Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Leleux, Mme Catherine Tasca.
2. Organisme extraparlementaire
incertitudes liées au projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement
Question n° 1047 de Mme Corinne Imbert. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Mme Corinne Imbert.
modalités de financement pour les établissements de santé isolés géographiquement
Question n° 1060 de M. Franck Montaugé. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Franck Montaugé.
prise en charge du traitement des malades touchés par le syndrome d’arnold-chiari
Question n° 1055 de Mme Françoise Cartron. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Mme Françoise Cartron.
délivrance d’un duplicata du permis de conduire aux français de l’étranger
Question n° 1057 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
encadrement des droits-télé de football au niveau européen et équité sportive
Question n° 1081 de Mme Sylvie Robert. – M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports ; Mme Sylvie Robert.
possibilité d'effectuer un service civique auprès des bailleurs sociaux
Question n° 1038 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
devenir de la profession des guides-conférenciers
Question n° 1058 de Mme Gisèle Jourda. – M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports ; Mme Gisèle Jourda.
avenir de la ligne sncf de ter entre charleville-mézières et givet
Question n° 1059 de M. Marc Laménie. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Marc Laménie.
Question n° 1075 de M. Daniel Reiner. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Daniel Reiner.
Question n° 1084 de M. Pierre-Yves Collombat. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Pierre-Yves Collombat.
restriction de l'écobuage en zone rurale
Question n° 1065 de M. Mathieu Darnaud. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Mathieu Darnaud.
révision des valeurs locatives et concertation
Question n° 1041 de M. Christian Favier. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Christian Favier.
incitation à la méthanisation agricole
Question n° 1051 de M. Yannick Botrel. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Yannick Botrel.
Situation des éleveurs français
Question n° 1063 de M. Daniel Chasseing. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Daniel Chasseing.
aménagement des conditions de transport pour les élèves de formation biqualifiante
Question n° 1052 de M. Cyril Pellevat. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Cyril Pellevat.
commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en france
Question n° 1053 de M. Richard Yung. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Richard Yung.
situation des chrétiens d'orient
Question n° 1069 de M. Gilbert Roger. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification.
situation des sans domicile fixe dans les centres-villes
Question n° 1044 de M. Jean-Patrick Courtois. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; M. Jean-Patrick Courtois.
place de l'éducation nationale dans le système de formation par apprentissage
Question n° 1061 de M. Bruno Sido. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; M. Bruno Sido.
classement du collège kerhallet de brest en réseau d'éducation prioritaire renforcé
Question n° 1064 de M. Michel Canevet. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; M. Michel Canevet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Souhaits de bienvenue à deux nouveaux sénateurs
5. Croissance, activité et égalité des chances économiques. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
6. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi organique
7. Débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence
Mme Michelle Demessine, au nom du groupe CRC
MM. Jean-Marie Bockel, Jacques Gautier, Roland Courteau, Joël Labbé, Jean-Pierre Bosino, Mmes Françoise Laborde, Catherine Procaccia, MM. Franck Montaugé, Serge Dassault, Claude Raynal
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
8. Candidatures à des commissions
9. Risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde. – Discussion d’une question orale avec débat
M. Joël Labbé, auteur de la question
M. Daniel Laurent, Mmes Odette Herviaux, Marie-Christine Blandin, MM. Michel Le Scouarnec, Gilbert Barbier, Mmes Annick Billon, Agnès Canayer, MM. Yannick Vaugrenard, François Commeinhes
10. Nomination de membres de commissions
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
Mme Valérie Létard ; M. le président.
Mme Nathalie Goulet, au nom du groupe UDI-UC
M. André Reichardt, au nom du groupe UMP
M. Jean-Pierre Sueur, Mmes Esther Benbassa, Éliane Assassi, MM. Philippe Esnol, Stéphane Ravier, Mme Nathalie Goulet, M. Cédric Perrin, Mme Bariza Khiari, M. Jean-Yves Leconte
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Leleux,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom d’un sénateur pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux.
Conformément à l’article 9 du règlement du Sénat, la commission des lois a été saisie. La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par ce même article.
3
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
incertitudes liées au projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteur de la question n° 1047, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Corinne Imbert. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur les incertitudes et les conséquences liées au projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement en ce qui concerne les personnes handicapées vieillissantes, notamment dans le département de la Charente-Maritime, considérant que la notion de limite d’âge, à savoir soixante ans, dans les structures pour adultes handicapés est assez floue.
En effet, d’une part, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées tend à confirmer leurs droits et leur statut, quel que soit leur âge, en favorisant leur maintien dans les établissements pour personnes handicapées.
Il existe de fortes pressions de la part des familles, inquiètes de leur avenir, pressions qui s’exercent essentiellement sur les gestionnaires souhaitant aussi conserver un effet de filière associative.
Par ailleurs, ce même texte ou les décrets afférents, codifiés au sein du code de l’action sociale et des familles, semblent limiter le rôle de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées à l’âge de soixante ans, puisque les textes concernant les personnes handicapées de plus de soixante ans en établissements font référence non plus à la notion d’orientation, mais au fait de statuer sur leur accompagnement.
Dès lors, on peut se demander s’il faut voir là une limite d’âge de fait dans le rôle des établissements pour adultes, qui ne devraient plus alors accueillir de personnes handicapées à partir de soixante ans. Madame la secrétaire d’État, quelle interprétation faut-il faire de cette contradiction ?
En Charente-Maritime, le schéma départemental en faveur des personnes adultes handicapées pour la période 2013-2017 traite de cette problématique, et ce dans un contexte financier très contraint. Le département a, malgré tout, souhaité structurer la fluidité des parcours de vie, autrement dit organiser l’accueil des personnes handicapées vieillissantes dans des structures pour personnes âgées, avec un projet adapté, sous des formes multiples, afin de permettre l’accueil des plus jeunes, notamment ceux qui sont maintenus en établissements pour enfants et adolescents handicapés au titre de l’amendement « Creton », en profitant des places libérées dans les établissements pour adultes.
Aussi y a-t-il lieu, madame la secrétaire d’État, de s’interroger sur la manière dont le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement traite de la situation des personnes handicapées vieillissantes, ainsi que sur la façon dont ce texte organise le décloisonnement entre deux secteurs de prise en charge, à savoir celui des personnes âgées et celui des personnes handicapées.
On peut également se demander si le projet de loi prévoit ou non de fixer une limite d’âge aux structures du handicap pour préserver le projet initial de ces structures, qui est aussi d’accompagner les jeunes adultes.
Enfin, comment ne pas aborder la question de l’équité quand des personnes handicapées vieillissantes, qui n’ont pas pu travailler au cours de leur vie, sont hébergées en foyer occupationnel, en foyer d’accueil médicalisé, alors que cette limite d’âge et de prise en charge est clairement fixée pour des travailleurs handicapés qui ont atteint l’âge de la retraite et qui ne sont alors plus accueillis en établissements ou services d’aide par le travail, ni même en foyer d’hébergement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la sénatrice, vous faites référence au projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement. À ce sujet, je voudrais d’abord redire que ce texte ambitieux et très attendu par nos concitoyens sera définitivement voté avant la fin de l’année, pour une pleine et entière entrée en vigueur au 1er janvier 2016.
Je profite également de l’occasion qui m’est donnée d’être ici, au Sénat, pour me féliciter encore de la qualité des débats parlementaires et du vote de la Haute Assemblée sur ce projet de loi, le 19 mars dernier, sans qu’aucune voix s’y oppose.
J’en reviens à vos interrogations, madame la sénatrice, quant à la portée du texte sur le champ du handicap, et plus particulièrement sur les personnes handicapées vieillissantes.
Ce public, qui se situe au croisement des dispositifs « handicap » et « personnes âgées », demande en effet une attention particulière. Je m’efforce d’y répondre, en lien étroit avec ma collègue Ségolène Neuville.
Nous avons notamment accéléré la publication, en mars 2015, par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, l’ANESM, d’une recommandation relative à l’adaptation de l’intervention auprès des personnes handicapées vieillissantes.
Au cœur du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, la recherche de complémentarité et de cohérence entre les deux publics est constante, notamment avec la mise en place, au niveau local, des CDCA, les conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie, qui favoriseront l’approche globale des deux groupes de population.
De même, le texte apporte des garanties concernant les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, au travers de l’encadrement législatif des maisons départementales de l’autonomie, les MDA.
Sur la délicate question des barrières d’âge que vous soulevez, le Gouvernement a soutenu l’introduction d’un article 30 bis prévoyant la remise d’un rapport au Parlement sur l’incidence des seuils de soixante ans et soixante-quinze ans pour l’attribution des prestations. Ce rapport, qui devra être remis dans les six mois suivant la promulgation de la loi, nous permettra de pallier le manque d’indicateurs budgétaires sur l’effet de telles mesures.
Enfin, sur le plan financier, j’ai souhaité que les mesures d’anticipation de la loi, prises dès cette année à hauteur de 83 millions d’euros sur la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, aient également une incidence positive sur le secteur du handicap. Je citerai notamment l’abondement du fonds de compensation du handicap, la revalorisation des salaires des aides à domicile, le soutien au programme d’adaptation des logements privés à la perte d’autonomie ou encore le plan pluriannuel d’aide à l’investissement pour les établissements pour personnes âgées et personnes handicapées.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse. Comme vous l’avez dit, il s’agit d’une question délicate, qui n’est pas simple à régler.
Nous nous heurtons, dans les départements, à cette limite d’âge, car il ne faut pas oublier qu’un réel problème se pose également avec les jeunes adultes handicapés maintenus dans les établissements pour enfants.
Dans le département de la Charente-Maritime, nous avons travaillé, en concertation avec les établissements, pour réorganiser le secteur à moyens constants, en créant de nouvelles places et en en fermant d’autres qui n’étaient pas occupées, pour permettre la fluidité du parcours que nous appelons de nos vœux.
J’espère que nous pourrons avancer sur cette question technique et délicate de l’approche globale, afin que les choses soient clairement définies, ce qui aidera nos services, lesquels travaillent de façon très étroite avec les établissements.
modalités de financement pour les établissements de santé isolés géographiquement
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la question n° 1060, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
M. Franck Montaugé. J’ai souhaité attirer l’attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes sur les modalités dérogatoires de financement des établissements publics de santé isolés géographiquement et situés dans des zones à faible densité de population, introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
La circulaire n° DGOS-R1-2014-366 du 29 décembre 2014 relative à la campagne tarifaire 2014 des établissements de santé précisait, en son annexe V, les modalités de financement des activités isolées en indiquant ceci : « La LFSS pour 2014 a introduit une disposition relative au financement des activités isolées. Elle vise à corriger les limites du modèle actuel de financement des établissements de santé reconnus comme étant géographiquement isolés. »
Elle poursuivait : « Un décret d’application précisant les critères d’isolement géographique, la procédure de sélection des établissements éligibles et les modalités de financement est en cours d’examen par le Conseil d’État. Les établissements qui bénéficient de ce financement pour 2014, pour un montant total de 19,3 millions d’euros, répondent aux critères d’éligibilité décrits dans le projet de décret en Conseil d’État. Les directions générales des ARS ont été consultées et se sont prononcées sur les critères, et sur la liste des établissements ».
Dans le cadre de ce décret d’application et des critères régissant l’éligibilité des établissements de santé à ce régime dérogatoire de financement, je vous demande de bien vouloir nous indiquer dans quelle mesure certains établissements, notamment le centre hospitalier public d’Auch, en Gascogne, à la lumière de leur caractère singulier, pourraient bénéficier de financements complémentaires ?
En effet, malgré un écart entre le niveau d’activité, parfois insuffisant, d’un site et les seuils économiques théoriques des référentiels, le maintien de financements doit permettre de garantir un accès équitable aux soins à l’ensemble de la population en rendant possible la conservation, dans les territoires faiblement dotés, d’une offre de soins, dont la qualité ne doit pas dépendre uniquement du volume d’activité.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, la disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 relative au financement des activités isolées vise à corriger l’inadaptation du modèle actuel de financement des établissements de santé reconnus comme étant géographiquement isolés.
Ces établissements ont bien souvent un volume d’activité insuffisant pour garantir un niveau de financement permettant d’équilibrer leur budget de fonctionnement. Pourtant, leur maintien est indispensable pour répondre aux besoins de santé de la population locale.
L’adaptation consiste donc à mettre en place un financement complémentaire à la tarification à l’activité pour les activités concernées par cette situation d’isolement géographique.
Les critères d’éligibilité, en particulier l’isolement géographique, ont été précisés par décret en date du 17 février 2015.
L’établissement d’Auch, s’il présente une singularité dans l’offre de soins, ne répond cependant pas à l’ensemble des critères permettant de bénéficier d’une aide nationale.
Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a cependant demandé à l’agence régionale de santé de suivre avec une attention particulière la situation de cet établissement, en particulier s’agissant du renforcement de ses activités et de leur articulation dans l’offre de soins du territoire.
Tout comme vous, Mme la ministre est particulièrement vigilante sur le rôle que jouent les établissements comme celui d’Auch pour garantir une offre de soins accessible à tous et de proximité.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Je remercie Mme la secrétaire d’État de sa réponse. Je saisis cette occasion pour réaffirmer la nécessité de prendre en compte les équipements sanitaires publics des territoires ruraux, en particulier quand ces territoires se situent dans l’orbite de métropoles largement pourvues en équipements sanitaires, comme il se doit. Il faut cependant veiller à ce que tous les moyens sanitaires ne soient pas concentrés dans ces métropoles. Or les intentions du Gouvernement et les dispositions qui ont été annoncées vont en ce sens, ce que je tenais à saluer.
prise en charge du traitement des malades touchés par le syndrome d’arnold-chiari
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la question n° 1055, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la malformation de Chiari est une maladie rare, orpheline, qui consiste en un déplacement vers le bas de la portion caudale du cervelet. La syringomyélie est également une maladie rare et orpheline qui creuse des cavités dans la moelle épinière ; elle est très douloureuse et extrêmement handicapante. Ces deux maladies sont souvent associées. Dans leurs types les plus graves, les symptômes sont particulièrement handicapants : une mauvaise circulation du liquide céphalo-rachidien provoque une hypertension intracrânienne, des retards psychomoteurs ou même la paralysie complète, et, parfois, une mort subite.
Actuellement, les patients souffrant de ces pathologies se voient proposer, en France, des traitements médicamenteux palliatifs de la douleur, ainsi que la craniectomie, opération lourde et risquée dite de « décompression ». Il s’avère que ces deux réponses, si elles peuvent soulager temporairement le patient, ne permettent pas de bloquer l’évolution de la maladie.
Dans le même temps, l’Espagne autorise depuis de nombreuses années un acte chirurgical qui consiste à sectionner le filum terminale extradural. Un institut spécialisé dans cette pathologie existe à Barcelone. Je ne suis pas spécialiste, mais l’opération se révèle à la fois moins onéreuse, moins invasive et plus efficace, si l’on en croit les témoignages des malades. Cette technique semble permettre un soulagement définitif et arrêter l’évolution de la maladie. L’intervention permet, dans la plupart des cas, de recouvrer une activité normale quelques semaines, voire quelques mois, après l’opération.
Il semble que cette intervention ne soit pas automatiquement remboursée par les caisses d’assurance maladie françaises et reste, par conséquent, à la charge des patients et de leur famille. Si, dans certains départements, des familles ont bénéficié d’un remboursement, tel n’est pas le cas sur tout le territoire. Est-il possible, madame la secrétaire d’État, d’envisager une prise en charge complète de cette intervention par la sécurité sociale, quelle que soit la région de rattachement du patient ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la sénatrice, comme vous l’avez indiqué, la maladie d’Arnold-Chiari est une malformation congénitale du cervelet. Cette maladie rare peut provoquer une hypertension intracrânienne ou certains troubles neurologiques.
Une proportion importante de cas de malformation de Chiari de type 1, l’une des formes de cette maladie, conduit le malade à développer des lésions de la moelle épinière et, par conséquent, des symptômes tels que des troubles de la motricité ou de la sensibilité des membres supérieurs et inférieurs, pouvant aller jusqu’à la paralysie complète.
L’opération la plus courante est aujourd’hui la craniectomie, ou craniotomie. Quelques équipes neurochirurgicales proposent la section du filum terminale extradural. Cette opération, pratiquée en particulier en Espagne, est très controversée.
La prise en charge par l’assurance maladie des interventions chirurgicales programmées dans les pays de l’Union européenne est subordonnée, par la loi, à une autorisation préalable du service médical de l’assurance maladie. Cette autorisation peut être refusée, selon les termes mêmes de la loi, si « les soins envisagés ne figurent pas parmi les soins dont la prise en charge est prévue par la réglementation française », ce qui est le cas de l’intervention chirurgicale pratiquée par certains chirurgiens étrangers pour traiter la syringomyélie.
En effet, la littérature médicale scientifique ne permet pas aujourd’hui de se prononcer sur l’efficacité de ce traitement. Cependant, la France dispose, parmi ses centres de référence pour les maladies rares, d’un centre de référence des syringomyélies, l’hôpital de Bicêtre, qui relève de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Ce centre a mis en place un protocole de recherche sur l’utilité de l’intervention chirurgicale pour le traitement des syringomyélies à l’exclusion des indications habituelles, afin d’établir d’une façon rigoureuse et scientifique la pertinence de cette intervention chirurgicale.
À l’issue de cet essai, si les résultats sont probants, une saisine de la Haute Autorité de santé pourra être effectuée par la société savante de neurochirurgie, afin d’inscrire cet acte à la classification commune des actes médicaux en vue de sa prise en charge par l’assurance maladie. Il est donc nécessaire de poursuivre l’évaluation en cours de l’efficacité de ce traitement avant de lancer les travaux avec la Haute Autorité de santé pour permettre, à terme, une prise en charge par l’assurance maladie.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Je suis ravie que les spécialistes se penchent aujourd’hui sur cette question douloureuse. Reste le problème de l’inégalité face au remboursement : lorsque des patients intentent des recours, ils obtiennent le remboursement dans certains départements seulement. J’espère que les conclusions des études en cours permettront, dans un bref délai, d’accorder un remboursement à tous les patients atteints de cette maladie.
délivrance d’un duplicata du permis de conduire aux français de l’étranger
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la question n° 1057, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question s’adressait effectivement à M. le ministre de l’intérieur, mais je ne doute pas que Mme la secrétaire d’État saura me répondre. Cette question porte sur les difficultés rencontrées par les Français de l’étranger égarant ou se faisant voler un permis de conduire et qui, faute de résidence en France, sont trop souvent contraints de repasser l’examen.
Lors des récents débats au Sénat sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le ministre Emmanuel Macron a indiqué que le décret d’application allait enfin paraître cet été, répondant ainsi indirectement à ma question écrite de février 2014 portant sur ce sujet et restée sans réponse à ce jour. Il a mentionné le fait que certaines conclusions juridiques nécessaires à la rédaction définitive du décret étaient attendues pour le mois d’avril. Pourriez-vous nous informer de leur teneur, madame la secrétaire d’État ?
Par ailleurs, le Sénat a voté un amendement des sénateurs représentant les Français de l’étranger visant à donner aux consulats des compétences proches de celles des préfectures en matière de délivrance de duplicatas du permis, permettant ainsi d’inscrire ce principe dans la loi. Nous espérons donc que l’Assemblée nationale conservera cette mesure. Quel que soit le sort de cet amendement, il me semble essentiel de veiller à ce que les décrets d’application couvrent bien l’intégralité des questions posées dans la résolution de l’Assemblée des Français de l’étranger de mars 2015, dont le champ est nettement plus large que l’amendement voté au Sénat.
Cette résolution demandait au Gouvernement de permettre aux postes consulaires de délivrer des duplicatas de permis de conduire en cas de vol ou de perte et des permis de conduire internationaux ; d’habiliter les consulats à délivrer le relevé d’information restreint ; de simplifier la procédure de « rétablissement des droits à conduire » pour les Français qui ont été titulaires d’un permis de conduire français et qui reviennent en France ; de tenir l’assemblée des Français de l’étranger informée des négociations bilatérales menées par la France en matière d'échanges et de reconnaissance des permis de conduire ; de veiller à la bonne information des expatriés par la publication d’un fascicule d’information et la mise à jour du site internet du ministère des affaires étrangères sur ces questions ; enfin, de négocier avec nos partenaires européens pour que la réussite à l’examen du code de la route soit reconnue en Europe.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous prendre, au nom du Gouvernement, l’engagement que le ou les décrets d’application couvriront bien l’ensemble de ces points ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du M. le ministre de l’intérieur.
La situation des Français établis à l’étranger, qui ont perdu ou se sont fait voler leur permis de conduire français, est examinée avec attention par le Gouvernement. Cette question a, comme vous l’avez rappelé, fait l’objet d’un amendement parlementaire adopté à l’unanimité par le Sénat le 10 avril dernier, lors de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Cet amendement ouvre la possibilité pour les Français résidant à l’étranger de se voir délivrer un permis de conduire par les consulats, qu’ils aient ou non conservé un lien résidentiel avec la France. La conformité de cet amendement avec la directive européenne du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire n’est cependant pas totalement certaine.
Ainsi, cette directive subordonne, dans ses articles 7 et 12, la possibilité pour un conducteur de solliciter un permis de conduire auprès d’un État à la condition qu’il ait fixé sa résidence normale sur le territoire de cet État, autrement dit qu’il y réside habituellement plus de 185 jours par an. Aussi, la demande d’un permis de conduire français ne semble pouvoir être ouverte qu’aux ressortissants français ayant conservé leur résidence normale en France.
Bien sûr, le Gouvernement est pleinement conscient du facteur d’intégration important que constitue la possibilité de conduire un véhicule à l’étranger. C’est la raison pour laquelle il présentera au Conseil d’État, dans les prochaines semaines, devançant ainsi l’adoption de la loi précitée et de ses décrets d’application, un projet de décret modifiant l’article R. 225-2 du code de la route afin de permettre notamment aux conducteurs titulaires d’un permis français qui y sont autorisés par la réglementation européenne de demander le renouvellement de leur titre perdu, volé ou détérioré auprès du poste consulaire dont ils dépendent. Après avoir vérifié leur identité, ce poste transmettra, par la valise diplomatique, la demande à la préfecture chargée de l’instruction. Le Gouvernement proposera en conséquence un amendement au projet de loi précité pour fiabiliser ce dispositif juridique.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je remercie Mme la secrétaire d’État de cette réponse. Je souhaite simplement souligner le problème posé par la procédure des questions écrites et des questions orales. Ma question écrite, posée en février 2014, n’avait toujours pas reçu de réponse après quinze mois. En l’espèce, l’amendement que nous avions déposé nous a permis d’obtenir une réponse. Je pense cependant que, si le Gouvernement faisait un effort pour répondre plus rapidement à nos questions écrites, nous y gagnerions tous.
En ce qui concerne ma question, il reste du travail à faire. Un certain nombre de problèmes avaient été évoqués par les Français de l’étranger, car ils sont très importants pour leur manière de vivre, de travailler et de se déplacer en Europe, et la réponse que vous nous avez donnée, madame la secrétaire d’État, n’est pas totalement satisfaisante.
Il faut évidemment examiner la conformité de la solution juridique proposée par le Gouvernement à la directive européenne. Je souhaite toutefois attirer votre attention sur le fait que les Français expatriés, même s’ils n’ont pas une résidence habituelle en France, se rendent régulièrement dans notre pays. Il est donc très important de faire vivre cette double citoyenneté en leur permettant de vivre, de conduire, et d’avoir accès à une représentation administrative non seulement dans leur pays de résidence, mais également en France.
encadrement des droits-télé de football au niveau européen et équité sportive
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, auteur de la question n° 1081, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’orée de ce millénaire, la France remportait successivement la Coupe du monde et le Championnat d’Europe de football. Les clubs de l’élite se montraient particulièrement compétitifs sur la scène européenne, attirant de nombreux joueurs du gotha international, conséquence partielle de l’arrêt Bosman rendu par la Cour de justice des Communautés européennes en 1995.
Aujourd’hui, la situation des clubs professionnels français est nettement plus contrastée. Pour la plupart, les marges de manœuvre budgétaires se sont considérablement réduites, influant directement sur les résultats sportifs. Pour preuve, en dix ans, la France a perdu deux places à l’indice UEFA, passant de la quatrième à la sixième place.
Si la diminution des ressources financières a pu avoir des externalités positives, favorisant l’émergence de nouvelles politiques de développement axées sur la formation, par exemple, il n’en demeure pas moins vrai que, dans leur ensemble, les clubs professionnels ont perdu en compétitivité à l’échelle européenne.
Ce phénomène s’explique, dans une certaine mesure, par le décrochage croissant observé en matière de droits de retransmission audiovisuelle entre le championnat français et la majorité des principaux championnats européens, en particulier le championnat anglais. De 607 millions d’euros actuellement pour la Ligue 1, ils seront de 748,5 millions d’euros pour la période 2016-2020. Ils atteindront 945 millions d’euros pour la série A en Italie et culmineront à près de 7 milliards d’euros pour la Premier League anglaise de football, pour les saisons de 2016 à 2019. En d’autres termes, à partir de 2016, les droits de retransmission télévisée, qui constituent un peu plus de la moitié du chiffre d’affaires des clubs européens en moyenne, seront dix fois plus importants en Angleterre qu’en France.
Or, l’écart est d’ores et déjà abyssal puisque le dernier de la Premier League perçoit pratiquement deux fois plus que le premier de la Ligue 1. Avec l’entrée en vigueur des nouveaux contrats, le risque est donc que le décrochage entre les clubs européens et anglais ne s’accentue au point de porter éventuellement préjudice à l’intérêt sportif des compétitions européennes.
C’est pourquoi, dans le cadre du « fair-play financier », règle de bonne gestion financière soutenue par la Commission européenne et mise en œuvre à partir de la saison 2011-2012 au titre de l’équité sportive, une réflexion pourrait être conduite avec l’Union des associations européennes de football, l’UEFA, afin d’encadrer et d’harmoniser les règles relatives aux droits de retransmission audiovisuelle du football. S’il ne saurait bien sûr être question de porter atteinte à la libre concurrence sur le plan économique, il s’agit de renforcer la concurrence sur le plan sportif.
Je souhaite par conséquent connaître la position du Gouvernement quant à cette initiative. De plus, quelles mesures sont-elles préconisées pour développer l’attractivité du championnat français et des clubs professionnels, lequel a une incidence mécanique sur les droits de retransmission télévisée ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Madame la sénatrice, je dois relever une omission dans votre question. En citant les grandes victoires françaises, vous avez oublié 1993 et la victoire en ligue des champions de l’Olympique de Marseille, seul club français à avoir gagné cette compétition. Je me devais, devant le président Jean-Claude Gaudin, de relever cette légère erreur ! (Sourires.)
Mme Sylvie Robert. Vous avez bien fait !
M. le président. Vous êtes déjà pardonnée, ma chère collègue ! (Nouveaux sourires.)
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Vous appelez mon attention sur l’écart croissant des droits de retransmission audiovisuelle du football entre les principaux championnats européens et la Premier League anglaise, conséquence du contrat assez faramineux que cette dernière vient de signer. Cette situation, qui est préoccupante – vous l’avez très bien exprimé – pose la question de l’équité dans une compétition entre des clubs qui n’auront pas la même position sur la ligne de départ.
Je rappelle tout d’abord que la solution à ce problème ne peut être réglementaire quand bien même cette réglementation serait européenne. En effet, si la Commission européenne est intervenue à plusieurs reprises à titre préventif sur la vente des droits d’exploitation audiovisuelle dans le sport, c’est essentiellement pour s’assurer de la portée concurrentielle de ces transactions. Il paraît donc difficile qu’elle puisse intervenir afin de limiter la marge de manœuvre des titulaires des droits en matière de fixation des prix.
De plus, une telle intervention serait considérée comme une entrave à la concurrence. En effet, l’acquisition des droits télévisuels est étroitement liée aux marchés de la télévision en aval. Si la Ligue 1 française a pu multiplier par six depuis 1998 ses droits de diffusion, c’est en grande partie par le jeu de la concurrence entre acteurs télévisuels, notamment par l’émergence d’un nouvel acteur sur ce marché, la chaîne beIN SPORTS.
Les solutions sont donc à rechercher ailleurs. Comme vous le suggérez, c’est au sein de l’UEFA que pourrait être menée une réflexion en vue de permettre une meilleure mutualisation des produits issus de la vente des droits télévisuels des compétitions de clubs organisées par l’UEFA, produits qui se sont élevés, au titre de l’année 2013-2014, à près de 1,347 milliard d’euros. Ce serait un élément tout à fait intéressant du « fair-play financier » que de contrebalancer certaines inégalités territoriales.
En ce qui concerne la Ligue 1, la première condition à la fois de l’augmentation des droits télévisés et de la diversification des ressources du football professionnel est l’amélioration de son attractivité. En effet, il ne suffit pas d’être compétitif, encore faut-il être attractif.
Ainsi, dans la loi de finances pour 2015, le Parlement, sur proposition du Gouvernement, a substitué à la taxe sur les spectacles, qui nuisait à la compétitivité du sport professionnel, une TVA à taux réduit. De même, certaines contraintes pesant sur l’affichage publicitaire dans les enceintes sportives sont en train d’être levées dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
J’ajoute que les différentes mesures fiscales engagées par le Gouvernement pour renforcer la compétitivité de nos entreprises bénéficient également aux clubs professionnels.
Ce travail doit être poursuivi. Je sais que la Ligue nationale de football professionnel travaille sur cette question. Je vais d’ailleurs vous faire une confidence, j’ai moi-même saisi le président Michel Platini des inégalités qui se créent aujourd'hui par rapport non seulement aux droits audiovisuels, mais aussi aux diverses règles fiscales applicables aux différents clubs selon le pays qu’ils représentent. Peut-être des coefficients de péréquation pourraient-ils permettre de répondre à votre préoccupation. Ce travail doit être poursuivi, notamment via l’encouragement de l’appropriation par les clubs du formidable levier de développement que constituent les stades.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour votre réponse étayée. Je suivrai très attentivement l’évolution de cette réflexion.
possibilité d'effectuer un service civique auprès des bailleurs sociaux
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1038, adressée à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur la possibilité d’élargir le service civique aux bailleurs sociaux.
Créé en 2010, le service civique est un engagement volontaire, pour les jeunes Français âgés de seize à vingt-cinq ans, qui vise à renforcer la cohésion nationale et la citoyenneté. Depuis 2010, 81 000 jeunes de seize à vingt-cinq ans ont participé à une mission, pour 80 % d’entre eux dans le secteur associatif.
En février 2014, la Cour des comptes a souligné que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 prévoit un objectif de montée en charge du dispositif qui se traduit par un budget de 170 millions d’euros pour 2015 et qui devrait atteindre 221 millions d’euros à l’horizon de 2017.
La Cour des comptes préconise donc la nécessité de trouver un certain nombre de missions nouvelles, sans toutefois créer un risque de substitution à l’emploi. Parmi les neuf domaines d’intervention reconnus prioritaires par la nation pour l’accomplissement d’une mission d’intérêt général, la solidarité répond bien aux missions que pourraient mener des jeunes au sein des organismes d’habitations à loyer modéré, dont les objectifs demeurent le droit au logement, la cohésion et la mixité sociale.
Ces missions auprès des bailleurs sociaux permettraient de renforcer l’intégration citoyenne des jeunes dans la vie municipale et les encourageraient à s’impliquer pour leur quartier. Elles renforceraient également la prise de conscience de leur environnement, notamment par le respect des biens, lesquels sont trop souvent dégradés de façon répétée au sein du parc de logements sociaux. De plus, elles seraient un facteur d’insertion sociale puisque, selon une étude de l’Agence du service civique, 75 % des volontaires travaillent ou étudient après la fin de leur engagement.
Lors de sa conférence de presse du 5 février 2015, le Président de la République a annoncé, d’une part, la création d’un service civique universel et, d’autre part, l’obligation pour l’Agence du service civique d’accepter la demande de mission formulée par tout jeune à partir du 1er juin 2015.
Monsieur le secrétaire d'État, comptez-vous élargir les missions de service civique aux bailleurs sociaux pour les jeunes qui en formuleraient la demande et, si oui, comment entendez-vous répartir l’organisation du service civique au sein de ces organismes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé, le Président de la République a fait du développement du service civique dans notre pays une priorité pour permettre à chaque jeune qui en fait la demande de bénéficier du service civique. C’est un signal fort de confiance auprès de la jeunesse de notre pays.
Ces jeunes étaient 35 000 en 2014, ils seront 70 000 à la fin de l’année. Cette montée en puissance, qui traduit le volontarisme du Gouvernement et l’entière mobilisation sur cette question de Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, suppose également des moyens et des choix. Ce sont 73 millions d’euros qui viennent abonder le budget alloué au service civique dès 2015. Les choix sont de préserver la qualité des missions en termes tant de durée que de contenu.
Nous voulons donc solliciter l’ensemble des acteurs – et pas seulement le secteur associatif – ainsi que l’ensemble des partenaires publics au travers des trois fonctions publiques.
Cette mobilisation indispensable, il nous faut donc l’encourager, avec le développement de missions au sein des bailleurs sociaux, qui peuvent déjà accueillir des jeunes volontaires.
En effet, les agréments en service civique peuvent être délivrés aux organismes sans but lucratif ou à des personnes morales de droit public. Nombre d’organismes sont éligibles de par leur statut : c’est le cas des offices publics de l’habitat, les OPH, et des sociétés coopératives d’HLM ayant le statut de SCIC, société coopérative d’intérêt collectif.
Les OPH de Valence et du Pays Brive ont ainsi accueilli des volontaires d’Unis Cité et d’une mission locale.
Concernant la qualité des missions, les OPH pourront apporter leur plus-value par des thématiques nouvelles autour du « savoir habiter » : former les habitants aux gestes quotidiens en faveur de l’environnement pour réaliser des économies d’énergie, diffuser des messages de prévention auprès des habitants en vue de lutter contre les incivilités, sensibiliser au tri, etc.
Enfin, les bailleurs sociaux pourraient proposer des solutions de logement destinées aux volontaires. Cela fait partie des réponses à mobiliser pour accompagner la mobilité des jeunes sur le territoire national.
Vous le voyez, en réponse à votre question pertinente, les bailleurs sociaux ont toute leur place dans le grand chantier qu’est le service civique pour permettre à chaque jeune de pouvoir vivre cette expérience.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse que j’accueille avec satisfaction. Il me paraît en effet important que les organismes sociaux – je préside moi-même un important office public de l’habitat dans les Alpes-Maritimes – puissent accueillir des jeunes pour leur permettre d’accomplir leur service civique et les ouvrir sur des missions que vous avez rappelées : le bien-vivre ensemble, l’éco-citoyenneté, les accès aux droits de l’ensemble de ces populations…
Convaincue que le service civique est un passeport important pour bon nombre de jeunes, je vais donc d’ores et déjà étudier comment Côte d’Azur Habitat, le premier bailleur social dans le département des Alpes-Maritimes et le cinquième en France, pourra accueillir ces jeunes afin de les aider à acquérir une formation, une expérience, ce qui facilitera leur insertion dans la vie sociale et professionnelle.
devenir de la profession des guides-conférenciers
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, auteur de la question n° 1058, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Gisèle Jourda. Ma question porte sur le devenir de la profession des guides-conférenciers sur notre sol.
Pour le département de l’Aude, le tourisme constitue l’un des axes majeurs du développement économique. Historiquement liés à la mise en exergue du patrimoine audois, les guides-conférenciers sont l’élément moteur de qualité de sa mise en valeur.
Une réforme récente soulève la question de sa déréglementation, laquelle impacte au bas mot une trentaine de guides-conférenciers pour ce qui concerne notre territoire.
La réglementation des métiers du guidage a été réformée par le décret du 1er août 2011 relatif aux personnes qualifiées pour la conduite de visites commentées dans les musées et monuments historiques. Ainsi, les quatre professions réglementées de guide-interprète régional, guide-interprète national, guide-conférencier des villes et pays d’art et d’histoire et guide-conférencier national ont été remplacées par une unique profession, celle de guide-conférencier.
La formation universitaire pour y accéder dispense des enseignements en histoire, en histoire de l’art, en médiation culturelle, en langues étrangères, mais surtout une approche technique du métier qui en garantit la spécificité et la qualité, aboutissant à la délivrance d’une carte professionnelle dont seule l’obtention permet l’exercice du métier de guide.
L’article 10 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises a remplacé certains régimes d’autorisation préalable par des régimes déclaratifs. Ce système déclaratif permettra ainsi à toute personne désirant conduire des visites guidées de le faire sans diplôme spécifique, autrement dit sans garantie ni contrôle des compétences et contenus scientifiques. Ainsi, il sera possible de faire visiter la cité de Carcassonne, classée au patrimoine mondial de l’humanité, sans avoir à prouver ses connaissances sur le patrimoine audois.
Cette loi de simplification vise également à simplifier les dispositifs de droits de parole pour les guides étrangers ressortissants de l’Union européenne, mais ce sans valeur de réciprocité et sans qu’aucun contrôle ne soit mis en place pour s’assurer de l’exactitude de leurs propos !
Quel dommage pour notre patrimoine, et quel contresens lorsque l’on connaît notre investissement en vue du classement des châteaux du pays cathare au patrimoine mondial de l’humanité !
L’effet d’aubaine créé par ce texte aura des conséquences dommageables pour la qualité de la profession et, a fortiori, pour les acteurs touristiques locaux qui s’en trouveront affaiblis.
« Affaibli » est le terme adéquat, car la profession de guide-conférencier est déjà soumise à une grande précarité due à la saisonnalité de son activité, mais également à sa nécessaire organisation autour du travail à la vacation ou à la prestation.
N’oublions pas que la plupart des guides-conférenciers sont des travailleurs indépendants, qui contribuent à l’essor économique de notre territoire grâce à leur activité d’entrepreneur. Cette ouverture unilatérale à la concurrence et à la compétitivité menace donc clairement la profession.
C’est pourquoi je souhaiterais connaître les intentions exactes du Gouvernement en la matière. Quel sera le contenu des ordonnances ? Qu’envisagez-vous en termes de modalités de contrôle et de sanctions ? Comptez-vous prévoir des aménagements ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Madame la sénatrice, je ne sais pas si je répondrai à toutes les questions que vous avez posées, mais je vais en tout cas vous donner le point de vue du Gouvernement
Le régime professionnel des guides-conférenciers a connu en 2011 une refonte importante, qui a permis la création d’un statut unique. La délivrance de la carte professionnelle en préfecture sur production de pièces attestant des qualifications, diplômes et formations requis matérialise cette réforme.
Environ 10 000 guides-conférenciers sont actuellement détenteurs de la carte professionnelle.
L’annonce d’une ordonnance supprimant cette carte et instaurant un régime déclaratif se substituant au régime actuellement en vigueur a suscité de nombreuses réactions, notamment de la part des associations de guides-conférenciers.
Redoutant la dégradation des conditions d’exercice de leur métier, la déqualification des prestations et le recrutement d’un personnel insuffisamment formé, les organisations professionnelles du secteur ont immédiatement alerté les services de Mme la ministre de la culture et de la communication. Leurs inquiétudes, relayées par de nombreux parlementaires, mettent en lumière le maillage territorial de cette profession qui participe activement aux enjeux de développement touristique en valorisant le réseau patrimonial français, dont la densité est exceptionnelle.
Au sein d’un comité de pilotage interministériel formé en octobre 2014, Mme la ministre de la culture et de la communication a fait valoir que des pistes d’amélioration de la réforme de 2011 devaient être envisagées, mais qu’elles devaient être concertées avec les organisations professionnelles concernées. Elle a rappelé par ailleurs l’urgence de dispositions spécifiques à concevoir pour les tour-opérateurs établis en dehors de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.
Les organisations professionnelles représentant les guides-conférenciers ont été reçues à différentes reprises. Le 3 mars dernier, les éléments d’information suivants leur ont été présentés.
Le régime d’autorisation préalable d’exercice du métier de guide-conférencier ainsi que la carte ou le badge professionnel sont conservés, et les évolutions envisagées ne nécessitent pas le recours à un projet d’ordonnance.
Des actualisations seront ainsi apportées à l’arrêté listant les diplômes et les formations requis, en réintroduisant notamment des établissements d’enseignement supérieur du ministère de la culture et de la communication dans la liste des établissements habilités.
Le passage à la dématérialisation de la procédure administrative d’autorisation d’exercer est envisagé à l’horizon 2016, avec la création d’un registre national en ligne.
Ce registre, régulièrement mis à jour, aura également pour vocation de valoriser la profession et ses domaines de compétences. Les organisations professionnelles seront associées à cette transition numérique.
Enfin, Mme la ministre de la culture et de la communication a rappelé qu’un groupe de travail sur les métiers du guidage et de la médiation sera mis en place prochainement.
Telles sont, madame la sénatrice, les éléments que Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, m’a demandé de vous transmettre.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. J’ai bien noté, monsieur le secrétaire d’État, la volonté de concertation et d’association des organismes touchés par cette refonte du métier de guide-conférencier.
Nous serons vigilants à cet égard, car il faut absolument soutenir ces entrepreneurs qui, en réalisant le maillage de notre territoire, assurent la spécificité de l’identité culturelle française.
avenir de la ligne sncf de ter entre charleville-mézières et givet
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, auteur de la question n° 1059, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Marc Laménie. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur l’avenir des conditions de transport de voyageurs et de fret de la ligne SNCF de TER entre Charleville-Mézières et Givet, dans les Ardennes.
Sur cette ligne de la vallée de la Meuse longue de soixante-quatre kilomètres, qui a une riche histoire et compte 800 000 voyageurs annuels, les conditions de transport se sont notablement dégradées. En l’espace de trente ans, en effet, la durée du trajet est passée de cinquante-deux minutes à une heure et dix minutes. Cette dégradation est due à un déficit d’entretien sur cette période – ce problème ne se pose pas seulement dans les Ardennes ! –, rendant cette double voie difficilement praticable à certains endroits, ce qui est source de ralentissements à trente voire à dix kilomètres à l’heure. Priorité est due, en effet, à la sécurité des voyageurs.
Les travaux de maintenance effectués par Réseau ferré de France au cours des dernières années n’ont pas permis de combler le retard et se révèlent insuffisants pour garantir la pérennité de la ligne, dont le coût total de remise en état est évalué entre 130 et 150 millions d’euros, compte tenu du grand nombre d’ouvrages d’art et de tunnels qu’elle comporte.
Or cet axe ferroviaire de la vallée de la Meuse est de première importance dans le schéma des transports ardennais et représente fondamentalement un outil d’aménagement du territoire sur le plan tant économique que touristique, avec le projet de réouverture vers la Belgique de la section Givet-Dinant.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures peuvent être prises à court et à moyen terme pour conforter l’existence de ce transport public, qui est le deuxième plus fréquenté de Champagne-Ardenne. Cette voie ferrée est en effet indispensable pour l’avenir des Ardennes, compte tenu de la nécessaire participation financière de l’État et des collectivités territoriales, engagée depuis 2007 dans le cadre du contrat de développement économique.
La poursuite des travaux d’investissement doit constituer une priorité au titre de la politique de soutien aux transports ferroviaires de voyageurs et de fret.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, la ligne ferroviaire reliant Charleville-Mézières à Givet, parcourue par des TER de la région Champagne-Ardenne, est en effet une des liaisons les plus fréquentées de cette région. C’est la raison pour laquelle elle a bénéficié, entre 2008 et 2013, de 55 millions d’euros de travaux de modernisation de la voie dans le cadre du contrat de développement économique des Ardennes 2007-2013, ainsi que sur fonds propres de SNCF Réseau.
Ces travaux ont permis la modernisation de treize kilomètres de voies, et des interventions sur trois tunnels et deux ponts de franchissement de la Meuse. En outre, je rappelle que la maintenance annuelle de la ligne s’élève à 4,5 millions d’euros, intégralement financée par SNCF Réseau.
Certaines portions de la voie restent très dégradées et ont conduit à la mise en place de limitations temporaires de vitesse pour garantir la sécurité des circulations ferroviaires. Pour assurer la pérennité des circulations existantes, des travaux seront nécessaires dans les dix prochaines années.
Vous le savez, nous sommes en phase de finalisation des contrats de plan État-région, les CPER, 2015-2020. Le Gouvernement a pris en compte la particularité de cette ligne, qui supporte un fort trafic et présente une importance pour toute la vallée de la Meuse. J’ai entendu le président de la région, M. Jean-Paul Bachy, faire part de son souhait de voir cette ligne figurer parmi les toutes premières priorités pour le CPER à venir.
Aussi, au vu de l’intérêt de cette ligne pour la desserte locale et du trafic qu’elle supporte, l’avenir de la ligne Charleville-Givet a été placé au cœur des discussions du CPER 2015-2020, conformément aux souhaits du président de région. Le financement d’une première phase de travaux a été acté et fera l’objet d’un effort substantiel aux côtés de la région, de l’État et de SNCF Réseau.
Cette première phase de travaux permettra de lever des limitations temporaires de vitesse, et d’améliorer ainsi les temps de parcours actuels. L’exemple de la ligne Charleville-Givet est celui d’un territoire où le Gouvernement s’engage tant sur la route, le rail que le fleuve.
L’action de l’État pour ce bassin de vie me paraît, dès lors, s’inscrire pleinement dans les priorités de ce gouvernement pour un maintien des activités économiques sur les territoires.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour cette réponse pédagogique. Vous avez en effet cité la notion de bassin de vie, que tous les élus et les acteurs économiques de la vallée de la Meuse font leur. Nous sommes également tous attachés à l’histoire de cette vallée, que vous avez rappelée.
J’ai évoqué la question ferroviaire, mais il ne faut pas oublier non plus le volet routier et le volet relatif au fleuve Meuse, car ces trois aspects sont complémentaires. Je pense notamment au programme de lutte contre les inondations mis en place au cours des dernières années. Ces trois voies de communication sont liées.
L’histoire de cette voie ferrée, qui comporte de nombreux ouvrages d’art et tunnels, est également importante. Il est vrai, par ailleurs, que le trajet par la route n’est pas simple, du fait de la géographie particulière du département et de la vallée.
Je prends note de l’engagement pris, monsieur le secrétaire d’État. J’ai conscience de l’importance du coût consacré à cette ligne, mais une infrastructure, quelle qu’elle soit, coûte cher.
Il convient donc de prendre en compte l’aspect financier, mais aussi le volet humain, et d’intégrer la notion de sécurité.
autoroute A31 bis
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question n° 1075, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Daniel Reiner. Je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur le projet de réaménagement de l’autoroute A31, qui va de la frontière luxembourgeoise jusqu’à Toul, en passant par Nancy et Metz, dans la vallée de la Moselle.
Le 6 mars dernier, lors de sa visite d’État au Luxembourg, le Président de la République a déclaré, à juste titre : « Il faut relancer l’A31 bis ». Cette déclaration faisait suite à la saisine, par le Gouvernement, de la Commission nationale du débat public, la CNDP. Le débat se poursuit actuellement en Lorraine.
Cette étape était réclamée depuis de nombreuses années par l’ensemble des forces vives économiques et sociales de Lorraine, pour lesquelles l’A31 bis est un dossier très important.
En effet, monsieur le secrétaire d’État, la circulation n’a cessé d’augmenter sur cette autoroute, y compris au cours des quinze dernières années. Elle accueille, aujourd’hui, parfois plus de 100 000 véhicules par jour, dont de 8 000 à 12 000 poids lourds. Ce trafic impressionnant, qui en fait un des axes routiers les plus chargés de France, résulte à la fois de la densité des échanges dans le sillon lorrain, notamment entre Metz et Nancy, des flux de transit particulièrement importants entre la mer du Nord et la Méditerranée et d’une augmentation des migrations pendulaires transfrontalières : plus de 80 000 travailleurs frontaliers lorrains se rendent chaque jour au Luxembourg, et l’on estime qu’ils devraient être au nombre de 100 000 dans dix ans.
Le projet consiste à réaliser des barreaux autoroutiers neufs, notamment à l’ouest de l’agglomération de Nancy, et d’élargir à deux fois trois voies, sur la totalité du tracé, l’actuelle autoroute A31. Dans un rapport remis le 27 juin 2013, la commission Mobilité 21 pointait l’urgence de la situation.
Je souhaite profiter de cette occasion pour appuyer la demande formulée par notre collègue Jean-Pierre Masseret, président du conseil régional de Lorraine, que soit étudiée la mise en œuvre expérimentale d’une écotaxe sur le territoire lorrain.
En effet, les poids lourds en transit européen évitent l’Allemagne, qui a elle-même instauré une telle taxe, et participent ainsi à la surcharge du trafic international en Lorraine et en Alsace. Permettre demain à la nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine d’appliquer une écotaxe faciliterait les déplacements quotidiens de milliers de Lorrains et pourrait apporter une source de financement non négligeable pour la réalisation de l’A31 bis, ce qui est nécessaire compte tenu de l’ampleur de ce projet.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que s’engage le débat public sur ce dossier majeur, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement, du moins l’état de ses premières réflexions sur le principe même de la réalisation de cet équipement, ainsi que sur les modalités et le calendrier de celle-ci.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, je partage bien évidemment votre analyse sur le rôle majeur de l’A31 pour les territoires qu’elle dessert et sur les difficultés et nuisances que supportent les usagers et les riverains de la voie, du fait de l’importance des trafics, qu’il s’agisse des véhicules particuliers ou des poids lourds. De nombreux Lorrains empruntent l’A31 tous les jours pour se rendre au travail, ce qui provoque une congestion importante aux heures de pointe, tout particulièrement entre Thionville et le Luxembourg, en raison de la forte augmentation du nombre de transfrontaliers ces dernières années.
Le projet d’autoroute A31 bis a été classé parmi ceux de première priorité par la commission Mobilité 21 et le Gouvernement est tout particulièrement attaché à sa réalisation rapide. C’est la raison pour laquelle j’en ai saisi la Commission nationale du débat public le 26 novembre 2014. Il tire les enseignements des opinions exprimées lors du débat public de 1999 sur le projet, aujourd’hui abandonné, d’autoroute A32.
Les aménagements envisagés portent sur un élargissement à deux fois trois voies des infrastructures existantes, accompagné d’une remise à niveau environnementale et de la construction de deux nouveaux tronçons autoroutiers à deux fois deux voies : la liaison A30-A31 Nord à l’ouest de Thionville et la liaison Toul-Dieulouard.
Le débat public a été lancé par les réunions d’ouverture des 15 et 16 avril dernier, à Nancy et à Metz, et se prolongera jusqu’au mois de juillet prochain. Je souhaite que ce moment fort de concertation entre l’État et le grand public s’inscrive dans la démarche de renforcement de la démocratie participative engagée par le Gouvernement. À l’issue du débat, le président de la Commission nationale du débat public dressera le bilan de la concertation, que j’étudierai avec attention afin de prendre en compte les avis exprimés avant de fixer l’orientation du projet autoroutier A31 bis.
Monsieur le sénateur, je vous donne donc rendez-vous à ce prochain stade de la procédure et souhaite que le débat public en cours permette, d’ici là, de préciser à la fois l’expression des besoins et les meilleures modalités de réalisation. Je vous confirme en tout cas le fort intérêt que porte le Gouvernement au dossier de l’A31 bis et aux solutions qui devront être mises en œuvre pour accompagner le développement économique du sillon lorrain et celui de ses échanges avec les pays voisins.
Sur la question de l’écotaxe régionalisée, nous sommes pour l’heure dans une phase de concertation entre l’État et les régions. Des questions juridiques se posent, notamment en termes de compatibilité avec le droit européen. Quoi qu’il en soit, la porte n’est pas fermée et le débat se poursuit.
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir indiqué que le Gouvernement est très attaché à la réalisation rapide de ce projet. C’est déjà un motif de satisfaction.
Le projet d’autoroute A32 envisagé en 1999 a été abandonné parce qu’il s’agissait de construire une seconde autoroute, parallèle à la première, dans la même vallée, ce qui n’avait guère de sens.
S’il est plus sommaire et plus « rustique », ce projet d’aménagement de l’autoroute A31 reste fort coûteux : entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros. C’est la raison pour laquelle il serait bon d’engager une réflexion sur la mise en œuvre d’une écotaxe en Lorraine, comme cela avait été envisagé pour l’Alsace lors du Grenelle 1.
décrets d'application de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la question n° 1084, transmise à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Pierre-Yves Collombat. À l’occasion de l’examen du projet de loi « MAPTAM » de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, achevé au mois de janvier 2014, ont été votées des dispositions importantes en matière de prévention des inondations, notamment la création d’une taxe, assise sur le foncier, permettant de financer cette politique.
Pour mémoire, je rappelle que, depuis cette date, ce ne sont pas les inondations qui ont manqué en France. Il n’est qu’à songer à celles qui se sont produites dans le Var et le sud de la France, aux mois de février et de novembre 2014, ou, en 2015, en Savoie et dans le Loir-et-Cher, notamment.
L’évidente urgence de la mise en place effective – c’est-à-dire financée – d’une politique active de prévention de l’inondation n’étant plus à démontrer, on peut s’étonner que les décrets d’application prévus par la loi MAPTAM, en particulier ceux qui sont nécessaires à l’instauration de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations prévue à l’article 56, soient toujours en gestation. Ce retard serait dû à une mésentente entre le ministère de l’intérieur et celui des finances : si cela était vrai, ce serait plus que fâcheux.
Monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il des raisons de ces retards et quels sont les délais probables de publication de ces décrets d’application ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, le Parlement a souhaité mettre en œuvre une nouvelle compétence couvrant les actions et travaux portant sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, notamment afin d’assurer une meilleure protection de la population contre les effets dommageables des inondations.
La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles confie cette compétence aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Cette compétence, qui peut être exercée directement ou par l’intermédiaire de syndicats mixtes en fonction de la structure et des caractéristiques des bassins versants concernés, nécessite des moyens pérennes et des compétences techniques particulières. Afin d’en permettre le financement, la loi MAPTAM a prévu la possibilité de mettre en place une taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. Celle-ci est facultative, plafonnée et affectée. Les dispositions de l’article 56 de la loi décrivent de façon détaillée les modalités de mise en place, de recouvrement et d’utilisation de cette recette par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ces dispositions ont été introduites dans l’article 1530 bis du code général des impôts.
Si la loi a effectivement prévu que les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État, il apparaît, à l’examen de l’article 1530 bis du code général des impôts, que le texte législatif est suffisant pour permettre une mise en place de cette taxe, sans que des précisions supplémentaires soient nécessaires.
Il a ainsi été possible d’indiquer, par une note d’information relative aux délibérations fiscales à prendre par les collectivités territoriales en cours d’année pour une application l’année suivante datée du 11 septembre 2014, que les communes et leurs EPCI à fiscalité propre qui ont déjà pris cette compétence pouvaient mettre en place dès 2015 cette taxe pour le financement de leurs actions entrant dans le champ de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. De ce fait, il paraît possible de faire l’économie d’un nouveau décret.
En ce qui concerne les autres textes d’application intéressant directement la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, je précise que le projet de décret « digues » a reçu un avis favorable du Conseil d’État le 24 mars dernier et qu’il sera prochainement publié. Le décret relatif aux missions d’appui auprès des préfets coordonnateurs de bassin a été publié le 30 juillet 2014. Le projet de décret relatif aux établissements publics d’aménagement et de gestion des eaux et aux établissements publics territoriaux de bassin sera prochainement soumis au Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, avant transmission au Conseil d’État.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Rarement une réponse du Gouvernement m’a procuré autant de satisfaction… Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de m’avoir apporté cette bonne nouvelle. On a la fâcheuse habitude de prévoir des décrets d’application en Conseil d’État. Je suis heureux que le texte voté par le Parlement soit d’application immédiate.
restriction de l'écobuage en zone rurale
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 1065, transmise à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Mathieu Darnaud. Traditionnellement, la fin de la saison hivernale est marquée par la reprise d’activités d’entretien des espaces naturels et des jardins. Parmi celles-ci, bon nombre génèrent chaque année des déchets verts, le plus souvent éliminés par brûlage. Or la période de tolérance qui s’étendait jusqu’au 1er janvier 2015 est désormais terminée.
Les collectivités rurales ont à leur charge d’importants travaux de débroussaillement, de défrichement et de tonte. Je tiens notamment à rappeler que, en Ardèche, l’espace forestier couvre plus de 45 % de la surface du territoire.
Le transport des déchets verts par les ouvriers communaux, la mise à disposition de véhicules adaptés aux reliefs de montagne et les frais de carburant liés représentent des charges importantes, d’autant plus difficiles à assumer que l’État a engagé un mouvement de baisse drastique des dotations publiques.
Or, monsieur le secrétaire d’État, ces charges pourraient être considérablement allégées et le travail des agents communaux facilité si, à l’instar des agriculteurs, forestiers et particuliers soumis à l’obligation légale de débroussaillement, les services techniques communaux de ces petites communes étaient autorisés à brûler les déchets verts sur place. Je souhaite donc savoir si, en matière de brûlage des déchets végétaux, le Gouvernement entend demander aux préfets d’assouplir le décret, afin de faciliter la vie aux collectivités rurales.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, les brûlages à l’air libre de végétaux sont interdits pour deux raisons essentielles : d’une part, ils sont à l’origine de risques d’incendie ; d’autre part, ils provoquent des nuisances pour le voisinage et sont dangereux pour la santé. En effet, cette combustion très incomplète émet des polluants, tels que les particules fines et les dioxines, qui se concentrent dans les végétaux, les produits laitiers et les œufs.
Le règlement sanitaire départemental permet au préfet de déroger à cette règle dans certains cas, par exemple pour éviter la propagation à des plantes saines de maladies qui touchent des végétaux de la même espèce.
En zone rurale, la solution la plus adaptée pour se débarrasser des déchets verts est le compostage, en particulier le compostage de proximité. Celui-ci permet d’éviter de transporter des déchets verts vers la déchetterie et supprime donc aussi la consommation d’énergie, les pollutions, l’encombrement et les coûts correspondants.
Le compostage au jardin ou en plateforme de compostage, à une plus grande échelle, permet d’économiser l’énergie qui serait gaspillée en brûlant ces déchets verts très humides. Au lieu d’être détruite, cette matière naturelle retourne au sol sous forme d’un compost utile au jardinier.
Pour accompagner ce mouvement, la loi de transition énergétique pour la croissance verte a prévu un développement important du tri à la source des biodéchets, notamment du compostage. Elle contribuera ainsi à généraliser ces pratiques et à développer des possibilités de compostage à coût moindre, tout en augmentant le nombre d’emplois associés à ces pratiques vertueuses écologiquement et non délocalisables. Cela s’inscrit pleinement dans le cadre de la transition vers l’économie circulaire.
Enfin, la feuille de route de la table ronde « santé environnement » de la Conférence environnementale prévoit que, dans le cadre des plans régionaux santé-environnement, un guide à destination des collectivités pourra être rédigé dans les régions volontaires. Les ministères de l’écologie, de la santé et de l’agriculture soutiendront ces démarches volontaires.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, ne me satisfait guère.
Je vous invite à venir constater sur le terrain la complexité de la mise en œuvre des plateformes de compostage. Par ailleurs, il arrive que le volume de déchets verts produits soit tel que le recours au compostage ne soit pas envisageable. Il faut alors déposer ces déchets dans des déchetteries dédiées, ce qui impose parfois, à l’heure où il est beaucoup question de développement durable et de bilan carbone, d’effectuer un trajet de trente ou quarante minutes.
Même si les préoccupations de santé publique doivent bien sûr être prises en compte, je pense qu’il conviendrait d’assouplir la réglementation en vigueur afin d’élargir les possibilités de recours à l’écobuage.
révision des valeurs locatives et concertation
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, auteur de la question n° 1041, adressée à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.
M. Christian Favier. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous faire part de mon inquiétude quant aux conditions de mise en œuvre de l’expérimentation lancée au mois de janvier dans plusieurs départements en vue d’une révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation.
Le département du Val-de-Marne faisant partie des territoires d’expérimentation, sans doute en raison de sa grande diversité urbaine et sociale, je suis particulièrement sensible à cette question. Je m’étonne d’ailleurs que le conseil départemental n’ait à aucun moment été saisi de ce projet. L’État ne saurait conduire seul ce travail, au risque de n’avoir qu’une vision parcellaire des bases d’imposition des territoires.
Ainsi, les conséquences de la révision des valeurs locatives pour les contribuables et les collectivités locales ne doivent pas être évaluées sous le seul angle comptable. Cette évaluation doit nécessairement intégrer les paramètres socio-économiques, urbains et humains propres à chaque territoire, afin d’adapter les modalités retenues aux différentes échelles.
Par ailleurs, cette révision aura des effets sur les potentiels financiers et fiscaux des collectivités territoriales, et donc sur la répartition des dotations de l’État et les instruments de péréquation.
Une large concertation avec les collectivités territoriales sur les modalités de cette expérimentation est par conséquent nécessaire. L’expérience de la réforme des bases d’imposition des locaux professionnels, que le Gouvernement a dû geler, est sans doute la meilleure illustration de ce qu’il ne faut pas faire.
Compte tenu de l’importance des conséquences de la réforme des valeurs locatives, en particulier pour les populations, mais aussi pour les budgets communaux, déjà mis à mal, je vous prie, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir m’indiquer quels dispositifs d’information et de concertation seront mis en place avec les élus locaux des communes et des départements concernés par cette expérimentation.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, comme j’ai eu l’occasion de vous le faire savoir dans un courrier en date du 18 février dernier, le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités locales conclu le 16 juillet 2013, à travailler sur les principes et les modalités de mise en œuvre de la révision des valeurs locatives pour les locaux d’habitation.
L’article 74 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2013 prévoit ainsi qu’une expérimentation de cette révision sera menée en 2015 dans cinq départements choisis afin de refléter la diversité des réalités départementales, dont Paris et le Val-de-Marne.
À l’occasion du vote de cette disposition, une concertation s’est tenue, associant les commissions des finances des deux assemblées et les associations d’élus, afin de définir les principes de l’expérimentation.
Il s’agit d’un travail de bénédictin, qui n’en est qu’à ses débuts. La Direction générale des finances publiques, la DGFiP, établira un rapport. Le Gouvernement transmettra ensuite au Parlement, en amont de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, un bilan des simulations auxquelles la DGFiP aura procédé.
Sur le fondement de ce bilan et au vu des enseignements tirés de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, notamment en ce qui concerne les commissions locales et l’association des élus locaux, de nouvelles discussions pourront s’engager afin de déterminer selon quelles modalités une révision des valeurs locatives des locaux d’habitation pourrait effectivement être mise en œuvre.
On a pu mesurer les difficultés ou les limites de ce long travail expérimental à l’occasion de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. Cela m’a conduit à m’engager à vous proposer de différer d’un an la mise en œuvre concrète du processus de révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, afin de prendre en compte les difficultés recensées et d’adapter, le cas échéant, les modalités de calcul de ces valeurs locatives.
Je tiens donc à vous rassurer, monsieur le sénateur : il y aura bien un travail itératif et collaboratif avec les élus concernés, ainsi qu’avec les commissions départementales et communales des impôts, avant toute mise en œuvre de la révision, laquelle devra d’ailleurs respecter un certain nombre de principes de stabilité globale des prélèvements. Nous aurons l’occasion d’en reparler lorsque la DGFiP aura achevé la collecte des informations nécessaires au bon travail de l’ensemble des acteurs.
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de vos éléments de réponse.
Je rappelle que nous ne sommes évidemment pas opposés à la mise en œuvre d’une révision des valeurs locatives cadastrales. Au contraire, nous regrettons que du retard ait été pris en la matière.
Cela étant, cette question est extrêmement sensible, car les conséquences d’une telle révision peuvent être très lourdes, s’agissant d’un impôt par nature souvent très injuste, dans la mesure où, sauf pour les ménages les plus modestes, il ne tient pas compte des ressources des familles.
Il faut donc être très prudents. De ce point de vue, la concertation avec les élus locaux est extrêmement importante. Le ministère chargé du budget ne saurait décider seul. La population doit être étroitement associée à la réflexion, par l’intermédiaire de ses élus locaux.
incitation à la méthanisation agricole
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, auteur de la question n° 1051, adressée à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.
M. Yannick Botrel. La loi prévoit, depuis le 1er janvier 2015, une exonération de sept années de taxe foncière sur les propriétés bâties, ou TFPB, et de contribution foncière des entreprises, ou CFE, pour les équipements agricoles dédiés à des activités de méthanisation.
Par cette disposition, le législateur a souhaité favoriser le déploiement, promu par le ministre de l’agriculture, d’unités de méthanisation agricole dans notre pays. Le vote de ce dispositif par le Parlement n’a d’ailleurs pas suscité de débat particulier, car la représentation nationale partage cet objectif de manière très transversale.
La méthanisation représente une piste intéressante en matière de diversification de nos sources d’énergie. Elle offre des compléments de revenu non négligeables à nos agriculteurs et permet le développement d’une filière industrielle de construction de méthaniseurs en France, dans un secteur de production de matériels jusqu’alors essentiellement occupé par l’Italie et l’Allemagne.
Les deux exonérations précédemment citées concernent les unités de méthanisation agricole achevées après le 1er janvier 2015, l’objectif du Gouvernement étant avant tout d’apporter une incitation.
Cependant, en tant que législateur, nous avons complètement omis le fait que 98 unités étaient déjà en service avant cette date, de sorte que nous nous trouvons, aujourd’hui, dans une situation paradoxale. Si les choses devaient demeurer en l’état, il y aurait, d’une certaine manière, rupture d’égalité entre les producteurs, selon que leur unité ait été achevée avant ou après le 1er janvier 2015.
Cela me semblerait profondément inéquitable, et il convient de réfléchir à un dispositif permettant de surmonter cette difficulté.
La règle de non-rétroactivité de la loi fiscale s’applique. Cela étant, il est possible de faire en sorte que les 98 unités créées avant le 1er janvier 2015 soient éligibles à ces exonérations à partir de cette date, comme toutes les autres. Bien entendu, les exonérations ne valant que pour sept années, le dispositif s’appliquerait pour la seule durée restant à courir jusqu’au septième « anniversaire », si je puis dire, de l’unité concernée.
Voilà quelques semaines, à la suite d’une question orale du député Paul Molac, le Gouvernement a fait connaître la position de Bercy sur un élargissement du champ de ces exonérations. Il apparaît que l’avis du ministère est très réservé, celui-ci estimant qu’une telle mesure engendrerait un « effet d’aubaine ».
Je m’oppose nettement à cette analyse. Techniquement, un effet d’aubaine est constaté lorsqu’un dispositif crée une dépense importante qui ne peut être prévue à l’avance. Or nous parlons ici de la TFPB et de la CFE de 98 unités d’exploitation : la dépense fiscale engendrée n’est donc pas importante et elle peut parfaitement être prévue.
D’ailleurs, je ne comprends pas la position du Gouvernement, dans la mesure où, en définitive, il ne s’agit que de rétablir l’équité entre agriculteurs-méthaniseurs. Elle est d’autant plus surprenante que le Premier ministre lui-même a indiqué, voilà quelques semaines, que « certains [agriculteurs] ont pris le parti de développer la méthanisation agricole. Nous devons soutenir les agriculteurs qui savent innover. »
J’aurais donc souhaité connaître la position de M. Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, qui est concerné au premier chef par le sujet. Quels dispositifs envisage-t-il de proposer, sachant que la situation actuelle est discriminante, une inégalité ayant été instaurée entre agriculteurs-méthaniseurs ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Bien évidemment, le Gouvernement encourage la valorisation des effluents d’élevage et déchets agricoles par la méthanisation. À cet effet, a été présenté en mars 2013 un plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote, avec pour objectifs une meilleure gestion de l’azote et le développement de la méthanisation agricole.
Dans cette perspective, il convient de mettre en place une fiscalité incitative. En effet, cette activité nécessite la construction de nombreux immeubles – locaux techniques, digesteurs, cuves, locaux de stockage, etc. –, constituant autant d’investissements lourds qui, dès son démarrage, représentent une charge importante au regard de sa rentabilité.
Une première exonération de taxe foncière sur délibération des collectivités a donc été décidée en loi de finances rectificative pour 2013.
Surtout, par l’article 60 de la loi de finances pour 2015, le Gouvernement a souhaité renforcer l’incitation en faveur de la méthanisation, en créant un dispositif de plein droit pour toutes les installations nouvelles, celles dont l’achèvement est postérieur au 1er janvier 2015. Pour les autres, l’exonération optionnelle de taxe foncière sur les propriétés bâties demeure applicable.
Les unités pionnières de méthanisation agricole participent, il est vrai, à la dynamique positive de développement de la méthanisation agricole. En effet, elles jouent un rôle de référence pour les financeurs et les porteurs de nouveaux projets. En outre, les pionniers sont souvent engagés dans l’accompagnement de ces derniers. Toutefois, s’agissant d’un dispositif incitatif, il est apparu logique et juridiquement adéquat qu’il s’applique à des investissements non encore réalisés, et non à un stock.
Pour autant, la question de l’égalité de traitement des différents opérateurs est importante. D’ailleurs, elle ne se résume pas à sa dimension fiscale, mais porte aussi sur le tarif de rachat pratiqué par EDF et la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, l’instauration de cette dernière étant principalement motivée par la volonté de financer les énergies renouvelables.
Par conséquent, le Gouvernement entend bien s’inscrire dans le dialogue. Je suis prêt à recevoir les représentants des syndicats professionnels, que j’ai rencontrés à l’occasion du salon de l’agriculture. Ma porte est ouverte pour étudier cette question de l’existence d’une différence de traitement entre producteurs de méthane agricole.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Les agriculteurs concernés avaient cherché à ouvrir le débat avant le 1er janvier 2015, en prenant un certain nombre d’initiatives et de contacts, y compris, d’ailleurs, au niveau du ministère des finances. Une réunion avait été organisée, à laquelle le ministère de l’agriculture et celui de l’environnement avaient également participé.
J’estime, avec d’autres, que la situation actuelle crée une discrimination au détriment des agriculteurs s’étant lancés les premiers dans cette voie de la méthanisation, techniquement compliquée et coûteuse.
J’ai bien entendu votre conclusion, monsieur le secrétaire d’État, qui me semble nuancer les propos tenus jusqu’à présent par le Gouvernement. Vous donnez en effet à entendre que le débat pourrait ne pas être complètement clos.
Il ne s’agit pas, bien entendu, de prendre une mesure rétroactive, mais il convient au moins de faire en sorte que, pour la période restant à courir, l’ensemble des unités de méthanisation soient traitées de manière identique.
Situation des éleveurs français
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, auteur de la question n° 1063, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Daniel Chasseing. La situation de notre agriculture ne cesse d’inquiéter celles et ceux qui représentent les territoires ruraux. En particulier, celle des éleveurs est toujours plus fragile, malgré les assurances données par le Président de la République lors du sommet de l’élevage qui s’est tenu voilà deux ans, d’autant que la conjonction actuelle d’un niveau élevé des charges et d’un niveau trop bas des prix agricoles fait chuter leurs revenus.
C’est pourquoi j’ai choisi ce matin d’appeler l’attention du Gouvernement sur un certain nombre de problèmes majeurs, en accord avec les responsables agricoles de mon département. J’attends de sa part des réponses précises, à l’heure où la réforme de la politique agricole commune, la suppression des quotas laitiers – inquiétante notamment pour les exploitations laitières de zones intermédiaires –, la baisse des aides pour la France – à hauteur de 5 % pour le premier pilier et d’un niveau à ce jour indéterminé pour le second – et d’autres évolutions en cours ou projetées amènent à s’interroger sur la survie économique du secteur de l’élevage.
En premier lieu, la bonification des prêts ne pourra désormais plus être prolongée au-delà de la durée du plan d’entreprise, à savoir quatre ans. C’est tout de même très peu ! Cette évolution ne remet-elle pas en cause l’intérêt de la bonification ? Je souligne au passage l’existence d’un regrettable retard en matière d’octroi de prêts bonifiés, retard certes habituel, mais bien supérieur, cette année, à ce que l’on a pu connaître naguère.
En deuxième lieu, comment la revalorisation des droits à paiement de base – les DPB, qui ont remplacé les droits à paiement unique, les DPU – s’opérera-t-elle pour les jeunes agriculteurs ? À ce propos, je tiens à relever un facteur d’alourdissement de la procédure : la nécessité d’obtenir la signature du propriétaire cédant. Cette dernière innovation était-elle bien utile ?
En troisième lieu, quelles seront les modalités d’attribution des aides couplées ? Un nouveau producteur sera-t-il un jeune agriculteur ou un agriculteur qui se diversifie ? Dans ce cas, comment se fera l’accès à la réserve du soutien couplé à la vache allaitante ? Et je ne parle pas de l’arrêt brutal de la prise en compte des génisses, qui engendrera de lourdes conséquences…
En quatrième lieu, le dispositif de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, laquelle serait revalorisée en 2015, intégrant la prime à l’herbe, reste, au dire des éleveurs, d’une grande complexité. Une question importante reste en suspens : la suppression du critère d’âge – la limite était naguère fixée à 65 ans – ne risque-t-elle pas d’inciter les anciens à prendre leur retraite plus tard, et donc à ne pas libérer les terres ? Peut-on revenir sur cette mesure ? Par ailleurs, le siège social pourrait être délocalisé.
En cinquième lieu, j’évoquerai les mesures compensatoires au défrichement. Depuis la modification du code forestier, l’autorisation de défrichement est subordonnée soit au versement de 3 000 euros par hectare – auquel viendra s’ajouter le coût du dessouchage –, soit au respect de conditions de reboisement, ce qui est inadapté pour certains départements montagneux comme la Corrèze, où le taux de boisement dépasse 50 %. N’est-il pas possible d’adapter cette mesure en fonction de la spécificité des territoires, comme le ministre de l’agriculture l’avait évoqué lors d’un déplacement dans le département, ou de revenir à l’ancien système des dérogations accordées par les préfets, qui satisfaisait à la fois les agriculteurs et les forestiers ?
Enfin, les éleveurs déplorent qu’il leur ait fallu remplir les déclarations de surfaces au mois d’avril, sans connaître les critères de la réforme de la PAC et sans avoir encore obtenu de l’Institut national de l’information géographique et forestière, l’IGN, les éléments nécessaires.
Je vous remercie par avance, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir me transmettre les réponses du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, qui sont très attendues par les éleveurs. Je pense en particulier aux plus jeunes d’entre eux, qui, débutant dans le métier, trouvent les règles par trop floues et dénoncent l’incertitude ambiante, préjudiciable à leurs intérêts.
L’installation des jeunes relève de la problématique foncière, mais aussi de celle de la revalorisation et de la sécurisation des revenus agricoles, indispensables pour redonner aux jeunes le goût du métier.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Je vous prie, monsieur le sénateur, de bien vouloir excuser l’absence de M. Le Foll, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse.
Tout d’abord, les prêts bonifiés ont été maintenus, en réponse à une demande forte des organisations professionnelles agricoles, et malgré des paramètres désormais moins incitatifs. C’est l’application directe de la nouvelle réglementation européenne qui conduit à en limiter la durée à cinq ans. Par ailleurs, dans un contexte de taux bas, l’intérêt des prêts bonifiés est moins net qu’il ne l’était voilà quelques années.
En pratique, les crédits publics disponibles pour soutenir ce mode d’intervention en faveur de l’installation peuvent très bien être utilisés pour d’autres interventions, comme les aides aux investissements réalisés par des jeunes.
Ensuite, concernant les droits à paiement de base, il s’agissait de permettre leur transfert entre fermiers.
Le 10 mars, Stéphane Le Foll s’était engagé auprès des agriculteurs à ce que les fermiers puissent, au même titre que les autres agriculteurs, transférer leurs références à un fermier reprenant tout ou partie de leur exploitation.
C’est un sujet très important, sur lequel le Gouvernement avait décidé d’avancer, malgré les réticences de la Commission européenne. Cette dernière a finalement donné son accord officiel sur cette possibilité de transfert entre fermiers, dans les mêmes conditions que les autres types de transfert. Là encore, il s’agit de conditions requises par la réglementation européenne.
En ce qui concerne les aides couplées et le verdissement, ainsi d’ailleurs que les autres aides, je peux vous dire que toutes les règles sont désormais connues, pour la plupart depuis octobre 2014.
Toutes les informations, y compris les notices techniques, sont disponibles et reprises sur le site pac2015.gouv.fr. Chacun doit maintenant s’attacher à les diffuser clairement. C’est d’ailleurs un des objectifs des comités d’appui que le ministre a demandé à chaque préfet de mettre en place pour informer les agriculteurs et les accompagner dans la constitution de leurs demandes d’aides.
Sur la question de l’indemnité compensatoire aux handicaps naturels, je tiens d’abord à rappeler que cette dernière va connaître sa plus forte augmentation depuis sa création, en atteignant plus de 1 milliard d’euros dès 2017, conformément aux engagements pris par le Président de la République à Cournon-dAuvergne en 2013.
Je souligne que la France a obtenu satisfaction sur quasiment toutes ses demandes face à la Commission, qui défendait de manière globale une conception de cette aide n’ayant jamais été celle de notre pays.
Votre question précise sur la suppression de la limite d’âge, jusqu’alors fixée à 65 ans, porte sur un point mineur. La France n’a pu faire prévaloir sa position, mais cette suppression n’aura qu’une incidence très limitée, dans la mesure où quelqu’un qui aurait des revenus extra-agricoles d’un certain niveau ne pourra de toute façon pas toucher cette aide, comme c’était déjà le cas auparavant. En revanche, un agriculteur toujours en activité dans les zones de montagne concernées et âgé de plus de 65 ans touchera toujours l’aide, ce qui n’est pas choquant en soi et permet de répondre à certaines demandes. L’impact sur les jeunes et l’installation ne sera que très marginal.
Enfin, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a retenu le principe de la compensation obligatoire à tout défrichement.
Cette compensation peut se faire soit en reboisement, soit au travers de travaux sylvicoles pour un montant équivalent ou par le versement d’une somme équivalente au Fonds stratégique de la forêt et du bois.
Il faut noter que, à la suite de l’intervention de nombreux sénateurs, y compris du Limousin, la reconquête d’espaces agricoles enfrichés n’entre pas dans le champ de la compensation : des boisements de moins de trente ans sont, sous certaines conditions, exemptés d’autorisation de défrichement, et donc de compensation. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a également dispensé d’autorisation les défrichements réalisés dans des communes de montagne à très fort taux de boisement – supérieur à 70 %. Si les communes ou les parcelles que vous évoquez remplissent ces critères, il ne devrait pas y avoir de difficultés.
De manière globale, la protection des forêts et le reboisement ayant été reconnus d’intérêt général par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, le principe général de compensation obligatoire en cas de défrichement apparaît entièrement légitime au regard des services rendus par la forêt.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Je remercie M. le secrétaire d’État de cette réponse, qui semble très claire. J’en ferai part aux agriculteurs.
Je regrette que les bonifications de prêts soient limitées dans le temps. Par ailleurs, en zone de montagne, souvent le foncier manque mais le défrichement est impossible à mettre en œuvre au regard des dépenses à engager : 3 000 euros par hectare, c’est beaucoup, sachant qu’il faut aussi prendre en compte les frais de dessouchage et de remise en culture. Enfin, j’espère que les règles de la PAC sont désormais parfaitement connues. En avril, elles ne l’étaient pas encore complètement.
aménagement des conditions de transport pour les élèves de formation biqualifiante
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 1052, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Cyril Pellevat. Je souhaite appeler l’attention sur la formation biqualifiante aux métiers de la montagne proposée au lycée Frison-Roche de Chamonix.
Ce lycée fait partie des quatre établissements de l’académie de Grenoble dispensant à des lycéennes et des lycéens ayant déjà un bon niveau sportif une formation destinée à les aider à mener un double projet d’orientation professionnelle articulé autour des métiers de la montagne.
Les jeunes suivent le programme scolaire des filières générales, technologiques ou professionnelles, assorti de contenus ciblés propres à la préparation des diplômes d’État des métiers de la montagne. Ils peuvent ainsi valider, à l’issue du lycée, une première partie d’un diplôme d’État d’accompagnateur en montagne, de ski alpin ou de ski de fond, qui assure une employabilité immédiate.
Afin de compléter la culture montagnarde des élèves, est associé à ce programme d’enseignement technique un enseignement pratique en montagne, soit sur des sites-écoles, soit sur des parcours d’initiation de niveau facile à peu difficile pour le ski, les raquettes ou l’escalade.
Tout d’abord, je tiens à souligner et à saluer les efforts de l’éducation nationale et des équipes pédagogiques associées pour proposer aux jeunes des vallées et des montagnes des formations innovantes qui leur assurent un débouché rapide et efficace dans le secteur économique, majeur dans mon département de la Haute-Savoie, des activités touristiques du ski et du plein air.
Ces formations sont notamment un réel enjeu pour les emplois saisonniers en montagne. Elles connaissent un grand succès : 200 personnes étaient présentes lors de la journée « portes ouvertes » organisée par l’établissement, fin janvier 2015.
Il conviendrait que le ministère aille plus loin, afin de rendre encore plus performant ce dispositif, qui porte ses fruits. Dans cette perspective, je désire soulever le problème du transport des élèves pour leurs activités en plein air.
En effet, si l’on prend l’exemple du lycée Frison-Roche, la nature de l’environnement immédiat de l’établissement fait que les terrains utilisés pour la pratique relèvent rapidement d’une cotation « assez difficile », pas toujours adaptée aux exigences techniques et pédagogiques ni au niveau sportif des élèves, selon la météorologie et le type d’exercices. Or la réglementation actuelle sur les transports scolaires ne permet pas une mobilité rapide des élèves et des coordonnateurs vers des sites plus appropriés ; elle manque de souplesse.
Aussi serait-il souhaitable d’envisager un dispositif qui puisse permettre d’améliorer la mobilité des élèves, toujours dans un cadre réglementaire. Cela permettrait de réaliser l’activité sportive en zone adaptée, de modifier le programme d’activité le matin même ou de permettre un repli en cas de mauvais temps, d’alléger la charge de travail administratif des coordonnateurs et des services comptables du lycée.
Enfin, l’utilisation des ressources locales serait source d’économies pour le budget de la région. Les écoles de ski possèdent des minibus, les professionnels de la montagne ont des véhicules à neuf places et les établissements scolaires pourraient s’équiper.
Conscient de la responsabilité qui incombe à l’institution scolaire à l’égard des élèves qui lui sont confiés durant le temps scolaire et de l’obligation de surveillance pour qu’ils ne subissent aucun dommage, conscient de la rigueur des dispositifs de transport, sachant que la formation biqualifiante retient l’attention du rectorat et qu’elle est très suivie, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, de m’indiquer quelles solutions pourraient être envisagées afin d’améliorer cette formation particulièrement innovante et unique, à travers un aménagement en matière de transport des élèves.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur Pellevat, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse à la question très précise que vous avez posée.
L’organisation de sorties scolaires participe à la mission éducative des établissements d’enseignement. C’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche l’encourage vivement.
Cependant, ces sorties scolaires ne peuvent intervenir que dans un cadre réglementé qui assure la sécurité des élèves.
Ainsi, la circulaire 2011-117 du 3 août 2011 prévoit que le transport des élèves et des accompagnateurs doit être assuré par un conducteur professionnel. En tout état de cause, il n’appartient pas aux enseignants, au regard de leurs obligations statutaires, de conduire des véhicules, que ceux-ci soient personnels, de location ou de service.
Néanmoins, à titre exceptionnel, un enseignant en service peut conduire un véhicule personnel après y avoir été autorisé par le chef d’établissement et quand l’intérêt du service le justifie. Ces conditions doivent se matérialiser au travers d’un ordre de mission. Je tiens en outre à préciser que cette mesure a un caractère supplétif et n’est utilisée qu’en dernier recours, c’est-à-dire en cas d’absence momentanée d’un transporteur professionnel ou de refus de celui-ci d’effectuer le trajet. De plus, elle s’applique uniquement dans le cadre des activités scolaires obligatoires ou de certaines activités périscolaires.
Vous faites état de la situation des élèves en biqualification en zone de montagne. Ces derniers ont un emploi du temps établi à l’avance, dans lequel les sorties scolaires ont un caractère régulier et prévisible. Dès lors, en application des textes que je viens de vous rappeler, l’établissement doit faire appel à un conducteur professionnel. C’est une règle de sécurité essentielle, prise dans l’intérêt des personnes transportées, ainsi que des enseignants.
Monsieur le sénateur, notre école est responsable de l’éducation des jeunes de notre pays, mais également et prioritairement de leur sécurité lorsqu’elle les a sous sa garde. C’est avec ce souci constant que le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche conduit son action.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le secrétaire d’État. Bien évidemment, je suis un peu déçu. Les établissements scolaires demandent un peu plus de souplesse. Sachez que les lycées qui proposent ce type de formation biqualifiante aux métiers de la montagne attendent beaucoup plus du ministère sur ce point précis.
commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en france
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 1053, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Richard Yung. Sur les quelque 3 millions de demandes de visa d’entrée en France reçues chaque année par nos consulats, 10 % sont rejetées en moyenne, ce taux variant fortement selon les pays.
Ensuite, nous ne savons pas très bien ce qui se passe. Il existe une commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, qui siège à Nantes, mais nous ne disposons pas des chiffres retraçant son activité. À ma connaissance, il est très rare que cette commission fasse droit aux demandes des ressortissants étrangers qui la saisissent, mais je ne détiens pas de données précises. De même, je ne sais pas quel sort le ministère réserve à l’avis de la commission : le suit-il en règle générale ou lui arrive-t-il de passer outre ?
Le 17 juillet 2014, j’ai interrogé par écrit le ministre des affaires étrangères sur ce sujet. Il n’y a pas eu de réponse, non plus qu’à un second courrier adressé en décembre 2014… Cette situation m’a conduit à poser la présente question orale au Gouvernement : c’est mon dernier espoir d’obtenir une réponse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur Yung, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse.
Les étrangers qui se voient refuser la délivrance d’un visa par un poste diplomatique ou consulaire doivent, avant tout recours contentieux devant la juridiction administrative, présenter un recours administratif préalable devant la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, la CRRV, créée en novembre 2000.
La commission dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer. À défaut, le recours est réputé avoir fait l’objet d’une décision implicite de rejet. La CRRV, par son rôle de filtre, permet de limiter le nombre des recours contentieux devant le tribunal administratif de Nantes, compétent en première instance depuis 2010.
Le nombre de recours introduits devant la CRRV a augmenté de 277 % entre 2010 et 2014, pour atteindre le chiffre record de 19 864. Pour information, 5 269 recours avaient été enregistrés en 2010. Cette progression est liée à deux facteurs : la progression quantitative de la demande de visas et la communication, par les postes diplomatiques et consulaires, des motifs de refus et des voies de recours, procédure d’information qui a été généralisée aux visas de court séjour en avril 2011.
La commission, dont les effectifs n’ont pu croître dans les mêmes proportions que le nombre des recours, malgré de réels efforts de redéploiement des emplois équivalents temps plein au sein de la sous-direction des visas, a donc dû faire face à un accroissement brutal de ses tâches.
Ne pouvant traiter tous les recours dans le délai réglementaire de deux mois malgré la rationalisation de ses méthodes de travail, elle a mis en place un préexamen systématique et immédiat des demandes qui lui sont adressées, afin de détecter, d’une part, les recours manifestement irrecevables ou mal fondés, et, d’autre part, les recours devant être examinés en urgence compte tenu du caractère solide des éléments apportés.
Cette nouvelle organisation et la mise en place d’une commission mensuelle supplémentaire ont permis une augmentation constante du nombre de décisions explicites prises par la CRRV depuis 2012 : elle a été de 76 % entre 2012 et 2014.
Enfin, pour l’année 2014, sur 19 864 recours enregistrés, la commission en a rejeté 19 578 et 286 ont fait l’objet d’une recommandation de délivrance de visa.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. On voit bien quels sont les chiffres : 3 millions de demandes de visa, 300 000 rejets, 19 000 recours, 280 décisions favorables aux requérants, le Gouvernement restant de toute façon libre de suivre ou non l’avis de la CRRV…
Notre sentiment est ce que toute cette procédure ne sert pas à grand-chose. Elle donne un faux espoir aux déboutés. Je reprendrai cette discussion avec le ministre de l’intérieur.
Un élément de réponse m’a surpris. Je croyais que la loi française disposait désormais que l’absence de réponse valait accord de l’administration. Or j’observe que, en l’espèce, c’est le contraire. Ce sera un deuxième sujet de discussion avec le ministre de l’intérieur…
situation des chrétiens d'orient
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 1069, adressée à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
M. Gilbert Roger. Je souhaite attirer l’attention de M. le ministre des affaires étrangères et du développement international sur la plainte pour crime contre l’humanité déposée le 10 septembre 2014 par la Coordination des chrétiens d’Orient en danger, la CHREDO, à l’encontre de Daesh, que le procureur de la Cour pénale internationale a décidé d’instruire.
Au moins quatre-vingt-dix chrétiens de rite assyrien sont aux mains de Daesh depuis la fin du mois de février 2015, à la suite de l’enlèvement par le groupe djihadiste des habitants de deux villages du nord-est de la Syrie, situés dans une zone contrôlée par les forces kurdes. La France doit agir et s’engager davantage dans la lutte contre les exactions commises à l’encontre des chrétiens d’Orient et des diverses minorités, en raison de leur religion, et des musulmans sunnites qui ne partagent pas les croyances des membres de Daesh.
Je demande donc à M. le ministre de bien vouloir m’indiquer quelles initiatives compte prendre le Gouvernement pour protéger les chrétiens d’Orient et si celui-ci est disposé à soutenir la plainte pour génocide et crime contre l’humanité déposée par la CHREDO contre Daesh devant la Cour pénale internationale.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le sénateur, M. le ministre des affaires étrangères et du développement international, retenu à l’étranger, m’a chargé de vous répondre.
La France condamne fermement les violences et les exactions à l’encontre des civils, quelle que soit leur appartenance religieuse ou ethnique. Elle est particulièrement préoccupée par la situation des chrétiens d’Orient, avec lesquels la France entretient des liens spécifiques hérités de l’histoire.
Vous nous interrogez sur les initiatives que compte prendre le Gouvernement pour protéger les chrétiens d’Orient et les autres populations persécutées. La France n’a pas attendu pour agir. Dès l’offensive de Daesh vers Mossoul, en juillet 2014, elle a apporté une assistance aux déplacés, notamment chrétiens ou yézidis, et a favorisé l’accueil de ces personnes sur son sol au titre de l’asile.
Le 27 mars, elle a convoqué une réunion ministérielle du Conseil de sécurité des Nations unies consacrée aux victimes de violences ethniques ou religieuses au Moyen-Orient. À l’occasion de ce débat inédit, elle a proposé l’élaboration par les Nations unies d’une charte d’action comprenant quatre volets : l’accompagnement humanitaire, pour répondre à l’urgence ; l’accompagnement militaire, pour permettre le retour des populations persécutées sur les terres dont elles ont été chassées ; les solutions politiques inclusives dans les pays en crise ; la lutte contre l’impunité pour les auteurs des crimes, dont certains sont constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Comme l’a annoncé le ministre des affaires étrangères et du développement international, la France accueillera prochainement une conférence internationale consacrée à la mise en œuvre de ces orientations pour la protection des personnes victimes de violences ethniques ou religieuses. Nous sommes également en contact constant avec les autorités locales et nationales en Irak, afin que tout soit mis en œuvre pour assurer cette protection.
Concernant la lutte contre l’impunité pour les auteurs des crimes, la France appelle tous les États à adhérer au Statut de Rome, pour que justice soit rendue aux victimes des crimes les plus graves ayant une portée internationale. Comme l’a souligné le ministre des affaires étrangères et du développement international lors de la réunion du 27 mars, il est indispensable que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale. Nous vous rappelons que la France a présenté au Conseil de sécurité, en mai 2014, une résolution visant à déférer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale. Cette résolution, qui était soutenue par plus d’une soixantaine d’États, s’est cependant vu opposer les vetos russe et chinois.
Nous encourageons par ailleurs les États sur le territoire desquels les membres de Daesh ont perpétré des crimes ou dont ils ont la nationalité à les poursuivre et à les juger en vertu de leur compétence au titre des lois nationales et des conventions internationales auxquelles ils sont parties.
situation des sans domicile fixe dans les centres-villes
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question n° 1044, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Patrick Courtois. En France, selon une étude de l’INSEE parue en novembre dernier, le nombre des sans domicile fixe a progressé de 44 % au cours des onze dernières années. Cette augmentation sensible se traduit par une concentration de plus en plus en importante dans les centres-villes, prenant souvent la forme de rassemblements de quatre ou cinq personnes qui, pour éviter la solitude liée à leurs conditions de vie très difficiles, ont plusieurs chiens pour animaux de compagnie. Ces rassemblements ne constituent pas en eux-mêmes un délit, car, en vertu d’un principe républicain, toute personne dispose du droit de circuler librement, mais ils peuvent être une source de perturbation de l’ordre public.
Il ne s’agit naturellement pas de remettre en cause le droit de circuler librement, mais seulement de souligner que ces rassemblements engendrent un climat d’inquiétude et posent un réel problème de salubrité publique : excréments d’animaux sur la voie publique, conditions d’hygiène plus que sommaires, etc.
En tant que maire, je suis souvent sollicité par mes administrés pour tenter d’apporter une solution à ce problème. Je souhaiterais donc savoir quelles dispositions pourraient être prises par les élus locaux ou les forces de police pour dissuader ces rassemblements, sans pour autant porter atteinte à la liberté de circuler dans les centres-villes. Il s’agit avant tout de trouver des solutions pouvant apaiser l’inquiétude des citoyens sans stigmatiser des personnes qui sont déjà suffisamment en souffrance.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui m’a chargé de répondre à votre question.
Vous évoquez un sujet qui appelle des réponses mesurées et adaptées au contexte local, à Mâcon comme partout en France. Un équilibre doit être trouvé entre le respect de la liberté d’aller et venir, constitutionnellement protégée, et la préservation de l’ordre public. Le sujet nécessite également d’être traité avec humanité, car il s’agit d’hommes et de femmes confrontés à des situations personnelles difficiles ; j’ai bien noté que telle était votre approche.
Pour commencer, je voudrais rappeler le cadre législatif permettant de sanctionner les comportements qui pourraient troubler l’ordre public.
L’article 312-12-1 du code pénal sanctionne d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende « le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d’un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien ». Des sanctions pénales beaucoup plus lourdes sont prévues pour l’exploitation de la mendicité d’autrui, en particulier lorsque cette infraction est commise à l’égard d’un mineur.
Ces dispositions pénales fondent juridiquement les services de police à effectuer des contrôles dont la mise en œuvre peut, en elle-même, suffire à faire cesser les troubles à l’ordre public qui seraient constatés. En outre, le maire dispose de pouvoirs de police lui permettant de prendre les mesures qui lui paraissent nécessaires en vue de préserver le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Bien évidemment, ces mesures doivent toujours rester proportionnées aux dommages potentiels ; la juridiction administrative s’en assure lorsqu’elle est saisie.
Par ailleurs, l’une des meilleures manières de prévenir les troubles à l’ordre public consiste sans doute à prévoir des dispositifs d’accueil adaptés. Par exemple, à Paris, la préfecture de police a mis en place, de longue date, une brigade d’assistance aux personnes sans abri. Dans de nombreuses villes, les municipalités ont confié aux associations la gestion de centres d’accueil, dont certains répondent aux besoins des personnes sans domicile fixe en leur offrant la possibilité de stocker leurs bagages ou encore d’accueillir leur chien.
Bien entendu, aucune des mesures que je viens d’évoquer ne saurait suffire à elle seule. Seule une combinaison des dispositifs préventifs, sociaux, mais aussi, quand cela est nécessaire, répressifs, est de nature à répondre efficacement à votre questionnement, qui invite à une réflexion municipale globale sur les règles et les principes du vivre-ensemble.
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État, mais le problème reste entier. Nous sommes désarmés durant la journée. À Mâcon, il existe un asile de jour et un asile de nuit, mais, lorsque des rassemblements de personnes fortement alcoolisées se forment dans le centre-ville, notamment près des magasins d’alimentation, cela pose des problèmes considérables de relations entre les populations. Il y a parfois des bagarres ou des tentatives d’extorsion de fonds, et les forces de police sont complètement désarmées.
C’est un sujet important, qu’il faut examiner calmement, dans le respect de la dignité humaine ; il ne s’agit pas du tout de repousser les SDF hors des centres-villes. Il faudrait que le ministère de l’intérieur et l’Association des maires de France travaillent ensemble sur ce sujet, car j’ai peur que les habitants ne finissent un jour par faire eux-mêmes la police.
place de l'éducation nationale dans le système de formation par apprentissage
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, auteur de la question n° 1061, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Bruno Sido. Je souhaite appeler l’attention de Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la place de l’éducation nationale au sein du système de formation par apprentissage, à la suite du diagnostic et des propositions de réformes publiés le 19 décembre 2014 par le Conseil d’analyse économique, instance placée auprès du Premier ministre.
La lecture de cette étude, dont Jean Tirole, « prix Nobel » d’économie, est l’un des auteurs, fait apparaître un constat préoccupant pour les formations de niveau V comme le certificat d’aptitude professionnelle, le fameux CAP.
En effet, de 2004 à 2010, la progression du nombre d’apprentis s’explique par l’essor de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur : le nombre d’apprentis y a augmenté de 24 %. À l’inverse, le nombre d’entrées en apprentissage des élèves de niveau CAP a diminué de 6 %.
Pour expliquer cette situation, certains pointent le fait que l’apprentissage peine à être perçu comme une solution positive d’orientation. Il s’agit là d’un vrai défi, que la formation des enseignants doit permettre de relever. De fait, ce sont souvent des collégiens en difficulté qui sont orientés par défaut vers l’apprentissage. Sans doute les enseignants pourraient-ils être davantage formés à identifier les talents autres qu’académiques.
Mettons-nous à la place d’un apprenti en CAP qui débute sa formation et s’aperçoit que les matières académiques conservent une place prépondérante. Cela peut contribuer à expliquer le taux d’échec considérable – il est de 40 % – en CAP. En somme, l’apprentissage de niveau V est encore trop scolaire et trop éloigné des besoins des entreprises, pour deux raisons : l’insuffisante association des entreprises à la définition des programmes et l’excessive lourdeur des procédures pour ouvrir une nouvelle formation.
Enfin, l’apprentissage implique de trop nombreux intervenants, peu ou mal coordonnés. Simplifier la gouvernance est un enjeu majeur pour gagner en efficacité et mieux comprendre qui est responsable de quoi.
Dans ces conditions, je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir m’indiquer quelles mesures concrètes sont prévues pour réduire le taux d’abandon en CAP et mieux répondre aux forts besoins du tissu économique.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur Sido, je vous prie d’excuser l’absence de Mme Vallaud-Belkacem, qui, vous le savez, a beaucoup à faire en ce moment et m’a donc chargé de vous répondre.
Vous l’avez souligné, l’apprentissage souffre d’un manque d’attractivité. Le ministère de l’éducation nationale agit donc pour lui redonner toute la visibilité nécessaire ; cette action est vraiment au tout premier rang de ses priorités. Ainsi, les journées d’information sur les métiers, qui précèdent les choix d’orientation, réserveront désormais une place particulière à l’apprentissage. La découverte de cette voie sera également intégrée dans le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel, le PIODMEP, à partir de la classe de cinquième. En outre, les formations en apprentissage seront intégrées dans les logiciels d’orientation post-baccalauréat. Enfin, des parcours mixtes combinant statut scolaire et apprentissage seront désormais possibles, afin d’éviter aux élèves des changements d’établissement qui pourraient les détourner de cette voie.
Toutefois, si l’information et l’orientation doivent être renforcées, il est également très important, me semble-t-il, de rapprocher l’éducation nationale du monde de l’entreprise, pour améliorer l’attractivité et la réussite des actions d’apprentissage.
De ce point de vue, le ministère de l’éducation nationale est déterminé à rendre les formations par la voie de l’apprentissage plus conformes aux attentes du monde du travail, afin de favoriser l’insertion rapide des jeunes apprentis dans le monde professionnel. Il a engagé une expérimentation avec huit branches professionnelles, afin de rénover en profondeur le processus d’élaboration des diplômes. Il sera particulièrement attentif aux filières le plus en tension, ainsi qu’aux premiers niveaux de qualification.
Enfin, pour lutter contre l’échec scolaire, qui touche plus fortement le secteur de l’apprentissage, des mesures concrètes de lutte contre le décrochage ont été mises en œuvre par ce gouvernement. Une attention toute particulière est accordée au choix de l’orientation et à l’assiduité des élèves. S’agissant plus particulièrement des établissements accueillant des apprentis, ils sont encouragés à développer la mixité des publics, afin de créer une atmosphère stimulante et valorisante pour ces derniers.
Au travers de ces différentes mesures, il s’agit de mettre en œuvre progressivement un plan d’action systématique, qui doit aider les élèves à s’accomplir et à se réaliser, que ce soit par la voie générale ou la voie professionnelle.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse.
Je voudrais cependant citer quelques chiffres, qui sont accablants. Le nombre d’apprentis a baissé de 8 % en 2013, de 3 % en 2014 et de 15 % depuis le début de l’année 2015. Aussi M. le Président de la République, qui, j’en conviens, est très mobilisé sur ce sujet, a-t-il fixé un objectif de 500 000 jeunes en alternance, en affirmant que « relancer l’apprentissage, c’est relancer l’emploi, c’est réaffirmer la priorité à la jeunesse ».
Je veux également signaler que 70 % des apprentis qui vont jusqu’au bout de leur cursus trouvent un emploi dans les six mois suivant la fin de leur formation, alors que 25 % de nos jeunes sont, hélas, au chômage…
Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez bien compris, il s’agit non pas d’une question politicienne, mais d’une vraie question politique : comment faire pour que nos jeunes intègrent le monde du travail ? Il faut rassembler l’éducation nationale et les entreprises pour définir des programmes adaptés à des jeunes qui, s’ils ne sont pas forcément très intellectuels, sont pétris de qualités.
classement du collège kerhallet de brest en réseau d'éducation prioritaire renforcé
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, auteur de la question n° 1064, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Michel Canevet. J’ai souhaité interroger la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui est effectivement très occupée en ce moment, sur la situation du collège Kerhallet à Brest, qui devrait être classé en réseau d’éducation prioritaire renforcée, dit REP+, si l’on veut confirmer la priorité accordée à la formation des jeunes et à leur meilleure insertion en milieu scolaire.
La première carte relative à ce nouveau dispositif ne retenait qu’un seul collège situé en Bretagne, ce qui fait de celle-ci la région métropolitaine comptant le moins d’établissements classés en zones sensibles, au titre des dispositifs REP+ et REP. On en dénombre dix-sept pour la seule agglomération de Marseille, monsieur le président.
Le secteur de rattachement de ce collège est constitué pour l’essentiel par le quartier de Bellevue, dont la population rencontre des difficultés sociales. Il est reconnu comme quartier prioritaire au titre de la politique de la ville depuis janvier dernier. Sachant que 80 % des élèves du collège sont désormais issus des quartiers sensibles de Brest, l’inadéquation entre la politique d’intégration scolaire et la politique urbaine me semble dommageable.
Les élèves fréquentant cet établissement connaissent un taux d’échec assez élevé et des retards scolaires, ce qui montre bien la nécessité d’un accompagnement plus soutenu, même si le taux de réussite au diplôme national du brevet s’est ponctuellement amélioré.
S’agissant des difficultés sociales des familles de ce quartier, j’observe que le nombre d’élèves boursiers s’accroît régulièrement depuis plus de quinze ans. Ils représentent aujourd’hui les deux tiers de l’effectif du collège, contre 33 % en 2000. En outre, l’établissement accueille cette année des élèves de seize nationalités différentes, ce qui oblige l’équipe éducative, dont j’ai constaté la mobilisation et la très forte motivation, à apporter un soutien accru.
En conséquence, il me semble nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que soient mis à jour les critères ayant présidé au choix des collèges classés en REP+, pour intégrer les évolutions observées depuis lors.
Si le Gouvernement souhaite la réussite scolaire de tous, le classement de cet établissement doit être revu. Cela est justifié par les difficultés des élèves le fréquentant.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le sénateur, je vous confirme que le Gouvernement souhaite la réussite scolaire de tous les élèves. C’est la raison pour laquelle il a mis en place une nouvelle cartographie de l’éducation prioritaire, qui a été déterminée dans chaque académie au terme d’un dialogue et en tenant compte de critères objectifs dont on sait qu’ils ont une incidence sur la réussite scolaire.
S’agissant plus particulièrement de l’académie de Rennes, au terme de la discussion qui a été menée, le collège Kerhallet a été maintenu dans le dispositif de l’éducation prioritaire, et cinq écoles primaires lui ont été rattachées pour la rentrée de 2015.
S’agissant plus particulièrement de son classement en REP et non en REP+, l’académie reste pleinement attentive aux besoins des élèves du collège Kerhallet. À cet égard, 40 heures ont été attribuées en sus de la dotation horaire globale, pour permettre d’organiser les enseignements de manière plus individualisée. Le collège bénéficie également d’une dotation en heures d’accompagnement éducatif trois fois plus importante que la moyenne départementale. Un emploi d’assistant d’éducation supplémentaire à temps plein a également été octroyé. Enfin, les fonds sociaux de cet établissement sont trois fois plus élevés que la moyenne des collèges du département.
Ainsi, bien qu’il n’ait pas été classé en REP+, les moyens du collège Kerhallet ont été considérablement renforcés, eu égard à la situation particulière dont vous vous êtes fait l’écho. En effet, il est le collège du département du Finistère le mieux doté au regard du nombre d’élèves qui y sont scolarisés.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le ministère est attentif aux difficultés de chaque établissement. Il adapte la répartition des moyens pour que chaque élève puisse apprendre dans un environnement favorable permettant à tous de réussir.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de cette réponse. Toutefois, elle ne me satisfait guère.
Si ce collège bénéficie effectivement de moyens accrus par rapport aux autres collèges du département, cela est justifié par le fait qu’il a à accueillir une population affrontant de grandes difficultés.
Ce que je dénonce surtout, c’est l’inadéquation entre la politique de la ville définie par le Gouvernement et la politique de soutien scolaire. Il me semblerait en effet logique que ces deux politiques soient mises en cohérence. Dès lors que des quartiers ont été classés en zones sensibles, il convient de prendre en compte cette nouvelle situation.
Je suis donc déçu par la réponse de Mme la ministre de l’éducation nationale.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Souhaits de bienvenue à deux nouveaux sénateurs
M. le président. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui dans l’hémicycle nos deux nouveaux collègues sénateurs de Polynésie française, Mme Lana Tetuanui et M. Nuihau Laurey. Je leur souhaite, au nom du Sénat tout entier, la bienvenue, ainsi qu’un excellent mandat. (Applaudissements.)
5
Croissance, activité et égalité des chances économiques
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet n° 300, texte de la commission n° 371, rapport n° 370, tomes I, II et III).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.
Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, permettez-moi de remercier ceux qui, outre vous-même, bien sûr, monsieur le ministre, ont accompli, à l’occasion du débat en séance publique sur ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, un énorme travail : chacun en conviendra, rester 135 heures au banc de la commission, c’est tout de même très long !
À cet égard, Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale, mérite tout particulièrement vos applaudissements, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.) Les méritent tout autant les trois corapporteurs, Catherine Deroche, Dominique Estrosi-Sassone et François Pillet. (Mêmes mouvements.)
Pour donner une juste mesure de leur travail, rappelons que nos collègues députés avaient, eux, confié ce texte à neuf rapporteurs. Entre le Sénat et l’Assemblée nationale, le rapport est donc de 1 à 3 : voilà qui illustre la force de travail dont notre institution peut faire preuve ! (Sourires.)
Monsieur le ministre, non seulement votre projet de loi est copieux, mais il renferme des dispositions très diverses ; son caractère éclectique n’a échappé à personne.
Le texte sur lequel nous allons nous prononcer est donc le fruit d’un gros travail, mais aussi d’un beau travail, en ce sens qu’il est utile, pour les Français et pour la France.
Il y a quelques semaines, le Sénat a reçu un texte que l’Assemblée nationale avait affadi et qui, de surcroît, restait assez emblématique de la méthode habituellement suivie par le Gouvernement : celle des petits pas, des tout petits pas, pour ne pas dire des petits pas de côté, voire des petits pas en arrière. (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Cela n’a aucun sens !
M. Bruno Retailleau. Pour notre part, nous avons souhaité rendre du souffle à ce projet de loi, lui donner un élan réformateur, à l’heure où la France doit affronter une situation économique très difficile.
Nous avons tenu à agir de manière constructive, en écartant les postures politiciennes ou idéologiques,… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq. Pas toujours !
