B. UNE ATTENTE FORTE : DAVANTAGE MOBILISER LA RESSOURCE EN EAU
Si les économies d'eau constituent la priorité affichée des politiques de l'eau, la réponse aux besoins des différents utilisateurs passe aussi par une amélioration de la mobilisation de la ressource, lorsque celle-ci est disponible.
1. Les transferts d'eau : une technique ancienne
Le transport de l'eau, parfois sur de longues distances, est consubstantiel à la civilisation. Les aqueducs romains acheminaient l'eau vers les villes il y a déjà deux millénaires. Le fameux pont du Gard est le vestige d'un aqueduc long d'une cinquantaine de kilomètres apportant à Nîmes une eau captée vers Uzès.
Pour déplacer l'eau, les ouvrages utilisent la gravité , la circulation de l'eau étant possible même avec une pente faible (15 à 25 cm/km). Ils ont permis le développement urbain, mais aussi la mise en valeur de terres agricoles grâce à l'irrigation. Il en va ainsi du canal du Forez, propriété du département de la Loire et géré par un syndicat mixte, dont la construction s'est échelonnée de 1865 à 1914. Alimenté par la Loire, le canal compense la faible pluviométrie du Forez et permet de développer l'agriculture, ainsi que d'alimenter en eau potable une partie des communes avoisinantes. Modernisé après la mise en service du barrage de Grangent en 1958, ce canal dispose d'un débit réservé de 5 m 3 /seconde apportant entre 30 et 45 millions de m 3 par an à ses utilisateurs (notamment 700 exploitations agricoles) le long de ses 44 kilomètres. Il permet aussi le développement d'une pisciculture dynamique.
Les transferts d'eau peuvent se faire sur des distances relativement courtes mais se pratiquent aussi sur des distances plus importantes, déplaçant de l'eau d'un bassin sur l'autre. En France, les principaux transferts d'eau entre bassins sont situés dans le Sud-Est avec le canal de Marseille, construit entre 1834 et 1849, long de 80 km, qui alimente Marseille à partir des eaux de la Durance, ou encore avec le canal de Provence, construit bien plus tard, dans les années 1960, long de 216 km, fournissant l'eau à Aix-en-Provence et Marseille mais aussi aux exploitations agricoles et industrielles situées le long de son tracé à partir du Verdon et à travers un système de barrages et retenues.
Il existe dans le monde environ 150 infrastructures de transfert inter-bassins et 60 projets en cours . En Espagne, l'aqueduc Tajo-Segura ouvert en 1979 transfère sur 292 km les eaux du Tage, stockées dans un lac artificiel dans la province de Guadalajara, vers la province de Cuenca au Sud-Ouest du pays, au rythme de 33 m 3 par seconde. L'approvisionnement en eau de cette province a ainsi permis l'essor d'une agriculture irriguée sous serre très performante.
Les transferts d'eau entre régions, outre le coût élevé que représente la construction des infrastructures, peuvent toutefois se révéler trop sensibles au changement climatique et finalement se révéler être des solutions peu pertinentes à long terme. Ainsi, en Espagne, l'aqueduc Tajo-Segura est accusé d'assécher les bords du Tage, en prélevant pour l'agriculture du Sud-Ouest espagnol de trop grandes quantités d'eau. Devant de tels doutes, le projet de transfert d'eau de l'Ebre vers le sud de l'Espagne a d'ailleurs été abandonné. Un autre projet de transfert d'eau du Rhône vers Barcelone (aqueduc Languedoc-Roussillon-Catalogne) avait lui aussi été abandonné.
En France, un projet de transfert d'eau entre le Rhône et l'Hérault et l'Aude a été lancé au début des années 2010. Le programme Aqua Domitia , soutenu par la région Occitanie, vise à alléger la pression sur la ressource en eau déficitaire des secteurs de Montpellier et Narbonne et à sécuriser l'approvisionnement en eau potable (dans un secteur en forte progression démographique) et en eau d'irrigation. Une canalisation enterrée de 130 km d'une capacité de 2,5 m 3 par seconde devrait apporter 8 millions de m 3 en provenance du Rhône, fleuve disposant encore d'un débit élevé en été, se substituant à des prélèvements équivalents aujourd'hui dans les nappes et les cours d'eau du Gard, de l'Hérault et de l'Aude. La gravité n'est désormais plus le seul moteur des transferts d'eau : le projet Aqua Domitia est en effet un réseau sous pression.
2. Le stockage de l'eau : un sujet sensible
Dès lors que les précipitations sont abondantes en hiver et réduites en été, la constitution de réserves d'eau jouant un rôle d'amortisseur inter-saisonnier apparaît comme une solution de bon sens . La pratique est d'ailleurs déjà mise en oeuvre à travers de nombreux barrages et lacs de retenue, qui servent au soutien d'étiage et contribuent au développement des activités humaines.
La France ne retient qu'assez peu l'eau qu'elle reçoit : seulement 4,7 % du flux annuel d'eau est stocké en France (nos barrages ont une capacité de 12 milliards de m 3 pour une pluie efficace de 190 à 210 milliards de m 3 ), alors que l'on atteint presque 50 % en Espagne (54 milliards de m 3 sur 114 milliards de m 3 de pluies efficaces) 70 ( * ) . Mais la politique de stockage de l'eau est très critiquée et n'est pas considérée de manière consensuelle comme une solution durable. Elle est pourtant un enjeu pour toute société humaine sédentarisée.
a) L'amélioration des capacités de stockage existantes
Il existe une multitude de retenues permettant de stocker l'eau, très variables selon leur taille, leur mode d'alimentation - retenue collinaire alimentée par ruissellement et retenue de substitution alimentée par pompage - ou encore leur mode de gestion, individuelle ou collective. Les finalités des retenues peuvent être aussi variées : production hydroélectrique, soutien d'étiage, irrigation, pisciculture ou pêche de loisir, tourisme, sports d'eau, neige de culture, réservoir pour lutter contre les incendies ...
Dans une publication de 2017 consacrée à l'impact cumulé des retenues d'eau sur le milieu aquatique, un collectif d'experts indiquait que jusque dans les années 1990, la France avait vu les retenues d'eau se multiplier pour répondre notamment aux besoins d'irrigation agricole 71 ( * ) . Mais la même publication soulignait qu'on ne disposait pas aujourd'hui de recensement précis de ces retenues, en particulier des petites retenues. S'appuyant sur des travaux du début des années 2000, cette publication estimait qu'il existait « environ 125 000 ouvrages de stockage pour une surface de 200 à 300 000 ha et un volume total d'environ 3,8 milliards de m 3 stockables. Près de 50 % des retenues recensées avaient une superficie inférieure à un hectare, pour un volume inférieur dans 90 % des cas à 100 000 m 3 et une profondeur inférieure à 3 m dans 50 % des cas et 5 m dans 90 % des cas ». Le volume moyen des ouvrages destinés à l'irrigation agricole était estimé autour de 30 000 m 3 , soit l'équivalent d'une dizaine de piscines olympiques.
Or, une partie de ces retenues est mal utilisée et connaît d'importants taux de fuite . Une stratégie de remobilisation et de modernisation de ces retenues pourrait déjà être entreprise mais elle se heurte à des difficultés de financement, la mise aux normes n'entrant pas dans le périmètre des opérations subventionnables lorsqu'il n'y a aucune économie d'eau à la clef. Une autre possibilité consiste à augmenter la capacité de retenues existantes en les rehaussant. La remobilisation des réserves est parfois difficile lorsque la propriété des terrains a évolué et, en pratique, peu de propriétaires sont ouverts à la réutilisation de leurs plans d'eau par des tiers.
b) La création de retenues supplémentaires
L'ensemble des représentants du monde agricole auditionnés a insisté sur la nécessité d'aller vers la constitution de retenues nouvelles . Il s'agirait de retenues de substitution, en cela qu'elles viseraient à davantage stocker pendant les périodes de hautes eaux pour moins puiser l'été dans les cours d'eau ou les nappes phréatiques .
L'objectif consiste à sécuriser la disponibilité de la ressource en eau et donc la production agricole. Les retenues peuvent aussi être utiles pour lutter contre les incendies dont l'année 2022 a montré qu'ils pouvaient se déclencher partout en cas de fortes chaleurs, y compris en Bretagne ou en Anjou.
Les Agences de l'eau ne peuvent d'ailleurs pas subventionner de projets de stockages d'eau supplémentaires qui ne viseraient pas, d'abord, à effectuer des économies durant la période d'étiage. Seule la partie de l'ouvrage correspondant au volume de substitution est éligible au soutien des Agences de l'eau jusqu'à 70 % du coût du projet.
Si les retenues collinaires sont globalement mieux acceptées que les retenues en plaine, qualifiées de « bassines », dans la mesure où les premières sont alimentées exclusivement par le ruissellement quand les secondes le sont par pompage, les deux modalités, parfois confondues dans le langage courant, se heurtent à des oppositions de principe exprimées fortement par les associations environnementales, notamment en réaction aux conclusions du Varenne de l'eau début 2022. Ainsi, France Nature Environnement (FNE) a estimé que les impacts hydrologiques (interception des flux d'eau, moindre débit en aval, étiage accentué, blocage du transit sédimentaire), physico-chimiques (eutrophisation d'une eau stagnante) et biologiques (perte d'habitat en cas d'assèchement des zones humides avoisinantes, atteintes à la continuité écologique) des retenues étaient globalement négatifs.
Les opposants au développement des retenues soulignent en outre qu'une stratégie fondée sur les retenues d'eau inciterait à ne pas réfléchir à une agriculture moins consommatrice d'eau et créerait un faux sentiment de sécurité , alors même que l'accélération du réchauffement climatique pourrait conduire ces retenues à être à sec même si les règles initiales de prélèvement étaient respectées, en cas de déficit prolongé de pluviométrie ou de ralentissement structurel du rythme de recharge des nappes.
Au final, les opposants aux retenues contestent l'utilité de dépenses publiques importantes pour mettre en place des infrastructures qui ne bénéficient qu'à quelques agriculteurs utilisateurs de l'eau, ce qui constitue à leurs yeux une atteinte inacceptable au caractère de bien public attribué à l'eau.
À l'inverse, les agriculteurs insistent sur la nécessité de faciliter les procédures extrêmement lourdes et coûteuses qui forment des obstacles quasi-infranchissables sur le chemin de la création d'une nouvelle retenue. Dans l'Ardèche, il a été indiqué que l'état actuel de la réglementation empêchait concrètement tout nouvel ouvrage en zone humide. Il a été souligné que le coût des études d'impact était parfois supérieur au coût des travaux, conduisant les porteurs de projets à y renoncer. Il est significatif de constater que si, dans les Pyrénées-Orientales, la chambre d'agriculture a identifié 20 sites permettant de réaliser des retenues d'eau, aucun projet n'a pu se concrétiser depuis plus d'une décennie.
Faut-il rejeter par principe le stockage de l'eau, alors qu'une partie du développement agricole avait reposé jusqu'à présent sur la mise en place d'ouvrages et d'équipements d'irrigation ? La réponse est négative. Le rapport de la délégation à la prospective de 2016, déjà, insistait sur la nécessité de mettre en place une stratégie de stockage d'eau. La réglementation est très stricte et ne permet pas de faire des stockages de confort . Les études d'impact demandées sont très détaillées et les autorisations ne sont délivrées que lorsqu'il n'y a pas d'effets négatifs sur l'environnement. Il convient naturellement de contrôler avec soin les conditions de fonctionnement de ces réserves, une fois celles-ci construites et de surveiller les effets sur la ressource en eau des nouveaux ouvrages. Mais disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement. C'est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s'il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves.
c) La recharge artificielle des nappes
La recharge ou la réalimentation artificielle (RA) d'un aquifère consiste à introduire de manière volontaire et maitrisée, de l'eau dans une nappe. Cette technique est développée principalement dans les pays connaissant un fort stress hydrique : Australie, États-Unis, Israël ou encore Afrique du Sud. En France, 50 sites de rechargement de nappes ont été identifiés, principalement en Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur.
La recharge artificielle peut répondre à plusieurs objectifs : soutenir le niveau de nappes exploitées pour l'alimentation en eau potable, améliorer la qualité de la nappe en filtrant mieux l'eau ou encore contrer l'intrusion saline d'un aquifère côtier.
Un stockage souterrain présente l'intérêt de limiter les pertes par évaporation et d'éviter certains désagréments (sédimentation, réchauffement des eaux, risque de rupture) qui sont propres à un stockage d'eau en surface. Il constitue aussi une solution pour améliorer la qualité d'un aquifère touché par un phénomène de pollution : on utilise le pouvoir épurateur du sous-sol sur lequel on injecte l'eau de recharge vers la nappe. C'est ainsi que fonctionnent plusieurs sites le long de la Seine (Croissy-sur-Seine, Verneuil-Vernouillet, Flins-Aubergenville). Un stockage souterrain évite aussi d'utiliser de nombreux hectares en surface.
Les méthodes consistent à faciliter l'infiltration de l'eau jusqu'à la nappe à partir de bassins spécialement aménagés, souvent en profitant des capacités géo-épuratrices du sol et de la zone non saturée de l'aquifère pour assurer un complément de traitement des eaux infiltrées et améliorer la qualité générale de la ressource. Elles sont généralement utilisées pour réalimenter les nappes libres ou, dans certains cas, pour mettre en place des barrières hydrauliques.
Les techniques utilisées peuvent être variées. L'injection directe via des forages constitue la méthode la plus répandue à travers le monde . Elle nécessite un contrôle rigoureux de la qualité de l'eau utilisée. La réalimentation artificielle induite consiste pour sa part à augmenter le transfert d'eau entre un cours d'eau et une nappe alluviale en mettant en place des sites de pompage souterrains à proximité des berges. Lors de ce transfert, l'eau du cours d'eau est souvent partiellement filtrée grâce au pouvoir épurateur des berges.
La recharge artificielle des nappes est ainsi une piste à développer, qui permettrait d'accélérer le rythme de recharge des aquifères et d'accroître la disponibilité de l'eau en période de tension sur la ressource, tout en « fabriquant » une eau de qualité à moindre coût grâce aux mécanismes d'épuration naturelle du milieu. Mais elle suppose l'existence d'aquifères disponibles (ce qui n'est pas le cas partout) et la mobilisation de moyens techniques pour contrôler la qualité et la quantité d'eau dans les aquifères concernés.
d) Le couplage entre retenue d'eau et production d'énergie
Les plus vastes retenues d'eau artificielles sont le résultat d'un plan d'équipement hydroélectrique de la France mis en oeuvre après la Seconde Guerre mondiale, permettant à l'hydroélectricité de représenter aujourd'hui environ 12 % de la production électrique nationale. Il s'agit d'une énergie non émettrice de gaz à effets de serre (GES) et pilotable, donc indispensable à l'équilibre de notre système énergétique .
L'eau retenue par les barrages ne sert pas qu'à la production d'hydroélectricité. Les barrages facilitent l'alimentation en eau potable, la continuité des activités économiques (irrigation, industrie, tourisme, loisirs, navigation) et la préservation de la biodiversité. Les exploitants de ces retenues (EDF, la CNR, ou encore la Société hydroélectrique du midi) sont souvent tenus à travers leur cahier des charges ou des conventions avec l'État et les collectivités territoriales, de prendre en compte les besoins autres que la production hydroélectrique : soutien d'étiage (en maintenant un débit minimal), lâchers d'eau pour l'alimentation en eau potable ou l'irrigation, protection des milieux aquatiques. Par exemple, une partie des eaux stockées dans le barrage de Serre-Ponçon, (jusqu'à 200 millions de m sur 1,2 milliard de m de réserve utile) sert à l'irrigation des cultures de la Durance. Environ les deux tiers des grandes retenues sont ainsi des retenues multi usages.
Il existe encore un potentiel de développement de l'hydroélectricité dans notre pays. La Programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit ainsi l'installation d'une capacité de 2,5 GW supplémentaire, notamment en modernisant les turbines. La création de grandes retenues sur le modèle de celles existantes n'est pas envisageable. Plus de la moitié de l'augmentation de capacité correspondrait en fait au développement des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) . En effet, stocker de l'eau, c'est stocker de l'électricité 72 ( * ) . Les STEP, encore peu développées en France avec seulement 6 centrales EDF qui exploitent ce principe, profitent des variations entre l'offre et la demande d'électricité. Concrètement, les STEP sont constituées d'un bassin supérieur et d'un bassin inférieur. Lorsque le système électrique produit plus que la demande, on utilise l'électricité excédentaire pour pomper l'eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur. Lors des pics de demande d'électricité, on lâche l'eau du bassin supérieur qui passe par une turbine pour produire de l'électricité. Le rendement (rapport entre électricité produite et électricité consommée) est assez élevé (entre 70 et 85 %) 73 ( * ) mais les STEP nécessitent de très importants volumes d'eau et une hauteur de chute significative, ce qui en fait des installations peu discrètes et assez structurantes dans le paysage.
La valorisation énergétique de l'eau peut être aussi indirecte , en utilisant les ouvrages pour installer des panneaux photovoltaïques. Là aussi le potentiel est important. Des panneaux flottants sur les retenues d'eau peuvent être envisagés, comme ceux installés par la CNR sur le lac de la Madone à Mornant dans le Rhône. La surface couverte permet au demeurant de légèrement rafraîchir l'eau. Des panneaux peuvent aussi être installés le long des linéaires de canaux, comme le fait également la CNR avec des panneaux verticaux (dont les pics de production sont ainsi décalés par rapport à des panneaux horizontaux) sur l'usine-écluse des Sablons dans l'Isère.
La ressource en eau peut donc être également mobilisée pour contribuer à produire davantage d'énergie et une énergie totalement décarbonée.
3. Des solutions innovantes à encourager
a) La désalinisation de l'eau de mer : une solution trop coûteuse
La désalinisation de l'eau de mer (appelée aussi dessalement) est une technique mise en oeuvre lorsque la ressource d'eau douce fournie par les cours d'eau et les nappes est structurellement insuffisante. Cette technique s'est développée fortement au Moyen-Orient (où sont implantées près de la moitié des unités recensées dans le monde), mais aussi aux États-Unis. En Europe, l'Espagne s'est lancée dans la désalinisation avec un peu plus de 700 unités installées, dont la plus importante, en Catalogne, fonctionne depuis 2009 et produit 20 % de l'eau potable fournie aux 5,5 millions d'habitants de l'agglomération barcelonaise.
La désalinisation reste une solution de dernier recours . La production d'eau potable issue de la désalinisation revient environ 10 fois plus cher que la captation de la ressource dans la nature (par pompage ou forage). Son coût énergétique est élevé. Le rapport de l'OPECST précité estime ce coût à 3 à 6 kwH par m 3 d'eau pour la technologie d'osmose inverse. Les autres techniques comme la distillation sont également très consommatrices d'énergie. Enfin, il faut 100 litres d'eau de mer pour produire environ 45 litres d'eau potable. Si la captation de la ressource dans la mer ne pose pas de problème, la ressource y étant illimitée, la désalinisation produit des saumures ainsi que les additifs introduits dans le processus de désalinisation, qu'il faut rejeter ensuite, ce qui a un impact sur la faune et la flore marine environnantes.
En France, la désalinisation n'est mise en oeuvre que de manière modeste , lorsqu'aucune autre solution n'est possible (en Corse, ou dans les îles bretonnes).
b) La réutilisation des eaux usées traitées : une technique à encourager
La réutilisation (REUT) des eaux usées traitées est une piste plus féconde . Elle consiste à utiliser pour l'irrigation, le nettoyage ou encore l'arrosage public, l'eau sortant des stations d'épuration, plutôt que de la rejeter dans le milieu naturel.
La REUT est très peu développée en France, où moins de 1 % des eaux récupérées en sortie des stations d'épuration sont exploitées, à l'inverse de l'Italie, l'Espagne ou encore Israël, où le taux de réutilisation atteint respectivement 8 %, 15 % et 90 %. Pourtant, compte tenu des normes très exigeantes en matière de traitement des eaux usées par les stations d'épuration, la qualité des eaux traitées est tout à fait satisfaisante et, en tout état de cause, adaptée à l'ensemble des utilisations de l'eau en dehors de l'alimentation en eau potable.
Si l'on portait la REUT à 10 % des volumes sortant de nos stations d'épuration, on pourrait mobiliser chaque année environ 500 millions de m 3 , soit 15 % des besoins du secteur agricole.
Les eaux traitées ne constituent pas une ressource nouvelle mais une alternative aux prélèvements de l'eau dans la nature . En cela, la REUT contribue à faire baisser la pression sur la ressource qui peut être forte en période estivale. Ce type de solution présente un véritable intérêt dans les zones littorales touristiques où les consommations d'eau et les besoins de l'agriculture sont importants en été et où les eaux usées traitées sont rejetées dans la mer ou dans des fleuves côtiers. Ainsi, la communauté de commune du Sud Roussillon s'est lancée dans un projet de réutilisation à partir de la station d'épuration de Saint-Cyprien, pour arroser un golf, développer le maraîchage en lisière urbaine ou encore assurer le nettoyage des infrastructures publiques ou des camions-poubelles. Ce seront autant de quantités d'eau qui ne repartiront pas directement à la mer et qu'il ne faudra pas pomper dans les nappes et cours d'eau.
En mars 2022, un décret a été pris pour permettre de nouveaux usages des eaux usées traitées, auparavant interdits, notamment pour les usages urbains comme le lavage de voirie, l'hydrocurage des réseaux ou pour la recharge de nappe. Mais les projets de ce type ne seront autorisés que pour une durée limitée à cinq ans, ce qui est trop court pour amortir les investissements et pourrait freiner l'expérimentation.
Mettre en place un réseau de réutilisation n'est techniquement pas difficile mais nécessite des travaux de génie civil qui peuvent être coûteux . L'analyse de l'intérêt des projets ne peut se faire qu'au cas par cas, en fonction des économies de ressource en eau qu'ils permettent. Comme pour les retenues, c'est une solution de substitution intéressante pour les parties terminales d'un bassin. Il convient toutefois de s'assurer qu'en ne rejetant plus les eaux usées traitées dans le milieu naturel, on ne dégrade pas de trop les étiages des cours d'eau, pour lesquels le rejet des stations d'épuration peuvent représenter une partie significative du débit.
Nous disposons de marges importantes de développement pour la REUT, qui pourrait baisser le niveau de pression sur la ressource en eau, en particulier en période estivale dans la zone méditerranéenne qui combine activité agricole et forte pression touristique.
Conclusion
Notre approvisionnement en eau dépend principalement des « pluies efficaces », qui, avec le changement climatique, risquent fort de baisser et d'être plus aléatoires. Pour faire face à cette nouvelle donne, la priorité est donnée à la sobriété , avec des objectifs ambitieux de réduction des prélèvements et des consommations d'eau.
Cela nous permettrait d'être moins dépendants de la ressource, plus résilients. Mais la stratégie de sobriété a des limites. Produire de l'énergie, produire des denrées alimentaires ou encore apporter l'eau jusqu'au robinet des particuliers nécessite de sécuriser un certain volume d'eau.
Nous ne pouvons donc pas faire reposer notre politique de l'eau sur la seule sobriété , d'autant plus que des solutions existent pour mobiliser mieux l'eau disponible sur notre territoire. Elles sont d'ailleurs mises en oeuvre depuis longtemps à travers les canaux d'irrigation, souvent très anciens, l'aménagement des cours d'eau ou la constitution de retenues. Les transferts d'eau existent eux aussi depuis bien longtemps, en particulier dans les régions du pourtour méditerranéen qui sont depuis toujours confrontées à la question de l'approvisionnement en eau pour tous les besoins, ceux des villes comme ceux des campagnes.
Il convient donc de déployer un véritable panel de solutions variées pour mieux mobiliser la ressource . Des techniques innovantes comme la réutilisation des eaux usées traitées doivent être testées et développées. Il convient aussi d'adopter une approche pragmatique sur les retenues d'eau et de ne pas disqualifier d'emblée les projets de ce type, qui font d'ailleurs l'objet d'un encadrement réglementaire strict.
Il serait certes inacceptable de favoriser des retenues dégradant la capacité de recharge des nappes ou asséchant les cours d'eau avoisinants. Mais il serait tout aussi inacceptable de refuser de créer des retenues vertueuses, qui pourraient alléger la pression sur les nappes et les eaux de surface pendant la période d'étiage, en plus de sécuriser l'approvisionnement en eau de ses utilisateurs, en particulier les agriculteurs. C'est donc un examen au cas par cas, loin de tout dogmatisme, qui constitue le bon scénario à l'horizon 2050. Compte tenu de la complexité des phénomènes hydrologiques et du fonctionnement des bassins et sous-bassins, un suivi fin du fonctionnement des réservoirs artificiels et de leurs effets est naturellement à mettre en oeuvre, afin de prévenir toute dérive.
* 70 Source : rapport du CGAAER précité.
* 71 https://www.eaufrance.fr/sites/default/files/2019-04/impact-cumule-des-retenues-d-eau-sur-le-milieu-aquatique-afb-2017-027.pdf
* 72 Voir notamment la note scientifique de l'OPECST de février 2019 sur le stockage de l'électricité : https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/quatre_pages/OPECST_2019_0009_note_stockage_electricite.pdf
* 73 Pour produire 1 MWh, il faut avoir consommé environ 1,25 MWh pour pomper l'eau jusqu'au bassin supérieur.