2. Une mobilité aux conséquences différentes selon les États membres
a) Pour certains pays de départ : un manque de personnel de plus en plus alarmant
Le niveau des salaires, les faibles dotations en matériel et parfois la corruption incitent les professionnels de santé à quitter certains États membres de l'Union européenne pour aller travailler dans d'autres États membres. Ces départs créent un manque dans le pays d'origine. C'est le cas principalement en Roumanie et en Bulgarie. L'institut de la protection sociale européenne estime ainsi qu'un quart des postes de médecins hospitaliers sont inoccupés en Roumanie. De même en Bulgarie, dans certaines régions rurales, le nombre de professionnels de santé a diminué de plus de 50 %. L'accès aux soins est donc plus compliqué, ce qui n'est pas sans conséquence pour la santé publique d'autant plus que la population de ces pays vieillit et que les besoins augmentent.
À ce sujet, le code de pratiques de l'OMS de 2010 recommande de ne pas engager de personnel médical provenant de régions où l'offre de soins est insuffisante mais cette recommandation n'a qu'un impact limité. En effet, les États où les dépenses de santé sont les plus élevées attirent davantage les professionnels du secteur. Ainsi, les médecins roumains sont nombreux à s'installer en France, les médecins polonais en Allemagne et les médecins estoniens en Finlande.
Ces mobilités sont par ailleurs facilitées par la pratique de la langue du pays d'accueil, condition nécessaire pour pouvoir y exercer.
b) Pour certains pays d'accueil : lutter contre les déserts médicaux
Le manque de personnel soignant touche différents États européens comme la France ou l'Allemagne. Ceci n'est pas lié au départ des professionnels formés vers d'autres pays mais à un accroissement des besoins en raison du vieillissement de la population notamment et à des politiques menées depuis de nombreuses années, visant à limiter le nombre de personnel formé pour contenir les dépenses de santé. Ainsi, en France, le numerus clausus pour les professionnels de santé était tombé à moins de 4 000 dans les années 90, contre 7 000 dans les années 80, avant de remonter à plus de 7 000 en 2015.
Ce manque de personnel soignant, couplé à sa mauvaise répartition sur le territoire, crée ce que l'on appelle des « déserts médicaux », des zones où il est de plus en plus difficile d'avoir accès aux soins. C'est le cas notamment en France où les pouvoirs publics tentent d'attirer des médecins étrangers par la création de maisons de santé permettant de disposer de locaux équipés à moindre coût ou des mesures incitatives à l'installation. Ainsi, le nombre de médecins roumains exerçant en France a été multiplié par 7 entre 2007 et 2017 pour atteindre 4 000. 21 % des médecins à diplôme étranger sont installés en zone rurale contre 10 % de médecins à diplôme français.
Pourtant, à terme, on s'aperçoit que les médecins ou dentistes venant de l'étranger ont tendance à s'installer dans les mêmes régions que ceux qui sont déjà sur le territoire national, à savoir l'Île-de-France, la région Rhône-Alpes et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
De même, les masseurs-kinésithérapeutes titulaires d'un diplôme obtenu au sein de l'Union européenne et qui s'installent en France choisissent généralement d'exercer en libéral, tout comme les titulaires d'un diplôme obtenu en France. Leur installation ne permet donc pas de combler le manque d'effectifs dans les hôpitaux.
De ce fait, le Gouvernement estime que la mobilité des professionnels de santé au sein de l'Union européenne ne peut constituer, à elle seule, une réponse au déficit d'offres de soins dans certaines régions ou établissements français.
La stratégie de transformation du système de santé « Ma santé 2022 : un engagement collectif », inscrite notamment dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, utilise d'autres leviers, se proposant, par exemple, d'organiser les soins de proximité au sein de structures d'exercice coordonné dans le cadre de communautés professionnelles territoriales de santé. Elle s'accompagne d'évolutions majeures comme la suppression du numerus clausus et la réforme des études médicales. Reste en suspens la question du nombre de places dans les universités.
Toutefois, la mobilité des professionnels de santé au sein de l'Union européenne constitue un facteur positif dans les pays d'accueil qui peut, parmi d'autres, contribuer à maintenir ou rétablir une offre de soins suffisante, notamment dans les territoires fragiles.
c) Une mobilité pendulaire liée à la proximité géographique
Certains professionnels de santé résidant à proximité d'une frontière traversent celle-ci chaque jour pour exercer leur profession. C'est le cas notamment de professionnels français se rendant en Suisse ou polonais allant travailler en Allemagne. Il est difficile d'obtenir des chiffres précis concernant ces mobilités pendulaires mais il apparaît clairement que de nombreux établissements de santé en régions frontalières ne pourraient pas fonctionner sans le concours de personnel venu du pays voisin. La mobilité pendulaire semble concerner les différentes professions de manière homogène, la situation géographique étant un élément déterminant de cette mobilité pendulaire.
La Belgique, la Suisse, l'Allemagne et le Luxembourg emploient ainsi des frontaliers français qui recherchent des conditions de travail et de rémunération plus avantageuses. L'ordre national des infirmiers a fait état de difficultés de recrutement dans l'Est de la France, à cause notamment de l'attractivité de la Suisse.
En Suisse, 30 % des médecins ont un diplôme étranger et parmi eux, 57 % sont allemands et 5,5 % sont français.