M. Bruno Retailleau. … en repoussant aussi la tentation de nous arrimer à un certain nombre de marqueurs.
Notre seule ligne, notre seul horizon, mes chers collègues, c’est l’intérêt supérieur du pays, c’est de réformer la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. On ne s’en est pas rendu compte…
M. Alain Néri. Vous n’avez pas le monopole de l’intérêt général !
M. Bruno Retailleau. Pas plus que vous, cher collègue !
Nous avons suivi nos convictions, et personne ne peut nous reprocher d’y être fidèles.
M. Alain Néri. Encore faudrait-il respecter celles des autres !
M. Bruno Retailleau. De plus, nous avons systématiquement cherché les points d’équilibre. Nous avons voté les mesures dont nous avions dit que nous les approuvions et nous avons rejeté celles qui nous paraissaient contre-productives.
De ce point de vue, je songe à la réforme par ordonnance de l’inspection du travail – sans doute un gage donné aux « frondeurs…
Je pense également aux dispositions qui visaient à étendre les attributions de l’Autorité de la concurrence. Ainsi, cette instance était censée améliorer la répartition territoriale des professions réglementées. Qui, dans cet hémicycle, peut croire sérieusement qu’en remettant notre pouvoir à l’Autorité de la concurrence nous pourrions prévenir l’apparition de déserts juridiques, comme nous avons déjà des déserts médicaux ? Grâce à François Pillet, nous avons avancé sur ce sujet et nous avons atteint un point d’équilibre qui n’est pas réductible à un statu quo.
En limitant aux entreprises de plus de 250 salariés le transfert des dossiers aux tribunaux de commerce spécialisés, nous avons, je le crois, également atteint un juste équilibre.
Parallèlement, nous avons conforté tout ce qui allait dans le bon sens. Car, pourquoi ne pas l’admettre, le projet de loi tel qu’il nous a été transmis était porteur d’heureuses initiatives : je pense à la libéralisation du transport par autocar, au financement interentreprises ou encore à diverses mesures de simplification. L’idée d’attribuer à chaque entreprise une carte d’identité numérique valant devant toutes les administrations est positive.
Monsieur le ministre, dans certains cas, nos volontés se sont même rejointes, par exemple pour réduire la facture numérique.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. Il est tout naturel que cet enjeu obsède le Sénat : nous ne connaissons que trop les difficultés auxquelles les carences des réseaux, notamment des réseaux de téléphonie mobile, exposent nos territoires.
De même, au sujet du suramortissement, nous avons voté l’amendement que vous avez déposé. Au reste, voilà quelques mois, nous avions nous-mêmes proposé, dans le cadre du projet de loi de finances, puis du projet de loi de finances rectificative, des mécanismes permettant de faciliter l’amortissement et, ainsi, l’investissement des entreprises. Car il n’y a pas de reprise durable sans investissement !
En règle générale, au-delà des dispositions que nous avons pu conforter, nous nous sommes efforcés de muscler ce texte pour en faire un accélérateur de croissance. Nous avons tâché d’apporter à l’économie française ce qui lui fait le plus cruellement défaut : de la souplesse et de la simplification.
La souplesse, nous l’avons accrue en adaptant les accords défensifs, qui permettent notamment de sortir des 35 heures, mais aussi en créant des accords offensifs. Nous nous sommes penchés sur les contrats de travail et, en particulier, nous avons institué les contrats de mission. En outre, nous avons plafonné les indemnités de licenciement.
Il est un chiffre, mes chers collègues, qui vous a peut-être échappé : savez-vous quel est, en France, le délai moyen avant que l’emploi s’adapte à l’activité réelle de l’économie ? Vingt-quatre trimestres, soit six années ! En Allemagne, il n’est que de cinq trimestres et, en Italie comme en Grande-Bretagne, de deux trimestres ! De tels chiffres montrent l’écart abyssal qui sépare, en la matière, notre pays de ses voisins.
Mme Catherine Tasca. Mais vous l’avez géré pendant dix ans !
M. Bruno Retailleau. Ils permettent aussi de prendre la mesure des réformes qu’il nous faut mener !
Avec M. le président de la commission spéciale et nos trois corapporteurs, nous avons en outre introduit dans le présent texte des mesures de simplification, s’agissant par exemple du compte pénibilité. Dans le même esprit, nous avons voté le doublement des seuils sociaux, les portant de dix à vingt et de cinquante à cent salariés. Car c’est cela qui, aujourd’hui, entrave les embauches dans nos PMI et nos ETI.
M. Didier Guillaume. Impensable…
M. Bruno Retailleau. De même, nous avons souhaité modifier le dispositif de la loi Hamon, qui bloque actuellement la transmission d’entreprises dans notre pays.
Ainsi, nous nous sommes efforcés d’être constructifs. À mes yeux, le texte auquel nous avons abouti est véritablement réformateur.
Désormais, monsieur le ministre, vous êtes face à un choix, le choix entre l’audace et la prudence.
Si vous optez pour le chemin de l’audace, vous aurez à vos côtés des sénatrices et des sénateurs de bonne volonté, qui, en commission mixte paritaire, vous tendront la main pour que ces réformes aboutissent.
L’autre choix vous est beaucoup plus politicien. C’est un choix de calcul.
M. Jean-Louis Carrère. Dans ce domaine, vous êtes experts !
M. Bruno Retailleau. Il consiste tout simplement à ménager les « frondeurs », dans la perspective du congrès de Poitiers ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Respectez nos convictions !
M. Jean-Louis Carrère. C’est bien une réflexion de « républicain » !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Retailleau.
M. Bruno Retailleau. À cet égard, je ne formulerai qu’un seul conseil : quitte à recourir au « 49.3 », autant l’utiliser pour quelque chose ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. C’est comme pour les primaires !
Mme Isabelle Debré. Monsieur Carrère…
Mme Éliane Assassi. Le temps de parole est épuisé !
M. Didier Guillaume. Ces polémiques politiciennes sont stériles !
M. Bruno Retailleau. Je conclurai en citant notre excellent collègue député Bruno Le Roux, qui a, comme moi, l’honneur de présider un groupe parlementaire fort d’un grand nombre d’élus. Il y a quelques jours, M. Le Roux a souligné, dans un tweet absolument génial, que le courage de réformer pouvait de révéler payant. Oui, cela a payé en Allemagne, avec Mme Merkel, et cela a payé en Grande-Bretagne, avec M. Cameron.
M. Didier Guillaume. Et en France, que s’est-il passé en 2012 ?
M. Alain Néri. Vous êtes restés dix ans aux commandes !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, je vous en prie, ayez la hauteur de vue qu’exige aujourd’hui la transformation de l’économie française ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. – Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à ouvrir mon propos par des remerciements, destinés à toutes celles et tous ceux qui ont pris part à ces discussions, et en particulier au président et aux corapporteurs de la commission spéciale : au cours de ces longs débats, ils ont, sans relâche, défendu les positions de la commission spéciale et du Sénat.
La Haute Assemblée peut légitimement être fière du travail accompli…
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c’est vrai !
M. François Zocchetto. … et du résultat obtenu.
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c’est une autre affaire… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Zocchetto. Au terme d’un débat nourri, c’est un texte sensiblement amélioré qui va être mis aux voix. Accessoirement – mais c’est, pour nous, un point essentiel –, un tel travail démontre la vigueur du bicamérisme et l’utilité du Sénat.
Monsieur le ministre, avant d’évoquer le contenu du présent texte, je tiens à dire quelques mots de sa forme.
Ce projet de loi, comme d’autres avant lui – je songe par exemple à la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, la loi ALUR –, est à l’évidence beaucoup trop long. Il s’est, de ce fait, éloigné de ses objectifs initiaux, étant donné que ses principales mesures ont été diluées parmi des dizaines d’articles supplémentaires.
Cette réforme regroupait trop de thématiques différentes. Avec des textes plus courts, la loi gagnerait en efficacité et en lisibilité.
Mme Éliane Assassi. C’est certain !
M. François Zocchetto. J’ajoute qu’en procédant ainsi on faciliterait les navettes entre les deux chambres. Nous avons, en l’occurrence, un bel exemple de l’enrichissement mutuel des débats qu’assure le dialogue entre les deux assemblées.
Aussi, j’ai peine à comprendre pourquoi le Président de la République, François Hollande, a critiqué, le 19 avril dernier, « la lenteur des débats parlementaires ». Personne n’a jamais pu prouver que la précipitation était l’alliée du législateur. En l’espèce, pour des mesures qui vont toucher la vie quotidienne de nos concitoyens et transformer les conditions d’exercice de nombreuses professions, un total de cinq mois de débats ne me semble pas du tout excessif.
Disons-le nettement : si le Gouvernement était plus clair dans ses axes de réforme, nous ne serions pas contraints d’examiner des textes si longs et si complexes.
M. David Assouline. Parce que c’était mieux avant, sans doute ?...
M. François Zocchetto. Le Sénat est en train de réformer ses méthodes de travail, et c’est bien, mais l’exécutif pourrait faire de même, car le Gouvernement est le premier responsable des longueurs que déplore le Président de la République.
J’en viens maintenant au fond de ce projet de loi.
Nous partageons, monsieur le ministre, le constat que vous avez dressé sur l’économie française. La France souffre, selon vous, de trois maux : la défiance, la complexité et le corporatisme. Ces trois sources de difficultés sont connues, et il est grand temps de s’y attaquer.
La confiance des Français s’est profondément détériorée. Nous vivons dans un désagréable climat de défiance à l’égard de nos institutions, de ce que l’on appelle la « classe politique » et, plus généralement, de notre modèle social et économique. Si la confiance est si difficile à retrouver, c’est parce que notre pays fonctionne au ralenti depuis plusieurs années.
Mme Nicole Bricq. Ça, c’est vrai !
M. François Zocchetto. En effet, le retour de la compétitivité, tant espéré, se fait attendre, encore et toujours. Le Gouvernement peine à trouver des réponses à une crise qui n’a que trop duré. Il n’a, selon nous, jamais su prendre de véritables mesures d’envergure, ambitieuses et visionnaires.
Cela a été souvent dit à cette tribune : seules des réformes structurelles permettront à la France de se relever et de retrouver son attractivité.
Or, monsieur le ministre, je n’ai vu dans ce texte aucune réforme systémique de notre fiscalité assourdissante. Je n’y ai pas vu non plus de modernisation de la fonction publique, pour libérer des emplois, pas plus que de réformes des retraites ou d’allégement substantiel du droit du travail.
M. Alain Néri. Vous devriez vous acheter des lunettes !
M. François Zocchetto. Ce ne sont pas les notaires, les huissiers, les avocats ou les commissaires-priseurs qui étouffent notre économie. Ce sont les 57 points de PIB consacrés à la dépense publique, au détriment de l’initiative privée, (Protestations sur les travées du groupe CRC.) qui verrouillent tout esprit de réforme et d’entreprise dans notre pays.
Face à tous ces doutes, le Sénat a travaillé et propose aujourd’hui un texte différent, plus riche et plus ambitieux…
M. Jean-Louis Carrère. Plus à droite !
M. François Zocchetto. … pour notre pays, qui permettra de répondre aux trois grands objectifs que vous aviez énoncés dans votre exposé préalable.
Je ne peux pas citer l’ensemble des avancées réalisées au cours des dernières semaines, mais je rappellerai les plus significatives.
En matière de mobilité, l’ouverture à la concurrence des TER dès le 1er janvier 2019 s’articule parfaitement avec la clarification des compétences recherchée par tous.
Nous avons également confirmé le doublement du montant du plafond de la réduction ISF-PME.
S’agissant de la réforme des professions juridiques et judiciaires réglementées, notre approche a été raisonnable et constructive. Nous avons réaffirmé la spécificité de la prestation juridique et créé un code de l’accès au droit et de l’exercice du droit.
Dans le domaine du droit du travail, soulignons les simplifications bienvenues du compte pénibilité, avec la suppression de la fiche individuelle et la limitation du nombre de facteurs mesurés pour évaluer la pénibilité.
Nous avons également revu le cadre des accords possibles en entreprise sur les 35 heures. Il me semble d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous partagez notre point de vue sur ce sujet. Nous allons ainsi passer d’accords défensifs à des accords offensifs, en conférant aux entreprises la souplesse nécessaire.
Dans ce même domaine, le lissage des effets de franchissement des seuils sociaux était attendu depuis longtemps.
Concernant le travail dominical, nous avons su préserver l’équilibre entre zones touristiques et commerciales et zones moins concernées comme entre petits commerces et grandes surfaces.
Dernier point, mais qui n’est pas le moins important, le Sénat a adopté en début de semaine l’amendement du Gouvernement permettant de soutenir à hauteur de 2,5 milliards d’euros les entreprises qui réaliseront des investissements entre avril 2015 et avril 2016. J’hésite à vous dire, monsieur le ministre, car je ne souhaite pas vous compliquer la tâche, notre satisfaction – je ne parlerai pas de victoire –, au sein du groupe UDI-UC comme de l’ensemble de la majorité sénatoriale. Cet amendement s’inscrit en effet dans la filiation de celui que nous avions présenté à l’occasion du débat budgétaire de l’automne dernier.
Il s’agit surtout d’une bonne nouvelle pour les entreprises françaises, en dépit du temps perdu, car cette disposition aurait pu et aurait dû être votée depuis longtemps. Il est donc essentiel qu’elle soit maintenue.
Vous partiez, en août dernier, d’une démarche assez idéologique, que vous aviez essayé de traduire dans un texte présentable, qui faisait toutefois de plusieurs professions les comptables et les boucs émissaires des échecs de la politique économique du Gouvernement.
Nous avons finalement vu arriver un texte plus mesuré, il est vrai, mais très incomplet, et surtout très confus. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que ce texte, complètement remanié, répond aux attentes de nos concitoyens, des professionnels, des entreprises, et donc de la majorité sénatoriale.
Dès lors, c’est tout naturellement que le groupe UDI-UC votera ce projet de loi, en encourageant le Gouvernement à préserver, au-delà de nos travaux, les acquis du débat sénatorial ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un texte d’une telle ampleur emporte forcément une certaine dramaturgie. Nous avons connu des temps forts, des temps plats, des moments de surplace, des tunnels, de brusques accélérations, et aussi, il faut le dire, des mouvements d’humeur ! (M. Jacques Mézard opine.)
C’était long, le président François Zocchetto l’a dit, mais c’est parce qu’il y avait une certaine urgence, d’autant que rien n’avait été fait auparavant. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Les gouvernements successifs étaient restés les bras croisés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Nous étions, hier, heureux d’en avoir fini…
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq. … et nous nous sommes congratulés. Nous étions surtout heureux d’avoir su travailler en nous respectant les uns les autres. Aujourd’hui, vient le moment du choix politique.
Tous, nous avons salué l’engagement total du ministre (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Isabelle Debré applaudit également.), sa volonté de convaincre, de répondre point par point aux arguments contraires, d’où qu’ils viennent, d’y revenir sans arrogance et avec la pédagogie nécessaire.
M. Michel Bouvard. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq. La majorité de la commission spéciale, son président et ses corapporteurs, dont il faut saluer la constance et la présence continue, avaient arrêté une stratégie avec la majorité sénatoriale : pas de confrontation systématique, mais des réécritures. Nous avons pourtant pu constater que, parfois, ces réécritures valaient suppression de l’esprit général du texte.
Il revenait au groupe socialiste de tenir la ligne de soutien à notre gouvernement.
Chaque fois, en particulier, qu’il s’est agi de défendre et de maintenir des dispositifs de négociations et de dialogue social contre des décisions unilatérales des employeurs, comme cela a été malheureusement le cas pour le travail du dimanche, nous sommes restés fidèles à nos principes : pas d’accord, pas d’ouverture !
Chaque fois que nous avons dû défendre notre conception de l’entreprise, au cours de plusieurs débats presque philosophiques, en tout cas très politiques, nous nous sommes engagés : une entreprise n’est pas seulement une société de droit, c’est aussi et surtout une communauté d’intérêts, dans laquelle les salariés doivent être traités en parties prenantes.
Ce fut notamment le cas lorsqu’il s’est agi du droit d’information des salariés. Je veux vous dire, monsieur le président Retailleau, que nous n’avons vraiment pas apprécié votre manière de le qualifier. J’ai cru, un moment, que vous aviez commis une erreur de langage ; cela peut arriver ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Cela n’arrive pas au président Retailleau ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Bricq. Mais, en relisant les débats, il m’est bien apparu que vous aviez utilisé le qualificatif de « toxique » à propos de ce dispositif. À mes yeux, vous avez commis là une mauvaise action et prononcé une mauvaise parole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il y eut des temps forts et productifs. J’en retiendrai trois.
Ce fut d’abord la matinée consacrée à la couverture des zones blanches et au déploiement de la fibre, qui a abouti à un amendement du Gouvernement adopté à l’unanimité. Vous avez, monsieur le ministre, immédiatement convoqué les opérateurs pour qu’ils s’engagent aux côtés des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
Mme Nicole Bricq. C’est un honneur pour nous d’avoir voté cette mesure ici.
C’est également le Sénat qui aura voté le mécanisme de surinvestissement pour les entreprises.
M. Albéric de Montgolfier. Mais c’est nous qui l’avons proposé !
Mme Nicole Bricq. J’y vois une marque de reconnaissance à l’endroit de cette institution de la part du Gouvernement, et je l’en remercie.
Beau travail, également, que celui qui a conduit à un accord sur le crédit interentreprises, lequel libère les entreprises de banques, toujours frileuses quand il s’agit de les financer.
Il y eut aussi des temps plats, durant lesquels nous avons fait du surplace : impossible de s’entendre, par exemple, sur la spécialisation de certains tribunaux de commerce.
À la vérité, à la décharge de la commission spéciale, je dois dire que nous avions passé la matinée à écouter le corapporteur s’efforcer de convaincre sa majorité, très rebelle à cette idée, de ne pas voter la suppression. On peut comprendre qu’après cela vous n’ayez plus voulu céder sur rien, monsieur le corapporteur !
La commission spéciale a parfois rencontré des difficultés à contenir sa majorité, mais elle a aussi prêté la main à quelques débordements. J’ai compté dix épisodes, dont aucun n’était majeur, qui vous ont conduits à céder sur votre stratégie ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je les ai comptés !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Dix, sur 135 heures de débats…
Mme Nicole Bricq. Malgré les objurgations du président Capo-Canellas, vous n’avez pu empêcher votre majorité d’en rajouter dans les exonérations sociales et fiscales non justifiées.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Vous, vous n’avez cessé d’en rajouter dans la fiscalité !
Mme Nicole Bricq. J’ai fait un décompte rapide : il est tout de même étonnant que ceux qui nous réclament plus de 100 milliards d’euros d’économies au dehors de cet hémicycle aient ainsi ajouté près de 300 millions d’euros de dépenses ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. Didier Guillaume. Exactement !
Mme Nicole Bricq. Enfin, la majorité sénatoriale a voulu placer dans ce texte quelques marqueurs politiciens, et c’est de bon cœur que la commission spéciale a suivi sa majorité, dès lors qu’il s’agissait du social et du travail.
On retiendra, entre autres, les agressions contre le compte pénibilité et les seuils sociaux.
M. Francis Delattre. Mais on ne retiendra pas votre discours ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Bricq. C’est décidément faire peu de cas des partenaires sociaux !
De même, le renversement des accords de maintien de l’emploi défensifs, transformés en accords offensifs, alors même que vous savez parfaitement que le Gouvernement doit très prochainement s’en entretenir avec les partenaires sociaux pour prendre une décision qui sera traduite dans la navette parlementaire, est une mauvaise manière faite au Gouvernement et un mauvais coup porté au dialogue social.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Oh !
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Nicole Bricq. Si nous avons pu aboutir sur la réforme prud’homale, nous avons échoué à faire évoluer significativement les professions du droit, car la majorité sénatoriale s’est montrée franchement conservatrice à ce sujet.
À l’heure des comptes et du choix, le groupe socialiste a considéré que le texte pouvait assurer sa bonne fin dans la navette parlementaire, au service de l’économie, de la croissance et de l’emploi pour la France et les Français.
M. Roger Karoutchi. Ça veut tout dire !
Mme Nicole Bricq. Certes, il contient des mesures qui visent à le « droitiser »,…
Un sénateur du groupe UMP. Et donc à l’améliorer !
Mme Nicole Bricq. … mais elles n’ont reçu aucun aval du Gouvernement que nous soutenons et, fort heureusement, elles ne survivront pas à la navette ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
En conséquence, la réforme l’emportera sur la régression et l’immobilisme, et cela motive notre abstention finale ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.
M. Jean Desessard. Après quinze jours de débats, le Sénat a achevé l’examen de l’un des plus longs textes que notre assemblée ait eu à étudier.
Sur la forme, j’ai eu l’occasion hier de souligner le bon climat des débats, grâce à l’écoute constructive dont ont fait montre le ministre, les corapporteurs et le président de la commission spéciale.
Sur le fond, dans sa philosophie générale, le projet de loi tend à déverrouiller un certain nombre de secteurs, dans l’objectif affiché de créer de l’activité et de la croissance. Ouvertures de lignes privées d’autocar, liberté d’installation et regroupement des professions réglementées, simplification du droit de l’environnement, ouverture facilitée des commerces le dimanche et la nuit : telles sont certaines des propositions qui nous sont faites.
Tout d’abord, monsieur le ministre, nous sommes réservés quant au potentiel de croissance que vous pensez obtenir grâce à ces mesures de dérégulation.
Ensuite, en vertu de votre volonté de produire toujours plus, vous considérez comme autant d’obstacles des règles qui tendent à préserver notre patrimoine ou notre environnement ; obstacles aussi des règles qui garantissent le droit des salariés à disposer de temps libre ; obstacles encore des règles qui garantissent l’éthique des professions réglementées.
Cependant, afin de limiter l’impact négatif de certaines mesures, vous avez prévu des contreparties. Ces contreparties permettent à votre réforme d’atteindre un point d’équilibre que l’on peut qualifier de « social-libéral ».
Mais qu’adviendra-t-il si une nouvelle majorité est aux commandes (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)…
M. Francis Delattre. Excellente question !
M. Jean Desessard. … et si un nouveau ministre de l’économie occupe votre poste ?
Le projet de loi ouvre des brèches qui peuvent être exploitées dans une logique tout autre que celle de l’actuel gouvernement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
Le projet social-libéral peut très facilement devenir libéral tout court. C’est précisément ce qui s’est d’ores et déjà produit lors de l’examen du texte au Sénat. La majorité de droite… (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Et du centre !
M. Jean Desessard. … ou la majorité sénatoriale, pour ne pas vous vexer, chers collègues, a profité de votre projet de loi, monsieur le ministre, pour y apposer sa marque et rompre l’équilibre que vous proposez.
M. Gérard Cornu. Heureusement !
M. Jean Desessard. Sur le travail dominical et nocturne, les entreprises auront la possibilité de déroger très largement aux contreparties en s’affranchissant du dialogue social.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean Desessard. À l’occasion de la libéralisation du transport par autocar, la majorité sénatoriale a adopté un amendement visant à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional.
Et puisque l’on traite largement du droit du travail, pourquoi s’arrêter ? Pourquoi ne pas instaurer trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière et territoriale, relever les seuils sociaux et permettre de déroger aux 35 heures ? (Marques d’approbation ironiques sur les travées de l'UMP et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. Joël Guerriau. Très bien !
M. Jean Desessard. Le risque d’une dérive libérale n’est donc pas hypothétique : le texte qu’il nous est proposé aujourd’hui de voter nous en apporte la preuve.
Nous déplorons aussi très vivement l’adoption, à cinq heures du matin, juste avant l’interruption de nos travaux pendant deux semaines, de l’amendement qui vise à permettre le stockage de déchets radioactifs à Bure, dit « amendement Cigéo », qui avait même été appelé par priorité afin de s’assurer qu’il serait voté avant la fin de la séance !
Pour être objectif, il faut cependant prendre acte du travail du Sénat sur plusieurs points. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) La limite kilométrique de déclaration des lignes d’autocar à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a été relevée pour ne pas concurrencer les lignes publiques. L’article 29, qui empêchait la démolition de bâtiments soumis à recours contentieux, a été supprimé. Enfin, le Sénat a adopté une position équilibrée au sujet des professions réglementées en redonnant la main au ministère de la justice sur les installations et en encadrant les remises.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Excellent !
M. Jean Desessard. Toutefois, ces quelques avancées ne changent en rien notre analyse globale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. C’est dommage !
M. Jean Desessard. Nous refusons la logique de ce texte, selon laquelle la croissance sera au rendez-vous de la dérégulation. Nous ne pensons pas qu’il faille de la dérégulation pour créer de la croissance. Nous craignons aussi, comme je l’ai déjà dit, qu’une autre majorité ne s’engouffre dans la brèche ouverte et n’impose toujours plus de dérégulation au nom d’une hypothétique croissance. Cette nouvelle majorité, monsieur le ministre, n’aura pas les limites que vous vous êtes imposées dans ce texte.
Les écologistes voteront par conséquent contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Marques de déception feintes sur les travées du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. Avant de donner l’appréciation globale du groupe communiste républicain et citoyen sur le fond de ce projet de loi, je voudrais m’arrêter quelques instants sur la forme de ce débat parlementaire.
En trois semaines, nous avons dû examiner en séance publique un véritable monstre juridique. Ces sables mouvants législatifs ont gêné l’appréhension de ce texte par les parlementaires, mais aussi par les citoyens.
Comme nous l’avons indiqué en défendant notre motion d’irrecevabilité, la loi doit être intelligible, compréhensible pour tous. Votre texte l’est-il, monsieur le ministre ? Hors de ces murs, a-t-il permis un véritable débat dans le pays sur le choix de société que vous portez, à savoir le libéralisme ?
Cette question de forme n’est pas un détail. A l’heure où le Sénat annonce vouloir se réformer, on s’interroge : une démocratie parlementaire peut-elle fonctionner en étant soumise à une telle inflation législative ? Ce texte regroupait l’équivalent d’au moins quinze projets de loi !
Par ailleurs, au regard de la masse de ses dispositions, il est inadmissible d’imposer la procédure accélérée. Alors que 600 amendements, au moins, ont été adoptés au Sénat, est-il acceptable que l’Assemblée nationale ne se ressaisisse pas de ce texte ? Rappelons qu’elle ne l’a pas adopté en tant que tel puisque, faute de majorité de gauche pour vous soutenir, monsieur le ministre, M. le Premier ministre a dû dégainer brutalement le « 49.3 » !
Un accord en commission mixte paritaire paraît invraisemblable tant les amendements de la droite sénatoriale poussent les feux du libéralisme à leur paroxysme. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. Vous n’avez encore rien vu !
Mme Éliane Assassi. Un tel accord serait une violence inadmissible faite à la majorité de l’Assemblée nationale et à ces dizaines de sénateurs de gauche, socialistes en particulier, qui avaient déjà refusé la dérive libérale du texte initial.
Monsieur le ministre, c’est une question grave. Je sais votre intention d’aller vite dans ce débat. Vous êtes en effet inquiet des effets dévastateurs que pourrait avoir dans l’opinion, et dans l’électorat de gauche, la divulgation des multiples capitulations devant le marché que recèle ce texte.
Votre projet, monsieur le ministre, comme nous l’avons dit et répété tout au long de ce débat, a une cohérence, celle d’un libéralisme assumé, d’un libéralisme qui envahit tous les aspects de la vie publique et privée, un libéralisme que vous assumez pleinement. Pourtant, le 6 mai 2012, les électeurs ont voulu mettre un terme, et pour une bonne part d’entre eux radicalement, sans compromis, à la dérive libérale des années de présidence de M. Nicolas Sarkozy.
Votre projet, monsieur le ministre, consiste en une dérégulation à tout va. Vous ouvrez massivement les lignes de transport routier de voyageurs, au détriment de la sécurité et de l’écologie, quitte à affaiblir l’un des atouts majeurs de notre pays : le transport ferroviaire.
La concurrence est votre maître mot : « mettre en concurrence », « faire jouer la concurrence », « la compétition »… Pourquoi pas « le combat » ? Les idéaux de fraternité, d’égalité et de liberté – celle de bien vivre et de s’épanouir, non celle de vendre, d’acheter et d’exploiter – sont noyés dans votre océan normatif.
Dérégulation et concurrence sont aussi les points clefs des dispositifs de privatisation adoptés par le biais de ce projet. Monsieur le ministre, vous nous refaites le coup des autoroutes avec les aéroports ! La collectivité a investi pour de grandes infrastructures très rentables ; vous les cédez au privé, aux actionnaires. Comment s’étonner que, dès à présent, l’ombre du Qatar plane sur les aéroports concernés, à Lyon et à Nice ? (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
L’industrie de défense elle-même est soumise à la pression du privé : vous instituez un partenariat surprenant avec un géant historique de l’armement allemand, au risque de perdre le lien nécessaire entre armement et diplomatie nationale.
Même le secteur du logement n’a pas trouvé grâce à vos yeux, puisque vous privilégiez le logement intermédiaire en remettant en cause l’effort réel pour le logement social engagé par Mme Duflot. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
Discrètement, vous multipliez les dispositions en faveur de l’actionnariat. Actionnariat salarié, dites-vous ; mais, comme nous l’avons démontré, le dispositif des actions gratuites de l’article 34 fait des cadres dirigeants les principaux bénéficiaires de ces nouveaux cadeaux.
Jamais, dans votre texte, il n’est question de faire participer à l’effort de croissance les banques et les détenteurs de capitaux !
Enfin, le volet social de votre texte est truffé de régressions majeures : extension du travail dominical à douze dimanches par an, avec une généralisation en perspective ; remise en cause des prud’hommes et de l’inspection du travail ; instauration d’une procédure civile qui placera le salarié devant les avocats tout puissants du patronat.
Ces quelques mots ne permettent pas de traduire l’ampleur des transformations que vous proposez.
Pour conclure, je veux m’arrêter sur les conséquences des mesures sénatoriales adoptées avec votre assentiment.
La droite vous a manifesté un soutien constant durant ce débat, vous applaudissant à maintes reprises. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Isabelle Debré. Pas toujours !
Mme Éliane Assassi. La droite a donné son approbation aux grands axes que je viens d’évoquer, à l’exception remarquée des articles relatifs aux professions juridiques. Elle va même plus loin, et trop souvent avec votre assentiment, monsieur le ministre.
Parmi ces mesures se trouve l’extension du travail dominical, qui, dans les entreprises de moins de 11 salariés s’effectuera sans contreparties. Les enseignes culturelles pourront ouvrir le dimanche, car la culture, même le dimanche, cela consiste sans doute à vendre et consommer… Les accords « offensifs » de maintien de l’emploi apportent de nouvelles dérogations aux 35 heures et font régresser les droits des salariés. Leur droit à l’information est lui aussi limité, et la loi Hamon est battue en brèche. Les seuils sociaux augmentent pour mieux diminuer les droits collectifs des salariés.
Je citerai enfin la destruction du compte pénibilité et la mise en place, à la demande du groupe UMP – et avec votre accord, monsieur le ministre : c’est dans le Journal officiel – d’une commission chargée d’écrire un nouveau code du travail simplifié. M. Gattaz a dû bien dormir le soir du vote de cet amendement ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Et que dire de la privatisation des trains régionaux, autorisée par la majorité sénatoriale ?
Votre texte, monsieur le ministre, est un formidable réceptacle pour toutes les régressions sociales. Il ouvre la boîte de Pandore en brisant les digues construites en France durant des décennies par les luttes des salariés, les luttes du peuple que symbolise le programme des « Jours heureux » du Conseil national de la Résistance.
Pour vous, le droit du travail est un frein à l’expansion du marché. Vous avez bien raison : là où il a sombré, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les inégalités ont crû, la pauvreté s’est développée.
Nous refusons votre modèle de société, que beaucoup, à la droite de cet hémicycle, approuvent.
Nous savons qu’à gauche, nous ne sommes pas seuls. Nous agirons pour rappeler que la gauche a d’autres valeurs, celles de l’humain, de l’égalité et du partage, et qu’elle porte des propositions alternatives, comme nous l’avons démontré tout au long des débats.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc contre ce projet, encore aggravé, si cela était possible, par la droite sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de trois semaines de débats sur ce projet de loi, notre Haute Assemblée a adopté en séance publique pas moins de 280 amendements, qui se sont ajoutés aux modifications apportées par la commission spéciale, dont je salue le travail, en même temps que son président et ses corapporteurs. Le texte a ainsi substantiellement évolué par rapport à la version que nous avait transmise l’Assemblée nationale.
En commission spéciale comme en séance publique, le groupe RDSE a apporté sa contribution à un texte ambitieux – probablement trop d’ailleurs – pour l’avenir de notre pays.
Tant par la diversité des sujets abordés que par son impact sur l’état d’esprit général, mais aussi et surtout sur des aspects très concrets de la vie de nos concitoyens, ce projet de loi restera un texte hors norme, ayant permis de battre une série de records ! (Sourires.)
À l’issue de ce travail, qu’on peut qualifier de marathon législatif tant les organismes ont été mis à rude épreuve – jusqu’au bout de la nuit, parfois –, nous estimons que le texte sur lequel nous allons nous prononcer aujourd’hui est, dans l’ensemble, meilleur – ou moins mauvais (Nouveaux sourires.) – que celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale dans les conditions que l’on sait.
Certes, ce projet de loi ne nous donne pas pleine et entière satisfaction, et nous maintenons d’importantes réserves sur bien des points. Cependant, qui peut être entièrement satisfait par un texte contenant autant d’articles et embrassant autant de sujets ? À l’inverse, qui peut prétendre que ce texte ne comporte aucune disposition intéressante, que ce soit dans sa version initiale ou dans les versions adoptées successivement par l’Assemblée nationale et par le Sénat ? Si, dans le « Macron », hélas, tout n’est pas bon, tout n’est pas mauvais non plus ! (Rires.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Excellent !
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité des membres de notre groupe a adopté sans grande difficulté les articles concernant la question du travail dominical, qui n’est pas la plus importante à nos yeux. Je ne reviendrai donc pas en détail sur une réforme qui a pourtant beaucoup retenu l’attention des médias.
Nous sommes également favorables aux dispositions relatives à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.
En revanche, d’autres domaines constituent une priorité pour nous, comme le logement, la vie des entreprises, le droit du travail et, bien sûr, les professions réglementées, thème sur lequel le président de notre groupe, Jacques Mézard, s’est beaucoup investi.
Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. C’est exact !
M. Jean-Claude Requier. Si nous déplorons le fait que certaines mesures figurant dans le texte n’aient pas été suffisamment amendées dans le sens de nos convictions et de notre conception de l’intérêt général, nous nous réjouissons d’être parvenus à convaincre la Haute Assemblée sur d’autres sujets.
Tout d’abord, dans le domaine du logement, l’adoption de nos amendements favorisera la mise en œuvre de dispositions utiles en matière de simplification, de facilitation et de réduction des délais, notamment dans le domaine de la construction de logements sociaux, et encouragera le développement de l’habitat participatif.
En outre, l’élargissement de la composition de la commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier à une représentation des professionnels de l’aménagement introduira davantage d’efficacité et de pluralisme dans ce secteur.
Ensuite, s’agissant des experts-comptables, c’est sur notre initiative que le Sénat a supprimé la possibilité d’instaurer une rémunération au succès pour les activités exercées à titre accessoire, évitant ainsi les dérives bien connues que l’on constate dans les pays anglo-saxons.
Enfin, dans le domaine de la justice commerciale, notre ténacité a également payé : nous avons fait adopter une mesure instaurant la présence de droit des présidents de tribunaux de commerce au sein des formations de jugement des tribunaux spécialisés. Cette mesure apportera une expertise et une connaissance du terrain supplémentaires. Nous préservons par là même un principe de proximité dans la gestion des affaires.
À cet égard, monsieur le ministre, votre projet de loi n’était pas, d’une façon générale, suffisamment marqué par l’empreinte du terrain, des territoires et de la réalité vécue par les Français. C’est cette marque que le RDSE et, plus largement, le Sénat auront permis d’inscrire dans ce texte.
Oui, le Sénat est utile !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Ces trois semaines de débat en fournissent une nouvelle démonstration ! Quelque chose me dit que vous y êtes sensible, monsieur le ministre, pour ne pas dire que vous en êtes convaincu ! (Sourires.)
Cela dit, quelques sujets d’insatisfaction et de préoccupation demeurent pour tout ou partie des membres de mon groupe.
En premier lieu, nous déplorons que les enjeux spécifiques aux territoires ruraux n’aient pas davantage été pris en compte en matière de mobilité et de libéralisation des services de transport. Nous considérons qu’il n’est pas de bonne politique de remettre en cause la pérennité du réseau ferroviaire secondaire, seul garant de l’équilibre entre les territoires, au profit du transport routier. Loin d’encourager l’égalité des chances, le texte risque d’aggraver les inégalités territoriales en favorisant ceux qui, sur le plan économique et territorial, disposent déjà de plus d’atouts.
En deuxième lieu, la volonté, affichée dans le cadre la réforme de la justice prud’homale, de réduire les délais de jugement est certes louable, mais elle risque, dans la rédaction actuelle du texte, d’aboutir à une justice au rabais, voire de complexifier les procédures. Plus que jamais, si l’on veut développer une véritable culture de la conciliation, il faut avoir le courage de mobiliser des moyens pour former les conseillers prud’homaux à celle-ci.
En troisième lieu, nous nous inquiétons de l’adoption d’une mesure visant à supprimer la fiche individuelle du compte pénibilité. Bien que nous soyons en principe favorables à un assouplissement, nous ne voudrions pas que les mesures de simplification soient prises au détriment des salariés les plus vulnérables.
En quatrième et dernier lieu, la réforme des professions réglementées reste, à nos yeux, la partie la plus discutable du projet de loi. Nous regrettons les mesures adoptées sur la liberté d’installation des avocats : elles risquent de renforcer les déserts juridiques et d’entraîner une perte de « matière grise », notamment dans des territoires ruraux qui seront une nouvelle fois les premières victimes. À cet égard, nous regrettons la remise en cause de la postulation des jeunes avocats aux tribunaux de grande instance, qui préservait cet équilibre. Mes chers collègues, le Sénat aura le devoir de revenir à terme sur ce dispositif.
De manière plus globale, nous restons opposés à la vision trop technocratique et parisienne qui se dégage, selon nous, des articles concernant les avocats, les notaires, les huissiers et les commissaires-priseurs. Ces dispositions nous semblent encore trop déconnectées des réalités locales et du terrain. Monsieur le ministre, soyez un ministre de terrain, venez à la rencontre des territoires et des Français !
Lors de nos riches échanges sur la couverture de la téléphonie mobile, qui ont duré toute une matinée, vous avez montré votre intérêt pour la ruralité. Puisque votre agenda est désormais quelque peu allégé (Sourires.), profitez-en pour sortir de Bercy ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Venez donc dans le Lot déguster au passage une bécasse ! (Rires et exclamations.) Rendez-vous en Lozère, dans le Cantal, dans le Gers, et même en Corrèze !
M. Bruno Retailleau. Et la Vendée ?
M. Jean-Claude Requier. Pour cela, prenez plutôt le train ! À moins que vous ne préfériez l’autocar ! (Mêmes mouvements.)
Bien entendu, notre sens bien connu de la responsabilité et de la mesure nous incite à reconnaître de réelles améliorations. Nous saluons ainsi les progrès réalisés, sur l’initiative du corapporteur François Pillet, concernant les avocats aux conseils. Bien que les modifications apportées ne nous paraissent pas suffisantes, l’article adopté par le Sénat est préférable à celui qu’avait introduit à l’Assemblée nationale, dans les conditions qu’a rappelées Jacques Mézard lors de son intervention en discussion générale.
M. le président. Mon cher collègue, il va falloir conclure !
M. Jean-Claude Requier. J’en termine, monsieur le président.
Notre groupe porte un jugement nuancé sur ce projet de loi tel qu’amendé par la Haute Assemblée. Nous constatons une indéniable amélioration par rapport au texte issu de l’Assemblée nationale. Toutefois, il nous est impossible de le soutenir pleinement, aussi bien dans sa version initiale que dans sa version issue des travaux du Sénat.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Quel dommage !
M. Jean-Claude Requier. C’est la raison pour laquelle la majorité des membres du groupe RDSE fera le choix de s’abstenir, un choix qui sera exprimé librement et en responsabilité, comme il est d’usage dans notre groupe. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
Ouverture du scrutin public
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous rappelle qu’il aura lieu en salle des Conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Mmes et MM. les secrétaires du Sénat superviseront les opérations de vote.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je vais suspendre la séance jusqu’à quinze heures cinquante, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures cinquante.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 179 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 229 |
Pour l’adoption | 185 |
Contre | 44 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Je tiens à remercier M. le ministre de l’économie, qui a occupé pendant de très longues heures le banc du Gouvernement. Pour votre grande première devant le Sénat, monsieur le ministre, vous vous êtes parfaitement accoutumé au style de notre assemblée, à sa manière de travailler et à sa volonté d’être constructive !
Je remercie également, au nom de tous les membres de notre assemblée, M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale, dont nous avons pu apprécier le travail remarquable et les qualités de chef d’équipe. (Applaudissements.)
Je remercie enfin nos trois corapporteurs, Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et François Pillet, qui n’ont guère quitté le banc des commissions – nombre d’entre nous peuvent en témoigner – et ont donné au projet de loi adopté par le Sénat ses arcs-boutants et ses lignes de force. (Nouveaux applaudissements.)
La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au texte que la Haute Assemblée vient d’adopter, qui n’est ni celui du Gouvernement ni celui de l’Assemblée nationale, peut-on reprocher de ne pas être ce qu’il n’est pas ? Ce projet de loi n’est pas, il est vrai, une réforme fiscale : un pacte de responsabilité et de solidarité a été instauré. Il n’est pas non plus une réforme des retraites : une telle réforme a été adoptée et d’autres le seront. Ne sombrons donc pas dans le bovarysme parlementaire, en reprochant à un texte déjà trop long de ne pas traiter de tout !
On lui reproche parfois de venir trop tard ; j’accepte nombre de reproches, mais convenez que je ne pouvais pas faire plus vite.
On lui reproche parfois d’être trop long. De fait, certains ont calculé que le total des heures pendant desquelles nous avons débattu au cours des dernières semaines représente quinze fois la durée moyenne d’examen d’un texte de loi. Pourtant, je pense que cette odyssée valait la peine d’être accomplie, parce que ce texte long a permis de porter sur nombre de questions un regard neuf.
Plusieurs ont qualifié le projet de loi de « libéral ». Peut-être a-t-il, en sortant du Sénat, une couleur autre que celle qu’il avait en y entrant : question de dosage ! Je crois surtout que son esprit consiste à réformer un grand nombre de secteurs de manière cohérente.
Si cette entreprise est nécessaire, c’est parce que, dans notre pays, nous avons trop souvent accepté que certains domaines ne fassent pas l’objet de réformes, que des dysfonctionnements s’installent et que certaines activités soient réglementées exclusivement pour celles et ceux qui en vivent, et parfois même par eux. Puis, quand des inégalités ou des difficultés survenaient, les gouvernements, de droite et de gauche, les corrigeaient a posteriori, généralement à coups de dépenses publiques.
La démarche qui fonde ce projet de loi consiste à revisiter, secteur par secteur, nombre de réglementations, de revoir beaucoup de droits installés, d’habitudes qui ont été prises, afin d’instaurer de nouveaux équilibres et de donner des droits à celles et ceux qui n’en ont pas, qui sont en dehors, qui n’ont pas accès à certaines opportunités. Il s’agit de reconnaître que, dans différents secteurs de notre économie et de notre société, l’accumulation de normes n’est pas toujours protectrice, ou du moins qu’elle protège certains en accroissant les barrières qui maintiennent d’autres dehors. Telle est la philosophie de ce texte.
On peut évidemment considérer que, dès lors que des règles sont supprimées, on agit en libéral. Peut-être… Reste que, lorsqu’une règle ne protège pas les plus faibles, mais empêche certaines initiatives, on a le devoir de s’interroger sur son bien-fondé.
Pour autant, je ne considère pas que toutes les règles soient inutiles. Je suis d’ailleurs en désaccord avec la suppression par le Sénat de certaines règles qui ont une portée régulatrice et une vertu sociale ; je souscris, sur ce point, aux propos de Jean Desessard. Il y a de bonnes règles, et c’est lorsqu’on les supprime que l’on passe de l’autre côté de la limite.
Supprimer les mauvaises règles et conserver les bonnes : c’est l’ambition de ce projet de loi, qui n’a pas encore atteint son état définitif.
Je crois que la méthode consistant à passer en revue, l’un après l’autre, les domaines de notre économie et de notre société nous a permis de ne pas être les otages des intérêts en présence, voire des ministères qui les défendent parfois, des habitudes administratives et politiques. Nous avons donc pu envisager certaines réalités d’une manière différente.
Il n’y a pas des secteurs qu’il faudrait réformer systématiquement et d’autres auxquels on n’aurait pas le droit de toucher. Sans doute y a-t-il là l’un de nos sujets de désaccord, car je considère que l’on peut et que l’on doit aller plus loin en ce qui concerne les professions réglementées ou la réforme du permis de conduire, plus loin encore s’agissant de la réforme des transports, comme le Sénat a décidé d’aller plus loin sur certaines réformes sociales.
Pour chaque réforme, nous devons nous poser cette question : jusqu’où faut-il aller pour accroître l’activité, pour engendrer de la croissance, tout en protégeant celles et ceux qui ont moins d’opportunités que les autres ? C’est en suivant cette démarche équilibrée que nous pourrons progressivement reconstruire le pays. Tel est l’esprit qui anime le projet de loi et dans lequel il a été examiné.
Au terme d’un débat au cours duquel nous avons abordé de nombreuses questions, nous avons des sujets d’accord et des sujets de désaccord. Si ce projet de loi était un tissu, ce ne serait pas le velours rouge sur lequel nous sommes assis, mais plutôt une moire, où chacun voit briller les couleurs qui lui conviennent. Une chose est sûre, en tout cas : il ne s’agit pas d’un tissu terne, et les débats l’ont montré !
De manière évidente, les équilibres du texte adopté par le Sénat ne sont pas ceux qui constitueront le texte final. Néanmoins, à n’en point douter, la version définitive du projet de loi, qu’elle résulte de la commission mixte paritaire ou des discussions parlementaires qui suivront, devra prendre en compte les débats qui se sont tenus au Sénat et les sensibilités qui s’y sont exprimées. (Marques de satisfaction et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Ainsi que plusieurs des intervenants l’ont justement souligné, s’agissant des territoires, par exemple en matière d’équipement et de couverture mobile, le Sénat a apposé une vraie marque sur ce projet de loi, notamment par l’ajout d’un certain nombre de dispositions. Vous avez su, grâce à une sensibilité différente, en apportant un éclairage spécifique, doter ce texte d’une tonalité nouvelle.
En revanche, sur d’autres points, vous l’avez profondément modifié. Je ne m’en suis jamais caché, le Gouvernement reviendra sur ces points avec sa propre sensibilité et selon son propre agenda.
En effet, l’agenda des réformes ne s’arrêtera pas avec l’adoption de ce projet de loi.
Dans les prochaines semaines, avec François Rebsamen, nous réunirons les partenaires sociaux afin de faire le bilan de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Celle-ci prévoit des avancées en matière sociale, dans un esprit d’équilibre : meilleure représentation des salariés au conseil d’administration et, en même temps, plus de flexibilité à travers les accords défensifs de maintien de l’emploi.
Au début du mois de juin, le Président de la République et le Premier ministre vont organiser une conférence économique et sociale sur les PME et les TPE, à la suite de laquelle de nombreuses mesures seront annoncées.
C’est ainsi que, loin de marquer le pas, les réformes se poursuivront.
Nos débats laisseront, je le pense, une trace importante. Ils ont nourri ce projet de loi, ils en ont clarifié les enjeux et les perspectives, ils ont permis de le faire exister, ici, bien sûr, mais aussi à l’extérieur de la Haute Assemblée.
Au terme de ces quatre semaines de compagnonnage, je veux adresser des remerciements, et d’abord à vous, monsieur le président, ainsi qu’à celles et ceux qui se sont succédé pour conduire nos travaux en faisant toujours prévaloir un esprit de respect, d’écoute et de partage.
Je tiens à remercier également M. le président de la commission spéciale ainsi que Mmes et M. les corapporteurs de tout le travail de préparation qu’ils ont accompli, de leur dévouement, de leur présence – ils n’ont pas compté leurs heures ! – et de leurs réponses précises. Nous avons eu des passes d’armes, mais aussi des accords, accords que, pour ma part, j’ai toujours assumés.
Bien entendu, je remercie toutes celles et tous ceux qui ont représenté les différents groupes parlementaires. Je sais le temps que vous avez passé sur ce projet de loi, l’énergie et la conviction que vous y avez mises, y compris nuitamment. Sans vous, le débat n’aurait pas été possible. Il n’est, en tout cas, concevable qu’avec des femmes et des hommes de bonne volonté : cela correspond tout à fait à l’esprit que j’ai trouvé au sein de cette Haute Assemblée.
Permettez-moi enfin, monsieur le président, de remercier les collaborateurs des sénatrices et sénateurs, ainsi que l’ensemble des agents du Sénat, au premier chef ceux des comptes rendus, qui ont fait preuve d’une grande patience, sans compter leurs heures, eux non plus, alors que les travaux se sont parfois poursuivis jusqu’au petit matin. Je salue en particulier l’expertise des administratrices et des administrateurs du Sénat, qui nous ont permis d’apporter maintes améliorations techniques à ce projet de loi.
C’est bien, à l’issue de ce vote, l’ensemble du Sénat qui doit être remercié ! (Applaudissements.)
M. le président. Vous l’aurez noté, monsieur le ministre, ici, nous accueillons et, nous aussi, nous assumons ! (Sourires.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi organique
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, déposée sur le bureau du Sénat le 7 mai 2015.
7
Débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à Mme Michelle Demessine, oratrice du groupe auteur de la demande.
Mme Michelle Demessine, au nom du groupe CRC. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne peux entamer ce débat sur l’avenir de notre industrie aéronautique sans évoquer le dramatique accident dont a été victime, à Séville, l’équipage d’un avion de transport militaire A400M, qui effectuait un vol d’essai.
Au-delà de l’émotion légitime, il ne faudrait pas, bien sûr, dans l’attente des résultats de l’enquête sur cet accident, que cet événement fragilise le groupe Airbus et remette en cause la poursuite de la construction de cet appareil, qui reste très performant.
À cet égard, je voudrais saluer la décision du ministre de la défense de poursuivre les vols prioritaires en opération, ainsi que la reprise, aujourd’hui même, des vols d’essai à Toulouse.
J’en viens à notre débat de ce jour. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ont souhaité inscrire à l’ordre du jour de leur espace réservé ce débat sur l’avenir de l’industrie aéronautique et spatiale, car cet avenir se joue en ce moment, loin des projecteurs médiatiques et malheureusement en l’absence de tout débat démocratique.
En effet, pour le volet spatial, un changement de modèle d’organisation du secteur, aujourd’hui piloté par les États au travers du Centre national d’études spatiales, le CNES, de l’Agence spatiale européenne et d’Arianespace est en train de se produire. Le rapprochement des activités liées aux lanceurs de Safran et d’Airbus Group, orchestré par l’État, va entraîner une véritable restructuration de la filière, qui aura des impacts au niveau tant national qu’européen.
C’est le casse du siècle – pour reprendre un titre provocateur, mais très juste – organisé par Airbus dans le domaine des lanceurs et des missiles.
Le secteur aérospatial est très diversifié, puisqu’il réunit aussi bien les aéronefs, de toute nature, les hélicoptères, le transport spatial et les satellites. Ce secteur englobe aussi les activités militaires, comme les missiles tactiques et stratégiques, ainsi que les activités liées aux drones.
S’agissant du volet spatial, sur lequel j’insisterai plus particulièrement, la France, du fait d’une volonté historique de maîtrise de l’espace, est le seul pays européen possédant l’ensemble des technologies spatiales, et cela des lanceurs à toute la gamme des satellites. Elle compte aussi, avec 12 000 salariés, plus du tiers des effectifs européens du secteur.
Cette réussite spatiale nationale a reposé sur une stratégie de maîtrise publique de l’accès à l’espace et a permis à son tour le développement d’une stratégie européenne.
Cette réussite du secteur spatial européen tient à la place et au rôle déterminant des États dans un pilotage maîtrisé de bout en bout. La puissance publique, avec un ensemble d’entreprises et de centres de recherche placés sous sa responsabilité, a su insuffler une véritable dynamique de l’innovation et relever des défis technologiques majeurs.
En effet, tout le monde sait qu’aucune industrie spatiale dans le monde n’est indépendante des financements publics. C’est vrai aujourd’hui et ce n’est pas près de s’arrêter. Cette stratégie de maîtrise publique fonctionne, et elle seule a permis de placer l’Europe au tout premier rang des acteurs mondiaux.
De plus, cette excellence repose sur une architecture subtile et équilibrée. Ainsi, sans entrer dans le détail, l’Agence spatiale européenne assure la direction de l’ensemble du programme Ariane ; le CNES agit lui en maître d’ouvrage en ce qui concerne la recherche et le développement pour la préparation de l’avenir et en assistant l’Agence spatiale européenne pour les lanceurs en service ou en développement.
Ces deux agences s’appuient sur plusieurs industriels, notamment Airbus Group et Safran. Il y a également un architecte, Arianespace, défini comme opérateur de systèmes de lancement. C’est une société française qui est chargée de la commercialisation et de l’exploitation des systèmes de lancement spatiaux, à savoir les familles de lanceurs Ariane et Vega, ainsi que du lancement de Soyouz.
Or c’est cet équilibre qui est aujourd’hui remis en cause. Arguant de la concurrence de SpaceX, le projet du Gouvernement vise à la construction d’une coentreprise entre Safran et Airbus Group maîtrisant l’ensemble du processus de production des lanceurs, de la conception au lancement et à la commercialisation. C’est donc là une remise en cause fondamentale du rôle du CNES et d’Arianespace, pourtant garant d’une politique industrielle européenne et nationale, et de grands programmes de recherche scientifique.
L’arrivée sur le marché mondial de la fusée Falcon 9 de SpaceX, qui casse les prix de lancement, offre une formidable aubaine pour briser un schéma européen qui a fait ses preuves, derrière une rhétorique d’obsolescence et de manque de compétitivité.
Il n’aura fallu que quelques mois pour que le lobbying industriel d’Airbus Group et de Safran convainque les États d’opérer un changement profond de gouvernance.
C’est bien l’un des enjeux centraux du rapprochement entre Airbus Group et Safran, aux termes duquel la maîtrise d’œuvre, le pilotage, la programmatique et la commercialisation ne seraient plus sous maîtrise publique.
Ces groupes revendiquent toutefois le maintien des aides publiques indispensables pour lancer des projets innovants.
Ainsi, ces industriels vont bénéficier des aides publiques pour les programmes Ariane 6 et Vega-C et pour le soutien à l’exploitation d’Ariane 5 ECA, le budget prévisionnel étant de 8 milliards d’euros sur dix ans, mais sans réel suivi technique, et surtout sans qu’ils en supportent véritablement les risques. Rien de bien nouveau, en somme !
Dès lors, de nombreuses initiatives ont été prises par les salariés de la filière pour exprimer leur malaise et leur incompréhension face à l’État, qui, sans aucun débat national public, laisse « toutes les clés de cette filière à Airbus Space Systems et Safran, sans aucun contre-pouvoir », mais aussi pour souligner les menaces qui pèsent sur la capacité de la puissance publique à contrôler efficacement les programmes spatiaux et sur la souveraineté nationale, voire européenne.
En effet, cette restructuration se situe à un moment charnière de la filière des lanceurs, où se jouent actuellement la définition et les études de futurs lanceurs.
Tout est encore en débat : la capacité de satellisation, mais aussi les choix technologiques, notamment pour les moteurs – à propulsion liquide ou solide. Ceux-ci sont déterminants pour la pérennité de l’activité d’établissements, dont certains sont stratégiques, en France et en Allemagne, mais aussi dans d’autres États européens, comme l’Italie.
Par ailleurs, toute restructuration nécessite une expertise d’impact sur les emplois, les activités, les territoires. Alors que le secteur « défense et espace » d’Airbus Group est déjà sous le coup d’un plan drastique de suppression d’emplois – une réduction de 10 % des effectifs –, jusqu’à présent, aucun élément n’a été rendu public.
Les deux industriels avancent leur projet selon un calendrier très serré, sans perspective claire de développement industriel et d’emplois.
Les salariés d’Arianespace ignorent tout de leur avenir, alors que les comptables ont commencé leur ouvrage de valorisation des actifs au bénéfice de la joint-venture Airbus Safran Launchers.
Enfin, derrière ce projet de rapprochement de leurs activités de lanceurs spatiaux et de missiles nucléaires stratégiques porté par Airbus et Safran, c’est toute l’organisation de l’industrie spatiale européenne qui en jeu, avec en perspective le rachat d’Avio, maître d’œuvre du lanceur VEGA, pour constituer un monopole européen dans le domaine.
Or cet abandon au secteur privé du rôle de maître d’œuvre des pouvoirs publics se fait dans le plus grand secret. Ce n’est pas acceptable ! La maîtrise et les compétences acquises par des décennies d’efforts d’investissements publics sont des biens communs que l’on ne peut voir cédés sur l’autel d’intérêts financiers immédiats.
Alors que l’accès à l’espace est un axe stratégique majeur pour l’action des États, en termes à la fois de sécurité, de souveraineté et de capacité d’innovation, il serait aujourd’hui placé dans le champ de la compétitivité et de la rentabilité.
Trop nombreuses sont les questions sans réponse.
Qui, dans ce nouveau modèle, contrôlera les fonds publics et assurera les risques industriels ? Comment le CNES pourra-t-il conserver son rôle d’agence spatiale et son expertise s’il n’est plus considéré comme maître d’œuvre des programmes spatiaux ? Quid des actions d’Arianespace détenues par le CNES ? Seront-elles vendues au consortium Airbus Safran ? À quel prix ? Comment assurer l’indépendance de l’opérateur de lancement vis-à-vis de ses clients satellites ? Pourquoi, moins de trois mois après la réunion ministérielle de décembre 2014, qui a fixé les contours de cet accord, la facture augmente-t-elle de 800 millions d’euros ?
Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est l’avenir des lanceurs civils, mais aussi militaires. Ce dont il s’agit, c’est aussi la force de dissuasion française.
Il est inconcevable qu’une telle restructuration se réalise sans un véritable débat national et européen sur l’ensemble des enjeux. Il y a un besoin impératif de définir sur quelle politique et sur quelle stratégie spatiale s’articule un tel projet.
Par ce débat qui a lieu aujourd’hui, nous invitons le Gouvernement à lever l’opacité dans laquelle est conçu ce projet, qui porte pourtant sur un enjeu majeur de souveraineté nationale et européenne de défense et de sécurité. Nous espérons qu’il répondra à notre souhait. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que la morosité économique actuelle nous conduit parfois à l’autoflagellation, il y a de véritables succès qu’il faut savoir saluer. Or, comme l’a rappelé notre collègue Michelle Demessine, l’industrie aéronautique et spatiale en est assurément un.
Vous le savez, son dynamisme est fulgurant. En 2013, le secteur employait en France quelque 177 000 personnes, avec 6 000 emplois nets créés. Le chiffre d’affaires de la profession était de près de 48 milliards d’euros, dont une grande partie réalisée à l’export, contribuant ainsi au redressement de notre balance commerciale, comme en témoigne la vente récente de nos excellents Rafale à l’Égypte, à l’Inde et au Qatar.
Il s’agit d’une filière d’excellence, à la pointe des technologies, de l’innovation et de la recherche, avec près de 15 % du chiffre d’affaires consacré à la recherche et au développement, avec de multiples retombés dans les domaines militaire et civil.
C’est aussi une filière d’avenir : en témoigne le carnet de commandes du groupe Airbus. Nous devons d'ailleurs surmonter ensemble le tragique événement qui vient de se produire, sans nous décourager, car l’A400M est un très bon avion.
J’insiste sur cette notion de filière, car la France a la chance de posséder sur son territoire une filière aéronautique et spatiale complète, avec de grands constructeurs – Airbus, qui est une chance, Dassault –, des équipementiers – Thales, Safran –, mais également un vaste tissu de PME maîtrisant les savoir-faire les plus complexes.
J’ai assumé avec mon agglomération la présidence tournante de la communauté des villes Ariane, qui regroupe, en France et en Europe, les villes accueillant sur leur territoire des industries liées à Ariane, et j’ai pu mesurer à quel point cette industrie de pointe irriguait l’activité de nos territoires – à l’image de Clemessy, en Alsace.
Au-delà de cette dimension économique, il convient de garder à l’esprit que l’industrie aéronautique et spatiale n’est pas une industrie comme les autres. Maîtriser le ciel et l’espace n’est pas anodin ! Il y a là une dimension stratégique essentielle pour les États, étroitement liée aux enjeux de souveraineté – la sécurité, par exemple.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous devons être fiers de la réussite de notre filière aéronautique et spatiale. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’être lucides pour appréhender les réalités de demain. Alors que le contexte international est de plus en plus concurrentiel, l’industrie aéronautique et spatiale française et européenne devra inévitablement relever de nombreux défis pour se maintenir au sommet. En voici quelques-uns.
Historiquement, le succès de la filière repose d’abord sur un partenariat très fort entre l’État et les industriels. L’État a toujours joué un rôle prépondérant dans le lancement de grands programmes – A-380, Ariane, Rafale, etc. –, notamment via le mécanisme des avances remboursables. Or, dans un climat de restrictions budgétaires, d’aucuns s’interrogent sur le risque de désengagement de l’État, qui aurait des conséquences dramatiques sur le secteur.
J’émets à ce titre des réserves sur la politique de cessions d’actifs conduite par l’État. Si je comprends la logique budgétaire, est-ce bien raisonnable de brader ainsi les « joyaux de la couronne » ? N’y a-t-il pas un risque de perdre notre capacité décisionnelle au sein d’entreprises stratégiques en accroissant la part de l’actionnariat flottant, qui représente par exemple 70 % chez Airbus ? À tout le moins, soyons prudents.
La formation représente un autre défi. Alors que l’industrie aéronautique et spatiale tourne à plein régime, les entreprises peinent à recruter des techniciens et ouvriers qualifiés. Quel paradoxe dans un pays comme le nôtre !
Comment le Gouvernement entend-il renforcer la formation dans ce secteur, afin de permettre à nos jeunes d’acquérir les compétences recherchées ? Comment faire tomber les barrières entre écoles et entreprises ? Quid du projet de centre de formation sur la base de Dugny-Le Bourget ?
Ces questions sont d’autant plus importantes que les marges de manœuvre du secteur ne cessent de se réduire. L’industrie aéronautique et spatiale est confrontée à une concurrence accrue des pays émergents et des États-Unis, qui n’hésitent pas à subventionner massivement certains programmes, à l’image du Boeing 777X, concurrent de l’A380 et de l’A350.
N’oublions pas, enfin, que la concurrence peut être intraeuropéenne. Je pense en particulier à la politique spatiale européenne, qui a conduit depuis quelques années à l’apparition d’une multiplicité d’acteurs. Ne serait-il pas souhaitable, pour le secteur spatial, de favoriser une rationalisation des savoir-faire en Europe ?
Dans ce contexte tendu, le défi pour la filière sera de poursuivre son développement, en renforçant sa compétitivité. Des mécanismes de soutien financier existent déjà – vous les connaissez, mes chers collègues –, ainsi que des plateformes de dialogue entre l’État et les industriels. C’est très bien !
Je sais que les industriels attendaient aussi beaucoup du pacte de compétitivité pour améliorer leurs capacités de production en France. Êtes-vous en mesure, monsieur le secrétaire d’État, d’en dresser un premier bilan ?
Certes, les marchés nationaux constituent une formidable vitrine, mais du fait de la baisse des commandes publiques, notamment en matière de défense, la croissance de la filière se jouera aussi à l’export.
Certains grands groupes ont commencé à mettre en place des partenariats locaux pour des activités de montage et de maintenance. De tels projets ne doivent pas voir le jour au prix de transferts de valeur ajoutée trop importants.
Il y a là, toujours, une recherche d’équilibre assez difficile. Ces transferts, en effet, constituent parfois la clef du marché. Ce n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu récemment, mais la question est toujours susceptible de revenir sur la table, avec, par exemple, un pays comme l’Inde. Il importe donc de fixer des limites au regard de notre savoir-faire, mais aussi des problématiques de préservation de l’emploi et d’accompagnement de nos PME, qui peinent encore à s’implanter sur les marchés.
J’ai néanmoins conscience que le sujet est d’importance, mais que l’art est difficile !
Depuis cinquante ans, l’industrie aéronautique et spatiale a réalisé des progrès considérables. Toutefois, face à la concurrence qui s’annonce, il faut garder une longueur d’avance.
L’innovation doit par conséquent être au cœur du développement de la filière, notamment eu égard aux enjeux environnementaux, qui offrent de formidables perspectives d’innovations, à l’image du projet d’avion électrique.
Plus généralement, dans un monde en pleine mutation – le secteur aéronautique et spatial n’échappe pas à ce phénomène –, les enjeux environnementaux, comme les enjeux technologiques vont s’imposer chaque jour davantage. Ni nous ni nos entreprises ne devons les voir comme des freins. Au contraire, il faut les considérer comme de nouvelles chances. Dans ce cadre, il sera également déterminant de disposer d’une longueur d’avance s’agissant de règles et de normes qui s’installeront progressivement au niveau international, y compris dans des domaines aussi pointus que ceux qui nous intéressent aujourd'hui.
Sur cet aspect, comme sur d’autres, la France ne peut agir seule, et c’est à l’échelle européenne qu’il faut amplifier nos efforts. La décision de développer le lanceur Ariane 6 afin de contrecarrer l’offensive de la société américaine SpaceX est, à ce titre, une bonne nouvelle. Le projet est crucial pour l’avenir du leadership européen en matière spatiale. Des initiatives similaires pour d’autres types de matériel, comme les satellites militaires, devraient être encouragées.
Certes notre filière aéronautique et spatiale se porte bien, mais le principal danger serait de nous reposer sur ses acquis ! Pour affronter les défis à venir, nous devons renouer avec une véritable politique industrielle volontariste, la renforcer ou l’amplifier, avec, à la clef, des emplois, de la croissance, une place de leader dans un secteur hautement stratégique et, bien évidemment, toutes les retombées que l’on peut imaginer et que l’on engrange déjà actuellement.
En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur les sénateurs centristes pour soutenir tous vos efforts en ce sens ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Louis Carrère applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de ce débat et remercie le groupe CRC de cette initiative, qui nous permet d’aborder, ensemble, des sujets fondamentaux pour l’industrie française.
En tant que parlementaires, nous devons en effet être conscients que l’avenir de cette filière, dont l’histoire est en réalité une véritable épopée, représente un enjeu majeur pour notre pays. Les enfants que nous étions ont grandi au rythme de la conquête spatiale ! Les derniers retentissements des connexions de la sonde Rosetta avec l’atterrisseur Philae nous rappellent que cette aventure, mondiale et européenne, ne peut être délaissée, même si les budgets nationaux sont en baisse.
L’agence spatiale américaine, la NASA, fut un marqueur incroyable de la puissance des États-Unis. Néanmoins, l’Europe, rappelons-le, n’est pas en reste. Depuis cinquante ans, elle est impliquée dans cette conquête, dont les retombées industrielles, économiques et scientifiques sont vitales pour toutes les filières civiles et militaires.
L’année dernière, l’Agence spatiale européenne, l’ASE, a fêté un demi-siècle d’existence. Les États membres financent 50 % des dépenses spatiales publiques en Europe, et nous gagnons des parts de marché dans les services liés aux lancements, aux satellites et aux télécommunications. La communauté scientifique européenne bénéficie d’une renommée mondiale et attire la coopération internationale. Les centres de recherche et d’innovation détiennent une crédibilité internationale indiscutable. Enfin, les opérateurs européens du secteur spatial comme de l’aéronautique affichent une belle réussite.
Pourtant, la concurrence est rude, nous le savons, et, en dépit des apparences, elle n’est pas nouvelle. Après une période d’assoupissement dans le domaine commercial, les États-Unis reviennent en force avec SpaceX, une entreprise soutenue par des commandes institutionnelles qui permettent d’offrir un véritable rapport qualité-prix. Les prix proposés dans ce cadre, précisément, rythmeront les deux décennies à venir et nous ont déjà obligés à réagir au niveau du secteur spatial européen. J’y reviendrai ultérieurement.
Après ce bref tour d’horizon international, je voudrais être plus concret et évoquer la dimension nationale. En effet, le secteur de l’aéronautique et du spatial est l’un des éléments de notre puissance.
Cette industrie duale constitue un moteur et un vecteur extraordinaire de croissance, que nous devons soutenir en dépit des restrictions budgétaires. Comme vous le savez, mes chers collègues, le secteur de la défense en est l’un des premiers investisseurs, comme partout ailleurs dans le monde. Nous savons parfaitement qu’Ariane n’aurait pas vu le jour sans les missiles balistiques. Les investissements militaires sont à l’origine des avancées technologiques et font souvent office d’aiguillon dans le domaine civil.
En 2014, le chiffre d’affaires total de l’industrie s’élève à 50,7 milliards d’euros, dont près d’un tiers dans le domaine militaire. Le secteur est le premier contributeur de notre balance commerciale, avec 33,1 milliards d’euros d’exportations et un niveau de commandes de 73 milliards d’euros, soit six années de production. Voilà un made in France qui fonctionne !
Ce savoir-faire est inestimable, et les bureaux d’études – on n’insistera jamais assez sur leur importance - doivent être alimentés. Il faut donc que la commande publique, notamment en matière de défense, soit au rendez-vous pour sauvegarder ces emplois hautement qualifiés, présents sur notre sol, le tout reposant sur un réseau de formation technologique et universitaire que nous devons absolument maintenir et faire fructifier.
S’agissant du domaine de la défense, il faut saluer les succès du Rafale à l’export, mais nous devons aussi préparer l’avenir et investir dans des projets innovants, comme l’avion du futur – le FCAS, pour Future combat aircraft system – et le drone de combat – Unmanned combat aerial vehicle, ou UCAV - avec les Britanniques. Nous devons aussi travailler avec les Allemands et les Italiens sur le drone de moyenne altitude et longue endurance, dit « drone MALE », européen, ainsi que sur les satellites optiques, radars et électromagnétiques.
Dans le domaine civil aéronautique et spatial, l’installation du siège d’Airbus à Toulouse et l’inauguration des nouveaux sites de Turbomeca et Thales en Aquitaine sont des gages contre la fracture technologique territoriale.
Le carnet de commandes d’Ariane 5, en attendant Ariane 6, le succès du dernier né d’Airbus, l’A-350, ou les commandes du nouvel avion d’affaires de Dassault, le Falcon 8X, montrent que nous restons parmi les leaders dans un secteur extrêmement concurrentiel.
En ce qui concerne Ariane 6 - sujet précédemment abordé - pour faire face à la concurrence de SpaceX et à ses prix d’appel, Airbus Defence and Space et Safran viennent de créer Airbus Safran Launchers. Les deux entreprises proposent, par ce biais, de s’engager industriellement et commercialement sur le développement d’Ariane 6 et d’assumer la responsabilité de l’ensemble du programme.
C’est certainement un « plus » indéniable, mais il faudra veiller, monsieur le secrétaire d’État, à ce que les capacités d’études et d’analyses du Centre national d’études spatiales, le CNES, ne soient pas diluées et perdues pour autant. En effet, cet institut est le pivot du secteur national de l’espace et le garant de son existence. De même, l’État doit réfléchir à la place qu’il entend donner à Arianespace dans cette nouvelle organisation.
Pour la défense, la recherche et développement en matière d’équipements est indispensable, et nous devons faire un effort supplémentaire. J’ai défendu cette position lors de l’étude et du vote de la dernière loi de programmation militaire ; je la défendrai encore en juin prochain, à l’occasion de son actualisation.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous pouvons être fiers de ce qui est réalisé dans le domaine aéronautique et spatial. Nous devons investir dans l’intelligence pour préparer le futur et faire en sorte que, demain, la France et l’Europe conservent leur place dans ce domaine essentiel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma très courte intervention de ce jour fait suite au rapport que j’ai produit en 2013, dans le cadre de OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, intitulé Les Perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040 : préserver l’avance de la France et de l’Europe.
M. Bruno Sido. Très bon rapport !
M. Roland Courteau. Merci, mon cher collègue.
Voilà effectivement l’une des rares industries où notre pays est un acteur de rang mondial. Et ce rang mondial, obtenu par l’aéronautique, est le fruit de politiques publiques menées, avec constance, depuis un demi-siècle.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’au cours des trente prochaines années, l’aviation civile comme le secteur spatial seront confrontés à des défis technologiques de grande ampleur. Des mutations importantes auront lieu, c’est certain, et il faut s’attendre à de fortes ruptures technologiques en matière d’architecture des avions et de motorisation.
N’oublions pas non plus qu’un programme industriel aéronautique ou spatial pour les vingt ou trente prochaines années doit se concevoir dès aujourd'hui !
Comme chacun le sait, l’aviation civile est une activité industrielle essentielle pour notre pays, en elle-même d’abord, mais également du fait du pouvoir de diffusion d’innovations à l’ensemble du tissu industriel que recèle l’aéronautique. Les investissements d’aujourd’hui conditionnent, dans ce secteur notamment, la préservation de l’avance de la France et de l’Europe. C’est pourquoi il faut maintenir à long terme les soutiens publics à la recherche aéronautique.
À cet égard, je rappellerai une fois de plus l’importance du maintien dans la durée du niveau des crédits alloués à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’ONERA. L’activité de cet organisme est essentielle, car elle porte, en matière aéronautique, sur les briques technologiques qui devront générer des applications à long terme.
Face à une concurrence qui n’en finit pas de s’accroître, il est essentiel de soutenir la filière, pour préparer l’avenir. Or les soutiens institutionnels sont en diminution depuis 2010, alors que, dans le même temps, les États-Unis et la Chine déploient des programmes importants de financements publics. Quant à notre partenaire dans Airbus, l’Allemagne, ses crédits de soutien doublent depuis 2012. Dès lors, celle-ci ne finira-t-elle pas par revendiquer de nouveaux arbitrages dans la répartition de la chaîne de valeur des Airbus ?
En décembre 2013, j’avais été alerté sur la situation préoccupante de l’ONERA. Aujourd’hui, sa reconstruction institutionnelle s’accompagne certes de l’élaboration d’un plan stratégique scientifique, mais sa situation financière est toujours alarmante et met en péril son devenir. Nous comptons donc sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que des mesures d’urgence soient prises.
De même, le financement des projets du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, reste d’une brulante actualité, du fait de ses programmes sur l’usine aéronautique du futur, les systèmes embarqués, les nouvelles fonctionnalités avancées ou encore les nouvelles configurations d’aéronefs.
Est-il nécessaire d’insister sur le fait que ces programmes ont pour but, tout à la fois, de donner des objectifs à la recherche aéronautique sur les thématiques essentielles et de préparer la continuité innovante pour les ruptures technologiques de l’aviation de 2040 ? Y a-t-il meilleur chemin pour préserver l’avance de la France et de l’Europe en ce domaine ?
Faute de temps, je ne m’étendrai pas sur deux des points que j’avais également traités dans mon rapport rédigé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Je veux parler de la double nécessité d’anticiper le développement du marché des drones et de suivre les progrès des filières de biokérosène.
Je dirai un dernier mot concernant la formation. Cela a déjà été dit, elle est d’importance dans une activité industrielle soumise en permanence à la poussée des innovations.
Trois domaines sont essentiels : les besoins en formations spécifiques au secteur de la construction aéronautique, avec l’adéquation des formations à la demande industrielle, mais aussi la nécessité d’anticiper le choc de l’introduction de la numérisation dans le système de navigation aérienne tout en tirant les conséquences de la numérisation de l’économie, car l’aéronautique aura de plus en plus besoin de spécialistes des logiciels embarqués.
Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’évoquerai pas l’importance de l’établissement des normes pour la rénovation de la navigation aérienne, avec le programme SESAR – en anglais Single European Sky ATM Research – pour l’Europe, et NextGen – The Next Generation Air Transportation System – pour les États-Unis. C’est dommage, mais c’est un autre problème.
Pour conclure, oui, la France et l’Europe ont l’impérieux devoir de préserver leur avance, à vue de plus d’une génération, dans le champ industriel directeur de ce secteur d’activité, sachant que l’avenir de l’un des secteurs de pointe de notre industrie se décide aujourd’hui.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai une question qui nous vient de notre collègue Georges Labazée : quelles sont les perspectives pour une collaboration possible autour du futur avion électrique, entre Hydro-Québec qui va s’installer sur le complexe de Lacq pour la production de piles et Airbus qui va s’implanter près de l’aéroport de Pau ?
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie par avance des précisions que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour remercier nos collègues du groupe CRC d’avoir provoqué la tenue de ce débat en séance, qui nous permet de nous exprimer sur ce sujet d’importance.
La France et l’Europe possèdent un tissu industriel aéronautique et spatial extrêmement développé, emmené par des groupes comme Airbus, Thales, Dassault aviation, ATR, Eurocopter, Arianespace, Astrium, Safran... Ces entreprises couvrent l’ensemble de la filière, depuis les avions gros porteurs jusqu’à la construction et l’envoi de satellites géostationnaires, sans oublier la défense.
Dans le domaine spatial, Arianespace a remporté 60 % des contrats de lancement de satellites géostationnaires en 2013. La concurrence américaine de SpaceX, qui a déjà été évoquée, et celle des Chinois, avec les fusées Longue Marche, nous poussent donc à envisager le futur en prenant la décision ferme, et cela depuis le mois de décembre dernier, de développer Ariane 6.
Le défi est de taille : il faut un lanceur qui puisse remplacer Ariane 5 en termes de fiabilité et de puissance, tout en gagnant en compétitivité et en modularité. C’est en réussissant ce défi technique que nous pourrons conserver notre place de leader mondial des lancements de satellites.
Si les Américains cherchent avec SpaceX à renouveler le genre des lanceurs réutilisables, il est aujourd’hui peu probable que, à brève échéance, la remise en service des moteurs ayant déjà subi un vol soit rentable et fiable. Quant à la récupération des étages inférieurs et des propulseurs d’appoint, elle apparaît utile, mais à condition de les recycler. Nous avons mis à profit les innovations développées avec le lanceur Vega, afin d’améliorer le coût des lanceurs et d’en alléger la structure.
Il est également crucial, à l’heure actuelle, de limiter le nombre de débris spatiaux causés par les activités humaines en orbite, au risque de se priver à brève échéance d’un accès à l’espace qui soit sûr et fiable.
Le plus grand problème est posé par les débris de taille moyenne – entre un et dix centimètres – estimés aujourd’hui à environ 200 000, qui ne sont pas catalogués alors qu’ils présentent un risque très important et, surtout, pour lesquels il n’existe pas de protection.
Parmi les innovations en gestation dans le secteur aéronautique, l’une d’elles a retenu mon attention : il s’agit du retour des aérostats, plus communément appelés dirigeables.
Un peu à la manière des tramways du début du XXe siècle que l’on a abandonnés au profit de la voiture pour finalement y revenir au XXIe siècle, le dirigeable, que l’on avait abandonné au profit de l’avion, beaucoup plus rapide, se prépare un retour serein dans le domaine du transport aérien. Quelques vieilles images persistent dans l’imaginaire collectif, notamment celle de l’incendie du zeppelin Hindenburg. Pourtant, aujourd’hui, on gonfle les dirigeables à l’hélium, qui, lui, est totalement ininflammable.
Les dirigeables présentent de nombreuses qualités. Ce mode de transport économique bénéficie du meilleur rapport « masse transportée-coût kilométrique » après le transport fluvial : il permet de véhiculer par les airs de très lourdes charges ; les défaillances des moteurs sont moins critiques que pour un avion ; les dirigeables modernes peuvent atterrir pratiquement n’importe où et ont la capacité de rester dans le ciel très longtemps et silencieusement.
Seule ombre au tableau des dirigeables, l’hélium, qui est le deuxième élément le plus abondant de l’univers après l’hydrogène, est, ironiquement, assez rare sur la Terre. De plus, les gisements actuels sont en cours d’épuisement à moyen terme, ce qui impose la prudence.
Certaines entreprises sont en train de développer des modèles hybrides, dont la sustentation n’est que partiellement assurée par le ballon, le reste étant fourni par l’aérodynamisme, la forme de l’engin et sa vitesse comme pour un avion.
À titre d’exemple, le Stratobus du groupe Thales est un ballon dirigeable à propulsion électrique capable de rester en vol stationnaire dans la stratosphère, à plus de vingt kilomètres d’altitude. Le ballon, dont la mise sur le marché est prévue en 2022, doit remplir des missions simples : être un relais pour les télécommunications et servir de poste d’observation. Il pourra servir autant à l’observation militaire des mers au large de la Somalie, par exemple, qu’à envoyer de la 4G à des millions d’utilisateurs d’Internet.
À l’heure où l’on constate que le secteur du transport aérien produit une part non négligeable des émissions de CO2 mondiales, les acteurs du secteur ont consenti des efforts pour réduire leurs émissions. La contribution de l’aviation aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine est actuellement seulement de 2 % à 3 %. L’enjeu consiste à stabiliser, puis à diminuer ce taux.
Un transport aérien durable et responsable doit permettre de réduire les émissions de C02, d’améliorer les effets produits sur la qualité de l’air et de réduire le bruit perçu.
La France, à travers son soutien constant à l’innovation, sera, nous n’en doutons pas, un acteur clef de l’évolution de cette filière, pour répondre aux enjeux du XXIe siècle.
En conclusion, j’ai entendu les réserves de notre collègue Michelle Demessine sur une forme de libéralisation de ce secteur. Il est nécessaire de mettre en œuvre ces politiques, qui doivent être publiques étant donné les stratégies de sécurité et de souveraineté, tant nationales que, plus encore, européennes. L’avenir est là ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat consacré à l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale, proposé par le groupe CRC, est au cœur de problématiques cruciales pour l’avenir de notre pays. Toutes les interventions précédentes l’ont encore démontré.
Au mois de mars dernier, par exemple, le ministre de l’économie et des finances a examiné, avec le secrétaire d’État chargé des transports, les plans industriels qui avaient été développés par son prédécesseur, Arnaud Montebourg.
Ces plans ont été sérieusement revus à la baisse. Quelque temps auparavant, nous apprenions ainsi que, à la suite d’une décision du Gouvernement, l’État actionnaire s’apprêtait à vendre, pour plus d’un milliard d’euros, près de 4 % de ses participations dans le groupe d’aéronautique et de défense Safran.
Une même logique et une même cohérence inspirent les décisions prises dans ces deux cas. Nous en avons largement parlé lors de la discussion du projet de loi Macron ces trois dernières semaines. Il s’agit de faire des économies à tout prix, d’obtenir rapidement des rentrées d’argent, pour répondre aux exigences de la Commission de Bruxelles, satisfaire les marchés financiers et respecter ainsi le dogme intangible des 3 % de déficit public promis pour 2017.
C’est une stratégie de court terme, qui est aveugle sur les conséquences économiques et sociales négatives qui en découlent.
C’est ainsi que l’industrie aéronautique et la filière spatiale, en particulier, sont, à l’instar de nombreux secteurs industriels, financiarisées à outrance et percutées de plein fouet par la dictature du bas coût présentée comme la seule solution pour résister à la concurrence exacerbée.
À cet égard, le cas de la filière spatiale, avec les lanceurs de satellites, est tout à fait représentatif de cette politique, ainsi que l’a montré Michelle Demessine.
L’affaire remonte en réalité au mois de juin 2014, lorsque les dirigeants des grandes entreprises de ce secteur ont directement rencontré le Président de la République pour lui proposer une profonde réorganisation de la filière.
Quelques mois plus tard, en décembre 2014, lors d’une réunion interministérielle des pays membres de l’Agence spatiale européenne, notre pays a décidé de confier aux entreprises Airbus et Safran la maîtrise d’œuvre des lanceurs de type Ariane et leur commercialisation par la société Arianespace. Il s’agissait là d’appliquer de nouvelles orientations à ce secteur industriel.
Un tel changement de politique est significatif d’une perte de la maîtrise de l’État dans ce domaine, au seul profit du secteur privé.
Cette perte de contrôle sur les orientations à mettre en œuvre coïncide paradoxalement avec un très important financement sur fonds publics, puisque celui-ci représentera 8 milliards d’euros sur dix ans, et ce sans contrepartie.
Il est tout à fait légitime que ces dirigeants d’entreprise aient souhaité alerter au plus haut niveau de l’État sur les défis qu’ils doivent relever et sur les difficultés liées à la concurrence. Toutefois, prennent-ils les bonnes décisions pour préserver les intérêts de notre pays dans les dix ans qui viennent ?
La méthode employée et l’opacité entourant les solutions qui ont été proposées au chef de l’État au cours de cette réunion permettent d’en douter. Nous estimons que les enjeux, les décisions et les mesures à prendre pour restructurer un secteur aussi stratégique pour l’avenir de notre pays devraient être discutés publiquement. C’est là, je crois, le rôle de ce débat parlementaire souhaité par notre groupe.
Ce débat est également nécessaire, car les organisations syndicales des salariés des entreprises du secteur, évidemment concernés au premier chef, sont tenues dans l’ignorance de la nouvelle gouvernance adoptée et des décisions qui ont été prises.
Ces organisations déplorent de ne pas disposer d’éléments d’information suffisants pour apprécier la situation en toute connaissance de cause et pouvoir ainsi en contester éventuellement le bien-fondé. Elles sont évidemment prêtes à entendre qu’une évolution de l’organisation industrielle de la filière aéronautique et spatiale est nécessaire pour s’adapter à un environnement qui a changé.
Toutefois, les modalités de cette restructuration, telles qu’elles apparaissent, posent de graves questions et suscitent de légitimes inquiétudes, concernant en particulier l’emploi et l’indépendance de notre pays.
Instruits de douloureuses expériences précédentes dans ce secteur – je pense, en particulier, à la fusion en cours entre les filiales du groupe Safran SPS et SME –, les syndicalistes savent que ce type d’opération est réalisé, en règle générale, au détriment des emplois, des conditions de travail et du maintien des compétences dans les entreprises.
Ce modèle de rapprochement sur des activités de fabrications duales, civiles et militaires, que sont les lanceurs spatiaux et les missiles nucléaires stratégiques est-il vraiment une solution pertinente du point de vue de l’économie et des intérêts fondamentaux de notre pays ?
Dans ces conditions, est-il réellement judicieux, s'agissant du domaine hautement stratégique des programmes européens d’accès à l’espace, de remplacer le pilotage public actuel des acteurs institutionnels que sont l’Agence spatiale européenne et le CNES, le Centre national d’études spatiales, tous deux privilégiant l’intérêt général, par un donneur d’ordre privé, en l’occurrence Airbus regroupé avec Safran, dont l’objectif premier de réduction des coûts est révélateur d’une logique essentiellement commerciale et financière ?
C’est donc sur ces questions de fond que notre groupe souhaite obtenir du Gouvernement des éclaircissements s'agissant des nouvelles orientations qu’il entend imprimer à la filière spatiale.
Dans notre débat de cette après-midi, la démocratie, ainsi mise au service du développement économique et de l’avenir du pays, ne peut qu’y gagner. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de commencer, je tiens, au nom des sénateurs du RDSE, à saluer la mémoire des 150 victimes du crash aérien survenu le 24 mars dernier, date à laquelle devait initialement se tenir ce débat.
Un nouveau drame impliquant un appareil militaire s’est malheureusement déroulé à Séville, samedi dernier, faisant de nouvelles victimes. Nos pensées vont vers toutes les familles endeuillées.
Les deux industries, aéronautique et spatiale, qui font l’objet de notre débat, ce jour, ont en commun d’être deux filières d’excellence, dans lesquelles la France, notamment au travers de projets européens, jouit d’un leadership et d’une expertise certaine. Les deux connaissent également un développement exponentiel. Ainsi, le trafic aérien a doublé depuis quinze ans et doublera encore d’ici à 2030.
L’espace, surtout l’aéronautique, concerne non seulement quelques grands groupes, mais également tout un tissu d’entreprises de taille intermédiaire et de PME, équipementiers et sous-traitants.
Dans certaines régions, je pense naturellement à l’Aerospace Valley, entre Aquitaine et Midi-Pyrénées, ces industries sont un moteur du développement. La métropole toulousaine fait figure de capitale de l’air et de l’espace, mais je n’oublie pas qu’en Ariège, par exemple, ces secteurs emploient plus de 3 000 personnes.
Par essence, les deux filières sont soumises à la concurrence internationale. Ces dernières années, cependant, de nouveaux acteurs sont apparus, issus principalement des pays émergents.
Dans le peu de temps dont je dispose, mes chers collègues, j’ai choisi d’attirer votre attention sur trois enjeux actuels, dont l’impact ne saurait être négligé.
Le premier concerne le secteur aéronautique civil. Dans le transport aérien, la croissance des compagnies à bas coûts a bouleversé le marché. De même, l’émergence de compagnies issues des pays du Golfe inquiète, notamment à cause des subventions déguisées que celles-ci reçoivent de leurs États.
Monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion du débat qui s’est tenu ici même, le 5 février dernier, sur le thème de la transparence dans le transport aérien, vous avez réaffirmé que les autorités françaises n’accordaient plus aucun droit de trafic à ces compagnies. Le 13 mars, lors d’un conseil des ministres des transports de l’Union européenne, les représentants de l’Allemagne, qui a cependant passé des accords « ciel ouvert », et de la France ont demandé la mise en place d’une stratégie commune, proposant de soumettre toute ouverture de droits de trafic au contrôle de ces entreprises.
Sans méconnaître les pratiques de ces compagnies ni remettre en cause l’ambition d’instaurer une concurrence non faussée dans le secteur du transport aérien, nous nous interrogeons sur l’efficacité d’une telle stratégie, d’autant qu’elle s’applique aussi à d’autres compagnies hors Union européenne.
Au niveau communautaire, si certains pays se retrouvent sur notre ligne, d’autres, notamment le Royaume-Uni, ont une politique plus conciliante. En accordant plus de droits de trafic, ils bénéficient d’une fréquentation accrue, avec des effets en termes d’affluence touristique et de développement des structures aéroportuaires.
Plus grave encore, ces compagnies, dont la croissance est rapide, procèdent à de nombreux achats d’appareils. Dans ce contexte, et connaissant les subtilités des marchés de l’aviation civile, il serait préjudiciable que les entreprises françaises et européennes pâtissent de cette politique intransigeante et perdent d’importants marchés au profit d’autres groupes, américains par exemple.
Le deuxième enjeu concerne le secteur spatial, qui est également soumis à une reconfiguration d’acteurs. Sont en effet apparus, depuis moins de dix ans, des lanceurs à faible coût pouvant mettre sur orbite des satellites à prix cassés. C’est le cas aux États-Unis, qui renouent avec une politique spatiale ambitieuse, comme en témoigne le développement de la société SpaceX, ou dans des puissances comme la Chine, avec son lanceur « Longue Marche », l’Inde ou encore la Russie. En réaction, les membres de l’Agence spatiale européenne ont décidé, à la fin de 2014, d’acter le programme Ariane 6, pour conforter la position de leader de l’Europe en matière de lanceurs commerciaux.
En conséquence, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle sera la feuille de route du Comité de concertation État-industrie sur l’espace, et comment cette entité entend favoriser la coopération entre les trois grands groupes français du secteur que sont Thalès Alenia Space, Safran et Airbus Defence and Space, notamment depuis la joint-venture entre les deux derniers ?
Enfin, et c’est le troisième enjeu que je souhaite aborder, il est évident que l’avenir industriel de ces deux filières passe par une politique de recherche et de développement ambitieuse et soutenue. À ce titre, les 34 programmes de la Nouvelle France industrielle, dont certains touchent l’aéronautique et l’espace, constituent l’un des leviers privilégiés de cette politique, en associant les grands groupes, les ETI et les PME.
C’est dans ce cadre qu’a été développé le prototype de l’avion électrique E-Fan par Airbus Group en Charente Maritime. Cet aéronef traversera la Manche, en juin prochain, plus de cent ans après Louis Blériot.
Cependant, alors que le Président de la République a annoncé une nouvelle levée de fonds pour le grand emprunt, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique et le Commissariat général à l’investissement s’apprêtent à faire un tri au sein des différents programmes. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, concernant les secteurs industriels en débat cet après-midi, pouvez-vous nous indiquer les orientations qui seront privilégiées dans le choix de ces programmes ?
Nous pouvons également citer, parmi les efforts d’innovation dans le domaine aéronautique, les projets du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC. Pour rappel, parmi ces derniers figurent des axes de recherche et de développement à court et moyen termes : systèmes embarqués dans les cockpits, satellites à propulsion électrique ou augmentation des matériaux composites dans les avions, afin de les rendre plus légers et plus sobres énergétiquement.
La course à l’innovation ne connaissant pas de pause, la France, si elle veut continuer à être à la pointe des techniques et du savoir-faire, doit donc investir massivement. Elle ne pourra le faire que sous l’impulsion et avec la coordination d’un État stratège. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que d’évolutions dans le domaine spatial depuis l’automne 2012, quand Bruno Sido, que je salue ici, et moi-même avons remis au nom de l’OPECST notre rapport sur l’avenir de la politique spatiale ! Ces évolutions ont concerné les lanceurs, les satellites et, surtout, la concurrence des low cost.
À l’époque, en matière de lanceurs, l’Europe et, au premier chef, la France hésitaient entre Ariane 5 ME et Ariane 6. Le premier projet, fortement soutenu par les industriels allemands et français, se proposait de faire évoluer notre actuelle fusée pour en faire un lanceur plus puissant et plus « versatile » grâce à un étage supérieur rallumable.
Le CNES militait, lui, pour un lanceur de nouvelle génération, modulable, qui pourrait régler le problème principal, à savoir l’obligation d’appairage de deux satellites à chaque lancement. Or, compte tenu du poids de ces derniers, qui a doublé en 20 ans, trouver deux opérateurs dont les satellites sont compatibles avec la capacité de la coiffe et le calendrier devient très difficile et, surtout, a un coût : quelque 120 millions d’euros par an !
Même si nous ne doutions pas de la volonté de l’Europe de garder cette autonomie d’accès à l’espace qu’avait voulue le général de Gaulle, nous étions moins sûrs qu’elle veuille et puisse financièrement continuer à soutenir deux projets concurrents en période de crise, tout en maintenant une lourde subvention d’exploitation.
Dix-huit mois après la difficile conférence ministérielle de l’European space agency, l’ESA, à Naples, les conclusions de celle de Luxembourg confirment que l’Europe ne peut pas courir après deux lièvres à la fois.
Sans devenir une fusée low cost, Ariane 6 doit s’en rapprocher si elle veut conserver une part importante du marché commercial des satellites. Je ne puis m’empêcher de regretter que les inquiétudes que Bruno Sido et moi-même avions soulevées quant à la part que pourrait prendre le nouvel intervenant américain SpaceX n’aient à l’époque pas été prises au sérieux. La condescendance à l’égard d’un modèle de fusée considéré comme simpliste a sans doute retardé la prise de conscience que le prix d’un lancement serait bientôt plus important pour un opérateur que la technologie utilisée.
La première version d’Ariane 6 était fondée sur deux étages à poudre. La version retenue à Luxembourg possède un moteur d’étage principal cryogénique, pour satisfaire les industriels. Est-ce vraiment pour se rapprocher de ces objectifs low cost que le système de propulsion est si différent de celui qui avait été présenté comme intangible par le CNES et l’ESA, ou est-ce le poids des industriels, dorénavant réunis dans la joint-venture, qui a fait plier la direction des lanceurs du CNES ?
M. Bruno Sido. C’est une bonne question !
Mme Catherine Procaccia. Merci, mon cher collègue.
En tout cas, l’avenir de la direction des lanceurs du CNES et de l’ESA doit rapidement être clarifié, tout comme le conflit d’intérêts qui pourrait survenir si Airbus devenait propriétaire du système de lancement européen.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai plusieurs autres interrogations.
Tout d'abord, si la recherche de la compétitivité est un facteur essentiel pour sauvegarder notre industrie spatiale, je crains les choix financiers et voudrais avoir la certitude que le budget d’Ariane 6 est bien sanctuarisé, en espérant qu’un jour l’Union européenne introduise, sur le modèle du Buy american act, une préférence européenne pour ses satellites institutionnels ; mais j’ai bien peur que cela ne reste qu’un rêve…
En attendant, le carnet de commandes de notre bonne vieille Ariane 5, qui doit toujours emporter deux satcoms, pourra-t-il être rempli jusqu’en 2020, malgré le dumping américain qu’ont évoqué mes collègues et la volonté affichée du président Obama de revenir sur le marché commercial mondial ?
L’industrie spatiale, ce sont aussi les satellites et, là encore, quelle évolution ! Voilà trente mois, on nous expliquait que les satellites à propulsion électrique avaient certes un avenir, mais lointain, et que les opérateurs commerciaux n’accepteraient jamais d’attendre huit mois pour atteindre la mise en poste, car le temps, c’est de l’argent. Néanmoins, comme chaque kilogramme coûte 20 000 euros et comme la propulsion électrique représente la moitié du poids du satellite, là aussi, le calcul financier s’est imposé : un quart des satellites seraient électriques en 2020.
Puisque le thème de ce jour est l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence, je voudrais être certaine que cette évolution est préparée chez les industriels.
Je sais qu’Airbus Defence and Space a réussi à diminuer le temps de latence à quatre mois pour la mise en orbite et que M. le ministre de l’économie, qui vient juste de quitter le Sénat, a annoncé une aide de 73 millions d’euros à cette filière. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, me donner des précisions sur les futurs bénéficiaires et les conditions d’octroi de cette aide ?
Enfin, j’aimerais savoir où en est le développement des services des programmes européens Copernicus et Galileo. S’agissant de ce dernier, pouvez-vous me dire si son financement est bien confirmé, mais, surtout, ce qui est prévu pour que nos GPS actuels, configurés sur les satellites américains, puissent capter les signaux de notre constellation européenne ? L’avenir de la filière spatiale européenne dépendra en effet aussi de la capacité de l’Europe à développer ses propres services spatiaux.
Pour conclure, je remercie le groupe CRC d’avoir contribué à rappeler l’intérêt que porte le Sénat à cette filière essentielle en sollicitant l’organisation de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, moi aussi, à remercier le groupe CRC d’avoir demandé l’organisation de ce débat.
Mon intervention portera sur la contribution des territoires ruraux au développement de l’industrie aéronautique, et mon point de vue sera développé à partir des réalités de mon département, le Gers, dont quinze PME, employant 1 600 salariés, font, entre autres entreprises, partie de la chaîne des fournisseurs d’Airbus. Ils ont pour noms Latécoère, Lauak, Cousso, etc.
Ce constat, qui vaut non seulement pour le Gers, mais aussi pour d’autres départements de Midi-Pyrénées, permet de mesurer combien est importante la manière dont Airbus et l’aéronautique en général irriguent l’ensemble des territoires ruraux de cette région.
Cette situation est aussi emblématique des coopérations à caractère économique qui peuvent être instaurées entre la métropole et les territoires ruraux qui lui sont associés. Autrement dit, l’aéronautique démontre en Midi-Pyrénées, avec Airbus, que la dynamique industrielle localisée sur la métropole sert le développement économique, social et territorial du reste de la région.
Cette réalité procède d’une logique économique qui sert également l’industrie mère. Cela s’explique par plusieurs facteurs, que je veux ici évoquer.
Tout d’abord, du point de vue de l’entrepreneur, il y a de réels avantages comparatifs : le coût de l’immobilier d’entreprise est très sensiblement inférieur dans les départements ruraux à ce qu’il est en métropole ; la productivité du salariat est liée à la qualité de vie en milieu rural ; le turn-over des personnels est sensiblement inférieur à celui des entreprises de la métropole, ce qui entraîne une plus grande fidélisation et facilite le management.
Ensuite, du point de vue du salarié, on relève un coût de la vie en zone rurale très sensiblement inférieur à ce qu’il est en métropole et une qualité de vie n’ayant rien à envier à celle des métropolitains.
Tous ces éléments contribuent à la performance de la chaîne des fournisseurs et servent la compétitivité de l’ensemble de la filière.
À partir de ce constat, plusieurs questions doivent être posées et traitées. À quelles conditions peut-on garder ces entreprises sur ces territoires ruraux et les voir se développer encore davantage ? Quelles sont les conditions à remplir ou les processus à engager pour en accueillir d’autres, dans le contexte annoncé de forte croissance d’activité, estimée au niveau mondial à 5 % par an pendant les dix ans à venir ?
Sans prétendre à l’exhaustivité, je soumets à notre débat quelques pistes d’amélioration.
En ce qui concerne les entreprises elles-mêmes, il faut aider leur structuration, parfois leur rapprochement, pour les faire accéder à des tailles critiques suffisantes de type ETI, permettant de fiabiliser la production en qualité et en délais, d’accéder plus facilement au financement des stocks de matière première, du besoin en fonds de roulement, ou BFR – celui-ci augmente, on le sait, avec le volume des commandes – et des investissements de production.
Aujourd’hui, je le rappelle, l’investissement moyen par machine dans ce secteur d’activité est de l’ordre de 1,3 million d’euros. Au passage, je me demande si notre pays n’est pas en train de prendre un retard préjudiciable dans le domaine de l’impression en trois dimensions, ou 3D, qui va constituer, en soi, une révolution technologique.
C’est dans les moments favorables du cycle économique – nous y sommes ! – que l’avenir se prépare. L’État stratège que nous appelons de nos vœux doit aussi faciliter l’accès au crédit bancaire des PME et des ETI sous-traitantes localisées en milieu rural.
En résumé, sur ce point, la question du financement de leur bas de bilan est aujourd’hui problématique dans la perspective des programmes A320 et A350 qui seront à honorer dans les années prochaines. C’est une réelle difficulté pour nos PME, et je souhaiterais que vous nous indiquiez, monsieur le secrétaire d’État, la position du Gouvernement.
En ce qui concerne les personnels, les pistes de progrès pourraient consister à renforcer l’attractivité de ces métiers pour les jeunes, à traiter l’accueil des stagiaires, qui pose, entre autres, la question de l’habitat, à adapter la formation aux techniques émergentes par la formation continue, notamment, comme par la voie de l’apprentissage qu’il faut développer jusqu’au plus haut niveau de qualification – on le sait, c’est un point faible de notre pays.
Pour conclure provisoirement sur ce thème, dans cette filière européenne, Airbus est une fierté et une chance pour la France, pour la métropole de la région Midi-Pyrénées, mais aussi pour ses territoires ruraux. Comme le dit à juste titre un responsable d’Airbus, « il ne faut pas voir les territoires ruraux comme des lieux de low cost, mais bien plutôt de best cost ».
Depuis de nombreuses décennies, la très forte productivité agricole affecte profondément la démographie des territoires ruraux, créant les difficultés que l’on sait pour maintenir les services publics, et la vie tout court, sur ces territoires. La sous-traitance aéronautique peut leur permettre d’opérer une transition vers le secteur industriel, créateur d’emplois et producteur de valeur ajoutée. Il ne s’agit pas de jouer l’un ou l’autre, l’industrie ou l’agriculture, mais bien entendu l’un avec l’autre, au bénéfice des deux et de tout le territoire, sans dégradation aucune de l’environnement et en concourant aux objectifs de transition énergétique et de croissance verte que notre pays s’est fixés.
À la lumière de l’expérience, gersoise par exemple, voyons l’avenir positivement ! La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République nous donnent le cadre institutionnel et les outils pour penser l’aménagement économique des territoires ruraux. L’élaboration prochaine des schémas régionaux de développement économique devra se faire avec tous nos partenaires industriels, Airbus en premier lieu, et les sous-traitants de nos territoires.
Aucune fatalité ne condamne les territoires ruraux à vivre de plus en plus, le temps passant, sous perfusion de métropoles qui concentrent toujours plus la croissance économique de notre pays ; Airbus et sa sous-traitance aéronautique en font la démonstration. Sachons donc, avec nos partenaires industriels, l’État et les collectivités locales, saisir les occasions de développement qui se présentent à nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat proposé par le groupe CRC sur « l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale française face à la concurrence » est tout à fait d’actualité.
Le Président de la République a d’ailleurs récemment déclaré : « L’industrie aéronautique appartient à une histoire, à une tradition. [...] Nous avons besoin en France de grandes filières industrielles et […] l’aéronautique en est une des plus brillantes. »
C’est particulièrement vrai en ce moment : l’industrie aéronautique et spatiale française est un pôle d’excellence dans de nombreux domaines. Elle est regroupée au sein du GIFAS, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, qui compte 348 entreprises, dont environ 300 équipementiers et sous-traitants, en majorité des PME.
Elle dispose d’acteurs de premier rang pour tous les types de produits aéronautiques, tels qu’Airbus pour les avions de transport, concurrent direct de Boeing ; Safran pour les réacteurs ; Thales pour les systèmes de navigation, comme les radars et les systèmes de contre-mesures électroniques ; Eurocopter pour les hélicoptères ; Dassault Aviation pour les avions d’affaires et militaires.
Ces entreprises s’appuient sur plusieurs centaines de sous-traitants, reconnus pour leurs savoir-faire indispensables et leurs excellents ingénieurs. Toutes ces activités donnent à la France une position dominante, qui se traduit par des exportations dans le monde entier, tout particulièrement en ce moment.
Dans le domaine des avions de transport, la société Airbus a porté son carnet de commandes à un niveau historique, et le chiffre d’affaires des avions Falcon se développe. Notre industrie aéronautique et spatiale a représenté plus de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Elle reste le premier contributeur de notre balance commerciale, avec 24 milliards d’euros d’excédents commerciaux, et cela va augmenter.
Le succès de notre industrie repose sur un partenariat solide avec l’État. Ce partenariat se traduit par la participation des acteurs de la filière aux travaux des comités de concertation entre l’État et l’industrie, tels que le Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, ou le COSPACE, son équivalent pour le secteur spatial. Il se traduit surtout par un co-investissement indispensable. Dans ce cadre, la filière compte sur les plans d’investissements d’avenir, les PIA, pour préparer les avions, les drones et les satellites du futur.
Le succès de cette industrie repose avant tout sur les 180 000 hommes et femmes de la filière, opérateurs qualifiés, techniciens et ingénieurs. Il faut agir pour maintenir le très haut niveau de qualité et d’excellence de ces personnels, facteur discriminant de la compétitivité future de cette industrie.
La France bénéficie d’excellentes écoles d’ingénieurs, comme l’École polytechnique, l’École nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace, l’École supérieure d’électricité ou l’École nationale supérieure d’arts et métiers, indispensables à leurs formations.
Les formations en alternance et l’apprentissage constituent également une excellente méthode d’enseignement des jeunes dans ces métiers. Il convient de les développer et d’encourager les entreprises à les accueillir, même si cela pose un problème.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Serge Dassault. Enfin, pour assurer la pérennité de ses activités, notre filière doit également rester mobilisée.
Ainsi, et pour faire face à la concurrence commerciale internationale particulièrement forte, notre industrie spatiale a convaincu l’ensemble de nos partenaires européens de choisir une nouvelle configuration pour le futur lanceur Ariane 6 et a décidé de créer un nouvel acteur industriel majeur, la joint-venture Airbus-Safran, dénommée ASL.
Ces efforts doivent bien évidemment être poursuivis, sinon notre industrie aéronautique et spatiale s’exposera au risque d’un déclassement, mais il faut surtout renforcer simultanément la compétitivité de nos entreprises.
Pour y parvenir, il faut répondre à plusieurs nécessités.
En premier lieu, il faut investir dans l’innovation, par un soutien continu à la recherche. Dans ce domaine, l’industrie aéronautique ne faiblit pas. Elle consacre 14 % de son chiffre d’affaires à la recherche et au développement.
En second lieu, il convient de mettre en place, pour l’industrie, une fiscalité incitative. Le crédit d’impôt recherche est un excellent exemple d’instrument d’incitation à la recherche, notamment dans les secteurs de l’aéronautique et du spatial. Il est indispensable de le préserver en l’état pour tous les acteurs, les grands groupes comme les PME.
En France, les bénéfices sont trop imposés, avec un taux à 33 %, alors que l’Angleterre est à 28 % et l’Irlande à 12,5 %. Réduire directement l’impôt sur les bénéfices des entreprises permettrait de stimuler immédiatement la recherche par autofinancement pour préparer l’avenir, et pas seulement d’enrichir les actionnaires, mes chers collègues !
La mise en place de l’usine du futur, qui se prépare dès aujourd’hui, permettra également de réduire les temps et les coûts de développement et de fabrication, en anticipant toutes les contraintes industrielles – c’est ce que nous faisons déjà.
Il faut souligner que le numérique est l’instrument même de cette mutation. Il devient un facteur clef de la performance à chaque étape : de la conception – avec des systèmes de maquettes numériques déjà utilisées chez Boeing et Airbus, sous contrôle de Dassault Systèmes –, jusqu’à la relation client, pour accompagner les objets connectés et les nouvelles procédures d’enregistrement, en passant par la maintenance : le numérique est partout !
Enfin, je terminerai en rappelant que tous nos succès à l’exportation dépendent essentiellement de l’appui du Gouvernement. Dans ce domaine, les industriels français peuvent compter sur le soutien permanent du Président de la République, associé aux ministres Le Drian et Fabius, qui font ensemble un remarquable travail. C’est ce qui fait le succès actuel de ce secteur, et il faut le souligner, car rien ne se fait par hasard.
M. Claude Raynal. Très bien !
M. Roland Courteau. C’est bien de le souligner !
M. Serge Dassault. La mise en place d’une préférence communautaire, qui n’existe pas, serait indispensable pour développer nos ventes à l’étranger. Il est en effet absolument anormal que la Belgique, la Pologne, les Pays-Bas, la Suède ou d’autres choisissent des avions de combat américains pour s’équiper, alors que nous sommes sur le même terrain !
Je vous rappelle enfin, mes chers collègues, que le prochain salon international de l’aéronautique et de l’espace aura lieu du 15 au 21 juin prochain au Bourget. Si vous souhaitez y participer, je vous invite à prendre contact avec le responsable du GIFAS pour organiser votre visite. Si vous avez faim et si vous passez devant notre chalet, peut-être pourrons-nous vous accueillir pour le déjeuner ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue à mon tour l’initiative du groupe CRC.
La filière aéronautique est aujourd’hui l’une des industries les plus créatrices d’emplois et de richesses sur notre territoire. Pour la région Midi-Pyrénées, près de 100 000 emplois dépendent de son avenir. Cette formidable réussite est notamment le fruit d’un dialogue permanent mené depuis près de quarante ans, au sein du GIFAS, entre l’ensemble des entreprises de la filière et l’État.
L’État stratège a su, grâce à l’action de la direction générale de l’aviation civile, mener une politique industrielle pertinente et réactive. Récemment, grâce encore une fois à la mobilisation collective de la filière et à la feuille de route technologique du Conseil pour la recherche aéronautique civile, l’État, dans le cadre du premier plan d’investissement d’avenir, a su apporter les bons outils, au bon moment.
Cependant, aujourd’hui, une possible réduction du pilotage politique de soutien à la filière amène légitimement l’industrie aéronautique et les élus de la région Midi-Pyrénées à s’interroger. À l’heure où l’État fédéral américain accorde plus de 8 milliards de dollars d’avantages fiscaux au projet 777X, il reste plus que jamais vital pour nos industries qu’un pilotage politique solide de l’ensemble de la filière soit poursuivi.
J’évoquerai deux sujets pour illustrer mon propos : tout d’abord, l’engagement du deuxième programme d’investissements d’avenir, ou PIA 2, pour deux démonstrateurs technologiques supplémentaires ; ensuite, la confusion parfois entretenue entre la compétitivité d’Air France et les droits de trafic supplémentaires pour des compagnies aériennes non européennes ; ma collègue Françoise Laborde a déjà évoqué ce sujet.
J’en viens, en premier lieu, à l’engagement du PIA 2. La filière a défini, collectivement encore une fois, face à la montée des compétiteurs et aux efforts importants réalisés dans les autres pays européens, deux priorités absolues : un démonstrateur appelé SEFA, pour systèmes embarqués et fonctions avancées, qui vise à préparer et développer des fonctions et systèmes innovants pour les cockpits des aéronefs à venir, et une autre plateforme technologique appelée « usine aéronautique du futur ». Engageons les crédits prévus sans tarder !
Enfin, on doit encourager le groupe Airbus Industries à lancer de nouveaux programmes de développement afin de préparer l’avenir, tout en maintenant les capacités actuelles des bureaux d’études. Le lancement de l’A380 NEO et du nouveau Beluga va d’ailleurs dans ce sens.
Le second sujet est plus délicat. Le Gouvernement se mobilise, et c’est heureux, pour défendre notre compagnie nationale et l’accompagne dans la reconquête de sa compétitivité, face à la concurrence internationale, en particulier celle des compagnies des pays du Golfe. De ce point de vue, l’exonération des passagers en correspondance du paiement de la taxe de l’aviation civile est un premier pas significatif.
J’ai également bien entendu que la commissaire européenne, Mme Violeta Bulc, allait faire des propositions pour créer les conditions d’une concurrence loyale au niveau international.
Dans l’immédiat, force est de constater que, si le trafic a connu une augmentation de 6 % en 2014, cette augmentation n’a que marginalement profité à Air France. En effet, cette entreprise connaît une concurrence accrue et, pour la protéger, la tentation est grande de limiter l’accès des aéroports nationaux aux compagnies étrangères.
Pourtant, cette position semble intenable sur le long terme, tant pour Air France que pour l’ensemble de la filière aéronautique.
En effet, dans cette stratégie, notre compagnie nationale se voit alors privée, en vertu du principe de réciprocité, de nouveaux débouchés. Quant à l’ensemble de la filière, l’achat de nouveaux appareils est souvent conditionné, de façon plus ou moins explicite, à l’obtention de droits de trafic. Ces derniers contribuent, quant à eux, par l’intermédiaire du développement de nos plateformes aéroportuaires régionales, à l’attractivité tant économique que touristique de nos territoires.
Enfin, je souhaiterais conclure sur l’entretien et de la réparation des avions. Air France Industrie en est aujourd'hui, avec ses trois bases à Orly, Roissy et Toulouse, l’un des leaders européens. Pourtant, face à la concurrence internationale, il est nécessaire que son développement soit soutenu pour pérenniser ses emplois, ainsi que ses savoir-faire essentiels pour l’ensemble de la filière. Et là aussi, il appartient à l’État et à l’ensemble des acteurs de soutenir cette activité, afin d’éviter, notamment, la délocalisation vers des pays low cost.
Dans ce cadre, l’activité de Toulouse, qui ne porte ni sur l’entretien « moteur » ni sur les équipements, doit requérir l’attention de tous. On comprend mieux dès lors l’importance d’un stratège pour trouver le bon équilibre général, afin de pérenniser l’ensemble de ses activités.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de l’attention que vous y portez et continuerez d’y porter dans les mois et années qui viennent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
(Mme Françoise Cartron remplace M. Jean-Pierre Caffet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe CRC d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence.
Ce sujet pouvait entraîner certains à dépasser le terrain industriel pour évoquer la concurrence elle-même, un débat que nous avons déjà eu. Vous voudrez donc m’excuser de ne pas embrasser l’ensemble des questions qui sont venues à l’esprit des orateurs et de m’en tenir au cœur du sujet d’aujourd'hui.
La filière aéronautique et spatiale est stratégique pour notre pays. Elle est un vecteur de souveraineté pour la France, avec un poids économique et social majeur. Elle a suscité en 2013 un chiffre d’affaires de 38 milliards d'euros, en forte croissance, et un excédent commercial de 23 milliards d'euros.
Ce secteur représente quelque 180 000 emplois directs hautement qualifiés et autant d’emplois indirects liés à cette industrie. Son dynamisme est remarquable : de 2006 à 2013, près de 100 000 embauches ont été réalisées, dont 15 000 par an ces dernières années. Quelque 84 % des recrutements sont en contrat à durée indéterminée.
Plus de 20 % des recrutements ont concerné des jeunes diplômés. Par ailleurs, un effort particulier a été réalisé en matière de formation en alternance, avec plus de 5 000 jeunes employés en contrat d’apprentissage ou en contrat de professionnalisation.
Je réponds sur ce point à M. Bockel, qui a légitimement souligné qu’un grand groupe industriel a signalé l’absence de réponse à ses 2 000 offres d’emplois de techniciens. Une situation quelque peu étonnante dans un pays qui connaît un tel chômage ! Je pense que la question de la gestion prévisionnelle de l’emploi doit naturellement être posée. C’est ce que nous ferons le 22 mai prochain, au cours d’une réunion du GIFAS et du CSFA aéronautique, que je copréside avec Emmanuel Macron. Nous aborderons alors ce sujet de la formation, que vous avez eu raison d’évoquer.
S’agissant tout d’abord de la construction aéronautique civile, la dynamique globale de création nette d’emplois devrait se poursuivre. En effet, selon le consensus des analystes, la croissance du trafic aérien mondial va continuer.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. De cette augmentation du trafic aérien découlera un accroissement de la flotte, évaluée à environ 30 000 appareils sur cette période, qui profitera très majoritairement au duopole Airbus-Boeing, au moins jusqu’en 2030, compte tenu de la faible maturité de la concurrence émergente.
Pour la France, disposer sur son territoire de l’un des deux seuls acteurs mondiaux du secteur est une véritable chance. Servir le marché mondial permet de capter de manière directe et durable les effets de la croissance économique des zones les plus dynamiques pour en faire bénéficier des implantations industrielles situées sur notre territoire national.
Au-delà de cette conjoncture durablement favorable, la France peut être fière d’être le seul pays au monde, avec les États-Unis, à disposer sur son territoire d’une filière aéronautique complète, riche de très grands constructeurs comme Airbus ou Dassault, bien sûr, mais également d’un ensemble d’équipementiers et grands groupes, comme Zodiac, Safran ou Thales, pour ne citer que ceux-ci, ainsi que d’entreprises de taille intermédiaire et de PME, qui maîtrisent l’ensemble des compétences nécessaires à la définition et à la construction d’un aéronef.
L’aéronautique reste une industrie essentiellement technologique. Dans un avion, le moindre élément structural et la moindre fixation sont poussés à la limite de la technologie. L’exigence d’innovation y est totale, comme celle de qualité et de fiabilité des productions. C’est cette exigence technologique qui est aujourd'hui le meilleur remède aux tentatives de délocalisation. La France propose à toute sa filière, et particulièrement aux PME, l’accompagnement adapté leur permettant de progresser.
S’il convient de rester extrêmement vigilant sur les transferts d’activité, il faut souligner que certains d’entre eux répondent à une véritable logique stratégique. L’exemple du partenariat qu’Airbus a bâti avec la Chine montre à cet égard que des schémas véritablement « gagnant-gagnant » peuvent être bâtis avec des pays majeurs, représentant les principaux marchés de demain.
Grâce à sa coopération avec la Chine, notamment grâce à l’installation d’une chaîne d’assemblage d’A-320 à Tianjin, en 2008, la part de marché d’Airbus en Chine est rapidement passée de 25 % à 50 %, ce qui veut dire que 70 % des avions vendus en Chine ces dernières années ont été des Airbus. Airbus réalise désormais en Chine plus de 20 % de ses ventes totales – quelque 133 avions ont été livrés en 2013 en Chine, sur un total de 626 au niveau mondial.
L’industrie spatiale française, quant à elle, est au meilleur niveau européen et mondial grâce aux efforts consentis par l’État depuis les années soixante, ce soutien ne s’étant jamais démenti depuis lors. Notre industrie spatiale est forte des trois grands groupes que sont Airbus Defence and Space, Thales Alenia Space et Safran, auxquels s’ajoute un tissu de PME et d’entreprises de taille intermédiaire.
La viabilité financière de l’ensemble repose sur un équilibre. La moitié de l’activité de l’industrie spatiale européenne provient des contrats avec des sociétés privées et de l’export.
Au contraire des États-Unis, le marché institutionnel national ou européen ne peut à lui seul assurer à la fois les développements nécessaires, le maintien des compétences clefs et les cadences de production indispensables au maintien des coûts et de la qualité. C’est vrai pour les lanceurs comme pour les systèmes orbitaux.
Dans l’ensemble de la filière aéronautique et spatiale, la décennie en cours doit voir le renouvellement de produits absolument stratégiques pour chacune des gammes des industriels français.
Ces programmes constitueront le moteur de l’activité de toute la filière aéronautique : Airbus A-350, Airbus A-320neo remotorisé, hélicoptères X4 et X6 pour Airbus Helicopters, moteur LEAP-X pour Snecma, évolution de la gamme Falcon de Dassault Aviation. Ces programmes jouent le rôle de locomotives, qui entraînent in fine la majeure partie de l’activité de la filière.
Concernant le spatial, les marchés à l’export sont indispensables à l’équilibre de l’ensemble du secteur européen, tant pour les lanceurs que pour les systèmes orbitaux.
La compétitivité de notre industrie sur la scène internationale est donc un enjeu central, à la fois pour l’existence même de cette industrie et pour la souveraineté de l’Europe dans ce domaine. Or la concurrence internationale a amorcé ces dernières années une très forte évolution, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques.
Ces nouveaux acteurs, issus de l’économie numérique, sont SpaceX et des sociétés comme Google et Apple, qui disposent de capacités massives d’investissement du fait de niveaux de capitalisation et de trésorerie exceptionnels, très supérieurs au reste de l’industrie, ainsi que d’une culture de rupture dans les technologies et dans les modèles économiques.
Ils commencent aujourd'hui à investir dans les services de lancement, de communication internet par satellite, d’observation de la Terre avec des projets qui se démarquent fortement par rapport à l’existant – simplification radicale du lanceur pour SpaceX, constellation d’un millier de petits satellites pour Google-SpaceX et OneWeb-Virgin. Ils ont le soutien de la NASA et de la défense américaine.
Face à cette forte rupture contextuelle, le maintien du statu quo dans le modèle national conduirait rapidement notre industrie à s’étioler, puis à disparaître.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Nous devons rester à la pointe de l’innovation dans les satellites. Dans le domaine des télécoms, le PIA a permis de développer très rapidement de nouvelles plateformes de satellites à propulsion électrique, qui remportent déjà des succès à l’export.
En observation de la Terre à haute et très haute résolution, les développements entrepris depuis des années, grâce aux financements de la défense et du CNES, ont permis à notre industrie d’emporter des marchés très compétitifs aux Émirats Arabes Unis, par exemple.
S’agissant des lanceurs, il est nécessaire de faire évoluer la fusée Ariane elle-même pour l’adapter au marché et la rendre plus compétitive, mais aussi le modèle industriel et de gouvernance, afin de diminuer les coûts de production et gagner en réactivité.
Ariane 5 est un lanceur d’une fiabilité inégalée, mais d’une grande complexité technologique et limité au lancement double. L’enjeu est donc de le simplifier et d’augmenter sa flexibilité.
Après concertation entre les acteurs, le choix d’une nouvelle configuration pour Ariane 6, validé lors de la réunion ministérielle de Luxembourg, s’est porté sur un concept flexible comprenant deux versions à deux ou quatre boosters. Cette configuration répond aux besoins de lancement et permet une diminution du coût de production, tout en préservant l’essentiel des acquis industriels en France, en Italie et en Allemagne.
Le modèle industriel et la gouvernance d’Ariane sont aujourd’hui handicapés par un éclatement des sites de production et par une très longue chaîne d’approvisionnement et d’intégration. De plus, la forte imbrication des centres de décision et des responsabilités entre acteurs étatiques – ESA et CNES –, industriels de production et Arianespace ajoute de la lourdeur au processus.
L’évolution de la filière doit donc être double : tout d’abord, la création de la joint-venture Airbus Safran Launchers, ASL, annoncée en juin 2014, supprimera de nombreuses interfaces et permettra des synergies industrielles. Ensuite, la clarification des relations entre acteurs institutionnels et industrie pour le développement d’Ariane 6, avec les agences clairement positionnées en maîtrise d’ouvrage et les industriels en maîtrise d’œuvre, doit assurer une plus grande réactivité dans les développements. Elle permet aussi un meilleur levier sur la capacité d’investissement privé : ASL investira dans le développement d’Ariane 6, à l’inverse de ce qui s’est passé pour les précédents lanceurs.
Cette évolution des relations entre acteurs de la filière est une décision de l’ensemble des États membres de l’ESA, qui ont adopté une résolution en ce sens en décembre 2014.
C’est une évolution réelle, mais il ne s’agit ni d’un désengagement des États – ceux-ci investissent ensemble quelque 4 milliards d'euros pour ce nouveau lanceur – ni d’un affaiblissement du rôle des agences ou du contrôle des fonds publics : l’ESA, en s’appuyant sur le CNES, assurera la maîtrise d’ouvrage et le contrôle du programme.
Les paiements se feront par ailleurs à livraison et non plus sur développement, comme c’était le cas jusqu’à présent. Il ne s’agit pas non plus d’une remise en cause de l’importance d’Arianespace pour assurer la commercialisation d’Ariane et l’équité de traitement entre ses différents clients – c’est un rôle que nul, ni l’État ni ASL, n’a intérêt à minimiser.
Nous devons nous appuyer sur nos atouts pour être plus réactifs et plus forts encore demain : l’enjeu est majeur pour l’avenir de la filière, compte tenu des prix pratiqués par son concurrent, SpaceX. Bien sûr, ce dernier bénéficie d’aides massives du gouvernement américain. Toutefois, cette société a aussi su innover en faisant porter son effort sur la réduction des coûts de production, et elle continue de le faire en tentant de réutiliser les premiers étages des engins.
En ce qui concerne les lanceurs réutilisables, la réflexion est en cours au CNES, à l’ESA et dans l’industrie spatiale en France et en Europe.
Dans le passé, aucun lanceur réutilisable n’a été un succès technique et économique : la navette en est un exemple. Il apparaît, d’ores et déjà, que la piste d’un système de lancement totalement réutilisable n’est pas la bonne. En revanche, la question reste ouverte pour le premier étage.
Les efforts actuels de SpaceX sont suivis de près, et des études sont menées au CNES et chez Airbus Defence and Space sur un concept original de premier étage réutilisable.
J’en viens aux dirigeables. L’étude d’applications nouvelles pour les dirigeables fait l’objet, comme d’ailleurs les drones, d’un projet dans le cadre de la Nouvelle France industrielle. Ce plan est conduit par le pôle de compétitivité Pégase en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Deux projets sont engagés : le premier pour transporter des charges lourdes, jusqu’à soixante tonnes, le second pour développer un dirigeable stratosphérique dans le cadre de missions civiles et militaires de télécommunications et d’observation, en complément des satellites.
S’agissant de l’hélium, utilisé pour pressuriser les étages des lanceurs, on peut convenir qu’il est un gaz rare, certes, mais pas encore au point de constituer un problème d’approvisionnement pour la filière Ariane à court ou moyen terme.
Économiquement, l’hélium est un produit annexe de l’extraction du gaz naturel. À titre d’exemple, il existe au Qatar une usine qui produit 10 tonnes d’hélium par jour. Un lanceur Ariane en consomme 145 kilogrammes. Autrement dit, l’ordre de grandeur de la consommation annuelle est la tonne, soit 10 % de la production quotidienne de l’usine qatarie.
L’État est pleinement conscient que l’industrie aéronautique et spatiale réalise des investissements considérables dans le domaine de la recherche et développement. L’effort réalisé dépasse 15 % du chiffre d’affaires pour les entreprises aéronautiques, ce qui est extrêmement élevé. Il est fait, par ailleurs, sur des cycles très longs, car le point de rentabilité financière de certains programmes peut n’intervenir que vingt à vingt-cinq ans après les premiers investissements.
Ce contexte spécifique de l’innovation rend absolument nécessaire l’intervention publique pour compléter l’investissement industriel.
C’est d’autant plus indispensable que, dans le même temps, la concurrence se renforce. L’octroi récent à Boeing par l’État de Washington de la plus large exemption fiscale de l’histoire des États-Unis montre toute la volonté de ce pays d’aider massivement son industrie. La Chine, la Russie et, à un degré moindre, le Canada et le Brésil, pays émergents dans le domaine des avions de plus de cent places, subventionnent leur industrie de manière similaire.
Le système de soutien français repose en premier lieu sur des aides sectorielles à la recherche et développement. La filière aéronautique, particulièrement structurée, dispose, pour construire son dialogue avec les pouvoirs publics et bâtir ses projets, du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, que je préside personnellement.
Un comité de concertation État-Industrie pour le spatial, le COSPACE, a aussi été mis en place à la fin de 2013 par la ministre chargée de l’espace, Mme Fioraso, avec les ministres de la défense et de l’industrie. À l’instar du CORAC, ce comité rassemble les acteurs publics et privés du secteur pour partager une vision commune sur les grands enjeux. La création du COSPACE était d’ailleurs une recommandation du rapport de Mme Procaccia et de M. Sido.
En maintenant depuis 2012 en valeur, malgré le contexte de maîtrise budgétaire, la capacité d’intervention financière propre de la DGAC, la Direction générale de l'aviation civile, et en mettant en place des actions dédiées à l’aéronautique dans les deux programmes d’investissement d’avenir, ou PIA, le Gouvernement a décidé d’augmenter le soutien global au secteur. L’action aéronautique des PIA a été dotée d’un total de 2,9 milliards d’euros depuis 2010.
Cet effort permet un soutien déterminant aux projets de recherche du CORAC : très concrètement, le lancement du long courrier A-350 d’Airbus ou des hélicoptères X4 et X6 d’Airbus Helicopters. Il s’agit aussi, à plus long terme, de concevoir les aéronefs des futures générations, plus silencieux et plus économes en carburant, de développer de nouvelles méthodes de production et d’assemblage dans les usines et d’inventer de nouveaux systèmes de pilotage, qui permettront, à terme, aux compagnies aériennes d’accroître les capacités opérationnelles de leurs avions.
Je précise, puisque M. Courteau m’a posé la question pour le compte de M. Labazée, que l’installation d’Hydro-Québec sur le site de Lacq n’est pas directement liée à l’imposition forfaitaire annuelle, l’IFA, mais celle-ci crée les conditions d’un partenariat. C’est en tout cas ainsi qu’elle est reçue par les industriels.
L’État, au travers des subventions qui transitent par le CNES, l’ESA et la DGA, consacre aussi des sommes importantes à la recherche spatiale, au développement et à la production de nouveaux produits à vocation commerciale, scientifique ou de défense, ou encore au soutien à l’exploitation.
C’est ainsi que sont nés les lanceurs de la famille Ariane, les satellites de télécommunications modernisés – notamment ceux à propulsion électrique, grâce à l’un des 34 plans de la Nouvelle France industrielle, doté de 50 millions d’euros – et les satellites d’observation de la terre, qui remportent aussi de nombreux succès à l’export et sont indispensables à notre défense.
Cet effort de l’État dans le domaine spatial avoisine les 2 milliards d’euros chaque année et n’a pas faibli malgré nos contraintes financières.
Le soutien du Gouvernement, tant financier que politique, prend d’autres formes, notamment au travers des pôles de compétitivité, dont l’action est essentielle pour le transfert des recherches du secteur public à la filière industrielle et à ses petites et moyennes entreprises. La France dispose également d’incitations fiscales à l’innovation, au premier rang desquels figure le crédit d’impôt recherche, le CIR.
Avant de conclure, je tiens à retourner à M. Dassault les remerciements qu’il a adressés au Gouvernement, et que je transmettrai aux ministres concernés, MM. Fabius et Le Drian. Je le remercie, également de son invitation collective au Salon du Bourget ! (Sourires.)
La France a un partenariat ancien et profond avec son industrie aéronautique et spatiale. Elle dispose d’une batterie complète d’outils publics et d’actions politiques pour développer ce partenariat et conforter son rang de deuxième puissance aéronautique et spatiale mondiale et de premier État aéronautique européen. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence.
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Candidatures à des commissions
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe UDI-UC a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger à la commission des finances et à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Ces candidatures ont été publiées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.
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Risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde
Discussion d’une question orale avec débat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 10 de M. Joël Labbé à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur les risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.
La parole est à M. Joël Labbé, auteur de la question.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du groupe écologiste, j’ai souhaité la tenue au sein de notre assemblée de ce débat concernant la crise de notre secteur ostréicole et les mutations de cette filière au cours des vingt dernières années, notamment du fait de l’arrivée des biotechnologies.
Je suis vraiment heureux que ce débat puisse avoir lieu aujourd’hui sur ce sujet très sensible du point de vue tant socio-économique qu’environnemental.
La crise de ce secteur n’est pas nouvelle, et il est aujourd’hui grand temps que l’on y apporte des réponses politiques. Rappelons que la production ostréicole française constitue de loin la première production communautaire – plus de 90 % de ladite production – et la quatrième au niveau mondial.
Nous avons eu, le 11 septembre 2013, un premier débat en séance lors de l’examen du projet de loi relatif à la consommation, à la suite d’un amendement que j’avais déposé au nom du groupe écologiste et qui visait à étiqueter les huîtres en fonction de leur origine, qu’elles soient naturelles, nées en mer ou triploïdes. Les échanges avaient duré près d’une heure, bien après minuit !
Cet amendement n’avait pas été adopté, au motif du respect de la réglementation européenne en vigueur, mais il avait permis l’amorce d’un premier vrai débat sur la question. Je vous avais alors annoncé que je « remettrai le couvert » dès que possible. Depuis lors, la situation s’est encore dégradée, au point de devenir très préoccupante pour l’ensemble de la profession, mais aussi pour le milieu naturel.
L’huître, être vivant mystérieux et fermé, constitue un véritable mets d’exception apprécié par l’homme depuis des milliers d’années.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Elle a même l’extraordinaire faculté, dans les mers chaudes, de produire des pierres, ces précieuses perles de nacre que les Grecs appelaient « les larmes d’Aphrodite ». (Exclamations admiratives.)
Au fil des siècles, la culture de l’huître n’a cessé de s’améliorer, grâce au savoir-faire et au sens de l’observation de générations d’ostréiculteurs, véritables paysans de la mer. Diverses techniques ont été éprouvées au fil des temps : élevage sur table, en poches, à plat sur le sol de l’estran, ou en eau profonde.
Coquillage filtreur, microphage et omnivore, l’huître joue un rôle essentiel sur le littoral. Elle pompe l’eau de mer afin d’en capter les particules nécessaires à son alimentation et l’oxygène pour sa respiration. Elle se nourrit de microalgues, d’organismes microscopiques et aussi de débris divers : un milieu sain et équilibré lui est nécessaire.
Véritable miroir de la biodiversité, sentinelle de l’environnement littoral, l’huître reflète l’état des écosystèmes marins.
La saison de reproduction s’étend de juin à septembre. Pendant cette période, les huîtres sont « laiteuses ». Cet aspect laiteux de l’huître naturelle lui confère un goût particulier et une texture différente de celle qui est la sienne durant les autres périodes de l’année. Les consommateurs avertis privilégient ainsi les fameux mois « en r » pour leur dégustation.
Depuis toujours, l’huître naît en mer et, par une opération de captage, les ostréiculteurs récupèrent le naissain constitué de larves issues de la reproduction des huîtres adultes dans le milieu naturel, afin d’en assurer la culture.
Entre la naissance d’une huître naturelle et le moment où elle peut être consommée, il s’écoule au moins trois ans, trois années de culture et de soins apportés par les ostréiculteurs, qui lui donneront sa chair épaisse et son goût particulier en fonction du terroir.
Organisme vivant particulièrement fragile, l’huître a connu des épizooties régulières. En 1920 et 1921, l’huître plate a été décimée. En 1972 et 1973, ce fut le tour de l’huître creuse, dite « portugaise », remplacée par l’huître creuse « japonaise », la crassostrea gigas, cultivée encore aujourd’hui en France et partout dans le monde.
En termes de génétique, l’huître est naturellement diploïde : elle possède dix lots de deux chromosomes, tout comme les humains et la plupart des êtres vivants.
Depuis le début des années deux mille, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, a mis au point et développé la production d’huîtres dites « triploïdes », dans l’intention de rendre la production plus intensive. La particularité de ces huîtres tient à une modification en laboratoire de leur nombre de chromosomes, lequel est passé de dix lots de deux chromosomes à dix lots de trois chromosomes.
Pour l’IFREMER, cette innovation est passée par le rachat d’un brevet américain en 2004, le brevet Rutgers, puis par le dépôt d’un nouveau brevet en nom propre en 2008. Différentes méthodes furent alors expérimentées au fil des années, fondées sur des chocs chimiques et thermiques permettant d’obtenir une huître censée être stérile, donc non laiteuse.
Le procédé retenu par l’IFREMER depuis 2008, et qui prédomine aujourd’hui, consiste à développer des « super-géniteurs », des tétraploïdes, dotés de dix lots de quatre chromosomes, dont les services sont vendus aux écloseries, lesquelles les croisent avec des huîtres diploïdes, afin d’obtenir cette fameuse huître triploïde.
Au-delà de cette différence chromosomique par rapport aux huîtres nées en mer, les huîtres triploïdes sont donc exclusivement produites en écloserie.
D’emblée, ces innovations avaient de quoi séduire la profession. En évitant à l’huître son cycle de reproduction, on empêche sa période de laitance, pendant laquelle elle est moins attractive pour le consommateur. Cela permet de commercialiser un produit standardisé toute l’année, notamment lors de la saison touristique.
Rapidement nommée « huître des quatre saisons » pour séduire le consommateur, l’huître triploïde a envahi les étals. Les professionnels y ont vu un moyen d’augmenter leurs débouchés et de lisser les coûts par l’étalement des ventes sur l’année.
L’huître triploïde présente également l’avantage de grossir plus vite, puisqu’elle ne perd pas son énergie à se reproduire. Sa période de production est donc réduite de trois à deux ans – ce n’est pas rien ! –, ce qui la rend très concurrentielle par rapport à l’huître née en mer.
Le scénario industriel était idéal : une huître qui pousse en deux ans au lieu de trois, qui peut être consommée toute l’année... La profession, dans sa grande majorité, s’y est engouffrée. Croissance et compétitivité étaient au rendez-vous avec ce pur produit de la recherche biotechnologique et de l’innovation.
Aujourd’hui, l’heure est plutôt au désenchantement. La filière conchylicole traverse une crise majeure qui perdure depuis plusieurs années et qui menace la survie de nombreuses entreprises ostréicoles.
Depuis 2008, des surmortalités du naissain et des huîtres juvéniles affectent les stocks d’huîtres creuses de l’ensemble des bassins de production en France. Elles ont déjà provoqué une baisse de plus de 40 % du tonnage français.
Ces mortalités continuent de sévir et ne sont pas circonscrites. Cette hécatombe est largement imputable à un variant de l’herpès virus de l’huître, appelé OsHV-1, qui n’a cessé de se développer. Elle coïncide, comme le font remarquer certains scientifiques, avec l’introduction massive des triploïdes dans le milieu...
Les huîtres adultes sont elles aussi touchées par une bactérie au nom barbare – vibrio aestuarianus –, identifiée par les scientifiques. Les mortalités ont un impact sur les stocks marchands, en particulier ceux d’huîtres triploïdes. Celles-ci, extrêmement fragiles, supportent mal les opérations d’élevage ou d’expédition et sont particulièrement vulnérables aux agressions bactériennes.
Un comble : les « huîtres des quatre saisons » meurent au moment où le marché estival les attend. Le taux de mortalité est passé de 10 % au départ à 25 % en 2012, pour atteindre jusqu’à 80 % selon les bassins en 2013.
M. Roland Courteau. Pourquoi ?
M. Joël Labbé. La crise entamée en 2008 se poursuit selon un scénario encore plus catastrophique, laissant la filière dans une impasse. Dans le département du Morbihan – dont vous êtes également les élus, chers Odette Herviaux et Michel Le Scouarnec –, premier département français en termes de surfaces concédées, 40 entreprises ont mis la clef sous la porte depuis 2006.
Face aux surmortalités des juvéniles, la profession n’a eu d’autre choix que d’intensifier encore la production : multiplication des collecteurs de naissains, multiplication du naissain d’écloserie, mise en élevage de lots de plus en plus nombreux d’huîtres triploïdes, surcharge des parcs. On aboutit actuellement à une surproduction – un paradoxe ! –, pourtant bien inférieure à la production d’avant 2008, et donc à une baisse dramatique des cours, qui sont soumis aux diktats de la grande distribution.
Nous assistons notamment à un engorgement des stocks d’huîtres de gros calibre, qui sont difficilement commercialisables, et déséquilibrent le marché, principalement en raison des huîtres triploïdes non vendues pendant l’été.
Au-delà des problèmes de production et de commercialisation, les ostréiculteurs deviennent de plus en plus dépendants des écloseries, à l’image des agriculteurs au regard des semenciers. La production de triploïdes relève bien de cette logique de privatisation du vivant, maintes fois abordée dans cet hémicycle.
Quant aux ostréiculteurs ayant choisi de poursuivre la culture de l’huître traditionnelle – il y en a ! –, s’ils sont moins affectés par la crise des mortalités, ils subissent à la fois la concurrence déloyale due à la commercialisation plus rapide des huîtres triploïdes et l’effondrement des cours.
D’un point de vue purement socio-économique, nous voyons bien que la profession paie aujourd’hui un lourd tribut à cette révolution biotechnologique, dont les conséquences n’ont pas été anticipées ou ont été pour le moins sous-évaluées.
J’en viens aux conséquences environnementales de l’exploitation des huîtres triploïdes. Celles-ci devraient retenir toute notre attention à quelques semaines de l’examen dans notre hémicycle du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Les huîtres triploïdes ne sont pas des OGM, des organismes génétiquement modifiés : ce sont des OVM, des organismes vivants modifiés.
Jean-Patrick Le Duc, délégué aux relations internationales du Muséum national d’histoire naturelle, s’exprimait en ces termes dans une interview accordée à l’hebdomadaire Le Point en 2012 : « Aujourd’hui, [les OVM] ne sont pas assez évalués ni encadrés alors que l’on n’a aucun recul. Les cas des huîtres triploïdes ou du saumon transgénique [...] sont emblématiques : on les a introduits massivement au risque de déséquilibrer complètement les écosystèmes, sans appliquer le principe de précaution. [...] l’huître triploïde constitue un danger pour la biodiversité et l’hécatombe ostréicole qui sévit depuis 2008 pose la question de la fragilité de ces organismes modifiés. » Tout est dit, ou presque...
La généralisation de ces mollusques stériles entraîne un risque non négligeable d’affaiblissement du patrimoine génétique des huîtres et ainsi de leur résistance aux bactéries et aux virus, du fait des sélections intensives qui sont réalisées.
Quant aux risques de contamination du milieu, ils ont longtemps été occultés, mais ils sont réels. Les huîtres triploïdes sont en théorie stériles. En pratique, qu’en est-il ? La fertilité des triploïdes de seconde génération, huîtres issues du croisement entre des géniteurs tétraploïdes mâles et des femelles diploïdes, a tout de même été estimée à 13,4 % par l’IFREMER !
Face à l’inquiétude grandissante de la profession sur ces questions, l’État a désigné en 2009 un groupe d’experts pour examiner cette question de l’impact écologique. Dans son rapport, M. Chevassus-au-Louis relativisait le risque, mais appelait à la biovigilance.
Qu’en est-il aujourd’hui de cette biovigilance ? Les conditions de sécurité sont-elles optimales ? Un contrôle efficace et rigoureux est-il réalisé à chaque rouage de la filière ? Autant de questions que l’on doit se poser !
J’aborderai très rapidement la question de l’usage des antibiotiques. Un reportage récemment diffusé sur France 5 révèle que les antibiotiques sont encore utilisés par les écloseries, dans un manque total de transparence vis-à-vis des ostréiculteurs.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Là encore, quels sont les incidences sur le milieu ? Quels contrôles sont-ils opérés ?
Nous voyons bien que le manque de transparence sur le sujet, l’omnipotence de l’IFREMER (M. Roland Courteau s’exclame.), le trop grand silence des pouvoirs publics et des experts scientifiques alimentent la polémique et participent à la confusion générale qui règne au sein de la profession, déchirée entre les « anti » et les « pro » écloseries.
Je conclurai mon propos en évoquant la question de l’information du consommateur. Celui-ci est en droit de savoir d’où proviennent les huîtres qu’il déguste. À l’heure où la transparence est de rigueur, il n’existe aucun cadre réglementaire quant à la traçabilité sur l’origine et le mode de production des huîtres.
L’huître triploïde échappe à la réglementation des OGM. Elle n’est pas non plus considérée comme un « nouveau produit alimentaire » par l’Union européenne. Aucun étiquetage spécifique ne lui est donc imposé.
Pourtant, au début des années deux mille, le Comité national de la conchyliculture ainsi que les fédérations de consommateurs avaient émis le souhait que l’huître triploïde soit clairement identifiée à tous les stades de la filière, de manière que la traçabilité du produit soit totale : élevage, expédition, vente au consommateur. Le Conseil national de la consommation avait approuvé au mois de décembre 2002 le principe de l’étiquetage, transmettant le dossier au ministère du budget pour rédaction et publication du décret rendant obligatoire la mention « huîtres triploïdes » sur les bourriches. C’était aussi simple que cela. Pourtant, ce projet de décret n’a jamais abouti...
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je reviendrai tout à l’heure sur la problématique de l’étiquetage au moment de clore ce débat. Pour l’heure, je me réjouis d’entendre les différentes prises de position qui s’exprimeront et je précise que Marie-Christine Blandin interviendra au nom du groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. Je demande à tous les orateurs de respecter, à l’instar de M. Joël Labbé, le temps de parole qui leur est imparti.
La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les ostréiculteurs de mon département de la Charente-Maritime, où se trouve le bassin de Marennes-Oléron, l’un des plus grands centres d’élevage d’huîtres en France, doivent faire face à une hausse sans précédent de la mortalité des huîtres. Comme vient de le rappeler Joël Labbé, cette situation met en péril de nombreuses entreprises, c'est-à-dire tout un pan de cette économie.
J’associe à cette intervention ma collègue de Gironde, Marie-Hélène Des Esgaulx, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui, mais qui suit bien évidemment avec une vigilance accrue la problématique du bassin d’Arcachon.
En préambule, je tiens à souligner le rôle que joue notre conseil départemental de la Charente-Maritime pour soutenir les secteurs et les filières en difficulté, telles l’ostréiculture ou la mytiliculture également durement touchée.
Le département de la Charente-Maritime a ainsi adopté un programme exceptionnel d’aides et de soutien au profit des ostréiculteurs et des mytiliculteurs touchés par la mortalité importante des huîtres et des moules. Il s’agit notamment d’exonérer les professionnels du paiement des redevances d’occupation temporaire du domaine public portuaire.
C’est donc dans un contexte de crise majeure que s’inscrit la question des huîtres triploïdes.
Les huîtres triploïdes ont été créées par manipulation biologique par l’IFREMER, qui a contribué à son lancement dans les années deux mille. Elles contiennent trois chromosomes, au lieu de deux pour les diploïdes, qui les empêchent de se reproduire, mais diminuent leur cycle d’une année. Il importe de préciser que les huîtres triploïdes ne sont pas des OGM, puisque leur patrimoine génétique n’est pas affecté. Elles sont obtenues par un croisement avec des souches d’ADN de diploïdes.
En 2007, un brevet dénommé « Obtention de mollusques bivalves tétraploïdes à partir de géniteurs diploïdes » a été déposé par l’IFREMER. Aujourd’hui, la grande majorité des ostréiculteurs élèvent ou achètent de l’huître triploïde.
Que les huîtres soient nées en mer et en écloserie, des interrogations demeurent en matière de traçabilité, d’information du consommateur ou d’impact environnemental.
Au début de l’année 2015, le Comité national de la conchyliculture a décidé de relancer la réflexion collective sur l’opportunité de procéder à un étiquetage des huîtres en fonction de leur nature : captage en mer, issues d’écloseries, triploïdes, etc. Les sept comités régionaux de la conchyliculture ont été sollicités pour organiser à l’échelon de chaque bassin de production un débat sur cette question. Les assemblées plénières de conseils de comités régionaux de Poitou-Charentes, d’Arcachon et de la Méditerranée se sont réunies voilà quelques mois et les quatre autres comités doivent faire de même, si ce n’est déjà le cas.
Force est de reconnaître que, pour l’heure, aucune position n’est arrêtée par l’interprofession. Toutefois, il ressort des premiers débats qu’un consensus se dégage sur la nécessité de donner aux ostréiculteurs qui pratiquent le captage en mer toute possibilité et liberté de valoriser cette pratique auprès des consommateurs par un étiquetage spécifique.
Pour le reste, il convient d’attendre la fin de la consultation en cours pour avoir une idée plus précise des orientations définitives souhaitées par la profession. Monsieur le secrétaire d'État, quelle est la position du Gouvernement sur l’organisation de ces filières, sur la question de l’étiquetage des huîtres selon leur nature qui permettra au consommateur de connaître l’origine de ces productions ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France est au premier rang des pays producteurs d’huîtres en Europe et au quatrième rang à l’échelle mondiale. Toutefois, de nombreux indicateurs, comme la baisse de 17 % du nombre de conchyliculteurs en Bretagne Sud entre 2007 et 2010, attestent les fragilités structurelles de la filière, comme le rappellera tout à l’heure mon collègue Yannick Vaugrenard.
Pour ma part, j’ai toujours été particulièrement attentive à l’exploitation écoresponsable de nos ressources et de nos écosystèmes marins. Aussi me paraît-il indispensable de veiller scrupuleusement à nous prémunir contre toutes les caricatures, les facilités de langage et les approches manichéennes qui contribuent à diviser notre société. À cet égard, je remercie notre collègue Joël Labbé de nous avoir parfaitement éclairé sur ce que sont et ce que deviennent les huîtres triploïdes.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Odette Herviaux. Cette huître ne se trouve pas à l’état naturel dans le milieu. Elle est obtenue par un croisement naturel entre un individu diploïde et un individu tétraploïde. Ses gènes ne sont donc pas modifiés. De nombreux aliments que nous consommons régulièrement possèdent eux aussi plusieurs génomes de base.
Concernant les risques de contamination de l’environnement, je souhaite revenir sur quelques réalités scientifiquement reconnues.
La triploïdie perturbant fortement la formation des cellules sexuelles, elle entraîne une réduction de la fertilité. Et s’il est attesté depuis plusieurs années que les huîtres triploïdes peuvent parfois produire des gamètes en très faible quantité, rien ne permet à ce jour d’établir une reproduction dans le milieu naturel, comme l’a indiqué Bernard Chevassus-au-Louis dans son rapport en mai 2009.
Ces éléments viennent confirmer les conclusions du précédent rapport de M. Chevassus-au-Louis daté de 1998 et sont de nature à rassurer les plus sceptiques. Il considérait à l’époque qu’un échappement accidentel, même massif, serait insuffisant pour entraîner l’éventuel développement d’une population de tétraploïdes et que la mise en place d’une biovigilance était suffisante pour le détecter et mettre fin si nécessaire à l’utilisation de tétraploïdes par les écloseries.
De surcroît, les quelques centaines de reproducteurs tétraploïdes fournis par l’IFREMER aux écloseries sont anecdotiques par rapport au stock de reproducteurs diploïdes présent dans les bassins de production.
Les recherches qui y ont été effectuées ont toujours montré l’absence de reproduction de l’huître triploïde et d’individus triploïdes ou tétraploïdes dans le milieu naturel. À cet égard, le rapport du réseau Biovigilance réalisé à la suite de la campagne scientifique de 2012 visant à mesurer le niveau de ploïdie des naissains d’huîtres creuses captés dans les pertuis charentais, le bassin d’Arcachon et la baie de Bourgneuf confirme que, comme pour les autres années, « les analyses ne mettent pas en évidence la présence d’animaux polyploïdes, triploïdes, et a fortiori tétraploïdes, dans les naissains issus du captage naturel ».
Le bon sens commanderait peut-être de ne consommer que des produits de saison, mais il serait vain de vouloir empêcher nos concitoyens, qui en général n’aiment pas les huîtres dites « grasses », de déguster des huîtres toute l’année. Préférons-nous donc importer plus de produits étrangers ou maintenir des activités productives et des emplois sur nos façades littorales ? Cette question ne peut être balayée d’un revers de la main. Pour rappel, les importations d’huîtres ont enregistré une progression croissante de 168 % entre 2006 et 2010.
Pour autant, et je suis d’accord avec ce qui a été dit tout à l’heure, il serait dangereux d’ignorer les attentes citoyennes en matière de traçabilité, ainsi que les exigences des consommateurs sur la provenance et la qualité des produits alimentaires qu’ils consomment.
Il n’est ainsi pas compréhensible qu’il ait fallu attendre 2010 pour contrôler les écloseries afin de prévenir la diffusion des agents pathogènes. Cependant, il est bon de rappeler que l’IFREMER n’avait pas en charge la politique des écloseries, ni celle du contrôle sanitaire, et encore moins le pouvoir de contrôler les politiques de vente de naissains, même si le rapport d’expertise judiciaire d’avril 2014 de Jean-Dominique Puyt pointe de sa part des « défauts de surveillance, de prophylaxie sanitaire et d’informations apportées à la profession ostréicole ». L’évaluation de l’IFREMER par l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, en août 2009 a également mis en lumière un défaut de travaux dans le domaine de l’épidémiologie, notamment en ce qui concerne les infections virales herpétiques.
J’ai souvent tiré la sonnette d’alarme, monsieur le secrétaire d’État, en particulier lors des débats budgétaires, sur les moyens et la stratégie de l’État en matière de connaissance des milieux marins et de prévention des risques. Ces constats inquiétants doivent conduire à revoir les priorités et à allouer les ressources nécessaires au bon fonctionnement de services essentiels pour l’emploi et pour l’environnement. Une forme de transparence devra aussi être trouvée sur les transferts interbassins et interzones afin de faciliter à l’avenir l’identification rapide de tout nouvel agent pathogène. J’en veux pour preuve l’article paru dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Le Marin.
Nous devons apporter des réponses concrètes à ces problèmes, car l’ostréiculture demeure extrêmement vulnérable face à l’émergence de pathogènes nouveaux.
Comme d’autres, M. Chevassus-au-Louis rappelle ainsi l’étroite corrélation « entre les paramètres climatiques endurés par les huîtres au cours de l’hiver de l’année n-1 et les mortalités subies à l’année n », des évolutions auxquelles il faut associer l’acidification des océans. La richesse trophique des milieux et la reconquête de la qualité des eaux demeurent aussi une exigence et une urgence de premier ordre, tant les pollutions chimiques ou microbiologiques favoriseraient l’hypodiploïdie.
Il nous faut aussi favoriser la pérennité des exploitations et encourager les signes de qualité, dont les avantages comparatifs doivent faire l’objet d’une communication spécifique et d’une pédagogie appropriée.
Monsieur le secrétaire d’État, je crois beaucoup plus aux messages positifs et à la force de l’exemple qu’à la stigmatisation, d’autant que les professionnels ne souhaitent pas de moratoire, car il pourrait fortement compromettre la viabilité de la filière en la déstabilisant brutalement. Au contraire, il nous paraît essentiel d’encourager le développement de signes officiels de qualité dans le cadre d’une démarche volontaire afin de permettre aux professionnels de répondre efficacement aux attentes des consommateurs.
Nous disposons d’outils concrets pour y parvenir et structurer une offre hautement qualitative et écoresponsable, notamment dans le cadre du FEAMP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.
Malgré tout, monsieur le secrétaire d’État, je conclurai mon intervention sur une note plus optimiste en saluant un certain nombre d’expérimentations en cours sur l’ensemble de notre territoire visant à valoriser la filière et à réduire les mortalités. Nous voulons et nous devons encore croire en l’avenir de l’ostréiculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste se concentrera sur les choix de l’IFREMER face à la crise que traverse actuellement le secteur ostréicole.
Les pressions en termes de rentabilité qui pèsent sur la recherche publique ne doivent pas la pousser à agir en oubliant le principe de responsabilité.
L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer a été créé en 1984 sous la tutelle de trois ministères : la recherche, la pêche et l’environnement. Il s’est agi là d’un bon investissement, qui nous permet de disposer d’un potentiel de recherche et d’expertise de grande ampleur afin de mieux connaître, suivre et exploiter la mer et ses ressources.
Cet institut est financé dans le cadre du programme 187. Toutefois, en tant qu’établissement public à caractère industriel et commercial – EPIC –, il doit trouver une part significative de ses ressources sous forme de contrats privés.
Il fait avancer les connaissances fondamentales et appliquées. C’est un acteur de surveillance du milieu marin et du contrôle de la qualité des produits de la mer. C’est également un acteur commercial.
Au début des années 2000, face à la mortalité dans les parcs, dont les causes ont été insuffisamment explorées, l’IFREMER a choisi la modification génétique et la production d’huîtres triploïdes, l’objectif étant de rendre les souches résistantes et d’assurer le développement économique de la filière ostréicole grâce à l’innovation.
À cette fin, il a acheté en 2004 un brevet américain, conjointement avec l’écloserie privée Grainocéan, avec laquelle il a établi un partenariat commercial pour la diffusion d’huîtres triploïdes, obtenues à partir de chocs chimiques ou thermiques. Cette biotechnologie fleure aussi bon la précision et la science que les électrochocs en psychiatrie du siècle dernier ! (Exclamations amusées) Ce brevet, qui date de 1991, devrait tomber dans le domaine public cette année.
Rappelons que, entre 2000 et 2007, et peut-être est-ce encore le cas aujourd’hui, ce brevet a entraîné la production d’huîtres, qui, selon les termes mêmes du brevet déposé par l’IFREMER en 2008, feraient « courir un risque de stérilisation progressive du milieu et de contamination des stocks d’huîtres diploïdes autochtones ». L’IFREMER a donc fait un choix risqué pour la biodiversité.
En 2008, cet institut a déposé seul un nouveau brevet français et européen sur l’obtention de mollusques bivalves tétraploïdes – on n’arrête pas le progrès ! – à partir de géniteurs diploïdes. Depuis, il gère et vend aux écloseries en exclusivité des géniteurs tétraploïdes pour croisement.
Malgré la grande qualité de ses travaux de recherche, reconnus à l’échelon international, l’IFREMER est pointé du doigt depuis plusieurs années par une grande partie de la profession ostréicole, qui lui reproche de jouer à l’apprenti sorcier en utilisant des biotechnologies et d’être à la fois juge et partie dans la gestion de la crise des mortalités. En effet, la robustesse de tout système de sécurité sanitaire repose normalement sur la séparation de la mise sur le marché et de l’expertise. Peut-on parler ici d’indépendance alors que l’expert qui évalue les effets sur l’écosystème de l’huître triploïde est aussi celui qui détient le brevet et bénéficie de la diffusion de ces huîtres ?
Les instances professionnelles mettent en cause l’inertie des pouvoirs publics et des experts scientifiques.
De nombreuses zones d’ombre subsistent sur la fertilité de ces huîtres censées être stériles, sur le lien avec les surmortalités des dernières années, sur le suivi et le contrôle des lots produits en écloserie, et sur la non-sanctuarisation des bassins naisseurs.
Selon le rapport d’expertise judiciaire rendu en 2014, aux termes de quatre années d’une procédure engagée devant le tribunal administratif de Rennes, cinq fautes ont été pointées qui peuvent mettre en cause la responsabilité de l’EPIC s’agissant du virus : absence d’approche médicale et de diagnostic de l’infection herpétique ; défaut de surveillance ; défaut de conseils de prophylaxie sanitaire ; défaut d’informations apportées à la profession ostréicole sur les risques et absence de proposition de mesures préventives ; absence de contrôle sanitaire de l’herpès virus du naissain de triploïdes dans les écloseries.
Le COMEPRA, le Comité consultatif commun d’éthique pour la recherche agronomique, a dès 2004 rendu un avis sur l’ostréiculture et les biotechnologies. Il disait alors : « Les chercheurs sont-ils en mesure d’offrir les moyens de maîtriser les conséquences de leurs travaux ? », « La profession conchylicole est-elle en mesure de prendre en charge l’innovation qui en résulte ? » À ces questions, il n’a pas été apporté de réponse.
Les répercussions sans doute irréversibles de l’introduction de ce type d’huîtres sur la profession ostréicole illustrent la difficile équation entre innovation et principe de précaution.
Chers collègues et consommateurs, nous aimons tous les produits de la mer, ainsi que les gens qui les élaborent pour nous. Nous pouvons tous rêver d’avoir des œufs cubiques, car ils seraient plus faciles à ranger, mais nous résistons à la tentation ! (Sourires.) Nous pouvons donc tous faire l’effort de manger des huîtres laiteuses en été et de cesser de prendre des risques pour la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’évoquer le sujet qui nous réunit aujourd'hui, je tiens à remercier notre collègue Joël Labbé – les Morbihannais sont tous présents aujourd'hui ! – d’avoir pris l’initiative de provoquer un débat sur cette question si pertinente pour notre territoire littoral. Je le remercie également de la leçon de sciences naturelles qu’il nous a donnée tout à l’heure sur la naissance et la croissance des huîtres, leur alimentation à base de phytoplancton et leur mode de reproduction. Même si j’ai déjà évoqué ce sujet dans le passé, j’avoue que j’en avais un peu oublié certains aspects.
Notre débat aujourd'hui est totalement justifié, tant le mot « hécatombe » nous semble être le plus approprié pour décrire la situation de la production conchylicole en Bretagne – mes collègues des autres régions, en particulier de la Charente-Maritime, voudront bien me pardonner d’évoquer surtout son cas –, laquelle est en recul de près d’un quart depuis plusieurs années. Ainsi, 56 % de la production de l’huître creuse a disparu de la Bretagne, et ce n’est pas fini puisque le virus de la famille de l’herpès, l’OsHV-1, qui a déjà ravagé 70 % des naissains depuis 2007, se voit malheureusement concurrencer par une nouvelle bactérie plus forte encore.
Avec près de 8 200 hectares de concessions, la Bretagne représente 41 % des surfaces conchylicoles et 37 % des surfaces exploitées. La Bretagne Sud totalise 61 % des surfaces et compte 388 entreprises, principalement situées dans le Morbihan. C’est dire l’importance et la prévalence de ce secteur d’activité pour notre département, qui emploie 4 000 personnes, dont 2 000 à temps complet.
Avec raison, notre collègue Joël Labbé demande que des mesures soient prises afin de préserver la diversité génétique des huîtres nées en mer et de permettre une meilleure information des consommateurs.
Les erreurs commises à l’encontre des agriculteurs avec les semenciers ne doivent pas être répétées pour l’un des fleurons de notre gastronomie, l’huître.
Certes, face au virus, il faut trouver des parades. Un ingénieur de l’IFREMER, que j’ai rencontré récemment, m’a indiqué que cette huître triploïde avait été développée et brevetée en 1997 et commercialisée en 2000. Elle possède non pas 2n chromosomes, mais 3n chromosomes.
La première conséquence de ces modifications est la stérilité des huîtres. Les ostréiculteurs sont donc dans l’obligation de passer par des écloseries pour renouveler leurs parcs. À terme, ne risquent-ils pas de devenir dépendants des écloseries, tels que le sont les agriculteurs avec les semenciers ?
Seconde conséquence, leur stérilité implique que ces huîtres ne dépensent pas d’énergie pour la reproduction et poussent donc plus vite que les autres.
Cependant, ces avantages semblent relatifs. Ainsi, de nombreux lots d’huîtres triploïdes entreraient en reproduction, c’est-à-dire en lactance. Ce phénomène avait déjà été noté lors de l’été 2003, selon l’INRA. De plus, l’infection bactérienne de cet été a touché de façon similaire les huîtres diploïdes et les huîtres triploïdes, sans que l’on constate une meilleure résistance chez les huîtres triploïdes.
Autre point d’interrogation, l’INRA précise dans un avis de 2004 que si quelques huîtres tétraploïdes s’échappaient des écloseries, cela entraînerait « en une dizaine de générations le basculement vers une population exclusivement tétraploïde ».
Ces risques sont bien réels, mais les données les concernant sont lacunaires. Comment comptez-vous les évaluer concrètement, monsieur le secrétaire d’État ?
En 2001, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, a regretté dans un avis que les études de l’IFREMER ne soient pas publiées. Alors que les craintes sur ce type d’huîtres sont de plus en plus prégnantes, comptez-vous remédier à cette situation ? Quels moyens de contrôle sanitaire sur les zones de production des huîtres triploïdes souhaitez-vous mettre en place ?
Toutefois, comment procéder à de tels contrôles et à une telle surveillance quand les moyens accordés aux institutions œuvrant dans ce domaine, comme l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, se réduisent année après année ?
Au bout de cette chaîne, les consommateurs ne sont pas suffisamment informés de la nature ou de la traçabilité de l’huître qu’ils consomment.
Selon le Comité national de la conchyliculture, l’absence de réglementation spécifique aux huîtres triploïdes est logique, car elles ne sont pas considérées comme un « nouveau produit ». Ainsi, il n’y a pas d’obligation d’étiquetage particulier.
De même, la qualité d’huître triploïde n’a pas à être précisée, puisque, selon la Commission européenne, ces huîtres peuvent exister en infime quantité à l’état naturel.
Et si la SATMAR indique bien, sur les lots de naissains qu’elle vend, le caractère triploïde ou non, cette information disparaît une fois les huîtres sur les étals des commerçants.
Quels engagements concrets pouvez-vous prendre aujourd’hui pour favoriser la mise en place rapide d’un étiquetage particulier pour les huîtres triploïdes ?
Si ce type d’huîtres a permis aux ostréiculteurs de sortir la tête de l’eau – mais pas les huîtres, naturellement ! –, le principe de précaution doit prévaloir. Cela nécessite davantage d’études d’impacts sanitaires et environnementaux.
Rappelons-nous le bon sens des anciens, qui préconisaient de ne pas consommer ces mollusques bivalves les mois sans « r », et n’oublions pas qu’il existe huit mois qui comprennent cette lettre ! En ayant perdu ce bon sens au profit de la croissance économique, l’homme a engendré des naissains de laboratoire, non adaptés aux conditions exceptionnelles que présente parfois la nature.
Pendant très longtemps, j’ai ignoré ces problèmes d’huîtres diploïdes ou triploïdes, pensant qu’avec un verre de muscadet bien frais et une tartine de pain noir au beurre breton, elles étaient toutes délicieuses ! (Sourires.)
Mais attention, il faut rester vigilant pour ne pas noyer cette image d’Épinal de vacances au bord de mer, qui ne doit pas être ternie par la colonisation du milieu maritime par cette espèce animale non naturelle. C’est toute une filière qui attend des mesures pertinentes et précises. Soyons vigilants les uns et les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe écologiste, nous sommes aujourd’hui amenés à débattre des risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.
Il s’agit en effet d’un problème très technique qui aurait pu à mon avis bénéficier d’une saisine de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques afin d’avoir une approche mieux renseignée sur le plan épidémiologique et scientifique. Car, pour le moment, nous ne disposons pas d’expertises suffisantes pour formuler des certitudes sur les éventuelles incidences sanitaires ou environnementales de l’huître dite « des quatre saisons ». Toutefois, puisque le débat a été inscrit à l’ordre jour, le RDSE y prend part.
L’huître triploïde est issue d’une modification visant à doter sa cellule de trois jeux de chromosomes au lieu de deux. Cette modification est obtenue par deux méthodes différentes, dont la plus utilisée est la fécondation d’un ovule à trois jeux de chromosomes. L’huître a d’ailleurs de tout temps été largement utilisée en génétique expérimentale. Il n’est dans l’esprit de personne de nier les énormes progrès de la manipulation génétique dans tous les secteurs, y compris dans le domaine humain, et des espoirs liés à ces possibilités de traitement de certaines maladies rares. L’ostréiculture a elle-même bénéficié de ces progrès en créant ces fameuses huîtres triploïdes, dont la stérilité présente un double intérêt. D’une part, cela permet de ramener leur cycle de production à deux ans au lieu de trois. D’autre part, cette huître, moins laiteuse, est commercialisable en été, et donc plus intéressante pour alimenter le marché tout au long de l’année.
Pour ces raisons, l’huître triploïde connaît un certain succès puisqu’elle représenterait actuellement entre 30 % et 40 % des huîtres consommées en France.
Toutefois, depuis quelques années, le camp des « anti-triploïde » – si l’on peut dire – s’est mobilisé, avec parfois devant ou derrière lui des ONG – organisations non gouvernementales – dont la véritable cible est encore une fois les biotechnologies et la recherche scientifique. Il est essentiel de rappeler que mêler ce problème aux OGM est un abus de langage douteux. Un OGM est l’ajout d’un élément cellulaire d’un être différent. Je suppose que les auteurs de la question respectent cette distinction capitale. Cette précision étant posée, quels sont les enjeux liés au développement de cet organisme vivant modifié ou OVM ?
Il y a tout d’abord un enjeu sanitaire. On ne peut pas ignorer cette dimension. Cependant, en 2001, l’AFSSA a conclu que « le caractère polyploïde des huîtres ne paraît pas constituer en lui-même un facteur de risque sanitaire au regard de l’existence de ce phénomène, à l’état naturel, dans les règnes animal et végétal ». J’ajouterai que l’AFSSA n’a pas rapporté d’incidents liés à la consommation d’huîtres triploïdes.
Bien sûr, ce constat ne doit pas exonérer les pouvoirs publics d’exercer toute la vigilance qui s’impose.
Le second point, qui inquiète particulièrement les ostréiculteurs traditionnels, est celui du risque de dissémination, un risque dont on a déjà parlé ici s’agissant des OGM. Si l’on peut être favorable à la production des huîtres triploïdes, on doit cependant s’assurer que celle-ci n’aboutisse pas à la disparition de l’huître naturelle. Les écloseries sont censées être très sécurisées. Le sont-elles vraiment ? En théorie oui, mais l’on peut bien évidemment avoir des exigences en matière de surveillance des installations, avec les contrôles nécessaires.
Je voulais évoquer aussi le problème de la surmortalité des coquillages constatée depuis 2008.
On le sait, cette surmortalité est liée à des virus et des bactéries bien identifiés. La question est de savoir pourquoi ces infections se sont développées. Nous n’avons pas de réponse pour l’instant.
Pour les ostréiculteurs traditionalistes, la domestication de l’espèce par la manipulation génétique est en cause. Or rien n’est prouvé à ce jour, et l’histoire de l’huître rappelle que des variétés ont déjà été décimées avant 1994, date de la mise au point par IFREMER de ces manipulations génétiques.
Dans les années 1920, l’huître plate décimée a été remplacée par l’huître portugaise. À son tour, cette espèce connaît dans les années 1970 une épizootie et est remplacée par l’huître creuse japonaise. C’est pourquoi, aujourd’hui, au regard de ces exemples, on ne peut pas établir de lien entre l’huître triploïde et la surmortalité observée ces dernières années.
Enfin, la question orale de notre collègue Joël Labbé s’attarde également sur l’étiquetage. Je partage en général le principe de transparence que l’on doit avoir à l’égard des consommateurs. Mais, s’agissant de l’huître triploïde, comme vous le savez, dans la réglementation européenne en vigueur, est proposé un étiquetage sur la base du volontariat, car il ne s’agit pas d’OGM, mais d’OVM.
Mes chers collègues, pour conclure, je rappellerai que derrière ce débat, il y a la question sous-jacente du principe de précaution. Pour le RDSE, d’une façon générale, nous ne sommes pas pour une lecture extensive de ce principe, qui aurait pour effet d’entraver la recherche et l’innovation, et donc la notion même de progrès. Comme je l’ai dit, rien n’indique aujourd’hui que l’huître triploïde est un mauvais produit. Mais que cela n’empêche pas, monsieur le secrétaire d’État, les pouvoirs publics d’assumer pleinement leurs responsabilités en mettant en œuvre les outils d’expertise, de surveillance et de contrôle qui s’imposent pour informer et éventuellement protéger consommateurs et producteurs. (Mme Marie-Annick Duchêne applaudit)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le questionnement sur les risques inhérents à la production d’huîtres dites « triploïdes » a déjà fait l’objet d’un débat dans cet hémicycle, à l’occasion de l’examen d’un de vos amendements, cher collègue Joël Labbé.
Considérées par certains comme une avancée technique permettant la régulation de la production, ces huîtres sont aussi considérées par d’autres comme plus fragiles en raison d’une croissance rapide, facteur d’une mortalité croissante favorisant le risque de contamination et d’appauvrissement des huîtres.
Je voudrais me livrer à un petit rappel englobant les problématiques de l’ensemble de la filière ostréicole.
Répartie sur sept bassins du littoral, la production d’huîtres s’élève à environ 80 000 tonnes, engendrant un chiffre d’affaires de l’ordre de 345 millions d’euros.
La conchyliculture, à laquelle appartient la filière ostréicole, emploie 18 000 personnes, soit 6 000 équivalents temps plein, auxquels s’ajoutent près de 3 000 chefs d’exploitation et conjoints.
Ce secteur présente de fortes spécificités : forte saisonnalité, caractère à la fois maritime et agricole, importance du travail non salarié, territoires et bassins à fortes spécificités. Le département de la Vendée, dont je suis élue, représente près de 10 % de la production ostréicole. Il est caractérisé par la présence des écloseries les plus importantes du territoire national – quatre sur la dizaine d’écloseries que compte la France, dont le leader national.
La production ostréicole subit des phénomènes de mortalité depuis 2008 qui impactent fortement la production et les ressources des ostréiculteurs, inquiètent le consommateur et concourent de facto à la diminution de la demande.
Des études sur l’origine de ces phénomènes sont réalisées, particulièrement par IFREMER et des comités départementaux de suivi de l’ostréiculture, sous l’égide des directions départementales des territoires et de la mer, les DDTM, et en lien avec les organisations professionnelles, qui assurent également une veille.
Les causes apparaissent multifactorielles – virales, bactériennes, milieu aquatique, variation de la température des eaux – et ne sont pas nécessairement attestées. Les mêmes variations et incertitudes affectent les huîtres à tous les stades de leur développement, et ce quelle que soit leur provenance, captage naturel ou écloseries.
Malgré le florilège d’études et de rapports, la situation reste fragile et la profession est légitimement inquiète pour sa survie.
En effet, quel que soit le stade de production où intervient la mortalité, il engendre une perte de production, donc une perte de ressources.
Je poursuis avec les huîtres issues de milieu naturel ou d’écloseries. La production est quasi équivalente selon les origines et, actuellement, près de 80 % des producteurs font appel aux produits issus d’écloseries.
L’élevage des huîtres depuis la création du naissain jusqu’à la mise sur le marché se pratique de manière différente selon les bassins et les acteurs du métier. Certains procèdent au captage en milieu naturel puis assurent l’élevage dans le même milieu.
En revanche, il n’est pas rare, quelle que soit l’origine du captage, que le naissain soit envoyé en pré-grossissement dans un autre bassin, en France ou à l’étranger, revienne chez un autre éleveur pour atteindre la taille marchande et termine son périple dans un dernier bassin où, après trois mois d’immersion, les huîtres seront vendues sous l’appellation de ce dernier bassin ou de la marque que lui apposera le dernier éleveur.
Pour les huîtres diploïdes d’écloserie, les fonctions de reproduction sont assurées dans les écloseries, qui vendront ensuite les naissains. C’est en relation avec ce milieu que l’IFREMER travaille notamment au renforcement des capacités de résistance de sujets pour faire face aux difficultés que je viens d’évoquer. C’est pour cette raison que la filière dite traditionnelle exprime ses craintes quant à l’utilisation de produits antibactériens et au rejet d’effluents. La réglementation existante, les contrôles et les certifications devraient lever ces inquiétudes.
S’agissant des huîtres triploïdes d’écloserie, je tiens à rappeler que ces organismes vivants ne sont pas des OGM. Les craintes manifestées par la profession et reformulées par les initiateurs de notre débat, si elles sont légitimes au regard des risques supputés, ne trouvent pas à ce jour de confirmation dans les différents rapports d’étude. À la fin de l’année 2014, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a confirmé l’innocuité de ces huîtres pour le consommateur et l’absence de risque pour l’environnement.
J’en viens à la question de l’étiquetage. En s’appuyant sur les dispositions de la loi n° 2014–344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et sur la suggestion de certains ostréiculteurs, il a été demandé d’imposer un étiquetage différenciant les huîtres issues de captage et d’élevage naturel des huîtres issues d’écloseries, et surtout des huîtres triploïdes. Les débats ont cependant fait ressortir que, les huîtres triploïdes n’étant pas classées parmi les OGM, cette demande n’était pas recevable. Notons également que le Comité national de la conchyliculture, le CNC, n’est favorable ni à une labellisation ni à un étiquetage réglementé.
À ce jour, rien n’oblige les ostréiculteurs à indiquer l’origine, le bassin de production ou la marque de leurs produits, mais rien non plus ne leur interdit de le faire selon leur gré, sous quelques réserves. Outre que les appellations « diploïde » ou « triploïde » ne me paraissent pas incitatives à la consommation, elles imposeraient des contrôles très difficiles à définir et à appliquer. Aujourd’hui, rien ne peut garantir qu’un ostréiculteur dit traditionnel ne détient pas dans son cheptel des huîtres triploïdes, ne serait-ce qu’en quantité minime. De fait, la nature crée – en quantité infime, bien sûr – des huîtres triploïdes ; c’est sans doute une anomalie, mais sa réalité est incontestable. Dès lors, quel contrôle effectuer et quelle sanction appliquer en cas de manquement ?
Il me semble que la profession a toutes les capacités pour gérer ces problèmes de conditionnement en préservant l’intérêt du consommateur. Demeure cependant le problème des brevets d’exploitation. Le brevet, américain à l’origine, dont l’IFREMER détenait l’exclusivité d’exploitation pour l’Europe est tombé dans le domaine public le 15 janvier dernier. Par ailleurs, l’IFREMER a déposé en 2007 un nouveau brevet pour une nouvelle technique de production des géniteurs. Enfin, il a été porté à notre connaissance que l’IFREMER souhaitait cesser son activité de production de géniteurs, car sa vocation première est la recherche. Il serait donc disposé à vendre son brevet.
Cette hypothèse n’est pas sans poser des problèmes d’ordre déontologique à la profession. Il ne paraît pas souhaitable qu’un acquéreur puisse s’approprier un monopole dont les incidences pourraient peser fortement sur l’ensemble de la filière ostréicole. Un cahier des charges est à établir pour définir les conditions d’exploitation du brevet par l’entité chargée de détenir et de produire les géniteurs. Cela implique une étroite collaboration entre le ministère de l’agriculture et la profession. Certains acteurs suggèrent de s’appuyer, pour la partie réglementaire, sur les textes régissant les installations classées pour la protection de l’environnement, afin d’encadrer les risques.
Il y a tout de même un souci : c’est le temps. Un brevet est dans le domaine public ; l’autre est en vente. La filière ostréicole est fragilisée et inquiète à cause de tous les éléments que je viens d’évoquer. Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais connaître les dispositions que vos services ont prises ou vont prendre et savoir dans quels délais les problèmes inhérents à la détention et à la gestion des brevets pourraient être résolus. S’il faut s’en remettre à la profession pour réguler, il est important d’organiser le cadre réglementaire et les dispositions de contrôle par les instances adéquates pour sécuriser la production. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en Normandie, territoire largement ouvert sur la mer avec ses 600 kilomètres de côtes, on pratique la pêche depuis toujours. Cette économie ancestrale s’est enrichie depuis un demi-siècle d’une activité ostréicole en pleine expansion.
La région, qui commercialisait en 1970 un millier de tonnes d’huîtres, soit 3 % de la production nationale, est passée dès 1976 à 10 000 tonnes. Pour la campagne 2010–2011, la production normande est estimée à 16 200 tonnes, pour un total de 84 000 tonnes produites en France. La Normandie est ainsi devenue une région leader. Sur un territoire de 1 100 hectares, l’ostréiculture emploie entre 1 500 et 2 000 personnes, selon les saisons, dans près de 250 entreprises. Ces entreprises sont souvent « mixtes », c’est-à-dire qu’elles cultivent à la fois des huîtres diploïdes, dites naturelles, et des huîtres triploïdes.
Le brassage des eaux et le renouvellement permanent du plancton apportent aux huîtres des qualités gustatives fortes. Les producteurs se sont engagés dans des démarches de qualité, sanctionnées par la dénomination générale « Huîtres de Normandie » et le label « Gourmandie ». Pour bénéficier de cette signature, les producteurs doivent respecter un cahier des charges strict, fondé sur l’origine du produit, sa qualité et sa saveur. En 2011, ils ont mis en place un organisme de défense et de gestion, première étape vers l’obtention d’une indication géographique protégée, ou IGP ; le dossier est en cours d’instruction.
Moins connues que leurs homologues de Charente-Maritime ou du bassin d’Arcachon, les huîtres normandes ont su gagner leurs lettres de noblesse, preuve de la ténacité et du savoir-faire de leurs producteurs. Certaines ont même été récompensées cette année par une médaille d’or au Salon de l’agriculture.
La question qui nous est soumise aujourd’hui s’invite dans une période troublée pour les producteurs. Je me ferai le porte-voix des conchyliculteurs normands, qui viennent de débattre de l’étiquetage. En effet, depuis un an et demi, ils font face à une surmortalité des huîtres, qu’elles soient juvéniles ou adultes. Cette surmortalité, qui est due à un virus, touche l’ensemble de la chaîne de production, fragilisant ainsi les exploitations pour plusieurs années.
En outre, – je le rappelle pour mémoire – les producteurs ne bénéficient pas de soutien financier au titre des calamités agricoles, les épizooties n’entrant pas dans le champ de la prise en charge. Ils subissent donc une perte sèche. Cette année, et pour la première fois, les producteurs d’Isigny-sur-Mer se trouvent dans une situation de très grande difficulté, malgré le soutien gouvernemental, qui s’est traduit par une remise gracieuse des redevances domaniales et un soutien du Fonds d’allégement des charges. La priorité actuelle des producteurs est de sauvegarder leurs productions et leurs exploitations et d’enrayer cette crise sanitaire, avec l’aide des services de l’État.
La question permet aussi de s’interroger sur le rôle de l’IFREMER. À la fin des années 1980, il a cherché à améliorer les souches d’huîtres françaises en créant une huître plus résistante. Il a développé et commercialisé un brevet de production d’huîtres tétraploïdes, qui permettent la production d’huîtres triploïdes. Certaines associations de conchyliculteurs, notamment normandes, s’interrogent sur la double casquette de l’IFREMER, qui est à la fois juge et partie. Il souhaiterait aujourd'hui transférer son brevet à la profession ou le rendre au domaine public. Il considère que la profession doit être elle-même organisatrice.
Enfin, concernant l’opportunité de l’étiquetage, la profession est consciente du besoin légitime de connaissance et d’information des consommateurs. Elle s’interroge depuis plusieurs années sur l’impact de l’étiquetage pour les producteurs et sur les mentions qu’il faudrait apposer sur les étiquettes. Elle s’interroge aussi sur les modalités d’établissement de l’étiquetage : par qui et comment ?
Conscients du besoin de connaissance des consommateurs, certains membres du comité régional de la conchyliculture Normandie Mer du Nord n’avaient pas hésité à proposer dès 2013 une délibération pour l’instauration d’un moratoire. Ils étaient inquiets des effets de l’élevage d’huîtres triploïdes sur le milieu naturel, tout en souhaitant maintenir un marché équilibré, où demande et offre sont ajustées. Nous constatons donc un grand esprit de responsabilité parmi les éleveurs.
À la fin du mois d’avril, la profession a pris une position, sur la base d’un questionnaire adressé à l’ensemble de ses membres. Près de 60 % des ostréiculteurs normands y ont répondu, ce qui signifie que le sujet ne laisse pas indifférent. La majorité s’est prononcée contre l’étiquetage, sans doute parce qu’elle est davantage préoccupée par les difficultés actuelles. Les éleveurs favorables à l’étiquetage regrettent cette décision mais se rangent derrière la majorité. Ils rappellent toutefois que le fait d’anticiper la mesure avant qu’elle devienne obligatoire permettrait une meilleure appréhension par la profession.
Les éleveurs sont donc particulièrement avertis sur le sujet de l’étiquetage, et ils en connaissent les enjeux. Faisons-leur confiance pour prendre les mesures nécessaires au moment idoine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Michelle Meunier et M. Daniel Laurent. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’a fort opportunément rappelé Odette Herviaux, la production ostréicole est l’une de nos fiertés nationales. C’est aussi, malheureusement, une filière qui connaît régulièrement de grandes difficultés, et sur laquelle nous devons veiller avec une attention toute particulière.
De 1996 à 2007, la production nationale se chiffrait entre 130 000 et 140 000 tonnes par an. En 2008, elle a chuté à 80 000 tonnes, du fait de l’apparition d’un variant de l’herpès virus de l’huître s’attaquant aux coquillages juvéniles puis d’une bactérie décimant les huîtres creuses adultes. En 2012, pour la première fois depuis cette crise, les résultats nationaux ont repassé la barre des 100 000 tonnes ; cette tendance s’est confirmée en 2013.
Pourtant, selon le Comité national de la conchyliculture, cette embellie est trompeuse car, si les ostréiculteurs se sont adaptés pour tenter de stabiliser la situation, leurs stocks sont à zéro et des risques pèsent sur leur trésorerie et leurs investissements. L’État n’a pas abandonné les ostréiculteurs, puisque l’exonération des redevances domaniales est en place depuis plusieurs années, et que le Fonds d’allégement des charges, dont la dotation a été augmentée, a vu ses missions renforcées.
L’IFREMER s’est saisi du problème. L’une de ses missions est en effet d’améliorer les souches d’huîtres françaises et de trouver des souches d’huîtres résistantes aux maladies. Il a ainsi mis au point en 1997 une huître possédant non pas deux chromosomes, comme l’huître diploïde, dont chaque chromosome est apparié avec son homologue, mais trois chromosomes. Cette huître est donc appelée triploïde. Il n’est pas inutile de rappeler, comme l’ont fait d’autres orateurs, qu’elle n’est pas un organisme génétiquement modifié.
En France, les huîtres triploïdes sont commercialisées depuis quinze ans, et elles représentent actuellement environ 30 % des huîtres vendues. Elles présentent essentiellement deux intérêts majeurs, l’un pour les consommateurs et l’autre pour les producteurs. La principale différence entre les huîtres diploïdes et les huîtres triploïdes est la stérilité des huîtres triploïdes. De ce fait, elles ne sont pas laiteuses – ni donc boudées par les consommateurs – en été, au moment de la production de gamètes. Leur second intérêt est également une conséquence de leur stérilité. Dans la mesure où elles ne dépensent pas d’énergie pour la reproduction, elles poussent donc plus vite que les autres : leur cycle de production est de deux ans au lieu de trois.
Enfin, les huîtres triploïdes seraient plus résistantes, selon les données fournies par l’IFREMER : en moyenne, la mortalité de mai à juillet se situe entre 50 % et 70 % dans les élevages d’huîtres diploïdes, alors que, dans les mêmes conditions d’élevage en milieu naturel, les huîtres triploïdes présentent une mortalité globale de l’ordre de 10 %.
Malgré ces avancées, qui semblent positives pour la profession, l’huître triploïde a des détracteurs. L’un des éléments de discorde est la modification de l’huître en laboratoire. Je tiens à rassurer les consommateurs sur ce point : dès la commercialisation de l’huître triploïde, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a conclu, dans un avis rendu en 2001, que, concernant les risques potentiels de ce nouveau produit, « le caractère polyploïde des huîtres ne [paraissait] pas constituer en lui-même un facteur de risque sanitaire au regard de l’existence de ce phénomène à l’état naturel dans les règnes animal et végétal ». Elle ajoutait que « les huîtres triploïdes [étaient] consommées depuis de nombreuses années sans qu’aient été rapportés d’incidents liés à leur consommation ».
Pour autant, afin d’assurer l’entière information des consommateurs, je me permets d’évoquer le souhait d’un étiquetage des huîtres exprimé par de nombreux comités régionaux de la conchyliculture. Selon le Comité national de la conchyliculture, l’absence de réglementation spécifique aux huîtres triploïdes est logique, car elles ne sont pas considérées comme un « nouveau produit ». Cependant, si la Société atlantique de mariculture indique bien, sur les lots de naissains qu’elle vend, le caractère triploïde ou non des huîtres, cette information est absente des étals des commerçants. Il serait donc souhaitable de préciser aux consommateurs si les huîtres sont nées en mer ou en écloserie.
La demande d’étiquetage est formulée depuis de nombreuses années par l’association « Ostréiculteur traditionnel », qui défend l’huître née en mer. Toutefois, plutôt qu’une obligation, l’encouragement à l’étiquetage, en vue d’une généralisation, qui serait moins lourd à mettre en œuvre, peut assurer un haut niveau d’information aux consommateurs. C’est vers cette idée que je me dirigerai.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite par ailleurs connaître votre position face à la polémique qui agite les producteurs ostréicoles ces derniers temps, tout particulièrement depuis que cette association a saisi, en octobre dernier, le tribunal administratif de Rennes.
Ladite association accuse l’IFREMER d’avoir découvert le virus en écloserie en 1991 et de n’avoir rien fait pour en stopper la progression.
Il est donc indispensable d’y voir plus clair sur ce sujet. À cette fin, pouvez-vous nous détailler l’ensemble des missions menées par l’IFREMER, afin d’éteindre, si possible, cette polémique ?
Enfin, mes chers collègues, je tiens à insister sur l’importance du secteur ostréicole pour notre économie, en particulier pour nos territoires littoraux.
Depuis 2008, la mortalité des huîtres de moins d’un an affecte 60 % à 90 % de la production dans la plupart des sites ostréicoles français.
Des recherches ont démontré que cette hécatombe n’était pas entièrement due au variant de l’herpès virus de l’huître, que j’ai évoqué au début de mon intervention. Ces mêmes recherches indiquent que ce phénomène a pu être accentué par des facteurs environnementaux, comme la pollution et l’utilisation de produits chimiques, l’élévation de la température de l’eau de mer ou des concentrations plus fortes des jeunes huîtres dans les parcs. L’ensemble de ces facteurs ont pu concourir à affaiblir les huîtres du milieu naturel.
Nous devons rassurer la profession et garantir le maintien de la compétitivité des entreprises françaises ostréicoles, dont la production figure au premier rang européen.
Cette action doit se traduire par le soutien aux investissements productifs, la promotion de l’innovation et le renforcement de la qualité des produits.
Notre collègue Joël Labbé a posé, à très juste titre, un ensemble d’interrogations.
Monsieur le secrétaire d’État, vous devez apporter les explications qui s’imposent, rassurer et convaincre à la fois les producteurs et les consommateurs, dans un esprit avant tout rationnel et empreint d’objectivité. Je sais pouvoir compter sur vous pour le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Christine Prunaud et M. Michel Le Scouarnec applaudissement également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Commeinhes.
M. François Commeinhes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis des années, le milieu conchylicole se perd en débats sémantiques et génétiques au sujet de l’huître triploïde.
Stérile, cette huître consacre l’essentiel de son métabolisme à sa croissance et possède, de ce fait, une double qualité. Tout d’abord, – les précédents orateurs l’ont indiqué – au cours de la saison de reproduction, elle ne présente aucun aspect laiteux : elle peut donc être commercialisée plus facilement, et tout au long de l’année. Ensuite, cerise sur le gâteau, sa croissance est accrue de 30 % à 40 %.
En contrepartie, l’huître triploïde peut difficilement être considérée comme l’un des derniers produits alimentaires 100 % naturels, à l’instar de certains autres coquillages et crustacés.
Outre la loi d’orientation agricole qui, depuis 1999, confie la police du marché au Comité national de la conchyliculture, le CNC, un règlement européen adopté en 1997, sur fond de polémique relative aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, impose aux États membres de mettre en œuvre un dispositif d’étiquetage circonstancié. S’y ajoute une directive sur les produits de la mer qui, depuis le 1er janvier 2002, renforce les obligations d’information relatives aux conditions d’élevage et de pêche.
À défaut d’être des organismes génétiquement modifiés, les huîtres triploïdes ne seraient-elles pas, au minimum, biotechnologiquement manipulées ? Si tel était le cas, ces dernières relèveraient de la réglementation relative aux nouveaux produits alimentaires, les novel foods, dont la mise sur le marché relève de procédures spécifiques.
Bruxelles a répondu à cette question par le biais d’une directive dès 2002 : « Les huîtres triploïdes peuvent se trouver à l’état naturel. Il n’y a pas de justification à des mentions obligatoires particulières. Toutefois, les producteurs, sur une base volontaire, peuvent informer les consommateurs sur leurs caractéristiques. »
La direction générale de l’alimentation du ministère français de l’agriculture n’est, elle non plus, pas favorable à l’étiquetage obligatoire.
Le débat semble porter moins sur des questions sanitaires – la triploïde est en effectivement sans danger pour le consommateur – ou environnementales – seule la tétraploïde de l’IFREMER, fertile, risque en effet éventuellement de se propager dans les parcs – que sur la transparence et l’information sur le produit commercialisé.
Pourtant, les méthodes de production de ce secteur exigent une clarification.
Afin d’éviter tout risque d’ordre pathologique, génétique ou écologique, les huîtres d’écloserie polyploïdes mises en élevage dans les bassins de production devraient être issues de techniques agréées par l’administration et ayant fait l’objet d’une validation scientifique. Les professionnels pourraient engager des démarches en ce sens auprès des services administratifs compétents.
Parallèlement, l’on pourrait envisager la mise en œuvre d’un schéma de gestion collective de la production d’huîtres polyploïdes. Ce dispositif mobiliserait l’ensemble des professionnels du secteur.
Ce schéma pourrait avantageusement se décliner en divers volets : tout d’abord, un programme pluriannuel de suivi des méthodes d’obtention des mollusques polyploïdes, notamment fondé sur l’étude de l’opportunité des brevets de l’IFREMER ; ensuite, un programme à court terme, c’est-à-dire pour les années 2017 à 2020, d’organisation des stocks en élevage d’huîtres tétraploïdes, en lien avec le CNC ; en outre, un programme détaillant les moyens d’amélioration des prescriptions techniques et les cahiers des charges permettant de développer les garanties pour la biosécurité et la biovigilance ; enfin, un programme de transfert à moyen terme à l’organisation interprofessionnelle des missions actuellement assumées par l’IFREMER pour l’hébergement, la production et la fourniture d’huîtres tétraploïdes.
J’en viens à la question spécifique de l’étiquetage.
La demande d’une plus grande transparence quant aux méthodes de production apparaît, à la réflexion, comme une fausse bonne idée. En effet, les professionnels français sont dépendants d’un double approvisionnement en naissains. Ils estiment que, s’ils n’avaient recouru qu’à un seul d’entre eux, ils auraient largement compromis les ventes d’huîtres au cours des dernières années, sauf à proposer ces produits à un prix inabordable.
En conséquence, il convient de conserver les deux systèmes, à savoir le captage naturel, lorsque ce dernier est disponible, et l’approvisionnement par écloserie.
La distinction entre diploïdes et triploïdes pour les huîtres issues d’écloseries pourrait conduire le consommateur à boycotter ces produits et, partant, condamner toute une profession.
D’ailleurs, dans le domaine agricole, de nombreux fruits et légumes – bananes, tomates, pommes de terre, etc. – sont triploïdes, et, malgré cela, aucun étiquetage spécifique n’a jamais été envisagé. Par exemple, la clémentine est une mandarine triploïde, sans pépins, donc stérile.
Pourquoi réclamer des informations de cette nature pour les huîtres alors qu’elles ne sont pas exigées dans les autres secteurs agricoles ? Procéder ainsi reviendrait, somme toute, à faire deux poids deux mesures.
Cela étant, si un étiquetage devait être décidé, je lancerais un appel à la raison. À mon sens, il faudrait, en pareil cas, ménager les intérêts de l’ensemble de la filière conchylicole en privilégiant les mentions « huîtres issues de captage naturel » pour des huîtres qui seraient nécessairement diploïdes, et « huîtres issues d’écloserie » pour des huîtres qui pourront être diploïdes ou triploïdes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à remercier M. Joël Labbé d’avoir posé cette question orale avec débat, portant sur un sujet important pour le secteur conchylicole français.
Cette discussion nous permet d’échanger, de débattre de cette filière ostréicole, qui est une richesse pour notre territoire. Les divers orateurs ont tous rappelé l’importance, dans notre pays, du secteur ostréicole. Ce dernier se place au premier rang européen avec environ 80 000 tonnes de production et 2 500 entreprises, pour un chiffre d’affaires total de 400 millions d’euros.
Les interventions qui se sont succédé, très riches et documentées, permettent de poser les termes du débat. Pour ma part, je commencerai par confirmer certains faits qui viennent d’être rappelés.
Les huîtres triploïdes ont trois paires de chromosomes. Elles sont obtenues par croisement entre des huîtres diploïdes, qui ont deux paires de chromosomes – c’est la situation naturelle – et des huîtres tétraploïdes, dont le nombre de paires de chromosomes a été doublé par des procédés brevetés. Il ne s’agit donc pas d’organismes génétiquement modifiés, car le patrimoine génétique n’est pas modifié. (M. Jean-Pierre Bosino manifeste sa circonspection.)
En outre, il existe de nombreux autres organismes triploïdes, dans les céréales, les cultures maraîchères ou fruitières. (M. François Commeinhes opine.) Chez certains organismes, comme les fruits rouges sauvages, la polyploïdie peut même être naturelle.
La question de la production des huîtres triploïdes est débattue de longue date au sein de la profession, qui a toujours abordé ce dossier en prenant en compte toute la complexité des différents enjeux, économiques, environnementaux et sanitaires.
Ce constat a déjà été rappelé : les huîtres adultes, que nous consommons, sont produites à partir de naissains issus de deux sources d’approvisionnement : premièrement, le captage naturel de naissains, c’est-à-dire d’huîtres juvéniles, avec une reproduction naturelle des huîtres présentes dans le milieu ; deuxièmement, la production de naissains par les écloseries, constituée de naissains d’huîtres triploïdes, mais aussi de naissains d’huîtres diploïdes produits à partir de géniteurs prélevés en mer et sélectionnés pour leurs caractéristiques.
La production d’huîtres triploïdes représente, en moyenne, environ 30 % de la production totale d’huîtres creuses en France. Elle a donc un poids économique non négligeable.
Toute réflexion sur ce sujet mérite d’être solidement documentée et développée avec les acteurs de la filière. C’est la démarche que je souhaite défendre, celle d’un dialogue constant entre toutes les parties prenantes. Monsieur Joël Labbé, je sais que vous approuvez cette méthode. (M. Joël Labbé le confirme.)
Jusqu’à présent, la production d’huîtres triploïdes et la production d’huîtres diploïdes ont été complémentaires. On l’observe à plusieurs égards.
Tout d’abord, une part importante de producteurs élève à la fois des huîtres triploïdes et des huîtres diploïdes.
Ensuite, le développement de la production d’huîtres triploïdes, après leur mise au point par l’IFREMER dans les années quatre-vingt-dix, a répondu à une demande des producteurs, désireux d’atténuer les effets de la saisonnalité de la vente des d’huîtres.
En effet, compte tenu de leurs caractéristiques physiologiques, comprenant, notamment, l’absence de laitance, les huîtres triploïdes permettent d’assurer une vente tout au long de l’année, et notamment pendant la période touristique estivale, qui apporte un supplément de revenu aux ostréiculteurs. En outre, divers orateurs l’ont déjà indiqué, ces huîtres bénéficient d’une croissance plus rapide.
De surcroît, le maintien de différents modes de production permet de diversifier les approvisionnements et peut contribuer à la capacité de résilience du secteur en cas de crise. Ainsi, lorsque, en 2008 et au cours des années suivantes, on a observé un phénomène de surmortalité ostréicole, la production de naissains diploïdes et triploïdes des écloseries a permis aux producteurs, en complément des naissains naturels, d’assurer un niveau viable de production – Mme Herviaux l’a rappelé au cours de cette discussion.
La production d’huîtres d’écloserie a été à la base des plans de sauvegarde soutenus financièrement par l’État qui ont consisté à fournir aux producteurs des huîtres issues de sélection et présentant une résistance améliorée aux surmortalités.
La production d’huîtres triploïdes fait également l’objet d’évaluations scientifiques indépendantes et est soumise à un suivi régulier.
Madame Blandin, vous avez fait référence à l’avis rendu en 2004 par le comité d’éthique et de précaution pour les applications et la recherche, instance commune à l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et à l’IFREMER.
Cet avis portait sur l’utilisation des biotechnologies dans l’ostréiculture. Il insistait sur la nécessité de « la mise en œuvre d’un suivi technique, de manière qu’un contrôle efficace et rigoureux puisse être réalisé à chaque rouage de la filière qui mène des chercheurs aux professionnels ». Ces recommandations ont été suivies, notamment via des mesures de précautions figurant dans les conventions conclues entre l’IFREMER et les écloseries produisant des huîtres triploïdes.
Parallèlement, l’analyse des conséquences environnementales de la production d’huîtres tétraploïdes s’est appuyée sur deux missions d’expertise scientifique, menées, l’une, en 1998 et, l’autre, en 2008.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous ont fait référence au rapport de la mission conduite, en 2008, par M. Chevassus-au-Louis. Cette mission a réuni plusieurs experts, dont l’actuel président du Muséum national d’histoire naturelle, M. Gilles Boeuf.
Ces études ont conclu à un risque environnemental faible, même en adoptant comme hypothèse de travail un scénario défavorable. Toutefois, conformément aux recommandations formulées par leur biais, un réseau de biovigilance a été mis en place pour surveiller le milieu naturel et détecter d’éventuelles variations anormales. Les recherches effectuées dans plusieurs bassins de production ont toujours montré l’absence de signes de colonisation de l’huître triploïde par reproduction dans le milieu naturel.
Afin d’apporter toute la transparence nécessaire sur cette question, je trouverais intéressant que les parlementaires s’en saisissent, eux aussi.
Sans empiéter sur les prérogatives du Parlement, je ne verrais que des avantages à ce que le bureau du Sénat, ou la commission chargée du développement durable, saisisse l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, ou OPECST. L’indépendance de l’expertise de cette délégation des deux assemblées, garantie par son statut, nous permettrait de disposer d’une analyse complète de cette question, sur la base des travaux les plus récents, et d’apporter dans la transparence et la rigueur scientifique les réponses attendues par l’ensemble des parties intéressées, notamment les professionnels de la conchyliculture et les consommateurs.
Je crois savoir que l’OPECST va entreprendre une étude sur les enjeux économiques et environnementaux des biotechnologies, la question des huîtres triploïdes pourrait, me semble-t-il, être utilement examinée dans ce cadre.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Par ailleurs et d’une façon générale, l’État continue de soutenir l’effort de recherche dans le domaine ostréicole, notamment au travers de la convention annuelle entre mon ministère et l’IFREMER.
Les travaux d’innovation et de recherche dans le secteur ostréicole sont essentiels, dans le contexte des mortalités d’huîtres. À cet égard, le programme ambitieux de recherche SCORE témoigne de l’engagement de l’État, aux côtés des collectivités et de la profession, pour améliorer la résistance des huîtres au phénomène des mortalités. Plus globalement, le ministère finance une convention aquacole spécifique avec l’IFREMER, dont une large partie est consacrée aux mortalités ostréicoles.
Beaucoup d’entre vous ont évoqué les questions sanitaires liées aux mortalités. C’est un sujet important que nous devons aborder conjointement avec le ministère de l’agriculture, compétent en la matière, à la suite de la diffusion d’un rapport commandé par la direction générale de l’alimentation sur l’amélioration de la situation zoosanitaire dans la conchyliculture, le rapport Vannier.
Nous devons faire face aujourd’hui à l’échéance des brevets de l’IFREMER. La production d’huîtres tétraploïdes est aujourd’hui, en France, exclusivement réalisée par l’IFREMER.
Toutefois, un brevet qui n’est plus utilisé depuis des années est tombé dans le domaine public cette année et le contrat d’objectifs de l’établissement prévoit le transfert complet de la technologie à la profession à l’horizon 2017.
Soyons clairs : il existe deux brevets, dont l’un est tombé dans le domaine public depuis quelques années, mais n’est pas utilisé dans la réalité. La question concerne le second brevet, qui est encore aujourd’hui détenu par l’IFREMER. Nous devons nous en saisir.
Je souhaite que nous puissions l’aborder avec calme et sérénité. La prudence s’impose face à certaines accusations vis-à-vis de l’IFREMER, qui est un établissement public mondialement reconnu. J’ai eu l’occasion récemment d’en discuter avec son P-DG, François Jacq.
Le contrat d’objectifs État-IFREMER pour 2014–2017 prévoit le transfert de l’activité de production des tétraploïdes. Ce transfert doit être préparé et accompagné, il n’est pas question de laisser cette technologie sans un encadrement adapté.
En effet, la production d’huîtres tétraploïdes par des opérateurs privés en vue de la commercialisation de naissains d’huîtres triploïdes justifie un encadrement réglementaire rigoureux. Cet encadrement est en cours d’élaboration, c’est une priorité forte de mon ministère. Nous y travaillons pour parvenir à une mise en œuvre effective au début de l’année 2016.
Cet encadrement réglementaire doit permettre d’assurer un niveau optimal de sécurité environnementale, c’est essentiel. Il relève des prérogatives de l’État de l’élaborer et d’en assurer l’effectivité. La mise en place de ce cadre sécurisé répond en outre aux recommandations du comité d’éthique et de précaution pour la recherche de l’IFREMER.
L’objectif de protection de l’environnement et le souci de ne pas créer un dispositif réglementaire ad hoc pour un nombre réduit d’opérateurs orientent notre réflexion vers le régime des installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE. Les services du ministère, en relation avec l’IFREMER et la profession, travaillent actuellement à l’élaboration de ce cadre.
La mise en place de ce cadre réglementaire a été reconnue comme un préalable incontournable à un transfert complet de la production des huîtres triploïdes de l’IFREMER vers d’autres opérateurs. Le rôle des structures professionnelles est par ailleurs essentiel, des réflexions sont en cours au sein du Comité national de la conchyliculture sur la mise en place d’un « centre technique national » géré par l’interprofession.
Dans le même temps, monsieur Joël Labbé, je partage votre ambition d’une information adéquate et renforcée du consommateur. Sur ce point, la profession conchylicole a fait un important effort de développement des signes officiels de qualité afin de répondre aux exigences de transparence provenant des consommateurs : label rouge, indications géographiques protégées, appellations d’origine protégées, ou AOP.
Dans ce même objectif de réponse aux besoins d’information des consommateurs, la question des huîtres triploïdes est amplement débattue. Ces débats semblent se concentrer plus particulièrement sur l’ostréiculture, alors que, comme je l’ai souligné précédemment, de nombreuses autres filières, animales et végétales, ont recours à des espèces polyploïdes sans qu’il y ait d’exigences d’étiquetage et sans que de tels débats apparaissent.
Promouvoir un étiquetage de l’origine du naissain pour distinguer celui qui est issu du captage naturel me semble, en tout état de cause, une idée intéressante, qui mérite d’être encouragée ; j’y suis tout à fait favorable. Un tel étiquetage devra être accompagné d’une véritable traçabilité à l’élevage, pour permettre le contrôle de l’origine du naissain.
Enfin, la question de la production des huîtres triploïdes doit être abordée dans le cadre plus global d’un projet de filière.
Le secteur ostréicole doit faire face depuis 2008, année de survenue des surmortalités, à un questionnement global sur le ou les modèles de production, qui dépasse la seule question des huîtres triploïdes.
Comme l’a souligné M. Vaugrenard, l’État s’est fortement engagé, et plus de 150 millions d’euros ont été mobilisés depuis 2008 en soutien direct des entreprises. L’accompagnement de la filière conchylicole sera poursuivi dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, car le secteur de l’aquaculture en est une partie essentielle. Plusieurs mesures seront d’ailleurs gérées directement par les Régions, au plus proche des territoires.
Au-delà, les questions de régulation de la production, de gouvernance, de gestion des ressources génétiques, de pratiques culturales et de régulation du marché sont des problématiques englobantes qui nécessitent une mobilisation des structures professionnelles sur un projet de filière, dans une logique de partenariat avec l’État et les collectivités territoriales.
J’ai réuni il y a peu de temps l’ensemble des comités régionaux et le Comité national de la conchyliculture pour échanger sur ces enjeux d’avenir. Je leur ferai également part des principales conclusions et idées de ce débat très intéressant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, auteur de la question.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous remercie. J’ai souhaité ce débat au nom du groupe écologiste. S’il est loin d’être achevé, il est bien amorcé. Vous y avez pris des engagements, si je vous ai bien compris, monsieur le secrétaire d’État (M. le secrétaire d’État opine.), vous qui n’êtes en charge de ce dossier que depuis peu de temps.
Il est important de dire aujourd’hui qu’il faut prendre cette question à bras-le-corps. Trop longtemps, le silence et l’omerta ont régné sur ce sujet. Il ne fallait pas en parler !
M. Jean Desessard. Ne dit-on pas muet comme une huître ? (Sourires.)
M. Joël Labbé. On nous disait : « Vous allez faire couler l’ensemble de la profession ! » Il faut pourtant regarder le problème en face, sans accuser personne. Des procédures existent pour cela, qui ne sont pas de notre ressort. En revanche, il nous revient de soulever la question et de rendre le débat public, afin de parvenir à des décisions politiques. Ainsi, nous sommes dans notre rôle.
Nous n’entendons ni stigmatiser une profession ni griller les étapes pour prendre des décisions à la volée. Ce que nous voulons, c’est que les choses soient dites et que nous parvenions à travailler avec la profession. Celle-ci ne peut pas décider seule et attendre que les politiques suivent : nous devons travailler ensemble. La profession réunit des acteurs divers : les écloseurs, l’IFREMER, les ostréiculteurs, dont certains revendiquent de travailler de manière traditionnelle et sont regroupés au sein de l’Association Ostréiculteur traditionnel, et le Comité national de la conchyliculture, qui représente l’ensemble de l’ostréiculture. Beaucoup d’ostréiculteurs travaillent à la fois avec des naissains naturels et des naissains d’écloserie.
Une des bases de ces travaux devrait être la transparence vis-à-vis des consommateurs. On ne peut plus dire : « Après tout, les consommateurs n’ont pas besoin de savoir car ces produits ne les rendront pas malades. » Le consommateur est de plus en plus exigeant, et c’est une bonne chose.
On m’objectera que si le consommateur a envie de manger des huîtres l’été, on ne l’en empêchera pas. Il faut pourtant que le consommateur sache que la production d’huîtres connaît une saisonnalité, tout comme d’autres productions, d’ailleurs. S’il ne mange pas d’huîtres l’été, il pourra toujours manger autre chose, y compris certains fruits de mer consommables en cette saison.
Un aspect extrêmement important de ce problème est la volonté de chacun de privilégier la compétitivité et la croissance, et de poursuivre l’impératif absolu du développement, quels que soient les dégâts collatéraux. Sans accuser personne, de tels dégâts ont déjà eu lieu dans le secteur conchylicole : certaines écloseries ayant dû fermer leurs portes, nombre de personnes se sont retrouvées durablement au chômage, ce qui est fort regrettable.
On nous pose une autre question sur les conséquences de l’introduction dans le milieu d’huîtres triploïdes plus vulnérables à la bactérie en cause que les huîtres naturelles : cette introduction favorise-t-elle la contamination des autres huîtres adultes par cette bactérie ? La réponse dépend sans doute d’un rapport de force, mais n’étant pas scientifique, je ne me lancerai pas dans une explication scientifique.
En revanche, j’ai tenu à entendre des experts pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre. À les écouter, la question est très complexe : à dire vrai, les scientifiques eux-mêmes n’ont pas de réponse toute faite. Le problème majeur, comme il a été dit à plusieurs reprises, et encore dans mon propos initial, est le manque d’évaluations de l’impact sur le milieu naturel à moyen terme et long termes. Ces études n’ont pas été faites parce que, là encore, on n’a pas pris le temps, obsédé qu’on était par le progrès et la croissance : on verra bien plus tard, on se débrouillera…
Il est temps aussi d’en finir avec cette mentalité. Je suis un élu généralement impatient, vous l’aurez compris. Quand on m’interpelle en me demandant : « Qu’attendez-vous donc ? », je me pose la même question.
Heureusement, nous jouissons de l’initiative parlementaire par le biais de propositions de loi, mais aussi de la possibilité d’organiser des colloques, qui sont autant de temps forts pour faire entendre les gens qui ont à s’exprimer.
Je vous donne rendez-vous, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 10 juin, pour un colloque organisé au Sénat. Nombre d’acteurs du débat interviendront à la table : les ostréiculteurs traditionnels, qui sont demandeurs d’étiquetage ; le Comité national de la conchyliculture, qui représente la profession ; l’IFREMER ; les écloseurs ; les scientifiques, qu’ils soient spécialistes du milieu naturel littoral ou de l’huître elle-même ; enfin, les consommateurs, lesquels, comme je le disais, ont eux aussi leur mot à dire.
Je n’ai pas encore décidé comment au mieux prolonger ce débat : ce pourrait être par une proposition de loi, par une résolution européenne, qui pourrait s’avérer nécessaire sur la question de l’étiquetage, ou encore par des amendements au projet de loi relatif à la biodiversité. Il faudra en tout cas prendre le chemin de la clarification et de la réduction des risques : on n’a pas le droit de faire prendre des risques aux milieux naturels. Tout le monde y gagnera, la profession en premier.
Pour conclure, je veux vous remercier de la tenue de ce débat et vous donner des rendez-vous successifs. En effet, monsieur le secrétaire d’État, vous avez donné la balle aux parlementaires. Eh bien, que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques se saisisse aussi de la question, c’est une très bonne chose. Ainsi, nous pourrons avancer en toute transparence dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Gérard Bailly applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur les risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.
10
Nomination de membres de commissions
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Union des Démocrates et Indépendants – UC a présenté des candidatures pour la commission des finances et pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- M. Nuihau Laurey membre de la commission des finances ;
- et Mme Lana Tetuanui membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents, qui s’est réunie cet après-midi, a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE (suite)
Mercredi 13 mai 2015
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 14 heures 30 :
- Proposition de résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (texte de la commission, n° 428, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 13 mai matin.)
SEMAINE SÉNATORIALE
Lundi 18 mai 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :
À 14 heures 30, le soir et la nuit :
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l’asile (texte de la commission, n° 426, 2014-2015)
Mardi 19 mai 2015
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe CRC :
1°) Proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (n° 2, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 18 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 19 mai matin.)
2°) Débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite
(La conférence des présidents a :
- attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe CRC ;
- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 18 mai, à 17 heures.)
À 18 heures 30, le soir et la nuit :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :
3°) Suite du projet de loi relatif à la réforme de l’asile
Mercredi 20 mai 2015
À 14 heures 30 et le soir :
Ordre du jour fixé par le Sénat :
1°) Proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du conseil national d’évaluation des normes, présentée par MM. Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau (texte de la commission, n° 436, 2014-2015) (demande des groupes UMP et UDI-UC)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 19 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 20 mai matin.)
2°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires (n° 277, 2014-2015) (demande du groupe UMP)
(La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se réunira pour le rapport le mercredi 13 mai matin.
La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 19 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 20 mai matin.)
Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :
3°) Suite du projet de loi relatif à la réforme de l’asile
Jeudi 21 mai 2015
De 9 heures 30 à 13 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :
1°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales (texte de la commission, n° 441, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 20 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 20 mai matin.)
2°) Proposition de loi relative au parrainage civil, présentée par M. Yves Daudigny et les membres du groupe socialiste et apparentés (texte de la commission, n° 443, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 20 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 20 mai matin.)
À 15 heures :
3°) Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures 15 et le soir :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :
4°) Proposition de loi tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police, présentée par M. Yves Pozzo di Borgo et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 434, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 20 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 20 mai matin.)
Ordre du jour fixé par le Sénat :
5°) Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014 relative à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon (Procédure accélérée) (texte de la commission, n° 416, 2014-2015) (demande du Gouvernement)
(La conférence des présidents a fixé :
- à trente minutes la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 20 mai, à 17 heures ;
- au lundi 18 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 20 mai matin.)
Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :
6°) Suite du projet de loi relatif à la réforme de l’asile
Éventuellement, vendredi 22 mai 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :
À 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi relatif à la réforme de l’asile
SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 26 mai 2015
À 9 heures 30 :
1°) Questions orales
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 1056 de Mme Anne-Catherine Loisier à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Baisse programmée des dotations horaires de collèges en Côte-d’Or)
- n° 1066 de M. Daniel Chasseing à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(TGV Limousin)
- n° 1067 de M. Henri de Raincourt transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique
(Crise économique dans le secteur des travaux publics)
- n° 1068 de Mme Sophie Joissains à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice
(Avenir du pôle judiciaire d’Aix-en-Provence)
- n° 1070 de M. Michel Vaspart à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale
(Réalisation des schémas de mutualisation et fusion de communautés de communes)
- n° 1071 de M. Philippe Mouiller à M. le ministre de l’intérieur
(Dotation de solidarité rurale et fraction « bourg-centre »)
- n° 1072 de Mme Colette Mélot à Mme la ministre de la culture et de la communication
(Site des archives nationales de Fontainebleau)
- n° 1073 de M. René Danesi transmise à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité
(Fin de l’instruction des autorisations du droit du sol par l’État pour le compte des collectivités territoriales)
- n° 1074 de Mme Catherine Procaccia à M. le secrétaire d’État chargé du budget
(Révision des valeurs locatives des locaux professionnels et logements particuliers)
- n° 1076 de M. Gilbert Roger à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Fermeture de l’agence de la caisse primaire d’assurance maladie de Bondy)
- n° 1077 de M. Alain Fouché à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire
(Gaspillage alimentaire et dates de péremption)
- n° 1078 de M. François Bonhomme à M. le ministre de la défense
(Avenir du 31ème régiment du génie de Castelsarrasin)
- n° 1095 de M. Georges Labazée à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
(Avenir de l’organisme intermédiaire des plans locaux pour l’insertion et l’emploi Sud Aquitaine)
- n° 1097 de Mme Anne Emery-Dumas à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement
(Recrudescence et surenchère de contrôles en exploitation des agriculteurs)
- n° 1100 de M. Dominique Watrin à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire
(Milliers de dossiers d’anciens combattants en souffrance à la sous-direction des pensions de La Rochelle)
- n° 1102 de Mme Valérie Létard à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Réorganisation des services des douanes du Valenciennois)
- n° 1106 de M. Dominique Bailly à M. le ministre de l’intérieur
(Validité prolongée de la carte nationale d’identité comme document officiel de voyage)
- n° 1107 de M. Jean-Jacques Filleul à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Avenir de l’établissement français du sang Centre-Atlantique)
- n° 1108 de M. Roland Courteau à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Travaux de régénération de la ligne ferroviaire Carcassonne-Quillan)
- n° 1112 de M. Éric Bocquet à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Information des parlementaires sur la mise en œuvre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi)
À 14 heures 30 :
2°) Explications de vote des groupes sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile
(La conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 22 mai, à 17 heures.)
De 15 heures 15 à 15 heures 45 :
3°) Vote par scrutin public sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile
(La conférence des présidents a décidé que le scrutin public serait organisé en salle des conférences pendant une durée de trente minutes à l’issue des explications de vote, en application du chapitre XV bis de l’instruction générale du Bureau.)
À 15 heures 45 :
4°) Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi relatif à la réforme de l’asile
À 16 heures et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
5°) Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation territoriale de la République (n° 336, 2014-2015)
(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 13 mai matin.
La conférence des présidents a fixé :
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 22 mai, à 17 heures ;
- au jeudi 21 mai, à 15 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 26 mai matin et le mercredi 27 mai matin.)
Mercredi 27 mai 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Jeudi 28 mai 2015
À 10 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Suite de la deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
De 15 heures à 15 heures 45 :
2°) Questions cribles thématiques sur la réforme du collège (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
3°) Suite de l’ordre du jour du matin
Vendredi 29 mai 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 9 heures 30, à 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Éventuellement, lundi 1er juin 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 16 heures et le soir :
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Mardi 2 juin 2015
À 14 heures 30 :
1°) Explications de vote des groupes sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
(La conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 1er juin, à 17 heures.)
De 15 heures 15 à 15 heures 45 :
2°) Vote par scrutin public sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
(La conférence des présidents a décidé que le scrutin public serait organisé en salle des conférences pendant une durée de trente minutes à l’issue des explications de vote, en application du chapitre XV bis de l’instruction générale du Bureau.)
À 15 heures 45 :
3°) Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 16 heures et le soir :
4°) Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (Procédure accélérée) (n° 276, 2014-2015)
(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 20 mai matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 mai, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 1er juin, à 17 heures ;
- au jeudi 28 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 2 juin, en début d’après-midi.)
5°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (n° 424, 2014-2015) et proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, présentée par MM. Jean-Pierre Raffarin et Philippe Bas (Procédure accélérée) (n° 430, 2014-2015)
(La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
La commission des lois se réunira pour le rapport et les deux textes le mercredi 20 mai matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 mai, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale commune, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 1er juin, à 17 heures ;
- au jeudi 28 mai, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 2 juin et le mercredi 3 juin matin.)
Mercredi 3 juin 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi relatif au renseignement et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
Jeudi 4 juin 2015
À 10 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme (texte de la commission, n° 387, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 3 juin, à 17 heures.)
2°) Suite du projet de loi relatif au renseignement et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
À 15 heures :
3°) Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures 15 et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
4°) Suite de l’ordre du jour du matin
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE
Mardi 9 juin 2015
À 9 heures 30 :
1°) Questions orales
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 1079 de Mme Sylvie Goy-Chavent à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Permis de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux)
- n° 1080 de Mme Agnès Canayer à M. le ministre de l’intérieur
(Sécurité routière en Seine-Maritime)
- n° 1083 de M. Rémy Pointereau à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Statut des communes labellisées)
- n° 1085 de Mme Élisabeth Doineau à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports
(Diminution des moyens financiers des comités sportifs)
- n° 1086 de Mme Marie-Hélène des Esgaulx à M. le secrétaire d’État chargé du budget
(Révision des valeurs locatives des locaux professionnels)
- n° 1087 de Mme Karine Claireaux à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Prix des dispositifs médicaux correcteurs de la vision)
- n° 1088 de M. Michel Le Scouarnec à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Situation des centres d’information et d’orientation du Morbihan)
- n° 1089 de M. Gilbert Bouchet à M. le ministre de l’intérieur
(Effectifs de la police nationale dans la Drôme)
- n° 1092 de M. Jean-François Longeot à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Engagements du Gouvernement pour entrer dans le capital d’Alstom et en devenir le principal actionnaire)
- n° 1094 de Mme Catherine Troendlé à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique
(Missions exercées par les centres de gestion)
- n° 1096 de M. Michel Raison à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice
(Parc immobilier et avenir de la maison d’arrêt de Lure)
- n° 1098 de M. Gilbert Roger à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Travaux de prolongement du tramway T4)
- n° 1101 de M. Claude Bérit-Débat à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Modalités d’élaboration de la carte scolaire pour le premier degré en milieu rural)
- n° 1103 de M. François Commeinhes à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité
(Devenir du dispositif Malraux et rénovation urbaine)
- n° 1104 de M. Olivier Cigolotti à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
(Mise en place du compte pénibilité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics)
- n° 1110 de M. Patrick Abate à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Réponses du Gouvernement à la crise du logement social étudiant)
- n° 1113 de Mme Laurence Cohen à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Avenir des trains intercités)
- n° 1114 de M. Pierre Médevielle à Mme la ministre des outre-mer
(Dispositions relatives à l’inscription sur les listes électorales spéciales en Nouvelle-Calédonie)
- n° 1115 de M. Dominique Bailly à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice
(Contribution équitable à l’entretien et à l’éducation des enfants dans les situations de résidence alternée)
- n° 1116 de Mme Évelyne Didier à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Application de la loi visant à répartir les responsabilités et charges concernant les ouvrages de rétablissement des voies)
À 14 heures 30 :
2°) Explications de vote des groupes sur le projet de loi relatif au renseignement et sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
(La conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 8 juin, à 17 heures.)
De 15 heures 15 à 15 heures 45 :
3°) Vote par scrutin public sur le projet de loi relatif au renseignement
(La conférence des présidents a décidé que le scrutin public serait organisé en salle des conférences pendant une durée de trente minutes à l’issue des explications de vote, en application du chapitre XV bis de l’instruction générale du Bureau.)
À 15 heures 45 :
4°) Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi relatif au renseignement et scrutin public ordinaire en salle des séances sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 16 heures :
5°) Débat sur le thème : « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte » (demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation)
(La conférence des présidents a :
- attribué un temps d’intervention de dix minutes à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ;
- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 8 juin, à 17 heures.)
À 17 heures 30 :
6°) Débat sur le thème : « l’avenir de l’industrie ferroviaire française » (demande de la commission du développement durable)
(La conférence des présidents a :
- attribué un temps d’intervention de dix minutes à la commission du développement durable ;
- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 8 juin, à 17 heures.)
Mercredi 10 juin 2015
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 14 heures 30 :
1°) Débat sur le thème : « l’avancée des négociations du traité transatlantique (TTIP) suite au 9ème cycle de négociations du 20 au 24 avril et en vue du 10ème cycle du 13 au 17 juillet » (demande du groupe UMP)
(La conférence des présidents a :
- attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe UMP ;
- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 9 juin, à 17 heures.)
À 16 heures :
2°) Question orale avec débat n° 11 de Mme Élisabeth Lamure à M. le Premier ministre sur le bilan de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation en ce qui concerne les entreprises (demande de la délégation sénatoriale aux entreprises)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 9 juin, à 17 heures.
Conformément à l’article 82, alinéa 1, du Règlement, l’auteur de la question et chaque orateur peuvent utiliser une partie de leur temps de parole pour répondre au Gouvernement.)
À 17 heures 40 :
3°) Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l’enseignement supérieur (demande du Gouvernement) (A.N., n° 2656)
(La commission de la culture se réunira pour le rapport le mercredi 3 juin matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 1er juin, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 9 juin, à 17 heures ;
- au lundi 8 juin, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission de la culture se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 10 juin matin.)
Jeudi 11 juin 2015
À 11 heures :
Ordre du jour fixé par le Sénat :
1°) Débat sur le bilan annuel de l’application des lois (salle Clemenceau) (à confirmer)
De 15 heures à 15 heures 45 :
2°) Questions cribles thématiques (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 16 juin 2015
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 14 heures 30 et le soir :
1°) Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (demande de la commission des affaires européennes)
(La conférence des présidents a décidé d’attribuer, à la suite de l’intervention liminaire du Gouvernement de dix minutes, un temps d’intervention :
- de huit minutes à chaque groupe (cinq minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe) ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 15 juin, à 17 heures ;
- puis, respectivement, de huit minutes à la commission des finances et à la commission des affaires européennes.
À la suite de la réponse du Gouvernement, les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole (deux minutes maximum) dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.)
2°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (n° 348, 2014-2015)
(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 27 mai matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 22 mai, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 15 juin, à 17 heures ;
- au jeudi 11 juin, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 16 juin après-midi.)
En outre, de 14 heures 30 à 15 heures :
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République, en remplacement de M. Jean-René Lecerf
(Ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, dans la salle des conférences.)
Mercredi 17 juin 2015
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :
- Suite de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
Jeudi 18 juin 2015
De 9 heures 30 à 13 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :
1°) Proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger, présentée par M. Jean-Yves Leconte et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 205, 2014-2015)
(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 10 juin matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 juin, à 17 heures ;
- au lundi 15 juin, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 17 juin matin.)
2°) Proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale, présentée par M. Yannick Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 378, 2014-2015)
(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 10 juin matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 juin, à 17 heures ;
- au lundi 15 juin, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 17 juin matin.)
À 15 heures :
3°) Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
De 16 heures 15 à 20 heures 15 :
Ordre du jour réservé au groupe RDSE :
4°) Débat sur le thème : « Comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? »
(La conférence des présidents a :
- attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe RDSE ;
- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 juin, à 17 heures.)
5°) Proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (n° 776, 2013-2014)
(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 10 juin matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 8 juin, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 juin, à 17 heures ;
- au lundi 15 juin, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 17 juin matin.)
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. L’organisation des débats concernant le projet de loi relatif à la réforme de l’asile pose question. Après avoir achevé la discussion générale hier soir et abandonné le texte le reste de la semaine, nous ne commencerons l’examen des articles que le lundi 18 mai. Nous ne reprendrons la discussion du projet de loi qu’en fin d’après-midi mardi, puis nous la poursuivrons mercredi soir, puis jeudi soir, puis, éventuellement, vendredi.
Examiner un sujet aussi majeur – personne ne dira le contraire –, qui est au cœur de l’actualité et qui constitue un véritable enjeu de société, de manière décousue pose un véritable problème de lisibilité de nos travaux. Il est pourtant primordial de donner une cohérence à nos débats pour montrer l’intérêt que porte le Sénat à ce sujet et voir nos idées progresser.
Voilà pourquoi j’adresse ce message en séance publique à destination de la conférence des présidents. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très justes !
M. le président. Le problème a déjà été soulevé en séance publique, au travers d’un certain nombre de rappels au règlement, et il a bien évidemment été longuement évoqué au cours de la conférence des présidents. C’est l’ordre du jour qui nous a été proposé par le Gouvernement.
Y a-t-il d’autres observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
12
Débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, organisé à la demande des groupes UMP et UDI-UC (rapport d’information n° 388).
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet, au nom du groupe UDI-UC. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, le terrorisme est l’affaire de tous et de chacun. Les affaires Merah et Nemmouche, mes différents séjours dans cet Orient compliqué que je connais un peu et la lecture du livre de David Thomson intitulé Les Français jihadistes m’ont convaincue de demander la création d’une commission d’enquête – chacun sur ces travées a cette faculté au nom de son groupe. Il me paraissait en effet nécessaire d’en savoir davantage sur ce phénomène qui semblait en progression sensible et d’évaluer l’adéquation des moyens par rapport à la menace.
En juin 2014, personne ou presque n’évoquait ces combattants étrangers. Aucune décapitation n’avait encore endeuillé l’Occident, à l’exception de celle de Daniel Pearl. En tout cas, de tels actes étaient anciens. J’avais pourtant une idée très précise du travail que je voulais mener : il s’agissait pour moi d’aboutir à une meilleure compréhension globale du phénomène et d’élaborer une stratégie pour en venir à bout. Or la commission des lois n’a déclaré recevable la proposition de résolution que nous avions déposée le 4 juin 2014 que le 16 juillet 2014. La commission d’enquête n’a donc pu entamer ses travaux qu’après le dernier renouvellement sénatorial. Bien avant ses premières réunions, l’été meurtrier de l’année 2014 m’a évidemment donné de très nombreuses occasions de m’exprimer sur le sujet et d’approfondir mes connaissances sur cette réalité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ma déception est grande aujourd’hui. Certes, la commission d’enquête a adopté à l’unanimité de ses membres son rapport – aucune mesure spécifique n’est vraiment mauvaise et aucune recommandation n’est vraiment inutile –, mais ce document ressemble davantage à un rapport élaboré par la commission des lois qu’à un rapport de commission d’enquête. Ce n’est pas ainsi que j’envisageais les choses. Je me trouve en quelque sorte dans la situation d’une femme accouchant de sa sixième fille, alors qu’elle attendait un garçon. En définitive, on finit par trouver quelques qualités à son bébé...
De fait, nous n’avons pas visité de banlieue, et les auditions que nous avons tenues ont été extrêmement institutionnelles, à l’exception de celles de Farhad Khosrokhavar et de Mourad Benchellali, qui ont marqué nos esprits et nous ont tirés de notre torpeur tout institutionnelle. Ces lacunes sont d’autant plus regrettables que le problème du djihadisme ne faisait l’objet d’aucun contentieux politique entre les membres de la commission d’enquête, qui tous sont absolument déterminés, comme vous-même, monsieur le ministre, à lutter contre le terrorisme ; dans ce combat, le Gouvernement et les parlementaires ne font qu’un.
De surcroît, l’actualité a quasiment siphonné, au sens propre, le rapport que nous préparions. En effet, de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme jusqu’à l’après-Charlie, le Gouvernement n’a eu de cesse, fort légitimement, de faire des annonces et de prendre des mesures qui, à mesure qu’elles sont intervenues, ont dégonflé le travail que la commission d’enquête se proposait d’accomplir. Les éléments du débat ont peu à peu été rendus publics, comme il est tout à fait normal dans des situations dramatiques, de sorte que le dossier a fini par devenir entièrement public. Il n’est pas un journal qui n’ait fait ses gros titres sur le terrorisme ni consacré à ce sujet des articles de fond. Le terrorisme est ainsi devenu l’affaire de chacun et de tous.
Tel est le contexte dans lequel la commission d’enquête a travaillé et mis au point ses 110 propositions.
Le rapport qu’elle a adopté est, à mon sens, frappé d’une carence grave, qui explique ma déception : nous n’avons pas entendu une seule famille touchée par le terrorisme, et il a même fallu lutter un peu pour entendre des spécialistes de géostratégie, alors que l’importance des aspects géostratégiques pour comprendre le djihadisme n’échappe à personne ; quant aux auditions plus inédites, nous n’en avons pas tiré les conséquences dans nos propositions.
Les propositions qui ont été adoptées n’en forment pas moins un catalogue intéressant, et j’espère que le Gouvernement donnera suite à un certain nombre d’entre elles ; du reste, plusieurs ont déjà été mises en place ou sont à l’étude au ministère de l’intérieur.
Je déplore que la question de la prévention n’ait fait l’objet, après négociation, que d’un simple encadré en fin de rapport, sous le prétexte que le président du Sénat allait remettre au Président de la République son rapport intitulé La nation française, un héritage en partage. Il est regrettable que celui-ci ait servi d’alibi pour écarter l’ensemble des amendements visant à inclure dans le rapport des mesures de prévention.
De même, nous avons manqué une occasion d’aborder le problème de l’islam de France, de l’islam en France, des islams de France – enfin, vous m’avez comprise. Personne n’a envie de stigmatiser, encore moins de procéder par amalgames. Reste que les personnes qui partent faire le djihad ou qui se convertissent avant de partir en Syrie n’agissent pas au nom de Bouddha, mais d’un islam totalement dévoyé. Or il me semble que nous n’avons pas suffisamment travaillé sur cette question.
Comment prévenir la radicalisation, comment concevoir un contre-discours et le rendre crédible et accessible, ce qui est un objectif capital sur lequel M. le ministre et l’ensemble du Gouvernement travaillent sans relâche, si nous n’avons pas de partenaire ? Chacun d’entre nous sait que le Conseil français du culte musulman n’est pas considéré comme représentatif. Dès lors, avec qui discuter ? Dire que la commission d’enquête n’a même pas entendu un imam !
Faut-il que l’État intervienne dans l’organisation de l’islam de France ? Faut-il seulement un islam de France ? Autant de questions qui, si nous nous les étions posées, auraient probablement ouvert le débat. Au demeurant, ouvrir un débat n’est pas arrêter des solutions, et poser des questions n’est pas définir des réponses. De la même façon, nous aurions dû lancer le débat sur la Fondation pour les œuvres de l’islam de France.
Ces lacunes expliquent que le groupe UDI-UC, d’accord avec le groupe UMP, ait déposé une motion divergente pour faire valoir l’importance de ces questions, qui auraient dû être davantage abordées.
Les Américains et les Britanniques ont su trouver des ponts et des relais. Ainsi, aux États-Unis, la communauté musulmane dispose d’un représentant spécial, comme toutes les communautés. Quant au Home Office, il a engagé au sein de ses services plusieurs responsables religieux. Évidemment, notre société n’est pas fondée sur le communautarisme ; reste que nous aurions pu nous interroger sur ces pratiques.
Monsieur le ministre, notre pays si prompt à organiser des états généraux de tout et de rien serait bien inspiré d’organiser au niveau national, et sûrement aussi au niveau régional, des états généraux destinés à faire émerger de la société civile des associations désireuses d’œuvrer, à l’instar de Mourad Benchellali, en faveur de la déradicalisation et à les mettre en réseau.
La commission d’enquête n’a pas non plus tiré les conséquences de l’audition extrêmement intéressante de M. El Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons. Vous connaissez, monsieur le ministre, les dégâts de la radicalisation en prison, et vous savez que nous manquons d’aumôniers. Or il ne suffit pas de dire qu’il en faut trois ou quatre fois plus ; il faut encore les former, leur donner un statut et les payer.
Il se trouve que M. El Alaoui Talibi nous a suggéré une piste que j’aurais voulu voir suivie : elle consiste à assurer une plus grande transparence des réseaux de produits halal. Ce n’est pas nous qui avons avancé cette idée, mais l’aumônier national musulman lui-même. Il a fait valoir que ce flux financier devrait probablement être rendu plus transparent et qu’un prélèvement opéré sur lui pourrait servir à la formation et à la rémunération des aumôniers, que la loi de 1905 empêche absolument l’État de financer.
Je répète que nous avons, selon moi, manqué une occasion d’examiner certaines questions, liées en particulier aux radicalisations et, surtout, à la prévention. Ouvrir un débat n’est pas le trancher, et une commission d’enquête a vocation à enquêter pour ouvrir un certain nombre de pistes. Je regrette que nous ne l’ayons pas fait.
Le Président Sadate avait l’habitude de dire : « Je préfère me brûler en essayant d’allumer une flamme que de rester dans le noir à maudire l’obscurité ». Ce rapport est, à mon avis, un bon rapport de la commission des lois ; malheureusement, ce n’est pas un rapport de commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt, au nom du groupe UMP. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pas un jour ne passe sans que l’actualité nous rappelle la nécessité du débat de ce soir. Le terrorisme est assurément une guerre du troisième type : invisible au sein de nos sociétés, il peut frapper à tout moment n’importe qui et n’importe où ; ses agents sont des individus le plus souvent organisés, mais quelquefois isolés et parfois même échappant à tout contrôle. Si la menace à laquelle nous devons faire face est totalement différente des guerres menées naguère par des États nations, elle pèse aussi gravement sur la paix et la sécurité de nos sociétés.
Désormais mondialisé, le phénomène terroriste n’a pas de frontières. Il frappe de manière éparse, tantôt au Danemark, tantôt au Royaume-Uni, tantôt en France, mais aussi sur d’autres continents : les États-Unis sont directement visés, mais aussi l’Australie et l’Afrique.
Les réseaux djihadistes sont complexes à appréhender, tant leurs ramifications sont internationales et variées. Si certaines organisations sont identifiées et « surveillables », des individus surgissent aussi qui ne sont rattachés à aucune obédience et se sont radicalisés seuls, parfois dans nos campagnes ; nous avons tous à l’esprit certains exemples, notamment en Normandie profonde.
Comment connaître et combattre cet ennemi sans queue ni tête, qui peut frapper à tout instant ? Toute la difficulté tient à l’équation éminemment complexe que la France et les pays associés à la lutte contre le terrorisme doivent résoudre.
En France, la solution se trouve au carrefour des compétences de plusieurs ministères : le ministère de l’intérieur, bien évidemment, mais aussi ceux de la défense et de la justice, sans oublier celui de l’éducation nationale. Un important travail de coordination et de transversalité est donc nécessaire pour éviter que chacun n’agisse dans son coin. À cet égard, il est clair qu’il y a eu ces dernières années quelques lacunes, auxquelles il faudra remédier.
Par ailleurs, nous ne pouvons plus agir de manière isolée. La donne étant internationale, les réponses doivent être au moins européennes. Or les moyens dont disposent les différents pays en lutte contre le terrorisme sont extrêmement variables ; on ne peut naturellement pas comparer ceux des pays africains avec ceux des pays occidentaux. À cet égard, monsieur le ministre, vous vous souvenez peut-être que, lors des rencontres internationales des magistrats antiterroristes, organisées par le ministère de la justice à Paris à la fin du mois d’avril dernier, les représentants africains se sont plaints principalement de dysfonctionnements dans leurs lignes téléphoniques.
Enfin, l’équation doit prendre en compte une variable humaine difficile à cerner : comment appréhender ce djihadiste déterminé, endoctriné, imprévisible, auquel l’acte terroriste confère un statut de héros, et comment évaluer la dangerosité d’un individu, entre menace et passage à l’acte ?
Notre pays n’a pris que trop tardivement la mesure de l’ampleur du phénomène. Alors que d’autres pays européens, en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont quelques années d’avance, sans parler des États-Unis qui ont été si durement frappés en 2001, il a fallu attendre le printemps de 2014 pour qu’un plan anti-djihad soit mis sur pied en France.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. André Reichardt. Si nous ne rattraperons pas le temps perdu, il importe d’envoyer un signal fort et de donner des moyens d’action importants aux différents acteurs de la lutte antiterroriste. À cet égard, je tiens à rendre un hommage tout particulier à notre collègue Nathalie Goulet, qui, dès le deuxième trimestre de 2014, a proposé au président du Sénat de l’époque la constitution d’une commission d’enquête sénatoriale. Officiellement créée au début du mois d’octobre dernier, cette commission d’enquête a présenté, à l’issue de six mois d’intense travail, 110 propositions – excusez du peu – ordonnées autour de six grands axes. Le premier de ces axes est la prévention de la radicalisation. En effet, comment éradiquer un problème sans s’interroger sur ses origines ?
Les phénomènes de radicalisation sont extrêmement multiformes : si les lieux de radicalisation sont multiples, des mosquées aux prisons, le vecteur essentiel de la radicalisation est assurément internet. De fait, les nouvelles technologies et l’offre d’informations en libre accès rendent possible un « djihad médiatique », qui joue dans la radicalisation un rôle moteur et démultiplicateur. Ces nouvelles technologies rendent la traque difficile, car, même s’il est possible juridiquement, et peut-être même techniquement, de bloquer les sites internet contraires à l’ordre public ou diffusant des propos haineux, les personnes mal intentionnées réussissent toujours à contourner les mécanismes de blocage. Il est donc fondamental que les opérateurs prennent leurs responsabilités en coopérant avec les services de renseignement. Cette préconisation sera d’autant plus efficace si elle émane directement de la société civile.
Les raisons de la radicalisation sont aussi de plusieurs ordres : certains évoquent des frustrations d’ordre social, qui nourrissent une rhétorique fondée sur l’humiliation qui serait faite aux musulmans, tandis que d’autres parlent d’individus fragiles au plan psychologique, et d’autres encore de sensibilité au contexte international – vous voyez de quoi je veux parler.
À phénomène multiforme, réponse multiforme. Aussi le rapport de la commission d’enquête comporte-t-il, en matière de prévention de la radicalisation, des propositions allant de la formation des acteurs de terrain à l’accompagnement des familles confrontées à ce phénomène ; nous préconisons, entre autres mesures, de renforcer le rôle du Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation.
L’éducation nationale a aussi un rôle majeur à jouer : elle doit développer le regard critique porté sur les contenus d’internet, relayer des programmes de contre-discours et permettre l’enseignement du fait religieux dans un cadre scolaire, et non réservé strictement à la sphère familiale, avec bien entendu toutes les précautions d’usage dues à notre État laïque.
Il nous a semblé fondamental, avec Mme Goulet, d’aborder la question de la représentativité de la communauté musulmane en France. Nous l’avons fait en annexe du rapport, la commission d’enquête n’ayant pas voulu la reprendre à son compte. Comme l’a rappelé ma collègue, les djihadistes ne revendiquent ni des origines chrétiennes ni des origines bouddhistes, ils se réfèrent bien à l’islam, qu’on le veuille ou non. Aussi est-il essentiel de faire le lien avec cette religion, tout en étant naturellement très attentif à proscrire tout amalgame ou raccourci. Or le Conseil français du culte musulman ne semble plus remplir cette mission de représentativité. C’est pourquoi il nous paraît important qu’une réforme de l’organisation de cette instance puisse être menée, afin que l’État ait le ou les bons interlocuteurs sur ces questions.
Nous souhaiterions également l’ouverture d’un débat sur la mise en place de statistiques ethniques, qui, sans stigmatisation, permettrait d’avoir une meilleure connaissance de notre population et d’adapter, par exemple, le nombre d’aumôniers musulmans dans nos prisons. Alors, nous dit-on, que la population musulmane est la plus nombreuse en prison, elle est proportionnellement la moins bien représentée en termes d’aumônerie ! N’est-ce pas l’exemple de la nécessité de statistiques ethniques ? En tant que sénateur alsacien, je peux donner l’exemple du régime concordataire, qui favorise la bonne connaissance des communautés, qui facilite leur cohabitation et qui permet de créer un dialogue interreligieux riche. La mise en place de statistiques ethniques ne me pose donc aucun problème.
Sur le plan intérieur, les services de renseignement doivent être consolidés, en particulier au niveau territorial. Leur coordination doit être améliorée et de nouvelles compétences doivent leur être attribuées de façon à leur permettre d’accroître l’efficacité de leurs actions.
En ce qui concerne les autres propositions, comme le contrôle aux frontières ou la lutte contre le financement du terrorisme, les défis dépassent très largement notre cadre national. La stratégie doit donc être au moins européenne, notamment s’agissant du contrôle aux frontières externes de l’Europe. Il faut oser le dire : nos frontières sont actuellement des passoires et les contrôles varient d’une zone à l’autre. Il est impératif que l’ensemble des pays de l’espace Schengen soient plus rigoureux et appliquent des règles identiques à chaque frontière.
Concernant notre propre pays, avec ma collègue Nathalie Goulet, nous souhaitons la révision de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, dans la mesure où elle ne nous paraît plus adaptée aux nouveaux enjeux de sécurité. Pour travailler dans de bonnes conditions, les services de renseignement doivent pouvoir accéder à certains fichiers et avoir la possibilité d’opérer parfois des croisements entre fichiers et données.
Nous devons engager une véritable réflexion de fond sur notre arsenal juridique et judiciaire. Celui-ci doit être adapté et complété tout en respectant, bien sûr, le cadre de notre État de droit. En 1986, le législateur avait déjà doté la puissance publique de pouvoirs dérogatoires de droit commun en mettant en place un arsenal législatif spécifique. Même si, en trente ans, ces dispositifs ont déjà été remaniés et renforcés à plusieurs reprises, nous ressentons aujourd’hui l’urgence d’une nouvelle réflexion de fond.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a certes déjà initié cette réflexion, mais nous devons aller plus loin d’une façon globale et plus cohérente. Le projet de loi relatif au renseignement, qui vient d’être voté à l’Assemblée nationale en première lecture et dont l’examen nous sera soumis prochainement, devrait permettre d’accroître les moyens d’investigation des agents du renseignement. Néanmoins, les dispositifs prévus dans le cadre de ce projet de loi ne seront pas suffisants, d’autres démarches et dispositifs nécessitent également d’être engagés et mis en œuvre pour conférer à cette lutte contre le terrorisme une stratégie de guerre totale, ce qui est indispensable.
Les 110 recommandations faites pas la commission d’enquête constituent assurément d’excellentes pistes d’action. Même si certains les qualifieront peut-être de catalogue à la Prévert, cette richesse de propositions permet de conférer à ce travail une cohérence horizontale nécessaire et qui fait aujourd’hui défaut. Le Gouvernement a une vraie responsabilité à cet égard. Il doit sans tarder, me semble-t-il, s’emparer de la totalité de nos recommandations et, au regard de l’unanimité que celles-ci ont recueillie au sein de la commission, veiller à leur concrétisation. Avec ma collègue Nathalie Goulet, nous souhaitons même, comme je vous l’ai dit, que d’autres mesures plus politiques et plus structurelles soient prises. En effet, nous sommes aujourd’hui au pied du mur. Nous avons trop longtemps mésestimé le problème du terrorisme islamique et celui-ci, n’en doutons pas, n’est pas prêt de disparaître. L’urgence est donc déclarée ! Nous sommes condamnés à y répondre rapidement, efficacement et dans la durée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Sueur et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, dois-je vous demander de me pardonner d’être trop simple ? Quand je vote un rapport, je le défends. Personne n’est obligé de voter un rapport avec lequel il n’est pas d’accord !
Mme Bariza Khiari. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. De surcroît, quand un rapport est adopté à l’unanimité, on s’attend à ce que le travail positif qui a été mené soit défendu de façon enthousiaste et avec conviction. Je récuse cependant toute autosatisfaction. Le sujet est trop grave pour cela. La menace est terrible et nous concerne tous.
La commission d’enquête créée par le Sénat aurait évidemment pu procéder à davantage d’auditions et écrire un rapport plus volumineux. Néanmoins, je suis frappé de l’intérêt qu’il suscite. Nous en sommes déjà à la cinquième réimpression, ce qui est assez rare ; cela prouve que le sujet intéresse tout le monde.
Dois-je reprendre tout ce qui figure dans ce rapport ? Dans le temps qui m’est imparti, c’est absolument impossible, car nous avons essayé d’embrasser l’ensemble du sujet. Certes, nous n’avons pas approfondi la question des statistiques ethniques ou de la loi informatique et libertés, qui me passionne, mais il était impossible de développer tous les points. L’important, c’est de ne pas avoir fait d’impasse sur les six axes majeurs autour desquels s’articulent les propositions.
En matière de prévention, par exemple, nous proposons de renforcer les moyens du Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation pour parvenir à un service fonctionnant 24 heures sur 24 et de lancer une campagne de communication visant à faire connaître cet organisme. Il est en effet essentiel que tous les Français puissent faire les signalements nécessaires et disposent d’une plateforme d’écoute.
La déradicalisation n’est pas un processus simple – j’ai participé à de nombreux colloques sur cette question. Un contre-discours ne suffit pas pour faire basculer des convictions et enlever les choses terribles que certaines personnes ont dans la tête. Quand on sait que des centaines, voire des milliers de personnes se préparent à partir, sont déjà sur place ou sur le chemin du retour, on mesure à quel point le travail à réaliser est immense. À cet égard, les cellules de veille préfectorales sont essentielles. Les nombreux maires que nous avons auditionnés, comme le maire de Lunel, qui n’avait pas encore été contacté par les services de l’État, ont souligné l’importance d’un échange d’informations avec la préfecture. Il est surtout nécessaire de désigner un référent chargé de suivre les personnes en voie de radicalisation et de dialoguer avec elles.
En matière de prévention, on pourrait encore évoquer de nombreux autres sujets. Concernant les services antiterroristes, nous faisons ainsi des propositions très précises pour ce qui est du renseignement pénitentiaire. S’agissant du rapport entre la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, et le Service central du renseignement territorial, le SCRT, vous connaissez parfaitement le problème, monsieur le ministre, et vous savez les moyens qui leur sont nécessaires. Les propositions nos 27, 28, 29 et 30 concernant les moyens des services de renseignement vont tout à fait dans le sens du projet de loi relatif au renseignement et suivent les recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Pour contrer le djihad médiatique, nous proposons de renforcer les moyens de l’Office central de lutte contre la criminalité et de PHAROS – la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements. Nous proposons également de sanctionner la copie et la diffusion de certains contenus, de pouvoir signaler l’apologie des actes de terrorisme sur internet en un seul clic, de lutter contre les cyber-paradis. Nous faisons aussi des propositions concernant la loi pour la confiance dans l’économie numérique.
Pour tarir le financement du terrorisme, nous proposons notamment de renforcer les moyens de TRACFIN, qui compte aujourd’hui quinze équivalents temps plein affectés à la lutte contre le financement du terrorisme, ce qui est insuffisant.
En ce qui concerne l’Europe, nous demandons une évaluation de la mesure d’interdiction de sortie du territoire. Nous abordons également la question de la police de l’air et des frontières, du système PARAFE, du fichier SLTD, d’Interpol, du signalement des combattants étrangers dans le dispositif SIS II, du PNR, de la nécessité de créer des gardes-frontières européens ou de ratifier le traité franco-turc signé le 7 octobre 2011, toujours en attente à l’Assemblée nationale.
S’agissant de la réponse pénale et carcérale – je n’approfondirai pas davantage ce point, faute de temps –, alors qu’on nous dit que la question est de savoir s’il faut regrouper les personnes radicalisées ou, au contraire, les disperser, nous proposons des unités de dix à quinze personnes, avec un encellulement individuel.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous faisons cette proposition à la suite de nos rencontres avec les personnels pénitentiaires.
On nous objectera que toutes ces propositions ont un coût. C’est vrai ! Nous sommes néanmoins persuadés que, si nous ne les mettons pas en œuvre, le coût sera plus élevé, et pas uniquement financièrement. En effet, la menace est réelle et, comme vous l’avez souligné cet après-midi, monsieur le ministre, elle ne cesse de croître : le nombre de départs depuis la France vers la Syrie a presque doublé en un an !
Monsieur le ministre, si ces 110 propositions peuvent vous aider et être utiles à Mme la ministre de la justice, à M. le ministre de la défense, à M. le Premier ministre, à Mme la ministre de l’éducation nationale – beaucoup se joue en effet à l’école –, nous n’aurions pas travaillé en vain. Nous n’avons pas la prétention d’avoir réglé le problème. D’ailleurs, qui aurait cette prétention ? Soyons donc modestes : nous cherchons à faire avancer les choses de manière pragmatique. Dans le même temps, soyons à la hauteur de l’enjeu : avançons sur ces 110 pistes que nous avons façonnées ensemble, votées à l’unanimité en dépit de notre diversité ! C’est un acte positif face à cette horreur qu’est le terrorisme. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier notre collègue Nathalie Goulet, qui a pris l’initiative de demander la constitution de cette commission d’enquête bien avant les événements tragiques de janvier et qui en a assuré la présidence, ainsi qu’André Reichardt, coprésident, et Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ils ont beaucoup contribué à la qualité, à la richesse et aux nombreuses recommandations de ce rapport. Je félicite de même nos administrateurs de tous les efforts qu’ils ont consacrés à la préparation des auditions, puis à la rédaction du texte.
N’aurait-il pas cependant été opportun de faire montre d’un peu plus d’audace ? De tenter, en posant les bonnes questions aux bonnes personnes, de saisir en profondeur le phénomène terroriste tel qu’il se déploie aujourd’hui ? De mieux prendre en considération le contexte moyen-oriental ? De sonder les viviers qui produisent du terrorisme en France ?
Ce rapport, riche et important, a fini par se réduire à une sorte de vade-mecum de la répression,…
M. Jean-Pierre Sueur. Et de la prévention !
Mme Esther Benbassa. … donnant un peu le sentiment d’avoir été produit par la commission des lois, ce qui est déjà pas mal. Pourtant, la composition hétérogène des membres de cette commission d’enquête a quelque peu été gommée.
Nous avions déjà débattu ici même d’un projet de loi contre le terrorisme. Nous avions en outre une idée de ce que serait le projet de loi relatif au renseignement, qui sera bientôt soumis à notre examen. Ne pouvions-nous dépasser quelque peu l’horizon des mesures envisagées par l’exécutif ? Faire en sorte que ce rapport ajoute une véritable plus-value à ce qui était en train de s’élaborer ?
La liste des personnes auditionnées comporte un nombre considérable d’institutionnels, ce qui est bien, mais, curieusement, un seul universitaire, Farhad Khosrokhavar, ainsi qu’Erin Saltman, chercheur associé à un think tank britannique. Aucun expert du Moyen-Orient véritablement digne de ce nom n’a été entendu, alors que nous formons de nombreux scientifiques en la matière, comme Olivier Roy. On leur a préféré des publicistes, compte non tenu de l’importance que revêt pour nous, ici, la situation dans cette région du monde.
Les « analyses » géopolitiques présentées semblent parfois devoir beaucoup à internet, n’offrant guère de consistance scientifique et analytique. Je l’ai dit en commission. Il suffit, pour se convaincre de la nécessité d’aller un peu au-delà de considérations fort convenues en matière de géopolitique, de lire des extraits des documents trouvés chez Haji Bakr – tué en 2014 –, ex-colonel irakien formé sous Saddam Hussein, planificateur de la prise du pouvoir de l’État islamique en Syrie, publiés par le journal allemand Der Spiegel. Pas à pas, méticuleusement, Haji Bakr a bâti l’architecture d’un État policier islamique stalinien. Daech, contrairement à Al-Qaïda, n’a rien de « religieux » dans sa façon d’agir, sa stratégie, ses renversements d’alliances sans scrupule, sa propagande soigneusement mise en scène. La religion est là une façade pour attirer tous ces jeunes en quête d’idéal, elle est un artifice au service du recrutement, non pas l’essence de cet État.
Malgré l’insistance de certains d’entre nous, dont Mme Assassi, il n’y a pas eu un seul déplacement dans les quartiers d’où émergent souvent les futurs djihadistes.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
Mme Esther Benbassa. Pas de visite dans la moindre mosquée,…
Mme Nathalie Goulet. En effet !
Mme Esther Benbassa. … aucun imam auditionné – juste un aumônier –, aucun éducateur, aucun associatif travaillant dans ces quartiers n’a été entendu, non plus que des policiers appartenant à la police de proximité. Voilà qui rend ce rapport fortement théorique – même si la théorie ne nous fait pas peur – et dangereusement dépendant des analyses à l’emporte-pièce d’une anthropologue-psychologue-déradicalisatrice, qui ne mérite peut-être pas tout le crédit qu’on lui accorde !
Pourquoi ne pas s’être directement adressé à des parents de jeunes radicalisés, pour certains fraîchement convertis à l’islam, pour mieux saisir le rôle que joue la religion dans leur embrigadement ? Des experts confirmés, sociologues, anthropologues, historiens, travaillant sur l’islam, sur le Coran et la Tradition, sur les radicalismes, auraient sans doute été plus utiles.
Rien ne justifie le terrorisme, mais on ne pourra l’éradiquer seulement par la répression. Sans prévention, il n’y a pas de remède. Or aucun des amendements proposés en la matière n’a été retenu. Lutte contre le décrochage scolaire, lutte contre les discriminations à l’éducation, à l’embauche, au logement, au faciès que subissent les jeunes nés en France dans des familles issues de pays musulmans ou du continent africain, mesures destinées aux quartiers difficiles, mesures visant à la réorganisation de l’islam de France, à la formation du personnel du culte musulman : tout cela est tombé au motif que le président de notre assemblée préparait un rapport pour le Président de la République, un rapport fort intéressant qui s’est finalement révélé peu fourni en propositions de cet ordre.
Permettez-moi pour finir, mes chers collègues, de reprendre – en en subvertissant un peu le sens – la célèbre formule de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Moins technique, plus réflexif, nourri de plus de questionnements, ce rapport eût incontestablement été plus utile à ses utilisateurs éventuels. Je souhaite vivement en tout cas qu’il soit utilisé à bon escient, car il a demandé beaucoup d’efforts aux membres de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque les membres du groupe UDI-UC ont demandé la création de cette commission d’enquête, ils étaient alors, comme nous tous, préoccupés par la menace contre notre sécurité et nos libertés que représente l’augmentation des départs de jeunes, Français pour la plupart, qui vont combattre en Syrie ou en Irak. Nos collègues souhaitaient légitimement que les parlementaires puissent prendre toute la mesure du pernicieux malaise que traduisent ces départs, connaître précisément le fonctionnement des réseaux qui les organisent et évaluer la pertinence et l’efficacité des moyens que se donne notre pays pour s’en défendre. Belle mission !
Après les attentats du mois de janvier, les enquêtes menées par les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme n’ont fait que confirmer l’ampleur, la profondeur, la dangerosité surtout de ce phénomène, et par là même l’urgence à le traiter. Un certain nombre d’éléments récents ont montré que le phénomène d’attraction des réseaux terroristes islamistes sur de jeunes Français ne cessait d’augmenter. Bien que les chiffres bruts ne reflètent qu’une partie de la réalité, ce phénomène est assez précisément quantifiable. Ainsi, les services antiterroristes ont rendu public au début du mois de mai un chiffre symbolique et inquiétant : la barre des 100 morts français, partis combattre en Syrie ou en Irak, a été franchie.
De son côté, la garde des sceaux, lors d’un colloque international réunissant des magistrats et des acteurs de la lutte antiterroriste, a révélé le nombre de procédures judiciaires en cours relatives à ces filières : 125 sont actuellement ouvertes. Quelque 166 personnes ont été mises en examen dans ce cadre et 113 d’entre elles placées en détention provisoire. Rien qu’au début de l’année, 39 enquêtes préliminaires ont été ouvertes et elles ont donné lieu à 19 informations judiciaires et à 35 mises en examen.
Ces chiffres sont à mettre en relation avec les 1 462 individus qui seraient suivis par nos services de renseignement pour leur implication, à des degrés divers, dans les filières de combat de l’islam radical. Et depuis le mois de novembre 2014, on compte 200 personnes de plus, si ce dénombrement est exact !
J’évoque à nouveau ces chiffres pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un fantasme. Ils permettent de se rendre compte de l’importance et de la rapidité de la progression du phénomène, auquel s’ajoute le fait que, sur près de 6 000 jeunes en provenance de pays européens, 47 % d’entre eux sont français.
Même si je mesure, comme d’autres, l’imperfection du rapport de la commission d’enquête et ses manques évidents que nous sommes plusieurs à avoir soulignés avant même sa publication, l’un des grands mérites de tout ce travail est sans doute d’avoir procédé à une analyse fouillée et lucide de la situation et d’avoir réussi, malgré ses limites, à établir un diagnostic du phénomène, bien que celui-ci soit difficile à percevoir et surtout à expliquer. Il est en effet très compliqué de cerner le profil et de comprendre les motivations des personnes attirées par ce type d’idéologie dangereuse.
Il est en tout cas des idées reçues à bannir, car les chiffres donnés par la cellule antiradicalisation du ministère de l’intérieur ou le centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam montrent que les profils sont variés et complexes et que la figure du jeune de cité relève trop souvent du cliché. C’est bien pourquoi il aurait fallu aller dans les quartiers dits « populaires ». On trouve à présent des personnes de tous âges, des hommes et des femmes – 25% sont mineurs, 35 % sont des femmes, chiffre inquiétant – de diverses origines géographiques, sociales, religieuses – 40% des djihadistes français seraient des néophytes et des convertis.
Se pose néanmoins la question du malaise que révèle ce phénomène, des causes de ce malaise et des réponses à lui apporter. C’est peut-être là l’une des faiblesses d’analyse du rapport. Reste que notre groupe s’est prononcé en sa faveur – un choix réfléchi –, car nous partageons à la fois le constat, l’essentiel de l’analyse et la plupart des propositions qui ont été faites, que celles-ci portent sur la prévention de la radicalisation, notamment à travers internet, sur la lutte contre ce que l’on pourrait appeler « le djihad médiatique », le renforcement en moyens humains et matériels des services antiterroristes ou bien encore sur la nécessaire adaptation des réponses pénale et carcérale. En revanche, nous sommes plus réservés vis-à-vis des solutions proposées concernant le contrôle des frontières.
Parmi les 110 propositions, plusieurs ont déjà été adoptées ou sont en voie de l’être, à la suite du renforcement des moyens antiterroristes annoncé par le Gouvernement après les attentats de janvier et dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement, que nous examinerons dans peu de temps. L’intérêt de notre débat de ce soir sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête est donc aussi de les resituer dans l’actualité et de les mettre en perspective avec notre actualité législative. Ainsi, l’une des questions auxquelles le projet de loi relatif au renseignement prétend répondre est de savoir comment mettre des terroristes potentiels hors d’état de nuire alors que nous savons désormais qu’ils vivent parmi nous, au sein même de notre société. De ce point de vue, nous pouvons mesurer combien le traitement étroitement sécuritaire de la question djihadiste montre ses limites. Par exemple, le travail de déradicalisation en amont et en aval des départs, qui suppose selon nous une approche interministérielle, reste embryonnaire. Or sans une véritable politique de prévention, les services ne peuvent intervenir que quand le mal est déjà fait. Ce volet préventif est le grand absent des politiques menées par le Gouvernement pour protéger notre société contre le fléau qu’est le terrorisme inspiré par l’islamisme radical.
Telles sont les quelques observations sur les conclusions de cette commission d’enquête dont je souhaitais vous faire part au nom du groupe CRC.
En conclusion, permettez-moi de saluer Mme la présidente de la commission d’enquête, M. le coprésident, Mmes, MM. les vice-présidents, M. le rapporteur, ainsi que l’ensemble de nos collègues qui, dans le respect des choix politiques des uns et des autres, ont participé aux travaux de la commission d’enquête et permis l’élaboration de ce rapport et donc des 110 propositions qu’il contient. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC. – M. André Reichardt applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont nous débattons des conclusions ce soir, s’était donné pour objectif de comprendre ce qui poussait un nombre croissant de nos compatriotes à rejoindre les groupes armés islamiques dans les zones de combat irako-syriennes. Ses travaux ont consisté à analyser l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics afin d’endiguer cet afflux de départs d’une ampleur inédite. Il faut en effet rappeler que ce sont près de 1 500 ressortissants français qui sont concernés par ce phénomène, classant, hélas ! la France en tête des pays européens « pourvoyeurs » de combattants étrangers.
Si l’évolution de la menace terroriste et les attentats meurtriers qui nous ont frappés ont, depuis lors, confirmé la pertinence de la création d’une telle commission d’enquête, ils ont aussi contribué à ce qu’une partie de nos préconisations soient à ce jour déjà mises en œuvre ou en passe de l’être. Pour ne prendre que deux exemples de nature législative, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a permis, entre autres mesures, la mise en place d’interdictions administratives de sortie du territoire ou d’entrée sur le territoire. Le projet de loi relatif au renseignement, qui nous sera bientôt soumis, permettra, quant à lui, de résoudre les dysfonctionnements constatés et donnera aux services des moyens légaux pour travailler.
Aussi, s’agissant de nos recommandations, vous pouvez avoir l’impression, mes chers collègues, que l’on vous sert un peu du « réchauffé ». Cependant, il faut rendre justice à la commission en soulignant son travail sérieux et en indiquant qu’elle a, en l’espace de quelques mois seulement, abouti à la formulation de pas moins de 110 propositions. Celles-ci concernent des champs très divers – le milieu carcéral, la propagande sur internet, le financement du terrorisme… – et alimentent donc une stratégie globale qui s’étend de la prévention à la répression. Jugées par certains trop techniques, ces propositions ont néanmoins le mérite de constituer des pistes d’amélioration opérationnelles pour combler les lacunes du dispositif de lutte contre le terrorisme d’inspiration djihadiste dont notre pays s’est doté.
Enfin, je tenais encore à nous féliciter de la bonne intelligence dans laquelle nous avons travaillé et qui a conduit à l’adoption de ce rapport à l’unanimité.
Je souhaiterais revenir à présent sur les aspects qui m’apparaissent prioritaires et sur lesquels les recommandations de la commission me semblent de nature à permettre des avancées concrètes. En effet, ce qui fait l’intérêt de ce rapport, me semble-t-il, c’est l’importance accordée au volet « prévention, détection, déradicalisation ». Sur ce point, notre pays a, par rapport à ses voisins européens, un peu de retard à rattraper. Une chose est pour moi certaine : seule la mobilisation de toutes les composantes de la société permettra d’y parvenir.
L’une des urgences, pour prévenir les départs de candidats au djihad, c’est d’abord d’aider et d’orienter les familles qui y sont confrontées. Ces dernières étaient, jusqu’à la mise en service du numéro vert, privées d’interlocuteurs compétents lorsqu’elles constataient la radicalisation d’un proche. Cette plateforme téléphonique, gérée par le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, n’a rien d’anecdotique dans la mesure où tout signalement permet ensuite le déclenchement d’un dispositif de suivi individualisé. La commission a estimé que la gravité de la situation exigeait que ce numéro vert fonctionne dorénavant 24 heures sur 24, tant il constitue une porte d’entrée pour pouvoir, à temps, stopper le processus de radicalisation.
De la même façon, la commission a proposé, à destination des acteurs de terrain, particulièrement des acteurs éducatifs et des personnels chargés de missions d’accompagnement social, la mise en place d’actions obligatoires de formation à la détection de la radicalisation. La méconnaissance de l’islam est telle qu’il nous est apparu indispensable de former ces agents afin qu’ils soient en mesure de différencier ce qui relève de la pratique de cette religion d’un embrigadement par un réseau djihadiste. C’est tout à fait primordial en ce que cela permet de contrer plus facilement la « contamination des esprits » que nous observons aujourd’hui.
Bien sûr, l’école a là un rôle crucial à jouer. Elle doit renouer avec son ambition de former des citoyens et se faire un devoir de développer leur sens critique, base de la rationalité. Une formation à la réception des contenus diffusés sur internet ainsi qu’un enseignement laïque du fait religieux ont été proposés. Ce dernier me semble opportun pour que la religion ne soit plus uniquement abordée dans la sphère privée, au risque d’être laissée dans les seules mains de ceux qui en ont une lecture radicale.
En outre, j’en suis convaincu, il faut sans cesse promouvoir la laïcité en martelant qu’elle est tout sauf une atteinte envers les croyants. C’est au contraire un synonyme de liberté et un indispensable outil du vivre ensemble dans une société multiconfessionnelle, en deux mots un « bien commun » qu’il nous faut à tout prix préserver. Ceux qui se sont attachés à la faire prévaloir ces dernières années, témoins de la montée de la pression communautaire, ont été parfois bien seuls et, pis, injustement accusés de racisme ou d’islamophobie. J’en sais quelque chose pour avoir, lorsque j’étais maire de Conflans-Sainte-Honorine, apporté mon soutien à la crèche Baby Loup, en proposant de l’accueillir sur la commune pour mettre le personnel à l’abri des menaces quotidiennes qu’il subissait à la suite de la saga judiciaire déclenchée par le licenciement d’une salariée voilée.
Si cette thématique ne constitue par le cœur du rapport, je la relie pourtant directement en ce qu’elle est emblématique des « batailles » que notre société doit désormais impérativement gagner. Il y va de même s’agissant du délitement du sentiment d’appartenance républicaine, sur lequel notre collègue et président Gérard Larcher a travaillé.
À cet égard, nous ne pouvons plus ignorer qu’une partie de notre jeunesse rejette le modèle de société que nous avons à lui proposer. Je fais référence ici non pas uniquement à ceux qui sont prêts à partir pour la Syrie, mais plus largement à tous ceux qui, en janvier dernier, ne se sont pas « sentis Charlie ». En effet, la République ne peut plus se contenter d’être une agglomération d’individus, un simple corpus de règles juridiques leur permettant de coexister, sans partager aucun autre projet, aucune finalité. Pourtant, ce projet n’est pas à inventer. Il peut, selon moi, se résumer par « Liberté, Égalité, Fraternité ». Nous devons aujourd’hui trouver les moyens de le faire vivre et de l’inscrire dans les esprits et les cœurs desquels il se serait effacé.
Vous l’aurez compris, ce que je propose, c’est finalement « d’actionner toutes les manettes ». Il faut agir sur tous les plans : améliorer la coordination des services antiterroristes et renforcer leurs prérogatives, s’allier aux opérateurs d’internet pour contrer le « djihad médiatique », tarir les sources de financement du terrorisme et travailler sans relâche à une coopération internationale forte et resserrée. Toutefois, j’en suis persuadé, toutes ces mesures resteront vaines si nous ne faisons pas le travail de fond qui consiste à « réhabiliter la nation française », c’est-à-dire, pour reprendre les mots d’Ernest Renan qu’il a si justement exprimés, « le consentement, ce désir clairement exprimé de continuer la vie commune ». (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Mes chers collègues, vos conclusions sur les filières djihadistes sont révélatrices de l’absence dramatique de vision politique qui est la vôtre et qui vous conduit tout bonnement à envisager une certaine « soumission » aux revendications islamistes qui se développent dans notre société.
Dans la première partie du rapport, sont passés en revue différents aspects du phénomène djihadiste, revenant au passage sur certaines légendes qui ont envahi la sphère publique ces derniers mois. Je pense notamment à la thèse du « loup solitaire » qui se radicaliserait tout seul sur internet, alors qu’il est au contraire rappelé dans le rapport qu’internet est « un catalyseur plutôt qu’un déclencheur de la radicalisation ». Il est également rappelé dans le rapport que « la radicalisation s’effectue […] au sein des réseaux de sociabilité locale […] ou encore au sein d’associations de nature philanthropique » et que « les lieux de culte […] demeurent en effet un espace de rencontre pour les islamistes radicaux [et] un lieu de visibilité pour les structures associatives collectant des fonds ».
Le rapport montre aussi le danger de leur retour en France : « […] la plupart d’entre eux ne renient pas leur engagement et restent extrêmement déterminés ; endoctrinés, aguerris et entraînés au maniement des armes, ils présentent une menace directe sur le territoire français. Cette menace est cependant difficile à évaluer, dans la mesure où la plupart d’entre eux adoptent une stratégie de discrétion et de dissimulation – la taqîya », d’où « le risque que le djihadisme amateur que l’on observe aujourd’hui laisse place à un nouveau terrorisme plus professionnel ».
Il est enfin admis dans le rapport que les réponses apportées depuis un an « peinent à répondre à l’ampleur du défi », avec des forces de sécurité aux limites de leurs capacités humaines et techniques, des services débordés par le nombre de signalements et de cibles à suivre.
Las, si votre rapport pose de bonnes questions, il apporte surtout de mauvaises réponses. En effet, vous cédez à ce chantage à l’islamisation, le véritable objectif commun à toutes les mouvances islamistes. On reste pantois en découvrant la liste de vos préconisations : « Éviter les départs et prendre en charge les retours » – vous parlez bien de ces mêmes personnes qui, lit-on ailleurs, « présentent une menace directe sur le territoire français » – et, à leur retour, leur donner accès à « un programme français de réinsertion des individus engagés dans un processus de radicalisation djihadiste ». Tout ce à quoi le Français lambda n’a pas ou pratiquement pas droit, vous voulez le donner à ceux qui sont nos ennemis déclarés !
Il s’agit également de « Favoriser la construction d’un islam de France », ce qui veut dire financer un ensemble de formations et d’activités islamiques... Mais en quoi serait-ce à nous de le faire ? Si l’islam ne s’acclimate pas et ne s’assimile pas à notre pays et à ses traditions, est-ce à nous, élus d’une république laïque, de porter, de sponsoriser l’islam pour qu’il devienne un jour peut-être national (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.), ce qui n’existe d’ailleurs dans aucun autre pays, à l’exception des pays totalement islamistes ?
Enfin, « votre rapporteur se félicite de la signature, le 12 mars 2015, d’une convention de partenariat entre la Direction de l’administration pénitentiaire et l’Institut du monde arabe, ayant pour but de “favoriser l’accès des personnes [...] détenues à la culture et à la civilisation du monde arabe” ». Vous rendez-vous seulement compte de l’aberration de cette inversion totale de l’assimilation ?
C’est toute notre politique d’assimilation, d’immigration et de nationalité qu’il faut changer…
Mme Éliane Assassi. Comment pouvez-vous dire ça ? C’est scandaleux !
M. Stéphane Ravier. … si nous voulons assurer au mieux la protection de l’ensemble de nos compatriotes. En effet, chaque jour, des prédicateurs attisent chez nous la haine de la France et prêchent le djihad de façon à peine voilée.
Ces ennemis de la liberté, ces ennemis de la France n’ont rien à faire chez nous : s’ils sont étrangers, expulsons-les ; s’ils ont la nationalité française, qu’on la leur retire et, s’ils sont partis, empêchons-les de revenir !
M. le président. Veuillez conclure !
M. Stéphane Ravier. C’est à force de fuir de telles solutions aussi évidentes…
Mme Annie Guillemot. Évidentes pour qui ?
M. Stéphane Ravier. … et réclamées par les Français que nos dirigeants se perdent et nous perdent avec eux.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, moi aussi je suis quelqu’un de simple : lorsque je ne suis pas contente, je le dis, et lorsque j’ai des observations à faire, je les fais. Il convenait de voter les conclusions de la commission d’enquête puisque nous sommes tous d’accord pour lutter contre les filières djihadistes, même si nous ne partageons pas l’ensemble des objectifs et des moyens pour y parvenir. Reste que le problème n’étant pas apparu en un jour, il ne se réglera pas non plus en un jour.
Monsieur le ministre, je veux appeler votre attention sur un seul sujet : le financement.
Lors du débat budgétaire sur les crédits de votre ministère, nous avions souligné que le mot « terrorisme » ne figurait sur aucun document. J’en ai parlé avec Alain Lambert, qui m’a indiqué tout à fait doctement que le Gouvernement pouvait créer une mission budgétaire pour suivre les flux financiers liés à la lutte contre le terrorisme. Il serait en effet intéressant pour le Parlement de suivre l’évolution de ces dépenses, par exemple celles décidées dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement.
Par ailleurs, je préconise la création d’un ambassadeur dédié. Chacun sait ici que je fais la guerre aux ambassadeurs thématiques, qui ne servent à rien. Or un ambassadeur dédié, tel que celui qui existe aux États-Unis, pour assurer les liaisons et la coordination de toutes les forces qui travaillent sur ce sujet, serait extrêmement intéressant.
Je recommande également de créer une délégation ou une commission permanente au Parlement. Le Congrès des États-Unis n’en compte pas moins de trois liées à la sécurité. Il s’agit, là aussi, d’un travail de longue haleine, sur lequel nous allons devoir nous pencher.
Je voudrais concentrer mon intervention sur les flux financiers.
Lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014, j’avais déposé un certain nombre d’amendements sur le sujet, mais le rapporteur Alain Richard m’avait alors conseillé d’attendre les conclusions du rapport de la commission d’enquête. Je pensais notamment au crowdfunding : sachant qu’il faut moins de 500 euros pour acheter une kalachnikov, il serait intéressant que ces opérations, qui ne sont absolument pas surveillées, puissent faire l’objet d’une déclaration préalable, laquelle serait extrêmement simple, pour ne pas freiner leur développement, et se ferait sur un portail hébergé, par exemple, par le ministère de l’économie et des finances. Veillons également au problème du financement des billets d’avion, dont j’avais également parlé à l’automne dernier.
Monsieur le ministre, je voudrais surtout appeler votre attention sur le trafic d’armes. Il circule énormément d’armes dans tout notre pays. Le trafic d’armes représente une source de financement commune aux délinquants de droit commun et aux terroristes, au même titre que les réseaux de blanchiment et de fraude fiscale. Il est difficile de mesurer l’importance de ce commerce illégal, mais il est certain qu’à chaque fois que nous livrons des armes à l’opposition syrienne, que nous versons de l’argent pour l’armée libanaise ou que nous lui fournissons pour 3 milliards d’euros d’armement, nous courons le risque que ces armes se retrouvent entre de mauvaises mains. Il faut être extrêmement prudent en la matière et probablement rehausser le contrôle sur ces flux d’armes.
Un point n’a pas été évoqué, ce qui est normal, dans la mesure où il peut paraître accessoire, même s’il est essentiel en matière de financement du terrorisme, je veux parler du trafic d’œuvres d’art. La destruction d’œuvres d’art inestimables a récemment suscité l’attention des médias, mais le trafic de ces objets doit tout autant nous préoccuper. Je le répète, il s’agit d’un sujet que l’on évoque peu, même s’il existe des conventions internationales et que l’UNESCO y travaille. En la matière, nos contrôles aux frontières doivent être renforcés, car l’art suscite de nombreux intérêts. Certes, la France est moins concernée que les États-Unis et le Japon, qui comptent un nombre de collectionneurs très important. Néanmoins, il convient de s’intéresser au sujet.
Tous les problèmes liés au maniement de fonds posent de nombreuses questions. À cet égard, Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a pris un certain nombre de décisions qui ne sont pas encore aujourd’hui entrées dans les faits. Il s’agit notamment de la réduction du montant maximum des paiements en espèces. Nous sommes nombreux à penser que l’assèchement des flux financiers sera une arme tout aussi importante que l’arsenal répressif et de renseignement que vous mettez en place.
Je ne connais pas encore aujourd’hui les dispositions qui seront adoptées, mais j’espère que vous pourrez nous donner un calendrier de mise en œuvre des mesures concernant le contrôle financier, qui doivent être corrélées avec celles liées à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour lesquelles le groupe CRC, en particulier Éric Bocquet, s’est beaucoup mobilisé. À mes yeux, ces deux sujets ne font qu’un. Aussi, je forme le vœu que vous puissiez nous apporter un éclairage dans votre réponse sur ces aspects très précis du financement. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport dont nous discutons aujourd’hui porte sur un sujet d’une exceptionnelle gravité, qui n’était peut-être par encore identifiée comme telle au moment de la création de la commission d’enquête en octobre 2014. À cette date, en effet, il était difficile de se douter de l’importance qu’allaient revêtir ces travaux. Même si beaucoup étaient inquiets, peu d’entre nous imaginaient qu’un événement tragique viendrait secouer la France, poussant notre pays à entrer en guerre contre le terrorisme, le fanatisme religieux et l’extrémisme, pour défendre notre démocratie contre les menaces pesant sur nos libertés.
Pourtant, dès le mois de juin 2014, deux sénateurs sonnaient l’alarme et écrivaient qu’il était « indispensable que la représentation nationale soit pleinement informée […] des filières qui permettent le recrutement de ces apprentis djihadistes » et qu’elle puisse mesurer leur influence au sein de nos établissements pénitentiaires. Leur intuition s’est révélée tragiquement bonne ! C’est pourquoi je veux saluer le travail important réalisé par la commission d’enquête, qui présente aujourd’hui un rapport plus précis de la situation et 110 propositions adoptées à l’unanimité, dois-je le rappeler ?
Avant d’en venir aux propositions formulées par la commission d’enquête, un chiffre mérite d’être rappelé, celui du nombre de textes législatifs examinés par le Parlement ces dix dernières années. J’ai recensé pas moins de six textes visant à étoffer le cadre pénal ou à donner aux services de police ou de renseignement des moyens d’action plus efficace contre le terrorisme, sans compter les réformes relatives aux services de renseignement.
Nous ne pouvons donc nier la réalité : malgré la qualité de nos services de renseignement et de police, leurs limites, tant humaines que techniques, ont été atteintes. La commission d’enquête l’a d’ailleurs mis en évidence sans détour. Nous devons donc nous mobiliser pour que ces propositions viennent pallier nos difficultés, alors même que le pouvoir d’attraction des organisations terroristes ne cesse d’augmenter. Ces propositions doivent être appliquées avec fermeté, sans se préoccuper des minorités agissantes.
En janvier dernier, dans cet hémicycle, j’affirmais que la démocratie se défendait distraitement. Depuis lors, rien n’a changé dans les comportements. Au contraire, les leçons des événements de janvier semblent déjà oubliées par un certain nombre d’organisations bien pensantes.
Certaines propositions peuvent nous surprendre non pas par leur caractère innovant, mais au contraire par leur bon sens, ce qui nous oblige à nous interroger sur les raisons pour lesquelles elles ne sont pas encore mises en place sur notre territoire. Ainsi, je pense à la proposition n° 110, qui préconise d’enregistrer dans un fichier les personnes condamnées pour des actes de terrorisme, sur le modèle des dispositifs existant en matière d’infractions sexuelles. Un tel fichier, dont l’intérêt est incontestable, n’existe pourtant toujours pas. C’est aussi le cas de la proposition n° 4 sur l’échange d’informations entre les maires et les cellules de veille préfectorales ou encore de la proposition n° 29 sur l’accès aux fichiers de police et de justice pour les services de renseignement. Ces pratiques relèvent à l’évidence du bon sens.
La proposition n° 58, quant à elle, tend à instaurer des contrôles systématiques aux frontières de l’espace Schengen. C’est bien le minimum que l’on puisse mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs...
Enfin, je pense surtout à la proposition n° 73, qui préconise l’adoption, « le plus rapidement possible » de la directive européenne sur le PNR, le rapport ajoutant qu’il s’agit là d’un « outil essentiel dans le domaine de la prévention du terrorisme ».
Que de temps perdu depuis l’affaire Merah et le drame qui a frappé l’école juive à Toulouse et les militaires à Montauban en 2012 ! Que de temps perdu depuis qu’un rapport d’information relatif aux premiers systèmes d’exploitation de grande ampleur des données des dossiers passagers, dits PNR, a été examiné à l’Assemblée nationale ! Que de temps perdu, surtout, depuis les attentats du 11 septembre 2001 ! Le PNR voyait alors le jour, et les États-Unis exigeaient de disposer des données relatives aux passagers décollant ou atterrissant sur leur territoire.
Pourtant, par la voix de l’actuel président de la République, l’opposition de l’époque refusait catégoriquement l’hypothèse, et même le débat.
M. Cédric Perrin. Enfin, une proposition a particulièrement retenu mon attention. Il s’agit de la proposition n° 9, qui, au premier abord, peut apparaître anecdotique et gadget, alors qu’elle est au contraire, à mon sens, fondamentale. Je la rappelle : introduire un programme d’enseignement laïque du fait religieux dans le cadre scolaire. Cette proposition répond avec force au principe de laïcité pris dans son acception la plus équilibrée.
Dans notre société démocratique et complexe, on ne peut laisser penser que, d’un côté, il y aurait les religieux, qui se référeraient exclusivement aux obligations et interdits de leur culte, et, d’un autre côté, les laïcs et la République, qui ne seraient là que pour énoncer des droits et des libertés. L’équilibre entre ces deux systèmes de valeurs doit être trouvé, car c’est la condition du vivre ensemble. Ainsi, l’enseignement laïque du fait religieux est, dans ce sens, la réponse idoine pour lutter contre un apprentissage approximatif et malhonnête des principes et des traditions de la religion, notamment de l’islam.
Au-delà de toutes ces mesures, n’oublions jamais que notre pays, la France, a des racines chrétiennes, que des siècles d’histoire nous contemplent et que la transmission de ces valeurs au travers de notre histoire commune a forgé notre pays, notre démocratie, parfois dans la douleur. Je souhaite donc mettre en garde celles et ceux qui, au nom de l’intégrisme laïque, souhaiteraient tout effacer, tout interdire. Notre pays ne doit pas s’abriter derrière la laïcité pour choisir ses priorités, car celle-ci ne signifie pas, contrairement à ce que certains veulent nous imposer, la négation du religieux. Tel ne doit pas être le sens de l’histoire commune que nous écrivons, car une société qui abandonne ses valeurs est une société en perdition.
Les propositions de la commission sont entre nos mains, entre les mains du pouvoir exécutif. Elles seront également, et peut-être surtout, entre les mains des collectivités locales, des associations et des différents acteurs de la société, comme le souligne en introduction M. le rapporteur. Toutefois, sans la mise en œuvre de ces propositions par le gouvernement en fonction, la société civile restera démunie. Leurs actes et leurs paroles ne suffiront pas. C’est la raison pour laquelle nous devons légiférer, légiférer vite, et suivre ces recommandations pour une réponse globale et sans faiblesse contre les filières djihadistes.
Mobilisée au lendemain des attentats de janvier, la société civile nous a ordonné d’agir. Il est urgent de répondre à cette injonction. « Seuls la volonté et le courage politique nous permettront […] de redonner […] espoir à des millions de Français », peut-on lire dans le récent rapport du président Gérard Larcher remis au chef de l’État. Désormais parfaitement informés, conscients de la gravité de la situation et du retard de la réponse des pouvoirs publics, nous devons agir avec fermeté pour garantir notre sécurité, nos libertés collectives et redonner cet espoir tant attendu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport qui fait l’objet du débat de ce soir résulte d’un travail sérieux et approfondi. Il est fondé sur des analyses, des auditions et des déplacements couvrant l’ensemble de la problématique qui nous a été posée.
Je dois avouer que j’ai abordé ces travaux avec quelques idées simples. Les auditions m’ont permis de modifier ma perception. J’avais, comme point de départ, l’idée d’une causalité directe et exclusive entre les phénomènes de discrimination, de ghettoïsation, de stigmatisation et celui de la radicalisation pouvant mener à un parcours de djihadiste. Cette idée simple a vite rencontré ses limites, et j’ai beaucoup appris durant ces quelques mois.
En effet, il apparaît que l’humiliation des musulmans n’est pas une spécialité française : elle est mondiale, elle est ancienne. Beaucoup de musulmans dans le monde attribuent aux stratégies hasardeuses des puissances occidentales la responsabilité des foyers de conflits au sein du monde arabe et musulman, avec l’éclosion soudaine de la rivalité entre sunnites et chiites, qui s’est notamment traduite par la destruction de l’Irak et de la Syrie, pourtant pays laïques et berceaux de la civilisation arabo-musulmane.
Lieux de civilisation et de mémoire, la Syrie et l’Irak représentent des références culturelles mythiques, encore vivaces aujourd’hui pour tout Arabe, musulman ou non. La destruction de Bagdad, notamment, qui fut pendant des siècles le centre politique, économique et culturel du monde médiéval, participe de cette humiliation. Si nous ne pouvons apporter des réponses à ce sentiment d’humiliation aussi fort, aussi ancien, aussi complexe dans ses ressorts, nous pouvons faire en sorte de ne pas l’alimenter.
Force est de constater que la France, à elle seule, représente la moitié du contingent européen des djihadistes. M. le ministre nous a d’ailleurs informés tout à l’heure que ce contingent était en augmentation régulière. Il existe donc un terreau hexagonal qui favorise la disponibilité au djihad et qui s’ajoute à cette humiliation. Cela doit bien évidemment nous conduire à nous interroger sur le regard porté sur nos concitoyens de confession musulmane, sur les discriminations massives qui sont des morts sociales, sur les mises à l’écart, les soupçons, les préjugés alimentés par un discours délétère tenu à longueur d’antenne par une grande partie des médias et certains responsables politiques.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
Mme Bariza Khiari. Dans un récent éditorial intitulé Islam, une semaine ordinaire en France, la rédaction du journal Le Monde a demandé à ses lecteurs d’imaginer qu’ils sont des Français de confession musulmane et les invite, à l’aune de cette identité, à suivre l’actualité durant une semaine, concluant ainsi : « obsédantes, répétitives et détestables, ces controverses font le jeu de tous les intégristes ». J’ajouterai : « et des islamophobes ».
Oui, dans notre pays, islamophobes et intégristes se nourrissent l’un de l’autre, dans une mise en scène redoutablement efficace de surenchère et de légitimation mutuelle ! Pour briser ce cercle infernal, j’ai donc proposé modestement quelques amendements, joints en annexe au rapport. Ils n’ont pas tous été retenus, mais ils ont donné lieu à des discussions très stimulantes qui ont fait l’objet d’un avant-propos soulignant que la « commission d’enquête ne méconnaît pas les enjeux liés aux fragilités de la société ».
Par ailleurs, certains membres de la commission ont regretté que le rapport ne fasse pas mention de la nécessaire réorganisation du Conseil français du culte musulman. Connaissant personnellement les faiblesses de la représentation des musulmans de France, je ne peux que souscrire à ce toilettage, mais nous n’avions pas à établir de lien entre ce point et les filières djihadistes. Il est vrai que le CFCM est contesté non pour ce qu’il fait, mais surtout pour ce qu’il ne fait pas, toute corrélation avec le djihadisme aurait donc été grave et tendancieuse.
Pour ce qui concerne les statistiques ethniques, on a pu se rendre compte de l’usage qui pouvait être fait du comptage des enfants musulmans de Béziers, comme si d’autres fichages, en d’autres lieux, d’autres temps et pour une autre communauté, n’avaient pas servi de leçon ! On peut le meilleur et le pire avec les statistiques. Mes collègues veulent le meilleur, mais le pire n’est jamais loin, et nous en avons eu une belle démonstration !
Mme Esther Benbassa. Il s’agit de fichage, pas de statistiques !
Mme Bariza Khiari. J’ai le sentiment que nous avons fait honnêtement notre travail. Il faut signaler notamment la part importante faite dans ce rapport à l’analyse et à la place à accorder aux variables de nature socio-économique. Le débat n’est pas clos sur le sujet.
Pour conclure, je voudrais dire que le projet de loi relatif au renseignement respecte un équilibre entre sécurité et liberté. Il n’est en rien liberticide et s’inscrit dans la même perspective que nos recommandations. Il représente évidemment une étape importante et indispensable pour lutter plus efficacement contre les réseaux djihadistes et pour mieux nous protéger.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Bariza Khiari. Enfin, en nous penchant sur les causes profondes, il nous restera à assécher par tous moyens le terreau sur lequel se développe cette idéologie mortifère. Surtout, pour « faire France ensemble », il importe de redonner de la dignité à nos concitoyens de confession musulmane, durement éprouvés par cette violence, en rappelant qu’ils sont, dans le monde, les premières victimes du terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’on voulait faire le bilan des travaux de cette commission d’enquête, je crois que tous ceux qui y ont participé pourraient dire qu’ils ont beaucoup appris. Chacun d’entre nous est arrivé, comme l’a dit Bariza Khiari, avec ses certitudes initiales, qui se sont trouvées profondément modifiées au cours de nos échanges, mais nous avons tous été choqués, à un moment ou à un autre, par ce que nous apprenions. Je crois que c’est ce sentiment qu’il est important de faire partager.
Mme la présidente de la commission d’enquête a regretté aujourd’hui un certain nombre d’imperfections de nos travaux, mais j’ai tendance à penser que nous aurions pu, si elle l’avait voulu, les améliorer encore. En définitive, nous avons beaucoup appris.
Bariza Khiari le disait, on entend dire que l’échec de l’intégration serait la cause du départ de ces jeunes Français qui quittent le territoire national pour se transformer en terroristes et commettre des actes de barbarie, en Syrie et en Irak. Comment expliquer alors que des milliers de Marocains quittent le Maroc, que des milliers de Tunisiens quittent la Tunisie avec le même objectif ? C’est bien la preuve qu’il ne s’agit pas simplement d’une question d’intégration, mais d’un problème de fragilité des sociétés.
M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !
M. Jean-Yves Leconte. Comment expliquer aussi le nombre de nouveaux convertis qui quittent notre pays ? Ils ne rencontrent pourtant pas de problème d’intégration ! Nous avons pu sentir cette réalité lors des auditions.
Nous avons aussi senti que la connaissance de la religion musulmane, puisque c’est au nom de cette religion que ces crimes sont commis, était un outil fondamental pour permettre à ceux qui ont prêté leur bras et se sont fait piéger de cesser d’être manipulés : connaissant les textes, ils sont alors capables de les interpréter et de constater que ceux qui veulent les manipuler ne sont en rien des musulmans.
Oui, la laïcité mérite d’être défendue et réaffirmée, mais cette nécessité n’est pas contradictoire avec l’affirmation qu’une bonne connaissance de la religion est indispensable ! Les témoignages que nous avons entendus nous l’ont prouvé : à partir du moment où des crimes barbares sont commis au nom d’une religion, il faut que cette religion soit connue de manière à déjouer les manipulations réalisées en son nom.
Nous avons aussi pu mesurer les atouts et les chances de la coopération européenne, ainsi que ses besoins et les difficultés qu’elle rencontre pour progresser. Nous avons parlé du PNR, du contrôle de l’espace Schengen et de la convergence des politiques de visas, toutes perspectives nécessaires qui s’inscrivent dans la continuité d’une coopération européenne qui est une énorme chance et représente un paramètre important de notre sécurité commune.
Enfin, nous avons constaté qu’internet a permis aux terroristes de réaliser un saut technologique, qui exige de nos sociétés qu’elles s’équipent de nouveaux dispositifs pour se renforcer face à cette menace, brandie au nom de l’islam aujourd’hui, mais peut-être au nom d’autres idéologies demain. Tel est l’objet du projet de loi relatif au renseignement que nous serons amenés à examiner prochainement. Cependant, internet ne doit pas être envisagé comme un problème, mais comme une solution, car nous ne pourrons pas inventer la citoyenneté du XXIe siècle sans constater qu’internet est un formidable outil pour faire société, grâce aux réseaux sociaux, à leur capacité de mobilisation et d’échanges.
J’insiste sur ce point : internet n’est pas le problème, internet est la solution ! Notre responsabilité politique de parlementaires nous impose de faire en sorte que nos décisions, nos réflexions ne soient pas considérées comme allant à rebours des évolutions d’internet et de la société : elles doivent accompagner ces évolutions, en tirant le plus possible profit des perspectives offertes par internet.
Lorsque j’ai évoqué à l’étranger les travaux de notre commission d’enquête, un Français qui avait vécu un attentat au Kenya m’a expliqué que le terrorisme représentait une menace absolue pour la démocratie, parce que des individus qui ont peur pour leur vie, soumise à une menace immédiate, cessent d’être rationnels. Si la rationalité disparaît dans la société, celle-ci ne peut plus fonctionner en tant que démocratie. C’est pour cela qu’il est important de se mobiliser,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. … mais c’est à chacun qu’il appartient de se mobiliser, car les citoyens ne peuvent pas se contenter de déléguer à l’État la responsabilité de les protéger. Il faut donc que chacun se mobilise pour pallier les fragilités de la société. La sécurité ne saurait être déléguée à l’État, car elle est l’affaire de tous. Comme il n’y a pas de responsabilité sans liberté, il ne faut pas simplement opposer liberté et sécurité : la liberté et la responsabilité de chaque citoyen vont de pair pour assurer la sécurité et la cohésion de la société ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, madame la présidente de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le Sénat d’avoir organisé ce débat très important. En effet, le Gouvernement, dans la lutte qu’il mène contre le terrorisme, entend s’appuyer sur les travaux des parlementaires qui contribuent, par les propositions qu’ils formulent, à alimenter sa réflexion et son action.
J’intervenais tout à l’heure devant la commission des lois et la commission des affaires étrangères, et je souhaite répéter devant vous ce que je leur ai dit sur la nature du risque qui se présente à nous.
Notre pays est confronté à une menace d’un niveau très élevé, pour des raisons qui tiennent à son engagement international. Nous sommes membres de la coalition contre l’État islamique, mais nous sommes également engagés au Mali, où nous avons agi pour le compte de l’Union européenne, afin qu’un peuple qui avait commencé à aimer la liberté ne tombe pas sous le joug d’organisations terroristes radicales violentes. Nous sommes également présents en République centrafricaine. Nous sommes donc déterminés à lutter contre le terrorisme à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières et, si notre pays est l’une des cibles privilégiées de ceux qui, par leurs propos, appellent à la haine et au terrorisme, c’est bien en raison de cet engagement international.
Nous sommes aussi particulièrement visés – et c’était vraisemblablement le sens des attentats du mois de janvier dernier – parce que les peuples du monde ont appris à aimer un discours de la France qui défend des valeurs haïssables pour les terroristes, qu’il s’agisse de la liberté d’expression, qu’incarnent des journalistes libres parfois jusqu’à l’impertinence, ou de la laïcité, qui permet à chacun de croire ou de ne pas croire et, pour ceux qui ont fait le choix de croire, de pouvoir exercer librement leur culte dans le respect de la croyance de l’autre. Un tel discours est tout à fait incompatible avec toutes les formes de radicalité religieuse qui prétendent, par l’endoctrinement et le sectarisme, empêcher autrui de penser ce qu’il désire penser. Les actes antisémites répétés perpétrés lors des événements tragiques du mois de janvier dernier témoignent de la propension à la haine qu’occasionnent les enfermements sectaires.
Enfin, les terroristes ont la volonté de frapper ceux qui incarnent l’État de droit et la force chargée de le faire respecter – je pense aux militaires et aux membres des forces de l’ordre, particulièrement touchés à l’occasion des événements du mois de janvier.
Notre engagement international, les valeurs que nous incarnons, le discours que nous tenons, mais aussi une forme de liberté, de respect et de tolérance dans le fonctionnement de notre société, tous ces éléments sont incompatibles avec le discours des terroristes. Telles sont les raisons pour lesquelles notre pays est particulièrement visé ; telles sont les raisons pour lesquelles, aux yeux des terroristes djihadistes, il doit être touché parmi les premiers et est désigné comme cible privilégiée.
La menace est élevée en France, les événements du mois de janvier le prouvent, comme les attentats déjoués il y a trois semaines à Villejuif. Par ailleurs, l’ensemble des arrestations auxquelles nous procédons, les groupes que nous démantelons et les tentatives d’actes terroristes que le travail de nos services de renseignement permet de déjouer témoignent également, s’il en était besoin, du très haut degré de cette menace.
Nous devons regarder cette menace en face, car elle nous oblige, à l’égard des Français, à un devoir de vérité qui ne saurait se résumer à l’instrumentalisation d’un risque aux fins de dissémination de l’effroi dans la société, pour atteindre d’ailleurs on ne sait quel objectif. La vérité implique la maîtrise et le sang-froid ; elle implique que l’on qualifie le risque pour ce qu’il est, mais que l’on ne cherche pas à l’instrumentaliser à des fins politiques.
D'ailleurs, je constate que lorsque nous avons, au moment de la tentative d’attentat de Villejuif, exprimé la réalité des faits après que ceux-ci aient été établis, les mêmes qui nous ont reproché de communiquer à l’excès nous auraient fait grief d’avoir dissimulé la vérité ou d’avoir voulu cacher un risque si nous n’avions pas qualifié les choses au moment où le risque se présentait à nous.
Face au risque terroriste, il faut que nous soyons dans la maîtrise de la communication. Et c’est aussi une difficulté à laquelle les démocraties sont confrontées que d’avoir la parole maîtrisée, que de trouver les mots justes, et que d’essayer toujours, face au risque terroriste, d’être dans la vérité, avec la part d’exigence qu’elle appelle dans le choix des mots, dans le refus de l’instrumentalisation, dans la réflexion pour prendre la juste décision qui protège sans faire peur, qui assure la sécurité, sans que cela se fasse jamais au détriment des libertés.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a fait le choix d’agir toujours sans trêve ni pause, mais dans le respect rigoureux des principes du droit qui fondent la République et qui garantit à notre démocratie que le respect du droit la rendra plus forte pour lutter contre le terrorisme.
Il y a, enfin, un point sur lequel je voudrais insister, avant d’évoquer quelques mesures contenues dans votre rapport. Je veux parler de la forme nouvelle de terrorisme à laquelle nous sommes confrontés.
Cette forme nouvelle de terrorisme résulte de la dissémination de groupes nombreux dans la bande sahélo-saharienne et de la volonté de certains d’entre eux de penser une organisation politique en imposant leur logique, leur système, leur pensée, à l’exclusion, d'ailleurs, de toute autre forme d’appartenance. C’est la logique du califat, qui prétend s’implanter et s’imposer en Irak et en Syrie.
Cette forme nouvelle de terrorisme procède, outre de la dissémination des groupes terroristes dans la bande sahélo-saharienne, de la circulation de groupes terroristes à travers des frontières mal contrôlées, notamment en Afrique du Nord. Elle provient aussi des réductions de l’État libyen, qui donnent la possibilité à tous ces groupes de prospérer en Libye, pays à partir duquel ils ont le loisir d’organiser bien des trafics.
Par-delà ce contexte international très particulier, qui rend la menace protéiforme – cela a été souligné par de nombreux orateurs – et, par conséquent, plus difficilement maîtrisable que lorsque des groupes terroristes intervenaient, par exemple, à partir de l’Algérie pour frapper l’Europe et regagner ce pays en essayant de fomenter des opérations funestes à l’intérieur de groupes fermés, nous avons aujourd'hui une dissémination du terrorisme au travers de ces groupes multiples, affiliés ou non à de grandes orientations comme Al-Qaïda. En outre, nous avons aussi, dans nos propres pays, en France, un terrorisme en libre accès.
Quel est ce terrorisme en libre accès ? Il implique des ressortissants de nos pays, souvent jeunes et vulnérables, qui basculent dans des activités terroristes, en s’engageant dans des opérations hautement criminelles, notamment en Irak et en Syrie.
Le nombre de ces ressortissants n’a cessé de croître. Lorsque j’ai été nommé ministre de l’intérieur voilà plus d’un an, j’ai vu immédiatement la réalité et sa potentialité dangereuse : entre 400 et 500 Français étaient engagés dans des opérations de ce type, contre 1 600 à 1 700 aujourd'hui. Parmi ces ressortissants français, des mineurs et des femmes désormais sont sur le théâtre des opérations terroristes en Irak et en Syrie ; 300 d’entre eux ont participé à des opérations et sont revenus sur le territoire national. Cela signifie que 700 Français de tous âges, de tous horizons ont été engagés dans des opérations terroristes en Irak et en Syrie ; ils sont ou en sont revenus. En outre, 300 personnes en France prétendent rejoindre ces groupes ou ont le projet de le faire ; 285 personnes se trouvent quelque part en Europe, entre la France et la Syrie ou l’Irak, sur le chemin de ce parcours funeste.
Il s’agit donc d’un phénomène de grande ampleur, qui n’a cessé de croître, de prendre de la force, de briser des familles, de ruiner des destins et de conduire des jeunes à la mort.
Vous avez indiqué tout à l’heure, madame Assassi, que 100 jeunes sont actuellement sur le théâtre des opérations. Non, ils sont 700 ! Le nombre que vous avez énoncé correspond au nombre de personnes qui y sont mortes. Ils sont 700 aujourd'hui !
Ce terrorisme en accès libre a de multiples causes. On ne saurait analyser ce phénomène sans en avoir une approche multifactorielle.
Il y a l’efficacité d’une propagande diffusée par internet.
Il y a les effets de la numérisation de la société.
Il y a des acteurs terroristes qui, par la sophistication des moyens numériques qu’ils mobilisent, parviennent à endoctriner, à embrigader, à convaincre des jeunes qui n’ont jamais fréquenté une mosquée ni rencontré un imam radicalisé de s’engager dans des opérations à caractère terroriste.
Il y a la porosité de plus en plus grande qui existe – les événements du mois de janvier dernier en témoignent – entre la petite délinquance enkystée dans les banlieues et le grand terrorisme. Je pense à ceux qui ont engagé les opérations du mois de janvier, notamment à Amedy Coulibaly avec les crimes abjects que l’on sait de Montrouge et de l’épicerie Hyper Cacher, qui avait mobilisé autour de lui toute une série d’acteurs, de petits délinquants, présents dans les quartiers, sans nécessairement savoir à quoi ils participaient. Et cette porosité entre la petite délinquance et le grand terrorisme est un phénomène nouveau, qui accélère le processus d’enrôlement et d’embrigadement, ainsi que le basculement, ce qui rend, par conséquent, beaucoup plus « capillaire », si je puis utiliser cette expression, la violence par le trafic d’armes, par l’utilisation des armes à feu après que le trafic a eu lieu, par la mobilisation de l’argent de la drogue pour commettre des actes préparés de longue date.
Enfin, il existe un troisième phénomène, la radicalisation en prison : non pas que la prison soit devenue un lieu de fabrication de terroristes – tel n’est pas le cas –, mais il est incontestable que des terroristes emprisonnés pour avoir commis des actes répréhensibles au début des années quatre-vingt-dix ont pu rencontrer des délinquants qui ont basculé.
D’ailleurs, on a pu constater qu’une cartographie du terrorisme place, dans une espèce de continuum d’actions violentes, ceux qui, dans les années quatre-vingt-dix, avaient agi et ceux qui agissent aujourd'hui. Des connexions se sont nouées entre les uns et les autres : certains ont participé à des tentatives d’évasion ; d’autres à des tentatives de recrutement – la filière du 19e arrondissement pour laquelle ils avaient été emprisonnés –, puis ont rencontré en prison des terroristes. Et des groupes avec des réseaux très organisés, qui représentent un risque et un danger, se sont constitués. Voilà la réalité protéiforme à laquelle nous sommes confrontés.
Pour nous inciter à agir, vous faites des propositions, que j’ai toutes lues avec beaucoup d’attention. Après avoir entendu les orateurs qui se sont exprimés, permettez-moi de vous dire ce que nous faisons au regard de ce que vous proposez.
Une grande partie des propositions que vous formulez sont déjà mises en place. C'est d’ailleurs la raison pour laquelle je soutiens votre rapport. Le décalage entre ce que vous préconisez et ce que nous faisons est minime. D’après le calcul que j’ai fait, près de 70 % de vos propositions sont déjà en œuvre au travers des textes que nous avons fait adopter.
Que faisons-nous ? Comment agissons-nous ?
D’abord, nous affectons des moyens supplémentaires aux services de police et de renseignement pour leur permettre de répondre à la menace. Monsieur Reichardt, je vous ai entendu expliquer que nous avions perdu deux ans. Pour ma part, je ne souhaite pas faire de polémique sur ces questions. Partout où j’ai eu l’occasion de m’exprimer, j’ai fait en sorte de ne pas céder à la pente de la politique partisane et des clivages qui n’ont pas lieu d’être sur des sujets de cette nature.
Néanmoins, je voudrais tout même vous rappeler, monsieur le sénateur, que ce n’est pas ce gouvernement qui a supprimé 13 000 postes dans la police !
Ce n’est pas ce gouvernement qui a supprimé des postes en nombre au sein du service central du renseignement territorial !
Ce n’est pas ce gouvernement qui a diminué les crédits hors T2 dont les forces de l’ordre avaient besoin pour se moderniser et faire face de façon efficace aux risques qui se présentent à notre société.
Enfin, ce n’est pas non plus ce gouvernement qui, en l’assumant d'ailleurs, a affaibli le service public de la sécurité pour la bonne et simple raison qu’il l’a conforté !
Ensuite, pour vous rassurer totalement sur le fait que nous n’ayons pas perdu deux ans, je veux indiquer que nous avons créé la direction générale de la sécurité intérieure à laquelle nous avons attribué 432 postes.
Par ailleurs, nous avons abondé le budget de la sécurité intérieure à hauteur de 12 millions d’euros de crédits hors T2 par an. Nous avons décidé de créer 500 emplois supplémentaires par an dans la police et la gendarmerie, dont une grande partie a été affectée au renseignement territorial.
Au lendemain des attentats de janvier, nous avons créé 1 500 postes supplémentaires, dont 500 postes à la direction nationale de la sécurité intérieure, qui s’ajoutent aux 432 postes précédemment évoqués, et 500 postes au service central du renseignement territorial.
En effet, comment collecter les signaux faibles et les renseignements sur le terrain, dès lors qu’il y a un lien entre ces signaux faibles et ce qui se passe dans le haut du spectre, si nous n’avons pas les moyens de remplir ces missions ?
C’est ce gouvernement qui a décidé de doter le service central du renseignement territorial de ces 500 postes supplémentaires, avec 350 postes pour la police nationale et 150 pour la gendarmerie nationale.
C’est ce gouvernement qui a décidé de conforter la plateforme PHAROS, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, ainsi que les moyens de la direction centrale de la police judiciaire, en créant près de 120 postes sur trois ans, pour lui permettre, en matière de cybercriminalité, d’être beaucoup plus efficace dans la lutte contre le terrorisme.
Enfin, comme les moyens humains ne valent rien s’ils ne sont pas assortis de moyens numériques, d’infrastructures, de véhicules, d’armes, il a été décidé d’abonder le budget du ministère de l’intérieur à hauteur de 233 millions d’euros sur trois ans, en vue de favoriser la numérisation des forces et la modernisation des infrastructures informatiques, notamment du système CHEOPS, le système de circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés, indispensable pour identifier les terroristes au moment de leur retour sur le territoire national.
Vous parlez de retard, monsieur le sénateur, mais, moi, je vous parle de ce que nous faisons pour combler les lacunes qui ont largement contribué à affaiblir nos forces de sécurité ! Ces faits sont incontestables. Ils sont d’ailleurs parfaitement compris par les fonctionnaires placés sous ma responsabilité, lesquels savent les efforts que nous réalisons pour permettre à notre pays de faire face à la situation.
Voilà l’effort de modernisation que nous conduisons. C’est une première réponse.
La deuxième réponse consiste à apporter des outils juridiques par-delà les moyens humains et matériels que nous allouons à nos forces. Pour ce faire, nous avons décidé de prendre des dispositions législatives visant à permettre à notre pays d’être à la hauteur du risque et de répondre à la menace.
Ainsi, la loi du 13 novembre 2014, qui contient des mesures puissantes en matière de lutte contre le terrorisme, a été adoptée par le Sénat, comme par l’Assemblée nationale.
Nous avons décidé, par exemple, de réguler internet. Pour ma part, je ne pense pas qu’internet soit une mauvaise chose, mais je n’ai, pour autant, aucune naïveté en la matière. Pourquoi accepter systématiquement sur internet, sur des réseaux sociaux, des appels à la haine, des provocations au terrorisme, des textes, des propos ou des blogs appelant ou provoquant au terrorisme que nous n’accepterions pas de voir proférer dans la rue ?
Que se passerait-il demain si, devant vos mairies, nos ministères, des manifestants brandissaient des pancartes appelant à l’antisémitisme, à la mort de ressortissants français de confession juive à la sortie des synagogues ou de Français de confession musulmane à la sortie des mosquées ? Nous demanderions immédiatement que les personnes à l’origine de ces actes soient sanctionnées. Car appeler au crime, à la haine, au meurtre et à la discrimination à l’égard de l’autre dans un pays républicain comme le nôtre, c’est effectivement un acte qui mérite sanction !
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de procéder au blocage des sites et des blogs qui appellent ou provoquent au terrorisme. Et nous l’avons fait non pas parce que nous étions désireux de remettre en cause de quelque manière que ce soit la liberté d’expression sur internet, mais parce qu’il s’agit d’un espace public comme un autre, à l’intérieur duquel chacun doit s’exprimer dans le respect des règles de droit et des principes républicains !
Il n’y a pas de République, il n’y a pas de « vivre ensemble », il n’y a pas d’unité et d’indivisibilité de la République autour de ces valeurs s’il n’y a pas d’altérité. Et qu’est-ce que l’altérité ? C’est la capacité de chacun à se poser la question de savoir si le propos qu’il tient sur l’autre est de nature à susciter de la violence, de la haine ou à le blesser simplement en raison de ce qu’il est.
La République sans l’altérité, cela n’existe pas ! La République sans le respect de l’autre, cela n’existe pas ! La République avec l’appel à la haine, l’apologie du terrorisme, l’appel à l’antisémitisme ou à l’islamophobie, cela n’existe pas ! La République implique que, dans tous les espaces, les règles de la République soient respectées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
C’est la raison pour laquelle nous avons proposé cette disposition.
Pour ma part, je n’ai pas de suspicion à l’égard d’internet, mais je considère que cet espace doit être soumis, à l’instar de tous les espaces où s’exprime la parole publique, à une exigence républicaine en termes de régulation et de respect du droit. Car nous ne combattrons pas le terrorisme si nous ne sommes pas déterminés à faire respecter, à tout prix, le droit.
Nous avons décidé, dans le même esprit, d’interdire à ceux dont nous savons qu’ils vont s’engager dans des opérations terroristes de sortir du territoire. Que n’ai-je entendu à la suite de cette décision !
Certains disaient qu’il fallait les laisser partir, car, dès lors qu’ils seraient parvenus sur le théâtre des opérations terroristes, ils perdraient la vie. Beau discours de la part d’un pays qui a aboli la peine de mort ! Ces paroles étaient non seulement contraires à toutes nos traditions, mais tout à fait stupides au regard du résultat à atteindre.
En effet, les hommes de nationalité française partis sur le théâtre d’opérations terroristes reviendront nécessairement sur le territoire national, dans la mesure où les règles du droit international nous imposent de les recevoir sur notre sol dès lors qu’ils y reviennent.
Or, s’ils sont de retour d’un théâtre d’opérations où l’on décapite, où l’on crucifie, où l’on exécute, où l’on martyrise des hommes et des femmes en raison de leur religion et de leur liberté de penser, de quelles violences seront-ils désormais capables ? C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place l’interdiction administrative de sortie du territoire. Ce sont 60 départs qui ont ainsi été empêchés depuis la publication de ces textes réglementaires, et 50 autres dossiers sont en cours d’instruction.
Par ailleurs, l’interdiction de retour sur le territoire français s’applique à tous ceux qui, ayant résidé en France mais n’étant pas de nationalité française, ont commis des actes criminels sur le théâtre des opérations terroristes et prétendent revenir sur le territoire national. Ceux-là n’ont pas leur place en France ! Nous avons mis en place cette mesure parce que, là encore, le droit doit passer.
En outre, nous avons créé l’incrimination pénale d’entreprise terroriste individuelle et donné de nouveaux pouvoirs à nos services, afin qu’ils puissent intervenir sur internet, procéder à distance à des perquisitions sur le cloud et, ainsi, prévenir la commission d’actes terroristes.
Nous venons également de présenter aux commissions des lois et des affaires étrangères du Sénat un projet de loi relatif au renseignement.
Ce texte prévoit, par des dispositifs ciblés ne s’appliquant qu’à la lutte antiterroriste et non, contrairement à ce que j’ai entendu, par la mise en place d’une surveillance de masse, d’empêcher tous ceux qui seraient tentés de s’engager dans des activités terroristes de le faire. Nous mobilisons, à cette fin, des techniques de renseignement hautement contrôlées par une autorité administrative indépendante, par le Conseil d’État, lequel exercera un contrôle juridictionnel, et par la délégation parlementaire au renseignement, qui aura aussi un droit de regard sur l’activité des services.
Ces mesures de police administrative permettront d’éviter la commission d’actes terroristes plutôt que d’attendre une judiciarisation de ces faits par le juge judiciaire, laquelle intervient lorsque nous nous montrons incapables de prévenir ces actes.
Voilà ce que nous faisons ! Et, non seulement nous agissons sur le plan national en consacrant des moyens supplémentaires à la lutte antiterroriste et en présentant des textes législatifs, mais nous agissons aussi sur le plan européen.
Certains d’entre vous ont appelé de leurs vœux la mise en place de la directive Passenger Name Record, ou PNR, et considéré que les choses avançaient trop lentement. Mais cette proposition a été présentée pour la première fois devant les instances européennes en 2003. En 2012, ce projet n’avait pas avancé d’un iota !
Ce PNR est aujourd’hui en passe d’être adopté avant la fin de l’année 2015, car il y a urgence. Il n’y a pas d’antinomie entre la protection offerte par le PNR et celle des données personnelles, cette garantie, pour ceux qui se rendent dans les aéroports et utilisent les moyens de transport aériens, de voir leur vie privée et leurs données personnelles protégées.
De la même manière, je suis favorable à l’instauration de contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures de l’Union européenne, ainsi que l’ont proposé plusieurs orateurs. Cette mesure garantira la traçabilité du parcours des terroristes lors de leur retour au sein de l’Union européenne, et nous permettra de les arrêter et de procéder à leur judiciarisation. Si nous ne le faisions pas, nous exposerions les ressortissants de nos pays à des risques considérables.
Je suis favorable, j’y insiste, à des contrôles coordonnés et systématiques au sein de l’espace Schengen. C’est d’ailleurs une solution pragmatique, car il n’est point besoin de modifier le code Schengen pour ce faire.
Je suis également favorable à ce que nous engagions avec l’Union européenne des actions puissantes en termes de contre-discours. Nous œuvrons avec le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove. Nous mobilisons les moyens et les financements de l’Union européenne afin de sensibiliser les opérateurs internet.
La France est à la pointe de ce combat. Je me suis ainsi rendu dans la Silicon Valley pour demander à la totalité des opérateurs internet de déterminer, en lien avec notre pays, un code de bonne conduite en matière de lutte antiterroriste. Ils en ont accepté le principe, et nous avons signé ensemble une charte, le 20 avril dernier, par laquelle ils s’engagent à retirer les contenus faisant l’apologie du terrorisme, à faciliter les enquêtes judiciaires lorsqu’il y a une situation d’urgence et à développer avec nous, en participant à un comité permanent, le contre-discours sur internet. En effet, il faut aussi utiliser internet pour informer ceux qui sont embrigadés par des organisations sectaires.
Action sur le plan international, renforcement des services de renseignement et organisation du décloisonnement de l’activité de ces services – contrairement à ce que j’ai lu dans le rapport parlementaire, il y a non pas une guerre entre les services de renseignement au sein du ministère de l’intérieur, mais une coopération renforcée, que j’ai souhaitée et qui se développe ! –, action législative et action européenne, tels sont les axes de notre politique antiterroriste.
J’ajouterai deux points.
Premièrement, je propose que l’on refonde notre relation avec l’islam de France. C’est le sens de l’action dans laquelle nous sommes engagés, et nos objectifs sont extrêmement précis.
À la suite de l’engagement des préfets en faveur d’actions de dialogue interreligieux dans les territoires de leur ressort, je recevrai, demain, les représentants du Conseil français du culte musulman, le CFCM. Nous voulons mettre en place une instance de dialogue autour du Premier ministre, à l’instar de ce que nous faisons avec les catholiques de France.
Notre objectif est de traiter, avec ces interlocuteurs, les grandes questions qui concernent la relation de la République avec la religion musulmane, dans le souci d’assurer la plus grande représentativité des musulmans de France. Ces sujets seront aussi divers que les conditions de la construction et de la gestion des mosquées dans le respect rigoureux des textes qui régissent la laïcité en France ou la formation des aumôniers musulmans.
À cet égard, nous souhaitons qu’il y ait dans nos prisons, nos hôpitaux, nos armées et les services du ministère de l’intérieur des imams qui connaissent de façon très approfondie la religion qu’ils enseignent, parlent français et soient également titulaires de diplômes universitaires, afin de maîtriser parfaitement les principes et les règles de la République. Il ne saurait en effet, dans notre esprit, y avoir d’antinomie entre ces règles et la pratique religieuse. C’est aussi cela, la laïcité !
La laïcité est le toit qui nous est commun, la somme et le creuset de valeurs qui nous sont communes et permettent à chacun de choisir sa religion dans le respect de celle des autres. Car ce qui nous rassemble au bout du compte est plus fort que ce qui peut nous diviser, y compris du fait de nos appartenances religieuses. Ce qui nous rassemble, c’est l’appartenance absolue, totale et sans concession aux valeurs de la République et, parmi celles-ci, à la laïcité.
La formation des imams est donc un sujet fondamental, dès lors que ceux-ci exercent des fonctions d’aumônier. Car si l’État n’a pas à s’occuper de la formation des imams, il doit cependant veiller à ce que les aumôniers qu’il recrute aient reçu une formation de haut niveau.
Nous serons donc très exigeants sur la construction et la gestion des lieux de culte, ainsi que sur le développement des diplômes universitaires. Nous veillerons à la création d’une fondation des œuvres de l’islam, et nous lancerons une réflexion collective sur le sujet fondamental de la religion et de la laïcité.
La laïcité ne doit pas être dévoyée, car c’est une valeur inclusive. La laïcité, c’est le droit de croire et de ne pas croire, et de faire le choix de sa religion, en ayant la garantie de pouvoir exprimer ce choix librement. La laïcité ne peut donc pas être tournée contre une religion.
Ainsi, certains propos tenus sur les repas différenciés dans les écoles ne sont pas une manifestation de la laïcité ;…
Mme Bariza Khiari. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … ils visent à instrumentaliser cette valeur républicaine contre la religion musulmane. Le Gouvernement ne soutiendra jamais cette vision, car la laïcité est inclusive. Il ne s’agit pas d’une valeur que l’on peut instrumentaliser à des fins d’exclusion. Dès lors que la laïcité exclut, elle cesse d’être la laïcité.
Deuxièmement, j’évoquerai les valeurs préventives.
J’ai entendu dire que nous faisions beaucoup de répression et peu de prévention. Ce n’est pas exact. Pas du tout !
Nous avons engagé des mesures préventives massives, mais celles-ci sont moins visibles que celles dont nous débattons au Sénat ou à l’Assemblée nationale parce qu’elles ne relèvent pas de la loi. Pour autant, elles n’en sont pas moins puissantes.
Nous avons mis en place une plateforme de signalement, qui reçoit plus de 2 000 appels, soit plus de la moitié du chiffre global des signalements constatés. À la suite de la réception de ces signalements, les préfets mobilisent, sur la base d’une instruction signée par la garde des sceaux et moi-même, l’ensemble des services de l’État. Ainsi, que ces informations concernent la santé mentale, le décrochage scolaire, l’accès à l’emploi, les addictions ou le basculement dans la délinquance, toutes les administrations sont appelées à apporter les solutions les plus en adéquation avec le profil de ceux qui ont décidé de basculer dans le terrorisme.
Nous faisons également de la prévention lorsque nous mobilisons et augmentons les moyens attribués au comité interministériel de prévention de la délinquance, le CIPD. Car nous menons précisément une action interministérielle, madame Assassi !
Lorsque les équipes de Dounia Bouzar, placées auprès du CIPD, mobilisent des équipes pluridisciplinaires pour accompagner l’action des préfets, il s’agit bien de prévention !
Qu’il faille compléter ces dispositifs, je ne le conteste pas. Mais que l’on en déduise, sous prétexte qu’ils doivent être complétés ou accrus, qu’ils n’existent pas, ça, je le conteste !
Il est en effet très difficile, face à un sujet aussi complexe, d’avoir la garantie que les mesures prises seront immédiatement adaptées à la réalité que nous devons traiter. C’est la raison pour laquelle nous adaptons en permanence les dispositifs de prévention.
Je conclurai ce propos en remerciant le Sénat pour les propositions qu’il a formulées et en réaffirmant la très grande détermination du Gouvernement à agir de façon résolue contre le risque terroriste. Il le fera dans le respect rigoureux des principes républicains et dans une relation étroite avec le Parlement, notamment avec les parlementaires qui, au sein des commissions d’enquête, se mobilisent pour lui adresser des propositions utiles.
Nous souhaitons le faire dans un esprit de rassemblement, par-delà les clivages politiques et partisans, avec la volonté de créer les conditions d’un confortement, d’un affermissement des valeurs et des principes républicains face à ceux qui veulent les saper à leur base.
Contrairement à ce que j’entends ou à ce que je lis depuis quelques jours, et même quelques semaines, le formidable élan du 11 janvier était un rassemblement républicain, qui n’avait rien à voir avec une opération politique pensée à l’avance ou avec l’instrumentalisation d’un drame, mais qui, au contraire, montre ce qu’est la France par essence : un pays attaché à ses valeurs de tolérance, de respect et de laïcité, un pays capable, lorsqu’il est atteint au cœur, de se dresser et de demeurer debout pour dire haut et fort ce qu’il est par essence et dans l’histoire.
Parce que les événements du 11 janvier ont été marqués par la spontanéité, celle d’un peuple qui veut demeurer debout lorsqu’il est atteint, ils ont peu de choses à voir avec les critiques formulées à leur encontre. Ce fut un grand moment de l’histoire de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France en Europe.
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 13 mai 2015, à quatorze heures trente :
Proposition de résolution tendant à réformer les méthodes de travail du Sénat dans le respect du pluralisme, du droit d’amendement et de la spécificité sénatoriale, pour un Sénat plus présent, plus moderne et plus efficace (n° 380, 2014-2015) ;
Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois (n° 427, 2014--2015) ;
Texte de la commission (n° 428, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART