Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires :

Mme Colette Mélot, M. Claude Haut.

1. Procès-verbal

2. Décisions du Conseil constitutionnel

3. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

4. Commission mixte paritaire

5. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

6. Dépôt de documents

7. Renvoi pour avis multiple

8. Questions orales

validité des plans locaux d'urbanisme après un changement de schéma de cohérence territoriale

Question n° 865 de M. Dominique Bailly. – Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité ; M. Dominique Bailly.

avenir des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement

Question n° 887 de M. Jean-Jacques Filleul. – Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité ; M. Jean-Jacques Filleul.

embargo russe sur les produits alimentaires européens

Question n° 852 de M. Antoine Lefèvre. – MM. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Antoine Lefèvre.

modification de la directive « nitrates » par l'extension des zones vulnérables « nitrates »

Question n° 874 de Mme Anne Emery-Dumas. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Mme Anne Emery-Dumas.

privatisation du marché d’intérêt national de rungis

Question n° 877 de Mme Laurence Cohen. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Mme Laurence Cohen.

viticulture dans le département de l’aude

Question n° 883 de M. Roland Courteau. – MM. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Roland Courteau.

désertification médicale en seine-saint-denis

Question n° 838 de M. Gilbert Roger. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Gilbert Roger.

prise en charge des hépatites b et c

Question n° 848 de Mme Aline Archimbaud. – Mmes Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Aline Archimbaud.

mise en œuvre du logo triman

Question n° 876 de M. Yves Détraigne. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Yves Détraigne.

refus de dérogations en faveur de jeunes apprentis embauchés par des collectivités territoriales

Question n° 880 de M. Rachel Mazuir. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Rachel Mazuir.

Suspension et reprise de la séance

arrêt du réacteur nucléaire osiris et risque de pénurie de radioéléments à usage médical

Question n° 868 de M. Michel Berson. – Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Michel Berson.

stages hors du temps scolaire

Question n° 871 de M. Henri Tandonnet. – Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Henri Tandonnet.

modalités d'application de la réforme des rythmes scolaires et intercommunalité

Question n° 881 de M. Hervé Maurey. – Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Hervé Maurey.

avenir des chambres de commerce et d'industrie

Question n° 870 de M. Daniel Laurent. – MM. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ; Daniel Laurent.

alignement du cadre d'emploi des attachés territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothécaires territoriaux sur celui des attachés d'administration

Question n° 823 de M. Gérard Longuet. – MM. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ; Gérard Longuet.

complexité des normes administratives

Question n° 861 de M. Jean Boyer. – MM. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Jean Boyer.

M. le président.

publication des déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires

Question n° 846 de Mme Catherine Procaccia. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Mme Catherine Procaccia.

utilisation d'un système de lecture des plaques d'immatriculation

Question n° 878 de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

9. Allocution de M. Gérard Larcher, président du Sénat

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

10. Communication relative à une commission mixte paritaire

11. Débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi

Mme Marie-France Beaufils

M. Stéphane Ravier

M. Vincent Delahaye

M. Jean-François Husson

M. Jean Germain

M. André Gattolin

Mme Laurence Cohen

M. Pierre-Yves Collombat

M. Martial Bourquin

M. Yannick Vaugrenard

Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire

Suspension et reprise de la séance

12. Communication du Conseil constitutionnel

13. Débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante

Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante

Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante

M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante

Mme Elisabeth Doineau

M. Jean-Pierre Godefroy

M. Gilbert Barbier

M. Gérard Dériot

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Michelle Demessine

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

14. Organisme extraparlementaire

15. Communication du Conseil constitutionnel

16. Application de l'article 68 de la Constitution – Adoption définitive d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale

M. Alain Anziani

Mme Esther Benbassa

Mme Éliane Assassi

M. Jacques Mézard

M. Michel Mercier

M. Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 10 de Mme Éliane Assassi (groupe CRC). – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 2

Amendement n° 1 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 3

Amendement n° 3 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Amendement n° 2 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 3 bis. – Adoption

Article 4

Amendement n° 4 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 5

Amendement n° 5 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Amendement n° 11 de Mme Éliane Assassi (groupe CRC). – Rejet.

Amendement n° 6 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Amendement n° 7 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 6

Amendement n° 8 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Amendement n° 9 de M. Alain Anziani (groupe socialiste et apparentés). – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 7. – Adoption

Adoption définitive, par scrutin public, de l’ensemble du projet de loi organique dans le texte de la commission.

17. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

Mme Colette Mélot,

M. Claude Haut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 16 octobre 2014 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président. Par lettres en date du 17 octobre 2014, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat le texte de trois décisions, rendues le même jour, par lesquelles le Conseil constitutionnel, s’agissant des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 septembre 2014, a rejeté une requête présentée dans le département des Alpes-Maritimes et deux requêtes présentées dans le département du Bas-Rhin.

Acte est donné de ces communications.

3

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 16 octobre prennent effet.

4

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

5

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du vendredi 17 octobre 2014, une décision du Conseil relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 231-1 à L. 231-4 du code du tourisme, dans leur version issue de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques (exploitation de voitures de tourisme avec chauffeur) (n° 2014-422 QPC).

Acte est donné de cette communication.

6

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, d’une part, l’avenant n° 1 à la convention du 19 août 2013 entre l’État et l’Agence de services et de paiement relative au programme d’investissements d’avenir, action « Rénovation thermique des logements privés – prime exceptionnelle », et, d’autre part, la convention entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d’investissements d’avenir, action « Fonds national d’innovation – Culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

7

Renvoi pour avis multiple

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la simplification de la vie des entreprises (n° 771, 2013-2014), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, et à la commission des finances.

8

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

validité des plans locaux d'urbanisme après un changement de schéma de cohérence territoriale

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 865, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

M. Dominique Bailly. Madame la ministre, j’ai souhaité, ce matin, attirer l’attention du Gouvernement sur la situation des plans locaux d’urbanisme, les PLU, en cas de changement de schéma de cohérence territoriale, le SCOT.

En effet, les plans locaux d’urbanisme, établis par les communes, doivent répondre à des contraintes imposées par des documents de rang supérieur. Ainsi, le schéma de cohérence territoriale fait partie des documents qui sont opposables au PLU.

Or la réforme territoriale a amené certaines communes à dépendre d’un autre SCOT. Par exemple, dans le Nord, plus particulièrement dans le Douaisis, territoire que je connais bien, plusieurs communes ont quitté le syndicat du SCOT du Grand Douaisis pour rejoindre, à travers une nouvelle intercommunalité, le SCOT de Lille Métropole. Toutefois, ce dernier n’est pas formalisé – ni, a fortiori, validé – à ce jour.

Aussi, je souhaite connaître l’avis du ministère quant à la validité des plans locaux d’urbanisme, dès lors que le SCOT qui a présidé à leur établissement n’est plus celui auquel la commune est rattachée.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la validité des plans locaux d’urbanisme en cas de changement de schéma de cohérence territoriale.

Le SCOT est l’outil de conception et de mise en œuvre d’une planification stratégique intercommunale, à l’échelle d’un large bassin de vie ou d’une aire urbaine. Il a remplacé le schéma directeur, en application de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU ». Il est destiné à servir de cadre de référence pour les différentes politiques sectorielles, notamment celles qui sont centrées sur les questions d’organisation de l’espace, d’urbanisme, d’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial ou encore d’environnement. Comme son nom l’indique, il assure la cohérence de ces différentes politiques, tout comme il assure la cohérence des documents sectoriels que sont les plans locaux d’urbanisme, que ces derniers soient établis au niveau communal ou au niveau intercommunal, les programmes locaux de l’habitat et les plans de déplacements urbains.

L’adhésion à une collectivité couverte par un SCOT ne remet pas en cause le PLU. La commune concernée se trouve alors dans une zone de transition, aussi appelée « zone blanche », c’est-à-dire non couverte par un SCOT. Le syndicat qui porte le SCOT devra alors faire évoluer son document au plus tard dans les six ans après l’adhésion de la commune, afin de couvrir cette dernière.

Dans le cas où un SCOT existe, la commune, même si elle se trouve dans ce que je viens d’appeler une « zone blanche », sera soumise à la règle d’urbanisation limitée. Cette règle vise à limiter l’étalement urbain et à encourager la mise en cohérence des projets de territoires portés par les communes et les communautés sur un même bassin de vie ou sur une même aire urbaine. Sauf si une dérogation est accordée par le préfet, après avis du président de l’établissement public du SCOT, la commune ne pourra donc pas ouvrir à l’urbanisation les zones classées en « espaces à urbaniser » après le 1er juillet 2002. Elle ne pourra pas non plus ouvrir à l’urbanisation les zones agricoles ou naturelles.

En revanche, si la commune rejoint un territoire sans SCOT, elle n’est pas soumise à la règle de l’urbanisation limitée.

Dans le cas précis que vous évoquez, monsieur le sénateur, le fait que le SCOT soit en cours d’élaboration n’a pas de conséquence sur le PLU des communes : l’absence de SCOT au moment de l’adhésion implique que la règle de constructibilité limitée ne s’applique pas.

Toutefois, dans la mesure où l’élaboration du SCOT de Lille Métropole vient d’être lancée, il semble opportun de prendre une nouvelle délibération sur l’ensemble du territoire, afin de couvrir toutes les communes concernées et d’assurer une stratégie de développement cohérente.

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, sur ce sujet qui paraît un peu compliqué !

M. Dominique Bailly. Monsieur le président, ce sujet paraît un peu compliqué, mais cela correspond à ce que nous vivons sur le terrain !

La nature humaine étant ainsi faite, la phase transitoire que nous avons évoquée peut faire naître des contentieux, susceptibles de mettre en péril de beaux projets de construction – de logements ou autres.

Dans ces conditions, madame la ministre, je vous remercie de vos précisions. Il était important que cette phase fût bien cadrée, et c’est ce que vous venez de faire. Il importe également que la communication fonctionne bien et que l’information soit diffusée à tous les élus locaux. Pour ma part, je transmettrai votre réponse au président du syndicat qui assure la gestion de notre nouvelle intercommunalité.

avenir des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, auteur de la question n° 887, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

M. Jean-Jacques Filleul. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur l’avenir des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, les CAUE, et plus particulièrement sur le dispositif de taxation des opérations d’aménagement et de construction, entré en vigueur le 1er mars 2012. La taxe d’aménagement est venue remplacer plusieurs taxes d’urbanisme antérieures, dont la taxe départementale des espaces naturels sensibles et la taxe départementale destinée au financement des CAUE.

Les départements ont voté un taux pour cette nouvelle taxe, celle-ci étant assortie d’une nouvelle clé de répartition de son produit entre actions en faveur des espaces naturels sensibles, d’une part, et activité des CAUE, d’autre part. En Indre-et-Loire, la part départementale de la taxe d’aménagement s’élève à 1,6 %.

Or, depuis la mise en application de cette taxe, le recouvrement de cette dernière connaît de graves dysfonctionnements. Dans les faits, les produits escomptés ne se sont pas concrétisés. En effet, les sommes réellement encaissées ne sont pas en rapport avec les prévisions établies par la direction départementale des territoires. Comme vous le savez sans doute, madame la ministre, le circuit de recouvrement est complexe, et il semblerait que le logiciel assurant le calcul de la taxe ne fonctionne pas correctement – cette information demeure à vérifier. Cette situation suscite des difficultés, tant pour l’élaboration des budgets prévisionnels que pour la gestion quotidienne des structures.

Ayant pour objet la promotion de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement, les CAUE assument une mission de service public dans les domaines du conseil, notamment auprès des collectivités territoriales, de l’information, de la formation ainsi qu’en termes de sensibilisation et d’aide à la décision pour les particuliers. Le rôle économique des CAUE et la force de leur lien institutionnel avec les territoires ne sont pas à prouver, car ce sont des outils qui ont montré leur efficacité.

Or nombre d’entre eux sont aujourd’hui dans l’impasse – je ne suis pas le seul parlementaire à avoir interrogé le Gouvernement à leur sujet –, étant obligés de recourir à l’emprunt pour maintenir les équipes techniques en place.

Pour ce qui me concerne, je suis interpellé par M. le président du CAUE d’Indre-et-Loire, qui me décrit la situation de son conseil comme étant préoccupante. Ce CAUE serait, lui aussi, dans l’impasse, d’autant que ses ressources diminuent tandis que les charges qu’il doit assumer sont difficilement compressibles, au regard de l’effectif réduit.

En conséquence, madame la ministre, comment le ministère analyse-t-il la situation des CAUE en général, particulièrement celui de mon département de l’Indre-et-Loire ? Quelles mesures seront prises afin de compenser le retard important du recouvrement de la taxe d’aménagement et quelles dispositions peuvent être mises en place pour pérenniser l’existence des CAUE ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous appelez mon attention sur la situation financière des conseils d’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement, les CAUE, à la suite de difficultés rencontrées par certaines de ces structures du fait de la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité de l’urbanisme.

Je rappelle que la mise en œuvre de cette réforme, entrée en vigueur le 1er mars 2012, s’est accompagnée du raccordement de deux plateformes différentes utilisées par mes services pour l’émission des titres à destination des redevables.

Comme vous l’avez rappelé, malgré l’anticipation, le chantier a connu des difficultés techniques, qui ont repoussé de deux mois l’émission des titres de recettes, initialement prévue pour le mois de mai 2013.

Toutefois, depuis la mi-juillet 2013, les difficultés ont été levées et les premiers titres ont été émis : à ce jour, plus de 660 000 factures et avoirs ont d’ores et déjà été pris en charge dans la nouvelle interface utilisée, dénommée « CHORUS », pour un montant d’un peu plus de 1 milliard d’euros.

En Indre-et-Loire, les services de la direction départementale des territoires, la DDT, ont pu liquider les dossiers d’autorisations d’urbanisme jusqu’au 31 août 2014. Ainsi, au 15 octobre 2014, plus de 1 000 000 euros ont été recouvrés pour le conseil général, au titre de la part départementale de la taxe d’aménagement. Je rappelle que celle-ci permet, en effet, de financer à la fois la politique des espaces naturels sensibles et les CAUE.

En outre, les prises en charge réalisées par la direction générale des finances publiques, la DGFIP, pour toute la part de la taxe d’aménagement du département d’Indre-et-Loire atteignent près de 500 000 euros au titre de l’année 2013 et plus de 1,6 million d’euros au titre de l’année 2014.

Par ailleurs, la réforme de la fiscalité de l’urbanisme a aussi modifié les délais d’émission des titres de recettes afférant à la part départementale de la taxe d’aménagement. Cela a eu pour conséquence, dans certains cas, de diminuer les sommes à percevoir par les CAUE en 2013. Cette situation, due à la période de transition nécessaire pour appliquer la réforme, ne devrait plus se produire dans les années à venir.

Je précise enfin, monsieur le sénateur, que le délai d’émission du titre de recettes ne doit pas être confondu avec le délai effectif de reversement aux départements, ce dernier intervenant environ huit semaines après.

Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter ce matin.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul. Je tiens à remercier Mme la ministre des précisions qu’elle a apportées, notamment sur le cas particulier du département d’Indre-et-Loire. C’était bien le sujet principal de ma question, même si j’ai choisi d’aborder le problème des CAUE sous l’angle général.

Ces précisions sont importantes, et j’espère que les avancées évoquées ici seront suffisantes pour permettre au CAUE d’Indre-et-Loire de poursuivre sa mission. Vous savez bien, mes chers collègues, à quel point le rôle des CAUE est essentiel, en particulier en matière de projets d’urbanisme individuels. On voit parfois tant d’horreurs qu’on ne peut douter de son éminence !

J’espère donc, madame la ministre, que le président du CAUE 37 sera satisfait des réponses que vous nous avez fournies.

embargo russe sur les produits alimentaires européens

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 852, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les effets de l’embargo russe sur les prix agricoles.

Décidé au début du mois d’août par la Russie, en réaction aux décisions politiques de l’Union européenne concernant la situation en Ukraine, cet embargo d’un an sur les produits alimentaires européens touche particulièrement les filières françaises des viandes porcines et bovines, mais aussi les filières de production de pommes de terre, fruits et légumes frais.

Les produits concernés représentent une valeur de 244 millions d’euros, soit un tiers des exportations agroalimentaires envoyées à la Russie.

Or, la filière porcine était déjà fortement impactée par la décision de la Russie de suspendre, dès janvier 2014, ses importations de viande de porc en provenance de l’Union européenne, en raison de deux cas de peste porcine africaine détectée sur des sangliers en Lituanie.

La chute des cours du porc en France depuis le début de ce premier embargo se traduisait, selon Inaporc, par une perte de plus de 10 millions d’euros par semaine pour les éleveurs et les entreprises d’abattage et de découpe. La situation ne fait qu’empirer du fait du second embargo décidé récemment.

Autre exemple, l’Union européenne exportant vers la Russie 5,7 % de sa production en fromage et 9 % de sa production en beurre, un simple excédent de marchandises déstabilise rapidement l’ensemble de la filière laitière, avec des conséquences très graves sur les prix de l’ensemble des produits laitiers.

Enfin, les producteurs de fruits et légumes doivent faire face depuis quelques semaines à des importations massives, notamment espagnoles et polonaises, de stocks très importants, écoulés à prix bradés sur le marché français.

Déjà durement touchés par la crise et par des perturbations climatiques fortes, les agriculteurs sont en droit d’obtenir une compensation à une décision unilatérale, dont ils sont les premières victimes.

Une première enveloppe d’aide de 200 millions d’euros avait été dégagée pour soutenir les cours des fruits et légumes et des produits laitiers. Mais des problèmes ont été rencontrés au niveau de sa répartition, du fait des surenchères de deux pays, à savoir la Pologne et l’Italie, en matière de demandes d’indemnisation. En conséquence, le premier dispositif de soutien au secteur maraîcher a été suspendu et il a été mis un terme aux mesures de soutien aux producteurs de fromage.

Ce 30 septembre, une autre enveloppe de 165 millions d’euros aurait été débloquée pour douze pays.

Pour éviter un désastre économique, il va sans dire que ces enveloppes sont bienvenues ! Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de bien vouloir nous indiquer les sommes dévolues aux agriculteurs français et leur ventilation, mais aussi les éventuelles contraintes qui y seraient liées.

Je tiens aussi à mentionner l’inquiétude de certains qui, parallèlement, craignent une éventuelle ponction sur le budget de la politique agricole commune, la PAC. Ainsi, pouvez-vous nous préciser où cette somme de 365 millions d’euros a été prélevée ?

Si, comme certains l’annoncent, elle l’a été sur la réserve de crise spécifique prévue dans le cadre de la PAC, cette ponction risque de pratiquement vider ladite réserve, dotée à ce jour de 432 millions d’euros ! Ne resteraient donc que 88 millions d’euros pour pallier une autre crise agricole éventuelle, les perturbations climatiques que nous connaissons tous, entre autres facteurs, pouvant faire craindre le déclenchement d’une telle crise.

En outre, d’autres échos venant de Bruxelles nous font redouter des ponctions sur la réserve dite des « recettes additionnelles », d’environ 450 millions d’euros actuellement et destinées au financement de la PAC, vers les dossiers d’urgence humanitaire, tels que ceux de la Syrie ou du virus Ebola.

Il n’est bien sûr pas question de sous-estimer l’urgence de certains dossiers, en particulier les dossiers concernant des épidémies ou des conflits que l’Europe non seulement ne peut pas ignorer, mais se doit d’accompagner. Toutefois, monsieur le ministre, pouvez-vous également nous rassurer sur cet autre aspect ? Le budget de la PAC doit être essentiellement consacré à l’agriculture et ne peut servir de « ballon d’oxygène » face aux conséquences financières des déséquilibres commerciaux engendrés par les sanctions que l’Occident a prises pour répondre aux ingérences russes en Ukraine.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Sachez tout d’abord, monsieur le sénateur, que je partage l’ensemble de votre analyse.

Effectivement, l’embargo russe a un impact sur la production agricole et agroalimentaire de l’Europe et de notre pays. Dès l’été, après avoir pris contact avec ma collègue espagnole pour tenter de gérer une crise sur les pêches et les nectarines, puis avec mes homologues polonais et allemands pour définir une stratégie commune à l’échelle européenne, j’ai salué la réaction relativement rapide de la Commission européenne et le déblocage des fonds mentionnés dans votre intervention.

Mais, très vite, nous avons connu les difficultés habituelles. J’avais bien indiqué, au moment du Conseil extraordinaire des ministres de l’agriculture de l’Union européenne, organisé au début du mois de septembre, que, si des mesures devaient être mises en œuvre, elles devaient être coordonnées et cohérentes à l’échelle européenne. Prenons l’exemple des pommes : la question des volumes de pommes précédemment exportés de la Pologne vers la Russie – 700 000 tonnes – n’est pas le seul problème des Polonais, car ces marchandises se retrouvent désormais sur notre marché intérieur. L’enjeu est donc bien celui de la cohérence.

Au-delà même des enveloppes financières, si nous commençons, les uns et les autres, à vouloir régler chacun nos problèmes sans penser à la nécessaire gestion collective du marché, nous en reviendrons immanquablement à ce qu’il s’est passé dernièrement : deux pays ont été au-delà des limites raisonnables pour éviter la chute des prix sur le marché et la Commission a mis un terme à son dispositif.

Aujourd'hui, les fonds commencent à être distribués, au travers de trois outils principaux : le retrait de production en cas de situation excédentaire, le soutien à la promotion commerciale pour accroître et soutenir la consommation, le soutien aux exportations.

Ce que je cherche à faire – et c’est le véritable problème que nous rencontrons, monsieur le sénateur –, c’est à accorder à chaque pays une souplesse beaucoup plus grande au niveau de la gestion des retraits, en particulier des prix de retrait, ce qui implique de donner plus de pouvoir aux organisations professionnelles afin de permettre les ajustements nécessaires. Cette gestion ne peut être identique partout en Europe ! Que ce soit au niveau des filières porcine et bovine ou du secteur des fruits et légumes, les situations peuvent être différentes et des produits affectés de manière indirecte peuvent être plus touchés par les problèmes liés à l’embargo russe que certains produits directement concernés.

Enfin, comme vous l’avez indiqué, se pose une question budgétaire. La proposition de la Commission portait initialement sur le recours à des marges de gestion, mais cette solution a été remise en cause, au sein même de la Commission, par la direction générale du budget.

La question soulève un vrai débat.

L’embargo a été décidé par la Russie à la suite des sanctions prises par l’Union européenne à son encontre. Je ne reviens pas sur la situation géopolitique, qui est connue de tous. À cet égard, je n’espère qu’une chose, que l’on se dirige vers une solution politique, permettant de sortir de cette crise ayant un fort impact, y compris sur la croissance de la zone euro.

En conséquence, je ne suis pas d’accord avec l’idée consistant à gérer cet embargo, non pas avec les marges budgétaires qui étaient disponibles pour le faire, mais avec le fonds de gestion de crise. Ce fonds de 430 millions d’euros est en partie pris sur le premier pilier de la PAC. Si un problème survient demain, alors que nous l’avons consommé pour régler les conséquences de l’embargo russe, nous risquons d’avoir de vrais soucis !

Une discussion est donc en cours sur le sujet. Dans le même temps, la Commission nous explique qu’il faut gérer les problèmes liés au virus Ebola, aux grandes crises géostratégiques, mais aussi, semble-t-il – je cherche à vérifier ce point –, aux fonds de cohésion. Comme, en outre, les États ne veulent pas augmenter leur contribution budgétaire, la situation est très difficile.

C’est pourquoi je pense sincèrement qu’il nous faut nous coordonner – je retourne en Espagne samedi prochain – et faire preuve de cohérence. Chacun doit cesser de chercher à tirer le maximum de la situation, immédiatement et sans se préoccuper de la cohérence générale, et il faut accroître la subsidiarité.

Telle est la ligne que nous suivons et allons suivre, et selon laquelle je procéderai dans les semaines à venir pour tenter de régler ce problème spécifique de l’embargo russe.

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie de ces explications, monsieur le ministre. Nous partageons effectivement la même analyse. Je reste néanmoins inquiet quant aux affectations du budget de la PAC. Vous avez avancé quelques pistes de travail et nous ne pouvons que vous encourager à poursuivre dans ce sens, afin de sauver ce modèle de cohésion qui existe au niveau de l’agriculture européenne.

modification de la directive « nitrates » par l'extension des zones vulnérables « nitrates »

M. le président. La parole est à Mme Anne Emery-Dumas, auteur de la question n° 874, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Mme Anne Emery-Dumas. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le document de communication émanant de la Commission européenne et prévoyant une modification de la directive européenne 91/676/CEE, aussi appelée directive « Nitrates », par l’extension des zones vulnérables « nitrates ».

Cette directive se traduit par la création de zones vulnérables, dans lesquelles des pratiques agricoles particulières sont imposées pour éviter les risques de pollution.

La révision annoncée aura des conséquences très importantes dans le département de la Nièvre, dans un contexte économique et social déjà très dégradé, notamment du fait de la baisse des cours du broutard subie par nos éleveurs, de moissons de faible qualité, d’un déficit fourrager et, évidemment, de l’impact de la politique agricole commune pour la période allant de 2014 à 2020. Ainsi, quatre-vingts nouvelles communes du département, au moins, devraient être concernées, sur des territoires où l’élevage allaitant extensif charolais prédomine.

Il a déjà été possible d’observer, en particulier depuis 2012, date de la précédente vague d’obligations d’aménagement de bâtiments d’élevage liées à l’application de la directive, que de nombreuses zones nivernaises traditionnellement consacrées à l’élevage allaitant délaissent cette activité.

Les nouvelles contraintes consécutives à un classement en zone vulnérable risquent de renforcer cette dynamique de reconversion vers des activités de grande culture, fragilisant un peu plus la filière de l’élevage allaitant ; mais c’est aussi en complète contradiction avec les dispositions du projet agricole départemental qui vient d’être adopté pour la période 2014-2020 et vise à conforter l’élevage par la création de valeur ajoutée supplémentaire.

L’approche normative de Bruxelles a largement montré ses limites. Je souhaite donc savoir, monsieur le ministre, s’il est possible que le Gouvernement fasse conduire de nouvelles études scientifiques, afin de mettre la révision de la directive à l’ordre du jour de l’agenda européen, et que, dans l’attente, soit proposé un calendrier, réaliste et soutenable sur plusieurs années, de mise en œuvre des nouvelles contraintes européennes, notamment quant au stockage des effluents d’élevage.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. S’agissant de la question de l’élevage, je tiens tout d’abord à rappeler quel a été l’apport, dans son architecture, dans sa structure, de la réforme de la politique agricole commune. Au travers du couplage des aides à la vache allaitante, de la reconnaissance des prairies permanentes, des évolutions en matière de convergence des aides, tout a été précisément fait – bien sûr dans la limite d’une enveloppe non extensive – pour préserver l’activité d’élevage et éviter un basculement vers les grandes cultures.

Par ailleurs, je rappelle que si la directive « Nitrates » n’a pas été signée par le ministre de l’agriculture actuel, il revient à ce dernier de garantir la continuité de la parole de la France et de l’État français à l’échelle européenne.

En outre, je répète que le classement en zone vulnérable n’implique pas obligatoirement que toutes les exploitations vont devoir investir et recourir à des constructions en béton pour stocker les effluents d’origine animale. Il faut cesser de prétendre que ce classement en zone vulnérable signifie automatiquement 30 000, 40 000 ou 50 000 euros d’investissement ! C’est faux !

Pourquoi ? D’abord, nous allons travailler à une renégociation avec la Commission européenne, sur la base de l’arrêt de la Cour de justice européenne, autour de la question du stockage, en particulier de fumier pailleux en plein champ. Si c’est en plein champ, ce n’est pas dans des bâtiments en béton, et aucun investissement n’est donc nécessaire ! Ensuite, nous chercherons à accroître au maximum les surfaces d’épandage, en particulier sur les pentes. Plus ces surfaces sont étendues, et moins le besoin de stockage est important ! Enfin, nous nous orienterons vers le stockage collectif, en particulier en cas de méthanisation, et tout équipement collectif n’est évidemment plus individuel !

Quand des investissements seront nécessaires, nous serons là pour encadrer et pour développer l’autoconstruction, afin de permettre aux agriculteurs de s’adapter sans être contraints à des investissements trop lourds.

Nous serons là également, dans le cadre du plan de modernisation, pour appliquer la partie qui pourrait concerner la mise aux normes en matière d’élevage.

Il faut donc cesser de considérer que l’application de cette directive va immédiatement se traduire par des investissements auxquels les éleveurs ne pourront pas faire face. Nous allons mettre en œuvre tout un processus, sans compter le calendrier d’application, que nous allons négocier.

J’ajoute que, sur cette question, nous sommes en train de revoir avec l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, l’IRSTEA, les critères scientifiques sur lesquels se fondent les risques d’eutrophisation, afin de déterminer, par exemple, si un tel risque existe avec une concentration de 18 milligrammes par litre d’azote. Un débat scientifique doit avoir lieu sur cette question.

À l’aide des retours effectués par les préfets et de ce travail scientifique, nous pourrons mesurer précisément ce qui se passe. Et une fois en possession de l’ensemble de ces éléments, nous irons négocier au niveau de la Commission. En effet, pour négocier avec la Commission, il nous faut nous appuyer sur des bases scientifiques extrêmement solides.

Voilà la situation, voilà la manière dont nous abordons le sujet. Cependant, je vous le dis sincèrement, la définition d’une zone vulnérable n’implique pas nécessairement des investissements de la part des exploitations. D’abord, certaines ont d’ores et déjà largement dépassé les capacités de stockage qui pourraient être demandées. Ensuite, je vous ai indiqué tous les éléments sur lesquels nous allons justement nous appuyer pour faire en sorte d’éviter, tout en respectant la réglementation européenne, de gros investissements pour l’élevage en France.

M. le président. La parole est à Mme Anne Emery-Dumas.

Mme Anne Emery-Dumas. Je vous remercie de ces précisions et des perspectives que vous nous offrez, monsieur le ministre.

Je souhaite que nous parvenions à trouver une solution qui permette de maintenir l’élevage, notamment dans le bassin allaitant. Il s'agit d’éviter ce qui se produit depuis de trop longues années, à savoir la reconversion des terres vers des activités de culture. Comme vous le savez, monsieur le ministre, l’arrêt de l’élevage sur certaines terres est généralement irréversible. Ce n’est pas ce que nous souhaitons.

privatisation du marché d’intérêt national de rungis

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 877, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, la presse s’est fait l’écho d’une éventuelle cession des parts détenues par l’État au sein de la Société d’économie mixte d’aménagement et de gestion du marché d’intérêt national de Rungis, ou SEMMARIS, en charge de l’exploitation du marché d’intérêt national, ou MIN, de Rungis.

Cette décision, si elle voyait le jour, aurait des conséquences graves sur le fonctionnement et l’existence même de ce marché, reconnu comme le premier marché de produits frais au monde. Plus de 1,5 million de tonnes de produits frais y sont vendues chaque année, alimentant quotidiennement des millions d’habitants.

Actuellement, l’État détient un tiers des parts. En cas de vente, la porte serait ouverte à une privatisation, à une logique répondant aux appétits financiers dans un territoire attractif, en forte mutation avec, notamment, les projets du Grand Paris Express.

Depuis que cette privatisation a été évoquée, les élus, notamment du Val-de-Marne, mais également les professionnels des fruits, des légumes, des volailles ou des fleurs sont très inquiets.

Ce sont près de 12 000 personnes qui travaillent au MIN, sans compter les 100 000 emplois indirects induits en France, comme vient de le confirmer l’étude du cabinet Utopies.

Hier, un vœu des groupes Front de gauche et Europe Écologie-Les Verts du conseil général du Val-de-Marne a été adopté à l’unanimité contre la privatisation, afin de préserver le MIN de Rungis tant dans sa fonction, son statut que dans son périmètre, à l’heure où le foncier se fait rare et cher.

Les conseillers généraux se sont ainsi prononcés en faveur de la prorogation de la concession de service public jusqu’en 2050, avec un alignement de la convention de gestion dévolue à la SEMMARIS sur la même échéance.

Monsieur le ministre, ma question est donc simple : pouvez-vous me confirmer si ce scénario de cession des parts de l’État, actuellement à l’étude, risque d’aboutir ou si, au contraire, la participation de l’État n’est absolument pas remise en cause au sein de ce marché alimentaire historique ?

Vous savez comme moi que le MIN, de par la concession de service public qui préside à son fonctionnement actuel, est garant de la sécurité alimentaire et donc de la santé publique. Il serait dangereux de mettre cela en péril. Notre inquiétude est grande, compte tenu notamment de ce qui s'est passé pour les autoroutes.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, comme vous l’avez vous-même indiqué, vous évoquez des rumeurs de presse. Celles-ci sont cependant directement liées à la fin de la concession attribuée à la SEMMARIS, fin qui est prochaine et à l’occasion de laquelle nous devrons nous prononcer. Mais, au-delà de cette fin de concession, il y a des perspectives d’investissement, étant entendu que nous devons être capables de donner à la SEMMARIS le futur cadre pour la poursuite d’un service d’intérêt public auquel je suis personnellement particulièrement attaché.

Nous sommes en train de travailler pour faire en sorte que cette fin de concession débouche sur une solution. Vous avez rappelé le service d’intérêt général et public qui est rendu par la SEMMARIS. Vous en avez souligné les enjeux : le marché d’intérêt national de Rungis est le plus grand du monde, d’après les derniers chiffres dont nous disposons, une véritable ville au sein de la ville, où se développent en particulier la vente et la promotion de produits français de qualité, et ce au niveau international, un lieu où beaucoup s’approvisionnent pour assurer l’alimentation de la région parisienne. Il s'agit donc d’un enjeu d’intérêt général, d’intérêt public auquel je suis, je le répète, attaché.

Cela étant dit, la prolongation de la concession et la forme qu’elle prendra sont en cours de discussion. Nous essayerons de trouver la meilleure formule pour que la SEMMARIS et le MIN de Rungis continuent à assurer le service majeur qu’ils offrent à toute la région parisienne.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, j’entends dans votre réponse votre attachement au MIN de Rungis et au service public. Considérez donc ma question comme un point d’appui, de même que le vœu des conseillers généraux unanimes, toutes sensibilités politiques confondues !

Nous savons notamment que le groupe Altarea, intéressé par la récupération de terrains en termes fonciers, exerce un important lobbying auprès des cabinets ministériels et des élus. Voilà mon souci.

Vous soulignez votre attachement à ce grand marché d’intérêt public et cherchez une solution. La solution, je pense que vous l’avez entendue par ma voix : c’est le maintien d’une participation très forte de l’État afin que ce marché reste sous son contrôle.

Par ailleurs, si ma question évoque des rumeurs véhiculées par voie de presse, celles-ci, vous le savez, monsieur le ministre, recèlent toujours une part de vérité…

M. Stéphane Le Foll, ministre. C'est vrai !

Mme Laurence Cohen. En tout cas, lorsque ce genre de rumeurs circule, il est important que les personnes directement intéressées, que ce soient les professionnels du marché, les élus, les actionnaires – je pense notamment à la Ville de Paris, au conseil général, à la Caisse des dépôts et consignations – et les Val-de-Marnais soient tout à fait informés. C'est selon moi le meilleur moyen d’exercer la démocratie et de trouver les solutions optimales, dans l’intérêt de nos concitoyens.

viticulture dans le département de l’aude

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 883, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, comme vous le savez, la terre d’Aude est dans une situation des plus préoccupantes depuis le cataclysme qui a ravagé près de 15 000 hectares agricoles, le 6 juillet dernier. Certes, il n’y a pas eu de victimes humaines, mais les blessures morales et les conséquences sociales et économiques sont, elles, très profondes pour ces femmes et ces hommes qui ont vu leurs parcelles de vignes, d’arbres fruitiers, de maraîchage ou de tournesols entièrement dévastées.

En fait, ce dimanche 6 juillet, le ciel est tombé sur un tiers du vignoble audois. Un véritable cataclysme ! La récolte de 2014 a été anéantie ; or peu de viticulteurs sont assurés. Nous sommes donc en situation de grande urgence. De surcroît, d’importantes parts de marchés difficilement gagnées par le passé sont aujourd’hui perdues.

Mais, plus grave encore, les conséquences seront lourdes aussi pour les récoltes de 2015 et de 2016, tant les pertes de fonds sont importantes. Et tout cela alors que notre viticulture se relevait tout juste de six années de crise et d’arrachages successifs !

Lors de votre visite sur le terrain, monsieur le ministre, qui a été particulièrement appréciée et dont je vous remercie, vous avez pu constater l’ampleur du désastre. Dans un tel contexte, il y a urgence à aider les viticulteurs sinistrés.

Pouvez-vous faire le point sur les mesures qui ont été engagées : dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, prise en charge des prêts de trésorerie et des intérêts sur les prêts professionnels, prise en charge, auprès des caisses de la Mutualité sociale agricole, des cotisations sociales ?

Sur ce dernier point, le syndicat des vignerons nous a fait part de ses plus vives préoccupations concernant le montant de l’enveloppe. Certes, l’annonce faite par vos soins, monsieur le ministre, d’une enveloppe de prise en charge des cotisations sociales passant de 15 millions à 23 millions d’euros a suscité beaucoup d’espoirs. Cependant, les propos tenus par certains responsables sur le plan régional ont tempéré lourdement un certain optimisme.

Je rappelle que les viticulteurs audois estiment la prise en charge nécessaire à hauteur de 2,5 millions d’euros. Je veux donc croire, compte tenu du contexte que je viens de décrire, que les taux de prise en charge ne seront pas en deçà des attentes.

Le monde viticole vous fait confiance, monsieur le ministre. Il attend beaucoup de vous sur ce dossier de la Mutualité sociale agricole, tout comme il attend beaucoup de vous sur d’autres dossiers : je pense notamment aux menaces pesant sur les exonérations de cotisations salariales liées aux contrats « vendanges » ; je pense aussi à la demande forte de la profession de voir rétablie sur le plan européen, pour 2015, l’aide aux moûts concentrés ; je pense en outre aux mesures en faveur des exploitants agricoles qui s’engagent à souscrire une assurance climatique et, enfin, aux inquiétudes soulevées par la réforme du forfait agricole.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je sais que vous êtes mobilisé depuis très longtemps sur les questions viticoles, en particulier dans le département de l’Aude.

Tout d’abord, je ne comprends pas, je n’accepte pas et je condamne le fait que l’on ait pu, dans l’Aude, dégrader les locaux d’une Mutualité sociale agricole.

La Mutualité sociale agricole – je le rappelle à tous les agriculteurs – représente certes des cotisations à payer, mais également des prestations rendues. Dans les pays où il n’existe pas de mutuelle pour se protéger des accidents et de la maladie, c’est l’assurance qui intervient. Or, partout où il existe un système assurantiel, celui-ci coûte beaucoup plus cher et assure une moins bonne protection que le système mutualiste. Comme je l’avais déjà dit lors des incidents qui se sont produits en Bretagne, je répète que s’attaquer à la MSA au nom des charges, c’est oublier les prestations et oublier qu’un système mutualiste est le meilleur système pour se protéger contre les accidents et la maladie.

Monsieur le sénateur, vous m’avez interrogé sur plusieurs points. Oui, je confirme l’augmentation de l’enveloppe de la caisse centrale de la MSA de 15 millions à 23 millions d’euros. J’ai pu constater, dans l’Aude, la catastrophe qui a affecté près de 15 000 hectares. Je veillerai personnellement à l’application des mesures, en fonction des critères que j’avais indiqués à l’époque, afin que les coopératives et les viticulteurs qui ont subi cet aléa climatique majeur puissent passer cette période difficile.

La préfecture, le travail qui est engagé, les crédits qui ont été augmentés de près de 50 % sont là pour apporter les réponses nécessaires à cette situation. J’ajouterai les négociations qui sont en cours sur les prêts bancaires – c'est un point important – ainsi que sur la taxe sur le foncier non bâti. Bien entendu, l’ensemble du dispositif sera mis en place pour permettre une aide nécessaire et absolument légitime : les dégradations subies par ces 15 000 hectares sont en effet irréversibles pour la récolte de cette année, et les conséquences seront également lourdes pour les années suivantes compte tenu des importantes pertes de fonds.

Vous m’avez interrogé sur les moûts concentrés rectifiés, monsieur le sénateur, un débat qui date de la fameuse OCM viti-vinicole négociée en 2008-2009. Nous sommes revenus sur les droits de plantation, mais la question des moûts concentrés reste en suspens. Je me suis engagé à rouvrir le débat sur ce point avec la future Commission afin d’offrir le choix entre le saccharose et des moûts concentrés, qui sont d’ailleurs très utiles pour valoriser une partie de la production viticole.

Je suis mobilisé sur ce sujet comme je l’ai été sur celui des droits de plantation. À moi de trouver des accords et de travailler avec les autres pays européens, car je me suis engagé sur cette question.

S’agissant du contrat « vendanges », je rappellerai deux choses.

Monsieur le sénateur, nous avons décidé de supprimer les exonérations liées au contrat « vendanges », parce qu’elles sont de même nature que les exonérations de charges salariales sur les bas salaires proposées par le Gouvernement et censurées par le Conseil constitutionnel. Se substitue donc à cette disposition la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, qui vaut pour tout le monde.

Le caractère spécifique du contrat « vendanges » est maintenu, en particulier la possibilité de le cumuler avec un congé salarié ou un emploi de fonctionnaire. Seul le dispositif d’exonération des charges salariales a été supprimé.

S’agissant de la question des assurances climatiques, nous sommes obligés de travailler sur un projet global en raison de la demande légitime de la profession de pouvoir s’assurer contre les aléas climatiques. Nous avons connu de tels aléas en Gironde, en Languedoc-Roussillon… Leur intensité et leur fréquence étant de plus en plus importantes, nous devons être capables de mettre en place un système assurantiel.

Un travail – technique – est engagé avec les coopératives et les grandes banques afin de développer des produits d’assurance et de mettre en place une mutualisation. J’insiste sur ce dernier point : la mutualisation est essentielle, car si l’on demande aux personnes les plus fragiles, les plus soumises aux aléas climatiques de payer une assurance, cela ne marchera pas non plus ! Ce sera trop cher, donc impossible à mettre en œuvre ! La mutualisation est par conséquent indispensable. D’ici à la fin de l’année, nous serons en mesure de vous faire des propositions. Il s’agit d’un travail à la fois long et lourd.

J’ajouterai encore un point, monsieur le sénateur : nous enverrons à tous les parlementaires un document sur l’application du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE, filière par filière. S’agissant de la filière viticole, la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité devrait permettre d’enregistrer 60 millions d’euros d’allégements de charges supplémentaires entre 2014 et 2015, le total des allégements de charges sur le coût du travail dans la viticulture s’élevant, en 2015, à 344 millions d’euros.

Cette baisse, qui s’ajoute au maintien du dispositif des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi, les TO-DE, ainsi qu’à l’ensemble des mesures déjà prises, est un choix stratégique qui doit permettre à la viticulture de poursuivre son développement.

Le grand Languedoc-Roussillon a été exemplaire depuis quinze, vingt ans dans sa restructuration, dans sa nouvelle ambition, dans la montée en gamme des produits viticoles. Je tiens à vous dire que ces baisses du coût moyen du travail constituent une potentialité supplémentaire pour investir encore dans les choix stratégiques que la filière a faits depuis longtemps en faveur de la qualité et de l’exportation.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Je remercie M. le ministre. Je savais que l’on pouvait lui faire confiance.

désertification médicale en seine-saint-denis

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 838, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Gilbert Roger. Je souhaite attirer l’attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur les nombreuses ouvertures de maisons médicales dans le département de la Seine-Saint-Denis, dont un grand nombre en zone franche urbaine, ou ZFU.

Ces structures bénéficient, pour la plupart, d’un soutien des communes, du conseil général et de l’agence régionale de santé. Elles attirent des professionnels de santé exerçant une activité libérale grâce à des loyers très modérés et des avantages en nature importants, tels que la mise à disposition de personnels de secrétariat et d’accueil, d’outils informatiques de gestion des dossiers de soins et de matériels médicaux onéreux. À cela s’ajoutent les exonérations de charges fiscales et sociales qu’offre l’implantation en zone franche urbaine.

Il est impossible, pour les centres médicaux de Seine-Saint-Denis qui ne sont pas implantés en ZFU, de résister à une telle concurrence. C’est notamment le cas du centre médical de Bondy, situé en centre-ville, que les médecins libéraux délaissent au profit de la nouvelle structure médicale de Clichy-sous-Bois, installée en zone franche urbaine.

Le seul dermatologue du cabinet de Bondy vient de donner son congé et rejoindra en octobre la maison médicale clichoise. Son non-remplacement fragilise l’équilibre du centre médical, qui reçoit en moyenne 1 200 patients par semaine. La disparition de ce centre mettrait en péril l’offre de soins aux Bondynoises et aux Bondynois.

Aussi, je souhaiterais savoir quelles mesures le Gouvernement compte prendre afin de remédier à cette situation qui fragilise les communes à l’intérieur d’un même département, alors qu’elles connaissent déjà des difficultés pour attirer les professionnels de santé.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur Gilbert Roger, améliorer l’accès aux soins de proximité est l’une des priorités du Gouvernement.

Dès 2012, Mme Marisol Touraine, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce matin, a lancé le pacte territoire-santé.

Le soutien à l’exercice regroupé à travers les maisons de santé pluri-professionnelles ou les centres de santé est donc l’un des éléments clés de la lutte contre les déserts médicaux – le terme « désert » n’étant, en l’espèce, pas contradictoire avec l’existence d’une forte densité de population – menée dans le cadre de ce pacte.

Ces structures répondent aux aspirations des professionnels de santé, qui souhaitent désormais travailler autrement : ils ne veulent plus être isolés, mais exercer ensemble, et veulent pouvoir proposer à leurs patients une prise en charge coordonnée et continue.

Ces structures répondent aussi à l’évolution des besoins de la population qui ont changé sous l’effet conjugué du développement des pathologies chroniques et du vieillissement : il faut être en mesure de proposer une prise en charge au long cours incluant, par exemple, davantage de prévention.

Les premiers éléments de bilan du pacte montrent bien qu’une nouvelle dynamique est lancée. Les projets d’exercice coordonné sont en plein essor, confirmant ainsi qu’ils répondent aux attentes des professionnels de santé : entre 2012 et 2013, le nombre de maisons de santé pluri-professionnelles a plus que doublé, passant de 174 à 370 ; en 2014, on devrait en compter plus de 600.

Sous l’impulsion de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, une négociation entre l’assurance maladie et les représentants des professionnels de santé est en cours. Elle doit permettre de mettre en place une rémunération d’équipe, adaptée à ces nouvelles organisations.

Dans le département de la Seine-Saint-Denis, quatre projets de maisons de santé pluri-professionnelles – à Clichy-sous-Bois, Drancy, Épinay et Pierrefitte – ont été financés par l’agence régionale de santé, et seule la maison de santé de Clichy-sous-Bois est située en ZFU.

La collaboration entre ces structures et les cabinets de ville est envisageable. La possibilité pour certains spécialistes d’effectuer des consultations en dehors de leur lieu habituel d’exercice est autorisée L’agence régionale de santé est à la disposition des professionnels et des structures pour envisager des solutions localement adaptées aux difficultés de toutes sortes et pour prévenir d’éventuels effets de relocalisation non désirée des professionnels de santé.

L’attention de l’agence régionale de santé d’Île-de-France a été attirée spécifiquement sur l’effet d’attraction instauré par la maison de santé implantée en ZFU et le risque de fragilisation de l’offre de soins de Bondy qui en résulte.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse ; je note cependant que, au fond, on déshabille Pierre pour habiller Paul !

Si des efforts sont nécessaires pour Clichy-sous-Bois, ville que je connais bien, la suppression de services dans la ville de Bondy, située à quelques kilomètres de là et tout aussi fragile, n’est à mon avis pas une bonne solution.

prise en charge des hépatites b et c

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 848, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’hépatite B et l’hépatite C sont reconnues de longue date en France comme une priorité de santé publique et ont fait l’objet, depuis 1999, de trois plans nationaux, concernant aussi bien la prévention que la prise en charge et la recherche.

Les hépatites représentent un problème majeur de santé publique, avec plus de 500 000 personnes touchées en France et près de 4 000 décès chaque année.

La lutte contre ces pathologies a récemment connu une révolution avec l’arrivée de traitements beaucoup mieux tolérés, permettant des taux de guérison spectaculaires.

Toutefois, les prix annoncés par les laboratoires, en particulier Gilead, sont prohibitifs : de 60 000 à 80 000 euros pour une cure de trois mois !

De nombreuses associations s’inquiètent donc de l’accès équitable à ce traitement et craignent que cela n’entraîne une perte d’espérance de vie, la survenue de complications et d’incapacités liées à la maladie ou encore le recours à des traitements moins coûteux, mais moins efficaces, ce qui est d’autant plus regrettable que l’arrivée de nouveaux traitements beaucoup plus efficaces et dont les effets secondaires sont nettement moindres laisse entrevoir la possibilité d’éradiquer cette épidémie.

Madame la secrétaire d’État, je sais que le Gouvernement est en pleine négociation avec le laboratoire en question et que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 prévoit un mécanisme d’urgence spécifique sur ce cas précis.

Pouvez-vous nous garantir que tous les malades de l’hépatite C, et pas seulement les cas les plus graves, auront accès à ce traitement ?

Et puisque nous risquons d’être de plus en plus souvent confrontés à ce genre de situation pour d’autres pathologies et d’autres traitements de pointe très coûteux, quel système pérenne, à long terme, comptez-vous mettre en place pour éviter que les cas de ce genre ne se multiplient ?

Enfin, quelle place souhaitez-vous laisser aux personnes infectées et malades qui souhaitent être associées aux discussions et aux négociations, notamment dans les différents groupes de travail, en particulier ministériels ou interministériels, ainsi qu’au sein du Comité économique des produits de santé, le CEPS ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, en France, 200 000 personnes sont touchées par le virus de l’hépatite C et 3 000 en décèdent chaque année.

De nouveaux médicaments – les antiviraux d’action directe – ont fait récemment leur apparition sur le marché et révolutionnent les traitements contre l’hépatite C : ils sont plus efficaces, mieux tolérés, et présentent des taux de guérison nettement plus élevés.

Cependant, les prix demandés par les laboratoires font peser un risque trop important sur les dépenses d’assurance maladie, qui les prend intégralement en charge, en France comme dans le reste des pays européens.

Marisol Touraine est profondément attachée à ce que, dans notre pays, chacun ait accès à des soins de qualité et puisse bénéficier de l’innovation thérapeutique.

Des négociations ont donc été engagées par le Comité économique des produits de santé avec le laboratoire concerné pour fixer les prix sur la base desquels se feront les remboursements de ces traitements. Ces négociations devraient aboutir avant la fin de l’année.

Compte tenu des enjeux, le Gouvernement a sensibilisé ses partenaires européens à l’intérêt d’une démarche commune pour faire baisser les prix demandés par les producteurs.

Il propose en outre, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, la mise en place d’un mécanisme de régulation spécifiquement adapté aux dépenses liées au traitement de l’hépatite C s’appliquant au cas où cette négociation ne permettrait pas de faire baisser le prix de ces traitements.

En quoi consiste ce mécanisme ? En cas de dépassement d’un seuil fixé à 450 millions d’euros en 2014 et à 700 millions d’euros en 2015, les laboratoires devront reverser une contribution à l’assurance maladie, calculée notamment en fonction de leur chiffre d’affaires.

Notre choix est celui d’un équilibre entre la nécessaire rémunération de l’innovation et la recherche d’un juste prix pour les patients et la collectivité.

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Je me félicite du caractère positif de cette intervention sur les traitements de l’hépatite.

Plus généralement, la question reste posée : nous serons certainement confrontés à des cas semblables à propos d’autres pathologies et d’autres traitements de pointe. Il me semblerait donc nécessaire de chercher une solution pérenne, de façon qu’un même mécanisme s’applique dans d’autres cas.

mise en œuvre du logo triman

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 876, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, mais à laquelle c’est, là encore, Mme Rossignol qui répondra.

M. Yves Détraigne. Madame la secrétaire d’État, j’ai en effet souhaité appeler l’attention de Mme la ministre de l’écologie sur le retard pris dans la mise en œuvre, prévue au 1er janvier 2015, de la signalétique commune applicable aux produits recyclables soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs : il s’agit du logo dit « Triman ».

Le 7 mai dernier, à une question orale par laquelle je demandais où en était le décret d’application de cette mesure, M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget, me répondait que cette signalétique commune de tri suscitait des interrogations de la part des entreprises et que le Gouvernement continuait son travail « sur le projet de décret mettant en place les modalités pratiques de la signalétique commune, pour aboutir dans les meilleurs délais à une application simple et efficace de cette mesure, qui prenne en compte les contraintes des entreprises et ne remette aucunement en cause la compétitivité de ces dernières ».

Aujourd’hui, on apprend que le projet de décret, tel qu’il est rédigé, est totalement vidé de sa substance et privé de toute portée pratique. En effet, le texte réglementaire qui doit être publié en novembre, après avis du Conseil d’État, énoncerait que « le pictogramme peut être apposé, par ordre de préférence, sur le produit, sur son emballage, sur la notice d’utilisation ou sur tout autre support, comme un site internet ou une information en rayon ».

La possible « dématérialisation » du logo Triman fait totalement disparaître son intérêt puisqu’il s’agissait de favoriser la connaissance par l’acheteur du caractère recyclable des produits d’usage courant, comme les emballages en plastique ou en métal, et de l’inviter à leur donner sa préférence.

