C/ La gestion des déchets tritiés

Le centre de Valduc, chargé de la production et de la maintenance des sous-ensembles des armes nucléaires, est particulièrement concerné par le problème des déchets tritiés, à tel point qu'il a été décidé d'y entreposer également ceux qui ont été produits par les autres centres du CEA.

Par rapport à d'autres déchets contenant des radionucléides, les déchets tritiés, qu'ils soient sous forme solide ou liquide, présentent l'inconvénient majeur de dégazer, c'est-à-dire de produire en continu des effluents gazeux qui vont, en l'absence de confinement, se répandre dans l'atmosphère environnante. Une fois dans l'atmosphère, le tritium à l'état gazeux se transforme en grande partie en eau tritiée en présence de l'air ou de la vapeur d'eau.

La classification des déchets va donc se faire en fonction de la teneur en tritium des matériaux concernés, car il y a une corrélation étroite entre cette teneur et le taux de dégazage qui en résulte.

-- Les déchets à forte teneur en tritium sont, dans toute la mesure du possible, traités pour en réduire à la fois le volume et l'activité.

Le retraitement a aussi un intérêt économique car on a tout intérêt à minimiser les pertes de tritium. En effet, depuis l'arrêt de la production de plutonium, les réacteurs Célestin de la COGEMA situés à Marcoule, qui produisent également le tritium utilisé par la DAM, ne fonctionnent plus qu'en marche alternée.

Les déchets métalliques sont fondus dans un four à vide qui permet, en fin d'opération, de récupérer de l'eau tritiée. Les lingots qui sont obtenus ne provoquent pratiquement plus de dégazage mais ils restent quand même entreposés sur le site de Valduc.

Les déchets organiques sont traités dans des installations d'étuvage à la vapeur sèche qui permettent là aussi de recueillir de l'eau tritiée. Ces déchets sont en final compactés et conditionnés.

Ces opérations ont l'avantage de réduire le volume et l'activité des déchets mais il faut bien voir qu'en contrepartie, elles conduisent à un déchet liquide : de l'eau faiblement tritiée (de 10 à 500 Curies au litre).

C'est là tout le paradoxe de la gestion des déchets tritiés : il est souvent possible de les traiter et en quelque sorte de les nettoyer, mais les techniques employées conduisent obligatoirement à la production d'eau tritiée qui sera presque aussi difficile à gérer. Il faut également se souvenir que toutes ces opérations ne sont pas neutres sur le plan de la radioprotection et qu'elles peuvent toujours entraîner des risques pour les opérateurs chargés de les conduire.

-- Les déchets qui restent entreposés sur le site de Valduc peuvent être classés en trois catégories distinctes :


• les déchets technologiques conditionnés en fûts dont le taux de dégazage est relativement important (entre 1,85 et 55 Mégabecquerels par fût). 3 032 fûts de 100 et de 200 litres de cette catégorie sont provisoirement entreposés sur le site de Valduc, ce qui représente environ 580 m 3 ;


• les déchets ayant un très faible taux de dégazage (1,85 Mégabecquerels par fût), il s'agit en grande partie de déchets technologiques dont l'activité est à la limite de détection des moyens de mesure. Il y en a actuellement 2 915 fûts de 100 et 200 litres à Valduc, ce qui représente environ 550 m 3 ;


• les ferrailles qui ont un très faible taux de dégazage, leur activité surfacique étant comprise entre 3,7 et 37 Becquerels par cm 2 ;


• les eaux tritiées représentent environ 800 litres.

Sont également entreposés à Valduc des huiles et des mercures contenant du tritium.

Faute de solution de stockage définitive, tous ces déchets restent provisoirement entreposés dans des bâtiments du centre de Valduc :


• le bâtiment 055 construit sur une dalle de béton avec un dispositif pour recueillir d'éventuelles eaux de ruissellement. Il s'agit d'un hangar tout à fait ordinaire mais muni d'extracteurs d'air surmontés de cheminées pouvant assurer un taux de renouvellement de 15 volumes par heure. Selon la DAM, les rejets atmosphériques de ce bâtiment représenteraient environ 10 % du total des rejets de tritium du centre de Valduc. Dans ce bâtiment 055 sont entreposés 3 200 fûts ;


• le bâtiment 058, lui aussi construit sur une dalle de béton avec un dispositif pour recueillir les éventuelles eaux de ruissellement, est de construction plus simple et n'est pas doté de moyens de ventilation artificielle. Les 3 200 fûts qui y sont entreposés ont un taux de dégazage inférieur à ceux du bâtiment 055 ;


• les ferrailles, 50 tonnes au total, sont simplement déposées sur une aire bétonnée non protégée mais les eaux de lixiviation sont cependant régulièrement contrôlées ;


• les eaux tritiées restent entreposées dans des flacons en polyéthylène à l'intérieur même des bâtiments de production.

La DAM reconnaît que certains des fûts ainsi entreposés "sont altérés" et qu'il faudra les reconditionner.

Les critères d'acceptabilité des colis de déchets tritiés par l'ANDRA sont très sévères et excluent de fait pour le moment tout envoi vers le centre de stockage de l'Aube.

L'ANDRA impose en effet des normes très strictes qui portent à la fois sur l'activité massique des colis et sur le taux de dégazage. Le rayonnement bêta émis par le tritium étant trop peu énergétique, on ne peut mesurer la quantité de tritium qui serait contenue dans un colis ou dans un fût de déchets. Il existe bien une méthode de mesure par calorimétrie mais la limite de détection est 1 000 fois plus élevée que la limite imposée par l'ANDRA.

A partir du moment où les colis sont composés d'éléments hétérogènes dont la teneur en tritium est très variable, il n'existe pas pour le moment de méthode permettant de "caractériser" un colis ou un fût de déchets tritiés pour lui permettre de rejoindre le centre de stockage en surface de l'ANDRA. Il est en revanche possible de mesurer le taux de dégazage mais cela ne répond qu'à une des deux conditions posées par l'ANDRA. Des études sont en cours pour mesurer la teneur en tritium d'un colis ou d'un fût mais elles n'ont toujours pas donné de résultat probant.

Comme le reconnaît la DAM : "Les déchets tritiés n'ont pas aujourd'hui de solution d'entreposage définitif car nous ne pouvons pas répondre aux conditions d'évacuation vers l'ANDRA, les activités massiques de cet ordre ne pouvant pas être mesurées."

Aucune évacuation n'ayant été jusqu'ici autorisée, "les déchets tritiés solides produits par la DAM (85 %) et par les autres centres du CEA (15 %) sont entreposés sur le site de Valduc d'une façon réversible, généralement en fûts métalliques dans des bâtiments ventilés dont les rejets sont contrôlés en permanence. La capacité d'entreposage actuelle des 3 entrepôts du site de Valduc est de 1 760 m3. Le stock accumulé depuis 1975 est de 1 250 m 3 et la production annuelle moyenne est de l'ordre de 50 m 3 ." 20 ( * )

Les responsables de la DAM estiment donc qu'ils ont de la marge et ne s'inquiètent donc pas outre mesure, la solution de l'entreposage à Valduc leur paraissant, pour le moment, ne pas poser de difficultés majeures.

Il n'en demeure pas moins que le site de Valduc n'a pas le statut de centre de stockage et qu'il faudra bien un jour ou l'autre trouver une destination définitive pour l'ensemble des déchets tritiés.

A la demande de M. Dautray, le Haut Commissaire à l'Energie Atomique, un groupe de travail sur "Le devenir des déchets tritiés" a été mis en place. Il devrait présenter bientôt des propositions relatives :

- aux moyens d'évaluer les quantités de tritium contenues dans des colis ou des fûts,

- à la recherche d'"exutoires" pour les déchets tritiés (rejets, entreposage, stockage, ...)

- à l'élaboration d'un inventaire détaillé de ces déchets actuels ou à venir.

Pour le moment toutefois, et faute de mieux, la création d'un nouveau bâtiment d'entreposage à Valduc est à l'étude.

Certains ont envisagé la création d'un centre de stockage spécialement dédié au tritium, avec des moyens de confinement qui permettraient de limiter le dégazage et surtout de le contrôler régulièrement. Sur le plan du principe, l'idée de la création d'un centre de déchets tritiés est intéressante, tout comme celle de la création d'un centre destiné aux déchets radifères. On oublie toutefois le problème de la localisation. Votre rapporteur, qui a conduit la médiation pour l'implantation des laboratoires de l'ANDRA, est bien placé pour savoir que les problèmes d'acceptation, par les populations concernées, de toute installation en rapport avec les déchets radioactifs ne sont pas simples mais qu'ils conditionnent la faisabilité de tout projet de ce type.

Beaucoup de spécialistes regrettent toujours que l'immersion en mer des déchets tritiés soit désormais interdite par la Convention de Londres. La mer contenant naturellement du tritium, la dilution des quantités contenues dans les déchets n'aurait eu, paraît-il, aucune conséquence. Il est inutile de se lamenter sur cette situation. L'immersion de déchets a été, à juste titre, interdite ; il n'y a donc pas lieu de continuer à discuter d'une solution qui est totalement et définitivement écartée.

Votre rapporteur, alerté par des courriers et par certains ouvrages comme celui de Bruno Barillot et Mary Davis 21 ( * ) , s'est inquiété des pratiques qui auraient existé à Valduc, où des déchets tritiés auraient été brûlés à l'air libre sans précautions particulières. Selon certains, cette technique quelque peu rudimentaire aurait conduit à expédier dans l'atmosphère plusieurs milliers de Curies, contaminant ainsi l'environnement avoisinant.

Sur place, votre rapporteur a constaté que cette pratique avait cessé mais, sur les conditions dans lesquelles cette opération avait été conduite et sur ses conséquences éventuelles, il ne peut que s'en remettre à la note qui lui a été fournie par la DAM :

"BRÛLAGE DE DÉCHETS TRITIÉS

Des déchets tritiés ont été brûlés sur une aire aménagée, de 1968 à 1975.

43 opérations ont été effectuées. Elles ont porté sur 335 m 3 de déchets divers.

Ces opérations s'accompagnaient de campagnes de mesures dans l'environnement :

- contrôles atmosphériques,

- contrôles de végétaux,

- contrôles surfaciques du foyer après brûlage,

- contrôles des cendres,

- contrôles des eaux.

Des campagnes de mesures ont été réalisées après l'arrêt des opérations, notamment en 1978 et 1981.

Aujourd'hui, l'activité de la nappe phréatique à proximité immédiate du foyer est d'environ 4 000 Bq/l, l'activité massique des végétaux prélevés sur l'emplacement de brûlage varie entre 190 et 2 500 Bq/kg frais.

ÉVOLUTIONS :

En terme de conséquence sanitaire pour un individu qui consommerait toute l'année l'eau de la nappe prélevée au voisinage du lieu de brûlage, l'équivalent de dose annuel engagé serait de l'ordre de 0,07 mSv (7 mrem) soit l'équivalent de 10 jours supplémentaires d'irradiation naturelle.

L'activité de l'eau prélevée au voisinage du site de brûlage est 40 fois supérieure à l'activité des prélèvements effectués dans les nappes de l'environnement du site de Valduc."

* 20 Rapport d'activité de la Direction chargé de la gestion des déchets, CEA, 1995.

* 21 Les déchets nucléaires militaires français, Bruno Barillot et Mary Davis, Op. déjà cité.

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