Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
Secrétaires :
MM. Christian Cambon, Bruno Gilles.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
4. Candidature à une commission
5. Suppression des franchises médicales. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Annie David, auteur de la proposition de loi
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la commission des affaires sociales et coauteur de la proposition de loi
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État
Mme Laurence Cohen, rapporteur
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Aline Archimbaud. – Retrait.
Rejet de l’article par scrutin public.
Mme Laurence Cohen, rapporteur
M. Gilbert Barbier, vice-président de la commission des affaires sociales
Mme Laurence Cohen, rapporteur
Article 2 – Rejet.
Article 3 –Rejet
Mme Laurence Cohen, rapporteur
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État
Rejet de l’article
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
6. Nomination d'un membre d'une commission
7. Organisme extraparlementaire
M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC
MM. Olivier Cadic, Cyril Pellevat, Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Annie David, MM. Gilbert Barbier, Jean-Louis Tourenne
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
9. Questions cribles thématiques
SERVICES À LA PERSONNE
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie
M. Jean-Baptiste Lemoyne, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État
Mmes Françoise Laborde, Laurence Rossignol, secrétaire d’État
M. Jean Desessard, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État
M. Dominique Watrin, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État
M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État
M. Cyril Pellevat, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
10. Candidature à un organisme extraparlementaire
11. Prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Article 1er – Adoption.
Article additionnel après l'article 1er
Amendement n° 1 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Article 2 – Adoption.
Article 3 – Adoption.
Adoption de la proposition dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
12. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
13. Débat sur l'avenir de l'industrie agroalimentaire
Mme Françoise Gatel, au nom du groupe UDI-UC
MM. Daniel Gremillet, Henri Cabanel, André Gattolin, Patrick Abate, Guillaume Arnell, Michel Canevet, Jean Bizet, Mme Sophie Primas
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles, ratifiant diverses ordonnances relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche et portant diverses dispositions relatives à l’enseignement supérieur n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents, qui s’est réunie hier, mercredi 11 mars 2015, a établi l’ordre du jour des séances du Sénat jusqu’au 6 mai.
L’ordre du jour de la présente semaine sénatoriale et de la semaine gouvernementale du 16 mars est inchangé, sous réserve d’un ajout, le 17 mars, l’après-midi, pour la désignation d’un secrétaire du Sénat en remplacement de notre très regretté collègue Claude Dilain.
L’ordre du jour des prochaines séances du Sénat est donc établi comme suit :
SEMAINE SÉNATORIALE (Suite)
Jeudi 12 mars 2015
De 9 heures à 13 heures :
Ordre du jour réservé au groupe CRC :
1°) Proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (n° 262, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)
2°) Débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap »
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe CRC ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)
De 15 heures à 15 heures 45 :
3°) Questions cribles thématiques sur les services à la personne (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
De 16 heures à 20 heures :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC :
4°) Suite de la proposition de loi, renvoyée en commission, tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, présentée par M. Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 318, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)
5°) Débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe UDI-UC ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Lundi 16 mars 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 21 heures :
- Projet de loi autorisant la ratification de l’accord concernant le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de résolution unique (Procédure accélérée) (texte de la commission, n° 308, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 13 mars, à 17 heures.)
Mardi 17 mars 2015
À 14 heures 30 et le soir :
1°) Désignation d’un secrétaire du Sénat, en remplacement de Claude Dilain
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
2°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (texte de la commission, n° 323, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
-à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 16 mars, à 17 heures ;
-au jeudi 12 mars, à 15 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance les mardi 17 et mercredi 18 mars matin.)
Mercredi 18 mars 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement
Jeudi 19 mars 2015
À 9 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Projet de loi autorisant la ratification du protocole n° 15 portant amendement à la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (texte de la commission, n° 335, 2014-2015)
2°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale pour les migrations portant sur l’exonération fiscale des agents de cette organisation qui résident en France (texte de la commission, n° 310, 2014-2015)
(Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe peut demander, au plus tard le mardi 17 mars, à 17 heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)
3°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat ou nouvelle lecture
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 18 mars, à 17 heures.)
4°) Suite du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement
À 15 heures :
5°) Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures 15 et, éventuellement, le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
6°) Suite de l’ordre du jour du matin
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE
Mardi 24 mars 2015
À 9 heures 30 :
1°) Questions orales
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 998 de Mme Françoise Gatel transmise à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement
(Lutte contre le phénomène d’invasion des frelons asiatiques)
- n° 999 de Mme Brigitte Micouleau à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice
(Engorgement des tribunaux administratifs en matière de contentieux de l’urbanisme)
- n° 1008 de M. Patrick Abate à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Avenir de l’usine PSA de Trémery)
- n° 1012 de M. Antoine Lefèvre à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Schéma régional de cohérence écologique de Picardie)
- n° 1017 de M. Jean-Yves Roux à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Avenir du service d’aide médicale urgente des Alpes-de-Haute-Provence)
- n° 1021 de M. Alain Bertrand transmise à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Avenir de l’aérodrome de Mende-Brenoux)
- n° 1022 de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité
(Application de la loi ALUR en milieu rural)
- n° 1024 de M. Michel Billout à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Situation de la société Mitrychem)
- n° 1026 de Mme Dominique Gillot à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Prélèvement sur les fonds de roulement des universités)
- n° 1029 de Mme Laurence Cohen à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Inquiétudes sur les nouvelles trousses de prévention pour les usagers de drogue)
- n° 1031 de M. Mathieu Darnaud à Mme la ministre de la culture et de la communication
(Nouvelles dispositions fiscales concernant les correspondants locaux de presse)
- n° 1033 de M. Jean-Pierre Bosino à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Situation du groupe hospitalier public du sud de l’Oise)
- n° 1040 de Mme Catherine Deroche à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Taxe foncière des commerces inoccupés)
- n° 1042 de M. Philippe Madrelle à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Enfouissement des voies ferrées à Sainte-Eulalie)
- n° 1043 de Mme Catherine Morin-Desailly à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Habitat adapté aux personnes adultes en situation de handicap psychique)
- n° 1045 de M. Yannick Vaugrenard à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Restructuration de la raffinerie de Donges)
- n° 1048 de Mme Maryvonne Blondin à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Lutte contre les mutilations sexuelles féminines)
- n° 1049 de M. Jean-Pierre Sueur à M. le ministre de l’intérieur
(Mise en œuvre des devis-modèles en matière funéraire)
- n° 1054 de M. Jacques-Bernard Magner à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire
(Comité professionnel de distribution de carburants)
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 14 heures 30 :
2°) Débat sur le thème : « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse » (demande du groupe du RDSE)
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe RDSE ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 23 mars, à 17 heures.)
À 16 heures :
3°) Débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence (demande du groupe CRC)
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe CRC ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 23 mars, à 17 heures.)
À 17 heures 30 :
4°) Question orale avec débat n° 10 de M. Joël Labbé à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur les risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde (demande du groupe écologiste)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 23 mars, à 17 heures.
Conformément à l’article 82, alinéa 1, du règlement, l’auteur de la question et chaque orateur peuvent utiliser une partie de leur temps de parole pour répondre au Gouvernement.)
Mercredi 25 mars 2015
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 16 heures 15 :
- Débat sur l’influence de la France à l’étranger (demande du groupe UMP)
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe UMP ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 24 mars, à 17 heures.)
SEMAINE SÉNATORIALE
Lundi 30 mars 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement, en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution :
À 16 heures et le soir :
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (texte de la commission, n° 698, 2013-2014)
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de dix minutes à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 27 mars, à 17 heures ;
-au lundi 23 mars, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission spéciale se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 25 mars, en début d’après-midi.)
Mardi 31 mars 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement, en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution :
À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :
- Suite de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel
Mercredi 1er avril 2015
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :
1°) Proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 556, 2012-2013)
(La commission des lois se réunira pour le rapport le mardi 24 mars matin ; délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 23 mars, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
-à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 31 mars, à 17 heures ;
-au lundi 30 mars, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 1er avril, le matin.)
2°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint (n° 127, 2011-2012)
(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 25 mars matin ; délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 23 mars, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
-à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 31 mars, à 17 heures ;
-au lundi 30 mars, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 1er avril, le matin.)
À 18 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Sénat :
3°) Sous réserve de son dépôt, proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme, présentée en application de l’article 73 quinquies du règlement (demande de la commission des lois et de la commission des affaires européennes)
(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 25 mars matin ; délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 23 mars, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
-à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 31 mars, à 17 heures ;
-au lundi 30 mars, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 1er avril, le matin.)
Jeudi 2 avril 2015
De 9 heures à 13 heures :
Ordre du jour réservé au groupe écologiste :
1°) Suite de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (n° 317, 2013-2014)
2°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques (n° 269, 2014-2015)
(La commission des finances se réunira pour le rapport le mercredi 25 mars matin ; délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 23 mars, à 12 heures).
La conférence des présidents a fixé :
-à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 1er avril, à 17 heures ;
-au lundi 30 mars, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 1er avril, le matin.)
3°) Proposition de résolution pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Desessard et les membres du groupe écologiste (n° 325, 2014-2015)
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de dix minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;
-fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 1er avril, à 17 heures.
Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.)
À 15 heures :
4°) Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
Ordre du jour fixé par le Sénat :
À 16 heures 15 :
5°) Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire (demande du groupe UMP)
(La conférence des présidents a :
-attribué un temps d’intervention de dix minutes au groupe UMP ;
- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 1er avril, à 17 heures.)
À 17 heures 45 :
6°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (n° 297, 2014-2015) (demande du Gouvernement)
(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 1er avril, à 17 heures.)
SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 7 avril 2015
À 9 heures 30 :
1°) Questions orales
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 990 de Mme Dominique Estrosi Sassone à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Conséquences des procédures de rétablissement personnel de certains locataires pour les offices du parc social)
- n° 997 de Mme Catherine Procaccia à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire
(Dégroupage téléphonique abusif)
- n° 1005 de M. Daniel Chasseing à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Déchets verts en zone rurale)
- n° 1011 de M. Antoine Lefèvre à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Pénurie de médecins généralistes)
- n° 1014 de M. Didier Marie à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Situation des lignes intercités Paris-Rouen-Le Havre)
- n° 1018 de Mme Hélène Conway-Mouret à Mme la ministre des outre-mer
(Développement de la consommation touristique locale en Polynésie française)
- n° 1020 de M. Michel Billout à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Situation des auxiliaires de vie scolaire et accompagnants des élèves en situation de handicap en Seine-et-Marne)
- n° 1023 de M. Hervé Maurey à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique
(Point d’étape sur le plan France Très haut débit)
- n° 1027 de M. Gilbert Roger à M. le ministre de l’intérieur
(Lieux de sépulture des « enfants sans vie »)
- n° 1028 de M. Daniel Laurent à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Autoroute A 831 Fontenay-le-Comte - Rochefort)
- n° 1030 de M. Michel Raison à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Plan de relance autoroutier)
- n° 1032 de M. Jacques Genest à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Recrudescence des attaques de loups)
- n° 1034 de Mme Dominique Gillot à M. le Premier ministre
(Fonds social européen et réinsertion par l’activité économique)
- n° 1035 de Mme Françoise Gatel à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Situation du secteur adapté et de l’emploi des personnes handicapées)
- n° 1036 de M. Vincent Delahaye à M. le ministre de l’intérieur
(Police municipale et procès-verbaux par timbre-amende)
- n° 1037 de Mme Nicole Bricq à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
(Établissement public d’insertion de la défense de Montry, Seine-et-Marne)
- n° 1039 de M. Thierry Foucaud à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Avenir de l’industrie papetière)
- n° 1046 de M. Michel Savin à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Vacataires de l’enseignement supérieur)
- n° 1050 de Mme Élisabeth Doineau à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports
(Certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive)
À 15 heures :
Réception solennelle, dans la salle des séances, de Son Excellence M. Béji Caïd Essebsi, Président de la République tunisienne
À 16 heures, le soir et la nuit :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
2°) Projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 300, 2014-2015)
(La commission spéciale se réunira pour le rapport les mardi 17 mars après-midi et soir, mercredi 18 mars matin, après-midi et soir, jeudi 19 mars matin, mardi 24 mars après-midi – éventuellement - et soir, mercredi 25 mars matin, après-midi et soir et jeudi 26 mars matin ; délais limite pour le dépôt des amendements de commission : jeudi 12 mars, à 11 heures, et jeudi 19 mars, à 11 heures).
La conférence des présidents a fixé :
-à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 3 avril, à 17 heures ;
-au jeudi 2 avril, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission spéciale se réunira une première fois pour examiner les amendements de séance le mardi 7 avril, le matin.)
Mercredi 8 avril 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
- Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
Jeudi 9 avril 2015
À 9 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
De 15 heures à 15 heures 45 :
2°) Questions cribles thématiques (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
3°) Suite de l’ordre du jour du matin
Vendredi 10 avril 2015
À 9 heures 30, à 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit
Éventuellement, samedi 11 avril 2015
À 9 heures 30 et à 14 heures 30
Lundi 13 avril 2015
À 16 heures, le soir et la nuit
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
- Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
Mardi 14 avril 2015
À 14 heures 30, le soir et la nuit :
1°) Éloge funèbre de Claude Dilain
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
2°) Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
Mercredi 15 avril 2015
À 14 heures 30 et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
- Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
Jeudi 16 avril 2015
À 9 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Suite du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
À 15 heures :
2°) Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat)
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures 15 et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
3°) Suite de l’ordre du jour du matin
Vendredi 17 avril 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 9 heures 30, à 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit :
1°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à la coopération insulaire en matière policière à Saint-Martin (A.N., n° 1961)
2°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation du protocole entre le Gouvernement de la République française et le conseil des ministres de la République d’Albanie portant sur l’application de l’accord entre la Communauté européenne et la République d’Albanie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier (A.N., n° 1586)
3°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme (n° 48, 2014-2015)
4°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 188 de l’Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche (Procédure accélérée) (A.N. n° 1888)
(Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le mercredi 15 avril, à 17 heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)
5°) Suite et fin de la discussion des articles du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
Éventuellement, samedi 18 avril 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 9 heures 30 et à 14 heures 30 :
- Suite de l’ordre du jour de la veille
SUSPENSION DES TRAVAUX EN SÉANCE PLÉNIÈRE :
du lundi 20 avril au dimanche 3 mai 2015
Mercredi 6 mai 2015
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 :
1°) Explications de vote des groupes sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
(La conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 5 mai, à 17 heures.)
De 15 heures 30 à 16 heures :
2°) Vote par scrutin public sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
(La conférence des présidents a décidé que le scrutin public serait organisé en salle des conférences pendant une durée de trente minutes à l’issue des explications de vote, en application du chapitre XV bis de l’Instruction générale du Bureau.)
À 16 heures :
3°) Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
Y a-t-il des observations sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l’ordre du jour autre que celui qui résulte des inscriptions prioritaires du Gouvernement ?...
Ces propositions sont adoptées.
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Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de Claude Dilain, décédé.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
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Suppression des franchises médicales
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 262, résultat des travaux de la commission n° 321, rapport n° 320).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annie David, auteur de la proposition de loi.
Mme Annie David, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi, qui vise à supprimer les franchises médicales ainsi que les participations forfaitaires, reprend une proposition de loi plus ancienne, que mes collègues du groupe communiste, républicain et citoyen avions déposée dès 2012, à la suite de l’instauration des participations forfaitaires en 2005 par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, et de la création des franchises médicales, en 2008, par Roselyne Bachelot-Narquin, à l’époque titulaire du même portefeuille. Voici cette proposition enfin mise en débat.
Pour la clarté de nos débats, quelques explications préalables sont nécessaires.
Les participations forfaitaires, qui portent sur les consultations médicales et sur les actes de biologie, s’élèvent à un euro par acte, avec un plafond annuel de cinquante euros et un plafond journalier de quatre euros par personne ; elles concernent l’ensemble des assurés sociaux, hormis les mineurs et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-c, de l’aide médicale de l’État, l’AME, et de l’assurance maternité, ainsi que les pensionnés militaires d’invalidité pour les seuls actes liés à leur invalidité. Au total, 29 % des assurés sociaux sont exonérés des participations forfaitaires, auxquels s’ajouteront, à partir du 1er juillet 2015, les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé.
Les franchises médicales, quant à elles, portent sur les médicaments, les actes des auxiliaires médicaux, notamment des infirmières et des masseurs-kinésithérapeutes, ainsi que les transports sanitaires. Elles concernent la même population d’assurés sociaux que les participations forfaitaires.
Les franchises ont clairement été instaurées pour « responsabiliser » les malades – j’insiste sur les guillemets. Il s’agit de leur dire que tout a un coût, même la santé, de sorte qu’ils doivent payer, bien que, salariés pour une grande partie d’entre eux, ils aient déjà contribué au financement de notre protection sociale par leurs cotisations salariales.
Déjà sénatrice lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, dont l’article 52 instaurait les franchises médicales, je me souviens des débats que nous avions menés dans cet hémicycle. Il faut se rappeler que Nicolas Sarkozy venait d’être élu président de la République, que Roselyne Bachelot-Narquin était ministre de la santé et que la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires n’avait pas encore été votée, même si l’on sentait déjà les prémices de ce que serait sa logique.
Je voudrais vous donner lecture des propos tenus à l’époque par mon ami et regretté collègue Guy Fischer : « Avec les franchises médicales de cinquante centimes d’euros par acte pour un plafond maximum annuel envisagé de cinquante euros, le président Sarkozy entend mettre une nouvelle fois à contribution les malades. "Qui ne peut pas payer quatre euros par mois ?", demandait récemment Mme Roselyne Bachelot, traduisant bien l’arrogance de ce gouvernement. [...] Les franchises, c’est punir les gens qui sont malades. » Guy Fischer ajoutait : « Vous inventez une nouvelle théorie, très éloignée de celle du "pollueur-payeur" : la théorie de "l’empoisonné-payeur" ! »
Je crois que ces quelques phrases résument assez bien le problème. Malheureusement, près de huit années plus tard, les faits nous ont donné raison. Notre opposition à l’idée même de franchises médicales et de participations forfaitaires reste totale ; pour nous, il s’agit de taxes sur la santé, ni plus ni moins !
Je tiens également à rappeler que, à l’époque et jusqu’à récemment, l’ensemble de la gauche faisait front commun contre ces mesures. Ainsi, lorsqu’un collectif regroupant cinquante organisations avait lancé un vaste appel national contre les franchises médicales, avançant des arguments qui rejoignaient les nôtres et dénonçant une injustice et une aberration dans la philosophie même de ce dispositif, le parti socialiste lui avait apporté son soutien ; il avait même appelé à la mobilisation contre les franchises médicales, qualifiées de « rupture inacceptable avec les principes de justice sociale et de solidarité nationale ».
Plus récemment, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, nos collègues sénatrices et sénateurs du groupe socialiste, en particulier Yves Daudigny, à l’époque rapporteur général de la commission des affaires sociales, avaient déposé un amendement visant à supprimer les franchises médicales. Au cours du débat, très dense, que cet amendement devait susciter dans l’hémicycle, M. Daudigny avait envisagé la tenue d’un débat sur une « réforme globale des participations et franchises », « lors de la campagne présidentielle ».
Je vous propose précisément de lancer ce débat.
Pourquoi souhaitons-nous, en tant que sénatrices et sénateurs communistes, supprimer les franchises médicales et les participations forfaitaires ?
Premièrement, parce que nous ne partageons pas l’idée qu’il faudrait « responsabiliser » les patients. Cela supposerait – certains le pensent sans doute - que les patients, les malades, abuseraient des médicaments et des consultations. Personnellement, je ne pense pas que l’on consulte par plaisir… Bien sûr, il y a sans doute quelques abus ; mais il convient de s’y attaquer, sans pour autant pénaliser l’ensemble de la population. Surtout, les patients ne contrôlent pas leur consommation de soins ni de médicaments : elle leur est dictée d’abord par leur état de santé, et ensuite par les prescriptions de leur médecin.
Ainsi, on demande aux patients d’agir sur un paramètre qu’ils ne contrôlent pas et on remet en cause le professionnalisme des praticiennes et praticiens prescripteurs. Au demeurant, cette remise en cause des professionnels de santé n’est pas sans effet sur notre système de protection sociale, notamment sur le respect par le patient des prescriptions médicales.
Quel est le coût économique et social d’une situation dans laquelle les patients sont mal soignés et les professionnels de santé continuellement suspectés de « sur-prescrire » ?
Deuxièmement, certaines patientes, certains patients vont jusqu’à renoncer purement et simplement à se soigner, ou reportent les soins dont ils ont besoin, pour des raisons financières. Bien entendu, il est difficile d’établir de façon claire et distincte la part des renoncements aux soins directement liée aux franchises médicales, le phénomène étant multifactoriel. Toujours est-il que les faits sont là, constatés par tous les professionnels : le renoncement aux soins pour raisons financières n’a fait qu’augmenter.
Songez que, en 2012, 27 % de la population a renoncé à au moins un soin pour des raisons financières et que, en 2010, selon l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, l’IRDES, 12 % de la population a modifié ses achats de médicaments du fait de l’instauration des franchises médicales. Ce taux, d’autant plus élevé que les revenus sont modestes, monte à 14 % pour les personnes ayant un revenu inférieur à 1 166 euros par mois ; il est également plus élevé pour les malades que pour les bien portants, alors même que les premiers sont a priori moins concernés par la consommation de médicaments dits « de confort ».
Ces renoncements peuvent-ils être considérés comme un progrès social et sanitaire ? Est-ce là la « responsabilisation » recherchée ? Sans parler des conséquences de ces mesures en matière de prévention !
Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel s’est prononcé par deux fois sur le sujet.
Saisi de la loi relative à l’assurance maladie, il a affirmé, dans sa décision du 12 août 2004, que « le montant de la majoration de la participation de l’assuré » devrait « être fixé à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 », aux termes duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Le Conseil a confirmé cette position dans sa décision du 13 décembre 2007 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 instaurant les franchises médicales.
Le dispositif existant, parce qu’il ne tient pas compte des revenus des ménages, est profondément injuste : toute personne atteinte d’une maladie grave ou chronique, riche ou pauvre, devra s’acquitter de la même somme. Il s’agit d’une rupture claire et nette avec les fondements de notre système de sécurité sociale, qui repose sur le principe suivant : chacun paie selon ses moyens – ce sont les cotisations sociales – et reçoit selon ses besoins, la maladie frappant indifféremment les riches et les pauvres. Cela rompt également avec le principe de solidarité entre malades et bien portants.
À ce sujet, comment ignorer plus longtemps la situation des malades en affection longue durée qui, entre franchises, participations forfaitaires, déremboursements et dépassements d’honoraires, voient leurs restes à charge considérablement augmenter ? L’assurance maladie va jusqu’à prélever franchises et participations sur les indemnités journalières et les rentes d’invalidité, qui sont des éléments de subsistance. Cela me semble particulièrement choquant.
Je pense notamment aux victimes de maladies professionnelles, telles qu’en provoque l’amiante, ou bien aux porteurs du VIH, qui ont un besoin continu de soins. Je reprendrai l’exemple donné par l’association AIDES lors des auditions menées par ma collègue Laurence Cohen. Cette association a expliqué que le reste à charge pour une personne atteinte par le VIH était de l’ordre de 700 euros par an. Quand on sait que les personnes séropositives sont très souvent aux minima sociaux, on imagine aisément les dégâts !
Et je ne parle pas des personnes en situation de handicap, dont le forfait hospitalier, multiplié par six entre 1983 et 2010, peut être si élevé qu’il draine l’essentiel de leur allocation adulte handicapé, ne leur laissant rien pour subvenir à leurs besoins.
On le voit, le principe même de ces franchises est parfaitement mal conçu, puisqu’il n’y a aucune distinction entre un simple rhume et des pathologies lourdes et accidentelles, et aucune prise en compte des revenus des malades.
Au vu de leurs objectifs affichés, à savoir responsabiliser les patients et réaliser des économies pour notre système de santé, ces mesures se révèlent particulièrement inefficaces.
D’abord parce que les patients sont peu informés et souvent déboussolés par la complexité du dispositif. Ainsi, en 2010, l’étude de l’IRDES montrait que seuls deux tiers des personnes interrogées avaient entendu parler des franchises et que cette part diminuait avec le temps. Comment compter sur un dispositif que le patient ne connaît pas pour le « responsabiliser » ? Encore une fois, il n’a d’effet que sur les personnes les plus malades et celles dont les revenus sont modestes, pour lesquelles ces sommes font une différence.
Ensuite, même si j’adopte le point de vue du Gouvernement pour les besoins de la démonstration, je constate que ces franchises et ces participations sont inefficaces : elles n’ont pas permis de diminuer les dépenses de santé, l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, l’ONDAM, ayant augmenté de 10 % entre 2011 et 2015. La raison en est que, en France, la structure des dépenses de santé est très concentrée : 10 % de la population sont à l’origine de deux tiers des dépenses. Or ces dépenses concernent des maladies graves et chroniques, que l’on ne peut pas réduire.
Enfin, ces mesures sont inefficaces parce que les renoncements aux soins créent un surcoût : les personnes se soignent plus tard, à un stade plus avancé de la maladie. Le coût économique et social est ainsi plus élevé.
Comment ne pas dénoncer, par ailleurs, le leurre communicationnel du président de la République de l’époque, qui avait annoncé que les recettes seraient affectées à un plan Alzheimer, à la lutte contre le cancer ? Non seulement cela n’a pas été le cas, mais, une fois encore, le principe de ces mesures est tout simplement inacceptable puisque des malades paient pour d’autres malades.
Tout aussi inacceptable est le constat que, parallèlement à la hausse du reste à charge pour les patients, la part du financement par les cotisations patronales a diminué de cinq points en vingt ans. C’est en ce sens que nous proposons sans relâche de mettre fin aux exonérations de cotisations patronales. En effet, comment passer à côté de 30 milliards d’euros par an ?
Comparé à cette somme, le coût de la suppression des franchises médicales et des participations forfaitaires pourrait sembler dérisoire : 1,5 milliard d’euros par an, soit 870 millions d’euros pour les franchises et 600 millions d’euros pour les participations forfaitaires. Notez d’ailleurs, pour les franchises, que 40 % du montant est collecté sur le dos des patients atteints de maladies graves et chroniques.
Bien entendu, 1,5 milliard d’euros, ce n’est pas non plus une petite somme et, afin de ne pas tomber sous le couperet de l’article 40 de la Constitution, nous avons gagé notre proposition de loi par un relèvement de la contribution additionnelle à la C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés.
Nous avons bien conscience d’être à contre-courant de l’idéologie dominante, puisque la volonté du Gouvernement est de supprimer la C3S. Nous avons déjà eu l’occasion de dénoncer cette suppression, envisagée au nom du pacte de responsabilité. Là encore, comment accepter de se passer de 7,2 milliards d’euros sur trois ans ? Nous savons qu’une nouvelle mesure prendra le relais, mais nous ne savons pas sur quoi elle reposera. En attendant, nous considérons que le relèvement de cette C3S serait largement à même de compenser la perte de recettes issue de la suppression des franchises médicales et des participations forfaitaires.
Bien que nous soyons souvent taxés de manque de réalisme, nous avons de nombreuses propositions susceptibles de dégager des recettes nouvelles pour l’assurance maladie. Ainsi, nous aurions pu vous proposer de mettre un terme aux inégalités salariales entre femmes et hommes : cela rapporterait 52 milliards d’euros de recettes à la sécurité sociale.
Par ailleurs, notez que le système créé au sortir de la Seconde Guerre mondiale faisait en sorte que les recettes de la sécurité sociale soient dynamiques, puisqu’assises sur la richesse produite par l’entreprise. En effet, les cotisations sociales sont calculées à partir de la masse salariale. Modifiez la répartition des richesses dans l’entreprise au profit du travail, et vous dégagerez des recettes nouvelles pour combler le déficit de la sécurité sociale !
Pour cela, une solution intermédiaire consisterait à introduire une contribution additionnelle sur les revenus financiers des entreprises. À court terme, cela créerait des recettes supplémentaires. À moyen et long terme, cela conduirait sans aucun doute les entreprises à réorienter le partage de la valeur ajoutée des actionnaires vers les salariés.
Je voudrais conclure en soulignant deux points importants.
Premièrement, nous saluons l’exonération des franchises médicales et participations forfaitaires décidée pour les bénéficiaires de l'assurance complémentaire santé lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Cette décision a été rendue plus ou moins inévitable du fait de l’application du tiers payant dès le 1er juillet 2015 à ces mêmes bénéficiaires de l’ACS. Comment, en effet, récolter ces franchises quand le tiers payant est appliqué ?
Pour nous, c’est un premier pas vers la reconnaissance du fait que ce mécanisme de franchises et de participations contribue au renchérissement de l’accès aux soins, et comporte donc un risque potentiel de renoncement aux soins.
Deuxièmement, dans la logique de la généralisation du tiers payant prévue par le projet de loi de santé – nous en débattrons ici même dans quelques mois, madame la secrétaire d'État, ce que nous saluons également –, il sera très difficile, et coûteux, de continuer à prélever les franchises médicales et les participations forfaitaires.
Cela nous donne un argument supplémentaire pour que la Haute Assemblée décide dès à présent de supprimer ces dispositifs et donne toute sa cohérence à la future généralisation du tiers payant.
Enfin, mon propos ne serait pas complet si je ne précisais pas que cette proposition de loi ne constitue pour nous qu’une étape, dans la mesure où nous ne nous attaquons pas ici au ticket modérateur ou encore aux dépassements d’honoraires, à savoir à l’ensemble des restes à charge.
Notre ambition s’inscrit dans une optique plus large, celle d’une reconquête du remboursement par l’assurance maladie à 100 % pour toutes et tous. Mon collègue Dominique Watrin reviendra sur ce point.
Pour terminer tout à fait, j’aimerais insister sur le rôle de cette proposition de loi dans le contexte actuel, alors que la généralisation du tiers payant est en voie d’être mise en œuvre.
Comme je l’ai dit, il s’agit ainsi d’une première étape pour créer un système plus juste, mais aussi plus efficace en réduisant les coûts de gestion liés au recouvrement des franchises. Madame la secrétaire d'État, notre proposition de loi ne doit pas être perçue autrement que comme un point d’appui avant la généralisation du tiers payant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la commission des affaires sociales et coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’a malheureusement pas adopté ce texte, mais j’espère que nos échanges de ce matin feront bouger les lignes, et cela d’autant plus que, comme nos débats en commission ont permis de le montrer, personne ne croit que les forfaits et les franchises médicales « responsabilisent » les patients.
Aucun d’entre nous, je pense, ne trouve non plus normal que les personnes en affection de longue durée, y compris celles qui sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, soient particulièrement nombreuses à atteindre le plafond de 100 euros laissés à leur charge sous prétexte de dégager des fonds pour financer la lutte contre la maladie dont ils souffrent.
Je rappelle que, dans son rapport public annuel de 2013, la Cour des comptes a inséré une analyse de la politique de lutte contre la maladie d’Alzheimer. Elle a estimé que « le lien ainsi fait entre la mise en place des franchises et leur affectation à des actions de santé publique apparaît artificiel. »
Comment peut-on imaginer responsabiliser les patients alors qu’ils ne sont pas prescripteurs ? À titre d’exemple, notez qu’un cadre dépense 16 % de plus qu’un ouvrier en soins de ville, tandis qu’un ouvrier dépense 13 % de plus qu’un cadre en soins hospitaliers. Que faut-il en conclure ? Que les ouvriers ne sont pas assez responsables ni éduqués en termes de santé, ce qui les conduirait à se soigner au dernier moment à l’hôpital ? Ou plutôt que le coût des soins de ville, avec un remboursement de l’ordre de 50 % seulement, est dissuasif pour les plus modestes ?
Comme le souligne l’IRDES dans son rapport de 2010, il existe une plus forte propension des franchises à affecter les personnes disposant de faibles ressources et celles qui sont en mauvaise santé, ce qui a pour conséquence « une perte d’accès aux médicaments ». D’ailleurs, comme elles sont forfaitaires, ces participations et franchises impactent davantage, par définition, les personnes aux plus bas revenus.
Cela questionne la logique sous-jacente de dispositifs qui font porter davantage, et très clairement, leur effet de responsabilisation, ou de culpabilisation, sur les malades les plus modestes…
Madame la secrétaire d'État, je sais que Mme Touraine – comme vous-même, certainement – est particulièrement sensible à cet argument. Le 10 novembre 2014, elle déclarait en effet : « Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise ».
C’est sans doute ce qui vous a conduits à exempter, à compter du 1er juillet 2015, les bénéficiaires de l’ACS, c’est-à-dire 1,2 million de personnes ayant un revenu de 975 euros mensuels. Pour mon groupe, il s’agissait, comme l’a dit Annie David, d’une première étape, et nous avons soutenu cette mesure.
La proposition de loi que nous présentons aujourd’hui devrait permettre, madame la secrétaire d'État, d’en franchir une seconde en supprimant, pour toutes et tous, franchises et forfaits, qui sont, en réalité, des déremboursements purs et simples.
Quel est l’obstacle qui nous en empêche ? Pour revenir aux débats en commission, j’ai surtout noté une certaine résignation financière de la part de la majorité de mes collègues. En somme, se disent-ils, comme 1,65 milliard d’euros manquerait à la sécurité sociale si l’on supprimait les franchises et les forfaits, que ceux qui les payent continuent à le faire, en attendant des jours meilleurs…
C’est là, me semble-t-il, un raisonnement largement partagé parmi celles et ceux qui s’opposent à cette proposition de loi.
Il y a donc au mieux une politique des petits pas, au pire un refus de corriger une iniquité caractérisée. En effet, ces dispositifs, qui ne s’appliquent qu’à une part de la population, contreviennent à un principe fondateur de notre système d’assurance maladie : la solidarité entre bien portants et malades. Ils entravent l’accès aux soins et font espérer des économies de court terme en négligeant le risque de coûts supérieurs dus au non-recours aux soins.
À cet égard, le professeur Didier Tabuteau, de Sciences Po, m’a fait part de ses vives inquiétudes sur l’accès aux soins et la prévention, ainsi que sur l’observance. En effet, une proportion significative des patients n’achète qu’une partie des médicaments qui leur sont prescrits du fait des franchises – plus précisément, plus des deux tiers des 12 % des personnes ayant modifié leur consommation de médicaments à la suite de la mise en place des franchises. On ne peut que s’interroger sur les effets de ces évolutions sur la santé et sur la prévention. Le professeur Tabuteau rejoint ainsi l’analyse de l’ensemble des associations de patients et des syndicats que j’ai pu auditionner.
À mes yeux, il est donc urgent de mettre fin à ces dispositifs.
Certes, il n’est pas question de priver la sécurité sociale de 1,65 milliard d’euros. Ainsi, la proposition de loi comporte un financement alternatif pour venir compenser l’augmentation des charges liées à la disparition du forfait et des franchises. Mais que ce soit la contribution additionnelle à la C3S ou une autre des ressources que propose le groupe CRC à l’occasion de la discussion de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous conviendrez que nous sommes très constants – notre collègue Annie David vient de le rappeler.
La question fondamentale est celle des moyens que nous sommes prêts à consacrer aux besoins de santé des Français.
Faut-il donc sacrifier l’un des principes fondateurs de la sécurité sociale et faire reposer sur les personnes malades, surtout sur celles qui le sont le plus, le financement des soins parce que l’on refuse de mobiliser les ressources nécessaires à notre système d’assurance maladie ? Je ne le crois pas.
Certes, le Gouvernement n’a pas été inactif – il a exempté les bénéficiaires de l’ACS, je l’ai déjà souligné -, mais il n’est pas juste de s’arrêter au milieu du gué.
Un argument supplémentaire plaide en faveur de cette proposition de loi, madame la secrétaire d’État. Il concerne la généralisation du tiers payant, incompatible, de mon point de vue comme de celui des personnes auditionnées, avec le maintien des franchises et forfaits. Pour continuer à récupérer ces sommes, l’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs dû imaginer des mécanismes complexes, notamment le prélèvement sur le compte en banque des assurés. Outre le caractère quelque peu choquant d’un tel dispositif, sa mise en œuvre me paraît complexe et, qui plus est, coûteuse.
J’ai d’ailleurs été particulièrement choquée que le directeur de la sécurité sociale ne puisse me fournir, lorsque je l’ai rencontré, aucun élément chiffré sur le coût lié à la récupération des franchises et forfaits. Il m’a même affirmé que ces chiffres seraient encore plus difficiles à obtenir après les suppressions d’emploi prévues au sein des services de la sécurité sociale. Ainsi, d’un côté, on prône la simplification administrative et, de l’autre, on complexifie à outrance un système.
On ne peut indéfiniment concilier l’inconciliable, à savoir la justice sociale, qui repose sur la solidarité entre bien portants et malades, l’accès aux soins, ainsi que la volonté de faire des économies, ces dernières reposant sur un transfert de charges des malades entre eux.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’est pas favorable à la proposition de loi, mais, à titre personnel, je ne peux bien évidemment que vous appeler à corriger une injustice flagrante et à faire preuve de cohérence politique en adoptant le texte soumis à notre examen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires, déposée par Mme Laurence Cohen et ses collègues, poursuit un objectif sur lequel nous sommes bien évidemment d’accord avec vous : assurer l’accès de tous aux soins.
Garantir l’accès aux soins, c’est mettre en œuvre la promesse de 1946 : « la Nation garantit à tous […] la protection de la santé ». C’est pourquoi Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, a inscrit l’accès aux soins au cœur de la stratégie nationale de santé.
Garantir l’accès aux soins, c’est assurer la présence d’une offre de soins adaptée sur le territoire. Nous nous y employons, en confortant les hôpitaux isolés et en soutenant l’exercice médical dans les zones où il n’est pas assez présent, que l’on nomme « les déserts médicaux ».
Mais c’est aussi s’attaquer aux freins financiers à l’accès aux soins. Nous ne pouvons en effet accepter que des Français renoncent à se soigner pour des raisons financières.
C’est pourquoi le Gouvernement est d’accord avec vous, madame la sénatrice, quand vous rejetez l’idée d’une « responsabilisation » des patients, laquelle a inspiré la création des franchises. Il faut le dire une fois pour toutes, cette notion est à la fois fausse et choquante, car elle repose sur l’idée qu’on se ferait soigner par plaisir et non parce qu’on en a besoin.
Nous voulons au contraire lutter contre le renoncement aux soins pour des raisons financières, chacun devant pouvoir se faire soigner lorsqu’il en a besoin. Par ailleurs, renoncer ou retarder les soins, c’est souvent aggraver ses problèmes de santé, ce qui induit un coût supérieur non seulement pour sa propre santé, mais aussi pour la collectivité.
Si nous ne pouvons pas vous suivre, madame la sénatrice,…
M. Michel Le Scouarnec. Quel dommage !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … c’est pour une raison très simple. L’adoption de votre proposition de loi aurait un coût, vous l’avez souligné, de 1,65 milliard d’euros.
Mme Laurence Cohen. On a des solutions !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Ce coût n’est malheureusement pas compatible avec les engagements pris par le Gouvernement en matière de maîtrise du rythme de croissance des dépenses d’assurance maladie, un rythme de croissance qui a été supérieur, ces dernières années, à celui de la croissance de la richesse nationale et qui sera en moyenne de 2 % pour 2015, 2016 et 2017.
Pour autant, le Gouvernement ne se résigne pas à ce que les plus modestes de nos concitoyens soient pénalisés, d’autant que les « retenues » en question sont forfaitaires, et donc indépendantes des revenus. C’est la raison pour laquelle il a décidé de supprimer les franchises à compter du 1er juillet prochain pour plus d’un million de personnes supplémentaires, plus précisément les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, l’ACS, grâce à une mesure adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 voilà quelques mois et soutenue par le groupe CRC, madame Cohen.
L’engagement de ce gouvernement en faveur de l’accès aux soins n’est pas seulement une intention ; ce sont des actes.
C’est, tout d’abord, refuser tout transfert de charges de l’assurance maladie vers les ménages : ni déremboursement, ni franchise, ni forfait supplémentaire ! Ce choix montre déjà ses effets : la part des dépenses de soins à la charge des ménages a reculé depuis 2011, passant de 9,2 % des dépenses de soins à cette date à 8,8% en 2013. Certes, cette amélioration de 0,4 % est modeste, mais elle existe !
C’est aussi étendre à de nouveaux publics la couverture maladie universelle complémentaire, ou CMU-C, et l’ACS, en relevant les plafonds de ressources de ces prestations pour que toutes les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté aient accès à l’un de ces dispositifs. Cette mesure représente un effort financier de 200 millions d’euros, qui permettra à terme à plus de 600 000 personnes supplémentaires de bénéficier de ces dispositifs.
C’est aussi améliorer le contenu de ces aides : en revalorisant la prise en charge de l’optique et des audioprothèses pour les bénéficiaires de la CMU-C ; en relevant le montant de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé pour les personnes âgées de plus de soixante ans, pour qui le coût de la complémentaire santé est le plus élevé ; en améliorant le rapport entre tarifs et prestations des contrats ACS, au travers d’une sélection de ces contrats, qui est en cours et entrera en vigueur le 1er juillet ; et en supprimant les franchises pour les bénéficiaires de l’ACS, comme je viens de le mentionner.
C’est aussi faciliter l’accès aux droits. Nous organisons une grande campagne d’information sur l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. Parallèlement, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que le Sénat examinera la semaine prochaine, prévoit de rendre automatique le renouvellement de cette aide pour les bénéficiaires du minimum vieillesse.
Mais notre action ne se limite pas à améliorer l’accès aux soins des personnes les plus démunies. Nous savons que, même pour les familles des classes moyennes, des situations difficiles peuvent exister du fait des dépassements d’honoraires. C’est pourquoi, là aussi, nous avons agi, avec un encadrement conventionnel des dépassements d’honoraires qui porte ses fruits.
On a constaté que, en 2012 puis en 2013, la part des dépenses de soins prises en charge par l’assurance maladie avait progressé de 0,3 point et que celle qui reste à la charge des ménages avait reculé de 0,4 point. Ce sont les premiers résultats tangibles : la charge pesant sur les ménages a diminué de plus de 700 millions d’euros. Encore faut-il souligner que ces chiffres de 2013 ne tiennent pas compte des montants investis depuis dans la réduction du reste à charge des ménages, au travers des mesures que j’ai présentées précédemment.
Nous nous situons donc dans une démarche de consolidation de la prise en charge collective du risque maladie, qui est la condition d’un accès équitable aux soins. Mais nous le faisons en utilisant nos ressources de façon plus ciblée, contrairement à la mesure plus large que vous défendez, madame la sénatrice.
Bien sûr, idéalement, nous souhaiterions supprimer ces franchises pour tout le monde. Il n’est d’ailleurs pas exclu que nous puissions le faire plus tard. Toutefois, pour permettre une telle évolution, il nous faut d’abord, par les réformes en cours, diminuer durablement les dépenses inutiles, qui existent. Je veux parler de la prescription et de la consommation de médicaments de marque plutôt que de génériques ; je pense aussi à la multiplication des actes inutiles du fait du mode de tarification. Lorsque nous aurons fait des progrès dans ces deux domaines précis, nous pourrons avancer sur la question des franchises.
Le Gouvernement est en effet résolu, mesdames, messieurs les sénateurs, à continuer à lever les freins financiers à l’accès aux soins. La semaine prochaine, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale examinera le projet de loi relatif à la santé. Ce texte comportera, vous l’avez souligné, une mesure importante, attendue par les Français et déjà appliquée dans de nombreux pays étrangers, à savoir l’extension du tiers payant, lequel n’interdit malheureusement pas le prélèvement des franchises, le système étant déjà très organisé – vous l’avez souligné. Demain, les Français n’auront plus à avancer les frais de leurs consultations médicales.
Il s’agit d’une véritable avancée dans l’accès aux soins, au bénéfice de tous les Français. Je suis particulièrement satisfaite de vous entendre ici, dans cet hémicycle, défendre le tiers payant généralisé. Je l’avoue, on entend trop peu, ces derniers temps, un tel discours. Dans de nombreuses situations concrètes, le tiers payant généralisé peut faciliter l’accès aux soins, tout autant qu’une suppression complète des franchises.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Si le Gouvernement est pleinement engagé pour atteindre l’objectif de cette proposition de loi, il ne peut malheureusement souscrire à l’option proposée et émettra donc un avis défavorable sur ce texte. Ce faisant, il ne rejette nullement l’objectif politique qui est le vôtre, mesdames Assassi et Cohen : sa décision résulte de la stratégie alternative qu’il met en place en faveur de l’accès aux soins. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, déposée par Mme Laurence Cohen et ses collègues du groupe CRC, visant à supprimer les forfaits médicaux et franchises médicales institués les uns par la loi du 9 août 2004, les autres par la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2008.
Je peux comprendre la démarche de nos collègues, dans le cadre de la philosophie qui est la leur, sur de nombreux points, et particulièrement en matière de santé. Si nombre de nos concitoyens souscrivent à l’adage selon lequel la santé n’a pas de prix mais un coût, le groupe communiste estime, si j’ai bien compris, que le problème du coût ne doit surtout pas intervenir. C’est une logique que je respecte, d’autant qu’en ces temps où Mme la ministre de la santé veut imposer coûte que coûte le tiers payant généralisé, il est de bon aloi de surenchérir, en supprimant toute référence au problème de financement du déficit de la sécurité sociale.
Je rappelle que ces franchises et forfaits sont d’un euro par consultation, de cinquante centimes par boîte de médicament ou par acte paramédical, et de deux euros par transport sanitaire. Je souligne également qu’ils ne s’appliquent pas au cours ou au décours d’une hospitalisation, que leur montant est limité annuellement à 50 euros par assuré et qu’une grande partie des personnes considérées comme ayant de faibles revenus en sont exemptées, ainsi que les enfants jusqu’à dix-huit ans, les femmes enceintes, les ressortissants de la CMU et de la CMU-C et, depuis le 21 octobre dernier, les personnes relevant de l’ACS.
On peut toujours arguer que, pour certaines personnes ne relevant pas de ces catégories, ces franchises et forfaits représenteraient une charge insupportable et une raison de renoncer à se soigner. Il faudrait rechercher plus précisément s’il reste quelque part des personnes dans cette situation. Votre rapport, madame Cohen, n’en apporte pas la preuve.
Un autre argument utilisé par l’auteur de cette proposition de loi tient à l’efficacité considérée comme nulle des franchises instaurées sur la consommation en matière de santé. On retrouve curieusement le même argument pour ce qui concerne le tiers payant généralisé, que l’on veut imposer dans quelque temps, ce dispositif n’entraînant, selon ses défenseurs, aucune surconsommation médicamenteuse. Un tel raisonnement va cependant à contresens de toutes les études en matière de consommation, la santé n’ayant aucune raison d’échapper au constat suivant : lorsque tout est gratuit, on consomme plus.
L’une des priorités des pouvoirs publics, rappelée douloureusement par M. Moscovici, est la réduction impérative de nos déficits, en particulier celui des dépenses sociales ! Or je ne peux me convaincre que la mesure que vous proposez ira dans ce sens.
Madame Cohen, puisque vous évoquez dans votre rapport le Conseil national de la Résistance, je voudrais vous rappeler que cette contribution modérée demandée à ceux qui, sans être richissimes, ont les moyens de participer modestement à ce financement va tout à fait dans le sens de Pierre Laroque, le fondateur de la sécurité sociale, qui souhaitait que celle-ci soit aussi une éducation à la solidarité.
Sans cette culture de la solidarité, la sécurité sociale devient un guichet ouvert à prestations dont chacun profite, sans conscience du rôle que joue cette institution dans la cohésion nationale. Le principe de responsabilisation était au cœur du pacte social de 1945.
J’ajouterai, ma chère collègue, qu’il eût été peut-être plus important de soulever les difficultés créées par les déremboursements de certains médicaments que Mme la ministre des affaires sociales s’était engagée à ne pas pratiquer tant qu’elle serait aux responsabilités. Ainsi, le déremboursement des médicaments anti-arthrosiques intervenu le 1er mars, qui apportaient sinon une guérison, du moins un soulagement à moindre coût notamment aux personnes âgées, pour ne citer que cet exemple, est beaucoup plus préjudiciable à ces personnes à revenus modestes que la franchise.
La prochaine loi de santé publique nous permettra certainement de revenir sur ce choix d’une médecine étatisée qui semble se dégager des intentions du Gouvernement ; à ce moment, votre proposition ressurgira probablement.
Pour l’instant, le groupe du RDSE, à l’unanimité de ses membres, ne votera pas ce texte. (Mme Valérie Létard applaudit.)
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Quel dommage !
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a été rétrospectivement le premier round d’un débat portant sur les franchises médicales.
La position que je vais exprimer ici a donc été portée par le groupe UDI-UC, en novembre dernier.
En effet, les députés avaient inséré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, sur proposition gouvernementale, un article 29 bis – devenu l’article 42 de la loi – qui exonérait des participations forfaitaires et des franchises les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, l’ACS.
Le même principe sous-tend la proposition de loi du groupe CRC, à la différence près que celle-ci a une visée beaucoup plus large que l’amendement gouvernemental d’alors.
À la suite de l’adoption définitive du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 par l’Assemblée nationale, en décembre 2014, les franchises seront supprimées pour les bénéficiaires de l’ACS à partir du 1er juillet 2015.
Cette mesure a un coût. Elle doit entraîner une perte de recettes estimée par le Gouvernement à 38 millions d’euros en année pleine et à 20 millions d’euros en 2015.
Elle complète l’alignement du dispositif ACS sur celui de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, dont les bénéficiaires sont déjà exonérés des participations forfaitaires.
Comme le signalait en novembre dernier Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, avec cette disposition, « un peu plus de 6 millions de personnes seraient exonérées des participations selon des critères de revenus (5,1 millions au titre de la CMU-C et 920 000 au titre de l’ACS) ».
Il poursuivait : « Si l’on ajoute à cela le fait que les mineurs (environ 15 millions de personnes) sont également exonérés des participations, c’est donc un tiers de la population française qui est exonérée de ces charges. Par ailleurs, du fait d’exonérations touchant certains actes pris en charge par l’assurance maternité […], 2 milliards d’actes sur les 3,6 milliards entrant dans le champ de la franchise […] en sont exonérés. »
Quelle est donc la pertinence de maintenir des franchises dont l’assiette est devenue extrêmement mitée ? Tout le monde peut constater que ce système est devenu inéquitable.
C’est pourquoi le groupe CRC propose la suppression pure et simple des franchises et participations forfaitaires.
Pour autant, est-ce la bonne solution ? Notre groupe ne le pense pas. En réalité, autre chose de plus fondamental sous-tend cette proposition : c’est l’idée que plus le tiers payant avance, plus les franchises reculent. Le tiers payant complique la collecte des franchises.
Or, nous le savons, le Gouvernement envisage la généralisation du tiers payant dans le prochain projet de loi relatif à la santé. Ainsi, cela signifie-t-il, à terme, la suppression des franchises médicales ? Peut-être, mais cela ne doit pas se faire de la manière dont elle nous est présentée aujourd’hui, c’est-à-dire d’un trait de plume, au détour d’une proposition de loi sénatoriale.
Pourquoi ? Deux arguments peuvent être avancés.
D’une part, il s’agit d’une question de forme. Il n’est de bonne politique de suppression des franchises médicales qu’à partir du moment où l’on a préalablement généralisé le tiers payant. Il faut bien comprendre que c’est l’extension du tiers payant aux bénéficiaires de l’ACS qui a eu pour conséquence l’exonération des franchises pour ces publics. Respectons donc le parallélisme des formes par rigueur intellectuelle.
D’autre part, il existe un argument de fond, le plus fondamental. Il est question de supprimer les franchises, sans s’interroger sur leurs raisons d’être.
Nous le savons, il s’agit de responsabiliser le patient. Mais, bien sûr, cette responsabilisation ne doit pas conduire à lui faire supporter un reste à charge trop important. Il nous incombe donc de définir un juste équilibre entre responsabilisation et reste à charge.
Ainsi, la franchise médicale est intrinsèquement liée au reste à charge. Il est difficile de supprimer ce mode de responsabilisation sans réfléchir à d’autres modes de responsabilisation dans le cadre d’un tiers payant généralisé. En outre, il n’est pas possible d’éluder la question du reste à charge, qui se révèle être le véritable problème aujourd’hui.
Certains restes à charge particulièrement élevés sont dus aux dépassements d’honoraires. Ces derniers s’élèvent à 2 milliards d’euros par an sur 18 milliards d’euros d’honoraires en totalité. Les deux tiers de ces dépassements sont à la charge directe des ménages.
Ces chiffres ont fortement augmenté cette dernière décennie, malgré une légère diminution depuis deux ans. C’est sur ce sujet qu’il faut agir.
C’est pourquoi le groupe UDI-UC, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, avait déposé un amendement visant à relever à 150 % du tarif opposable le plafond de remboursement des dépassements d’honoraires par les complémentaires.
Le fait que le Gouvernement entende lutter contre les dépassements d’honoraires via son décret sur les « contrats responsables » va dans le bon sens. Néanmoins, il limitera à terme les remboursements des dépassements d’honoraires par les complémentaires santé à un seuil de 100 % du tarif de responsabilité. C’est très bas.
Ce système risque de créer une médecine à deux vitesses : les dépassements d’honoraires sont souvent supérieurs aux plafonds envisagés par le décret. Cela est régulièrement constaté chez les trois spécialités les plus sollicitées – les gynécologues, les pédiatres et les ophtalmologistes –, qui totalisent 40 % des actes.
Ainsi, alors que le but était de diminuer les honoraires, ce sont les restes à charge pour le patient qui vont s’accroître, ce qui aura pour conséquence de réduire l’accès aux soins des Français. Les plus favorisés pourront s’acquitter du reste à charge ou se doter d’une surcomplémentaire ; les autres, dont les classes moyennes, feront le terrible choix de ne plus se soigner, faute de moyens.
Ce décret créera également des disparités territoriales puisque la plupart des dépassements d’honoraires se concentrent dans les grandes métropoles et en Île-de-France.
Il est donc nécessaire de relever le plafond de remboursement des dépassements d’honoraires par les mutuelles pour réduire le reste à charge des patients. Le niveau de 150 % correspond au seuil à partir duquel les dépassements sont jugés excessifs par la convention médicale du 25 octobre 2012.
Enfin, le Sénat, par la voix de son rapporteur général, proposait en novembre dernier une réforme portant sur une évaluation plus rigoureuse du prix des médicaments, menée par la Haute Autorité de santé. Une tarification au plus juste des médicaments permettrait une optimisation des remboursements, tout en réduisant le reste à charge pour les patients.
Ainsi, le groupe UDI-UC ne partage pas l’avis du groupe CRC de supprimer d’un trait de plume les franchises médicales et les participations forfaitaires. Par ailleurs, il aurait été plus opportun d’étudier cette question dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la santé, lors du débat sur la généralisation du tiers payant. Nous ne voterons donc pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Bernard Lalande applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, les précédents orateurs ont évoqué l’essentiel du sujet ; aussi, mes propos ne pourront être que redondants. Il n’en demeure pas moins que je souhaiterais formuler quelques remarques, essentiellement d’ordre financier.
Mais auparavant, je tiens à rendre hommage au groupe CRC pour sa persévérance et sa constance dans sa démarche,…
Mme Laurence Cohen, rapporteur. C’est vrai !
M. Jean-Noël Cardoux. … même si nous ne sommes pas d’accord avec les termes de cette proposition de loi. Mes chers collègues, c’est tout à fait à votre honneur.
En revanche, je serai un peu plus mesuré pour évoquer la persévérance et la constance de la majorité présidentielle. Je note simplement que, au moment où ces franchises ont été mises en place, en 2009, Mme Marisol Touraine, alors député, avait fait part de son opposition de principe à celles-ci.
À vous écouter, madame la secrétaire d’État, il semblerait que telle ne soit plus tout à fait la position du Gouvernement. En entendant vos propos, j’ai bien compris votre embarras bien significatif : il vous est difficile, dans votre exercice gouvernemental, de trouver un équilibre entre les bons sentiments que vous affichez – à plusieurs reprises, vous avez dit à nos collègues du groupe CRC que vous ne pourriez « malheureusement » pas les suivre – et le nécessaire équilibre financier de la sécurité sociale ; à un moment, les chiffres priment. Même si c’est un peu à votre corps défendant, vous êtes bien obligée de mentionner l’enjeu financier non négligeable de cette proposition de loi.
Telles sont les remarques que je souhaitais faire à titre liminaire.
Gilbert Barbier a parfaitement exposé les éléments chiffrés de ces franchises. Il nous a rappelé que ces dernières étaient limitées à 50 euros par an et a dressé la liste – très importante – des personnes concernées, liste qui a encore été modifiée puisque, à compter du 1er juillet 2015, les 1 200 000 ayants droit à l’ACS bénéficieront de ces franchises.
Les enjeux, nous les connaissons donc. J’ai bien entendu les propos de notre collègue de l’UDI-UC, Élisabeth Doineau. Mais s’il est exact que l’on rencontre des problèmes avec les dépassements d’honoraires, globalement, les personnes les plus démunies voient quand même leur accès aux soins favorisé, et ce sans guère de limites.
Alors, mes chers collègues du groupe CRC, pardonnez-moi de vous provoquer un peu sur un mode humoristique : vous ne nous aviez pas habitués à proposer des textes visant à faire des cadeaux aux personnes les moins démunies ! Or c’est tout de même un peu la philosophie de votre proposition de loi !
Mme Éliane Assassi. C’est une provocation, en effet…
M. Jean-Noël Cardoux. En tant que président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, je me permettrai, madame la secrétaire d’État, de rappeler quelques chiffres dont il a été fait état lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.
En 2014, le déficit cumulé du régime général et du fonds de solidarité vieillesse a atteint 15,4 milliards d’euros, soit 2,2 milliards d’euros de plus par rapport à ce qui avait été envisagé.
Pour 2015, il est prévu une réduction de ce déficit à 13,2 milliards d’euros, avec des hypothèses macroéconomiques quelque peu optimistes – c’est en tout cas ma crainte –, à savoir une croissance de la masse salariale et du PIB respectivement de 2 % et de 1 %.
Même si l’environnement actuel, extrêmement favorable grâce à la baisse conjuguée de l’euro et du prix du pétrole, peut laisser envisager un retour de la croissance, comme le confirment d’ailleurs les prévisions économiques à l’échelon européen, force est de constater que, dans ce peloton des pays européens, la France est à la traîne en matière de croissance, et il n’est pas du tout évident que cette dernière atteigne 1 %.
Quant à la masse salariale, même si la Banque centrale européenne réinjecte massivement des fonds dans les finances européennes, la désinflation est toujours là. Par conséquent, miser sur une augmentation des salaires de 2 % en 2015 semble, là aussi, une hypothèse quelque peu optimiste.
Compte tenu de ces constatations – moins de salaires, moins de charges sociales –, il semble difficile d’atteindre l’objectif de 13,2 milliards d’euros de déficit.
Bien entendu, si l’on compare cet objectif avec le 1,5 milliard d’euros des franchises médicales, on est parfaitement conscient de faire face à un enjeu financier incontournable.
C’est pourquoi, si le groupe UMP considère que le problème mérite certes d’être posé, ce dernier l’est à son avis au plus mauvais moment, la sécurité sociale se trouvant dans une situation financière extrêmement fragile ; en outre, le Gouvernement, pour des raisons qui lui sont propres, a décidé de supprimer la C3S.
Mme Nicole Bricq. C’est inexact !
M. Jean-Noël Cardoux. Or la proposition de nos collègues vise précisément à financer ce 1,5 milliard d’euros par une augmentation de la C3S !
L’incohérence est évidente, surtout si l’on se réfère aux objectifs de financement de la C3S qui rapportait globalement, avant la réforme gouvernementale, 5 milliards d’euros à différents secteurs et finançait à parité le régime social des indépendants et le Fonds de solidarité vieillesse. Automatiquement et mécaniquement, lorsque la C3S sera totalement supprimée, ces financements retomberont dans le régime général de la sécurité sociale. De même, le 1,5 milliard d’euros dont il est question dans notre débat d’aujourd’hui viendra augmenter le déficit.
J’en viens à un élément, que tous les orateurs précédents ont souligné.
Ce texte tombe au plus mauvais moment, puisque le Gouvernement est en pleine réflexion sur la généralisation du tiers payant – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État –, disposition qui viendra prochainement en débat mais qui suscite d’ores et déjà de nombreuses résistances.
Nous nous interrogeons – et nous sommes tout à fait prêts à en discuter dans le cadre d’une réflexion constructive – sur le maintien du principe de ces franchises médicales dans le processus de mise en place du tiers payant auquel le Gouvernement semble très attaché. Des solutions existent peut-être, mais nous ne les entrevoyons pas encore. Madame la secrétaire d’État, nous serons très heureux de vous écouter sur ce sujet.
Sous le bénéfice de ces observations, les sénateurs du groupe UMP ne pourront pas suivre leurs collègues CRC sur cette proposition de loi et ne voteront donc pas ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRC, par la voix énergique de Mme Laurence Cohen, nous propose de supprimer la participation forfaitaire sur les consultations médicales, ainsi que les franchises.
Il s’agit, cela a été rappelé, d’un montant cumulé estimé en 2014 à 1,65 milliard d’euros. Mme le rapporteur a l’honnêteté de reconnaître l’importance de la somme en jeu. En effet, nous devons prendre en compte le contexte dégradé des finances publiques de notre pays, de nos comptes sociaux, et il faut resituer la suppression qui nous est proposée dans le mouvement d’économies engagé par les gouvernements successifs de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls.
Comme les auteurs de la proposition de loi, le groupe socialiste est profondément attaché à ouvrir le plus possible l’accès aux soins, mais il ne pense pas que la suppression du forfait et des franchises soit le meilleur moyen pour y parvenir.
À ce propos, je rappellerai les propos de Mme Marisol Touraine, qui est déterminée à réduire les inégalités d’accès pénalisant les personnes les plus fragiles, ambition avec laquelle nous sommes tous d’accord. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, le 21 octobre 2014, Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes rappelait sa position : « Malgré le contexte financier contraint qui est le nôtre […], j’ai refusé toute mesure de transfert de charge vers les patients ; il n’y a eu depuis deux ans ni forfait ni franchise. »
Je rappelle que la part des dépenses de soins restant à la charge des ménages a diminué depuis 2011, passant de 9,2 % à cette date à 8,8 % en 2013, soit exactement le mouvement inverse de ce qui s’était passé auparavant : le reste à charge n’avait fait qu’augmenter sous les gouvernements de droite, sans que les déficits soient pour autant réduits ; c’est pour moi la démonstration qu’il n’existe aucun lien mécanique entre les deux.
De plus, dans l’action du Gouvernement, l’efficacité est la compagne de la justice. L’une et l’autre sont bien en cohérence avec les objectifs du Gouvernement, et nous soutenons ce dernier dans sa volonté de poursuivre le désendettement des comptes sociaux sans renoncer à la solidarité, et, au contraire, en élargissant son spectre.
Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, notre collègue Yves Daudigny – vous l’avez cité, madame David – relevait que, comparée à d’autres pays de l’OCDE au sein desquels un coup de frein brutal sur les dépenses de santé a suivi de fortes augmentations, la France a réussi à préserver le fonctionnement de son système de santé d’à-coups majeurs. D’ailleurs, l’évolution de l’ONDAM, supérieure à celle du produit intérieur brut en valeur, dément tout constat d’austérité.
Je rappelle aussi que Mme la ministre Marisol Touraine n’a jamais endossé le concept de responsabilité du malade au travers des forfaits et franchises.
Mme Annie David. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq. Nous le disons avec elle : « On ne consomme pas de soins par plaisir. »
Pour mener les deux objectifs de désendettement et de solidarité, le Gouvernement choisit une voie certes difficile, il faut le reconnaître, qui concilie le redressement progressif de nos comptes et la recherche d’une plus grande solidarité.
Les auteurs de la présente proposition de loi nous proposent de gager le manque à gagner de 1,65 milliard d’euros sur une augmentation à due concurrence de la contribution additionnelle à la C3S.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. Là, je vois pointer un désaccord de fonds entre votre position et la politique économique du Gouvernement. Je me permets de le souligner, car la suppression de la contribution additionnelle à la C3S fait partie du pacte national de responsabilité et de solidarité. C’est un engagement pris par le Gouvernement pour répondre à la demande des entreprises, dont les marges sont effectivement très faibles, de voir leurs charges diminuer. D’ailleurs, toutes les mesures qui ont été mises en œuvre à cet égard pour redresser notre compétitivité commencent à produire des effets.
Monsieur Cardoux, vous qui avez affirmé que la croissance de la France ne s’élèverait pas forcément à 1 % d’ici à la fin de l’année 2015, je vous donne rendez-vous. Vous allez certainement être agréablement surpris, parce que tous les indicateurs, notamment celui de l’investissement, sont en train de repartir à la hausse.
La C3S doit disparaître en 2017. Je rappellerai qu’elle abondait jusqu’alors le RSI, en perdition, pour compenser ses déficits. Celui-ci sera adossé au régime général ; en échange, c’est l’État qui abondera à la fois la CNAV, en alimentant le Fonds de solidarité vieillesse, et la CNAM. Ce rappel me paraît justifié, à la suite de la manifestation qui a eu lieu lundi dernier. Sur ce point, la nation, en assumant cette charge nouvelle pour les comptes sociaux, fera un effort de solidarité à l’égard de ces travailleurs indépendants.
Je veux voir dans votre proposition, madame Cohen, un appel à faire de l’accès à la santé une action prioritaire du Gouvernement. Celui-ci – Mme la secrétaire d’État l’a rappelé – ne reste pas l’arme au pied : au 1er juillet 2015, le Gouvernement ayant répondu à l’appel de sa majorité parlementaire, franchises et participations forfaitaires seront supprimées pour les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé , à l’instar de ce qui a été décidé pour la CMU. Vous ne pouvez nier que la justice a motivé l’action gouvernementale.
L’accès à la santé pour tous et particulièrement pour les pauvres est un fil conducteur du projet de loi relatif à la santé qui sera examiné par nos collègues députés en principe à partir de la semaine prochaine. La généralisation du tiers payant participe aussi à cet objectif. Nous apportons tout notre soutien à Mme la ministre, qui a réaffirmé tout récemment l’attachement du Gouvernement à la généralisation du tiers payant tout en offrant des contreparties raisonnables aux médecins.
Le groupe socialiste ne déviera pas de sa ligne : mener à bien le désendettement en élargissant par ailleurs les plages de solidarité. Cette stratégie mise en œuvre depuis 2012 par le Gouvernement doit être poursuivie. Voter la proposition de loi du groupe CRC nous en écarterait dans la mesure où nous ne réduirions pas nos déficits, pas plus que nous n’élargirions les plages de solidarité. C’est une autre voie, plus globale, qu’a choisie le Gouvernement. Par conséquent, nous ne pourrons pas voter cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les écologistes ont largement combattu, en 2007, la mise en place des franchises médicales.
En effet, nous étions et demeurons en désaccord avec l’argument selon lequel il faudrait responsabiliser les patients, argument qui découle du constat selon nous fallacieux que la crise des finances de la sécurité sociale serait essentiellement due à une tendance des Français à surconsommer en matière de santé.
Déjà à l’époque, nous considérions que le déficit des comptes de la sécurité sociale avait essentiellement d’autres origines.
En effet, ceux qui veulent cantonner la réflexion et l’action dans ce domaine aux questions budgétaires n’abordent pas, à notre avis, les causes réelles des difficultés financières actuelles.
Par exemple, l’augmentation du budget annuel des soins pour les maladies chroniques depuis une quinzaine d’années est à peu près équivalente au déficit de l’assurance maladie : une dizaine de milliards d’euros par an. Cela signifie que, si le taux de maladies chroniques était aujourd’hui identique à celui qui prévalait voilà quinze ans, toutes choses égales par ailleurs, le déficit annuel de l’assurance maladie serait inexistant. Une de nos priorités en matière de santé est donc de faire reculer ces maladies.
Par ailleurs, si on améliorait l’accès aux droits, on diminuerait le non-recours aux soins et on limiterait de façon drastique – des milliards d’euros sont en jeu, les chiffres l’attestent – les dépenses différées et donc aussi le déficit de l’assurance maladie. En effet, un tiers de nos concitoyens déclarent par exemple avoir renoncé à des soins pour des raisons financières.
M. Michel Le Scouarnec. Très juste !
Mme Aline Archimbaud. En outre, le fait qu’ils retardent la prise en charge de leurs problèmes de santé provoque à terme – cela a déjà été dit – un surcoût pour l’assurance maladie, leur état de santé étant beaucoup plus dégradé que s’ils avaient été traités plus en amont.
Les franchises médicales n’ont donc absolument pas réglé le problème du déficit de l’assurance maladie.
Elles n’ont d’ailleurs pas non plus amené les Français à moins consulter, comme le démontre le rapport remis sur le sujet en 2010 par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé.
De plus, comme l’ont notamment rappelé nos collègues du groupe CRC, elles ont créé une injustice, contraire au principe fondateur de la sécurité sociale qui voudrait que l’on cotise à la sécurité sociale selon ses moyens pour être aidé ensuite selon ses besoins.
Les personnes qui ont le plus besoin de l’assurance maladie, celles qui sont les plus malades sont aussi celles qui paient chaque année le plus de franchises médicales. J’en veux pour preuve le fait que 42 % des recettes provenant de ces franchises sont supportées par des patients en affection de longue durée.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe écologiste du Sénat ne s’opposeront pas à cette proposition de loi.
Nous soutenons le principe d’un retour en arrière, s’agissant d’une mesure que nous avons combattue en 2007 et en 2008. Toutefois, nous nous interrogeons sur la pertinence qu’il y a à agir en ce sens aujourd’hui, unilatéralement, étant donné le coût que la suppression des franchises et des participations forfaitaires représenterait pour les finances sociales.
Surtout, depuis 2008, les crises économiques, environnementales et sociales se sont considérablement amplifiées, et d’autres phénomènes très graves ont surgi.
Ainsi, de un à deux millions de personnes – ce sont là des données récentes publiées au titre de l’étude du fonds CMU à la fin de 2013– ne parviennent pas à faire ouvrir leurs droits à la CMU complémentaire, alors qu’elles sont a priori éligibles à ce dispositif. Ces dernières ne se posent donc même pas la question des franchises : elles se posent la question d’aller chez le médecin ! (Mme Nicole Bricq acquiesce.) Nous retrouvons ici le problème du renoncement aux soins.
De même, pour l’aide à la complémentaire santé, environ deux millions de personnes seraient victimes de cette difficulté. De surcroît, l’on ne connaît pas le nombre, à coup sûr très élevé, des bénéficiaires potentiels de l’aide médicale d’État, l’AME, qui, eux non plus, ne parviennent pas à faire ouvrir leurs droits.
Sans accès aux droits, il n’y a pas d’accès aux soins : nous le répétons depuis un certain nombre de mois. Il y a là, nous semble-t-il, un problème ultra prioritaire à résoudre.
S’y ajoute une autre question, sur laquelle nous insisterons beaucoup au cours des débats sur le projet de loi relatif à la santé : celle du nombre très élevé de personnes victimes d’affections liées à l’environnement. La réduction des causes de ces maux n’est encore que très peu prise en compte par notre système de santé, au regard des dégâts provoqués. C’est pourtant un enjeu de recherche essentiel.
Comprenez-nous bien : nous ne disons pas que le problème des franchises médicales n’est pas important. Nous considérons simplement que, au regard des marges de manœuvre très restreintes dont dispose aujourd’hui la France, nous aurions peut-être intérêt à doser nos efforts, à les concentrer et à mobiliser notre pays, à le mettre en mouvement sur l’essentiel.
À l’heure actuelle, les questions à notre avis ultra prioritaires en matière de santé, celles auxquelles il faut consacrer l’essentiel des investissements au cours des mois à venir, sont les suivantes : l’explosion des inégalités, l’accès insuffisant aux droits en général et la faiblesse de nos politiques de prévention et de santé environnementale. À nos yeux, c’est à ces domaines qu’il faut consacrer l’essentiel des investissements au cours des mois à venir. J’espère que la discussion du projet de loi relatif à la santé permettra d’aboutir positivement.
J’ai d’ailleurs déposé un amendement de repli visant, dans un premier temps, à exonérer des franchises et des participations forfaitaires les seules personnes souffrant d’une affection de longue durée, ou ALD. Cette disposition serait moins ambitieuse que la proposition de loi, mais elle permettrait peut-être de se concentrer sur l’injustice la plus flagrante et de faciliter le consensus. Toutefois, Mme la rapporteur m’ayant demandé de retirer mon amendement, j’accéderai à sa demande, après avoir exposé ma proposition.
Quant à notre position définitive, nous la ferons connaître à l’issue de ce débat. (Mmes Nicole Bricq et Éliane Assassi applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un contexte économique où les classes populaires subissent particulièrement l’austérité, les renoncements aux soins progressent très fortement dans certains territoires.
En partant des réalités vécues au quotidien et rapportées par les professionnels de santé eux-mêmes, on dresse le constat suivant : en ce début de XXIe siècle, il n’est pas rare de voir des patients contraints de sélectionner, dans l’ordonnance prescrite par leur généraliste ou leur spécialiste, les seuls médicaments qui sont remboursés, quitte à mal se soigner, à s’exposer à des complications et, en définitive, à coûter plus cher à la société.
Le système des franchises médicales et des participations forfaitaires a été bien décrit par Annie David et Laurence Cohen, et je n’y reviendrai donc pas. Il aboutit à ce que, parfois, des assurés sociaux voient leurs indemnités journalières amputées, parce que la sécurité sociale a récupéré en une seule fois leur montant. Dans quelle société d’insécurité vivons-nous ? Essayons un instant de nous mettre à la place des personnes en situation particulièrement précaire !
Ce système des franchises médicales et des participations forfaitaires constitue, au fond, une médecine à deux vitesses, avec un droit d’entrée symbolique pour les personnes les plus aisées et un frein à l’accès aux soins pour de nombreux malades. Au reste, l’on n’est pas riche lorsqu’on gagne le SMIC et que l’on paye les franchises médicales et les participations forfaitaires.
Plusieurs orateurs l’ont souligné : le niveau élevé du taux de renoncement aux soins pour raisons financières devrait nous interpeller, nous inciter à interroger notre système de santé et nous contraindre à évaluer sa pertinence, dans un contexte marqué par une crise économique et sociale sans précédent.
Par exemple, l’argument consistant à défendre le maintien des franchises médicales et des participations forfaitaires au nom de la responsabilisation des patients ne tient pas : ce sont les professionnels de santé qui sont prescripteurs.
Comme certains nous l’ont suggéré, nous aurions pu limiter notre texte aux patients les plus précaires, pour lesquels l’injustice des franchises médicales est particulièrement criante. Je songe notamment aux 4,2 millions de personnes souffrant d’hypertension artérielle sévère, qui doivent désormais acquitter les franchises médicales. (Mme la rapporteur acquiesce.)
Toutefois, nous considérons que la technique de la rustine permanente n’est pas de nature à forger une politique ambitieuse de santé publique, fondée sur la prévention et l’accès facilité aux soins.
Ainsi, nous défendons un véritable projet de société, avec la prise en charge à 100 % des dépenses de santé par notre système de sécurité sociale. Tel est notre objectif à long terme.
En effet, notre vision de la protection sociale ne se réduit pas aux affections de longue durée. Nous voulons construire un modèle d’ensemble dans lequel, comme une de nos collègues l’a déjà dit, les assurés cotisent en fonction de leurs moyens et reçoivent en fonction de leurs besoins.
Nous défendons un projet de société où la sécurité sociale prendrait en charge à 100 % les dépenses de santé des assurés sociaux. Ce projet de société, soutenu par Ambroise Croizat lors de la création de la sécurité sociale, est loin d’être une utopie.
Certains me rétorqueront peut-être que la sécurité sociale n’a jamais remboursé à 100 %. Au lendemain de la guerre, un compromis historique a effectivement été conclu, qui a laissé une place au régime mutualiste. Pour autant, notre société est aujourd’hui immensément plus riche qu’elle ne l’était à cette époque : notre pays était alors totalement dévasté et ruiné.
M. Michel Le Scouarnec. C’est vrai !
M. Dominique Watrin. De grands groupes économiques monopolisent des richesses sans précédent : les seules sociétés du CAC 40, qu’elles soient financières ou non financières, ont vu leurs profits passer, en un an, de 40 milliards d’euros à 56 milliards d’euros. Il y a de quoi donner le tournis !
On nous répète sans cesse que les caisses sont vides. Mais, à nos yeux, ce qui manque, c’est avant tout une volonté politique.
Soumettre les revenus financiers à une contribution équivalente à celle qu’acquittent les entreprises permettrait de dégager environ 77 milliards d’euros.
M. Michel Le Scouarnec. Oui !
M. Dominique Watrin. Prenons pour base les revenus financiers des entreprises financières et non financières. En 2010, ces derniers s’élevaient à 317 milliards d’euros : en soumettant ces revenus au taux actuel de cotisations patronales des entreprises, on pourrait dégager 41 milliards d’euros pour la maladie, 26 milliards d’euros pour les retraites et 17 milliards d’euros pour la famille. Ce système de financement nous donnerait largement de quoi assurer une couverture à 100 % des frais de santé des patients et permettrait, par là même, de limiter les effets de long terme que subit une population renonçant ou reportant des soins.
Par ailleurs, ce dispositif aurait un effet bénéfique sur le vieillissement, question essentielle que le Sénat examinera prochainement.
Pour l’heure, notre proposition de loi est beaucoup plus modeste, chacun l’admettra. Certes, elle présente un coût de 1 milliard d’euros. Mais vous constatez que l’argument financier ne tient pas, lorsqu’on examine les profits dégagés par les grands groupes du CAC 40.
Chères sénatrices, chers sénateurs de gauche, nous vous demandons simplement de voter en cohérence avec vos positions passées : votez cette proposition de loi, supprimez les franchises médicales et les participations forfaitaires instaurées par la droite. Ce serait faire un premier pas important. Ce serait surtout soutenir une mesure de justice et de progrès ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, divers points soulevés au cours de ce débat appellent quelques précisions de ma part.
Monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, vous avez évoqué le déremboursement des médicaments anti-arthrosiques. Dans les faits, le mécanisme de ce déremboursement est très simple : c’est celui qui prévaut pour toutes les évaluations de médicaments.
On le sait bien, avant sa mise sur le marché, un médicament ne peut faire l’objet que de prescriptions limitées, dans le cadre d’études. Ensuite, lorsqu’il est mis sur le marché, il est de nouveau évalué par la Haute Autorité de santé, la HAS, dès lors qu’il est prescrit assez largement. Les études menées à ce stade permettent de juger si, à grande échelle, un médicament présente ou non une réelle utilité.
Il se trouve que, selon la HAS, les traitements dont il s’agit n’ont pas l’utilité nécessaire, notamment au regard de leurs potentiels effets secondaires, qui doivent être pris en compte : tous les médicaments sont susceptibles de présenter des effets secondaires néfastes.
En l’espèce, la HAS a jugé que le service médical rendu n’était pas suffisant. C’est elle qui a décidé cette mesure. Ensuite, un arrêté de déremboursement a bien été pris, mais c’est là une procédure automatique dès lors que la Haute Autorité de santé a prononcé un jugement de cette nature.
M. Gilbert Barbier, vice-président de la commission des affaires sociales. C’est tout de même la ministre qui a décidé…
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Par ailleurs, je souhaite donner à la Haute Assemblée quelques précisions quant à l’organisation du paiement des franchises, lorsque le tiers payant sera généralisé.
Mme Nicole Bricq. Oui !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. En effet, je constate que cette réforme suscite des interrogations sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Les uns et les autres l’ont rappelé, le flux annuel de participations forfaitaires et de franchises représente, actuellement, environ 1,5 milliard d’euros.
Sur cette somme – je cite les chiffres de 2012 –, 600 millions d’euros ont été directement recouvrés via les règlements des assurés, hors tiers payant aux professionnels de santé. Dans ces cas, l’assurance maladie rembourse du montant de la consultation l’assuré ayant fait l’avance des frais, en retranchant le montant de la franchise ou de la participation forfaitaire.
Parallèlement, 900 millions d’euros ont été inscrits en créances sur les assurés. Que se passe-t-il en pareil cas ? Les sommes dues sont automatiquement recouvrées par les caisses d’assurance maladie sur des paiements ultérieurs correspondant à d’autres actes. Toujours en 2012, elles ont porté à 70 % sur les remboursements ultérieurs de soins de médecins, à 9 % sur les remboursements de soins dentaires, à 11 % sur les prestations en espèces et ont été recouvrées à 10 % par d’autres voies.
Que va-t-il se passer avec la généralisation du tiers payant ?
Lorsque les dispositifs de participation à la charge des assurés sont associés à la dispense d’avance de frais, ils entraînent mécaniquement l’apparition de créances de l’assurance maladie sur les assurés.
La généralisation du tiers payant en 2017 conduira de facto à supprimer la principale voie de recouvrement des participations forfaitaires et des franchises qui n’ont pas été récupérées directement lors du remboursement.
Pour sécuriser ce recouvrement, il est proposé d’introduire dans le projet de loi relatif à la santé, dont le Sénat débattra d’ici à quelques semaines, le principe d’un paiement par prélèvement bancaire après autorisation de l’assuré, et de conditionner le bénéfice du tiers payant à cette autorisation de prélèvement.
Mme Catherine Procaccia. Vous allez créer une usine à gaz !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Un décret devra être pris en vue de l’application de ce dispositif. Le paiement par prélèvement bancaire, à l’image de ce que font les grands opérateurs pour optimiser le recouvrement de leurs créances, a été recommandé par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dans le rapport qu’elle a consacré, en 2013, au tiers payant. Les caisses disposent d’ores et déjà des coordonnées bancaires des assurés.
Bien entendu, cette procédure nouvelle sera strictement soumise aux plafonds annuels et subordonnée, pour l’assuré, à l’acceptation de cette option, attestée par la remise d’une autorisation de prélèvement.
Ces quelques précisions étant apportées, je tiens à vous rappeler les éléments dynamiques du déficit de la sécurité sociale, que les uns et les autres ont évoqué. À cet égard, il me semble utile de mentionner quelques chiffres.
En 2007, ce déficit s’élevait à 9,3 milliards d’euros. Il a atteint son niveau maximum en 2011, avec 20,9 milliards d’euros. Sa résorption est désormais en bonne voie : en 2013, d’après les chiffres définitifs, il s’établissait à 15,5 milliards d’euros. Nous ne disposons encore que d’évaluations provisoires pour 2014, mais je peux vous affirmer que l’amélioration se poursuit. Tout porte à croire qu’elle s’accentuera encore en 2015. Bien entendu, nous devons continuer nos efforts.
C’est la raison pour laquelle, en l’état actuel du déficit de la sécurité sociale, le Gouvernement ne peut être favorable à la proposition de loi. En tout état de cause, je tenais à rappeler ces chiffres importants.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Je souhaite d’abord saluer la qualité des débats, qui nous ont permis d’aborder le fond de cette problématique. Le Gouvernement paraît d’accord avec mon groupe, ce qui est plutôt une bonne nouvelle,…
M. Michel Le Scouarnec. Et une nouveauté !
Mme Laurence Cohen, rapporteur. … mais il n’ira pas jusqu’à préconiser un vote favorable. Il y a là, tout de même, une fâcheuse contradiction, qui s’explique par l’entêtement du Gouvernement – nous ne cessons de le dénoncer en vain – à ne s’en prendre qu’aux dépenses.
Il existe pourtant, selon nous, et nous l’avons encore démontré aujourd’hui, d’autres moyens de faire entrer de l’argent dans les caisses de la sécurité sociale, en privilégiant de nouvelles recettes.
Madame la secrétaire d’État, vous considérez qu’il faut diminuer les dépenses inutiles. Mais de quoi s’agit-il ? Pressurer de nouveau l’hôpital public pour en extraire 3 milliards d’euros ? Si vous souhaitez réduire les dépenses inutiles, abrogez la tarification à l’acte, comme le Gouvernement s’y était engagé ! Plusieurs rapports récents du Sénat ont montré les terribles dégâts qu’elle provoque.
Vous prétendez que nous ne sommes pas dans le bon tempo, et Mme Bricq reprend vos propos.
Mme Nicole Bricq. Je n’ai pas dit cela !
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Vous l’avez dit en substance, c’est ainsi que je l’ai compris ! Et cela correspond aux discussions que nous avons eues en commission, durant lesquelles vous vous disiez d’accord sur le fond mais émettiez néanmoins quelques réserves.
Cela étant, quel est donc le bon tempo ? Nous formulons régulièrement des propositions visant à améliorer l’accès aux soins de l’ensemble de la population – tous les exemples que nous avons avancés, et qui ont été repris par différents intervenants, indiquent que le renoncement aux soins est une réalité –, or vous les rejetez à chaque fois.
En revanche, étrangement, la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité ou du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui concernent les grandes entreprises et les grands groupes, n’a souffert d’aucun temps de latence ! L’instauration de telles mesures est possible rapidement, sans que soit exprimée de résistance !
Mme Nicole Bricq. Au contraire, il y a eu un grand temps de latence !
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Le problème véritable est là : l’appel à la raison que constitue notre proposition de loi n’est pas entendu. Aujourd’hui, nos concitoyens n’en peuvent plus, notamment en matière de santé. Un tel comportement porte préjudice à l’ensemble de la population !
J’ajoute que les différents exemples présentés montrent bien que les malades les plus fragiles sont ceux qui subissent de plein fouet les franchises et les forfaits. Annie David rappelait ainsi que, selon la responsable de l’association AIDES, les patients souffrant du VIH, sans complication, consacrent au moins un mois de ressources aux dépenses de santé. Comment peut-on l’accepter en 2015 ? Ce ne sont pas des rumeurs, c’est la réalité !
Chère collègue Aline Archimbaud, vous proposez d’exonérer des franchises et participations forfaitaires les malades souffrant d’affections de longue durée, ou ALD. L’ensemble de mon groupe et moi-même soutenons fortement votre proposition, mais vous l’avez bien constaté à travers les différentes interventions, nous n’avons pas la majorité dans cette enceinte. Nous avons déjà avancé une idée similaire et nous sommes prêts à la soutenir lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Défendons alors ensemble un amendement en ce sens, au moins, on ne nous reprochera pas de ne pas choisir le bon véhicule législatif ! Cela étant, comme notre proposition de loi va être rejetée aujourd'hui, votre amendement n’a donc aucune chance d’être adopté.
S’il est impossible de faire adopter des mesures ambitieuses, essayons au moins d’aider les plus fragiles !
Je regrette vraiment, madame la secrétaire d’État, que vous ne vous appuyiez pas sur ceux qui pourraient jouer un rôle moteur dans le pays pour créer un autre rapport de forces. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires
Article 1er
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les II et III de l'article L 322-2 sont supprimés ;
2° L'article L. 322-4 est abrogé ;
3° À la première phrase du I de l'article L. 325-1, les mots : « à l’exception de celles mentionnées aux II et III de cet article » sont supprimés ;
4° Le second alinéa de l'article L. 432-1 est supprimé ;
5° Le premier alinéa de l'article L. 711-7 est supprimé.
II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au 2° de l'article L. 242-1, les mots : « à condition, lorsque ces contributions financent des garanties portant sur le remboursement ou l’indemnisation de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, que ces garanties ne couvrent pas la participation mentionnée au II de l’article L. 322-2 ou la franchise annuelle prévue au III du même article » sont supprimés ;
2° L’article L. 863-6 est abrogé ;
3° Au premier alinéa de l'article L. 871-1, les mots : « à la condition que les opérations d’assurance concernées ne couvrent pas la participation forfaitaire et la franchise respectivement mentionnées au II et au III de l’article L. 322-2 du présent code et qu’elles respectent les » sont remplacés par les mots : « au respect des ».
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le premier alinéa de l'article L. 322-4 du code de la sécurité sociale est complété par les mots : « et ainsi que pour les bénéficiaires reconnus atteints d'une des affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, inscrites sur une liste établie par décret après avis de la Haute Autorité de santé ».
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Comme je l’ai dit tout à l'heure, cet amendement se justifiait par les chiffres pour l’année 2012 indiquant que 42 % du montant total des franchises était acquitté par des malades souffrant d’affections de longue durée.
Pour certaines pathologies, les pourcentages sont encore plus élevés : 59 % et 70 % des personnes atteintes respectivement de la maladie d'Alzheimer et de la maladie de Parkinson et 71 % des patients souffrant de mucoviscidose atteignent le plafond annuel des franchises et participations, ce qui leur coûte individuellement 100 euros par an.
Toutefois, compte tenu de l’avis défavorable exprimé par Mme la rapporteur, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 108 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 19 |
Contre | 310 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Je déplore le rejet de cet article, qui constituait le cœur de notre proposition de loi. Je n’en suis pas étonnée, toutefois, au vu de la position exprimée par la commission comme de la teneur de nos débats.
Je souhaite préciser en cet instant quelques éléments qui me semblent très importants pour nos concitoyens. Au cours de nos discussions, j’ai entendu dire par des orateurs siégeant sur les différentes travées de cet hémicycle que les franchises et les forfaits ne remplissaient pas leur double objectif : responsabiliser les patients et alimenter le plan Alzheimer.
La responsabilisation des patients, ainsi que Mme la secrétaire d’État l’a souligné, ne dépend pas des franchises. Lors des auditions de la commission, les représentants des syndicats, le professeur Didier Tabuteau, de Sciences-Po, Mme Joëlle Martineau, présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale, l’UNCCAS, et médecin urgentiste en activité, ont tous souligné qu’elle passe par d’autres canaux : la formation et l’information sur la santé, éventuellement des pénalités à l’encontre des contrevenants.
Franchises et forfaits sont inopérants sur ce point et en les défendant, on dénature totalement le socle de notre système de sécurité sociale : la solidarité entre les bien portants et les malades.
J’ajoute – personne ne l’a indiqué jusqu’à présent, me semble-t-il – que ces dispositifs sont d’autant moins efficaces que la sécurité sociale peine à récupérer la totalité de ce qu’ils pourraient lui rapporter : il manque une somme de l’ordre de 200 millions d’euros.
Ce système est complexe et inefficace, le Gouvernement partage l’objectif des auteurs de la proposition de loi, mais néanmoins ne soutient pas ce texte : quel sacré paradoxe ! Bien évidemment, nous désapprouvons cela.
De surcroît, le contexte est très grave pour les personnels de santé. Il ne s’agit pas seulement des manifestations qui vont avoir lieu contre le tiers-payant : j’ai à l’esprit le désarroi des urgentistes et des personnels hospitaliers, qui se mobilisent parce qu’ils n’en peuvent plus. En réduisant les dépenses, on met réellement en danger la santé des patients.
Au surplus, il se produit un véritable gâchis de ressources. Surveiller les dépenses ? Après la rénovation de l’hôpital Lariboisière, on s’apprête à en fermer toute une aile. Alors que la maternité de l’hôpital Bégin est neuve, on se prépare à la supprimer. La maternité des Lilas, qui est le symbole d’une démarche de mise au monde des enfants et de l’attention portée aux familles, dont le personnel et les patientes se battent depuis quatre ans et auxquels on a tant promis, est encore menacée de fermeture. Je ne comprends pas !
C’est dans ce contexte-là que vous refusez l’acte politique fort de mettre un terme à cette logique mortifère pour la santé en abrogeant une mesure injuste et inefficace. J’en conçois un grand regret ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Gilbert Barbier, vice-président de la commission des affaires sociales. Le débat qu’ouvre Laurence Cohen sur les problèmes de santé en général dépasse un peu le champ de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui.
Je souhaite pour ma part relever deux points importants.
Le premier concerne la question, souvent évoquée, du taux élevé de non-recours aux soins. Certes, un certain nombre de Français assurés renoncent aux soins, mais il faut tout de même préciser les secteurs concernés. Ce renoncement porte essentiellement sur les soins dentaires, ophtalmologiques et otologiques. Il serait intéressant de déterminer dans quelle proportion les soins médicaux proprement dits sont touchés. Il n’est toutefois pas certain que cela soit possible : on ne se fie qu’à des déclarations affirmant le renoncement à des soins, mais il s’agit en général de ceux que je viens d’évoquer.
Le second point que j’aimerais aborder, madame la secrétaire d'État, vise une question un peu technique, celle des déremboursements.
Comme l’a rappelé Jean-Noël Cardoux, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, s’était engagée à ne pas dérembourser de médicaments.
M. Gilbert Barbier, vice-président de la commission des affaires sociales. Or certains médicaments anti-arthrosiques ne seront plus remboursés à partir du 1er mars prochain.
Madame la secrétaire d'État, contrairement à ce que vous avez indiqué, la Haute Autorité de santé ne décide pas du déremboursement, elle le propose éventuellement. Il revient au ministre chargé de la santé de prendre cette décision.
Or nombre de nos anciens ont recours aux médicaments susvisés, dont l’apport thérapeutique est non pas forcément nul, mais faible. Il s’agit là d’un sujet important.
Concernant les effets nocifs de ces médicaments anti-arthrosiques, que dire, madame la secrétaire d'État – ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre ! – des médicaments de substitution qui seront naturellement utilisés, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui entraînent des complications beaucoup plus importantes ?
Je tenais à faire cette petite mise au point.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Je tiens simplement à préciser à Aline Archimbaud que la commission n’a pas eu à se prononcer sur son amendement n° 1 car notre collègue a accepté à ma demande de le retirer. Quant à moi, j’y suis favorable : avec mon groupe, nous partageons la proposition concernant les affections de longue durée, mais nous estimons que le présent texte n’est pas le bon véhicule législatif. C’est pourquoi nous vous suggérons, ma chère collègue, de présenter un amendement similaire dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
D’ailleurs, comme vous avez pu le constater, même sur cette proposition, le Gouvernement n’était pas d’accord. Tout cela ne nous laisse pas une grande marge de manœuvre…
Je tenais à rappeler ce contexte.
Article 2
À la deuxième phrase de l’article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, les mots : « est de 0,03 % » sont remplacés par les mots : « ne peut excéder 0,07 % ».
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 n'est pas adopté.)
Article 3
Les conséquences financières de la présente loi pour les organismes de sécurité sociale sont compensées à due concurrence par un relèvement du taux de la contribution additionnelle, prévue à l’article L. 245-13 du code de la sécurité sociale, à la contribution de solidarité à la charge des sociétés prévue à l’article L. 651-1 du même code.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 n'est pas adopté.)
Article 4
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2016.
M. le président. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, si l’article 4 connaît le même sort que les trois articles précédents, qui n’ont pas été adoptés, les explications de vote sur l’article 4 vaudront en fait explications de vote sur l’ensemble, dans la mesure où il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi.
La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Pour des raisons de cohérence avec les priorités que nous avons proposé de retenir et que nous soumettrons de nouveau au Gouvernement lors de l’examen du projet de loi relatif à la santé, le groupe écologique s’abstiendra sur cette proposition de loi.
Comme je l’ai déjà souligné, nous estimons qu’il importe de mettre très fortement l’accent sur des mesures visant à ouvrir des droits aux millions de personnes qui, aujourd'hui, ne vont pas chez le médecin. Il y a là, nous semble-t-il, un devoir de solidarité absolument prioritaire. Certes, je l’ai souvent dit, mais je le répète encore, car la situation est alarmante.
Par ailleurs, le deuxième domaine prioritaire auquel il nous paraît aujourd'hui essentiel de consacrer des moyens publics concerne la santé environnementale. Certaines maladies chroniques ont, pour partie, des causes environnementales. Hier encore, des chercheurs ont indiqué que la recherche publique en matière de santé environnementale est à l’heure actuelle très peu développée. En la matière, il convient également de se mobiliser fortement.
Comme il n’est pas possible de tout demander en même temps, nous souhaitions mettre en avant ces priorités.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Nos discussions ont été importantes.
Sur ces questions, il convient d’avoir des débats de fond, comme celui qui est organisé dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou au travers de propositions de loi telles que celle que nous avons présentée, qui touchent au cœur de notre système de protection sociale.
Quoi qu’il en soit, nous qui avons une sensibilité de gauche ressentons un grand désarroi, car nous ne parvenons pas à faire adopter les mesures de nature à porter un coup d’arrêt à la politique d’austérité menée par le Gouvernement. Cet état de fait nous conduit à nous interroger sur les valeurs que nous portons : qu’est-ce qui fait la différence ? Qu’est-ce qu’une politique vraiment de gauche, notamment en matière de santé publique ?
On ne peut pas, d’un côté, défendre des mesurettes – certes, elles sont dignes d’intérêt, mais elles ne vont pas au bout des choses –, soutenues par le Gouvernement, et, de l’autre, ne pas adopter ce genre de proposition...
Mme Nicole Bricq. Le tiers payant généralisé n’est pas une mesurette !
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Ce n’est pas encore fait !
Au demeurant, je n’avais pas cela à l’esprit : je visais simplement l’ouverture des droits à certaines catégories de personnes.
On favorise toujours ceux qui ont le plus au détriment de ceux qui ont le moins, les plus fragiles. Je pousse peut-être ici un coup de colère, mais j’estime que, à un moment donné, chacun doit prendre ses responsabilités.
Mme Nicole Bricq. Nous les prenons !
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Le Gouvernement les prend et les assume certes ! Mais je m’interroge sur la façon dont la politique de santé est aujourd'hui conduite, car elle nuit profondément aux soins prodigués à tous sur l’ensemble du territoire.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Au-delà de l’importance du débat que nous avons eu, je ne peux pas laisser qualifier le tiers payant généralisé de « mesurette ».
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Ce n’est pas de cela qu’il a été question !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il s’agit d’une mesure majeure pour l’accès aux soins de l’ensemble de nos concitoyens.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Toutes les autres mesures que j’ai énumérées dans mon propos liminaire visent aussi les plus fragiles d’entre nous. L’ensemble des dispositions que nous avons déjà prises concernent bel et bien l’accès aux soins des plus démunis ; je pense notamment à la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire, et à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. Ce sont non pas des mesurettes, mais des mesures extrêmement importantes !
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Et la loi HPST ? La tarification à l’activité ? Les franchises ?
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. C’est vrai, le Gouvernement a pour principe de ne pas dépenser l’argent qu’il n’a pas.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Vous ne le prenez pas là où il est !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il prend ses responsabilités, il fait des choix, qu’il assume parfaitement.
En effet, si nous voulons que l’ensemble de nos concitoyens aient les moyens de se faire soigner correctement et que notre système de protection sociale soit pérennisé, il faut relancer l’économie de notre pays. Pour ce faire, il faut remettre en route la machine économique, non pas pour que les grandes entreprises aient de l’argent, mais tout simplement pour que chacun dans notre pays puisse avoir un emploi. C’est aussi pour l’ensemble des populations les plus démunies que nous agissons ainsi.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. C’est mal parti ! Ce n’est pas très efficace !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Lorsque ces conditions seront réunies, nous pourrons effectivement redistribuer de façon plus évidente et réfléchir alors à la suppression totale des franchises médicales. Tout cela se fait dans la responsabilité, et tel est le choix que nous faisons aujourd'hui, et nous l’assumons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Claire-Lise Campion. Bravo, madame la secrétaire d'État !
M. le président. Mes chers collègues, les quatre articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires n’est pas adoptée.
6
Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Evelyne Yonnet membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Dilain, décédé.
7
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation d’un sénateur comme membre suppléant du conseil d’administration de l’Agence française d’expertise technique internationale.
La commission des affaires étrangères a été invitée à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, conformément à l’article 9 du règlement.
8
Débat sur le thème : « dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap »
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap », organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à Dominique Watrin, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’occasion des dix ans de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le groupe CRC a proposé l’organisation d’un débat, afin de dresser le bilan de ce texte.
Je me félicite de la tenue de ce débat, car il me semble que le sujet du handicap est trop souvent négligé.
Ce débat est important parce qu’il renvoie aux valeurs de notre République, à notre capacité à incarner ces valeurs par des actes, ce qui implique de garantir la liberté de circuler, d’être maître de sa vie. Cela implique aussi l’égalité réelle de tous les citoyens en matière d’accès aux soins, d’éducation, de formation, de travail, notamment, et ce malgré les déficiences physiques ou psychiques. Cela implique, enfin, d’être fraternel et solidaire, de créer un vivre ensemble dans lequel toutes et tous, malades, bien portants, personnes âgées, jeunes, personnes en situation de handicap, toutes et tous donc, disais-je, cohabitent en se préoccupant des besoins de l’autre, et en intégrant le fait que ce qui est bon pour l’autre peut aussi l’être pour soi-même.
Mes chers collègues, vous noterez que j’ai employé les termes « personnes en situation de handicap ». Cette expression n’a pas été choisie au hasard. En effet, elle englobe une réalité : au-delà de la déficience physique ou mentale, c’est l’environnement qui créée la situation de handicap. J’en veux pour preuve tout simplement une mère ou un père avec une poussette bloqués en bas d’un escalier à cause d’un ascenseur en panne. En l’espèce, c’est bien l’environnement qui crée la situation de blocage, de handicap.
L’une des carences de la loi de 2005 est justement de ne pas avoir adopté cette définition, pourtant retenue par la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées qui précise que le handicap n’est pas seulement dû à l’altération de différentes fonctions, mais qu’il résulte de l’interaction entre incapacités et barrières diverses.
Ces barrières sont celles que nous construisons quand nous ne prenons pas en compte le handicap dans nos réflexions, par exemple en termes d’aménagement du territoire. Ces barrières sont également celles sur lesquelles, nous, femmes et hommes politiques, pouvons et devons agir.
Or, pour l’instant et malgré des progrès non négligeables, des millions de nos concitoyens voient leurs droits bafoués. À cet égard, je citerai quelques chiffres, car, derrière les discours, il y a la réalité : 6 millions de personnes, c'est-à-dire la moitié de l’agglomération parisienne, sont concernées par une limitation physique, dont 594 000 sont en fauteuil roulant. Ce sont 594 000 personnes dont les déplacements sont chaque jour entravés par des trottoirs cabossés, des portes trop étroites, des transports inaccessibles. Au moins une fois dans leur vie, ces personnes sont restées en bas de l’escalier à cause d’un ascenseur en panne ou inexistant. Et je ne parle même pas de l’ascenseur social…
À ces concitoyens s’ajoutent 5,4 millions de personnes en situation de handicap auditif, dont la communication est altérée, parce que n’avons pas les réflexes adéquats, tel le recours à l’écrit, ou parce que les supports audiovisuels restent encore trop peu traduits dans la langue des signes. Sans oublier les 1,7 million de personnes en situation de handicap visuel. Une meilleure accessibilité, combinée à l’engagement de chacun d’entre nous, leur permettrait d’être autonomes dans leurs déplacements. Essayons d’imaginer, par exemple, l’immense difficulté à laquelle est confronté un malvoyant dans la gare de Lyon un jour de grand départ !
S’ajoutent encore 2,4 millions de personnes handicapées mentales, avec lesquelles, de nouveau, nous ne savons pas ou trop peu interagir.
Enfin, au-delà des handicaps liés à l’altération de certaines fonctions, la situation de handicap concerne aussi, comme je l’ai dit précédemment, les 2 millions de personnes qui chaque année se déplacent avec une poussette, les 805 000 femmes enceintes pour lesquelles la station debout peut être difficile, ou encore les personnes âgées – ne l’oublions pas, 9 % de la population ont plus de soixante-quinze ans. L’ensemble de ces personnes ne doivent pas être oubliées, ni mises au second plan en termes de politiques publiques.
La loi de 2005 constituait un réel espoir, après trente ans de néant. Comme l’indiquait Michelle Demessine lors de la discussion du projet de loi, le sentiment général était, pourtant, à la déception. Il était question de concrétiser le vivre ensemble, mais, au final, le texte adopté, même s’il comportait certaines avancées, prévoyait des moyens financiers et humains insuffisants.
Cela a conduit à la situation que nous connaissons aujourd’hui : l’accessibilité n’est que partielle sur notre territoire, les aides humaines et techniques font défaut, les places en institutions spécialisées sont en nombre insuffisant, ce qui oblige des milliers d’adultes handicapés à rejoindre la Belgique.
Pour faire le point de manière plus précise, j’aimerais établir le bilan de cette loi sur chacun des grands thèmes qu’elle abordait, en m’attardant sur certains sujets mis en lumière par l’actualité.
La loi du 11 février 2005 prévoyait de créer des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH. Dirigées par les conseils généraux, elles centralisent l’information à destination des personnes handicapées, ainsi que l’octroi de ressources. Elles sont ainsi responsables du versement de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, de la prestation de compensation du handicap, la PCH, créée par la loi de 2005, ou encore de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’AEEH. Les MDPH gèrent également le fonds de compensation, utilisé pour fournir des prestations extralégales, souvent pour financer des restes à charge.
Dès 2005, nous pointions du doigt un risque de conflit d’intérêts, le conseil général étant à la fois juge et partie : juge parce qu’il participe à l’évaluation des besoins de demandeurs de prestations, partie parce qu’il finance lesdites prestations. Nos craintes ont été confirmées, notamment par l’Association des paralysés de France, qui dénonce l’ingérence de certains conseils généraux.
Au-delà de cette question, les MDPH sont aujourd’hui saturées : le nombre des bénéficiaires potentiels des services de ces établissements a considérablement augmenté, du fait notamment des progrès médicaux ou de l’allongement de la durée de vie. Ainsi, en Moselle, 36 % des personnes ayant un droit ouvert auprès de la MDPH sont âgées de plus de 60 ans.
L’augmentation du nombre de dossiers à traiter pèse sur les délais, qui peuvent aller jusqu’à six mois, y compris dans les situations d’urgence, pour l’obtention d’aides humaines ou techniques, souvent vitales. Elle pèse également sur les conditions d’accueil dans les MDPH : celui-ci devient de plus en plus administratif et déshumanisé, alors que les MDPH se voulaient des lieux d’écoute et d’échange. En outre, les décisions concernant l’octroi de la PCH sont prises à la chaîne par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, souvent sans même rencontrer les intéressés. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais savoir ce que vous comptez faire pour apporter aux MDPH des assurances quant à leur maintien et à l’amélioration de leur fonctionnement.
La loi de 2005 a donc créé la PCH, c’est-à-dire un droit à compensation, qui est lié non pas au revenu de la personne handicapée, mais à ses besoins et à son projet de vie. Son montant est calculé à partir d’une grille forfaitaire. Ainsi, une personne handicapée ayant droit à six heures d’aide humaine par jour au maximum se voit attribuer un montant de prestation correspondant au paiement de ces heures. Or, les prestataires peuvent pratiquer des tarifs différents de ce que prévoit le barème de la MDPH : la personne handicapée ne pourra alors bénéficier du nombre d’heures d’aide humaine dont elle a besoin, à moins qu’elle ne finance le solde sur ses ressources propres. Les associations constatent ainsi l’existence d’un reste à charge élevé, auquel s’ajoutent d’ailleurs l’achat de médicaments peu ou pas remboursés et le paiement de franchises et de participations forfaitaires.
Sur le plan des ressources, la loi de 2005 permettait notamment le cumul de l’AAH avec un revenu d’activité, tandis que les associations défendaient l’idée de la mise en place d’un revenu d’existence équivalent au SMIC. Nous en sommes loin aujourd’hui : sur les 8,6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 987 euros par mois, 2 millions sont en situation de handicap ou d’invalidité. Le montant moyen de l’AAH, principale source de revenu pour les personnes en situation de handicap ne pouvant pas travailler, s’élevait à 693 euros en 2014.
La loi du 11 février 2005 traitait également de la scolarisation des enfants en situation de handicap et de l’accès à l’enseignement professionnel et supérieur. Elle privilégiait une scolarisation en milieu ordinaire, mais prévoyait aussi le développement de structures spécialisées.
En termes quantitatifs, le bilan est positif : le nombre d’élèves scolarisés en classes ordinaires a augmenté d’un tiers, et le nombre d’étudiants en situation de handicap a doublé.
Pour autant, beaucoup reste à faire en termes de qualité d’accueil et d’accompagnement des enfants en situation de handicap. Ainsi, la loi prévoyait la transformation des auxiliaires de vie scolaire, les AVS, en accompagnants d’élèves en situation de handicap, ou AESH. Il s’agissait d’en finir avec la précarité des contrats d’AVS et de garantir une meilleure qualification des accompagnants. Or, sur ce point, faute de moyens financiers, les contrats d’AVS peinent à se transformer en contrats d’AESH.
De plus, le Défenseur des droits et l’Association des paralysés de France pointent un défaut d’accompagnement dans les activités périscolaires et extrascolaires, accentué par la réforme des rythmes scolaires. Il oblige trop souvent les parents d’enfants en situation de handicap à renoncer à leur activité professionnelle.
La dernière réforme des rythmes scolaires a renforcé et sanctuarisé le temps périscolaire. Nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de conscience par le Gouvernement du besoin d’émancipation culturelle et intellectuelle de nos enfants. Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui l’accueil des enfants souffrant de handicap est fortement compromis, voire impossible, par manque de formation des animateurs et, surtout, manque de personnel spécialisé au sein des structures d’accueil. Pourtant, des recommandations – non suivies pour l’heure d’effet – ont été formulées par le Défenseur des droits afin de pallier ces manquements de l’État.
En outre, des dispositions du code de l’éducation, sanctuarisant par exemple le temps périscolaire et le droit à l’éducation pour tous, sonnent bien creux au regard de la réalité à laquelle sont confrontés de nombreux enfants souffrant de handicap, leurs familles, mais aussi les personnels enseignants, bien souvent insuffisamment formés. Je tenais à souligner cette difficulté nouvelle liée au temps périscolaire, apparue depuis la promulgation de la loi de 2005.
Par ailleurs, et j’insiste sur ce point, de trop nombreux bâtiments d’enseignement restent inaccessibles aux personnes en situation de handicap, notamment ceux des établissements d’enseignement supérieur.
Je souhaite également profiter de ce débat pour attirer l’attention sur un point précis, qui montre bien les efforts qu’il nous reste encore à faire.
Savez-vous, madame la secrétaire d’État, qu’un élève dispensé de cours de langues au titre d’un handicap de la parole sera tout de même soumis à l’examen dans la discipline concernée ?
L’article 1er du décret du 11 décembre 2014 stipule en effet de manière étonnante que « les dispenses d’enseignement ne créent pas le droit à bénéficier d’une dispense des épreuves d’examens et concours correspondantes ». Allez y comprendre quelque chose ! C’est là un exemple significatif du parcours du combattant que représente la scolarité pour un jeune en situation de handicap.
En termes d’emploi des personnes handicapées, le constat est similaire : la loi de 2005 renforce les sanctions pour les entreprises n’embauchant pas de personnes en situation de handicap, mais ne prévoit rien en matière de qualité de l’emploi, de formation, de non-discrimination, d’adaptation des postes, etc. C’est ainsi que, selon le Défenseur des droits, l’emploi est le premier domaine dans lequel s’exercent les discriminations liées au handicap. Quant au taux de chômage des personnes en situation de handicap, il est deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population.
Il est urgent d’agir pour mettre fin à toutes ces discriminations et permettre aux milliers d’élèves en situation de handicap qui vont sortir de nos écoles et universités d’obtenir un emploi.
Ce sujet me préoccupe d’autant plus que le projet de loi dit « Macron » permettra aux entreprises de s’exonérer, au moins partiellement, de cette obligation d’emploi de personnes handicapées, en proposant des stages de « découverte d’un métier » non rémunérés ou en ayant recours à des travailleurs indépendants handicapés, non salariés.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. C’est une demande des associations !
M. Dominique Watrin. Annie David reviendra sur ce point dans la suite du débat.
L’accessibilité est le dernier point sur lequel je souhaite insister, car il trouve un écho dans l’actualité récente.
Déjà en 2005, nous dénoncions un calendrier trop large, pour des personnes qui attendaient depuis trente ans d’être enfin reconnues par la République comme des citoyens et des citoyennes à part entière, disposant du même accès aux droits que les autres. Cette volonté de pouvoir accéder aux bâtiments administratifs, aux écoles, aux établissements de soins, aux lieux de divertissements ou de pratique sportive et culturelle est tout à fait légitime. Il s’agit d’un droit fondamental.
Pourtant, du fait de la pression des lobbies, d’une austérité budgétaire sans précédent pour les collectivités locales et, surtout, faute de volonté politique, le calendrier fixé en 2005 n’a pas été respecté. Si des progrès ont été faits, l’accessibilité n’est pas une réalité en France au 1er janvier 2015. De surcroît, au lieu d’accélérer le processus, d’accentuer la pression, l’ordonnance du 26 septembre accorde des délais supplémentaires pour la mise en accessibilité, et surtout prévoit un nombre si élevé de dérogations qu’elle entérine de fait un retour en arrière.
J’ai parlé de volonté politique : il s’agit, à mon sens, principalement de cela, de notre capacité à rendre prioritaire la mise en accessibilité, malgré les contraintes budgétaires, à faire en sorte que la question du handicap soit prise en compte par l’ensemble des acteurs, guidés par une logique de solidarité, mais aussi par le fait que la mise en accessibilité profite à toutes et tous, et contribue à un meilleur vivre-ensemble.
Ainsi, au lieu de nous contenter de répondre, souvent a minima, aux exigences de la loi en matière d’accessibilité, nous pourrions imaginer le territoire de demain, revoir notre manière de vivre ensemble, innover sur le plan technologique et urbanistique.
L’égalité de traitement des personnes en situation de handicap sur l’ensemble du territoire devrait être garantie par la loi de 2005. Nous en sommes loin. De fortes inégalités existent, liées à la diversité des priorités et des moyens locaux. Les délais de réponse varient par exemple considérablement selon les départements, de même que l’évaluation des besoins, la prise en compte des projets de vie, les niveaux de financement des heures d’aide à domicile, ainsi que l’interprétation des règles. Est-il acceptable que les fonds départementaux de compensation varient autant à situation équivalente ?
Cette inégalité de traitement signe un échec patent. Il faut absolument agir pour établir l’égalité de traitement sur le territoire français.
Pour cela, une volonté politique et une prise en compte globale de la question du handicap et de l’autonomie sont nécessaires.
Madame la secrétaire d’État, je le dis d’emblée, la question du handicap est au cœur de notre société. L’ampleur de la crise économique et sociale constitue un obstacle supplémentaire à l’intégration des personnes en situation de handicap, à l’école, au travail, dans tous les lieux et moments de la vie.
Il faut donc manifester encore plus de courage pour affronter les difficultés, pour accompagner ceux qui font face à des défis que la solidarité et l’esprit de justice sociale peuvent permettre de relever. Je suis persuadé que ce débat, ouvert sur l’initiative du groupe CRC, nous y aidera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe UDI-UC.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, seulement 15 % des personnes handicapées le sont de naissance ou le deviennent avant l’âge de 16 ans. Qui parmi nous peut se prétendre à l’abri d’un coup du sort ? Faut-il être personnellement affecté pour changer de regard ?
« Nous sommes tous handicapés », clame Theodore Zeldin, historien et sociologue britannique. « Nous sommes tous handicapés, parce que chacun d’entre nous a ses faiblesses, et celui qui n’en a pas conscience est le plus handicapé de tous ! »
Le vote de la loi du 11 février 2005 signa une avancée législative considérable, notamment en matière d’accessibilité, thème que j’aborderai en premier lieu. J’évoquerai ensuite quatre autres points clefs de cette loi, à savoir la création des maisons départementales des personnes handicapées, le droit à compensation des conséquences du handicap, l’accès à la scolarisation et l’insertion professionnelle.
Qu’est-ce que l’accessibilité ? En France, il faut croire que c’est un rêve…
Je citerai Philippe Croizon, amputé des quatre membres, qui œuvre aux côtés de l’Association des paralysés de France : « Je rêve que la personne en situation de handicap dise : "Je vais au cinéma, je vais faire mes courses, je vais prendre le métro, je travaille grâce aux compétences acquises pendant toute ma formation scolaire." »
Selon l’INSEE, son rêve est partagé par 9,6 millions de personnes. Vous avez bien entendu, mes chers collègues : pour près de 10 millions de nos compatriotes, la ville est un parcours d’obstacles. Ce chiffre, incroyable, excède bien sûr largement celui de la population qui circule en fauteuil roulant, comme l’a rappelé Dominique Watrin.
Il y a dix ans, Jacques Chirac faisait voter la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dite « loi Handicap ». L’adoption de cette loi traduisait la volonté des pouvoirs publics de généraliser l’accessibilité dans tous les domaines de la vie sociale – éducation, emploi, cadre bâti, transports… –, cela dans un délai de dix ans.
Et voilà que le gouvernement socialiste veut oublier les échéances de la loi de 2005 ! Cette loi donnait dix ans pour réaliser les aménagements nécessaires afin de rendre accessibles les établissements recevant du public, d’une part, et les transports publics, d’autre part, les dates butoirs étant fixées, respectivement, au 1er janvier 2015 et au 13 février 2015.
Sentant qu’il ne pourrait jamais tenir les engagements de ses prédécesseurs, le Gouvernement a approuvé, lors du conseil des ministres du 25 septembre 2014, un projet d’ordonnance visant à redéfinir les modalités de mise en œuvre du volet « accessibilité » de la loi. Ainsi est né l’agenda d’accessibilité programmée, nouveau dispositif d’échéanciers de réalisation des travaux de mise en conformité par les acteurs publics et privés.
Voilà exactement un an, Philippe Croizon lançait une campagne et une pétition pour que le Gouvernement se ressaisisse, avec pour mot d’ordre : « Accessibilité : la liberté d’aller et de venir ne peut pas attendre 10 ans de plus ! » En effet, l’ordonnance permet d’octroyer de nouveaux délais de trois ans, de six ans ou même de neuf ans, selon les cas de figure !
Au début du mois de février dernier, des centaines de personnes en fauteuil roulant ont manifesté dans les rues d’une trentaine de villes de France. On lisait, sur leurs pancartes : « liberté, égalité, accessibilité » ou encore : « accéder, c’est exister ».
C’est le temps du bilan. En matière d’accessibilité, l’application de la loi du 11 février 2005 est un échec, je dirais même une indignité nationale, constatée dans une parfaite indifférence.
La loi du 11 février 2005 visait à faire de l’accessibilité une arme contre l’exclusion et la discrimination. Ce sera pour plus tard : demain, toujours demain.
Les chiffres sont affolants : une école primaire publique sur deux, six lignes de bus sur dix ou, tenez-vous bien, plus de 80 % des établissements recevant du public ne sont pas aux normes en matière d’accessibilité.
Dans ce domaine, mes chers collègues, le bilan est calamiteux. Il est plutôt décevant sur les quatre autres points que je vais maintenant évoquer.
Premièrement, les maisons départementales des personnes handicapées, créées par la loi de 2005, sont de nouveaux interlocuteurs de proximité ayant vocation à simplifier les démarches administratives. Elles doivent faire face à une explosion du nombre des demandeurs. Or le rapport de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, nous apprend que ces structures sont « "agiles", mais fragiles ». De plus, les fonds départementaux de compensation souffrent de l’imprévisibilité de leurs ressources financières.
Madame la secrétaire d’État, vous avez annoncé un amendement gouvernemental au projet de loi relatif à la santé qui tendra à prévoir « une obligation d’orientation permanente des personnes » au sein des MDPH. Pouvez-vous clarifier la teneur de ce dispositif ?
Deuxièmement, la reconnaissance d’un droit à compensation des conséquences du handicap constitue un autre volet important de la loi de 2005. Les bénéficiaires de la PCH ont ainsi obtenu en moyenne sept heures d’aide humaine par jour, contre deux heures en moyenne précédemment. Toutefois, la PCH demeure insuffisante au regard des objectifs initiaux. Elle ne couvre pas les dépenses à hauteur des besoins réels et elle n’a jamais été étendue aux personnes devenues handicapées après l’âge de 60 ans, en contradiction avec ce que prévoyait la loi. Eu égard à la dégradation des finances départementales, comment assumer cette charge de manière pérenne ?
Troisièmement, l’accès à la scolarisation en milieu ordinaire représentait une belle promesse de la République faite au monde du handicap. Le nombre des assistants de vie scolaire a doublé en dix ans, mais reste très insuffisant. De plus, ces personnels sont souvent démunis face au handicap de l’enfant, par manque de spécialisation.
Si 42 % des jeunes entreprennent des études supérieures, seulement 9 % des élèves handicapés y parviennent. Ce trop faible niveau de qualification constitue le principal obstacle à leur insertion professionnelle.
En matière d’insertion professionnelle, précisément, si la loi de 2005 a permis des améliorations, les résultats sont loin d’être satisfaisants, le taux de chômage des personnes handicapées s’établissant à 22 %, soit le double de celui des valides. La loi de 2005 était-elle le bon véhicule législatif pour dynamiser l’insertion professionnelle ? La question se pose.
En conclusion, au-delà de la loi, c’est la société tout entière qui doit accepter le handicap. L’État ne fera jamais disparaître le handicap, ni la différence, la difformité, la souffrance, qui doivent être acceptés comme des réalités sociales, intégrés dans la « normalité », le quotidien de la vie, de l’école, des loisirs ou du monde du travail.
Tétraplégique depuis une quinzaine d’années à la suite d’une chute de cheval, Édouard Braine, ancien consul général à Londres, a pu mesurer l’écart qui séparait la France du Royaume-Uni :
« Depuis Londres, j’avais estimé notre retard sur les Britanniques à trente-cinq ans. Ce délai est celui qui sépare l’adoption de la loi principale sur le sujet votée par le parlement de Westminster, en 1970, tandis que la loi française date de 2005.
« Mon estimation était hélas optimiste, car, si les obligations d’accessibilité prévues dans notre loi étaient remises en cause, notre handicap par rapport aux Anglais dépasserait alors cinquante ans. […]
« Le mythe de la prise en charge intégrale, même dans une optique charitable, est une piste beaucoup moins efficace que l’approche pragmatique des Anglo-Saxons et de nos voisins en Europe. L’État providence […] est moins efficace qu’une société solidaire, où chacun peut trouver sa place, gagner sa vie et prouver son utilité. Les "zandikapés" ont moins besoin d’un ministère […] que d’une reconnaissance de leur "normalité". »
Sinon, « les espoirs, nés de la prise de conscience collective révélée à l’automne 2011 par le succès du film Intouchables, inspiré du livre de Philippe Pozzo di Borgo, seraient alors réduits à néant ». (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe UMP.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est, de l’avis de tous, une grande loi. Elle a permis de changer notre regard, les mentalités et notre réflexion sur un sujet trop longtemps négligé et elle a engagé de grandes avancées pour tous les citoyens en situation de handicap permanente ou temporaire. Le rapport d’information élaboré en 2012 par nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois l’a souligné.
La dépense publique pour la prise en charge des situations de handicap a connu entre 2005 et 2010 une croissance forte, de l’ordre de 22 %. Des avancées significatives ont été réalisées.
On peut notamment citer la scolarisation des enfants porteurs de handicap, qui concernait en 2010 plus de 200 000 élèves, soit 32 % de plus qu’en 2005. Le nombre d’AVS a doublé entre 2007 et 2010, pour représenter 23 261 équivalents temps plein travaillé, de même que les moyens consacrés à l’accompagnement de ces élèves, passés de 160,3 millions d'euros à 342,5 millions d'euros.
Je citerai encore la sécurisation des parcours des travailleurs en situation de handicap, la revalorisation de 25 % de l’AAH entre 2008 et 2012, l’amélioration de l’accès à la culture – télévision, audiodescription… –, les 51 450 places disponibles en établissements et services, la création d’un guichet unique pour les services aux personnes en situation de handicap avec la mise en place du dispositif des maisons départementales des personnes handicapées, le lancement du plan autisme et celui du plan handicap visuel, la création d’un observatoire et d’un comité.
C’est dire l’ampleur de la tâche qu’il a fallu accomplir. Tous ces progrès ont été permis par l’action du gouvernement précédent, dont cette loi symbolise la détermination.
Cependant, le rapport d’information de nos collègues a relevé des retards, sur le terrain, dans la mise en accessibilité du cadre bâti, des transports et de l’environnement des personnes en situation de handicap.
La loi avait en effet fixé deux dates butoirs pour que l’accessibilité devienne totalement effective : le 1er janvier 2015 pour les établissements publics et privés recevant du public ; le 13 février 2015 pour les transports publics. C’est à la suite de la remise, en mars 2013, des conclusions de la mission effectuée par notre collègue Claire-Lise Campion que le Gouvernement a déposé un projet de loi l’habilitant à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Force est de constater que l’objectif d’une accessibilité universelle au 1er janvier 2015 était trop ambitieux.
Ainsi, le présent gouvernement a pris une ordonnance visant à adapter l’échéance fixée par la loi Handicap, au travers de la création des agendas d’accessibilité programmée, qui ouvrent de nouveaux délais de trois à neuf ans pour la mise aux normes et prévoient des sanctions en cas de non-engagement des travaux.
En tant que maire, je suis très concerné par la mesure. La mise en place de ces agendas apparaît comme une solution pragmatique et raisonnable. Cela met un peu de souplesse dans un dispositif indispensable, mais dont la mise en œuvre coûte cher.
Il faut souligner que, jusqu’à présent, les collectivités ont fait de leur mieux, malgré la crise qui a frappé le pays dès la mi-2008 et qui les a elles aussi touchées. Par exemple, une enquête en date du 1er juillet 2012 indique que 85 % de la population est couverte par un plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, ou PAVE, adopté ou en cours d’élaboration. Ces plans concernent l’ensemble des circulations piétonnes et des aires de stationnement du territoire communal.
La mise en place de ces agendas est une mesure raisonnable, car aujourd’hui les collectivités doivent supporter une réduction drastique et sans précédent des dotations de l’État. Le Gouvernement a en effet décidé de diminuer de 11 milliards d'euros les aides aux collectivités territoriales sur les trois années à venir. Il faut en outre rappeler que, selon une étude réalisée en 2010 par la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés, la Fédération française du bâtiment et Dexia, la réalisation des travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public représenterait un investissement de 17 milliards d’euros pour les collectivités.
Dans le détail, la facture est, sans surprise, plus élevée pour les communes où se concentre le plus grand nombre d’établissements recevant du public : elle atteint 1,98 milliard d’euros pour les communes de moins de 3 000 habitants et 8,33 milliards d’euros pour celles de plus de 3 000 habitants. L’étude évalue le budget moyen de la mise en accessibilité d’un établissement recevant du public à 11 000 euros pour les communes de moins de 3 000 habitants et à 73 000 euros pour celles de plus de 3 000 habitants. Le coût moyen par établissement recevant du public monte à 170 000 euros pour les départements et à 226 000 euros pour les régions.
La mise en place de ces agendas est une mesure raisonnable, car il faut se donner le temps de trouver les ressources nécessaires pour assurer la mise en œuvre d’un tel plan dans une situation budgétaire complexe, sans faire supporter la charge, une fois de plus, aux contribuables, alors même que les communes doivent faire face, avec des ressources et des dotations toujours plus rognées, à des dépenses supplémentaires, liées à la réforme des rythmes scolaires, à l’instruction des documents d’urbanisme, et j’en passe.
Bien sûr, nous sommes très attachés à cette loi d’une importance primordiale dont nous sommes les initiateurs et nous sommes conscients de l’impérieuse nécessité de respecter l’agenda d’accessibilité programmée, assorti d’un dispositif de suivi et de sanctions. Le processus devra être irréversible et nous veillerons à son application.
Ces mises aux normes sont essentielles pour le bien-vivre des personnes en situation de handicap et pour l’avenir de la société tout entière, confrontée au vieillissement de la population. Nous comprenons la colère des associations représentatives et nous tenons à saluer le rôle crucial qu’elles ont joué dans l’élaboration de cet édifice unique qu’est la loi du 11 février 2005.
En conclusion, je souhaiterais savoir quelles mesures financières et quel dispositif budgétaire, au-delà des ressources provenant de l’application des sanctions financières, le Gouvernement compte adopter pour assurer la mise en œuvre de l’accessibilité universelle dans les délais impartis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour le groupe socialiste.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, trente ans après le texte fondateur de 1975, la loi du 11 février 2005 a incontestablement fait avancer la cause et la situation des personnes handicapées. Cette belle loi a à la fois affirmé de grands principes et posé des jalons pour la mise en œuvre d’une politique forte en faveur des personnes handicapées. Pour la première fois, elle a donné une définition du handicap qui intègre toutes les formes de déficience : physique, sensorielle, mentale, cognitive, psychique. Elle dépasse l’approche médicale et souligne l’importance de l’environnement dans la constitution du handicap.
C’est une loi ambitieuse, car elle visait, au travers d’une approche transversale, à couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées, et ce quel que soit leur âge : compensation du handicap, scolarisation, formation et emploi, accessibilité. Son entrée en vigueur a enclenché une dynamique inédite et des efforts incontestables ont été déployés.
Les mentalités ont évolué. Le regard de notre société se modifie lentement, trop lentement. La différence fait moins peur et le handicap est davantage perçu comme un facteur de progrès et de lien social.
Cependant, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux et la déception est grande parmi les personnes handicapées. À l’occasion de chaque rencontre ou échange, des personnes me disent que les choses ne vont pas assez vite, que cela fait quarante ans qu’elles attendent, qu’elles n’ont plus confiance. Je reçois des courriers qui relatent des difficultés inadmissibles ou décrivent le parcours du combattant accompli au quotidien afin de trouver une solution pour la prise en charge ou l’accueil d’un proche. Je comprends le sentiment d’usure des familles. Cette situation est intolérable, et notre responsabilité est engagée.
Mais je sais aussi le travail qui a été mené depuis 2012 et la volonté politique du Gouvernement de faire avancer les choses, dont témoigne sa forte mobilisation, compensant le manque d’engagement politique observé sous le précédent quinquennat.
J’aborderai successivement les thèmes de l’accessibilité, du travail et de la formation, de la santé.
La loi du 11 février 2005 a introduit le concept d’accessibilité universelle pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter l’exercice par une personne de ses activités quotidiennes. Toutefois, même si de réels progrès ont été accomplis, force est de constater que l’objectif n’avait pas été atteint à l’échéance du 1er janvier 2015.
La sensibilisation et la mobilisation des acteurs n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu. L’application de la loi n’a pas été assez accompagnée et soutenue politiquement, comme Isabelle Debré et moi-même l’avons relevé dans le rapport, remis le 4 juillet 2012, que nous avons rédigé au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.
Une fois ce constat posé, la forte volonté politique du gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’est mise en branle, avec le pragmatisme pour mot d’ordre. À l’issue d’une concertation nationale inédite – plus de 140 heures d’échanges et d’écoute –, il a été décidé de mettre en place des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP, et une nouvelle réglementation tenant compte des retours d’expérience, afin de mettre un terme à de nombreuses incohérences. Nous reviendrons, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance, sur ces éléments, mais je tiens à réaffirmer ici qu’il ne s’agit aucunement d’un recul.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault faisait le constat dès son entrée en fonction, en 2012, que nous étions dans une impasse. Il n’était pas concevable de laisser la question se régler devant les tribunaux, en prenant ainsi le risque de devoir revenir sur l’objectif de la loi. Des tentatives en ce sens sont à déplorer, et nous ne devons pas les oublier. Cette réforme évite un retour en arrière. Elle nous inscrit dans un temps encadré, contrôlé. Nous ne renonçons à rien, nous donnons un délai pour atteindre l’objectif.
En ce qui concerne le travail et la formation, la loi de 2005 opère un changement de paradigme sur la question de l’emploi des personnes handicapées : traditionnellement appréhendée à partir de l’incapacité de la personne, elle est désormais envisagée à partir de l’évaluation des capacités de celle-ci.
S’inscrivant dans la continuité de la loi du 10 juillet 1987, la loi Handicap maintient pour tous les employeurs, privés et publics, de vingt salariés ou plus, l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de l’effectif total, tout en leur permettant de satisfaire à cette exigence selon diverses modalités. Surtout, elle étend aux employeurs publics le dispositif de contribution annuelle financière destiné à compenser le non-respect de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés, en créant le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP. La loi charge par ailleurs les maisons départementales des personnes handicapées d’évaluer l’employabilité des personnes concernées et de les orienter vers le marché du travail.
Dix ans après, les progrès sont perfectibles et trop lents. Certes, le taux d’emploi des personnes handicapées est proche de l’objectif visé. À titre d’exemple, la fonction publique territoriale est la plus vertueuse, devant la fonction publique hospitalière et la fonction publique d’État, leurs taux d’emploi de personnes handicapées s’établissant respectivement à 5,97 %, à 5,34 % et à près de 4 %.
Il n’en demeure pas moins que les chiffres sont en dessous de la réalité. Les salariés hésitent en effet à déclarer leur handicap, craignant que cela ne constitue un obstacle pour leur carrière.
Le fait est cependant que l’emploi des personnes handicapées a subi de plein fouet les effets de la crise économique depuis 2008. Le taux de chômage de ces personnes est deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population.
Si je salue l’accord signé pour trois ans au début de février 2015 entre l’État, Pôle emploi et Cap emploi, avec le soutien de l’AGEFIPH, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, et du FIPHFP, je redis que le chemin restant à parcourir est long.
Derrière la question du chômage se cache celle de la formation. Le faible niveau de qualification des personnes handicapées est un obstacle à l’obtention d’un emploi. Dans ce domaine, l’espoir de voir s’infléchir la tendance est réel, compte tenu de la progression constatée de la scolarisation des enfants et des jeunes en situation de handicap.
Je dirai enfin quelques mots sur l’accès aux soins, qui est un droit fondamental, à l’égard duquel nous ne sommes pas tous égaux. Chacun s’accordera sur l’impérieuse nécessité de remédier aux inégalités, mais il est une fraction de la population pour qui se rendre chez le médecin de son choix relève du parcours du combattant. Les personnes porteuses de handicaps figurent indéniablement parmi celles qui rencontrent le plus de difficultés en matière d’accès aux soins et sont, partant, le plus victimes de ces inégalités, du fait à la fois de leur handicap, évidemment, d’un manque de formation des professionnels de santé, lesquels n’ont pas été préparés à accueillir et à prendre en charge les personnes handicapées dans leurs spécificités, et enfin du manque d’accessibilité des locaux, sujet trop peu souvent évoqué en matière d’entrave à l’accès aux soins.
Si l’égal accès aux soins est un enjeu de santé publique majeur pour l’ensemble des Français, des solutions devant être trouvées sous peine de rompre la promesse d’égalité républicaine, cette question se révèle bien plus saillante encore lorsqu’on l’envisage au travers du prisme du handicap.
À cet égard, je salue la signature par plus de trente organisations de la charte « Romain Jacob » pour l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Le Gouvernement, par la voix de Mme Neuville, a annoncé le dépôt d’amendements au projet de loi relatif à la santé tendant à permettre que les personnes porteuses de handicap puissent être prises en charge dans les meilleures conditions possible.
Mes chers collègues, nous ne manquerons pas, j’en suis sûre, de soutenir ces propositions. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons la responsabilité de faire vivre la loi du 11 février 2005. Œuvrons dans un esprit de solidarité pour que notre société permette à chacun de vivre avec ses singularités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour le groupe écologiste.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRC d’avoir demandé la tenue de ce débat, qui porte sur un sujet essentiel.
L’adoption de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a constitué un tournant symbolique. Cette loi a changé le regard de notre pays sur le handicap. Fini, la logique d’assistanat ! La loi garantissait l’égalité de tous les citoyens et mettait en avant la nécessité d’accompagner les personnes handicapées dans leur quotidien, afin qu’elles puissent avoir un parcours de vie comme tout un chacun.
Droit à l’éducation pour tous les enfants, accès aux droits fondamentaux reconnu et simplifié, grâce par exemple à la création des maisons départementales des personnes handicapées, mise en place de l’accessibilité universelle à l’échéance de dix ans : les avancées prévues dans le texte étaient porteuses d’espoir pour les millions de personnes en situation de handicap de notre pays.
Dix ans après, cela a déjà été dit, si des progrès ont été enregistrés, force est de constater l’existence d’un important retard. Les personnes handicapées sont les premières à faire cet amer constat : selon un sondage effectué par l’IFOP au début de l’année, près d’une personne handicapée sur deux estime que son quotidien ne s’est pas amélioré depuis dix ans ; près d’un quart des personnes interrogées juge même qu’il s’est dégradé !
Dix ans après son adoption, il faut donc bien reconnaître que les objectifs fixés par la loi de 2005 sont encore loin d’être atteints. En tant que parlementaires, nous devons mesurer la gravité de la situation. Le fait qu’une loi votée voilà dix ans ne soit que très partiellement appliquée est de nature à troubler les repères républicains dans notre pays et à aggraver la méfiance de certains de nos concitoyens à l’égard de la politique en général. Il nous faut réagir !
Le retard est immense. Pour le rattraper, nous avons autorisé en juillet 2014 le Gouvernement à légiférer par ordonnances. La mise en place des agendas d’accessibilité programmée était, sur le principe, un bon moyen d’inciter à la réalisation effective des travaux de mise en accessibilité. Pourtant, les associations nous alertent, souvent avec colère, sur le contenu de ces ordonnances, qui est loin d’être satisfaisant.
La mise en accessibilité ne peut pas être vue comme une contrainte. Elle ne peut pas être perçue comme une charge financière qui empêcherait la réalisation d’autres investissements. Elle impose bien sûr de faire des choix, des arbitrages, de définir des priorités, mais elle doit être vue comme un bénéfice pour tous et comme un investissement allant de soi. La notion de « difficulté financière », servant à justifier des dérogations, « renouvelables si nécessaire », au dépôt d’Ad’AP, doit être maniée avec prudence et clairement définie. Il faut veiller à ce que les travaux de mise en accessibilité ne passent pas systématiquement après d’autres investissements qui seraient jugés plus importants.
Comment la promotion de l’égalité de tous les citoyens ne serait-elle pas la priorité dans notre république ? L’État, le Gouvernement, les pouvoirs publics, les administrations, mais aussi les acteurs économiques et sociaux en général doivent s’engager.
L’État, en particulier, doit montrer l’exemple. Pourtant, la France est régulièrement montrée du doigt pour non-respect des droits de ses citoyens en situation de handicap. Ainsi, en février, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, un prisonnier handicapé ayant été traité d’une façon jugée contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe a encore une fois épinglé la France en raison de l’insuffisante scolarisation des enfants handicapés, en particulier des enfants autistes : 20 000 d’entre eux ne seraient pas scolarisés en milieu ordinaire, alors que cela est vivement recommandé, dès lors qu’un accompagnement adéquat est assuré.
Le droit à l’éducation, pourtant inscrit dans la loi de 2005, est d’autant plus mis à mal que l’accessibilité des établissements scolaires n’est souvent pas assurée : comment est-il possible qu’un quart des écoles construites après 2008 ne soient pas accessibles, comme l’indique une étude récente de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement ? Comment est-il possible que la plupart des lieux de formation initiale post-bac, en particulier les universités, ne soient souvent pas accessibles aux personnes en situation de handicap, alors qu’ils devraient l’être depuis plusieurs années ? Comment se fait-il que l’évolution du statut professionnel des auxiliaires de vie scolaire progresse si difficilement ?
Les effets de cette situation sont désastreux : tout cela contribue au fait que les personnes handicapées soient moins diplômées que la moyenne, 51 % d’entre elles n’ayant aucun diplôme ou seulement le BEPC, contre 31 % pour l’ensemble de la population. Leur taux de chômage est de 21 %, soit plus du double de celui de la population totale, et il ne cesse de croître dramatiquement depuis plusieurs années : il a ainsi augmenté de plus de 75 % en cinq ans.
La loi de 2005 reconnaissait enfin le principe d’égal accès aux droits fondamentaux. Je n’ai pas le temps de développer ce sujet, sur lequel il y aurait pourtant aussi beaucoup à dire.
Pourquoi, par exemple, ne pas harmoniser les plafonds de la CMU-complémentaire et de l’allocation aux adultes handicapés ? L’écart n’est que de 80 euros. La situation est paradoxale : plus une personne est handicapée, plus elle a besoin de soins constants, plus le montant de l’AAH est élevé ; mais alors, les revenus deviennent souvent supérieurs au plafond fixé pour l’octroi la CMU-C. Comment expliquer cela aux personnes concernées ?
Mes chers collègues, nous aurons l’occasion, au cours des mois à venir, de rattraper notre retard grâce à deux vecteurs législatifs : d’une part, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que nous examinerons la semaine prochaine ; d’autre part, le projet de loi relatif à la santé, dont nous discuterons dans quelques mois. Utilisons-les pour faire avancer un certain nombre de nos propositions. L’égalité ne doit pas, ne peut pas être sans cesse remise à plus tard. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Dominique Watrin a présenté l’analyse globale du groupe CRC sur les effets de la loi du 11 février 2005 sur la situation des personnes en situation de handicap. Comme lui, je constate que des pas en avant ont été accomplis.
Pour autant, le chemin qu’il reste à parcourir pour que le handicap ne soit plus un obstacle à la reconnaissance pleine et entière de la citoyenneté est immense. Ce chemin est d’autant plus rude que la loi de 2005 péchait par manque de financement et que la politique actuelle de réduction des dépenses publiques, en particulier les ponctions drastiques sur les budgets des collectivités territoriales, porte atteinte aux plus défavorisés, aux plus fragiles, dont les personnes en situation de handicap.
En six minutes, je n’aurai le temps d’aborder que deux points : l’accès à l’emploi et la scolarisation.
En matière d’accès à l’emploi, le bilan des dix années passées est mauvais, puisque les salariés en situation de handicap rencontrent des difficultés spécifiques sur le marché de l’emploi : 22 % d’entre eux sont au chômage, soit un taux double de celui de l’ensemble de la population.
Comment ne pas faire nôtre cette déclaration d’une grande association : « Aujourd’hui, de nombreuses personnes en situation de handicap se trouvent en situation de précarité grandissante avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté. […] Elles ne veulent plus demeurer des citoyens de seconde zone. » Ce constat critique, mais lucide, montre bien à quelles difficultés sociales et financières considérables sont confrontées les personnes en situation de handicap et leurs familles.
L’accès à l’emploi est donc l’une des clefs de l’amélioration de cette situation toujours très difficile. La loi est pourtant claire : l’effectif total de tout employeur du secteur privé, de tout établissement public de vingt salariés ou plus doit compter au moins 6 % de personnes en situation de handicap. Or le taux réel s’établit bien en deçà de cette obligation légale, puisqu’il est de 3,1 % dans le secteur privé et de 4,6 % dans le secteur public. En effet, une autre faiblesse de la loi de 2005 était le manque de mesures de coercition en matière d’emploi des personnes en situation de handicap.
Au-delà de ces chiffres, insuffisants, se pose la question des conditions d’emploi, des statuts et des rémunérations proposés aux salariés handicapés. Sur ce point, l’heure n’est pas aux progrès, puisque le projet de loi Macron accroît les marges de manœuvre des employeurs pour se soustraire à leur obligation d’emploi de personnes handicapées.
Ainsi, l’article 93 du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques prévoit que l’employeur pourra s’acquitter partiellement de cette obligation en accueillant des personnes en situation de handicap pour des périodes de « mise en situation » en milieu professionnel, la personne handicapée n’étant pas rémunérée par l’entreprise. L’article 93 bis, quant à lui, résultant de l’adoption d’un amendement présenté discrètement par M. Macron dans la nuit de samedi 14 février, dispose que les stages de découverte des métiers concernant les élèves de la cinquième à la terminale permettront eux aussi aux employeurs de s’acquitter partiellement de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. Nous aurons dans quelques semaines un débat fort sur ce texte, notamment sur ces dispositions encore peu connues, qui me paraissent tout à fait scandaleuses : comment accepter que soient mis sur le même plan un stage scolaire d’observation et un emploi !
Ces remarques m’amènent à faire le point sur la scolarisation des enfants en situation de handicap.
L’intégration dans le milieu scolaire de ces enfants constituait l’un des grands enjeux de la loi de 2005. À la rentrée de 2014, 258 710 jeunes en situation de handicap étaient scolarisés, soit une augmentation moyenne de leur effectif de 6,3 % par an depuis 2005, supérieure à la moyenne générale.
Une augmentation d’un tiers en dix ans du nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés constitue un fait positif, mais dans quelles conditions cette scolarisation s’opère-t-elle ? Beaucoup d’observateurs soulignent que, trop souvent, il s’agit d’une scolarité a minima.
La réforme engagée pour améliorer le statut des assistants de vie scolaire n’a pas été menée à son terme. La précarité de ce statut, l’insuffisance de la formation, les difficultés de recrutement ne rendent pas la situation pleinement satisfaisante aujourd’hui, tant s’en faut. Là encore, la loi de 2005 a créé un droit sans prévoir de financement. Il est temps d’engager un programme ambitieux de formation des adultes, AVS et enseignants, adaptée aux différents types de handicaps, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
En outre, les classes recevant en inclusion des enfants en situation de handicap ne devraient pas dépasser vingt élèves. Sinon, l’inclusion reste un leurre !
S’agissant des projets personnalisés de scolarisation, l’équipe éducative est rarement mobilisée en permanence : on se contente trop souvent d’une réunion en début et en fin d’année pour valider les propositions d’orientation. De plus, l’équipe éducative est souvent trop administrative.
Pour permettre une scolarisation réussie, il faut également renforcer le lien entre l’éducation nationale et les MDPH, lieux de centralisation de l’information à destination des personnes en situation de handicap. Ces dernières ont un rôle central à jouer dans le suivi de la scolarisation des enfants en situation de handicap. Elles peuvent orienter parents et enfants, leur indiquer à qui s’adresser pour telle ou telle question liée à la scolarisation. Elles présentent l’avantage de suivre la personne en situation de handicap à tous les âges de sa vie et pourraient être mobilisées pour préparer le passage de l’école à la vie active. Toutefois, de grandes incertitudes planent aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, sur l’avenir des MDPH : peut-être pourrez-vous nous rassurer ?
Si les efforts en matière de scolarisation sont réels et efficaces, la question de l’avenir des jeunes en situation de handicap, passé l’âge de 16 ans, reste posée. À ce titre, l’absence de réflexion sur la professionnalisation dans le cadre des classes ULIS – unités localisées pour l’inclusion scolaire – est regrettable. À mon sens, le développement de classes ULIS « pro » en lycée devrait être envisagé, de même qu’un renforcement de l’encadrement dans les SEGPA, les sections d’enseignement général et professionnel adapté. Cela permettrait à des enfants pouvant envisager ce type de scolarité d’être mieux accueillis et de construire leur avenir.
Je tenais à aborder ces deux sujets, très liés, qui constituent, avec celui de l’accessibilité, des volets de la loi de 2005 sur lesquels d’importants efforts restent à faire. Le bilan de l’application de cette loi ambitieuse n’est pas négatif. Elle a ouvert des chemins, permis une première reconnaissance. Il faut aujourd’hui empêcher que le poids des contraintes économiques, l’austérité n’entraînent de profonds reculs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.
M. Gilbert Barbier. « Une société […] se juge notamment à l’attention qu’elle porte aux plus fragiles et à la place qu’elle réserve […] aux personnes qui souffrent d’un handicap. » C’est en ces termes que le Président de la République Jacques Chirac engageait, dès 2002, la réforme de la loi de 1975, qui ne répondait plus aux attentes et aux besoins des personnes handicapées et de leurs familles. Il s’agissait de renforcer notre cohésion nationale par davantage de justice et d’attention aux plus vulnérables.
La loi du 11 février 2005 a marqué un indéniable tournant pour notre société et constitué une nouvelle étape dans la reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap. Je voudrais rappeler ici le travail important fourni par Paul Blanc, qui fut le rapporteur de ce texte au Sénat.
Qualifiée à l’époque d’« historique », la loi du 11 février 2005 a incontestablement permis de changer le regard de la société sur les personnes handicapées. D’importants progrès ont été réalisés en la matière. Je pense notamment à la création de la prestation de compensation du handicap, qui permet de prendre en charge les coûts liés au handicap dans la vie quotidienne. En dix ans, le budget consacré à la PCH a doublé, pour s’établir à 1,5 milliard d’euros. Certes, l’attribution reste inégale et des améliorations doivent être apportées, mais je sais, madame la secrétaire d’État, que vous souhaitez ouvrir un chantier en vue d’assurer une meilleure prise en compte des besoins en matière d’aide pour la vie domestique et une plus grande équité. C’est une bonne chose, et nous examinerons vos propositions avec attention.
La création des maisons départementales des personnes handicapées, guichets uniques pour l’accès aux droits et aux prestations, doit également être saluée. Elle a permis de mettre fin au parcours semé d’embûches que devaient suivre jusqu’alors les personnes handicapées et leurs familles. Pour autant, si la mise en place de ces lieux uniques d’accueil, d’information, d’orientation et d’évaluation des personnes handicapées constitue une véritable avancée, beaucoup s’accordent à dénoncer l’existence d’inégalités d’un département à l’autre.
Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé lors d’un colloque organisé par la fondation Chirac le 5 février dernier, « les MDPH sont aujourd’hui beaucoup trop absorbées par leurs tâches administratives au détriment du suivi individualisé des personnes ». Il est en effet essentiel que les MDPH puissent recentrer leur activité sur l’accompagnement des personnes dans la réalisation de leur projet de vie. En mai dernier, l’Association des directeurs de maison départementale des personnes handicapées a rédigé plusieurs propositions de simplification des démarches visant à alléger leur charge de travail. Quelle suite entendez-vous donner à ces propositions ?
La loi de 2005 a également donné une véritable impulsion à la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire. À la rentrée de 2014, on comptait ainsi près de 260 000 élèves handicapés scolarisés dans les établissements ordinaires, contre 150 000 en 2005. Ce bilan, insuffisant peut-être, mais tout de même globalement positif, est aussi à nuancer au regard des difficultés persistantes rencontrées par certains élèves handicapés. C’est du moins ce qui ressort d’une enquête menée par le Défenseur des droits, ainsi que d’un récent rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui s’inquiète que 20 000 enfants handicapés ne soient pas scolarisés dans notre pays et encourage la France à poursuivre ses efforts afin de garantir à tous les enfants une instruction appropriée. Cela passe évidemment par l’embauche d’assistants de vie scolaire, mais aussi par une meilleure formation des enseignants au handicap.
J’en viens à la question de l’accessibilité. Cela a été maintes fois exprimé dans cet hémicycle : le délai de dix ans prévu dans la loi de 2005 était particulièrement ambitieux, mais assez peu réaliste. Lors de l’examen de la loi de 2005 par notre assemblée, j’avais d’ailleurs alerté la ministre de l’époque sur le coût considérable de cette réforme, notamment pour les collectivités locales.
Par ailleurs, comme l’a parfaitement rappelé Claire-Lise Campion dans son rapport intitulé « Réussir 2015 », la mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation des travaux, la complexité des règles et l’absence d’évaluation des coûts expliquent que l’adoption de la loi de 2005 n’ait pas été suffisamment suivie d’effet. Je comprends que les personnes handicapées, pour lesquelles le délai de dix ans était déjà très long, ne puissent se satisfaire du report de la mise en accessibilité. Pour autant, cette réforme nécessite des dépenses nouvelles auxquelles les collectivités, il faut en être conscient, ne peuvent pas faire face. Avec des budgets de plus en plus contraints, il est difficile, notamment pour les petites communes, de se mettre en conformité avec la loi.
Dans ces conditions, même si je n’apprécie pas particulièrement le recours aux ordonnances, la loi que nous avons votée l’an dernier permettra, je l’espère, d’atteindre cet objectif d’accessibilité pour tous. En effet, comme l’avait rappelé notre ancien collègue Robert Tropéano, la qualité d’une société s’apprécie notamment à sa capacité à accueillir les différences et à permettre à toute personne handicapée d’être un acteur de la vie de la cité. (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, selon l’INSEE, quelque 9,6 millions de personnes sont en situation de handicap au sens large, de façon permanente ou conjoncturelle.
La politique en faveur des personnes handicapées mobilise des moyens financiers importants : près de 38 milliards d’euros en 2013, dont 14,2 milliards d’euros provenant de l’État, 15,8 milliards d’euros de la sécurité sociale, 1 milliard d’euros de la CNSA, 6,3 milliards d’euros des départements, hors transferts de la CNSA, et 0,4 milliard d’euros de l’AGEFIPH.
Malgré les très fortes tensions qui pèsent, depuis 2008, sur les finances publiques, les dépenses en matière de handicap ont non seulement pu être préservées, mais ont augmenté de 32,4 % entre 2005 et 2010, une grande partie de cette augmentation ayant été supportée par les départements.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a représenté une belle avancée sociale, particulièrement pour les plus dépendants. Elle a promu l’ambition d’une société plus accueillante, d’une société de l’inclusion, prenant en compte la personne, son projet de vie et ses besoins, ainsi que ses droits individuels, condition nécessaire à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière.
La loi de 1975 n’était plus adaptée. Il fallait sortir de l’assistanat, de la compassion, du cantonnement dans l’aide sociale.
La loi de 2005 affirme que doit être garanti à toute personne – y compris celle qui « ne peut exprimer seule ses besoins » – « l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens », c’est-à-dire les soins, le dépistage, la prévention, la formation scolaire et professionnelle, l’emploi, le logement, les déplacements, le tourisme, la culture, etc. C’est le principe de l’accessibilité universelle qui est invoqué, ouvrant l’accès à tout pour tous sans restriction.
Cependant, sa mise en œuvre s’est faite dans la précipitation. Une grande partie des décrets publiés en décembre 2005 étaient applicables dès le 1er janvier 2006. Les conseils généraux se souviennent des locaux à trouver, des logiciels à harmoniser, des commissions exécutives à installer en une semaine, des personnels – libres de rester ou non – à remplacer et des bénéficiaires rendus exigeants par les grandes déclarations nationales.
Les bilans montrent la réactivité des départements et le rapport de 2012 des sénatrices Claire-Lise Campion et Isabelle Debré souligne les avancées majeures permises par la loi de 2005, tout en relevant que les résultats demeurent en deçà des espoirs initialement soulevés. Il est à noter que treize décrets resteraient encore à publier à ce jour – dix ans après !
Je m’attacherai à évoquer la compensation du handicap et la scolarisation des enfants handicapés.
La loi du 11 février 2005 a introduit le droit à compensation.
La prestation de compensation du handicap, versée par le conseil général – avec une participation de plus en plus faible de la CNSA, qui ne représente plus qu’un tiers de la charge –, finance des aides humaines, techniques et animalières, l’aménagement du logement ou d’un véhicule, ainsi que des charges spécifiques ou exceptionnelles.
Les conseils généraux ont versé la prestation de compensation du handicap à 170 000 personnes en 2014, contre 89 000 en 2006.
La PCH ne remplit pas toujours l’intégralité de sa vocation. Elle ne prend pas en compte, par exemple, l’intervention humaine de soutien aux jeunes parents handicapés et à leurs enfants. Certains départements prennent toutefois cette aide en charge.
La création du guichet unique des maisons départementales des personnes handicapées constitue un réel progrès. Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins spécifiques et les souhaits de la personne, ce qui signifie qu’à pathologie et déficience équivalentes, la réponse apportée peut être différente.
Les MDPH ont vocation à réduire les délais d’instruction des demandes, mais l’on constate encore des lenteurs et des fonctionnements disparates selon les départements en raison d’« embolies » liées à l’augmentation du nombre des sollicitations, mais également à des lourdeurs administratives, à la transformation du droit à être reçu en obligation de recevoir… Le choc de simplification et d’efficacité administrative n’a pas forcément été au rendez-vous, et les départements ont été contraints de mettre à disposition beaucoup plus de personnel que prévu : en Ille-et-Vilaine, par exemple, nous sommes passés de trente-cinq équivalents temps plein à soixante et un.
L’association des directeurs de MDPH a formulé des propositions d’allégement des procédures, comme l’a souligné M. Barbier à l’instant. Nous souhaitons que ces propositions soient examinées avec beaucoup d’attention.
Vous avez prévu, madame la secrétaire d’État, de recentrer les MDPH sur leur mission d’accompagnement global des personnes en situation de handicap et de leurs familles. Je crois que ce sera une bonne chose.
Le fonctionnement de la MDPH repose plus que jamais sur une mobilisation importante de la collectivité départementale, tant sur le plan des ressources humaines que sur celui des moyens financiers. Certains départements ont été contraints de se désengager des fonds départementaux de compensation du handicap, facultatifs certes, mais néanmoins utiles.
Un autre point fort de la loi de 2005 était l’obligation, pour le service public de l’éducation, d’accueillir les enfants en situation de handicap en milieu ordinaire. Elle a eu pour conséquence une progression très sensible du nombre des enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire : 258 710 étaient inscrits dans le premier et le second degré à la rentrée de 2014, contre 151 500 en 2005.
Ce bilan positif est toutefois à nuancer. La loi de 2005 prévoyait une étroite association des parents à la décision d’orientation de leur enfant, mais l’affectation des enfants ne coule pas de source dans de nombreux établissements, en raison d’un manque d’assistants de vie scolaire. Bien qu’en dix ans le nombre d’AVS ait plus que doublé – on en compte aujourd’hui 69 000 –, leur statut, même consolidé, demeure précaire.
Les AVS ne reçoivent pas de formation véritable sur les différentes familles de handicaps, l’approche des personnes en situation de handicap, les outils à utiliser et les méthodes à développer ; ils bénéficient tout juste d’une sensibilisation, d’une adaptation à l’emploi sur une durée de soixante heures.
L’intégration scolaire soulève quelques interrogations eu égard à ses limites : un élève qui a besoin en permanence d’un AVS à ses côtés tire-t-il un véritable profit de son intégration dans le milieu scolaire ordinaire ? Le maintien à tout prix dans un cursus ordinaire peut s’avérer, à terme, contreproductif. Il en est de même de certains adolescents maintenus en classes ULIS de lycée jusqu’à l’âge de 16 ans et qui en sortent sans solution et sans place dans le milieu spécialisé. Ces jeunes sont parfois renvoyés dans leur famille et l’un des deux parents doit alors s’arrêter de travailler. Comment introduire l’enseignement spécialisé comme une orientation adaptée, socialement acceptable pour l’enfant et ses parents ? Telle est la question qui se pose.
Que dire des surcoûts insupportables liés aux assurances exigées par les banques pour tout emprunt contracté par un handicapé voulant créer son entreprise ?
La loi du 11 février 2005 a eu le mérite de sortir la question du handicap du domaine exclusif de la santé et d’ouvrir une réflexion sur ce qu’est le handicap et sur les secteurs d’activité concernés : aménagement du territoire, scolarisation des enfants handicapés, insertion professionnelle. Assortie d’objectifs ambitieux, sa mise en œuvre se heurte à de réelles limites. Tout n’a pu être mis en place à ce jour ; il reste encore beaucoup à faire.
Nous savons pouvoir compter, madame la secrétaire d’État, sur votre engagement et votre détermination pour que le vivre-ensemble soit une réalité vécue par tous les membres d’une même société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap », inscrit à l’ordre du jour du Sénat à la demande du groupe communiste républicain et citoyen, que je remercie de cette initiative, rejoint pleinement l’actualité, puisque nous avons célébré voilà peu les dix ans de cette grande loi.
Avant de répondre à l’ensemble de vos questions et d’apporter un éclairage le plus complet possible sur le sujet, il me semble légitime de rappeler le rôle fondamental joué par le Président Chirac dans la genèse de la loi du 11 février 2005. C’est lui en effet qui, dès 2002, alors qu’il avait fait du handicap l’une des grandes causes prioritaires de son quinquennat, a engagé une réforme de la loi de 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées.
De la concertation organisée à cette fin est né le texte relatif à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. L’objectif était de rompre résolument avec une vision compassionnelle des personnes en situation de handicap, en changeant les représentations et le regard posé sur le handicap par la société.
Malgré les réserves que j’ai pu entendre formuler sur le bilan de l’application de la loi, force est de reconnaître qu’il y a un avant et un après 2005 dans la manière d’appréhender le handicap dans notre pays. Si la notion de handicap suppose toujours une altération, elle est désormais appréhendée au travers des difficultés et des conséquences qui en résultent pour la vie en société des personnes handicapées, de façon à les compenser. En découle la création d’un droit à la compensation par le biais de la solidarité nationale.
Ce droit à la compensation se traduit concrètement, pour les personnes concernées, par la possibilité de bénéficier de la prestation de compensation du handicap, laquelle a pour objet la couverture de besoins aussi divers que les aides humaines, les aides techniques ou encore l’aménagement du logement.
En proclamant le principe d’accessibilité universelle, c’est-à-dire le droit accordé à toutes et à tous d’accéder à tout, la loi de 2005 ouvre également l’espace public dans sa totalité aux personnes handicapées, et ce quel que soit leur handicap – sensoriel, moteur, mental ou psychique. Cela implique de faire entrer les personnes dans les dispositifs de droit commun, en faisant en sorte que l’ensemble des politiques publiques intègrent la dimension du handicap dans leurs préoccupations : santé, éducation, emploi, équipement, aménagement, transports, culture, etc.
Enfin, la création des maisons départementales des personnes handicapées, créant un « guichet unique », marque un changement significatif dans le paysage institutionnel.
Depuis la promulgation de la loi du 11 février 2005 est intervenue, début 2010, la ratification par la France de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006. Cette convention a pour objectif de promouvoir et de protéger les droits civils, politiques, économiques, culturels et sociaux des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres citoyens.
Son application nous engage à adopter, concernant les politiques du handicap, une logique d’inclusion accompagnée, qui s’inscrit dans le droit fil de l’esprit de la loi du 11 février 2005.
Cela implique d’adopter une « approche intégrée du handicap dans les politiques publiques », ce que fait la circulaire du Premier ministre rendant obligatoire, pour l’élaboration de chaque projet de loi présenté devant le Parlement, la prise en compte de dispositions relatives aux personnes en situation de handicap.
Tels sont les éléments de contexte que je souhaitais rappeler avant de me livrer, dans un premier temps, à un exercice de synthèse afin de dresser un bilan de la mise en application de la loi du 11 février 2005, exercice pour lequel l’excellent rapport consacré au sujet et publié le 4 juillet 2012 par Claire-Lise Campion et Isabelle Debré demeure une référence. Dans un second temps, j’aborderai les toutes dernières perspectives du Gouvernement en matière de politique du handicap.
La loi de 2005 a incontestablement donné une nouvelle impulsion à la politique du handicap, qui mobilise des moyens financiers importants : près de 38 milliards d’euros en 2013, soit une augmentation de 32,4 % en euros constants sur la période 2005-2010.
Rappelons que, depuis 2005, sous l’effet notamment de la reconnaissance du handicap psychique, le nombre des allocataires de l’AAH s’est fortement accru, pour franchir le million en octobre 2014. Aujourd’hui, la dotation inscrite pour 2015 dépasse 8,5 milliards d’euros. Parallèlement, le montant de l’AAH a été revalorisé de 25 % entre 2008 et 2012.
La prestation de compensation du handicap, créée par la loi de 2005, a connu une montée en charge importante. En 2014, 164 000 personnes en bénéficiaient, pour un montant de 1,5 milliard d’euros. Les montants versés – 800 euros mensuels en moyenne – correspondent au double de l’ancienne allocation compensatrice pour tierce personne, l’ACTP, dont le nombre de bénéficiaires ne cesse de décroître, en raison notamment de la faculté ouverte à ces derniers par la loi de 2005 d’opter pour la PCH.
Un effort sans précédent a été consenti en faveur de la création de places en établissements et services, avec un programme pluriannuel pour la période 2008-2012 qui se prolongera en fait jusqu’en 2017. Ce plan prévoyait la création de 41 450 places, auxquelles s’ajoutent 10 000 places en établissements et services d’aide par le travail, soit plus de 12 250 places supplémentaires pour les enfants et plus de 29 200 pour les adultes. En 2015, 4 500 places seront encore créées, et près de 6 000 en 2016 et 2017.
Enfin, le plan autisme 2013-2017 a prévu la création de 3 400 places, dont 1 900 places pour les enfants et 1 500 pour les adultes.
Je veux rappeler le nombre total de places dans les établissements médicosociaux en France : tous types de handicaps et d’établissements ou services confondus, 157 751 places sont disponibles pour les enfants et 334 536 pour les adultes.
L’évolution de l’effort financier a donc été particulièrement importante, sous l’effet d’une volonté politique continue.
Le bilan de la mise en œuvre du principe d’« accessibilité universelle » est bien entendu plus nuancé, comme vous l’avez tous souligné. Ce principe gravé dans le marbre par la loi du 11 février 2005 concernait non seulement l’accessibilité physique, mais aussi tout type d’inclusion dans la société.
En matière d’accessibilité physique, la loi de 2005 se bornait à fixer au 1er janvier 2015 la date butoir à laquelle tout devait devenir accessible à tous les handicapés.
Or, nous le savons, avec 30 % seulement d’établissements recevant du public mis en accessibilité, ce rendez-vous a été manqué. C’est tout le mérite de la sénatrice Claire-Lise Campion que d’avoir proposé le dispositif des agendas d’accessibilité programmée, permettant de maintenir intacte l’ambition, tout en reportant les échéances pour rendre possibles les réalisations concrètes.
Nous évoquerons largement ces questions lorsque les dispositions de l’ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées seront soumises au Parlement pour ratification. Bien entendu, cette ordonnance pourra faire l’objet d’améliorations à cette occasion.
Le principe d’« accessibilité universelle » a été fécond dans plusieurs autres domaines, en permettant une inclusion croissante des personnes handicapées dans la société. En matière de scolarisation, la mise en œuvre de la loi de 2005 a permis de doubler en dix ans le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire, qui s’élève aujourd’hui à 260 000.
Les efforts entrepris par le ministère de l’éducation nationale sont axés sur la formation des professionnels, le recrutement et la professionnalisation des accompagnants d’élèves en situation de handicap, mais aussi sur l’amélioration de l’individualisation de l’accompagnement en prévoyant une meilleure coordination entre l’éducation nationale et les équipes pluridisciplinaires des MDPH.
Je veux enfin rappeler que, dans le cadre du troisième plan autisme 2013-2017, vingt-neuf unités d’enseignement pour les enfants atteints de troubles autistiques ont été ouvertes à la rentrée 2014-2015, soit une par académie. L’ouverture de soixante et onze nouvelles unités est programmée et budgétée pour les rentrées de 2015 et de 2016. Au terme du plan, cent unités d’enseignement pour les enfants atteints de troubles autistiques auront été créées.
Le principe d’accessibilité inscrit dans la loi du 11 février 2005 s’est aussi décliné dans le monde du travail.
C’est la loi du 10 juillet 1987 qui a prévu que les entreprises d’au moins vingt salariés aient l’obligation d’employer des travailleurs reconnus par l’administration comme handicapés, dans une proportion au minimum égale à 6 % de leurs effectifs, sous peine d’être assujetties à une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, organisme paritaire créé par cette même loi.
La loi du 11 février 2005 a donné une nouvelle impulsion à cette politique en confiant aux MDPH le soin d’accompagner, avec le service public de l’emploi, les personnes handicapées pour mieux les aider à intégrer le marché du travail, et en renforçant les sanctions financières pour les établissements. En outre, elle a étendu l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés au service public et créé le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, mis en place le 1er janvier 2006.
Par la suite, les efforts ont porté sur le renforcement du pilotage de la politique d’emploi des travailleurs handicapés, avec la signature de conventions partenariales entre les acteurs du service public de l’emploi, l’État, l’AGEFIPH et le FIPHFP, afin notamment d’assurer un suivi territorial et de faire converger l’action de tous les acteurs.
Par ailleurs, pour renforcer le contenu qualitatif des accords sur l’emploi des travailleurs handicapés, le décret du 20 novembre 2014 rend obligatoires les plans de maintien dans l’emploi au sein des accords agréés au titre de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés.
En matière de formation, la loi du 5 mars 2014 contient des dispositions qui profitent à tous, et particulièrement aux personnes handicapées : le compte personnel de formation, l’entretien professionnel organisé dès le retour après un arrêt maladie, le conseil en évolution professionnelle, les périodes de mise en situation professionnelle. Cette loi prévoit en outre que les personnes handicapées bénéficient de dispositions spécifiques, notamment de la possibilité de se former pendant un arrêt de travail et de l’amélioration de leur protection sociale pendant les formations. Enfin, les régions sont désormais compétentes en matière d’accès à la formation et de qualification professionnelle des personnes handicapées.
Concernant le travail en milieu protégé, depuis 2005, le nombre des entreprises adaptées a augmenté constamment, passant de 614 en 2008 à 702 en 2013. Le budget consacré par l’État à ces entreprises s’élevait à 290 millions d'euros en 2013, auxquels s’ajoutaient 40 millions d'euros de subventions spécifiques destinées à contribuer au fonctionnement des structures. Quant au travail complètement « protégé », c'est-à-dire en établissements et services d’aide par le travail, il s’est également développé : au 31 décembre 2013, on comptait 1 349 ESAT accueillant près de 120 000 personnes à temps complet ou partiel, contre 103 000 en 2006.
Toutefois, avec 420 000 demandeurs d’emploi handicapés et un taux de chômage des personnes handicapées deux fois supérieur à celui des personnes valides, il faut reconnaître que le bilan de la loi du 11 février 2005 en matière d’emploi doit être particulièrement nuancé.
Je veux redire que, dans le secteur privé, le nombre d’accords d’entreprise agréés reste inférieur à 300 et ne concerne qu’à peine plus de 10 % des entreprises assujetties. Nous progressons vers l’objectif de 6 % de travailleurs handicapés assigné aux entreprises et aux employeurs publics, sans pour autant que la donne change substantiellement.
En matière d’accès aux soins, force est de constater que des inégalités importantes subsistent. Nous ne partons pourtant pas de rien pour les réduire : les nombreuses initiatives qui ont déjà été prises démontrent que, dans le domaine de la santé bucco-dentaire, par exemple, des réponses coordonnées entre la ville, l’hôpital et le secteur médicosocial existent. En 2008, l’audition publique de très nombreux experts et représentants associatifs organisée par la Haute autorité en santé, la HAS, a permis de mieux comprendre les obstacles rencontrés par les personnes handicapées et de les lever. Je vous présenterai les nouvelles mesures dans la suite de mon propos.
Créées par la loi de 2005, les MDPH constituent des lieux uniques où se concentrent les compétences en matière d’accueil, d’orientation, d’information, d’évaluation et de suivi des réponses proposées. Malgré toutes les difficultés que vous avez soulignées, la création de ce guichet unique a tout de même marqué la fin, pour les personnes handicapées et leurs familles, de ce que Claire-Lise Campion et Isabelle Debré ont qualifié, dans leur rapport, de « parcours du combattant ». Après une très forte montée en charge, les MDPH sont aujourd'hui, comme vous l’avez tous relevé, beaucoup trop absorbées par leurs tâches administratives, au détriment du suivi individualisé des personnes.
En réponse à certaines de vos questions, je préciserai que, en moyenne, on compte cinquante-cinq agents à temps plein par MDPH. J’ajoute, à l’intention de ceux qui estiment qu’il pourrait exister des conflits d’intérêts, pour les conseils généraux, à l’égard des MDPH, que ces dernières sont des groupements d’intérêt public, ce qui signifie que les associations et les services de l’État participent à leur gouvernance au côté des conseils généraux.
Le bilan contrasté de l’application de la loi de 2005 que je viens de dresser rapidement ne saurait remettre en cause la modernité de ce texte. Les perspectives que je vais maintenant tracer s’inspirent très largement de ses principes fondateurs.
La Conférence nationale du handicap de décembre 2014 a été l’occasion, pour le Président de la République, de fixer trois objectifs principaux : construire une société inclusive plus ouverte aux personnes en situation de handicap ; concevoir des réponses et des prises en charge adaptées à la situation de chacun ; simplifier la vie quotidienne.
Dans l’esprit de la loi de 2005 et conformément à la mise en œuvre progressive de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, le Gouvernement souhaite mettre en place une société plus inclusive, c’est-à-dire une société où l’on fait de la place aux personnes handicapées. Il ne s’agit ni de faire preuve de compassion – ce serait infâmant –, ni de se référer à une impossible intégration. Se rapprocher d’un objectif d’inclusion accompagnée consiste pour le Gouvernement à prendre en compte les personnes handicapées dans les politiques de droit commun, tout en prévoyant les aménagements qui leur sont nécessaires.
En matière de scolarisation, nous conduisons une politique résolue pour « déprécariser » et professionnaliser les auxiliaires de vie scolaire, ou accompagnants d’élèves en situation de handicap, comme on les appelle désormais. À terme, 28 000 AVS seront employés en contrat de travail à durée indéterminée ; 5 000 d’entre eux ont vu leur CDD transformé en CDI à la rentrée 2014-2015.
Afin d’assurer cette professionnalisation, un diplôme d’État est en cours d’élaboration par mes services. Sa création sera effective dès la rentrée de 2015. Il s’adressera notamment aux AVS employés en contrat aidé, qui ont besoin de se professionnaliser pour accéder à un CDD, puis à un CDI. Je rappelle qu’un AVS doit être employé depuis six ans en CDD pour pouvoir prétendre à un CDI.
Quelles sont les autres perspectives en matière d’inclusion scolaire ? La première est la relocalisation en milieu scolaire ordinaire d’unités d’enseignement actuellement implantées dans des établissements médicosociaux, sur le modèle des unités d’enseignement en maternelle pour les enfants atteints de troubles autistiques. Le Président de la République a annoncé qu’au moins cent unités d’enseignement seraient ainsi relocalisées à la rentrée de 2015. L’objectif est simple : il s’agit de permettre aux élèves en situation de handicap d’être scolarisés au milieu des autres enfants, même s’ils bénéficieront évidemment d’un accompagnement spécifique et d’enseignants spécialement formés. En effet, la meilleure façon de faire changer les regards, c’est de mélanger les élèves en situation de handicap avec les autres dès la maternelle, en classe, à la cantine, pendant les récréations.
Le Président de la République a également indiqué que la qualité des apprentissages des enfants sourds sera renforcée par une meilleure prise en compte de leur choix linguistique et par une formation adéquate, dès septembre 2015, des enseignants spécialisés en langue des signes française et en langage parlé complété.
En outre, chaque projet d’école devra désormais comporter un volet sur l’accueil et les stratégies d’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers.
Je précise enfin, puisque certaines inquiétudes relatives au temps périscolaire se sont exprimées, que, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, l’effort des collectivités pour intégrer les enfants handicapés aux activités périscolaires sera soutenu dès la rentrée 2015-2016 par l’éducation nationale, avec les concours financiers de la Caisse nationale des allocations familiales.
Quant aux universités, dans trois ans, elles seront toutes dotées de schémas directeurs d’accessibilité.
En matière d’accessibilité et d’adaptation des logements, la liste des aménagements du domicile ouvrant droit à un crédit d’impôt sera mise à jour, afin de mieux répondre aux besoins actuels, notamment le recours à la domotique.
En outre, dans le cadre de la charte qui sera signée avec l’Union sociale pour l’habitat, les modalités de la programmation des adaptations de logement et du suivi de celles-ci seront précisées.
Conformément à ce que prévoit le rapport annexé au projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, la loi de finances initiale pour 2015 a prolongé le crédit d’impôt sur le revenu au titre des dépenses d’installation ou de remplacement d’équipements spécialement conçus pour les personnes âgées ou handicapées.
En ce qui concerne les achats publics, des critères d’accessibilité seront pris en compte dans le cadre de la transposition de la directive européenne relative aux marchés publics, qui interviendra l’année prochaine.
L’accessibilité concerne également de nombreux autres domaines. Le Gouvernement se préoccupe en particulier de faciliter l’accès des personnes handicapées aux livres et à la culture. Le projet de loi relatif à la liberté de création proposera une nouvelle définition des publics bénéficiaires de l’exception du droit d’auteur – cette mesure est largement réclamée par les associations de personnes en situation de handicap –, afin d’élargir l’offre disponible et de créer les conditions d’un développement de l’offre de publications adaptées. Le projet de loi organisera également le dépôt systématique des fichiers des manuels scolaires, ce qui permettra de répondre plus rapidement aux besoins des élèves en situation de handicap.
Concernant l’offre audiovisuelle, une charte pour l’amélioration de la qualité de la traduction en langue des signes française a été signée avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel en janvier dernier. Il reste à ouvrir deux chantiers complexes, notamment avec les chaînes de télévision : l’audiodescription pour la télévision connectée et la mise en place d’une solution de diffusion en langue des signes française à la demande.
Un volet nous tient particulièrement à cœur : celui de l’accessibilité numérique. Il s’agit de ne pas prendre, en la matière, le retard que nous avons pris, au cours des dix dernières années, en matière d’accessibilité du bâti.
Le numérique permet l’accès à l’information et, plus largement, à la citoyenneté. Le Président de la République a donc fixé comme objectif la mise en accessibilité des élections à partir de la présidentielle de 2017, ce qui implique notamment d’organiser la diffusion adaptée de la propagande électorale. C’est la raison pour laquelle nous venons de finaliser la révision de la mise à jour technique du référentiel général d’accessibilité pour les administrations, qui permet d’organiser et d’encadrer la mise en accessibilité des sites internet publics. À l’issue de cette première étape, il conviendra bien sûr d’étendre la mise en accessibilité aux sites internet privés.
Le numérique, c’est également la promesse d’un meilleur accès à la consommation. C’est le sens de la convention que nous sommes en train de mettre au point avec la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, la FEVAD. C’est aussi dans le cadre de l’accessibilité numérique qu’intervient l’expérimentation du centre relais téléphonique décidée lors du comité interministériel de 2013. Le Gouvernement déterminera prochainement dans quels délais et sous quelles conditions l’accessibilité téléphonique pourra être garantie pour les personnes malentendantes. Vous l’aurez compris, le Gouvernement tient à éviter de prendre du retard en matière d’accessibilité numérique.
En ce qui concerne la consommation, l’Institut national de la consommation, l’INC, signera prochainement avec l’État une convention visant à améliorer l’information des personnes handicapées sur les produits de consommation. En outre, d’ici à janvier 2016, l’INC élaborera une liste de produits, notamment électroménagers, préalablement testés et référencés comme conformes aux règles en matière d’accessibilité.
J’aborderai maintenant la question de l’emploi. L’accompagnement des travailleurs handicapés vers l’emploi et dans leur évolution professionnelle sera renforcé, notamment par le développement des passerelles entre emploi en milieu protégé et emploi en milieu ordinaire. J’ai demandé à l’AGEFIPH et au FIPHFP de travailler ensemble pour faire évoluer leurs prestations, en particulier en direction des personnes en situation de handicap psychique, lesquelles doivent bénéficier d’un accompagnement adapté et non ponctuel. De son côté, l’État lancera des travaux pour rendre plus incitatif le cadre des accords signés par les entreprises en matière d’accueil des travailleurs handicapés. Enfin, rappelons que le Président de la République a fixé un objectif de triplement du nombre des accords d’entreprise agréés d’ici à trois ans.
Afin d’encourager les travailleurs handicapés qui ont le projet de devenir travailleurs indépendants, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques prévoit de permettre la prise en compte des prestations des travailleurs indépendants handicapés au titre de l’obligation d’emploi de 6 % de personnes handicapées par les entreprises de plus de vingt salariés. Adoptée par les députés, cette mesure sera bientôt soumise à votre examen.
Comme l’ont demandé les associations, un dispositif identique sera adapté aux spécificités du parcours de découverte des métiers des collégiens et des lycéens en situation de handicap, afin de conforter tout ce qui permet aux entreprises et aux jeunes handicapés de se rencontrer et, surtout, de permettre à ces derniers de se projeter dans l’avenir.
Dans cet esprit, toujours pour les jeunes, le service civique sera facilité grâce à des aménagements de poste financés par l’AGEFIPH – ce n’était pas le cas jusqu’à présent –, ainsi que par le FIPHFP, et étendu jusqu’à l’âge de 30 ans pour les personnes en situation de handicap.
Dans la fonction publique, des adaptations importantes sont prévues pour rendre les concours d’encadrement et d’encadrement supérieur accessibles dans le cadre d’une sélection adaptée et pour soumettre à l’obligation d’emploi certaines autorités administratives indépendantes qui ne l’étaient pas jusque-là, mais aussi la Cour des comptes et le Conseil d’État.
Concernant la santé et l’accès aux soins, l’approche globale de la stratégie nationale de santé vise à coordonner prévention, soins, prise en charge médico-sociale et insertion sociale, ce qui répond parfaitement aux besoins des personnes handicapées.
La feuille de route du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, adoptée à l’issue de la Conférence nationale du handicap, et que vous pouvez consulter sur le site internet du ministère, comprend plusieurs mesures particulièrement volontaristes qui seront inscrites dans le projet de loi de santé. J’en cite quelques-unes : amélioration de l’accueil des personnes handicapées dans le cadre de l’exercice regroupé des professionnels de santé en maison de santé pluri-professionnelles et en centre de santé ; encouragement au déploiement de consultations spécialisées à l’hôpital dès 2015 ; intégration des conditions de prise en charge des personnes handicapées dans la procédure de certification des établissements, puisque, curieusement, ces conditions n’étaient pas prises en compte jusqu’à présent.
Bien sûr, nous ne pouvons qu’encourager la signature de la charte Romain Jacob, que Mme Claire-Lise Campion a évoquée.
L’effet conjugué de la réforme de la tarification des établissements et des services accueillant des personnes handicapées, lancée en novembre 2014, et du chantier de la refondation de l’aide à domicile permettront d’aménager l’offre dans une logique d’inclusion accompagnée.
Les établissements médico-sociaux devront, quant à eux, intégrer dans leur fonctionnement des actions de prévention et d’éducation à la santé, ce qui n’est actuellement pas toujours fait.
Je veux enfin mettre l’accent sur la mission confiée à Marie-Sophie Desaulle afin de mettre en œuvre les préconisations du rapport de Denis Piveteau intitulé « Zéro sans solution ». La mise en place progressive d’un accompagnement permanent des personnes est prévue à partir de septembre 2015, sa généralisation étant envisagée pour la fin de l’année 2017.
Un amendement au projet de loi de santé sera déposé prévoyant une obligation d’orientation permanente des personnes par les MDPH : il s’agira, idéalement, d’accompagner les personnes vers la solution la plus adaptée, en évitant de les laisser sans solution pendant la durée d’attente, situation que l’on constate malheureusement souvent.
J’en viens aux mesures concrètes de simplification pour les MDPH. Elles sont indispensables non seulement pour faciliter l’accès aux droits des personnes, mais aussi pour libérer du temps au personnel des MDPH.
Avant la fin du premier semestre de 2015, sur décision motivée des MDPH, la durée d’attribution de l’allocation pour adultes handicapés pour les personnes atteintes d’un taux d’incapacité compris entre 50 % et 79 %, c’est-à-dire l’AAH 2, pourra être étendue à cinq ans, contre deux ans actuellement. À court terme, il est aussi prévu d’allonger de trois à six mois la durée de validité du certificat médical servant de justificatif aux demandes d’AAH.
Enfin, d’autres chantiers importants sont sur le point d’aboutir : la simplification des modalités de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ; l’évolution des modalités d’utilisation de la PCH afin d’en permettre l’usage mutualisé pour ceux qui le souhaitent ; la création d’une « carte mobilité inclusion », pour remplacer à terme les deux cartes « de stationnement » et « de priorité ».
S’agissant de la PCH, qui représente, cela a été dit, une dépense totale de 1,5 milliard d’euros pour un peu plus de 160 000 bénéficiaires, j’ai demandé à la CNSA – Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie – une évaluation de ce dispositif, qui, bien qu’existant depuis 2006, n’a jamais été évalué sur le plan national ; or il existe des disparités. Ce travail est en cours et je ne manquerai pas de vous en communiquer les conclusions quand elles seront prêtes.
Néanmoins, je suis en mesure de vous livrer quelques éléments, notamment sur la limite d’âge : actuellement, la règle est que l’on peut obtenir la PCH jusqu’à l’âge de 75 ans si le handicap a été reconnu avant l’âge de 60 ans. Sur cette question, un rapport du Gouvernement sera rendu dans les six mois qui suivront la promulgation de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, conformément au souhait qu’ont exprimé plusieurs parlementaires.
Sachez également qu’un amendement sera déposé visant à permettre aux départements de mettre en place un tiers payant pour les aides techniques, ce qui évitera aux personnes d’avancer des sommes parfois importantes.
Enfin, une question ayant été posée concernant les aides financières à l’accessibilité, je vous informe que nous avons déjà signé avec la Caisse des dépôts et consignations et BPI-France une convention portant sur l’octroi de prêts bonifiés tant aux collectivités locales qu’aux entreprises pour leur permettre de réaliser les aménagements nécessaires.
Vous me permettrez de regretter, pour conclure, que le format et la durée des débats d’initiative parlementaire ne me permettent pas de répondre aussi exhaustivement que je le souhaiterais aux questions qui m’ont été posées. Cependant, l’inscription prochaine à l’ordre du jour du projet de loi de ratification de l’ordonnance sur l’accessibilité me permettra d’apporter des précisions supplémentaires sur ce sujet.
Par ailleurs, la Conférence nationale du handicap, qui s’est tenue conformément à la loi, doit donner lieu à la remise prochaine d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur tous les thèmes de la politique que nous menons en la matière. Ce sera pour le Sénat une autre occasion de recueillir des précisions sur cette politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous avez tous fait le constat, le chemin est encore long pour aboutir à une société où tout le monde aura sa place et pourra vivre comme il le souhaite, quel que soit son handicap. Croyez bien cependant que notre volonté est intacte. De nombreuses améliorations concrètes sont en cours – et c’est bien ce qui nous importe : que la vie quotidienne des personnes en situation de handicap se trouve concrètement améliorée –, qui vont nous permettre d’approcher l’idéal d’accessibilité universelle. Comme le disait Jaurès : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. »
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005, bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap. »
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
9
Questions cribles thématiques
SERVICES À LA PERSONNE
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur les services à la personne.
Je me permets d’appeler votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ces questions cribles thématiques sont appelées à disparaître, au profit de questions d’actualité,…
M. Pierre Charon. Très bien !
M. le président. … suivant la décision prise par le bureau de notre assemblée sur le rapport de MM. Roger Karoutchi et Alain Richard, dont je salue la présence dans l’hémicycle.
Pour l’heure, ces questions cribles thématiques vont être posées à Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe.
Je rappelle également que ce débat est retransmis en direct sur France 3 et sur Public Sénat.
La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question précède de quelques jours la discussion au Sénat du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, dont la philosophie est le maintien des personnes âgées à domicile.
J’ai présenté le 4 juin dernier, avec notre collègue Dominique Watrin, un rapport sur le sujet.
Pour ce qui concerne les publics les plus fragiles, personnes âgées et handicapées, notre constat est alarmant : le système est à bout de souffle et doit être réformé d’urgence. En effet, les services d’aide à domicile sont confrontés depuis plusieurs années à une dégradation de leur situation financière qui peut aller jusqu’à menacer leur pérennité.
Notre rapport formule treize propositions regroupées autour de trois axes. La discussion du projet de loi permettra de développer notre point de vue. Je me limiterai aujourd’hui à la question financière.
Permettre aux seniors de rester chez eux le plus longtemps possible est une aspiration largement répandue dans toutes les catégories sociales. Le maintien à domicile est d’ailleurs l’orientation prioritaire de votre projet de loi, madame la secrétaire d'État. Malheureusement, le doute est permis quant aux moyens d’y parvenir. C’est pourtant la voie d’avenir.
À l’heure actuelle, l’aide à domicile représente environ 8 500 structures et 557 000 salariés. Par ailleurs, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, estime à 300 000 le nombre de créations d’emplois d’ici à 2020 dans le secteur des services à la personne.
Les aides à domicile des personnes fragiles souffrent néanmoins d’un grave problème de financement. La part de l’État n’a cessé de baisser depuis l’origine – de 50 % à la création de l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, cette part s’est réduite à 28 % en 2014 –, de sorte que ce sont les départements qui, aujourd’hui, assurent l’essentiel du financement. Or, vous le savez, madame la secrétaire d’État, leurs finances sont exsangues.
Il faudra donc réformer l’APA, fixer un tarif national de référence et augmenter ses fonds d’intervention.
Madame la secrétaire d’État, que prévoyez-vous pour répondre à la situation alarmante que je viens d’évoquer ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Vanlerenberghe, la réforme de l’APA à domicile est en effet un axe central du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, que votre assemblée examinera la semaine prochaine et qui devrait être définitivement adopté avant la fin de l’année, en vue d’une application pleine et entière au 1er janvier 2016.
Ce projet de loi est une véritable réforme de justice sociale : il permettra d’attaquer les inégalités à la racine et se concrétisera par des moyens supplémentaires, qui changeront la vie quotidienne de nos concitoyens âgés ainsi que celle des personnes qui les aident.
En particulier, la réforme de l’APA à domicile prévue dans ce projet de loi offrira une meilleure couverture des besoins couplée à une réduction significative du reste à charge.
Par exemple, les personnes en GIR 1 ou 2 – groupes iso-ressources – qui ont déjà atteint le plafond d’aide bénéficieront d’une heure d’APA supplémentaire. Les personnes moins affectées bénéficieront, elles, d’une heure supplémentaire par semaine. De surcroît, tous les bénéficiaires de l’ASPA, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, pourront désormais voir leur plan d’aide totalement pris en charge, sans reste à charge.
La réforme de l’APA marquera aussi la création d’un droit nouveau pour les aidants : le droit au répit. Nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement la semaine prochaine.
Elle prévoit également une contribution de 25 millions d’euros par an afin d’améliorer les conditions de travail des salariés du secteur. C’est une mesure que j’ai anticipée dès 2015.
L’ensemble de cette réforme représente un financement nouveau de plus de 450 millions d’euros, soit une revalorisation de l’APA à domicile de 13 % en une seule fois. C’est une avancée totalement inédite. Je précise que ces dépenses nouvelles seront entièrement compensées auprès des départements, chefs de file en matière de politique gérontologique.
Ainsi, le taux de compensation par l’État des dépenses liées à l’APA, après avoir effectivement chuté de 12 points entre 2002 et 2012, passant de 43 % à 31 % – niveau auquel il est resté depuis lors, selon les analyses conjointes de l’ODAS, l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, et de l’ADF, l’Assemblée des départements de France –, remontera, grâce à la future loi, à 36 %. La charge des départements s’en trouvera soulagée d’autant.
Enfin, je voudrais évoquer la méthode qui a présidé au financement des mesures de ce projet de loi.
M. le président. Il vous faudrait conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. En un mot, quelque 650 millions d’euros seront consacrés au vieillissement suivant une méthode originale, qui consiste à déterminer le volume des dépenses en fonction des recettes de la CASA – contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Mais j’aurai certainement l’occasion de revenir sur ce point en répondant à une autre question.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour la réplique.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J’ai pris note des données chiffrées que vous avez citées, madame la secrétaire d’État. En vérité, nous les connaissions déjà puisque la commission des affaires sociales s’est, bien entendu, déjà penchée sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.
Je pense que, même après l’adoption de cette réforme, il restera un effort supplémentaire à accomplir. Il suffit d’écouter toutes les associations ou les entreprises d’aide à domicile pour comprendre que leur pérennité est aujourd’hui menacée.
Compte tenu du vieillissement de la population et d’une demande qui va croissant, l’effort que vous avez évoqué ne suffira malheureusement pas.
Quoi qu’il en soit, nous aurons l’occasion d’y revenir la semaine prochaine.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe UMP.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accompagnement tout au long des âges de la vie est un sujet majeur.
C’est vrai dès l’arrivée d’un enfant dans un foyer, qui requiert la mise en place d’une nouvelle organisation, notamment pour que les parents puissent concilier vie professionnelle et vie familiale.
C’est vrai également avec l’allongement de la durée de la vie, qui nécessite, à partir d’un certain âge, le recours à des aides pour accomplir des tâches ménagères ou recevoir des soins à domicile.
Plusieurs types d’intervenants se mobilisent pour faire face et nous aider, à titre individuel ou collectif, à relever ces défis.
Je pense aux aidants, aux proches, qui, de façon bénévole, avec cœur et générosité, se dévouent sans compter.
Je pense aux dirigeants et aux salariés des associations d’aide à domicile et, plus largement, du secteur privé non lucratif, qui rendent de précieux services, en particulier dans les zones rurales, pour que l’éloignement des personnes âgées ne soit pas synonyme d’isolement définitif.
Ce que je vois dans mon canton de Chéroy, dans l’Yonne, me permet de témoigner du professionnalisme et de la bonté déployés par les organismes membres de l’UNA, l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles, et de l’ADMR. Je suis persuadé que tous les collègues pourraient apporter un témoignage semblable concernant leur canton respectif.
Je pense également à toutes celles et ceux qui interviennent auprès de particuliers employeurs.
À quelques jours de l’examen en séance publique du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, je tenais, madame la secrétaire d’État, à appeler votre attention sur plusieurs problèmes qui appellent des décisions afin de pérenniser l’ensemble de ce précieux tissu.
S’agissant de l’aide à domicile, la réduction drastique des financements par les CARSAT, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, et les caisses de retraite pour les heures octroyées aboutit à des aberrations, dont je peux citer des illustrations concrètes : par exemple, une personne aveugle qui conserve sa mobilité n’est pas éligible pour recevoir un dossier, ne serait-ce que pour que sa situation soit examinée ! (Mme Françoise Laborde acquiesce.)
Par ailleurs, les réductions budgétaires ont pour effet de plonger dans le rouge nombre d’associations.
S’agissant des particuliers employeurs, le Sénat avait adopté dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 une mesure visant à augmenter l’allégement de charges pour l’emploi d’un salarié à domicile. Malheureusement, vous en avez considérablement réduit la portée en ciblant le dispositif d’une manière beaucoup trop précise.
Madame la secrétaire d’État, vous l’avez compris, les retours d’expérience du terrain montrent qu’il faut ajuster un certain nombre de dispositifs.
Je ne doute pas de votre engagement personnel, mais vous donnez-vous les moyens de pérenniser et de développer ces activités non délocalisables, et qui répondent à de véritables besoins ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de saluer mon engagement personnel. Croyez bien qu’il est à la hauteur de celui de l’ensemble du Gouvernement.
Depuis mon entrée en fonction, il y a un an, j’ai effectivement pris la mesure des difficultés rencontrées par le secteur de l’aide à domicile, grâce aux visites que j’ai effectuées sur le terrain, grâces à mes rencontres avec les fédérations, mais aussi grâce à la lecture des excellents rapports de MM. Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe.
Mon action consiste à essayer de structurer une offre d’accompagnement qui soit solide, innovante et viable. On ne peut pas continuellement soutenir un secteur sur la base d’un fonds provisoire reconduit chaque année, même si, depuis 2012, ce dernier a permis de mobiliser 130 millions d’euros en faveur de 1 400 services. Il nous faut donc réfléchir à une réforme structurelle et organisationnelle.
C’est ce que je fais en mobilisant le secteur autour de la création des SPASAD, les services polyvalents d’aide et de soins à domicile, qui résultent de la fusion entre les SIAD, les soins infirmiers à domicile, et les SAD, les services d’aide à domicile.
En outre, comme je l’ai laissé entendre il y a un instant, l’État va engager, à travers cette réforme, 450 millions d’euros supplémentaires en direction du secteur de l’aide à domicile, qui recevra ainsi une véritable bouffée d’oxygène.
J’ai obtenu une augmentation salariale de 25 millions d’euros pour les salariés de l’aide à domicile, avec un rattrapage d’un point au 1er juillet 2014, alors que les salaires étaient restés gelés pendant de nombreuses années.
À court terme, le chantier de la refondation est lancé avec mes collègues et le vote du projet de loi cette année sera le signe d’une véritable mobilisation. Croyez-moi, nous ne lâchons rien sur le soutien de l’aide à domicile, qui est en effet la condition du maintien des personnes âgées chez elles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour la réplique.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je vous remercie de ces précisions, madame la secrétaire d’État.
Les paroles sont là, mais nous attendons des actes. En l’occurrence, nous attendons que, la semaine prochaine, vous acceptiez un certain nombre d’amendements de la commission des affaires sociales visant notamment à aider les départements qui, eux, sont en première ligne pour ce qui est de l’accompagnement des personnes âgées.
Il faut en effet avoir en tête que l’APA est financée à hauteur de 70 %, quasiment, par les départements. Nous aurons donc l’occasion d’examiner des amendements tendant à réviser la répartition des fonds de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, en faveur des départements. C’est un enjeu vraiment crucial !
Vous évoquez les revalorisations, mais encore faut-il que les associations ne subissent pas d’effet de ciseaux, car les décisions prises par les CARSAT risquent d’entraîner une diminution des heures de travail et donc du « chiffre d’affaires » des associations, alors même que leurs frais augmentent.
Il y a là un danger réel qui peut remettre en cause l’existence d’associations dans certains territoires. Restons donc mobilisés et soyons au rendez-vous la semaine prochaine pour l’examen des amendements de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son acception la plus large, la notion de services à la personne englobe une grande diversité d’acteurs et de publics. Ce secteur en plein développement fait face à plusieurs écueils ; divers rapports parlementaires lui ont d’ailleurs été consacrés.
La semaine prochaine, nous aborderons ces thématiques lors de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, qui apporte en la matière des améliorations notables.
Ma question porte plus spécifiquement sur les services aux personnes atteintes de handicap et aux personnes âgées, à qui l’aide à la personne permet de continuer à vivre aussi longtemps que possible chez elles.
Cette aide à domicile est, de l’avis de tous, un système à bout de souffle. La réforme à venir ne répond pas totalement, malgré la nouvelle affectation de la CASA, à la question de sa soutenabilité financière pour les départements, alors que leurs dépenses sociales ont connu une forte hausse ces dernières années, comme l’indique une étude récente de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – DREES.
J’aimerais également connaître la position du Gouvernement sur le passage de l’ensemble des services aux personnes handicapées ou en perte d’autonomie sous le régime unique de l’autorisation, auquel tend un amendement adopté en commission des affaires sociales.
Enfin, le 7 mars dernier, à l’occasion d’une quinzaine de rassemblements sur l’ensemble du territoire, plusieurs réseaux d’aide à domicile ont demandé la mise en place d’un nouveau fonds d’urgence pour 2015. La réforme devant entrer en vigueur au 1er janvier 2016, j’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, ce que compte leur répondre le Gouvernement. (M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit.)
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, vous avez raison, la dualité des régimes juridiques – autorisation d’un côté, agrément de l’autre –, héritée de la loi de 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, est aujourd’hui un état de fait. Pour tout vous dire, si ce système n’existait pas, je ne le créerais pas ! (Sourires.) Il eût peut-être mieux valu, au moment où cette loi a été votée, isoler les services aux personnes âgées et aux personnes handicapées.
Il reste que la loi a aujourd’hui dix ans et que de nombreux services se sont développés sur son fondement. C’est l’existant, et il nous revient de le gérer avec responsabilité, en ayant par conséquent le souci de rendre le secteur plus lisible mais aussi de sauvegarder l’emploi.
La préoccupation que je partage avec Marisol Touraine et Ségolène Neuville, c’est celle de l’accompagnement à domicile des personnes fragilisées, et notre action en la matière tend à répondre à trois enjeux tout à fait clairs : la structuration territoriale de l’offre, notamment dans les zones rurales et isolées ; la qualité de l’accompagnement, et donc la professionnalisation ; les conditions de solvabilisation de la demande pour limiter le reste à charge.
Faut-il pour autant mettre fin à la dualité agrément et autorisation ? Nous devons réfléchir, me semble-t-il, à un régime unifié et promouvoir une contractualisation pluriannuelle. Cet objectif fait d’ailleurs l’objet d’une proposition que partagent les derniers rapports rendus sur le sujet par la Cour des comptes et les parlementaires. Mais, derrière le consensus sur la cible, se pose la question de la méthode et du calendrier. Je souhaite, pour ma part, construire un projet responsable et pérenne.
La commission des affaires sociales du Sénat a introduit un article 32 bis dans le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Lors de mon audition par celle-ci, j’avais indiqué que j’étais à l’écoute des propositions du Parlement sur ce dossier complexe. Nous aurons l’occasion d’en discuter plus avant la semaine prochaine, mais la rédaction retenue par la commission des affaires sociales soulève des problèmes importants en matière de rythme d’application et d’effet sur le secteur.
Il nous faut donc, madame Laborde, viser la cible et préserver l’existant, tout en le faisant évoluer.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Merci pour cette réponse très claire, madame la secrétaire d’État.
Nous connaissons, bien sûr, le contexte budgétaire contraint dans lequel cette réforme doit s’opérer. Je souhaitais cependant vous alerter sur le décalage entre les objectifs assignés à cette politique publique et les moyens qui y sont affectés. Nous aurons, bien sûr, l’occasion d’en débattre la semaine prochaine.
La mise en place de mutualisations et d’expérimentations va dans le bon sens, mais nous serons particulièrement vigilants quant à la revalorisation et à l’amélioration de l’APA. Nous serons également attentifs aux mesures destinées à rendre plus attractif le secteur de l’aide à domicile, mesures qui sont indispensables.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dispositif du chèque emploi-service, remplacé en 2006 par le chèque emploi-service universel, le CESU, a fêté ses vingt ans en décembre dernier. Ce moyen de paiement et de déclaration, d’une commodité exemplaire, a permis de simplifier les modalités d’emploi à domicile et de faire reculer considérablement la non-déclaration des employés.
Sécurité et simplicité d’utilisation, larges possibilités de cofinancement et avantages fiscaux et sociaux ont contribué au succès du dispositif, que ce soit dans sa forme déclarative – 1,4 million de particuliers employeurs l’utilisent – ou préfinancée, puisque 806 millions de titres ont été émis en 2014.
Le CESU vient grandement faciliter la vie des personnes qui ont recours à des services ; je le disais à l’instant, 1,4 million de particuliers employeurs l’utilisent, sur les 3,7 millions que compte notre pays. Il s’agit donc d’un secteur important de notre économie puisque ces employeurs versent chaque année 12,2 milliards d’euros à 1,6 million de salariés.
Les avantages du CESU pour l’employeur doivent se retrouver du côté du salarié ; des avancées notables ont d’ailleurs été réalisées à cet égard. Ainsi, un partenariat a été instauré entre les représentants de l’emploi à domicile et Pôle emploi en 2009.
Il reste néanmoins du chemin à parcourir dans la voie de la simplification. Ainsi, en cas d’arrêt maladie, les salariés doivent demander à chacun de leurs employeurs, lorsqu’ils en ont plusieurs, ce qui est fréquent, de remplir un formulaire, d’ailleurs assez compliqué. S’il manque un seul de ces documents, l’indemnisation n’est pas versée !
Prenons l’exemple d’un jardinier qui travaille pour huit employeurs différents ; en cas de maladie, on le comprend très vite, sa demande d’indemnisation relève du parcours du combattant !
Pourtant, madame la secrétaire d’État, les documents nécessaires existent déjà !
Dès lors, quelles mesures comptez-vous prendre pour que les employés rémunérés grâce au CESU profitent eux aussi, lorsqu’ils tombent malades, d’une gestion simplifiée de leur dossier ? (Mmes Catherine Procaccia, Colette Mélot et Marie-Annick Duchêne, ainsi que M. Jacques Gautier applaudissent.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, avant de répondre à votre question sur la complexité de certaines situations particulières, je veux à mon tour me féliciter de la simplicité du CESU. Il s’agit en effet d’un dispositif facile à manier, notamment pour les employeurs.
M. Jean Desessard. C’est formidable !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Puisque nous ne sommes jamais en retard pour dénoncer les complexités, n’hésitons pas à saluer les réussites en matière de simplification !
Du reste, c’est bien parce qu’il est simple que le CESU est utilisé chaque mois par plus d’un million d’employeurs et un demi-million de salariés.
Ce dispositif est aujourd’hui arrivé à maturité ; il couvre la quasi-totalité de la population des particuliers employeurs éligibles. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 l’a en effet ouvert à l’outre-mer, et le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement prévoit la déclaration des accueillants familiaux par le biais du CESU.
Vous déplorez cependant que certaines démarches restent complexes dans la mesure où le CESU ne les prend pas en charge. Vous évoquez plus particulièrement le cas des arrêts maladie.
La réponse proposée par le Gouvernement consiste à garantir la diffusion d’une meilleure information ; grâce au portail unique net-particulier.fr, par exemple, les particuliers employeurs et leurs salariés disposent d’une information étendue sur la protection sociale de base et complémentaire, ainsi que sur les démarches à réaliser en cas de congés ou de fin de la relation de travail.
La suggestion que vous faites – permettre une simplification des démarches liées aux arrêts maladie pour les utilisateurs de CESU et leurs salariés à partir des données déjà disponibles et des circuits existants – suppose de réaliser une analyse de faisabilité. Cela dit, c’est une piste de simplification qui paraît très pertinente au Gouvernement. Mon collègue Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, toujours très attentif à ce type de propositions, ne manquera pas d’être très intéressé par la vôtre, monsieur le sénateur. Nous demanderons également aux services de l’assurance maladie et de l’URSSAF de bien vouloir l’étudier.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.
M. Jean Desessard. Quel bonheur de vous entendre, madame la secrétaire d’État ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
Mme la secrétaire d’État a été positive ; je l’en remercie, mes chers collègues ! (Sourires.)
Le CESU, c’est vrai, a simplifié la vie des employeurs. J’ai cependant évoqué les problèmes que pouvait rencontrer une personne rémunérée grâce au CESU en cas d’arrêt maladie. En effet, elle est alors obligée d’aller voir chacun de ses employeurs pour leur faire remplir des papiers compliqués.
Mme la secrétaire en est convenue : ces documents existent déjà, ils sont connus. Il suffirait donc de demander aux employeurs de valider la demande d’arrêt maladie, sans avoir à remplir d’autres formulaires.
Je vous remercie donc de votre réponse, madame la secrétaire d’État ; je serai attentif aux suites qui seront données à ce dossier par M. Thierry Mandon.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe CRC.
M. Dominique Watrin. Nombreuses sont les fédérations d’aide à domicile qui dénoncent le décalage entre le coût de revient de leurs prestations et les tarifs horaires sur la base desquelles elles sont rémunérées.
Madame la secrétaire d’État, cela fait presqu’un an que Jean-Marie Vanlerenberghe et moi-même vous avons remis un rapport, adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales du Sénat, vous alertant sur cette situation.
L’une des principales propositions qui y figurent consiste à mettre en place un tarif national de référence à la hauteur des coûts de revient. Où en est la réflexion de vos services à ce sujet ? Où en est l’étude nationale des coûts qui avait été diligentée par la direction générale de la cohésion sociale ? Confirme-t-elle la nécessité d’une tarification autour de 22 euros de l’heure pour permettre l’équilibre économique de ce secteur et assurer la qualité des prestations offertes ? Je le rappelle, en effet, deux tiers des départements, sur fond de désengagement de l’État, pratiquent des tarifs moyens inférieurs à 20 euros de l’heure.
Les associations d’aide à domicile subissent aussi le contrecoup des contraintes budgétaires que connaissent les CARSAT, ce qui les amène à recentrer leurs interventions d’aide ménagère auprès de publics de plus en plus âgés, c'est-à-dire des personnes de 75 ans, voire 80 ans, alors que, voilà quelques années, elles concernaient plutôt des personnes de 65 ans.
Que comptez-vous faire pour mettre fin à ce recul considérable en matière d’accompagnement à domicile et de prévention, qui est en totale contradiction avec les objectifs affichés par le projet de loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement ?
Les salariés de ces associations, dont 98 % sont des femmes, perçoivent en moyenne 832 euros par mois. Dès lors, la hausse d’un point d’indice n’est qu’une aumône, d’autant que cette profession attend une vraie revalorisation depuis 2009 !
Madame la secrétaire d’État, quels financements comptez-vous mobiliser pour répondre à tous ces défis ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, les questions de reconnaissance des coûts de revient des services d’aide à domicile et d’émergence d’un tarif national de référence APA sont récurrentes. J’ai d’ailleurs bien en tête le rapport que vous avez co-écrit avec Jean-Marie Vanlerenberghe sur le sujet.
S’agissant, tout d’abord, de la partie de votre question relative au coût de revient, je vous rappelle qu’il s’agit là d’une activité économique largement solvabilisée par la puissance publique. J’entends sans cesse parler du nécessaire engagement de l’État en la matière. Or ce sont 21 milliards d’euros de fonds publics qui sont consacrés chaque année à la prise en charge de la dépendance. Ayons donc ce chiffre en tête lorsque nous traitons de ce sujet.
Avant d’évoquer d’éventuels financements complémentaires, il convient de répondre à plusieurs questions. De quoi parle-t-on ? De quel panier de prestations ? Dans quelles zones d’intervention? Quelle est la qualification des intervenants ? En résumé, quel est le service rendu aux personnes accompagnées à domicile ?
Pour répondre à ces questions, il faut d’abord avoir une connaissance précise de la situation. C’est pourquoi j’ai fait accélérer deux études très attendues par le secteur : l’évaluation par l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – des expérimentations tarifaires des services d’aide et d’accompagnement à domicile – SAAD –, actuellement conduites dans une quinzaine de départements ; une étude nationale des coûts et des prestations dans cinquante services, répartis dans dix départements.
Le rapport de l’IGAS sera disponible avant l’été et l’étude nationale des coûts, en septembre. Ils permettront notamment d’avoir une mesure objective des différences de tarifs observables sur le territoire. Je m’engage d’ailleurs, monsieur Watrin, monsieur Vanlerenberghe, à vous transmettre ces deux rapports dès que je les aurai reçus, afin de solliciter votre avis.
J’en viens à votre deuxième question : faut-il un tarif national de référence APA ? À ce stade des travaux, je n’y suis pas favorable. Il serait en effet fixé assez bas pour permettre aux départements de l’ajuster en fonction des spécificités.
Pour ma part, je souhaite davantage travailler autour de la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM, qui sont au cœur de l’expérimentation conduite entre l’Assemblée des départements de France et les fédérations du secteur. Ces CPOM permettent de financer la prestation directe au domicile de l’usager, mais aussi de prendre en compte les spécificités des services, comme les interventions en zone rurale, les horaires élargis et les démarches de qualité.
Bien entendu, nous aurons l’occasion de poursuivre cette discussion la semaine prochaine, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour la réplique.
M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d’État, vous ne m’avez pas répondu sur le financement.
Vous invoquez les « contraintes financières » pour écarter l’idée, pourtant largement partagée, d’un tarif national de référence à la hauteur des coûts de revient qui garantirait l’équilibre.
Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que notre assemblée examinera dans quelques jours, contient effectivement quelques timides avancées pour les usagers. Mais elles reposent uniquement sur la CASA, une taxe de 0,3 % qui pèse sur les seuls retraités…
Puisque vous prétendez manquer de moyens, pourquoi ne pas instaurer une contribution de solidarité des actionnaires qui rapporterait autant que la CASA ? Il suffirait de prélever 1 % sur les dividendes des seuls groupes du CAC 40 ou 0,3 %, comme pour les retraités, sur l’ensemble des 200 milliards d’euros versés aux actionnaires dans notre pays. N’y a-t-il pas là une piste à étudier si l’on veut vraiment répondre aux défis du vieillissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le secteur des emplois à domicile représente 3,6 millions d’employeurs et 1,6 million de salariés. Il continue de subir un fort recul, avec une perte estimée à 35 000 équivalents temps plein sur les années 2012 et 2013. Les chiffres de 2014 ne sont pas encore disponibles, mais on sait que la masse salariale sera toujours en net recul pour l’ensemble du secteur.
Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, un abattement forfaitaire doublé avait été introduit par amendement pour les particuliers employant une personne à domicile pour des services liés à la garde d’enfants, aux personnes âgés dépendantes et aux personnes handicapées. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Pour ma part, j’avais déposé un amendement tendant à porter la déduction forfaitaire par heure travaillée pour l’ensemble des emplois concernés de 75 centimes à 1,50 euro.
Indépendamment du nombre d’emplois supprimés, la situation résultant de la décision du Conseil constitutionnel laisse supposer un retour à, au moins, une part de travail non déclaré.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. Ces emplois sont souvent occupés par des personnes en situation précaire qui voient alors leurs cotisations de sécurité sociale et de retraite diminuer fortement, quand elles n’ont pas complètement perdu leur emploi, ce qui les conduit à relever de l’assurance chômage.
Nous le savons d’expérience, les variations des dispositifs fiscaux et sociaux ont des effets directs et rapides sur les emplois à domicile et sur leur déclaration ou leur non-déclaration. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Sans vouloir revenir intégralement aux dispositions qui existaient auparavant – je pense à l’abattement de 15 points sur les cotisations sociales des ménages qui déclaraient leurs employés à domicile sur la base du réel, dispositif supprimé par le gouvernement précédent –, nous souhaiterions connaître les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour remédier à cet état de fait, préjudiciable pour les personnes concernées, c'est-à-dire les employeurs et les salariés, mais également néfaste pour la situation de l’emploi dans notre pays et l’équilibre des différents organismes sociaux.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Monsieur Godefroy, la baisse du nombre d’heures déclarées n’a pas commencé l’année dernière ni même voilà deux ans ; elle est engagée depuis 2009 ! Chacun peut donc y prendre sa part de responsabilité. En outre, elle n’est corrélée ni à l’essor de pratiques illégales ni aux évolutions réglementaires ou fiscales récentes.
Comme la Cour des comptes l’a souligné au mois de juillet 2014, c’est principalement l’évolution à la baisse du revenu disponible des ménages et la maturité atteinte par le secteur depuis la fin des années 2000 qui expliquent les tendances observées.
Les chiffres du secteur pour 2013 nous montrent que la baisse de 3,5 % des heures rémunérées par rapport à 2012 est uniquement imputable au recul de l’emploi direct.
L’activité des services à domicile prestataires, quant à elle, reste stable. L’emploi en mode prestataire a même augmenté de 1,7 %. On assiste en effet depuis 2002 à un vaste mouvement de basculement de l’emploi direct vers le recours aux prestataires. Ainsi, les services prestataires sont passés de 19 % du marché en 2002 à 41 % en 2013.
Vous l’avez rappelé, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif voté par le Parlement au mois de juillet 2014. Le Gouvernement n’a pas souhaité y revenir. En effet, cette mesure présentait plusieurs limites. D’une part, elle n’excluait pas les services de confort et risquait donc de s’avérer mal ciblée. D’autre part, elle aurait été inopérante pour les publics fragiles : les particuliers employeurs en perte d’autonomie bénéficient déjà d’une exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale et sans plafond de rémunération pour l’emploi d’une aide à domicile, quelles que soient la forme et la durée du contrat de travail.
Je terminerai en évoquant la garde d’enfant. Le Gouvernement a fait le choix de cibler son effort en apportant un soutien financier pour la garde des enfants âgés de six à treize ans révolus, qui ne bénéficie aujourd’hui d’aucune aide autre que l’abattement de 75 centimes et la réduction d’impôts. En doublant l’abattement en faveur de la garde de ces enfants, le Gouvernement a mis en place une mesure de solidarité, pour un coût de 75 millions d’euros, qui s’inscrit dans l’ensemble des outils de la politique familiale.
Mme Catherine Procaccia. Vous rognez la politique familiale !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la secrétaire d’État, votre réponse contient des éléments positifs.
Cependant, ce serait, me semble-t-il, une erreur de ne pas prendre en compte l’effet des modifications du régime fiscal sur le volume d’emplois.
Mme Catherine Procaccia. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. D’ailleurs, il suffit de se renseigner auprès des personnes employant des salariés à domicile pour s’apercevoir que les mesures fiscales ont eu des conséquences directes sur les conditions d’emploi et le nombre d’heures travaillées.
Je pense qu’une réflexion s’impose. Certains avaient qualifié le dispositif auquel j’ai fait référence de « niche ». Mais lorsqu’une niche permet d’employer des personnes qui cotiseront à la sécurité sociale et aux caisses de retraite, elle mérite que l’on s’y intéresse.
J’engage donc le Gouvernement à considérer la nécessité de revoir les dispositions relatives aux emplois à domicile dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe UMP.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les services d’aide à la personne permettent, à travers la diversité de leurs activités, d’apporter une réponse globale aux besoins des personnes âgées, handicapées ou malades à leur domicile.
Ces services sont indissociables des politiques sociales menées par l’État depuis les années 1950. Ce secteur est un vivier important d’emplois pour notre pays. Avec le plan Borloo en 2005, il a connu une accélération importante sur la période 2003-2009 : plus de 180 000 postes ont ainsi été créés.
On constate malheureusement, depuis 2008 et 2009, une fragilisation du secteur de l’aide à domicile. Celle-ci est en effet étroitement dépendante des financements publics.
Ce phénomène de fragilisation des organismes d’aide à domicile s’est accentué dernièrement. On assiste à une baisse significative des capacités financières de ses principaux contributeurs : caisses de retraite, sécurité sociale, mutuelles et, plus encore, conseils généraux. Ces derniers ont su combler les déficits, mais de telles solutions restent ponctuelles et locales, d’autant que les dotations de l’État diminuent fortement.
Les services à domicile voient leur trésorerie se réduire. De nombreuses associations ont d’ailleurs mis la clé sous la porte. On estime à plus de 300 le nombre des structures qui seraient menacées.
Face à des difficultés économiques croissantes, les organismes publics et privés à but non lucratif demandent qu’une réflexion soit menée sur le système de financement des services d’aide à domicile.
Déjà éprouvés par des décisions successives de suppression d’exonérations, les organismes prestataires ou mandataires demandent notamment que la CASA, mise en place depuis 2013, soit effective et que les 650 millions d’euros prélevés cette année sur les retraites imposables soient enfin alloués à l’accompagnement des personnes âgées.
Madame la secrétaire d’État, il est du devoir de la Nation de prendre en charge la dépendance et son accompagnement.
Soutenir l’aide à domicile, c’est maintenir la solidarité en milieu rural dans des zones déjà lourdement frappées par le chômage ou la désertification des services ; c’est garantir le maintien de l’autonomie à domicile alors que les structures adaptées pour personnes dépendantes manquent de lits ; c’est veiller au bien-être des professionnels qui exercent un métier difficile en évitant le morcellement du travail, conséquence des économies que doivent faire les organismes ; c’est assurer un vivier d’emplois importants, les projections pour le secteur permettant d’envisager la création de près de 100 000 équivalents temps plein en cinq ans et de 200 000 à 240 000 équivalents temps plein dans les vingt prochaines années.
Madame la secrétaire d’État, il est temps de penser à réformer le système de financement et de tarification de l’aide à domicile. Quelles mesures d’urgence le Gouvernement compte-t-il prendre, quels moyens financiers compte-t-il mobiliser, pour répondre à ce défi, qui relève de la cohésion sociale ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner ainsi l’occasion de compléter la réponse que j’avais adressée tout à l’heure à M. Lemoyne.
Votre collègue m’interrogeait à propos d’une rétractation des CARSAT sur l’aide à domicile. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) En réalité, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a recentré ses aides selon une autre logique de services, et ses tarifs ont augmenté de 3,6 %, avec un taux horaire à 20,10 euros. Il s’agit donc non d’un désengagement, mais d’une réorientation des actions prioritaires de la CNAV.
Nous partageons tous vos constats, monsieur Pellevat. Nous recherchons des solutions en matière d’évolution de la tarification. C’est le sens du chantier que j’ai engagé le 17 décembre dernier. Avec l’Assemblée des départements de France, nous avons élaboré la feuille de route des réformes à mener en 2015. Comme je viens de le préciser, j’attends avec impatience le rapport de l’IGAS sur l’évaluation des expérimentations tarifaires, pour en tirer toutes les conséquences.
Enfin, j’attends beaucoup de la rédaction du cahier des charges des SPASAD intégrés, que j’ai lancée le 19 février. Je ne fétichise pas les SPASAD, mais je suis convaincue qu’ils représentent une réforme à la fois de l’organisation du travail, de la qualité de l’offre et de l’intervention auprès des personnes âgées et de la qualité de l’emploi et de professionnalisation des personnels qui y travaillent. On ne peut plus se contenter de remettre de l’argent dans le secteur sans faire évoluer les conditions de tarification et la structure.
À mon sens, l’avenir du secteur passe très probablement par l’intégration de l’aide à domicile et des soins infirmiers à domicile.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, même si je vous avoue qu’elle me laisse un peu déçu. Les attentes dans le secteur sont très fortes. Nous avons vraiment besoin de moyens pour avancer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. Mes chers collègues, faisant écho à la question posée par M. Desessard, j’aimerais vous renvoyer à la lecture du compte rendu intégral des débats de la séance du 10 novembre 1993, publié dans le Journal officiel de la République française, séance au cours de laquelle le Sénat avait débattu de la création du chèque emploi-service. J’ai quelques souvenirs des discussions de l’époque…
Je me réjouis de constater que ce dispositif fait aujourd'hui l’unanimité. Il est des bonnes idées qui mettent du temps à cheminer… C’est en tout cas la preuve que, même dans des formations politiques dont la sensibilité s’apparente largement à celle de l’actuelle majorité sénatoriale, on peut être à l’origine d’avancées en matière sociale ! (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur les services à la personne.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.
La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Franck Montaugé.
Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
11
Prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi, renvoyée en commission, tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, présentée par M. Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 2013 2014, texte de la commission n° 318, rapport n° 317).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi.
M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au travers de cette proposition de loi, je vous invite à une douce aventure sur les chemins ruraux ! Cela pourra vous reposer, monsieur le secrétaire d'État, de vos voyages à l’étranger et vous permettra peut-être de retrouver ainsi l’air du Lot-et-Garonne. (Sourires.)
Je tiens tout d’abord à remercier notre rapporteur, Yves Détraigne, du travail effectué sur cette proposition de loi qui a suscité un vif intérêt de la part des membres de la commission des lois et de son président. Nous pouvons, de ce fait, procéder dès à présent à un nouvel examen de ce texte.
En effet, le délai dont avait disposé notre rapporteur lors du premier examen de la proposition de loi était si court qu’il était nécessaire d’approfondir la réflexion sur nos chemins ruraux, qui constituent un objet juridique hybride et complexe, recouvrant pratiquement la notion de domaine public, mais classifié par la loi dans le domaine privé, afin, c’est l’évidence, de ménager les finances publiques.
Je me réjouis donc de constater que ce retour en commission n’a pas débouché sur une impasse et a donné lieu à un travail constructif.
Une réponse au problème de la disparition silencieuse des chemins ruraux soumis à la prescription acquisitive est proposée. Il me semble que ce texte porte des mesures fortement attendues par nos collègues maires des territoires ruraux en pleine mutation.
Tout d’abord, je souhaite rappeler comment j’ai été amené à rédiger cette proposition de loi.
Elle est le fruit du constat que j’ai pu faire tout au long de ma vie professionnelle d’avoué à la cour d’appel d’Agen, qui traite beaucoup d’affaires rurales et dont la compétence s’exerce sur le Lot, le Gers et le Lot-et-Garonne, mais aussi à travers mon investissement au sein de la commission des maires ruraux du Lot-et-Garonne.
Qu’ai-je pu constater de ces points d’observation privilégiés durant de nombreuses années ? J’ai relevé un contentieux récurrent et aigu entre les communes et différents propriétaires privés sur des questions patrimoniales ayant pour origine la prescription acquisitive opposée au conseil municipal qui prend l’initiative de remettre en valeur une partie de son patrimoine.
Les exemples sont aussi divers que la nature du patrimoine rural qui compose notre territoire : cela va du puits au jardin du presbytère, en passant par le lavoir, le glacis des remparts, les dégagements autour des églises, les places, les jardins et, bien entendu, la plupart des chemins ruraux.
Cette problématique est née du fait que, pendant près d’un demi-siècle, ce patrimoine a vu ses fonctions disparaître, notamment en raison de l’exode rural.
Dans certains départements tels que le Gers ou le Lot, des villages entiers ont été abandonnés. Je peux vous citer le cas de la commune de Largade-Fimarcon, village castral laissé aux mains de deux ou trois habitants qui, au fil du temps, s’étaient approprié l’essentiel des lieux privés et publics de la commune. Il s’est ensuivi des procès sans fin avec la municipalité lorsque cette dernière a voulu reconstituer ses biens et mettre en valeur son patrimoine.
Cette question de la prescription acquisitive est très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux. C’est clairement le plus grand patrimoine privé communal.
Ces chemins ruraux desservent les exploitations agricoles et relient les communes rurales entre elles. Ils ont fait l’objet de nombreuses appropriations pour des raisons assez simples : bien souvent, ils gênent les exploitations et, du fait de l’agrandissement de celles-ci ainsi que de l’adoption des nouveaux modes de culture, ils ont été labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.
Ce n’était pas un problème jusqu’en 1959, date à laquelle a été redéfinie la voierie communale dans son ensemble, avec la nouvelle classification des chemins ruraux incorporés dans le domaine privé des communes. Qu’a-t-on vu à partir de 1990, soit trente ans après ? Des particuliers se sont opposés à la réouverture de ces chemins !
Dès lors, les contentieux ont explosé, d’autant que les territoires se sont attachés à l’aménagement et à la réouverture de ces chemins ruraux dans le cadre d’une valorisation touristique, culturelle ou sportive.
Je citerai l’exemple des chemins de grande randonnée, les GR, notamment sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Localement, nous avons créé chez nous un chemin à thème clunisien de 104 kilomètres allant de Moissac à Moirax, et nous nous sommes trouvés face à ce type de difficulté, le chemin étant interrompu par une prescription acquisitive au milieu d’un bois.
Dans ma proposition de loi initiale, j’avais préconisé, de façon générale, de rendre imprescriptible le domaine privé immobilier des collectivités publiques, sachant que l’essentiel était constitué par les chemins ruraux.
Deux objections ont émergé dans les débats : d’une part, la protection de la propriété privée ; d’autre part, la distinction entre domaine public et domaine privé.
Retenir ce principe d’imprescriptibilité, qui s’ajouterait à celui de l’insaisissabilité, ne remet pas en cause l’ensemble des nombreuses autres règles du droit privé : aliénation, gestion, juridiction judiciaire compétente. Cela ne me semblait donc pas constituer un grand bouleversement.
Cependant, si la nécessité de rendre possible l’échange de parcelles comportant des chemins ruraux fait l’unanimité, l’imprescriptibilité a suscité de fortes réticences chez certains de nos collègues.
Je comprends les craintes de voir bousculer le principe régissant la propriété privée. C’est pourquoi la solution alternative et pragmatique adoptée par la commission des lois me convient, car mon objectif principal est bien la conservation des chemins. Cette solution sera un bon outil afin de stopper l’hémorragie à laquelle nous assistons.
La mise en place d’un dispositif incitant les communes à procéder à l’inventaire de leurs chemins et à délibérer sur leur devenir est nécessaire et appropriée.
Sont donc prévues à cet effet, d’une part, la suspension pendant deux ans du délai de prescription pour l’acquisition des parcelles comportant des chemins ruraux et, d’autre part, une procédure permettant à une commune, engagée dans une démarche d’inventaire, d’interrompre ce délai.
Enfin, la commission a repris ma proposition d’échange de parcelles avec des chemins ruraux pour en modifier le tracé. Elle a amélioré cette proposition en simplifiant la procédure de façon adroite. Cette mesure accompagnera opportunément la première partie de la proposition de loi.
Comme l’a signalé Yves Détraigne dans son rapport, « l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture a vu dans la possibilité d’échange proposée une manière paisible de procéder à un réaménagement du parcellaire agricole en vue de l’adapter aux nouvelles pratiques sans en passer par un remembrement ».
Outre le fait que cette faculté d’échange mettra un terme à une jurisprudence mal comprise du Conseil d’État, elle permettra aussi de favoriser le dialogue pour éviter les conflits d’usages.
Bien entendu, je serais très heureux que cette proposition de loi puisse être votée à une large majorité : l’objectif de renforcer la protection des chemins ruraux étant ainsi partagé, il n’en aurait que plus de chances d’être atteint. J’ajoute que j’approuve tout à fait le nouveau titre de la proposition de loi modifiée par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, dont nous avons déjà débattu dans cet hémicycle le 29 octobre dernier, soulève une vraie question : celle de la « disparition silencieuse », pour reprendre l’expression utilisée à l’instant par notre collègue, par voie de prescription acquisitive, d’une partie des 750 000 kilomètres de chemins ruraux que compte notre pays, à un moment où ceux-ci retrouvent précisément un nouvel intérêt, que ce soit pour la lutte contre l’érosion des sols, la protection de la biodiversité ou le développement des chemins de randonnée.
Néanmoins, le texte déposé par M. Tandonnet prévoyait une solution qui, en tendant à rendre imprescriptibles ces éléments du domaine privé des communes que constituent les chemins ruraux, allait à l’encontre du principe juridique bien établi selon lequel les biens du domaine privé des personnes publiques sont régis par les règles de droit commun de la propriété.
En raison du caractère hybride de ces chemins qui, bien que relevant du domaine privé, sont affectés à l’usage du public, leur aliénation échappe à ces règles. Leur vente nécessite d’abord leur désaffectation préalable, à la suite d’une procédure d’enquête publique, ce qui amène le Conseil d’État à considérer que leur échange n’est pas possible et que les communes ne peuvent procéder au déplacement de l’emprise d’un chemin rural qu’en mettant en œuvre une procédure d’aliénation, elle-même conditionnée par le constat de fin d’usage du chemin par le public et par une enquête publique suivie d’une délibération, après quoi une procédure de déclaration d’utilité publique permettra à la commune de créer un nouveau chemin.
Le régime juridique des chemins ruraux constitue donc bien un objet « hybride », plus proche de la domanialité publique que des règles usuelles de gestion du domaine privé, auquel ils appartiennent pourtant.
Néanmoins, dans la mesure où les chemins ruraux font partie du domaine privé des communes, ils peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive. D’où l’intérêt de la proposition de loi de notre collègue Tandonnet, qui, à défaut d’avoir convaincu le Sénat de rendre ces chemins imprescriptibles, a mis clairement en évidence la nécessité de mieux les protéger et de se donner les moyens de reconstituer plus facilement, là où cela s’avère nécessaire, la continuité de leur itinéraire.
L’imprescriptibilité des chemins ruraux n’étant pas apparue souhaitable, au regard à la fois des principes du droit privé et de leur intérêt inégal d’un endroit à un autre, la commission des lois a retenu une proposition alternative pour sauvegarder ces chemins.
Il est donc proposé, non pas de les rendre imprescriptibles, mais d’ouvrir la possibilité pour les communes, sur leur initiative, d’interrompre le cours de la prescription acquisitive des chemins ruraux par l’engagement de leur recensement.
Ce type d’inventaire, qui constitue en quelque sorte un acte conservatoire, a déjà été recommandé par une circulaire du 18 décembre 1969 qui demandait aux préfets « d’inviter les communes à dresser un tableau récapitulatif et une carte des chemins ruraux ». Cette circulaire n’a eu que peu de succès, mais on remarque aujourd’hui que des communes voulant valoriser leurs chemins ruraux ont déjà engagé une forme d’inventaire.
La mise en œuvre de ce recensement passerait par une enquête publique et le délai de prescription en cours recommencerait à courir à compter de la délibération marquant la fin de cet inventaire, qui ne pourrait lui-même excéder deux ans. Cela permettrait aux communes confrontées au problème de la disparition d’une partie de leurs chemins ruraux par « occupation de fait » ou usucapion, d’abord, de connaître précisément leur patrimoine dans ce domaine, ensuite, de distinguer, par l’établissement d’un tableau récapitulatif, les chemins ruraux qu’ils souhaitent conserver à l’issue des opérations de recensement de ceux qui ne seraient pas retenus dans cet inventaire et qui, a posteriori, échapperaient à l’interruption de la prescription et pourraient donc être prescrits dans les délais légaux sans que les propriétaires aient à souffrir d’un quelconque retard.
Afin d’inciter les communes à entreprendre ce recensement, la commission propose en outre de suspendre pendant deux ans à compter de la publication de la loi le délai de prescription pour l’ensemble des chemins ruraux, de manière à permettre aux communes de prendre connaissance de ses dispositions et de mesurer l’enjeu que représente pour elles cette faculté nouvelle de recensement.
Bien entendu, je vous proposerai également de rendre possible l’échange des parcelles pour modifier l’assiette d’un chemin rural et conserver sa continuité sans devoir passer par la procédure complexe actuelle, rapidement évoquée par Henri Tandonnet, qui nécessite sa désaffectation préalable.
Voilà, mes chers collègues, exposées rapidement mais, je l’espère, clairement, les principales dispositions que vous propose la commission des lois. Elles sont moins radicales que celles de la proposition initiale. Si elles se limitent aux chemins ruraux et n’abordent pas les autres immeubles du domaine privé des collectivités, elles sont de nature, me semble-t-il, à mieux connaître, à mieux protéger et à mieux mettre en valeur ce patrimoine communal souvent peu connu mais qui présente aujourd’hui un regain d’intérêt. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous me permettrez de m’adresser à M. Henri Tandonnet, qui a fait allusion aux liens que j’entretiens avec le Lot-et-Garonne : oui, je suis toujours heureux d’y être ! Je m’y trouvais la semaine dernière et j’y retourne ce soir. Entre deux séjours, généralement trop courts, dans ce département, il m’arrive en effet de faire des séances d’« apnée internationale », que vous qualifiez de « voyages » et que j’appelle pour ma part des « déplacements » ; je laisse chacun apprécier la nuance. (Sourires.)
La Haute Assemblée examine cet après-midi en première lecture un texte qui peut sembler technique mais qui recouvre des réalités très importantes dans nos territoires ruraux : la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, qui avait fait l’objet d’un renvoi en commission, en octobre dernier.
Cette proposition de loi a un double objectif. Elle vise, d’une part, à rendre imprescriptible l’ensemble des biens immeubles appartenant au domaine privé des collectivités territoriales et, d’autre part, à surmonter la jurisprudence du Conseil d’État prohibant l’échange des chemins ruraux.
Le droit de la propriété des personnes publiques se fonde sur la distinction entre domaine public et domaine privé, l’appartenance d’un bien à l’un ou à l’autre déterminant le régime juridique qui lui est applicable, ainsi que la compétence juridictionnelle en cas de litige : juridiction administrative ou juridiction judiciaire.
Cependant, les caractéristiques propres à certains biens justifient que leur régime déroge, sur certains points, à cette distinction. Tel est le cas des chemins ruraux, comme l’explique, avec beaucoup de pertinence, M. Tandonnet dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi et comme cela a été rappelé au cours des débats.
La commission des lois a fait le choix de centrer ses travaux sur ces biens en particulier, la question de la prescription acquisitive étant en effet très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux.
La France compte près de 750 000 kilomètres de chemins ruraux. Ces espaces ne cessent de démontrer leur intérêt pour le développement de nos territoires, pour les activités agricoles et touristiques, pour la préservation de notre environnement.
Ce sont des voies de circulation, aussi bien pour les cultivateurs et les forestiers que pour les résidents des hameaux.
Ce sont également des viviers de la biodiversité, protecteurs contre l’érosion des sols et donc des supports pour le maintien de la Trame verte et bleue.
Ce sont enfin, au moment où nous cherchons à valoriser les territoires ruraux en matière d’agritourisme et, d’une manière plus générale, de tourisme rural, des atouts pour la valorisation de nos territoires pour les randonneurs ou les cyclistes. Je pense notamment à l’écotourisme, qui s’appuie sur les « déplacements doux », et vous savez à quel point je suis attentif aux questions liées au tourisme rural.
Les chemins ruraux font toutefois l’objet de nombreuses appropriations, en particulier parce qu’ils peuvent parfois constituer une gêne pour les exploitations et les nouveaux modes de culture. Ils sont alors labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.
Vous souhaitez endiguer ce mouvement, pour mieux garantir la survie et la préservation des chemins existants. C’est ce dont nous allons débattre aujourd’hui et c’est un objectif largement partagé par le Gouvernement.
Pour remédier à la « vulnérabilité » des chemins ruraux, vous souhaitez lever les difficultés et les contentieux trop nombreux qui résultent aujourd’hui du droit, parfois qualifié d’hybride, qui s’applique aux chemins ruraux.
Dans cette optique, vous avez entendu explorer de la manière la plus ample les mesures à même d’assurer la protection des chemins ruraux ainsi que leurs implications juridiques. C’est la raison pour laquelle, alors que l’objet du texte était très largement consensuel au sein de votre hémicycle, vous aviez choisi, en octobre dernier, de renvoyer ce texte en commission pour en approfondir l’examen sur certains points.
Cette décision avait été soutenue par le Gouvernement ; il s’en félicite aujourd’hui, car ces semaines d’examen supplémentaires ont effectivement permis aux membres de votre commission de définir un cadre encore plus efficace de protection des chemins ruraux et d’apporter des précisions utiles sur les mesures à prendre.
Ce cadre, le Gouvernement y souscrit dans sa globalité. Il estime en effet, tout comme la commission des lois, qu’il n’est pas judicieux de rendre les biens du domaine privé des collectivités territoriales imprescriptibles dans le but d’empêcher l’application à leur encontre de la prescription acquisitive.
En premier lieu, une telle disposition emporte des conséquences juridiques potentiellement risquées dans la mesure où elle remet en cause la frontière entre le régime du domaine privé et le régime du domaine public.
En second lieu, introduire l’imprescriptibilité des immeubles du domaine privé représenterait un vrai bouleversement. Au-delà du risque de confusion entre les domanialités, il faudrait alors effectuer une revue précise de tous les types d’immeubles appartenant au domaine privé. En effet, c’est l’unique moyen par lequel nous serions en mesure d’évaluer les conséquences pratiques d’un tel renversement de la règle.
Concernant la proposition de limiter l’imprescriptibilité aux seuls chemins ruraux, le Gouvernement partage le constat de la commission des lois : cette disposition créerait, là aussi, une confusion puisqu’elle accorderait à un élément du domaine privé une caractéristique juridiquement propre au domaine public.
Lors de l’examen en commission, un amendement visant à inciter les communes à procéder au recensement de leurs chemins ruraux a été adopté. Cette disposition semble de nature à faciliter la mise en œuvre par les communes d’une stratégie cohérente en matière de protection des chemins ruraux.
Cela va dans le bon sens, car il est difficile, pour une municipalité, notamment dans les territoires ruraux, d’avoir une connaissance exhaustive et tout à fait précise des dizaines de kilomètres de chemins ruraux qui jalonnent son territoire. Il arrive d’ailleurs qu’une commune découvre qu’un tiers est fondé à lui opposer la prescription acquisitive le jour où elle prend l’initiative de mettre un de ces biens en valeur.
Il s’agit donc d’aider les collectivités et les élus qui les administrent dans leurs efforts de mise en valeur, d’investissement, voire tout simplement de sauvegarde de leur patrimoine historique ou de la physionomie de leur terroir. Il faudra veiller à ce que cette disposition soit effectivement applicable dans les faits, et il convient de savoir quels sont les chemins ruraux pour pouvoir les protéger.
Enfin, l’introduction du principe d’échange de parcelles des chemins ruraux paraît particulièrement intéressante dans la mesure où celui-ci permettra de combler un vide juridique.
La plupart du temps, le maire qui essaie de redresser les chemins de sa commune ou de les restructurer doit procéder par voie de vente. Il en résulte souvent deux actes successifs : une vente et un achat engendrant des frais inutiles, ainsi que des discussions sans fin sur la valeur des terrains. Or un simple échange permettrait de conserver ou même de récupérer le chemin déjà prescrit ou en voie de prescription, son nouveau tracé évitant par exemple de passer au bord d’une ferme, de couper un champ labouré ou d’entraver un système d’irrigation ; ce sont là des réalités très concrètes que vous connaissez toutes et tous ici.
Cette simplification permettra non seulement de réduire les frais, mais aussi de sécuriser l’opération, car le projet de rétablissement sera conçu en une seule opération avec le propriétaire concerné, évitant ainsi de nombreux contentieux pour nos petites communes.
Tel qu’il est conçu, le dispositif d’échange proposé par votre rapporteur n’aura vocation à être mis en œuvre que dans l’hypothèse où il s’agira de faire perdurer le chemin rural, en ajustant son tracé par échanges de parcelles. Ce resserrement du champ d’application du dispositif nous semble une bonne solution, car il garantit que celui-ci ne sera pas un biais pour abandonner un chemin rural.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement soutient dans ses grandes lignes le texte que vous examinez aujourd’hui. Celui-ci apporte des garanties importantes pour la protection de nos chemins ruraux et va dans le sens d’un renforcement nécessaire de la maîtrise publique du foncier.
Cette ressource fait l’objet de tensions fortes, du fait notamment des phénomènes de périurbanisation, de l’artificialisation des sols, de la nécessaire préservation des espaces naturels et agricoles. Ce n’est qu’au travers de sa maîtrise raisonnée par la puissance publique que nous pourrons garantir un développement équilibré et durable de tous les territoires de la France.
Aussi, sous réserve de l’adoption des quelques évolutions techniques que j’ai indiquées dans mon propos, le Gouvernement est favorable à la présente proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, incontestablement, Henri Tandonnet doit déjà mieux respirer ! (Sourires.)
Le Sénat honore en effet, grâce aux initiatives et à la diligence du rapporteur de la commission des lois, l’engagement qu’il avait pris en adoptant le renvoi en commission, celui-ci devant être vu non pas comme un « enterrement de première classe », mais comme le signe d’une volonté réelle et unanime d’approfondir la question de la préservation des chemins ruraux, que vous avez eu, mon cher collègue, l’immense mérite de poser.
Ce travail a été réalisé dans un laps de temps très court et l’excellent rapport de M. Détraigne a pour première qualité de faire le point sur la situation actuelle des chemins ruraux.
Le chemin rural est effectivement un être hybride : il relève du domaine privé par détermination de la loi quand bien même il remplit intrinsèquement les critères de la domanialité publique. Il est d’autant plus hybride – je le dis avant M. Mézard (Sourires.) – que les pouvoirs de police du maire s’y appliquent. Et quand vous considérez les conditions d’aliénation des chemins ruraux, vous vous apercevez que les procédures prévues par le code rural n’ont rien à envier en lourdeur et en rigidité aux mécanismes propres au déclassement et à la vente de biens déclassés du domaine public !
Ne nous payons pas de mots : par les temps qui courent, il n’est pas tout à fait illégitime que des communes, placées dans la situation financière que l’on sait, considèrent que, s’il faut bien sûr protéger ce qui doit être protégé, dans le même temps, on doit pouvoir aliéner ce qui n’a pas à être protégé.
En effet, cette préoccupation est également prise en compte dans notre démarche, et je l’assume ; si nous ne le faisions pas, nous n’irions pas au bout des potentialités de cette proposition de loi.
Notre seconde préoccupation, fort bien rappelée par M. le rapporteur et fort modestement – le style, c’est l’homme ! – acceptée par notre collègue Tandonnet, était de ne pas remettre en cause, au hasard d’une proposition de loi, la summa divisio entre le domaine public et le domaine privé, telle qu’elle a été précisée par le Conseil d’État dans ses arrêts sur l’allée des Alyscamps et le port de Bonneuil-sur-Marne. Les raisons de ce choix n’étaient pas seulement esthétiques : cette distinction entraîne des conséquences juridiques, contractuelles et en termes de responsabilité. Il ne fallait donc pas déstabiliser excessivement ce cadre, même si les chemins ruraux ont un statut hybride.
Dans ces conditions, y avait-il une solution permettant d’atteindre l’objectif sans remettre en cause la cohérence de la construction ? C'est là que vous apparaissez, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
Après avoir dressé un diagnostic sans faille, vous avez proposé une démarche pragmatique, en décidant de commencer par un recensement des chemins ruraux existant sur leur territoire. Toujours avec le même pragmatisme, dont aurait pu aussi faire preuve Jacques Mézard, qui a tant fait pour la défense des départements – j’en profite pour remercier le Gouvernement de les avoir conservés (M. Jacques Mézard s’esclaffe.) – et pour le maintien de leur compétence en matière de voirie, vous vous êtes dit qu’il manquait un élément.
Il était nécessaire de prévoir un amendement visant, à l’heure de la réforme territoriale, à articuler la compétence départementale avec la protection des intérêts touristiques et cynégétiques, voire bucoliques (Sourires.), qui s’attachent aux chemins ruraux.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le recensement est très important, d’autant plus qu’il sera suivi d’une révision du plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée.
J’aimerais soulever un autre point, même s’il n’est pas très populaire de le faire. J’ai examiné toute la jurisprudence du Conseil d’État sur les chemins ruraux depuis vingt ans. Or, dans les commentaires de doctrine, il n’y a pas un seul professeur de droit pour considérer que les conditions d’aliénation des chemins ruraux posent problème. C'est une question importante à un moment où les communes subissent de lourdes contraintes financières. Le recensement est le préalable ; c'est une priorité absolue pour la protection de ces chemins ruraux.
Grâce à votre habilité, monsieur le rapporteur, nous avons déjà obtenu un avantage énorme, avec la possibilité qui est offerte aux communes, alors qu’elle était jusqu’à présent prohibée par le Conseil d’État, d’échanger des chemins ruraux, si – et seulement si – cet échange permet de garantir la continuité des itinéraires de promenade. Après le recensement, les maires – j’en connais beaucoup ! – devront choisir s’ils veulent garder ou vendre les chemins ruraux.
Voilà le pragmatisme que le groupe socialiste m’a demandé d’afficher. Toutefois, je tiens à dire que nous avons pris plaisir à travailler avec vous, monsieur Tandonnet ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous allons poursuivre cette partie de plaisir ! En effet, nous sommes bien engagés sur la voie du consensus, ce qui me semble d'ailleurs assez normal.
Je veux simplement rappeler ici notre réticence au renvoi en commission d’une proposition de loi examinée dans le cadre des niches parlementaires. Ces renvois doivent, selon nous, rester l’exception. À défaut, l’initiative parlementaire, en particulier celle de l’opposition, risquerait d’être mise à mal.
Comme l’a rappelé à l’instant, avec un grand talent, notre collègue René Vandierendonck, ce travail a été réalisé avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi. Loin de l’enterrer, la commission a réécrit le texte avec beaucoup d’intelligence et de pragmatisme. Aujourd'hui, la proposition de loi revient devant nous.
Sur le fond, M. le rapporteur nous rappelle, à bon droit, dans son rapport que « s’il y a un problème de protection de ces chemins affectés à l’usage du public et appartenant au domaine privé des communes, il était souhaitable de rester dans le schéma traditionnel selon lequel, hormis leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques sont – contrairement aux biens du domaine public – régis par les règles de droit commun de la propriété, sous réserve de quelques dérogations. »
Je tiens à remercier notre collègue Henri Tandonnet d’avoir permis, avec l’aide de M. le rapporteur, d’expliciter des points de droit concernant les chemins ruraux, lesquels sont l’unique objet de cette proposition.
Au-delà des aspects juridiques liés au régime de domanialité des collectivités, se pose une véritable question : celle de la capacité de nos communes, et surtout des plus petites d’entre elles, à maîtriser le développement de leur territoire et l’évolution de leur patrimoine, tout particulièrement en milieu rural.
Parce qu’ils sont justement à l’usage du public, ces chemins ruraux remplissent de véritables missions d’intérêt général, et un certain nombre d’associations et de riverains font pression sur les communes pour qu’ils fassent l’objet d’un entretien régulier. Les communes n’ont aucune obligation d’entretien puisqu’ils font partie de leur domaine privé. Néanmoins, la pression est là, et il est parfois difficile d’y résister, d’autant que cet entretien peut se révéler particulièrement utile.
Dans le même temps, le régime actuel, qui autorise une absence d’entretien des chemins ruraux, justifie que ceux-ci deviennent, au bout d’un certain temps, la propriété exclusive de particuliers riverains.
C’est sans doute contestable, car cela prive les communes de capacités d’intervention sur leur patrimoine à des fins de développement touristique, de préservation de leur patrimoine naturel et de la biodiversité, d’augmentation du nombre de liaisons douces et de voies vertes communales ou intercommunales.
Nous sommes tous d’accord pour convenir qu’une telle situation n’est pas satisfaisante et inquiets quant à la capacité de nos communes de protéger, à l’avenir, leur patrimoine, d’autant que – je veux y insister – les ressources financières des collectivités et, par là même, leurs capacités d’intervention diminuent loi de finances après loi de finances.
Elles ont donc de moins en moins les moyens d’entretenir tous les chemins ruraux, comme, du reste, bien d’autres éléments patrimoniaux du domaine privé à rénover : je pense aux moulins, aux granges, aux fontaines et autres fours à pain, qui sont les vestiges d’une époque révolue, mais dont nous devrions pouvoir garder la trace. Ces éléments méritent toute notre attention et même – pour continuer dans la partie de plaisir – l’utilisation de nos réserves parlementaires…
Il faut saluer le travail qui a été effectué, car, finalement, le nouveau texte que nous examinons apporte une réponse concrète à un véritable problème. Facilitateur et pragmatique, il tend à renforcer la maîtrise foncière des élus, en prévoyant la réalisation d’un état des lieux d’un patrimoine qui, certes, est hybride, mais qui est aussi tellement utile. Si l’on n’y prend pas garde, en effet, ce patrimoine pourrait disparaître du paysage, au sens propre comme au sens figuré.
Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe votera le texte qui nous est proposé. À mon tour, je tiens à remercier M. le rapporteur, Yves Détraigne, d’avoir tenu compte des observations que nous avions formulées.
Nous avions bien conscience que l’objectif de l’auteur de la proposition de loi, Henri Tandonnet, était tout à fait louable, mais nous étions totalement opposés à l’idée de rendre les chemins ruraux, qui font partie du domaine privé de nos communes, imprescriptibles. Cela nous paraissait poser un problème juridique de fond s’agissant de la distinction entre le domaine public et le domaine privé : sa proposition conduisait à créer une troisième catégorie, alors que nous en avions déjà assez de deux !
Monsieur le rapporteur, je constate que, bien que vous soyez publiciste, vous avez su arrondir les angles dans le domaine du droit privé, ce qui est relativement rare ! (Sourires.) Je ne peux que vous en féliciter.
Pourquoi étions-nous réticents sur la question de l’imprescriptibilité ? Les conflits sont tout de même relativement rares. J’attends toujours, monsieur le secrétaire d'État – je crois que j’attendrai jusqu’à la fin de mon existence, au moins parlementaire –, que l’on me communique le nombre de litiges portés devant les tribunaux de grande instance en matière d’usucapion trentenaire, ce qui suppose d'ailleurs que l’administration connaisse ce terme !
Nous savons qu’il y a peu de cas et qu’il ne peut y avoir utilisation de la prescription contre les communes que si le tribunal est saisi pour faire constater que les conditions de l’usucapion trentenaire sont remplies. Pour autant, la rareté des cas de contentieux ne signifie pas qu’il n’y a pas de problèmes sur le terrain.
Toutefois, pour pouvoir bénéficier de la prescription acquisitive, il faut remplir les conditions de l’article 2261 du code civil, c’est-à-dire prouver que, pendant trente ans, la possession a été paisible, publique, non équivoque et continue, ce qui est tout de même assez difficile à établir.
De deux choses l’une : soit le chemin rural dessert une seule parcelle, et la commune a tout de même intérêt à céder le chemin rural au seul bénéficiaire ; soit il dessert plusieurs parcelles appartenant à des propriétaires différents, ce qui fait que la possession n’est pas paisible, publique et continue et que la prescription acquisitive ne peut alors jouer.
Comme l’a rappelé très justement le Gouvernement, il y a 750 000 kilomètres de chemins ruraux. Quelle est la situation sur le terrain ? Je regrette que le groupe qui représente la défense de l’environnement ne se soit pas senti concerné par cette intéressante question…
M. André Gattolin. Nous allons voter, tout de même !
M. Jacques Mézard. Nombre de chemins ruraux ne sont pas entretenus par les communes parce que celles-ci n’ont pas les moyens de le faire : voilà la réalité !
C’est un véritable problème. Que des associations de randonneurs souhaitent ouvrir tel ou tel chemin, c’est tout à fait louable. Néanmoins, il existe déjà des dispositions juridiques qui permettent de le faire, en particulier l’article L. 361-1 du code de l’environnement, qui est relatif au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée et qui offre toute une série de solutions.
Ces chemins ne sont donc, pour la plupart, pas entretenus. Le côté tout à fait positif de cette proposition de loi, c'est de permettre aux communes d’entreprendre un recensement. Il existe un cadastre, dont on nous dit qu’il n’est pas précis. Cependant, si toutes les communes de France font ce recensement – c’est une bonne chose de leur en avoir donné la possibilité et les garanties juridiques –, je vous assure qu’il faudra embaucher quelques dizaines de milliers d’experts-géomètres ! En effet, le travail est tellement considérable qu’il ne pourra jamais être réalisé dans les délais impartis.
Ce texte marque donc un progrès, parce qu’il donne la possibilité aux communes de lancer des procédures de recensement dans de bonnes conditions, tout en interrompant la prescription. Nous y sommes tout à fait favorables, tout comme aux échanges, qui sont une bonne solution.
Cette proposition de loi aura permis, cher Henri Tandonnet, de faire des progrès, ce qui était nécessaire. Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, il faudra bien prendre conscience que le véritable problème, c’est de donner aux communes les moyens, soit d’entretenir les chemins ruraux, soit de les céder facilement.
En effet, aujourd'hui, dans des milliers de communes, non seulement les maires n’ont plus les moyens d’entretenir les chemins, mais les citoyens ne sont pas non plus en mesure, soit de faire-valoir à l’amiable leur volonté de devenir acquéreurs de ces chemins, soit de saisir les tribunaux. Et cette situation aboutit à la déshérence de dizaines de milliers de kilomètres de chemins.
De ce point de vue, la présente proposition de loi constitue un progrès. Toutefois, il faudra peut-être chercher des solutions complémentaires pour que les chemins communaux pouvant légitimement revenir à des propriétaires privés leur soient cédés plus facilement et pour que ceux qui doivent rester dans le giron du domaine de la commune puissent y demeurer et être entretenus.
Évidemment, et j’en termine sur ce point, monsieur le secrétaire d'État, il s’agit là de problèmes très ruraux… Nous savons combien il est difficile d’y sensibiliser les gouvernements successifs, quels qu’ils soient ! Toutefois, je ne doute pas que, compte tenu de votre présence régulière sur le terrain, vous ne manquerez pas de nous faciliter le travail. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux, au nom du groupe UDI-UC, saluer la persévérance de notre collègue Henri Tandonnet, qui a déposé la présente proposition de loi au début de l’année 2014.
Depuis lors, la proposition de loi a été examinée en séance publique – c’était en octobre dernier – et renvoyée en commission pour un examen plus approfondi. Comme cela a été évoqué par mes prédécesseurs à la tribune, celui-ci a permis d’améliorer considérablement la qualité du texte, grâce à la compétence du rapporteur, M. Yves Détraigne, dont je tiens à saluer le travail, la lecture de son rapport m’ayant particulièrement passionné.
De quoi parlons-nous ? Du patrimoine des communes, lequel, depuis l’ordonnance de 1959, est divisé entre les voies communales, issues des chemins vicinaux, et les chemins ruraux. Ce point est important.
Alors que, initialement, j’étais moi aussi assez sensible à la proposition d’éviter la prescription acquisitive trentenaire des chemins ruraux par un certain nombre de riverains, les différents arguments mis en avant par le rapporteur m’ont convaincu que procéder ainsi serait peut-être aller un peu vite en besogne et qu’il valait mieux suivre une autre voie.
Ce sujet est particulièrement important dans les 36 000 communes de notre pays, dont la plupart, vous le savez, mes chers collègues, sont rurales. Les élus ruraux, dont nous sommes, sont attachés au maintien de cette voirie dans le patrimoine communal.
Or, force est de le constater, les maires n’ont pas toujours la capacité de vérifier que ces chemins restent bien dans le domaine communal et ne sont pas utilisés par des particuliers ou appropriés par différentes personnes, notamment par certains agriculteurs, malgré l’article D. 161-14 du code rural et de la pêche maritime, qui leur défend « de labourer ou de cultiver le sol dans les emprises de ces chemins et de leurs dépendances ».
En effet, cette vérification demanderait de faire appel aux hommes de l’art que sont, en l’espèce, les géomètres, ce qui induirait des coûts que les collectivités ne peuvent pas toujours assumer, surtout lorsque ce sont de petites parcelles qui sont concernées : pour celles-ci, le coût de vérification apparaît prohibitif au regard des enjeux.
Mes chers collègues, le fait que les collectivités tendent à ne pas pouvoir s’occuper de ce problème, notamment pour des raisons financières, est particulièrement préjudiciable, les chemins ruraux constituant tout simplement une vraie richesse pour chacune de nos communes.
Bien sûr, certains chemins sont utilisés conformément à leur vocation initiale, c'est-à-dire la desserte des parcelles qu’ils sont censés désenclaver, mais de nombreux autres usages en ont été développés. Ainsi, les promeneurs, les chasseurs ou encore les cavaliers sont, de plus en plus, amenés à utiliser l’ensemble de ces voies. Pour cette raison, il importe absolument que celles-ci soient maintenues dans le patrimoine communal et il faut prêter attention aux conditions et aux moyens qui sont mis à la disposition des maires pour leur permettre de les entretenir.
Vous le voyez, ce sujet est particulièrement important pour les élus ruraux et le patrimoine des communes.
Si, aujourd'hui, un certain nombre d’usages de ces chemins sont connus, tous ne peuvent être prévus. En particulier, les communes ont parfois laissé les riverains s’approprier des chemins, considérant que ceux-ci n’avaient pas d'utilité, avant de s’apercevoir qu’elles en avaient finalement besoin, par exemple pour assurer la continuité d’itinéraires de randonnée ou pour desservir de nouvelles parcelles issues de cessions de terrains, y compris, en certaines circonstances, de divisions de parcelles. Il convient d’en tenir compte.
Dans le rapport d’Yves Détraigne, j’ai lu qu’en Picardie – c’est un exemple parmi d’autres – une association avait recensé 40 000 kilomètres de chemins ruraux dans le cadastre et seulement 30 000 sur le terrain. Autrement dit, la part des chemins qui ont fait l’objet d’une appropriation s’élève à 25 %. C’est significatif !
À cet égard, décider de faire le point sur la situation et d’engager les élus à réaliser cet inventaire, de façon à pouvoir vérifier que les chemins recensés par le cadastre figurent bien dans le patrimoine communal, me semble une très bonne solution : cela permettra d’apporter les réponses appropriées aux préoccupations exprimées par Henri Tandonnet et ses collègues au travers de la présente proposition de loi.
Se pose également la question des échanges de terrains, à laquelle je suis moi-même confronté, en tant que maire d’une commune rurale. Aujourd'hui, les textes ne donnent pas véritablement aux élus les outils nécessaires pour assurer ces échanges dans de bonnes conditions, laissant bien souvent à la jurisprudence une grande marge d’interprétation – on connaît la façon très restrictive dont le Conseil d'État a tranché un certain nombre de litiges dont il a été saisi.
Il importait donc de donner aux élus la sécurité juridique dont ils avaient besoin en la matière. Je me réjouis tout particulièrement que le texte apporte des clarifications sur ce point : cela permettra à nos collègues élus de mieux cerner la réalité du patrimoine qu’ils ont à gérer durant leur mandat.
Pour conclure, je veux remercier M. le rapporteur, ainsi que notre collègue Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Bien entendu, le groupe UDI-UC votera ce texte, dont nous espérons qu’il puisse aboutir le plus rapidement possible ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison. (M. Daniel Gremillet applaudit.)
M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous vivons un petit moment de bonheur, ce qui n’est pas si courant dans cet hémicycle (Sourires.), puisque le texte que nous sommes en train d’examiner repose essentiellement sur la volonté manifeste d’aider les collectivités et les élus qui les administrent et auxquels un certain nombre de normes, parfois excessives, parfois inutiles, posent souvent bien des difficultés.
En effet, de nombreux maires de petites communes se sont retrouvés confrontés à la tâche extrêmement complexe que constitue la définition des chemins ruraux. Pour une petite commune rurale, dont les moyens sont, par nature, limités, il n’est pas si simple d’avoir une connaissance exhaustive des chemins ruraux qui jalonnent son territoire, surtout quand ceux-ci représentent des centaines de kilomètres, ni de détenir une liste à jour de l’ensemble de ces biens.
Lors de son inscription à l’ordre du jour, en octobre dernier, la présente proposition de loi avait fait l’objet d’un renvoi en commission, afin d’approfondir la réflexion.
Si l’une des dispositions initiales du texte, qui consistait à permettre l’échange en matière des chemins ruraux, a été approuvée par la commission, il n’en a pas été de même de celle qui rend ces chemins imprescriptibles.
En effet, s’il y a bien aujourd’hui un problème de protection de ces chemins, qui appartiennent aux communes et sont affectés à l’usage du public, tout en faisant partie, paradoxalement, de leur domaine privé, il est souhaitable de conserver le schéma traditionnel du droit civil, qui prévoit que, hormis pour ce qui concerne leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques, contrairement à ceux de leur domaine public, sont régis par les règles de droit commun de la propriété.
Toutefois, l’affectation au public des chemins ruraux conduit parfois à déroger aux règles communément admises pour la gestion du domaine privé des personnes publiques.
Tout d'abord, il existe un régime d’aliénation dérogatoire au droit commun pour ces chemins, du fait de leur nature hybride. De plus, le Conseil d’État prohibe leur échange.
Ensuite, si les chemins ruraux ne sont pas couverts par le régime des contraventions de voirie et si la commune n’a pas d’obligation d’entretien de ces chemins, le pouvoir de police et de conservation du maire lui fait obligation de faire cesser toute atteinte qui leur serait portée, comme le rappelait l’orateur précédent. Parfois, en vertu d’arrangements passés entre le maire et les exploitants agricoles, ceux-ci sont autorisés à labourer les chemins qui ne servent plus, à condition de recréer ces chemins quand la commune en aura besoin. Néanmoins, je sais d’expérience ce qu’il advient ensuite de tels arrangements… (Sourires.)
Pour l’ensemble de ces raisons, il est apparu que le basculement des chemins ruraux dans le domaine public des communes était difficilement envisageable, compte tenu des charges d’entretien qu’il en résulterait pour les communes.
La commission des lois, sur proposition de son rapporteur, que je remercie et félicite pour son travail, a cherché et trouvé le meilleur moyen d’enrayer le mouvement de disparition des chemins ruraux, sans pour autant bouleverser les principes qui régissent la domanialité des personnes publiques, ce qui est important. Ainsi, elle a décidé d’ouvrir la possibilité, non pas de faire échapper les chemins ruraux à la prescription acquisitive, mais d’interrompre le cours de celle-ci, afin de permettre aux communes, dans un délai de deux ans, de recenser les chemins et de s’interroger sur leur devenir.
Un acte de type conservatoire, tel que le recensement, n’ayant pas d’effet interruptif de prescription, la commission des lois a inscrit dans le texte un cas supplémentaire d’interruption de prescription, spécifiquement applicable aux chemins ruraux, le temps de permettre aux communes de recenser ceux-ci.
D’ailleurs, ce type d’inventaire a déjà été prescrit par une circulaire de 1969, qui demandait aux préfets « d’inviter les communes à dresser un tableau récapitulatif et une carte des chemins ruraux ».
En conclusion, après avoir renouvelé mes remerciements à la commission, tout particulièrement à son rapporteur, je me réjouis de pouvoir dire que le groupe UMP votera, bien entendu, ce texte. Celui-ci comme je le soulignais en préambule de mon propos, simplifiera la vie des maires et permettra de pérenniser un certain nombre de chemins, par ailleurs nécessaires au développement du tourisme – activité ô combien essentielle en période de crise – de notre beau pays. (Applaudissements.)
M. Daniel Gremillet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux simplement saluer la qualité de cette discussion générale : elle rejoint celle des travaux de fond réalisés par la commission.
Il me semble qu’un large consensus existe pour avancer dans le sens indiqué dans ce texte et pour répondre, de manière très précise, très concrète et très pragmatique, à des préoccupations qui sont quotidiennes dans les territoires ruraux de notre pays ; les différents orateurs ont tous insisté sur ce point.
Le Gouvernement connaît bien ces problèmes, qui reflètent la réalité de la vie sur le terrain dans la ruralité, à laquelle nous sommes très attachés. Le travail de simplification engagé a pour objectif de faciliter la vie dans les collectivités et dans la ruralité. Le débat d’aujourd'hui en a plus que jamais montré la nécessité.
J’ai été interpellé sur les statistiques portant sur un certain nombre de contentieux. Nous allons vérifier si ces chiffres existent : si tel est le cas, ils vous seront communiqués, monsieur Mézard, dans les plus brefs délais ; dans le cas contraire, vous en serez également informé, bien entendu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, encore une fois, je tiens à vous remercier de la qualité de cette discussion générale.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux
Article 1er
Après l’article L. 161-6 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 161-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 161-6-1. – Le conseil municipal peut, par délibération, décider le recensement des chemins ruraux situés sur le territoire de la commune. Cette délibération interrompt le délai de prescription pour l’acquisition des parcelles comportant ces chemins.
« L’interruption produit ses effets jusqu’à la délibération arrêtant le tableau récapitulatif des chemins ruraux, prise après enquête publique réalisée conformément au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. Cette délibération ne peut intervenir plus de deux ans après la délibération prévue au premier alinéa.
« L’interruption est non avenue à l’égard des chemins que la commune aura choisis de ne pas faire figurer au tableau récapitulatif. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les conditions prévues à l'article L. 361-1 du code de l'environnement, le département révise le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée pour tenir compte du recensement des chemins ruraux mené par les communes.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants, M. le secrétaire d'État et les représentants des différents groupes, de leur soutien unanime à la proposition de loi, telle qu’elle est présentée aujourd’hui.
Cela prouve que le renvoi à la commission n’est pas nécessairement un enterrement de première classe. Bien souvent, lorsqu’une proposition de loi est renvoyée à la commission, son avenir est plutôt sombre… Toutefois, nous apportons cette fois la preuve qu’une telle procédure peut être utile, et je souhaite que cela vaille pour d’autres textes !
Cet amendement n° 1, dont la paternité revient en réalité à notre collègue René Vandierendonck, a pour objet d’inciter les départements à réactualiser le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, afin de tenir compte du recensement des chemins ruraux mené par les communes, dans la mesure où ces itinéraires utilisent bien souvent les chemins ruraux. La proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter vise donc à mettre à jour la liste de ces chemins ruraux.
En effet, dès lors que l’on mobilise les collectivités territoriales sur cette question des chemins ruraux, il nous semble bienvenu d’inciter aussi les départements à réviser leur plan des itinéraires de promenade et de randonnée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les itinéraires de promenade et de randonnée inscrits dans les plans départementaux peuvent, avec l’accord des communes concernées, emprunter aussi des chemins ruraux.
Le travail de recensement de ces chemins permettra d’offrir de nouvelles possibilités pour les itinéraires de promenade et de randonnée. Cela conduira probablement les départements à réactualiser leurs plans.
Toutefois, il ne nous apparaît pas nécessaire de rendre obligatoire cette révision. Comme vous le savez, le Gouvernement partage une préoccupation légitime et régulièrement exprimée dans cet hémicycle, qui est de limiter la production de normes applicables aux collectivités territoriales. Or il nous semble que cet amendement est justement susceptible de tomber dans cette catégorie de textes.
Toutefois, comme nous n’avons pas d’objection de fond concernant cet amendement, nous nous en remettons à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.
M. René Vandierendonck. On ne peut que saluer le désir de simplification administrative exprimé par M. le secrétaire d'État.
Néanmoins, si le verbe « réviser » est employé ici, c’est justement parce que l’on sait que les départements sont déjà très impliqués dans la politique de protection des itinéraires de promenade.
Les communes devront procéder à un recensement à grande échelle. Les départements bénéficient d’une recette financière : la taxe départementale des espaces naturels sensibles. Ils ont aussi la possibilité de demander des crédits européens au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER.
De même que nous avons eu le souci d’accompagner les communes au moment où elles avaient des contraintes financières, nous devons avoir la même préoccupation pour les départements. Et c’est parce que les juristes rédigent au présent de l’indicatif que le terme « réviser » est conjugué ainsi. Il me semble qu’il s’agit là d’un point important.
Monsieur le secrétaire d'État, l’opposabilité de ces documents varie d’un département à l’autre. De même qu’un recensement aura lieu dans les communes, il y aura peut-être une homogénéité plus grande dans les départements.
Par conséquent, et même si je n’en fais pas un casus belli, je soutiens la rédaction de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Il s'agit en effet d’un sujet très intéressant : le recensement porte sur des parcours qui sont orphelins de financement. Comme vous venez de le dire, monsieur Vandierendonck, il existe peut-être des moyens budgétaires à l'échelon communautaire, ainsi qu’une nécessité et une volonté de simplification.
Néanmoins, nous pourrions aussi trouver des moyens économiques simples pour entretenir ces itinéraires. Je pense, par exemple, aux agriculteurs, qui, pour la plupart, habitent à proximité de ces chemins et qui pourraient avoir la charge de les entretenir.
Le problème est que les périmètres dans lesquels ces itinéraires se trouvent ne figurent pas aujourd’hui dans les déclarations au titre de la politique agricole commune. Si, à l’inverse, nous avions l’habileté d’étendre et de reconnaître la nécessité d’entretenir ces espaces, nous trouverions un moyen très économe et surtout très efficace. Et nous pourrions faire en sorte que ce recensement ne soit pas une simple image d’Épinal, qui, au fil des années, perdrait toute sa valeur parce que la nature reprendrait le dessus.
Mes chers collègues, nous pourrions élaborer ici une politique d’aménagement du territoire. À l'évidence, une projection très ambitieuse sur l’ensemble de notre territoire est possible, et c’est vrai aussi bien pour l’agriculture que pour les espaces forestiers.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
Article 2
Le délai de prescription pour l’acquisition d’une parcelle comportant un chemin rural est suspendu pendant deux ans à compter de la publication de la présente loi. – (Adopté.)
Article 3
I. – Après l’article L. 161-10-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 161-10-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 161-10-2. – Lorsque l’échange de parcelles a pour objet de modifier l’assiette d’un chemin rural, la parcelle sur laquelle est sis le chemin rural peut être échangée selon les conditions prévues aux articles L. 3222-2 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales. L’acte d’échange comporte des clauses permettant de garantir la continuité du chemin rural. »
II. – L’article L. 3222-2 du code général de la propriété des personnes publiques est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’échange d’une parcelle sur laquelle est sis un chemin rural n’est autorisé que dans les conditions prévues à l’article L. 161-10-2 du code rural et de la pêche maritime. » – (Adopté.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents. (Applaudissements.)
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
12
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires économiques a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée, et je proclame M. Franck Montaugé membre du conseil d’administration de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.
13
Débat sur l'avenir de l'industrie agroalimentaire
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, organisé à la demande du groupe UDI-UC.
La parole est à Mme Françoise Gatel, orateur du groupe auteur de la demande.
Mme Françoise Gatel, au nom du groupe UDI-UC. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agroalimentaire est une industrie lourde, au sens où elle constitue un enjeu essentiel pour la performance économique et territoriale de notre pays.
Cette filière stratégique représente plus de 160 milliards d’euros à travers près de l6 000 entreprises, dont 97 % de PME, qui structurent la géographie de l’économie française et dynamisent les territoires ruraux.
Ainsi, en Bretagne, une commune sur cinq accueille un site ou une unité agroalimentaire. Cette industrie représente également près de 495 000 emplois peu délocalisables, proches des sources de production et dont beaucoup sont accessibles à des personnes faiblement qualifiées et peu mobiles. Elle constitue encore, dans notre pays en voie de désindustrialisation, une pépite à l’export, avec un solde commercial positif de 8 milliards d’euros.
Toutefois, monsieur le ministre, vous le savez mieux que moi, ce résultat masque de grandes difficultés dans certaines filières, puisque le déficit commercial hors boissons est de 2,7 milliards d’euros.
À titre d’exemple, les filières de la volaille et de la viande sont confrontées à des concurrences violentes, y compris au sein de l’Europe pour la filière porc. Quand la France traite chaque année 21 millions de porcs, l’Allemagne en traite 60 millions et 300 exportations porcines disparaissent chaque année.
Se pose aujourd’hui la question de l’avenir des abattoirs. Chacun ici connaît la situation dramatique de la Bretagne. Si l’on peut se réjouir de la reprise des abattoirs Gad, à Josselin, force est de constater qu’elle a été réalisée par un groupe de distribution, ce qui contribue à renforcer encore un peu plus une situation de dépendance des producteurs. D’autres abattoirs sont également en situation difficile – je pense notamment au site AIM, à Antrain, en liquidation judiciaire et en attente d’un repreneur.
Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, l’agriculture française occupait une place de premier plan en Europe, soutenue – il faut le reconnaître – par une politique agricole commune protectrice et généreuse. Cette situation a servi de levier de développement à une industrie alimentaire poussée par ailleurs à la modernisation de ses outils de productivité sous la pression de la grande distribution.
Depuis lors, plusieurs changements extrêmement importants sont venus affecter les conditions de concurrence et de compétitivité : la conclusion d’accords internationaux tels que l’Uruguay Round, le lancement des négociations de Doha et la politique d’ouverture des échanges poursuivie par l’Union européenne ont conduit à une diminution de la protection aux frontières de l’Union en matière de produits agricoles et alimentaires, ouvrant ainsi la compétition aux grands pays tiers producteurs agricoles développés – les États-Unis, le Canada ou l’Australie, par exemple –, mais aussi émergents, tels le Brésil et l’Argentine.
L’élargissement vers l’Europe centrale et orientale a ouvert les frontières de l’Union à des pays dont le niveau de développement favorise, dans un premier temps, l’exportation de produits et de main-d’œuvre, avant que l’élévation des niveaux de vie – attendue de l’adhésion à la Communauté européenne – ne se traduise par une augmentation de la consommation intérieure.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, la perte de compétitivité de l’agroalimentaire, longtemps fer de lance de notre économie, est réelle et inquiétante, même s’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau – en témoignent l’excellent rapport de Philippe Rouault, alors délégué interministériel aux industries agroalimentaires, en 2010, et celui du sénateur centriste Marcel Deneux, en 1999.
Les pertes de parts de marché subies au cours des dernières années attestent de réelles faiblesses : la taille des entreprises, leur stratégie, le niveau trop élevé des prélèvements – le différentiel entre la France et l’Allemagne est de l’ordre de 90 milliards d’euros – et un coût du travail qui ne tient pas la comparaison, ce qui suscite une distorsion sociale inacceptable au sein de l’Europe, à laquelle s’ajoute une distorsion fiscale à travers le système forfaitaire allemand de TVA.
En outre, face à la combinaison dangereuse d’une tension forte sur les marges et d’une faible croissance, aggravée par des embargos, la situation ne peut qu’empirer. En effet, la faible rentabilité des industries agroalimentaires, dont le taux de marge a baissé de 15 % en moyenne en dix ans, affecte fortement leur capacité d’investissement.
Dans ce contexte, quels leviers actionner pour encourager et soutenir cette filière stratégique ? J’en citerai cinq.
Le premier, c’est l’exportation. Il s’agit d’un levier d’ampleur, sachant que la production agricole mondiale doit augmenter de 70 % d’ici à 2050 pour répondre à la demande alimentaire de 9 milliards d’habitants. L’export constitue un relais de croissance indispensable pour notre industrie, face à un marché national mature et complètement atone.
L’agroalimentaire, dont 80 % de la valeur est créée en France, constitue le deuxième solde positif de notre commerce extérieur après l’industrie aéronautique, mais le premier poste d’exportation en valeur absolue. Or seuls 27 % du chiffre d’affaires de notre industrie agroalimentaire sont réalisés à l’export, les deux tiers de ces mêmes exportations étant le fait d’entreprises de plus de 250 salariés.
Le potentiel est donc considérable, mais encore faut-il le rendre accessible. La marque France, synonyme de produits de qualité, de savoir-faire et de sécurité alimentaire, bénéficie d’une excellente image à l’étranger.
Si l’offre de soutien en matière d’exportation est variée et abondante pour nos entreprises, beaucoup d’entrepreneurs – vous le savez, monsieur le ministre – déplorent le manque de lisibilité du dispositif public d’aide à l’export ou la redondance de certaines actions publiques. Il faut instaurer davantage de cohérence dans l’action des différents organismes de soutien, réfléchir à un guichet unique destiné à guider et accompagner nos PME au travers des différents types d’aides à l’export.
Des barrières non tarifaires, parfois injustifiées ou exagérées, constituent également des freins importants. Ainsi, les industriels français sont en attente de nombreux textes définitifs d’application du nouveau système de sécurité sanitaire des États-Unis, en cours de révision profonde. Le volet dédié à la sécurité des importations, par exemple, fait reposer sur les importateurs la responsabilité de la conformité de leurs produits aux nouvelles règles de sécurité alimentaire.
Aussi est-il impératif d’obtenir la reconnaissance de l’équivalence du système européen de sécurité sanitaire, reconnu comme l’un des plus performants au monde, pour les produits dépendant de la Food and Drug Administration.
Il nous faut, monsieur le ministre, une véritable diplomatie économique, dont l’action plus cohérente et plus efficace serait mise au service des entreprises, afin de leur ouvrir et leur faciliter l’accès à l’export.
En ce sens, la mise en place du « comité Asie » est une excellente chose. Ce dernier a vocation à soutenir et promouvoir les exportations agroalimentaires françaises vers l’une des zones dotées du plus fort potentiel de développement, puisque l’Asie représente 13 % des exportations agroalimentaires.
La Chine est ainsi devenue un importateur essentiel. N’étant plus en mesure d’assurer son autosuffisance alimentaire, elle se situe désormais au quatrième rang mondial des importateurs de denrées agroalimentaires. Cette forte progression est liée certes à la croissance d’une classe moyenne urbaine en pleine expansion, mais également aux scandales sanitaires à répétition, qui renforcent l’intérêt des produits étrangers importés aux yeux des consommateurs chinois.
Grâce au « comité Asie », des discussions resserrées se sont tenues entre les entreprises, les représentants professionnels, les opérateurs et les pouvoirs publics, en vue de susciter des plans d’action destinés à accompagner au mieux nos entreprises ; des moyens doivent être mis en œuvre pour développer ce type d’initiatives.
Le deuxième levier sur lequel je souhaite insister est l’allègement des lourdeurs administratives – c’est une ritournelle que l’on entonne dans tous les domaines, mais avec raison – et l’harmonisation des réglementations sanitaires et environnementales.
La réglementation sanitaire et environnementale, dont la raison d’être est de protéger et de rassurer le consommateur, est indispensable à notre industrie ; d’ailleurs, la sécurité alimentaire de notre production constitue pour la France un atout considérable, comme l’a montré la création par un groupe chinois d’une unité de production de lait en Bretagne, à Carhaix.
Seulement, monsieur le ministre, par sa surenchère normative au-delà des exigences européennes et par l’interprétation tatillonne, parfois variable selon les lieux, qu’elle fait des textes réglementaires, la France fabrique une véritable machine à perdre, qui pénalise notre industrie en matière d’exportations.
M. Jean Bizet. Exact !
Mme Françoise Gatel. Non seulement les normes sont excessives – ainsi, un yaourt hier qualifié de « 100 % végétal » ne peut plus être considéré comme tel aujourd’hui, sous prétexte qu’il contient de l’eau, ce qui a toujours été le cas… –, mais, je le répète, il arrive que leur interprétation diffère d’une administration ou d’une région à l’autre : par exemple, un fromage peut s’appeler « fromage aux noix » dans une région, tandis que, dans une autre, un fromage identique se voit refuser cette appellation !
Monsieur le ministre, il faut agir vite et fort pour mettre fin aux lourdeurs administratives dont souffre notre économie, d’autant que l’allègement des procédures et l’accélération de la délivrance des autorisations et des permis de conduire sont des mesures qui ne coûtent pratiquement rien à l’État. Imaginez que, dans mon département d’Ille-et-Vilaine, une entreprise désireuse de renforcer son autonomie énergétique par l’installation d’une éolienne a dû attendre quatre ans pour parvenir à ses fins, quand, en Allemagne, six mois suffisent !
Il faut également harmoniser, au moins au niveau européen, les réglementations imposées aux entreprises en matière de traçabilité des produits. Je pense en particulier au poulet d’importation, au soja OGM et aux fruits et légumes espagnols pour la culture desquels sont utilisés, par dérogation, des produits interdits dans le reste de l’Europe. Sans parler des produits incorporés aux plats cuisinés – chacun ici se souvient de la viande de cheval retrouvée dans des lasagnes.
Le troisième levier que nous devons actionner est celui de l’attractivité et du coût du travail.
Les métiers des industries agroalimentaires souffrent d’une image négative très peu attractive, liée certes à des présupposés, mais aussi à de réels facteurs de pénibilité du travail, en particulier les horaires matinaux, l’exposition au froid et les risques de troubles musculaires. De ce fait, certains postes demeurent non pourvus, ce qui met nos industries en difficulté.
Il importe de lutter contre ce déficit d’attractivité en valorisant les métiers très divers qu’offre l’industrie agroalimentaire, qui ne sont pas tous manuels : nous avons la chance, en effet, de disposer d’une industrie constituée de nombreuses PME, et comportant donc des centres de décision en région. Il convient aussi d’adapter les dispositifs de formation et d’offrir aux salariés de ce secteur de réels parcours professionnels.
Parmi les facteurs expliquant la perte de compétitivité de notre industrie agroalimentaire, l’écart de coût du travail avec l’Allemagne figure au premier rang. Les usines allemandes, nous le savons, emploient massivement du personnel venu des pays d’Europe de l’Est, dont les salaires sont établis selon les critères du pays d’origine. Outre-Rhin, entre 50 % et 80 % des personnels d’usine travaillent sous ce régime, notamment dans les chaînes d’abattage et de découpe.
Afin d’augmenter la productivité et de limiter les tâches manuelles difficiles pour les salariés, il convient de poursuivre l’action que vous avez entreprise, monsieur le ministre, pour encourager la modernisation et la robotisation des chaînes d’abattage et de découpe.
De manière plus générale, la modernisation du secteur constitue, monsieur le ministre, avec le soutien à l’innovation, le quatrième levier sur lequel il me semble que nous devons agir.
La restructuration des industries agroalimentaires françaises permettrait de renforcer leur compétitivité. En effet, en s’agrandissant ou en coopérant entre elles, les PME, dont le tissu représente une part importante du secteur, pourraient plus facilement développer une stratégie globale d’innovation et d’expansion à l’étranger.
De ce point de vue, monsieur le ministre, le programme d’investissements d’avenir que vous avez lancé à la fin de l’année dernière est une excellente initiative. Reste que nos dirigeants de PME sont tout bonnement tétanisés par la complexité des dossiers à présenter. Faudra-t-il qu’ils aient tous réussi le concours de l’ENA pour survivre dans cet enfer administratif ?
Il faut saluer et encourager les initiatives innovantes, à l’image de la « Milk Valley », le pôle de compétence laitière, d’envergure internationale, mis en place dans le Grand Ouest, qui illustre la capacité des acteurs régionaux à innover en associant les industriels et chercheurs, ou encore du projet à forte valeur ajoutée mis en œuvre en Bretagne par le groupe Tilly, en rupture totale avec le modèle avicole traditionnel : après avoir été sauvé de la liquidation judiciaire vers laquelle il s’acheminait à la suite de la suppression des aides européennes, ce groupe, sous la conduite de nouveaux actionnaires, s’est engagé dans un projet innovant visant à assurer l’alimentation des poulets à partir d’algues, grâce aux recherches locales menées depuis des décennies sur les molécules d’algues.
Vous semblez trouver, monsieur le ministre, que mon propos mérite d’être nuancé ; je maintiens que le projet mis en œuvre par ce groupe est un exemple d’innovation, grâce auquel un grand nombre d’emplois ont été sauvegardés.
La production comme la transformation doivent se concevoir en fonction d’un marché qui n’est pas monolithique : les entreprises doivent être présentes sur toute la gamme. En effet, si certains consommateurs privilégient le haut de gamme en achetant des produits AOC ou détenteurs d’un label, 80 % d’entre eux fondent leur achat sur le critère du prix. Les entreprises ont donc besoin d’être accompagnées pour développer des capacités de décryptage des tendances de consommation et de détection des clefs d’accès aux marchés porteurs ; il s’agit de les aider à mettre sur le marché des produits correspondant aux attentes des clients.
Les entreprises ont également besoin de développer des stratégies de diversification de leurs circuits de distribution, pour desserrer l’étau que leur impose la grande distribution. La distribution de type multicanal doit permettre aux entreprises de toucher leur clientèle potentielle à travers un plus grand nombre de points de contact ; elle insufflera un nouveau dynamisme marchand propre à accroître la consommation et à permettre à l’entreprise d’attirer de nouveaux clients en diversifiant son offre.
À cet égard, l’intégration du numérique dans les stratégies commerciales et marketing des entreprises représente un réel potentiel de développement pour les industries agroalimentaires, qui ont besoin de retrouver une relation plus directe avec les consommateurs.
Ainsi, dans l’alimentation, la vente en ligne est promise à une progression significative, on le sait, grâce à la capacité d’innovation digitale des acteurs de la distribution, mais aussi à l’augmentation des achats par internet. C’est une bonne occasion de développer une relation plus directe entre les producteurs et les consommateurs, contrairement à la situation actuelle, dominée par la grande distribution.
Cette observation me conduit au cinquième et dernier levier dont je souhaite parler : la lutte contre les abus de la grande distribution.
Face à des grands groupes de distribution peu nombreux et bien implantés, dont on peut considérer qu’ils jouissent d’une position dominante, de nombreux industriels, qui sont à 97 % des TPE ou des PME, se retrouvent dans un rapport de force complètement biaisé, en position – je pèse mes mots – de faiblesse destructrice.
Distributeurs et fournisseurs sont certes confrontés à la stagnation de la consommation alimentaire intérieure. Dans ce contexte, les enseignes se livrent une guerre des prix sans merci pour conquérir des miettes de marché ou ne pas en perdre. Dès lors, les distributeurs sont enclins à rechercher la stabilité dans les tarifs de leurs fournisseurs, lesquels se retrouvent étranglés au point d’être incapables de dégager les marges nécessaires à leur modernisation, voire à leur survie.
Vous connaissez, monsieur le ministre, la tension violente – je pourrais parler de maltraitance – dont s’accompagne la période des négociations annuelles entre la distribution et les producteurs. Lors de ces négociations, les dirigeants de PME doivent se battre contre des clients tout-puissants, qui représentent parfois 20 % de leur chiffre d’affaires – une proportion énorme pour une PME. Le rapport de force se fait sentir dans toute sa violence lorsque certains distributeurs procèdent, y compris pendant les périodes de négociations, à des déréférencements sauvages de produits.
La grande distribution a joué dans notre pays un rôle extrêmement positif, créant des volumes, encourageant l’innovation et favorisant l’optimisation de la production. Seulement, à un moment où le marché intérieur stagne, la guerre des prix entre les opérateurs de la distribution est une folie destructrice.
Un yaourt vaut aujourd’hui moins cher qu’il y a dix ans, alors que le produit n’a cessé d’évoluer grâce à l’innovation !
Cette année, le contexte est encore plus difficile pour les producteurs, qui doivent faire face au rapprochement de puissantes centrales d’achat. Résultat : les fournisseurs se retrouvent face à quatre acteurs de poids quasiment égal, représentant chacun entre 20 % et 25 % du marché. Dans ces conditions, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’une vigilance accrue, afin d’assurer la régularité et l’équité des transactions pour tous les maillons de la chaîne alimentaire. La distribution porte une responsabilité dans le maintien des savoir-faire nationaux.
Monsieur le ministre, vous le savez, aujourd’hui, c’est le produit local qui finance le produit de grande consommation. C’est ce que veut dire Serge Papin, président de Système U, lorsqu’il explique que, en Bretagne, c’est le coco de Paimpol – un haricot blanc excellent que je vous invite à déguster – qui finance le Coca-Cola américain ! En d’autres termes, les grandes surfaces vendent plus cher des produits fabriqués par les PME.
Monsieur le ministre, vous défendez l’industrie agroalimentaire avec conviction. En vérité, nous devons tous soutenir ce secteur, aussi bien sur le marché européen et mondial que sur le marché national.
À cet égard, le plan industriel agroalimentaire pour la nouvelle France industrielle, lancé en juin 2014 au service de produits innovants et d’une alimentation sûre, saine et durable, mérite d’être salué ; élaboré en concertation avec les industriels, ce plan a accueilli plus de 530 projets d’entreprises agroalimentaires sélectionnés par appel à projets. Monsieur le ministre, dans quelle mesure les outils de financement destinés aux entreprises qui mènent ces projets seront-ils mobilisés ?
Le Gouvernement et nous-mêmes devons être à l’origine d’un pacte d’avenir et de confiance entre tous les acteurs concernés, salariés, consommateurs, pouvoirs publics, chercheurs et industriels, afin de pérenniser une filière exemplaire, dont l’activité contribue à la performance économique de notre pays et concourt à garantir non seulement notre cohésion sociale, mais aussi l’équilibre de notre organisation territoriale. Nous, sénateurs, ne pouvons qu’y être éminemment sensibles, nous qui nous préoccupons régulièrement de l’hyper-ruralité.
Monsieur le ministre, l’agroalimentaire ne doit pas être la sidérurgie de demain ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe UMP.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie agroalimentaire occupe une place essentielle dans notre économie : elle demeure notre premier secteur économique par son chiffre d’affaires, qui est de 161 milliards d’euros par an, comme par le nombre d’emplois qu’elle représente, qui est presque de 500 000.
Avec l’aéronautique, l’agroalimentaire joue donc un rôle stratégique dans notre activité économique. Je rappelle que, avec le soutien de l’État et de votre administration, monsieur le ministre, ce secteur a enregistré en 2013 une croissance de ses exportations plus forte que tous les autres.
Il faut aussi souligner la stabilité des effectifs employés par l’agroalimentaire : de fait, elle est le seul secteur industriel à avoir pratiquement maintenu le nombre de ses emplois depuis les années soixante-dix. Ces emplois sont de surcroît répartis sur nos territoires.
Le présent débat nous invite à réfléchir aux freins à la production et aux futurs leviers de croissance pour ce secteur. Mon intervention s’ordonnera autour de trois axes.
En premier lieu, je m’attacherai aux enjeux du XXIe siècle auxquels l’agroalimentaire va devoir faire face. L’expansion démographique mondiale sera-t-elle une chance pour notre industrie agroalimentaire, ou bien regarderons-nous les autres saisir les occasions qu’elle offre ? De fait, l’accroissement démographique à travers la planète place notre pays devant un véritable défi : l’agriculture et l’industrie agroalimentaire françaises auront-elles la volonté et les moyens d’investir les nouveaux marchés qui vont s’ouvrir ?
La diversité considérable de nos terroirs et de nos savoir-faire est notre chance, de même que la grande variété de nos agricultures et de nos entreprises agroalimentaires. Peu de pays au monde jouissent d’une si grande diversité !
Nous pouvons également compter sur la force de frappe de notre industrie agroalimentaire, qui est capable de rivaliser avec ses concurrentes étrangères, ainsi que sur la qualité de nos produits, fruit d’efforts de traçabilité et de respect des normes environnementales alliés au souci de la compétitivité.
Pour répondre à cette demande, il est nécessaire d’adopter une politique offensive. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous avons su créer la capacité de production requise. Nous avons garanti la satisfaction alimentaire à la population, tout en participant à une amélioration sans précédent de l’espérance de vie en France.
Il est temps d’adopter une vision positive des progrès techniques, car ils permettront à notre agriculture et à notre industrie agroalimentaire de répondre aux défis du temps tout en s'inscrivant dans une démarche environnementale et sociale responsable.
Aussi, monsieur le ministre, il faut avoir le courage de dire que les biotechnologies peuvent apporter des réponses et assurer la compétitivité de nos filières agroalimentaires, pourvu que l’on se dote de véritables pôles de recherche en la matière, sans abandonner ce terrain à nos concurrents étrangers. La France doit consacrer toute son énergie à adapter ses outils industriels et à rester compétitive.
Je dirai un mot sur la silver economy : le vieillissement de la population – un sujet qui sera abordé la semaine prochaine au Sénat – crée un nouveau marché, et, là encore, il est nécessaire de saisir cette occasion.
Le deuxième point que je souhaitais évoquer concerne la fin des quotas laitiers. En effet, nous sommes maintenant à quelques jours d’un événement historique.
Depuis la création de la politique agricole commune, il était gravé dans le marbre qu’un paysan pouvait produire même sans clients, puisque l'Europe payait – d’où les montagnes de beurre et de poudre de lait… (M. le ministre acquiesce.)
Ensuite, nous avons eu les quotas laitiers, qui ont eu l’avantage d’attacher, dans les territoires, la production laitière à la production industrielle. C'était la première fois que le secteur laitier, dès lors qu’il n’avait plus de débouchés, n’avait pas non plus de client. C'était aussi la première fois que l'Europe abandonnait d’une manière responsable la filière laitière.
À cet égard, je voudrais vous encourager, monsieur le ministre, à prendre des initiatives pour que les producteurs aient encore envie d’investir. Vu les conditions d’emprunt actuelles, je pense qu’il serait temps d’accorder, comme le font certains pays, des prêts de carrière à taux zéro. Je sais que vous travaillez sur le plan de modernisation des bâtiments, mais pour encourager ceux qui, d’une façon générale, veulent se lancer dans des investissements lourds, je vous conseille vivement de trouver les moyens de mettre en place un filet de sécurité.
Le troisième et dernier point que je voulais évoquer concerne l’obligation qu’a notre pays d’afficher une politique très claire et volontariste en matière agroalimentaire. Nous avons une chance formidable avec l’espace, l’eau et le savoir-faire dont nous disposons. Toutefois, nous sommes toujours très timides ; nous sommes toujours piégés par notre incapacité à arbitrer entre politique environnementale et volontarisme industriel.
Monsieur le ministre, si nous ne donnons pas confiance aux producteurs et aux entreprises agroalimentaires, si nous ne définissons pas de règles précises, si nous n’avons pas une stratégie et une ambition, la France passera effectivement à côté d’une occasion absolument formidable pour ses territoires.
C'est cette confiance et cette dynamique que je voulais évoquer aujourd'hui avec vous. C'est cette chance qu’a la France, forte de la diversité de son pôle agroalimentaire, d’écrire de nouvelles pages d’histoire dans ce secteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux qu’ait été organisé ce débat sur l’une des principales forces de notre pays : son industrie agroalimentaire. Je remercie notre collègue, Françoise Gatel, de cette initiative.
Je souhaite rappeler à mon tour les bons chiffres – quand il y en a, autant insister ! – du secteur, même s’ils sont connus. Les industries agroalimentaires en France représentent 160 milliards d’euros de chiffre d'affaires, près de 500 000 emplois directs et près de 12 000 entreprises ! Elles constituent le premier secteur industriel français.
Parfaitement connecté avec l’amont agricole, ce secteur achète et transforme 70 % de la production agricole française. Sa contribution positive à la balance commerciale nationale, à hauteur de 9,2 milliards d’euros, en fait le deuxième atout de la France, juste derrière l’aéronautique. La France se tient à la quatrième place mondiale des exportateurs en ce qui concerne l’agroalimentaire. La viticulture contribue pleinement à ces bonnes performances ; bien sûr, en tant que viticulteur, je m'en félicite !
Malgré les drames économiques et sociaux connus de tous et contre lesquels le Gouvernement a fait son maximum – Gad et Doux notamment – et malgré les conséquences de la crise russe, l’association nationale des industries agroalimentaires estime avoir plutôt bien résisté à la crise.
Il y a quelques bonnes nouvelles dont nous pouvons nous enorgueillir, avec, on l’a dit, des investissements étrangers sur notre territoire – je pense à l’investissement chinois dans la poudre de lait dans le Calvados – qu’explique la séduction exercée par nos produits, et de nouveaux marchés ouverts à l’exportation – je pense encore à la Chine, concernant cette fois le jambon de Bayonne. Au total, l’an dernier, quelque 1 400 emplois ont été créés dans le secteur agroalimentaire, l’un des premiers à inverser la courbe du chômage.
Le tableau que je viens de vous brosser pourrait laisser penser que tout va pour le mieux dans le monde de l’industrie agroalimentaire. Pour autant, il y a des points d’achoppement, notamment dans les relations entre distributeurs et producteurs.
Le Gouvernement s’est saisi de ces enjeux. Engagée par Mme Delga, M. Montebourg et vous-même, monsieur le ministre, une prise de conscience inédite s’est opérée sur l’inégal partage des marges entre distributeurs et producteurs. Au sein de l’exécutif, beaucoup ont accepté l’expression de « guerre des prix », longtemps taboue. D’ailleurs, lors du salon de l’agriculture, j’ai eu le plaisir de réentendre Mme Delga et vous-même déclarer : « La guerre des prix est arrivée à ses limites, car les bons produits ont un coût, et nous devons avoir comme objectifs la qualité et la protection de la santé. »
Si la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », a déjà corrigé les aspects les plus dangereux de la loi de modernisation de l’économie de Mme Lagarde, il reste des progrès à accomplir.
Le décret instituant le nouveau dispositif de sanctions – ainsi élargies et renforcées – des pratiques abusives introduit par loi Hamon a été publié le 30 septembre 2014. Le décret sur la clause de renégociation des prix en cas de forte volatilité des coûts des matières premières a été publié le 18 octobre 2014. Enfin, le Gouvernement a saisi l’autorité de la concurrence au sujet du rapprochement de certaines enseignes de la distribution annoncé en octobre 2014, ce qui a remodelé considérablement le paysage et donc l’équilibre des forces dans les négociations.
J’utilise le terme de « négociation », mais nous connaissons tous le rapport de forces déséquilibré qui prévaut trop souvent : le racket au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE – est une réalité contre laquelle les services de l’État luttent quotidiennement. Espérons que les conclusions de l’Autorité de la concurrence rebattront un peu les cartes.
Il est difficile d’aborder les problématiques agroalimentaires sans évoquer des enjeux qui, au premier abord, peuvent sembler purement agricoles. C’est par exemple le cas concernant la certification : s’agit-il d’une question qui concerne les exploitants, les industriels ? Il faut évidemment prendre en compte l’ensemble de la filière pour être complet.
Ainsi, lors du salon de l’agriculture, j’ai été interpellé sur l’initiative de M. Jégo. J’ai beaucoup de respect pour le label « Origine France garantie » qu’il a créé et qui contribue au rayonnement du made in France dans notre pays. Toutefois, j’ai quelques doutes concernant sa remise en cause par amendement, dans la loi pour la croissance et l’activité, de la démarche « Viandes de France ». (M. le ministre acquiesce.)
M. Jégo définit comme une pratique commerciale frauduleuse toute utilisation du drapeau tricolore sur un produit vendu en France qui ne bénéficie pas d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique ou qui n’a pas fait l’objet d’un processus de certification attestant son origine française. En l’état actuel de sa rédaction, cet article reviendrait à interdire, demain, la démarche « Viandes de France » lancée et contrôlée par l’ensemble des filières de viandes françaises et par les services de l’État.
En effet, INTERBEV, la filière de la viande bovine, précise que, juridiquement, Viandes de France n’est pas une appellation d’origine, ni une indication géographique, ni un processus de certification. Pour autant, Viandes de France est soumis à un contrôle permanent réalisé par des organismes indépendants, qui est gage de qualité et de confiance.
J’aimerais, monsieur le ministre, avoir quelques éléments concernant votre position sur ce sujet. Comme beaucoup d’entre nous, je soutiens toutes les démarches valorisant le made in France. Néanmoins, je trouverais regrettable que l’on remette en cause le travail effectué sur Viandes de France.
Bien sûr, les labels et appellations constituent l’un des atouts de notre agriculture, ainsi qu’une reconnaissance de qualité. Riz, sel, taureau de Camargue, Roquefort, Comté, Piment d’Espelette, volailles du Languedoc, beurre d’Isigny : à travers les seuls noms de ces produits sont évoqués un territoire, marqueur fort d’une identité et d’une compétence.
Chacun, dans nos régions et nos départements, nous sommes fiers de citer nos produits qui révèlent un savoir-faire et une culture teintée d’art de vivre. Dans l’Hérault – j’y reviendrai –, je peux citer spontanément des dizaines de produits, du navet de Pardailhan à l’huître de Bouzigues en passant par les Pélardons que l’on déguste avec nos vins, reflets de nos territoires.
En effet notre pays s’est engagé depuis plus d’un siècle sur la voie de la qualité et de l’origine des produits agricoles et agroalimentaires. C'est un gage de protection qui permet aux producteurs et aux acteurs économiques d’arborer la diversité, la qualité et la typicité de leurs produits. C'est aussi un gage d’image et de notoriété pour notre pays, dont la gastronomie est célèbre dans le monde entier.
Insister sur ces noms de produits, les valoriser, les porter avec fierté et afficher ces chiffres de réussite démontre que la France a su relever de nombreux défis : ceux de la concurrence mondiale, de l’évolution des goûts des consommateurs et de la transformation des métiers. Cela montre aussi la détermination de nos agriculteurs et de toutes les filières, qui ont su s’adapter, produire et vendre mieux, non seulement sur les marchés intérieurs, mais aussi à l’export, en s’engageant fermement sur la voie de la qualité.
Ce sont là des enjeux et une stratégie que le Gouvernement, sous votre pilotage, monsieur le ministre, a su concrétiser l’an dernier avec la loi d’avenir agricole. Nous nous devions de nous poser les bonnes questions, pour que, demain, la France soit toujours citée pour son modèle agricole, ses agriculteurs responsables et ses industries.
Ces enjeux sont à la base du triptyque du développement durable.
Tout d'abord, il y a les enjeux sociaux : quel devenir pour les métiers de la terre et de la mer ? Quel avenir pour nos jeunes, avec tous les problèmes de transmission d’exploitations que l’on connaît ?
Ensuite, viennent les enjeux économiques : il s'agit de maintenir l’industrie agroalimentaire à sa place de deuxième employeur de l’Hexagone, de soutenir les entreprises dans leur volonté de modernisation et de favoriser les groupements pour faciliter la mutualisation.
Enfin, il y a les enjeux environnementaux : préserver la ressource en eau, le foncier face à l’artificialisation des terres et, bien sûr, la biodiversité.
Dans l’Hérault, j’aime répéter que nous devons viser une agriculture qui soit raisonnée et raisonnable, pour pouvoir être durable. De nombreux agriculteurs se sont tournés vers le bio. En termes de surfaces, le Languedoc-Roussillon est le premier vignoble en France en agriculture biologique. Parmi les exploitants, ceux qui se sont lancés depuis des années dans cette nouvelle façon de produire – certains étaient de vrais pionniers, qui ont engagé une évolution des pratiques et des mentalités – l’ont fait à double titre : dans une démarche de conscience, mais aussi de stratégie d’entreprise.
Ils se sont posé les bonnes questions : quelle terre pour demain ? Comment développer la compétitivité tout en préservant l’environnement ? Grâce à la traçabilité et à des cahiers des charges précis et exigeants, tout en s'engageant auprès des consommateurs français, ils ont gagné en termes d’image à l’international.
En effet, les goûts et les habitudes d’achat ont évolué, avec en toile de fond des préoccupations de santé, d’art de vivre et de « bien consommer ». Les exemples concrets sur mon territoire comme sur les vôtres, monsieur le ministre, sont tellement nombreux qu’il est impossible d’en dresser des listes exhaustives. Ils concernent la biodiversité, les circuits courts et les démarches qualité.
À Clermont-l’Hérault, notre huilerie coopérative s’est engagée dans la labellisation AOC de son huile d’olive, alors que nos taureaux de Camargue ont déjà obtenu ce label, tout comme une soupe de poisson à Sète. Cela souligne les partenariats engagés sur l’ensemble de la chaîne : du producteur jusqu’au distributeur, pour arriver chez le consommateur.
Agrilocal est également un exemple fort de la valorisation des circuits courts – j’en ai déjà parlé dans cet hémicycle. Née dans la Drôme, cette plateforme concrétise le slogan « du producteur au consommateur ». Et ça marche ! Aujourd’hui, ce sont plus de 3 000 producteurs et artisans qui vendent directement via cet outil dans toute la France. Je me félicite de la déclinaison nationale de la généralisation des circuits courts que vous avez opérée, monsieur le ministre.
Le 2 décembre 2014, un guide pratique pour favoriser l’approvisionnement local et de qualité en restauration collective a été diffusé aux élus de la France entière. Il offre aux donneurs d’ordre les outils juridiques permettant d’accorder toute leur place aux produits locaux, dans le respect du code des marchés publics.
Plus largement, en Languedoc-Roussillon, plus de 20 % des exploitants agricoles vendent en circuit court – les chiffres atteignent même 56 % pour les producteurs de miel et 46 % pour les producteurs de légumes. C’est dire l’intérêt des agriculteurs pour ce moyen de diversification de leurs revenus.
La biodiversité, l’agriculture raisonnée et bien sûr l’agriculture biologique, relayées ensuite via des circuits de proximité, sont autant de réponses qui conjuguent l’éthique, le respect de la terre et les préoccupations sociales et humaines.
L’agroalimentaire français peut donc compter sur l’engagement et l’audace de ses agriculteurs et de ses chefs d’entreprise. Le Gouvernement soutient ces démarches d’avenir. Ainsi, le 30 janvier 2015, vous avez annoncé, monsieur le ministre, le lancement d’une version 2 du plan Écophyto, avec notamment un objectif de réduction de 25 % de l’usage des pesticides à l’horizon 2020 et de 50 % d’ici à 2025.
Le plan précédent visait une réduction de 50 % des pesticides en dix ans. Or aucune tendance à la baisse n’a pu être observée depuis son lancement en 2008, même si une « révolution culturelle est en marche ».
Afin de mettre en œuvre le projet agroécologique porté par la majorité, le nouveau plan se structure autour de six axes : agir aujourd’hui et faire évoluer les pratiques ; améliorer les connaissances et les outils pour demain et encourager la recherche et l’innovation ; évaluer et maîtriser les risques et les impacts ; inscrire le plan dans une logique de territoires et de filières ; accélérer la transition vers le zéro phyto dans les jardins et espaces à vocation publique ; communiquer et renforcer le suivi du plan.
Pour conclure, j’ajouterai que nous avons le devoir, en tant que parlementaires, de soutenir nos agriculteurs sur la voie de l’excellence, en leur proposant quelques pistes d’amélioration : clarifier les labellisations pour une meilleure compréhension et lisibilité des consommateurs ; simplifier les procédures et raccourcir les délais d’obtention d’un label ; inciter à une relation de qualité entre les producteurs et les distributeurs pour améliorer les marges dans un juste équilibre pour chacun. C’est important, car il y va de la survie de certaines exploitations.
L’innovation est un facteur clef de la compétitivité de notre industrie. La filière agroalimentaire est constituée à 98 % de PME et TPE, qui consacrent moins de 1,8 % de leur valeur ajoutée à la recherche et au développement. C’est peut-être là que réside notre faiblesse.
Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement avait de grandes ambitions en la matière : le contrat de filière alimentaire, signé en juin 2013, prévoyait en effet que le programme d’investissements d’avenir, ou PIA, permette de soutenir les projets de modernisation – mécanisation, robotisation et utilisation du numérique – des entreprises alimentaires ayant pour objectifs d’améliorer leur productivité. Au moment où le Président de la République annonce un rechargement du PIA, que pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, sur ce sujet ?
La filière agroalimentaire doit s’inscrire dans la logique d’un aliment bien-être et durable, d’un emballage intelligent et d’une usine du futur. Les perspectives de développement passeront par la capacité à s’insérer parfaitement dans l’internationalisation des échanges, ainsi qu’à remplir les exigences liées à la sécurité, à la qualité et à l’environnement. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chiffres ont déjà été cités. Comme ils nous font plaisir, je n’hésiterai pas à les rappeler !
Premier producteur européen, quatrième exportateur mondial, un chiffre d’affaires global supérieur à 160 milliards d’euros, 600 000 personnes employées, près de 13 000 entreprises : nous ne pouvons qu’être fiers de l’industrie agroalimentaire française.
Ce tableau élogieux cache cependant des réalités parfois plus sombres. Il est ainsi impossible de passer sous silence la crise de la filière porcine, qui dure depuis plusieurs années et qui, malgré les efforts déployés, ne semble pas en passe d’être résolue.
M. Michel Canevet. C’est vrai !
M. André Gattolin. Nous avons laissé la qualité de nos productions se dégrader, en adoptant pour seule vision les volumes de production, la minimisation des coûts et la standardisation. Les salaisonniers français s’approvisionnent même désormais à l’étranger pour trouver des porcs adaptés à la production de jambon sec. On importe des produits à plus forte valeur que ceux que nous exportons !
Il est urgent d’opérer une transition qualitative pour redresser la filière. Cela commence par mettre les porcs sur la paille, et non les éleveurs. (Sourires.)
Le secteur laitier est également en crise. La situation est en passe de s’aggraver lourdement avec la suppression des quotas au 1er avril prochain, laquelle ne relève malheureusement pas du canular.
L’organisation européenne des producteurs laitiers, le European Milk Board, enjoint les décideurs européens à mettre en place un « programme de responsabilisation face au marché », pour contrer une éventuelle catastrophe.
Ce programme obligerait les producteurs augmentant leur production en dépit d’une saturation du marché à payer une taxe, tandis qu’il accorderait une prime à ceux qui réduiraient leur production. Ce système de régulation pourrait éviter une surproduction massive du marché dans un contexte baissier.
De même, la fin du système de négociation du prix par l’ensemble des acteurs de la filière, sans qu’il soit remplacé par un autre mécanisme, a pour effet d’étrangler les producteurs : une augmentation des marges des distributeurs est observée à leur détriment, ce qui n’est d’ailleurs pas un problème propre au seul marché du lait.
Nous avons la chance, en France, de posséder un outil productif de très grande qualité, des savoir-faire reconnus dans le monde entier, une culture alimentaire et culinaire classée au patrimoine immatériel de l’humanité. Nous devons être à la hauteur de notre réputation et chercher inlassablement la qualité de nos productions, plutôt que les volumes de production ou la baisse des coûts.
Notre agriculture, qui est à la base de notre industrie agroalimentaire, est en pleine mutation. Nous devons accompagner une telle transformation. C’est d’ailleurs le sens de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, défendue par vous-même, monsieur le ministre, et adoptée en octobre dernier. Nous sommes aujourd'hui à un tournant économique, écologique et climatique : les choix que nous opérons en ce moment sont lourds de conséquences, positives comme négatives.
Globalement, le fond de mon propos tient en quatre mots : indépendance, relocalisation, agroécologie et gouvernance alimentaire.
Si l’indépendance est aussi importante, c’est parce que, malgré la puissance de notre agriculture, nous ne sommes absolument pas autosuffisants sur le plan alimentaire. Pour citer un seul exemple, un million d’hectares de terres en Amérique latine servent à faire pousser du soja destiné uniquement à nourrir les élevages intensifs de Bretagne !
J’en viens à la relocalisation. Aujourd’hui comme hier, un pot de yaourt peut effectuer 5 000 kilomètres en camion avant d’arriver sur notre table. J’ignorais que la Normandie était aussi éloignée de Paris ! Les circuits courts, l’agriculture bio, les fermes de proximité, sont bien plus intensives en emploi et bien plus respectueuses de l’environnement que la monoculture.
Vous avez contribué à populariser le terme d’agroécologie, monsieur le ministre, et nous vous en remercions.
Jusqu’à présent, nous avons préféré mettre des chimistes dans les champs. Toutefois, ce sont les agronomes qui nous permettront de restaurer les sols, pour qu’ils deviennent riches et vivants, en diminuant drastiquement la quantité d’intrants chimiques que nous épandons. Il faudra aussi réfléchir à la manière de rémunérer les services écosystémiques rendus par les sols et l’agriculture en général, afin d’accélérer la transition indispensable que nous appelons de nos vœux.
Nous devons suivre le nouveau modèle agricole promu par la réforme de la PAC, dont l’objectif est d’aider d’abord les exploitations de taille petite et moyenne. Les « fermes usines » sont donc à bannir.
Je renouvelle ici la requête formulée dans cet hémicycle à deux reprises par mon collègue Joël Labbé, qui vous a demandé, monsieur le ministre, un chiffrage financier précis du coût des externalités négatives de l’agriculture industrielle classique et des bénéfices que nous retirons des externalités positives d’une agriculture reposant sur les principes de l’agroécologie.
Enfin, je veux souligner la nécessité d’une véritable gouvernance alimentaire mondiale. Nous ne pouvons plus continuer de tolérer la spéculation financière sur les denrées alimentaires ; nous ne pouvons plus tolérer que certains pays soient dépossédés de leurs terres, celles-ci étant vendues au plus offrant, à défaut d’être exploitées par leurs habitants.
Monsieur le ministre, pour conclure, j’évoquerai la décision que vous avez prise de réduire de 25 % les aides au maintien en agriculture biologique pour 2014.
Parce qu’elle fait le choix de ne pas dégrader notre environnement commun, l’agriculture biologique est plus soumise aux aléas de production que l’agriculture chimique. Si les aides de long terme à l’agriculture biologique sont elles-mêmes soumises à des aléas, le soutien à cette filière, dont se prévaut le Gouvernement, perd tout son sens.
Votre ministère évoque dans la presse des « contingences techniques ». Il est crucial, monsieur le ministre, d’apporter une réponse politique. Les quelques millions d’euros qui font défaut ne doivent pas peser sur cette filière d’avenir qui est fragile. Les écologistes comptent sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour le groupe CRC.
M. Patrick Abate. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous saluons la tenue de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire. De nombreuses questions sont posées depuis de nombreuses années. Je souhaiterais pour ma part aborder deux points : les négociations commerciales et les quotas laitiers.
Les négociations commerciales entre la grande distribution et les entreprises agroalimentaires relèvent, convenons-en, d’un exercice de funambule. Les négociations pour 2015 n’ont pas échappé à la règle. Comment peut-il en être autrement, alors que quatre grandes centrales concentrent désormais 93 % des achats ?
À cet égard, la commission des affaires économiques a reconnu en octobre dernier l’existence d’un déséquilibre persistant des rapports de forces, au détriment des producteurs de produits agroalimentaires, et de tensions récurrentes que rien ne semble pouvoir apaiser.
C’est pourquoi elle a décidé de saisir pour avis l’Autorité de la concurrence, afin de « mieux identifier l’impact de la concentration des centrales d’achat de la grande distribution sur le marché d’approvisionnement en produits agroalimentaires ».
Nous sommes encore une fois dans l’attente de propositions pour améliorer la situation face à la concentration des achats de produits agroalimentaires et, donc, de solutions pour les acteurs de toute la filière agricole, durement touchée par la crise.
Ce déséquilibre des rapports de force n’est pas nouveau, et le Gouvernement le souligne dans chacune de ses réponses aux questions de nombreux parlementaires. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs. Tous les responsables du monde agricole en conviennent, la grande distribution maintient une pression à la baisse sur les prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.
Ces situations de dépendance économique continuent de favoriser les mauvaises pratiques. Après le déni de négociation de la part des grandes enseignes, l’association des industries agroalimentaires dénonce, entre autres choses, l’apparition de demandes de compensation de marges rétroactives jusqu’en 2013 et l’augmentation des déréférencements partiels lors de la période de négociation. Or ces négociations ont un impact sur toutes les filières agricoles.
Le problème de fond des agriculteurs et des pêcheurs est clairement identifié : l’absence de garantie d’un prix de vente rémunérateur pour leur production.
Or la contractualisation décidée par le gouvernement précédent n’empêche pas la concurrence entre producteurs ou entre bassins de production. Elle n’empêche pas davantage le dumping social et environnemental. Elle ne permet pas non plus de garantir un revenu décent aux agriculteurs. Quelle portée la contractualisation peut-elle avoir quand on sait que sept centrales d’achat et 12 000 entreprises agroalimentaires font face à 507 000 exploitations agricoles ?
Voilà plusieurs années que les sénateurs du groupe CRC formulent en la matière des propositions dont l’adoption aurait peut-être permis d’encadrer réellement les pouvoirs exorbitants des distributeurs dans la négociation des prix. En effet, il faut agir sur ces derniers ! Il fut un temps où les parlementaires de gauche soutenaient l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi, par exemple, à tous les produits agricoles périssables…
De même, nous souhaitions autoriser les interprofessions à définir des prix minima indicatifs dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles. Ce prix minimum indicatif pourrait servir de référence dans la négociation pour la contractualisation.
Il s’agit non pas de s’entendre sur les prix ni de les tirer vers le bas, mais au contraire de constituer un « filet de sécurité » pour la profession : il faut mettre en place des garde-fous permettant au secteur agricole de ne pas être totalement soumis à la volatilité des marchés et aux appétits insatiables des grandes centrales d’achat.
Et tant pis pour le droit à la concurrence ! Celui-ci et son encadrement européen peuvent et doivent s’adapter aux situations de crise. On ne peut pas continuer à produire à des prix sacrifiés. Les entreprises de la filière, ainsi que leurs salariés, doivent, à chaque étape, renouer avec les profits. Eh oui, mes chers collègues, le problème, ce ne sont pas les profits – il en faut ! –, mais la manière dont on les partage !
Nous devons repenser le cadre des relations commerciales, réinventer le rapport que chaque acteur de la filière entretient avec l’autre, remettre la valeur au cœur du système.
Le drame humain et industriel causé par cette politique, à l’image de ce qu’il s’est passé avec les groupes Doux, Gad et Tilly-Sabco, qui ont licencié des centaines de personnes en Bretagne, pour ne citer que cette région, doit cesser. C’est d’autant plus impératif que, demain, la fin des quotas laitiers entraînera une libéralisation du secteur, ce qui suscite des interrogations et des inquiétudes.
Cette semaine, le journal Les Échos écrivait : « À quelles conditions la diversité et les spécialités gastronomiques peuvent-elles se maintenir une fois le pays engagé dans une course à la concurrence mondiale face à des puissances telles que la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et l’Australie ? » Il poursuivait : « Comment préserver le modèle français et ses 1 000 fromages ? »
Si nous voulons imposer le modèle de l’agroécologie, il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes, à commencer, monsieur le ministre, mes chers collègues, par le périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange.
Il faut le faire non seulement pour protéger nos terroirs et nos filières agricoles, tout particulièrement l’élevage, mais également pour assurer à nos concitoyens une alimentation saine et de qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du RDSE.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie agroalimentaire est un secteur clef de notre économie : 160,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013, plus de 500 000 emplois et un soutien à la balance commerciale de l’ordre de 8,5 milliards d’euros.
Cette industrie, qui transforme les trois quarts de la production agricole française, est donc un important vecteur du dynamisme territorial et garantit une agriculture diversifiée. Toutefois, elle est menacée eu égard à l’internationalisation croissante des échanges. Pour preuve, la France est passée de la place de deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires au cinquième rang, derrière les États-Unis, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Brésil.
L’excédent commercial français demeure cependant très fragile, dans la mesure où il repose essentiellement sur l’industrie des vins et des boissons alcooliques, secteur lui-même fortement soumis à la concurrence internationale.
Par conséquent, l’érosion des parts de marché françaises appelle une réponse forte et coordonnée de la part des pouvoirs publics et de tous les acteurs du marché.
À plusieurs reprises, le problème de la désindustrialisation de la France et du manque d’efficacité des dispositifs de soutien aux exportations a été relevé. Je pense notamment au travail mené récemment par nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon sur la réindustrialisation de nos territoires, mais aussi à la mission de contrôle de la commission des finances du Sénat, qui, en 2013, faisait état de l’éparpillement des structures et de la nécessité de consolider une stratégie globale des intervenants.
Par la suite, le Gouvernement a engagé des réformes, notamment la création, au 1er janvier de cette année, de Business France, une structure issue de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux. Cette étape devrait permettre de mieux accompagner les industriels de l’agroalimentaire, entre autres, dans leur conquête des marchés à l’international.
Nous sommes tous d’accord, et vous en conviendrez, monsieur le ministre, pour affirmer qu’il est nécessaire d’encourager auprès de nos entreprises une véritable culture de l’exportation, qui pourrait passer, par exemple, par des regroupements de PME, afin de mutualiser les moyens et de favoriser l’accès aux marchés.
Par ailleurs, le rôle de l’Union européenne dans la protection des industries agroalimentaires de pays de l’Union est fondamental. Il est double.
Tout d’abord, il est nécessaire de prévenir les problèmes de compétitivité d’entreprises au sein de l’Union européenne, qui nuisent à l’économie de marché et au développement des entreprises nationales. Nous avons pu le déplorer en 2013 avec l’affaire des producteurs de volailles, qui a mis en évidence une distorsion de concurrence entre la France et l’Allemagne au sein de la filière d’abattage et de découpe.
En ce sens, il me semble opportun de procéder à une réflexion globale sur une éventuelle harmonisation des politiques sociales au sein des États membres. Pourquoi pas par l’instauration de minima sociaux à l’échelon européen ?
Ensuite, s’agissant de l’équilibre que souhaite garantir l’Europe entre la protection du marché intérieur et l’ouverture aux marchés de pays tiers à l’Union, il apparaît nécessaire que Bruxelles apporte des réponses adéquates au protectionnisme déguisé de certains de nos partenaires.
Les accords de libre-échange entre l’Europe et certains pays d’Amérique latine passés en 2013 sont symptomatiques d’une mise en danger de secteurs clefs de notre économie, plus particulièrement de l’économie antillaise. En effet, monsieur le ministre, le sucre, la banane et le rhum sont désormais concurrencés par ceux de ces pays qui les produisent à des coûts bien moindres, sans parler des conditions de travail.
Enfin, mes chers collègues, l’avenir de l’industrie agroalimentaire passe également par une meilleure transparence de la qualité des produits, ainsi que de leur traçabilité.
À ce sujet, deux points me semblent devoir être abordés, car ceux-ci posent question quant au respect des consommateurs.
Le premier a trait à la problématique des ajouts de sucre dans les produits agroalimentaires vendus dans les collectivités territoriales d’outre-mer, leur teneur en sucre étant souvent bien supérieure à celle des produits vendus en métropole, sous le seul prétexte que notre population y est plus sensible.
En 2013, M. Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, faisait adopter à l’unanimité une loi visant à interdire toute différence dans les taux de sucre entre les produits vendus outre-mer et en métropole. Mais alors, comment expliquer, au regard des enjeux de santé publique, que nous attendons toujours les arrêtés ministériels nécessaires à l’entrée en vigueur de ce texte ?
La seconde préoccupation, également issue de cette même loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, porte sur les dates limites de consommation et les dates limites d’utilisation optimale des produits.
En effet, les produits sont soumis à des dates plus tardives outre-mer. Un alignement des dates de péremption entre les produits qui sont vendus dans l’Hexagone et ceux qui le sont dans les territoires d’outre-mer était légitimement demandé. Là encore, nous sommes dans l’attente des textes d’application d’une loi consensuelle.
Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais formuler sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, dont le groupe RDSE souhaite qu’elle soit fermement soutenue, afin d’être plus compétitive et mieux armée pour conquérir de nouveaux marchés, le tout dans le respect des consommateurs, où qu’ils se trouvent.
Vos actions, monsieur le ministre, sont appréciées.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Merci !
M. Guillaume Arnell. Aussi, nous comptons sur votre détermination pour aller encore plus loin dans la protection des intérêts de la filière, et ce malgré les obstacles de toute nature. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean Bizet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe UDI-UC.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que notre pays connaît une crise économique particulièrement grave, je me réjouis vivement de l’organisation de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, laquelle dispose d’un potentiel de développement tout à fait considérable.
Je le rappelle, elle représente 15 % des emplois industriels dans notre pays et plus de 500 000 emplois – quatre fois plus si l’on considère les emplois induits. C’est donc un pan tout à fait significatif de l’activité industrielle de la France.
L’industrie agroalimentaire, avec un solde excédentaire de l’ordre de 8 milliards d’euros chaque année, joue un rôle particulièrement important dans la balance commerciale française, laquelle enregistre chaque année un déficit compris entre 50 milliards et 60 milliards d’euros. C’est dire le rôle prépondérant du secteur agroalimentaire pour la santé économique et financière de la France, car l’avenir de notre pays passe aussi par un rétablissement de l’équilibre de sa balance commerciale, avant que celle-ci ne redevienne excédentaire, comme celle de l’Allemagne.
Vous le savez, mes chers collègues, grâce à l’agroalimentaire, environ 70 % de la production primaire de notre pays sont valorisés, tant dans le secteur agricole que dans celui de la pêche. Il est donc important que l’activité agricole comme les activités maritimes et halieutiques se portent bien.
Cela a été dit par les précédents orateurs, l’agriculture rencontre elle aussi des difficultés. Dans le département du Finistère, que je connais bien, ce sont chaque année une centaine de jeunes qui s’installent, sur un total de 10 000 exploitations, soit un ratio de 1 à 100. Ce niveau de renouvellement est loin d’être satisfaisant si l’on veut assurer l’avenir.
L’agriculture est aussi un facteur d’aménagement du territoire extrêmement important. Avec l’agroalimentaire, elle est un facteur de maintien de la population et de la vitalité de nos villages et de nos territoires, comme à Berrien, une commune que vous connaissez bien, monsieur le ministre, mais aussi dans ceux du Finistère, de la Bretagne, voire de la France tout entière.
En septembre 2013, le Président de la République affirmait sa volonté de promouvoir une nouvelle France industrielle ; on ne pouvait que se réjouir de cette ambition affichée de relancer l’industrie. Entre autres objectifs, il avait défini un plan d’action en faveur du secteur agroalimentaire.
Aussi, monsieur le ministre, je dois vous dire que nous avons été particulièrement déçus par la disparition du ministère délégué à l’agroalimentaire lors du changement de gouvernement. L’existence d’un tel ministère était, aux yeux des professionnels du secteur, significative de la prise en compte de leurs problèmes et de la nécessité d’agir à leurs côtés. Force est de constater que, nonobstant les intentions affichées par le Président de la République, ce ministère délégué a, hélas, disparu, ce qui ne se traduira pas, je l’espère, par une moindre prise en compte par le Gouvernement de ce secteur.
Ce que les entreprises souhaitent, vous le savez bien, c’est que l’on agisse sur l’innovation, sur les emballages, sur le froid durable, sur la qualité et sur la compétitivité. S’agissant de ce dernier point, je rappelle la volonté déjà exprimée par le groupe de l’UDI-UC de voir les charges sociales baisser significativement dans notre pays. Pourquoi ? Tout simplement parce que si l’on veut que ce secteur, qui est confronté à la concurrence internationale et dont les produits sont vendus à des prix parfois extrêmement bas, continue d’être compétitif, il faut que les acteurs économiques pratiquent des prix adaptés aux marchés internationaux.
Cela passe par une maîtrise et une réduction des coûts de production. Étant donné qu’il n’est pas possible d’agir sur les prix des matières premières, qui sont déjà très extrêmement bas, il faut jouer sur les coûts de production, notamment les charges sociales, qui en constituent une part importante.
Nous souhaitons également accompagner et encourager les entreprises dans leur démarche qualitative. À cet égard, monsieur le ministre, je dois vous faire part de l’étonnement que m’a causé la lecture des résultats d’un audit mené par l’inspection des plans de maîtrise sanitaire dans les établissements de transformation de viandes, qu’a publié votre ministère.
Cet audit se concluait par ces mots : « En conséquence, les auditeurs considèrent que l’inspection officielle des plans de maîtrise sanitaire dans les établissements de fabrication de produits à base de viande, telle qu’elle a été observée dans la plupart des sites audités, ne permet pas d’évaluer avec une précision suffisante la fiabilité du dispositif mis en place par les professionnels pour prévenir les risques sanitaires. »
C’est extrêmement grave, car les pays étrangers font confiance à la qualité sanitaire de notre production, à la maîtrise dont nous faisons preuve à cet égard, et plus particulièrement à l’action de l’administration.
Si nous voulons éviter de connaître des difficultés eu égard aux exigences sanitaires que pourraient formuler un certain nombre de pays étrangers, nous devons manifester une vigilance particulière sur ce plan. Il faut, en particulier, que l’administration puisse certifier que la qualité des produits français est très grande et découle du respect d’un process indispensable à son maintien.
Sur le froid durable, il s’agit évidemment de permettre aux entreprises d’engager les démarches nécessaires au titre de la transition énergétique, là encore pour réduire les coûts.
Quant aux emballages, ils doivent être plus sûrs, plus propres, il faut que l’on puisse les valoriser encore plus, afin de créer des emplois. Il convient également de pouvoir mieux identifier l’origine des produits : c’est une demande récurrente des professionnels de l’agriculture.
S’agissant de l’innovation, il est important que nous soyons en mesure de soutenir tout ce qui y concourt, y compris les formations comme celle qui est dispensée au sein de l’Institut des métiers de la viande, à Sallertaine, en Vendée. Je pense également à cette initiative prise en Cornouaille, dans le Finistère, pour développer la Green Valley autour du projet Ialys. Je pense, enfin, à tout ce qui concourra à favoriser l’innovation par les entreprises, lesquelles n’utilisent pas encore suffisamment, à mes yeux, le crédit d’impôt recherche. Pourtant, un grand nombre d’acteurs économiques y ont recours, puisque l’on s’aperçoit qu’en 2011, par exemple, les entreprises du secteur de l’agroalimentaire ont bénéficié de ce crédit d’impôt à hauteur de 46 millions d’euros, alors qu’il représente au total plus de 4 milliards d’euros pour l’ensemble de notre pays. C’est dire le chemin qui reste à parcourir sur ce point !
Monsieur le ministre, je conclurai en évoquant la nécessité de limiter les contraintes administratives en tous genres qui entravent la production, en particulier dans le domaine porcin. En effet, on observe depuis sept ans une baisse dramatique de 6 % de la production, alors que d’autres pays voient leur production porcine augmenter. Il importe que l’administration agisse en la matière. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques jours, le Président de la République a évoqué « la France qui gagne » lors d’une visite d’une jeune entreprise innovante, spécialisée dans le textile. Il aurait pu dire la même chose pour l’industrie agroalimentaire.
C’est parfait, ou plutôt imparfait tant on a l’impression que ce succès appartient au passé et, si l’on y regarde d’un peu plus près, la situation de notre industrie commence à se fragiliser et perdre des parts de marché.
Nous sommes face à une situation paradoxale : partout dans le monde, les industriels de l’agroalimentaire sont optimistes, sauf en France. Partout en Europe, nos concurrents envient notre situation et nos atouts incontestables, en termes de qualité et d’image, et l’on sait combien l’image est importante auprès des consommateurs. En outre, pour l’agroalimentaire, la France est aussi une marque. Pourtant, malgré ces atouts, nous sommes à la peine et nos concurrents progressent.
Il ne s’agit pas d’accuser tel ou tel, car – soyons très clairs et honnêtes – cette dégradation ne date pas d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas non plus de donner des conseils aux entreprises, qui sont les mieux placées pour faire les bons choix. Toutefois, il s’agit de réfléchir à ce que, tous ensemble, élus et pouvoirs publics, nous pouvons faire pour les soutenir.
Je vais aborder deux sujets : les questions institutionnelles et juridiques, d’une part, et les questions économiques et stratégiques, d’autre part.
Sur le premier point, il est clair que les industries agroalimentaires sont handicapées par deux types de contraintes.
Il y a, d’abord, le droit lui-même, en particulier l’excès de normes, chacun d’entre nous l’a dit. Il existe certes des normes européennes, mais aussi et surtout des normes nationales. Ainsi, dans le domaine agricole, nous avons la conditionnalité qui est liée au respect des règlements européens, et les bonnes conduites agroenvironnementales, ou BCAE, qui elles, sont des règles nationales. Chaque pays a donc les siennes et la France a sans aucun doute les plus rigoureuses. Nous voulons toujours faire mieux et en voulant faire mieux, monsieur le ministre, on fait mal.
Sur le terrain, les agriculteurs sont plus handicapés par les règles françaises que par les règles européennes. Il faut dire halte à la surréglementation. Le Gouvernement doit bien prendre conscience de l’exaspération des acteurs sur le terrain, qu’ils soient producteurs ou transformateurs. Plus les normes sont nombreuses et plus elles sont difficiles à respecter.
À trop vouloir bien faire, on se met en incohérence avec tous, qu’ils soient producteurs ou transformateurs. C’est grave ! Il faudra bien un jour, enfin, que l’administration, les administrations facilitent la vie des opérateurs sur le terrain, au lieu de la leur compliquer.
À côté du droit, il y a, ensuite, l’interprétation du droit.
Je souhaite évoquer les doutes sur la pertinence de l’engagement de l’Autorité de la concurrence dans le domaine industriel. Des exemples récents me permettent d’illustrer ces craintes. Je n’en exposerai qu’un seul.
Voilà quatre ans, la coopérative Agrial a fusionné avec Elle & Vire. Figuraient, dans la corbeille de la mariée, deux petites cidreries, que l’Autorité de la concurrence a obligé de vendre compte tenu des risques de concentration et de position dominante qu’elles représentaient. Soit ! Mais que s’est-il passé depuis ? Agrial a donc vendu ses cidreries à son concurrent Val de Rance, qui a, au passage, réalisé une bonne opération, puisque Agrial était obligé de vendre et qu’il était le seul acheteur. Mieux, l’Autorité de la concurrence a obligé Agrial à garantir l’activité des cidreries. Ainsi, Agrial fournit des pommes à son concurrent pour une cidrerie qu’elle a été obligée de lui vendre. Pour finir, une des deux cidreries a fermé. Le résultat final est un vrai gâchis !
Voilà une intervention de l’Autorité de la concurrence aux effets contestables, on en conviendra. Dans son appréciation, l’Autorité se fondait sur la notion de marché pertinent. Les effets des concentrations sont analysés en fonction du marché. La situation n’est évidemment pas la même selon que l’on vend des avions ou du jus de pomme !
La règle est européenne ; son application est nationale et européenne selon les seuils. C’est une marge d’interprétation qui est en débat, et dans certains pays, la question ne se pose même pas.
Aux Pays-Bas, par exemple, toutes les concentrations sont analysées dans une perspective européenne. Il n’y a pas de marché national. En France, c’est différent, et l’analyse se fait au cas par cas, avec le risque, qui a été évoqué, d’une fermeture d’usine comme cela s’est produit. Si l’Autorité de la concurrence s’était mise dans une perspective européenne, cela ne serait assurément pas arrivé.
Il me semble que, dans le droit de la concurrence, l’analyse du marché pertinent doit privilégier l’approche européenne et ne garder une vision nationale que dans des cas exceptionnels.
Surtout, ces décisions nuisent à l’émergence de grands groupes de taille européenne.
J’ai évoqué ce sujet avec le président Juncker le 5 février dernier et en compagnie du président du Sénat.
Il est très bien de se doter d’autorités indépendantes, mais cette indépendance ne doit pas nuire à nos entreprises et les empêcher de croître.
Monsieur le ministre, la commission des affaires européennes du Sénat est très attentive à ce sujet. Nous sommes tout à fait prêts à travailler avec le concours de votre ministère pour faire évoluer la situation au niveau communautaire et encadrer davantage l’autorité nationale.
Après les questions juridiques, le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les questions de stratégie.
Ce sont les entreprises qui mettent au point une stratégie industrielle, mais c’est à l’État d’élaborer une stratégie économique.
Je l’ai dit, l’agroalimentaire est un de nos points forts. Il faut toujours, et dans tous les domaines, valoriser ses points forts. L’État doit accompagner les entreprises, et certains pays sont beaucoup plus orientés vers le soutien de leurs entreprises que la France. Ce n’est pas pour rien que les Pays-Bas et l’Allemagne sont de grands exportateurs. Tout est fait pour que leurs entreprises exportent, sans tracasserie administrative supplémentaire ou menace d’impôt nouveau.
C’est un choix stratégique.
J’ai assisté récemment à une rencontre franco-allemande sur l’agroalimentaire. Le discours du ministre allemand était très clair et tout orienté sur un seul but, je dis bien un seul : la compétitivité. C’est la priorité absolue. Face à cela, les Français répondent aménagement du territoire, traditions, culture, emploi, paysage, ruralité, environnement. C’est bien, mais nous nous dispersons, et ce faisant nous nous fragilisons.
Or la période qui s’annonce est cruciale.
Ayant déjà dépassé le temps qui m’est imparti, je n’évoquerai que très brièvement le rapport que nos collègues Michel Raison et Claude Haut finalisent actuellement sur la filière laitière. Il faudra bien, un jour dans notre pays, prendre en considération certaines des orientations qu’il contient, pour éviter de fragiliser encore un peu plus notre tissu.
Permettez-moi juste un dernier mot sur les Abattoirs industriels de la Manche.
On risque la fermeture du seul abattoir porcin de Basse-Normandie. Soyons clairs : cette situation est la conséquence de fautes de gestion dont le ministère n’est nullement responsable. À ce propos, je tiens à saluer la capacité d’écoute de vos services, monsieur le ministre, ainsi que votre souci de trouver un repreneur. C’est parfois difficile d’y parvenir.
En revanche, cette situation illustre malheureusement le manque de vision politique depuis vingt ans sur l’organisation des filières. On ne peut pas conforter les outils de production si on laisse trop de place aux thèses environnementalistes et si on ne garantit pas les approvisionnements. Nous produisions 25 millions de porcs voilà vingt ans, nous en produisons à peine 19 millions aujourd’hui.
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut maintenant conclure !
M. Jean Bizet. J’aurais pu poursuivre sur ce sujet, mais puisque vous me rappelez à l’ordre, monsieur le président, et c’est normal, je dirai simplement à M. le ministre que je suis très inquiet de l’évolution de la filière agroalimentaire française, en raison de choix politiques, qui datent d’hier et d’aujourd’hui, que nous n’avons pas faits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Françoise Gatel et M Henri Tandonnet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe UMP.
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intérêt de s’exprimer en dernier à la tribune, c’est que beaucoup a déjà été dit sur le sujet. Je reprendrai notamment des propos de nos collègues Guillaume Arnell et Michel Canevet.
L’industrie agroalimentaire est bien sûr l’un des piliers historiques de l’économie française, qui mobilise, plusieurs d’entre vous l’ont dit, près de 15 000 entreprises sur notre territoire, essentiellement, d’ailleurs, dans les territoires ruraux – elles y jouent aussi parfois un rôle dans l’aménagement du territoire – et emploie 500 000 personnes directement sur l’ensemble de notre pays. C’est aussi, vous l’avez rappelé, chers collègues, le principal débouché de l’agriculture française.
Vous avez également souligné l’importance de cette industrie agroalimentaire pour notre balance du commerce extérieur, où elle représente le deuxième solde excédentaire après l’aéronautique.
L’examen de cet excédent révèle néanmoins qu’il est principalement le fruit des exportations de vins et spiritueux, et nous ne pouvons que nous en réjouir, mais il montre que la France, vous l’avez dit, perd des parts de marché : deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires en 2000, la France se situe désormais en cinquième position.
Pourtant, ce secteur dispose d’un important potentiel de croissance au sein du marché mondial, notamment en raison de la croissance des classes moyennes dans certains pays.
Au niveau macroéconomique, nous observons que la « marque France », comme l’a dit Jean Bizet, bénéficie d’une image remarquable à l’étranger, tant pour le goût que pour la qualité des productions. Elle fait ainsi l’objet d’une demande croissante des pays émergents sur ce marché, tels que la Chine, le Brésil, le Mexique ou l’Indonésie.
Au niveau microéconomique, pour les entreprises du secteur, l’export est à la fois un tremplin vers l’innovation et, surtout, un relais de croissance significatif face à un marché national mature où la demande se contracte et la concurrence se durcit.
Aussi est-il fondamental d’orienter la stratégie de la France à l’export vers une efficience toujours renforcée en s’appuyant sur deux points principaux.
Premièrement, il faut restructurer le dispositif de soutien aux exportations agroalimentaires.
En effet, dans un rapport d’information de 2013, la commission des finances a mis en lumière la dispersion des moyens entre plusieurs ministères, quatre opérateurs et un ensemble d’acteurs publics et privés.
Cette situation n’est pas à même de garantir une gestion optimale des crédits budgétaires, qui ont tendance à faire l’objet d’un saupoudrage entre les différentes structures. De plus, cela entraîne une certaine défaillance de la gouvernance, qui souffre d’un manque de coordination.
Aussi, je prends acte de l’effort de rapprochement initié par le Gouvernement en 2012, notamment à travers la création de la filière prioritaire « Mieux se nourrir » du commerce extérieur, qui favorise la mise en œuvre d’opérations concrètes, coordonnées avec les acteurs du développement international.
À ce titre, monsieur le ministre, pourriez-vous nous dresser un bilan d’étape ou nous fournir quelques éléments de ce dispositif qui s’inscrit dans une démarche de stratégie sectorielle extrêmement importante ?
Deuxièmement, il faut renforcer la diplomatie économique.
L’action publique doit être unifiée au sein d’une diplomatie économique à même de soutenir les entreprises pour leur permettre d’accéder aux marchés étrangers.
Tout d’abord, il s’agit d’œuvrer pour lever des barrières réglementaires s’apparentant, parfois, à des alibis plus ou moins protectionnistes bloquant l’accès à certains marchés.
Ensuite, il convient de saisir les opportunités qui se font jour dans les zones de grand export : depuis quelques années, nous observons la progression des produits alimentaires transformés sur certains marchés asiatiques. En Chine, cette hausse a atteint 15 % en 2014. Imaginez, mes chers collègues, les volumes considérables qui pourraient sortir de nos usines pour répondre à cette demande !
En outre, il faut resserrer les liens entre les nombreuses entreprises de petite et moyenne taille et les grands groupes déjà internationalisés – je songe à la grande distribution, qu’il ne faut pas diaboliser –, afin de développer des stratégies de portage, de conseil et de développement de réseaux à l’échelle internationale.
Enfin, pour ce qui concerne spécifiquement les États-Unis, je songe à la révision du système de sécurité sanitaire américain. Face à cette évolution, il semble désormais important d’obtenir la reconnaissance de l’équivalent du système européen de sécurité sanitaire pour les produits dépendant de la food and drug administration.
Monsieur le ministre, ces considérations me conduisent à vous interroger quant aux objectifs et aux moyens donnés à cette diplomatie économique, particulièrement pour développer de manière significative nos exportations, notamment notre grand export.
Je ne puis achever mon intervention sans attirer votre attention sur l’impact du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP. Cet accord fait actuellement l’objet de discussion au niveau européen, à propos des entreprises du secteur agricole et agroalimentaire. Ce texte inspire certes des craintes, mais il représente certainement des opportunités. Aussi, pourriez-vous nous communiquer des informations quant au stade où s’en trouvent les négociations concernant ce secteur et quant à la position adoptée par la France ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat, consacré à la situation de l’industrie agroalimentaire française, est organisé à la demande du groupe UDI-UC et notamment de Mme Gatel, que je remercie de son initiative. Nous avons là l’occasion de résumer, au cours d’une discussion dans cet hémicycle, les enjeux et les stratégies propres à ce secteur.
Cet échange de vues me semble tout à fait utile. En effet, – ce constat a été rappelé – l’agroalimentaire représente, en France, quelque 500 000 emplois. En outre, ce secteur industriel concourt à l’excédent de notre balance commerciale.
À ce titre, je tiens à rappeler que cet excédent se mesure par la différence entre ce que la France exporte et ce qu’elle importe. Les exportations ont été largement abordées au cours de ce débat. N’oublions pas que nous devons, parallèlement, relever un défi spécifique : la reconquête d’une partie de notre marché intérieur.
Mme Sophie Primas. Absolument !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Au cours des dernières années, la France a eu de plus en plus largement recours à des productions venant de l’extérieur. En conséquence, l’excédent commercial doit aujourd’hui faire l’objet d’une double stratégie : exporter plus et importer moins. Ne le perdons pas de vue. Les discussions partent très vite vers les grands horizons, par-delà les mers, vers l’océan Indien ou les Amériques. (Sourires.) On en oublierait presque que nous avons, avant tout, une responsabilité vis-à-vis de notre marché national.
Les emplois de l’agroalimentaire sont territorialisés – c’est un aspect important – et répartis au sein de PME et de PMI. (Mme Françoise Gatel acquiesce.)
Nous le savons tous dans cet hémicycle pour l’observer dans nos départements respectifs, ces emplois sont liés à des territoires spécifiques. J’ajoute que, sans les activités agroalimentaires associées à l’agriculture, un certain nombre de régions seraient presque privées d’industrie. Cette filière n’en est que plus importante. Non seulement elle regroupe un grand nombre d’emplois, mais ces derniers sont très territorialisés. Voilà pourquoi nous devons veiller à préserver la capacité des entreprises concernées à pérenniser leur activité, à assurer leur développement et à financer leurs investissements.
À travers cette industrie, c’est son image que la France diffuse, en Europe et dans le monde. De surcroît, l’agroalimentaire est, pour nous, une source d’attractivité, ne serait-ce que pour le tourisme que notre pays polarise. Dans toutes les régions touristiques, chacun a sans doute à l’esprit ce que représentent la restauration et donc la production agroalimentaire française. Il faut comprendre au sens large l’enjeu dont il s’agit, sous un angle industriel mais aussi de manière culturelle, en lien avec la gastronomie.
Je l’ai souligné en ouvrant mon propos : ce débat est important en ce sens qu’il vise à définir de grandes stratégies.
Le ministère de l’agriculture suit cette double stratégie, que je viens de mentionner et qui, selon moi, est à même de faire l’unanimité : favoriser l’exportation tout en réduisant notre dépendance et nos importations si c’est possible – je vais tenter de vous prouver que tel est le cas.
Certains orateurs ont rappelé que l’agroalimentaire bénéficiait précédemment d’un ministre délégué, qui, c’est vrai, s’est révélé être un acteur important. À présent, j’assume cette responsabilité avec un jeune délégué interministériel, nommé par le Président de la République. Je l’ai dit, l’administration de mon ministère va être réorganisée, en particulier la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, la DGPAAT. Il convient d’y intégrer les enjeux de l’agroalimentaire, que ce soit en termes de pilotage politique ou sur le plan administratif. À mon sens, c’est un signal fort de l’attachement que la France voue, et que je voue moi-même à la transformation des produits agricoles.
Je suis ministre non seulement de l’agriculture mais aussi de l’agroalimentaire : aucun produit agricole n’est consommé sans avoir été transformé. (Mme Françoise Gatel opine.) Les degrés de transformation peuvent être plus ou moins élevés. On distingue à ce titre la première, la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième transformation. Quoi qu’il en soit, nous consommons des produits transformés – je ne cesse de le répéter ! – ou transportés. Les aliments ne sont pas consommés sans qu’une action soit opérée, ne serait-ce que par la récolte de la production.
Le premier enjeu, c’est la modernisation et la compétitivité. Il a été évoqué au cours de cette discussion et vaut dans les deux sens, pour notre capacité à exporter et à éviter les importations.
En la matière, je rappelle que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, comme le pacte de responsabilité, lequel permet des allégements de charges patronales sur les bas salaires, sont des dispositifs essentiels dans un secteur qui emploie beaucoup de main-d’œuvre, notamment de personnes rémunérées aux alentours du SMIC. C’est précisément la cible du CICE.
Gardons en tête les montants dont il s’agit, car il faut bien mesurer l’ampleur de l’effort accompli.
Entre 2012, époque à laquelle ces dispositifs n’étaient pas encore en vigueur, et 2015, 771 millions d’euros d’allégements supplémentaires ont été accordés à l’industrie agroalimentaire. Entre 2012 et 2017, nous ambitionnons de porter cette somme à 1,1 milliard d’euros. Voilà l’effort qui est fait, pour une industrie qui – certains l’ont rappelé – avait besoin de retrouver de la compétitivité. Le pacte de responsabilité s’applique parfaitement à l’industrie agroalimentaire et contribue à l’amélioration de sa compétitivité.
Il fallait faire ce choix, à une condition près : que le CICE, dont bénéficient en particulier les PME, ne soit pas absorbé dans des négociations commerciales destinées, en définitive, à réduire les prix. (M. Henri Cabanel acquiesce.) Je m’en assure dès que j’en ai l’occasion. Lors des négociations commerciales menées au début de cette année, j’ai systématiquement formulé ce rappel. Au titre du pacte de responsabilité, la nation mobilise un total de 32 milliards d’euros. Si cet effort se traduit par une simple baisse des prix sans conforter la compétitivité et les capacités d’autofinancement du secteur, notre pays ne pourra pas le poursuivre longtemps. Chacun doit assumer ces responsabilités.
Soyons, tous ensemble, extrêmement attentifs à ces questions, chaque fois que de telles négociations sont menées. Je le répète, chaque acteur a sa responsabilité, y compris les organisations patronales. Lorsque des pourparlers ont lieu entre la grande distribution et les industries au sein d’une instance comme le MEDEF, chacun doit garder cet impératif à l’esprit. Le ministre n’est pas censé devoir rappeler, en permanence, l’importance de l’enjeu : l’État ne mobilisera pas 32 milliards d’euros tous les ans ! Cette somme doit donc servir à la compétitivité, à l’autofinancement et aux capacités d’investissement pour l’avenir.
La Banque publique d’investissement, ou BPIFrance, est également mobilisée en faveur de ce secteur. Au reste, Guillaume Garot avait veillé à ce que cette instance consacre une ligne budgétaire spécifique aux entreprises de l’agroalimentaire. Le nombre d’entreprises soutenues a crû de 50 % entre 2011 et 2014, et le montant des prêts accordés a augmenté de 40 %. C’est un progrès. Il faut encore améliorer ces résultats. La France a besoin de ces investissements.
En outre, lors de mon arrivée au ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, j’avais constaté, avec Guillaume Garot, la faiblesse des investissements consacrés à cette industrie. Or, lorsque les investissements s’affaissent en capacité comme en rentabilité, la compétitivité décline. Il s’agit donc d’une perspective majeure pour ce secteur.
Vous le constatez, la compétitivité s’améliore, grâce au CICE et au pacte de responsabilité. Les capacités de financement et d’investissement existent. Encore faut-il être capable de déployer une stratégie à moyen et long termes. C’est, me semble-t-il, ce qui a fait défaut par le passé.
À mon sens, au-delà du débat politique portant sur ce qui a été fait ou non, il faut avant tout savoir où l’on veut aller. Voilà pourquoi les plans de la nouvelle France industrielle ont toute leur importance. Rien n’est pire que de rester statique : c’est loin d’être la meilleure manière de déterminer sa direction, de choisir un chemin, d’engager des financements et des investissements. Il faut tracer des perspectives.
Je le répète, c’est ce que fait le Gouvernement dans le cadre des plans de la nouvelle France industrielle. Heureuse coïncidence, je me suis rendu ce matin même au ministère de l’économie. Emmanuel Macron et moi-même avons fait le point sur trois plans en cours de discussion, que je vais vous détailler en présentant un certain nombre de chiffres relatifs aux financements et aux accompagnements de l’État.
Tout d’abord, nous avons examiné le plan textile. Je le dis à cette tribune : il est frappant de constater que cette industrie, il y a peu encore jugée obsolète et en voie de disparition, est en train de renaître et de se fixer, grâce aux textiles intelligents, des objectifs extrêmement ambitieux et innovants. Ces projets vont rendre à cette industrie sa place historique, qu’elle avait perdue et qu’elle doit reconquérir.
Ensuite, nous avons détaillé le plan relatif à la forêt. La filière bois est essentielle et nous lui avons consacré, dans cet hémicycle, d’importants débats au titre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Enfin, nous nous sommes penchés sur le plan relatif à l’alimentation de demain, aux industries agroalimentaires. Il se décline en cinq volets qui ont été mentionnés et sur lesquels je reviens à mon tour.
Premièrement, – c’est, pour moi, un objectif prioritaire – nous devons investir dans les abattoirs pour améliorer leur productivité. Ces investissements sont essentiels. Madame Gatel, vous l’avez souligné avec raison, pour rendre cette filière attractive, il faut tenir compte d’un certain nombre de critères, en particulier de la pénibilité.
Mme Françoise Gatel. Oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il faut assurer la prise en compte de ce facteur, avec toute la simplicité nécessaire pour que les chefs d’entreprise ne soient pas dans l’impossibilité de l’appliquer. C’est une nécessité absolue pour renforcer l’attractivité de ce secteur. La compétitivité des métiers de la viande et l’investissement dans les abattoirs constituent la priorité des priorités. Je le répète, le manque d’investissement dans ce domaine explique pour partie les difficultés que nous subissons aujourd’hui.
Deuxièmement, il faut ouvrir le marché de l’alimentation fonctionnelle, pour développer des productions de plus en plus adaptées aux besoins nutritionnels. Cette question a été soulevée, au cours de ce débat, à propos de la silver economy. Comment adapter les produits alimentaires selon les âges et les besoins ? Cet enjeu, essentiel pour l’avenir, compte au rang des axes stratégiques que nous avons tracés.
Troisièmement, il convient de se pencher sur les emballages du futur, qui seront connectés à un ensemble de systèmes numériques par un système de codages. Nous devrons également travailler sur ce sujet spécifique.
Quatrièmement, il faut traiter la question du froid, dans le cadre de l’entreprise verte. Il s’agit, plus précisément, des économies d’énergie qui devront être faites, demain, pour assurer aussi des gains de productivité. C’est, là encore, un point majeur : certains produits sont stockés à moins 50 ou moins 30 degrés alors qu’ils pourraient se conserver à moins 18 degrés. Est-ce nécessaire ? Ne peut-on pas dégager des économies ?
Mme Françoise Gatel. Bien sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Comment économiser ? Ce sont là de vrais sujets. La stratégie pour le froid figure au rang des investissements que nous devons assurer au titre de ce plan. La réunion de ce matin a permis de le rappeler. À cette occasion, le président de l’Association nationale des industries agroalimentaires, l’ANIA, en charge de ce dossier, a fait une présentation de grande qualité. Pour ma part, j’ai parfaitement assimilé ces enjeux.
Cinquièmement et enfin, il faut garantir la qualité et la sécurité des aliments et des boissons. Il s’agit concrètement de l’information digitale du consommateur et de la garantie de traçabilité – je vais y revenir.
Naturellement, – certains orateurs m’ont interrogé sur ce point – ce plan doit être accompagné. Le Gouvernement s’en chargera. Ce matin, nous avons précisément pris les décisions nécessaires pour l’accompagnement des plans qui vont être mis en œuvre, qu’il s’agisse du textile, de la forêt ou de l’agroalimentaire.
Sur cette base, le programme d’investissements d’avenir, le PIA, est mobilisé à hauteur de 120 millions d’euros sur trois ans pour l’agriculture et l’agroalimentaire. Il a été confié à FranceAgriMer.
Sur ces 120 millions d’euros pour la période 2015–2017, 14 millions d’euros sont d'ores et déjà investis dans la modernisation des serres pour améliorer leur compétitivité. L’objectif, ce sont des économies d’énergie dans la production de fruits et de légumes. Cela varie selon les régions, mais en Bretagne, par exemple, on sait de quoi il s’agit. En Normandie, dans le Sud-Est et dans le Sud-Ouest, les enjeux sont importants.
Par ailleurs, 20 millions d’euros sont destinés aux abattoirs. Les échanges avec FranceAgriMer, l’établissement public qui pilote ce PIA, sont engagés. Un accompagnement à hauteur de 20 millions d’euros sur les abattoirs est donc acquis.
Le reste est en cours de discussion. Par ce programme important, l’État se mobilise et accompagne l’effort de modernisation.
Dans ce cadre, avec le commissariat général à l’investissement, le CGI, il est également prévu de consacrer 20 millions d’euros, en plus des chiffres déjà avancés, à la dimension agroalimentaire du plan « Nouvelle France ». Il s’agit de la préparation de cette nouvelle France industrielle, avec l’abattoir du futur, l’entreprise du futur, la gestion, l’anticipation sur le froid et sur le digital. Ces points, extrêmement importants, sont en cours de mise en œuvre.
Pour relever le défi de l’emploi et de l’attractivité, il faut mettre en place un ensemble de processus. Nous y travaillons. Le conseil supérieur de la filière s’est engagé dans cette voie, un accord a été trouvé en juillet 2013, avec l’objectif de créer potentiellement 90 000 emplois, ainsi que – c’est important – 150 000 postes pour des jeunes en alternance.
Une réflexion a en outre été engagée à propos de la qualité de la vie au travail, parce que l’on sait bien que développer l’attractivité, c’est aussi donner envie de faire carrière dans ces métiers, là où les entreprises expriment des besoins.
Nous poussons les filières de l’agroalimentaire à trouver un accord de branche sur le pacte de responsabilité, c’est-à-dire la contrepartie à l’ensemble du dispositif que je viens d’évoquer et qui aboutira en 2017 à un montant d’allégements de charges supplémentaires de 1,1 milliard d’euros dans le secteur. Je tenais à le répéter car cela fait partie des enjeux. Cet accord est en négociation. Une réunion a eu lieu récemment au moment du Salon de l’agriculture pour encourager les partenaires sociaux à avancer le plus rapidement possible sur ce sujet important.
Nous en sommes donc là : l’accent est mis sur la compétitivité et l’investissement, avec des stratégies visant à reconquérir notre marché national, quand nous l’avons perdu, tout en nous donnant les moyens de conquérir des marchés à l’exportation.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué dans votre introduction la question de la filière volaille, en parlant de Tilly-Sabco. Vous avez toutefois oublié d’évoquer Doux, contrairement à votre collègue du Finistère, M. Canevet, qui connaît Daniel Créoff.
Quand je suis arrivé, c’était la liquidation judiciaire et ses conséquences en termes de suppressions d’emplois. J’ai maintenu durant une année supplémentaire, contre l’avis de la Commission, des restitutions à l’exportation, à hauteur de 50 % de leur niveau antérieur, en 2012. Ces aides ont donc été versées tout au long de l’année 2013 jusqu’en 2014. L’engagement de les stopper à cette date avait été contracté bien avant ma prise de fonctions, en 2004, à Hong Kong, dans le cadre des négociations de l’OMC. Le paquet comprenait à l’époque la fin de ce dispositif en Europe.
Que s’est-il passé ? Cette stratégie a fait débat, je vais donc vous l’exposer clairement. Il fallait tout d’abord trouver un fonds de retournement pour régler une partie de la dette due à la banque Barclays par l’entreprise de M. Doux. Le fonds de M. Calmels, avec M. Marion, a ainsi permis de régler cette question et a investi dans l’entreprise.
Ensuite, je tiens à le dire, j’ai pris contact, à plusieurs reprises, d’abord avec l’ambassade d’Arabie Saoudite, puis avec le groupe Almunajem, afin de sécuriser le débouché à l’exportation. Ce groupe a pris, lui aussi, des parts dans l’entreprise.
Une fois ces deux points acquis, des objectifs stratégiques et économiques ont été élaborés par l’entreprise, avec un plan d’investissement, que nous avons suivi. Nous avons misé sur la parité euro-dollar : l’équilibre avait été évalué autour de 1,30 dollar pour un euro, on est aujourd’hui à 1,10 dollar,…
M. le président. Non, 1,04 !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … et même 1,04 dollar pour un euro, car cela continue de baisser. Monsieur le président, je vois que vous suivez l’actualité de notre monnaie.
M. André Gattolin. Il lit les pages Bourse !
M. Stéphane Le Foll, ministre. L’entreprise Doux est aujourd’hui capable de dégager des bénéfices, et elle a d’ailleurs annoncé récemment des créations d’emplois en CDI en Bretagne.
Ce potentiel, et ces débouchés, que nous devons organiser, éclairent la reprise de Tilly-Sabco, qui est engagée, autant que le choix stratégique d’une filière nouvelle de poulets nourris à base d’algues.
Il est vrai que pendant des années, Doux, au lieu d’investir en Bretagne pour améliorer notre propre compétitivité, notre organisation sanitaire et la structuration de la filière, s’est engagé de l’autre côté de l’Atlantique, au Brésil. Cette démarche n’a pas produit de résultat (M. Michel Canevet opine.), si ce n’est l’affaiblissement de l’entreprise.
Heureusement, nous avons restructuré tout cela et nous sommes aujourd’hui sur la voie du redressement. Il faut rappeler de temps en temps que la France gagne aussi en agroalimentaire ! Une filière qui était pratiquement condamnée est en train de se redresser. C’est un point positif !
Dans le même temps, la reconquête du marché intérieur par la filière volaille est engagée, avec le fameux poulet standard. Je ne vais pas évoquer les poulets labellisés : venant du canton de Loué, je pourrais, vous le pensez bien, en parler longuement ! (Sourires.) Des engagements ont été pris par un abattoir sarthois, dont la taille est aujourd’hui suffisante et qui a investi, avec d’autres, dans la reconquête du marché des poulets standard.
Aujourd’hui, comme l’expliquait un article des Échos, nous consommons près de 80 % de produits importés. Ils viennent parfois du Brésil, mais souvent de Belgique, c’est-à-dire d’Europe. La reconquête de notre marché est donc essentielle pour réduire le déficit ou améliorer l’excédent de notre balance commerciale. Cela fait partie des objectifs que nous poursuivons aujourd’hui.
J’en viens à la filière porcine ; c’est un vrai sujet. Depuis 2010, il n’y a pas si longtemps, nous produisons entre cinq et six millions de porcs en moins. (M. Jean Bizet opine.) Nous étions aux alentours de vingt-cinq millions de porcs par an en 2010, nous sommes descendus aujourd’hui à dix-neuf ou vingt millions, quand l’Allemagne est passée de quarante à soixante millions.
Une fois ce constat posé, que fait-on ? Nous mettons en œuvre les mêmes dispositions afin d’agir sur la compétitivité, avec le CICE, sur le soutien à l’investissement, c’est la question des abattoirs, sur l’accompagnement des restructurations douloureuses, comme nous l’avons fait avec Gad à Lampaul et à Josselin, avec une entreprise, SVA Jean Rosé, adossée à un grand groupe de distribution.
Madame la sénatrice, dans cette situation, lorsque la fermeture menace, avec le risque de voir disparaître des milliers d’emplois, on choisit des stratégies avec des repreneurs, voilà l’enjeu.
AIM a, malheureusement, rencontré également des problèmes, qui ne sont pas liés à la conjoncture, nous en sommes tous d’accord, mais à une structure un peu datée et à une gestion qui n’a pas été à la hauteur. Que devons-nous faire ?
Trois possibilités ont été envisagées, que nous avons étudiées, je le dis, en parfaite harmonie avec les collectivités territoriales, département et région, dont les couleurs politiques diffèrent. Cette bataille autour de la défense d’une industrie et de ses emplois a bien été menée en commun. Mais ces trois projets n’ont finalement pas pu aboutir.
Nous travaillons maintenant sur une reprise de l’abattoir sous forme de SCOP. Encore faut-il définir une stratégie par rapport à la production porcine normande et trouver le moyen de valoriser cette production à l’échelle du marché national.
Une réflexion a été engagée au ministère jusqu’au mois de juin : je ne laisserai pas la filière porcine sans apporter des réponses structurelles ! Que fait-on à partir des constats que nous établissons aujourd’hui. Ainsi, pourquoi, dans un marché au cadran, rencontrons-nous aujourd’hui des difficultés ? Quand il est orienté à la baisse, cela descend très bas, mais quand il faut que les prix remontent, ils ne peuvent le faire de plus de cinq centimes par adjudication.
Comment faire pour gérer cela d’une manière plus adaptée à la réalité du marché de la filière porcine ? Aujourd’hui, les pièces dont nous avons besoin sont variées : ce qui se vend, ce ne sont pas des carcasses entières, mais des produits de découpe de toutes sortes, selon les saisons, depuis les grillades de l’été et du printemps jusqu’aux morceaux spécifiques de l’hiver.
Il faut que la filière soit plus structurée. Nous y travaillons avec la Fédération nationale porcine, dont l’assemblée générale a lieu en juin à Ploërmel. J’entends bien y avancer des propositions afin de tracer, là encore, des perspectives de redressement.
Dans le même temps, nous avons introduit de la simplification au niveau de la production, en raccourcissant les délais en ce qui concerne les installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE. C’était un problème.
Il est inutile de prendre trois ans pour instruire un dossier s’il est possible de le faire en six mois. Ne perdons pas de temps. Nous devons à la fois être efficaces et respectueux des normes et des règles, mais ne laissons pas croire qu’il est préférable de consacrer trois ans à un dossier. Non, l’objectif est d’aller plus vite, sans remettre en cause les règles environnementales.
Des efforts stratégiques ont donc été consacrés à la filière porcine, ils continuent.
L’évocation du label « Viandes de France » me permet de répondre à la question posée par l’amendement Jégo adopté à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi « Macron ». Cette démarche est essentielle et va se prolonger. Je vous annonce ainsi que nous discutons, en particulier avec la filière porcine, pour l’étendre au-delà des viandes non transformées, vers les produits transformés, et en particulier la charcuterie. Quand la traçabilité est facile à établir, nous devons aller jusqu’au bout pour valoriser la production française. Tel est l’enjeu.
L’amendement Jégo contrarie cette stratégie, que je compte appliquer à d’autres secteurs : je vais mettre en œuvre le label « Fleurs de France » – très beau slogan : les « Fleurs de France » ! Nous avons perdu 80 % de notre production horticole, il est temps de réagir et de la mettre en valeur.
Nous travaillons également aux labels « Miels de France » et « Légumes de France », afin de permettre la valorisation de la production française, et de lui assurer des débouchés, en particulier auprès des consommateurs français qui cherchent à acheter français.
Parallèlement, je milite en faveur de l’établissement d’une stratégie européenne pour la traçabilité, à travers l’étiquetage européen sur les origines des viandes, transformées et dans les plats cuisinés en particulier. C’est un problème à gérer au niveau de l’Europe. Mais nous, nous pouvons, et nous devons, avancer. On voit bien, depuis la crise des lasagnes au cheval, que la mise en œuvre du label « Viandes de France » est un atout et nous allons continuer à mettre l’accent sur la traçabilité dans notre pays. Cela vaut donc pour plusieurs filières.
Nous devons également nous mobiliser sur la question des fruits et des légumes à l’école. J’apprends que nous disposons de 12 millions d’euros de crédits européens pour donner des fruits à l’école mais que nous n’en utilisons que 1 million d’euros ! De temps en temps, il faut vraiment secouer la boutique ! Alors que certaines productions de fruits et légumes font face à des difficultés, nous abandonnons 10 millions d’euros destinés, au surplus, à les distribuer aux écoles. Cela ne me paraît franchement pas responsable ! Nous sommes en train de régler ce problème, et je veux que cela soit fait avant le début de la saison des fruits et des légumes.
L’export : quel beau sujet ! Quand je suis arrivé au ministère, j’ai constaté que Ubifrance, Sopexa, l’AFIT agissaient, que tout le monde s’en mêlait, chacun avec sa petite boutique pour exporter, qui en Thaïlande, qui en Corée, qui en Chine… Si vous allez à Shanghai, vous verrez que les Français sont représentés ! La filière porcine, la filière bovine, les légumes, la charcuterie, tout ce que vous voulez ! Tout le monde a son petit truc.
Il est temps de mettre un peu d’ordre ! Quand je dis cela, c’est le ministre qui parle, mais ce n’est pas si facile de le faire ! Pour ce qui concerne la responsabilité du ministre, on a avancé. Mais il y a tout de même des manières de traiter et de gérer les choses. Si tout était un peu plus coordonné, c’est sûr et certain, ce serait plus efficace et cela coûterait moins cher. Pour notre part, nous avons fait ce qui était de notre responsabilité.
En effet, on a mis en place un comité export au sein de l’administration, qui fonctionne bien. Celui-ci nous a permis d’ouvrir des marchés. Il travaille aujourd’hui en particulier sur la viande bovine en Algérie, en Turquie, au Maroc, sur l’ensemble des marchés disponibles. C’est un enjeu fort.
Ce comité a également permis des ouvertures importantes ; je pense, pour la Chine, à la charcuterie, au travers d’abattoirs et de coopératives bretonnes. Ainsi, une grande coopérative des Côtes-d’Armor a aujourd'hui son agrément. Mais, je le dis au passage, si les négociations peuvent prendre fin très vite en Chine, il faut beaucoup de temps pour les faire aboutir. En l’occurrence, la négociation remonte au voyage du Président de la République en 2013 pour aboutir à un agrément en 2015. Les relations de confiance mutuelle exigent un travail continu. Nous avons beaucoup œuvré en la matière parce qu’il est très important d’ouvrir ces marchés à l’exportation.
Mieux accompagner les entreprises : il faut à la fois élaborer une stratégie pour ce qui concerne les TPE et les PME et fournir un accompagnement personnalisé.
Plus de 120 PME exportatrices ont été repérées. Nous les soutenons au travers d’une politique et d’une diplomatie économiques s’appuyant sur des attachés pour les affaires agricoles et agroalimentaires dans chacune des ambassades.
À ce titre, j’indique que je viens de nommer une attachée dans différents pays stratégiques pour la France, notamment dans la grande Afrique de l’Ouest, qui représente des enjeux importants. Dans le cadre du Quai d’Orsay, mais aussi avec les moyens du ministère de l’agriculture, on essaie donc de développer une diplomatie en la matière.
Rationaliser les outils publics d’accompagnement à l’export : le travail est en cours. Il a avancé, avec la création de Business France. Voilà qui est fait. Ce matin, lors des débats que nous avons eus sur les plans d’avenir, nous avons parlé de la disponibilité de Business France pour soutenir les entreprises et les PME à l’exportation et les aider à préparer les montages financiers.
Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser le fameux débat entre Ubifrance et Sopexa. Il s’agit de mettre en œuvre une stratégie unique lors des grands salons internationaux, afin d’éviter que de multiples opérateurs ne viennent chacun parler de la France : il vaut mieux en parler une seule fois et de manière très claire, plutôt que d’avoir plusieurs intervenants, car cela peut conduire à une certaine cacophonie. Imaginez une dizaine de Français devant un Chinois : l’un lui parlera de l’ouest de la France, un autre du sud, un autre encore du nord ; l’un fait de la charcuterie, l’autre des légumes. Il est temps de s’organiser pour parler de la France, et c’est ce que nous sommes en train de faire. C’est très important pour favoriser les implantations et assurer un suivi des entreprises.
En effet, une entreprise qui a obtenu un débouché peut, deux ans après, faute de suivi, quitter le pays concerné et le marché est alors perdu.
Mme Françoise Gatel. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il faut donc être présent pour accompagner les entreprises qui investissent à l’étranger afin qu’elles perdurent. C’est ce que nous faisons.
J’évoquerai maintenant les relations entre l’industrie et la grande distribution.
Dès ma prise de fonctions, lorsque j’ai organisé les premières réunions avec les organisations professionnelles agricoles, la grande distribution et les industries agroalimentaires, j’ai compris combien les débats étaient houleux. Je ne les raconterai pas – peut-être rédigerai-je un jour un livre sur ce point –, mais j’ai compris que chacun se renvoyait la responsabilité. D’ailleurs, le plus facile est de cibler la grande distribution ; pendant ce temps, les transformateurs ne disent rien. (Mme Françoise Gatel fait une moue dubitative.) Croyez-moi, madame la sénatrice, et croyez-en mon expérience, ce n’est pas si simple que cela !
Mme Sophie Primas. C’est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Chacun a sa responsabilité dans la captation d’une partie de la valeur ajoutée et de la productivité de l’agriculture. C’est ce que l’on appelle le transfert des surplus de productivité. Et, je puis vous le dire, cela va vite. Il faut donc être vigilant.
Nous disposons d’outils, avec la mise en place des tables rondes, le dialogue que l’on a imposé et l’application de la loi relative à la consommation de Benoît Hamon, qui permet d’intégrer les coûts de production dans la négociation, et de renégocier lorsque ceux-ci sont modifiés en cours d’année, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Certes, ces outils ne sont peut-être pas suffisants – il y a sans doute encore des choses à faire –, mais on peut d’ores et déjà y recourir.
M. Bizet a ouvert le débat sur la question de la concurrence.
Je suis d’accord, il faut voir ce qu’est un marché pertinent et ce qu’est une position dominante sur un marché pertinent. La position peut être dominante, sans être absolue ni être un problème : si elle ne modifie pas les prix pour les consommateurs. Il convient peut-être de réfléchir à la manière dont les directives relatives à la concurrence ont été conçues à l’échelle européenne. Car, quand le marché est européen, le poulet, lui, est international.
Concernant le lait, quel élément a conduit à la baisse du prix, alors que celui-ci était assez élevé l’an dernier ? C’est la chute du prix de la poudre de lait sur les marchés entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ; il ne s’agit même pas d’une question européenne. C’est un enchaînement.
Dans les laiteries, il y a de la poudre de lait et des produits transformés – le yaourt, les fromages –, des produits qu’on valorise. Mais si 40 % du lait que vous achetez est de la poudre de lait, le prix du lait baissera dès que celui de la poudre de lait diminuera, car le prix de la poudre de lait influence et pondère le prix d’achat. Il s’agit donc d’un problème à l’échelle mondiale.
On ne peut plus raisonner en termes de concurrence si l’on ne prend pas en compte cet état de fait. Il y a là matière à engager une réflexion pour modifier le droit à la concurrence, afin de le rendre plus compatible avec la réalité internationale.
On m’a demandé des informations concernant les négociations sur le traité transatlantique.
À ce jour, je n’ai pas de nouvelles informations à vous communiquer. Les dernières remontent à ma rencontre, au Salon de l’agriculture, avec le commissaire européen et au développement rural Phil Hogan, qui revenait des États-Unis. Ce qu’il m’a dit était assez clair : il ne se passera pas grand-chose avant l’élection présidentielle américaine.
De toute façon, comme je l’ai déjà dit, concernant les grands enjeux, on reste sur la même ligne : on a indiqué à plusieurs reprises ce que l’on ne pouvait pas accepter concernant les indications géographiques protégées ou encore les conditions sanitaires de production. Des débats seront organisés sur ces points, mais la transparence sera faite, car les parlements nationaux devront se prononcer sur cet accord.
Permettez-moi maintenant de répondre aux quelques questions qui m’ont été posées.
M. Canevet m’a interrogé sur les contrôles dans les abattoirs.
La Cour des comptes nous avait mis un peu en difficulté. À mon arrivée au ministère en 2012, le nombre de suppressions de postes prévu avait été divisé par deux dans le cadre de la loi de finances pour 2013, faisant passer le nombre de suppressions de postes de 120 prévues à 60. Dans la loi de finances pour 2014, les effectifs des contrôleurs sanitaires de la DGAL, la direction générale de l’alimentation, ont été stabilisés. Dans la loi de finances pour 2015, je le rappelle, on crée 60 postes ; c’est du positif. Nous étions obligés de répondre aux remarques de la Cour des comptes, car les conditions sanitaires sont, au-delà d’être primordiales pour la santé publique, l’un des éléments déterminants de notre capacité à exporter.
Si l’on ne sécurise pas nos produits et si l’on n’inspire pas confiance à nos interlocuteurs, on risque de perdre des marchés. On a donc fait un effort en la matière. Je tiens à vous le dire, car c’est important, on est engagé pour respecter cet engagement sur les conditions sanitaires.
Monsieur Arnell, nous sommes en train de finaliser l’arrêté de la loi relative à la qualité de l’offre alimentaire dans les outre-mer dite « Lurel. Nous préparons la liste des produits concernés. C’est important, il n’y a pas de raison d’ajouter dans les produits alimentaires plus de sucre en outre-mer qu’en métropole. Victorin Lurel avait pris un engagement sur ce point ; nous y travaillons, et nous vous tiendrons informé dès que la liste des produits sera établie.
M. Guillaume Arnell. Merci !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Par ailleurs, je suis allé en Guadeloupe. Aux Antilles, la banane et la canne à sucre sont bien sûr soumis à la concurrence. Mais nous avons défini des stratégies qui, nous le savons, peuvent être gagnantes. J’en veux pour preuve le plan I et le plan II en cours d’élaboration de la banane durable.
L’identification de l’origine de cette banane – cela a été finalisé au moment du Salon de l’agriculture – est très importante. C’est là aussi une manière de valoriser sur le marché français les produits d’outre-mer ; on verra si la première étape de l’agro-écologie permettra de valoriser la production de la banane : cette banane est produite avec le moins de produits phytosanitaires au monde, je le dis et je le répète. Mangez des bananes des Antilles !
Mme Françoise Gatel. Elles sont bonnes !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Et c’est une banane durable ! Il faut faire ce choix important.
Monsieur Gattolin, vous avez parlé des aides au maintien de l’agriculture biologique. Cette question a fait l’actualité. Je rappellerai très simplement les faits.
Dans le cadre de la loi de finances de 2013, qui prépare l’exercice de l’année 2014, 104 millions d’euros ont été débloqués pour soutenir un objectif d’augmentation des surfaces en agriculture biologique que l’on s’est fixé. Or le succès a dépassé de loin les objectifs prévus. Comme les crédits ont été fixés dans le cadre de l’article 68 de la PAC utilisé au niveau national, je ne peux pas faire de fongibilité avec les autres aides pour remplacer. On essaiera de trouver une solution pour cette difficulté sur les aides 2014.
Je suis obligé de le dire, oui, nous avons baissé de 25 % les aides au maintien de l’agriculture biologique pour 2014 ; c’est un vrai sujet. Le plan Ambition Bio 2017, qui avance bien – on a dépassé l’Allemagne en termes de surfaces agricoles biologiques ! – sera mis en œuvre en 2015.
Quand je suis arrivé au ministère, les aides au maintien de l’agriculture biologique s’élevaient à 90 millions d’euros, contre 180 millions d’euros, en 2017, à la fin du plan Ambition Bio, dont l’objectif est le doublement des surfaces agricoles. La part des surfaces biologiques est de plus de 4,5 %, contre quelque 3 % auparavant. Je pense que nous atteindrons l’objectif fixé, et nous ferons tout pour qu’il en soit ainsi. À comparer avec l’engagement du Grenelle de l’environnement – on s’en souvient tous, 20 % de surfaces agricoles biologiques d’ici à 2018 –, on a pris un engagement crédible, qu’on est capable de tenir. Voilà ce qui est important, même si je regrette le problème que nous avons rencontré en 2014 à cause du succès plus important que prévu. À nous d’anticiper les choses et de favoriser le développement de l’agriculture biologique !
M. Gremillet a évoqué la suppression des quotas laitiers.
Dans le cadre du plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles, nous allons consacrer, à partir de 2015, avec les régions, 200 millions d’euros par an au soutien et à l’investissement, en fléchant, de manière spécifique, les salles de traite. En effet, il est nécessaire d’améliorer les conditions de travail des agriculteurs pour accroître la productivité : les salles de traite sont un enjeu. Nous favorisons les investissements dans la filière laitière, aux côtés des autres secteurs de l’élevage et agricoles.
Dans le même temps, à l’échelle européenne, on sort du système des quotas laitiers. Je ne suis pas à l’origine de cette mesure ; elle a été décidée en 2008. Il convient donc de voir comment il est possible de restructurer une politique, afin d’éviter que tous les pays ne développent leur production sans se préoccuper de ce qu’il adviendra.
Depuis ma prise de fonctions, j’ai fait trois propositions concernant le post-quotas laitiers. Cela bouge un peu : à la veille de la fin des quotas laitiers, chacun commence à se préoccuper de cette question. Le ministre belge que j’ai rencontré, et les ministres polonais et espagnol sont prêts à discuter. Au-delà du filet de sécurité qui a été mis en place, il faut définir une stratégie pour éviter une chute des prix.
En effet, quand la production ou le troupeau laitier augmente, si les débouchés prévus ne sont pas au rendez-vous, tout le lait revient sur le marché européen, ce qui fait chuter les prix. Au demeurant, les producteurs laitiers anticipent cette baisse et abattent des vaches laitières : un plus grand nombre de vaches de réforme déstabilise alors le marché de la viande. Voilà ce qui se passe. C’est pourquoi il est temps de voir ce que l’on peut faire. Nous avons fait des propositions, elles sont disponibles sur le site du ministère.
Je ne reviendrai pas sur l’amendement Jégo ; j’ai parlé du combat pour le label Viandes de France. Le Sénat va examiner le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dit « Macron ».
Je vous donne ma position : aujourd'hui, la stratégie interprofessionnelle d’identification et de traçabilité, avec l’hexagone et le drapeau bleu-blanc-rouge, est payante. Elle est payante pour les agriculteurs et pour l’industrie. Aussi, il convient de la conforter, plutôt que de la fragiliser. Vous examinerez cette question, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous fais confiance : vous avez compris mon message !
Pour conclure, j’évoque un document (M. le ministre brandit un exemplaire de ce document.) qui vous a été ou vous sera envoyé (MM. les huissiers procèdent à la distribution dudit document.) évaluant, dans chaque région et dans chaque filière, les aides apportées aux filières agricole et agroalimentaire dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et du pacte de responsabilité et de solidarité. Vous pouvez ainsi aller discuter des enjeux de compétitivité, des aides de l’État en faveur de la filière agroalimentaire.
Personnellement, je suis très satisfait de ce débat, dont je vous remercie. Je vous le dis, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est mobilisé pour faire en sorte que l’industrie agroalimentaire française soit toujours – il faut qu’elle le reste ! – un enjeu en termes d’image et d’emplois et un enjeu industriel. Surtout, il s’agit d’un bel enjeu pour l’avenir de notre pays. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire.
14
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 16 mars 2015, à vingt et une heures :
Projet de loi autorisant la ratification de l’accord concernant le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de résolution unique (Procédure accélérée) (n° 798, 2013-2014) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 307, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 308, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART