N° 346
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 février 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la mise en oeuvre du règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires ,
Par M. Pierre MÉDEVIELLE,
Sénateur
1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Catherine Fournier , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Gilbert-Luc Devinaz, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Pierre Médevielle, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mme Elsa Schalck, M. Richard Yung .
L'ESSENTIEL
La mise en oeuvre du règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires nécessite la définition de profils nutritionnels devant conditionner l'emploi de ces allégations. Ceci aurait dû être fait depuis 2009 mais ne l'a pas été en raison des différences de points de vue sur la question entre États membres.
La Commission européenne a annoncé en mai 2020, à la suite d'une évaluation de ce règlement, vouloir reprendre ses travaux sur les profils nutritionnels.
C'est à cette occasion que la commission des affaires européennes du Sénat a décidé de se saisir de ce sujet et de proposer un bilan plus complet de la mise en oeuvre du règlement (CE) n° 1924/2006.
1/ Un règlement pour encadrer l'utilisation des allégations nutritionnelles et des allégations de santé
Le règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires vise à garantir, d'une part, une information fiable aux consommateurs , et d'autre part, le bon fonctionnement du marché intérieur . Pour cela, il encadre et harmonise à l'échelle de l'Union les conditions d'utilisation des allégations nutritionnelles et des allégations de santé qui apparaissent sur l'étiquetage, dans la présentation des denrées alimentaires et dans la publicité faite à leur sujet. L'utilisation d'une allégation nécessite une autorisation préalable accordée sur la base d'une justification scientifique.
Le règlement (CE) n° 1924/2006 permet d'éviter l'utilisation d'allégations inexactes, ambiguës ou trompeuses. Il ne vise pas à garantir la sécurité des denrées alimentaires mises sur le marché ni à réglementer l'étiquetage de celles-ci.
Ce règlement définit tout d'abord ce que sont les allégations nutritionnelles et les allégations de santé. Les allégations nutritionnelles sont définies comme un message qui affirme, suggère ou implique qu'une denrée alimentaire possède des propriétés nutritionnelles bénéfiques particulières et les allégations de santé comme un message qui affirme, suggère ou implique une relation entre la santé et une denrée alimentaire .
Ce règlement précise également les conditions dans lesquelles une allégation peut être autorisée. Ces conditions concernent notamment :
- la formulation de l'allégation pour éviter les allégations inexactes, ambiguës ou trompeuses ;
- la composition du produit avec d'une part, la présence, l'absence ou la teneur réduite d'un nutriment ou d'une substance faisant l'objet d'une allégation qui doit permettre d'atteindre l'effet nutritionnel ou physiologique allégué, et d'autre part, la composition de la denrée alimentaire en sucre, sel, matières grasses, acides gras trans et acides gras saturés qui doit correspondre à un profil nutritionnel favorable ;
- l'étiquetage du produit qui doit respecter les dispositions prévues par le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires et dont les dispositions s'appliquent également au nutriment ou à la substance faisant l'objet d'une allégation.
Le tableau ci-dessous précise les différentes procédures associées à chaque catégorie d'allégation :
Nature de l'allégation |
Allégations nutritionnelles |
Allégations de santé |
||
Objet de l'allégation |
Une quantité de nutriment ou substance qui permettant un effet nutritionnel bénéfique |
Allégations fonctionnelles reposant sur des preuves scientifiques généralement admises |
Allégations fonctionnelles reposant sur des preuves scientifiques nouvellement établies et / ou qui incluent une demande de protection de données exclusives |
Allégations relatives à la réduction d'un risque de maladie et allégations se rapportant au développement et à la santé infantiles |
Articles du règlement (CE) n° 1924/2006 |
Article 8 |
Article 13 paragraphe 1 et paragraphe 3 |
Article 13 paragraphe 1 et paragraphe 5 |
Article 14 |
Liste des allégations autorisées |
Annexe du règlement (CE) n° 1924/2006 |
Règlement (UE) n° 432/2012 de la Commission + registre de la Commission |
Règlement de la Commission modifiant le
règlement (UE) n° 432/2012
|
Règlement de la Commission + registre de la Commission |
Initiative pour la modification de cette liste |
Uniquement à l'initiative de la Commission |
Pas de modification possible (demandes transmises à la Commission avant le 31 janvier 2008 par les États membres) |
À la demande d'un exploitant du secteur alimentaire |
À la demande d'un exploitant du secteur alimentaire |
Avis scientifique de l'AESA 1 ( * ) |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Procédure permettant de modifier cette liste |
Procédure de comitologie |
Sans objet |
Si l'avis de l'AESA est favorable, la Commission statue seule après avoir consulté les États membres via un règlement. Si l'avis de l'AESA est défavorable, il est statué sur la demande via une procédure de comitologie |
Procédure de comitologie |
2/ Un règlement dont la mise en oeuvre fait l'objet de nombreuses critiques
a/ De la part des exploitants du secteur alimentaire
Sur le processus d'évaluation de l'AESA
La mise en oeuvre du règlement (CE) n° 1924/2006 a réduit le nombre d'allégations autorisées . Les exploitants du secteur alimentaire mettent en cause le processus d'évaluation de l'AESA. Ils estiment que les exigences sont trop élevées. En effet, l'AESA demande des preuves in vivo sur l'homme , conformément à l'article 6 et au considérant 23 du règlement (CE) n° 1924/2006 qui prévoient que les allégations de santé reposent sur des preuves scientifiques généralement admises et qu'elles ne devraient être autorisées qu'après une évaluation scientifique répondant aux exigences les plus élevées .
Le tableau suivant montre effectivement que peu d'allégations de santé ont été autorisées.
Type d'allégations |
Nombre d'allégations évaluées |
Nombre d'allégations autorisées |
Allégations génériques reposant sur des preuves établies |
4 637 envoyées à l'AESA après consolidation des 44 000 allégations reçues, mais 1 548 concernant les plantes n'ont pas été évaluées |
229 |
Allégations génériques reposant sur des preuves nouvellement établies et/ou contenant des informations exclusives |
136 |
5 |
Allégations relatives à la réduction d'un risque de maladie |
41 |
14 |
Allégations relatives au développement et à la santé infantiles |
57 |
12 |
Sur la qualité de l'information fournie au consommateur
Les exploitants du secteur alimentaire ont regretté l'absence de mise à jour régulière de la liste des allégations nutritionnelles pour tenir compte des évolutions scientifiques dans le domaine de l'alimentation. Selon eux, cela porte préjudice au consommateur auquel on fournirait une information qui ne serait plus pertinente.
Ils estiment également que le faible nombre d'allégations autorisées nuit à la qualité de l'information délivrée au consommateur puisque les produits restent en vente malgré l'absence d'allégation.
Sur les conditions de concurrence
Vérifier la bonne application du règlement (CE) n° 1924/2006 relève des autorités compétentes des États membres, soit en France la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Selon les exploitants du secteur alimentaire, ces autorités compétentes font appliquer ce règlement avec plus ou moins de rigueur , ce qui ne permet pas d'harmoniser les conditions de concurrence au sein du marché intérieur, alors que c'était l'un des objectifs du règlement (CE) n° 1924/2006.
Ainsi, les autorités italiennes permettent aux fabricants de produits contenant des probiotiques d'utiliser une allégation de santé qu'ils assimilent à un descripteur générique, tant que la Commission européenne ne s'est pas prononcée sur cette assimilation. Rappelons que la Commission européenne n'a pas souhaité inclure les probiotiques dans la liste de substances concernées par les allégations nutritionnelles et que l'AESA n'a validé scientifiquement aucune allégation de santé relative aux probiotiques.
Par ailleurs, l'allégation « sans sucres » peut être utilisée selon les conditions prévues par le règlement de 2006 ou selon celles prévues par un autre règlement, le règlement (CE) n° 1333/2008, qui sont moins restrictives. Ce sont les premières que les autorités françaises ont retenues.
b/ L'évaluation du règlement (CE) n° 1924/2006 par les services de la Commission européenne
Les services de la Commission européenne ont évalué le règlement (CE) n° 1924/2006 et pointent deux difficultés majeures.
Tout d'abord, l'absence de définition des profils nutritionnels ne permet pas de conditionner l'emploi des allégations à la composition du produit pour lequel l'allégation est demandé à sa composition en sucre, sel, matières grasses, acides gras trans et acides gras saturés. Ces profils devaient être définis avant le 10 janvier 2009 dans le cadre d'une procédure de comitologie mais aucun accord n'a pu être trouvé entre les États membres.
De plus, les allégations de santé portant sur les plantes devaient être évaluées selon la procédure mise en place par l'AESA pour répondre aux exigences du règlement (CE) n° 1924/2006. Or, selon cette procédure, aucune allégation n'a été autorisée. La Commission a donc décidé de mettre en attente d'évaluation les allégations de santé fonctionnelles relatives aux produits à base de plantes , transmises avant 2008. Dès lors, 1 548 allégations de santé portant sur des substances végétales restent en attente d'évaluation et continuent d'être utilisées.
3/ Faciliter la mise en oeuvre du règlement (CE) n° 1924/2006 plutôt que proposer sa refonte globale
Pour permettre une application concrète et entière du règlement (CE) n° 1924/2006, la commission des affaires européennes propose :
Sur l'établissement des profils nutritionnels
- l'établissement de profils nutritionnels en conformité avec le règlement (CE) n° 1924/2006 avec un système transversal combinant deux scores complémentaires et non compensatoires, l'un correspondant aux apports nutritionnels conseillés d'un nombre défini de nutriments qualifiants et l'autre correspondant aux limites à ne pas dépasser pour un nombre défini de nutriments disqualifiants ;
- l'établissement de dérogations aux profils nutritionnels pour permettre de tenir compte des recommandations scientifiques relatives à la consommation de certains nutriments ;
Sur les allégations portant sur les plantes
- l'établissement d'une liste des plantes autorisées pour être vendues comme complément alimentaire au sein de l'Union européenne, liste qui devra préciser la partie de la plante utilisée, le mode de préparation et le dosage maximal autorisé ;
- la définition d'une procédure spécifique d'évaluation des allégations portant sur des produits à base de plantes permettant de justifier l'allégation sur la base d'un usage traditionnel mais qui doit également inclure une évaluation de la sécurité des denrées alimentaires affichant l'allégation ;
Sur les évaluations de l'AESA
- un complément par l'AESA de ses lignes directrices en tenant compte de la nature du produit pour lequel l'allégation est demandée et des effets escomptés sur la santé ;
- la mise en place de consultations préalables permettant à l'AESA de présenter ses attentes aux exploitants du secteur alimentaire qui souhaitent soumettre une demande d'allégation, dans des conditions garantissant l'indépendance de l'AESA ;
Sur la liste des allégations nutritionnelles autorisées
- une mise à jour régulière de la liste des allégations nutritionnelles autorisées ;
Sur la politique éducative en matière alimentaire
- un renforcement des politiques d'éducation à l'alimentation au sein des établissements scolaires.
* 1 Agence européenne de sécurité des aliments