COMPTES-RENDUS DES ENTRETIENS
DU RAPPORTEUR
M.
Didier AARON,
antiquaire Vice-Président du Syndicat des
négociants d'objets
d'art
M. Maurice AICARDI,
Membre du Conseil Economique et Social
M. Guy AMSELLEM ,
Délégué aux arts plastiques
Mme Laure de BEAUVEAU CRAON,
Président Directeur
Général de Sotheby's
M. Claude BLAIZOT,
Président du Syndicat national des antiquaires
M. Marc BLONDEAU
, Expert en art moderne et contemporain
Mme Françoise CACHIN
, Directeur des musées de France
M. Alain CAZARRE,
Directeur régional des douanes au bureau des
procédures, régimes économiques et réglementations
techniques
M. Gérard CHAMPIN
, Président de la Chambre nationale des
commissaires-priseurs
M. André CHANDERNAGOR,
Ancien ministre, Président de
l'observatoire des mouvements internationaux d'oeuvre d'art
M. Jean-Pierre CHANGEUX
, Président de la commission des dations
et
Mme Suzanne STCHERBATCHEFF,
Commission des patrimoines
Mme Henriette CHAUBON
, sous-directeur de la direction des professions
judiciaires et juridiques à la Chancellerie
Mme Arlette CHOUMER,
Syndicat des personnels des commissaires-priseurs
M. Jean-Marc GUTTON
, Directeur de la Société des Auteurs
Arts Graphiques et Plastiques,
Mme Anne LAHUMIERE
, Président du Comité des galeries d'art
M. Eric LAUVAUX
, du Cabinet NOMOS
M. Hervé LE FLOC'H-LOUBOUTIN
, Directeur, Chef du service de la
législation fiscale
M. Joël MILLON
, président de la Chambre des
commissaires-priseurs de Paris
M. Pierre ROSENBERG,
Président-directeur du Musée du Louvre
M. Jean-Marie SCHMITT
,
Directeur de l'Institut d'étude
supérieur des arts
Maître Jacques TAJAN
, commissaire-priseur
M. Eric TURQUIN
et
M. Bruno de BAYSER,
experts
M. Bertrand du VIGNAUD
Président de Christie's Monaco et
Vice-Président de Christie's France et
M. Anthony BROWNE,
Président de la Fédération Britannique du
marché de l'art
*
* *
En outre, M. Yann GAILLARD a rencontré plusieurs artistes et a été visiter leurs ateliers situés à Paris, Nogent-sur-Marne et Fontenay-sous-Bois. Il s'agit de MM. Fabian CERREDO, Denis MONFLEUR, Michel PELLOILLE, Benoît TRANCHANT et Vincent VERDEGUER.
Entretien de M. Didier AARON,
Vice-Président du Syndicat des négociants d'objets d'art
le jeudi 7 janvier 1999
M.
Didier Aaron
a tout d'abord souligné l'importance du marché
de l'art en France. D'une part, les métiers engendrés par ce
marché en France perpétuent une main d'oeuvre d'une
qualité unique au monde au point de vue de la qualité et il est
essentiel de la sauvegarder. En second lieu, la clientèle des grands
antiquaires contribue à la vitalité du marché de luxe. La
Biennale des Antiquaires à Paris est, avec Maastricht, l'exposition la
plus importante du monde et elle draine un nombre considérable de
touristes.
Dans les années 50, le marché de l'art français
était le premier au monde, avant d'être supplanté par les
Anglais, grâce, notamment, au génie de Peter Wilson.
M. Didier
Aaron
a déclaré qu'il était depuis longtemps partisan
d'une réforme de la profession de commissaire-priseur et que
l'échec des diverses tentatives effectuées jusqu'à ce jour
était dû à une profonde méconnaissance de la
profession par les fonctionnaires du ministère de la Justice dont elle
relève. Aujourd'hui, il est indispensable de laisser les Anglais
s'installer en France afin de relancer le marché et d'intensifier les
échanges. Cela contribuera à faire de Paris un pôle
culturel mondial.
M. Didier Aaron
, à la demande de
M. Yann Gaillard
, a
ensuite identifié les mesures à prendre d'urgence pour
améliorer la situation actuelle : la TVA à l'importation qui
est totalement dissuasive et ne rapporte donc plus rien ; le droit de suite qui
ne profite qu'à quelques familles illustres et ne sert qu'à faire
vivre les sociétés chargées de la percevoir ; la
convention unidroit signée par la France et dont il s'est
déclaré opposé à la ratification par le Parlement.
Selon cette convention, tous les objets d'art sortis d'une manière
illégale de leur pays de création doivent être rendus
à leur pays d'origine. Ce serait, dans ce cas, la quasi-totalité
de ses départements d'art grec et égyptien que la France devrait
rendre.
M. Yann Gaillard
l'ayant interrogé sur l'importance des
antiquaires en France,
M. Didier Aaron
a estimé que leur
activité était au moins égale à celle des ventes
publiques. Il a déclaré que Paris était la seule ville au
monde où il restait des grands antiquaires et que ceux-ci contribuaient
au prestige de la capitale. Il a ajouté que les relations avec les
musées s'étaient améliorées et que les marchands et
les conservateurs avaient compris l'intérêt d'une bonne
collaboration. Il a déploré que les commissaires-priseurs
français, faute d'une politique adaptée, aient perdu leur place
et il a souligné l'extrême nécessité de
légiférer sur l'ouverture des ventes publiques avant fin 1999
afin d'être en mesure de faire face à la concurrence de New-York
qui devenait le centre mondial du commerce de l'art.
A
M. Yann Gaillard
, désireux de connaître son opinion sur
les procédures de protection du patrimoine,
M. Didier Aaron
a
répondu qu'il était favorable au principe, tout en reconnaissant
que les musées devaient éviter de constituer des réserves
trop importantes et que la circulation des objets d'art était
nécessaire. Il a souhaité que l'interdiction de sortie d'un objet
d'art soit assortie d'une obligation d'achat par l'Etat pour ne pas
léser le propriétaire. Il a conclu que la France disposait
d'atouts majeurs pour reconquérir la première place dans le
marché de l'art : Paris est une ville prestigieuse qui constitue un
puissant centre d'attraction ; les collectionneurs français sont en
nombre important ; il existe de nombreux marchands de qualité ; enfin,
les réserves d'objet d'art sont encore considérables sur le
territoire français.
Entretien de M. Maurice AICARDI,
Membre du Conseil économique et social
le mardi 26 janvier 1999
M.
Maurice Aicardi
a tout d'abord rappelé que Paris était le
centre du marché de l'art jusqu'à la seconde guerre mondiale. Le
marché avait connu ensuite une révolution à laquelle la
France avait été incapable de s'adapter, ce qui expliquait son
déclin. L'essor international des collections et la mondialisation des
échanges avaient transformé la nature des ventes et
s'étaient accompagnées d'expertises de plus en plus
poussées. Les grandes sociétés anglo-saxonnes de ventes
publiques avaient su intégrer ces nouvelles données alors que les
Français restaient attachés de façon archaïque
à un statut de la profession de commissaire-priseur remontant au XVIe
siècle.
M. Maurice Aicardi
a souligné que, dans son rapport, il
s'était déclaré favorable à ce que les
commissaires-priseurs aient un statut d'officier ministériel pour les
ventes judiciaires et d'agent commercial pour les autres ventes. Selon lui,
l'indemnisation, qui avait été la pierre d'achoppement des
précédentes tentatives de réforme, devait se limiter au
strict remboursement de la part du monopole acquittée par le
commissaire-priseur. Selon
M. Maurice Aicardi,
il était urgent de
légiférer sur cette question car le marché de l'art
représentait un enjeu économique important et les grandes
sociétés de vente anglo-saxonnes qui allaient s'installer
à Paris devaient trouver les Français prêts à
récupérer leurs parts de marché.
Les obstacles étaient, d'après
M. Maurice Aicardi
,
principalement d'ordre fiscal. Il a déploré l'impact
négatif du droit de suite sur les ventes d'art contemporain en France.
Il a fait remarquer également que la menace constante de l'inclusion des
oeuvres d'art pour le calcul de l'ISF avait découragé les
collectionneurs. Cette menace semblait désormais écartée,
notamment grâce à une jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui
considérait que l'ISF ne devait en aucun cas être confiscatoire
(et qu'en conséquence on ne pouvait soumettre à l'ISF les biens
ne produisant pas de fruits), mais
M. Maurice Aicardi
a convenu
avec
M. Yann Gaillard
que les professionnels étaient encore
loin d'être pleinement rassurés à cet égard. Deux
conditions étaient, selon
M. Maurice Aicardi
, absolument
indispensables au développement des transactions : la
liberté et la discrétion.
En s'appuyant sur des exemples,
M. Maurice Aicardi
a expliqué que
l'expertise d'art n'était jamais absolue et que l'Etat ne devait jamais
en endosser la responsabilité sous peine de se voir obligé de
garantir des prix et il s'est déclaré opposé à la
création d'un ordre d'experts engageant la responsabilité de
l'Etat.
M. Yann Gaillard
l'ayant interrogé sur les réformes
fiscales qu'il souhaitait voir mettre en place,
M. Maurice Aicardi
a
réclamé une définition et un contrôle plus stricts
des bénéficiaires du droit de suite ainsi qu'une diminution de sa
durée d'application. Il a souhaité que la TVA à
l'importation soit limitée aux oeuvres de moins de 50 ans pour
faciliter le retour des oeuvres d'art en France. La construction de l'Europe
rendait, selon lui, de toute façon, inéluctable une
évolution vers une harmonisation fiscale européenne.
M. Maurice Aicardi
a ensuite fait valoir les avantages que la
réforme du statut des commissaires-priseurs allaient apporter à
la France. La redynamisation du marché de l'art entraînera des
retombées économiques importantes sur tout le marché de
luxe et l'industrie du tourisme et contribuer de façon
considérable au rayonnement culturel et au prestige international de la
France.
M. Maurice Aicardi
s'est dit persuadé que c'était
désormais entre Paris et New-York que tout se jouait, Londres ayant
perdu sa place prépondérante. Dans cette compétition,
Paris avait culturellement et historiquement un avantage certain et
représentait de plus l'Europe continentale.
M. Maurice Aicardi
a souhaité que l'intervention de l'Etat se
limite à deux domaines : d'une part, favoriser l'entrée des
oeuvres d'art en France en manifestant la même volonté politique
que celle qui avait présidé à la loi sur les
dations ; d'autre part, protéger le patrimoine. A cet égard,
il a fait référence à la loi de 1941 et s'est
déclaré favorable à ce que la France se dote d'un
dispositif plus efficace que la loi de 1992. Son recours devrait rester
exceptionnel et s'accompagner de la constitution d'une réserve
financière sur les produits de la Française des Jeux, permettant
à l'Etat d'intervenir immédiatement dans ces seuls cas.
Pour conclure,
M. Maurice Aicardi
s'est déclaré optimiste
quant aux chances qu'avait la France de reconquérir la première
place sur le marché de l'art.
Entretien de M. Guy AMSELLEM,
Délégué aux arts plastiques
le mardi 26 janvier 1999
M. Guy
Amsellem
a exprimé son souci de concourir à la promotion des
artistes français contemporains, non seulement en France, mais aussi sur
le plan international.
La première action à mener pour réaliser cet objectif est
de consolider les acteurs privés. Il faut également se demander
quel type d'action engager pour donner à l'art contemporain une
dimension populaire. A cet égard, il a cité le " Turner
price " qui est un prix décerné à un artiste
contemporain en Angleterre et qui donne lieu à des manifestations
populaires et très médiatisées pendant deux mois.
M. Guy Amsellem
a indiqué qu'il essayait de mobiliser des
entreprises et des figures emblématiques des médias pour tenter
de développer ce type d'initiative en France. Il a ensuite jugé
que les institutions françaises gagneraient à être moins
angéliques sur la scène internationale qui est devenue un
marché.
Il a également évoqué les interventions de l'AFAA
(Association française d'action artistique) qui devrait, selon lui,
travailler davantage en liaison avec les opérateurs professionnels de
l'art ; l'AFAA, qui est une émanation du Quai d'Orsay, et a eu
parfois tendance à se substituer aux acteurs du marché de l'art.
Il a ensuite fait part de suggestions, notamment la création d'antennes
de représentation permanente des galeries dans certains pays
ciblés au sens du marché de l'art. Il a rappelé que le
rayonnement international était devenu un enjeu fort de la
délégation aux arts plastiques et que la nécessaire
diversité des expressions dont elle est garante doit s'accompagner d'une
action garantissant la diversité des acteurs, notamment au regard de la
part trop importante prise par les acteurs publics d'Etat ou locaux.
M. Yann Gaillard
a voulu savoir comment dynamiser le marché de
l'art contemporain.
M. Guy Amsellem
a proposé une solution simple qui consisterait
à ouvrir un droit à réduction d'impôt
plafonnée à une somme relativement basse (20.000 ou
30.000 francs). Cette mesure constituerait un message fort d `une
volonté de sortir l'art contemporain de son ghetto actuel. Il a
cité, à titre d'exemple, la situation à New-York où
un nouveau quartier, Chelsea, regroupe de très nombreuses galeries et
où justement existe un mécanisme de déduction fiscale pour
l'achat d'oeuvres d'art très incitatif pour les jeunes couples. Toute
mesure fiscale devrait bien sûr éviter de mettre en oeuvre des
dispositifs d'évasion fiscale pour des achats financièrement
élevés.
Il a rappelé également qu'il était important d'annoncer
une stabilité de l'environnement législatif et
réglementaire, au moins sur une législature. A cet égard,
il a évoqué la menace récurrente de l'introduction des
oeuvres d'art dans l'assiette de l'ISF.
Il a estimé que l'outil fiscal était essentiel, Londres qui est
un marché relativement artificiel, ayant été
créé grâce au levier fiscal.
S'agissant ensuite de la TVA à l'importation,
M. Guy Amsellem
s'est déclaré hostile au fait de ramener son taux à
zéro mais au contraire favorable à l'idée de se battre
contre la dérogation accordée aux Anglais. Ramener la TVA
à un taux zéro serait catastrophique pour les artistes
français vivants qui, eux, sont soumis à la TVA.
Il a estimé que le rapport de M. Chandernagor ne prenait pas
suffisamment en compte la situation des galeries d'art. En effet, notre pays
n'a pas besoin de favoriser l'art ancien au détriment de l'art
contemporain.
S'agissant du droit de suite, il a indiqué que la position
française ne devrait plus varier sur le sujet. Il a rappelé qu'en
Allemagne, il existait un prélèvement unique de l'ordre de
5 % sur le produit de la vente qui contribuait au financement de la
protection sociale et à celui du droit de la propriété
intellectuelle. En France, les galeries contribuent au financement de la
protection sociale, soit environ 20 millions de francs par an, si on leur
appliquait le droit de suite, le coût total serait pour elles de
70 millions de francs. Cet alourdissement des charges ne paraît pas
opportun alors que les galeries sont aujourd'hui un secteur sinistré.
M. Guy Amsellem
a alors précisé qu'il avait plaidé
auprès du Ministère, d'une part pour que l'on ne dépasse
pas le taux des 3 %, y compris pour le segment du marché de l'art
portant sur les prix les plus bas, d'autre part, pour qu'un mécanisme de
compensation soit institué afin d'éviter que les galeries ne
paient à la fois la protection sociale et le droit de suite. Enfin, il a
également demandé d'exonérer du droit de suite, la
première vente à un particulier, qui est en fait la
deuxième vente après la vente aux galeries.
Il a tenu à rappeler que le produit du droit de suite était
très inégalement réparti, 40 % bénéficiant
à quelques familles, au sein desquelles l'essentiel des
bénéficiaires ne vivent pas en France.
Il a surtout insisté sur la nécessité d'éviter que
la protection des oeuvres, au titre du droit de suite, ne conduise à
surtaxer les segments de marché où les prix sont les moins
élevés, c'est-à-dire les oeuvres d'art contemporain.
Il a également rappelé qu'une autre dérogation au titre de
la TVA à l'importation était accordée aux Allemands, qui
leur permet de cumuler un taux réduit de TVA avec un système de
déductibilité. Plutôt que de demander à
bénéficier du système allemand, il vaudrait mieux le faire
disparaître, comme cela est d'ailleurs prévu au 30 juin 1999.
Il a enfin estimé qu'il fallait créer un espace de
stabilité et sans distorsion de concurrence au sein de l'Europe, puis
mettre en place un dispositif d'incitation fiscal pour relancer le
marché de l'art contemporain, en créant, par exemple, un statut
fiscal de collection d'entreprise, comme cela existe déjà en
Allemagne. Il s'est cependant montré sceptique sur la
réceptivité des services de Bercy à toutes propositions
concernant les déductions fiscales.
Entretien de Mme de BEAUVEAU CRAON,
Président directeur général de SOTHEBY'S France
le jeudi 28 janvier 1999
En
réponse à
M. Yann Gaillard
,
Mme Laure de Beauvau
Craon
a déclaré que la société Sotheby's
était installée en France depuis 1975 et qu'elle-même en
était devenue Président directeur général en 1991.
Elle a constaté que le monopole, loin d'avoir empêché la
concurrence internationale de s'installer en France, avait au contraire
empêché la France d'être au centre du marché de l'art
européen, ce qui était sa vocation géographique,
historique et culturelle. Comme l'avait constaté la Commission Aicardi
en 95, le marché de l'art en France n'est plus un marché
international, En effet, les lois régissant le monopole ne sont
absolument pas adaptées à la mondialisation du marché de
l'art et sont également contraires au Traité de Rome, ce pour
quoi la France a reçu une mise en demeure de la commission de Bruxelles
en 95 et un avis motivé en août 98.
Mme Laure de Beauvau Craon
a souligné l'urgente
nécessité de remédier à cette situation en
libéralisant le marché de l'art français afin d'endiguer
le flot alarmant des exportations et de faciliter le retour de ceux-ci sur le
territoire français. Le retard pris par la législation fait
perdre des parts de marché à Paris, Sothebys exportant vers
l'étranger les unes après les autres les grandes collections qui
lui sont confiées.
Tout en reconnaissant l'importance déterminante de la fiscalité
sur le marché de l'art,
Mme Laure de Beauvau Craon
considère que c'est un problème qui doit être traité
séparément. Elle rappelle que le taux de TVA à
l'importation ainsi que le droit de suite seront réglementés par
Bruxelles. Elle encourage la France de faire pression avec l'Angleterre sur
Bruxelles pour limiter, à défaut de pouvoir les supprimer, ces
taxes. Elle souligne que la plus-value libératoire telle qu'elle est
appliquée aujourd'hui en France, l'est au taux le plus favorable de tous
les pays concernés par le marché de l'art. Le taux
appliqué en France - qui est de 5 % pour les ventes à
l'intérieur de la CEE et de 7,5 % pour les ventes à
l'extérieur de la CEE - se compare à un taux de plus-value en
Angleterre et aux Etats-Unis excédant souvent 40 %. Elle
considère qu'un amalgame entre la fiscalité du marché de
l'art et la fin du monopole n'est pas souhaitable. Cela rendrait le
débat plus confus et retarderait l'ouverture.
A la demande de
M. Yann Gaillard
,
Mme Laure de
Beauvau Craon
, s'est ensuite prononcé en faveur du projet de
loi qu'elle a jugé globalement bon. Deux points en particulier lui
paraissaient excellents : d'une part, la possibilité de vendre de
gré à gré un bien déclaré non adjugé
dans un délai de 8 jours après la vente bien qu'elle regrette la
limitation dans le temps, d'autre part, l'interdiction de fixer un prix de
réserve à un montant supérieur à l'estimation tel
que cela se pratique en Angleterre et aux Etats-Unis dans le but d'une
information claire vis-à-vis de l'acheteur. Par contre, elle a
jugé que l'article 12 était inutilement contraignant et allait
à l'encontre du but recherché en ne laissant pas les
sociétés de ventes volontaires gérer elles-mêmes
leurs avances comme cela se pratiquait déjà dans les pays
anglo-saxons. Dans la nouvelle législation, elle souhaiterait que le
transfert de propriété intervienne, comme cela se fait
habituellement dans les transactions commerciales, au moment du paiement, et
non plus quand le marteau tombe ce qui est le cas à l'heure actuelle,
les commissaires-priseurs étant officiers ministériels. Elle
souhaiterait également qu'il soit possible d'interdire d'enchères
des mauvais payeurs notoires, comme cela se fait en Angleterre et aux
Etats-Unis.
Mme Laure de Beauvau Craon
a ensuite souligné les avantages que
les commissaires-priseurs allaient retirer de la libéralisation de leurs
tarifs qui leur permettrait d'augmenter leur taux de commission.
Pour conclure,
Mme Laure de Beauvau Craon
a déclaré que la
réforme était bonne et nécessaire et que son seul souhait
était de la voir mettre en oeuvre le plus vite possible dans
l'intérêt du marché de l'art en France.
Entretien de M. Claude BLAIZOT,
Président du Syndicat national des antiquaires
le jeudi 14 janvier 1999
Après avoir précisé que la contribution
de la
commission des finances à l'examen au fond, par la commission des lois
du projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de
meubles aux enchères publiques s'inscrivait dans la préoccupation
du soutien au marché de l'art français,
M. Yann
Gaillard
a interrogé
M. Claude Blaizot
sur les facteurs
qui expliquent ce déclin et notamment les aspects fiscaux. Il lui a
également demandé de préciser si des différences
étaient constatées selon les types de produits.
Ayant constaté que l'ensemble du marché était
concerné par cette régression,
M. Claude Blaizot
a
souligné que cette réflexion globale était
nécessaire pour éviter l'erreur consistant à prendre des
mesures ne tenant pas suffisamment compte des réalités et
inspirées par les seules apparences médiatiques de ce
marché.
S'il a estimé que la situation de la France n'était pas
désespérée, en raison de la qualité de ses
professionnels, de ses experts et des atouts que représentaient son
patrimoine mobilier et son tissu touristique et commercial, il a en revanche
constaté qu'elle était désormais reléguée
à la troisième place mondiale avec 8 % du marché,
dans le même temps où les Etats-Unis importent 50 % et le
Royaume-Uni 30 %. Il s'est également inquiété de la
sortie du territoire de pièces importantes, alors que leur retour
était beaucoup plus problématique
M. Claude Blaizot
a reconnu que la segmentation du marché
était réelle, que les moyens financiers de la clientèle de
nos concurrents étaient d'évidence plus importants, mais il a
également fait état de dispositions juridiques et fiscales
applicables en France ou en Europe, bien que différentes selon les
secteurs, qui dans leur ensemble fragilisaient notre activité.
Il a ainsi cité le " droit de suite ", qui influait surtout
sur le marché de la peinture " impressionniste ", les
dispositions contenues dans la convention " Unidroit ", qui si elle
était ratifiée par la France ne pourrait qu'inciter davantage les
acteurs à s'orienter vers les marchés des pays non signataires,
en priorité les Etats-Unis, et la " taxe de douane " que
constitue la TVA à l'importation qui, d'un faible rapport pour le
Trésor, est surtout dissuasive pour le retour des pièces
importantes.
M. Yann Gaillard
ayant fait remarquer que cette taxe n'était
aucunement à la charge du vendeur et que seuls les acquéreurs
nationaux étaient tenus de l'acquitter,
M. Claude Blaizot
a
justifié l'intérêt porté au cas des acheteurs
français par le souci de sauvegarde de notre patrimoine et
affirmé que le client américain se trouvait " de
facto " favorisé, dans le coût final de son enchère,
du montant de cette taxe, soit 5,5 %.
Il a également estimé que cette situation était de nature
à freiner l'attrait pour le marché français des vendeurs
dans la mesure où leur produit net ne pouvait qu'être
réduit par l'excès de taxes.
Il s'est aussi élevé en ce qui concerne la taxe forfaitaire,
contre la différence de traitement fiscal entre l'activité des
ventes publiques (4,5 %) et celle du commerce de détail
(7,5 %). Il a ajouté que d'autres discriminations étaient
injustifiées puisque les sociétés de vente auraient la
possibilité de négocier les invendus dans les huit jours qui
suivent les enchères et qu'elles bénéficieraient d'une
exonération des droits de reproduction de catalogues de vente, ce qui
n'était pas le cas des professionnels.
M. Claude Blaizot
a
jugé qu'un marché n'était dynamique que si ses
règles étaient à la fois claires et définitives et
que leur changement perpétuel en France avait engendré la
frilosité des grands collectionneurs à l'égard de son
marché.
M. Yann Gaillard
, après avoir évoqué la
qualité supposée des expertises étrangères, qui
disposent d'ailleurs d'experts français, a également fait
état de la responsabilité trentenaire et de ses
conséquences sur la pratique des experts français, volontiers
évasifs. Il a demandé si le système reposant sur le
salariat des experts pratiqué par Sotheby's et Christie's était
meilleur.
M. Claude Blaizot
, précisant qu'il était également
président de la compagnie nationale des experts, a estimé que le
travail d'expertise anglais n'était pas supérieur à celui
exercé en France et que cette activité dans notre pays reposait
uniquement sur le savoir et l'expérience, sans référence
à un diplôme, ce qui pouvait soulever quelques problèmes
quant aux garanties. Il a divisé la profession en deux catégories
les salariés et les indépendants, ces derniers ayant sa
préférence pour assurer une réelle liberté de
jugement et éviter le risque de favoritisme, à l'égard
d'un client, par une maison qui ferait pression sur son expert salarié.
Rappelant que l'expert avait obligation d'assurance et était
coresponsable de la vente avec le commissaire-priseur, il a jugé que le
projet, qui visait à instituer une catégorie d'experts
agréés par le conseil des ventes, était inadapté de
ce point de vue puisque le commissaire-priseur pourra continuer à
choisir un expert non agréé. Selon lui cette pratique qui a par
le passé permis l'apparition d'experts " feu d'artifice ", a
contribué à donner une mauvaise réputation à la
place de Paris.
M. Claude Blaizot
a ajouté que l'expert agréé ne
pourra plus enchérir pour protéger son client et qu'il lui
deviendra également difficile d'acheter pour sa clientèle, en
raison du risque de communication de son fichier de clients aux
commissaires-priseurs.
Selon lui, le projet devrait prévoir en premier lieu d'appliquer
à tous les experts, intervenant dans une vente, les mêmes
obligations avant d'envisager la création d'une liste d'experts
agréés.
Répondant à
M. Yann Gaillard
qui s'étonnait du
manque apparent de rigueur d'un système qui permettait à l'expert
d'intervenir dans les enchères,
M. Claude Blaizot
a
affirmé que ce système avait fait ses preuves et qu'il n'avait,
à sa connaissance, pas engendré d'abus. Il a ajouté qu'il
présentait le mérite de la transparence.
Rappelant qu'il avait participé à la première commission
Léonnet sur le problème du Conseil de ventes volontaires, il a
estimé que la tâche qui lui était dévolue
requérait une trop vaste compétence professionnelle. En effet, ce
Conseil paritaire de 14 membres serait chargé de l'agrément
et du contrôle d'experts européens compétents dans des
secteurs très pointus et ne pourra disposer des moyens
nécessaires pour juger de leur véritable compétence.
Il a précisé que les trois grandes compagnies d'experts
françaises représentaient déjà à elles
seules environ 500 membres et que bien que professionnels, ils
éprouvaient des difficultés à opérer une
sélection rigoureuse.
M. Yann Gaillard
ayant opposé que la difficulté
était inhérente à tout conseil et que ceux-ci avaient
recours à l'avis de spécialistes,
M. Claude Blaizot
a
rappelé que sa profession avait proposé que le Conseil des ventes
volontaires crée, sous son autorité, un Conseil de l'expertise.
Il a surtout contesté dans la rédaction de l'article 34 l'absence
d'obligation d'assurance pour les experts extérieurs à la liste
agréée. Il a reconnu toutefois que le cas des experts
salariés ne posait pas ce type de problème puisque la garantie
était alors assurée par la société,
s'inquiétant cependant du risque présenté par le recours
éventuel à des CDD.
En réponse à
M. Yann Gaillard
, qui évoquait la non
mise en cause de l'expert et du commissaire-priseur dans l'affaire d'un tableau
de Poussin,
M. Claude Blaizot
a indiqué que nombre de ventes
avaient fait l'objet de contestations et que dans ce cas l'assurance avait
été amenée à couvrir la perte. Il a toutefois
précisé que dans la plupart des contestations, la vente
était purement et simplement annulée, à l'instar de
l'affaire évoquée et que les grandes maisons de vente
étrangères pratiquait également de la sorte. Il a
également ajouté que les professionnels redoutaient le
dépôt d'une plainte pour perte de chance.
Évoquant le problème de la garantie exercée contre le
vendeur ou à défaut ses héritiers, il s'est
étonné qu'elle puisse être trentenaire pour les
indépendants (opération non commerciale) et décennale pour
les ventes publiques (qui seront assimilées à des
opérations commerciales).
En ce qui concerne la frilosité que l'on reproche souvent aux experts
français,
M. Claude Blaizot
l'a expliquée par une
certaine méfiance face à l'amélioration des moyens
techniques d'expertise qui entraîne la remise en cause d'attributions
antérieures, et à l'intervention des assureurs. Il a
considéré que si la prudence s'imposait, il convenait toutefois
de ne pas sombrer dans l'excès.
En réponse à
M. Yann Gaillard
qui évoquait la vente
d'un tableau seulement " attribué " à Fragonard dans un
premier temps et donnant lieu à procès, dès lors que sa
signature s'était trouvée confirmée,
M. Claude
Blaizot
a fait état de la quasi impossibilité de
légiférer dans ce domaine. Il a considéré que la
création de la liste d'experts agréés débouchera
sur une formule de cooptation, tout en rappelant qu'il avait été,
dans le passé, sur une telle liste à Drouot avant que ce
dispositif ne soit abrogé.
Les deux chambres de commissaires-priseurs, l'une nationale et l'autre
parisienne, qui disposent d'un conseil de discipline, n'ont, selon lui, jamais
réussi à réglementer et assainir cette activité et
un Conseil des ventes même sévère et contrôlant
suffisamment aura des difficultés à réglementer dans un
domaine aussi étendu.
M. Claude Blaizot
a répondu à
M. Yann Gaillard
,
qui s'inquiétait des conséquences, pour le marché
français, d'une nouvelle réglementation, que, s'il ne partageait
pas cette inquiétude, il était en revanche favorable à la
garantie du caractère définitif de la vente, en faisant reposer
le système sur la responsabilité de l'expert, du
commissaire-priseur et de l'assureur, afin de lever les incertitudes qui, en
définitive, ne pénalisent que le vendeur.
Par ailleurs, il a précisé que le taux de 5,5 % de la TVA
à l'importation était considéré comme dissuasif par
tous les acteurs du marché, à l'exception du Comité des
galeries d'art, arc-bouté sur le protectionnisme des artistes
français. Selon lui, la " sale tax ", applicable à
New-York, est contournée par une délocalisation dans les Etats
voisins et cette situation est si favorable que nombre d'artistes
français de qualité sont installés aux Etats-Unis,
malgré la perte du bénéfice du droit de suite. Il a
regretté que pour protéger un secteur extrêmement
fermé, les chances européennes de l'ensemble du marché
soient hypothéquées. Il a également reproché au
Comité des galeries d'art de faire des propositions irréalistes,
puisqu'elles reposent sur l'hypothèse d'une baisse de TVA de 20,6 %
à 5,5 % et sur la récupération de la TVA à
l'importation pour les seuls professionnels, ce qui ne manquerait pas de nuire
aux ventes publiques. Après avoir rappelé sa proposition de
supprimer la TVA à l'importation, pour les oeuvres dont les auteurs sont
décédés depuis 70 ans,
M. Claude Blaizot
a
jugé que l'assimilation par la 7
ème
directive des
oeuvres d'art aux autres produits de consommation était une erreur,
celles-ci étant déjà suffisamment
génératrices d'impôts et de taxes forfaitaires sur la
plus-value, ne serait-ce que par leur réévaluation permanente.
Il a relevé que bien que la taxe instituée en Grande-Bretagne
n'était que de 2,5 %, leurs importations avaient toutefois
baissé de 40 % depuis sa mise en oeuvre. Constatant la difficulté
d'établir un contre-projet de réforme, il l'a expliqué par
l'existence de 50.000 entreprises, concernées par ce secteur, dans notre
pays, avec de nombreuses activités induites et l'absence de
données chiffrées significatives, au point de ne pas trouver un
cabinet intéressé par une étude, similaire à celle
réalisée par un grand cabinet anglais. Il a également
souligné que la situation française était unique,
Sotheby's et Christie's ayant phagocyté le marché de l'art
à l'étranger.
Après avoir précisé qu'il était spécialiste
de la littérature du 19
ème
et du
20
ème
siècle,
M. Claude Blaizot
a
déclaré que certains de ses clients importants s'étaient
expatriés en raison du déplafonnement de l'ISF et de menace
d'imposabilité des objets d'art à l'ISF. Il a
considéré que l'incorporation des objets d'art à l'ISF
aurait pour conséquence la non déclaration de la possession, et
leurs exodes clandestins pour leurs ventes.
En conclusion,
M. Claude Blaizot
a recommandé de n'agir sur le
marché de l'art qu'avec prudence en raison de sa grande
volatilité.
Entretien de M. Marc BLONDEAU,
Expert en art moderne et contemporain et
de M. Etienne BRETON, Expert en tableaux anciens
le jeudi 7 janvier 1999
M. Marc
Blondeau
et
M. Etienne Bréton
ont tout d'abord fait
état de leur expérience professionnelle française et
anglo-saxonne qui leur a permis de comparer les deux systèmes. Selon
M. Blondeau
, il existe un réel potentiel pour le marché de
l'art en France mais des problèmes de compétence et
d'organisation en freinent le développement. Les Anglais disposent d'une
efficacité accrue grâce au système de l'expertise interne
qui évite le conflit marchand-expert. Beaucoup d'experts français
sont partis à l'étranger afin de pouvoir exercer leur profession
dans des conditions moins pénalisantes.
Au niveau des commissaires-priseurs, la France n'a pas su s'adapter face au
dynamisme des anglais et elle se doit d'avoir aujourd'hui une approche
économique de la profession.
M. Etienne Bréton
a
ajouté que le titre d'officier ministériel n'avait plus
guère de sens dans un marché mondial et qu'il fallait scinder la
profession en deux métiers : les commissaires-priseurs judiciaires et
les sociétés commerciales. En réponse à
M. Yann
Gaillard
,
M. Marc Blondeau
s'est montré partisan d'une
libéralisation totale pour les sociétés de ventes
volontaires prévues par le projet de loi. Selon lui, la plupart des
commissaires-priseurs vont disparaître pour laisser place à un
petit nombre de sociétés au sein desquelles on pourrait envisager
la création d'un département de ventes judiciaires. A la
différence de leurs homologues anglo-saxons, les commissaires-priseurs
français n'ont actuellement pas la possibilité de garantir des
prix à leurs clients et cela les prive du marché des successions
qui se font toutes par vente publique.
M. Marc Blondeau
s'est
montré tout à fait favorable à la mesure interdisant de
fixer le prix de réserve à un montant supérieur à
celui de l'estimation.
M. Marc Blondeau
a ensuite fait état du dynamisme des antiquaires
français dont la Biennale constitue un événement
exceptionnel dans le marché de l'art et contribue au rayonnement de la
France dans le domaine artistique. Il a déploré l'absence
d'impact des galeries d'art françaises et a souligné la
collaboration que les experts entretenaient avec les antiquaires et qui
n'existait pas avec les marchands de tableaux.
Puis
M. Marc Blondeau
a déclaré que la préemption
jointe à l'interdiction de sortie éliminait la France de toute
compétition internationale.
M. Etienne Bréton
a
ajouté que l'Etat ne devrait pas préempter un objet frappé
d'interdiction de sortie du territoire car cela constituait un abus de droit.
Tous deux ont déploré l'impact négatif de l'incertitude
que faisait peser sur les ventes publiques l'exercice par l'Etat de ces deux
prérogatives.
En réponse à une question de
M. Yann Gaillard
sur la
responsabilité des experts,
M. Marc Blondeau
a répondu que
dans son domaine, celui de l'art contemporain, l'expert était
plutôt un généraliste et que la responsabilité
était diluée par le spécialiste. Le problème de la
responsabilité était plus sensible dans le domaine des tableaux,
du mobilier et des objets d'art anciens. Il a ajouté qu'il faudrait
ramener la responsabilité des experts de 30 ans à 10 ans.
M. Etienne Bréton
a ajouté que l'expertise
n'était pas une science exacte et que, les spécialistes
eux-mêmes étant parfois en désaccord, c'était en
dernière analyse le marché qui tranchait.
M. Marc Blondeau
a ensuite fait état des atouts que la France
possédait dans le domaine du marché de l'art : notre pays est une
des plus belles sources d'objets d'art ; il existe dans l'hexagone un nombre
considérable de collectionneurs, même si c'est à petite
échelle ; on compte 120.000 professionnels du marché de
l'art alors qu'aux Etats-Unis, tout étant concentré à
New-York, on n'en trouve aucun dans une ville de l'importance de Los
Angeles ; Paris, enfin, est une capitale prestigieuse qui attire les
touristes du monde entier et constitue une place financière importante.
M. Marc Blondeau
a souhaité que la taxe d'importation soit
diminuée et que le droit de suite soit unifié au niveau
européen afin de revitaliser le marché français.
M. Yann Gaillard
s'étant interrogé sur la création
contemporaine française,
M. Marc Blondeau
a répondu que le
pôle créatif, après s'être situé en France
avec l'impressionnisme et l'Ecole de Paris, s'était
déplacé, après la seconde guerre mondiale, vers les
Etats-Unis où l'Ecole de New-York regroupait actuellement les principaux
peintres dont il a souligné qu'ils n'étaient pas exclusivement
américains. Il a expliqué cette situation par le fait que les
galeries françaises n'avaient pas su donner un rayonnement international
à leurs artistes, que certains peintres n'avaient pas fait le choix
d'une galerie, que l'Etat avait court-circuité les galeries en traitant
directement avec les artistes au détriment de la diffusion commerciale,
qu'il existait de fait peu de créateurs en France et enfin que les
musées français n'avaient pas su jouer le même rôle
moteur dans l'art contemporain que leurs homologues américains. C'est au
niveau de la fiscalité et du développement des ventes publiques
françaises que l'on doit agir aujourd'hui si l'on veut réveiller
le marché de l'art contemporain.
M. Marc Blondeau
et
M. Etienne Bréton
ont tous deux conclu
qu'il était possible de redonner à la France la première
place dans le domaine du marché de l'art et que c'était avant
tout une question de volonté politique.
Entretien de Mme Françoise CACHIN,
Directeur des musées de France,
Conservateur général du Patrimoine,
le jeudi 4 février 1999
M. Yann
Gaillard
a souhaité connaître la situation du Marché de
l'art en France et ses problèmes. Il a également interrogé
Mme Françoise Cachin sur les mécanismes de protection du
patrimoine et le fonctionnement de la loi de 1992.
Mme Françoise Cachin
a tout d'abord rappelé qu'il
était très important que le marché de l'art se revitalise
en France. Elle a estimé que la réforme du statut des
commissaires-priseurs apporterait une nécessaire clarification et que
l'arrivée de Sotheby's et Christie's en France serait positive pour
dynamiser le marché. En effet, un marché actif fera naître
des vocations de collectionneurs en France et, par conséquent, enrichira
le patrimoine public à long terme.
S'agissant de la protection du patrimoine en France, elle a
déploré la fuite constante de celui-ci depuis un
demi-siècle. La loi de 1941 avait mis en place un système
permettant de retenir ou d'acquérir, au prix déclaré, les
oeuvres présentées à la douane. Avec le nouveau
système mis en place par la loi de 1992, la France a trop vite
baissé la garde par rapport à d'autres pays d'Europe qui ont
continué à protéger leur patrimoine. Les anglo-saxons ont
notamment un système remarquable de protection du patrimoine. Les
collectionneurs ou les héritiers ne payent pas de droits de succession
si les oeuvres d'art restent sur le territoire national. Au moment de la vente,
deux solutions s'offrent à eux, soit il vendent sur le marché et
ils sont lourdement taxés, soit, ils vendent à une
collectivité locale ou à un musée et ils sont moins
taxés. De plus, le système anglais s'est donné les moyens
d'acquérir les oeuvres avec le pourcentage sur le loto.
Revenant au système français,
Mme Françoise Cachin
a estimé que la loi de 1992 présentait de graves
inconvénients : la première étant la retenue des oeuvres
pour trois ans seulement ; le second étant que les vendeurs ne sont pas
contraints de vendre à l'Etat si celui-ci leur fait une proposition
d'achat ; le troisième étant que le vendeur peut fixer n'importe
quel prix alors qu'il faudrait se référer au "fair price",
c'est-à-dire, au vrai prix du marché.
Dans le cadre d'une réforme de la loi de 1992, il faudrait proposer le
système d'expertise suivant : un expert pour le vendeur, un pour
l'Etat, avec en cas de litige, désignation d'un troisième expert.
Il s'agit là du système anglais. Le projet de réforme de
la loi de 1992 est prêt depuis un an, mais son inscription à
l'ordre du jour se heurte à l'encombrement du plan de charge des
Assemblées.
Mme Françoise Cachin
a indiqué que ce projet de
réforme avait fait l'objet d'une concertation avec les
représentants du marché de l'art. Ceux-ci sont très
favorables aux dispositions concernant le certificat de sortie des oeuvres qui
n'est actuellement valable que pour cinq ans. Dans le projet de réforme
de la loi de 1992, le certificat serait définitif pour les oeuvres qui
ont plus de cent ans et il serait valable vingt ans pour les oeuvres ayant
entre 100 et 50 ans.
Mme Françoise Cachin
a ensuite évoqué le
problème du taux de TVA à l'importation des oeuvres d'art
actuellement à 2,5 % en Grande-Bretagne, 5 % en France et 0 % aux
Etats-Unis. Elle a estimé urgent de trouver un système de
régulation à l'intérieur de l'Europe afin d'éviter
de continuer à pénaliser le marché de l'art en France. A
cet égard, elle a rappelé que 70 % de ce que vend Sotheby's et
Christie's à Londres et surtout à New-York provient de France. Le
patrimoine français est "razzié". Elle a précisé
que les collectionneurs vont à New-York car il n'y a pas de taxe et
qu'ils y gagnent beaucoup plus d'argent qu'à Paris.
Elle a enfin indiqué qu'il fallait bien faire la distinction entre les
oeuvres patrimoniales dont le départ de France est très
dommageable et le " terreau " du marché de l'art qui se
déplace.
Entretien de M. Alain CAZARRE,
Directeur régional des douanes au bureau des procédures,
régimes économiques et réglementations techniques
(accompagné de Mmes Nicole PIN et Claire GROUFALL
et de M. Guillaume ADELLE)
ainsi que de Mme Sylvie PERRIN, du bureau de la fiscalité et des
transports
le jeudi 28 janvier 1999
M. Alain
Cazarré
a introduit son propos en soulignant que la douane applique
une réglementation qu'elle ne définit pas, même si elle
parfois associée à l'élaboration des textes qu'elle doit
faire respecter.
Il a souligné la réduction du nombre des contrôles
douaniers induite par la création du marché unique, les
contrôles - ne concernant plus que les biens en provenance de pays tiers
-intervenant essentiellement dans les ports et les aéroports.
M. Alain Cazarré
a ensuite exposé les grandes lignes
de la réglementation relative à l'importation d'oeuvres d'art en
insistant sur la distinction majeure faite entre les importations simples et
les importations à titre temporaire. Il a indiqué qu'il
n'existait pas de droits de douane en matière d'importation d'oeuvres
d'art, de sorte que le rôle de la douane se limitait à la
perception de la TVA extra-communautaire. Il a également insisté
sur l'absence de procédure spécifique aux biens culturels,
considérés à l'importation comme n'importe quelle autre
marchandise.
M. Alain Cazarré
a expliqué la procédure qui
s'applique à l'occasion d'une importation simple : l'importateur
doit remplir une déclaration en douane, document administratif unique
commun à tous les Etats membres de l'Union. La TVA exigible est
calculée sur la valeur déclarée. La douane vérifie
toutefois la nature et la valeur des biens déclarés. Ces
vérifications ne posent pas de problème, dans la pratique, le
seul problème réel, qui est celui des faux, relevant de la
compétence des experts et non de celle des douaniers.
Ainsi, la TVA est due quelle que soit la qualité de l'importateur.
Toutefois une exception existe au profit du ministère de la culture, des
34 musées nationaux et des établissements agréés
par le ministère, ainsi qu'au profit des personnes
exonérées ressortissantes d'autres Etats membres lorsque le bien
est en transit. Le taux de TVA applicable est celui du pays d'importation,
c'est-à-dire le taux français.
A l'inverse, les importations temporaires sont soumises aux régimes
douaniers économiques qui permettent d'importer des biens en suspension
de TVA. Ces régimes, qui ont pour base légale le code des douanes
communautaires et le code général des impôts, autorisent
l'admission en suspension de droits, pour une durée donnée. Le
choix de l'un ou l'autre de ces régimes est conditionné par le
motif de l'opération : ainsi l'importation d'une oeuvre en vue
d'une vente, d'une exposition ou d'une expertise se fait dans le cadre du
régime dit " de l'admission temporaire " pour un délai
initial de 24 mois maximum, éventuellement prorogeable . L'importation
d'un bien en vue d'une restauration, d'un encadrement ou d'une autre
intervention se fait plutôt dans le cadre dit " du perfectionnement
actif ". La TVA n'est alors perçue que lors de la mise à la
consommation.
Les contrôles douaniers sont en revanche, plus approfondis en cas
d'importation temporaire car il faut s'assurer de l'identité de l'oeuvre
importée et de l'oeuvre ultérieurement réexportée.
En réponse à la question de M. Yann Gaillard concernant la
date d'exigibilité du paiement de la taxe et les mesures
éventuelles à envisager pour faciliter l'activité des
importateurs,
Mme Claire Grouffal
a indiqué que la douane
n'exigeait qu'une garantie à hauteur de 10% du montant de la TVA due. En
outre les commissaires-priseurs, les antiquaires ou galéristes
affiliés auprès d'un organisme reconnu par l'administration des
douanes (comité professionnel des galeries d'art et syndicat national
des antiquaires) bénéficient d'un régime simplifié
de garantie les dispensant de caution, sur production d'une police d'assurance.
M. Alain Cazarré
a donc conclu qu'il n'existait pas
d'obstacle fiscal à l'importation temporaire des biens culturels par des
professionnels, seuls les particuliers devant effectivement verser le montant
de garantie.
M. Alain Cazarré
a ensuite abordé la question de
l'exportation des biens culturels et de la protection des trésors
nationaux. Il a indiqué que ces biens faisaient l'objet d'une
réglementation nationale à laquelle s'ajoute la
réglementation communautaire harmonisant les règles d'exportation
des biens culturels vers les pays tiers. Il a indiqué que la Douane
n'était pas compétente pour autoriser la sortie d'un bien
culturel du territoire français -tant vers un autre Etat membre que vers
un pays tiers-, seul le ministère de la culture étant
habilité à délivrer le
certificat
. Il a
précisé, qu'au sein de l'administration des douanes, le SETICE
(Service des titres du commerce extérieur), était, en revanche,
compétent pour délivrer
l'autorisation d'exportation
à destination des pays tiers, sur présentation, par
l'opérateur, du certificat de sortie émis par le ministère
de la culture. Soulignant la faiblesse des moyens en personnel affectés,
dans ce service, au contrôle de l'exportation des biens
culturels -2 personnes -, il a indiqué que 2141 licences
d'exportation, temporaires ou définitives, avaient été
délivrées en 1998, en faisant remarquer que ce chiffre augmentait
régulièrement d'année en année, depuis 1993.
M. Alain Cazarré
a estimé que l'identité entre
les seuils de valeur des biens exportés retenus au niveau
français et les seuils européens était de nature à
faciliter les mouvements d'oeuvres d'art, et que la réglementation
actuelle ne posait pas - ou peu - de problèmes d'application aux douanes.
En réponse à une question relative à la fiabilité
des statistiques concernant les exportations de biens culturels,
M. Alain Cazarré
a fait valoir qu'elles étaient
établies par le SETICE mais qu'elles ne pouvaient être
complètes dès lors que les particuliers n'étaient pas
soumis à l'obligation d'établir une déclaration
d'échanges de biens en cas d'exportation intra-communautaire. Il a
précisé que les contrôles, en matière d'exportation
intra-communautaire, étaient limités à l'obligation de
produire à toute réquisition des services douaniers un document
permettant d'attester la régularité du transport.
MM. Alain Cazarré et Guillaume Adelle
ont conclu leur propos
en souhaitant que ne soit pas aggravée ou alourdie une
réglementation déjà fort complexe et en exprimant la
crainte de voir le marché de l'art se délocaliser encore
davantage vers la Belgique et les Pays-Bas en cas de rétablissement de
barrières ou d'entraves à la libre circulation
intra-communautaire.
Entretien de Maître Gérard
CHAMPIN,
Président de la Chambre nationale des Commissaires-priseurs
le jeudi 4 février 1999
Maître Gérard Champin
a tout d'abord
rappelé
que l'élément fondamental intervenu dans le domaine de l'art
depuis l'après-guerre était son internationalisation. Le
système français d'offices ministériels est un
système de proximité excellent dans un marché
fermé. Il s'est révélé totalement inadapté
à un développement international. La France avait pris des
années de retard et il était absolument nécessaire
d'opérer une mise à niveau en matière fiscale et
parafiscale.
Maître Gérard Champin
a ensuite passé en revue les
différentes causes de distorsions du marché français. Il a
tout d'abord cité la TVA à l'importation qui, selon lui, posait
un problème plus psychologique que réel car ses recettes, qui
s'élevaient à 40 millions de francs par an,
présentaient un caractère tout à fait marginal dans le
budget de l'Etat. Néanmoins les Anglais bénéficiaient
actuellement d'un taux réduit qui pénalisait les Français.
Maître Gérard Champin
a rappelé que la 7
e
directive européenne avait prévu la mise en place d'un taux
unique dans toute l'Union européenne au 1
er
juillet 1999
et que le Gouvernement français devrait se montrer très ferme
dans les discussions qui ne manqueraient pas de l'opposer à la
Grande-Bretagne.
Maître Gérard Champin
a ensuite fait état de la
liberté de tarif dont bénéficiaient les maisons de vente
britanniques. Il s'est félicité de ce que le projet de loi mette
fin au tarif encadré pour les ventes volontaires en France, ce qui
permettra aux Français de s'aligner sur le taux de 15 %
pratiqué par les Anglais pour les objets d'une valeur inférieure
à 300.000 francs.
A la demande de M. Yann Gaillard,
Maître Gérard Champin
a
ensuite abordé la question du droit de suite qu'il a jugé
généreux dans son principe et justifié à
l'époque de sa création, dans les années 20, mais
totalement inadapté au marché concurrentiel actuel. Des
discussions étaient actuellement en cours au niveau européen
où deux points de vue contraires s'affrontaient : celui des
Allemands, favorables à une extension du droit de suite, et celui des
Anglais, farouchement opposés à sa mise en application.
Maître Gérard Champin
s'est déclaré favorable
à l'instauration d'un taux dégressif et a souligné la
nécessité de trouver une solution pour le cas particulier des
galeries d'art.
Maître Gérard Champin
, en réponse à M. Yann
Gaillard, a ensuite évoqué le droit de reproduction comme autre
cause de distorsion avec la Grande-Bretagne où ce droit n'existait pas.
Ce droit, ancien mais d'application récente en France, avait fait surgir
des problèmes partiellement résolus par la loi du 27 mars 1997
exonérant " les reproductions intégrales ou partielles
d'oeuvres d'art graphiques ou plastiques destinées à figurer dans
le catalogue d'une vente aux enchères publiques effectuée en
France par un officier public ou ministériel ". Il était
important, selon lui, d'étendre le bénéfice de cette
exonération aux sociétés de vente étrangères
aussi bien qu'aux galeries d'art.
Maître Gérard Champin
a ensuite souhaité que la
modification de la loi de 1992 sur la circulation des biens intègre un
volet fiscal exonérant du droit d'enregistrement une oeuvre
frappée d'interdiction de sortie afin de compenser la perte de sa valeur
et a déploré que le ministère des Finances y soit
opposé.
Maître Gérard Champin
a ensuite abordé la seconde
partie de son exposé concernant l'indemnisation des
commissaires-priseurs prévue par le projet de loi. Il a rappelé
qu'une commission indépendante nommée pour évaluer le
préjudice subi avait rendu son rapport en janvier 1998. Le
préjudice avait alors été estimé à 900
millions de francs, somme qui avait été diminuée de
moitié par le gouvernement sans aucune justification.
Maître
Gérard Champin
a alors proposé que cette somme soit
considérée comme une provision sur indemnisation et que les
commissaires-priseurs qui pensaient avoir subi un préjudice
supérieur puissent le faire valoir. Sa proposition s'inspirait du
décret concernant l'indemnisation en cas de création de charge et
permettait à la fois de mettre la loi à l'abri de
l'inconstitutionnalité dont elle serait frappée si le
préjudice subi n'était pas intégralement remboursé
et, à l'inverse, de ne pas indemniser les intéressés
au-delà de celui-ci.
En réponse à M. Yann Gaillard, désireux de connaître
son interprétation de l'article 36 du projet de loi,
Maître
Gérard Champin
a expliqué qu'il s'agissait effectivement
d'établir une moyenne entre deux modes d'évaluation et non
d'opérer une division ainsi qu'une mauvaise interprétation
l'avait laissé penser.
Enfin,
Maître Gérard Champin
a déclaré que le
débat autour de l'indemnisation n'avait pas donné lieu à
des fluctuations sur le prix des études et qu'il n'y avait pas lieu
d'être inquiet de voir l'indemnisation engloutie par le règlement
des affaires récemment soulevées par les médias.
Pour conclure,
Maître Gérard Champin
s'est
déclaré favorable à une limitation de la
responsabilité des commissaires-priseurs ramenée à 10 ans,
ce qui favoriserait l'attractivité du marché français. Il
était important, selon lui, de perpétuer la tradition du droit
romain qui visait à protéger l'utilisateur, contrairement au
droit anglo-saxon qui tendait à rendre les gens responsables de leurs
actes. Une seconde raison présidait au choix de cette durée de 10
ans : la solidarité collective disparaissant lors de la mise en
application du projet de loi, les commissaires-priseurs devaient s'assurer pour
le passé et les compagnies d'assurance ne prenaient en compte que les
dix dernières années.
Entretien de M. André CHANDERNAGOR,
Président de l'Observatoire des mouvements d'oeuvres d'art
le mardi 12 janvier 1999
En
réponse à
M. Yann Gaillard
qui lui demandait son analyse
de la situation du marché de l'art en France,
M. André
Chandernagor
lui a fait remarquer que les statistiques en la matière
n'étaient pas toujours fiables : en particulier, il a
indiqué qu'il avait des doutes sur la réalité d'une
tendance qui se traduisait par la baisse des exportations à destination
des pays de l'Union européenne, qui avec une part de 17 % se situe
à un niveau nettement inférieur aux quelques 25 à
30 % que l'on connaissait au début des années 1990.
Il a avancé l'explication selon laquelle les mouvements d'oeuvre, dans
un contexte d'ouverture des frontières intra-européennes,
étaient sans doute mal retracés, les particuliers étant
dispensés de " déclaration d'échanges de
biens ", ainsi que dans certains cas, les opérateurs
professionnels. En revanche, les mouvements extérieurs à l'Union
européenne demeurent fiables. Nos deux principaux clients sont, à
part sensiblement égale, les Etats-Unis et la Suisse.
Evoquant ensuite la question de la position concurrentielle du marché de
l'art français,
M. André Chandernagor
a souligné
les raisons du déclin relatif de ce marché : tandis que
Londres bénéficiait d'une fiscalité attractive, et de
maisons de vente très organisées et très actives :
les commissaires-priseurs français se sont trouvés bridés
par leur statut, leur tarif et une fiscalité peu attractive. Ils se sont
limités au marché intérieur, sans effort suffisant de
présence sur le marché mondial.. Au contraire, les Anglais ont su
attirer de la marchandise et des clients en provenance de l'extérieur et
c'est cet objectif que l'on doit se fixer si l'on veut que Paris redevienne la
plaque tournante du marché de l'art qu'il était encore
après la deuxième guerre mondiale. Il a noté qu'il y avait
une large domination des anglo-saxons sur ce marché, qu'il s'agisse
des maisons de vente, de la publicité et de l'exploitation des
moyens modernes de communication.
En ce qui concerne le droit de suite,
M. André Chandernagor
a
observé que ce droit, qui aurait pu prendre la forme d'un droit social a
été conçu à l'origine comme un droit de nature
patrimoniale, ce qui en rend la suppression pratiquement impossible. D'une
façon générale, il a insisté sur le fait que si
Français et Anglais étaient concurrents, ils avaient des
intérêts communs et que la stratégie française, sans
doute la plus efficace, serait de se rapprocher de nos partenaires britanniques
pour trouver, à l'harmonisation européenne du droit de suite, une
solution acceptable qui n'obère pas trop le marché
européen -essentiellement Londres et Paris- par rapport à
New-York et Genève.
En ce qui concerne l'ISF,
M. André Chandernagor
a
estimé qu'il était en tout état de cause mauvais d'en
laisser planer la menace.
Au sujet des experts, il a insisté sur les problèmes posés
par la multiplicité des syndicats et sur la nécessité de
les convaincre d'adopter et de faire respecter des codes de déontologie,
comme il l'avait toujours préconisé. Il a indiqué par
ailleurs qu'il n'était pas favorable à ce que les conservateurs
des musées nationaux soient autorisés à procéder
à des expertises à la demande de tiers. Le mélange des
genres aboutirait inévitablement à la mise en jeu de la
responsabilité de l'Etat.
Abordant ensuite la question de l'exercice par l'Etat de ses
prérogatives régalienne en matière d'oeuvres d'art,
M. Chandernagor
a tout d'abord souligné la croissance du
nombre de demandes de certificats, qui sont passés de plus de 2.300 par
an à près de 3.800 aujourd'hui, tout en attirant l'attention sur
le petit nombre de refus de certificats qui n'ont concerné qu'une
soixantaine d'objets sur plus de 20.000 demandes depuis 1993.
Il a considéré que le régime actuel de protection des
" trésors nationaux " fonctionnait convenablement, même
si des efforts restaient à accomplir, à la Direction du Livre,
pour réduire la durée de délivrance des certificats. Il a
estimé en outre que ce régime doit être adapté pour
permettre à l'Etat d'acquérir dans certains cas les oeuvres sur
la base d'un prix fixé à dire d'experts. La procédure
actuelle de classement est en effet devenu inopérante depuis l'affaire
du tableau de Van Gogh, le " jardin à Auvers ", où
l'Etat a dû payer une indemnité équivalente à une
année de crédits d'acquisition, sans devenir propriétaire
du tableau.
En conclusion,
M. Chandernagor
a souligné que si l'on voulait
protéger notre patrimoine, il fallait dans l'environnement ouvert qui et
le nôtre, accepter d'y mettre le prix. Il a rappelé que les
Anglais, confrontés au même problème, l'ont résolu
par l'affectation d'une partie des recettes de leur loterie nationale à
l'acquisition d'oeuvres d'art.
E
ntretien de M. Jean-Pierre CHANGEUX,
Professeur au Collège de France,
Président de la commission des dations
le mardi 12 janvier 1999
M.
Jean-Pierre Changeux
a tout d'abord souligné, en réponse
à
M. Yann Gaillard
qui a souhaité connaître son
sentiment sur la
situation et les perspectives du marché de l'art
en France, qu'un marché de l'art florissant dans notre pays ne pouvait
que multiplier le nombre d'amateurs, ce qui permettait d'espérer
à terme des dons ou des dations venant enrichir les collections
publiques.
A l'appui de cette affirmation, il a indiqué que l'on pouvait raisonner
par analogie avec l'activité scientifique : faute d'organes de diffusion
nationaux, les chercheurs français sont soumis au jugement et à
l'expertise de leurs collègues anglo-saxons. Aujourd'hui, ils doivent
obligatoirement publier en anglais, alors que longtemps, le français a
été la langue de référence pour les publications
scientifiques.
Pour lui, une évolution analogue s'est produite pour le marché de
l'art qui s'est déplacé progressivement, hier de Paris à
Londres, et aujourd'hui de Londres à New-York. Les raisons de cette
évolution tiennent largement au fait, d'une part, que Paris n'est plus
comme autrefois un lieu où se manifestent une offre et une demande
importante d'oeuvres, et, d'autre part, que les anglo-saxons ont une
capacité d'expertise incontestée sur le plan international.
Reprenant son argumentation,
M. Jean-Pierre Changeux
a
précisé les conditions qui lui paraissaient de nature à
revitaliser le marché de l'art en France :
1. Développer une capacité d'expertise de niveau
international
: il a souligné que la crédibilité
supérieure des anglo-saxons était un facteur déterminant,
à côté de l'existence d'une population d'amateurs capables
de payer des prix élevés, qui explique l'essor des places de
Londres et de New-York. Il s'est interrogé, à cet égard,
sur la légitimité des règles qui interdisent aux
conservateurs de faire état de leur opinion d'expert, soulignant que,
dans son domaine d'activité, on encourageait les chercheurs à
établir des liens avec les entreprises, et que, par ailleurs, il est
tout à fait admis que les professeurs de droit donnent des consultations
juridiques.
2. Susciter l'apparition d'amateurs d'art :
il faut faire en sorte
que les personnes qui en ont les moyens s'intéressent à l'art.
3. Définir un statut fiscal privilégié :
il
s'agit selon lui d'un aspect important dans la mesure où il est
établi que beaucoup d'oeuvres quittent le territoire national sans
être déclarées. Telle est la raison pour laquelle il est
non seulement dangereux de soumettre les oeuvres d'art à l'impôt
sur la fortune, mais encore souhaitable de définir un statut
privilégié pour celles achetées à l'étranger.
Pour conclure sur ce point
M. Jean-Pierre Changeux
a indiqué
qu'il n'était pas pessimiste et que Paris était par ailleurs une
ville suffisamment attractive pour faire venir les collectionneurs
internationaux.
En réponse à
M. Yann Gaillard
qui lui demandait ce qu'il
pensait de l'exercice par l'administration de ses prérogatives
régaliennes, (préemption et interdiction de sortie)
M.
Jean-Pierre Changeux
a indiqué qu'il ne s'agissait pas, selon lui,
d'un frein important, d'autant plus que dans d'autres pays, et notamment au
Japon et aux Etats-Unis, il existait des mécanismes très
rigoureux de protection des trésors nationaux. Le problème vient
parfois du caractère tardif de l'autorisation de sortie, ce qui peut
créer un handicap pour les oeuvres très chères.
Abordant, dans un deuxième temps, les problèmes
spécifiques de la
procédure de dation
en paiement,
M.
Jean-Pierre Changeux
a tout d'abord souligné qu'elle avait permis de
conserver des éléments importants du patrimoine national dans les
domaines les plus variés, rappelant à ce sujet qu'elle concernait
non seulement les oeuvres de haute valeur artistique mais aussi celles ayant
une importance historique.
Evoquant les opérations récentes les plus marquantes,
M.
Jean-Pierre Changeux
a souligné la diversité des oeuvres
acquises (qui vont des oeuvres d'art aux hélicoptères en passant
par des bibliothèques ou des collections scientifiques) tout en
indiquant néanmoins, qu'en valeur, l'art moderne était le plus
important.
En ce qui concerne le bilan de la procédure, il a fait savoir que de
plus en plus d'oeuvres étaient déposées en régions
et que l'on s'efforçait même, s'agissant d'une procédure de
dation et non d'une donation, de tenir compte des souhaits des
intéressés quant à l'affectation de l'oeuvre.
Puis
M. Jean-Pierre Changeux
a attiré l'attention sur le
déroulement pratique de la procédure, signalant la
modicité des moyens administratifs dont dispose la commission des
dations : celle-ci n'a pas de budget, tous les frais étant
théoriquement pris en charge par les administrations auxquelles
appartiennent les membres de la commission ou les experts consultés.
Il a souligné le caractère fondamentalement volontaire de la
procédure, dans la mesure où l'offre initiale, qui est assortie
d'une évaluation chiffrée de l'oeuvre et d'une expertise, peut
toujours être retirée, même après l'acceptation du
ministre. Il a précisé sur ce point que le ministre avait
toujours suivi l'avis de la commission des dations et que cette dernière
fonctionnait suivant le principe du consensus.
En ce qui concerne la valeur libératoire,
M. Jean-Pierre Changeux
a insisté sur le fait qu'il prenait toujours comme
référence le prix du marché international. La commission a
d'ailleurs constitué une banque de données lui permettant de
juger des propositions faites à la commission. Il a rappelé que
l'oeuvre faisait l'objet d'un double examen portant d'abord sur la valeur
artistique et, ensuite, sur la valeur de marché. Globalement, il a
indiqué que le bilan de la commission faisait apparaître que les
valeurs libératrices préparées par les offreurs
étaient, en général, raisonnables mais parfois
révisées à la baisse et que dans certains cas, même
révisées à la hausse par souci d'équité et
de façon à éviter toute contestation.
Pour conclure,
M. Jean-Pierre Changeux
a indiqué que si la
procédure actuelle était satisfaisante, on pouvait songer
à l'étendre au paiement d'autres impôts ou dettes
vis-à-vis de l'Etat. L'essentiel, selon lui, est de ne pas introduire de
plafond dans le montant annuel des dations compte tenu des fluctuations
conjoncturelles inhérentes aux offres de dations (décès,
partages, héritages).
Entretien de Mme Henriette CHAUBON,
Sous-directeur de la direction des professions
judiciaires et juridiques
à la Chancellerie
et M. Mathias Emmerich, conseiller technique
le mercredi 10 février 1999
M. Yann
Gaillard
a souhaité avoir des précisions, tout d'abord, sur
le mode de calcul de l'indemnisation des commissaires-priseurs, ensuite sur le
taux et la durée de la taxe prévue à l'article 40 du
projet de loi pour son financement et enfin sur la clause de sauvegarde.
M. Mathias Emmerich
a tout d'abord indiqué que le calcul de la
valeur d'une charge était le résultat de la moyenne entre les
deux critères d'évaluation suivants : le chiffre d'affaires et le
résultat. La somme ainsi dégagée est affectée d'un
coefficient différent pour Paris et la province traduisant la
différence des transactions entre ces deux pôles.
Mme Henriette Chaubon
a précisé que le produit demi-net
est un critère qui sert à évaluer le montant des prix de
cession qui est librement fixé entre les parties. Il est obtenu en
déduisant des produits bruts les loyers des locaux professionnels, les
salaires, les charges sociales et la taxe professionnelle. Dès 1976, une
circulaire ministérielle indiquait que la produit demi-net ne
correspondait plus tout à fait à la réalité
économique. Ce critère avait été retenu dans le
premier projet de loi. Il était affecté d'un coefficient
élevé, ce qui pouvait s'analyser en une aide. Le total de
l'indemnisation s'élevait à 2,3 milliards de francs. Dans le
projet de loi actuel, l'aide a disparu, il ne s'agit plus que d'une juste
indemnisation du préjudice subi pour laquelle le nouveau Gouvernement
s'est appuyé sur le rapport de MM. Cailleteau, Favart et Renard.
S'agissant de la clause de sauvegarde,
M. Mathias Emmerich
a
estimé qu'elle serait difficile à mettre en oeuvre et risquait de
générer des contentieux judiciaires à venir. Il a
indiqué , en réponse à M. Yann Gaillard, s'agissant de la
taxe de 1 % prévue à l'article 40 qu'il ne serait pas
inconcevable d'envisager sa suppression qui serait, par ailleurs, bien
perçue par les commissaires-priseurs et constituerait un argument de
meilleure compétitivité sur le marché de l'art.
Evoquant le système de garantie prévu aux article 11 et 12 du
projet de loi,
M. Mathias Emmerich
a souligné que l'objectif
était de protéger des sociétés fragiles ou peu
capitalisées en évitant tout lien capitalistique direct entre la
société de ventes aux enchères et l'établissement
de garantie.
M. Yann Gaillard
a alors rappelé qu'un certain
nombre de commissaires-priseurs souhaitait l'application, en la matière,
du droit commercial ordinaire.
M. Mathias Emmerich
a indiqué
qu'il s'agissait d'un dispositif de transition.
Concernant la responsabilité des commissaires-priseurs.
Mme Henriette Chaubon
a rappelé que le code civil
prévoyait une responsabilité de 30 ans à l'égard du
vendeur (art. 2262) et de 10 ans à l'égard de l'acheteur (art.
2270-1), alors que le projet de loi (article 27) fixe la responsabilité
des commissaires-priseurs à dix ans à partir du fait
générateur du dommage.
Enfin, en réponse à M. Yann Gaillard, qu'il interrogeait sur le
sort réservé à l'Hôtel Drouot et à la
Gazette,
M. Mathias Emmerich
a répondu que leur sort ne relevait
pas seulement de décisions des pouvoirs publics. En tout état de
cause, il a estimé que l'arrivée de Sotheby's et Christie's
à Paris allait transformer le marché et générer une
augmentation des ventes et, par conséquent, faire de Paris le
troisième marché mondial de l'art.
Entretien de Mme Arlette CHOUMER
et de M. Claude PAQUET
Syndicat des personnels des commissaires-priseurs
le mercredi 7 avril 1999
M.
Claude Paquet
a tout d'abord indiqué que l'avant projet de loi sur
les ventes aux enchères publiques prévoyait que les
indemnités de licenciement pour motif économique étaient
calculées à raison d'un mois de salaire par année
d'ancienneté. Le projet définitif, après arbitrage
auprès du Premier ministre, a abandonné ce système pour en
revenir à l'application de la convention collective de la profession.
Or, celle-ci est très peu protectrice en cas de licenciements puisque
cette situation ne se produisait pratiquement jamais dans la profession. Dans
le système retenu, une personne ayant 30 ans de maison et gagnant 10.000
francs par mois percevrait 30.000 francs d'indemnité.
A cet égard,
Mme Arlette Choumer
a observé que les
regroupements de commissaires-priseurs allaient générer de
nombreux licenciements. En effet, sur les 1.500 salariés actuellement
employés, 400 licenciements sont prévus.
M. Claude Paquet
a estimé que le personnel faisait partie des
oubliés de la réforme du statut des commissaires-priseurs. Selon
lui, le Gouvernement n'a pas voulu créer un précédent en
prévoyant une indemnisation des salariés, dérogatoire
à la convention collective, dans un projet de loi.
En conclusion,
M. Yann Gaillard
a déclaré que le
Sénat ne manquerait pas de rappeler que l'avant projet de loi
était plus favorable au personnel et de déposer un amendement
tendant à améliorer les conditions de leur indemnisation.
Entretien de M. Jean-Marc GUTTON,
Directeur de la Société des Auteurs
Arts Graphiques et Plastiques,
le jeudi 28 janvier 1999
M.
Jean-Marc Gutton
a d'abord replacé la société qu'il
dirige dans le contexte des sociétés d'auteurs. Il a
souligné qu'une des particularités françaises était
la multiplicité des sociétés d'auteurs. Pour lui, la SACEM
est forte car elle est seule, à la différence des arts plastiques
où longtemps il y a eu deux sociétés.
M. Jean-Marc Gutton
a également commenté les raisons de la
crise qui a emporté la SPADEM, en soulignant les responsabilités
de la tutelle dans les dérives qui ont provoqué la disparition de
cette société.
Puis, il a indiqué que sa société, l'ADAGP, regroupait la
presque totalité des artistes, à l'exception de quelques grands
noms comme Picasso, Matisse ou Delaunay.
En ce qui concerne la question des droits d'auteur, il s'est
élevé contre la présentation qu'avait faite le rapport de
M. Chandernagor du droit de suite qui n'est pas une taxe mais un droit d'auteur
pur au coeur même de la Propriété Intellectuelle.
Il a souligné que la charge représentée par le droit de
suite était modérée : le volume des ventes
protégées était inférieur à 5 % du
total, et le droit de suite correspondrait 0,2 % du chiffre d'affaires
global des opérateurs. Pour lui, ces pourcentages seraient identiques
entre la France et la Grande-Bretagne si le droit de suite était
appliqué dans ce dernier pays.
Enfin, après avoir rappelé que les Américains avaient
annoncé qu'ils se pencheraient sur le problème de l'introduction
du droit de suite aux Etats-Unis lorsque l'Europe l'aura
généralisé,
M. Jean-Marc Gutton
a fait savoir qu'il
était favorable à une dégressivité des taux qui
pourraient ainsi passer de 4 à 3, puis 2 %, voire 1 %
seulement pour la tranche la plus élevée.
Il a ajouté, en ce qui concerne le droit de reproduction, qu'il ne
voulait pas que les opérateurs paient deux fois et donc que ce droit ne
serait pas exigé des opérateurs qui, comme les
commissaires-priseurs français, paient déjà le droit de
suite.
Enfin,
M. Jean-Marc Gutton
a souligné que les frais de perception
de l'ADAGP étaient réellement modérés, par rapport
aux 11 millions de francs collectés au titre du droit de suite.
Entretien de Mme Anne LAHUMIERE,
Présidente du Comité des Galeries d'art,
de Mme Marie-Claire MARSAN, Déléguée
générale,
et de M. Patrick BONGERS, Galériste
le mardi 5 janvier 1999
Mme Anne
Lahumière
, a débuté son exposé en indiquant que
l'appartenance au Comité des galeries d'art était
subordonnée à un double parrainage et à la signature d'un
code de déontologie. Le Comité compte actuellement
160 galeries sur un total compris entre 400 et 500 en France. Le
galériste, à la différence du commissaire-priseur,
effectue un travail de promotion permanent de ses artistes. Ce travail prend la
forme d'invitations, de catalogues, d'affiches, d'expositions montées en
France et à l'étranger ainsi que de participations à des
foires d'art internationales.
Mme Marie-Claire Marsan
a fait observer qu'aujourd'hui n'importe
qui pouvait s'intituler galerie d'art en se contentant de prendre des oeuvres
en dépôt. Elle a souligné qu'une vraie galerie se
distinguait par le travail qu'elle opérait en profondeur et dans la
durée pour la promotion de l'oeuvre de l'artiste qu'elle avait choisi.
Une autre caractéristique essentielle résidait dans le fait que
c'était la galerie qui rémunérait l'artiste et non
l'inverse.
Mme Anne Lahumière
, en réponse à une question de
M. Yann Gaillard
sur la situation actuelle de la profession, a
déclaré que le marché intérieur subissait le
contrecoup de la crise de 1990 et était toujours déprimé.
Les galeries ne subsistent que parce qu'elles participent à des foires
à l'étranger et que 90 % des ventes sont
réalisées à l'exportation. Elle a toutefois reconnu que,
en dehors de toute conjoncture économique, l'art contemporain
n'intéressait pas les collectionneurs français.
M. Patrick Bongers
a fait observer que la création
française se vendait mal à l'étranger également.
Mme Anne Lahumière
a précisé que l'Angleterre,
entièrement tournée vers les Etats-Unis, ne représentait
pas un marché intéressant dans le domaine de l'art contemporain
pour la France. Parmi les pays de la communauté, l'Allemagne
était le seul concurrent sérieux et représentait un
marché dynamique que la France devait s'efforcer de conquérir. La
Suisse représentait également un débouché valable
pour la création française.
Mme Marie-Claire Marsan
a expliqué la vitalité du
marché allemand par la structure fédérale du pays :
chaque région développe en effet une politique culturelle intense.
Mme Anne Lahumière
a ajouté qu'il existait de
véritables incitations pour les collectionneurs à travers les
fondations et que la vitalité du marché interne était la
cause directe de la reconnaissance des artistes allemands à
l'étranger.
Patrick Bongers
a fait remarquer que la création allait là
où était le marché. La France ayant perdu sa place
prépondérante dans le domaine du marché de l'art au cours
des années 60, ne représentait plus un centre de création
artistique. Il a déploré le manque de moyens mis à la
disposition des créateurs et des galeries ainsi que le manque
d'intérêt des médias à leur égard et mis en
cause l'éducation scolaire, tournée vers la littérature,
qui ne donnait aucune culture artistique aux enfants. Tout cela contribuait
à décourager le public.
Mme Anne Lahumière
a fait valoir que la menace constante
d'imposition des oeuvres d'art qui pesait sur le contribuable dissuadait les
acheteurs potentiels.
M. Yann Gaillard
ayant désiré
connaître les mesures qu'elle préconisait,
Mme Anne
Lahumière
a proposé que soit mise en place, sous forme de
déductions fiscales, une politique d'incitation pour les petites
entreprises qui achetaient des oeuvres d'art. Elle a également
demandé que la taxe forfaitaire et le droit de reproduction qui
pénalisent les galeries d'art soient alignés sur le même
taux que celui pratiqué dans les ventes publiques. En ce qui concerne la
taxation à la marge au taux nominal de TVA instaurée par la
7
ème
directive européenne, elle a souhaité
que soit mis en place un système permettant l'application d'un taux
réduit lorsqu'il existe une TVA en amont (artistes assujettis,
importations) à l'image de ce qui se fait en Allemagne.
Mme Marie-Claude Marsan
s'est déclarée opposée
au droit de suite, dans la mesure où, en France, les galeries cotisaient
déjà pour la sécurité sociale des artistes.
Mme
Anne Lahumière
a souligné l'iniquité du droit de suite
qui ne profitait qu'à quelques familles célèbres.
Mme Anne Lahumière
a suggéré, pour redynamiser
le marché français, d'ouvrir un espace réservé
à la création d'artistes français ou résidents
français à partir des années 20.
M. Yann
Gaillard
ayant déploré le manque de diversité dans les
expositions ou les musées consacrés à l'art contemporain,
Mme Marie-Claire Marsan
pense que, malgré des efforts, un
système de pensée unique persiste malheureusement dans les achats
pour les collections publiques.
Mme Anne Lahumière
a
ajouté que, de plus, lorsque les institutions s'adressent directement
à l'artiste, cela fausse le marché en fixant de façon
arbitraire des prix qui ne sont pas nécessairement le reflet de la
réalité et empêche l'artiste d'avoir un rayonnement
international faute d'un marché privé. Elle a conclu qu'il
était important de garder à l'esprit que le circuit commercial
était le seul à même d'offrir la plus grande
diversité et d'assurer la plus large diffusion.
.
Entretien de M. Eric LAUVAUX,
du Cabinet NOMOS (commissaires-priseurs)
accompagné de Maîtres DUHAMEL et de CORNEILLAN
le mardi 12 janvier 1999
M. Eric
Lauvaux
a tout d'abord présenté l'organisme
représenté par son cabinet : CPR (commissaires priseurs
réunis) est un groupement constitué sous forme d'une
société civile de moyens rassemblant un certain nombre de
commissaires-priseurs de province. En terme de chiffre d'affaires, ceux-ci
représentent 13 % du marché français et 22 % du
chiffre d'affaires des commissaires-priseurs de province. Il s'agit, a-t-il
souligné, d'un groupement stable puisque 5 ans après sa
constitution, ce groupement n'a enregistré aucune défection.
Ensuite,
M. Eric Lauvaux
a précisé le sens de la
démarche des commissaires-priseurs de CPR : leur but est d'avoir les
moyens de s'adapter aux nouvelles conditions de marché
créées par la nouvelle loi et en tout état de cause de
faire lever le plus vite possible les incertitudes qui pèsent
actuellement sur les futures conditions d'exercice de leur profession.
Plus précisément, il a, avec les deux commissaires
présents, évoqué un certain nombre de sujets de
préoccupation :
1.
L'absence de prise en compte des problèmes posés par les
nécessaires restructurations qui vont découler du nouveau
régime des ventes aux enchères
. Selon eux, on ne tient pas
compte du coût fiscal des réorganisations, alors que celui-ci sera
immédiatement exigible sans avoir pour contre-partie aucun
dégagement de trésorerie. Dans la mesure où actuellement
aucun des participants n'est soumis à l'impôt des
sociétés, ils ne peuvent bénéficier du
régime de l 'article 151 octies du CGI.
M. Eric Lauvaux
a
indiqué qu'il fournirait à
M. Yann Gaillard
une note
technique précisant les difficultés engendrées par
l'inadaptation du régime fiscal des plus-values à la situation
des commissaires-priseurs.
2.
Les conditions d'exercice de l'activité de commissaire-priseur
judiciaire.
Il a été souligné que le projet de loi
était muet sur cette question, or, pour les membres de CPR, une
évolution et des regroupements sont inévitables et il faut donc
les prévoir et les accompagner.
M. Yann Gaillard
a pris note du
problème posé tout en considérant qu'il relevait de la
compétence exclusive de la commission des lois.
3.
La conception trop restrictive de la notion de vente publique
: Les
représentants de CPR ont souligné que le projet de loi ne
concernait ni les ventes fermées (fréquentes en matière
automobile), ni d'une façon générale les ventes qui
pourraient intervenir par Internet. Il y a là une lacune importante
notamment du point de vue de l'assiette de la taxe destinée à
financer l'indemnisation.
4.
L'indemnisation
: Les représentants de CPR ont d'abord
critiqué le principe même de la taxe qui va conduire à
faire financer l'indemnisation par les études les plus dynamiques. Ils
ont en effet estimé que compte-tenu de l'état très
concurrentiel du marché, la taxe serait en fait supportée par les
commissaires-priseurs. En conclusion, ils se sont même demandés
s'il n'aurait pas été préférable de ne
prévoir ni taxe ni indemnisation. Outre le problème d'assiette
déjà mentionné, ils ont insisté sur les
modalités critiquables du calcul de l'indemnité (non prise en
compte de la dernière année connue, 1997, et traitement
discriminatoire entre les études parisiennes et les études de
province) et sur les incertitudes juridiques qui pèsent sur le statut
fiscal de l'indemnité : s'agit-il d'un revenu ou d'une plus-value ?
5.
Questions diverses :
Enfin, les représentants de CPR ont
souligné la situation relativement favorable faite aux notaires et aux
huissiers qui pourront continuer à effectuer des ventes aux
enchères volontaires sans avoir à changer de statut.
Entretien de M. Hervé LE FLOC'H-LOUBOUTIN,
Directeur, Chef du service de la législation fiscale
et de M.
Jean-Louis JOURNET,
Sous-directeur au service de la législation
fiscale
le mardi 9 février 1999
M. Yann Gaillard
s'étant tout d'abord
interrogé sur la possibilité d'une réforme, voire d'une
suppression de la TVA à l'importation,
M. Hervé Le
Floch-Louboutin
a déclaré qu'on était là
domaine contraint sur le plan juridique et que la 7
e
directive ayant
posé le principe de la taxation à l'importation, il
n'était pas envisageable de revenir en arrière. Par ailleurs,
fondamentalement le marché de l'art s'inscrivait tout naturellement dans
le champ d'application de la TVA. Cette TVA n'étant due que par les
ressortissants de la communauté européenne, elle ne lui
paraissait pas nuire au rôle de Paris en tant que plaque tournante du
marché de l'art.
M Yann Gaillard
lui ayant fait observer
que, dans l'incertitude de la destination finale de l'oeuvre, le vendeur
donnerait toujours priorité au pays le plus fiscalement favorable,
M. Hervé Le Floc'h-Louboutin
a convenu qu'il s'agissait
là d'un vrai débat de principe qui rejoignait la
problématique des discussions actuelles sur les activités
délocalisables et la manière de les taxer. La position de la
France était très claire : sur tous les sujets de
compétition fiscale elle défendait l'idée d'une taxation
minimum.
M. Yann Gaillard
ayant fait valoir que le marché de l'art
était un marché étroit, ne présentant pas les
mêmes enjeux que les grands débats économiques,
M. Hervé Le Floc'h-Louboutin
s'est élevé
contre la logique du moins-disant fiscal qui conduisait à ne pas taxer
les riches.
M. Jean-Louis Journet
a ajouté que le
marché allait tout naturellement là où se trouvaient les
nouvelles fortunes, à savoir les Etats-Unis. Par ailleurs il lui
paraissait que c'était moins la fiscalité que la libre
disposition de ses biens qui préoccupait le collectionneur et à
cet égard la protection du patrimoine jouait un rôle dissuasif
dans le retour des oeuvres sur le territoire français.
M. Yann Gaillard
ayant soulevé la question de la
dérogation obtenue par les Anglais pour l'application d'un taux
réduit de TVA à l'importation,
M. Hervé
Le Floc'h-Louboutin
a répondu que si cette dérogation
devait être prorogée, alors la France demanderait un alignement
afin de ne pas être pénalisée.
M. Jean-Louis
Journet
a rappelé que la règle de l'unanimité
s'appliquerait lors des débats au sein de la Commission
européenne sur cette question. Une autre dérogation a alors
été évoquée : la possibilité pour les
Allemands d'appliquer un régime de taxation à la marge au taux
réduit.
M. Hervé Le Floc'h-Louboutin
a
précisé que cette dérogation devait prendre fin en juillet.
En réponse à une question de M. Gaillard,
M. Jean-Louis
Journet
a indiqué que les Anglais pratiquaient la vente de biens
sous régime suspensif, ce qui les plaçaient en infraction avec la
législation européenne et qu'une action était actuellement
en cours à Bruxelles contre eux.
M. Yann Gaillard
s'est ensuite fait l'écho de diverses
revendications émanant des commissaires-priseurs installés en
province quant à la restructuration de leurs études en
sociétés de ventes volontaires.
Pour conclure,
M. Hervé Le Floc'h-Louboutin
a indiqué
qu'une réflexion était en cours sur le problème fiscal que
risquait de poser la cession des parts de la société Drouot SA
appartenant à la Compagnie des commissaires-priseurs lors de la
disparition de cette dernière.
Entretien de Maître Joël MILLON,
Président de la Chambre des commissaires-priseurs de Paris
et Maître William STUDER, commissaire-priseur,
le jeudi 4 février 1999
M. Yann
Gaillard
a demandé à
M. Joël Millon
d'exposer sa
position sur deux points : la situation et les perspectives du
marché de l'art français en général et le projet de
loi sur les ventes volontaires.
M. Joël Millon
a rappelé que si la définition d'un
statut des commissaires-priseurs était une urgence, la réforme
attendait déjà depuis quatre années ce qui, dans une
activité devenue un marché de capitaux, les plaçait en
situation difficile par rapport aux maisons commerciales
étrangères Sotheby's et Christie's.
Il a estimé que dans ce contexte de mondialisation, la réforme ne
pouvait apporter de solution, notamment au problème de la défense
du patrimoine, que complétée par des mesures rendant plus
attrayantes fiscalement, tarifairement et juridiquement le marché
parisien. Il a ajouté que le manque de visibilité, qui
résultait de l'attente d'un nouveau statut, entraînait un blocage
des ventes d'études comme des ouvertures de capital qui handicapait la
profession.
Si
M. Joël Millon
a rappelé que le projet actuel par rapport
au projet Léonnet, établi en concertation et soutenu par M.
Toubon, divisait déjà par deux l'indemnisation, il a
regretté que le nouveau gouvernement l'ait réduite à
nouveau de moitié en supprimant de surcroît le volet social. Il a
ainsi déclaré que même si l'expropriation n'était
que partielle selon l'avis rendu par la Cour de cassation, l'indemnisation
devait rester préalable, totale et juste, ce qui, selon lui,
n'était pas le cas dans le projet de loi.
Abordant le calendrier de la réforme, il a considéré que
ses délais d'adoption et de mise en place, de une à deux
années, notamment pour l'indemnisation, constituaient un handicap pour
les opérateurs français, dans une période ou les
concurrents étrangers commencent à se positionner
.
M. Joël Millon
a évoqué, à ce propos, la
tenue d'une vente par Sotheby's au Château de Groussay, hors de la
circonscription de la Chambre de Paris, et la demande présentée
par des commissaires-priseurs parisiens de vendre pour Sotheby's au
siège du futur hôtel des ventes de cette société
à Paris. Il a cependant estimé que même si un recours
était déposé, cet aspect juridique était
peut-être dépassé.
M. Joël Millon
a également considéré que
l'incertitude, tant sur les partenaires futurs que sur les moyens financiers,
hypothéquait l'avenir de Drouot dont l'activité, essentielle pour
le quartier, représentait surtout 6.000 à 8.000 visiteurs
quotidiens, un million d'objets vendus chaque année et
2.000 emplois.
Évoquant le Livre blanc qu'il avait initié en 1987-1988 et qui
n'avait permis d'obtenir que quelques aménagements, il a rappelé
les difficultés pour obtenir la possibilité de créer des
sociétés anonymes pour les officiers ministériels. Il a
donc plaidé pour une harmonisation totale de règles qui
deviendraient applicables à l'échelon international.
M. Joël Millon
s'est déclaré partisan, plutôt
que de revenir au projet initial de la commission Léonnet s'appuyant sur
le produit demi-net, de revenir au projet soutenu par Mme Guigou et
élaboré par les trois sages.
Concernant les aspects financiers du projet, il a rappelé ses quatre
critiques majeures :
l'incohérence et l'inadaptation du montant de l'indemnisation ;
le renvoi des dispositions financières, telle que celle concernant
le fonds de garantie, à une loi de finances ultérieure ;
la durée du délai de traitement des dossiers
d'indemnisation qu'il a proposé de ramener de 1 an à 6 mois ;
les risques d'insuffisance de la période de 5 ans pour la
perception de la taxe d'indemnisation, et de pérennisation de cette taxe
une fois son objet rempli.
Après avoir précisé que la latitude financière du
Parlement était délimitée par l'ordonnance de 1959,
M.
Yann Gaillard
a proposé que les deux Chambres de
commissaires-priseurs lui présente des exemples concrets
d'indemnisation, établis d'une seule voix, afin qu'il puisse se livrer
à une comparaison avec les simulations du ministère. Il a
remarqué que dans son étude juridique sur le sujet, M. Vedel
avait considéré qu'il n'y avait pas lieu à indemnisation,
ce qui était également le point de vue initial de l'inspection
générale des finances.
M. Joël Millon
a affirmé que si le projet n'était pas
modifié, en ce qui concerne les règles d'indemnisation, la
profession utiliserait tous les recours disponibles pour combattre cette
disposition.
Il a tracé un parallèle avec les mesures dont avaient
bénéficié les avoués, les greffiers et les agents
de change, lors des réformes de leurs professions et
considéré que l'indemnisation demandée était
raisonnable au regard des rentrées fiscales qu'avait assuré la
profession à l'Etat. Il s'est également interrogé sur
l'éventualité du rachat d'une étude, dans la mesure ou le
projet permettrait de créer une SARL pour 50.000 F.
Après avoir fait remarquer que le système des
bénéfices non commerciaux, auquel ils étaient assujettis,
ne leur permettait de constituer ni fonds propres, ni réserves,
M.
Joël Millon
a fait observer que la valeur de l'office était
validée par la Chancellerie et représentait bien une valeur
pécuniaire, prise en compte par l'administration fiscale. Il a
rappelé que c'était le ministère de l'Économie et
des finances qui avait imposé la réduction du coefficient
d'indemnisation à l'article 37 et demandé le retour à
l'indemnisation préalable à l'ouverture du marché à
l'article 35. Il a précisé que la nouvelle estimation,
réduisant de moitié le produit demi-net de 1,8 milliard de
francs, qui servait de référence initiale, avait
été acceptée en contrepartie de la poursuite
d'activité, mais qu'il ne pouvait accepter une nouvelle division
aboutissant à une indemnisation globale de 450 millions de francs
seulement. Il a fait état de la comparaison avec la maison Christie's
dont le volume d'affaires, soit 10 milliards de francs, était du
même niveau que le marché français, et de la proposition de
M. Pinault de la racheter pour 8 milliards de francs : ce rapport peut
inciter, selon lui, à la réflexion sur l'estimation du montant de
l'indemnisation par le Gouvernement même s'il ne peut pas être
considéré comme applicable en l'état au cas de la
réforme.
Après s'être interrogé sur le risque d'application de
l'article 40 aux amendements proposés,
M. Yann Gaillard
s'est
inquiété des perspectives de Drouot après cette
réforme.
M. Joël Millon
a précisé que la grande
stabilité de Drouot SA reposait sur l'unicité du lieu de vente et
la solidarité collective et qu'elle se trouvera fragilisée par la
réforme. Il a estimé que le flou tant juridique que fiscal actuel
entravait toutes les initiatives de regroupement ou de revente de parts pour
les 110 actionnaires de la société, alors que celles-ci seront un
préalable à la constitution de la nouvelle société,
d'autant que les deux activités, judiciaires et commerciales, seront
dissociées. Drouot SA subissait selon lui les séquelles d'un
passage de la personnalité morale de droit public, statut actuel de la
compagnie des commissaires-priseurs, à celle de droit privé. Il a
jugé que la charge de l'impôt sur les sociétés et
des dividendes, applicable à la compagnie au titre des actions de Drouot
SA, était difficile à supporter dans le contexte de la
réforme. Il a donc souhaité un report du paiement de la
plus-value.
Il a enfin regretté la disparition de tout volet social du projet.
Maître William Studer
a présenté une proposition de
création de société de cautionnement mutuel pour
satisfaire aux garanties d'assurance, prévues par le projet de loi, et
dont les assureurs et établissements de crédits étaient
demandeurs. Son capital, apporté par les adhérents, devrait
atteindre environ 20 millions de francs, pourrait bénéficier
d'actions libérées de Drouot SA et constituerait un fonds de
garantie, pour tout sinistre éventuel, permettant de recourir à
l'assurance, tant pour les avances que pour les garanties d'adjudications, et
aux financements bancaires.
Entretien de M. Pierre ROSENBERG,
Président-directeur du Musée du Louvre
le mardi 9 février 1999
M.
Pierre Rosenberg
a tout d'abord déclaré qu'il était
temps que le Gouvernement autorise Sotheby's et Christie's à faire des
ventes aux enchères publiques à Paris, sinon le marché
risquait de s'installer définitivement à Londres. Il a
noté qu'une des raisons du succès de la place de Londres tenait
à la qualité de ses experts qui font largement défaut
auprès des commissaires-priseurs français.
Il a ensuite estimé que l'installation de Sotheby's et Christie's
risquait d'entraîner la disparition de l'Hôtel Drouot, situation
qu'il regretterait personnellement tout en soulignant le caractère
désuet de cette institution. A cet égard, il a rappelé que
Sotheby's et Christie's s'étaient substitué au marché
parisien au profit de Londres en s'appuyant sur une conception très
mondialiste du marché de l'art.
M. Pierre Rosenberg
a encore observé que le vrai débat
relevait des taxes dans l'Europe communautaire qui incitaient les marchands
à vendre à New-York, qu'il s'agisse de la TVA ou d'autres charges
qui font qu'un marchand à plus intérêt à vendre
à New-York qu'à Londres.
Il a ensuite indiqué que le système anglais de ventes aux
enchères était plus rationnel et efficace que le système
français. En effet, 95 % des oeuvres ou objets importants sont
concentrés sur deux expositions par an et la vente a lieu effectivement
6 mois après, alors qu'en France, elle a lieu le lendemain, ce qui
laisse très peu de temps pour s'organiser, et que l'Hôtel Drouot
requiert une fréquentation quasi-quotidienne. Il a encore comparé
les systèmes français et anglais concernant les experts et
regretté qu'en France ces derniers soient en même temps marchands,
cette confusion des genres étant préjudiciable au marché
de l'art.
S'agissant de la protection du patrimoine national et de la réforme de
la loi de 1992, il a indiqué qu'il y avait deux solutions possibles, le
système italien de " notification " très
protectionniste et le système anglais très libéral. La
France n'a jamais su choisir entre les deux. Elle passe sans arrêt de
l'un à l'autre. Il a estimé que la loi de 1992 avait pour
principal défaut de ne pas donner à ceux qui ont la
responsabilité de cette loi les moyens de l'appliquer, notamment les
moyens financiers pour l'acquisition des oeuvres.
Il a cité, à cet égard, l'exemple anglais de la loterie et
estimé qu'une loterie dont une fraction du produit serait clairement
affectée à la défense du patrimoine pourrait constituer
une solution en France.
Il a en outre indiqué que les musées nationaux ne pouvaient
à eux seuls assurer la défense du patrimoine et que,
malheureusement, le " vice " de la collection était peu
répandu en France.
M. Pierre Rosenberg
a ensuite évoqué les problèmes
posés par des décisions judiciaires qu'il s'agisse de l'affaire
du " Jardin à Auvers " " ou, plus anciennement, de celle
du " Poussin ". A ce titre, il a indiqué que si Le Louvre
achète en vente publique un tableau qu'il a identifié, alors que
ni les experts ni le commissaire-priseur ne l'ont fait, il sera contraint de le
rendre à son propriétaire ; les anglais, de leur
côté, défendent avant tout leur réputation, et si
une erreur est commise, font tout pour que cela ne se sache pas.
Enfin, il a souligné que le dynamisme du marché de l'art en
France tenait pour beaucoup à celui d'une douzaine de jeunes marchands
d'une compétence sans équivalent à Londres et New-York.
Entretien de M. Jean-Marie SCHMITT,
Directeur de l'Institut d'étude supérieur des arts
le mardi 22 décembre 1998
M. Yann Gaillard
a tout d'abord souhaité
savoir s'il
était important, pour le développement d'une culture vivante,
d'avoir un marché de l'art.
M. Jean-Marie Schmitt
a
répondu par l'affirmative en rappelant que la création actuelle
dépendait d'une logique de marché. A cet égard, il a
cité l'exemple américain et rappelé qu'après la
seconde guerre mondiale le poids économique de ce pays, son dynamisme et
le mode de vie américain s'étaient conjugués pour faire
basculer quasiment tout le marché de l'art vers les Etats-Unis.
Il a également indiqué que la France avait perdu pied dans l'art
contemporain parce qu'elle n'avait pas de marché secondaire et donc pas
de recyclage possible pour les acheteurs. Telle est la raison pour laquelle la
création française actuelle n'a plus passé les
frontières depuis les années 60, à quelques exceptions
près.
M. Jean-Marie Schmitt
a ensuite indiqué qu'une bonne approche du
marché de l'art français nécessitait de le fragmenter en
trois parties : le marché de l'art actuel qui ne dispose pas de
deuxième marché, le marché de l'art ancien, lui-même
divisé entre les oeuvres de niveau international et les oeuvres de
niveau national et le marché de l'art moderne.
Il a, enfin, estimé que le problème premier de ce marché
était avant tout symbolique. En effet, l'oeuvre d'art n'a pas simplement
une valeur vénale ou scientifique mais une valeur symbolique qu'il est
très difficile de rattacher à des données
concrètes, précises et quantifiables. A cet égard, il a
estimé que le marché de l'art français se situait dans une
problématique proche de la francophonie, la France se vivant comme une
puissance à vocation culturelle universelle. Il a estimé
nécessaire de maintenir ce passé de la plus grande Nation sur le
plan culturel pour des raisons de rentabilité économique, le
tourisme, les produits dérivés ayant pour socle l'exploitation de
ce patrimoine.
M. Yann Gaillard
a ensuite souhaité connaître l'état
actuel du marché de l'art français.
M. Jean-Marie Schmitt
a indiqué que Paris se situait en
troisième position après New-York et Londres. En terme de ventes
publiques, New-York détient 50 % du marché, Londres
35 % et Paris entre 6 et 7 % alors que 60 % des oeuvres vendues
sont françaises ou ont été créées en France
pour la période située entre 1870 et 1930. Il a estimé que
l'objectif de 10 à 15 % de part de marché pourrait
être atteint par Paris, les ventes publiques se déplaçant
facilement. Il faudrait évidemment que les professionnels se montrent
capables d'inverser la tendance actuelle. Il a ensuite précisé
que, contrairement aux données chiffrées, Londres restait la
capitale où était réellement enraciné le
marché de l'art, les différents acteurs -consommateurs,
marchands, galéristes, experts- étant extrêmement bien
structurés.
Il a estimé que la France disposait également des atouts
nécessaires pour constituer le socle qui permettrait de
développer le marché des ventes publiques pour la partie la plus
volatile et la plus spéculative que représente l'art
impressionniste et l'art moderne.
Il a cependant estimé que trop d'incertitudes pesaient sur le
marché de l'art français, qu'il s'agisse de la position des
professionnels, qui gèrent les stocks, mais ne veulent pas investir, ou
de la création, sans cesse reportée, de l'Institut national
d'Histoire de l'art français qui constitue pourtant un réel enjeu.
M. Yann Gaillard
a souhaité connaître les quelques mesures
à envisager pour faire évoluer la situation du marché de
l'art.
M. Jean-Marie Schmitt
a estimé qu'il fallait lever
l'hypothèque " ventes publiques " en réformant
très rapidement la profession de commissaire-priseur. L'absence de
décision, qui perdure depuis trois ans, neutralise le marché. La
situation s'est figée parce que les commissaires-priseurs ont voulu
traiter de façon monolithique leur sortie de profession alors qu'il
aurait fallu dissocier l'indemnisation de la modernisation de la profession. On
ne peut mesurer les conséquences précises de cette attente, mais
les ventes publiques sont en " stand-by " et les études qui
avaient des velléités d'investir attendent. Cet état de
glaciation a des effets sur le marché lui-même. Après avoir
espéré 3 milliards de francs, puis être passés
à une indemnisation de 850 millions de francs et enfin à
450 millions de francs, les commissaires-priseurs ont désormais un
intérêt à faire traîner la situation.
Concernant l'intégration des objets d'art dans l'impôt sur la
fortune,
M. Jean-Marie Schmitt
a estimé qu'il aurait presque
être préférable de prendre la mesure proposée en la
verrouillant plutôt que de subir cette menace permanente.
S'agissant de la TVA à l'importation, il a estimé que le
problème venait du différentiel avec Londres. Il a rappelé
que le marché de l'art était très défendu au niveau
politique en Grande-Bretagne. Les Anglais, jusqu'à l'intégration
dans la communauté européenne, avaient un système
permettant l'entrée en franchise de TVA de toutes les oeuvres
antérieures à 1973. Ils ont admis, lors de la négociation
sur la 7
ème
directive sur la TVA de payer un taux
réduit dérogatoire de 2,5 %. Cette dérogation vient
à échéance en juin 1999 et il devrait passer à un
taux réduit " normal ", soit 5 %. Cependant il a
indiqué que l'effet de la taxation à l'import était
très faible, en effet, on importe environ 1 milliard de francs
d'oeuvres d'art en France. Dans ce contexte, il a indiqué que les
problèmes fiscaux servaient parfois d'alibi pour justifier l'inaction
des professionnels car pour l'acheteur français, payer 5 % de plus
une oeuvre d'art n'était pas vraiment rédhibitoire. Toutefois, si
un blocage se faisait du côté des anglais, il serait peut
être justifié d'aligner le taux français de TVA à
l'import sur celui de l'Angleterre. Le coût budgétaire serait peu
élevé et permettrait de vérifier si le différentiel
de TVA à l'import pénalise effectivement le marché
français.
Il a ensuite abordé le droit de suite et estimé que même si
les Anglais utilisaient des moyens dilatoires, celui-ci serait étendu
à toute l'Europe puisque 11 Etats de la communauté sur 15
l'appliquent déjà.
Le système mis en place à Bruxelles prévoit un taux
dégressif de 4 % à 1 % pour les tranches
supérieures. Cette taxe pèse sur le vendeur et la durée du
droit de suite a été uniformisé à 70 ans.
Cependant, le droit de suite va poser un problème pour les galeries qui
en sont exonérées au motif qu'elles cotisent déjà
à la caisse de sécurité sociale des artistes, à
raison de 1 % de leur chiffre d'affaires. Pour cette raison, l'Etat ne
leur a pas appliqué la loi de 1957 sur le droit de suite en ne prenant
pas les décrets d'application.
M. Yann Gaillard
a enfin interrogé
M. Jean-Marie Schmitt
sur la loi de 1992 relative à l'interdiction de sortie des oeuvres du
territoire.
Il a indiqué que le système actuel qui semblait
équilibré prévoyait un certificat de libre circulation qui
pourrait être refusé par l'Etat pendant une durée
provisoire. A l'issue de cette période, soit l'Etat achète
l'oeuvre, soit il la classe. Ce système a trouvé récemment
ces limites avec la regrettable affaire du tableau de Van Gogh -le jardin
à Auvers- où l'Etat a été condamné à
payer 145 millions de francs au propriétaire du tableau, notamment
du fait de l'arrogance de certains conservateurs. Un projet de loi est
actuellement à l'étude à la direction des Musées de
France qui vise à modifier la loi de 1992 et qui s'inspirerait du
système anglais. Il a jugé primordial que toutes les mesures
concernant l'interdiction de sortie ne soient pas applicables aux oeuvres
rentrées en France depuis moins de 50 ans. Cela créerait une
sécurité patrimoniale pour les collectionneurs qui viennent
s'installer en France. En tout état de cause, il a estimé qu'il
fallait sortir du système français actuel qui est enfermé
dans l'antagonisme collectionneur public-collectionneur privé et
examiner toutes les mesures fiscales ou de protection du patrimoine en ayant
pour objectif principal de faire émerger la notion de collection et
d'encourager les collectionneurs.
Entretien de Maître Jacques TAJAN,
Commissaire-priseur
le mardi 5 janvier 1999
Maître Jacques Tajan
a tout d'abord rappelé
que
jusqu'en 1952 le marché de l'art français était le premier
au monde. Désormais, les Anglais avaient conquis ce marché
grâce à leurs atouts : statut libéral des
commissaires-priseurs, moyens financiers importants, liberté d'action
totale.
Les commissaires-priseurs français, étroitement conservateurs
dans leur ensemble, prisonniers d'un carcan de réglementation qui
remonte jusqu'à Henri II, ont été dans l'incapacité
de réagir à cette concurrence.
L'État français a laissé les Anglais se rendre
acquéreurs du patrimoine français tout en leur interdisant la
revente en France.
Maître Jacques Tajan
estime qu'au total ce
préjudice représente aujourd'hui 50 % du patrimoine privé,
ce qui est considérable.
Il a déclaré que le statut d'officier ministériel
était inadapté aujourd'hui à une profession qui devait
évoluer dans un marché international et qu'une réforme
était nécessaire.
Maître Jacques Tajan
a rappelé l'importance de la
profession de commissaire-priseur. D'une part, ceux-ci jouent un rôle sur
le plan culturel car ils consolident le patrimoine en le maintenant en France.
D'autre part, ils représentent un poids économique
considérable. Les 450 commissaires-priseurs existant en France
emploient entre 30 000 et 40 000 personnes dans leurs études,
et, si l'on prend en compte les activités périphériques
induites, ce sont au total 70.000 personnes qui dépendent d'eux. De
plus, les commissaires priseurs sont aussi des auxiliaires de justice et des
collecteurs d'impôt.
Maître Jacques Tajan
a indiqué qu'il était favorable
à un renforcement de la législation en ce qui concerne les ventes
judiciaires et, à l'inverse, partisan d'une totale libéralisation
pour les ventes volontaires.
Evoquant ensuite le projet de loi portant réglementation des ventes
volontaires de meubles aux enchères publiques,
Maître Jacques
Tajan
l'a accusé d'être une réforme en "trompe-l'oeil".
En effet, ce texte, selon lui, feint de libéraliser et de moderniser
alors qu'en fait il impose une réglementation excessive et
inadaptée qui montre une totale méconnaissance de la profession.
A titre d'exemple,
Maître Jacques Tajan
a cité : la
garantie de prix minimum qu'on restreint à la fourchette basse de
l'estimation, l'obligation de passer par un organisme d'assurance ou un
établissement de crédit pour la garantie des prix au vendeur, la
fixation du prix de réserve inutilement contraignante, la
possibilité de revente de gré à gré dans un
délai de 8 jours mais à des conditions absurdes, puisque le
prix ne doit pas être inférieur à l'enchère atteinte
lors du retrait de l'objet.
Selon lui, notamment en matière d'avances aux vendeurs des
sociétés de ventes volontaires devraient ne relever que du droit
commercial commun. Par contre, dans le domaine des ventes judiciaires,
Maître Jacques Tajan
a souligné la nécessité
de protéger le citoyen et de renforcer la législation.
Le marché de l'art français est pénalisé par une
fiscalité à l'importation des objets d'art de 5,5 % et par
le droit de suite de 3 %. Les Etats-Unis, la Suisse et le Japon, qui
représentent les plus grandes réserves d'objets d'art que du
monde, sont ainsi empêchés de vendre ceux-ci dans le pays dont ils
sont issus.
Pour conclure,
Maître Jacques Tajan
a évoqué
l'indemnisation prévue par le projet de loi qu'il a
préféré appeler "avance de trésorerie". Le
système envisagé est, selon lui, usuraire car il revient
finalement à rembourser deux fois ce qui a été
avancé.
Maître Jacques Tajan
a évoqué les
effets pervers de cet esprit "bourse commune" qui pénalise les plus
entreprenants et que l'on retrouve également aussi bien dans la
règlement de l'affaire Loudmer que dans le financement de l'hôtel
Drouot.
De façon générale,
Maître Jacques Tajan
a
dénoncé le " trompe l'oeil " et l'hypocrisie de cette
réforme qui consiste à affirmer haut et fort que l'on va donner
les moyens de la concurrence aux Commissaires-priseurs français
notamment, en rapprochant notre système de celui des autres pays de la
communauté.
On affirme ensuite sur divers points : garantie de prix, avance de fonds,
vente de gré à gré, que cela va être possible comme
dans les autres pays, mais aussitôt on s'empresse d'assortir ces
soi-disant possibilités de telles conditions irréalistes qu'en
fait, rien ne sera possible à mettre en pratique.
Maître Jacques Tajan
a rappelé qu'on assistait par ailleurs
à une main mise de l'Etat sur la profession à travers la
création d'un conseil des ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques, constitué majoritairement par des
personnalités désignées par les pouvoirs publics.
On est loin du système anglais qui s'inscrit purement et simplement dans
le droit des entreprises de service et de commerce quelles qu'elles soient.
Le comble qui résume l'état d'esprit du pouvoir qui veut tout
régenter dans cette affaire est atteint notamment, à l'article 10
où on peut lire :
-1
er
paragraphe : " Chaque vente volontaire de meuble aux
enchères publiques donne lieu à une publicité
sous
toute forme appropriée
".
Cela ressemble un peu à Monsieur de LAPALISSE, mais enfin...
Hélas, aussitôt après :
-2
ème
paragraphe : " Les mentions devant figurer
sur la publicité seront fixées par décret ".
Comment et qui, dans un monde qui évolue chaque jour, peut figer
définitivement ce qu'il est opportun de faire figurer dans des
publicités destinées à tous les pays du monde, avec leur
sensibilité et leurs usages, en compétition avec tous les pays
où les règles générales qui régissent la
publicité sont appliquées un point c'est tout.
Entretien de M. Eric TURQUIN, Expert en tableaux anciens
et de M. Bruno de BAYSER, Expert en dessins anciens
le jeudi 7 janvier 1999
M. Bruno de Bayser
a débuté son
exposé
en attirant l'attention sur le problème majeur de la
responsabilité trentenaire dans l'exercice de la profession d'expert en
France. Les experts anglais, qui n'ont pas à subir cette contrainte,
sont plus brillants que leurs homologues français, condamnés
à une vision craintive et timorée dans leurs expertises sous
peine de se voir infliger des procès.
Puis
M. Eric Turquin
a dressé un bref historique du
marché de l'art en soulignant que les objets d'art étaient pour
un très grand nombre d'origine française ou étaient
passés par la France plus tard. Jusque dans les années 60, les
Français ont dominé le marché. Ensuite, les Anglais,
grâce à une fiscalité plus favorable notamment au niveau
des importations, les ont supplantés. C'est désormais vers New
York que se déplace le marché, toujours pour des raisons d'ordre
fiscal.
Réagissant aux réactions de scepticisme de
M. Yann
Gaillard
,
M. Eric Turquin
a souligné l'importance du
préjudice que la taxe à l'importation faisait subir au vendeur et
l'impact direct que celle-ci avait sur le choix du lieu de vente. Les
procédures compliquées et les tracasseries administratives que
doivent subir à la douane les personnes qui veulent faire expertiser un
objet en France constituent un obstacle supplémentaire à la
vitalité et au dynamisme de la profession.
M. Eric Turquin
a ensuite déploré l'existence du
droit de préemption, spécificité française, qui
décourage les acheteurs potentiels. Il a souhaité que l'Etat se
comporte comme un acquéreur normal et fasse des enchères lors des
ventes publiques.
M. Eric Turquin
s'est également
prononcé contre le droit de suite qui ne favorise que quelques grandes
familles et ne trouve sa justification qu'aux yeux des sociétés
chargés de le percevoir.
M. Bruno de Bayser
ayant souligné qu'en France les
transactions étaient pénalisées par une fiscalité
défavorable et une bureaucratie trop lourde,
M. Yann
Gaillard
a souhaité pouvoir disposer d'un tableau comparatif prenant
en compte les différents cas de figure suivant la nature de l'objet, le
lieu de vente et la nationalité du vendeur et de l'acheteur.
M. Eric Turquin
a fait valoir qu'il était aussi essentiel de
favoriser la création artistique que les transactions. Le marché
des objets d'art constitue, en effet, une vitrine prestigieuse pour le pays et
induit des effets économiques non négligeables. En réponse
à
M. Yann Gaillard
, il a précisé que le
Syndicat national des antiquaires allait sous peu publier une étude sur
la réalité de ce marché en France. L'exemple du
marché du dessin, entièrement recentré sur Paris, prouve
qu'il est possible que la France retrouve sa place prépondérante.
Revenant sur le problème de la responsabilité des experts,
M. Eric Turquin
a déploré qu'en France on ait
l'habitude de considérer qu'une vente pouvait être cassée.
Il a regretté que le principe relevant du droit commercial commun de
sécurité des transactions soit ainsi bafoué.
M. Bruno de Bayser
a fait valoir que les experts devaient
statuer sur 15.000 artistes répartis sur trois siècles. Il
était absolument évident que dans ces conditions, les avis ne
pouvaient pas être toujours d'une totale certitude.
M. EricTurquin
a ajouté que l'histoire de l'art était
une science humaine et comportait en tant que telle une marge d'erreur et que
l'aspect subjectif était essentiel dans l'appréciation d'un objet
d'art. Tous deux ont plaidé pour une limitation de la
responsabilité des experts.
En réponse à
M. Yann Gaillard
,
M. Eric
Turquin
et
M. Bruno de Bayser
se sont
déclarés favorables aux propositions de l'Observatoire concernant
les listes d'experts agréés et le code de déontologie,
mais réservés sur la composition du Conseil des ventes
volontaires qui ne devait pas, selon eux, être une émanation de la
puissance publique.
M. Yann Gaillard
s'interrogeant sur la nécessité de
la protection du patrimoine,
M. Eric Turquin
et
M. Bruno de
Bayser
ont répondu que l'Etat était le plus actif des
collectionneurs et que les conservateurs étaient tentés
d'utiliser les procédures de protection du patrimoine pour
" enrichir " les collections publiques à meilleur compte, ce
qui en effrayant les détenteurs d'oeuvres d'art, contribue, en fait,
à favoriser les exportations "invisibles". Ils ont conclu que la
meilleure façon de protéger le patrimoine était de
faciliter sa circulation.
Entretien de M. Bertrand du VIGNAUD, Président de
Christie's Monaco et Vice-Président de Christie's France
et de M. Anthony BROWNE, Président de la Fédération
Britannique
du marché de l'art
le jeudi 14 janvier 1999
M. Yann
Gaillard
a tout d'abord rappelé que l'intérêt de la
commission des finances pour la situation du marché de l'art
français était justifiée par la volonté de
comprendre le déclin de la France sur le marché mondial depuis le
début des années 1950.
M. Anthony Browne
est intervenu en premier pour exposer quelles
étaient les raisons pour lesquelles Paris a décliné par
rapport à Londres.
Il a souligné que ces deux villes étaient désormais
menacées par la montée en puissance de New-York et
considéré que la France et l'Angleterre devaient avoir une
position commune vis à vis de la Commission de Bruxelles, qui ne voyait
pas que l'Europe était désavantagée par des charges
élevées dans sa compétition avec les Etats-Unis.
Revenant sur les raisons pour lesquelles Londres a considérablement
développé ses affaires dans les années 70 et 80,
M.
Anthony Browne
a rappelé que ce succès était dû
à la capacité de Londres à attirer, du fait de la
faiblesse de ses coûts, de la marchandise en provenance du monde entier.
Il a indiqué que la Fédération britannique du
marché de l'art avait commandé une étude démontrant
l'importance du marché de l'art pour l'économie britannique dans
des domaines aussi divers que le tourisme, le fret ou l'artisanat, tout en
précisant que 40.000 emplois étaient concernés.
En dernier lieu, il a déclaré qu'il est essentiel de comprendre
que le marché de l'art à une dimension essentiellement
internationale et qu'il était important qu'il puisse se
développer dans un environnement fiscal favorable.
Puis
M. Bertrand du Vignaud
a indiqué les raisons pour lesquelles
la société Christie's entendait organiser des ventes à
Paris et précisé les raisons pour lesquelles la France avait
perdu du terrain par rapport à l'Angleterre.
Tandis que la France a eu tendance à rester dans le cadre d'un
système très réglementé, l'Angleterre et le monde
anglo-saxon en général s'adaptaient de façon pragmatique
et avaient mis en place un mode de fonctionnement faisant une large place
à l'autorégulation.
A cet égard, il s'est déclaré satisfait de ce projet de
loi portant réforme des ventes volontaires à quelques
détails techniques prêts sur lequel il a transmis une note
écrite au rapporteur.
Il a néanmoins évoqué un point particulier, celui des
ventes après la vente, en soulignant qu'il s'agissait d'une pratique de
dernier recours et qu'il préférait, bien entendu, que les lots
soient adjugés au cours de la vente.
Répondant à une question du rapporteur sur les garanties
apportées par Christie's en matière d'authenticité,
M.
Bertrand du Vignaud
a insisté sur le fait que, par-delà les
termes mêmes de leurs conditions contractuelles, les maisons anglaises
étaient très attentives à la satisfaction de leurs clients
et à leur bonne réputation.
Puis, après que M. Yann Gaillard ait évoqué les obstacles
techniques et politiques qui pouvaient s'opposer à l'aménagement
du régime des charges et notamment de la TVA,
M. Bertrand du
Vignaud
a abordé les questions fiscales.
Il a attiré notamment l'attention sur le différentiel de taxe
entre l'Europe et les Etats-Unis et insisté sur les conséquences
néfastes sur le commerce de la " paperasserie " qui
résultait de l'introduction de la TVA à l'importation,
indépendamment même de la charge supplémentaire qu'elle
pouvait constituer.