C. UNE GRANDE DIVERSITÉ DES SITUATIONS LOCALES
Les similitudes des difficultés économiques et sociales qui viennent d'être constatées ne doivent cependant pas masquer la grande diversité des situations locales de chacun des départements d'outre-mer, qui s'explique largement par des réalités géographiques et des héritages historiques différents. En effet, la situation de la Guyane au coeur du continent sud-américain se distingue profondément de celle de la Martinique et de la Guadeloupe au sein de l'archipel Caraïbe, ou encore de celle de la Réunion au milieu de l'Océan Indien.
1. La singularité et la diversité guyanaises au coeur de l'Amérique du Sud
a) Des caractéristiques géographiques sans équivalent dans la République
A la
différence des autres départements d'outre-mer, la Guyane
française n'est pas une île mais se situe au sein du
continent
sud-américain
, entre le Surinam à l'ouest et le Brésil
à l'est et au sud.
Il s'agit, et de loin, du plus vaste département français, avec
un
territoire immense de 90.000 km2 environ
(soit une superficie
équivalente à celle du Portugal)
presqu'entièrement
couvert par la forêt équatoriale
.
Cette étendue n'est cependant que
faiblement peuplée
. La
population, qui s'élève à quelque
160.000 habitants
, est essentiellement concentrée sur
" l'île " de Cayenne (100.000 habitants environ) et sur la
bande côtière (50.000 habitants environ), l'intérieur
du pays, quasiment inhabité, ne rassemblant que quelques milliers de
personnes.
La démographie est cependant particulièrement dynamique, ainsi
que souligné précédemment. L'
accroissement
démographique
constaté en Guyane est le plus
rapide
parmi les départements d'outre-mer ; le rythme actuel correspond
à un doublement de la population en 15 ans.
Au sein de cet immense territoire, les voies de communication
intérieures sont peu nombreuses, à tel point que l'on peut parler
d'"
absence de continuité territoriale
", comme l'a
souligné M. Jean-Claude Lafontaine, maire de Cayenne.
Il n'existe actuellement qu'une
seule route
: la route littorale
reliant Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni (à la frontière
avec le Surinam). L'autre portion de cette route littorale, de Cayenne à
Saint-Georges-de-l'Oyapock (à la frontière brésilienne),
est toutefois aujourd'hui en voie d'achèvement.
En l'absence de routes ou de voies ferrées, les
fleuves
(c'est-à-dire pour l'essentiel le Maroni à l'ouest et l'Oyapock
à l'est) constituent la
seule voie de pénétration dans
l'intérieur
. Les communes de l'intérieur se trouvent de ce
fait particulièrement isolées. Hormis l'avion, la pirogue y est
le plus souvent le seul moyen de transport disponible, à la fois lent et
coûteux ; elle doit notamment être utilisée pour
assurer les transports scolaires
16(
*
)
.
Le territoire guyanais, où les Français s'installèrent
dès le XVIIème siècle, abrite des
populations
d'origines diverses
; selon l'expression de
M. André Lecante, président du conseil
général, la Guyane représente une "
mosaïque
éclatée de populations dans l'espace
". Plusieurs
peuples cohabitent en effet sur ce territoire : les guyanais
créoles, les noirs-marrons (descendants des anciens esclaves rebelles),
en particulier les Bonis, ainsi que différentes ethnies
amérindiennes
17(
*
)
... La
présence d'une communauté asiatique, formée de
réfugiés arrivés en Guyane en 1977 (les Hmongs
18(
*
)
), doit également être
mentionnée. Ces populations ne sont pas toujours francophones et parlent
différentes langues (notamment le taki-taki).
Il est à noter que plusieurs milliers d'habitants de la Guyane vivant le
long des fleuves se trouvent aujourd'hui dépourvus d'
état
civil
, ce qui pose de nombreux problèmes tant en termes de
contrôle des flux migratoires que pour les intéressés
eux-mêmes lorsqu'ils souhaitent circuler en Guyane ou, par exemple,
poursuivre des études au lycée ou à l'université.
Pour remédier à cette situation, l'ordonnance n° 98-580
du 8 juillet 1998 a allongé à trente jours le délai de
déclaration des nouveaux-nés à l'état civil dans
les communes de l'intérieur de la Guyane.
D'autre part, un recensement administratif des populations dépourvues
d'état civil le long du Maroni a été mis en oeuvre afin
d'engager des procédures judiciaires de demande de jugement
déclaratif d'état civil devant le tribunal de grande instance de
Cayenne. Selon les déclarations de Mme Kayanakis, procureur de la
République de Cayenne, lors du passage de la mission sénatoriale,
plus de 2.000 demandes ont été enregistrées, donnant
lieu à un millier d'avis favorables après enquête
administrative ; 600 jugements déclaratifs avaient d'ores et
déjà été rendus en septembre 1999.
En outre, un projet de création d'un titre de circulation
transfrontalière permettant de circuler de part et d'autre du Maroni,
sans avoir nécessairement la qualité de Français, est
à l'étude.
Une autre particularité guyanaise mérite par ailleurs
d'être soulignée ; il s'agit du
statut foncier
. En
effet, 90 % des terres appartiennent aujourd'hui à l'Etat et font
partie de son domaine privé. L'ordonnance n° 98-777 du
2 septembre 1998 a récemment étendu les
modalités de cession à titre gratuit de parcelles de ce domaine
privé ; par ailleurs, un établissement public foncier est en
cours de mise en place (établissement public d'aménagement de la
Guyane, EPAG).
Le président de l'Association des maires de Guyane, M. Jean-Pierre
Roumillac, maire de Matoury, a fait part à la mission du souhait des
communes de se voir attribuer les terres correspondant à leurs limites
territoriales afin de constituer des réserves foncières.
Toutefois, M. Léon Bertrand, député-maire de
Saint-Laurent-du-Maroni, s'est pour sa part déclaré opposé
à cette proposition.
b) Une économie marquée par la prédominance de l'activité spatiale
L'économie guyanaise repose aujourd'hui largement sur
l'activité du
Centre spatial guyanais
(CSG)
de Kourou
, que
la mission a tenu à visiter au cours de son déplacement en
Guyane. Avec 2,5 milliards de francs de valeur ajoutée annuelle,
l'industrie spatiale représente en effet 30 % du PIB de la Guyane
et génère un tiers des emplois (emplois directs, emplois
indirects et emplois induits)
19(
*
)
.
Décidée en 1964, l'implantation d'une base spatiale à
Kourou a profité d'un site qui en raison d'une position
géographique favorable, proche de l'Equateur, est plus performant que
les principaux sites concurrents (les performances techniques des sites de Cap
Kennedy et de Baïkonour sont inférieures de respectivement
18 % et 35 % à celles de Kourou). Son développement a
permis à la France et à l'Europe de parvenir à l'autonomie
en matière spatiale.
La société Arianespace, qui assure l'exploitation commerciale du
lanceur européen Ariane, détient aujourd'hui 60 % du
marché mondial de lancement de satellites sur lequel elle se trouve en
position de leader, avec 13 lancements par an. Au total, elle a
procédé au lancement de 103 satellites de
télécommunications sur 197 satellites lancés depuis
l'origine. L'évolution technique du lanceur a permis de relever les
défis technologiques imposés par les exigences du marché,
en emmenant des satellites de plus en plus lourds (de 1,8 tonne pour
Ariane 1, à 5 tonnes pour Ariane 4, puis 8 tonnes pour
Ariane 5 désormais opérationnel ; d'ici 2005, le
lancement d'un satellite de 12 tonnes pourrait être envisagé.
Le carnet de commandes correspond aujourd'hui à trois années
d'activité.
Grâce au développement de l'activité spatiale, la
population de la commune de Kourou est passée de 450 habitants il y
a 20 ans à 20.000 aujourd'hui.
Cependant, cette belle réussite industrielle ne doit pas cacher la
nécessité d'une diversification de l'économie
guyanaise
. Les autres activités industrielles sont en effet peu
développées.
L'
agriculture
est aujourd'hui loin de permettre l'autosuffisance
alimentaire. Les exploitations, situées quasi-exclusivement sur la bande
côtière, sont consacrées essentiellement à la
production de fruits et légumes, à l'élevage bovin
(zébus) et à la culture du riz (autour de Mana). Un projet
sucrier agro-industriel soutenu par la Chambre d'agriculture est actuellement
à l'étude ; demandant un investissement initial de
700 millions de francs, il consisterait à produire du sucre de
canne sur 12.000 ha de savanes côtières entre Sinnamary et
Iracoubo et permettrait de créer 1.500 emplois.
La pêche représente par ailleurs une activité assez
importante (crevette, vivaneau).
L'activité touristique reste faible
(environ
67.000 touristes en 1998, le parc hôtelier s'élevant à
1.400 chambres), en dépit de potentialités qui ont
semblé réelles à la mission.
Les ressources de l'intérieur sont très peu exploitées,
qu'il s'agisse des ressources forestières exploitées seulement
sur la bande littorale ou des ressources minières (exploitation d'or,
essentiellement artisanale). La création d'un vaste parc de la
forêt tropicale est envisagée sur 2 millions d'hectares dans
le sud de la Guyane.
De fait, il existe un très fort contraste entre les zones
urbanisées de Cayenne ou de Kourou et les
communes de
l'intérieur
, ainsi que la mission a pu le constater en se rendant
à
Apatou
en deux heures de pirogue depuis
Saint-Laurent-du-Maroni. A l'exception des 50 employés de la
mairie, des 9 employés du département, des
25 instituteurs, du personnel de santé et des gendarmes, les
3.600 habitants de cette commune pratiquent l'agriculture de subsistance
(fruits et légumes, manioc, arachide, ainsi qu'un peu de
pêche) ; les ressources monétaires proviennent pour
l'essentiel des transferts sociaux. L'alimentation en électricité
est assurée par des groupes électrogènes. Les soins sont
dispensés dans un centre de santé public que la mission a
visité après avoir rencontré enseignants et
élèves de l'école primaire. Comme les autres communes de
l'intérieur, la commune d'Apatou, de création récente
(1976)
20(
*
)
est dépourvue
de toute ressource fiscale propre ; elle éprouve des
difficultés à assurer la scolarisation de tous les enfants, car
elle est confrontée au coût élevé de construction
des salles de classe et des logements pour les instituteurs (180.000 F
pour une salle de classe, 270.000 F pour un logement d'instituteur de 40
m²), en raison de l'application de normes de sécurité
inadaptées qui interdisent l'utilisation de matériaux locaux.
Par ailleurs, la mission a constaté les difficultés
préoccupantes que connaît actuellement la
justice
en
Guyane, en raison d'une grave insuffisance de moyens.
Tout d'abord, l'état déplorable des locaux du Palais de justice
de Cayenne, vétustes, mal entretenus et exigus (des bureaux ont dû
être installés dans un couloir ...) nécessite des
investissements immobiliers urgents. Les magistrats rencontrés sur place
souhaitent la construction d'un nouveau Palais de justice sur le terrain de
l'ancienne maison d'arrêt et la réhabilitation du palais de
justice actuel pour abriter la chambre détachée de la cour
d'appel de Fort-de-France.
D'autre part, les effectifs apparaissent insuffisants tant en ce qui concerne
les magistrats que les fonctionnaires des greffes, dont le niveau de formation
n'est pas satisfaisant selon les chefs de juridiction.
En l'absence de cour d'appel propre à la Guyane, une chambre
détachée de la cour d'appel de Fort-de-France est
installée à Cayenne. Mais, faute d'effectifs suffisants, celle-ci
fonctionne en faisant appel aux effectifs du tribunal de grande instance ;
en particulier, les fonctions du ministère public près la chambre
détachée sont assurées par le procureur de la
République de Cayenne. La création d'un poste de substitut
général et d'un poste de conseiller apparaît donc
indispensable.
Par ailleurs, aucune présence judiciaire n'est actuellement
assurée en dehors de Cayenne, hormis quelques audiences foraines tenues
à Kourou et à Saint-Laurent-du-Maroni où une maison de
justice et du droit est en cours de mise en place. Afin de remédier
à cette situation de " désert judiciaire " et de
pouvoir mettre en oeuvre une justice de proximité, les magistrats
responsables de la Cour d'appel de Fort-de-France souhaitent la création
à Saint-Laurent-du-Maroni d'une chambre détachée du
tribunal de grande instance de Cayenne, avec un poste de magistrat permanent,
la création d'un greffe permanent à Kourou avant la
création d'un tribunal d'instance, ainsi que la création de
structures judiciaires légères à Apatou, Maripasoula,
Régina et Saint-Georges de l'Oyapock pour permettre la tenue d'audiences
foraines. En outre M. Audouard, premier président de la cour
d'appel de Fort-de-France et M. Finielz, procureur général,
ont suggéré que pour une meilleure compréhension du
message judiciaire par la population, les magistrats puissent s'adjoindre des
assesseurs coutumiers issus de la société civile, ou à
tout le moins des conciliateurs de justice ou des délégués
du procureur de la République.
2. La situation insulaire des Antilles françaises au sein de l'archipel caraïbe
La
situation de la Martinique et de la Guadeloupe, où la France est
présente depuis 1635, se distingue profondément de celle de la
Guyane, tant par leur nature insulaire que par leur environnement
géographique commun constitué par les micro-Etats de la
Caraïbe. Le département de la Guadeloupe se caractérise en
outre par une structure archipélagique ; en effet, lui sont
administrativement rattachées les îles proches des Saintes, de la
Désirade et de Marie-Galante -à laquelle la mission a
consacré une journée de visite-, ainsi que les îles plus
éloignées dites du Nord, à savoir Saint-Martin et
Saint-Barthélémy qui présentent chacune de fortes
spécificités et où la mission s'est également
rendue.
A l'inverse de la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe constituent des
îles à la superficie réduite et fortement
peuplées
:
- pour la Martinique, 1 100 km
2
et 381 000 habitants, soit
une densité de 338 habitants/km
2
;
- pour l'archipel de la Guadeloupe, 1 704 km
2
(dont 1
438 km
2
pour Grande-Terre et Basse-Terre) et 422 000 habitants,
soit une densité de 248 habitants/ km
2
.
a) La Martinique
Située au coeur de l'arc antillais dans la mer des
Caraïbes, à égale distance des côtes du Venezuela et
de Haïti, la Martinique est
le plus petit des départements
d'outre-mer
français.
A cet égard, il est frappant de constater que sa superficie est
équivalente à celle sur laquelle s'étend le Centre spatial
guyanais. L'exiguïté de son territoire rend d'ailleurs plus aigus
les problèmes posés par la coexistence des deux
assemblées, départementale et régionale, ainsi que l'ont
souligné de nombreux interlocuteurs rencontrés sur place.
La Martinique constitue cependant le département d'outre-mer dont
le
PIB par habitant
est
le plus élevé
, et le niveau de
vie y est supérieur à celui de tous les Etats de la Caraïbe.
L'économie martiniquaise est basée sur quelques secteurs
d'activité principaux : l'agriculture, le bâtiment et les
travaux publics, et surtout le tourisme.
L'agriculture qui bénéficie, comme dans les autres
départements d'outre-mer, des mécanismes de protection du
marché communautaire, repose sur deux productions essentielles : la
banane et la canne à sucre.
La principale culture est celle de la
banane
, qui représente plus
de la moitié de la production agricole finale, avec 243 000 tonnes
exportées en 1998.
Cependant, ce secteur d'activité est menacé par la concurrence de
la " banane dollar " et est actuellement en crise. Au cours de son
entretien avec la mission, M. Guy Ovide-Etienne, président de la Chambre
d'agriculture, a fait par de ses vives inquiétudes devant
l'éventualité d'une remise en cause de l'organisation
communautaire du marché de la banane.
La culture de la
canne à sucre
, deuxième activité
agricole du département, donne lieu à la production de sucre
(6 500 tonnes en 1998), ainsi que de rhum. Cependant, l'importance de
cette filière tend à décliner.
La culture de l'ananas souffre pour sa part d'une forte concurrence
internationale des pays asiatiques et africains.
Les autres productions agricoles (fruits et légumes, élevage)
sont principalement destinées à la production locale ;
cependant, le niveau d'autosuffisance est loin d'être atteint.
Le
tourisme
constitue par ailleurs une activité fondamentale en
Martinique, qui a reçu en 1998 540.000 touristes dans les
hôtels et 410.000 touristes en croisière. Si le nombre de
touristes de séjour continue de progresser, en revanche, s'agissant du
tourisme de croisière, on constate une certaine désaffection
à l'égard de la Martinique au profit des autres îles des
Caraïbes, se traduisant par une diminution du nombre d'escales de
paquebots.
Comme dans les autres départements d'outre-mer, le bâtiment et les
travaux publics constituent un secteur d'activité assez important, mais
très dépendant des transferts publics : en revanche, les
activités industrielles ne sont que faiblement développées
et les activités artisanales souffrent de la concurrence des îles
voisines, où les coûts de main d'oeuvre sont 5 à 6 fois
inférieurs, ainsi que l'a souligné M. Christian Cayol,
président de la Chambre des métiers, au cours de son entretien
avec la mission.
Au cours des dernières années, en dépit d'une
évolution plutôt satisfaisante du volume d'activité des
entreprises, la situation de l'emploi s'est fortement dégradée en
Martinique où le taux de
chômage
est passé de 26,2 %
en 1994 à 30,3 % en 1998.
b) La Guadeloupe
Située au coeur de l'arc des Petites Antilles, à
120
km au nord de la Martinique, la Guadeloupe, plus vaste, s'en distingue
notamment par sa structure archipélagique. La Guadeloupe dite
continentale, d'une superficie de 1 438 km
2
,
composée des îles de Basse-Terre et de Grande-Terre,
séparées par un étroit canal, est en effet entourée
de plusieurs îles voisines : la Désirade, les Saintes et
Marie-Galante. Lui sont en outre rattachées l'île de
Saint-Barthélémy et la partie française de l'île de
Saint-Martin, dont les fortes spécificités seront
présentées plus loin.
Il en résulte, pour les îles proches ou lointaines
rattachées à la Guadeloupe, des difficultés
particulières liées à leur situation de double
insularité ; à l'éloignement vis à vis de la
métropole s'ajoute en effet l'isolement résultant de
l'éloignement vis à vis de la Guadeloupe continentale, qui
entraîne notamment des coûts de transport élevés.
En ce qui concerne la " Guadeloupe continentale ", il existe un
important contraste entre l'île montagneuse de Basse-Terre dominée
par le volcan de la Soufrière culminant à 1 484 m et
recouverte principalement par la forêt, et l'île de Grande-Terre,
qui constitue un plateau de faible altitude propice à l'élevage
et à l'agriculture.
L'économie de la Guadeloupe, comme celle de la Martinique, repose
largement sur les secteurs de l'agriculture et du tourisme.
En ce qui concerne l'agriculture, la culture de la
banane
y
représente également la première production agricole, avec
plus de 30 % de la production agricole finale, et 79.000 tonnes
exportées en 1998.
La
filière canne-sucre-rhum
a connu un important déclin
depuis les années 1970, la production de canne étant
passée de 1,5 million de tonnes à l'époque à moins
de 435.000 tonnes en 1998 ; cependant, elle représente encore la
deuxième activité agricole du département ;
38.000 tonnes de sucre ont été produites en 1998.
Les autres productions agricoles (fruits et légumes, élevage)
représentent environ la moitié de la production agricole finale.
Au cours des dernières années, le secteur de l'agriculture
guadeloupéenne dans son ensemble a fortement souffert des aléas
climatiques, notamment du fait du passage de plusieurs cyclones.
Lors de leur entretien avec la mission, les responsables de la Chambre
d'agriculture ont fait part de leurs préoccupations devant la diminution
des surfaces cultivées et l'endettement croissant des exploitations
résultant notamment de la crise de la banane ;
26 000 hectares de terres sont actuellement en friche, alors que
moins de 50 000 hectares sont cultivés.
Le
tourisme
représente, en termes de valeur ajoutée, une
activité économique aussi importante que la banane et la canne
à sucre réunies. La Guadeloupe a accueilli
693 000 touristes
21(
*
)
en 1998. Cependant, le secteur souffre de la concurrence des autres îles
des Caraïbes où la main d'oeuvre est moins coûteuse. En
particulier, le nombre d'escales de touristes de croisière a
diminué ces dernières années en raison d'une
dégradation de l'image de marque de la Guadeloupe, liée à
l'insuffisance de l'accueil et des services offerts, et aux problèmes
d'insécurité.
Par ailleurs, le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui emploie
la moitié des artisans, est également actuellement en crise,
ainsi que l'a souligné M. Maurice Songeons, président de la
Chambre des métiers, au cours de son entretien avec la mission.
Au total, la détérioration de l'activité dans les
principaux secteurs de l'économie a entraîné une
dégradation de la situation de l'emploi, le taux de
chômage
étant passé de 23,8 % en 1994 à 28,8 % en 1998.
Elle s'est en outre accompagnée d'une dégradation du climat
social, marqué par la multiplication des grèves et des conflits
sociaux souvent très durs.
L'ensemble des interlocuteurs rencontrés en Guadeloupe se sont
déclarés préoccupés par cette situation. Le
document remis à la mission par Mme Lucette Michaux-Chevry,
sénateur et président du conseil régional de Guadeloupe,
fait ainsi état d'un "
processus de dégradation de plus
en plus profond, cause d'une déstabilisation frappant tous les secteurs
et provoquant un désespoir de la population
".
M. Marcellin Lubeth, président du conseil général, a
pour sa part exprimé ses inquiétudes devant l'accroissement
extrêmement rapide du nombre d'allocataires du RMI, faisant état
de l'apparition de 3 000 nouveaux Rmistes en trois mois seulement.
c) Les fortes spécificités des îles du nord rattachées administrativement à la Guadeloupe
Les
îles de Saint-Martin (partie française) et de
Saint-Barthélémy, qui ont le statut de communes rattachées
au département de la Guadeloupe bien qu'elles en soient
éloignées de 250 km, présentent des
spécificités locales très marquées que votre
commission des Lois avait déjà eu l'occasion de souligner
à la suite du déplacement effectué dans ces îles en
mars 1997 par une délégation composée de MM.
François Blaizot et Michel Dreyfus-Schmidt
22(
*
)
.
La mission de septembre 1999 a de nouveau permis de constater qu'au-delà
d'une situation géographique commune de " double
insularité " et d'un rattachement à la Guadeloupe ressenti
comme artificiel par les habitants, la situation de chacune de ces deux
îles a ses caractéristiques propres.
• A
Saint-Martin
, l'originalité de la situation provient
essentiellement de la
division de l'île
(depuis 1648)
entre une
partie française et une partie relevant des Antilles
néerlandaises
,
sans frontière
matérialisée
. Cette situation induit des conséquences
multiples.
- Tout d'abord, elle rend très difficile, voire impossible, le
contrôle des flux migratoires en l'absence d'une coopération
efficace avec les autorités des Antilles néerlandaises, car aucun
visa n'est exigé pour entrer en partie néerlandaise dans laquelle
est situé l'aéroport international.
Saint-Martin a connu une
immigration
massive au cours des
dernières années, ce qui a suscité une véritable
crise d'identité au sein de la population autochtone qui a l'impression
de se retrouver minoritaire dans son propre pays.
Aujourd'hui, la partie française compte, pour une population totale
d'environ 35.000 habitants sur 90 km², un tiers d'étrangers en
situation régulière, auxquels s'ajouteraient environ
5.000 étrangers en situation irrégulière. Cette
immigration massive entraîne des difficultés diverses, par exemple
pour assurer la scolarisation des enfants, ou encore en matière
sanitaire en raison de la saturation de la capacité d'accueil de
l'hôpital devant l'afflux de populations étrangères.
L'île connaît par ailleurs d'importants problèmes
liés au trafic de drogue et à la délinquance.
- D'autre part, la division de l'île a pour conséquences
d'importantes
distorsions de charges fiscales et sociales
qui
handicapent la compétitivité des entreprises de la partie
française.
Selon une estimation de la Fédération interprofessionnelle de
Saint-Martin sur les coûts comparatifs du travail entre partie
française et partie hollandaise, les coûts salariaux en partie
française seraient de 1,63 fois supérieurs à ceux du
côté hollandais, les charges patronales étant
2,74 fois supérieures et les retenues salariales 5,29 fois
supérieures. Le différentiel fiscal serait en moyenne de 1
à 3. Cependant, aucun droit de douane ni impôt indirect n'est
perçu à Saint-Martin, à l'exception de la TVA
immobilière.
- Enfin, les principales
infrastructures
se trouvent en partie
néerlandaise, qu'il s'agisse de l'aéroport international, du port
en eau profonde ou de l'unique dépôt de carburant, ce qui
handicape le développement économique de la partie
française.
Le
tourisme
qui représente quasiment la seule activité
économique, est aujourd'hui en crise. En effet, l'ampleur des
investissements réalisés à la faveur de la " loi
Pons " de défiscalisation a entraîné une
surcapacité d'accueil ; sur un total de 4.500 chambres
d'hôtel construites, un millier ont aujourd'hui dû être
transformées en appartements.
En conséquence, le chômage est apparu à Saint-Martin
où il affectait près de 1.600 personnes fin 1998.
Avant de conclure ce bref tableau de la situation de Saint-Martin, une
dernière particularité, d'ordre linguistique, mérite
d'être relevée : la langue maternelle des Saint-Martinois est
l'anglais et non le français. Les habitants se plaignent que cette
particularité ne soit pas prise en compte dans les programmes
d'enseignement et entraîne fréquemment l'échec scolaire.
• A
Saint-Barthélémy
, la situation est fort
différente à bien des égards. Cette petite île de
26 km² peuplée de 6.800 habitants environ -descendants de
bretons et de normands auxquels sont venus s'ajouter un certain nombre de
métropolitains installés au cours de la période
récente- reste marquée par un siècle de présence
suédoise. En effet, la France qui y était présente depuis
1674, l'avait cédée en 1784 à la Suède qui a son
tour la lui rétrocéda en 1877 à la suite d'un
référendum par lequel ses habitants souhaitèrent à
l'unanimité moins une voix redevenir Français.
Saint-Barthélémy conserve notamment de cette époque un
régime fiscal de fait particulier
. En effet, non seulement les
droits de douane et les impôts indirects
23(
*
)
n'y sont pas perçus comme
d'ailleurs à Saint-Martin -ce qui n'est pas contesté par
l'administration fiscale-, mais l'impôt sur le revenu et l'impôt
sur les sociétés n'ont de fait jamais été
recouvrés à Saint-Barthélémy, en dépit des
efforts de l'administration fiscale et bien que la jurisprudence du Conseil
d'Etat
24(
*
)
considère que
les impôts directs y sont exigibles de plein droit.
Les habitants de Saint-Barthélémy entendent se prévaloir
d'une franchise fiscale héritée de l'histoire, en vertu des
stipulations du protocole annexé au traité de rétrocession
franco-suédois du 10 août 1877, selon lesquelles la France
succédait "
aux droits et obligations résultant de tous
actes régulièrement faits par la Couronne de Suède ou en
son nom pour des objets d'intérêt public ou domanial
".
Saint-Barthélémy tire aujourd'hui la quasi-totalité de ses
ressources d'une
activité touristique
fondée sur des
infrastructures hôtelières " haut de gamme " et une
clientèle aisée en majorité nord-américaine. Elle
donne l'image d'une île prospère dont le développement a
été maîtrisé et l'urbanisation limitée. Ainsi
que se plaît à le souligner son maire, M. Bruno Magras,
le chômage y est presque inexistant (81 chômeurs
indemnisés en 1999).
3. Les particularités de l'île de la Réunion au milieu de l'Océan indien
La Réunion occupe une position géographique à part des autres départements d'outre-mer puisqu'elle se situe au milieu de l'Océan indien, dans une région du monde très éloignée de celle des Antilles et de la Guyane.
a) Des données géographiques et historiques
D'une
superficie de 2.512 km
2
, peuplée aujourd'hui de
700.000 habitants, l'île de la Réunion se trouve
placée dans l'
environnement géographique de la partie
sud-ouest de l'Océan indien
, avec l'île Maurice à
200 km au nord-est, les Seychelles à 1.800 km au nord,
Madagascar à 700 km à l'ouest et plus loin à l'ouest,
le continent africain à 2.800 km (Tanzanie, Mozambique, Afrique du
Sud).
Terre française depuis 1638, la Réunion a connu un spectaculaire
brassage de populations d'origine européenne, africaine, malgache,
indienne et asiatique. Elle est aujourd'hui peuplée par les descendants
des anciens colons d'origine européenne (25 %), des africains et
des malgaches amenés au XVIIIe siècle pour cultiver le
café et la canne à sucre (35 %), des indiens hindouistes
malabars engagés sur les plantations de canne à sucre au
XIXe siècle (25 %), des indiens musulmans (3 %) et des
chinois (4 %) arrivés à la fin du XIXe siècle.
Il s'agit donc d'une
population multiethnique et multiculturelle
d'origines très diverses, ainsi que l'a souligné
M. Paul Vergès, sénateur et président du conseil
régional, au cours de son entretien avec la mission.
b) Un déséquilibre interne entre le nord et le sud de l'île
Il
existe actuellement un important déséquilibre de
développement entre le nord et le sud de l'île, ainsi que l'a
expliqué de manière argumentée à la mission
M. André Thien Ah Koon, député de la
Réunion, maire du Tampon.
Selon les données qu'il a communiquées aux membres de la mission,
dans la partie sud de l'île, le taux de chômage atteint 45 %
et le taux de RMIstes 18 %, alors que ces taux sont sensiblement
inférieurs dans la partie nord avec respectivement 30 % et
7 %. Inversement, on compte 53 % de jeunes diplômés et
32 % de cadres et professions intermédiaires dans la partie nord,
contre seulement 37 % et 23 % dans la partie sud.
Deux communes, Saint-Denis et Sainte-Marie, concentrent à elles seules
31 % des entreprises, alors que dix communes du sud regroupent 30 %
des entreprises.
Les grandes infrastructures, telles que le port de la Pointe des Galets et
l'aéroport Roland-Garros, se trouvent dans la partie nord-ouest de
l'île qui consomme en outre 80 % des crédits nationaux et
européens bénéficiant à l'île depuis
20 ans. Le nouvel aéroport de Pierrefonds, que la mission a pu
visiter au cours de son déplacement dans le sud de l'île, n'abrite
pour l'instant qu'un trafic limité (par exemple, pour ce qui concerne le
trafic aérien Réunion/Maurice, 1 à 2 vols par jour
à Pierrefonds contre 10 à 16 à Roland-Garros).
En outre, les services publics sont majoritairement situés dans le nord,
qu'il s'agisse des institutions décentralisées (conseil
général, conseil régional), des services extérieurs
de l'Etat (préfecture, directions départementales et
régionales), des chambres consulaires (Chambre de commerce et
d'industrie, Chambre des métiers, Chambre d'agriculture) ou des services
parapublics (Caisse d'allocations familiales).
Cette situation contraint les habitants du sud à de fréquents
déplacements dans le nord de l'île, ce qui ne va pas sans poser de
graves difficultés de circulation, la route littorale de l'ouest
étant le plus souvent saturée, ainsi qu'a pu le constater
concrètement la mission.
La création récente d'un aéroport dans le sud de
l'île, ainsi que d'une antenne universitaire au Tampon, que la mission a
également visitée, s'inscrivent dans une logique de
rééquilibrage des équipements publics, mais celui-ci reste
encore très limité.
Selon M. Claude Hoarau, député, maire de Saint-Pierre,
le chômage s'accroît actuellement deux fois plus vite dans le sud
que dans le nord.
c) Une économie plus dynamique que dans les autres départements d'outre-mer, mais un chômage plus élevé
L'économie réunionnaise connaît
actuellement une
évolution plus dynamique que celles des autres départements
d'outre-mer. C'est d'ailleurs aussi le département qui donne l'image
d'un développement économique le plus proche de celui de la
métropole.
En ce qui concerne l'agriculture, la culture de la
canne à sucre
reste prépondérante, avec une production de 180.000 tonnes
en 1998, même si elle tend à décliner au profit de
l'élevage et des cultures de fruits et légumes. Il existe par
ailleurs une importante activité de
pêche industrielle
au
large dans la zone des Terres australes (aux abords des îles de
Saint-Paul, d'Amsterdam et des Kerguelen).
Le
secteur industriel
réunionnais, dominé par l'industrie
agro-alimentaire, a connu un développement rapide depuis 1970.
Le
tourisme
constitue également depuis quelques années un
secteur en forte expansion à la Réunion qui a accueilli
390.000 visiteurs en 1998, essentiellement en provenance de la
métropole. La Réunion occupe la deuxième place des
destinations de la zone sud de l'Océan Indien derrière l'Ile
Maurice.
Au total, l'économie réunionnaise crée en moyenne
plus
de 2.000 emplois par an
. Cependant ces créations d'emplois
restent très insuffisantes pour faire face à l'accroissement
démographique qui entraîne
l'arrivée de
10.000 demandeurs d'emploi par an
.
En conséquence, le
chômage
reste le plus
élevé des départements d'outre-mer ; en août
1999, il affectait 97.663 personnes, soit
36,4% de la population active
.
Le nombre d'allocataires du RMI continue également à
s'accroître à un rythme extrêmement
préoccupant ; il est ainsi passé de 54.100 en
décembre 1998 à 60.011 en août 1999.
*
Au terme de ce constat, on voit donc apparaître une très grande diversité des situations locales qui est apparue à la mission appeller, à l'évidence, des évolutions différenciées.