Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine, M. Jean-François Humbert.
suppression de 370 postes à aéroports de paris malgré des bénéfices en hausse
Question n° 629 de M. Michel Billout. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Michel Billout.
substances « extrêmement préoccupantes » dans des produits de grande consommation
Question n° 581 de M. Dominique Bailly. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Dominique Bailly.
création d'une filière d'auxiliaires de vie scolaire
Question n° 553 de M. Roger Madec. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Roger Madec.
déchets d'activités de soins infectieux provenant de malades soignés à domicile
Question n° 624 de Mme Aline Archimbaud. – Mmes Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; Aline Archimbaud.
maintien de l'unité d'oncologie pédiatrique à l'hôpital de garches
Question n° 636 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. – Mmes Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; Brigitte Gonthier-Maurin.
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
prise en charge médico-sociale des cancers en seine-saint-denis
Question n° 638 de M. Claude Dilain. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Claude Dilain.
prise en charge de l'autisme en région nord-pas-de-calais
Question n° 647 de M. Jean-Claude Leroy. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Jean-Claude Leroy.
service d'urgence sur le bassin d'agde
Question n° 653 de M. Robert Tropeano. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Robert Tropeano.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
Question n° 566 de Mme Michelle Demessine. – M. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Mme Michelle Demessine.
pour une amélioration de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires
Question n° 621 de Mme Marie-France Beaufils. – M. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Mme Marie-France Beaufils.
Suspension et reprise de la séance
infestation croissante de la châtaigneraie française par le cynips
Question n° 595 de M. Michel Teston. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Michel Teston.
avenir des zones de revitalisation rurale
Question n° 641 de M. Jean Boyer. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Jean Boyer.
propositions pour augmenter l'efficience des policiers municipaux
Question n° 613 de M. Louis Nègre. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Louis Nègre.
code confidentiel de suivi des points de son permis de conduire
Question n° 635 de M. Alain Gournac. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Alain Gournac.
Question n° 631 de Mme Catherine Morin-Desailly. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Catherine Morin-Desailly.
Question n° 599 de M. Jean-Claude Lenoir. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jean-Claude Lenoir.
financement des agences de l’eau
Question n° 655 de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Marie-Hélène Des Esgaulx.
avenir de l’industrie du bâtiment
Question n° 602 de M. Jean-Jacques Mirassou. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jean-Jacques Mirassou.
évolution de la couverture en matière de téléphonie mobile dans les zones rurales
Question n° 622 de M. Bernard Cazeau. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Bernard Cazeau.
vente aux enchères par téléphone
Question n° 627 de M. Patrice Gélard. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Patrice Gélard.
3. Modification de l’ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
4. Contrôleur général des lieux de privation de liberté. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : Mmes Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois ; Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. François Zocchetto, Mme Cécile Cukierman, M. Nicolas Alfonsi, Mme Esther Benbassa, M. Jean-René Lecerf, Mme Virginie Klès, M. Thani Mohamed Soilihi.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er A (nouveau). – Adoption
Mmes Nathalie Goulet, Aline Archimbaud.
Amendement n° 3 rectifié de M. Jean-René Lecerf. – M. Jean-René Lecerf, Mmes la rapporteur, Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 4 de la commission. – Mmes la rapporteur, Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Articles 2 à 7 et 8 (nouveau). – Adoption
M. Jean-Pierre Michel, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme la rapporteur.
Suspension et reprise de la séance
5. Simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Mme Cécile Cukierman, M. Stéphane Mazars, Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Jacques Hyest, François Zocchetto.
Suspension et reprise de la séance
6. Modification de l'ordre du jour
7. Liberté de choix des maires quant à l’organisation des rythmes scolaires. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi ; MM. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture ; Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale.
Mmes Françoise Cartron, Françoise Laborde, M. André Gattolin, Mmes Catherine Morin-Desailly, Brigitte Gonthier-Maurin, Colette Mélot, Maryvonne Blondin, M. Jean-François Husson, Mmes Françoise Férat, Esther Sittler.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Mme Danielle Michel, MM. André Reichardt, Hervé Maurey, Jean-Claude Lenoir, Claude Domeizel, Yves Daudigny, Mme Dominique Gillot, MM. Bruno Retailleau, Pierre Martin, Jacques-Bernard Magner, Vincent Delahaye, Alain Fauconnier, David Assouline, Mmes Françoise Cartron, Marie-Françoise Gaouyer, M. Jacques Chiron, Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture ; M. Jacques Legendre.
Amendement n° 2 de M. Jacques-Bernard Magner. – MM. Jacques-Bernard Magner, le rapporteur, le ministre. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 3 de M. Jacques-Bernard Magner. – MM. Jacques-Bernard Magner, le rapporteur, le ministre. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Amendement n° 4 de M. Jacques-Bernard Magner. – MM. Jacques-Bernard Magner, le rapporteur, le ministre. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
La suppression de tous les articles entraîne le rejet de l’ensemble de la proposition de loi.
8. Modification de l'ordre du jour
Mme Catherine Troendlé, M. le président.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Jean-François Humbert.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
suppression de 370 postes à aéroports de paris malgré des bénéfices en hausse
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, auteur de la question n° 629, transmise à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Michel Billout. Monsieur le ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les orientations stratégiques d’Aéroports de Paris, ADP, dont l’État est actionnaire largement majoritaire.
Le président du groupe ADP a annoncé en juillet dernier un plan de départs volontaires concernant 370 postes alors qu’en 2013 le bénéfice net prévu pour Aéroports de Paris s’élève à 280 millions d’euros. Plus globalement, depuis l’ouverture du capital d’ADP en 2006, 1 100 postes ont été supprimés alors que les bénéfices ont été multipliés par 2,2, ce qui a permis aux actionnaires de se partager 1,191 milliard d’euros de dividendes.
Entre 2006 et 2012, le nombre de passagers a progressé de 8 %, le chiffre d’affaires de 32 % et le bénéfice net de 78 %. La part des salaires dans la valeur ajoutée a, quant à elle, diminué de 17 % en six ans tandis que les dividendes n’ont cessé d’augmenter. En mai dernier, la part du résultat net reversé aux actionnaires est passée de 50 % à 60 %.
Le groupe ADP, au nom de la compétitivité, veut continuer d’alléger les dépenses de personnels qui augmentent mécaniquement avec l’ancienneté. Pour casser cette progression des coûts, le précédent président-directeur général s’était engagé en 2010 à réduire les effectifs de 10 % sur la durée du contrat de régulation économique 2011-2015. Une baisse de 1,7 % a été réalisée sous le précédent gouvernement. Aujourd’hui, l’objectif est de réduire les effectifs de 7 %. Les 370 suppressions de poste annoncées correspondent donc aux 5,3 % de baisse à réaliser d’ici à la fin de 2015. D’un point de vue mathématique, les chiffres sont cohérents.
La question de la répartition des richesses créées par le travail est ici clairement posée et renvoie au débat concernant le « coût du travail » et le « coût du capital ». Le refus de la direction d’ADP d’ouvrir des négociations sur l’augmentation des salaires et le maintien des postes est dans la logique de sa stratégie, qui est de privilégier les actionnaires au détriment des conditions sociales et salariales des employés.
Ces suppressions de poste sont d’autant moins acceptables que la santé des aéroports parisiens de Roissy et d’Orly est excellente : ces derniers ont en effet enregistré un nombre record de 90,3 millions de passagers en 2013, en progression de 1,7 % par rapport à 2012.
Dans ce contexte, quelles réponses l’État actionnaire entend-il donner aux revendications des salariés d’ADP concernant le maintien des emplois, l’augmentation des salaires et la lutte contre la précarité ?
À l’heure où le Gouvernement entend inverser la courbe du chômage et où la question du maintien dans l’emploi des seniors est posée, je souhaite obtenir des précisions sur la cohérence de la politique gouvernementale. Alors que le Gouvernement annonce vouloir mener une politique de création d’emplois, comment peut-il accepter qu’une entreprise dégageant d’importants bénéfices et dans laquelle l’État est actionnaire majoritaire continue de supprimer des postes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, qui a dû se rendre à des obsèques ce matin.
Il ne m’a pas mandaté, et le Gouvernement pas davantage, pour entamer avec vous un débat, qui aurait été fort intéressant, sur les revenus du capital et du travail. Néanmoins, je tâcherai de répondre précisément à vos préoccupations, que j’entends et que je comprends.
Les aéroports s’inscrivent dans une chaîne de transport comprenant d’autres acteurs essentiels tels que les compagnies aériennes et les services de la sécurité aérienne, notamment.
Les principales compagnies françaises traversent depuis maintenant plusieurs années une période difficile, caractérisée par des coûts élevés et des recettes en faible progression, voire en régression. Cette situation est le fait tant de la crise économique mondiale que de la concurrence très vive des transporteurs à bas coûts et des compagnies des pays du Golfe. Ces compagnies sont les principales clientes d’Aéroports de Paris. Je considère que les efforts fournis par les compagnies aériennes doivent être accompagnés par les aéroports, qui se portent plutôt bien dans l’ensemble, comme vous l’avez rappelé. Je suis par conséquent très attentif à ce que cela se traduise par une modération tarifaire des aéroports, laquelle se répercutera évidemment immédiatement sur les compagnies.
Néanmoins, Aéroports de Paris doit être attentif à sa propre compétitivité par rapport aux autres grands aéroports européens, à la fois pour les compagnies aériennes sur le court terme, mais également dans son intérêt sur le moyen et sur le long terme.
Par ailleurs, outre les aspects financiers, il est nécessaire pour ADP de renouveler son personnel et de procéder à des embauches sur des postes où les besoins sont réels, au-delà de ce que lui permettent les départs naturels à la retraite. Il s’agit donc de trouver un point d’équilibre entre ces différentes préoccupations.
Le plan de départs volontaires annoncé par Aéroports de Paris pour cette année porte sur 370 postes au maximum. Le Gouvernement a demandé que ce plan s’inscrive dans une stratégie de long terme visant à maintenir la dynamique des aéroports parisiens et leurs effets positifs sur les plans économique et social pour les territoires voisins.
En particulier, ce plan pluriannuel prévoit un recrutement significatif dans les filières accueil – 120 collaborateurs – et les métiers techniques et de maintenance – 60 collaborateurs –, qui contribuera à soutenir les efforts actuels de l’exploitant pour améliorer la qualité de service, élément central du contrat de régulation économique 2011-2015.
Dès le 1er février prochain, de nouveaux agents d’accueil aux origines diversifiées rejoindront ainsi l’entreprise. ADP ne recrutait plus dans ces métiers, et une réorientation de sa politique devenait nécessaire. Le plan de départs volontaires contribue, dans le contexte général évoqué, à favoriser le redéploiement des moyens.
La procédure d’information et de consultation avec les organisations syndicales a été engagée en octobre 2013 et se poursuivra jusqu’au mois de février prochain. Les négociations en cours s’inscrivent dans le cadre d’un dialogue social intense, mais aussi apaisé, avec l’engagement de discussions sur des sujets tels que l’égalité entre les hommes et les femmes ou la formation des personnels.
Monsieur le sénateur, si Aéroports de Paris a besoin de s’adapter pour préserver sa compétitivité, ainsi que ses performances en termes d’attractivité des plateformes aéroportuaires et de qualité de service, soyez assuré que le Gouvernement reste attentif et cherche à concilier la protection des emplois des seniors et le recrutement d’une nouvelle génération.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
J’avoue que votre tâche n’est pas facile. À l’heure où l’on nous annonce la création d’un pacte de responsabilité, l’État devrait à mon avis montrer l’exemple lorsqu’il est actionnaire majoritaire d’une entreprise qui se porte particulièrement bien. Or il ne paraît pas le faire ici puisque 1 500 emplois ont été supprimés depuis l’ouverture du capital d’ADP, sans signe d’amélioration.
Je peux comprendre qu’il y ait des changements de métiers au sein de l’entreprise. Mais là n’est pas la question puisque les suppressions nettes de poste évoquées s’accompagnent dans le même temps d’un recours accru à la sous-traitance, y compris via la présence de travailleurs détachés dans les aéroports parisiens.
Cette problématique n’est pas sans nous préoccuper. En tout état de cause, monsieur le ministre, elle fera certainement l’objet d’une prochaine question de notre part.
substances « extrêmement préoccupantes » dans des produits de grande consommation
M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 581, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Dominique Bailly. Monsieur le ministre, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la présence de substances « extrêmement préoccupantes » dans certains produits de grande consommation et sur l’information des consommateurs.
L’association de consommateurs UFC-Que Choisir a rendu publique dernièrement une enquête visant quarante produits de grande consommation contenant des matières plastiques ou du cuir, et susceptibles de contenir des substances « extrêmement préoccupantes », telles qu’elles sont définies par le règlement REACH, Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals.
Les analyses menées dans le cadre de cette enquête ont révélé la présence de ces substances dans neuf produits. Pour ne prendre qu’un exemple, un produit pour enfant contenait, notamment, un retardateur de flamme chloré – le SCCP, Short Chain Chlorinated Paraffins –, alors que cette substance est interdite.
Par ailleurs, alors que le règlement REACH oblige les professionnels à informer les consommateurs qui le demandent de la présence éventuelle dans leurs produits de plus d’une centaine de substances répertoriées comme « extrêmement préoccupantes », aucun des professionnels interrogés par l’UFC-Que Choisir n’a fait mention de ces substances. Dès lors apparaît un réel problème d’information des consommateurs.
Une intervention des pouvoirs publics me semble nécessaire. Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de mettre en œuvre afin, d’une part, de retirer du marché français les produits contenant les substances interdites et, d’autre part, d’améliorer à l’avenir la sécurité et l’information des consommateurs ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Philippe Martin, qui m’a chargé de vous apporter certains éléments de réponse.
La protection de la santé environnementale est un enjeu majeur pour le Gouvernement. C’est ce qu’a acté la première Conférence environnementale. Prévenir les risques sanitaires environnementaux doit être une préoccupation constante. Il s’agit notamment, vous l’avez rappelé, de mieux connaître les effets des substances chimiques, de mettre en place les évaluations de risque nécessaires, de développer la formation de tous les secteurs professionnels de la société et d’assurer l’information du public.
En Europe, un processus d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restriction des substances chimiques a été lancé en 2007. Il est fondé sur le règlement REACH du 18 décembre 2006. Le processus est long, mais il est essentiel, et la France fait partie des États actifs en la matière.
Le règlement REACH a défini des substances dites « extrêmement préoccupantes », qui présentent des caractéristiques intrinsèques de danger. Il s’agit, par exemple, des substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, des perturbateurs endocriniens ou encore des substances PBT, c'est-à-dire persistantes, bioaccumulables et toxiques.
Dans un premier temps, ces substances sont inscrites sur une liste candidate. L’inscription déclenche l’obligation pour les entreprises de notifier à l’Agence européenne des produits chimiques les usages de la substance, la présence de cette dernière dans des articles à des teneurs supérieures à 0,1 %, et d’informer les clients ainsi que les consommateurs qui en font la demande. Toutefois, cette inscription ne vaut pas interdiction.
Différentes procédures d’autorisation, de restriction ou d’interdiction stricte peuvent ensuite être appliquées à ces produits. Le SCCP que vous évoquez, monsieur le sénateur, n’était pas interdit au début de l’enquête de l’association UFC-Que Choisir ; son interdiction est intervenue récemment.
Soyez assuré que le Gouvernement propose lui-même de telles mesures chaque fois qu’il dispose d’informations suffisantes sur une substance. J’en veux pour preuve la proposition de restriction du bisphénol A dans les tickets thermiques que nous soutenons actuellement fortement.
Pour faire respecter ces obligations, des contrôles ciblés incluant des prélèvements en laboratoires sont effectués en coordination interministérielle. Nous allons intensifier ces contrôles.
Nous travaillons aussi en amont avec les industriels concernés afin de mieux répondre à leurs interrogations et de leur faciliter l’accès aux informations concernant leurs obligations. Un guide en ce sens a été élaboré par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Nous veillerons également à ce que l’information des consommateurs soit toujours mieux diffusée, et l’étiquetage mieux assuré.
M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Ma volonté était d’attirer l’attention du Gouvernement sur cette question. Il faut être vigilant, renforcer les contrôles, car, en ce domaine, la situation est évolutive : certains produits jusque-là autorisés se retrouvent interdits parce que leur nocivité a été découverte. Je remercie donc le Gouvernement de l’attention toute particulière qu’il porte à ce dossier.
création d'une filière d'auxiliaires de vie scolaire
M. le président. La parole est à M. Roger Madec, auteur de la question n° 553, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Roger Madec. Monsieur le ministre, depuis l’adoption de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, de nouvelles dispositions en matière d’accueil, de ressources, d’emploi ou encore d’accessibilité des personnes en situation de handicap ont été créées.
La principale innovation de cette loi, dans son volet éducatif, est d’affirmer que tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école de son quartier. Ainsi, des milliers d’enfants en situation de handicap fréquentent désormais l’école publique et ont pu recourir au dispositif des assistants de vie scolaire. Actuellement, ce sont plus de 28 000 assistants d’éducation qui exercent ces missions d’accompagnement. Cependant, ces emplois demeuraient à ce jour précaires et sans réel statut.
Le projet de reconnaissance et de revalorisation du métier des auxiliaires de vie scolaire, ou AVS, qui accompagnent les enfants en situation de handicap dans leur scolarité a été annoncé par le Premier ministre le 22 août dernier et s’inscrit dans le cadre plus vaste et très ambitieux du plan de refondation de l’école que vous portez, monsieur le ministre, avec force, vigueur et talent.
Cette évolution était, de l’avis de tous, nécessaire. En effet, la précarité du statut des auxiliaires de vie scolaire entraînait trop souvent des prises en charge courtes et sans suivi, peu propices à l’épanouissement des élèves en situation de handicap.
De plus, l’absence de formation de ces personnels, mis en difficulté de ce fait dans leur mission, constituait un risque supplémentaire d’échec scolaire pour les enfants en situation de handicap.
De nombreuses familles sont donc concernées par cette mesure qui pourrait fortement améliorer l’accompagnement des élèves en situation de handicap dans nos écoles.
Ces arguments militent avec force pour la création d’une filière d’auxiliaire de vie scolaire mieux reconnue et revalorisée.
Cela doit passer, à mon avis, tout d’abord par une pérennisation des emplois d’auxiliaire de vie scolaire. Ainsi, au terme de six années d’exercice en contrat à durée déterminée, les auxiliaires de vie scolaire se verraient proposer un contrat à durée indéterminée.
Cette mesure est gage de stabilité puisque les enfants pourront être accompagnés sur le long terme par les auxiliaires de vie scolaire qu’ils connaissent. Le métier d’auxiliaire de vie scolaire fera l’objet d’une nouvelle formation et d’un diplôme d’État. Les auxiliaires de vie scolaire seront donc enfin fidélisés, mieux formés, et reconnus dans leurs missions.
Enfin, il est prévu de recruter 8 000 auxiliaires de vie scolaire supplémentaires pour la rentrée 2014.
Monsieur le ministre, dans cette perspective, je souhaiterais connaître les conditions dans lesquelles ces recrutements seront réalisés ainsi que les modalités de titularisation dans l’emploi d’auxiliaire de vie scolaire. En outre, je vous demande de bien vouloir nous préciser quelles formations seront proposées à ces personnels et quelles mesures seront prises en faveur d’une école plus inclusive, permettant la réussite éducative de tous.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, le rôle de l’école de la République est effectivement, vous l’avez rappelé, d’accueillir et d’assurer la réussite de tous les élèves.
C’est l’ambition qui est portée par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, qui a intégré la notion d’école inclusive. C’est la première fois qu’intervient la reconnaissance de cette idée, et je remercie de nouveau le Sénat qui s’est beaucoup impliqué lors des débats parlementaires pour que ce soit le cas.
Je sais, monsieur le sénateur, que vous partagez aussi cette préoccupation en tant qu’élu parisien. Dans votre académie, 5 000 élèves handicapés sont actuellement scolarisés en milieu scolaire ordinaire et 3 000 le sont en milieu spécialisé. Chacun d’entre eux est suivi par un enseignant référent qui veille à la mise en œuvre du « projet personnalisé de scolarisation », pour reprendre le jargon en usage. Chaque enfant a un projet individuel et est suivi par un enseignant qui tient compte des souhaits de l’enfant dans un esprit de dialogue et d’écoute constante avec ses parents. Pour ces enfants, comme pour ceux qui sont issus de milieux plus difficiles, l’inclusion des parents dans le projet éducatif est l’une des clés indispensables du succès. Il y a ceux qui le font spontanément et il y a ceux qu’il faut aider.
Plus de 300 professeurs et plus de 1 000 auxiliaires de vie scolaire, à Paris, offrent chaque jour à ces enfants la joie d’apprendre à l’école. Je veux rendre hommage à leur action et saluer leur dévouement. Chaque fois que l’occasion m’est donnée d’assister, dans une école, au travail qu’ils accomplissent, j’en repars avec une très haute idée de la qualité des personnels de l’éducation nationale et du dévouement qui s’attache dans la fonction publique à l’exercice de tâches nobles.
Ces personnels contribuent à une réussite majeure – j’insiste sur cet adjectif – de l’éducation nationale. En effet, monsieur Madec, l’accueil que nous réservons à ces enfants ne relève pas de la charité. À chacun de nos déplacements dans les établissements scolaires, nous mesurons à quel point l’accueil des enfants en situation de handicap transforme la pédagogie elle-même : la façon de noter, de travailler par projet, de travailler en coopération, de s’attacher à la différence de chacun. Au final, l’ensemble des enseignants de l’équipe éducative et souvent les autres élèves nous disent que ces élèves en situation de handicap ont entraîné une pacification au sein de l’établissement, qu’ils ont modifié, transformé l’établissement lui-même et ont permis à tous de mieux travailler.
S’agissant plus particulièrement des auxiliaires de vie scolaire, vous avez vous-même rappelé que ces auxiliaires étaient, après six années de service, contraints de quitter leurs fonctions, sans possibilité d’être pérennisés dans leur emploi : c’était un scandale français !
Ces situations dramatiques, inacceptables pour eux, étaient intolérables pour les enfants qui perdaient les personnes les accompagnant depuis parfois un ou deux ans.
J’ai dénoncé à plusieurs reprises, devant votre assemblée comme devant l’Assemblée nationale, l’hypocrisie de ceux qui voulaient l’école inclusive mais n’y consacraient pas les moyens nécessaires et créaient des situations de gâchis humain intolérables.
Le gouvernement issu de la gauche s’est donc donné les moyens, au-delà des déclarations de bonnes intentions, de résoudre cette situation. À la suite du rapport de Mme Pénélope Komitès, nous avons pu proposer au Premier ministre, soutenus en cela par les différents ministères qui travaillent sur cette question – je pense en particulier à ceux de Marie-Arlette Carlotti et de George Pau-Langevin –, la « CDIsation », dès 2014, des AVS qui auront exercé pendant six ans sous le statut d’assistant d’éducation : ces personnes seront, à la fin de leur contrat, progressivement « CDIsées », c'est-à-dire qu’elles demeureront en fait dans leurs fonctions. Ces contrats à durée indéterminée concerneront 3 000 personnes dès cette année, et de 3 000 à 9 000 personnes dans les années qui viennent ; cela représentera au total, pour tous les AVS répondant à ces critères, plus de 28 000 CDI créés.
Toutefois, j’ai souhaité que des mesures transitoires soient prévues pour les AVS qui, en cours d’année, se trouveront en fin de contrat ; j’ai demandé que tous les contrats soient renouvelés jusqu’à la « CDIsation ».
Par ailleurs, nous avons engagé en faveur de ces personnels une démarche de validation des acquis de l’expérience permettant de valider un nouveau diplôme, en cours d’élaboration, relatif à l’accompagnement des personnes.
J’ajoute que la rémunération de ces personnels sera désormais indexée sur la grille de la catégorie C de la fonction publique.
Vous le voyez, nous sommes pleinement engagés dans cette action, qui est non pas de charité mais de justice. Je considère qu’il s’agit là d’un progrès pour l’école et sa refondation, qui sera toujours pédagogique. Une fois encore, je remercie les parlementaires qui, par leur investissement, nous ont aidés à obtenir cet arbitrage et à accomplir ce progrès d’ordre social : il peut y en avoir encore dans ce pays !
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse très complète, qui me satisfait pleinement ; je n’ai rien à ajouter.
déchets d'activités de soins infectieux provenant de malades soignés à domicile
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 624, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Aline Archimbaud. Madame la ministre, les déchets d’activités de soins infectieux, ou DASRI, provenant de malades soignés à domicile, lesquels sont de plus en plus nombreux, représentent un volume croissant de déchets. Leur nature est spécifique et leur traitement très encadré, car il s’agit de déchets contondants et à risque infectieux : aiguilles, lancettes test, stylos à injections, cotons souillés, etc.
Pendant des années, ces DASRI étaient collectés par des associations locales, souvent avec une mission d’insertion. Mais ces structures locales qui avaient permis de pallier un vrai besoin de « service public » ont progressivement renoncé à ces collectes de DASRI, du fait de leur faible capacité d’organisation à un niveau national.
L’éco-organisme DASTRI, financé par les producteurs de matériel de soins, a été créé depuis, et il lui a été demandé d’organiser l’ensemble de la filière, et donc la collecte, avant le 30 septembre 2013. Mais, entre l’interruption des collectes précédentes et le retard dans l’organisation de cette filière DASRI, les usagers se trouvent confrontés à un réel souci de stockage de ces déchets médicaux spécifiques.
Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour activer les délais de mise en œuvre de cette nouvelle filière de collecte des DASRI diffus ? En attendant, ne serait-il pas opportun d’organiser, dans chaque territoire, des opérations de déstockage des DASRI, comme celle qui est en cours à Saint-Etienne Métropole afin de réduire les risques de mise en déchets assimilés aux ordures ménagères, ou DAOM ? Il s’agit d’éviter que ces déchets dangereux ne partent dans les circuits classiques dévolus aux emballages qui ne présentent pas de risques infectieux.
Quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour irriguer l’ensemble du territoire français avec des points de collecte bien répartis géographiquement ? Dans quels délais ?
Enfin, comment comptez-vous inciter les pharmacies encore résistantes au nouveau dispositif à respecter cette nouvelle filière de collecte des DASRI, dans la mesure où leurs locaux répondent aux exigences des règles de stockage, et à participer à leur niveau au réseau des « pharmacies collectrices » ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la sénatrice, comme vous l’avez expliqué, l’éco-organisme DASTRI a été agréé le 12 décembre 2012 par les pouvoirs publics pour constituer la filière dite à « responsabilité élargie du producteur », ou REP, pour les déchets d’activités de soins à risques infectieux produits par les patients en auto-traitement.
Depuis le début de l’année 2013, cette filière s’attache à répondre aux objectifs fixés par son cahier des charges, dont le contenu a été défini par arrêté du ministre chargé de l’écologie et de moi-même.
Ce cahier des charges prévoit la constitution d’un réseau de points de collecte qui peuvent être des pharmacies d’officine. Vous vous êtes interrogée sur l’engagement et l’implication des pharmacies. Je veux vous rassurer sur ce point.
Le cahier des charges fixe des objectifs d’accessibilité et de proximité géographique puisqu’il prévoit un point de collecte pour 50 000 habitants et la possibilité pour chacun d’accéder à un point de collecte dans un rayon de quinze kilomètres. Ce réseau est actuellement en cours de consolidation.
Les services des ministères concernés, c’est-à-dire les miens et ceux du ministère chargé de l’écologie, ont défini, avec l’éco-organisme et les représentants des pharmaciens d’officine, les modalités du déploiement opérationnel du réseau de points de collecte.
Dans un premier temps, toutes les pharmacies qui assuraient jusqu’alors la fonction de point de collecte ont été sollicitées afin de savoir si elles souhaitaient intégrer ce réseau. Au 24 décembre 2013, 6 200 points de collecte avaient été identifiés par l’éco-organisme.
Depuis l’été dernier, les opérations de collecte ont permis à l’éco-organisme de collecter vingt-cinq tonnes sur l’ensemble du territoire national.
Des opérations de déstockage sont régulièrement organisées à la demande des pharmaciens. Par ailleurs, le réseau DASTRI a également accepté de collecter les DASRI perforants conservés par les patients en auto-traitement dans des emballages non conformes, tels que des bouteilles en plastique.
Mes services et ceux du ministère de l’écologie procèdent à des points d’étape réguliers afin de suivre l’avancée de la mise en place du réseau de points de collecte, en lien avec les agences régionales de santé.
Madame la sénatrice, vous le voyez, nous sommes mobilisés et, je le crois, sur la bonne voie.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui est précise. On sent qu’il y a un suivi et une impulsion régulière. Il semble que certains territoires soient encore en difficulté, mais votre réponse est encourageante, et nous devrions donc parvenir à une situation satisfaisante.
maintien de l'unité d'oncologie pédiatrique à l'hôpital de garches
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 636, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la ministre, je souhaite vous interpeller sur un dossier bien particulier, celui du maintien de l’unité d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches.
Cette unité, dans son mode de prise en charge des cancers pédiatriques, est unique en France, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, elle a la spécificité d’offrir à des enfants et des adolescents atteints de graves tumeurs une thérapeutique médicale fondée sur des soins cliniquement individualisés.
Pour ces jeunes patients et leurs familles, qui ont parfois subi un échec d’essai thérapeutique dans d’autres établissements, cette unité constitue donc une véritable chance, puisque le docteur Nicole Delépine et toute son équipe sauvent des vies.
D’autre part, cette unité donne aussi à ces jeunes patients et à leur famille la possibilité d’exercer réellement leur droit à un deuxième avis et au libre choix thérapeutique.
Les témoignages très nombreux de parents, de jeunes malades et d’associations de malades n’ont cessé de se multiplier à l’annonce de la fermeture prochaine de cette unité. Cette fermeture coïncide avec le départ en retraite, en juillet prochain, du docteur Delépine, qui est la véritable « matrice » de cette unité après trente années d’exercice.
Ces associations se sont mobilisées avant Noël, sous vos fenêtres, et de nouveau samedi dernier, devant le siège de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP.
En effet, malgré la signature d’un protocole d’accord entre l’AP-HP et le ministère de la santé en 2004 garantissant – on pouvait le penser – les conditions et les critères d’un fonctionnement pérenne de cette unité, la fermeture de cette dernière est aujourd’hui annoncée.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’existence de cette unité est remise en cause. Depuis la signature du protocole de 2004, l’unité a vu ses moyens grignotés par des suppressions de poste, la réaffectation à une autre spécialité de trois des treize lits prévus initialement et le non-remplacement d’un des médecins n’exerçant plus dans l’unité, mais figurant toujours dans l’effectif.
Aujourd’hui, face à l’indignation que suscite cette fermeture, le transfert des personnels vers le service pédiatrique de l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne est évoqué. Cet hôpital ne remplit pourtant pas les critères du protocole d’accord de 2004 nécessaires à l’établissement d’une unité de cancérologie pédiatrique.
Ce choix signifierait donc la disparition du mode de prise en charge et de traitement des enfants tel qu’il est pratiqué aujourd'hui dans l’unité d’oncologie pédiatrique de Garches.
C’est pourquoi, conformément au protocole d’accord de 2004, il me paraît tout à fait indispensable de renoncer à la disparition de cette unité d’oncologie pédiatrique et d’assurer sa pérennité au sein de l’hôpital Raymond-Poincaré, d’autant que, vous le savez, la relève est prête en vue de la poursuite de ce beau projet.
Je vous demande donc, madame la ministre, de « pérenniser cet espace de liberté et de créativité associées à un environnement [extrêmement] humain ».
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la sénatrice, l’organisation de la prise en charge des enfants atteints d’une pathologie cancéreuse est évidemment un enjeu majeur de santé publique qui justifie l’attention vigilante des pouvoirs publics.
En France, environ 2 400 jeunes, dont 700 adolescents, sont concernés. Cette activité fait l’objet d’une organisation spécifique et identifiée dans chaque région, à la suite de la publication des deux premiers plans cancer et des dispositions réglementaires régissant l’activité de traitement du cancer.
Vous le savez, le futur plan cancer sera annoncé par le Président de la République le 4 février prochain. Il prendra en compte les spécificités et besoins des enfants atteints de cancer.
Concernant la région d’Île-de-France, dont vous êtes l’élue, la prise en charge est organisée autour de centres de référence, de services spécialisés et d’établissements de santé qui permettent une prise en charge des enfants en relais. Cette organisation graduée est rendue possible grâce à l’implication forte et reconnue du réseau d’oncopédiatrie qui couvre l’ensemble du territoire francilien.
L’unité d’oncologie pédiatrique du pôle de pédiatrie du groupe hospitalier Raymond-Poincaré, Ambroise-Paré, Sainte-Périne de l’AP-HP, à Garches, prend en charge une vingtaine de jeunes patients par an. Le médecin responsable de cette unité part prochainement à la retraite.
Je peux néanmoins vous garantir, madame la sénatrice, la continuité de la prise en charge personnalisée des enfants au sein du même pôle de pédiatrie.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la ministre, je vous remercie des éléments que vous m’avez apportés. J’ai tenté de vous montrer, par mon propos, combien l’existence de cette unité d’oncologie pédiatrique avait un sens. Il s’agit, en quelque sorte, d’un établissement de la deuxième chance : il est identifié comme ayant sauvé des vies et évité des amputations grâce à des soins cliniquement individualisés dans des cas où d’autres établissements ont parfois pensé que plus rien ne pouvait être fait.
Mon inquiétude est grande de vous entendre me dire que la réponse se situe au sein d’un pôle. Dans le cadre de restrictions budgétaires que nous connaissons tous, on peut craindre que cette activité si spécifiquement organisée et individualisée ne finisse par être noyée et par disparaître. Le transfert vers l’hôpital Amboise-Paré a été évoqué : cet établissement n’est pas en mesure, me semble-t-il, d’assurer la pérennité du type d’activités menées aujourd'hui par le docteur Delépine.
C'est la raison pour laquelle je plaide résolument pour le maintien de cette unité au sein de l’hôpital de Garches.
(M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
prise en charge médico-sociale des cancers en seine-saint-denis
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain, auteur de la question n° 638, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Claude Dilain. Madame la ministre, ma question concerne la prise en charge médico-sociale des malades atteints de cancers dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Dans ce département, de 5 000 à 6 000 nouveaux cas de cancer sont détectés par an, le niveau de mortalité par cancer y étant supérieur de près de 30 % par rapport à Paris.
Il faut le souligner, plus de 50 % des patients de la Seine-Saint-Denis vont faire leur radiothérapie dans d’autres départements de l’Île-de-France, ce que l’on ne peut que regretter.
Pourtant, la Seine-Saint-Denis a développé une prise en charge psychosociale qui est spécifique à ce territoire et qui n’existe pas forcément ailleurs. Ainsi, le réseau Oncologie 93 effectue un travail particulièrement utile.
En Seine-Saint-Denis, pour une population de plus de 1,5 million d’habitants, l’offre de soins comprend seulement dix centres d’activité en chimiothérapie ambulatoire – le centre hospitalo-universitaire Avicenne assure 22 % de cette activité, contre 5 % par la clinique La Roseraie, 6 % par l’hôpital de Montfermeil et 4 % par la clinique de l’Estrée, dans le nord du département –, deux centres d’hématologie, dont un seul pour les auto-greffes au CHU Avicenne, et trois centres de radiothérapie : la clinique La Roseraie, le centre hospitalier de Montfermeil et l’IRHE, l’Institut de radiothérapie des hautes énergies, situé à Bobigny, préfecture de la Seine-Saint-Denis.
En comparaison, dans les Hauts-de-Seine, on compte cinq centres de radiothérapie pour une démographie à peu près équivalente.
Sur les 47 % des patients réalisant leurs soins en Seine-Saint-Denis, 29 % sont traités au CHU Avicenne, 13 % à l’hôpital de Montfermeil et 5 % à la clinique La Roseraie.
L’IRHE, au sein du CHU Avicenne, est aux normes de tous les critères d’agrément, avec une activité en 2012 de 926 patients représentant 1 181 traitements différents pour 18 764 séances de radiothérapie.
Il participe en outre à la formation universitaire au sein du CHU en assurant les cours de radiothérapie dans le cursus des formations au sein de l’UFR Léonard de Vinci.
Enfin, vingt-cinq personnes toutes hautement qualifiées travaillent dans cet établissement.
Cet hôpital est donc à la fois situé au centre du département, très fréquenté et le plus moderne des établissements de la Seine-Saint-Denis.
Madame la ministre, des menaces de fermeture semblent peser sur l’un des trois centres de radiothérapie, qui pourrait être l’IRHE. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point et nous indiquer les mesures destinées à améliorer encore le traitement des cancers en Seine-Saint-Denis ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, l’activité de radiothérapie dans votre département de la Seine-Saint-Denis, comme d’ailleurs sur l’ensemble du territoire national, doit évidemment garantir des soins sécurisés, de proximité et de qualité.
Des difficultés propres à ce département ont conduit l’agence régionale de santé d’Île-de-France à formuler deux objectifs spécifiques pour la période 2013-2017.
Le premier est la réduction des déplacements des patients nécessitant une prise en charge en cancérologie. Cela passe par une réflexion sur l’organisation globale de l’offre de soins en cancérologie et le positionnement de l’activité de radiothérapie au sein de celle-ci.
Le second objectif est la consolidation de l’offre en radiothérapie afin qu’elle réponde aux exigences réglementaires, ce qui suppose d’assurer la complémentarité et la coopération entre les sites de radiothérapie pour disposer de plateaux techniques plus solides et pérennes.
C’est pour mettre en œuvre ces objectifs que deux implantations de radiothérapie externe ont été prévues pour la Seine-Saint-Denis.
Actuellement, vous l’avez souligné, le département dispose de trois sites. Un site est public – le groupe hospitalier intercommunal du Raincy-Montfermeil – et les deux autres sont privés et situés à moins de trois kilomètres l’un de l’autre : le centre La Villette, installé dans les locaux de la clinique La Roseraie à Aubervilliers, et l’Institut de radiothérapie des hautes énergies, dépendant du groupe Générale de santé, et basé dans les locaux du CHU Avicenne de l’AP-HP à Bobigny.
L’organisation autour de deux sites répond à la fois à des exigences de sécurité sanitaire, de démographie médicale, mais également de qualité de la prise en charge pour les malades, avec des équipes médicales et soignantes expérimentées et solides.
La procédure de discussion avec les trois établissements est lancée ; elle est loin d’être terminée.
Monsieur le sénateur, je connais votre engagement en vue de la garantie d’une offre de soins de qualité à l’ensemble des habitants de votre territoire. Il ne s’agit absolument pas, je vous l’assure, d’aboutir à une baisse de l’offre globale de soins dans votre département.
Le Président de la République réaffirmera, à l’occasion de la présentation du plan cancer le 4 février prochain, sa volonté, mise en œuvre par le Gouvernement, d’assurer une prise en charge de qualité et égale pour tous sur l’ensemble du territoire. C'est à cela qu’ensemble nous travaillons, notamment pour la Seine-Saint-Denis.
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Madame la ministre, je peux comprendre qu’il puisse n’y avoir que deux centres dans le département.
Toutefois, je souhaitais attirer votre attention sur le fait qu’il serait très dommageable de fermer l’IRHE, qui, s’il a certes un statut privé, est très intégré, géographiquement et fonctionnellement, au CHU Avicenne et constitue le fleuron de la prise en charge des cancers dans le département.
prise en charge de l'autisme en région nord-pas-de-calais
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy, auteur de la question n° 647, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Jean-Claude Leroy. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la prise en charge de l’autisme dans la région Nord–Pas-de-Calais.
Une convention signée par les départements du Nord et du Pas-de-Calais fait de l’autisme l’une de leurs priorités communes. Leur volonté est de mettre en place rapidement des mesures concrètes afin d’améliorer le dépistage précoce, la prise en charge, la communication sur les places d’accueil existantes et la formation des professionnels du secteur médico-social.
Grande cause nationale en 2012, l’engagement pour une meilleure prise en charge de l’autisme a été réaffirmé par le Gouvernement dans le troisième plan autisme, qui couvre la période 2013-2017. L’autisme et les troubles envahissants du développement constituent aujourd’hui un enjeu prioritaire de santé publique.
Un certain nombre d’initiatives ont ainsi déjà été prises dans le Pas-de-Calais, comme le renforcement des interventions des professionnels de la protection maternelle et infantile, la PMI, formés à cet effet afin de repérer d’éventuels troubles chez les enfants. Un projet de diagnostic précoce de l’autisme par les équipes de la PMI est également expérimenté sur les territoires de Lens-Liévin et d’Hénin-Carvin, en vue d’une extension au niveau régional.
Par ailleurs, dans le cadre de sa compétence pour la prise en charge sociale et médico-sociale des personnes handicapées adultes, le département du Pas-de-Calais a inscrit l’autisme comme handicap spécifique dans le schéma départemental du handicap pour la période 2011-2015.
Il s’agit ainsi d’apporter des réponses adaptées aux besoins et de trouver des solutions d’accompagnement innovantes avec l’appui des pouvoirs publics.
Les deux départements se sont également engagés aux côtés de l’agence régionale de santé pour la mise en place du programme régional autisme. Ils agissent donc activement pour le dépistage de l’autisme, pour la sensibilisation des structures d’accueil et de prévention, pour le soutien actif au centre ressources autisme et pour la proposition d’accompagnements adaptés.
Or, alors qu’elle représente 6,2 % de la population nationale, la région se verrait allouer seulement 4,5 % du montant total des crédits du plan national autisme 2013-2017, soit 7,1 millions d’euros.
Cette somme semble insuffisante au regard de l’implication des deux départements dans la prise en charge de l’autisme. En outre, l’application du critère de répartition de la population devrait conduire à l’attribution d’un montant de 9 millions d’euros.
Aussi, madame la ministre, pouvez-vous envisager de revaloriser le montant des crédits alloués à la région Nord-Pas-de-Calais dans le cadre du plan national autisme et, ainsi, accompagner les acteurs locaux, à savoir les départements du Nord et du Pas-de-Calais, dans leur démarche volontariste ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, le plan autisme 2013-2017, adopté lors du conseil des ministres du 2 mai dernier, démontre la volonté très forte du Gouvernement de répondre aux besoins des personnes concernées et de leurs familles. Cette volonté rejoint celle de votre région.
Le troisième plan autisme est doté de 205 millions d’euros et programme une action volontariste en matière de formation, de scolarisation et d’emploi. Sur ce budget global, 195 millions d’euros sont dédiés à la création de places dans des établissements et des services médico-sociaux. Dans un contexte contraint pour nos finances publiques, cet engagement témoigne de la priorité que nous accordons à l’accompagnement des personnes souffrant d’autisme.
Monsieur Leroy, vous vous interrogez sur la manière dont sont répartis ces crédits, en soulignant que leur attribution ne serait pas proportionnelle à la population.
En réalité, cette répartition est réalisée, comme le prévoit le code de l’action sociale et des familles, sur la base de critères approuvés par le conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. En vertu de ces critères, 50 % des crédits de l’enveloppe sont alloués proportionnellement à la population de la région, 30 % sont attribués de manière inversement proportionnelle au taux d’équipement et 20 % le sont de manière inversement proportionnelle à la dépense médico-sociale décaissée par l’assurance maladie, en euros par habitant.
Il ne s’agit absolument pas de nier l’engagement fort de la région Nord-Pas-de-Calais auprès des personnes souffrant d’autisme. Au reste, je sais votre préoccupation en la matière et votre attachement à une prise en charge satisfaisante de ces personnes.
Concrètement, la volonté du Gouvernement est d’assurer un rattrapage en termes d’offre disponible sur l’ensemble des territoires. Il s’agit, à terme, de permettre à toute personne autiste de pouvoir accéder à une offre d’accompagnement à proximité de chez elle, dans une démarche de justice et de solidarité avec des régions jusqu’ici mal dotées.
Sur cette base, la circulaire interministérielle du 30 août dernier a prénotifié les crédits. Pour compléter votre information, je tiens à vous préciser que ne sont pas comprises dans cette prénotification les « unités d’enseignement en maternelles », qui s’inscrivent en dehors de la ventilation habituelle des crédits médico-sociaux puisqu’elles font l’objet d’une programmation conjointe avec l’éducation nationale.
Monsieur le sénateur, notre action s’inscrit donc dans une démarche de solidarité territoriale, qui ne nie pas l’engagement fort de votre région, lequel peut être soutenu par d’autres voies et par d’autres moyens.
service d'urgence sur le bassin d'agde
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano, auteur de la question n° 653, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Robert Tropeano. Madame la ministre, ma question concerne l’accès aux services d’urgence pour les populations résidant sur le bassin d’Agde, dans le département de l’Hérault.
Agde est une ville de 25 000 habitants, dotée d’un hôpital inauguré en 2006, qui s’inscrit dans un bassin de santé comptant au moins 50 000 habitants. Durant la saison estivale, cette population atteint 200 000 habitants. Pourtant, cette commune ne possède pas de services d’urgence.
Cette situation a nécessité la mise sur pied d’une organisation. Ainsi, du mois d’avril à la mi-octobre, une antenne du service mobile d’urgence et de réanimation, le SMUR, est mise en place. En outre, la direction des hôpitaux du bassin de Thau, dont dépend l’hôpital d’Agde, a développé ce que l’on appelle une « consultation non programmée », avec des médecins urgentistes, des infirmières et un plateau technique, comprenant radio, scanner et laboratoire de biologie.
Cette consultation s’apparente à un service d’urgence, sauf que celui-ci est fermé la nuit, les week-ends et les jours fériés. Les populations du territoire sont donc contraintes de se tourner vers les structures hospitalières de Sète ou de Béziers. Or, si le temps nécessaire pour rejoindre ces services d’urgence avoisine les trente minutes en hiver, il peut atteindre deux heures durant l’été.
Le choix retenu par l’agence régionale de santé d’ouvrir un centre de secours dans une clinique située à Pézenas, ville de 8 500 habitants, devait répondre aux besoins d’accès à un service d’urgence des hauts cantons héraultais. Or il s’avère que les populations de ces hauts cantons se rendent dans les communes de Bédarieux ou de Lodève, plus proches et plus facilement accessibles, compte tenu du développement et de l’amélioration des infrastructures routières et autoroutières.
Aussi, madame la ministre, je souhaite que la situation puisse évoluer favorablement et qu’un service d’urgence soit véritablement mis en place à Agde pour remédier à la carence, d’autant que cette commune dispose d’un plateau technique parfaitement adapté.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, vous m’avez interpellée sur la situation en matière de santé du bassin d’Agde, dans l’Hérault, et en particulier sur la question tout à fait essentielle de la prise en charge des urgences.
Je veux d’abord vous répéter l’engagement du Gouvernement en faveur des soins de proximité. Vous le savez, j’ai engagé voilà maintenant un an le pacte-territoire santé, une politique qui doit permettre d’apporter des réponses de proximité à l’ensemble de nos concitoyens. J’aurai l’occasion très prochainement de dresser un premier bilan de cette politique.
Dans ce pacte territoire-santé est prévu un ensemble de mesures devant garantir que chaque Français peut bénéficier d’un accès à des soins urgents en moins de trente minutes, conformément à l’engagement du Président de la République.
Cela dit, le bassin d’Agde présente une particularité : celle de voir sa population multipliée par dix en période estivale puisque la ville peut alors compter jusqu’à 200 000 habitants.
Plusieurs réponses à la prise en charge des urgences existent déjà à Agde. Ainsi, l’établissement d’Agde offre un « accueil non programmé », une maison médicale de garde et une antenne SMUR saisonnière. La prise en charge des populations d’Agde repose également sur l’offre de soins hospitaliers et ambulatoires situés à Sète. Toutefois, l’accès à ces derniers peut se révéler difficile, notamment l’été, en raison de la densité de la circulation.
Monsieur le sénateur, nous avons déjà été interpellés sur la situation particulière d’Agde en matière de santé. Je pense en particulier à l’intervention du député Sébastien Denaja, qui, de la même manière que vous ce matin, avait attiré notre attention sur ce point.
Pour satisfaire ces demandes, un renforcement significatif de la réponse aux besoins de la population a été prévu par la mise en place et le financement de l’extension en année pleine de l’antenne SMUR positionnée à Agde. Ces mesures permettent que des soins urgents puissent être délivrés en moins de trente minutes, hiver comme été, à l’ensemble de la population d’Agde.
Je me réjouis que nous ayons ainsi apporté des réponses positives aux besoins de cette population.
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui nous a totalement rassurés.
Il est vrai que la possibilité d’accès à un service d’urgence préoccupe énormément les habitants du bassin d’Agde. En témoignent la pétition en ce sens, qui a recueilli 10 000 signatures, et la mobilisation des élus d’Agde, Bessan, Florensac, Marseillan et de Vias.
Les paramètres ayant conduit à favoriser l’attribution d’un service d’urgence à deux autres cliniques au détriment d’un hôpital public doivent être réétudiés. Par ailleurs, les décisions prises doivent être cohérentes avec le nombre d’habitants concernés et l’affluence routière en été, points que vous avez soulignés.
Ce sont 50 000 habitants permanents qui, après minuit, ne peuvent accéder aux services d’un médecin avant le matin suivant ! Une telle situation n’est pas acceptable.
Madame la ministre, je vous remercie une nouvelle fois de votre réponse, dont je ne manquerai pas de faire part aux habitants ainsi qu’aux agents de l’hôpital de la commune d’Agde.
(M. Jean-Claude Carle remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
vice-président
reconnaissance du statut d'ancien combattant aux anciens casques bleus de la force intérimaire des nations unies au liban
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 566, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, depuis la fin de la guerre d’Algérie, la participation de la France à la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, a été l’opération la plus meurtrière pour les soldats français.
En effet, depuis la création de la FINUL, 158 militaires français ont perdu la vie au Liban, parmi les 296 casques bleus qui y sont morts.
Après l’invasion par Israël du Sud-Liban en 1978, les soldats français ayant participé à la FINUL ont permis de protéger les populations civiles et d’assurer l’engagement de la France pour la paix, en vertu de sa responsabilité de membre du Conseil de sécurité des Nations unies.
Parmi ces soldats, on dénombrait notamment des appelés du contingent volontaire qui, en avril 1982, sur décision de François Mitterrand, ont constitué le 420e détachement de soutien logistique, ou DSL, pour prendre la relève des troupes professionnelles de la 11e division parachutiste.
À la suite d’une nouvelle invasion du Liban par Israël en 1982, ces engagés volontaires, pour la plupart âgés d’une vingtaine d’années, se sont retrouvés dans le tourbillon de l’Histoire, dans une situation particulièrement périlleuse, sous la menace des forces d’occupation israélienne et de leurs milices.
Or ces anciens soldats français se sentent aujourd'hui délaissés par la réglementation en cours, qui ne leur reconnaît pas le statut d’ancien combattant. Ils ont ainsi le sentiment de ne pas être honorés au même titre que ceux qui se sont engagés pour la France sous le feu d’autres théâtres d’opérations.
Ce sentiment d’injustice tient aux conditions restrictives et aux courtes périodes pour lesquelles les unités de la FINUL sont reconnues combattantes.
Monsieur le ministre, je tiens à saluer sincèrement votre action permettant une reconnaissance plus large et plus juste du statut d’ancien combattant. Je me félicite de l’extension de la carte d’ancien combattant à tous ceux qui ont accompli quatre mois de service durant la guerre d’Algérie, dans le cadre de la loi de finances pour 2014. De même, j’ai noté avec une grande satisfaction votre volonté d’étendre ce critère des quatre mois à tous les militaires ayant servi dans des opérations extérieures, exprimée lors de la séance du 4 novembre dernier à l’Assemblée nationale.
Néanmoins, lors de cette même séance, vous avez affirmé vouloir avancer pour permettre aux soldats de la FINUL de pouvoir bénéficier de la carte du combattant. Quels nouveaux critères envisagez-vous de mettre en place pour que ces soldats puissent disposer de cette carte, et dans quels délais ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Madame la sénatrice, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer à nouveau sur ce sujet, ainsi que je l’avais fait lors des débats budgétaires.
Vous le savez, l’accès des militaires en opérations extérieures, ou OPEX, à la carte du combattant est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, au regard du devoir de reconnaissance qui est le nôtre vis-à-vis des femmes et des hommes ayant défendu et continuant de défendre les valeurs de la France dans le monde.
Cette réflexion est d’autant plus légitime qu’elle s’inscrit dans le contexte de l’évolution globale des missions de nos armées et de la nécessaire prise en compte des conditions dans lesquelles nos militaires exercent, au-delà de nos frontières, ce qui est désormais leur métier.
Je vous remercie d’avoir rappelé qu’un travail approfondi a d'ores et déjà été mené pour adapter les textes à cette nouvelle réalité.
D’abord, le décret et l’arrêté du 10 décembre 2010 ont permis d’élargir la définition des unités combattantes, en établissant des critères adaptés aux conflits contemporains. Dans la même logique, l’arrêté du 28 juin 2012 a permis d’allonger la liste des opérations extérieures ouvrant droit à la carte du combattant, afin de couvrir notamment plusieurs missions des Nations unies. Puis, l’arrêté du 20 septembre 2013 a permis de reconnaître comme combattantes l’ensemble des unités engagées en Afghanistan et au Rwanda.
Par ailleurs, en vertu de la nouvelle loi de programmation militaire, ce sont désormais toutes les opérations extérieures qui seront reconnues comme ayant de fait vocation à ouvrir droit à la carte du combattant.
Cette démarche volontariste porte aujourd’hui ses fruits, et les résultats sont au rendez-vous, compte tenu de l’augmentation exponentielle du nombre de cartes du combattant attribuées, passées de 3 600 en 2011 à plus de 16 300 en 2013, soit une augmentation de 150 % entre 2011 et 2012 et de 80 % entre 2012 et 2013.
Pour autant, la situation actuelle, imparfaite, n’est pas satisfaisante. L’examen par le SHD, le service historique de la défense, de tous les journaux de marches et d’opérations est un travail fastidieux. Réalisé en priorité sur les OPEX les plus récentes, il laisse encore en attente une série d’opérations plus anciennes.
En outre, les critères plus souples que j’ai évoqués ne s’appliquent pas de manière rétroactive. C’est ainsi que certaines compagnies du 420e DSL n’ont pu – faute d’éléments attestant une exposition au feu suffisante et sur la base des critères de l’époque – être reconnues combattantes que du 31 mai au 27 juillet 1980 et du 14 août au 12 septembre 1986.
Je mesure, comme vous, l’attente de ces militaires qui, comme d’autres, souhaiteraient voir le cas de leurs unités étudié une nouvelle fois par le SHD.
Dans le contexte d'une charge de travail déjà très lourde pour ce service, je pense que la solution est à trouver dans une simplification des démarches plutôt que dans leur alourdissement.
C’est pourquoi, comme je l’ai déclaré le 4 novembre dernier à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du projet de loi de finances, je suis favorable à une réflexion sur l’évolution des critères d’attribution de la carte du combattant au titre des opérations extérieures afin d'en simplifier et d'en clarifier le processus, cela dans un double souci d’efficacité et d’équité.
À cet égard, j’ai demandé à mes services d’examiner les conditions de faisabilité d’une application à toutes les opérations extérieures d’un critère uniforme de quatre mois de présence, tel qu’il existe aujourd’hui dans le cas des opérations effectuées en Algérie, en Tunisie et au Maroc.
Cet examen, actuellement en cours, se poursuivra dans les mois qui viennent en tenant compte de l’impact financier potentiel, non seulement sur la carte du combattant, mais aussi sur le budget lié aux autres droits ouverts aux détenteurs de la carte que sont la retraite mutualiste et la demi-part fiscale.
Madame la sénatrice, si le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions de la loi de finances initiale qui prévoyaient l’élaboration d’un rapport sur cette question, sachez que cette décision n’aura pas pour autant d'impact sur la démarche engagée par mon ministère, et je vous tiendrai informée de l’issue de notre initiative dès que cela me sera possible.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse argumentée, qui montre la mobilisation de votre ministère sur ce qui constitue, pour ces soldats, une véritable injustice. J’espère que l'on pourra rapidement trouver une solution au problème.
pour une amélioration de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 621, adressée à M. le ministre de la défense.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, il aura fallu plus de huit ans de combat des associations – l’association des vétérans des essais nucléaires et Mururoa e Tatou, en particulier – ainsi que, depuis 2003, de nombreuses propositions de loi pour que, enfin, une loi reconnaisse les conséquences des essais nucléaires, mais malheureusement sans indemniser à la hauteur des préjudices subis tous ceux qui ont réellement souffert de ces tragiques expérimentations.
Il aura fallu plus de quatre ans depuis le vote de cette loi pour que quelques avancées soient enfin actées, récemment. Le temps passe et les victimes des essais nucléaires disparaissent. Dans mon département, les deux présidents successifs de l'AVEN, André Mézières et Michel Giboureau, ardents défenseurs d’une loi de reconnaissance et d’indemnisation, nous ont quittés. C’est leur combat qui a permis ces avancées.
Telle est la raison de ma question, monsieur le ministre : 13 indemnisations accordées pour 880 dossiers traités, cela représente un véritable fiasco pour la loi !
Ce sont non seulement les associations qui vous ont signalé que cette loi ne fonctionnait pas, mais aussi différents rapports, celui du contrôle général des armées et de l’Inspection générale des affaires sociales, fait à la demande de M. le ministre de la défense, qui analyse les procédures et les modalités d’application du dispositif, et ceux du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Certaines préconisations ont été retenues, comme la transformation du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, en autorité administrative indépendante, l’extension du périmètre géographique du dispositif d’indemnisation pour la Polynésie française, ou la déclassification de documents militaires liés aux essais nucléaires, ce dont nous nous félicitons.
Tout cela nous semble aller dans le bon sens pour que les victimes des essais nucléaires puissent enfin être indemnisées. Mais cela sera-t-il suffisant ? Nous en doutons fortement.
D’autres améliorations pourraient être apportées dans le cadre de la commission consultative de suivi, qui doit se réunir chaque année. Nous attendons également la possibilité d’associer des médecins reconnus par les associations aux travaux du CIVEN, comme vous-même l’avez annoncé ici. Ce serait un pas important pour la défense des dossiers des demandeurs.
Mais refuser de reconnaître la stricte prise en compte de la présomption de causalité entraînera les mêmes difficultés. Faire sauter ce verrou serait la seule façon de redonner aux victimes des essais nucléaires l’espoir de voir leurs dossiers enfin reconnus. La dosimétrie ne peut être l’élément déterminant pour l’ouverture de ces droits.
La notion de « risque négligeable » calculée par un logiciel qui n’était pas destiné à l’origine à cette fin est la source de nombreux contentieux – les tribunaux administratifs le rappellent régulièrement. Je voudrais être certaine que ce logiciel ne sera plus l’élément déterminant dans la décision et, comme vous l’avez rappelé, qu’il n’empêche en rien l’examen individuel des dossiers. C’est bien l’approche humaine qui est à privilégier.
La présomption stricte et l’indemnisation de tous les demandeurs qui remplissent les conditions de lieu, de date et de maladie prévues par la loi ne seraient que justice ! Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? Vous connaissez comme moi la santé fragile de nombreux vétérans ! Sur les 10 millions d'euros budgétés, seuls 266 284 euros ont été consommés en 2012…
Je vous demande donc, monsieur le ministre, comment vous comptez lever les obstacles afin que les victimes des essais nucléaires puissent enfin reprendre espoir. Il y va, me semble-t-il, à la fois de la crédibilité des parlementaires qui ont approuvé le texte de loi actuellement en vigueur et de celle du Gouvernement, singulièrement du ministère.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Madame la sénatrice, comme j'ai déjà eu ‘occasion de le constater devant le Sénat, le 7 janvier dernier, lors du débat de contrôle de l'application des lois sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, le dossier que vous évoquez est complexe.
Il est complexe parce que, tout d’abord, il n’y a aucune cohérence dans les chiffres. Je vais vous donner les miens : au 1er janvier 2014, le Comité d’indemnisation avait reçu 880 dossiers dont 726 étaient complets ; parmi ceux-là, seuls 503 satisfaisaient aux critères de lieu, date et maladie prévus par la loi. Je n’ai pas trouvé trace des 5 000 dossiers indemnisables dont vous faites état…
M. le ministre de la défense a rencontré les associations à plusieurs reprises lors des commissions consultatives, leur demandant expressément d’inciter leurs adhérents à déposer des dossiers. Entre-temps, sur les 503 dossiers recevables, 13 indemnisations ont été proposées. C’est peu, mais le dispositif fonctionne.
En outre, ces indemnisations sont fondées sur une étude approfondie, au cas par cas, réalisée par d’éminents spécialistes. Elles sont donc pour l’instant peu nombreuses, mais justes.
Complexe, le dossier l’est aussi parce qu’un même dispositif mêle aujourd’hui deux notions pourtant distinctes : la reconnaissance et l’indemnisation.
Il est important que, indépendamment de toute maladie, l'on puisse témoigner de la reconnaissance aux personnes qui ont participé aux essais nucléaires. Jean-Yves Le Drian a écrit dans ce sens au Grand chancelier et attend sa réponse.
Il est non moins important que les personnes qui souffrent aujourd’hui d’une maladie radio-induite du fait de leur exposition à des radiations lors des essais nucléaires français, puissent être indemnisées. Aussi, le ministre a pris de nombreux engagements afin d’améliorer le dispositif actuel et a demandé que le périmètre de la loi intègre désormais toute la Polynésie, ce qui engendrera certainement des demandes supplémentaires et, peut-être, de nouvelles propositions d’indemnisation.
Enfin – et peut-être surtout –, le sujet est complexe, car il confronte la souffrance de personnes atteintes d’un cancer à la réalité scientifique de la radioactivité. Le dispositif mis en place repose sur des données scientifiques sérieuses, reconnues par la communauté internationale. La méthode adoptée s’appuie sur les méthodologies recommandées par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Au surplus, comme je vous l’ai rappelé, chaque dossier est étudié par un comité composé de personnalités reconnues, notamment de médecins désignés sur proposition du Haut Conseil de la santé publique.
Le comité d’indemnisation travaille en toute indépendance et en toute transparence, et l'on ne peut remettre en cause ses décisions sans remettre aussi en cause des réalités scientifiques, notamment celles qui sont liées à la radioactivité.
Pour aussi abstraite et impalpable que soit la radioactivité, elle a un caractère de réalité scientifique factuelle, mesurable et quantifiable. Seuls des professionnels peuvent aujourd’hui juger du lien de cause à effet entre les maladies dont souffrent certains vétérans des essais et leur éventuelle exposition aux radiations, et c’est tout le travail du comité d’indemnisation.
La loi de programmation militaire donnera encore plus d’indépendance et, je l’espère, encore plus de crédibilité à ce comité, auquel nous souhaitons renouveler une fois encore notre confiance et qui évoluera conformément aux souhaits émis par les associations ainsi qu’aux demandes formulées par les parlementaires, députés et sénateurs, qui ont travaillé sur ce sujet, comme vous l'avez rappelé à juste titre. Le débat de contrôle sur le rapport de vos collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, qui a eu lieu devant la Haute Assemblée et que j'ai évoqué en introduction, s’en est fait l’écho.
Croyez-moi, madame la sénatrice, nous avons écouté les associations dans un souci de dialogue et de concertation, ainsi que les parlementaires ; nous avons entendu les demandes des uns et des autres et n’avons pas ménagé nos efforts pour que la reconnaissance des vétérans et l’indemnisation des victimes puissent être une réalité, dans le cadre d’un dispositif juste et conforme au droit. Sachez que ce travail sera poursuivi.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, votre réponse est en effet conforme aux échanges que nous avons eus ici même au début du mois. Mais ce qui vient de se passer au tribunal administratif de Bordeaux montre que les progrès sont encore difficilement perceptibles. Si en effet le tribunal a fait droit aux demandes de certaines personnes, le représentant du ministère a encore défendu des positions qui semblent peu conformes à vos déclarations.
J’insisterai particulièrement sur l'utilisation de la dosimétrie : celle-ci ne saurait être un outil d'analyse puisque les dosimètres étaient très peu utilisés durant les périodes de présence sur les lieux exposés – on le voit bien en discutant avec les anciens qui ont connu ces essais nucléaires, notamment en Algérie.
La dosimétrie ne peut donc être un élément d'approche pertinent. C'est pourquoi j’insiste beaucoup sur les lieux, les dates, qui sont des éléments bien plus importants que cet outil qui, malheureusement, n’était pas utilisé efficacement par les appelés concernés.
Des avancées ont eu lieu – je les ai citées –, mais les attentes restent fortes. Je vous l'ai dit, les deux présidents successifs de l'AVEN en Indre-et-Loire sont déjà décédés, le dernier à la veille de la décision juridique le concernant…
Il s'agit d'un grave problème humain sur lequel je vous demande de maintenir toute l'attention qu’il mérite afin que l’on aboutisse à la solution de ces problèmes.
M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la question suivante, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
infestation croissante de la châtaigneraie française par le cynips
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 595, adressée à M. le ministre l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
M. Michel Teston. Monsieur le ministre, le cynips du châtaignier est un insecte parasite originaire d’Asie qui est apparu en France en 2007 et qui s’est depuis lors propagé à la majeure partie de la châtaigneraie française.
D’abord confinée aux Alpes-Maritimes, l’infestation de la châtaigneraie progresse régulièrement depuis 2010. Cette année-là, le cynips a en effet atteint le Var, les bords du lac Léman et les vergers de châtaigniers de la Drôme, de l’Ardèche et de Corse. Des foyers ont ensuite été découverts en 2011 dans les départements du Lot, de l’Hérault, du Gard, puis dans la vallée de la Dordogne ainsi qu’en Gironde, en Indre-et-Loire, en Vendée, dans les Hautes-Pyrénées…
Or les dégâts que provoque le cynips sont susceptibles de conduire à des pertes de production pouvant toucher jusqu’à 80 % de la récolte. Cette situation fait naître de fortes inquiétudes parmi les producteurs, tout particulièrement en Ardèche, principal département producteur de châtaignes.
Les spécialités phytosanitaires n’ayant qu’une efficacité très médiocre sur cet insecte, la méthode retenue par tous les pays contaminés pour réduire l’infestation est la lutte sanitaire et biologique.
À cet égard, de nombreuses mesures ont été prises dans le cadre du dispositif national de lutte contre ce parasite : délimitation de zones de lutte et interdiction de circulation des plants en provenance de ces zones, lâchers réguliers de l’auxiliaire Torymus sinensis dans les foyers de cynips et création d’éclosoirs, identification de variétés résistantes de châtaigniers.
Néanmoins, compte tenu de la vitesse de progression de l’infestation et du délai pour que les moyens de lutte sanitaire et biologique soient efficaces, les castanéiculteurs s’attendent à subir d’importantes pertes de récoltes pendant les deux, trois ou quatre prochaines années.
Sans soutien financier spécifique pour passer cette période difficile, ils redoutent que l’ensemble de la filière castanéicole ne connaisse par la suite de grandes difficultés, notamment en Ardèche, où cette filière est particulièrement dynamique autour de l’appellation d’origine contrôlée Châtaigne d’Ardèche.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaite que vous m’indiquiez les moyens que le Gouvernement est susceptible de mettre en œuvre afin d’apporter une aide économique aux producteurs de châtaignes pendant toute la période où ils subiront des pertes de récolte importantes du fait de l’infestation par le cynips du châtaignier.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, le cynips du châtaignier fait actuellement l’objet de mesures provisoires d’urgence destinées à éviter son introduction et, surtout, sa propagation.
Cependant, du fait de la dissémination actuellement rapide de cet insecte sur le territoire européen – car l’infestation ne se limite pas à la France, comme vous l’avez d’ailleurs laissé entendre dans votre propos –, des discussions sont actuellement en cours au niveau européen afin de réorienter la stratégie de lutte.
Le cynips du châtaignier ne devrait à terme être réglementé que pour des envois de plants de châtaigniers dans ou à travers des zones protégées.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, des fonds de mutualisation permettent d’indemniser, dans le domaine végétal, les pertes économiques occasionnées par les organismes nuisibles à certains végétaux. Le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale, qui a été créé par les professionnels agricoles et qui est géré par eux, a reçu notre agrément par arrêté du 24 septembre 2013.
La mise en œuvre opérationnelle de ce fonds dépend maintenant de l’implication des acteurs professionnels dans l’établissement des programmes d’indemnisation éligibles. D’ailleurs, ce fonds nous a d’ores et déjà adressé un dossier faisant état de la création d’une section spécialisée fruitière. La problématique du cynips du châtaignier pourrait tout naturellement y trouver sa place.
Concernant la relance de la rénovation de la châtaigneraie française, je rappellerai les dispositifs existants qui permettent d’envisager un cofinancement public.
D’une part, les mesures entreprises par les exploitants membres d’une organisation de producteurs visant à la rénovation du verger sont éligibles comme mesures cofinancées par les programmes opérationnels prévus par l’organisation commune de marché pour les organisateurs de producteurs de fruits et légumes.
D’autre part, la rénovation de la châtaigneraie peut aussi utiliser le dispositif national d’aide à la rénovation du verger géré par FranceAgriMer.
Enfin, eu égard à la dimension territoriale des châtaigneraies dans certaines régions, il semble que les leviers garantissant le financement des mesures les plus adaptées aux besoins de la filière, que ce soit pour l’élagage ou le greffage, se situent en région, et ce en particulier dans le cadre du deuxième pilier de la politique agricole commune, par le biais des actions pour le développement rural.
Tels sont les éléments de réponse que je peux vous apporter aujourd’hui, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le ministre, je vous remercie de ce point précis sur différents dispositifs de soutien à la filière castanéicole.
Vous avez rappelé le dispositif d’aide à la rénovation de la châtaigneraie gérée par FranceAgriMer. Vous avez également mentionné la nouvelle PAC, qui, à ma connaissance, permet une dotation en droits à paiement de base pour les exploitants de surfaces cultivées en châtaigniers, ce qui n’était pas le cas précédemment.
Vous avez aussi confirmé que votre ministère a donné son agrément au Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale créé et géré par les professionnels agricoles. Les pertes de récolte occasionnées par le cynips devraient pouvoir être éligibles à ce fonds.
Toutefois, cela n’est possible que si le cynips continue de figurer, au niveau national comme au niveau européen, sur la liste des organismes nuisibles aux végétaux.
Je vous demande donc de faire en sorte que le cynips reste classé parmi les nuisibles afin d’éviter que la stratégie de lutte contre ce parasite – redoutable prédateur du châtaigner – ne soit remise en cause.
avenir des zones de revitalisation rurale
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 641, transmise à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre des questions liées à l’égalité de nos territoires, je souhaite attirer une nouvelle fois l’attention sur l’avenir de nos zones de revitalisation rurale.
Les avantages liés aux ZRR ont indéniablement permis des avancées. Je pense au maintien non seulement de nombreux services publics, mais aussi d’activités dont la présence est utile, voire indispensable, telles que les professions médicales ou libérales, sans parler des entreprises.
Les ZRR ont été mises en place par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 afin de maîtriser la baisse de population dans certaines régions. Depuis lors, reconnaissons-le, les incitations compensatrices reculent régulièrement. Certaines craintes se sont manifestées à la lecture de la loi de finances pour 2014. Pourriez-vous aujourd’hui, monsieur le ministre, mardi 21 janvier 2014, m’indiquer ce que peuvent espérer ces zones difficiles ?
L’hémorragie rurale continue ; faisons en sorte de la stopper avant que des secteurs de cette France dite « d’en bas » n’aient plus la vitalité nécessaire pour réagir ni même l’envie de se maintenir dans cette ruralité.
Ces mesures ne sont pas des privilèges ; elles constituent simplement une forme d’atténuation de disparités, par la mise en place de compensations bien légitimes.
Nous le constations hier, nous le constatons aujourd’hui, la plus grande incohérence règne entre les déclarations et les actions concrètes.
La vraie ruralité, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne repose-t-elle pas sur les départements, sur ces cantons qui ont moins de trente et un habitants au kilomètre carré, pour reprendre l’un des critères retenus pour le classement en ZRR ? Dans mon département, la Haute-Loire, monsieur le ministre, il se trouve un canton dont la densité est inférieure à 5 habitants au kilomètre carré !
Si l’on supprime progressivement ces compensations incitatives nécessaires à leur existence, que deviendront des pans entiers de nos territoires ? Qu’adviendra-t-il de celles et ceux qui y sont nés et qui souhaitent y terminer leur vie, ou de ceux qui souhaitent y résider ?
Ma conclusion, monsieur le ministre, sera courte et, je le pense, forte. Samedi dernier, à Tulle, au cœur de ses terres électives, dans un discours remarqué, le Président de la République a proclamé que « la ruralité est un atout pour notre pays ». Dès lors, monsieur le ministre, que peut-on espérer de cette loi de finances pour 2014 ? Élu d’un département comptant vingt-deux cantons en ZRR, je tenais déjà, il y a trois ans, sans démagogie, le même langage dans cette enceinte.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, je comprends d’autant mieux les préoccupations et les attentes du monde rural que j’en suis moi-même issu et que je suis également élu d’un département rural.
Je voudrais vous confirmer que l’égalité entre les territoires constitue un axe fort et, surtout, constant de l’action du Gouvernement.
Le Premier ministre a lui-même annoncé en conseil des ministres, le 24 novembre dernier, le lancement d’un programme spécifique en direction des centres-bourgs pour aider les collectivités, dès 2014, à monter leurs projets et à mobiliser les moyens existants. Il s’agit donc d’un engagement tout à fait récent du Premier ministre en faveur de la revitalisation des centres-bourgs.
L’accès aux services, devenu l’un des premiers facteurs d’inégalité entre les territoires, sera amplifié grâce au développement des maisons de services publics, dont le nombre passera de 320 à 1 000 d’ici à 2017. À cet effet, le montant de l’enveloppe qui leur est consacrée passera à 35 millions d’euros par an.
D’autres mesures sont également mises en œuvre en faveur de l’égalité des territoires.
Tout d’abord, en matière de réseaux de télécommunication mobile, plus de 3 200 communes rurales ont été desservies dans le cadre d’un programme conduit par la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR.
Ensuite, le plan France Très Haut Débit prévoit de mobiliser 20 milliards d’euros d’investissements sur dix ans et de subventionner plus fortement les territoires ruraux.
Enfin, la nouvelle génération des contrats de plan État-région, pour la période 2014-2020, constituera également un outil au service de l’aménagement du territoire.
Les communes situées en zone de revitalisation rurale bénéficient bien évidemment de ces politiques. Le zonage ZRR avait été mis en place en 2005 pour identifier les territoires rencontrant des difficultés particulières et permettre aux entreprises qui s’y installent de bénéficier d’exonérations sociales et fiscales.
Cependant, il faut reconnaître aujourd’hui que les critères retenus pour ce zonage ne sont plus totalement pertinents au regard des difficultés structurelles de certains territoires.
C’est la raison pour laquelle Cécile Duflot, ministre du logement mais aussi de l’égalité entre les territoires, va confier une mission aux inspections générales afin d’évaluer l’efficacité des mesures fiscales et sociales liées au classement en ZRR, ainsi que la pertinence de ce dispositif au regard des enjeux des territoires ruraux.
Cette mission alimentera la réflexion d’un groupe de travail composé de parlementaires et de représentants d’associations d’élus. Mis en place prochainement, il aura vocation à formuler des propositions pour faire évoluer ce zonage.
Il n’est évidemment pas question pour le Gouvernement d’abandonner les territoires concernés. Dans l’attente d’une éventuelle évolution – je vous l’annonce ce matin –, nous avons décidé de prolonger d’un an toutes les mesures fiscales bénéficiant aux entreprises situées en ZRR dont le fait générateur s’arrêtait au 31 décembre 2013.
Il s’agit d’une mesure concrète, d’un vrai signal fort envoyé aux entreprises et, plus généralement, aux territoires ruraux, parfois inquiets pour leur avenir, mais qui disposent de tous les atouts pour continuer, demain, à être une véritable force pour la France !
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, l’ancien président de chambre départementale d’agriculture que je suis a apprécié la qualité de votre écoute. Je vous remercie également d’avoir approuvé mes propos. Je le dis publiquement, je ne vous connaissais pas, mais je me félicite de vous découvrir ce matin dans vos responsabilités.
Hier comme aujourd’hui, il y a le vouloir et le pouvoir. Monsieur le ministre, vous avez évoqué les bourgs-centres. Or, dans certaines zones, très franchement, et encore une fois sans aucune démagogie, ils n’existent plus ! Les populations se dispersent et s’étalent, et les centres se meurent. En Haute-Loire, par exemple, sept cantons comptent moins de 15 habitants au kilomètre carré dont un, je l’ai dit, moins de 5 !
Monsieur le ministre, je vous remercie, ainsi que l’ensemble du Gouvernement, de cette prolongation d’un an des mesures fiscales. Je crois qu’il s’agit d’une bonne démarche, qui permettra à la commission de réflexion de se mettre en place.
propositions pour augmenter l'efficience des policiers municipaux
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, auteur de la question n° 613, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous constatons une recrudescence des actes frauduleux dans notre pays, notamment en matière de sécurité routière.
L’action déjà engagée dans ce domaine, qui concerne tous nos concitoyens, doit être renforcée. Pour ne prendre qu’un exemple parmi tant d’autres, le nombre de fausses plaques d’immatriculation a augmenté de 50 % d’une année sur l’autre !
Face à ce constat, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a répondu : « Il faut sans doute que les contrôles soient plus efficaces ». Je ne peux que partager cette prise de position !
Or nous savons tous à quelle surcharge de travail sont confrontées les forces de l’ordre nationales. C’est pourquoi, comme je vous l’avais déjà demandé le 22 novembre 2012, je souhaite à nouveau une véritable « union sacrée » des trois forces de sécurité de ce pays : police nationale, gendarmerie nationale et police municipale, cette dernière disposant de 18 000 agents formés, compétents et adaptés aux réalités du terrain.
Monsieur le ministre, il faut arrêter avec les discours ou les atermoiements dans l’attente du énième rapport émanant d’une haute instance administrative. Tout cela a déjà été fait, et pour une application quasi nulle !
Monsieur le ministre, je m’insurge contre cette inefficacité.
Le problème est archiconnu, l’urgence est là. La maison flambe, mais nous continuons de détourner la tête, alors que, plus que jamais, nous avons besoin de tout le monde sur le pont afin de renforcer la sécurité de nos concitoyens.
Il faut donner à la police municipale les outils nécessaires. Je prendrai deux exemples pour illustrer la situation ubuesque dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui quotidiennement.
La procédure de mise en fourrière nécessite la consultation du fichier des véhicules volés ou celui du système des immatriculations de véhicules. De même, la consultation du fichier des permis de conduire est nécessaire dans le cadre d’une infraction au code de la route.
Or, dans toutes ces procédures, la police municipale est obligée de demander ces renseignements indispensables pour l’exécution de ses missions à la police nationale, laquelle – bien sûr – les lui donne systématiquement.
À Cagnes-sur-Mer, commune de 50 000 habitants, le fichier des véhicules volés est sollicité en moyenne quinze fois par jour, celui des permis de conduire, au moins cinq fois, et celui des immatriculations de véhicules, au moins vingt fois ! Le commissariat de la police nationale est donc dérangé inutilement au moins quarante fois par jour, sans compter l’attente induite pour le contrevenant.
Cette situation est d’autant plus incompréhensible que de simples professionnels de l’automobile – vendeurs, loueurs, assureurs… – peuvent, eux, avoir accès au fichier des immatriculations de véhicules par le biais du site du ministère de l’intérieur.
Ma question est simple, monsieur le ministre : quand le Gouvernement autorisera-t-il les fonctionnaires de la police municipale à consulter directement ces fichiers ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, la lutte contre la délinquance, pour être efficace, suppose une mobilisation partagée…
M. Louis Nègre. Très bien !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. … dans le respect des règles et, surtout, des compétences de chacun.
M. Louis Nègre. Tout à fait !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. C’est absolument indispensable.
Vous l’avez rappelé, les textes d’approbation de traitements automatisés, pris après avis de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, permettent aux agents de la police municipale d’être destinataires uniquement dans la limite du « besoin d’en connaître » des informations que ces fichiers contiennent. Telle est la règle qui s’impose.
C’est notamment le cas pour le système national des permis de conduire, le SNPC, le système d’immatriculation des véhicules, le SIV, et le fichier des véhicules volés, le FVV.
Afin de faciliter le travail des policiers municipaux, une circulaire d’août 2013 les rend destinataires de données du fichier des personnes recherchées, le FPR.
Dans tous ces cas où les agents de police municipale peuvent être destinataires des données personnelles contenues dans les fichiers SNPC, SIV, FVV et FPR, et dans la limite du « besoin d’en connaître », la consultation s’effectue par l’intermédiaire des agents de la police et de la gendarmerie nationales spécialement habilités. C’est la règle ! Cette procédure, c’est vrai, est consommatrice de temps et génératrice de délais. Mais il faut rappeler son sens : elle a pour but de garantir la traçabilité des demandes et la sécurité des connexions.
Cependant, je veux le rappeler de façon claire et sereine, le ministre de l’intérieur porte la plus grande attention à l’amélioration des conditions de travail des policiers municipaux et à leur efficacité opérationnelle. Aussi a-t-il demandé qu’une réflexion soit conduite par ses services en vue d’étudier la faisabilité juridique et technique d’un aménagement des conditions d’accès à certains de ces fichiers, sans rien céder évidemment aux garanties qui doivent présider au respect des libertés individuelles, et en tenant compte du fait que ces agents ne sont pas placés sous l’autorité directe d’un officier de police judiciaire. Il est d’ailleurs prévu que ce sujet fasse partie des points qui seront évoqués lors de la prochaine commission consultative des polices municipales.
Plusieurs pistes sont actuellement explorées. Il s’agit d’éviter ce que l’on appelle les « recherches complexes », en limitant la consultation aux seuls éléments strictement indispensables à l’exercice des missions des policiers municipaux, tout en plaçant ces opérations sous un contrôle renforcé de l’officier de police judiciaire, afin d’éviter toute dérive.
Certains dispositifs techniques automatisés semblent, à ce stade de l’expertise, de nature à satisfaire à ces conditions.
Pour l’instant, donc, le travail continue et la question sera à l’ordre du jour de la commission consultative dont j’ai parlé.
En 2014, nous devrions disposer d’éléments tout à fait tangibles et concrets, avec des dispositifs qui répondent aux impératifs que sont l’efficacité opérationnelle, la sécurité de nos concitoyens et la garantie des libertés individuelles.
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. J’ai bien entendu votre réponse, monsieur le ministre. Je vois que, au deuxième coup de boutoir, les choses bougent un peu : il y a un début à tout ! (Sourires.)
Je suis très heureux d’apprendre que la commission consultative des polices municipales, dont je connaissais l’existence mais n’avais pas encore constaté la réunion, peut travailler sur ces sujets.
M. Louis Nègre. Vous avez rappelé la règle qui s’impose dans ce domaine et constaté que l’accès aux données se faisait toujours par l’intermédiaire de la police nationale, afin de garantir la traçabilité, dites-vous. Cet argument me laisse songeur. En effet, il me semble que la police municipale est assermentée, et que ses agents doivent obtenir l’agrément du préfet et du procureur de la République. Il me semble, en outre, qu’avec les moyens informatiques et électroniques dont nous disposons désormais, la traçabilité est assurée de façon certaine. L’auteur d’une telle demande peut être aisément détecté. Cet argument important dans votre raisonnement, qui était pertinent auparavant, me semble donc ne plus avoir de fondement.
Vous dites le ministre de l’intérieur très attentif à ce sujet, monsieur le ministre. J’espère que l’on va dépasser le stade de l’attention, pour rejoindre celui de l’action !
Il est tout de même étrange – j’ai même parlé de « situation ubuesque » il y a un instant – de constater que certains professionnels de l’automobile, qui, eux, ne sont ni assermentés ni agréés par le procureur de la République ou le préfet, peuvent accéder à ces fichiers. C’est le monde à l’envers !
En ne permettant pas à la police municipale, troisième force de sécurité en France, d’obtenir directement ces renseignements, on oblige ses agents à téléphoner à la police nationale – quarante fois par jour, je l’ai dit, pour la seule ville de Cagnes-sur-Mer – pour les lui demander. Cette requête, bien entendu, est automatiquement satisfaite, mais fait perdre du temps à tous. Or, on le sait, nous avons besoin de ces forces de l’ordre sur le terrain !
Il faut trouver des systèmes beaucoup plus efficaces, qui ne portent en rien atteinte aux libertés de chacun, et qui s’inscrivent dans le cadre des missions dévolues aujourd’hui – aujourd’hui, monsieur le ministre - à la police municipale.
J’attends beaucoup, non pas de l’expertise – une de plus ! –, mais des réponses concrètes qui seront apportées sur le terrain, notamment en ce qui concerne l’accès à ces fichiers : il permettra à la police municipale d’intervenir et de protéger nos concitoyens, et ce n’est pas rien, monsieur le ministre !
code confidentiel de suivi des points de son permis de conduire
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question n° 635, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Alain Gournac. Monsieur le ministre, je rencontre souvent, dans la région parisienne comme dans le sud de la France, des automobilistes qui éprouvent des difficultés à obtenir le relevé de leur nombre de points restant sur leur permis de conduire, même sur Internet.
Comme vous le savez, il y a deux façons pour le titulaire du permis d’obtenir cette information. S’il n’habite pas loin, il peut se déplacer à la sous-préfecture ou à la préfecture, et demander un code confidentiel personnel, qui empêchera qu’une autre personne puisse se connecter à sa place. S’il habite loin, il doit formuler une demande par écrit. Dans ce dernier cas, il n’est pas rare que la réponse ne vienne pas. Je suis bien placé pour le dire : mon épouse – ne le répétez pas, mes chers collègues ! – a fait ces démarches, et elle attend encore son code !
Cela n’est pas correct du tout. Pouvoir consulter le solde de points de son permis de conduire est très bien, sans compter que cela permet à l’automobiliste de se rappeler qu’il a enfreint une règle du code de la route.
Le cabinet du ministre de l’intérieur, que j’ai interrogé sur le sujet, m’a indiqué que le système fonctionnait partout, et sans aucune difficulté. C’est faux ! Les démarches par lettre, par téléphone, ou par Internet de mon épouse n’ont pas abouti : elle n’a toujours pas obtenu son code d’accès personnel !
Avant la remise des trophées du prix Territoria, dans le sud de la France, j’ai rencontré plusieurs automobilistes qui m’ont confié ne pas pouvoir obtenir leur code confidentiel, pourtant nécessaire à la consultation de leur solde de points sur Internet. C’est d’autant plus ennuyeux que l’on peut désormais récupérer quelques points si l’on n’en a perdu aucun pendant une période de six mois, contre un an auparavant.
Cette situation décourage des automobilistes qui veulent pourtant respecter pleinement la décision ayant mené au retrait de points. J’ai voté pour ce dispositif, mais encore faut-il que les automobilistes puissent consulter ce solde en toute conscience, et qu’ils puissent le faire rapidement. J’aimerais pouvoir dire que j’ai été efficace au Sénat, ce matin (Sourires.), et annoncer que le code nécessaire à la consultation du solde de points sur Internet s’obtient désormais facilement !
J’ai eu l’occasion d’en parler directement au ministre de l’intérieur, la dernière fois que je l’ai rencontré. Je lui ai indiqué que je poserai cette question, aujourd’hui. J’attends désormais que vous y répondiez précisément, monsieur le ministre, et sans prétendre que tout va bien ! Pourquoi aurais-je posé la question s’il en était ainsi ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, chargé de l’agroalimentaire. Monsieur le sénateur, les difficultés que vous évoquez ne datent sans doute pas d’hier. (Sourires.) Le Gouvernement est attaché à apporter des réponses claires et concrètes, qui puissent améliorer la vie de nos concitoyens.
Avant d’aller plus loin, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Manuel Valls, actuellement retenu à Lille au forum international de la cybersécurité.
Pour répondre plus précisément à votre question, je dirai, d’abord, que la loi – notamment les articles L. 225-3 à L. 225-6 du code de la route – protège les informations relatives aux droits à conduire et plus particulièrement au solde de points. C’est pourquoi les préfectures ne peuvent délivrer aux conducteurs leur code « Télépoints » sans respecter, chacun peut le comprendre, un certain nombre de précautions visant à s’assurer de l’identité des demandeurs.
Cela dit, lors d’une réunion tenue à Matignon en juillet 2013, le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, a décidé du principe d’une simplification de la procédure de consultation du solde de points affectés au permis de conduire. L’idée est de réduire les délais d’obtention du code « Télépoints », mais aussi d’alléger la tâche imposée aux préfectures.
Concrètement, un conducteur pourra demander par Internet, de manière sécurisée, un code individuel et confidentiel lui autorisant l’accès à l’application informatique dédiée « Télépoints ».
En se connectant sur le site de l’Agence nationale des titres sécurisés, l’ANTS, le conducteur pourra remplir une demande en ligne pour obtenir le code confidentiel, qui lui sera adressé par courrier, par pli recommandé avec demande d’accusé de réception, pour permettre la vérification de son identité.
Tout en garantissant l’identification certaine du demandeur, cette procédure ne requerra plus de déplacement physique en préfecture, comme c’est souvent le cas actuellement. Actuellement en cours d’expérimentation dans deux départements, jusqu’à la fin du mois de février, la procédure pourrait être ensuite généralisée à l’ensemble du territoire.
Enfin, il faut noter que tout nouveau permis délivré depuis le 4 novembre 2013 est accompagné d’un courrier dans lequel figure systématiquement le code « Télépoints » du conducteur.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, tout est fait par le Gouvernement pour faciliter l’accès en ligne au solde de points, dont vous avez fort pertinemment souligné la portée pédagogique pour tous les conducteurs, y compris pour votre épouse ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le ministre, merci pour elle ! Je lui transmettrai votre réponse dès ce soir ! (Nouveaux sourires.)
Il semble que le Gouvernement, comme nous tous, souhaite simplifier les choses. Ce test, mené dans deux départements dont vous n’avez pas donné les noms, devrait permettre de savoir qui tente d’obtenir les codes d’accès.
Vous avez insisté, monsieur le ministre, sur la nécessaire confidentialité de la démarche. Vous avez raison, cela ne regarde que celui qui en fait la demande. Mais il est important que cette personne s’y intéresse vraiment. Celui qui est scandalisé de découvrir un beau matin qu’il n’a plus de points sur son permis de conduire n’est pas très sérieux !
Envoyer un courrier contenant le code d’accès en même temps que le permis me semble également une bonne idée. J’en profite pour lancer un appel au secours : les préfectures vous disent : « Help ! », monsieur le ministre ! Les pauvres préfets, que de charges n’a-t-on pas mis sur leurs épaules ! Et je plains tout autant les sous-préfets, d’ailleurs ! Je me demande bien comment les uns et les autres peuvent travailler aujourd'hui, avec cette masse de responsabilités nouvelles, auxquelles il faut ajouter les restrictions de personnels.
Si donc les titulaires du permis ont la possibilité de passer directement par un site internet national, les représentants de l’État dans les départements pourront s’occuper d’autres dossiers. Chez moi, le préfet et le sous-préfet, avec lesquels je travaille beaucoup, ont une charge de travail monstrueuse !
Le Gouvernement a abondamment parlé de « simplification », et cela a bien été retenu. À présent, les acteurs de terrain veulent des actes. Il est temps que les promesses deviennent réalité ; car c’est affreux ce que l’on nous demande de remplir comme paperasse !
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de me tenir au courant des résultats de l’expérimentation réalisée dans les deux départements.
vente de photographies de l'agence pour le développement et la valorisation du patrimoine en provence-alpes-côte d'azur
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question n° 631, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Catherine Morin-Desailly. Le 12 octobre dernier, la société de vente Leclere a procédé, à Marseille, à la vente aux enchères de divers lots constitués d’œuvres photographiques commandées en 2005 par l’Agence pour le patrimoine antique.
Cette agence avait été créée sous statut associatif par l’État et la région en 2001, pour accompagner la mise en œuvre du plan pour le patrimoine antique dans la région, et notamment documenter l’état du patrimoine et sensibiliser le public. Elle était alors subventionnée par les deux entités qui l’avaient fondée. Les commandes effectuées dans ce cadre entraient donc bien dans l’objet de la mission qui lui était ainsi, et alors, déléguée par les pouvoirs publics, et ce même si la région et l’État s’était bien retirés de l’association en 2009.
Le 11 octobre, Mme la ministre de la culture et de la communication avait publiquement demandé qu’il soit sursis à la vente, demande demeurée sans effet. Outre des interrogations quant à l’autorité du ministre, cela pose deux questions.
La première concerne la capacité de l’actuel ministère de la culture à prendre en considération et à faire appliquer les principes du droit des auteurs. En 2005, ces derniers pensaient bien répondre à une commande publique pour un travail documentaire et la production d’un matériel d’exposition.
Les objets vendus ne sont ni signés ni numérotés. Pourtant, ils se sont ainsi retrouvés sur le marché sans que les auteurs ou leurs ayants droit aient été consultés. Vous en conviendrez, dans une période de fragilisation du code de la propriété intellectuelle, soulignée par le rapport Lescure, ce n’est à l’évidence pas un signal heureux.
La deuxième question est celle de la capacité du ministère à assurer la conservation et la gestion d’un patrimoine culturel acquis sur fonds publics. Je le rappelle, l’Agence pour le développement et la valorisation du patrimoine n’est pas un cas isolé ; de nombreuses associations, à commencer par les fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC, constituent de fait des opérateurs importants de l’action culturelle publique.
Pourquoi la demande de Mme Filippetti n’a-t-elle pas été suivie d’effet ? Que compte faire la ministre dans l’immédiat pour assurer le retour dans les collections publiques du maximum de ces photographies, afin de faire droit aux légitimes préoccupations des auteurs ou de leurs ayants droit ? Enfin, à plus long terme, et alors que l’on annonce le dépôt d’un projet de loi relatif au patrimoine, que compte proposer le Gouvernement pour assurer une gestion plus transparente et plus protectrice de biens culturels acquis sur des fonds publics ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, mes collègues Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin, Arnaud Montebourg et Philippe Martin ne pouvant pas être présents à cette séance de questions orales – certains sont retenus par les vœux du Président de la République –, ils m’ont priée de vous transmettre leurs excuses et de répondre à leur place aux questions qui leur sont adressées. Voilà pourquoi, monsieur le président, vous devrez m’écouter répondre à six questions ce matin ! (Sourires.)
Madame Morin-Desailly, je sais tout l’intérêt que vous portez au monde de la culture. Vous soulevez un problème de fond.
Il semble utile de revenir sur les circonstances d’une affaire qui avait quelque peu défrayé la chronique.
À la fin du mois de septembre, les présidents respectifs de la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe et de l’Union des photographes professionnels avaient informé le ministère de la culture que l’Agence pour le développement et la valorisation du patrimoine projetait de vendre aux enchères, le 12 octobre, une série d’œuvres photographiques réalisées en 2005 dans le cadre d’une commande intitulée Monuments et paysages. Il semble que ce projet visait à reconstituer les fonds propres de l’association, menacée de règlement judiciaire par suite d’une baisse importante de ses subventions publiques.
L’analyse juridique menée par les services du ministère a conclu que le projet de mise en vente ne contrevenait ni à la loi ni aux engagements ayant pu être pris par l’Agence auprès des auteurs au moment de la commande des photographies. En effet, ces œuvres ne disposaient pas du statut protégeant les collections du domaine public.
Dès lors, le ministère de la culture et de la communication a choisi de privilégier la voie du dialogue avec le président de l’association et tenté de faire surseoir à la vente.
Malheureusement, il n’a pas pu trouver de terrain d’entente et la vente a eu lieu. Les photographies ont été adjugées ; il n’a pas été possible pour l’État d’user de son droit de préemption.
Toutefois, et vous l’avez souligné, il est effectivement aujourd'hui nécessaire de prévenir la réitération de cette situation choquante au regard, notamment, des règles de conservation et de dévolution des œuvres acquises au moyen de financements publics. C’est pourquoi la ministre de la culture et de la communication a demandé à ses services d’examiner en toute urgence la faisabilité d’un aménagement de la législation sur ce point. Ce travail est en cours.
J’en viens aux fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC. L’avant-projet de loi d’orientation sur la création artistique dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques contient déjà une série de dispositions ayant pour effet d’assurer l’affectation irrévocable à la présentation au public de leurs œuvres acquises avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale. Voilà qui, au moins sur ce point, pourrait apporter une esquisse de solution au problème que vous avez soulevé, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je remercie Mme la ministre des éléments de réponse qu’elle vient de m’apporter.
Nous voyons bien qu’il s’agit d’une question de fond : la situation est assez choquante pour les auteurs et leurs ayants droit.
Si notre législation est déficiente, il faut se hâter de l’améliorer. On nous annonce un projet de loi sur le patrimoine et vous avez évoqué l’avant-projet de loi sur la création. Voilà des mois que nous entendons parler de ce texte, annoncé à grand renfort de tambours et de trompettes pendant la campagne présidentielle ; les milieux culturels s’impatientent. Je crois que nous attendons tous de pouvoir débattre et légiférer utilement sur ces questions.
Je suivrai avec attention l’évolution de ce dossier, et serai extrêmement vigilante quant au respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur.
réglementation thermique
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la question n° 599, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Jean-Claude Lenoir. Ma question concerne la réglementation thermique 2012.
Vous le savez, un nouveau dispositif a été mis en place et s’applique depuis le 1er janvier 2013. Le critère de performance retenu est celui de la consommation d’énergie primaire.
Un tel dispositif a des effets pervers.
En effet, il favorise l’utilisation d’énergies carbonées, notamment d’origine fossile, au détriment de l’électricité, au moment même où le projet de loi visant à favoriser la transition énergétique affiche différents objectifs, tels que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier le CO2, ou le développement des énergies renouvelables pour produire de l’électricité.
La réglementation thermique favorise donc paradoxalement l’utilisation d’énergies fossiles, notamment le gaz, et pénalise fortement l’électricité.
Le Conseil d'État a annulé l’arrêté du 20 juillet 2011, qui fixait les modalités de calcul pour déterminer les conditions d’application de la réglementation thermique. Il faut profiter de l’occasion pour corriger la situation actuelle, qui a de lourdes conséquences.
Ainsi, un particulier qui installe des panneaux photovoltaïques pour produire de l’électricité ne peut pas utiliser lui-même cette électricité et doit la mettre sur le réseau, avec tous les problèmes d’intermittence et d’aléa que nous connaissons.
De même, et je sais que vous serez sensible à cet exemple également d’ordre pratique, madame la ministre, dans les territoires ruraux, quand les organismes d’HLM, notamment, construisent des logements sociaux, ils doivent privilégier le gaz au détriment de l’électricité pour respecter les normes BBC, pour « bâtiment de basse consommation » ! Or, si le gaz est plutôt utilisé dans les zones urbaines, il est peu répandu dans le monde rural. Du coup, pour respecter ces normes, on est obligé d’installer des citernes de gaz en pleine campagne !
Nous le voyons, madame la ministre, il faut profiter de l’arrêt du Conseil d'État pour faire évoluer la situation. Au demeurant, l’innovation technologique permet d’utiliser l’électricité dans les meilleures conditions. Je ne demande évidemment pas que l’on privilégie à tout prix l’électricité au détriment du gaz ; je dis simplement qu’un rééquilibrage s’impose.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je sais le spécialiste des questions énergétiques que vous êtes.
Mon collègue Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, se chargera d’approfondir la réponse dont je vais vous donner connaissance, à la lumière des points que vous venez de développer et dont j’ai pris bonne note, comme vous avez pu le constater.
Ainsi que le Président de la République l’a affirmé lors de la Conférence environnementale du mois de septembre 2013, accroître la performance énergétique des bâtiments est une priorité pour le Gouvernement. Cet objectif s’inscrit pleinement dans la dynamique de la transition énergétique qui est la nôtre.
Comme vous le soulignez, la réglementation thermique, ou RT 2012, figure parmi les outils pour y parvenir. C’est une étape majeure sur le chemin de la généralisation des bâtiments à énergie positive, qui devront être la norme pour les bâtiments neufs à l’horizon 2020.
Vous le savez, la réglementation thermique s’attache avant tout aux résultats en termes de consommation d’énergie primaire, de besoin bioclimatique et de confort en été. Elle a pour objectif de limiter la consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kilowattheures par mètre carré et par an, en moyenne. Elle s’accompagne de quelques exigences de moyens, limitées au strict nécessaire. En particulier, la RT 2012 rend obligatoire le recours aux énergies renouvelables en maison individuelle.
La méthode décrite dans l’arrêté du 20 juillet 2011 permet de calculer la production d’électricité par des panneaux photovoltaïques installés sur le bâtiment. Cette production locale d’électricité est ensuite valorisée dans le calcul réglementaire de la RT 2012, puisqu’elle est déduite de la consommation du bâtiment.
Vous l’avez rappelé, le Conseil d’État a annulé l’arrêté du 20 juillet 2011 pour un motif de forme, et non de fond. Le nouvel arrêté approuvant la méthode de calcul a été signé le 30 avril 2013 pour une entrée en vigueur dès le 24 juillet 2013. Cela a permis d’assurer la continuité de l’application de la réglementation thermique 2012.
À ce jour, il n’est pas prévu de modifier cette réglementation, mais cela ne signifie pas que nous ne ferons rien d’ici à l’élaboration de la prochaine réglementation, en 2020.
D’autres dispositions en faveur de la rénovation énergétique seront mises en œuvre dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique. À travers ce texte, Philippe Martin cherchera à atteindre différents objectifs : réduction des émissions de gaz à effet de serre, amélioration de l’efficacité énergétique, avec une réduction de 50 % de la consommation d’énergie à l’horizon 2050, une réduction de 30 % de la consommation de combustibles fossiles à l’horizon 2030 et une diversification du mix électrique, avec le développement des énergies renouvelables et la réduction à 50 % de la part du nucléaire à l’horizon 2025.
Monsieur le sénateur, j’ai bien entendu vos observations sur le photovoltaïque et son utilisation au niveau local, ainsi que sur le recours au gaz dans les zones rurales. J’attirerai tout particulièrement l’attention de Philippe Martin sur ces deux points, afin qu’il vous apporte une réponse propre à apaiser vos inquiétudes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse ainsi que de la courtoisie dont vous faites preuve chaque fois que vous venez dans cet hémicycle.
Les préoccupations que j’ai exprimées restent très fortes. On a aujourd'hui tendance à considérer qu’il faut exclure l’électricité des moyens de chauffage des bâtiments et l’on pousse les utilisateurs et les propriétaires d’immeubles, aussi bien individuels que collectifs, à recourir à des sources d’énergie d’origine fossile, ce qui est en contradiction totale avec les objectifs de la politique de transition énergétique.
On assiste à des comportements qui constituent en fait autant de détournements de la réglementation thermique. Je ne prendrai qu’un seul exemple.
Pour satisfaire aux conditions posées par les textes, certaines personnes font semblant de vouloir se chauffer avec un poêle à bois tout en installant l’électricité ; elles branchent des convecteurs dès la fin des travaux ! C’est finalement la pire des solutions. Au demeurant, grâce à l’isolation des bâtiments, les innovations technologiques permettent de recourir d’emblée à des moyens faisant appel à une source d’énergie plus propre, car décarbonée : l’électricité !
Je tenais à ajouter ces quelques éléments à ma question. Nous avons un grand rendez-vous : l’examen du projet de loi sur la transition énergétique. Je ne manquerai pas de poursuivre le débat avec le ministre chargé de l'énergie.
financement des agences de l’eau
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 655, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame le ministre, je souhaitais en fait attirer l’attention de M. le ministre délégué chargé du budget sur le financement des agences de l’eau.
Les arbitrages relatifs au projet de loi de finances pour 2014 prévoyaient une réduction de l’ordre de 10 % du budget de ces agences en 2014. L’article 48 de la loi de finances pour 2014, complété par l’article 20 de la loi de finances rectificatives pour 2013, confirme malheureusement ces arbitrages. Un prélèvement de 210 millions d’euros sur le fonds de roulement des six agences de l’eau françaises vient donc d’être acté pour 2014. Il sera opéré en deux temps : 30 % avant le 30 juin et 70 % avant le 30 novembre.
Rappelons-le, les agences de l’eau sont les principaux financeurs des investissements dans les domaines de la réduction des pollutions et de la protection des ressources en eau et des milieux aquatiques.
La feuille de route consacrée à la politique de l’eau, lors de la Conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013, a pourtant réaffirmé tout à la fois l’importance d’une politique intégrée de la gestion de l’eau, le bien-fondé du système français, selon lequel « l’eau paie l’eau », et la nécessité d’une meilleure application du principe pollueur-payeur. C’est tout le paradoxe !
Dans son rapport de juillet 2013, le Conseil des prélèvements obligatoires avait préconisé de plafonner les ressources des agences de l’eau et de les rebudgétiser à moyen terme.
Le Gouvernement a confirmé cette orientation, en prévoyant pour l’année 2014 une ponction à hauteur de 10 % sur les recettes des agences de l’eau provenant des redevances sur l’eau, au motif que la situation financière des agences est saine grâce à un fonds de roulement qui leur évite de s’endetter. C’est pourtant bien cette situation saine et équilibrée qu’il aurait fallu absolument maintenir, madame la ministre, pour permettre aux agences de l’eau d’agir !
De fait, les 210 millions d’euros prélevés iront directement au budget général de l’État.
Sont notamment visées par les ponctions les primes de bonne épuration versées par certaines agences à des collectivités dont les stations d’épuration fonctionnent bien. Pour certains syndicats, comme le Syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon, le SIBA, que je connais bien, ces primes constituent une source de financement importante, sans laquelle il leur sera difficile de réaliser les investissements d’entretien et de rénovation des réseaux, alors même que ces investissements sont urgents.
L’eau paie l’eau : cette règle d’affectation des ressources, à laquelle l’État s’est toujours officiellement montré attaché, et qui fonctionne bien, est aujourd'hui remise en cause.
Compte tenu des graves conséquences environnementales, sociales et économiques que risque d’entraîner la remise en question des budgets des agences de l’eau, j’aimerais savoir si le Gouvernement entend revenir sur cette décision dans le cadre du prochain projet de loi de finances et maintenir les budgets des agences de l’eau en l’état en leur apportant des garanties budgétaires ; c’est bien évidemment ce que je souhaite, vous l’aurez compris, madame le ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui concerne un sujet important. J’espère pouvoir vous apporter un certain réconfort, ou du moins ouvrir devant vous quelques pistes d’avenir.
La politique de gestion intégrée de l’eau fait véritablement partie des priorités du Gouvernement ; nous en avons eu la preuve il n’y a pas si longtemps, avec l’adoption par le Sénat, sur l’initiative de Pierre-Yves Collombat et de Louis Nègre, d’une disposition relative à la gestion des milieux aquatiques qui rejaillira forcément sur le fonctionnement des agences de l’eau.
Comme vous l’avez indiqué, un article de la loi de finances pour 2014 prévoit une contribution exceptionnelle des agences de l’eau au profit du budget de l’État, à hauteur de 210 millions d’euros. Le Gouvernement a souhaité que cette contribution prenne la forme d’un prélèvement, pour la seule année 2014, sur le fonds de roulement qui fait, en effet, la force de nos agences de l’eau.
Le maintien de la santé financière des établissements et le caractère équitable de la répartition du prélèvement entre ces derniers ont naturellement été des préoccupations fortes et constantes du Gouvernement dans la déclinaison de cette mesure. La qualité du modèle français de gestion de l’eau et des milieux aquatiques et le rôle primordial que jouent les agences de l’eau en ces domaines ne sont plus à démontrer.
Le calibrage de l’effort demandé aux agences de l’eau a été effectué dans le souci d’éviter une remise en cause des fondements des dixièmes programmes d’intervention des agences de l’eau, composés à 90 % d’investissements. Ces programmes ont été votés à la fin de 2012, après une phase de concertation nourrie avec les différents membres des comités de bassin.
La contribution exceptionnelle étant prélevée au début de la période couverte par les programmes d’intervention – 2013-2018 –, son impact sera moindre que si elle avait été opérée à la fin.
En outre, les conseils d’administration des établissements pourront répartir cette réduction tout au long des programmes d’intervention.
De ce fait, la contribution exceptionnelle ne devrait pas conduire à un accroissement de la pression fiscale pour les usagers de l’eau ; c’était votre inquiétude, madame la sénatrice. Le principe reste le même : l’eau paie l’eau.
J’ajoute que la planification des projets d’investissement ne devrait être que très peu affectée. Par conséquent, ni la réalisation des travaux et l’emploi induit, ni l’activité économique que génèrent ces investissements ne seront remis en question. C’est un point qui, sur le plan économique, est important.
Les moyens des agences de l’eau, comme ceux de l’État et de ses établissements publics, seront réexaminés dans les semaines et mois qui viennent, à l’occasion de la préparation du budget triennal 2015-2017.
Madame la sénatrice, soyez assurée que les choix qui seront opérés seront guidés par les priorités d’intervention décidées lors de l’adoption des dixièmes programmes, notamment par la nécessité de respecter nos engagements communautaires, s’agissant singulièrement de l’objectif à atteindre de bon état des eaux.
Tels sont les éléments de réponse que je tenais à vous apporter et qui, je l’espère, sont de nature à vous rassurer. En tout état de cause, je ferai part de vos observations à mon collègue Bernard Cazeneuve, ministre chargé du budget.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame le ministre, je vous remercie de la qualité de votre réponse. Cependant, je voudrais revenir sur les conséquences tant économiques que sociales de la réduction des ressources des agences de l’eau : les aides des agences de l’eau ont un effet de levier significatif sur le financement des projets d’entretien et de rénovation des réseaux, autant de travaux qui créent des emplois, et des emplois non délocalisables.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si le produit des redevances provient partiellement des secteurs économiques industriel et agricole, il provient avant tout – à plus de 80 %, ce qui n’est pas rien ! – des usagers domestiques. Cela signifie qu’un prélèvement qui ne sert en principe qu’à améliorer la qualité de l’eau devient en partie – j’y insiste – un impôt payé par l’ensemble de la population, notamment par les plus défavorisés. Cela va totalement à l’encontre de l’engagement de l’État. Si l’eau ne paie plus seulement l’eau, c’est tout l’équilibre d’un système efficient qui est rompu, à l’heure où il est indispensable de mettre en œuvre une gestion durable et patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement en France.
Je note cependant que vous avez achevé votre réponse en affirmant que les moyens des agences de l’eau seraient réexaminés dans le cadre de la préparation du budget triennal 2015-2017. Cela m’incite à continuer à plaider cette noble cause auprès de vous, comme vous le ferez, je le sais, auprès de votre collègue chargé du budget.
Mon souci est partagé par l’ensemble des élus locaux, et je sais que la ministre de la décentralisation que vous êtes saura se faire notre interprète sur ce dossier essentiel.
avenir de l’industrie du bâtiment
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la question n° 602, adressée à M. le ministre du redressement productif.
M. Jean-Jacques Mirassou. Ma question concerne l’industrie du bâtiment, dont on sait qu’elle constitue l’un des plus grands employeurs de notre pays. Paradoxalement, si l’on met à part les grandes entreprises du bâtiment et des travaux publics, cette industrie apparaît comme celle qui évolue le moins en matière de méthodes de travail, de qualification de la main-d’œuvre et de pénibilité.
Faute d’avoir réagi assez tôt, au moment de prendre un virage important nécessitant des évolutions techniques et intégrant de nouveaux matériaux et composants, nous souffrons aujourd’hui d’un retard significatif au regard des nouvelles exigences environnementales, surtout si nous nous comparons à l’Allemagne, qui a préparé et réussi ce virage depuis plus de trente ans !
Les processus qui permettraient au secteur du bâtiment de retrouver sa vraie place dans le concert des industries se développeraient tout naturellement avec de la recherche et développement et des expérimentations. Il est donc nécessaire de donner aux entreprises les moyens d’innover, de façon à adapter notre outil de production aux exigences nouvelles. La qualification en sortira renforcée et les conditions de travail seront améliorées.
Le secteur du bâtiment se caractérise par un parc ancien très important. Tout le monde a donc intérêt à ce qu’il s’engage dans la voie de l’innovation : le consommateur, qui aurait accès à des réalisations de qualité à un coût optimisé ; les entreprises, qui seraient moins soumises aux aléas de la conjoncture ; les industriels, qui s’ouvriraient de nouveaux marchés, y compris à l’exportation ; enfin, la collectivité nationale, qui aurait la possibilité d’offrir à ses jeunes une qualification et un emploi.
Ma question est simple, madame la ministre : pouvez-vous dresser un premier bilan des actions engagées par le Gouvernement au profit de ce secteur d’avenir qui recèle un fort potentiel de création d’emplois ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, le problème que vous soulevez est double, me semble-t-il, puisqu’il touche à la fois à la formation des salariés, et, plus largement, à la problématique du bâtiment et de la construction.
Sur ces deux points, les réponses d’Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, que je suis chargée de vous communiquer ont été élaborées en lien avec Mme Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, et M. Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
En effet, ces trois ministres se trouvent concernés par la question du logement, qu’il s’agisse de Mme Duflot, qui porte notamment le projet des 500 000 logements rénovés par an, de M. Martin, chargé du problème énergétique, et, bien entendu, de M. Montebourg, principalement préoccupé par l’emploi et la situation des entreprises, et qui prend pleinement sa part à cette politique destinée à proposer une offre compétitive de rénovation énergétique des logements en en faisant un axe d’excellence pour le « made in France ».
Ainsi, lors de la présentation par le Président de la République des 34 plans de la nouvelle France industrielle, il a été décidé de consacrer un plan spécifique à la rénovation thermique du bâtiment. À cet effet, deux co-chefs de projet ont donc été nommés : M. Pestre, directeur général de Point. P Matériaux de construction, et M. Torrents, président du directoire de Delta Dore.
Le 7 février prochain, ils dévoileront un programme ambitieux d’association de la filière à l’objectif du Gouvernement en utilisant tout leur savoir-faire et leur connaissance des entreprises du bâtiment qui font de la rénovation au quotidien pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Il a donc été entrepris un vaste travail en matière écologique, sans négliger les enjeux sociaux et économiques, les objectifs étant de rénover des logements existants, de construire une ville durable, d’améliorer le quotidien des habitants et d’encourager un secteur économique important tout en luttant contre le réchauffement climatique.
Avec cette politique globale, intégrée, vous conviendrez qu’il est difficile de distinguer ce qui relève de Mme Duflot, de M. Martin ou de M. Montebourg. Je ne saurais omettre le travail effectué par Michel Sapin sur le management des hommes pour faire en sorte que tout le programme de formation vienne soutenir cette volonté de développement économique et social.
J’ajoute que notre pays possède un véritable savoir-faire couvrant tout le processus de l’efficacité énergétique : architectes, bureaux d’études, artisans, fabricants d’équipements, industriels du génie climatique et des nouvelles technologies ou grandes entreprises du BTP, tous les acteurs sont prêts à répondre aux enjeux de la rénovation thermique. Cette filière est portée par une R&D dynamique et soutenue par plusieurs pôles de compétitivité. Le plan encourage les synergies entre les différents acteurs afin de fournir une offre intégrée et de développer la compétitivité des industriels et des artisans français.
Monsieur le sénateur, ce sont plus de 75 000 emplois qui sont aujourd’hui en jeu, dont environ 4 000 dans les filières industrielles associées. Je tiens donc vraiment à vous assurer de l’intérêt tout particulier que porte l’ensemble du Gouvernement à ce dossier.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse qui n’est sans doute pas exhaustive, mais qui prend bien en compte la dimension globale de la problématique.
Vous avez bien fait de citer, pêle-mêle, la transition écologique, le projet de loi ALUR que nous allons réexaminer dans quelques jours, ainsi que l’ambition des 500 000 logements par an affichée par le Président de la République.
Ces politiques publiques nécessitent de mettre en mouvement plusieurs secteurs d’activité qui doivent sortir de leur cloisonnement.
Pour autant, je saisis la perche que vous me tendez pour aborder un sujet d’actualité qui concerne les entreprises. En évacuant de fait, comme je l’ai fait à l’instant, les très grandes entreprises du BTP, qui sont en adéquation avec le cadre que vous avez évoqué, il serait peut-être opportun d’aborder ce point dans les discussions préalables à la mise en place prochaine du pacte de responsabilité avec les dirigeants des entreprises, les représentants des salariés, et la puissance publique sans doute en arbitre, et ce afin d’être en mesure de répondre à la demande d’un point du vue tant quantitatif - cela nous renvoie aux ambitions affichées - que qualitatif, grâce notamment à un effort de formation des personnels de ces entreprises. Celles-ci seraient alors en mesure de franchir un palier et de mieux affronter les défis que nous avons évoqués.
En tout cas, je me félicite de la mobilisation du Gouvernement au sens large au service de cette filière porteuse d’avenir.
évolution de la couverture en matière de téléphonie mobile dans les zones rurales
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 622, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique.
M. Bernard Cazeau. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur l’évolution de la couverture de nos zones rurales en matière de téléphonie mobile.
Avec la signature de la convention nationale de mise en œuvre du plan d’extension de la couverture du territoire, le 15 juillet 2003, le gouvernement d’alors avait lancé un programme national de résorption des zones blanches, lequel a été poursuivi par les gouvernements qui se sont succédé depuis et a permis une amélioration très significative de la desserte de nos concitoyens, notamment en zone rurale.
En Dordogne, le conseil général a construit 45 pylônes, ce qui n’est pas rien, et les opérateurs, un nombre similaire. Malgré tout, et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, en convient, 4 % du territoire reste non couvert.
Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, il y a la définition des critères qui définissent les zones blanches éligibles au plan national : seules pouvaient être considérées comme zones blanches les communes dont le centre-bourg n’était desservi par aucun des trois opérateurs. Or, en milieu rural, bon nombre de communes sont constituées de plusieurs hameaux et lieux-dits plus ou moins importants et plus ou moins éloignés les uns des autres. Il arrive d’ailleurs que le bourg de la commune n’en soit pas l’endroit le plus peuplé. Dans ces cas-là, il est fréquent que la couverture soit incomplète.
Il y a ensuite le fait que les opérateurs, depuis la fin de ce plan national, interviennent uniquement sur les zones les plus « juteuses » financièrement. Lors d’une récente réunion de la commission départementale ad hoc créée par le préfet de la Dordogne pour rassembler régulièrement l’ensemble des services et les opérateurs, ces derniers ont affirmé ne plus avoir le moindre projet de déploiement d’infrastructures 2G et 3G. Pire, ils ne sont pas disposés à venir implanter de nouveaux équipements actifs sur des pylônes, quand bien même toutes ces infrastructures seraient financées par l’argent public. Leur seule perspective est bien sûr le déploiement de la 4G !
Ainsi, nous nous trouvons actuellement dans une situation ubuesque où les pouvoirs publics, État comme collectivités locales, se trouvent entièrement désarmés, dans l’incapacité d’intervenir pour améliorer la couverture en téléphonie mobile. Nos concitoyens habitant en zone rurale, qui sont privés de ce service, ne peuvent le comprendre.
Ma question est donc simple, madame la ministre : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de rendre possible l’amélioration de la couverture en téléphonie mobile des territoires aujourd’hui non desservis ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, le problème que vous évoquez concerne malheureusement beaucoup de zones rurales, mais également celles dont les caractéristiques géographiques, le plus souvent des vallées et des montagnes, constituent un fort handicap. Je reconnais que le constat que vous avez fait est alarmant, car cela freine l’inclusion numérique tant des personnes âgées que des jeunes générations, qui ont besoin de ces dispositifs.
Vous le savez, Mme Fleur Pellerin est chargée de cette problématique très lourde, qui a fait l’objet d’un suivi particulièrement attentif à la suite du lancement du programme de résorption des zones blanches, décidé voilà plus de dix ans par le gouvernement de Lionel Jospin, mais dont vous avez signalé les carences persistantes.
Derrière votre constat, il me semble qu’il y a aujourd’hui trois enjeux majeurs auxquels le Gouvernement s’attaque.
Le premier enjeu est celui de la transparence : lors des annonces du dernier trimestre 2013 sur les différentes couvertures en 4G des opérateurs mobiles, Benoît Hamon et Fleur Pellerin ont indiqué leur volonté de faire en sorte que les niveaux de couverture réels fassent l’objet d’une véritable information accessible à toute la population. Ce travail est actuellement en cours.
Le deuxième enjeu, vous l’avez évoqué, est celui des incitations au déploiement des réseaux mobiles dans les zones les plus difficilement accessibles, s’agissant tout particulièrement de la 4G.
Sur ce point, le Gouvernement a souhaité donner un cadre précis et sécurisé pour la mutualisation des réseaux mobiles afin d’optimiser la couverture dans les zones les plus rurales. En février 2013, l’Autorité de la concurrence a ainsi précisé, dans un avis au Gouvernement, les conditions dans lesquelles cette mutualisation est possible, et ce avec des conséquences rapides, puisque, aujourd’hui, Bouygues Télécom et SFR, notamment, ont engagé des discussions qui auront pour conséquence une meilleure couverture du territoire. Je suis sûre qu’Orange y travaille aussi.
Par ailleurs, dans le cadre du plan France Très Haut Débit, pour lequel vous vous êtes beaucoup mobilisé en Dordogne, monsieur le sénateur, l’État souhaite accompagner l’ensemble des déploiements publics pour apporter du très haut débit, y compris de la 4G, dans les zones où les opérateurs ne se déploient pas pour des raisons essentiellement économiques. Des expérimentations sont en cours dans les Pyrénées-Orientales, dans le Gers, dans les Ardennes, et peut-être demain dans la Dordogne, si ce département est candidat à l’expérimentation.
Le troisième et dernier enjeu concerne la question du service universel, qui doit être en phase avec les attentes de nos concitoyens et avec les dynamiques en cours, notamment le plan France Très Haut Débit. Vous le savez, monsieur le sénateur, ce plan s’est précisément assigné comme objectif de pouvoir accompagner les déploiements de la fibre dans les territoires où précisément les opérateurs ne vont pas.
Telles sont les réflexions que le Gouvernement a engagées avec une grande détermination, car, j’y insiste, l’exclusion numérique n’est pas acceptable. Nous travaillons donc pour que toutes les populations puissent bénéficier de ces technologies aujourd’hui indispensables.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la ministre, je vous remercie de partager le constat que j’ai fait au sujet des zones rurales. Je connais très bien les perspectives de Mme Fleur Pellerin sur le très haut débit. La Dordogne, sous l’impulsion de la région d’Aquitaine, est d’ailleurs en train de préparer l’ouverture au très haut débit pour les dix ans à venir. Nous n’espérons pas être servis avant, malgré une volonté extrêmement forte et une enveloppe financière importante.
Les zones rurales sont souvent mal desservies par les services publics. Or la Dordogne a une activité touristique importante, puisque la part du PIB liée à ce secteur, soit 25 %, est supérieure à celle de l’agriculture. Et les zones rurales comptent pour beaucoup dans le développement du tourisme.
Malgré des ambitions affichées, que je salue, force est de constater que les opérateurs, avec la 4G, ne seront pas demain aussi présents que le Gouvernement le souhaite. Néanmoins, je pense que l’affirmation d’une volonté politique est, en ce domaine, indispensable.
Je prendrai l’exemple de la Finlande, où 36 % des habitants vivent en milieu rural : après un véritable bras de fer de deux ans avec les opérateurs, ce pays est devenu le premier d’Europe en termes de desserte par habitant.
Revenons en France : faute d’une volonté politique ferme du Gouvernement vis-à-vis des opérateurs, les choses vont traîner et la 4G n’est pas près d’arriver en milieu rural ! En Dordogne comme ailleurs, les opérateurs, notamment Orange, commenceront par équiper les zones les plus « juteuses » et les autres ne s’en trouveront pas plus avancées !
Je compte donc sur vous, madame la ministre, pour transmettre ces observations à l’ensemble du Gouvernement.
vente aux enchères par téléphone
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, auteur de la question n° 627, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Patrice Gélard. Madame le ministre, je tiens à attirer votre attention sur certaines pratiques de vente aux enchères qui n’ont pratiquement pas changé depuis le XIXe siècle, alors que des techniques tout à fait modernes permettent aujourd’hui de participer aux enchères, qu’il s’agisse du téléphone, du télécopieur, du télex, de l’internet, ou de toute autre méthode.
J’ajoute que ces pratiques obsolètes bafouent, dans une certaine mesure, les principes élémentaires des relations contractuelles et sont totalement inadaptées aux conditions présentes.
Nos ventes aux enchères ont donc une image très négative par rapport à celle des ventes pratiquées à l’étranger où d’autres techniques, beaucoup plus modernes et beaucoup plus vivantes, sont mises en œuvre. En effet, les ordres d’achat et les enchères téléphoniques ne sont perçus, en France, que comme un service gracieux, ce qui exonère de toute responsabilité les organisateurs d’une vente aux enchères en cas d’oubli ou d’ordre non exécuté, même lorsque ces offres ont été faites à partir d’un catalogue, lui, payant, qui engage donc, du même coup, la responsabilité du commissaire-priseur.
Une telle situation semble contraire aux règles contractuelles qui découlent tout naturellement de l’acceptation des ordres d’achat ou des enchères téléphoniques par l’organisateur de la vente aux enchères. Il y a bien formation d’un contrat dont les termes doivent être respectés, y compris pendant la vente aux enchères.
De plus, le refus du commissaire-priseur de prendre en compte ces ordres d’achat émis par téléphone, par télécopie ou même par lettre, est de nature à léser tant le vendeur – en effet, le prix proposé ne sera pas respecté et l’on repartira du prix de départ – que le donneur d’ordre en attribuant les enchères aux seules personnes présentes dans la salle d’adjudication, sans avoir prévenu ni le vendeur ni l’acquéreur potentiel. Dès lors, on ne peut que s’interroger et soupçonner une éventuelle collusion entre le commissaire-priseur et certains des acheteurs présents lors des enchères.
L’exonération de la société de vente et du commissaire-priseur judiciaire d’un défaut d’exécution pour des causes qui vont bien au-delà de l’erreur est extrêmement floue et large. On peut donc véritablement mettre en cause les relations contractuelles nées de l’offre faite par l’acquéreur éventuel.
Il ne faut pas faire perdre toute solennité à la vente aux enchères, mais celle-ci doit aussi respecter l’évolution des techniques modernes et ne pas en rester au XIXe siècle !
Je tiens à préciser que ces questions ne relèvent peut-être pas du règlement ni de la loi, mais plutôt de la déontologie professionnelle. Or, dans ce domaine, beaucoup reste à faire quand on sait que le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques donne systématiquement raison aux commissaires-priseurs !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l’attention de Mme la garde des sceaux sur la pratique des ordres d’achat et des enchères téléphoniques, dans un monde qui a évolué et connaît effectivement de nouvelles possibilités techniques de procéder aux enchères. Vous soulignez la nécessité de s’adapter aujourd’hui à ces évolutions.
Mme la garde des sceaux vous avait fait part, m’a-t-elle dit, de sa position dans un courrier récent, en date du 6 janvier 2014. J’y ajouterai aujourd’hui quelques précisions, en espérant qu’elles répondront à vos attentes.
L’opérateur de vente volontaire ou le commissaire-priseur judiciaire doit assurer le libre accès à la salle des ventes. À celui qui ne peut être présent est offerte la possibilité, à titre de facilité, de procéder à une enchère à distance par dépôt d’un ordre d’achat par enchère téléphonique ou même électronique. Cette technique s’est effectivement largement développée, comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur. Cependant, cette pratique est admise, mais non réglementée : il s’agit donc d’un service facultatif que de nombreux professionnels offrent aujourd’hui à leurs clients.
Ce service s’inscrit indiscutablement, comme vous l’avez souligné, dans un cadre contractuel, celui du mandat. En l’absence de jurisprudence en la matière, l’engagement du professionnel chargé de la vente doit être considéré comme relevant de l’obligation de moyen. C’est d’ailleurs ce que rappellent les conditions de vente des opérateurs : il n’existe donc aucune violation des principes contractuels.
Par ailleurs, les professionnels qui organisent ces ventes à distance sont tenus au respect de leur déontologie. J’ai bien entendu que vous souligniez les difficultés qui pourraient naître d’une non-application de cette déontologie. J’observe cependant que le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires a été approuvé par un arrêté du 21 février 2012.
En ce qui concerne les soupçons de collusion que vous avez évoqués, il convient de rappeler que le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, autorité de régulation du marché des ventes volontaires, n’a pas relevé, jusqu’ici, de difficulté majeure. Dans le cadre de sa mission légale d’identification des bonnes pratiques et de promotion de la qualité des services, il a récemment diffusé une fiche rappelant aux opérateurs qui souhaitent proposer un service d’enchères à distance les mesures qu’ils doivent prendre : y figure notamment l’obligation de ne proposer à leurs clients que le service qu’ils peuvent effectivement assurer.
Si des difficultés dans la mise en œuvre des enchères à distance devaient survenir, le Conseil des ventes volontaires ne manquerait pas de saisir la Chancellerie, qui alors examinerait, soyez-en assuré, les éventuelles réformes nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Madame le ministre, je vous remercie de vos explications.
J’observerai tout d’abord que plus de la moitié des ventes aux enchères utilisent aujourd’hui les techniques modernes et ne se déroulent plus simplement en salle des ventes. La plupart des pays étrangers pratiquent de façon contractuelle les ventes recourant aux techniques modernes, notamment à Londres, qui s’est fait une spécialité des ventes aux enchères où il n’y a pratiquement pas d’acheteurs présents physiquement. On ne peut donc que souligner le retard pris, en France, par une corporation qui n’a pas su tout à fait s’adapter aux exigences modernes.
Ensuite, sans suspecter la déontologie des différents acteurs, j’estime que, à partir du moment où l’on s’engage à appliquer un certain nombre de règles figurant dans un catalogue, lui-même vendu, il faut respecter scrupuleusement ces règles et non pas en changer y compris en cours d’enchères, en bâclant le travail sous prétexte d’un manque de temps, par exemple. De telles méthodes ne sont pas tolérables, même si le Conseil national des ventes les accepte.
Par conséquent, je souhaite une amélioration, tant pour les acheteurs, que pour les vendeurs et les commissaires-priseurs eux-mêmes.
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Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par courrier en date du mardi 21 janvier, M. Jean Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé la modification de l’ordre du jour réservé à son groupe des mardis 21 janvier et 11 février 2014.
En conséquence, l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe UMP de ce mardi 21 janvier 2014, de vingt et une heures à une heure, s’établit comme suit :
1°) Proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l’organisation des rythmes scolaires dans l’enseignement du premier degré ;
2°) Suite de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage
En outre, l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe UMP du mardi 11 février, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente, s’établit comme suit :
- Suite de l’ordre du jour réservé du mardi 21 janvier.
Acte est donné de cette demande.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi modifiant la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 210, texte de la commission n° 287, rapport n° 286).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois.
Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la Haute Assemblée est aujourd’hui amenée à examiner la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre, avec les membres du groupe socialiste, afin d’apporter plusieurs modifications à la loi du 30 octobre 2007, qui a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Je tiens à souligner que l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de la discussion de cette proposition de loi est une nouvelle marque de l’attention particulière que notre assemblée accorde à la situation des personnes privées de liberté et, en particulier, de notre attachement à l’existence d’une autorité de contrôle indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux de ces personnes.
Dès avril 2001, le Sénat avait d’ailleurs adopté une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Hyest visant notamment à instaurer un contrôle général des prisons.
La loi du 30 octobre 2007 a également été l’occasion de nous conformer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002, ratifié par la France le 28 juillet 2008.
Aux termes de la loi du 30 octobre 2007, voulue plus large que ce que prévoient les engagements internationaux de la France, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour mission de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux », mission que l’actuel et premier titulaire de la fonction, M. Jean-Marie Delarue, a incarnée excellemment.
Le législateur a choisi d’étendre la compétence de ce dernier, au-delà des établissements pénitentiaires, à tous les lieux susceptibles d’accueillir des personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique – locaux de garde à vue, zones d’attente et centres de rétention administrative, dépôts des palais de justice –, ainsi qu’aux établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement.
Le Contrôleur général a su pleinement se saisir de toutes les prérogatives dont il a été investi par la loi. Depuis 2008, il a su démontrer son efficacité à travers un bilan remarquable, avec plus de 800 établissements visités, conformément à l’engagement pris par lui au début de son mandat d’effectuer 150 visites par an. D’ici à l’été 2014, la quasi-totalité des établissements pénitentiaires aura été visitée.
Il faut également souligner que, malgré des moyens budgétaires modestes, le contrôle s’est exercé à plusieurs reprises dans des départements et collectivités d’outre-mer, où certains établissements fonctionnent dans des conditions fortement dégradées.
S’agissant des saisines, M. Jean-Marie Delarue a pris la décision, dans le silence de la loi, de répondre à tout courrier qui lui était adressé et, le cas échéant, d’envisager les suites à leur donner en effectuant des enquêtes et en confiant à des collaborateurs le soin d’aller vérifier sur place la réalité des faits. Ces saisines représentent depuis 2012 environ 4 000 courriers par an.
Enfin, le Contrôleur général a pleinement fait usage de la faculté de publier des avis ou des recommandations sur des problématiques particulières. Par la publicité donnée à ses prises de position, il a contribué à porter dans le débat public des questions qui n’étaient quasiment jamais évoquées auparavant.
En outre, son expertise nous a souvent été utile, à nous législateur, lorsque nous avons eu à nous prononcer sur des sujets importants, comme la réforme de la garde à vue, par exemple.
Je tiens ici à rendre véritablement hommage à M. Jean-Marie Delarue, dont l’action a permis d’asseoir la légitimité de l’institution, car il a su allier une intransigeance sur les principes avec un souci permanent du dialogue, de l’écoute des responsables et des personnels exerçant dans les lieux de privation de liberté et une exigence de rigueur imposée à ses équipes.
Lors de l’examen de la loi du 30 octobre 2007, notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur au nom de la commission des lois, avait estimé que la première personnalité appelée à exercer les fonctions de Contrôleur général « devrait réunir la compétence et l’expérience nécessaires pour bénéficier d’un crédit incontestable auprès de l’opinion publique tout en suscitant la confiance des administrations et des personnels responsables des lieux soumis à son contrôle ».
Nous nous accorderons, j’en suis sûre, à reconnaître que M. Jean-Marie Delarue a su parfaitement répondre à cette exigence, en donnant toute sa portée à la loi de 2007 et en mettant en place, dans le silence du texte, des pratiques conformes à une conception exigeante et ambitieuse de sa mission.
Avec l’achèvement du mandat de M. Jean-Marie Delarue, qui arrivera à son terme en juin prochain et n’est pas renouvelable, se pose la question des perspectives d’avenir pour cette institution.
En 2011, lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, le Sénat s’était opposé à l’absorption par ce dernier du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce texte, avait notamment fait valoir que les missions de ces deux autorités étaient différentes, mais aussi que, en tout état de cause, il convenait de dresser le bilan de l’action du Contrôleur général avant d’examiner toute éventuelle évolution institutionnelle de ce dernier.
L’examen de cette proposition de loi est l’occasion de réaffirmer l’attachement du Sénat à l’existence d’une autorité autonome chargée du contrôle des lieux de privation de liberté. En pratique, d’ailleurs, les missions de l’un et de l’autre sont complémentaires : s’il appartient au Défenseur des droits de rechercher des solutions à des litiges particuliers, le Contrôleur général a, lui, une mission de contrôle et de prévention. Par ses avis et ses recommandations, il contribue à accompagner les différentes administrations dans l’évolution de leurs pratiques.
Le Défenseur des droits, dans le bilan qu’il fait de l’action entre 2000 et 2013 auprès des personnes détenues, insiste lui-même sur cette complémentarité des rôles. J’estime, pour ma part, que le Contrôleur général a fait la preuve de son utilité et je souhaite que son autonomie soit préservée. C’est, du reste, la position qui a été partagée par de nombreux collègues lors de l’examen de ce texte en commission des lois, mercredi dernier.
Au terme de près de cinq ans et demi d’activité, l’expérience démontre qu’il est néanmoins nécessaire d’apporter des amendements à la loi initiale pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans le domaine de la défense des libertés publiques.
Tel est l’objet de cette proposition de loi qui, bien loin d’être une initiative isolée, doit être perçue comme s’inscrivant dans la dynamique globale engagée par la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, pour repenser la justice du XXIe siècle, dont le fonctionnement devra être simplifié et amélioré, en veillant toujours à placer le citoyen au cœur du service public de la justice.
Nous ne devons jamais oublier que les personnes privées de liberté pour payer leur dette à la société demeurent des citoyens à part entière et ne sont pas des sous-citoyens. Une privation de liberté respectueuse des droits fondamentaux des personnes est sans doute l’une des conditions pour que la détention conduise à la réinsertion et pour qu’elle contribue à la prévention de la récidive.
Le respect des droits fondamentaux s’impose évidemment de la même manière et avec autant de force pour les étrangers en situation irrégulière et les malades mentaux internés.
Si l’esprit qui a présidé à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et à l’élaboration de la présente proposition de loi a été de garantir la situation des personnes privées de liberté, il ne faut pas, pour autant, que ce texte soit perçu ou subi comme un acte de défiance à l’égard des personnels des administrations concernées.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Catherine Tasca, rapporteur. J’ai, lors des auditions, entendu notamment les représentants des directeurs et des personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont exprimé une grande sensibilité devant certaines prises de position du Contrôleur général, certains d’entre eux ressentant les critiques formulées sur le fonctionnement d’un établissement comme une remise en cause de leur travail.
Ce sentiment d’amertume ne doit pas être négligé, car tous les personnels chargés d’assurer le fonctionnement de ces lieux ont – je l’ai souligné devant la commission des lois – une tâche très difficile et, souvent, des moyens encore insuffisants. Or le fonctionnement de ces établissements repose avant tout sur les personnels, dont une grande majorité s’acquitte de ses fonctions avec conscience professionnelle et probité.
La mission et la préoccupation premières du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont de faire progresser le fonctionnement des lieux, de tous les lieux de privation de liberté, en repérant les lacunes, les défauts, les éventuels manquements, et en proposant des solutions. Il n’y a assurément aucune volonté de stigmatisation de telle ou telle profession, mais plutôt le souci d’accompagner l’amélioration constante de son exercice.
J’en viens à la proposition de loi. Celle-ci s’appuie sur le premier bilan du Contrôleur général et tire les conséquences d’un certain nombre de pratiques, de difficultés ou de résistances rencontrées au cours des cinq années écoulées.
En premier lieu, le texte comporte diverses mesures destinées à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général. Jean-Marie Delarue a souvent eu l’occasion de souligner la qualité du dialogue instauré avec les responsables des lieux de privation de liberté et, dans la grande majorité des situations, ses équipes ont pu accéder aux documents dont ils avaient besoin pour l’exercice du contrôle.
Des difficultés ponctuelles se sont toutefois présentées, notamment à l’occasion d’enquêtes portant sur des faits précis ; M. Delarue a en particulier cité la difficulté à accéder parfois à des images de vidéosurveillance, par exemple.
Surtout, le principal obstacle à la mission du Contrôleur général réside aujourd’hui dans les pressions et risques de « représailles » dont font l’objet, dans certains établissements, celles et ceux qui s’adressent à ce dernier ou acceptent de s’entretenir avec ses équipes. Cela peut concerner non seulement des personnes privées de liberté, mais également des personnels travaillant dans ces lieux. De tels comportements relèvent vraisemblablement d’initiatives individuelles, qui sont ignorées des responsables d’établissement ou des représentants des personnels que j’ai entendus. Ces comportements n’en sont pas moins avérés et inacceptables.
La proposition de loi introduit plusieurs dispositions destinées à protéger de telles mesures de rétorsion toute personne entrant en relation avec le Contrôleur général. Elle crée également un délit d’entrave à l’action du Contrôleur général, sur le modèle de ce qui existe pour d’autres autorités indépendantes comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, notamment.
Enfin, la proposition de loi renforce, sous peine de sanctions pénales, les dispositions de la loi pénitentiaire sur le secret des correspondances entre les personnes détenues et le Contrôleur général.
En deuxième lieu, la proposition de loi vise à permettre au Contrôleur général d’accéder à un nombre plus important d’informations.
M. Delarue a maintes fois souligné l’importance, pour l’efficacité de sa mission, du nombre et de la qualité des informations mises à sa disposition. Dans les faits, le Contrôleur général continue à se voir opposer un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, en particulier lorsque ses enquêtes portent sur des faits précis.
Plusieurs dispositions visent à remédier à ces difficultés.
Tout d’abord, la proposition de loi lève, de façon encadrée, l’interdiction faite jusqu’à présent au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical. En pratique, cette interdiction limite la portée de son contrôle, par exemple lorsque les faits dont il est saisi ont trait à des allégations de mauvais traitements ou à l’abus de mesures de contention en hôpital psychiatrique.
Prenant modèle sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, la proposition de loi prévoit d’autoriser le Contrôleur général à accéder à des informations couvertes par le secret médical à la demande expresse de la personne concernée. Ce consentement ne serait toutefois pas nécessaire lorsque les faits concernent des sévices commis sur un mineur ou sur une personne incapable de se protéger.
S’agissant du contrôle des locaux de garde à vue, la proposition de loi prévoit expressément la possibilité, pour le Contrôleur général, de prendre connaissance des procès-verbaux de déroulement de garde à vue.
Enfin, la proposition de loi ouvre la possibilité au Contrôleur général de faire face aux résistances rencontrées, en mettant en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixera.
En dernier lieu, la proposition de loi tend à la clarification du cadre légal de l’action du Contrôleur général.
La procédure applicable aux enquêtes est précisée, afin de lever tout risque d’ambiguïté. Les ministres devront également, désormais, répondre systématiquement aux observations du Contrôleur général, dans un délai déterminé. Celui-ci devra être informé des suites données à ses démarches auprès du procureur de la République ou de l’autorité chargée du pouvoir disciplinaire. Enfin, ses avis seront systématiquement publiés, ce qui consacre dans la loi la pratique mise en place depuis 2008.
À la suite d’interrogations qui ont été formulées en commission, je précise que cette publicité systématique s’appliquera aux avis, recommandations et propositions, et non nécessairement aux rapports de visite ou aux rapports d’enquête. L’article 1er de la proposition de loi prévoit d’ailleurs expressément que la publication des rapports d’enquête ne sera qu’une faculté pour le Contrôleur général.
Par ailleurs, et en tout état de cause, la publicité donnée à ces prises de position doit respecter les prescriptions de l’article 5 de la loi d’octobre 2007, lequel rappelle que le Contrôleur général est astreint au secret professionnel et que ses interventions publiques ne doivent pas comporter d’éléments permettant l’identification des personnes.
J’ajoute, également pour répondre à une inquiétude formulée en commission des lois, que la proposition de loi prévoit que, lorsqu’il adresse des observations aux ministres concernés, le Contrôleur général doit tenir compte de l’évolution de la situation depuis sa visite. Cette disposition est importante, car, compte tenu des effectifs et de la charge de travail du Contrôle général, ces observations sont parfois transmises plusieurs mois après la visite de ses équipes. Prévoir qu’il tienne compte de l’évolution de la situation depuis sa visite permettra aux ministres de disposer d’informations actualisées et, le cas échéant, d’apprécier la pertinence des réponses apportées par les responsables du lieu visité aux observations du Contrôleur général.
Sur ma proposition, la commission des lois a apporté quatre modifications au texte de la proposition de loi.
La première modification a consisté à compléter ce dernier, afin d’élargir la compétence du Contrôleur général à l’ensemble des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière. Je rappelle que, aujourd’hui, le Contrôleur général est compétent pour contrôler les zones d’attente et les centres de rétention administrative, mais que sa compétence s’arrête aux portes de ces établissements. Or la directive « retour » de 2008 nous impose de prévoir « un système efficace de contrôle du retour forcé », incluant l’ensemble des phases de transfert jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination. Concrètement, il s’agit de permettre l’exercice d’un contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes lors des phases de transfert, notamment dans l’avion.
La commission des lois a souhaité donner une traduction législative à cette obligation dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, et a confié cette mission au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, puisque ce dernier est déjà compétent pour contrôler les centres de rétention administrative.
Dans un souci de cohérence de notre droit, nous avons estimé que cette extension de compétence ne devrait pas être limitée aux éloignements vers les pays tiers à l’Union européenne, comme y aurait conduit une interprétation stricte de la directive « retour », et nous l’avons prévue pour l’ensemble des mesures d’éloignement exécutées par les autorités françaises, y compris vers des pays membres de l’Union européenne.
La deuxième modification apportée au texte par la commission des lois a trait à la question du secret médical. C’est un sujet très sensible pour une grande partie des professionnels de santé, dont on sait le rôle essentiel dans les lieux de privation de liberté.
En tant qu’auteur de cette proposition de loi, j’avais pris le parti de me « caler » sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, qui s’appuient sur le consentement exprès de la personne.
Une autre option, qui m’a été suggérée lors des auditions, aurait été de s’inspirer de ce qu’a prévu la loi Kouchner de mars 2002 pour les contrôles de l’IGAS, l4inspection générale des affaires sociales, ou des ARS, les agences régionales de santé : un accès non conditionné au consentement de la personne, mais réservé aux seuls membres de l’IGAS ou de l’ARS titulaires d’un diplôme de médecin.
La solution retenue par la commission des lois est intermédiaire entre ces deux dispositifs. Dans le temps qui nous est imparti pour l’examen de ce texte, dont une adoption rapide par le Parlement me paraît souhaitable, il nous a semblé délicat de passer outre le consentement de l’intéressé. En revanche, nous avons assoupli les modalités de ce consentement : plutôt qu’une « demande expresse » de la personne, nous avons retenu le principe de son « accord », dans un souci de pragmatisme, afin de tenir compte des conditions de fonctionnement de certains établissements et de ne pas exposer la personne intéressée à d’éventuelles pressions.
Surtout, afin d’apaiser les craintes du corps médical, nous avons prévu que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin pourront prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les informations nécessaires au contrôle. Trois praticiens hospitaliers font à l’heure actuelle partie de l’équipe du Contrôleur général.
J’irai plus vite sur les deux dernières modifications apportées par la commission des lois.
Sur la proposition conjointe de nos collègues Esther Benbassa et Aline Archimbaud et de moi-même, la commission des lois a préféré renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de détailler les modalités d’organisation interne du Contrôle général, et en particulier, éventuellement, le statut des « chargés d’enquête ».
Enfin, la commission des lois a adopté un amendement permettant l’application de la nouvelle loi dans les collectivités d’outre-mer.
En conclusion, l’adoption de la présente proposition de loi à l’unanimité de notre commission de lois démontre, une nouvelle fois, que ce sujet transcende les clivages politiques. J’émets le souhait que la Haute Assemblée puisse confirmer ce vote en donnant une forte légitimité au présent texte et, par là même, confirmer l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rôle et dans la mission qui est la sienne. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de l’indiquer Mme la rapporteur, nous examinons cet après-midi un texte d’une extrême importance, qui a bénéficié de l’expérience très riche et d’une grande qualité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La réflexion et le recul sur cette expérience ont permis d’élaborer une proposition de loi très bien structurée, dont les huit articles permettent de couvrir l’essentiel des conclusions tirées par le Contrôleur général de l’action qu’il a conduite, mais surtout des difficultés qu’il a rencontrées dans les diverses situations auxquelles il a été confronté.
Je tiens à vous remercier, madame la rapporteur, du travail que vous avez effectué. Lorsque j’ai reçu pour la première fois à la Chancellerie le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en juin 2012, il m’a fait part d’un certain nombre d’améliorations qu’il estimait souhaitable d’apporter à la loi du 30 octobre 2007, en vue de consolider l’exercice de la haute mission qui lui avait été confiée, cela dans un esprit de désintéressement, dans la mesure où son mandat n’est pas renouvelable.
Je vous ai donc fait connaître très rapidement, madame la rapporteur, l’a priori positif de la Chancellerie à l’égard de cette proposition de loi et j’ai mis à votre disposition toutes les informations susceptibles de vous être utiles, afin que la loi du 30 octobre 2007 puisse être améliorée au mieux.
Le texte que vous nous présentez s’inscrit dans un long processus d’élaboration de la condition juridique du détenu.
Ce processus a connu une inflexion assez forte dans les années quatre-vingt, grâce aux initiatives prises par le garde des sceaux d’alors, Robert Badinter. Je pense notamment à la généralisation des parloirs sans dispositif de séparation, ainsi qu’à des mesures relatives à la protection sociale et au régime disciplinaire : il s’agissait de garantir le respect effectif des droits fondamentaux dont continuent à bénéficier les personnes détenues, bien qu’elles soient privées de leur liberté en exécution d’une décision de justice.
Ces évolutions ont été favorisées par un contexte général ayant donné lieu à plusieurs initiatives, prises notamment par le pouvoir exécutif, mais pas seulement. Le contrôle extérieur s’est développé : celui des juges, qui peuvent désormais se présenter dans les établissements pénitentiaires à tout moment, mais aussi celui d’autres autorités, telles que le préfet, la CNIL, la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, et l’inspection du travail.
Un processus de contrôle s’est donc mis en place. La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a reconnu aux personnes détenues le droit à l’accès aux soins. Quant à la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, présentée par Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, elle a permis aux parlementaires de visiter librement les établissements pénitentiaires. Enfin, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, dont la discussion a malheureusement été différée, contient une disposition autorisant les journalistes à accompagner les parlementaires lors de ces visites inopinées.
En 1995, déjà, l’autorité administrative elle-même avait considéré qu’elle pouvait étendre son champ de contrôle aux mesures d’ordre intérieur. Elle a ainsi prononcé des jugements portant, par exemple, sur des décisions de changement d’affectation, des sanctions disciplinaires et même les conditions d’inscription au registre des détenus particulièrement surveillés.
Ce processus a donc permis de construire une condition juridique du détenu, qui devait trouver sa concrétisation dans un texte de loi.
Le contexte que j’évoquais à l’instant a également été marqué par un certain nombre de rapports remarquables et d’initiatives ayant contribué à informer et à sensibiliser l’opinion publique. Je citerai notamment le rapport rédigé en 1999 par Guy Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, celui de la commission des lois de l’Assemblée nationale et celui de la commission des lois du Sénat, cosigné par MM. Hyest et Cabanel.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était une commission d’enquête.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, monsieur Hyest, deux commissions d’enquête avaient été mises en place au Sénat et à l’Assemblée nationale !
Le rapport que vous avez rédigé avec M. Cabanel a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi, qui a été adoptée par le Sénat au mois d’avril 2001. Les débats qui se sont tenus à cette occasion ont permis d’informer l’opinion publique et de la sensibiliser au fait qu’une prison républicaine ne saurait être un lieu de relégation : les droits fondamentaux des personnes privées de liberté par décision de justice qu’elle accueille sont respectés.
À la même époque, le livre du docteur Vasseur a eu l’effet d’un électrochoc sur l’opinion publique. Enfin, il faut saluer le travail des associations, dont la vigilance civique est tout à fait utile.
Sur le plan international, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été signé par la France en 2002 et ratifié en 2008. Il constitue l’une des sources de droit ayant conduit à la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avant l’adoption de ce texte, les règles pénitentiaires européennes adoptées par le Conseil de l’Europe en 2006 ont également contribué à construire l’architecture de cette autorité indépendante chargée du contrôle des lieux de privation de liberté.
Inspirée par le Protocole de 2002, la loi du 30 octobre 2007 charge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de vérifier que les personnes détenues ne sont pas soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle va toutefois plus loin, le Contrôleur général ayant également pour mission de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Les lieux de privation de liberté incluent évidemment les établissements pénitentiaires, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative, les zones d’attente, les locaux de rétention douanière et les établissements hospitaliers où des patients sont admis sans leur consentement.
La loi du 30 octobre 2007 accorde au Contrôleur général des lieux de privation de liberté un large champ de compétence et un certain nombre de prérogatives lui permettant d’exercer correctement ses missions. Son domaine d’intervention s’étend à tous les lieux de privation de liberté que je viens d’énumérer. Étant soumis au secret professionnel, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, il a accès librement à ces lieux, ainsi qu’aux documents qui lui paraissent nécessaires à la compréhension des situations auxquelles sont confrontées les personnes privées de liberté.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut être saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les parlementaires, le Défenseur des droits, ainsi que par les personnes physiques et les personnes morales concernées par les questions relatives au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Nous avons la chance que le premier titulaire de cette haute fonction soit une personnalité de l’envergure et de la qualité de Jean-Marie Delarue : je me joins très volontiers à l’hommage que vous lui avez rendu, madame la rapporteur. M. Delarue se distingue en effet par sa grande rectitude morale, sa grande exigence, son intransigeance au sens noble du terme : pour lui, l’éthique et les principes sont intangibles. En outre, il fait montre d’une profonde intelligence des situations, du contexte législatif, des relations internationales et de l’apport de certains textes, notamment européens, à l’évolution de notre droit.
À cet égard, la loi pénitentiaire de 2009, qui a largement intégré les règles pénitentiaires établies en 2006 par le Conseil de l’Europe, fait partie du dispositif législatif ayant conduit à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. Jean-Marie Delarue a su prendre du recul par rapport à l’exercice de sa haute mission pour en mesurer les faiblesses et les points forts, ainsi que les aménagements à y apporter. Grâce à son extraordinaire expérience, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi dense, substantielle, propre à améliorer le fonctionnement de cette haute autorité indépendante.
Le bilan du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est tout à fait remarquable : il a visité 179 établissements pénitentiaires, 18 établissements hospitaliers accueillant des personnes sans leur consentement ; il a émis des recommandations sur la base de la procédure d’urgence, notamment, en 2011, sur l’établissement pénitentiaire de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et il a aussi formulé des avis sur la situation à Mayotte. Il est heureux qu’il ait pris en compte les outre-mer, car ceux-ci ont souvent été fortement négligés et le parc pénitentiaire y accuse un retard considérable, tout comme le parc judiciaire d’ailleurs.
Grâce à ses avis, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, j’ai pu prendre un certain nombre d’initiatives assez rapidement. J’ai d’abord diligenté une inspection de nos propres services, puis une mission dirigée par la conseillère d’État Mireille Imbert-Quaretta, qui a permis de mettre très vite en œuvre un programme de réhabilitation et de construction en Nouvelle-Calédonie.
Dans le cadre de la procédure d’urgence, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a également formulé des observations concernant la prison des Baumettes, à Marseille. Cela étant, nous les avions anticipées, puisque nous avions inscrit dans la loi de finances rectificative de la fin de 2012 la réalisation d’un certain nombre de travaux au sein de cet établissement.
En tout état de cause, ce qui importe, c’est que l’action, extrêmement fournie, du Contrôleur général a contribué à améliorer de façon très substantielle la gestion de ces établissements et les conditions de vie en leur sein.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a en outre émis toute une série d’avis thématiques relatifs par exemple à la présence de jeunes enfants dans les prisons et aux quartiers mères-enfants, aux politiques sociales et de réinsertion, à la prise en charge des personnes transsexuelles ou à l’exercice des cultes, autant de sujets extrêmement divers ayant trait à la vie à l’intérieur de ces lieux clos. Ces avis, extrêmement utiles, nous ont permis d’améliorer le fonctionnement de ces établissements.
Le champ d’action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a donc couvert l’ensemble de nos établissements, tant dans l’Hexagone que dans les outre-mer. Je veille à ce que les réponses qui lui sont adressées soient circonstanciées et transmises dans les délais requis. Répondre à ses très nombreuses demandes et interpellations exige de la direction de l’administration pénitentiaire un travail assidu, précis et de qualité, dont les conclusions sont en général publiées en même temps que ses avis et interpellations. Au-delà, je considère que ces réponses fournies au Contrôleur général des lieux de privation de liberté engagent la Chancellerie : l’inspection des services pénitentiaires et les inspecteurs territoriaux veillent à l’application des dispositions correspondantes, y compris dans les territoires lointains.
Aujourd'hui, nous avons l’occasion d’améliorer le fonctionnement d’une instance indépendante dont la qualité du travail nous a permis d’appréhender un certain nombre d’urgences et de faire entendre la nécessité de prendre certaines dispositions. En effet, il ne faut pas sous-estimer la méconnaissance, par la société, du fonctionnement des établissements pénitentiaires et de la vie qui s’y déroule, ainsi que du travail considérable incombant au personnel pénitentiaire.
Par ailleurs, il importe de faire en sorte que ces établissements soient des lieux de privation de liberté, mais pas d’autres droits. La prison est confrontée à ce défi paradoxal qui consiste à retirer de la société des personnes sur lesquelles pèsent des décisions de justice tout en préparant leur réintégration. En d’autres termes, le temps passé en détention doit être utilisé pour faire en sorte que, une fois sa peine exécutée, la personne concernée puisse revenir dans la société sans constituer un danger pour celle-ci. Il doit donc s’agir d’un temps utile, maîtrisé par l’administration, afin que le temps passé en prison n’aggrave pas les conditions sociale, économique et personnelle des détenus, qui sont appelés à réintégrer la société.
Grâce au travail effectué par Jean-Marie Delarue, nous avons pu avancer et ouvrir un certain nombre de chantiers, y compris ici au Sénat. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé qu’il s’agit de politiques publiques s’inscrivant dans une démarche visant à moderniser la justice pour l’adapter au XXIe siècle, à la mettre véritablement au service des citoyens, à faire en sorte que son efficacité, sa diligence, son accessibilité constituent un progrès général pour la société et contribuent à la paix sociale et à la paix publique.
Je salue la qualité du travail fourni par la commission des lois du Sénat, en particulier par Mme Tasca, dont le rapport souligne que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce un magistère moral reconnu : ce point est absolument indiscutable. Grâce aux dispositions contenues dans le présent texte, ce magistère d’influence deviendra en plus un magistère d’efficience. En effet, l’évaluation de l’exercice de cette haute mission nous permettra d’améliorer celui-ci, pour faire en sorte que l’action du prochain Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit encore plus efficace.
Jean-Marie Delarue continuera d’exercer ses fonctions pendant encore un semestre. Il lui reste du travail à accomplir, et la Chancellerie continuera à lui apporter les éclairages nécessaires à l’exercice de ses missions de contrôle.
Je tiens à rendre hommage au personnel pénitentiaire. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que l’amélioration des conditions de détention contribue à celle des conditions de travail du personnel pénitentiaire et qu’il n’y a donc pas d’antagonisme entre ces deux dimensions, au contraire.
Avec les représentants des différents métiers pénitentiaires, nous avons pris un certain nombre d’initiatives. Nous avons notamment signé un protocole avec l’organisation syndicale majoritaire et adopté un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. En d’autres termes, nous avons conduit des actions qui améliorent non seulement la situation des personnels dans leur parcours de carrière, mais également les conditions immédiates de travail dans nos établissements pénitentiaires. Il reste encore beaucoup à faire, car un retard important a été accumulé en matière de recrutement, d’effectifs, de définition et d’évolution des métiers, de prise en compte de contrôles qui sont une garantie du fonctionnement démocratique des établissements pénitentiaires, mais qui constituent aussi une pression exercée sur le personnel : il est important que ces contrôles soient vécus comme des actes démocratiques contribuant au bon exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.
Ces contrôles permettent d’identifier les défaillances et les obligations de l’État, les manquements de la puissance publique, et d’exonérer les personnels pénitentiaires d’un certain nombre de responsabilités que l’on a tendance à leur imputer indûment. Ces contrôles sont donc propres à faciliter l’exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.
En conséquence, il n’existe aucun antagonisme entre, d’une part, l’amélioration des conditions de détention et le respect des droits fondamentaux des personnes détenues, et, d’autre part, la prise en compte des difficultés du travail des personnels pénitentiaires, en vue de leur permettre d’accomplir celui-ci dans des conditions plus favorables.
C’est à cette tâche que nous nous consacrons depuis vingt mois maintenant. J’ai évoqué le protocole d’accord visant à revaloriser les métiers pénitentiaires, s’agissant notamment des métiers d’encadrement et du passage de surveillant à surveillant-brigadier. Nous avons en outre mis en place un plan de formation et un groupe de travail sur les maisons centrales, ainsi qu’un plan de sécurisation des établissements, doté de 33 millions d’euros. Toutes ces mesures convergent pour améliorer les conditions de travail du personnel et les conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Pour conclure, je salue une nouvelle fois cette initiative, qui permettra, avant la fin du mandat de M. Delarue, de consolider le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : c’est heureux pour notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans cette période où le Sénat est régulièrement incompris, marquée par des majorités fluctuantes, voire inexistantes, nous devons nous réjouir de la belle unanimité qui semble se dégager autour du texte que nous présente notre collègue Catherine Tasca.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est une autorité protectrice des libertés qui a su trouver sa place dans nos institutions.
Les débats qui se sont tenus lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits ont permis de réaffirmer l’indépendance du Contrôleur général, puisque le Sénat a rejeté l’intégration de ce dernier au Défenseur des droits. Nous sommes heureux que cette position, qui avait été défendue par la commission des lois du Sénat, ait prévalu.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Zocchetto. En effet, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente une réelle spécificité. Il n’est pas saisi par des personnes individuelles. Il visite tous les lieux de privation de liberté, à tout moment, parce que les détenus et les gardiens hésitent souvent à saisir une autorité de la défense de leurs droits, par peur des représailles. Le Contrôleur général prononce des avis et des recommandations, avec l’autorité qu’on lui connaît.
Le garde des sceaux de l’époque, Michel Mercier, avait d’ailleurs reconnu la particularité du Contrôleur général et s’en était remis à la sagesse du Sénat sur le point de savoir s’il devait ou non être rattaché au Défenseur des droits.
L’indépendance du Contrôleur général ne l’empêche pas de travailler de concert avec le Défenseur des droits, comme en témoigne la convention qui a été conclue entre ces deux institutions dès le mois de novembre 2011.
Comme l’ensemble de mes collègues, je tiens ici à saluer la qualité du travail réalisé depuis 2008 par M. Delarue. Son mandat, qui arrive bientôt à échéance, lui aura permis d’effectuer plus de 800 visites de lieux de privation de liberté. Les locaux de garde à vue représentent plus du tiers des visites réalisées, ce qui est, me semble-t-il, une bonne chose. Il ne fait pas de doute que les mentalités et les pratiques ont évolué ces dernières années grâce aux visites et aux observations de M. Delarue.
Je profite de cette occasion pour rappeler, à la suite de Mme la garde des sceaux, que ces changements sont aussi à mettre au crédit de l’administration pénitentiaire, qui a beaucoup évolué ces dernières années, notamment grâce à la formation dispensée par l’École nationale d’administration pénitentiaire. Ses fonctionnaires font évoluer le quotidien des prisons. Je ne méconnais pas les difficultés qui existent encore – notre collègue Nathalie Goulet abordera tout à l’heure le cas de la prison d’Alençon –, mais il faut aussi souligner les progrès accomplis : je me bornerai à citer, à cet égard, le travail important réalisé en matière de prévention des suicides, dont les statistiques récentes montrent qu’il a porté ses fruits.
Après plusieurs années d’exercice de ses missions par le Contrôleur général, l’heure est venue de faire le point sur le rôle de celui-ci et de s’interroger sur les éventuels aménagements à apporter à la loi du 30 octobre 2007.
Plusieurs des aménagements prévus par le texte visent à pérenniser des pratiques mises en place par M. Delarue et à les inscrire dans la loi. À l’heure où le mandat de M. Delarue approche de son terme, cela ne me paraît pas être une précaution inutile : il convient de nous assurer que son successeur continuera dans la même voie.
Ainsi, l’article 4 de la proposition de loi prévoit de rendre systématiquement publics les avis, recommandations ou propositions émis par le Contrôleur général, de même que les observations en réponse des autorités publiques. Aujourd’hui, cette publication constitue une simple faculté ; la rendre systématique représente un progrès pour notre démocratie. Je rappelle qu’il ne s’agit pas des observations formulées à l’issue de chaque visite, qui, elles, n’ont pas vocation à être publiées ; je pense que la Chancellerie partage cet avis.
J’évoquerai brièvement les amendements déposés par nos collègues écologistes et visant à étendre la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, conformément à une demande exprimée par M. Delarue dans son dernier rapport annuel.
Il semble que ces amendements ne seront pas débattus. En tout état de cause, une telle modification du champ de compétence du Contrôleur général serait à mon sens inopportune ; je crois que cette opinion est partagée par un certain nombre de nos collègues.
En effet, l’extension de la compétence du Contrôleur général à ces établissements se heurterait à plusieurs obstacles sérieux, qui avaient d’ailleurs été exposés par M. Delarue lui-même.
Le premier obstacle tient au fait qu’aucune décision d’une autorité publique n’est à l’origine du placement dans un tel établissement. Ce placement résulte toujours de la demande d’une personne privée ou de ses proches. Il est donc difficile de considérer comme un captif quelqu’un qui a demandé à être admis dans un EHPAD.
Le deuxième obstacle tient à la réalité de la privation de liberté : chacun sait qu’il n’y a pas d’interdiction d’aller et de venir pour les personnes âgées hébergées dans les EHPAD.
Je tiens à remercier une nouvelle fois notre collègue Catherine Tasca pour le dépôt opportun de ce texte législatif et pour la qualité de son travail de rapporteur, qui a fait l’unanimité. Comme elle, nous pensons qu’il est essentiel de continuer à mieux faire connaître les fonctions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en particulier auprès des auxiliaires de justice, notamment les avocats. Ces acteurs pourraient sans doute faire parvenir au Contrôleur général des éléments d’information utiles à l’exercice de sa mission, à condition toutefois d’encadrer l’exercice de cette faculté.
En conclusion, j’espère que la belle unanimité qui s’annonce au Sénat sur cette proposition de loi ne restera pas lettre morte et que nos collègues députés inscriront rapidement ce texte à leur ordre du jour. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour l’inscrire, le cas échéant, à celui qui relève du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après une latence de quelques années, la loi du 30 octobre 2007 a marqué la naissance, qui était fortement attendue, d’une nouvelle autorité administrative indépendante, chargée spécifiquement du contrôle des lieux de privation de liberté.
En effet, un consensus sur la création d’un mode de contrôle indépendant des prisons existait depuis la parution, au début des années 2000, du rapport Canivet. Sept années se sont écoulées avant que ce contrôle indépendant, dont les membres de mon groupe appelaient depuis longtemps de leurs vœux l’instauration, ne voie enfin le jour.
Permettez-moi de retracer très brièvement le cheminement de cette idée. Elle a réellement émergé en 2000, à un moment où la question pénitentiaire était sur le devant de la scène et où plusieurs rapports importants avaient paru, mettant en évidence à la fois les conditions indignes de détention dans notre pays et la nécessité d’améliorer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Je pense ici, en particulier, au rapport Canivet, ainsi qu’aux rapports des commissions d’enquête parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale sur les prisons.
Sur le principe, nous étions bien évidemment favorables à l’instauration d’un contrôleur général de tous les lieux de privation de liberté, conformément à l’engagement pris par notre pays auprès des Nations unies, le 16 septembre 2005, de créer un mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants.
Concernant les modalités de sa mise en œuvre, nous avions néanmoins formulé certaines critiques sur le dispositif tel qu’instauré par le gouvernement de l’époque, jugeant que l’on nous proposait un texte a minima.
Les amendements émanant de l’ensemble des travées de gauche tendaient à faire de cette structure de contrôle une autorité incontestable, impartiale et indépendante, tant sur le plan politique que sur le plan financier.
Déjà, à l’époque, nous gagions que la première personnalité qui serait nommée, dès l’entrée en vigueur de la loi, pour exercer les fonctions de Contrôleur général saurait donner le ton quant au rôle et à la place de cette instance de prévention des traitements inhumains, en termes d’utilité, de crédibilité, d’efficacité et, bien sûr, d’indépendance.
Depuis, les différents rapports de M. Jean-Marie Delarue ont effectivement mis en exergue les points forts de cette institution, mais également ses quelques faiblesses. Leur présentation a été l’occasion de préconiser des mesures nécessaires pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général, que personne ne songe aujourd’hui à remettre en cause.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit, comme l’a rappelé Catherine Tasca, de reprendre un certain nombre de ces recommandations, afin précisément de renforcer le cadre légal de l’action du Contrôleur général, de pallier les difficultés rencontrées par ce dernier dans l’exercice de ses missions, d’aligner un certain nombre de ses prérogatives sur celles qui ont été attribuées, postérieurement à sa création, à certaines autorités indépendantes, en particulier au Défenseur des droits, et de consacrer dans la loi un certain nombre de bonnes pratiques mises en place par M. Delarue depuis sa prise de fonctions, afin de les pérenniser.
Nous saluons l’ensemble de ces avancées, ainsi que le travail fourni par Mme la rapporteur.
La proposition de loi comporte une disposition visant à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général, une autre destinée à lui donner accès à davantage d’informations, une autre encore consacrant sa compétence en matière d’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière.
Nous approuvons l’ensemble de ces dispositions, qui, j’en suis sûre, permettront au Contrôleur général d’exercer encore plus efficacement ses fonctions. Comme le souligne le rapport de notre collègue Catherine Tasca, aujourd’hui, au terme de cinq ans et demi d’activité, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut se prévaloir d’un bilan remarquable : plus de 800 établissements accueillant des personnes privées de liberté ont été visités et son action a largement contribué, très certainement grâce à la personnalité du titulaire de la fonction et à la qualité de ses collaborateurs, à faire progresser la situation des personnes privées de liberté dans notre pays.
Cependant, il ne faut pas oublier que, malheureusement, le contexte dans lequel cette institution a vu le jour demeure. En effet, la situation des prisons françaises, qui a motivé la mise en place de cette nouvelle autorité en 2007, a peu évolué. Malgré l’adoption de la loi pénitentiaire de 2009, les constats demeurent les mêmes : surpopulation carcérale, allongement progressif de la durée des peines, sans parler de la situation dans le secteur psychiatrique, dans les centres de rétention ou dans les zones d’attente.
Pour parfaire le travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il reste donc au législateur à agir pour que la loi pénitentiaire soit appliquée réellement dans son intégralité.
Je souhaite aussi que des dispositifs suffisants soient inscrits au cœur de la réforme pénale que vous annoncez, madame la ministre, afin que l’action du futur Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit à la hauteur des exigences de notre démocratie. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’affaire est connue et a fait les gros titres : il y a un an, l’inspection de la prison des Baumettes, à Marseille, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait abouti à la publication de recommandations en urgence.
Cette procédure exceptionnelle était justifiée par les traitements inhumains et dégradants constatés. Les contrôleurs avaient notamment relevé des odeurs d’ordures et un pullulement de rats tel que les surveillants devaient taper des pieds pendant les rondes de nuit pour les éloigner…
Cela avait, à juste titre, fait grand bruit et obligé l’administration pénitentiaire à engager de profondes transformations et des travaux d’entretien.
Madame la garde des sceaux, vous aviez reçu M. Jean-Marie Delarue et longuement répondu par écrit à ses demandes. Vous aviez, à la suite de la publication de ce rapport édifiant, demandé un audit de la sécurité à l’administration, qui devait faire des « propositions précises ». Le procureur et le procureur général avaient été, en outre, sommés « d’apporter une attention toute particulière aux faits de violence ». De surcroît, vous aviez sollicité une inspection.
Tout cela a donc été accompli sous l’impulsion de cette nouvelle institution, si particulière au sein des autorités administratives indépendantes : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Née du constat des carences du dispositif français, l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est issue de la loi du 30 octobre 2007. Cette jeune autorité tente de restaurer la dignité de notre institution pénitentiaire, en rendant la leur aux personnes privées de liberté, que celles-ci se trouvent en centre de rétention administrative, en établissement pénitentiaire ou en établissement d’hébergement.
Cette autorité, avec plus de 800 établissements visités, a largement contribué, grâce à la personnalité de son titulaire et à la qualité de ses collaborateurs, à faire progresser et à améliorer la situation des personnes privées de liberté.
Les cinq années d’existence de cette institution, dont l’indépendance a fait honneur à notre pays, ont cependant mis en lumière des distorsions entre le texte et la pratique, pouvant parfois se révéler dommageables à l’exercice même de la mission du Contrôleur général.
Certes, M. Delarue a parfois expliqué n’avoir pas peur de l’« insistance inconvenante ». Toutefois, les différents rapports rendus par l’institution ont souligné à de nombreuses reprises la perfectibilité des prérogatives qui lui sont attribuées, ainsi que le manque de réactivité ponctuel des autorités publiques.
Le groupe RDSE se félicite donc de cette initiative, particulièrement éclairée, qui tend à prendre en compte les leçons tirées de la pratique des années d’existence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il nous faut ici rappeler que le Sénat s’était opposé, en 2011, à l’intégration du Contrôleur général au sein du nouveau Défenseur des droits.
Comme l’a rappelé Mme Tasca, à laquelle je rends hommage, Patrice Gélard avait justement souligné, dans son rapport, que cette intégration aurait entraîné un affaiblissement du statut du Contrôleur général. Ce constat de l’utilité du Contrôleur général, que partage le groupe RDSE, est aujourd’hui plus que jamais d’actualité.
À l’aune de la condition des personnes détenues, ainsi que des difficultés rencontrées par le Contrôleur général dans l’exercice de sa mission, on mesure combien il est nécessaire de renforcer les pouvoirs de celui-ci.
La création d’un délit d’entrave, la protection des correspondances avec les personnes détenues, ainsi que la protection contre les risques de représailles des personnels entrant en contact avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté vont dans ce sens !
Parce qu’il se voit quotidiennement opposer un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, il était également indispensable de renforcer les prérogatives du Contrôleur général, notamment de lui permettre d’accéder aux procès-verbaux de déroulement de garde à vue, de mettre en demeure les personnes concernées de répondre à ses demandes d’informations ou de documents, mais aussi de lever, dans certains cas, le secret médical, avec l’autorisation de la personne privée de liberté.
Cette question de la levée du secret médical était particulièrement sensible. Elle a pourtant fait l’objet d’un compromis équilibré, obtenu sous l’égide de Mme la rapporteur et de la commission des lois. Ce droit est accordé aux seuls contrôleurs autorisés à exercer en France la profession de médecin. L’accord des personnes concernées est requis, sauf dans le cas où sont en jeu des privations, sévices et violences commis sur un mineur ou sur une personne qui n’est pas en mesure de se protéger.
Par l’attribution de cette nouvelle prérogative, le caractère d’autorité administrative indépendante du Contrôleur général se trouve également renforcé.
La pratique de ce dernier a par ailleurs mis en lumière quelques imprécisions en matière de dialogue avec les différentes autorités responsables. Il est ainsi particulièrement salutaire que la proposition de loi s’attache à préciser les modalités de l’exercice des prérogatives du Contrôleur général, notamment lorsque ce dernier adresse des observations aux ministres concernés. Aux termes de cette proposition de loi, les ministres seront désormais systématiquement tenus de répondre au Contrôleur général, et ce dans un délai déterminé par celui-ci, qui sera également informé des suites données à ses démarches par le procureur de la République ou par l’autorité disciplinaire.
Enfin, l’élargissement de la compétence du Contrôleur général à l’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière constitue la suite logique des missions conférées à ce dernier en matière de personnes privées de liberté.
Le groupe RDSE, vous l’aurez compris, accueille très favorablement cette proposition de loi telle qu’issue des travaux de la commission, et la considère comme une clarification particulièrement bienvenue des missions du Contrôleur général.
Alors que son mandat, non renouvelable, touche à son terme, l’ensemble des membres de mon groupe tient à rendre hommage à l’excellent travail de M. Jean-Marie Delarue, à sa compétence et à son engagement. Il aura très largement contribué à assurer l’efficacité et l’indépendance de cette institution républicaine. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en 2007, devait montrer la volonté de la France de s’engager pleinement dans la voie d’un contrôle indépendant et effectif de l’ensemble des lieux de détention, quelle que soit la structure concernée : établissements pénitentiaires, centres hospitaliers spécialisés, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative, etc.
Après cinq années d’exercice de la fonction, la nécessité d’avoir un Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’est plus à démontrer. Je veux saluer ici le travail indépendant et sans concession mené par Jean-Marie Delarue, qui a, sans nul doute, fait progresser l’effectivité des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et a rempli sa fonction en vrai républicain, grâce à sa grande sensibilité aux droits humains et aux libertés individuelles.
Le groupe écologiste partage l’ensemble des préoccupations qui ont inspiré le texte dont nous débattons aujourd’hui, au premier rang desquelles se trouve la volonté de favoriser l’exercice des missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Il s’agit en fait de traduire la pratique dans la loi, en explicitant la possibilité pour le Contrôleur général de conduire des enquêtes, y compris sur place, et en détaillant la procédure de saisine, ainsi que la procédure de déroulement de l’enquête.
Autre point important, le texte prévoit d’inscrire dans notre droit le principe posé par l’article 21 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux termes duquel aucune sanction ne peut être prononcée et aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général ou des informations qui lui ont été données se rapportant à l’exercice de sa fonction.
Je veux saluer à mon tour le travail et l’engagement de Mme la rapporteur, notre collègue Catherine Tasca, qui a notablement enrichi le texte.
Ainsi, un amendement visant à étendre le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière, et ce jusqu’au pays de destination, a été adopté par la commission des lois.
Cette disposition me semble capitale pour la défense des droits des étrangers en situation irrégulière. Elle relève non seulement du respect du plus élémentaire des droits humains, mais aussi d’un principe humaniste honorant les pays qui l’observent. Les étrangers expulsés ne sont pas des colis que l’on jette dans les avions ; ils sont des êtres humains dignes d’égards. Ces égards, nous les leur devons, ne serait-ce qu’en raison de notre longue tradition de pays d’immigration. Une certaine propagande anti-immigration a fait des immigrés des indésirables, des parasites. Elle peut, à la longue, les déshumaniser : voilà le danger ! Évitons-le, ne serait-ce qu’en les accompagnant, pendant les expulsions, dans des conditions dignes, pour que nous ne perdions jamais de vue cette humanité qui nous unit irrévocablement aux étrangers, quels qu’ils soient : une humanité réelle, sans frontières, insensible aux différences de nationalité, d’origine ou de religion.
En l’état actuel du droit, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est compétent pour contrôler les zones d’attente des ports et des aéroports, ainsi que les centres de rétention administrative. Mais le terme de « transfèrement » utilisé par la loi ne s’appliquant qu’aux personnes détenues, le Contrôleur général n’a jusqu’à présent aucun droit de regard sur les conditions de transfert forcé des étrangers, de la sortie du centre de rétention à l’arrivée dans le pays de destination. Or, on le sait, cette phase a donné lieu à maints abus de la part des forces de police. Les témoignages ne manquent pas et nombreux sont ceux qui, de retour au centre de rétention, racontent les coups, les menaces, les humiliations subis durant le trajet vers l’aéroport.
Il me semble donc capital que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse contrôler l’exécution de l’ensemble de la mesure d’éloignement, jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination, et que ses équipes puissent être présentes dans l’avion ou enquêter sur des faits s’y étant éventuellement déroulés. Chacun se souvient avec effroi des cas de ce jeune Somalien de 24 ans et de cet Argentin de 52 ans décédés sur notre sol dans des circonstances troubles, au cours de leur reconduite à la frontière.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe écologiste souhaite que les prérogatives du Contrôleur général soient le plus étendues possible. Ma collègue Aline Archimbaud, très engagée sur le sujet, aura l’occasion de vous en dire davantage lors de la discussion des articles et d’aborder la délicate question des personnes âgées vivant en EHPAD.
Viscéralement attaché à la défense des droits fondamentaux, notamment à ceux des personnes privées de liberté, le groupe écologiste votera, avec engagement et conviction, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai toujours été convaincu que le Sénat était particulièrement investi de deux missions essentielles : l’une, constitutionnelle, de représentation des collectivités territoriales de la République ; l’autre, historique, de défense des libertés et de la dignité humaine.
Nul n’a oublié que c’est au président du Sénat Alain Poher que nous devons la sauvegarde de la grande loi de 1901 sur la liberté d’association, au travers de sa saisine du Conseil constitutionnel, lequel rendit alors sans doute la plus importante de ses décisions, celle du 16 juillet 1971.
Dans le même esprit, l’attention à la situation des personnes détenues et l’ardente obligation de préserver leur dignité et l’espoir de leur réinsertion sont partagées sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée.
Une fois encore, je rappellerai le constat affligeant dressé en 2000 par la commission d’enquête sénatoriale que présidait notre collègue Jean-Jacques Hyest, et résumé avec la brutalité nécessaire par le titre de son rapport : « Prisons : une humiliation pour la République ».
Même partagé, un diagnostic ne suffit pas à lui seul à contrecarrer pareilles dérives. Je citerai les propos tenus par le Président Sarkozy devant le Congrès réuni à Versailles, le 28 juin 2009, presque dix ans plus tard : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? […] Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République, quel que soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire. »
Pourtant, des pas ont été franchis ces dernières années, qui marquent un indiscutable progrès ; il convient bien sûr de le consolider. Vous ne serez pas surpris que je cite la loi pénitentiaire de 2009, même si la règle de l’encellulement individuel demeure plus que jamais virtuelle et si tous ses décrets d’application n’ont pas encore été pris.
M. Jean-René Lecerf. Tout à fait, madame la ministre, mais c’est un de trop !
M. Jean-René Lecerf. Je citerai également la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le champ de compétence dépasse largement les lieux hébergeant des personnes détenues, pour inclure l’ensemble des personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique.
Ne sont donc pas concernées – je le note pour ne plus y revenir – les personnes âgées dépendantes, dont l’admission en EHPAD ne résulte d’aucune décision administrative et dont la restriction de liberté s’avère indissociable de leur perte d’autonomie et de la nécessité de les protéger.
Comme l’écrit Mme Tasca dans son rapport, « institution récente – il a débuté ses visites en septembre 2008 –, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente au terme de cinq ans et demi d’exercice un bilan quantitatif et qualitatif extrêmement positif, qui a fait de lui une autorité reconnue dans la défense des droits fondamentaux ».
Nous savions tous l’importance que revêtait le choix du premier titulaire de cette fonction. Aussi le Parlement, sur l’initiative du Sénat, avait-il anticipé la saisine pour avis des commissions des lois de chaque assemblée, et chacun se félicite aujourd’hui de la nomination, sur proposition du Président Sarkozy, de Jean-Marie Delarue.
Je citerai encore Éric Senna, conseiller à la cour d’appel de Montpellier et maître de conférences associé à la faculté de droit de cette même ville : « L’organisation administrative et la place du contrôle général des lieux de privation de liberté dans le paysage institutionnel national ne sont plus interrogées dans le débat public. Nombreux sont ceux qui se félicitent, autant dans l’Hexagone qu’à l’échelon européen, de la richesse et de la finesse des observations et du travail considérable qui a été accompli par le Contrôleur général et son équipe. »
À la veille du terme de son mandat non renouvelable, Jean-Marie Delarue a ouvert un dialogue avec les pouvoirs publics sur l’évolution de notre mécanisme national de prévention des atteintes aux droits fondamentaux des personnes captives ; on peut penser que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui devrait en être l’aboutissement.
La première interrogation porte sur l’avenir du Contrôle général, avec les deux branches de l’alternative suivante : maintien de l’autonomie ou intégration au sein des missions du Défenseur des droits. Si la question se pose encore, on le doit au Sénat, puisque l’Assemblée nationale avait opté pour l’intégration à la fin du mandat de Jean-Marie Delarue. Notre assemblée avait en revanche suivi l’argumentation de son rapporteur de la loi organique et de la loi ordinaire relatives au Défenseur des droits, notre collègue Patrice Gélard, qui avait estimé qu’une éventuelle intégration ne pourrait être décidée qu’au regard du premier bilan d’activité du Contrôleur général et qu’un choix prématuré affaiblirait son autorité.
En modifiant la loi de 2007, nous prenons délibérément parti pour l’autonomie de cette institution.
M. Jean-René Lecerf. Les arguments ne manquent pas.
Certains sont conjoncturels et tiennent à la situation aujourd’hui toujours aussi délicate de l’univers carcéral : les niveaux de surpopulation pénale demeurent inquiétants et imposeront le renouvellement du moratoire pour l’application des dispositions relatives à l’encellulement individuel.
D’autres arguments présentent un caractère structurel : la démarche de contrôle, de prévention, d’évaluation du Contrôleur général se différencie largement des missions du Défenseur des droits, que peuvent saisir les personnes s’estimant lésées dans leurs droits et qui a repris les responsabilités de médiation.
Enfin, Défenseur des droits et Contrôleur général ont signé le 8 novembre 2011 une convention ayant pour objet d’organiser la transmission des saisines et d’assurer l’information réciproque des deux institutions, dans le respect de leur indépendance et de la protection des données personnelles.
La complémentarité est notamment organisée par l’article 3 de cette convention, dont je me permets de vous donner lecture : « Lorsque l’une ou l’autre des deux autorités est saisie d’une réclamation témoignant à la fois, d’une part, d’un dysfonctionnement administratif, d’une atteinte aux droits ou à l’intérêt supérieur d’un enfant, d’une discrimination, ou du non-respect des règles de déontologie par des personnes exerçant des activités de sécurité et, d’autre part, d’une atteinte aux règles et aux mesures générales d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge ou du transfèrement d’une personne privée de liberté, elle met en œuvre les procédures qui lui sont propres et saisit l’autre autorité pour ce qui relève de sa compétence. » Une étroite complémentarité est ainsi assurée.
Cependant, vouloir la pérennité du Contrôle général comme autorité administrative indépendante amène aussi à prendre acte du bilan de l’institution, de ses forces comme de ses faiblesses, pour – je cite encore le rapport – « conforter sa place et son rôle dans le paysage de la défense des libertés publiques ».
La proposition de loi prévoit ainsi toutes mesures utiles pour mettre fin au risque de représailles et de pressions dont peuvent parfois faire l’objet tant les personnes captives que les membres du personnel qui saisissent le Contrôleur général ou s’entretiennent avec ses équipes.
En dépit des évolutions considérables de l’administration pénitentiaire, de la qualification de plus en plus poussée des directeurs d’établissement, des efforts de formation de l’ensemble des personnels, cette administration reste marquée par une certaine opacité et par quelques difficultés parfois rencontrées par la hiérarchie pour se faire entendre.
Il était d’autant plus important d’y porter remède que la crainte de représailles – fût-elle dans bon nombre d’établissements infondée – risquait de déstabiliser toute l’action du Contrôleur général, comme le laissent supposer bon nombre de courriers adressés par des personnes détenues aux parlementaires.
De même, il importe de réexaminer l’interdiction faite au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical.
Le Contrôle général se rend sur place, voit la réalité des situations et peut avoir besoin d’un accès immédiat au dossier médical. L’aide des médecins lui est également précieuse, et l’instauration d’un accès inconditionnel au secret médical risquait de nuire à la qualité des relations avec les professionnels de santé.
L’amendement de notre rapporteur précisant que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin auraient la faculté de prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les éléments nécessaires à l’exercice du contrôle, devrait apaiser les inquiétudes tout en marquant un indiscutable progrès.
Le texte laisse cependant subsister un certain nombre d’interdictions. On connaît l’état de la surpopulation carcérale et la dangerosité d’un certain nombre de détenus. Le Contrôleur général ne pourra toujours pas accéder au dossier médical de celui dont la dangerosité est alléguée par un de ses codétenus sans son accord, bien hypothétique. Il est vrai que d’autres solutions existent.
Il importait aussi de préciser la procédure applicable aux enquêtes réalisées par les services du Contrôleur général sur saisine de ce dernier de faits ou situations relevant de sa compétence, en inscrivant dans la loi la pratique mise en place : tout collaborateur du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est autorisé à procéder à toutes vérifications nécessaires sans que les autorités responsables du lieu de privation de liberté puissent s’y opposer pour d’autres motifs que ceux qui encadrent les visites ; toute personne sollicitée sera en outre, sous les mêmes réserves, tenue d’apporter toute information en sa possession.
Enfin, le Contrôleur général apparaissant parfois largement démuni devant l’inertie de certains de ses interlocuteurs, l’article 5 de la proposition de loi lui donne la possibilité de mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai déterminé. En effet, les réponses ministérielles posaient parfois problème, tant par leur contenu que par leur délai.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un vote aussi consensuel que possible sur cette proposition de loi permettra au Sénat de réaffirmer toute l’importance qu’il accorde à la dignité des personnes et à l’évolution nécessaire de l’univers carcéral. Suivant le chemin tracé par le premier Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, il nous appartient de consolider les fondements de la loi du 30 octobre 2007 au regard des imperfections que cette première expérience a permis de mettre en évidence.
Je remercie Mme la rapporteur de la qualité et de l’esprit de son travail et confirme que le groupe UMP apportera tout son appui à cette proposition de loi, en souhaitant qu’elle puisse être examinée rapidement par nos collègues députés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de cette proposition de loi, dont je remercie notre collègue Catherine Tasca d’avoir pris l’initiative. Je la félicite également d’être parvenue à inscrire l’examen de ce texte à l’ordre du jour de cette séance. Les dispositions qu’il contient ont déjà été abondamment évoquées et semblent faire largement consensus.
Il m’a donc paru plus important de faire le point sur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de se remémorer les raisons pour lesquelles nous avons institué cette autorité indépendante et pourquoi il est aujourd’hui nécessaire de modifier la loi de 2007. La survie de cette institution l’exige, parce que son contrôle s’exerce dans ce que l’on définit comme des lieux de privation de liberté ; ce sont des mots, mais les mots ont leur importance.
La devise de la République est : « liberté, égalité, fraternité ». Certains vivent pourtant, sur décision d'une autorité publique, dans des lieux où ils sont privés de liberté, quelles que soient les raisons pour lesquelles ils y ont été placés.
On ne peut pas évoquer le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sans réfléchir aux conditions matérielles de la vie quotidienne et à la nécessité d’assurer la sécurité dans ces lieux, qui engendrent des contraintes et des tensions dans les relations sociales, qui brouillent les repères et le positionnement des individus les uns par rapport aux autres.
Dans ces endroits de privation de liberté, que ce soient des lieux de détention ou de garde à vue, des centres de rétention ou des hôpitaux psychiatriques, il y a ceux qui ont l’autorité, le savoir et le pouvoir, et les autres. Les relations y sont donc nécessairement tout à fait différentes de celles que nous connaissons dans la vie de tous les jours, lesquelles s’inscrivent dans un contexte de liberté, d’égalité et de fraternité.
C’est bien pour cette raison qu’il est primordial qu’un contrôle indépendant et objectif puisse s’exercer dans ces lieux de privation de liberté, afin qu’y soient respectés a minima les droits fondamentaux des individus, aussi bien ceux qui y sont retenus par décision de l’autorité publique que ceux qui y travaillent, par obligation ou par vocation, un certain nombre d’heures par jour et de jours par semaine.
On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnels entre eux, selon leur niveau hiérarchique.
On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnes retenues ou détenues entre elles, et la hiérarchie qui va nécessairement en découler dans un monde qui ne correspond pas à celui dans lequel elles ont jusque-là évolué et dont elles ne comprennent souvent ni l’ordre, ni le règlement, ni la loi.
On ne peut pas ignorer non plus, bien évidemment, les relations entre ceux qui ont le pouvoir, le savoir et l’autorité et ceux qui ne les ont plus.
Dans ces lieux – l’actualité est malheureusement là pour nous le rappeler de temps à autre –, on peut être confronté à la violence la plus extrême, à la résignation, à l’indifférence totale, y compris à l’égard de son propre sort, à la révolte, à l’injustice ou au sentiment d’injustice. On y côtoie le pire et le meilleur de ce dont l’homme est capable, sous une forme concentrée, enfermée, nécessairement explosive à certains moments.
Je profite de cette occasion pour évoquer un point abordé par le Contrôleur général lui-même lors de son audition en vue d’établir l’avis budgétaire relatif aux droits et libertés publics : quand il reçoit une lettre d’un individu désespéré, humilié ou « au bout du rouleau », pour quelque raison que ce soit, il doit absolument y répondre rapidement pour lui montrer qu’une personne l’a entendu et va s’occuper de son cas ; sinon la situation deviendra de plus en plus explosive.
Le taux de suicide élevé dans les prisons françaises, les nombreuses révoltes qui y ont lieu et le mal-être de certains surveillants le montrent bien, il faut absolument garantir un minimum de liberté, d’égalité et de fraternité dans ces lieux de privation de liberté.
Pour cette raison, il est important que le Contrôleur général dispose des moyens d’exercer sa mission, d’apporter des réponses rapides et de se déplacer. Il faut également aider l’administration pénitentiaire et celle de la santé, ainsi que les hommes et les femmes qui, pour une période plus ou moins longue, travaillent dans ces lieux de privation de liberté, à faire régner, dans la mesure du possible, la paix et la sérénité, pour la sécurité de tous.
C’est pour cela que le Sénat a voté à l’unanimité, en 2007, une loi instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et qu’il est aujourd’hui important de modifier cette loi, non pas pour le Contrôleur général en tant que personne, mais pour l’institution qu’il représente.
En effet, depuis sa nomination en 2007, c’est un homme d’exception – nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, sur ce point – qui a assumé cette fonction.
Cet homme d’exception a créé son rôle et mis en place l’institution ; il a constitué autour de lui une équipe de contrôleurs qui ont adopté ses valeurs et ses méthodes. Alors qu’il arrive aujourd'hui au terme de son mandat, cette institution doit rester une institution d’exception. Il est donc primordial d’inscrire dans la loi le mode de fonctionnement qu’il a institué et qui a été accepté par toutes les administrations ayant fait l’objet de ses contrôles. Il faut prendre acte des avancées qu’il demande, notamment en matière de secret médical, pour mieux protéger les personnes concernées.
Il est important aujourd’hui d’avancer et de pérenniser l’institution telle qu’elle existe et fonctionne, parce qu’elle donne satisfaction, ainsi que de soutenir l’administration pénitentiaire dans les efforts qu’elle fait.
Ces efforts, c'est elle-même qui les a produits dans un premier temps, mais ils sont aussi le résultat des remarques et des rapports, toujours contradictoires, dressés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils permettront à cette administration de mieux fonctionner et d’apporter de l’humanité dans ces endroits de déshumanisation que sont les lieux de privation de liberté.
C’est reconnaître la valeur de l’immense majorité des personnels de l’administration pénitentiaire, des médecins et autres intervenants dans les hôpitaux psychiatriques, des agents de sécurité, des officiers de police judiciaire – gendarmerie et police nationale – que de continuer à les aider.
Qui pourrait prétendre aujourd’hui connaître absolument tout ce qui se passe dans son administration, y compris les exceptions, les dérogations au droit, les vexations, les humiliations ? Celles-ci existent dans tous les services, mais elles sont d’autant plus cachées et destructrices qu’elles se déroulent dans des lieux de privation de liberté !
Il s’agit non pas de jeter l’opprobre sur tous, mais simplement de continuer à aider l’administration à progresser, à corriger ses dysfonctionnements, à être plus humaine, pour instaurer davantage de sérénité dans les lieux de privation de liberté.
Pour toutes ces raisons, l’ensemble du groupe socialiste suivra Mme la rapporteur. Nous tenons à remercier une nouvelle fois Catherine Tasca de l’immense travail qu’elle a accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, à la suite de la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 2002, le législateur français a institué, par la loi du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et lui a conféré le statut d’autorité administrative indépendante.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour rôle de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
Il s’assure également qu’un juste équilibre soit observé entre le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et les considérations d’ordre public et de sécurité.
Enfin, il a pour mission de prévenir toute violation des droits fondamentaux de ces personnes.
Ainsi, il peut visiter à tout moment, y compris de manière inopinée, tous les lieux où des personnes sont privées de liberté.
Usant de cette prérogative, quatre délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté se sont rendus à Mayotte du 26 mai au 4 juin 2009, dans le but de contrôler le centre de rétention administrative de Pamandzi, jugé par de nombreuses institutions et associations comme « indigne de la République » et tristement célèbre pour sa surpopulation chronique et les conditions inhumaines de privation de liberté, ainsi que la maison d’arrêt de Majicavo, dont le taux d’occupation s’élevait à l’époque à 270 %.
Le constat qu’ils ont établi était plus qu’alarmant. Sur la base de ce bilan accablant, un projet de construction d’un nouveau centre de rétention administrative tenant compte des observations faites et répondant aux exigences d’hygiène et de sécurité fixées aux niveaux national et européen a été annoncé. En mars 2012, Jean-Marie Delarue, auditionné au Sénat pour exposer les grandes lignes de son rapport annuel, s’était irrité de l’immobilisme prévalant sur ce dossier. Des travaux de rénovation ont été entrepris, mais la date exacte de livraison du nouveau centre – on parle de 2017 – reste incertaine.
S’agissant de la maison d’arrêt, les recommandations du Contrôleur général ont permis l’exécution d’un important programme d’extension, actuellement en cours d’achèvement et qui devrait permettre la livraison d’un quartier centre de détention de 152 places au cours du premier semestre de 2014. Les travaux se poursuivront alors sur le site aujourd’hui occupé par les détenus.
En définitive, ce sera un établissement entièrement neuf d’une capacité de 278 places qui sera livré en septembre 2015.
Je profite de cette occasion pour vous remercier, madame la ministre, de votre engagement pour la mise aux normes de cet établissement et de l’institution d’un groupe de travail traitant spécifiquement des conditions d’emprisonnement particulièrement difficiles en outre-mer.
Tout le monde est d’accord sur ce point : l’importance de la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est incontestable. En cinq ans, il a fait procéder à plus de 800 visites sur le terrain et relever de nombreux dysfonctionnements.
Tirant les enseignements de ces quatre années d’expérience, la présente proposition de loi nous invite à améliorer le dispositif entourant son action.
Elle prévoit notamment la publicité systématique de ses recommandations et propositions. Elle donne au Contrôleur général la possibilité de mettre en demeure ses interlocuteurs de lui remettre des documents ou des informations dans un délai qu’il aura fixé. Elle crée également, à l’instar de ce qui existe pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, ou encore la CNIL, notamment, une nouvelle infraction pénale punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour entrave à sa mission.
Voilà quelques-unes des raisons qui me poussent à voter en faveur de l’adoption de ce texte, qui améliorera nettement le fonctionnement d’une institution indispensable, grâce au formidable travail de Mme la rapporteur, à qui je rends ici hommage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er A (nouveau)
Le premier alinéa de l’article 1er de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il exerce, aux mêmes fins, le contrôle de l’exécution par l’administration des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers jusqu’à leur remise aux autorités de l’État de destination. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Article 1er
I. – (Supprimé)
II. – (Supprimé)
III. – Après l’article 6 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 6-1 ainsi rédigé :
« Art. 6-1. – Lorsqu’une personne physique ou morale porte à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou des situations, elle lui indique, après avoir mentionné ses identité et adresse, les motifs pour lesquels, à ses yeux, une atteinte ou un risque d’atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté est constitué.
« Lorsque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté estime que les faits ou situations portées à sa connaissance relèvent de ses attributions, il peut procéder à des vérifications, éventuellement sur place. Il peut déléguer à toute personne relevant de son autorité le soin de mener ces vérifications.
« Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s’opposer à ces vérifications sur place que pour les motifs prévus au deuxième alinéa de l’article 8.
« Toute personne sollicitée est tenue d’apporter, dans le délai fixé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, toute information en sa possession, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 8.
« À l’issue de ces vérifications, et après avoir recueilli les observations de toute personne intéressée, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut formuler des recommandations relatives aux faits ou situations en cause à la personne responsable du lieu de privation de liberté. Ces observations et ces recommandations peuvent être rendues publiques, sans préjudice des dispositions de l’article 5. »
IV. – L’article 8 de la même loi est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Après les mots : « responsables du lieu de privation de liberté », sont insérés les mots : « ou de toute personne susceptible de l’éclairer. » ;
b) La dernière phrase est complétée par les mots : « et recueillir toute information qui lui paraît utile. » ;
2° Au quatrième alinéa, les mots : « au secret médical » sont supprimés ;
3° Après le quatrième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l’accord de la personne concernée, aux contrôleurs titulaires d’un diplôme, certificat ou autre titre permettant l’exercice en France de la profession de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu’elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commis sur un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou son incapacité physique ou psychique.
« En outre, les procès-verbaux de garde à vue, lorsqu’ils ne sont pas relatifs aux auditions des personnes, lui sont communicables. »
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. J’interviens sur cet article, à défaut d’avoir pu le faire dans la discussion générale…
En l’espèce, je veux évoquer la situation de la prison d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. Dans cet établissement, les incidents se multiplient, de prise d’otages en mutinerie. Tout récemment, le directeur-adjoint a reçu « plusieurs coups de pic ». Selon les syndicats, il s'agit de la deuxième agression physique en moins de vingt-quatre heures dans ce centre pénitentiaire inauguré par vos soins, madame la garde des sceaux, le 30 avril dernier seulement.
Les équipes régionales d’intervention et de sécurité –les ERIS, le « GIGN de la pénitentiaire » – ont été rappelées le vendredi 10 janvier au matin. Arrivés sur place dès le 1er janvier, leurs membres étaient repartis mercredi, par mesure d’économie, alors qu’ils devaient rester jusqu’à la fin de la semaine…
« C’est la panique totale dans cet établissement. À ce rythme-là, si aucune décision radicale et réfléchie n’est prise, l’administration aura au moins un mort sur la conscience à très court terme », a tonné le syndicat UFAP-UNSA dans un communiqué.
Madame la garde des sceaux, on concentre au sein d’un même établissement les détenus les plus durs, qui ont agressé des surveillants ou ont tenté de s’évader, sans mobiliser les moyens nécessaires pour les encadrer. Le personnel est en nombre insuffisant et n’est pas formé : sur 180 surveillants travaillant actuellement dans cet établissement, 90 sont des stagiaires, qui n’ont absolument pas reçu la formation nécessaire pour s’occuper de détenus de l’acabit du tristement célèbre Fofana…
Les syndicats demandent « l’arrêt de la montée en charge de cet établissement », qui n’est pas en état de recevoir ce type de détenus.
Tout à l'heure a été évoqué l’équilibre à trouver entre l’attention à apporter au respect des droits des détenus et la prise en compte des difficultés du personnel pénitentiaire : je tiens à attirer une nouvelle fois votre attention, madame la garde des sceaux, sur la situation de la prison d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. Il s’agit d’un problème vraiment très important, non seulement pour les gardiens qui y travaillent, mais aussi pour les habitants de la région d’Alençon. En outre, je souligne que cet établissement n’est occupé qu’aux deux tiers de sa capacité, pour des raisons de personnel, alors que nombre de nos prisons sont surchargées.
Nous devons assurer la sécurité du personnel pénitentiaire : il y va aussi de la garantie du respect des droits des détenus.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, sur l'article.
Mme Aline Archimbaud. L’article 1er définit le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Notre groupe avait déposé un amendement visant à inclure dans le champ d’action de ce dernier les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Je regrette qu’il ait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, car cela nous empêche de débattre d’un sujet éminemment politique et important.
La mission de protection des droits fondamentaux du Contrôleur général concerne les personnes privées de liberté, davantage susceptibles que les personnes autonomes d’être exposées à de mauvais traitements, en raison de leur vie contrainte. À cet égard, la situation des personnes âgées dépendantes est parfois, de fait, très proche de celles dont le Contrôleur général peut avoir à connaître aujourd’hui.
En outre, une telle extension du champ de compétence du Contrôleur général s’inscrirait dans la logique à l’œuvre depuis 2008. En effet, il y a parfois bien peu de différence entre les conditions de vie dans les hôpitaux spécialisés en psychiatrie, dont certaines unités accueillent, d'ailleurs, des personnes âgées atteintes de démence sénile, et celles qui prévalent dans les établissements d’hébergement médicalisé.
Les personnes âgées résidant dans ces établissements sont souvent en situation de grande fragilité. Leurs difficultés à échanger, la répétition d’actes non admis, les carences de la formation des personnels, l’insuffisance des effectifs sont de nature, malgré toutes les bonnes volontés, à favoriser les atteintes aux droits fondamentaux. Dès lors, sans mettre en cause les personnels, capables de prodiges de dévouement, il ne nous paraît pas exagéré d’affirmer que nous devons porter une attention toute particulière aux établissements pour personnes âgées.
Si ces établissements font bien évidemment déjà l’objet de contrôles, ces derniers n’ont pas le caractère approfondi des visites du Contrôleur général, lesquelles sont d’une autre nature.
De surcroît, il nous semble que l’existence d’un contrôle indépendant apporterait en elle-même une garantie supplémentaire aux personnes concernées. À cet égard, l’expérience acquise depuis cinq ans par le Contrôleur général, la qualité des visites qu’il opère, son habitude du dialogue devraient primer sur la prise en compte de la spécificité, incontestable, de ces établissements. Son apport serait résolument positif : il permettrait à la fois de rassurer les personnes âgées et leurs proches, d’encourager les personnels et de définir des recommandations indépendantes à destination des pouvoirs publics.
Il nous semble vraiment important qu’un débat s’engage rapidement sur ce point.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Lorsque les faits ou situations portés à sa connaissance relèvent de ses attributions, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut procéder…
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Cet amendement, de portée tout à fait modeste, vise, d’une part, à récrire l’alinéa 5 d’une manière un peu plus lapidaire, et, d’autre part et surtout, en retirant le verbe « estimer », à supprimer la part de subjectivité que la rédaction initiale semblait laisser au Contrôleur général dans la mise en œuvre de ses missions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Tasca, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement, qui opère une amélioration rédactionnelle totalement fondée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Tasca, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 16
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
3° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les procès-verbaux de garde à vue, lorsqu’ils ne sont pas relatifs aux auditions des personnes, lui sont communicables.
« Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs mentionnés aux premier à cinquième alinéas du présent article.
« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l’accord de la personne concernée, aux contrôleurs titulaires d’un diplôme, certificat ou autre titre permettant l’exercice en France de la profession de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu’elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commis sur un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. »
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Tasca, rapporteur. Il s’agit là aussi d’un amendement rédactionnel, destiné à améliorer, d’une part, l'insertion des modifications apportées par la proposition de loi, telle que l'a modifiée la commission des lois, à l'article 8 de la loi du 30 octobre 2007, et, d’autre part, la lisibilité dudit article.
La rédaction actuelle laisse subsister une interrogation sur la possibilité, pour le Contrôleur général, de déléguer l’accès au dossier médical aux contrôleurs non titulaires d’un titre permettant l’exercice en France de la profession de médecin.
L’amendement n’a d’autre objet que d’inverser deux alinéas, afin de rendre les choses parfaitement claires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous n’avons pas eu le texte de cet amendement entre les mains. Toutefois, ayant écouté attentivement les explications de Mme la rapporteur, j’ai bien noté qu’il s’agissait d’une simple inversion de deux paragraphes, tendant à améliorer la rédaction de l’article. Dans ces conditions, l’avis du Gouvernement est favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Après l’article 8 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 8 bis ainsi rédigé :
« Art. 8 bis. – Aucune sanction ne peut être prononcée et aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou des informations qui lui auront été données se rapportant à l’exercice de sa fonction. Cette disposition ne fait pas obstacle à l’application éventuelle de l’article 226-10 du code pénal. » – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
L’article 9 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée est ainsi modifié :
1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « , en tenant compte de l’évolution de la situation depuis sa visite. » ;
2° La deuxième phase du premier alinéa est ainsi rédigée :
« À l’exception des cas où le Contrôleur général des lieux de privation de liberté les en dispense, les ministres formulent des observations en réponse dans le délai qu’il leur impartit et qui ne peut être inférieur à un mois. » ;
3° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République et l’autorité disciplinaire informent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté des suites données à ses démarches. » – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Au deuxième alinéa de l’article 10 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, les mots : « peut rendre » sont remplacés par le mot : « rend ». – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Après l’article 9 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 9 bis ainsi rédigé :
« Art. 9 bis. – Lorsque ses demandes de documents, d’informations ou d’observations, présentées sur le fondement des articles 6-1, 8 et 9 ne sont pas suivies d’effet, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixe. » – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
Après l’article 13 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 13 bis ainsi rédigé :
« Art. 13 bis. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait de faire obstacle à la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté :
« 1° Soit en s’opposant au déroulement des visites prévues à l’article 8 ;
« 2° Soit en refusant de lui communiquer les renseignements et documents nécessaires aux enquêtes définies à l’article 6-1, aux visites de l’article 8, en dissimulant ou faisant disparaître lesdits documents et renseignements, en altérant leur contenu ;
« 3° Soit en prenant des mesures destinées à faire obstacle, par menace ou voie de fait, aux relations que toute personne peut avoir avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en vertu des articles 6 et 8 de la présente loi. » – (Adopté.)
Article 7
(Non modifié)
Le deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est ainsi rédigé :
« La possibilité de contrôler les communications téléphoniques, les correspondances et tout autre moyen de communication ne s’applique pas aux échanges entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les personnes détenues. La méconnaissance de cette disposition est passible des peines prévues à l’article 432-9 du code pénal. » – (Adopté.)
Article 8 (nouveau)
La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
Les articles 6 et 7 de la présente loi sont applicables en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Bien entendu, le groupe socialiste votera ce texte. Il remercie Mme Tasca de son initiative, ainsi que Mme la garde des sceaux, qui a bien voulu accepter quelques modifications adoptées par la commission des lois.
Lors de la réunion de la commission des lois de ce matin, à laquelle participait Mme Lipietz, nous avons longuement débattu de l’amendement qui a été évoqué par Mme Archimbaud. Pour ma part, je regrette qu’il ait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 : je pense qu’il aurait été préférable d’en discuter en séance publique.
Quoi qu’il en soit, ce matin, nous sommes convenus que des problèmes pouvaient se poser au sein de certains EHPAD, de certaines maisons d’accueil spécialisées ou de certains établissements pour handicapés mineurs ou majeurs, gérés soit par les collectivités territoriales, soit – le plus souvent – par des associations privées relevant du régime de la loi de 1901. Ici ou là, des scandales ont pu éclater ; ce fut le cas dans mon département.
Si les personnes hébergées y ont parfois été placées par leur famille, ces établissements sont tout de même d’une tout autre nature que ceux qui relèvent actuellement de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils font déjà l’objet de contrôles, exercés par le conseil général quand ils dépendent du département.
Cela étant, madame la garde des sceaux, il conviendrait que le Gouvernement, en particulier la ministre des affaires sociales et de la santé, se penche sur la façon dont ces contrôles sont menés et réfléchisse à l’opportunité de mettre en place des visites systématiques par une autorité qui pourrait être extérieure aux collectivités territoriales et au conseil d’administration des associations gérant ces établissements.
Madame Archimbaud, vous avez soulevé un véritable problème, mais, outre qu’il s’est vu opposer l’article 40, votre amendement n’entre pas dans le champ du texte qui nous est soumis.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Archimbaud, sachez que la ministre des affaires sociales et de la santé et la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie sont très sensibles aux questions que vous soulevez : nous nous sommes déjà réunies à trois reprises à la Chancellerie pour travailler sur le contrôle des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes.
Cependant, ces établissements n’accueillant pas des personnes privées de liberté par une décision de l’autorité publique, ils n’entrent pas dans le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Je ne me permettrai pas d’exprimer un avis sur l’application de l’article 40, mais j’en ai moi-même beaucoup souffert lorsque j’étais parlementaire… (Sourires.) Cela étant, je suis favorable au débat, quitte à ce que la décision soit reportée : cela permet de prendre acte des positions des uns et des autres et de les consigner au Journal officiel, le Gouvernement étant amené à prendre sa part de responsabilités.
En l’occurrence, je souligne que la ministre des affaires sociales et de la santé et la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie sont à ce point préoccupées par ce sujet qu’elles tiennent à ce que l’on affirme nettement les droits des personnes âgées accueillies dans ces établissements, et que celles-ci ne soient pas traitées comme des personnes sur lesquelles s’exercerait une tutelle implicite.
Madame Goulet, vous m’avez interpellée sur un établissement particulier. Je vous adresserai une réponse circonstanciée ultérieurement, puisque ce n’est pas l’objet du débat d’aujourd'hui. Néanmoins, il est vrai que cet établissement pose problème. Centre pénitentiaire le plus sécurisé de France, il concentre des détenus ayant un profil particulier. Dès lors, je suis étonnée que vous proposiez de le remplir davantage… Pour notre part, nous évitons une occupation à 100 % des maisons centrales accueillant des détenus difficiles.
Dans les nouveaux établissements, on sait qu’il se produit toujours des incidents dans les premières semaines ou les premiers mois. J’ai anticipé ces difficultés puisque, dès le mois de décembre, j’ai demandé à l'inspection de se rendre dans l'établissement. Elle m'a rendu un rapport – avant les incidents – qui servira à élaborer le projet d'établissement qui nous sera présenté à la fin du mois de janvier.
J’ai également demandé que les ERIS restent sur place plusieurs jours. Il a été estimé, sur place, que ces équipes pouvaient s'en aller… Je ne saurais porter ici une appréciation subjective.
Par ailleurs, un programme de formation complémentaire a été mis en place pour les personnels.
Sachez que nous exerçons une vigilance particulière sur cet établissement qui, effectivement, nous préoccupe.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Tasca, rapporteur. Je voudrais remercier les services de la commission des lois pour le travail qu’ils ont accompli et tous les groupes du Sénat. Je remercie en particulier notre collègue Jean-René Lecerf d'avoir insisté sur la dimension consensuelle du texte, qui traduit un réel attachement de notre assemblée, sur toutes les travées, à la préservation des droits fondamentaux et des libertés publiques. Cet attachement du Sénat, qui s'est exprimé à l'occasion de la proposition de loi comme des travaux de nos collègues Patrice Gélard ou Jean-Jacques Hyest, mérite d'être souligné.
Je veux également remercier vos services et les membres de votre cabinet pour la qualité de leur collaboration, madame la garde des sceaux ; je remercie aussi le ministère de l'intérieur, qui a évidemment été consulté sur l'élargissement de la compétence du Contrôleur général à l'égard des étrangers reconduits dans leurs pays d'origine.
Pour finir, je renouvelle, comme tous l'ont fait ici, mon hommage au travail de Jean-Marie Delarue. Je pense qu’il y sera sensible et, surtout, qu’il souhaite ardemment que toutes les qualités que nous lui avons reconnues soient recherchées lorsqu'il faudra désigner son successeur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président, avant d’entamer la suite de l’ordre du jour, je sollicite une suspension de séance de cinq minutes.
M. le président. Le Sénat va bien entendu accéder à votre demande, madame la garde des sceaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (projet n° 175 rectifié, texte de la commission n° 289, rapport n° 288).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi d'habilitation, que j'ai l'honneur de vous présenter, s'inscrit dans le cadre du chantier ambitieux que le Gouvernement a engagé en vue de simplifier et de clarifier le droit et les procédures. L'objectif est d'alléger les contraintes qui pèsent souvent sur les administrations et de faciliter les formalités parfois imposées à nos concitoyens. En effet, ces derniers entretiennent parfois des rapports difficiles avec nos administrations à cause de la persistance de règles obsolètes dans notre droit.
Le texte que je vous présente comporte seize articles, dont dix visent à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances. L’ancienne députée que je suis…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Brillante !
Mme Cécile Cukierman. Très à l'aise !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … connaît les réticences intrinsèques, structurelles, absolues et définitives des parlementaires vis-à-vis des projets de loi d'habilitation. En plusieurs circonstances – inutile d'aller consulter le Journal officiel, je l’avoue publiquement –, j’ai rudement ferraillé, de jour comme de nuit, contre le gouvernement qui demandait au Parlement de l'autoriser à légiférer par ordonnances.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avons les preuves ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S'il m'est arrivé de me battre avec intensité contre les ordonnances, il m'est aussi arrivé – tout en continuant à contester le procédé – d'en reconnaître l'opportunité.
M. Pierre Martin. Bel équilibre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ainsi, durant de très longues années, les gouvernements successifs ont très souvent omis d'adapter le droit aux outre-mer, de sorte qu’ils ont été très fréquemment conduits à présenter des projets de loi d'habilitation.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est dans ces circonstances qu’il m’est arrivé de protester contre les ordonnances, tout en reconnaissant l'opportunité d’y recourir. En effet, parfois plus de cinquante mesures concernaient les outre-mer. Il aurait donc fallu examiner cinquante textes de loi, alors que, à l'exception de quelques-unes, ces mesures pouvaient souffrir une telle procédure.
Face aux parlementaires responsables que vous êtes, je le dis clairement : l'ambition du Gouvernement est aujourd'hui plus grande. Ce texte de loi vise à répondre à l'engagement du Président de la République de simplifier le droit à chaque fois que c'est nécessaire, de le clarifier, de le moderniser, afin de rendre nos administrations et nos institutions plus efficaces, et de faciliter la vie des citoyens en les rapprochant de services publics qui doivent, effectivement, rester à leur service. Par conséquent, il ne s'agit pas là d'un acte d'expropriation du Parlement. Je parle bien entendu d'expropriation au sens de « responsabilité » et non de « propriété ».
Indiscutablement, les débats parlementaires sont extrêmement utiles pour enrichir les textes. L'ancienne parlementaire que je suis sait à quel point la navette entre les deux chambres sert à les améliorer, à en préciser l'écriture, à les éclaircir. Je ne sous-estime donc pas le travail parlementaire.
Je rappelle que légiférer par ordonnances est un acte provisoire : les ordonnances conservent leur caractère réglementaire tant qu’un projet de loi de ratification n’a pas été soumis au Parlement. Or le Parlement peut ne pas se contenter de ratifier : il a parfaitement le droit de retoucher l'écriture des ordonnances, et il y a des précédents ! Vous aurez donc toute liberté de modifier le texte de ces ordonnances si vous estimez que c'est nécessaire.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Par d'obscurs amendements !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mieux encore – je vais vous le démontrer –, je peux vous dire que travailler avec vous en bonne intelligence nous a permis de prendre en considération vos observations. Prenons l’exemple du texte de loi lui-même.
La commission a fait figurer dans le projet de loi des dispositions que nous vous demandions de nous permettre d’intégrer dans les ordonnances. Or cela a été possible parce que, en amont, nous avions défini le contenu de la plupart des ordonnances et que vous réfléchissez vous-mêmes depuis plusieurs années à ces dispositions. Vous le voyez, le projet de loi vise véritablement à engager une démarche de simplification, sans précipitation. Le Gouvernement ne cherche pas à aller vite, mais à effectuer un travail dans le temps nécessaire et avec la précision requise.
Le texte que je vous présente, je le répète, comporte dix articles qui vous demandent d’autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Votre commission a choisi soit de supprimer certains de ces articles, soit d’introduire directement dans le projet de loi un certain nombre de dispositions. Convenez que la Chancellerie a facilité les choses…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Comme toujours !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et que les séances de travail se sont déroulées dans un bon esprit.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans un très bon climat !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Bien sûr, le Gouvernement se réjouit du fait que plusieurs dispositions soient intégrées dans le texte de loi. S’il était possible qu’un seul texte de loi contienne toutes les dispositions que nous souhaitons faire adopter, ce serait évidemment l’idéal !
La plupart des mesures du présent texte concernent la justice : règles d’administration légale, procédures d’exécution civile ou même – je pense à la communication électronique – procédures pénales. D’autres portent sur l’administration territoriale, c’est-à-dire les relations avec les services déconcentrés de l’État et les collectivités. Il y a également une mesure qui concerne le ministère de la culture, afin de corriger une omission : on avait en effet oublié que le conservateur des registres du cinéma et de l’audiovisuel avait le même statut que les conservateurs des hypothèques.
J’en reviens aux dispositions concernant les règles d’administration légale.
En l’état actuel du droit, lorsqu’un décès survient et que le veuf ou la veuve est chargé de la gestion du patrimoine familial dans l’intérêt des enfants mineurs, l’intervention du juge est systématique. Cette procédure lourde, jugée nécessaire en 1964, c’est-à-dire il y a cinquante ans, ne se justifie plus aujourd’hui. Certes, dans le cas où le patrimoine est important, il convient que le juge puisse vérifier la légalité des actes qui sont accomplis par le conjoint survivant, mais cette situation n’est malheureusement pas celle de la majorité des Français. Pour autant, je suis évidemment très soucieuse qu’il n’y ait pas de différence dans l’attention que la puissance publique porte aux petits patrimoines. La surveillance ne doit pas être moins rigoureuse que celle qui s’exerce sur les gros patrimoines, car il n’y a pas de raison de léser les familles les plus modestes.
Il nous avait donc paru souhaitable que soient définis les actes pour lesquels l’intervention du juge serait obligatoire. Votre commission des lois a préféré ne pas retenir ce dispositif ; je souhaite néanmoins qu’une réflexion ait lieu, car, je le répète, le caractère systématique de cette intervention ne se justifie plus aujourd’hui.
Nous vous proposons également une modification d’un texte beaucoup plus récent : la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, adoptée le 5 mars 2007, sinon à l’unanimité, du moins à une très large majorité. Ce texte de grande qualité, largement salué par les acteurs de la protection juridique des majeurs, fixe l’obligation de révision des mesures de protection au bout de cinq ans.
Nous avons proposé que le juge puisse décider que la première révision n’aurait pas lieu au bout de cinq ans, mais entre cinq et dix ans. Nous estimons que pour des pathologies peu évolutives, parce que lourdes, il n’y a pas lieu de contraindre automatiquement les familles à être soumises à un tel délai. Reste que nous limitons bien entendu la prorogation à dix ans.
En l’état actuel du texte, toutes les révisions sont imposées au bout de cinq ans, mais à partir de la deuxième révision il n’y a pas de limite de durée. Nous pensons que la protection serait meilleure si le juge était en mesure de dire que la première révision peut avoir lieu au plus tard dans un délai de dix ans, plutôt que d’imposer toutes les révisions au bout de cinq ans, puis de ne pas imposer de terme pour la deuxième révision.
Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en mai 2012, j’ai été assez rapidement sensibilisée, dès mes premiers déplacements dans les juridictions, à la question de la révision des mesures de tutelle. Il m’a été unanimement demandé de reporter le délai qui avait été fixé par la loi du 5 mars 2007 au 31 décembre 2013. J’ai très rapidement donné un accord de principe, mais dès que nous avons commencé à travailler à la Chancellerie sur le sujet, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas une bonne solution, dans la mesure où le stock de l’année suivante allait venir se superposer au stock de l’année précédente. Par conséquent, si nous ne résorbions pas le premier stock, les tribunaux continueraient à être engorgés.
J’ai donc décidé de renforcer les moyens des tribunaux d’instance non seulement en fonctionnaires – magistrats, greffiers –, mais aussi en vacataires, sans pénaliser les autres contentieux. Il fallait en effet parvenir à résorber le stock, tout en évitant ce risque. N’oublions pas que les tribunaux d’instance traitent les contentieux de proximité, ceux qui concernent les petits problèmes des Français au quotidien.
Le retard pris a pu être comblé. Reste qu’il n’y a pas lieu de reproduire la difficulté. C’est la raison pour laquelle nous introduisons dans le projet de loi, ou plutôt nous avions introduit – puisque vous l’avez refusé –, la possibilité pour le juge de prononcer dès la mesure initiale une révision qui pourrait être de cinq à dix ans. Je le dis très clairement, nous ne pourrons pas indéfiniment renforcer les juridictions pour résorber les stocks dans les derniers mois. Sachez que, lorsque l’échéance arrive, les personnels font des efforts considérables pour tenir les délais.
Évitons de mettre en péril les majeurs protégés. Nous avons tous le souci de nous assurer que ces majeurs sont placés sous tutelle à bon escient. C’est en ce sens que la loi de 2007 est une loi protectrice. Cependant, rien ne nous empêche d’avoir du discernement en rendant efficace la révision de ces mesures.
Nous avons également introduit dans le texte de loi une disposition, que la commission des lois a maintenue, qui permet aux personnes sourdes ou muettes de faire établir leur testament par acte authentique. Actuellement – il y a des anomalies dans notre droit qui nous échappent si l’on ne tombe pas dessus –, les personnes sourdes ou muettes sont soumises à l’obligation de dicter leur volonté testamentaire, ce qui est une aberration ! Vous avez d’ailleurs souhaité qu’il y ait deux interprètes, l’un pour le testateur et l’autre pour le notaire. Pour ne pas compliquer une mesure de simplification, nous vous proposons de ne retenir qu’un seul interprète choisi sur une liste d’interprètes agréés.
Par ailleurs, nous avons introduit une disposition concernant les héritages modestes. Je rappelle que les héritages d’un montant inférieur à 5 300 euros représentent 30 % des successions.
En l’état actuel du droit, c’est le maire qui doit délivrer le certificat de qualité d’héritier. Or les maires craignant que leur responsabilité ne soit engagée répugnent à délivrer ce certificat et, dans 60 % des cas, ils ne le font pas. Les personnes peuvent alors s’adresser au notaire, qui délivrera un acte qui peut coûter 200 euros. Dans ces circonstances, beaucoup d’héritiers renoncent à l’héritage. Entre 2004 et 2012, le renoncement à ces petits héritages a augmenté de 25 %. Or le renoncement n’est pas seulement pécuniaire, il concerne également les objets personnels, les souvenirs, qui ont une valeur sentimentale considérable.
Vous n’avez pas souhaité retenir le dispositif simplifié, mais j’espère que nous pourrons encore travailler sur le sujet. Certes, il y a des précautions à prendre, mais nous souhaitons éviter qu’un ou plusieurs héritiers ne soient oubliés par mégarde ou délibérément. Voilà pourquoi le maire est chargé de fournir ce certificat. En tenant les registres d’état civil, qui sont la source des livrets de famille, c’est lui qui détient l’information. C’est donc une bonne solution, même si nous sommes obligés de constater qu’il y a une pénalisation objective qui concerne les héritiers de sommes modestes.
J’en viens à un sujet un peu difficile : votre commission des lois a souhaité supprimer l’article 3 du projet de loi d’habilitation.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est le sujet principal !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà pourquoi, monsieur le président de la commission, j’ai dit en toute honnêteté que ce projet de loi d’habilitation ne visait pas simplement à replâtrer un certain nombre de dispositions ou à supprimer quelques mesures obsolètes. Nous avons eu le courage d’aborder des sujets lourds. Cet article 3 a indiscutablement l’ambition de simplifier, moderniser et clarifier le droit des contrats et le régime des obligations.
M. Jean-Jacques Hyest. Rien que ça !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne doute pas, monsieur Hyest, que tous ceux qui s’exprimeront durant la discussion générale reviendront sur cette question. Je rappelle toutefois que le droit des contrats et le régime des obligations n’ont pas été substantiellement modifiés depuis la promulgation du code Napoléon,…
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a la jurisprudence !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Raison de plus pour ne pas les modifier par voie d’ordonnances !
M. Jacques Mézard. C’était mieux écrit à l’époque !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette petite pique fait plaisir venant du groupe du RDSE…
Voilà donc deux cent dix ans que le fondement de nos échanges économiques est établi.
M. Jean-Jacques Hyest. La Déclaration des droits de l’homme est plus ancienne !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le nombre incalculable de contentieux survenus au cours de cette période a évidemment engendré une jurisprudence abondante. Or, comme toute jurisprudence, elle est fluctuante, incertaine et peut même donner lieu à de nouveaux contentieux. Il est temps de rendre lisibles ce droit des contrats et ce régime des obligations dans le code civil.
De nombreux pays de par le monde se sont inspirés de ce code Napoléon, à l’aura extraordinaire, pour rédiger leur propre code civil. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à une cure d’humilité : ces mêmes pays, qui ont su moderniser leur législation, non seulement ne s’inspirent plus de notre droit des contrats, mais ils éprouvent également quelques difficultés à commercer avec nous puisqu’ils ne partagent plus le même socle législatif en matière contractuelle.
Nous proposons donc de tenir compte de cette abondante jurisprudence et de moderniser ce droit des contrats, en accord avec l’esprit du code Napoléon, de façon à le stabiliser de manière logique et consensuelle, tout en respectant le principe de la protection de la partie la plus vulnérable.
Vous savez à quel point le contrat a envahi la vie quotidienne. Nous devons clarifier, offrir de la visibilité, permettre aux contractants de connaître les conséquences de leur engagement dès la conclusion du contrat.
Cette réforme avait déjà été annoncée en 2004, lors des célébrations du bicentenaire du code civil. Sa nécessité était même établie depuis une vingtaine d’années : nous disposons de rapports parlementaires, universitaires, de travaux de la Chancellerie, notamment de la direction des affaires civiles et du sceau, de très grande qualité. Le matériau est là, il est disponible, et nous savons ce qu’il faut en faire. Or il n’est pas possible d’inscrire cette réforme à l’agenda parlementaire.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous pourrions envisager une proposition de loi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si nous ne faisons rien aujourd’hui, nous savons pertinemment que nous en parlerons encore dans dix ans, voire dans vingt ans.
Il s’agit d’un rendez-vous extrêmement important. Les attentes sont très fortes chez ceux qui ont conscience de la nécessité de stabiliser le droit des contrats et le régime des obligations et ceux qui sont quotidiennement confrontés à cette relative instabilité de notre droit, dont une part importante relève de la jurisprudence.
Nous avons également décidé de supprimer l’action possessoire.
Mme Nathalie Goulet. Oh non ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La suppression de l’action possessoire, je le sais, provoque un immense désespoir chez un certain nombre d’universitaires.
Mme Nathalie Goulet. La saisie-brandon…
Mme Hélène Lipietz. Toute notre jeunesse !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, cette question, qui donne matière à des discussions passionnantes, restera un sujet d’étude pour l’université. Il ne s’agira plus de droit positif, mais d’histoire du droit.
Cette procédure, qui ne trouve à s’appliquer que cent vingt fois par an, a été supplantée par le référé, même si cela reste très « chic » d’avoir recours à l’action possessoire. Les professeurs, de même que les parlementaires qui donnent des cours, pourront continuer à gourmander leurs étudiants ou à faire des démonstrations juridiques. Ce plaisir perdurera, mais non l’action possessoire.
Vous avez exprimé quelques réticences sur la prescription acquisitive, que j’avoue partager et que j’ai moi-même exprimées lors de nos séances de travail. Il nous faudra approfondir la question, car nous voyons bien que certaines difficultés récurrentes demeurent pour établir la preuve de la propriété dans un certain nombre de territoires – je pense à la Corse ou aux outre-mer. Le sujet n’est sans doute pas suffisamment mûr. Je comprends donc parfaitement que vous ayez souhaité supprimer ces dispositions.
Le projet de loi vise également à réformer le Tribunal des conflits. Cette juridiction particulière est chargée de trancher les conflits pouvant apparaître entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Il s’agit d’une institution ancienne. Instaurée par la Constitution de 1848, elle n’a vraiment pris corps qu’avec la loi du 24 mai 1872. Le fondement de notre dualité juridictionnelle, quant à lui, a été posé par les lois des 16 et 24 août 1790 relatives à l’organisation judiciaire, ainsi que par le décret du 16 fructidor an III.
Le fait que le Tribunal des conflits soit présidé par le garde des sceaux m’a quelque peu préoccupée. J’ai donc demandé à l’ancien vice-président du Tribunal, Jean-Louis Gallet – j’ai procédé hier à l’installation du Tribunal des conflits, dont le nouveau vice-président est M. Arrighi de Casanova –, de présider une mission dont le rapport, d’excellente qualité, m’a été remis en octobre dernier.
Nous avons repris l’essentiel des propositions qu’il contient. La lettre de mission, conformément à mon intention de départ, demandait que soit étudiée la question de la présidence du garde des sceaux. À mes yeux, cette situation laisse craindre une confusion des pouvoirs, même théorique, voire une ingérence de l’exécutif, même virtuelle.
Le garde des sceaux a un pouvoir de départage en cas d’égalité entre les juges. Le dernier départage, effectué par Jacques Toubon, remonte à 1997 dans une affaire de voie de fait. Il n’y a pas lieu de maintenir ce qui apparaît comme un archaïsme. Le rapport fait une préconisation tout à fait intéressante que le projet de loi reprend.
J’ai demandé à ce que la réflexion aille plus loin et que l’on cherche à moderniser cette juridiction. Elle a d’ailleurs su le faire elle-même à travers sa jurisprudence sur des concepts classiques tels que l’emprise ou la voie de fait, ou encore l’actualisation du fameux arrêt Septfonds de 1923 à l’aune du droit communautaire. Le Tribunal des conflits a donc produit une jurisprudence en action, comme disait le doyen Carbonnier, et modernisé notre droit administratif.
Le projet de loi reprend l’ensemble de ces dispositions. Nous en débattrons plus précisément lorsque je vous présenterai un amendement visant à ce que cette réforme du Tribunal des conflits revête la forme d’une loi à part entière et ne s’effectue pas au détour d’une loi d’habilitation.
Je voudrais évoquer rapidement la question de la communication électronique en matière de procédure pénale. Nous commençons à moderniser le ministère de la justice et disposons d’un budget numérique 2013-2014 important.
Si nous avons amélioré la correspondance numérique avec les professionnels du droit, ce n’est pas encore le cas avec les justiciables : conformément au code de procédure pénale, les convocations se font par courrier recommandé avec accusé de réception. Le montant du budget de frais de justice s’élève ainsi à 58 millions d’euros, alors que 80 % de ces lettres ne sont pas retirées par leurs destinataires. Nos concitoyens ouvrent plus facilement leur messagerie électronique qu’ils ne se rendent au bureau de poste ! Nous vous proposerons donc d’autoriser la mise en place de la communication électronique.
Plusieurs dispositions de ce texte gouvernemental concernent l’administration territoriale. Ainsi, par exemple, nous supprimons la transmission obligatoire au préfet de tous les actes budgétaires des établissements publics d’éducation. Je crois qu’il s’agit d’une mesure utile.
Nous modifions également la représentation de l’État devant les juridictions judiciaires en matière de contentieux d’accidents scolaires, ainsi que le droit funéraire en allégeant la participation des fonctionnaires de la police nationale à la surveillance des opérations funéraires.
Nous supprimons l’avis conforme obligatoire du conseil municipal sur certaines délibérations des CCAS, les centres communaux d’action sociale, de même qu’une disposition obsolète sur le régime des voitures de petite remise, en voie d’extinction.
Nous permettons enfin aux automobilistes d’accéder par voie électronique à leur relevé de points du permis de conduire.
Votre commission a refusé une disposition qui nous paraît extrêmement importante en matière de substitution de régimes de déclaration à certains régimes d’autorisation. Nous sommes pourtant engagés dans un processus de recensement de l’ensemble des régimes d’autorisation, dont certains peuvent, sans préjudice ni de l’administration ni des usagers, être remplacés par des régimes de déclaration. Cela s’inscrit dans la logique de la réforme que nous mettons en place, selon laquelle le silence vaut accord. Votre commission des lois semble réticente à cette disposition. Nous espérons cependant pouvoir avancer sur ce point.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà l’essentiel des mesures du projet de loi. J’espère que la discussion de mon amendement sur le droit des contrats et le régime des obligations sera l’occasion d’un débat de fond nous permettant de comprendre la nature des réticences des sénateurs sur cette modernisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour la quatrième fois en six mois, notre assemblée est saisie d’un projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances certaines mesures de simplification ou de modernisation du droit. Le présent texte a trait aux domaines de la justice et des affaires intérieures.
Les trois précédentes lois portaient respectivement sur le logement, sur le droit administratif – Hugues Portelli était le rapporteur de ce texte, qui consacrait la règle selon laquelle le silence de l’administration vaut accord – et sur le droit des entreprises, texte que j’ai eu l’honneur de rapporter il y a peu.
En procédant ainsi, par textes successifs, le Gouvernement se conforme à la nouvelle méthode de simplification et de modernisation du droit à laquelle il s’est engagé : des projets de loi de taille limitée, consacrés à quelques domaines identifiés, qui combinent demandes d’habilitation et mesures directement applicables, et pour lesquels la procédure accélérée est systématiquement engagée.
Le périmètre resserré des textes autorise un examen parlementaire plus complet, même s’il est contraint par la procédure accélérée. Surtout, il évite l’écueil de ces textes fourre-tout et interminables que notre commission des lois a dénoncés par le passé.
Pour autant, une telle méthode de simplification du droit par ordonnances suscite des réserves légitimes de la part du législateur. À cet égard, la commission s’est attachée à inscrire ses travaux dans le droit fil des principes qui l’ont guidée pour l’examen des trois projets de loi que je viens d’évoquer. Ainsi, sans remettre en cause la pertinence que peut parfois avoir la législation déléguée, elle vous propose, mes chers collègues, de veiller à garantir le respect des prérogatives parlementaires en limitant les habilitations au strict nécessaire et en privilégiant, à chaque fois, les solutions qui permettront un examen éclairé et public des dispositions envisagées. C’est ce à quoi elle s’est employée, à travers les amendements qu’elle a adoptés.
Certains de ces amendements ont supprimé purement et simplement des demandes d’habilitation qui n’avaient pas lieu d’être. D’autres les ont supprimées à titre conservatoire, dans l’attente de précisions complémentaires. D’autres encore y ont substitué des dispositions directement applicables. En effet, il n’est pas nécessaire – il est surtout moins rapide – d’habiliter le Gouvernement à faire ce que l’on peut accomplir dès à présent. Enfin, les derniers ont précisé le champ de l’habilitation, de façon à déterminer la solution que le Gouvernement devra retenir.
Je tiens à souligner la qualité du dialogue noué avec le Gouvernement sur ce texte. Il s’est montré attentif aux réserves que je lui opposais et a veillé, autant que possible, à préciser ce qui pouvait l’être. Plusieurs amendements déposés par le Gouvernement, en vue de notre séance publique, procèdent d’ailleurs directement de ce dialogue. J’ajoute – la situation est suffisamment rare pour le souligner – que l’étude d’impact est exhaustive, claire et bien construite.
Compte tenu de cet engagement du Gouvernement, ainsi que des principes clairs que la commission des lois a retenus, les conditions d’un examen serein, exigeant et responsable de ce texte me semblent réunies.
Mme la garde des sceaux vient de présenter l’essentiel des dispositions contenues dans ce texte. Bien qu’il ne compte que seize articles, les sujets qu’il aborde sont divers. Ils touchent tout d’abord au droit civil, avec la protection juridique des majeurs et des mineurs à l’article 1er, le droit des successions et des régimes matrimoniaux à l’article 2, le droit des obligations à l’article 3, le droit des biens à l’article 4, celui des procédures civiles d’exécution à l’article 5. À l’origine, il s’agissait, dans la plupart des cas, d’habiliter le Gouvernement à prendre certaines mesures ponctuelles de simplification, à l’exception de l’article 5, qui autorise la ratification du code des procédures civiles d’exécution et, surtout, de l’article 3. Je reviendrai sur ces points dans un instant.
Les dispositions du présent projet de loi touchent ensuite à l’organisation de la justice, dans son article 7, avec la réforme envisagée du Tribunal des conflits, pour mettre fin à la présidence du garde des sceaux. Cette réforme est très attendue par les praticiens. Le Gouvernement m’a transmis un premier projet, très inspiré des travaux de grande qualité du groupe de travail présidé par M. Jean-Louis Gallet, qui me semble vraiment intéressant. J’allais regretter que la demande d’habilitation persiste, mais vous venez de me rassurer sur ce point, madame la garde des sceaux. Il s’agira en effet de dispositions directement contenues dans le projet de loi, ce qui, à mon sens, ôtera tout motif de réserve.
Les dispositions du présent texte ont également trait à la procédure pénale, à l’article 8, avec, initialement, une demande d’habilitation pour mettre en œuvre la possibilité de procéder à des communications électroniques. Le Gouvernement a toutefois pu proposer, sur ce sujet sensible, une rédaction des dispositions envisagées, à laquelle la commission a souhaité apporter une garantie supplémentaire.
Enfin, les dernières mesures concernent l’administration de l’État et des collectivités territoriales, avec quelques simplifications mineures mais judicieuses aux articles 9 à 13, telles que la suppression de commissions ayant accompli leur objet, le transfert aux services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, ou au centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, de l’organisation de leurs élections et la compétence accordée aux maires sur certaines activités se déroulant dans leur commune.
Nous pourrons examiner plus en détail ces différents points lorsque nous aborderons les amendements. À ce stade, je souhaiterais, mes chers collègues, appeler votre attention sur deux questions.
La première a trait à l’article 3 et à la volonté initiale du Gouvernement de réformer le droit civil des obligations et des contrats par voie d’ordonnances, à laquelle la commission des lois s’est opposée de manière unanime. J’entends, madame la garde des sceaux, les arguments de l’exécutif : cette partie du code civil n’a pas bougé depuis 1804. Une jurisprudence considérable s’est développée à partir d’elle, ce qui a pour conséquence que, selon la formule du professeur Denis Mazeaud, que nous avons auditionné, « le droit des contrats n’est plus dans le code civil ».
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cela nuit à la lisibilité et à la prévisibilité de notre droit. En outre, il faut moderniser certaines règles et, par exemple, intégrer une partie relative aux avant-contrats, en grande expansion. Enfin, vous l’avez souligné, par cette réforme, il faut prendre pied dans les réflexions en cours au niveau européen.
Ces arguments sont pertinents, et je les partage, pour conclure à la nécessité de la réforme. Néanmoins, cela ne dit rien de la façon dont elle doit être conduite. Or il ne semble pas qu’une réforme de cette importance, d’une partie aussi essentielle du droit civil, doive échapper à l’examen du Parlement. J’observe que la règle a longtemps été de toujours passer par la loi pour de telles réformes. Il n’y a eu que deux exceptions : la réforme du droit de la filiation,…
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. … mais les modifications que la commission des lois a dû y apporter lors de la ratification montrent que cette exception n’a sans doute pas été heureuse, et la réforme du droit des sûretés, ratifiée à la va-vite dans un texte sur la Banque de France, procédé que Jean-Jacques Hyest avait vigoureusement dénoncé à l’époque.
L’argument selon lequel une telle réforme serait trop technique pour le Parlement, que nous avons pu entendre lors des auditions que nous avons menées, n’est tout simplement pas recevable. Il est contredit par le travail que nous avons conduit sur le droit des successions en 2005 ou sur celui des prescriptions en 2008. De plus, il obère le fait que le présent projet de loi pose de véritables questions politiques. Je ne citerai que deux exemples pour illustrer mon propos.
Premièrement, il y a un équilibre à trouver entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge ou une modification de ses termes, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ses engagements, même si ceux-ci lui deviennent défavorables.
Deuxièmement, la question se pose de la préférence donnée à la survie du contrat, pour en forcer l’exécution, ou à la sortie facilitée du contrat, par la sanction pécuniaire de l’inexécution. Faut-il autoriser la résiliation unilatérale du contrat ? Quels moyens donner à l’exécution des obligations ?
Les arguments que je vous livre sont des arguments de principe. Mais il me semble aussi que des considérations pratiques militent pour rejeter la demande d’habilitation et privilégier la voie d’un projet de loi.
Tout d’abord, la perspective d’une ratification n’est pas une garantie suffisante. Outre qu’elle n’intervient pas toujours, en dépit des engagements pris – je n’ai pas de raisons de douter de votre parole, madame la garde des sceaux, mais je parle de façon générale –, il n’est pratiquement pas possible au législateur, lors de la ratification, de remettre en cause les grands équilibres du texte, puisque l’ordonnance est déjà en vigueur depuis sa publication, ce qui cantonne son examen à un ajustement limité.
Ensuite, la voie de l’ordonnance n’est pas forcément plus rapide que celle du projet de loi ou de la proposition de loi. La réforme du droit des successions, comparable, par sa dimension, à celle du droit des obligations, en fournit un exemple parlant. Il s’est seulement écoulé un an entre le dépôt du texte par le Gouvernement, le 29 juin 2005, et son adoption définitive, le 13 juin 2006. Seuls deux jours de séance dans chaque chambre ont été nécessaires à son adoption en première lecture, puis une nuit à l’Assemblée nationale pour l’adoption définitive. À l’inverse, sept mois se sont écoulés entre l’habilitation du Gouvernement à procéder à la réforme de la filiation et la publication de l’ordonnance, le 5 juillet 2005, et plus d’un an pour l’examen du projet de loi de ratification, adopté le 6 janvier 2009. Le délai important entre le dépôt du projet de loi de ratification, le 22 septembre 2005, et la ratification elle-même fait que cette réforme aura attendu plus de quatre ans pour être définitivement fixée.
Enfin, j’ajoute que le choix du Gouvernement de passer par ordonnances conduit à une incohérence : il exclut du champ de la réforme le droit de la responsabilité civile, qu’il entend soumettre plus tard au Parlement. Ce faisant, le Gouvernement se contraint à faire la réforme du droit des contrats sans faire celle de la responsabilité contractuelle. Cela est d’autant plus dommage que l’avant-projet que le Gouvernement a eu l’amabilité de me communiquer est solide et pourrait faire l’objet d’une discussion parlementaire dans un avenir proche. Je ne doute pas que la commission des lois du Sénat se mobiliserait pour un tel projet.
Convaincue de la nécessité de soumettre ce projet à une discussion publique éclairée, que seul permet l’examen parlementaire, la commission a donc supprimé l’habilitation demandée par le Gouvernement. Loin de signifier le refus de cette réforme, ce vote est un appel insistant au Gouvernement pour qu’il inscrive rapidement ce texte à l’ordre du jour du Sénat, afin que celui-ci reçoive l’écho que sa qualité mérite.
Je souhaite, mes chers collègues, appeler votre attention sur une deuxième question. Elle a trait à l’article 11 relatif aux professions autorisées à donner des consultations juridiques et concerne plus particulièrement la pratique du démarchage en matière juridique, que j’ai souhaité soumettre solennellement à l’examen parlementaire. En effet, la question du démarchage juridique a fait l’objet d’un examen précipité dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, où il avait été réglé par un amendement tardif déposé par le Gouvernement en première lecture. Cela n’avait pas permis à la commission des lois, qui n’était pas saisie au fond du texte, d’en connaître. Les débats, rapides sur ce point au Sénat comme à l’Assemblée nationale, attestent de cette précipitation. Je souligne ce point de procédure, parce qu’il me semble qu’il aurait été opportun et légitime qu’une telle question fasse l’objet d’un débat plus ouvert.
Tout vient d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 5 avril 2011, qui a déclaré contraires à la directive Services les interdictions absolues de démarchage en matière juridique. Le Gouvernement a souhaité régler cette question rapidement, par le biais du projet de loi relatif à la consommation. Toutefois, la rédaction retenue fait débat, puisqu’elle réserve aux seuls avocats la possibilité de réaliser des sollicitations personnalisées, interdisant ainsi aux autres professionnels du droit, exerçant à titre principal ou accessoire, de procéder aux mêmes démarchages. Ainsi, demain, un avocat pourra démarcher un client pour lui proposer de rédiger un contrat de bail, mais un administrateur de biens, un agent immobilier ou un géomètre-expert ne pourra faire de même, alors que ces professionnels sont par ailleurs autorisés à rédiger de tels actes à titre accessoire.
Le dispositif adopté dans le projet de loi relatif à la consommation pourrait donc être perçu comme constitutif d’une rupture caractérisée d’égalité entre les professions autorisées à pratiquer le droit. Le risque d’inconstitutionnalité aurait dû être examiné, comme celui de contrariété avec le droit communautaire. À cet égard, on ne peut que regretter que les autres professionnels du droit n’aient pas été associés à la rédaction d’un dispositif qui, pourtant, les concernait par le monopole qu’il instituait.
Ce n’est pas la seule insuffisance du dispositif précédemment adopté, qui soustrait aussi les avocats à toute répression pénale, même en cas de démarchage abusif, en ne les soumettant plus qu’à leur discipline ordinale. En outre, il renvoie à un décret le soin de préciser l’encadrement nécessaire.
Or, pour contenir les excès possibles, il apparaît souhaitable de n’autoriser que le démarchage par voie écrite, afin de permettre aux personnes sollicitées de se constituer aisément une preuve de la démarche effectuée par le professionnel. De la même manière, il serait pertinent de renvoyer aux principes essentiels d’exercice de ce métier, pour garantir que le démarchage se déroulera dans le respect de la déontologie de cette profession.
Convaincue de la nécessité d’ouvrir le débat, la commission des lois a adopté un premier amendement, intégré au texte qui vous est soumis, posant directement la question du monopole. Il s’agit de remédier aux défauts que je vous ai présentés et d’ouvrir un débat public sur ces questions, que l’examen précipité du mois de septembre a trop vite refermé.
Dès le début, j’ai tenu à associer à mes travaux la profession d’avocat, dont j’ai reçu les représentants à trois reprises. Deux amendements très inspirés de leurs positions ont été déposés par plusieurs de nos collègues ; ils reconnaissent d’ailleurs la justesse de certains points, comme le fait d’inscrire dans la loi la limitation du démarchage aux seules sollicitations effectuées par voie écrite ou la référence aux principes essentiels d’exercice de la profession. La commission a adopté un sous-amendement à ces amendements, et elle vous proposera de les voter ainsi sous-amendés.
Au bénéfice de ces observations liminaires et sous réserve de l’adoption de ses amendements, la commission vous propose d’adopter le présent texte, pertinent et utile, dans les limites que nous lui avons fixées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la garde des sceaux, vous nous avez parlé avec sincérité et humour. Vous avez bien fait !
Notre collègue Thani Mohamed Soilihi – vous savez que, à Mayotte, on l’appelle « maître Thani » ; c’est le signe de la sagesse qui le caractérise – a montré les difficultés devant lesquelles nous nous trouvons, que vous connaissez parfaitement. Franchement, faut-il céder à ce rituel qui consiste à protester avec force et véhémence contre les ordonnances dans certains domaines quand on est dans l’opposition et à convenir benoîtement que, après tout, il faut bien en passer par là quand on est dans la majorité ? Je n’en suis pas sûr.
Les ordonnances sont prévues par l’article 38 de la Constitution. Elles peuvent incontestablement être utiles – nous allons d’ailleurs en accepter certaines dans ce projet de loi – lorsqu’elles permettent d’effectuer des modifications à caractère technique et n’empêchent pas les débats fondamentaux, qui doivent relever de la loi. La commission des lois, hier comme aujourd'hui, a toujours eu cette position, comme elle a une position constante sur les lois mémorielles. Nos collègues Patrice Gélard et Jean-Jacques Hyest peuvent en témoigner.
Nous nous sommes élevés contre les ordonnances hier ; nous étions dans l’opposition, tandis que d’autres collègues siégeaient dans la majorité. Nous nous élevons à nouveau contre le fait de recourir aux ordonnances dans le cadre de l’article 3 – tous les groupes politiques ont été unanimes sur ce point – et d’autres articles que M. Mohamed Soilihi a mentionnés. Sur d’autres dispositions, en revanche, il n’y a pas de problème ; je n’y reviens donc pas.
Rappelons-nous des grands anciens. Lorsque Portalis, qui est ici et nous observe,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … a présenté devant l’assemblée de l’époque son projet de code civil, que vous avez évoqué avec éloquence, il a dit ceci : « Le plan que nous avons tracé de ces institutions remplira-t-il le but que nous nous sommes proposé ? Nous demandons quelque indulgence pour nos faibles travaux, en faveur du zèle qui les a soutenus et encouragés. Nous resterons au-dessous, sans doute, des espérances honorables que l’on avait conçues [du résultat] de notre mission : mais ce qui nous console, c’est que nos erreurs ne sont point irréparables ; une discussion solennelle, une discussion éclairée les réparera. »
En présentant ce projet de code civil, qui aura la postérité que nous savons, voilà que Portalis parle avec une infinie modestie et indique que le texte, pour atteindre le statut qui doit être le sien, a besoin du travail du Parlement, ce travail auquel nous tenons tant.
Le doyen Carbonnier, quant à lui, a parlé du code civil comme de la « Constitution civile de la France ». C’est dire l’importance de ce texte.
Je pourrais en citer d’autres ; il en est tant. Je me permettrai simplement de me référer à un ami qui m’était cher, avec qui j’ai eu l’occasion de cheminer pendant quelques décennies : Guy Carcassonne. Dans son ouvrage commenté de la Constitution, il écrit en 2004 : « Décidément, pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les ordonnances, en effet, sont exactement comme des projets de loi qui deviendraient directement des lois. Ce sont généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce innocemment, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle utilement. Elles sont donc à n’utiliser qu’avec modération. »
Si Guy Carcassonne était là – peut-être est-il parmi nous par la force de l’esprit –, je lui dirais que, dans cette citation, il n’a pas été sympathique à l’égard des chefs de bureau, pour lesquels nous avons tous un très grand respect… Reste qu’il faut aborder clairement la question qui est sous-jacente. Je crois que, bien souvent, au sein du pouvoir exécutif, certains soirs, la fatigue ou le harassement aidant, on arrive à considérer que passer devant le Parlement finit par être une contrainte. Cela irait tellement plus vite, ce serait tellement plus simple si l’on ne devait pas, de jour en jour, de nuit en nuit, de commission en séance publique, de navette en commission mixte paritaire, venir devant le Parlement…
La procédure des ordonnances a été inventée pour traiter de sujets qui requièrent assurément des procédures rapides, plus simples. Il est bien que cela existe. Mais lorsque de grands sujets du code civil que sont le droit des contrats et le régime des obligations sont en cause – M. le rapporteur a rappelé combien ces matières étaient complexes et le fait que des problèmes devaient être tranchés, même si vous avez rédigé un avant-projet d’ordonnance –, le travail du Parlement est irremplaçable. Il faut le dire et le répéter !
La commission des lois a décidé de faire une réunion sur l’écriture de la loi. Vous connaissez bien ce travail, madame la garde des sceaux, que ce soit hier comme parlementaire ou aujourd'hui comme ministre, dans lequel vous excellez. C’est un travail lent, laborieux, mais tellement intéressant. Il consiste à passer au tamis de tous les amendements venant de tous les groupes toute ligne du texte.
La République a voulu que la loi fût écrite non pas par des juristes, si brillants et si compétents soient-ils, mais par les représentants de la nation. C’est un processus au sein duquel tous les groupes s’expriment. Chaque parlementaire intervient dans le feu du débat et, de débat en débat, on arrive peu à peu à écrire un texte, poli et repoli au fil des navettes ; c’est pourquoi nous n’aimons pas la procédure accélérée. De cette manière, s’ébauche peu à peu, puis se perfectionne cette loi dont tous les mots, toutes les lignes, tous les alinéas s’appliqueront à l’ensemble du peuple français, souvent pour des décennies, voire des siècles ; dois-je évoquer à nouveau Portalis et le code civil ?
Si je suis monté à cette tribune, c’est tout simplement pour soutenir les propos de notre rapporteur, prendre acte du fait que, ce que je dis ici, vous le saviez déjà – d’une certaine manière, votre discours en témoigne – et vous faire une proposition concrète dont nous avons parlé en commission.
Voyez-vous, la dernière réforme constitutionnelle a prévu qu’une semaine de séance sur quatre serait désormais consacrée au contrôle parlementaire.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas très bon !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous nous posons en effet certaines questions au sujet de cette semaine de contrôle. Comme vient de le souligner Jean-Louis Carrère, il arrive qu’elle donne lieu à de nombreux débats platoniques.
Mme Nathalie Goulet. Inégaux !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Croyez bien que je ne dis pas cela pour porter préjudice à Platon, qui nous a tellement apporté et appris.
M. Jean-Louis Carrère. Cette semaine consomme du temps inutilement !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Puisque les commissions peuvent, comme les groupes politiques, faire des propositions en matière d’organisation de la semaine de contrôle, nous vous faisons une proposition très simple, madame la garde des sceaux : la commission des lois pourrait – j’ai déjà effectué cette démarche auprès des instances du Sénat – demander qu’une partie d’une semaine de contrôle soit consacrée à l’examen de votre projet de loi.
Nous savons que, avant de déposer votre projet de loi devant le Sénat, il vous faudra le soumettre au Conseil d'État, même si celui-ci a déjà traité de la matière, et le présenter en conseil des ministres. Nous savons également que la discussion en séance d’un projet de loi ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de six semaines après son dépôt. Si vous saisissez le Conseil d'État dans les jours qui viennent, nous pourrions envisager d’examiner votre projet de loi en séance au mois de mai ; vous le voyez, le délai ne serait pas très important. Cela nous permettrait de faire prévaloir la nécessité du processus parlementaire d’examen, de débat et de vote.
Madame la garde des sceaux, nous savons très bien ce qu’il en est des ordonnances et de leur ratification. S'agissant des deux exceptions citées par notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, le droit des sûretés, en 2006, et la filiation, je ne vous donnerai pas lecture des propos tenus par un certain nombre d’orateurs, dont votre serviteur, en séance publique. Dans l’un des deux cas, l’habilitation a été vigoureusement dénoncée par des membres de la majorité comme de l’opposition. La commission des lois avait adopté un amendement visant à supprimer l’habilitation à prendre une ordonnance relative à la filiation, et le champ de l’ordonnance relative aux sûretés avait été considérablement réduit par l’Assemblée nationale. Jean-Jacques Hyest s’était à l’époque élevé contre la méthode employée.
Notre position est constante. Il ne s’agit pas de refuser le débat, mais au contraire de vouloir le débat. Il s'agit également de défendre les prérogatives du Parlement sur des sujets importants. Nous demandons simplement à remplir notre office. Ce sont donc des raisons de fond qui ont conduit la commission des lois à s’opposer unanimement à votre souhait que l’article 3 du projet de loi habilite le Gouvernement à réformer le livre III du code civil par voie d’ordonnances. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le président de la commission des lois vient de faire un certain nombre de constats que nous partageons toutes et tous au sein de la commission. Étant donné le temps qui m’est imparti, je reprendrai certains éléments de manière plus concise, mais avec la même force.
Je commencerai par saluer le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui consacre un certain nombre de pages aux effets du recours excessif aux ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution. Il est devenu commun de dénoncer l’usage abusif de ce mécanisme depuis le début des années 2000. Permettant au Gouvernement de demander au Parlement de l’habiliter à légiférer par ordonnances « pour l’exécution de son programme » et « pendant un délai limité », les dispositions de l’article 38 ont en effet suscité un regain d’intérêt, ce qui a entraîné une accélération inédite de leur fréquence d’utilisation en 2002. Alors que, au début de la Ve République, l’emploi des délégations législatives relevait de l’exception, au point que certains s’étaient même interrogés sur l’utilité de ce dispositif, force est de constater que son usage s’est aujourd’hui largement banalisé. Les chiffres rappelés dans le rapport parlent d’eux-mêmes.
Les ordonnances, qui contribuent à l’inflation et au désordre normatifs, touchent aux domaines législatifs les plus divers. Comme le relevait le secrétaire général du Conseil constitutionnel, Marc Guillaume, en 2005, « depuis trois ans, il n’est pas de domaine du droit, ou presque, qui n’ait fait l’objet d’habilitation puis d’ordonnance ». Le Conseil constitutionnel n’a cependant pas souhaité encadrer la pratique des ordonnances par sa jurisprudence. Celle-ci s’illustre au contraire par une réelle souplesse dans l’évaluation des conditions de constitutionnalité des dispositions législatives d’habilitation et par une singulière bienveillance à l’égard des justifications du recours à l’article 38.
Une telle position, que le Conseil constitutionnel justifie par l’urgence et l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire, n’est pas de nature à encourager la réduction du nombre de projets de loi demandant une habilitation à légiférer par ordonnances, et elle est critiquable dans la mesure où elle permet au Gouvernement, avec la complicité de sa majorité parlementaire, d’enlever au Parlement l’une de ses principales prérogatives : le vote de la loi. Il est vrai que, comme cela a été souligné, nous pourrions de notre côté réfléchir à une autre organisation de nos travaux parlementaires, afin de disposer de plus de temps pour jouer pleinement notre rôle.
Urgence, retard dans la transposition des directives communautaires et simplification du droit sont au nombre des raisons régulièrement invoquées par les gouvernements successifs pour légiférer par ordonnances.
J’estime que certaines dispositions du présent projet de loi se justifient – je vous rejoins, madame la garde des sceaux –, car elles relèvent réellement de la simplification. C’est le cas de la disposition qui prévoit de mettre en place un mode simplifié de preuve de la qualité d’héritier auprès des administrations et des établissements bancaires, de celle qui prévoit d’ouvrir la possibilité aux personnes atteintes de surdité et de mutité de disposer de leurs biens au moyen d’un testament authentique et de bénéficier ainsi de la même sécurité juridique que les autres citoyens, ou encore de celle qui prévoit de simplifier les règles relatives à la gestion par les citoyens des biens de leurs enfants mineurs par une réforme de l’administration légale dont l’objet est notamment d’éviter un contrôle systématique des agissements des parents par le juge des tutelles.
En revanche, je considère, comme notre rapporteur, que la réforme majeure et attendue du droit des obligations ne peut pas être réalisée par voie d’ordonnances. Toute réforme du code civil, qui organise la vie de nos concitoyens depuis plus de deux siècles, revêt une importance telle qu’il n’est pas concevable qu’aucun débat public n’ait lieu au préalable. Je salue donc le choix fait par notre commission de supprimer la disposition prévoyant la mise à l’écart du Parlement sur un sujet de cette ampleur.
Je salue également la suppression d’un certain nombre de dispositions qui n’avaient pas lieu de figurer dans le projet de loi, ainsi qu’un certain nombre d’amendements du Gouvernement, par lesquels celui-ci renonce à demander une habilitation à légiférer par ordonnances pour introduire directement les dispositions correspondantes dans le projet de loi.
Madame la garde des sceaux, j’entends ce que vous dites au sujet de l’utilité de la navette. Je tiens cependant à rappeler – les dernières semaines nous ont quelque peu refroidis – que la navette vise à enrichir les textes, et non à permettre au Sénat d’adopter des textes qui sont ensuite vidés de leur substance par l’Assemblée nationale.
Le projet de loi comporte encore quelques dispositions qui suscitent des interrogations ; nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Mes chers collègues, la récurrence des critiques à l’encontre de l’excès de la législation déléguée et l’absence de réelle mesure visant à y remédier illustrent finalement le paradoxe du mécanisme prévu par l’article 38 : bien qu’il soit dénoncé de toutes parts, comme cela vient d’être fait et comme, je n’en doute pas, cela sera fait par les prochains orateurs, son emploi itératif démontre que les membres des gouvernements successifs, qui ont pourtant critiqué son utilisation à outrance lorsqu’ils étaient parlementaires, n’ont pas su s’en défaire une fois arrivés aux responsabilités.
À rebours des déclarations du Président de la République, qui a récemment souhaité que le Gouvernement recoure à cette formule pour légiférer plus rapidement, notre groupe continuera à dénoncer l’usurpation du droit des parlementaires par le Gouvernement. En attendant, au regard du travail fait par notre commission pour ne conserver dans le projet de loi que les dispositions pour lesquelles le recours aux ordonnances se justifie – dans certains cas précis, ce recours peut être mis en discussion –, nous pensons que nos débats d’aujourd'hui et de jeudi lèveront les inquiétudes et les craintes politiques qui subsistent sur plusieurs points et conforteront le texte de la commission. Nous espérons donc que nous pourrons voter le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui répond à un impératif de sécurité juridique bien connu, qui est celui de la modernisation et de la simplification du droit. La modernisation de l’action publique a été engagée par le Gouvernement dans une volonté affirmée de « choc de simplification ». Un programme de simplification sera ainsi mis en œuvre entre 2014 et 2016. Ce programme vise à faciliter la vie des particuliers et des entreprises, ainsi que le travail des services dont les tâches peuvent être allégées et recentrées sur leurs missions essentielles.
Il ne s’agit pourtant pas d’une préoccupation nouvelle dans la sphère publique. Le Conseil constitutionnel a consacré un objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi dans sa décision du 16 décembre 1999, ainsi qu’un principe à valeur constitutionnelle de clarté de la loi. Le Conseil d’État a ensuite affirmé le principe général de sécurité juridique dans son arrêt Société KPMG de 2006. On retrouve également ce principe au niveau européen, depuis l’arrêt Bosh rendu en 1962 par la Cour de justice des Communautés européennes. La Cour européenne des droits de l’homme a quant à elle posé une exigence de stabilité et de prévisibilité de la loi dans ses arrêts Sunday Times contre Royaume-Uni, en 1979, et Hentrich contre France, en 1994.
Certains pays, au premier rang desquels l’Allemagne et l’Angleterre, se sont attelés à la tâche. La France n’a pas dérogé à la règle : la loi du 20 décembre 2007, la loi du 12 mai 2009 et la loi du 17 mai 2011 se sont successivement donné pour objectif la simplification et l’amélioration du droit. Le groupe du RDSE a voté la grande majorité de ces textes.
L’objectif de simplification du droit est incontestable et incontesté sur toutes nos travées. Cependant, il ne doit pas conduire à ce que la simplification ignore la complexité inhérente au droit, qui n’est bien souvent que le reflet de la complexité, ô combien grande, de la réalité des rapports sociaux. Par un retournement, la simplification du droit pourrait rendre encore plus compliqué ce qui l’est déjà bien assez. C’est parce que la complexité est parfois nécessaire que le groupe du RDSE a déposé certains amendements.
La réforme du code civil et du droit des contrats et des obligations ne pouvait faire l’objet d’un simple article tentant de balayer à grands traits un pan entier – et l’un des plus importants – du droit. Sur ce point, nous suivons l’avis de la commission des lois, qui s’est prononcée pour la suppression de l’article en question.
La suppression de l’action possessoire et son remplacement, peu ou prou, par une action en référé sont un exemple de cette fausse simplicité qui est parfois à l’œuvre dans les textes de simplification et de modernisation. Même si elle est peu utilisée, l’action possessoire prévue par l’article 2279 du code civil contribue à la paix de nos voisinages et au maintien de l’ordre public, car elle permet d’éviter que, en cas d’éviction du véritable propriétaire, celui-ci ne se livre à des voies de fait pour récupérer son bien. A contrario, son remplacement par une action en référé ne permettrait pas l’écoulement de cette temporalité favorable au règlement, parfois amiable, des différends possessoires.
De même, la disparition de l’obligation d’un titre exécutoire, lorsque l’huissier de justice s’adresse à l’administration, permettrait, certes, de fluidifier l’œuvre des huissiers, mais à quel prix ! L’exigence d’un tel titre permet de contrebalancer les éventuelles atteintes à la vie privée et de ne pas donner un caractère par trop intrusif aux procédures civiles d’exécution. Ces « ingérences légitimes », pour reprendre la terminologie de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, paraissent opportunes, l’ordre public étant en jeu. L’huissier est en effet celui qui protège l’exécution des décisions de justice et, finalement, le droit au recouvrement de la créance pour celui qui a obtenu un titre exécutoire la constatant. Toutefois, je le répète, si les procédures civiles d’exécution ont effectivement besoin d’être efficaces, elles ne doivent pas être intrusives à l’excès.
Le travers de la fausse simplicité se manifeste également avec la suppression de l’avis conforme du conseil municipal pour les budgets des CCAS. Les emprunts des CCAS sont soumis au jeu des articles L. 2131-1 et L. 2121-34 du code général des collectivités territoriales, ce dernier subordonnant les délibérations des CCAS concernant un emprunt exécutoire à un avis conforme du conseil municipal lorsque les conditions suivantes sont réunies : la somme à emprunter ne dépasse pas, seule ou réunie au chiffre d’autres emprunts non encore remboursés, le montant des revenus ordinaires de l’établissement et le remboursement doit être effectué dans le délai de douze années, sous réserve que le projet en ait été préalablement approuvé par l’autorité compétente, s’il s’agit de travaux quelconques à exécuter.
Bien évidemment, nous sommes très attachés aux libertés territoriales, mais quelle est la réalité concrète des CCAS ? Dans beaucoup de communes, plus particulièrement dans les plus petites d’entre elles, cet organisme ne se réunit pas. Cependant, les CCAS peuvent disposer d’un budget élevé : pour exemple, une subvention de 1 million d’euros a été accordée au CCAS d’Aurillac, cher au président de notre groupe, en 2012, par la commune.
Leurs ressources proviennent également des versements effectués par les organismes d’assurance maladie, d’assurance vieillesse, les caisses d’allocations familiales ou tout autre organisme ou collectivité au titre de leur participation financière aux services gérés par le CCAS. L’engagement et le risque liés aux prêts contractés par ces structures concernant donc la commune de manière directe, ainsi que l’État en dernier ressort, ceux-ci doivent continuer à être soumis à un avis conforme du conseil municipal, compris comme une garantie essentielle du service public et de l’équilibre des finances locales.
Enfin, nous vous proposerons un amendement visant à établir la mixité des sexes dans la composition de la formation collégiale mentionnée à l’article L. 213-4 du code de l’organisation judiciaire. Le juge aux affaires familiales peut renvoyer à la formation collégiale du tribunal de grande instance qui statue comme juge aux affaires familiales, et ce renvoi est de droit, à la demande des parties, pour le divorce et la séparation de corps. Les promotions de l’École de la magistrature étant composées de près de 80 % de femmes, chaque année, les tribunaux entièrement féminisés, de la greffière à la procureur, sont donc amenés à se multiplier. Notre amendement tend ainsi à équilibrer les jugements en les faisant procéder de regards masculin et féminin, et ce pour une meilleure justice.
M. Alain Bertrand. Très bien !
M. Stéphane Mazars. Le groupe du RDSE est favorable à la modernisation et à la simplification du droit. Comment pourrait-il en être autrement ? Nos amendements, toutefois, visent à corriger les travers, peut-être inévitables, de ces textes qui touchent des pans entiers du droit.
Nos amendements ont donc vocation à contenir la dérive d’un système de véhicule législatif qui complique parfois plus qu’il ne simplifie et dont les conséquences réelles ne sont pas suffisamment appréciées. C’est donc, vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec la plus grande attention que nous suivrons les débats, aujourd’hui et jeudi, sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vient allonger la liste des projets de loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances. Il s’inscrit dans le programme de simplification, d’allégement des contraintes, de clarification de l’action administrative et de modernisation du droit et des procédures. L’objectif visé ici, que nous ne pouvons qu’approuver, est non seulement de moderniser certaines règles de droit pour en améliorer la lisibilité et l’intelligibilité, mais également de simplifier des procédures pour obtenir une réponse adaptée aux besoins exprimés par les justiciables.
Il est sans nul doute à la fois pertinent et urgent d’améliorer la lisibilité de notre législation et, partant, la sécurité juridique de nos concitoyens, mais, en tant que parlementaires, nous ne pouvons que regretter à nouveau de ne pas pouvoir débattre plus sereinement de toutes les mesures, qui sont ici fort nombreuses, comme je l’ai déjà dit. De surcroît, ce projet de loi, qui tend à réécrire des pans entiers du code civil, est débattu dans un temps encore limité par le recours à la procédure accélérée.
Les écologistes, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont déjà contesté ce mode d’examen de textes ambitieux et importants pour la vie de nos concitoyens. Nous le contestons encore aujourd’hui, et ce d’autant plus que le texte initial concernait, notamment, le droit des obligations, pilier du droit civil s’il en est.
Ces réserves sur la forme étant exprimées, j’en viens au fond du projet de loi d’habilitation que nous examinons aujourd’hui. Pour commencer, je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, M. Mohamed Soilihi, qui, en limitant les habilitations au strict nécessaire, a contribué à rendre ce texte nettement plus acceptable.
Si l’examen exhaustif de ce projet de loi paraît ici impossible, tant les sujets abordés sont nombreux et techniques, on peut y distinguer deux séries de mesures.
D’une part, il y a les demandes d’habilitation ou les mesures d’application directe ponctuelles visant à la simplification ou à la modernisation de règles ou de procédures de droit privé ou administratif. Ces dispositions nous semblent nécessaires et opportunes.
D’autre part, on trouve dans ce texte certaines demandes d’habilitation qui se distinguent des autres par l’ampleur des modifications qu’elles sont susceptibles d’engager : il s’agit des réformes relatives au droit des obligations, à l’article 3, au Tribunal des conflits, à l’article 7, à la communication électronique en matière pénale, à l’article 8, et à la simplification des régimes d’autorisation administrative applicables aux entreprises, à l’article 14. De telles mesures apparaissent plus problématiques aux yeux des écologistes. En effet, le texte initial du projet de loi se distinguait des autres projets de loi d’habilitation en ce qu’il prévoyait, entre autres mesures, la réforme des titres III et IV, hors responsabilité, du livre III du code civil, consacrés au droit des contrats et des obligations.
Comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, par son ampleur, près de 300 articles, comme par ses répercussions éventuelles, le droit des contrats et des obligations étant la source de nombreux autres droits, comme ceux des affaires et de la consommation, le présent projet de réforme était le plus ambitieux depuis la création du code civil. Nous considérons qu’une telle ambition, si elle est sans nul doute nécessaire, mérite un travail parlementaire de réflexion approfondi. En effet, loin d’être seulement technique, la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, qu’il revient au seul Parlement de trancher. Nous nous réjouissons donc que la commission se soit opposée à ce que celle-ci puisse être traitée par voie d’ordonnances.
Dans le même sens, nous ne pouvons qu’approuver la suppression de l’article 14 tendant à habiliter le Gouvernement à basculer certains régimes d’autorisation administrative applicables aux entreprises en régime déclaratif ou à supprimer les uns et les autres. L’objectif louable de poursuivre ainsi le mouvement de simplification entrepris avec l’adoption du principe selon lequel le silence de l’administration vaut accord ne pouvait justifier une habilitation aussi imprécise et générale qui n’apportait aucune garantie concernant la sécurité juridique des actes.
Je terminerai mon propos en rappelant qu’il est difficile aux membres du groupe écologiste d’accepter que, sous couvert de simplification, des pans entiers du code civil soient réécrits par ordonnances, notamment s’agissant de sujets aussi importants que le droit des contrats. Le travail de la commission des lois, sur l’initiative de M. le rapporteur, a fort heureusement permis d’aboutir à un texte plus équilibré, auquel le groupe écologiste apportera son soutien. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, quand je lis le mot « modernisation », je m’inquiète. Avec le terme « simplification », je m’interroge. Et avec l’expression « par ordonnances », j’ai envie de bouillir !
Cela dit, comme vous l’avez très bien démontré, madame le garde des sceaux, les ordonnances sont un mal nécessaire. Vous avez rappelé les ordonnances portant adaptation du droit aux outre-mer. La commission des lois en a d’ailleurs corrigé un grand nombre au moment de leur ratification. Par parenthèses, ce phénomène montre la mauvaise habitude prise par certaines administrations de ne pas mettre directement dans la loi ce qui concerne l’outre-mer.
Il n’en demeure pas moins que le recours à l’article 38 de la Constitution s’est accéléré.
M. Jean-Jacques Hyest. Depuis que vous êtes aux responsabilités, même si c’est récent, le mouvement s’est encore accéléré : il y a de plus en plus d’ordonnances !
Après Jean-Pierre Sueur, qui nous a en quelque sorte donné la solution, permettez-moi de dire que notre méthode de travail a été complètement déstabilisée par le fait qu’on a voulu à tout prix partager l’ordre du jour entre le Gouvernement et le Parlement. Le Sénat, pour sa part, avait considéré qu’une semaine sur quatre réservée à l’initiative parlementaire était suffisante et que, en tout état de cause, le contrôle se faisait toute l’année, notamment en commission.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Malheureusement, nous n’avons pas été entendus et il a bien fallu faire un compromis, qui nous a conduits à la situation actuelle. Si ces quelques semaines sont certainement très utiles pour débattre, elles ne font pas avancer la législation.
De plus, nous savons très bien que nous légiférons beaucoup trop. Nous faisons même des lois avec tellement d’ajouts – je pense à la loi sur la consommation ou à celle sur le logement – qu’elles en deviennent absolument hirsutes, à tel point que nous sommes obligés d’y revenir pour les corriger. Ce fut le cas par exemple pour le démarchage en matière juridique.
On nous dit que la législation serait bien meilleure après étude par des directions éminentes, puis l’avis du Conseil d’État, qui est forcément bien plus compétent que ces imbéciles de parlementaires…
M. Jean-Jacques Hyest. Je me suis laissé dire que le président d’une très haute juridiction française avait accusé les parlementaires de ne pas savoir faire la loi, ce que j’ai vivement regretté.
Un autre argument utilisé en faveur des ordonnances est que certains sujets n’intéresseraient personne. Lorsque nous avons consenti, difficilement, à ce que le droit des sûretés soit réformé par ordonnances, j’avais protesté. On m’avait alors expliqué gentiment que, les hypothèques n’intéressant que moi, nous nous serions retrouvés à trois sénateurs en séance pour en débattre. On nous avait dit la même chose pour les prescriptions, mais le projet d’ordonnance qui nous a été présenté était tellement faible – c’est le moins qu’on puisse dire ! – que le droit des prescriptions a été finalement réformé par une proposition de loi du Sénat, avec le concours irréprochable de la direction des affaires civiles et du sceau de la Chancellerie. Le Parlement dispose donc de toutes les capacités nécessaires pour modifier des pans entiers du droit civil.
Je ne me résous pas à ce que le droit des contrats et des obligations et le droit de la preuve soient réformés par ordonnances. La seule justification du recours à cette procédure, c’est le manque de temps, car le Parlement est tout à fait capable de s’en charger. Vous le savez très bien, puisque nous avons réalisé d’importants travaux sur ces sujets : en ce qui me concerne, j’ai travaillé avec des universitaires. Nous avions d’ailleurs dit à l’époque que, si le Gouvernement ne nous présentait pas de projet de loi, nous déposerions une proposition de loi. Je ne doute pas que le Parlement finira bien par réformer le droit des obligations.
Votre démonstration était parfaite, madame le garde des sceaux, mais elle est totalement inaudible pour la commission des lois du Sénat : nous souhaitons qu’une réforme aussi considérable soit débattue au Parlement, car elle a des implications nombreuses. On ne peut donc pas se contenter de voter une loi d’habilitation, car vous savez très bien comment se passe l’adoption des projets de loi de ratification. J’ajoute, au passage, que c’est la dernière réforme constitutionnelle qui a imposé au Gouvernement de procéder à une ratification explicite : antérieurement, celle-ci pouvait être implicite et on ne savait pas très bien quelles étaient les dispositions effectivement ratifiées – ce changement représente un progrès, même s’il n’est pas suffisant !
Ce texte touche essentiellement au droit civil, mais il comporte aussi des dispositions qui ne se rattachent pas directement à votre champ de compétences, ce qui est normal : on y a inséré tout ce qu’on a pu…
M. Jean-Jacques Hyest. C’est toujours ce qui se dit, mais il y a des précédents…
Vous avez pu constater que certaines habilitations pouvaient être transformées en dispositions d’application directe, puisqu’elles touchent à des questions relativement simples qui ne méritent pas que l’on recoure à une ordonnance, ce qui permet de gagner du temps. Le consentement des sourds et muets en est un bon exemple. Nous avions achoppé à plusieurs reprises sur ce problème, et nous vous proposons de le résoudre directement ; il me semble que tout le monde y trouvera un bénéfice.
J’insiste également sur la nécessité de bien préciser le domaine de l’habilitation. C’est ainsi que la rédaction de l’article 14 était vraiment trop floue. Je suis d’accord pour qu’on aille dans le sens que vous préconisez, mais il est nécessaire de préciser toutes les procédures d’autorisation qui pourraient être remises en cause. En l’état du texte, tout peut être changé, et je pense que le Conseil constitutionnel pourrait trouver à y redire.
M. le rapporteur, qui a réalisé un excellent travail, a permis d’apporter un certain nombre de précisions et de rendre directement applicables les dispositions qui ne méritaient pas le recours à une habilitation ; il a également prévu de n’accorder l’habilitation que sur les sujets qui le méritaient. Comme vous le voyez, je ne suis pas systématiquement opposé aux ordonnances, et je n’y suis pas plus hostile maintenant que je suis dans l’opposition que lorsque j’appartenais à la majorité, à la différence de certains !
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne pensais pas à vous. (Sourires.) Oui, le recours à cette procédure est parfois nécessaire !
Quand on parle de simplification, notamment en ce qui concerne les collectivités territoriales, je m’amuse de constater que l’État se désengage tout en laissant les autres se débrouiller. L’État ne peut plus s’occuper des courses cyclistes, parce que les préfectures ne disposent quasiment plus de personnel, c’est donc aux maires qu’il appartient de trouver une solution ; il en va de même pour les loteries ! Or ce désengagement pose des problèmes juridiques.
Même si je ne suis pas farouchement opposé à ces évolutions, force est de constater que, s’il n’y a plus de tutelle, ces activités sont encore soumises à autorisation administrative, et l’État ne peut pas s’en désintéresser. On peut laisser les collectivités territoriales se débrouiller, à condition qu’elles disposent des compétences juridiques et techniques pour faire face à ces nouvelles demandes d’autorisation. Voilà ce que j’ai ressenti à la lecture des dispositions concernant les collectivités territoriales : on déclare leur donner plus de libertés, mais on ne leur accorde pas plus de moyens. Nous avons pu le constater par ailleurs en matière d’urbanisme, où les petites communes sont lâchées en rase campagne : elles pouvaient encore bénéficier de l’assistance des services de l’État, mais celle-ci leur a été retirée à partir du 1er janvier 2014 !
Ces évolutions sont imposées par la nécessité, pour l’État, de réaliser des économies. Il ne faudrait pas pour autant déstabiliser davantage les collectivités territoriales en les amenant à engager toujours plus leur responsabilité. Une réflexion générale doit donc être engagée, car il ne s’agit pas de la première – ni de la dernière ! – loi de simplification ou de modernisation. Celles-ci ne peuvent pas avoir pour seul objectif de faire des économies, même si ce souci est louable : il faut aussi garantir aux collectivités territoriales, notamment aux petites communes, une certaine assistance de l’État.
Telles sont les observations que ce texte appelle de ma part, après les remarquables tirades du président Sueur – je me réjouis de constater une continuité à la commission des lois ! Madame le garde des sceaux, présentez-nous un excellent projet de loi…
M. Jean-Jacques Hyest. Je parle de la réforme du droit des obligations : je n’ai encore rien vu !
Je vais conclure, bien qu’il me reste encore trois minutes de temps de parole, mais je sens que tout le monde veut assister aux vœux du Président de la République. Comme je n’y suis pas invité, j’ai tout mon temps…
Mme Cécile Cukierman. Moi non plus, je n’y suis pas invitée !
M. Jean-Jacques Hyest. Le groupe UMP soutiendra donc les propositions de la commission des lois. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la lecture de son intitulé, on ressent immédiatement que le projet de loi a un objet assez vague, pour ne pas dire flou. On est tenté de penser à une catégorie de textes, que l’on a souvent qualifiés de « fourre-tout » et que l’actuelle majorité a tant décriés à une époque.
Même si notre rapporteur a tenté de trouver un fil conducteur à ces dispositions, reconnaissez qu’il est difficile d’établir un lien étroit entre l’action possessoire, la communication par voie électronique en matière pénale et le régime juridique applicable aux voitures de petite remise.
Les sénateurs de notre groupe rappelaient régulièrement lorsque nous examinions les propositions de loi dites « Warsmann » que nous n’appréciions pas la méthode ; permettez que nous continuions aujourd’hui à penser de même, madame la garde des sceaux. Toutefois, la différence fondamentale entre le présent projet de loi et les propositions de loi que je viens de mentionner tient au fait que ces dernières permettaient au Parlement d’exercer directement sa mission, c’est-à-dire de légiférer. Dans le cas présent, non seulement le Gouvernement nous propose une jungle de dispositions sans lien entre elles, mais, surtout, il nous demande de nous dessaisir et de le laisser légiférer par ordonnances. Disons-le clairement : nous ne sommes pas favorables à cette méthode.
On observe un phénomène préoccupant de multiplication des ordonnances tout au long de la Ve République – vous n’êtes pas la seule mise en cause, madame la garde des sceaux.
M. François Zocchetto. Cette évolution est alarmante.
Dans l’édition de 2011 de son ouvrage intitulé La Constitution, Guy Carcassonne considérait en effet que l’« usage immodéré » des ordonnances est « franchement inquiétant ». Analysant la valeur des textes ainsi adoptés, il se montrait particulièrement sévère, les jugeant « généralement […] défectueux ». Il ajoutait que « les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce ingénument, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle. » Tout est dit !
Le comble, c’est que le Gouvernement nous propose ici de recourir aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution dans des matières hautement symboliques. Quoi de plus symbolique, en effet, que le code civil ?
La réforme proposée, par son ampleur – près de 300 articles – comme par ses répercussions éventuelles, est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Le droit des contrats est en passe d’être remanié de fond en comble à cette occasion. Peut-on raisonnablement envisager une telle réforme par voie d’ordonnances ? Évidemment, non ! Si encore vous aviez annexé les projets d’ordonnances au présent projet de loi, nous aurions pu nous prononcer autrement…
Pour reprendre les mots très justes de notre rapporteur, « l’importance de l’enjeu semble exiger que le Parlement se saisisse de cette réforme, afin qu’un débat public puisse avoir lieu ». Oui, un débat public sur ces matières qui touchent le quotidien de nos concitoyens, aussi bien dans leur vie privée que dans la vie des affaires, est indispensable ! D’ailleurs, à deux exceptions près, la réforme de la filiation en 2005 et celle du droit des sûretés en 2006, la règle a toujours été de réformer le droit civil par la loi.
Je tiens donc à saluer la position de principe affirmée par notre rapporteur et soutenue par le président Sueur : la commission des lois du Sénat a toujours refusé les ordonnances dans certains domaines, comme le droit civil ou le droit pénal. Nous entendons bien tous continuer à appliquer cette doctrine.
Le rapporteur, M. Thani Mohamed Soilihi, a détaillé les raisons de forme, que j’ai évoquées précédemment, mais également les raisons de fond qui justifient notre position : la réforme du droit des obligations pose des questions majeures, que seul le Parlement peut trancher.
Comme nous l’avons fait en commission, nous soutiendrons en séance le rapporteur et le président de la commission des lois, qui n’ont pas hésité à rejeter plusieurs demandes d’habilitation du Gouvernement. Nous soutenons aussi la démarche du rapporteur consistant à supprimer les demandes d’habilitation, au profit de l’adoption directe des mesures envisagées lorsque cela est possible.
En conclusion, même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte – loin de là ! – ni à son caractère « fourre-tout », il nous paraît important, à ce stade, de soutenir la position de la commission des lois. C’est pour cette raison que le groupe de l’UDI-UC votera pour le projet de loi, tel qu’il est présenté par le rapporteur, en espérant que le Gouvernement ainsi que nos collègues députés entendront le message fort que nous leur adressons depuis les diverses travées de cet hémicycle : il faut laisser le Parlement exercer pleinement et sereinement sa mission ! (Applaudissements.)
M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme du délai de quatre heures imparti au groupe socialiste.
Je vous rappelle que nous poursuivrons l’examen de ce texte ce jeudi 23 janvier, après les questions cribles thématiques, dans le cadre du second espace réservé au groupe socialiste cette semaine.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt et une heures.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par courrier en date du mardi 21 janvier 2014, M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé à compléter l’ordre du jour réservé à son groupe du mardi 11 février 2014 par la suite de l’examen de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.
Acte est donné de cette demande.
Par ailleurs, il sera procédé au dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes ce même mardi 11 février, à dix-huit heures trente.
7
Liberté de choix des maires quant à l’organisation des rythmes scolaires
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à affirmer la liberté de choix des maires quant à l’organisation des rythmes scolaires dans l’enseignement du premier degré (proposition n° 116, résultat des travaux de la commission n° 281, rapport n° 280).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi.
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le ministre, vous avez cru pouvoir compter sur un consensus quant à l’opportunité d’instaurer la semaine de quatre jours et demi. Cette illusion vous a laissé présager que la réforme pouvait être pilotée au niveau national et menée sans donner aux acteurs le temps de se concerter.
Mme Catherine Troendlé. Elle vous a fait croire que vous pourriez, au nom de l’intérêt des élèves, prétendre améliorer la performance de notre système éducatif par la seule transformation de l’organisation du temps scolaire, tout en bannissant l’approfondissement des enseignements fondamentaux.
Or on peut douter que cette nouvelle organisation du temps scolaire ait un effet significatif sur les conditions d’apprentissage, car elle ne prend que très partiellement en compte les rythmes biologiques de l’enfant.
Les conclusions des chronobiologistes et des chronopsychologues sont aujourd’hui bien connues. Afin de mieux prendre en compte les rythmes biologiques des élèves, il faut instaurer une journée d’enseignement plus courte, mettre les séquences d’apprentissage au moment où les élèves ont leurs pics de vigilance, étaler la semaine sur quatre jours et demi, allonger la durée de l’année scolaire et prendre en compte le fameux « sept-deux » – sept semaines de travail, deux semaines de vacances.
Votre réforme étant focalisée sur le seul allongement de la semaine d’enseignement, elle n’agit que très modérément sur la réduction de la journée d’enseignement, qui est la priorité selon les chronobiologistes. En outre, elle n’agit pas du tout sur l’allongement de la durée annuelle d’enseignement, qui aurait eu pour conséquence de réduire les vacances d’été, dont il est avéré, monsieur le ministre, que la trop longue durée est un facteur d’aggravation des inégalités scolaires.
L’allongement de la durée de l’année scolaire et une meilleure prise en compte des rythmes biologiques des élèves auraient dû constituer les deux priorités d’une réforme des rythmes scolaires. Or votre réforme se limite à l’ajout d’une demi-journée d’enseignement. Les enfants ne passeront pas moins de temps à l’école, puisqu’ils resteront jusqu’à seize heures trente pour les activités périscolaires. On leur supprime, en revanche, la pause du milieu de semaine.
En outre, monsieur le ministre, des comparaisons internationales invitent à ne pas surestimer le poids du facteur « rythme scolaire » sur la performance d’un système éducatif. Il n’y a pas de corrélation forte entre la concentration du temps scolaire et la performance des élèves. À titre d’exemple, les écoliers coréens ou finlandais réussissent mieux que les élèves français avec un nombre d’heures d’enseignement annuel moins important et une année plus longue. En revanche, les écoliers espagnols ou portugais, dans des conditions comparables, réussissent moins bien.
C’est bien plus l’aspect qualitatif de l’enseignement délivré qui doit être considéré comme le levier principal de la réduction des inégalités et de la prévention de la difficulté scolaire. La réalité est donc que l’objectif du retour de la semaine d’enseignement à quatre jours et demi est infime au regard du défi que doit relever notre système éducatif. Il ne justifie pas, monsieur le ministre, le coût exorbitant qu’il représente pour les collectivités et les contribuables.
Au-delà des doutes légitimes que l’on peut avoir sur l’efficacité de cette réforme, celle-ci suscite de nombreux mécontentements.
En premier lieu, chez les enseignants, qui payent un lourd tribut, puisque la demi-journée de classe supplémentaire n’est compensée par aucune augmentation salariale. En manifestant dès le mois de mars dernier, les enseignants vous ont également signifié que cette réforme n’était pas la priorité dont l’école avait besoin.
En deuxième lieu, chez les parents, qui fustigent le manque d’intérêt et de cohérence de nombreuses activités proposées et qui craignent même pour la sécurité de leurs enfants à la suite de l’adoption d’un décret entérinant l’assouplissement des taux d’encadrement.
En troisième lieu, chez les contribuables, qui subissent une pression fiscale de plus en plus forte et qui devront de nouveau payer pour financer l’aménagement du temps scolaire. L’introduction de quelques heures d’enseignement périscolaire a justifié la création d’un fonds étatique doté de 250 millions d’euros et le recours à la Caisse nationale d’allocations familiales pour aider les communes. Pourtant, l’argent mis à disposition ne suffira pas. Dans quelques mois, les municipalités seront contraintes de solliciter à nouveau le porte-monnaie des contribuables via une hausse des impôts locaux.
En quatrième lieu, enfin, votre réforme suscite des mécontentements chez les élus locaux, qui dénoncent l’impossibilité de la mise en œuvre de cette réforme en l’état.
Mme Michèle André. Mais non !
Mme Catherine Troendlé. Cette réforme pose des problèmes organisationnels et financiers parfois insolubles.
Comment faire venir des animateurs pour une heure quand la gare est à plus de trente minutes de l’école ? Comment dispenser des activités capables de susciter l’enthousiasme des enfants quand vous n’avez pas d’associations pour s’en charger ? Face à ces mécontentements, le devoir d’un ministre de la République était d’écouter, de prendre en compte les inquiétudes et d’y répondre en donnant du temps.
M. Jean-François Husson. Absolument !
Mme Catherine Troendlé. Depuis des mois, élus locaux et parlementaires de tous bords vous interpellent, monsieur le ministre, pour que vous ajourniez cette réforme. Ils vous demandent de la suspendre et de prendre le temps d’une concertation qui prenne véritablement en compte l’intérêt de l’élève, tout en satisfaisant aux impératifs de tous les acteurs.
En décrétant, le 24 janvier dernier, la grande réforme des rythmes scolaires dans la précipitation, vous avez laissé le soin aux acteurs locaux de s’accorder pour intégrer les heures d’enseignement périscolaires.
L’organisation du temps scolaire de nos enfants résulte donc d’un compromis entre des municipalités soumises à des contraintes budgétaires, des enseignants, des chefs d’établissements plus ou moins écoutés sur l’organisation d’ateliers et des associations diverses, disponibles pour utiliser ce temps périscolaire. Force est de constater, quelques mois après cette rentrée scolaire, que, dans nombre de cas, ce compromis entre adultes est bien éloigné de l’intérêt des enfants.
La proposition de loi que je présente au nom du groupe UMP résulte du fait que la réforme des rythmes scolaires a été mal engagée, qu’elle pose de réels problèmes organisationnels et qu’elle n’est pas financée.
Monsieur le ministre, nous n’avons pas l’assurance que le fonds étatique mis à la disposition des communes sera pérennisé après 2015. De nombreuses communes font état des difficultés à financer et à mettre en œuvre cette réforme. C’est la raison pour laquelle moins de 25 % d’entre elles l’ont mise en application à la rentrée 2013. Devant les difficultés rencontrées, certaines communes ont même fait marche arrière. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Françoise Cartron. Deux seulement !
M. Jean-François Husson. Non, beaucoup plus. Et même des communes de gauche !
Mme Catherine Troendlé. Il reste 20 000 communes qui doivent mettre en œuvre cette réforme à la rentrée de 2014. Le groupe UMP du Sénat a pris la mesure des difficultés rencontrées par les maires. Il a écouté les craintes des parents d’élèves et les inquiétudes des professionnels. C’est dans un esprit d’apaisement et avec la volonté de trouver une issue à la crise actuelle que nous déposons cette proposition de loi, monsieur le ministre. Elle vise à permettre à chaque commune de s’organiser afin de proposer aux enfants et aux familles l’organisation la plus favorable à l’acquisition par tous du socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini par l’éducation nationale.
Ce texte n’impose pas une organisation hebdomadaire. Il s’appuie sur la responsabilité et la liberté des acteurs de terrain que sont les maires. Il tend à rejeter une organisation du temps scolaire imposée par la rue de Grenelle et prenant peu en compte les différences qui existent entre les communes rurales, périurbaines ou urbaines. En effet, les besoins des élèves, les attentes des parents, les demandes des enseignants et les activités périscolaires pouvant être dispensées ne sont pas les mêmes selon les académies.
Notre proposition de loi repose sur trois principes. Le premier est celui de la liberté de choix des maires concernant l’aménagement du temps scolaire. Le deuxième est celui d’une concertation obligatoire avec les acteurs locaux – enseignants, parents, associations –, afin de mieux prendre en compte les possibilités offertes sur le terrain pour l’instauration d’activités périscolaires.
M. Jacques Chiron. Vous mélangez tout !
Mme Catherine Troendlé. Le troisième est celui d’une compensation intégrale par l’État des charges supplémentaires résultant de l’application d’une telle réforme pour les communes.
Cette proposition de loi apporte la souplesse nécessaire aux maires. Elle permet de donner plus de temps aux communes qui ne pourraient pas mettre en œuvre cette réforme dans les meilleures conditions à la rentrée 2014. Elle permet, enfin, d’assurer le financement de cette réforme sans faire appel à des contribuables locaux qui doutent de son utilité pour améliorer la performance des élèves.
Cette proposition de loi s’appuie sur le sens de la responsabilité et l’expérience des acteurs de terrain. Rappelons que l’alinéa 2 de l’article 72 de la Constitution dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. »
Au-delà de la question des rythmes scolaires, cette proposition de loi s’inscrit dans l’idée d’une territorialisation des politiques éducatives, si chère à Alain Savary et si nécessaire.
Les maires sont aujourd’hui tiraillés entre le devoir d’appliquer une réforme qui, issue d’un décret, n’a pas la force symbolique de la loi, et les mécontentements légitimes et de plus en plus véhéments de leurs concitoyens. Le vote de cette proposition de loi répondrait, par conséquent, aux demandes qu’ils expriment depuis des mois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est malheureusement devenu banal de pointer les performances médiocres de notre système scolaire. Les enquêtes internationales comme PIRLS et PISA, encore contestées il y a peu au nom de la préservation du modèle français, sont désormais incontournables.
Pour répondre à la crise de l’école, fallait-il, monsieur le ministre, commencer par les rythmes scolaires ? Fallait-il concentrer le débat public sur l’organisation d’activités périscolaires sous la responsabilité des communes ? Fallait-il mobiliser tant d’énergie pour une modification très partielle du temps scolaire, qui laisse de côté à la fois le second degré et les vacances ? Je ne le pense pas.
Quel bénéfice tirer d’une réforme qui ne module pas le temps scolaire en fonction de l’âge des enfants et des contraintes locales ou géographiques ? Quel bienfait pédagogique espérer d’une réforme administrative qui ne touche pas aux pratiques des enseignants ?
Changer des cases horaires ne suffira pas, vous en conviendrez, à améliorer les compétences en mathématiques et en français des écoliers.
Nous pouvons nous accorder sur la nécessité d’une réorganisation globale et concertée du temps scolaire. J’ai critiqué en son temps la semaine de quatre jours et le paradoxe français qui conjugue l’année la plus courte et la journée la plus chargée. Ce constat ne nous oblige en rien à accepter une réforme, aussi bien intentionnée soit-elle. La réforme lancée par le Gouvernement est un cas d’école, qui illustre parfaitement le mode de fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l’éducation nationale.
Aucune évaluation préalable des effets potentiels de la réforme n’a été menée. Aucune estimation de son impact sur les performances scolaires n’est disponible. Aucune enquête n’a été menée auprès des maires pour les associer à la conception de la réforme.
Le décret du 26 janvier 2013 impose un cadre unique qui s’applique de façon presque uniforme sur tout le territoire. Cependant, ce texte est interprété de façon très diverse par les DASEN, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale, qui ne suivent pas toujours l’évolution des déclarations du Gouvernement. Sur le terrain, il n’est pas rare de voir certains DASEN ou inspecteurs de circonscription retenir des interprétations très restrictives des textes, ou imposer des obligations supplémentaires, par exemple en termes de transmission anticipée des projets éducatifs.
Les maires n’appréhendent que très difficilement leurs marges de manœuvre en ce qui concerne les possibilités de dérogation, telles que le recours au samedi matin ou l’écriture des projets éducatifs territoriaux. Certains DASEN poussent à l’adoption d’un modèle d’organisation unique dans tout leur département.
Monsieur le ministre, je me permettrai de vous en donner deux exemples, tirés de la situation de mon département.
Premièrement, quatre communes de montagne souhaitent conserver les huit mercredis du deuxième trimestre pour que les enfants puissent pratiquer le ski. Cette discipline permettra peut-être à certains d’entre eux d’être les champions de demain, à d’autres d’en faire leur métier. Tous les acteurs – les enseignants, les parents, les élus – se sont accordés pour faire leur rentrée une semaine plus tôt en août afin de rattraper ces huit mercredis. À l’heure actuelle, ils se sont vu refuser ce projet. Tout comme moi, ils vous ont alerté, monsieur le ministre.
Deuxièmement, trois communes, qui ont mutualisé leurs moyens, souhaitent que le temps périscolaire soit organisé autour de deux séances d’une heure et demie. Ce temps pourrait être prolongé dans le cadre associatif. Là encore, les acteurs locaux sont tous d’accord, mais ils se voient opposer des raisons d’organisation administrative. De ce fait, ces trois communes seraient contraintes de faire de la simple garderie. Où est donc l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est dans toutes les bouches ?
De plus, les possibilités de recrutement d’animateurs, l’évolution du taux d’encadrement des activités périscolaires ou encore les contributions des caisses d’allocations familiales demeurent incertaines. Des réponses ambiguës, voire contradictoires, leur ont été adressées selon les temps et selon les interlocuteurs. Le défaut d’articulation entre les services sociaux et l’éducation nationale n’a pas contribué à clarifier la situation.
C’est pourquoi peu de maires se sont engagés dès 2013. Pour l’année scolaire 2013-2014, quelque 3 991 communes, sur 23 000 environ disposant d’une école, sont passées aux nouveaux rythmes. Cela représente 1,3 million d’élèves, soit 22,2 % de l’effectif total du secteur public. Seules 35 des 150 communes les plus importantes ont choisi d’appliquer la réforme dès 2013.
L’organisation des temps scolaires relève du caractère propre des établissements privés, dont 6 % seulement sont passés aux nouveaux rythmes cette année. Faut-il donc donner moins de pouvoir et de responsabilité au maire sur l’école publique que n’en dispose un chef d’établissement d’une école privée ?
Les réticences de la plupart des maires à l’égard de la réforme ne viennent pas de leur prétendue indifférence au bien-être des élèves. Le président de l’Association des maires ruraux l’a confirmé lors d’une audition : tous les maires savent que la transmission du savoir est le meilleur investissement que la nation puisse faire. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est qu’ils ne peuvent pas. Leurs réticences sonnent plutôt comme une protestation contre le refus du ministère de les traiter comme des partenaires éducatifs responsables et autonomes. Surtout, elles reflètent d’importantes difficultés matérielles et financières, qui attendent une réponse.
D’après l’enquête réalisée à l’automne 2013 par l’association des maires de France, ou AMF, 77 % des communes passées aux nouveaux rythmes s’inquiètent du financement de la réforme. Il s’agit de l’une des faiblesses structurelles essentielles de la réforme. Son financement est à la fois insuffisant, incertain, et éphémère.
La loi de refondation de l’école de la République a institué un fonds d’amorçage en faveur des communes mettant en œuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013. Trois questions au moins se posent sur les aides d’amorçage : le mode de calcul de leur montant, le bouclage de leur financement jusqu’en 2015, leur pérennisation au-delà.
Le montant des aides n’a fait l’objet d’aucune estimation préalable du coût prévisionnel des activités périscolaires complémentaires. Il n’a fait l’objet d’aucune enquête d’intention auprès des maires. Il ne tient pas compte du coût du transport scolaire. Le montant des aides a été calculé par répartition d’une enveloppe globale, fixée à l’avance et ne reposant sur aucune justification. C’est pourquoi les aides sont forfaitaires et ne constituent pas une compensation des surcoûts supportés par les communes.
Dès lors, il n’est pas surprenant de constater dans de nombreuses communes des coûts de mise en œuvre dépassant largement le montant maximal des aides octroyées par le fonds d’amorçage et par les caisses d’allocations familiales, ou CAF.
Malgré un sous-dimensionnement du fonds, qui ne permet pas une compensation adéquate pour les communes, le financement de la réforme demeure incertain. Pour 2014, quelque 102,7 millions d’euros ont été inscrits dans la loi de finances, dont 62 millions d’euros issus de la Caisse nationale des allocations familiales, ou CNAF. Cette contribution exceptionnelle de la CNAF, qui n’avait été aucunement prévue à l’origine, s’ajoute aux aides qu’elle verse directement aux communes pour soutenir l’accueil périscolaire. Il ne s’agit en rien d’un financement pérenne du fonds d’amorçage, qui a vocation à être supporté par l’État.
Pour 2015, le financement est entièrement ouvert. Il faudra trouver 286 millions d’euros pour cette seule année, alors même que le budget de l’éducation nationale absorbe déjà de nombreuses créations de postes d’enseignants.
Si la réforme est maintenue en l’état, ce problème de financement deviendra d’autant plus pressant que les aides seront définitivement pérennisées au-delà de 2015. C’est ce que demande très légitimement l’AMF, puisque les coûts de la réforme ne sont pas transitoires, mais représentent au contraire des charges permanentes.
S’il n’y avait pas de pérennisation des aides, les communes devraient trouver des ressources nouvelles après 2015 pour maintenir la qualité des activités scolaires. Elles seraient confrontées à un dilemme : soit demander une contribution financière aux parents, soit augmenter la fiscalité locale.
Pour apporter rapidement une réponse souple aux difficultés des communes, il faut remettre à plat la réforme dans son principe. Il est temps de passer de la contrainte au libre choix, de la circulaire au contrat, au dialogue et au partenariat. La proposition de loi déposée par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP, qui est soumise à notre examen, offre une solution souple et pragmatique pour sortir de l’ornière.
Elle renforce les pouvoirs du maire, qui sont aujourd’hui purement dérogatoires aux décisions d’organisation de la journée et de la semaine scolaire prises par le DASEN. À cette fin, elle complète l’article L. 521-3 du code de l’éducation pour donner aux maires la liberté d’organiser le temps scolaire des écoles maternelles et élémentaires publiques.
Des limites au pouvoir du maire sont posées afin de garantir le respect des programmes et du calendrier scolaire annuel, fixé par le ministre de l’éducation nationale. Ces garde-fous sont nécessaires pour maintenir un cadre pédagogique commun à toutes les écoles.
La proposition de loi prévoit également une consultation préalable des conseils d’écoles, des professeurs des écoles, des représentants des parents d’élèves, du DASEN et des inspecteurs de l’éducation nationale, les IEN, concernés. Il s’agit ainsi d’impulser un changement de méthode. Il faut privilégier les coopérations horizontales entre tous les acteurs et l’adaptation la plus fine aux circonstances locales.
Enfin, la proposition de loi pose le principe d’une compensation intégrale par l’État des charges imposées aux communes par toute modification des rythmes scolaires par voie réglementaire.
On pourrait objecter que cette initiative parlementaire intervient trop tôt et qu’il vaut mieux attendre les conclusions et les recommandations de la mission commune d’information du Sénat sur ce sujet. Je pense au contraire que la proposition de loi est déposée juste à temps pour sortir de l’ornière – je dis bien de l’ornière, et non de l’impasse, car il n’est pas question de faire demi-tour ; il faut au contraire avancer !
Même si elle n’a pas achevé ses travaux, la mission a commencé à travailler dès le mois de novembre dernier. Les auditions se sont succédé à un rythme rapide. Je veux saluer la présidente, Mme Catherine Troendlé, et la rapporteur, Mme Françoise Cartron, pour leur travail rigoureux et transparent.
Mme Françoise Cartron. Merci !
M. Jacques-Bernard Magner. C’est un bon point !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Grâce à elles, nous disposons d’ores et déjà d’une excellente vision des difficultés qui se posent dans l’organisation matérielle et le financement de la réforme.
Il n’est pas possible, à mon sens, de tarder davantage, en raison des contraintes cumulées des calendriers du Parlement, de l’école et des collectivités. Compte tenu des délais de la procédure parlementaire, si nous voulons faire œuvre utile pour la rentrée 2014, nous devons en débattre dès maintenant.
Il faut redonner du souffle et de l’espoir aux maires. Mes chers collègues, vous me permettrez de donner la parole à Lu Xun, le grand intellectuel moderniste chinois (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) : « L’espoir est comme un chemin dans la montagne ; au début, il n’y a rien ; puis, un homme passe et voilà le chemin ! » Soyez cet homme, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Vous l’aurez compris, je suis favorable à l’adoption de la présente proposition de loi. Malheureusement, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ne m’a pas suivi et ne l’a pas adoptée. C’est donc sur le texte initial de ses auteurs que nous nous prononcerons, en application de l’article 42 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu moins d’un an, au terme de débats constructifs et d’une grande qualité, la Haute Assemblée a adopté le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Malgré des approches divergentes, qui ont fait que la gauche s’est unie en faveur de ce texte et que la droite ne l’a pas voté, je considère qu’un même constat a été partagé sur toutes les travées du Sénat : il faut refonder l’école de notre République. L’objectif est également commun, à savoir retrouver, au travers de cette refondation, une espérance.
L’étude PISA de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui a été publiée à la fin de l’année dernière, n’a pas manqué de nous rappeler cette nécessité de refondation de l’école, en soulignant la dégradation de notre système éducatif et l’accroissement sans précédent des inégalités scolaires en France. Nous sommes ainsi aujourd’hui le pays de l’OCDE dans lequel les inégalités scolaires sont les plus importantes et la corrélation entre les inégalités sociales et scolaires la plus forte.
En conséquence, notre pays perd inévitablement en compétitivité économique et met en danger, comme l’ont montré des événements récents, sa cohésion sociale et civique. C’est pourquoi la refondation de l’école de la République est une nécessité que j’ai souhaitée, même si je n’y suis pas parvenu jusqu’à présent, voir reconnue par tous.
Vous avez souhaité, madame Troendlé, que nous menions ce débat dans la sérénité. C’est aussi mon vœu le plus profond.
Nous débattons là de sujets qui ne nous concernent pas directement. Après tout, c’est bien l’égoïsme des générations les plus âgées qui a créé la situation dans laquelle nous sommes, en termes tant de chômage des jeunes et de transferts divers que d’école. Ces sujets concernent les nouvelles générations, donc l’avenir de notre pays. Lorsque nous dépassons nos clivages politiques, la République doit pouvoir nous rassembler.
Dans notre histoire commune, la République s’est construite autour et par son école.
La refondation que nous avons engagée porte d’abord sur l’essentiel, en donnant la priorité à l’école élémentaire. C’est absolument indispensable ! Les chiffres indiquent en effet que, à la fin de la classe de troisième, c’est-à-dire au terme de la période de scolarité obligatoire, un grand nombre d’élèves sont incapables de maîtriser notre langue. Ce pourcentage a augmenté de 5 % depuis 2007, et de 13 % dans les zones d’éducation prioritaire. Et moins d’un enfant sur deux, à la fin de la troisième, maîtrise les apprentissages fondamentaux.
En même temps que le déclin scolaire, on observe un accroissement des inégalités. L’école est le lieu où l’on comprend que l’exigence de justice et celle de performance vont de pair. Or, en cette matière, notre pays est à la fois le plus inégalitaire et le moins performant. Les deux éléments n’auraient pas de lien ? Si, ils en ont un !
Les pays qui réussissent le mieux et qui améliorent leurs performances scolaires – tels étaient les termes de la promesse républicaine à sa grande époque – sont ceux qui sont capables de limiter les inégalités entre les enfants.
Alors même qu’augmente le nombre des élèves en difficulté, nos élites régressent. Même en mathématiques, nous commençons à rencontrer des difficultés, et ce malgré l’existence de la grande école française de mathématiques.
Cette priorité donnée au primaire n’a pas commencé avec la réforme des rythmes scolaires. Je suis obligé, si nous voulons maintenir la sérénité des débats, de vous rappeler en quoi consiste cette refondation et comment elle est mise en œuvre.
Elle comprend tout d’abord, et c’est son élément principal, la remise en place d’une formation des enseignants. En 2008, la réforme de la semaine de quatre jours a été décidée sans aucune concertation,…
M. Pierre Martin. Non !
M. Vincent Peillon, ministre. … du jour au lendemain, créant ainsi une exception française : cette année scolaire trop courte que vous avez évoquée et qui compte 144 jours de classe. Triste exception française ! Grâce à la réforme que nous mettons en place, nous sommes revenus à 180 jours.
En même temps, la formation continue des enseignants avait été réduite comme peau de chagrin. Quant à leur formation initiale, elle avait été supprimée. Nous l’avons rétablie : sur les 54 000 postes qui ont été créés, 27 000 sont consacrés à la formation initiale des enseignants. Celle-ci comprend l’année de stage, celle-là même qu’avaient suivie ceux d’entre nous qui ont été professeurs et qui permet une entrée progressive dans le métier.
Nous faisons également aboutir un projet de formation professionnalisante des enseignants, laquelle existait autrefois pour le primaire, avec les écoles normales d’instituteurs et les écoles d’application, et donnait de bons résultats. Cette formation n’a jamais existé, en revanche, pour le secondaire, et elle avait été supprimée pour le primaire.
Dans un grand colloque qui s’est tenu l’année dernière en France, l’OCDE a salué la volonté de remettre en place une formation des enseignants. Tous ceux qui s’intéressent à ces sujets savent, en effet, que cette réforme est prioritaire.
« L’effet maître », c'est-à-dire la rencontre entre un professeur et un élève, est un moment décisif de la formation, et nos professeurs, quel que soit leur niveau d’enseignement, doivent y être formés. Ce travail est très difficile, parce qu’il va à l’encontre de mauvaises habitudes que nous avons pu prendre.
Professionnaliser les concours, permettre cette entrée progressive dans le métier, notamment au travers des emplois d’avenir professeur, qui peuvent être occupés par des étudiants à partir de la deuxième année d’université, prévoir des masters qui s’inscrivent dans une continuité avec le métier d’enseignant, au lieu de séparer l’apprentissage de la discipline et la formation professionnelle : toutes ces décisions, nous les avons prises dans le cadre de l’autonomie des universités, en créant les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.
Quant aux programmes scolaires, notamment pour le primaire, nous y travaillons aussi depuis le début. Aussi, pourquoi dites-vous que nous avons commencé par réformer les rythmes scolaires ? Que je sache, les ESPE existent dans toutes les académies de France ! En revanche, quatre communes sur cinq n’ont pas adopté les nouveaux rythmes. Ce que vous dites de notre action n’est donc pas juste !
Il est nécessaire, également, de refondre les programmes. De nouveaux programmes, que chacun a pu juger, avaient été mis en place en 2008, sans concertation et, pour une part, sans réflexion. Or ils n’ont pas eu de traduction concrète et leurs résultats ne sont pas bons.
J’ai voulu, pour ma part, qu’une large concertation de tous soit menée, dans la transparence. En effet, comment une nation comme la nôtre pourrait-elle avancer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le socle commun de connaissances, de compétences, de culture, mais aussi sur les programmes et les curriculums, sans associer les parlementaires et sans réunir une commission pluraliste, que j’ai voulu confier à une personnalité connue pour son parcours pédagogique et ses engagements aux côtés de l’actuelle majorité ? C’est ainsi que nous pourrons sortir l’école des joutes politiciennes qui lui ont fait tant de mal jusqu’à présent.
Ce conseil national existe, et vous y siégez, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition. Il s’est mis au travail afin de proposer de nouveaux programmes dans les quatre ans, y compris au travers de la consultation des enseignants. Nous l’avons déjà fait pour le primaire – les résultats ont été excellents ! – et pour l’éducation prioritaire.
Ce conseil vous associera à ses travaux, comme il y associe un certain nombre de personnalités qualifiées, ainsi que le Conseil économique, social et environnemental.
Avant même les nouveaux rythmes scolaires, nous avons mis en place l’accueil des enfants âgés moins de trois ans dans les zones difficiles, ainsi que le dispositif innovant « plus de maîtres que de classes » pour apprendre à lire, écrire et compter. Car tel est bien mon objectif. À cet égard, trop de confusion a été semée du fait de polémiques qui n’étaient pas à la hauteur du travail que nous avons engagé.
Je pourrais citer les mesures que nous avons prises pour l’éducation prioritaire, pour le métier d’enseignant et, avec votre aide, pour la pérennisation des contrats des personnels qui accompagnent les enfants en situation de handicap, mais aussi contre le harcèlement ou pour la sécurité dans les établissements. La refondation n’a donc pas commencé par les rythmes scolaires !
Au moment de la réforme des rythmes, je me suis tourné vers certains adultes pour leur demander s’ils voulaient contribuer à cet effort. C’est là que la chose est devenue difficile.
J’ai entendu vos arguments. Dans le fond, ajouter une demi-journée de classe, cela relève de la responsabilité de l’éducation nationale. Vous dites avoir des hésitations sur la justification de cette demi-journée. N’en ayez pas ! Vous ne trouverez aucun chronobiologiste, aucun professeur – et voilà deux ans de cela, aucun député ou aucun sénateur... – pour nier que l’allongement de douze à quinze heures favorisera l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul au cours préparatoire, et ce d’autant plus que cette demi-journée est ajoutée le matin, c’est-à-dire au moment où les enfants sont les plus vigilants. C’est une bonne mesure !
Mme Catherine Troendlé. On est d’accord !
M. Vincent Peillon, ministre. C’est ma responsabilité de ministre de le dire : pour apprendre à lire, écrire et compter aux enfants de ce pays, il faut cinq demi-journées de classe.
La grande réforme à mettre en place, selon vous, serait de diminuer un peu la journée de classe. Vous avez raison ! La journée de six heures est une particularité française, et elle est ancienne. C’est d’ailleurs pour cela que cette réforme crée de tels bouleversements.
S’agissant du mercredi matin, ou du samedi matin pour ceux qui le souhaitent, on peut encore s’arranger. On ne s’occupait pas, depuis quatre ans, de ce que faisaient les enfants lorsqu’ils n’étaient pas à l’école. Aujourd’hui, l’éducation nationale, donc l’État, les prend en charge, en assurant l’enseignement ; et c’est gratuit. Toutefois, nous diminuons, effectivement, la durée de la journée : c’est là que les choses se compliquent.
Nous le faisons parce que tout le monde le recommande. Tout le monde sait, en effet, qu’il n’est pas excellent pour un enfant de six ans qui est au cours préparatoire de commencer les apprentissages fondamentaux à seize heures, alors qu’il a commencé sa journée à huit heures trente.
Mme Catherine Troendlé. Tout à fait.
M. Vincent Peillon, ministre. Le travail que nous menons vise donc à changer une habitude séculaire. C’est en effet la première fois que l’on raccourcit la journée scolaire dans notre pays.
Au lieu de la diminuer de trois quarts d’heure, il aurait fallu ôter une heure, dites-vous. Cette proposition, prévue par mon prédécesseur, figurait d’ailleurs dans un rapport adopté à l’unanimité, donc aussi par les groupes qui sont aujourd’hui dans l’opposition.
Actuellement, la durée de la journée est donc de cinq heures et quart. Le problème que pose la journée de cinq heures, laquelle me semblait également être la bonne solution, c’est précisément que les collectivités locales consultées ne l’ont pas souhaitée, car cela aurait ajouté une heure d’activités périscolaires aux trois heures qu’elles doivent déjà assumer.
La réforme se fait aujourd’hui à temps constant pour le service horaire des enseignants, puisque ces trois heures d’activités périscolaires sont compensées par les trois heures du mercredi matin. S’il y avait eu quatre heures d’activités, il y aurait eu un transfert : on aurait retiré une heure d’enseignement « éducation nationale ». Là, il n’y a pas une minute en moins.
Cette décision est le fruit d’une concertation, qui n’a jamais été aussi longue, avec les collectivités locales. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-François Husson. C’est la meilleure !
M. Vincent Peillon, ministre. Cette concertation nous a conduits, à la demande des collectivités locales, à fixer la durée de la journée scolaire à cinq heures et quart, et non pas à cinq heures. Dans le même temps, nous laissons les collectivités organiser ce temps librement, par exemple en raccourcissant la journée d’une heure et demie, ou de trois quarts d’heure, ou encore en organisant les activités lors de la pause méridienne. Accorder une telle liberté aux collectivités locales, dans la concertation, cela ne s’était jamais produit : cette situation a désemparé de nombreux maires. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
M. Jean-François Husson. C’est extraordinaire !
Mme Maryvonne Blondin. Voilà !
M. Vincent Peillon, ministre. La liberté doit s’accompagner de responsabilité, voire d’intelligence. La liberté suppose d’être éclairée, on le sait depuis Condorcet, et l’école en est le premier garant. Hélas, ces lumières ne s’étendent pas à tous, et certains n’hésitent pas à se contredire d’une année sur l’autre : après avoir milité pour la journée de cinq heures, la semaine de quatre jours et demi et l’allongement de l’année scolaire, ils ont soudain bien du mal à traduire leurs engagements d’hier en actes d’aujourd’hui.
Cette refondation, globale, porte aussi sur le temps scolaire, et ce avec un seul objectif : la réussite scolaire de tous les enfants.
Vous le savez également, un autre sujet s’y est greffé, celui des activités périscolaires, qui concernent aujourd’hui, selon l’INSEE, 20 % des enfants.
Jusqu’à présent, ces activités étaient obligatoirement payantes, même si leur montant était parfois symbolique. Nous nous sommes rendu compte, comme chacun a pu le faire, non seulement que le « mauvais temps » scolaire était préjudiciable – rappelons-nous les performances scolaires de nos élèves –, mais que les inégalités éducatives, qu’elles concernent l’accès au sport, à la musique, ou le temps consacré aux devoirs après la classe, posaient de nombreux problèmes, même si elles font le bonheur d’officines privées, et n’étaient pas prises en charge par la communauté nationale.
Avec cette réforme, toujours selon l’INSEE, la proportion des enfants ayant accès aux activités périscolaires passera de 20 % à 80 %. Les associations s’en réjouissent, et vous verrez que cela constituera pour elles, à terme, un formidable levier de progression.
Demain, quatre fois plus d’enfants auront accès, après la classe, à des activités de qualité,…
Mme Catherine Troendlé. Avec quelles associations ?
M. Vincent Peillon, ministre. … lesquelles, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, pourront être gratuites, puisque nous avons modifié les règles d’affectation des fonds des caisses d’allocation familiale. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est extraordinaire !
M. Bruno Retailleau. Ces activités sont payées par les contribuables !
M. Vincent Peillon, ministre. Animé par la curiosité, je me suis demandé ce que vous aviez fait pour l’école au cours des dernières années. (Ah ! sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Je me suis rendu compte que vous l’aviez essentiellement blessée (C’est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.), en supprimant des postes, en mettant fin à la formation des enseignants, en raccourcissant le temps scolaire, en étant incapables de pérenniser les personnels qui accompagnent les enfants en situation de handicap et en mettant la France dans la situation où elle se trouve aujourd’hui, au dernier rang en termes d’inégalités et en pleine détérioration de ses performances scolaires. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Vous devenez polémique, monsieur le ministre !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ne reniez pas votre bilan, chers collègues de l’opposition !
M. Vincent Peillon, ministre. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus agir sur les politiques d’État. Aussi, nous créons des postes, nous remettons en place la formation, nous luttons contre la violence et le harcèlement.
Toutefois, il vous reste des responsabilités locales. Je souhaite sincèrement que vous fassiez mieux, à ce niveau, que lorsque vous exerciez des responsabilités nationales.
M. Jean-Claude Lenoir. Cela commençait pourtant bien...
M. Vincent Peillon, ministre. Nous avons fait le choix de la priorité à l’école, du redressement éducatif du pays, de la refondation républicaine, et nous avons voulu, et voulons toujours, y associer les collectivités locales. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendlé. « Associer » ?
M. Vincent Peillon, ministre. Pour ce faire, nous avons porté les lois de décentralisation. Aujourd’hui, vous l’avez vu, votre proposition de loi n’est pas soutenue par l’Association des maires de France.
M. Jacques-Bernard Magner. Tout à fait !
M. Vincent Peillon, ministre. L’Association des maires ruraux de France demande que l’on sensibilise mieux les élus locaux à cette réforme, et son président l’a, pour sa part, déjà mise en place.
L’Association des maires de France ayant, après les éructations de quelques-uns (Protestations sur les travées de l'UMP.), mené une véritable enquête, elle a découvert que 70 % des maires qui ont mis en place cette réforme – et ils ne sont pas tous de gauche ! – en sont satisfaits.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, il n’est pas incongru de considérer quelquefois que l’on peut servir le pays autrement qu’en reprenant les postures de son parti politique.
Mme Catherine Troendlé. Cela n’a rien à voir !
M. Vincent Peillon, ministre. Lorsqu’il s’agit de l’école, lorsque l’on dispose des chiffres d’organisations internationales qui jugent un bilan, lorsque l’on a soi-même rédigé des rapports et conclu qu’il fallait revenir à la semaine de quatre jours et demi, il peut y avoir un certain honneur à faire de la politique.
M. Jean-Claude Lenoir. Faites donc de la politique et non de la polémique !
M. Jacques-Bernard Magner. C’est vous qui polémiquez !
M. Vincent Peillon, ministre. Justement, je vous y engage, monsieur Lenoir. Arrêtez la politique politicienne ! Regroupez-vous autour de votre école et essayez d’amender ce que vous avez fait pendant cinq ans.
M. Jean-Claude Lenoir. Vous rabaissez votre fonction.
M. Vincent Peillon, ministre. L’adoption de la présente proposition de loi conduirait à ce que les collectivités locales, qui n’ont jamais eu autant de pouvoirs pour définir, avec l’éducation nationale, le temps péri-éducatif,…
Mme Catherine Troendlé. Elles n’en ont pas les moyens !
M. Vincent Peillon, ministre. … fixent elles-mêmes le temps scolaire.
Monsieur Carle, ce que vous proposez aujourd’hui, ce n’est pas un progrès, c’est la destruction même de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Maryvonne Blondin. Absolument !
M. Vincent Peillon, ministre. C’est la mise à bas du cadre commun de la République.
Utilisez les nouvelles libertés locales qui vous sont données et ne vous attaquez pas à la République. Ayez de la cohérence dans vos actions et participez au redressement de la France. Ce sera votre honneur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est incroyable !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
M. Jean-François Husson. Chère collègue, soyez comme M. le ministre, ouverte et tolérante ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, d’exprimer mon étonnement. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Dois-je rappeler que, sur l’initiative des membres du groupe UMP, qui sont à l’origine de cette proposition de loi, une mission commune d’information sénatoriale a été constituée au mois de novembre dernier ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Les deux sont complémentaires !
Mme Françoise Cartron. Elle a pour objectif de dresser un état des lieux circonstancié de la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires et d’en évaluer le coût. Je vous remercie d’ailleurs de m’avoir nommée rapporteur de cette mission.
Mme Sophie Primas. On ne l’a pas fait exprès !
Mme Françoise Cartron. Aujourd'hui, je suis quelque peu surprise. Alors que nous sommes au début de nos travaux et qu’il est prévu que le rapport soit rendu à la fin de ce semestre,...
Mme Catherine Troendlé. C’est un bilan d’étape !
Mme Françoise Cartron. ... alors que notre cycle d’auditions se poursuit et qu’aucun déplacement n’a encore été effectué, vous en préemptez déjà les conclusions en déposant une proposition de loi qui « offre une solution souple et pragmatique pour sortir de l’ornière de la réforme des rythmes scolaires ».
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. C’est tout à fait complémentaire, je le répète !
M. David Assouline. C’est de la préemption idéologique !
M. Jacques-Bernard Magner. Il y a un piège !
Mme Françoise Cartron. Ma surprise est d’autant plus grande que la quasi-totalité des personnes auditionnées jusqu’à présent saluent le bien-fondé de la réforme et que, dans mes souvenirs, aucune d’entre elles n’a parlé d’ « ornière » ! Je prends à témoin la présidente de la mission commune d’information.
Mme Catherine Troendlé. Plus de souplesse, voilà ce qui a été souvent demandé !
Mme Françoise Cartron. Des difficultés dans la mise en œuvre pratique ont certes été pointées. Il ne s’agit en aucun cas de les nier. Il s’agit même pour nous, parlementaires, de formuler des préconisations et de proposer des solutions pérennes.
Mme Catherine Troendlé. Ce que nous proposons est une solution !
Mme Françoise Cartron. Sur ce point, soyons honnêtes et reconnaissons que, depuis la publication du décret, le Gouvernement n’a jamais été sourd aux problématiques exprimées par les acteurs de la communauté éducative, en particulier par les élus locaux. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-François Husson. C’est faux !
Mme Françoise Cartron. Je rappelle les décisions prises : report d’une année pour les communes souhaitant bénéficier d’un temps supplémentaire de concertation, pérennisation du fonds d’amorçage à la rentrée prochaine pour toutes les communes,…
Mme Catherine Troendlé. Et ensuite ?
Mme Françoise Cartron. … accompagnement financier de l’État pour les activités périscolaires – c’est inédit –, assouplissement des taux d’encadrement pour les activités périscolaires, liberté octroyée aux communes de choisir entre le mercredi et le samedi, de prévoir un temps périscolaire de 45 minutes ou de 90 minutes et de placer ces activités en fin de journée ou à la pause du midi.
Vous souhaitez accorder plus de liberté aux maires. Pourtant, jamais ils n’ont été aussi libres pour l’organisation des temps péri-éducatifs ! A contrario, monsieur le ministre, certains demandent un cadre plus strict, loin de ce que propose le texte dont nous avons aujourd’hui à débattre.
Cela étant, je souhaite revenir point par point sur les « carences » que vous dénoncez et qui justifieraient, à vos yeux, le dépôt de cette proposition de loi.
Vous regrettez l’absence de dispositifs d’évaluation de la réforme. Je rappelle toutefois qu’un comité de suivi de l’application des rythmes scolaires a été mis en place. Il évalue régulièrement et a présenté un point d’étape mettant en avant les apports essentiels et rappelant les enjeux fondamentaux de la réforme. Il établit par ailleurs les bonnes pratiques qui peuvent d’ores et déjà être diffusées et formule des recommandations pour améliorer, sur le terrain, la mise en œuvre de cette « nouvelle semaine. »
Je vous confirme également que, dans les prochains jours, le Conseil national d’évaluation du système scolaire, prévu dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, verra le jour. En outre, je le répète, la mission commune d’information que préside Mme Troendlé et dont je suis la rapporteur s’inscrit également dans le cadre de cette évaluation.
Vous déplorez l’absence de perspective concrète d’amélioration des résultats des élèves. Vous dénoncez également une méthode autoritaire de mise en œuvre. Une nouvelle fois, je dois le dire, j’ai quelque difficulté à vous suivre.
Si vous entendez par là que la réforme des rythmes n’est pas suffisante pour répondre, à elle seule, aux difficultés de notre système public d’éducation, c’est entendu.
Mme Catherine Troendlé. C’est cela !
Mme Françoise Cartron. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons voté ici même une loi qui entend refonder l’école en envisageant la problématique sous tous ces angles, une loi ambitieuse qui accorde de nouveau la priorité à l’enseignement primaire et qui se donne les moyens budgétaires d’y parvenir.
M. Pierre Martin. Non !
Mme Françoise Cartron. Cependant, cette réforme des rythmes scolaires n’en est pas moins nécessaire et participe pleinement de cette ambition. En 2011, la consultation engagée par M. Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, concluait à l’unanimité qu’il fallait alléger les temps éducatifs et mettre fin à la semaine de quatre jours.
À votre tour, monsieur le ministre, vous avez lancé une consultation qui est parvenue aux mêmes conclusions, approuvées par tous les participants. Pourquoi ? Cela a été rappelé, parce que les rythmes d’apprentissage, dans notre pays, sont insoutenables : nous avons la journée la plus longue et l’année la plus courte.
Cette concentration anormale du temps scolaire est préjudiciable en premier lieu aux enfants les plus fragiles socialement. Or la dernière enquête PISA est venue rappeler que, en termes de reproduction des inégalités sociales, notre école était première de la classe. Eh oui ! Sur ce sujet, monsieur le rapporteur, nous ne manquons pas d’évaluation… Que vous l’acceptiez ou non, ces résultats sont, hélas, la traduction de l’échec des politiques mises en œuvre ces dernières années, en particulier par votre majorité pendant dix ans. Ils appellent de votre part comme de celle de tous, je le crois, beaucoup d’humilité et d’autocritique.
Mme Sophie Primas. Nous n’avons pas de leçon à recevoir de vous !
Mme Françoise Cartron. Or la proposition de loi déposée va à l’encontre du consensus dégagé. Si elle était adoptée, elle donnerait en réalité la possibilité aux maires de conserver la semaine de quatre jours. En d’autres termes, elle permettrait que rien ne change.
Mme Maryvonne Blondin. Exact !
M. Jacques-Bernard Magner. C’est l’immobilisme !
Mme Françoise Cartron. Pourquoi le temps scolaire ne pourrait-il pas, demain, sur certains territoires, être concentré plus qu’il ne l’est aujourd’hui ? Ne pourrait-on, par exemple, envisager que, en raison des circonstances locales, touristiques ou autres, il soit prévu sur trois jours et demi, si cela convient à certains ? En défaveur de qui cela se ferait-il, sinon toujours des mêmes, à savoir les enfants les plus fragiles, les plus éloignés de l’école, ceux qui ont besoin de plus temps pour apprendre ?
Mme Sophie Primas. Pour qui prenez-vous les maires ?
Mme Françoise Cartron. Je l’affirme : adopter ce texte serait assurément ouvrir la boîte de Pandore. Les conséquences iraient à l’encontre de tous les travaux menés ces dernières années dans l’intérêt supérieur des enfants.
Concernant les termes d’« impréparation » et d’« autoritarisme », qui ont été employés pour qualifier cette réforme,…
M. Jean-François Husson. À juste titre !
Mme Françoise Cartron. … ils s’appliquent en priorité à la façon dont M. Xavier Darcos a imposé la semaine de quatre jours il y a cinq ans, par voie réglementaire et sans débat ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Maryvonne Blondin. Bien sûr !
M. Jacques-Bernard Magner. Elle a raison !
Mme Françoise Cartron. Cette impréparation, il la reconnaît lui-même, puisqu’il défend désormais le retour à une semaine de quatre jours et demi.
Mme Catherine Troendlé. Vous êtes de mauvaise foi !
Mme Françoise Cartron. Vous pointez ensuite du doigt des modalités pratiques de mise en œuvre « confuses et changeantes », ainsi qu’un manque d’information regrettable. Il est tout à vrai qu’il faut remédier aux problèmes identifiés, territoire par territoire.
M. André Reichardt. Voilà, c’est ce que nous voulons faire, commune par commune !
Mme Françoise Cartron. C’est bien à cela que nous travaillons au sein de la mission commune d’information et, mes chers collègues, faites-moi confiance pour n’éluder aucun problème.
Même si certaines défaillances ponctuelles apparaissent, elles se font jour dans un contexte global de satisfaction. Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est l’Association des maires de France, présidée par M. Pélissard, député-maire UMP de Lons-le-Saunier.
Mme Catherine Troendlé. Seules 5 % des communes sont satisfaites !
Mme Françoise Cartron. Les chiffres ont été rappelés.
J’en viens au manque d’information dont souffrent les élus. Je l’ai parfois constaté dans mon département, c’est vrai. Certains relais fonctionnent moins bien qu’ils ne le devraient. Sur ce point, nous formulerons des préconisations. Cependant, excusez-moi, cette proposition de loi n’y répond pas.
Ce que réclament les élus, ce n’est pas une nouvelle loi ou un changement de cap,…
Mme Catherine Troendlé. C’est de l’argent !
M. Bruno Retailleau. C’est un moratoire !
M. Jean-François Husson. C’est un capitaine de pédalo ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Françoise Cartron. … c’est un accompagnement de qualité, c’est de pouvoir travailler le plus sereinement possible à l’élaboration de leur projet et à la mise en œuvre pratique de la réforme.
Ce que je crains par-dessus tout, c’est que, sous couvert de donner aux maires la liberté de choix, on ne veuille plus généralement remettre en cause le service public national d’éducation, auquel, pour notre part, nous tenons. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est absolument cela !
Mme Françoise Cartron. Nous le refusons catégoriquement ! En la matière, il existe des précédents très regrettables qui constituent, eux, de véritables « ornières ».
L’assouplissement de la carte scolaire a également été considéré comme une « solution souple et pragmatique » pour remédier à l’homogénéisation sociale croissante de nos établissements. Il s’agissait d’offrir la liberté aux familles d’inscrire leurs enfants dans l’établissement de leur choix. Tout cela était parfait. Quel succès aujourd’hui ! Loin de favoriser la mixité dans les établissements scolaires, cette prétendue liberté n’a fait que creuser les inégalités déjà existantes, profitant en premier lieu aux plus avertis.
Et que dire des résultats de l’enquête PISA que nous avons déjà rappelés ? Nous le savons, l’école française régresse et voit ses résultats reculer. Oui, aujourd’hui, il s’agit de réagir.
L’accompagnement financier des communes est aujourd’hui garanti pour la rentrée prochaine. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendlé. Pour un an ! Et après ?
M. Jean-Claude Lenoir. Et en 2015 ?
Mme Françoise Cartron. Chaque chose en son temps, chers collègues.
En conclusion, je rappelle que l’enjeu de cette réforme est aussi de faire travailler ensemble des acteurs de la communauté éducative, qui n’en avaient pas l’habitude. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. André Reichardt. Mais oui, bien sûr !
Mme Françoise Cartron. Ce travail collectif accroîtra la confiance dans l’école de notre pays. De cette confiance, notre école a assurément besoin. Il y va ni plus ni moins de notre cohésion nationale et de notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Sophie Primas. Amen ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au mois de décembre dernier, les résultats de l’enquête PISA pour 2012 plaçaient la France dans la moyenne des pays de l’OCDE et mettaient en lumière l’écart grandissant, depuis neuf ans, entre le niveau des élèves très performants et celui des élèves en difficulté.
Je ne souhaite pas accorder une importance excessive aux classements et j’estime pour ma part que la fatalité n’existe pas. Cependant, deux aspects de ces évaluations ont particulièrement attiré mon attention.
D’une part, le système éducatif français est devenu le plus inégalitaire après celui de la Nouvelle-Zélande, ce qui met à mal les principes fondamentaux sur lesquels nous avons bâti notre République, ainsi que notre système d’instruction, et auxquels, vous le savez, les radicaux sont profondément attachés.
D’autre part, les élèves français sont, semble-t-il, devenus anxieux. C’est le constat déjà souligné en 2010 par l’académie de médecine, lorsque celle-ci estimait que la semaine de quatre jours ne respectait pas les rythmes biologiques et psychophysiologiques naturels de l’enfant. Elle recommandait alors d’étaler les enseignements sur quatre jours et demi ou cinq jours.
Conformément au large consensus qui s’était dégagé en faveur de la réforme des rythmes scolaires, vous avez, monsieur le ministre, décidé d’agir en ce sens dès la rentrée 2013-2014, avec la création d’un fonds d’amorçage consacré par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et grâce aux aides de la Caisse nationale des allocations familiales.
Le nombre de jours d’enseignement est ainsi passé de 144 à 180 et se rapproche de la moyenne de l’OCDE, qui se situe à 187 jours. Cette meilleure répartition horaire des enseignements devrait contribuer au bien-être des élèves et réduire leur état de fatigue et d’anxiété.
Contrairement à ce que prétendent les détracteurs de la réforme, la concertation a eu lieu. Ce n’est donc pas sur ce fondement que peuvent s’appuyer les critiques. Les communes ont été associées, ne l’oublions pas, ce qui ne fut pas le cas en 2008, puisque le passage à la semaine de quatre jours s’était réalisé de manière quelque peu brutale, et pas toujours dans l’intérêt de l’enfant.
Les conséquences de la réforme des rythmes scolaires sont encore difficiles à évaluer en l’état. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une mission commune d’information a été créée en octobre dernier à la demande du groupe UMP. Par respect pour les travaux en cours, il conviendrait d’attendre le rapport de cette commission et d’éviter toute précipitation.
Oui, des incidents ont été relevés dans certains établissements, notamment à Paris, il ne faut pas le nier. Il faut accorder du temps aux communes pour s’organiser, et elles y parviennent après une période de transition parfois complexe.
En Haute-Garonne, la plupart des communes avaient choisi de conserver, avec satisfaction, la semaine de quatre jours et demi. Au niveau national, nous avons connu la semaine de quatre jours et demi jusqu’en 2008. Nous pouvons donc y revenir.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui, ce n’est pas si lointain !
Mme Françoise Laborde. Évaluons avant de céder à la réticence au changement, car le système éducatif a besoin de stabilité et de sérénité.
Les obstacles sont aussi financiers. D’ailleurs, nous aurions davantage compris qu’une proposition de loi soit déposée dans l’intention de pérenniser le fonds d’amorçage après 2015.
Au lieu de proposer des réponses concrètes, les auteurs de la proposition de loi préfèrent de nouveau bouleverser notre système éducatif, sans imaginer un instant les effets néfastes que la liberté de choix des maires en matière d’organisation du temps scolaire pourrait avoir sur l’ensemble du territoire. Ils ont opté pour une remise en cause du principe de l’égalité républicaine.
Nos collègues se méprennent lorsque, par affichage et à la veille des élections municipales, ils oublient que l’éducation doit avant tout revêtir un caractère uniforme et national.
Ce service public national a, bien sûr, de fortes répercussions sur la vie locale, mais cela ne justifie aucunement que son organisation soit éclatée. Qu’est-ce que cela signifierait, mes chers collègues ? Que les élèves des communes riches bénéficieraient de journées plus clémentes et que ceux des communes défavorisées seraient pénalisés par des journées plus chargées ? N’est-on pas en train de proposer de revenir à la semaine de quatre jours ?
En outre, les auteurs du présent texte prétendent qu’il n’existe pas d’outil contractuel entre les collectivités territoriales et l’État, ce qui est faux, car les projets éducatifs territoriaux sont élaborés sur l’initiative des communes ou des EPCI et associent l’ensemble des acteurs éducatifs.
Mme Maryvonne Blondin. Exact !
Mme Françoise Laborde. Ils regrettent notamment une absence d’évaluation de la réforme, alors qu’un comité de suivi a été installé.
À ce titre, comment pourrait-on évaluer prématurément ce qui n’a été mis en place que partiellement ? Il faut attendre l’année scolaire 2014-2015 pour voir tous les élèves passer aux rythmes scolaires indiqués. Toutefois, d’ores et déjà, 83 % des communes qui appliquent la réforme seraient satisfaites.
Ainsi, nous ne pourrions approuver que les remarques qui se réfèrent à l’absence de pérennisation du financement, pérennisation dont dépend la faisabilité de la réforme sur le long terme, notamment pour les communes rurales.
Mes chers collègues, la proposition de loi que vous soumettez à notre examen aujourd’hui ne permet pas de répondre à ce problème, ni d’assurer la réussite et l’épanouissement des élèves.
Le Gouvernement a donné de nouvelles orientations pour réformer l’école. Il y consacre un effort budgétaire important, avec une préoccupation centrale : que l’enfant demeure au centre du système éducatif.
Ainsi, nous croyons que notre pays dispose de la capacité d’adaptation nécessaire pour améliorer les performances des élèves, réduire les inégalités sociales et les fractures territoriales.
À l’exception de quelques réticences ponctuelles et minoritaires, les communes savent faire preuve de volonté lorsque le changement va dans le bon sens. Tel est le cas de cette réforme des rythmes scolaires, qui n’est que l’un des piliers d’une vaste refondation, qui doit poursuivre son cours.
Par conséquent, le RDSE n’apportera pas son soutien à un texte d’affichage qui, au lieu de proposer une solution, engendrerait de nouveaux désordres et porterait ainsi préjudice à l’école et aux enfants de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Claude Gaudin au nom du groupe UMP vise à donner aux maires la compétence d’organiser le temps scolaire des écoles élémentaires situées sur le territoire de leurs communes.
Avant d’en venir au sujet de la réforme des rythmes scolaires à proprement parler, permettez-moi de m’arrêter un moment sur une interrogation préalable d’ordre juridique, mes chers collègues.
Selon le code de l’éducation, « l’éducation est un service public national dont l’organisation et le fonctionnement sont assurés par l’État », conformément aux principes affirmés par le préambule de la Constitution, qui déclare que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».
Convenons ensemble que cette proposition de loi, en disposant que le temps scolaire ne relèverait plus de l’éducation nationale, s’inscrit dans une logique tout autre. Sous couvert « d’assouplissement législatif », c’est d’une sérieuse dérogation au caractère national du service public de l’éducation qu’il s’agit. Il est légitime d’en débattre dans notre hémicycle, mais comprenez aussi que cette orientation puisse interpeller les parlementaires que nous sommes.
L’école de la République, c’est d’abord offrir à chaque citoyen la même qualité d’enseignement, sans distinction sociale ou géographique, dans un souci d’égalité des droits. Proposer un règlement à la carte, c’est fragiliser un service public essentiel et prendre le risque d’une école à plusieurs vitesses.
Il n’est pas question ici de nier le rôle des communes et de leurs maires dans l’éducation. Leurs prérogatives et leurs responsabilités sont d’ailleurs reconnues dans le code de l’éducation en ce qui concerne les heures d’entrée et de sortie des élèves, la charge des écoles publiques ou l’organisation des modalités d’accueil pendant le temps périscolaire.
L’article 2 du décret du 24 janvier 2013 précise d’ailleurs que les maires sont consultés par le directeur académique des services de l’éducation nationale, le DASEN, pour l’organisation de la semaine scolaire de chaque école du département dont il a la charge.
Plus important encore, le nouvel outil que constituent les projets éducatifs de territoire, adoptés dans le cadre de la loi de refondation de l’école du 9 juillet 2013, ouvre la possibilité aux maires, en lien avec les équipes pédagogiques, les associations et les parents, de co-élaborer les politiques éducatives au plus près des territoires et dans l’intérêt des enfants. Ils peuvent notamment définir ensemble le rythme le plus approprié pour mener les activités choisies et adaptées à chaque école. Les maires ont donc une certaine latitude pour administrer leurs territoires dans le champ éducatif.
Ce cadre réglementaire national nous paraît compatible avec un minimum de souplesse de mise en œuvre au niveau local. Cet élément est important, car c’est au plus près des spécificités territoriales que nous construirons l’école de demain, ouverte aux innovations et à la diversité des parcours.
Plus généralement, le groupe écologiste considère que le retour à la semaine de quatre jours et demi constitue une avancée positive pour faire reculer l’échec scolaire et améliorer le bien-être des enfants.
Depuis septembre 2013, quelque 1,3 million d’élèves, soit 22 % des effectifs, bénéficient désormais de la nouvelle organisation du temps scolaire. Nous ne nions pas les difficultés qui peuvent se faire jour : journée supplémentaire de ramassage scolaire, difficulté de trouver un personnel qualifié, notamment dans certaines zones rurales, définition délicate des activités adaptées dans des classes multi-niveaux.
Néanmoins, dans ce cas, prenons le temps d’évaluer les résultats de cette première tranche pour définir les ajustements nécessaires, en écoutant les retours de l’ensemble de la communauté éducative. Cette évaluation partagée sera déterminante pour réussir une réforme juste, qui permette de faire réellement reculer les inégalités.
L’inégalité des territoires et l’inégalité des citoyens face au service public sont des sujets sérieux, qui ne doivent pas être bradés. Cela suppose que nous soyons à l’écoute des difficultés financières de certaines communes, que nous soyons vigilants sur la pérennisation des fonds d’amorçage et offensifs sur les possibilités de péréquation.
Votre texte, chers collègues de l’opposition, manque à la fois de cohérence et d’ambition. Il est aussi précipité, alors qu’une mission commune d’information a été mise en place, à votre demande, et qu’elle doit permettre au Sénat de définir, sur la base des expériences des municipalités, des experts, du corps enseignant et des parents d’élèves, les améliorations nécessaires.
Le calendrier rapide choisi par le groupe UMP pour présenter cette proposition de loi court-circuite ce travail en cours de la mission commune d’information. Nous regrettons vivement ce télescopage.
Mme Françoise Cartron. Oui, qu’on nous laisse travailler !
M. André Gattolin. Si l’opposition voulait être véritablement constructive, pourquoi n’a-t-elle pas attendu le bilan de cette mission commune qu’elle a lancée ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. André Reichardt. Parce que nous sommes pressés !
M. Jean-François Husson. Parce que les maires le demandent !
Mme Sophie Primas. À la fin du mois d’avril prochain, tout doit être bouclé !
M. André Gattolin. Nous pourrions ainsi jeter les bases d’une réflexion beaucoup plus ambitieuse en repensant, comme le groupe écologiste le souhaite, l’ensemble des rythmes, non seulement sur la journée et la semaine, mais également sur l’année et sur les cycles scolaires.
Nous sommes le seul pays en Europe à avoir des programmes aussi denses et huit semaines de vacances l’été ! Cette situation s’explique par des raisons aussi bien politiques que socio-économiques, qui ont été très bien remises en perspective par M. Fotinos, ancien inspecteur général de l’éducation nationale, à l’occasion d’une audition que nous avons organisée la semaine passée dans le cadre de nos travaux de commission.
Mes chers collègues, l’école est un bien commun, qui mérite que nous rassemblions nos énergies et notre volonté au service de la réussite et du bien-être de nos enfants, mais aussi des bonnes conditions de travail des enseignants.
Mmes Sophie Primas et Catherine Troendlé. Nous sommes d’accord !
M. André Gattolin. Encore une fois, il s'agit non pas de nier la légitimité du Sénat à légiférer sur ces questions importantes, mais de remettre l’intérêt général au cœur des débats.
Le groupe écologiste votera donc contre cette proposition de loi, dans l’attente des résultats de nos travaux et des évaluations à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, la mise en place de la réforme des rythmes scolaires, imposée par décret, est l’une des grandes préoccupations des élus locaux, des parents et des enseignants.
Personne ne nie la pertinence d’une réflexion sur le temps de l’enfant et de nécessaires aménagements, mais ce sont la méthode et la traduction concrète de cette réforme, dans ses modalités pratiques et financières, qui heurtent.
Tout d’abord, il n’est pas démontré que l’enfant s’y retrouve en termes de fatigue ou de qualité d’apprentissage. Surtout, sont en train de s’installer des inégalités criantes entre, grosso modo, les écoles dont les communes ont les moyens logistiques, humains et financiers et celles qui ne les ont pas, entre les écoles des villes et les écoles des campagnes. Des questions lourdes se posent en termes de responsabilité, d’encadrement, de contenu des activités et de coûts induits pour les familles.
Depuis des mois, pas une semaine ne passe sans que nous soyons interpellés par les élus de nos départements sur ce sujet.
Depuis des mois, nous nous efforçons d’alerter les services décentralisés de l’État, monsieur le ministre, mais ils ne prennent même pas la peine de nous répondre. J’ai pour ma part écrit deux fois au préfet de ma région, en vain.
Depuis des mois, nous tentons de vous alerter, monsieur le ministre, mais vous ne jugez pas nécessaire de nous écouter. En Seine-Maritime, ce sont seulement 77 communes sur 589 disposant d’une école qui ont accepté de se lancer en 2013.
Le 16 novembre dernier, une vaste majorité de maires ont profité de leur dernière assemblée générale pour interpeller le recteur sur des problèmes très concrets. Alors qu’ils posaient la question des moyens nécessaires pour mettre en œuvre les activités périscolaires, car les maires ont des ambitions élevées, on leur a répondu – je ne plaisante pas – « d’organiser, par exemple, des activités de pêche à la ligne » !
M. André Reichardt. Une activité hautement pédagogique ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Chiron. C’est une école de la patience !
Mme Catherine Morin-Desailly. C’est dire la grande improvisation, le défaut de concertation et d’évaluation préalables qui ont présidé au lancement des opérations.
Là où la réforme fonctionne, je le note, c’est là où, depuis des années, un immense travail préalable a été effectué dans le cadre de l’aménagement du temps de l’enfant, qu’il soit scolaire, périscolaire ou postscolaire, avec de vraies activités culturelles et sportives, ainsi que des personnels formés et dédiés. On trouve, il est vrai, quelques exemples de cette nature.
C’est la raison pour laquelle, lors des débats sur la loi de refondation de l’école, nous avions, ma collègue Françoise Férat et moi-même, évoqué, puisque le coup était parti, un temps nécessaire d’expérimentation, d’observation et d’ajustement avant toute généralisation.
M. Bruno Retailleau. Cela aurait été la sagesse.
Mme Catherine Morin-Desailly. Aujourd’hui, c’est le souhait, très largement partagé, de nombreux élus locaux dans mon département, qui ont cosigné une motion en ce sens, adressée au préfet.
C’est le cas aussi dans le département voisin de l’Eure, représenté ici par mon collègue Hervé Maurey. Monsieur le ministre, je dispose d’une liste très importante d’élus locaux ayant signé ce texte afin de vous sensibiliser à la problématique qui est la leur.
Pourquoi, dans ce cadre-là, ne pas accorder le choix aux communes ou aux groupements scolaires de s’organiser progressivement ? Pourquoi ne pas leur laisser la latitude de choisir le samedi ou le mercredi pour le retour de la semaine de quatre jours et demi ? Au contraire, en faisant preuve d’une totale absence de bon sens, on n’attend même pas d’avoir tiré la leçon de la première année scolaire 2013-2014 !
Vous allez répliquer, monsieur le ministre, qu’il y a urgence, et évoquer encore une fois les résultats de l’enquête PISA. Toutefois, ce n’est pas une réponse. Les causes de l’échec sont sans nul doute plus subtiles et plus graves que la seule question des rythmes.
Mme Catherine Morin-Desailly. C’est justement parce que l’enjeu est très important qu’il ne faut pas traiter l’enfant comme un cobaye et qu’il convient de garantir les conditions de la réussite d’une réforme des rythmes scolaires pour tous, qui ne se résume pas à l’organisation d’un goûter scolaire, comme c’est le cas dans ma ville, à Rouen.
Parmi ces conditions, reste un point qu’il faudra régler, je veux parler de la question financière. En effet, cette réforme aura un coût très important pour les communes, dans un contexte où non seulement les dotations diminuent, mais où le Président de la République annonce que les collectivités devront dépenser moins. De qui se moque-t-on ?
J’ajouterai, monsieur le ministre, que le report de la réforme de la carte scolaire contribue également à aggraver les difficultés pour la future rentrée scolaire. « Étant donné la capacité financière de nos communes, cette réforme engendre l’inégalité devant l’éducation des enfants et ce seront de nouvelles inégalités territoriales qui vont se creuser. »
Mme Catherine Troendlé. Absolument !
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
Mme Catherine Morin-Desailly. « L’impact trop important de cette réforme sur les finances communales à court, moyen et long terme est incompatible avec les directives du Gouvernement demandant aux communes de baisser leurs dépenses publiques. »
C’est par cet extrait de la toute dernière lettre qui m’a été adressée, il y a à peine quinze jours, par la commune d’Auzouville-sur-Ry que je souhaitais conclure mon intervention, pour vous alerter une nouvelle fois, monsieur le ministre, sur la nécessité de prendre en considération les remarques d’élus qui ne cherchent que le bien-être des enfants et la réussite de l’école. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, poser la question des rythmes scolaires, c’est s’interroger sur les visées que l’on souhaite donner à l’école, c’est questionner l’origine et les mécanismes de l’échec scolaire, pour que l’organisation du temps d’enseignement puisse contribuer à l’objectif si indispensable de démocratisation scolaire.
Question pertinente donc que celle des rythmes, mais qui n’a de sens que si elle s’inscrit dans une réflexion plus globale sur le rôle de l’école.
Cette école doit, selon nous, être fondée sur le principe que tous les élèves sont capables d’apprendre et de réussir. La réforme des rythmes n’a donc de sens que si elle s’inscrit dans cet objectif.
Il est nécessaire de fonder l’école sur le modèle de l’enfant qui n’a que l’école pour apprendre, ce qui doit s’accompagner d’une réforme ambitieuse de la formation initiale et continue des enseignants, permettant à ces derniers d’appréhender la lutte contre l’échec scolaire et d’œuvrer en faveur de la réussite des élèves.
Si un large consensus existait pour revenir sur la semaine de quatre jours imposée sans concertation par le précédent gouvernement, la réforme des rythmes scolaires, telle qu’elle a été mise en place, a souffert d’une approche trop partielle, paraissant déconnectée de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
La question des rythmes scolaires soulève donc des interrogations et des inquiétudes. Cependant, la proposition de loi déposée par nos collègues de l’UMP semble davantage relever de l’opportunisme, à la veille d’échéances électorales, que d’une réelle volonté d’apporter des solutions. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendlé. C’est petit et mesquin !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est pourtant la triste réalité, chère collègue !
Malgré les interrogations qui sont les nôtres à l’égard de la réforme des rythmes scolaires, la proposition de loi que nous examinons ce soir est loin de recueillir notre assentiment. En réalité, elle n’aborde pas le sujet des rythmes scolaires, mais elle évoque la question de la liberté de choix des maires. Elle entend inscrire dans le code de l’éducation le libre choix des maires en ce qui concerne l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et primaires.
Cette proposition de loi vise à ériger l’inégalité en principe et porte atteinte au caractère national de l’éducation, ignorant que le code de l’éducation et le décret l’accompagnant accordent des marges de manœuvre aux maires, qui peuvent, dans une certaine mesure, tenir compte des réalités locales.
Si la concertation avec les communes chargées de mettre en œuvre la réforme est évidemment nécessaire, ce que la droite a su oublier lorsqu’elle a mis en place la semaine de quatre jours, les grands préceptes régissant l’organisation du temps scolaire doivent relever de la responsabilité de l’État, au nom du principe d’égalité et d’unicité du territoire.
Un élève doit disposer du même temps d’apprentissage des savoirs dispensés par l’éducation nationale partout en France, quel que soit son lieu de résidence.
Nous dénonçons donc avec vigueur cette proposition de loi dangereuse qui, loin d’apporter des solutions, porte en elle les nouveaux germes d’une déstabilisation de l’éducation nationale.
Pour autant, si la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, la réforme des rythmes ou de l’éducation prioritaire ont identifié des problèmes et ouvert des chantiers, nous ne sommes pas quittes des réformes à mettre en œuvre pour construire un service public qui relance la démocratisation scolaire.
La seule modification du temps scolaire ne suffit pas à l’élaboration d’une pédagogie déconstruisant l’échec scolaire et conduisant chaque élève au plus haut niveau de connaissance.
Dès lors, on peut comprendre les inquiétudes et les incompréhensions que provoque cette réforme aux écueils multiples. Ces écueils, rencontrés dans la mise en œuvre, sont bien connus : le financement, qui a été précédemment évoqué par d’autres intervenants ; la place et le rôle du temps périscolaire, ainsi que sa complémentarité avec le temps scolaire ; le recrutement des intervenants, leur statut et leur formation ; les locaux susceptibles d’accueillir les nouvelles activités, etc.
Sur le plan financier, l’État ne compense qu’une partie des coûts supportés par les collectivités, grâce à un fonds d’amorçage. Non seulement le faible montant de ce dernier ne permet pas de compenser la totalité des frais de mise en œuvre, mais, de surcroît, il n’est, par définition, pas pérenne. Ce qui fait reposer, in fine, le financement de cette réforme sur les communes, lesquelles connaissent une forte et durable dégradation de leurs dotations budgétaires.
En transférant aux communes la charge de la mise en œuvre de la réforme sans compensation des coûts, l’État entérine une inégalité de traitement face au temps scolaire et périscolaire. Cet état de fait ne pourra que renforcer la fracture sociale et mettre en péril la réussite d’une réforme égalitaire des rythmes.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On l’a vu, l’attention s’est principalement focalisée sur l’aspect financier de cette nouvelle organisation, faisant perdre de vue le véritable enjeu du débat, à savoir la visée éducative. Ajoutée à une insuffisante concertation avec les enseignants, les parents, les collectivités, et à des délais de mise en œuvre courts, cette réforme pourrait créer une nouvelle onde de déstabilisation de l’école.
En conclusion, nous voterons contre cette proposition de loi qui ne résout rien ; elle aggraverait même les inégalités que la réforme des rythmes risque d’alimenter.
Nous profitons néanmoins de l’occasion qui nous est offerte ici pour demander la réouverture d’un débat afin d’analyser les mécanismes de la difficulté et de l’échec scolaires. Il convient de penser une école et un système public faisant refluer les inégalités scolaires et émerger une culture d’accès aux savoirs, à l’éducation et aux loisirs pour tous. Je forme le vœu que la mission d’information qui est créée réponde pleinement à cette ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, dans tous les pays d’Europe, l’éducation et la formation sont des objectifs prioritaires des politiques éducatives, non seulement pour élever la performance économique nationale, mais aussi pour assurer la cohésion sociale, sans laquelle rien n’est possible.
La situation médiocre de la France au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et les inégalités scolaires dans le paysage européen, ainsi que le révèle le programme international PISA, méritent réflexion.
La France possède l’année scolaire la plus courte d’Europe, alors que son volume horaire annuel la place au-dessus des autres pays européens. Là où certains pays permettent à 15 % d’une classe d’âge d’accéder au meilleur niveau scolaire, la France se contente d’y conduire à peine 5 % de ses élèves. Chaque année, 150 000 élèves sortent de notre système scolaire sans diplôme ni formation.
Avec un tel handicap, notre pays doit redoubler d’efforts et mener des politiques ambitieuses en vue de se hisser à la hauteur des objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne pour bâtir une économie et une société de la connaissance.
Même si la réforme des rythmes scolaires est loin de permettre à notre pays de renouer avec la réussite scolaire, cette question constitue un véritable débat de société depuis de nombreuses années.
Les rythmes scolaires retentissent sur la vie des familles et, par voie de conséquence, sur celle des communes. Leur modification constitue un bouleversement difficile à appréhender sans provoquer les foudres ou les crispations des chronobiologistes, de la communauté éducative, des fédérations de parents d’élèves, des collectivités locales, sans oublier certains acteurs économiques, en particulier ceux du tourisme.
Dans mon département de Seine-et-Marne, sur 514 communes, 33 seulement ont appliqué la réforme dès la rentrée 2013, soit 7,3 % des communes, 15,7 % des écoles et 19,22 % des élèves.
Mme Françoise Cartron. Ils seront bientôt 100 % !
Mme Colette Mélot. Ces nouveaux rythmes, qui concernent 20 % des élèves, ont été mal préparés, dans la précipitation. Tout cela s’est fait au détriment de l’intérêt et du bien-être des enfants, bien souvent sans les enseignants et les parents.
Cependant, cette réforme a le mérite de susciter un débat, notamment auprès des maires, qui sont nombreux à s’interroger sur la question de son financement et de son impact sur les budgets des collectivités locales.
Aujourd’hui, les collectivités concernées sont en effet dans des situations inégales, ce que vous n’ignorez pas, monsieur le ministre. Le fonds d’amorçage destiné aux collectivités ne couvre pas toutes les dépenses, puisque le coût réel de la réforme est estimé à environ 150 euros par élève.
Ce constat ne fait qu’attiser l’inquiétude des élus locaux, dans la perspective de la prochaine rentrée, à l’occasion de laquelle 100 % des établissements devront passer aux nouveaux rythmes.
Sauf à faire payer les parents ou à augmenter les impôts locaux, les communes rencontreront beaucoup de difficultés pour financer cette mesure, à moins, comme le prévoit la proposition de loi que nous défendons, que l’État ne compense intégralement les charges supportées à ce titre par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, notamment grâce à une majoration de la dotation globale de fonctionnement, la DGF.
Qu’il me soit permis de donner un exemple concret. Dans la commune où je suis élue, Melun, qui compte vingt-six écoles et plus de 4 000 élèves, nous avons préféré la concertation à la précipitation. Nous n’avons donc pas fait le choix d’appliquer les nouveaux rythmes scolaires pour la rentrée de 2013.
Dans le cadre de cette concertation, nous avons interrogé les enseignants et les parents d’élèves : une très grande majorité s’est alors dégagée en faveur d’une demi-journée supplémentaire, le mercredi matin. Les services municipaux – services culturels, services des sports, centres de loisirs – ont travaillé pour faire des propositions.
Très vite, il est apparu que les activités ne pouvaient pas s’organiser sur des créneaux de quarante-cinq minutes, surtout lorsqu’il fallait déplacer les enfants vers des équipements spécifiques. Le directeur académique des services de l’éducation nationale, le DASEN, ayant refusé que les activités périscolaires se déroulent sur une demi-journée,…
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. C’est la loi !
Mme Colette Mélot. … la décision a été prise de disposer de créneaux d’une heure et demie.
La question de la gratuité s’est ensuite posée. Or si nous voulons que tous les enfants puissent bénéficier d’une sensibilisation à la culture – musique, arts plastiques, archéologie, etc. – et d’une initiation à des pratiques sportives, il n’est pas envisageable, selon moi, de demander une participation financière aux parents.
Si l’école publique est gratuite, toutes les activités qu’elle propose doivent l’être également. Les nouveaux rythmes scolaires pourront donc être mis en place à la rentrée 2014, mais à quel prix pour les collectivités et pour quel profit en ce qui concerne les élèves ?
Sans liberté pour les communes et faute d’une aide financière importante de la part de l’État, les journées seront toujours aussi longues et les activités proposées seront très inégales au regard de la qualité. Certains maires ruraux, faute de trouver une solution satisfaisante, proposeront une légère modification des horaires, avec un allongement du temps de garderie. Quel en sera le bénéfice pour les enfants ?
Les inégalités risquent alors de s’accroître entre les communes urbaines, qui ont davantage de moyens, notamment sur le plan humain, et les communes rurales,…
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
Mme Françoise Cartron. Mais non !
Mme Colette Mélot. … qui devront user d’inventivité pour compenser le manque de moyens financiers.
La présente proposition de loi aurait justement pour avantage d’accorder un délai aux élus locaux qui n’ont pas trouvé de solution efficiente. Ce serait d’autant plus utile que les élections municipales sont susceptibles d’entraîner des changements dans les orientations de la commune, les élus de mars 2014 rejetant ou amendant celles votées par les élus de la précédente mandature.
Monsieur le ministre, nous demandons un assouplissement de cette mesure : accordons aux communes la liberté de choix ! Une expérimentation sera alors menée par les élus locaux qui le souhaitent – il en existe ! – dans leur commune, en accord avec leurs administrés Dans un second temps, la mise en place d’une évaluation permettra de prendre à terme la décision mûrie et réfléchie de généraliser, ou non, les nouveaux rythmes scolaires sur l’ensemble du territoire national.
Une réflexion pourra conjointement être conduite au sujet du financement et, si nous voulons une égalité de traitement, l’État devra s’engager à donner les mêmes moyens à toutes les écoles de France.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Colette Mélot. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera la proposition de loi de nos collègues, car c’est un texte qui se veut doublement pragmatique : soucieux de l’intérêt de nos enfants et de leur réussite, mais aussi respectueux des élus locaux, donc à leur écoute . (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir une proposition de loi qui, sous couvert de donner aux maires la liberté de choix sur la réforme des rythmes scolaires, vise en fait à remettre en cause la nécessaire évolution de ces derniers et à fragiliser le caractère national de notre éducation. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Certes, notre école républicaine a des défauts : elle ne permet pas suffisamment à tous les enfants qui lui sont confiés de développer toutes leurs potentialités. Elle compte parmi les plus reproductrices des inégalités sociales, parmi les plus stressantes pour les élèves, particulièrement ceux qui sont en difficulté.
Vous avez eu le courage, monsieur le ministre, d’explorer à fond les pistes évoquées par M. Chatel en matière de rythmes scolaires et de lourdeur des journées. Le diagnostic fait l’objet d’un consensus : l’école primaire stresse et fatigue les enfants sans pour autant leur donner un meilleur niveau que celui de leurs camarades européens – les résultats internationaux ont été cités.
Faut-il, mes chers collègues, rappeler les vives réactions qu’avait provoquées la décision prise brutalement et sans concertation par Xavier Darcos de passer à la semaine de quatre jours ? (M. Pierre Martin proteste.)
M. Jacques Chiron. On s’en souvient !
Mme Françoise Cartron. Il était bien mal inspiré !
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Maryvonne Blondin. Oui, le retour de la semaine à quatre jours et demi est raisonnable. (MM. Daniel Raoul et Claude Dilain applaudissent.)
Contre ce changement est souvent invoquée la fatigue accrue des enfants depuis la rentrée 2013. Mais cette fatigue tient, en fait, à un premier trimestre long, après deux mois de vacances d’été, à quoi s’ajoutent les petites maladies qui émaillent souvent cette période. C’est pourquoi, monsieur le ministre, il importerait aussi de s’attaquer au chantier du calendrier scolaire.
M. André Reichardt. Il fallait commencer par là !
Mme Maryvonne Blondin. Mais je ne pense pas que cette fatigue résulte d’un nouveau rythme qui serait problématique et traumatisant !
En la matière, le rôle des parents ne doit pas être éludé. C’est ce qu’a rappelé Marcel Rufo lorsque la commission commune d’information l’a auditionné, le 3 décembre. En effet, un enfant doit être couché tôt, à heure régulière, même le week-end. Les « bornes du sommeil » doivent être fixées, les règles d’hygiène, appliquées et l’équilibre alimentaire, respecté. (Approbations sur plusieurs travées de l'UMP.) Regarder la télévision, jouer à un jeu vidéo le soir : voilà de véritables causes de fatigue ! (M. Roland Courteau approuve.) L’exposition continue à un écran lumineux entraîne en effet chez l’enfant un trouble de la vision, de l’humeur et du sommeil.
M. Jacques Chiron. C’est cela, la réalité !
Mme Maryvonne Blondin. Ce qui est demandé aujourd’hui, c’est que l’enfant soit envisagé dans sa globalité et que sa vie ne soit pas « saucissonnée » en tranches de temps à vocations différentes. L’enfant est une seule et unique personne, qu’il soit à l’école, à la maison ou à la garderie.
Tout à l’heure, M. Carle a cité un proverbe chinois. Pour ma part, je citerai un proverbe africain qui me paraît d’une grande sagesse : « Il faut tout un village pour éduquer un enfant. »
Mme Maryvonne Blondin. Contrairement à ce que vous disiez, monsieur Carle, le moment d’examiner cette proposition de loi est fort curieusement choisi : juste avant les municipales…
M. Jacques Chiron. Comme par hasard !
Mme Maryvonne Blondin. De plus, avec un tel calendrier, elle préempte en quelque sorte les conclusions de la mission commune d’information !
Vous souhaitez, dites-vous, par cette proposition de loi, donner de la liberté aux maires. Mais celle-ci existe ! Le décret de janvier 2013 donne une latitude aux maires pour adapter le nouveau cadre national au contexte local et procéder à toute une série de choix décisifs, même si je veux bien admettre que, dans certains départements, les DASEN ont été trop rigides, alors que vos mots d’ordre, monsieur le ministre, étaient : écoute, dialogue et conseil.
Si la liberté à laquelle vous songez, chers collègues, est celle de ne pas mettre en œuvre la réforme, de ne pas assurer l’égalité des citoyens sur le territoire national, de fracturer le système de l’éducation nationale, je ne puis y souscrire.
Certes, appréhender la globalité des temps éducatifs et leur articulation est nouveau et suscite quelque peur, mais, au final, c’est tellement enrichissant ! Ces nouveaux rythmes élargissent le champ des possibles pour apprendre autrement, pour innover dans la pédagogie.
Nous avons aujourd’hui une occasion unique de replacer l’enfant au centre de l’école. Rien n’est plus important que sa santé et son éducation, vous en conviendrez. Alors, ne passons pas à côté, mes chers collègues : laissons du temps au temps et n’instrumentalisons pas cette réforme !
Les membres du groupe socialiste ne voteront donc pas cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intérêt des enfants est au cœur de nos préoccupations et doit être le principal impératif du dispositif.
Monsieur le ministre, vous osez qualifier la présente proposition de loi de « texte de contestation », alors que c’est la première fois que le Sénat est saisi de la question des rythmes scolaires !
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Jean-François Husson. Sans doute considérez-vous qu’il est plus démocratique d’enchaîner décrets, circulaires ou arrêtés…
Il ne s’agit ici non pas de contestation gratuite ou d’opposition a priori, mais d’un appel au débat, à l’échange, et cela dans un seul but : vous demander de ne pas oublier l’intérêt des enfants. (M. Dominique Bailly s’esclaffe.)
M. Jacques Chiron. C’est justement le contraire !
M. Jean-François Husson. La mission d’information mise en place à la demande de notre groupe poursuit ses travaux : elle prend le temps d’écouter et de comprendre les spécificités locales. J’ai d’ailleurs hâte qu’elle puisse, prochainement, rencontrer les acteurs de l’éducation et les collectivités : celles qui ont mis en place la réforme, celles qui ne savent pas comment faire, mais aussi celles qu’on peut qualifier de précurseurs parce qu’elles mènent des expériences – il y en a, notamment, dans mon département de Meurthe-et-Moselle.
Écoute et concertation : ce sont là deux principes de méthode qui font cruellement défaut, monsieur le ministre, dans la mise en place de cette réforme ! Adepte, hier, de la démocratie participative, vous avez purement et simplement décrété cette réforme, doctement peut-être, mais à coup sûr unilatéralement !
M. Roland Courteau. Et alors ?
M. Jean-François Husson. Pourtant, le préambule de la Constitution édicte que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la formation professionnelle et à la culture », affirmant ainsi les principes d’égalité des chances et l’obligation faite à l’État d’organiser un enseignement public respectueux des principes de gratuité et de laïcité.
Cette réforme semble pourtant oublier la responsabilité pleine et entière de l’État en matière d’éducation.
Dans l’intérêt des enfants, notre objectif prioritaire doit être l’acquisition par chacun d’eux des « fondamentaux ». On ne rappellera jamais assez combien l’échec scolaire est une forme de bombe à retardement pour notre société, que l’on prétend pourtant bâtir sur la connaissance. Nous déplorons tous ce triste bilan : 150 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans qualification ; 40 % des jeunes élèves quittent l’école primaire, après huit années de scolarité, avec des bases trop fragiles et, parmi ces derniers, 15 % à 20 % sont quasiment illettrés.
L’école aggrave les inégalités dans les faits comme dans l’esprit des Français puisqu’un sur deux pense désormais que l’école n’assure plus l’égalité des chances.
Remédier d’urgence à cette situation relève de la responsabilité de l’État.
À cet égard, je me permets de regretter que la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de juillet 2013 n’ait donné lieu qu’à un toilettage. Je regrette aussi la confusion engendrée par les « nouveaux rythmes scolaires », aux conséquences bien lourdes.
Cette réforme est, d’abord, source de confusion.
La question de l’heure de fin de l’accueil obligatoire des enfants est restée pendant très longtemps marquée par les ambiguïtés et noyée dans un flou que vous avez entretenu, délibérément ou de bonne foi, tant le cadre normatif a été changeant.
Au total, pour comprendre cette réforme et la mettre en œuvre, il aura fallu : faire abstraction du contenu de la lettre du Premier ministre aux associations d’élus en la mettant en perspective avec le projet de loi de refondation de l’école, présenté en conseil des ministres le 23 janvier 2013 ; considérer le décret du 24 janvier 2013 relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires ; considérer la circulaire relative à l’organisation du temps d’enseignement pédagogique et des activités pédagogiques complémentaires du 6 février 2013 ; considérer la circulaire interministérielle relative au projet éducatif territorial du 20 mars 2013 ; considérer le décret relatif au projet éducatif territorial et à l’assouplissement des taux d’encadrement pour les activités périscolaires du 2 août 2013 ; et, enfin, considérer l’arrêté relatif à l’encadrement des accueils de loisirs du 12 décembre 2013.
C’est là, monsieur le ministre, vous en conviendrez, pour les communes ou leurs groupements, un parcours du combattant qui témoigne du manque d’anticipation de la réforme !
Tout cela parce que vous n’avez pas assumé les conséquences pour les familles d’une fin des classes à quinze heures trente ou seize heures !
M. Jean-François Husson. Car les communes ne sont pas toutes en mesure de proposer des activités péri-éducatives jusqu’à seize heures trente, faute de moyens suffisants et d’équipements adaptés. Pourtant, les exemples proposés par le guide pratique transmis par les services de l’État en février 2013 faisaient systématiquement apparaître seize heures trente comme l’heure à laquelle les enfants pouvaient être récupérés par leurs parents.
Monsieur le ministre, vous avez entretenu la confusion et témoigné d’une profonde méconnaissance de notre organisation territoriale.
Une réforme source de confusion, mais aussi une réforme aux conséquences lourdes.
J’ai consulté, monsieur le ministre, les 594 communes de mon département à travers le questionnaire établi par la mission d’information, légèrement complété pour tenir compte des spécificités locales. Je me permets, à cet instant, de rappeler que quinze communes de notre département ont choisi d’opter pour votre réforme et que l’une d’entre elles, deuxième commune du département avec 33 00 habitants, dirigée par certains de vos amis, a préféré interrompre purement et simplement le dispositif aux dernières vacances de Noël… Nous avons obtenu 200 réponses de commune ou de groupements de communes, ce qui est considérable au regard des délais qui étaient impartis.
Je vous livre rapidement quelques éléments de synthèse sur le ressenti des communes et les difficultés évoquées : crainte d’une hausse des inégalités entre les territoires urbains et ruraux ; difficultés souvent perçues comme insurmontables pour les communes engagées dans des regroupements pédagogiques intercommunaux dispersés, car, aux problèmes de locaux et de recrutement s’ajoutent alors les difficultés de déplacements, notamment de prise en charge du coût des transports quand – cela se produit dans certains cas – les départements adoptent une position de retrait ; crainte, dès lors, de fermeture d’écoles en milieu rural, les parents risquant de délaisser les écoles de ces mêmes communes qui ne pourront pas proposer d’accueil périscolaire ; risque de recours accru aux écoles privées, notamment en milieu urbain ; enfin, coût de la réforme, car, même si elles le souhaitent, les communes pouvant proposer des activités périscolaires gratuites sont extrêmement rares.
Tout cela ne creuse-t-il pas encore les inégalités entre les enfants ?
Mme Sophie Primas. Bien sûr !
M. Jean-François Husson. Les maires et les élus locaux ont véritablement le sentiment que l’intérêt des enfants est bien mal pris en compte !
Parce que l’État ne peut porter la responsabilité d’une telle hausse des inégalités, occultant l’intérêt des enfants, il est indispensable que toute modification des rythmes scolaires donne lieu à compensation intégrale par l’État des charges supportées par les communes, lesquelles doivent aussi, monsieur le ministre, pouvoir disposer du libre choix de l’organisation du temps scolaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois encore, permettez-moi, au nom des représentants des élus locaux et des responsables de terrain que nous sommes, de tirer la sonnette d’alarme. Les parents, les enseignants et les élus locaux sont déroutés ! Comment caler un même projet sur des espaces aussi différents ?
Monsieur le ministre, comme vient de le rappeler ma collègue Catherine Morin-Desailly, il est impératif que cette année scolaire serve à dresser un bilan en mettant à profit la remontée des expériences.
En effet, dans un premier temps, de nombreuses écoles subissent une désorganisation en termes d’horaires, d’encadrement, voire d’enseignements, la réforme se traduisant par un désordre anxiogène pour tous.
Dans un second temps, apparaît une véritable dichotomie territoriale entre les agglomérations urbaines et les différentes zones rurales. Les villes disposant d’universités ou d’une forte densité de population peuvent trouver des intervenants ou des animateurs qualifiés dispensant des enseignements ou des activités de qualité. Les petites collectivités rurales situées à trente minutes ou plus des centres urbains n’ont pas forcément sous la main ce personnel, en tout cas pas dans les mêmes proportions. Les communes sont dans l’impossibilité matérielle de trouver des animateurs compétents, acceptant de parcourir de nombreux kilomètres afin de partager leurs savoirs ou leurs passions, et cela pour à peine quelques heures par jour.
À moins d’offrir aux enfants des activités périscolaires au rabais ou de ne proposer que des heures de garderie ! Ce n’est pas, me semble-t-il, l’esprit affiché de la réforme. Quoique… Si vos textes d’application en laissent la possibilité, c’est que, finalement, vous étiez conscient qu’il y a réellement un blocage physique à l’application de la réforme dans certains villages.
De nombreuses expériences ont démontré l’improvisation de cette réforme et sa nécessaire remise à plat. Combien de communes ou intercommunalités de gauche, de droite, du centre ou sans appartenance politique ont reporté cette réforme à la rentrée 2014 ! Je n’oublie pas les maires qui, ne se représentant pas, laissent le soin à leur successeur d’appliquer les nouveaux rythmes scolaires. On peut les comprendre !
Monsieur le ministre, un bilan est indispensable.
De plus, n’aurait-il pas été judicieux, pertinent, de mettre en œuvre la refonte des enseignements avant celle des rythmes scolaires ? En effet, l’émergence de nombreuses heures périscolaires destinées aux activités artistiques, culturelles et sportives aurait pu avoir une incidence sur le contenu des programmes et sur la concentration des apprentissages fondamentaux. Mais la précipitation dans l’application du décret a évacué cette question.
De surcroît, les enseignants organisaient déjà leurs matières aux moments les plus opportuns, aux heures où les enfants étaient les plus réceptifs.
Vous aviez annoncé une refonte des vacances annuelles et l’éventuel raccourcissement des vacances d’été. Où en êtes-vous de ces réflexions ? Comment appréciez-vous l’avis du Conseil supérieur de l’éducation, rendu à l’unanimité, contre votre nouveau projet de calendrier ?
Un autre élément aurait pu donner plus de corps à cette réforme : les outils numériques. Ils sont susceptibles d’améliorer les activités proposées, d’être un levier de continuité éducative entre le scolaire et le périscolaire, donc de favoriser le flux des contenus et la coordination administrative.
Mais ces équipements, eux aussi, nécessitent des moyens financiers, une couverture optimale de notre pays et un accompagnement accru de l’État. Or l’ensemble de notre territoire n’est pas prêt. Une fois de plus, nous nous trouvons encore devant une inégalité territoriale.
Il est un dernier point essentiel, c’est naturellement le financement de ce dispositif, qui fait l’objet de l’article 3 de la présente proposition de loi.
Les communes sont, pour le moment, indemnisées – et encore est-ce bien en deçà du coût réel –, mais pour combien de temps ? La pérennité sur un an ne va pas être commode, monsieur le ministre !
Le Président de la République a annoncé, lors de sa conférence de presse de la semaine passée, une baisse des dépenses publiques – encore une ! – de 50 milliards d’euros entre 2015 et 2017, s’ajoutant à celles qui étaient déjà prévues l’année dernière. Allez-vous supprimer les compensations de cette réforme ? Allez-vous continuer la baisse des dotations aux collectivités ?
Monsieur le ministre, cessez de prétendre que nous n’avons rien compris…
Mme Françoise Cartron. Il n’a jamais dit cela !
Mme Françoise Férat. … ou, pis encore, que nous faisons de cette question un enjeu de politique politicienne !
M. Yves Daudigny. C’est pourtant la vérité !
Mme Françoise Férat. L’État doit assumer ses directives après avoir fait un diagnostic partagé des expériences locales. L’avenir de nos enfants impose que nous ayons cette exigence !
Pour toutes ces raisons, dans sa grande majorité, le groupe de l’UDI-UC votera ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler.
Mme Esther Sittler. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme des rythmes scolaires est au cœur des préoccupations quotidiennes des représentants des collectivités territoriales que nous sommes, au Sénat.
En tant que maire d’une commune rurale de 928 habitants, j’ai dû moi-même consulter les parents pour la rentrée prochaine et le conseil municipal a décidé à l’unanimité de ne pas appliquer le décret du 24 janvier 2013. Nombre de collègues maires de mon département ont fait de même.
Je n’ai pourtant pas un caractère frondeur et les Alsaciens sont plutôt réputés pour être des gens disciplinés.
Mme Esther Sittler. Nous ne sommes d’ailleurs pas un cas isolé puisque seules 3 852 communes ont adopté la réforme en 2013 et que plus de 80 maires ont déjà annoncé leur refus pour la rentrée 2014.
Ce rejet est donc le reflet de l’inadaptation du décret de janvier 2013 à la situation de communes telles que la mienne et, surtout, de son caractère beaucoup trop uniforme. Il ignore tant les spécificités locales que les besoins des enfants. Il impose de lourdes contraintes aux communes sans concertation ni compensation financière suffisante et pérenne dans un contexte de réduction des dotations de l’État.
Cette réforme porte atteinte au principe de libre administration des collectivités locales. C’est la raison pour laquelle le président Jean-Claude Gaudin et nous-mêmes, sénateurs du groupe UMP, présentons aujourd’hui cette proposition de loi qui vise à rétablir l’équilibre sans remettre en cause la nécessité de revoir la question des rythmes scolaires.
Ce texte offre davantage de souplesse, premièrement, en accordant une liberté de choix aux maires dans l’organisation du temps scolaire en concertation avec les acteurs concernés et, deuxièmement, en posant le principe de compensation par l’État des charges supplémentaires supportées par les communes en raison d’une modification des rythmes scolaires.
Dans ma commune, ainsi que dans de nombreuses communes rurales, le caractère uniforme du nouveau dispositif n’est nullement adapté.
L’école de mon village compte 82 élèves répartis en deux classes élémentaires et une classe maternelle, avec des locaux qui, matériellement, ne nous permettraient pas d’accueillir les activités extrascolaires dans les seules salles de classe. Nous devrions, par conséquent, assurer l’accompagnement des enfants vers la salle communale, avec les difficultés logistiques qui en découlent pour la commune et un temps de trajet qui réduirait comme peau de chagrin la durée des ateliers.
Comme les 40 % de maires interrogés par l’AMF, je confirme que recruter des animateurs qualifiés est un grand souci. La solution de simplicité reviendrait à recourir aux ATSEM – agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles – et aux agents communaux. Or, dans ma commune, il n’y a qu’un seul ATSEM et qu’un employé communal : ils ne pourraient, à eux seuls, prendre en charge autant d’enfants.
Par ailleurs, quid de la qualité des interventions que ces derniers pourraient proposer aux enfants ? Quel intérêt y a-t-il à réduire le temps passé au calme dans la classe sous la responsabilité d’un instituteur qualifié au profit d’heures de simple garderie ?
Enfin, si l’on confie de nouvelles tâches aux ATSEM, qui va assurer les tâches de ménage et de rangement qui leur incombent après la classe ?
Et quel est le rapport bénéfice-coût lorsqu’on sait que les 50 euros du fond d’amorçage ne représentent qu’un tiers du coût estimé et que ce fonds n’a pas vocation à être pérennisé ?
Les parents de ma commune ont refusé catégoriquement de prendre à leur charge le coût supplémentaire de périscolaire que cela impliquerait et les petites communes telles que la mienne n’ont pas les ressources suffisantes.
Si l’intention initiale d’une démocratisation de l’accès à la culture et au sport est louable, la réalité est moins plaisante ! Le résultat, c’est que le fossé entre enfants du monde rural et du monde urbain ne fera que se creuser. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Troendlé. C’est vrai !
Mme Esther Sittler. Il y aura les enfants des villes et les enfants des champs !
En outre, dans nos petites écoles, si les ateliers devaient se dérouler dans les salles de classe, que deviendrait l’aide personnalisée assurée par les enseignants pour les élèves en difficulté ? Là encore, les inégalités entre les territoires et entre les élèves vont se creuser.
Les enseignants sont, en outre, quelque peu réticents à céder leur salle de classe, pour des raisons de confidentialité. Ils y laissent dossiers scolaires et documents personnels qu’ils ne peuvent rapporter chez eux chaque soir.
Si chacun s’accorde à reconnaître que les petits Français passent trop de temps sur les bancs de l’école par rapport à leurs camarades d’autres pays européens, n’aurait-il pas été plus simple de repenser le temps scolaire sur l’année – c’est aussi une demande des parents de ma commune –, et non sur la semaine, en réduisant la durée des grandes vacances ou le nombre de zones ?
Je regrette, monsieur le ministre, que vous n’ayez pas pris le temps de la concertation avec les acteurs de terrain et que cette précipitation se fasse au détriment de nos enfants, de leurs parents et des collectivités locales.
Vous êtes bien conscient, d’ailleurs, des gros défauts de cette réforme puisque vous avez récemment décidé, face aux difficultés de mise en œuvre, de prolonger le fonds d’amorçage en 2014 et d’assouplir les normes d’encadrement au détriment, là encore, de la qualité des activités. Cela n’est malheureusement pas suffisant pour sauver une réforme mal préparée et inadaptée.
C’est la raison pour laquelle je voterai sans hésiter la présente proposition de loi, qui fait confiance aux communes pour s’organiser au mieux dans le respect des intérêts de chacun et de la concertation, et qui prévoit une juste compensation des charges transférées.
La discussion de cette proposition de loi est également l’occasion pour nous, législateurs et représentants des collectivités locales, de nous exprimer sur un enjeu qui nous concerne directement et dont nous avons été dessaisis à la suite de l’imposition de nouvelles règles par la voie réglementaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la diversité et la qualité de vos interventions.
Je répondrai uniquement sur deux points, car la suite de la discussion, qui sera sans doute longue, me permettra de revenir sur d’autres questions.
Tout d’abord, depuis le début de cette discussion, j’ai l’impression que nous sommes engagés dans un dialogue de sourds, préjudiciable aux uns et aux autres et qui peut donner lieu à des malentendus. Il s’agit, au fond, d’un point de droit.
Le temps scolaire relève de l’État puisqu’il est assuré par des fonctionnaires de l’État, de même que l’État est responsable des programmes. Ce temps n’a absolument pas changé dans sa durée. Simplement, pour faire droit à beaucoup d’arguments que vous avez vous-même développés, nous l’avons mieux réparti, de façon que les journées soient plus courtes. Le nombre de jours d’école est plus important, l’année scolaire est donc plus étendue, ce qui permet de mieux lire, écrire et compter (M. André Reichardt s’exclame.), en revenant globalement à ce qui existait auparavant. On rajoute le mercredi matin ou le samedi matin. Je ne vois pas là de difficulté, et c’est avant tout le sens de cette réforme.
Par ailleurs, il y a ce qui se passe après le temps scolaire. Aujourd’hui, à cet égard, des expérimentations sont menées – celle qui a lieu en Meurthe-et-Moselle a été évoquée – et certains établissements se sont déjà organisés différemment. L’après-temps scolaire relève, lui, de la libre administration des collectivités locales. Certaines ont mis en place des accueils. Les unes proposent des activités, les autres non.
Il apparaît que l’écart en termes d’activités périscolaires est actuellement de 1 à 10. Ce sera mon second point, mais j’en parle dès à présent puisque vous êtes préoccupés par les inégalités : il est temps quand on voit les résultats !
D’ailleurs, je note que vous ne vous interrogez pas sur ce que faisaient, jusqu’à ma réforme, les enfants le mercredi matin.
Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, selon l’INSEE, la proportion d’enfants qui vont bénéficier d’activités va passer de 20 % à 80 %, soit une multiplication par quatre.
S’agissant du temps périscolaire, je suis absolument d’accord : c’est votre liberté. De ce point de vue, je ne vois pas où est le problème ! Mais votre proposition ne consiste pas à dire que vous voulez de la liberté sur le temps périscolaire : vous l’avez, et plus encore qu’avant ! (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Ce que vous voulez, c’est fixer vous-mêmes le temps scolaire, et cela constituerait véritablement une rupture avec le principe républicain et constitutionnel. (Protestations sur les travées de l'UMP.) C’est ce qui est écrit dans votre proposition de loi ! Et Xavier Bertrand avait fini par en convenir.
Notre débat repose donc sur un malentendu. Je ne comprends pas votre argumentation. Si vous ne voulez pas faire d’activités périscolaires, si vous voulez libérer les enfants à quinze heures quinze, vous le pouvez et vous n’avez jamais eu autant de liberté pour le faire !
Permettez à l’État de s’occuper de l’instruction publique, du « lire, écrire, compter » ! Cela suppose des enseignants formés et du temps scolaire. Je ne change pas la durée, je la répartis mieux.
Je ne comprends pas d’où vient ce malentendu ! J’ai été très sensible à votre argumentation sur la confusion entre le scolaire et le périscolaire. Sur ce point, vous avez raison. Mais que faites-vous aujourd’hui ? Vous nous soumettez une proposition dont je me demande si vous percevez bien vous-mêmes les incidences.
Sur le périscolaire, il n’y a aucun problème. Les collectivités locales ont davantage de liberté, ce qui pose des difficultés à nombre d’entre elles. Mais nous n’allons pas faire le moindre reproche ni même la moindre réflexion aux collectivités quant à leurs choix en termes de répartition du temps ou d’activités proposées, non plus que si elles décident de ne rien faire du tout. Tout cela relève de leur responsabilité : c'est à leurs administrés qu’elles rendront des comptes !
Mme Catherine Troendlé. Il faut aller chercher les enfants à quinze heures trente !
M. Vincent Peillon, ministre. Mais quand il fallait aller les chercher à seize heures trente ou s’en occuper le mercredi matin, cela ne vous posait pas de problèmes !
Ce qui est important, c'est que le temps scolaire reste le même et qu’il est assumé par l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Le reste, c’est un peu « couvrez ce sein que je ne saurais voir », autrement dit, cachons ces inégalités que vous ne voulez pas voir, alors même qu’elles nous ont conduits à devenir le pays le plus inégalitaire de l’OCDE. Vous êtes confrontés à ces inégalités : j’attends vos réponses ! L’État, lui, assume ses responsabilités. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Je tiens à répondre sur cette question des inégalités, car il y a vraiment entre nous, je l’ai dit, un malentendu.
Dans notre pays, personne ne peut le nier, les inégalités scolaires sont en même temps des inégalités sociales.
M. Claude Dilain. Absolument !
M. Vincent Peillon, ministre. Si l’on donne plus de temps pour apprendre, on utilise l’un des instruments – certes, il ne suffit pas, il en faut d’autres – qui nous permettent de lutter contre les inégalités sociales et scolaires, puisque les deux sont corrélées. Cet aspect des choses relève de l’État : c’est l’école le matin ; c’est mieux lire, écrire et compter.
Ensuite, il y a le périscolaire. Intuitivement, on peut penser que, sur ce point, les inégalités entre collectivités rurales et urbaines pourraient s’accroître. Or le retour d’expériences, l’étude de l’AMF et les conclusions du comité de suivi montrent que ce n’est absolument pas le cas. Vous voulez des suivis et des évaluations ? Ils prouvent le contraire de ce que vous avancez !
En réalité, les petites communes et les regroupements des départements ruraux – je pense à des départements comme l’Ariège, le Gers et à d’autres – passent beaucoup plus facilement aux nouveaux rythmes que certaines métropoles ou grandes collectivités, qui sont confrontées à des problèmes de locaux, entre autres.
Je le répète, il n’y a pas d’accroissement des inégalités.
Mme Catherine Troendlé. Il n’y a pas d’inventaire !
Mme Catherine Troendlé. Pas pour toute la France !
M. Vincent Peillon, ministre. Un inventaire a été fait. Je vous invite à le lire, car cela vous éviterait de dire ce genre de choses…
En matière périscolaire, il y a des inégalités qui posent un réel problème : je l’ai dit selon les chiffres officiels, le rapport est aujourd'hui de 1 à 10. Certains maires – mais ce sont surtout ceux qui ne faisaient rien avant – m’expliquent que ma réforme leur crée des difficultés parce qu’elle a suscité une demande sociale. D’autres, au contraire, me disent que, dans leur commune, la réforme leur coûte non pas 150 euros, mais 10 euros de plus que ce qu’ils consacraient auparavant au périscolaire, parce qu’ils avaient déjà mis en place un plan éducatif local.
Ces inégalités existent et elles sont très dommageables pour notre pays.
M. André Reichardt. Elles vont être accrues !
M. Vincent Peillon, ministre. Pas du tout ! C’est la première fois que l’État donne des moyens aux communes pour organiser des activités périscolaires, tout en assumant le même temps scolaire.
Et nous ne faisons pas que cela ! Je le rappelle, nous avons modifié les financements de la caisse d’allocations familiales. Nous faisons de la péréquation avec la dotation de solidarité urbaine cible et la dotation de solidarité rurale cible. Nous donnons davantage aux communes qui ont le moins : cela devrait tout de même vous intéresser !
Vous qui voulez que les réformes soient mises en place progressivement, regardez ce que nous avons fait depuis un an ! Nous avons été les premiers dans l’histoire de l’école à instituer une réforme du temps scolaire étalée sur deux années, et non brutalement, comme cela s’est toujours fait.
En 2013, des communes parmi les plus pauvres de France, comme Mende, en Lozère, ou Denain, dans le Nord, sont passés aux nouveaux rythmes. Ces villes à potentiel fiscal très faible ont aujourd'hui les moyens – elles nous l’ont dit, et les évaluations le prouvent – de proposer des activités périscolaires.
M. André Reichardt. Ces villes seront plus pauvres dans deux ans !
M. Vincent Peillon, ministre. À l’inverse, d’autres communes très riches, dont certaines sont gérées par des socialistes, ne sont pas encore passées aux nouveaux rythmes. C'est une question non pas d’argent, mais d’organisation. Certes, il faut régler des questions bien réelles, comme trouver des animateurs ou organiser les transitions…
M. André Reichardt. C’est vous qui arrêtez le fonds d’amorçage en 2015 !
M. Vincent Peillon, ministre. Bien sûr que l’intérêt des enfants est un élément majeur. Mais la question première est celle de l’allocation des moyens.
M. André Reichardt. Alors dites-nous que le fonds sera pérennisé !
M. Vincent Peillon, ministre. Et elle se pose dans les mêmes termes pour les communes et pour l’État : si vous pensez qu’il ne faut pas investir dans l’école, vous obtiendrez le résultat que nous observons depuis des années. Si, au contraire, vous estimez que l’école doit être une priorité de votre budget, on constatera le résultat inverse dans les années qui viennent.
Je reviens sur l’intérêt des élèves. Que devons-nous faire pour lutter contre les difficultés scolaires et, plus largement, éducatives ? Donner du meilleur temps scolaire et davantage de temps éducatif de qualité aux enfants de France : ce sont les objectifs portés par cette réforme !
Cela, nous devons le faire ensemble, en associant les parents, les collectivités, les associations et, bien entendu, les pouvoirs publics – pas seulement le ministère de l’éducation nationale, mais aussi celui de la jeunesse et des sports, ainsi que celui de la famille. C’est ce que nous faisons. Nous devons nous concerter et discuter. Vous parlez de concertation, mais jamais dans notre pays les consultations n’ont duré aussi longtemps que celles que Luc Chatel puis moi-même avons engagées.
Les contradictions que vous avez soulevées sont nées de la concertation, de la confrontation des intérêts des uns et des autres, et des difficultés rencontrées par les conseils généraux, que nous avons très souvent évoquées avec Jean-Claude Carle.
S’il y a des traitements différenciés dans un département, cela relève non pas du DASEN, mais du conseil général, qui gère les transports scolaires. Je pense notamment à la situation des enfants qui vivent dans des petites communes de montagne.
Nous avons cherché une voie qui permette à chacun d’adapter le dispositif à sa situation locale. Telle est la réalité de cette réforme. Aujourd’hui, pour la première fois, le temps scolaire n’est pas réparti de la même façon partout. Dans certaines communes, les enfants travaillent le mercredi ; ailleurs, le samedi. Certains font trois quarts d’heure, d’autres une heure et demie, d’autres encore ont la pause méridienne. Nous laissons la place à la liberté de choix et à la « co-construction ».
J’ai confiance dans les uns et les autres. Je sais très bien comment tout cela marche, mais je vois aussi que les choses avancent. Les grandes réformes supposent du temps et des ajustements ; elles engendrent des conflits et nécessitent de la concertation. Les quatre jours et demi, qui sont dans l’intérêt des enfants, vaudront pour tous et seront néanmoins adaptés aux situations locales.
Cette mesure aura finalement permis – plus que les réformes de la formation des enseignants et du service public du numérique, dont on ne parle finalement que très peu et qui avancent bien, plus que les distributions de postes – que, pour la première fois, on débatte ensemble, associations, mairies, conseils d’école, de l’intérêt des élèves dans toutes les communes de France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sera un talisman pour le progrès et le redressement éducatif dans les années qui viennent ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas adopté de texte, nous passons, en application de l’article 42, alinéa premier, de la Constitution, à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.
Article 1er
L’article L. 521-3 du code de l’éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 521-3 – Les maires ont le libre choix de l’organisation du temps scolaire des écoles maternelles et élémentaires publiques dans le respect des programmes scolaires, sous réserve des dispositions des articles L. 521-1 et L. 521-2. Avant toute modification des rythmes scolaires, les maires sont tenus de consulter les conseils d’écoles concernés, les professeurs des écoles de premier degré, les représentants des parents d’élèves ainsi que le directeur académique des services de l’éducation nationale et les inspecteurs de l’Éducation nationale. Le maire peut, après avis de l’autorité scolaire responsable, modifier les heures d’entrée et de sortie des établissements d’enseignement en raison des circonstances locales.
« Toute modification des rythmes scolaires par voie réglementaire donne lieu à compensation intégrale par l’État des charges supportées à ce titre par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. »
M. le président. La parole est à Mme Danielle Michel, sur l'article.
Mme Danielle Michel. L’article 1er réécrit l’article L. 521-3 du code de l’éducation pour laisser toute latitude aux maires de fixer librement le temps scolaire dans leur commune.
Telle qu’elle est définie, cette liberté d’organisation du temps scolaire voulue pour les maires consisterait, au final, à laisser le choix à chaque commune entre la semaine de quatre jours et celle de quatre jours et demi.
Pourquoi, d’ailleurs, ne pas prévoir, au nom des intérêts locaux, une concentration du temps scolaire encore plus forte, par exemple sur trois jours et demi ? Est-ce cela la liberté ?
C'est ce que vous souhaitez rendre possible ! Nous ne l’acceptons pas. Nous estimons en effet que cette disposition contrevient, comme l’a souligné M. le ministre, à un principe constitutionnel. En effet, le préambule de la Constitution dispose qu’il revient à l’État d’assurer la scolarité obligatoire, et cela est fort heureux.
En vérité, j’ai quelque mal à comprendre le sens de votre démarche.
Vous le savez, dans notre pays, les rythmes d’apprentissage sont insoutenables. Vous le savez d’autant mieux que la consultation lancée par M. Luc Chatel lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale a conclu, elle aussi, à la nécessité de revenir à la semaine de neuf demi-journées.
Nous l’avons dit et redit : notre journée scolaire est la plus longue et notre année, la plus courte. Il y a consensus pour considérer que ces deux anomalies sont préjudiciables, particulièrement pour les enfants les plus fragiles socialement, qui ont besoin de temps d’apprentissage adaptés, et ce dès le plus jeune âge.
Il nous faut donc impérativement alléger les rythmes. Pourquoi alors vouloir, par cet article, permettre que rien ne bouge, ce qui, au final, ne ferait qu’accroître un peu plus les inégalités déjà criantes entre les territoires ? Pourquoi jeter encore de l’huile sur ce feu que vous aviez largement contribué à allumer lorsque vous étiez au pouvoir ? (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Je ne reviendrai pas sur vos errances en la matière. Les derniers résultats de l’enquête PISA, qui sont catastrophiques pour notre pays, les attestent.
Mes chers collègues, nous aurions pu faire l’économie de ce débat, car nous pouvons à la fois nous accorder sur la nécessité de prolonger le temps scolaire hebdomadaire et admettre qu’il existe des difficultés de mise en œuvre, en particulier pour les communes qui n’avaient, jusque-là, pas de véritable politique éducative.
Ces difficultés, il n’est pas question pour nous de les nier, mais bien d’y apporter des solutions.
De nombreuses dispositions ont été prises par le Gouvernement depuis la publication du décret du 26 janvier 2013 pour répondre aux inquiétudes légitimes des élus locaux.
C’est aussi l’objectif des travaux de la mission sénatoriale d’information, à laquelle je participe, que de mettre à jour des solutions adéquates pour répondre aux problématiques locales. Chers collègues du groupe UMP, vous avez été à l’initiative de cette mission d’information et, maintenant, vous en préemptez les conclusions, pourtant prévues pour le mois de juin prochain !
En vérité, cette réforme est nécessaire. Si elle n’est qu’une partie de la refondation de l’école que nous défendons, elle en est une partie essentielle.
La vérité exige aussi de dire que, oui, cette réforme est difficile, notamment parce qu’elle oblige les acteurs de la communauté éducative à travailler ensemble, alors même que, à certains moments, c’est vrai, leurs intérêts peuvent être divergents.
Contrairement à ce qui est sous-entendu dans la proposition de loi, les élus locaux sont pleinement associés à cette démarche, plus d’ailleurs qu’ils ne l’avaient jamais été auparavant ! (M. Jean-François Husson s’exclame.)
Dans mon département aussi, l’équation est parfois difficile, notamment pour les territoires ruraux. Mais je salue l’engagement des communes, du conseil général et de l’association des maires des Landes, qui ont œuvré pour accompagner la mise en œuvre de la réforme, et ce toujours dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Au final, ce sont trois écoles sur quatre qui sont passées aux nouveaux rythmes scolaires en 2013.
En conclusion, je rappellerai cette formule de Sénèque selon laquelle ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne devons pas oser, mais c'est parce que nous n’osons pas qu’elles peuvent être encore plus difficiles ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l'article.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais apporter mon témoignage à l’appui de notre proposition de loi et, tout particulièrement, de l’alinéa 3 de l’article 1er, qui prévoit notamment une contribution intégrale de l’État.
Indépendamment de la problématique du rythme scolaire à mettre en place, se pose une autre vraie question qui préoccupe au moins autant les maires que les intercommunalités concernées : c’est celle du financement de la réforme.
Telle qu’elle est décidée, la réforme pose problème sur ce point, principalement en raison de l’absence d’évaluation initiale des frais qu’elle engendrera.
Pour bon nombre de maires consultés – on l’a vu tout particulièrement à l’occasion de l’enquête à laquelle vous avez, mes chers collègues, contribué –, le fonds mis en place pour la rentrée de 2013 n’assure qu’une prise en charge partielle des nouvelles charges.
Pour environ 50 % des communes, le coût de la réforme est supérieur aux 150 euros accordés par le Gouvernement et la caisse d’allocations familiales. Pour 10 % d’entre elles, il est même supérieur à 300 euros ! En Alsace – je peux en témoigner –, certains chiffrages s’élèvent à 450 euros, comme l’a indiqué le rapport de Jean-Claude Carle.
De plus, si le fonds d’amorçage a finalement été prolongé d’une année, en réponse aux protestations des maires, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez ce qu’il adviendra pour la suite. Au-delà de 2014, ces moyens seront-ils ou non – ce point est évidemment fondamental ! – pérennisés ? Que se passera-t-il en 2015 si ce n’est pas le cas ? Les collectivités devront « passer à la caisse », alors même que les dotations de l’État aux collectivités, vous le savez, seront réduites de 1,5 milliard d’euros en 2014, dont 880 millions pour les seules communes, et encore de 3 milliards d’euros en 2015.
Monsieur le ministre, vous rejetez le principe de la liberté du choix des maires au nom de l’égalité territoriale mais, comme nous avons essayé de vous le dire tout à l'heure, les territoires ne sont pas justement égaux face à cette réforme !
Comment les petites communes rurales pourraient-elles proposer les mêmes activités que les grandes villes ? Vont-elles seulement pouvoir recruter des animateurs, quand certaines ne savent même pas ce que c’est ? (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Je peux vous en citer ! Au reste, chers collègues, votre méconnaissance de la ruralité…
Mme Françoise Cartron. C’est faux !
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
M. André Reichardt. … montre clairement la nécessité de cumuler le mandat parlementaire avec un exécutif local…
Les maires se sentent piégés, car ils sont mis devant le fait accompli. Leur sens des responsabilités les empêche de laisser à la rue les élèves dont les parents travaillent et qui seront libérés à quinze heures ou quinze heures trente ! Ils vont donc assurer cet encadrement…
Mme Françoise Cartron. C’est bien !
M. André Reichardt. … même s’ils n’en ont pas l’obligation et même s’ils n’en ont pas les moyens.
Aussi sont-ils contraints ou de demander aux parents une participation financière ou d’augmenter les impôts locaux. Et je ne reviens pas sur le contexte budgétaire : vous savez qu’il est difficile. Or, mes chers collègues, quelle que soit leur situation financière et quel que soit leur niveau d’endettement, aucune de ces communes n’a tenu compte de ces nouvelles dépenses de fonctionnement dans ses prévisions de financement pluriannuel ; aucune n’a tenu compte de la réforme dans les projets d’investissement qu’elle a engagés. Aucune ! Demain, les communes seront encore plus en difficulté. Est-ce cela votre conception de l’égalité territoriale ? Allons, que l’on ne nous raconte pas d’histoires !
Monsieur le ministre, cette situation n’est ni normale ni juste. Elle est même franchement inacceptable !
Il faut donc laisser les maires décider eux-mêmes de cette organisation. Il faut, ici comme ailleurs, appliquer ce postulat simple : qui commande paie ! C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l’article.
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention lors la discussion générale et j’ai été une fois de plus assez étonné parce que, à vous écouter, tout est parfait, tout se passe bien, tout le monde est content, les élus sont ravis, les parents sont enchantés, les enfants s’épanouissent… Bref, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !
D'ailleurs, cette autosatisfaction ne vous est pas propre, monsieur le ministre : ce sont tous les membres de ce Gouvernement qui, quel que soit le sujet, sont contents d’eux. On a même le sentiment que plus leurs échecs sont manifestes, plus leur suffisance est totale !
M. Jean-Claude Lenoir. Ils sont comme le Président de la République !
M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, sortez du déni ! Ouvrez les yeux ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Comme cela a été dit au cours de la discussion générale et comme chacun a pu le constater dans son département, vous avez décidé seul, sans aucune concertation, quoi que vous en disiez, ni avec les élus, ni avec les parents, ni avec les enseignants, d’une réforme que vous avez imposée avec une brutalité extrême ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Et aujourd'hui, après plus de deux heures de débat, vous ne nous expliquez toujours pas comment les communes financeront cette réforme qui coûte très cher : 250 ou 300 euros par enfant et par an, voire plus,…
Mme Françoise Cartron. Et pourquoi pas 500 ?
M. Jean-François Husson. Cela peut aller jusqu’à 800 euros, chère collègue !
M. Hervé Maurey. … alors que les dotations diminuent en 2014 et qu’elles baisseront encore en 2015, au moment même où le fonds d’amorçage s’arrêtera ! Que se passera-t-il alors ? Comment les communes feront-elles en 2014 et a fortiori en 2015 ? Vous ne nous le dites toujours pas, malgré les débats qui se succèdent et malgré nos demandes répétées.
Vous ne nous dites toujours pas comment organiser les activités périscolaires dans une petite commune où il n’y a pas d’autres locaux que la salle de classe.
M. David Assouline. On ne peut pas prendre chaque maire par la main !
M. Hervé Maurey. Vous ne nous dites toujours pas comment une petite commune peut trouver des animateurs quarante-cinq minutes par jour.
Tout cela, vous ne nous le dites pas ! Mais peut-être nous le direz-vous enfin dans les heures qui viennent…
Voilà des mois que nous vous interrogeons, que ce soit à la faveur de l’examen de la loi pour la refondation de l’école de la République, lors de séances de questions au Gouvernement ou de questions orales, mais nous n’avons jamais de réponse !
Dans nos départements, l’inquiétude se manifeste. Ainsi, dans le département où je suis élu, l’assemblée générale des maires a adopté une motion, à l’unanimité moins neuf voix. Contrairement à ce que vous dites, il n’y a donc pas que des maires ou des conseillers communautaires de droite qui s’opposent à votre réforme !
Mme Françoise Cartron. Nous n’avons pas dit ça !
M. Hervé Maurey. Nous avons organisé devant la préfecture une manifestation qui a rassemblé 600 élus : ils n’étaient pas tous de droite ! Les délibérations des conseils municipaux et des conseils communautaires reportant l’application de la réforme se multiplient, quelle que soit leur couleur politique.
Monsieur le ministre, je vous le demande une nouvelle fois et je vous le redemanderai encore si c’est nécessaire, car je suis assez tenace : écoutez enfin les élus ! Considérez enfin cette année comme une année d’expérimentation, au terme de laquelle nous pourrons faire le point sur les problèmes qui se posent, notamment dans les maternelles ! Je ne vous ai pas entendu parler des maternelles ce soir, alors que, on le sait bien, c’est dans ces classes-là que les problèmes sont le plus aigus !
Pour ce qui est de l’école élémentaire, que fait-on des enfants qui sortent à quinze heures quinze, dont les parents travaillent et ne peuvent pas payer de système de garde ?
Toutes ces questions méritent qu’on prenne un peu de temps.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, je vous le demande une nouvelle fois : si vous attachez vraiment de l’importance à cette réforme,…
M. Hervé Maurey. … si vous voulez ne pas la compromettre, écartez toute précipitation, renoncez à l’urgence, défaites-vous de votre entêtement, sortez du déni et prévoyez une année d’expérimentation ! Elle permettra que l’on mette en place une réforme sur des bases solides et sérieuses à l’horizon de la rentrée 2015. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, sur l’article.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, comme mon ami Hervé Maurey, j’ai trouvé que le début de votre propos témoignait d’une grande satisfaction. Vous sembliez effectivement très content.
L’intérêt de l’enfant ayant toujours rassemblé les membres de cet hémicycle, nous vous avons écouté avec attention, jusqu’au moment où vous n’avez pas résisté à la tentation de verser dans la polémique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Au demeurant, je n’en ai guère été étonné, monsieur le ministre : je sais que c’est une habitude chez vous !
M. David Assouline. Arrêtez avec les figures obligées, de grâce !
M. Jean-Claude Lenoir. En effet, je suis bien obligé de constater que vous ne pouvez pas tenir un discours, même bref, sans vous faire polémiste.
Il n’empêche qu’un élève qui aurait écouté le discours du ministre de l’éducation nationale aurait été particulièrement édifié de voir avez quelle suffisance vous traitiez de ces questions ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Bailly. Assez de vos leçons !
M. David Assouline. Et vous, vous faites quoi, en ce moment ?
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, permettez-moi trois observations.
Premièrement, vous avez parlé de concertation. Vous avez déclaré que cette réforme avait été longuement discutée.
Puisque nous célébrerons, dans quelques jours, les cinquante ans de l’établissement de relations diplomatiques entre la France et la Chine, je veux vous citer un proverbe chinois auquel votre goût pour la philosophie devrait vous rendre sensible, monsieur le ministre : « L’homme honorable commence par appliquer ce qu’il veut enseigner ; ensuite il enseigne. »
Permettez-moi de rappeler comment les choses se sont passées voilà environ un an et demi. Vous n’étiez pas encore installé rue de Grenelle – il était huit heures du matin et la passation des pouvoirs devait se dérouler à dix heures – quand vous avez annoncé cette réforme des rythmes scolaires,…
M. Jean-François Husson. Oui !
M. Jean-Claude Lenoir. … si tôt que le Premier ministre vous l’a reproché. Mais peut-être réveillé-je des souvenirs douloureux…
Mme Dominique Gillot. Vous êtes vraiment dans la polémique !
M. Jean-Claude Lenoir. Et, aujourd'hui, vous venez nous dire que cette réforme a fait l’objet d’une concertation ! C’est une jolie plaisanterie !
Mme Françoise Cartron. Et M. Chatel ?
M. Jean-Claude Lenoir. Deuxièmement, à l’instar d’autres parlementaires aujourd'hui dans l’opposition, je n’étais pas favorable au passage à la semaine des quatre jours. Je trouvais que c’était une erreur. À l’époque, nous avons été un certain nombre à le dire, mais nous n’avons pas été écoutés.
Cela dit, monsieur le ministre, dois-je rappeler que les quatre jours et demi étaient alors payés par l’État ?
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. David Assouline. Et alors ?
M. Jean-Claude Lenoir. C’est l’éducation nationale qui assumait pleinement la charge de ces quatre jours et demi !
Or, aujourd'hui, vous nous expliquez que cette réforme est excellente. Certes, elle l’est pour les finances de l’État, lequel continuera de supporter quatre jours et mettra la demi-journée supplémentaire à la charge des collectivités ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Françoise Cartron. Mais non !
M. David Assouline. N’importe quoi ! Travaillez vos dossiers !
Mme Catherine Troendlé. M. Lenoir a raison !
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, vous avez même été jusqu’à avancer, ce qui est particulièrement choquant, que les maires pouvaient abandonner les enfants dès trois heures et demie s’ils le voulaient ! Pensez-vous qu’il existe des maires suffisamment irresponsables pour prendre une telle initiative ?
M. Jacques Chiron. Et qu’ont-ils fait quand le mercredi matin a été supprimé ?
M. Jean-Claude Lenoir. Troisièmement, monsieur le ministre, je dois quand même vous rappeler que, dans le monde rural, où nous avons pleinement conscience de nos responsabilités et les assumons complètement, nous rencontrons les plus grandes difficultés pour trouver des animateurs (Non ! sur les travées du groupe socialiste. ) susceptibles de s’occuper des élèves par séquence de quarante, quarante-cinq ou cinquante minutes, de surcroît à un moment de la journée qui n’est pas forcément le plus facile pour ces animateurs !
Monsieur le ministre, tout cela conduit aujourd'hui à une grande colère chez les maires, chez beaucoup d’enseignants et chez beaucoup de parents.
Lorsque vous êtes arrivé rue de Grenelle, vous aviez annoncé que la réforme des rythmes scolaires ferait l’objet d’une loi. Finalement, c’est par décret, et donc par une décision purement administrative, que vous avez procédé à cette réforme, sans porter aucune considération à ce que nous pouvions connaître, ressentir et apporter. C’est dommage car, sur une telle réforme, vous auriez pu compter sur le concours de beaucoup d’entre nous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l’article.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur les bienfaits de la semaine de quatre jours et demi pour les enfants : il n’est pas besoin d’être fin pédagogue ou fin psychologue pour comprendre qu’il vaut mieux que ces derniers aillent en classe cinq matinées plutôt que quatre – ne serait-ce que sur le plan des rythmes scolaires.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Nous sommes tous d’accord !
M. Claude Domeizel. Bien sûr, toute réforme bouscule un peu. Toutefois, dans mon département, j’ai réalisé une enquête de satisfaction auprès des communes qui avaient choisi de mettre en œuvre la réforme : leur appréciation va de « bien » à « très bien ».
Peut-être suis-je dans un département particulier.
M. Jean-Claude Lenoir. Sans doute !
Mme Françoise Cartron. Un département qui a bien accompagné la réforme !
M. Claude Domeizel. En tout état de cause, le bilan y est plutôt bon.
Je veux rappeler que les rythmes scolaires, c’est une vieille histoire.
Mme Françoise Cartron. C’est sûr !
M. Claude Domeizel. Quand on a institué le jeudi comme jour sans classe, c’était en fait pour permettre aux élèves de l’école laïque et obligatoire de continuer à bénéficier d’une instruction religieuse, de suivre le catéchisme. La journée sans classe est ensuite passée du jeudi au mercredi, pour des raisons d’équilibre au sein de la semaine.
Petit à petit, incitées par les parents, les communes se sont aperçues qu’il fallait occuper les enfants qui jouaient à faire voguer des bateaux en papier dans les caniveaux ou allaient travailler dans les champs. C’est ainsi que sont nées les activités périscolaires dans la plupart des communes, celles-ci participant à leur organisation.
Je ne sais plus quel ministre a ensuite supprimé la classe du samedi après-midi, qui était, à l’école, un moment privilégié, au point que certains parlaient de « dimanche de l’école ».
Et puis, M. Darcos, pour des raisons tenant à la vie familiale, a supprimé la classe du samedi matin. On est alors passé de quatre jours et demi à quatre jours par semaine.
Par ce rappel historique, je veux insister sur le rôle des différents acteurs. Les enfants – comme, d'ailleurs, leurs parents – attendent un enseignement de qualité. L’éducation nationale répond à cette attente et, comme c’est son rôle, encadre les rythmes scolaires. Les parents ont la charge des enfants à partir de la sortie de l’école.
Il faut le rappeler, les parents sont libres de choisir ce qu’il advient de leurs enfants à la sortie de l'école : ils peuvent décider de leur faire pratiquer des activités périscolaires ou de les faire rentrer à la maison.
Quant aux communes, elles sont le quatrième partenaire et elles ont toute liberté d'organiser ou non des activités périscolaires, et de les faire payer ou non.
Avant de terminer, je veux évoquer un dernier point. On parle quelquefois de « garderie » d’une manière péjorative. Je vous renvoie au poème de Prévert « Page d'écriture », que chacun connaît : « Deux et deux quatre, quatre et quatre huit… » Eh bien, les enfants peuvent aussi avoir envie qu’on leur « lâche un peu les baskets », si je puis employer cette expression. Alors qu’on cesse de traiter la garderie avec cette nuance de mépris !
Je suis bien conscient de l'existence d'interrogations tout à fait justifiées de la part des collectivités, des enseignants, des parents. Mais, monsieur le ministre, je suis confiant : cette réforme sera finalement adoptée...
M. Jean-Claude Lenoir. Pas par le Parlement : c’est un décret !
M. Claude Domeizel. … car, nous le savons bien, l'enfant à l'école est l'enfant chéri des budgets des collectivités territoriales ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Je ne reprendrai pas l'ensemble des arguments excellemment présentés par M. le ministre, mais aussi par Françoise Cartron, Maryvonne Blondin et d'autres. Sans la moindre contestation possible, ces arguments plaident en faveur de l'organisation du temps scolaire sur quatre journées et demie.
Sur un sujet aussi sensible, je tiens à exprimer ma position. En effet, pendant quarante années de ma vie, j'ai passé une partie de mon temps dans la réalité de l'école, en face d'élèves. L'exigence d'éducation m'habite de façon presque obsessionnelle, en tout cas quotidienne.
Or la situation de la France, grave sinon tragique, a été rappelée : elle est à la fois championne des inégalités en matière de résultats, mais aussi championne de la corrélation entre les difficultés sociales et les résultats scolaires.
En cet instant, mon soutien au ministre de l'éducation nationale dans la mise en œuvre de sa réforme de refondation de l'école est total.
Mes chers collègues, comment pourrait-on imaginer que notre école, l'école de l'éducation nationale et républicaine, soit, dans l'une de ses caractéristiques les plus importantes, le temps scolaire, organisée différemment d'une commune à une autre, au gré de la simple volonté ou l'humeur d'un conseil municipal ? Comment peut-on accepter qu’un tel sujet se trouve aujourd'hui pris en otage dans des positionnements partisans ?
Certes, quand il est question de temps périscolaire – et non pas de temps scolaire –, des difficultés peuvent surgir. Mais ayons les chiffres en tête ! Ceux qui ont été présentés au congrès des maires montrent notamment que 83 % des communes ayant mis en œuvre la réforme dès la rentrée de septembre 2013 sont satisfaites.
Je souligne que ces ratios nationaux s'appliquent aussi au département de l'Aisne, qui est un département rural, avec des réussites constatées non seulement dans des petites villes, dans des bourgs, mais aussi dans des regroupements horizontaux en pleine ruralité.
Et je dirai que là où une volonté s'est fait jour, là où les acteurs ont voulu agir, des voies – plus ou moins faciles, certes – se sont ouvertes. Alors arrêtons, sur ce sujet, d'opposer la ruralité et la ville…
Il se trouve que j’ai eu cet après-midi sous les yeux une déclaration qui, bien que remontant à février 1937, me paraît tout à fait d’actualité : Léon Blum disait que l’homme politique – aujourd'hui, on ajouterait : la femme politique – doit s'efforcer « de dominer par la pensée l’ensemble d’une situation, d’en confronter ou d'en rapprocher les différentes données et aussi, en quelque mesure, de projeter ces données de la situation présente sur l’avenir ».
Mes chers collègues, l’avenir de nos enfants, justement, nous demande de procéder de la sorte. N’entamons pas la confiance placée dans notre école. Bien au contraire, conjuguons nos moyens à tous les niveaux, conjuguons nos imaginations pour que la refondation de l'école, qui est peut-être la réforme la plus importante pour l'avenir du pays, soit demain une réussite ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l'article.
Mme Dominique Gillot. En ce qui me concerne, je plaiderai pour la suppression de l’article 1er de la proposition de loi.
La réforme des rythmes scolaires n’est qu’un volet de la refondation de l'école, qui compte bien d'autres éléments d'architecture pour améliorer l'apprentissage des élèves sur l'ensemble du territoire, cela a été rappelé à plusieurs reprises.
L’élévation du niveau scolaire dépend d’une meilleure répartition du temps d’apprentissage, en desserrant la pression journalière de l’emploi du temps pour récupérer du temps scolaire de meilleure efficience.
C’est tout le sens de la modification des rythmes scolaires qui redonne une cinquième demi-journée de meilleur temps scolaire, le mercredi ou le samedi : le choix est ouvert, même si c’est le mercredi qui est retenu dans la plupart des cas.
Alors, oui, cette nouvelle organisation du temps de l’élève est perturbante parce qu’elle a une incidence sur les temps de l’enfant, les temps de la famille, les temps sociaux... Elle exige des efforts de compréhension et d’ouverture. Hélas, on voit bien que, dans une partie de notre hémicycle, ces valeurs ne sont pas vraiment à l'œuvre…
Elle modifie l’organisation du travail des enseignants et suscite parmi eux des inquiétudes qui témoignent de leur engagement, de leur intérêt pour l’avenir de leurs élèves, pour la conception de leur mission, pour la reconnaissance de leur savoir-faire.
Elle implique, pour les communes, une adaptation de l’organisation des services concernant, notamment, l’ouverture et l’entretien des locaux, les transports, la restauration et les activités périscolaires quand elles existent – cela n’est pas une obligation, on l’a rappelé –, ou la création de ces dernières, si la volonté politique est au rendez-vous...
Elle a donc suscité l’inquiétude des élus locaux, que certains relaient dans cette salle. Ces élus ont perçu cette réforme comme une contrainte insurmontable en quelques mois. Ces inquiétudes sont devenues des enjeux politiques à la veille des élections municipales.
Le Président de la République l’a bien perçu, qui avait ouvert devant l'assemblée générale des maires de France la possibilité de choisir 2013 ou 2014 pour l’entrée dans la réforme. Du temps a donc été donné pour s’y préparer.
Or, aujourd'hui, à quelques mois de l’échéance, les auteurs de cette proposition de loi entendent obtenir un nouveau délai, avec des arguments qui ne tiennent pas sachant que le principe de libre administration des communes n’est nullement remis en cause par cette réforme et que cette liberté est, de toute façon, encadrée depuis des décennies par le code de l’éducation.
Le décret du 24 janvier 2013 portant sur les nouveaux rythmes scolaires répartit en effet les vingt-quatre heures d’enseignement par semaine sur cinq matinées et quatre après-midi écourtés, cela pour tous les élèves à partir de la rentrée 2014.
C’est désormais le droit applicable, et il ne revient pas sur les textes antérieurs, qu’il s'agisse de l’utilisation des locaux scolaires en dehors du temps scolaire – article L. 212-15 du code de l’éducation –, de l’organisation d’activités pendant les heures d’ouverture scolaire ou de la possibilité offerte aux maires de modifier les heures d’entrée et de sortie de l’école en vertu de raisons locales – article L. 521-3 du code de l’éducation.
Vous appelez donc de vos vœux des mesures qui, soit figurent déjà dans le code de l’éducation, soit entraîneraient, si elles étaient adoptées, une rupture d'égalité sur le territoire.
Certains maires, dans mon département, sont entrés dans la réforme en 2013 en agissant ainsi : classe de neuf heures à douze heures quinze tous les matins ; classe de quatorze heures à seize heures l'après-midi. La journée est effectivement allégée, et ce sont les familles qui doivent s’adapter et s'organiser.
Dans certains cas, le périscolaire est allongé le matin et le soir – à la charge financière ou non des familles – pour faire coïncider les temps de l’enfant avec ceux des adultes.
Dans d’autres communes, les élus sont allés plus loin. Attachés à l’intérêt des enfants et soucieux de ne pas perturber les familles, ils ont voulu très vite unir leurs efforts à ceux de l’État dans cette grande réforme de fond et ont été capables de co-construire des projets éducatifs qui respectent les aptitudes des enfants et ouvrent leur esprit afin d'améliorer leurs dispositions à apprendre en classe.
L’assouplissement des taux d’encadrement hors temps scolaire, les dotations financières de l’État – reconduites – et celles – pérennes – de la caisse d’allocations familiales, ainsi que la disponibilité des associations locales et de l’éducation populaire, ont permis l’émergence d’une réelle diversité de projets, tous inscrits dans un cadre national garantissant à tous les élèves de notre pays une école ouverte, ambitieuse pour tous, et pensée avec les ressources locales.
Dans ma commune, où il a été décidé de compléter les vingt-quatre heures d'enseignement par trois heures d'action éducative gratuite ouvertes à tous les écoliers de la ville, les premières semaines ont été difficiles. De nouveaux repères devaient être fixés, la confiance des parents devait être gagnée, la coopération et la coordination avec les enseignants étaient à construire...
Il a fallu discuter; évaluer, revoir, préciser. Pendant cette période d’ajustement, le moteur a été l’adhésion des enfants, leur plaisir à entrer dans ces nouveaux rythmes et ces nouvelles activités réellement partagées à l'école.
M. Antoine Lefèvre. Tout va bien !
Mme Dominique Gillot. C'est ainsi dans 95 % des communes qui se sont déjà engagées…
L'expérience d'élus locaux audacieux devient une ressource précieuse pour ceux qui se sont donné du temps ! Vous demandez une expérimentation : elle a lieu en grandeur nature, et vous pouvez vous appuyer dessus !
M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas une réussite partout ! On en reparlera…
M. le président. Je vous prie de conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Gillot. Mais, surtout, ne cherchez pas à retarder encore l'échéance, il n’y a plus de temps à perdre ! Surtout, n’invoquez pas d'arguments triviaux qui ne tiennent pas devant l'urgence de la situation ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
L’école est le creuset des valeurs de la République. Il importe donc de s’appuyer sur les synergies locales, qui sont autant de ferments de cette identité culturelle, républicaine et partagée à laquelle nous aspirons pour fortifier la cohésion de notre nation.
Alors ne remettez pas en cause le service public de l'éducation sur l'ensemble du territoire. (Mme Catherine Troendlé s'exclame.)
M. Antoine Lefèvre. Nous ne le remettons pas en cause !
Mme Dominique Gillot. Faisons plutôt grandir la confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l'article.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, je vous ai bien écouté : à la tribune, vous avez cédé à une facilité politicienne en imputant à l'opposition d'aujourd'hui la dégringolade dans le classement PISA.
Bien sûr, on doit considérer ces résultats comme un échec. Mais c'est l'échec de la France et, permettez-moi de le dire, c’est celui des majorités successives. Personne, en dehors de cet hémicycle, ne songerait à désigner quelqu’un comme responsable de la défaillance parce qu’il aurait appartenu à une majorité plutôt qu’à une autre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Monsieur le ministre, personne, ici, ne veut remettre en cause votre bonne volonté ni l'authenticité de la recherche du bien supérieur de l'enfant que vous affichez.
M. Bruno Retailleau. Ce que nous voulons simplement dire, c'est que cette réforme rencontre des difficultés et que, face à ces difficultés, votre attitude est complètement fermée : vous ne les comprenez pas ! D'ailleurs, vous avez utilisé, en conclusion de votre réponse aux orateurs, un terme tout à fait particulier à propos de cette réforme : vous avez parlé de « talisman » du progrès éducatif. Or, vous le savez, un talisman, c'est un objet que l'on pare de vertus magiques !
Dans cette affaire, il n’y a rien de magique, il n’y a qu’une réalité qui s'impose. Et il ne se trouve aucun fautif : les maires ne sont pas de dangereux séditieux, placés sous l'influence de l'UMP. Monsieur le ministre, vous prêtez à l’UMP plus d'influence qu’elle n’en a ! (Sourires.)
Et vous voudriez rejeter la faute sur les conseils généraux, désormais « conseils départementaux ». Là aussi, cette stratégie se heurte à une réalité, qu’il faut regarder en face si l’on veut résoudre les problèmes.
Il y a un immense paradoxe : chacun ici voudrait que l’école de la République soit une, que ce soit une école à une seule vitesse. Or la réforme, on l’a bien vu, va créer encore plus d’inégalités. (Mais non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Il y aura d’abord plus d’inégalités entre les enfants, et au premier chef en ce qui concerne les transports. Il ressort en effet d’une étude conduite par le conseil général de la Vendée pendant un an que, pour 25 % des écoles publiques desservies par les transports scolaires, nous devrons amener les élèves à neuf heures, puis les reprendre entre dix heures quarante-cinq et onze heures ; ces enfants auront donc moins de deux heures de classe le mercredi matin. Les inégalités vont aussi se creuser entre les enfants en fonction des territoires, car dans certains d’entre eux, les enfants ne pourront pas bénéficier d’animateurs et de locaux.
Il y aura ensuite plus d’inégalités entre les familles, qu’elles soient modestes ou non, car certaines auront bien des problèmes quand il s’agira d’aller récupérer les enfants en fin de matinée le mercredi.
Il y aura enfin plus d’inégalités entre les territoires puisque, comme je l’ai déjà indiqué, toutes les communes ne sont pas logées à la même enseigne au regard de leur situation géographique – certaines sont totalement dépendantes des transports scolaires –, des locaux et surtout des budgets dont elles peuvent disposer.
Enfin, personne n’a parlé des associations. Sachez, monsieur le ministre, que cette réforme cause et causera d’énormes dégâts en milieu rural pour les associations sportives et culturelles, parce que ces associations qui utilisent des équipements sportifs et des équipements communaux ont besoin du mercredi et que la concentration de leurs activités sur quelques demi-journées seulement pose des problèmes véritablement insolubles.
Je vous demande simplement, monsieur le ministre, d’entendre ces difficultés, de considérer ces inégalités.
M. Bruno Retailleau. Les unes et les autres touchent les enfants, les familles, les territoires, les communes, les associations : cela fait tout de même beaucoup !
En fait, vous êtes dans une sorte de déni de la réalité !
Mme Françoise Cartron. Non, c’est vous !
M. Bruno Retailleau. Vous vous êtes investi dans cette réforme, sans aucun doute, mais aucune citation, aucun effet de manche, aucune habileté rhétorique ne réduira à néant les difficultés que nous rencontrons sur le terrain.
En vérité, je pense que cette réforme est mal partie parce que vous l’avez engagée sur la base de deux principes qui prévalaient au siècle précédent.
Premier principe : Paris décide et la France d’en bas doit se débrouiller.
M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. C’est ainsi que les maires, les élus locaux, tous ceux qui sont sur le terrain, doivent bien souvent régler des problèmes considérables que l’État n’a pas pu ou n’a pas voulu résoudre.
Second principe : Paris commande et les collectivités locales paient. Un million d’euros de dépenses publiques supplémentaires pour la Vendée, alors que, sur toutes les chaînes de télévision, on entend tantôt le Président de la République tantôt le Premier ministre nous expliquer que les collectivités dépensent trop ! Et, dans le même temps, on assiste à une baisse historique des dotations de l’État aux collectivités !
Mme Cécile Cukierman. C’est vous qui avez ouvert la voie en la matière !
M. Bruno Retailleau. Nous nous trouvons donc dans une situation schizophrénique où, avec moins de dotations, on nous désigne comme les fauteurs de la dépense publique, tandis que l’État décide sur notre dos de nouvelles charges non compensées, en contradiction avec l’article 72-2 de la Constitution.
Ces deux principes – Paris décide, les autres appliquent, Paris commande, les autres paient –, en plus d’être surannés, sont rejetés par de nombreux maires, quelle que soit leur étiquette.
Vous pouvez encore vous sortir de ce mauvais pas, monsieur le ministre. Il faut poursuivre la concertation, il faut examiner de près les expérimentations, parfois réussies, qu’ont menées certaines villes, il faut peser le pour et le contre avant de décider de généraliser un dispositif. C’est tout ce que nous vous demandons !
M. Jean-François Husson. C’est la sagesse !
M. Bruno Retailleau. Oui, c’est la sagesse.
Monsieur le ministre, écoutez la France d’en bas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin, sur l'article.
M. Pierre Martin. Le 24 janvier 2013 est paru le décret sur la modification des rythmes scolaires. Vu l’importance et les conséquences de cette mesure, j’eusse largement préféré qu’il se fût agi d’une loi, mais nous n’entrerons pas dans ce débat aujourd’hui.
Comme vous l’avez fort justement rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre, l’organisation du temps scolaire est du ressort de l’État, et, en l’occurrence, le rajout d’une demi-journée d’école relève de la responsabilité de l’éducation nationale. Il a en effet été décidé de passer de huit demi-journées à neuf demi-journées. Et, bien entendu, vous avez déclaré qu’une vaste concertation était nécessaire sur le sujet.
Dans mon département, nous avons organisé de nombreuses réunions, car les maires s’interrogeaient. Ce département compte 782 communes ; vous imaginez donc la dimension des communes ! La conclusion que j’ai tirée de ces réunions, c’est qu’il demeurait une importante confusion dans l’esprit de ces élus.
Comme l’a rappelé Mme Troendlé tout à l’heure, on nous a affirmé, à nous élus locaux, que nous pouvions choisir entre le mercredi matin et, par dérogation, le samedi matin.
Dans le cadre de la concertation, certains parents d’élèves, enseignants ou élus ont choisi de placer la demi-journée supplémentaire le samedi matin. Réponse de l’inspection départementale : « Niet ! Ça ne peut être que le mercredi ! » Il apparaît en effet que les transports scolaires ne pourront pas être assurés le samedi matin.
Par conséquent, monsieur le ministre, si vous êtes cohérent, il faut envoyer une note précisant que le seul créneau possible, c’est le mercredi matin.
J’en viens à la question du périscolaire. J’ai eu la chance de pouvoir créer en 1995 des activités périscolaires dans la communauté de communes que je présidais. Le ministre de l’éducation de l’époque, Gilles de Robien, maire d’Amiens, faisait la même chose dans sa commune. Nous nous étions rencontrés et il m’avait dit que ces activités périscolaires ne concernaient que la moitié de la population scolaire de sa ville – du reste, il en allait de même dans ma communauté de communes –, car autrement, comme le montraient les simulations, cela coûterait trop cher. Ces enfants étaient même suivis par la faculté de médecine pour voir quelles seraient les évolutions, ce que je ne pouvais pas faire dans mon territoire.
Dans ma communauté de communes, même si toutes les communes n’étaient pas concernées, nous avons voulu offrir à nos enfants des activités de qualité. Nous avons donc recruté des éducateurs pour des séances qui duraient au plus une heure. Mais ces éducateurs venaient de la ville et, au bout de trois semaines, ils sont venus me dire qu’ils étaient prêts à continuer, mais à la condition d’être défrayés de leurs frais de transport, faute de quoi ils ne pourraient pas continuer.
J’ai alors constaté que cela coûtait cher, et même très cher. Nous l’avons fait néanmoins, parce que nous étions site pilote et que nous étions bien aidés, faute de quoi nous aurions dû tout arrêter.
En 2008, je n’ai plus assumé la présidence de la communauté et, immédiatement, le conseil communautaire a décidé de supprimer ces activités en arguant de leur coût. J’étais très attaché à ce dispositif, parce que je pense que c’était profitable pour nos enfants, qui découvraient d’autres choses.
À ce propos, une petite anecdote. Nous avions organisé une réunion pour informer les parents des activités que nous proposions. Nous avons démarré la première semaine avec la moitié des enfants, puis, à partir des vacances de la Toussaint, ils étaient tous présents. Évidemment, certains parents ne nous envoyaient pas leurs enfants parce que ceux-ci, pour des raisons médicales ou autres, ne pouvaient pas faire de sport ou d’autres activités. Mais certains de ces enfants tenaient néanmoins à participer aux activités, ce qui nous obligeait à prendre quelques précautions. Bref, la tâche n’était pas forcément aisée, mais je garde un excellent souvenir de cette expérience, qui allait indiscutablement dans le bon sens. Le problème, c’est le coût de ces activités.
Comment allons-nous donc faire ?
Monsieur le ministre, on parle beaucoup d’« égalité des chances ». Je dois vous avouer que je n’aime pas beaucoup cette expression. Je préfère parler de la réussite de nos enfants. Mais il est vrai qu’il faut offrir à chacun ses chances de réussite.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, si vous vous souciez, comme vous l’avez affirmé dans votre propos liminaire, de la réussite de nos enfants, qu’ils soient ruraux ou urbains, il faut absolument leur offrir les mêmes possibilités, éventuellement en modulant suivant les territoires. N’est-ce pas le devoir de l’éducation nationale ? Car vous savez pertinemment que les conditions financières diffèrent d’une commune à l’autre.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-François Husson. C’est pourtant passionnant !
M. Pierre Martin. Il faut faire quelque chose, monsieur le ministre, car on ne peut pas laisser les uns manger du pain bis, tandis que d’autres mangent des croissants, comme on dit chez nous (Sourires.). Tous les enfants doivent être nourris à la même table, monsieur le ministre, et il faut que vous vous engagiez à faire en sorte qu’il en soit ainsi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, sur l'article.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le rapporteur, la généralisation de la semaine de quatre jours, imposée sans concertation par un décret du 15 mai 2008, sous l’autorité de MM. Darcos, Fillon et Sarkozy, avait été contestée à l’époque, vous vous en souvenez.
Vous-même, dans votre rapport pour avis sur la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2010, la dénonciez en ces termes : « Il convient de remarquer que ce choix [de la semaine de quatre jours] conduit à un resserrement important du temps scolaire : 144 jours sont consacrés par an à l’école, contre 185 en moyenne dans les pays de l’Union européenne. […]. Les semaines scolaires sont donc très chargées pour les élèves français. »
Citant les témoignages des inspections générales et des représentants de parents d’élèves, vous déploriez la fatigue des enfants et les difficultés d’organisation horaire de l’aide personnalisée.
Vous écriviez aussi : « La semaine de quatre jours semble surcharger les emplois du temps et perturber la rénovation pédagogique […]. Les établissements qui ont obtenu l’ouverture du mercredi matin ont sans doute un fonctionnement plus fluide. »
Enfin, vous souteniez la suppression du samedi matin, qui étalait trop le temps d’instruction, tout en souhaitant que l’organisation du temps scolaire, tant sur la semaine que sur l’année, respecte les rythmes biologiques de l’enfant.
Mais nous sommes d’accord, monsieur le rapporteur ! Le décret du 24 janvier 2013 répond parfaitement à vos critiques de l’époque !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Personne ne le conteste !
M. Jacques-Bernard Magner. En modifiant les rythmes scolaires, en revenant à la semaine de quatre jours et demi, au terme d’une longue réflexion menée par des psychopédagogues et de concertations avec les partenaires de l’école, le ministre Vincent Peillon a exactement répondu à l’attente que vous avez exprimée à cette tribune en 2009.
Dans ce cas, pourquoi soutenez-vous cette proposition de loi qui va au rebours de ce que vous défendiez il y a quatre ans ? Serait-ce l’envie de relancer un débat à proximité des échéances électorales municipales ? (Protestations sur les travées de l'UMP et exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Vous savez pourtant comme moi que tous vos arguments pour défendre cette proposition de loi ont déjà été avancés au congrès des maires de France, et que les réponses ont été apportées par le ministre, que la vague de contestation que vous attendiez n’a jamais existé, ni chez les maires, ni chez les parents d’élèves, ni chez les enseignants.
M. Copé et l’UMP ont bien tout tenté pour essayer d’enflammer le pays sur cette question des rythmes scolaires, jusqu’à lancer une pétition pour pousser les maires à ne pas appliquer la loi. (M. le ministre opine.) Combien de signataires, monsieur le rapporteur ? On ne le saura jamais, car ce fut un échec total. Je connais beaucoup de maires, et qui ne sont pas tous de ma sensibilité politique, qui se sont offusqués de cette manœuvre dilatoire et de cet appel à la désobéissance à la loi républicaine.
Cette tentative ayant échoué, avec votre proposition de loi, vous cherchez à rouvrir un faux débat, qui ne fait plus recettes dans nos communes, où les maires ont bien saisi l’intérêt du changement de fonctionnement, l’efficacité pédagogique que cela représente et la richesse éducative dont bénéficient désormais les élèves de leurs écoles.
Contrairement à ce que vous affirmez, nous ne pensons pas que les maires souhaitent disposer de la prétendue liberté de décider de l’organisation du temps scolaire sous le prétexte des spécificités locales.
M. Antoine Lefèvre. Demandez-leur donc !
Mme Françoise Férat. Sortez un peu de votre territoire !
M. Jacques-Bernard Magner. En permettant aux écoles de fonctionner « à la carte », quatre jours ou quatre jours et demi, avec le mercredi ou le samedi – et pourquoi pas cinq ou six jours ou d’autres variantes encore ? –, on créerait une disparité ingérable, un désordre indescriptible dans un paysage scolaire qui a plutôt besoin d’être apaisé pour trouver enfin toute son efficacité.
Plus grave : cette bataille politique que vous menez avec l’énergie du désespoir pour une cause que vous savez perdue…
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Non !
M. Jacques-Bernard Magner. … et à laquelle vous ne croyez même pas, on l’a bien compris par le rappel de vos diverses interventions passées, cette bataille cache une remise en cause plus large, celle de l’école républicaine.
J’en veux pour preuve les propositions de l’UMP pour l’éducation nationale rendues publiques en septembre dernier. Ainsi, aux termes de la proposition n° 23, « la plus grande autonomie des établissements scolaires associée à une plus grande liberté de choix des établissements scolaires accordée aux parents doit engendrer un nouveau mode de fonctionnement des établissements par un système de subvention attaché non plus à chaque établissement mais désormais à chaque élève. La subvention allouée à chaque établissement serait fonction du nombre des élèves accueillis et de leur profil. »
C’est le système du chèque scolaire, qui est parfaitement inégalitaire et que la droite – parfois même au-delà – propose depuis des années.
Et que dire de la proposition n° 26 où l’UMP demande « que le recrutement des enseignants se fasse désormais via des entretiens avec les chefs d’établissements sur le modèle de ce qui se passe dans l’enseignement privé » ?
Mme Maryvonne Blondin. Eh bien !
M. Jacques-Bernard Magner. Pour organiser l’école de la République, vous nous proposez donc le privé pour modèle ! Cela ne nous surprend pas, monsieur Carle : cette inclination vous est coutumière.
Ainsi, en même temps que l’on municipaliserait les écoles, les établissements seraient traités comme des entreprises avec des chefs qui gèrent et recrutent en patrons tout-puissants.
On le voit bien, cette proposition de loi remet gravement en cause les fondements de l’école républicaine.
M. David Assouline. À la française !
M. Jacques-Bernard Magner. C’est pourquoi nous la combattrons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l'article.
M. Vincent Delahaye. Je me réjouis de ce débat, même s’il arrive bien tard…
Sur le fond, nous sommes tous d’accord pour défendre l’intérêt de l’enfant.
Les classements internationaux nous sont très défavorables et les comparaisons avec les autres pays montrent, cela vient d’être dit, que les semaines sont trop chargées et les vacances trop longues en France.
La vraie réforme aurait donc consisté à trouver le courage de réduire la durée des vacances scolaires et non à l’augmenter, comme vous l’avez fait avec celle des vacances de la Toussaint, et à alléger les semaines de travail des enfants. Malheureusement, vous avez fait le choix de maintenir le temps scolaire à l’identique sur la semaine, c’est-à-dire de conserver la même charge de travail pour les enfants, et de laisser aux communes, aux enseignants et aux parents le soin de s’organiser pour combler les trous.
S’agissant de la forme, le fait de procéder par décret vous a permis d’éviter non seulement tout débat au Sénat et à l’Assemblée nationale, mais aussi le versement d’une compensation financière par l’État. Nous avons bien compris tout l’intérêt financier qu’il y avait à faire peser sur les communes la responsabilité de cette réforme.
Quant à la méthode, monsieur le ministre, je ne comprends toujours pas pourquoi une expérimentation n’a pas été menée avant d’en tirer le bilan et de généraliser le système. Cela me semble pourtant relever d’une logique absolue. Vous avez préféré généraliser dès le départ et seules 17 % des communes ont accepté d’être parties prenantes de cette réforme, les autres ayant choisi de reporter sa mise en application.
Par ailleurs, vous ne vous donnez pas le temps de tirer un bilan. Bien sûr, les maires des communes ayant déjà mis en œuvre les nouveaux rythmes scolaires, juste avant les élections municipales, disent que cette réforme n’est pas si mal, que tout se passe très bien. Or si l’on interroge les enseignants et les parents, ce n’est plus tout à fait le même son de cloche !
M. Jacques Chiron. Ce n’est pas vrai !
M. Vincent Delahaye. C’est tout à fait vrai ! Je suis un élu qui rencontre les parents et les enseignants des communes voisines. Je vous garantis que l’on n’entend pas le même écho ! Le problème, c’est que nous sommes à la veille des élections municipales ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Dominique Gillot. Mais non !
M. Vincent Delahaye. Les élus qui ont mis en place cette réforme ont tout intérêt à enjoliver le bilan, l’opposition, quant à elle, a tout intérêt à taper dessus !
C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je propose que nous nous donnions du temps afin de tirer un vrai bilan de l’expérimentation. Il n’y a pas le feu au lac !
Cela étant, ce n’est pas la première fois que nous avons dans cette enceinte un dialogue de sourds avec le Gouvernement. J’ai parfois l’impression que, pour ce dernier, le débat au Sénat, qu’il s’agisse de questions budgétaires ou non, n’est qu’un mauvais moment à passer…
M. Vincent Delahaye. … et qu’il préfère s’en remettre à l’Assemblée nationale, qui a le dernier mot.
Pour ma part, j’aimerais que le Gouvernement se présente devant nous avec des intentions réelles de vrai dialogue. Or ce n’est pas ce que je ressens et je le regrette.
Par ailleurs, selon vous, monsieur le ministre, le décret que vous avez pris apporte plus de liberté aux communes. C’est la première fois que j’entends cet argument et, pour avoir discuté avec l’ensemble de mes collègues, je n’ai pas l’impression qu’ils partagent ce point de vue. Ce qui est sûr, c’est que, avec cette réforme, les élus locaux ont plus de problèmes, plus de contraintes, plus de charges.
Vous dites encore que les communes doivent faire de l’éducation une priorité. Mais c’est déjà le cas ! J’aimerais que vous m’écoutiez, monsieur le ministre !
Mme Dominique Gillot. Mais il vous écoute !
M. Vincent Delahaye. Si vous aviez été élu local, vous sauriez que le budget prioritaire, principal, des communes est généralement celui de l’éducation. Cela est vrai de ma commune comme de beaucoup d’autres : les maires, les élus locaux se préoccupent beaucoup d’éducation.
Encore un mot sur les finances publiques, auxquelles je suis très attaché. Dans la mission « Enseignement scolaire » de la loi de finances pour 2014 ont été alloués 60 millions d’euros à la réforme des rythmes scolaires. Nous posions tout à l'heure la question de la pérennisation de cette somme. Or, sachant qu’il y a 7 millions d’élèves, une aide de 50 euros par élève représente un coût de 350 millions d’euros. Par conséquent, le compte n’y est pas ! L’aide promise pour financer la mise en place de cette réforme ne figure pas dans le budget 2014 !
Je conclurai en reprenant vos propos, monsieur le ministre : cette réforme nécessite du temps et des ajustements. Je vous ai écrit à deux reprises pour en demander le report d’un an. Je m’étonne de ne pas avoir obtenu de réponse.
M. Jacques-Bernard Magner. La réponse est non !
M. Vincent Delahaye. Ce délai supplémentaire me semble pourtant nécessaire pour bien ajuster cette réforme et faire en sorte qu’elle aille vraiment dans l’intérêt des enfants.
M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, sur l'article.
M. Alain Fauconnier. Mes chers collègues, je voudrais apporter le témoignage d’un élu d’une ville de 9 000 habitants située dans un département très rural, l’Aveyron, qui s’est engagée dans la réforme.
À l’inverse, pas moins de 80 % des communes aveyronnaises ont préféré se donner du temps, regarder ce que les autres font et apprendre de leur expérience. Cette attitude est éminemment respectable.
Tout l’enjeu de la réforme des rythmes scolaires est d’assurer aux élèves une meilleure organisation de leur apprentissage. Nous en convenons tous.
Or la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui néglige totalement cet enjeu. Elle dissimule mal des arrière-pensées politiciennes. Peut-être, à une autre époque, aurions-nous pu procéder de la même manière, mais pas en matière d’éducation !
Je ne peux accepter de vous voir vous poser en défenseurs de la ruralité ! De grâce, pas vous ! Mon département de l’Aveyron a perdu 100 postes d’enseignants entre 2002 et 2012 pour 1 800 élèves supplémentaires ! Voilà la réalité ! Je ne sais pas de quel département vous êtes élu, monsieur Delahaye, et j’ignore si sa démographie scolaire a augmenté, mais je suis à peu près certain qu’il en est allé de même.
Par ailleurs, la mise en place de cette réforme a demandé du travail et de la concertation. Aujourd’hui, seize classes primaires et deux écoles maternelles l’appliquent dans ma circonscription.
Les enfants font quasiment tous les jours de la sculpture, de la peinture, des reportages en partenariat avec les médias locaux, de la couture, de la danse, du sport, de l’éducation à l’environnement… Ils sont heureux, tout comme les personnes qui organisent ces activités et s’occupent d’eux, ce qui est très important et correspond à l’esprit de la réforme.
En fait, l’opposition nous propose d’inscrire dans la loi une inégalité de traitement dans l’éducation. C’est inacceptable ! Un débat semble s’être instauré sur la réalité des chiffres. Au mois de décembre, une enquête très précise et tenant compte de la position des parents et des enfants a été organisée dans ma ville auprès de tous les parents – environ 400 personnes ; 80 % ont répondu ; 85 à 90 % d’entre eux se sont déclarés satisfaits.
De la même manière, les associations, les éducateurs et les employés municipaux qui s’occupent de ces enfants ont été consultés : 95 % d’entre eux se sont également dits satisfaits.
Arrêtons de présenter cette réforme comme l’apocalypse ! La réalité est tout autre. Je vous invite, chers collègues de l’opposition, à renouer avec l’intérêt des enfants (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) et à cesser cette guérilla politicienne qui ne trompe personne. En réalité, en cette période électorale, vous n’avez pas grand-chose à dire. Là, vous avez trouvé un os et vous vous jetez dessus ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Je vous apporte le témoignage d’une ville très rurale, dans laquelle tout se passe bien. La position de ceux qui ne se sont pas encore engagés dans cette réforme, je le répète, est éminemment respectable. J’en rencontre quotidiennement et je leur expose ce qui se fait chez moi : il s’agit non pas d’un exemple à suivre, mais d’un témoignage. Ils peuvent en tirer des enseignements ou non, mais au final, je sais qu’ils appliqueront cette réforme, car ils sont Républicains ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. J’ai écouté attentivement les débats et je constate que l’opposition essaie de surfer sur le fait qu’il s’agit d’une réforme, au sens propre, qui change les habitudes quotidiennes : celles des parents, celles des écoles et celles des collectivités territoriales.
Or vous savez très bien que lorsque l’on a l’audace de réformer, même en s’appuyant sur la concertation, on n’obtient pas le consensus. Vous savez également que si l’on recherche le consensus, on ne fait rien !
Le ministre Chatel était parvenu au même constat de la nocivité de la semaine de quatre jours après avoir mené une concertation et demandé une évaluation. Le temps qu’il fallait consacrer aux enfants devait contribuer à leur réussite. Or changer les choses exigeait le courage de la réforme !
Je vous entends souvent dire que notre pays compte trop de fonctionnaires, qu’il est embourbé dans des habitudes et des pesanteurs et appeler à la réforme quand il s’agit de déréguler le droit du travail ou d’atténuer nos protections sociales. Et quand il est question de l’intérêt de l’enfant, vous surfez sur tous les conservatismes.
Alors, oui, à partir du moment où l’on décide de changer les choses, tout ne va pas être chimiquement pur du jour au lendemain ! Il va falloir expérimenter ici et là, apporter des modifications, voire changer de braquet. C’est cela, l’expérimentation !
L’enquête menée par l’Association des maires de France auprès des communes qui se sont engagées dans la réforme montre que la satisfaction est quasi totale. Voilà qui devrait faire disparaître vos préventions. Je comprends que vous ayez pu en avoir. Quoi de plus normal quand on est dans l’opposition ? Mais cette expérimentation menée à l’échelle nationale par un échantillon de 20 % des communes vaut bien 1 000 sondages !
Vous, vous n’en tenez pas compte, tout comme vous ne tenez pas compte du fait que certains acteurs de gauche n’ont pas voulu s’engager dans la réforme avant de mesurer les difficultés qui pouvaient en résulter.
Vous avez préféré fédérer tous ceux qui ne veulent pas bouger, tous ceux qui ont peur, tous ceux qui ne veulent pas affronter les difficultés. (Protestations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Vous avez vu dans cette réforme l’occasion de créer un grand mouvement qui pouvait être utilisé politiquement, car le temps des élections municipales approche ! (M. Jean-François Husson proteste.)
Tous vos espoirs, chers collègues de l’opposition, sont aujourd’hui déçus : nous débattons de la présente proposition de loi alors que, dans le pays, la sérénité sur cette question est totale !
M. Jean-François Husson. N’importe quoi !
M. David Assouline. D’ailleurs, vous n’abordez plus ce sujet au cours de la campagne pour les élections municipales.
M. Jean-François Husson. Vous parlez à tort et à travers !
M. David Assouline. Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Husson !
M. Jean-François Husson. Moi, je le fais !
M. David Assouline. Je sais de quoi je parle, moi, et je ne vous insulte pas !
M. Jean-François Husson. Moi non plus !
M. David Assouline. Veillez donc à respecter les orateurs ! Je parle de ce que l’on a vécu, et vous le savez très bien.
Aujourd’hui, les campagnes faites pour agiter les foules dans la perspective des élections à venir se concentrent sur d’autres sujets. Vous avez trouvé ceux de la fiscalité et de la sécurité, par exemple, dont on pourra discuter. Vous avez voulu allumer la mèche sur la question des rythmes scolaires, embraser le pays, lancer des pétitions sur le sujet : c’est un échec ! (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Allons !
M. David Assouline. C’est peut-être le moment d’admettre que vous vous êtes trompés, et qu’il faudrait débattre du vrai sujet, celui des rythmes scolaires.
Mme Françoise Férat. Cela marche dans les deux sens !
M. David Assouline. On ne peut pas continuer comme cela : il faut dégager plus de temps pour l’enfant. Contrairement à ce qui se passait avant, il n’y a pas une heure en moins de temps scolaire assumé par l’État. De plus, l’État apporte son aide pour toutes les activités périscolaires, que l’on a la liberté d’adapter.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Nous pourrions donc discuter de tous les aspects concrets du sujet, sur la base, par exemple, des travaux de la mission commune d’information sur ce thème. Cela permettrait peut-être d’apporter quelques ajustements.
En tout état de cause, il est inacceptable que, sous couvert des difficultés d’application de la réforme des rythmes scolaires, vous proposiez de mettre un terme à la maîtrise du temps scolaire par l’éducation nationale et la République dans son ensemble. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Qui doit payer ? Le problème est d’ordre financier !
M. David Assouline. Encore une fois, c’est votre projet politique libéral pour l’école que vous essayez de nous « refourguer » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-François Husson s’exclame.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, sur l’article.
Mme Françoise Cartron. Je voudrais revenir sur quelques arguments avancés par certains au sujet de l’article 1er.
Il a été dit, notamment, qu’il fallait donner du temps aux acteurs concernés par la réforme. Celle-ci aurait surgi de manière impromptue, sans que nous ayons pu y réfléchir suffisamment.
Je tiens, chers collègues de l’opposition, à faire quelques rappels historiques. Les débats sur l’aménagement du temps scolaire ne datent pas d’aujourd’hui ; ils remontent à l’année 1985, et passent par l’année 1998. Toute une série de contrats d’aménagement du temps de l’enfant ont été mis en place ; ceux qui étaient déjà élus locaux peuvent en témoigner.
J’ajoute que nombre de rapports ont évoqué cette réforme. Ils ont tous défendu la semaine de quatre jours et demi : les rapports de l’Inspection générale de l’éducation nationale en 2001, en 2002 et en 2009, le rapport de la Cour des comptes de 2010, le rapport de l’Académie de médecine du mois de janvier de la même année, le rapport de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale de 2010, le rapport de Luc Chatel de 2011, et, enfin, la concertation menée par Vincent Peillon en 2012.
On aurait pu encore attendre ? Mais voilà dix ans que nous réfléchissons ! Combien de temps encore avant de passer à l’action ?
Les citoyens nous reprochent de ne pas tirer les conclusions des nombreux rapports que nous produisons. Avec la réforme des rythmes scolaires, nous avons mis en œuvre les préconisations des rapports que je viens de mentionner, au service des enfants.
De plus, il n’y aurait pas eu d’expérimentation. Mais, chers collègues de l’opposition, elle existe : voilà des années que Toulouse connaît la semaine de quatre jours et demi ! Je vous propose de vous y rendre tous, pour voir comment ils font. Vous comprendrez pourquoi les Toulousains n’ont pas voulu passer à la semaine de quatre jours, quand Xavier Darcos a supprimé les cours du samedi matin. La voilà, l’expérimentation que vous réclamiez !
Enfin, cessons de prétendre que cette réforme tendrait à opposer les grandes aux petites villes. Elle vise bien plutôt à mettre en lumière la richesse des territoires. Certes, une petite commune rurale n’apportera pas les mêmes réponses qu’une grande ville urbaine.
Moi aussi, je suis une élue de terrain. Je peux vous donner l’exemple de petites communes rurales de Gironde, de 800 habitants, situées dans la campagne, à la frontière de la Dordogne, comprenant, vous le savez, une forte population anglaise. Ces petites communes ont sollicité l’aide de ces résidents étrangers, qui ont accepté de donner des cours d’anglais pendant le temps périscolaire. Je dois aussi vous dire que les enfants les plus assidus à ces cours sont issus de la communauté des gens du voyage, qui est assez importante dans cette région.
Réussir à faire cela, c’est ouvrir des perspectives aux enfants, qu’ils n’auraient jamais eues sinon. C’est tout l’enjeu de la réforme des rythmes scolaires que de profiter des richesses territoriales ! Bien évidemment, il ne faut pas imposer de modèle unique en la matière ; tous les enfants ne vont pas faire de la danse ou des percussions. Il est donc important de bien regarder le territoire où s’applique la réforme, d’en saisir toutes les richesses, afin d’inventer des solutions nouvelles, pour tous les enfants.
M. Jacques Chiron. Très bien !
Mme Françoise Cartron. Voilà le défi de cette réforme : l’intelligence territoriale doit se mettre en action ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jacques Chiron. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Gaouyer, sur l’article.
Mme Marie-Françoise Gaouyer. Je tenais à prendre la parole, car, au cours de nos échanges, j’ai entendu des propos qui m’ont quelque peu étonnée, comme si le texte dont nous discutons était méconnu.
Les élus de la ville d’Eu, dont je suis maire, ont décidé d’appliquer la réforme dès la rentrée 2013. Il a fallu beaucoup consulter. Un gros travail de mise en œuvre a été engagé. Il a notamment fallu demander à la communauté de communes de participer. Elle l’a fait en prenant à sa charge tous les brevets d’aptitude aux fonctions d’animateurs, pour que chaque intervenant, y compris les retraités, dont beaucoup se sont proposés pour présenter leur métier, sache quoi faire devant des enfants.
Les animateurs des centres de loisirs assurent, en complément de leurs activités périscolaires de la pause du déjeuner – deux services de cantine sont assurés –, les activités périscolaires prévues par la réforme dans les écoles maternelles et élémentaires. Ils ont aujourd’hui un vrai statut, qui leur procure des droits sociaux.
Nos animateurs sportifs interviennent au sein des clubs. Le moyen de prendre complètement en charge leur rémunération a été trouvé.
Les techniciens communaux sont habilités à intervenir, entre autres, en tant qu’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, ou ATSEM, auprès des enfants. Ils se voient donc reconnus à un autre titre que personnel chargé du ménage dans les locaux.
En résumé, chacun des intervenants a désormais un statut juridique.
Je veux vous dire, mes chers collègues, le plaisir que j’ai à rencontrer ces familles et ces enfants, qui s’y retrouvent tous. Aujourd’hui, au moins 75 % d’entre eux – le plus souvent, nous approchons les 85 % – participent à ces activités périscolaires, et certains enfants, qui n’y participaient pas auparavant, s’y livrent désormais. C’est énorme ! Il nous a fallu trouver soixante adultes tous les jours pour s’occuper des enfants.
Monsieur le ministre, voilà dix ans que nos enfants attendaient des évolutions dans l’école. Grâce à cette réforme, qui contient des éléments susceptibles de leur permettre de s’inscrire dans l’avenir, c’est chose faite. Je vous invite à venir dans notre commune, afin d’y voir ce que l’on a pu faire, à notre échelle, et dont nous sommes ravis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jacques Chiron. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron, sur l’article.
M. Jacques Chiron. Dans le cadre de la mission commune d’information sur la réforme des rythmes scolaires mise en place par le Sénat, j’ai fait le choix de me rendre dans les communes du département dont je suis l’élu, l’Isère, qui ont mis en place la réforme dès la rentrée 2013. Celles-ci, c’est vrai, ne sont pas majoritaires. Je me suis déplacé dans des petites communes, de quelques centaines d’habitants, comme dans des communes moyennes. Je suis également allé à la rencontre de syndicats intercommunaux.
Ces échanges m’ont permis de constater l’adhésion des représentants de ces communes, très impliqués, aux objectifs de la réforme, quelle que soit leur tendance politique. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, comme toute réforme récente, des ajustements sont encore nécessaires pour adapter les organisations. Cependant, tous les acteurs que j’ai rencontrés m’ont confirmé les bénéfices de cette réforme sur les rythmes et les apprentissages des enfants, au sens large du terme.
Ainsi, ils m’ont dit constater une forte diversité sociale chez les enfants fréquentant les activités périscolaires. Cela démontre, si besoin était, que l’objectif de permettre l’accès de tous les enfants à des activités favorisant l’inclusion sociale et de donner à tous les mêmes chances de trouver la place qui lui convient dans la société est atteint.
J’en viens, ensuite, au rythme de l’enfant. Si certains constatent une fatigue des enfants, de nombreux élus, parents et directeurs d’école m’indiquent qu’elle n’est pas plus importante que d’habitude à cette période de l’année. Cette fatigue, nous le savons tous, est souvent due à l’organisation familiale, et non pas à l’école.
Certains enseignants m’interrogent, monsieur le ministre, sur les programmes. Je leur réponds que votre ministère est déjà engagé dans ce chantier, tant pour l’école primaire que maternelle.
Mes chers collègues, contrairement aux idées reçues, pour les élus, directeurs d’école et enseignants que j’ai rencontrés, cette nouvelle organisation des rythmes scolaires a d’ores et déjà, et en un trimestre, donné des résultats positifs sur le niveau d’apprentissage des enfants comparé à celui qui a été constaté l’année dernière à la même époque. C’est pour moi le résultat essentiel, qui doit nous motiver à continuer.
C’est pour cette raison cruciale que je ne voterai pas l’article 1er. Contrairement à vous, chers collègues de l’opposition, je considère que nos enfants ne peuvent pas attendre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je tiens à féliciter les auteurs de la présente proposition de loi : ils ont réussi à provoquer un débat très riche.
M. Jean-François Husson. Pas trop riche, quand même !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Les expertises d’usage sont toutes bienvenues, quelles que soient les travées d’où elles proviennent !
Nous connaissons les problèmes de locaux. Nous savons aussi que le dialogue entre les enseignants et les animateurs extérieurs doit être développé. D’ailleurs, Mme Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative aurait pu être présente au banc du Gouvernement. Mais, mes chers collègues, en tant que présidente de la commission de la culture mais aussi membre de la majorité, je vais vous dire la raison pour laquelle je ne soutiendrai pas cette proposition de loi. À mon sens, appliquer la réforme de manière exhaustive sera gage d’excellence dans la résolution de ces problèmes, dans l’instauration de ces dialogues. Soyons ces étudiants qui voient arriver l’heure de l’examen, et qui se mettent à réviser avec intensité et énergie !
Pour tous les mouvements de l’éducation populaire, ce sera, en outre, une très belle occasion de trouver leur expression, notamment grâce aux emplois qui seront créés sur tous les territoires, aussi bien ruraux qu’urbains.
C’est parce que je suis pleine de cet espoir, chers collègues de l’opposition, que je ne peux voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-François Husson. Ce sera un espoir déçu !
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, sur l’article.
M. Jacques Legendre. Je n’avais pas l’intention d’intervenir ce soir, mais j’ai l’impression que notre débat finit par devenir un peu étrange.
Sur certaines travées, on nous a expliqué que tout allait bien ; sur les autres, sans forcément affirmer que tout allait mal, nous avons mis en avant un certain nombre de difficultés dont nous avons été les témoins sur le terrain.
Tant mieux s’il y a enfin un débat dans l’hémicycle ! Le problème des rythmes scolaires est particulièrement important. Il méritait bien une discussion au Parlement avant la prise de décision. Monsieur le ministre, depuis le départ, l’erreur aura été, me semble-t-il, de vouloir passer par un décret, alors qu’une large majorité de parlementaires souhaitaient en revenir à la semaine de quatre jours et demi et examiner ensemble les problèmes d’application pratique. Il est dommage de nous être privés d’un travail concerté, pour une fois, entre l’exécutif, représenté par le ministère, et l’ensemble du Parlement. Je pense qu’il eût été opportun de procéder ainsi.
Notre proposition de loi a pu susciter un peu d’étonnement. Certes, une mission commune d’information a bien été mise en place par ailleurs. Mais, compte tenu des nombreuses auditions auxquelles son rapporteur souhaite procéder, elle ne pourra pas rendre ses conclusions avant le mois de mai. Or nous savons bien que les maires devront prendre des décisions avant cette date.
Nous devions donc agir dans l’urgence si nous voulions faire en sorte que le Gouvernement puisse débattre de la réforme des rythmes scolaires avec le Sénat ; d’ailleurs, il aurait sans doute été préférable que la discussion ait lieu dans les deux assemblées. La question de la réforme se posait. Je crois très sincèrement que vous avez voulu aller beaucoup trop vite, monsieur le ministre.
Ce matin, en commission, certains membres du groupe socialiste estimaient qu’il n’y avait pas lieu de débattre sur notre proposition de loi. Nous voyons bien ce soir qu’il y a au contraire tout lieu d’en débattre !
À présent, on nous propose la suppression de l’article 1er, c'est-à-dire du principal article du texte, afin de mettre un terme à la discussion. Pour ma part, j’estime que vous devrez de toute manière tirer les enseignements des différents témoignages entendus aujourd'hui, monsieur le ministre. Tout ne va pas bien dans l’application du dispositif ! Un certain nombre de problèmes vous sont rapportés en toute bonne foi. Et constater des difficultés, ce n’est pas porter atteinte à l’école ou aux valeurs de la République ; les accusations de ce type sont totalement excessives !
Nous voulons tous la meilleure éducation pour les enfants de notre pays. Nous sommes attachés à l’égalité des chances et à l’égalité des territoires. Mais nous vous alertons sur les problèmes rencontrés sur le terrain. Écoutez-nous, monsieur le ministre !
Quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes tous engagés pour que les enfants de France disposent des mêmes chances ! Ce qui nous mobilise, c’est la qualité de l’éducation ! Le reste, ce n’est ni l’heure ni le lieu d’en débattre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Magner, Mmes Cartron, Blondin, D. Gillot et D. Michel, MM. Assouline, Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Contrairement à ce que j’ai entendu, le débat a eu lieu ; il a d’ailleurs été bien plus large que ce que l’on pouvait imaginer.
Pour notre part, nous aurions pu – c’eût été notre droit – déposer une motion tendant à opposer la question préalable, ce qui, en cas d’adoption, aurait eu pour effet d’empêcher la suite du débat. Nous ne l’avons pas fait.
M. David Assouline. Nous n’y avons même pas pensé ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Legendre. Vous y avez renoncé !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous avons souhaité que le débat puisse avoir lieu sur l’article 1er. À l’issue de la discussion, nous sommes confortés dans l’idée qu’il ne serait pas pertinent d’adopter cet article et, plus généralement, l’ensemble de la proposition de loi.
Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Toutefois, et vous le comprendrez, à titre personnel, je suis d’un avis totalement opposé, puisque les auteurs de cet amendement souhaitent la suppression de l’article 1er, c'est-à-dire du cœur même de la proposition de loi.
J’aimerais formuler quelques remarques.
Tout d’abord, et à l’instar de Mme la présidente de la commission de la culture, je salue la forte participation de nos collègues à ce débat. À ma connaissance, c’est la première fois qu’une proposition de loi examinée dans le cadre d’un ordre du jour réservé suscite autant de prises de parole. Je me souviens de l’époque un peu lointaine où il nous arrivait de discuter du budget de l’éducation nationale le dimanche après-midi avec quatre sénateurs présents dans l’hémicycle !
Mme Françoise Cartron. Ça, c’était avant ! Le changement, c’est maintenant ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Je me félicite que les problèmes d’éducation passionnent, et ce débat a été passionné. D’ailleurs, c’est normal. L’éducation est, à mon sens, le premier investissement que la nation doit réaliser pour nos jeunes ; je pense que nous en sommes tous d'accord. Comme M. le ministre l’a rappelé, c’est la condition de la cohésion sociale.
Pour moi, l’école n’est ni de droite ni de gauche ; elle appartient à la nation entière !
Évitons les faux procès et les caricatures ! Il n’y a pas les « bons maires de gauche » et les « mauvais maires de droite », ou inversement. Nous le voyons bien, le problème dépasse les clivages partisans.
Voilà quelques heures, le Président de la République, s’exprimant devant les bureaux des assemblées, a adressé une « supplique » aux parlementaires. Pour ma part, je me contenterai de formuler une demande, monsieur le ministre.
Certes, il y a un consensus pour constater que les rythmes scolaires ne sont pas suffisamment adaptés et pour rappeler que la réforme doit être guidée par les rythmes chronobiologiques des enfants et des enseignants. Mais il faut également tenir compte du rythme des familles, du rythme des territoires, du rythme économique…
Au demeurant, les maires l’ont bien compris. Je n’ai entendu aucun d’eux m’indiquer qu’il ne voulait pas appliquer la réforme. Simplement, ils n’en ont pas les moyens.
D’abord, il y a un frein financier. Cela a été souligné, et pas seulement sur les travées de la droite de l’hémicycle.
Surtout, il y a un frein administratif qui est dû à l’éducation nationale, voire à certaines collectivités locales. À cet égard, j’aimerais vous soumettre une proposition, monsieur le ministre : faisons en sorte que le mercredi et le samedi soient placés sur un pied d’égalité et que le samedi ne soit plus dérogatoire.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Car il s’agit bien d’un frein administratif : personne n’a envie de se compliquer la tâche. Vous pourriez indiquer très rapidement, sans doute par voie de circulaire, que le mercredi et le samedi sont sur un pied d’égalité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendlé. Effectivement, ce serait bien, monsieur le ministre !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Vincent Peillon, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 2.
En outre, je souhaite répondre à M. le rapporteur.
Dans le cadre de la concertation, j’avais bien proposé de placer le mercredi et le samedi sur le même plan. Mais l’Association des maires de France, l’Association des maires ruraux de France et l’Assemblée des départements de France m’ont demandé qu’il y ait un déséquilibre entre les deux pour éviter les pressions des familles sur les élus. En fait, le déséquilibre est l’un des résultats de la très longue concertation que nous avons menée avec ceux que vous représentez ici. Confrontés à une demande sociale, les élus locaux avaient besoin d’une sorte de protection.
Cela étant, le cas de figure s’est posé tout au long de la concertation. C’est tout le problème de l’intérêt général. Nous devons concilier des intérêts qui, David Assouline l’a bien rappelé, ne sont par nature pas nécessairement convergents. Les intérêts divergent entre les différents parents, les collectivités locales, voire les professeurs eux-mêmes…
Nous sommes donc obligés de faire un choix. Mais, au lieu de prendre le parti des uns au détriment des autres, nous avons décidé d’avancer dans l’intérêt de l’enfant, en demandant à chacun de cheminer un peu. Voilà pourquoi nous allons réussir.
Depuis dix ans, le blocage était dû à notre propre incapacité d’opérer une telle démarche. D’ailleurs, et c’est l’un des aspects les plus curieux de la vie politique française, c’est précisément parce qu’il y a eu des concertations très longues, comme celle que nous avons évoquée, que nous rencontrons certaines difficultés. Nous en avons eu une illustration voilà quelques instants lorsqu’un orateur a évoqué la volonté d’entendre tous les acteurs et d’essayer au maximum de tous les satisfaire…
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de votre interpellation, qui, à défaut d’être une supplique, nous aura au moins permis de faire œuvre de pédagogie, exercice que nous apprécions particulièrement tous deux ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 177 |
Contre | 167 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
Article 2
Les modalités d’application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d’État.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Magner, Mmes Cartron, Blondin, D. Gillot et D. Michel, MM. Assouline, Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La commission et moi-même à titre personnel émettons le même avis que sur l’amendement n° 2.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3
Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Magner, Mmes Cartron, Blondin, D. Gillot et D. Michel, MM. Assouline, Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Cet amendement est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Même avis que sur les amendements précédents, tant au nom de la commission qu’à titre personnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, par cohérence avec la suppression des deux premiers articles, cet amendement devrait être adopté, puisqu’il vise à supprimer l’article qui prévoit le gage financier des articles 1er et 2.
Si l’article 3 est supprimé, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les trois articles qui la composent auront été supprimés. Il n’y aura donc pas d’explication de vote sur l’ensemble du texte.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 est supprimé et la proposition de loi est rejetée.
8
Modification de l'ordre du jour
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu de l’heure tardive, je demande, au nom du groupe UMP, le retrait de l’ordre du jour de la suite de la discussion de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage ; nous inscrirons cette proposition de loi à l’ordre du jour de la prochaine niche parlementaire qui nous sera réservée.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour est ainsi modifié.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 22 janvier 2014 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (n° 207, 2013-2014).
2. Proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement (n° 708, 2012-2013) ;
Rapport de Mme Laurence Cohen, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 277, 2013-2014) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 278, 2013-2014).
3. Proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports (n° 59, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Évelyne Didier, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire (n° 275, 2013-2014) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 276, 2013-2014).
À dix-huit heures trente et le soir :
4. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat (n° 255, 2013-2014) ;
Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 290, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 291, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 22 janvier 2014, à zéro heure cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART