Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du caractère consensuel de la proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, nous devrions achever son examen ce soir. En effet, cette proposition de loi a été largement approuvée par le Sénat, le 26 janvier dernier. À la quasi-unanimité, les députés l’ont adoptée à leur tour, le mois dernier. Je rappellerai aussi que l’Assemblée des Français de l’étranger avait admis le principe du report d’un an du renouvellement de ses membres.

Comme l’a indiqué M. le rapporteur, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale s’est simplement enrichi d’une modification de coordination. Celle-ci consiste, vous le savez, mes chers collègues, à proroger d’un an le mandat des personnalités qualifiées désignées par le ministre des affaires étrangères. Il était en effet logique de rétablir la concomitance du renouvellement du mandat de ces personnalités et de celui des conseillers élus.

La commission des lois ayant entériné cette nouvelle rédaction qui ne modifie pas, quant au fond, la proposition de loi, le groupe RDSE la votera tout à l’heure, comme il l’a fait en première lecture.

En effet, nous souscrivons à l’objectif visé par l’auteur de ce texte. Cela a été dit, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a prévu que les quelque 2,3 millions de Français vivant à l’étranger disposeront désormais d’une représentation spécifique à l’Assemblée nationale, à l’instar de celle qui existe depuis 1946 au Sénat – à cette date, il s’agissait plus exactement du Conseil de la République. L’élection de onze nouveaux députés est une bonne chose, car nos compatriotes sont chaque année toujours plus nombreux à partir vivre à l’étranger. Leurs intérêts seront ainsi mieux défendus, même si bien sûr, rappelons-le, le mandat parlementaire n’est pas impératif : nos collègues députés et sénateurs représentant les Français de l’étranger ont vocation à représenter la nation tout entière.

Comme vous le savez, mes chers collègues, cette innovation a pour conséquence de surcharger le calendrier électoral. L’année prochaine, les Français résidant à l’étranger devront se rendre aux urnes pour l’élection présidentielle et les élections législatives, mais aussi pour renouveler les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger élus dans les circonscriptions d’Europe, d’Asie et Levant, soit la série B.

Notre collègue Robert del Picchia, auteur de la proposition de loi, a très justement soulevé, dans son exposé des motifs, les difficultés que pourrait engendrer cette concomitance.

D’une part, l’administration consulaire serait dans l’incapacité d’organiser de façon satisfaisante cinq tours de scrutins en l’espace de quelques semaines. Si les agents des postes consulaires et diplomatiques ont pu assurer simultanément deux scrutins en 1994, il n’est pas certain que cela pourrait être le cas aujourd’hui, notamment en raison des restrictions budgétaires qui affectent, depuis, les services publics de l’action extérieure de la France.

D’autre part, il serait juridiquement périlleux de maintenir le calendrier électoral en l’état, en raison de la diversité des règles relatives aux campagnes électorales. Les candidats briguant à la fois un mandat à l’Assemblée des Français de l’étranger et à l’Assemblée nationale pourraient puiser dans le régime propre à chacun des deux scrutins la règle la plus avantageuse, s’agissant en particulier de la propagande et du financement de la campagne.

C’est aussi la question de l’abstention qui a motivé le report du renouvellement des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger. Je partage cette préoccupation. On constate malheureusement que le taux de participation à l’élection des conseillers de cette assemblée est particulièrement faible (M. le ministre opine.) puisqu’il est en moyenne de 20 % depuis les années quatre-vingt-dix. Je crois qu’il serait plus sage de ne pas multiplier les scrutins pour ne pas décourager les votants, mais je pense aussi qu’il faudrait communiquer davantage pour que l’intérêt de l’AFE soit mieux perçu par les Français résidant à l’étranger.

En attendant, et afin de surmonter tous ces risques, nous pouvons sans crainte proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger puisqu’il existe des précédents. À neuf reprises, le législateur a prolongé la durée de mandats électifs, sans pour autant déclencher les foudres des Sages.

Pour cela, il suffit de respecter les quelques principes qui se dégagent, sur le sujet, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Notre collègue Jean-Jacques Hyest les a soulignés dans son rapport : l’augmentation de la durée du mandat ne doit pas être « manifestement inappropriée » à l’objectif désiré, elle doit être justifiée par un motif d’intérêt général et ne doit pas porter atteinte au droit des électeurs d’exercer leur droit de suffrage selon une « périodicité raisonnable ».

Ces conditions étant remplies, mes chers collègues, rien ne s’oppose à l’adoption de cette proposition de loi. Soucieux de contribuer à la clarification de l’échéancier électoral, le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons, en deuxième lecture, une proposition de loi dont je suis l’auteur et dont je ne pensais pas, en la défendant une première fois devant vous, qu’elle mobiliserait une nouvelle fois votre temps. Je n’y suis pour rien mais, l’Assemblée nationale l’ayant modifiée, nous devons de nouveau l’examiner. (Sourires.)

Je remercie donc le groupe UMP d’avoir bien voulu trouver une place dans l’ordre du jour afin de nous permettre de voter définitivement ce texte simple, évident et néanmoins important, comme l’ont montré le ministre, le rapporteur et les orateurs qui sont intervenus jusqu’à présent.

Je ne m’attarderai pas à évoquer une nouvelle fois la nécessité d’éviter, en 2012, un « bug électoral » en déplaçant les élections locales des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Les députés ont été d’accord avec nous puisqu’ils ont adopté la prorogation de ces mandats d’une année ; nous pouvons nous en féliciter. Toutefois, mes chers collègues, je ne puis m’empêcher de regretter cette deuxième lecture, car elle ne me semblait pas indispensable.

Il a été reproché à notre texte de ne pas prendre en considération le renouvellement partiel des personnalités qualifiées membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, assemblée d’élus au suffrage universel direct. Il est d'ailleurs permis de s’interroger sur la présence de personnalités qualifiées désignées au sein d’une assemblée élue au suffrage universel direct, introduite par la loi du 7 juin 1982 relative à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Le quatrième alinéa de l’article 1er de la loi précitée prévoit cependant que la désignation de ces personnalités, qui intervient normalement tous les trois ans, est faite par le ministre des affaires étrangères « lors de chaque renouvellement de l’Assemblée des Français de l’étranger ».

Dès lors que le renouvellement de l’Assemblée des Français de l’étranger, qui intervient également partiellement tous les trois ans, était reporté, la désignation de ces personnalités l’était de facto aussi. Selon nous, il n’y avait donc pas de problème.

Toutefois, les députés ont voulu le préciser. Pourquoi pas ? Cette situation plaide justement en faveur de l’existence de députés représentant les Français de l’étranger. En effet, s’il y avait eu de tels députés, ils auraient pu, grâce à une parfaite connaissance de la loi de 1982, alerter leurs collègues et leur dire qu’il n’était pas utile de modifier le texte. Un lobby quelconque demandant que cette précision figure dans le texte est vraisemblablement à l’origine de cette deuxième lecture. Quoi qu’il en soit, nous respectons l’Assemblée nationale dans cette maison et nous adopterons cette modification.

Le plus important, c’est le vote conforme de ce texte de bon sens, comme l’ont souligné l’ensemble des intervenants. Sans plus attendre, mes chers collègues, je vous remercie de nous aider dans notre tâche en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.

M. Louis Duvernois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est de bon ton, dans les milieux politiques et administratifs, de souligner, au gré des circonstances, l’apport indéniable à la vie nationale française des communautés françaises établies hors de France.

Ces déclarations ne sont certes pas toujours suivies d’effets, car elles obéissent souvent à des formules convenues, déconnectées du ressenti spécifique des quelque 2,3 millions de Français de l’étranger installés sur les cinq continents, une population équivalant à celle des Bouches-du-Rhône ou des départements d’outre-mer.

La proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture, initiée par notre collègue Robert del Picchia, soutenue à l’unanimité par les sénatrices et les sénateurs représentant les Français établis hors de France, est aussi l’occasion de rappeler dans cet hémicycle l’importance croissante d’une présence française à l’étranger dans un contexte de mondialisation.

Cette proposition de loi sénatoriale a été conçue afin de résoudre les difficultés d’un calendrier électoral chargé en 2012. Elle tend à reporter, de juin 2012 à juin 2013, le renouvellement des conseillers de la zone B – Europe, Asie et Levant – élus en janvier 2006. Cela n’aura par ailleurs aucune conséquence – il est utile de le rappeler – sur le renouvellement sénatorial qui aura lieu en 2014. En vue de préserver le renouvellement triennal des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, collège électoral pour l’élection des sénateurs établis hors de France, le mandat des conseillers de la zone A – Amérique et Afrique – serait également prorogé d’un an.

Tel est donc l’esprit et la finalité de cette proposition de loi qui, d’une manière concrète, permettra d’éviter ce que l’on pourrait appeler un « bug électoral » en 2012, en raison d’un trop grand nombre de scrutins, tenus précisément entre le 22 avril et le 17 juin, élection présidentielle tout d’abord suivie des élections législatives qui verront l’arrivée, pour la première fois, de onze nouveaux députés des Français établis hors de France.

Le paysage électoral sera le suivant : deux élections nationales à deux tours, hors du territoire national, au suffrage universel direct, dont l’organisation administrative est pilotée par la direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères et européennes.

L’organisation dans nos postes diplomatiques et consulaires du renouvellement partiel des conseillers à l’AFE élus pour six ans relève déjà d’une ingénierie administrative lourde et coûteuse pour la puissance publique. Il est aisé d’imaginer les difficultés suscitées par l’ouverture de 734 bureaux de vote décentralisés et sécurisés dans des circonscriptions électorales couvrant souvent plusieurs pays.

En 2012, après la réforme constitutionnelle de 2008, l’importance ainsi reconnue des communautés françaises expatriées et l’établissement d’une représentation démocratique dans les deux assemblées parlementaires alourdissent cependant le calendrier du renouvellement électoral des conseillers à l’AFE de la zone B, par l’ajout d’un cinquième scrutin en juin 2012.

Nous devons comprendre que nos compatriotes à l’étranger ne vivent pas dans un contexte géographique comparable à celui que l’on connaît en France pour l’organisation et la tenue de bureaux de vote. Si nous voulons, et c’est un objectif partagé, que les Français de l’étranger, Français à part entière, puissent se prévaloir, et dans les meilleures conditions, de leurs droits citoyens, nous ne pouvons leur imposer cinq scrutins consécutifs en moins de deux mois.

Les frais importants générés par les distances parfois énormes entre le lieu de résidence et le bureau de vote, à la charge de l’électeur, en dépit du maintien du vote par correspondance et de l’ajout du vote par Internet – une première en l’occurrence pour l’élection de députés –, nous conduisent à proposer de reporter d’un an, c’est-à-dire en 2013, le renouvellement triennal prévu en 2012 à l’AFE.

L’élection de onze nouveaux députés des Français de l’étranger, aux côtés désormais de douze sénateurs des Français établis hors de France, est une perspective que la représentation nationale au Sénat doit d’ores et déjà intégrer dans sa réflexion, eu égard aux projets et propositions de loi que nous serons appelés à examiner et à adopter, en particulier concernant les Français de l’étranger.

L’occasion est propice pour dire et même redire dans cet hémicycle qu’un grand pays comme le nôtre doit saisir l’apport pour le Parlement de la participation démocratique d’une composante de la nation établie hors du territoire national, fidèle à son origine et qui contribue largement à l’essor multiforme de notre pays.

Ce sera en outre l’occasion à terme et pour certains de constater que les Français de l’étranger ne sont, pour l’immense majorité d’entre eux, ni des exilés fiscaux, ni, parfois, des doubles nationaux profiteurs. Ce sont, comme je l’ai dernièrement écrit dans le magazine des anciens élèves de l’École nationale d’administration, des acteurs de proximité, de développement et d’influence, toutes qualités au service de la France.

Les Français de l’étranger, parce que leur nombre augmente régulièrement, parce qu’ils sont confrontés durablement au devoir d’initiative, à l’exigence de créativité, à la nécessité du plurilinguisme, à la concurrence, sont déjà au cœur de la globalisation des échanges.

Cette proposition de loi, mes chers collègues, nous devons la voter car elle nous permettra, dans ce contexte, de créer les conditions d’une meilleure participation électorale à l’étranger en confortant la représentation des communautés françaises expatriées auprès des institutions de la République. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Sur ces articles, je ne suis saisie d’aucun amendement ni d’aucune demande de parole.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger
Article 2 (début)

Article 1er

(Non modifié)

Le renouvellement de la série B (Europe, Asie et Levant) des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger prévu en juin 2012 se déroulera en juin 2013.

Les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger nommés en application du dernier alinéa de l’article 1er de la loi n° 82–471 du 7 juin 1982 relative à l’Assemblée des Français de l’étranger dont le renouvellement est prévu en juin 2012 seront renouvelés en juin 2013.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(L’article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger
Article 2 (fin)

Article 2

(Non modifié)

Le renouvellement de la série A (Afrique, Amérique) des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger prévu en juin 2015 se déroulera en juin 2016.

Les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger nommés en application du dernier alinéa de l’article 1er de la loi n° 82–471 du 7 juin 1982 précitée dont le renouvellement est prévu en juin 2015 seront renouvelés en juin 2016.  – (Adopté.)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Antoine Lefèvre applaudissent également.)

Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger
 

8

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection de l'identité
Discussion générale (suite)

Protection de l’identité

Discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi relative à la protection de l’identité, présentée par MM. Jean-René Lecerf et Michel Houel (proposition n° 682 [2009-2010], texte de la commission n° 433, rapport n° 432).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la protection de l'identité
Article 1er

M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi relative à la protection de l’identité, que je présente avec mon collègue Michel Houel, fait suite aux travaux menés au nom de la commission des lois en 2005 par la mission d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, mission que présidait notre collègue Charles Guené et dont j’étais le rapporteur.

Six ans plus tard, force est de constater que le temps s’est en quelque sorte arrêté et que les multiples réflexions engagées par les gouvernements successifs en vue de la mise en place d’une carte d’identité biométrique n’ont jamais abouti au dépôt d’un projet de loi devant le Parlement.

Pourtant, dès 2001, avec le projet de création d’un « titre fondateur d’identité », puis, dès 2003, avec le projet INES, pour Identité nationale électronique sécurisée, semblait se dégager un vaste consensus pour tirer parti des possibilités de haute sécurisation de l’identité ouvertes par la biométrie et la constitution d’un fichier central d’identité, et facilitées par l’excellence dans ce domaine de la technologie et des entreprises françaises.

J’ai souvenir que Charles Guené et moi-même avions quelque peu précipité la publication du rapport de la mission d’information, de peur d’être devancés par le dépôt, que l’on annonçait imminent, d’un projet de loi en la matière.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi. Une consultation publique organisée par le Forum des droits sur l’internet avait d’ailleurs montré la large confiance de l’opinion dans ces avancées technologiques, même si les préoccupations de respect des libertés s’étaient également exprimées chez les initiés. Selon un sondage réalisé par l’institut IPSOS en mai 2005, les personnes interrogées s’étaient déclarées favorables à 74 % à la création d’une carte nationale d’identité électronique comportant des données personnelles numérisées, telles que les empreintes digitales, la photographie ou l’iris de l’œil, et à 75 % à la constitution d’un fichier informatique national des empreintes digitales, tandis qu’elles étaient 69 % à estimer que la future carte nationale d’identité électronique devrait être obligatoire pour garantir une réelle diminution des fraudes.

Depuis, nous avons assisté à la création du passeport biométrique, destinée à répondre aux engagements européens de la France et aux exigences des États-Unis. Mais, sur la carte d’identité, nous avons été rattrapés, puis distancés par de nombreux États, dont nombre de nos voisins et amis, au risque de remettre en cause le leadership de notre industrie, qui découvrait alors la pertinence du proverbe selon lequel nul n’est prophète en son pays.

Il est également à noter que, si le Sénat et le Parlement sont aujourd’hui saisis de ce dossier, c’est dans le cadre d’une proposition de loi et d’une niche parlementaire, et dans des contraintes de temps particulièrement sévères, ce qui a d’ailleurs amené le report de la discussion – ultime incident ! – du 27 avril à aujourd’hui.

Pourtant, l’usurpation d’identité se développe de manière particulièrement inquiétante. Je ne reviendrai pas sur les controverses relatives à l’ampleur de la fraude, notre excellent rapporteur François Pillet ayant réalisé le point le plus précis possible sur cette question en l’état de nos connaissances statistiques. Sans doute le nombre de 200 000 victimes par an issu d’une étude de juin 2009 du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, nombre que j’ai repris dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, se révèle-t-il exagéré et en tout cas peu fiable. Mais force est de reconnaître l’extrême facilité de cette usurpation d’identité : selon la même étude, on trouverait dans une poubelle sur dix des ménages français toutes les informations nécessaires à la réalisation de cette infraction aussi rentable pour ses instigateurs que traumatisante pour ses victimes ; cela ne laisse donc aucune illusion sur son développement exponentiel dans les années à venir si nous ne nous préoccupons pas, enfin, de lutter efficacement contre de telles dérives.

J’ajoute que l’unanimité se reconstitue immédiatement lorsqu’on évoque les conséquences de cette forme redoutable de délinquance pour les victimes.

S’il ne s’agissait que de créer une fausse identité et d’inventer un nom imaginaire, c’est la collectivité publique prise dans son ensemble qui en paierait le coût. Mais s’il s’agit de voler l’identité de monsieur X ou de madame Y, c’est dans un véritable enfer que sont précipités les concitoyens concernés.

La victime peut se voir opposer un refus de délivrance de tout titre d’identité ou de voyage, subir d’énormes préjudices financiers en raison, par exemple, de multiples emprunts contractés en son nom, découvrir, alors qu’elle souhaite se marier, que c’est impossible parce qu’elle l’est déjà, être poursuivie, voire condamnée, pour des infractions commises par l’usurpateur, perdre son emploi pour une inscription indue au casier judiciaire, et ainsi de suite.

Le vol de sa personnalité, de soi-même, est, à mon sens, le pire vol dont on puisse être victime, avec l’extrême difficulté de prouver sa bonne foi aux autorités comme aux huissiers.

Les conséquences de cette usurpation d’identité sont dramatiques pour les victimes, dont certaines ne voient que dans le suicide le moyen d’échapper à cet univers kafkaïen. Elles peuvent aussi être redoutables pour la sécurité de chacun d’entre nous, quand on sait que des identités usurpées ont permis à leurs nouveaux titulaires de franchir tous les barrages censés permettre de contrôler la totale fiabilité de ceux qui travaillent, par exemple, à proximité immédiate des avions.

Équiper la carte nationale d’identité de puces électroniques sécurisées qui contiendront des données biométriques numérisées permettra de s’assurer sans doute possible de l’identité de la personne et de l’unicité de cette identité. Les impératifs de liberté et de sécurité me paraissent se rejoindre dans cette initiative, en même temps que s’ouvrent bien d’autres possibilités de nature à faciliter la solution d’un certain nombre de problèmes liés à la vie quotidienne ou à des événements exceptionnels. Je fais ici allusion à la possibilité d’identifier des personnes désorientées, des enfants fugueurs ou perdus, des personnes décédées dans une catastrophe accidentelle ou naturelle. Sans doute convient-il aussi de s’interroger sur l’utilisation qui pourrait être faite des potentialités de ces innovations dans le cadre d’enquêtes judiciaires.

Mais nous touchons ici, mes chers collègues, la question la plus sensible, celle de la mise en place d’une base centrale des titres d’identité et des finalités assignées à ce fichier. Faut-il aller jusqu’à permettre d’obtenir une identité à partir d’une empreinte grâce à un fichier général ? Comment assurer, dans ce cas, la conciliation nécessaire entre la sécurité et les libertés ? Peut-on se satisfaire des garanties juridiques qu’offrent le respect de la loi Informatique et libertés, l’autorisation d’accès au fichier délivrée par un magistrat, la traçabilité intégrale de tous les accès, la sanction à l’égard de ceux qui auraient excédé leurs pouvoirs ? Ou convient-il, en outre, de multiplier les garanties techniques, comme celle qu’apporte le système à liens faibles ?

L’on voit bien que tout ce que l’on gagnera d’un côté sera perdu de l’autre, en fonction du positionnement du curseur. C’est en tout cas de la seule compétence du législateur de clarifier à la fois les usages que celui-ci souhaite donner à cette nouvelle génération de carte nationale d’identité et les garanties tant techniques que juridiques dont il veut s’entourer. Le bilan coût-avantages, la proportionnalité des usages nécessaires ou simplement utiles au regard des risques d’atteinte aux libertés ou à la vie privée exigent que nous formulions dans la plus grande transparence nos attentes comme nos objectifs.

Cette proposition de loi vient également rappeler que la protection, je dirais même la sanctuarisation de l’identité, doit demeurer une compétence à part entière de l’État et qu’il est pour cela nécessaire que les documents d’identité que ce dernier délivre engendrent la confiance la plus totale et permettent de démasquer les fraudeurs.

En outre, la proposition de loi prévoit, si son titulaire le souhaite, de doter la carte d’un second composant électronique propre à lui permettre de s’identifier à distance sur les réseaux de communications électroniques et à mettre en œuvre sa signature électronique.

Ainsi que Michel Houel et moi-même le rappelons dans l’exposé des motifs, dans le monde virtuel d’Internet, on évaluait en 2009 en France à 400 000 le nombre de cette autre forme d’usurpation d’identité.

Enfin, la proposition de loi se préoccupe de la sécurisation de la procédure de délivrance des titres d’identité et de voyage, apportant ainsi une réponse au développement des fraudes aux documents d’état civil. Une telle évolution se révèle indispensable, même si l’identité biométrique, en interdisant les identités multiples, devrait permettre de confondre, mais à terme, cette catégorie de fraudeurs.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2005, je notais en conclusion du rapport de la mission d’information présidée par Charles Guené les deux réflexions qui avaient guidé notre travail. Je vous les livre de nouveau aujourd'hui : « D’une part, la sécurisation de l’identité n’est pas antinomique de la sauvegarde des libertés. Protéger l’identité d’un individu, c’est protéger les droits attachés à sa personne, que ce soit le droit de propriété ou la liberté d’aller et venir. Protéger l’identité, c’est aussi sécuriser les relations contractuelles. Si le système d’identité est altéré, les conditions de la confiance ne sont plus réunies de la même façon que la fausse monnaie porte atteinte à la confiance dans le système monétaire.

« D’autre part, il faut se garder de sacrifier la liberté au nom de la sécurité et rester conscient qu’un système parfait n’existe pas. L’objectif raisonnable que les autorités publiques doivent se fixer est de contenir la fraude dans ses proportions acceptables en évitant les solutions excessives qui pourraient conduire à transformer un système d’identité en un système de contrôle et de police. » De là à invoquer, comme certains interlocuteurs de la mission, hier, ou certains interlocuteurs du rapporteur de cette proposition de loi, aujourd'hui, au nom de la période de l’Occupation, un droit à la dissimulation d’identité, il y a un pas qui reste difficilement franchissable.

Je précisais à l’époque : « Les progrès technologiques ne doivent pas être redoutés mais utilisés afin que le renforcement de la sécurité et la protection des libertés se soutiennent mutuellement. »

En 2005, nous avions choisi d’intituler le rapport de la mission d’information Identité intelligente et respect des libertés. C’est à cette nécessaire et féconde complémentarité qu’il nous faut désormais continuer à travailler ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Virginie Klès et M. Bernard Frimat applaudissent également.)