Pourtant, lors des débats en séance publique sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, le 9 décembre 2013, le Gouvernement, par la voix du ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, avait soutenu ce dispositif, que j’avais réintroduit dans le texte par voie d’amendement avec l’appui de la rapporteur pour avis de la commission du développement durable de l’époque, c’est-à-dire vous-même, madame la secrétaire d’État.

Le Gouvernement avait alors déclaré que Triman correspondait « à la nécessité de faire du recyclage une priorité » et qu’il était, « outre ses bénéfices environnementaux, créateur d’emplois pérennes et non délocalisables ». Il avait clairement précisé que, au vu des expérimentations en cours, un tel affichage n’entraînait aucun surcoût.

Considérant qu’il convient de rester cohérent avec la position prise par le Gouvernement devant la Haute Assemblée, je souhaite que le Gouvernement veuille bien réexaminer ce dossier et revoir le projet de décret, afin que le logo Triman soit connu et reconnu par l’ensemble des consommateurs comme une incitation à participer à l’effort collectif de tri et de recyclage, ce qui implique qu’il ne soit pas dématérialisé.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Ségolène Royal, qui ne pouvait être présente ce matin. Elle m’a chargée d’apporter quelques éléments de réponse à votre question.

La signalétique commune dénommée « Triman » prévue par la loi a pour objet de fournir une information aux consommateurs sur tous les produits qu’ils sont invités à trier. Comme vous l’indiquez, ce dispositif a été confirmé par la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises.

La mise en place de cette signalétique est une mesure structurante pour améliorer le tri et le recyclage des déchets ménagers. Ainsi, elle participe à la transition vers un nouveau modèle d’économie circulaire. Cet engagement est une source majeure d’innovation, de compétitivité et d’emplois non délocalisables.

Cette signalétique doit notamment contribuer à la réalisation des objectifs que Mme Royal a souhaité inscrire dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, voté le 14 octobre dernier en première lecture à l’Assemblée nationale, objectifs parmi lesquels figure la valorisation de 60 % des déchets non dangereux d’ici à 2025.

Cette transition implique l’évolution de notre société vers de nouveaux modes de consommation, préférant le « durable » au « jetable », et exige notamment de progresser dans les gestes de tri grâce à une meilleure information et à l’éducation à l’environnement et au développement durable.

Cet effort, qui mobilise chaque Français, ne doit pas pour autant se traduire par des contraintes normatives démesurées pour les entreprises. Il doit, autant que possible, privilégier les solutions les plus adaptées aux contraintes de chaque produit ou marché. C’est la raison pour laquelle la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a souhaité introduire davantage de souplesse dans sa mise en œuvre opérationnelle, sans se détourner de l’objectif initial.

Ainsi, le projet qu’elle a transmis au Conseil d’État préserve l’objectif de la mesure, qui est, vous l’avez souligné, d’informer le consommateur et de l’inciter à participer à l’effort collectif de tri et de recyclage.

La signalétique restera commune à toutes les filières de recyclage, comme le prévoit la loi, et devra être associée à tous les produits recyclables. Elle figurera, par ordre de préférence, sur le produit, l’emballage, la notice ou tout support, notamment dématérialisé, pour tenir compte de la difficulté matérielle d’un affichage direct sur certains produits. Il est par ailleurs prévu que l’ADEME – Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – organise une communication pour accompagner le déploiement de ce marquage.

Enfin, compte tenu de la date rapprochée de l’entrée en vigueur du dispositif, les metteurs sur le marché pourront profiter du premier semestre de l’année 2015 pour s’adapter. Pendant cette période, les éventuels contrôles resteront à caractère pédagogique.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Je comprends qu’il puisse y avoir des difficultés à apposer le logo Triman sur certains produits. Cela étant, si la dématérialisation peut être prévue dans certains cas exceptionnels, il est évident que l’objectif du logo ne sera atteint que s’il est, chaque fois que c’est possible, clairement apposé sur le produit. Ainsi, l’acheteur sera bien conscient que ce produit est recyclable, ce qui l’incitera à faire le geste de tri.

Mon intervention avait donc pour but d’insister sur ce point, madame la secrétaire d’État : la dématérialisation du logo doit demeurer l’exception.

refus de dérogations en faveur de jeunes apprentis embauchés par des collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir, auteur de la question n° 880, adressée à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. C’est encore Mme Laurence Rossignol qui apportera la réponse…

Il faudrait tout de même que les ministres à qui les questions s’adressent s’habituent à venir répondre en personne devant la Haute Assemblée.

M. Rachel Mazuir. Je ne doute pas, monsieur le président, que Mme la secrétaire d’État chargée de la famille me répondra de manière tout à fait pertinente.

J’ai souhaité appeler l’attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour recruter et former leurs apprentis.

Françoise Laurent-Perrigot avait posé à ce sujet une question écrite en date du 10 octobre 2013, mais elle n’a pu obtenir de réponse avant la fin de son mandat.

La loi du 17 juillet 1992 portant diverses dispositions relatives à l’apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail prévoit que des personnes morales de droit public dont le personnel ne relève pas du doit privé peuvent conclure des contrats d’apprentissage. Elle dispose également que ces contrats relèvent du droit privé.

Dans ce cadre, le département de l’Ain emploie des apprentis qui suivent une formation pratique dans les cuisines de restauration collective des collèges.

Les règles applicables en matière d’hygiène et de sécurité dans les services des collectivités sont définies par les livres Ier à V à de la quatrième partie du code du travail et par les décrets pris pour leur application.

Les apprentis peuvent être amenés à effectuer certaines tâches qui, du fait de leur minorité, leur sont interdites. Au regard des dispositions des articles R. 4153-40 et R. 4153-41 du code du travail, l’employeur ou le chef d’établissement de formation peut présenter une demande de dérogation à l’inspection du travail pour être autorisé à affecter ces jeunes à certains travaux nécessaires à leur formation professionnelle.

Or l’unité territoriale de la direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, saisie d’une demande de dérogation pour des apprentis mineurs employés par le département de l’Ain, s’est déclarée incompétente.

Pourtant, même si ces apprentis sont employés par des collectivités territoriales, leurs contrats de travail ressortissent bien au droit privé. De la même manière, les articles 17 et 18 de la loi de 1992 précitée prévoient que, dans ses relations avec ses apprentis, la collectivité territoriale est un employeur de droit commun. À ce titre, l’inspection du travail devrait donc être habilitée à délivrer ces dérogations.

Cette déclaration d’incompétence conduit en outre à créer une discrimination entre les apprentis mineurs employés par des entreprises privées, qui peuvent obtenir des dérogations au titre des articles R. 4153-40 et R. 4153-41 du code du travail, et ceux embauchés par les collectivités territoriales, pour lesquels toute dérogation est interdite.

La récente loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale ne prévoit aucune disposition permettant de mettre fin à ce vide juridique ; c’est la raison pour laquelle je souhaite connaître les mesures qu’entend prendre le Gouvernement pour résoudre cette anomalie.

J’ajoute que, dans sa question, Mme Laurent-Perrigot invoquait les dispositions de la directive européenne du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail pour autoriser les employeurs à évaluer eux-mêmes les risques encourus par leurs apprentis et mettre en place les mesures nécessaires sous le contrôle de l’inspection du travail. Il y a là de quoi être un peu surpris : cela donne à penser que la directive européenne serait plus souple que notre droit ! Faut-il croire que, en France, on laverait plus blanc que blanc ?

Je souhaite donc recueillir l’avis du Gouvernement sur cet autre point.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui est retenu par une réunion à l’Organisation internationale du travail.

Pour faire suite à votre remarque, monsieur le président, je me permettrai d’observer simplement que, au cours de cette séance de questions orales six ministres et secrétaires d’État se seront succédé au banc du Gouvernement pour répondre à dix-huit questions, ce qui me paraît témoigner du respect que celui-ci porte à la Haute Assemblée.

Monsieur Mazuir, les dispositions relatives à la quatrième partie du code du travail sur la santé et la sécurité au travail s’appliquent, conformément à l’article L. 4111-1, aux employeurs de droit privé ainsi qu’aux travailleurs. Elles sont également applicables aux établissements publics à caractère industriel et commercial, aux établissements publics administratifs lorsqu’ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé, ainsi qu’aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux.

En conséquence, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer aux collectivités territoriales. Ces dernières n’ont donc pas à demander une dérogation à l’interdiction d’emploi à des travaux dangereux d’apprentis mineurs, comme la DIRECCTE l’a indiqué à bon droit.

Dans le rapport remis en février dernier par les missions d’inspection sur les freins non financiers au développement de l’apprentissage, il a été préconisé d’encadrer les conditions d’emploi des apprentis mineurs.

Comme cela a été précisé dans le plan de relance de l’apprentissage annoncé à l’issue de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet derniers, un travail sera engagé sur cette question. Il devra naturellement tenir compte des règles applicables aux employeurs privés.

M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir.

M. Rachel Mazuir. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Je souhaite seulement que les choses aillent vite, car je suis impatient de voir nos petits apprentis en mesure de se former !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à dix heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

arrêt du réacteur nucléaire osiris et risque de pénurie de radioéléments à usage médical

M. le président. La parole est à M. Michel Berson, auteur de la question n° 868, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Michel Berson. En vérité, monsieur le président, ma question concerne également le ministère de la santé.

Le réacteur expérimental Osiris, implanté en Essonne, au centre de Saclay du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA, devrait être arrêté à la fin de l’année 2015.

Ce réacteur est le seul en France, et l’un des huit au monde, à produire des radio-isotopes utilisés en médecine nucléaire, notamment en imagerie médicale, lors d’examens scintigraphiques.

Ces examens, dont le nombre s’élève à plus d’un million par an dans notre pays, permettent de dépister des cancers, ainsi que des affections cardiaques, osseuses, rénales, pulmonaires ou neurologiques.

L’arrêt programmé du réacteur Osiris à la fin de l’année 2015 risque donc d’entraîner une pénurie de radio-isotopes indispensables au diagnostic de ces pathologies. L’Académie de médecine s’est d’ailleurs émue de cette situation inquiétante, considérant qu’il s’agissait là d’une question majeure de santé publique.

Mais pourquoi doit-on fermer le réacteur Osiris ? Pour des raisons parfaitement compréhensibles de sûreté nucléaire d’un réacteur exploité depuis plus de quarante ans !

Dès 2008, l’Autorité de sûreté nucléaire avait signifié que le réacteur devait être fermé, au plus tard, en 2015.

En 2008 et 2010, des travaux de rénovation ont été réalisés et, en 2013, le CEA a demandé le report de la fermeture du réacteur Osiris à 2018, afin d’attendre que le nouveau réacteur, dénommé « Jules Horowitz », en cours de construction au centre de Cadarache, prenne le relais.

Nous le savons aujourd'hui, les retards du chantier de construction, ainsi que la prise en compte des nouvelles normes de sécurité, très contraignantes, dites post-Fukushima, risquent de reporter encore l’ouverture du réacteur Jules Horowitz à l’horizon 2020.

Ma question est donc double. Le Gouvernement peut-il confirmer aujourd'hui à la représentation nationale la fermeture du réacteur Osiris à la fin de l’année 2015 ? Et si cette fermeture intervient effectivement au 31 décembre 2015, comment la demande française de radio-isotopes sera-t-elle satisfaite entre 2016 et 2018, voire 2020 ?

Cette dernière question se pose avec d’autant plus d’acuité que deux des sept autres réacteurs produisant des radio-isotopes dans le monde seront fermés entre 2016 et 2018.

Devant la grande inquiétude exprimée par le monde médical, quelle réponse le Gouvernement peut-il apporter aujourd'hui ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Michel Berson, le réacteur expérimental Osiris de Saclay, exploité par le CEA, est utilisé majoritairement pour les besoins du parc électronucléaire, mais il contribue également, vous l’avez indiqué, à la production mondiale de radioéléments à usage pharmaceutique ou de diagnostic, tel que le technétium-99 métastable, ou Tc-99m.

À la suite d’un travail interministériel approfondi, le 9 décembre 2013, le comité de l’énergie atomique, où je représentais le Gouvernement, a décidé d’un arrêt programmé à la fin de l’année 2015, après avoir pris acte de l’analyse de la situation mondiale prévisible au cours des prochaines années en matière de production de radionucléides à usage pharmaceutique et des moyens de substitutions pressentis par le ministère de la santé.

Compte tenu de l’importance du sujet et des enjeux que vous avez très bien décrits, et à ma demande, la décision du comité a été prise sous deux réserves, qui ont été clairement exprimées au directeur général de la santé, alors présent.

Premièrement, ainsi que vous l’avez rappelé, dans son avis du mois de février 2014, l’Académie de médecine souligne la nécessité d’une continuité d’approvisionnement en technétium-99 métastable pour répondre à des indications médicales en nombre limité, six précisément, pour lesquelles ce radionucléide est jugé indispensable.

Deuxièmement, la mission de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR, confiée à MM. Déroche et Lavigne, a rappelé qu’Osiris devait être considéré à sa juste place dans la filière d’approvisionnement.

La production de technétium doit être examinée dans une perspective mondiale. Neuf réacteurs sont actuellement en activité au niveau mondial et Osiris représente 8 % de la capacité annuelle de production de ces réacteurs.

À court terme, il est prévu d’ici à 2016 d’arrêter deux de ces neuf réacteurs, mais de faire monter en puissance deux autres réacteurs et, entre 2017 et 2020, d’en mettre six nouveaux en service, dont le réacteur Jules Horowitz.

En outre, il est possible d’augmenter temporairement la capacité de production standard d’un ou plusieurs réacteurs ; ainsi, le doublement de production d’un réacteur comme le réacteur belge BR2 peut, en cas de besoin, permettre d’atteindre 40 % à 65 % de la production mondiale nécessaire chaque semaine.

À moyen terme, d’ici à 2020, ce sont douze réacteurs qui devraient être mis en service dans le monde.

La conclusion a donc été que le maintien en activité du réacteur Osiris n’était pas déterminant pour éviter un éventuel risque de pénurie de radiopharmaceutiques pendant la période critique 2016-2018.

La mission qui avait été demandée par le comité de l’énergie atomique a par ailleurs formulé des recommandations pour les différentes indications substituables, soit 90 % des indications actuelles du technétium-99 métastable, afin de consolider les pratiques ne faisant pas appel au technétium ou en réduisant l’usage.

Ces pratiques, qui permettent un rendu médical équivalent, existent déjà. Elles ne sont pas encore généralisées, pour des raisons réglementaires ou de mode de gestion des équipements. La mise en place d’un comité de pilotage national pour traiter de la question avec l’ensemble des parties prenantes, et notamment les médecins prescripteurs, permettra de développer ces pratiques, à l’instar de ce qui a été fait concernant la radiothérapie.

Dans l’hypothèse d’un maintien de l’activité du réacteur Osiris, le risque de sécurité nucléaire inhérent à la non-conformité de l’installation se serait d’ailleurs substitué au risque sanitaire supposé. L’investissement destiné à favoriser l’évolution des pratiques professionnelles, et donc la réorganisation de l’offre de l’imagerie pour les indications substituables, apparaît bien plus efficace que celui qui aurait été nécessaire pour le maintien en conformité d’Osiris.

M. le président. La parole est à M. Michel Berson.

M. Michel Berson. Je remercie Mme la secrétaire d’État de nous avoir apporté des réponses très précises et circonstanciées sur le risque, qui est devant nous, d’être victimes d’une pénurie de production de radioéléments indispensables à un certain nombre d’examens médicaux.

Madame la secrétaire d’État, votre réponse me rassure : vous avez évoqué des moyens de substitution, des conditions précises… Le panel d’autres solutions devrait permettre de tenir jusqu’en 2018, voire 2020.

Cependant, le remplacement de l’utilisation du technétium-99 métastable par d’autres moyens ou technologies n’est pas possible pour 30 % des examens très pointus qui sont réalisés aujourd'hui. Certes, on peut recourir à des examens en tomographie par émission de positons, le fameux TEP, mais de tels examens ont un coût extrêmement élevé et leur nombre est nécessairement fort limité, car le parc français de TEP est, vous le savez, aujourd'hui très insuffisant.

Enfin, j’ai bien compris que, si le risque sanitaire se révélait avéré en raison d’une réelle pénurie de production de radio-isotopes Tc-99 m, l’Autorité de sûreté nucléaire ainsi que le comité de l’énergie atomique, au sein duquel vous siégez, prendraient les mesures appropriées.

Malgré votre réponse précise, tout n’est donc pas réglé et le problème demeure. Nous serons bientôt en 2015 ; or il nous faudra tenir jusqu’en 2020. Nous devrons par conséquent nous montrer très vigilants afin d’éviter tout risque sanitaire. Nous ne saurions choisir entre le risque sanitaire et le risque nucléaire !

stages hors du temps scolaire

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la question n° 871, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Henri Tandonnet. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés que rencontrent les élèves souhaitant faire des stages hors du temps scolaire. En effet, les entreprises, institutions et organismes accueillant des élèves ne le font qu’à la condition que ceux-ci soient conventionnés par le proviseur de leur lycée ou le principal de leur collège.

Or, dans certains cas, le proviseur ou le principal refuse de signer de telles conventions pour les périodes de vacances, que ce soit au cours de l’année scolaire ou pendant l’été, arguant que les élèves ne sont alors plus sous sa responsabilité juridique. Dans d’autres cas, l’établissement d’une convention est possible.

Les conditions de délivrance de ces conventions de stage apparaissent donc incompréhensibles.

Chacun est conscient de l’importance des stages dans le cursus scolaire. Ils suscitent des vocations, aident les élèves à s’orienter et contribuent à la découverte du monde professionnel.

Il est essentiel, aujourd’hui, de faciliter l’accès aux stages, notamment pendant les vacances, pour tous ces élèves qui, de leur propre volonté, souhaitent découvrir le monde professionnel. Il suffirait que le rectorat établisse une convention type qui permettrait aux proviseurs ou aux principaux de conventionner de tels stages.

Concernant la couverture juridique, les parents sont tous titulaires d’une assurance responsabilité civile : celle-ci pourrait être étendue à ce type d’activité, comme elle peut l’être aux activités extrascolaires.

Madame la secrétaire d’État, quelle sont la position et les intentions du Gouvernement pour faire avancer ce dossier ? Pouvez-vous, d’une part, m’apporter des précisions quant aux conditions dans lesquelles s’effectuent les stages pour les élèves durant les vacances scolaires et m’indiquer, d’autre part, si une réflexion peut être engagée pour favoriser ce type de stage ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme Najat Vallaud-Belkacem, actuellement en déplacement avec M. le ministre de l’intérieur sur le site d’une école sinistrée.

Pour permettre aux élèves d’accéder au monde professionnel dans les meilleures conditions possibles, la loi du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires, que j’ai défendue, est venue renforcer la dimension pédagogique des stages pour tous les niveaux d’enseignement et mieux protéger les stagiaires contre les abus avérés, des abus qui, au demeurant, ne sont pas si fréquents.

S’agissant plus précisément des stages effectués par les élèves de l’enseignement secondaire dans le temps scolaire, ils doivent être intégrés à un cursus pédagogique. Dans ce cas, la signature d’une convention de stage entre l’établissement scolaire, l’élève et la structure de stage est obligatoire : c’est une question de coresponsabilité.

À cet effet, des conventions types sont disponibles sur le site Éduscol du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Par ailleurs, la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels prévoit la possibilité d’accueillir en entreprise des jeunes scolarisés, âgés au minimum de quatorze ans, durant les vacances scolaires, pour une durée maximale d’une semaine, en vue de l’élaboration de leur projet d’orientation professionnelle, qu’ils peuvent vérifier ou infirmer en immersion. Cette catégorie de stages se distingue des « stages scolaires » déjà existants par le fait que ces périodes d’observation en entreprise ne sont pas organisées par les établissements scolaires.

Pour renforcer encore l’accès des jeunes au monde professionnel, nous avons souhaité qu’à la rentrée 2015 chaque élève puisse accéder à une meilleure information, présentée par des professionnels dans les établissements, pour choisir une orientation et construire un projet personnel et professionnel.

L’ensemble des stages en entreprise s’inscrit donc pleinement dans ce parcours d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel.

En outre, et parallèlement, comme vous l’avez signalé, il est nécessaire d’améliorer l’accès aux stages. Dans ce sens et d’ores et déjà, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions a créé une plateforme permettant d’obtenir toutes les informations utiles et de rechercher une offre de stage.

Au-delà, pour favoriser des mises en situation professionnelle dans la formation initiale, l’État développera des pôles de stages et de périodes de formation en milieu professionnel au sein de chaque établissement ou réseau d’établissements, avec pour objectif de collecter et de suivre des offres dans les bassins d’emploi. Les branches professionnelles seront sollicitées pour accueillir davantage d’élèves de l’enseignement professionnel en entreprise, afin qu’ils y réalisent leur période de formation en milieu professionnel.

Nous avons la ferme volonté de faire en sorte que les stages ne soient pas réservés à ceux dont les parents disposent d’un réseau relationnel ; vous le savez, c’est un problème. L’État doit être le réseau de ceux qui n’en ont pas, de manière que tous les enfants de la République se voient offrir les mêmes chances d’insertion.

Ces mesures représentent indéniablement un progrès pour les stagiaires. C’est un message de confiance et de coresponsabilité entre les acteurs, les entreprises et les jeunes qui est ainsi lancé, même si, comme vous l’avez souligné, ce dispositif reste perfectible.

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Je remercie Mme la secrétaire d’État de sa réponse. Les dispositions prises récemment, que ce soit à travers la loi ou par le ministère de l’éducation, vont dans le bon sens, c'est-à-dire vers un accès beaucoup plus large du monde de l’entreprise aux jeunes collégiens et lycéens.

Si j’ai soulevé cette question, c’est que j’ai personnellement rencontré des difficultés. J’ai pu accueillir sans problème un stagiaire lycéen de la région parisienne, y compris durant les grandes vacances scolaires. En revanche, lorsque j’ai voulu réitérer l’expérience dans mon département, je me suis heurté au refus du proviseur du lycée d’Agen.

Comme vous l’avez souligné, il faut ouvrir de plus en plus ces stages, mais il faut aussi que cela se sache dans les collèges et les lycées. J’approuve votre ambition de rendre également accessibles ces stages à des élèves qui n’y ont pas forcément accès via les relations professionnelles de leurs parents. Pour ma part, j’ai toujours ouvert mes activités professionnelles à de très jeunes stagiaires et j’ai pu en constater les effets très bénéfiques. J’espère donc que de telles initiatives se multiplieront dans les années à venir.

modalités d'application de la réforme des rythmes scolaires et intercommunalité

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 881, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Hervé Maurey. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi, une fois encore, d’attirer l’attention sur les difficultés résultant de la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. J’espère obtenir, cette fois, les réponses qui ne m’ont été apportées ni par MM. Peillon et Hamon ni par l’actuelle ministre, à qui j’ai écrit dès sa prise de fonctions, au mois d’août dernier.

Cette réforme, vous le savez, a entraîné des dépenses très importantes pour les collectivités. Elles sont d’autant moins supportables que les dotations ont diminué en 2014 et qu’elles subiront une baisse extrêmement brutale dans les prochaines années.

Le fonds d’amorçage dont le Gouvernement nous avait annoncé la prorogation l’année prochaine semble désormais réservé aux seules communes éligibles à la « DSU cible » – dotation de solidarité urbaine – et à la « DSR cible » – dotation de solidarité rurale –, donc à un nombre très limité de communes.

Par ailleurs, témoignant s’il en était besoin de l’impréparation de cette réforme, les règles de répartition du fonds d’amorçage entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – ne permettent toujours pas aux communes, quoi qu’en ait dit ici même le ministre Benoît Hamon en mai dernier, de reverser les crédits aux EPCI si ces derniers n’exercent pas conjointement les compétences « activités périscolaires » et « service des écoles ». Or, vous le savez, dans de très nombreux cas, les EPCI n’exercent que la compétence « activités périscolaires ».

Je tiens par ailleurs à attirer votre attention sur la rigidité avec laquelle les services de l’État ont mis en place la réforme dans le département de l’Eure. En effet, la plupart des demandes de dérogation ou d’expérimentation n’ont obtenu que des réponses négatives, motivées de manière vexante pour les élus. De surcroît, un grand nombre de ces réponses sont arrivées après le départ en vacances des parents et des élèves.

Enfin, je veux également évoquer les difficultés résultant du choix des rectorats d’organiser les consultations sur les programmes de l’école maternelle et le socle commun de connaissances durant le temps scolaire, comme c’est le cas dans mon département. Ce choix oblige les communes à supprimer les TAP, les temps d’activités périscolaires, et à réorganiser les transports scolaires. Il met les parents en difficulté pour trouver des systèmes de garde, ainsi que les communes pour faire face à cette situation.

Je vous demande donc très clairement quelle est la position du Gouvernement sur les points suivants.

Premièrement, quel réexamen les services du ministère feront-ils des refus d’adaptation ou de dérogation du temps scolaire dans le département dont je suis un élu ?

Deuxièmement, quid de la pérennisation réelle du fonds d’amorçage, qui est une nécessité absolue compte tenu du coût de la réforme et de la baisse des dotations annoncée pour les prochaines années ?

Troisièmement, qu’en est-il de la clarification des règles pour que les communes puissent enfin effectivement reverser tout ou partie du fonds d’amorçage à l’EPCI dès lors que c’est ce dernier qui assume la mise en place des rythmes scolaires ?

Quatrièmement, le Gouvernement peut-il s’engager à dresser un bilan complet de la réforme – coût pour les collectivités, avantages pour les enfants et les familles – avant la fin de l’année, afin de décider des suites qu’il convient de donner à cette réforme ?

Cinquièmement, quelle est la position du Gouvernement quant à la mise en place des temps de consultation hors du temps scolaire ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je répondrai une nouvelle fois à la place de Najat Vallaud-Belkacem.

Il me faut tout d’abord vous rappeler la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales en matière d’organisation des temps éducatifs. Le code de l’éducation dispose que l’éducation est un service public national, dont l’organisation et le fonctionnement sont assurés par l’État. Dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, les décisions d’organisation du temps scolaire relèvent donc de la compétence de l’État. Les décrets du 24 janvier 2013 et du 7 mai 2014 ont apporté des éléments de souplesse nécessaires, permettant aux conseils d’école ou aux maires de proposer des organisations horaires adaptées.

L’organisation des activités périscolaires relève, pour sa part, entièrement de la compétence des communes. Le syndicat intercommunal à vocation scolaire est l’une des formes que peut prendre la coopération intercommunale : c’est un établissement public de coopération intercommunale auquel sont déléguées une ou plusieurs des compétences des communes en matière scolaire.

Pour répondre précisément à votre question, je vous indique que le syndicat intercommunal ne pourra bénéficier des aides financières mises en place par le ministère de l’éducation nationale que dans le cas où il exerce effectivement la compétence d’organisation du temps d’activités périscolaires pour lesquelles ces aides sont prévues, et donc pour lesquelles il assume une charge financière.

La compétence relative au service des écoles comporte, quant à elle, l’acquisition du mobilier et des fournitures, ainsi que le recrutement et la gestion des personnels de service.

Ainsi, monsieur le sénateur, les établissements publics de coopération intercommunale détenteurs de la compétence « activités périscolaires », et qui doivent de ce fait en assurer le financement, auront le bénéfice du fonds d’amorçage. En revanche, et en toute logique, le syndicat intercommunal à vocation scolaire, qui n’est en l’espèce chargé que du service des écoles que j’ai décrit –mobilier, équipements et personnel de service –, ne pourra pas en bénéficier.

Vous le savez, cette réforme est essentielle au bien-être, à l’épanouissement et à la réussite des élèves. Sa mise en œuvre requiert un dialogue permanent entre l’État et les collectivités territoriales sous toutes leurs formes, dans l’Eure comme dans l’ensemble des territoires. Le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche y est particulièrement attentif, tout comme il est attentif à une mise en œuvre sur le terrain souple, collective et convergente d’une mesure qui n’a qu’un objectif : la réussite du plus grand nombre d’enfants dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Madame la secrétaire d’État, j’ai posé cinq questions et je n’ai obtenu qu’une réponse – vous me direz que ce n’est déjà pas si mal ! –, au sujet de la clarification du versement du fonds d’amorçage : vous avez précisé que les EPCI pouvaient bénéficier d’un reversement dès lors qu’ils sont chargés de la mise en place des rythmes scolaires.

Je rappelle que c’est actuellement la commune qui perçoit les dotations au titre du fonds d’amorçage, mais qu’elle ne pouvait pas reverser ces sommes à l’EPCI, même s’il est chargé de la mise en place des rythmes scolaires, ce qui est complètement absurde !

Si je vous ai bien comprise, ce reversement sera donc possible. Le problème, c’est que M. Hamon m’a dit la même chose au mois de mai dernier et que le ministère de l’intérieur, qui a la compétence et l’autorité sur les préfets, affirme l’inverse. Donc, on est quand même dans une situation juridique complexe ! J’ai écrit au Premier ministre à ce sujet pour avoir un arbitrage ; je ne l’ai pas eu !

Par conséquent, j’aimerais que vos propos de ce matin et ceux que m’avait tenus M. Hamon au mois de mai trouvent une traduction concrète, de manière que les communes qui perçoivent le fonds d’amorçage alors qu’elles n’exercent pas la compétence « rythmes scolaires » puissent effectivement reverser ces fonds aux EPCI qui détiennent ladite compétence.

Sur les autres questions que je vous ai posées, je suis obligé de constater que je n’ai pas eu de réponse : ni sur ma demande de réexamen des refus d’adaptation ou de dérogation du temps scolaire, ni sur la pérennisation du fonds d’amorçage, ni sur la mise en place des temps de consultation hors du temps scolaire.

Puisque vous m’avez dit que cette réforme était merveilleuse pour l’enfant et qu’elle était menée uniquement dans son intérêt, vous auriez pu au moins accéder à ma demande tendant à ce qu’un vrai bilan soit dressé au terme de cette année. (Mme la secrétaire d’État opine.) Vous me faites oui de la tête, mais j’aurais préféré que vous le disiez clairement tout à l’heure.

Je vous confirme que, pour ma part, je souhaite vraiment qu’un bilan réel de la réforme soit établi au bout d’une année. On pourrait ainsi en tirer toutes les conséquences et ne pas la poursuivre s’il devait s’avérer – mais vous me dites que ce ne sera pas le cas – que la réforme n’a pas d’effets bénéfiques pour les enfants, pour les familles, et qu’elle n’est pas supportable pour les collectivités locales compte tenu de la baisse des dotations.

avenir des chambres de commerce et d'industrie

M. le président. Monsieur le ministre de l’économie, M. Longuet et moi-même, qui avons trente-sept ans de présence au Parlement, sommes heureux de vous accueillir dans cet hémicycle, en vous souhaitant une longévité égale à la nôtre. (Sourires.)

La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 870, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, ma question, à laquelle s’associent ma collègue nouvellement élue Corinne Imbert et certainement de nombreux élus de nos territoires, porte sur les vives préoccupations des chambres de commerce et d’industrie, les CCI. Celles-ci s’étonnent qu’à l’heure où le Gouvernement propose aux entreprises un pacte de responsabilité il organise dans le même temps un véritable démantèlement de l’économie sur les territoires.

Le 27 mai 2014, les présidents des CCI ont adopté une motion de défense des entreprises et pris la décision de suspendre tous leurs travaux en cours avec le Gouvernement, aux niveaux tant national que local.

En effet, alors que, le 28 mai 2013, le Premier ministre signait avec le réseau des CCI de France un pacte de confiance, cette dernière s’est depuis érodée, en premier lieu à la suite de la baisse des ressources affectées aux CCI, de l’ordre de 20 % en 2014.

Depuis, le Gouvernement a inscrit au projet de loi de finances pour 2015 un prélèvement supplémentaire de 500 millions d’euros sur les fonds de roulement de certaines CCI.

Ainsi, dans mon département, la CCI Rochefort et Saintonge se verrait prélever 2 290 605 euros et celle de La Rochelle, 10 532 436 euros, alors que d’autres CCI de la région Poitou-Charentes n’auraient pas à subir de prélèvement sur leur fonds de roulement.

De plus, le projet de loi de finances pour 2015 réduit de 17 % les ressources fiscales des CCI : c’est, selon ce qui a été annoncé à leurs présidents, la première étape d’une diminution totale de 37 % qu’elles devront subir d’ici à 2017.

En privant les chambres consulaires des moyens de soutenir le développement des entreprises et des territoires, on risque d’aboutir à la fermeture des centres de formation d’apprentis, les CFA, et à la réduction du nombre d’apprentis de 100 000 à 70 000 en trois ans.

En Charente-Maritime, la CCI Rochefort et Saintonge ne sera plus en mesure de gérer le CFA-commerce de Saintes, qui forme 600 apprentis par an.

Nous le savons tous, nous manquons d’apprentis dans différents métiers. Or, au lieu d’encourager ces jeunes, vous diminuez les moyens des structures de formation !

Des équipements structurants sont aussi directement menacés, à l’image de l’aéroport de La Rochelle-Île de Ré, qui est géré par la CCI de La Rochelle. Cet aéroport départemental, qui accueille actuellement 215 000 passagers par an, est un équipement touristique et économique essentiel. Il en va de même pour les investissements dans les ports de pêche et de commerce, les parcs d’exposition, les palais des congrès et autres zones d’activité, toutes structures porteuses d’activités économiques et d’emplois.

Enfin, le service même aux entreprises, surtout dans les territoires ruraux comme le mien, est directement remis en cause, car les CCI n’auront plus les moyens d’organiser une présence sur le terrain, d’accompagner les créateurs d’entreprise et les porteurs de projet, de soutenir les clubs et associations...

Les mesures drastiques concernant les CCI inscrites au projet de loi de finances 2015 engendreront, en Charente-Maritime, une centaine de suppressions d’emplois. Au niveau national, ce sont 6 000 emplois, sur les 26 000 collaborateurs très impliqués que compte le réseau des CCI, qui sont menacés.

Si les chambres de commerce et d’industrie consentent à contribuer à l’effort national de réduction des déficits publics, il n’en demeure pas moins qu’il faut leur laisser le temps de mener à bien les réformes structurelles idoines, leur permettre de poursuivre leurs investissements et actions indispensables pour le développement économique de nos territoires.

Tout au long de la campagne sénatoriale que nous venons de vivre, nous avons pu mesurer le désarroi et l’inquiétude des élus et des acteurs socio-économiques quant à l’avenir, notamment au regard de l’incidence sur l’investissement public des baisses des dotations aux collectivités locales ou des incertitudes liées à la réorganisation territoriale, sans parler des modalités d’application de la réforme des rythmes scolaires, que M. Maurey vient d’évoquer.

Nos collègues de l’Assemblée nationale, qui examinent actuellement le projet de loi de finances, ont fait entendre sur tous les bancs les vives préoccupations exprimées dans nos territoires et ont formulé des propositions. Je ne reviendrai pas sur les débats qui ont eu lieu à la fin de la semaine dernière et hier soir, sinon pour dire que les amendements qui ont été adoptés ne changeront concrètement rien aux prélèvements opérés sur les fonds de roulement : ils restent pratiquement identiques.

Gageons qu’une solution satisfaisante sera trouvée in fine, permettant à l’État de faire face à ses contraintes budgétaires et aux CCI de poursuivre leurs missions, même si je n’ai guère d’illusions sur la volonté du Gouvernement. En tout cas, au Sénat, nous nous y emploierons autant que nous le pourrons.

En conséquence, monsieur le ministre, comment envisagez-vous l’avenir des chambres de commerce et d’industrie ? Quels sont les objectifs réels du Gouvernement en matière de gouvernance territoriale de l’ensemble des politiques économiques, qui sont déterminantes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Je veux tout d’abord, monsieur le président, vous remercier de votre message d’accueil.

Monsieur le sénateur Daniel Laurent, je tenais à être présent ce matin, car la question que vous avez posée est importante. En effet, au-delà des aspects financiers, les CCI assument, comme vous l’avez fort bien souligné, des missions essentielles pour nous tous. Je les ai d’ailleurs moi-même rappelées lorsque je suis allé devant l’assemblée générale des chambres de commerce et d’industrie le 19 septembre dernier pour leur expliquer le sens des décisions que nous prenions.

Le rôle des CCI est effectivement majeur en matière d’apprentissage, de services aux entreprises, ainsi que d’aménagement de nos territoires, au travers des aéroports de proximité et de nombreux autres services. Elles jouent aussi un rôle pédagogique important en termes de mise en œuvre de l’ensemble de notre action économique. Nous nous sommes d'ailleurs appuyés sur elles à plusieurs reprises, par exemple lorsqu’il s’est agi d’expliquer le CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – ou le pacte de responsabilité.

Il n’est pas question ici de remettre en cause le rôle des CCI et leur importance sur le territoire.

Néanmoins, l’esprit de responsabilité, que nous partageons, monsieur le sénateur, nous oblige, au regard de la situation de nos finances publiques et alors que nous appelons tous de nos vœux la baisse des dépenses publiques, à considérer que celle-ci doit s’appliquer de la manière la plus équitable possible à l’ensemble des acteurs de cette dépense publique ; or les CCI en font partie.

Qui plus est, celles-ci ont perçu, pendant plusieurs années, des ressources fiscales qui excédaient leurs besoins. Je rappellerai quelques chiffres qui doivent être gardés en mémoire.

Entre 2002 et 2012, la ressource des CCI a augmenté de 41 % avant de commencer à diminuer en 2014. Elle a augmenté tandis que la dépense de l’État était gelée en volume depuis 2003 et en valeur depuis 2011. Par voie de conséquence, les fonds de roulement des CCI ont sensiblement gonflé jusqu’en 2012.

Ce constat, je n’en accable pas les CCI actuelles ni leurs dirigeants ; je dis simplement « en creux » que nous aurions dû commencer à réguler les finances des CCI et à leur demander des efforts bien plus tôt.

Ceux que nous leur demandons aujourd’hui sont doublement nécessaires : ils ont conduit le Gouvernement à proposer dans le projet de loi de finances, d’une part, un prélèvement sur leurs fonds de roulement de 500 millions d’euros en 2015 et, d’autre part, une diminution du plafond de la taxe pour frais de chambre – la fameuse TFC – de 213 millions d’euros pour cette même année, ce qui représente une baisse de 4 % par rapport au niveau de TFC perçue en 2014.

À ce titre, je voudrais lever plusieurs malentendus.

Tout d’abord, la baisse du plafond de TFC, ce n’est pas « plus d’argent pour l’État », c’est moins d’argent prélevé sur les entreprises. La diminution progressive que nous comptons mettre en œuvre me paraît parfaitement cohérente avec l’ensemble de la politique économique conduite par le Gouvernement : réduction des déficits, d’une part, relance de l’activité, d’autre part.

Par ailleurs, cette taxe finance les activités de service public administratif auprès des entreprises ainsi que la formation. On ne parle ni de la taxe d’apprentissage, qui finance le fonctionnement des structures d’apprentissage, ni des structures et activités telles qu’aéroports, ports, parkings, palais des congrès, formation professionnelle continue, accompagnement des entreprises, etc., qui ne sont pas financées par la TFC ; on ne touche ni aux ressources ni aux fonds de roulement de ces activités.

Ainsi, devant la menace que j’ai déjà entendue selon laquelle plusieurs centres de formation des apprentis pourraient être fermés en représailles des efforts demandés, je réitère l’invitation que j’ai faite aux CCI de faire preuve d’esprit de responsabilité et de chercher plutôt à faire porter l’effort sur des frais de fonctionnement, sur des regroupements de structures. Si des efforts ont été réalisés durant les deux ou trois années précédentes, beaucoup peut encore être fait dans d’autres domaines par les CCI pour réduire leurs dépenses. Si elles partagent avec nous cette priorité en faveur de l’apprentissage, cela doit se refléter dans les choix qu’elles opéreront.

Enfin, nous avons veillé à tenir compte de la réalité des situations locales. Ainsi, malgré le niveau très important atteint par la plupart des fonds de roulement des CCI, le Gouvernement prévoit de ne ponctionner qu’une partie du fonds excédant quatre mois. Au total, une trentaine de CCI ne seraient pas concernées.

Les modalités que doivent revêtir ces efforts sont actuellement, vous l’avez rappelé, débattues au Parlement, et le Sénat aura lui-même à en discuter.

Je regrette que les CCI aient, en quelque sorte, préféré le jeu du pire et n’aient pas souhaité s’organiser entre elles. Il est évident qu’une péréquation régionale aurait été beaucoup plus adaptée dans la mesure où les situations locales sont très différentes. Il est dommage que les CCI n’aient pas fait ce choix. Elles doivent selon moi revenir à la concertation.

L’effort global qui leur est demandé ne saurait être diminué, mais je pense que l’on peut, de la manière la plus intelligente possible, encore améliorer la copie– et ce sera le fruit des débats qui sont menés actuellement et qui se poursuivront au cours des prochaines semaines, notamment ici. L’effort d’ensemble est une nécessité et notre responsabilité est partagée.

Je réaffirme, en conclusion, monsieur le sénateur, notre volonté de poursuivre le travail que nous menons avec les CCI, dont les missions d’intérêt général sont effectivement au cœur de notre économie.

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais vous imaginez bien qu’elle ne va pas complètement satisfaire les CCI.

Nous sommes conscients que la crise économique majeure, dramatique, dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui nous impose de faire des économies.

Toutefois, je constate que les ressources importantes dont ont bénéficié les CCI ont été utilisées à bon escient, dans l’intérêt de nos territoires.

La France est extrêmement diverse. Je représente ici, comme de nombreux autres sénateurs, la France des territoires ruraux. Dans ces territoires, il faudra maintenir des politiques de proximité efficaces, qui soient utiles aux entreprises, qui favorisent l’implantation des petits commerces, et cela, bien sûr, dans l’intérêt des collectivités. Or cette action passe par les CCI.

Il est donc indispensable de continuer à les aider et, surtout, de ne pas amputer leurs budgets, faute de quoi elles ne pourront plus fonctionner, elles ne pourront plus mener les actions significatives qui sont les leurs en faveur des jeunes.

Si j’interviens en ce sens aujourd'hui, c’est parce que c’est important pour notre avenir et pour nos territoires ruraux. Merci, monsieur le ministre, de nous entendre, de nous écouter et d’être efficace dans vos décisions !

alignement du cadre d'emploi des attachés territoriaux de conservation du patrimoine et des bibliothécaires territoriaux sur celui des attachés d'administration

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, auteur de la question n° 823, adressée à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir rappelé notre longévité parlementaire. Sachez cependant que je vous dois le respect, car vous avez été élu plus souvent que je ne le fus, les électeurs, dans leur sagesse, m’ayant donné la possibilité de découvrir d’autres activités que la députation, par exemple en 1981… (Sourires.)

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous soyez présent, non parce que la réponse de Mme Lebranchu m’aurait déçu – bien au contraire, c’est une femme compétente ! –, mais parce que c'est une première et que je souhaite saluer l’arrivée d’un nouveau ministre qui apporte au Gouvernement une tonalité différente. Cela pose d’ailleurs davantage de problèmes chez vous que chez nous, monsieur le ministre, mais c'est votre affaire et je suis persuadé que vous pouvez l’assumer !

Je m’en réjouis également parce que vous êtes en charge des professions réglementées et vous souhaitez faire évoluer celles-ci au bénéfice de la productivité française. Cela tombe bien, car le sujet que j’évoquerai aujourd'hui est lié à la fonction publique, laquelle est la première profession réglementée dans notre pays, et je pense ici tout particulièrement à la fonction publique d’État, ainsi que, accessoirement, à celle des collectivités territoriales, la fonction publique hospitalière n’étant pas concernée par la question que j’entends soulever.

Je note que le Gouvernement comprend un ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Cet ensemble est extrêmement cohérent : la décentralisation implique que l’État transfère, nolens volens, des responsabilités aux collectivités locales. Les collectivités locales sont alors obligées, M. le maire de Marseille le sait bien, d’assumer des activités que l’État ne peut ou ne veut plus assumer. Dans ce jeu de la décentralisation, se pose naturellement la question du statut des agents.

On ne peut pas reprocher à nos compatriotes qui sont fonctionnaires de réfléchir à la façon dont ils sont traités selon qu’ils relèvent de la fonction publique d’État ou de la fonction publique territoriale. Ils font en effet le même métier, même si les conditions d’emploi sont différentes.

Les attachés d’administration chargés de la conservation du patrimoine ou des bibliothèques territoriales, sur qui porte ma question, sont des fonctionnaires des collectivités locales. Ils souhaitent un alignement de leur statut sur celui des attachés d’administration généraux, qu’ils ressortissent à la fonction publique territoriale ou à celle de l’État.

Monsieur le ministre, votre collègue Mme Lebranchu – mais, en vertu de l’unité gouvernementale, vous représentez ici l’ensemble du Gouvernement – avait retenu le principe selon lequel une large réflexion en vue de rapprocher les deux statuts serait menée en 2014. L’année touche à sa fin. Aussi ma question sera-t-elle d’une grande simplicité : où en est cet effort de rapprochement des deux statuts ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Monsieur le sénateur, Mme Lebranchu vous prie de bien vouloir l’excuser, car elle est ce matin en déplacement dans le Loir-et-Cher.

M. le président. Avec Mme Gourault !

M. Gérard Longuet. C'est une raison suffisante !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je vais donc vous apporter la réponse qu’elle m’a chargé de vous transmettre. C’est dire que ma science en la matière est toute récente ! (Sourires.)

J’aborderai d’abord le point particulier que vous avez soulevé, avant d’élargir le débat.

Vous évoquez la situation des agents des cadres d’emplois de catégorie A de la filière culturelle de la fonction publique territoriale, en l’occurrence les attachés de conservation et des bibliothèques, qui souhaitent un alignement de leur carrière sur celle des attachés de la filière administrative. Je rejoins votre préoccupation en la matière. Il est vrai que, pour nos concitoyens, en particulier les fonctionnaires, la complexité de l’articulation entre les différents grades et avancements des fonctions publiques devient de plus en plus insoutenable et difficile à expliquer.

À l’occasion de la dernière modification du statut des bibliothécaires territoriaux et des attachés territoriaux de conservation du patrimoine, opérée par deux décrets du 17 décembre 2009, pris à la suite du rapport sur la filière culturelle présenté au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, l’indice brut terminal de leur grade unique a été aligné sur celui du premier grade du cadre d’emplois des attachés, soit 801, contre 780 auparavant.

En revanche, l’instauration d’un grade d’avancement n’a pas été retenue. Il convient de noter que l’un des corps homologue de la fonction publique de l’État, celui des bibliothécaires, ne comprend également qu’un seul grade. À cet égard, un rapport de l’inspection générale des bibliothèques de 2009, consacré à l’évolution de ce corps, ne préconisait pas la création d’un grade d’avancement. Une telle évolution n’a donc pas été envisagée dans la fonction publique territoriale de peur de susciter un « appel d’air », si j’ose dire, et de provoquer des demandes reconventionnelles dans les autres filières non alignées sur les attachés territoriaux.

La réponse qui m’a été fournie ne concerne que les bibliothécaires. Je ne sais ce qu’il en est pour les attachés de conservation. Mais cet exemple illustre en tout cas qu’il devait exister de bonnes justifications pour ne pas créer un grade supplémentaire.

J’ai bien conscience que la démonstration que je suis en train de vous faire montre la complexité de la situation et les effets de bords symétriques entre fonctions publiques.

C’est consciente de cette complexité et de cette harmonisation nécessaire que Mme Lebranchu avait annoncé l’ouverture de discussions sur l’avenir de la fonction publique. Elle entend faire en sorte que cette réflexion soit menée ; elle portera notamment sur l’harmonisation des carrières et des grilles entre versants de la fonction publique et à l’intérieur de chaque versant. La problématique que vous avez soulevée pourrait être étudiée dans ce cadre.

Le dialogue qui a été entamé par Marylise Lebranchu sera poursuivi dans les mois à venir et a vocation à aboutir en 2015.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le ministre, je ne vous répondrai pas sur le fond du sujet, car il est d’une grande technicité. Mais revenons-en aux principes.

J’étais rapporteur du budget de la fonction publique en 1978 : cela m’avait valu quelques difficultés avec les organisations syndicales, car j’avais préconisé une fonction publique reposant sur des opérateurs et des agences ; j’avais un peu d’avance, car c'est aujourd’hui de plus en plus souvent le cas !

Monsieur le ministre, il faut rechercher le dialogue, bien sûr, mais il faut aussi accepter la souplesse. Mme Lebranchu étant en charge de la décentralisation, elle conviendra sûrement qu’il est normal que les collectivités locales aient des visions différentes en matière de culture. Certaines, pour des raisons historiques, en raison de la présence d’une métropole ou à cause de leur vocation touristique, font un effort culturel important, qui les conduit à privilégier des carrières culturelles et à s’efforcer de recruter les meilleurs, donc d’être attractives.

Les collectivités locales ont une marge de manœuvre, qui pousse naturellement les salariés de la fonction publique à rechercher un alignement vers le haut. Est-ce compatible avec l’état général des finances des collectivités locales ou de l’État ? Sans doute pas !

Je souhaite profondément que Mme Lebranchu tienne son engagement de dialogue, mais j’accepterais que, dans une politique de décentralisation, on laisse une certaine liberté aux collectivités locales. J’ai en tête l’exemple du Centre Pompidou de Metz, en Lorraine, qui est une véritable réussite. Il se trouve que les collectivités locales participent à son fonctionnement ; c’est leur libre choix, car elles n’avaient aucune obligation de le faire. Elles peuvent participer soit en subventionnant des personnels, soit en en embauchant. Il faut leur laisser une certaine liberté.

J’espère que la sincérité du dialogue permettra à chacun d’accepter le libre choix des collectivités locales, sans dévaloriser la fonction publique territoriale par rapport à la fonction publique d’État.

complexité des normes administratives

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 861, adressée à M. le secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, c’est la première séance que vous présidez depuis le début de cette nouvelle mandature. Pour ma part, c’est la dernière fois que je suis présent dans cet hémicycle.

L’homme ne choisit ni le berceau de sa naissance ni le lit de sa mort, mais il peut choisir la façon de vivre sa vie. Voilà trois ans, je m’étais engagé à passer le relais à mon suppléant : je m’apprête donc simplement à tenir parole.

Cher Jean-Claude Gaudin, je le dis en toute sincérité, je vous porte une très grande considération. Pendant trente-sept ans, vous avez surmonté les obstacles grâce à vos qualités humaines : votre compétence, votre sérieux, votre chaleur inspirent en effet la confiance. C’est aussi grâce à elles que règne entre nous un profond esprit de tolérance.

Je tenais à formuler ces quelques remarques avant d’en venir à ma question.

Monsieur le secrétaire d’État, nous avons conscience que la situation est difficile, que l’activité économique obéit à une sorte de « loi de la jungle ». Dans la compétitivité, le prix des produits est un facteur déterminant. Or il est très largement lié au coût de la main-d’œuvre, ainsi, bien sûr, qu’à celui des biens utilisés dans le processus de production, dont certains arrivent parfois de fort loin. Certes, la qualité des produits entre aussi en ligne de compte, mais elle est plus difficile à évaluer.

Face à cela, nous, Français, sommes souvent désarmés. L’Europe et la France ne sont-elles pas un peu victimes de la conception selon laquelle, en voulant « laver plus blanc que blanc », en voulant être trop transparent, on fragilise le développement économique et l’envie d’entreprendre, on suscite le découragement ?

On le sait, nous ne devons pas faire n’importe quoi, mais les normes devraient être sécurisantes sans être dissuasives.

Ne voulant pas abuser de votre temps, monsieur le secrétaire d’État, ni de mon temps de parole, je ne multiplierai pas les exemples qui montrent que l’excès de normes, dont certaines sont totalement inutiles, heurte le bon sens, jusqu’à frôler le ridicule, mais surtout mine les initiatives, décourage les porteurs de projet. J’évoquerai seulement le fait – et c’est un ancien agriculteur qui vous parle – que l’utilisation d’un escabeau de plus de trois marches par un apprenti nécessite pratiquement un agrément ! N’y a-t-il pas, dans les cas de ce genre, des améliorations à apporter ? Je connais les difficultés de la France, celles d’hier et d’aujourd’hui. Je sais aussi qu’on ne peut pas faire ce que l’on veut. Mais là, on peut !

Une journée n’a que vingt-quatre heures, mais un délai d’instruction se compte souvent en jours, en semaines, voire en mois. C’est inadmissible ! La superposition des normes nationales et européennes, quand il n’y a pas surenchère entre les unes et les autres, est telle que celui qui s’attache à les respecter doit se livrer à un véritable parcours du combattant, quand bien même nous sommes en paix ! Il faut établir des rapports en concertation avec toutes les parties prenantes, puis établir la synthèse de ces rapports, avant de faire le rapport de la synthèse !

Croyez-le bien, ce message, je l’ai adressé au gouvernement de la majorité précédente avec la même détermination qu’aujourd'hui.

Et toutes ces normes, toutes ces prescriptions, nous donnent-elles le pouvoir de supprimer les accidents de la vie ? Peut-on rendre la mobilité à des centenaires ou à des personnes handicapées ? Peut-on remédier à toutes les imprévisions techniques dans les bâtiments ?

Aujourd’hui, des personnes âgées utilisent les services publics, mais beaucoup vivent chez elles, dans des conditions difficiles. Améliorer concrètement leurs conditions de vie serait plus positif que de superposer les normes.

De surcroît, les normes ne sont souvent pas adaptées. Dans un bâtiment public parisien, un escalier est fréquenté par des milliers d’usagers, dont certains s’agrippent à la rampe, mais, dans une commune de 120 habitants, une commune de la « France d’en bas », un escalier n’est emprunté que de temps en temps. Pourtant, dans l’un et l’autre cas, les mêmes normes s’appliquent !

Les gouvernements d’hier, comme celui d’aujourd’hui, ont proclamé le slogan : « Simplifions ! ». Mais nous ne voyons rien arriver. L’Europe, dont nous sommes solidaires, met-elle des freins qu’il faudra avoir le courage de dénoncer ?

Qu’en pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Si j’ai bien compris, monsieur le sénateur, cette question orale est la dernière que vous adressez au Gouvernement en tant que sénateur. Elle a donc une valeur symbolique : le législateur que vous avez été, participant activement au travail de cette assemblée, pose, lors d’une dernière intervention dans l’hémicycle, la question de la complexité liée à un flux législatif et normatif permanent. Cela doit nous amener à réfléchir sur la nécessité absolue d’une action vigoureuse, construite et de long terme en matière de simplification.

Comme vous, je crois qu’il faut à la fois éviter la surenchère normative, en réduisant le flux – c’est ainsi qu’on nomme l’ensemble des nouvelles règles s’ajoutant, par l’adoption de projets de loi, de propositions de loi ou de décrets, aux règles existantes, dont le nombre est déjà considérable –, et agir sur le stock, à savoir les règles existantes.

Depuis quelques mois, la simplification des normes est entrée dans une nouvelle phase. Un programme de simplification des normes pour les entreprises, comprenant plus de 124 mesures, a été adopté le 17 juillet dernier. Une cinquantaine de nouvelles propositions seront présentées le 30 octobre prochain. Cette démarche systématique sera complétée par deux dispositions nouvelles, qui permettront de mieux gérer les flux de règles législatives nouvelles.

Premièrement, à compter du 1er janvier 2015, toute nouvelle législation visant à créer des charges pour la vie économique fera l’objet d’une contre-expertise de son étude d’impact par un organisme indépendant comprenant un certain nombre d’entreprises, ce qui permettra de mieux mesurer les conséquences des textes nouveaux et, surtout, de compenser à due concurrence, par la suppression de charges existantes, les charges nouvellement créées.

Ce dispositif est inspiré de ce qui a été instauré au Royaume-Uni voilà quelques mois sous le nom de One-in, One-out. Il permettra des gains significatifs en matière de charges administratives liées aux règles nouvelles.

Deuxièmement, un moratoire sera proposé pour les normes concernant les collectivités territoriales. En effet, grâce à la CCEN, la Commission consultative d’évaluation des normes, toute charge nouvelle pesant sur les collectivités territoriales devra s’accompagner du retrait d’un montant de charges équivalent, afin de rester, là encore, à un niveau constant.

Au-delà de ces politiques de principe, vous avez évoqué, monsieur le sénateur, la question des normes concernant les handicapés. Mme la sénatrice Claire-Lise Campion travaille actuellement avec Mme Ségolène Neuville à un plan de simplification de certaines normes héritées du passé. Dans ce cadre, celles qui concernent l’urbanisme et les collectivités locales doivent être examinées attentivement et objectivement.

Par ailleurs, vous avez soulevé à juste titre la question de la transposition des directives européennes, et surtout leur surtransposition. En effet, nous introduisons des complexités supplémentaires lorsque nous transposons un certain nombre de directives européennes en droit français. C’est la raison pour laquelle, au mois de janvier ou février 2015, un certain nombre de dispositions nouvelles touchant à la fabrication de la loi seront proposées aux assemblées, afin d’éviter à l’avenir les surtranspositions.

Ce travail de simplification administrative est très long. Le Royaume-Uni l’a commencé voilà une dizaine d’années, l’Allemagne, voilà environ neuf ans, tout comme les Pays-Bas, le Danemark ou la Belgique. Tous ces pays parviennent à la conclusion suivant laquelle les résultats ne peuvent être perceptibles qu’au bout d’une quinzaine d’années. J’espère très sincèrement que les choses se mettront plus vite en place en France, dans la mesure où nous nous inspirons pour partie d’un certain nombre de dispositions couronnées de succès chez nos voisins.

Au demeurant, croyez à la détermination complète du Gouvernement de « passer la démultipliée » en matière de simplification.

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. « Découvrons nos richesses » : tel est le slogan adopté par mon département. Ce matin, je vous découvre, monsieur le secrétaire d’État, et je m’aperçois que vous connaissez très bien ce dossier. Certes, il y a, je le sais, le vouloir et le pouvoir. Mais je perçois aussi dans vos propos une profonde détermination.

Dans notre société, qu’on soit ou non en période de sécheresse, chacun veut prendre son parapluie pour se couvrir. C’est ce qui nous freine, qu’il s’agisse des services de l’État ou, disons-le, des maires, qui redoutent de se retrouver dans une situation très délicate au cas où des normes n’auraient pas été appliquées. Pourtant, les hasards de la vie font que certains accidents se produisent même si les normes ont été respectées !

Monsieur le secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que, dans le cadre de la construction ou de la rénovation d’un bâtiment, des normes locales, et non pas nationales ou européennes, adaptées à la dimension de la commune, devraient pouvoir s’appliquer, après avoir été validées par le préfet et une commission ad hoc ?

Enfin, l’application des normes européennes ne devrait-elle pas être plus cohérente ? Je sais bien que c’est facile à dire ! Je me permets toutefois de rappeler que, dans certains pays – par égard pour eux, je n’en nommerai aucun –, il existe des dérogations ou des règles propres à accroître leur compétitivité, ce qui nous pénalise.

M. le président. Monsieur Boyer, vous avez décidé librement de quitter la Haute Assemblée. À mon tour de vous dire, au-delà de l’amitié, le respect et la reconnaissance que nous inspire ce que vous avez fait pour le département de la Haute-Loire et pour notre pays.

Vous incarnez, dans cette race des hommes et des femmes politiques, tant décriée aujourd'hui, l’exact opposé de ceux qui sont critiqués, souvent injustement d’ailleurs.

Comme le disait Étienne Borne, philosophe chrétien que vous connaissez bien, « la politique est partout, mais la politique n’est pas tout ». Vous avez creusé un sillon, mon cher collègue, dans Le Sillon de Marc Sangnier. Nous vous sommes très reconnaissants de tout ce que vous avez fait. (Applaudissements.)

publication des déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 846, adressée à M. le Premier ministre.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite interroger le Gouvernement sur la publication des déclarations d’intérêts et d’activités des parlementaires.

La loi organique n° 2013-906 et la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ont introduit l’obligation de publication des déclarations d’intérêts des parlementaires. Ces déclarations ont été rendues publiques le 24 juillet 2014 sur le site internet de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Comme bien d’autres, j’ai consulté en ligne, plus que celle des autres, ma propre déclaration, et ma question est double.

Tout d’abord, je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur l’adéquation du format de ces données avec les attentes du grand public, l’État s’étant fermement engagé dans un processus d’open data. Les déclarations en question sont en effet totalement inexploitables.

Je m’étonne que soient notamment publiés des formulaires manuscrits, simplement scannés, sans aucun traitement de mise en page. Le collectif Regards citoyens et Le Monde ont invité le public à « traduire » ces données et plus de 8 000 personnes se sont attelées à la tâche. Or c’est à l’État, compte tenu de ses engagements, et non pas aux citoyens, de réaliser ce travail.

Ensuite, je m’étonne que la signature des élus soit parfaitement visible sur le Web. J’ai assisté au débat ayant précédé l’adoption de la loi : si les déclarations d’activités ont été rendues obligatoires, il n’était pas dans l’esprit du texte de faire apparaître lisiblement les signatures. Je m’inquiète qu’une haute autorité de la République puisse ainsi favoriser l’usurpation d’identité, question qui a fait ici l’objet de nombreuses discussions. Puisque nous défendons l’identité des citoyens, pourquoi ne défendons-nous pas celle des parlementaires ? En effet, notre signature est désormais en ligne et il n’est pas difficile de trouver nos date et lieu de naissance.

Je tiens donc à marquer ma vive opposition à la divulgation de ces signatures, qu’il aurait été très simple de flouter. Un gamin de douze ans est capable de le faire !

Je vous demande par conséquent, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir m’indiquer si vous comptez intervenir pour supprimer les signatures des parlementaires et les protéger ainsi de fraudes, en limitant le détournement de ce type de données personnelles.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre question, qui comprend deux aspects.

S’agissant tout d’abord des signatures, rendues publiques dans le cadre de la déclaration, cette obligation résulte non pas des décisions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, mais du décret du 23 décembre 2013. Vous connaissez les sanctions qu’entraînerait une déclaration mensongère. Il est donc essentiel que l’auteur s’identifie par sa signature : c’est la raison pour laquelle ces documents sont signés de manière manuscrite.

Par ailleurs, c’est la loi du 11 octobre 2013 qui détermine les éléments devant être rendus publics et ceux qui doivent rester confidentiels. Or la signature du déclarant ne fait pas partie des informations ne pouvant être publiées aux termes de la loi. Il n’existe donc actuellement aucun obstacle juridique à la mise en ligne des signatures.

Par ailleurs, je tiens à vous démontrer que la publication des déclarations d’intérêts des parlementaires n’augmente pas le risque d’usurpation d’identité ou d’usurpation de signature.

En effet, nombreux sont les documents comportant la signature de l’élu, qu’il s’agisse d’une lettre aux électeurs ou d’une profession de foi. Si une personne malveillante voulait usurper votre signature, madame la sénatrice, il n’aurait malheureusement que l’embarras du choix pour trouver un modèle !

Il n’empêche que nous pouvons étudier une éventuelle amélioration de la publication de ces documents. Compte tenu de la nature des informations et de l’usage qui peut en être fait, leur format – je pense au caractère manuscrit – gagnerait à être transformé, comme vous l’avez dit, en open data, ou données ouvertes.

Je me rapprocherai donc, dans quelques semaines, de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour étudier avec elle les premiers enseignements qu’elle tire de cette publication. S’il advient que nous pouvons renforcer la qualité d’usage de ces documents, la transparence de ces données, nous prendrons bien évidemment les dispositions qui conviennent.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. S’agissant de la question de l’open data, j’ai été choquée par les critiques dont un certain nombre d’élus ont fait l’objet au prétexte qu’ils auraient griffonné ou mal écrit. Je rappelle en effet qu’on nous a envoyé un document qui n’était pas destiné à être rempli en ligne, alors que c’est par exemple le cas pour la déclaration des revenus. Cela montre d’ailleurs que l’administration est capable de mettre en place ce type de formulaire, plus facilement exploitable.

Je reviens sur la question des signatures, dont plus de mille ont été jetées en pâture. Si quelqu’un veut usurper une identité – par exemple la mienne, même si je doute fort qu’on veuille l’usurper –, il lui faut chercher des informations. Dans le cas présent, il lui suffit d’ouvrir le panier et de choisir n’importe quelle signature !

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué un décret, mais les parlementaires sont exclus de la rédaction des textes réglementaires. Puisque vous êtes chargé de la réforme de l’État, j’ose espérer que vous regarderez de plus près ce problème posé par la publicité des signatures. Certes, la Haute autorité doit les vérifier et les valider, tout comme elle doit valider les déclarations d’intérêts ; toutefois, je considère qu’il n’est pas besoin de les reproduire in extenso.

Pour illustrer mon propos, je rappelle que, très récemment, la signature de votre collègue Najat Vallaud-Belkacem a été usurpée et que cela a servi à la publication d’une fausse lettre. Certes, un ministre étant amené à signer de nombreux documents, il est beaucoup plus facile d’usurper sa signature. Mais, dans une société comme la nôtre où tout est publié, on doit faire attention à protéger nos concitoyens. Les parlementaires sont aussi des citoyens qui ont besoin d’être protégés !

utilisation d'un système de lecture des plaques d'immatriculation

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 878, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, à la suite de mes collègues, je voudrais vous dire l’honneur qui est le mien de poser cette question ce matin sous votre présidence. C’est un vrai bonheur de vous retrouver à ce fauteuil, avec votre personnalité et votre savoir-faire.

Par cette question, je veux attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur la problématique posée par le refus opposé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, à la ville de Gujan-Mestras d’utiliser le système de lecture automatisée des plaques d’immatriculation, le système LAPI, mis en place dans le cadre de l’installation de la vidéoprotection sur le territoire communal.

Je rappelle que c’est sur la base d’un diagnostic de sûreté, élaboré en étroite collaboration avec un spécialiste de la vidéoprotection missionné par la préfecture, que la ville de Gujan-Mestras a déterminé des sites et des moyens techniques adaptés à la mise en œuvre de la vidéoprotection sur son territoire.

Ce diagnostic a fait ressortir la pertinence du recours au système LAPI, souhaité et même plébiscité par l’ensemble des forces de l’ordre, tant la gendarmerie que la police nationale.

À ce jour, sept sites ont été équipés, comprenant vingt-six capteurs, dont sept disposent du système LAPI.

Il faut savoir que ce système n’est pas utilisé de manière spontanée, à savoir qu’aucun agent ne scrute vingt-quatre heures sur vingt-quatre les vidéos. Il n’est utilisé que sur réquisition de la gendarmerie ou de la police nationale, en présence d’un agent de police municipale dûment habilité par la préfecture. Seules les forces de l’ordre ont la possibilité d’exploiter ces données.

Le refus de la CNIL ne porte que sur le système LAPI ; il ne porte pas sur les autres caméras que nous avons installées. Or LAPI fonctionne strictement de la même manière : il n’a d’autre fonction que de permettre de zoomer sur les plaques d’immatriculation, dans le but de faciliter le travail des forces de l’ordre.

Aussi, je ne comprends pas le refus de la CNIL, dont les griefs sont très contestables.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’elle avance, les services de police municipale ne mettent pas en œuvre les dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules à des fins de recherche des auteurs d’infractions ; je le répète, ce n’est que sur réquisition des forces de l’ordre – gendarmerie ou police nationale – que s’opère le visionnage. Aucune surveillance n’est exercée en permanence.

Ensuite, concernant l’exigence de proportionnalité, la CNIL estime que ledit système contrevient à l’article 6–2 de la loi du 6 janvier 1978 dans la mesure où la finalité de l’enregistrement des données qu’il permet n’est ni déterminée, ni explicite, ni légitime. Tout cela n’a aucun sens !

En outre, la CNIL indique, de manière péremptoire, que ce dispositif permet d’identifier les occupants du véhicule. C’est faux ! Il ne le permet en aucun cas. Cet argument est erroné.

Enfin, la CNIL évoque la durée excessive de conservation des enregistrements par la ville. Cette durée est de vingt et un jours, et il en a toujours été ainsi, quel que soit le type de caméra utilisé.

En sensibilisant le ministre de l’intérieur sur ce sujet, je souhaite éviter que d’autres collectivités ne soient confrontées à la même situation. Tout cela a un coût. Pour les sept caméras du système LAPI, nous avons dépensé 80 000 euros et cette décision est donc extrêmement dommageable pour notre ville. Je souhaite que le Gouvernement prenne position sur cette question, qui mérite quelques éclaircissements. En tout état de cause, la ville de Gujan-Mestras demandera, bien sûr, au Conseil d’État d’annuler la décision de la CNIL.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la sénatrice, M. le ministre de l’intérieur, qui vous prie d’excuser son absence, m’a chargé de répondre à votre question sur ce refus opposé par la CNIL, refus que vous contestez devant la justice puisque vous avez introduit un recours devant la juridiction compétente, ce qui est tout à fait votre droit.

Ce dispositif est soumis à une demande d’autorisation préalable de la CNIL en vertu de l’article L. 252–1 du code de la sécurité intérieure – que vous connaissez manifestement très bien – dans la mesure où les enregistrements du dispositif de vidéoprotection installé sur la voie publique sont utilisés dans des traitements automatisés permettant d’identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques.

Or le dispositif que la commune de Gujan-Mestras prévoit d’installer n’entre pas dans le champ d’application de l’article L. 233–1 du code de la sécurité intérieure : seuls les services de police, de gendarmerie et des douanes peuvent mettre en œuvre ces systèmes. Ils ont pour but la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et les vols de véhicules, et sont reliés au fichier relatif aux véhicules volés ou signalés et au système d’information Schengen.

Au regard de la loi informatique et libertés, la CNIL a estimé en toute indépendance – vous parlez d’une décision péremptoire, mais c’est une autorité administrative indépendante – que le dispositif que vous avez proposé ne répond pas aux exigences de finalité et de proportionnalité, et ce pour deux raisons : d’une part, le fait de mettre à la disposition des services de police et de gendarmerie des données enregistrées ne constitue pas une finalité déterminée, explicite et légitime au regard de la loi, puisque celle-ci réserve à certains services seulement la mise en œuvre des LAPI ; d’autre part, la collecte massive de numéros d’immatriculation et de photographies de véhicules, sans justification particulière, a semblé disproportionnée au regard des finalités.

Je suis conscient que l’intérêt opérationnel de la mise en œuvre de ces dispositifs dans les communes est réel, mais cette mise en œuvre doit nécessairement s’inscrire dans le cadre juridique que je viens de rappeler.

Une communication sera d’ailleurs faite à destination des préfets, des forces de sécurité intérieure et des communes en vue de rappeler le cadre juridique qui régit la mise en œuvre des dispositifs de lecture automatisée de plaques d’immatriculation.

Je conçois, madame la sénatrice, que vous soyez déçue par la délibération de la CNIL. Mais n’oubliez pas qu’elle est une autorité administrative indépendante chargée d’une mission primordiale : veiller au respect de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il n’entre donc pas dans les prérogatives du Gouvernement de contester le refus opposé par celle-ci à votre demande.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le secrétaire d’État, bien entendu, votre réponse ne me satisfait pas et je pense qu’elle ne satisfera pas non plus les forces de l’ordre, police et gendarmerie, qui se sont fortement émues de cette décision.

Nous mettons à leur disposition des moyens sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle. Cette distinction entre le système LAPI et les autres caméras que nous avons installées est absurde. S’il faut que le législateur intervienne, eh bien, le législateur fera son travail !

Toujours est-il que je regrette que le Gouvernement, dans sa réponse, ne se montre pas davantage soucieux de cette complémentarité : les collectivités locales font un gros effort financier pour assurer, grâce à la vidéoprotection, la sécurité des citoyens et pour aider les forces de l’ordre dans leur travail.

Bien des arguments de la CNIL sont juridiquement contestables devant le Conseil d’État, notamment quand je lis qu’en l’état actuel des textes « les services de police municipale ne font pas partie des autorités légalement habilitées à mettre en œuvre des dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules à des fins de recherche des auteurs d’infractions ». Il appartiendra évidemment au législateur, s’il le souhaite, de revenir sur cette question.

Encore une fois, la police municipale ne prend en la matière aucune initiative propre : dès lors qu’elle reçoit une réquisition, elle met à la disposition de la gendarmerie ou de la police nationale les images qui leur servent pour leur travail.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, pardonnez-moi de vous le dire ainsi, mais, puisqu’on parle de réforme de l’État et de simplification, il aurait été bon d’apporter une réponse un peu plus satisfaisante.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

9

Allocution de M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. le président. Mes chers collègues, notre session est maintenant commencée. La semaine passée, nous avons examiné un texte important sur la lutte contre le terrorisme ; nous l’avons adopté. La semaine prochaine, nous entamerons l’examen en deuxième lecture du projet de loi sur la délimitation des régions. Nous voici à la tâche !

Le 28 septembre dernier, c’est une nouvelle majorité que les délégués sénatoriaux ont choisie pour notre Haute Assemblée. Pour moi, leur vote est l’expression d’une confiance dans le Sénat. Et cette confiance, mes chers collègues, nous oblige tous, sénatrices et sénateurs, majorité comme opposition, car, au-delà de nos différences, de nos divergences et de nos parcours, c’est le même constat que nous partageons.

Il faut relever le Sénat et agir concrètement pour faire vivre le bicamérisme. C’est l’esprit de la feuille de route que je vous propose de suivre ensemble, nous, les 348 sénateurs. Elle peut se résumer en un mot : confiance.

Le Sénat est le reflet de nos territoires. Toutefois, au-delà, il incarne la Nation, avec ses différences et sa diversité, mais aussi ses valeurs et son unité. Pour moi, la Nation est un tout.

Vous le savez, la France doute, la politique est en crise, mais je n’en rajouterai pas, même si c’est la mode, y compris littéraire. Notre responsabilité est collective, car, quand il s’agit de la France, c’est l’intérêt du pays qui, seul, doit guider notre action. Ce n’est donc pas l’affaire d’un seul camp ! Il est l’impératif de tous. Majorité et opposition doivent se retrouver sur cet objectif. Nous devons être l’assemblée de l’élan collectif et agir ensemble.

L’opposition est essentielle à la vie d’une démocratie, mais elle n’est bien entendu utile au pays que si elle s’inscrit dans une démarche de construction. Les Français nous observent et ils nous jugeront sur notre capacité à nous mobiliser face à l’ampleur des réformes à accomplir. Les Français attendent que leurs représentants aient le courage d’assumer des choix, des choix qui peuvent être difficiles ou bousculer les clivages, qui dépassent les seuls rendez-vous électoraux et qui appellent à préférer l’intérêt national plutôt que, parfois, l’intérêt corporatiste. Notre assemblée doit être le lieu de la confiance retrouvée entre élus et citoyens.

Oui, le Sénat doit redonner du sens à la politique ! Il doit tracer des perspectives d’espoir. Il doit, face aux tentations du repli communautariste, consolider notre pacte républicain et réaffirmer les valeurs de laïcité auxquelles nous sommes tous attachés.

Nous, sénateurs, nous puisons notre force dans notre ancrage territorial. Nous puisons notre crédibilité nationale à la source de l’expérience locale. Et le pouls de la République bat dans nos territoires.

Le quinquennat a changé le rythme de notre démocratie.

La Ve République fonctionne autour d’un bloc quelque peu monolithique : l’Élysée, Matignon, l’Assemblée nationale. Ces trois institutions avancent d’un même rythme, dont le tempo est donné par le sommet. Le seul frein institutionnel à ce « rouleau compresseur », c’est le Sénat. Il est le balancier stabilisateur des institutions. Il est la voix de la différence, car il n’est pas dans le temps du quinquennat. Il permet de prendre en compte, entre deux élections présidentielles, les expressions démocratiques locales. C’est ce que nous avons vécu en mars dernier et le 28 septembre.

Toutefois, notre légitimité démocratique n’est pas limitée à la seule démographie. Nous représentons les Français à travers leur lieu de vie : le territoire. Nous ressemblons à la France.

Nous sommes même le principal représentant, mes chers collègues, des territoires les plus faiblement peuplés, des « pauvres en démographie ». Sans nous, que pèseraient-ils en termes d’aménagement ou de solidarité budgétaire ? De ce point de vue, le Sénat, garant de la cohésion territoriale, me paraît être un garant de l’unité nationale.

Le critère démographique, mes chers collègues, est-il le critère exclusif de représentativité ? La démocratie du nombre et celle du territoire doivent se combiner pour améliorer la représentation des citoyens. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Le Sénat représente la ruralité et les espaces urbains et périurbains. Il est l’assemblée des territoires, ceux de métropole et ceux d’outre-mer. Il aura d’ailleurs une responsabilité particulière de souveraineté avec le rendez-vous législatif sur la Nouvelle-Calédonie au cours des trois prochaines années.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. le président. Nous sommes les porteurs de la diversité territoriale française.

Il nous faut, mes chers collègues, imaginer ensemble un Sénat qui soit aussi hors les murs, un Sénat qui aille au-devant des réalités de terrain et dont une part des travaux pourrait se dérouler, en fonction des sujets, dans nos départements, nos régions, ainsi qu’en outre-mer. C’est là aussi que nous sommes attendus ! C’est là que nous démontrerons la proximité de notre assemblée avec les Françaises et les Français.

Mes chers collègues, je souhaite être un président qui, avec vous tous, rassemble, un président fédérateur de la majorité sénatoriale, attentif à chacune et à chacun de ceux qui la composent, mais aussi un président à l’écoute de toutes les sénatrices et tous les sénateurs, quel que soit leur engagement, un président attentif aux droits de l’opposition dans sa diversité.

C’est maintenant, mes chers collègues, qu’il nous faut être imaginatifs et réactifs. Il nous faut être ambitieux pour le Sénat.

M. Charles Revet. Et nous le serons !

M. le président. L’utilité de notre assemblée, nous la prouverons en allant au-devant des difficultés qu’affrontent les élus du territoire et nos compatriotes.

Je pense, en premier lieu, à l’emploi. Je sais que chacun d’entre vous, dans son territoire, dans sa propre famille, est confronté au fléau du chômage. Ce sont nos petites et moyennes entreprises, nos très petites entreprises et bien sûr nos grandes entreprises qui, s’enracinant dans nos communes, créent les emplois. Il nous faut être à leur écoute, alléger leurs contraintes. Je vous ai proposé dans mon projet une nouvelle délégation dédiée aux entreprises. Sa création devrait être à l’ordre du jour d’un prochain Bureau.

Je pense également à l’empilement normatif qui étouffe la créativité, décourage l’initiative dans nos communes et nos départements et pèse fortement sur nos finances publiques. Là aussi, je vous ferai des propositions extrêmement concrètes et précises pour que nous passions du discours, de l’incantation, des rapports ou des moratoires à des décisions concrètes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

La France ne peut plus attendre.

L’organisation territoriale, mes chers collègues, va constituer l’un des tout premiers enjeux de nos travaux. Sur ce dossier, le message que je porte est simple : on ne peut pas raisonnablement réformer l’organisation territoriale en ignorant notre assemblée !

C’est ce que j’ai dit au Président de la République lorsqu’il m’a accueilli après mon élection à la présidence du Sénat. Je lui ai fait des propositions pour que nous ayons, nous, les sénateurs, les moyens de débattre sereinement et de manière constructive sur les textes territoriaux, dans l’intérêt général du pays.

Le Premier ministre, conformément à l’article 50-1 de la Constitution, fera donc la semaine prochaine devant notre assemblée une déclaration sur la réforme territoriale. Elle sera suivie d’un débat qui précédera l’indispensable deuxième lecture du projet de loi sur la délimitation des régions.

Le texte sur la nouvelle organisation territoriale de la République, que le Sénat devait initialement examiner au début du mois de novembre prochain, sera quant à lui programmé lors de la seconde quinzaine de décembre. Nous aurons le temps de travailler sans excès de lenteur ni de vitesse. C’est cela aussi cette forme d’opposition constructive que j’appelle de mes vœux. C’est elle qui devra désormais guider nos rapports avec l’exécutif et l’Assemblée nationale.

Il nous incombera d’apporter à ces textes la « plus-value territoriale » du Sénat. C’est d’ailleurs pour accroître notre aptitude à créer cette plus-value que je vous propose de rétablir, par redéploiement de moyens, des prestations d’expertise et de conseil vous permettant de répondre aux questions des élus locaux qui vous saisissent de leurs problèmes.

Relever le Sénat, c’est aussi donner plus de lisibilité à notre action. Cela passe par une révision de nos méthodes de travail et de nos outils.

Je vous propose de mettre en place rapidement un groupe de travail pluraliste pour faire le bilan des réformes du règlement de 2009 et de 2011, ainsi que pour ouvrir des perspectives. Ce groupe devra réfléchir notamment à un meilleur équilibre entre travail en commission et travail en séance publique, ainsi qu’à une meilleure coordination de nos travaux.

Il faut que nous puissions établir des agendas plus cohérents. Nos actions sur les politiques publiques et la législation doivent être plus compréhensibles pour l’opinion. Il nous faudra imaginer aussi de nouveaux modes de votation, qui nous permettront de nous retrouver régulièrement en nombre pour manifester quels sont nos choix finaux sur des textes importants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. Une autre mesure pourrait également être mise en œuvre rapidement : le remplacement des questions cribles thématiques par des questions cribles ministérielles portant sur l’ensemble des politiques publiques conduites par un membre du Gouvernement. J’ai saisi à cette fin les présidents de groupes, qui devront nous faire des propositions.

En ces matières, la conférence des présidents et le Bureau auront à débattre des préconisations, mais c’est au Sénat, dans son ensemble, qu’il appartiendra de prendre les décisions finales, dès lors qu’il s’agira d’adapter, donc de modifier, notre règlement.

À l’heure où l’avenir du monde repose sur des forces économiques globalisées, notre rayonnement en Europe doit être une priorité. Pour moi, cela suppose un dialogue renforcé avec le Parlement européen et les parlements nationaux des principaux États membres de l’Union européenne. Cependant, l’Europe ne sera plus puissante que si la collaboration franco-allemande est renforcée,…

Mme Fabienne Keller. Absolument !

M. le président. … une voie dans laquelle le Sénat s’engagera pleinement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Quant à la parole du Sénat au-delà des frontières européennes, je la porterai avec notre commission des affaires étrangères et nos autres commissions, en m’appuyant sur nos collègues représentant les Français établis hors de France.

Une gouvernance responsable et une bonne gestion collective participent aussi de notre ambition. Nous adapter à ces temps de contraintes est nécessaire : nous devons être exemplaires.

Nous l’avons déjà montré et nous le montrerons encore. Je ne laisserai pas caricaturer le Sénat et les sénateurs ! Je vous le dis, mes chers collègues, et je le dis aussi à nos différents cadres de fonctionnaires, à nos collaborateurs et aux collaborateurs des groupes politiques : servir le Sénat de la République doit être – est – une fierté. De ce point de vue, notre administration, placée sous l’autorité des questeurs et de l’ensemble du Bureau, doit symboliser une fonction publique innovante, exigeante, ouverte sur l’extérieur.

La confiance retrouvée de l’opinion implique d’améliorer notre communication, notamment institutionnelle. Je pense que le Sénat gagnerait à se doter d’un comité exécutif pluraliste afin de mieux structurer nos actions de communication. Je pense que nos travaux devront avoir une résonnance plus importante sur les réseaux sociaux et internet, notamment en valorisant l’open data du Sénat, une avancée remarquable qui doit être mieux connue.

Notre action peut emprunter de multiples canaux. Sachons oser ! Nous gagnerons la bataille pour le Sénat par l’écoute du pays, la qualité de nos initiatives et la force de nos idées.

Parmi les réflexions que nous pouvons avoir, pourquoi ne pas imaginer – ce sujet reste très ouvert –, en partenariat avec les professions du droit, une « Fondation de la loi », dont la mission serait d’expliquer de manière pédagogique ce qu’une nouvelle législation change dans l’ordre juridique préexistant ?

Mes chers collègues, l’image du Sénat doit être le reflet de ce que notre institution est en réalité. C’est comme cela aussi que nous prouverons son rôle essentiel pour une République apaisée et que nos engagements seront tenus. Mes chers collègues, oui, je le crois : la République a besoin du Sénat.

Nous avons une responsabilité en cette période de gros temps politique. Nous devons être capables de nous rassembler et de ressembler à la France. Nous devons être l’assemblée de la France qui se sent oubliée, abandonnée, mais aussi celle de la France de l’innovation, des créateurs, de l’excellence et des réussites locales.

Le peuple français doit retrouver confiance, confiance en ses élus. Nous sommes dépositaires de la légitimité nationale. Les valeurs de la République sont au cœur de mon engagement. Je suis sûr qu’elles sont aussi au cœur de l’engagement de chacune et de chacun d’entre vous.

Le Sénat peut tant apporter à la République, mes chers collègues ! Et nous allons en donner la preuve, tous ensemble. (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP et de l'UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

10

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

11

Débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, au nom du groupe CRC.

Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, est entré en vigueur le 1er janvier 2013. L’adoption de cette mesure faisait suite au rapport Gallois sur la situation de notre industrie. Son objectif était de restaurer la compétitivité de nos entreprises, compte tenu de la baisse de leur taux de marge et de la dégradation de notre balance commerciale.

Il s'agit au demeurant d’un dispositif simple, puisqu’il représente 6 % – au départ, c’était 4 % – de la masse salariale jusqu’à deux fois et demie le SMIC. Contrairement aux autres mesures de la politique de l’emploi, le CICE n’est donc pas un complément d’allégement des cotisations sociales, mais une sorte de « super-niche fiscale » accordée aux entreprises, qu’elles soient assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.

Toutefois, comme les exonérations de cotisations sociales, le CICE repose sur le postulat que le coût du travail est trop élevé. À aucun moment ne sont analysés les coûts du capital, qu’il s’agisse de la rémunération des actionnaires ou des services financiers et bancaires.

Cette niche fiscale a été accordée alors que l’on constatait une hausse de la contribution des redevables de l’impôt sur le revenu qui sont imposés au titre des salaires, traitements, retraites et pensions, ainsi que de la TVA, dont le taux normal est aujourd’hui de 20 %. Ces deux hausses ont été décidées dans le but de réduire les déficits et de redresser les comptes de la nation. Le CICE devait quant à lui restaurer la « compétitivité » de nos entreprises et « rétablir leurs marges », conditions sine qua non de leurs futurs investissements ; c’est en tout cas ce qui nous avait été annoncé.

Pour la première fois, peut-être, l’argent public est ouvertement et effectivement utilisé pour « restaurer les marges » de nos entreprises. À dire vrai, les éléments assez fragmentaires fournis par le comité de suivi mis en place autour des services de France Stratégie et de M. Pisani-Ferry ne donnent pas d’outils de mesure des investissements et des créations d’emplois dans les entreprises bénéficiant du CICE. Le document de suivi de France Stratégie ne fournit, pour l’heure, qu’un suivi des « intentions » d’embauche et d’investissement des bénéficiaires.

Il aura ainsi fallu environ un an pour que les entreprises fassent « l’apprentissage » – selon la formule utilisée – du CICE, et six à huit mois supplémentaires pour que cet apprentissage se traduise, virtuellement, par des intentions d’investissement, dans un premier temps, ou d’embauche, dans un second temps, en réponse à l’enquête de conjoncture de l’INSEE. On peut donc se demander combien de temps il faudra pour que les intentions deviennent réalité et se traduisent par une relance de l’investissement productif et des créations d’emploi !

Dans son numéro du mois d’octobre 2014, le mensuel Alternatives Économiques démontre qu’au moins l’un des objectifs du Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, expliquant son soutien au CICE, a été atteint. En effet, au second trimestre de 2014, les entreprises françaises ont, malgré leur faible taux de marge et leur compétitivité chancelante, distribué rien de moins que 40,7 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires ! Un montant en hausse de 30 % par rapport à l’exercice précédent, nous précise le mensuel, ce qui prouve que nos entreprises ont, sinon retrouvé leur rentabilité, du moins tenu leurs promesses vis-à-vis de leurs actionnaires.

Cette situation est préoccupante à plus d’un titre. Il semble bien que, si investissements et efforts il y a eu, ce fut pour capter la clientèle disponible des marchés dits « émergents », au détriment du marché domestique. Cela signifie que le mouvement de délocalisation des productions continue. Le jeu sur les prix de transfert qui en découle renforce encore la nécessité d’exiger de nos grands groupes à vocation internationale qu’ils fassent preuve de transparence sur leur activité dans chacun des pays où ils sont implantés.

Mes chers collègues, il y a beaucoup de non-dits autour du CICE, de ce qu’il représente, de ce à quoi il tend, de sa quotité, de son affectation et de son poids dans les finances publiques. Il me semble que nous devons nous efforcer de comprendre en quoi la mesure est discutable et pourquoi elle doit être abandonnée.

Ce que nous dit le comité de suivi est assez éclairant, quand bien même – nous ne pouvons que le souligner à nouveau – son rapport ne comporte qu’un faible nombre d’appréciations très évaluatives. Le CICE ne semble pas avoir coûté autant que prévu aux finances publiques. Cependant, il me paraît quelque peu limitatif de calculer son coût pour les finances publiques en s’appuyant seulement sur le montant de la créance d’impôt sur les sociétés ou d’impôt sur le revenu imputable.

En réalité, avec un budget de l’État dont le montant de dépenses budgétaires et fiscales atteint environ 375 milliards d'euros et qui est marqué par l’émission de 180 milliards d'euros de titres de dette publique destinés à amortir l’existant ou à financer le déficit budgétaire, que constate-t-on ? Que, pour deux euros de CICE, il faut lever un euro de ressources extrabudgétaires, et que la moitié de cette somme se trouve imputée sur le déficit budgétaire constaté.

En pratique, selon le comité de suivi, ce sont quelque 17,4 milliards d'euros qui seront mobilisés en 2015 pour financer le CICE. L’État va donc émettre 8 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires pour verser le CICE aux entreprises bénéficiaires, et le déficit public s’en trouvera majoré de 3 à 3,5 milliards d'euros. Le coût du CICE pour les finances publiques, tant à court qu’à moyen terme, implique que nous nous interrogions sur son efficacité, en particulier en matière d’emploi.

Prenons quelques exemples. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, 19 654 entreprises disposaient de 242,2 millions d’euros – j’ai du mal à prononcer ce chiffre, à cause de son ampleur… – de créance de CICE en 2014, soit une moyenne de 12 320 euros par entreprise. Pour beaucoup, c’est de « l’argent de poche », mais pour d’autres, c’est un vrai pactole !

D’après l’enquête réalisée en 2014 par Pôle emploi sur les besoins de main-d’œuvre dans cette région, les entreprises font état de 80 511 projets d’embauche, dont 28 % de projets saisonniers. Quel est le « top 5 » des professions les plus demandées ? Animateur socioculturel, agent d’entretien de locaux, aide à domicile, employé de libre-service et aide-soignant, ces cinq professions représentant plus de 23 % des offres d’emploi potentielles de l’année. Il s’agit d’emplois non délocalisables. Le nombre de projets d’embauche a augmenté de 2 700 en un an.

Dans la région Lorraine, 12 039 entreprises se sont partagé une créance de 143,8 millions d'euros. L’enquête sur les besoins de main-d’œuvre comptabilise 44 282 offres d’emploi potentielles, dont, là encore, plus de 28 % de projets saisonniers. Cela représente 6 600 projets d’embauche en plus, après trois années de baisse consécutives. Les deux tiers de ces projets relèvent du domaine des services et concernent des emplois peu ou pas qualifiés.

Dans la région Bretagne, le nombre de projets d’embauche s’élève à 90 213, dont près de 47 % pour des emplois saisonniers. La part des offres de contrat saisonnier est même de 50 % dans les Côtes-d’Armor et de presque 55 % dans le Finistère ; elle atteint ou dépasse les 70 % dans les bassins d’emploi de Quimperlé, Concarneau, Auray ou encore Lannion. Cependant, 16 864 entreprises bretonnes ont bénéficié d’une créance de CICE, pour un montant total de 212,9 millions d’euros. Les abattoirs Gad ou le volailler Doux ont probablement profité du CICE…

À ce stade, je ne peux manquer de souligner la situation d’une entreprise de ma région, la société Radiall, implantée notamment dans mon département, l’Indre-et-Loire, ainsi que dans l’Isère. Cette entreprise est spécialisée dans la production de composants électroniques. C’est une entreprise dite « de taille intermédiaire », créée par Yvon Gattaz et reprise depuis par son fils Pierre, actuel président du MEDEF, comme son père fut président du Conseil national du patronat français, le CNPF.

Cette année, Radiall va payer en France 202 000 euros d’impôt sur les sociétés, alors que le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 235 millions d’euros et dégagé un bénéfice de près de 25 millions d’euros. L’entreprise bénéficie de 876 000 euros de créance de CICE à « épuiser » d’ici à 2017.

Une telle situation appelle la réflexion, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’elle signifie que Radiall bénéficiera d’une créance reportable sur les exercices ultérieurs, de la même manière qu’elle a pu, ces dernières années, alléger ses obligations fiscales françaises du coût de son expansion à l’étranger dans des pays aux cieux fiscaux plus cléments et aux obligations sociales moins pesantes.

Pierre Gattaz est un habile chef d’entreprise : si l’essentiel de son chiffre d’affaires demeure réalisé en France, où travaille également la majorité de ses salariés, la plus grande partie de sa plus-value est transférée à l’étranger. Merveille de l’optimisation fiscale – c’est un sujet cher à notre collègue Éric Bocquet, ici présent –, qui permet d’imputer les pertes liées aux coûts de délocalisation des productions sur les profits ultérieurs et de se servir de ses bases à l’international pour distribuer au mieux les profits et éviter les impositions trop élevées !

Le CICE ne paiera peut-être pas les 2,8 millions d’euros de dividendes que s’accordent les actionnaires de Radiall – 87 % des parts appartiennent à la famille Gattaz –, mais il leur permettra de les financer encore plus aisément.

Notons, pour l’anecdote, que Pierre Gattaz lui-même s’est vu accorder 247 000 euros de dividendes,…

M. Jean-François Husson. Cessez les attaques personnelles !

Mme Marie-France Beaufils. … une somme supérieure à l’impôt payé par son groupe, et qu’il bénéficiera pour cela – il ne le signale pas sur son site personnel, mais cette information doit à mon sens être portée à la connaissance de tous (Protestations sur les travées de l'UMP.) – de 98 800 euros de crédit d’impôt au titre des dividendes perçus.

Pour le reste, il faut rappeler que l’essentiel de la créance de CICE est concentré sur les plus grandes entreprises. La Direction des grandes entreprises et la Direction des résidents à l’étranger et des services généraux ont inventorié des entreprises qui représentent 0,7 % des bénéficiaires du CICE, mais qui ont capté pour leur compte 42,6 % de la créance, soit plus de 3,5 milliards d'euros au total ! Je ne sais si les entreprises ont eu un temps d’ « apprentissage » ou d’adaptation au CICE, mais, en tout cas, certaines apprennent apparemment plus vite que les autres…

Pour les grandes entreprises, la créance moyenne se monte à un million d’euros. Si l’on en croit le mensuel économique que je citais précédemment, cette somme semble avoir été mise à profit pour assurer le respect des décisions des assemblées générales d’actionnaires en matière de distribution de dividendes et de « retour sur investissement », comme on dit avec élégance.

Doit-on en conclure que le CICE n’a provoqué aucune inflexion significative des politiques d’embauche de nos entreprises ? Il semble bien, malheureusement, que tel soit le cas, puisque le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dit « rapport Carré », met en évidence que nous n’avons pas résolu la quadrature du cercle.

Le CICE n’a eu qu’un effet directement constaté : la modération de la progression d’un nouvel indice, à savoir celui du coût du travail. Ce dernier ne fait pas la une des médias grand public, sa modération signifiant tout simplement que les salaires ont tendance à stagner dans notre pays !

Cette situation n’est pas nouvelle en France, puisque, depuis que l’État gèle le point d’indice des fonctionnaires, il semble inspirer bien des politiques salariales dans le secteur dit « concurrentiel ». Doit-on en conclure que le redressement de la rentabilité de nos entreprises, de leurs marges, passe par une nouvelle contraction de la masse salariale ?

Tel pourrait être le cas, car il y a, dans le débat sur le CICE, une réelle hypocrisie. Alors même que les coûts de production ne se limitent aucunement au seul coût du travail, c’est bel et bien sur ce seul élément que portent, depuis plus de vingt ans, tous les efforts des politiques publiques dites « de l’emploi ».

Si l’on excepte les lois Aubry sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, le traitement du problème de l’emploi n’est envisagé qu’à l’aune de la contraction des coûts salariaux, et la compétitivité de notre industrie n’est vue qu’à travers ce prisme.

Ce n’est pas, comme nous l’avons vu, en développant l’emploi saisonnier, l’emploi précaire et les emplois dans les secteurs peu qualifiés que nous monterons en gamme et que nos produits seront compétitifs à l’exportation.

Au demeurant, comme chacun l’aura constaté à la lecture tant du rapport Carré que du rapport du comité de suivi, les secteurs bénéficiaires du CICE ne sont pas plus exposés à la concurrence internationale que les autres.

Ainsi, lors du séminaire de la commission des finances en région Centre, les services fiscaux nous ont confirmé que les principaux bénéficiaires du CICE dans cette région étaient les sociétés de travail temporaire et les groupes de la grande distribution.

Quant à la fameuse compétitivité du service aux entreprises en Allemagne, régulièrement présentée comme une véritable réussite, elle est fondée, vous le savez, sur des pratiques de dumping social forcené : aujourd’hui, 20 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiel, pour des rémunérations inférieures à cinq euros de l’heure.

Est-ce cela le modèle de compétitivité qu’on veut nous vendre, coûte que coûte, même s’il semble, ces temps derniers, légèrement en panne ? Pour nous, il s’agit malheureusement d’une illustration de plus des principes de concurrence libre et non faussée à la mode européenne.

Évoquons quelques instants les perspectives offertes, sur le moyen terme, par le CICE. Comme le rappelle le rapport Carré, trois modèles macroéconomiques ont été conçus pour évaluer les effets du CICE en termes d’emploi, de croissance ou encore d’échanges extérieurs.

Sans surprise, le modèle le plus optimiste est celui de la direction générale du Trésor, qui tente d’expliquer que la perte de ressources fiscales causée par le CICE, soit 17,5 milliards d’euros en 2015, serait compensée par une progression du PIB située entre 0,9 % et 1,1 % sur la période 2017-2022, soit une somme comprise entre 22 milliards et 25 milliards d’euros. Il est évident que ni le Trésor ni M. Macron, alors conseiller à l’Élysée, n’avaient intérêt à minorer les effets positifs attendus par la mise en œuvre du crédit d’impôt, même si l’effet de levier se révèle faible…

En termes d’emplois, le modèle du Trésor évoque 396 000 créations à l’horizon 2017. Or, avant d’être parlementaire, j’ai été, enseignante en école élémentaire. J’ai fait faire beaucoup de calcul mental, contrairement à ce que j’entends dire sur ce qui se passe dans les classes.

M. Jean-Claude Gaudin. Vous êtes prête alors pour la réforme des rythmes scolaires ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-France Beaufils. Faisons une simple division : si 66,1 milliards d’euros de créance CICE prévus à l’horizon 2017 sont divisés par 396 000 emplois créés attendus, nous aboutissons à une charge unitaire de près de 167 000 euros par emploi créé !

M. Daniel Dubois. Sur quelle durée ?

Mme Marie-France Beaufils. Il s’agit non plus d’emploi aidé, mes chers collègues, mais d’emploi privé sous perfusion d’argent public, et ce à fonds perdus !

M. Jean-Pierre Bosino. C’est vrai !

Mme Marie-France Beaufils. À ce niveau de coût, il vaut peut-être mieux assurer l’équilibre de l’assurance chômage et créer des emplois publics, car cela coûtera moins cher aux finances publiques !

Et Martine Aubry, dans le Journal du dimanche, ne me semble pas loin de faire la même analyse quand elle affirme que « 20 milliards d’euros peuvent être libérés » pour « un soutien à la croissance, qui touche les ménages et les collectivités locales ».

M. Éric Bocquet. Très bonne idée !

Mme Marie-France Beaufils. Il est par ailleurs à craindre qu’un autre effet pervers n’accompagne le CICE.

Comme le montrent nombre de réponses fournies par les professionnels des différents secteurs d’activité interrogés, tant par le comité Pisani-Ferry que par la mission Carré, les entreprises utilisent d’abord le CICE pour investir.

Ainsi, la créance peut fort bien servir à l’autofinancement de certaines acquisitions, mais également, c’est à craindre, à des investissements substituant le capital matériel au travail humain, c’est-à-dire la machine à l’emploi. En clair, le CICE permettrait d’accélérer les processus dits « de modernisation », accompagnés de suppressions de postes de travail.

L’évaluation beaucoup plus modeste retenue par l’OFCE sur l’incidence du crédit d’impôt, pointant notamment son faible impact sur la croissance, montre clairement que les arbitrages de dernier ressort n’ont pas forcément vocation à développer la production de chaque entreprise.

Pour Mathieu Plane, concepteur du modèle OFCE, le CICE devrait conduire à la création de 150 000 emplois au terme de cinq ans de mise en œuvre et provoquer un gain de croissance de 0,1 point de PIB en 2018. Ce dispositif ne sert peut-être tout simplement qu’à réduire les coûts salariaux pour accroître la rémunération du capital... C’est en tout cas le choix, nous semble-t-il, que certaines sociétés ont fait.

C’est pourquoi, à tout le moins, madame la secrétaire d’État, nous devrions connaître en toute transparence les sommes dont chaque entreprise bénéficie pour mieux apprécier l’utilisation des fonds publics qu’elle reçoit. En tant qu’élus, nous le demandons bien aux associations dans nos collectivités !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Marie-France Beaufils. D’aucuns s’interrogent cependant sur la possibilité de modifier la nature du CICE pour le transformer en allégement complémentaire de cotisations sociales. L’hypothèse est avancée dans le rapport Carré, ses auteurs y voyant l’occasion de réduire les cotisations sociales et de financer, par exemple, la disparition des cotisations dites « patronales » destinées à la branche famille.

Vous aurez constaté que, avant de réduire définitivement les cotisations, c’est aux prestations de cette branche que l’on s’attaque.

Mme Marie-France Beaufils. Toutefois, l’hypothèse du rapport Carré n’est rien d’autre qu’une idée défendue par le parti même de l’intéressé, à savoir l’UMP, en matière de politique publique.

Dès le 15 décembre 2012, date du débat parlementaire au Sénat sur l’article créant le CICE, que nous avions rejeté par scrutin public, nos collègues MM. Arthuis, Delahaye, de Montgolfier et Delattre intervenaient tous pour légitimer le remplacement du crédit d’impôt par ce qu’ils appellent les « allégements de charges », financés au demeurant par la hausse de la TVA, et que nous appelons, pour notre part, des baisses de salaire.

Plutôt que de s’interroger sur le bien-fondé d’une dépense de 17 milliards à 22 milliards d’euros pour alléger la légitime contribution fiscale des entreprises – ne bénéficient-elles pas, elles aussi, de la dépense publique ? –, les porte-parole que je viens de citer préféraient voir dans le CICE un levier de plus pour mener leur action de longue haleine contre le financement solidaire de la protection sociale.

Que le CICE tende à permettre la restauration des marges des entreprises, leur compétitivité, ou que les allégements de cotisations sociales aient pour but d’alléger le coût du travail, il ne s’agit que des deux faces de la même médaille. Que l’on réduise le salaire socialisé en supprimant des cotisations sociales ou que l’on restaure les marges des entreprises, on vise, dans tous les cas, à accroître les profits, quelle que soit, d’ailleurs, la réalité de la production.

Dans toutes les hypothèses, le partage de la valeur ajoutée, créée de manière exclusive par le travail des salariés, est chaque fois plus défavorable à ces derniers, puisqu’il s’agit de payer la rente des banquiers ou de rémunérer les actionnaires.

La société que nous voyons s’esquisser derrière ces choix est encore plus dure que celle d’aujourd’hui : le travail y sera toujours plus mal rémunéré, toujours plus précarisé ; la formation des travailleurs y sera toujours méprisée, leur qualification toujours moins reconnue, pendant que les actionnaires percevront toujours plus de dividendes dans une course au maintien d’une haute rentabilité des investissements.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-France Beaufils. Mme la présidente me demandant d’accélérer…

Mme la présidente. Vous avez dépassé votre temps de parole !

Mme Marie-France Beaufils. En effet, j’ai dépassé le temps qui m’était imparti.

M. Jean-Claude Gaudin. Plus encore qu’Hélène Luc en son temps ! (Sourires.)

Mme Marie-France Beaufils. Non, tout de même pas ! (Nouveaux sourires.)

Faut-il que nous dépensions des sommes fort importantes pour créer, selon les estimations, de 152 000 à 396 000 emplois dans les cinq années qui viennent, ce qui, je le rappelle, ne représente que de 1 % à 2,5 % de l’emploi privé ? Nous ne le pensons pas !

Il est grand temps que les politiques de soutien aux entreprises et à l’activité sortent de l’ornière des allégements de fiscalité ou de cotisations sociales, pour aller au cœur des enjeux, à savoir la qualité de financement de l’investissement productif, la progression des rémunérations et des qualifications, la réduction du temps de travail rendue possible par les évolutions technologiques. Voilà ce qui devrait guider l’action publique en direction des entreprises, particulièrement l’action de la BPI, qui devrait être réévaluée à cet effet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur le CICE est pertinent, à condition qu’il soit replacé sur des bases saines en regardant la réalité économique en face. Quelle est-elle ?

La réalité, c’est que le CICE est, sinon une perte, du moins un sacrifice pour les finances publiques. En effet, on peut se demander pourquoi l’État sacrifie de la ressource fiscale qui pourrait, qui devrait financer ses missions régaliennes sur lesquelles les Français l’attendent, notamment la sécurité,…

M. Stéphane Ravier. … puisque, en France, aujourd’hui, ce sont les écoles qui brûlent,…

Mme Cécile Cukierman. C’est l’emploi qui brûle !

M. Stéphane Ravier. … ou encore la défense nationale, dont le budget sera de nouveau raboté cette année, alors que notre armée est engagée en plusieurs points du globe.

Il s’agit bien d’un sacrifice pour payer, sans aucun doute, les pots cassés du « sans-frontiérisme » bruxellois,…

Mme Éliane Assassi. On vous reconnaît bien là !

M. Stéphane Ravier. … qui mine notre compétitivité en faisant de notre pays un espace ouvert à tous les vents, en particulier aux vents mauvais de la concurrence déloyale.

Mme Cécile Cukierman. Les masques tombent !

