombre des amendements que M. le rapporteur Philippe Bas et M. le rapporteur pour avis Jean-Pierre Raffarin ont présentés.
Madame la garde des sceaux, je me réjouis profondément que notre commission ait adopté un amendement présenté par le groupe socialiste, et par d’autres en même temps, à l’effet d’exclure le ministère de la justice du champ des services de renseignement, à quelque titre que ce soit. Ce principe est très important, car, comme vous l’avez fort bien expliqué, c’est l’identité du ministère et ses missions qui sont en cause. Il ne sera pas dit que Mme la garde des sceaux aura été mise en minorité sur ce point par la commission des lois du Sénat, comme elle l’a malheureusement été dans l’autre assemblée.
Il n’y a que deux ou trois amendements de M. le rapporteur avec lesquels nous sommes en désaccord. En particulier, monsieur Bas, nous regrettons que la commission des lois ait, sur votre initiative, inséré à l’article 1er un alinéa 21 aux termes duquel l’administration pénitentiaire pourrait demander aux services de renseignement de mettre en œuvre une technique de renseignement.
Soyons très clairs : si j’estime normal que les personnels du ministère de la justice, particulièrement ceux de l’administration pénitentiaire, puissent signaler des faits aux services de renseignement, nous considérons qu’il n’est pas de leur rôle de solliciter ou de mettre en œuvre une technique particulière. Je crains en effet que le maintien de cette disposition ne ruine les effets de la suppression de la référence au ministère de la justice à l’alinéa précédent.
Le renseignement pénitentiaire, le rapport de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe en affirme clairement la nécessité. Seulement, cette activité ne doit aucunement porter atteinte à la spécificité des personnels pénitentiaires, garantie par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, que le Sénat a adoptée. Ce qui, bien entendu, n’interdit nullement des coopérations et des échanges d’informations en vue du bien commun. Nous reviendrons sur ces questions.
Pour le reste, nombre d’amendements touchent aux données personnelles ; ils sont précieux pour le respect de la vie privée et visent à préciser que la finalité du projet de loi est la lutte contre le terrorisme, à l’exclusion de toute autre finalité.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est faux !
Mme Sylvie Goy-Chavent. En effet, c’est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. Le groupe socialiste, au nom duquel je prends la parole, a déposé quarante-quatre amendements, qui tous tendent à protéger les libertés ou à accroître les contrôles.
Il n’y a pas lieu d’opposer les Français entre eux : nous sommes tous attachés à la sécurité et nous devons tous être attachés aux libertés. À cet égard, je dis clairement que les associations de citoyens qui ont présenté des critiques et des propositions, et dont certaines ont été citées à cette tribune, méritent le respect. Au reste, un certain nombre de leurs propositions ont été entendues, par la commission des lois ou par le groupe socialiste qui les défendra sous la forme d’amendements. Je suis persuadé que, en définitive, le travail du Sénat permettra des avancées.
Nous avons également présenté des propositions en ce qui concerne les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. En particulier, nous proposons que deux membres de cette commission puissent demander une nouvelle délibération. La commission des lois a déjà souhaité que trois de ses membres puissent saisir le Conseil d’État, ce qui est très important.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. En effet !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons aussi présenté un amendement tendant à assurer à la commission un accès aux renseignements « direct, complet et permanent ».
La commission des lois a longuement débattu de la centralisation des données, à laquelle certains sont attachés. M. Cazeneuve, en particulier, a fait valoir qu’une centralisation de l’ensemble des données était impossible, pour des raisons liées aux techniques mises en œuvre, qui sont multiples et complexes. En réponse à un certain nombre d’interrogations, nous avons donc voulu, quelle que soit la réalité géographique – encore que le terme ne convienne pas très bien –, que la commission ait un accès direct aux données, sans intermédiaire, complet, exhaustif, permanent, 365 jours par an et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Je remercie M. le ministre Jean-Yves Le Drian d’avoir accepté ce contrôle complet, y compris sur l’ensemble des éléments techniques : plateformes, pôles, etc. Je tiens à le dire publiquement, car trop souvent par le passé on s’est réfugié derrière le secret-défense. Si celui-ci doit bien évidemment être respecté, dès lors que l’on crée une commission de contrôle qui a d’amples pouvoirs, il faut que celle-ci puisse les exercer dans toute leur plénitude.
Pour ce qui concerne les algorithmes, qui suscitent des réactions d’extrême méfiance, vous savez qu’il existe des sites d’apologie du terrorisme très sophistiqués, très cryptés et très décryptés. Ces sites sont dangereux, parce qu’ils recrutent des jeunes et des moins jeunes pour ces activités d’horreur et de mort. Or les algorithmes permettront justement aux services d’identifier les personnes qui se connectent fréquemment à ces sites. Est-ce une atteinte aux libertés ? Une telle atteinte – si atteinte il y a – est nécessaire si l’on veut lutter contre le terrorisme. Néanmoins, ces algorithmes doivent avoir un objectif précis et ne pas ressembler aux dispositifs qui existent dans d’autres pays, qui consistent à capter des milliards et des milliards de données sans aucune finalité.
Nous avons déposé un amendement, j’espère qu’il sera retenu, visant à interdire toute reproduction durable, provisoire, transitoire ou accessoire des informations ou documents traités par algorithmes. Autrement dit, veillons à assurer la sécurité de manière efficace, mais soyons rigoureux, stricts, vigilants et intransigeants en ce qui concerne le respect des libertés publiques ! Les interceptions et les intrusions ne pourront donc avoir lieu qu’en cas de nécessité absolue, justifiée et motivée.
Par ailleurs, nous préconiserons, à travers l’un de nos amendements, que l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes se fasse uniquement à la suite d’une décision de justice. Nous proposerons également de supprimer l’alinéa qui vise à inscrire dans ce fichier les personnes ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Les associations qui s’occupent des personnes ayant des troubles psychiques y tiennent. En effet, ce n’est pas parce qu’un citoyen a des troubles psychiques qu’il doit être considéré comme un terroriste en puissance. Nous devons débattre de ce point, car il s’agit d’une question de fond.
Pour terminer,…
Mme Éliane Assassi. N’oubliez pas que l’on souhaite réduire le temps de parole…
M. Jean-Pierre Sueur. … je dirai que nous avons encore beaucoup de travail à faire, mais je pense que nous sommes sur une voie qui est utile à ce pays. En tout cas, une chose est sûre : jusqu’à présent, il n’existait pas de dispositif législatif en France pour encadrer les services de renseignement. La délégation parlementaire au renseignement a d’ailleurs souligné dans de nombreux rapports à quel point cela était anormal. Cette anormalité doit prendre fin. En tant que Républicains – le mot a un certain succès ces jours-ci –, nous devons œuvrer pour que le renseignement ne soit pas absent de la loi et qu’il trouve toute sa place au sein de nos institutions républicaines. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collèges, l’un des principaux reproches formulé par notre groupe à l’encontre du projet de loi est qu’il reste encore profondément déséquilibré entre les nécessités opérationnelles des services et les exigences de protection des libertés, notamment celles qui ont trait à la vie privée. En outre, nous estimons que la légalisation de nouvelles techniques de recueil de renseignements, avec un champ de collecte qui n’a cessé de s’élargir, porte en elle le risque de dérives vers une collecte massive. À cet égard, le régime de renouvellement des autorisations mériterait d’être plus strictement encadré.
Une collecte massive et indifférenciée débouche inéluctablement sur une surveillance généralisée de la société. Cela est d’autant plus dangereux que le monde du renseignement est, par nature, comme on le sait, tenté d’obéir à ses propres règles et de s’affranchir d’un véritable contrôle politique. Ce sont autant de risques contre lesquels il faut se prémunir, ce que le projet de loi ne fait pas suffisamment.
À la suite des avis, pour le moins réservés, rendus par quelques autorités administratives indépendantes, en particulier celui de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, les risques de surveillance massive ont certes été atténués, aussi bien dans le projet de loi initial que par les travaux de l’Assemblée nationale, mais ils n’ont pas totalement disparu, loin s’en faut. L’ensemble du dispositif a néanmoins été affiné et plus strictement encadré. Il est par exemple positif que l’usage de ce qu’on appelle dans le langage courant les « boîtes noires » ait été réservé au seul objectif de la lutte contre le terrorisme. De la même façon, avec une définition plus précise de la notion d’entourage des personnes susceptibles de faire l’objet d’une surveillance, il est appréciable que le périmètre des écoutes téléphoniques ait été limité.
Pour ce qui est du contrôle des services, un premier pas dans l’harmonisation des modalités de contrôle de la CNCTR a aussi été effectué. En revanche, il reste beaucoup à faire sur la composition de cette commission pour éviter qu’elle soit pratiquement entre les seules mains du Premier ministre.
Le point sur lequel j’insisterai plus précisément concerne le déséquilibre sur lequel repose le système de collecte de renseignements qui sera mis en place.
Dans une démocratie telle que la nôtre, lorsque l’on introduit de nouvelles techniques de renseignement en décuplant leurs capacités, il est nécessaire de mettre en place des garde-fous démocratiques. Ces garde-fous résident dans l’accroissement des modalités de contrôle de ces techniques. Faute d’un tel contrôle par des institutions garantes du respect des lois votées au nom du peuple français, les organismes qui les mettent en œuvre continueront, à coup sûr, de fonctionner suivant leur logique propre.
La marque de ce déséquilibre est ainsi très nette en ce qui concerne la collecte du renseignement lui-même. Si celle-ci est précisément encadrée en amont, bien que certains critères de sélection soient contestables, les choses sont en revanche très floues sur la manière dont ces données alimenteront par la suite divers fichiers. Par qui et avec quels moyens ces fichiers seront-ils concrètement contrôlés ? C’est l’une des grandes faiblesses du projet de loi.
À cet égard je partage pleinement, et je les reprends à mon compte, les critiques pertinentes faites sur cette question par la présidente de la CNIL, Mme Falque-Pierrotin. En l’état actuel du texte, il n’existe, par exemple, aucun moyen de vérifier avec exactitude que ces fichiers seront tenus conformément aux objectifs et à la durée de conservation fixés par la loi. Il est d’ailleurs significatif que le texte lui-même ne fasse pas référence au rôle que devrait jouer la CNIL dans ce domaine. En effet, à la différence du régime auquel sont actuellement soumis tous les autres fichiers, qu’ils soient publics, privés ou de police, il n’est pas envisagé que la CNIL puisse exercer des pouvoirs d’inspection et de contrôle sur ces nouveaux fichiers.
Le contrôle effectif de la destination des renseignements recueillis dans ces fichiers est donc une question fondamentale. Ce contrôle doit aussi s’exercer sur la problématique de la durée de conservation des données. Ainsi, pour apprécier de façon crédible le respect de la durée définie par la loi, il serait nécessaire d’en confier la vérification à un organisme qui ait de réels moyens en la matière.
De la même façon, comment vérifier efficacement que les renseignements obtenus sur les téléphones mobiles à partir des IMSI catchers se limiteront bien à ce qui aura été prévu par la loi ?
Ce sont autant de questions auxquelles le projet de loi n’apporte pas de réponses. À l’heure où les parlementaires des États-Unis s’interrogent eux-mêmes sur le bien-fondé de la surveillance de masse opérée par l’une de leurs agences de renseignement, il serait paradoxal que nous n’en tirions pas tous les enseignements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’emblée de saluer le travail de nos services de renseignement, intérieurs comme extérieurs, qui veillent au quotidien à la sécurité des Français et à la défense de nos intérêts vitaux. Les attentats de janvier dernier, la montée plus générale de la menace terroriste, le départ de centaines, peut-être bientôt de milliers, de Français pour combattre dans les rangs de Daech réaffirment la nécessité pour la France d’être dotée de services de renseignement efficaces avec des moyens à la hauteur de leurs objectifs.
Je considère que le projet de loi relatif au renseignement va dans la bonne direction, dans la mesure où il vise à moderniser les moyens de ces services et à placer leurs missions dans un cadre légal. S’il suscite des débats aussi animés dans l’opinion publique et au Parlement, c’est pour la simple et légitime raison qu’il touche à des enjeux très sensibles : notre liberté et notre sécurité.
Si la liberté est en tête de notre devise républicaine, la sûreté est, comme la liberté, consacrée au rang de droit naturel et imprescriptible de l’homme par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Trouver le bon équilibre permettant de consacrer ces deux droits n’est pas chose facile. C’est pourtant l’objectif que doit, in fine, atteindre ce texte.
En plaçant les activités des services de renseignement dans un cadre légal, le projet de loi renforce leur légitimité et leur efficacité, garantes de notre sécurité. En effet, le spectre légal des techniques pouvant être mises en œuvre par les services a été élargi, leurs missions plus clairement définies et la protection des agents renforcée.
Alors même que la France est l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un tel cadre légal et que les menaces auxquelles notre nation est confrontée sont de plus en plus diverses et transnationales, un tel renforcement me paraît nécessaire. Outre le terrorisme, nous devons faire face aux dangers posés par les États faillis, la prolifération nucléaire, le crime organisé, les cyberattaques, pour ne citer que quelques exemples.
Un tel dispositif est d’autant plus nécessaire que la France est aujourd’hui, rappelons-le, le pays européen réellement engagé sur des théâtres d’opérations extérieures. Cet engagement fait de nous un acteur important et crédible sur la scène internationale, mais aussi une cible privilégiée, voire une cible de premier rang par rapport à d’autres pays.
Vient alors la question de notre liberté. Il est essentiel que les citoyens français aient confiance en nos services de renseignement ; il est essentiel qu’ils sentent leurs droits, leurs libertés et leur vie privée protégés autant que faire se peut. Cette liberté est essentielle à notre démocratie, consacrée par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Il est du rôle du Parlement de veiller à ce que ces droits soient respectés. Pour ce faire, nous devons nous assurer que les activités des services de renseignement respectent deux principes essentiels : la nécessité et la proportionnalité.
Si la rédaction initiale du projet de loi n’était pas satisfaisante sur ce point, les débats parlementaires, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, sont allés et vont dans le bon sens. Aussi je salue à mon tour le travail du rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et du rapporteur de la commission des lois.
Le recours aux différentes techniques de renseignement est désormais mieux encadré, répondant ainsi aux craintes de nombreux citoyens, par exemple s’agissant de l’utilisation d’algorithmes ou du recueil des données de connexion par les IMSI catchers. Je ne crois pas, à ce titre, que le texte instaure la « surveillance de masse » souvent annoncée. S’il est vrai que davantage de données seront recueillies par les services, leur exploitation est limitée et encadrée. Le débat parlementaire permettra en outre d’apporter des clarifications. Soyons nets : nos services n’ont de toute façon ni les moyens d’établir un scénario à la Orwell ni intérêt à le faire.
Les travaux parlementaires ont également permis de renforcer les modalités de contrôle du recours à ces techniques par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et par le Conseil d’État. L’indépendance, la légitimité et l’efficacité de ce contrôle ont en effet été renforcées. Sur ce point, la proposition de loi organique de nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Philippe Bas relative à la nomination du président de la CNCTR permettra de renforcer, à juste titre, le pouvoir législatif.
Ainsi, sur le sujet essentiel et sensible que représente l’activité de nos services de renseignement, je considère que le projet de loi, sous le bénéfice des amendements qu’auront adoptés nos deux assemblées et des compléments et améliorations qu’elles y auront apportés, est acceptable. Le débat qui l’accompagne est nécessaire. Néanmoins, il doit s’agir non pas de choisir entre notre liberté et notre sécurité, mais bien d’établir un juste équilibre entre ces deux droits, tous deux essentiels à notre démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 mai dernier, la Chambre des représentants des États-Unis a voté, par 338 voix contre 88, l’abolition de la section 215 du Patriot Act, la loi antiterroriste adoptée après les attentats du 11 septembre 2001.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Nous, nous faisons l’inverse !
M. Claude Malhuret. Depuis lundi, à zéro heure GMT, la NSA a dû fermer toutes ses boîtes noires. Au même moment, le gouvernement français présente un projet de loi dont la mesure majeure est précisément la même que celle de la section 215 : le traitement de masse des données numériques de l’ensemble de la population.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Eh oui !
M. Claude Malhuret. Le vote des représentants américains, républicains et démocrates confondus, et, surtout, les raisons de ce vote permettent de prendre conscience de l’erreur majeure que s’apprête à commettre le gouvernement français.
Le ministre de l’intérieur s’indigne vertement, avec les accents de la bonne conscience outragée, chaque fois que l’on compare son projet de loi au Patriot Act. Pourtant, l’article L. 851-4 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de ce projet de loi, qui prévoit la surveillance de masse de l’ensemble des Français, est bien la réplique de la section 215 du Patriot Act, qui vient d’être rejetée massivement par les congressistes américains.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Et voilà !
M. Claude Malhuret. L’intérêt de l’exemple américain est que la décision des parlementaires découle de quinze ans de mise en œuvre du Patriot Act et que, contrairement aux débats au Parlement français qui ne peuvent s’appuyer sur aucune expérience, elle résulte du constat unanime que quinze ans de recours au traitement de masse des données ont entraîné une formidable régression, à l’exact opposé du résultat recherché.
Mme Michelle Demessine. Eh oui !
M. Claude Malhuret. La première raison de cette régression, c’est bien sûr la formidable atteinte aux libertés publiques qu’entraîne la surveillance généralisée.
Le Gouvernement affirme que le projet de loi ne menace pas la vie privée, car les boîtes noires ne collectent que les métadonnées – adresses IP des ordinateurs, adresses des courriels de l’émetteur et du récepteur d’un message, numéros de téléphone, adresse des pages web consultées –, et non les contenus qui seraient les seuls à permettre l’accès à des données personnelles. Ce raisonnement, auquel beaucoup se sont laissés prendre, est une véritable escroquerie intellectuelle qu’il est facile de démonter à l’aide d’exemples simples.
M. X, marié et père de deux enfants, se connecte tous les quinze jours depuis son ordinateur dont l’adresse IP l’identifie avec certitude à un site de rencontres extraconjugales. Dans les mêmes conditions, M. Y se connecte une fois par semaine à un site de rendez-vous homosexuels. Ceux qui peuvent recueillir ces données n’ont pas besoin de savoir quel est le contenu des pages web visitées ; ils ont connaissance, avec ces seules métadonnées, de détails extrêmement personnels dont il n’est pas difficile d’imaginer les exploitations possibles.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Exactement !
M. Claude Malhuret. Des exemples analogues peuvent être facilement trouvés dans les domaines politiques, religieux, ethniques. Ils prouvent ce que le Gouvernement s’évertue à cacher depuis le début du débat parlementaire sur ce texte : les métadonnées sont beaucoup plus intrusives que les contenus eux-mêmes. Elles offrent une information synthétique et déjà catégorisée, alors qu’il est très difficile et, surtout, très long d’extraire automatiquement et de façon fiable de telles informations du contenu des conversations ou des images échangées.
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, les métadonnées sont bien des données personnelles, souvent ultrapersonnelles, et vous ne pouvez continuer à prétendre le contraire. Vous allez me répondre que les algorithmes ne vont pas cibler les amateurs de sites de rencontres. J’en suis bien conscient, et il s’agit là d’un exemple parmi cent autres pour illustrer le caractère intrusif des métadonnées. Mais l’usage de ces algorithmes a un autre grave inconvénient : le nombre très élevé de « faux positifs »…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Bien sûr !
M. Claude Malhuret. … qui transformeront en suspects – et là je parle du terrorisme, ciblé par l’article L. 851-4 – des milliers de personnes qui n’ont rien à se reprocher. C’est une nouvelle « loi sur les suspects ».
Les IMSI catchers, susceptibles de capter les conversations téléphoniques de tous les utilisateurs situés dans leur rayon d’action, les « boîtes noires » permettant de collecter les métadonnées de millions de Français, les logiciels espions capables d’écouter et de voir dans des lieux privés sont quelques exemples des dérapages – donc des futurs scandales – permis par le texte dans sa version actuelle.
Vous nous affirmez que ces dérapages ne peuvent avoir lieu en France, car vous avez pris toutes les précautions. C’est aussi ce que disaient les promoteurs de la section 215 du Patriot Act.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Eh oui !
M. Claude Malhuret. Bien entendu, ces dérapages ont eu lieu aux États-Unis. Ils ont abouti à des scandales de grande ampleur, en premier lieu l’affaire Snowden et la découverte de l’espionnage généralisé par la NSA, au point de donner la nausée à l’opinion publique de ce pays démocratique et à ses représentants.
Ces empiétements majeurs sur les libertés individuelles n’auraient sans doute pas à eux seuls entraîné le vote de rejet du Congrès, tant reste gravé aux États-Unis le traumatisme du 11 septembre 2001. Si les représentants américains ont décidé de remplacer le Patriot Act par le Freedom Act le 13 mai dernier et de supprimer la section 215, c’est parce qu’ils sont désormais convaincus, preuves à l’appui, que la surveillance généralisée n’a entraîné aucune amélioration dans la lutte contre le terrorisme.
Tout d’abord, les scandales de toute nature liés aux abus considérables ont fortement décrédibilisé les services de renseignement américains. Ils ont également entraîné une crise profonde entre les États-Unis et leurs principaux alliés qui entravera pendant longtemps la lutte commune contre le terrorisme. Enfin, la mise en œuvre du Patriot Act n’a pas empêché l’attentat de Boston ou d’autres dangers, qui n’ont été évités que grâce à d’autres moyens ou même parfois par le simple hasard.
Il est frappant de constater, lorsqu’on lit les comptes rendus des commissions de la Chambre des représentants, que ce qui a le plus fortement déterminé leur vote, ce sont les auditions des responsables du renseignement, qui ont été dans l’impossibilité de leur démontrer quelque efficacité de l’énorme dispositif mis en place depuis dix ans. Pis, les documents révélés par Edward Snowden montrent une pléthore de notes internes à la NSA – qui n’étaient pas rendues publiques à l’époque – se plaignant de la difficulté sans cesse croissante de trier dans une masse de données devenues ininterprétables et asphyxiant les services chargés de leur analyse.
Une grave menace pour les libertés, des inconvénients majeurs et l’absence de résultats positifs, il n’en faut pas plus, me semble-t-il, pour refuser sans état d’âme et sans être traité de laxiste, sempiternel argument des partisans du quadrillage, plusieurs dispositions du texte de loi présenté par le Gouvernement.
Je ne voudrais pas qu’il y ait de méprise : le projet de loi relatif au renseignement est un texte nécessaire, destiné à fixer un cadre légal cohérent et complet aux activités des services de renseignement. Mais, sous sa forme actuelle, il comprend quatre dispositions qui ne peuvent décemment figurer dans le corpus législatif d’une démocratie sans qu’en soient fixées les limites et les conditions d’application beaucoup plus précisément qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Exactement !
M. Claude Malhuret. En premier lieu, les IMSI catchers doivent être strictement paramétrés, dès leur conception et leur fabrication, afin qu’ils ne puissent intercepter que les conversations émanant de numéros de téléphone dûment spécifiés et non toutes les conversations de tous les téléphones dans leur rayon d’action.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Claude Malhuret. En deuxième lieu, les logiciels espions doivent être restreints à la capture des échanges sortant ou rentrant d’un domicile et non à l’intrusion à l’intérieur du domicile, qui n’a jamais été autorisée en France jusqu’à ce jour sans décision d’un juge judiciaire – je regrette que Mme la garde des sceaux soit absente de l’hémicycle au moment où je prononce cette phrase.
M. Christian Cambon. Ça ne l’intéresse pas !
M. Claude Malhuret. En troisième lieu, l’interception des communications internationales permet notamment la collecte de masse des données de nos concitoyens à l’étranger ou en France. Rien dans la loi n’interdit leur communication dans le cadre des échanges entre services de renseignement alliés. S’il est compréhensible de jeter un voile pudique sur ces pratiques, au moins faut-il préciser que ces échanges ne peuvent concerner, dans des proportions significatives, nos propres concitoyens – c’est le sens d’un amendement que j’ai déposé.
Enfin et surtout, l’article L. 854–1 du code de la sécurité intérieure, celui qui autorise la surveillance par les boîtes noires des connexions de l’ensemble de la population, doit être supprimé. Un traitement de masse des données personnelles par l’État n’est pas compatible avec la vie d’une société démocratique.
Ces conditions me paraissent indispensables pour pouvoir voter un projet de loi nécessaire – parce qu’il réglemente des pratiques aujourd’hui totalement « a-légales » –, mais qui n’est acceptable que dans la mesure où il ne remet pas en cause les principes de base de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exercice auquel nous sommes en train de nous livrer est pour le moins insolite : il consiste au fond à mettre en lumière une activité qui prospère plutôt dans l’ombre, la discrétion, la confidentialité, voire le secret, comme si nous devions résoudre un paradoxe ou réduire un oxymore.
La volonté du Gouvernement, à travers le projet de loi, c’est de donner un cadre légal aux activités de nos six services de renseignement sur le territoire national. Donner un cadre légal, certes, mais, dans le même temps, faire droit à celles et à ceux qui s’inquiètent que ces activités, les moyens mis en œuvre pour les exercer, les conditions de cette mise en œuvre puissent aboutir à une immixtion dans la vie privée, à une atteinte à la liberté individuelle.
Tous autant que nous sommes ici savons cela, et notre sensibilité politique personnelle nous conduit à nous positionner soit plus en faveur de la défense d’une liberté que nous avons au cœur, soit plus en faveur de la défense de notre sécurité. Tenir l’un sans lâcher l’autre, l’exercice est difficile, mais le Gouvernement a le courage de soumettre à notre réflexion ce sujet délicat.
Alors que le projet de loi était en gestation, notre pays a été sauvagement frappé au début du mois de janvier. Je ne reviens pas sur ces événements à la fois tragiques et cruels, mais ceux-ci nous rappellent la nécessité pour une nation de se prémunir contre de telles attaques, bien entendu préparées dans le secret. C’est à ce niveau de secret que l’action doit se faire plutôt de manière anticipée.
Notre pays a besoin de services de renseignement à la fois forts, efficaces – efficacité pour déjouer les attentats, les attaques cybernétiques qui peuvent porter gravement atteinte à la souveraineté de notre pays, efficacité dans la défense des intérêts vitaux également, comme le Premier ministre le rappelait tout à l’heure –, mais également respectueux des droits fondamentaux et qui agissent donc dans un cadre juridique sans nuire à l’exercice serein de la démocratie et à l’État de droit, sans nuire à l’efficacité de son travail, indispensable à la sécurité des Français, indispensable à la défense des intérêts économiques, scientifiques et sociaux.
Le projet de loi fait écho à la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Or les techniques et les moyens de communication qui se sont développés depuis cette époque ont beaucoup évolué : téléphone portable, internet, réseaux sociaux, techniques d’intrusion, de géolocalisation, de balisage, de sonorisation. Le projet de loi donne donc un cadre, détermine les techniques autorisées, précise les conditions d’utilisation, les autorisations en amont, les dérogations éventuelles, les dérogations concernant certaines interventions en cas de danger imminent.
Certains voient dans le projet de loi – nous venons de l’entendre – une version française de tout ou partie du Patriot Act américain. Bien sûr, il arrive devant le Parlement après les tueries de janvier 2015, celle de Verviers, de Copenhague, mais qui pourrait penser qu’il s’agit d’un texte d’opportunité ? Ce n’est pas le cas puisqu’il a été initié voilà plus d’un an. Il vise à légaliser des pratiques, à protéger également nos agents – à qui je veux rendre hommage – dans l’exercice de leur métier et surtout à rappeler aux Français qu’ils peuvent compter sur leur engagement, ici ou ailleurs, au risque de leur vie.
Pour conclure, je voudrais dire que l’activité des services de renseignement éveille bien des fantasmes, souvent alimentés par la littérature et le cinéma. Or un État ne vit pas dans les fantasmes. En posant un cadre légal, le projet de loi doit éloigner des fantasmes tant les activistes, en leur rappelant que nous sommes dans un État de droit où les officines et les barbouzes n’ont pas leur place, que ceux qui seraient habités par la peur de ne plus vivre dans un État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes très chers collègues, au sommet de la pyramide est placé Big Brother. Big Brother est infaillible et tout-puissant ! C’est l’affaire Snowden qui aura démontré que nous ne sommes désormais plus très éloignés du monde effrayant de 1984 imaginé par George Orwell. En 2013, les révélations de ce jeune informaticien sur les pratiques de la NSA ont en effet mis en lumière un système de surveillance de masse exercée en ligne, précipitant la fin du mythe originel d’internet.
Quarante ans après sa naissance, internet, synonyme de liberté, se révèle être aussi un instrument de puissance qui nous échappe, support d’un monde d’hyper-surveillance et de vulnérabilité. Tel est le diagnostic réalisé l’année dernière par la mission commune d’information sur la gouvernance mondiale de l’internet, voulue par le groupe UDI-UC, dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteur.
Forte de ce constat, notre mission a réfléchi au rôle que devraient jouer la France et l’Europe dans cette gouvernance. Parmi les soixante-trois propositions sur un ensemble de sujets, étaient évoqués l’urgence d’un cadre juridique renouvelé et modernisé, le nécessaire renforcement de l’encadrement légal des activités de renseignement, mais aussi l’indispensable amélioration de leur contrôle politique. C’est dire si je suis, comme vous tous, préoccupée par les questions de sécurité, que je considère comme un droit fondamental. Tout comme je considère comme fondamental – ce n’est pas opposable – le respect de nos libertés.
Sur ce sujet, à en juger le texte initial du Gouvernement, je dois dire que nous revenons de loin. C’est ici au Sénat, grâce au travail effectué par Philippe Bas pour la commission des lois et par Jean-Pierre Raffarin pour la commission des affaires étrangères, qu’il a été sensiblement amélioré. Je remercie d’ailleurs la commission des lois d’avoir intégré certains de mes amendements. Néanmoins, en l’état, ce texte est encore source de grande inquiétude. Je ferai à cet égard plusieurs remarques.
Première remarque : une législation exclusivement nationale reste à mon sens insuffisante. Aujourd'hui, si chaque membre de l’Union européenne s’interdit d’espionner sa propre population, il obtient néanmoins des renseignements sur celle-ci auprès de ses voisins. C’est ce qu’Edward Snowden a qualifié de « bazar européen » lors de son audition au Parlement européen.
Il faut donc un cadre juridique européen harmonisé de contrôle des échanges d’informations entre services de renseignement, et ce sans préjudice de la compétence exclusive de l`État français en matière de politique de renseignement. Il faut aussi se préoccuper de la sécurité de nos réseaux et de nos infrastructures. Je l’ai expliqué dans un autre rapport fait au nom de la commission des affaires européennes en 2013 : nous sommes sur bien des sujets, et sur celui-ci en particulier, une « colonie du monde numérique ».
Deuxième remarque, et c’est un point à mes yeux rédhibitoire : ce texte, à travers les mesures proposées, qui n’ont en rien prouvé leur efficacité, instaure la suspicion numérique généralisée. Ce n’est pas pour rien si tant d’institutions expertes et qualifiées, comme le Conseil national du numérique, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, l’INRIA - l’Institut national de recherche en informatique et en automatique -, les barreaux, le Conseil national des droits de l’homme nous alertent quant aux graves risques d’abus de dispositifs par nature intrusifs. Hier, au sujet d’une question prioritaire de constitutionnalité, le rapporteur au Conseil d’État lui-même a recommandé à l’institution qu’il représente de saisir le Conseil constitutionnel.
Il y a tout d’abord la question des métadonnées, c’est-à-dire des données sur les données. Parce qu’elles seraient, nous dit-on, moins intrusives que le contenu lui-même, elles pourraient être collectées et traitées sans que cela constitue un risque pour le droit à la vie privée de nos concitoyens. Eh bien, c’est tout le contraire ! En raison de la montée en puissance des capacités de traitement des données en masse, le « big data », et aussi de la numérisation de toute l’activité humaine, ces métadonnées sont devenues plus révélatrices du comportement des modes de vie, des opinions, des usagers que nous sommes.
Il y a ensuite la question des « boîtes noires », les fameux algorithmes, posées chez les fournisseurs d’accès à internet, les hébergeurs de sites web ou encore les grands services en ligne que l’on utilise au quotidien et où se trouvent les métadonnées de chaque internaute.
Disons-le clairement, le projet de loi tel qu’il a été voulu par le Gouvernement s’apparente bien à un Patriot Act à la française : une loi d’exception, prise au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et qui a abouti à l’émission de plus de 200 000 national security letters – lettres de sécurité nationale – permettant d’avoir accès aux données d’usagers de télécommunications entre 2003 et 2006.
Non content d’alerter sur les potentielles dérives d’une détection algorithmique et de démontrer qu’un programme informatique, même bien réglé, produit systématiquement des erreurs, l’INRIA souligne également l’inefficacité de cette technique algorithmique, apportant la preuve qu’ils sont facilement contournables, même sans connaissance technique et informatique élaborée.
Ironie du sort, comme l’a rappelé notre collègue Claude Malhuret, au moment où le Congrès américain remet en cause la reconduite de l’article 215 du Patriot Act, sans tirer de conclusions de l’application de celui-ci lors des quinze dernières années, nous nous apprêtons à légiférer aujourd’hui pour amplifier notre dispositif légal du renseignement avec des conséquences démocratiques mais aussi économiques imprévisibles.
Outre le fait qu’il convient de supprimer des dispositifs dits de « boîtes noires » et de prendre quelques garanties supplémentaires, que j’aurai l’occasion d’évoquer lors de la discussion des articles, concernant notamment les « professions protégées », il faut absolument donner à la CNIL la possibilité d’un contrôle a posteriori des fichiers. C’était d'ailleurs la recommandation n° 54 de notre rapport.
Enfin, troisième remarque : il est important de préciser une menace sous-jacente à ce texte, à savoir la création de « failles » par les services de renseignement qui seront autant de portes dérobées dans les algorithmes cryptographiques, des failles accessibles tant aux agences de sécurité qu’aux terroristes et autres cybercriminels. Il a été démontré que les programmes de surveillance de masse comme ceux de la NSA fragilisent les dispositifs de sécurité d’internet. Ils rendent encore plus vulnérables les entreprises et les infrastructures critiques des États et, donc, leurs données. Les conséquences économiques liées à la crise de confiance numérique sont d'ailleurs devenues telles aux États-Unis que l’agence fédérale américaine chargée d’élaborer les standards de chiffrement souhaite désormais s’émanciper de la NSA.
Mes chers collègues, je dirai, en conclusion, qu’à l’hyper-surveillance, qui nous touche tous, doit correspondre la mise en place d’hyper-moyens de contrôle de la surveillance, seul rempart contre l’arbitraire. La France et les Français ont besoin d’être protégés, mais ils ont aussi besoin de voir leur démocratie et ses valeurs protégées sur le long terme.
Pour avoir participé ce matin, dans le cadre du deuxième forum de la gouvernance de l’internet, à un débat sur ces sujets, je vous mets en garde. À la question posée par un atelier intitulé « La sécurité peut-elle être le résultat d’un algorithme ? », la réponse a bien sûr été négative. La conclusion a été qu’une fois les dispositifs établis, nul ne pouvait garantir l’utilisation qui en serait faite. Quel que soit le gouvernement, il sera toujours tentant de mettre le doigt dans le pot de confiture. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse que je ferai au nom de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et en mon nom personnel sera assez brève en raison de la visite d’État du roi d’Espagne. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’ensemble des sujets lors de l’examen des amendements.
Je retiens de ce débat que nous avons la même volonté d’établir une politique publique du renseignement à la fois efficace, moderne et protectrice. Nous partageons également la volonté de trouver un point d’équilibre entre efficacité et contrôle. Si j’ai bien entendu Philippe Bas et Jean-Pierre Raffarin, nous sommes sur le point d’aboutir. Grâce à l’engagement des uns et des autres, des compromis ont pu être trouvés ou sont en voie de l’être sur plusieurs sujets sensibles : la finalité du renseignement, la durée de conservation des données, les modalités de centralisation des données collectées afin de favoriser leur contrôle ou la protection de certaines professions. Le Premier ministre l’a clairement dit : la volonté du Gouvernement est bien de travailler de concert avec le Parlement dans un esprit de responsabilité et d’efficacité, avec le souci de parvenir à un consensus chaque fois que cela sera possible.
Les travaux de l’Assemblée nationale ainsi que ceux de la commission des lois et de la commission des affaires étrangères du Sénat – je remercie d’ailleurs leur rapporteur et tous ceux qui ont travaillé sur ce texte – ont déjà enrichi le projet de loi. Je ne doute pas que l’état d’esprit constructif qui anime la Haute Assemblée permettra de parvenir à un résultat de grande qualité.
Vous avez été nombreux à souligner la gravité de la menace terroriste. En ma qualité de ministre de la défense, j’y suis confronté quotidiennement. Je ne reviendrai pas sur ce diagnostic partagé.
J’ai constaté avec intérêt que chacun reconnaissait que notre législation était devenue, dans cet environnement, lacunaire et obsolète. Il importe donc de trouver les voies d’élaboration d’un cadre de nature à intégrer la révolution numérique dans un dispositif qui n’était absolument pas pris en compte dans la loi de 1991. Car la révolution numérique, qui a bouleversé les techniques et les missions de renseignement, a aussi modifié l’action des groupes terroristes ! Vous l’avez dit, monsieur Raffarin, ce texte est en train de devenir une loi de maturité. À cet égard, nos débats permettront encore de le faire progresser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais appeler votre attention sur plusieurs sujets qui me paraissent préoccupants ou qui me semblent nécessiter des précisions. C’est le cas des moyens techniques, notamment des moyens intrusifs, susceptibles d’affecter la protection de la vie privée dont disposeront nos services de renseignement. Beaucoup d’interventions ont été consacrées à ce sujet – je pense en particulier à M. Mézard et à Mmes Cukierman et Benbassa.
Permettez-moi de revenir sur un certain nombre de points majeurs rappelés par le Premier ministre : toutes les techniques nouvelles sont soumises à une autorisation. Le texte n’autorise que des techniques de surveillance ciblée, strictement proportionnée aux objectifs poursuivis. Contrairement à ce qui a été soutenu par certains, il ne s’agit en aucun cas d’établir un système de surveillance de masse.
Ainsi, la surveillance en temps réel par recueil direct sur les réseaux ne sera possible que si une personne est au préalable individuellement identifiée comme représentant ou pouvant représenter une menace terroriste. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sera consultée et devra émettre un avis. Ces techniques de surveillance en temps réel permettront le recueil des seules données de connexion à l’exclusion du contenu des correspondances.
De même, s’agissant de la détection sur données anonymes, les opérateurs ne transmettront aux services de sécurité que les données de nature à caractériser l’existence d’une menace terroriste. Ces données, qui ne concernent que le terrorisme et non pas d’autres sphères de l’activité publique ou privée, seront donc sélectionnées – j’insiste sur ce point – au moyen d’algorithmes. Il ne s’agit en aucun cas de cette surveillance généralisée et massive évoquée ici ou ailleurs ! Un certain nombre d’amendements adoptés par les députés et visant à dissiper tout malentendu sur ce sujet figurent dans le texte de loi.
Je tiens à redire ici, en tant que ministre de la défense, que cette technique est nécessaire à l’efficacité des services de renseignement. On ne comprendrait pas que, face à des réseaux clandestins se jouant des modes de surveillance classique, nous ne fassions rien. Nous devons donc tout faire pour repérer ces réseaux et ces filières. Cette capacité est pour nous cruciale – MM. Détraigne et Sueur l’ont dit également – afin d’entraver et de prévenir des actes terroristes sur notre sol. Il importe toutefois que ce dispositif soit soumis à des règles draconiennes, ce qui sera le cas.
Je rappelle qu’un amendement spécifique relatif aux algorithmes, déposé par le Gouvernement, a été adopté par les députés pour tenir compte des préoccupations exprimées par certains parlementaires ou commentateurs. Le dispositif tel qu’il sera institué, dans une perspective expérimentale, est ainsi prévu pour une durée temporaire, en l’occurrence trois ans, et sa prolongation dépendra de la décision du Parlement. Chaque algorithme fait l’objet d’un renouvellement, le cas échéant, tous les quatre mois, sachant que le premier ne vaut que pour deux mois. Il s’agit, là encore, d’une garantie supplémentaire, en sus du contrôle permanent de la CNCTR sur la proportionnalité et la finalité de ce type d’interventions.
Par ailleurs, le Gouvernement vous proposera de préciser dans le texte, par voie d’amendement, que les données de connexion retenues par les algorithmes devront être rapidement détruites, s’il n’est pas confirmé que les personnes auxquelles elles correspondent méritent d’être surveillées au nom de la prévention du terrorisme. Je le précise, car ce sujet donne lieu à de nombreuses incompréhensions, voire à des illusions. Il n’y a rien de commun entre ce texte et le Patriot Act américain, quoi qu’en pense M. Malhuret. Je tiens d’ailleurs à lui faire remarquer que ce dispositif – cela relève de la responsabilité des autorités américaines – ne sera pas supprimé, mais transformé en Freedom Act, lequel reprendra les mêmes mesures ; les excès et les conséquences néfastes du Patriot Act, qui ont pu être observés jusqu’à présent, ne disparaîtront donc pas. Nous ne nous situons ni dans le même contexte ni dans la même logique.
Je souhaite revenir sur deux autres points qui ont été évoqués.
Le premier concerne les mesures de surveillance internationale.
Le Premier ministre l’a dit dans son intervention liminaire, ces mesures ne faisaient l’objet jusqu’à présent d’aucune organisation réglementaire. Ainsi, la loi de 1991 n’avait pas intégré ce dispositif de surveillance, pourtant essentiel. Le projet de loi y remédie, et c’est un progrès décisif pour le droit.
J’ajoute que ces mesures de surveillance internationale doivent faire l’objet de deux décrets : un décret en Conseil d’État « classique », et un autre, non public, qui sera tout de même communiqué à la CNCTR, au Conseil d’État et à la délégation parlementaire au renseignement. Ce décret « non classique » fixera les modalités techniques de recueil des données nécessaires lors des interceptions au niveau international. Le Gouvernement a souhaité préciser dans la loi elle-même le contenu du décret classique, afin de faire montre encore plus clairement de sa volonté de transparence.
Ce sujet ressortissant de la compétence du ministre de la défense, le Gouvernement a déposé un amendement que je défendrai demain visant à définir l’objet des autorisations, leur durée de validité, les instruments de contrôle de la CNCTR et la nature du droit au recours devant le Conseil d’État, lequel sera ouvert, le cas échéant, à l’encontre de ces mesures de surveillance internationale. Cela constitue une première dans notre droit, mais aussi une avancée significative dans l’esprit d’équilibre entre contrôle et efficacité que j’évoquais précédemment.
Le deuxième point, évoqué par M. Hyest, concerne le rôle du Conseil d’État et la place du juge judiciaire. Je rappelle, comme il l’a fait, que le renseignement relève de la police administrative et que son contentieux concerne la légalité des décisions du Premier ministre. Par ailleurs, le renseignement ne relève pas du champ de l’article 66 de la Constitution, lequel énonce que l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle », dès lors que, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cet article ne commande la compétence du juge judiciaire que pour les mesures privatives de liberté. Or celles-ci ne sont pas en cause ici. Il est donc logique, comme cela a été dit, que le juge administratif soit compétent pour connaître de la légalité des techniques de renseignement. C’est le point de vue que défendent à la fois, au nom du Gouvernement, la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les remarques que je souhaitais faire avant que nous ne débutions l’examen des articles du projet de loi, examen qui permettra au Gouvernement de préciser de nouveau sa position dans une volonté d’ouverture et de compromis entre le contrôle et l’efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le président, je demande l’examen par priorité, demain, mercredi 3 juin, à la reprise de la séance du soir, des articles 2 et 3 du projet de loi. Je tiens en effet à être présent au Sénat lorsque seront examinées les dispositions de ce texte relatives aux algorithmes de la surveillance internationale, dans la mesure où celles-ci relèvent en grande partie de ma compétence.
Aux termes de l’ordre du jour prévu, ces dispositions devaient être examinées jeudi 4 juin. Or, ce jour-là, je serai retenu à l’Assemblée nationale par l’examen en séance publique du projet de loi actualisant la programmation militaire. Je vous remercie de votre compréhension.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette demande de priorité ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission ne s’y oppose pas.
M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?...
La priorité est ordonnée.
La suite de la discussion du projet de loi et de la proposition de loi organique est renvoyée à la séance de demain, mercredi 3 juin 2015.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Accessibilité pour les personnes handicapées
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (projet n° 276, texte de la commission n° 456, rapport n° 455).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 26 septembre 2014 que je vous présente a une importance toute particulière pour des millions de Français en situation de handicap. Il a en effet pour objet de changer le quotidien des personnes handicapées en leur permettant, à l’instar de n’importe quel citoyen, de faire leurs courses dans les commerces, de retrouver des proches au restaurant, ou encore de se rendre dans leur mairie pour y prendre des renseignements ou pour assister au conseil municipal.
De nombreuses personnes handicapées avec lesquelles je me suis entretenue, ainsi que les associations qui les représentent, s’accordent à dire que c’est à l’ensemble de la société que la mise en accessibilité du bâti profite. Je partage totalement cette analyse : ainsi, le présent texte s’adresse également aux femmes enceintes, aux personnes âgées, aux parents qui circulent avec une poussette, de même qu’à tous ceux qui se sont temporairement blessés, en effectuant un entraînement sportif ou en empruntant un escalier, au Sénat par exemple. (Sourires.)
M. Dominique Watrin. Cela peut arriver !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Ensuite, ce projet de loi entend traduire en actes des mesures inscrites dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dispositions qui fixaient respectivement au 1er janvier 2015 et au 13 février de la même année la date butoir pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, les ERP, et des transports collectifs. La Haute Assemblée, par le biais du rapport d’information sur l’application de la loi précitée de Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, avait d’ailleurs donné l’alerte dès le mois de juillet 2012, en rendant compte de l’importance du retard pris en la matière et de la nécessité de trouver les moyens de le combler.
Enfin – c’est là toute la difficulté de l’exercice –, ce texte engage également les gestionnaires d’établissement recevant du public et les autorités organisatrices de transport. Sont notamment concernés des commerces de centre-bourg, des grandes surfaces, des communes de tailles très diverses, des grandes villes et des collectivités publiques, lesquels présentent des situations très contrastées.
Tenir les engagements pris par notre pays en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des personnes en situation de handicap en mettant notre société sur le chemin de l’accessibilité, faire respecter la volonté du législateur de 2005 et poser des conditions fermes, mais raisonnables, à l’égard des gestionnaires concernés : tels sont les objectifs qui, en 2013, ont présidé à la décision du Gouvernement d’organiser une très large concertation pour sortir de l’impasse.
C’est à vous, madame Campion, aujourd'hui corapporteur de ce projet de loi, qu’a été confiée la mission de réunir autour de la même table les représentants des associations de personnes en situation de handicap, les membres de l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, des représentants des commerçants, de l’hôtellerie-restauration, les responsables du transport, les représentants des associations d’élus des collectivités locales, les maîtres d’œuvre, les maîtres d’ouvrage, les techniciens et les experts. Votre mérite a été de parvenir à faire tomber d’accord toutes ces personnes sur le principe du dispositif des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP.
Ce dispositif constitue l’essentiel de l’article 1er de ce projet de loi qui prévoit la ratification de l’ordonnance signée le 26 septembre 2014 par le Président de la République.
En plus d’être le fruit d’une concertation, les Ad’AP répondent à trois exigences.
Premièrement, il est nécessaire de fournir aux gestionnaires concernés le cadre juridique, calendaire et opérationnel qui, de toute évidence, faisait défaut dans la loi de 2005. Ainsi l’Ad’AP consiste-t-il en un document de programmation pluriannuelle, dont le dépôt s’effectue obligatoirement en mairie ou en préfecture avant le 27 septembre de cette année. Il engage son signataire à exécuter les travaux de mise en accessibilité requis dans un délai de un an à trois ans pour les ERP relevant du droit commun, c’est-à-dire appartenant à la cinquième catégorie, lesquels représentent environ 80 % des établissements concernés.
Si le dépôt de l’Ad’AP permet, pour un laps de temps limité correspondant à la durée de l’agenda, la suspension du risque pénal prévu par la loi du 11 février 2005 en cas de non-respect des obligations en matière de mise en accessibilité, il n’en demeure pas moins que le gestionnaire qui s’exonérerait de déposer son Ad’AP dans les délais impartis reste passible de sanctions.
Deuxièmement, il convient de simplifier la démarche. Sur la demande de la Haute Assemblée, le formulaire CERFA nécessaire a été allégé et mis en ligne sur le site du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Sur ce même site – j’en redonne l’adresse, pour ceux qui ne l’auraient pas encore consulté (Sourires) : www.accessibilite.gouv.fr – se trouve aussi un outil d’autodiagnostic d’accessibilité à destination des responsables d’établissement de cinquième catégorie et des petites mairies – je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, combien vous êtes sensibles aux difficultés de ces dernières – leur permettant de réaliser gratuitement et rapidement leur diagnostic d’accessibilité, ainsi que leur plan de travaux adapté.
Troisièmement, il faut prendre en compte la réalité des établissements recevant du public. C’est la raison pour laquelle des extensions de délai sont prévues pour les établissements de première à quatrième catégories, pour les patrimoines importants comprenant plusieurs établissements, ainsi que pour les structures recevant du public présentant des difficultés financières avérées.
Cela étant, l’ordonnance ne se limite pas au bâti.
Conformément à la lettre de la loi d’habilitation votée par le Parlement l’année dernière, l’ordonnance permet aux services de transports publics d’élaborer un schéma directeur qui pourra s’étendre sur trois ans, six ans et neuf ans respectivement pour les services de transport urbain, de transport interurbain et de transport ferroviaire. Elle précise aussi les conditions dans lesquelles les points d’arrêt et le matériel roulant sont rendus accessibles.
L’ordonnance crée également un fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle. Celui-ci sera mobilisable afin d’aider à effectuer les travaux adéquats les établissements qui n’en ont pas les moyens, mais dont l’accès revêt une grande importance pour les personnes handicapées. Il permettra par ailleurs de financer la recherche et le développement en matière d’accessibilité universelle.
L’ordonnance organise aussi l’extension de l’autorisation d’accès des chiens guides d’aveugle ou d’assistance dans les transports et les lieux publics à l’égard des détenteurs de la carte de priorité pour personne handicapée. Une circulaire en ce sens a d’ores et déjà été diffusée.
Enfin, l’acquisition de connaissances dans les domaines de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées est rendue obligatoire dans la formation des professionnels appelés à être en contact avec les usagers et les clients dans les établissements recevant du public. S’appuyer sur les personnels d’accueil constitue en effet le meilleur moyen de diffuser ce nouvel état d’esprit : une société plus inclusive.
Je tiens maintenant à mentionner l’article 2 du projet de loi qui modifie la date d’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance relatives aux travaux modificatifs effectués par l’acquéreur d’un ouvrage acquis en vente en état de futur achèvement, ou VEFA. Je précise que, avant d’être intégrée au texte, cette disposition a été soumise à des associations de personnes handicapées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il me reste à saluer le travail de la commission des affaires sociales, qui a d’ores et déjà permis de faire évoluer le projet de loi de façon positive.
Sur l’initiative des deux rapporteurs, la commission a ainsi proposé de mieux encadrer les procédures de dérogation relatives au dépôt de l’Ad’AP en assortissant le refus d’une assemblée générale de copropriétaires de mettre en accessibilité les parties communes de leur immeuble de l’obligation de motiver cette décision. Elle est également revenue à l’esprit de l’habilitation en ramenant les prorogations de délai de dépôt de l’Ad’AP à six mois en cas de rejet du premier agenda, à un an en cas de difficultés techniques et à trois ans en cas de difficultés financières.
La commission a par ailleurs proposé la remise d’un bilan du chantier de simplification normative engagé par le Gouvernement, ce qui semble tout à fait opportun et légitime.
Elle a également souhaité augmenter le nombre de sanctions financières dont le produit est versé au fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle.
Enfin, en adoptant un amendement qui visait à permettre à un jeune en situation de handicap de s’engager dans un service civique jusqu’à l’âge de trente ans, la commission a aussi introduit une mesure de nature à rendre notre société plus inclusive et plus accessible.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à attirer votre attention sur l’importance de respecter l’équilibre du présent projet de loi issu de la concertation. En effet, le remettre en cause pourrait soit désespérer les personnes handicapées qui n’aspirent qu’à aller et venir librement au sein d’une société s’ouvrant enfin à eux, soit placer les responsables d’établissement et des transports dans l’impossibilité de procéder aux travaux de mise en accessibilité pourtant profitables à un grand nombre de personnes.
C’est la raison pour laquelle, je vous en avertis dès à présent, je serai amenée à émettre des réserves ou encore à m’en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée …
Mme Isabelle Debré. C’est mieux ! (Sourires.)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … sur un certain nombre des amendements déposés sur ce texte. Je sais combien la sagesse du Sénat est grande. Connaissant son esprit de responsabilité…
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … et toute l’attention qu’il porte à la notion de sécurité juridique, je sais qu’il sera convaincu de la nécessité de préserver l’équilibre d’une ordonnance entrée en application depuis plusieurs mois.
Enfin, la préservation des dispositifs de financement est essentielle.
Cela étant rappelé, je n’oublie pas qu’il est de mon devoir de veiller à ce que les intérêts des personnes handicapées soient respectés. C’est pourquoi le Gouvernement a assorti chacun des amendements identiques déposés par Mme Lienemann, par M. Mézard et par Mme Estrosi-Sassone d’un sous-amendement. Ces trois sous-amendements visent à étendre aux bailleurs sociaux les dispositions relatives aux normes d’accessibilité des logements vendus en l’état futur d’achèvement prévues à l’article 2 du projet de loi de ratification que j’évoquais tout à l’heure. Le Gouvernement entend ainsi que soient garantis dans la loi la prise en charge financière des travaux d’adaptation par le bailleur social, ainsi que le caractère raisonnable du délai des travaux de réalisation.
Animé par cet état d’esprit de responsabilité, ainsi que par la volonté de ne pas reporter plus longtemps la mise en accessibilité de notre société, le Gouvernement souhaite l’adoption la plus rapide possible du présent projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. - M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici parvenus à la dernière étape d’un processus entamé depuis plusieurs années pour nous donner les moyens d’atteindre les objectifs d’accessibilité fixés dans la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, dite « loi handicap ».
En consacrant la notion d’accessibilité universelle, ce texte a posé les fondements d’un changement d’état d’esprit qui est aujourd’hui pleinement ancré. L’accessibilité est bien évidemment physique, mais elle concerne plus largement l’ensemble des domaines de la vie en société. Si les personnes handicapées, quel que soit leur type de handicap, sont les premières concernées par l’accessibilité, celle-ci vise également toute personne pouvant être confrontée, un jour ou l’autre, à une difficulté de déplacement, qu’elle soit temporaire ou durable. Au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale revêt un enjeu considérable.
L’accessibilité n’est pas une contrainte. Elle est l’un des éléments indispensables au fonctionnement d’une société plus inclusive.
La loi du 11 février 2005 a posé un principe fort : l’ensemble du cadre bâti et des transports devait être rendu accessible à l’horizon 2015. Une véritable dynamique s’est engagée et des progrès tangibles ont pu être constatés. Pourtant, nous savons depuis plusieurs années que cet objectif ne pourra pas être atteint dans les délais prévus. Isabelle Debré et moi-même l’avions constaté dans notre rapport du mois de juillet 2012 sur l’application de la loi handicap, comme Mme la secrétaire d’État l’a rappelé voilà un instant. Nous appelions alors à ne pas repousser l’échéance de 2015 et à prendre le problème à bras-le-corps en commençant par établir un état des lieux exhaustif du chantier de la mise en accessibilité.
Le rapport intitulé Réussir 2015, que j’ai remis au mois de mars 2013 au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, a été suivi d’une large concertation au cours de l’hiver 2013-2014.
L’ensemble de ces travaux a permis d’aboutir à des préconisations concernant deux grands chantiers : d’une part, la définition d’agendas d’accessibilité programmée devant permettre aux propriétaires ou exploitants d’établissement recevant du public, ainsi qu’aux autorités organisatrices de transport ne respectant pas leurs obligations de mise en accessibilité de s’engager sur un échéancier précis de travaux, sur le financement de ces derniers et sur leur suivi ; d’autre part, l’adaptation des normes d’accessibilité existantes lorsque celles-ci se révèlent trop rigides ou trop peu opérationnelles.
Au cours de la concertation qui s’est alors déroulée et que certains acteurs ont qualifiée d’« historique », chacun a su agir de façon constructive et responsable. Il était impensable de renoncer aux principes de la loi du 11 février 2005. Mais il n’était pas non plus souhaitable de prendre le risque de voir se multiplier les condamnations pénales de collectivités territoriales et d’acteurs économiques n’ayant pu remplir leurs obligations une fois passée l’échéance du 1er janvier 2015.
La loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées du 10 juillet 2014 s’inspire très largement des travaux de la concertation. Elle est allée plus loin sur un point, en rendant les Ad’Ap obligatoires pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, alors qu’il était à l’origine envisagé de leur laisser un caractère facultatif. Des orientations fixées par la loi d’habilitation découlent l’ordonnance du 26 septembre 2014 et les nombreux textes réglementaires publiés depuis pour sa mise en œuvre. Dans sa majorité, la commission a estimé que le texte de l’ordonnance respectait le cadre de l’habilitation qui avait été défini par le Parlement.
Les Ad’Ap doivent être déposés dans les préfectures d’ici au 27 septembre prochain et les demandes de prorogation des délais de dépôt devront avoir été transmises au plus tard le 27 juin. Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur la ratification d’un texte ayant déjà remporté l’adhésion des acteurs qui souhaitent pouvoir se mettre en conformité avec leurs obligations légales dans les délais impartis. À la mi-mai, plus de 1 300 Ad’Ap avaient déjà été déposés.
Ces éléments doivent nous conduire à être responsables. Telle est la raison pour laquelle Philippe Mouiller et moi-même n’avons pas souhaité proposer à la commission des affaires sociales d’amendements dont l’adoption aurait bouleversé l’équilibre de l’ordonnance. Il nous a malgré tout semblé qu’il était possible d’en renforcer plusieurs points, dans le respect des préconisations issues de la concertation, tout en prenant en compte certaines des attentes des organisations dont nous avons auditionné les représentants.
L’ordonnance précitée a fixé à trois ans la durée de principe des Ad’Ap pour les établissements recevant du public et pour les transports publics urbains. Les agendas pourront malgré tout porter sur deux, voire trois périodes de trois ans en cas de situations plus complexes délimitées par l’ordonnance. Dans tous les cas, des progrès de mise en accessibilité devront pouvoir être mesurés dès la première année d’exécution de l’agenda : il s’agit non pas de reporter de trois, six ou neuf ans la mise en accessibilité exigée, mais d’échelonner, sur une période plus ou moins longue, les travaux programmés dans les agendas. Dans l’hypothèse où un allongement exceptionnel de la durée des Ad’Ap paraîtrait nécessaire, la commission des affaires sociales a exigé qu’il ne puisse être autorisé que par une décision expresse de l’autorité administrative compétente.
Elle a également davantage encadré les possibilités de prorogation des délais de dépôt des Ad’Ap. Fixés à trois ans par l’ordonnance, elle les a ramenés, comme vous venez de le rappeler, madame la secrétaire d’État, à douze mois en cas de difficultés techniques liées à l’évaluation et à la programmation des travaux, et à six mois lorsqu’un premier projet d’agenda a été rejeté. Le délai de trois ans continue de s’appliquer en cas de difficultés financières pour évaluer et programmer les travaux. Dans chacune de ces trois hypothèses, seule une décision expresse et motivée du préfet permettra d’allonger les délais de dépôt.
Par ailleurs, tous les travaux effectués sur la question de l’accessibilité font état de l’insuffisance des données statistiques en la matière. De ce point de vue, la mission que confie l’ordonnance aux commissions communales et intercommunales pour l’accessibilité aux personnes handicapées de tenir, par voie électronique, un répertoire des Ad’Ap et des établissements accessibles à ces personnes est essentielle. Ces commissions, dont l’ordonnance étend également la composition aux représentants des personnes âgées et des acteurs économiques, seront ainsi pleinement en mesure de jouer le rôle d’observatoire que leur a confié la loi du 11 février 2005.
Pour compléter mon intervention, j’évoquerai deux points qui me tiennent particulièrement à cœur.
Le premier concerne la mise en accessibilité des services de transport scolaire. Aux termes de l’ordonnance, lorsque le projet personnalisé de scolarisation prévoit l’utilisation du réseau de transport scolaire, les représentants légaux d’un élève scolarisé à temps plein peuvent demander la mise en accessibilité des points d’arrêt les plus proches de l’établissement fréquenté par l’élève et de son domicile. Cette disposition concerne la très grande majorité des élèves en situation de handicap, dans la mesure où près de 90 % d’entre eux sont aujourd’hui scolarisés à temps complet. Pour ceux qui le sont à temps partiel, des solutions de transport individualisé existent. Elles leur permettent de se rendre dans leur établissement scolaire et dans la structure spécialisée chargée de les accueillir. Faire coexister ce service de transport individualisé avec la mise en accessibilité du réseau de transport collectif serait inévitablement source de lourdeurs et ne correspondrait pas nécessairement aux souhaits des parents, qui privilégient bien souvent les transports individualisés.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Il est cependant essentiel que les parents d’enfants scolarisés à temps plein demandant une mise en accessibilité ne soient pas isolés. Pour cette raison, Philippe Mouiller et moi-même avons estimé que l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées, ou MDPH, devait pouvoir accompagner les familles dans leurs démarches. Tel est l’objet d’un amendement que nous avons proposé à la commission des affaires sociales.
Le second point qui me tient à cœur porte plus directement sur l’objectif de rendre la société plus accessible. À cet égard, j’ai déposé, au mois de mars dernier, la proposition de loi visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap qui leur ouvre la possibilité de s’y engager jusqu’à l’âge de trente ans, quand la règle de droit commun fixe l’âge limite à vingt-cinq ans. La part des jeunes handicapés effectuant un service civique est dérisoire. Selon la Cour des comptes, elle n’était que de 0,4 % en 2012, soit 226 jeunes, alors que l’État avait fixé à l’Agence du service civique un objectif de 6 %. La mesure simple qui a été introduite dans le texte de la commission permettra de donner à ces jeunes un peu plus de temps pour prendre la décision de s’engager dans un service civique.
Mes chers collègues, Philippe Mouiller présentera dans quelques instants les autres points sur lesquels la commission a apporté des modifications.
Parvenir à un équilibre entre les attentes légitimes des uns et les difficultés auxquelles sont confrontés les autres pour réaliser les adaptations requises n’est pas chose aisée. Je m’en rends compte tous les jours depuis près de trois ans. Et c’est au regard de cette expérience que j’ai la conviction que l’ordonnance du 26 septembre 2014, telle que l’a modifiée la commission des affaires sociales, prévoit une méthode de travail responsable et pragmatique. Elle confortera la dynamique déjà engagée en faveur de la mise en accessibilité. C’est pourquoi la commission souhaite que sa ratification recueille au sein de la Haute Assemblée l’assentiment le plus large possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, corapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je vais aborder les dispositions de l’ordonnance du 26 septembre 2014 que n’a pas encore évoquées Claire-Lise Campion. Certaines, relatives par exemple à l’accès des chiens guides d’aveugle aux lieux publics, font consensus : il n’est pas utile d’y revenir. D’autres, qui visent à adapter les normes applicables en matière de mise en accessibilité, nécessitent des éclaircissements.
La loi du 11 février 2005 a défini trois types de situations pouvant justifier que des ERP existants se voient accorder, de façon exceptionnelle, une dérogation : lorsque la mise en accessibilité est techniquement irréalisable, lorsque la conservation du patrimoine architectural rend impossible des travaux et, enfin, lorsqu’une disproportion manifeste apparaît entre les améliorations apportées et leurs conséquences. Conformément aux préconisations issues de la concertation, l’ordonnance précise ce dernier critère.
Des situations de blocage peuvent exister lorsque l’obligation légale de mise en accessibilité d’un ERP se heurte à l’exercice du droit de propriété : certains travaux réalisés dans des immeubles d’habitation collectifs doivent avoir été autorisés par l’assemblée générale des copropriétaires. Cette règle, inscrite dans la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, s’applique même si le propriétaire qui doit rendre son ERP accessible s’engage à prendre en charge financièrement le coût des travaux.
La difficulté a parfaitement été identifiée au cours de la concertation. Une réponse lui est apportée par l’ordonnance, qui se fonde sur l’analyse juridique du Conseil d’État : pour un ERP existant, le refus prononcé par l’assemblée générale entraîne une dérogation de droit ; lorsque cette assemblée formule le même refus pour un ERP neuf, c’est au préfet qu’il appartient de prendre la décision d’accorder, ou non, une dérogation. La commission a souhaité encadrer davantage cette procédure en exigeant de l’assemblée générale qu’elle se prononce par une décision motivée.
J’en viens maintenant au secteur des transports. L’élaboration d’un agenda d’accessibilité programmée demeure facultative, ce qui est cohérent avec le fait que la loi du 11 février 2005 n’a pas prévu de sanctions pénales en cas de non-respect des obligations de mise en accessibilité. La commission a néanmoins aligné le régime juridique applicable aux Ad’Ap relatifs aux transports en prévoyant des règles identiques s’agissant des ERP pour les délais de dépôt des projets d’Ad’Ap et pour l’allongement de la durée de ces agendas.
Les obligations de mise en accessibilité des services de transport ont été redéfinies par l’ordonnance : cette mise en accessibilité passe désormais par l’aménagement des points d’arrêt définis comme prioritaires. Cette solution, réaliste, vise à tenir compte des contraintes économiques et techniques, tout en garantissant la mise en place d’un réseau cohérent et équilibré, capable de répondre aux besoins des usagers. Pour que ce chantier réussisse, il est indispensable que les points d’arrêt prioritaires soient définis en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés. Les représentants des autorités organisatrices de transport nous l’ont par ailleurs indiqué : la définition de points d’arrêt prioritaires ne signifie pas que les points d’arrêt secondaires ne seront jamais rendus accessibles.
Un autre assouplissement concerne les plans de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, les PAVE. La loi du 11 février 2005 rendait leur élaboration obligatoire pour toutes les communes de France. Aux termes de l’ordonnance, l’élaboration de ces documents est facultative pour les communes de moins de 500 habitants et simplifiée pour celles dont la population est comprise entre 500 et 1 000 habitants. Pour ces dernières, le PAVE ne concerne donc plus que les axes de déplacement les plus fréquentés. Cette solution concerne près de 55 % des communes françaises. Il s’agit là d’une évolution pragmatique.
De plus, les communes doivent tout particulièrement être aidées. À ce titre, je me félicite que les travaux d’accessibilité figurent aujourd’hui parmi les priorités en matière d’allocation de la dotation d’équipement des territoires ruraux, ou DETR, dans les départements.
C’est également pour aider les structures les plus fragiles que l’ordonnance crée un fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle. La commission a prévu que l’ensemble des sanctions financières alimenteraient ce fonds.
Par ailleurs, il est indispensable de communiquer sur les autres mesures d’accompagnement financier qui peuvent être mises en place. Je pense en particulier aux prêts de la Caisse des dépôts et consignations destinés à financer les travaux de mise en accessibilité, et à la façon dont les fonds structurels européens pourraient être davantage utilisés pour l’accompagnement de projets.
Au-delà du volet financier, il est essentiel que l’ensemble des acteurs concernés soient pleinement informés des règles et des délais applicables à l’élaboration et à l’exécution des agendas. Des efforts sont menés dans ce sens par la délégation ministérielle à l’accessibilité, par les associations d’élus, par les chambres consulaires et par différentes branches professionnelles. Pour autant, si la date du 27 septembre prochain, qui est celle du dépôt des agendas, est aujourd’hui largement prise en compte, je crains qu’il n’en soit pas de même s’agissant du 27 juin, échéance limite pour la formulation de demandes de prorogation des délais de dépôt. Or cette date s’approche à grands pas.
Des efforts de pédagogie et de communication doivent être effectués auprès des responsables d’ERP ou de transports. L’accompagnement doit également concerner les professionnels lorsqu’ils sont en contact avec le public. Deux dispositions de l’ordonnance sont directement liées à cette question.
D’une part, les Ad’Ap relatifs aux transports devront obligatoirement définir un calendrier et des modalités de formation des personnels aux besoins des usagers handicapés.
D’autre part, l’acquisition de connaissances dans les domaines de l’accompagnement et de l’accueil sera rendue obligatoire dans la formation initiale de certains professionnels. La commission a souhaité aller plus loin dans cette démarche, en prévoyant que ces professionnels puissent également se voir proposer des formations de ce type par leurs employeurs.
Au terme de cette présentation, je tiens particulièrement à remercier Claire-Lise Campion, corapporteur de ce projet de loi, de son implication depuis de nombreux mois en faveur de la cause du handicap. Grâce à des auditions, des rencontres, des réunions de qualité, ensemble, nous avons su trouver un juste et délicat équilibre entre notre volonté commune de rendre accessible à tous notre société et un regard réaliste sur les capacités des porteurs de projets et des collectivités territoriales à réaliser les investissements nécessaires.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Philippe Mouiller, corapporteur. Je formule le souhait que nous puissions parvenir à un accord le plus large possible sur la ratification de cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous sommes réunis ce soir pour examiner le présent projet de loi, c’est parce que l’un des grands objectifs de la loi du 11 février 2005, l’objectif ambitieux mais primordial d’accessibilité universelle, n’a pas été atteint.
Voilà trois ans, Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, dans leur rapport déjà cité, soulignaient le retard important pris à l’égard de l’échéance 2015 et en avaient très objectivement analysé les raisons.
Ce constat frustrant ne doit cependant pas occulter les avancées réalisées grâce à la loi de 2005, sur laquelle avaient travaillé nombre d’entre nous, mes chers collègues, tout particulièrement Paul Blanc, désormais ancien sénateur, qui en avait été le rapporteur au nom de la commission des affaires sociales.
Ces avancées, Claire-Lise Campion et Isabelle Debré les avaient également rappelées.
C’est la création des maisons départementales des personnes handicapées, qui ont tout de même permis une simplification des démarches administratives, une certaine humanisation de l’instruction des dossiers et une plus forte implication des associations dans la prise de décision.
C’est aussi l’augmentation notable du nombre d’enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire.
C’est encore la création de la prestation de compensation du handicap, la PCH, dont le nombre de bénéficiaires ne cesse de progresser. On observe un doublement des dépenses sur les cinq dernières années, alors que, parallèlement, une revalorisation substantielle de l’allocation aux adultes handicapés était engagée à partir de 2007.
Il fallait le rappeler au moment où nous abordons un chantier sur lequel, il est vrai, même si des progrès sont intervenus, le bilan est moins satisfaisant, à savoir l’accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports. Une telle situation appelait nécessairement une réaction des pouvoirs publics, mais celle-ci devait absolument éviter deux écueils.
Le premier aurait été de ne pas suffisamment prendre en compte les difficultés d’ordre technique ou financier rencontrées sur le terrain par les acteurs économiques et les collectivités pour se conformer à la loi de 2005, avec pour conséquence de se heurter aux mêmes obstacles dans la mise en œuvre concrète de l’accessibilité.
Le second écueil résidait au contraire dans un risque réel de démobilisation en cas d’assouplissement excessif des principes posés par la loi.
De ce point de vue, la concertation qui a été menée, et dans laquelle Claire-Lise Campion s’est fortement impliquée, aura été, me semble-t-il, extrêmement utile et fructueuse.
L’ordonnance du 26 septembre 2014 constitue l’aboutissement de ce processus. Elle reprend les points d’accord issus de la concertation ; lorsque le consensus n’a pas été trouvé, elle apporte des solutions qui tiennent compte des préoccupations exprimées par les différentes parties prenantes. Je vous invite, sur ce point, mes chers collègues, à vous reporter au rapport de la commission qui rappelle les conclusions de la concertation en regard des différentes dispositions de l’ordonnance.
Le présent projet de loi de ratification a suscité un débat nourri au sein de la commission des affaires sociales. Après l’exposé des deux rapporteurs, pas moins de vingt sénateurs sont intervenus dans la discussion. Il faut y voir, bien entendu, un intérêt manifeste pour les enjeux liés à l’accessibilité, mais aussi la traduction des très nombreuses questions soulevées par la mise en œuvre de la loi de 2005 sur ce point, questions émanant tout autant des personnes en situation de handicap elles-mêmes et des associations, que des professionnels et des collectivités.
Dans ce débat, un mot est fréquemment revenu : « équilibre ».
Je veux saluer le travail des deux rapporteurs, Claire-Lise Campion et Philippe Mouiller, qui ont mesuré toute la difficulté de définir cet équilibre, et à qui revient la position ingrate de se trouver pris entre ceux qui jugent le texte insuffisamment contraignant et ceux qui trouvent qu’il l’est encore beaucoup trop.
Sur leur initiative, la commission a approuvé plusieurs amendements dont les dispositions précisent le texte. Elle a notamment souhaité mieux encadrer les conditions de prorogation des délais de dépôt des agendas d’accessibilité programmée ou d’allongement de leur durée, afin que cet aménagement des échéances ne soit utilisé que dans les cas où il est pleinement justifié.
Tel que la commission l’a modifié, le texte qui vous est proposé, mes chers collègues, doit permettre de continuer à progresser sur la voie de l’accessibilité universelle. C’est pourquoi je souhaite qu’il soit adopté par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme du parcours législatif de cette ordonnance, née de trois années de concertation entre tous les acteurs de l’accessibilité et le Gouvernement. Je voudrais à mon tour remercier les deux rapporteurs de leur travail, notamment celui que Claire-Lise Campion a accompli sur cette question depuis des années, ainsi que de leur écoute attentive et de leur recherche de solutions concrètes.
L’objectif d’accessibilité universelle au 1er janvier 2015 fixé par la loi de 2005 est loin d’être atteint, nous le savons tous. Les mois précédant l’échéance n’ont évidemment pas permis de rattraper le retard pris en neuf ans. Selon un sondage de l’IFOP datant du début de cette année, près d’une personne handicapée sur deux estime que son quotidien ne s’est pas amélioré depuis dix ans ; près d’un quart des personnes handicapées jugent même que leur quotidien s’est dégradé !
Face à la gravité du problème, nous avons accepté l’année dernière de faire confiance au Gouvernement en lui accordant la possibilité, pour accélérer les choses, de légiférer par ordonnance. Même si ce mode de fonctionnement est très loin d’être satisfaisant, car il court-circuite le travail parlementaire, le principe des agendas d’accessibilité programmée était, sur le papier, un bon moyen de rendre les travaux effectifs tout en tenant compte de la réalité des coûts des travaux de mise en accessibilité. L’ordonnance est parue au mois de septembre.
Sans minimiser nos réserves, sur lesquelles je reviendrai, nous nous réjouissons, d'une part, que la commission ait adopté un certain nombre d’amendements qui nous paraissent aller dans le bons sens, et, d'autre part, que deux des mesures que les écologistes avaient proposées l’année dernière sous forme d’amendements figurent bien dans le texte.
La première disposition est la publication de la liste des établissements recevant du public qui ont effectué les travaux de mise en accessibilité ou qui prévoient de les réaliser dans le cadre d’un agenda d’accessibilité programmée, pour que toute personne qui s’interroge sur sa capacité à accéder à une infrastructure puisse avoir la réponse immédiatement. La seconde est le droit de regard des parlementaires sur l’avancée des mesures prévues par l’ordonnance.
Cependant, je voudrais le rappeler brièvement, plusieurs points posent problème, car nous estimons qu’ils ne sont pas conformes aux positions adoptées par le Parlement au mois d’avril 2014.
Tout d’abord, l’introduction d’une quatrième possibilité de dérogation, sans véritable justification, pour les copropriétés qui ne souhaitent pas faire les travaux de mise en accessibilité ne nous paraît pas justifiée. Le texte nous semble trop vague. Nous avons donc déposé un amendement visant à préciser les justifications recevables.
La mise en accessibilité ne doit pas être considérée comme une contrainte, même si, bien sûr, elle nécessite des investissements souvent importants. C’est le principe des agendas que de planifier les dépenses dans le temps. Les possibilités de dérogation ont déjà été rappelées. Il faut définir des priorités.
Par ailleurs, les petites communes ou les petites structures, qui ont des budgets limités, peuvent être amenées à demander des dérogations. Les arguments financiers doivent également être maniés avec précaution. L’étalement des dépenses est possible. Des prêts existent ; ceux de la Caisse des dépôts et consignations ont été cités. De plus, comme cela a été souligné en commission, la mise en accessibilité peut être un atout économique pour certains commerces, comme ceux du secteur hôtelier.
L’accessibilité des établissements scolaires est un deuxième point fondamental qui n’a pas été suffisamment mis en avant dans l’ordonnance. Selon une étude récente de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement, un quart des écoles construites après 2008 ne sont pas accessibles. Nous proposons donc, à travers l’un de nos amendements, que les établissements scolaires et universitaires, qui, selon nous, doivent montrer l’exemple, rendent accessible leur rez-de-chaussée avant la fin de la première année de leur agenda d’accessibilité programmée.
Enfin, comment penser l’accessibilité sans aborder le sujet des transports ? C’est pour nous le point le plus problématique de cette ordonnance. La possibilité de se déplacer, quelle que soit la nature de son handicap et de ses difficultés, doit être garantie à tous. Il serait juste et pertinent d’inscrire dans la loi le principe de l’obligation de mettre en accessibilité ou de prévoir des services de substitution pour tous les points d’arrêt, prioritaires ou non. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Nous ne pouvons plus nous cacher derrière des arguments techniques, financiers ou économiques quarante ans après la première loi d’orientation en faveur des personnes handicapées – la loi du 30 juin 1975 –, dix ans après la loi du 11 février 2005 et neuf ans après la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Le temps écoulé témoigne bien des difficultés et des blocages que nous rencontrons. Selon nous, il faut y faire face.
Mes chers collègues, le groupe écologiste a voté le projet de loi d’habilitation l’année dernière. Il est pour l’instant réservé concernant le présent projet de loi de ratification, qui ne lui paraît pas refléter totalement l’esprit de ce qu’il avait voté au mois d’avril 2014. Le cours des débats de ce soir déterminera son vote final.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Alors que la loi handicap de 2005 avait consacré l’obligation de rendre accessibles tous les lieux recevant du public avant le 1er janvier 2015, l’absence de moyens et de volonté des gouvernements successifs a conduit l’actuelle majorité à repousser jusqu’à 2024 la réalisation de l’accessibilité universelle, tout en continuant à reporter la responsabilité sur les collectivités territoriales.
Ce nouveau transfert de charges sans transfert de moyens rend encore plus aléatoire la concrétisation de l’accessibilité universelle, compte tenu de la situation financière des collectivités territoriales – je pense notamment à la diminution de 28 milliards d’euros en cumulé des dotations de fonctionnement de l’État – qui transforme l’élaboration de leurs budgets en casse-tête.
En attendant, les personnes en situation de handicap ne peuvent accéder à l’ensemble des lieux publics, malgré l’engagement pris par la représentation nationale. Il n’est pas acceptable que les décisions votées par les représentants du peuple ne soient pas appliquées, hier par les gouvernements de droite et aujourd’hui par la majorité à laquelle vous appartenez, madame la secrétaire d’État.
Les associations manifestent leur opposition à ce projet de loi de ratification et nous demandent de ne pas l’adopter. Nous ne pouvons qu’être sensibles à leurs arguments. Faut-il une nouvelle fois rappeler que l’accessibilité universelle est une question fondamentale ? De sa réalisation ou non dépend l’effectivité ou non du droit des personnes handicapées à l’emploi, au logement, à la culture, aux loisirs, etc. Lorsque l’on parle de travaux de mise en accessibilité, on parle aussi du vécu quotidien des personnes âgées, des parents circulant avec des poussettes – cela a été rappelé – et d’autres publics.
Ce texte est un renoncement supplémentaire du Gouvernement en matière de droits des personnes vulnérables. Alors que le délai de 2015 est expiré, le Gouvernement n’a pas trouvé d’autre solution que de nous présenter une ordonnance dont l’objectif est de démultiplier les délais et les possibilités d’exonération de l’obligation de mise en accessibilité des établissements recevant du public.
Lorsqu’on demande l’avis des principaux intéressés, à savoir les associations des personnes en situation de handicap, le constat est sans appel. Du Conseil national consultatif des personnes handicapées au Collectif pour une France accessible, qui regroupe la très grande majorité des associations de personnes handicapées – l’APF, l’UNAPEI, la FNARS, l’AFL, l’ADEP et bien d’autres –, tous dénoncent cette ordonnance.
Le Gouvernement s’obstine cependant à proposer un texte qui ne fait que de nombreux mécontents. Pour les associations, ce sont les objectifs initiaux de la loi du 11 février 2005 qui sont mis à mal. Certes, quelques retouches intéressantes ont été apportées au texte transmis par l’Assemblée nationale, mais elles sont loin de refaire l’habit.
Les dérogations techniques créées vont conduire à une exonération de l’obligation de mise en accessibilité pour trop d’établissements recevant du public. Pour les cabinets libéraux situés dans les immeubles d’habitation, l’assemblée générale des copropriétaires pourra s’exonérer de l’obligation par simple décision motivée. Aux dérogations existantes – impossibilité technique, conservation du patrimoine architectural et disproportion économique – s’ajoutera désormais une dérogation pour les établissements recevant du public dont l’accès serait jugé trop complexe selon des critères tels qu’une marche supérieure à 17 centimètres attenante à un trottoir d’une largeur inférieure ou égale à 2,80 mètres et présentant une pente de 5 %.
Outre ces exonérations, des délais supplémentaires pour réaliser les travaux seront accordés aux propriétaires de plusieurs établissements. Même l’obligation de dépôt des agendas d’accessibilité programmée, qui étaient pourtant le fer de lance de la loi d’habilitation, sera assouplie en cas de « difficultés techniques ou financières particulières ». On ne peut être plus vague.
Avec la suppression de l’automaticité du transport ordinaire pour les élèves scolarisés et de l’obligation d’accessibilité des transports, c’est le droit aux transports publics qui est remis en cause aujourd’hui. Nous refusons de soutenir un tel dispositif.
Contrairement aux rapporteurs, nous ne pensons pas – et c’est là le plus important – que le présent texte engagera une dynamique et favorisera une prise de conscience. Nous estimons même que ce sera l’inverse, car tous ces reculs sont un mauvais signal adressé aux décideurs. Après deux lois inappliquées en France en l’espace de quarante ans, il est à craindre que ce texte ne nous permette pas de parvenir au niveau minimal d’accessibilité requis à l’horizon 2025.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC refusent de ratifier en l’état l’ordonnance du 26 septembre 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon propos sera quelque peu différent de ceux qui viennent d’être tenus, ne serait-ce que par l’interprétation que je fais de l’ordonnance.
Les politiques d’intégration des personnes handicapées sont depuis plusieurs années au cœur des préoccupations de l’État. On peut se féliciter des avancées réalisées, en lien, dans les territoires, avec les départements et l’ensemble des collectivités locales qui interviennent auprès des personnes handicapées et de leurs familles, au cours de ces dernières années.
Dix ans après la loi de 2005, qui a permis de véritables progrès en matière d’accompagnement des personnes, grâce notamment aux MDPH, les élus locaux et les associations ont constaté des difficultés de mise en œuvre de l’accessibilité. C’est dans cet état d’esprit que le Gouvernement a engagé une action volontariste, avec la loi du 10 juillet 2014, qui l’a habilité à prendre une ordonnance, afin de définir les modalités de mise en œuvre du volet accessibilité de la loi du 11 février 2005. Le Gouvernement a ainsi donné une nouvelle impulsion à la politique à destination des personnes handicapées.
Je me félicite tout d’abord de la manière dont le Gouvernement a, en amont du travail législatif, su associer les représentants des associations du secteur. Il s’agissait de trouver un juste équilibre entre les demandes légitimes d’équité citoyenne des personnes porteuses d’un handicap et les possibilités des collectivités et des établissements recevant du public de mettre en œuvre l’accessibilité.
La nouvelle version de l’ordonnance qui nous est présentée aujourd'hui comporte des dispositions importantes, qui vont, me semble-t-il, dans le bon sens, et prennent en considération à la fois un certain nombre de recommandations des associations et la faisabilité technique, financière et calendaire des travaux, en lien avec le Conseil national d’évaluation des normes.
Je me réjouis que l’ordonnance prévoie la mise en place d’un dispositif d’échéanciers – les agendas d’accessibilité programmée –, qui constituent une prévision financière, technique et calendaire des différents travaux d’accessibilité. Je me réjouis aussi que, dans mon département, les Pyrénées-Orientales, soit expérimentée la mise en place d’ambassadeurs d’accessibilité pour accompagner au plus près les acteurs dans leurs demandes auprès des collectivités territoriales et des établissements recevant du public.
C’est là tout l’enjeu : personne ne doute de la volonté de chacun de rendre plus accessibles les lieux et les transports aux personnes handicapées, mais cela induit parfois, et même souvent, des coûts importants qu’il est nécessaire d’évaluer et de planifier. Ne rééditons pas l’erreur commise voilà dix ans : l’absence d’anticipation était la grande faiblesse de la loi de 2005.
En termes financiers, justement, cette ordonnance prévoit la création d’un fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle, alimenté par une partie des produits des sanctions administratives prononcées à l’encontre des établissements recevant du public et des autorités organisatrices de transport.
Cette ordonnance fixe par ailleurs de manière explicite le contenu, les modalités de dépôt en préfecture, la durée et les règles applicables aux schémas directeurs d’accessibilité et aux Ad’AP, que je viens d’évoquer.
Pour ce qui concerne les collectivités, son article 9 vise à simplifier l’élaboration des plans de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, dispensant les communes de moins de 500 habitants de l’obligation d’en élaborer un. Selon moi, c’est le gage d’une réelle volonté de simplification et d’efficacité.
Pour nous, la citoyenneté s’exerce aussi au travers de dispositifs spécifiques, qui rendent à l’usager un vrai service et qui lui assurent une parfaite mobilité. L’un des amendements proposés par la commission des affaires sociales en fait foi ; son examen nous permettra de débattre de ces aspects-là.
Le même souci d’améliorer la vie de nos concitoyens se retrouve dans diverses dispositions de l’ordonnance. Je pense, par exemple, à l’autorisation d’accès aux transports et aux lieux ouverts au public accordée aux personnes handicapées en compagnie de chiens guides d’aveugle, qui a fait l’unanimité, à la meilleure formation en matière d’accueil et d’accompagnement des personnes porteuses de tout type de handicap, l’accueil des personnes à mobilité réduite n’étant pas le même que celui d’une personne autiste, ou encore à l’attribution de places de stationnement adaptées aux habitants de copropriétés en situation de handicap. La commission des affaires sociales – j’en suis membre –, qui s’est bien entendu saisie du texte et y a apporté sa contribution, a travaillé sur ces questions. Je profite de cette remarque pour féliciter Claire-Lise Campion et Philippe Mouiller pour la qualité et la clarté du rapport qu’ils ont réalisé.
La commission propose ainsi d’inclure la formation à l’accueil des personnes handicapées dans la formation continue, et plus seulement dans la formation initiale, ce qui est une très bonne chose, et de mieux encadrer les procédures de dérogation. Elle souhaite également adapter les possibilités de transport pour les élèves handicapés.
Enfin, l’amendement, inspiré d’une proposition de loi de Mme Claire-Lise Campion, qui vise à ouvrir le service civique jusqu’à l’âge de trente ans aux personnes handicapées, constituerait une avancée notable s’il était voté.
Il reste un amendement qui me tient à cœur, présenté par le président du RDSE et qui porte sur le logement social.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Hermeline Malherbe. Pour terminer, je dirai que ce texte d’ouverture est un texte de responsabilité dans un contexte difficile ; il est équilibré.
Ainsi,…
M. le président. Veuillez vraiment conclure !
Mme Hermeline Malherbe. … notre volonté est bien d’améliorer le quotidien des personnes handicapées, de les accompagner, de leur donner de l’espoir pour leurs projets de vie. Surtout, nous souhaitons faire évoluer le regard de la société sur les personnes porteuses d’un handicap. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Au mois de février 2005 a été adoptée la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont les objectifs et la finalité recueillent toujours le plein accord des membres du groupe UDI-UC. Ensemble, nous devons continuer à œuvrer pour faire évoluer les mentalités grâce à une véritable dynamique mobilisant l’ensemble de la société.
Cette loi réaffirmait le principe d’accessibilité pour tous, tout en redéfinissant les critères d’accessibilité. Les établissements recevant du public et les transports collectifs avaient dix ans pour s’y conformer.
En 2014, le Gouvernement a repoussé cette échéance à 2018 et 2024 en fonction du type d’établissement. Cette décision a bien sûr provoqué de vives réactions au sein de nombreuses associations, ce qui est compréhensible.
La loi de 2005 a certes posé les bases d’une évolution de la société vers plus d’intégration et d’autonomie pour les personnes en situation de handicap, mais, malgré des avancées certaines, ses objectifs ambitieux ne sont pas atteints, car ils étaient irréalistes pour bon nombre de petites communes.
L’accessibilité pose des problèmes de faisabilité technique, humaine et financière des aménagements, et il convient, mes chers collègues, d’intégrer cette réalité. Cependant, notre priorité doit être la stabilisation des normes, les collectivités ne pouvant continuer à jongler sans cesse avec des règles constamment renouvelées.
Les associations doivent être pleinement conscientes des difficultés que peuvent rencontrer les communes en matière de financement des travaux et de mise aux normes des bâtiments. Selon moi, il est improductif de pointer sans cesse les manquements ou les erreurs de l’État, des collectivités et des acteurs du secteur privé.
De l’analyse du sondage réalisé par l’IFOP et le comité d’entente des associations intitulé Regards croisés : 10 ans après la promulgation de la loi handicap sur l’égalité des droits et des chances… quel est l’état de l’opinion ?, il ressort que le texte jouit d’une grande notoriété. Si le caractère nécessaire et prioritaire de la loi est avéré, 80 % des personnes interrogées estiment que les pouvoirs publics n’en font pas assez pour le handicap.
Les élus reconnaissent parfaitement que les associations, les personnes handicapées et les institutions spécialisées agissent davantage que les différents acteurs publics. Mais les collectivités ont fait preuve de réalisme : chacune d’entre elles a fait comme elle a pu en fonction de ses moyens financiers humains et techniques. Aussi, il est nécessaire que le Gouvernement prenne des mesures concrètes, afin de veiller à ne pas pénaliser trop durement des acteurs qui s’engagent dans la mise en œuvre de l’accessibilité, mais qui rencontrent des difficultés d’exécution.
Nos territoires sont tous différents, ils ont des spécificités qui leur sont propres. À cet égard, il est important de faire la différence entre les métropoles et les petites communes rurales. Nous reviendrons d’ailleurs, lors de la discussion des articles, sur cette nuance qui nous est chère au travers d’un amendement plein de bon sens que nous avons examiné cet après-midi.
En France, près de 90 % des communes ont mis en place une commission communale pour l’accessibilité aux personnes handicapées, mais l’adoption d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics s’avère beaucoup plus compliqué.
En tant que sénateur d’un département rural, la Haute-Loire, je partage entièrement les remarques formulées lors de nos travaux en commission des affaires sociales, notamment sur la priorité que devront donner aux travaux d’accessibilité les commissions qui attribuent la DETR.
Je tiens à souligner l’excellent travail des deux rapporteurs, qui recommandent de ne pas bouleverser l’équilibre d’un texte que les collectivités et les acteurs du monde économique ont déjà commencé à appliquer.
L’ordonnance qu’il s’agit aujourd’hui de ratifier, mes chers collègues, simplifie, certes, les normes, mais elle permet tout de même de continuer à faire avancer la cause de l’accessibilité universelle. En revanche, elle est dépourvue de volet financier, et ce depuis le début.
Pour autant, je tiens à saluer les modifications qui ont été apportées par la commission. Je ne les citerai pas toutes, mais certaines sont révélatrices du souhait de faire avancer le chantier sur l’accessibilité.
C’est le cas, tout d’abord, de l’amélioration de l’encadrement des modalités de prorogation des délais de dépôt des agendas d’accessibilité programmée et des schémas directeurs d’accessibilité, ainsi que de l’allongement de la durée de ces agendas.
Par ailleurs, les refus prononcés par les assemblées générales de copropriétaires de réaliser des travaux de mise en accessibilité d’un établissement recevant du public devront faire l’objet d’une décision motivée.
En outre, les employeurs devront proposer aux professionnels concernés des formations à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées.
Enfin, il est prévu de demander, d’ici au 31 décembre 2018, la transmission au Parlement d’une évaluation de l’application de l’ordonnance et d’un bilan du chantier de simplification normative engagé par le Gouvernement.
L’évaluation de l’application est une très bonne chose, mais l’accessibilité suppose un effort financier considérable. Or les collectivités font face depuis plusieurs années à une baisse importante de la dotation globale de fonctionnement.
Cependant, nous avons entendu les critiques et les inquiétudes des familles et des associations. Aussi avons-nous décidé d’étudier au cas par cas les demandes. Différents amendements vous seront donc présentés lors de l’examen des articles.
Un point important reste à évoquer, je veux parler du transport scolaire. Seuls les enfants scolarisés à temps plein en bénéficient, ce qui représente 90 % des enfants. Pour les élèves scolarisés à temps partiel, c’est le problème du retour au domicile qui pose des difficultés. Mettre en place un système individuel serait trop lourd financièrement et techniquement pour les communes. Dans ce cas précis, le rôle des maisons départementales de l’autonomie est d’accompagner au maximum les parents d’enfants handicapés. Instaurer un dispositif allant dans ce sens me paraît essentiel. À cette fin, la commission avait un temps envisagé de le faire en déposant un amendement, mais, malheureusement, il n’en a rien été.
L’accessibilité, mes chers collègues, dépasse le simple cadre du handicap. Face à une société vieillissante, il est de notre devoir de faire en sorte que toute personne puisse évoluer dans un environnement favorable.
Si la réussite, j’en suis convaincu, se trouve dans l’obligation de s’engager dans un processus daté, encadré, contrôlé, il nous faut aussi prendre en compte les réalités propres à chaque situation, en particulier le cas des structures et des acteurs les plus en difficulté. Nous représentons les collectivités, dont les établissements recevant du public et les plans de mise en accessibilité des espaces publics doivent être mis en conformité pour le bien de tous.
Aussi, le groupe UDI-UC votera en faveur du présent projet de loi. Nous devons à présent répondre favorablement à la demande des familles et des associations d’adapter le cadre de vie des personnes en situation de handicap, ce qui passe par l’accessibilité des équipements municipaux et, surtout, par une politique locale et nationale volontariste. Pour ce faire, nous devons donc travailler en étroite collaboration avec l’ensemble des acteurs. Il s’agit maintenant de tenir les objectifs de la loi de 2005 avec des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michelle Meunier. Voilà maintenant plus de dix ans que la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a vu le jour : une loi utile et juste ; une loi extrêmement attendue, après tant de combats, tant de luttes, tant de promesses.
Il s’agissait d’un texte censé traiter de façon globale la question de l’accessibilité dans les dix ans, en joignant notamment la question des transports à celle de l’urbanisme et de la voirie, mais également en prenant en compte les différentes contraintes liées aux différents handicaps, qu’ils soient physiques, mentaux, sensoriels ou psychiques.
Malheureusement, dix ans après, force est de constater, pour le regretter, que cette loi de 2005 n’a pas été suffisamment soutenue sur le plan politique et n’a pas bénéficié des moyens nécessaires à sa mise en œuvre complète.
Combien de mairies, de stades, de commerces, d’hôtels, de restaurants, de salles de spectacle, de locaux associatifs, de préfectures, de caisses d’allocations familiales, de moyens de transport ou d’éléments de voirie sont toujours inaccessibles, voire dangereux ? Les défis de l’accessibilité à la vie sociale et professionnelle pour les personnes porteuses de handicap sont encore nombreux.
En 2011, sentant pointer l’échec dans l’application de sa propre loi, la majorité UMP d’alors a tenté, par la plume de notre collègue Éric Doligé, auteur de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, de substituer, dans l’article 1er de ce texte, au principe d’accessibilité des bâtiments publics un simple principe d’accès au service public. Or cette disposition portait en elle un risque grave de rupture d’égalité entre les citoyens et entre les collectivités territoriales.
Le Conseil national consultatif des personnes handicapées estimait alors que la liberté d’aller et de venir n’avait pas à être sacrifiée en intériorisant des contraintes qui résultaient indirectement de choix de politique économique et sociale. Heureusement, cet article 1er de la proposition de loi n’a jamais passé le cap du Sénat.
Quelques mois plus tard, Claire-Lise Campion s’est saisie du sujet, d’abord au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, puis à la demande du Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault. Que ressort-il de ses travaux ?
Il est clair que la dynamique était lancée et que des efforts considérables avaient été faits. Les logements nouvellement construits étaient désormais accessibles, conformément à la loi, ainsi que les nouveaux établissements recevant du public. Cependant, seulement 15 % de l’ensemble des travaux nécessaires avaient été réalisés à l’époque, c’est-à-dire à trois ans de l’échéance.
Ce constat n’était malheureusement pas une surprise, tant le chantier était important et tant les engagements des collectivités étaient variables en la matière.
Plutôt que de rester les bras ballants en théorisant notre impuissance collective ou de tenter un impossible et injuste retour en arrière, Claire-Lise Campion a préféré formuler quarante propositions concrètes pour débloquer la situation, pour mobiliser la société et nous permettre de progresser tous ensemble, coûte que coûte.
Le principe est clair : il s’agit de poursuivre une démarche réaliste et efficace en ciblant les priorités et en s’engageant concrètement sur la mise en place d’agendas d’accessibilité programmée en trois ou quatre ans. Autrement dit, il s’agit de se donner un délai supplémentaire, mais de l’utiliser à bon escient pour avancer réellement.
Parmi les autres propositions du rapport Réussir 2015, citons la mise en place de tables rondes des acteurs de l’accessibilité, l’organisation d’états régionaux rassemblant les collectivités locales et les secteurs d’activité concernés par la réglementation, ou encore l’élaboration d’un plan transversal de formation pour les acteurs chargés de la mise en accessibilité.
Parce qu’il s’agit véritablement d’un enjeu démocratique et d’un enjeu de société, il fallait aller vite et nous y sommes ! La loi d’habilitation du 10 juillet 2014 a d’abord autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi et destinées à rendre effective l’obligation de mise en accessibilité de la cité aux personnes en situation de handicap. L’ordonnance a été publiée le 26 septembre 2014. Il nous appartient aujourd’hui de la ratifier.
Cette ordonnance vise à simplifier les normes d’accessibilité, tout en sécurisant le cadre juridique de leur mise en œuvre par la création des agendas d’accessibilité programmée. On peut résumer l’état d’esprit qui a guidé cette démarche en reprenant les propos de Mme la ministre Marisol Touraine, pour qui la volonté du Gouvernement, en accordant des délais supplémentaires pour la mise en accessibilité des lieux publics et des transports, constitue non pas un recul, mais un choix pragmatique, dès lors qu’il n’est pas possible de faire en deux ans et demi ce qui n’a pas été réalisé depuis 2005.
Concrètement, que dit ce texte ? Le chapitre 1er aborde la mise en œuvre du dispositif des agendas d’accessibilité programmée. Soyons clairs : tous les établissements recevant du public sont et restent soumis à l’obligation d’accessibilité, car il n’existe pas de dérogation possible en la matière. Dès lors, ils doivent faire connaître leur situation, soit en attestant du respect des règles d’accessibilité, soit en déposant un agenda d’accessibilité programmée. L’absence de dépôt de l’agenda expose à des sanctions financières, administratives et pénales, tout comme le non-respect de cet agenda, après son dépôt.
Ce chapitre institue également un fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle, alimenté par le produit des sanctions et destiné à financer la recherche et le développement en matière d’accessibilité. Ce fonds sera aussi mobilisable pour la remise aux normes d’établissements recevant du public dont la situation financière freine les travaux de mise en accessibilité.
Le chapitre II concerne, quant à lui, les obligations d’accessibilité en matière de transport public et les schémas directeurs d’accessibilité des services. Les points d’arrêt identifiés prioritaires sont précisés, ainsi que les mesures de substitution prévues en cas d’impossibilité technique avérée.
Le chapitre III prévoit, enfin, des mesures telles que l’extension de l’autorisation d’accès des chiens guides d’aveugle ou d’assistance dans les transports et lieux publics au bénéfice des détenteurs de la carte de priorité pour personne handicapée, ou encore la formation des professionnels appelés à être en contact avec les usagers et clients dans les ERP.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui, à l’issue des travaux de la commission, est un texte de consensus, d’équilibre et de progrès. Il a d’ailleurs été adopté à une très large majorité, tout comme les amendements présentés par les deux rapporteurs, dont je salue la qualité du travail.
Les amendements votés par la commission des affaires sociales ont amélioré le texte, tout en respectant son équilibre général, issu du long travail de concertation mené à l’automne 2013 avec l’ensemble des associations d’élus, des représentants d’usagers et des acteurs économiques. Les dispositions qu’ils comportent apportent des précisions utiles en réponse à des interrogations ou à des inquiétudes légitimes exprimées par les associations.
On pourrait à juste titre vouloir aller plus loin, plus vite, plus fort, au risque de rompre cet équilibre fragile, mais indispensable, au risque de ne pouvoir aller au bout de la démarche et de devoir tout reprendre à zéro.
Je le répète : le texte issu des travaux de la commission est pragmatique. Il encadre mieux les délais de dépôt des agendas d’accessibilité programmée et les modalités de prorogation ; il prévoit une meilleure alimentation du fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle en lui allouant l’ensemble du produit des sanctions financières prévues par l’ordonnance en matière de règles de dépôt, de suivi et d’exécution des Ad’AP et des schémas départementaux d’accessibilité des services.
Ce texte renforce les règles applicables lorsqu’une assemblée générale de copropriétaires refuse des travaux de mise en accessibilité d’un ERP. Il élargit à la formation continue des professionnels en contact avec les usagers d’un établissement recevant du public l’acquisition de compétences dans les domaines de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées.
Ce texte prévoit, enfin, de faciliter l’accès au service civique des jeunes en situation de handicap en leur ouvrant, jusqu’à l’âge de trente ans, la possibilité de s’y engager. Au lendemain de la mise en place du service civique universel, cette mesure prend tout son sens, chère Claire-Lise Campion.
Je n’oublie pas non plus, parmi les apports de la Haute Assemblée, l’amendement qui sera présenté en séance par les rapporteurs concernant les points d’arrêt du réseau de transports scolaires pour les élèves handicapés.
Mes chers collègues, notre responsabilité est grande aujourd’hui, car nous sommes très attendus : le texte qu’adoptera le Sénat aura des conséquences directes sur la vie de milliers de personnes et de leurs familles, de milliers de collectivités et de leurs habitants. Il n’aurait jamais dû exister. Quoi qu’il en soit, il nous amène aujourd’hui à prendre nos responsabilités et à continuer d’avancer vers l’accessibilité universelle, et à avancer vraiment !
Certains voudraient reculer, mais pour faire quoi ? Certains voudraient aller plus vite, mais comment faire ? Certains voudraient prendre un peu de temps, mais nous sommes déjà en 2015 ! La démarche proposée aujourd’hui est la bonne : elle est équilibrée, pragmatique, concrète, ambitieuse. Elle est surtout la seule qui puisse fonctionner efficacement et apporter des solutions, dans tous les cas de figure et sur l’ensemble du territoire.
Mes chers collègues, au nom de tous les sénateurs et sénatrices socialistes, je vous appelle donc à soutenir la dynamique proposée par les rapporteurs et à voter ce texte, enrichi par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Debré. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, voulue par le président Jacques Chirac (Applaudissements sur les mêmes travées.), a consacré pour la première fois le principe d’une société accessible à tous, aux personnes en situation ou non de handicap, et à tous les moments de la vie.
Le texte de l’ordonnance dont nous parlons aujourd’hui vise plus particulièrement l’accessibilité dans la cité, aux bâtiments, qu’ils soient publics ou privés, à la voirie, aux transports. Dix ans après la loi handicap, il s’agit de poursuivre le travail entrepris. Certes, nous avions alors fait preuve d’optimisme en fixant une date butoir à l'échéance de dix années, mais n’était-ce pas nécessaire pour lutter contre le poids des inerties et une certaine indifférence ?
Mes chers collègues, je vous engage à vous reporter aux conclusions du rapport que Claire-Lise Campion et moi-même avons publié en 2012, à l’issue d’une mission de contrôle de l’application de la loi handicap. Mon sentiment est que la fixation d’un délai était indispensable pour tirer les leçons des mauvais résultats précédents, notamment de l’absence d’incidence de la loi de 1975.
Seul un objectif ambitieux de portée universelle pouvait éveiller les consciences et créer une nouvelle dynamique en faveur de l’accessibilité. Même si les réalisations se sont trouvées limitées par un ensemble de contraintes techniques, financières et administratives, nous avons réellement changé de logique, et nul ne remet en question la poursuite de la démarche engagée.
Il faut à présent tirer les leçons de dix années d’application de la loi susvisée et des difficultés qui ont été rencontrées sur le terrain, mes chers collègues élus.
Il y a lieu de distinguer les retards liés à une mauvaise volonté des acteurs et ceux qui sont imputables à des problèmes de financement ou à des considérations de nature technique. En cela, les agendas d’accessibilité programmée créés par l’ordonnance, qui fixeront des échéanciers et des programmations financières, sont une réponse satisfaisante, que nous appelions de nos vœux dès 2012.
De même, le travail sur l’ajustement de certaines normes d’accessibilité était nécessaire, car nombre d’entre elles se sont révélées trop rigides et peu opérationnelles. En tant qu’élus locaux, nous connaissons tous des exemples de situations ubuesques où l’accessibilité est venue emprunter des chemins tortueux. L’ordonnance maintient des objectifs exigeants répondant aux attentes des personnes handicapées, tout en faisant preuve de réalisme : certes, l’accessibilité doit être universelle, mais le bon sens doit prévaloir. Le travail des rapporteurs a précisé et ajusté les dispositifs mis en place. Je tiens à les féliciter pour leur recherche d’un équilibre difficile à atteindre en raison d’exigences souvent contradictoires.
Si je me réjouis que nous fassions avancer les choses aujourd’hui concernant l’accès des personnes handicapées aux établissements publics et privés, à la voirie et aux transports, mon propos visera également d’autres enjeux.
Sans vouloir établir une hiérarchie parmi les nombreux sujets liés à l’accessibilité, tous cruciaux pour les personnes en difficulté ou handicapées, l’un des chantiers qui me semble absolument prioritaire et me tient le plus à cœur est l’accès à l’éducation et à l’instruction.
En effet, l’accession à une vie « normale » et riche passe avant tout par la possibilité d’accéder à la connaissance. Or, aller à l’école, faire des études représente toujours un parcours du combattant pour les jeunes en situation de handicap et leur famille, malgré les engagements pris en 2005.
Certes, la loi du 11 février 2005 a permis une augmentation importante de la scolarisation des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire : en 2010, celle-ci avait augmenté d’un tiers. Cet objectif a pu être atteint en partie grâce à la reconnaissance de nouvelles catégories de handicap, comme les handicaps cognitifs et psychiques. Un rapport de notre ancien collègue Paul Blanc a toutefois relevé que 20 000 enfants étaient encore sans solution de scolarisation, dont 5 000 demeuraient chez leurs parents, en attente d’une aide.
Certains enfants ne sont pas scolarisables en raison de la gravité de leur handicap. Mais, d’une manière générale, les associations signalent les nombreuses difficultés rencontrées par les familles : manque d’accompagnement, problèmes d’aménagement des locaux ou de places dans des classes de proximité. Lors de nos travaux, nous avions par ailleurs constaté de grandes différences de situation selon les départements, concernant notamment la durée des temps de scolarisation.
Je voudrais attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur l’absence d’un outil statistique national qui nous permettrait de déterminer précisément le nombre d’enfants non scolarisés, mais scolarisables, sur l’ensemble du territoire. Il faudrait également pouvoir apprécier plus précisément la suite du parcours de ces jeunes. Moins nombreux au collège et au lycée, ils accèdent difficilement aujourd’hui à un parcours universitaire.
Les parcours chaotiques imposés aux jeunes handicapés révèlent deux failles du système actuel : l’évaluation insuffisante des besoins et l’absence de suivi des situations individuelles. Nous n’avons pas progressé sur ces points, alors que nous recommandions une large concertation sur la création d’un service spécialisé d’accompagnement scolaire et social à l’échelon départemental.
Toute la difficulté de l’intégration de ces enfants et adolescents réside dans leur singularité : à chaque handicap doit correspondre une réponse personnalisée.
Pour les jeunes, l’accès à un premier emploi constitue un véritable défi, tant professionnel que personnel, au regard du handicap qu’ils cherchent à dépasser. Le taux de chômage des personnes handicapées demeure en effet deux fois plus important que celui du reste de la population. Pourtant, la capacité et la motivation des personnes handicapées exerçant un emploi ne sont plus à démontrer, surtout lorsque toutes les mesures appropriées ont été prises pour adapter le poste et l’organisation du travail. Ainsi faut-il poursuivre l’aménagement des postes de travail, outil indispensable à l’insertion et au maintien dans l’emploi.
En conclusion, la condition pour mener à bien le projet d’une société ouverte à tous réside dans la mise en place d’une politique transversale et universelle, que je souhaitais rappeler en évoquant les thèmes de l’éducation et de l’emploi.
Le groupe Les Républicains a regretté le recours à la procédure autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance devenu nécessaire en raison du retard du Gouvernement à présenter un texte en vue de l’échéance de 2015. Cependant, malgré notre désaccord sur ce point, nous répondrons à l’attente de nos concitoyens en votant le présent projet de loi, nouvelle étape nécessaire sur le chemin de l’accessibilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous ont évoqué, à raison, la loi de 2005 – en quelque sorte le cœur du sujet traité ce jour –, ce dans un cadre large : les politiques du handicap en général.
À la fin de l’année dernière s’est tenue la conférence nationale du handicap, conformément à la loi précitée imposant l’organisation d’une telle conférence tous les trois ans. Toujours en vertu de ce texte, le Gouvernement est en train de préparer un rapport sur l’ensemble des politiques publiques sur le handicap. Ce rapport sera présenté au Conseil national consultatif des personnes handicapées au début du mois de juillet, puis transmis au Sénat et à l’Assemblée nationale à la fin de ce même mois.
De façon à apaiser vos inquiétudes, nées à la suite d’un sondage qui a été effectué sur les moyens publics dédiés au handicap, je vous indique que, chaque année, ceux-ci s’élèvent à 43 milliards d’euros. Cette somme comprend l’argent à la fois de l’État, de l’assurance maladie et des collectivités locales. Les politiques publiques en la matière sont donc extrêmement fortes.
À cet égard, je tiens à le souligner, les associations réalisent un travail immense et remarquable, mais avec de l’argent public, c’est-à-dire l’argent de tous ! Il nous revient à nous tous – moi en tant que secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, vous en tant que parlementaires – de l’expliquer à nos concitoyens. Si c’est une évidence pour les parlementaires que vous êtes, tel n’est pas toujours le cas pour tous les Français.
Concernant la scolarisation des enfants en situation de handicap, je souscris à l’essentiel des propos de Mme Debré. C’est effectivement l’une des priorités à la fois de mon ministère et du celui de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
C’est pourquoi nous avons engagé une politique volontariste de titularisation d’auxiliaires de vie scolaire, afin que les enfants en situation de handicap soient de plus en plus nombreux à être accompagnés au cours de leur scolarité. Actuellement, 250 000 enfants handicapés sont scolarisés.
C’est aussi pourquoi nous avons entamé une phase de transfert des classes des instituts médico-éducatifs dans les écoles et les collèges de l’éducation nationale, pour favoriser la scolarisation des enfants en situation de handicap au milieu des autres enfants dès leur plus jeune âge. En effet, pour faire changer le regard que porteront demain les adultes sur la société, il faut au préalable habituer les enfants à être mélangés.
Tous ces éléments, vous les trouverez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le rapport que le Gouvernement vous remettra à la fin du mois de juillet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap
Article 1er
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées est ratifiée.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
La même ordonnance est ainsi modifiée :
1° L’article 12 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les employeurs des professionnels mentionnés au premier alinéa du présent article leur proposent des formations à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées. »
2° L’article 18 est ainsi rédigé :
« Art. 18. – Le I de l’article 1er est applicable aux copropriétés des immeubles bâtis dont la demande de permis de construire est déposée à compter du 1er janvier 2015. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 10 rectifié ter, présenté par MM. Raison, Cornu, Vaspart, Perrin, de Nicolaÿ, B. Fournier et Joyandet, Mme Duchêne, M. Grosperrin, Mme Deromedi, MM. Leleux, Chasseing et Chaize, Mmes Lamure et Bouchart et MM. Gremillet et Husson, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. J’ai eu la chance et la fierté de voter la loi de 2005, car notre pays connaissait un retard considérable en matière d’autonomie des personnes handicapées.
Cela étant, l’ordonnance du 26 septembre 2014, qui réajuste quelque peu les délais et assouplit un certain nombre de mesures que nous n’arrivions pas à appliquer, me convient.
Dans un élan de grande générosité, la commission des affaires sociales a proposé de modifier l’article 12 de cette ordonnance relatif à la formation à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées, en étendant à la formation professionnelle continue l’obligation de prévoir l’acquisition de connaissances sur l’accueil et l’accompagnement des personnes handicapées pour les professionnels en contact avec cette clientèle.
Toutefois, cette nouvelle obligation remet en cause l’équilibre issu de la concertation entre les parties prenantes, qui avaient choisi de privilégier la sensibilisation de tous les professionnels en contact avec les usagers et les clients via la réalisation d’un livret d’accueil sous l’égide de la Délégation ministérielle à l’accessibilité.
Ce livret, inséré dans le registre d’accessibilité obligatoire pour tous les établissements recevant du public, est actuellement en cours de diffusion auprès des commerçants et de leurs collaborateurs pour les sensibiliser à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées, ce qui n’est pas si naturel, et les lacunes sont courantes en la matière.
Dès lors, il est regrettable que le projet de loi de ratification remette en cause les engagements initiaux en imposant une obligation de formation des salariés en poste, à l’heure où nous souhaitons tous, mes chers collègues, une simplification de la vie des entreprises. Notre pays étouffe sous les normes et les contraintes multiples.
En l’espèce, des accords ont été passés, afin que les personnes chargées de l’accueil soient suffisamment sensibilisées. De surcroît, des problèmes financiers risquent d’apparaître. Soyons vigilants : étant d’origine agricole, je sais comment on ponctionne les fonds de formation pour tenter d’alimenter un certain nombre d’organismes…
M. Roland Courteau. Oh là là !
M. Michel Raison. Par ailleurs, je tiens à signaler la complexité du dispositif : parviendra-t-on à tenir les délais et à trouver le nombre de formateurs ?
Cela étant, je ne doute pas que la Haute Assemblée votera cet amendement de bon sens.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Imbert et Gruny, MM. Cornu, Vaspart, D. Laurent, Gilles, Morisset, Commeinhes et Frassa, Mmes Morhet-Richaud et Deromedi, MM. Lefèvre, Mandelli, Pierre et Falco et Mme Bouchart, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
à l'accueil et
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Cet amendement vise à supprimer les termes « à l’accueil et », dans la mesure où le présent projet de loi rend déjà obligatoire l’acquisition des connaissances dans le domaine de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées lors de la formation des professionnels exerçant au sein des établissements recevant du public, comme l’a rappelé M. Raison.
La notion d’accueil paraît trop large et relève à mon sens de la formation professionnelle et des programmes proposés par les organismes de formation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. L’amendement n° 10 rectifié ter tend à revenir sur la position adoptée par la commission des affaires sociales. Celle-ci a en effet voté un amendement visant à ce que les employeurs de professionnels en contact avec le public dans un établissement recevant du public leur proposent des formations à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées. Il s’agit non pas de rendre obligatoires ces formations pour les salariés, mais de créer une obligation de moyens pour les employeurs. Cette disposition complète des mesures qui ont déjà été prévues à l’article 12 de l’ordonnance pour la formation initiale de ces mêmes professionnels.
En outre, contrairement à ce qui figure dans l’objet de l’amendement de M. Raison, la position de la commission ne remet pas en cause l’équilibre issu de la concertation. Il est précisément écrit à la page 50 du rapport sur l’ajustement de l’environnement normatif : « le groupe de concertation recommande la généralisation de la formation des personnels en contact avec le public sur les besoins et attentes des usagers handicapés. » Le livret d’accueil, qui a été établi sous l’égide de la Délégation ministérielle à l’accessibilité, constitue l’un des outils pour remplir cet objectif de formation, mais il ne doit pas être le seul.
Je citerai quelques éléments précis illustrant la nécessité d’acquérir des réflexes simples pour être en mesure d’accueillir correctement une personne en situation de handicap. Le manque de formation peut conduire à des maladresses qui seront très mal vécues par les personnes en situation de handicap. Se former aux gestes de premiers secours constitue une évidence pour bon nombre de professionnels, qui estiment indispensable de savoir utiliser un défibrillateur en cas de besoin. De la même façon, il serait tout à fait regrettable qu’un professionnel amené à accueillir du public ne sache pas quelle attitude adopter lorsqu’il doit accueillir une personne malvoyante ou se déplaçant en fauteuil roulant.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 10 rectifié ter. Il en est de même pour l’amendement n° 1 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Le livret d’accueil pourrait suffire à expliquer l’accueil des personnes en situation de handicap. Mais il faut prendre en compte tous les types de handicap. Pour les personnes en fauteuil roulant, pourquoi pas ? Pour les personnes malvoyantes ou malentendantes, c’est plus compliqué : comment communiquer ? Et c’est encore plus complexe pour une personne souffrant d’un handicap mental. Ainsi, toute une série de troubles cognitifs, de handicaps mentaux qui ne se voient pas d’emblée peuvent entraîner de vrais malentendus, allant parfois jusqu’à des échanges assez violents.
Si l’on veut que les professionnels de l’accueil, toutes professions confondues, soient correctement préparés, il faut combler le manque dont souffre notre société. C’est la secrétaire d’État, mais aussi le médecin qui vous parle. Actuellement, en France, les étudiants en médecine ne sont pas formés à l’accueil des personnes en situation de handicap. Telle est la réalité !
M. René-Paul Savary. C’est différent pour les soignants !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Bien sûr, les soignants connaissent tel ou tel type de maladie ou de handicap, mais ils n’ont jamais reçu de formation spécifique à l’accueil.
Si l’on veut réellement une société inclusive, on ne peut se contenter d’installer des rampes d’accès dans les magasins : il faut faire évoluer les mentalités, ce qui suppose de former l’ensemble des personnes au contact du public, au sens large.
Les dispositions relatives à la formation initiale ont été introduites dans le projet de loi d’habilitation par l’Assemblée nationale. Quant aux précisions relatives à la formation continue, elles ont été ajoutées par la commission des affaires sociales du Sénat dans le projet de loi de ratification. À mon sens, ces deux dispositifs sont extrêmement importants.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Madame la secrétaire d’État, c’est en tant que médecin moi aussi que je tiens à m’exprimer sur ce sujet.
On ne peut qu’être sensible à vos arguments : nous sommes tous très attentifs à la question du handicap, et nous mesurons les efforts accomplis en la matière. À cet égard, je souscris totalement à vos propos : c’est avant tout au niveau des études de médecine qu’il faut dispenser les formations nécessaires, pour assurer la prise en compte du handicap.
On sait bien les difficultés qui existent déjà à ce niveau. Dès lors, on se figure l’ampleur des obstacles auxquelles on se heurte, dans des professions comme celle de restaurateur !
Toutefois, à mon sens, il faut raison garder.
M. Michel Raison. Tout à fait ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. Il faut ménager un juste compromis.
Ce projet de loi tend à assurer une simplification pleine de bon sens, un véritable compromis entre ceux qui connaissent des difficultés liées à un handicap et ceux qui, notamment dans le secteur privé, sont chargés, par leur métier, d’accueillir ces publics – il peut s’agir de professions libérales, d’artisans ou de commerçants.
Mes chers collègues, mettons-nous à la place de ces professionnels : dans des métiers comme ceux de la restauration, l’accueil de tous les clients, qu’ils soient handicapés ou non, est un enjeu essentiel. Or la démarche de simplification entreprise est bien comprise dans ces secteurs d’activité. Mais n’en rajoutons pas dans la contrainte, nous risquerions de trouver moins de compréhension chez nos interlocuteurs…
Je feuilletais à l’instant une revue que vous avez sans doute tous reçue, mes chers collègues, et qui, concernant le secteur de la restauration, devenu un véritable collecteur d’impôt, titre fort à propos : « Une assiette fiscale indigeste ».
Mme Catherine Génisson. Cela n’a rien à voir…
M. René-Paul Savary. C’est que la restauration a dû faire face à nombre de nouvelles contraintes : taxe sur la bière, paiement de la contribution exceptionnelle d’impôt sur les sociétés au titre de cette année ; limitation de la déductibilité des charges financières ; application de la quote-part des frais et charges des plus-values de long terme à la plus-value brute ; réforme des prélèvements sociaux des indépendants, réforme de la taxe sur les salaires ; forfait social sur l’indemnité de rupture conventionnelle ; hausse du forfait social à 20 % ; hausse des cotisations relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles…
Mme Nicole Bricq. Ça va !
Mme Patricia Schillinger. Oui, franchement !
M. René-Paul Savary. On le voit, chaque loi, souvent au nom d’une cause juste à laquelle tout le monde souscrit, apporte son lot d’obligations nouvelles. Et j’ai pris l’exemple de la restauration, mais j’aurais pu citer d’autres secteurs d’activité.
Or nos concitoyens, qui subissent toutes ces mesures comme autant de contraintes, finissent par prendre conscience de la situation et déclarent qu’ils en ont assez. Ce n’est pas ainsi que nous inciterons véritablement ces professionnels à accueillir comme il le faudrait les personnes en situation de handicap.
Aussi je me suis abstenu en commission : on peut parfaitement entendre les arguments invoqués par M. Raison.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Pour ma part, je soutiens l’amendement de M. Raison.
Ce projet de loi a pour objet la mise en accessibilité des établissements recevant du public. Les défibrillateurs constituent un tout autre sujet ! Si l’on mentionne ces équipements dans le présent texte, les personnels de chaque village de vacances, de chaque cottage, de chaque restaurant de campagne devront suivre des formations,…
Mme Catherine Génisson. Ces personnes suivent déjà des formations !
M. Daniel Chasseing. … pour faire face à des problèmes sanitaires qui dépassent nécessairement leurs attributions.
Actuellement, tous les lieux proposant des services de restauration reçoivent à l’occasion des personnes présentant un handicap, mental ou moteur : ces publics y sont parfaitement accueillis !
De surcroît, les professionnels eux-mêmes s’engagent à suivre des formations spécifiques. Pourquoi en rajouter ?
Mes chers collègues, je ne reprendrai pas les propos de M. Savary : vous avez entendu toutes les contraintes qui pèsent sur un secteur comme celui de la restauration. Dans les petites et moyennes entreprises, on aboutit parfois à un découragement total,…
Mme Patricia Schillinger. Tout de même…
M. Daniel Chasseing. Et voilà que l’on voudrait imposer une nouvelle formation à leurs personnels ?...
À mon sens, une telle mesure n’est pas adaptée. Voilà pourquoi j’abonde tout à fait dans le sens de M. Raison.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’entends bien les remarques formulées par Les Républicains.
Mme Catherine Génisson. Nous sommes tous des républicains !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame Génisson, si vous le souhaitez, je renonce à prendre la parole, mais ces amendements risquent fort d’être adoptés… Peut-être est-il préférable que j’intervienne !
Mes chers collègues, les collectivités territoriales, les établissements recevant du public et, plus largement, les différents lieux susceptibles d’accueillir des personnes handicapées, font certes l’objet de diverses obligations.
Toutefois, commençons par tenir compte de ce qu’est, réellement, une personne handicapée ! Pousser un fauteuil roulant, garer une voiture à bord de laquelle se trouve un enfant handicapé, ce n’est pas toujours si facile que cela.
Personnellement, j’ai adopté une enfant handicapée et, en tant que maire, je vous assure que j’ai surveillé d’on ne peut plus près tous les travaux menés, dans ma ville, en faveur de l’accessibilité. Ces chantiers sont loin d’être achevés, c’est vrai. Ils coûtent très cher, c’est vrai aussi. Mais ils sont bien utiles ! Au reste, je me suis souvent mis en colère contre les élus qui n’avaient pas fait le nécessaire, ou contre les citoyens qui, en se garant n’importe où, interdisent le passage à des personnes en fauteuil roulant.
Mais je vous invite à relire attentivement le texte que vous proposent les corapporteurs. L’alinéa 2, à la rigueur, pourrait être supprimé, mais pas l’alinéa 3, qui est extrêmement important.
J’ajoute que ces dispositions n’imposent nullement aux professionnels chargés de l’accueil des handicapés de suivre des formations. Cet alinéa, qui vise l’article 12 de l’ordonnance du 26 septembre 2014, est ainsi rédigé : « Les employeurs des professionnels mentionnés au premier alinéa du présent article […] proposent [à leurs employés] des formations à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées. » Vous le constatez, il s’agit non d’une obligation mais d’une possibilité. (M. René-Paul Savary acquiesce.)
Laissez au moins aux employeurs le droit de proposer une formation à leurs salariés, si ces derniers souhaitent en bénéficier. S’ils ne le peuvent ni ne le veulent, ils ne la suivront pas.
Mme Catherine Génisson. Voilà !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Mais laissez-leur ce choix ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. Jean-Paul Emorine applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. Je maintiens cet amendement et m’en explique.
M. Alain Richard. M. Raison n’entend pas ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Raison. Monsieur le président de la commission, Dieu sait si je suis d’accord avec tout ce que vous venez de dire ! Au reste, nous avons en commun nombre de sensibilités, en particulier au sujet du handicap. Mais pourquoi inscrire dans un texte de loi la faculté, pour quelqu’un, de faire quelque chose ? Tout ce qui n’est ni interdit ni obligatoire est possible. Pourquoi, une fois de plus, encombrer la législation ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. « Ce qui n’est pas interdit est autorisé » : ce principe vaut en Belgique, pas en France !
M. Michel Raison. Je mets à part le cas des handicapés mentaux, qui sont peut-être un peu plus nombreux que la moyenne des handicapés à fréquenter un certain nombre d’établissements publics.
Cela étant, un salarié qui, après avoir reçu une formation portant sur certaines formes de handicap, n’a pas l’occasion de pratiquer souvent ce qu’il a appris, aura tout oublié au bout d’un an ! Mieux vaudrait donc qu’il dispose d’un livret. Il pourra relire ce document et savoir comment agir, le cas échéant.
L’accueil, c’est un véritable métier. Force est d’admettre qu’un certain nombre de restaurateurs n’ont aucun sens de l’accueil. Mais ceux qui savent recevoir auront le petit mot, le geste qu’il faut pour leurs clients handicapés : c’est naturel chez quelqu’un qui a l’esprit commerçant. S’il vous plaît, faites un peu plus confiance aux acteurs de terrain !
En attendant la reprise de la séance, j’examinais un certain nombre de propositions de loi et d’amendements. Il faudrait qu’en 2020 on distribue 20 % de papier en moins, que les couverts en plastique soient interdits en 2017. À présent, il s’agirait d’imposer telle ou telle formation… Avec de telles mesures, on en vient à oublier le véritable rôle du législateur.
On cherche désormais à dire à chacun, chaque jour, chaque minute, ce qu’il doit faire ou ne pas faire. Les dispositions dont nous débattons sont plus caricaturales encore : à travers elles, on déclare à quelqu’un qu’il a le droit de faire quelque chose… Ce n’est pas nécessaire ! Je vous en prie, mes chers collègues, votez mon amendement !
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, corapporteur.
M. Philippe Mouiller, corapporteur. Mes chers collègues, lorsque j’ai commencé à examiner ce dossier, avec Mme Campion, je suis arrivé avec un regard très neuf, n’ayant pas encore eu l’occasion de travailler sur des textes législatifs.
La consigne qui nous a été donnée par le président de la commission, et à laquelle ont abouti les discussions menées au sein des groupes auxquels nous appartenons, était la suivante : préservons l’équilibre fondamental atteint au terme de la concertation.
Certaines des dispositions dont il s’agit répondaient, dans leur esprit, largement à ma lecture des enjeux. D’autres m’ont inspiré un certain nombre d’interrogations… Cependant, nous avons toujours respecté cette ligne de conduite.
Nous avons auditionné les représentants de toutes les associations de personnes handicapées et de presque toutes les associations d’élus, des chambres consulaires et des professionnels. Nous avons écouté tout le monde. J’ai pu observer, non sans une certaine surprise, que tous nos interlocuteurs, notamment les représentants des associations de professionnels, confirmaient nettement leur adhésion au résultat de la concertation, en insistant tout particulièrement sur un certain nombre de dispositions. Or, à présent, au stade de la discussion en séance publique, surgissent des amendements tendant à modifier les mesures approuvées par les associations professionnelles.
J’entends les arguments développés en faveur de ces amendements, et je peux les comprendre. Je n’en reste pas moins sur cette ligne politique : la concertation a abouti à des équilibres. Si l’on cherche à les modifier systématiquement par voie d’amendement, il ne faut pas s’étonner d’aboutir à un déséquilibre global !
Aussi, je demande le retrait de ces amendements, non pas du fait de leur contenu, mais par respect de la concertation menée et de l’équilibre général atteint, salué par chacun des orateurs qui se sont succédé à la tribune au cours de la discussion générale.
M. le président. Monsieur Raison, qu’en est-il en définitive de l’amendement n° 10 rectifié ter ?
M. Michel Raison. Je le maintiens, monsieur le président !
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Pozzo di Borgo, Détraigne, Gabouty, L. Hervé, Tandonnet et Cigolotti, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le sixième alinéa de l’article L. 2143-3 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après les mots : « la commission communale », sont insérés les mots : « et la commission intercommunale » ;
2° Le mot : « tient » est remplacé par le mot : « tiennent » ;
3° Après le mot : « communal », sont insérés les mots : « ou intercommunal ».
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Il s’agit simplement d’un amendement de précision, qui vise à ce que les toutes les commissions pour l’accessibilité, qu’elles soient communales ou intercommunales, soient soumises aux mêmes contraintes. Ces commissions communales n’existent pas partout. Elles ne sont obligatoires que pour les communes de plus de 5 000 habitants. De ce fait, cette disposition vise particulièrement les territoires ruraux.
Il conviendrait que les commissions intercommunales tiennent également à jour une liste des ERP accessibles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Mouiller, corapporteur. Cet amendement tend à imposer aux commissions intercommunales d’accessibilité de tenir à jour la liste des ERP accessibles ou ayant déposé un agenda d’accessibilité programmée.
Le code général des collectivités territoriales définit clairement les missions des commissions intercommunales d’accessibilité. Ces dernières exercent leurs attributions dans la limite des compétences transférées à l’établissement public de coopération intercommunale par les communes.
Dans le cas où les compétences de voirie ou d’aménagement n’ont pas été transférées, les communes membres de l’EPCI peuvent, malgré tout, décider de confier à la commission intercommunale tout ou partie des missions des commissions communales. En l’état actuel des textes, les commissions intercommunales peuvent donc être appelées à tenir la liste des ERP accessibles et des Ad’Ap, en lieu et place des commissions communales d’accessibilité, lorsque cette mission leur a été transférée.
Cette solution a le mérite de la souplesse. De surcroît, elle permet d’éviter les doublons dans la tenue des registres.
Néanmoins, il peut paraître légitime de faire systématiquement remonter, au niveau intercommunal, les informations contenues dans ces registres.
En conséquence, la commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. En l’état actuel de la législation, rien ne s’oppose à ce que les commissions intercommunales établissent la liste des ERP qui se sont mis en accessibilité.
Mais imposer n’est pas vraiment dans l’esprit de simplification administrative que certains de vos collègues appellent de leurs vœux, notamment en ce qui concerne les collectivités territoriales. Il est un peu étonnant que ce soit au sein de la Haute Assemblée que l’on cherche à leur compliquer la vie ! Je ne peux que m’en remettre également à la sagesse du Sénat.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
Article 3 (nouveau)
I. – Le livre Ier du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa du I de l’article L. 111-7-6 est ainsi rédigé :
« L’autorité administrative compétente peut autoriser, par décision expresse et motivée, la prorogation de ce délai pour une durée de trois ans maximum dans le cas où les difficultés financières liées à l’évaluation ou à la programmation des travaux l’imposent, de douze mois maximum dans le cas où les difficultés techniques liées à l’évaluation ou à la programmation des travaux l’imposent ou de six mois maximum en cas de rejet d’un premier agenda. » ;
2° La première phrase du III de l’article L. 111-7-7 est complétée par le mot : « chacune » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article L. 111-7-8, les mots : « peut autoriser une » sont remplacés par les mots : « peut prononcer par décision expresse la » ;
4° Au dixième alinéa de l’article L. 152-4, la référence : « l’article L. 111-7 » est remplacée par les références : « les articles L. 111-7-1, L. 111-7-2 et L. 111-7-3 ».
II. – Le titre Ier du livre Ier de la première partie du code des transports est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa du III de l’article L. 1112-2-1 est ainsi rédigé :
« L’autorité administrative compétente peut autoriser, par décision expresse et motivée, la prorogation de ce délai pour une durée de trois ans maximum dans le cas où les difficultés financières liées à l’évaluation ou à la programmation du schéma l’imposent, de douze mois maximum dans le cas où les difficultés techniques liées à l’évaluation ou à la programmation du schéma l’imposent ou de six mois maximum en cas de rejet d’un premier agenda. » ;
2° Au dernier alinéa de l’article L. 1112-2-3, les mots : « peut autoriser une » sont remplacés par les mots : « peut prononcer par décision expresse la ».
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. Je souhaite me faire l’écho de l’étonnement de notre groupe. Notre amendement n° 18 s’est en effet vu opposer une irrecevabilité financière quand d’autres amendements, plus contraignants sur le plan financier, ont été acceptés. J’ai ainsi à l’esprit un amendement tendant à contraindre les communes à mettre en accessibilité les rez-de-chaussée de tous les établissements scolaires et universitaires dès la première année !
Je crains qu’un certain arbitraire n’ait présidé dans l’appréciation de la recevabilité financière des amendements, et je voulais le signaler avec force.
Sur le fond, nous sommes face à une équation difficile à résoudre : à la nécessité de passer le plus vite possible à l’accessibilité universelle répond l’austérité à laquelle sont soumis les moyens financiers des collectivités territoriales.
L’amendement n° 18, qui a donc été déclaré irrecevable, concernait les transports. Nous entendions vous soumettre la mise en accessibilité de tous les points d’arrêt, sauf cas d’impossibilité technique avérée – une disposition qui s’impose, de toute façon –, tout en tenant compte des possibilités financières des donneurs d’ordre, ainsi que je l’ai indiqué.
Nous proposions donc d’établir un agenda serré permettant très rapidement la mise en accessibilité des arrêts prioritaires ainsi que la programmation, sur trois ans, des travaux relatifs aux autres points d’arrêt.
Cette stratégie en deux temps nous semblait adaptée aux difficultés financières actuelles et garantissait le maintien de l’objectif d’universalité. Nous regrettons qu’elle n’ait pu être mise en débat ici et nous continuerons à soutenir les mesures favorables à l’accessibilité tout en condamnant l’absence de financement de la part de l’État.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 7 rectifié est présenté par Mme Lienemann.
L'amendement n° 9 rectifié bis est présenté par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
L'amendement n° 11 rectifié quater est présenté par Mme Estrosi Sassone, M. Gremillet, Mmes Duchêne et Cayeux, MM. P. Leroy, Commeinhes, Laufoaulu et Lenoir, Mme Morhet-Richaud, MM. J.P. Fournier et Leleux, Mme Lamure, MM. D. Laurent et Falco, Mmes di Folco et Micouleau, MM. César, Saugey, Chaize, Pierre et A. Marc, Mme Deromedi, MM. Savin et Mandelli, Mme Deroche et MM. Pinton, Vogel, B. Fournier, Genest et G. Bailly.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l'alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Le premier alinéa de l'article L. 111–7–1 est complété par les mots et une phrase ainsi rédigée :
« , ainsi qu'aux logements locatifs sociaux construits et gérés par les organismes et les sociétés définis aux articles L. 365–2, L. 411–2 et L. 481–1 du code de la construction et de l'habitation. Ils précisent également les modalités selon lesquelles ces organismes sont chargés de la mise en accessibilité de ces logements pour leur occupation par des personnes handicapées. » ;
L’amendement n° 7 rectifié n'est pas soutenu et le sous-amendement n° 22 n’a donc plus d’objet.
Cependant, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.
Présenté par le Gouvernement, ce sous-amendement était ainsi libellé :
Amendement n° 7 rectifié, alinéa 4
Après les mots :
modalités selon lesquelles ces organismes
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
garantissent la mise en accessibilité de ces logements pour leur occupation par des personnes handicapées, notamment les modalités techniques de réalisation des travaux de réversibilité qui sont à la charge financière des bailleurs et leur délai d’exécution qui doit être raisonnable. » ;.
La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l'amendement n° 9 rectifié bis.
Mme Françoise Laborde. L’ordonnance du 26 septembre 2014 a introduit, dans son article 1er, la possibilité, dans le cas d’un logement vendu en l’état futur d’achèvement, ou VEFA, que le promoteur fasse réaliser des travaux modificatifs à la demande de l’acquéreur. Il faut toutefois que le logement respecte des critères minimaux d’accessibilité pour permettre son adaptation ultérieure par des travaux simples.
Le logement doit pouvoir être visité par une personne handicapée, c’est-à-dire que l’entrée, le séjour et le cheminement desservant le séjour depuis l’entrée du logement doivent être immédiatement accessibles.
L’agencement des pièces et les solutions techniques mises en œuvre doivent être tels que la mise en accessibilité du logement doit pouvoir être assurée ultérieurement, pour tout type de handicap, par exemple à l’occasion de son acquisition par une personne handicapée.
Enfin, un plan correspondant au logement dans sa configuration vendue et dans sa configuration conforme à la réglementation doit être fourni par le promoteur à la livraison du logement.
Ainsi, une définition des caractéristiques initiales d’accessibilité du logement en vue de garantir son adaptabilité à tous types d’habitants, qu’ils soient valides ou handicapés, a été retenue pour les logements vendus en l’état futur d’achèvement. En effet, la réglementation relative à l’accessibilité ne peut prévoir tous les cas et des travaux d’adaptation du logement au handicap de l’occupant sont toujours nécessaires.
Cet amendement vise à appliquer ce principe aux logements locatifs sociaux, lorsqu’ils sont construits directement par le bailleur social. La production de logements locatifs sociaux acquis en VEFA à un promoteur constitue en effet un mode de production de logement social en constante croissance.
La mesure proposée permettrait de limiter le recours à la VEFA pour profiter de ces dispositions, d’harmoniser la conception des logements indépendamment du mode de production, d’optimiser les surfaces de ces logements pour un meilleur confort d’usage et de contenir leurs coûts de production, qui doivent être soutenables pour les ménages à revenus modestes qui les occupent.
En contrepartie de cette nouvelle faculté, et pour garantir l’adaptation réelle de ces logements à leurs occupants, particulièrement aux personnes handicapées, il conviendra que les bailleurs sociaux contribuent au financement et à la réalisation de travaux de mise en accessibilité de ces logements à chaque fois que l’un d’entre eux est attribué à une personne handicapée.
M. le président. Le sous-amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 9 rectifié, alinéa 4
Après les mots :
modalités selon lesquelles ces organismes
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
garantissent la mise en accessibilité de ces logements pour leur occupation par des personnes handicapées, notamment les modalités techniques de réalisation des travaux de réversibilité qui sont à la charge financière des bailleurs et leur délai d’exécution qui doit être raisonnable. » ;
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. J’entends apporter, par ce sous-amendement, de la sécurité aux personnes handicapées qui demanderaient un logement social adapté à leur situation.
Vous avez évoqué, les uns et les autres, une diminution des coûts. Je suis, quant à moi, extrêmement attentive à ce que l’adaptation du logement ne soit pas à la charge de la personne handicapée.
S’agissant de logement social, il revient au bailleur de proposer un logement adapté. C’est la raison pour laquelle je vous propose, par ce sous-amendement, de spécifier dans le texte de l’amendement que le bailleur prend en charge la mise en accessibilité du logement, dans un délai raisonnable.
Mme Isabelle Debré. Qu’est-ce que cela signifie ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Nous savons tous que le processus peut traîner, une fois le logement attribué, si nous ne prévoyons pas un délai pour la mise en accessibilité nécessaire à l’installation du bénéficiaire.
Afin de sécuriser les demandeurs en situation de handicap, il me semble important que la loi contienne ces deux conditions.
J’ajoute que le Gouvernement envisage d’engager une réflexion avec les députés à propos d’une autre disposition, que je ne vous ai pas soumise lors de cette lecture, car le délai était un peu court. Il s’agit d’exclure du dispositif les logements situés en rez-de-chaussée, lesquels ne représentent pas une importante proportion des logements sociaux. L’ascenseur n’étant obligatoire qu’à partir de quatre étages, ils sont souvent déjà réservés à des personnes en situation de handicap ou à des personnes âgées très dépendantes.
Je ne vois aucun intérêt à construire des logements en rez-de-chaussée sans les mettre d’emblée en accessibilité. Ces logements gagneraient donc à être sortis du dispositif que vous proposez.
M. René-Paul Savary. Bien sûr !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Cela mérite cependant d’en discuter, nous le ferons avant que le texte soit soumis à l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour présenter l'amendement n° 11 rectifié quater.
M. Daniel Gremillet. Cet amendement a déjà été largement défendu. Il vise à faciliter l’adaptation des logements au handicap de la personne dès son emménagement.
Il ne s’agit pas d’ajuster la loi aux promoteurs privés ou aux organismes d’HLM, mais de répondre à une demande de souplesse réglementaire pour mieux adapter le logement au handicap dès la phase de construction.
Autant rendre accessibles les logements par des petits travaux simples prévus sur plan dès la conception, pour éviter d’avoir à casser les intérieurs afin de les rendre accessibles.
L’amendement vise également à réduire le coût du logement pour les personnes handicapées, dès lors que les travaux nécessaires ont été anticipés.
Il s’agit en effet de faire en sorte que les personnes intéressées par le logement aient la possibilité de le visiter. Après la visite, des travaux d’habilitation conformes au handicap particulier de l’acquéreur – car les handicaps peuvent être très divers – seront effectués.
Par cet amendement, nous entendons ainsi être efficaces et réduire les coûts de l’accessibilité aux handicapés.
M. le président. Le sous-amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 11 rectifié, alinéa 4
Après les mots :
modalités selon lesquelles ces organismes
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
garantissent la mise en accessibilité de ces logements pour leur occupation par des personnes handicapées, notamment les modalités techniques de réalisation des travaux de réversibilité qui sont à la charge financière des bailleurs et leur délai d’exécution qui doit être raisonnable. » ;
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Étant identique au précédent, ce sous-amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. L’ordonnance prévoit que les règles de mise en accessibilité peuvent être, dans une certaine mesure, adaptées pour les logements acquis en vente en l’état futur d’achèvement lorsque l’acquéreur souhaite y effectuer des travaux modificatifs.
Ces dispositions doivent en premier lieu bénéficier aux particuliers, qu’ils soient ou non handicapés, qui achètent un logement en VEFA et ont besoin de l’adapter à leurs propres besoins. Mais les organismes d’HLM sont également susceptibles d’en bénéficier lorsqu’ils ont recours à la VEFA.
Les bailleurs sociaux peuvent craindre que, telle qu’elle est conçue, cette mesure ne crée une inégalité de traitement entre les logements sociaux pour lesquels ils ont recours à la VEFA, qui bénéficieront d’un régime de mise en accessibilité plus souple, et ceux qu’ils construisent directement.
L’objectif est ici d’aligner ces deux régimes. En contrepartie, les bailleurs sociaux s’engageraient à participer à la prise en charge des travaux de mise en accessibilité lorsque les logements sont occupés par des personnes handicapées.
La préoccupation exprimée nous semble légitime.
Les obligations de mise en accessibilité qui seront à la charge des bailleurs sociaux pourraient malgré tout être exprimées plus clairement.
C’est l’objet des sous-amendements du Gouvernement, qui permettent de conserver la souplesse recherchée dans les amendements présentés, tout en fixant clairement les obligations des bailleurs sociaux pour le financement, les délais de réalisation et la mise en œuvre technique des travaux de réversibilité.
La commission a donc émis un avis favorable sur les amendements tels que le Gouvernement propose de les sous-amender.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 23.
Mme Isabelle Debré. Madame la secrétaire d’État, j’ai un souci d’ordre technique : qu’est-ce qu’un « délai raisonnable », s’agissant d’un délai d’exécution ? Juridiquement, je ne connais pas le sens de cette expression. Or je ne peux pas voter un sous-amendement que je ne comprends pas. S’agit-il d’un mois, de deux mois, de trois mois, de six mois ?
Cette expression est la porte ouverte à de nombreux contentieux, ce qui m’empêche de voter cette disposition.
Vous le savez, avec Claire-Lise Campion, je me bats depuis la loi de 2005 pour que les personnes handicapées puissent bénéficier de meilleures conditions de vie à l’intérieur de leur logement.
Beaucoup de conseils régionaux aident également, heureusement, à la mise en accessibilité intérieure des logements. Aujourd’hui, en effet, les entrées doivent être aux normes « handicap » pour tout nouvel établissement construit.
Votre proposition est très louable, mais le sens de ce délai d’exécution « raisonnable » m’échappe !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je comprends votre inquiétude, madame la sénatrice. J’ai en effet oublié de vous préciser que ce délai raisonnable devait être précisé par décret.
Mme Isabelle Debré. C’est autre chose !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. En effet, on n’inscrit pas une durée dans la loi. Ce délai sera raisonnable, c’est-à-dire compris entre deux et quatre mois, ce qui figurera dans le décret.
Mme Isabelle Debré. Il faut donc préciser dans le texte que ce délai sera fixé par décret, sinon cela n’ira pas !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je constate une certaine confusion entre la mise en accessibilité d’un logement et l’adaptation de ce logement à la vie d’une personne handicapée. Compte tenu de son importance, le sujet mériterait sans doute une étude plus approfondie.
L’adaptation du logement est liée, non seulement à la configuration des lieux, mais aussi à la présence d’un certain nombre d’équipements. Ainsi, la largeur des portes revêt certes de l’importance pour une personne en fauteuil roulant, mais il faut aussi songer, par exemple, à un système de gestion de la penderie qui permette à la personne d’en gérer le contenu depuis son fauteuil, donc en partie basse.
Au nombre des mesures à prendre s’agissant de l’accessibilité, je pense qu’il faudrait rendre obligatoire l’ascenseur dans un immeuble collectif d’habitation dès le troisième étage. En effet, pour avoir vu réaliser certains programmes de logements sociaux, je sais qu’un ascenseur dès le troisième étage rentre tout à fait dans les coûts de construction.
En revanche, je reste dubitatif quant aux contraintes d’accessibilité que l’on fait peser sur certains types de logements, en particulier les types T1 et T2. Un logement de type T1, c’est-à-dire l’équivalent d’un studio, est destiné à des personnes seules, souvent des étudiants, et non pas tant à des personnes ayant un handicap. Or les contraintes d’accessibilité mangent un espace relativement important.
Il faudrait donc peut-être mener une réflexion plus fine sur l’accessibilité et la définition d’un minimum d’adaptation des logements en fonction des types de handicaps.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je voudrais rassurer Mme Debré et ses collègues.
Dans sa rédaction en vigueur, l’article L 111-7-1 du code de la construction et de l'habitation indique que « des décrets en Conseil d'État fixent les modalités relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées ». Ces amendements et sous-amendements tendent également à renvoyer à ces décrets.
Le délai raisonnable dont il s’agit sera donc bien fixé par décret.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. C’est peut-être un point de détail, mais un détail important. En effet, comme l’a dit Mme Debré, il faut pouvoir éviter d’éventuelles procédures contentieuses de la part d’associations de personnes handicapées.
Je suggère donc au Gouvernement de rectifier son sous-amendement en modifiant ainsi le dernier segment de phrase : « qui sont à la charge financière des bailleurs dans un délai d’exécution raisonnable dont le terme sera fixé par décret ».
M. le président. Mon cher collègue, ce serait ignorer la précision que vient de nous donner Mme la secrétaire d’État.
Je mets aux voix le sous-amendement n°23.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifiés, les amendements identiques nos 9 rectifié bis et 11 rectifié quater.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes David, Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
1° Le deuxième alinéa du I de l’article L. 111-7-6 est supprimé ;
II. - Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Aux secondes phrases des III et IV de l’article L. 111-7-7, les mots : « et motivée de l’autorité administrative compétente » sont remplacés par les mots : « et avis conforme de la commission départementale consultative de la protection civile, de la sécurité et de l’accessibilité » ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement vise, d’une part, à rétablir l’avis conforme de la commission départementale consultative de la protection civile, de la sécurité et de l’accessibilité et, d’autre part, à supprimer la possibilité de proroger de trois ans les agendas d’accessibilité programmée.
En effet, l’ordonnance prévoit de remplacer l’avis conforme de la commission départementale par un avis motivé, ce qui aurait pour conséquence de supprimer le caractère impératif de l’avis de cette commission.
En ce qui concerne l’accessibilité pour les personnes handicapées, siègent dans la commission départementale les représentants des services déconcentrés de l’État, des conseillers départementaux, des maires, des représentants des EPCI, des représentants des associations de personnes handicapées du département, des propriétaires et des gestionnaires de logements, soit la plupart des acteurs concernés par cette problématique.
Pourquoi vouloir retirer leurs attributions à ces commissions en supprimant l’avis conforme, alors que leur bilan est largement positif ?
Nous demandons donc au Gouvernement de revenir sur cette mesure en rétablissant l’avis conforme dans le texte.
Nous lui demandons également de revenir sur l’introduction du délai de prorogation de trois ans pour la mise en place des agendas d’accessibilité.
Le principe même de ces agendas consistait à établir un calendrier pour réaliser les travaux d’accessibilité. En cas de non-respect de ce calendrier, des sanctions étaient prévues.
Dès lors que vous permettez aux acteurs de gagner trois ans en invoquant des difficultés techniques ou financières, vous pouvez être certains que la plupart vont s’engouffrer dans la brèche pour retarder les travaux. Cela signifie, au final, trois ans de perdus pour les personnes en situation de handicap !
Ce délai supplémentaire est d’autant plus incompréhensible qu’il existe déjà des possibilités de bénéficier de dérogations dans certaines situations précises.
Aussi rétablir ces mesures dans le texte permettra, madame la secrétaire d’État, d’affirmer votre détermination à rendre l’accessibilité universelle.
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mme Archimbaud, MM. Desessard et Placé, Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’autorité administrative compétente peut autoriser, par décision expresse et motivée, la prorogation de ce délai pour une durée de six mois maximum dans le cas où des difficultés financières ou techniques liées à l’évaluation ou à la programmation des travaux l’imposent, ou dans le cas du rejet d’un premier agenda. » ;
II. – Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’autorité administrative compétente peut autoriser, par décision expresse et motivée, la prorogation de ce délai pour une durée de six mois maximum dans le cas où des difficultés financières ou techniques liées à l’évaluation ou à la programmation des travaux l’imposent, ou dans le cas du rejet d’un premier agenda. » ;
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement concerne les délais de dépôt des Ad’Ap et des schémas directeurs d’accessibilité pour les transports.
Les ordonnances de septembre 2014 fixent ces délais à un an à compter de leur publication ; ils peuvent être éventuellement prolongés de trois ans supplémentaires. Il s’agit bien là des délais de dépôt des documents relatifs à la planification des travaux, et non des travaux eux-mêmes.
Ce délai supplémentaire de un à trois ans nous paraît disproportionné au vu des délais attendus de réalisation des travaux, qui eux-mêmes s’étendent de trois à neuf ans. Nous proposons donc que ces délais supplémentaires, qui sont accordés sous justification de l’existence d’une difficulté dans la rédaction des agendas ou des schémas, ne puissent pas dépasser six mois à compter de septembre 2015.
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing, G. Bailly, Bouchet, Chaize et Chatillon, Mme Deromedi, M. Doligé, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Lenoir et P. Leroy, Mme Morhet-Richaud et MM. Morisset, Nougein, Savary, Vasselle, Gremillet, Pierre, A. Marc et B. Fournier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette disposition s'applique en particulier aux hôtels-restaurants situés dans les zones rurales.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Par cet amendement, nous entendons souligner la nécessité de préserver les hôtels-restaurants des communes rurales ou hyper-rurales et, à cet effet, de leur épargner une réglementation trop arbitraire qui les ferait disparaître.
En effet, ces établissements jouent un rôle très important, voire indispensable, pour le maintien de l’activité économique et, surtout, de la vie sociale de nos communes.
Or les frais engendrés par leur totale mise aux normes pour des personnes handicapées sont le plus souvent trop importants pour leurs finances, dans la mesure où ces entreprises, en général familiales et artisanales, sont très peu rentables. Ces hôtels-restaurants qui ne pourront poursuivre leurs activités ni être vendus seront condamnés à fermer, ce qui assurera le déclin des communes rurales.
Même si les exploitants souhaitent réaliser l’accessibilité et sont de bonne foi, ces hôtels à faible rentabilité ne pourront quelquefois pas financer de lourds travaux.
Une fois de plus, je ne demande que du pragmatisme. Nous pouvons en effet rechercher des solutions pratiques qui permettraient de satisfaire à la fois l’esprit de la loi et les exigences de la réalité du terrain.
Ainsi, pourquoi toutes les chambres devraient-elles être mises aux normes alors qu’une ou deux, au rez-de-chaussée, pourraient suffire ? La clientèle de ces établissements est en effet très faible et saisonnière, et la clientèle de personnes en situation de handicap encore plus réduite.
De même, pour leurs restaurants, est-il bien utile de restructurer à grands frais des bâtiments souvent anciens et complexes quand un peu de bonne volonté et d’empirisme permettraient de trouver des solutions ? Il faut pouvoir accueillir des clients handicapés au vu de la réalité propre de chacun de ces établissements : en effet, il est évident qu’ils sont tous différents les uns des autres.
Encore une fois, arrêtons de légiférer d’une manière arbitraire ! Cessons de produire ainsi des lois qui, trop souvent, ne tiennent pas compte des spécificités locales et sont par conséquent inapplicables sur l’ensemble du territoire de la République !
Par cet amendement, je souhaite mettre l’accent sur la spécificité rurale et montrer que, dans le cas qui nous occupe, il faut faire preuve de pragmatisme et d’indulgence, madame la secrétaire d’État.
M. le président. L'amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Archimbaud, MM. Desessard et Placé, Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Les secondes phrases du III et du IV de l'article L. 111–7–7 sont complétées par les mots : « et avis conforme de la commission départementale consultative de la protection civile, de la sécurité et de l’accessibilité » ;
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement vise à conserver l’avis conforme de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, la CCDSA.
La loi de 2005 précisait bien que les dérogations exceptionnelles étaient accordées aux établissements recevant du public « après avis conforme de la commission départementale consultative de la protection civile, de la sécurité et de l’accessibilité ». Cet avis conforme, en somme un deuxième regard permettant de s’assurer du bien-fondé des demandes de délai supplémentaire, nous paraît important.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Mouiller, corapporteur. L’amendement n° 20 rectifié tend à supprimer toute possibilité de prorogation des délais de dépôt des Ad’Ap ; il tend aussi à remplacer la décision motivée du préfet par l’avis conforme de la CCDSA pour l’approbation des Ad’Ap ayant une durée, selon les situations, de deux fois trois ans ou de trois fois trois ans.
La commission n’a pas supprimé les possibilités de prorogation des délais de dépôt des Ad’Ap, car il n’est pas réaliste de faire peser sur tous les acteurs les mêmes contraintes de délais sans tenir compte des difficultés qu’ils peuvent rencontrer ; en revanche, elle les a davantage encadrées.
S’agissant de la durée de certains Ad’Ap, le fait d’avoir prévu une décision expresse et motivée du préfet apparaît équilibré.
Par conséquent, l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.
L’amendement n° 13 est contraire à la position de notre commission. Ses auteurs proposent de faire passer à six mois la durée maximale de prorogation des délais de dépôt des Ad’Ap, quel que soit le cas de figure.
L’ordonnance avait prévu de façon uniforme une durée de trois ans. Entre six mois et trois ans, il y a un certain écart…
Notre commission a voulu trouver une position juste et équilibrée ; elle a adopté une approche plus fine en maintenant le délai de trois ans uniquement en cas de difficultés financières, en le ramenant à douze mois en cas de difficultés techniques et à six mois lorsqu’un premier projet d’Ad’Ap a été rejeté. Cet équilibre nous paraît plus adapté que la solution proposée dans cet amendement : tout ou rien, six mois ou trois ans.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Concernant l’amendement n° 8 rectifié bis de M. Chasseing, je ne peux qu’approuver une grande majorité des propos que mon collègue a tenus.
Il nous faut en effet être vigilants, notamment en faveur de l’hôtellerie-restauration dans les zones rurales. J’ai entendu vos arguments, monsieur Chasseing, mais je tiens à préciser que le texte, tel qu’il a été corrigé, répond aujourd’hui pleinement à vos demandes.
En effet, nous avons bien la capacité de juger de la pertinence des travaux au regard tant des complexités techniques que des impossibilités financières, ou encore de l’ampleur des travaux : la dimension économique est donc prise en compte.
Cette capacité de déterminer la pertinence des travaux est donnée aux commissions et au préfet. Par conséquent, ce que vous demandez aujourd’hui est déjà présent dans le texte. Faire une mention particulière des hôtels-restaurants ne leur confère pas de droits supplémentaires. Ce serait certes possible, mais le texte prévoit de tels droits pour l’ensemble des établissements, et non seulement les hôtels-restaurants de zone rurale.
Mme Anne Emery-Dumas. Voilà !
M. Philippe Mouiller, corapporteur. J’entends donc vos arguments, je les approuve, mais je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement parce que le texte satisfait votre demande, tout à fait naturelle. À défaut de ce retrait, la commission émettrait un avis défavorable, mais j’avoue qu’étant d’accord avec vous sur le fond, je préférerais la première solution !
L’amendement n° 15 rectifié prévoit un avis conforme de la CCDSA pour les demandes d’Ad’Ap portant sur une durée, selon les situations, de deux fois trois ans ou de trois fois trois ans. Le préfet aurait donc compétence liée en la matière.
Or nous avons déjà prévu que le préfet se prononce par décision expresse et motivée. Ces précautions sont suffisantes, car elles permettent d’objectiver la décision et d’éviter un accord tacite de l’administration.
En outre, pour que la mesure proposée soit effective, il faudrait que la CCDSA communique au préfet les motifs de son avis.
L’excès de précautions risque avant tout d’alourdir les procédures, alors même que les dossiers à traiter par les préfectures seront nombreux dans les prochains mois, étant donné la date butoir du 27 septembre.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je rejoins les arguments développés par M. le rapporteur concernant l’avis de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité.
Les agendas d’accessibilité programmée étant devenus obligatoires, un grand nombre de dossiers vont être déposés. Or le Gouvernement s’est fixé pour objectif la fluidité : les gestionnaires d’établissement doivent obtenir une réponse dans un délai raisonnable. Aussi, il importe que les CCDSA éclairent de leur avis le préfet dans des délais suffisamment rapides. C’est pour cette raison que l’avis des CCDSA n’est pas, pour le moment, liant.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 20 rectifié.
Les rapporteurs ont souhaité préciser les délais, qui avaient pu, il est vrai, être mal compris dans le texte proposé par le Gouvernement.
Quoi de plus naturel que de repousser le délai de six mois si l’Ad’Ap est rejeté ? On ne saurait demander à quelqu’un de déposer une nouvelle demande dès le lendemain de la notification de son refus. Un délai de trois ans ne paraît pas logique, mais un délai de six mois paraît raisonnable.
Mais regardons plus précisément ce que peuvent être les difficultés techniques. Si une collectivité territoriale a, par exemple, besoin de lancer un appel d’offres pour faire réaliser des études précises en vue de déposer son Ad’Ap, il semble raisonnable d’accorder une dérogation d’un an, car cela demandera du temps.
Toutefois, je le précise, toutes ces dérogations pour difficultés techniques et financières étaient déjà prévues dans la loi de 2005. Simplement, la dérogation concernant les difficultés financières ne vaudra que pour trois ans, alors qu’elle était auparavant illimitée dans le temps. On s’en doute bien, une petite commune ou un petit commerce ne pourra résoudre ses difficultés financières en quelques mois. Aussi, la durée de trois ans pour permettre au gestionnaire de se refaire une santé, en quelque sorte, et d’avoir les moyens nécessaires pour pouvoir envisager les travaux me paraît raisonnable.
Mme Isabelle Debré. Vous aimez bien ce terme, madame la secrétaire d'État ! Mais là, vous fixez le délai dans la loi ! (Sourires.)
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Oui, c’est vrai, madame Debré, j’aime bien cet adjectif.
Monsieur Chasseing, vous avez raison d’être inquiet pour les hôtels-restaurants des zones rurales ; nous ne pouvons qu’adhérer à vos propos. Néanmoins, je tiens à vous dire que votre amendement est satisfait. D’ailleurs, il n’est pas besoin de dissocier les hôtels-restaurants des zones rurales des autres.
Dès lors que le délai de dépôt est prorogé et que des dérogations sont accordées en cas de difficultés financières, tous les problèmes que vous avez soulevés sont déjà pris en compte.
Permettez-moi de vous apporter quelques éléments de réponse complémentaires pour vous rassurer tout à fait.
Dans le cadre de la concertation conduite par Claire-Lise Campion, outre les dispositions dont nous débattons aujourd'hui, certaines normes ont été simplifiées : les textes réglementaires ont été publiés à la fin de l’année 2014 ou le seront au cours de l’année 2015. Un certain nombre de ces normes concernent les hôtels-restaurants et, donc, les hôtels-restaurants dans les zones rurales.
Ainsi, les chambres d’hôtel à destination des clients handicapés doivent être aménagées de telle sorte qu’au moins un grand côté du lit soit rendu accessible, au lieu des deux côtés auparavant. C’est plus important qu’il n’y paraît, mesdames, messieurs les sénateurs.
On a fixé des règles qui correspondent mieux à la réalité que connaissent les professionnels, tout en veillant à ce que les personnes handicapées ne soient pas lésées.
Ainsi, l’arrêté du 8 décembre 2014 dispense les hôtels non classés ou classés une, deux ou trois étoiles n’ayant pas plus de trois étages de l’obligation d’installer un ascenseur, et ce à la condition, bien sûr, qu’ils offrent des chambres accessibles au rez-de-chaussée. Cela aussi, c’est important, et vous pourrez le dire aux gestionnaires des hôtels-restaurants de votre département, monsieur le sénateur !
De même, il n’est plus obligatoire d’installer un ascenseur dans les restaurants qui comportent un étage si celui-ci accueille moins de 25 % de la capacité totale du restaurant et que toutes les prestations sont proposées au rez-de-chaussée, espace principal accessible.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, toute une série de mesures visent à simplifier les normes, qui étaient peut-être trop exigeantes auparavant. Je le reconnais, tous les gestionnaires d’hôtels-restaurants doivent prendre le temps d’examiner ces nouvelles normes, mais le jeu en vaut le chandelle dans la mesure où celles-ci sont plus pragmatiques et plus simples.
Dans ces conditions, vous pouvez rassurer tous les gestionnaires d’hôtels-restaurants en zone rurale, monsieur Chasseing, et, pour l’heure, retirer votre amendement, qui est satisfait ; à défaut, le Gouvernement sera contrait d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Chasseing, l'amendement n° 8 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Daniel Chasseing. Cet amendement semble satisfait, je l’ai bien compris. Comme l’a indiqué M. le rapporteur, les hôtels-restaurants ne sont pas les seuls concernés, il y a aussi les villages de vacances et d’autres hébergements. Il faudra être pragmatique et indulgent avec certains gestionnaires qui sont souvent de bonne foi, mais ne trouveront pas forcément tous les financements nécessaires en trois ans. Il conviendra de ne pas mener à leur encontre des actions contraignantes, trop contraignantes, qui pourraient les conduire à fermer leur établissement.
Ayant été rassuré par Mme la secrétaire d’État et par M. le rapporteur, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 20 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par Mme Archimbaud, MM. Desessard et Placé, Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Le I de l’article L. 111-7-6 du code de la construction et de l’habitation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements scolaires et d’enseignement supérieur rendent accessible leur rez-de-chaussée dès la fin de la première année de l’agenda d’accessibilité programmée. » ;
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement a trait à l’accessibilité des établissements scolaires.
La plupart des lieux de formation initiale post-bac, en particulier les universités, sont très peu accessibles aux personnes à mobilité réduire, alors qu’ils devraient l’être depuis plusieurs années. La loi de 2005 avait en effet prévu que l’État montre l’exemple, en rendant accessibles les établissements scolaires et universitaires en 2013, au lieu de 2015 pour les autres établissements recevant du public.
Par cet amendement, nous demandons que les établissements scolaires rendent accessible leur rez-de-chaussée dès la fin de la première année de l’agenda d’accessibilité programmée. Ce serait envoyer un signal positif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Cet amendement tend à créer l’obligation de rendre accessibles, dès la fin de la première année de l’Ad’Ap, les rez-de-chaussée des établissements scolaires et d’enseignement supérieur.
Cette solution nous apparaît beaucoup trop rigide et ne correspond pas à la logique des agendas d’accessibilité programmée. Ces agendas visent précisément à programmer les travaux selon des modalités qui puissent être adaptées aux réalités de terrain, ainsi qu’aux spécificités de chaque patrimoine à rendre accessible.
Prenons l’exemple d’un département ayant arrêté un Ad’Ap pour l’ensemble de ses collèges : il peut choisir de rendre, la première année, entièrement accessible un établissement par zone géographique déterminée, en tenant compte des lieux de vie des enfants et de leur desserte, puis de couvrir progressivement le reste de son territoire. Si l’amendement n° 14 rectifié était adopté, ce département devrait, au contraire, engager des travaux de façon uniforme dans l’ensemble des collèges sur l’ensemble du territoire départemental.
Certes, votre objectif, ma chère collègue, est louable, mais votre proposition risque de se révéler contre-productive dans sa mise en œuvre.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir le retirer ; à défaut, la commission y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Je partage l’avis de Mme la rapporteur, auxquels j’ajouterai quelques éléments d’information.
Lors de la discussion générale, vous avez évoqué, madame la sénatrice, le rapport publié à la fin de l’année 2014 par l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement. Or, selon ce rapport, 25 % des établissements scolaires construits depuis 2008 ne sont pas accessibles. Cette appréciation a été réalisée sur la base d’un questionnaire auprès d’un panel de 15 000 directeurs d’école ; elle reflète donc plus un ressenti qu’une réalité juridique. Néanmoins, force est de constater que tous ces établissements devraient théoriquement être totalement accessibles, car l’obligation d’accessibilité existait déjà en 2008.
Quelle est donc la véritable question à se poser ?
Dans ses conclusions, l’Observatoire estime que les commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité devraient se montrer plus attentives dans l’examen des permis de construire. Telle est la réalité : l’accessibilité ne fait pas encore réellement partie du quotidien de l’ensemble des professionnels concernés. C’est ce qui explique les manquements – je ne parlerai pas d’erreurs -, mais aussi les imprécisions : tous les types de handicaps ne sont pas forcément pris en compte.
Lors de la conférence nationale du handicap, le Président de la République a annoncé que l’ensemble des universités du pays – 100 % des universités ! – devraient se doter d’ici à trois ans d’un schéma d’accessibilité.
Même si l’on ne peut que souscrire à vos propos, madame la sénatrice – idéalement, l’ensemble des écoles, des collèges, des lycées et des universités devraient tous être accessibles dès demain –, la démarche est largement engagée.
En outre, imposer aux collectivités l’ordre dans lequel elles doivent réaliser les travaux d’accessibilité dans leurs différents établissements recevant du public serait contraire à la logique des agendas d’accessibilité programmée : ces agendas laissent précisément aux gestionnaires le soin de programmer leurs travaux en fonction de leurs financements et de leurs priorités.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Je suis très sensible à l’amendement de notre collègue Aline Archimbaud, que je considère comme un amendement d’appel. Certes, il importe de prendre des mesures de nature à rendre, dans les meilleurs délais, les établissements publics accessibles, mais j’en appelle, moi, au bon sens et au pragmatisme.
Dans ma carrière d’enseignant, j’ai été conduit à me préoccuper de ces questions et je m’interroge quand je constate que l’on prévoit l’installation d’ascenseurs dans des établissements scolaires : l’entretien coûtera excessivement cher, alors qu’il suffirait que les chefs d’établissement, quand ils élaborent les emplois du temps, affectent en priorité les salles du rez-de-chaussée aux classes qui peuvent compter des élèves handicapés !
Dans une période où les collectivités rencontrent de nombreux problèmes financiers, utilisons l’argent public au mieux, en faisant preuve d’un peu de bon sens, de raison et de sens pratique ! La priorité est d’aménager les rez-de-chaussée, car cela coûte moins cher. Dans certains cas, il n’est peut-être pas nécessaire d’aménager les étages. Eu égard au nombre d’enfants handicapés, qui n’est, fort heureusement, pas très important, il doit être possible de trouver dans les établissements des locaux disponibles au rez-de-chaussée pour les scolariser dans de bonnes conditions.
Quand on parle d’accessibilité, on pense immédiatement à des dispositifs mécaniques ou à des aménagements matériels. Mais c’est oublier que cet élève handicapé a des camarades de classe : à eux de prendre conscience de ce handicap et d’afficher leur solidarité en aidant l’enfant ou l’adolescent à gagner sa salle de classe, quitte à le soutenir pour gravir les escaliers, si l’on ne peut pas faire autrement. Et là, on n’est plus dans la mécanique ou le matériel : aider ceux qui sont en difficulté, notamment les handicapés, c’est un acte de solidarité, un acte citoyen !
L’amendement de Mme Archimbaud a le mérite de solliciter notre intelligence pratique et notre bon sens pour résoudre le problème posé. C’est en ce sens, madame la secrétaire d’État, qu’il faut le considérer comme un amendement d’appel. Dans ces conditions, il serait préférable que Mme Archimbaud, dès lors qu’elle a été entendue, accepte de retirer son amendement. (Exclamations amusées sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Même si j’estime, comme M. Néri, qu’il s’agit d’un très bel amendement d’appel, je ne demanderai pas à Mme Archimbaud de le retirer, car ce n’est pas à moi de le lui suggérer !
Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, madame la secrétaire d’État, nous avons beaucoup œuvré ces dernières années pour développer l’accueil des jeunes enfants en milieu scolaire dit « ordinaire », en particulier dans les classes élémentaires et en primaire. En revanche, cela s’est révélé un peu plus difficile dans le secondaire, au collège et, surtout, au lycée. Quant aux universités, je n’en parle même pas !
Deux choses me semblent importantes à souligner. En premier lieu, l’accessibilité ne concerne pas que des locaux, elle se rapporte aussi à l’instruction, au savoir et à la connaissance, ce qui est très important pour moi. Aujourd’hui, je pense que l’État – et l’éducation nationale ! – ne peut pas s’affranchir du respect des obligations qu’il impose aux bailleurs sociaux ou aux élus qui sont contraints de mettre leurs ERP en conformité. Nous devons faire davantage pour les jeunes, de sorte qu’ils puissent être scolarisés dans de bonnes conditions !
En second lieu, votre amendement, madame Archimbaud, est presque trop précis. Aujourd’hui, l’État devrait se doter d’un outil d’évaluation, car il y a une iniquité territoriale absolument dramatique dans notre pays. Ainsi, des jeunes au cursus déjà assez chaotique peuvent suivre un parcours universitaire à peu près correct dans certaines régions, mais en être absolument privés dans d’autres ! Par ailleurs, il faut rappeler que, si les régions sont chargées des lycées, chacune y consacre cependant plus ou moins d’argent. Or l’équité territoriale est indispensable, et elle est loin d’être atteinte aujourd’hui !
Madame Archimbaud, je ne voterai pas pour votre amendement, mais je ne voterai pas contre non plus. En réalité, je suis très ennuyée et défendrai plutôt une abstention extrêmement positive. (Sourires.)
M. le président. Madame Archimbaud, l'amendement n° 14 rectifié est-il maintenu ?
Mme Aline Archimbaud. J’ai bien entendu M. Néri et Mme Debré. Je voudrais simplement vous livrer quelques chiffres que j’espère justes : les personnes handicapées sont beaucoup moins diplômées que la moyenne nationale, puisque 51 % d’entre elles n’ont aucun diplôme ou seulement le BEPC, contre 31 % pour l’ensemble de la population. Or cette injustice devant l’accès à l’éducation, à la formation et à la culture est insupportable.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
Mme Aline Archimbaud. Certes, j’entends les critiques relatives à la rigidité du dispositif que je propose. Mais il faut bien qu’à un moment on trouve les mesures qui susciteront un élan dans le pays. Vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, il est incroyable de constater que certains bâtiments construits après 2008 ne sont toujours pas accessibles, alors même que la loi le prévoit.
Mme Isabelle Debré. C’est hors la loi !
Mme Aline Archimbaud. Les obstacles sont donc également dans les têtes !
En outre, j’observe que de nombreuses universités ne sont, aujourd’hui, pas accessibles. Combien de temps cela va- t-il encore durer ?
Si personne n’a l’intention de voter mon amendement, je consentirai à le retirer, mais je reste très préoccupée par la situation. Pour ma part, je souhaitais proposer une mesure compréhensible du grand public, qui aurait donné une impression de pragmatisme et de bon sens. En effet, rendre accessible le rez-de-chaussée des établissements scolaires coûte tout de même beaucoup moins cher que le reste du bâtiment ! Sans compter que tout le monde aurait fait l’effort d’élaborer des emplois du temps permettant aux enfants qui n’étaient pas en mesure de monter au premier ou au deuxième étage de suivre leurs cours au rez-de-chaussée.
Cela dit, si je suis seule ici à penser cela, je n’insisterai pas.
M. Alain Néri. N’allez pas vous faire battre sur un amendement qui, sur le fond, fait consensus !
Mme Aline Archimbaud. J’ai longtemps été enseignante. Or, à un moment de ma carrière, j’ai eu la chance de travailler dans un lycée qui était aux normes d’accessibilité. Je peux vous assurer que, dans toutes les classes qui comptaient des élèves handicapés, cela constituait une véritable richesse, un « plus » pour l’ambiance de la classe, qui était tout à fait exceptionnelle.
C’est également la raison pour laquelle il est très dur – même si je le comprends par ailleurs – d’entendre uniquement parler de l’accueil des personnes handicapées, lorsque nous en débattons, comme d’un obstacle.
Cela étant, je retire l’amendement, monsieur le président.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Malgré le retrait de cet amendement, je souhaiterais apporter une précision supplémentaire.
Depuis que le Gouvernement est habilité à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité, il y a donc environ un an, j’ai discuté avec un grand nombre de maires au cours de mes différents déplacements. Je peux vous assurer que, pour la plupart d’entre eux, la première des priorités est de mettre en accessibilité les écoles primaires. En définitive, chaque maire développe une méthode différente en concertation avec les écoles elles-mêmes et les associations de personnes handicapées.
Par exemple, la ville de Nantes – mais je crois que la ville de Paris a tenu un raisonnement similaire – a choisi de mettre en accessibilité le rez-de-chaussée non pas de toutes les écoles en une seule fois, mais plutôt d’une école par quartier, de sorte que tous les enfants, quartier par quartier, puissent bénéficier d’un total accès à une école.
Mme Isabelle Debré. Voilà !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. En effet, vous le savez aussi bien que moi, en fonction des cours, les élèves ont parfois besoin de se déplacer d’une salle à l’autre, ce qui prive d’accès l’enfant handicapé qui doit se rendre dans une salle située en étage.
La logique à suivre serait donc de privilégier la mise en accessibilité d’une école par quartier, de sorte que les enfants en situation de handicap puissent se rendre dans cette école-là.
En revanche, madame Archimbaud, croyez bien que, sur l’intention, tout le monde était d’accord avec vous !
M. le président. Mes chers collègues, pour répondre à ceux qui s’interrogent sur l’heure à laquelle s’achèvera la séance, je précise qu’il est déjà zéro heure vingt et que nous devons impérativement terminer l’examen de ce texte au cours de la nuit.
L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Cigolotti, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Le II de l'article L. 111-7-7 est ainsi rédigé :
« II. – La durée d'exécution d'un agenda d'accessibilité programmée peut porter sur deux périodes de trois ans maximum chacune, sauf si l'ampleur des travaux ne le justifie pas, lorsqu'il concerne un établissement susceptible d'accueillir un public excédant un seuil fixé par le règlement de sécurité. » ;
La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, vous nous invitez en somme à la concision ; je vais m’y efforcer.
Mon amendement a pour objet principal de supprimer la possibilité offerte par l'ordonnance de doubler la durée d'exécution d'un agenda d'accessibilité programmée lorsqu'un même propriétaire met en accessibilité un patrimoine constitué de plusieurs établissements ou installations, notamment à caractère commercial.
En effet, cette dérogation peut conduire nombre d’enseignes ou de chaînes à bénéficier du doublement de la durée d'exécution de l’agenda, ce qui, à mes yeux, ne se justifie guère.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Mouiller, corapporteur. Ici encore, la commission entend les arguments avancés.
La durée d’exécution des projets d’agenda d'accessibilité programmée est de trois ans et peut être prorogée de trois ans pour les ERP de première à quatrième catégorie ou pour les patrimoines comportant au moins un ERP de première à quatrième catégorie. Or l’amendement n° 4 rectifié vise à supprimer cette possibilité d’extension de la durée des projets d’agendas pour les patrimoines comportant au moins un ERP de première à quatrième catégorie.
Cet amendement repose sur la crainte, compréhensible, qu’un responsable d’ERP dont le patrimoine serait composé de plusieurs ERP de cinquième catégorie et d’un ERP de première à quatrième catégorie, trouve ici un moyen de contourner la durée de droit commun des agendas.
Néanmoins, cette crainte n’apparaît pas nécessairement justifiée, dans la mesure où l’ordonnance prévoit, de toute façon, que l’allongement de la durée des Ad’Ap ne peut être accordé que si l’ampleur des travaux le justifie, ce qui devra être apprécié par le préfet. Il ne s’agit pas d’une démarche d’opportunité, mais bien d’un dossier technique sur lequel le préfet devra remettre un avis, après avoir étudié le descriptif qui lui sera donné.
Je pense, par conséquent, que le dispositif prévu apportera de la souplesse tout en évitant l’écueil que vous redoutez.
C’est pourquoi je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Cigolotti, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable, ce qui serait dommage, compte tenu de la pertinence de votre argumentation.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Finalement, vous proposez de supprimer la possibilité d’allonger la durée d’exécution de l’Ad’Ap pour un gestionnaire qui aurait plusieurs ERP dont certains seraient de cinquième catégorie.
Or il faut envisager le cas d’une petite commune, ou d’une commune de taille moyenne de quelques milliers d’habitants, qui disposerait sur son territoire de six, sept ou huit ERP. Si elle devait mettre tous ces établissements en accessibilité avant trois ans, il est certain que cela serait difficile financièrement pour elle. Certes, chaque ERP est de petite taille, mais en mettre six à huit en accessibilité serait vraiment lourd pour les finances de la commune. C’est pour tenir compte des situations de ce type que la prolongation du délai d’exécution des projets a été rendue possible, en fonction de la lourdeur des travaux à réaliser.
Par ailleurs, à trois mois de la date limite de dépôt des projets d’agenda, changer les règles du jeu nous ferait entrer dans une insécurité juridique qui pourrait être préjudiciable.
Par conséquent, comme M. le rapporteur, je vous demande, monsieur Cigolotti, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi l’avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. Monsieur Cigolotti, l'amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
M. Olivier Cigolotti. Non, compte tenu des arguments de Mme la secrétaire d’État et de M. le rapporteur, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Cigolotti et Gabouty, Mme Gatel et MM. Guerriau, Luche et Roche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° La première phrase du premier alinéa du I de l'article L. 1112-2-1 est ainsi rédigée :
« Un schéma directeur d'accessibilité-agenda d'accessibilité programmée est élaboré. » ;
La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Cet amendement vise simplement à rendre obligatoire, et non facultative, l'élaboration des SDA-Ad’Ap.
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme Archimbaud, MM. Desessard et Placé, Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
...° Le I de l’article L. 1112-2-1 est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, le mot : « peut » est remplacé par le mot : « doit » ;
2° À la première phrase du dernier alinéa, le mot : « peut » est remplacé par le mot : « doit » ;
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement va dans le même sens que le précédent.
En ce qu’il prévoit que les services de transports « peuvent » et non « doivent » élaborer un schéma directeur d’accessibilité ou un agenda d’accessibilité programmée, le texte serait source de régression. Il nous semble préférable d’inscrire dans la loi le principe d’obligation de dépôt d’un schéma directeur pour les transports, au même titre que pour les établissements recevant du public.
Aucune sanction financière n’est certes prévue, mais une telle obligation constituerait un signal pour tous les promoteurs de projets d’aménagement du territoire, en les contraignant à penser l’avenir de sorte que soient généralisés au moins à terme ces schémas – car nous parlons bien de schémas, non de travaux -, quelles que soient les difficultés.
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié, présenté par Mme Archimbaud, MM. Desessard et Placé, Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
...° Le I de l'article L. 1112-2-1 est ainsi modifié :
...) À la dernière phrase du premier alinéa, les mots : « les points d’arrêt identifiés comme prioritaires, » sont supprimés ;
...) Au deuxième alinéa, le mot : « autres » et les mots : « identifiés comme prioritaires » sont supprimés ;
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement vise à rétablir les arrêts non prioritaires dans les dispositifs obligatoires de mise en accessibilité, ou, si cela n’est pas possible techniquement ou financièrement, de trouver au moins une alternative. En effet, l’ordonnance n’a conservé que l’obligation d’aménager les arrêts prioritaires.
Comme cette mesure concerne des territoires qui peuvent être éloignés des centres, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain, ne pas pouvoir envisager la généralisation de cette obligation d’accessibilité à tous les arrêts, même non prioritaires, serait contraire à l’égalité des territoires, pour laquelle nous nous battons.
M. le président. L'amendement n° 21 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes David, Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 8 et 9
Remplacer ces alinéas par huit alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 1112-2-1 est ainsi modifié :
…) Le I est ainsi modifié :
- à la première phrase du premier alinéa, le mot : « peut » est remplacé par le mot : « doit » ;
- à la dernière phrase du premier alinéa, les mots : « les points d’arrêts identifiés comme prioritaires, » sont supprimés ;
- au deuxième alinéa, le mot : « autres » et les mots : « identifiés comme prioritaires » sont supprimés ;
…) Le III est ainsi modifié :
- à la première phrase du premier alinéa, après le mot : « avis », il est inséré le mot : « conforme » ;
- au dernier alinéa, le mot : « peut » est remplacé par le mot : « doit ».
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Notre amendement vise à rétablir l’obligation du dépôt d’un agenda d’accessibilité programmée pour les autorités organisatrices de transports. Il faut rappeler que ces agendas ont le mérite de mettre en place des plans programmés de travaux de mise en accessibilité, ce qui constitue un gage d’efficacité, puisque cela peut éventuellement conduire à des sanctions dans le cadre d’une procédure de carence, ou en cas de manquement aux engagements pris par le signataire dans le cadre de l’agenda en question.
En rendant facultatif le dépôt d’un agenda, le texte supprime de facto tout effet contraignant pour les autorités organisatrices de transports et fait, en réalité, courir le risque d’une remise en cause de l’accessibilité universelle des transports.
Nous sommes d’autant plus attachés à cette exigence d’universalité que l’ordonnance du 26 septembre 2014 opère une restriction de l’accessibilité des transports scolaires pour certains enfants en situation de handicap. Nous pouvons d’autant moins accepter que la mise en conformité avec les normes d’accessibilité soit limitée à des points d’arrêt prioritaires !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Mouiller, corapporteur. Je vous rappelle que la loi d’habilitation du 10 juillet 2014 a rendu les SDA-Ad’Ap obligatoires pour les établissements recevant du public, mais a maintenu leur caractère facultatif pour les services de transports. Cette distinction est justifiée par l’obligation faite aux autorités organisatrices de transports par la loi du 11 février 2005 d’élaborer un schéma directeur d’accessibilité. Aujourd’hui, le travail est en partie réalisé, puisque 75 % du territoire national environ est couvert par un tel schéma ; il n’est donc pas nécessaire d’étendre aux services de transports le caractère obligatoire du SDA-Ad’Ap.
Par ailleurs, il ne reste qu’un peu moins de quatre mois pour déposer les agendas d’accessibilité programmée. Décider aujourd’hui de les rendre obligatoires pourrait donc entraîner des difficultés, d’autant plus que les dossiers sont relativement lourds à monter.
Songez, mes chers collègues, au cas d’une autorité organisatrice de transports qui aurait fait le choix, plutôt que d’établir un Ad’Ap, de prolonger la démarche de mise en accessibilité entreprise dans le cadre de son SDA, et qui se verrait contrainte de mener des études complémentaires.
En d’autres termes, rendre les SDA-Ad’Ap obligatoires pour les services de transports ferait peser sur les autorités organisatrices de transports une lourde obligation de moyens, alors que les objectifs de mise en accessibilité peuvent être atteints dans le cadre des SDA, qui sont obligatoires et existent souvent déjà.
Je le répète, les trois quarts du territoire, correspondant à 76 % de la population, sont couverts par un schéma directeur d’accessibilité. Encore les structures qui ne disposent pas d’un schéma abouti ont-elles le plus souvent entrepris les démarches nécessaires pour s’en doter ; il n’y a que 5 % du territoire environ où ce n’est pas encore le cas.
L’effort de mise en accessibilité des transports étant largement entrepris, même s’il reste des mesures complémentaires à prendre, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements nos 3 rectifié bis et 16 rectifié.
L’amendement n° 17 rectifié vise à supprimer le principe, prévu par l’ordonnance du 26 septembre 2014, d’une fixation obligatoire dans les SDA-Ad’Ap de points d’arrêt des services de transports devant être rendus accessibles en priorité. Nous touchons là à un point important de la concertation qui s’est tenue entre les organismes gestionnaires de transports et les associations de personnes handicapées.
Compte tenu d’enjeux financiers assez lourds, il a été décidé qu’une distinction serait opérée, de manière concertée – j’insiste, car la concertation est essentielle dans cette démarche –, entre des arrêts prioritaires et des arrêts secondaires.
Aujourd’hui, l’obligation de mise en accessibilité porte sur les arrêts prioritaires. Cela ne signifie pas que rien ne sera fait pour les arrêts secondaires, mais il est nécessaire de procéder par phases, dans la mesure où les travaux nécessaires sur la totalité du territoire national sont évalués à plus de 12 milliards d’euros.
Dans un premier temps, donc, des arrêts prioritaires devront être rendus accessibles ; ils seront définis de manière concertée en considération du service proposé à la population. Par ailleurs, le transport scolaire fait l’objet d’une gestion particulière, compte tenu de ses spécificités et du service rendu.
Si le phasage est nécessaire au vu de l’ampleur technique et financière des travaux à entreprendre, je souligne que la définition des points d’arrêt prioritaires, qui résultera d’une concertation avec les représentants des personnes handicapées, se fondera certes sur des critères de fréquentation, mais tiendra compte aussi de la nécessité d’assurer un maillage équilibré de tous les territoires, y compris dans les zones rurales.
De plus, en ce qui concerne les transports ferroviaires, des solutions de substitution devront être prévues pour les gares et les arrêts qui n’auront pas été définis comme prioritaires, afin de pouvoir assurer un service de qualité sur les territoires.
Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 17 rectifié.
Quant à l’amendement n° 21 rectifié, elle y est nécessairement défavorable, dans la mesure où il est une synthèse des trois autres.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable aux quatre amendements.
Aux raisons que M. le corapporteur a fort bien exposées, j’ajouterai qu’il n’est pas opportun de changer les règles du jeu trois mois avant la date limite de dépôt des Ad’Ap, dont vous imaginez bien qu’ils ne sont pas élaborés en quelques semaines. Ce changement serait d’autant plus malvenu que les autorités organisatrices de transports sont notamment les conseils départementaux, qui viennent d’être mis en place et dont nombre d’exécutifs ont changé, et les conseils régionaux, qui auront peut-être d’autres préoccupations dans les six prochains mois que de préparer en urgence un Ad’Ap pour les services de transports…
Soyons réalistes, ne mettons pas les collectivités territoriales en difficulté et respectons le résultat de la concertation !
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote sur l’amendement n° 3 rectifié bis.
M. Dominique Watrin. Voilà plusieurs fois que l’on nous oppose l’argument du risque d’un changement de règle à quelques mois d’une échéance. Nous pouvons l’entendre, mais, si le Parlement est consulté, c’est qu’il peut avoir son mot à dire ; si nous ne pouvons pas changer les règles, je ne vois pas l’intérêt de soumettre ce projet de loi à la représentation nationale !
Je comprends bien qu’une concertation s’est tenue avec les associations et que les enjeux financiers sont très importants. Nous ne prétendons aucunement que tout pourrait être fait d’un seul coup et rapidement ni que rien n’a été fait jusqu’ici.
Nous faisons simplement observer qu’un schéma directeur et un agenda ne comportent pas le même degré de contrainte : si le premier autorise des marges de manœuvre notamment sur le plan des délais, le second fixe des limites. C’est pourquoi l’instauration d’un agenda d’accessibilité programmée obligatoire serait un signal intéressant.
Au demeurant, je ne suis pas sûr que les associations aient validé l’abandon des agendas en matière de transports ; à la vérité, je suis même presque certain du contraire !
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Aucun d’entre nous n’est contre le phasage et il est certain que, s’agissant des points d’arrêt non prioritaires, les travaux nécessaires prendront du temps. Nous ne proposons pas de rendre tous les travaux obligatoires dans l’immédiat ; nous souhaitons seulement que la loi pose un principe applicable à tout projet d’aménagement, étant rappelé, au surplus, qu’aucune sanction financière n’est prévue en matière de transports.
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par Mme Campion et M. Mouiller, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – Au second alinéa de l'article 2-8 du code de procédure pénale, la référence : « à l'article L. 111-7 » est remplacée par les références : « aux articles L. 111-7-1, L. 111-7-2 et L. 111-7-3 ».
