L'avenir des espaces périurbains
LARCHER (Gérard)
RAPPORT D'INFORMATION 292 (98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES
Table des matières
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ALLOCUTION D'OUVERTURE
DE M. CHRISTIAN PONCELET,
PRÉSIDENT DU SÉNAT -
PRÉSENTATION PAR M. GÉRARD LARCHER,
VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT-
I. LE CONSTAT
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A. LES ESPACES PÉRIURBAINS : UNE
FRONTIÈRE EN MOUVEMENT ?
- 1. L'extension progressive de la surface des espaces périurbains par M. Pierre DELORME, directeur de la diffusion et de l'action régionale à l'INSEE
- 2. La population des espaces périurbains : 9 millions de Français par M. Jean-Raymond COHEN, responsable du département périurbain de la Bergerie nationale de Rambouillet
-
B. DES ESPACES EN DÉSHÉRENCE ?
- 1. Témoignages sur les conflits d'usage
- 2. Relations et tensions sociales
- 3. Le beau à la porte des villes par M. Guy POIRIER, conseiller technique auprès du directeur de l'espace rural et de la forêt
- 4. Le risque de la laideur par M. Bruno LETELLIER, directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du Maine-et-Loire
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A. LES ESPACES PÉRIURBAINS : UNE
FRONTIÈRE EN MOUVEMENT ?
-
II. QUELLES POLITIQUES ?
- A. L'ESPACE PÉRIURBAIN : UN ENJEU MAJEUR POUR L'ENVIRONNEMENT
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B. L'URBANISME : UN DROIT INADAPTÉ ?
- 1. Renforcer la stabilité et l'intercommunalité des instruments d'urbanisme par M. Pierre-René LEMAS, directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction
- 2. L'application des dispositions relatives à l'urbanisme commercial par M. Jean-Pierre RAFFARIN, ancien ministre, sénateur de la Vienne
- 3. `Agriculture périurbaine et droit de l'urbanisme : en France et en Ile-de-France
- 4. Encourager le remodelage des quartiers par M. Michel MERCIER, sénateur du Rhône, président de l'OPAC du Rhône
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C. LE FONCIER : CLE DE LA RECONQUÊTE
- 1. Mme Anne BAIN, directeur des affaires foncières et immobilières de l'AFTRP
- 2. M. Philippe BALNY, directeur de l'Agence des espaces verts de la Région Ile-de-France
- 3. M. André BOISSEAU, président de la Fédération des associations de propriétaires et agriculteurs d'Ile-de-France
- 4. M. Etienne LAPEZE, président de la FNSAFER
- 5. Mme Michèle PRATS, inspecteur général de l'Equipement
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I. LE CONSTAT
-
CONCLUSION -
POUR UNE RECONQUÊTE DURABLE
DES ESPACES PÉRIURBAINS
PAR M. GÉRARD LARCHER, VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT
N°
292
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 31 mars 1999
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1)
sur l'
avenir des espaces périurbains
,
Actes du colloque organisé au Sénat le 10 février 1999
Par M. Gérard LARCHER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.
Aménagement du territoire.
ALLOCUTION D'OUVERTURE
DE M. CHRISTIAN
PONCELET,
PRÉSIDENT DU SÉNAT
Monsieur
le Président, mes chers collègues,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je suis pour ma part très heureux de vous accueillir au Sénat
pour le colloque organisé par la Commission des Affaires
économiques, intitulé " Ville et Campagne ensemble ",
commission qui est présidée par M. Jean François-Poncet
qui est à mes côtés à la tribune.
Je vous souhaite une très cordiale bienvenue et vous exprime toute ma
sympathie.
Ouvrir ce colloque constitue pour moi une véritable satisfaction, non
seulement en raison de l'intérêt du sujet qui va être
traité devant vous dans un instant par le Président Jean
François-Poncet et par le rapporteur Gérard Larcher. Mais aussi,
parce que ce colloque illustre parfaitement et d'une manière remarquable
la méthode de travail du Sénat. Je le dis souvent, le
Sénat réalise des travaux extrêmement intéressants.
Malheureusement, ils ne sont pas toujours suffisamment appréciés,
alors que lorsque je visite une université française ou
étrangère, les travaux réalisés par la Haute
Assemblée française sont pris comme référence sur
certains sujets.
En ces temps où certains jugent bon pour des motifs, essentiellement
politiciens, de caricaturer le Sénat il n'est pas inutile de souligner
la spécificité du travail des sénateurs. Le Sénat
sait en effet résister à la tentation, selon les périodes,
soit de dire toujours oui, soit de dire toujours non aux propositions qui lui
sont faites pour se consacrer alors avec sérieux et détermination
à la recherche de l'intérêt général. C'est ce
qui le conduit tout naturellement à amender les textes et non pas
simplement les recevoir, les enregistrer et les approuver. Le fait d'amender
n'est pas forcément une contestation. C'est la volonté, le souci
que nous avons de corriger dans le cadre de l'intérêt
général telle ou telle proposition pour la faire coller aux
réalités. A cet égard, le travail engagé par la
Commission des Affaires économiques dans le domaine des espaces
périurbains m'apparaît exemplaire. Je tiens à en
féliciter son Président ainsi que M. Gérard Larcher qui
est l'énergique auteur du rapport d'information consacré à
ce sujet.
Ce travail est exemplaire parce qu'il comporte tous les ingrédients
d'une véritable démarche du législateur qui veut
s'informer, appréhender d'une manière intelligente les
problèmes auxquels nos concitoyens sont confrontés avant de faire
des propositions législatives. Tout d'abord, un travail d'analyse et de
prospective qui débouche sur un rapport d'information qui a
été réalisé et publié en mai dernier. Ce
n'est pas un travail réalisé dans la précipitation.
Ensuite, adossé à l'impact médiatique de ce travail,
l'organisation d'un colloque permettant de débattre des orientations et
des propositions avec ceux qui sont directement concernés, ainsi que les
spécialistes du sujet que nous traitons.
Nous passons ensuite à l'acte législatif proprement dit, à
l'occasion de la discussion très prochaine du projet de loi
présenté par Mme Voynet concernant l'aménagement du
territoire. Je dirai, pour prendre une image inspirée par
l'actualité sportive, qu'il s'agit là, véritablement, d'un
travail qui consiste à transformer l'essai : étude, examen,
rapport, colloque pour trouver son prolongement concret dans la loi. Mettre en
évidence une véritable problématique fait naître un
débat, puis agir ensuite dans le domaine législatif, tel est une
des vocations du Sénat. Or, l'importance de ce sujet justifie pleinement
que le législateur s'en empare. En effet, malgré sa
sonorité rébarbative et son allure un peu technocratique, le
concept d'espace périurbain recouvre une réalité qui
concerne plus de neuf millions d'habitants et cela concerne directement dix
à douze mille collectivités territoriales qui sont
confrontées aux problèmes qui leur sont posés dans la
périphérie de grandes cités à forte densité
de population dont on maîtrise difficilement la gestion. Situé
à la croisée des chemins entre univers rural et univers urbain,
ces points de rencontre mouvants, appelés espaces périurbains,
apparaissent comme étant, je cite le rapport de M. Gérard Larcher
: «des zones frontières entre ville et campagne, zones qui
souffrent des effets mal maîtrisés du passage d'une
société rurale à une société urbaine».
Conséquence qu'à une certaine période, nous avons
assisté à un flux de population qui quitte le milieu rural parce
que cette population avait le sentiment de ne pas recevoir sa part
légitime de progrès pour aller vers les centres urbains où
elle trouvait des avantages dans les domaines social, culturel et sportif. Pour
appréhender dans leur globalité l'ensemble des problèmes
posés par ces espaces périurbains, force est de constater que les
approches et les instruments auxquels nous sommes habitués
s'avèrent inadaptés et, tout à l'heure, président
et rapporteur en feront la démonstration. Trouver des réponses
appropriées aux problèmes spécifiques de ces espaces dans
le domaine foncier, dans le domaine agricole, environnemental, dans le domaine
social ou industriel, implique de définir rapidement des instruments
nouveaux.
A cet égard les propositions de la Commission des Affaires
économiques du Sénat dont vous allez débattre aujourd'hui
apportent une contribution décisive.
Je ne doute pas que vos travaux seront fructueux et qu'ils permettront
d'avancer sur la voie d'un meilleur traitement des espaces
périurbains qui ont parfois pour conséquence de vider le coeur
des villes, ce qui entraîne contestation de la population du centre ville
qui dépérit et protestation de la périphérie qui
voit des gonflements de population alors que les structures d'accueil
nécessaires n'existent pas.
Je constate avec satisfaction que les différentes tables rondes de ce
colloque seront présidées par des sénateurs qui
appartiennent à chacun des groupes politiques représentés
au Sénat. L'aménagement du territoire relève d'une
concertation entre ceux qui ont vocation à légiférer sur
le meilleur moyen d'appréhender les difficultés et de les
résoudre. Cet oecuménisme sénatorial est de bonne augure
pour que le slogan « Ville et Campagne ensemble » devienne
une réalité pour le mieux-être de nos concitoyens.
Je vous remercie de votre attention.
PRÉSENTATION PAR M. GÉRARD LARCHER,
VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT
Monsieur
le Président du Sénat,
Monsieur le Président des Affaires économiques,
Mes chers collègues sénateurs et députés, Mesdames
et Messieurs,
Merci d'avoir répondu nombreux à l'invitation de la Commission
des Affaires économiques. Pour son Président et moi-même,
c'est l'occasion de faire un exercice comme nous l'avons déjà
fait en 1991 quand la commission a rapporté sous la présidence de
Jean François-Poncet sur l'avenir de l'espace rural, quand,
préparant en 1994 le texte sur l'aménagement et le
développement du territoire, nous nous étions retrouvés
à Poitiers pour parler de la ville. Oui, Monsieur le Président du
Sénat comme vous l'avez souligné, le Sénat est soucieux du
devenir des espaces périurbains.
La Commission des Affaires économiques a adopté au printemps
dernier, le premier rapport parlementaire consacré à ce sujet qui
a eu un assez large écho. Certaines des pistes ouvertes ont
suscité des interrogations, de fortes réactions, des
propositions, des contre-propositions. Il faut nous interroger sur des
questions qui nous sont posées aujourd'hui : que faire pour ne pas
opposer artificiellement et de manière récurrente, que faire pour
ne pas opposer idéologiquement la ville et la campagne ? Que faire
pour éviter de cantonner nos espaces à être
protégés, voire surprotégés et d'autres territoires
à n'être considérés que comme les
« kleenex » du territoire ? Comment éviter de
résumer le problème périurbain à la seule
région Ile-de-France alors qu'il se pose autour de nombreuses
métropoles régionales. Nos débats doivent le montrer,
cette question concerne le territoire national. Je ne souhaite pas vous en dire
davantage car le temps va nous être compté et nous souhaitons que
nos interventions permettent à chaque fois d'entamer un bref instant le
débat avec vous. L'important est d'écouter les
témoignages, les expériences, les propositions et les
contre-propositions, car, comme l'a dit le M. le Président du
Sénat, cet exercice n'est pas un exercice intellectuel qui ne va pas
connaître d'aboutissement à partir de fin mars sous
l'autorité du Président de la Commission des Affaires
économiques qui, sans nul doute cet après-midi même,
pourrait être Président de la Commission spéciale ayant en
charge d'examiner le rapport et de préparer la discussion du projet de
loi sur l'aménagement et le développement durable du territoire.
Le Sénat va avoir à reprendre une partie de ces débats
dans ce texte important, je pense à son article 47, mais il y aura un
second texte qui est le texte sur le développement de
l'intercommunalité, élément essentiel dans la gestion du
territoire et dans nos débats. Je ne doute pas que notre travail
d'aujourd'hui contribue à nourrir et à éclairer les
débats à venir. Voilà pourquoi nous consacrons notre
matinée à la géographie et cet après-midi à
l'environnement, à l'urbanisme et au foncier, afin que nous puissions
faire profiter la commission spéciale de nos travaux. Ces politiques,
l'environnement, l'urbanisme et le foncier et les questions autour de la
pérennité agricole du nécessaire développement de
nos infrastructures, de l'équilibre de nos villes seront les enjeux de
cette journée. Je souhaite pleine réussite à ce colloque
et ceux qui n'auraient pas pu s'exprimer aujourd'hui peuvent le faire en
m'écrivant ou en m'adressant leur contribution mais pour qu'elle soit
utilisée dans un délai qui n'excède pas quinze jours afin
d'alimenter nos réflexions, Monsieur le Président du
Sénat, Monsieur le Président des Affaires économiques,
merci d'avoir bien voulu accepter de présider et d'organiser ce colloque.
M. Christian PONCELET -
Avant de passer la parole à
M. Jean François-Poncet, Président de la Commission des
Affaires économiques, puisque nous avons parlé à plusieurs
reprises de commission spéciale j'ai souligné tout à
l'heure que pour l'organisation de vos travaux il y avait un oecuménisme
véritable puisque des sénateurs des différents groupes
parlementaires composant le Sénat vont présider les tables
rondes. Pour le travail législatif il en va de même. Sur la
proposition du Président Jean François-Poncet, une commission
spéciale a été créée, qui va être
composée de parlementaires de tous les groupes qui vont travailler
ensemble pour savoir quels amendements pourront être
déposés pour modifier le texte qui sera soumis à notre
appréciation. La parole est au Président Jean
François-Poncet.
I. LE CONSTAT
A. LES ESPACES PÉRIURBAINS : UNE FRONTIÈRE EN MOUVEMENT ?
Introduction par M. Jean FRANCOIS-PONCET, sénateur de Lot-et-Garonne, président de la Commission des Affaires économiques
Vous ne
serez pas surpris que le Sénat s'intéresse tout
particulièrement aux problèmes de l'aménagement du
territoire. C'est un des sujets auquel il a consacré le plus de
réflexions, le plus de rencontres et le plus de rapports ; il s'est
profondément impliqué dans la loi Pasqua de 1995 sur
l'aménagement du territoire. Il en fera autant pour la loi Voynet, avec
le même esprit d'objectivité.
Nous abordons aujourd'hui un des volets essentiels de la problématique
de l'aménagement du territoire qui est toute entière contenue
dans les rapports entre ville et campagne, avec une fluctuation de la
frontière qui est le thème de notre première table
ronde : quelle est la définition de l'espace périurbain ?
Cet espace recouvre neuf millions de Français, 28% des communes, et
reste un producteur significatif puisque 12 % de la production française
émane de ces zones. Il y a donc un rapprochement entre une agriculture
qui continue d'exister et un espace urbain qui l'envahit peu à peu et
vous imaginez les tensions qui peuvent en résulter. Ceux qui connaissent
ces zones savent que les rapports entre les nouveaux arrivants et ceux qui sont
installés depuis longtemps, et qui ont des exploitations agricoles,
donnent lieu à toutes sortes de tensions. Il y a les tensions
paysagères, ces zones suburbaines s'étant
développées de façon anarchique, il y a donc un complexe
de problèmes. La zone suburbaine, qui est la frontière mouvante
entre l'espace rural et l'espace urbain, préjuge d'une certaine
façon des rapports qui posent toutes sortes de problèmes entre la
ville et le rural profond. Il y a là un sujet central dans la
problématique de l'aménagement du territoire et le grand
mérite de M. Gérard Larcher est d'avoir sorti ce problème
pour l'examiner en tant que tel. Votre présence prouve que c'est un
sujet qui préoccupe.
Je vais donner la parole à M. Delorme, directeur à l'INSEE, qui
va nous parler des définitions. La commune rurale est encore la commune
qui a moins de deux mille habitants, mais il y a bien des communes
qui ont moins de deux mille habitants et qui ont cessé d'être
rurales. Il y a le " rurbain " qui a été inventé
par les esprits de l'INSEE. Entré à l'INSEE en 1961, M. Delorme
est un ancien élève de Polytechnique ; chef de la Division
de l'Agriculture en 1969, rapporteur de l'INSEE, rapporteur de la commission
des comptes et de l'agriculture, il a été à l'Organisation
des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, à la FAO, comme
chef de projet ; il est allé en Afrique Centrale avant de devenir,
en 1977, le directeur du Centre européen de formation des statisticiens
économistes pour les pays en voie de développement, en 1980,
directeur Régional de l'INSEE en Auvergne, chef du département de
l'action régionale et directeur de la diffusion et de l'action
régionale aujourd'hui. C'est dire qu'il a une vaste expérience.
Vous avez la parole Monsieur Delorme.
1. L'extension progressive de la surface des espaces périurbains par M. Pierre DELORME, directeur de la diffusion et de l'action régionale à l'INSEE
Merci
Monsieur le Président, Monsieur le sénateur, Mesdames, Messieurs.
Les cartes ici présentes résument les travaux faits par l'INSEE,
l'INRA, la DATAR etc. pour essayer de mieux cerner ces différents
concepts d'urbain, périurbain, rural.
Cette carte s'appelle " territoires vécus " parce qu'elle est
basée sur l'observation des tribulations de nos concitoyens dans leur
vie quotidienne. Désormais on ne naît plus, on ne vit plus, on ne
meurt plus, on ne travaille plus dans le même village. Notre vie
quotidienne est soumise à des tas de déplacements qui ne
s'organisent pas au hasard. Le territoire s'organise à partir des
phénomènes de polarisation, d'attraction et de zones d'influence.
Il y a des lignes de force qui sont liées à des attractions et
l'attraction qui structure principalement l'espace dans notre monde actuel,
c'est l'attraction de l'emploi et c'est à partir des déplacements
entre le domicile et le lieu de travail qu'a été faite cette
délimitation des différents espaces.
Au départ, il y a la ville dans son sens traditionnel
c'est-à-dire la ville comme une accumulation de populations et d'habitat
pour ces populations. Les premières définitions de la ville ont
été données par référence à la
continuité de l'habitat ce qui permet de définir un univers de
pierre par opposition à un univers plus végétal, l'un
étant la ville, l'autre la campagne. Mais c'est une notion qui est
maintenant complètement obsolète. La limite de deux mille
habitants pour définir l'unité urbaine date de 1856 et je ne puis
vous dire pourquoi elle a été prise et pourquoi nous avons
continué à l'utiliser. Mais cette dichotomie : une ville de
pierres, une campagne de terre et de végétaux n'a plus aucun
sens. Ce que nous avons essayé de faire avec les données du
recensement de 1990, et qui sera actualisé avec le recensement de mars
1999, c'est d'étudier cette organisation du territoire en partant des
pôles urbains c'est-à-dire des villes qui offraient un potentiel
d'emplois d'au moins cinq mille habitants. C'est autour de ces pôles
urbains en observant les déplacements domicile/travail que nous voyons
les cercles concentriques des couronnes périurbaines qui sont
l'entourage de ces pôles urbains. Et puis il y a aussi des communes dans
lesquelles les habitants ne sont pas attirés uniquement par un
pôle urbain mais par plusieurs, ce que nous avons appelé des
communes multipolarisées et c'est cet ensemble de couronnes urbaines et
de communes multipolarisées qui constitue l'espace périurbain.
Contrairement à la ville de pierres, ces espaces périurbains sont
plus composites puisqu'ils résultent d'une avancée de formes
urbaines à l'intérieur d'un périmètre rural, donc
il subsiste dans ces espaces de la forêt, des exploitations agricoles
etc. Ce phénomène a été très bien
décrit dans le rapport du sénateur Larcher et l'on voit bien
qu'il y a là des espaces de confrontation puisqu'il y a des cultures,
des activités, des modes de vie différents mais il est clair que
ces espaces sont soumis à une forte influence de la ville. Tout cela a
été appelé " espace à dominante urbaine "
et le reste est un espace qualifié de " dominante rurale ".
Une frontière artificielle a été tracée entre ces
espaces périurbains et le reste en mettant un seuil : au moins 40 %
des actifs résidant dans une aire urbaine y travaillent aussi. De
l'autre côté de cette frontière il y a des espaces qui sont
déjà sous influence de la ville et avec le résultat du
recensement nous verrons des modifications.
Dans le reste du territoire rural, il y a aussi des petites villes entre deux
mille et cinq mille qui fonctionnent comme des petites villes mais qui sont du
milieu rural. Il reste un rural isolé qui est tout le reste.
Quelques chiffres pour situer tout cela :
- les pôles urbains représentent 60 % de la population pour 7
% de la surface,
- les espaces périurbains représentent 15 % de la population
totale pour 22 % de la surface,
- le rural représente treize millions de population soit 24 % pour
une surface de 70 %.
Il est intéressant d'étudier la dynamique parce que l'extension
des villes se fait d'une part par la surface et d'autre part par la croissance
démographique à l'intérieur d'un même
périmètre.
Juste deux chiffres : entre 1982 et 1990 il y a eu une croissance
d'environ quatre millions de personnes du domaine urbain avec pour
moitié une extension en superficie et pour une autre moitié une
extension en population.
Ce phénomène d'influence de la ville sur son environnement est de
plus en plus marqué. J'avancerai une explication : les nuisances
mêmes de la ville telles que l'encombrement créent de l'emploi. Il
y a des tas d'activités qui sont là pour gérer
l'encombrement : creuser des tunnels, faire des parkings etc. ; alors
que dans l'espace rural, la faible densité de population n'est pas
créatrice d'emplois. Il faut gérer dans les espaces
périurbains ce mélange d'influence de la ville et d'un maintien
de la campagne.
M. Jean FRANCOIS-PONCET -
Merci. La parole est à
présent à M. Jean-Raymond Cohen qui est responsable du
département périurbain de la Bergerie Nationale de Rambouillet,
où il préside aux destinées d'un établissement qui
fait de la recherche sur les problèmes évoqués et qui, par
conséquent, peut éclairer très utilement notre
problématique.
2. La population des espaces périurbains : 9 millions de Français par M. Jean-Raymond COHEN, responsable du département périurbain de la Bergerie nationale de Rambouillet
Merci
Monsieur le président. Monsieur le président, Messieurs les
sénateurs, Mesdames, Messieurs. Il m'a été demandé
de vous dire quelques mots sur la population des espaces périurbains
sous l'angle qualitatif.
Je voudrais aborder avec vous trois points :
- les caractéristiques générales de la population
périurbaine,
- la définition des profils sociologiques des grandes catégories
de cette population,
- l'identité des habitants du périurbain.
1) Les caractéristiques générales de la population
périurbaine :
Quatre remarques :
- Toutes les catégories de populations résident en
périurbain : des ouvriers, des employés qui résident
soit en habitat collectif, soit en habitat individuel. On trouve des cadres
supérieurs, des cadres moyens, des techniciens qui habitent des villages
dans des maisons plus ou moins confortables. On trouve des agriculteurs en
activité qui sont attachés à leur terre mais il y a aussi
des agriculteurs âgés qui sont sans successeurs et qui sont
prêts à vendre leurs terres ou à accepter des
indemnités d'éviction. On trouve aussi des retraités. On
trouve des Français et des étrangers.
- La population périurbaine n'est pas fondamentalement très
différente dans sa composition de celle de la population de la France
métropolitaine. Au niveau de la structure sociale on trouve
légèrement plus d'agriculteurs, on trouve davantage de
professions intermédiaires et d'ouvriers mais il y a des variations plus
ou moins fortes selon les pôles urbains à partir desquels on
raisonne. Au niveau de la structure par âge c'est la même
chose : la structure par âge de la population périurbaine est
peu différente de celle de la population métropolitaine, il y a
simplement davantage de jeunes, la tranche des 0 - 19 ans est mieux
représentée. Par contre, la tranche des 60 ans et plus l'est
moins.
- La population périurbaine n'échappe pas à
l'uniformisation des modes de vie qui affectent toute notre
société. Les attitudes familiales, le nombre d'enfants, le nombre
de divorces, le travail féminin, les modes de consommation, les
pratiques de santé, l'équipement des ménages, les
pratiques culturelles etc., sont les mêmes que dans les pôles
urbains.
- L'image assez répandue d'une population périurbaine qui
serait composée principalement de cadres en pleine ascension sociale ne
vaut que dans certaines zones du périurbain. L'éventail
socio-professionnel est très large et, les ouvriers et les
employés sont souvent majoritaires en périurbain.
2) la définition des profils sociologiques des grandes
catégories de cette population :
Les habitants des communes périurbaines sont composés de deux
grandes catégories de population, l'une majoritaire constituée
à partir des années 60 est composée de familles venues de
ville pour habiter la campagne de proximité et, l'autre d'origine locale.
Les familles de la ville qui sont venues habiter la campagne
: il y a
quatre phénomènes qui expliquent ces installations de familles
d'origine urbaine à la périphérie rurale des villes :
L'émergence qui a été rendue possible par la
généralisation du travail des femmes dans les années 60
d'une couche de population à revenus moyens composée de gens qui
voulaient accéder à la propriété.
La contestation des valeurs sociales avec le temps fort de 1968, avec une prise
en compte de plus en plus grande de l'environnement et du cadre de vie.
L'engouement pour la maison individuelle en réaction contre la vague
finissante, à la fin des années 60, des grands ensembles
d'habitat collectif et qui a coïncidé avec le moment où la
construction individuelle s'est industrialisée.
La diffusion de l'automobile en relation avec le développement des
infrastructures de communication.
Quelles sont les caractéristiques de ces familles qui sont venues de la
ville ?
Cinq caractéristiques :
Ces familles sont plus jeunes et plus nombreuses : quatre ou cinq
personnes, mari et femme entre 20 et 40 ans avec deux ou trois enfants. Ce
ne sont pas les célibataires qui vont «s'enterrer» dans les
villages pavillonnaires mais davantage les familles qui recherchent la
tranquillité de ces villages et qui cherchent une solution lorsque se
pose le problème de l'espace et du coût de l'habitat. Dans le
périurbain résidentiel, les citadins en quête de
qualité viennent chercher le calme, l'air, la liberté, la
beauté des paysages.
Ces familles accèdent à la propriété : ces
ménages sont propriétaires de leur logement parce que l'espace
périurbain est celui qui va leur permettre, au prix d'un endettement
considérable, qui commence à causer beaucoup de problèmes,
d'acquérir un terrain pour construire la maison rêvée. La
plupart font le choix de la maison individuelle avec un jardin ce qui pose
aussi des problèmes en termes de consommation de l'espace.
Ces familles comptent des actifs migrants. Beaucoup de familles ont
changé de résidence sans changer de lieu de travail. Le taux
d'activité de ces populations est important parce que les femmes,
malgré les enfants, continuent de travailler parce qu'il faut faire face
aux remboursements des emprunts. Grâce au développement des moyens
de communication, la mobilité est devenue la règle avec tous les
coûts qu'elle induit : l'augmentation du temps de transport,
l'augmentation des coûts de transports, l'achat de la deuxième
voiture. Tout cela a des conséquences en matière d'environnement.
Enfin, ces familles ont une culture urbaine. En changeant de résidence,
les nouveaux résidents transplantent leur mode de vie, leurs habitudes
en matière d'achats, de loisirs et d'utilisation de services.
Ces familles viennent du pôle urbain le plus proche. Une minorité
des habitants des zones périurbaines vient de loin. Les migrations se
sont faites sur de courtes distances. Mais aussi, il y a des habitants qui
viennent du milieu rural environnant ou des petites villes.
La population locale : la périurbanisation s'est effectuée
sur des territoires qui étaient occupés par une population
locale. Curieusement, il semble que l'on se soit assez peu
intéressé à elle. Deux hypothèses pourraient
l'expliquer :
Les nouveaux résidents participeraient seuls à la dynamique
sociale émergente sur les territoires périurbains.
L'uniformisation croissante des modes de vie et de consommation brouillerait
les critères d'appartenance. Les nouveaux habitants et les anciens se
confondraient. Ces hypothèses sont assez pertinentes. Le résultat
est là : il est difficile de caractériser cette population.
Ce que l'on peut dire, c'est que les nouvelles fonctions que remplit l'espace
périurbain vis-à-vis des citadins et des résidents :
fonction récréative, de loisirs etc., contribuent au maintien de
certaines activités traditionnelles : commerces, entreprises
artisanales, hôtellerie.
Un mot sur les agriculteurs
: les agriculteurs périurbains
sont présents mais minoritaires dans la population périurbaine,
ils sont dilués dans la population des nouveaux résidents et
représentent une faible proportion de la population active (5 %)
mais occupent 52 % des surfaces. Ils jouent un rôle
déterminant dans la gestion de l'espace périurbain. Cette
population peut bénéficier des atouts de la proximité
urbaine. La ville ouvre aux agriculteurs la voie de la pluri-activité et
leur permet de se diversifier.
3) L'identité des habitants du périurbain :
On ne peut faire référence en fait à l'identité des
populations périurbaines sans se référer à la
question du libre choix, du mode d'habiter qu'ont certains et que n'ont pas les
autres.
Trois remarques :
Il y a des gens qui vivent en périurbain par choix et d'autres par
obligation.
Il y a ceux dont le rêve d'être un peu à la ville et un peu
à la campagne s'est réalisé, et ceux, souvent en situation
d'exclusion, qui sont assignés à résidence dans les
cités.
Les uns et les autres ont tendance à se concentrer sur des territoires
différents.
Une partition du territoire tend à s'opérer en zones
périurbaines résidentielles et en zones périurbaines en
crise.
Dans les zones périurbaines résidentielles, la vie est en
apparence paisible et s'anime au rythme de la vie sociale des habitants avec
son lot de manifestations, avec l'activité des associations et
rappellerait davantage le village, le bourg plutôt que la ville. En
revanche, dans les zones périurbaines en crise, des populations, souvent
des jeunes confrontés à l'exclusion sociale, vont faire parler
d'elles en s'attaquant aux voitures, aux magasins, aux centres commerciaux, aux
policiers, à tous ces symboles de la société qui les
exclut.
Pour ces deux catégories de territoires, la question d'identité
ne se pose pas dans les mêmes termes. Dans les zones périurbaines,
que je qualifie de résidentielles, on observe un désir
partagé des élus locaux et des habitants de se reconstruire une
identité. La majorité de la population de ces zones vient
d'ailleurs. Ces nouveaux habitants ne veulent pas être étrangers
au territoire, ils veulent s'approprier cet espace où ils habitent qui
n'est pas l'espace où ils travaillent. Ils vont s'approprier cet espace
physiquement et socialement. Dans cette démarche, les élus locaux
sont évidemment partants parce qu'ils ne veulent pas de villes ou de
villages dortoirs, ils ne veulent pas avoir des habitants qui ne seraient que
des consommateurs de services, ils ne veulent pas avoir une population par
défaut. Ils veulent une population qui est attachée à son
territoire et à ses représentants. Il y a un consensus qui
s'établit : d'un côté les habitants qui expriment des
attentes en matière de cadre de vie et les élus qui vont traduire
cela par des aménagements, des parcs, des forêts, des plans d'eau,
des haies, des sentiers. Ils vont organiser des loisirs, investir dans le
culturel car ils veulent constituer de véritables communautés
humaines. Elus et habitants réinventent une identité et vont
souvent s'appuyer sur le passé. Tous les ingrédients sont
là : la campagne, l'agriculture, la vie associative.
La campagne et l'agriculture
: le périurbain, c'est d'abord
la présence d'espaces ouverts, d'espaces agricoles qui, surtout s'ils
font l'objet d'aménagements paysagers, vont jouer un rôle
essentiel dans la constitution de cette identité. Leur proximité
va donner l'illusion d'être à la campagne et renvoyer à un
imaginaire rural qui est enfoui. L'agriculteur va être
réhabilité par les habitants parce qu'il reste dans la
mémoire collective celui par qui la campagne, devenue pour ses nouveaux
habitants territoire d'habitation et de loisirs, existe. Ces mêmes
habitants, qui recherchent les avantages de la ville et les avantages de la
campagne, sans leurs inconvénients, auront tendance à mettre en
cause toutes les formes modernes d'agriculture qu'ils ont jugées
incompatibles avec la représentation qu'ils se font de la campagne.
La vie associative
: La vie sociale, culturelle se développe
abondamment sur ces territoires grâce à l'arrivée des
nouveaux résidents qui apportent des visions et des compétences
nouvelles.
Dans les zones périurbaines en crise, c'est complètement
différent. La question de l'exclusion prime sur toute autre
considération. Mais la question de l'identité sur ces territoires
est fondamentale et se pose dans les mêmes termes. Sur quoi s'appuyer
pour reconstruire une nouvelle identité à partir de populations
différentes ? Il faudra se donner les moyens, un jour, d'en
débattre.
La population périurbaine est très complexe. Les comportements de
cette population dans sa diversité sont indissociables des tendances
lourdes des dynamiques urbaines qui affectent notre société.
C'est une population en quête d'identité. Ce n'est pas seulement
la population résidente qui va structurer l'organisation des espaces
périurbains, il y a des flux très importants de
non-résidents qui traversent ces espaces parce que s'y trouvent
implantées des zones industrielles, des zones commerciales, des zones de
loisirs. Je n'oublie pas qu'il y a du périurbain
« sympa » c'est-à-dire qui a un patrimoine culturel
et naturel très intéressant et, avec l'engouement du tourisme de
proximité, nous constatons que des citadins de pôles urbains
proches vont sur ces territoires. Les espaces périurbains sont au
croisement des réflexions sur la ville et sur la campagne. Ils sont au
croisement sur la place de l'agriculture dans la ville. Ils sont au croisement
de la réflexion de la ville de demain.
M. Jean FRANCOIS-PONCET
-
Merci. Comme vous l'avez pu voir
nous sommes passés de la statistique à la sociologie et je crois
que nous avons maintenant les éléments d'une description claire
de ce qu'est l'espace rural dans sa dimension et sa composition.
Nous allons ouvrir une plage de questions.
M. Michel REYNAUD, président de l'association Ceinture Verte
Mancelle
- Je suis agriculteur. Depuis les années 45, on a
concentré des populations sur des agglomérations, peut-être
était-ce nécessaire dans ces années mais l'on continue
dans la même direction puisque les SDAU et les DTA programment des
augmentations de population dans les mêmes endroits.
N'arrêtera-t-on pas un jour cette migration des zones rurales vers des
zones urbaines voire périurbaines pour faire de notre France profonde un
véritable désert ? Cela fait trois lois d'orientation que nous
avons sur l'aménagement du territoire, on n'a pensé qu'à
grossir les villes, à voir comment on accueillait en ville mais on n'a
pas essayé de voir comment des populations pouvaient être
maintenues dans des zones rurales.
M. Dominique PETER, Société des agriculteurs de
France
- Comment les services qui répondent à une
vocation culturelle peuvent-ils répondre également aux fonctions
urbaines profondes étant entendu que l'emploi peut être
délocalisé aussi ?
M. Jean-Claude BONTRON, directeur de la SEGESA
- Merci à l'INSEE
pour ce travail qui répond à la véritable attente de
toutes les personnes qui observent et qui agissent pour l'aménagement du
territoire. Je demanderai à M. DELORME s'il est, aujourd'hui, satisfait
de cette définition du périurbain et à la fois sur les
limites internes de cette définition. Nous avons parlé de la
définition du périurbain à partir de son extension en
périphérie mais est-ce que la limite entre la banlieue et le
périurbain lui semble poser problème ?
"Les déplacements vers l'emploi sont les plus structurants" : je ne suis
pas certain que ce soit vrai aujourd'hui parce que sur 100 personnes, il y
peut-être 40 actifs, sur ceux-ci 20 à 30 % ont leur emploi sur
place alors qu'il y a des populations scolaires qui se déplacent, il y a
des gens qui se déplacent vers des services, vers des loisirs, il y a
beaucoup d'autres déplacements que ceux vers l'emploi et je ne suis pas
certain que dans l'avenir, les déplacements vers les lieux d'emploi
soient les plus structurants des déplacements.
Je trouve la définition des territoires périurbains trop
extensive. Si finalement la population de ces territoires ressemble à la
moyenne française, est-ce intéressant de les identifier comme
tels ? Si, dans l'avenir, ces territoires périurbains doivent être
étendus comme l'ont été les ZPU par le passé, je
crains qu'ils perdent de leur pertinence par rapport au travail
législatif et j'encourage l'INSEE à cerner au plus près et
de manière plus pointue ce concept de territoire périurbain afin
que ne soient pas mélangés des problèmes qui ne sont pas
de même nature : si l'on est dans les néo-villages de
l'agglomération parisienne ou dans la banlieue de Montauban.
M. Jean FRANCOIS-PONCET
- La parole est à M. Delorme.
M. Pierre DELORME -
Est-on satisfait de ce découpage ? Je
répondrai oui et non.
Oui : parce que je considère que c'était le mieux que l'on
pouvait faire avec les informations dont nous disposions.
Non : parce que dès lors que nous sommes amenés à faire
des tracés sur la carte, à faire des seuils et dire que nous
allons mettre une frontière à cet endroit parce qu'il y a 40 %
des actifs qui sont attirés vers la ville, nous voyons bien que la
réalité est caricaturée. Les phénomènes sont
continus et nous pourrions faire des tas de cercles concentriques avec des
seuils différents. Nous avons fait quelques tests de robustesse : si ces
seuils sont changés, sur la carte les frontières ne changent pas
beaucoup. C'est donc quelque chose d'assez robuste pour l'observation qui est
faite sur le recensement de 1990.
Le rôle prépondérant de l'emploi comme
élément structurant : les déplacements domicile/travail ne
sont pas les seuls. Vous remarquerez que sur la carte nous avons reporté
des petites flèches qui correspondent aux déplacements vers les
pôles de commerces et de services dans les zones rurales. Que la
population dans ces espaces périurbains ait des caractéristiques
moyennes, c'est normal puisque c'est un mélange de populations ayant des
caractéristiques rurales et urbaines. Vous nous invitez à faire
des progrès en la matière, nous le ferons lorsque nous
disposerons du résultat du recensement de mars 1999.
M. Jean-Raymond COHEN -
suite à l'intervention de M.
Bontron, le découpage de l'INSEE ne me satisfait pas parce qu'il est
trop global. Il faut distinguer la couronne périurbaine (mais pas au
sens où l'entend l'INSEE). Il y a cette couronne qui est à la
limite de la grande banlieue où il y a un type de problème, il y
a les espaces ruraux périurbains où il y a une autre dynamique et
au milieu, il y a des grandes cités avec quantités de
problèmes.
Avoir pris comme seul critère l'emploi ne me satisfait pas non plus. Le
précédent zonage réalisé par la SEGESA était
parti sur une vingtaine de critères et me semblait mieux traduire la
réalité des choses mais si l'INSEE a fait le choix de
privilégier un critère unique, il devait y avoir des raisons tout
à fait objectives. Il y a une très grande diversité sur
ces zones et je ne suis pas sûr que nous ayons l'appareil permettant de
bien observer cette diversité.
M. Jean FRANCOIS-PONCET -
Manifestement vous touchez du doigt la
complexité dont on nous a parlé, il est vrai que lorsque l'on
passe d'un cercle à un autre il y a des problèmes très
différents.
Un commentaire sur la dimension agricole qui a été abordée
par deux des intervenants. Le problème de la non
réciprocité en matière de droit à construire
créait une inégalité très mal vécue par les
agriculteurs. Un exploitant ne pouvait en effet pas s'installer à
proximité de constructions existantes mais des constructions nouvelles
pouvaient s'installer à proximité d'une exploitation. Ainsi, si
un agriculteur avait une étable et si cette étable se trouvait
à moins de cent mètres d'une construction il était mis en
demeure de corriger cette situation, en revanche quelqu'un qui
s'établissait dans l'espace rural avait le droit de construire à
moins de cent mètres. Cette inégalité était
indéfendable et créait des problèmes sans nom. Le
Sénat a profité du projet de loi d'orientation agricole pour
adopter un amendement qui met un terme à cette inégalité
et établit une réciprocité tout à fait logique.
La France, pays rural, souffre d'obsession urbaine même si l'on parle de
désertification, et les mesures prises vont en sens inverse. Nos DDE, au
nom de la lutte contre le «mitage», interdisent les constructions en
milieu rural. Je vois l'équipement s'opposer à la reconstruction
de maisons qui ont existé depuis deux ou trois siècles. On
devrait autoriser la reconstruction, quitte à imposer des
critères architecturaux en obligeant l'acquéreur à
reconstruire à l'identique, cela fait partie du patrimoine. Nous avons
décidé, en accord avec le Secrétaire d'état au
logement, de mettre en place un groupe d'études pour voir comment on
peut modifier le droit ou la pratique de l'urbanisme. Nous sommes
dominés par des gens qui ont l'obsession de la ville, la DATAR
également puisqu'elle considère que l'univers va vers la
métropolisation. Ce n'est pas faux, mais elle omet de déceler des
tendances qui existent et sont un retour vers l'espace rural des travailleurs
les plus sophistiqués. Ce sont ceux qui maîtrisent Internet et les
technologies les plus modernes qui peuvent et font le choix de leur
préférence, qui est l'implantation dans le milieu rural. Ne
faudrait-il pas encourager cela ?
B. DES ESPACES EN DÉSHÉRENCE ?
Introduction par M. Daniel PERCHERON, Sénateur du Pas-de-Calais
Nous
allons avoir des témoignages sur les conflits d'usage :
- M. Jean-Pierre Radet, président de la Chambre d'agriculture
interdépartementale d'Ile-de-France.
- M. Jean Pomès, arboriculteur à Perpignan.
- M. Michel-Edouard Leclerc, co-président de l'association des centres
Leclerc.
- M. Bertrand Favereul, président de l'Union de la publicité
extérieure.
Je vais animer partiellement cette table ronde consacrée au constat.
Témoignages sur les conflits d'usage, relations et tensions sociales
seront les deux aspects de ce constat.
1. Témoignages sur les conflits d'usage
Nous évoquerons la concurrence entre agriculture et urbanisation, le développement des grandes surfaces à la périphérie des villes, la publicité et le respect de l'environnement.
a) M. Jean-Pierre RADET, président de la Chambre d'agriculture interdépartementale d'Ile-de-France
Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, Monsieur
le
Président. Vous avez eu raison de dire que le territoire
périurbain ne consistait pas uniquement à parler de la
région Ile-de-France et dans ce domaine nous sommes la région
pilote et les problèmes rencontrés chez nous sont les mêmes
que dans d'autres régions.
Le monde agricole a fortement diminué dans cette région
particulièrement entre 1988 et 1997 et le périurbain concerne
particulièrement les spécialisés c'est-à-dire les
maraîchers, les arboriculteurs, les pépiniéristes etc. qui
sont passés de 1900 à 800. Si cette courbe continue dans cinq
ans, il n'y aura plus d'agriculteurs en région Ile-de-France.
M. Cohen a parlé des atouts de l'agriculture périurbaine. Pour le
néophyte, il peut sembler qu'une région comme l'Ile-de-France
avec onze millions de consommateurs peut mener à un large
débouché. Ce débouché n'existe plus parce qu'il y a
les grandes surfaces, Rungis, le problème de la mondialisation. Tous ces
gens préfèrent s'approvisionner en dehors de l'Ile-de-France et
la proximité de la production n'est plus un atout.
Les conflits d'usages : les exploitations sont en général
implantées en centre bourg ou en centre ville et, de ce fait, ont des
problèmes, créent des nuisances : problèmes de
circulation, de salissement de routes, de bruits. Les agriculteurs souhaitent
s'installer hors de ces bourgs mais ils finissent par être isolés.
Ces installations qui sont isolées ne sont peut-être pas
très esthétiques mais la précarité étant le
fait dominant, il s'avère que l'isolation fait qu'il y a un vandalisme
important d'où un très grand désagrément pour ces
agriculteurs.
Conflit vis-à-vis de l'eau : ces agriculteurs
spécialisés sont obligés d'avoir une alimentation assez
importante. Ils sont obligés de s'alimenter sur les adductions de ville
d'où un prix de l'eau élevé par rapport aux autres
régions qui ont une eau meilleure marché par captage.
Conflit vis-à-vis de l'environnement : l'agriculture est
confrontée à des zonages de toutes sortes : ZAC, ZPIU,
classement de sites etc. Ces zonages sont faits pour préserver
l'agriculture mais c'est l'agriculture qui en pâtit notamment pour les
bâtiments et les changements de productions.
Problèmes vis-à-vis des infrastructures routières :
elles sont faites au détriment des terres agricoles et créent des
morcellements qui apportent des contraintes aux agriculteurs par rapport au
parcellaire qui pourrait être mieux adapté à leurs
productions.
Contraintes vis-à-vis de la commercialisation : la proximité
d'un certain nombre de consommateurs devrait être un atout.
Malheureusement la population se détourne des marchés forains et
les producteurs sont obligés de s'orienter vers une commercialisation
sur Rungis ou de passer une convention avec les grandes surfaces. Leur
isolement ne leur permet pas d'adhérer à des organismes de
producteurs et ceux-ci ne peuvent pas toujours donner satisfaction aux grandes
surfaces. Dans notre région c'est donc le problème de la
précarité qui est le plus important, il y a aussi un manque de
reconnaissance pour l'entretien du paysage qu'ils effectuent.
M. Gérard LARCHER
: Merci. La parole est à Monsieur
Pomès, arboriculteur, il est bachelier, titulaire d'un diplôme
universitaire de technologie en biologie appliquée et produit des
abricots et des nectarines.
b) M. Jean POMES, arboriculteur à Perpignan
Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs. Mon
intervention aura pour but de vous présenter la commune agricole de
Perpignan et les projets que nous développons.
Tout autour de Perpignan, l'agriculture déploie une ceinture verte
où la diversité tant des paysages que des hommes triomphent de
l'uniformité. Première commune agricole de notre
département, aussi bien par ses tonnages que pour la valeur du produit
récolté, Perpignan est à la fois moteur et pôle de
l'économie agricole départementale. Notre agriculture qui, au
plan de l'environnement, est un poumon écologique représente
économiquement une source de richesses non négligeable où
maraîchers, vignerons et arboriculteurs assurent près de 1 600
emplois uniquement sur cette commune.
S'il est vrai qu'au quotidien nos exploitations souffrent de vols et
détériorations diverses, il n'en reste pas moins que dès
lors que nous sommes en présence de terres cultivées les
agriculteurs font reculer toutes les dégradations et que, par notre
présence physique, nous sommes les garants de l'espace propre,
soigné, entretenu. Laissez s'installer les friches et vous favoriserez
toutes les dégradations et dépôts de toutes sortes,
dangereux ou non. Même si ces nuisances existent, elles ne m'ont pas
empêché de m'installer en tant que jeune agriculteur en profitant
des friches qui environnent mon exploitation. Il est clair que même si
ces friches sont nombreuses, la pression foncière limite le retour
à l'usage agricole. Le but de mon exploitation est la production
d'abricots de bouche haut de gamme dans le cadre d'une production
fruitière intégrée plus soucieuse et respectueuse de
l'environnement afin de limiter tout usage excessif d'engrais et de pesticides.
Cette démarche individuelle, preuve que nous les agriculteurs ne faisons
plus n'importe quoi, n'importe comment, s'inscrit dans un projet plus
collectif. Depuis plus de deux ans deux associations : « les
Jardins de Perpignan » regroupant tous les maraîchers et les
« Vignobles de Perpignan » essaient de mieux faire
connaître leurs produits, leur terroir et la qualité de ce qu'ils
produisent au sein de la commune. Le but de nos deux associations réside
en trois points : faire connaître au plus grand nombre nos produits
par notre présence sur des foires-expositions, des reportages
diffusés par la presse ainsi que des journées portes ouvertes sur
nos exploitations.
La première difficulté a été de mieux cibler les
attentes des différents consommateurs. C'est pour cela que grâce
aux étudiants de l'IUT de Perpignan, nous avons réalisé
une enquête auprès de 4.000 personnes pour cibler toutes les
attentes des consommateurs. Cela nous permettra de créer un label et une
charte afin que les consommateurs puissent identifier la provenance du produit
qu'ils achètent tout en sachant que ce produit correspond à leurs
attentes en matière de qualité, de fraîcheur et de
traçabilité.
J'espère avoir réussi à vous convaincre que les
agriculteurs sont et seront, dans l'avenir, l'un des principaux acteurs pour la
valorisation et l'aménagement des espaces périurbains et que dans
des communes comme la nôtre, ils essaient de trouver les solutions les
plus appropriées aux défis auxquels ils sont confrontés.
Merci
M. Gérard LARCHER
: La parole est à M. Michel-Edouard
Leclerc que vous connaissez très bien. Il vit dans le Périgord,
il est docteur en sciences économiques mais aussi diplômé
de philosophie et de sciences politiques.
c) M. Michel-Edouard LELERC, co-président de l'association des centres Leclerc
Animant
une fédération de chefs d'entreprises j'ai un témoignage
à apporter. Tout le monde connaît l'activité de
distribution que peut exercer mon groupe qui va avoir cinquante ans. Nous
sommes présents aussi bien en centre ville, qu'en milieu
périurbain, qu'en milieu rural avec de très grands
hypermarchés ou de petits magasins. Nous sommes présents dans des
endroits merveilleux sur le plan touristique mais nous sommes
« scotchés » dans des banlieues dont nous sommes
prisonniers au même titre que les habitants des problèmes de
vandalisme, de cadre de vie. Nous sommes présents dans plusieurs pays de
la communauté européenne et c'est intéressant de voir si
les mêmes erreurs qui ont été faites en termes
d'aménagement en France sont en train de se faire ailleurs et quels sont
les antidotes qui sont mis en place dans les autres pays pour ne pas tomber
dans un modèle contesté aujourd'hui. En tant que citoyen, je suis
un Breton rural de bord de mer et je vis dans un petit village rural où
je participe à la vie locale très volontiers et je vois tous les
problèmes liés à ces conflits d'usage.
La politique d'aménagement aujourd'hui n'est pas satisfaisante, elle
produit des incohérences ou des inélégances, un
mal-être. Je ne crois pas que la situation soit irréductible et
qu'on ne puisse pas la changer.
L'erreur, principalement, est venue d'une politique d'aménagement
dirigiste, qui a travaillé sur un modèle unique de
développement, au lendemain de la guerre. On est parti sur un
schéma d'addition de cercles concentriques où toutes les
activités nobles étaient gardées en centre ville et toutes
les activités perturbatrices en termes de flux, de déchetteries,
de bruits etc., étaient repoussées vers la
périphérie. Beaucoup de magasins étaient en centre ville
et ont été amenés sans discussion possible vers la
périphérie tout comme pour les hôteliers et artisans, nous
n'étions pas les rédacteurs des plans d'occupation des sols, nous
n'avons pas créé les ZAC etc., ce sont un certain nombre
d'intervenants dans les politiques d'aménagement qui ont cerclé
les villes et qui nous ont repoussés, sans tenir compte des
comportements et des conflits d'usage. Dans l'euphorie de cette reconstruction,
on investissait dans l'industrie automobile, mais nous n'avons pas eu les
aménageurs, les sociologues, les urbanistes qui auraient dû
intégrer les problèmes de comportements liés à la
voiture dans l'aménagement des villes. Passé le moment où
le commerçant, l'artisan, l'hôtelier étaient contraints
d'aller ailleurs, ils y ont trouvé un intérêt puisqu'ils
accueillaient les voitures que les centres villes n'accueillaient plus.
Paradoxe aujourd'hui, il va y avoir réinvestissement pour construire en
centre-ville des parkings au lieu d'avoir pensé cet aménagement
et d'ailleurs sans savoir si cela change quelque chose dans le conflit entre la
ruralité et l'urbanisation. On a fait de l'aménagement sur des
schémas uniformes qui n'ont pas tenu compte des différences de
types de villes, donc de la matière, et qui n'ont pas tenu compte de
l'évolution des comportements et des conflits d'usage que créent
des comportements diversifiés. Si nous voulons en sortir aujourd'hui il
faut adapter un comportement global. Personne ne peut plus prétendre
à l'indépendance au sens strict donc nous sommes condamnés
à l'interdépendance, pour notre bien, et il faut repenser la
politique d'aménagement et il faut travailler sur un projet collectif.
Il faut considérer que tous les acteurs peuvent être des
partenaires sur ce projet. L'usager comme l'investisseur doit être
partenaire de cette politique d'aménagement.
Il faut des espaces pour parler d'urbanisme : lorsque je veux
créer un magasin, je suis théoriquement obligé d'aller
présenter mon projet en Commission nationale d'équipement
commercial. On ne parle pas vraiment d'urbanisme au sens où
bien-être, confort d'achats, compatibilité des flux,
qualité d'esthétique, intégration dans les paysages ne
sont pas évoqués. Donc il faut créer des lieux où
industriels, distributeurs, agriculteurs puissent parler d'urbanisme.
Il faut intégrer la notion de gestion du temps. Le temps de la
responsabilité de l'élu est trop court ainsi que celui de
l'industriel ou du distributeur. J'investis et rembourse sur quinze ans mais ce
n'est pas assez, pas plus que pour peupler une forêt que pour faire une
ville ; il faut intégrer cette notion du temps dans la
programmation de nos plans d'urbanisme.
Il faut donner de la flexibilité aux obligations et aux contraintes des
uns et des autres. Si je veux ouvrir un magasin, le critère d'urbanisme
et d'environnement qui sera appliqué sera celui de la loi donc j'ai
à faire à une direction de l'Equipement qui va dire "il faut tant
de mètres carrés d'espaces verts, tant d'arbres sur le parking
etc.", des choses très contraignantes, uniformes et qui ne tiennent pas
compte de la diversité, de la richesse du lieu. Dans les autres pays
où nous sommes implantés et dans les pays où nous sommes
en cours d'implantation, nous constatons que contrairement à la France
où tout est dirigé, notamment dans les pays anglo-saxons, la
notion de contrat est beaucoup plus dominante. Les concurrents qui ouvrent des
magasins en Suède ou en Norvège présentent un projet
à une commission d'urbanisme et vont programmer des investissements
à caractère écologique (préservation,
embellissement, esthétique) au gré de la réalisation d'un
chiffre d'affaires ou d'un bénéfice. Aucun règlement n'est
édicté pour obérer la capacité de l'entreprise sur
l'application de ces règlements, l'objectif à atteindre est
fixé et, en concertation avec l'entreprise, la réalisation de ce
plan est programmé, ce qui lui permet de bien anticiper les
investissements en environnement, convivialité qui lui sont
réclamés. Aujourd'hui, vous créez une entreprise. Il vous
est demandé de créer des espaces verts, vous allez les faire a
minima à cause des autres contraintes, mais dans une convention cela
devient un objectif et il y a évolution participative sous forme de
contrat et les entreprises sont associées au développement de
leur territoire.
M. Gérard LARCHER :
La parole est à M. Favereul qui
est un des principaux dirigeants de Havas Media Communication qui nous parlera
de la publicité et du respect de l'environnement dans l'espace
périurbain.
d) M. Bertrand FAVEREUL, président de l'Union de la publicité extérieure
Merci
Monsieur le sénateur, bonjour Mesdames et Messieurs.
Havas Media Communication est la société filiale du groupe Havas
qui s'occupe des médias de proximité. Ce sont principalement les
régies publicitaires des quotidiens régionaux, les titres de la
presse gratuite, toutes les activités d'affichage et toute la partie
relative à l'office d'annonces et à la publicité
obligatoire OSP. L'ensemble représente un groupe de l'ordre de 11
à 12 milliards, il a été cédé. Je m'occupe
principalement de l'affichage en dirigeant le groupe Avenir qui est le leader
européen de l'affichage, avec les activités qui lui sont connexes
comme les aéroports. Mais cela ne rentre plus dans l'activité du
groupe Havas que de garder des activités de cette nature car nous
devrions être cédés dans les deux mois à venir.
Nous pourrions, en écoutant Messieurs les sénateurs, nous
interroger - sur la base de leur rapport - sur la question de savoir si la
France aime ses campagnes lorsque l'on voit la détérioration, la
désertification de celles-ci. De même peut-on s'interroger sur le
fait de savoir si la France aime son histoire, son architecture, son
environnement parce que dans beaucoup de villes il y a des situations qui sont
aberrantes par rapport à ce qui a fait la beauté de la ville,
soit la qualité de son architecture ou de ses voies de
pénétration et qui ont fait l'objet de destruction
systématique parce qu'il fallait faire du neuf et donc de l'efficace.
Scott Fitzgerald disait « je crois que l'intelligence d'un homme se
mesure à vivre deux idées contradictoires ». En tant
que publicitaire ces deux idées contradictoires sont à la
fois respecter l'environnement et faire mon métier qui est de proposer
à l'ensemble des gens qui se déplacent, les messages qui me sont
donnés à faire connaître par les différents
annonceurs par le biais des panneaux publicitaires.
On me dit que la publicité détruit tout, le paysage est sali par
les panneaux publicitaires. Là, je m'inscris en faux : je ne dis
pas que ce soit joli, je crois qu'il y a confusion entre la multiplication des
enseignes des magasins et les panneaux publicitaires. En tant que
Président du Groupe Avenir, j'ai fait faire sur trois villes le test
suivant : un reportage cinématographique tel qu'il est, tel qu'il
serait en retirant les enseignes mais en laissant les panneaux et tel qu'il
serait en retirant les enseignes et les panneaux. Vous seriez
particulièrement étonnés.
La problématique du maire est d'essayer de vivre de façon
intelligente deux situations contradictoires :
• Faire venir un nombre considérable de gens sur sa
commune et par conséquent leur permettre d'y installer des enseignes de
façon aberrante. C'est ainsi que vous détruisez l'entrée
de la ville. Je le dis tout en reconnaissant que la qualité des panneaux
pourrait être améliorée.
• Je suis installé dans dix pays d'Europe et c'est en
France qu'il y a le plus de panneaux. Pourquoi ? Dans les pays
étrangers les panneaux sont plus grands ! La loi de 1979 limite les
panneaux à 12 m2, 16 m2 s'il y a une permission particulière
alors qu'en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche, dans toute l'Europe de
l'Est, en Amérique les panneaux font entre 20 et 35 m² et il y
en a beaucoup moins.
A l'UPE nous respectons la loi tant sur les abords des villes qu'en centres
villes sinon nous sommes obligés de démonter.
La raison pour laquelle nous sommes avec le sénateur Larcher membres du
Comité des entrées de villes, c'est justement pour
connaître quels sont les conflits d'usage. Nous sommes disposés
à travailler avec les élus pour créer une charte qui
aménage encore un peu mieux les obligations des afficheurs de
façon à respecter un certain nombre de critères permettant
de respecter l'environnement mais il ne faut pas tomber dans des situations qui
sont crées par des petites sociétés qui font
« de l'implantation sauvage ». Nous sommes très
ouverts et les conflits d'usage que nous pouvons avoir sont relativement
simple, ils sont réglés dans des groupes de travail entre
élus et professionnels et se résolvent facilement. Nous sommes
prêts à progresser avec les élus en leur demandant conseil
et en leur donnant un certain nombre d'avis sur la façon dont il faut
gérer leur environnement et respecter la beauté de nos paysages.
M. Jean FRANCOIS-PONCET
- la parole est à la salle.
Questions - réponses :
Mme Gine VAGNOZZI, Paysages de France
- Monsieur Leclerc, vous avez
présenté un discours auquel je souscris mais comment pouvez-vous
défendre les notions de paysages et d'entrées de ville quand vous
installez d'immenses panneaux en pleine illégalité que l'on
n'arrive pas à vous faire enlever, par exemple à l'entrée
de Grenoble face au Vercors. Entre votre discours et votre pratique quelque
chose ne va pas. Merci
M. Xavier GUIOMAR, département agriculture durable de la Bergerie
Nationale
- Monsieur Leclerc, deux constats ont été
faits : la question identitaire des espaces périurbains et le poids
des agriculteurs dans la gestion et l'avenir de ces espaces périurbains.
Les grandes surfaces peuvent-elles aider les agriculteurs à vendre leurs
produits locaux afin de confirmer l'identité de ces espaces avec des
produits locaux et leur apporter les moyens financiers nécessaires
à cette gestion des espaces périurbains ?
M. Michel SPERANZA, architecte urbaniste et
aménageur
: Monsieur Favereul, pourriez-vous m'envoyer
votre film supprimant les panneaux et maintenant uniquement les
enseignes ? Monsieur Leclerc, vous avez beaucoup de contraintes en France
et vous faites des espaces verts a minima ? Lorsque votre chiffre
d'affaires croît, vous vient-il à l'idée d'améliorer
vos espaces verts ?
M. François GODLEWSKI, direction de l'équipement à
Versailles
- Je m'attendais à entendre parler des gens du
voyage, cela concerne les grandes surfaces, l'agriculture ; il est
question d'espaces en déshérence mais il y a aussi des
populations que l'on se renvoie, il faudrait que cela soit évoqué.
M. René BLANCHET, Chambre d'Agriculture de l'Isère
:
Monsieur Leclerc, dans la région grenobloise, nous avons
déjà des contrats qui existent entre les grandes surfaces, la
seule crainte que nous puissions avoir c'est que l'on fasse comme avec les
grandes entreprises de transformation : être contraints d'avoir des
marges qui ne nous permettront plus de vivre.
Le problème du périurbain est une contrainte et un handicap.
Peut-être avons-nous mal appréhendé le problème de
l'aménagement du territoire et l'agrandissement des villes font que
l'agriculture n'a été qu'un réservoir de terres pour la
construction. On peut aussi en tirer un avantage et si demain on veut inclure
l'agriculture comme partenaire de l'aménagement du territoire et que les
zones agricoles, qui pourraient être mieux protégées,
puissent faire partie de l'aménagement du territoire et donner un autre
cadre de vie à cette région périurbaine, il y aurait un
travail intéressant à faire.
M. Edouard de FROTTÉ, Société des agriculteurs de
France
- Messieurs Leclerc et Larcher, vous avez parlé de
la lutte contre le dirigisme et le pré-emballé qui obligeait
à construire selon des normes pré-établies et le
développement de la contractualisation. Le lieu de cette
contractualisation ne serait-ce pas la notion de pays qui se développe
et dans laquelle se retrouveraient non seulement l'administration et les
élus mais aussi les socioprofessionnels et les associations. Je serais
heureux de savoir ce que le Sénat en pense et ce que vous en pensez.
Mme Josette de FELICE, Université Paris VII, DESS de
Développement local et présidente du collectif Ville
/Campagne
- Monsieur Radet, que pensez-vous de l'agriculture
biologique dans la périphérie des villes comme marché pour
les agriculteurs ?
M. Pierre-Yves GRILLET, schéma directeur du territoire de
Chambéry
- je suis très étonné
d'entendre M. Leclerc dire que ce ne sont pas les grandes surfaces qui font les
documents d'urbanisme. En tant que chargé d'études pour un
schéma directeur, je peux vous dire qu'à partir du moment
où la grande surface démarche les élus locaux, l'influence
est très importante.
M. Pierre BRAUSSON, organisme de développement agricole
TRAME
-Monsieur Radet, vous avez dit que les zonages de toutes sortes
ne servent pas nécessairement à l'agriculture. Dans votre
région il y a le problème des espaces naturels sensibles, faut-il
en parler maintenant ou cet après-midi ? Parce que la
législation permet à des municipalités, à des
Conseils généraux de classer en espace naturel sensible des zones
totalement agricoles. J'ai l'exemple d'un jeune agriculteur qui voulait
s'installer et ne le peut pas en raison d'une utilisation abusive de la
législation et de la réglementation. Nous en reparlerons cet
après-midi.
M. Yves JARRY, chargé de mission eau de la DDA des
Bouches-du-Rhône
-Au législateur : nous avons dans
des zones comme le Midi, très périurbanisé, des
dégâts considérables voire irréversibles dans le
domaine de l'eau. Il n'y a pas de milieux qui peuvent faire l'amortisseur comme
à Paris, Bordeaux ou Lyon où il y a des fleuves. En termes
quantitatifs, malgré le risque d'inondation aggravé, les courbes
de niveau ne figurent pas sur les planches annexées au POS et les
élus voulant construire au maximum font, via la DDE ou d'autres services
d'état, pousser à la roue pour la délivrance de permis de
construire. Nous l'avons eu en 1993 sur Aix-en-Provence : 6 000
sinistrés dont 4 000 n'auraient jamais dû l'être s'il y
avait eu des courbes de niveau sur les planches annexées au POS. Ce qui
peut se régler par le législatif réglementaire. On fait
faire des études en empruntant de l'argent au Ministère de
l'environnement mais cela coûte des sommes fabuleuses, il faudrait donc
revoir le prix de l'eau en répartissant bien.
D'un point de vue qualitatif, cela touche les grandes surfaces. Lorsque vous
avez 150 ou 200 hectares imperméabilisés dans des zones
méditerranéennes sans pluie pendant trois mois, au premier
lessivage c'est le petit ruisseau du coin ou l'Etang de Berre qui attrapent
tout. Là aussi il faut légiférer en ayant une liaison par
consultation entre les procédures. Si on a oublié
d'intégrer les problèmes de risque aval dans le domaine de l'eau
et de l'environnement, dans l'instruction d'urbanisme c'est trop tard pour
revenir en arrière. S'il y avait une obligation de consultation des
services, comme les installations classées, dans le cadre imposé
par la loi, des catastrophes seraient évitées.
M. Michel-Edouard LECLERC
- Aujourd'hui nous ouvrons des
magasins en Pologne, à Varsovie où nous sommes sur des nappes
d'eau ; nous avons apporté la technologie et nous alternons des
surfaces goudronnées avec des plaques de béton qui sont
trouées et permettent des infiltrations d'eau. Il faudrait que tous les
intervenants puissent travailler sur ces projets d'urbanisme.
Je ne connais pas le panneau de Grenoble mais je veux bien intervenir. La
plupart du temps ces panneaux ne nous appartiennent pas. Il y a deux types de
panneaux : les publicitaires et les panneaux directionnels qui peuvent
appartenir aux commerçants exploitant pour nous dans cette ville. Je
trouve que la prolifération est polluante. Il y a trop de panneaux mais,
vous n'en n'avez pas parlé, il y a trop de prospectus et de sacs de
caisse dans la nature. Il faut d'abord chercher les causes de cette
prolifération. Je m'adresse au législateur : si les
distributeurs, tout-puissants fussent-ils, ne peuvent accéder à
des publicités à la télévision, ils utilisent
d'autres supports de média et de façon exagérée. Le
nombre de prospectus peut être diminué, nous avons supprimé
les sacs de caisses et nous pouvons intervenir sur les panneaux directionnels,
propriété des magasins, et je répondrai.
Dans le rapport élus/aménageurs/administrateurs/magasins, le vrai
problème aujourd'hui réside dans le système
d'aménagement ; ce ne sont ni les industriels, ni les garagistes, ni les
hôteliers qui font les plans d'occupation des sols et déterminent
les zones d'aménagement : la discussion se fait sur le site qui nous est
autorisé. Je discutais avec des élus d'une ville de l'Est et ils
nous disent " tous nos magasins sont partis en périphérie,
et nous voulons réhabiliter des quartiers importants à
l'intérieur de la ville, il faut que vous nous rameniez les
consommateurs sur le centre ville donc soyez compétitifs ". Ce sont
donc des projets sur lesquels il faut investir et sur lequel mon
adhérent aura 3 millions de frais de vigile par an par rapport au
magasin qui est en périphérie. Ensuite, on me demande de faire un
magasin rond et non rectangulaire car situé en centre ville, il m'est
demandé de limiter les places de parking parce que c'est
l'intérieur de la ville, qu'il sera payant et après on me dit
qu'on ne veut pas de caddies parce que les caddies cela fait
« cheap » etc. De cette façon cela ne peut pas
marcher et pourtant, nous allons vers ce quartier. Il faudrait un cadre de
discussion où les architectes de la ville puissent rencontrer d'autres
architectes du privé, du public, peut-être aussi la vie
associative qui connaît ses quartiers. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est
une volonté commune, considérer les acteurs comme des
partenaires, tenir compte de leurs contraintes et programmer ensemble les
investissements dans le futur pour les améliorer et les embellir.
En ce qui concerne les lieux, les concepts sur lesquels nous travaillons sont
des concepts sociaux. Ils sont pertinents en ce sens qu'au niveau des
identités et des comportements ils ont un sens. Mais on ne peut
régler ces problèmes dans le contexte de la commune, ni dans le
département. Pour moi, la notion de pays, je n'ai rien contre mais cela
n'a pas de sens. En revanche, la notion de région a un sens parce que
région, chez moi en Bretagne, c'est une communauté culturelle, et
un cadre de vie que l'on aspire à créer. Plutôt que d'avoir
des Commissions départementales d'équipement commercial, il
faudrait travailler au niveau de la région. Ce serait pertinent au
niveau des flux de voitures, des zones de chalandises.
La plupart des agriculteurs avec lesquels nous travaillons sont d'abord en zone
rurale, plus que périurbaine. Le débouché de la production
agricole française est à 70 % chez nous. Les oppositions que
l'on voit souvent animées par des contentieux syndicaux ne doivent pas
occulter cet état de fait. Aujourd'hui la majorité des rapports
distribution/transformation/production se passe bien. Il y a des crises, ce qui
manque, ce sont des lieux de dialogue et d'anticipation de crise.
M. Bertrand FAVEREUL
- Je compatis au calvaire que vit M.
Leclerc, c'est redoutable que de passer sa vie en étant confronté
à l'animosité de tout le monde. Deux questions m'ont
été posées : l'une à trait à la
technologie et l'autre à la capacité avec laquelle je pourrai
fournir le film dont j'ai parlé. Pour ce film, il suffit de m'envoyer le
nom du destinataire et je le lui fournirai.
Pour la technologie : on peut s'interroger sur les risques d'avoir un
écran dans sa voiture pour regarder les publicités en conduisant.
Il y a toutes les chances pour que l'Etat interdise de façon très
nette cette situation. Il est également tout à fait interdit
d'avoir de la publicité dynamique sur les axes routiers parce que cela
distrait et risque d'entraîner un accident. Pour ce qui est de la
recherche technologique, nous sommes en train de rechercher des moyens pour
remplacer la télévision qui fait tant défaut à M.
Leclerc qui lui permettrait d'afficher sur des panneaux à plasma ou
à pixels ce qui donnerait une image à peu près semblable
à celle de la télévision. C'est très difficile
à réaliser et extrêmement coûteux. Ce ne sont ni le
plasma ni les pixels qui posent problème, mais il est difficile
d'obtenir les logiciels qui permettent de commander à distance
l'ensemble de l'organisation et du minutage du passage des différentes
images du message. Nous y sommes arrivés et cela fonctionne même
par satellite. Ce sera plus facile dans les aéroports où il y a
plus de concentration et nous avons moins de difficultés avec la
lumière frisante.
M. Jean-Pierre RADET
- Concernant les rapports agriculture
périurbaine et grandes surfaces, nous avons beaucoup de grandes surfaces
dans notre région et il manque des lieux de concertation. Ces grandes
surfaces ont des plates-formes et s'approvisionnent en dehors de nos
régions.
Pour les gens du voyages, c'est un réel problème car il est vrai
qu'il y a détérioration importante dans les vergers, cultures
maraîchères et autres. Nous manquons d'aires pour les nomades. Les
jachères dues à la réforme de la Politique Agricole
Commune font qu'elles doivent être entretenues, elles ressemblent
à des pelouses et les nomades s'y rendent. C'est un problème que
nous ne pourrons résoudre aujourd'hui.
Pour ce qui concerne l'agriculture biologique, est-ce une possibilité
pour essayer de maintenir l'agriculture en zone périurbaine ? C'est
une des solutions et nous ne l'excluons pas et nous avons eu récemment
une réunion avec les agriculteurs biologiques de notre région, le
problème a été évoqué. Les agriculteurs qui
se sont investis dans ce type d'agriculture ont de très gros
problèmes de rentabilité, car il y a un facteur
déterminant qui est la main-d'oeuvre et elle n'est pas au coût
mondial, le bio français ne ressemblant sans doute pas au bio d'autres
pays.
Nous reviendrons sur les espaces naturels sensibles et sur les
aménagements des zones agricoles cet après-midi.
M. Jean POMES
- Je vais utiliser la carte
présentée par M. Delorme. Perpignan est la dernière petite
tache jaune et rouge au sud de la carte. Il faut savoir que lorsque l'on
aperçoit la tache rouge, 18 % des surfaces sont en friches et lorsque
l'on voit l'ensemble de la partie jaune, sur certaines communes qui en font
partie, 50 % sont en friches ce qui limite énormément le
développement de l'agriculture biologique. Nous ne traitons pas par
plaisir mais parce qu'il y a une contrainte et le développement de ces
friches oblige le traitement plus soutenu dans certains cas. Nous
développons plutôt des productions « futures
intégrées ». L'année dernière pour la
chambre d'agriculture du département 150 essais ont été
réalisés pour culture de production « future
intégrée » au niveau de cette zone rouge et jaune et
sur ces 150 essais aucune n'avait eu la présence de résidus lors
de la vente.
M. Gérard LARCHER
- Nous poursuivrons cet
après-midi la dimension urbanisme. Nous aborderons la question des
pays et du regard que le Sénat va porter sur cette notion de pays
engendrée par la loi du 4 février 1995. C'est un lieu pertinent
où l'on a envie d'engager des aménagements et une politique
ensemble sans rien nier de l'apport identitaire de chacune des
collectivités locales mais en constatant que ce qui nous rassemble est
plus fort que ce qui nous sépare pour aboutir à un ensemble de
projets qui permettent aux élus avec les socioprofessionnels, la vie
associative de définir un certain nombre d'axes d'aménagement. Il
faut articuler tout cela par rapport à la commune, aux syndicats de
communes et aux structures qui pourront prendre leur place comme les
communautés de communes. Encore faut-il voir quelle est sa position par
rapport au département et à la région, méfions-nous
des effets d'annonce bouleversants pour ensuite conclure dans une espèce
de réplétion une fois les choses réalisées. Qui
finance ? C'est notre système de fiscalité, c'est un
système de péréquation à l'intérieur des
territoires. Revenons à une idée abordée en Commission
spéciale qui était d'essayer de dire qui pourrait être chef
de file sans éliminer les uns par rapport aux autres car toute tentative
qui s'apparenterait à une espèce de guerre entre niveaux des
collectivités est par nature condamnée dans notre pays. Il faut
être pragmatique dans l'approche que nous devrons avoir car nous
n'avancerons sur ce sujet que progressivement. Nous ne sommes ni saxons, ni
anglo-saxons. Voilà pourquoi le Sénat essaiera sur ce sujet
d'être concret et pragmatique s'écartant des idéologies
d'où qu'elles viennent pour regarder la vie dans sa
réalité quotidienne.
A propos des gens du voyage, nous connaissons ce problème en
Ile-de-France. Il occasionne une tension humaine supplémentaire. Une
tension facteur d'exclusion et parfois d'excès de part et d'autre. Je ne
puis admettre, en tant que maire des Yvelines, que trois maires aient
été agressés, blessés et pour deux d'entre eux
longuement hospitalisés au motif qu'ils tentaient de défendre un
territoire qui n'avait pas vocation à accueillir les gens du voyage.
Parmi les déprédations observées dans une région
comme la nôtre, il y a un certain nombre de pénétrations
qui se font et qui bloquent certains assolements, et à certains moments
certains travaux. C'est un problème national et l'on nous dit que le
Secrétaire d'état au logement envisagerait un texte. Je souhaite
que ce texte soit réaliste et pragmatique et qu'il n'y ait pas de zones
de non droits. Que les droits et devoirs de la République s'appliquent
partout de manière égale. Merci à M. Percheron d'avoir
coordonné cette matinée sur les espaces en
déshérence ou en espérance ? Nous aurions pu ainsi
l'intituler pour que nous puissions passer ensuite aux relations et tensions
sociales. Merci aux intervenants.
2. Relations et tensions sociales
Nous allons appeler à nos côtés pour le beau à la porte des villes M. Guy Poirier, conseiller technique auprès du directeur de l'espace rural et de la forêt et M. Bruno Letellier, directeur du CAUE du Maine-et-Loire qui nous parlera de la beauté et de la laideur.
a) L'apparence des quartiers par M. Christian MOREAU, urbaniste
Je suis
urbaniste, architecte. J'ai beaucoup travaillé sur l'intégration
d'infrastructures et sur des problèmes d'environnement urbain. Je
reprendrai l'introduction de M. Delorme ce matin, sur la définition du
périurbain qui est tout à fait intéressante à
partir de la notion de déplacement. Le tissu qui nous intéresse
aujourd'hui est lié à la mobilité et aux modes de
déplacement nouveaux qui caractérisent le périurbain qui
nous intéresse. Il y a un débat qui est tout à fait clair,
c'est la confusion qu'il y a entre le développement des villes de
manière globale et le tissu périurbain. Je me suis
intéressé au périurbain sous l'angle d'un tissu
spécifique qui correspond au développement d'une urbanisation
liée à l'évolution des modes de déplacement et
à la mobilité. Le développement des zones industrielles et
des zones commerciales s'attache de manière indissociable en
matière de mobilité et de déplacements. On voit
aujourd'hui ces zones périurbaines se développer autour de ces
axes de déplacement et ce n'est pas nouveau, le commerce s'est toujours
déplacé le long des axes de communication, c'est la nature de ces
axes qui s'est modifiée et nous sommes devant des enjeux
considérables, en matière d'utilisation de l'espace, liés
à la nature de ces nouveaux axes de communication qui, eux-mêmes,
ont accompagné l'émergence de nouvelles formes de commerce.
Les éléments nouveaux peuvent être listés
rapidement. Nous avons des axes de communication qui se sont
développés autour des axes historiques, des nationales. Dans le
courant des années un certain nombre de projets de voies de
déviation, de contournement s'étaient développés.
Aujourd'hui ces voies sont intégrées dans de nouvelles formes
d'urbanisation qui reprennent le zonage qui a été
développé à l'époque. Le réseau des voies
rapides s'est développé dans les années 70 et plus
récemment des réseaux autoroutiers ont
généré un certain nombre de pôles de communication
ou d'échanges importants au niveau des échangeurs, des
croisements autoroutiers. Ce constat est le suivant : il y a occupation du
domaine agricole pour pouvoir réaliser toutes ces infrastructures qui
constituent un suréquipement en matière d'infrastructures et cela
a conduit à ce que soient consommés de plus en plus vite, de plus
en plus d'espaces qui deviennent rapidement obsolètes. Les
critères de localisation évoluent de manière très
rapide dans une logique très consommatrice d'espace et sans
véritablement d'idée de mutabilité, de recyclage de ces
espaces. Nous avons ce phénomène qui s'est un peu
développé autour des gares TGV où on avait imaginé
sur les gares de villes moyennes (Mâcon, Le Creusot, Amiens...), que se
développeraient de nouvelles zones d'échanges, de pôles
d'emploi. Cela a conduit à ouvrir à l'urbanisation des secteurs
tout à fait agricoles, ruraux et qui se sont trouvés mal
portés sur le plan économique et bien souvent en grande
difficulté mais déjà périurbains avant même
d'avoir été attachés à un centre urbain quelconque.
L'idée de périurbain, consommateur d'espace, est très
liée aux types des infrastructures elles-mêmes très
consommatrices d'espace et qui consomment de l'espace agricole, rural,
sensible, à forte valeur écologique. En fait, ces deux notions de
déplacement, de mobilité et d'urbanisation périurbaine
autour d'espaces fragiles sont indissociables.
Pourtant, il y a un certain nombre de notions qui ont été
rappelées ce matin sur l'intérêt ville/campagne ou
ville/agriculture. Une d'entre elles ne me semble pas avoir été
abordée : la ville a besoin de l'agriculture pour donner un sens
à ce qui n'est pas la ville elle-même et pour servir de
référence aux urbains. Je suis moi-même père de
famille et je suis tout à fait étonné de voir que ce n'est
pas une évidence pour un enfant de huit ans de savoir d'où vient
le yaourt et que cela ne vient pas seulement du supermarché ou de
l'usine à yaourts, que cela à quelque chose à voir avec
une activité agricole, une activité qui concerne la
géographie et là-dessus l'agriculture a à témoigner
vis-à-vis du monde urbain et dans une dimension culturelle très
importante d'un usage de l'espace qui, à mon avis, doit être vu
comme un service à rendre à la ville.
Il y a une notion sous-jacente dans tout cela qui est
intéressante : autour du périurbain, et du périurbain
lié aux infrastructures, s'est développée la notion d'un
espace jetable, consommable qui est vécu comme une denrée
amortissable, quelque chose qui, en fait, est à prendre à un
moment donné parce que les facteurs sont favorables et qui tombe en
déshérence et dans des cycles très courts sans que l'on
ait la préoccupation du recyclage de ces sites. Cette notion prend deux
références : il y a la référence
nord-américaine à laquelle tout le monde pense, pays de
pionniers, il y a beaucoup d'espace et il est consommé. C'est une
référence à caractère industriel. Jusque
très récemment, quand la mine s'installe à un endroit,
elle exploite le site et lorsque celui-ci est exploité, on va un peu
plus loin et le site tombe en déshérence du point de vue
industriel et c'est normal. C'est ainsi que nous avons assisté à
la création d'immenses bassins industriels, miniers,
sidérurgiques et autres. Cette notion a été
appliquée finalement aux territoires périurbains sans autre forme
de procès. Nous sommes face à un espace qui est consommé
et qui n'est pas recyclé. Je vais aller plus loin : on sait que le
développement du crédit-bail pour le financement de cet espace va
dans ce sens puisque finalement nous acceptons, et c'est cautionné par
le financement, d'avoir une denrée périssable. La
différence est que nous nous retrouvons avec des déchets qui sont
de l'espace utilisé et qui tombe en désuétude parce que la
départementale s'est développée et qu'il y a une rocade,
parce qu'il y a un échangeur qui s'est déplacé, il y a
donc là des déchets à recycler.
En conclusion, je reprendrai plusieurs types de recommandations :
- C'est de clairement identifier ce qui est du domaine du bâti et du
domaine du non bâti et de l'identifier durablement. Dissuader
également l'urbanisation abusive de secteurs qui sont, d'un point de vue
économique, fragiles, d'un point de vue écologique, importants
comme les zones humides, les bassins d'expansion de crues. Ces zones doivent
être clairement qualifiées de façon à ce que la
pression foncière même d'un moment, fut-il très court, ne
puisse pas ne pas prendre en compte cet aspect.
- Nous devons également justifier des infrastructures et de leurs
impacts. Il y a un gros travail à faire sur les études d'impacts
qui sont très bien définies par le législateur, mais qui
ne prennent pas en compte cet aspect de création de déchets
urbains ou d'espaces disqualifiés quand une infrastructure remplace une
infrastructure précédente et va poser la question d'un certain
nombre de sites qui ont été structurés par la
première infrastructure et qui vont perdre de leur sens.
C'est donner une ossature paysagère urbaine permanente au-delà
d'un strict usage à un moment donné, pour tel ou tel centre
commercial, telle ou telle zone d'activités, telle ou telle
opération pavillonnaire. Il faut se dire qu'on entrevoit un usage, que
cet usage n'aura qu'un temps et que nous avons à mettre en place une
réflexion permanente, pérenne au-delà de cet usage.
Ainsi, nous pourrions appliquer des principes qui vont largement au-delà
du problème périurbain, qui sont des principes de
précaution. En France, l'espace est une denrée rare auquel il
faut appliquer un principe d'économie, de précaution. Il faut
ensuite appliquer des principes classiques, pollueurs / payeurs
c'est-à-dire poser le problème du recyclage des espaces au moment
où ils sont créés, se dire qu'il y a une
responsabilité à assumer au moment de l'aménagement, la
mutabilité de ces sites.
Enfin, il y a le troisième aspect fondateur qui est de dire qu'il y a un
déficit démocratique, se poser la question du bon outil pertinent
pour pouvoir apprécier des choix en matière d'aménagement
notamment en regard de l'intercommunalité et des concurrences entre
communes qui sont souvent génératrices de cette forme
d'urbanisme. Il y a un problème de fond à se poser sur les
notions de mobilité et de droit à la mobilité pour tous
quand on voit se développer un urbanisme qui est très
orienté vers un certain type de mode de déplacement individuel,
en voiture, et qui exclut du fonctionnement urbain, de l'emploi, du commerce,
de l'activité culturelle un certain nombre de personnes qui n'ont pas
accès à ce droit à la mobilité pour tous. Merci.
M. Daniel PERCHERON
: Nous allons entendre M. Calamme qui va nous
présenter la Bergerie du Véxin et après Mme
Bourgain.
b) Les relations sociales ville/campagne par M. Mathieu CALAMME, ferme de la bergerie du Vexin et Mme Elizabeth BOURGAIN, présidente de l'association Ebullition, l'Ile-Saint-Denis
La ferme
s'appelle " Ferme de la Bergerie ", mais du fait de la
présence en Ile-de-France de la Bergerie Nationale, nous disons Bergerie
du Vexin pour l'extérieur. La ferme appartient à une fondation
(fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme),
qui, au début des années 90, a souhaité que cette
exploitation, qui est une exploitation agricole traditionnelle dans cette
partie de l'Ile-de-France, c'est-à-dire 400 hectares de terres
agricoles dont 350 d'arables, réfléchisse à sa fonction
sociale, sachant que, dans les cinquante dernières années, la
fonction sociale majeure de l'espace rural a été la production,
soit de produits agricoles, soit de bois puisqu'il ne faut pas oublier la
forêt (250 ha).
De l'environnement aux relations ville/campagne
Il est évident que dans l'esprit du conseil de la fondation, l'objectif
premier, au début, était autour des préoccupations de
l'environnement. Très vite nous avons proposé au conseil de
fondation autre chose qui était de dire : nous sommes à 80
km du centre de Paris, à 20 km de Mantes-la-Jolie, il y a une
particularité de ce territoire rural qui est son aspect
périurbain même si ce ne sont pas des champs aux pieds des HLM.
Nous nous sommes posés la question de savoir ce qui pourrait être
le plus fécond en termes de relation ville/campagne. Nous avons vu ce
qui se faisait dans les fermes «découverte». Il y avait
certaines choses qui nous chiffonnaient dans la manière dont monde
urbain et monde rural pouvaient se voir. Ce qui nous choquait était
l'absence de durée dans ce type de relation, c'est-à-dire que les
enfants vont dans les fermes « découverte », ils
voient une image plus ou moins faussée de l'agriculture, plutôt
plus faussée, puisque les petits enfants qui croient que les yaourts
sortent des usines ont, en fait, raison et ils ont tort quand ils pensent que
les vaches sont traites comme ils le voient dans les fermes
« découverte ». Nous avions envie de
réfléchir autour d'un usage commun du territoire.
La solution du jumelage
Décréter que nous sommes une ferme ouverte pour l'ensemble de
l'agglomération parisienne c'est peu réaliste. Nous avons
cherché un partenaire urbain, une autre collectivité, sachant que
sur la ferme nous formons une petite collectivité de cinq familles, qui
puisse réfléchir avec nous à cet usage commun du
territoire, qui puisse se l'approprier afin que les gens s'y sentent un peu
" chez eux " et qu'ensemble nous puissions développer une
communauté de vie. Le principe du jumelage était :
« le territoire s'ouvre ». Le terme de jumelage est un peu
ambigu puisque traditionnellement le jumelage signifie l'association de deux
entités qui sont semblables. Ici, je ne vais pas éliminer le
terme de jumelage, mais il faut comprendre que ce sont deux entités qui
sont radicalement différentes. Mme Bourgain présentera
succinctement l'Ile-Saint-Denis, je rappellerai simplement que la commune en
elle-même fait 150 hectares et à environ 7.000 habitants. 150
hectares rapportés à l'espace que nous avions à
gérer, puisque nous avons également 250 hectares de bois, soit au
total 650 hectares, c'était quatre fois moins et nous étions cinq
familles à nous en occuper. Vous comprenez bien que nous allions mettre
en commun nos différences et pas nos similitudes. L'importance du
jumelage était aussi de ne pas seulement s'adresser aux enfants mais
à tous les habitants puisque l'un des grands problèmes des
relations ville/campagne telles qu'elles sont conçues c'est qu'elles
sont d'abord essentiellement en direction des enfants sans prendre en compte la
manière dont les parents vont percevoir cette relation que les enfants
vont avoir avec un territoire sur lequel ils, les parents, ne sont jamais
allés. Ceci nous paraissait très préjudiciable notamment
si nous voulions que le territoire joue un rôle dans l'émergence
d'une citoyenneté qui est une histoire partagée. Le jumelage est
en route, nous avons trouvé des partenaires, une association, nous
travaillons aussi avec la mairie, l'école. Cela a très vite
démarré avec les scolaires puisque depuis trois ans tous les
enfants viennent régulièrement avec l'objectif que finalement la
ferme soit un peu pour eux ce que la maison de famille de ma grand-mère
était pour moi qui suis né et ait été
élevé dans le monde urbain, c'est-à-dire un attachement
à un territoire non urbain. Tous les enfants vont venir pendant toute
leur scolarité, nous allons essayer de travailler avec les
collèges après, pour que petit à petit ils se sentent chez
eux dans cette portion de territoire. Avec les adultes, nous avons eu des
actions avec une association d'insertion autour des travaux du bois et tout ce
que l'on peut imaginer sur un territoire rural. Avec l'association de femmes,
nous montons un verger. Les choses prennent du temps, il faut apprendre
à se connaître, mais je voudrais insister sur un facteur :
nous ne proposons pas une prestation aux gens, au contraire nous leur disons
que nous n'avons pas d'idée de ce qu'ils peuvent faire de ce territoire
mais après tout nous pouvons en mobiliser une partie pour que vous soyez
acteurs. Effectivement, le verger a empiété sur un tiers
d'hectare de friches, etc.
Les atouts de l'espace rural
On voit par les exemples donnés que ce sont les urbains qui vont dans
l'espace rural et que nous mobilisons le territoire. Pourquoi le territoire
rural peut avoir une certaine valeur pour résoudre un certain nombre de
problèmes du territoire urbain ? Je vais écarter une
tentation agrarienne qui serait de prêter à l'espace rural une
vertu naturelle. Il est évident que lorsque vous mettez quelqu'un qui a
des problèmes psychologiques, problèmes d'identité dans le
monde rural tout seul, il déprimera autant que s'il était dans le
monde urbain, il sera même coupé de réseau de
sociabilisation, de ses repères, ce qui peut être dramatique. Il
n'y a pas une sorte de vertu naturelle de la campagne face à une ville
qui serait mère de tous les vices. Par contre, qu'est-ce qui
différencie l'espace rural ? En ville chaque objet a une fonction, vous
n'avez pas quelque chose qui soit à disposition des habitants pour
qu'ils agissent dessus, on donne aux habitants un environnement qui est
déjà fait. Le vandalisme est bien souvent le détournement
d'objectif d'un objet. Vous cassez quelque chose parce que ce n'est pas vous
qui l'avez mis, qui l'avez construit. Où pouvez-vous dépenser
votre énergie créatrice en ville ? L'espace urbain n'offre
rien pour que la personne crée et agisse sur son environnement.
" Tu n'agiras pas sur ton environnement " c'est finalement un
interdit fondamental de la ville. Ce n'est pas nouveau, toute l'idée du
scoutisme c'est d'élever les gens, de leur permettre de
s'épanouir en tant qu'individu acteur en allant dans un espace qui offre
des choses à changer. L'espace rural a donc une carte à jouer,
essentiellement la forêt. Dans un hectare de forêt les enfants
construisent une cabane, jouent, font un feu. Ce qui est fondamental dans la
constitution de l'individu.
Le second point sur la relation parents/enfants est que, si nous
réfléchissons bien, les gens avec lesquels nous sommes en
relation, beaucoup sont des gens qui sont issus de l'immigration, ont
vécu trois ruptures fondamentales :
la rupture de la langue,
le fait qu'ils soient passés d'une civilisation souvent orale - ils sont
souvent analphabètes - à une civilisation de l'écrit,
la plupart sont issus du monde rural et ont été projetés
dans le monde urbain.
Dans ce contexte ce sont leurs enfants qui sont les médiateurs pour eux
vis-à-vis de la société. L'enfant maîtrise mieux la
langue, l'écrit et l'espace. L'avantage de l'espace rural c'est que les
enfants sont déroutés face à cet espace, même s'ils
se l'approprient très vite alors que les mères le sont beaucoup
moins. Il y a un facteur pédagogique très fort : à
partir du moment où ce territoire s'ouvre un petit peu, les mères
vont retrouver un ascendant sur leurs enfants et je crois qu'on ne grandit bien
que dans l'estime de ses parents.
Comment mieux mobiliser l'espace rural ? On utilise très mal notre
espace rural, surtout l'espace périurbain compte tenu de l'urgence du
problème des villes. L'espace rural est beaucoup plus privé que
l'espace urbain. On considère que l'espace urbain est public à 30
% alors que l'espace rural est public à 5 %. Dans beaucoup de
départements, il y a beaucoup plus de propriétaires qu'il n'y a
d'habitants. Tous les espaces de Creuse ont un propriétaire
concrètement et nous sommes en incapacité de mobiliser cet espace
parce que l'on comprend bien l'appréhension d'un propriétaire
face à la foule urbaine qui apparaît incontrôlable. Il faut
que l'espace rural invente une nouvelle manière de mobiliser son
foncier, ce qui passe par des révolutions culturelles assez importantes.
La seconde chose qui me paraît essentielle, et c'est là que le
jumelage essaye de répondre à la question, est que c'est vrai que
c'est paniquant lorsque l'on est cinq familles de se trouver face à une
commune de huit mille habitants parce qu'ils sont plus nombreux que nous. Nous
ne sommes plus maîtres sur notre territoire et c'est angoissant. Ceci ne
peut se résoudre que par une bonne interconnaissance, donc en
choisissant un espace urbain, des gens que l'on va apprendre à
connaître, c'est seulement ainsi que l'angoisse du propriétaire
sera vaincue. Concernant l'agriculture, je crois qu'il n'y a pas d'autre
solution que de repartager le territoire. Nous sommes fortement aidés
par la puissance publique, notamment par le contribuable allemand à
travers la PAC. Je ne me fais pas d'illusion il va y avoir une
renégociation des aides qui me paraît légitime, de nouveaux
contrats vont être fixés et nous allons, dans ce cadre, repenser
ce que veut dire être propriétaire de son territoire, assurer un
service qui soit un service négocié avec la collectivité
et nous retombons sur la notion de contrat, chère à M. Leclerc,
qui se développera également en agriculture.
M. Daniel PERCHERON
: La parole est à Mme Bourgain,
professeur agrégé de mathématiques, qui anime
l'association Ebullition.
Mme Elizabeth BOURGAIN, présidente de l'association
Ebullition
: Je suis responsable d'une association qui travaille dans
une ville qui s'appelle l'Ile-Saint-Denis en Seine-Saint-Denis où tous
les problèmes soulevés tout à l'heure, d'exclusion et de
difficultés existent. Depuis le début nous essayons de travailler
sur le lien ville/campagne parce que nous sommes persuadés qu'il y a
là une idée qui est porteuse.
Nous avons commencé par faire cela dans notre île-même.
Chaque année nous animons des chantiers de nettoyage des berges de Seine
et nous nous sommes dit que nous pourrions aller plus loin. Notre
première expérience a été avec
« banlieues vertes » où une quinzaine de jeunes de
chez nous sont partis chez des agriculteurs des Deux-Sèvres à
l'invitation du CDJA. Les jeunes qui étaient dans ces fermes ont fait
beaucoup de découvertes sur la vie familiale dans les milieux de
l'agriculture. Ils ont découvert le lance-pierres qui est maintenant un
acquis à l'Ile-Saint-Denis. Leur demande la plus importante était
d'être regroupés et d'avoir des activités. Nous avons eu un
deuxième temps où nous sommes partis en Haute-Saône et dans
les Charentes en centres de découverte où nous avons
emmené les jeunes pour avoir des activités. Nous avons fait de la
spéléo, du Kayak, du VTT, de l'escalade etc. Nous nous sommes
rendu compte qu'entre les activités, ils avaient du temps pour faire des
bêtises et aller voler dans les magasins et qu'ils n'avaient aucun
contact avec la campagne. Sur le fond, ce n'était pas une rencontre avec
la campagne, c'était très ponctuel. L'idée magique que
nous avons eue lorsque nous avons rencontré la bergerie est que nous
nous inscrivons dans le développement durable. Les enfants de
l'Ile-Saint-Denis commencent à découvrir beaucoup de choses sur
les yaourts, sur le jus d'orange puisque dans une école maternelle nous
avons des activités importantes sur la nutrition en liaison avec la
bergerie et le centre international de l'enfance et de la famille. Nous avons
découvert que les enfants ne savaient pas que le jus d'orange venait des
oranges.
C'est intéressant d'aller à la bergerie parce que c'est proche.
Nous pouvons y faire plein de choses utiles et nécessaires. Nous
avons un centre de loisirs qui y va lorsqu'il y a des événements
locaux par exemple la tonte des moutons. Nous avons planté un verger.
Lorsque la société de chasse a eu besoin de compter les
chevreuils, les jeunes sont venus. Nous faisons beaucoup de sorties, de
méchouis. L'atelier poterie a fait des activités de cuisson en
plein air. Nous commençons à avoir des campings, etc. il y a le
projet de verger, un projet de volailles tout cela s'inscrit dans la
durée. Nos jeunes allaient à la campagne mais qu'y faire à
part prendre son transistor sur l'épaule ? Maintenant cela devient
une mode dans l'Ile-Saint-Denis parce qu'il y a des liens qui se sont
créés. Nous visons le long terme.
Nous souhaitons que ce qui se passe entre l'Ile-Saint-Denis et la bergerie se
passe entre beaucoup d'autres cités et d'autres fermes.
Pour aller à la bergerie, il faut prendre des bus et cela coûte
cher, nous avons eu un partenariat important avec la RATP mais elle ne peut
financer tous les voyages. C'est un gros problème et je lance un appel.
Concernant le problème de l'encadrement, nous avons dit que beaucoup de
parents et instituteurs étaient d'origine paysanne. Quant aux
animateurs, ils ne sont pas du tout paysans puisque nés à la
ville et lorsqu'ils emmènent les enfants à la campagne, il y a
des problèmes parce qu'ils ne savent pas quoi y faire. Il faut que les
jeunes soient accompagnés par des gens qui savent vivre à la
campagne. Il y a un gros problème de formation des animateurs qui
encadrent ces sorties. Nous avons la chance d'avoir un lien avec le MRJC de la
Creuse qui travaille sur l'accueil des enfants des villes. Ils ont des
expériences difficiles avec des groupes de jeunes qui sont
arrivés chez eux et cela n'a pas fonctionné. Nous
réfléchissons sur le contenu et la formation des animateurs qui
accueillent ou qui accompagnent les jeunes. Nous avons un projet de BAFA. Un
exemple : chez nous les jeunes mangeaient un peu n'importe quoi. Les
jeunes ruraux et les animateurs ruraux étaient choqués de cette
façon de se nourrir et s'il n'y a pas une réflexion et une
entente préalable sur les exigences qu'on a par rapport aux enfants,
cela ne fonctionne pas.
Cette réflexion sur l'encadrement est intéressante à
développer. Cela ne concerne pas uniquement les jeunes et nous essayons
de faire du travail le plus intergénérationnel possible pour que
le fait d'aller à la campagne soit un bienfait pour tout le monde.
En conclusion, ce que nous avons commencé à tisser avec la
bergerie du Vexin est quelque chose de très porteur. J'espère que
beaucoup d'associations de quartier comprendront l'importance de ce travail et
que nous serons aidés.
M. Gérard LARCHER
: Nous allons évoquer le beau et le
laid dans cet espace périurbain. Il y a des réalités qui
sont des réalités économiques, car l'immense
majorité du territoire périurbain agricole fait vivre des
familles d'agriculteurs qui doivent en tirer des revenus qui sont
indispensables. L'expérience de la bergerie nous a beaucoup
intéressés ou d'autres fermes pédagogiques que nous avons
approchées, ne sont pas en l'état actuel des modes de financement
ou d'approche face à un monde agricole qui, comme l'a dit
M. Calamme, va vivre une période difficile. Nous échangions
M. Daniel Percheron et moi-même le sentiment que la
renégociation de la PAC va être une épreuve très
difficile pour l'Europe en particulier pour la France. Face à cela,
n'oublions pas que les agriculteurs ont un droit légitime à avoir
à tirer un revenu qui, dans le milieu périurbain, a des
contraintes spécifiques et nous n'avons pas évoqué les
contraintes du foncier non bâti ou les contraintes de la transmission,
sujets qui seront abordés cet après-midi. Nous nous apercevons
qu'il y a des réponses qu'il va falloir trouver et négocier y
compris dans leur composante financière, car cette dimension de
sociabilité doit avoir une traduction financière sinon ce serait
du rêve ou la transmission des problèmes des uns sur les
épaules financières des autres qui ne peuvent le supporter.
La parole va être passée à M. Guy Poirier, conseiller
technique auprès du directeur de l'espace rural et de la forêt
mais qui est un militant du périurbain et de l'agriculture
périurbaine. Il est de ceux qui étaient venus me voir. C'est un
homme qui a le sens de la proportionnelle à la fois comme maire d'un
secteur qui vit l'espace périurbain et comme spécialiste de ces
questions qu'il a abordé avec Madame Celdran avec beaucoup de
volonté. Je lui cède la parole.
3. Le beau à la porte des villes par M. Guy POIRIER, conseiller technique auprès du directeur de l'espace rural et de la forêt
Merci
Monsieur le président. Lorsque M. Larcher m'a proposé de parler
de la beauté aux portes des villes, j'ai senti un piège. Il ne
faudrait pas trouver la vertu dans le monde des campagnes et tous les dangers
dans le monde des villes. Il est vrai que nous avons des campagnes où se
posent des problèmes et que nous avons des villes harmonieuses. Les
rapports entre ville et campagne et l'endroit où ces rapports sont le
plus tendu, les zones périurbaines, méritent d'être
analysés de façon moins passionnelle.
Pour continuer la réflexion qui a été amorcée ce
matin, je voudrais faire un bref rappel historique : M. Eugène
Weber, dans la fin des terroirs, situe dans les années 1914 cette
césure entre une France rurale et une France urbaine. Nous pouvons aller
jusque dans les années 1950. Les agriculteurs ont été les
véritables acteurs de la ville, pourquoi ? Parce qu'ils
bénéficiaient du monopole de l'approvisionnement, ils
étaient reconnus comme étant des éléments
fondamentaux parce qu'ils approvisionnaient le monde des villes dans une
période où la pénurie était fréquente.
Les rapports qui pouvaient exister entre urbains et agriculteurs étaient
plutôt de bon voisinage. Les horticulteurs, par exemple, apportaient
leurs légumes, leurs fleurs, leurs fruits et ils collectaient
auprès des urbains les ordures ménagères qu'ils
compostaient pour fertiliser leurs terres. Il y avait une véritable
osmose entre le monde des villes et des campagnes qui était telle que
l'on peut dire que notre territoire a été en partie forgé
à partir de la relation ville/campagne. C'est ce qu'explique avec
beaucoup de pertinence von Tunen, économiste et géographe
allemand, en expliquant qu'à proximité des villes étaient
cultivés des produits périssables difficiles à
transporter. Un peu plus loin on trouvait les zones d'approvisionnement du bois
nécessaire à la construction et au chauffage. C'étaient
les forêts de Rambouillet et de Saint-Germain qui étaient
exploitées ; encore un peu plus loin nous avions les zones
d'approvisionnement céréalier et encore un peu plus loin des
zones d'approvisionnement en viande. Il y avait tout un ordonnancement
d'aménagement en fonction de la demande urbaine. C'est ce qui a
forgé en partie notre territoire. Il est évident que dans les
années 1950, le développement des transports,
l'amélioration des techniques de production, les nouvelles
manières de conserver les produits ont modifié les
ordonnancements. Parallèlement, la crise des campagnes, la diminution
des besoins de main-d'oeuvre a fait en sorte que le monde des campagnes
affluait vers les villes. Il y a eu un véritable bouleversement dans
l'équilibre ancien. Les ruraux sont devenus les nouveaux acteurs de la
ville mais sous une forme différente en étant les consommateurs
de la ville. La pression foncière exercée autour des villes,
surtout à partir des années 1970, a commencé à
rendre difficile l'accès ou la permanence de l'exercice de
l'activité agricole. Alors se sont situés les grands
bouleversements des espaces mités, des espaces en
déshérence, des paysages saccagés, des actes de vandalisme
et l'on ne peut pas dire que la beauté était au rendez-vous aux
portes des villes. Nous connaissons en zones périurbaines les
problèmes qui sont inhérents au monde des campagnes et au monde
des villes.
Comment peut-on présenter l'agriculture périurbaine à
l'aube de l'an 2000 ? Je la présenterai en retenant trois
dimensions : elle est présente, elle s'est banalisée, elle
garde quelques caractères spécifiques qu'il faut
développer.
Elle est présente : une enquête de la Cégésa a
indiqué que 52 % du territoire des cantons périurbains sont
occupés par l'activité agricole. Cela concerne
400.000 personnes et environ 125.000 exploitations.
Elle s'est banalisée : ce qui faisait sa spécificité
à travers ces différentes couronnes, n'existe plus ; les
arboriculteurs survivent dans des conditions difficiles, le maraîchage a
pratiquement disparu et la viticulture n'est plus qu'un pâle souvenir.
L'espace périurbain est l'endroit où l'on vit les contradictions
les plus fortes qui sont exacerbées. L'urbain perçoit en
négatif l'agriculteur. Lorsque l'on parle de problèmes de
pollution des eaux, d'odeurs de lisiers, gêne occasionnée par les
tracteurs, le bruit et le rythme de bruit n'est pas le même pour les
urbains que pour les ruraux mais l'agriculteur est lui aussi l'objet du
caractère négatif de la ville, victime du vandalisme,
méfiance et méconnaissance de l'urbain qui a des exigences qui ne
sont pas toujours en rapport avec celles de l'agriculteur. Les tensions sont
plus fortes car la coexistence y est plus difficile mais aussi, l'agriculteur a
des atouts considérables et l'agriculture périurbaine offre des
avantages sinon des pistes intéressantes pour les urbains. Je pense
à ce qui se passe à Perpignan, à Aubagne, des
possibilités de ventes directes, et la législation rend difficile
les mouvements de producteurs avec l'approvisionnement des supermarchés,
mais il y a des possibilités. Il y a aussi toute la
variété possible et imaginable de l'activité de
diversification, tourisme à la ferme, tables d'hôtes, circuits
pédestres, parcours équestres, possibilités de cueillettes
qui rapproche ainsi le monde des villes du monde de la campagne et qui permet
aussi à l'agriculteur de tirer quelques bénéfices et
d'avoir un peu de valeur ajoutée.
Les urbains reconnaissent à l'agriculteur sa capacité à
gérer l'espace. On connaît bien des phénomènes de
relations étroites en ce qui concerne l'utilisation des boues des
stations d'épuration par les agriculteurs. La relation au niveau de
l'environnement reste très forte.
L'agriculture peut également se situer dans l'espace culturel et
esthétique, avec par exemple la réintroduction de la vigne
à Suresnes. On retrouve une véritable dimension de la
ruralité et de la production agricole à l'intérieur de nos
villes. Il y a depuis une dizaine d'années, 108 unités de jardins
familiaux qui ont été créées.
A Perpignan une activité agricole a été
réintroduite au coeur de la ville. Je crois qu'il y a, en effet, une
permanence de la place des agriculteurs dans le monde urbain parce que cela
permet d'avoir un cadre de vie agréable. Et parce que c'est aussi un
élément de diversification sociale au moment où notre
monde est en quête d'identité, l'acceptation de la
diversification, de la diversité y compris la diversité sociale
est une des réponses à cette recherche
d'identité.
4. Le risque de la laideur par M. Bruno LETELLIER, directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du Maine-et-Loire
Je me
suis posé la question de savoir ce qu'il fallait entendre par beau et
laid. Dans la zone périurbaine, c'est une question
d'interprétation. On peut avoir des références un peu
imaginaires, relatives à la vie américaine etc. Dans
l'entrée des villes européennes c'est une espèce de chaos
ponctué de publicités. Donc largement affaire
d'interprétation. Soit on considère l'entrée de la ville
par rapport à des références qui la situent comme ville en
mouvement, donc de ce fait comprise comme séduisante et belle, soit on
la considère comme salie par tous les excès de population, de
consommation, de circulation, etc. M. Poirier n'a pas répondu à
la question du beau, je ne me risque pas à répondre à la
question du laid.
Il y a aussi le risque de la laideur. Il n'est jamais sûr, il participe
de l'aléa, et peut participer d'un risque calculé avec tout
l'arsenal réglementaire et les outils juridiques qui existent pour en
prévenir l'épanouissement. Aujourd'hui il y a un arsenal
juridique pour prévenir le risque de la laideur dans les zones
périurbaines comme dans les autres zones de la ville, ce qui est
important.
Je voudrais rappeler que l'IFA, un haut lieu de la culture architecturale
urbaine, situait dans une exposition récente les entrées de
villes comme emblématiques des nouvelles tendances de la
modernité et de l'aboutissement esthétique. Un nouvel ordre
urbain ne serait-il pas en train de naître ?
Je voudrais situer trois lieux de risque de la laideur : il y a
l'entrée de ville, l'envers de la ville mais aussi l'entre-deux qui est
un espace intermédiaire.
A propos des entrées de villes, il a été dit tellement de
choses que je ne vais pas en rajouter beaucoup, c'est l'illustration la plus
visible du désordre apparent de la périurbanité. D'un
paysage identifié, très référent, on passe à
un autre paysage approprié et patrimonial qui est celui du centre ville.
Entre les deux, il y a un sas où dominent le lacis des voiries et la
surabondance des messages promotionnels. Cette notion de passage induit le
sentiment d'inconfort et affirme le ressentiment de ce qui pourrait être
compris comme de la laideur. Il s'agit plus d'un risque de rejet collectif, pas
vraiment conscient, que celui d'une laideur objective.
L'entrée de ville participe aussi du contournement de la ville. Dans le
contournement qui est établi dans un souci de fluidité
routière et de rationalisation des flux inter-régionaux, le
risque de la laideur se situe dans l'approche nouvelle de l'envers du
décor. La façade urbaine habituelle, celle de la rue traversante,
est remplacée aujourd'hui par la déviation, le contournement, la
rocade, le périphérique. La lecture du paysage urbain de ce fait
et la perception de la ville se font non plus par rapport à
l'ordonnancement classique de la ville mais par rapport à un paysage de
fond de parcelles, de fond de quartiers tournant le dos à
l'ordonnancement classique de la rue ou du boulevard qui participe d'une
hiérarchisation bien lisible. Il s'agit d'une inversion radicale de la
lecture urbaine. La façade sur rue tourne le dos au lecteur qui
perçoit de public ce que traditionnellement on réservait à
l'usage privatif.
L'espace périurbain n'est plus traversé mais
fréquenté transversalement, c'est l'espace intermédiaire
qui devient l'espace principal et qui ne se charge pour autant de
repères particuliers mais qui s'agrémente des « signes
de l'entrée de ville » c'est-à-dire que tout cet
urbanisme commercial vient d'une façon transversale accompagner la
séquence tangentielle qui participe au contournement de la ville.
Approche frontale de l'agglomération avec les entrées de ville ou
approche tangentielle avec son envers, sont deux lieux de risque de la laideur.
Il y en a un troisième qui est aussi un espace de
déshérence, c'est celui de l'entre-deux : c'est l'espace
intermédiaire de la périurbanité, celui qui n'est inscrit
dans aucun projet, qui se situe entre deux cohérences. La
périphérie des villes est ponctuée de ce type d'espaces
qui participe de l'interpénétration de la ville et de la campagne
sans qu'on y voit très clair en l'absence de lisibilité des
usages.
Le risque de la laideur serait lié, dans ces espaces, à rien de
spectaculaire, mais à une quantité de micro-altérations de
l'espace avec des ponctuations anodines qui transforment ici un siège
d'exploitation en résidence principale donc avec la modification que
cela induit de l'environnement du siège d'exploitation, qui transforme
un chemin rural en voirie de desserte secondaire, etc. On ne voit pas de
changements majeurs dans ce processus et encore moins des évolutions
irrémédiables. On est dans des espaces essentiellement
inqualifiables. Cette évolution insidieuse des espaces entre-deux de la
périurbanité pose des problèmes. C'est un espace mutant de
la périphérie urbaine. Une mutation nourrie d'opportunités
foncières, d'accidents architecturaux ou, aussi, de vrais laxismes.
C'est l'extraordinaire capacité des zones «NC» à
s'accommoder d'une urbanisation diffuse et à digérer,
dérogation après dérogation, l'avancée
désordonnée de la ville et le développement sur ses
franges d'une forme urbaine spécifique, distendue mais très
présente et dont la seule conséquence est d'induire une
révision du plan d'occupation des sols qui ne fait qu'entériner
la situation. Ces zones sont mal maîtrisées, elles ne sont pas au
coeur de la réflexion actuelle sur la périurbanité et sur
la question du rapport ville/campagne.
Au-delà de ces constats, puisqu'il faut parler du risque de la laideur,
et qu'il est convenu de penser que le risque n'est jamais sûr, je
voudrais conclure en disant que l'essentiel de mon point de vue c'est
l'importance de la réflexion préalable, c'est le recul par
rapport à la pression des événements ou à la
pression des offres, c'est la resituation permanente des problématiques
ponctuelles du territoire périurbain dans la cohérence du projet
urbain global. Actuellement, on est en phase, dans bien des villes, de
révision du schéma directeur. C'est l'occasion pour
réintégrer ces problématiques ponctuelles dans des
considérations générales.
C'est un élément qui est renforcé par l'amendement du
sénateur Dupont.
Le chemin continue avec le plan de développement durable et tout ce qui
va en découler en matière d'implications des habitants et des
agriculteurs dans les processus d'aménagement. Pallier le risque de la
laideur ne peut se faire que sur le terrain de l'urbanisme, c'est une affaire
d'élus et de professionnels.
Questions - réponses :
Mme Lucie de FRAMOND, association Silva -
Messieurs Calamme et
Larcher, je pense qu'un bon constat est nécessaire pour passer à
de bonnes décisions et il me semble qu'il y a un grand espace
oublié, c'est la forêt périurbaine. Faut-il que la
forêt soit considérée comme la part d'espace
périurbain dédié aux loisirs, sans possibilité de
production et de rentabilité des activités qui peuvent s'y
exercer ? Si il a été rappelé le droit
légitime des agriculteurs à tirer un revenu de leurs terres, la
forêt semble comme le grand espace sauvage dans lequel on n'aurait pas
besoin d'avoir de production ni de rentabilité. En fait, c'est un espace
dans lequel il est nécessaire d'inventer des emplois nouveaux et je
pense que c'est en relation avec la ville que ces emplois nouveaux peuvent se
créer.
Quelle place est faite aux forestiers dans la réflexion actuelle sur le
lien entre la ville et la campagne ? Je n'ai pas vu beaucoup de forestiers dans
la salle, ils sont moins bien organisés que les agriculteurs mais il ne
faut pas les oublier.
M. Hugues de la PERRIÈRE, Société des agriculteurs de
France et agriculteur dans le Val-de-Marne
- J'étais
très intéressé par le projet de M. Calamme
car je
suis chargé par le département du Val de Marne, sur une ferme que
j'exploite, d'étudier un tel projet. Je voulais connaître le
contrat juridique qu'il avait avec son propriétaire car en agriculture
la mise à disposition des terres est d'ordre public, le statut du
fermage est d'ordre public et n'autorise pas d'ouvrir la ferme et de faire
d'autres activités que l'activité de production ou celle qui est
la continuation de ses activités. Il y a une nouvelle loi d'orientation
et cela n'a pas été pris en compte, que pensez-vous faire ?
M. Bernard FAURE, Office National des Forêts
- Je remercie
Mme de Framond d'avoir rappelé que la forêt était
présente dans le milieu rural et périurbain. L'Office des
Forêts est présent dans ces milieux, le rapport de M. Jean-Louis
Bianco est tout à fait d'actualité. Je voulais savoir, Monsieur
Larcher, quelles suites seront données à ce rapport qui
prévoit un certain nombre d'emplois dans la filière bois et qui
peut apporter des solutions dans le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.
Quelles sont les suites envisagées sur les délocalisations
d'administrations ou d'entreprises ?
M. Gérard LARCHER
- Je vais répondre sur la partie
interrogations. Les interventions seront publiées car nous avons
abordé un certain nombre de sujets très importants.
La forêt fait partie de cet espace périurbain et si le rapport l'a
moins abordée, il n'est pas éloigné de vos
préoccupations car le problème c'est le partage d'usage dans la
forêt. Depuis longtemps nous avons réfléchi à ce
qu'était le partage d'usage sur Rambouillet. On oublie dans des visions
" Disney " qu'un animal, qu'un arbre, cela naît et grandit,
cela doit être récolté ou que cela meurt. On fait
totalement fausse route et notre société est confortée
aujourd'hui dans cette vision " aseptisée ". On ne voit que la
naissance, la violence mais jamais la mort puisqu'en général on
s'en débarrasse sur les élus locaux pour qu'ils gèrent les
problèmes de vieillissement, de dépendance et de mort à
leur niveau. Par rapport à cela, la forêt joue un rôle
essentiel et si nous faisons disparaître de la forêt
périurbaine, la fonction de production, la fonction de récolte y
compris des animaux et si nous la laissons uniquement aux loisirs, nous aurons
définitivement tué la forêt pour la transformer en autre
chose qui ne naît plus, ne grandit plus et ne meurt plus. Nous en aurons
fait un espace artificiel. Toute vision que nous pouvons avoir sur le plan de
développement durable, c'est au contraire d'admettre que tous nos
rythmes sont biologiques et que cette biologie est incontournable y compris
dans les rythmes de repas des enfants d'Ile-Saint-Denis et même si Mars
n'est plus une planète mais une barre chocolatée qui
représenterait l'alimentation unique pour la croissance chez 20 % de la
jeunesse française ; car c'est bien comme cela, qu'une partie des
problématiques est perçue.
Concernant le rapport Bianco, j'ai présidé pendant un temps la
Société des amis des forêts du Bassin Parisien. Ils
tiennent à un mot qu'ils appellent la forêt-forêt et ce mot
je vais le dédier à notre Vice-président qui vient de
décéder, M. Toussaint, qui était un forestier et aussi un
défenseur de l'espace périurbain de la forêt. Cet homme
tout à fait remarquable avait su faire le rapprochement entre
forêt domaine public et forêt privée. La forêt a son
rôle à la condition qu'elle reste authentique sinon elle est d'une
autre nature qui n'est pas la sienne. J'ai été auditionné
par M. Bianco, il a bien voulu reprendre, y compris l'intitulé de
l'audition dans son rapport que nous avions fait sur le partage d'usage. Je le
dis aux urbains, si vous oubliez les exigences rurales de la gestion de la
forêt comme de l'espace agricole, vous vous serez approprié un
espace destiné à mourir dans son authenticité et nous
n'aurons pas atteint les objectifs que Mme Bourgain fixait car la nature est
authentique.
M. Christian MOREAU, urbaniste
- La forêt assure bien cette
triple fonction, c'est une fonction de protection, de production et de loisirs,
mais c'est un tort de penser qu'il y a des forêts qui sont
dévouées à la protection, à la production ou encore
aux loisirs. Elle doit assumer cette triple fonctionnalité. C'est
tellement vrai que cette idée de multifonctionnalité de la
forêt est portée au niveau de l'ensemble de l'activité
agricole.
M. Mathieu CALAMME
- Une remarque qui a trait à ce qui se
passe en Allemagne : quand j'ai fait ma dernière année
d'étude en Allemagne, il y avait un document émanant de
l'équivalent de l'ONF allemande qui disait que compte tenu de la
densité de leur population, pour la moitié nord de l'Allemagne,
le rôle des loisirs devenait le rôle principal. Le conflit de la
forêt sur l'usage est plus un conflit entre chasseurs et promeneurs
qu'entre promeneurs et forestiers puisque l'ONF sait très bien isoler
une zone momentanément pour qu'il y ait des repousses naturelles ou une
plantation artificielle qui ne soit pas pénétrée par les
promeneurs. En Ile-de- France, le revenu généré par la
chasse est énorme, la forêt nous la louions 240 000 F par an.
Les terres sont la propriété d'une SCEA dont la fondation est
actionnaire majoritaire, nous n'avons pas de problème de fermage. Pour
avoir travaillé avec M. Hervé Morize, le statut du fermage est de
moins en moins adapté à la réalité de la
société française et ira en disparaissant.
M. Etienne Lapèze
, président de la FNSAFER - Je
réagis parce qu'il ne faudrait pas qu'à cause de
l'incapacité politique d'adapter le statut de fermage, qu'il faille dire
qu'il doit disparaître.
II. QUELLES POLITIQUES ?
Nous avons demandé à Mme Corinne Lepage, ancien ministre, d'ouvrir cet après-midi car elle a été à la source de notre réflexion. C'est à la suite du pacte de relance pour la ville qu'elle m'a demandé, en tant que rapporteur, d'aller plus loin dans l'analyse des contraintes qui pèsent sur l'agriculture périurbaine. Une question que Mme Corinne Lepage m'a posée était : quelles réponses donner aux demandes de création de parcs naturels régionaux dans des territoires périurbains qu'il fallait soit préserver, soit requalifier et, en même temps, comment gérer les franges urbaines comme un élément du maintien de l'espace rural et un élément de la politique de la ville. Les aléas de la vie publique ont fait que la Commission des Affaires économiques a souhaité poursuivre les travaux engagés. J'en profite pour remercier tous ceux qui ont été mes partenaires du départ, désignés par Mme Lepage. Nous en avons vu se succéder quelques-uns ce matin comme M. Christian Moreau ou M. Guy Poirier mais nous avions commencé initialement avec Mme Marie-Noëlle Séréni de la DATAR, administration qui n'est pas toujours hermétique à l'espace périurbain. Elle m'a considérablement aidé dans la première phase de ce rapport, sans oublier le directeur adjoint de l'époque du cabinet de Mme Corinne Lepage.
Avant-propos de Mme Corinne LEPAGE, ancien ministre
Merci
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames, Messieurs, un mot pour vous remercier de m'avoir demandé
d'intervenir cet après-midi sur ce sujet dont vous avez fait un sujet
important et je n'imaginais pas, le jour où je vous ai confié ce
rapport, l'ampleur qu'il allait prendre.
Je voudrais très brièvement puisque vous me faites
l'amitié de me demander d'ouvrir vos travaux de cet après-midi,
vous dire un peu pourquoi il était utile que vous y
réfléchissiez et combien je trouve intéressantes les
propositions que vous avez faites.
Il me semblait que l'espace périurbain était en
réalité un lieu conflictuel à bien des égards et
que fidèle à une position qui m'est constante, que lorsqu'il y a
des conflits il est préférable d'essayer de concilier les gens,
de les mettre autour d'une table plutôt que de les opposer les uns aux
autres. Je souhaitais qu'avec l'expérience qui est la vôtre de
sénateur-maire de Rambouillet, dans un espace périurbain
important pour la région parisienne, vous puissiez
précisément analyser ces conflits et faire des propositions.
Je crois que les zones périurbaines, et vous en avez fait le constat ce
matin, revêtent quatre caractéristiques qui me semblent
essentielles sur le plan économique, politique, sociologique et
environnemental.
- Economique : effectivement nous sommes en présence de zones qui
sont encore souvent consacrées à l'agriculture dans des
conditions difficiles avec des pressions foncières considérables
et il est important d'aborder la question du foncier et avec en même
temps des demandes de la part soit de ce que l'on appelle les
" rurbains ", soit des citadins de pouvoir bénéficier
d'espaces verts ouverts au public constituant des zones de loisirs. Tout cela
fait que nous avons des conflits de nature économique qui sont lourds
parce que si d'un côté il y a effectivement la production
agricole, de l'autre côté il peut y avoir des demandes en termes
de développement touristique par exemple, qui ont des
conséquences économiques non négligeables.
- Le second est d'ordre sociologique et vous l'avez rappelé dans votre
rapport, c'est-à-dire que dans les zones périurbaines nous avons
la particularité de trouver des gens qui ont fait le choix parce qu'ils
avaient les moyens d'aller habiter près de la ville mais avec un peu de
verdure et, d'un autre côté, des gens qui n'ont pas fait ce
choix ; les zones périurbaines deviennent des zones où les
populations exclues se trouvent en importance considérable. Nous nous
trouvons avec des enjeux, des besoins, des difficultés qui sont tout
à fait différents et des demandes en termes sociologique,
politique qui n'ont rien à voir. Il faut toutefois arriver à
gérer les deux.
- Troisième particularité : elle est de nature sociologique
et politique. Tout ce développement autour de la notion de
" rurbanité " qui, à l'heure des communications qui
sont les nôtres aujourd'hui, du travail à domicile, d'internet,
repose le problème du travail dans des conditions tout à fait
nouvelles et ouvre la voie à de nouvelles formes de vie. On ne peut
détacher la réflexion sur ce développement
périurbain de cette réflexion sur les nouvelles formes de
travail, c'est lié.
- Le quatrième aspect est d'ordre environnemental et l'était
davantage dans mon carquois de l'époque, c'est dire l'extrême
fragilité de ces milieux. On le voit avec Fontainebleau et la
difficulté de savoir ce que nous allons faire avec la forêt de
Fontainebleau qui est un milieu intéressant mais où il y a une
pression considérable. La fragilité de ces milieux, la pression
sur ces milieux et en même temps l'extraordinaire besoin que nous avons
de les préserver parce que ce sont les poumons verts de nos villes.
Tout ceci faisait que nous étions en face d'un sujet tout à fait
complexe avec des interconnections entre des thèmes qui n'avaient
strictement rien à voir et de l'autre côté je dirais un
vide juridique. Au départ, nous étions partis sur l'idée
des parcs parce qu'un certain nombre d'élus souhaitait que des parcs
puissent être créés dans la région Ile-de-France
dans des zones qui étaient déjà considérablement
urbanisées. L'expérience des parcs régionaux montrait que
l'aspect protection de la nature y était très important. Comment
arriver à faire vivre ce double volet des parcs naturels
régionaux avec à la fois la protection des espaces avec des zones
plus fortes de protection au coeur des parcs et en même temps un
développement économique important, des zones très denses
ne s'y prêtant guère, et que faire ? D'un autre
côté, il était dommage de n'avoir pas d'autres instruments
disponibles pour répondre à ce besoin parce que ne pas
protéger cela équivalait à encourager la densification et
à faire disparaître à terme ces espaces dont nous avions de
plus en plus besoin.
Le président Larcher l'a noté dans son rapport : un oubli
des réglementations, des législations des politiques sur ces
espaces considérés comme pas très intéressants
parce que déjà mités, endommagés, parce que
liés à d'autres sujets comme celui des entrées de villes.
Nous avions cette politique binaire. Pas de règles particulières,
pas de mises en protection particulières.
Une constante : la réduction de tout ce qui n'était pas
densifié étant entendu que quel que soit le plan d'urbanisme,
nous savons que cela va toujours dans le sens d'une densification croissante
parce qu'il faut bien construire et nous assistons à un mitage permanent
de ce qui n'était pas urbanisé avec une très grande
difficulté à faire respecter les règles.
L'absence de vue d'ensemble : le domaine du périurbain est un
domaine sur lequel on ne peut tomber dans le juridisme pur. Il ne suffit pas de
fixer des règles. Nous voyons les limites d'un certain nombre de
règles parce qu'elles se heurtent à un certain nombre de
difficultés. S'il n'y a ni moyens financiers ni politique d'ensemble,
à quoi bon avoir une politique en avance sur un certain nombre de sujets
pour tout lâcher sur le reste. C'est en cela que je trouve le rapport du
président Larcher intéressant : il propose des solutions
concrètes et simples à mettre en place. C'est une forme de
puzzle, les choses se rejoignent les unes les autres pour donner une politique
d'ensemble et c'est indispensable.
La réflexion que vous menez n'est pas propre à notre pays du fait
de la mégalopolisation croissante dans le monde. Beaucoup de villes se
posent la question de la gestion de leurs espaces périurbains. La ville
du Cap mène avec l'aide de la Banque Mondiale une réflexion sur
ce sujet parce qu'il y a des ressources fantastiques et une ville à
très forte croissance avec les problèmes sociaux que l'on
imagine. Comment fait-on pour arriver aujourd'hui à trouver des
mécanismes adaptés de protection de l'espace à but
environnemental mais avant tout à but social et sanitaire tout en
permettant le développement de ces villes.
Les conclusions qui seront les vôtres peuvent avoir un
intérêt au-delà de cette enceinte parce dans beaucoup
d'endroits dans le monde on réfléchit à ce sujet qui est
un des grands sujets liés au développement des villes en ce
début de troisième millénaire.
M. Jean-François LE GRAND
: Merci. Merci aussi à M.
Gérard Larcher parce que cette problématique nous
intéresse tous.
L'espace périurbain est un enjeu pour l'environnement mais que
fait-on ?
Le PNR est-il une réponse ? C'est une réponse à un
certain nombre de problèmes mais pas forcément une réponse
à l'environnement périurbain proprement dit. Les PNR couvrent 10
% de la population et 10 % des communes, soit une soixantaine de
départements. Quant aux régions, elles sont presque toutes
impliquées dans l'opération des PNR. Ils relèvent de
quatre objectifs qu'il faut atteindre : valorisation du patrimoine
culturel, du territoire, de la protection du patrimoine avec la notion de
développement, ce qui les différencient des parcs nationaux,
mission d'éducation à l'environnement pour faire en sorte que
notre biotope soit protégé surtout de l'homme. Il y a aussi le
développement économique sur un territoire qui n'est pas
figé, sanctuarisé. C'est un territoire au sein duquel sur un
socle de protection patrimoniale on assoit un développement social,
humain qui permet l'équilibre. Nous allons essayer de trouver des
solutions. Madame Brevan, répondez à deux questions :
comment la politique de la ville menée sous la responsabilité de
l'Etat prend en compte l'environnement ? S'il faut créer un cadre
juridique original, quelle forme pourrait prendre l'intervention de l'Etat,
l'octroi d'un label, un financement ?
A. L'ESPACE PÉRIURBAIN : UN ENJEU MAJEUR POUR L'ENVIRONNEMENT
Présidence de M. Jean-François LE GRAND, sénateur de la Manche
1. Mme Claude BREVAN, déléguée interministérielle à la ville
Le
domaine dont j'ai en partie la charge, la politique de la ville, traite de ce
que vous considérez ici comme le fait des envahisseurs puisqu'il
relève davantage de l'urbain que du rural.
Je voudrais aborder le côté artificiel de l'opposition entre ville
et campagne. Le périurbain est un espace qui est de plus en plus
hybride. Si les ruraux ne vivent pas en ville, les urbains vivent à la
campagne. Les gens étant à la fois urbains et ruraux, ils ont des
aspirations qui sont contradictoires et les contradictions ne sont pas entre
deux groupes sociaux mais au sein des gens eux-mêmes.
Mme Lepage a bien parlé des conflits d'enjeux. L'espace
périurbain est conflictuel également sur le plan institutionnel.
On ne sait guère qui gère ces espaces de transition. Ces espaces
sont des zones de contact qui sont rarement harmonieuses : nous avons tous
le souvenir de barres et de tours qui cohabitent brutalement avec des champs de
grandes cultures. Parfois c'est l'inverse, la ville s'étire en se
disloquant. L'espace périurbain, la frange urbaine sont comme
l'écume de la ville qui marque la limite de la ville entre urbain et
rural mais à la différence des lais et relais de la mer,
l'écume progresse, gagne du terrain, érode la campagne.
Cette forme de rejet progressif hors de ses limites de ce que la ville ne peut
pas accepter se structure mal. C'est un urbanisme pionnier qui devrait
être éphémère mais qui dans les faits s'ossifie et
ne s'efface pas pour donner à des lieux plus structurés et plus
urbains. Cela se traduit par des problèmes
d'environnement : problèmes de paysage, question du
développement durable posée de manière aiguë et
quelle que soit la forme urbaine mise en oeuvre. L'étalement de la ville
pose des problèmes évidents de transports et pas seulement de la
périphérie vers le centre. Les nouvelles pratiques sociales
créent des lieux de centralité dans la périphérie
des villes et les déplacements de périphérie à
périphérie sont de plus en plus importants. Tout cela modifie
profondément les schémas urbains traditionnels.
L'environnement n'est pas comme on pourrait le penser un aspect mineur de la
politique de la ville.
A travers des enquêtes et un appel à projets " paysage "
que la DIV a lancé avec le ministère de l'environnement en 1997,
nous avons vu apparaître chez les habitants de quartiers, jugés en
général comme " peu attractifs ", une aspiration
très forte à l'amélioration de leur environnement et
notamment du paysage. Les quartiers difficiles ne sont d'ailleurs pas
systématiquement implantés dans des sites détestables. Le
paysage est important pour des populations qui possèdent peu de choses.
Elles ont un logement, pas toujours du travail, d'immenses difficultés
et paradoxalement le paysage leur apparaît comme un bien commun et un
élément fédérateur d'autant plus important qu'ils
le pratiquent d'une manière quotidienne. Ils ont moins accès
à la mobilité et à la possibilité de
s'évader en dehors de ces quartiers que les populations moins
défavorisées, et ils ont un grand intérêt à
s'investir dans une amélioration de leur paysage. Ils ont
déclaré, lors d'un récent sondage, tout leur
intérêt et l'importance qu'ils attachaient à la
beauté des quartiers, ce qui n'apparaissait pas comme l'une des
priorités à ceux qui travaillent à l'amélioration
des conditions de vie dans ces quartiers. Cette aspiration est un levier
important.
Je voudrais citer quelques exemples qui sont remontés à travers
l'appel à projets pour montrer à quel point cet aspect
environnement est porteur de progrès sur le plan de la vie locale et de
la cohésion sociale dans ces quartiers :
- A Aubergenville, les gens se sont organisés autour du problème
du cycle de l'eau. C'est un point essentiel sur le plan d'une approche
écologique. Il y avait une protection de captage et c'est autour de cela
que s'est structuré un projet ;
- A Canteleu, ils ont élaboré une charte paysagère comme
élément de cohésion et d'unité entre les quartiers
périphériques et l'ensemble de la ville. C'est la même
trame paysagère, le même traitement paysager pour l'ensemble de la
ville. C'est un symbole important ;
- A Cherbourg-Octeville, c'est un plan de paysage intercommunal qui aborde la
réduction des coupures urbaines, les cheminements, les liaisons douces
et le retraitement de nombreux espaces naturels en semi-abandon. Nous venons
d'attribuer un supplément de subvention en raison de
l'exemplarité de la démarche très porteuse en termes de
messages de cohésion sociale.
Il y a également un aspect économique très présent
dans les réponses à cet appel à projets :
l'environnement comme moyen d'insertion de populations quelquefois
extrêmement éloignées du travail et pour lesquelles cet
aspect de lien avec la nature apparaît comme essentiel.
Je dirai un mot de l'importance du développement durable dans des
quartiers où l'on réagit dans l'urgence. Plus nous agissons dans
l'urgence, plus il faut s'inscrire dans le long terme. La politique que nous
essayons de conduire dans ces quartiers doit être inscrite dans la
durée, dans la réalité sociale. Il faut associer les
habitants pour que l'action publique soit solidement ancrée afin de
recréer ou consolider les racines des quartiers qui ont poussé un
peu vite et installer durablement populations souvent transplantées
d'une manière artificielle.
L'environnement est un enjeu considérable. Nous avons beaucoup d'espoir
dans la génération à venir de contrats de villes et plus
tard des contrats d'agglomérations pour essayer de mieux prendre en
compte ces problèmes d'environnement et pour éviter que, dans une
agglomération, la création d'espaces un peu sanctuaires,
très protégés, et je pense à une dérive
possible des parcs naturels, ne vienne rejeter à la
périphérie de ces territoires tout ce qui apparaît comme
fonctions subalternes sur le plan urbain, et qui aboutirait presque
mécaniquement dans ces quartiers défavorisés.
M. Jean-François LE GRAND
: Je vous remercie. L'expression
"d'urbanisme pionnier qui s'ossifie" ne manquera pas de susciter des questions,
mais c'est parfaitement illustrer la problématique.
Madame Thève, vous êtes femme d'agriculteur en G.A.E.C., sur le
canton du Quesnoy-sur-Deûle et vous avez mené des actions
éducatives et pédagogiques en rapport avec l'activité
agricole. Le profil de l'exploitation, sous cette forme-là, est
excellent. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui quel est le bilan que vous en
tirez et quelles sont les perspectives que vous suggèrent ce bilan et
cette activité que vous avez menés ?
2. Mme Véronique THEVE, exploitante agricole
Je suis
femme d'agriculteur et infirmière de métier. Ce matin M. Delorme,
de l'INSEE, parlait de la ville qui attire l'emploi. Je crois que le milieu
rural peut l'attirer aussi et je cherche actuellement la façon de
déterminer mon métier. Je suis " conjointe "
d'exploitant. Est-ce que je suis animatrice, hôtesse d'accueil, relais
ville/campagne ? Je me sens plus là pour parler de l'agriculture et du
vivant. Il y a énormément de choses à faire et la
communication me paraît essentielle. Il est urgent de reconnaître
de " nouveaux emplois " en milieu rural et de rétablir un
équilibre ville et périphérique.
J'ai arrêté mon métier d'infirmière parce que je
trouvais qu'il y avait beaucoup de choses à réaliser dans le
milieu rural. Nous avons un G.A.E.C. (Groupement Agricole d'Exploitations en
Commun) : c'est une ferme dans la région périurbaine et j'ai
essayé d'être, par rapport à mes compétences, un
relais ville/campagne. Dès la création, en 1992, par la
profession -la Fédération régionale des syndicats
d'exploitants agricoles-, d'une association d'accueil pédagogique
à la ferme qui s'appelait le Savoir Vert des Agriculteurs, et en
partenariat avec l'Education Nationale et l'ENR (Espace Naturel
Régional), nous avons essayé d'ouvrir des fermes parce que nous
nous rendions compte qu'il y avait une incompréhension entre la ville et
la campagne, et qu'il fallait s'ouvrir pour exister. L'association regroupe
actuellement 90 adhérents dans le Nord-Pas-de-Calais. Ce qui est
bien, c'est de pouvoir vivre les choses pour les comprendre et la confiance
qu'établit une rencontre, même si elle paraît inutile ou
difficile, est importante pour le rural et l'urbain.
Grâce à la ferme de production que nous avons, qui est devenue en
plus pédagogique, nous nous sommes rendu compte des
incompréhensions qu'il y avait. Les enfants viennent dans un milieu
qu'ils ne connaissent pas ou peu, ou à travers les adultes qui ont
beaucoup d'a priori sur l'agriculture d'aujourd'hui en matière de
communication : vache folle, dioxine, nitrate, etc. Ils ne savent pas
ce qu'est l'agriculture aujourd'hui, qui respecte l'environnement, qui analyse
et raisonne chaque geste technique, car la technologie évolue et
l'agriculture doit s'en servir. Nous avons accueilli les enfants. D'abord, au
niveau pédagogique mais nous avons aussi adhéré à
un réseau qui s'appelle "FARRE" (Forum de l'Agriculture raisonnée
et respectueuse de l'environnement). C'est une association nationale qui a pour
but de communiquer et de trouver des fermes-témoins pour
présenter ce qu'est l'agriculture aujourd'hui. C'est une adhésion
volontaire et nous devons répondre à un cahier des charges et une
charte de qualité pour le respect de l'environnement.
Le travail pédagogique est plus efficace lorsque les enfants viennent
plusieurs fois à la ferme. Il y a une prise de conscience indispensable
ville/campagne et ils reviennent parfois deux, trois ou quatre fois dans
l'année. Ils ont la possibilité de s'occuper d'un petit champ de
blé qu'ils désherbent et sèment eux-mêmes et qu'ils
récoltent au mois de juin ; je pense que cela leur apprend la
patience, la responsabilité et la nécessité d'une ferme
qui est de nourrir d'abord, l'intérêt de soigner et de respecter
les éléments vivants. Ces enfants sont la société
de demain. Les parents qui viennent avec leurs enfants ont souvent des visages
fermés, aigris en arrivant à la ferme, des parents parfois
chômeurs, mais qui repartent vraiment contents d'être venus chez
nous et attendent la visite suivante pour encore travailler et vivre un moment
vrai.
Les fermes du Savoir Vert travaillent avec la région lilloise dans un
souci de communication et d'ouverture à la ville. Depuis deux ans, nous
travaillons avec la ville de Lille, et sa ferme urbaine. Celle-ci appartient au
réseau de fermes d'animation éducative (GIFAE- Groupement
international des fermes d'animation éducative). Celui-ci,
créé il y a une vingtaine d'années, a le souci du contact
de l'enfant avec l'animal ; les enfants qui vont en ferme
pédagogique dite urbaine, n'ont qu'une partie de l'information au niveau
pédagogique ; il est indispensable que ces enfants
complètent leur visite par une visite dans une vraie ferme de production
sinon leur information n'est pas complète et ils ne voient pas la vie ni
la réalité quotidienne de l'agriculture d'aujourd'hui.
L'enseignement est de plus en plus ancré dans le concret. L'Education
Nationale retravaille ses textes. Il y a beaucoup de choses qui sont faites
pour que l'enfant sorte de l'école et qu'il travaille son apprentissage
à la vie sur un support concret. Il est donc important que les
agriculteurs, ouvrent leurs fermes. Quoi de plus vivant que la ferme ?
Les fermes urbaines qui ont été créées avant les
fermes pédagogiques de production ont été ouvertes parce
qu'il y avait un problème de transport. Il fallait des fermes de
proximité qui se trouvent en ville. Cela coûte certainement une
fortune en termes d'investissement immobilier, entretien, etc.). Ne faut-il pas
financer plutôt le transport pour que les enfants puissent aller sur le
terrain et voir la réalité quotidienne et pérenniser des
emplois en milieu périurbain.
La ferme devenue pédagogique est intégrée dans un
environnement local périurbain et je ne voulais pas me sentir
marginalisée dans ce que je faisais dans ce secteur périurbain.
J'ai suivi une formation sur le développement local en milieu rural qui
n'est pas reconnue professionnellement, ni juridiquement. Cela m'a
apporté beaucoup parce qu'un agriculteur, aujourd'hui, ne peut vivre que
s'il a des partenaires autour de lui. Là encore, je me suis sentie
relais entre agriculteurs et partenaires locaux. Nous avons rencontré
des gens du Conseil Général et grâce au soutien humain,
juridique et administratif de certains, notamment de la D.D.A. et des
collectivités locales, nous avons réussi à monter un
projet d'intégration paysagère et à constituer un groupe
d'agriculteurs sur 17 communes de 3 cantons. Nous nous sommes servis de l'outil
qui était le fonds de gestion d'espace rural et nous avons essayé
de dire que l'agriculteur, c'est le gestionnaire de l'espace rural. Ce projet a
été baptisé " ACTIVER " (Actions cantonales pour
le travail, l'image et la vie de l'espace rural). Nous avons fait cela en
collaboration avec des écoles horticoles et agricoles,
élèves de B.T.S., venus par binôme dans les fermes
réaliser des projets d'intégration paysagère des fermes.
Là encore, un enseignement technique concret a été
réalisé.
C'est ensemble ville/campagne, enseignants, étudiants, agriculteurs, que
ceux-ci ont travaillé pour réhabiliter le paysage. Nous sommes en
banlieue lilloise et il faut transformer les contraintes environnementales en
atouts pour tous !
Cela a créé une dynamique de groupe : nous avons rassemblé
50 agriculteurs de nos 17 communes, qui n'étaient que producteurs. Nous
les avons sensibilisés à l'environnement. Notre objectif
était de faire partie d'un groupe. L'agriculture périurbaine, si
l'agriculteur reste individuel dans son coin, n'aura pas la même force
pour résister à la pression foncière, économique ou
culturelle !
Le projet venant à sa fin, nous avons fait le bilan avec les
agriculteurs de ce que cela leur avait apporté. Ils ont envie d'aller
plus loin et d'être présents là où se prennent les
décisions, faire nos preuves sur le terrain de façon
concrète, se faire connaître, et aussi être compris. C'est
aussi un moyen d'échanges avec les structures existantes. Pourquoi ne
pas développer un contrat d'agglomération avec les
collectivités locales, déterminer les volontés locales de
pérenniser une agriculture périurbaine et lui en donner des
moyens ?
Je me rends compte qu'au niveau agricole, entre espace périurbain et
zone rurale, il y a les parcs. Ceux-ci ont des relais, des animateurs locaux
qui travaillent sur le terrain, mais au niveau des zones périurbaines,
nous n'avons pas beaucoup de relais. Il en manque énormément et
ces relais ville/campagne, ces animateurs locaux représentent de
nombreux emplois à développer. Notre volonté est d'unir
les compétences rurales aux compétences administratives au niveau
urbain. Nous voyons la puissance de la C.U.D.L. (Communauté Urbaine de
Lille). Dans les commissions, il n'y a aucune Commission agriculture.
N'aurions-nous pas une petite place même si nous représentons 50 %
du territoire s'agissant de la gestion de l'espace mais seulement 5 % en termes
de population ?
Je pense que nous avons nos compétences à unir, à
développer pour valoriser les produits de proximité. J'ai
rencontré récemment un maire, car étant aussi
présidente de l'association pédagogique Savoir Vert,
j'établis des contacts avec les mairies. Il ne connaissait pas du tout
"FARRE". Il y a des magasins "bio" qui se développent dans leurs villes
et les agriculteurs locaux n'ont pas leur place dans ces magasins. Nous avons
créé un point de vente directe il y a une douzaine
d'années et nous nous apercevons que les gens, de plus en plus, veulent
savoir d'où viennent les produits, comment ils sont faits. Il faut
rétablir la confiance du consommateur. C'est une santé sociale
qui est à retrouver. Notre territoire périurbain est
dénommé à vocation paysagère et
récréative ! ! ! quel avenir pour l'agriculture si
nous n'anticipons pas. Est-ce que nous sommes " le poumon vert " de
la région lilloise ? Qui en décide ?
J'ai repris une phrase du rapport de M. Gérard Larcher " La
décision de construire, d'occuper l'espace est irréversible alors
que la décision de le protéger est toujours provisoire. Le vide
attire le plein, le plein ne recule jamais au profit du vide "...
Quel est notre choix ? notre responsabilité ? Comment
reconnaître, valoriser, pérenniser et donner les moyens aux
agriculteurs, heureux de l'être, de vivre en zone
périurbaine ? Comment permettre à la forte densité de
population qui nous entoure de jouir et de se responsabiliser face au
territoire rural environnant ? Comment partager et mieux vivre
ensemble ? La ferme et le milieu périurbain peuvent-il devenir un
nouveau lieu de rencontre, facteur de lien social et créateur de
développement local ? L'avenir nous le dira.
M. Jean-François LE GRAND :
Merci Madame. Nous sommes partis de
la notion de conflit d'usage, de conflit social et vous venez de
démontrer que la solution des conflits passait par le partage de
compétences, de projets, pour aboutir à une vie partagée.
M. Hervé Morize, vous êtes agriculteur dans les Yvelines,
près de la ville de Rambouillet. Vous êtes aussi secrétaire
général des agriculteurs de France. Quels sont les enjeux
spécifiques de l'agriculture périurbaine ? Comment pouvez-vous
apporter votre pierre à l'édifice que nous sommes invités
à construire aujourd'hui ?
3. M. Hervé MORIZE, secrétaire général de la Société des agriculteurs de France
C'est en
tant que secrétaire général des agriculteurs de France,
bien qu'étant exploitant dans les Yvelines, que j'interviens.
A un moment où les réflexions sont nombreuses, mais
indispensables, pour alimenter les débats sur l'évolution de
l'agriculture et de la ruralité, ce colloque s'inscrit dans les
objectifs des lois qui vont être en cours de préparation ou qui le
sont actuellement. Dans cette année 1999, nous allons avoir de nombreux
enjeux et les positions qui seront prises à travers la loi d'orientation
agricole mais aussi la loi d'orientation et d'aménagement durable du
territoire vont être autant de signaux qui pourront nous aider à
bâtir ou à renforcer une politique rurale ou moderne suivant les
décisions qui seront prises. Une politique capable de répondre
à une double vocation de l'agriculture : économique et
territoriale. Une vocation économique tout d'abord parce que nous ne
devons pas oublier que l'agriculture n'existera jamais sans résultat
économique. Elle doit satisfaire cette économie, les
consommateurs dans notre pays, des clients à l'étranger, mais il
faut surtout pour les agriculteurs qu'elle satisfasse un revenu. L'agriculture
dégagera un revenu et si c'est le cas, elle pourra rester dans ces
espaces périurbains.
Une vocation territoriale, car l'agriculture doit satisfaire les citoyens qui
sont devenus en quelques années des urbains et pour cela, il faut que
les agriculteurs puissent vivre de leur travail. Pour réussir cette
ambition, les lois et les contrats de plans état/régions, qui
sont en préparation pour les années 2000/2006, devront être
des boîtes à outils efficaces : en particulier assurer la vocation
durable des sols, favoriser le maintien de l'amont et de l'aval en agriculture.
Un agriculteur ne peut exercer, seul, sans ce tissu. Il faut encourager les
transformations agro-alimentaires dans des zones à forte densité
où ces industries ont tendance à s'éloigner dans des zones
plus faciles d'accès pour les transports notamment. Autre objectif, il
faudra savoir créer de nouveaux partenariats entre l'agriculture et ses
compétences et ceux qui nous seront demandés demain. Enfin, la
formation fait partie des finalités, des outils qu'il faudra savoir
utiliser, et un dernier, important, l'information, ce qui manque le plus.
Une politique rurale moderne qui réussira si nous savons nous appuyer
sur les valeurs traditionnelles qui ont fait la force du monde rural. Il ne
faut pas rejeter les traditions culturelles du monde rural. Ces traditions ne
doivent pas être assimilées à des freins au progrès,
au contraire, elles peuvent être des repères indispensables pour
les nouvelles générations. Ces traditions peuvent permettre une
meilleure intégration des nouvelles composantes économiques et
sociales de notre société. Le milieu rural peut continuer
à être le ferment de la cohésion indispensable dans des
espaces où l'environnement est un ensemble qui englobe à la fois
le patrimoine, la nature et l'habitat. Face à cet enjeu, l'association
que je représente estime que le monde rural est capable de s'affirmer
comme un élément essentiel de la société
française et de s'y intégrer sans craindre de perdre son
identité.
La campagne peut servir de catalyseur pour la ville. Une seule
génération aura vu basculer les motivations des uns et des autres
et plus encore les motivations des uns envers les autres. La très forte
migration des populations rurales vers les villes a été un choix
politique fort dans les années 60 pour faire de la France un grand pays
industriel et agricole, qui soit capable de nourrir ses habitants en se
modernisant avec une agriculture moderne. Ce choix a permis le progrès,
par la technique de notre agriculture, et à la société
d'accéder à l'autosuffisance, puis à davantage de confort
et de sécurité alimentaire, ainsi qu'à de nouveaux
métiers aujourd'hui à travers de nouveaux échanges qui
nous attendent demain. Les modes de vie se sont trouvés
bouleversés et les rapports et les liens avec nos besoins alimentaires
et leurs origines se sont peu à peu éloignés. Il faut
faire ce constat pour mieux comprendre ceux qui sont restés à la
terre et qui se demandent chaque jour à quoi ils sont utiles, et ceux
qui sont partis à la ville, qui veulent savoir ce qui se passe dans ce
monde rural qui leur devient inconnu.
La perception de l'espace rural a changé. L'agriculteur sait ce qui lui
appartient ou ce dont il a la charge dans le milieu rural, mais les urbains,
qui découvrent peu à peu, qui viennent vivre dans ces zones,
croient que cet espace est collectif. Ils croient qu'il est inépuisable,
consommable. C'est là qu'il faut trouver des réponses. Les
mêmes gens connaissent le bien privé pour leur jardin, oublient
que partout il existe aussi des biens privés, voire collectifs, qui sont
encadrés. Et de cela l'agriculteur en prend de plus en plus ombrage, il
connaît son droit, son rôle. C'est pour cela qu'il faut
établir d'urgence un nouveau dialogue pour mieux comprendre et voir d'un
point de vue territorial l'usage privé et l'usage collectif que l'on
doit faire dans ces zones périurbaines.
Enfin, la formation. Elle n'existe plus. Il faut la rétablir pour les
nouvelles générations. Il n'y a pas de honte à
réapprendre ce qu'est un écosystème, quel est le processus
du vivant, comment on produit des aliments, quels sont les modes de travail,
quels sont les modes de la vie. Tout le monde n'a pas eu la chance d'aller dans
une école d'agriculture mais rien n'est perdu. Nous devons tous nous
atteler à cette formation, car plus de formation pourra toujours
permettre plus de compréhension et notamment pour les populations les
plus jeunes.
Cet espace que l'on qualifie de périurbain laisse à penser dans
ce mot que l'urbain domine en termes de puissance et dans le rapport de force
en nombre, c'est vrai, mais dans ce que nous voulons créer pour ces
espaces, mieux vaut évoquer le caractère rural de façon
plus affirmée et indispensable en association avec la ville.
Peut-être pourrions-nous parler de zone néo-rurale. Ce que nous
voulons faire dans ces espaces est l'essentiel. D'un point de vue agricole,
l'environnement se trouve modifié par l'avancée de la ville, les
chemins deviennent des routes, les plateaux se morcellent, les vallées
se comblent ou se traversent par des ponts, les forêts
s'éclaircissent. Tout ce qui se construit revêt un
caractère quasiment irréversible envers l'état naturel
géographique. Il faut donc mesurer avec précision l'impact des
décisions qui seront prises, savoir déterminer la part agricole
et rurale que l'on veut pour ces espaces. C'est là l'enjeu essentiel
pour la pérennité de notre agriculture et l'entretien naturel et
productif des espaces agricoles. A partir de cet équilibre, nous
déterminerons les usages, les complémentarités, les lieux
de vie et d'habitat, de travail et de loisirs. C'est dès le début
qu'il faut penser aux éventuels conflits évoqués ce matin
pour éviter de se trouver dans des impasses. Pour qu'une politique
d'environnement ait une chance de succès dans ces espaces, il faut
qu'elle soit capable de gérer les intérêts de tous. Il faut
que chacun puisse remplir son rôle, exercer le travail qui doit
être le sien, connaître ses limites et accepter celles des autres.
La liberté des uns commence où s'arrête celle des autres.
Pour les agriculteurs qui acceptent de rester dans ces espaces, les
défis à relever changent, les nouvelles contraintes arrivent, les
nouvelles opportunités se créent en termes de fonctions, de
marchés et d'échanges. Il faudra des règles pour encadrer
tout cela et savoir libérer les énergies nouvelles, favoriser les
complémentarités créatives et les projets, les nouveaux
services. Il faudra, en fait, refaire ce qui existait quand nous étions
10 millions de paysans. Chacun comprenait mieux à quoi pouvait servir
l'agriculture. Ce que le paysan pouvait faire et ne pas faire avec la nature.
Il faut recréer la confiance entre les uns et les autres. Cela passera
par la transparence, la connaissance, la curiosité, l'explication. Nous
appelons cela la communication. La vraie communication, qui consiste à
se parler d'un champ à l'autre, d'une maison à l'autre, des
maisons aux champs et des champs aux maisons, cette communication sera la
clé de la réussite d'un environnement aménagé entre
la ville et la campagne. A nous tous de relever le défi en créant
les outils dont nous avons besoin.
M. Jean-François LE GRAND :
Merci M. Morize.
Questions - réponses :
Mme Christiane CARLE :
Je représente le Ministère de
l'aménagement du territoire et de l'environnement. Le dossier des fermes
pédagogiques est un dossier qui m'a été confié et
pour lequel nous nous sommes considérablement investis. Pour preuve,
j'ai monté un projet. Mme la Ministre est allée le 29 septembre
1998 visiter l'exploitation de Mme Thève. Il s'agissait là de
reconnaître le travail, l'investissement fait par les agriculteurs en
matière d'éducation et de respect à l'environnement. Il y
a environ 1.300 fermes pédagogiques en France dont 400 fermes d'actions
éducatives. Ces structures ne sont pas rivales mais
complémentaires.
M. LUNARDON, Chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes :
Mme Corinne Lepage a parlé d'absence de vue d'ensemble. Nous sommes
tout à fait dans le sujet. M. Morize a prononcé le terme
d'urgence de nouveaux dialogues, c'est également dans l'urgence des
solutions à trouver au problème périurbain, et le terme
également d'irréversible.
Tout cela pour dire, à l'intention de Mme Brevan, que nous attendons des
décisions. Sur la Côte d'Azur, les espaces périurbains sont
très limités, très réduits. Nous avons des loups
dans le Mercantour où les éleveurs se demandent si demain ils
vont pouvoir continuer leur métier à cause de cela. Nous avons
sur le littoral, autour de nos communes, des loups qui ne sont pas les
mêmes, mais qui ont de grosses convoitises sur ces terrains-là, et
si des mesures ne sont pas prises en grande urgence, je crois qu'il sera vite
trop tard.
M. Pascal LEGRAS :
Agriculteur exproprié sur la commune de
Lieusaint dans la ville nouvelle de Sénart, donc exploitant à
titre précaire dans un espace périurbain. Dans un moment
où la mixité ville/campagne est nécessaire dans l'avenir,
pensez-vous que la voie d'expropriation actuelle par office de
déclaration d'utilité publique sous réserve de
réserve foncière soit toujours adaptée et ne peut-on pas
envisager une notion de partenariat entre l'aménageur et l'agriculteur
dans les temps à venir ?
M. Gérard LARCHER :
Il y a une question pour Mme Brevan et une
question qui s'adresse un peu au législateur et à la
réflexion que nous avons conduite, et qui démontre que les modes
d'intervention fonciers, que nous avons, ont considérablement
réduit en moyens financiers mais qu'en même temps ils restent
parfois brutaux dans leur expression juridique et dans leur traduction
financière. Je prends Montereau Fault dans l'Yonne, des terres
«NC» à 45 francs du m2. Je prends à Massy, dans
l'évaluation faite en 1997, des terres «NC» à 60 francs
du m2. Nous voyons bien les limites du système et puisque le
président Lapèze est là et je parle aussi devant
M. Michel Souplet, le rôle des SAFER dans cet espace peut être
plus grand si nous lui en donnons les moyens, si nous ne le détournons
pas d'être un outil d'abord au service des agriculteurs et de
l'agriculture, si nous n'en faisons pas un outil destiné à autre
chose. Je pense qu'il y a là des réponses dans lesquelles le
partenariat agriculture et aménagement est essentiel. Je le dis parce
que je suis près du délégué interministériel
à la ville qui a été directeur de l'équipement des
Yvelines. Les Yvelines sont une pépinière, espace
périurbain et fonction périurbaine. L'entretien par un bataillon
de fonctionnaires verts de friches, sans parler d'espaces
aménagés coûte beaucoup plus cher que les
exonérations que nous aurions à faire fiscalement à des
zones franches agricoles périphériques de nos villes. Nous
l'avons chiffré dans le rapport qui est de 1 à 10 sur l'entretien
d'une friche simple et peut être de 1 à 50 sur un espace
aménagé. Nous pourrions imaginer des conventions d'occupation et
de partage comme le fait l'Agence des espace verts. Il faut changer la nature
de nos rapports.
Je pense qu'avec vos organisations, notamment avec vos représentants,
avec les chambres, il nous faudra bien au-delà du texte, car nous
comptons bien sur l'article 47 de la loi Voynet, donner quelques moyens
supplémentaires aux SAFER. Nous avons eu ce débat, mais il faudra
le faire de manière contractuelle. Voilà pourquoi dans les
départements qui ont engagé avec les organisations
représentatives agricoles des dialogues, y compris des rendez-vous
annuels pour faire le point sur les systèmes, il m'apparaît
intéressant que la question foncière ne soit pas
éludée. Nous avons eu parfois des débats en Ile-de-France
avec les agriculteurs. Alors que nous sommes en train de résorber la
précarité dans un certain nombre d'emplois, nous augmentons le
nombre de précaires agricoles dans l'espace périurbain. Nous
avons un double langage. Nous supprimons des précaires à La Poste
et tous les jours nous créons des précaires agricoles dans
l'espace périurbain. C'est une des réflexions que je proposerai
à l'avenir et à laquelle Michel Souplet a été
sensible lorsque nous avons débattu de cette affaire.
Mme Claude BREVAN -
Je crois que c'est surtout M.
Pierre-René Lemas qui est au premier rang qui pourra vous apporter
les réponses. Sur le Var, il me semble me rappeler qu'il a
été fait un travail très important sur la
délimitation des espaces un peu fragiles. Il y a quelques années,
j'était en charge de ce dossier et un travail très approfondi
avait été fait. Je crois que quelques contentieux très
lourds sur des urbanisations irrégulières dans le Var ont
dû calmer les appétits des loups à deux pattes auxquels
vous avez fait allusion tout à l'heure.
C'est vrai que sur le problème des réserves foncières,
dont il s'agissait en parlant de terrains acquis par l'expropriation dans le
cas des villes nouvelles, nous avons déjà eu l'occasion
d'échanger avec M. Pierre-René Lemas, la durée très
longue qui peut s'écouler entre un moment où il y a une
acquisition foncière d'où une fragilisation sur le plan foncier
par le biais d'une mesure de gel et le moment où cela devient vraiment
opérationnel. C'est une phase de très grande
précarité, de très grande fragilité et c'est un des
points sur lequel il faut retravailler dans le cadre de nouveaux textes qui
seront peut-être mis en préparation. Nous insisterons
là-dessus parce que c'est sur ces lieux-là que vont se passer des
phénomènes que nous aurons des difficultés à
traiter après, au titre de la politique de la ville.
M. Jean-François LE GRAND :
Je vous remercie Madame.
B. L'URBANISME : UN DROIT INADAPTÉ ?
Introduction de M. Guy FISCHER, sénateur du Rhône
Pour
aborder ce sujet très technique, je vous rappelle le constat
établi par notre collègue M. Gérard Larcher dans son
rapport " Les espaces urbains et paysagers pour un nouvel équilibre
des espaces périurbains "
Les espaces périurbains font l'objet d'une urbanisation sans limite. Il
y a été construit trois fois plus de logements au
kilomètre carré qu'ailleurs en France, entre 1982 et 1990. En
tant qu'élu, j'ai participé depuis un certain nombre
d'années à l'expérience de l'intercommunalité
puisque j'ai été pendant près de vingt ans membre de la
communauté urbaine de Lyon, qui, en matière d'expérience
d'intercommunalité pour l'agglomération lyonnaise, est au coeur
des débats qui vont se dérouler et qui se tiennent en ce moment
à l'Assemblée Nationale. La communauté urbaine de Lyon a
30 ans et jouit d'une expérience d'élaboration des outils en
matière de règlement d'urbanisme, de structuration, que ce soit
en matière de POS ou de schéma directeur de
l'agglomération lyonnaise. Elu local, je suis conseiller
général des Minguettes, qui font l'actualité et se
trouvent au pied de la plaine du Bas-Dauphiné, qui a fait l'objet d'une
politique volontariste assise sur la politique menée par le
président du Conseil général du Rhône, M. Michel
Mercier. En matière de remembrement, d'irrigation, il y a eu une
volonté affirmée de pérenniser une agriculture
périurbaine, dans une agglomération en pleine expansion. Cette
plaine agricole vient d'être nettement perturbée par la
réalisation du boulevard urbain sud qui reliera l'autoroute A7 à
l'autoroute de contournement de Lyon. Il y a aussi une politique menée
depuis longtemps à travers la mise en place d'un parc périurbain,
Miribel-Jonage de 3.000 hectares qui occupe 50 personnes et qui a la
caractéristique d'être géré par deux
départements : le Rhône et l'Ain et sur 13 communes. Ce sont
autant d'expériences.
M. Gérard Larcher note ensuite que les instruments d'urbanisme sont
victimes d'une instabilité chronique. Un quart des POS sont en constante
révision et un mandat de six ans est aussitôt terminé que,
après avoir vécu des modifications, on s'engage dans des
révisions. Dans l'agglomération lyonnaise,
l'intercommunalité est d'autant plus grande que ce sont des groupements
d'urbanisme qui, pour la banlieue Est, regroupent 13 communes et qui permettent
l'élaboration des documents d'urbanisme. Quant au schéma
directeur de l'agglomération lyonnaise, il est élaboré par
un groupement de plus de 60 communes.
Aujourd'hui, les documents de gestion de l'urbanisme favorisent-ils davantage
la concurrence foncière que la maîtrise de l'urbanisation ? Les
schémas directeurs sont très insuffisamment utilisés et
les instruments de protection du patrimoine architectural sont essentiellement
adaptés au corps des villes et non pas aux espaces périurbains.
Pour approfondir le débat, nous aborderons successivement avec
M. Pierre-René Lemas, directeur général de
l'urbanisme, de l'habitat et de la construction les sujets suivants : faut-il
renforcer la stabilité et l'intercommunalité des documents
d'urbanisme ? Comment assurer la durabilité des POS ? Faut-il
préparer de nouvelles directives territoriales d'aménagement ?
C'est ce qui semble s'être dégagé au cours des
débats, et surtout : Quels moyens encourager pour l'élaboration
des schémas directeurs intercommunaux ?
Ensuite nous bénéficierons de plusieurs expériences. M.
André Thévenot est un agriculteur du Territoire de Belfort, il
est en G.A.E.C., et secrétaire général adjoint de la
FNSEA. Ce témoignage sera conforté par M. Malabirade,
vice-président du Centre nationale des jeunes agriculteurs, qui lui
aussi est en G.A.E.C. mais dans le Gers.
Nous parlerons du remodelage des quartiers avec M. Michel Mercier,
sénateur du Rhône, président du Conseil
général du Rhône et président de l'OPAC de ce
même département. L'OPAC du Rhône est l'office
d'aménagement concerté le plus important puisqu'il gère
près de 31.000 logements et que c'est un outil incontournable, à
la fois du développement urbain et depuis quelques années, du
développement rural ainsi que de la construction de logements sociaux en
milieu rural. Il nous fera part de son expérience et du bilan à
tirer du programme de rénovation du bâti collectif et de
construction/démolition de Lyon.
Avec M. Jean-Pierre Raffarin, sénateur de la Vienne, dans la
région Poitou-Charentes et qui fut ministre au coeur de ces
problèmes, nous nous poserons la question : "peut-on encadrer
efficacement l'extension des surfaces commerciales et la
péréquation de la taxe professionnelle des grandes surfaces
est-elle envisageable ?". C'est un problème car la taxe professionnelle
des surfaces commerciales n'est pas du tout proportionnelle à leur
chiffre d'affaires.
1. Renforcer la stabilité et l'intercommunalité des instruments d'urbanisme par M. Pierre-René LEMAS, directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction
Merci M.
le Président. Cette direction dont l'intitulé est très
long résulte d'une décision prise l'été
passé, visant d'une part à fusionner l'ancienne direction de la
construction, et l'ancienne direction de l'aménagement foncier et de
l'urbanisme et permettant une vision d'ensemble des politiques d'urbanisme, de
l'habitat, de la construction, bref de l'aménagement sur les territoires
qui ont à voir avec l'urbain. J'ai fait des allers et retours entre
l'administration territoriale et l'administration centrale et j'ai
été préfet de l'Aisne qui est un département
à la fois très rural et très urbain. Si j'avais
évoqué naguère le thème du périurbain dans
ce département, je me demande si on ne l'aurait pas d'abord
appelé "périagricole". Tout le vocabulaire dans cette affaire est
matière à réflexion.
A l'intérieur de ma direction, il existe un lieu de recherche qui
s'appelle le Plan urbanisme, construction et architecture. Ce lieu a
engagé une recherche sur un thème baptisé "la ville
émergente". Ce thème ressemble à celui du
périurbain, au thème de la lutte contre l'étalement
urbain, qui a à voir avec le périagricole au coeur de la
problématique des entrées de villes. Je viens
d'énumérer toute une série de mots pour dire des concepts
qui sont proches les uns des autres et qui parfois se recoupent. Ce mot de "la
ville émergente" a suscité dans bien des milieux de l'urbanisme
un débat sans commune mesure avec la portée du concept en
question, puisque cela visait à dire que la photographie de ce qui se
passe à la périphérie de nos villes, en terme d'urbanisme,
de qualité de vie, d'esthétique, de lien entre l'agricole et le
rural mais aussi en termes de lien entre le logement et les autres
activités, aboutissait à quelque chose qui, pour tout le monde,
était insupportable. J'ai entendu un certain nombre de commentateurs
autour de ce thème de "la ville émergente" dire que
c'était bien, qu'il fallait aller dans ce sens, que c'était
inévitable. L'action de l'ensemble des pouvoirs publics est de dire que
ce n'est pas inévitable, et les travaux engagés depuis ce matin
sont importants parce que c'est un des éléments d'un grand
débat qui va s'ouvrir dans les mois à venir dans l'ensemble du
pays. Ce sont les pistes d'une réforme importante de l'urbanisme.
Nous travaillons sur des textes d'urbanisme qui ont trente ans. La
dernière grande réforme est de 1967.
Le contexte a changé. La maîtrise foncière et les
instruments d'une maîtrise foncière par les collectivités
locales ont progressé tout au long de cette période dans des
conditions qui aboutissent à des limites, qui sont parfois
considérées comme insupportables. Nous avons vu un exemple avec
la question posée sur le problème de l'expropriation en ville
nouvelle et son caractère brutal.
Comment, aujourd'hui, prendre les moyens d'aller vers une situation stable dans
un monde qui est instable ? C'est le type d'interrogations sur lesquelles nous
devons réfléchir en vue de modifier la règle puisqu'il est
évident aujourd'hui qu'il faut le faire.
Les textes fondateurs, après une longue histoire, tournent autour de la
grande loi d'orientation foncière de 1967. C'est une chose
intéressante que l'urbanisme en France passe par des instruments qui
parlent de l'utilisation du sol, qui parlent du foncier. Quand nous parlons
d'urbanisme en France, nous parlons d'occupation du sol. Ce n'est pas le cas
dans beaucoup de pays où l'on parle, non pas de l'occupation du sol,
mais de ce que l'on va faire sur le sol. Depuis cette époque-là,
nous avons eu une progression de la tache urbaine tout à fait
considérable. En contrepoint de tous les travaux qu'a engagés
Monsieur Larcher, nous avions fait nous-mêmes un travail avec les agences
d'urbanisme en essayant de regarder avec elles dans 21 agglomérations,
ce qui s'est passé depuis les derniers recensements, depuis 1954. Ce que
nous voyons rejoint complètement le débat et les conclusions du
rapport de M. Larcher puisque nous voyons le passage en gros d'une
densité moyenne de zone urbaine qui était de l'ordre de 58
à des chiffres passés aux alentours de 1990 à une
densité de 38, dans les zones des 21 agglomérations couvertes par
les agences d'urbanisme. Ces chiffres sont significatifs surtout en termes de
mètres carrés habités par habitant. Nous sommes
passés en gros de 170 m2 par habitant dans ces zones-là à
263 m2 par habitant. Nous montons et il est vraisemblable que sur la
durée, nous risquons d'arriver aux chiffres que l'on rencontre dans un
certain nombre de villes américaines où les chiffres sont souvent
supérieurs à 500 m2 par habitant. Nous voyons bien que la nature
du problème a radicalement changé du fait d'une
accélération depuis une dizaine d'années.
La gamme des instruments de planification spatiale a beaucoup changé,
elle s'est enrichie et en même temps, elle s'est beaucoup
complexifiée. Nous partions d'un système des schémas
directeurs et des plans d'occupation des sols et d'autres instruments se sont
multipliés : les PLH, les PDU, les DTA, les schémas d'urbanisme
commercial, d'équipement commercial. Nous avons intégré
toute une série de préoccupations qui correspondaient à la
demande sociale. Cela a été la loi sur l'eau, la loi sur l'air,
plus récemment la loi sur l'exclusion. Si je voulais l'illustrer : la
loi de lutte contre l'exclusion a introduit pour la première fois dans
notre législation l'idée de bassin d'habitat, une notion à
caractère législatif. Cette notion de bassin d'habitat doit
permettre la mise en oeuvre de nouvelles structures, de nouveaux lieux de
concertations, d'échanges, qui sont les conférences
intercommunales du logement. Nous avons donc, dans de nombreux cas, une
démultiplication à la fois des instruments et sans doute en
même temps une démultiplication des périmètres de
coopération ou d'intervention.
En définitive, la décentralisation s'est traduite par, non pas un
bouleversement des règles générales du Code de
l'urbanisme, mais par le transfert de compétences jusqu'ici
exercées par l'Etat aux collectivités locales dans des conditions
qui sont d'ailleurs souvent complexes. La transformation de vocabulaire qui
fait que nous sommes passés des SDAU (schémas directeurs
d'aménagement et d'urbanisme) aux schémas directeurs n'est pas un
bouleversement conceptuel. C'est bien la même nature de documents sur
laquelle s'est faite cette évolution.
En même temps, l'évolution de l'intercommunalité a
été un phénomène sur les dix dernières
années tout à fait important. Le développement de
l'intercommunatité a été très fort dans la
période où s'élaborait la loi du 6 février 1992 qui
crée les communautés de communes et il y a eu une période
où nous avons vu se démultiplier, avant la loi, beaucoup de
structures de coopération intercommunale. C'est vrai qu'il y a un
fléchissement depuis quelques années mais nous avions encore en
1997, 131 créations de structures de coopération intercommunale,
contre 200 environ en 1996.
Ce développement quantitatif de la coopération intercommunale ne
s'est pas traduit par l'émergence d'un lieu de coopération
intercommunale qui correspondrait à la réalité physique
des agglomérations : le centre et la périphérie. Il y a eu
les communautés de communes. Les communautés de ville n'ont pas
été un succès. La piste des communautés
d'agglomérations qui s'ouvre et sur lesquelles le débat s'engage
au Parlement, à l'Assemblée Nationale et bientôt au
Sénat paraît être une piste sur laquelle il semble que se
dégagent un consensus parmi les élus locaux.
La question de la recherche de ce qui est appelé "le
périmètre pertinent" par le monde HLM est importante. Qu'est-ce
que le périmètre pertinent ? Celui de la coopération
intercommunale et incontestablement celui de l'agglomération. Mais nous
avons un certain nombre de cas sur lesquels la définition du
périmètre de l'espace permettant de mener les politiques
publiques implique que l'on tienne compte de la réalité de ces
politiques. Ce n'est pas la même chose si l'on parle de
déplacement urbain et de programme local de l'habitat.
Il est souvent dit que nous avons des instruments qui ne seraient ni fiables ni
efficaces. En réalité, nous avons maintenant une situation
où la maîtrise foncière par les collectivités
publiques a toute une série de palettes d'instruments plus ou moins bien
utilisés, et plus ou moins bien interprétés par le juge.
Il y a le POS lui-même avec les zones «ND», les zones
«NC», il y a la construction différée des zones
«NA» à propos desquelles le rapport de Monsieur Larcher pose
un certain nombre de questions de fond.
Il y a les outils de préemption, la ZAD, le DPU, les zones à
risque en ce qui concerne le PPR. Cela n'empêche que nous sommes
restés dans une logique qui prévaut en France depuis la
conception de ce qui a donné naissance au POS qui est que l'on part du
"tout à bâtir" virtuel et que l'on enlève un certain nombre
de possibilités, dans des conditions définies par la loi, tout en
laissant l'ensemble de ce qui n'est pas limité "constructible" par
principe.
C'est un des principes fondateurs de notre manière française
d'aborder le sujet. Mais gardons présent à l'esprit que dans un
certain nombre de pays étrangers, c'est différent. On part du
bâti pour en accroître la surface à mesure des besoins. Ce
qui fait que dans ce système juridique, la place qui est laissée
au choix individuel est considérable et que le jeu social est largement
l'addition des choix individuels.
Dans le cas de la vente des terrains à bâtir faite à
l'initiative de chaque particulier en fonction d'une vision de
l'intérêt général mais aussi en fonction de
stratégies légitimes et personnelles, nous voyons que la surface
des terrains constructibles des POS est évidemment beaucoup plus vaste
que ce qui sera construit, y compris dans des termes très lointains, de
10, 20 ou 30 ans. Nous en avons sans doute 30 à 50 fois plus que ce qui
sera construit dans l'année, ce qui met souvent les communes dans une
position impossible parce qu'on leur fait un double reproche. Ou les surfaces
constructibles sont trop importantes et on leur dit que cela favorise la
dispersion urbaine, ou elles le sont trop peu et l'on dit que c'est une forme
de malthusianisme foncier qui va générer une hausse des prix des
terrains et donc de la construction. Par ce jeu inévitable qui est
conforme à notre manière d'aborder le sujet, nous sommes dans une
situation où l'étalement urbain résulte largement de
l'addition d'initiatives individuelles.
Comment aller dans un monde instable vers plus de stabilité ?
Le territoire a besoin de certitudes et de durée. Nos instruments
comportent en eux-mêmes une incertitude. Le périurbain est d'une
certaine manière le domaine de l'incertitude y compris dans sa
définition géographique. Depuis les quartiers en
difficulté de la périphérie qu'évoquera le
sénateur Mercier jusqu'à l'espace indistinct où
l'activité agricole est largement dominante et qui fait partie du
périurbain, nous avons une interrogation sur les limites.
J'ajoute que les situations locales sont totalement contrastées. Le
département des Bouches-du-Rhône est en grande partie
"métropolisé" pour utiliser le jargon de l'aménagement et
de l'urbanisme. C'est en même temps le 3ème département
agricole en France par la production agricole finale. Il y a environ 353.000
actifs.
Le district de Rennes, c'est 33 communes, 350.000 habitants. La surface
agricole utile du district de Rennes représente 60 % du territoire
concerné. Nous avons bien des différences sur lesquelles l'accent
a été mis tout au long de la journée.
Le risque est, je reprends une citation d'Edgar Pisani qui dit "quand la
société ne sait plus quoi faire d'un espace, elle le traite par
la norme, parce que la norme se substitue au projet, et la politique dans ces
conditions se définit en termes de norme", et j'ajouterai "et de
procédure".
Une des interrogations que nous devons avoir est : comment assurer la
stabilité des objectifs plus que celle des procédures ?
Pour assurer la stabilité des objectifs, nous pouvons aller vers une
réflexion où l'on poserait comme essentiel le contenu
plutôt que le respect de règles purement procédurales. Par
exemple, la lutte contre l'étalement urbain par une certaine
maîtrise de l'urbanisation périphérique ; la mixité
sociale et urbaine qui doit être fondée évidemment sur le
développement d'une intercommunalité à l'échelle de
l'agglomération ; le renouvellement urbain, ce que l'on appelle la ville
sur la ville ; la reconstruction sur les zones déjà bâties
; la construction dans les zones déjà denses et qui ne le sont
pas autant que l'on croit, notamment dans les grands quartiers d'habitat social
qui ne sont pas denses même s'ils sont bâtis très hauts avec
des barres ou des tours qui apparemment consomment de l'espace ; le
renouvellement urbain par la rénovation des moyens d'intervention
à l'usage des quartiers.
Le respect d'objectifs de ce type devrait être la priorité par
rapport à l'addition de règlements qui finissent par être
considérés par l'ensemble des acteurs comme extraordinairement
tatillons. Je parle sous le contrôle du rapporteur du projet de loi
d'orientation agricole. Je crois que les travaux engagés dans le cadre
de la lecture par le Sénat sur le dispositif des zones agricoles
protégées, vont dans la direction qui vise à
privilégier une réflexion en amont sur la valeur agricole des
sols, sur la détermination des secteurs dont le potentiel agronomique ne
doit pas être mis en cause, plutôt que sur un jeu purement
procédural, même si les consultations sont naturellement
prévues dans le cadre du texte qui a été voté en
première lecture par le Sénat.
En conclusion, je crois qu'une piste de réflexion utile, est dans la
recherche de la cohérence dans un cadre intercommunal.
L'enjeu aujourd'hui est d'essayer de sortir d'une logique trop
sectorisée. Toutes les communes, les groupements de communes s'efforcent
de dépasser la simple juxtaposition des politiques sectorielles, ce qui
veut dire que l'on doit pouvoir travailler dans une vision globale de
l'aménagement de l'espace, et avoir une vision qui prenne en compte,
globalement, les problèmes posés en matière d'urbanisme,
d'habitat, de déplacement, d'équipements commerciaux puisque
grâce à la loi Raffarin, le commerce est aujourd'hui un acteur de
l'urbain, la loi le reconnaît comme tel. Là encore il faudra se
garder d'une vision qui soit trop rigide, globalisante, et plutôt
intégrer cette idée de stabilité, de durée et de
cohérence.
Le Ministre de l'équipement et Monsieur Besson ont souhaité cette
année que soit engagé un grand débat sur l'urbanisme, les
transports et l'habitat. Ce sont ces éléments, et notamment ceux
du débat d'aujourd'hui qui doivent servir à alimenter une
réflexion, qui, je l'espère pourra aboutir à des
réponses puis à des réformes peut-être
législatives dans l'année qui vient.
M. Guy FISCHER :
Je vous remercie, Monsieur le directeur. Il est certain
que nous attendons une loi sur l'habitat et les questions que vous deviez
évoquer étaient très difficiles à cerner dans un
bref délai; le territoire a besoin de certitudes et de durée. Je
vais passer la parole à M. Jean-Pierre Raffarin, qui en matière
de surface commerciale, a des idées bien arrêtées et je
vais lui demander de nous présenter le problème.
2. L'application des dispositions relatives à l'urbanisme commercial par M. Jean-Pierre RAFFARIN, ancien ministre, sénateur de la Vienne
Merci
Monsieur le Président. Ce sera d'autant plus facile que M Lemas a
été très complet. Ce que vous dites sur la
sémantique me paraît très important. Ne serait-ce que dans
les mots qui sont employés lorsque l'on parle de périurbain, la
présence du mot périmètre et du mot frontière,
alors qu'il s'agit d'espace, et si vous lisez bien le texte de Mme Voynet, vous
verrez qu'il y a une sémantique complètement nouvelle en terme
d'aménagement du territoire par rapport aux précédentes.
Il est très important de voir l'importance que prennent des mots comme
développement durable. Quelquefois les mots prennent plus d'importance
que le contenu. Cela devrait nous faire réfléchir parce que
qu'est-ce que l'on met derrière ces "périmètres", ces
"frontières", alors que dans les logiques, aujourd'hui, nous voulons
abaisser les frontières et là, je vois en titre :"Les espaces
périurbains, une frontière en mouvement".
Je crois que la problématique est là : le périurbain
est-il un espace, est-il une frontière ? A-t-il une identité ?
Cette identité s'est fondamentalement développée autour
des logiques économiques, laissant de côté pratiquement
complètement le social, et complètement le culturel. Au fond,
l'identité du périurbain c'est un gros coefficient
économique et des fragilités sociales et culturelles. Ce sont des
territoires qui sont souvent fragiles sur le plan identitaire et pour moi qui
suis un militant de la décentralisation, il n'y a pas de mobilisation
sans identité. Avoir au fond de son coeur un petit territoire auquel on
est attaché pour pouvoir se battre, c'est là sans doute le
meilleur des ressorts du dynamisme. Le problème du périurbain est
qu'il n'a pas d'identité la plupart du temps, notamment parce que le
culturel et le social y sont déficients et que l'économique s'y
est fait cannibale. Territoire vécu, souvent territoire imposé.
Territoire flux plus que territoire stock, territoire où
l'hypermarché a joué le rôle de moteur, de pompe aspirante
et refoulante sans que cela ait, en dehors de la fiscalité, sur le plan
social, comme sur le plan culturel, beaucoup amélioré
l'identité de ces espaces périurbains.
Ce qui est très important, pour en venir au sujet de l'urbanisme
commercial, c'est que l'on voit bien que dans ces secteurs-là, les
hypermarchés ont été vraiment les moteurs du
développement parce qu'ils ont créé des flux de
populations très importants, qu'ils ont également
créé des richesses et concentré un pouvoir,
économique essentiellement. On est allé beaucoup trop loin dans
la logique du développement de l'hypermarché et je rejoins le
thème fiscal : c'est vrai que très souvent la chasse à la
taxe professionnelle a été le moteur pour les communes qui
n'avaient pas d'autre identité que ce fait d'être un espace
intermédiaire. Elles sont allées chercher là une
ressource, un positionnement, une activité et évidemment beaucoup
d'abus ont été ici enregistrés. Des efforts ont
été faits pour maîtriser le phénomène. Sur le
plan juridique, puisque je suis interrogé sur les dispositions relatives
à l'urbanisme commercial, je crois que le territoire a, en grande
partie, les moyens de maîtriser ce dispositif commercial. Les
dégâts sont faits et les maîtrises viennent un peu tard, il
aurait fallu s'y prendre plus tôt. La question de fond est "avons-nous
les moyens de maîtriser le dispositif ?". Je pense que la loi sur
l'urbanisme commercial aujourd'hui, notamment avec la Commission
départementale nous permet d'avoir une approche raisonnable puisque nous
avons choisi d'être équilibrés par rapport au pouvoir
politique. Les élus ne sont pas parfaits mais ce sont eux qui sont
légitimement les plus puissants sur le plan de la lecture
démocratique, 3 pour les élus, 3 pour les professionnels. Dans
les élus nous mettons le Maire de la commune concernée et
l'agglomération et l'on va chercher la commune concurrente. Quand les
trois élus sont d'accord, cela veut tout de même dire quelque
chose, mais cela ne suffit pas. Il faut aller chercher un quatrième
soutien qui doit être du côté des Chambres de
métiers, des Chambres de commerce ou chez les consommateurs. Il est vrai
que l'on peut l'emporter quelquefois contre les artisans, contre les
commerçants, mais on l'emporte à condition que tous les
élus soient d'accord et que les consommateurs soient d'accord, ce qui
veut dire que c'est un projet qui a quelque pertinence. Il faut trouver
l'équilibre. Je veux bien que l'on conteste toujours les
décisions des élus mais qu'avons-nous de mieux que les
élus pour décider ? Et finalement, ce dispositif avec une
majorité de 4 sur 6 me paraît pouvoir être
maîtrisé. Le pouvoir réglementaire a ensuite ajouté
un certain nombre de contraintes comme la possibilité pour le
préfet de faire des recours quand il estime qu'il y a au niveau du
territoire une déstructuration. Nous pouvons regretter que sur
l'année 1996, il y ait eu 130 recours demandés par le Ministre et
que sur l'année 1997, il n'y ait eu que 13 recours. Le
système existe et les recours devant la Commission nationale permettent
de pouvoir bien valider un certain nombre de projets.
Ce qui est très important aujourd'hui, c'est cette capacité de
maîtrise, car je conçois qu'il y ait des bons projets et je
conçois que sur le plan de l'urbanisme commercial, le commerce peut
jouer sa fonction sociale et culturelle si elle est maîtrisée par
le territoire : on ne peut pas être intégriste sur tous ces
sujets. Mais nous avons vu très souvent que l'hypermarché et la
course à la super dimension pouvaient conduire à des
excès, et à la déstructuration d'un certain nombre de
centres villes, par la disparition de structures qui avaient une vocation de
cohésion économique et sociale, sans pour autant les remplacer,
là où ils prenaient les flux commerciaux par une autre
cohésion économique et sociale. D'un côté, il y
avait une déstructuration sans qu'il y ait de l'autre une
restructuration, en dehors des aspects économiques sur le plan social ou
culturel.
Le dispositif aujourd'hui me paraît ouvert à condition que l'on
puisse régler les problèmes politiques et financiers. Le
problème politique c'est l'identité de ces territoires et le
problème des élections. J'entends beaucoup parler de
l'élection du président de l'agglomération au suffrage
universel. C'est un sujet intéressant qui a ses avantages mais attention
! Le périurbain étant aujourd'hui sans identité, il peut
très souvent se trouver politiquement marginalisé, et je suis
inquiet quand je vois que dans le texte de Mme Voynet, on fait du contrat
l'outil majeur de l'aménagement du territoire : contrat de ville,
contrat d'agglomération, contrat de plan, l'ensemble des fonds
structurels existant aujourd'hui passant dans la moulinette des contrats. Qui
dit contrat dit partenariat, qui dit partenariat dit identification du
partenaire. Si les territoires périurbains ne sont pas
identifiés, si c'est toujours le centre qui identifie l'urbain et le
périurbain, il y a à nouveau dans la politique contractuelle des
problèmes identitaires au niveau politique. Il faut donc bien
réfléchir à l'identité politique du
périurbain.
D'autre part, sur le plan fiscal, je crois qu'en effet, il faut éviter
cette course à la chasse de la taxe professionnelle qui a
déstructuré beaucoup d'agglomérations.
En conclusion, nous avons globalement les moyens de maîtriser l'urbanisme
commercial. Ce que je ne comprends pas et qui devrait évoluer dans
l'avenir, c'est pourquoi nous sommes tant marqués par l'évolution
des nouvelles technologies ? Comment se fait-il que nous soyons si admiratifs
devant ces nouvelles technologies, devant Internet, devant la
possibilité que nous aurons demain de pouvoir regarder des films sur
notre petit téléphone. Les nouvelles technologies valorisent le
local, permettent au petit d'être mondial. Elles vont nous permettre
d'entrer dans des réseaux tout en restant petits et modestes alors que
nous continuons à faire du gigantisme et de la concentration les lois
d'avenir de la société ?
Comment se fait-il qu'au moment où l'on envisage la possibilité
d'avoir quinze chaînes de télévision dans sa poche, l'on
multiplie les multiplex de cinéma pour faire, avec les cinémas,
les mêmes erreurs que celles que l'on a fait avec les
hypermarchés. Il y a des choses qui ne me paraissent pas très
rationnelles et je crains que nous prenions la logique de la concentration et
du gigantisme alors qu'il faut prendre, pour demain la logique de l'humain et
du convivial. Les nouvelles technologies devraient nous faire évoluer en
ce sens.
M. Guy FISCHER :
Le pari est presque rempli, la certitude y
était, sauf peut-être pour la péréquation de la taxe
professionnelle. Nous revenons au monde agricole. Les documents d'urbanisme,
les nouveaux outils interrogent. Nous avons souhaité connaître les
points de vue du monde agricole.
3. `Agriculture périurbaine et droit de l'urbanisme : en France et en Ile-de-France
a) M. Jean-Pierre RADET, président de la Chambre d'agriculture interdépartementale d'Ile-de-France
Tout ce
qui se passe en Ile-de-France, dans le secteur périurbain est un peu un
élément précurseur de ce qui va se passer, peut-être
à un degré moindre, dans les autres régions.
Le schéma directeur de l'Ile-de-France a démarré en 1990,
est sorti en 1994, à la grande satisfaction de la profession,
après de nombreuses discussions entre les différents partenaires,
car ce qui nous pèse le plus, c'est la précarité, c'est de
ne pas être certains de notre devenir. D'avoir pérennisé un
certain nombre de territoires nous semble une bonne chose pour l'agriculture,
d'autant que pour pérenniser l'agriculture, il faut avoir un volet
économique viable.
Pour réussir, il faut mettre en compatibilité les schémas
directeurs locaux et les plans d'occupation des sols. Il y a un délai
assez court pour que ce soit mis en concordance, la date a été
fixée à 2003.
Quel principal constat pouvons-nous faire en 1999, après
l'élaboration de ce schéma directeur ? Nous nous apercevons
très vite qu'il y a une méfiance, qu'il n'y a pas du tout de
confiance vis-à-vis de ces documents d'urbanisme et que cela ne vient
pas tellement de nous mais surtout de certains organismes de l'Etat puisqu'ils
trouvent qu'il faut multiplier les différents zonages. Dans nos
régions, nous voyons des zonages se juxtaposer, proliférer. Nous
pouvons parler des sites classés avec la vallée d'Isieux, la
vallée de la Juine, la plaine de Versailles. Dans ces classements, on
exclut totalement tout ce qui est urbanisé, on inclut essentiellement le
territoire agricole et on veut le préserver tout en nuisant à son
activité. Voilà la prolifération de ZNIEFF, de ZPPAUP et
chez nous les zones Natura 2000 commencent également à fleurir
mais je crois que les autres régions sont plus mal loties que
nous-mêmes. Nous voyons également la mise en place d'espaces
naturels sensibles. Certains départements ont démarré
très fort dans ce domaine et nous pouvons être
étonnés que les différents droits de préemption
sont un peu détournés puisque dans ces espaces naturels sensibles
la SAFER perd son droit de préemption au profit du département.
Nous pouvons aussi parler des parcs naturels régionaux qui ne sont pas
la tasse de thé des agriculteurs. Je suis vice-président de parc
naturel régional et j'estime, pour celui du Vexin, que si le partenariat
est bon et si la concertation est fructueuse, il est possible d'aboutir
à des choses valables dans ce domaine.
Notre souhait est que les documents d'urbanisme soient respectés et
qu'il est, pour notre part, totalement inutile de juxtaposer ces
différents zonages. Dans ces documents, nous pouvons regretter que tout
ce qui concerne les infrastructures, lorsqu'il s'agit de petites
déviations, on pioche dans les terres libres qui sont les terres
agricoles.
Le sénateur Larcher a parlé tout à l'heure de zones
franches. Je crois que l'on peut le soutenir dans ce domaine car si l'on veut
pérenniser l'agriculture en zone périurbaine, c'est que cela
concerne essentiellement des cultures spécialisées, cultures qui
sont très gourmandes en main d'oeuvre. Avec le zonage, en zone franche,
nous arriverions peut-être ainsi à diminuer les charges de ces
agriculteurs, puisque ce sont surtout des charges de main d'oeuvre et cela
permettrait de stabiliser cette activité.
En conclusion, malgré tous les documents d'urbanisme, la terre agricole
est considérée comme une terre libre dans laquelle on peut
piocher aisément et lorsqu'il y a des problèmes, on se tourne
vers ces zones «NC» qui sont souvent dévoyées parce que
l'on s'aperçoit qu'il y a dans le plan d'occupation des sols, des
sous-zonages où l'on interdit des constructions agricoles, où
l'on permet par contre des parkings, des aires de jeux, etc. Et ceci nous
inquiète fortement dans notre région car il y a un manque de
rigueur vis-à-vis des règlements des zones «NC».
M. Guy FISCHER :
Merci Monsieur. Donc, l'Etat est mis en cause et les
élus aussi certainement. Il nous est proposé d'aller vers la
création éventuelle de zones franches. Le débat est
controversé. Il y a un certain nombre de points qui ont fait l'objet de
rapports, mais encore faut-il approfondir le débat au niveau du pacte de
relance pour la ville ou dans les zones périurbaines concernant
l'agriculture, voir quelle forme d'aides spécifiques pourraient
être mises en oeuvre. Nous avions l'exemple de l'Ile-de-France. Passons
au monde plus rural avec des expériences différentes et je passe
la parole à M. André Thévenot, secrétaire adjoint
de la FNSEA qui est du Territoire de Belfort.
b) M. André THEVENOT, secrétaire adjoint de la FNSEA
J'irai
dans le sens des propos qui viennent d'être tenus par le Président
de l'Ile-de-France. Je voudrais dire que jamais l'agriculture ne s'est
opposée à l'implantation d'infrastructures, ou de changements de
destination des sols dans la mesure ou cela a été
négocié. Je le dis pour bien faire prendre conscience que les
agriculteurs sont des gens très légalistes et très
respectueux des lois de la République. L'agriculture est une
activité à capitaux lourds et avec un retour sur investissements
long, et là aussi nous avons besoin au niveau de notre activité
d'un certain nombre de certitudes dont la durée.
Je souhaiterais rappeler que l'activité agricole, qu'elle soit dans le
rural profond, mais aussi dans le périurbain, a besoin de foncier, et
qu'il ne peut pas y avoir d'activité sans support du foncier. Nous avons
cru un certain temps que l'agriculture pourrait être hors sol. Nous nous
apercevons de plus en plus que la terre est indispensable. Je rappelle aussi
que depuis 1982, l'agriculture a perdu 465 000 hectares, dont 45 000 à
peu près par an, ce qui fait depuis 15 ans la perte d'un
département agricole.
La terre agricole est un bien très rare, surtout, bien que l'on croit
que la France est un grand pays, plus que dans les pays du nord, mais moins que
dans les pays neufs comme l'Australie ou les Etats-Unis. Il faut faire
très attention que la terre agricole ne soit pas gaspillée. Pour
cela l'agriculture a besoin d'un certain nombre d'outils qui apportent cette
stabilité au niveau des espaces afin que les agriculteurs puissent
exercer leur activité avec un minimum de sécurité, sans
entrer dans la précarité. Nous devons donc renforcer les outils
existants que sont les documents d'urbanisme, les schémas directeurs,
les POS.
Concernant le schéma directeur, pourrions-nous associer la profession
agricole chaque fois qu'il y a élaboration de ces schémas ? Cela
va de soi, mais il faut éviter la représentation graphique qui
rend souvent la délimitation de ces zones, tout à fait
imprécise. C'est 300/400 mètres de différence ou
même plus et cela apporte une instabilité au niveau de ces zones.
Concernant le plan d'occupation des sol, il faut arriver à stabiliser
les zones «NC». C'est tout à fait anormal que lorsqu'un
document a été adopté, il soit révisé deux
ou trois ans après, et qu'il déstabilise un certain nombre de
zones. Nous pouvons comprendre qu'il y a des phénomènes
d'urgence. Si une usine vient s'implanter dans une commune rurale et où
l'on crée un certain nombre d'emplois, tout le monde sera d'accord. Mais
nous nous apercevons qu'il y a trop d'excès ce qui crée une
instabilité au niveau de notre activité agricole.
Il y a un surdimensionnement des zones «NA» qui sont à terme
constructibles. Il en a été mis un peu trop et tout le monde sait
que nous aurons des difficultés à terme à les remplir. A
ce niveau, le législateur devrait préciser un certain nombre de
règles, et être un peu dirigiste.
Il y aura peut-être demain, par la loi d'orientation, la
possibilité d'arriver à des zones agricoles
protégées. Nous sommes totalement d'accord puisqu'elles doivent
pérenniser un certain nombre de zones «NC». S'il doit y avoir
des zones protégées, je souhaite que cela se fasse avec les
principaux acteurs de ces espaces.
Un autre sujet qui est un véritable fléau pour l'agriculture et
encore plus pour le secteur périurbain, c'est ce que l'on appelle le
phénomène de la réciprocité des distances. Pour un
certain nombre d'exploitations agricoles qui se sont mises aux distances
réglementaires qui était imposées, des modifications
ultérieures d'urbanisme ont rapproché ces zones créant une
précarité pour ces exploitations. Là aussi, il a fallu
légiférer mais j'attends de voir les décrets d'application
parce que je crois que cela a été vu simplement pour les
activités classées et pas simplement pour les autres
activités agricoles.
Un autre point souvent évoqué par le sénateur Larcher est
le problème des ventes de terres et des indemnités
d'expropriation qui semblent trop élevées. Il y a deux positions
au niveau de la profession : il y a ceux qui disent "faisons attention à
ce que ces indemnités soient tout à fait correctes de
façon à ce qu'il n'y ait pas ensuite une inflation des prix du
foncier dans les zones qui sont à côté de ces zones
périurbaines" et ceux qui disent, qu'au contraire, ces indemnités
correspondent à un réel préjudice pour l'exploitation.
Nous sommes dans un cadre relationnel. Il y a des commissions de
négociation entre la profession agricole et les services fiscaux et je
crois qu'il faut essayer de toujours travailler dans ce cadre. La profession
agricole est très attachée à la cogestion d'un certain
nombre de politiques et de son application et nous sommes tous d'accord pour
aller dans le sens du bien public.
J'ai pris part à la négociation d'un grand ouvrage qui ne s'est
pas fait, le canal Rhin/Rhône et nous avions réussi à
négocier ce que l'on appelait un fonds de reconstitution du potentiel
agricole perdu. C'est quelque chose qui doit être considéré
parce que lorsque vous enlevez quelques hectares ou de l'activité
agricole, c'est tout le potentiel de l'économie agricole qui s'en
ressent. Il est nécessaire de pouvoir conserver une économie,
c'est-à-dire des outils de transformation et là, il y a
peut-être quelque chose à faire. Le prix du foncier ou les
indemnités, cela ne représente pas beaucoup par rapport aux
infrastructures, c'est un pourcentage minimum. Le potentiel agricole perdu doit
donc être pris en compte. Cela peut, à terme, faire partie des
outils. S'il y a une obligation de créer ce fonds et qu'une
indemnité soit demandée, cela obligera peut-être les
aménageurs à être plus précis et pas aussi gourmands
sur l'espace car trop souvent l'agriculture est considérée avant
tout comme une simple réserve foncière et jamais dans ces
secteurs-là comme un secteur d'activité économique. Il y a
là aussi des révolutions culturelles à faire.
Le sénateur Larcher a fait un excellent rapport qui sert de
réflexion à notre organisation syndicale. Il a approché
d'une manière très précise tout ce qui concerne le
périurbain et cette zone qui n'est pas souvent considérée,
même par nos organisations agricole. Il était bien que Monsieur
Larcher organise ce colloque auquel j'ai été heureux de
participer.
M. Guy FISCHER :
Merci M. Thévenot. Nous voyons bien qu'avec le
partenariat, des outils de stabilité, un certain dirigisme
(c'était l'aspect contradictoire dans votre intervention),
éléments esquissés à travers la loi d'orientation
agricole, vous avez planté un décor basé sur votre
expérience, et nous continuons avec Monsieur Malabirade qui est
vice-président du Centre national des jeunes agriculteurs.
c) M. Bernard MALABIRADE, vice-président du Centre national des jeunes agriculteurs
Merci
Monsieur le président. Dans la suite de M. Thévenot, je me
recentrerai un peu plus sur ce que les agriculteurs peuvent ressentir par
rapport à ces problèmes périurbains. Moi-même dans
le département du Gers, au coeur de la Gascogne, nous en vivons peu,
mais j'ai beaucoup dialogué avec les jeunes d'Ile-de-France et j'ai
ressenti un sentiment d'exclusion de leur part par rapport à cet
environnement qui s'urbanise et cette agriculture qui est sans cesse
repoussée.
Ce qui m'a frappé, ce sont les conséquences financières et
concrètes sur les exploitations de cette urbanisation qui les entoure.
C'est d'abord l'insécurité. C'est un risque de vol, de
déprédation des cultures permanent. Essayez d'être
maraîcher entre quatre tours, il est évident qu'un certain nombre
de personnes n'hésiteront pas à venir ramasser des légumes
et cela se fait régulièrement. Ce qu'ils attendent de la part des
législateurs, c'est qu'il y ait davantage de fermeté dans les
discours mais également une justice plus efficace. C'est vrai aussi au
niveau des récoltes plus courantes comme des cultures de blé
où les gens prennent cela pour des champs dans lesquels on peut aller
jouer et faire des promenades. Si les collectivités prenaient conscience
de la nécessité d'une agriculture au sein de cet espace
périurbain, elles prendraient en main le fait de réassurer ces
récoltes s'il y avait des dégâts apparents. Les
agriculteurs attendent beaucoup de ces collectivités qui doivent se
prendre en charge en tant qu'aménageur de cet espace.
C'est aussi, dans les coûts induits, les gens du voyage qu'il ne faut pas
négliger, qui peuvent s'installer avec rapidité sur des terrains
qui sont libres. Là aussi, l'efficacité dans les
procédures tarde toujours et les agriculteurs attendent qu'il y ait une
prise en charge de la part des collectivités, notamment des charges de
nettoyage. Vous imaginez lorsqu'une vingtaine de caravanes s'installent dans un
champ, en quelques heures, c'est un vrai dépotoir. Les agriculteurs
prennent en charge eux-mêmes ce nettoyage et avec des procédures
d'expulsion qui mettent souvent deux ou trois jours, les dégâts
sont déjà faits. Ces gens du voyage considèrent
malheureusement les propriétés privées comme des
propriétés plus collectives mais il est certain que le coût
en revient finalement toujours aux mêmes.
C'est également des pollutions dues à la circulation qui peuvent
induire des coûts. Ce peut être des pollutions plus diffuses mais
qui interdisent à nos agriculteurs de pouvoir faire des productions
légumières contractuelles parce qu'il peut y avoir des risques de
pollution de métaux lourds par les passages fréquents et
très importants des véhicules qui sont à proximité.
C'est le problème des boues d'épuration. Nous sommes bien
là au coeur d'un lien entre la ville et la campagne, entre l'agriculture
que certains ont pris pour les dépollueurs idéaux pour
épandre les boues d'épuration des villes. Mais aujourd'hui qui
prend la responsabilité des conséquences de ces boues
d'épuration avec peut-être des contaminations aux métaux
lourds ? Le fermier risque d'y perdre beaucoup ainsi que le
propriétaire. Il faudra que chacun prenne ses responsabilités.
Je citerai également le problème de stockage des
céréales. Je donne des exemples simples car cette
assemblée mérite de connaître les éléments
techniques de l'urbanisation et de ses liens avec l'agriculture, mais aussi la
problématique de ces agriculteurs. Suite au problème de Blaye qui
avait fait grand bruit, un certain nombre de silos en France ont
été passés à l'étude de manière
très précise. Certains ont été
agréés, d'autres non, aujourd'hui il faut reconstruire des silos
agréés pour stocker les céréales et éviter
qu'ils explosent sur ceux qui y travaillent. Tous les permis de construire de
silos sont refusés aujourd'hui dans la zone d'Ile-de-France.
Pourquoi ? Parce qu'il y a un risque. Mais ce risque est-il
évalué précisément ? Nous ne le savons pas. En
attendant, que vont faire ces agriculteurs ? Amener leurs
céréales à des kilomètres et plus encore... Il
faudrait qu'il y ait une souplesse, une prise en compte de ce que nous avons
dit de l'aspect économique de ce métier et la
nécessité d'avoir les outils d'amont et d'aval autour de ces
exploitations agricoles, qui malgré tout ont l'avantage d'être
proches d'un bassin de consommation, ce qui n'est pas négligeable.
Pour terminer, les conséquences de la périurbanité sur le
foncier de ces exploitations agricoles :
Sur le foncier, c'est autour de Paris plus qu'ailleurs, les grands axes
routiers et les voies ferrées qui se croisent. C'est que nous souhaitons
avoir des remembrements systématiques lorsque l'on implante quelque
chose. Il faut voir cela dans la durée, de manière à
éviter que les agriculteurs aient à faire le tour à des
kilomètres et la prise en charge par les collectivités de ces
voies d'accès, des indemnités de rupture d'unité
d'exploitation car lorsqu'une exploitation est coupée en deux, il est
bien évident qu'elle perd une valeur économique
considérable, qu'elle perd aussi une grosse partie de sa valeur
intrinsèque et j'en viens dans les conséquences foncières
à ce que beaucoup d'intervenants ont cité, c'est bien sûr
la pression foncière et le problème de la plus-value de ce
foncier en zone périurbaine. Nous pouvons citer l'instabilité
dans le temps de ces documents d'urbanisme, ce qui échaude les
agriculteurs à qui on a dit un certain moment qu'il y avait des plans
d'occupation des sols, des schémas d'urbanisations et que leurs
exploitations, leur environnement allaient être plus ou moins
protégés de cette urbanisation. Ils ont vu aussi les pressions
des élus locaux, et de chefs d'entreprises très bien
placés, de grands magasins, qui souhaitent à tout prix
s'installer et qui mettent à mal ces POS qui, finalement, n'ont pas la
durabilité attendue et ne représentent pas un
élément de sécurité pour ces entreprises agricoles.
C'est également le problème des domaines qui mélangent
l'évaluation de ces sols agricoles entre la vocation de certains sols
à la construction, et de ces sols qui doivent d'après les
schémas rester au niveau agricole. Il n'est pas évident
aujourd'hui de gérer une succession d'exploitation lorsque les Domaines
ne font pas la différence entre la valeur d'un sol qui doit rester
absolument à l'agriculture et un sol qui sera appelé à
être construit. Ce sont des conséquences financières
très importantes.
Pour éviter le changement de destination des terres, une taxation sur
les plus-values réalisées par les agriculteurs a
été proposée dans le rapport du président mais nous
avons du mal, au niveau des jeunes agriculteurs à accepter cette notion.
Il nous semble qu'il serait plus intéressant d'avoir cette rigueur,
peut-être en modifiant la loi sur l'urbanisation, dans la durée de
manière à ce que les agriculteurs se sentent un peu plus
protégés au travers de leur espace plutôt que de vouloir
jouer toujours sur cette fameuse arme qu'est la taxation permanente. Quand le
promoteur a de l'argent, il le mettra et la taxe sera payée sans
problème et nous n'aurons pas pour autant l'urbanisation. Ces
choses-là auront des limites.
Lorsque les collectivités souhaitent vraiment que des terres dans des
zones périurbaines restent à l'agriculture, et lorsque les
élus en sont convaincus, les jeunes agriculteurs seraient sensibles au
fait que les collectivités prennent en charge le portage de ce
foncier-là, et le relouent à des jeunes agriculteurs mais non pas
sur des baux à 3 ou 9 ans, mais sur des baux à 99 ans. Là,
nous aurons la garantie que ces terres ne tourneront pas à
l'urbanisation.
En conclusion, ces agriculteurs qui travaillent aujourd'hui dans les zones
périurbaines et ailleurs ont un adage qui est de dire que "l'on
n'hérite pas de la terre de ses parents mais qu'on l'emprunte à
ses enfants" et cette vision dans la durée de l'agriculture est
peut-être ce que nous attendons de ces acteurs de l'urbanisme : qu'ils
travaillent pour les futures générations et que l'on prenne un
maximum de précautions dans ce que l'on fait parce que nous n'aurons pas
l'occasion de le faire deux fois.
M. GUY FISCHER :
Je vous remercie. Des problèmes posés,
des craintes, des propositions. Il nous reste dix minutes. Michel Mercier doit
s'exprimer. Ensuite, au niveau du jeu des questions et des réponses,
nous pourrions peut-être nous cantonner à deux ou trois questions.
4. Encourager le remodelage des quartiers par M. Michel MERCIER, sénateur du Rhône, président de l'OPAC du Rhône
Merci
Monsieur le président. Je ne vais peut-être pas aborder le fond du
sujet qui m'a été confié car je crois qu'il n'a pas de
lien très réel avec le sujet du colloque, encore que ! Les grands
quartiers, c'est d'abord une réponse historique à un moment
donné, à une demande très forte d'habitat. A la fin de la
guerre, essentiellement, le retard antérieur en matière de
logement et la croissance industrielle ont amené cette réponse
des grands quartiers. Si nous regardons avec un peu de recul, nous voyons que
ces quartiers nouveaux, cela a été aussi un moment où la
ville s'est abandonnée elle-même en se transformant en
consommatrice d'espace. Cette réponse historique, avec cette production
de masse nécessaire a probablement aujourd'hui trouvé ses
limites, pour de multiples raisons, tant au point de vue de l'urbanisme
où l'on s'aperçoit que les conceptions urbani-innovantes n'auront
pas duré, que du fait de ses conséquences économiques et
sociales. On est passé d'une population diversifiée, qui a
été la première occupante de ces quartiers - des classes
moyennes pour la plupart - à une population qui est de plus en plus
paupérisée, si bien que l'équipement du pays en logements
s'est fait petit à petit autrement, que l'idée de ville a repris
toute sa valeur et que tous les essais d'un urbanisme nouveau apparaissent
comme un échec relatif. C'est là que l'on peut le plus
éviter les effets de ghettos. Si l'on regarde sur une durée assez
longue, nous nous apercevons que cette consommation de l'espace a
été d'une certaine façon un gâchis et qu'il faut
apporter aujourd'hui une autre réponse. Cette réponse, c'est la
démolition, le remodelage des quartiers périurbains en
reconstruisant la ville traditionnelle avec la rue, l'îlot, le commerce,
comme l'a rappelé Monsieur Raffarin. Donc, un des moyens d'arriver
à cela, c'est bien entendu de démolir ce qui a été
construit à un certain moment et cela entraîne un certain nombre
de problèmes, de négociations avec les locataires pour le
relogement, d'équilibre économique puisqu'il y a encore des
emprunts qui courent et que l'on va casser quelque chose qui ne rapportera plus
rien. Puis il faut reloger, et quel type de relogement va-t-on offrir aux
gens ?
On s'aperçoit que si l'on veut faire une politique de logement où
le lien social reprendra toute sa place, il faut rapprocher les gens les uns
des autres, et que le relogement des gens qui habitent ces quartiers qui
étaient nouveaux il y a quelques années, doit se faire d'abord
par la reconquête de la ville. C'est l'utilisation des
possibilités que donnera la ville avec la dispersion et la mixité
assurée qui peut être aujourd'hui une réponse. Il faut que
l'on sépare et que l'on respecte, le terrain, le territoire et que la
ville, en se reconstruisant, en retrouvant son rôle social, respecte le
foncier qui est autour d'elle, car la consommation foncière n'est pas la
solution pour la ville.
A mon sens, il ne doit pas y avoir d'opposition entre l'urbain et la campagne,
et au contraire, aujourd'hui, la ville a besoin de se retrouver elle-même
avec tout ce qu'elle peut créer comme lien social.
Questions - réponses :
Un interlocuteur
(dans la salle) : S'il y a un contentieux, on nous dit par
exemple "On ne peut pas faire appel à une irrégularité
dans l'expropriation contre un permis de construire." Ce sont deux
législations distinctes, donc on ne peut pas juger les moyens qui valent
sur le domaine exproprié. Je précise, l'anticipation d'un permis
de construire sur une déclaration d'utilité publique et en
déclarant clairement que le plan soumis à enquête pour la
déclaration d'utilité publique ne s'impose pas pour la
construction. C'est l'incohérence totale. Ou encore, installation
classée et permis de construire. C'est jugé isolément.
Comment le législateur peut-il assurer la cohérence des
différentes lois et que cette cohérence s'impose ensuite aux
juges, c'est-à-dire au Conseil d'état ?
M. Guy FISCHER -
Je crois que le problème est réel. Je
vais donc demander à Monsieur Lemas de vous répondre.
M. Pierre-René LEMAS -
Sur les cas que vous citez, toutes les
situations sont particulières. Sur le problème de fond de la
cohérence, vous avez raison, il y a un sujet aujourd'hui qui est la
démultiplication des législations qui se sont surajoutées
les unes sur les autres et pour lesquelles il y a, de l'une à l'autre,
un lien soit de conformité, soit de compatibilité, ce sont les
mots magiques du Code de l'urbanisme. Je crois que nous avons effectivement
besoin d'aller vers une meilleure lisibilité de l'ensemble de ces
législations, dans tous les domaines, c'est-à-dire à la
fois en terme de permis, en terme d'expropriation et sans doute en terme de
schéma directeur ou de documents de cohérence. Nous avons
cité tout à l'heure les ZPPAU, les ZNIEFF, etc. Ce sont des
documents qui ont chacun leur utilité, chacun leur pertinence. Ils sont
incompréhensibles pour le commun des mortels. La ZPPAUP s'est d'abord
appelée ZPPAU, et s'appelle maintenant la ZPPAUP, tout cela est un peu
barbare, mais nous avons besoin d'aller vers plus de cohérence de ces
législations pour une vision globale du territoire.
Je crois que nous sommes à un moment où il y a un type de
débat qui me semble-t-il est derrière nous, et nous sommes
à un moment de chance ou d'opportunité.
L'opportunité est la suivante : il y a une quinzaine
d'années, 20, 30 ans, dans la foulée de la reconstruction,
l'objectif était de construire des villes neuves. Nous avons
parlé tout à l'heure du foncier dans les villes nouvelles. On
bâtissait dans des zones agricoles au foncier pas cher. Aujourd'hui la
priorité, et l'ensemble des acteurs publics le reconnaît, c'est de
faire en sorte que l'on puisse bâtir, comme l'a dit le président
Mercier, la ville sur la ville. Les collectivités locales, l'ensemble
des acteurs veulent faire quoi ? Ils veulent réhabiliter des logements
mal fichus, ils veulent faire de l'acquisition/amélioration avec une
fiscalité adaptée pour loger les gens dans une situation de
mixité sociale ; ils veulent pouvoir démolir ce qui ne va pas
pour reconstruire, c'est cela la priorité. Il me semble que nous sommes
à une période où ce besoin de rendre la ville plus dense
et de la reconstruire sur elle-même, est en même temps une chance
pour ce qui est du lien ville/campagne. Ne laissons pas passer ce moment qui me
paraît important et nouveau. Les choses ont changé de ce point de
vue.
C. LE FONCIER : CLE DE LA RECONQUÊTE
Introduction de M. Michel SOUPLET, sénateur de l'Oise, rapporteur de la loi d'orientation agricole
Nous
allons aborder le dernier problème de l'ordre du jour
c'est-à-dire le foncier. Tout à l'heure quand il a
été dit que je traiterai cet aspect, on avait l'air de dire que
l'on m'avait confié ce dossier car je venais de défendre, en tant
que rapporteur, le projet de loi d'orientation agricole devant le Sénat.
La raison première pour laquelle M. Gérard Larcher m'a
demandé d'être là, c'est que dans le département de
l'Oise où j'ai été président de
Fédération et de Chambre, globalement, pendant 32 ans, nous avons
eu énormément de dossiers à régler, dossiers
fonciers sur expropriations. Nous avons eu les autoroutes du Nord, l'autoroute
d'Abbeville, le TGV, des passages de lignes à haute tension. Ainsi,
depuis 32 ans, et cela continue, nous avons toujours des négociations
importantes qu'il a fallu traiter au cas par cas et de ce fait, le
président Larcher pensait que l'on pouvait évoquer ces aspects
durant ce débat.
Mais ce débat était pour moi très intéressant car,
né dans un village rural où je continue d'habiter, au sud du
département de l'Oise, j'ai constaté aujourd'hui que
j'étais né rural et que je périrai urbain.
Nous allons maintenant aborder au fond le problème qui nous est
posé. Effectivement, à chaque fois qu'il y a
nécessité d'implanter une infrastructure quelle qu'elle soit, il
y a nécessité de trouver du sol, donc de chercher par quel moyen
il est possible de libérer des terres pour les utiliser à
d'autres usages et cela nous paraît fondamental. Mais lorsque l'on parle
d'emprise de terres, il faut déjà penser qu'il y a
peut-être deux partenaires : il y aura le propriétaire et
l'exploitant. Et les deux partenaires ont des intérêts parfois
divergents. Nous constatons aussi que sur les emprises de terres en milieux
périurbains, il y a une concurrence acharnée, entre les
problèmes à résoudre d'urbanisme, de construction de
logements, d'implantation d'entreprises, d'usines, de zones industrielles, de
zones artisanales, etc. et que cette concurrence joue sur la recherche des
terrains possibles, et stimule, de ce fait, le coût de ces terrains et
les prix d'expropriation. La première victime de l'expropriation, c'est
l'exploitant agricole et le propriétaire. C'est vrai que pour
l'exploitant agricole, selon l'importance de l'emprise, on détruit tout
ou partiellement l'outil de travail qui est son exploitation agricole. Et comme
dans 90 cas sur 100, il ne pourra pas s'agrandir sur place, on lèse
l'entreprise d'un potentiel de productivité plus ou moins important. Les
indemnités sont obligées de tenir compte de cette emprise et de
son importance sur l'exploitation générale.
Les collectivités locales ont beaucoup de mal à définir
une politique foncière. Tout à l'heure, M. Michel Mercier nous
parlait de programme à long terme qui nécessitait une vue
à longue distance des besoins potentiels de terres. Mais comment les
acquérir ? Quand une exploitation est libérée,
peut-être peut-on à ce moment-là essayer de l'acheter au
titre de la collectivité possédant un certain potentiel foncier,
afin, par des échanges, de permettre à d'autres exploitants de
s'agrandir légèrement quand il y en a un qui accepte de partir.
Et on fait du remembrement intégral local à l'amiable. C'est une
solution qui est assez rare mais elle existe et il ne faut pas l'ignorer.
Se pose aussi le problème des moyens financiers d'une
collectivité. Est-ce qu'au moment où elle a prévu son
programme, elle a les moyens financiers pour faire des réserves
foncières ? Bien souvent, non. Nous avons donc une politique au coup par
coup et toute la journée d'aujourd'hui nous avons entendu parler de ces
problèmes.
Nous avons évoqué aussi le problème du montant des
évaluations foncières dans le rapport de M. Gérard
Larcher. On cite parfois des indemnités beaucoup trop
élevées. Il est difficile de juger si l'indemnité est
élevée. Ce que je peux dire en tant qu'ancien président de
chambre, c'est que lorsque nous avions une expropriation en région
parisienne importante, concernant, deux, trois ou quatre agriculteurs,
l'indemnité qui leur était versée leur permettait de se
réinstaller dans un rayon de 50 à 100 kilomètres,
c'est-à-dire dans les départements limitrophes, avec les moyens
de concurrencer ceux qui étaient en place lorsque leur exploitation
était à vendre. Et nous avions à gérer le double
problème :
- soit on laisse partir un agriculteur parce qu'il ne peut plus faire jouer son
droit de préemption compte tenu du prix qui est offert,
- soit d'empêcher celui qui voulait s'installer, parce qu'il avait
été exproprié ailleurs, de le faire.
Si je vous expose mes états d'âme, c'est que nous avons eu
à régler ces problèmes en permanence et qu'il est vrai
qu'ils ne sont pas faciles à résoudre car il n'y a pas beaucoup
de solution miracle.
Enfin, il y a le problème de la déstabilisation d'un exploitant
agricole. J'ai entendu un jeune qui disait "Je suis agriculteur de façon
précaire et je risque de le rester longtemps. Je suis comme un oiseau
sur la branche, je ne sais pas de quoi le lendemain sera fait". Or
l'agriculteur a besoin de la sécurité, de la
longévité, d'argent car c'est une profession où il faut
beaucoup de capitaux, et il ne peut pas prendre le risque d'investir s'il n'a
pas un minimum de sécurité dans la durée. Voilà
tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés lorsque l'on
est en région périurbaine et où l'on doit essayer de
résoudre des problèmes que l'on a évoqué toute
cette journée.
Il est vrai que la loi d'orientation agricole pourrait peut-être sur
certains aspects donner des moyens supplémentaires aux
collectivités locales. Quant aux SAFER, nous avons essayé de
renforcer un peu leurs moyens. Nous n'avons pas obtenu tout ce que l'on aurait
souhaité mais malgré tout, il y a une amélioration et
peut-être qu'en commission mixte paritaire, nous pourrions revoir ce
problème. Il y a eu le problème de la réciprocité
entre les exploitations agricoles déjà installées et des
nouvelles installations qui se font dans un périmètre
protégé où l'on met en difficulté l'agriculteur
alors qu'il était premier occupant du site, et que normalement il devait
pouvoir bénéficier de cette première occupation. Mais
aujourd'hui nous avons oublié qu'il était là avant les
autres et à cause de ses nuisances, on lui impose parfois de partir.
Voilà ce que je voulais dire. Il n'est pas impossible que, dans le cadre
des CTE, nous ayons un moyen supplémentaire pour permettre à des
agriculteurs, dans un contrat avec l'Etat, de remplir le travail qu'ils font
actuellement bénévolement, dans bien des cas, et qu'ils
pourraient demain faire au travers de ces contrats territoriaux d'exploitation
avec l'Etat et les collectivités territoriales.
Je vais demander tout d'abord à Mme Anne Bain qui est directeur à
l'action foncière et immobilière de l'Agence foncière et
technique de la région parisienne de prendre la parole. Elle pourrait
peut-être évoquer devant nous l'expérience de cet
opérateur foncier très important et les problèmes
posés par les évaluations foncières, parfois
élevées, qui sont faites par les tribunaux.
1. Mme Anne BAIN, directeur des affaires foncières et immobilières de l'AFTRP
Je vous
remercie, Monsieur le président. L'exercice auquel je dois me livrer
devant vous est doublement périlleux. D'une part parce que, plus on
avance dans la journée, plus des choses que l'on voulait dire sont dites
par ailleurs et, d'autre part, parce que l'Agence foncière et technique
de la région parisienne est un opérateur foncier, un prestataire
de services. Or aujourd'hui je parle devant certains de nos donneurs d'ordres,
que ce soit la région d'Ile-de-France, ou l'Etat ou nos partenaires,
comme les SAFER, et aussi devant nos interlocuteurs au quotidien que sont les
propriétaires, puisque le foncier est le point de passage obligé
de toutes les réalisations, qu'elles soient de protection,
d'équipement, d'aménagement ou de restructuration. Pour autant,
je vous demande de reconnaître à l'outil que je représente,
l'intelligence -au sens de compréhension- résultant de
l'expérience, puisque l'Agence foncière et technique a
été créée en 1962, et une bonne connaissance du
territoire francilien.
Sur les territoires sur lesquels nous intervenons, différents acteurs
réalisent des projets qui n'ont pas obligatoirement une logique
foncière. Si je prends l'exemple du pôle de Roissy, qui est un
pôle d'excellence d'envergure européenne, nous intervenons pour le
compte de la région d'Ile-de-France, par l'Agence des Espaces Verts,
dans une logique de protection des espaces naturels. Nous sommes intervenus
également pour le compte d'Aéroports de Paris pour
maîtriser le foncier des pistes 3 et 4 de l'aéroport
Roissy-Charles de Gaulle. Le problème d'ADP n'était pas
obligatoirement celui du niveau des prix fonciers parce que dans ce projet,
sous son aspect politique et dans son coût total, le foncier
représentait peu. L'AFTRP est également intervenue pour la
Chambre de commerce et d'Industrie pour l'extension du Parc des expositions de
Paris Nord -Villepinte. Intervention également dans le cadre d'une zone
d'activités internationale, dans le prolongement de cette extension.
Nous sommes également intervenus pour la réalisation d'un
transformateur pour le compte d'EDF : dans ce cas encore, le coût du
foncier n'était pas obligatoirement l'élément
déterminant dans la réalisation du projet. Tout cela pour dire
que si les prix avaient dérapé dans le cadre de l'acquisition du
foncier pour un équipement ponctuel, ces références de
prix auraient été opposées ensuite aux autres projets qui,
eux, nécessitaient des investissements publics très importants :
assainissement, infrastructures routières, transports en commun, etc.
Or, si l'on part d'un prix de foncier trop élevé, sans commune
mesure avec la valeur des biens et leur utilisation effective au moment
où ils sont acquis, c'est la faisabilité du projet qui peut
être remise en cause. De ce point de vue, on peut considérer que,
sur le Pôle de Roissy notamment, l'AFTRP a joué un rôle de
" chef d'orchestre " et de modérateur des interventions
publiques du point de vue des prix fonciers.
Si l'on reprend le document de référence pour l'Ile-de-France que
constitue le schéma directeur régional, celui-ci postule un
recentrage de la croissance francilienne sur les parties déjà
urbanisées et préconise une stricte maîtrise des
développements périphériques. Sauf que la tendance
naturelle est d'aller là où c'est " facile " : le
foncier en zone périphérique est moins cher, plus facile à
maîtriser et à équiper pour réaliser de nouvelles
urbanisations. L'intervention sur les centres est une problématique
beaucoup plus complexe. Il ne suffit pas de dire " recentrage, la ville
sur la ville ou la ville renouvelée ". Il faut également
voir comment faire en sorte de restructurer effectivement les tissus urbains
existants. Si nous ne faisons pas l'effort d'intervenir sur ces tissus
existants en nous en donnant les moyens, le problème de la protection
des espaces agricoles périurbains ne se réglera pas.
Etant opérateur, je vais parler de manière très terre
à terre, en rappelant un certain nombre d'évidences qui ont
déjà été évoquées : le foncier
est support d'enjeux conflictuels, le foncier est un bien rare, non
renouvelable -beaucoup l'on dit- ou, si les utilisations ne sont pas
irréversibles, elles sont lourdes et coûteuses, bien
qu'indispensables : je pense aux friches industrielles, aux grands
ensembles en difficulté, à la ville renouvelée.
Pour illustrer mon propos sur la reconstruction de la ville sur la ville par
rapport aux extensions urbaines, je prendrai les chiffres du Ministère
de l'emploi et de la solidarité, source officielle, chiffres qui
résultent d'une extrapolation des tendances constatées depuis le
début de la décennie jusqu'en 2020 même si cela nous
mène un peu au-delà du prochain contrat de plan
Etat/région. Nous constatons à cette
échéance : - 15 % sur Paris intra-muros -donc une poursuite
du dépeuplement de la ville capitale-, + 40% sur la grande couronne, et
- 11 % sur la première couronne. En suivant ces tendances, nous ne
serions pas du tout dans ce qui est préconisé par le SDRIF,
à savoir gérer de façon économe les espaces
à ouvrir à l'urbanisation en privilégiant la
reconstruction de la ville sur la ville. Ce sont des chiffres qu'il faut avoir
à l'esprit parce qu'en 2020, s'ils se confirmaient, le premier
département francilien sera la Seine-et-Marne avec 2 800 000 habitants,
et c'est a priori le scénario de l'inacceptable.
Donc, au-delà des constats et des analyses, protégeons les
espaces naturels, gérons-les de façon économe, optimisons
les prélèvements sur les surfaces agricoles en n'additionnant pas
les projets individuels, mais en structurant ces réalisations par
rapport à des projets d'ensemble. Nous retrouvons là la notion de
temps et de durée des opérations, qui dépasse aussi la
durée des mandats qui séquencent l'intervention des
différents acteurs de l'aménagement : il y a des
périodes " où on ne bouge plus " parce que les
échéances électorales se rapprochent, et après, il
y a une " fenêtre de tir " pour repartir. Si je prends le cas
des ZAC en difficulté, après les derniers renouvellements,
certains ont dit : "il y a des nouveaux maires, ils vont pouvoir
faire le bilan et relancer les opérations". Car les ZAC
«plantées» constituent des gisements fonciers
stratégiques dans les quartiers existants, totalement desservis par des
lignes de métro, des bus, etc. Sauf qu'il faut reconnaître les
erreurs passées, et ce pas n'a pas toujours été franchi.
Dans la stratégie foncière, il n'y a plus d'ordonnance
transposable d'un projet à l'autre. Nous sommes dans la " haute
couture au prix du prêt-à-porter ", surtout dans les tissus
à restructurer. Il faut chaque fois investir sur un état des
lieux, une connaissance fine du tissu, car, lorsqu'on est en zone urbaine, les
niveaux de prix sont de l'ordre de 1 000 à 2 000 F du mètre
carré, et les montants en jeu ne sont pas les mêmes qu'en zone
" NA " -agricole-, même si c'est 70 F par mètre
carré.
Il faut donc partir d'une analyse fine du territoire urbain à
restructurer : connaissance du foncier du parcellaire, des
propriétaires, de l'évolution des mutations -" qui a vendu
quoi à qui "- identifier les propriétaires qui peuvent
être des partenaires dans la mise en oeuvre des projets. Mais cette
problématique de la reconstruction de la ville sur elle-même
implique des investissements lourds au travers d'opérations qui
coûtent à la collectivité. C'est pour cela que, dans nos
démarches, nous faisons des projections sur les aspects fiscaux, sur les
retombées de toutes natures sur le long terme. Il y a des
économies à court terme qui coûtent beaucoup sur le long
terme.
Le foncier n'est pas une fin en soi mais c'est un point de passage
obligé. Le foncier est au service d'objectifs. Acheter du foncier sans
savoir ce que l'on va en faire, c'est se charger de foncier alors que les taux
d'intérêts réels sont positifs. Plus on porte, plus cela
coûte, non seulement en prix de revient, mais aussi en gestion, en image
de l'intervention de la collectivité publique : squats,
décharges publiques, occupations non contrôlées par des
gens du voyage. Le foncier est un maillon d'une chaîne avec, en amont des
réflexions de planification et, en aval, des processus
opérationnels qui peuvent se décliner, de façon
partenariale, dans le temps.
L'ingénierie foncière a aujourd'hui une réalité
compte tenu des territoires sur lesquels nous sommes appelés à
travailler. Si je reprends l'exemple des démarches de l'AFTRP,
au-delà du pôle de Roissy que j'évoquais tout à
l'heure, ce sont aussi les études de stratégie foncière
que nous avons réalisées, à la demande de l'Etat, sur les
sites de la Plaine-Saint-Denis et de la Seine Amont, deux territoires aux
portes de Paris.
Vous m'avez demandé de dire quelques mots sur les estimations. Je ferai
une incidente sur les textes, nous parlons beaucoup de
réformes : je pense que la " boîte à
outils " dont nous disposons n'est pas parfaite, mais que ce sont moins
les outils que leur utilisation qui est en cause. Nous avons parlé de la
diffusion des pratiques, des partages d'expérience. Or, chaque fois que
l'on fait un texte nouveau, il faut d'abord l'expliquer, qu'il se
" diffuse ". Les outils ne me semblent pas obsolètes, il faut
mieux s'en servir, peut-être autrement.
S'agissant des règles d'estimation des terrains, c'est la loi
" Aménagement " de 1985 qui a réformé les
règles d'évaluation des terrains définies par l'article
L13-15 du code de l'expropriation. Je pense qu'en l'espèce, le
législateur est allé aussi loin qu'il le pouvait dans la mesure
où ce texte dit que, pour qu'un terrain puisse être
qualifié de terrain à bâtir, il faut qu'il soit
situé dans une zone désignée comme constructible par un
POS ou un document d'urbanisme en tenant lieu et, cumulativement, qu'il soit
desservi par un certain nombre de réseaux de capacité suffisante.
Si l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas satisfaite, le terrain doit
être estimé en valeur agricole. Ce texte est passé au
Conseil constitutionnel. A l'époque j'étais au Ministère
de l'équipement, et j'allais expliquer les nouveaux dispositifs. J'avais
été appelée à intervenir devant une
assemblée de juges de l'expropriation, et certains m'ont
expliqué : "quels que soient les textes, nous les
respecterons, mais nous aboutirons aux valeurs que l'on considère comme
justes". Là encore, la démarche pertinente ne me semble pas de
réformer une nouvelle fois les règles -je ne vois pas comment on
pourrait aller plus loin que cette double exigence et éviter la censure
du Conseil constitutionnel.
Par contre, ne faudrait-il pas que les juges compétents en la
matière, -qui sont au coeur du dispositif, puisqu'en matière
dévaluations foncières, ils donnent le feu vert ou ils condamnent
un projet selon le niveau de prix qu'ils estiment-, bénéficient
d'une formation spéciale à ce domaine de l'urbanisme si complexe.
J'ai rencontré des juges de l'expropriation, qui auparavant
étaient juges pour enfants, et qui découvraient l'emplacement
réservé, la date de référence en ZAD sous DUP, etc.
Dans ce cas-là, ils additionnent les prétentions de
l'exproprié, les offres de l'expropriant, divisent par deux, et la
vérité ne serait pas loin. Sauf que ce n'est pas le cas et que,
parfois, cette marge est celle qui condamne l'opération
-déclarée d'utilité publique par ailleurs. C'est donc une
formation spéciale, une valorisation de ce métier, qui pourrait
apporter une solution, car les juges sauront alors dans le détail ce que
sont les documents et les procédures d'urbanisme, les contraintes des
collectivités, et qu'ils auraient une approche économique
au-delà d'une approche qui, aujourd'hui n'est que juridique.
Depuis 1991 ou 1992, il y a une nouvelle jurisprudence de la Cour de Cassation
qui se réfère à la notion de " situation
privilégiée " d'un terrain : en zone agricole, le
juge constate qu'effectivement ce n'est pas une zone constructible au regard
des documents d'urbanisme, qu'elle n'est pas équipée de telle
façon que l'on puisse en déduire une constructibilité.
Pour autant, considérant que le terrain n'est pas très
éloigné de ce qui est déjà bâti, le juge
n'alloue plus 10 F mais 70 F par mètre carré.
En ce qui concerne la question des procédures passées en Villes
Nouvelles, il faut tirer les enseignements du passé. Les Villes
Nouvelles, ce sont les années 60-70. C'était aussi le
départ des expropriations sur 200 hectares. Depuis, il y a eu la crise.
Aujourd'hui, nous intervenons différemment, y compris dans le maniement
des procédures. On ne lance plus de DUP avec ordonnance d'expropriation
dans la foulée, puis saisine du juge pour savoir combien cela va
coûter. Nous privilégions les négociations amiables, les
reconstitutions de références de prix en expliquant aux uns et
aux autres. Et après cette étape, on saisit le juge, non pas pour
faire transférer la propriété, mais pour faire fixer le
prix : ce sont les fixations provisionnelles. Une fois que le juge a
fixé le prix, si c'est trop cher, on n'achète pas. Cela peut
d'ailleurs rouvrir une négociation avec les propriétaires.
Voilà ce que je pouvais dire brièvement, Monsieur le
Président.
M. Michel SOUPLET :
Merci Madame. Il est un fait que c'est un
problème très complexe et qu'être capable de définir
une valeur réelle d'un bien exproprié, c'est très
difficile. Vous avez d'ailleurs laissé sous-entendre que dans bien des
cas, le juge décidait d'un prix qui pouvait paraître très
élevé mais dans la mesure où cela évite toute la
hiérarchie des procédures qui, elles, retardent les dossiers et
les investissements lourds, cela coûte beaucoup plus cher. Et les juges
bien souvent pensent à l'efficacité globale du projet et à
l'intérêt que représente le coût du foncier par
rapport à la structure globale.
Je vais demander maintenant à M. Balny, directeur de l'Agence des
espaces verts de la région parisienne, de bien vouloir prendre la
parole. Il pourrait nous évoquer la politique d'achat des terres
agricoles et d'espaces naturels sensibles de son agence et pourrait aussi
évoquer les résultats du groupe de travail qu'il a
constitué pour envisager les solutions alternatives à
l'achat.
2. M. Philippe BALNY, directeur de l'Agence des espaces verts de la Région Ile-de-France
Merci
Monsieur le président. Je vais pour ma part vous parler de la
réflexion que nous avons développée à l'Agence des
espaces verts, pour mieux intervenir pour la protection des espaces agricoles
périurbains. Tout d'abord, un mot sur l'Agence des espaces verts de la
région Ile-de-France. Nous avons été créés
pratiquement en même temps que le Conservatoire du littoral et pour les
mêmes raisons. Nous sommes le Conservatoire des espaces naturels
d'intérêt régional de la région Ile-de-France. Nous
intervenons, par des acquisitions, dans le but, non pas de recéder, mais
de conserver pour préserver définitivement les espaces de la
constructibilité. Nous intervenons totalement comme un conservatoire
d'espaces naturels. Nous avons été créés dans le
cadre des réflexions qui ont conduit à l'élaboration du
premier schéma directeur de la région Ile-de-France et à
l'époque, ceci remonte à 1976, il s'agissait déjà
d'empêcher la ville de s'étendre, de l'obliger à se
reconstruire sur elle-même. Depuis 22 ans, dans la région
Ile-de-France, nous avons dessiné ce que nous appelons une ceinture
verte qui entoure l'agglomération parisienne dans un rayon de 10
à 30 kilomètres de Paris, mais l'expérience de chacun peut
conduire à penser que cette ceinture verte reste un concept. Pas tout
à fait parce qu'au bout de 22 ans d'efforts, en conjuguant le
schéma directeur, c'est-à-dire les instruments
réglementaires et les interventions foncières de l'Agence, nous
avons obtenu des résultats s'agissant des espaces boisés, des
espaces naturels classés normalement en zone «ND» dans les
plans d'occupation des sols. Aujourd'hui les espaces boisés en
périphérie des villes sont assez bien protégés et
extrêmement difficiles à aliéner pour un usage autre que
leur simple conservation.
En revanche, nous n'avons que très faiblement réussi pour la
protection des espaces agricoles périurbains. Des experts nous ont dit
que si nous n'arrivions pas à protéger les espaces agricoles,
nous n'avions qu'à les reboiser. C'est une solution qui a
été largement utilisée dans les pays voisins notamment en
Allemagne, dans le cadre de la reconstruction. Lorsque vous allez dans les
villes nouvelles souvent reconstruites après la guerre, vous vous
trouvez en campagne, vous traversez une couronne boisée ; premier feu
rouge et c'est la ville. C'est la situation idéale pour un francilien
qui viendrait tous les jours travailler à Paris prenant la RN 10 de
Rambouillet à Versailles où nous avons l'inverse
c'est-à-dire 20 kilomètres de zone d'activité qui
s'étendent le long de la RN 10.
Nous n'avons pas décidé le reboisement de tous ces espaces parce
que nous n'en avons pas les moyens. Reste la protection des espaces agricoles
périurbains. Nous avons besoin d'un outil de surveillance
foncière et nous ne l'avons pas. Par conséquent quand on dit que
tout existe dans la réglementation, il y a des choses qui existent plus
que d'autres, qui sont plus faciles à trouver.
Mais d'abord pourquoi faut-il faire une surveillance foncière ? Les
experts sont tous d'accord pour considérer que la protection de l'espace
résulte de la mise en oeuvre de toute une batterie d'instruments qui
relèvent à la fois de mesures réglementaires et
d'interventions foncières et qu'une bonne maîtrise de l'espace
nécessite souvent la mobilisation de tous ces instruments. Il est
inutile de vouloir opposer des instruments à d'autres et
préférer les uns au détriment des autres. Nous avons
besoin de tous les instruments pour protéger ces espaces. Je
définirai d'ailleurs pour ma part l'agriculture périurbaine comme
étant constituée d'espaces agricoles où le prix du foncier
n'est plus un prix agricole. Nous en avons tous des exemples sous les yeux.
Que se passe-t-il si le prix du foncier n'est plus un prix agricole ? Les
économistes vous diront évidemment que l'activité agricole
est à terme remise en cause. Comment voulez-vous qu'une activité
agricole soit rentable sur un prix de foncier très au-dessus du prix
agricole ? C'est totalement impossible. Et plus le prix du foncier
s'éloigne vers le haut du prix agricole, plus la pérennité
de l'exploitation agricole est remise en cause rapidement. C'est une simple
constatation de bon sens d'un économiste qui pourrait s'interroger sur
la profitabilité de son investissement. Par conséquent, si nous
acceptons cette définition de la périurbanité agricole, il
faut convenir que si nous voulons protéger l'agriculture, il faut
précisément intervenir sur le foncier. Or, nous ne trouvons pas
cet outil foncier facilement. Pourquoi ? Il y en a deux. J'exclus
d'entrée de jeu la ZAD d'Etat pour protéger les espaces
agricoles. Supposons que l'Etat renonce dorénavant à mettre en
oeuvre un dispositif de "zadage" pour protéger les espaces agricoles, il
nous reste deux moyens, l'Espace Naturel Sensible et le droit de
préemption de la SAFER.
L'Espace Naturel Sensible (ENS) : en regardant dans la
réglementation, les juristes vous diront que vous ne pouvez pas utiliser
le droit de préemption ENS au motif de protéger l'activité
agricole. Ce n'est pas possible. Il y a au moins deux objections
évidentes : l'obligation d'ouverture au public des espaces agricoles qui
ont un gestionnaire privé. Il n'est évidemment pas question de
les ouvrir au public. Deuxième objection : la domanialité
publique. Si vous faites de la surveillance foncière sur l'espace
agricole, cela veut dire que de temps en temps vous achetez. Les terrains
achetés tombent dans la domanialité publique d'après la
loi. Au moins pour ces deux raisons, c'est extrêmement dangereux
d'utiliser les ENS pour protéger les espaces agricoles.
Fondamentalement, je ne pense pas que ce soit l'outil adapté pour le
faire.
Reste le droit de préemption de la SAFER. C'est bien, mais la SAFER a
l'obligation de revendre dans les 5 ans. Comment peut-elle intervenir sur des
prix de marché du foncier qui ne sont plus des prix agricoles ?
Impossible. Elle ne peut pas intervenir pour acheter à des prix de
marché au-dessus du prix agricole sachant, par définition,
qu'elle ne pourra jamais rétrocéder à un agriculteur. Elle
ne peut le faire que dans le cadre d'un partenariat avec une
collectivité et je remercie le vice-président des Jeunes
agriculteurs de l'avoir rappelé. Effectivement la SAFER peut se
retourner vers une collectivité en disant "Vous êtes ma
société d'intervention, garantissez-moi la bonne fin,
j'interviens, je préempte et si je ne peux pas rétrocéder,
vous me rachetez ce bien", sachant qu'elle ne pourra pas si le prix du foncier
n'est plus un prix agricole.
Nous avons trouvé la solution. Faisons un partenariat entre les SAFER et
les collectivités locales. Mais cela veut dire que les
collectivités locales sont condamnées à acquérir le
foncier agricole périurbain menacé défini comme
étant les espaces où le prix du foncier n'est plus un prix
agricole. Cela pose des problèmes. Nous en avons discuté avec M.
le Président Larcher. Nous avons sur ce point réuni un groupe de
travail et l'Agence des Espaces Verts a publié un rapport sur les modes
d'intervention alternatifs à l'acquisition pour la protection des
espaces agricoles. Ce rapport est ici. Je le tiens à votre disposition.
Pourquoi l'acquisition par la collectivité locale pose-t-elle des
problèmes ? Il y a trois types de problèmes. Le premier
problème est le coût. Les élus qui financent ces
acquisitions au budget des collectivités locales vont trouver cela cher
pour installer, en passant un bail à long terme, un agriculteur. C'est
coûteux et c'est tout bénéfice pour l'agriculteur.
Deuxième objection : à chaque acquisition, cela entraîne
des problèmes politiques avec les agriculteurs qui pensent que c'est la
municipalisation des terres. Troisième objection : économique.
Les collectivités locales interviennent avec l'argent des contribuables
pour préserver des espaces agricoles, pour faire de l'aménagement
du territoire. Ce faisant, elles donnent une subvention économique
importante aux fermiers qu'elles installent sur leurs terres. Il y a donc un
problème dans l'objet de la dépense publique qui ne sert pas
seulement à l'aménagement du territoire.
Pour répondre à ces trois objections, les analystes ont
analysé la servitude non aedificandi. Nous avons dans le Code civil une
disposition qui dit qu'il peut y avoir un propriétaire qui
possède un fonds dominant, qui impose une servitude sur un fond
dominé. C'est l'histoire du château, d'un parc autour, des terres,
tout cela doit rester en l'état. Les héritiers vendent les terres
mais avec une servitude. Ce n'est pas une situation facilement reproductible.
Idée séduisante, nous séparons le sous-sol de la surface
et nous considérons que le sous-sol est le fonds dominant et la surface
le fonds dominé. La puissance publique par le jeu d'une convention avec
la SAFER achète le fonds dominant, garde le sous-sol et revend la
surface avec une servitude. Malheureusement, je crains que cette disposition ne
soit pas très praticable et ceci est détaillé dans le
rapport.
Il reste une solution, c'est la possibilité de séparer la
propriété en deux, l'usufruit d'un côté et la
nue-propriété de l'autre. La puissance publique
s'intéresse simplement à la protection définitive des
sols, c'est-à-dire en fait à la nue-propriété,
l'exploitant agricole s'intéresse à l'activité
économique, donc à l'usufruit. Nous gardons la
nue-propriété et nous vendons l'usufruit. Il y a des petits
problèmes dans la législation actuelle, c'est que l'usufruit est
attaché à la vie de la personne. On affine un peu le dispositif
et on fait une clause de réversibilité de manière à
garantir une période longue.
Voilà l'état de nos réflexions à l'intérieur
du droit existant. Si l'on veut poursuivre la réflexion, il faut se
mettre à l'extérieur du droit existant et imaginer de
légiférer. Soit créer un nouveau droit de
préemption qui s'appellerait le droit de préemption pour les
espaces naturels sensibles périurbains, ce qui n'existe pas aujourd'hui.
Cela peut être un espace agricole périurbain sensible, mais cela
suppose qu'on légifère, soit dans le cadre de la loi
d'orientation agricole, soit dans le cadre de la loi pour l'aménagement
et le développement durable du territoire.
M. Michel SOUPLET :
Merci Monsieur. Je vais demander à M.
Boisseau, président de la Fédération des associations de
propriétaires et agriculteurs d'Ile-de-France de bien vouloir nous
donner le point de vue des propriétaires fonciers sur l'ensemble de ces
questions.
3. M. André BOISSEAU, président de la Fédération des associations de propriétaires et agriculteurs d'Ile-de-France
Merci
Monsieur le président. Arrivant dans les derniers, la situation n'est
pas très facile et devant défendre le point de vue des
propriétaires, je pense que c'est plus difficile.
Je présenterai donc la spécificité de l'organisation, ce
qu'elle peut réaliser et ce qu'elle a réalisé. Monsieur
Souplet a dit tout à l'heure que les propriétaires et
agriculteurs ont souvent des intérêts divergents. Nous avons
réussi à les réunir au sein d'associations car les
intérêts sont les mêmes pour le propriétaire comme
pour l'agriculteur. Nous agissons uniquement dans le cadre des expropriations
et de l'urbanisation. Nous n'avons aucun rapport entre les propriétaires
et les agriculteurs eux-mêmes, c'est le statut du fermage, c'est une
autre organisation.
Cette organisation est née lors de la création de
l'Aéroport de Roissy. Pour vous dire le résultat, Roissy à
l'époque représentait 3.000 hectares d'expropriation. La
négociation s'est réglée entre deux personnes : le
représentant des propriétaires et des agriculteurs et le
président d'Aéroports de Paris. Pour la petite histoire, voici ce
qu'a dit après les négociations le Président
d'Aéroports de Paris "je vous ai donné X millions de plus que ce
que l'on m'autorisait à vous donner. Grâce à la
négociation amiable qui s'est réglée très
rapidement, j'ai pu passer tous mes marchés en rentrant chez moi. J'ai
gagné 100 fois ce que je vous ai donné." C'est un des
résultats. Nous sommes peut-être un organisme de défense
mais aussi de réflexion et de proposition.
Son rôle dans l'aménagement : il a été dit qu'il
fallait des instruments nouveaux. Personnellement je pense qu'il y a
déjà suffisamment d'instruments pour régler le
problème du foncier. Je ne citerai pas tous les zonages. Utilisons les
instruments que nous avons d'une manière constructive. Nous avons
beaucoup parlé du schéma directeur de la région
Ile-de-France. Ayant beaucoup participé aux négociations entre
1990 et 1994, pour la préparation de ce document, comme l'a
également dit M. Thévenot : "tout au cours des
négociations, jamais je n'ai parlé de prélèvements
en surface car j'ai pensé que la profession n'avait pas un poids
suffisant pour minimiser les surfaces." Par contre toutes les interventions des
représentants du monde agricole pour la région Ile-de-France, ont
porté sur la localisation et la durée. Si l'on veut que
l'agriculture se maintienne dans les régions périurbaines,
l'agriculteur doit savoir ce qui lui reste et jusqu'à quand, sinon il
lui est difficile sinon impossible d'investir pour continuer à exploiter
normalement.
Quels sont les risques si ces conditions de durée et de surfaces, de
localisation ne sont pas faites ? Le gros risque est que les terres à
l'avenir incertain deviennent des zones fragiles. L'agriculture s'en
désintéressant plus ou moins, cela va se transformer en friches
et, je parle de la région parisienne que je connais plus, et cela va se
transformer en zone de non droit d'où je pense toute l'importance qu'il
faut accorder, en tant que propriétaire et agriculteur, aux documents
d'urbanisme. Tout le monde n'a peut-être par la même foi que moi
envers ces documents mais pour moi c'est la bouée de sauvetage. Je m'y
accroche et je souhaite qu'elle soit efficace.
Deux mots sur le devenir du foncier. Le foncier qui va changer de
propriétaire. Il a trois destinations pour moi : une destination
agricole, une destination d'espaces verts et une destination d'urbanisation.
Nous avons des instruments pour s'occuper de chaque nature. Le foncier agricole
: les SAFER sont là avec leur droit de préemption. Les espaces
verts : il y a l'Agence des espaces verts. Quant à l'urbanisation, je me
tourne vers Mme Bain mais c'est elle qui est à la base et qui sera
à la discussion pour ses emprises. Là, l'organisme existe aussi.
Je ne peux pas ne pas parler "des profits tombés du ciel", terme qui est
dans le rapport de M. Larcher. Je dirai, en parlant des propriétaires
qu'ils ont eu au moins un mérite, c'est de conserver ces terrains en
état cultivé et de permettre à l'urbanisation de se
développer. Mme Bain a fait allusion au coût du portage pour
l'AFTRP, pour la collectivité publique, je ferai simplement remarquer
que, en tant que propriétaire, je pense qu'il y a aussi un coût du
portage de ce côté et que l'on doit en tenir compte dans
l'évaluation des terrains.
Nous avons parlé des plus-values pour récupérer ces
profits. Elles existent déjà et je pense qu'il suffirait de les
réincorporer à l'origine. Aujourd'hui, toutes les plus-values
tombent dans le pot commun de l'Etat et les espaces périurbains qui sont
fournisseurs de cette taxe, n'en n'ont aucune retombée. Je pense qu'il
serait bon que les plus-values que l'on paye déjà soient
réintégrées dans les espaces périurbains. On a
objecté que les plus-values n'étaient pas payées parce
qu'il y avait une décote annuelle. Il est un fait qu'il faut attendre 22
ans pour ne plus payer de plus-value. Malheureusement, il existe les
successions et à chaque fois le compteur est remis à zéro,
c'est-à-dire que lorsqu'il y a une expropriation ou un changement de
destination, automatiquement les plus-values sont là puisque je dois
reconnaître qu'il y a une certaine valeur supérieure à la
valeur agricole pour les zones périurbaines. Le dernier point que je
voudrais évoquer est le problème de la concertation. Si l'on veut
supprimer les problèmes entre les collectivités et les
propriétaires, c'est d'avoir une concertation avant, parce qu'il existe
une concertation d'office qui consiste à venir vous concerter une fois
que tous les projets sont bien ficelés. Pour moi, ce n'est pas de la
concertation.
M. Michel SOUPLET :
Merci Monsieur Boisseau. Maintenant je vais demander
à M. Etienne Lapèze, Président de la FNSAFER qui pourrait
nous parler des compétences un peu accrues des SAFER en zones
périurbaines et de leur contribution à la lutte contre les
friches.
4. M. Etienne LAPEZE, président de la FNSAFER
Merci
Monsieur le sénateur. Tout d'abord je voudrais signaler que c'est une
journée extrêmement intéressante et importante. Nous avons
navigué entre l'analyse, la proposition, mais relativement peu, puisque
nous avons constaté beaucoup d'impuissance. Je suis néanmoins
résolument optimiste puisque je suis ici dans une enceinte
législative ; il ne s'agit donc pas d'appliquer la loi mais de
la rénover.
Dans un premier point, je voudrais exprimer mon plein accord avec l'intervenant
qui m'a précédé : il faut renforcer l'autorité des
documents d'urbanisme. Il ne faut pas qu'on révise le POS parce que l'on
a changé de majorité, il faut au contraire inscrire l'usage des
sols dans la durée. Le foncier agricole plus que tout autre.
Je voudrais également rappeler que Mme Bain nous disait que le
coût du foncier pouvait empêcher l'aboutissement de certaines
réalisations. Quand nous mesurons le coût du foncier pour les
opérateurs industriels ou pour le logement, par rapport au coût du
foncier pour l'agriculture, il n'y a pas de commune mesure et il y a une telle
marge entre les deux que, s'il n'y a pas un bon document d'urbanisme, l'usage
agricole est authentiquement marginalisé car, avec la complicité
générale, il y a un enrichissement sans cause. Quand vous
êtes d'un côté du trait du POS, cela vaut 20 000 francs
l'hectare, vous passez de l'autre côté cela vaut
instantanément 5 000 francs (je reste dans des valeurs agricoles de mon
département d'origine, le Lot, je ne suis pas dans le périurbain
de l'Ile-de-France).
Il faudrait savoir si nous avons le courage de considérer qu'une partie
du territoire national a une vocation agricole prioritaire ; un
débat fondamental de société doit être engagé
à ce sujet. Le foncier périurbain vert et agricole pose des
problèmes. Si je faisais la loi, j'aurais la solution. Il faudrait
renverser les éléments : si on a besoin de
l'agriculture, il faut créer les conditions de sa
pérennité et ne pas poser le problème de savoir si l'on
fait ou non un cadeau à l'agriculteur en assurant sa
sécurité foncière. Ce n'est pas un cadeau si on lui fait
un contrat normal, un contrat de fermage conclu avec la collectivité
territoriale, un propriétaire foncier, ou une société
anonyme porteuse du capital foncier. L'agriculteur, lui, c'est un fermier, qui
doit payer un fermage en disposant d'une garantie d'occupation longue, si c'est
la collectivité qui achète. Je ne suis pas juriste, mais je sais
que le droit est un empêcheur de tourner en rond ou éventuellement
un faciliteur, selon l'usage qui en est fait.
Aujourd'hui quand nous regardons la carte de France, à quel endroit se
mettent les friches ? La FNSAFER sait que les friches sont principalement dans
le périurbain, et sur la bande côtière, sitôt que
l'on a quitté la plage que l'on n'a plus les bungalows pour mettre les
orteils en éventail. Au-delà se retrouve en effet un " no
man's land " où prospère la friche.
Si l'on ne veut pas qu'il y ait de la friche, il faut que la
collectivité prenne l'initiative de recenser tous les
propriétaires. En effet la friche périurbaine ne va pas permettre
de constituer des exploitations agricoles de grande surface avec les parcelles
de taille suffisante. On peut y faire de l'agriculture sous réserve, et
nous nous en étions entretenus avec M. le président Larcher, que,
si l'on accorde la jouissance de 50 hectares à un agriculteur, il
puisse, s'il perd 10 hectares, être assuré d'en retrouver 10. Pour
l'agriculteur qui passe un contrat, parce que c'est de la notion de contrat
qu'il s'agit, il faut exiger la garantie de garder sa surface en acceptant
qu'elle soit mobile. Il faut également réinsérer les
agriculteurs dans les zones en friche, ou sinon alors il faudrait inventer le
métier de pseudo-agriculteur salarié de la collectivité
publique et je ne crois pas que l'on obtiendrait des résultats
très significatifs dans ce domaine.
Les SAFER, ont essayé d'aborder cette problématique du foncier
agricole et du foncier en général, qui est frappé d'un
double droit. Quelqu'un a dit ce matin "Je suis propriétaire et je suis
chez moi". Moi, quand j'avais 20 ans, j'ai acheté une exploitation et
j'étais sûr de cela. M.Lemas n'est plus là, mais il a
parlé des ZNIEFF. J'ai une ZNIEFF de " crapauds à ventres
jaunes ". Moi, je suis propriétaire de la mare où il y a les
crapauds à ventres jaunes mais si je détruis la mare et que l'on
m'assigne au tribunal, je serai condamné même s'il n'y a pas
opposition d'un tiers. La puissance publique viendra me sanctionner parce que
j'ai détruit la mare, alors que j'ignorais la décision de
protection puisqu'on n'est pas obligé de me
prévenir : la ZNIEFF n'est pas un document opposable au tiers.
Cela veut dire qu'il est né un nouveau droit de propriété,
le droit de la propriété collective de la société
qui se superpose au droit personnel. Sur les ZNIEFF, nous avons un vide
juridique total. J'ai participé à une réunion un jour
où l'on définissait qui pouvait prescrire une ZNIEFF. On a
décidé que c'était scientifique... J'ai demandé ce
que c'était qu'un scientifique parce que je ne suis pas un scientifique
sorti des hautes écoles, mais j'ai un peu de science. Et l'on m'a dit
que c'est un scientifique qui écrit dans une revue scientifique, alors
j'ai dit "Je devrais pouvoir y arriver".
Ce scientifique décrit une ZNIEFF, il la dépose à Paris au
muséum d'histoire naturelle et on n'est pas obligé de publier la
carte de cette zone. J'ai mis longtemps, avec mes responsabilités
professionnelles, à pouvoir me procurer une carte des ZNIEFF. Donc, si
j'ai la ZNIEFF chez moi et que je la détruise, on peut me faire un
procès. Et c'est le procès de l'opinion publique. Vous avez
placé votre colloque sous le thème de la coexistence ville et
campagne. Je veux bien que les gens des villes viennent remarquer quelque chose
que je n'ai pas vu, alors que je passais devant tous les jours : c'est une
éventualité qui force à réfléchir....
Pour ce qui concerne les SAFER, sous réserve que dans le projet de loi
d'orientation agricole, la commission mixte paritaire en prenne acte, elles
auront la possibilité de préempter pour l'environnement, non pas
au profit d'agriculteurs, mais au profit des collectivités
territoriales, et pourront prescrire un cahier des charges lors de leurs
rétrocessions. Cela fait partie de nos responsabilités
d'établissement de service public. D'ailleurs nous mettons souvent des
conditions dites particulières et nous l'avons déjà fait
par exemple pour la protection de périmètres de captage.
Quand on dit à l'avance aux agriculteurs qu'il y aura besoin du foncier
et qu'ils sont les premiers à être gênés par leurs
propres concurrences sur les terres, ils souhaitent qu'un schéma et une
programmation soient établis longtemps à l'avance. La SAFER de la
Marne a, par exemple, eu l'opportunité d'acheter 120 hectares de
champagne. Elle en a revendu 100 hectares. Puis elle s'est mise en relation
avec le Réseau ferré de France, et le TGV passera au milieu des
vignobles de champagne, en détruisant 20 hectares de champagne sans que
vous en entendiez parler. Et, il n'y aura personne devant les bulldozers, parce
qu'il y a quelque part 20 hectares qui sont mis de côté et cela
vaut un peu plus de 50 000 F l'hectare.
Nous nous battrons bec et ongles pour que les SAFER, outil de service public,
restent les opérateurs fonciers en milieu rural tout en nous rendant
disponibles afin de développer les relations avec les autres
institutions.
M.Michel SOUPLET :
Merci. Je donne la parole à Mme Prats qui est
inspecteur général de l'équipement et qui va
évoquer divers exemples concrets d'insertion des entrées de
villes dans l'ensemble urbain.
5. Mme Michèle PRATS, inspecteur général de l'Equipement
Il m'a
été demandé de parler de la maîtrise foncière
et à double titre : au titre des entrées de villes puisque
j'anime le Comité national des entrées de villes auprès du
sénateur Dupont, mais également au titre de la TDENS puisque j'ai
commis un rapport sur ce sujet.
La maîtrise foncière passe par la réglementation, la
fiscalité mais je pense qu'un certain nombre d'amodiations peuvent
être apportées grâce à la fiscalité et puis
par l'appropriation par la puissance publique. C'est un outil
d'aménagement mais également de requalification de l'existant qui
est aujourd'hui le problème numéro un : «refaire la ville
sur la ville».
Cet outil doit être essentiellement utilisé en vue de mettre en
oeuvre de véritables projets d'agglomérations, de villes, de
quartiers de ville. Ces projets doivent être adaptés à la
réalité du terrain et nous n'insisterons jamais assez sur
l'importance du diagnostic, de l'étude de contenu, quantitative mais
surtout qualitative, du fonctionnement urbain, du phasage dans le temps ainsi
que de l'importance des démarches partenariales avec tous les acteurs
concernés.
L'appropriation foncière n'est pas un impératif ni un moyen
unique, mais cela facilite grandement les choses et lorsque la puissance
publique, la collectivité territoriale peut se porter acquéreur,
notamment des axes structurants, des espaces verts cela facilite ensuite la
conduite des opérations dans le temps dans la mesure où les
projets urbains demandent énormément de temps qui dépasse
très largement le mandat électoral. Je vais m'appuyer sur un
certain nombre d'exemples que j'ai connus sur le terrain.
L'expérience de l'Hérault qui est l'un des premiers
départements a avoir mis en place la TDENS et qui a
déclaré en zone d'espace naturel sensible toutes les zones NC et
ND du département et ceci avec le double objectif, de préserver
les espaces verts périphériques et les espaces de nature, par des
acquisitions, et éviter les changements d'affectation des espaces
agricoles.
Aujourd'hui, depuis la jurisprudence " Département des
Yvelines " et " Département du Doubs ", ce ne serait
peut-être plus possible dans la mesure où l'on peut
considérer que tous les espaces en zone agricole sont certes des espaces
naturels (jurisprudence Yvelines) mais pas nécessairement des espaces
sensibles, d'autant plus qu'ils ne sont pas ouverts au public. Par contre, dans
l'Hérault à l'époque, cette jurisprudence n'existait pas.
Le département de l'Hérault a ainsi décidé
d'inclure en périmètre de préemption au titre de la TDENS
tous ses espaces naturels. Il a constitué une agence foncière
financée en grande partie par le Conseil Général, et pour
partie par la TDENS, et cette agence foncière fonctionne grâce
à l'information régulière, systématique que lui
envoient les notaires. Dès qu'elle voit qu'il y a un changement
d'affectation prévu, notamment lorsqu'une SCI se porte acquéreuse
d'un terrain agricole, l'Agence préempte, via la SAFER.
Je vais passer aux entrées de villes pour vous montrer à quel
point la maîtrise foncière facilite les opérations. Je
prendrai le cas d'Orgeval. C'était un projet de restructuration d'une
zone commerciale, ancienne ZAC de type classique appuyée sur un PAZ
très peu contraignant avec des implantations sans aucun souci
qualitatif. Cette volonté de restructurer l'existant a
émané, non pas de la puissance publique mais des acteurs
économiques qui s'étaient créés en association
commerciale et qui considéraient que cet espace complètement
déqualifié n'était pas valorisant auprès de la
clientèle dans la mesure où il s'agissait en grande partie de
commerces orientés autour de l'habitat. Ils ont donc
décidé de se constituer en association en vue de restructurer la
zone existante et d'en améliorer l'aspect et le fonctionnement. Ils ont
fait appel à une société d'ingéniérie :
Espace Expansion et lui ont demandé de faire un projet. Il était
intéressant. Malheureusement, quelques commerçants ont
refusé d'adhérer à la démarche ; aussi,
l'Association, bien que disposant d'une majorité de membres prêts
à jouer le jeu et à restructurer totalement leur espace n'a pu
mener à bien son budget, qui, faute d'une volonté politique forte
et d'un appui de la puissance publique, a été obligée
d'abandonner le processus du fait du désintérêt de quelques
uns.
Cela nous amène à un double constat :
1. à défaut de maîtriser le foncier, l'initiative
privée ne peut mener à bien une opération d'urbanisme
qu'à condition de s'appuyer sur un consensus total,
2. la puissance publique, en l'occurrence la municipalité a, elle, la
possibilité réglementaire d'intervenir.
Dans le cas présent, le maire a préféré ne pas s'en
mêler. Il y avait une ZAC, on aurait pu reprendre le PAZ. Avec une
volonté politique affirmée, il aurait été possible
d'aider les acteurs économiques, y compris sur le plan conceptuel,
à réaliser un projet réhabilitant l'environnement de ce
site très dégradé. Aujourd'hui, la situation
s'améliore puisque le département a pris les choses en main avec
le CAUE, en liaison avec la municipalité ; le processus
redémarre avec l'espoir d'une solution à terme, mais que de temps
perdu !
Parmi les exemples où j'ai vu la puissance publique intervenir, je vais
vous citer Dijon, que vous connaissez sans doute : il s'agit de
l'aménagement de grands quartiers au nord de Dijon, sur 260 hectares.
Cela représente plus que le centre de la vieille ville de Dijon. Sur la
route de Langres, de part et d'autre de cette voie, on a commencé par
requalifier la route, l'élargir, faire des plantations
préliminaires, faire systématiquement une ZAC par quartier,
construire les éléments structurants et remettre ensuite à
la disposition soit d'une SEM, soit de particuliers, les terrains qui avaient
été viabilisés avec un plan d'urbanisme très
précis, fixant tous les éléments d'espaces verts et les
indications architecturales. C'est un projet de quartier de ville, à
long terme, lancé il y a 25 ans et qui commence à porter ses
fruits aujourd'hui et à être réalisé sur le terrain,
ce qui prouve à quel point il faut : 1/ une volonté farouche
d'aboutir,
2/ une réflexion permanente en partenariat avec les différents
acteurs économiques, les populations qui vont s'installer, et surtout le
suivi, dans le temps, d'un objectif à long terme.
Draguignan a également fait une politique foncière très
intéressante en utilisant les transferts de COS. Là, la ville a
décidé de se doter d'espaces verts et de les ouvrir au public et
pour ce faire, elle a négocié systématiquement dans les
lotissements, avec les lotisseurs, pour se faire transférer en
propriété foncière les espaces verts qu'ensuite elle
aménage et entretient via la TDENS.
Bègles est aussi un exemple intéressant où la
municipalité a créé une ZAC sur d'anciennes friches, en
vue de réaliser une zone commerciale et tertiaire : elle a
libéré les terrains, les amis à disposition
d'aménageurs privés, et a imposé un plan
d'aménagement paysagé très strict. La réalisation
est très élaborée sur le plan architectural, s'organisant
autour des substructures d'un ancien château, aménagées en
jardins et d'une terrasse donnant sur le fleuve. Parallèlement, la ville
a réhabilité, avec l'aide financière du centre commercial,
sur 18 km, le chemin de halage le long du fleuve et la ripisylve, et mis
à disposition du public d'importants espaces naturels, dont l'entretien
est financé contractuellement par le centre commercial. Ce centre
commercial est en passe de devenir le plus visité de la région,
non seulement, pour des raisons commerciales mais parce que les gens sont
attirés par la qualité du site. Un seul point noir :
l'absence d'intercommunalité ; la ville mitoyenne,
Villeneuve d'Ornon, développe à proximité une zone
commerciale " classique ", en alignant les boîtes, sans
préoccupation d'intégration dans l'environnement, alors qu'elle
se situe en continuité, sur un site identique au bord de la Garonne...
M. Michel SOUPLET :
Merci beaucoup Madame. A la demande du
président Larcher, il n'y aura pas de débat à l'issue de
ces exposés. Si quelques uns d'entre vous aviez des questions à
poser, vous pourriez les adresser par écrit et nous nous ferons un
plaisir de vous donner la réponse immédiatement.
En conclusion, cela prouve, d'une part que le développement
économique n'est pas antinomique avec la qualité des espaces
naturels, et d'autre part, que les outils existent lorsque se fait jour une
volonté politique forte, appuyée sur des équipes de
conception pluridisciplinaires, on peut créer des quartiers de
qualité : mais cela nécessite une vision à long
terme, de la ténacité et du temps.
CONCLUSION -
POUR UNE RECONQUÊTE DURABLE
DES ESPACES PÉRIURBAINS
PAR M. GÉRARD LARCHER,
VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT
Mesdames, Messieurs, avoir la responsabilité de
conclure une
journée aussi dense, aussi riche, est une gageure. Mais je voudrais en
profiter pour remercier Monsieur Michel Souplet et Guy Fischer et tous mes
collègues sénateurs. Dire que nous avons eu aujourd'hui le
plaisir d'être près de 500 à passer cette journée,
est tout à fait inhabituel et traduit que le problème du
périurbain n'est pas perçu comme un problème de
rêveurs, de spécialistes d'urbanisme, mais qu'il est bien
perçu aujourd'hui comme un problème politique. Voir des
députés nous rejoindre, comme Mme Boutin, dans la
journée, démontre qu'il y a bien aujourd'hui pour le politique,
pour celui qui a la responsabilité de faire la loi, un certain nombre
d'interrogations par rapport à ces phénomènes.
J'ai eu l'impression ce matin que dans des approches parfois
différentes, complémentaires, certaines plus sociologiques,
certaines plus économiques, s'exprimait un constat sur lequel il n'y
avait pas beaucoup de différences. Oui, il y a une réalité
périurbaine sur la carte que M. elorme nous a
présentée. Quand nous aurons les résultats du recensement
de mars 1999, le rouge, l'orange et le jaune, l'emporteront sans doute sur
l'ensemble du territoire. Ce n'est peut-être pas un français sur
neuf mais peut-être un sur huit, un sur sept qui y vivra. Et en
même temps, puisque nous sommes 72 % d'urbains pour 28 % de ruraux
aujourd'hui, nous ne pouvons pas dire qu'aucun citoyen, à un moment
où l'on met moins de 45 minutes en moyenne pour rejoindre par voie
rapide, soit une gare TGV, soit une autoroute, à l'exception de quelques
territoires (c'est un des objets de l'aménagement et du
développement du territoire), qu'aucun Français ne pourra
affirmer que le problème du périurbain ne l'intéresse pas.
A un moment où un autre de sa vie, dans ce que déterminait
M. etellier ce matin comme un endroit de passage, il y passera, il y
vivra, y compris pour avoir sa première acquisition de pavillon parce
qu'il n'aura pas les moyens de devenir propriétaire dans le coeur de
ville historique.
Cette réalité ne doit pas nous opposer entre ce que disait ce
matin Ebullition ou M.Calamme et la réalité économique de
l'agriculture. Car le plus économe, en termes de collectivité
publique, ce sont des agriculteurs sur le territoire périurbain qui
tiennent la majorité du territoire. Mais ces agriculteurs, dont certains
auront une fonction sociale plus forte, qu'ils devront valoriser ou se voir
reconnue, profiterons peut-être de l'occasion des contrats
d'agglomération pour faire reconnaître pleinement cette
fonction ; fonction dont nous avons bien senti dans l'intervention de la
bergerie du Vexin et dans la construction qui en était faite à
l'Ile-Saint-Denis, et M. Gérard d'Andréa était
là, et sur l'exemple RATP que je connais bien parce que je l'accompagne
un peu dans sa réflexion sur la violence dans la ville dans les
transports en commun, combien ces rapports de proximité permettaient la
compréhension à laquelle M. Hervé Morize nous a
appelé.
Mais je crois qu'il y a une réalité économique, et le
président Radet, comme le président Boisseau, nous ont
rappelé qu'il fallait bien que les agriculteurs vivent de l'Agriculture,
que l'on reconnaisse à la fois leur fonction de production, et
éventuellement leur fonction sociale. Parce que, cher président
Lapèze, c'est vrai que le crapaud jaune, que l'orchidée à
Rambouillet et que la ZNIEF de l'étang de la Tour y compris sur des
territoires privés ou communaux, c'est une réalité qui
s'impose à nous; sans doute dans une société qui a aussi
oublié la naissance et la mort, mais qui parfois a oublié dans sa
pédagogie le respect de l'autre. Car le droit de propriété
n'est pas qu'un droit d'appropriation personnelle, il est aussi le bornage qui
inclut l'un par rapport à l'autre à se reconnaître des
limites. Il n'est pas qu'un droit égoïste, il est aussi une
manière de fonctionner dans notre société en reconnaissant
que les uns par rapport aux autres, nous avons des droits et des devoirs. Nous
devrons bien raisonner par rapport à l'espace périurbain en
droits et devoirs mutuels et pas uniquement nous dire " j'ai droit
à consommer la forêt de Rambouillet ". Mais la forêt de
Rambouillet a aussi " droit " à rester une vraie forêt.
C'est dire que le gestionnaire de la forêt, qu'il soit public ou
privé, puisque c'est moitié-moitié doit apporter des
réponses dans lesquelles la notion de propriété, y compris
publique, se défend contre certaines formes de suroccupation qui,
à terme, menacent ce territoire. Et nous savons bien qu'il ne pourrait
pas y avoir le maintien d'une arboriculture en Vallée de Seine si nous
n'avons pas les réponses économiques, fiscales, et si nous
n'avons pas non plus des réponses d'organisation du territoire pour le
rendre respectable par la pédagogie que nous en aurons. Et ce qui
était l'exemple du BAFA, c'est quelque chose que nous conduisons aussi
à Rambouillet : former nos animateurs avec la Bergerie à la
perception par eux-mêmes des rythmes du milieu agricole pour les faire
percevoir à ceux qui ne le perçoivent plus. Je n'ai pas eu le
bonheur de vous entendre, mais je vous ai lu en ce qui concerne votre
expérience dans le Nord, et il me semble que c'est la même chose.
Alors, cet après-midi, nous avons abordé un sujet, oh combien
délicat, qui est, outre le sujet majeur de l'environnement, c'est :
notre droit est-il adapté, et quelles sont les réponses pour la
clé de la reconquête ?
Et naturellement, nous nous sommes bien aperçus ce matin que sans
agriculture, la collectivité publique ne pourrait pas gérer le
territoire périurbain avec les moyens financiers dont elle dispose. Sans
les forestiers, elle ne pourrait pas le faire non plus, et l'extension en tache
d'huile a une conséquence, je le dis à nos amis de l'AFTRP, c'est
que plus on étend la ville, plus les coûts des transports
collectifs en péréquation qui marquent les limites de la ville
deviennent insupportables à la collectivité. Or, les transports
urbains en péréquation sont un des facteurs limitant car, si
demain le Parlement refusait à l'Ile-de-France les 6,6 milliards qu'il
verse au titre de la solidarité nationale, il nous faudrait dès
le lendemain doubler le prix du billet. Et vous verriez le surlendemain se
bloquer une région qui vit grâce à la solidarité
nationale et émerger le problème des transports urbains
péréqués qui vont de Gazeran en ce qui concerne les
Yvelines, de Mantes à Provins de l'autre côté.
Nous voyons bien que l'une des réponses, c'est la
crédibilité des documents d'urbanisme. Pour les
crédibiliser, nous limitons une partie de la liberté des
collectivités territoriales à pouvoir les réviser à
leur gré. Mais nous l'avons déjà fait. En 1994, dans le
cadre de la loi dite Pasqua-Hoeffel, nous avons dans un article, inventé
la " clé " de réouverture du schéma directeur de
la région Ile-de-France dans un système où conjointement
le Conseil régional et l'Etat devaient s'engager. Ce que nous proposons,
c'est de ne pas les verrouiller, mais de les stabiliser. Il y a une
différence entre verrou et stabilité : c'est celle qui permet
d'être capable de donner de la durée ! Nous vivons en
Ile-de-France, et je vais venir au reste de la France, dans un système
de poupées russes : le schéma directeur s'impose. Une plus petite
poupée : les schémas directeurs cantonaux ou inter-cantonaux et
ensuite le plan d'occupation des sols, qui est la toute petite poupée.
Dans le reste du territoire, malheureusement nous n'avons pas assez de
directives territoriales d'aménagement.
Je crois que nous devons renforcer la stabilité des documents
d'urbanisme, par la concertation. Je reprends ce que disait le président
Boisseau et Mme Bain. Si nous discutons avant, il y a beaucoup moins de
conflits que si nous discutons une fois que la décision est prise. Quid
du foncier ? Je reconnais que dans mon rapport même si certains l'ont
repris, y compris le président Lapèze, j'ai été un
peu provocateur sur l'enrichissement sans cause, mais l'origine vient de mon
père et je ne savais pas que le président Lapèze allait
utiliser une formule analogue. Mon père était un élu rural
de Basse-Normandie dans un territoire plutôt pauvre, le Bocage
Domfrontais, qui avait l'avantage d'être proche de Bagnoles de l'Orne,
station thermale. Au début, il a été l'un des promoteurs
du plan d'occupation des sols dans un territoire d'élevage où
l'on ne parlait pas encore de quota ; on en était à la
restructuration d'exploitation entre 18 et 25 hectares. J'avais 18 ans. Mon
père avait cette expression : "d'un coup de crayon, je fais un riche et
un pauvre". Il avait expliqué qu'autour du village, il avait en quelque
sorte fait un riche et un pauvre. Il avait l'avantage de ne pas être
propriétaire foncier dans la commune dont il a été maire
25 ans, ce qui lui évitait les problèmes locaux. Je reconnais
avoir été provocateur et ne pas avoir essayé uniquement
d'aborder le problème francilien qui est une réalité,
aussi incontournable. Cela fait que je crois que nous devons nous doter
d'outils et que M. Thévenot, comme M. Malabirade, comme le
président Radet, nous ont tracé quelques pistes et quelques
propositions. Il y a débat au sein de votre profession et ce
débat existe, mais vous dites : "La profession souhaite que la
réflexion soit poursuivie sur ce plan en demandant qu'elle soit
replacée dans le cadre plus général de la taxation au
niveau des plus-values et des mutations et en souhaitant que les
différents échelons de taxation soient analysés
globalement".
Le représentant du CNJA dit : "Il ne me paraît pas impensable que
les collectivités locales, quand il n'y a pas de repreneur soient des
repreneurs avec des baux à long terme". 99 ans, il ne faut pas
rêver mais on pourrait appliquer le droit commun, c'est à dire des
repreneurs dans les mêmes conditions qu'un privé avec une charte
d'engagement. La SAFER peut jouer un rôle. Il y a là un certain
nombre de pistes.
Moi qui suis un libéral tempéré, je n'ai pas vocation,
comme maire de Rambouillet, à être l'intervenant foncier pour
assurer la pérennité de l'entreprise agricole. Je
l'évoquais avec les responsables agricoles d'Ile-de-France tout à
l'heure. Ils connaissent bien un sujet à Rambouillet que je vais vous
citer. Je n'ai pas de crapaud à ventre jaune ; j'ai encore deux
éleveurs polyculteurs dans ma commune. Ils y jouent un rôle
essentiel et j'ai notamment un groupement en commun de deux jeunes femmes qui
font de la vente directe, qui ont une exploitation de chèvres, une
exploitation de vaches laitières, et une exploitation de vaches
allaitantes sur des terrains précaires. Ils étaient tellement
précaires que la disparition de 8 hectares représentait la
disparition de 20 ou 25 % de l'exploitation et donc la pérennité
de l'exploitation. Elles ont toutes deux moins de 35 ans. Nous nous sommes
trouvés devant des acheteurs qui nous promettaient que c'était
pour mettre des chevaux ! J'ai été vétérinaire
de chevaux. Dans une vie antérieure, je n'ai même fait que cela.
On arrive avec deux chevaux. En général on est encore cavalier ou
on fait semblant de l'être. Moi, deux chevaux pour 8 hectares, je leur ai
dit "Soit vous avez des problèmes de caecum et vous avez des coliques,
soit vous mettez du sico-sel chaque jour pour empêcher que ça
pousse, mais ne m'expliquez pas que vous allez faire une exploitation
équine à Rambouillet, avec deux chevaux !" A Rambouillet, nous
avons une convention avec la SAFER. La SAFER a mené son travail et au
dernier moment nous avons poussé ces jeunes agriculteurs à
trouver le financement, ils ont pu acheter. Mais, Mme Bain, l'Observatoire
local et le juge de l'expropriation connaissent notre volonté locale, un
peu farouche et déterminée, parce que nous avons
ré-attaqué les décisions qui avaient été
prises. Personne ne s'est porté acquéreur et elles ont pu acheter
à 4 F, au mètre carré, à Rambouillet. Cela veut
dire qu'à un moment, nous avons permis à des agriculteurs de
réaliser leur projet avec l'aide de la SAFER. Sans la SAFER et sans la
convention collectivité locale que nous avions avec la SAFER, nous
n'aurions pas eu l'aide de la profession agricole, parce que je demande que ce
soient les agriculteurs qui gèrent la SAFER d'abord au
bénéfice des agriculteurs et ensuite au bénéfice de
l'espace rural, dans un partenariat avec les élus de l'ensemble de
l'espace. C'est dire que nous avons besoin des intervenants du foncier comme
vous. Nous avons besoin d'établir des observatoires fonciers. Ces
observatoires fonciers doivent éclairer la décision du Juge, mais
ils ne peuvent pas être sur l'ensemble de l'Ile-de-France. Quand on nous
parlait de Melun Sénart ou des enjeux de villes nouvelles, ou quand on
pose une question sur Rambouillet, entre Rambouillet Nord et Rambouillet Sud la
réponse va être différente. Un observatoire foncier sur un
territoire qui irait (pour ceux qui connaissent la Nationale 10) des
Essarts-le-Roi jusqu'à Chartres, constituerait un bassin d'observation
qui serait intéressant.
Je prône enfin cette réflexion proposée par la FNSEA et le
CDJA. Ce que je souhaiterais, puisque dans l'après-midi j'ai
été élu rapporteur spécial de la Commission
spéciale sur la loi Voynet, à l'unanimité de mes
collègues, toutes sensibilités confondues, c'est que nous ayons
un certain nombre de rendez-vous.
Le président Lapèze l'a dit, nous avons eu un rendez-vous sur les
SAFER, nous avons tous bien travaillé, le mérite en revenant
notamment à Michel Souplet.
Mais il y a d'autres questions. Nous ne les résoudrons pas toutes dans
la loi Voynet. Je crois qu'il y a un chemin à poursuivre de la loi
Voynet au texte d'intercommunalité. Et il y a aussi quelque chose
à faire partager comme l'indiquait avec justesse Mme Prats: "sans la
volonté politique, il ne se passe rien". Mais encore faut-il que la
collectivité soit suffisamment puissante politiquement, et
financièrement pour avoir cette volonté, et qu'elle se donne une
perspective de temps. D'où l'importance des documents d'urbanisme et des
documents annexés à ceux-ci. Le problème
périurbain n'est pas que francilien. Nous ne l'avons pas suffisamment
dit, mais le sénateur Percheron me le rappelait ce matin : regardez le
Nord-Pas-de-Calais avec les territoires en déshérence, la
Vallée de la Seine. Je vois Denis Merville avec des problèmes de
périurbain en Seine-Maritime extrêmement forts. Il y a aussi
Toulouse, la région Rhône-Alpes... Je crois que ce qu'il faut
commencer à faire partager à nos collègues, c'est
l'occasion d'un texte législatif qui est l'occasion d'un débat :
la préoccupation du périurbain. Cela a été une
surprise que je puisse faire passer en Commission l'idée, dont je
reconnais qu'elle est marginale et qu'elle souffre certains défauts, de
penser que lorsque l'on a une zone franche, nous ne pouvons pas exclure
l'agriculture. Car si nous commençons à parler de zones franches
urbaines sans penser à l'agriculture périurbaine, nous faisons
une faute par rapport à la ville et par rapport au quartier. Mais ce
doit être l'occasion au travers des zones, d'utiliser des ZAP, article 47.
L'article 47 est un outil un peu compliqué parce qu'il ressemble
à la ZPPAUP pour parler d'agriculture et les maires qui font des ZPPAUP,
il faut qu'ils aient un conseil compréhensif, de la volonté et de
la patience. C'est un chemin très complexe. L'inspecteur des sites de la
région Ile-de-France que je vois ici et que je salue, sait bien,
combien, pour intégrer une zone agricole dans une ZPPAUP, il faut de
volonté et d'accords de la part des agriculteurs.
Pour conclure, nous ne ferons pas le périurbain les uns contre les
autres, en pensant que les " cinq " de la Bergerie du Vexin sont
moins forts que " les 7000 " de l'Ile-Saint-Denis, ou que " les
deux de Rambouillet " sont moins forts que ses 27.722 habitants.
C'est ensemble avec les services de l'Etat, ensemble avec les intervenants
fonciers, et ensemble avec les partenaires de la ville comme de l'espace rural.
Parce que même s'il y a débats d'idées, même s'il y a
confrontation, je reviens sur ce que disait Hervé Morize, "sans
dialoguer à un moment, nous ne nous en sortirons pas". Il ne faut pas
rêver non plus. Il y a des réalités économiques. Le
forestier, par exemple, doit faire vivre sa forêt et il doit faire
comprendre à des gens qui le comprennent de moins en moins, que de temps
en temps les arbres se récoltent, même pas pour faire de l'argent,
mais parce que c'est nécessaire. Notre société ne veut
plus de temps, elle zappe dès qu'on lui demande du temps !
L'aménagement de l'espace périurbain nécessite aussi du
temps, de la volonté, des choix clairs.
Je voulais vous remercier d'y avoir tous participé aujourd'hui. Je
voudrais dire à nos collègues Sénateurs et bien sûr
au président François-Poncet que j'ai eu l'occasion de remercier,
à M. Daniel Percheron, à M. Guy Fischer, à
M. Jean-François Le Grand et à M. Michel Souplet,
que c'était tout à fait exemplaire.
Il y avait un réel oecuménisme. Cela correspond à ma
nature pour des raisons diverses que je ne vous expliquerai pas ici mais qui
font que je suis minoritaire, même quand on est dans la majorité
sénatoriale. Nous avons envie d'être oecuménique parce que
la qualité de nos villes, la réconciliation s'il y a eu
fâcherie entre l'espace l'urbain et l'espace rural, c'est, me semble-t-il
quelque chose d'essentiel si nous voulons demain avoir une certaine
qualité de notre territoire et ne pas être les derniers en Europe
en matière d'entrées de villes. Les Italiens ont fait des efforts
: souvenez-vous de leurs autoroutes il y a vingt ans, regardez-les aujourd'hui.
Ils ont été capables de générer dans un certain
désordre italien, une volonté d'amélioration qui est
même en train de gagner le Sud.
Merci d'avoir participé à ce colloque. Les questions ou les
documents que vous nous adresserez seront analysés par l'ensemble de la
Commission spéciale quand elle aura à traiter des
problèmes périurbains.