M. Stéphane Ravier. D’un côté, on assomme nos entreprises avec la concurrence déloyale venue de pays qui ne respectent aucune norme, qu’elle soit sociale, économique, environnementale, sanitaire ou syndicale,…

M. Stéphane Ravier. … mais aussi avec la hausse de la TVA, qui les oblige à réduire leurs marges pour ne pas augmenter leurs prix, tout en reversant davantage à l’État. De l’autre, on leur rend quelque argent, mais sans cible de secteur en particulier.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le CICE n’atteigne pas ses objectifs. Non seulement nous sommes loin des 13 milliards promis aux entreprises, mais, surtout, le système profite davantage aux emplois non délocalisables qu’à l’industrie ou à la construction, qui continuent de perdre du terrain dans notre pays, avec respectivement 8 100 et 8 800 postes perdus au premier semestre de 2014.

La solution est ailleurs. Elle ne réside pas dans le repli sur soi ou la fermeture des frontières, car personne, ici, n’a pour ambition de faire de notre pays la Corée du Nord de l’Europe… (L’orateur se tourne vers les travées du groupe CRC.)

M. Stéphane Ravier. Il faut simplement protéger enfin de façon intelligente nos intérêts économiques, donc nos entreprises, comme le font toutes les grandes démocraties du monde, ailleurs qu’en Europe.

Mme Éliane Assassi. Et comment appelez-vous cela ?

M. Stéphane Ravier. Dès lors, nous n’aurons plus besoin d’une usine à gaz coûteuse comme le CICE.

M. Roland Courteau. C’est déjà terminé ?

M. Stéphane Ravier. Je n’avais que trois minutes !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis décembre 2012, nous n’avons guère eu l’occasion d’évoquer spécifiquement le dispositif de CICE en séance publique. Je souhaite donc remercier nos collègues du groupe communiste d’avoir demandé ce débat sur le bilan de son application.

Nous le savons, les conditions de la création de ce crédit d’impôt ont été particulièrement confuses. Le rapport de Louis Gallois était à peine publié, en novembre 2012, que le Gouvernement souhaitait en prendre immédiatement acte en introduisant dans la troisième loi de finances rectificative pour 2012 un amendement portant création de ce nouveau dispositif.

Un amendement à 20 milliards d’euros, c’est rarissime, et même historique, je crois, même si je n’ai pas vérifié ! Et heureusement, d’ailleurs, car cette méthode est bien avantageuse pour le Gouvernement : pas d’étude d’impact, peu de débats en commission et, pour nous, sénateurs, le sentiment d’être placés devant le fait accompli en séance publique, lorsque nous constatons que l’Assemblée nationale a introduit un tel dispositif dans le projet de loi de finances. Démocratiquement, le procédé était un peu léger, madame la secrétaire d’État, pour un crédit d’impôt reposant sur une enveloppe de 20 milliards d’euros !

Dans ces conditions de présentation et – il faut bien le dire – d’improvisation, il était logique à l’époque que le Sénat, dans sa grande sagesse, rejette ce crédit d’impôt. J’étais d’ailleurs, à titre personnel, cosignataire de l’amendement de suppression, avant que le Sénat ne finisse par rejeter l’ensemble du projet de loi de finances rectificative de décembre 2012.

Au-delà des arguments de forme, trois motifs de fond justifiaient ce rejet, il y a deux ans : les conditions de financement du CICE, les faibles effets prévisibles du dispositif et son caractère moins avantageux, surtout si on le compare à la TVA sociale. Il me semble trop tôt aujourd’hui pour établir un bilan complet du dispositif et de ses retombées macroéconomiques. On peut néanmoins avoir une première idée de son efficacité à venir en examinant les modalités de son lancement. Qu’en est-il donc du CICE après deux années d’application ?

Tout d’abord, quels ont été les effets perceptibles du dispositif pendant ces deux dernières années ?

Dès l’origine, l’analyse à laquelle les sénateurs du groupe UDI-UC ont soumis le CICE et ses modalités d’application leur a permis de percevoir qu’il s’agissait non pas d’un outil d’amélioration de la compétitivité des entreprises, comme il aurait dû l’être, mais plutôt d’un outil de conservation de l’emploi dans les grands groupes de services.

En effet, le CICE ne consiste pas en une baisse des charges sociales, mais en un crédit d’impôt sur les bénéfices – pour les entreprises qui en font, du moins ! –, que ces derniers soient assujettis au régime de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu. Ce crédit est assis sur l’évolution de la masse salariale, en ne prenant en compte que les salaires inférieurs à 2,5 SMIC.

Aussi, plus une entreprise est grande, plus elle emploie de salariés, plus la rémunération moyenne y est basse, plus elle est bénéficiaire du CICE. Inversement, une start-up ou une petite entreprise qui emploie des ingénieurs de haut niveau rémunérés au-delà de 2,5 SMIC est de facto exclue de l’assiette du crédit d’impôt.

L’exemple de La Poste est particulièrement représentatif de ce phénomène, car cette entreprise est l’une des premières bénéficiaires de ce dispositif, alors qu’elle ne semble pas être la cible première du CICE : l’emploi industriel n’est pas concerné ici, et, a fortiori, ce n’est pas en soutenant ce type de groupes que la France va résoudre son problème de compétitivité.

Ce dispositif semble donc avoir plutôt pour effet principal de récompenser les grands groupes qui font un effort pour dynamiser leur masse salariale, plutôt que les entreprises soumises à la compétition mondiale qui se battent à l’export.

Le rapport d’information de l’Assemblée nationale indique que plus de 1,2 million d’entreprises ont bénéficié en moyenne d’une dizaine de milliards d’euros au titre du CICE. Or il apparaît dans ce même document que les PME ne bénéficient que de la moitié des sommes versées, alors qu’elles représentent plus de 95 % des entreprises. Il est donc manifeste qu’une poignée de grands groupes accapare près de la moitié des fonds versés.

Cette dichotomie entre les grands groupes et les entreprises de taille plus modeste n’est pas non plus sans effets structurels dans le paysage entrepreneurial. Si l’on prend l’exemple du secteur du bâtiment, le CICE a renforcé la différence entre les grands groupes qui en bénéficient et leurs sous-traitants, de taille plus modeste, parfois des artisans, des indépendants ou des autoentrepreneurs, exclus de fait du champ d’application du dispositif.

En matière d’emploi industriel ou de renforcement des entreprises tournées vers l’exportation, cibles privilégiées, à juste titre, du rapport de Louis Gallois, le constat est sans appel. Près de 35 % des montants versés au titre du crédit d’impôt sont destinés à des secteurs non exposés à la concurrence internationale : la restauration, l’hôtellerie, mais aussi le spectacle, l’enseignement et même l’administration publique, voire les associations ! L’emploi industriel et les secteurs exposés ne sont donc pas la cible unique du CICE.

Dans tous les cas, le CICE demeure sous-employé. D’après le rapport, il faudrait attendre 2018 pour que la créance du CICE dépasse la barre des 20 milliards d’euros, objectif annuel initial. D’après les chiffres fournis par le rapport d’information de l’Assemblée nationale, près de 14,8 milliards d’euros n’auront pas été alloués au financement du CICE pendant quatre ans : ce sont autant d’efforts supplémentaires demandés à nos concitoyens, sans contrepartie.

Tous ces éléments nous amènent donc à poser la question du financement du dispositif.

En effet, le crédit d’impôt a été financé par une enveloppe prévisionnelle de 20 milliards d’euros, qui devait initialement être compensée par la hausse de la TVA, c’est-à-dire le passage du taux principal de 19,6 % à 20 % et du taux intermédiaire de 7 % à 10 %, par un effort sur les dotations aux collectivités territoriales et par la mise en place d’une nouvelle fiscalité écologique. Rétrospectivement, ces annonces prêtent à sourire, sauf pour ce qui concerne les collectivités territoriales !

En effet, le financement partiel du CICE par la hausse de la TVA signifie qu’un crédit d’impôt ciblé sur les grands groupes est financé par l’ensemble de la population et l’ensemble des entreprises.

Dans le secteur du bâtiment, ce mode de financement renforce une fois de plus la différence entre les grands groupes et leurs sous-traitants, puisque, de fait, le CICE s’apparente alors à un transfert net de fonds des petits groupes vers les grands, ce qui ne peut que favoriser, à terme, les concentrations dans ce secteur.

Pour le reste, la fiscalité écologique est au point mort avec la polémique interminable sur l’écotaxe et ses avatars. Quant à l’effort des collectivités territoriales, il est désormais dédié au financement des baisses de charges sociales annoncées dans le cadre du pacte de responsabilité qui sont complémentaires.

Il n’en demeure pas moins que le mode de financement est surdimensionné par rapport aux demandes réelles d’accès au CICE. Cela signifie donc que, sous couvert d’un effort en faveur de la compétitivité des entreprises, le Gouvernement a subrepticement fait passer une hausse de TVA dédiée à l’assainissement des finances publiques, moins de six mois après avoir supprimé la TVA compétitivité proposée en février 2012 par le gouvernement de François Fillon, lors de la première loi de finances rectificative pour 2012.

Cette astuce est renforcée par la logique du préfinancement. En effet, le CICE est préfinancé par la Banque publique d’investissement et les banques commerciales et par la créance des entreprises sur le budget de l’État. Concrètement, les entreprises constatent à la fin de l’année N qu’elles détiennent une créance sur le budget de l’État. Or la dette correspondant à cette créance n’est pas prise en compte dans le budget de la même année. Le procédé est effectivement très astucieux, mais peu respectueux du principe de sincérité des comptes publics, madame la secrétaire d’État.

Encore aujourd’hui, le passage à un régime de TVA sociale nous paraît plus efficace que l’actuel CICE, pour trois raisons au moins.

Premièrement, le CICE introduit une forme d’injustice dans la politique fiscale à l’égard des entreprises.

En effet, tout le monde contribue à son financement, mais tous n’en bénéficient pas. J’ai déjà évoqué les distorsions dont le CICE pourrait être la cause dans certaines branches ; je n’y reviendrai donc pas. La TVA sociale, quant à elle, est universelle et concerne tout le monde, dès lors qu’elle permet de baisser les charges sociales qui pèsent sur toutes les entreprises, de l’autoentrepreneur à la multinationale.

Deuxièmement, le CICE est complexe.

N’en déplaise au rapport de l’Assemblée nationale qui vante sa simplicité, ce dispositif demande une déclaration, une procédure d’attribution et un suivi national et régional, sans oublier les conditions particulièrement lourdes et complexes de son préfinancement. En revanche, la TVA sociale est claire, simple et lisible : on augmente son taux, on affecte le produit supplémentaire à la sécurité sociale tout en baissant à due concurrence les charges sociales, le tout sur une même année.

Troisièmement, la TVA sociale a des effets plus sensibles sur l’emploi et sur la compétitivité.

En effet, en ciblant une baisse des charges, en lieu et place d’un simple crédit d’impôt, financé par une hausse sensible du taux principal de TVA, ce mécanisme permet de taxer la consommation de produits importés tout en favorisant la production nationale. Il s’agit ainsi de financer le redressement de notre capacité de production et de notre protection sociale en renchérissant les prix de nos compétiteurs étrangers. Cette logique vertueuse est un vecteur de croissance, de développement de nos entreprises et de baisse du coût du travail ; elle stimule l’offre nationale, donc l’emploi de nos concitoyens.

N’aurait-il pas été plus simple, madame la secrétaire d’État, d’amplifier le dispositif de la TVA compétitivité votée en février 2012, plutôt que de perdre une année à mettre en place le CICE et d’annoncer, un an plus tard, un nouveau plan de baisses des charges, via le pacte de responsabilité, sans lier le financement des deux ? D’un côté, la hausse de la TVA est sous-employée ; de l’autre, la promesse d’une baisse de la dépense publique reste hypothétique, sauf pour les collectivités territoriales qui vont vraiment voir leurs ressources diminuer.

En conclusion, dans le contexte de tension fiscale actuelle et de dégradation de la compétitivité de nos entreprises, tout ce qui va dans le sens du soutien au secteur marchand est une bonne nouvelle. Le CICE est ainsi la seule véritable mesure fiscale intéressant le fonctionnement de l’économie réelle qui ait été adoptée depuis mai 2012. Malheureusement, ce crédit d’impôt a raté une partie de sa cible, et c’est bien dommage.

Le diagnostic et les propositions de Louis Gallois étaient clairs : notre économie et nos entreprises avaient besoin – et ont toujours besoin – d’un dispositif clair et efficace pour soutenir l’innovation, l’exportation, la compétitivité, donc l’emploi industriel. À l’arrivée, à vouloir respecter une attitude trop œcuménique à l’égard de l’industrie et des services, vous avez produit un crédit d’impôt dont l’effet d’entraînement économique est finalement trop faible pour stimuler la compétitivité, la croissance et l’emploi.

En dépit de ses réticences initiales, le groupe UDI-UC a essayé de modifier ce mécanisme. Nous avons, par exemple, déposé à de nombreuses reprises des amendements visant à ouvrir le CICE aux indépendants et aux artisans. Pourtant, le constat s’impose avec une certaine évidence : il aurait été plus simple, plus rapide, plus lisible et plus efficace de mettre en œuvre une véritable TVA sociale. Le Premier ministre Manuel Valls avait jadis vanté ses mérites ; nous attendons donc qu’il soit, enfin, fidèle à ses premières convictions. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de cette semaine de contrôle, le groupe communiste a eu la bonne idée de nous proposer un débat sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE.

Cette initiative correspond tout à fait à l’actualité, puisque nous disposons depuis quelques jours du premier bilan de ce dispositif, vingt mois après son entrée en vigueur, ce qui nous permet de procéder à une première évaluation. Parallèlement, je tiens à mentionner le travail très intéressant de nos collègues députés, réalisé dans le cadre d’une mission d’information présidée par notre collègue Olivier Carré.

Bien entendu, je gage que nos collègues communistes, pour des raisons qui nous séparent profondément, ont choisi d’aborder ce sujet sous l’angle de la distribution des dividendes et des profits détournés, quand ils n’évoquent pas des questions de personne… Disons qu’ils vont bien au-delà des dispositions de la législation relative au CICE.

Certes, on constate que quelques grandes entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire, par exemple La Poste ou la SNCF, bénéficient ou ont bénéficié largement du CICE, alors qu’elles ont une politique de distribution de dividendes généreuse, voire un faible niveau d’embauche, il faut le reconnaître.

Cependant, en y regardant de plus près, les trois quarts du CICE bénéficient, à ce jour, à des PME ou à des entreprises de taille intermédiaire, qui effectuent l’essentiel de leur activité en France, contrairement aux grandes entreprises cotées, dont nous sommes également très fiers.

Permettez-moi de citer à cette tribune certains éléments de réflexion datant de juin 2013 et émanant de M. Christian Eckert, élu comme moi du département de Meurthe-et-Moselle. « Rapporteur de la commission des finances, je ne devrais sans doute pas écrire les lignes qui suivent. Quoique... Ce qui me frappe, depuis un an presque jour pour jour que je travaille avec le Gouvernement sur les questions budgétaires, c’est le nombre de contradictions auxquelles nous devons faire face ». En ce qui concerne le CICE, il évoquait les « effets d’aubaines garantis, mais aussi [les] effets pervers assurés ! » « Les artisans sans salariés regarderont passer le train, ajoutait-il, alors que les grosses entreprises du BTP verront leur impôt diminuer. » A-t-il vu juste ? Toujours est-il que le secteur du BTP souffre aujourd’hui terriblement.

Toutefois, l’enjeu du CICE est ailleurs assurément, et le débat sur son utilisation relève pour nous d’une approche qui doit embrasser un horizon plus large.

Le CICE est une mesure à la disposition des entreprises. Il doit être utilisé en fonction de leurs besoins, de la conjoncture et de leurs perspectives économiques. Il doit créer une dynamique qui sert l’entreprise, contribue à la restauration de ses marges et favorise l’emploi, même si, là encore, on a pu constater un énième revirement de la part du Gouvernement, avec le rétropédalage – exercice devenu habituel, mais ô combien périlleux ! –, de M. Michel Sapin. Celui-ci a déclaré, au début de ce mois, que l’objectif premier du CICE était non de créer des impôts, mais d’aider les entreprises à « retrouver les marges qu’elles avaient perdues. » Or nous sommes en 2014, moins de deux ans après l’annonce de la création du CICE !

Il faut donc accepter de concevoir le CICE au regard des objectifs que le Gouvernement lui a assignés, même si, avouons-le, la confusion règne largement et s’il serait utile d’avoir une politique économique d’encouragement aux entreprises. Une politique de l’offre serait un bon objectif, mais, assurément et malheureusement, le Gouvernement a toutes les difficultés à la mettre en œuvre.

À ce titre, permettez-moi, mes chers collègues, un petit rappel historique, car je ne compte plus les bricolages ni les improvisations gouvernementales, que ce soit en matière de fiscalité, de cotisations sociales ou de compétitivité.

À son arrivée au pouvoir, la majorité de gauche – votre majorité – s’était empressée, par pure idéologie, j’oserai même dire par dogme, de supprimer la TVA compétitivité – cela a d’ailleurs été rappelé par M. Vincent Delahaye. Ce dispositif avait pourtant le mérite de la simplicité et de l’efficacité : il s’agissait d’augmenter la TVA pour compenser les baisses directes de charges sociales.

Vous avez ensuite décidé et mis en œuvre une politique d’augmentation massive des impôts, à contretemps de nos partenaires européens, ce qui a immanquablement et profondément déstabilisé et pénalisé nos entreprises.

Dois-je rappeler le pic historique atteint cette année, avec un taux des prélèvements obligatoires qui dépasse désormais 56,5 % du produit intérieur brut ?

Cependant, contraints et forcés par ce que le ministre, issu de vos rangs, M. Pierre Moscovici, avait alors qualifié de « ras-le-bol fiscal », vous avez pris conscience des limites de cette politique économique et fiscale. En effet, elle n’a, finalement, au-delà de la crise, fait qu’aggraver la situation de notre économie et de nos entreprises.

Nous le savons tous, nos entreprises souffrent d’un handicap de compétitivité. C’est d’ailleurs ce qui légitime une politique de l’offre. Sur ce point, je citerai – une fois n’est pas coutume – une personne dont la compétence est reconnue de tous, M. Thomas Piketty : « Il n’est ni juste ni efficace de faire reposer l’excès de financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé ».

Madame la secrétaire d’État, même si l’analyse ne fait pas l’unanimité dans votre majorité – cela a été rappelé par notre collègue Marie-France Beaufils à l’ouverture du débat – sachez que, avec nos collègues de l’UMP et bien d’autres, d’ailleurs, je partage les considérants de ce diagnostic.

Ainsi, après avoir perdu plus d’une année, vous avez décidé la mise en place d’un ersatz de TVA compétitivité : le CICE. Je parle d’ersatz car il s’agit non pas d’une baisse directe des charges sociales, comme le préconisait d’ailleurs le rapport Gallois, mais d’une forme de crédit d’impôt qui est, en fait, un tour de passe-passe budgétaire, puisque l’État crédite les entreprises avec une année de décalage.

À ce stade, permettez-moi de faire deux observations. Premièrement, le CICE est un soutien aux entreprises dont la valeur correspond aux augmentations d’impôts qu’elles ont subies. Deuxièmement, vous baissez les charges sociales par un crédit d’impôt imputé sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu. Avouez que, en termes de simplicité, vous auriez pu faire mieux ! Les entrepreneurs nous le disent et nous le répètent. Ainsi, le patron de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, de mon département et de la Lorraine déclare que « le système est compliqué, il coûte cher en gestion et il n’a pas l’effet qu’aurait pu avoir une simple baisse des charges sociales. »

Aucun cap, une série d’improvisations, une complexité accrue... Ne sommes-nous pas là face à une nouvelle usine à gaz bien éloignée du choc de simplification ?

Examinons maintenant le premier bilan du CICE. Il nous conduit à dresser le constat d’une situation que je qualifierai de mitigée. La montée en charge du dispositif est lente et le décalage avec vos prévisions – oserais-je dire avec vos espoirs ? – est surprenant quand on en fait la mesure objective.

La prévision initiale pour 2013 était de 13 milliards d’euros, et nous devions passer à 20 milliards en 2014. Or, au début du mois de septembre dernier, la consommation constatée était à peine supérieure à 5 milliards d’euros.

Certes, il manque des déclarations d’entreprises en exercice fiscal différé, mais ces dernières sont le plus souvent de petite taille. Le CICE pouvant être utilisé sur trois ans, il faut aussi tenir compte de ce décalage. Cependant, comment expliquer une telle frilosité ? Vous nous dites que le dispositif est – ou serait – encore mal connu. Je veux bien vous accorder encore à cet instant le bénéfice du doute, mais, sachez-le, je ne me fais aucune illusion !

En effet, en écoutant les chefs d’entreprises, on constate qu’ils sont en fait partagés sur la pertinence du CICE et que sa première utilité est de compenser, autant que faire se peut, je le répète, une partie des hausses d’impôts supplémentaires qu’ils ont subies.

C’est aussi une compensation d’autres mesures que vous avez prises et qui ont contribué à augmenter le coût du travail : la réforme des retraites, les hausses de salaires, notamment du SMIC, la suppression des exonérations d’heures supplémentaires, le compte pénibilité...

Surtout, ce dispositif apparaît complexe et le coût de son préfinancement élevé, en particulier pour les très petites entreprises.

Madame la secrétaire d'État, dois-je enfin vous signaler que les chefs d’entreprises craignent, d’une certaine manière, la recrudescence des contrôles fiscaux ou sociaux, comme c’est le cas pour le crédit impôt recherche ?

Si certains entrepreneurs voient, malgré tout, dans le CICE une forme de « bouffée d’oxygène » pour leur trésorerie, on peut d’ores et déjà constater que les objectifs que vous avez assignés au CICE ne sont pas tous atteints, de quelque point de vue que l’on se place : malgré ce dispositif, les marges des entreprises continuent de se détériorer.

M. Jean-François Husson. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les marges sont maintenant passées sensiblement en dessous de 30 % : 29,4 % en 2014, 29,8 % en 2013. C’est, sinon une descente aux enfers, du moins une baisse inexorable !

L’investissement des entreprises ne s’est pas non plus amélioré : il a reculé de 0,6 % et 0,7 % aux deux premiers trimestres de 2014.

Enfin, l’emploi – le « E » du CICE – ne s’améliore pas non plus. Oserais-je rappeler que vous aviez annoncé, en 2012, la création de 300 000 emplois en deux ans grâce à ce dispositif ? L’inversion de la courbe du chômage nous avait été promise pour la fin de 2013 par le président Hollande… Ce n’est même plus une plaisanterie – la parole du chef de l’État a été discréditée et la situation est trop grave pour pouvoir en sourire –, mais il faut la rappeler pour rendre à chacun ses responsabilités.

M. Michel Savin. Et rappeler certaines incompétences !

M. Jean-François Husson. La présidente du MEDEF de mon département, la Meurthe-et-Moselle, s’interroge. Certes, une entreprise peut espérer toucher en moyenne 1 000 euros par salarié, soit 10 000 euros pour dix collaborateurs. Toutefois, pour embaucher quelqu’un, il faut au strict minimum 20 000 euros ! Comment peut-on faire dans la situation actuelle pour embaucher autant de personnels ?

Je souhaite simplement rappeler une évidence : c’est d’abord et avant tout le carnet de commandes qui fait l’emploi dans notre économie.

Enfin, à terme, le financement de ce dispositif n’est pas assuré. Vous avez d’abord annoncé qu’il serait neutre pour le budget de l’État. Cela a été rappelé, cette dépense devait, en effet, initialement être financée par la hausse de la TVA, l’introduction d’une taxe environnementale et une baisse de la dépense publique. Vous avez donc annulé la hausse de la TVA, pour mieux la remettre en vigueur au 1er janvier 2014. Belle cohérence ! La fiscalité environnementale – est-ce dû au passage des cinq ministres du quinquennat qui, à ce jour, ont eu la charge de l’environnement ? – s’est perdue dans les limbes ! Reste la baisse de la dépense publique, qui demeure, à notre avis, hypothétique, et ce pour plusieurs raisons :

Tout d'abord, nous estimons que la réduction de 50 milliards d’euros que vous envisagez en trois ans, notamment pour financer la baisse des charges et l’équilibre des dépenses publiques, n’est pas réalisable. En effet, elle ne répond pas aux objectifs que vous vous êtes fixés et nous avons un véritable doute sur votre capacité à la réaliser !

Vous allez donc très probablement être confrontés à un effet de ciseaux : la montée en charge du CICE, alors que, dans le même temps, la dépense ne baissera pas à due concurrence. De notre point de vue, tant que les dépenses publiques ne seront pas réduites substantiellement, nous ne pourrons pas financer une politique favorable à l’investissement, ce qui est regrettable.

Aujourd’hui, les chefs d’entreprises nous le demandent : l’État doit d’abord se réformer courageusement et réaliser effectivement un important programme d’économies. Nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau lors de l’examen de la prochaine loi de finances.

En fait, en dressant ce premier bilan du CICE, force est de constater que, s’agissant de la politique de l’offre, vous êtes, en quelque sorte, restés au milieu du gué. Le CICE sera, au mieux, un ballon d’oxygène, mais il ne constituera pas un élément fort d’une politique de compétitivité. Sa montée en charge est lente. Sa possible consommation sur trois exercices en fonction des résultats des entreprises ne répond pas à la situation d’urgence de nos entreprises. Nous aurions préféré une mesure générale, simple et à effet rapide.

Priorité doit donc être donnée à la logique économique : restauration des marges, politique d’investissement et politique de créations d’emplois. Si j’osais, je dirais qu’il ne suffit pas de déclarer : « J’aime l’entreprise ». Mieux vaut aujourd’hui en apporter des preuves concrètes !

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jean-François Husson. C’est sur ce sujet que nous serons collectivement jugés.

Que n’avez-vous, d’ailleurs, suivi les préconisations du rapport Gallois préconisant, quant à lui, une baisse des charges sociales directe et massive ! A contrario, nous allons, en 2015, nous retrouver avec trois dispositifs : les exonérations sur les bas salaires, le CICE et les mesures du pacte de responsabilité. Est-ce lisible pour les entreprises ? Non ! Est-ce cohérent ? Non ! Est-ce efficace ?

M. Jean-François Husson. J’en doute fortement !

Votre CICE demeure donc ainsi une mesure isolée. Restera-t-il, comme certains le disent – je cite de nouveau Thomas Piketty –, « le symbole de l’échec du quinquennat ? Une verrue incarnant jusqu’à la caricature l’incapacité du pouvoir en place à engager une réforme ambitieuse de notre modèle fiscal et social, qui se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop ».

M. Roland Courteau. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Jean-François Husson. Parfois, il est douloureux d’entendre certains des siens témoigner, cher collègue !

Le CICE ne permet pas la constitution d’un écosystème favorable à l’entreprise sur le long terme. Il n’est pas, de notre point de vue, à la hauteur pour recréer un climat de confiance avec le monde de l’entreprise.

Dans cette perspective, d’autres mesures nous paraissent indispensables, et j’en citerai six pour conclure mon intervention.

Premièrement, une simplification de la vie des entreprises et la fin des contrôles intempestifs, des normes diverses et des formalités inutiles.

Deuxièmement, des accords offensifs pour l’emploi au niveau des branches et des entreprises.

Troisièmement, la relance d’une politique active et audacieuse de l’actionnariat salarié.

Quatrièmement, une politique fiscale qui favorise l’investissement. Je me permettrai d'ailleurs de rappeler que, tous prélèvements confondus, les entreprises de taille intermédiaire et les PME françaises paient 60 % de plus d’impôts que leurs homologues allemandes ! Le Lorrain que je suis, frontalier de ce pays, souhaite rappeler ces différences, qui portent préjudice dans nos territoires à la compétitivité des entreprises entre les pays.

Cinquièmement, et c’est un élément important, abordé dans certaines lois récentes, la flexisécurité sur le marché du travail.

Sixièmement, et enfin, une véritable réforme de l’État.

Ce sont ces mesures, madame la secrétaire d’État, que nous appelons de nos vœux au-delà du seul CICE. En effet, il est temps aujourd’hui de redonner confiance à nos entrepreneurs et de créer, d’abord et avant tout, une dynamique favorable à l’investissement et à l’emploi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Germain.

M. Jean Germain. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, peut-être émettrai-je un avis d’une tonalité plus favorable sur ce dispositif...

M. Roland Courteau. C’est certain !

M. Jean-François Husson. Cela va être difficile ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Germain. Dans le rapport Gallois, présenté le 5 novembre 2012, était préconisé un « pacte pour la compétitivité de l’industrie française », largement accepté dans notre pays, à la fois par les entrepreneurs et par tous ceux qui travaillent sur ce sujet.

Ce rapport décrivait, notamment, la situation d’urgence que connaît notre pays, son manque de compétitivité, sa perte de « muscle économique ». Y était donc proposé le transfert d’une partie des charges sociales pour faire baisser le coût du travail, donc pour faire vendre moins cher et pour restaurer la marge des entreprises, qui est trop faible, en vue de permettre la réalisation de meilleurs investissements.

Quelques jours plus tard, à la suite d’un séminaire gouvernemental consacré au Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, le Premier ministre annonçait un allégement de 20 milliards d’euros du coût du travail, étalé sur trois ans et portant sur les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC, ce qui représenterait, à terme, une baisse de 6 % de ce coût. Cette réforme prenait la forme d’un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour les entreprises, financé à parts égales par des économies supplémentaires dans les dépenses publiques, et par des modulations de la TVA et de la fiscalité écologique.

Le premier constat qui peut être dressé à la suite du rapport Gallois et du séminaire gouvernemental, constat sur lequel tout le monde n’est pas d’accord, mais que nous partageons pour notre part, est que le poids des cotisations patronales pesant sur les salaires est excessif en France ; il est donc urgent de les alléger, non pas pour faire un cadeau aux patrons, mais parce qu’il n’est ni juste ni efficace de faire reposer à l’excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean Germain. De fait, lorsque l’on compare la France aux pays disposant d’un secteur social d’ampleur comparable, notre principale particularité est le poids de nos cotisations patronales : le taux global est supérieur à 40 %. Pour verser 100 euros de salaire brut, l’employeur paie plus de 140 euros en salaire « superbrut », dont une moitié pour les cotisations retraite et chômage et l’autre pour les cotisations maladie, famille, construction, formation, etc. Ces deux moitiés aux objectifs très différents pèsent sur le coût du travail. Les faits sont têtus ! Il faudra donc bien continuer à travailler sur cette question.

Deux rapports viennent d’être remis, dressant un bilan d’étape du CICE : le premier établi par le comité de suivi du CICE, institué par la loi et présidé par Jean Pisani-Ferry, et le second à l’issue d’une mission parlementaire présidée par Yves Blein.

La mission parlementaire dresse « un premier constat positif » : la communication autour du dispositif a permis une appropriation rapide par les entreprises, le montant de la créance est « globalement conforme » aux prévisions, le préfinancement fonctionne, l’utilisation est « conforme aux objectifs » et permet notamment de « stabiliser le coût du travail », ainsi que de « contribuer au redressement du taux de marge des entreprises ».

Le rapport de l’Assemblée nationale, aux pages 95 et suivantes, indique que toutes les personnes consultées, parmi lesquelles les représentants des entreprises, sont globalement satisfaites par ce dispositif, même si celui-ci, comme tous les dispositifs, peut encore être amélioré.

Le rapport du comité de suivi permet par ailleurs d’écarter certaines incertitudes qui ont pu être soulevées au cours des dernières semaines, notamment concernant l’impact sur les finances publiques et l’utilisation que font les entreprises de cette ressource.

Comme l’ont indiqué plusieurs intervenants, le montant du CICE acquis au titre de 2013 est fixé à 10,8 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2015. Ce montant, il est vrai, se révèle inférieur aux dernières prévisions réalisées par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, sur la base de la masse salariale de 2013, lesquelles estimaient le montant pour 2013 à 12,3 milliards d’euros.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écart : imprécision des prévisions initiales fondées sur des données sociales et non fiscales, non-recours si le montant de CICE paraît insignifiant, rejet par certains entrepreneurs des formalités administratives. L’effet de nouveauté a pu jouer aussi, conduisant certaines entreprises à oublier de remplir la déclaration du CICE. Elles ont, dans ce cas, trois ans pour réclamer leur dû. La nouvelle convention de comptabilité nationale impose cependant d’enregistrer la totalité de la créance en dépense, et non plus en moindre recette, pour l’année de sa formation.

Concernant l’utilisation que font les entreprises du CICE, l’analyse fondée sur les enquêtes de conjoncture de l’INSEE montre qu’elles comptent utiliser cette ressource, d’abord, pour l’investissement et, ensuite, pour l’emploi. Il convient toutefois d’avoir une lecture prudente de ces chiffres : la question posée par l’INSEE tendait à savoir si le CICE contribuait à augmenter le résultat d’exploitation et si ces sommes seraient affectées majoritairement à l’investissement. Entre 52 % et 58 % des entreprises ont répondu par l’affirmative.

Le CICE peut tout aussi bien favoriser l’amélioration des conditions de travail, des dépenses de formation ou la prospection commerciale, ce que ne teste pas l’INSEE, mais ce que laissent penser d’autres enquêtes plus restreintes, lesquelles confirment la priorité donnée à l’investissement.

En ce qui concerne l’effet sur l’emploi, le rapport du comité de suivi indique qu’il s’agit souvent de préserver des emplois, plutôt que de recruter de nouveaux salariés. Toutefois, l’investissement a également un impact indirect sur l’emploi, non pris en compte dans ces enquêtes.

S’agissant des bénéficiaires du CICE, il apparaît que les PME et les TPE bénéficient pleinement du dispositif : les rémunérations moyennes étant plus faibles dans les petites entreprises, celles-ci ont une part plus importante de leur masse salariale inférieure à 2,5 SMIC. On observe donc bien que, plus l’entreprise est petite, plus la part de l’assiette CICE par rapport à la masse salariale brute totale est importante. (M. Roland Courteau opine.)

En tout, les entreprises de moins de 50 salariés recueillent environ 39 % de la créance totale du CICE, soit légèrement davantage que celles de plus de 500 salariés.

Par ailleurs, le commerce et l’industrie manufacturière sont les deux secteurs bénéficiant le plus du CICE en proportion du montant total versé, et cette part est légèrement supérieure à leur poids économique en termes de masse salariale : ces secteurs étant potentiellement les plus exposés à la concurrence internationale, le dispositif semble être en mesure d’améliorer la compétitivité de la France.

Enfin, le préfinancement mis en place pour permettre aux entreprises de bénéficier immédiatement de l’apport en trésorerie se met en place progressivement. Bpifrance réalise l’essentiel du préfinancement des PME et des ETI, notamment grâce à la gratuité des frais de dossier sur les demandes de faible montant.

Plus des deux tiers des entreprises concernées par le préfinancement font état d’une solvabilité faible : le dispositif a donc bien trouvé sa cible. C’est en particulier le cas du secteur de la construction, qui concentre près de 10 % des bénéficiaires du préfinancement par Bpifrance. Une plus grande implication des banques commerciales pourrait toutefois être recherchée avec la montée en puissance du dispositif.

La mission parlementaire formule des propositions pour améliorer le CICE selon trois axes : le renforcement de la communication autour du dispositif, le perfectionnement du mécanisme de suivi et des propositions d’évolution.

Les deux premiers axes comportent des propositions bienvenues pour améliorer la compréhension et l’utilisation de l’outil, notamment pour mieux atteindre l’objectif politique d’affichage des contreparties au CICE, et plus généralement au pacte de responsabilité : renforcer la communication auprès des TPE et PME ; mieux appliquer les dispositions relatives au suivi de l’utilisation du CICE dans les comptes annuels des entreprises ; encourager le dialogue social sur l’utilisation du CICE.

Il apparaît par ailleurs urgent d’installer les comités de suivi régionaux du CICE, qui sont notamment « indispensables à la pleine mise en œuvre des dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi ». Ces comités devraient se mettre en place rapidement.

Trois évolutions de court terme sont également proposées : permettre l’imputation du CICE sur les acomptes d’impôt des sociétés afin d’éviter des mouvements de trésorerie dans les entreprises ; autoriser les redevables non imposés au réel à revenir sur cette option normalement valable dix ans, afin d’être soumis à un régime réel donnant droit au CICE ; étudier la possibilité d’accorder au secteur non lucratif un avantage fiscal similaire au CICE de manière à égaliser les conditions d’accès aux marchés publics.

Enfin, la mission propose, à terme, de transférer le CICE sur un allégement de cotisations sociales. Il convient d’être prudent sur cette évolution, mais nul doute que nous en reparlerons lors d’un prochain débat.

Le CICE est l’un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement. Cette dernière repose sur trois éléments : réduire le déficit public et assainir nos comptes publics ; restaurer la compétitivité de l’économie, et ainsi renouer avec plus de croissance et d’emplois de manière durable ; réformer notre économie, comme nous le faisons depuis deux ans, en amplifiant encore nos efforts. Enfin, des propositions sont formulées sur l’évolution du dispositif à moyen terme.

Les patrons de PME tiennent au CICE, et ils l’ont indiqué. D’après le baromètre KPMG-CGPME, ils sont 66 % à craindre une remise en question prochaine de ce dispositif.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean Germain. « La mesure est aujourd’hui plébiscitée par les dirigeants, qui commencent à mesurer les premiers bénéfices financiers. Ils craignent d’autant plus sa remise en cause que le degré d’inquiétude face à la situation économique atteint un niveau record depuis 2009 », souligne le baromètre.

Pour un dispositif qui vient de se mettre en place et qui monte en puissance, je pense, mes chers collègues, que le CICE a atteint une grande part des objectifs qui lui étaient fixés.

Les entreprises ont besoin d’un message de stabilité, et il convient de ne pas les inquiéter. Les entrepreneurs rencontrés sur le terrain s’interrogent souvent sur la pérennité du CICE. Nous devons les rassurer en leur expliquant l’importance de notre politique destinée à soutenir la compétitivité. Enfin, toute évolution doit être compatible avec notre engagement à réduire le déficit public.

Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, je suis de ceux qui considèrent que le CICE est positif. Nous ne devons donc pas inquiéter les entreprises en évoquant sa possible suppression. Il faut simplement dire qu’il sera amélioré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. Jean-Vincent Placé. Très bien ! (Sourires.)

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’annonce de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la position des écologistes – peut-être vous en souvenez-vous ? – avait été clairement critique.

Sur la forme, tout d’abord, nous avions regretté qu’un tel dispositif soit voté sous forme d’amendements à une loi de finances rectificative, alors que son importance appelait à davantage de débat et de réflexion, ainsi qu’à la production d’une véritable étude d’impact.

Sur le fond, ensuite, ses finalités nous paraissaient beaucoup trop floues et son financement, reposant à la fois sur une baisse des dépenses publiques, une hausse de la TVA et les revenus de ce que l’on annonçait alors comme une nouvelle fiscalité écologique, nous semblait bien mal calibré.

Deux ans plus tard, et alors que nous disposons désormais d’un certain recul, force est de constater que nos réticences n’étaient pas tout à fait infondées !

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de condamner en bloc la notion même de crédit d’impôt ni de profiter de ce débat pour revenir à un antagonisme désormais classique, celui qui oppose les partisans d’une politique de l’offre à ceux d’une politique de la demande.

Il s’agit, dans le contexte de tensions budgétaires et de crise globale que nous connaissons, de déterminer les formes d’actions les plus efficaces et les plus efficientes qui s’offrent à nous et, lorsque c’est nécessaire, de détecter et de corriger les éventuelles erreurs d’appréciation que nous avons pu commettre.

Avec l’expérience du CICE qui est la nôtre aujourd’hui, je crois que deux erreurs de conception peuvent désormais être confirmées.

La première, c’est d’avoir mal estimé les effets éventuellement contreproductifs de certaines mesures prises au cours des deux dernières années et de la complexité de la mise en place du CICE lui-même.

Le rapport du comité de suivi indique ainsi clairement que ce dispositif, dont on sait qu’il est encore en phase de montée en charge, est nettement moins utilisé cette année par les entreprises que ce que prévoyait le Gouvernement : 13 milliards d’euros de versements étaient initialement attendus en 2014 au titre du CICE de l’année 2013 ; la prévision révisée retenue pour le projet de loi de finances n’est finalement que de 10,8 milliards d’euros.

Même si l’on peut y trouver quelques motifs de satisfaction – après tout, cela représente moins de dépenses pour l’État ! –, il est difficile de ne pas s’interroger sur ce constat. Ne serait-ce pas là, au moins partiellement, le résultat du mode de financement du CICE lui-même, comme d’autres mesures prises depuis lors, dont l’effet récessif a déjà été largement évoqué ? Je pense, par exemple, à la hausse de la TVA intervenue dans des secteurs tels que les transports en commun, la rénovation des bâtiments et la culture.

Ne faudrait-il pas remettre enfin tout cela à plat et évaluer clairement les effets croisés de toutes ces politiques ? En effet, il est, en l’état, bien difficile d’en percevoir les effets positifs, alors que les effets les plus négatifs sont beaucoup plus visibles.

Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’absence de répercussion de la hausse de la TVA de 19,6 % à 20 % sur les prix finaux pratiqués par certains secteurs masque un effet pervers – la très faible inflation que nous observons depuis le début de l’année en témoigne –, qui contribue, lui aussi, à diminuer les effets promis du CICE pour les entreprises. Cela peut notamment se traduire par une rétractation des marges, non pas tellement celles des distributeurs eux-mêmes, mais celles de leurs fournisseurs, les producteurs, parmi lesquels on compte de nombreuses PME qui auraient pourtant bien besoin d’un surplus d’oxygène pour investir et embaucher !

La seconde erreur, qui découle en partie de la première, c’est justement le flou qui entoure le CICE quant à sa finalité en matière de création d’emplois. J’en veux pour preuve l’évolution du discours du Gouvernement lui-même sur la question.

Au moment de son lancement, le CICE devait, nous disait-on, permettre de créer 300 000 emplois à terme. On a ensuite évoqué un ordre de grandeur plus proche des 150 000 emplois. Récemment, le ministre des finances est allé jusqu’à laisser clairement entendre qu’il n’y avait pas de lien direct entre CICE et emploi…

En outre, parce que le bénéfice du CICE est limité aux salaires ne dépassant pas l’équivalent de 2,5 fois le SMIC par an, il ne facilite en rien les embauches dans les secteurs les plus qualifiés, alors que ceux-ci auraient bien besoin d’être dynamisés pour renforcer la France sur la scène internationale et relancer son économie. Ainsi, au final, le rapport annuel du comité de suivi reste très prudent quant aux résultats du dispositif sur les créations d’emploi.

Ce document indique bien, en reprenant l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE parue au mois de juillet dernier, que 48 % des entreprises de services et 34 % des entreprises de l’industrie affirment que ce dispositif aura un impact sur leurs embauches. Cependant, il s’agit de données déclaratives et, de fait, des plus imprécises. De manière plus générale, force est de constater que nous manquons de visibilité quant à l’utilisation réelle qui est faite du CICE par les entreprises qui y ont recours.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe écologiste est favorable non pas à des mesures qui viendraient soutenir l’ensemble des acteurs économiques, quels que soient leur poids, leur modèle, leur santé réelle, mais à des mesures de soutien sectoriel, qui donneraient à l’État un véritable rôle de stratège et permettraient de soutenir nos entreprises les plus concernées par la concurrence internationale, nos entreprises véritablement innovantes et, surtout, les acteurs d’une transition écologique et d’une mutation technologique que nous appelons tous de nos vœux.

Michel Sapin indiquait récemment que le CICE était là pour permettre aux entreprises de retrouver leurs marges, donc d’investir, d’embaucher ou de former, en tout cas de préparer l’avenir.

Il est vrai qu’un crédit d’impôt peut effectivement être fort utile dans cette perspective et qu’il est des entreprises et des industries qui ne demandent qu’à se développer et à embaucher. Cependant, nous ne pourrons pas les aider avec des outils aussi généraux, imparfaitement et précipitamment conçus. De tels outils dépensent trop d’argent public sans permettre de financer assez de telles entreprises !

Et que l’on ne vienne pas nous opposer l’Europe qui, aux dires de certains, avec ses directives et ses règlements, nous empêcherait de mettre en place pareille démarche. C’est tout simplement faux : elle laisse en réalité de véritables marges de manœuvre en la matière, sans compter que c’est aussi à nous de nous emparer des politiques européennes pour mieux les orienter avec nos partenaires, alors que les institutions européennes terminent justement leur renouvellement.

Les difficultés du CICE, comme, plus généralement, celles de notre économie et de l’Europe tout entière, nous démontrent que c’est d’une utilisation précise, articulée et stratégique des moyens publics que nous avons besoin aujourd’hui. À nous de bien en tirer les conséquences. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’ont souligné plusieurs orateurs, le CICE a été institué par l’article 66 de la loi de finances rectificative pour 2012 et il est entré officiellement en vigueur le 1er janvier 2013. Il fait partie du pacte de responsabilité du Gouvernement, très largement inspiré du rapport Gallois.

Pour rappel, la Haute Assemblée avait rejeté cette proposition, mais, du fait de la navette parlementaire, celle-ci a été réintroduite à l'Assemblée nationale. Le CICE existe donc à présent depuis 21 mois : une durée certes insuffisante pour juger de la pleine efficacité du dispositif, mais assez longue pour avoir un premier retour d’expérience.

Un constat s’impose, celui des incertitudes mêmes du CICE en ce qui concerne son efficacité économique et sociale, c’est-à-dire en termes d’activité, de croissance et d’emploi. Et quand 17,5 milliards d'euros sont en jeu en 2015, il nous paraît essentiel que les parlementaires que nous sommes puissent, autant que les citoyennes et les citoyens, avoir des informations claires sur les réalités d’un tel dispositif.

Pour financer le CICE, on a augmenté la TVA, on a haussé le rendement de l’impôt sur le revenu, on va accroître la fiscalité dite « écologique », on a réduit et on réduit encore les dépenses publiques !

Le CICE apparaît de plus en plus comme un « chèque en blanc » accordé aux entreprises, sans contrepartie visible. Sinon, nous n’aurions pas la situation de l’emploi que nous connaissons. Le CICE prétend muscler l’offre, alors que celle-ci souffre notamment d’une insuffisance de la demande – et pour cause ! – face à un pouvoir d'achat en berne dont la première conséquence est la baisse de la consommation des ménages.

Ce dispositif est en quelque sorte la quintessence d’une politique assumée : largesse et laxisme pour certains ; rigueur et austérité imposées au plus grand nombre !

Comment ne pas s’interroger sur l’essence même de ces milliards d’euros accordés depuis des années aux entreprises, dont le CICE n’est qu’une forme parmi d’autres, une de plus – songeons aux exonérations de cotisations sociales, aux niches fiscales, au régime des groupes, à la niche Copé, à la suppression de la taxe professionnelle, et j’en passe. Le CICE, c’est en quelque sorte la « cerise sur le gâteau » – un gâteau déjà bien garni –, si je puis m’exprimer ainsi, avant la baisse programmée du taux de l’impôt sur les sociétés !

Du fait de ce que vous appelez le « coût du travail », qui en fait prend en compte les salaires sous toutes leurs formes, on postule depuis trop longtemps que les entreprises ne sont pas compétitives. Le rapport de la mission d’information menée par notre collègue Michelle Demessine démontre que les allégements de cotisations sociales et d’impôts n’ont pas suffi à enrayer le chômage, bien au contraire ! J’y reviendrai notamment avec des chiffres issus de mon département.

Tout aussi grave, cette politique d’exonérations de cotisations sociales met à mal depuis des années le financement de la protection sociale... Financée à 80 % par des cotisations, notre protection sociale ne l’est plus aujourd’hui qu’à environ 60 %. Notons d’ailleurs ensemble, mes chers collègues, que plus la sécurité sociale est « fiscalisée », plus elle est en déficit !

Les exonérations de cotisations, non ciblées, ne vont ni aux entreprises qui en ont le plus besoin ni aux secteurs les plus exposés à la concurrence. Elles favorisent au contraire les entreprises du CAC 40, et ce sont de véritables primes aux bas salaires et aux secteurs les plus abrités.

En conséquence, devons-nous continuer dans cette voie, madame la secrétaire d'État ?

Je reviens à présent spécifiquement au CICE et aux premières évaluations que le comité de suivi a pu faire, après une année et demie de mise en œuvre. Le rapport du comité de suivi est très évasif – c’est le moins que l’on puisse dire ! – sur les effets de la mesure.

Néanmoins, j’aimerais ici vous livrer quelques chiffres, qui viennent compléter ceux de ma collègue Marie-France Beaufils. Ce sont des exemples locaux et concrets qui interrogent les parlementaires communistes que nous sommes, mais aussi, je pense, tous les sénateurs ici présents.

Le groupe Mulliez, bien connu dans le Nord, perçoit depuis deux ans 127 millions d'euros. Or ce même groupe va supprimer 300 postes en trois ans.

D’après les chiffres que m’a communiqués mon collègue Dominique Watrin, 61,4 millions d’euros auraient été distribués à 6 000 entreprises du Pas-de-Calais. Pour combien d’emplois créés et combien d’emplois sauvés ?

PSA Peugeot Citroën va liquider 8 000 emplois en fermant l’usine d’Aulnay et en réduisant la production à Rennes. Avec le CICE, le Gouvernement offre en quelque sorte au groupe une récompense de plus de 100 millions d’euros pour avoir mené cette politique.

La Poste va, quant à elle, récupérer 270 millions d’euros et entend supprimer encore des milliers d’emplois d’ici à l’an prochain.

Par ailleurs, Total, dont on vient d’apprendre la disparition tragique du PD-G, touchera 80 millions d'euros, alors que ce groupe pétrolier organise volontairement son déficit en France.

Je poursuis avec un dernier exemple issu du département dont je suis l’élue. L’entreprise Ricoh, qui appartient à un groupe mondial, déclare avoir obtenu une aide publique de 1 million d’euros au titre du CICE pour l’année 2013, tout en faisant part de son intention de supprimer 328 emplois en France, dont 200 sur son site de Rungis.

Dans le Val-de-Marne, ce sont donc 65 millions d’euros qui ont été distribués à 9 817 entreprises de ce territoire. Pourtant, comme partout, le chômage n’a pas baissé. Faut-il rappeler qu’il a même augmenté de 7,9 % en 2013 à l’échelle nationale ? On ne peut pas vraiment parler d’effets bénéfiques, même minimes, du CICE.

Madame la secrétaire d'État, je crains que ces exemples ne soient pas isolés. Est-ce à dire que les aides publiques financent des licenciements et, parfois, des délocalisations ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour que ce type d’entreprises ne puisse obtenir une nouvelle mesure de crédit d’impôt au titre du CICE pour l’année 2015, si des licenciements sont programmés ?

Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur le fait que seize des plus grandes entreprises françaises, faisant partie du CAC 40, cumulent une réduction d’impôt de 823 millions d’euros en 2013, qui devrait atteindre 1,24 milliard d’euros en 2014 ? Là aussi, la politique de ces groupes en matière d’emploi nous laisse plus que dubitatifs. Air France ou Sanofi, pour ne citer que deux autres exemples, ne brillent guère par leurs créations d’emplois, mais se distinguent, hélas, par leurs plans sociaux.

Mes chers collègues, quelle collectivité aujourd’hui accorde des subventions ou des avantages sans aucun engagement en retour ? Outre mon mandat de sénatrice, je suis conseillère régionale d’Île-de-France. Cette région, comme beaucoup d’autres, n’accorde pas de crédits aux entreprises qui ne mènent pas une politique « vertueuse » en termes d’emplois et d’égalité professionnelle notamment.

L’argent public ne peut être distribué sans un minimum de contrôle. N’est-ce pas aux parlementaires que nous sommes de s’en assurer, d’autant que les efforts demandés reposent toujours sur les mêmes, à savoir nos concitoyens et les collectivités ?

Vous l’avez remarqué, mes chers collègues, au sein du groupe CRC, nous sommes plus que critiques sur ce dispositif, mais nous voulons une fois de plus être constructifs dans l’intérêt de nos concitoyens.

Dans cet esprit, complétant les propos de notre collègue Marie-France Beaufils, je formulerai deux propositions supplémentaires, qui, je l’espère, trouveront de l’écho auprès de vous, madame la secrétaire d'État.

Premièrement, il faudrait créer un indice du coût du capital pour inciter véritablement au réinvestissement des dividendes dans l’entreprise.

Deuxièmement, il conviendrait de créer rapidement un observatoire national, avec des déclinaisons départementales, sur l’utilisation du CICE, afin d’évaluer de façon objective sa pertinence et d’en dégager ensuite les conclusions. C’est notamment la demande que nous avons formulée, Christian Favier et moi-même, auprès du préfet du Val-de-Marne.

Mes chers collègues, je crois que ce débat est essentiel aujourd’hui. À quelques jours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2015, il est utile de rappeler que le montant du CICE correspond peu ou prou au montant entretenu, pour ne pas dire fabriqué, du déficit de la sécurité sociale. Tirons-en ensemble les conclusions qui s’imposent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vous le savez, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi devait être une sorte de couteau suisse de la relance économique française par l’amélioration de l’offre : un outil multifonction ! (Sourires.)

Selon la publicité, « le CICE a pour objectif de redonner aux entreprises des marges de manœuvre pour investir, prospecter de nouveaux marchés innover, favoriser la recherche et l’innovation, recruter, restaurer leur fonds de roulement ou accompagner la transition écologique et énergétique grâce à une baisse du coût du travail. » Stimulation de l’investissement et de la compétitivité dans les secteurs porteurs d’avenir, développement de l’emploi : difficile de dire mieux !

Après les intentions – forcément excellentes –, examinons la réalité, à tout le moins les enseignements de la première année complète de mise en œuvre du CICE, soit 2013.

Nous constatons d’abord que le rapport du comité de suivi du CICE, publié au mois de septembre 2014, dont l’importance du contenu informatif est inversement proportionnelle à la longueur – 115 pages avec les annexes –, nous est d’un maigre secours.

Essentiellement rédigé au conditionnel, pauvre en données factuelles précises, il se contente d’une évaluation de l’emploi du CICE – évolution du taux de marge des entreprises, de l’investissement, de l’emploi – à partir des seules « intentions exprimées » par les entreprises. D’ailleurs, ces dernières ne diront pas autre chose que ce que l’on attend d’elles : leur intention ne peut être que d’utiliser le CICE d'abord pour l’investissement, et ensuite pour l’emploi. Le rapport n’en note pas moins que l’on observe rarement un impact du CICE sur les prix, éléments pourtant essentiels de la compétitivité.

À regarder les choses de plus près, la réalité, telle qu’elle ressort de l’examen de l’exercice 2013, est sensiblement différente, s’agissant en tout cas des grandes entreprises du CAC 40 – elles aussi massivement éligibles au CICE, comme on vient de le dire –, lesquelles, en 2013, ont augmenté le versement de leurs dividendes et réduit leurs investissements. Autour de 40 milliards d’euros de dividendes ont ainsi été versés par ces entreprises, soit une augmentation de 5,5 %, ce qui place la France dans le peloton de tête européen pour cette discipline internationale. Leur taux de distribution médian, c'est-à-dire la part du bénéfice revenant aux dividendes, atteint 48 %, contre 46 % en 2012. En clair, la moitié des bénéfices dégagés revient aux actionnaires.

Dans le même temps, les investissements des entreprises non financières du CAC 40 ont reculé de 5 % en 2013, dégradation qui, d'ailleurs, s’est poursuivie à peu près au même rythme au premier semestre 2014. Le fameux théorème d’Helmut Schmidt, selon lequel « les profits d’aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », est donc loin de se vérifier, au point que François Hollande lui-même, en août 2014, a cru bon de rappeler aux patrons leur devoir d’utiliser « pleinement les moyens du CICE pour investir et embaucher et non distribuer des dividendes ». On ne doute pas que les chefs d’entreprise seront sensibles à un conseil aussi paternellement délivré…

Côté intéressés, on nous explique benoîtement que « les entreprises font de l’investissement lorsqu’elles ont des projets de croissance rentables, pas simplement parce qu’elles ont des cash flows abondants. La décision d’investir dépend avant tout des perspectives futures. Or, elles ne sont pas trop optimistes pour l’heure en Europe ». Cette analyse est celle de Fabrice Théveneau, analyste à la Société générale interrogé par Les Échos, le journal de M. Bernard Arnault – première fortune française selon Forbes –, une référence donc.

Une référence qui dit clairement qu’en l’absence de demande une politique de l’offre est vouée à l’échec. Un entrepreneur n’investit et n’embauche que s’il a l’espoir de vendre, quels que soient les cadeaux fiscaux dont il pourra bénéficier. D’ailleurs, cette conclusion, bien qu’exprimée dans le langage amphigourique de rigueur, ressort aussi du rapport du comité de suivi du CICE – ne prêtez pas garde au niveau de français utilisé par ses auteurs – : « Ces résultats, bien que partiels, confirment ceux des précédentes vagues d’enquête : l’affectation du CICE en 2014 semble fortement dépendante de la situation conjoncturelle de l’entreprise, de ses contraintes et de ses perspectives. L’utilisation du CICE semble venir conforter des décisions qui répondent prioritairement à la dynamique conjoncturelle des entreprises. » En un mot, et en clair, la réussite de la politique de l’offre est suspendue à l’apparition d’une demande. Comment précisément faire apparaître cette demande ? Là est la vraie question !

En changeant l’angle de vision, en considérant ce qui se passe au niveau d’une entreprise particulière, la cohérence de la politique économique du Gouvernement apparaît-elle mieux ?

Parmi les entreprises publiques largement bénéficiaires du CICE, l’exemple de La Poste, qui aura reçu de l’ordre de 300 millions d’euros de CICE en 2013 et 357 millions d’euros en 2014, m’a fait douter. Certes, on peut se réjouir que cet argent ait permis à La Poste de réaliser 627 millions d’euros de bénéfices en 2013, soit une hausse de 31 %, malgré une chute de 30 % de son résultat d’exploitation. Toutefois, si le but du CICE est d’améliorer notre balance extérieure, on devrait pouvoir trouver d’autres entreprises plus exposées à la concurrence !

Le constat est le même s’agissant de la politique de l’emploi, La Poste poursuivant la réduction de ses effectifs, comme cela a été dit tout à l'heure : 4 500 emplois y ont ainsi été supprimés en 2013, après 2 500 en 2012. Le processus est engagé depuis longtemps.

Entendons-nous bien : je ne critique absolument pas l’aide publique à La Poste, qui remplit des missions de service public que personne d’autre n’assume, notamment par sa présence sur l’ensemble du territoire national. J’ai simplement un peu de mal à saisir la cohérence de la politique du Gouvernement à son égard : en 2013, alors que La Poste reçoit 300 millions d’euros d’aide publique par le biais du CICE, elle est, dans le même temps, ponctionnée de 171 millions d’euros de dividendes – 23 millions d’euros de plus qu’en 2012 –, tout en continuant, d'ailleurs, à assumer la charge des réductions tarifaires accordées à la presse, de l’ordre de 500 millions d’euros. Comprenne qui pourra…

En matière de cohérence et de clarification, on devrait pouvoir faire mieux, de même qu’en matière de politique fiscale, autre versant de notre affaire : si l’on en croit Thomas Piketty, le CICE « se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop. »

C’est d'ailleurs à Thomas Piketty que j’emprunterai ma conclusion (Exclamations.), puisqu’il me faut conclure – j’ai déjà dépassé le temps de parole qui m’était accordé – : « Si le gouvernement ne fait rien, alors le crédit d’impôt compétitivité emploi, dit CICE, restera comme le symbole de l’échec de ce quinquennat ». À moins que ce ne soit la réforme territoriale... Ça c’est moi qui l’ajoute. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – quelques sénateurs du groupe UMP rient également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons été invités par nos collègues du groupe CRC à aborder aujourd'hui la question du CICE.

Le CICE a à peine quatorze mois. Bien sûr, nous disposons d'ores et déjà, à son sujet, d’éléments d’évaluation, de rapports parlementaires et d’enquêtes de conjoncture, mais je pense que, pour juger une politique publique, pour juger de la pertinence d’un dispositif, il nous faut plus que quatorze mois.

M. Martial Bourquin. Au reste, les informations que nous avons à notre disposition sont encore très parcellaires, puisque le dispositif est précisément en train de monter en charge.

Pourtant, le débat que nous avons aujourd'hui est important. Pour compléter l’intervention de mon ami Jean Germain, j’interviendrai plutôt sur la question économique et industrielle.

Tout d’abord, il faut rappeler le double objectif du CICE. Premièrement, il vise à accompagner l’ensemble du tissu économique vers une montée en gamme nécessaire à sa compétitivité, combinée à un allégement de charges. Deuxièmement, sa stratégie économique consiste à donner la priorité aux PME et aux TPE, surtout dans l’industrie.

Nous sommes dans une économie ouverte. Dès lors, nous ne pouvons ignorer la compétitivité des entreprises, sauf à devoir inévitablement les condamner.

Le premier bilan de l’investissement des PME et des TPE ayant bénéficié du dispositif – au total, 704 000 entreprises ont bénéficié du CICE – est positif. Je peux vous dire que les 400 entreprises présentes sur ma commune ont apprécié cet allégement et cette possibilité nouvelle, dont elles se sont saisies soit en se dotant d’une marge de manœuvre un peu accrue, soit en investissant.

En septembre 2014, la créance fiscale correspondant au CICE se montait à 8,7 milliards d’euros. Autrement dit, elle s’approche des 10,8 milliards d’euros prévus pour cette année et des 18 milliards d’euros prévus pour l’année prochaine. Le CICE, en vitesse de croisière, peut donc réduire de 50 % l’écart de compétitivité constaté entre l’Allemagne et la France, cet écart dont les membres de cet hémicycle débattent depuis des années. Nous parlons d’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros. Ce n’est pas rien !

En ce qui concerne la destination du CICE, comme cela a été dit tout à l'heure, de grands groupes pourvoyeurs d’emplois émargent à ce dispositif, mais nous savons aussi que de nombreuses PME en bénéficient, et il faut s’en réjouir pleinement.

Nous n’avons pas d’évaluation plus précise, mais je pense, madame la secrétaire d’État, que vous nous donnerez des renseignements à ce sujet. Cela étant, concernant la conservation et la création d’emplois, nous en aurons surtout dans les années à venir – je pense qu’il est vraiment trop tôt pour disposer aujourd'hui de ces évaluations.

En revanche, je suis vraiment très satisfait d’apprendre que plus de la moitié des entreprises ayant bénéficié du CICE prévoient de le consacrer à l’investissement. C’est là que se situe le grand défi de l’économie française, notamment de son industrie. Il faut drainer le CICE vers l’investissement et dans l’industrie.

Mais, si je suis satisfait, nous devons aller beaucoup plus loin. Alors que 19 % des entreprises du secteur industriel ont bénéficié du crédit d’impôt, nous avons le devoir de faire augmenter ce taux l’année prochaine. Pourquoi ? Au nom de l’écart entre nos appareils productifs en matière d’investissement industriel, au-delà du différentiel de charges entre la France et l’Allemagne que j’évoquais voilà quelques instants. Je pense, par exemple, à la robotisation de nos entreprises : la France a quatre fois moins de robots que l’Allemagne et deux fois moins que l’Italie. Le CICE doit justement servir à combler cet écart. Si nous y parvenons, notre compétitivité pourra être comparée avec celles d’autres pays, en Europe et au-delà.

Je crois qu’un meilleur ciblage est possible. Je sais que Bercy n’est pas fermé à cette perspective.

M. Yannick Vaugrenard. Il faut voir !

M. Martial Bourquin. Toutefois, pour cela, un effort majeur de traçabilité des créances doit être réalisé dans les documents comptables, avec l’aide des professions du chiffre, de manière que les partenaires sociaux puissent s’en saisir, mais aussi que nous, les élus, disposions de l’ensemble des informations.

La question posée est celle de la montée en gamme de nos entreprises et de leurs produits. Cette question doit être débattue dans l’ensemble des conseils d’administration ainsi qu’au Parlement.

Cependant, madame la secrétaire d’État, les garde-fous prévus par la loi doivent aussi être effectifs ! Ici et là, on constate que des entreprises tentent de profiter du CICE pour délocaliser, pour supprimer des emplois et investir ailleurs. En la matière, l’effectivité de notre contrôle doit être totale.

Au reste, le CICE n’est pas le seul levier économique. Au-delà de toutes les interrogations et de toutes les remarques qui ont été formulées dans l’hémicycle, je rappelle que le rapport Gallois ne contient pas moins de trente-cinq mesures pour la compétitivité. Parmi ces mesures figure, par exemple, la réduction des délais de paiement : les sous-traitants des grands groupes ont 13 milliards d’euros de retards de délais de paiement par an, et ces délais s’aggravent.

Lorsque nous discutons du CICE, nous devons également aborder les questions de l’innovation, des écosystèmes productifs, de la simplification administrative. Ce sont tous ces éléments qui, mis bout à bout, contribuent à renforcer l’attractivité de notre secteur industriel. Nous ne devons donc pas isoler un dispositif parmi les autres : nous devons en considérer la totalité.

Mes chers collègues, la France compte 5 millions de demandeurs d’emploi.

M. Jean-François Husson. Cela ne s’arrange pas !

M. Martial Bourquin. Cette situation n’est plus tenable. Nous devons nous attaquer à la question de notre système productif. Depuis trente ans, nous regardons notre France se désindustrialiser. Il faut avoir cette volonté de redresser l’économie de la France, notamment notre industrie. On ne peut plus demeurer les bras ballants et répéter toujours les mêmes choses. Posons les vrais problèmes et apportons-y de vraies solutions !

Pour finir, je ferai remarquer au lecteur assidu de Thomas Piketty que deux des questions posées dans son ouvrage n’ont pas été abordées aujourd'hui.

M. Jean-François Husson. Ce sera pour la prochaine fois !

M. Martial Bourquin. Premièrement, faut-il continuer à mener des politiques déflationnistes quand la déflation est proche ? Deuxièmement, pourquoi les revenus des actionnaires augmentent-ils plus vite que la croissance ? Ces deux questions mériteraient un vrai débat dans cette assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. C’est sûr !

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi constituait l’une des trente-cinq décisions concrètes du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, annoncé à la suite de la présentation du rapport de Louis Gallois sur la compétitivité de l’industrie française. Comme cela a été rappelé, son objectif est d’améliorer la compétitivité de nos entreprises, en particulier à travers des efforts en matière de recrutement, d’investissement, de recherche ou encore d’innovation.

Alors que les premiers versements de ce crédit d’impôt parviennent aux entreprises depuis quelques mois, il nous appartient – c’est précisément le but du débat de ce jour – de réaliser un point d’étape sur cette mesure, centrale dans la politique de relance économique du Gouvernement.

Examinons les chiffres dont nous disposons aujourd’hui, notamment ceux que le comité de suivi du CICE a publiés dans son rapport du 30 septembre dernier.

À ce jour, 8,7 milliards d’euros ont été déclarés et 5,2 milliards d’euros ont d’ores et déjà été restitués. Ce sont tout de même 713 000 entreprises, sur le million d’entreprises concernées, qui ont ainsi demandé à bénéficier du dispositif : 11 % sont des micro-entreprises, 31 % des PME et 25 % des entreprises de taille intermédiaire.

Certes, le Gouvernement avait escompté que les entreprises déclarent 10,8 milliards d’euros. Mais, bien évidemment, le temps n’est pas venu de tirer un bilan définitif du CICE ; il est encore trop tôt pour voir ses effets sur le comportement des entreprises, et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, au moment de l’enquête réalisée par le comité de suivi, un quart des entreprises n’avaient pas encore arrêté leurs comptes. Le montant de 8,7 milliards d’euros ne concerne donc que les structures ayant clos leur exercice entre janvier et avril 2014.

Deuxièmement, la créance ultime au titre de 2013 ne sera connue qu’en 2017, à échéance du droit au crédit d’impôt, puisque les entreprises disposent de trois ans pour l’utiliser.

Troisièmement, pour mesurer la réelle efficacité du CICE sur notre économie, il faut attendre les effets de la baisse des cotisations, qui ne seront pas mesurables avant deux ou trois ans au minimum.

La montée en puissance du dispositif est donc, par nature, progressive et nous pouvons aisément mesurer le décalage, normal, entre les annonces et les tout premiers effets. Mais nous savons, depuis quelque temps déjà, mes chers collègues, que le temps économique n’a rien à voir avec le temps politique, et encore moins avec le temps médiatique.

Toutefois, il est dès à présent possible de tirer quelques enseignements du rapport du comité de suivi, ainsi que d’une enquête réalisée par l’INSEE, auprès de 5 000 entreprises, sur la manière dont elles comptent utiliser le CICE.

Tout d’abord, cette enquête nous apprend que la connaissance du dispositif progresse de manière notable chez les dirigeants, par rapport à son lancement en 2013.

Interrogées sur leur future utilisation, 34 % des entreprises du secteur de l’industrie estiment que le CICE leur permettra d’embaucher, et ce chiffre grimpe à 48 % dans le secteur des services.

Par ailleurs, 58 % des entreprises du secteur de l’industrie et 52 % du secteur des services indiquent destiner le CICE à de l’investissement. Son rôle premier semblerait donc rempli, ce qui démontre que, dans les services comme dans l’industrie, la mesure répond à un besoin.

Compte tenu de ces éléments, toute analyse sur le CICE et ses effets nécessite prudence et humilité.

Le retour sur l’année écoulée est extrêmement instructif sur la façon dont sa mécanique a été progressivement assimilée et sur les obstacles que cette assimilation a pu logiquement rencontrer. Mais cette année ne peut être considérée comme véritablement représentative des comportements à venir. Lorsque les acteurs se seront appropriés le dispositif et que sa stabilité sera considérée comme acquise, certaines adaptations devront être envisagées. D’autres méritent sûrement de ne pas attendre…

Je souhaiterais revenir sur quelques points ayant créé la polémique, à savoir l’utilisation du CICE par certains grands groupes en vue d’augmenter les dividendes.

Il est évident que le CICE ne doit pas être détourné de son objet initial : la sauvegarde et la création d’emplois, ainsi que la modernisation de l’appareil productif. C’est pourquoi je soutiens tout ce qui vise à demander aux entreprises de rembourser les aides versées, dès lors que celles-ci servent à augmenter les dividendes ou la rémunération des actionnaires, ou qu’elles accompagnent la fermeture d’entreprises ou de succursales rentables.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Yannick Vaugrenard. Tout comme Martial Bourquin dans son département, j’ai connaissance d’un tel cas de figure sur mon propre territoire. La Seita, qui a bénéficié du CICE, y a fermé un établissement pour délocaliser l’activité en Pologne.

M. Yannick Vaugrenard. Il est bien évidemment choquant que les dividendes versés en France aient progressé de 30,3 % par rapport au deuxième trimestre 2013 pour atteindre près de 41 milliards d’euros. Notre pays est aujourd'hui le leader européen dans ce domaine ! Vu l’état de morosité de notre économie, je ne peux que comprendre ceux qui se sont élevés pour souligner la contradiction !

Mais le principe même du CICE n’est pas à mettre en cause du fait du comportement déplacé de certaines grandes entreprises, même si celui-ci est parfaitement condamnable. Encore faut-il avoir des dispositifs pour contrôler, et sanctionner si nécessaire !

Rappelons que les trois quarts du CICE bénéficient, dans la réalité, à des PME ou des entreprises de taille intermédiaire, qui, a priori, ne sont pas cotées en bourse. Globalement, le dispositif a donc plus servi à reconstituer objectivement la trésorerie des PME, leur permettant de redresser leur marge et de se désendetter, qu’à gonfler les dividendes des grands groupes.

Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, dont fait partie le CICE, a donc été conçu pour préparer l’avenir de notre pays. C’est une impérieuse nécessité. Les résultats ne se feront pas sentir en un jour et nous pouvons comprendre que cela prenne du temps. En revanche, et ceci est vrai pour le CICE comme pour toute forme d’aide aux entreprises en général, la conditionnalité est un impératif si nous voulons nous inscrire dans un rapport gagnant-gagnant non seulement sur le plan économique, mais aussi au niveau de l’indispensable pédagogie politique à mettre en œuvre.

Nous aurions collectivement tout à gagner de voir chaque chef d’entreprise indiquer très simplement aux salariés ce qui a été fait avec l’argent du CICE. Cette nécessaire transparence serait une simple initiative de bon sens. Les salariés–citoyens seraient en toute logique informés de l’utilisation par leur entreprise des deniers publics, donc de l’effort collectif.

M. Roland Courteau. Bonne idée !

M. Yannick Vaugrenard. Il est aussi important, madame la secrétaire d’État, d’affiner le dispositif, afin que ce soit véritablement les secteurs économiques en ayant le plus besoin qui en bénéficient – notamment l’industrie –, avec un effort de transparence, profitable à tous et permettant d’éviter les dérives constatées.

Au bout du compte, si le CICE peut incontestablement aider à renforcer la compétitivité de nos entreprises, il ne peut et ne doit pas être mis en œuvre sans transparence, sans nécessaire contrôle et sans information des salariés concernés. Tout cela serait, j’en suis persuadé, mes chers collègues, le gage d’une plus grande efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Carole Delga, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je souhaite, dans mon propos, évoquer un contexte plus général, celui dans lequel nous avons inscrit la politique du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et les perspectives qui sont les nôtres en matière de soutien aux entreprises.

Il est clair, comme le rappelait Michel Crozier, qu’« on ne change pas la société par décret ».

M. Jean-François Husson. Il faut le dire à M. Peillon !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Cela étant, il est nécessaire que, dans le temps législatif et dans le temps réglementaire, nous soyons attentifs aux évolutions à impulser pour améliorer la compétitivité des entreprises.

Rappelons que nous avons hérité, en 2012, d’une situation très complexe : l’industrie était très abîmée et beaucoup de nos entreprises avaient perdu leur compétitivité.

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Nous avons donc souhaité mettre en œuvre une politique qui leur permette de retrouver des marges et de restaurer cette compétitivité. Il s’agissait de soutenir notre tissu industriel, mais aussi de renforcer les capacités à recréer de l’emploi, puisque, comme vous le savez, le niveau très élevé du chômage dans notre pays constitue une forte problématique.

M. Jean-François Husson. Cela ne s’arrange pas !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. C’est malheureusement le cas, mais nous déployons des politiques coordonnées…

MM. Jean-Noël Cardoux et Jean-François Husson. Ah !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. … pour promouvoir l’emploi et reconstituer des services publics, tels que ceux de l’éducation nationale ou de la justice, qui avaient été précédemment laminés.

M. Roland Courteau. Il est bon de le rappeler !

M. Jean-François Husson. Informez donc M. Peillon qu’il ne faut pas réformer par décret !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Si vous le voulez bien, monsieur le sénateur, je vous propose de l’en informer directement.

M. Jean-François Husson. C’est déjà fait ! Il ne m’a pas répondu !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Je rappellerai la philosophie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi : il s’agit de recréer un cercle vertueux à travers l’investissement, l’innovation et la compétitivité pour l’emploi.

Le CICE est un des piliers de la stratégie économique du Gouvernement, laquelle repose sur trois éléments.

Premier élément, la réduction du déficit public et l’assainissement des comptes publics.

Sous le quinquennat précédent – la présidence de Nicolas Sarkozy –, la progression de la dette s’élevait à 5 % par an. Depuis 2012, cette progression a été réduite et n’est plus que de 3 %.

Eu égard à la responsabilité qui nous incombe en tant que membres du Gouvernement, nous avons également souhaité un important ralentissement de la dépense publique, mais compatible avec un soutien à l’économie. C’est ainsi que nous avons prévu de réduire la dépense publique de 50 milliards d’euros sur trois ans, quand d’autres nous proposent de la réduire de 100 milliards d'euros :…

M. Roland Courteau. Ah oui ! Et même de 150 milliards d’euros !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. … je ne vois pas comment il serait possible de réaliser de telles économies…

M. Jean-François Husson. Vous êtes aux affaires !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. … sans casser le modèle républicain !

M. Jean-François Husson. Il est déjà mal en point !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. L’effort de réduction de la dépense publique est sans précédent, mais adapté à notre situation économique. Les ministères et collectivités locales sont, bien sûr, mis à contribution. Toutefois il me semble me rappeler que la suppression de la taxe professionnelle a privé les collectivités locales d’un impôt dynamique et, par la même occasion, les carnets de commande des entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics ont commencé à refléter certaines difficultés…

M. Roland Courteau. Très bien ! Il est bon de le rappeler une fois encore !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Nous avons également demandé au réseau consulaire de réaliser un effort.

La France doit être redressée ! Ce but appelle la mobilisation de toutes et de tous !

Deuxième élément, la restauration de la compétitivité de l’économie, afin de renouer avec la croissance et l’emploi de manière durable.

M. Jean-François Husson. Cela ne se voit pas !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et le pacte de responsabilité et de solidarité redonnent des marges aux entreprises pour investir, consolider leurs hauts de bilan – les budgets de nos entreprises présentent une faiblesse intrinsèque –, embaucher et exporter, grâce à une baisse des prélèvements de 40 milliards d'euros à l’horizon 2017.

Troisième élément, la réforme de notre économie.

C’est ce que nous mettons en œuvre depuis deux ans, notamment à travers la simplification des procédures de paie ou l’allégement des dossiers de candidatures aux marchés publics, nos TPE et nos PME ayant aussi vocation à répondre à ces appels d’offre. Nous avons signé un décret en ce sens, voilà quinze jours, avec Emmanuel Macron.

Comme l’a annoncé M. le Président de la République, nous réalisons également des efforts en matière d’accès des TPE et PME à la trésorerie. Ainsi, la Banque publique d’investissement se portera garante auprès du réseau bancaire pour permettre à nos petites entreprises d’obtenir la trésorerie susceptible de leur offrir un effet de levier.

La question des délais de paiement a aussi été abordée. Dans la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, nous avons voté un dispositif permettant de réduire ces délais de paiement, qui pèsent lourdement sur la trésorerie de nos TPE et de nos PME. M. le Président de la République l’a également précisé, un contrôle accru sera mis en place et les grands donneurs d’ordre seront incités à proposer à nos entreprises des délais de paiement plus corrects.

Il faut aussi rappeler la politique de soutien au pouvoir d’achat, avec la diminution de l’imposition sur le revenu. La suppression de la première tranche du barème vient d’être votée à l’Assemblée nationale. C’est une mesure de soutien des classes modestes et moyennes, qui pourront consommer des biens de première nécessité.

En 2012, le déficit budgétaire était énorme, la dette avait explosé puisqu’elle avait doublé en dix ans, et le déficit du commerce extérieur pénalisait fortement la compétitivité de la France.

Le soutien aux entreprises s’accompagne donc d’un soutien à l’ensemble des salariés dont les ressources sont moyennes ou modestes.

Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est dans un premier temps un « ballon d’oxygène » qui permet à des centaines de milliers d’entreprises de diminuer directement le coût du travail.

Deux rapports ont été remis récemment pour dresser un bilan d’étape du CICE, cela a été rappelé : le premier par le comité de suivi du CICE présidé par Jean Pisani-Ferry et le second par le parlementaire Yves Blein. À travers ces deux rapports, tous les acteurs économiques, politiques et sociaux ont été consultés. Ces deux rapports dressent un bilan positif du CICE.

Il est nécessaire de poursuivre, d’approfondir et d’améliorer le travail d’évaluation qui est mené sur le CICE, mais il est avant tout indispensable de créer des conditions stables pour nos entreprises. La stabilité est l’une des composantes de la confiance, et nous devons savoir redonner confiance à nos entreprises comme nous devons savoir redonner confiance à notre pays.

Ces deux rapports démontrent que l’utilisation du CICE par les entreprises est en ligne avec les objectifs du dispositif, à savoir soutenir l’investissement et l’emploi.

Nous avons donc un premier bilan particulièrement encourageant pour un dispositif dont il faut souligner la nouveauté. Rappelons que les entreprises de moins de 50 salariés constituent 39 % de la créance totale du CICE, c’est-à-dire légèrement plus que celle des entreprises de plus de 500 salariés. Notre cœur de cible, ce sont bien les entreprises de moins de 50 salariés, qui bénéficient du CICE car la structuration de leur masse salariale correspond bien à des salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC.

Nous devons également convenir que le commerce et l’industrie manufacturière sont les deux secteurs les plus concernés par ce crédit d’impôt.

Le dispositif vient de se mettre en place et doit monter en puissance. Dès 2015, au titre de 2014, le taux sera porté à 6 % de la masse salariale. Dès 2014, nous aurons un préfinancement plus fort puisque les entreprises ont commencé à toucher le CICE en mai ou en juin dernier. Elles ont ainsi pu constater qu’il s’agit d’un dispositif réel, opportun. Elles pourront encore amplifier le mouvement de préfinancement au niveau de la Banque publique d’investissement. Nicolas Dufourcq, que j’ai rencontré récemment, m’a indiqué que des préfinancements de plusieurs milliers d’euros – jusqu’à 7 000 euros pour certaines entreprises – pouvaient être réalisés par la BPI en région. C’est cela être adapté et adaptable aux besoins de nos entreprises !

Il a également été question d’aider toutes les entreprises, y compris les entreprises indépendantes. Je tiens à rappeler que, dans le pacte de responsabilité et de solidarité, dans les dispositifs votés dans le projet de loi de finances rectificative au mois de juillet 2014, une disposition concerne les indépendants. Nous avons décidé un allégement de charges pour les cotisations famille de 60 % à partir du 1er janvier 2015. Des mesures sont donc destinées aux artisans et indépendants. De nombreuses chambres de métiers et de l’artisanat se sont félicitées de ce dispositif de baisse des charges qui va toucher le secteur de l’artisanat et des indépendants, important pour la vitalité de nos territoires.

Je suis très étonnée d’entendre dire que le système est très complexe. Vous n’êtes certainement pas allés sur le site internet consulter les modalités…

M. Jean-François Husson. Nous sommes allés sur le terrain !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Je vais également très souvent sur le terrain, monsieur le sénateur,…

M. Jean-François Husson. Je n’en doute pas, madame la secrétaire d’État !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. … au moins un jour par semaine !

Sur le site, vous pourriez constater que les modalités de déclaration sont très simples pour le CICE. J’ai visité, la semaine dernière, la chambre de commerce et d’industrie de Montpellier. Lors d’une réunion publique, des représentants de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, la CGPME, sont intervenus pour faire part de leur contentement sur ce dispositif à la fois opérationnel et simple. Lors d’un déplacement à Reims, j’ai également pu discuter avec des chefs d’entreprise qui, s’ils avaient effectivement eu écho d’une certaine complexité, avaient pu constater, en remplissant les documents nécessaires, la réactivité, la lisibilité et l’effectivité du dispositif.

M. Jean-François Husson. C’est le bonheur !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Outre le CICE, le pacte de responsabilité et de solidarité, les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics peuvent également bénéficier de dispositifs particuliers, parce que nous savons que les entreprises, dans ces secteurs, souffrent particulièrement.

Pour le secteur du bâtiment, la réhabilitation de l’ancien est une opération primordiale. Le prêt à taux zéro a ainsi été étendu à la réhabilitation du logement ancien et n’est plus limité au logement neuf. Le crédit d’impôt a par ailleurs augmenté significativement, jusqu’à 30 %, pour tous les travaux de rénovation énergétique.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. L’ensemble des entreprises du secteur du bâtiment sont donc concernées, les très petites entreprises comme les grands groupes du bâtiment pour la production de logement social.

Concernant les travaux publics, les dotations prévues en matière d’infrastructures dans les contrats de projets État-région ont été revalorisées. Là aussi, nous sommes conscients de la nécessité de soutenir l’investissement. Comme vous le savez, à l’échelle européenne, Michel Sapin et Emmanuel Macron sont en train de négocier un investissement fort en particulier sur les nouvelles technologies et les infrastructures.

Nous avons besoin d’un message rassurant pour les entreprises ; nous avons besoin de stabilité pour pouvoir recréer de la confiance, de la volonté d’investir à moyen et à long terme.

Alors, je m’étonne que l’on nous dise que ce dispositif de soutien aux entreprises ne convient pas. Je m’étonne d’entendre dire qu’il existe des difficultés d’application et qu’il aurait fallu mettre en place d’autres solutions. J’aurais voulu que l’on puisse me rappeler quelles ont été les actions de soutien aux entreprises mises en place durant le précédent quinquennat…

M. Roland Courteau. C’est une bonne question !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Il me semble qu’elles n’ont pas été si nombreuses…

M. Pierre-Yves Collombat. C’était la droite !

M. Jean-François Husson. Cela vous réveille, c’est bien !

M. Pierre-Yves Collombat. Si on conduit la même politique, on se demande ce qu’on fait là !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. La désindustrialisation de la France ne date pas de deux ans. La dégringolade remonte à plus de dix ans.

M. Alain Chatillon. Cela remonte à 1980 !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Étant précisé, monsieur le sénateur, que le phénomène s’est amplifié depuis le début des années 2000 !

M. Alain Chatillon. Non, c’est 60 000 emplois par an depuis 1980 !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Nous allons donc continuer à travailler sur le sujet dans les mois à venir. Nous engagerons une communication plus forte sur le CICE, comme cela a été suggéré dans les rapports, ainsi que sur son impact dans tous les territoires. Son montant a parfois permis de soutenir la trésorerie dans les petites entreprises, dans un contexte de crise économique. De nombreux investissements ont également été engagés à ce titre, mais aussi des politiques salariales plus favorables.

Concernant les faux procès sur les contrôles fiscaux et la comparaison avec le crédit d’impôt recherche, ou CIR, je voudrais rappeler que le crédit d’impôt recherche est fondé sur une déclaration fiscale, contrairement au CICE, qui est basé sur la masse salariale. (M. Jean-François Husson s’exclame.)

Lorsque des contrôles sont effectués sur l’utilisation du CIR, il est procédé à un examen de la déclaration fiscale, mais c’est lié à la base du CIR.

M. Jean-François Husson. Sinon, c’est un contrôle URSSAF !

Mme Carole Delga, secrétaire d'État. Il n’y a aucun contrôle fiscal lié au CICE. Il faut être rassurant pour les entreprises.

Limiter le dispositif à certains secteurs comme les entreprises exportatrices ne me paraît pas constituer une bonne idée. Nous devons disposer d’une vision complète des entreprises capables d’exporter, qui ne se limitent pas à l’industrie. Nous devons également être conscients qu’il existe de nombreux sous-traitants d’entreprises exportatrices, qui doivent aussi pouvoir bénéficier du CICE.

Il faut que notre système soit souple, corresponde aux besoins des entreprises et permette de soutenir l’emploi, comme c’est le cas pour le CICE. Le système doit en outre être lisible pour les entreprises mais aussi visible pour nos concitoyens. À cet égard, nous devons développer des outils de communication.

Le CICE est un levier qui met la compétitivité au service de tous. Toutes ces mesures sont engagées pour redresser notre pays. Nous souhaitons que nos entreprises se développent, investissent, innovent et embauchent. Avec ces mesures, nous refusons la fatalité ! Nous sommes volontaristes, pragmatiques (M. Jean-François Husson s’exclame.), en accompagnant l’ensemble des forces vives de la France.

« La fatalité triomphe dès lors que l’on croit en elle ! », écrivait Simone de Beauvoir. Je vous demande, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, de croire en la France et de ne surtout pas croire en la fatalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi. Vous ne répondez pas à nos questions !

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi.

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

12

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 octobre 2014, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du c du 2 de l’article 39 duodecies, du j du 6 de l’article 145 et du a sexties–0 ter du I de l’article 219 du code général des impôts combinées à celles de l’article 238–0 A du même code (Législation fiscale et État ou territoire non coopératif) (2014–437 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

13

Débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires sociales et du groupe écologiste, le débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante (rapport d’information n° 668 [2013–2014]).

La parole est à Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des collègues membres du comité de suivi « amiante », ainsi qu’Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, d’avoir mis en place cette structure qui témoigne de la préoccupation constante du Sénat, depuis 2005, sur la question de l’amiante.

Je voudrais également remercier Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, d’avoir bien voulu associer notre commission à la demande du groupe écologiste pour organiser aujourd’hui ce débat en séance plénière.

En 2005, la mission commune d’information du Sénat présentait son rapport sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.

Après avoir analysé les raisons de ce drame, la mission, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et rapportée par Gérard Dériot, Jean Pierre Godefroy étant rapporteur adjoint, présentait pas moins de vingt-huit propositions pour mieux indemniser les victimes et tirer des leçons pour l’avenir.

En février 2013, la commission des affaires sociales a souhaité créer en son sein un comité de suivi « amiante » afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005. Le comité, que j’ai l’honneur de présider, a alors identifié deux sujets essentiels : l’indemnisation des victimes et les enjeux du désamiantage.

Le comité de suivi a tout d’abord mené un cycle d’auditions sur l’indemnisation des victimes, d’avril à novembre 2013. Ensuite, de janvier à mai 2014, il a poursuivi sa réflexion sur les enjeux du désamiantage, à travers des auditions, des tables rondes et un déplacement sur le campus de Jussieu de l’université Pierre et Marie Curie. Sur cette seconde problématique, nous aurons au total rencontré trente-six organismes.

L’objectif de notre comité est simple : les pouvoirs publics doivent tirer les leçons du drame de l’amiante et relever le défi du désamiantage dans les décennies à venir.

Vous connaissez comme moi l’ampleur de ce drame. Selon la direction générale de la santé, la DGS, qui s’appuie sur les récents travaux de l’Institut national de veille sanitaire, l’INVS, le nombre de décès par mésothéliome oscillera entre 18 000 et 25 000 d’ici à 2050, tandis que le nombre de décès causés par un cancer broncho-pulmonaire en lien avec une exposition à l’amiante devrait être compris entre 50 000 et 75 000 sur la même période.

Il faut donc tout faire pour qu’à ce premier drame ne s’ajoute pas un second, lié aux conditions du désamiantage.

L’amiante n’est en effet pas un sujet réglé une fois pour toutes. Déclaré cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, en 1977, il n’a été interdit en France qu’en 1997. Il restera malheureusement d’actualité pendant encore plusieurs décennies, compte tenu du grand nombre d’établissements et autres objets contenant encore de l’amiante.

Comme l’indique le Guide des déchets de chantier du bâtiment de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, il restait en France, en 1998, environ 200 000 tonnes d’amiante non lié – flocage et calorifugeage – et 24 millions de tonnes d’amiante-ciment.

Je crois pouvoir affirmer que le comité de suivi a évité deux écueils. D’une part, nous avons veillé à ne jamais empiéter sur les compétences du juge judiciaire, au nom de la séparation des pouvoirs. D’autre part, nous formulons des propositions très opérationnelles, pragmatiques, sans vouloir susciter un sentiment de panique parmi nos concitoyens, mais avec le souci de faire bouger les lignes et de nous appuyer sur de nombreuses ressources et volontés, certes existantes, mais très dispersées.

Sur les vingt-huit propositions présentées en 2005, la majorité a été mise en œuvre – dix-sept, pour être précise. Elles concernaient principalement les mesures à prendre pour la protection des travailleurs.

Cependant, sept propositions relatives à l’indemnisation des victimes et à son financement sont restées lettre morte à ce jour. Faute de moyens, sans doute, mais aussi parce que l’idée de faire payer les entreprises ayant produit des matériaux amiantés ne fait pas consensus. Les différents rapports de nos collègues ont déjà abordé plusieurs fois ces questions.

Par ailleurs, une proposition concernant la qualification des diagnostiqueurs doit encore connaître une véritable mise en œuvre et trois propositions, relatives à la constitution de bases de données, sont toujours en cours de réalisation neuf ans plus tard.

En ce qui concerne le désamiantage, force est de constater que le cadre réglementaire en matière de protection contre le risque amiante, qui comprend essentiellement un volet « santé publique » et un volet « protection des travailleurs », est globalement satisfaisant.

Sans entrer dans le détail d’un sujet extrêmement technique, deux décrets méritent d’être signalés.

Le décret du 3 juin 2011 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis n’a pas bouleversé le volet « santé publique », mais l’a clarifié et consolidé. Ainsi, selon la nature du bâtiment et l’existence ou non d’une vente, le propriétaire doit faire réaliser des repérages et diagnostics. Trois listes sont définies selon la nature des matériaux, en fonction desquelles on établit ce qu’il reste à faire.

Seuls des laboratoires accrédités sont autorisés à effectuer les prélèvements et les analyses. Les préconisations du diagnostiqueur varient selon la nature de la liste – A, B ou C – et l’état de conservation des matériaux contenant de l’amiante, allant de la simple évaluation périodique à la réalisation de travaux de retrait ou de confinement, en passant par de nouvelles mesures.

Enfin, le seuil de déclenchement des travaux, fixé à cinq fibres par litre d’air, n’a pas été modifié.

En revanche, le décret du 4 mai 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a modifié en profondeur le volet « code du travail », suite à la révolution qu’ont entraînée les résultats de la « campagne Meta » menée par l’Institut national de recherche et de sécurité, l’INRS, en 2009.

Retenons, à ce stade, deux grands changements : d’une part, le contrôle de l’empoussièrement en milieu professionnel selon la méthode Meta, plus performante que l’ancienne méthode, qui devient obligatoire ; d’autre part, la valeur limite d’exposition professionnelle, qui passera de cent fibres à dix fibres par litre d’air au 1er juillet 2015.

En définitive, le volet « code du travail » semble être, par la conjugaison de ses deux mesures emblématiques, l’un des plus ambitieux et protecteur en Europe, comme en témoignent la majorité de nos interlocuteurs, ainsi que l’étude comparative que nous avons sollicitée auprès de la division de législation comparée du Sénat.

Mais ce satisfecit accordé à la réglementation actuelle ne saurait occulter quatre critiques de fond faites par notre comité : premièrement, un défaut de pilotage des politiques publiques au niveau national ; deuxièmement, la mauvaise qualité du repérage fragilisant la portée du dossier technique « amiante » ; troisièmement, le manque de contrôle des services de l’État pour assurer la protection des travailleurs ; quatrièmement, enfin, l’existence de règles très complexes, instables et parfois insuffisamment mises en œuvre en matière de protection de la population.

Ce sont ces constats qui nous ont amenés à présenter, dans un consensus total, une trentaine de propositions, rassemblées autour de quatre axes.

Le premier de ces axes – je laisserai mes collègues présenter les trois autres – vise à faire de la prévention du risque amiante une grande cause nationale.

Nous demandons tout d’abord au Gouvernement de mettre en place une mission interministérielle temporaire qui aurait un triple objet : élaborer une méthodologie pour estimer le coût global du désamiantage par secteur et ainsi permettre que soient fixées des priorités, étalées dans le temps, selon la dangerosité des situations ; identifier les faiblesses de la réglementation ; enfin, et surtout, évaluer l’organisation et l’implication des services administratifs.

Au cours des auditions, nous avons en effet constaté l’absence d’évaluation consolidée du coût du désamiantage depuis 1997, ainsi que l’absence d’évaluation globale pour les années à venir. Tous les bâtiments construits avant le 1er juillet 1997 sont potentiellement concernés, qu’ils soient publics ou privés, sans compter les navires, les canalisations, certains équipements industriels et des enrobés routiers, etc.

Les évaluations partielles sur le coût du désamiantage démontrent pourtant l’ampleur de la tâche qui s’annonce : l’Union sociale pour l’habitat a ainsi évalué, après un travail minutieux que nous reproduisons dans notre rapport, à environ 2,3 milliards d’euros hors taxes le surcoût annuel lié à la présence d’amiante dans les logements sociaux collectifs. On mesure l’ampleur de la tâche !

Or l’évaluation du coût global implique une certaine coordination entre les services ministériels pour cartographier ce risque, ce qui est loin d’être le cas. Je ne donnerai qu’un exemple : lors de son audition, le représentant du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a indiqué qu’il n’avait pas eu connaissance des résultats d’une initiative du ministère de l’intérieur ayant permis de recueillir les diagnostics techniques amiante des établissements scolaires gérés par les collectivités territoriales.

Après cette audition, nous savons que le ministère a saisi officiellement le directeur général des collectivités locales afin d’engager un travail commun de cartographie du risque amiante dans les écoles, collèges et lycées, ce qui prouverait – et c’est encourageant – que la simple existence de notre comité de suivi a déjà permis de rouvrir certains dossiers.

Une coordination et une impulsion gouvernementale, interministérielle, sont absolument indispensables et urgentes, madame la secrétaire d’État. Elles n’existent pas aujourd’hui, ou vraiment très peu ; nous l’avons tous constaté lors des auditions. Je crois qu’il s’agit de l’un des messages essentiels de nos conclusions.

Nous proposons donc surtout la création d’une structure de coordination interministérielle rattachée au Premier ministre, un peu sur le modèle du Comité interministériel de la sécurité routière, qui traiterait de l’amiante et pourrait, par la suite, voir ses missions élargies à d’autres produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.

Une telle structure comporterait différents collèges, regroupant les directions centrales – sur le modèle du groupe de travail national amiante et fibres, le GTNAF, qui existe déjà –, les partenaires sociaux, les experts médicaux, mais aussi les associations de prévention et de défense des victimes.

En effet, le GTNAF, malgré l’implication de certains de ses membres et de son président, ne peut répondre seul aux défis de l’amiante et à la dimension, par nature interministérielle, du sujet.

Lors de son premier mandat, entre 2008 et 2012, ce groupe de travail, qui a failli ne pas être renouvelé, a surtout assuré une coordination technique entre services administratifs, sans pouvoir décisionnel ni effectifs dignes de ce nom. Vous l’aurez compris, nous insistons sur la nécessité de mettre rapidement en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage – l’ampleur du travail à faire requiert une action sur la durée –, fondée sur des critères objectifs, transparents, actualisés et publics, en dialogue permanent avec les professionnels, les partenaires sociaux, les médecins, les experts et diverses associations.

Cette stratégie devrait disposer de financements pérennes pour affronter ce qu’un interlocuteur a appelé un « Everest financier ». L’idée est d’étaler notre action dans le temps, de prioriser les tâches et d’engager les travaux les plus urgents en fonction de la dangerosité.

Plusieurs pistes ont été proposées : mobiliser le grand emprunt, des fonds structurels européens, ou encore faire contribuer les entreprises qui ont produit les matériaux amiantés, au nom du principe pollueur-payeur.

Nous souhaitons également la création d’une véritable filière de désamiantage à l’échelle nationale. Cette filière regrouperait notamment les diagnostiqueurs, les entreprises de désamiantage, les déchetteries, mais aussi les fabricants d’équipements de protection ou de détection. Il est clair que des acteurs de taille suffisante seront beaucoup plus aptes à répondre aux exigences réglementaires.

Notre déplacement sur le campus de Jussieu nous a par ailleurs convaincus de la nécessité d’instituer une mission d’appui pour les maîtres d’ouvrage publics confrontés à des chantiers de désamiantage. Cette mission pourrait être composée de personnes ayant acquis une expérience approfondie dans les chantiers de désamiantage. Cette expérience, acquise « sur le tas », existe ; il est dommage qu’elle ne soit pas utilisée.

Trop souvent, c’est ce qui nous a été dit, les donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage publics se retrouvent bien seuls pour gérer le problème de l’amiante. À titre d’illustration, les directeurs d’hôpitaux ou d’établissements médico-sociaux ne peuvent pas s’appuyer sur la direction générale de l’offre des soins, ou DGOS, qui est pourtant leur tutelle. Si la DGOS finance intégralement les chantiers de désamiantage d’envergure et complexes dans des cas exceptionnels, comme dans les CHU de Caen ou Clermont-Ferrand, son assistance technique demeure limitée. C’est pourquoi l’équipe de huit personnes chargée des chantiers de désamiantage du CHU de Caen est de facto devenue un interlocuteur privilégié pour de nombreux directeurs d’hôpitaux en France. Il y a là quelque chose à organiser et à valoriser.

Faute de temps, j’indiquerai seulement qu’une gestion immobilière plus rationnelle pourrait également être adoptée. J’en veux pour preuve le chantier sur le campus de Jussieu, qui, comme vous le savez, a duré très longtemps. Le président de l’université nous a indiqué que la location de locaux extérieurs, visant à assurer la continuité des activités de recherche des enseignants et des étudiants pendant les travaux de désamiantage, avait coûté 580 millions d’euros. Rétrospectivement, il eût été plus rationnel pour l’État d’acheter des locaux puis de les revendre à l’issue de ces opérations, plutôt que de louer des locaux en pure perte.

Par ailleurs, le comité de suivi plaide pour un fléchage des crédits vers la recherche et le développement, qui pourrait concerner plusieurs sujets.

Je pense, d’abord, à la détection de l’amiante. Cela permettrait, par exemple, d’évaluer l’efficacité du pistolet PhazIR, qui constitue une aide à la décision intéressante, mais que, nous l’avons constaté, beaucoup de nos interlocuteurs ne connaissent pas.

Je pense également à la création de nouvelles techniques de désamiantage, comme la robotisation, ou encore à la réalisation d’études spécialisées relatives à la mesure des fibres d’amiante pour certaines professions particulièrement exposées – plusieurs médecins nous ont alertés sur ce point –, les électriciens, les peintres, les maçons ou bien les diagnostiqueurs. Ce dernier point est capital, car une étude de l’INRS, publiée en octobre 2013, a montré que 40 % des plombiers-chauffagistes exposés pensaient ne jamais avoir été en contact avec des fibres d’amiante.

Le comité de suivi souhaite également la création d’une plateforme internet unique déclinant les informations à l’usage des particuliers, des parents d’élèves, des collectivités publiques maîtres d’ouvrage, des donneurs d’ordre, des entreprises, etc. Régulièrement mise à jour, elle renverrait ensuite vers les sites appropriés existants.

La communication sur le risque amiante, et surtout sur la façon de procéder quand on veut s’en débarrasser, constitue aujourd’hui un point faible évident. L’information est éclatée entre plusieurs sites peu pédagogiques, peu connus et inadaptés ; beaucoup d’acteurs nous ont confié être démunis.

Nous estimons que le travail de synthèse et de diffusion de l’information appartient à la direction générale de la santé, en lien avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES.

Nous proposons en outre l’organisation d’assises nationales de l’amiante, placées sous l’égide du Premier ministre, avant 2016, année au cours de laquelle la lutte contre les risques liés à l’amiante devrait, selon nous, être déclarée grande cause nationale, vingt ans après la publication du décret interdisant l’amiante en France.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Je conclus, madame la présidente.

Enfin, nous insistons sur la nécessaire stabilisation du cadre normatif sur l’amiante, afin de laisser le temps aux différents acteurs de s’approprier les règles en vigueur.

Mes chers collègues, je laisse désormais la parole à Catherine Deroche et Dominique Watrin, qui vont vous présenter la suite des propositions du comité. Je ne doute pas, madame la secrétaire d'État, que le Gouvernement répondra aux défis relevés par notre comité de suivi. Nous le répétons : il y a urgence ; nous faisons donc appel à votre esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE. – Mme Elisabeth Doineau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre groupe de travail, ainsi que l’a indiqué sa présidente, a identifié – c’est là le deuxième axe de son rapport – l’amélioration de la qualité du repérage amiante comme l’un des enjeux essentiels des années à venir. C’est à nos yeux le maillon faible sur les chantiers de désamiantage. Il importe également de faire du dossier technique amiante, ou DTA, un document de référence.

Selon des informations communiquées au comité de suivi, seuls 25 % à 30 % des DTA étaient réalisés en 2009–2010. Ce dossier, obligatoire uniquement pour les parties communes d’immeubles collectifs et les immeubles à usage commercial ou professionnel, constitue pourtant une véritable « carte d’identité amiante », comprenant les repérages, l’historique des travaux et des mesures d’empoussièrement, une fiche récapitulative et des recommandations générales. Quant aux DTA existants, ils sont rarement actualisés et, surtout, ils sont peu demandés par les entreprises intervenantes. Qui peut se satisfaire d’une telle situation ?

C’est pourquoi nous souhaitons, avant toute chose, que l’État joue pleinement son rôle pour contrôler la réalisation des DTA.

En particulier, les corps de contrôle relevant de la compétence de la direction générale de la santé, ou DGS, doivent être plus présents sur le terrain, contrôler la réalisation des DTA et, si besoin, sanctionner les propriétaires récalcitrants. Lors de l’audition des représentants de la DGS, nous avons ainsi appris que seuls seize emplois équivalents temps plein étaient mobilisés au niveau national dans les agences régionales de santé, ou ARS, pour contrôler la réglementation relative à l’amiante dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux. Surtout, le contrôle par les services de l’État des obligations relatives au DTA dans les autres bâtiments semble quasiment inexistant.

Le Gouvernement doit aussi rapidement élaborer une circulaire pour rappeler aux préfets leurs prérogatives en matière de protection de la population contre le risque amiante en cas de carence du propriétaire, la dernière circulaire remontant au 14 juin 2006.

L’État doit se montrer exemplaire, par la création d’une base de données internet, régulièrement mise à jour, comprenant tous les DTA de ses établissements publics. Cette base de données pourrait s’inspirer du site www.cadastre.gouv.fr, et être étendue par la suite aux établissements publics relevant de la compétence des collectivités territoriales. Nous reprenons ainsi une proposition formulée dès 1998 par le professeur Claude Got et défendue par le Sénat en 2005.

Nous proposons qu’à terme le DTA devienne un document unique et obligatoire, quelle que soit la nature du bâtiment, afin de mieux protéger la santé des salariés et des artisans qui y interviennent.

Nous souhaitons également que le repérage de l’amiante pour les locations, rendu obligatoire par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », soit ambitieux et vise les listes A et B, comme c’est le cas aujourd’hui pour les appartements ou les maisons en cas de vente.

Enfin, la DGS doit rapidement mettre en place un système informatique de recueil des rapports annuels d’activité des diagnostiqueurs amiante et exploiter les données ainsi obtenues.

Venons-en justement à la mauvaise qualité des repérages et des diagnostics amiante, qui est relevée et dénoncée par quasiment toutes les personnes que nous avons auditionnées.

Insuffisamment formés, peu contrôlés par les organismes certificateurs, victimes, parfois, de pressions économiques dans l’exercice de leurs missions, les diagnostiqueurs sont aujourd’hui sous le feu de la critique.

Les enjeux sont majeurs : un repérage insatisfaisant entraîne des risques d’exposition à l’amiante pour les travailleurs et la population, une dévalorisation parfois dramatique des biens immobiliers, ainsi qu’un allongement de la durée du chantier accompagné de surcoûts souvent considérables.

Le comité de suivi invite par conséquent le Gouvernement à refondre totalement et rapidement l’arrêté « compétences amiante » du 21 novembre 2006, en prenant comme base de travail le projet d’arrêté modificatif d’octobre 2011, qui n’a jamais abouti.

Ce projet, qui visait à faire monter en gamme les compétences des diagnostiqueurs amiante, reposait sur deux axes : une certification avec mention, d’abord, pour réaliser des diagnostics dans les grandes copropriétés qui regroupent plus de cinquante lots, les immeubles de grande hauteur, les principaux établissements recevant du public et les diagnostics avant démolition ; une certification moins exigeante, ensuite, pour réaliser les repérages avant-vente et les immeubles de taille moindre.

En outre, la détention d’un diplôme de niveau égal à bac+2 dans le domaine du bâtiment et une expérience de cinq ans devenaient obligatoires ; à défaut de diplôme, le candidat devait présenter une expérience de dix ans. Par ailleurs, une formation de trois jours était imposée pour les diagnostiqueurs qui souhaitaient devenir certifiés sans mention.

Le comité de suivi souhaite cependant aller plus loin que ce projet d’arrêté modificatif : en obligeant les organismes certificateurs à procéder à plusieurs contrôles sur place inopinés pendant la période de surveillance des diagnostiqueurs ; en instaurant des stages de formation continue rigoureux, qui exploiteraient une base de données informatique regroupant des retours d’expérience significatifs de diagnostiqueurs ; en rendant obligatoire, par voie réglementaire, l’application de la norme de repérage amiante publiée en 2008 pour tous les types de repérage, afin d’uniformiser l’activité des diagnostiqueurs.

Par ailleurs, le comité de suivi souhaite mettre un terme au flou juridique actuel en inscrivant dans le code du travail le repérage obligatoire avant travaux, quelle que soit la nature de l’objet concerné – navires, enrobés de route, canalisations, par exemple –, comme le prévoit d’ailleurs la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail, toujours en attente d’examen à l’Assemblée nationale.

Nous espérons donc que ces mesures pourront être prises rapidement, afin de renforcer les connaissances sur la présence réelle d’amiante dans les immeubles. C’est peut-être contraignant, mais il s’agit d’un vrai sujet de santé publique. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les troisième et quatrième axes de nos propositions, qui tendent à mieux protéger les travailleurs et la population face au risque amiante.

Mieux protéger les travailleurs passe d’abord par une formation spécifique obligatoire à ce risque pour tous les maîtres d’œuvre au sens large, formation pouvant s’inspirer en partie des règles prévues par l’arrêté du 23 février 2012 pour les salariés des entreprises de désamiantage.

Nous souhaitons également une véritable sensibilisation des organisations professionnelles des métiers particulièrement exposés au risque amiante. L’enjeu est considérable, puisque près d’un million de travailleurs dans le secteur du bâtiment seraient concernés par ce risque.

Parallèlement, nous espérons que la négociation actuelle des partenaires sociaux sur les institutions représentatives du personnel aboutira à un renforcement du rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en matière de prévention du risque amiante.

Mais il faut surtout renforcer l’action de l’inspection du travail, qui est en première ligne pour défendre les droits des salariés exposés à l’amiante.

L’augmentation du nombre d’agents de contrôle de l’inspection du travail est la condition sine qua non pour protéger les salariés. Qui peut croire un seul instant que les 743 inspecteurs et 1 493 contrôleurs en section d’inspection peuvent assurer sereinement leurs missions ? Un agent de contrôle peut-il vraiment suivre en moyenne 8 130 salariés ?

La création d’une cellule nationale d’appui « amiante » à la direction générale du travail, la DGT, et de cellules régionales dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, permettra de mieux accompagner les agents et d’élaborer une doctrine cohérente, sans remettre en cause, bien évidemment, leur liberté pour ce qui concerne les suites qu’ils comptent réserver à leurs contrôles.

Dans ce cadre, les efforts récents pour clarifier la distinction entre les travaux relevant de la sous-section 3, qui désigne les travaux de retrait, le confinement et la démolition, et ceux qui relèvent de la sous-section 4, regroupant les travaux limités dans le temps et l’espace, doivent être poursuivis.

Il convient également d’encourager la coopération systématique avec d’autres services, comme les agents de prévention de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAM, dans le respect des compétences de chaque corps. Il serait d’ailleurs très utile de lancer une grande campagne de contrôle sur les chantiers de désamiantage au niveau national pilotée entre la direction générale du travail, l’INRS et le réseau prévention, à l’image de celle qui avait été menée au début des années 2000. Mais l’inspection du travail ne peut pas et ne doit pas être seule face au risque amiante ; chaque ministère doit jouer son rôle en amont ou en appui pour protéger nos concitoyens.

Le comité de suivi est également favorable à un élargissement de l’arrêt de chantier amiante à tous les secteurs d’activité et à tous les risques liés à l’amiante.

Enfin, le comité plaide pour que la direction générale du travail accentue ses efforts à l’égard des laboratoires de prélèvement et d’analyse, qui sont l’objet de nombreuses critiques. Des réunions de travail ont été organisées sous l’égide du ministère du travail depuis le début de l’année, mais elles doivent déboucher sur un véritable plan d’action.

J’en viens maintenant au dernier axe de nos propositions visant à mieux protéger la santé de la population.

Le comité a proposé d’abaisser le seuil déclenchant des travaux de désamiantage à 0,47 fibre d’amiante par litre d’air, mais nous constatons que le Haut Conseil de la santé publique, dans un rapport rendu public le 14 août dernier, propose un seuil à deux fibres par litre à compter de 2020. Cet abaissement du seuil est subordonné à la mise en œuvre de l’ensemble des recommandations très ambitieuses du Haut Conseil, lesquelles rejoignent pour la plupart celles qui ont été formulées par notre comité de suivi.

L’amiante présente un risque important pour les particuliers qui y sont confrontés dans leur environnement, notamment lors d’activités de bricolage. Or il existe un fossé entre les mesures de prévention prévues par les textes et la réalité du terrain. Il convient donc de mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l’amiante et de réfléchir avec les collectivités locales aux moyens d’organiser la collecte et le stockage à des coûts abordables.

Un autre enjeu important est le suivi post-professionnel des personnes exposées au cours de leur activité à des produits cancérigènes comme l’amiante.

Le mécanisme actuel demeure, hélas ! bien trop complexe, car il impose une démarche volontaire des personnes exposées. Dans son rapport de 2005, la mission commune d’information avait pourtant placé comme première recommandation l’amélioration de l’information des salariés susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante au cours de leur carrière. Notre comité de suivi ne peut que réitérer cette recommandation.

Certaines avancées ont eu lieu, il est vrai.

Ainsi, grâce notamment à la mobilisation de syndicats, comme le Syndicat national des personnels techniques des réseaux et infrastructures, ou SNPTRI-CGT, une circulaire a récemment prévu la mise en place d’un suivi post-professionnel des personnels des travaux publics. Par ailleurs, un décret du 12 décembre 2013 relatif au suivi post-professionnel des agents hospitaliers et sociaux de l’État fait obligation aux établissements employeurs d’informer ceux-ci de leur droit à un tel suivi lors de leur cessation d’activité. Mais le comité de suivi considère que cette obligation doit être étendue à l’ensemble des employeurs publics et reposer également sur les employeurs privés.

Le comité de suivi souhaite également interpeller le Gouvernement sur les graves difficultés que rencontrent les services de l’université Pierre et Marie Curie pour assurer le suivi post-professionnel des personnels ayant travaillé sur le site de Jussieu entre 1966 et 1996. Sur 6 790 personnes identifiées, 1 700 personnes n’ont pas pu être contactées, faute d’une adresse à jour. Le service des pensions de l’État, contacté par l’université, n’a pas donné suite à leur demande d’information. Madame la secrétaire d’État, pareil cloisonnement administratif est particulièrement regrettable. Il convient, nous semble-t-il, d’y remédier très rapidement, à travers la création d’une cellule d’aide aux employeurs publics qui recherchent les agents publics susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante.

Nous regrettons également que la réforme du statut des médecins du travail engagée en 2011 n’ait pas permis de faire le lien entre suivi professionnel et suivi post-professionnel. Nous recommandons que la promotion de l’accès à ce dernier soit un des axes du futur plan de santé au travail 2015–2019, qui est actuellement en cours d’élaboration.

Par ailleurs, il apparaît indispensable de renforcer le suivi épidémiologique dans les zones à affleurement naturel d’amiante et pour les populations exposées au traitement de l’amiante et au désamiantage. Il est essentiel de mener des études de santé publique sur tous les anciens sites industriels contaminés par l’amiante, comme le démontre l’exemple du Comptoir de minéraux et matières premières, jadis implanté à Aulnay-sous-Bois. Dans cette optique, nous appelons à un renforcement des effectifs de l’Institut national de veille sanitaire, et notamment de son département santé-travail.

Tel est le fruit des réflexions du comité de suivi de la mission d’information sur l’amiante. De notre point de vue, cette instance a pleinement joué son rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, tout en formulant des propositions concrètes, que mes deux collègues et moi-même venons de rappeler. La tâche est grande et le chantier est immense ; nous en sommes pleinement conscients.

C’est pourquoi je vous invite, madame la secrétaire d’État, à répondre aux défis relevés par notre comité de suivi sur l’amiante. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Doineau.

Mme Elisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’impact de l’amiante sur la santé des travailleurs est terrible : chaque année, 3 000 décès sont recensés par l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA. À titre de comparaison, cela représente 200 morts de moins que les accidentés de la route ! L’amiante est responsable de 9 % des maladies professionnelles et de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle en 2011.

La question de l’amiante est l’un des scandales sanitaires les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle. N’oublions pas que la France a été l’un des plus importants importateurs d’amiante dans le monde.

Le Centre international de recherche sur le cancer a classé dès 1977 toutes les variétés d’amiante comme cancérigènes pour l’homme. Or cette fibre a seulement été interdite dans notre pays en 1997, alors que le Danemark l’interdisait dès 1986, l’Allemagne et la Suisse, dès 1990.

Je ne relancerai pas la polémique sur les décisions prises alors. Cependant, il n’en demeure pas moins que l’héritage est lourd. Nous devons donc nous mobiliser encore davantage.

Comme cela figure dans l’excellent rapport du comité de suivi, présidé par Mme Archimbaud, il faut « éviter qu’au drame de l’amiante né de son interdiction tardive en 1997 ne s’ajoute un nouveau drame lié aux conditions du désamiantage ».

C’est pourquoi le Parlement s’est saisi du sujet. L’amiante est la preuve même de l’importance de l’action parlementaire dans notre pays, et en particulier de l’action sénatoriale. C’est sur un sujet tel que celui-ci que le pouvoir de contrôle du Parlement prend tout son sens.

Pendant la campagne pour les élections sénatoriales, combien d’articles programmant la fin inévitable de la Haute Assemblée ou dénonçant son inaction et son inutilité avons-nous lus ! Or le travail mené par le Sénat au sujet de l’amiante est, à ce titre, remarquable.

Le 20 octobre 2005, une mission commune d’information du Sénat présentait, après plus de soixante-dix auditions, son rapport sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.

Après avoir analysé les raisons du « drame de l’amiante en France », les auteurs ont avancé vingt-huit propositions pour répondre aux attentes des victimes et régler le problème de l’amiante.

Au mois de février 2013, la commission des affaires sociales a créé en son sein un comité de suivi de l’amiante, afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005. Son travail s’est achevé au mois de juin dernier avec la publication de son rapport.

Il en ressort que les propositions formulées en 2005 ont été majoritairement suivies : près de dix-sept sur vingt-huit, notamment pour la protection des travailleurs. Le comité a approfondi la réflexion sur deux sujets : d’une part, l’indemnisation des victimes, sachant que sept des propositions du rapport de 2005 sur le sujet n’ont pas été appliquées ; d’autre part, les enjeux du désamiantage.

Cependant, nous pouvons aujourd'hui affirmer sans crainte que la réglementation française est d’un bon niveau, au regard de la protection contre le risque de l’amiante. Elle s’articule sur deux volets : la protection de la population relevant du code de la santé publique et la protection des travailleurs inscrite dans le code du travail.

Cette protection en deux volets, rendue possible par les décrets du 3 juin 2011 et du 4 mai 2012, est relativement unique en Europe, parce que plus protectrice. En effet, les réglementations italienne, allemande, britannique et espagnole concernent principalement les travailleurs et l’environnement. Il n’existe pas dans ces pays une réglementation pour la population exposée, comme en France.

Enfin, je me félicite du rôle important que ma famille politique a joué dans ce travail. Notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s’est très tôt investi sur ce sujet difficile. Et c’est naturellement qu’il a présidé la mission commune d’information formée en 2005, dont le travail fait référence encore aujourd’hui.

Par ailleurs, dans la suite de cette politique, nous ne pouvons que saluer la formation, au mois de février 2013, du comité de suivi, dont les conclusions sont lourdes d’enseignements. J’en profite pour féliciter une nouvelle fois Mme Archimbaud pour l’excellence du rapport, qui a le mérite d’exposer clairement le chemin parcouru, ainsi que les pistes à approfondir pour en finir avec le drame de l’amiante.

Je ne puis que le noter, si près des deux tiers des propositions de la mission commune d’information de 2005 ont été appliqués, des lacunes ou défaillances persistent encore. Onze mesures n’ont pas été mises en œuvre : sept sont relatives à l’indemnisation des victimes et son financement et quatre concernent la qualification des diagnostiqueurs et la constitution de bases de données.

Ainsi, deux axes prioritaires se dégagent : d’une part, la réparation en faveur des victimes ; d’autre part, la prévention et l’identification de l’amiante.

J’évoquerai d’abord l’indemnisation des victimes. La faiblesse des avancées est justifiée par le manque de moyens mis en œuvre. Pourtant, les solutions sont connues ; il ne reste plus qu’à les appliquer.

Le rapport de 2005 préconisait de revaloriser le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Or son montant ne progresse pas. Il reste proche du SMIC. (M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.)

Dans l’un de ses derniers rapports, la Cour des comptes estimait que les graves difficultés liées au contentieux de l’indemnisation des victimes de l’amiante rendent nécessaire une harmonisation. Or le Gouvernement demeure inactif. Selon une avocate qui s’exprimait dans le journal Les Échos, les contentieux liés à l’amiante « sont depuis longtemps un véritable laboratoire qui teste tous types de recours ».

Enfin, il s’agit de doter les fonds d’indemnisation d’un réel financement pérenne, d’un échéancier et d’un suivi régulier, dans une optique de bonne gestion des comptes publics.

Or, neuf ans après, les propositions nos 10 et 11 de la mission commune, destinées à permettre un financement pérenne du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, ou FIVA, sont restées lettre morte. Il me semble pourtant nécessaire que la contribution de l’État dans la dotation du FIVA soit revalorisée de manière significative. Cet engagement doit se traduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le deuxième axe prioritaire que je souhaite évoquer dans ce débat est la question centrale de l’identification et de la prévention de l’amiante. Nous ne pourrons pas éradiquer les dangers de l’amiante tant que notre système de prévention et de repérage de cette fibre ne sera pas renforcé.

L’identification et la prévention de l’amiante doit s’effectuer en trois temps.

Tout d’abord, il est primordial de flécher des crédits vers la recherche et le développement en ce qui concerne la détection amiante – une cartographie exhaustive est primordiale, notamment dans les établissements sanitaires, éducatifs, administratifs et médico-sociaux –, les techniques de désamiantage, avec la mise en place d’une méthodologie d’aide à la décision et à l’acceptation des travaux, ainsi que les études sur les mesures des fibres d’amiante. C’est la proposition n° 7 du rapport du comité de suivi.

Ensuite, l’accent doit être mis sur la qualification des diagnostiqueurs et la pertinence des contrôles. Comme l’indique le comité de suivi, la qualité du repérage et du diagnostic amiante est le point faible de la réglementation actuelle.

Les diagnostiqueurs sont trop souvent pointés du doigt, car insuffisamment formés et contrôlés, mais également soumis à des normes peu exigeantes.

Or le diagnostic amiante est la pierre angulaire de la protection des populations face à l’amiante. Nous devons donc être particulièrement vigilants sur ce point.

Enfin, un contrôle plus rigoureux mené par les services de l’État compétents sur la réalisation des dossiers techniques amiante est nécessaire. Il s’agira, en parallèle, de sensibiliser les notaires et les entreprises pour obtenir et demander des DAT actualisés.

Nous pourrions même étudier l’opportunité d’inscrire dans le code du travail une obligation générale de repérage et de diagnostic de l’amiante avant travaux pour tous les donneurs d’ordre et les propriétaires.

La création d’une base de données internet permettrait in fine de rationaliser la collecte d’information et d’aboutir à une cartographie précise.

Ce dernier volet reprend les propositions nos 11, 14, 15 et 19 du comité de suivi.

Face à l’inflation des normes, je salue la volonté du comité de suivi de ne pas alourdir le cadre actuel. En effet, bien souvent, la complexité entraîne malheureusement le rejet ou le contournement des règles.

Si notre réglementation relative à l’amiante s’est considérablement renforcée en moins de vingt ans, c’est notamment grâce à l’action volontariste du Sénat, qui a su mobiliser des hommes et des femmes de toutes tendances politiques au service d’un même but.

Je suis fière d’avoir pu participer à ce débat qui, j’en suis sûre, permettra de faire émerger des solutions constructives et efficaces pour mieux indemniser les victimes de l’amiante et pour mieux appréhender le désamiantage. Je remercie la commission des affaires sociales et le groupe écologiste d’avoir demandé la tenue de ce débat.

Une grande cause mérite des financements exceptionnels. C’est pourquoi, en l’occurrence, ils doivent mobiliser une pluralité d’acteurs : les fonds structurels européens, l’ensemble des niveaux de l’État, les collectivités territoriales ainsi que les industriels ayant fabriqué des produits et des matériaux contenant de l’amiante.

Il est temps, mes chers collègues, de prendre conscience de nos intérêts communs à agir, chacun à notre échelle. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente du comité de suivi, mes chers collègues, l’amiante est un sujet qui préoccupe l’humanité depuis très longtemps.

Au Ier siècle, Pline l’Ancien mentionne les dangers de l’amiante chez les esclaves Romains. L’utilisation intensive de l’amiante par le tissage remonte à la guerre de Sécession, lors de la pénurie de coton. Des industries de textile se reconvertissent alors dans le tissage de l’amiante. C’est notamment le cas, dans ma région, à Condé-sur-Noireau, ville martyre de l’amiante puisqu’elle a reçu le triste nom de « vallée de la mort ». S’ensuit un usage intensif de ce produit en raison de ses qualités d’isolation.

En 1906, le ministère du travail est créé. Denis Auribault, jeune inspecteur du travail de trente-deux ans, rédige un rapport sur la surmortalité des ouvriers de l’usine de textile de Condé-sur-Noireau. Ce rapport, publié dans le bulletin de l’inspection du travail, est classé par l’administration et reste sans suite.

Il faudra attendre 1997 pour que l’amiante soit interdit en France, même si des dispositions concernant l’habitat avaient été prises en 1977.

En 2005, sous la présidence de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, Gérard Dériot et moi-même avons préconisé dans notre rapport des recommandations dont un bon nombre ont été mises en application. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Je rappelle également que, en 2006, nos collègues de l’Assemblée nationale Jean Le Garrec et Jean Lemière remettaient leur rapport intitulé « Ne plus perdre sa vie à la gagner ».

Le débat qui nous occupe aujourd’hui permet de revenir sur l’une des catastrophes sanitaires les plus dramatiques du XXe siècle. Les hypothèses officielles prévoient, d’ici à 2050, entre 68 000 et 100 000 décès en France dus à des mésothéliomes et à des cancers broncho-pulmonaires.

Encore ne s’agit-il là, mes chers collègues, que des affections directement liées à une profession exposant les travailleurs à l’amiante. Nos concitoyens ont en effet tendance à penser que cette catastrophe est derrière nous.

De plus, le sujet essentiel de ces dernières années a été l’indemnisation des victimes, avérées et potentielles. Il aura fallu de nombreux débats, assez durs, pour obtenir réparation. Néanmoins, comme le souligne le rapport de la commission des affaires sociales, si les préconisations de la mission sénatoriale de 2005 ont été majoritairement satisfaites, l’indemnisation demeure insuffisante et partielle.

Ainsi, la mise en œuvre de notre proposition n° 4 visant à « officialiser une voie d’accès au FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, sur une base individuelle, pour les salariés exposés à l’amiante dont l’entreprise ne figure pas sur une liste » grâce à « des comités de site permanents, rassemblant toutes les parties concernées, afin de déterminer les droits de chacun », bien qu’elle soit évoquée chaque année lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, est toujours retardée au profit d’évaluations et d’expertises répétées, dont on se demande si elles ne sont pas dilatoires.

Aucune base de données recensant les salariés des entreprises de désamiantage ainsi que les bâtiments amiantés et les travaux de désamiantage en cours n’a été mise en place.

Une autre proposition était d’ouvrir aux fonctionnaires l’accès au FIVA, réservé à certaines catégories de personnel. Je rappelle que l’extension de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante aux agents publics ayant développé une maladie professionnelle reconnue en lien avec l’amiante n’est acquise que depuis le 28 février dernier.

Notre proposition n° 7 pour le versement par le FIVA des sommes dues au titre de la faute inexcusable de l’employeur, sur le modèle du mécanisme existant dans la branche AT–MP, accidents du travail–maladies professionnelles, a été reprise par la Cour des comptes dans son rapport public de 2014. Elle a toutefois été écartée par les ministres de la sécurité sociale, du travail et de l’économie dans une lettre adressée le 13 janvier 2014 en réponse à la Cour. Je pense que ce débat doit être rouvert.

De même, les propositions en vue de doter le FIVA et le FCAATA de financements pérennes n’ont pas été reprises. Il est pourtant nécessaire, mes chers collègues, de fixer la contribution de l’État à 30 % de la dotation du FIVA, comme nous l’avons dit lors de la discussion des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale. C’était l’objet de la recommandation n° 11 de notre rapport de 2005. Or, depuis deux ans, la dotation de l’État au FIVA est de zéro euro.

M. Jean-Pierre Godefroy. L’harmonisation des barèmes d’indemnisation est aussi un sujet non résolu. L’État doit prendre ses responsabilités, car je rappelle qu’il a tout de même été condamné pour faute inexcusable !

Sur ces questions relatives à l’indemnisation du préjudice, il faut reconnaître que les pouvoirs publics n’ont pas fait preuve dans notre pays de la célérité nécessaire – c’est un euphémisme –, et cela s’adresse à tout le monde.

M. Jean-Pierre Godefroy. Je tenais à rappeler ces quelques données, même si, bien entendu, l’indemnisation n’est pas le seul aspect de ce dossier. Le suivi post-professionnel des personnes exposées devrait ainsi être automatique et généralisé à tous les employeurs, publics ou privés.

Le mérite des travaux de la mission, madame la présidente, est qu’ils ont porté sur ce que j’appellerai « le jour d’après ». La complexité et la gravité des difficultés à venir sont démontrées par le nombre important de propositions ; propositions auxquelles nous souscrivons, bien sûr, entièrement.

La question qui se pose aujourd’hui, et que les pouvoirs publics doivent impérativement résoudre, porte sur quatre axes principaux : l’information du public dans un souci de prévention, les compétences des entreprises qui procèdent au désamiantage, les moyens de contrôle et, enfin, les moyens financiers à mettre en œuvre.

Depuis le 1er juillet 2014, les couvreurs et autres professionnels doivent être titulaires d’une certification spécifique. Au 1er juillet 2015, la valeur limite d’exposition doit être divisée par dix. Ce sont des décisions satisfaisantes, bien qu’il ait fallu attendre trop longtemps. Du reste, ce sont leurs impacts réels qui doivent être mesurés.

Je rappelle tout de même que le problème du nombre de fibres d’amiante que l’on peut absorber par litre d’air a fait l’objet de longs débats, notamment au sein du fameux Comité permanent amiante, et que c’est justement les dérogations qui ont été accordées en la matière qui sont une des causes de la multiplication, aujourd’hui, des mésothéliomes et des cancers broncho-pulmonaires.

M. Jean-Pierre Godefroy. La communication publique est trop peu orientée vers la population. Pourtant, la diffusion de connaissances sur les risques liés à l’amiante et sur les précautions à prendre pour un particulier faisant chez lui des travaux pourraient encourager des comportements plus prudents.

À cet égard, il faut réfléchir au meilleur moyen de permettre la collecte de ces déchets, leur acheminement vers les sites autorisés, sans oublier le coût de ces opérations. En effet, le stockage des déchets d’amiante est onéreux, ce qui aboutit à la création de décharges sauvages en milieu rural, d’une dangerosité considérable.

C’est pourquoi la création d’un portail internet dédié aux précautions à prendre par le grand public, qui fait l’objet de notre proposition n° 8, est tout à fait judicieuse. D’autres sites fournissant des informations sur les précautions à prendre et la réglementation applicable existent déjà sur des sujets analogues. Ils sont largement consultés, y compris par les salariés des entreprises et des collectivités qui craignent d’être en contact avec tel ou tel produit ou organisme toxique.

Nous sommes fermement convaincus que c’est grâce à la prise de conscience et à la diffusion la plus large de l’information et grâce aussi à la pression qui en résultera sur les entreprises et sur les pouvoirs publics que les choses pourront évoluer favorablement.

S’agissant des entreprises, si l’information par les organisations professionnelles est primordiale, elle ne peut être exclusive d’un renforcement du rôle des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans ce domaine comme dans d’autres. Il est clair qu’une occasion s’offre aux partenaires sociaux dans le cadre de la négociation en cours sur les institutions représentatives du personnel. Des CHSCT élus directement dans toutes les entreprises de plus de vingt salariés constitueraient un progrès réel pour garantir une meilleure prise en compte de la santé des travailleurs sur les sites.

Considérons, par exemple, le cas des enrobés routiers. Nous savons déjà que les vapeurs de goudron inhalées par les travailleurs des entreprises de travaux publics sont d’une grande toxicité ; a fortiori lorsqu’il s’agit d’enrobés fabriqués à partir d’agrégats bitumeux parfois amiantés, dont le rapport évalue la production, madame la présidente, à 70 000 tonnes par an.

Nous sommes là devant une situation certes illégale, mais à laquelle sont pourtant soumis des milliers de travailleurs, qui n’ont pas connaissance des dangers auxquels on les expose.

L’information et la formation tant des chefs d’entreprise que des personnels sont donc des exigences fondamentales.

L’arrêté « formation » du 23 février 2012 définissant les modalités de la formation des travailleurs à la prévention des risques liés à l’amiante a constitué une avancée décisive. Ces avancées doivent maintenant être renforcées en direction des maîtres d’œuvre et aussi des artisans.

Le rôle de l’inspection du travail doit aussi être renforcé. La réforme de l’inspection du travail est en cours et c’est peu dire qu’elle ne fait pas consensus. Nous attendons maintenant la proposition de loi de notre collègue député Denys Robiliard en discussion à l’Assemblée nationale. Je rappelle que cette proposition de loi prévoit l’extension de l’arrêt de chantier aux travaux susceptibles d’émettre des fibres d’amiante.

Je vais à présent vous soumettre quelques réflexions sur l’amiante.

Nous souscrivons pleinement à la recommandation formulée à la page 66 du rapport. On y lit en effet : « Les agents de l’inspection du travail, malgré des effectifs restreints et une charge de travail très importante, se retrouvent en première ligne en matière de prévention des risques liés à l’amiante. Beaucoup de personnes auditionnées indiquent que les agents de prévention de la Cnam et de l’OPPBTP […] ne sont pas suffisamment nombreux et présents sur les chantiers. Selon le ministère du travail, on compte aujourd’hui 790 sections d’inspection, animées par 743 inspecteurs, 1 493 contrôleurs […] et 796 agents administratifs. Un agent de contrôle suivait en 2011 en moyenne 8 130 salariés. C’est pourquoi votre comité de suivi souhaite un renforcement des effectifs de l’inspection du travail. »

La clarté des chiffres est aveuglante sur la situation du contrôle du respect de la législation du travail, singulièrement en matière de risques professionnels et d’exposition à des produits toxiques.

Au-delà des chiffres, qui appellent une augmentation des effectifs que nous demandons avec persévérance, il est nécessaire de mettre en place une coordination entre les différents organismes de prévention, de contrôle et prestataires afin de disposer d’une doctrine homogène sur l’ensemble du territoire.

Sur le délicat sujet des diagnostics, le rapport de notre mission est tout à fait complet et les propositions très précises. Je n’y reviendrai donc pas plus longuement. Il est surtout important que le Gouvernement s’attache rapidement à la refonte de l’arrêté « compétence amiante » pour de meilleures formations et des garanties de compétences plus exigeantes. Mais il faut aussi compter avec les pressions subies par les diagnostiqueurs pour minimiser la présence d’amiante.

La question des coûts ne peut être esquivée. Dans ma région, le CHU de Caen fait figure d’exemple, mais avec des coûts très élevés. Depuis 1997, 25 millions d’euros ont été dépensés pour retirer 5 % de l’amiante total, il est vrai le plus dangereux. Le reste devrait être retiré d’ici au mois d’août 2016.

Pour comparaison, le coût de démolition s’élève à 100 millions d’euros et celui de construction du nouveau CHU est de 500 à 600 millions d’euros. Je pense que les chiffres du chantier de Jussieu doivent être à peu près identiques, voire plus élevés.

Comme vous l’avez dit, l’Union sociale pour l’habitat, ou USH, estime que 3 millions d’appartements de son parc comportent de l’amiante. Le désamiantage multiplie par deux les budgets de réhabilitation et un projet sur quatre est abandonné pour cette raison.

L’USH estime le coût annuel de désamiantage à 2,3 milliards d’euros par an. Elle demande la création d’un fonds spécifique, via le grand emprunt ou les fonds structurels européens. Je pense qu’il faut persévérer dans cette voie.

Les coûts évoqués par le rapport comme par l’ensemble des partenaires sont considérables. Je n’ai cité ici comme exemples que deux organismes susceptibles de faire appel à des fonds publics ou à des partenariats. Qu’en est-il des particuliers et des collectivités locales ? Les devis de désamiantage de bâtiments sont impressionnants, en hausse de 50 % depuis 2012, comme presque tous les élus en ont fait l’expérience.

En réalité, nous sommes en présence d’un choc entre les exigences de protection des personnes et de l’environnement et les capacités financières à les assumer.

Résumons, en quelques mots : les maîtres d’ouvrage doivent faire établir un diagnostic amiante par des bureaux de contrôle, puis ils doivent s’assurer que l’entreprise de désamiantage à laquelle ils ont recours est couverte par une assurance responsabilité civile d’atteinte à l’environnement et intervient avec du personnel formé et des matériels conformes, notamment sas de décontamination et combinaisons intégrales dotées de bonbonnes d’oxygène. Tout cela sans oublier la zone de confinement autour du chantier, avec bâches étanches, échafaudages, etc.

Une entreprise auditionnée indiquait, comme le précise « notre » rapport – j’étais en effet membre de la mission d’information –, que le seul diagnostic pour une grange de 80 mètres carrées revient à 2 300 euros. Le chef d’entreprise ajoutait : « Dans un tiers des cas, on s’arrête à cette étape, les collectivités locales n’ayant pas les moyens d’aller plus loin. »

La tentation est alors grande de faire appel à un moins-disant, qui ne prendra sans doute pas toutes les mesures de précaution indispensables pour les salariés, la population et l’environnement.

Pour les particuliers, le recours au travail au noir ou au bricolage persiste malheureusement.

Certes, il faut une amélioration de la réglementation et il faut que celle-ci soit claire, lisible, compréhensible par tous, largement diffusée et qu’elle demeure applicable.

À partir de là, l’ensemble des personnes concernées à un moment donné, à un titre ou à autre, peuvent s’informer, prendre conscience du danger réel et agir en conséquence. S’agissant de tels risques, les contrôles par la puissance publique doivent être suffisants pour garantir la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement.

Nous devons néanmoins être conscients que la question des moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour éradiquer l’amiante dans des conditions sanitaires correctes, et sur la durée, est la base de tout. L’amiante est non seulement une catastrophe sanitaire, mes chers collègues, mais aussi une calamité financière de longue portée pour la collectivité. Elle est le symptôme des drames que peut provoquer l’utilisation sans scrupules, en toute connaissance de cause, de produits dangereux pour la santé.

Il serait bon que notre débat d’aujourd’hui contribue à cette réflexion et à d’éventuels progrès dans ces domaines. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Aline Archimbaud pour la qualité de son travail et son implication au sein du comité de suivi sur l’amiante. Je salue également notre collègue Gérard Dériot, à l’origine de la mission d’information dont il fut rapporteur avec Jean-Pierre Godefroy consacrée au drame sanitaire de la contamination par l’amiante et à ses répercussions sur le plan humain, social et financier.

Qualifié durant des décennies de « matériau miracle », l’amiante a été massivement utilisé par l’industrie française en dépit de nombreuses études dénonçant sa toxicité dès les années soixante. Comme cela a été souligné, il faudra attendre 1997 pour qu’elle soit interdite en France.

En 2005, dans son rapport Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir, Gérard Dériot évoquait une épidémie à venir inéluctable et irréversible de cancers. Encore aujourd’hui, l’amiante fait partie de notre environnement quotidien et est à l’origine de près de 3 000 décès par an. Dix-sept ans après son interdiction, le risque existe et l’apparition de nouveaux cas de contamination sont à craindre dans l’avenir. Le Haut Conseil de la santé publique a d’ailleurs estimé que l’amiante pourrait provoquer entre 68 000 et 100 000 décès en France d’ici à 2050.

Si la majorité des propositions préconisées par le rapport de 2005 ont été mises en œuvre, force est de constater aujourd’hui encore que la situation n’a pas évolué sur certains points, comme les orateurs précédents l’ont noté. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré, au sein du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante, vingt-huit propositions sur les enjeux du désamiantage.

Le travail de désamiantage est colossal, dangereux et particulièrement coûteux, comme Jean-Pierre Godefroy vient de le souligner. Ainsi, les chantiers de retrait d’amiante doivent être réalisés par des sociétés habilitées et sont soumis à des dispositions techniques très contraignantes. Or, nous le savons, de nombreux chantiers de désamiantage sont réalisés dans de très mauvaises conditions, souvent par des entreprises sous-traitantes ne respectant pas les obligations de sécurité et au mépris de la santé de leurs employés. En 2006, pour la troisième année consécutive, une campagne nationale de contrôle des chantiers de retrait d’amiante a été menée par les inspecteurs du travail : dans 76 % des cas, des anomalies ont été constatées.

Or, Aline Archimbaud l’a rappelé, « si des mesures rapides ne sont pas prises par les pouvoirs publics, le désamiantage sera fait dans des conditions catastrophiques et c’est une seconde épidémie qui pourrait se développer, concernant notamment un million de salariés du bâtiment, dont les petits artisans, les salariés des entreprises de désamiantage, mais aussi les riverains ».

Tous les bâtiments publics et privés construits avant 1997 sont susceptibles, en effet, de contenir de l’amiante. L’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, estime à 20 millions de tonnes les matériaux contenant de l’amiante encore en place dans les usines, les immeubles, les établissements scolaires ou encore les hôpitaux, sous diverses formes d’ailleurs.

Pourtant, les inspecteurs du travail, trop peu nombreux certes, n’ont pas les moyens de contrôler tous les chantiers. C’est la raison pour laquelle nous demandons un renforcement des effectifs et des pouvoirs de l’inspection du travail ainsi que le lancement d’une nouvelle campagne nationale de contrôle sur les chantiers de désamiantage.

En outre, le comité de suivi estime nécessaire de mettre en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage assortie de financements pérennes.

Même si nous ne disposons pas de données précises sur le coût global du désamiantage pour les acteurs publics et privés d’ici à 2050, nous savons qu’il est considérable. Des évaluations ont été réalisées : il faudra consacrer plusieurs milliards d’euros par an à ce problème. Mme la ministre du logement a annoncé le mois dernier la mise en place d’un prêt « amiante » : les organismes d’HLM pourront emprunter à des taux très bas auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à 10 000 euros par logement, dans la limite de 40 000 logements par an. Si cette mesure va dans le bon sens, je crains malgré tout qu’elle ne réponde pas suffisamment à l’ampleur des enjeux. En effet, l’Union sociale pour l’habitat estime que trois millions de logements sociaux sont gangrenés par l’amiante, et que le coût du désamiantage de la totalité du parc s’élèverait à près de 15 milliards d’euros. Nous sommes donc loin du compte.

Pour finir, je rappelle la nécessité de renforcer la veille sanitaire et l’importance d’améliorer le suivi post-professionnel des personnes ayant été exposées à l’amiante. Moins d’un salarié sur dix bénéficie aujourd’hui d’un suivi médical.

Madame la secrétaire d’État, parce qu’il est nécessaire d’éradiquer l’une des plus importantes catastrophes sanitaires que la France ait connue, nous serons particulièrement vigilants quant à la prise en compte de nos propositions. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente du comité de suivi, mes chers collègues, la catastrophe sanitaire qu’a connue la France, comme bien d’autres pays, avec l’amiante est un sujet sur lequel je me suis particulièrement mobilisé. Profondément attaché à la défense des victimes contaminées par l’amiante, je me réjouis que nous soit donnée aujourd'hui l’opportunité de débattre de nouveau de ce sujet au sein de notre assemblée.

Qu’il me soit permis de féliciter les membres du comité de suivi et particulièrement sa présidente, sous la houlette de laquelle a été effectué un travail de qualité. J’aurais dû assister à vos réunions, mais j’en ai malheureusement été souvent empêché, durant toute cette période, par mes autres fonctions.

Le rapport que j’ai eu l’honneur de rédiger en 2005 dans le cadre de la mission commune d’information, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe et avec mon collègue Jean-Pierre Godefroy, pour établir le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante visait à comprendre, à mieux réparer et à tirer les leçons pour l’avenir du drame sanitaire que constitue l’amiante. Il avait été préparé dans un cadre de réflexion serein, la question faisant relativement consensus par-delà les clivages politiques. Ce rapport présentait vingt-huit propositions pour tirer les leçons du scandale de l’amiante et indemniser ses victimes.

Depuis qu’elle s’est saisie de la question de l’amiante, les travaux de la commission des affaires sociales du sénat sur le sujet, je l’ai souligné, ont plutôt fait l’unanimité : nous ne pouvons qu’espérer que l’État mette en œuvre ses propositions. Le consensus se traduit encore aujourd'hui, comme l’atteste la présence de bon nombre de nos collègues ici présents, qu’il s’agisse de Michelle Demessine, d’Annie David, de Jean-Pierre Godefroy, de Marie-Christine Blandin, de Gilbert Barbier et de bien d’autres. C’est la preuve que ce sujet nous a tous énormément préoccupés.

Aussi, neuf ans après la remise du rapport de la mission commune d’information en 2005, le travail du comité de suivi revêt un intérêt particulier et une importance singulière s’inscrivant dans le cadre de la mission du Parlement d’évaluation de l’action du Gouvernement. Ses travaux sont riches d’enseignements : la majorité des propositions émises en 2005 par la mission commune d’information ont été retenues – ce point a déjà été signalé – puisque dix-sept propositions concernant la protection des travailleurs ont été mises en œuvre, et on ne peut que s’en réjouir.

Malgré ces avancés incontestables, nous devons relever, comme l’a fait Mme la présidente du comité de suivi dans son propos liminaire, que les sept propositions concernant l’indemnisation des victimes du drame de l’amiante sont restées lettre morte, certainement en raison de leur coût financier, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Ma première remarque porte donc sur ce point.

Le financement des dépenses au titre de la prise en charge des victimes de l’amiante est assuré, pour l’essentiel, par la branche AT–MP, accidents du travail–maladies professionnelles, de la sécurité sociale. Pour 2015, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit une contribution totale de la branche à ces fonds de 1,073 milliard d’euros. Ces dépenses et leur impact sur l’équilibre financier de la branche AT-MP justifient que l’on engage une réflexion sur la gestion de ces dispositifs.

M. Gérard Dériot. Pour autant, le souci de maîtriser les dépenses engagées au titre de l’amiante ne doit pas se traduire par une moindre indemnisation des victimes. La solidarité nationale doit garantir à chaque victime de l’amiante une indemnisation satisfaisante, quelle qu’ait pu être l’origine de la contamination.

Je regrette que, dans ce domaine, les progrès opérés par l’État restent insuffisants. Une proposition du rapport de 2005 visait à permettre au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, d’accorder aux victimes le bénéfice qui s’attache à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur afin que ces dernières ne soient plus incitées à emprunter la voie judiciaire.

Cette proposition a été malheureusement écartée par le Gouvernement. La proposition tendant à revaloriser le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA, n’a pas non plus connu d’application, son montant demeurant proche du SMIC mensuel.

La question de la pérennité des fonds d’indemnisation n’a également pas été réglée. La situation financière du FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, et du FIVA demeure relativement fragile, et les propositions destinées à permettre un financement pérenne du fonds n’ont pas connu de suite.

La contribution de l’État au FIVA a été inexistante en 2013 et en 2014. Bien que le projet de loi de finances pour 2015 prévoie une dotation, son montant de 10 millions d’euros demeure faible et ne permet pas de retrouver le niveau d’avant 2012, qui était de 50 millions d’euros.

Ce désengagement est d’autant plus préoccupant que la commission des affaires sociales du Sénat a, à plusieurs reprises lors de la discussion des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, jugé nécessaire – de Catherine Deroche à Jean-Pierre Godefroy, tout le monde est tombé d’accord – que l’État prenne sa part de responsabilité en contribuant pour un tiers à la dotation globale du FIVA. Cet impératif a été rappelé et doit être maintenu : nous devons y arriver.

Si des avancées significatives sur ce point sont toujours attendues, il est regrettable que les employeurs directement responsables ne participent pas davantage à l’effort d’indemnisation. La condamnation d’un employeur pour faute inexcusable l’oblige en principe à rembourser les sommes engagées au titre de l’indemnisation, mais le délai de latence très long des maladies de l’amiante conduit souvent le juge à constater a posteriori que l’entreprise responsable n’existe malheureusement plus.

Ainsi, la prise en charge des risques professionnels repose principalement sur la collectivité, ce qui n’est pas de nature à encourager forcément les entreprises à mettre en œuvre des politiques ambitieuses de prévention.

Ces considérations sur l’indemnisation des victimes de l’amiante soulèvent la question des modalités de réparation de l’ensemble des risques professionnels. En effet, si des considérations politiques, associées à la pression de l’opinion publique et des médias, ont permis d’introduire des règles d’indemnisation intégrale favorables pour les victimes de l’amiante, je rappelle que les salariés victimes d’autres substances chimiques toxiques ou d’accidents graves doivent se contenter, eux, de l’indemnisation forfaitaire traditionnellement versée par la branche AT–MP de la sécurité sociale.

On peut donc légitimement plaider, de ce fait, en faveur d’une réparation intégrale des préjudices causés par l’ensemble des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le coût d’une telle réforme serait effectivement très élevé et pourrait atteindre 3 milliards d’euros pour le seul régime général. La question de l’effort financier que la collectivité est prête à engager pour assurer une meilleure indemnisation des risques professionnels se trouve ainsi posée.

Pour conclure, je souhaite abonder dans le sens du comité de suivi concernant les nouveaux défis qui s’ouvrent à nous : le désamiantage, la prévention et le suivi post-professionnel. J’adhère pleinement aux propositions du comité, et j’espère que le Gouvernement les mettra en œuvre rapidement.

Je tiens à vous féliciter de nouveau, madame la présidente Archimbaud, ainsi que l’ensemble des membres du comité, pour le travail effectué sur un sujet qui, comme je le disais à l’instant, a toujours fait consensus. L’amiante demeure un des grands scandales que notre pays a connus. Il est indispensable que nous restions tous unis pour trouver des solutions et que l’État nous accompagne. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat a produit un rapport d’investigation en 2005 pour comprendre et décrire comment l’État avait été « anesthésié par le lobby de l’amiante ». Les sénateurs Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe.

Ce rapport consensuel et exigeant préconisait déjà de prévenir les futures contaminations, de s’intéresser aux entreprises de désamiantage et aux intervenants de second œuvre sur site amianté. Au passage, il recommandait l’interdiction des fibres vitrocéramiques. Le ministre du travail de l’époque, Gérard Larcher, ne disait-il pas dans son audition à propos de ces fibres qu’elles étaient considérées comme potentiellement cancérigènes et qu’il fallait recenser les produits de substitution moins dangereux ? Je vous renvoie à la page 309 du rapport. Où en sommes-nous, madame la secrétaire d’État ?

Les écologistes remercient Aline Archimbaud et ses collègues de la commission des affaires sociales d’avoir, par leur travail de grande qualité et leur nouveau rapport, actualisé et documenté l’alerte, et permis cet important débat. Car il y a urgence ! Le nombre de chantiers de désamiantage se multiplie, beaucoup apparaissent à l’occasion de la rénovation thermique, d’autres sont en attente car difficiles à entreprendre, comme certains centres hospitaliers universitaires. Mais, d’une part, la réglementation exigeante concernant les travailleurs est mal suivie et, d’autre part, il y a carence pour ce qui concerne les riverains et en particulier le suivi des déchets enlevés.

Beaucoup ayant été dit par les intervenants précédents, je me contenterai d’insister sur cinq points

Premièrement, le diagnostic des locaux vendus ou loués doit être plus précis et s’accompagner impérativement d’un plan des lieux investigués. Il faut un meilleur décret et des exigences accrues pour le DTA. La mémoire du lieu est en permanence un outil qualitatif qui peut sauver des vies. Tel plombier, tel électricien perçant des cloisons peut voir sa santé compromise du simple fait que le relevé soigneux des gaines encore amiantées lui aura été ou non communiqué. Coût d’un nouveau décret ? Zéro euro !

Deuxièmement, à propos des chantiers de réhabilitation, il nous faut tirer les leçons des aléas rencontrés. Afin d’éviter tout arrêt intempestif du chantier ou toute tentation d’occulter le risque en raison de surcoûts, c’est avant les appels d’offres de l’État, des collectivités et des maîtres d’ouvrage qu’il faut diagnostiquer la présence d’amiante. Coût de l’opération ? Zéro euro !

Troisièmement, la protection des salariés doit être mieux garantie par une formation ad hoc des CHSCT concernés, par des pauses compatibles avec le port d’équipements protecteurs oppressants et par des contrôles plus réguliers, en particulier pour l’usage illicite d’intérimaires ou de travailleurs non francophones qui signent à l’aveugle la note de mise en garde, écrite uniquement en français.

Au sujet des travailleurs, si une bonne traçabilité des expositions nous semble indispensable pour leur suivi sanitaire, il est impératif de veiller à ce que ces données ne soient en aucun cas utilisables par de futurs employeurs pour les tenir à l’écart de l’embauche. Coût de cette protection ? Zéro euro !

Quatrièmement, les contaminations environnementales périphériques sont une vraie source d’inquiétude pour les riverains. Les pouvoirs publics doivent garantir leur bonne information et la mise en œuvre de toute mesure protectrice, allant des vérifications de l’intégrité des bâches d’étanchéité du chantier aux arrosages réguliers des lieux susceptibles de véhiculer des fibres. Vous allez me dire que ce dispositif représente un coût. Je vous répondrai qu’en évitant de futurs malades vous réaliserez une économie de plusieurs millions d’euros.

Cinquièmement, une véritable traçabilité des déchets enlevés doit être instaurée, et le choix du lieu de la mise en décharge – déchets dangereux, inertes ou non – doit tenir compte des manipulations brutales qui font que des matériaux d’amiante prétendument « liée » deviennent des sources d’amiante friable après transport et casse.

Enfin, une étude indépendante de valorisation de l’amiante vitrifiée devrait permettre de baisser les coûts en suspendant une TGAP – la taxe générale sur les activités polluantes – liée au manque d’usages possibles. Faute de clarification, de suivi et de coût acceptable du traitement de l’amiante, nous risquons de voir encore de nombreux sacs d’amiante « tomber du camion » pendant les trajets.

Le débat d’aujourd’hui permet de reposer solennellement la question de l’expertise et des conditions de fabrication et de mise sur le marché des nanomatériaux. Ne répétons pas, par manque de règles et de précaution, un scandale sanitaire. Comme l’amiante, certains nanomatériaux sont en fibre à forte pénétration. Comme l’amiante, ils peuvent s’accumuler, être inflammatoires et carcinogènes. Cependant, du fait de leur taille, mille fois plus petite qu’une fibre d’amiante, ils vont beaucoup plus loin dans les tissus, dans les cellules, jusque dans leur noyau. Cette petite taille accroît les effets surface et les contacts toxiques. Dans un gramme de nanoparticule, il y a 100 à 1000 mètres carrés de surface de contact.

Si les articles 37 et 73 du Grenelle 2 ont un peu amélioré les exigences de transparence, le temps est venu, pour l’Europe comme pour la France, de combler ce non-lieu de l’encadrement sanitaire et de la protection des consommateurs comme des salariés.

Madame la secrétaire d’État, que ce soit pour l’éradication de l’amiante, le suivi des désamiantages ou l’encadrement des nanomatériaux, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. Ce message aurait pu s’adresser à Marisol Touraine pour la santé, à François Rebsamen pour le travail, à Sylvia Pinel pour le logement, à Ségolène Royal pour l’environnement, mais je ne doute pas qu’avec toutes vos compétences et votre engagement vous aurez la force de leur faire entendre que personne, demain, ne pourra dire qu’il ne savait pas. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde l’a rappelé, longtemps loué pour ses qualités de matériau extrêmement résistant et son faible coût, l’amiante a connu un très grand succès parmi les industriels avant son interdiction en 1997. C’est pourquoi, malgré des avertissements répétés sur ses effets désastreux sur la santé de leurs salariés, les industriels en ont usé et abusé – notamment dans les secteurs industriels qui ont fait la richesse de notre pays, tels que la sidérurgie, la métallurgie, les chantiers navals et autres grandes industries – pour fabriquer des faux plafonds, des portes coupe-feu, des appareils électroménagers ou encore prévenir le risque incendie dans les immeubles, les collèges et les hôpitaux.

Cet appât du gain des industriels pourrait causer la mort de 100 000 personnes d’ici à 2025, comme l’avait dénoncé la mission commune d’information du Sénat dont notre groupe avait demandé la création et à laquelle j’avais activement participé en 2005 aux côtés de Gérard Dériot, Jean-Marie Vanlerenberghe, Jean-Pierre Godefroy et Marie-Christine Blandin. Ce rapport, il faut le rappeler, a eu un grand retentissement et continue à être, aujourd’hui encore, un point d’appui sérieux pour les débats et délibérations sur ces questions de santé et de conditions de travail révélées par le drame de l’amiante.

Face à ce constat extrêmement préoccupant, révélé par notre rapport, les sénateurs communistes républicains et citoyens n’ont depuis cessé d’interpeller les gouvernements successifs. Les sujets ont été rappelés, je ne les détaillerai pas de nouveau. C’est pourquoi mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen se sont une nouvelle fois pleinement investis dans ce comité de suivi de l’amiante, mis en place par mon amie Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, et présidée par Aline Archimbaud, dont je salue l’excellent travail, comme je salue celui de ses collègues Dominique Watrin et Catherine Deroche. En effet, l’amiante est actuellement responsable de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle, et dans la région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, sept cancers d’origine professionnelle sur dix lui sont imputables.

La lutte contre l’amiante doit donc être une priorité pour le Gouvernement dans la prévention des maladies professionnelles. Il est nécessaire pour cela, comme le préconise le rapport, de renforcer la prévention des risques de l’amiante, d’assurer une meilleure protection des travailleurs et des citoyens par une réglementation contraignante avec un pilotage de l’État au niveau ministériel. À cet égard, la création d’une plateforme internet pourrait être un outil formidable et pas seulement pour le risque amiante mais pour l’ensemble des maladies professionnelles. Lorsque plusieurs salariés déclarent une même maladie en travaillant à un même poste, les risques deviennent alors évitables et peuvent être éliminés ; en s’interrogeant sur la nocivité dudit poste et en le faisant évoluer, on peut éliminer le risque.

L’assurance maladie a tout en mains pour le faire, je veux le rappeler aujourd’hui. Elle collecte et enregistre depuis des années la liste des postes de travail ayant causé des maladies professionnelles reconnues. Elle dispose également de la liste des postes assainis après indemnisation. Mais, contrairement aux statistiques sur les types de maladies professionnelles qui ne disent rien de l’activité qui en est la cause, ces données ne sont pas rendues publiques, alors qu’elles permettraient de dresser un cadastre des risques réels et constitueraient un indicateur fondamental de l’efficacité des actions mises en œuvre pour éliminer le risque de maladie professionnelle lié à un poste de travail identifié à risques.

L’association médicale pour la prise en charge des maladies éliminables a réalisé un tel site – à la suite d'ailleurs des propositions du professeur Claude Got – à l’échelle du bassin d’emplois de l’étang de Berre. Cette initiative est soutenue par les mutuelles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les résultats sont éloquents : là où le réseau a identifié une vingtaine de cancers directement imputables à la cokerie de Fos-sur-Mer parmi le personnel et les sous-traitants, les statistiques de l’assurance maladie n’en recensent aujourd’hui plus aucun.

Ce cadastre du risque avéré, visible via Google Maps, est aujourd’hui inscrit dans le plan régional santé environnement PACA 2009-2013. Je voulais citer cette expérience, car elle nous conduit à réfléchir de manière beaucoup plus concrète à ce recensement.

Par ailleurs, alors que 25 millions de tonnes d’amiante se trouvent encore dans les bâtiments en France, l’État doit, comme l’indique à juste titre le rapport, prendre ses responsabilités en établissant une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage qui comprend, avec des financements pérennes, un échéancier et un suivi régulier du désamiantage.