La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4 (nouveau)
L’article L. 111-7-3 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du quatrième alinéa et au sixième alinéa, après les mots : « les copropriétaires refusent », sont insérés les mots : « , par décision motivée, » ;
2° À la deuxième phrase du cinquième alinéa, le mot : « définis » est remplacé par le mot : « définies » ;
3° À la première phrase du dernier alinéa, après les mots : « établissement recevant du public », sont insérés les mots : « existant à la date du 31 décembre 2014 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes David, Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 111-7-3 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « recevant du public situés dans un cadre bâti existant » sont remplacés par les mots : « existants recevant du public » ;
2° Au troisième alinéa, les mots : « dans un cadre bâti existant » sont remplacés par le mot : « existants » ;
3° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « situés dans un cadre bâti existant » sont supprimés et les mots : « disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en œuvre des prescriptions techniques d’accessibilité, d’une part, et leurs coûts, leurs effets sur l’usage du bâtiment et de ses abords ou la viabilité de l’exploitation de l’établissement, d’autre part » sont remplacés par les mots : « disproportion manifeste entre les améliorations apportées et leurs conséquences » ;
b) La seconde phrase est supprimée ;
4° À la première phrase du cinquième alinéa, après le mot : « avis », est inséré le mot : « conforme » ;
5° Le sixième alinéa est ainsi rédigé :
« Les établissements recevant du public situés dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation existant peuvent solliciter des dérogations à l’autorité administrative sur justification d’un ou de plusieurs motifs exposés à l’article L. 111-7-3. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Notre amendement vise à rétablir certains objectifs initiaux de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. En particulier, comme les associations du Collectif pour une France accessible nous l’ont signalé, il est important de restaurer la règle selon laquelle tous les établissements recevant du public doivent satisfaire aux mêmes normes, qu’ils soient neufs ou existants.
Les critères actuels pouvant justifier une dérogation ou un assouplissement après démonstrations sont l’impossibilité technique, la conservation du patrimoine architectural ou la disproportion manifeste entre les améliorations à apporter et leurs conséquences. Ces critères sont largement suffisants pour prendre en considération la spécificité des établissements recevant du public dans un cadre bâti existant.
En 2012, lors des travaux intitulés « Regards croisés », le motif de la disproportion manifeste entre les améliorations à apporter et leurs conséquences avait fait l’objet d’un consensus entre les ministères du développement durable et du logement, les acteurs économiques, parmi lesquels l’Association française des chambres de commerce et d’industrie, et les associations de personnes en situation de handicap. Il s’agissait de prendre en compte les contraintes budgétaires des établissements recevant du public tout en maintenant l’objectif de mise en accessibilité, même partielle.
Les dérogations accordées aux immeubles collectifs à usage d’habitation sont difficilement acceptables, car autoriser les copropriétaires à refuser de réaliser les travaux de mise en accessibilité créerait une inégalité supplémentaire au détriment des personnes en situation de handicap !
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mme Archimbaud, MM. Desessard et Placé, Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
par décision motivée
par les mots :
sur justification d’un ou plusieurs motifs mentionnés à l’article L. 111-7-3
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Cet amendement a pratiquement le même objet que celui qui vient d’être présenté. L’ordonnance ajoute aux trois motifs de dérogation déjà prévus par la loi – impossibilité technique, disproportion manifeste et conservation du patrimoine architectural – la possibilité pour les copropriétaires de s’opposer aux travaux par une décision motivée. La formulation de cette disposition nous paraît vague et il serait préférable de s’en tenir aux trois motifs actuellement prévus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. L’amendement de Mme Cohen vise à remettre en cause plusieurs modifications introduites par l’ordonnance.
En premier lieu, il tend à supprimer la référence à la notion d’établissement recevant du public situé dans un cadre bâti existant, qui nous paraît préférable à celle d’établissement recevant du public existant, dans la mesure où elle prend en compte la situation particulière des établissements recevant du public créés par changement de destination d’un cadre bâti existant. Le Conseil d’État a confirmé que ces derniers sont éligibles aux dérogations prévues pour les établissements recevant du public existants.
En deuxième lieu, il vise à supprimer les précisions apportées à la notion de disproportion manifeste, qui résultent pourtant intégralement des conclusions de notre concertation.
En troisième lieu, il tend à rendre obligatoire l’avis conforme de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité pour les demandes de dérogation concernant des établissements recevant du public de cinquième catégorie, alors que la concertation visait précisément, entre autres objectifs, à assouplir le régime juridique applicable à ces établissements.
En quatrième et dernier lieu, l’amendement a pour objet de revenir sur la solution trouvée par l’ordonnance et améliorée par notre commission en ce qui concerne la mise en accessibilité des établissements recevant du public situés dans des immeubles d’habitation collectifs.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un défavorable sur cet amendement, madame Cohen.
Quant à l’amendement de Mme Archimbaud, il est contraire à la position adoptée par la commission des affaires sociales. Ses auteurs souhaitent que seuls les trois motifs de dérogation instaurés par la loi du 11 février 2005 – impossibilité technique, conservation du patrimoine architectural et disproportion manifeste – puissent ouvrir droit à une décision de dérogation pour une assemblée générale de copropriétaires. Or l’ordonnance prévoit précisément qu’une assemblée générale de copropriétaires peut refuser la mise en accessibilité d’un établissement recevant du public même si aucun de ces motifs ne trouve à s’appliquer.
L’équilibre entre l’obligation légale de mise en accessibilité et le respect du droit de propriété est difficile à trouver.
La solution adoptée par la commission, consistant à prévoir une décision motivée de l’assemblée générale des copropriétaires, est, à notre avis, à la fois plus souple que le dispositif de l’amendement n° 12 et plus sévère que le texte initial de l’ordonnance. Il nous paraît nécessaire de préserver cet équilibre. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5 (nouveau)
I. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° L’article L. 111-7-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le produit des sanctions pécuniaires prévues au présent article est versé au fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle prévu à l’article L. 111-7-12. » ;
2° Au deuxième alinéa du I de l’article L. 111-7-11, après les mots: « des difficultés », sont insérés les mots : « techniques ou financières » ;
3° L’article L. 111-7-12 est ainsi modifié :
a) Au troisième alinéa, les mots : « dans les conditions prévues instituée par article L. 14-10-1 du code de l’action sociale et des familles » sont supprimés ;
b) Au quatrième alinéa, les mots : « à l’article L. 111-7-11 du présent code et au III de » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 111-7-10 et L. 111-7-11 du présent code et à ».
II. – L’article L. 1112-2-4 du code des transports est ainsi modifié :
1° Après le montant : « 2 500 € », la fin du deuxième alinéa du I est supprimée ;
2° Au II, les mots : « recouvrée comme en matière de créances étrangères à l’impôt et au domaine » sont supprimés ;
3° Au quatrième alinéa du III, les mots : « à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « au présent article ».
III. – Le I de l’article L. 14-10-1 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après les mots : « du territoire », la fin du 1° est supprimée ;
2° Après le 1°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° bis D’assurer la gestion comptable et financière du fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle mentionné à l’article L. 111-7-12 du code de la construction et de l’habitation ; » – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 5
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par Mme Campion et M. Mouiller, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase de l'article L. 3111-7-1 du code des transports, après les mots : « peuvent demander » sont insérés les mots : « , avec l'appui de l'équipe pluridisciplinaire mentionnée à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles, ».
La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Le présent amendement a pour objet de permettre aux équipes pluridisciplinaires des MDPH d’accompagner les représentants légaux d’élèves en situation de handicap scolarisés à temps plein lorsqu’ils effectuent une demande de mise en accessibilité de points d’arrêt du réseau de transports scolaires dans le cadre du projet personnalisé de scolarisation.
Il s’agit non pas de créer une nouvelle tâche pour les MDPH, mais plutôt de ne pas laisser les représentants légaux de l’enfant seuls dans leurs démarches, en leur permettant de bénéficier d’un accompagnement s’ils le désirent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. L’objet de cet amendement est tout à fait louable, puisqu’il s’agit de s’assurer que les équipes pluridisciplinaires pourront soutenir dans leurs démarches les parents d’enfants scolarisés demandant la mise en accessibilité de points d’arrêt du réseau de transports scolaires.
Même si Mme Campion a pris des précautions oratoires en précisant qu’il ne s’agissait pas de créer une nouvelle tâche pour les MDPH, la charge de travail de ces dernières se trouvera néanmoins alourdie, alors qu’elles sont actuellement déjà embouteillées et ont beaucoup de difficultés à réduire les délais d’attente dont pâtissent aujourd’hui les personnes en situation de handicap.
Afin de répondre à ces difficultés, le Gouvernement élabore actuellement un plan de simplification destiné à permettre aux MDPH de se recentrer sur leur mission première, à savoir l’accompagnement des familles.
Pour ces raisons, le Gouvernement s’en remet sur cet amendement à la sagesse de la Haute Assemblée, dont je sais qu’elle est grande !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Pourquoi inscrire cette faculté dans la loi ? En effet, je ne pense pas que les MDPH refuseront d’accompagner les familles qui le souhaitent.
Par ailleurs, si je ne voterai pas contre cet amendement, dans la mesure où son objet est d’aider les familles, je suis d’accord avec Mme la secrétaire d’État quand elle souligne que les MDPH sont déjà totalement débordées et ne parviennent plus à traiter les dossiers, faute de personnel suffisant. Par conséquent, si on veut les faire intervenir sur le terrain, ce qui en soi serait une très bonne chose, il est nécessaire de leur en donner les moyens humains, sinon elles n’y arriveront pas et on aura encore une fois donné de faux espoirs aux familles concernées.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Nous devons inscrire dans la loi la possibilité, pour les familles ou les représentants légaux de l’enfant, de bénéficier d’un appui de l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH s’ils le désirent.
Certaines familles seront sans doute en mesure d’effectuer seules les démarches auprès des autorités organisatrices de transports. À l’inverse, d’autres familles se trouveront totalement démunies si elles sont laissées à elles-mêmes. Nous avons pensé que l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH pouvait les aider dans leurs démarches si elles en formulent la demande, dans la mesure où elle élabore le projet personnalisé de scolarisation de l’enfant.
Mme Isabelle Debré. On verra bien !
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Il ne s’agit pas d’accroître encore la charge de travail des MDPH. En effet, l’appui et l’accompagnement de l’équipe pluridisciplinaire interviendront, le cas échéant, uniquement dans le cadre de l’élaboration du projet personnalisé de scolarisation, qui s’inscrit pleinement dans les missions des MDPH.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. On ne peut que soutenir un tel amendement, mais cela implique nécessairement de s’opposer, lors de l’élaboration des prochaines lois de finances, à ce que des coupes sombres soient pratiquées dans le budget de l’éducation nationale.
Mme Isabelle Debré. Cela ne relève pas de l’éducation nationale, mais des départements !
Mme Laurence Cohen. Sinon, les équipes pluridisciplinaires des MDPH n’auront plus les moyens de s’occuper des enfants en situation de handicap. Essayons de prévenir de telles contradictions.
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.
Mme Hermeline Malherbe. Je rappelle, à la suite de Mme Debré, que les équipes pluridisciplinaires des MDPH sont financées par les départements, même si des enseignants de l’éducation nationale y participent.
Mme Isabelle Debré. Exactement !
Mme Hermeline Malherbe. Cela étant, pourquoi inscrire dans la loi la possibilité, pour les agents des MDPH, d’accompagner les familles qui le souhaitent dans leurs démarches, alors que le projet personnalisé de scolarisation peut justement couvrir cet aspect ?
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Certes, madame Malherbe, l’ordonnance prévoit déjà une possibilité d’accompagnement, mais uniquement dans le cas où une nécessité de transport scolaire est établie dans le projet personnalisé de scolarisation. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5.
Article 6 (nouveau)
À la première phrase du troisième alinéa du I de l’article 45 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les mots : « de plus de 500 habitants » sont remplacés par les mots : « de 500 habitants et plus ».
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Imbert, MM. Cornu, Vaspart, D. Laurent, Gilles, Morisset, Commeinhes et Frassa, Mme Morhet-Richaud, MM. Vogel et B. Fournier, Mme Deromedi, M. Lefèvre, Mme Gruny, MM. Mandelli et Pointereau, Mme Bouchart et MM. Pierre, Falco, Bonhomme et Chaize, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 1
Remplacer les mots :
de 500 habitants et plus
par les mots :
de 1 000 habitants et plus
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le dernier alinéa du même I est supprimé.
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. En relevant le seuil à 1 000 habitants, cet amendement tend à un assouplissement et à une simplification au bénéfice des petites communes. Il vise à rendre facultative la mise en place d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics pour les communes de moins de 1 000 habitants.
Il faut bien entendu continuer à progresser en termes d’accessibilité, y compris en matière de voirie et d’espaces publics, mais la réalisation de ces travaux représentera une lourde contrainte pour les petites communes, sur les plans technique et financier. J’invite donc à faire preuve de pragmatisme. Les élus sont volontaires, faisons leur confiance : rien n’empêchera les communes de moins de 1 000 habitants d’élaborer un PAVE si elles le souhaitent, mais ne les contraignons pas à établir un document qui, à lui seul, n’a jamais rendu la voirie accessible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Cet amendement a pour objet de rendre les PAVE facultatifs pour les communes de moins de 1 000 habitants. La loi de 2005 prévoyait que l’élaboration de ces documents serait obligatoire pour toutes les communes. Cette obligation pouvant être lourde à remplir pour les communes de petite taille, la concertation a débouché sur la préconisation de rendre les PAVE facultatifs pour les communes de moins de 500 habitants et de prévoir des PAVE simplifiés pour les communes comprenant entre 500 et 1 000 habitants. Cette préconisation a été reprise par l’ordonnance de septembre dernier.
En tant que corapporteurs, M. Mouiller et moi-même avons estimé qu’aller plus loin remettrait en cause l’équilibre acquis au cours de la concertation. En outre, cela ne correspondrait pas à la position que le Parlement a adoptée en juillet dernier en votant la loi d’habilitation, qui a clairement fixé les seuils de 500 et de 1 000 habitants.
Malgré cela, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur cet amendement, contre l’avis des corapporteurs.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. En tout, 6 988 communes comprenant entre 500 et 1 000 habitants sont concernées par cet amendement. Pour l’ensemble des communes, y compris les plus petites, la dotation d’équipement pour les territoires ruraux, la DETR, est clairement fléchée, au travers de plusieurs circulaires, au bénéfice de la mise en accessibilité.
Je comprends parfaitement l’esprit de cet amendement, qui vise en fait à permettre aux communes dépourvues de service technique compétent pour assurer l’élaboration d’un PAVE de concentrer leurs ressources sur la réalisation de travaux de mise en accessibilité, plutôt que sur l’achat de prestations de bureaux d’études. Faut-il fixer le seuil à 500 habitants ou à 1 000 habitants ? Répondre à cette question n’est pas facile. Le Sénat étant spécialiste des collectivités territoriales, je m’en remets encore une fois à sa sagesse.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je vous remercie de cet avis de sagesse, madame la secrétaire d’État.
Les travaux de mise en accessibilité sont financés soit par les départements, soit par la dotation d’équipement pour les territoires ruraux, à condition que la commune dispose d’un PAVE.
M. René-Paul Savary. Dans mon département, l’élaboration d’un PAVE est requise pour être éligible à la dotation d’équipement pour les territoires ruraux en ce qui concerne la voirie. Cela me paraît tout à fait naturel ! D’ailleurs, le département de la Marne subventionne les aménagements de la voirie des communes si elles ont mis en place un PAVE.
La réalisation d’un PAVE ne se justifie que lorsque des travaux d’aménagement et de mise en accessibilité sont nécessaires.
Il me semble important de fixer un seuil en deçà duquel l’élaboration d’un PAVE ne serait pas obligatoire : celui de 1 000 habitants me paraît pertinent, d’autant qu’il a déjà été retenu pour l’élection des conseillers municipaux au scrutin de liste.
L’adoption de cet amendement permettrait d’adresser un signal aux communes rurales. En matière d’accessibilité, plutôt que de leur imposer des obligations, il me semble préférable de les inciter à atteindre des objectifs.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7 (nouveau)
I. – Le Gouvernement présente au Parlement une évaluation de la mise en œuvre de l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 avant le 31 décembre 2018. Cette évaluation dresse également le bilan des mesures mises en œuvre pour simplifier les règles de mise en accessibilité applicables à l’ensemble du cadre bâti ainsi qu’à la chaîne de déplacement.
Le Gouvernement informe chaque année le Parlement de l’utilisation du produit des sanctions pécuniaires mentionnées à l’article L. 111-7-11 du code de la construction et de l’habitation et au III de l’article L. 1112-2-4 du code des transports.
II. – Le dernier alinéa de l’article 4 de la loi n° 2014-789 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées est supprimé. – (Adopté.)
Article 8 (nouveau)
À la première phrase du premier alinéa du II de l’article L. 120-1 du code du service national, après les mots : « âgées de seize à vingt-cinq ans », sont insérés les mots : « ou aux personnes reconnues handicapées, âgées de seize à trente ans ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 8
M. le président. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Imbert, MM. D. Laurent, Paul et Vasselle, Mme Deseyne, MM. Milon et de Nicolaÿ, Mmes Morhet-Richaud et Micouleau, MM. B. Fournier, Laufoaulu, Lenoir et Savary, Mme Deromedi, MM. Chasseing, Mandelli, Chatillon, Fouché et Doligé, Mme Lamure, MM. Lefèvre et Pierre, Mme Lopez, M. Lemoyne et Mmes Duchêne, Bouchart et Deroche, est ainsi libellé :
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu selon un régime réel d’imposition peuvent déduire de leur résultat imposable une somme égale à 40 % de la valeur d'origine des biens hors frais financiers qu'elles acquièrent ou fabriquent entre le 27 septembre 2015 et le 26 septembre 2016, lorsque ces biens peuvent faire l'objet d'un amortissement et qu'ils sont nécessaires à la mise en œuvre des agendas d'accessibilité programmée définis à l'article L. 111-7-5 du code de la construction et de l’habitation.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Le présent amendement vise à inclure les investissements concernant la mise en accessibilité des établissements recevant du public dans le champ d’application de la déduction applicable aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu et n’ayant pas encore procédé à la mise en accessibilité requise par la loi du 6 février 2005.
Cette disposition viendrait compléter le mécanisme de « suramortissement » de certains équipements récemment proposé par le Gouvernement et adopté par le Sénat lors de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
En ciblant l’application de la déduction sur une période courte, limitée à un an, il s’agit en outre d’accélérer la mise en accessibilité de ces établissements recevant du public. Il me semble que ce qui est bon pour la croissance et l’activité doit l’être pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Mouiller, corapporteur. Les deux corapporteurs n’étant pas d’accord sur ce sujet, la commission a émis un avis de sagesse.
Cet amendement vise à créer une exonération d’impôt égale à 40 % de la valeur d’origine des biens utilisés pour des travaux de mise en accessibilité, qui s’appliquerait pour des investissements réalisés entre le 27 septembre 2015 et le 26 septembre 2016. Il s’inspire d’un dispositif inséré, sur l’initiative du Gouvernement, dans le projet de loi Macron pour relancer l’investissement dans le secteur de l’industrie.
La préoccupation exprimée est selon moi légitime, au regard du poids financier que représentent souvent les travaux de mise en accessibilité, et les dates prévues pourraient inciter les entreprises à engager ces travaux rapidement.
De plus, cette mesure contribuera à relancer l’activité économique de façon rapide par la réalisation de nombreux travaux. L’État bénéficiera tout de suite des recettes fiscales liées à ces travaux, tandis qu’il ne supportera l’exonération d’impôt que l’année suivante.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, corapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, corapporteur. Au-delà de cette différence d’appréciation entre les deux corapporteurs, je voudrais dire combien j’ai apprécié de travailler avec M. Mouiller sur cette question essentielle de l’accessibilité.
À mon sens, cet amendement revient sur un principe essentiel qui a été affirmé dès le début de la concertation afin de répondre aux craintes exprimées par les acteurs : celui de l’égalité de traitement entre le secteur public et le secteur privé. À la suite de la concertation, un certain nombre d’aides financières ont été mises en place, au profit tant du secteur public que du secteur privé.
Je m’interroge également sur la distorsion que créerait inévitablement l’adoption de cet amendement entre les entreprises qui ont réalisé dans les délais impartis par la loi leurs travaux de mise en accessibilité, sans bénéficier d’aucune exonération d’impôt, et celles qui, n’ayant pas encore satisfait à leurs obligations légales, seraient donc avantagées financièrement.
Par ailleurs, le dispositif de la loi Macron est très précisément ciblé, ce qui n’est pas le cas de celui de cet amendement, dont le champ est beaucoup plus large. Le risque, selon moi, est de voir apparaître des montages abusifs, ce qui pose la question du contrôle.
Telles sont les raisons qui expliquent ma différence d’appréciation avec M. Mouiller.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il est vrai que mettre en œuvre le dispositif de cet amendement reviendrait à accorder une prime à ceux qui ont traîné les pieds jusque-là.
Il existe des dispositifs destinés à faciliter le financement des travaux de mise en accessibilité : je pense aux prêts de la Caisse des dépôts et consignations pour le secteur public et aux prêts de la Banque publique d’investissement pour le secteur privé.
De même, il existe des subventions destinées tant au secteur public qu’au secteur privé. La DETR a vocation à financer la mise en accessibilité des établissements recevant du public, même en l’absence de PAVE. En revanche, l’élaboration d’un PAVE est requise s’il s’agit d’utiliser le DETR pour financer des travaux sur la voirie. S’agissant du secteur privé, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, peut également servir au financement de travaux de mise en accessibilité.
M. Michel Raison. Non !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Si, monsieur le sénateur : le 15 mai 2015, ma collègue la secrétaire d’État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire a publié une circulaire qui rend éligibles au FISAC les travaux de mise en accessibilité.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour explication de vote.
Mme Corinne Imbert. L’intérêt des personnes handicapées, qui attendent une meilleure accessibilité des établissements recevant du public, en particulier les commerces, doit primer ; c’est pourquoi il me paraît préférable d’encourager les mauvais élèves, plutôt que de les punir. Ce mécanisme de suramortissement visant à accélérer la réalisation des travaux de mise en accessibilité ne s’appliquera, je le répète, que sur une très courte période.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Nos débats ont bien montré que la mise en accessibilité souhaitée se heurtait parfois aux contraintes financières d’un certain nombre de partenaires, qu’ils soient publics ou privés. L’adoption de cet amendement, que je n’ai pas cosigné mais auquel je souscris totalement, permettrait d’accélérer la mise en œuvre des calendriers tout en dopant l’activité économique dans le secteur du bâtiment, qui a perdu des dizaines de milliers d’emplois, souffre énormément et n’envisage pas nécessairement les mois à venir avec beaucoup d’espoir.
S’agissant de la définition des biens concernés, je suis au regret de vous dire, madame le rapporteur, qu’elle peut être assez précisément établie. Lors d’un contrôle fiscal, il sera facile pour l’administration de déterminer quels sont les biens nécessaires à la mise en accessibilité pouvant faire l’objet d’un amortissement.
Certes, il s’agit là d’un amendement d’opportunité, mais si l’on peut à la fois permettre une accélération de la mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée et favoriser l’activité dans un secteur particulièrement touché par la crise, il ne faut pas hésiter à le faire.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Madame la secrétaire d’État, vous avez employé l’expression « traîner les pieds ». Cette assemblée compte un certain nombre d’élus locaux qui exercent des responsabilités aux niveaux régional, départemental, intercommunal ou communal. Ils savent bien que les collectivités ont consenti des efforts et n’ont pas traîné les pieds. Si les travaux de mise en accessibilité n’ont pas tous été effectués au bout de dix ans, il faut en tirer des enseignements ; à défaut, dans trois ans, le résultat sera le même.
Il en va de même pour les commerces et les entreprises, qui sont soumis à tant de contraintes, supportent tellement de charges, disposent de si faibles marges de manœuvre ! Il n’aura échappé à personne que le contexte économique est particulièrement difficile. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de commerces, notamment, n’ont pas encore réalisé de travaux de mise en accessibilité.
En l’absence de mesures incitatives, on risque fort de devoir constater, dans trois ans, qu’un certain nombre d’établissements recevant du public ne satisfont toujours pas aux normes en matière d’accessibilité. Votons donc cet amendement ! C’est ce gouvernement qui a inventé le mécanisme du « suramortissement », concept assez particulier destiné à encourager l’investissement. Nous avons là une occasion extraordinaire à la fois de soutenir l’investissement, et donc l’emploi, et d’améliorer l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Ne nous en privons pas !
Le Sénat ferait montre de sagesse en adoptant cette mesure, d’autant que son application est très limitée dans le temps.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. J’entends l’argument de Mme la secrétaire d’État selon lequel les entreprises ayant déjà procédé aux travaux de mise en accessibilité seraient perdantes par rapport aux autres, mais c’est un peu comme pour les soldes : si on achète un costume la semaine précédente, on se trouve désavantagé par rapport à ceux qui ont attendu !
Le grand intérêt de la mesure proposée, c’est qu’elle ne s’appliquera que pendant un an : cela va donner un coup de fouet extraordinaire à la mise en accessibilité des locaux recevant du public, car toutes les entreprises voudront réaliser les travaux nécessaires avant l’échéance.
Par ailleurs, si l’on fait appel au FISAC, on est mal parti ! Dans toutes les communes, des dossiers assez banals sont en souffrance depuis deux ou trois ans. De grâce, ne mettons pas le FISAC à toutes les sauces : si l’on s’appuie sur lui pour financer les mises aux normes en matière d’accessibilité, on sera assuré de prendre quelques années de retard supplémentaires !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 8.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt les débats de ce soir.
Les associations formulent de vives critiques sur ce texte, car elles attendaient depuis dix ans l’obligation d’accessibilité devant intervenir en 2015.
Ceux qui ont fait les efforts pour appliquer la loi ont le sentiment qu’une prime est donnée à ceux qui n’ont pas respecté la loi.
Pour ma part, je regrette l’absence de réflexion collective sur les raisons de l’échec de la mise en œuvre de la loi de 2005.
Je ne reviendrai pas sur mon intervention du 12 mars sur le sujet, mais je voudrais rappeler le témoignage que j’avais évoqué en conclusion de mon intervention.
Tétraplégique depuis une quinzaine d’années à la suite d’une chute de cheval, Édouard Braine, notre ancien consul général en poste à Londres, a pu mesurer l’écart qui séparait la France du Royaume-Uni. Il déclare ceci :
« Depuis Londres, j’avais estimé notre retard sur les Britanniques à trente-cinq ans. Ce délai est celui qui sépare l’adoption de la loi principale sur le sujet, votée par le parlement de Westminster, en 1970, tandis que la loi française date de 2005.
« Mon estimation était hélas optimiste, car, si les obligations d’accessibilité prévues dans notre loi étaient remises en cause, notre handicap par rapport aux Anglais dépasserait alors cinquante ans. […]
« Le mythe de la prise en charge intégrale, même dans une optique charitable, est une piste beaucoup moins efficace que l’approche pragmatique des Anglo-Saxons et de nos voisins en Europe. »
L’injustifiable retard français en matière d’accessibilité risque de coûter cher à l’image de la France. C’est l’oubli par notre pays de l’accessibilité et des jeux Paralympiques qui avaient permis à Londres de s’imposer en 2012. Si Paris ne devient pas irréprochable dans ce domaine, il est inutile de faire croire qu’une candidature de notre capitale ait la moindre chance pour 2024.
Avec les dispositions présentées aujourd'hui, le volontarisme de la loi de 2005 fait place à l’attentisme. Le dogmatisme des normes absurdes responsables de l’échec de la loi de 2005 perdure.
Je ne peux souscrire à cette orientation et ne voterai donc pas ce texte : je m’abstiendrai.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
(Le projet de loi est adopté.)
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 3 juin 2015, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (n° 424, 2014-2015) et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (procédure accélérée) (n° 430, 2014-2015) ;
Les articles 2 et 3 du projet de loi seront examinés en priorité à la reprise du soir ;
Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n° 460, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 461, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 462, 2014-2015) ;
Avis de M. Jean-Pierre Raffarin, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 445, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 3 juin 2015, à une heure vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART