CHAPITRE III
PERSISTANCE DU CHÔMAGE, COÛT DU TRAVAIL ET
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Le
débat relatif aux liens entre le financement de la protection sociale et
l'emploi est né dans les années 1980 de deux
préoccupations : d'une part, " l'effet de ciseaux "
résultant pour la Sécurité sociale de la divergence entre
la faible croissance de l'assiette des cotisations et le dynamisme des
dépenses ; d'autre part, la persistance d'un taux de chômage
élevé, notamment pour les salariés les moins
qualifiés, qui semblent victimes d'un biais du progrès technique
en leur défaveur.
Ces deux évolutions ont donné lieu dans un premier temps à
deux types de réponse : d'un côté, pour faire face aux
difficultés de financement de la sécurité sociale, le
remplacement d'une part croissante des cotisations sociales par la
CSG
,
prélèvement à l'assiette plus large ; de l'autre,
pour faire face au chômage des salariés peu qualifiés, le
développement, à partir de 1993,
d'allégements de
charges
sur les bas salaires. Ces dispositifs recueillent désormais
un certain consensus.
Les débats sur les modalités de financement de protection
sociale et les allégements de charges les plus favorables à
l'emploi sont toutefois plus que jamais d'actualité : d'une part,
les efforts de maîtrise des finances publiques entrepris depuis plusieurs
années et le dynamisme des recettes fiscales et sociales ouvrent
aujourd'hui la possibilité de réformer et d'alléger les
prélèvements obligatoires ; d'autre part, la lenteur du
reflux du chômage dans des projections de moyen terme optimistes, comme
celles qui sont présentées dans les chapitres
précédents, invite à utiliser ces marges de manoeuvre pour
favoriser l'emploi.
C'est pourquoi votre Rapporteur essaiera dans ce chapitre de proposer quelques
éclairages issus de l'analyse économique sur les relations entre
le coût du travail et l'emploi, sur les effets des allégements de
charges sociales, enfin sur les liens entre les modalités de financement
de la Sécurité sociale et l'emploi.
I. COÛT DU TRAVAIL ET EMPLOI
A. LA DÉTERMINATION DU " BON NIVEAU " DU COÛT DU TRAVAIL EST MALAISÉE
•
D'un côté, un coût du travail " trop
élevé " se traduit par des prix à la production
excessifs, donc par une perte de
pouvoir d'achat
pour les consommateurs
et une perte de
compétitivité-prix
pour les entreprises,
deux évolutions qui réduisent la demande adressée aux
entreprises, donc l'
emploi.
De l'autre, le " coût du travail " constitue un
revenu
,
éventuellement différé ou redistribué dans le cas
des cotisations sociales. Dès lors, un coût du travail
élevé est aussi un soutien pour la
demande
intérieure et le reflet d'un haut
niveau de vie
21(
*
)
.
• Par ailleurs, le coût du travail doit être
rapporté à la
productivité
de la main-d'oeuvre
employée, le rapport entre ces deux grandeurs déterminant le
" coût salarial unitaire ", c'est-à-dire le coût
des rémunérations du travail pour une unité produite.
Le coût du travail est, en France, parmi les plus élevés
des pays de l'OCDE, mais la productivité y est également
très élevée. Au total, les
comparaisons
internationales
de coût salarial unitaire placent ainsi la France
dans une position moyenne. Ces comparaisons soulèvent toutefois deux
difficultés
:
- en premier lieu, le
lien
entre
productivité et
coût
/ rémunération du travail n'est pas
univoque
à l'échelle macroéconomique : certes,
d'un côté une productivité élevée permet une
rémunération élevée ; mais, de l'autre, un
coût du travail très élevé est susceptible de
sélectionner les entreprises, les activités, et les
salariés à forte productivité, donc de se traduire par une
productivité moyenne élevée, mais au prix de
l'éviction du marché du travail des salariés les moins
qualifiés et des activités " peu productives ". C'est
cette seconde interprétation qui est privilégiée dans des
travaux récents mettant en évidence, pour la France, la faiblesse
de l'emploi dans les services aux personnes ou le commerce de
détail
22(
*
)
;
- en second lieu, l'interprétation des comparaisons internationales de
coût du travail est délicate en raison de la volatilité des
taux de change, des différences de structure d'emploi et de
qualification, enfin de la diversité des systèmes de
prélèvements obligatoires (les rémunérations sont
en apparence plus élevées dans les pays où la protection
sociale est financée en tout ou partie par des impôts, et non par
des cotisations sociales).