Un investissement doit être réalisé dans la recherche et le développement sur les techniques de désamiantage, comme l’ont souligné un grand nombre de mes collègues, car le diagnostic amiante demeure le principal point noir dans la mise en œuvre de la réglementation actuelle. Ce diagnostic est pourtant indispensable pour déclencher la procédure de désamiantage. Il implique donc de la part de l’État et de la sécurité sociale le renforcement de leurs corps de contrôle et une coordination des interventions. De la même manière, il est indispensable de créer une filière professionnelle de désamiantage dont les compétences seraient reconnues par tous.

Comme l’indique le rapport, il est aussi prioritaire de renforcer les effectifs et les pouvoirs de contrôle, notamment de l’inspection du travail. En effet, comment contrôler l’application de la réglementation amiante dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux lorsque les agences régionales de santé disposent au niveau national de seulement 16 équivalents temps plein ?

Enfin, l’examen des préconisations de cette mission de suivi est également, selon moi, l’occasion de faire le point sur l’indemnisation de ceux qui ont perdu leur vie à essayer de la gagner au contact de l’amiante.

À cet égard, la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété par la Cour de cassation, le 11 mai 2010, est une grande avancée pour toutes les personnes qui ont travaillé dans les entreprises listées comme ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et qui vivent avec la crainte que l’épée de Damoclès ne leur tombe sur la tête, si on leur découvrait une maladie grave. Néanmoins, on peut regretter l’absence d’une voie individuelle pour bénéficier de l’ACAATA, de même que le refus de la mission d’aller plus loin dans ses préconisations pour revaloriser le montant de cette allocation par une contribution des entreprises. De plus, nous aurions souhaité qu’il soit recommandé que la gestion de l’ACAATA, actuellement assurée par la Caisse des dépôts et consignations, soit simplifiée et transférée aux caisses de la sécurité sociale.

Enfin, nous regrettons aussi que la mission n’ait pas donné suite à la recommandation de la commission formulée en 2005 visant à sanctionner le refus de certains employeurs de délivrer l’attestation d’exposition à l’amiante à laquelle les salariés ont pourtant légalement droit. On ne parvient pas à résoudre cette situation inadmissible qui dure depuis des années. C'est pourtant le minimum de ce que les employeurs pourraient faire.

Reste que ce rapport de suivi, pour lequel je réitère mes félicitations à ses auteurs, a le mérite de démontrer que, malgré l’interdiction tardive de l’amiante en 1997, la mission de 2005 a permis de créer un cadre juridique de protection des travailleurs. Il a mis en exergue les limites actuelles de la réglementation quant au repérage de l’amiante et aux faibles moyens dont disposent les services de l’État pour contrôler le désamiantage. Nous soutenons donc ce rapport et suivrons attentivement l’application des propositions du comité de suivi.

Je ne peux achever mon propos sans rendre hommage aux associations de victimes qui, il y a quelques jours encore, défilaient dans les rues de la capitale. Je tiens à saluer devant vous leur détermination sans faille à faire reconnaître et prendre en considération ce qu’elles appellent un « crime social » et à accroître les moyens financiers dédiés, comme l’ont rappelé nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy. Elles animent un mouvement social admirable qui réclame justice, mais qui assure aussi un rôle de solidarité sans relâche auprès des victimes, dont le nombre ne cesse de s’amplifier.

Il est toujours difficile d’entendre, à l’ouverture des assemblées générales, la liste des adhérents et responsables disparus d’une année sur l’autre. Mais, comme dans Le Chant des partisans, quand un soldat tombe, un autre se lève à sa place. Voilà pourquoi, depuis 1997, ce mouvement n’a jamais faibli, car, au-delà d’eux-mêmes, un seul espoir les anime, le « plus jamais ça ».

Pour conclure, je veux citer les mots de cette veuve de Dunkerque, car ils ont toute leur place dans notre débat. Son époux venait de disparaître, mort à cinquante-quatre ans d’un mésothéliome fulgurant, dans d’atroces souffrances. Elle interpellait dans une lettre le Président de la République : « Ce crime social ne connaît ni coupable ni responsable pénalement. Nous voulons que la justice passe et ne trépasse pas. » (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, madame la présidente du comité de suivi, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je vous prie de bien vouloir excuser la ministre de la santé, Marisol Touraine, qui est actuellement retenue à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Quoi qu’il en soit, c’est le Gouvernement tout entier qui est mobilisé sur la question de l’amiante. Sachez que votre rapport a d’ores et déjà été étudié par plusieurs ministères, le ministère de la santé bien entendu, celui du travail, mais également le ministère du logement et celui de l’écologie.

Vous l’avez dit, les maladies liées à l’amiante représentent aujourd’hui la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de décès liés au travail, hors accidents du travail. Chaque année, entre 4 000 et 5 000 maladies professionnelles liées à l’amiante sont reconnues, dont environ 1 000 cancers. Nous ne voulons plus répéter les erreurs du passé, ni connaître les drames humains qui résultent des contaminations. C’est pourquoi il s’agit d’une priorité pour l’amélioration de la santé au travail.

Je tiens à saluer le travail de votre comité, qui a analysé méticuleusement les suites données aux 28 propositions formulées en 2005 par la mission commune du Sénat. Votre rapport souligne d’abord que ces propositions ont été majoritairement suivies. En effet, la réglementation actuelle a nettement progressé, en particulier dans son volet relatif à la protection des travailleurs, même s’il reste encore des progrès à faire.

Ainsi, le décret de 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a abaissé la valeur limite d’exposition professionnelle de 100 fibres à 10 fibres par litre au 1er juillet 2015. J’ai bien entendu que des questions subsistaient à ce sujet, mais le progrès est très net. Je pense également à la nouvelle méthode de contrôle de l’empoussièrement, que vous avez citée, et aux moyens de prévention gradués en fonction de la situation, avec les trois niveaux d’empoussièrement.

Ce décret a supprimé la différence entre amiante friable et non friable et a généralisé la certification des entreprises intervenantes. Il a enfin revu les règles de protection et d’organisation du travail des travailleurs exposés à l’amiante, afin de tenir compte de la pénibilité et des contraintes particulières, liées notamment au port des équipements de protection individuelle. Il est également venu compléter la réforme de la médecine du travail de 2011, qui a permis d’améliorer l’organisation des services de santé au travail et de prévoir un suivi médical spécifique des salariés exposés aux agents chimiques dangereux et aux produits cancérogènes. Un bilan intermédiaire de cette réforme est en cours, dont nous aurons prochainement les résultats.

En outre, le décret du 21 mars 2014 a réformé l’organisation du système d’inspection du travail en créant des unités de contrôle ainsi que, dans chaque région, des référents, « personnes ressources » sur les risques particuliers, parmi lesquels en premier lieu l’amiante. Un groupe national de contrôle est également créé : il aura pour mission de coordonner les agents qui interviendront dans le suivi des entreprises intervenant sur des chantiers. La protection des travailleurs exposés à l’amiante est l’une des priorités affichées de l’inspection du travail depuis 2011. Elle examine les plans de retrait ou de confinement et se rend régulièrement sur les chantiers où elle constate, malheureusement, un nombre encore trop important d’infractions à la réglementation.

En complément des contrôles, le plan de santé au travail 2010-2014 a fixé comme priorité la prévention du risque professionnel lié à l’amiante. Ainsi, de nombreuses actions d’information ont été mises en place par les acteurs de prévention régionaux à destination des entreprises et des maîtres d’ouvrage publics et privés. Un bilan du plan de santé au travail et des plans régionaux est en cours et permettra de donner de la visibilité à ces actions.

Aujourd’hui, votre groupe de suivi rend un rapport comportant une vingtaine de recommandations qui visent à améliorer la gestion du risque amiante.

Tout d’abord, figurent dans ce rapport des propositions concrètes pour faciliter et sécuriser le désamiantage. Il est ainsi proposé de faire de la prévention des risques liés à l’amiante une grande cause nationale avec, comme ambition première, la coordination de l’action de l’ensemble des acteurs impliqués. Le rapport prévoit également de rendre plus efficaces les actions sur le terrain, en créant une filière du désamiantage ou en renforçant les crédits vers la recherche et le développement.

Ensuite, vous recommandez d’améliorer le repérage de l’amiante par la création de toute une série d’outils pratiques qui pourront aider les professionnels sur le terrain.

De même, vous suggérez d’accroître la protection des travailleurs que l’on sait exposés à l’amiante, en renforçant notamment l’action de l’inspection du travail.

Par ailleurs, vous proposez de mieux protéger la population contre les risques liés à l’amiante.

Toutes ces recommandations retiennent l’attention du Gouvernement.

Le Gouvernement souhaite coordonner son action en finalisant une feuille de route interministérielle.

Au vu de tous ces éléments, du dernier rapport paru du Haut Conseil de la santé publique et compte tenu de la transversalité de la problématique, le Gouvernement a décidé d’élaborer une feuille de route interministérielle sur l’amiante, rassemblant les ministères du logement, de l’écologie, de la santé et du travail. L’objectif de cette feuille de route est d’améliorer la prévention des risques liés à l’amiante par l’application de la réglementation dans un contexte économique difficile. Bien entendu, d’autres ministères pourront s’associer à ce travail.

Les actions que comporte cette feuille de route sont organisées autour de cinq axes.

Premier axe : agir pour l’information de tous en mettant en place une communication universelle, en mutualisant les supports de communication ou encore en développant les partenariats avec les distributeurs de matériel de bricolage. Cela a notamment été évoqué pour l’information au grand public.

Deuxième axe : agir pour la professionnalisation des acteurs de la filière amiante. Que ce soient les diagnostiqueurs, les laboratoires, les maîtres d’œuvre ou les entreprises, tous ont besoin d’être accompagnés dans le cadre de cette politique de désamiantage. C'est la raison pour laquelle cette professionnalisation est importante.

Troisième axe : agir pour l’accompagnement des acteurs et pour une mise en œuvre facilitée de la réglementation. En partant des expériences de terrain qui fonctionnent, notamment en Rhône-Alpes ou dans les Pays de la Loire, un guide des bonnes pratiques pourra être édité à l’attention des maîtres d’ouvrage. De même, les entreprises publiques pourront être accompagnées dans la mise en œuvre de la réglementation.

Quatrième axe : réaliser des études et mettre en place des outils et des méthodes destinés à mieux prendre en compte les problématiques techniques et scientifiques émergentes. Il s’agit d’encourager la recherche et le développement pour soutenir l’innovation, ce qui peut permettre, entre autres résultats, d’améliorer les méthodes de repérage de l’amiante, qui sont actuellement souvent difficiles à appliquer par les professionnels peu ou pas informés.

Cinquième et dernier axe : développer les outils permettant à l’État de disposer des données nécessaires au pilotage – vous avez évoqué le manque de pilotage – et faciliter la mise en œuvre des obligations réglementaires des parties prenantes. Nous souhaitons mettre en place des outils de cartographie et d’information nécessaires pour améliorer notre efficacité. Une partie de ces travaux sont d’ores et déjà engagés.

Je veux terminer mon propos en disant que le Gouvernement a en permanence à l’esprit la situation des victimes. Le Président de la République s’est engagé à ouvrir à l’ensemble des fonctionnaires l’accès à la préretraite amiante, qui était jusqu’à présent réservée à certaines catégories. Les décrets sont en cours de finalisation.

M. Alain Néri. Très bien !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons le devoir – j’y insiste – d’être exemplaires dans le désamiantage, dans la prévention, et vous pouvez compter sur le total engagement du Gouvernement dans les années qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Gérard Dériot applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

14

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom d’un sénateur pour siéger au sein du Conseil supérieur des programmes.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a été saisie de cette désignation.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement du Sénat.

15

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 octobre 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le second alinéa de l’article L. 621-12 du code de commerce (Cessation de paiement d’une société) (2014-438 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

16

 
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Discussion générale (suite)

Application de l'article 68 de la Constitution

Adoption définitive d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, portant application de l’article 68 de la Constitution (projet n° 288 [2011-2012], texte de la commission n° 30, rapport n° 29).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée a souhaité inscrire à l’ordre du jour le projet de loi organique mettant en œuvre les dispositions de l’article 68 de notre Constitution, tel qu’il résulte de la loi constitutionnelle du 23 février 2007. Ce texte, déposé en 2010, a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en janvier 2012.

La loi constitutionnelle du 23 février 2007 faisait suite à de longs débats sur le statut pénal du chef de l’État. Le constituant avait alors voulu rappeler que le Président de la République bénéficiait d’une irresponsabilité générale pour les actes accomplis en tant que président et d’une inviolabilité temporaire quant à sa personne, mais que ce principe pouvait connaître une exception en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Cette formule, volontairement laconique, devait permettre de faire face à toutes les situations, même les plus imprévues.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’article 68 de notre Constitution a été conçu pour répondre à une situation grave et exceptionnelle : celle dans laquelle un Président de la République commettrait des « manquements à ses devoirs » si graves qu’ils dépasseraient la légitimité qu’offre l’élection au suffrage universel direct.

L’article 68 est extrêmement clair. Il prévoit que le Parlement réuni en Haute Cour peut destituer le Président de la République ; il prévoit aussi que tous les votes exprimés pour cette destitution ne sont considérés comme positifs que s’ils atteignent une majorité des deux tiers.

Au-delà de ces principes généraux, il va très loin dans les précisions. Il prévoit ainsi que c’est le président de l’Assemblée nationale qui préside la Haute cour. Il fixe également les délais et les modalités du vote.

Les marges de manœuvre du législateur organique sont donc limitées. Malgré tout, elles ne sont pas inexistantes, comme en témoigne la proposition de loi organique adoptée par le Sénat en novembre 2011. Comme vous le savez, elle différait sur plusieurs points du texte qui vous est soumis ce soir. Des amendements ont été déposés visant à aligner les dispositions du projet de loi organique sur celles de la proposition de loi organique que la Haute Assemblée avait adoptée il y a trois ans. En conséquence, je ne me livrerai pas, à ce stade de nos débats, à de longs développements sur les différences entre les deux textes : j’aurai l’occasion d’y revenir au cours de la soirée. Néanmoins, je tiens dès maintenant à rendre un hommage appuyé aux deux sénateurs qui avaient, dès 2009, rédigé cette proposition de loi organique, portée par l’ensemble du groupe socialiste : François Patriat et Robert Badinter. Ce sont eux qui, les premiers, avaient pris les devants pour accélérer la mise en application de l’article 68 de la Constitution. Je salue la grande qualité de leurs travaux et leur implication personnelle pour faire aboutir la révision de 2007. Nous pouvons tous tomber d’accord sur ce point, et je ne doute pas que chacun, sur l’ensemble des travées du Sénat, s’associera à cet hommage.

Avant d’en venir au contenu du projet de loi organique, permettez-moi de revenir un instant sur les origines de la révision de 2007. Dans son rapport, Hugues Portelli rappelle brillamment les événements et les réflexions qui ont mené à la réécriture de l’article 68. Je me permettrai donc d’être bref.

L’ancienne rédaction de l’article 68 prévoyait que le Président de la République n’était responsable des actes « accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ». Comme l’a souligné la commission présidée par Pierre Avril chargée, en 2002, de proposer une nouvelle rédaction de l’article 68, la haute trahison posait un double problème : il s’agissait en effet d’un concept flou, qui, de plus, n’épuisait pas l’ensemble des possibilités en matière d’incapacités à exercer le mandat présidentiel.

Par ailleurs, l’article 68 avant 2007 prévoyait que, « en cas de haute trahison », le Président de la République était « mis en accusation » et « jugé » par la Haute Cour de justice. La loi organique prévoyait qu’une commission d’instruction composée de magistrats était chargée d’éclairer cette Haute Cour. Sur cette base, il appartenait à la Haute Cour de justice, composée de parlementaires, de « juger » le Président de la République, et elle pouvait prononcer des sanctions pénales.

Cette procédure, mi-parlementaire, mi-juridictionnelle, était une source de confusion et d’instabilité. En instituant une procédure entièrement parlementaire, dénuée de tout caractère juridictionnel, le constituant a souhaité autoriser la destitution du Président de la République dans un cadre particulier. Comme l’a expliqué M. Jean-Jacques Hyest dans son rapport sur la révision constitutionnelle de 2007, « le Parlement ne se prononce pas sur la nature ou la qualification pénale des manquements commis par le chef de l’État, mais sur la compatibilité de ces manquements avec la fonction. Le Président destitué redevient un citoyen ordinaire et peut alors, si ce manquement constituait par ailleurs une infraction, être poursuivi devant les juridictions de droit commun ».

Il appartient donc au Parlement, constitué en Haute Cour, non plus de juger le Président de la République, mais d’estimer si des « manquements » qu’il aurait commis sont manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat présidentiel. Aucune précision n’est donnée sur ces manquements, qui peuvent être liés à la fonction présidentielle ou de nature privée.

Il s’agit là d’une procédure d’exception, purement politique, qui repose uniquement sur l’appréciation de faits ou d’actes par les parlementaires eux-mêmes. Le projet de loi organique pose, à cet égard, quelques garde-fous. J’y reviendrai.

Dans l’esprit du constituant, le caractère exceptionnel d’une telle procédure ne fait guère de doute. Le rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale, Philippe Houillon, parlait à l’époque d’une crise grave qui menacerait « la continuité de l’État et la stabilité des institutions ». Je ne peux que souscrire à une telle opinion.

J’en viens à présent aux dispositions du projet de organique que vous allez examiner ce soir.

Ce texte prévoit une procédure rapide, motivée et publique.

La réunion de la Haute Cour est la conséquence du vote, par les deux assemblées, d’une proposition de résolution motivée. Cette dernière doit être signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée ayant pris l’initiative de cette saisine. Elle n’est pas amendable, et elle est transmise au Président de la République et au Premier ministre. Le projet de loi prévoit également que chaque parlementaire ne peut signer qu’une proposition de résolution, et une seule, durant un mandat présidentiel. Il s’agit là d’une précision utile, introduite par l’Assemblée nationale en 2012.

Le bureau de l’assemblée saisie en premier lieu se prononce sur la recevabilité de la proposition de résolution, notamment au regard de sa motivation, afin d’écarter tout motif manifestement abusif. Si la proposition de résolution est recevable, elle est transmise à la commission des lois, dont le projet de loi organique consacre la compétence exclusive en la matière.

L’assemblée saisie se prononce dans les quinze jours suivants les conclusions de la commission.

Pour être adoptée, la proposition de résolution doit ensuite réunir les votes de deux tiers des membres de l’assemblée. Si elle atteint cette majorité renforcée, elle est transmise sans délai à l’autre chambre qui se prononce, là encore, dans un délai de quinze jours, comme le prévoit la Constitution.

À l’issue du vote de la résolution par les deux assemblées, il appartient à la Haute Cour de se prononcer sur la destitution. Pour ce faire, elle est éclairée par les travaux d’enquête d’une commission ad hoc composée de parlementaires et respectant les équilibres politiques. Cette commission est tenue d’entendre le Président de la République s’il en fait la demande. Elle établit ensuite un rapport, sur la base duquel la Haute Cour doit statuer. Les débats de la Haute Cour sont publics. Seuls deux représentants du pouvoir exécutif peuvent y participer : le Président de la République et le Premier ministre.

Nous sommes donc face à une procédure équilibrée, qui concilie l’indispensable protection du mandat présidentiel et la nécessité d’une procédure d’exception en cas de circonstances graves. En respectant la composition politique des assemblées à toutes les étapes de la procédure, en instaurant des garde-fous, en introduisant du contradictoire, la procédure telle qu’elle est prévue par ce texte permet le respect non seulement de la lettre, mais aussi de l’esprit de l’article 68.

Malgré tout, le Gouvernement appelle l’attention du Sénat sur un point particulier. L’Assemblée nationale avait soulevé le cas de la clôture de la session parlementaire, qui pourrait faire obstacle à l’examen et au vote de la résolution par la seconde assemblée saisie. Le texte prévoit désormais que, dans ce cas de figure, « l’inscription à l’ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante ». Or l’article 68 de la Constitution prévoit que « la proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours. » Cette disposition pourrait donc être jugée contraire à la Constitution, et il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point.

Au-delà d’une possible réserve des juges de la rue de Montpensier, il sera sûrement nécessaire, dès ce soir ou à l’occasion d’une modification ultérieure de la loi organique, de préciser cette disposition pour le cas où la clôture de la session viendrait interrompre la navette de la résolution entre les deux assemblées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, votre commission des lois a adopté le projet de loi organique sans modification. Si aucun amendement n’était retenu en séance publique, ce texte serait immédiatement soumis au Conseil constitutionnel, avant d’être promulgué quelques semaines plus tard. Dans un tel cas, je me féliciterais de voir, plus de sept ans après son adoption par le Parlement réuni en congrès, l’article 68 de notre Constitution recevoir enfin un texte d’application. En dépit de cette satisfaction, je ne pourrais que regretter que d’autres options, inspirées de la proposition de loi organique de François Patriat et de Robert Badinter, n’aient pas été retenues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir, s’il est adopté, mettra fin à un vide juridique qui remonte à 2001. À cette date, la Cour de cassation a retenu une interprétation de l’article 68, tel qu’il était alors rédigé, différente de celle formulée par le Conseil constitutionnel deux ans plus tôt. En 1999, ce dernier avait répondu – sans qu’on lui pose la question –, dans une décision relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale, que, en vertu d’un privilège de juridiction, le Président de la République ne pouvait être jugé, même pour des actes accomplis en dehors de l’exercice de ses fonctions, que par la Haute Cour de justice, composée à l’époque de douze sénateurs et de douze députés.

Deux ans plus tard, dans l’arrêt Breisacher, relatif à l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la Cour de Cassation adoptait un point de vue diamétralement opposé : elle considérait qu’on ne pouvait pas attribuer à la Haute Cour de justice une compétence autre que celle pour laquelle elle avait été créée, à savoir la haute trahison du chef de l’État. Pour le reste, on devait s’en remettre aux tribunaux ordinaires, sauf que la Cour de cassation a aussi estimé que, du fait de son rang et de sa fonction, le Président de la République devait bénéficier, durant son mandat, d’une immunité, d’une inviolabilité temporaire qui l’empêchait d’être poursuivi ou entendu comme témoin. Il fallait donc attendre la fin de son mandat pour que son éventuelle responsabilité soit examinée par les tribunaux ordinaires compétents.

Deux des trois principales hautes juridictions françaises défendaient ainsi des points de vue opposés sur cette question clé de l’application de l’article 68.

Pour sortir de cette impasse, le Président de la République de l’époque a confié à des experts – c’était la fameuse commission présidée par Pierre Avril – le soin de lui soumettre une nouvelle mouture des articles 67 et 68 de la Constitution. À la suite de leurs conclusions en décembre 2002, un projet de loi constitutionnelle a été adopté en conseil des ministres. Reprenant les recommandations de la commission Avril, qui avait elle-même suivi les analyses de la Cour de cassation, ce texte octroyait au Président de la République une inviolabilité temporaire le temps de son mandat, tout en prévoyant qu’il ne pourrait être jugé que par une juridiction différente de la Haute Cour de justice telle qu’elle existait jusqu’alors. La Haute Cour de justice était en effet une juridiction d’exception, mi-politique, mi-juridictionnelle, composée d’hommes politiques et de magistrats. Or une juridiction de ce type – si elle avait un jour fonctionné – qui aurait été conduite à juger le chef de l’État et à prononcer d’éventuelles peines sur la base, non seulement du code pénal, mais également d’autres dispositions qu’elle aurait pu inventer, n’aurait pas été compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui affirme le droit à un procès équitable. Il fallait donc agir.

Comme vous le savez, la loi constitutionnelle a été votée quelques années plus tard… Il aura fallu attendre quatre ans avant que le projet de loi constitutionnelle ne soit adopté par le Parlement réuni en congrès et plus longtemps encore avant que le projet de loi organique permettant d’appliquer l’article 68 ne soit rédigé. Rappelons en effet que l’article 67, qui accorde au Président de la République une inviolabilité totale pendant la durée de son mandat, était d’application immédiate, alors que la mise en œuvre de l’article 68, qui traite de la responsabilité du chef de l’État, nécessite une loi organique.

Compte tenu de ce déséquilibre fâcheux, une proposition de loi organique visant à combler le vide juridique avait été déposée au Sénat en 2009, puis adoptée en 2011, soit quelques jours avant que la commission des lois de l’Assemblée nationale n’examine le projet de loi organique finalement déposé par le Gouvernement.

Le fait que le Sénat débatte en premier du sujet a eu des conséquences sur les travaux des députés : beaucoup d’amendements adoptés par la commission des lois ont été inspirés par nos travaux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’actuel président de la commission des lois de l’Assemblée nationale a été l’auteur de nombreux amendements.

En janvier 2012, les députés ont adopté le texte. Depuis lors, nous en sommes là.

Ce projet de loi organique constitue l’aboutissement d’un cheminement. Il opère une synthèse entre toutes les dispositions qui ont pu être rédigées en vue de mettre en œuvre l’article 68 tel qu’il a été voté en 2007. Son objet est cependant très restreint, tout simplement parce que l’article 68 prévoit clairement les conditions dans lesquelles la destitution pourrait être votée par chacune des assemblées, puis prononcée par la Haute Cour. Ainsi, il précise que les décisions doivent être prises à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour ou bien que toute délégation de vote est interdite. La Haute Cour doit donc fonctionner, non pas comme une assemblée qui examine un texte de loi – aucun amendement n’étant possible, il n’est pas prévu de faire de navette –, mais comme une assemblée politique prenant une décision politique, à savoir celle de destituer le chef de l’État si elle estime qu’il n’est plus en état de pouvoir exercer ses fonctions.

Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie en 2011 d’une affaire concernant une procédure d’impeachment engagée à l’encontre du Président de la République de Lituanie, procédure guère éloignée de celle dont nous discutons ce soir. Or la CEDH s’est estimée incompétente, car il ne s’agissait pas d’une procédure judiciaire, mais d’une procédure politique. Tel est le sens du présent projet de loi organique : aller plus avant dans la définition et la mise en œuvre de cette procédure politique par laquelle le Parlement, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, se prononce sur la destitution du chef de l’État.

Le texte du projet de loi organique est très bref : il a surtout pour but d’organiser la procédure, les conditions dans lesquelles la proposition de résolution est déposée puis examinée par la commission des lois.

L’Assemblée nationale, en commission, puis en séance publique, avait rejeté un amendement du Gouvernement de l’époque visant à accorder à la commission des lois un droit de veto sur le texte. Puisque le texte est motivé, il est normal que la commission des lois soit saisie, mais elle ne peut que donner un avis sur celui-ci, en aucun cas bloquer son examen par l’assemblée qui devra se prononcer.

La deuxième série de dispositions contenues dans le projet de loi organique vise à aménager les conditions dans lesquelles on passe d’une assemblée à l’autre, à indiquer les délais, à réaffirmer les règles du contradictoire pour l’audition du Président de la République et à prévoir que la Haute Cour fonctionne véritablement comme une Haute Cour, et non comme une Haute Cour de justice, comme c’était le cas avant la révision de 2007. Le projet de loi organique se contente donc très simplement de préciser un certain nombre d’éléments contenus dans l’article 68. C’est la raison pour laquelle la commission des lois l’a adopté à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai envie de commencer mes propos par un adverbe : « Enfin ! ». Enfin, nous sommes saisis d’un projet de loi organique mettant en œuvre l’article 68 de la Constitution !

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – je salue une nouvelle fois la qualité de votre travail, mais nous y sommes habitués –, les questions autour de la procédure de destitution se posent depuis 2001. Or, depuis cette date, c’est le silence.

Rappelons, comme vous l’avez d’ailleurs fait devant la commission des lois, l’origine de ce questionnement. Comme souvent dans notre pays, malheureusement, c’est un scandale, celui des emplois fictifs de la ville de Paris, qui a conduit le Président de la République à créer une commission. Il est en effet habituel que notre pays ne fonctionne que par les scandales et l’émotion qu’ils suscitent, notamment en matière institutionnelle. À l’époque, nous pouvions toutefois craindre que cette commission, selon la formule de Clemenceau, ne soit qu’une façon d’enterrer l’affaire. Cela aurait pu être le cas, et nous sommes en effet passés tout près de l’enterrement. En tout cas, nous avons dû patienter sept ans – un septennat ! – depuis la révision constitutionnelle de 2007 pour voir apparaître les prémices d’une mise en œuvre de la procédure de destitution. Au cours de cette longue période, le chef de l’État a pu bénéficier de la protection de l’article 67, sans être soumis à sa contrepartie, inscrite à l’article 68. Dès lors, le Président de la République pouvait à peu près faire tout ce qu’il souhaitait.

Je me rappelle fort bien les propos tenus ici par Robert Badinter, qui nous disait que nous vivions dans une drôle de République car la seule femme française qui ne pouvait pas divorcer sans le consentement de son mari était l’épouse du Président de la République – certains, sur ces travées, se rappellent sans doute de cette formule. De surcroît, si le chef de l’État avait été responsable d’un accident de la circulation, les victimes n’auraient pas pu être dédommagées. On voit bien que la situation était intenable ; elle reposait sans doute sur une vision très monarchique de la présidence de la République et sur l’adage bien connu que le roi ne peut mal faire. Or si le roi ne peut mal faire, il n’est peut-être pas nécessaire d’encadrer son action et de préciser sa responsabilité…

Il faut saluer, comme M. le secrétaire d’État l’a fait, le coup d’accélérateur dans cette course de lenteur donné par la proposition de loi organique déposée par François Patriat et Robert Badinter, dont le sort a varié au gré des majorités sénatoriales : une majorité ancienne l’avait renvoyée devant la commission des lois, considérant sans doute qu’il fallait donner du temps au temps,…

M. Jean-Jacques Hyest. Il y avait le projet de loi !

M. Alain Anziani. … avant finalement qu’une majorité plus récente ne l’adopte. On en a bien vu l’effet : après l’adoption de la proposition de loi organique, le gouvernement Fillon a enfin déposé un projet de loi organique, qui, si j’ai bonne mémoire, avait été préparé par Michel Mercier.

Quelles sont les différences et ressemblances entre la proposition de loi organique et le projet de loi organique ? Les deux textes s’accordent sur un point, auquel nous souscrivons totalement : la destitution d’un Président de la République est un acte grave. La procédure doit donc être strictement encadrée, et la destitution doit nécessiter une majorité allant au-delà des clivages politiques, c'est-à-dire une majorité qualifiée.

En vertu de cette logique, des filtres puissants ont été instaurés. Cela a été rappelé, l’article 68 de la Constitution dispose que les décisions sont prises à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Le projet de loi organique prévoit des conditions encore plus rigoureuses : la proposition de résolution devra être motivée, ce qui est évidemment une nécessité ; elle devra être signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée ; un député ou un sénateur ne pourra – je me félicite de cet amendement de l’Assemblée nationale – être signataire de plus d’une proposition de résolution au cours du même mandat présidentiel.

Tout cela est du bel et bon ouvrage. Cependant, le projet de loi organique va encore plus loin. De ce fait, on a l’impression d’un long chemin enfermé dans des délais stricts : la proposition de résolution est d'abord transmise au bureau de l’assemblée devant laquelle elle a été déposée, qui vérifie sa recevabilité – ce point ne prête pas à discussion –, la commission des lois émet un avis, puis l’assemblée adopte ou rejette la proposition de résolution ; la commission des lois de l’autre assemblée est ensuite saisie du texte, puis cette autre assemblée l’adopte ou le rejette. Si la proposition de résolution a été adoptée par les deux assemblées, elle est examinée par une commission ad hoc, avant qu’enfin la Haute Cour ne se prononce.

Avouons que c’est tout de même un chemin difficile. Il est normal de se soucier du statut du Président de la République, mais on peut se demander si ce n’est pas trop. Songeons à la procédure d’impeachment qui existe aux États-Unis. Certes, la procédure française est purement politique et non juridictionnelle, mais, justement, elle pourrait être plus simple qu’une procédure juridictionnelle. Dans le système américain, c’est la Chambre des représentants qui engage la procédure en mettant en accusation le Président. Le Sénat, présidé par le président de la Cour suprême, décide à la majorité simple s’il faut y donner suite. Le cas échéant, il se prononce sur la destitution à la majorité des deux tiers. Il n’y a donc pas d’intervention de commissions permanentes ou ad hoc qui ajoutent des séquences aux séquences.

La procédure d’impeachment est simple. Elle est en même temps éminemment protectrice, puisqu’elle n’a jamais abouti à une destitution. Elle a été engagée deux fois – il y aurait pu en avoir une troisième –, la première à l’encontre d’Andrew Johnson, au XIXe siècle, et la seconde à l’encontre de Bill Clinton. Elle aurait pu aboutir à la destitution de Richard Nixon, mais celui-ci a démissionné avant la saisine de la Chambre des représentants.

Je pense que nous aurions pu concevoir une procédure plus simple et plus rapide sans pour autant mettre en péril le statut du chef de l’État. À travers l’un de mes amendements, je poserai la question suivante : est-il vraiment utile que le bureau de chaque assemblée renvoie la proposition de résolution devant sa commission des lois ?

M. Jean-Jacques Hyest. C’est indispensable !

M. Alain Anziani. Je ne le crois pas : nous ne sommes pas dans le cadre d’un processus législatif. On pourrait imaginer que la proposition de résolution soit renvoyée directement devant l’assemblée une fois sa recevabilité vérifiée par le bureau. Je ne vois pas en quoi le filtre de la commission des lois est nécessaire.

Je souhaite insister sur deux autres points.

Le premier est qu’il me paraît surprenant, même si le président de la commission des lois m’a donné des explications tout à l'heure, que le Président de la République puisse se faire représenter. Qu’il puisse se faire assister, rien n’est plus normal ; il pourra choisir le conseil de son choix. En revanche, s’il peut se faire représenter, cela signifie que la Haute Cour ne pourra pas l’interroger, alors même qu’il a manqué à ses obligations. On aura le droit de dialoguer avec maître Durand ou Dupont, mais on n’aura pas le droit de dialoguer avec la personne directement concernée. Il me semble étonnant que le Président de la République puisse être le grand absent des débats qui le concernent personnellement. Nous aurions pu être plus audacieux sur ce point.

Le second point est un peu plus complexe. La destitution prononcée par la Haute Cour n’entraînera pas l’inéligibilité du Président destitué, pour des raisons que nous comprenons. Il pourra en résulter des situations assez particulières. Le Président destitué pourra se représenter devant le peuple lors de l’élection présidentielle qui aura lieu trente-cinq jours au plus après sa destitution. Il pourra même être réélu.

M. Alain Anziani. Que se passera-t-il alors ? Le Président réélu bénéficiera de nouveau de l’immunité. Si des faits d’ordre pénal lui sont reprochés, une nouvelle procédure de destitution pourra-t-elle être engagée malgré sa réélection ? Cette question ne me semble pas réglée par le texte qui nous est proposé.

En tout état de cause, espérons qu’il ne s’agit là que de discussions théoriques. Je crois qu’aucun d’entre nous ne souhaite qu’une procédure de destitution soit un jour engagée, ni a fortiori qu’une telle procédure aboutisse, compte tenu des conséquences catastrophiques que cela aurait pour nos institutions.

Vous le voyez, ce projet de loi organique nous inspire des observations. Nous avons beaucoup réfléchi à ce que nous devions faire. Nous avons beaucoup souhaité qu’un texte portant application de l’article 68 de la Constitution soit présenté ; nous l’avons même tellement souhaité que nous avions déposé une proposition de loi organique, rédigée par François Patriat et Robert Badinter. Nous sommes en désaccord avec certains aspects de la procédure de destitution proposée aujourd'hui, mais nous sommes d'accord sur le principe, qui marque une grande évolution de notre droit constitutionnel. C'est pourquoi nous voterons le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et quelques travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le statut pénal du Président de la République a été profondément bouleversé par la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui a réécrit les articles 67 et 68 de notre Constitution afin de clarifier le régime de responsabilité des actes accomplis par le chef de l’État.

L’article 67, d’applicabilité directe, traite notamment de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité provisoires du chef de l’État pour les actes étrangers à la fonction présidentielle. L’article 68, qui crée la Haute Cour et la procédure exceptionnelle de destitution, doit, pour être applicable, faire l’objet d’une loi organique. Plus de sept ans après la réforme constitutionnelle, cette loi organique n’a toujours pas été adoptée par le Parlement. Le déséquilibre entre la protection dont bénéficie le Président de la République et sa responsabilité est donc patent. Le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’y mettre un terme.

Avant d’entrer dans le détail du texte, je voudrais revenir rapidement sur l’article 67 de notre Constitution. Selon cet article, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ». Le Président de la République est donc « injusticiable », quoi qu’il ait fait avant d’être élu et quoi qu’il fasse pendant son mandat, sans exception aucune.

Les écologistes sont loin d’adhérer à ce principe d’irresponsabilité provisoire du chef de l’État. Certains de nos collègues députés ont d’ailleurs déposé, en octobre 2011, une proposition de loi constitutionnelle visant à préciser le statut pénal du chef de l’État. Nous ne souhaitons pas que le Président de la République puisse être mis en cause pour n’importe quel fait et par n’importe qui, mais nous avons la conviction que l’inviolabilité judiciaire ne protège en rien la dignité de la fonction ; elle risque simplement d’aggraver les soupçons contre son titulaire et de conduire à des dénis de justice.

Revenons maintenant au texte qui nous réunit aujourd’hui. Celui-ci détaille la procédure exceptionnelle de destitution du chef de l’État. Cette procédure, au terme de laquelle le Président de la République ne peut être destitué « qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », est confiée au Parlement.

Il s’agit bien d’une responsabilité politique du Président, qui doit être clairement dissociée d’une responsabilité pénale ou civile, afin d’échapper aux perversions de la judiciarisation du politique, dont on a pu mesurer, depuis une dizaine d’années, les effets délétères. Cependant, si cette dissociation apparaît nécessaire, son effectivité semble pour le moins douteuse, faute de considération de la dimension éventuellement judiciaire des griefs portés contre le Président, et l’on peut craindre que ce qu’on appelle pudiquement « les affaires » soit opportunément utilisé pour détourner la procédure de destitution et régler des conflits d’ordre exclusivement politique.

Je veux rappeler à mon tour que, au XXe siècle, la procédure américaine d’impeachment présidentiel a toujours été précédée d’une procédure judiciaire. La procédure lancée contre Nixon avait pour origine un procès pénal conclu par un arrêt de la Cour suprême – United States v. Nixon, 24 juillet 1974 –, tandis que la procédure visant Bill Clinton avait pour origine un procès civil conclu lui aussi par un arrêt de la Cour suprême – Clinton v. Jones, 27 mai 1997 – et l’enquête du procureur indépendant Kenneth Starr. À cette occasion, la Cour suprême avait d’ailleurs très clairement démontré l’inanité d’une injusticiabilité présidentielle pour les actes détachables de ses fonctions, l’absence d’atteinte à la séparation des pouvoirs lorsque la justice se saisit des agissements « privés » du Président et la capacité du pouvoir judiciaire à défendre mieux que quiconque la dignité de la fonction présidentielle.

Une fois constatée cette injusticiabilité présidentielle, la question est de savoir si la procédure de destitution mise en place est entourée des garanties suffisantes. Le groupe écologiste croit pouvoir répondre par l’affirmative, car, comme le rappelle notre rapporteur, la mise en cause doit être votée par les deux tiers des membres de chaque assemblée, puis par les deux tiers des membres du Parlement constitué en Haute Cour, ce qui signifie qu’elle ne peut être manipulée par l’opposition, ni même par la majorité : elle nécessite un quasi-consensus entre les forces politiques.

Si nous avons émis quelques réserves, nous n’en considérons pas moins que le projet de loi organique contribue à rétablir un certain équilibre et constitue une avancée notable. Nous lui apporterons donc notre soutien.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sept ans et demi après le vote par le Parlement réuni en congrès d’un nouveau statut juridictionnel du chef de l’État, le chemin tortueux de la loi organique nécessaire à son applicabilité reprend son cours. J’oserais dire que sept ans de réflexion, c’est long… Les citoyens pourraient légitimement s’interroger sur les raisons qui ont retardé sans cesse l’adoption des règles pratiques de mise en œuvre de cette procédure nouvelle de destitution du Président de la République, inscrite à l’article 68 de la Constitution.

En son temps, soit en janvier 2012, Nicolas Sarkozy avait permis l’adoption d’un texte à l’Assemblée nationale, et ce, faut-il le rappeler, sous la pression du Sénat de gauche.

Aujourd’hui, ironie de l’histoire, c’est la nouvelle majorité de droite du Sénat qui donne l’impression de forcer la main à François Hollande, qui n’a pas jugé bon, durant les deux premières années de son mandat, de conclure ce débat. Ainsi, le groupe UMP de notre assemblée a décidé de nous soumettre le texte voté par l’Assemblée nationale.

Soyons honnêtes, il n’a que très peu de différences avec le texte adopté au Sénat, après moult péripéties, le 15 novembre 2011. Le principal intérêt réside, de toute évidence, pour les partisans de cette procédure, dans la possibilité d’un vote conforme permettant l’adoption définitive de ce projet de loi organique, déposé à l’Assemblée nationale le 22 décembre 2010, et adopté par les députés le 24 janvier 2012.

Ce texte concerne le statut juridictionnel du chef de l’État. Depuis la loi constitutionnelle du 23 février 2007, l’article 68 de la Constitution permet au Parlement constitué en Haute Cour de destituer le chef de l’État en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

Le projet de loi organique a donc deux objets : les conditions de présentation des propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour et la nature de l’examen de ces propositions par les commissions permanentes compétentes des deux assemblées.

Avant de faire une remarque plus générale, critique, sur le fond et sur le contexte de ce débat, je tiens à porter à votre connaissance quelques réflexions.

Tout d’abord, cette procédure de destitution est bien timide. Elle l’est même excessivement, comparée à la procédure d’impeachment en vigueur aux États-Unis : la Chambre des représentants américaine vote à la majorité simple la procédure de mise en accusation ; le Sénat, dans un second temps, se saisit de l’instruction en devenant, de fait, la Haute Cour, et statue finalement à la majorité des deux tiers. Le texte qui nous est soumis tend d’emblée à limiter la mise en œuvre même de la procédure en posant la règle des deux tiers à chaque étape de la procédure.

Ensuite, force est de s’interroger sur le pouvoir donné au Sénat, assemblée qui est, ne vous en déplaise, élue au suffrage indirect par un corps électoral de moins de 200 000 grands électeurs. Il est pourtant placé sur le même plan que l’Assemblée nationale, élue, elle, au suffrage universel direct. Un tel dispositif peut poser question au regard des principes démocratiques.

En outre, pourquoi la commission des lois intervient-elle ? En effet, il ne s’agit pas d’un texte législatif. Pour les propositions de résolution discutées dans le cadre de l’article 34-1 de la Constitution, cette intervention de la commission, a priori compétente, n’est pas prévue.

Enfin, la composition de la commission ad hoc chargée d’éclairer le Parlement constitué en Haute Cour mérite attention. À notre sens, elle porte atteinte au pluralisme, à l’instar de la composition actuelle de la Cour de justice de la République. En effet, prévoir six membres par chambre exclut de fait un certain nombre, non seulement de sensibilités, mais aussi de groupes parlementaires de la participation à un organisme qui détiendra les clefs de l’instruction. Il s’agit d’une atteinte grave au pluralisme et d’un encouragement à une répartition bipartite.

Le 15 novembre 2011, le Sénat, à notre demande, avait porté ce chiffre à dix représentants par assemblée. Nous regrettons fortement que ce choix n’ait pas été retenu. Nous défendrons d’ailleurs un amendement pour rectifier ce qui s’apparente à une faute démocratique.

Plus généralement, nous nous interrogeons sur la faiblesse de la portée de ce projet de loi organique au regard de la grave crise des institutions et du politique que traverse notre pays. L’UMP, en ravivant cette procédure de destitution, désuète avant même d’avoir existé, espère mettre un peu plus en lumière la fragilité politique de l’actuel chef de l’État. Ce faisant, la droite sénatoriale met surtout en lumière, peut-être involontairement, les excès du présidentialisme à la française.

Ce projet de loi organique, je l’ai déjà indiqué, souligne le caractère quasi impossible de la mise en œuvre de la procédure de destitution. C’est donc la force du statut présidentiel qui est en fait mise en exergue.

Le Constitution de 1958, rédigée par Michel Debré, renforcée par l’instauration en 1962 de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République, a rompu avec les IIIe et IVe République en plaçant au centre de nos institutions le Président de la République.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Dès 1995, avec l’élargissement du champ référendaire, puis en 2000, avec l’instauration du quinquennat, et, enfin, en 2001, avec l’inversion du calendrier, qui soumet l’élection législative à l’élection présidentielle, la présidentialisation du régime s’est encore accentuée.

Nous sommes donc arrivés aujourd’hui à un point de blocage institutionnel. Le Président de la République est une forme de monarque au mandat limité.

M. Jacques Mézard. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Pendant cinq ans, il est « irresponsable » : il n’est responsable ni devant le peuple ni devant le Parlement. Cet homme, ou peut-être un jour, du moins l’espérons-nous, cette femme, est exonéré de tout contrôle démocratique. C’est une question essentielle. Nous savons tous que l’exaspération populaire, la perte de crédibilité du politique provient en grande partie des désillusions successives, nées pour beaucoup de promesses de campagne non tenues.

Le président monarque, une fois élu, peut s’affranchir des promesses ; il n’est plus contesté. À la différence du Gouvernement, il ne peut être remis en cause par le Parlement.

Le temps est trop court aujourd’hui pour revenir sur les conséquences dévastatrices sur le plan démocratique de ce déséquilibre institutionnel.

Présidentialisation rime avec médiatisation et « pipolisation ». Croyez bien que nous le regrettons. Elle s’oppose à la réflexion, à la critique ; elle sclérose le débat en plaçant le pays en état de campagne électorale permanente. Il est temps de s’interroger sur l’existence même d’un Président de la République élu au suffrage universel direct doté de tant de pouvoirs. (M. Jacques Mézard applaudit.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Votre proposition dépasse l’ambition de ce texte !

Mme Éliane Assassi. Les limites de cette procédure de l’article 68, la quasi-impossibilité de la mise en œuvre de la procédure de destitution mettent en évidence un statut présidentiel proche, durant le mandat, de celui du monarque d’Ancien Régime : « La personne du roi est inviolable et sacrée », écrivaient les constituants de 1791.

Pour conclure, je rappellerai que l’article 68 de la Constitution est le corollaire de l’article 67, qui fixe le statut pénal du chef de l’État. Ce dernier est irresponsable pénalement durant son mandat ; il l’est définitivement pour les faits relatifs à sa fonction et, pour les autres, les poursuites sont renvoyées à plus tard au péril, en particulier, de la préservation des preuves.

La destitution à la française constitue une sorte de garde-fou pour éventuellement sanctionner des actes particulièrement graves du Président. En l’occurrence, une responsabilité politique se substitue à la responsabilité juridique.

Les sénateurs du groupe CRC – c’est une constante – sont pour un traitement de droit commun des actes du Président de la République, à l’exception de ceux liés à l’exercice de sa fonction. Ils ont d’ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle en ce sens en 2011. Nous regrettons que le texte voté en 2001 par l’Assemblée nationale instaurant la compétence de droit commun pour les actes privés n’ait pas inspiré le constituant de 2007.

La Constitution de la VRépublique n’est plus à la hauteur des enjeux. Elle prive fondamentalement le citoyen des moyens d’action face à ceux qui détiennent aujourd’hui le véritable pouvoir, à savoir les marchés financiers. Rendre le pouvoir au peuple et assurer un contrôle citoyen permanent constituent des objectifs prioritaires d’une nouvelle République, la VIe République. Nous érigeons en priorité démocratique la mise en place d’une assemblée constituante, démocratique, pluraliste pour remettre la République sur les rails, pour redonner un sens à notre démocratie.

Le projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui relève, et ce n’est pas un jeu de mots, d’une fin de règne ; il vise à masquer la réalité de la toute-puissance du Président de la République dans nos institutions. Pour toutes ces raisons, les élus du groupe CRC ne l’approuveront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Le Président de la République, madame Assassi, est un monarque qui ne guérit pas les écrouelles…

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la saga de la réforme du statut pénal du Président de la République semble toucher à sa fin avec l’adoption vraisemblable par notre assemblée du projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution. En tout cas, nous l’espérons, car le cheminement a été très long. Cependant, force est de constater que la responsabilité de ce retard est largement et équitablement partagée.

Faut-il rappeler que cette réforme était une promesse du Président Chirac, alors candidat à sa réélection, en mars 2002 ? Plus de douze années se sont écoulées sans qu’aucune majorité, malgré l’alternance, ne mette un point final à cette question. Le contexte, il est vrai, n’était pas simple en 2002, puisque le Président de la République avait fait l’objet d’une tentative de mise en cause devant une juridiction d’instruction. Au-delà d’un aspect purement médiatique, constitutionnalistes et pénalistes s’affrontaient sur l’interprétation à donner aux textes en vigueur et sur la manière de les réformer.

Une commission présidée par Pierre Avril a été nommée en juillet 2002 pour proposer un nouveau statut du Président de la République, mais il a fallu attendre près de cinq années pour que ces propositions soient consacrées par le pouvoir constituant avec la révision constitutionnelle du 23 février 2007.

L’Assemblée nationale a examiné, en janvier 2012, le projet de loi organique qui est aujourd’hui, 21 octobre 2014, l’objet d’une première lecture au Sénat. La Haute Assemblée, quant à elle, avait examiné une proposition de loi de notre collègue François Patriat à deux reprises : en janvier 2010, puis, après un renvoi en commission pas forcément nécessaire, en novembre 2011.

Aujourd’hui, pour le RDSE, l’heure est venue qu’un point final soit mis à cette réforme.

M. Jacques Mézard. Non pas que la procédure de l’article 68 de la Constitution ait vocation à être utilisée prochainement – en tout cas, ce n’est pas notre souhait –, mais tout simplement parce qu’il s’agit de mettre fin à une polémique juridique et politique sur la responsabilité pénale du chef de l’État, ainsi que de clarifier, à toutes fins utiles, les règles procédurales.

Le Président de la République n’est pas et ne sera jamais, quoi que l’on en dise, un justiciable comme les autres.

M. Alain Joyandet. Ça, c’est vrai !

M. Jacques Mézard. Ce statut est justifié par la place même de cette fonction au sein des institutions, tout comme par le mode d’élection du Président de la République au suffrage universel direct, quoi que l’on puisse penser de ce système que la sensibilité que je représente a toujours combattu depuis 1962.

Les constituants de la Ve République avaient placé le Président de la République au-dessus des partis et des luttes politiques, en tant qu’arbitre national chargé d’assurer le fonctionnement régulier des institutions.

Les rédacteurs de la Constitution de 1958 n’avaient certes pas ignoré la responsabilité du chef de l’État, mais ils avaient opéré une confusion entre responsabilités juridique et politique en le soumettant à la compétence d’une Haute Cour de justice, composée de parlementaires, en cas de haute trahison. Cette incrimination ne constituait pourtant pas une véritable infraction, puisqu’elle n’était pas prévue par le code pénal, ne faisait l’objet d’aucune définition et n’était assortie d’aucune peine.

Le rapport Avril a d’ailleurs bien insisté sur le caractère ou trop étroit ou trop large de cette expression, et de nombreux constitutionnalistes ont tenté d’énumérer les hypothèses de haute trahison : trahison au profit d’une puissance étrangère, intelligence avec l’ennemi, abstention d’un acte auquel le Président est tenu, usage abusif de l’article 16 de la Constitution, accaparement d’un pouvoir qu’il ne tient pas de la Constitution. Qui trop embrasse mal étreint !

A contrario, l’irresponsabilité du Président de la République pour ses actes privés était insatisfaisante, voire choquante. L’immunité juridictionnelle constitue un privilège protégeant la fonction et non pas l’homme, afin de permettre à celui-ci d’exercer aussi sereinement que possible le mandat que les électeurs lui ont confié.

La réforme constitutionnelle de 2007 a rompu avec cette imprécision, l’objectif étant de veiller à ce qu’il n’existe plus aucune ambiguïté et à ce que la protection du premier personnage de l’État soit désormais totale à l’égard de toute action pénale ou civile concernant des actes détachables de sa fonction. Le constat de la surmédiatisation du Président de la République, sous toutes les coutures de sa vie, même privée, rendrait toute protection vaine si l’on offrait à des tiers la possibilité d’un acharnement judiciaire à son égard. L’actualité aurait d’ailleurs pu le laisser imaginer...

Il faut dire que le passage au quinquennat a contribué à enlever à la magistrature suprême beaucoup de sa superbe…

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Par un nouveau paradigme de la fonction, il a rendu encore plus nécessaire l’instauration de règles relatives à la procédure de destitution. Napoléon Bonaparte disait : « On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérance. » Manifestement, l’espérance n’est plus au rendez-vous. À chacun d’en tirer les conclusions…

Le présent texte constitue un compromis équilibré, dépassant largement les clivages politiques. La procédure, qui, certes, n’est pas simple, fait intervenir le Parlement constitué en Haute Cour, sur proposition de l’une des assemblées parlementaires confirmée par l’autre, chacune statuant à la majorité des deux tiers de ses membres. Sont fixés des délais d’inscription à l’ordre du jour des assemblées, ainsi que de traitement de la proposition, afin d’éviter toute obstruction procédurale.

Toutefois, comme notre ancien collègue Nicolas Alfonsi en 2007, j’émettrai une réserve. Je regrette que n’ait pas été introduite l’impossibilité pour le Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel après sa destitution, car c’est un curieux paradoxe.

Mme Françoise Laborde. Tout de même !

M. Jacques Mézard. Cette question ne pourra rester sans suite. Mon groupe a ainsi déposé une proposition de loi constitutionnelle réformant la composition du Conseil constitutionnel, afin de rendre plus démocratique et d’harmoniser la composition de cette cour suprême avec son rôle au cœur de la Ve République – elle pourra donner un certain nombre d’idées à ceux d’entre nous qui ont assisté à la réunion de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Les membres du groupe du RDSE voteront à l’unanimité en faveur du présent projet de loi organique, point final historique attendu à la longue affaire de la responsabilité pénale du chef de l’État. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en écoutant les précédents orateurs, j’avais l’impression de rêver. On nous a expliqué que l’histoire était longue. C’est vrai, mais rien n’a été fait depuis 2012. Or de 2012 à 2014, nous aurions eu le temps de légiférer !

On nous a aussi expliqué que le projet de loi organique n’était pas très bon. Une proposition de loi portant sur le même sujet, jugée meilleure par certains, avait été adoptée par le Sénat deux mois avant que l’Assemblée nationale n’adopte le texte dont nous discutons ce soir. Qu’est-ce qui empêchait le Gouvernement d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? Rien !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Michel Mercier. C’est donc que le Gouvernement a choisi le présent projet de loi ! Il disposait en effet de tout le temps nécessaire pour faire voter la proposition de loi précitée, et l’affaire aurait été terminée.

En fait, on a choisi de parler de cette affaire, ce dont M. Anziani s’est fort bien acquitté. In fine, il faudra en retenir qu’il y a eu ceux qui ont parlé de cette réforme et ceux qui l’ont faite ! C’est simple, mais c’est ainsi que le Sénat peut l’envisager. (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. Michel Mercier. En réalité, par le biais du texte que nous examinons ce soir, il s’agit d’achever la révision constitutionnelle du 23 février 2007 qui a permis de réécrire les articles 67 et 68 de la Constitution et d’encadrer, comme l’a fort justement souligné M. le secrétaire d’État, très strictement le législateur organique. Celui-ci dispose de peu de latitude pour écrire le droit : le constituant l’a déjà fait, et il s’agit simplement de mettre son texte en musique.

Les articles 67 et 68 de la Constitution, révisés en suivant les recommandations de la commission présidée par le professeur Pierre Avril, dotent notre pays d’une procédure certes difficile à mettre en œuvre, mais moderne, permettant la destitution d’un Président de la République qui manquerait manifestement à l’exercice de sa fonction, au point qu’il se rendrait indigne de poursuivre l’exercice du mandat qui lui a été confié par le peuple.

Cette procédure est encadrée, et c’est normal ! On ne peut accepter que certains demandent à tout bout de champ au Parlement de se constituer en Haute Cour, comme la tactique du harcèlement politique pourrait les y conduire.

Je rappelle que l’objet de cette procédure ne saurait en aucun cas être la mise en cause pénale du chef de l’État, même si sa destitution peut ouvrir la voie, dans un second temps, à l’engagement de poursuites pénales à son encontre, dans les conditions du droit commun. Le Président de la République se trouverait en effet soumis au droit commun si, outre les fautes qui ont justifié sa destitution, il avait également commis des infractions pénales. En tout état de cause, seule la représentation nationale est légitime pour interrompre le mandat confié par le peuple.

Le législateur organique a prévu un certain nombre de modalités d’application de l’article 68 de la Constitution. Je ne reviendrai pas sur les détails qui ont été fort bien exposés par l’ensemble des orateurs et par M. le rapporteur.

Le rôle du bureau de chaque assemblée est réaffirmé et il me semble tout à fait positif que cet organe politique, et non la conférence des présidents, statue sur la recevabilité de la proposition de résolution, puisque l’ensemble des forces politiques présentes au Parlement y sont représentées à la proportionnelle.

Il me semble aussi naturel et nécessaire que la commission des lois soit saisie, puisqu’une appréciation technique doit être portée sur les actes du Président de la République qui motivent la réunion de la Haute Cour.

Cette dernière devra enfin se prononcer dans des délais très stricts, afin d’éviter qu’une procédure dilatoire ne dure plusieurs mois, puisqu’il y va de l’exercice même de la fonction présidentielle dans notre pays.

Le présent projet de loi organique, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale au début de l’année 2012, garantit l’équilibre et le bon fonctionnement de nos institutions. Il a fait l’objet d’une discussion approfondie par la commission des lois du Sénat. Son adoption permettra de mettre en œuvre concrètement, si cela s’avérait un jour nécessaire, la procédure de destitution du Président de la République, tout en conservant son caractère exceptionnel voulu par le constituant, car il est le seul compatible avec l’esprit de nos institutions. Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe de l’UDI-UC voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis particulièrement, ayant été rapporteur du projet de loi constitutionnelle en 2007, que nous aboutissions enfin à l’adoption d’un projet de loi organique permettant de mettre en œuvre des articles de la Constitution que nous avions alors modifiés.

Je note d’ailleurs que le Président de la République veut réformer l’article 67 de la Constitution – un projet de loi constitutionnelle a été déposé à cet effet – ainsi que l’article 68-1 relatif à la responsabilité des ministres, mais qu’il ne veut pas réviser l’article 68. Nous pouvons donc considérer que nous disposons déjà du feu vert du chef de l’État avant d’avoir adopté le projet de loi organique…

M. Jean-Jacques Hyest. C’est quand même une satisfaction, avouez-le ! J’allais même dire une satisfaction rare, en ce qui me concerne !

L’article 68 de la Constitution institue une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » ; la formule est bien précise.

Tout à l’heure, notre éminent rapporteur, le professeur Portelli, a dit qu’il s’agissait de l’hypothèse où le Président de la République ne serait plus « en état de pouvoir exercer ses fonctions ». Il me semble que ce n’est pas exact, puisque, si le Président n’est plus en état d’exercer ses fonctions, il se trouve empêché et c’est alors le Conseil constitutionnel qui intervient pour constater la situation. Je tenais à insister sur cette nuance…

M. Hugues Portelli, rapporteur. J’ai dit que le Président de la République n’était plus en état « politique » d’exercer ses fonctions !

M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas entendu le mot « politique », monsieur le rapporteur. Quoi qu’il en soit, dans les cas visés par l’article 68 de la Constitution, le Président de la République est toujours en état politique d’exercer son mandat, mais il a manqué à ses devoirs au point de ne plus pouvoir exercer ses fonctions. Ce n’est pas tout à fait pareil !

On peut toujours reparler de la notion de « haute trahison », qui figurait auparavant dans le texte constitutionnel et permettait des gloses infinies. Certains orateurs précédents ont rappelé ce que pouvait recouvrir la haute trahison, mais cette notion était devenue incompréhensible pour la grande majorité de nos concitoyens et n’a jamais été appliquée. Cette non-application était d’ailleurs peut-être due non à l’absence de définition de la notion, mais au fait que la procédure était impossible à mettre en œuvre.

Monsieur le rapporteur, vous avez excellemment rappelé la controverse entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. C’est assez extraordinaire : la commission Avril et le constituant ont fini par donner raison à cette dernière, puisque c’est une procédure largement prétorienne qui a été retenue. Bien entendu, la Cour de cassation, dans son arrêt du 10 octobre 2001, en refusant de reconnaître l’existence d’un éventuel privilège de juridiction du chef de l’État, a porté un coup fatal à la Haute Cour de justice.

Il a donc fallu trouver une solution. L’article 68 de la Constitution est extrêmement précis. Peu de choses doivent y être ajoutées, même si l’adoption d’une loi organique est nécessaire pour permettre sa mise en œuvre, en précisant notamment le déroulement des travaux précédant le vote tendant à la destitution du chef de l’État.

L’examen, au mois de janvier 2010, de la proposition de loi de notre collègue François Patriat nous avait permis d’anticiper largement les débats d’aujourd’hui, le Gouvernement n’ayant à l’époque pris aucune initiative sur ce sujet. Je me permets de rappeler que, si nous avions, à ce moment, décidé de renvoyer ce texte à la commission, c’est parce qu’un projet de loi venait d’être déposé. On peut toujours faire se croiser des projets de loi et des propositions de loi, ils ne se rencontrent jamais ! C’était donc la seule raison motivant cette demande de renvoi à la commission. Nous avons ensuite de nouveau examiné cette proposition de loi en séance publique et je crois que nos travaux ont permis d’éclairer la réflexion des députés.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui vise à préserver la dignité de la fonction présidentielle. Ses dispositions s’inspirent très largement des préconisations formulées au mois de décembre 2002 par la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par le professeur Avril, qui ont servi de base à la révision constitutionnelle de 2007.

Concernant le nombre de signataires et, plus généralement, les conditions requises pour le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, le choix de la signature de ce texte par le dixième des membres de l’assemblée concernée, quantum évoqué par la commission Avril, et reprenant les anciennes dispositions des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale me paraît cohérent. Cette commission suggérait aussi qu’un membre du Parlement ne puisse être signataire que d’une seule proposition de réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel. La question reste posée dans le cas où la procédure de destitution n’aurait pas abouti.

Faut-il prévoir d’autres mécanismes, telle la possibilité qu’une assemblée ne soit pas appelée à délibérer d’une motion si le bureau s’y oppose à l’unanimité ? Cette question, je l’avais déjà soulevée lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Patriat.

Je tiens, par ailleurs, à saluer la position de l’Assemblée nationale, qui a rejeté la version initiale du projet de loi organique confiant à la commission des lois de la première assemblée saisie le soin de vérifier que la proposition de résolution n’était pas dénuée de tout caractère sérieux et, le cas échéant, de s’opposer à sa mise en discussion. C’était aller trop loin !

Ce rôle de filtrage ne paraît pas compatible avec l’institution d’un droit de veto donné à une formation restreinte de l’une des deux chambres statuant à une majorité simple.

En revanche, le remplacement de cette version par une procédure en quatre temps me semble plus cohérent : contrôle de recevabilité, envoi de la proposition de résolution pour examen à la commission des lois – disposition à mon sens indispensable, l’expertise de la commission des lois s’imposant, même si ce n’est pas un texte législatif –, inscription de la proposition de résolution à l’ordre du jour et vote de cette dernière.

Pour ce qui concerne la composition du bureau et le rôle de la Haute Cour, l’option retenue par l’Assemblée nationale de fixer le nombre des membres du bureau à vingt-deux – onze sénateurs et onze députés – évitera la constitution d’une assemblée pléthorique.

De plus, il est précisé que la constitution du bureau de la Haute Cour s’efforcera « de reproduire la configuration politique de chaque assemblée », précision qui s’accorde tout à fait à l’attention que notre assemblée attache traditionnellement au pluralisme sénatorial. Elle donne, comme l’indique l’excellent rapport de notre collègue Hugues Portelli, pour la première fois un fondement organique à un principe qui, jusqu’à présent, ne trouve sa source directe que dans les règlements des assemblées.

Le dernier point de mon intervention portera sur l’organisation des débats de la Haute Cour et sur la possibilité pour le Président de la République de se faire représenter.

L’ancienne Cour de justice de la République, comme le prévoyait l’article 31 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, pouvait exceptionnellement siéger à huis clos. Cette possibilité n’est pas offerte à la Haute Cour, bien que ce caractère exceptionnel n’aurait pas eu pour effet, selon moi, de nuire à cette instance. Il pourrait arriver des cas où il n’est pas forcément nécessaire d’exposer sur la place publique les turpitudes d’un Président de la République !

De plus, je souhaite rappeler, car c’est important, que, bien que la procédure ne revête aucun caractère juridictionnel – c’est bien ce qui la différencie de l’ancienne procédure –, on respecte parfaitement le principe du contradictoire.

J’en viens aux modalités des débats et de décision. Je note que le projet de loi organique reprend dans leur intégralité les préconisations formulées par la commission Avril fixant la durée des débats, déterminant les membres autorisés à participer – les ministres sont exclus, mais la possibilité offerte au Premier ministre de prendre part au débat est préservée et la faculté est ouverte au Président de la République de se faire représenter –, cette procédure – selon l’explication de la commission précitée – ne suspendant pas de fait les fonctions de chef de l’État du Président de la République.

Je me réjouis que mon groupe ait inscrit l’examen du présent projet de loi organique dans la niche parlementaire qui lui est réservée, lui donnant la préférence sur quantité de propositions de loi pourtant extrêmement intéressantes. Au début de cette nouvelle session, il nous a semblé qu’il appartenait au Sénat de conforter la réforme qui avait été votée dès 2007.

Au regard de toutes ces remarques, les membres du groupe UMP voteront bien entendu en faveur du projet de loi organique, tel que l’a transmis l’Assemblée nationale au Sénat, donc sans modification. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 68 de la Constitution prévoit une procédure de destitution du chef de l’État qui peut être mise en œuvre en cas de manquement de celui-ci à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

Il substitue à une procédure de mise en accusation une procédure de destitution fondée sur une appréciation politique – disons-le, car c’est la vérité – de la nature du manquement reproché au chef de l’État.

La révision constitutionnelle de 2008 a ainsi rompu avec l’ambiguïté d’un système qui laissait la Haute Cour de justice déterminer souverainement la sanction encourue par le Président de la République coupable de haute trahison. Dans le rapport qu’il a rédigé sur le projet de loi constitutionnelle, Jean-Jacques Hyest …

M. Jean-Jacques Hyest. Très bonne lecture ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est la raison pour laquelle je vous cite, mon cher collègue !

Vous écriviez alors que l’article 68 « établit une nette distinction entre les champs institutionnel et juridictionnel : après avoir sanctionné l’incompatibilité entre un acte ou un comportement et la poursuite du mandat, la destitution rend le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible des juridictions de droit commun. »

Vous poursuiviez : « La destitution répondant à une logique politique, elle ne peut être prononcée que par un organe suffisamment légitime pour sanctionner le représentant de la nation. » Seul le représentant du peuple souverain peut, en effet, apprécier les manquements dont serait responsable une autorité issue du suffrage universel. Vous indiquiez également, monsieur Hyest: « Aussi le projet de loi constitutionnelle prévoit-il que ″la destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour″. »

Contrairement au dispositif antérieur – j’insiste sur ce point –, les parlementaires sont non des juges politiques, mais des représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.

Mes chers collègues, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le rapport de M. Portelli, qui nous appelle – comme vient de le faire M. Hyest – à un vote conforme.

Permettez-moi de m’interroger quelque peu. En effet, il est vrai que l’adoption de ce projet de loi organique a beaucoup tardé. Chacun d’entre nous a fait des efforts, qu’il s’agisse du Gouvernement – M. Michel Mercier en a parlé – ou du Sénat, puisque, si la proposition de loi organique Patriat-Badinter, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur devant la Haute Assemblée, avait été votée par l’Assemblée nationale, une disposition absolument nécessaire aurait été adoptée. Malheureusement, tel n’a pas été le cas.

Cela étant, je suis quelque peu étonné que réapparaisse aujourd'hui ce culte du vote conforme, que j’ai connu en d’autres temps.

Mme Éliane Assassi. Vous y avez sacrifié !

M. Jean-Pierre Sueur. Il y a des circonstances de toute nature, madame Assassi, vous le savez bien !

Mme Éliane Assassi. Je ne le sais que trop bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous me donnerez acte que je me suis souvent exprimé sur le vote conforme.

Je pense qu’il eût été possible d’améliorer le présent texte en reprenant certaines des dispositions de la proposition de loi organique Patriat-Badinter.

M. Hugues Portelli, rapporteur. Cela a été fait !

M. Jean-Pierre Sueur. Certaines ont été reprises, pas toutes ! Je vais vous en donner l’illustration, ce qui sera une sorte de prélude aux excellents amendements de notre collègue Alain Anziani, dont je ne doute pas qu’il les défendra avec la compétence, la fougue et l’ardeur que nous lui connaissons.

D’abord, pour ce qui est de la procédure d’inscription et d’examen de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, il me semble utile de considérer que son inscription à l’ordre du jour est de droit. Et je ne vois pas ce qu’apporterait le passage de cette proposition de résolution devant une commission, fût-elle la commission des lois, pour laquelle, monsieur Bas, j’ai un considérable respect.

Ensuite, pour ce qui est de la composition de la commission chargée de recueillir toutes informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour, il est proposé de reprendre un dispositif issu de l’Assemblée nationale selon lequel cette commission est composée de six vice-présidents de l’Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat. Ce n’est pas satisfaisant : comme il y a huit vice-présidents du Sénat, il faudra choisir parmi eux pour en désigner six.

De plus, comme le règlement du Sénat permet de constituer des groupes comptant au moins dix sénateurs, le dispositif prévu par le projet de loi organique ne garantit pas que tous les groupes soient représentés au sein de la commission parlementaire ad hoc. J’ai d’ailleurs écouté attentivement les propos de Mme Éliane Assassi sur ce sujet.

Monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, j’y insiste, un dispositif a été adopté très largement par le Sénat, dont la commission des lois avait émis un vote unanime. Il prévoyait dix représentants du Sénat et dix représentants de l’Assemblée nationale, de sorte que tous les groupes étaient nécessairement représentés. La proposition de loi organique Patriat-Badinter adoptée par le Sénat présente quand même une supériorité sur le texte que vous nous soumettez !

Vous pourrez invoquer – j’ignore si vous le ferez – ce qu’a décidé l’Assemblée nationale, travail auquel a contribué mon collègue et ami, Jean-Jacques Urvoas. Je le sais quelquefois très bien inspiré, parfois légèrement moins, et je le dis en toute amitié. (Sourires.)

Dans le texte que vous allez nous demander de voter, il est écrit : « La composition de la commission s’efforce de reproduire la configuration politique de chaque assemblée. » L’emploi dans un projet de loi de ce verbe « s’efforce » me paraît étrange, car il est peu normatif.

Je le vois bien, monsieur le secrétaire d'État, cela vous contrarie aussi ! Or il eût été tellement simple, monsieur le rapporteur, pour le fin connaisseur du droit constitutionnel et du droit en général que vous êtes, de choisir qu’il y eût dix représentants de l’Assemblée nationale et dix représentants du Sénat. Ainsi, de ce fait, toutes les formations politiques, tous les groupes politiques eussent été derechef associés !

Enfin, troisième et dernier point, dans la proposition qui nous est faite, il n’est pas possible pour la commission d’entendre le Président de la République à la demande soit de la commission elle-même, soit du chef de l’État lui-même. Mes chers collègues, quelqu’un dans cette enceinte peut-il justifier cela ?

Si l’on parle de la destitution du Président de la République, n’est-il quand même pas juste, en vertu de toutes les règles du droit que vous connaissez parfaitement, que celui-ci puisse être entendu ?

De même, il est prévu, dans le texte qui nous est soumis, qu’il puisse se faire représenter. Ne pensez-vous pas que, dans de telles circonstances, il serait plus judicieux que le Président de la République aille lui-même s’expliquer devant l’instance qui devra prendre ou préparer la décision ?

Par ces quelques remarques, je souhaitais dire qu’il était possible d’adopter un texte qui soit encore meilleur.

Cela étant, les membres de mon groupe voteront en faveur du présent projet de loi organique, Alain Anziani l’a dit avec talent. Mais il est dommage de se priver des apports de la proposition de loi organique Patriat-Badinter. Nous serons donc tous satisfaits, quoique nous eussions pu l’être davantage, que le dernier texte d’application de la révision constitutionnelle issue du vote de 2008 fût enfin adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. L’ensemble des intervenants ont évoqué la nécessité de permettre, enfin, l’entrée en application de l’article 68 de la Constitution. Notre discussion rétablira ainsi l’équilibre, en donnant tout son sens au statut juridique du chef de l’État tel qu’il est défini par la révision constitutionnelle du 23 février 2007, prévoyant la protection de la fonction présidentielle, d’un côté, et un mécanisme de destitution en cas de manquement du Président de la République à ses devoirs, de l’autre.

Les orateurs qui connaissent, et même très bien – n’est-ce pas, monsieur Mercier ? –, le texte que nous examinons ce soir ont relevé que celui-ci avait été inscrit à l’ordre du jour du Sénat avant que la proposition de loi sénatoriale ne le soit à celui de l’Assemblée nationale. Le Gouvernement le constate et ne peut pas interférer à ce niveau, en tout cas s’agissant du groupe concerné.

À cet égard, il me semble que le président Mézard a trouvé les mots justes. Dans le très long cheminement de la mise en application de l’article 68 de la Constitution, les torts sont évidemment partagés. Permettez-moi d’ajouter, presque en forme d’hommage, que, en cette matière des modalités d’examen au Parlement d’une proposition de réunion de la Haute Cour, il est finalement logique que les assemblées aient repris la main. Dont acte !

Le Sénat fait en l’espèce un usage pertinent de la semaine d’ordre du jour dont il a la maîtrise, et nous allons ainsi pouvoir avancer.

Mme Éliane Assassi. C’est tout ?

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi organique portant application de l’article 68 de la constitution

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

(Non modifié)

La décision de réunir la Haute Cour résulte de l’adoption d’une proposition de résolution par les deux assemblées du Parlement, dans les conditions fixées par l’article 68 de la Constitution.

La proposition de résolution est motivée. Elle justifie des motifs susceptibles de caractériser un manquement au sens du premier alinéa de l’article 68 de la Constitution. Elle est signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée.

Un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel.

La proposition de résolution est communiquée sans délai par le Président de cette assemblée au Président de la République et au Premier ministre.

Aucun amendement n’est recevable à aucun stade de son examen dans l’une ou l’autre assemblée.

L’examen de la proposition de résolution ne peut faire l’objet de plus d’une lecture dans chaque assemblée.

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 2, dernière phrase

Après le mot :

membres

insérer les mots :

ou par un groupe parlementaire

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. L’article 51-1 de la Constitution reconnaît explicitement l’existence des groupes d’opposition et des groupes minoritaires ; par là même, le statut des groupes parlementaires est élevé au rang constitutionnel.

Le Sénat, lors de la première lecture du texte portant révision constitutionnelle, avait accepté l’une de nos propositions, laquelle tendait à accorder aux groupes parlementaires le droit de saisine du Conseil constitutionnel. La majorité de l’époque, qui ressemblait étrangement à celle d’aujourd’hui, avait reculé in fine, et cette avancée démocratique a été abandonnée. Ainsi, un simple citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité et contester, même a posteriori, une loi, alors qu’un groupe parlementaire, institution à la compétence constitutionnelle, ne peut le faire.

La problématique est la même dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui. Pourquoi trente-quatre sénateurs pourraient-ils déclencher une procédure de destitution, alors que les groupes parlementaires ne le pourraient pas ?

Chacun peut le reconnaître, nous sommes dans le cadre d’une mise en œuvre de la responsabilité politique du chef de l’État. Il paraîtrait donc logique que la première institution politique des assemblées, les groupes politiques, puisse déposer une proposition de résolution tendant à la destitution du chef de l’État.

Enfin, le présent amendement vise à faire respecter le pluralisme.

La démocratie est une question non de nombre, mais de respect du débat d’idées. Le seuil d’un dixième des membres d’une assemblée parlementaire pour déclencher une procédure est institué pour prévenir une forme d’irresponsabilité ou d’utilisation malveillante de la procédure.

Pour ce qui me concerne, je considère que les groupes parlementaires, de par leur statut, apportent toutes les garanties au sérieux du processus de destitution.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission Avril avait proposé cette procédure pour une raison très simple : c’était celle qui était prévue jadis dans les règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale pour les propositions de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de justice. (M. Jean-Jacques Hyest opine.)

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Dans un domaine de nature très constitutionnelle et nécessitant beaucoup de précautions du point de vue de l’unité de la nation, accorder le droit de déposer une proposition de résolution aux groupes politiques pourrait donner une idée fausse de ce dont il s’agit.

Qui plus est, nous pensons qu’il est nécessaire qu’un nombre minimal de parlementaires signent la proposition de résolution, pour éviter le dépôt trop fréquent de tels textes.

Pour constituer un groupe au Sénat, il faut dix sénateurs. Si nous vous suivions, madame Assassi, presque trente propositions de résolution pourraient être déposées en cinq ans, chacune d’entre elles devant être inscrite à l’ordre du jour. Voilà pour l’aspect procédural.

De plus, la philosophie du texte dont nous débattons s’inscrit non pas dans la logique propre d’un groupe parlementaire, mais, d’une façon plus générale, dans la logique du travail des parlementaires devant des cas qui ne sont pas d’ordre politique, mais qui ressortent du fonctionnement des institutions de la République.

Outre les problèmes techniques que son adoption poserait, cet amendement me semble être un facteur de politisation. Je propose donc que nous en restions au seuil d’un dixième des parlementaires, lequel avait été retenu par le Sénat au mois de novembre 2011.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
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Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article 2

(Non modifié)

Le Bureau de l’assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée vérifie sa recevabilité au regard des conditions posées à l’article 1er.

Si le Bureau constate que ces conditions ne sont pas réunies, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion.

Si le Bureau constate que ces conditions sont réunies, la proposition de résolution est envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles, qui conclut à son adoption ou à son rejet. Sans préjudice des dispositions de l’article 48 de la Constitution, la proposition de résolution est inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission. Le vote intervient au plus tard le quinzième jour.

Lorsque la clôture de la session du Parlement fait obstacle à l’application des deux dernières phrases de l’avant-dernier alinéa, l’inscription à l’ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

Si le Bureau constate que ces conditions sont réunies, la proposition de résolution est inscrite de droit à l’ordre du jour de l’assemblée concernée dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter du dépôt de cette proposition.

II. – Alinéa 4

Remplacer les mots :

des deux dernières phrases de l’avant-dernier alinéa

par les mots :

de l’alinéa précédent

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Il s’agit d’un amendement de simplification.

Nous ne parlons pas en l’espèce de procédure législative, et il n’y a pas de possibilité de déposer des amendements. Dès l’instant que le bureau a vérifié la recevabilité de la proposition de résolution, il me semble donc beaucoup plus simple et rapide qu’il puisse faire inscrire de droit cette proposition à l’ordre du jour, sans qu’il faille en passer par la commission permanente, c’est-à-dire la commission des lois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, pour deux raisons.

Dans la rédaction initiale du projet de loi organique présentée à l’Assemblée nationale, la commission compétente en matière de lois constitutionnelles disposait d’un véritable droit de veto sur le texte, puisqu’elle pouvait rejeter celui-ci.

Les députés ont estimé, suivant ainsi leur commission des lois, qu’une telle disposition ne pouvait pas être introduite, car elle n’était pas prévue par l’article 68 de la Constitution.

Par ailleurs, à partir du moment où un texte est soumis à l’une des assemblées et que celui-ci est motivé, il est normal que la commission compétente donne son expertise à cet égard, ainsi qu’un avis, simple, que l’assemblée est tout à fait libre de suivre ou non.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. L’amendement de M. Anziani présente l’avantage d’assurer un examen rapide de la proposition de résolution par la première assemblée saisie. Mais, dans le même temps, il prive le Sénat ou l’Assemblée nationale de l’expertise, pourtant utile, de la commission des lois.

Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
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Article 3 bis

Article 3

(Non modifié)

La proposition de résolution adoptée par une assemblée est immédiatement transmise à l’autre assemblée. Elle est envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles, qui conclut à son adoption ou à son rejet.

La proposition de résolution est inscrite de droit à l’ordre du jour de l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant sa transmission. Le vote intervient de droit au plus tard le quinzième jour.

Lorsque la clôture de la session du Parlement fait obstacle à l’application du deuxième alinéa, l’inscription à l’ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 1, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement a le même objet que le précédent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission émet un avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles j’ai exposées précédemment.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat, également pour les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Le vote des assemblées sur la proposition de résolution tendant la réunion de la Haute Cour fait l’objet d’un scrutin public.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. À l’Assemblée nationale, le vote sur la proposition de résolution tendant à réunir la Haute Cour fait obligatoirement l’objet d’un scrutin public. Ce n’est pas le cas au Sénat. Or, à l’occasion de ce type de vote, chacun doit assumer sa responsabilité, c’est-à-dire exprimer publiquement son vote.

Je pense que l’ensemble du Sénat sera d’accord pour adopter ce principe de responsabilité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. Le vote par scrutin public est déjà de règle pour le vote de projets de loi organiques. L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Sur cet amendement qui concerne le fonctionnement du Sénat, le Gouvernement émet un avis de sagesse.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3 (Texte non modifié par la commission)
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Article 4 (Texte non modifié par la commission)

Article 3 bis

(Non modifié)

Le rejet de la proposition de résolution par l’une des deux assemblées met un terme à la procédure. – (Adopté.)

Article 3 bis
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Article 5 (Texte non modifié par la commission)

Article 4

(Non modifié)

Lorsqu’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour a été adoptée par chacune des assemblées, le Bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt.

Le Bureau de la Haute Cour est composé de vingt-deux membres désignés, en leur sein et en nombre égal, par le Bureau de l’Assemblée nationale et par celui du Sénat, en s’efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée.

Il est présidé par le Président de la Haute Cour.

Le Bureau prend les dispositions nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour.

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

Le Bureau organise les conditions du débat et du vote et prend toute décision qu’il juge utile à l’application de l’article 68 de la Constitution.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Le présent amendement vise à préciser et à élargir le champ des attributions du bureau de la Haute Cour.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. Cet amendement est satisfait par le quatrième alinéa du présent article. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Il peut sembler utile de compléter les dispositions du projet de loi organique pour garantir que le bureau dispose de toutes les marges de manœuvre dont il a besoin dans les circonstances graves et exceptionnelles qui justifient la réunion de la Haute Cour. Il me paraît en effet judicieux de préserver une certaine souplesse et de ne pas insulter l’avenir.

J’émets donc un avis de sagesse enthousiaste. (Sourires.)

M. Bruno Sido. C’est nouveau !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4 (Texte non modifié par la commission)
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Article 6 (Texte non modifié par la commission)

Article 5

(Non modifié)

Une commission constituée de six vice-présidents de l’Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat est chargée de recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour. La composition de la commission s’efforce de reproduire la configuration politique de chaque assemblée.

La commission dispose des prérogatives reconnues aux commissions d’enquête aux II à IV de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dans les mêmes limites que celles fixées au deuxième alinéa de l’article 67 de la Constitution.

Sur sa demande, le Président de la République ou son représentant est entendu par la commission. Il peut se faire assister par toute personne de son choix.

La commission élabore, dans les quinze jours suivant l’adoption de la résolution, un rapport qui est distribué aux membres de la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 5, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Une commission constituée de vingt membres est chargée de recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour. Ses membres sont élus, selon la représentation proportionnelle au plus fort reste, dans le respect du pluralisme des groupes, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Elle élit parmi ses membres son président et désigne un rapporteur.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Il s’agit à la fois d’un amendement d’affirmation du Sénat et de cohérence par rapport au principe de représentativité politique qui figure dans le texte.

Le projet de loi organique prévoit une commission parlementaire ad hoc composée de six vice-présidents de l’Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat. Mais il y a un hic : la composition du bureau du Sénat diffère de celle du bureau de l’Assemblée nationale.

Par conséquent, si nous voulons affirmer la singularité du Sénat, il faut modifier cette disposition et prévoir que la commission comprendra vingt membres. Qui plus est, cela permettra d’assurer la représentativité politique, car, avec six vice-présidents pour l'Assemblée nationale et six vice-présidents pour le Sénat, il n’est pas du tout certain que tous les groupes puissent être représentés. Or le texte lui-même se fixe cet objectif.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première phrase

Remplacer les mots :

six vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat

par les mots :

dix membres du Bureau de l’Assemblée nationale et de dix membres du Bureau du Sénat

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Cet amendement va dans le même sens.

Nous proposons de remplacer les vice-présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat par dix membres du bureau de l’Assemblée nationale et dix membres du bureau du Sénat. Il nous semble en effet qu’une telle disposition permettra de garantir au mieux le pluralisme au sein de ce qui constituera de fait une véritable commission d’instruction.

Aux termes de l’article 5 d’ailleurs, « la composition de la commission s’efforce de reproduire la configuration politique de chaque assemblée ». Le passage à vingt membres permettra de s’approcher de cet objectif. Il n’est qu’à voir la composition de la Cour de justice de la République : six sénateurs en font partie et, de fait, les groupes minoritaires au sein de cette instance ne sont pas représentés.

Par conséquent, si l’on souhaite réellement que l’article 5 prenne toute sa force et ne reste pas un vœu pieux, il faut étendre la composition de la commission à dix membres par assemblée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.

Je rappelle que la commission visée à l’article 5 doit travailler et se prononcer dans des délais extrêmement restreints. Il s’agit donc d’une structure qui doit faire preuve d’efficacité et de rapidité. De fait, son effectif doit être limité. Ce n’est pas une commission parlementaire traditionnelle.

Par ailleurs, l’article 5 prévoit déjà que sa composition doit respecter le pluralisme politique des assemblées.

Enfin, rappelons que les députés, tout en respectant le bicamérisme, veillent à ce que les effectifs des structures paritaires n’augmentent pas excessivement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. La question du pluralisme est évidemment importante et, de ce point de vue, l’amendement n° 5 me semble mieux y répondre que l’amendement n° 11. J’entends toutefois l’argument de M. le rapporteur.

Néanmoins, comme il juge toujours très délicat d’intervenir dans le fonctionnement des assemblées, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. Bruno Sido. Celle-là n’est pas enthousiaste ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’amendement n° 5.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le rapporteur, je m’interroge sur les arguments que vous venez d’avancer, notamment sur ceux qui sont relatifs à l’efficacité et à la rapidité.

Perd-on de l’efficacité quand on assure le pluralisme ? Si oui, disons-le clairement et mettons un frein à cette tendance.

Ne gagne-t-on pas, y compris en rapidité – je ne parle pas de la rapidité à court terme –, en assurant justement la représentation la plus pluraliste possible ?

Il ne faut pas à mon sens faire de raccourcis. Que vous émettiez un avis défavorable sur ces deux amendements, je veux bien le concevoir. En revanche, je ne partage pas votre argument selon lequel augmenter légèrement le nombre des membres de cette commission et assurer un véritable pluralisme sur des enjeux de cette taille, qui concernent le Président de la République, ne seront pas un gage d’efficacité, de rapidité et de qualité pour cette instance.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, je reste moi aussi sur ma faim après avoir entendu vos explications.

Certes, je comprends que votre mandat consiste à parvenir à un vote conforme de ce projet de loi organique. Pour autant, je ne suis pas convaincu par les arguments que vous venez d’avancer.

D’abord, comme Cécile Cukierman, je pense que soutenir ici, au Sénat, qu’une instance de douze membres est plus rapide et plus efficace qu’une instance de vingt membres est quelque peu paradoxal. Cet après-midi, nous avons travaillé de manière extrêmement sérieuse sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

M. Bruno Sido. Ah oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Combien de membres de la commission spéciale étaient présents ? Peut-être une quarantaine.

M. Bruno Sido. Au début ! (Rires.)

Mme Éliane Assassi. Dans le pluralisme le plus total ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. L’existence au Sénat d’un grand nombre d’instances qui travaillent très sérieusement dément cette position en vertu de laquelle, pour un sujet aussi important que la destitution du chef de l’État, on serait efficace à douze et on ne le serait pas à vingt. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)

Personne ne peut défendre une telle position, sauf à avancer de nouveaux arguments, mais je pense que M. Hyest en a trouvé et nous allons l’entendre avec intérêt. (Sourires.)

Ensuite, monsieur le rapporteur, vous affirmez que l’Assemblée nationale est attachée au bicamérisme. Je veux bien le croire, mais confortons le bicamérisme en jouant pleinement notre rôle dans l’élaboration du présent texte.

Enfin, selon vous, avec douze membres, on pourra garantir le pluralisme. J’ai rappelé tout à l’heure la présence d’un verbe tout à fait singulier dans un texte normatif, puisqu’il est précisé que l’on « s’efforce » de représenter les différents groupes.

Mme Cécile Cukierman. C’est du bla-bla !

M. Jean-Pierre Sueur. Si on multiplie dans la loi les assertions telles que « on fera en sorte que », « on fera tous nos efforts pour que », « on tendra à ce que », « on s’efforcera à ce que », la législation deviendra floue. D’ailleurs, le Conseil d’État s’est interrogé sur cette tendance dans un récent rapport.

À mon sens, de nombreux arguments plaident en faveur de l’amendement n° 5 : une commission de vingt membres – dix par assemblée – permettra la parité entre les assemblées et, à coup sûr, la représentation de tous les groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Il ne faut jamais pousser les démonstrations trop loin. (Sourires.)

Mon cher collègue, ce matin s’est réunie une commission mixte paritaire, instance composée de sept députés et de sept sénateurs et chargée – vous savez à quel point c’est important – de proposer un texte commun sur des dispositions restant en discussion d’un projet de loi ou d’une proposition de loi. Cela prouve donc bien que l’on peut travailler avec un effectif plus faible. Certes, certains groupes ne sont pas représentés ou le sont par le biais des suppléants, mais ceux-ci ne votent pas. Cela ne signifie nullement qu’ils ne participent pas au débat. Je rappelle qu’il s’agit uniquement d’un travail préalable de commission ! Le Parlement se prononce ensuite sur les conclusions.

J’en reviens au texte qui nous occupe. Préciser que l’on doit veiller à une représentation équilibrée de chaque sensibilité politique suffit. Cela figure d’ailleurs déjà dans un certain nombre de textes. C’est pourquoi je pense qu’il faut s’en tenir au texte de l’Assemblée nationale.

M. Le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Le Président de la République peut être entendu soit à sa demande, soit à la demande de la commission.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. J’ai envie de faire un appel au bon sens.

Je rappelle la rédaction actuelle de l’alinéa 3 de l’article 5 : « Sur sa demande, le Président de la République ou son représentant est entendu par la commission. Il peut se faire assister par toute personne de son choix. »

Nous sommes dans l’hypothèse où le Président de la République fait l’objet d’une procédure, parce qu’il a manqué à ses obligations de façon suffisamment nette pour que cela devienne incompatible avec sa fonction.

S’il s’agissait d’une procédure juridictionnelle, nous dirions que le Président de la République est accusé ou qu’il est mis en examen. En l’occurrence, nous ne pouvons employer ces termes.

M. Bruno Sido. On joue sur les mots !

M. Alain Anziani. En l’espèce, le Président de la République est mis en cause de façon forte par un acte motivé et recevable, puisque le bureau l’a jugé tel.

La situation devient ensuite tout à fait extraordinaire. Alors que le Président de la République fait l’objet de cette procédure, ceux qui vont devoir le « juger » et déterminer si oui ou non il est véritablement responsable n’ont pas le droit de lui poser la moindre question. Cette commission, c’est la Grande Muette !

C’est tout bonnement invraisemblable ! Comment concevoir que le Président de la République puisse vouloir être entendu – il peut l’être à sa demande –, mais que ceux qui vont le juger et décider n’aient pas le droit de l’entendre ?

Pour ma part, je n’arrive pas à comprendre la cohérence ce dispositif.

M. Jean-Jacques Hyest. La Haute Cour pourra !

M. Alain Anziani. Ce sera pareil, puisque, comme nous le verrons dans quelques instants, le Président de la République pourra se faire représenter !

Par conséquent, et c’est un appel au bon sens, je le répète, il faut faire en sorte que la commission puisse entendre le Président de la République. C’est le minimum. Sinon, je le répète également, les membres de cette commission auront devant eux le grand absent, la personne qui n’existe pas dans la procédure, un fantôme de Président de la République. Comment avoir alors un débat franc sur des faits qui, par définition, sont graves et qui donneront évidemment lieu à une crise de la République ? Or, dans une telle situation, il est normal que la République puisse entendre le Président de la République.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. Anziani devrait envisager la situation du point de vue du Président de la République. Lorsqu’une telle procédure démarre, celui-ci exerce pleinement ses fonctions de chef de l’État. Une commission commence alors à enquêter ; elle doit d’ailleurs le faire dans des délais très brefs.

Le Président de la République a-t-il intérêt à comparaître et à se défendre devant cette commission ? C’est à lui d’apprécier. Il peut avoir d’excellentes raisons de s’y refuser. Il faut donc lui laisser la liberté de choisir.

Certains l’accusent d’avoir commis une forfaiture, un acte grave. Encore faut-il que ce fait soit prouvé. C’est justement le rôle de la commission que de recueillir les informations nécessaires à cette fin et le Président de la République peut très bien se contenter d’envoyer un représentant, qui parlera en son nom. En tant que chef de l’État en fonction, il n’est peut-être pas obligé de se commettre immédiatement devant une telle commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. J’entends tout à fait la spontanéité de votre demande, monsieur Anziani, qui semble compréhensible au premier abord.

Je reprendrai cependant l’argumentation du rapporteur, avec une nuance importante toutefois. En effet, ce n’est pas parce que c’est le Président de la République que je défends la possibilité qu’il puisse ne pas se présenter devant la commission, mais c’est parce qu’il est en posture d’accusé, ce qui n’est pas la même chose. En d’autres termes, ce n’est pas son statut de Président de la République qui justifie une telle faculté, c’est parce qu’il est accusé et peut, à ce titre, avoir la stratégie de défense qu’il souhaite, d’autant que nous ne sommes plus dans une situation où il peut y avoir confusion avec le juridictionnel.

Votre raisonnement est tellement naturel, monsieur Anziani, que, pour dire les choses comme elles sont, dans beaucoup de cas, l’absence du Président de la République ne plaidera pas en sa faveur. A contrario, il pourra choisir d’être présent. Tout cela relèvera de sa liberté. Voilà quel est mon sentiment.

Cela dit, on peut aussi comprendre l’intérêt qu’il y aurait à ce que le Président de la République ne soit pas sans arrêt mis en cause si ce type d’attaques devait se multiplier. Cependant, pour l’heure, et sans préjuger les évolutions à venir, ces mœurs politiques ne sont pas les nôtres.

Dans ces conditions, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. Bruno Sido. Encore !

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Monsieur le président, je comprends que l’on veuille faire aboutir ce texte ce soir, en obtenant de la Haute Assemblée un vote conforme.

Toutefois, je pense que repousser, comme la majorité du Sénat vient de le faire, les derniers amendements ne participe pas d’une justice sereine et éclairée.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

MM. Jean-Jacques Hyest et Hugues Portelli, rapporteur. Il ne s’agit pas de justice !

M. Alain Néri. Le sujet est grave : ce n’est quand même pas tous les jours que l’on aura à juger un Président de la République pour décider ou non de sa destitution !

M. Jean-Jacques Hyest. On ne juge pas !

M. Alain Néri. J’espère, d'ailleurs, que cela n’arrivera jamais.

Premièrement, le fait que tous les groupes politiques ne puissent pas être représentés dans les instances de jugement ne me paraît pas être un élément de sérénité.

Deuxièmement, indépendamment de la stratégie choisie par l’accusé, il me semble être de l’intérêt de la justice qu’elle puisse être parfaitement éclairée. Je pense que la meilleure façon de le lui permettre est de l’autoriser à poser des questions à celui qui est mis en cause.

Dès lors, je ne comprends pas que, dans une situation aussi grave, on puisse envisager que le Président de la République n’aurait qu’à se faire représenter s’il ne veut pas se rendre devant la commission. Je trouve que c’est abaisser complètement l’institution que l’on est en train de créer. Pour juger si le Président de la République peut continuer ou non à exercer ses fonctions, ce qui n’est quand même pas rien, il faut une institution de justice très forte et très sereine.

C’est pourquoi il me semble important d’affirmer que le Président de la République mis en cause doit effectivement se présenter si la commission veut l’entendre, à partir du moment où les délibérations pourront aboutir à une décision, extrêmement grave, de destitution.

Je voterai donc l’amendement présenté par M. Anziani.

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Je veux simplement rappeler que, à ce moment de la procédure, une proposition de résolution aura déjà été jugée recevable par le bureau de l’une des deux chambres et votée, au-delà des majorités partisanes, par les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Puisque la procédure aura été jugée sérieuse par les deux chambres du Parlement, à la majorité des deux tiers, qui pourra dire qu’elle est fantaisiste, qu’elle ne repose sur rien et qu’elle est humiliante ? Et pourquoi, dans ces conditions, s’empêcher de demander des comptes à celui qui a été mis en cause ? Je n’arrive toujours pas à le comprendre. Le bon sens voudrait que l’on puisse entendre le Président de la République !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai l’impression que les explications données par les défenseurs de cet amendement ne correspondent pas à la rédaction de celui-ci.

Il est demandé que le Président de la République puisse, en quelque sorte, être convoqué par la commission. Néanmoins, le présent amendement prévoit seulement : « Le Président de la République peut être entendu soit à sa demande, soit à la demande de la commission. »

Je reconnais que cette rédaction est ambiguë, parce qu’elle pourrait laisser supposer une obligation. En tout état de cause, les propos qui ont été tenus ne sont, eux, pas ambigus : leurs auteurs estiment que la commission devrait pouvoir réellement entendre le Président de la République et, même, que celui-ci ne pourrait pas se faire représenter.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Or, d’une part, ce n’est pas ce que signifie la rédaction actuelle de l’amendement. D’autre part, ce serait tout à fait contraire à la Constitution elle-même, car nulle contrainte par corps ne pourrait être exercée sur un Président de la République qui refuserait d’être entendu par la commission parlementaire. Le Président de la République exerce pleinement sa fonction jusqu’au moment où il est destitué, s’il est destitué.

Par conséquent, il ne me semble pas possible de prévoir, dans le texte, une obligation, pour le Président de la République, de se présenter en personne. Au demeurant, si l’amendement ne vise pas à instaurer une telle obligation, c’est qu’il est rédigé de manière quelque peu ambiguë : l’utilisation du verbe « pouvoir » laisse supposer que c’est une simple faculté qui est ouverte… Mais, dans le même temps, dans la rédaction actuelle, on peut penser, au fond, que, si le Président de la République demande à être entendu, la commission ne peut le lui refuser, et que, si la commission demande à l’entendre, le Président de la République ne peut pas non plus le refuser.

M. Alain Anziani. Entre demander et exercer une contrainte par corps, il y a une différence !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je crois donc que l’adoption de cet amendement poserait, en réalité, beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait et que vouloir empêcher le Président de la République d’être représenté par quelqu’un qui pourrait exposer des arguments en faveur de sa non-destitution, c’est le priver d’un moyen de se faire comprendre par la commission.

Eu égard à son ambiguïté et au risque d’inconstitutionnalité de son dispositif, il me paraît y avoir de nombreuses raisons de rejeter cet amendement !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

Le rapporteur établit, dans les quinze jours suivant l’adoption de la résolution, un rapport écrit qu’il soumet à la commission. Après approbation de la commission, ce rapport est transmis à la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement a une ambition plus modeste que le précédent. Il tire simplement les conséquences de la désignation d’un rapporteur au sein de la commission.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission a estimé qu’il appartenait au bureau de la Haute Cour de prévoir ce genre de dispositions.

Par conséquent, son avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Article 5 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Article 7 (début)

Article 6

(Non modifié)

Les débats de la Haute Cour sont publics.

Outre les membres de la Haute Cour, peuvent seuls y prendre part le Président de la République et le Premier ministre.

Le temps de parole est limité, dans des conditions fixées par le Bureau de la Haute Cour. Le Président de la République peut prendre ou reprendre la parole en dernier.

Pour l’application des deuxième et troisième alinéas, le Président de la République peut, à tout moment, se faire assister ou représenter par toute personne de son choix.

Le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l’ouverture des débats.

La Haute Cour est dessaisie si elle n’a pas statué dans le délai d’un mois prévu au troisième alinéa de l’article 68 de la Constitution.

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Nous venons d’évoquer le bureau de la Haute Cour, en convenant qu’il fallait lui octroyer un certain nombre de pouvoirs.

Dans cet ordre d’idées, le présent amendement tend à donner au bureau, et à lui seul, le pouvoir de fixer le temps des débats devant la Haute Cour.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. Le texte prévoyant que la Haute Cour n’a que quarante-huit heures pour délibérer, il est peut-être préférable de limiter la durée des interventions.

L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer les mots :

ou représenter

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement procède de la même inspiration que celui qui a donné lieu à débat tout à l'heure.

J’insiste sur le point que nous avions alors évoqué : l’article 68 de la Constitution laisse-t-il place à l’hypothèse que le Président de la République n’est pas entendu personnellement par la Haute Cour ? Rien, ni dans le texte de cet article ni dans les autres dispositions de la Constitution, ne laisse imaginer que le Président de la République puisse ne pas être interrogé personnellement par la Haute Cour.

C’est donc nous qui allons préciser, au travers du projet de loi organique, que le Président de la République peut ne pas venir et qu’il peut demander à Mme Unetelle ou à M. Untel de bien vouloir le représenter. Le débat aura alors lieu entre, d’un côté, la Haute Cour, saisie de charges certainement importantes – je le rappelle, une majorité des deux tiers aura estimé la procédure sérieuse –, et, de l’autre, Mme Unetelle ou M. Untel. Pendant ce temps, le Président de la République pourra, finalement, se désengager. Or il est évident que, dès lors qu’il a manqué à ses obligations, il doit lui-même venir s’en expliquer !

Imaginons que, dans les procédures d’impeachment qui ont été engagées aux États-Unis, les présidents n’aient pu être entendus directement. Je pense que chacun d’entre nous se serait étonné d’une telle procédure ! Pourtant, c’est cette procédure que nous proposons d’instaurer pour notre propre République. Je trouve qu’elle n’est pas du tout convenable.

M. Alain Joyandet. Nous n’allons pas copier les Américains !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.

Je rappelle que la procédure que nous instituons n’est pas judiciaire. Dès lors, la comparaison avec le système américain de l’impeachment, qui est une procédure judiciaire, ne vaut pas.

Lorsque le Sénat des États-Unis se transforme en Haute Cour pour juger le président américain, il est présidé par le président de la Cour suprême fédérale. On est vraiment dans une procédure judiciaire. Le cas dont nous débattons ce jour est très différent. D’ailleurs, l’article 68 de la Constitution ne dit absolument rien sur ce point.

Au reste, de manière intéressante, le projet de loi organique prévoit que le Président de la République peut intervenir à plusieurs reprises et qu’il a le dernier mot. Dans ces conditions, même si la procédure est ramassée dans le temps, le Président de la République peut très bien ne pas être présent en permanence et se faire représenter.

Bien entendu, s’il juge qu’il a tout intérêt à s’exprimer, il le fera ! Cependant, il n’est pas cité à comparaître. Il lui appartiendra d’apprécier librement si son intérêt politique et personnel est d’assister en permanence aux travaux de la commission ou pas.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat, pour les raisons que j’ai déjà explicitées.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Je dois le dire, je suis quelque peu étonné par les propos de M. le rapporteur relatifs à la prise en compte de l’intérêt de la personne mise en accusation.

La représentation nationale est là pour défendre l’intérêt du peuple ! Sans cela, elle ne représente plus la nation. Dès lors, un problème fondamental se pose : doit-on comprendre de vos propos, monsieur le rapporteur, que le Président de la République est, d’une certaine manière, au-dessus des autres citoyens et que, mis en cause, il est libre de faire ce qu’il veut ?

Je rappelle que la décision de faire siéger la Haute Cour n’a pas été prise dans n’importe quelles conditions : elle émane des deux tiers, au moins, des membres du Sénat et des deux tiers, au moins, des membres de l’Assemblée nationale, donc de plus des deux tiers de la représentation nationale prise dans son ensemble. Comment envisager que celle-ci n’ait pas le droit de défendre les intérêts de la nation ? Si elle saisit la juridiction en vue d’une mise en cause, d’un jugement, voire d’une destitution du Président de la République, c’est bien parce que le comportement du chef de l’État pose un problème, et ce au regard du peuple de France.

Par conséquent, je ne comprends pas !

Monsieur le rapporteur, est-ce à dire que le Président de la République est une sorte de « monarque républicain », placé au-dessus de la loi, et que la représentation nationale doit se contenter d’un rôle quelque peu réduit ? Je ne suis pas de cet avis ! Rien, me semble-t-il, n’est au-dessus de la représentation nationale et du suffrage universel dans une république !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Je remercie M. Néri d’avoir suivi le débat de A à Z. Il a tout compris !

Monsieur Anziani, on ne peut pas contraindre le Président de la République à se présenter. C’est impossible dans la mesure où, vous le savez très bien, il existe un principe d’inviolabilité. Quant à lui interdire de se faire représenter, cela me paraît constituer, d’une certaine manière, une atteinte aux droits de la défense.

C’est une forme d’équilibre qui est installée en laissant la liberté de venir ou de ne pas venir, de se faire représenter ou pas au Président de la République qui, à ce stade, serait mis en cause. D’ailleurs, mieux vaut ne pas dire « accusé » – si l’on commence à employer des termes tirés de procédures judiciaires alors qu’il est question de tout autre chose… – et veiller aux mots que l’on utilise. Que certains m’excusent, mais, vraiment, il ne faut pas dire n’importe quoi !

Donc, croyez-vous qu’interdire au Président de la République de se faire représenter soit respectueux des droits de la défense ? En revanche, celui-ci aura tout intérêt à se présenter, s’il le souhaite évidemment, devant la commission ou devant la Haute Cour.

Le dispositif est selon moi équilibré, et je remercie M. Anziani d’avoir contribué à éclaircir le débat !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

Article 6 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
Article 7 (fin)

Article 7

(Non modifié)

L’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice est abrogée. – (Adopté.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution dans le texte de la commission.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 3 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 325
Contre 18

Le Sénat a adopté définitivement.

Article 7 (début)
Dossier législatif : projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution
 

17

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 22 octobre 2014, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

- Proposition de loi autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération (n° 782, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 33, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 34, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART